PAR SAINT AUGUSTIN
Docteur de l'Eglise d'Occident
Traduits par M. l’abbé
MORISOT., 1875
Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr,
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
PSAUME 2: L’ÉGLISE ET SES PERSÉCUTEURS
PSAUME 3: DAVID EN FACE D’ABSALON OU JÉSUS EN FACE DE
JUDAS
PSAUME 5: L’ÉGLISE DANS SON EXIL OU L’ÂME FIDÈLE
PSAUME 7: LE SILENCE DE JÉSUS-CHRIST
PSAUME 8: LE PRESSOIR DE L’ÉGLISE
PSAUME 9: LES ACTES MYSTÉRIEUX DE JÉSUS-CHRIST
INSCRITE DANS L’HÉBREU SOUS LE NUMÉRO 10
PSAUME 10: L’HÉRÉSIE EN FACE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE
PSAUME 11: LES ÉLUS SUR LA TERRE
PSAUME 15: LE CHANT DE LA RÉSURRECTION
PSAUME 16: L’ÉGLISE DE LA TERRE
PSAUME 17: CHANT DE DÉLIVRANCE
PSAUME 18 (1): LE VERBE DE DIEU
PSAUME 18 (2): LE VERBE DE DIEU
PSAUME 19: LE CHRIST DANS SA PASSION
PSAUME 20: LES REPRÉSAILLES DE LA PASSION
PSAUME 21: LES DÉTAILS DE LA PASSION
PSAUME 22 (2): LES PÂTURAGES DU SEIGNEUR
PSAUME 23: L’ASCENSION DU CHRIST
PSAUME 25 (1): LA PURETÉ DE L’ÉGLISE
PSAUME 27: LE CHRIST A SA RÉSURRECTION
PSAUME 28: L’ÉGLISE DE DIEU ET LA PRÉDICATION DE
L’ÉVANGILE
PSAUME 29 (1): L’ÉGLISE, OU LE TEMPLE CONSACRÉ A DIEU
PSAUME 29 (2): LA GLOIRE DU CHRÉTIEN APRÈS CETTE VIE
PSAUME 30 (1): LE JUSTE PERSÉCUTÉ
PSAUME 30 (2): ÉPREUVES ET ESPOIR DU CHRIST
PSAUME 30 (3): CONTRE LES DONATISTES
PSAUME 30 (4): ESPOIR DU JUSTE
PSAUME 31 (1): LE VÉRITABLE JUSTE
PSAUME 31 (2): LA FOI ET LES OEUVRES
PSAUME 32 (1): LA CONFIANCE DU JUSTE
PSAUME 32 (2): CONFIANCE EN DIEU
PSAUME 32 (3): CRAINTE ET AMOUR DE DIEU
PSAUME 33 (2): DISPOSITIONS A L’EUCHARISTIE
PSAUME 36 (1): LA FORCE DU JUSTE
PSAUME 36 (2): ENCORE LA FORCE DU JUSTE
PSAUME 37: L’AVEU DU PÉCHÉ OU LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST
PSAUME 45: LA PRÉDICATION DES APÔTRES
PSAUME 46: L’ASCENSION DU CHRIST
PSAUME 47: ÉTABLISSEMENT DE L’ÉGLISE
PSAUME 48: L’EMPLOI DES RICHESSES
PSAUME 49: LE JUGEMENT DE DIEU
PSAUME 51: TRIOMPHE DE JÉSUS-CHRIST
PSAUME 54: AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN
PSAUME 55: CONFIANCE DURANT L’ÉPREUVE
PSAUME 57: RESPECT DE LA JUSTICE ET DE LA VÉRITÉ
PSAUME 58 (2): DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME
PSAUME 59: TRIOMPHE DE JÉSUS-CHRIST
PSAUME 60: ESPÉRANCE DE L’ÉGLISE
PSAUME 63: VANITÉ DE LA CRAINTE DES MÉCHANTS
PSAUME 65: LA FOI EN LA RÉSURRECTION
PSAUME 66: LA BÉNÉDICTION DE DIEU
PSAUME 67: LA PRÉDICATION ÉVANGÉLIQUE
PSAUME 68 (1): LA RÉDEMPTION PAR LE CHRIST
PSAUME 68 (2): LA RÉDEMPTION PAR LE CHRIST
PSAUME 69: LE CHANT DES MARTYRS
PSAUME 70 (1): LA GRÂCE PAR LE CHRIST
PSAUME 70 (2): LA GRÂCE PAR LE CHRIST (SUITE)
PSAUME 71: LE VRAI SALOMON OU LE CHRIST
PSAUME 72: VANITÉ DES BIENS TERRESTRES
PSAUME 73: LA FOI PASSE DES JUIFS AUX GENTILS
PSAUME 74: L’HUMILITÉ DE LA CONFESSION
PSAUME 75: LA JUDÉE OU L’ÉGLISE DE DIEU
PSAUME 76: L’INTÉRIEUR DU CHRÉTIEN
PSAUME 77: LES FIGURES DE L’ANCIENNE LOI
PSAUME 78: LES PERSÉCUTIONS DE JÉRUSALEM
PSAUME 79: LA VIGNE DU SEIGNEUR
PSAUME 80: LES PRESSOIRS DANS L’ÉGLISE
PSAUME 81: JUGEMENT DE DIEU CONTRE LA SYNAGOGUE
PSAUME 82: CHANT DE L’ ÉGLISE POUR LE JUGEMENT
PSAUME 83: ENCORE LES PRESSOIRS DE L’ÉGLISE
PSAUME 84 (2): LES ESPÉRANCES DE L’ÉGLISE
PSAUME 85: LES ESPÉRANCES DE L’ÉGLISE
PSAUME 86: LA JÉRUSALEM CÉLESTE
PSAUME 87: LA PASSION DU CHRIST DANS L’ÉGLISE
PSAUME 88 (1): LES PROMESSES DE DIEU
PSAUME 89: LES FIGURES DE L’ANCIEN TESTAMENT
PSAUME 90 (2): LES TENTATIONS (SUITE).
PSAUME 92: LE SIXIÈME AGE DU MONDE
PSAUME 93 (1): LE MÉLANGE DES BONS ET DES MÉCHANTS.
PSAUME 94 (1): LES JOIES CHRÉTIENNES.
PSAUME 95 (1): LA MAISON DE DIEU OU L’ÉGLISE.
PSAUME 96: LES SAINTES JOIES DE L’ÉGLISE.
PSAUME 97: LA CONVERSION DES GENTILS.
PSAUME 98: LE RÈGNE DE JÉSUS-CHRIST
PSAUME 99: LA JUBILATION DANS L’ÉGLISE.
PSAUME 100: LA MISÉRICORDE ET LE JUGEMENT.
PSAUME 101 (1): LES GÉMISSEMENTS DE L’ÉGLISE.
PSAUME 101 (2): LES CONSOLATIONS DE L’ÉGLISE.
PSAUME 102: LES BIENFAITS DU SEIGNEUR.
PSAUME 103 (1): LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
PSAUME 103 (2): LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
PSAUME 103 (3): LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
PSAUME 103 (4): LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
PSAUME 104: LOUANGE A DIEU DANS SA BONTÉ.
PSAUME 105: LOUANGE A DIEU DANS SON PARDON.
PSAUME 106: LES ÉTAPES DE L’ÂME CHRÉTIENNE.
PSAUME 107: POURQUOI CE PSAUME N’EST POINT EXPLIQUÉ ICI.
PSAUME 108: LE CHRIST ET JUDAS.
PSAUME 109: LES PROMESSES DU SEIGNEUR.
PSAUME 110 (1): LES PROMESSES DU SEIGNEUR.
PSAUME 110 (2): LES MERVEILLES DU SEIGNEUR.
PSAUME 101: LE TEMPLE SPIRITUEL.
PSAUME 113 (1): LE BAPTÊME DANS LA MER ROUGE.
PSAUME 115: CHANT DES MARTYRS.
PSAUME 116: SUITE DU SERMON PRÉCÉDENT.
PSAUME 117: CONSTANCE DE L’ÉGLISE.
PSAUME 118 (1): LE VRAI BONHEUR.
PSAUME 118 (2): LA VOIE DU SEIGNEUR.
PSAUME 118 (3): LE PÉCHÉ DANS L’HOMME JUSTE.
PSAUME 118 (4): L’OBÉISSANCE AUX PRÉCEPTES.
PSAUME 118 (5): LE REDRESSEMENT DE NOS VOIES.
PSAUME 118 (6): LE CHRIST EST LA VÉRITABLE VOIE.
PSAUME 118 (7): LA FOI ET LA GRÂCE.
PSAUME 118 (8): LES DÉLICES DE LA LOI DE DIEU.
PSAUME 118 (9): LA VIE EN ÉCHANGE DE LA MORT.
PSAUME 118 (10): LE GOUT DES BONNES OEUVRES.
PSAUME 118 (11): LE PROGRÈS DANS LA PIÉTÉ.
PSAUME 118 (12): LA VANITÉ ET L’ENVIE.
PSAUME 118 (13): LA VIE DANS LE CHRIST.
PSAUME 118 (14): LES EFFETS DE LA GRÂCE.
PSAUME 118 (15): LES EFFETS DE LA GRÂCE.
PSAUME 118 (16): L’UNION A DIEU.
PSAUME 118 (17): LES BIENS DE LA GRÂCE.
PSAUME 118 (18): LES BIENFAITS DE LA GRACE.
PSAUME 118 (19): LA JOIE DANS LE SERVICE DE DIEU.
PSAUME 118 (20): LES SOUPIRS DE L’ÉGLISE PERSÉCUTÉE.
PSAUME 118 (21): SOUPIRS DE L’ÉGLISE VERS LE CIEL.
PSAUME 118 (22): L’INTELLIGENCE DE LA LOI.
PSAUME 118 (23): LA VÉRITABLE LUMIÈRE
PSAUME 118 (24): IMPORTUNITÉ DES MÉCHANTS
PSAUME 118 (25): LA PRÉVARICATION.
PSAUME 118 (26): LA VRAIE CHARITÉ.
PSAUME 118 (27): LE SECOURS DE LA GRÂCE.
PSAUME 118 (28): LE PLUS JEUNE PEUPLE.
PSAUME 118 (30): LA VÉRITABLE PRIÈRE.
PSAUME 118 (29): LA GRÂCE DE DIEU.
PSAUME 118 (31): INJUSTES PERSÉCUTIONS CONTRE L’ÉGLISE.
PSAUME 118 (32): LA FORCE DANS L’ÉGLISE.
PSAUME 119: LES ASCENSIONS DU CHRÉTIEN.
PSAUME 120: NOTRE CONFIANCE DANS LE SEIGNEUR.
PSAUME 121: L’EXTASE DE L’AMOUR.
PSAUME 122: LE CIEL PAR L’AMOUR.
PSAUME 124: VAINE PROSPÉRITE DES MÉCHANTS, ET CONFIANCE
DES JUSTES.
PSAUME 125: DÉLIVRANCE DE LA CAPTIVITÉ.
PSAUME 127: LES BIENS SPIRITUELS.
PSAUME 128: LES TOLÉRANCES DE L’ÉGLISE.
PSAUME 129: L’ESPÉRANCE DU PÉCHEUR
PSAUME 130: L’HUMILITÉ CHRÉTIENNE
PSAUME 131: L’ESPÉRANCE EN DIEU
PSAUME 132: LE MOINE, OU L’UNITÉ DE COEUR
PSAUME 133: CONTINUATION DU SERMON PRÉCÉDENT
PSAUME 134: LES OEUVRES DU SEIGNEUR
PSAUME 135: LES DIVINES MISÉRICORDES
PSAUME 136: BABYLONE, OU LA CAPTIVITÉ DE CETTE VIE
PSAUME 138 (2): LES BONS ET LES MÉCHANTS DANS L’ÉGLISE
PSAUME 139: L’ÉGLISE AU MILIEU DES MÉCHANTS
PSAUME 141: CHANT DES MARTYRS.
PSAUME 142: LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST DANS L’ÉGLISE.
PSAUME 143: VICTOIRE DE DAVID SUR GOLIATH.
PSAUME 144: L’ŒUVRE DE LA RÉGÉNÉRATION.
PSAUME 145: CHANT DE L’ÂME EXILÉE.
PSAUME 147: LA VOCATION A LA JÉRUSALEM DU CIEL
PSAUME 148: L’ESPÉRANCE DANS L’EXIL
PSAUME 149: LE NOUVEAU CANTIQUE OU L’ÉVANGILE.
PSAUME 150: LA LOUANGE DE DIEU DANS SES SAINTS.
L’homme céleste et l’homme terrestre. — Le premier est Jésus Christ, le second est Adam pécheur. — Jésus-Christ ayant évité les piéges dans lesquels Adam trouva la mort, aura dans l’Eglise une postérité que formeront les saints. — Adam pécheur sera le père des impies.
1. « Bienheureux l’homme qui ne s’est point
laissé aller au conseil des impies (Ps.
I, 1) » Cette bénédiction doit s’appliquer à Jésus-Christ Notre Seigneur,
qui est l’homme divin (Rétract. XIX).
« Bienheureux l’homme qui ne s’est point laissé aller au conseil des impies »,
comme l’Adam terrestre, qui écouta sa femme séduite par le serpent, et méprisa
le précepte du Seigneur (Gen. III, 6).
« Et qui ne s’est pas arrêté dans la voie des pécheurs ». A la vérité,
Jésus-Christ est venu dans la voie du péché, puisqu’il est né comme les
pécheurs, mais il ne s’y est pas arrêté, car il ne s’est pas épris des attraits
du monde. « Et ne s’est point assis dans la chaire de pestilence ». Car il ne
voulut point avoir sur la terre un trône fastueux, et voilà ce qui est justement
appelé trône pestilentiel; de même en effet que l’amour de la domination, que
l’appétit de la vaine gloire se glisse dans presque toute âme humaine; de même
la peste est cette maladie qui se répand au loin, attaquant tous les hommes ou
à peu près. Une chaire de pestilence se dirait mieux néanmoins d’une doctrine
perverse, dont l’enseignement est envahissant comme la gangrène (II Tim. II, 17). Voyons ensuite la
gradation de ces termes: « S’en aller, s’arrêter, s’asseoir ». L’homme s’en est
allé, quand il s’est retiré de Dieu; il s’est arrêté, quand il a pris plaisir
au péché; il s’est assis, quand affermi dans son orgueil, il n’a pu retourner
sans avoir pour libérateur celui qui ne s’est point laissé aller au conseil de
l’impie, ne s’est point arrêté dans la voie des pécheurs, ni assis dans la
chaire de pestilence.
2. « Mais qui s’est complu dans la loi du
Seigneur, et qui méditera cette loi jour et nuit (Ps I, 2)». La loi n’est pas établie pour le juste (I Tim. I, 9), a dit l’Apôtre. Mais être
dans la loi n’est pas être sous la loi. Etre dans la loi, c’est l’accomplir;
être sous la loi, c’est en recevoir l’impulsion. Dans le premier cas, c’est la
liberté, dans le second, c’est l’esclavage. Autre encore est la loi écrite qui
s’impose à l’esclave, et autre la loi que lit, dans son coeur, celui qui n’a
pas besoin de loi écrite. «Méditer la loi jour et nuit», signifie la méditer
continuellement, ou bien « le jour » s’entendra de la joie, et « la nuit», de
la tribulation; car il est dit: « Abraham vit mon jour et il en tressaillit de
joie (Jean, VIII, 56) »; et à propos
de la tribulation, le Psalmiste a dit: « Bien avant dans la nuit, mon coeur a
été dans l’angoisse (Ps. XV, 7).
3. « Il sera comme l’arbre planté près du
courant des eaux », c’est-à-dire près de la Sagesse elle-même, qui a daigné
s’unir à l’homme pour notre salut, afin que l’homme fût un arbre planté près du
courant des eaux; car c’est ainsi qu’on peut entendre cette autre parole du
Psalmiste: « Le fleuve de Dieu (122) est rempli d’eau (Ps. LXIV, 10) ». On peut encore entendre par les eaux,
l’Esprit-Saint, dont il est dit: « C’est lui qui vous baptisera dans
l’Esprit-Saint (Matt. III, 11) »; et
cette autre: « Qu’il vienne, celui qui a soif, et qu’il boive (Jean, VII, 37) »; et encore « Si tu connaissais
le don de Dieu, et qui est celui qui te demande à boire, tu lui en aurais u
demandé toi-même, et il t’aurait donné cette eau vive qui étanche pour jamais
la soif de celui qui en a bu; et qui devient en lui une source d’eau
jaillissante jusqu’à la vie éternelle(Id.
IV, 10-14) ». Ou bien, « près du courant des eaux »signifiera près des
péchés des peuples; dans l’Apocalypse, en effet, les eaux désignent les peuples
(Apoc. XVII, 15), et le courant se
dirait de la chute qui est le propre du péché. Cet arbre donc, c’est Notre
Seigneur, qui prend les eaux courantes, ou les peuples pécheurs, et se les
assimile par les racines de son enseignement; » il « donnera du fruit »,
c’est-à-dire établira des églises, « en son temps », quand il aura été glorifié
en ressuscitant et en montant au ciel. Ayant alors envoyé l’Esprit-Saint aux
Apôtres, qu’il confirma dans la confiance en lui-même, et dispersa parmi les
peuples, il recueillit pour fruits les églises. « Et son feuillage ne tombera
point », car sa parole ne sera point inutile: « Toute chair, en effet; n’est
qu’une herbe, toute beauté de l’homme est comme la fleur des champs; l’herbe
s’est fanée, la fleur est tombée, mais la parole de Dieu demeure éternellement(Isa. XI, 6-8) ». « Et tout ce qu’il
établira, sera dans la prospérité », c’est-à-dire tout ce que portera cet
arbre; car cette généralité embrasse les fruits et les feuilles, ou les actes
et les paroles.
4. « Il n’en est pas ainsi de l’impie, vaine
poussière que le vent soulève de la surface de la terre (Ps. I, 4) ». Terre se dit ici de la permanence qui est le propre de
Dieu, et dont il est écrit: « Le Seigneur est la part de mon héritage, et cet
héritage m’est glorieux (Id. XV, 7) ».
Et ailleurs: « Attends le Seigneur, garde ses voies, et il t’élèvera jusqu’à te
mettre en possession de la terre (Id.
XXXVI, 34)»; et encore: « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils
posséderont la terre (Matt. V, 4) ».
Voici, en effet, le point de comparaison: c’est que la terre invisible sera
pour l’homme intérieur ce qu’est pour l’homme extérieur cette terre visible qui
lui donne l’aliment et l’espace. C’est de la surface de cette terre invisible
que le vent ou l’orgueil qui enfle (I
Cor. VIII, 1), chassera l’impie. Mais celui qui s’enivre de l’abondance qui
règne en la maison de Dieu, qui s’abreuve au torrent de ses voluptés, se
prémunit contre l’orgueil et dit: « Loin de moi le pied de l’orgueilleux (Ps. XXXV, 9, 12». De cette terre encore
l’orgueil a banni celui qui disait: « Je placerai mon trône vers l’Aquilon, je
serai semblable au Très-Haut (Isa. XIV,
13, 14) ». Enfin, de cette terre l’orgueil a expulsé celui qui osa goûter
du fruit défendu, afin de devenir semblable à Dieu, et voulut se dérober à la
présence du Seigneur (Gen. III, 6-8).
Voici des paroles de l’Ecriture qui nous font bien comprendre que cette terre
est l’apanage de l’homme intérieur, et que l’orgueil en a expulsé l’homme du
péché: « De quoi t’enorgueillir, cendre et poussière? pendant ta vie, tu as
rejeté loin de toi ton intérieur (Eccli.
X, 9, 10)»; d’où l’on peut dire avec raison que s’il est rejeté, c’est par
lui-même.
5. «Aussi, l’impie ne doit-il point
ressusciter pour le jugement (Ps. I, 5)»,
puisqu’il est balayé de la terre comme une vaine poussière. C’est avec justice
que le Psalmiste dit ici que l’orgueilleux sera frustré de ce qu’il ambitionne,
ou du pouvoir de juger: aussi nous fait-il mieux comprendre cette parole dans
la phrase suivante: « Ni le pécheur dans l’assemblée des justes ». Il est
d’ordinaire, dans l’Ecriture, que la seconde partie du verset explique la
première, en sorte que « par l’impie » on doit entendre le pécheur, et par « le
jugement », l’assemblée des justes. Ou du moins, s’il y a entre l’impie et le
pécheur cette différence que tout impie soit pécheur, quoique tout pécheur ne
soit pas toujours impie, « l’impie ne ressuscitera point pour le jugement »,
c’est-à-dire qu’il ressuscitera, sans aucun doute, mais non pour être jugé, car
il est déjà condamné à des peines indubitables. « Mais le pécheur ne se
relèvera point dans l’assemblée des justes », ou pour juger, mais bien pour
être jugé, comme il est dit de lui: « Le feu doit éprouver l’oeuvre de chacun:
celui dont l’ouvrage pourra résister, en recevra la récompense; celui dont
l’ouvrage sera consumé en subira la peine; lui cependant sera « sauvé, mais
comme par le feu (I Cor. III, 13-15)
». (123)
6. « Le Seigneur, en effet, connaît la voie
des justes (Ps. I, 6) ». Comme on
dit: « La médecine connaît la guérison, mais non la maladie », et toutefois la
maladie elle-même est connue par l’art médical; on peut dire dans le même sens
que Dieu connaît la race des justes, et non la race des impies; non pas que
Dieu ignore quelque chose, bien qu’il dise aux pécheurs: «Je ne vous
connais-point (Matt. VII, 23) ». «
Mais la voie de l’impie doit périr», se dit dans le même sens que si on lisait:
Le Seigneur ne connaît point la voie de l’impie. Mais nous voyons clairement
par là que celui qui est ignoré de Dieu doit mourir, comme celui qui en est
connu doit subsister. En Dieu, être connu, c’est être; être ignoré, c’est
n’être pas. Il a dit en effet: «Je suis celui qui suis», et « Celui qui est,
m’a envoyé (Exod. III, 14) ».
Les méchants veulent secouer
le joug de Dieu et de son Christ; mais il a établi, ce Christ chef de sou
royaume ou de l’Eglise qui s’étendra partout. Comprenez cette puissance, et
faites-vous de la foi un abri contre ses vengeances.
1. « A quoi bon ce frémissement des nations,
et ces vaines machinations des peuples? Les rois de la terre se sont levés, les
princes ont formé des ligues contre le Seigneur et contre son Christ (Ps. II, 1-2) ». Le psalmiste dit: « A
quoi bon», comme il dirait: C’est en vain; car ces ligueurs n’ont pas atteint
le but qu’ils se proposaient, l’extinction du Christ: c’est la prédiction des
persécuteurs de Jésus dont il est fait mention dans les Actes des Apôtres (Act. IV, 26).
2. « Brisons leurs liens, et rejetons leur
joug loin de nous (Ps. II, 3) ». Bien
que ces paroles soient susceptibles d’un autre sens, il est mieux de les
appliquer à ceux dont le Prophète a dit qu’ils machinaient en vain; en sorte
que « brisons leurs chaînes, et rejetons leur joug loin de nous », signifie:
appliquons-nous à éluder les devoirs et à rejeter le fardeau de la religion
chrétienne.
3. « Celui qui habite dans les cieux se rira
d’eux, le Seigneur les persiflera (Ib.
4.) ». La même pensée est deux fois exprimée: car au lieu de: « Celui qui
habite dans les cieux », le Psalmiste a dit: « Le Seigneur »; et « se rira »,
est remplacé par « persiflera ». Gardons-nous toutefois d’entendre ces
expressions d’une manière humaine, comme si Dieu plissait des lèvres pour rire,
et des narines pour se moquer. Il faut entendre par là, le pouvoir qu’il donne
à ses élus de lire dans l’avenir, d’y voir le nom du Christ se transmettant
jusqu’aux derniers humains, s’emparant de tous les peuples, et de comprendre
ainsi combien sont vaines les trames des méchants. Ce pouvoir qui leur découvre
cet avenir, c’est la moquerie et le persiflage de Dieu. « Celui qui habite les
cieux se rira d’eux ». Si, par les cieux, nous comprenons les âmes saintes,
c’est en elles que le Seigneur connaissant ce qui doit arriver, se rit des
vains complots et tourne en dérision.
4. « Alors il leur parlera dans sa colère, et
les confondra dans sa fureur (Ps. II, 5)
». Pour nous mieux préciser l’effet de cette parole, David a dit: « Il les confondra
»; en sorte que « la colère » de Dieu est identique « à sa fureur ». Mais cette
colère et cette fureur du
Seigneur Dieu, ne doit pas s’entendre d’une
perturbation de l’âme; c’est le cri puissant de la justice dans toute créature,
soumise à Dieu pour le servir. Car il faut bien nous rappeler
et croire ce qu’a écrit Salomon: « Pour toi,
ô Dieu de force, tu es calme dans tes jugements, et tu nous gouvernes avec une
sorte (124) de respect (Sag. XII, 18)
». En Dieu donc, la colère est ce mouvement qui se produit dans une âme
connaissant la loi de Dieu, quand elle voit cette même loi violée par le
pécheur; elle est cette indignation des âmes justes qui flétrit par avance bien
des crimes. Cette colère de Dieu pourrait fort bien se dire encore des ténèbres
de l’esprit qui envahissent tout infracteur de la loi de Dieu.
5. « Moi, je suis établi par lui, pour régner
en Sion, sur la montagne sainte, pour prêcher sa loi (Ps. II, 6) ». Ces paroles s’appliquent évidemment à Notre Seigneur
Jésus-Christ. Si, pour nous, comme pour beaucoup d’autres, Sion veut dire
contemplation, nous ne pouvons mieux l’entendre que de l’Eglise, dont l’âme
s’élève chaque jour pour contempler en Dieu ses splendeurs, selon ce mot de
l’Apôtre: « Nous verrons à découvert la gloire du Seigneur (II Cor. III, 18) »; voici donc le sens:
« Moi, je suis établi par lui pour régner sur la sainte Eglise », appelée ici
montagne à cause de sa hauteur et de sa solidité. « C’est moi qu’il a établi
roi »: moi, dont les impies cherchaient à briser les chaînes et à secouer le
joug. « Pour prêcher sa loi»: qui ne comprendrait cette expression, en voyant
la pratique de chaque jour?
6. « Le Seigneur m’a dit: Tu es-mon Fils; je
t’ai engendré aujourd’hui (Ps. II, 7)
». Dans ce jour, on pourrait voir la prophétie du jour où Jésus-Christ naquit
en sa chair. Néanmoins comme « aujourd’hui » indique l’instant actuel, et que
dans l’éternité, il n’y a ni un passé qui ait cessé d’être, ni un futur qui ne
soit pas encore, mais seulement un présent; car tout ce qui est éternel est
toujours cette expression: « Aujourd’hui, je t’ai engendré », s’entendra dans
le sens divin, selon lequel la foi éclairée et catholique professe la
génération ininterrompue de la puissance et de la sagesse de Dieu, qui est son
Fils unique.
7. « Demande-moi, et je te donnerai les
nations pour héritage (Ib. 8)». Ceci
n’est plus éternel, et s’adresse au Verbe fait homme, qui s’est offert en
sacrifice, à la place de tous les sacrifices, « qui intercède encore pour nous
(Rom. VIII, 34)»; en sorte que c’est
à Jésus-Christ, dans l’économie temporelle de l’Incarnation opérée pour le
genre humain, qu’est- adressée cette parole: « Demande-moi »: oui, demande que
tous les peuples soient unis sous le nom chrétien, afin qu’ils soient rachetés
de la mort, et deviennent la possession de Dieu. « Je te donnerai les nations
en héritage », afin que tu les possèdes pour leur salut, et qu’elles te
produisent des fruits spirituels. « Et ta possession s’étendra jusqu’aux
confins de la terre ». C’est la même pensée répétée. «Les confins de la terre »
sont mis ici pour les nations, mais dans un sens plus clair, afin que nous
comprenions toutes les nations: le Psalmiste a dit « possession » au lieu de «
héritage ».
8. « Tu les gouverneras avec un sceptre de
fer », dans l’inflexible justice. « Tu les briseras comme un vase d’argile (Ps. II, 9) », c’est-à-dire tu briseras
en eux les passions terrestres, les immondes soucis du vieil homme, et tout ce
qu’il a puisé, pour se l’inculquer, dans la fange du péché. « Et maintenant, ô
rois, comprenez » (Ib. 10) ». «
Maintenant », c’est-à-dire, quand vous aurez une vie nouvelle, ayant brisé
cette enveloppe de boue, ces vases charnels de l’erreur, qui sont l’apanage de
la vie passée, oui, « alors comprenez, vous qui êtes rois », puisque vous
pouvez d’une part diriger tout ce qu’il y a chez vous de servil et d’animal, et
d’autre part combattre, non comme frappant l’air, mais châtiant vos corps et
les réduisant en servitude (I Cor., IX,
26, 27). « Instruisez-vous, vous tous qui jugez la terre ». C’est une
répétition. « Instruisez-vous » est mis pour « comprenez »; et, «vous qui jugez
la terre», pour « vous qui êtes rois ». Le Prophète veut dire que l’homme
spirituel doit juger la terre; car ce que nous jugerons nous est inférieur; et
tout ce qui est inférieur à l’homme spirituel, peut bien s’appeler terre,
puisqu’il est meurtri par la chute terrestre.
9. « Servez le Seigneur avec crainte (Ps., II, 11) »; parole qui prévient
l’orgueil que nous donnerait cette autre: « O rois qui jugez la terre». « Et
tressaillez en lui avec tremblement ». « Tressaillez », est fort bien ici pour
corriger ce qu’aurait de pénible: « Servez. le Seigneur avec crainte ». Mais
afin que celte jubilation n’aille point jusqu’à la témérité, le Prophète
ajoute: « avec tremblement»: ce qui nous invite à garder avec soin et vigilance
le principe de la sanctification. «Et maintenant comprenez, ô rois », peut
encore. s’entendre (125) ainsi: Et maintenant que je suis constitué roi, ne
vous en affligez point, ô rois de la terre, comme d’un empiétement sur vos
privilèges; mais plutôt instruisez-vous et comprenez qu’il vous est avantageux
de vivre sous la tutelle de celui qui vous donne l’intelligence et
l’instruction. L’avantage qui vous en reviendra, sera de ne point régner à
l’aventure, mais de servir avec tremblement le Seigneur de tous, de vous
réjouir dans l’attente d’une félicité sans mélange, vous tenant en garde et
dans la circonspection contre l’orgueil qui vous en ferait déchoir.
10. « Emparez-vous de la doctrine, de peur
qu’un jour le Seigneur n’entre en colère, et que vous ne perdiez la voie de la
justice (Ps. II, 2)». C’est ce qu’a
déjà dit le Prophète: « Instruisez- vous et comprenez »; car s’instruire et
comprendre, c’est s’emparer d’une doctrine. Cependant l’expression: « apprehendite, emparez-vous», désigne
assez clairement un certain abri, un rempart contre tout ce qui pourrait
arriver, si l’on apportait moins de soin
à s’emparer. « De peur qu’un jour le Seigneur
ne s’irrite », renferme un certain doute, non point dans la vision du prophète,
qui en a la certitude, mais dans l’esprit de ceux qu’il avertit; car ceux qui
n’ont point une révélation claire de la colère n’y pensent d’ordinaire qu’avec
doute. Ceux-là donc doivent se dire: « Emparons-nous de la doctrine, de peur
que le Seigneur ne s’irrite, et que nous ne perdions la voie de la justice».
Déjà nous avons exposé plus haut comment « s’irrite le Seigneur (Sup. n. 4)». « Et que vous perdiez la
voie de la justice ». C’est là un grand châtiment, que redoutent ceux qui ont
déjà goûté les douceurs de la justice. Celui qui perd la voie de la justice,
doit errer misérablement dans les voies de l’iniquité.
11. « Quand bientôt s’enflammera sa colère,
bienheureux ceux qui auront mis en lui leur confiance (Ps. II, 13) ». C’est-à-dire, quand éclatera cette vengeance qui est
préparée aux pécheurs et aux impies, non seulement elle épargnera ceux qui
auront mis leur confiance dans le Seigneur, mais elle servira à leur établir, à
leur élever un trône bien haut. Le Prophète ne dit pas: « Quand bientôt
s’enflammera sa colère, ceux qui se confient en lui seront en sûreté »; comme
s’ils devaient seulement échapper à la vengeance: mais il les appelle «
bienheureux », ce qui exprime la somme, le comble de tous les biens. Quant à
l’expression: « In brevi, bientôt »,
elle signifie, je crois, quelque chose de soudain, pour les pécheurs, qui ne
l’attendront que dans un lointain avenir.
L’Eg1ise
triomphe de ses persécuteurs, et l’âme chrétienne de ses passions.
PSAUME DE DAVID QUAND IL FUYAIT DEVANT LA FACE DE SON FILS ABSALON.
1. Ces paroles du psaume: « Je me suis
endormi, j’ai pris mon sommeil; puis je me suis éveillé, parce que le Seigneur
est mon protecteur (Ps. III, 6) »,
nous font croire qu’il faut l’appliquer à la personne du Christ; car elles
conviennent beaucoup mieux à la passion et à la résurrection du Seigneur, qu’à
ce fait que nous raconte l’histoire, que David s’enfuit devant la face de son
fils révolté contre lui (II Rois, XV, 17).
Et comme il est écrit des disciples du Christ: « Tant que l’époux est avec eux,
les fils de (126) l’époux ne jeûnent point (Matt.
IX, 15)»; il n’est pas étonnant qu’un fils impie soit la figure de ce
disciple impie qui trahit son maître. Au point de vue historique, on pourrait
dire, il est vrai, que le Christ a fui devant lui, alors qu’il se retira sur la
montagne avec les autres, quand le disciple se séparait de lui; mais au sens
spirituel, quand le Fils de Dieu, la force et la sagesse de Dieu, se retira de
l’âme de Judas, le démon l’envahit aussitôt, ainsi qu’il est écrit: « Le diable
entra dans son cœur (Jean, XIII, 2)
»; on peut dire alors que le Christ s’enfuit de Judas; non pas que le Christ
ait cédé devant le diable, mais bien qu’après la sortie du Christ, le diable
prit possession. Cet abandon de la part de Jésus, est appelé une fuite par le
Prophète, selon moi, parce qu’il se fit promptement. C’est encore ce que nous
indique cette parole du Seigneur: « Fais promptement ce que tu fais (Ibid. 27) ». Il nous arrive aussi de
dire en langage ordinaire: Cela me fuit ou m’échappe, quand quelque chose ne
revient point à notre pensée, et l’on dit d’un homme très-savant que rien ne
lui échappe. Ainsi la vérité échappait à l’âme de Judas quand elle cessa de
l’éclairer. Absalon, d’après plusieurs interprètes, signifie, en langue latine,
Paix de son père. Il paraît sans doute étonnant que, soit Absalon qui, selon
l’histoire des rois, fit la guerre à son père, soit Judas, que l’histoire du
Nouveau Testament nous désigne comme le traître qui livra le Seigneur, puisse
être appelé Paix de son père. Mais un lecteur attentif voit que dans cette
guerre, il y avait paix dans le coeur de David, pour ce fils dont il pleura si
amèrement le trépas, en s’écriant: « Absalon, mon fils, qui me donnera de
mourir pour toi (II Rois, XVIII, 33)?
» Et quand le récit du Nouveau Testament nous montre cette grande, cette
admirable patience du Seigneur, qui tolère Judas comme s’il était bon; qui
n’ignore point ses pensées, et néanmoins l’admet à ce festin où il recommande
et donne à ses disciples son corps et son sang sous des figures; qui, dans
l’acte même de la trahison, l’accueille par un baiser, on voit aisément que le
Christ ne montrait que la paix au traître, alors que le coeur de celui-ci était
en proie à de si criminelles pensées. Absalon est donc appelé Paix de son père,
parce que son père avait pour lui des sentiments de paix, dont ce criminel
était loin.
2. « Seigneur, combien sont nombreux ceux qui
me persécutent (Ps. III, 2)! » Si
nombreux, que même parmi mes disciples, il s’en trouve pour grossir la foule de
mes ennemis: « Combien se soulèvent contre moi; combien de voix crient à mon
âme: Point de salut pour toi en ton Dieu ! (Ibid.
3) » Il est évident que s’ils croyaient à sa résurrection ils ne le
mettraient point à mort. De là viennent ces provocations: « S’il est Fils de
Dieu, qu’il descende de la croix »; et: « Il a sauvé les autres, et ne peut se
sauver (Matt. XXVII, 42) ». Judas lui-même
ne l’aurait donc point livré s’il n’eût été du nombre de ceux qui disaient au
Christ avec mépris: « Point de salut pour lui, en son Dieu ».
3. « Mais toi, ô Dieu, tu es mon protecteur (Ps., III, 4). » C’est dans son humanité
que Jésus parle ainsi à son Père; car pour protéger l’homme, le Verbe s’est
fait chair. « Vous êtes ma gloire». Il appelle Dieu sa gloire, cet homme auquel
s’est uni le Verbe de Dieu, de manière à le faire Dieu avec lui. Belle leçon
aux superbes, qui ferment, l’oreille quand on leur dit: « Qu’avez-vous que vous
n’ayez reçu? et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier, comme si vous
n’aviez point reçu (I Cor., IV, 7)?»
«C’est vous, Seigneur, qui relevez ma tête ». La tête, selon moi, se dit ici de
l’esprit humain, qui est bien la tête de notre âme; et cette âme s’est
tellement unie, et en quelque sorte mélangée par l’Incarnation, à la sublime
grandeur du Verbe, que les opprobres de la passion ne l’ont point fait déchoir.
4. « De ma voix j’ai crié vers le Seigneur (Ps. III, 5)»: non pas de cette voix
corporelle, qui devient sonore par la répercussion de l’air; mais de cette voix
du coeur, que l’homme n’entend point, mais qui s’élève à Dieu comme un cri; de
cette voix de Susanne (Dan. XIII, 44)
qui fut exaucée, et avec laquelle Dieu nous a recommandé de prier, dans nos
chambres closes, ou plutôt sans bruit, et dans le secret des coeurs (Matt. VI, 6). Et que l’on ne dise point
qu’il y a moins de supplication dans cette voix, quand notre bouche ne laisse
entendre aucune parole sensible: puisque dans la prière silencieuse de notre
coeur, une pensée étrangère au sentiment de nos supplications nous empêche de
dire: « Ma voix s’est élevée jusqu’au Seigneur». Cette parole n’est vraie en
nous que quand l’âme, s’éloignant, dans l’oraison, et de la chair, et de (127)
toute vue terrestre, parle seule à seul au Seigneur qui l’entend. Elle prend le
nom de cri, à cause de la rapidité de son élan. « Et il m’a exaucé du haut de
sa montagne sainte ». Un autre prophète appelle montagne le Seigneur lui-même,
quand il écrit qu’une pierre détachée sans la main d’un homme, s’éleva comme
une grande montagne (Dan., II, 35).
Mais cela ne peut s’entendre de sa personne même, à moins de faire dire au
Christ: Le Seigneur m’a exaucé, « de moi-même » comme de sa montagne sainte,
car il habite en moi comme en sa hauteur. Mais il est mieux et plus court
d’entendre que le Seigneur l’a exaucé du haut de sa justice. Car il devait à sa
justice de ressusciter l’innocent mis à mort, à qui l’on a rendu le mal pour le
bien, et de châtier ses persécuteurs. Nous lisons en effet que « la justice de
Dieu est élevée comme les montagnes (Ps.
XXXV, 7)».
5. « Pour moi, je me suis endormi, j’ai pris
mon sommeil (Ps. III, 6) » Il n’est
pas inutile de remarquer cette expression, « pour moi », qui montre que c’est
par sa volonté qu’il a subi la mort, selon cette parole: « C’est pour cela que
mon Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin que je la reprenne de nouveau.
Nul ne me l’ôte: j’ai le pouvoir de la donner, comme j’ai le pouvoir de la
reprendre (Jean, X, 17, 18) ». Ce
n’est donc pas vous, dit-il, qui m’avez saisi malgré moi, et qui m’avez tué:
mais « moi, j’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis éveillé, parce que
le Seigneur me protège ». Mille fois dans l’Ecriture le sommeil se dit pour la
mort; ainsi l’Apôtre a dit: « Je ne veux rien vous laisser ignorer, mes frères,
au sujet de ceux qui dorment)I Thess. IV,
12) ». Ne demandons point pourquoi le Prophète ajoute: « J’ai pris mon
sommeil », après avoir dit: « J’ai dormi». Ces répétitions sont d’usage dans
les Ecritures, comme nous en avons montré beaucoup dans le psaume second. Dans
d’autres exemplaires, on lit: « J’ai dormi, j’ai goûté un profond sommeil », et
autrement encore en d’autres comme ils ont pu comprendre ces mots du grec, ego de ekoimeten kai uposa. Peut-être
l’assoupissement désignerait-il le mourant, et le sommeil celui qui est mort,
puisque l’on passe de l’assoupissement au sommeil, comme de la somnolence à la
veille complète. Gardons-nous de ne voir dans ces répétitions des livres saints
que de futiles ornements du discours. « Je me suis assoupi, j’ai dormi
profondément», se dit très-bien pour: Je me suis abandonné aux douleurs que la
mort a couronnées. « Je me suis éveillé, parce que le Seigneur me soutiendra (Ps. III, 6) ». Remarquons ici que dans
le même verset, le verbe est au passé, puis au futur. Car « j’ai dormi » est du
passé; et « soutiendra » est au futur; comme si le Christ ne pouvait en effet
ressusciter que par le secours du Seigneur. Mais dans les prophéties, le futur
se met pour le passé, avec la même signification. Ce qui est annoncé pour
l’avenir est au futur selon le temps, mais dans la science du Prophète, c’est
un fait accompli. On trouve aussi des expressions au présent, et qui seront
expliquées à mesure qu’elles se présenteront.
6. « Je ne craindrai pas cette innombrable «
populace qui m’environne (Ps. III, 7)
». L’Evangile a parlé de cette foule qui environnait Jésus souffrant sur la
croix (Matt. XXVII, 39). « Lève-toi,
Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu (Ps. III,
7) ». Cette expression, « lève-toi », ne s’adresse pas à un Dieu qui
sommeille, ou qui se repose; mais il est d’ordinaire, dans les saintes
Ecritures, d’attribuer à la personne de Dieu ce qu’il fait en nous: non point
toujours, sans doute, mais quand cela se peut dire convenablement, comme on dit
que c’est Dieu qui parle, quand un prophète ou un apôtre, ou quelque messager
de la vérité, a reçu de lui le don de parler. Delà ce mot de saint Paul: «
Voulez-vous éprouver la puissance du Christ qui parle par ma bouche? » Il ne
dit pas: De celui qui m’éclaire, ou qui m’ordonne de parler; mais il attribue
sa parole même à celui qui l’a chargé de l’annoncer.
7. « Parce que c’est toi qui as frappé tous
ceux qui s’élevaient contre moi sans motif (II
Cor. XIII, 3) ». N’arrangeons point les paroles, de manière à ne former
qu’un même verset: « Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu, voilà que tu as
frappé tous ceux qui s’élevaient contre moi sans motif ». Si le Seigneur l’a
sauvé, ce n’est point parce qu’il a frappé ses ennemis, il ne les a frappés au
contraire qu’après l’avoir sauvé. Ces paroles appartiennent donc à ce qui suit,
de manière à former ce sens: « Voilà que tu as frappé ceux qui s’élevaient
contre moi sans motif, tu as brisé les dents des (128) pécheurs (Ps. III, 9) »: c’est-à-dire, c’est en
brisant les dents des pécheurs, que tu as frappé mes adversaires. C’est en
effet le châtiment des adversaires qui a brisé leurs dents, ou plutôt anéanti
et comme réduit en poussière les paroles des pécheurs qui déchiraient le Fils
de Dieu par leurs malédictions: ces dents seraient alors des malédictions, dans
le même sens que l’Apôtre a dit: « Si vous vous mordez les uns les autres,
prenez garde que vous ne vous détruisiez les uns les autres (Gal. V, 15) ». Ces dents des pécheurs
peuvent se dire encore des princes des pécheurs, qui usent de leur autorité
pour retrancher quelque membre de la société des bons et l’incorporer avec les
méchants. A ces dents sont opposées les dents de 1’Eglise, qui s’efforce
d’arracher à l’erreur des païens et des dogmes hérétiques, les vrais croyants,
et de se les unir, à elle qui est le corps du Christ. C’est encore avec ces
dents qu’il fut recommandé à Pierre de manger des animaux mis à mort (Act. X, 13), c’est- à-dire de faire
mourir chez les Gentils ce qu’ils étaient, pour les transformer en ce qu’il
était lui-même. Enfin, ces mêmes dents ont fait dire à l’Eglise: « Tes dents
sont comme un troupeau de brebis qui montent du lavoir; nulle qui ne porte un
double fruit, ou qui demeure stérile (Cant.
IV, 2; VI, 5) ». Belle image de ceux qui instruisent, et qui vivent selon
les préceptes qu’ils donnent; qui accomplissent cette recommandation: « Que vos
oeuvres brillent aux yeux des hommes, afin qu’ils bénissent votre Père qui est
dans les cieux (Matt. V, 16) ».
Cédant à l’autorité de ces prédicateurs, les hommes croient au Dieu qui parle
et qui agit en eux, se séparent du siècle selon lequel ils vivaient, pour
devenir membres de l’Eglise. Des prédicateurs qui obtiennent de semblables
résultats, se nomment avec raison des dents semblables aux brebis que l’on
vient de tondre, parce qu’ils ont déposé le fardeau des terrestres soucis,
qu’ils montent du lavoir, ou du bain du sacrement de baptême, qui les a
purifiés de toute souillure, et qu’ils engendrent un double fruit. Ils
accomplissent en effet les deux préceptes dont il est dit: « Ces deux préceptes
renferment la loi et les Prophètes (Ibid.
XII, 40) »; car ils aiment Dieu de tout leur coeur, de toute leur âme, de
tout leur esprit, et le prochain comme eux-mêmes. Nul chez eux n’est stérile
puisqu’ils fructifient ainsi pour Dieu. En ce sens donc nous devons entendre: «
Tu as brisé les dents des pécheurs », puisque tu as anéanti les princes des
pécheurs en frappant ceux qui gratuitement s’élevaient contre moi. Le récit de
l’Evangile nous montre en effet que les princes persécutaient Jésus, et que la
multitude le traitait avec honneur.
8. « Le salut vient du Seigneur; et que tes
bénédictions, ô Dieu, se répandent sur ton peuple (Ps. III, 9) ». Dans le même verset, le Prophète enseigne aux hommes
ce qu’ils doivent croire, et il prie pour ceux qui croient. Car cette partie: «
Le salut vient du Seigneur », s’adresse aux hommes; mais l’autre partie n’est
pas: « Et que sa bénédiction se repose sur son peuple », ce qui serait
entièrement pour les hommes. Le Prophète s’adresse à Dieu en faveur du peuple à
qui il a dit: « Le salut vient du Seigneur ». Qu’est-ce à dire? sinon: Que nul
ne se confie en soi-même, parce que c’est à Dieu seul de nous délivrer de la
mort du péché. « Malheureux homme que je suis», dit en effet l’Apôtre, « qui me
délivrera de ce corps de mort? la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre
Seigneur (Rom. VII, 24, 25) ». Mais
toi, Seigneur, bénis ton peuple qui attend de toi son salut.
9. On pourrait, dans un autre sens, appliquer
ce psaume à la personne du Christ, qui parlerait dans sa totalité. Je dis
totalité, à cause du, corps dont il est le chef, selon cette parole de
l’Apôtre: « Vous êtes le corps et les membres du Christ (I Cor. XII, 27) ». Il est donc le chef de cette corporation. Aussi
est-il dit ailleurs: « Faisant la vérité dans ta charité, croissons de toute
manière en Jésus notre chef, par qui tout le corps est joint et uni (Ephés. IV, 15, 16) ». C’est donc
l’Eglise avec son chef, qui, jetée dans les tourmentes des persécutions, sur
toute la terre, comme nous l’avons déjà vu, s’écrie par la bouche du Prophète;
« Combien sont nombreux, Seigneur, ceux qui me persécutent, combien s’élèvent
contre moi (Ps. III, 2) », pour exterminer
le nom chrétien! « Beaucoup disent à mon âme: Point de salut pour toi dans ton
Dieu (Ibid. 3)». Car ils ne
concevraient point l’espoir de perdre l’Eglise qui s’accroît partout, s’ils ne
croyaient que Dieu n’en prend aucun souci. « Mais toi, Seigneur, tu me
soutiendras (Ibid. 4) » par
Jésus-Christ. C’est en son humanité que l’Eglise a trouvé l’appui du Verbe, «
qui s’est fait chair pour habiter parmi nous (Jean, I, 14) », et qui nous a fait asseoir dans les cieux avec lui
(Ephés. II, 6). Car où va le chef,
les membres doivent aller aussi. « Qui nous séparera de l’amour du Christ (Rom. VIII, 35)? » L’Eglise a donc raison
de dire à Dieu: « Tu es mon appui, ma gloire ». Loin de s’attribuer son
excellence, elle comprend qu’elle la doit à la grâce et à la miséricorde de
Dieu. « Toi qui élèves ma tête », ou celui qui s’est levé le premier d’entre
les morts pour monter aux cieux. « Ma voix s’est élevée jusqu’au Seigneur, et
il m’a exaucé du haut de sa montagne sainte (Ps. III, 5) ». Telle est la prière des saints, parfum suave qui
s’élève en présence du Seigneur. L’Eglise est exaucée du haut de cette montagne
sainte qui est son chef, ou des hauteurs de cette justice qui délivre les élus
et châtie les persécuteurs. Le peuple de Dieu peut dire aussi: « Moi, j’ai
sommeillé, je me suis endormi, et je me suis levé, parce que le Seigneur me
protégera (Ibid. 6) », afin de l’unir
intimement à son chef. C’est à ce peuple qu’il est dit encore: « Lève-toi de
ton sommeil: sors d’entre les morts, et tu seras éclairé par le Christ (Ephés. V, 14) ». Ce peuple est tiré du
milieu des pécheurs enveloppés dans cette sentence: « Ceux qui dorment, dorment
dans les ténèbres (I Thess. V, 7) ».
Qu’il dise encore: « Je ne redoute point cette populace innombrable qui
m’environne (Ps. III, 7) », ces
nations infidèles qui me serrent de près, pour étouffer, si elles pouvaient, le
nom chrétien. Pourquoi les craindre, quand le sang des martyrs est comme une
huile qui attise le feu de l’amour du Christ? « Lève-toi, Seigneur, sauve-moi,
ô mon Dieu (Ibid.)». Telle est la
prière du corps à son chef. Le corps fut sauvé, quand ce chef se leva pour
monter aux cieux, emmenant captive la captivité, et distribuant ses dons aux
hommes (Ps. LXVIII, 19). Le Prophète
voyait par avance toutes les terres, où la moisson mûre, dont il est question,
dans l’Evangile (Matt. IX, 37), a
fait descendre le Seigneur; et cette moisson trouve son salut dans la
résurrection de Celui qui a daigné mourir pour nous. « Tu as frappé ceux qui se
déclaraient mes ennemis sans sujet, tu as brisé les dents des pécheurs (Ps. III, 8) ». Le triomphe de l’Eglise a
couvert de confusion les ennemis du nom chrétien, et anéanti leurs malédictions
comme leur puissance. Croyez donc bien, enfants des hommes, que « le salut
vient du Seigneur », et « toi, ô mon Dieu, que ta bénédiction se répande sur
ton peuple (Ps. III, 9) ».
10. Quand les vices et les passions sans
nombre nous assujettissent au péché malgré nos efforts, chacun de nous peut
dire: « Seigneur, combien sont nombreux ceux qui me persécutent, combien
s’élèvent contre moi (Ps. III, 2)!
»Et comme bien souvent l’accumulation des maladies fait désespérer de la
guérison, notre âme se trouvant en butte à l’arrogance du vice, aux suggestions
du diable et de ses anges, et arrivant au désespoir, peut dire en toute vérité:
« Combien me disent: Point de salut pour toi en ton Dieu. Mais toi, Seigneur,
tu es mon soutien (Ibid. 3, 4) ». Car
notre espérance est dans le Christ qui a daigné prendre la nature humaine. « Tu
es ma gloire », d’après cette règle qui nous défend de nous rien attribuer. «
C’est toi qui élèves ma tête », ou celui qui est notre chef à tous, ou même
notre esprit, qui est la tête pour l’âme et pour le corps. Car « l’homme est le
chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’homme (I Cor. XI, 3) ». Mais l’esprit s’élève, quand nous pouvons dire: «
Je suis soumis par l’esprit à la loi de Dieu (Rom. VII, 5)», en sorte que tout dans l’homme soit soumis et
apaisé, quand la résurrection de la chair absorbera la mort dans son triomphe (I Cor. XV, 54). « Ma voix s’est élevée
jusqu’au Seigneur »: cette voix intime et puissante. « Et il m’a exaucé du haut
de la montagne sainte », ou par celui qu’il envoie à notre aide, et dont la
médiation lui fait exaucer nos prières. « Moi, j’ai sommeillé, je me suis
endormi; et je me suis levé, parce que le Seigneur sera mon appui (I Cor. XV, 54) ». Quelle âme fidèle ne
peut tenir ce langage, en voyant que ses péchés ont disparu, par sa
régénération gratuite? « Je ne craindrai point ce peuple nombreux qui
m’environne (Ps. III, 5) ». En
dehors, des épreuves que l’Eglise a dû subir et subit encore, chacun a ses
tentations; et quand il se sent entravé, qu’il s’écrie: « Lève-toi, Seigneur,
sauve-moi, ô mon Dieu »; c’est-à-dire, fais-moi triompher. « Tu as frappé tous
ceux qui s’élevaient contre moi sans sujet (Ibid.
7) ».Cette prophétie s’applique à Satan et à ses anges, qui luttent, non
seulement contre tout le corps mystique de Jésus-Christ, mais contre chacun des
membres. « Tu as brisé les dents des pécheurs ». Chacun de nous a ses ennemis
qui le maudissent; il a en outre les fauteurs du mal qui cherchent à nous
retrancher du corps de Jésus-Christ. Mais le salut appartient au Seigneur ».
Evitons l’orgueil et disons: « Mon âme s’est attachée à ta suite (Ps. LXII, 3)», et « que ta bénédiction
soit sur ton peuple (Ps. III, 9) »,
ou sur chacun de nous.
Le Prophète nous montre dans ce cantique l’âme
qui s’élève au-dessus des biens terrestres et périssables pour trouver en Dieu
le repos et le bonheur.
POUR LA FIN, PSAUME CANTIQUE DE DAVID (Ps. IV, 1).
1. « Le Christ est la fin de la loi pour
justifier tous ceux qui croiront en lui (Rom.
X, 4) »; mais cette fin a le sens de perfectionnement et non de
destruction. On peut se demander si tout cantique est un psaume, ou plutôt si
tout psaume ne serait pas un cantique; s’il y a des cantiques auxquels ne
conviendrait pas le nom de psaume, et des psaumes que l’on ne pourrait appeler
cantiques. Mais il est bon de voir dans les Ecritures, si le titre de cantique
n’indiquerait pas la joie; et le nom de psaumes indiquerait des chants exécutés
sur le psaltérion, dont se servit David, au rapport de l’histoire (I Par. XIII, 8), pour figurer un grand
mystère, que nous n’approfondirons pas ici; cela exige de longues recherches,
et une longue discussion. Ecoutons aujourd’hui la parole de l’Homme-Dieu, après
sa résurrection, ou du disciple de l’Eglise qui croit et qui espère en lui.
2. « Quand je priais, le Dieu de ma justice
m’a exaucé (Ps. IV, 2) ». Ma prière,
dit-il, a été exaucée par Dieu, auteur de ma justice. « Dans les tribulations,
vous avez dilaté mon cœur (Ibid.),
vous m’avez fait passer des étreintes de la douleur aux dilatations de la joie;
car la tribulation et l’étreinte sont le partage de l’âme, chez tout homme qui
fait le mal (Rom. II, 9) ». Mais
celui qui dit: « Nous nous réjouissons dans les afflictions, sachant que
l’affliction produit la patience »; jusqu’à ces paroles: « Parce que l’amour de
Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (Rom. V, 3-5) »: celui-là n’endure point
les étreintes du coeur, quoi que fassent pour les lui causer ses persécuteurs
du dehors. Le verbe est à la troisième personne, quand le Prophète s’écrie: «
Dieu m’a exaucé », et à la seconde, quand il dit: « Vous avez dilaté mon coeur
»; si ce changement n’a point pour but la variété ou l’agrément du discours, on
peut s’étonner qu’il ait voulu d’abord proclamer devant les hommes qu’il a été
exaucé, puis interpeller son bienfaiteur. Sans doute qu’après avoir dit qu’il a
été exaucé dans la dilatation de son coeur, il a préféré s’entretenir avec
Dieu, afin de nous montrer par là que dans cette dilatation du coeur, Dieu
lui-même se répand dans notre âme qui s’entretient avec lui intérieurement.
Ceci s’applique très-bien au fidèle qui croit en Jésus-Christ, et en reçoit la
lumière; mais je ne vois point comment nous pourrions l’entendre de Notre
Seigneur, puisque la divine sagesse unie à son humanité, ne l’a point abandonné
un instant. Toutefois, de même que dans la prière il faisait ressortir notre
faiblesse plutôt que la sienne; de même aussi, dans cette dilatation du coeur,
Notre Seigneur peut parler au nom des fidèles, dont il s’attribue le rôle quand
il dit: « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas nourri; j’ai eu soif, et vous ne
m’avez point donné à boire (Matt. XXV,
35), et le reste.
De même encore Notre Seigneur peut dire: «
Vous avez dilaté mon coeur», en parlant au
nom de quelque humble fidèle, qui
s’entretient avec Dieu dont il ressent en son âme l’amour répandu par
l’Esprit-Saint qui a été donné. « Ayez pitié de moi, écoutez mes supplications
(Ps. IV, 2) ». Pourquoi cette
nouvelle prière, lorsque déjà il s’est dit exaucé et dilaté? Serait-ce à cause
de nous dont il est dit: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore,
nous l’attendons par la patience (Rom.
VIII, 25)? » ou bien demanderait-il à Dieu de perfectionner ce qui est
commencé chez celui qui a cru?
3. « Enfants des hommes, jusques à quand vos
coeurs seront-ils appesantis (Ps. IV, 3)?»
Du moins, si vos égarements ont duré jusqu’à l’avènement du Fils de Dieu,
pourquoi prolonger au delà cette torpeur de vos âmes? Quand cesserez-vous de
vous tromper, sinon en présence de la vérité? « A quoi bon vous éprendre des
vanités, et rechercher le mensonge (Ibid.)?
» Pourquoi demander à des choses sans prix, un bonheur que peut seule vous
donner la vérité, qui donne à tout le reste la consistance? « Car vanité des
vanités, tout est vanité. Qu’a de plus l’homme de tout le labeur dans lequel il
se consume sous le soleil (Eccl. I, 2,4)?»
Pourquoi vous laisser absorber par l’amour des biens périssables? Pourquoi
rechercher comme excellents des biens sans valeur? C’est là une vanité, un
mensonge; car vous prétendez donner la durée auprès de vous à ce qui doit
passer comme une ombre.
4. « Et sachez que le Seigneur a glorifié son
saint (Ps. IV, 4) ». Quel saint,
sinon celui qu’il a ressuscité d’entre les morts, et qu’il a fait asseoir à sa
droite dans les cieux? Le Prophète excite ici les hommes à se détacher du monde
pour s’attacher à Dieu. Si cette liaison « et sachez »paraît étrange, il est
facile de remarquer dans les Ecritures, que cette manière de parler est
familière à la langue des Prophètes. Vous les voyez souvent commencer ainsi: «
Et le Seigneur lui dit, et la parole du Seigneur se fit entendre à lui (Ezéch., I, 3) ». Cette liaison que ne
précède aucune pensée, et qui ne peut y rattacher la pensée suivante, nous
montrerait la transition merveilleuse entre l’émission de la vérité par la
bouche du Prophète, et la vision qui a lieu dans son âme. Ici néanmoins, on
pourrait dire que la première pensée: « Pourquoi aimer la vanité et rechercher
le mensonge? » signifie: gardez-vous d’aimer la vanité, et de courir après le
mensonge; après viendrait fort bien cette parole: « Et sachez que le Seigneur a
glorifié son Saint ». Mais un Diapsalma, qui sépare ces deux versets, nous
empêche de les rattacher l’un à l’autre. On peut, avec les uns, prendre ce
Diapsalma, pour un mot hébreu qui signifie: Ainsi soit-il! ou avec d’autres,
pour un mot grec désignant un intervalle dans la psalmodie; en sorte qu’on
appellerait Psalma le chant qui
s’exécute, Diapsalma un silence dans le chant, et que Sympsalma, indiquant
l’union des voix, pour exécuter une symphonie, Diapsalma en marquerait la
désunion, un repos, une discontinuation. Quel que soit le sens que l’on adopte,
il en résulte du moins cette probabilité, qu’après un Diapsalma le sens est
interrompu et ne se rattache point à ce qui précède.
5. « Le Seigneur m’exaucera quand je crierai
vers lui (Ps. IV, 4) ». Cette parole
me paraît une exhortation à demander le secours de Dieu, dans toute la force de
notre coeur, ou plutôt avec un gémissement intérieur et sans bruit. Comme c’est
un devoir de remercier Dieu du don de la lumière en cette vie, c’en est un
aussi, de lui demander le repos après la mort. Que nous mettions ces paroles
dans la bouche du prédicateur fidèle, ou de notre Seigneur, elles signifient: «
Le Seigneur vous exaucera quand vous l’invoquerez ».
6. « Mettez-vous en colère, mais ne péchez
point (Ps. IV, 5) ». On pouvait se
demander: Qui est digne d’être exaucé, ou comment ne serait-il pas inutile pour
le pécheur de s’adresser à Dieu? Le Prophète répond donc: « Entrez en colère,
mais ne péchez point ». Réponse qui peut s’entendre en deux manières; ou bien:
« Même dans votre colère, ne péchez point », c’est-à-dire, quand s’élèverait en
vous ce mouvement de l’âme que, par un châtiment du péché, nous ne pouvons
dominer, que du moins il soit désavoué par cette raison, par cette âme que Dieu
a régénérée intérieurement, afin que du moins nous fussions soumis à la loi de
Dieu par l’esprit, si par la chair nous obéissons encore à la loi du péché (Rom. VII, 25). Ou bien: Faites
pénitence, entrez en colère contre vous-mêmes, à cause de vos désordres passés,
et ne péchez plus à l’avenir. « Ce que vous dites, dans vos cœurs », suppléez:
« dites-le », de manière que la pensée complète soit celle-ci: Dites bien de
coeur ce que vous dites, et ne soyez pas un peuple dont il est écrit: « Ce
peuple m’honore des lèvres, et les coeurs sont loin de moi (Isa. XXIX, 13). Soyez contrits dans le
secret de vos demeures (Ps. IV, 5)».
Le Prophète avait dit dans le même sens: « Dans vos cœurs », c’est-à-dire dans
ces endroits secrets où le Seigneur nous avertit de prier après en avoir fermé
les portes (Matt. VI, 6). Ce conseil:
« Soyez contrits », ou bien recommande cette douleur de la pénitence qui porte
l’âme à s’affliger, à se châtier elle-même, pour échapper à cette sentence de
Dieu qui la condamnerait aux tourments, ou bien c’est un stimulant qui nous
tient dans l’éveil, afin que nous jouissions de la lumière du Christ. Au lieu
de: « Repentez-vous », d’autres préfèrent: « Ouvrez-vous », à cause de cette
expression du psautier grec: katanugete,
qui a rapport à cette dilatation du coeur nécessaire à la diffusion de la
charité par l’Esprit-Saint.
7. « Offrez un sacrifice de justice, et
espérez au Seigneur (Ps. IV, 6) ». Le
Psalmiste a dit ailleurs: « Le sacrifice agréable à Dieu est un cœur contrit (Id. L, 19) ». Alors un sacrifice de
justice peut bien s’entendre de celui qu’offre une âme pénitente. Quoi de plus
juste que de s’irriter plutôt contre ses propres fautes que contre celles des
autres, et de s’immoler à Dieu en se châtiant? Ou bien, par sacrifice de
justice faudrait-il entendre les bonnes oeuvres faites après la pénitence? Car
le « Diapsalma» placé ici pourrait fort bien nous indiquer la transition de la
vie passée à une vie nouvelle; en sorte que le vieil homme étant détruit ou du
moins affaibli par la pénitence, l’homme devenu nouveau par la régénération,
offre à Dieu un sacrifice de justice, quand l’âme purifiée s’offre et s’immole
sur l’autel de la foi, pour être consumée par le feu divin ou par le
Saint-Esprit. En sorte que: « Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le
Seigneur », reviendrait à dire: Vivez saintement, attendez le don de
l’Esprit-Saint, afin que vous soyez éclairés par cette vérité à laquelle vous
avez cru.
8. Néanmoins « espérez dans le Seigneur » est
encore obscur. Qu’espérons-nous, sinon des biens? Mais chacun veut obtenir de
Dieu le bien qu’il préfère, et l’on trouve rarement un homme pour aimer les
biens invisibles, ces biens de l’homme intérieur, seuls dignes de notre
attachement, puisqu’on ne doit user des autres que par nécessité, et non pour y
mettre sa joie. Aussi le Prophète, après avoir dit: « Espérez dans le Seigneur
», ajoute avec beaucoup de raison: « Beaucoup disent: Qui nous montre des biens
(Ps. IV, 6)?» discours et question
que nous trouvons journellement dans la bouche des insensés et des méchants qui
veulent jouir ici-bas d’une paix, d’une tranquillité que la malignité des
hommes les empêche d’y trouver. Dans leur aveuglement, ils osent accuser
l’ordre providentiel, et se roulant dans leurs propres forfaits, ils pensent
que les temps actuels sont pires que ceux d’autrefois. Ou bien aux promesses
que Dieu nous fait de la vie future, ils opposent le doute et le désespoir, et
nous répètent sans cesse Qui sait si tout cela est vrai, ou qui est revenu
d’entre les morts pour nous en parler? Le Prophète expose donc admirablement et
en peu de mots, mais seulement aux yeux de la foi, les biens que nous devons chercher.
Quant à ceux qui demandent: « Qui nous montrera la félicité? » il répond: « La
lumière de votre face est empreinte sur nous, ô Dieu (Ibid. 7) ». Cette lumière qui brille à l’esprit et non aux yeux,
est tout le bien réel de l’homme. Selon le Prophète, « nous en portons
l’empreinte », comme le denier porte l’image du prince. Car l’homme à sa
création reflétait l’image et la ressemblance de Dieu (Gen. I, 26), image que défigura le péché: le bien véritable et
solide pour lui est donc d’être marqué de nouveau par la régénération. Tel est,
je crois, le sens que de sages interprètes ont donné à ce que dit le Sauveur,
en voyant la monnaie de César: « Rendez à César ce qui est de César, et à Dieu
ce qui est de Dieu (Matt. XXII, 21)
», comme s’il eût dit: Il en est de Dieu comme de César, qui exige que son
image soit empreinte sur la monnaie; si vous rendez cette monnaie au prince,
rendez à Dieu votre âme marquée à la lumière de sa face. « Vous avez mis la
joie dans mon coeur ». Ce n’est donc point à l’extérieur que doivent chercher
la joie, ces hommes lents de coeur, aimant la joie et recherchant le mensonge,
mais à l’intérieur, où Dieu a gravé le signe de sa lumière. Car l’Apôtre l’a
dit: « Le Christ habite chez l’homme (133) intérieur (Ephés. III, 17)», auquel il appartient de voir cette vérité dont le
Sauveur a dit: « La vérité, c’est moi (Jean,
XIV, 6) ». Il parlait par la bouche de saint Paul, qui disait: «
Voulez-vous éprouver le pouvoir de Jésus-Christ qui parle en moi (II Cor. XIII, 3)?» et son langage n’était
point extérieur, mais dans l’intimité du coeur, dans ce lieu secret où nous
devons prier (Matt. VI, 6).
9. Mais les hommes, en grand nombre, épris
des biens temporels, incapables de voir dans leurs coeurs les biens réels et
solides, n’ont su que demander: « Qui nous montrera les biens? » C’est donc
avec justesse qu’on peut leur appliquer le verset suivant « Ils se sont
multipliés à la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile (Ps. IV, 8) ». Et s’il est dit « leur
froment », ce n’est pas sans raison; car il y a aussi un froment de Dieu, « qui
est le pain vivant descendu du ciel (Jean,
VI, 51) ». Il y a un vin de Dieu, puisqu’ils « seront enivrés dans
l’abondance de sa maison (Ps. XXXV, 9)
». Il y a aussi une huile de Dieu, dont il est dit « Votre huile a parfumé ma
tête (Ibid. XXII, 5) ». Ces hommes
nombreux, qui disent: « Qui nous montrera les biens? » et ne voient pas le
royaume de Dieu qui est en eux-mêmes (Luc,
XVII, 22), « se sont donc multipliés par la récolte de leur froment, de
leur vin et de leur huile». Se multiplier, en effet, ne se dit pas toujours de
l’abondance, mais quelquefois de la pénurie, alors qu’une âme enflammée pour
les voluptés temporelles d’un désir insatiable, devient la proie de pensées
inquiètes qui la partagent, et l’empêchent de comprendre le vrai bien qui est
simple. C’est d’une âme en cet état qu’il est dit: « Le corps qui se corrompt
appesantit l’âme, et cette habitation terrestre accable l’esprit d’une foule de
pensées (Sag. IX, 15) ». Partagée par
cette foule innombrable de fantômes que lui causent les biens terrestres,
s’approchant d’elle sans relâche pour s’en éloigner, ou la récolte de son
froment, de son vin et de son huile, elle est loin d’accomplir ce précepte: «
Aimez Dieu dans sa bonté, et recherchez-le dans la simplicité de l’âme (Id. I, 1)». Cette simplicité est
incompatible avec ses occupations multiples. Mais, à l’encontre de ces hommes
nombreux qui se jettent sur l’appât des biens temporels, et qui disent: « Qui
nous montrera les biens » que l’on ne voit point des yeux, mais qu’il faut
chercher dans la simplicité du coeur? l’homme fidèle dit avec transport: «
C’est en paix que je m’endormirai dans le Seigneur et que je prendrai mon repos
(Ps. IV, 9)». Il a droit d’espérer en
effet que son coeur deviendra étranger aux choses périssables, qu’il oubliera
les misères de ce monde, ce que le Prophète appelle justement un sommeil et un
repos, et ce qui est la figure de cette paix que nul trouble n’interrompt. Mais
un tel bien n’est point de cette vie, nous devons l’attendre seulement après la
mort, comme nous l’enseignent encore les paroles du Prophète qui sont au futur,
car il n’est pas dit: J’ai pris mon sommeil, mon repos; non plus que: Je
m’endors, je me repose; mais bien: « Je dormirai, je prendrai mon repos. Alors
ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, ce corps mortel sera
revêtu d’immortalité, et la mort elle-même sera absorbée dans la victoire (I Cor. XV, 54) ». De là ce mot de
l’Apôtre: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons
par la patience (Rom. VIII, 25).
10. Aussi le Prophète a-t-il eu raison
d’ajouter: « Parce que c’est vous, Seigneur, qui m’avez singulièrement affermi,
d’une manière unique, dans l’espérance (Ps.
IX, 10) ». Il ne dit point ici: qui m’affermirez, mais bien: « Qui m’avez
affermi ». Celui-là donc qui a conçu une telle espérance jouira certainement de
ce qu’il espère. L’adverbe « singulièrement», est plein de sens, car on peut
l’opposer à cette foule qui se multiplie, par la récolte de son froment, de son
vin et de son huile, e-t qui s’écrie: « Qui nous montrera les biens? »Cette
multitude périra, mais l’unité subsistera dans les saints, dont il est dit dans
les Actes des Apôtres: « La multitude de ceux qui « croyaient n’avait qu’un
coeur et qu’une âme (Act. IX, 32) ».
Il nous faut donc embrasser la singularité, la simplicité, c’est-à-dire nous
soustraire à cette foule sans nombre de choses terrestres qui naissent pour
mourir bientôt, et nous attacher à ce qui est un et éternel, si nous voulons
adhérer au seul Dieu, notre Seigneur.
L’âme fidèle demande à Dieu
d’être exaucée et de le voir. Elle comprend que les frivolités du monde la
jettent dans la nuit. Mais après cette vie viendra la lueur du matin, qui sera
le partage du juste, quand l’impie se plongera dans les ténèbres.
1. Ce psaume est intitulé: « Pour celle qui a
reçu l’héritage (Ps. V, 1) ». Ainsi
est désignée l’Eglise à qui Notre Seigneur Jésus-Christ a donné en héritage la
vie éternelle, afin qu’elle possédât Dieu et le bonheur en s’attachant à lui,
selon cette parole: « Bienheureux les doux, parce qu’ils auront la terre en
héritage (Matt. V, 4) ». Quelle autre
terre que celle dont il est dit: « Vous êtes mon espérance, et mon partage sur
la terre des vivants (Ps. CXLI, 6)? »
et plus clairement « Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice (Id. XV, 5)? » A son tour l’Eglise est
appelée l’héritage du Seigneur, d’après cette parole: « Demande-moi, et je te
donnerai les nations en héritage (Id. II,
8) ». Ainsi, Dieu est appelé notre héritage, parce qu’il nous donne la
nourriture et l’espace; et nous sommes l’héritage de Dieu qui nous cultive et
nous gouverne. Ce psaume est donc le chant de l’Eglise appelée à l’héritage,
afin de devenir die-même l’héritage de Dieu.
2. « Seigneur, écoutez mes paroles (Id. V, 2) ». Appelée par Dieu, l’Eglise
invoque son secours afin de traverser l’iniquité du siècle, et d’arriver à lui:
« Comprenez mes cris (Ibid.) ». Cette
expression nous montre quel est ce cri, qui de l’intérieur le plus secret de
notre coeur, s’élève jusqu’à Dieu; puisque l’on entend une voix corporelle,
tandis que l’on comprend celle du coeur. Il est vrai que Dieu ne nous entend
point d’une oreille charnel1e, mais parla présence de sa majesté.
3. « Soyez attentif à la voix de mes
supplications (Id 3.) »; cette voix
qu’il demandait au Seigneur de comprendre et dont il nous exposait la nature,
en disant: « Comprenez mes cris. Ecoutez donc la voix de mes supplications, ô
mon roi, et mon Dieu (Ibid.) ». A la
vérité le Fils est Dieu, le Père est Dieu, et le Père et le Fils sont un seul
Dieu; et si l’on nous demande ce qu’est le Saint-Esprit, nous n’avons d’autre
réponse, sinon qu’il est Dieu, et quand on dit le Père, le Fils, et le
Saint-Esprit, nous ne devons comprendre qu’un seul Dieu; néanmoins dans les
saintes Ecritures, le titre de roi désigne ordinairement le Fils. Aussi d’après
cette parole: « C’est par moi que l’on va au Père (Jean, XIV, 6) », le Prophète a-t-il raison de dire « mon Roi »
d’abord, et ensuite « mon Dieu ». Toutefois il ne dit pas « soyez attentifs »
au pluriel, mais « soyez attentif », intende.
Car la foi catholique ne prêche ni deux ni trois dieux, mais un seul Dieu en
trois personnes. Non point que cette Trinité se puisse dire tantôt du Père,
tantôt du Fils, tantôt du Saint-Esprit, comme l’a cru Sabellius; mais le Père
n’est que le Père, le Fils n’est que le Fils, le Saint-Esprit n’est que le
Saint-Esprit; et cette Trinité de personnes n’est qu’un seul Dieu. Et dans ces
paroles de l’Apôtre: « Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui Rom. XI, 36) », on voit une allusion à
la Trinité: or, il n’a point ajouté: Gloire à eux, mais bien: « Gloire à lui ».
4. « Je vous invoquerai, Seigneur, et le
matin vous entendrez mes cris (Ps. V, 4)
». Pourquoi le Prophète a-t-il dit tout à l’heure « Ecoutez »; comme s’il
désirait être exaucé sur-le-champ, et dit-il maintenant: « Au matin vous
entendrez mes cris », puis: « Je vous invoquerai »; non plus: « Je vous invoque
»; et enfin: « Au matin je me tiendrai debout et je vous verrai»; non plus: «
Je me tiens debout et je vois? » Ne serait-ce point l’objet de ses
supplications qui serait indiqué dans la première invocation? Mais dans la nuit
ténébreuse et tempétueuse du monde, (135) le Prophète comprend qu’il ne voit
point ce qu’il désire, bien qu’il ne cesse pas d’espérer: car « l’espérance qui
verrait ne serait pas une espérance (Rom.
VIII, 24) ». Il sait bien que s’il ne voit pas, c’est parce que cette nuit
ténébreuse qui est le châtiment du péché, n’est point encore achevée. Il dit
donc: « Parce que c’est vous que j’invoquerai, Seigneur ». C’est-à-dire, telle
est votre grandeur, ô vous que j’invoquerai, « qu’au matin seulement, vous
exaucerez ma prière ». Vous n’êtes point un Dieu que puissent voir les hommes
dont les yeux sont obscurcis par la nuit du péché; mais lorsque cette nuit de
mes erreurs s’achèvera, et que les ténèbres dont m’enveloppaient mes fautes
seront dissipées, vous écouterez ma voix. Pourquoi donc n’a-t-il pas dit plus
haut: Vous écouterez; mais: « Ecoutez? » Serait-ce que n’ayant pas été exaucé
après avoir dit: « Exaucez-moi », il a compris ce qui devait s’écouler afin
qu’il pût être exaucé? ou bien aurait-il été d’abord exaucé, mais sans
comprendre qu’il l’était, parce qu’il ne voit point celui qui l’exauce; et
alors cette expression: « Au matin vous m’exaucerez », signifierait: Au matin,
je comprendrai que vous m’exaucez? comme il est dit ailleurs: « Levez-vous,
Seigneur (Ps. III, 7) », pour:
Accordez-moi de me relever. Il est vrai que cette parole s’applique à la
résurrection de Jésus-Christ; mais voici un autre passage qui ne peut
s’entendre que dans notre sens: « Le Seigneur votre Dieu vous tente, afin que
vous sachiez si vous l’aimez (Deut. XIII,
3) », c’est-à-dire, afin que, par lui, vous compreniez et qu’il vous soit
bien démontré quel progrès vous avez fait dans son amour.
5. « Au matin, je serai debout, et je verrai
(Ps. V, 5) ». Qu’est-ce à dire: « Je
serai debout», sinon, je ne serai point étendu sur la terre? Mais être couché
sur la terre c’est y reposer, c’est chercher sort bonheur dans les terrestres
voluptés. « Je serai debout, et je verrai », dit le Prophète. Abjurons donc les
choses d’ici-bas, si nous voulons voir Dieu qui se montre aux coeurs purs. «
Vous n’êtes pas un Dieu qui aimez l’iniquité; aussi le méchant n’habitera point
près de vous, et les impies ne soutiendront pas l’éclat de vos regards. Vous
haïssez ceux qui commettent l’iniquité, vous perdrez ceux qui profèrent le
mensonge. Vous avez en horreur l’homme fourbe et l’homme de sang (Ps. V, 6, 7) ». L’iniquité, la malice,
le mensonge, l’homicide, la fraude, et autres crimes semblables, telle est la
nuit qui doit passer, et alors viendra ce matin qui nous découvrira le
Seigneur. Le Prophète nous dit pourquoi il sera debout au matin, et verra le
Seigneur. « C’est que vous, ô Dieu, vous n’aimez pas l’iniquité ». Si Dieu, en
effet, aimait l’iniquité, il pourrait être vu par l’impie, et il ne faudrait
pas attendre le matin, quand sera écoulée la nuit des iniquités.
6. « Près de vous n’habitera point le méchant
», il ne vous verra point de manière à s’attacher à vous; de là le verset
suivant « Et l’injuste ne soutiendra point vos regards », car son oeil, ou plutôt
son esprit, accoutumé aux ténèbres du péché, sera frappé soudainement de la
lumière de la vérité, et ne soutiendra point l’éclat d’une intelligence droite.
Si donc il voit par intervalle, et tout en demeurant dans l’injustice, s’il
comprend la vérité, il ne s’affermit point en elle, puisqu’il aime ce qui l’en
éloigne. Il porte en lui-même sa nuit, qui est l’habitude et même l’amour du
péché. Que cette nuit vienne à s’écouler, qu’il brise avec le péché, qu’il en
perde l’amour et l’habitude, alors viendra le matin, et il comprendra la vérité
jusqu’à s’y attacher avec amour.
7. « Vous haïssez les artisans d’iniquité ».
Cette haine de Dieu a le même sens que l’aversion de tout pécheur pour la
vérité; et l’on dirait que celle-ci à son tour déteste ceux qu’elle ne laisse
point demeurer en elle; tandis que s’ils n’y demeurent point, c’est qu’ils ne
la peuvent supporter. « Vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge », car il
est contraire à la vérité. Mais qu’on ne s’imagine point qu’il y ait quelque
substance ou quelque nature contraire à la vérité; comprenons plutôt que le
mensonge tient à ce qui n’est pas, et non à ce qui est. Dire ce qui est, c’est
dire la vérité, et dire ce qui n’est pas, c’est le mensonge. Aussi est-il dit:
« Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge », puisqu’en se détournant
de ce qui subsiste, ils s’en vont à ce qui n’est pas. Souvent le mensonge
paraît avoir pour but le salut ou l’avantage d’un autre, et provenir non de la
malice, mais de la bienveillance; tel fut, dans l’Exode (Exod. I, 19), celui de ces sages-femmes, qui mentirent à Pharaon
pour sauver la vie aux enfants des Hébreux. (136) Mais ce qui est louable ici,
c’est moins l’acte que l’intention; et ceux qui ne mentent plus que de la
sorte, mériteront un jour d’être délivrés de tout mensonge. C’est à eux qu’il
est dit: « Que votre discours soit: Oui, oui non, non; car ce qui est de plus,
vient du mal (Matt. V, 37) ». Ce
n’est pas sans raison qu’il est écrit ailleurs: « La bouche qui ment, tue l’âme
(Sag. I, 11) », afin que nul homme
vraiment spirituel ne se croie autorisé à mentir, pour conserver soit à
lui-même, soit à d’autres cette vie temporelle, dont la perte ne tue pas notre
âme. Toutefois, il y a une différence entre mentir, et cacher la vérité,
puisque l’un consiste à dire le faux, l’autre à taire le vrai; si nous ne
voulons pas découvrir un homme à qui l’on veut donner cette mort visible du
corps, nous devons avoir l’intention de taire le vrai, mais non de dire le
faux, afin de ne rien découvrir, et ne point tuer notre âme par le mensonge, en
voulant conserver à un autre la vie du corps. Si nous ne sommes point encore
dans ces dispositions, efforçons-nous au moins de ne pas mentir au-delà de ces
occasions pressantes, afin que Dieu nous délivre même de ces mensonges légers,
et nous donne la force du Saint-Esprit qui nous fera mépriser tout ce que nous
aurions à souffrir pour la vérité. Il n’y a que deux sortes de mensonges qui ne
soient point de fautes graves, mais qui ne sont point exemptes de tout péché,
c’est le mensonge par plaisanterie, et le mensonge pour rendre service. Le
mensonge joyeux, n’étant point de nature à tromper, n’est point dangereux.
Celui à qui nous parlons comprend bien que c’est un badinage. Le second est
encore plus léger, puisqu’il renferme une certaine bonté. Mais ce qui se dit
sans duplicité de coeur, ne mérite pas le nom de mensonge. Qu’un homme, par
exemple, ait reçu en gage une épée de son ami, avec promesse de la lui rendre
quand il la redemandera; il est évident qu’il ne doit point la rendre à cet ami
qui la redemande avec démence, et qui peut s’en servir contre lui-même ou
contre les autres; il faut attendre le calme de la raison. Il n’y a point ici
duplicité de coeur, puisqu’en recevant cette épée en gage et en promettant de
la rendre, cet ami était loin de croire qu’on la réclamerait dans la démence.
Le Seigneur lui-même a jugé bon de taire la vérité, quand il disait aux
disciples peu aptes à la recevoir: « J’ai encore beaucoup de choses à vous
dire; mais vous ne pouvez les porter encore (Jean, XVI, 12) »; saint Paul a dit aussi: « Je n’ai pu vous parler
comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels (I Cor. III, 1) ». D’où il suit qu’il ne
faut pas accuser celui qui se tait sur la vérité. Mais on ne voit point qu’il
soit permis aux parfaits de dire ce qui est faux.
8. « Le Seigneur a en horreur l’homme
sanguinaire et l’homme fourbe (Ps. V, 7)
». On peut très-bien voir une répétition de ce qui est dit plus haut: « Vous
haïssez ceux qui font le mal, et vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge ».
Car « l’homme sanguinaire » peut très-bien être l’homme de l’iniquité, et « le
fourbe » désigner le menteur. Il y a fourberie quand on agit dans un sens, et
que l’on affecte un autre sens. Le Prophète dit que le Seigneur « les aura en
abomination »; expression qui s’applique à ceux que l’on déshérite; tandis que
ce psaume est le chant « de celle qui a reçu l’héritage », et qui témoigne des
tressaillements de son espérance en s’écriant: « Quant à moi, avec vos infinies
miséricordes, j’entrerai dans votre maison (Id.
8) ». Ces miséricordes sans nombre peuvent désigner cette foule d’hommes
parfaits et heureux, dont se formera cette cité que l’Eglise porte dans ses
entrailles et qu’elle enfante peu à peu. Comment nier que cette multitude d’hommes
régénérés se puisse appeler le nombre infini des miséricordes du Seigneur,
puisqu’il est dit avec beaucoup de vérité: «Qu’est-ce que l’homme pour que vous
vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme pour que vous le visitiez (Id. VIII, 5)? » Pour moi, « j’entrerai
dans votre maison », comme une pierre entre dans un édifice. Qu’est-ce en effet
que la maison de Dieu, sinon son temple, dont il est dit: « Le temple de Dieu
est saint, et vous êtes ce temple (I Cor.
III, 17)? » Et la pierre angulaire de cet édifice (Ephés. II, 10). est cet homme dont s’est revêtue la force et la
sagesse de Dieu, coéternelle au Père.
9. « Je me prosternerai avec crainte auprès
de votre saint temple Ps. V, 8 ». Le
Prophète a dit: « Auprès de votre temple », et non pas: c’est dans votre saint
temple que je veux vous adorer, mais bien: « C’est auprès de votre saint temple
que je me prosternerai ». Cet état (137) n’est point celui des parfaits, mais
de ceux qui tendent vers la perfection. Les parfaits diraient alors: « J’entrerai
dans votre maison ». Avant d’y arriver il faut dire tout
d’abord: « Je vous adorerai auprès de votre
saint temple». C’est pour cela peut-être qu’il
ajoute, comme une sauvegarde à ceux qui
désirent le salut: « Avec une sainte frayeur ».
Quand chacun y sera parvenu, s’accomplira ce
mot de l’Evangéliste: « La charité parfaite bannit toute crainte (I Jean, IV, 18)». Il n’y a plus de
crainte pour nous en face de l’ami qui nous a dit: « Je ne vous appellerai plus
désormais des serviteurs, mais des amis (Jean,
XV, 15) », et qui nous met en possession des promesses.
10. « Seigneur, conduisez-moi dans votre
justice, à cause de mes ennemis (Ps. V,
9) ». Il dit assez qu’il se met en route, qu’il se dirige vers la
perfection, mais qu’il n’y est point encore arrivé, puisqu’il demande à Dieu de
l’y conduire. « Dirigez-moi dans votre justice », non dans ce qui paraît l’être
aux yeux des hommes; car ils s’imaginent qu’il y a justice à rendre le mal pour
le mal; mais telle n’est point la justice de celui dont il est dit: « Qu’il
fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants (Matt. V, 45) », puisque Dieu, en punissant les méchants, loin de
leur infliger ses châtiments, les abandonne seulement à leur malice. « Voilà »,
dit-il, « qu’il a fait éclore l’injustice, il a été en travail de l’affliction
pour enfanter l’iniquité; il a ouvert un précipice, il l’a creusé, et il est
tombé dans le gouffre qu’il avait préparé: son injustice descendra sur lui, et
son iniquité retombera sur sa tête (Ps.
VII, 15-17)». Dieu donc punit les hommes, comme le juge punit les
violateurs de la loi, non en leur infligeant lui-même le châtiment, mais en les
poussant dans celui qu’ils ont eux-mêmes choisi, et qui sera pour eux le comble
du malheur. Mais l’homme qui rend le mal pour le mal, le fait avec un mauvais
dessein, et devient méchant lui-même, en voulant châtier les méchants.
11. « Tracez-moi une voie droite en votre
présence (Id. V, 9) ». Il est clair
qu’il recommande à Dieu le temps que dure son voyage, et que ce voyage s’accomplit
non par un chemin terrestre, mais par les sentiments du coeur. « Tracez-moi une
voie droite en votre présence », c’est-à-dire dans ce secret où ne pénètre
point le regard des hommes, dont il faut mépriser la louange ou le blâme. Ils
ne peuvent juger de la conscience des autres, qui est le chemin droit sous
l’oeil de Dieu. Aussi le Prophète ajoute: « Parce que la vérité n’est pas dans
leur bouche (Ps. VII, 10) », et qu’on
ne peut croire à leurs jugements, il faut nous réfugier dans l’intérieur de
notre conscience et en la présence de Dieu. « Leur coeur est plein de vanité ».
Comment la vérité serait-elle dans leur bouche, quand le coeur est trompé par
le péché et par la peine du péché? De là ce cri du Prophète pour les en
détourner: « Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge (Id. IV, 3)?»
12. « Leur bouche est un sépulcre ouvert (Id. V, 11)». On peut appliquer cette
parole à l’intempérance, qui est pour beaucoup le motif de flatteries
mensongères. Le Prophète a dit justement qu’il sont un « sépulcre ouvert»,
parce que leur avidité est insatiable, et ne se ferme point comme le sépulcre
qui a reçu un cadavre. On peut dire aussi qu’au moyen de paroles mensongères et
d’artificieuses caresses, ils attirent à eux ceux qu’ils font tomber dans le
péché; et c’est comme les dévorer que les faire entrer dans cette voie. Mais
l’homme qui en arrive là, meurt par le péché; et celui qui l’a séduit,
s’appelle justement un sépulcre ouvert; il est mort en quelque sorte, puisqu’il
n’a plus la vie de la vérité, et il reçoit en lui-même ces morts qu’il a tués
en les amenant à lui par le mensonge et la frivolité du coeur. « Leurs langues
sont pleines d’artifices »; les langues des méchants, car c’est là ce que
paraît dire le Prophète, en précisant « leurs langues ». Elle est mauvaise en
effet cette langue du méchant qui dit le mal, qui dit la fraude. C’est à eux
que le Seigneur a dit: « Comment diriez-vous le bien puisque vous êtes mauvais
(Ps. V, 11)? »
13. « Jugez-les, Seigneur, que leurs desseins
s’évanouissent (Ps. V, 11) ». C’est
là une prophétie plutôt qu’une malédiction; et le Prophète ne désire point que
cette vengeance arrive, mais il sait ce qui arrivera: et ils tomberont sous
cette vengeance, non parce que le Prophète semble la désirer, mais bien parce
qu’ils auront mérité d’y tomber. De même quand il dit: « Que ceux qui espèrent
en vous soient dans la joie (Id. 12)
», il fait, une (138) prophétie et voit cette joie dans l’avenir. Il dit
encore: « Excitez votre puissance et venez (Ps.
LXXIX, 3) », parce qu’il prévoit que le Seigneur viendra. Dans ces paroles
néanmoins: « Que leurs desseins soient renversés », on pourrait voir une prière
du Prophète; et il demanderait que les desseins des méchants s’évanouissent, ou
qu’ils fassent trêve à leurs desseins mauvais. Mais l’expression suivante: «
Rejetez-les », nous empêche de l’entendre ainsi; puisque cette expulsion de la
part du Seigneur ne peut nullement se prendre en bonne part. Ce n’est donc
point une malédiction, mais une prophétie qui annonce dans quelle catastrophe
tomberont infailliblement ceux qui voudront persévérer dans les péchés dont il
est question. « Qu’ils soient donc déçus dans leurs pensées », qu’ils tombent à
cause de leurs desseins qui s’accusent mutuellement, et devant le témoignage de
leur conscience, comme l’a dit l’Apôtre: « Leurs pensées les accuseront ou les
défendront, quand se lèvera le jour du juste jugement de Dieu (Rom. II, 15, 16)».
14. « Chassez-les selon le nombre infini de
leurs iniquités (Ps. V, 11) »,
c’est-à-dire, chassez-les au loin, «le nombre infini de leurs iniquités
»demande un long éloignement. C’est ainsi que l’impie est banni de cet
héritage, dont la vue et la connaissance de Dieu nous met en possession; comme
l’oeil malade est repoussé par l’éclat de la lumière, et trouve une peine dans
ce qui fait la joie de l’oeil sain. Ceux-là donc au matin ne se tiendront pas
debout et ne verront pas. Et cette répulsion est une peine dont la grandeur se
mesure à la grandeur de cette joie, dont il est dit: « Pour moi, mon bonheur
est de m’attacher à Dieu (Ps. LXXI, 28)
». A ce châtiment est opposé ce mot de l’Evangile: « Entrez dans la joie de
votre Dieu »et ce châtiment équivaut à cet autre: « Jetez-le dans les ténèbres
extérieures Matt. XXV, 21,30) ».
15. « Mais vous, Seigneur, ils vous trouvent
amer (Ps. V, 11) ». «Je suis le pain
de vie descendu du ciel (Jean, VI, 51)
», a dit le Seigneur; puis: « Travaillez pour une nourriture qui ne se corrompt
point (Id. 27) »; puis encore: «
Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux (Ps. XXIII, 9) ». Les pécheurs trouvent amer le pain de la vérité,
de là leur haine pour la bouche d’où elle émane. Ils ont donc trouvé le
Seigneur amer, parce que le péché les a rendus malades au point que le pain de
la vérité, délicieux pour les âmes saines, a pour eux une amertume
insupportable.
16. « Qu’ils soient dans la joie, ceux qui
espèrent en vous », qui savent goûter, et qui trouvent que le Seigneur est
doux. «Leur allégresse sera éternelle et vous habiterez en eux (Ps V, 12) ». Cette allégresse éternelle
commencera donc quand les justes deviendront le temple de Dieu: il sera leur
joie, il habitera en eux. « Et tous ceux qui aiment votre nom se glorifieront
en vous (Id. 9) », parce qu’ils
pourront jouir de l’objet de leur amour. Et c’est bien en vous qu’ils
posséderont cet héritage qui fait le titre du Psaume, et à leur tour ils seront
votre héritage, puisque « vous habiterez en eux». De ce bonheur seront exclus
ceux que Dieu doit rejeter à cause de leurs iniquités.
17. « C’est-vous qui bénirez le juste (Id. 13) ». Cette bénédiction sera de se
glorifier dans le Seigneur qui habitera en nous. Telle est la gloire que Dieu
décerne aux justes; et pour devenir justes, ils ont dû être appelés, non point
à cause de leurs mérites, mais par la grâce de Dieu. « Tous en effet sont
pécheurs et ont besoin de la grâce de Dieu (Rom.
VIII, 31-33). Ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu’il a
justifiés, il les a glorifiés (Id. VIII,
30) ».Comme cette vocation ne vient point de nos mérites, mais de la miséricordieuse
bonté de Dieu, le Prophète a dit: «Seigneur, votre volonté bienveillante nous
couvre comme d’un bouclier (Ps. V, 13)
». Car la bienveillance du Seigneur précède notre volonté. Telles sont les
armes pour vaincre notre ennemi. C’est contre lui que l’Apôtre a dit: « Qui
accusera les élus de Dieu? » et encore: « Si Dieu est pour nous, qui sera
contre nous? Il n’a point épargné son Fils unique, mais il l’a livré à la mort
pour nous tous (Rom. VIII, 31-33) ».
Si le Christ a voulu mourir pour nous quand nous étions ses ennemis maintenant
que nous sommes réconciliés, nous serons à plus forte raison délivrés par lui
de la colère de Dieu (d. V, 9, 10)».
Tel est l’inexpugnable bouclier qui repousse l’ennemi quand, par l’affliction
et la tentation, il nous pousse à désespérer du salut.
18. Le texte du Psaume est donc tout d’abord
une prière, depuis ces paroles: (139) « Seigneur, entendez ma voix», jusqu’à
ces autres: « Mon roi et mon Dieu ». Mais l’Eglise comprend ce qui l’empêche
de, voir Dieu, ou de connaître qu’elle est exaucée, depuis: « Je vous
invoquerai, Seigneur, et au matin vous entendrez ma voix », jusqu’à: « Vous
avez en horreur l’homme de sang et l’homme fourbe ». En troisième lieu, depuis
ce verset: « Pour moi, avec la multitude de vos miséricordes », jusqu’à: « Je
me prosternerai avec crainte auprès de votre saint temple », l’Eglise espère
devenir un jour la maison de Dieu, et en cette vie s’approcher de lui dans la
crainte, jusqu’à ce que la charité consommée ait banni toute crainte. Quatrièmement,
elle sent qu’elle s’avance et qu’elle marche entre des obstacles; elle demande
ce secours de l’intérieur, imperceptible à l’oeil humain, de peur que la langue
des méchants ne la détourne du bon chemin, depuis:e Seigneur, « conduisez-moi,
dans votre justice», jusqu’à: « Leurs langues sont pleines d’artifices». Elle
prédit, en cinquième lieu, le châtiment des impies, quand le juste à peine sera
sauvé; et la récompense de ce juste qui aura répondu à l’appel de Dieu, et qui
aura courageusement tout supporté, jusqu’à ce qu’il arrive au Seigneur. Cette
partie commence à: « Jugez-les, Seigneur », pour finir avec le psaume.
L’âme fidèle supplie le Seigneur de lui
accorder le salut, de la maintenir dans la justice, comme s’il devait être plus
glorieux pour Dieu de faire éclater sa bonté que sa justice. Elle veut
s’éloigner des pécheurs impénitents, s’ils ne se convertissent au Seigneur.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, POUR LES CHANTS DU HUITIÈME JOUR (Ps VI, 1)
1. Cette expression, « huitième jour », est
obscure; mais le reste du titre est clair. Quelques-uns ont cru qu’elle
signifiait le jour du jugement, ou ce temps de l’avènement de Jésus-Christ qui
descendra pour juger les vivants et les morts. Cet avènement, selon cette croyance,
aura lieu après sept milliers d’années, à compter depuis Adam; ces sept
milliers d’années s’écouleraient comme sept jours, et le huitième serait celui
de l’avènement. Mais le Seigneur a dit: « Ce n’est point à vous de connaître
les temps que mon Père a disposés dans sa puissance (Act. I, 7) »; et encore: « Quant à ce jour et à cette heure, nul ne
les sait, ni les Anges, ni les Vertus, ni le Fils lui-même; le Père seul les
connaît (Matt. XXIV, 36) »: et enfin
saint Paul a écrit, que ce jour du Seigneur nous surprendra comme le voleur (I Thess. V, 2) tout cela nous montre
clairement qu’on ne doit point chercher à connaître ce jour par la supputation
des années. Or, s’il devait arriver après sept milliers d’années, tout homme
pourrait le connaître au moyen d’un calcul. Comment donc se fait-il que le Fils
ne le connaît point? Parole qui signifie qu’il ne l’apprendra point aux hommes,
et non qu’il ne le sait point en lui-même. C’est ainsi qu’il est dit: «Le
Seigneur vous tente afin de savoir (Deut.
III, 3) », c’est-à-dire, « afin de vous faire connaître », comme: «
Levez-vous, Seigneur (Ps. III, 7) »,
signifie, aidez-nous à nous relever. Si donc le Fils ne connaît point le jour,
non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne l’enseigne point à ceux qui n’ont aucun
avantage à le connaître; n’y a-t-il pas une certaine présomption à compter les
dates pour affirmer que le jour du Seigneur doit arriver après sept milliers
d’années?
2. Pour nous, ignorons de bon coeur ce (140)
qu’il n’a pas plu à Dieu de nous révéler, et
cherchons ce que veut dire cette expression du titre: « Pour le huitième jour
». Sans recourir à des calculs téméraires on peut entendre par huitième jour
celui du jugement, car la tin de ce monde nous ouvrira la vie éternelle; et
alors les âmes des justes ne seront plus assujetties aux temporelles
vicissitudes; et comme tous les temps roulent périodiquement de sept jours en
sept jours, on appellerait huitième jour celui qui serait en dehors de cette
révolution. Dans un autre sens qui n’est pas sans justesse, on appellerait
huitième jour, celui du jugement, parce qu’il doit arriver après deux genres de
vie, dont l’un tient à la chair, et l’autre à l’esprit. Depuis Mam jusqu’à
Moïse, la vie humaine est une vie corporelle, une vie selon la chair, ce que
saint Paul appelle vie de l’homme extérieur, du vieil homme (Ephés. IV, 22). A cette génération fut
donné l’Ancien Testament, dont le culte était grossier, quoique religieux, et
figurait le culte spirituel de l’avenir. Pendant cette période où l’on vivait
selon la chair, « la mort a régné», dit l’Apôtre, « même sur ceux qui n’avaient
point péché ». Et comme il l’a dit encore, «elle a régné parce qu’on imitait la
prévarication d’Adam (Rom. V, 14) ».
Mais « jusqu’à Moïse », signifie tant qu’ont duré les oeuvres de la loi, ces
rites sacrés, observés d’une manière charnelle, et qui néanmoins tinrent
enchaînés ceux-là mêmes qui croyaient à un seul Dieu, pour leur donner la foi
au mystère de l’avenir.
Mais depuis l’avènement de Jésus-Christ, qui
nous a fait passer de la circoncision de la chair, à la circoncision du coeur,
nous sommes appelés à vivre selon l’esprit, c’est-à-dire selon l’homme
intérieur, appelé homme nouveau (Coloss.
III, 10) à cause de sa régénération baptismale, et de ses moeurs devenues
plus spirituelles. Car il est évident que le nombre quatre appartient au corps
à cause des éléments dont il est formé, et de ces quatre qualités, du chaud, du
froid, du sec, de l’humide. Delà vient que Dieu le fait passer par les quatre
saisons du printemps, de l’été, de l’automne, de l’hiver. Tout cela est connu;
et il est démontré ailleurs, par des raisons plus subtiles, que le nombre
quatre appartient au corps; mais évitons ces raisons assez obscures, dans un
discours que nous voulons mettre à la portée des moins instruits. Le nombre
trois appartient à l’âme, comme nous l’apprend le précepte d’aimer Dieu de tout
notre coeur, de toute notre âme, et de tout notre esprit (Deut. VI, 5; Matt. XXII, 37). De plus longs détails viendraient
dans l’explication de l’Evangile et non d’un psaume; mais cela suffit, je
crois, pour montrer que le nombre ternaire appartient à l’âme. Donc, lorsque
les nombres du corps, qui tiennent au vieil homme et à l’Ancien Testament, et
les nombres de l’esprit ou de l’homme régénéré et de la loi nouvelle, seront
écoulés comme un nombre de sept jours; puisque toute action en cette vie se
rapporte au corps ou au nombre quatre, ou à l’âme dont le nombre est ternaire;
après cela viendra le huitième jour qui, rendant à chacun ce qu’il a mérité,
appellera les justes, non plus à des œuvres passagères, mais à la vie sans fin,
et condamnera les impies aux supplices éternels.
3. Telle est la damnation que redoute
l’Eglise, qui s’écrie dans ce psaume: « Seigneur, ne m’accusez pas dans votre
colère (Ps. VI, 2)». Saint Paul parle
aussi de colère à propos du jugement: « Tu amasses pour toi, dit-il, un trésor
de colère, pour le jour de la colère et du juste jugement de Dieu (Rom. II, 5)». C’est dans ce jour que ne
veut pas être accusé celui qui cherche à se guérir en cette vie. « Et ne me «
reprenez point dans votre fureur ». Reprendre est plus doux, car il tend à
l’amendement; au lieu que, quand on est accusé, ou mis en jugement, on doit
craindre pour issue une condamnation. Mais la fureur paraît être plus grande
que la colère, et l’on peut s’étonner que reprendre, qui est plus doux, soit
placé avec fureur, qui est l’expression la plus sévère. Pour moi, je crois que
ces deux expressions n’ont qu’un même sens; car le mot grec tumos du premier verset a la même
signification que orphe, qui est dans
le second. Mais comme la version latine a voulu employer aussi deux
expressions, elle en a cherché une qui se rapprochât le plus de colère, et a
mis fureur. De là des variantes dans les versions; car, dans l’une, c’est la
colère qui est avant la fureur, dans l’autre, c’est la fureur avant la colère;
d’autres, au lieu de fureur ont indignation, et même bile. Quoi qu’il en soit,
ces deux termes expriment un mouvement de l’âme qui veut punir, mouvement que
nous ne pourrons attribuer à Dieu dans le même sens qu’à notre (141) âme,
puisqu’il est dit «Pour vous, Dieu des vertus, vous nous jugez dans le calme (Sag. XII, 18) ». Mais ce qui est dans le
calme, est opposé au trouble. Dieu donc dans ses jugements est inaccessible au
trouble; mais on a appelé sa colère, cette émotion occasionnée par ses lois
chez ses ministres. Or, l’âme qui supplie dans ce psaume, redoute d’être
accusée dans cette colère, elle ne veut pas même cette réprimande qui la
corrigerait ou l’instruirait. Car il y a dans le grec paideustes, c’est-à-dire enseignez. Au jour du jugement seront
convaincus tous ceux qui ne sont pas fondés sur Jésus-Christ; mais ceux qui sur
cette base auront bâti avec le bois, le foin et la paille, ils seront amendés
ou purifiés, ils souffriront un dommage et néanmoins seront sauvés, mais comme
par le feu (I Cor. III, 11). Que
peut-on demander à Dieu, quand on ne veut être ni accusé ni repris dans sa
colère? Que demander, sinon d’être guéri, puisque la guérison ne nous laisse à
craindre ni la mort, ni la main du médecin qui emploie le feu ou le fer?
4. Le Psalmiste poursuit donc: « Ayez pitié
de moi, Seigneur, parce que je suis infirme, guérissez-moi, parce que mes os
sont ébranlés (Ps. VI, 3) », et par
ces os il entend la force de l’âme ou le courage. L’âme donc, en parlant de ses
os, se plaint de son courage qui est ébranlé; mais gardons-nous de croire
qu’elle ait des os comme ceux du corps. Expliquant donc ce qui précède, le
Prophète ajoute « Et mon âme est dans un trouble « profond », afin que l’on
n’applique point au corps, ce qu’il appelait des os. « Et vous, Seigneur,
jusques à quand (Id. 4)? » Qui ne
verrait ici une âme qui lutte avec ses infirmités, et que le médecin ne se
presse pas de guérir, afin de lui faire sentir dans quel abîme de maux le péché
l’a précipitée? On ne cherche guère à éviter ce qui se guérit facilement; mais
une guérison difficile nous rend plus attentifs à conserver la santé quand nous
l’avons recouvrée. Loin de nous cette pensée qu’il y ait de la cruauté dans ce
Dieu à qui l’on dit: « Jusques à quand tarderez-vous à me guérir? » mais il
veut dans sa bonté montrer à l’âme quelle blessure elle s’est faite. Car cette
âme ne prie pas encore avec une telle ferveur que Dieu puisse lui dire: « Ta
prière ne sera pas achevée que je répondrai: Me voici (Isa. LXV, 21) ». Dieu veut encore nous montrer quel sera le
châtiment des impies qui refusent de retourner à lui, si la conversion nous est
si difficile; dans ce sens il est dit ailleurs: « Si le juste à peine est
sauvé, que deviendront le pécheur et l’impie (I Piere, IV, 18)? »
5. « Revenez à moi, Seigneur, et délivrez «
mon âme (Ps. VI, 5) ». En revenant à
Dieu, le pécheur le supplie de se tourner vers lui, comme il est écrit: «
Revenez à moi, dit le Seigneur, et je reviendrai à vous (Zach. I, 3) » Mais cette expression: « Revenez, Seigneur »,
voudrait-elle dire: Aidez-moi dans mon retour, à cause des difficultés et du
labeur que rencontre un retour à Dieu? Car notre conversion parfaite au
Seigneur, le trouvera toujours prêt, ainsi que l’a dit le Prophète: « Nous le
trouvons prêt comme la lumière du matin (Osée,
VI, 3, suiv. les LXX)». Nous l’avons perdu, en effet, non qu’il se soit
retiré de nous, puisqu’il est présent partout, mais bien parce que nous lui
avons tourné le dos. « Il était en ce monde», est-il dit, « et le monde a été
fait par lui, et le monde ne l’a pas connu (Jean,
I, 10) ». Si donc il était en ce monde sans que le monde le connût, c’est
que nos souillures ne supportent point sa présence. Mais pour nous convertir,
ou pour effacer notre vie passée en taillant de nouveau notre âme à l’image de
Dieu, nous ressentons le douloureux labeur d’échanger les terrestres voluptés
contre le calme serein de la divine lumière. Et dans cette pénible tâche nous
disons
« Revenez à moi, Seigneur », c’est-à-dire,
aidez-moi, afin que se perfectionne en moi ce retour qui vous trouvera toujours
prêt, et vous donnera en jouissance à ceux qui vous aiment. Aussi, après avoir
dit: « Revenez à moi, Seigneur », le Prophète a-t-il ajouté: « Et délivrez mon
âme », que retiennent encore les soucis du monde, et qui, dans son retour à
vous, se sent déchirer par l’aiguillon des désirs. « Sauvez-moi», dit-il, « à
cause de votre miséricorde (Ps. VI, 3)
». Il sent qu’il n’est point guéri par ses propres mérites, puisqu’un pécheur,
un violateur de la loi ne devait s’attendre en justice qu’à la damnation.
Sauvez-moi donc, dit-il, non point que je l’aie mérité, mais à cause de votre
miséricorde.
6. « Car nul après la mort ne se souvient de
vous (Id. 6) ». Il comprend que c’est
en cette vie qu’il faut nous convertir, car après la mort il ne reste plus à
chacun qu’à recevoir (142) selon ses oeuvres. « Qui vous confessera dans les
enfers (Ps. VI, 6)? » Le riche dont
parle Jésus-Christ, confessa Dieu dans les enfers, quand il se plaignit de ses
tortures, en voyant Lazare au sein du repos; il confessa Dieu au point de
vouloir avertir les siens de s’abstenir du péché, en vue de ces tourments de
l’enfer, auxquels on ne croit point (Luc,
XVI, 23-31). Ce fut en vain, il est vrai, mais enfin il confessa qu’il
souffrait justement, puisqu’il désirait avertir ses frères de ne point encourir
ces châtiments. Qu’est-ce à dire alors: « Qui confessera votre nom dans les
enfers? » Entendrait-il par là ce profond abîme, où sera précipité l’impie
après le jugement, et dont les épaisses ténèbres ne laisseront échapper aucune
lueur de Dieu pour le confesser? Toutefois ce riche, eu élevant les yeux, put
apercevoir Lazare au sein du repos, nonobstant les ténébreuses profondeurs qui
l’environnaient lui-même; et la comparaison qu’il dut faire lui arracha l’aveu
de ses fautes. Le Prophète pourrait donner aussi le nom de mort au péché que
l’on commet au mépris de la loi divine; et nous faire appeler mort ce qui n’en
est que l’aiguillon, parce qu’il aboutit à la mort; car l’aiguillon de la mort
c’est le péché (I Cor. XV, 56). Dans
cette mort l’oubli de Dieu serait le mépris de ses lois et de ses préceptes;
ainsi le Prophète appellerait enfer cet aveuglement de l’esprit, qui saisit et
enveloppe le pécheur, ou l’âme qui meurt par le péché. «Comme ils n’ont pas
fait usage », dit saint Paul, « de la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés
au sens réprouvé (Rom. I, 28) ».
C’est de cette mort et de cet enfer que l’âme demande à Dieu de la préserver,
quand elle cherche à revenir à lui, et sent les difficultés du retour.
7. Aussi le Prophète continue en disant « Je
me suis fatigué dans mon gémissement», et comme si c’était peu, il ajoute: «
Chaque nuit je laverai ma couche de mes larmes (Ps. VI, 7) ». Il appelle ici couche tout ce qu’une âme faible et
malade cherche pour son repos, comme la volupté charnelle et les plaisirs du
monde. C’est laver de ses larmes ces mêmes plaisirs, que chercher à s’en
arracher. On voit que ses appétits charnels sont condamnables, et toutefois on
est assez faible pour s’y attacher par goût, pour s’y reposer à l’aise; et
notre âme ne peut s’en relever qu’après sa guérison. Mais en disant: « Chaque
nuit », le Prophète a voulu peindre sans doute l’homme dont l’esprit est prompt
et reçoit quelque lueur de vérité, mais dont la chair est assez faible pour
mettre parfois son bonheur dans les plaisirs du siècle, en sorte qu’il subit
dans ses affections une alternative de lumière et de ténèbres: c’est le jour
pour lui quand il dit: « Par l’esprit, j’obéis à la loi de Dieu », mais il
décline vers la nuit à ces mots: « Et par la chair à la loi du péché (Rom. VII, 25) », jusqu’à ce qu’enfin
toute nuit se dissipe, et que vienne ce jour unique dont il est dit: «Au matin
je serai debout, et je verrai (Ps. VI, 7)
». C’est alors qu’il se tiendra debout; mais aujourd’hui, il est étendu sur
cette couche que chaque nuit il doit mouiller de ses larmes, et de larmes si
abondantes, qu’il obtienne de la bonté de Dieu le remède infaillible. «
J’arroserai mon lit de mes pleurs », est une répétition; car « mes pleurs »
montrent comment il a dit plus haut: « Je laverai ». « Son lit » a le même sens
que « sa couche », et toutefois, « j’arroserai » dit plus que « je laverai »:
laver peut se borner à mouiller à la surface, tandis que l’arrosage pénètre
dans l’intérieur, ce qui marquerait des larmes jusqu’aux profondeurs de l’âme.
Le Prophète change les temps du verbe; il a dit au passé: « Je me suis fatigué
dans mes gémissements »; puis au futur: « Chaque nuit je laverai ma couche »,
puis encore: « J’arroserai mon lit de mes larmes », afin de nous montrer ce qui
nous reste à faire quand nous nous sommes fatigués en vain à gémir; comme s’il
disait: Ce que j’ai fait ne m’a servi de rien, voici désormais ce que je vais
faire.
8. « Mon oeil s’est troublé dans la colère (Id. 8) »: est-ce dans sa propre colère,
ou cette colère de Dieu par laquelle il a demandé de n’être ni accusé ni
repris? Mais si la colère de Dieu signifie le jugement, comment l’entendre dès
cette vie? Ou cette colère commencerait dès cette vie, dans les douleurs et les
maux des hommes, et surtout dans leur impuissance à comprendre la vérité, selon
le mot de saint Paul cité plus haut: « Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rom. I, 28) ». Tel est en effet
l’aveuglement de l’esprit, que tout homme dans cet état se trouve privé de
toute lumière intérieure de Dieu, mais pas absolument, tant que dure cette vie.
Car il y a des ténèbres extérieures « qui sont réservées plus (143) spécialement
au jour du jugement, et qui éloigneront complètement de Dieu quiconque aura
négligé de se corriger ici-bas. Mais être complètement en dehors de Dieu,
qu’est-ce autre chose que l’aveuglement complet? Car Dieu habite une lumière
inaccessible (I Tim. VI, 16), et dans
laquelle entreront ceux qu’il invitera, en disant: « Entrez dans la joie de
votre Seigneur (Matt. XXV, 21, 22) ».
Cette colère commence donc dès cette vie à peser sur tout pécheur. La crainte
du dernier jugement arrache au Prophète des gémissements et des larmes; il
craint d’arriver à cette colère dont le commencement lui est déjà si
douloureux; aussi ne dit-il pas que « son oeil s’est éteint », mais « qu’il a
été troublé par cette colère ». Rien ne nous étonnerait encore s’il disait que
son oeil a été troublé par sa propre colère; c’est peut-être en ce sens qu’il
est dit: « Que le soleil ne se couche point sur votre colère (Ephés. IV, 26) » parce que l’âme, dans
ce trouble, ne pouvant voir Dieu, s’imagine que cette sagesse divine, ce soleil
intérieur est en quelque sorte couché pour elle.
9. « J’ai vieilli au milieu de tous mes
ennemis (Ps. VI, 8) ». Il avait parlé
de colère, si c’est toutefois de sa propre colère; mais en considérant tous les
autres vices, il trouve qu’il en est environné. Comme ces vices nous viennent
de notre première vie et du vieil homme dont il faut nous dépouiller pour
revêtir l’homme nouveau, le psalmiste dit fort bien: « J’ai vieilli ». « Au
milieu de tous mes ennemis » peut s’entendre ou des vices, ou des hommes qui ne
veu1ent point retourner à Dieu; car ces hommes, quoiqu’à leur insu, malgré
leurs ménagements, bien qu’ils vivent en paix avec nous, dans les mêmes villes,
sous le même toit, à la même table, qu’ils s’entretiennent souvent et
paisiblement avec nous; ces hommes, par leurs intentions contraires aux nôtres,
sont ennemis de quiconque veut retourner à Dieu. Car si les uns aiment le monde
et s’y attachent, et que les autres désirent en être délivrés, qui ne voit que
les premiers sont ennemis des seconds, qu’ils entraînent, quand ils peuvent,
dans les mêmes châtiments? Et c’est une grande faveur de Dieu d’entendre
journellement leur conversation, et de ne point s’écarter de la voie des
commandements de Dieu. Souvent une âme qui s’efforce d’aller à Dieu, se laisse
ébranler et s’effraie dans sa route, et la plupart du temps elle abandonne ses
résolutions, parce qu’elle craint d’offenser ceux qui vivent avec elle, et qui
recherchent avidement les biens passagers et périssables. Tout coeur
parfaitement sain s’en sépare non de lieu, mais d’affection; car l’amour est à
l’âme ce qu’est pour les corps le lieu qui les contient.
10. Donc, après le labeur, le gémissement, et
ces fréquentes effusions de larmes, comme on ne peut adresser en vain de si
ferventes supplications à celui qui est la source de toutes les miséricordes,
et dont il est dit, avec tant de vérité: « Le Seigneur est tout près des coeurs
contrits (Ps. XXXIII, 19) »; après
ces difficultés donc, toute âme pieuse, ou même l’Eglise, si vous le voulez,
témoigne qu’elle a été exaucée. Voyez donc ce qu’elle ajoute: « Retirez-vous de
moi, vous tous, artisans d’iniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de
mes larmes (Id. VI, 9) ». Ou le
prophète annonce qu’au jour du jugement, les impies devront s’éloigner des bons
et en seront séparés: ou il leur dit de se séparer à l’instant; car s’ils font
partie avec nous des mêmes grappes, néanmoins, jusque dans l’aire, les grains
sont déjà dépouillés et séparés de cette paille qui les recouvre encore. Ils
peuvent bien être entassés ensemble, mais le vent ne peut les enlever ensemble.
11. « Parce que le Seigneur a écouté la voix
de mes larmes, le Seigneur a entendu mes supplications, le Seigneur a reçu ma
prière (Id. 10) ». Cette répétition
fréquente de la même pensée indique moins chez le psalmiste la nécessité de ce
langage que le transport de sa joie. Quiconque est dans l’allégresse ne se
contente point de nous en dire une fois le motif. Tel est le fruit de ce
gémissement douloureux qui lui fait mouiller sa couche de ses larmes, et
arroser son lit: « Car on ne sème dans les larmes que pour moissonner dans la
joie (Id. CXXV, 5) »; et: «
Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés (Matt. V, 5) ! »
12. « Confusion et trouble pour tous mes
ennemis (Ps. VI, 11) ». Naguère le
Prophète disait: « Eloignez-vous tous de moi », ce qui peut avoir lieu en cette
vie, comme nous l’avons vu; mais quand il parle de « confusion et d’effroi »,
je ne vois pas que cela se puisse entendre autrement que du jour qui mettra
(144) en évidence la récompense des justes et le châtiment des pécheurs.
Jusqu’à ce jour, en effet, l’impie est loin de rougir et de cesser de nous
insulter. Souvent même ses moqueries en viennent jusqu’à faire rougir de
Jésus-Christ les hommes faibles dans la foi. De là cette menace: « Quiconque
aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père (Luc, IX, 26) ». Quiconque dès lors veut
suivre les sublimes conseils de l’Evangile, de partager son bien, de le donner
aux pauvres, afin de demeurer juste pour l’éternité (Ps. CXI, 9), de vendre ses possessions terrestres pour assister les
indigents et suivre le Christ en disant: « Nous n’avons rien apporté en ce
monde, nous n’en pouvons rien emporter: contentons-nous d’avoir de quoi vivre
et nous vêtir (I Tim. VI, 7) »;
celui-là tombe sous les railleries sacrilèges des impies; ceux qui repoussent
le sens droit le traitent d’insensé. Souvent, pour éviter ce surnom de la part
des incurables, il craint de faire, il remet au lendemain ce que prescrit le médecin
le plus fidèle comme le plus puissant. Ceux-là donc ne peuvent rougir en cette
vie; souhaitons au contraire qu’ils s’aient pas la puissance de nous faire
rougir, de nous détourner du chemin que nous avons pris, de ne point nous y
causer d’embarras ou de retard. Mais un temps viendra qu’ils rougiront et
répéteront ces paroles de 1’Ecriture «Les voilà, ceux qui étaient l’objet de
nos mépris et même de nos outrages. Insensés que nous étions, nous estimions
leur vie une folie, et leur fin un opprobre: et les voilà comptés parmi les
fils de Dieu, et leur partage est avec les saints! Nous avons donc erré hors de
la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, et le soleil ne
s’est pas levé pour nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l’iniquité et
de la perdition; nous avons marché par des chemins «difficiles, et nous avons
ignoré la voie du Seigneur. A quoi bon noire orgueil, à quoi bon l’ostentation
de nos richesses? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre (Sag. V, 3-9) ».
13. Dans ces paroles: « Qu’ils se
convertissent pour leur confusion (Ps.
VI, 11) », qui ne voit un juste châtiment qui tourne à leur confusion dans
cette conversion qu’ils ont refusé de faire pour leur salut? « Et cela bien
vite», ajoute le Prophète:car ils ne compteront plus sur le jour du jugement,
et comme ils diront: « La paix est à nous; une ruine soudaine les surprendra (I Thess. V, 3) ». Quel que soit le
moment, ce que l’on n’attendait pas arrive toujours bien vite, et il n’y a que
l’espérance de vivre encore qui nous fasse croire que cette vie est longue.
Rien ne nous paraît plus rapide que ce qui en est déjà passé. Quand donc
viendra le jour du jugement, alors les pécheurs sentiront combien est courte
une vie qui passe; et ils ne pourront croire qu’il ait été long à venir, ce
jour qu’ils ne désiraient point, ou plutôt à l’arrivée duquel ils n’avaient
point cru. On pourrait dire encore que l’âme dont Dieu a exaucé les
gémissements et les pleurs si fréquents et si durables, sentant qu’elle est
délivrée du péché, et qu’elle a dompté tous les mouvements pervers des
sensuelles affections, en leur disant: « Retirez-vous de moi, artisans
d’iniquité, parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes larmes (Ps. VI, 9) », se trouve arrivée à cet
état de perfection, où elle peut prier pour ses ennemis. C’est dans ce sens
peut-être qu’il est dit: « Que tous mes ennemis soient dans la confusion et
dans le trouble », afin qu’ils fassent pénitence de leurs fautes, ce qui est
impossible sans trouble ni confusion. Rien n’empêche d’entendre les paroles
suivantes: « Qu’ils se convertissent pour leur confusion », dans le sens d’un
retour à Dieu et d’une confusion de s’être jadis glorifiés dans les ténèbres du
péché, comme l’a dit l’Apôtre: « Quelle gloire avez-vous tirée de ce qui est maintenant
pour vous un sujet de honte (Rom. VI, 21)?»
Cette autre expression, « et cela au plus vite », peut désigner la ferveur du
désir ou se rapporter à la puissance du Christ qui, dans un temps si court, a
converti à la foi de 1’Evangile, ces nations qui défendaient leurs idoles en
persécutant l’Eglise.
Ce psaume est le chant de
l’âme arrivée à la perfection, et à qui la foi découvre les mystères de la
passion inconnus aux Juifs et aux pécheurs actuels. Elle comprend la patience
silencieuse de Jésus à l’égard de Judas; et pourquoi, lui qui était juste, a
voulu souffrir.
PSAUME DE DAVID QU’IL CHANTA AU SEIGNEUR, POUR LES PAROLES DE CHUSI, FILS DE GÉMINI.
1. Il est facile de connaître par l’histoire
du second livre des Rois, ce qui donna occasion à cette prophétie. Elle nous
apprend que Chusi ami du roi David, passa dans les rangs d’Absalon révolté
contre son père, afin de reconnaître ses desseins, et de rapporter à David
toutes les trames que ce fils ourdissait contre lui avec Achitopel, qui avait
trahi l’amitié du père, pour soutenir de tous les conseils qu’il pourrait
donner, la révolte du fils. Mais dans ce psaume, il faut envisager l’histoire,
moins en elle-même, que comme un voile jeté par le Prophète sur un grand
mystère; levons donc ce voile (II Cor.
III, 16) si nous avons passé au Christ. Cherchons d’abord quel sens peuvent
avoir les noms; car on n’a pas manqué d’interprètes pour les étudier, non plus
à la lettre et d’une manière charnelle, mais dans un sens figuré, et pour nous
dire que Chusi signifie Silence, Gémini, la Droite, et Achitopel, la Ruine du
frère; dénominations qui ramènent une seconde fois sous nos yeux ce traître
Judas, figuré ainsi par Absalon dont le nom signifie Paix de son père. David,
en effet, eut toujours des sentiments de paix pour ce fils au coeur plein
d’artifices et de rébellion, ainsi qu’il a été dit au psaume troisième (Enarrat. in Ps. III, n.1). De même que
dans 1’Evangile nous voyons Jésus-Christ donner le nom de fils à ses disciples
(Matt. IX, 15), nous le voyons aussi
les appeler ses frères. Après sa résurrection, le Seigneur dit en effet: «
Allez, et annoncez à mes frères (Jean,
XX, 17)». Saint Paul appelle Jésus-Christ le premier-né de tant de frères (Rom. VIII, 29). On peut donc désigner la
ruine du disciple qui le trahit, sous le nom de ruine du frère, selon le sens
que nous avons donné au nom d’Achitopel. Chusi, qui signifie Silence, désigne
très-bien ce silence que Notre Seigneur opposait aux perfidies de ses ennemis,
ce profond mystère qui a frappé de cécité une partie d’Israël, alors qu’ils
persécutaient le Seigneur, jusqu’à ce que la multitude des nations entrât dans
l’Eglise, et qu’ensuite tout Israël fût sauvé. Aussi l’Apôtre, abordant ces
secrètes profondeurs, ce redoutable silence, s’écrie, comme frappé d’horreur à
la vue de ces mystères: « O profondeur des trésors de la sagesse et de la
science de Dieu ! combien sont impénétrables ses jugements; et ses voies
incompréhensibles! qui connaît les desseins de Dieu, et qui est entré dans ses
conseils (Rom. XI, 33, 34)? »
L’Apôtre nous fait donc moins connaître ce profond silence, qu’il ne le
recommande à notre admiration. C’est à la faveur de ce silence, que le
Seigneur, dérobant le mystère sacré de sa passion, a fait entrer dans les vues
de sa providence miséricordieuse, la ruine volontaire du frère, le crime
détestable du traître, afin que la mort d’un seul homme, que se proposait le
perfide Judas, devînt, par la sagesse ineffable du Sauveur, le salut de tous
les hommes.
Ce psaume est donc le chant d’une âme
parfaite et déjà digne de connaître le secret de Dieu. Elle chante: « Pour les
paroles de Chusi », paroles de ce silence qu’elle a mérité de connaître. C’est
en effet un silence et un secret pour les infidèles et les persécuteurs du
Christ; pour ceux au contraire à qui Jésus-Christ a. dit: « Je ne vous
appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son
maître; mais je vous appellerai mes amis, parce que je vous ai fait connaître
tout ce que j’ai appris de mon Père (Jean,
XV, 15) », pour (147) ces amis du Christ il n’y a plus de silence, mais les
paroles du silence, ou la raison de ce mystère du Christ que Dieu leur a donné
de pénétrer et de connaître. Ce silence, ou Chusi, est appelé fils de Gémini ou
de la droite. Car il ne fallait pas dérober aux saints ce qu’il a fait pour
eux, et pourtant « notre gauche», est-il dit, «ne doit point savoir ce que fait
notre droite (Matt. VI, 3) ». L’âme
parfaite, qui a compris ce secret, chante alors cette prophétie: « Pour les
paroles de Chusi », ou pour la découverte de ce mystère, que Dieu, qui est la
droite, lui a fait connaître par une faveur spéciale: de là vient que ce
silence est appelé fils de la droite, ou Chusi, fils de Gémini.
2. « Seigneur, mon Dieu, mon espoir est en
vous, sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi (Ps. VII, 2) ». Toute guerre, toute
hostilité contre les vices est surmontée, et l’âme parfaite n’ayant plus à
combattre que la jalousie du démon, s’écrie: «Sauvez-moi de tous ceux qui me
persécutent, et délivrez-moi, de peur que comme un lion, il ne ravisse mon âme
(Ibid. 3) ». Car saint Pierre nous
dit que « le démon notre ennemi, rôde autour de nous, comme un lion rugissant,
cherchant quelqu’un à dévorer (I Pierre,
V, 8) ». Aussi le Prophète, après avoir dit au pluriel ! «Sauvez-moi de
tous ceux qui me persécutent », reprend ensuite le singulier, en disant: « De
peur qu’il ne ravisse mon âme, comme un lion », non pas: « Qu’ils ne
ravissent», car il n’ignore pas l’ennemi qui reste à vaincre, le redoutable
adversaire de toute âme parfaite. Et que je ne trouve ni rédempteur, ni sauveur
»; c’est-à-dire, de peur qu’il ne ravisse mon âme, tandis que vous ne la
rachetez et ne la sauvez point; puisqu’il nous ravit, si Dieu ne nous rachète
et nous sauve.
3. Ce qui nous montre que ce langage est
celui de l’âme parfaite, qui n’a plus à redouter que les piéges si artificieux
du démon, c’est le verset suivant: « Seigneur mon Dieu, si j’ai fait cela (Ps VII, 4)». Qu’est-ce à dire: e Cela? s
S’il ne nomme aucun péché, les voudrait-il désigner tous? Si nous rejetons une
telle interprétation, rattachons alors cette expression à ce qui suit; et comme
si nous demandions au Prophète ce qu’il entend par « cela, istud », il nous répondra: « Si l’iniquité est dans mes mains ».
Mais il nous montre qu’il entend parler de tout péché, puisqu’il dit: « Si j’ai
rendu le mal pour le mal (Ps. VII, 5)
», parole qui n’est vraie que dans la bouche des parfaits. Le Seigneur nous dit
en effet: « Soyez parfaits, comme votre Père du ciel, qui fait luire son soleil
sur les bons et sur les méchants, qui donne la pluie aux justes et aux
criminels (Matt. V, 45, 48) ».
Celui-là donc est parfait qui
ne rend pas le mal pour le mal. L’âme
parfaite prie donc « pour les paroles de Chusi, fils de Gérnini », ou pour la
connaissance de ce profond secret, de ce silence que garda Jésus-Christ pour
nous sauver, dans sa bonté miséricordieuse, en souffrant avec tant de patience
les perfidies de celui qui le trahissait. Comme si le Sauveur lui découvrait
les raisons de ce silence et lui disait: « Pour toi, qui étais impie et
pécheur, et pour laver dans mon sang tes iniquités, j’ai mis le plus grand
silence, et une longanimité invincible à souffrir près de moi un traître;
n’apprendras-tu pas, à mon exemple, à ne point rendre le mal pour le mal? »
Cette âme, considérant et comprenant ce que le Sauveur a fait pour elle, et
s’animant par son exemple à marcher vers la perfection, dit à Dieu: « Si j’ai
rendu le mal pour le mal», si je n’ai point suivi dans mes actes vos saintes
leçons, « que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemis ». Il a
raison de ne pas dire: « Si j’ai tiré vengeance du mal qu’ils me faisaient »,
mais bien, «qu’ils me rendaient», puisqu’on ne peut rendre que quand on a reçu
quelque chose. Or, il y a plus de patience à épargner celui qui nous rend le
mal pour les bienfaits qu’il a reçus de nous, que s’il voulait nous nuire, sans
nous être aucunement redevable. « Si donc j’ai tiré vengeance du mal qu’ils me
rendaient»; c’est-à-dire, si je ne vous ai point imité dans ce silence, ou
plutôt dans cette patience dont vous avez usé à mon égard, que je tombe sans
gloire sous les efforts de mes ennemi ». Il y a une vaine jactance chez l’homme
qui, tout homme qu’il est, veut se venger d’un autre. Il cherche à vaincre un
adversaire, et lui-même est à l’intérieur vaincu par le démon; la joie qu’il
ressent d’avoir été comme invincible, lui enlève tout mérite. Le Prophète sait
donc bien ce qui rend la victoire plus glorieuse, et ce que nous rendra notre
Père qui voit dans le secret (Id. VI, 6).
Pour ne pas tirer vengeance de ceux (147) qui lui rendent le mal, il cherche à
vaincre sa colère, et non son ennemi: instruit qu’il est de ces paroles de
l’Ecriture: « il y a plus de gloire à vaincre sa colère, qu’à prendre une ville
(Prov. XVI, 32, suiv. les LXX.) ». Si
donc «j’ai tiré vengeance de ceux qui me rendaient le mal, que je tombe sans
gloire sous la main de mes ennemis (Ps.
VII, 5)». Il paraît en venir à l’imprécation, qui est le plus grave des
serments pour tout homme qui s’écrie: « Mort à moi si je suis coupable ». Mais
autre est l’imprécation dans la bouche d’un homme qui fait serment, et autre,
dans le sens d’un prophète, qui annonce les malheurs dont sera infailliblement
frappé l’homme qui tire vengeance du mai qu’on lui rend, mais ne les appelle ni
sur lui, ni sur d’autres par ses imprécations.
4. « Que mon ennemi poursuive mon âme, et
qu’il l’atteigne Id. 6) ». Il parle
une seconde fois de son ennemi au singulier, et nous montre de plus en plus
celui qu’il représentait but à l’heure sous l’aspect d’un lion; cet ennemi qui
poursuit l’âme et s’en rend maître, s’il parvient à la séduire. Les hommes
peuvent sévir jusqu’à tuer le corps, mais cette mort extérieure ne leur
assujettit point notre âme, au lieu que le diable possède les âmes qu’il
atteint dans ses poursuites. « Qu’il foule ma vie sur la terre », c’est-à-dire
qu’il fasse de ma vie une boue qui lui serve de pâture. Car cet ennemi n’est
pas seulement appelé lion, mais encore serpent; et Dieu lui a dit: «Tu mangeras
la terre», quand il disait à l’homme pécheur: « Tu es terre et tu re« tourneras
dans la terre (Gen. III, 14, 19) ». «
Qu’il traîne ma gloire dans la poussière »; dans cette poussière que le vent
soulève de la surface de la terre (Ps. I,
4): car la vaine et puérile jactance de l’orgueilleux, n’est qu’une enflure
et n’a rien de solide; c’est un nuage de poussière chassé par le vent. Le
Prophète veut avec raison une gloire plus solide qui ne se réduise pas en
poussière, nous qui subsiste dans la conscience et devant Dieu, qui ne souffre
point la jactance. « Que celui qui se glorifie», est-il dit, « ne le fasse que
dans le Seigneur (I Cor. I, 31) ».
Cette stabilité se réduit en poussière quand l’homme, dédaignant le secret de
la conscience, où Dieu seul nous approuve, cherche les applaudissements des
hommes. De là cette autre parole de l’Ecriture: « Dieu brisera les os de ceux
qui veulent plaire aux hommes (Ps. LII,
6) ». Mais celui qui connaît pour l’avoir appris ou éprouvé, dans quel
ordre il fait surmonter nos vices, sait bien que celui de la vaine gloire est
le seul, ou du moins le plus à craindre pour les parfaits. C’est le premier ou
l’âme soit tombée, c’est le dernier qu’elle peut vaincre. « Car le commencement
de tout péché, c’est l’orgueil », et « le commencement de l’orgueil chez
l’homme, c’est de se séparer de Dieu (Eccli.
X, 14, 15)
5. « Levez-vous, Seigneur, dans votre colère
(Ps. VII, 7)». Comment cet homme que
nous disions parfait, vient-il exciter Dieu à la colère? et la perfection ne
serait-elle pas plutôt en celui qui dit: « Seigneur, ne leur imputez point ce
crime (Act. VII, 59)?» Mais est-ce
bien sur les hommes que tombe cette imprécation du Prophète, et ne serait-ce
point contre le diable et contre ses anges qui ont en leur possession le
pécheur et l’impie? C’est donc par un sentiment de pitié et non de colère, que
l’on demande au Dieu qui justifie l’impie (Rom.
IV, 5) d’arracher cette proie au démon. Car justifier l’impie c’est le
taire passer de l’impiété à la justice, et changer cet héritage du démon en
temple de Dieu. Et comme c’est châtier quelqu’un, que lui arracher une proie
qu’il veut garder en son pouvoir, le Prophète appelle colère de Dieu, ce châtiment
qu’il exerce contre le démon, eu lui arrachant ceux qu’il possède. « Levez-vous
donc, Seigneur, dans votre colère ». « Levez-vous», montrez-vous, dit-il,
expression figurée, mais ordinaire dans le langage humain, comme si Dieu
dormait quand il nous dérobe ses desseins. « Signalez votre puissance dans les
régions de mes ennemis».Le Prophète appelle région, ce qui est sous la
puissance du démon, et il veut que Dieu y règne, c’est-à-dire qu’il y soit
honoré et glorifié plutôt que noire ennemi, par la justification de l’impie, et
ses chants de triomphe. « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, selon la « loi que
vous avez portée (Ps. VII, 7) »,
c’est-à-dire, montrez-vous humble, puisque vous recommandez l’humilité;
accomplissez vous-même avant nous votre précepte, afin que votre exemple
détruise l’orgueil, et que nous ne soyons pas au pouvoir du démon qui souffla
l’orgueil contre vos préceptes, en disant: « Mangez, et vos yeux s’ouvriront,
et vous serez comme des dieux (Gen. III,
5)». (148)
6. « Et l’assemblée des peuples vous
environnera (Ps. VII, 8) ». Cette
assemblée des peuples peut s’entendre des peuples qui ont cru, ou des peuples
persécuteurs, car l’humilité de notre Sauveur a obtenu ce double effet: les
persécuteurs l’ont environné parce qu’ils méprisaient cette humilité, et c’est
d’eux qu’il est dit: « A quoi bon ces frémissements des nations, et ces vains
complots chez les peuples (Id. II, 1)?
» Ceux qui ont cru en vertu de cette humilité, l’ont environné, et ont fait
dire avec, beaucoup de vérité, « qu’une partie des Juifs sont tombés dans
l’aveuglement, afin que la multitude des nations entrât dans l’Eglise (Rom. XI, 25)». Et ailleurs: «
Demande-moi, et je te «donnerai les nations en héritage, et jusqu’aux confins
de la terre pour ta possession (Ps. II,
8)». « Et en sa faveur, remontez en haut», c’est-à-dire, en faveur de cette
multitude; et nous savons que le Seigneur l’a fait par sa résurrection et son
ascension. Ayant obtenu cette gloire, il a donné le Saint-Esprit qui ne pouvait
descendre avant que Jésus fût glorifié, selon cette parole de l’Evangile: « Le
Saint-Esprit n’était point encore descendu, parce que Jésus n’était pas encore
entré dans sa gloire (Rom. XI, 25) ».
Donc après s’être élevé au ciel en faveur de la multitude des peuples, il
envoya l’Esprit-Saint, dont les prédicateurs de l’Evangile étaient remplis,
quand, à leur tour, ils remplissaient d’églises l’univers entier.
7. Ces paroles: « Levez-vous, Seigneur, dans
votre colère, planez au-dessus des régions de mes ennemis (Ps. VII, 7) », peuvent encore s’entendre ainsi: Levez-vous dans
votre colère, et que mes ennemis ne vous comprennent point, alors « exaltare, soyez au-dessus»,
signifierait: Elevez-vous à une telle hauteur que vous soyez incompréhensible;
ce qui a rapport au silence de tout à l’heure. Un autre psaume a dit à propos
de cette élévation: « Il est monté au-dessus des Chérubins, et il a « pris son
vol et s’est dérobé dans les ténèbres (Id.
XVII, 11, 12) ». Cette élévation vous cachait à ceux que leurs crimes
empêchaient de vous connaître, et qui vous ont crucifié; et voilà que
l’assemblée des fidèles vous environnera. C’est à son humilité que le Seigneur
doit d’être élevé; c’est-à-dire incompris. Tel serait le sens de: « Elevez-vous
selon la loi que vous avez portée (Ps.
VII, 7) », c’est-à-dire, dans votre humiliation apparente soyez tellement
élevé que mes ennemis ne vous comprennent point. Car les pécheurs sont les
ennemis du juste, et les impies de l’homme pieux. « Et les peuples vous
environneront en foule (Id. 8)»; car
ce qui porte à vous crucifier ceux qui ne vous connaissent pas, fera que les
nations croiront en vous, et ainsi les peuples vous adoreront en foule. Mais si
tel est vraiment le sens du verset suivant, il faut plutôt nous attrister à
cause de l’effet que nous en ressentons dès ici-bas, que nous réjouir de
l’avoir compris. Il porte, eu effet: « Et à cause d’elle remontez en haut (Ibid.)»; c’est-à-dire, à cause de ces
hommes dont la foule encombre vos églises, remontez bien haut, ou cessez d’être
connu. Qu’est-ce à dire: « A cause de cette foule? » sinon, parce qu’elle doit,
vous offenser, et ainsi justifier cette, parole: « Pensez-vous que le Fils de
l’homme, revenant sur la terre, y trouvera de la foi (Luc, XVIII, 8)? » Il est dit encore, à propos des faux prophètes ou
des hérétiques: « A cause de leur iniquité, la charité se refroidira chez un
grand nombre (Matt. XXIV, 12) ». Or,
quand au sein de l’Eglise, ou dans la société des peuples et des nations que le
nom du Christ a si complètement envahis, le crime débordera avec cette fureur
que nous lui voyons en grande partie déjà, n’est-ce point alors que se fera
sentir la disette de la parole, annoncée par un autre prophète (Amos, VIII, 11)? N’est-ce point à cause
de cette congrégation qui, à force de crimes, éloigné de ses yeux la lumière de
la vérité, que Dieu remonte en haut, de manière que la vraie foi, pure de tout
alliage d’opinions perverses, ne se trouve plus nulle part, sinon dans le petit
nombre dont il est dit: « bienheureux celui qui aura persévéré jusqu’à la fin,
celui-là sera sauvé (Matt. X, 22)? ».
C’est donc à bon droit qu’il est dit: « Et à cause de cette assemblée, remontez
en haut ». Retirez-vous dans vos secrètes profondeurs, justement à cause de
cette assemblée des peuples qui portent votre nom, sans accomplir vos oeuvres.
8. Que l’on adopte la première explication,
ou cette dernière, ou toute autre de valeur égale, et mémé supérieure, le
Prophète n’a pas moins raison de dire que «le Seigneur juge les peuplés (Ps. VII, 9) ». Si non entend par s’élever
en haut, qu’il est ressuscité pour monter (149) au ciel, on peut dire fort bien
que « le Seigneur juge les peuples », puisqu’il en descendra pour juger les
vivants et les morts. S’il remonte dans les hauteurs, parce que le péché fait
perdre aux fidèles l’intelligence de la vérité, comme il est dit à propos de
son avènement: « Pensez-vous que le Fils de l’homme venant en ce monde y
trouvera de la foi (Luc, XVIII, 8)? »
« Le Seigneur juge encore les peuples ». Mais quel Seigneur, sinon
Jésus-Christ? « Car le Père ne juge personne; il a donné au Fils le pouvoir de
juger (Jean, V, 22) ». Voyez alors
comme cette âme si parfaite en sa prière, s’émeut peu du jour du jugement, et
avec quelle sécurité de désir elle dit à Dieu dans sa ferveur: «Que votre règne
arrive (Matt. VI, 10 », puis: «
Jugez-moi, Seigneur, selon votre justice (Ps.
VII, 9) ». Dans le psaume précédent, c’était un infirme qui priait,
sollicitant le secours de Dieu bien plus qu’il ne faisait valoir ses propres
mérites, car le Fils de Dieu est venu pour appeler à la pénitence tous les
pécheurs (Luc, V; 32). Aussi
disait-il: « Sauvez-moi, Seigneur, à cause de votre miséricorde (Ps. VII, 5) », et non à cause de mes
mérites. Maintenant que docile à l’appel de Dieu, il a gardé les préceptes
qu’il a reçus, il ose bien dire: « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice, et
selon mon innocence d’en haut (Id. VII, 9).
» La véritable innocence est de ne pas nuire, même à ses ennemis. Il peut donc
demander à être jugé selon son innocence, celui qui a pu dire en toute vérité «
Si j’ai tiré vengeance de celui qui me rendait le mal (Id. 5) ». Cette expression « d’en haut, super me », doit s’appliquer à sa justice aussi bien qu’à son
innocence, et alors il dirait: « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice et selon
mon innocence, justice et innocence d’en haut »; expression qui nous montre que
l’âme n’a point en elle-même la justice et l’innocence, et qu’elle les reçoit
de la lumière dont il plaît à Dieu de nous éclairer. Aussi dit-elle dans un
autre psaume: « C’est vous, Seigneur, qui faites briller mon flambeau (Ps. XVII, 29) ». Et il est dit de Jean:
« Qu’il n’était point la lumière, mais qu’il rendait témoignage à la lumière (II Jean, I, 8), qu’il était une torche
enflammée et brillante (Id. V, 35)
».Cette lumière donc, à laquelle nos âmes s’illuminent comme des flambeaux, ne
brille point d’un éclat d’emprunt, mais d’un éclat qui lui est propre et qui
est la vérité. « Jugez-moi donc », est-il dit, « selon ma justice et selon mon
innocence d’en haut », comme si la torche allumée et brillante disait:
Jugez-moi selon cette splendeur d’en haut, c’est-à-dire qui n’est point
moi-même, et dont je brille néanmoins, quand vous m’avez allumée.
9. « Que la malice des pécheurs se consomme (Ps. VII, 10) ». Cette consommation est
ici le comble, d’après cette parole de l’Apocalypse: « Que celui qui est juste
le devienne plus encore, et que l’homme souillé se souille davantage (Apoc. XXII, 11) ». L’iniquité paraît
consommée dans ceux qui crucifièrent le Fils de Dieu, mais elle est plus grande
chez ceux qui refusent de vivre saintement, qui haïssent les lois de la vérité,
pour lesquelles a été crucifié ce même Fils de Dieu. Que la malice donc des
pécheurs se consomme, dit le Prophète, qu’elle s’élève jusqu’à son comble et
qu’elle appelle ainsi votre juste jugement. Toutefois, non seulement il est dit
Que l’homme souillé se souille encore; mais il est dit aussi: Que le juste
devienne plus juste; c’est pourquoi le Prophète poursuit en disant: « Et vous
dirigerez le juste, ô Dieu qui sondez les cœurs et les reins (Ps. VII, 10) ». Mais comment le juste
peut. il être dirigé, sinon d’une manière occulte? puisque les mêmes actions
que les hommes admiraient dans les premiers temps du christianisme, quand les
puissances du siècle mettaient les saints sous le pressoir de la persécution,
ces actions, aujourd’hui que le nom chrétien est arrivé à l’apogée de sa
gloire, servent à développer l’hypocrisie ou la dissimulation chez des hommes
qui sont chrétiens de nom, pour plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu? Dans cette
confusion de pratiques hypocrites, comment le juste peut-il être dirigé, sinon
par le Dieu qui sonde les reins et les coeurs, qui voit nos pensées, désignées
ici sous l’expression de coeur, et nos plaisirs, que désignent les reins? Le
Prophète a raison d’attribuer à nos reins le plaisir que nous font éprouver les
biens temporels; c’est en effet la partie inférieure de l’homme, et comme le
siège de cette voluptueuse et charnelle génération, qui perpétue la race
humaine, et nous donne cette vie calamiteuse dont les joies sont mensongères.
Donc, ce Dieu qui sonde les coeurs et voit qu’ils sont (150) où est notre
trésor (Matt. VI, 21), qui sonde les
reins, et voit que loin de nous arrêter au sang et à la chair (Gal. I, 16), nous mettons nos délices
dans le Seigneur, ce même Dieu dirige le juste dans cette conscience même, où
il est présent, où l’oeil de l’homme ne pénètre point, mais seulement l’oeil de
celui qui connaît l’objet de nos pensées et de nos plaisirs. Car le but de nos
soucis est le plaisir, et nul dans ses soins et dans ses pensées ne se propose
que d’y parvenir. Dieu qui sonde les coeurs voit nos soucis, et il en voit le
but ou le plaisir, lui qui sonde aussi nos reins; et quand il verra que nos
soucis, loin de s’arrêter à la convoitise de la chair, à la convoitise des
yeux, ou à l’ambition mondaine, choses qui passent comme l’ombre (I Jean, II, 16, 17), s’élèvent jusqu’aux
joies éternelles que ne trouble aucune vicissitude, ce Dieu qui sonde les reins
et les coeurs conduit le juste par la voie droite, Telle oeuvre que nous
faisons, peut être connue des hommes, si elle consiste en paroles ou en actes
extérieurs; mais notre intention en la faisant, et le but qui nous pousse à la
faire, ne sont connus que de Dieu qui sonde les reins et les coeurs.
10. « J’attends un juste secours du Seigneur,
qui sauve les hommes au cœur droit (Ps.
VII, 11) ». La médecine a une double tâche, d’abord de guérir la maladie,
ensuite de conserver la santé. C’est dans le premier but qu’un malade disait
dans le psaume précédent: « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis
faible (Id. VI, 3) ». En vue du
second but, nous trouvons dans le psaume qui nous occupe: « Si l’iniquité
souille mes mains, que je tombe justement sous les efforts de mes ennemis (Id. VII, 4, 5) ». Dans le premier cas,
le malade implore sa guérison, et dans le second, l’homme en santé demande à
n’être point malade. L’un s’écrie donc: « Sauvez-moi dans votre miséricorde (Id. VII, 5) »; et l’autre: « Jugez-moi, Seigneur,
selon ma justice ». Le premier demande le remède qui le guérira, le second le
préservatif contre la maladie. Aussi le premier dit-il: Sauvez-moi, Seigneur,
dans votre miséricorde, et le second: J’attends un secours juste du Seigneur,
qui sauve l’homme au cœur droit. Dans l’un comme dans l’autre cas, c’est la
miséricorde qui nous sauve: dans le premier, en nous faisant passer de la
maladie à la santé; dans le second, en nous maintenant en santé. Il y a dans le
premier un secours de miséricorde, puisqu’il n’y a nul mérite chez le pécheur
qui désire seulement être justifié par la foi en celui qui justifie l’impie (Rom. IV, 5): dans le second, un secours
de justice, car il est accordé à celui qui est déjà justifié. Que ce pécheur
alors qui disait: Je suis infirme, dise maintenant: Sauvez-moi, Seigneur, dans
votre miséricorde; et que le juste qui pouvait dire: Si j’ai tiré vengeance de
ceux qui me rendaient le mal, dise maintenant: J’attends un juste jugement du
Seigneur qui sauve l’homme au coeur droit. Car si Dieu nous donne le remède qui
guérit notre maladie, combien plus nous donnera-t-il le moyen de conserver la
santé? Car si Jésus-Christ est mort pour nous quand nous étions pécheurs,
maintenant que nous sommes justifiés, nous serons, à plus forte raison,
délivrés par lui de la colère du Seigneur (Id.
V, 8, 9).
11. « J’attends un juste secours du Seigneur,
« qui sauve l’homme au coeur droits. Le Dieu qui sonde les reins et les coeurs,
donne aussi la droiture au juste; et par un juste secours il sauve ceux qui ont
le coeur droit. Toutefois, il ne donne pas le salut à ceux qui ont la droiture
dans le coeur et dans les reins, de la même manière qu’il sonde les reins et
les coeurs. Dans le coeur, en effet, siègent les pensées: mauvaises, quand il
est dépravé; bonnes, quand il est droit; mais aux reins appartiennent les
plaisirs condamnables qui ont quelque chose de bas et de terrestre, tandis
qu’un plaisir pur n’est plus dans les reins, mais dans le coeur. Aussi ne
peut-on pas dire: La droiture des reins, comme on dit: La droiture du coeur;
car où est la pensée, là aussi est la jouissance: cette droiture ne peut avoir
lieu que si nous pensons aux choses divines et éternelles. Aussi le Prophète
s’écriait-il: «Vous avez mis la joie dans mon coeurs, après avoir dit: « La
lumière de votre face est empreinte sur nous (Ps. IV, 7) ». Ce n’est point le coeur, en effet, mais bien les
reins qui trouvent une certaine jouissance dans cette joie folle et délirante
que nous causent de vaines imaginations, quand les fantômes des choses
temporelles, que se forme notre esprit, le bercent d’un espoir vain et
passager; tous ces fantômes nous viennent d’en bas, ou des choses terrestres et
charnelles. De là vient que Dieu, (151) sondant les coeurs et les reins, et
voyant le coeur occupé de pensées droites, les reins sevrés de toute volupté,
donne un juste secours à ce coeur droit qui sait allier à des pensées pures
d’irréprochables délices. Aussi, après avoir dit dans un autre psaume: « Jusque
dans la nuit mes reins m’ont tourment », le Prophète parlait du secours divin,
et s’écriait: « J’avais toujours le Seigneur présent devant moi, parce qu’il
est à ma droite, et je ne serai point ébranlé (Ps. XV, 7, 8) », marquant ainsi que ses reins lui ont seulement
suggéré, mais non causé la volupté, qui l’eût ébranlé, s’il l’avait ressentie.
Il dit donc: « Le Seigneur est à ma droite, et je ne serai point ébranlé »;
puis il ajoute: « Aussi mon coeur a-t-il tressailli de joie (Id. 9) ». Les reins ont bien pu le
tourmenter, mais non lui donner la joie. Ce n’est donc point dans les reins
qu’il a senti la joie, mais dans ce coeur qui lui a montré que Dieu le
soutiendrait contre les suggestions de ses reins.
12. « Dieu est un juge équitable, il est fort
et patient (Id. VII, 12) ». Quel est
ce Dieu juge, sinon le Seigneur qui juge les peuples? Il est juste, car il
rendra à chacun selon ses œuvres (Matt.
XVI, 27); il est fort, puisque nonobstant sa toute-puissance, il a enduré
pour notre salut les persécutions des méchants; il est patient, puisqu’il n’a
point livré ses bourreaux au supplice, aussitôt après sa résurrection, mais il
a différé afin qu’ils pussent détester cette impiété, et se sauver; il diffère
encore aujourd’hui, réservant le supplice éternel pour le dernier jugement, et
chaque jour appelant les pécheurs au repentir. « Il n’appelle point chaque jour
sa colère ». Cette expression: « Appeler sa colère », est plus significative
que se mettre en colère, et nous la trouvons dans la version grecque (Me orge epogon); elle nous montre que
cette colère, qui le porte au châtiment, n’est point en lui-même, mais dans les
sentiments de ses ministres qui obéissent aux lois de la vérité: ce sont eux
qui ordonnent aux ministres inférieurs, appelés anges de colère, de châtier le
péché. Ceux-ci, à leur tour, éprouvent, en châtiant les hommes, la
satisfaction, non de la justice, mais de la méchanceté. « Dieu donc n’appelle
point chaque jour sa colère »; c’est-à-dire, ne convoque point chaque jour les
ministres de ses vengeances. Maintenant, sa patience nous invite au repentir;
mais au dernier jour, quand les hommes, par leur dureté et l’impénitence de
leur coeur, se seront amassé un « trésor de colère pour le jour où se révélera
la colère et le juste jugement de Dieu (Rom.
II, 5) », alors il brandira son glaive.
13. « Si vous ne retournez à lui »,dit le
Prophète, « il brandira son glaive (Ps.
VII, 13) ». On peut dire de Jésus-Christ, qu’il est le glaive de Dieu,
glaive à deux tranchants, framée qu’il n’a point brandie à son premier
avènement, mais qu’il a tenue cachée dans le fourreau de son humilité; mais au
second avènement, quand il viendra juger les vivants et les morts, les éclairs
de cette framée brilleront de tout l’éclat de sa splendeur, pour illuminer les
justes, et jeter les impies dans l’effroi. D’autres versions, au lieu de: «
Brandira son glaive », portent: « Fera briller sa framée »: expression qui
s’applique fort bien, selon moi, à cette splendeur de Jésus-Christ, au dernier
avènement; car en parlant au nom de Jésus-Christ même, le psalmiste a dit ailleurs:
« Seigneur, délivrez mon âme des mains de l’impie, et votre glaive des ennemis
de votre puissance (Id. XVI, 13, 14)
». « Il a tendu son arc et l’a préparé ». Il ne faut point négliger ce
changement de temps dans les verbes: il est dit au futur que Dieu brandira son
épée»; et au passé, qu’il a tendu son arc », et le discours continue au passé.
14. « Il a mis en lui l’instrument de la
mort: il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents (Id. VII, 14) ». Dans cet arc, je verrais volontiers les saintes
Ecritures, où la force du Nouveau Testament, pareille à un nerf, a fait fléchir
et a dompté la raideur de l’Ancien. Cet arc a lancé comme des flèches; les
Apôtres ou les saints prédicateurs. Ces flèches que Dieu a fabriquées avec le
charbon ardent, embrasent de l’amour divin ceux, qu’elles ont frappés. De
quelle autre flèche serait blessée l’âme qui chante ainsi: « Conduisez-moi dans
les lieux où se garde le vin, établissez-moi dans les parfums, environnez-moi
de miel, parce que l’amour m’a blessée (Cant.
II, 4, suiv. les LXX.)?» De quelle autre flèche peut être embrasé celui qui
veut revenir à Dieu, qui quitte le chemin de l’exil, qui implore du secours,
contre les langues menteuses, et s’entend dire: « Que vous donner? comment vous
secourir (152) contre les langues menteuses? les flèches du vainqueur sont
aiguës; ce sont des charbons ardents (Ps.
CXIX, 3,4)? » c’est-à-dire, si vous en étiez atteint, vous brûleriez d’un
tel amour du royaume de Dieu, que vous dédaigneriez tous ceux. qui vous
résisteraient, et qui tâcheraient de vous détourner de votre dessein: vous vous
ririez de leurs persécutions et vous diriez: « Qui me séparera de l’amour de
Jésus-Christ? L’affliction, les angoisses, la faim, la nudité, les périls, la
persécution ou le glaive? J’ai la certitude », poursuit l’Apôtre, « que ni la
mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni
les choses futures, ni les vertus, ni ce qu’il y a de plus haut, ni ce qu’il y
a de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l’amour
de Dieu en Jésus-Christ Notre Seigneur (Rom.
VIII, 35-39). » C’est ainsi qu’il a fabriqué ses flèches avec des charbons
ardents. Car la version grecque porte: « Ses flèches sont fabriquées au moyen
de charbons ardents », quand, presque toujours, nous lisons dans la version
latine. « Ses flèches sont ardentes »; mais que les flèches brûlent, ou
qu’elles allument le feu, ce qui leur serait impossible si elles n’étaient
brûlantes, le sens est le même.
15. Le Prophète ne parle pas seulement de
flèches que le Seigneur a préparées pour son arc, mais encore d’instruments de
mort et l’on peut se demander, si des instruments de mort ne désigneraient
point les hérétiques, car, eux aussi, s’élancent du même arc du Seigneur, ou
des saintes Ecritures, non pour enflammer les âmes, de la charité, mais pour
les tuer de leurs poisons ce qui n’arrive qu’à celles qui l’ont mérité par
leurs crimes: et cette décision est encore l’oeuvre de la divine Providence,
non qu’elle porte les hommes au péché, mais parce qu’elle dispose des pécheurs
dans l’ordre de sa sagesse. Le péché leur fait lire les Ecritures avec mauvaise
intention, et le sens dépravé qu’ils sont forcés d’y donner, devient le
châtiment du péché, et leur mort funeste devient comme un aiguillon, qui
stimule les enfants de l’Eglise catholique, les tire de l’assoupissement et
leur fait comprendre les saintes Ecritures. « Il faut, en effet, qu’il y ait
des hérésies », dit l’Apôtre, « afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous, dont
la vertu est éprouvée (I Cor. XI, 19)
»; c’est-à-dire, afin qu’on les reconnaisse parmi les hommes, car ils sont
connus de Dieu. Ces flèches, ces instruments-de mort, ne seraient-ils point
préparés pour l’extermination des infidèles, et Dieu ne les aurait-il pas
faites brûlantes, ou avec des charbons ardents, afin d’embraser les fidèles?
Car elle n’est point mensongère, cette parole de l’Apôtre.: « Aux uns nous
sommes une odeur de vie pour la vie, et aux autres une s odeur de mort pour la
mort; et qui est propre à ce ministère (II
Cor. II, 16)? » Il n’est donc pas étonnant que les mêmes Apôtres soient des
instruments de mort pour ceux qui les ont persécutés, et des flèches de feu
pour embraser les coeurs de ceux qui ont cru.
16. Après en avoir agi de la sorte, Dieu fera
voir l’équité de ce jugement, dont le Prophète nous parle de manière à nous
faire comprendre que le supplice de chacun sera dans son péché, et le châtiment
dans son injustice même; et à nous prémunir contre cette pensée qu’il y aurait
dans ce calme profond de Dieu, dans sa lumière ineffable, un désir de punir les
crimes: toutefois il les dispose avec tant de sagesse, que cette joie même que
goûtait l’homme dans son péché, devient un instrument de vengeance pour le
Seigneur qui châtie. Voilà, dit le Prophète, « qu’il a enfanté l’injustice (Ps. VII, 15)». Mais qu’avait-il conçu
pour enfanter ainsi l’injustice? « Il avait conçu le travail (Gen. III, 17) », ce travail dont il est
écrit: « Tu mangeras ton pain dans le labeur »; et ailleurs: « Venez à moi,
vous tous qui travaillez, et qui êtes chargés; mon joug est doux, et mon
fardeau léger (Matt. XI, 28, 30)».
Car le labeur pénible ne finira point pour l’homme, tant qu’il n’aimera point
ce qu’on ne pourra lui enlever malgré lui. En effet, tant que nous aimons ce
qui peut nous échapper malgré notre volonté, nous subirons le travail et la
peine: étroitement resserrés dans les difficultés de cette vie où chacun, pour
posséder ces biens, s’efforce tantôt d’en prévenir un autre, tantôt de les
extorquer au possesseur, nous ne pouvons les acquérir que par d’injustes
combinaisons. Il est donc bien, il est parfaitement dans l’ordre que l’homme
enfante l’injustice après avoir conçu le travail. Que peut-il enfanter, sinon
ce qu’il a porté dans son sein, bien qu’il n’enfante (153) pas ce qu’il a
conçu? Car le sujet à la naissance n’est plus celui de la conception: concevoir
se dit d’un germe, mais c’est l’être que ce germe a formé, qui arrive à la
naissance. Le travail est donc le germe de l’iniquité; et concevoir le travail,
c’est concevoir le péché, ce premier péché qui nous sépare de Dieu (Eccli. X, 14). Il a donc porté
l’injustice, celui qui avait conçu le travail, et « il a mis au monde
l’iniquité ». Et comme l’iniquité c’est l’injustice, il a fait éclore ce qu’il
avait porté. Que dit-il ensuite?
17. « Il a ouvert une fosse, il l’a creusée (Ps. VII, 16)». Ouvrir une fosse dans les
affaires terrestres, aussi bien que dans la terre, c’est préparer un piége où
puisse tomber celui que veut tromper l’homme injuste. Le pécheur ouvre cette
fosse, quand il ouvre son âme aux suggestions des terrestres convoitises; il la
creuse, quand il y donne son adhésion et s’occupe d’ourdir la fraude. Mais
comment serait-il possible que l’iniquité blessât l’homme juste qu’elle
attaque, avant d’avoir blessé le coeur injuste qui la commet? Un voleur, par
exemple, reçoit de l’avarice une blessure, quand il cherche à endommager le
bien d’autrui. Qui serait assez aveugle pour ne pas voir la distance qui sépare
ces deux hommes, dont l’un subit la perte de son argent, l’autre de son
innocence? « Ce dernier donc tombera dans la fosse qu’il aura creusée »; comme
le psalmiste l’a dit encore ailleurs: « Le Seigneur se fait connaître dans ses
jugements, et le pécheur s’est pris lui-même dans les oeuvres de ses mains (Id. IX, 17) ».
18. « Son travail pèsera sur lui, et son
iniquité retombera sur sa tête (Jean,
XVIII, 34) ». C’est lui qui n’a pas voulu fuir le péché; mais il s’en est
rendu volontairement l’esclave, selon cette parole du Seigneur: « Tout pécheur
devient l’esclave du péché ». Son péché donc sera sur lui, puisque lui-même
s’est soumis au péché; dès lors qu’il n’a pu dire à Dieu, comme toute âme
droite et innocente: « C’est vous qui êtes ma gloire et qui élevez ma tête (Ps. III, 4) », c’est donc lui qui sera
abaissé, de manière que l’iniquité le dominera et descendra sur lui: elle sera
pour lui un poids très-lourd, et l’empêchera de prendre son essor vers le repos
des saints. Voilà ce qui arrive chez le pécheur, quand l’âme est esclave, et
que les passions dominent.
19. « Je confesserai le Seigneur selon sa
justice (Ps. III, 18) ». Cette
confession n’est point l’aveu des pécheurs; car celui qui parle ainsi disait
plus haut avec beaucoup de vérité: « Si vous trouvez l’iniquité dans mes mains
(Id. VII, 18) ». C’est donc un
témoignage rendu à la justice de Dieu; comme s’il disait: Vraiment, Seigneur,
vous êtes juste, et quand vous protégez les bons de manière à les éclairer par
vous-même, et quand, par votre sagesse, le pécheur trouve son châtiment dans sa
propre malice, et non dans votre volonté. Cette confession élève la gloire du
Seigneur bien au-dessus des blasphèmes des impies, qui veulent des excuses pour
leurs crimes, et refusent de les attribuer à leur faute, c’est-à-dire qu’ils ne
veulent point que la culpabilité soit coupable. Ils accusent de leurs péchés,
ou la fortune ou le destin, ou le démon auquel notre Créateur a voulu que nous
pussions résister, ou même une nature qui ne viendrait point de Dieu; ils
s’égarent en de misérables fluctuations, plutôt que de mériter de Dieu leur
pardon par un aveu sincère. Car il n’y a de pardon possible que pour celui qui
dit: J’ai péché. Or, celui qui comprend que Dieu, dans sa sagesse, rend à
chacune des âmes ce qu’elle a mérité, sans déroger aucunement à la beauté de
l’univers, loue Dieu dans toutes ses oeuvres; et ce témoignage ne vient pas des
pécheurs, mais des justes. Ce n’est point avouer des fautes que de dire au
Seigneur: « Je vous confesse, Seigneur du ciel et de la terre, parce que vous
avez dérobé ces mystères aux savants, pour les révéler aux petits (Matt. XI, 25)». De même, nous lisons
dans l’Ecclésiastique: « Confessez le Seigneur dans toutes sas oeuvres. Et
voici ce que vous direz dans vos confessions: Tous les ouvrages du Seigneur
proclament sa sagesse (Eccli. XXIX, 19,
20)». Donc, cette confession dont parle ici David, consiste à comprendre,
avec le secours de Dieu et une piété sincère, comment le Seigneur, qui
récompense les justes, et qui châtie les méchants, par ce double effet de sa
justice, maintient toute créature qu’il a faite et qu’il gouverne, dans une
admirable beauté, que peu d’hommes comprennent. Il s’écrie donc: « Je
confesserai le Seigneur selon sa justice », comme le ferait celui qui a compris
que le Seigneur n’a point fait les ténèbres, quoiqu’il en dispose avec sagesse.
Dieu dit en effet: « Que la (154) lumière soit faite, et la lumière fut (Gen. I, 3) »; mais il ne dit pas: Que
les ténèbres soient, et les ténèbres furent faites; et toutefois il les a
réglées, puisqu’il est dit « qu’il sépara la lumière des ténèbres, qu’il donna
le nom de jour à la lumière, et celui de nuit aux ténèbres (Id. 4, 5) ». Il y a donc cette
différence qu’il fit l’un et le régla; et qu’il ne fit pas l’autre, bien qu’il
la réglât néanmoins. Que les ténèbres figurent le péché, c’est ce que nous
apprend ce mot d’un Prophète: « Et vos ténèbres seront pour vous le soleil (Isa. LVIII, 10) »; et cette parole de
saint Jean: « Celui-là est dans les ténèbres qui a de la haine contre son frère
(I Jean, II, 11). »; et surtout
celle-ci de saint Paul: « Dépouillons-nous des oeuvres ténébreuses, pour
revêtir les armes de la lumière (Rom.
XIII, 12) ». Ce n’est pas qu’il y ait une nature ténébreuse; car toute
nature existe nécessairement comme nature. Mais exister, c’est le propre de la
lumière, tandis que ne pas exister, est le propre des ténèbres. Donc,
abandonner celui qui nous a créés pour nous incliner vers ce néant d’où nous
avons été tirés, c’est nous couvrir des ténèbres du péché; ce n’est point périr
tout à fait, mais descendre au dernier rang. Aussi, quand le Prophète a dit: «
Je confesserai devant le Seigneur » a-t-il soin d’ajouter, pour ne point nous
laisser croire à un aveu de ses fautes: « Et je chanterai le nom du Seigneur
Très-Haut (Ps. VII, 18) ». Or,
chanter est le propre de la joie, tandis que le repentir de nos fautes accuse
la douleur.
20. On pourrait appliquer ce psaume à la
personne de l’Homme-Dieu, en rapportant à notre nature infirme, qu’il avait
daigné revêtir, tout ce qui est dit à notre confusion.
La grappe de raisin contient
le vin et le marc: le marc formé des enveloppes a été nécessaire pour amener le
vin à maturité; le pressoir le sépare de cette enveloppe protectrice. Telle est
l’oeuvre de l’Eglise qui nourrit les petits du lait de la doctrine jusqu’à ce
qu’ils deviennent adultes et prennent la solide nourriture des parfaits.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, SUR LES PRESSOIRS.
1. La teneur du psaume ne nous laisse rien
voir à propos de ces pressoirs qui lui servent de titre, ce qui nous montrerait
que souvent l’Ecriture nous désigne le même objet sous des figures multiples et
variées. Nous pouvons donc, sous la dénomination de pressoirs, entendre
l’Eglise, par la même raison qui nous l’a fait voir sous la figure d’une aire;
car l’aire ou le pressoir, n’ont d’autre objet que d’ôter au blé ou au raisin
ces enveloppes dont ils avaient besoin pour naître, pour croître et pour
arriver à la maturité de la moisson ou de la vendange. Ces enveloppes ou ces
soutiens sont, pour le blé, la paille dont il est dépouillé dans l’aire, et
pour le vin, les grappes dont on l’extrait au pressoir. Il en est de même dans
l’Eglise. Les bons y sont mêlés à la foule des hommes terrestres, mélange qui
leur est nécessaire, et sans lequel ils ne pourraient naître, ni devenir aptes
à la parole de Dieu; et les ministres de l’Eglise travaillent à les séparer de
cette foule au moyen d’un amour spirituel. Ainsi en agissent aujourd’hui les
bons qui mettent l’intervalle, non des lieux, mais de l’amour, entre eux et les
méchants, bien que, selon le corps, ils soient présents avec eux dans les mêmes
églises. Un autre temps viendra où le froment sera séparé pour les greniers et
le vin pour les celliers du Père céleste, selon le mot de l’Evangile: « Il amassera
le froment pour ses greniers, et jettera (155) la paille au feu inextinguible (Luc III, 17) ». La même pensée peut s’exprimer par cette autre
comparaison: Il mettra son vin en réserve dans ses celliers et jettera le marc
aux animaux; et le ventre des animaux pourrait être comparé aux gouffres de
l’enfer.
2. On peut encore entendre les pressoirs
d’une autre manière, mais en les regardant toujours comme figure de l’Eglise.
Le Verbe divin aurait pour emblème Je raisin; car on voit dans cette grappe
suspendue au bois, que les émissaires d’Israël rapportaient de la terre promise
(Nomb. XIII, 24), une figure de Jésus
crucifié. Alors, quand le Verbe divin a besoin d’emprunter le son de la voix
pour arriver à l’oreille des auditeurs, l’intelligence de ce Verbe est au son
de la voix, comme le vin doux est au marc qui le contient; et cette grappe
sacrée arrive à nos oreilles comme sous la violence des pressoirs. C’est là
qu’elle se déchire; et le son de la voix est pour les oreilles, tandis que le
sens arrive dans la mémoire des auditeurs comme dans un réservoir, pour se
déverser ensuite dans la règle des moeurs et dans les mouvements de notre âme,
comme le vin coule de la cuve dans les celliers, où il prendra sa force en
vieillissant, si la négligence ne le laisse pas aigrir. Car il s’est aigri chez
les Juifs, qui ont abreuvé le Seigneur de ce vinaigre(Jean, XIX, 29). Au contraire, il aura de la douceur et de la force,
le produit de cette vigne mystérieuse du Nouveau Testament que le Seigneur doit
boire avec ses élus dans le royaume de son Père (Luc, XXII, 18).
3. Souvent encore, le nom de pressoir désigne
le martyre; car après avoir passé sous le pressoir de la persécution, les
restes mortels de ceux qui ont donné leur vie pour Jésus-Christ sont jetés sur
la terre comme le marc, tandis que les âmes ont pris leur essor pour le repos
de l’éternel séjour. Mais ce sens figuratif ne s’éloigne point des fruits que
produit l’Eglise. Le nom de pressoir donné à ce psaume nous reporte donc à
l’établissement de l’Eglise, alors que le Seigneur ressuscitait pour monter au
ciel. Ce fut alors qu’il envoya l’Esprit-Saint; et les disciples qui en étaient
remplis, prêchèrent avec confiance la parole de Dieu, et formèrent des Eglises.
4. C’est pourquoi il est dit avec raison:
«Seigneur, notre Dieu, que votre nom est grand par toute la terre (Ps. VIII, 2) ! » Mais comment ce nom
est-il grand dans l’univers entier? et le Prophète répond: « C’est que votre
magnificence est élevée au-dessus des cieux (Ibid.)». Le sens serait alors: Seigneur, qui êtes notre Dieu, dans
quelle admiration vous jetez les habitants de la terre! puisque, de votre
abaissement en ce monde, vous avez fait éclater votre gloire par-dessus les
cieux: pour ceux en effet qui vous voyaient monter au ciel, et pour ceux qui y
croyaient, cette ascension montrait avec quelle puissance vous en étiez
descendu.
5. C’est de la bouche des enfants nouveau-nés
et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite, à l’encontre de vos
ennemis (Id. 3)». Par ces enfants nouveau-nés
et à la mamelle, nous ne pouvons entendre que ceux dont l’Apôtre a dit: « Comme
à des enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait et non des viandes
solides (I Cor. III, 2) ». Ils
étaient figurés par ces autres enfants qui précédaient Jésus-Christ en chantant
ses louanges, et en faveur desquels Jésus cita ce passage dans sa réponse aux
Juifs qui le pressaient de leur imposer silence: « N’avez-vous donc point lu
cette parole, dit le Sauveur: C’est de la bouche des enfants nouveau nés et à la
mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite (Matt. XXI, 16)? » Il a raison de ne point dire seulement: « Vous
avez tiré votre louange »; mais, « une louange parfaite ». Car il y a des
fidèles dans l’Eglise, qui ont quitté le lait pour une nourriture plus solide,
et c’est d’eux que parle saint Paul quand il dit: « Nous prêchons aux parfaits
la sagesse divine (Cor. II, 6) » mais
ils ne sont pas seuls pour former l’Eglise, car s’ils étaient seuls, Dieu
abandonnerait la faiblesse humaine. Or, c’est par égard pour cette faiblesse,
qu’il veut donner pour nourriture, à ceux qui sont incapables de comprendre les
choses spirituelles et éternelles, la foi historique de tout ce qui s’est
accompli dans le temps, depuis les Patriarches et les Prophètes, par celui qui
est l’incomparable puissance et la sagesse de Dieu, et particulièrement dans le
mystère de l’Incarnation. Quiconque y adhère par la foi y trouve le salut,
lorsque, entraîné par cette autorité, il se soumet aux préceptes qui le
purifient, s’enracine solidement la charité, devient capable de (156) courir
avec les saints, non plus comme l’enfant qui a besoin de lait, mais comme le
jeune homme qui prend une nourriture solide, et peut comprendre la largeur, la
longueur, la hauteur et la profondeur, connaître même l’amour de Jésus-Christ
pour nous, qui surpasse toute connaissance (Eph.
III, 18, 19).
6. « C’est de la bouche des enfants
nouveau-nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite, à cause
de vos ennemis ». Par ennemis de ce qu’a fait Jésus, et Jésus crucifié, nous
devons entendre en général, tous ceux qui défendent de croire à l’inconnu, et
qui nous promettent une connaissance claire. Telle est la conduite des
hérétiques et de ceux que leurs superstitions idolâtres ont fait appeler philosophes:
non qu’il soit mauvais de promettre la science, mais ils veulent écarter la foi
qui est l’échelle salutaire et indispensable pour nous élever à une certitude
dont l’objet ne peut être que les choses éternelles. Cette négligence d’un
moyen si utile et si nécessaire nous prouve à elle seule, qu’ils n’ont point
cette science promise au mépris de la foi. « C’est donc de la bouche des
enfants nouveau-nés et à la mamelle, Seigneur, que vous avez tiré une louange
parfaite », en nous disant par votre Prophète: « Si vous ne croyez, vous ne
comprendrez point (Isa. VII, 9, suiv. les
LXX.) », et en nous disant vous-même: « Bienheureux ceux qui n’ont point vu
et qui l’ont cru (Jean, XX, 29). A
cause de vos ennemis », de ces mêmes hommes à l’occasion desquels vous avez
dit: « Je vous rends grâces, Dieu du ciel et de la terre, qui avez dérobé ces
mystères aux sages, pour les révéler aux petits (Matt. XI, 25) ». Le Seigneur les appelle sages, non qu’ils le
soient en effet, niais parce qu’ils croient l’être. « Afin de détruire l’ennemi
et le défenseur (Ps. VIII, 3) ». Quel
ennemi, sinon l’hérétique, à la fois ennemi et défenseur de la foi chrétienne,
qu’il attaque, et que néanmoins il paraît défendre? On pourrait encore appeler
ennemis et défenseurs, les philosophes du siècle: carie Fils de Dieu est la
force et la sagesse de Dieu, qui éclaire tous ceux que la vérité a rendus
sages. Or, ces philosophes, ainsi nommés parce qu’ils font profession d’aimer
la sagesse, paraissent la défendre, bien qu’ils en soient les ennemis,
puisqu’ils ne cessent de prêcher des superstitions dangereuses, et de porter
les hommes au culte des éléments de ce monde.
7. « Pour moi, je considère vos cieux,
l’ouvrage de vos doigts (Ps. VIII, 4)
». Nous lisons que Dieu écrivit la loi de son doigt, pour la donner à Moïse,
son saint et fidèle serviteur (Exod.
XXXI, 18), et dans ce doigt de Dieu. beaucoup d’interprètes voient
l’Esprit-Saint. Si donc par les doigts de Dieu, nous pouvons entendre aussi les
ministres remplis de 1’Euprit-Saint, parce que c’est lui qui agit en eux: comme
ce sont eux qui nous ont préparé toutes les divines Ecritures, il nous est
permis aussi d’entendre par les cieux les livres de l’un et de l’autre
Testament. Il est dit aussi de Moïse, que les mages de Pharaon, voyant qu’il les
surpassait, s’écrièrent: « Celui-ci est le doigt de Dieu (Id. VIII, 19)». Quoique cette expression d’Isaïe: « Le ciel sera
replié comme un livre (Isa. XXXIV, 4)
», s’applique au ciel éthéré, on peut très-bien l’entendre encore dans le sens
allégorique des livres de l’Ecriture. « Pour moi donc, je considère les cieux
qui sont l’ouvrage de vos mains », c’est-à-dire, je lirai, je comprendrai ces
Ecritures, que vous avez écrites par vos ministres, que dirigeaient
l’Esprit-Saint.
8. On peut donc aussi voir les livres saints,
dans ces cieux dont il disait auparavant: « Votre magnificence est élevée
au-dessus des cieux », ce qui signifiait: Parce que votre magnificence est plus
élevée que les cieux, et qu’elle surpasse toutes les paroles des Ecritures;
voilà que vous avez tiré de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle,
la louange la plus parfaite, en contraignant à commencer par croire aux saintes
Ecritures, ceux qui désirent arriver à la connaissance de votre grandeur; et
cette grandeur est bien au-dessus des Ecritures, puisqu’elle surpasse tous les
efforts et toutes les expressions du langage. Dieu donc a voulu abaisser les
Ecritures jusqu’au niveau des enfants nouveau-nés et à la mamelle, comme l’a
dit un autre psaume: «Il a abaissé les cieux et il est descendu (Ps. XVII, 19) »: et il l’a fait à cause
de ses ennemis, qui détestent la croix de Jésus-Christ, et dont les discours
orgueilleux ne peuvent même, en disant la vérité, devenir utiles aux enfants
nouveau-nés et à la mamelle. C’est ainsi qu’est détruit l’ennemi et le
défenseur, qui veut défendre tantôt la sagesse, tantôt le nom du Christ, et qui
(157) attaque néanmoins la vérité dont il garantit la prompte intelligence,
puisqu’il ruine la foi qui en est la base. On peut le convaincre encore de ne posséder
point la vérité, puisqu’en ruinant la foi qui est l’échelle pour y arriver, il
prouve qu’il en ignore le chemin. Si donc on veut détruire ce téméraire, cet
aveugle prometteur de la vérité, qui en est à la fois l’ennemi et le défenseur,
il faut regarder les cieux, l’ouvrage des doigts de Dieu, c’est-à-dire
comprendre les saintes Ecritures qui s’abaissent jusqu’à cette lenteur des
enfants qu’elles nourrissent d’abord par l’humble croyance des faits
historiques accomplis pour notre salut, qu’elles fortifient ensuite jusqu’à les
élever à la sublime intelligence des vérités éternelles. Ces cieux donc, ou les
livres saints, sont l’ouvrage des doigts de Dieu, puisqu’ils sont écrits par le
Saint-Esprit qui animait les saints et agissait en eux. Pour ceux qui ont
cherché leur gloire plutôt que le salut des hommes, ils ont parlé sans
l’Esprit-Saint, en qui sont les entrailles de la divine miséricorde.
9. « Je verrai donc les cieux, l’ouvrage de
vos doigts, la lune et les étoiles que vous avez établies (Ps. VIII, 4). C’est dans le ciel que sont établies la lune et les
étoiles; parce que l’Eglise universelle, souvent désignée par la lune, et les
églises particulières, que désignerait, selon moi, la dénomination d’étoiles,
sont basées sur les saintes Ecritures, que nous avons reconnues dans la
dénomination des cieux. Dans un autre psaume, nous verrons plus à propos
comment le nom de lune convient à l’Eglise, en expliquant cette parole: « Les
pécheurs ont bandé leur arc pour percer, dans l’obscurité de la lune, les hommes
au coeur droit (Id. X, 3) ».
10. « Qu’est-ce que l’homme pour que vous
vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme pour que vous le visitiez (Id. VIII, 5)? » On peut se demander
quelle est la différence entre l’homme et le fils de l’homme; car s’il n’y en
avait aucune, le Prophète n’aurait pas dit avec la disjonctive: « L’homme ou le
fils de l’homme ». Si le Prophète avait dit: « Qu’est-ce que l’homme pour que
vous vous souveniez de lui, et le fils de l’homme pour que vous le visitiez? il
semblerait faire une répétition du mot homme ». Mais en disant: «L’homme, ou le
fils de l’homme », il montre qu’il met entre ces deux expressions une
différence. Retenons bien d’abord que tout fils de l’homme est un homme, bien
que tout homme ne soit point fils de l’homme; car Adam est un homme sans être
fils de l’homme, Il est donc bien de remarquer ici quelle est la différence
entre l’homme et le fils de l’homme: et alors ceux qui portent l’image de
l’homme terrestre qui n’est point fils de l’homme, sont désignés par le nom
d’hommes, tandis que l’on appellerait fils de l’homme, ceux qui portent l’image
de l’homme céleste (I Cor. XV, 49).
L’homme terrestre, c’est le vieil homme, tandis qu’on appelle homme nouveau (Eph. IV, 22) l’homme céleste. Mais
l’homme nouveau provient du vieil homme, puisque la régénération spirituelle ne
s’opère que par le changement de notre vie terrestre et mondaine; et c’est ce
qui le fait appeler fils de l’homme. Ici donc l’homme est terrestre, le fils de
l’homme est céleste; le premier est loin de Dieu, tandis que l’autre est devant
lui; alors il se souvient de l’un qui est à une longue distance, et il visite
l’autre en l’éclairant à la lumière de sa face. Car « le salut est loin des
pécheurs (Ps. 118, 155), et sur nous,
ô Dieu, est empreinte la lumière de votre face (Id. IV, 7) ». Ainsi encore, dans un autre psaume, le Prophète
associe les hommes aux animaux, dit que Dieu les sauve avec les bêtes de somme,
non sans doute en leur communiquant sa lumière intérieure, mais par une
extension de sa miséricorde qui descend avec bonté jusqu’aux dernières
créatures: car Dieu sauve les hommes charnels comme il sauve les animaux; mais
il sépare les fils des hommes, de ces hommes qu’il associait aux animaux; il
les proclame, bienheureux d’une manière plus relevée, et par l’effet de la
vérité qui les éclaire, et de la source de vie qui se répand en eux. «
Seigneur», dit-il, «vous sauverez les hommes et les animaux, selon que vous
multipliez votre bienveillance, ô Dieu. Mais les enfants des hommes espéreront à
l’ombre de vos ailes, ils seront enivrés de l’abondance des biens de votre
maison, vous les abreuverez au torrent de vos délices. Car c’est en vous qu’est
la source de la vie, et dans votre lumière nous verrons la lumière. Etendez
votre miséricorde à ceux qui vous connaissent (Id. XXXV, 7-11). Ainsi, le Seigneur dans sa bonté se souvient (158)
de l’homme, comme il se souvient des animaux, car cette bonté s’étend jusqu’à
ceux qui sont éloignés de lui; mais il visite le fils de l’homme quand il étend
sur lui sa miséricorde pour le couvrir comme de ses ailes, quand il l’éclaire à
la splendeur de sa propre lumière, l’abreuve de ses délices, l’enivre de
l’abondance de sa maison, et lui fait oublier les misères et les égarements de
sa vie passée. C’est ce fils de l’homme, ou cet homme nouveau, qu’enfante avec
douleur et gémissement la pénitence du vieil homme. Cet homme, quoique nouveau,
s’appelle néanmoins charnel, tant qu’il est nourri de lait: « Je n’ai pu», dit
l’Apôtre, « vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à
des hommes charnels ». Et pour leur montrer qu’ils sont régénérés en
Jésus-Christ, il ajoute: « Je vous ai traités comme de petits enfants en
Jésus-Christ, vous donnant du lait, non une nourriture solide (I Cor. III, 1-3) ». Pour cet homme
nouveau, retombé dans sa première vie, ce qui arrive souvent, c’est qu’il
encourt le reproche d’être homme: « N’êtes-vous pas des hommes», dit saint
Paul, « et ne marchez-vous pas tout à fait comme des hommes (Id. 3)?»
11.Le fils de l’homme a donc été visité tout
d’abord dans la personne de cet Homme-Dieu, né de la vierge Marie. L’infirmité
de cette chair, que daigna porter la Sagesse divine, et les ignominies de la
passion, ont fait dire au Prophète: « Vous l’avez rendu quelque peu inférieur aux
anges (Ps. VIII, 6)». Puis il se hâte
de marquer la gloire de sa résurrection et de son ascension: « Vous l’avez
couronné de gloire et d’honneur, en l’établissant sur toutes les oeuvres de vos
mains (Id. 7) ». Comme les anges sont
aussi l’oeuvre des mains de Dieu, nous croyons que le Fils unique de Dieu est
au-dessus des anges, comme nous croyons qu’il n été quelque peu inférieur aux
anges, dans les ignominies de sa naissance temporelle et de sa passion.
l2. « Vous avez mis tout à ses pieds (Id. 8) ». Tout, dit le Prophète, sans
exception; et afin qu’on ne pût entendre ces paroles dans un autre sens,
l’Apôtre veut que la foi les accepte ainsi, quand il dit: « Excepté celui-là
seul qui lui a tout assujetti (I Cor. XV,
27). Il s’appuie, dans l’Epître aux Hébreux, sur le témoignage de ce
Psaume, quand il nous ordonne de croire que tout est soumis à Jésus-Christ (Héb. II, 8), sans aucune exception.
Toutefois le Prophète ne paraît pas beaucoup ajouter, quand il énumère « toutes
les brebis, les boeufs, et même les bêtes sauvages; les oiseaux du ciel, les
poissons de la mer qui se promènent dans ses sentiers (Ps. VIII, 9) ». Il paraît négliger les Vertus, les Puissances, et
toutes les armées angéliques, négliger même les hommes, pour soumettre à
Jésus-Christ les animaux: à moins que par les boeufs et les brebis, nous
n’entendions les âmes saintes, qui produisent les fruits de l’innocence, ou qui
travaillent à rendre la terre fertile, c’est-à-dire à obtenir des hommes
terrestres une régénération dans les biens spirituels. Par ces âmes saintes,
nous devons donc entendre non seulement les hommes, mais aussi les anges, si
nous vouIons conclure de ce verset que tout est soumis à Jésus-Christ Notre
Seigneur. Car il n’y aura plus rien qui ne lui soit soumis, si les princes
d’entre les esprits, pour ainsi parler, lui sont assujettis. Mais comment
prouver que par brebis, on peut entendre les plus élevés en sainteté, non
seulement des hommes, mais encore des créatures angéliques? Est-ce par ce que
le Sauveur nous dit qu’il a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les
montagnes, ou dans les hauteurs des cieux, afin de descendre pour une seule (Matt. XVIII, 12; Luc, XV, 4)?Par cette
brebis tombée, si nous entendons la nature humaine déchue en Adam, parce que
Eve avait été tirée de son côté (Gen. II,
22), ce qu’il n’est pas temps d’examiner ici pour le traiter d’une manière
spirituelle, il ne reste plus pour les quatre-vingt-dix-neuf brebis, que des
natures angéliques et non des âmes humaines. Quant aux boeufs, il est facile de
les entendre des anges car si l’Ecriture désigne les hommes quand elle dit: «
Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le grain (Deut. XXV, 4) », c’est que les hommes,
en portant la parole de Dieu, sont des messagers comme les anges (Saint Augustin joue sur le mot Angelus,
messager; d’où evangelizare, porter la parle.): combien nous sera-t-il plus
facile de désigner sous la figure des boeufs, les anges eux-mêmes, ces
messagers de la vérité, puisque les évangélistes qui partagent leur nom, sont
désignés par les boeufs (I Cor. IX, 9;
I Tim. V, 8)? Donc, « vous lui avez
assujetti toutes les brebis et tous les boeufs », c’est-à-dire toutes les
créatures spirituelles; et par là, (159) nous comprenons aussi tous les hommes
qui vivent saintement dans l’Eglise ou sous les pressoirs, et qui sont désignés
maintenant sous la figure de la lune et des étoiles.
13. « Et même les animaux des champs ». Et
même, n’est point inutile ici. D’abord, parce que ces troupeaux des champs
peuvent s’entendre des brebis et des boeufs; car si les chèvres sont les
animaux des rochers et des lieux escarpés, les brebis et les boeufs seront
les animaux des campagnes. Donc, après avoir
énuméré « les brebis, les boeufs, et les animaux des champs », on peut fort
bien se demander quels sont ces animaux des champs, -puisque l’on peut désigner
ainsi les brebis et les boeufs. Mais l’expression, « et même, insuper », nous force à y trouver je ne
sais quelle différence; et cette expression, « et même », embrasse non
seulement les animaux des champs, mais les oiseaux du ciel, les poissons de la
mer, qui parcourent les sentiers de l’abîme. Quelle est donc cette différence?
Rappelons-nous les pressoirs, où le vin est mêlé au marc, et l’aire qui
contient la paille et le froment (Marc,
III, 12), et les filets qui renferment de bons et de mauvais poissons (Matt. XIII, 47), et l’arche de Noé, qui
abrite des animaux purs et des animaux impurs (Gen. VII, 8); et vous verrez que l’Eglise ici-bas, jusqu’au jour du
jugement, renferme non seulement des brebis et des boeufs, c’est-à-dire de
saints laïques et de saints ministres, mais « encore des animaux des champs,
des oiseaux du ciel, des poissons de la mer, qui parcourent les sentiers de
l’abîme ». Ces animaux des champs figurent très-bien les hommes qui mettent
leur joie dans les voluptés charnelles, où ils n’ont rien d’escarpé, rien de
fatigant à gravir. On peut appeler campagne, cette voie large qui conduit à la
mort (Gen. IV, 8); Abel fut tué dans
la campagne (Ps. XXXV, 7). Aussi
devons-nous craindre qu’en descendant ces montagnes de la justice divine, dont
le Prophète a dit: « Votre justice, ô Dieu, est comme les plus hautes montagnes
», pour nous mettre à l’aise dans les facules voluptés de la chair, nous ne
soyons égorgés par le démon. Maintenant, dans ces oiseaux du ciel voyons les
orgueilleux, dont il est dit «Ils opposent leur bouche au ciel (Id. LXXII, 9).Voyons-les s’élever à des
hauteurs comme sur l’aile des vents, ceux qui disent: « Nous glorifierons notre
parole, nos lèvres sont indépendantes, qui dominera sur nous (Ps. XI, 5)? » Voyez encore dans les
poissons de la mer, ces curieux qui parcourent sans cesse les sentiers de
l’abîme, ou qui cherchent dans le gouffre du siècle les biens temporels: biens
futiles, qui doivent périr aussi promptement que les sentiers tracés sur la mer
disparaissent, quand l’eau se rejoint après avoir livré passage au vaisseau qui
fuyait, ou à tout autre nageur. Le Prophète ne dit pas seulement qu’ils
parcourent ces sentiers de l’abîme, mais qu’ils les parcourent sans cesse, perambulans, pour montrer leur
infatigable obstination à rechercher des choses futiles et peu durables. Ces
trois vices capitaux, la volupté charnelle, l’orgueil, la curiosité, renferment
tous les péchés. Saint Jean me paraît les énumérer en disant: « Gardez-vous
d’aimer le monde, car tout ce qui est dans le monde, est convoitise de la
chair, convoitise des yeux, ambition du siècle (Jean, II 15, 16) ». C’est dans les yeux que règne la curiosité. Il
est facile de voir à quoi se rapportent les autres convoitises. Telle fut aussi
la triple tentation de l’Homme-Dieu, par la nourriture, ou l’appétit de la
chair, quand le démon lui dit: « Faites que ces pierres se changent en pain (Matt. IV, 3) »; par la vaine gloire,
alors qu’il le porta sur une haute montagne pour lui montrer et lui promettre
tous les royaumes de la terre, s’il veut l’adorer; par la curiosité, quand il
lui suggéra de se précipiter du haut du temple, afin de voir si les anges le
soutiendraient. Et comme cet ennemi ne put faire prévaloir aucune de ces
suggestions, il est dit dans l’Evangile, « que Satan épuisa toute tentation (Luc, IV, 13) ». Dans le sens des
pressoirs, tout est mis sous les pieds de Jésus-Christ, non seulement le vin,
mais le marc; non seulement les brebis et les boeufs, c’est-à-dire les âmes
saintes des fidèles, soit dans le peuple chrétien, soit chez les ministres,
mais encore les animaux de la volupté, les oiseaux de l’orgueil, les poissons
de la curiosité. Or, ces sortes de pécheurs, nous en sommes témoins, sont dans
l’Eglise confondus avec les bons et les saints. Que Dieu donc agisse dans son
Eglise, qu’il sépare du marc le vin pur. Quant à nous, travaillons à devenir un
vin excellent, à compter parmi les brebis et les boeufs; mais ne figurons
jamais, ni dans le marc de raisin, ni parmi les animaux des (160) campagnes, ni
parmi les oiseaux du ciel, ni parmi ces poissons de la mer toujours parcourant
les sentiers de l’abîme. Toutefois ces animaux n’ont pas qu’une seule
signification, et pourraient s’expliquer autrement; cela dépend du lieu où ils
se trouvent, et ailleurs ils ont une autre signification. Il est de règle que,
dans les symboles, il faut examiner, d’après la pensée du texte, la
signification d’une figure. Tel est l’enseignement du Christ et des Apôtres.
Répétons donc le dernier verset, par lequel déjà le Prophète avait commencé, et
disons: « Seigneur, notre Dieu, que votre nom est admirable sur toute la terre!
» Car, après avoir exposé le texte du psaume, il est bon d’en redire le premier
verset qui en contient toute la pensée.
Ces actes secrets consistent
dans son avènement, tellement humble que les Juifs ne l’ont point connu, et
dans cette sagesse mystérieuse qui lui fait abandonner aux impies les prospérités
temporelles; piège funeste auquel ils seront, pris! tandis qu’il attire à lui
les justes en les châtiant dès ici-bas.
1. Ce psaume a pour titre: « Pour la fin,
psaume de David, pour les secrets du Fils (Ps.
IX, 1)». On peut se demander quels sont ces mystères du Fils: mais comme ce
Fils n’est point précisé, nous devons comprendre que c’est le Fils unique de
Dieu. En effet, le psaume qui porte en inscription: Pour le fils de David,
ajoute: « Quand il fuyait devant son fils Absalon (Id. III, 1) ». Nominer celui-ci, c’était ne laisser aucun doute sur
le fils dont il était question; et toutefois il n’est pas dit seulement: «
Devant la face du fils Absalon », mais bien: « De son fils ». Or, ici comme il
n’est pas dit: «Son fils », et comme d’ailleurs beaucoup de passages regardent
les Gentils, le psaume ne peut s’entendre d’Absalon; et d’ailleurs la guerre
que ce fils de perdition fit à son père, n’a aucun rapport avec les Gentils,
puisque le peuple seul d’Israël se divisa contre lui-même (II Rois, XV.). Ce psaume est donc le chant des mystères du Fils
unique de Dieu. Car le Sauveur se veut désigner lui-même, quand il dit
simplement: Le Fils, sans rien ajouter; ainsi dans ce passage: « Si le Fils
vous délivre, vous aurez la vraie liberté (Jean,
VIII, 36) », il ne dit pas: «Le Fils de Dieu », mais simplement: Le Fils,
laissant à juger de qui il est fils. Cette expression ne convient qu’à ce Fils
par excellence, que l’on peut reconnaître dans notre langage, quand même il ne
serait pas désigné plus spécialement. C’est ainsi que nous disons: Il pleut, il
lait beau, il tonne, -et autres manières de parler, sans préciser qui fait ces
choses, parce que l’auteur par excellence s’offre de lui-même à notre esprit,
sans être plus désigné. Quels sont donc les mystères du Fils? D’abord cette
expression nous fait comprendre que le Fils a des actes connus, dont on
distingue ceux que l’on appelle secrets ou mystérieux. Or, comme nous croyons à
deux avènements du Sauveur, l’un accompli et que les Juifs n’ont pas compris; l’autre
à venir, que nous attendons tous; comme le premier, ignoré des Juifs, a été
avantageux aux Gentils, on peut fort bien entendre par les mystères ou les
secrets du Fils, ce premier avènement, où l’aveuglement a frappé une pat-tic
d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise (Rom. XI, 25). Pour l’homme attentif,
l’Ecriture insinue aussi deux jugements, l’un occulte, et l’autre évident. Le
jugement occulte se fait actuellement, selon cette parole de saint Pierre: «
Voici le temps où Dieu va commencer le jugement par la maison du (161) Seigneur
(I Pierre, IV, 17) ». Ce jugement
occulte est don la peine qui stimule chaque homme à se purifier, ou l’avertit
de retourner à Dieu, ou le frappe d’un aveuglement qui le perdra. s’il méprise
la voix et les corrections du Seigneur. On appelle manifeste, ce jugement dans
lequel Jésus-Christ viendra juger les vivants et les morts, où tous
confesseront que c’est de lui que viendront et aux bons la récompense, et aux
méchants le supplice. Mais cette confession faite alors, loin de remédier au
malheur, portera la damnation à son comble. Il est probable que le Seigneur
parlait de ce double jugement, dont l’un est occulte et l’autre manifeste,
quand il disait: « Celui qui croit en moi, a passé de la mort à la vie, et ne
tombera point au jugement (Jean, V, 24)
»; c’est-à-dire au jugement visible. Car, passer de la mort à la vie, par une
de ces afflictions, dont le Seigneur châtie ceux qu’il reçoit parmi ses
enfants, c’est là le jugement occulte. « Celui qui ne croit point », disait-il
encore, « est déjà jugé (Id. III, 18)
», c’est-à-dire, que le jugement occulte de Dieu le prépare au jugement
manifeste. Le Sage nous parle aussi de ces deux sortes de jugements, quand il
dit: « Votre jugement les a livrés à la dérision comme de jeunes insensés; et
ceux que ce jugement n’a pas corrigés ont éprouvé le sévère jugement de Dieu (Sag. XII, 25, 26) ». Ils sont donc
réservés aux châtiments justes et sévères du jugement manifeste, ceux que ne
redresse point le jugement secret du Seigneur. Ce psaume alors nous entretient
des mystères du Fils, c’est-à-dire et de cet avènement dans son humilité, si
utile aux nations, quand il tenait les Juifs dans l’aveuglement, et de cette
peine dont Dieu se sert dans le secret, non pour damner les pécheurs, mais soit
pour exercer la foi de ceux qui se convertissent, soit pour déterminer les
autres à se convertir, soit afin de préparer à la damnation par l’aveuglement
ceux qui demeurent dans l’impénitence.
2. « Je vous confesserai, Seigneur, dans
toute l’étendue de mon cœur (Ps. IX, 2)
» Douter quelque peu de sa providence, ce n’est point confesser Dieu de tout
son coeur; mais comprendre, dans les mystérieux desseins de la sagesse divine,
combien se dérobe à nos regards la récompense de celui qui dit: « Nous goûtons
la joie dans les afflictions (Rom. V, 3)
»; comment toutes les peines corporelles qui nous affligent doivent aboutir à
exercer ceux qui se convertissent à Dieu, ou à porter les pécheurs à se
convertir, ou à préparer à la dernière et juste vengeance les pécheurs
endurcis; et de la sorte, rapporter au gouvernement de la divine Providence,
tous ces événements que les insensés attribuent témérairement au hasard, et
nullement à l’action divine; c’est là confesser Dieu. « Je publierai toutes vos
merveilles ». C’est publier toutes les merveilles de Dieu, que découvrir la
main de Dieu, non seulement dans ce qu’elle opère de visible sur le corps, mais
dans son action invisible et bien supérieure sur les âmes. Car les hommes
terrestres et qui jugent par les yeux, verront une plus grande merveille dans
la résurrection corporelle de Lazare, que dans la résurrection spirituelle de
Paul le persécuteur (Jean, XI, 44; Act.
IX.). Mais comme un miracle visible est pour l’âme un appel à la lumière,
et qu’un miracle invisible éclaire celle qui obéit à cet appel; c’est raconter
toutes les merveilles de Dieu, que croire aux miracles visibles, et de là
s’élever à l’intelligence des miracles invisibles.
3. « Je me réjouirai en vous, et en vous je
tressaillerai d’allégresse (Ps. IX, 3)
». Ni ce monde, ni les voluptés de la chair, ni les saveurs qui flattent le
palais et la langue, ni les odeurs suaves, ni l’harmonie des sons passagers, ni
les couleurs si variées des corps, ni les vaines louanges des hommes, ni les
épousailles et une postérité périssable, ni la surabondance des biens
temporels, ni l’étude profane de ce que renferment les espaces, ou de tout ce
qu’amène la succession des temps, rien de tout cela, Seigneur, « n’est le sujet
de ma joie; mais en vous, je tressaille d’allégresse », ou plutôt dans ces
mystères du Fils, qui a « marqué sur notre front l’empreinte de votre lumière,
ô mon Dieu (Id. IV, 7) ». Car « vous
les cacherez, dit le Prophète, dans le secret de votre face (Id. XXX, 21)». C’est donc vous qui
faites la joie et l’allégresse de ceux qui racontent vos merveilles; et il
racontera vos merveilles, celui que nous annonce le Prophète, et qui viendra
faire, non sa propre volonté, niais la volonté de son Père qui l’a envoyé (Jean, VI, 38).
4. Nous commençons donc à voir que c’est
Jésus-Christ qui parie dans ce psaume. Car le (162) verset suivant porte: « Je
chanterai votre nom, ô Très-Haut, car vous avez fait rebrousser mon ennemi en
arrière (Ps. IX, 4) ». Or, quand
l’ennemi de Jésus-Christ rebroussa-t-il en arrière, sinon quand il lui fut dit:
« Retire-toi en arrière, Satan (Matt. IV,
10)?» Car alors celui qui voulait par la tentation se mettre en avant, dut
reculer en arrière, puisqu’il échoua dans ses tentatives de séduction, et
n’obtint aucun avantage. L’homme terrestre est en arrière, mais l’homme
céleste, quoique venu le dernier, est néanmoins en avant. « Le premier homme
est terrestre, et vient de la terre, le second est céleste, et vient du ciel (I Cor. XV, 47) ». C’est de la race du premier
que venait celui qui a dit: « Celui qui vient après moi a été fait avant moi (Jean, I, 15) », et l’apôtre saint Paul,
oubliant ce qui est derrière lui, se porte à ce qui est en avant (Philip. III, 13). L’ennemi donc
rebroussa en arrière quand il échoua auprès de l’homme céleste qu’il tentait,
et il se retourna vers les hommes terrestres qu’il pouvait dominer. Nul homme,
dès lors, ne peut prendre le devant sur cet ennemi, et le fa-ire rebrousser en
arrière, si ce n’est celui qui a échangé l’image de l’homme terrestre contre
l’image de l’homme céleste (I Cor. XV,
49). Nous pouvons encore, sans absurdité, par « mon ennemi » entendre, si
nous l’aimons mieux, ou le pécheur en générai, ou l’homme idolâtre. Alors ces
paroles: « Vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière», n’exprimeront
point un châtiment, nais un bienfait, et un bienfait tel qu’on ne peut rien lui
comparer. Quoi de plus heureux que d’abjurer son orgueil, et de renoncer à
précéder le Christ, comme si nous étions en santé mais sans avoir besoin du
médecin; mais de préférer suivre le Christ qui, appelant son disciple à la
perfection, lui dit: « Suivez-moi (Matt.
XIX, 21)? » Il vaut mieux néanmoins appliquer au démon cette parole: « Vous
avez fait rebrousser mon ennemi en arrière ». Car le démon a été forcé de
reculer, même dans la persécution des justes, et il est plus avantageux pour
nous de subir ses poursuites, que de le suivre, comme s’il était pour nous un
guide et un chef, Chantons donc le nom du Très-Haut qui a fait rebrousser
l’ennemi en arrière, puisqu’il est bien mieux pour nous de fuir ses poursuites,
que de le suivre quand il veut nous conduire. Car nous avons une retraite et un
asile caché dans les mystères du Fils: « Et le Seigneur deviendra notre refuge
(Ps. LXXXIX, 1). »
5. « Ils seront abattus et anéantis en votre
présence (Ps. IX, 5) ». Qui donc
tombera pour être anéanti, sinon le pécheur et l’impie? « Il tombera », parce
qu’il n’aura plus de force; « il sera anéanti », parce qu’il cessera d’être
impie; « en votre présence », c’est-à-dire, quand il vous connaîtra, comme fut
anéanti celui qui a dit: « Je vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi (Gal. II, 20)». Mais pourquoi « l’impie
sera-t-il abattu et anéanti en votre présence? » C’est, répond le Prophète: «
Parce que vous m’avez rendu justice, et que vous vous êtes déclaré pour ma
cause (Ps. IX, 5) »; c’est-à-dire,
vous avez tourné à mon avantage et ce jugement dans lequel je parus être jugé,
et cette condamnation que les hommes prononcèrent contre moi, en dépit de ma
justice et de mon innocence. Car tout cela servit au Fils de Dieu pour notre
délivrance: ainsi le pilote appelle sien, le vent qui lui sert pour une
heureuse navigation.
6. « Vous êtes monté sur votre siége, vous
qui jugez avec équité (Id. 5) ». Tel peut
être le langage du Fils à son Père, dans le même sens qu’il disait: « Vous
n’auriez aucun pouvoir sur moi s’il ne vous était donné d’en-haut (Jean, XIX, 11) », regardant comme un
effet de l’équité de son Père et de ses propres secrets, que le juge des hommes
ait été jugé pour le salut des hommes. Peut-être est-ce l’homme qui dit à Dieu:
« Vous êtes monté sur votre trône, vous qui jugez dans l’équité »; désignant
son âme sous le nom d’un trône, et alors son corps serait la terre, appelée
escabeau des pieds du Seigneur (Isa.
LXVI.): car Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde (II Cor. V, 19). Peut-être est-ce l’âme
de l’Eglise, déjà parfaite, sans tache et sans ride (Eph. V, 27), digne des secrets du Fils, parce que le roi l’a
introduite dans sa demeure secrète (Cant.
I, 3), l’âme de l’Eglise qui dit à son Epoux: « Vous êtes monté sur « votre
trône, vous qui jugez avec justice », parce que vous êtes ressuscité d’entre
les morts, pour vous élever au ciel et vous asseoir à la droite du Père. On peut,
sans blesser les règles de la foi, donner à ces paroles, l’une ou l’autre de
ces trois interprétations.
7. « Vous avez châtié les nations, et le
(163) méchant a péri (Ps. IX, 6) ».
Il est mieux d’appliquer ces paroles à Jésus-Christ que d’en faire son langage.
Quel autre a châtié les nations pour en faire disparaître l’impie, comme il le
fit, après son-ascension? Car alors il envoya l’Esprit-Saint, dont furent
remplis les Apôtres qui prêchèrent avec confiance la parole de Dieu et
accusèrent avec liberté les péchés des hommes. Leurs réprimandes firent
disparaître l’impie, qui fut justifié et devint pieux. « Vous avez effacé son
nom pour le siècle, et « dans les siècles des siècles(Ibid.) », Le nom de l’impie a disparu, car on ne peut appeler impie
celui qui croit au vrai Dieu; son nom est donc effacé pour le siècle,
c’est-à-dire, pendant que s’écouleront les jours du siècle. « Et dans les
siècles des siècles ». Qu’est-ce que le siècle du siècle, sinon la durée dont
le siècle n’est que l’image et comme l’ombre? Car cette révolution des temps
qui se succèdent, alors que la lune croît et décroît, que le soleil revient
chaque année dans sa gloire, que le printemps, que l’été, que l’automne et que
l’hiver ne s’en vont que pour revenir encore, tout cela nous donne une certaine
image de l’éternité. Mais la durée qui subsiste dans une immuable continuité,
s’appelle siècle de ces siècles qui s’écoulent; elle est pour eux, comme le
vers que vous avez dans l’esprit à l’égard de celui que vous prononcez de la
voix. Le premier se comprend, le second s’entend, a sa mesure dans le premier,
qui est l’oeuvre de l’art et qui demeure, tandis que le second passe dans l’air
avec le son de la voix. C’est ainsi que le siècle qui passe trouve son modèle
dans le siècle immuable, que l’on appelle siècle des siècles. Celui-ci demeure
chez le divin ouvrier, il est en permanence dans la sagesse et dans la
puissance de Dieu: tandis que celui-là en mesure l’action dans chaque créature.
Peut-être encore n’est-ce qu’une répétition, et qu’après avoir dit: « Dans le
siècle», pour qu’on ne l’entendît point du siècle qui s’écoule, le Prophète
aura ajouté: « Et dans le siècle du siècle ». Car il y a dans la version
grecque: eis ton aiona, kai eis ton aiona
tou aionos. Ce que plusieurs versions latines ont exprimé, non point en
disant: « Dans le siècle, et dans le siècle du siècle»; mais bien: « Dans
l’éternité et dans le siècle des siècles». Le nom de l’impie est donc détruit
pour l’éternité, c’est-à-dire, que jamais à l’avenir il n’y aura plus d’impies;
et si leur nom ne peut subsister dans ce siècle, il ne tiendra point dans le
siècle des siècles.
8. « Les framées de l’ennemi ont fait défaut
jusqu’à la fin (Ps. IX, 7). ». Ici,
l’ennemi est au singulier, et non au pluriel. Or, cet ennemi, dont les armes
ont fait défaut, quel est-il, sinon le démon, dont les armes sont les mille
formes de l’erreur, qu’il emploie comme des glaives pour tuer les âmes? Mais à
l’encontre de ces glaives, et pour les anéantir, il y a le glaive du Seigneur,
dont il est dit au psaume septième: « il brandira son glaive, si vous ne
retournez à lui ». C’est lui peut-être qui est le terme où doit échouer la
force des glaives ennemis, qui doivent prévaloir jusqu’à lui. Aujourd’hui, il
travaille en secret, mais au dernier jugement, il resplendira de tout son
éclat. C’est lui encore qui détruit les cités; car, après avoir dit que la
puissance doit être en défaut, le Prophète ajoute: « Et vous avez détruit leurs
cités». Une âme devient la ville de Satan, quand les conseils artificieux et
mensongers lui établissent en quelque sorte une cour, qui se fait obéir par ses
membres chacun dans son usage, comme par autant de satellites et de ministres;
les yeux servent la curiosité, les oreilles ses instincts licencieux, et elles
recueillent tout propos qui porte à la débauche, les mains exercent la rapine
et toute violence criminelle, et les autres membres soumis à une semblable
tyrannie, travaillent dans ces desseins pervers. La populace de cette ville
consisterait dans ces appétits sensuels et ces mouvements tumultueux de l’âme,
qui soulèvent journellement dans l’homme des conflits séditieux. Il y a donc
une cité partout où vous trouverez un roi, une cour, des ministres et un
peuple. Et dans les villes déréglées nous ne verrions point tant de maux,-
s’ils n’existaient d’abord dans chacun des citoyens, qui sont pour les cités
des germes et des éléments. Ces cités donc, Jésus-Christ les détruit quand il
en chasse le prince, ainsi qu’il est dit: « Le prince de ce siècle a été chassé
dehors (Jean, XII, 31) »: la parole
de la vérité porte le ravage dans ces royaumes, y étouffe les pernicieux
desseins, y réprime les affections honteuses, y réduit en servitude l’action
des membres et des sens, qui doivent servir à l’oeuvre de la justice et du
bien; et ainsi s’accomplit cette parole de l’Apôtre: (164) « Que le péché ne
règne plus dans notre corps mortel (Rom.
VI, 12) », et le reste du passage. Alors l’âme apaisée se trouve en état
d’acquérir le repos et le bonheur éternel. « Leur mémoire a péri avec fracas (Ps. IX, 7)»,c’est-à-dire, la mémoire des
impies. « Avec fracas », l’impiété ne se détruit pas sans bruit. Car nul homme
n’arrive au calme du silence, à la paix profonde, s’il n’a d’abord fait à ses
vices une guerre bruyante. Ou bien, « avec fracas», signifierait que la mémoire
de l’impie périt avec ce fracas que fait ordinairement l’impiété.
9. « Tandis que le Seigneur demeure
éternellement (Id. IX, 8). A quoi bon
dès lors ces frémissements des nations et ces vaines machinations des peuples
contre le Seigneur et contre son Christ (Id.
II, 1, 2) », puisque le Seigneur demeure éternellement? « Il a préparé son
«trône pour le jugement, et il jugera l’univers dans l’équité Id. IX, 9) ». C’est quand il a été jugé
qu’il a préparé son trône. La patience qu’il a montrée nous méritait le ciel,
et ce Dieu caché dans l’homme, stimulait notre foi. C’est là le jugement
occulte du Fils. Mais parce qu’il doit venir d’une manière visible et dans sa
gloire pour juger les vivants et les morts, il s’est préparé un trône par un
jugement caché. « Et il jugera ouvertement le monde « selon la justice »,
c’est-à-dire qu’il rendra à chacun selon son mérite, en plaçant les agneaux à
sa droite et les boucs à sa gauche (Matt.
XXV, 33). « Il jugera les peuples dans la justice », c’est la répétition de
ce qui vient d’être dit, « qu’il jugera l’univers dans l’équité ». Dieu donc ne
jugera point à la manière des hommes qui ne voient point le coeur, et qui en
viennent plus souvent à renvoyer les coupables qu’à les condamner; mais il jugera
dans l’équité, selon la justice, selon le témoignage de la conscience, et selon
que leurs pensées les accuseront ou les défendront (Rom. II, 15).
10. « Et le Seigneur est devenu le refuge du
pauvre (Ps. IX, 10) ». Quelles que soient
les poursuites de cet ennemi qui a dû rebrousser eu arrière, comment nuirait-il
à ceux qui trouvent un asile dans le Seigneur? Il sera leur refuge, si dans ce
monde, dont Satan est le prince, ils choisissent la pauvreté, ne s’attachant à
rien de ce qui échappe à notre avidité pendant cette vie, ou que nous
abandonnons à la mort. C’est à ces pauvres que le Seigneur sert de refuge. « Il
est leur appui dans les jours de bonheur, dans la tribulation (Ps. IX, 10) ». C’est lui qui fait le
pauvre, puisqu’il chante celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants (Héb. XII, 6). Car le Prophète nous
explique « l’appui dans les jours de bonheur », quand il ajoute:
« Dans la tribulation ». L’âme, en effet, ne
se tourne vers Dieu, qu’en répudiant le monde, alors que la fatigue et la
douleur viennent se mêler à ses plaisirs si frivoles, si dangereux et si
funestes.
11. « Qu’ils espèrent en vous ceux qui
connaissent votre nom (Ps. IX, 11) »,
en cessant de mettre leur espoir dans les richesses, et dans les autres charmes
de ce monde. L’âme qui se détache du monde, et qui cherche en qui mettre son
espérance, se réfugie avec bonheur dans la connaissance du nom même de Dieu. A
la vérité, ce nom se trouve aujourd’hui dans toutes les bouches; mais le
connaître, c’est connaître aussi Celui dont il est le nom. Car un nom n’est pas
tel par lui-même, il n’a de valeur que dans sa signification. Or, il est dit: «
Le Seigneur est son nom (Jér. XXXIII, 2)
». Connaître son nom, c’est donc se mettre avec plaisir à son service. « Et
qu’ils espèrent en vous, ceux qui connaissent votre nom ». Le Seigneur dit
encore à Moïse « Je suis celui qui suis (Exod.
III, 14), et tu diras aux enfants d’Israël: Celui qui est, m’a envoyé. Que
ceux-là donc, Seigneur, espèrent en vous qui connaissent votre nom », de peur
qu’ils ne mettent leur espoir dans les biens qui passent avec la rapidité du
temps, qui n’ont rien que le futur et le passé. A peine ce qu’ils ont de futur
est-il arrivé, qu’il est déjà passé. On l’atteint avec empressement, on le perd
avec douleur. Mais dans la nature divine, il n’y a rien de futur qui ne soit
point encore, rien de passé qui ne soit plus; être, c’est là tout ce qu’elle
est, c’est l’éternité. Qu’ils cessent donc de mettre leur espoir et leur amour
dans les biens du temps, qu’ils élèvent leur espérance jusqu’à l’éternité, ceux
qui connaissent le nom de celui qui a dit: « Je suis celui qui suis », et dont
il est écrit: « Celui qui est, m’a envoyé. Parce que vous n’abandonnerez pas,
Seigneur, ceux qui vous cherchent ». Le chercher, c’est ne plus chercher des
biens passagers et périssables, puisque « nul ne peut servir deux maîtres (Matt. VI, 21) ». (165)
12. « Chantez au Seigneur qui habite en Sion
(Ps. IX, 12) », est-il dit à ceux qui
cherchent le Seigneur, et qu’il n’abandonne pas. Il habite Sion, qui signifie
contemplation, et nous offre l’image de l’Eglise actuelle, comme Jérusalem
figure l’Eglise à venir ou la cité des saints qui jouissent déjà de la vie des
anges, puisque Jérusalem signifie vision de la paix. Or, la contemplation
précède la vision, comme l’Eglise d’ici-bas précède la cité immortelle et
éternelle qui nous est promise; mais elle ne la précède que dans l’ordre du
temps sans la surpasser en dignité, car la fin où nous tendons est plus
honorable que l’effort que nous faisons pour y arriver; or, notre effort
actuel, c’est la contemplation, par laquelle nous arriverons à la vision. Mais
si dès aujourd’hui le Seigneur n’habitait dans l’Eglise. de la terre, la plus
attentive contemplation pourrait aboutir à l’erreur. Aussi est-il dit: « Le
temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple (I Cor. III, 17) »; et: « Le Christ habite dans l’homme intérieur et
dans vos coeurs par la foi (Eph. III, 16,
17)». Il nous est donc ordonné de chanter au Seigneur qui habite en Sion,
afin que nous chantions de concert les louanges du Dieu qui habite en son
Eglise. « Annoncez parmi les peuples ses merveilles (Ps. IX, 12) ». C’est ce qui a été fait, et se fera toujours.
13. « Le Seigneur s’est souvenu d’eux, en
recherchant leur sang répandu (Id. 13)».
Comme si les Apôtres, envoyés porter l’Evangile aux peuples, répondaient à
cette injonction: « Publiez ses merveilles parmi les peuples », et disaient: «
Seigneur, qui pourra croire à notre parole (Isa.
LIII, 1)? » et: « Chaque jour, votre amour nous fait égorger? ». Le
Prophète a raison d’ajouter que pour les chrétiens persécutés, le fruit de la
mort sera la grande acquisition de l’éternité: « Parce que le Seigneur se
souvient d’eux et venge leur sang ». Mais pourquoi le Prophète a-t-il choisi de
préférence cette expression: « Leur sang? » Répondrait-il à cette question que
pourrait lui faire un homme ignorant et faible dans la foi: « Comment
prêcheront-ils chez ces infidèles qui doivent les égorger (Ps. XLIII, 22)? » et dirait-il: « Le Seigneur se souviendra d’eux,
et vengera leur sang », c’est-à-dire, viendra le dernier jugement pour mettre à
découvert la gloire des victimes et le châtiment des bourreaux? Car nul
n’entendra cette expression: « Dieu s’est souvenu d’eux », comme s’il avait pu
les oublier; mais parce que le dernier jugement ne doit arriver qu’après un
long espace de temps, le Prophète s’accommode au langage des hommes faibles,
qui s’imaginent que Dieu oublie, parce qu’il agit avec plus de lenteur
qu’eux-mêmes ne voudraient. C’est pour eux encore qu’il est dit plus bas: « Il
n’a point oublié le cri des pauvres (Ps.
IX, 13) » c’est-à-dire, il n’a point oublié, comme vous le pensez; et comme
si, après avoir entendu ce mot: « Il s’est souvenu », ils disaient: « Il avait
donc oublié»: «Non», dit le Prophète, «il n’oublie point le cri du pauvre».
14. Mais quel est, dirai-je, ce cri du pauvre
que le Seigneur n’oublie point? Est-ce le cri exprimé dans les paroles
suivantes: « Prenez-moi, Seigneur, en pitié, voyez à quelle humiliation me réduisent
mes ennemis (Id. 14)?» Pourquoi donc
ne disait-il pas au pluriel: « Prenez-nous en pitié, Seigneur, et voyez à
quelle humiliation nous réduisent nos ennemis? » comme si tant de pauvres
criaient ensemble; et dit-il: « Prenez-moi en pitié, Seigneur », comme s’il n’y
avait qu’un seul pauvre? Est-ce que celui-là seul parle au nom des saints qui,
étant riche, s’est fait pauvre pour nous (II
Cor. VIII, 9)? Lui aussi dirait alors: « C’est vous qui me relevez des
portes de la mort, afin que je publie vos louanges aux portes de la ville de
Sion (Ps. IX, 15) ». Car c’est
Jésus-Christ qui relève l’homme, non seulement cet homme dont il s’est revêtu,
et qui est le chef de l’Eglise; mais chacun de nous, qui sommes les membres de
son corps, et il nous élève au-dessus des convoitises dépravées qui sont les
portes du trépas, puisque c’est par là que nous allons à la mort. Et la mort
est déjà dans ces joies que procurent les jouissances, quand nous acquérons ce
qu’il était criminel de désirer: « Car la convoitise est la racine de tous les
maux (Tim. VI, 10) ». Aussi peut-on
l’appeler porte de la mort, car une veuve qui vit dans les délices est déjà
morte (Id. V, 6). Or, c’est par la
convoitise que nous entrons dans les délices, comme par les portes de la mort.
Mais les portes de Sion sont les saints désirs qui aboutissent à la vision de
la paix dans la sainte Eglise. C’est donc dans ces portes qu’il nous faut
publier toutes les louanges du Seigneur, afin (166) que l’on ne donne pas aux
chiens ce qui est saint, ni les perles aux pourceaux (Matt. VII, 6), Les premiers préfèrent aboyer toujours, plutôt que
de rechercher avec soin; les autres ne veulent ni aboyer ni chercher, mais se
vautrer dans la fange de leurs voluptés. Mais quand on loue le Seigneur avec de
saintes affections, alors il accorde à ceux qui demandent, il se manifeste à
ceux qui le cherchent, il ouvre à ceux qui frappent. Ces portes de la mort
s’entendraient-elles des sens du corps, des yeux qui s’ouvrirent en Adam, quand
il eut goûté du fruit défendu (Gen. III,
7), et au-dessus desquels s’élèvent ceux qui ne recherchent point les biens
visibles, mais les invisibles? « Ce qui est visible, en effet, n’est que
temporel, tandis que les biens invisibles sont éternels (II Cor. IV, 18) »; et alors les portes de Sion ne seraient-elles
pas les sacrements et les principes de la foi que Dieu veut bien ouvrir à ceux
qui frappent, afin qu’ils parviennent à connaître les secrets du Fils? « Car ni
l’oeil n’a vu, ni l’oreille n’a entendu, ni le coeur de l’homme n’a compris, ce
que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment (Id.
II, 9) » ici finirait alors ce cri des pauvres, qui n’est point en oubli
pour le Seigneur.
15. Voyons la suite. « Je serai dans la joie,
à la vue du Sauveur qui vient de vous (Ps.
IX, 16) »; c’est-à-dire, je trouverai mon bonheur dans le Sauveur que vous
m’avez donné, qui est Notre Seigneur Jésus-Christ, la force et la sagesse de
Dieu (I Cor. I, 24). Tel est donc le
langage de l’Eglise, affligée ici-bas et sauvée par l’espérance: tant que le
jugement du Fils est caché, elle s’écrie avec espoir: « Je tressaillerai dans s
le Sauveur que vous m’avez donné »; parce que sur la terre, elle est sous le
poids des violences ou des erreurs de l’idolâtrie. « Les nations sont tombées
dans la fosse qu’elles avaient creusée (Ps.
IX, 16) ». Voyons ici comment le pécheur a toujours trouvé son châtiment
dans ses propres oeuvres, et comment ceux qui ont voulu faire violence à
l’Eglise sont demeurés dans la dégradation qu’ils voulaient lui faire subir.
Ils voulaient tuer des corps, et eux-mêmes tuaient leurs âmes. « Leur pied
s’est engagé dans le piège qu’eux-mêmes avaient «caché (Ibid.) ». Ce piége caché, c’est la pensée fourbe, et par le pied de
l’âme, on peut comprendre l’amour, qui s’appelle convoitise et débauche quand
il est dépravé, affection et charité quand il est droit. C’est l’amour qui
pousse l’âme vers le lieu où elle veut arriver; et ce lieu n’est point un
espace occupé par une forme corporelle, mais le plaisir où elle se réjouit que
l’amour l’ait fait aboutir. Or, la convoitise aboutit au plaisir dangereux, la
charité aux chastes délices. De là vient que la convoitise est appelée une
racine (Tim. VI, 10). La charité
aussi est appelée racine, quand il s’agit de ces divines semences qui tombent
dans les lieux pierreux, où elles doivent se dessécher sous les feux du soleil,
parce qu’elles n’ont pas une racine profonde (Matt. XIII, 5); ainsi sont stigmatisés ceux qui reçoivent avec joie
la parole de la vérité, mais qui cèdent facilement aux persécutions, parce que
la charité seule peut résister. L’Apôtre dit encore: « Afin que nous ayons la
charité pour base et pour racine, et que par là nous puissions résister (Eph. III, 17) ». Donc le pied des
pécheurs, ou l’amour, s’engage dans le piége qu’ils avaient caché, parce qu’en
goûtant le plaisir d’un acte trompeur, livrés qu’ils sont par le Seigneur aux
désirs d’un coeur déréglé (Rom. I, 24),
ils se laissent enlacer par ce plaisir, de manière à n’oser plus en dégager
leur affection pour la porter à des objets sérieux. Au premier effort qu’ils
tenteront, ils gémiront dans leur âme, comme le forçat qui veut dégager des
fers son pied captif; et, succombant à la douleur, ils ne voudront plus se
sevrer de ces plaisirs homicides. Ainsi donc, « dans ce piège qu’ils avaient
caché », ou dans leurs desseins artificieux, «leur pied demeure « engagé »,
c’est-à-dire, leur amour est arrivé par la fraude à cette joie futile qui
enfante la douleur.
16. « On reconnaît le Seigneur à l’équité de
ses jugements (Ps. IX, 17) ». Tels
sont en effet les jugements de Dieu, qu’il ne sort point du calme de sa
félicité, ni des secrets de sa sagesse qui servent d’asile aux âmes
bienheureuses, pour lancer contre les pécheurs le fer, la flamme, ou les bêtes
féroces, et les livrer aux tourments. Comment donc sont-ils tourmentés, et
comment le Seigneur exerce-t-il ses jugements? « C’est dans l’oeuvre de ses
mains », dit le Prophète, « que le pécheur s’est enlacé».
17. Il y a ici: « Cantique de Diapsalma (Graec. LXX, ode diapsalmatos) ». Autant
que je puis en juger, c’est l’indice d’une joie secrète, causée par la
séparation (167) actuelle, non de lieu, mais d’affection, entre les pécheurs et
les justes, commise dans l’aire on sépare déjà le bon grain de la paille. Le
Prophète continue: « Que les pécheurs soient précipités dans l’enfer (Ps. IX, 18)». Qu’ils soient livrés en
leurs propres mains alors que Dieu les épargne, et enlacés dans leurs joies
mortelles. « Ainsi que toutes les nations qui oublient le Seigneur (Ps. IX, 18)», car elles ont refusé de
connaître le Seigneur, et il les a livrées au sens réprouvé (Rom. I, 28).
18. « Car le pauvre ne sera pas éternellement
en oubli (Ps. IX, 19) »: lui qui
paraît oublié maintenant, quand le bonheur de cette vie semble s’épanouir pour
les pécheurs, et que la tristesse est pour le juste; mais, dit le Prophète, «
la patience des affligés ne périra pas éternellement ». Cette patience leur est
nécessaire maintenant pour supporter les impies, dont ils sont séparés déjà par
l’affection, jusqu’à ce qu’ils le soient tout à fait au dernier jugement.
19. « Levez-vous, Seigneur, et que l’homme ne
s’affermisse point (Ps. IX, 20)». Le
Prophète appelle de ses soupirs le jugement dernier; mais avant qu’il arrive: «
Que les nations, dit-il, soient jugées en votre présence », c’est-à-dire dans
le secret et sous l’oeil de Dieu, puisqu’il n’y a pour le comprendre que le
petit nombre des saints et des justes. « Seigneur, faites peser sur eux le joug
d’un législateur (Id. 21) »; qui
serait, si je ne me trompe, l’Antéchrist, dont l’Apôtre a dit « que l’homme de
péché se révélera (I Thess. II, 3).
Que les peuples sachent bien qu’ils ne sont que des hommes» », et puisqu’ils
refusent d’être délivrés par le Fils de Dieu, d’appartenir au Fils de l’homme,
d’être enfants des hommes, ou des hommes nouveaux, qu’ils soient assujettis à
l’homme, c’est-à-dire au vieil homme du péché, puisqu’ils sont eux-mêmes des
hommes.
Comme l’Antéchrist ou l’homme de péché s’élèvera, croit-on, jusqu’à un
tel degré de vaine gloire, déploiera un tel pouvoir sua tous les hommes et sur
les élus de Dieu, que plusieurs auront la faiblesse de croire que Dieu ne
s’intéresse plus aux hommes; le Prophète, après un Diapsalma, exprime en
quelque sorte les gémissements et les plaintes que soulève le retard du
jugement. « Pourquoi dit-il, pourquoi, Seigneur, tant vous éloigner (Ps. IX, 1)? » Et aussitôt
l’interrogateur, comme s’il avait une illumination soudaine, ou comme s’il n’eût
demandé ce qu’il savait bien que pour nous l’apprendre, ajoute: « Vous vous
dérobez dans le temps propice, dans la tribulation »; c’est-à-dire, vous vous
dérobes à propos, et vous suscitez la tribulation pour attiser dans les coeurs
le désir de votre avènement; plus est longue la soif qui les dévore, et plus
agréable sera la source de vie. Aussi le Prophète a-t-il pénétré la cause de
ces retardements, quand il dit: « L’orgueil du méchant est un stimulant pour le
pauvre ». C’est chose incroyable et vraie néanmoins, que la vue des pécheurs
embrase les petits d’une vive ardeur, de sainte espérance qui les porte à une
vie meilleure. La même raison mystérieuse a fait permettre à Dieu qu’il y eût
des hérésies. Tel n’est pas sans doute le dessein des hérétiques, mais la
sagesse de Dieu sait tirer avantage de leur perversité, elle qui crée et qui
règle la lumière, qui règle seulement les ténèbres (Gen. I, 3, 4), afin qu’en les comparant à la lumière, on trouve
celle-ci plus gracieuse, (168) comme en face de l’hérésie on se trouve plus
heureux de rencontrer la vérité. Cette comparaison fait découvrir dans le monde
les hommes d’une vertu éprouvée, que Dieu seul connaissait.
21. «Ils se prennent dans les pensées qu’ils
enfantent»; c’est-à-dire que leurs pensées perverses deviennent des liens qui
les enchaînent. Mais pourquoi des liens? « Parce que le pécheur est loué dans
les desseins de son âme (Ps. IX, 3)».
Les paroles de la flatterie garrottent l’âme dans ses péchés; car on se plaît à
faire ce qui, non seulement ne laisse à craindre aucun blâme, mais attire les
applaudissements. « Et parce que l’on applaudit à celui qui fait le mal; les
coupables sont enlacés dans les pensées qu’ils enfantent ».
22. «L’impie a irrité le Seigneur ». Ne
félicitons point l’homme qui prospère en cette vie, dont les fautes demeurent
sans vengeance, et rencontrent l’applaudissement. C’est là le plus grand effet
de la colère divine. Il faut qu’un pécheur ait bien irrité Dieu, pour être
ainsi traité, pour ne point ressentir le châtiment qui corrige. « Il a donc
irrité le Seigneur, qui, dans sa grande colère, ne le recherchera point (Id. 4)». La colère de Dieu est à son
comble quand il ne recherche plus nos péchés, qu’il paraît les oublier, n’y
faire aucune attention, et qu’il permet que l’impie arrive à la richesse et aux
honneurs, par la fraude et les forfaits c’est ce que nous verrons surtout dans
l’antéchrist, que les hommes croiront heureux jusqu’à le prendre pour un Dieu.
Mais la suite du psaume va nous montrer combien cette colère de Dieu est
redoutable.
23. « Dieu n’est point en sa présence ses
voies sont toujours souillées (Id. 5)».
Celui qui a goûté les vrais plaisirs et les joies de l’âme, comprend combien il
est malheureux d’être privé de la lumière de la vérité. Si la privation des
yeux du corps, qui nous dérobe cette lumière du jour, est regardée comme une
grande calamité parmi les hommes, quel ne sera point le malheur d’un homme qui
prospère dans ses péchés, jusqu’à n’avoir plus Dieu en sa présence, et ne
marche que dans des voies souillées, c’est-à-dire que ses pensées et ses
desseins sont criminels? « Vos jugements ne sont plus rien à ses yeux ». L’âme
qui a conscience de sa culpabilité, et qui ne se voit point châtiée, s’imagine
que Dieu ne la juge point; et ainsi les jugements du Seigneur ne sont plus
devant ses yeux, ce qui est pour elle une terrible damnation. « Il se rendra
maître de ses ennemis (Ps. IX, 5) ».
Car on croit qu’il vaincra tous les rois, et régnera seul sur la terre; et même
saint Paul qui nous l’annonce, va jusqu’à dire: « Il s’assoira dans le temple
de Dieu, et s’élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, et adoré (II Thess. II, 4) ».
24. Et comme il est livré aux convoitises de
son coeur, et destiné aux dernières vengeances, voilà que par de criminels
artifices il va s’élever au comble de cette gloire vaine et futile, et à la
domination. De là vient que le Prophète ajoute: « Il a dit dans son coeur: A
moins de faire le mal, je ne passerai point de race en race (Ps. IX, 6) », c’est-à-dire, mon nom et
ma gloire ne s’en iront pas d’âge en âge à la postérité, si la ruse du mal ne
me fait acquérir une telle domination que les siècles futurs ne puissent en
garder le silence. Car l’esprit pervers qui ne connaît pas le bien, qui est
étranger aux lumières de la justice, cherche par des actions criminelles à se
frayer le chemin d’une renommée si éclatante, qu’elle retentisse dans les
siècles. Et ceux qui ne peuvent se signaler par le bien, veulent au moins se
rendre fameux par le crime, et répandre au loin leur renommée. Tel est, je
crois, le sens de ces paroles: « Ce n’est que par le mal que je passerai de
génération en génération ». On peut encore appliquer ces paroles à l’homme dont
l’esprit vain et plein d’erreur ne croit pouvoir passer de cette vie mortelle à
la vie éternelle que par la voie du crime C’est ce qui est rapporté de Simon (Act. VIII, 9, 23), qui croyait pouvoir
s’élever au ciel par les coupables artifices de la magie, et passer de la
nature humaine à la nature divine. Faut-il s’étonner maintenant que cet homme
de péché, qui doit personnifier en lui-même toute la malice et toute l’impiété,
dont tous les faux prophètes n’ont donné que l’ébauche, qui aura le don des
miracles au point de séduire les justes, s’il était possible, aille jusqu’à
dire en son cœur: « Je ne puis que par le mal être fameux d’âge en âge? »
25. « Sa bouche est pleine de blasphèmes,
d’amertume et de fourberie (Ps. IX, 7)
» C’est en effet (169) un horrible blasphème, que d’aspirer au ciel par d’aussi
coupables artifices, et de prétendre à la vie éternelle, avec de semblables
mérites. Aussi n’est-ce que sa bouche qui est pleine de ce blasphème; car sa
prétention ne peut aboutir, et ne demeurera dans sa bouche que pour sa
perdition, de lui qui osait bien se promettre le ciel au moyen de cette
amertume et de cette fourberie, c’est-à-dire au moyen de cette exaltation, et
de ces embûches qui lui gagnaient la foule. « Sous sa langue est le travail et
la douleur ». Nul travail n’est plus pénible que l’injustice et l’impiété; et
ce travail engendre la douleur, parce qu’il est non seulement sans profit, mais
encore nuisible. Travail et douleur qui caractérisent ce langage: « Ce n’est
que par le mal que je puis passer d’âge en âge ». Aussi est-il dit que cela est
« sous sa langue», et non dans sa langue, parce qu’il renfermera ces pensées
dans l’intérieur de son âme, et tiendra aux hommes un tout autre langage, afin
qu’on le regarde comme le champion du bien et de la justice, et même comme le
Fils de Dieu.
26. « Il se met en embuscade avec les riches
(Ps. IX, 8) ». Quels riches, sinon
ceux qu’il comblera des biens de ce monde? Il se mettra donc, est-il dit, en
embuscade avec eux, parce qu’il fera ostentation de leur faux bonheur pour
tromper les hommes; et ceux-ci, pris du désir, fatal d’acquérir de semblables
richesses, négligent les biens éternels et tombent ainsi dans ses piéges. « Il
veut tuer l’innocent dans l’obscurité (Id.
9) ». Par « obscurité » il entend, je crois, l’état de l’âme qui discerne à
peine ce qu’il faut désirer, de ce qu’il faut fuir; et tuer l’innocent, c’est
amener au péché celui qui était sans tache.
27. « Ses yeux sont en arrêt sur le pauvre ».
Car il s’attache principalement à poursuivre les justes, dont il est dit: «
Bienheureux ceux qui sont pauvres de gré, car le royaume des cieux leur
appartient (Matt. V, 3). Il les «
épie en secret, comme le lion en sa bauge ». Il appelle lion dans sa bauge,
celui qui emploie la violence et l’artifice. La première persécution de
l’Eglise fut violente, car alors on contraignait les chrétiens à sacrifier, par
la proscription, les tourments et la mort l’autre persécution soulevée par les
hérétiques et les faux frères, et qui dure encore, est caractérisée par
l’artifice; la troisième et la plus dangereuse sera celle de l’antéchrist, qui
sera caractérisée par l’artifice et par la violence. Il aura la force par
l’empire, et l’artifice de la séduction par les prodiges. La violence est
précisée par cette expression, « dans sa bauge ». Les paroles suivantes nous
expriment le même sens, mais dans l’ordre inverse: « Il tend des embûches pour
enlever le pauvre ». Voilà bien la ruse; et « pour le ravir après l’avoir
attiré », marque la violence; car « l’attirer » nous montre qu’à force de le
tourmenter, il parvient à s’assujettir l’homme pauvre.
28. La suite répète encore ce qui vient
d’être dit: « Il l’humiliera dans un piég », c’est la ruse. « Il s’inclinera et
tombera, quand il aura les pauvres sous sa domination (Ps. IX, 10) », c’est la violence. Le piège désigne bien les
fourberies, et la domination indique évidemment la terreur. « Il humiliera donc
le pauvre dans son piége », dit avec raison le Prophète; car plus paraîtront
merveilleux les signes qu’il entreprendra d’opérer, et plus les saints d’alors
seront méprisés, et tomberont dans l’opprobre; et comme ils doivent lui
résister dans leur innocence et leur justice, il passera pour les avoir vaincus
par l’éclat de ses prodiges. Mais à son tour « il s’inclinera et tombera, après
les avoir dominés», c’est-à-dire, quand il aura tourmenté par toutes sortes de
supplices les serviteurs de Dieu qui lui résisteront.
29. Mais pourquoi sera-t-il abaissé jusqu’à
tomber? C’est qu’ « il a dit dans son cœur: Dieu a tout oublié, il a détourné
sa face pour ne rien voir à jamais (Id.
11)». C’est pour l’esprit humain un abaissement et une chute effroyable, de
trouver sa félicité dans le crime, et de croire à son pardon, quand il est
frappé d’aveuglement, et réservé pour cette dernière et exemplaire vengeance
marquée par le Prophète qui s’écrie: « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez
votre main (Id. 12) »: c’est-à-dire,
manifestez votre puissance. Il avait dit plus haut: « Levez-vous, Seigneur, et
que l’homme ne s’affermisse point, que les peuples soient jugés en votre
présence (Psal. Prim. IX, 20) »,
c’est-à-dire, dans ce secret que Dieu seul peut pénétrer. C’est ce qui est
arrivé quand l’impie est parvenu à ce que les hommes regardent comme un grand
bonheur, et que Dieu les a soumis à un législateur, tel qu’ils le (170)
méritaient, et dont il est dit: « Etablissez sur eux un législateur, et que ces
peuples sachent bien qu’ils sont des hommes (Psal. Secun. IX, 14) ». Et après ce châtiment juste et secret, il
est dit: « Levez-vous, Seigneur, ô mon Dieu, étendez votre main », non plus
dans le secret, mais dans la splendeur de votre gloire. «N’oubliez point à
jamais les opprimés», comme l’imagine l’impie qui dit: « Le Seigneur a tout
oublié; il a détourné sa tête pour ne rien voir à jamais (Psal. Secun. IX, 11). » Car c’est bien nier que Dieu voie à jamais,
ou jusqu’à la fin, que dire qu’il ne prend aucun soin des actions des hommes
sur la terre. La terre est, en effet, la fin des choses, comme le dernier des
éléments, où les hommes travaillent dans un ordre admirable, mais ordre qui
leur échappe dans leurs travaux, car il appartient aux secrets du Fils. Donc,
au milieu du labeur pénible d’ici-bas, l’Eglise, comme un navire au milieu des
flots et des tempêtes, semble éveiller le Seigneur qui dort, afin qu’il
commande aux vents déchaînés et ramène le calme. « Levez-vous, Seigneur, mon
Dieu, lui dit-elle, étendez votre main, et n’oubliez point les pauvres sur la
terre».
30. La connaissance du dernier jugement nous
a fait dire avec joie: «Pourquoi l’impie a-t-il irrité le Seigneur (Id. 13)? » De quoi lui a servi de
commettre ces forfaits? « Il disait dans son coeur: Dieu ne les recherchera
point. Vous le voyez, Seigneur», poursuit le Prophète, « mais vous considérez
le travail et la colère, pour les livrer entre vos mains (Id. 14)». Prononçons bien ces paroles pour en voir le sens; une
fausse prononciation nous amène l’obscurité. L’impie a dit dans son coeur:
«Dieu ne recherchera point les crimes », comme si le Seigneur voyant ce qu’il
lui en coûtera de labeur et de peine pour les faire tomber entre ses mains, et
dédaignant le labeur comme la colère, pardonne à ces impies, pour ne point
prendre la peine de les châtier, ni se troubler par la colère. C’est ce qui
arrive souvent aux hommes, qui dissimulent plutôt que de châtier, afin de
s’épargner la peine de la colère.
31. « C’est à vous que le pauvre abandonne sa
défense (Ibid.) ». Car il n’est
pauvre, ou plutôt il n’a méprisé tous les biens passagers de cette vie que pour
mettre en vous seul son espoir. « Vous serez le protecteur de l’orphelin (Psal. secun. IX, 14) c’est-à-dire de
celui pour qui le monde est mort, ce monde qui était son père, qui l’avait
engendré selon la chair, de celui qui peut dire: « Le monde est crucifié pour
moi, et moi pour le monde (Gal. IX, 14)
». Dieu devient un père à de tels orphelins; et le Sauveur enseigne à ses
disciples à le devenir, quand il dit: « N’appelez ici-bas personne votre père (Matt. XXIII, 9)». Lui-même en donne
l’exemple tout le premier, en disant: « Quelle est ma mère, ou quels sont mes
frères (Id. XII, 48)? » C’est de là
que certains hérétiques très-dangereux ont avoué qu’ils n’avaient pas de mère;
ils n’ont point vu qu’en prenant ces paroles à la lettre, les disciples
n’auraient point eu de pères. Car s’il dit lui-même: « Quelle est ma mère? » il
leur donnait cet enseignement: « N’appelez ici-bas personne votre père ».
32. « Brisez le bras de l’impie et du méchant
(Ps. IX, 15), de cet homme dont il
est dit plus haut, qu’il se rendra maître de tous ses ennemis. Son bras, c’est
sa puissance, à laquelle est opposée cette puissance du Christ, dont le
Prophète a dit: « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez votre main (Id. 5). On recherchera son péché; mais
lui, ne reparaîtra plus » à cause de ce péché; c’est-à-dire, on le jugera sur
ses crimes, et ces crimes l’auront fait disparaître. Alors qu’y a-t-il
d’étonnant dans les paroles suivantes: « Le Seigneur sera roi des siècles et de
l’éternité; nations, vous serez retranchées de la terre qui lui appartient (Id. 16)?» Il désigne.par nations, les
pécheurs et les impies.
33. « Le Seigneur a exaucé le désir des
pauvres (Id. 17) ». Ce désir dont ils
étaient embrasés, quand au milieu des angoisses et des tribulations, ils
soupiraient après le jour du Seigneur: « Votre oreille, ô Dieu, a entendu que
leur coeur était prêt ». Cette préparation du coeur est celle que le Prophète a
chantée dans un autre Psaume: « Mon cœur est préparé, ô Dieu, mon coeur est
préparé (Id. LVI, 8) »; et dont saint
Paul dit: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la
patience (Rom. VI, 25) ». Par
l’oreille de Dieu, nous ne devons rien entendre de corporel, mais cette
puissance qui le porte à nous exaucer: et pour ne plus revenir à ce sujet,
(171) quand l’Ecriture attribue à Dieu ces membres qui sont en nous visibles et
corporels, nous devons entendre sa puissance d’action. Car il ne faut rien voir
ici de corporel, quand Dieu écoute, non plus le son de la voix, mais la
préparation du coeur.
34. « Vous rendrez justice à l’orphelin et au
pauvre (Ps. IX, 18)»; c’est-à-dire à
celui qui ne se conforme pas au monde, et qui n’est point superbe. Juger
l’orphelin, n’est pas rendre justice à l’orphelin. On juge l’orphelin même en
le condamnant, maison lui rend justice quand on prononce en sa faveur. «Afin
que l’homme ne cherche plus à s’agrandir sur la terre (Ibid.) ». Car ce sont des hommes ceux dont il est dit: « Seigneur,
élevez au-dessus d’eux un législateur, afin que les peuples sachent bien qu’ils
sont des hommes (Ps. Prim. IX, 21) ».
Mais celui qu’il est question d’élever en cet endroit sera un homme aussi, et
c’est de lui qu’il est dit «Afin que l’homme renonce à s’agrandir sur la terre
». Ce qui arrivera quand le Fils de l’homme viendra juger cet orphelin qui
s’est dépouillé du vieil homme et qui a ainsi comme exalté son Père.
35. Les secrets du Fils dont il est beaucoup
parlé dans ce Psaume, seront suivis des manifestations de ce même Fils, dont il
est quelque peu fait mention à la fin. Mais le sujet indiqué par le titre, en
occupe la principale partie. On peut même ranger parmi les secrets du Fils le
jour de son avènement, quoique sa présence doive être manifestée pour tous. Car
il est dit de ce jour qu’il n’est connu de personne, ni des Anges, ni des
Vertus, ni même du Fils de l’homme (Matt.
XXIV, 36). Or, quel secret est plus impénétrable que celui que l’on dit
être dérobé au juge même, non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne doit point le
révéler? Si toutefois quelqu’un veut attribuer ces secrets du Fils, non plus au
Fils de Dieu, mais au Fils de David même, dont tout le psautier porte le nom,
car tous les Psaumes sont appelés Psaumes de David, qu’il écoute ces paroles
adressées à Notre Seigneur: « Fils de David, ayez pitié de nous (Matt. XX, 30) », et qu’il reconnaisse ce
même Seigneur Jésus-Christ dont les secrets ont inspiré le titre du Psaume. Il
en est de même de ces paroles de l’Ange: « Dieu lui donnera le trône de David
son père (Luc, I, 32) ». Cette
interprétation n’est point démentie par cette question du Christ aux Juifs: «
Si le Christ est Fils de David, comment David inspiré de l’Esprit-Saint,
l’appelle-t-il son Seigneur, en disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur:
Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’abatte vos ennemis à vos pieds (Matt. XXII, 11; Ps. CIX, 1)?» Cette
parole s’adressait à des hommes ineptes qui, dans le Christ dont ils
attendaient l’arrivée, ne voyaient qu’un homme, et non point la puissance et la
sagesse de Dieu. Dieu donc les formait à croire selon la vérité la plus pure,
que le Christ est le Seigneur de David, puisqu’il était au commencement le Verbe,
Dieu en Dieu, par qui tout a été fait; qu’il est aussi le fils de David,
puisque selon la chair il est né de la race de David, Le Seigneur ne dit pas
que le Christ n’est point fils de David; mais bien: Si vous êtes certain qu’il
est son fils, apprenez encore qu’il est son Seigneur; ne vous arrêtez pas à
voir dans le Christ sa qualité de fils de l’homme, ce qui fait qu’il est fils
de David, pour abandonner sa qualité de Fils de Dieu qui le rend Seigneur de
David. (172)
L’âme catholique et fidèle répond aux invitations de l’hérésie, que sa
confiance est dans le Seigneur et non dans les hommes, tandis que l’hérésie se
confie dans les mérites du ministre des sacrements. Le Seigneur, par une même
parole, aveugle les méchants et sauve les justes.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. X, 1).
1. Ce titre n’a pas besoin d’être expliqué de
nouveau, nous avons exposé suffisamment le sens de cette expression: « In finem, pour la fin ». Voyons donc le
texte du psaume, qui me parait un chant contre les hérétiques. Ceux-ci, en
effet, rappelant sans cesse avec exagération les fautes de plusieurs membres de
l’Eglise, comme si, dans leurs sectes, tous les membres, ou du moins le plus
grand nombre, étaient des justes, s’efforcent de nous détourner et de nous
arracher des mamelles de l’Eglise, unique et véritable mère. Ils affirment que
le Christ est parmi eux; ils affectent de nous avertir, par intérêt pour nous
et par charité, de passer dans leur parti pour y trouver Jésus-Christ, qu’ils
se vantent faussement de posséder. On sait que dans ces dénominations
allégoriques données par les Prophètes à Jésus-Christ, se trouve aussi celle de
Montagne. Il faut donc répondre à l’hérésie en loi disant: « Ma confiance est
dans le Seigneur; comment dites-vous à mon âme: Va sur la montagne, comme un
passereau (Id. 2)?» Il n’est qu’une
seule montagne en qui j’aie mis mon espoir; pourquoi me dire d’aller à vous,
comme s’il y avait plusieurs Christs? Et si, dans votre orgueil, vous prétendez
être cette montagne, j’avoue que je dois être ce passereau, et que mes ailes
sont les forces et les préceptes de Dieu; mais ces ailes m’empêchent de voler
vers de semblables montagnes, et de reposer mon espoir en des hommes
orgueilleux. J’ai un nid où je puis reposer, puisque ma confiance est dans le
Seigneur. Car le passereau trouve une demeure (Ps. LXXXIII, 4), et le Seigneur est un refuge pour le pauvre (Ps. IX, 10). Ainsi, de peur qu’en cherchant
le Christ chez les hérétiques, nous ne le perdions réellement, chantons avec la
plus entière confiance: « Ma confiance est dans le Seigneur; comment dites-vous
à mon âme: Va sur la montagne comme le passereau? »
2. « Voilà que les pécheurs ont bandé l’arc,
ils ont rempli de flèches leur carquois, afin de tirer, dans l’obscurité de la
lune, sur ceux qui ont le coeur droit (Ps.
X, 3) ». Vaines terreurs de ceux qui nous menacent de la colère des
pécheurs, pour nous pousser dans leur parti, comme dans celui des justes. «
Voilà », disent-ils, « que les pécheurs ont bandé l’arc». Cet arc me paraît
être l’Ecriture, qu’ils interprètent dans un sens charnel, et qui ne leur
fournit alors que des maximes empoisonnées. « Ils ont préparé leurs flèches
dans leur carquois »; c’est-à-dire, qu’ils ont préparé dans leurs coeurs, ces
paroles qu’ils doivent nous lancer avec l’autorité des saintes Ecritures. «
Afin de tirer sur l’innocent dans l’obscurité de la lune »; c’est-à-dire,
qu’ils ont cru que la foule des hommes ignorants et charnels avait obscurci la
lumière de l’Eglise, et qu’eux-mêmes ne pourraient être convaincus; ainsi ils
corrompent les bonnes moeurs par des discours pervers (Ps. X, 3). Mais à toutes ces terreurs nous répondrons: « Ma
confiance est dans le Seigneur (I Cor.
XV, 33) ».
3. J’ai promis (Ci-dessus, Ps. VIII, n. 9), il m’en souvient, de considérer dans ce
psaume comment la lune est une figure convenable de l’Eglise. Il y a deux
opinions probables au sujet de la lune: savoir quelle est la véritable, c’est
là ce qui est, selon moi, sinon impossible, du moins très difficile aux hommes.
Si vous demandez d’où vient à la lune sa lumière, les uns répondent qu’elle a
une lumière qui lui est propre, mais que son globe est moitié lumineux et
moitié (173) obscur, et qu’ainsi,
dans sa révolution, la partie lumineuse se tourne peu à peu vers la terre, et
devient visible; c’est pourquoi elle nous apparaît d’abord comme un croissant.
Car si vous prenez une sphère à moitié blanche, et à moitié noire, et que vous
mettiez sous les yeux la partie noire, vous ne verrez rien de blanc, mais
ensuite, commencez à tourner vers vous le côté blanc, et faites-le peu à peu,
vous verrez cette face blanche apparaître d’abord comme un croissant, puis se
développer peu à peu, jusqu’à ce que la face blanche vous apparaisse
complètement, et ne laisse rien voir d’obscur. Continuez encore la révolution
de votre sphère, et peu à peu la partie obscure se montrera, tandis que la
partie blanche ira en diminuant, jusqu’à ce qu’elle redevienne un croissant,
pour échapper bientôt à la vue, et ne laisser sous vos yeux que la partie
obscure; c’est ce qui a lieu, nous dit-on, quand la lumière de la lune va
toujours en augmentant jusqu’au quinzième jour, puis diminue jusqu’au
trentième, redevient un croissant, puis bientôt nous dérobe complètement sa
lumière. Dans cette opinion, la lune pourrait être la figure allégorique de
l’Eglise, qui brille dans sa partie spirituelle, tandis qu’elle est obscure
dans ses membres charnels; et souvent ses oeuvres spirituelles la signalent aux
hommes; souvent aussi ce côté spirituel se réfugie dans la conscience, où Dieu
seul peut le voir, et ne laisse voir aux hommes que la face corporelle, comme
il arrive quand nous prions intérieurement, sans aucune apparence extérieure,
alors que nos coeurs ne sont plus à la terre, mais élevés à Dieu, selon qu’il
nous est recommandé.
D’autres disent que la lune n’a point une
lumière qui lui soit propre, et qu’elle la reçoit du soleil; que quand elle est
en face du soleil, elle nous présente le côté qui n’est point éclairé, et
paraît ainsi sans lumière; mais qu’à mesure qu’elle s’éloigne du soleil, cette
partie même qu’elle présentait à la terre est illuminée; elle commence
nécessairement comme un croissant, jusqu’au quinzième jour, qu’elle est
complètement opposée au soleil: c’est alors qu’elle se lève quand le soleil se
couche; de sorte qu’un homme qui observerait le coucher du soleil, pourrait
aussitôt qu’il le perd de vue, se tourner vers l’orient, et verrait la lune à
son lever. Mais à mesure que la lune tend à se rapprocher du soleil, elle nous
montre peu à peu sa face obscure, puis redevient un croissant, pour disparaître
totalement; car alors sa partie lumineuse est toute vers le ciel, tandis
qu’elle ne montre à la terre que la face que le soleil ne saurait éclairer.
Dans cette seconde opinion, la lune serait la figure de l’Eglise qui n’a point
une lumière propre, car sa lumière lui vient de ce Fils unique de Dieu, appelé
souvent dans les saintes Ecritures, Soleil de justice. Incapable de connaître
et de voir ce Soleil invisible, certains hérétiques s’efforcent d’attirer les
esprits simples et sensuels, au culte de ce soleil visible et corporel, qui
éclaire les yeux des mouches aussi bien que les yeux corporels des hommes. Ils parviennent
même à entraîner ceux qui, dans leur impuissance de découvrir des yeux de l’âme
la lumière intérieure de la vérité, ne peuvent se con-tenter de la simplicité
de la foi catholique; et pourtant il n’y a pour les faibles que ce moyen de
salut, que ce lait qui puisse les fortifier et les rendre capables d’une plus
solide nourriture. De ces deux opinions, quelle que soit la vraie, le nom
allégorique de la lune convient parfaitement à l’Eglise. Toutefois, s’il nous
répugne de nous engager dans ces obscurités plus pénibles qu’elles ne sont
utiles, ou si le temps nous manque, ou même si notre esprit s’y refuse, il peut
nous suffire de regarder la lune avec le peuple, et sans en rechercher
péniblement les raisons, de voir avec tout le monde qu’elle croît, qu’elle
arrive à son plein, pour décroître ensuite. Et si elle ne disparaît que pour
revenir encore, elle devient pour la multitude la moins exercée la figure de
l’Eglise, dans laquelle on croit à la résurrection des morts.
4. Examinons ensuite pourquoi, dans ce
psaume, il est parlé de « lune obscure » qui sert aux pécheurs pour décocher
leurs flèches sur les coeurs droits. Car on peut dire de plusieurs manières que
la lune est obscurcie; elle l’est à la fin de sa révolution mensuelle, puis
quand un nuage nous dérobe sa lumière, puis quand elle s’éclipse totalement.
Nous pouvons dire alors que les persécuteurs des martyrs ont voulu décocher
leurs flèches sur les coeurs droits, pendant l’obscurité de la lune; soit que
l’Eglise naissante n’ait pas encore jeté sur la terre tout son éclat, ni
dissipé les ténébreuses superstitions du paganisme; soit que les blasphèmes et
les (174) calomnies contre le nom chrétien aient enveloppé la terre comme d’un
nuage et rendu invisible la lune ou l’Eglise; soit que tant de martyrs égorgés
et tant de sang répandu, aient détourné du nom chrétien les âmes faibles, en
couvrant l’Eglise d’un voile sanglant, comme celui qui paraît quelquefois sur
la lune et qui l’obscurcit; dans ces jours de terreur, les impies décochaient
comme autant de flèches, ces paroles artificieuses et sacrilèges, qui
pervertissaient même les coeurs purs. On peut encore entendre ce passage, des
pécheurs qui sont dans l’Eglise, qui ont saisi l’occasion d’un obscurcissement
de la lune, pour commettre les forfaits que nous reprochent maintenant les
hérétiques, accusés d’en être les auteurs. Mais quelle que soit la. source des
crimes commis pendant l’obscurité de la lune, maintenant que la religion
catholique est répandue et respectée dans tout l’univers catholique, pourquoi
m’inquiéter de faits que j’ignore? Ma confiance est au Seigneur, et loin de
moi, « ceux qui disent à mon âme: Va, chétif passereau, vers les montagnes. Car
voilà que les pécheurs ont préparé leur arc pour décocher leurs flèches sur les
coeurs droits, dans l’obscurité de la lune ». Et cette lune leur paraît encore
obscure, parce qu’ils s’efforcent de jeter l’incertitude sur la véritable
Eglise catholique, et qu’ils arguent contre elle des fautes de ces hommes
charnels qu’elle contient en grand nombre. Qu’est-ce que ces tentatives, pour
celui qui dit véritablement: Ma confiance est dans le Seigneur, qui montre par
ce langage qu’il est le froment de Dieu, et qu’il supporte la paille avec
patience, jusqu’à ce que viendra le temps de la vanner?
5. « Ma confiance est donc au Seigneur ». Que
ceux-là tremblent qui mettent leur confiance dans un homme, et qui ne peuvent
nier qu’ils lui appartiennent, puisqu’ils jurent sur ses cheveux blancs.; et si
vous leur demandez en conversation à quelle communion ils appartiennent, ils ne
peuvent se faire connaître qu’en se proclamant de son parti. Mais dites-moi ce
qu’ils peuvent répondre, quand on leur représente ces crimes, ces forfaits
innombrables qui remplissent chaque jour leur parti? Peuvent-ils dire: « Ma confiance
est au Seigneur; et comment dites-vous à mon âme de se réfugier dans les
montagnes comme le passereau? » Car ils n’ont plus confiance dans le Seigneur,
en soutenant que les sacrements ne sanctifient que quand ils sont administrés
par des hommes saints? Aussi, demandez-leur quels sont les saints, ils
rougiront de dire: C’est nous; et s’ils ne rougissent de le dire, ceux qui les
entendront, rougiront pour eux. Ils forcent donc ceux qui reçoivent les
sacrements, à mettre leur confiance dans un homme, dont le coeur échappe à nos
yeux. Or, « maudit soit celui qui met son espoir dans un homme (Jér. XVII, 5)». Dire en effet: C’est ce
qui est administré par moi, qui est saint, n’est-ce pas dire: Mettez votre
espérance en moi? Mais que sera ce sacrement si vous n’êtes pas saint? Alors
montrez-moi votre coeur. Et si vous ne le pouvez, comment saurai-je que vous
êtes saint? Alléguerez-vous ce passage de l’Ecriture: « Vous les connaîtrez à
leurs œuvres (Matt. VII, 16)?»
Assurément, je vois chez vous des oeuvres merveilleuses; je vois chaque jour
les Circoncellions courir ça et là sous la conduite de leurs évêques et de
leurs prêtres, et donner le nom d’Israël à de terribles bâtons; c’est là ce que
les hommes de nos jours ne voient et n’éprouvent que trop. Quant aux actes du
temps de Macaire, qu’ils nous reprochent amèrement, peu les ont vus, nul ne les
voit maintenant; et quand on les voyait, tout catholique n’en pouvait pas moins
dire, s’il voulait être serviteur de Dieu: « Ma confiance est dans le Seigneur
». C’est le langage que tient encore celui qui voit dans l’Eglise ce qu’il
voudrait n’y point voir, qui se sent nager dans ces filets pleins de poissons,
bons et mauvais, jusqu’à ce que l’on arrive sur les sables de la mer, pour
séparer les bons des mauvais (Id. XIII,
47). Que peuvent répondre ces hérétiques, si l’homme qu’ils veulent
baptiser leur fait cette question: Comment m’ordonnez-vous d’avoir confiance?
Car si le mérite d’un sacrement est basé sur celui qui le donne et sur celui
qui le reçoit, si c’est Dieu qui le donne et ma conscience qui le reçoit, voilà
deux termes dont j’ai la certitude, sa bonté, et ma foi. Pourquoi venir vous
interposer, vous dont je ne puis tirer, aucune certitude? Laissez-moi chanter:
« Ma confiance est dans le Seigneur ». Car si je mettais ma confiance en vous,
qui peut me garantir que vous n’avez commis aucune faute cette nuit? Enfin, si
vous voulez que j’aie confiance en vous, puis-je avoir d’autre motif que votre
parole? (175)
Mais alors quelle confiance puis-je avoir,
que ceux qui étaient hier en communion avec vous, qui communiquent aujourd’hui,
qui communiqueront demain, n’auront commis aucune faute, après ces trois jours?
Et si ni vous ni moi ne sommes souillés par ce que nous ignorons, pourquoi
rebaptisez-vous ceux qui n’ont rien connu de la trahison de Macaire ni de ses
persécutions? Et ces chrétiens qui viennent de la Mésopotamie, qui ne savent le
nom ni de Cécilien ni de Donat, comment osez-vous les rebaptiser, et nier
qu’ils soient chrétiens? S’ils sont souillés par les péchés des autres, vous
aussi, vous êtes sous le poids des crimes qui se commettent chaque jour, à
votre insu, dans votre parti; et c’est en vain que vous objectez aux
catholiques les décrets impériaux, vous qui sévissez dans votre camp avec les
bâtons et les flammes. Tel est donc l’abîme où sont tombés ceux qui, voyant les
désordres dans l’Eglise catholique, n’ont pu dire: « Ma confiance est au
Seigneur n, et qui ont mis leur espoir dans les hommes. Ils l’auraient dit sans
doute, s’ils n’eussent été les uns ou les autres tels qu’ils croyaient ceux
dont ils ont feint de se séparer par un sacrilège orgueil.
6. Que l’âme catholique s’écrie donc: « Ma
confiance est au Seigneur; comment osez-vous me dire: Passereau, va dans les
montagnes? car voilà que les pécheurs ont bandé leur arc, ils ont rempli de
flèches leur carquois, pour les décocher sur les justes durant une lune
obscure». Puis, de ces pécheurs, s’élevant à Dieu, qu’elle dise: « Voilà qu’ils
ont détruit ce que vous aviez rendu parfait (Ps. X, 4)». Et qu’elle tienne ce langage, non seulement contre ceux
dont nous parlons, mais contre tous les hérétiques. Car tous, autant qu’il est
en eux, ont détruit cette louange parfaite que Dieu a tirée de la bouche des
enfants nouveau-nés et à la mamelle (Id.
VIII, 3), quand, par de vaines et pointilleuses questions, ils tourmentent
les faibles et ne les laissent point s’alimenter du lait de la foi. Et comme si
l’on disait à cette âme: Pourquoi vous outils engagée à passer dans les
montagnes comme le passereau; pourquoi vous effrayer au sujet des pécheurs qui
ont bandé leur arc, pour percer les coeurs droits dans l’obscurité de la lune?
la voilà qui répond: Ce qui m’effraie, c’est « qu’ils ont détruit ce que vous
aviez rendu parfait ». Où l’ont-ils détruit, sinon dans leurs conciliabules, où
loin de donner du lait aux faibles et à ceux qui ne con naissent point la
lumière intérieure, ils les tuent de leurs poisons? « Mais le juste, qu’a-t-il
fait? » Si Macaire et Cécilien sont coupables envers vous, que vous a fait le
Christ qui a dit: « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix (Jean, XIX, 27) »; cette paix que vous
violez par le schisme le plus criminel? Que vous a fait le Christ, qui déploya
tant de patience envers le disciple qui le trahissait, jusqu’à l’admettre à cette
première Eucharistie qu’il consacrait de ses mains, qu’il instituait de sa
parole, et qu’il lui présenta comme aux autres Apôtres (Luc, XXII, 19, 21)? Que vous a fait le Christ, qui donna mission de
prêcher le royaume de Dieu à ce même traître qu’il avait appelé un démon (Jean, VI, 71), qui même avant de trahir
le Seigneur, ne put en garder fidèlement les deniers (Id. XII, 6), et qu’il envoya néanmoins avec les autres disciples (Matt. X, 5) », pour nous apprendre que
les dons de Dieu arrivent en ceux qui les reçoivent avec foi, quand même le
ministre qui les distribue serait semblable à Judas?
7. « Le Seigneur habite son saint temple (Ps. X, 5). C’est dans ce sens que
l’Apôtre a dit: « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple.
Quiconque ose violer le temple de Dieu, Dieu le perdra (I Cor. III, 17) ». Or, c’est violer le temple de Dieu que d’en
rompre l’unité, c’est ne plus être dans l’union avec cette tête (Coloss. II, 19) dont tout le corps
soutenu par ses liens et ses jointures avec une si juste proportion, reçoit
l’accroissement dans la mesure qui est propre à chacun de ses membres, et se
forme par la charité (Eph. IV, 16).
Le Seigneur est donc dans ce temple formé de plusieurs membres, qui ont chacun
leurs fonctions, et qui sont reliés par la charité, en un seul édifice. C’est
violer ce temple, que se séparer de l’unité catholique, pour chercher ailleurs
la dignité d’un chef. « Le Seigneur habite son temple saint, le Seigneur a son
trône dans le ciel (Ps. X, 5) » Si
parte ciel vous entendez le juste, comme la terre nous désigne le pécheur,
ainsi qu’il est dit: « Tu es terre, et tu retourneras en terre (Gen. III, 19), ces expressions: « Le
Seigneur a son trône dans le ciel », sont une répétition de ce qui a été dit: «
Le Seigneur habite son saint temple».
8. « Ses yeux regardent le ciel ». C’est à
lui que le pauvre s’abandonne, et il lui sert de refuge (Ps. X, 10). C’est pourquoi toutes ces séditions, tous ces troubles
que l’on soulève dans les filets jusqu’à ce qu’ils arrivent sur le rivage, ont
pour auteurs des hommes qui refusent d’être les pauvres de Jésus-Christ; et
c’est à leur perte, mais pour notre amendement, que les hérétiques prennent de
ces troubles occasion de nous insulter. Mais pourront-ils détourner les regards
de Dieu de ceux qui veulent bien être pauvres pour lui? « Car ses yeux
regardent le pauvre ». Avons-nous à craindre que dans la foule nombreuse des
riches, il ne puisse discerner ces quelques pauvres, pour les conserver et les
nourrir dans le giron de l’Eglise catholique? « Ses paupières interrogent les
«enfants des hommes (Id. 5) ». Selon
la règle que nous avons posée, j’entendrais volontiers par ces « enfants des
hommes » ceux que la foi a fait passer du vieil homme à l’homme nouveau. Car
l’oeil de Dieu paraît se fermer pour eux, quand certains passages des Ecritures
les stimulent par leur obscurité à en rechercher le sens; comme il semble
s’ouvrir quand ils reçoivent avec joie la lumière de passages plus clairs. Or,
ces vérités des livres saints, tantôt claires et tantôt voilées, sont comme les
paupières de Dieu qui interrogent, ou plutôt qui approuvent ces enfants des
hommes stimulés plutôt que lassés par les obscurités, affermis plutôt
qu’enorgueillis par la découverte.
9. « Le Seigneur interroge le juste et
l’impie (Id. 6)». Et quand il
interroge ainsi le juste et l’impie, quel mal pouvons-nous craindre de la part
des impies qui pourraient être, avec des coeurs peu sincères, en communion de
sacrements avec nous? « Mais celui qui aime l’iniquité nuit à son âme(Ibid.). Ce n’est donc point à celui qui
a mis sa confiance en Dieu, et qui n’espère point dans les hommes, c’est à son
âme seulement que nuit celui qui aime le péché.
10. « Il fera tomber des piéges sur les
pécheurs (Id. 7) ». Si l’on désigne
sous le nom de nuages les Prophètes en général, soit les bons soit les mauvais
appelés aussi faux prophètes (Matt. XXIV,
24), les faux prophètes sont destinés parle Seigneur à devenir des piéges
qu’il fait tomber sur les pécheurs. Car il n’y a pour les suivre, que le
pécheur, qui se prépare ainsi le dernier supplice, s’il persévère dans le
crime, ou qui abjure son orgueil, s’il cherche un jour le Seigneur avec plus de
sincérité. Mais si les nuées ne doivent désigner que les bons, les vrais
prophètes, il est encore évident que leurs paroles, entre les mains de Dieu,
sont des piéges pour les pécheurs, en même temps qu’une rosée qu’il répand sur
les justes pour leur faire porter de bons fruits. « Aux uns», dit l’Apôtre, «
nous sommes une odeur de vie pour la vie, aux autres, une odeur de mort pour la
mort (II Cor. II, 16) ». Car on peut,
sous le nom de nuages, désigner non seulement l’Apôtre, mais quiconque donne
aux âmes la rosée de la parole de Dieu. Pour celui qui comprend mal ces
paroles, c’est le piége que Dieu fait tomber sur les méchants; et pour celui
qui les entend dans le vrai sens, c’est la rosée qui féconde les coeurs pieux
et fidèles. Cette parole de l’Ecriture, par exemple: « Ils seront deux dans une
même chair (Gen. II, 24) », peut
devenir un piége pour celui qui l’interprète dans le sens de l’incontinence.
Mais si vous l’entendez avec saint Paul qui s’écrie: « Moi, je le dis dans le
Christ et dans I’Eglise (Eph. V, 23)»,
c’est une rosée sur un champ fertile. C’est le même nuage, ou l’Ecriture sainte
qui produit ces deux effets. De même encore le Seigneur nous dit: « Ce n’est
point ce qui entre dans votre bouche, mais bien ce qui en sort, qui souille
votre âme (Matt. XV, 11) ». A cette
parole, un pécheur se dispose à la bonne chère; tandis qu’elle prévient le
juste contre le discernement des viandes, Cette même nuée de l’Ecriture laisse
donc tomber, selon le mérite de chacun, et des piéges pour le pécheur, et pour
le juste une pluie fécondante.
11. « Des torrents de feu et de souffre, la
fureur des tempêtes, c’est là le calice qu’il leur prépare (Ps. X, 7) ». Tel est le châtiment et la
fin de ceux qui blasphèment le nom du Seigneur; d’abord ils sont dévorés par
l’incendie de leurs passions, ensuite l’odeur fétide de leurs oeuvres
corrompues les éloigne de l’assemblée des saints; enfin, entraînés et submergés
dans l’abîme, ils subissent d’indicibles tourments. Telle est, Seigneur, la
part de leur calice, tandis que vous avez pour le juste un calice enivrant et
glorieux (Id. XXII, 5). « Car ils
seront enivrés par la sainte abondance de votre maison (Id. XXXV, 9) ». Si le Prophète emploie cette (177) expression, « la
part de leur calice », c’est, je crois, pour nous détourner de croire que, même
dans le supplice des méchants, la Providence outrepasse les bornes de l’équité.
Aussi a-t-il ajouté, comme pour nous rendre raison de ces châtiments: « C’est
que le Seigneur est juste, et qu’il aime les justices (Ps. X, 8)». Et ce n’est pas sans raison qu’il dit les justices, au
pluriel, afin de nous montrer dans ces justices les justes eux-mêmes. Car il
semble que dans plusieurs justes, il y ait plusieurs justices, bien qu’il n’y
en ait qu’une seule en Dieu, qui est la source des autres; comme si un seul
visage se trouvait en face de plusieurs miroirs, ceux-ci le refléteraient et
feraient apparaître plusieurs fois ce visage, néanmoins unique. Aussi le
Prophète revient-il au singulier, en s’écriant: « Sa face a vu l’équité ». Et
peut-être a-t-il dit: « Sa face a vu l’équité », dans le même sens qu’il
dirait: C’est dans sa face que l’on voit l’équité, c’est-à-dire quand on
connaît sa face. Car la face de Dieu, c’est la puissance qu’il a de se faire
connaître à ceux qui en sont dignes. Ou bien: « Sa face a vu l’équité», parce
qu’il ne se fait pas connaître aux méchants, mais aux bons; et c’est là
l’équité.
12. Si l’on veut que la lune soit la
synagogue, il faut alors entendre le psaume de la passion du Sauveur, et dire
des Juifs, « qu’ils ont détruit ce que Dieu avait rendu parfait»; et du
Seigneur: « Pour le juste, qu’a-t-il fait? » lui qu’ils accusaient de détruire
la loi, tandis qu’eux-mêmes en détruisaient les préceptes par une vie coupable,
et les méprisaient jusqu’à les remplacer par leurs traditions. Alors
Jésus-Christ, selon sa coutume, parlerait dans son humanité, et dirait: « Ma
confiance est dans le Seigneur; comment dites-vous à mon âme: Va, passereau,
vers les montagnes? » répondant ainsi aux menaces de ceux qui le cherchaient
pour le prendre et le crucifier. Alors les pécheurs voulaient décocher leurs
flèches sur les justes ou sur ceux qui croyaient en Jésus-Christ, et
l’obscurité de la lune peut fort bien désigner la synagogue remplie d’hommes
pervers. C’est à cela que se rapporterait ce passage: « Le Seigneur habite son
saint temple; le Seigneur a son trône dans le ciel », c’est-à-dire le Verbe, ou
le Fils de Dieu qui est dans le ciel, habite aussi dans l’homme. « Ses yeux
regardent le pauvre », c’est-à-dire cet homme dont il s’est revêtu, tout Dieu
qu’il était, ou celui pour lequel il a souffert dans son humanité. « Ses
paupières interrogent les enfants des hommes ». Fermer les yeux, puis les
ouvrir, voilà probablement ce qu’il désigne sous le nom de paupières, et que
nous pouvons entendre de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ; car
alors il éprouva les fils des hommes ou ses disciples, que sa mort avait
effrayés, et que réjouit sa résurrection. « Le Seigneur interroge le juste et
l’impie », en gouvernant l’Eglise du haut du ciel. « Mais celui-là hait son âme
qui aime l’iniquité », et la suite nous en montre la raison. Ce passage: « Il
fera pleuvoir des piéges sur l’impie », ainsi que le reste du psaume jusqu’à la
fin, doit s’entendre dans le sens indiqué plus haut. (178)
Ici-bas les justes sont en butte
aux manœuvres scandaleuses des impies. Le Seigneur les console par la promesse
du Sauveur, qui mettra fin aux gémissements des opprimés.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID POUR L’OCTAVE (Ps. XI, 1).
1. Nous avons dit, au psaume sixième, que
cette octave peut s’entendre du jour du jugement. L’octave peut se dire encore
de ce siècle éternel que Dieu doit donner aux saints, quand sera écoulé ce
temps qui marche de sept jours en sept jours.
2. « Sauvez-moi, Seigneur, car l’homme saint
a fait défaut (Id. II, 2) »,
c’est-à-dire qu’on ne le trouve plus; c’est ainsi que nous disons que le blé
manque, et que l’argent manque. « Car les vérités se sont affaiblies parmi les
enfants des hommes (Ibid.) ». Il n’y
a sans doute qu’une vérité qui éclaire les âmes saintes, mais comme il y a
plusieurs âmes, on peut dire qu’il y a en elles plusieurs vérités comme une
seule figure se réfléchit dans chaque miroir.
3. « Chacun tient à son prochain le langage
du mensonge (Id.3) ». Par prochain,
il faut comprendre tout homme, puisqu’il n’est permis de nuire à personne, et
que « l’amour du prochain ne fait point ce qui est mal (Rom. XIII, 10). Leurs lèvres sont trompeuses, ils parlent en un
coeur et en un coeur (Ps XI, 3),
d’une manière perverse. Cette répétition « en un coeur et en un cœur », montre
la duplicité.
4. « Que le Seigneur perde toutes les lèvres
trompeuses ». « Toutes les lèvres », dit le Prophète, afin que nul ne se croie
exempt: comme l’Apôtre a menacé de l’affliction l’âme de tout homme qui fait le
mal, du juif d’abord, puis du gentil (Rom.
II, 9), « La langue qui se glorifie» est la langue de l’orgueilleux.
5. « Ils ont dit: Nous glorifierons nos
paroles, nos lèvres sont indépendantes, qui nous dominera (Ps. XI, 5)? » Ce langage est celui des superbes et des hypocrites, qui
espèrent de leur langage la séduction des hommes, et qui sont indociles à Dieu.
6. « A cause de la désolation des opprimés,
et des gémissements des pauvres, je me lèverai, dit le Seigneur (Ps. XI, 6)». C’est ainsi que, dans l’Evangile,
le Seigneur prend en pitié ce peuple disposé à l’obéissance, mais qui n’avait
point de pasteur. Aussi disait-il: « La moisson est abondante, mais il y a peu
d’ouvriers (Matt. IX, 37) ». Nous
pouvons attribuer ces paroles à Dieu le Père, qui a daigné envoyer son Fils à
cause des pauvres et des misérables, c’est-à-dire de ceux qui étaient dans la
pauvreté, dans l’indigence des biens spirituels. De là vient qu’il commença son
discours sur la montagne en s’écriant: « Bienheureux les pauvres en esprit,
parce que le royaume des cieux leur appartient (Id. V, 3). « Je mettrai dans le Sauveur », il ne dit point ce qu’il
mettra, mais « dans le Sauveur » se doit entendre de Jésus-Christ, d’après
cette parole: « Mes yeux ont vu votre Sauveur (Luc, II, 30) ». Dès lors nous devons comprendre qu’il a mis dans le
Sauveur ce qui est nécessaire pour mettre fin à la misère des pauvres, et
consoler le gémissement des opprimés. « J’agirai en lui avec confiance »; ainsi
qu’il est dit dans l’Evangile, « que Jésus les enseignait comme ayant autorité,
et non comme leurs scribes (Matt. VII,
29) ».
7. « Les paroles du Seigneur sont des paroles
pures (Ps. XI, 7) ». C’est le
Prophète qui, en son propre nom, apprécie « les paroles du Seigneur comme des
paroles pures ». Ces paroles sont pures, parce que le déguisement ne les a
point altérées. Beaucoup prêchent la vérité, mais non d’une manière pure, car
ils l’échangent contre les avantages de ce monde. C’est de ceux-là que l’Apôtre
a dit qu’ils (179) n’annoncent pas Jésus-Christ avec des vues pures (Philipp. I, 17). « C’est un argent que
le feu a purifié de toute terre ». Car la persécution excitée par les impies a
éprouvé la parole du Seigneur. « Purifié sept fois », par la crainte de (Isa. XI, 2) Dieu, par la piété, par la
science, par la force, par le conseil, par l’intelligence et par la sagesse (Matt. V, 3-9). Les degrés de béatitude
sont aussi au nombre de sept, et le Seigneur les énumère dans un même discours
sur la montagne, rapporté par saint Matthieu: « Bienheureux les pauvres en
esprit, bienheureux ceux qui sont doux, bienheureux ceux qui pleurent,
bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, bienheureux les
miséricordieux, bienheureux ceux qui ont le coeur pur, bienheureux les
pacifiques (Id. VII, 29). Ce sont là
sept chefs principaux, dont tout le discours peut être regardé comme le
développement. Car le huitième: « Bienheureux ceux qui souffrent persécution
pour la justice», désigne ce feu qui a sept fois épuré l’argent. C’est à la fin
de ce sermon qu’il est dit de Jésus-Christ qu’ « il enseignait comme ayant
l’autorité, et non comme leurs scribes (Id.
VII, 29) », ce qui a rapport à ces paroles: « J’agirai en lui avec
confiance (Ps. XI, 6)».
8. « Pour vous, Seigneur, vous nous garderez,
et nous préserverez éternellement de cette génération (Id. 8) », ici-bas comme des pauvres et des opprimés, là-haut comme
des riches et des opulents.
9. « Les impies tournent dans leur cercle (Id. 9)»; c’est-à-dire qu’ils sont
insatiables de ces biens temporels, et cette soif est comme une roue qui
accomplit sa révolution en sept jours, et qui n’arrive jamais à l’octave ou à
l’éternité, qui fait le titre du psaume. Salomon a dit aussi: « Un roi sage
dissipe les impies, et leur envoie un cercle de maux (Prov. XX, 26)».« Dans la profondeur de vos jugements, vous
multipliez les enfants des hommes (Ps.
XI, 9) ». Parce qu’il y a dans les choses du temps, cette multiplicité qui
nous éloigne de l’unité de Dieu. « De là vient que le corps corruptible
appesantit l’âme, et cette habitation terrestre abat l’esprit, capable des plus
hautes pensées (Sag. IX, 15) ».Or,
les justes se multiplieront selon la profondeur de Dieu, quand ils s’élèveront
de vertu en vertu (Ps. LXXXIII, 8).
Ceux qui gémissent à la vue
de l’iniquité appellent de leurs voeux le Sauveur, qui doit nous aider à
combattre victorieusement l’ennemi du salut.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID (Ps. XII, 1).
1. « Le Christ est la fin de la loi pour
justifier ceux qui croiront (Rom. X, 4)».
« Jusques à quand, « Seigneur, m’oublierez-vous dans la fin (Ps. XII, 2)? » ou tarderez-vous à me
faire connaître, d’une manière spirituelle, ce Christ qui est la sagesse de
Dieu, et la fin que doit se proposer toute âme chrétienne. « Jusques à quand
détournerez-vous de moi vos regards? » En réalité, Dieu ne nous oublie point et
ne nous perd point de vue, mais l’Ecriture s’accommode à notre manière de
parler. Dire que Dieu détourne de nous ses regards, c’est dire qu’il ne se fait
point connaître à l’âme dont l’oeil n’est pas assez pur.
2. « Jusques à quand prendrai-je mes conseils
dans mon âme (Ps. XII, 2)? ». Ce
n’est que dans l’adversité que nous avons besoin de conseil. Ainsi, jusques à
quand puiserai-je mes conseils dans mon âme? signifie: Jusques à quand serai-je
dans l’adversité? ou bien cette (180) parole serait une réponse qui
signifierait Jusqu’à ce que j’arrête une résolution dans mon âme, Seigneur,
vous m’oublierez par rapport à ma fin, et vous détournerez de moi vos regards:
si un homme en effet n’a formé t dans son âme le dessein de pratiquer
parfaitement la miséricorde, le Seigneur ne le dirige point vers sa fin, et ne
se fait pas connaître à lui pleinement, ou face à face. «La douleur dans mon
coeur pendant tout le jour», sous-entendez: Je mettrai cette douleur. « Pendant
tout le jour » signifie une douleur sans fin, et le jour se prend ici pour le
temps, et quiconque veut être délivré du temps, ressent la douleur en son
coeur, et demande à passer dans l’éternité pour être délivré du jour terrestre.
3. « Jusques à quand mon ennemi
s’élèvera-t-il contre moi (Ps. XII, 3)?
» L’ennemi, c’est le démon ou l’habitude charnelle.
4. « Regardez-moi, Seigneur, exaucez-moi, ô
mon Dieu (Id. 4) ». Regardez-moi, est
la conséquence de celte plainte: « Jusques à quand vos regards se détourneront-ils
de moi n; et « Exaucez-moi», de cette autre plainte: « Jusques à quand
m’oublierez-vous par rapport « à ma fin? » Illuminez mes yeux, pour que u je ne
m’endorme jamais dans la mort (Ibid.)».
Ces yeux sont ceux du coeur, que pourrait fermer le plaisir mortel du péché.
5. « Que jamais l’ennemi ne puisse dire: « Je
l’ai vaincu (Ps. XII, 5) ». Craignons
le persiflage du démon. « Ceux qui me persécutent seront dans la joie, si je
suis ébranlé (Ibid.)» Cet ennemi,
c’est le diable avec ses anges, qui ne dut point se réjouir d’avoir mis à
l’épreuve le saint homme Job, cet homme juste qui ne fut point ébranlé (Job, I, 22), c’est-à-dire qui demeura
ferme dans la foi.
6. «Pour moi, j’ai mis mon espoir en votre
miséricorde (Ps. XII, 6) ». Si
l’homme, en effet, demeure ferme dans le Seigneur et ne se laisse point
ébranler, il ne doit point se l’attribuer, de peur qu’en se félicitant de sa
fermeté, il ne soit ébranlé par l’orgueil. « Mon coeur a tressailli dans celui
qui est votre salut », c’est-à-dire en Jésus-Christ qui est la sagesse de Dieu.
« Je chanterai le Seigneur qui m’a comblé de biens»; de biens spirituels et qui
ne touchent point à cette vie. « Je dirai sur la harpe le nom du Très-Haut (Ibid.) », c’est-à-dire, dans ma joie je
lui rendrai grâces, et je n’userai de mon corps que selon ses préceptes; tel
est l’harmonie spirituelle de l’âme. Si l’on veut établir ici une différence, «
je chanterai le Seigneur », exprimera le concert du coeur, et « je dirai sur la
harpe », du concert des bonnes oeuvres, que Dieu seul peut connaître. « Le nom
du Seigneur », c’est la connaissance qu’il nous donne de lui-même, connaissance
qui est avantageuse pour nous et non pour lui.
Ici toute âme gémit quand
retentissent à ses oreilles ces blasphèmes que l’impie vomit contre Dieu. Elle
voit avec horreur l’impiété qui prévaut; elle en appelle à Dieu qui doit faire
sortir de Sion le salut d’Israël ou des saints.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. XIII, 1)
1. Il est inutile de redire si souvent le
sens de cette expression « pour la fin », puisque l’Apôtre nous dit que « le
Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront(Rom. X, 4). Nous croyons en lui quand
nous commençons à prendre la bonne voie; et nous le verrons au terme de cette
voie, dont il est ainsi la fin.
2. « L’insensé a dit dans son coeur: Dieu
(181) n’est pas n. Certains philosophes, que leur impiété et leurs sentiments
faux et pervers sur la divinité signalent à l’exécration, n’ont pas même osé
dire: Dieu n’est pas. Cette parole se « dit donc dans le cœur », car celui-là
même qui en a la pensée, n’oserait la prononcer. « Ils sont devenus pervers et
abominables, par leurs affections », c’est-à-dire, parce qu’ils ont donné au
monde leur amour, et non à Dieu; ce sont les affections qui causent dans l’âme
une corruption et un aveuglement tels que l’insensé puisse dire en son coeur: «
Dieu n’est pas ». Comme ils n’ont pas fait usage de la connaissance de Dieu,
voilà que le Seigneur les a livrés au sens réprouvé (Rom. I, 28)». « Il n’y en a pas un qui fasse le bien, non, pas
jusqu’à un (Ps. XIII, 1) ». Cette
expression, « jusqu’à un », peut signifier ou avec celui-là seul, de manière à
exclure tout homme, ou à l’exception de celui-là seul, pour désigner Notre
Seigneur Jésus-Christ. C’est ainsi que nous disons d’un champ qu’il va jusqu’à
la mer, sans y comprendre la mer elle-même. Il est mieux d’entendre que nul n’a
fait le bien jusqu’à Jésus-Christ, car nul homme, s’il n’est instruit par
Jésus-Christ même, ne peut faire le bien, puisque ce bien lui est impossible
sans la connaissance de Dieu.
3. «Le Seigneur, du haut du ciel, a jeté les
yeux sur les enfants des hommes, afin de voir s’il en est pour comprendre et
rechercher Dieu (Id. 2) ». Ceci peut
s’entendre des Juifs, que le Prophète appelle enfants des hommes, parce qu’ils
n’adoraient qu’un seul Dieu, ce qui les rendait supérieurs aux Gentils, dont le
Prophète me paraît avoir dit: « L’insensé a dit dans son coeur: Dieu n’est pas
», et le reste. Le regard du Seigneur s’effectue par le moyen de ces âmes
saintes, et qui sont marquées par cette expression de « ciel »; puisque pour
lui, rien ne lui échappe.
4. « Tous se sont égarés, et sont devenus
inutiles (Id. 3) », c’est-à-dire que les
Juifs sont devenus comme les Gentils dont il est parlé plus haut. « Il n’en est
aucun pour faire le bien, il n’y en a pas jusqu’à un ». Il faut donner à ces
expressions le sens exposé plus haut. « Leur gosier est un sépulcre ouvert (Ibid.)». On peut voir ici les excès de
l’intempérance, ou, dans un sens allégorique, les pécheurs scandaleux qui tuent
et qui dévorent en quelque sorte ce qu’ils entraînent dans leurs dérèglements.
C’est ainsi, mais dans un sens opposé, qu’il fut dit à Pierre; « Tue et mange»,
afin qu’il amenât les Gentils à sa croyance et aux saintes moeurs. « Leurs
langues distillent le mensonge ». La flatterie accompagne toujours
l’intempérance et les autres vices. « Leurs lèvres recèlent un poison d’aspic (Ps. XIII, 3) ». Le venin désigne la
fraude, et l’aspic tous ceux qui demeurent sourds aux préceptes de la loi,
comme l’aspic à la voix de l’enchanteur (Id.
LVII, 5), ainsi qu’il est dit dans un autre psaume; « Leur bouche est
pleine de malédiction et d’amertume ». C’est le venin de l’aspic. « Leurs pieds
se hâtent pour répandre le sang (Id.
XIII, 3)»; ce qui désigne l’habitude invétérée du mal. « La meurtrissure et
l’infortune sont dans leurs voies ». Car toute voie du méchant est laborieuse
et misérable. Aussi le Seigneur a-t-il dit: « Venez à moi, vous tous qui
gémissez sous le poids du travail et de la douleur, et je vous soulagerai.
Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de
coeur; car mon joug est doux, et mon fardeau léger (Matt. XI, 28) ». « Ils n’ont point connu la voie de la paix », de
cette paix que désigne le Seigneur, par la douceur de son joug et la légèreté
de son fardeau. « La crainte du Seigneur n’est pas devant leurs yeux »; sans
dire que Dieu n’est pas, ils n’en craignent pas davantage le Seigneur.
5. « Ne comprendront-ils pas enfin, tous ces
ouvriers d’iniquité?»Dieu les menace du jugement, « Ils dévorent mon peuple,
comme on dévore un morceau de pain (Ps.
XIII, 4) », c’est-à-dire chaque jour; car le pain est la nourriture
quotidienne. Ces dignitaires dévorent le peuple, qui en tirent leurs avantages,
sans faire tourner leur ministère.à la gloire de Dieu, et au salut de leurs
subordonnés.
6. « Ils n’ont point invoqué le Seigneur ».
Car c’est ne point l’invoquer, que désirer te qui lui déplaît. « ils ont
tremblé, où n’était pas la crainte (Id.
5) »,c’est-à-dire devant un dommage temporel. Car ils ont dit: « Si nous le
laissons ainsi, chacun croira en lui, et les Romains viendront, et nous
extermineront, nous et notre ville (Jean,
XI, 48)». Ils ont craint ce qui n’était point à craindre, la perte d’un
royaume terrestre, et voilà qu’ils ont perdu le royaume des cieux, ce qu’ils
auraient dû redouter Ainsi en est-il de tous les avantages temporels; plus les
hommes en redoutent la perte, et moins ils arrivent aux biens éternels.
7. « Le Seigneur habite avec la génération
des justes (Ps. XIII, 6) »,
c’est-à-dire qu’il n’est point avec ceux qui aiment le monde. Car il y a
injustice à négliger le Créateur du monde pour s’attacher au monde, à servir la
créature plutôt que le Créateur (Rom. I,
25). « Vous avez méprisé le dessein du pauvre, qui met son espoir dans le
Seigneur (Ps. XIII, 6) »,
c’est-à-dire, vous avez méprisé l’humble avènement du Christ, parce qu’il
n’étalait pas à vos yeux le faste du siècle; forçant ainsi ceux qu’il appelait
à mettre leur espoir en Dieu, et non pas en des biens passagers.
8. « Qui fera sortir de Sion le salut
d’Israël (Id. 7)? » Sous-entendez,
sinon celui-là même dont vous avez méprisé l’humilité! Car il viendra dans
l’éclat de sa gloire pour juger les vivants et les morts, et mettre les justes
en possession de son royaume; en sorte que si l’humilité de ce premier
avènement a frappé d’aveuglement une partie d’Israël, pour donner lieu aux
Gentils d’entrer complètement dans l’Eglise; dans le second, tout Israël sera
sauvé, selon la prédiction de saint Paul. Car c’est encore en faveur des Juifs
que l’Apôtre invoque ce témoignage d’Isaïe: « De Sion viendra celui qui
détournera de l’impiété les enfants de Jacob (Isa. LIX, 20)». C’est dans le même sens qu’il est dit ici: « Qui
fera sortir d’Israël l’auteur du salut? — Quand le Seigneur aura brisé les
chaînes de la captivité de son peuple, Jacob sera dans la joie et Israël dans
l’allégresse (Ps. XIII, 7)». C’est
une répétition, comme beaucoup d’autres; car je pense que la joie de Jacob est
identique à l’allégresse d’Israël.
Après avoir gémi sur les
blasphèmes, le Prophète nous expose les vertus dont l’âme doit être ornée pour
jouir du Seigneur et entrer dans ses tabernacles.
PSAUME POUR DAVID (Ps XIV, 1).
1. Le titre ne soulève aucune difficulté. «
Seigneur, quel voyageur trouvera un abri sous votre tente (Ibid.)?» Quelquefois la tente ou tabernacle, se dit de la demeure
éternelle; mais dans son acception propre, c’est un logement de guerre; de là
vient que les soldats se nomment contubernales, compagnons de la tente, comme
si leurs tentes étaient contiguës. Une raison de plus de l’entendre ainsi,
c’est qu’il est dit: « Quel voyageur trouvera un abri?» Sur la terre en effet
nous sommes en guerre avec le démon, et nous avons besoin d’une tente pour nous
reposer. Cette tente désigne surtout notre foi à l’économie temporelle de
l’Incarnation qui s’est accomplie en cette vie par notre Seigneur et pour notre
salut. « Qui se reposera sur votre montagne sainte (Ps. XIV, 1)?» Peut-être nous marque-t-il ici déjà la demeure
éternelle, et par cette montagne faut-il entendre la charité suréminente du
Christ dans la vie éternelle.
2. « Celui qui marche dans l’innocence, et
dont la vie est pure (Id. 2) ». C’est
là une proposition qu’il va détailler.
3. « Qui dit la vérité qu’il a dans son coeur
(Id. 3) ». Quelques-uns, en effet,
ont sur les lèvres une vérité qui n’est pas dans leur coeur. Ainsi, qu’un homme
nous montre un chemin, qu’il sait être infesté par les voleurs, et nous dise:
Dans cette voie, vous n’avez aucun voleur à craindre. Si en réalité nous ne
rencontrons aucun voleur, il a dit une vérité qui (183) n’était pas en son
coeur. Il pensait le contraire et a dit la vérité à son insu. C’est donc peu
que la vérité soit dans notre bouche, si elle n’est aussi dans notre coeur. «
Dont la langue n’a point menti ». La langue est menteuse, quand il y a
désaccord entre la parole extérieure et la pensée qui se cache dans notre
coeur. « Qui n’a fait aucun mal à son prochain ». Ce mot de prochain, on le
sait, doit s’étendre à tous les hommes. « Qui n’adopte point l’injure que l’on
fait à ses frères (Ps. XIV, 3) »,
c’est-à-dire, qui ne croit ni volontiers, ni témérairement aux paroles
accusatrices.
4. « Celui dont la présence anéantit le
méchant (Id. 4) ». La perfection pour
l’homme c’est que le méchant n’ait aucune prise sur lui, et qu’il ne soit rien
à ses yeux, c’est-à-dire que cet homme sache bien qu’il n’y a point de méchant,
à moins que l’âme ne se détourne de l’éternelle et immuable beauté du Créateur,
pour s’attacher à cette beauté d’une créature tirée du néant. « Mais il honore
ceux qui craignent le Seigneur», comme le Seigneur le fait lui-même; car la
sagesse commence par la crainte du Seigneur (Eccli. I, 16) ». Ce qui précède regarde les parfaits, et maintenant
ce qui va suivre est pour ceux qui commencent.
5. « Celui qui s’engage par serment envers le
prochain, mais sans le tromper; qui ne donne point son argent à usure, et ne
reçoit e point de présents contre l’innocent (Ps. XIV, 4, 5) ». Ce ne sont point là de grandes vertus; mais celui
qui ne peut les pratiquer pourra bien moins encore parler selon la vérité qu’il
connaît en son coeur, sans employer sa langue à la fourberie, disant toujours
au dehors ce qu’il croit être vrai, ayant dans la bouche: Oui, oui; non, non (Matt. V, 37). Il pourra moins encore ne
pas nuire à son prochain, c’est-à-dire à qui que ce soit, ne point écouter
l’injure contre ses frères: ces oeuvres sont de l’homme parfait, dont la
présence anéantit les pervers. Bien que ces vertus soient moins élevées, le
Prophète ne laisse pas de conclure ainsi: « Quiconque fait ces oeuvres, ne doit
point déchoir dans l’éternité »; c’est-à-dire qu’il arrivera aux oeuvres plus
parfaites, qui nous valent cette grande et inébranlable stabilité. Car ce n’est
probablement pas sans raison que le Prophète a passé d’un temps à un autre, que
la première conclusion est au passé, tandis que celle-ci est au futur. Dans la
première, il disait: « Le méchant s’est anéanti en sa présence »; et ici: « il
demeurera ferme éternellement ».
DISCOURS
SUR LE PSAUME XIV 1
L’HOMME DU CIEL.
Le chiffre du psaume est quatorze et nous
rappelle que l‘Agneau fut immolé au quatorzième
jour, quand la lune est dans son plein. Or,
habiter les tabernacles du Seigneur, c’est
demeurer dans l’Eglise, qui n’est point une
demeure permanente, et cette montagne où l’on
doit se reposer c’est le ciel. Or, celui-là
s’y reposera « qui marche dans l’innocence »,
c’est-à-dire qui est encore en chemin, et qui
est déjà innocent, « qui pratique la justice» en
faisant du bien aux autres, « qui parle selon
la vérité, qui ne fait aucun mal au prochain »,
c’est-à-dire aux autres hommes. Un tel saint méprise
le méchant fût-il haut placé dans le
monde.
1. On vient de lire fort à propos le psaume
quatorzième; bien qu’il vienne à son tour, on le
dirait choisi tout exprès. Le lecteur l’a
pris dans l’ordre des psaumes, et néanmoins j’y vois
la sagesse de Dieu, qui a mis dans l’ordre de
nos explications ce qui devait vous être utile.
Ce psaume est le quatorzième, qui a pour
titre: « Psaume de David 2 ». Or, David c’est
pour nous le Christ, nous t’avons dit
souvent. Et puis, nous avons lu dans l’Exode que
l’Agneau doit être immolé le quatorzième jour
3; oui, ce quatorzième jour, quand la lune
est dans son plein, quand il ne lui manque
rien de sa splendeur; d’où
1. Dans plusieurs manuscrits, ce discours
précède le discours reproduit dans le tome VIII
sur le psaume XIV. D’autres manuscrits
attribuent ce fragment à saint Jérôme. 2. Ps. XIV, 1.
— Exod. XII, 5, 6.
vous pouvez voir que le Christ ne saurait
être immolé qu’en pleine et parfaite lumière.
Comme donc l’Agneau doit être immolé au quatorzième
jour, voilà que le Prophète saisi
d’admiration s’écrie:
2. « Seigneur, qui habitera dans votre
tabernacle? » O vous qui voulez habiter dans le
tabernacle, du Seigneur, écoutez cette
apostrophe du Prophète: « Qui habitera dans vos
tabernacles, ô mon Dieu, ou qui se reposera
sur votre montagne sainte? » Non point d’abord
sur la montagne et dans le tabernacle
ensuite, mais d’abord dans le tabernacle et ainsi sur la
montagne. Le tabernacle n’est point une demeure
permanente, te tabernacle n’a point de
fondement, mais on le plante; çà et là, il
suit les migrations de (313) l’homme. Aussi est-il
appelé paroikia, et non point habitation. «
Seigneur,qui habitera dans vos tabernacles? »
Comme ce n’est qu’une tente, ou l’appelle en
grec paroikia. Voyons donc ce qu’est un
tabernacle, ce qu’est une montagne. Un
tabernacle n’a aucun fondement, c’est une demeure
passagère; les montagnes, au contraire, ont
des fondements solides; c’est pourquoi ce
tabernacle nie parait être l’Eglise de ce
monde. Or, les églises que vous voyez aujourd’hui
sont des tabernacles, puisque nous ne devons
point y demeurer, nous devons passer ailleurs.
Car, si la figure de ce monde passe 1, et si le ciel et la terre passeront 2,
comme il est dit
ailleurs, à combien plus forte raison les
pierres de ces églises que nous avons sous les yeux?
On appelle donc maintenant les églises des
tabernacles, parce que nous devons en sortir pour
aller à la montagne sainte du Seigneur.
Quelle est cette montagne sainte du Seigneur?
Ezéchiel nous le dit en parlant contre le
prince de Tyr: « Tu as été blessé sur la montagne du
Seigneur
3. Et qui reposera sur votre montague sainte?» Puisque nous devons
quitter les
tabernacles pour aller sur les saintes
montagnes, il nous faut apprendre à quels hommes il
appartient d’aller sur la sainte montagne de
Dieu.
3. Il y a une interrogation dans cette
parole: « Qui habitera dans vos tabernacles, ou qui se
reposera sur votre montagne sainte? » C’est
maintenant l’Esprit-Saint qui répond à la
question du Prophète; et que lui dit-il?
Veux-tu savoir, ô Prophète, veux-tu savoir qui doit
habiter dans mes tabernacles, et reposer sur
ma montagne sainte? Ecoute ce qui suit: Si tu
observes ce que je vais dire, tu habiteras
sur ma montagne sainte. Vous donc qui voulez
habiter les saints tabernacles, et vous
élever sur la sainte montagne du Seigneur, vous n’avez
pas besoin d’écouter mes paroles, écoutez ce
que le Seigneur répondit au Prophète;
pratiquez ce que te Seigneur vous ordonne, et
vous arriverez à la sainte montagne du
Seigneur. u C’est celui u qui marche dans
l’innocence, et qui pratique la justice 4 ». Aussi le
psaume cent dix-huitième nous dit-il: «
Heureux les hommes innocents dans leurs voies ! »
Oui, c’est ainsi qu’il commence: «
Bienheureux les hommes
1. I
Cor. VII, 31. — 2. Matth. XXIV, 35. — 3. Ezéch. XXVIII, 16, suiv. les Septante. — 4.
Ps. XIV, 2.
innocents dans leurs voies 2 ! » De même
qu’il est dit là: « Innocents dans leurs voies», il
est dit ici: « Qui marche dans l’innocence ».
Or, marcher c’est être dans la voie, « Qui
marche dans l’innocence ». Voyez ce qui est
prescrit. Il n’est pas dit qui est pur en atteignant
la fin; mais qui est encore en chemin, et qui
est sans tache. Quelqu’un pouvait dire: Je n’ai
aucune tache, n’ayant commis aucun mal. Il ne
suffit pas d’éviter le mal, si nous ne faisons
aussi le bien. Car le Prophète continue: « Et
qui pratique la justice ». Non point qui garde
la chasteté, non point, qui fait des actes de
sagesse ou de courage. Voilà sans doute les
principales vertus. Ainsi la sagesse nous
vient en aide pour résister aux persécutions: la
tempérance et la chasteté nous sont utiles,
pour ne point perdre nos âmes. Mais il n’y a que
la justice pour dominer toutes les vertus
dont elle est la mère. Comment, dira-t-on, la justice
peut-elle dominer toutes les autres? Les
autres vertus font la joie de ceux qui les pratiquent,
tandis que la justice fait la joie, non de
celui qui la pratique, mais des autres. Que je sois
sage, la sagesse fait nies délices; que je
sois courageux, le courage me plaît; que je sois
chaste, la chasteté a des charmes pour moi
mais la justice fait moins le bonheur de ceux qui
la possèdent, que des malheureux qui ne l’ont
point. Donne-moi un pauvre qui a un
différend avec mon frère, donne à ce frère
une puissance telle qu’il opprime de son crédit
tout ce qui n’est pas moi, ou qui m’est
étranger; de quoi ma sagesse va-t-elle servir à ce
Pauvre? Que fait à ce pauvre ma chasteté? Que
lui fait mon courage? Mais ma justice lui
vient en aide, parce que, sans acception pour
mon frère, je prononce selon la justice. La
justice, en effet, ne connaît ni frère, ni
mère, ni père; elle connaît la vérité. Non plus que
Dieu, elle ne fait acception de personne,
Aussi le Prophète nous dit-il: « Et qui pratique la
justice », de peur qu’il ne paraisse exclure
les autres vertus. Quiconque se met dans une
sainte colère pour en soulager un autre,
quiconque ne fait point sa joie du malheur d’autrui,
celui-là est juste.
4. Disons encore ce qui suit: « Celui qui dit
la vérité dans son coeur 2 ». Beaucoup ont la
vérité sur les lèvres, et non dans le coeur;
ils paraissent dire la vérité, et le coeur n’est
1. Ps. 118, 1. — 2. Id. XIV, 3.
point d’accord avec la bouche. « Celui qui ne
cache point l’artifice dans ses paroles ». Qui
dit au dehors ce qu’il a dans la pensée. «
Qui n’a fait aucun mal à son prochain ». Au nom
de prochain beaucoup s’imaginent un frère, un
voisin, un allié, un parent. Mais le Seigneur
nous fait connaître le prochain dans cette
parabole de l’Evangile, à propos de celui qui
descendait de Jérusalem à Jéricho. Le prêtre
passa outre, le lévite passa outre, sans en
prendre pitié; mais un samaritain qui vint à
passer, fut ému de compassion. Le Seigneur fait
ensuite cette question: « Lequel de ces
hommes fut son prochain?» On lui répond « Celui
qui lui fit du bien ». Et le Seigneur ajoute:
« Allez, vous aussi, et faites de même 1». Nous
sommes donc tous notre prochain réciproquement,
et nous ne devons faire aucun mal à
personne. Mais si nous ne voyons le prochain
que dans nos frères et dans nos proches, il
nous sera donc permis de faire du mal aux
autres? Loin de nous de le croire. Nous sommes
tous notre prochain, et nous n’avons qu’un
même père. « Et que son prochain n’a point
couvert d’opprobre ». C’est le comble de la
louange. Jamais voisin n’a murmuré contre lui;
jamais il n’a trouvé occasion d’en dire du
mal. C’est là une vertu bien supérieure à
l’humanité, c’est un don de Dieu.
5. « Le méchant, sous ses yeux est réduit
1. Luc, X, 30 37.
à néant 1 ». Qu’un homme soit empereur, qu’il
soit préfet, qu’il soit évêque ou qu’il soit
prêtre (car l’Eglise a aussi ses dignités), quiconque
est méchant sous les yeux du saint par
excellence, est compté pour rien. Puis
aussitôt le Prophète ajoute: « Il glorifie ceux qui
craignent le Seigneur ». Ce saint qui marche
dans l’innocence, qui méprise les puissants dès
qu’ils sont méchants, décerne l’honneur à
tout homme qui craint Dieu, quelle que soit sa
pauvreté. « Qui s’engage par serment à son
prochain, sans le tromper ». Et ici nous devons
entendre comme plus haut ce mot de prochain.
6. « Celui qui n’a point donné d’argent à
usure 2».On pourrait dire ici bien des choses, mais
le temps nous presse. Mais, avant-hier, nous
en avons parlé au commencement de
l’instruction, et puisque vous êtes par la
grâce de Dieu sortis de la Chaldée avec Abraham 3,
et que vous vous souvenez de ce que nous
avons dit au sujet de cette sortie, venez dans la
terre des promesses. Quant à Abraham, dès
qu’il fut entré dans la terre promise, il trouva des
adversaires à droite et à gauche, des ennemis
qui tenaient le pays: le Seigneur vint pour l’en
tirer, et lui fit gravir une montagne d’où il
lui montra la terre entière, en disant: « Je te
donnerai toute cette terre et à ta postérité
4 ». A lui la promesse, à nous l’accomplissement.
1.
Ps. XIV, 4. — 2. Id. 5. — 3. Gen. XI, 31. — 4. Id. XIII,15.
Parce que le Christ a mis sa
confiance dans le Seigneur, qu‘il n’a voulu d’autre héritage que lui seul, le
Seigneur l’a fait triompher de ses ennemis par la résurrection. Ces sentiments peuvent
être aussi ceux de l’âme juste qui se confie en Dieu et qui triomphe aussi de
la mort éternelle.
INSCRIPTION DU TITRE, POUR DAVID (Ps. XV, 1).
1. Ce Psaume est le chant de notre roi, dans
son humanité, lui qui dans sa passion obtint sur l’inscription le titre de roi.
2. Voici ses paroles: « Conservez-moi,
Seigneur, parce que j’ai mis en vous mon espoir; j’ai dit au Seigneur: Vous
êtes mon Dieu; vous n’avez nul besoin de mes biens (Ps. XV, 2) ».Vous n’avez que faire de mes biens pour votre
félicité.
3. « Aux âmes saintes qui habitent ses
domaines (Id. 3) », c’est-à-dire à
ces saints qui ont mis leur espoir dans la terre des vivants, aux (184)
citoyens de la Jérusalem céleste, dont la conversation spirituelle est fixée
par l’ancre de l’espérance, dans cette terre qui est fort bien nommée la terre
de Dieu, quoique selon le corps ils vivent en ce bas monde,-e il a fait «
admirer tout l’amour que j’ai pour eux (Ps.
XV, 3) ». Le Seigneur donc a fait connaître à ces âmes saintes, mes
desseins merveilleux pour leurs progrès, et ils ont alors compris l’avantage
que leur procure ce mystère d’un Dieu qui est homme pour mourir, et de cet
homme qui est Dieu pour ressusciter.
4. « Leurs infirmités se sont multipliées »;
non pour leur perte, mais pour leur faire désirer le médecin. « C’est pourquoi
ils ont hâté leur course ». Donc, à la vue de leurs nombreuses maladies, ils se
sont hâtés d’en chercher la guérison. « Je ne les assemblerai pas pour des
sacrifices sanglants (Id. 4) ». Leurs
assemblées ne seront plus charnelles, et ce n’est point en faveur du sang des
animaux que je les rassemblerai pour les exaucer. « J’oublierai leur nom qui ne
sera plus sur mes lèvres ». Par un changement tout spi-r rituel, ils oublieront
ce qu’ils étaient autrefois; et moi, dans la paix que je leur donnerai, je ne
verrai plus en eux des pécheurs ou des ennemis, ou même des hommes, mais je les
appellerai des justes, des frères, et des enfants de Dieu.
5. « Le Seigneur est la part de mon héritage
et de mon calice (Id. 5) ». Car ils
posséderont aussi avec moi cet héritage qui est Dieu même. Que d’autres se
choisissent, pour en jouir, l’héritage des biens temporels et passagers; le
partage des saints, c’est Dieu qui est éternel. Que d’autres s’enivrent de
mortelles voluptés, le Seigneur est la part de mon calice. En disant « de mon
calice », je comprends aussi l’Eglise avec moi, car où est la tête, là est
aussi le corps. Je ferai en effet mon héritage de leurs assemblées, et dans
l’ivresse de mon calice j’oublierai leurs noms anciens. « C’est vous, ô Dieu,
qui me rétablirez dans mon héritage (Ibid.)
», afin que ceux que je délivre, connaissent l’éclat que j’avais en vous avant
la création du monde (Jean, XVII, 5)
». Ce n’est point pour moi que vous me rendrez ce que je n’ai point perdu, mais
pour ceux qui ont perdu la connaissance de cette gloire; et comme je suis en
eux, « c’est à moi que vous la rendrez ».
6. « Le cordeau a mesuré ma part dans des
lieux ravissants (Ps. XV, 6) ». Comme
le Seigneur devint autrefois la possession des prêtres et des lévites, mon
héritage m’est échu comme par le sort, dans la splendeur de votre gloire, ô mon
Dieu. « Et cet héritage est glorieux pour moi », car il n’est pas glorieux pour
tous, mais pour ceux qui le comprennent; et comme je suis en eux, c’est pour moi
qu’il est glorieux.
7. « Je bénirai le Seigneur qui m’a donné
l’intelligence », nécessaire pour voir et posséder cette part glorieuse. « De
plus, jusqu’à la nuit, mes reins m’ont donné une sévère leçon ». En outre de
l’intelligence, cette partie inférieure de moi-même, ou la chair, dont je me
suis revêtu, m’a donné une leçon, en me faisant éprouver les ténèbres de la
mort, qu’ignore cette intelligence.
8. « Je plaçais toujours le Seigneur en ma
présence (Id. 8) ». En venant dans ce
monde qui passe, je n’ai point perdu de vue celui qui demeure éternellement,
avec le dessein de
rentrer en lui, après cette vie des temps. «
Car il est à ma droite, afin que je ne sois point ébranlé ». Il m’assiste, afin
que je demeure ferme en lui-même.
9. « C’est pour cela que mon coeur a
tressailli, que ma langue a chanté sa joie ». La joie donc a rempli mes
pensées, et l’allégresse a éclaté dans mes paroles. « En outre, ma chair
reposera dans l’espérance ». Ma chair ne sera point absorbée par la mort, mais
elle s’endormira dans l’espérance de la résurrection.
10. « Parce que vous ne laisserez point mon
âme dans les enfers (Id. 10) ». Vous
ne donnerez pas mon âme comme une proie aux enfers, « et vous ne permettrez pas
que votre saint « éprouve la corruption ». Vous n’abandonnerez pas à la
pourriture un corps sanctifié, qui doit sanctifier les autres. « Vous m’avez
fait connaître les voies de la vie ». C’est par moi que vous avez enseigné la
voie de l’humilité, afin que les hommes revinssent à la vie, qu’ils avaient
perdue par l’orgueil: et comme je suis en eux, c’est à moi que vous l’avez fait
connaître. « Vous me remplirez de joie en me faisant voir votre face ». Quand
ils vous verront face à face, leur joie sera telle qu’ils n’auront plus aucun
désir; et comme je suis en eux, c’est moi que vous (185) remplirez de joie. « A
votre droite sont d’éternelles délices (Ps.
XV, 11)». Vos faveurs et vos bontés nous sont délicieuses dans le chemin de
cette vie, et nous font arriver au comble de la gloire en votre présence.
Environnée d’ennemis
pervers, l’Eglise fait appel à Dieu. Elle le remercie de la protection qu’il
lui accorde chaque jour, et a la ferme espérance de triompher par cette
protection.
1. Il faut attribuer cette prière à
Jésus-Christ uni à l’Eglise, qui est son corps.
2. « Seigneur, écoutez ma justice, entendez
ma prière. Prêtez l’oreille à mes supplications, mes lèvres ne sont point
trompeuses (Id. 2)». Cette prière ne
vous arrive pas de lèvres qui déguisent. « Que mon jugement émane de votre
visage ». Que votre connaissance m’éclaire et me fasse juger selon la vérité.
Ou bien, que mon jugement n’émane point de lèvres menteuses, mais de votre
clarté, afin que je ne prononce rien de contraire à ce que je découvre en vous.
« Que mes yeux voient l’équité», c’est-à-dire les yeux de mon coeur.
3. « Vous avez sondé mon coeur en le visitant
la nuit ». Car ce coeur a été mis à l’épreuve quand la tribulation l’a visité.
« Vous m’avez éprouvé par le feu, et vous n’avez point trouvé l’iniquité en moi
(Id. 3) ». Cette épreuve de
l’affliction qui a fait ressortir ma justice, peut être appelée, non seulement
une nuit qui nous trouble, mais un feu qui brûle.
4. « En sorte que ma bouche ne parle point
selon les oeuvres des hommes (Id. 4)».
Afin que rien ne sorte de ma bouche qui ne soit pour votre gloire et votre
louange; et non pour les oeuvres des hommes qui agissent contre votre volonté.
« A cause des paroles de votre bouche », paroles de votre paix, ou de vos
prophètes; « j’ai traversé des voies difficiles »; ces voies pénibles de la
mortalité humaine et des douleurs.
5. « Pour affermir mes pieds dans vos
sentiers (Ps. XVI, 5) ». Afin que la
charité de l’Eglise devînt parfaite dans ces étroits sentiers qui conduisent à
votre repos. « Afin que mes pas ne chancellent point », afin que ne s’effacent
jamais les marques de mon passage, empreintes comme des pas, dans les
sacrements et dans les écrits de mes Apôtres, et que ceux qui ont la volonté de
me suivre puissent les regarder et les connaître. Ou bien, afin que je demeure
inébranlable dans l’éternité, après avoir parcouru des chemins difficiles, et
marqué mes pas dans vos étroits sentiers.
6. « J’ai crié, ô mon Dieu, parce que vous
m’avez exaucé (Id. 6) ». Je vous ai
adressé ma prière avec force et avec ferveur, parce que vous m’avez exaucé
quand ma prière plus faible vous demandait cette ferveur. « Prêtez-moi
l’oreille, écoutez mes paroles (Ibid.)
». Que votre bonté n’abandonne point ma bassesse.
7. « Faites éclater vos miséricordes (Id. 7)», de peur que ces bontés ne
retombent dans le mépris, et n’obtiennent un amour trop imparfait.
8. « Vous qui protégez ceux qui espèrent en
vous, contre ceux qui refusent votre droite », ou ces faveurs que vous m’accordez.
« Conservez-moi, Seigneur, comme la prunelle de l’œil (Id. 8)», qui paraît petite et rétrécie; c’est elle néanmoins qui
donne à la (186) vue sa puissance, et nous fait discerner la lumière des
ténèbres, comme c’est par l’humanité de Jésus-Christ que doit s’exercer, au
jugement, le pouvoir divin de discerner les justes des pécheurs. «
Protégez-moi, sous l’ombre de vos ailes», c’est-à-dire, que votre amour
miséricordieux me serve de bouclier « contre les impies qui me persécutent (Ps. XVI, 9) ».
9. « Mes ennemis ont environné mon âme, ils
ont fermé leurs entrailles (Id. 10)
». Ils se sont enveloppés d’une joie charnelle, après avoir saturé de crimes
leur avidité. « Leur bouche a exhalé des paroles d’orgueil ». Leur bouche a
décoché des paroles insolentes, quand ils ont dit: « Salut au roi des Juifs (Matt. XXVII, 29) », et autres blasphèmes
semblables.
10. « Après m’avoir chassé, voilà que
maintenant ils m’environnent ». Ils m’ont fait sortir de leur ville, et
maintenant ils m’environnent à la croix. «Ils se sont résolus à fixer les yeux
vers la terre (Ps. XVI, 11) ». C’est
leurs coeurs qu’ils ont résolu de fixer aux choses terrestres, quand ils ont
infligé à celui qu’ils mettaient à mort un mal qu’ils voulaient s’épargner à
eux, qui étaient ses bourreaux.
11. « Ils m’ont reçu, comme le lion prêt à
dévorer sa proie (Id. 12.) ». Ils ont
épié mes démarches, comme cet ennemi qui rôde autour de nous, cherchant à nous
dévorer (I Pierre, V, 8). « Et comme le
lionceau embusqué dans un fourré ». Ce peuple à qui vous avez dit: « Vous avez
le diable pour père (Jean, VIII, 44)
», c’est comme le lionceau méditant des embûches pour circonvenir et perdre le
juste.
12. « Levez-vous, Seigneur, prévenez-les, et
renversez-les (Ps. XVI, 13)».
Levez-vous, Seigneur, vous qu’ils croient endormi et peu soucieux des péchés
des hommes. Châtiez d’avance leur malice par l’aveuglement, afin que la
vengeance prévienne leur crime, et renversez-les de la sorte.
13. « Délivrez mon âme des impies ». Délivrez
mon âme en me faisant triompher par la résurrection de cette mort que m’ont
infligée les impies. « Délivrez votre glaive des ennemis de votre main (Ps. XVI, 14) ». Mon âme est votre
glaive, ce glaive qu’a saisi votre main, ou votre force éternelle, afin de
détruire les royaumes de l’iniquité, et de séparer les justes des impies. C’est
ce glaive qu’il faut arracher aux ennemis de votre main, c’est-à-dire de votre
puissance, ou de mes ennemis. « Seigneur, en les faisant disparaître de la
terre, dispersez-les, pendant toute leur vie (Ibid.) ». Faites-les disparaître de cette terre qu’ils habitent, et
dispersez-les dans l’univers, pendant toute cette vie qu’ils croient la vie
unique, puisqu’ils ne croient point à la vie éternelle. « Leur ventre est
saturé de vos mystères (Ibid.) ».
Leur châtiment ne se bornera point à cette peine sensible, mais ces péchés qui
leur cachent la lumière de votre vérité, occupent leur mémoire, et leur font
oublier Dieu. « Ils se sont rassasiés de la chair des pourceaux ». Ils ont pris
goût à l’immondice, eux qui foulent aux pieds les perles de la parole de Dieu.
« Ils ont laissé leurs restes pour leurs jeunes enfants (Ibid.) », en criant: « Que son sang retombe sur nous et sur nos
fils (Matt. XXVII, 25) »
14. « Pour moi, j’apparaîtrai devant vous,
lors de votre justice (Ps. XVI, 15)»:
moi que n’ont point reconnu ceux dont le coeur impur et ténébreux est
impuissant à voir la lumière de la sagesse, voilà que j’apparaîtrai devant
vous, au jour de votre justice. « Je serai rassasié, quand vous manifesterez
votre gloire ». Quand, saturés d’impureté, mes ennemis ne pourront me
connaître, je serai rassasié de cette gloire que vous ferez éclater dans ceux
qui me comprennent. Au lieu de cette expression: « Ils se sont rassasiés de la
chair des pourceaux», on trouve dans quelques exemplaires: « Ils se sont
rassasiés d’enfants ». Cette double traduction vient du mot grec, qui est
ambigu. Par ces enfants nous entendons les oeuvres. Les bons seront les bonnes
oeuvres, et les méchants seront les oeuvres mauvaises. (187)
L’Eglise unie à Jésus-Christ et triomphant
des embûches des méchants, s’empare des paroles de David après que Dieu l’eût
délivré de Saül et de ses ennemis; elle bénit le même Dieu qui l’a délivrée du
démon et des convoitises charnelles.
1. « Pour la fin, à David, serviteur de Dieu
(Ps. XVII, 1) », c’est-à-dire au
Christ, qui en son humanité, est la main forte. « Il chanta au Seigneur les
paroles de ce cantique, au jour où le Seigneur l’arracha à la puissance de ses
ennemis, à la puissance de Saül (II Rois,
XXII, 11; Ps. XVII, 2) »; ce Saül était le roi des Juifs, qu’eux-mêmes
avaient demandé pour roi. De même que David signifie la main forte, Saül
signifie demande. Or, on sait comment ce peuple demanda au Seigneur un roi (I Rois, VIII, 5), qui lui fut donné, non
d’après les volontés de Dieu, mais selon sa propre volonté.
2. C’est donc le Christ uni à l’Eglise, ou le
Christ tout entier, la tête et le corps, qui s’écrie: « Je vous aimerai,
Seigneur, qui êtes ma force (Ps. XVII, 2)
»», ou, je vous aimerai parce que vous me rendez fort.
3. « Vous êtes, ô Dieu, mon protecteur, mon
refuge et mon libérateur (Id. 3) ».
C’est vous qui m’avez protégé parce que je me suis réfugié en vous, et je me
suis réfugié en vous, parce que vous m’avez délivré. « Le Seigneur est mon
aide, en lui sera mon espoir ». C’est vous, ô Dieu, qui m’avez accordé la
faveur de m’appeler, afin que je pusse espérer en vous. « Vous êtes mon
protecteur, le boulevard de « mon salut, et mon rédempteur (Ibid.) ». Vous êtes mon protecteur,
parce que je n’ai point trop présumé de moi en élevant contre vous le boulevard
de mon orgueil; mais c’est en vous que j’ai trouvé la puissance ou la haute et
solide forteresse de mon salut; et pour me la faire trouver, vous m’avez
racheté.
4. « Je louerai le Seigneur, et je
l’invoquerai, et il me délivrera de mes ennemis (Id. 4) ». Ce n’est point en cherchant ma gloire, mais bien celle du
Seigneur, que je l’invoquerai, et je n’aurai plus à craindre que les erreurs de
l’impiété me soient nuisibles.
5. « Les douleurs de la mort », ou douleurs
corporelles, « m’ont environné, et les torrents de l’iniquité m’ont troublé (Ps. XVII, 5) ». Ces multitudes impies un
moment soulevées, comme les eaux de l’hiver qui se gonflent pour cesser
bientôt, se sont efforcées de me troubler.
6. « Les douleurs de l’enfer m’ont assiégé (Id. 6)». Chez ceux qui m’environnaient
pour me perdre, il y avait ces tortures de la jalousie qui causent la mort, et
aboutissent à l’enfer du péché. « Les filets de la mort m’ont prévenu », et ils
me prévenaient, en cherchant les premiers à me faire un mal qui est retombé sur
eux. Ces filets enveloppent pour la mort les hommes qu’ils ont surpris en leur
vantant cette fausse justice, ce vain nom sans réalité, dont ils se glorifient
contre les Gentils.
7. « Au milieu de l’angoisse, j’ai invoqué le
Seigneur; j’ai crié vers mon Dieu, et de son saint temple il a entendu ma voix
(Id. 7) ». Il a entendu ma voix dans
mon coeur où il habite, « et le cri que j’ai poussé en sa présence ». Ce cri
que n’entendent point les oreilles des
hommes, et que j’exhale intérieurement en sa
présence, « est parvenu à son oreille ».
8. « La terre s’en est émue et a tremblé (Id. 8) ». Ainsi, quand le Fils de
l’homme fut glorifié, les pécheurs furent émus et tremblèrent. «Et les
fondements des montagnes ont été ébranlés » Les espérances que les superbes
avaient fondées sur les biens de cette vie ont été renversées. « Ils ont été
ébranlés, parce que le Seigneur s’est irrité contre eux », afin que l’espérance
dans les biens terrestres ne s’affermît pas désormais dans les coeurs des
hommes.
9. « Un tourbillon de fumée s’est élevé (188)
devant sa colère ». Les hommes, touchés de repentir à la vue des menaces du
Seigneur contre les impies, ont fait monter vers le ciel
des prières et des larmes. « Un feu s’est
allumé en sa présence (Ps. XVII, 9)
». Au repentir a succédé le feu de la charité, qu’allumait la connaissance du
Seigneur. « Des charbons ont été embrasés ». Ceux qui étaient déjà morts,
n’ayant plus ni le feu des saints désirs, ni la lumière de la justice, qui
étaient plongés dans de froides ténèbres, ont reçu de nouveau le feu et la
lumière de la vie.
10. « Il a abaissé les cieux, et il est
descendu ». Il a humilié le juste qui s’est abaissé jusqu’à la faiblesse des
hommes. « Les ténèbres étaient sous ses pieds (Id. 10) », Aveuglés par leur malice, les méchants ne l’ont pas
connu, eux qui goûtent les choses de la terre, et la terre est sous les pieds
du Seigneur, elle est comme son marchepied.
11. « Il est monté sur les chérubins et a
pris son vol (Id. 11) ». Il s’est
élevé au-dessus de la plénitude de la science, afin que nul ne pût venir à lui
que par la charité. Car la charité est la plénitude de la loi (Rom. XIII, 10). Et bientôt il s’est
montré incompréhensible à ceux qui l’aimaient, de peur qu’ils ne crussent que
l’on pouvait le comprendre au moyen des images temporelles. « Son vol était
plus rapide que celui des vents »; c’est-à-dire que la promptitude avec laquelle
il s’est montré incompréhensible dépasse ces vertus qui sont pour l’âme comme
des ailes, dont elle se sert pour s’élever des frayeurs de la terre dans les
régions de la liberté.
12. « Il a choisi les ténèbres pour sa
retraite (Ps. XVII, 12)». Il a choisi
l’obscurité des sacrements, l’espérance qui est invisible dans le coeur des
fidèles, pour s’y cacher, sans néanmoins les abandonner. Il se cache aussi dans
ces ténèbres où nous marchons encore par la foi, et non par la claire vue (II Cor. V, 7), tant que nous espérons ce
que nous ne voyons pas encore, et que nous l’attendons par la patience (Rom. VIII, 25). « Son tabernacle est
autour de lui ». Ceux qui se convertissent et croient en lui l’environnent de
toutes parts; il est au milieu d’eux, parce qu’il répand sur eux d’égales
faveurs, et qu’en cette vie il habite en eux comme dans une tente. « Il y a
dans les nuages de l’air une eau ténébreuse ». Que nul ne s’imagine que
l’intelligence des Ecritures lui donnera cette lumière dont nous jouirons quand
nous aurons passé de la foi à la vision. Il y a quelque chose d’obscur dans la
doctrine des Prophètes, et de tout prédicateur de la parole de Dieu.
13. « En comparaison de la lumière de sa
présence (Ps. XVII, 13) »; en
comparaison de cette splendeur qu’il fera éclater en se manifestant à nous. «
Ses nuées ont passé »; voilà que les hérauts de sa parole ne se restreignent
plus dans les confins de la Judée, mais passent chez les nations. « Voilà que
tombent la grêle et les charbons ardents ». C’est la figure de ces reproches
qui doivent tomber comme une grêle sur les coeurs endurcis; mais s’agit-il
d’une terre cultivée et douce, ou mieux d’une âme pieuse, cette grêle se change
en eau; c’est-à-dire que ces menaces dures comme les glaçons, redoutables et
impétueuses comme la foudre, se changent en une doctrine désaltérante, au feu
de la charité les coeurs prennent une vie nouvelle. Voilà ce qu’ont produit
parmi les Gentils, les nuées du Seigneur.
14. « Du haut des cieux le Seigneur a tonné (Id. 14) ». Le Seigneur s’est fait
entendre de ce coeur juste qu’animait la confiance pour prêcher l’Evangile. «
Et le Très-Haut a fait retentir sa voix n, afin qu’elle arrivât jusqu’à nous,
et que du profond abîme des choses humaines, nous pussions entendre les choses
célestes.
15. « Il a décoché ses flèches, et les a
dispersés (Id. 15) ». Il a envoyé les
Evangélistes sur les ailes des vertus, et ils ont tracé dans leur vol des
chemins droits, non par leurs propres forces, mais par la force de Celui qui
les envoyait. Il a dispersé ceux à qui il les envoyait, de sorte qu’ils ont été
aux uns une odeur de vie pour la vie, aux autres une odeur de mort pour la mort
(II Cor. II, 16). « Il a multiplié
ses foudres et les a jetés dans la stupeur ». Ses miracles nombreux les
consternaient.
16. « Alors ont apparu les sources d’eau vive
(Ps. XVII, 6) ». Alors apparurent
ceux que leurs prédications changeaient en sources d’eau vive, rejaillissant
jusqu’à la vie éternelle (Jean, IV, 14).
« Et les fondements du monde ont été mis à découvert ». Alors a été connu ce
qui demeurait caché dans les Prophètes, qui sont la base de ce monde rattaché à
Dieu par la foi. « Au bruit de vos menaces, ô Dieu », quand (189) vous avez
crié: « Le royaume de Dieu est proche de vous (Luc, X, 9)». «Au souffle bruyant de votre colère », ou quand vous
avez dit: « Si vous ne faites pénitence, vous mourrez tous de la même manière (Id. XIII, 5)».
17. « Il a envoyé d’en haut, et il m’a reçu»,
en appelant du milieu des Gentils cette Eglise qui est son héritage ou qui est
sans tache et sans ride (Eph. V, 27);
« Il m’a retiré du milieu des eaux », c’est-à-dire du milieu des peuples.
18. « Il m’a délivré de mes puissants ennemis
(Ps. XVII, 18) ». Il m’a délivré de
ces ennemis qui ont eu le pouvoir de m’affliger, et de troubler ma vie en ce
bas monde. « Et de ceux qui me haïssaient, parce qu’ils l’emportaient sur moi (Ibid.), pendant que, soumis à leur
domination, j’ignorais le Seigneur.
19. « Ils m’ont prévenu au jour de mon
affliction (Id. 19)». Ils furent les premiers
à me nuire pendant que je me fatiguais à porter un corps mortel. «Et le
Seigneur fut mon appui», et comme l’amertume des misères avait ébranlé et même
renversé la hase des terrestres plaisirs, le Seigneur m’a servi d’appui.
20. « Le Seigneur m’a conduit dans un lieu
spacieux». Comme j’étais à l’étroit, il m’a
conduit dans les spirituelles ailleurs de la
foi. « il ma sauvé à cause de sa bienveillance pour moi ». Avant même que je
l’eusse choisi, il m’a délivré d’ennemis puissants, jaloux de mon amour pour
lui, et de ceux qui me haïssent maintenant, parce que c’est lui que je veux
posséder.
21. « Le Seigneur me rendra selon ma justice
(Id. 21) ». li me rendra selon le
mérite de ma bonne volonté, lui qui, le premier, a été miséricordieux pour moi,
avant que j’eusse cette volonté. « Et il me traitera selon la pureté de mes
mains »; c’est-à-dire, selon la pureté de mes actions, lui qui m’a donné le
pouvoir de faire le bien, en m’introduisant dans les lieux spacieux de la foi.
22. « Parce que j’ai gardé les voies du
Seigneur (Id. 22) », afin d’y trouver
amplement ces bonnes oeuvres qu’opère la foi, et le courage de persévérer.
23. « Je n’ai point commis l’iniquité contre
mon Dieu, car j’ai devant les yeux tous ses jugements (Id. 23). Ces jugements, ou les récompenses des justes, les
châtiments des pécheurs, les afflictions qui corrigent, les tentations qui
éprouvent, voilà ce que j’ai continuellement sous les yeux. « Et je n’ai point
repoussé de moi sa justice »; comme le font ceux qui succombent sous le
fardeau, et retournent à leur vomissement.
24. « Je serai sans tache devant lui, et me
garderai de toute iniquité (Ps. XVII, 24)
».
25. « Et le Seigneur me rendra selon ma
justice (Id. 25)». Non seulement à
cause de l’ampleur de cette foi qui agit par l’amour (Galat. V, 6), mais à cause de ma longue persévérance; voilà
pourquoi le Seigneur me rendra selon ma justice. « Et selon la pureté de mes
mains qui est visible à ses yeux (Ps.
XVII, 25)», car ses yeux ne voient point comme voient les hommes. « Ce
qu’ils voient en effet, n’est que temporel, et ce qu’ils ne voient point est
éternel ». C’est à ces hauteurs que s’élève l’espérance.
26. « Vous serez saint avec celui qui est
saint ». Il y a une profondeur cachée qui
fait comprendre que vous êtes saint avec
celui qui est saint, parce que c’est vous qui le sanctifiez. « Que vous êtes
innocent avec l’innocent (II Cor, IV, 18)
». Pour vous, en effet, vous ne nuisez à personne, mais chacun est garrotté par
les chaînes de ses propres fautes (Ps. XVII,
26).
27. « Avec l’homme choisi vous serez choisi
»; car l’homme de votre choix vous choisit à son tour. « Et pervers avec le
pervers (Prov. V, 22) ». Aux yeux de
l’homme injuste vous paraissez injuste; car il dit que la voie du Seigneur
n’est pas droite (Ezéch. XVIII, 25),
tandis que c’est la sienne qui est tortueuse.
28. « Vous sauverez la race des humbles (Ps. XVII, 28)». L’homme pervers regarde
comme une injustice que vous accordiez le salut à ceux qui confessent leurs
péchés. « Et vous humilierez l’oeil des superbes »; vous abaisserez ceux qui
méconnaissent la justice de Dieu et veulent établir leur propre justice (Ps. Rom. X, 3).
29. « C’est vous, Seigneur, qui faites luire
mon flambeau (Ps. XVII, 29)». Car
notre lumière ne vient pas de nous-mêmes: c’est vous, Seigneur, qui en allumez
le flambeau. « C’est vous encore qui dissipez mes ténèbres ». Car nous sommes
dans la nuit à cause de nos péchés, mais le Seigneur dissipera ces obscurités.
30. « C’est encore vous qui me délivrerez de
la tentation (Id. 30) ». Je ne
pourrais, sans vous, triompher de l’épreuve. « C’est en mon Dieu (190) que je
franchirai la muraille ». Ce n’est point par ma puissance, mais par le secours
de Dieu que je franchirai cette muraille que les péchés ont élevée entre les
hommes et la Jérusalem céleste.
31. « Les voies de mon Dieu sont
irréprochables (Ps. XVII, 31) ». Il
ne vient point chez les hommes qu’ils n’aient d’abord purifié la voie de la
foi, afin qu’il puisse venir en eux, lui dont les voies sont pures. « Ses
paroles sont éprouvées par le feu », c’est-à-dire par le feu des afflictions. «
Il est le protecteur de ceux qui espèrent en lui (Ibid.) ». Et ceux qui, loin d’espérer en eux-mêmes, espèrent en
lui, ne seront point consumés par la tribulation, car l’espérance vient après
la foi.
32. « Qui donc serait Dieu, sinon le
Seigneur» que nous servons? «Qui est Dieu si ce n’est notre Dieu (Id. 32)? » Qui est le vrai Dieu, sinon
le Seigneur, que nous, ses enfants, devons posséder comme notre héritage, après
l’avoir bien servi?
33. « C’est le Dieu qui m’a revêtu de force (Id. 33)». Le Dieu qui m’a donné une
ceinture afin que je devinsse fort, et que la robe flottante des convoitises ne
retardât point mes oeuvres et mes démarches. « Et qui m’a aplani la voie de
l’innocence ». Il a voulu m’aplanir la voie de la charité, afin que j’allasse à
lui, comme j’ai dû aplanir la voie de la foi, par laquelle il vient à moi.
34. «Il a rendu mes pieds légers comme ceux
du cerf (Id. 34) ».Il a rendu parfait
cet amour qui me fera franchir les obstacles épineux et ténébreux de ce monde.
« Il m’établira sur des lieux élevés ». Il fixera mes désirs dans le céleste
séjour, afin que je sois rassasié de la plénitude de Dieu (Eph. III, 19).
35. « C’est lui qui dresse mes mains au
combat (Ps. XVII, 35) ». Il me dresse
à ces oeuvres capables de vaincre ces ennemis qui s’efforcent de nous fermer le
passage vers le royaume dès cieux. «Vous avez tendu mes bras comme un arc
d’airain », puisque vous me rendez infatigable dans la volonté des bonnes
oeuvres.
36. « Vous m’avez protégé pour me sauver,
votre main m’a soutenu (Id. 36) ».
Votre main, c’est-à-dire votre grâce. « Vos leçons m’ont dirigé vers ma fin ».
Vos châtiments ne me permettent point de m’égarer, et me redressent afin que je
rapporte mes actions à cette fin qui doit m’unir à vous. « Cette leçon doit
m’instruire encore », car vos sévérités me feront atteindre le but où elles me
dirigent.
37. « Vous avez élargi la voie sous mes pas (Ps. XVII, 37) », et les voies étroites
de la chair ne retarderont point ma course; car vous m’avez dilaté dans cette
charité qui opère le bien avec joie, et à qui les membres et tout ce qu’il y a
de mortel en moi servent d’instruments. « Mes pieds n’ont pas été vacillants »,
c’est-à-dire qu’il n’y a incertitude ni dans la voie que j’ai suivie, ni dans
les traces que j’ai laissées à ceux qui veulent me suivre.
38. « Je poursuivrai mes ennemis, et les
atteindrai (Id. 38) ». Je poursuivrai
en moi les convoitises charnelles qui ne me captiveront plus, mais je les
atteindrai pour les détruire. Et je ne retournerai point qu’elles ne soient
détruites. Je ne cesserai cette poursuite et ne me donnerai de repos, qu’après
avoir anéanti tout ce qui me nuit.
39. « Je les briserai, et ils ne pourront se
soutenir ». Ils ne soutiendront pas mes attaques. « Ils tomberont sous mes
pieds (Id. 39) ». Après les avoir
abattus, je leur préférerai cet amour qui me fait marcher vers l’éternité.
40. « Vous m’avez revêtu de force pour le
combat». Vous avez relevé par la force la robe flottante de mes désirs
charnels, afin que rien ne m’embarrasse dans ce combat. « Vous avez renversé à
mes pieds ceux qui s’élevaient contre moi (Id.
39)». Vous avez jeté dans l’erreur ceux qui me trompaient, et ils se sont
trouvés sous mes pieds, ceux qui voulaient s’élever au-dessus de moi.
41. « Vous avez jeté derrière moi mes ennemis
(Id. 41) ». C’est-à-dire, vous les
avez convertis, et vous les avez placés derrière moi, en les portant à me
suivre. « Vous avez dissipé ceux qui me haïssent ». Vous avez conduit à leur
perte ceux qui ont persévéré dans leur haine.
42. « Ils ont crié, et nul ne pouvait les
sauver (Id. 42)». Qui pourrait sauver
ceux que vous ne sauvez pas? « Ils ont crié vers le Seigneur, qui ne les a
point exaucés ». C’est bien au Seigneur et non à tout autre qu’ils ont adressé
leurs prières, et il n’a point jugé dignes de ses faveurs ceux qui
n’abandonnaient point leurs désordres. (191)
43. « Je les disperserai comme la poussière
qu’emporte le vent (Ps. XVII, 43) ».
Je les réduirai en poussière, car ils sont desséchés, n’ayant point reçu la
rosée des divines miséricordes; et alors soulevés et enflés par l’orgueil, ils
perdent l’inébranlable solidité de l’espérance, comme on est parfois secoué de
dessus la terre qui est stable et ferme. « Je les détruirai comme la boue des
rues ». Dans ces voies larges que suit le grand nombre, je ferai glisser, pour
les perdre, les hommes de la luxure.
44. « Vous me délivrerez des contradictions
du peuple (Id. 44) », c’est-à-dire
des contradictions de ceux qui disent: « Si vous le renvoyez, chacun va le
suivre (Jean, XI, 48) ».
45. « Vous m’établirez chef des nations, et
voilà qu’un peuple que je n’avais pas connu, se range sous mes lois (Ps. XVII, 45) ». Ce peuple des Gentils
que je n’ai point visité d’une manière corporelle, s’est rangé à mon culte. «
Il m’a obéi quand il a entendu ma voix ». Il ne m’a point vu des yeux; mais en
accueillant mes prédicateurs, il a obéi à l’appel de ma voix.
46. « Les fils de l’étranger ont menti contre
moi (Id. 46)». Des enfants, indignes
de ce nom, ou plutôt des étrangers, à qui il est dit à juste titre: « Vous avez
le diable pour père (Jean, VIII, 44)»,
ont menti contre moi. « Ces enfants étrangers ont vieilli ». Ces fils, devenus
étrangers, que je voulais rajeunir en leur apportant le Nouveau Testament, sont
demeurés dans le vieil homme. « Ils ont chancelé dans leurs voies ». Faibles
sur un seul pied, parce qu’ils tenaient l’Ancien Testament, ils ont méprisé le
Nouveau, et sont devenus boiteux; et même dans l’ancienne loi, ils suivaient
plutôt leurs traditions que celles de Dieu. Ils faisaient un crime de ne point
se laver les mains (Matt. XV, 2);
telle était, en effet, la voie qu’ils s’étaient eux-mêmes tracée, qu’une longue
habitude avait battue, loin du sentier des préceptes du Seigneur.
47. « Vive le Seigneur, et béni soit mon Dieu
(Ps. XVII, 47) ». C’est mourir que
vivre selon la chair (Rom. VIII, 6);
car le Seigneur est vivant, et mon Dieu est béni. « Qu’il soit exalté, le Dieu
de mon salut ». Que je n’aie pas sur le Dieu de mon salut des pensées trop
terrestres; que je n’attende point de lui un salut temporel, mais bien des
choses célestes.
48. « C’est vous, ô Dieu, qui savez me
venger, et qui m’assujettissez les peuples (Ps.
XVII, 48)». C’est me venger, ô Dieu, que de les assujettir à mon joug. «
Vous me délivrerez de ces ennemis furieux »; de ces Juifs qui crient: «
Crucifiez-le, crucifiez-le (Jean, XIX, 6)
»,
49. « Vous m’élèverez au-dessus de ceux qui
se révoltent contre moi (Ps. XVII, 49)».
Vous m’élèverez par la résurrection au-dessus de ces Juifs qui persiflent mes
douleurs. « Vous me sauverez de l’homme injuste », de leur inique domination.
50. « C’est pour cela, Seigneur, que je vous
bénirai parmi les nations (Id. 50) ».
C’est par moi, Seigneur, que les nations vous béniront comme leur Dieu. « Je
chanterai votre nom ». Mes bonnes oeuvres vous feront connaître au loin.
51. « Il célèbre le salut du roi qu’il a
choisi (Id. 51) ». C’est Dieu qui
nous fait admirer ces moyens de salut, que donne son Fils à ceux qui croient en
lui. «Il fait miséricorde à son Christ ». C’est Dieu qui fait miséricorde à
celui qui a reçu l’onction, « à David et à sa race dans l’éternité (Id. 52) », à ce libérateur dont la main
puissante a vaincu le monde, et à ceux qu’il a engendrés à l’éternité par leur
foi à l’Evangile. Toutes les paroles de ce psaume, qui ne pourraient
s’approprier à Jésus-Christ ou au Chef de l’Eglise, doivent se rapporter à
l’Eglise elle-même. Ces paroles sont de Jésus-Christ tout entier, de
Jésus-Christ uni à ses membres. (192)
Sous le voile de
l’allégorie, le Prophète célèbre la prédication de l’Evangile, qui est la
parole du Verbe confiée aux Apôtres, et par les Apôtres répandue par toute la
terre, où elle opère des oeuvres de conversion. Condition de cette conversion
ou renoncement au péché.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. XVIII).
1. Ce titre nous est connu: et ce n’est point
Jésus-Christ Notre Seigneur qui parle dans ce psaume, mais c’est de lui qu’il
est question.
2. « Les cieux annoncent la gloire de Dieu (Id. 2)». Les saints évangélistes, en qui
Dieu habite comme dans les cieux, nous prêchent la gloire de Jésus-Christ, ou
cette gloire que le Fils vivant ici-bas a rendue à son Père. « Et le firmament
publie les oeuvres de ses mains (Ibid.)».
Elle publie les oeuvres merveilleuses du Seigneur, cette force de
l’Esprit-Saint qui est devenue un firmament et un ciel, après avoir été une
terre faible, sous l’influence de la crainte.
3. «Le jour parle au jour (Id.3) ». L’esprit découvre à l’homme
spirituel, et dans sa plénitude, cette immuable sagesse de Dieu, ce Verbe qui
est Dieu, et qui est en Dieu dès le commencement (Jean, I, 1). « Et la nuit enseigne la nuit ». Et cette chair
mortelle qui insinue la foi aux hommes charnels, comme s’ils étaient fort
éloignés, leur annonce la science qui vient après la foi.
4. «Il n’est point d’idiome, point de
langage, dans lequel on n’entende ces voix (Ps.
VIII, 4). Qui n’a pas entendu ces voix des évangélistes, prêchant
1’Evangile en toute langue?
5. «Ce bruit s’est répandu par toute la
terre, et leurs paroles ont retenti jusqu’aux extrémités du monde (Id. 5).
6. « C’est dans le soleil qu’il a établi son
pavillon (Id. 6)». Le Seigneur,
venant livrer bataille aux puissances temporelles de l’erreur, et apporter
ici-bas le glaive et non la paix (Matt.
X, 34), s’est fait connaître dans le temps, ou a manifesté le mystère de
son incarnation, qui était pour lui comme une tente militaire. « Il a été comme
un époux qui sort du lit nuptial». Il est sorti du sein de la vierge, où il a
contracté avec la nature humaine de saintes épousailles. « Comme le géant, il
s’est élancé dans sa carrière ». Il s’est élancé dans sa force, précédant les
autres hommes dans son incomparable puissance, non pour demeurer dans sa voie,
mais pour la parcourir. « Car il ne s’est point arrêté dans la voie des
pécheurs (Ps. I, 1). »
7. « Il part du haut des cieux », ou plutôt
il nous vient du Père, non point d’une manière temporelle, mais par une
génération éternelle. « Et sa course aboutit au sommet des cieux (Ps. XVIII, 7)». Et parce qu’il est
pleinement Dieu, il arrive à l’égalité de son Père. « Et nul ne se dérobe à ses
feux », car le Verbe divin s’étant fait chair, et s’étant revêtu de notre
mortalité pour habiter parmi nous (Jean,
I, 14), n’a permis à aucun homme de prendre pour excuses les ombres de la
mort, puisque la mort elle-même a ressenti la chaleur du Verbe.
8. « La loi du Seigneur est sans tache, elle
convertit les âmes (Ps. XVIII, 8)».
La loi du Seigneur est donc celui-là même qui est venu perfectionner la loi et
non la détruire(Matt. V, 7). Il est
une loi pure, lui qui n’a point commis le péché, dont la bouche n’a point
proféré le mensonge (I Pierre, II, 22);
qui n’accable point les âmes sous le joug de la servitude, mais qui les amène
librement à l’imiter. « Le témoignage du Seigneur est fidèle, il donne la
sagesse aux petits (Ps. XVIII, 8) ».
Ce témoignage est fidèle, parce que nul ne connaît le Père, si ce n’est le
Fils, et ceux à qui le Fils a voulu le révéler (Matt. XI, 27). Ce qui est caché pour les sages, et révélé aux
petits; (193) parce que Dieu résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles
(Jacob IV, 6).
9. « Les jugements du Seigneur sont droits,
ils réjouissent les coeurs (Ps. XVIII, 9)».
Tous les jugements du Seigneur sont droits en celui qui n’a rien enseigné,
qu’il ne l’ait fait lui-même afin que ceux qui devaient l’imiter, fussent dans
la joie du coeur, et pussent agir, non plus avec une crainte servile, mais avec
la liberté de l’amour. « Le précepte du Seigneur est lumineux, il éclaire les
yeux ». Ce précepte lucide, que ne cache point le voile des cérémonies
charnelles, éclaire les yeux de l’homme intérieur.
10. « La crainte du Seigneur est chaste, elle
demeure dans le siècle des siècles (Id.
10) ». Cette crainte du Seigneur n’est plus celle qui était un châtiment
sous la loi, et qui appréhende la perte de ces biens temporels dont l’amour est
pour notre âme une fornication; mais c’est une crainte chaste, qui porte
l’Eglise à éviter ce qui peut offenser son époux avec un soin qui égale son
amour pour lui: or, l’amour parfait ne bannit point cette crainte (I Jean, IV, 18), qui demeure
éternellement.
11. « Les jugements du Seigneur sont
véritables; ils se justifient par eux-mêmes (I Ps. XVIII, 10) ». Les jugements de celui qui ne juge personne par
lui-même, et qui a donné tout jugement au Fils (Jean, V, 22), sont véritablement d’une justice immuable. Car Dieu
ne trompe ni dans ses menaces ni dans ses promesses; et nul ne peut soustraire
l’impie aux supplices, ni le juste aux récompenses. « Ils sont plus désirables
que l’or et que les pierres précieuses. — Beaucoup (Ps. XVIII, 1) », soit que « beaucoup » désigne de l’or et des
pierres précieuses en grande quantité, ou l’or qui est beaucoup précieux, ou
beaucoup désirable; néanmoins les jugements de Dieu sont préférables aux pompes
de ce monde, dont le désir fait qu’on ne désire plus, mais qu’on redoute, ou
qu’on méprise, ou que l’on ne croit plus les jugements de Dieu. Si chaque
fidèle, à son tour, est un or pur ou une pierre précieuse, inaltérable au feu
et réservé pour les trésors du Seigneur, alors il aime les jugements de Dieu
plus que lui-même, et préfère à sa propre volonté, celle de Dieu. « Ils sont
plus doux que le miel dans son rayon ». Que l’âme fidèle soit ce miel exquis,
et que déjà dégagée des biens de la vie, elle attende le jour du festin du
Seigneur; ou qu’elle ne soit encore qu’un rayon de miel, enveloppée encore dans
cette vie, comme dans les alvéoles qu’elle remplit sans s’y attacher, ayant
besoin que la main de Dieu la presse, non pour l’accabler, mais pour l’exprimer
comme un miel, et la faire passer du temps à l’éternité, alors les jugements de
Dieu seront pour elle plus doux qu’elle ne l’est elle-même; car ils sont plus
délicieux que le miel et que le rayon.
12. « Pour votre serviteur, il observe ces
lois (Ps. XVIII, 12) », et 1e jour du
Seigneur sera bien amer pour quiconque les méprise. « On trouve, à les
pratiquer, une ample récompense (Ibid.)
»; et cette ample récompense n’est dans aucun autre avantage extérieur que dans
la pratique même des préceptes du Seigneur; elle est grande, parce que cette
pratique porte en elle-même sa joie.
13. « Qui peut connaître ses égarements (Id. 13)?» Et dans ces égarements, quelle
douceur peut. on trouver, puisqu’il n’y a point d’intelligence? Comment, en
effet, comprendre ces égarements, quand ils obscurcissent l’oeil de cette âme
qui fait ses délices de la vérité, qui trouve doux et dignes d’envie, les
jugements de Dieu? Comme les ténèbres nous ferment les yeux, les péchés sont
pour l’esprit un bandeau qui lui dérobe et la lumière et eux-mêmes.
14. « Purifiez-moi, Seigneur, de ce qui est
caché en moi (Ibid.) ». Seigneur,
délivrez-moi de ces convoitises qui se cachent en mon coeur. « Préservez votre
serviteur des péchés des autres », afin que les autres ne me séduisent point.
Car l’homme purifié de ses fautes ne se laisse point prendre aux péchés des
autres, Préservez donc des étrangères convoitises, non l’homme superbe qui
cherche l’indépendance, mais moi, votre serviteur. « Si elles ne me tyrannisent
plus, alors je serai sans tache (Id. 14)
». Assurément, je serai sans tache, si mes passions, ni celles des autres ne me
tyrannisent. Car il n’y a pas une troisième source de péché, après cette suggestion
intérieure qui fit tomber le diable, et cette suggestion extérieure qui
séduisit l’homme et devint son péché par le consentement qu’il y donna. « Et je
serai pur d’un grand péchés. De quel autre péché, sinon de l’orgueil? Il n’y a
pas de plus grand crime que de se séparer (194) de Dieu, et tel est le
commencement de l’orgueil chez l’homme (Eccli.
X, 14). Il est vraiment sans tache celui qui n’a pas même ce péché, qui est
pour nous le dernier quand nous revenons à Dieu, comme il a été le premier
quand nous l’avons abandonné.
15. « Et alors les paroles de ma bouche vous
seront agréables, et les pensées de mon coeur seront toujours en votre présence
(Ps. XVIII, 15) ». Mon coeur ne
recherchera plus cette vaine gloire de plaire aux hommes, puisqu’il n’y a plus
en moi nul orgueil; mais je le tiendrai toujours en votre présence, car vous
voyez les coeurs purs. « Seigneur, vous êtes mon soutien et mon rédempteur ».
Vous êtes mon soutien quand je me dirige vers vous, et c’est pour que j’aille à
vous que vous m’avez racheté. Quiconque ose attribuer à sa propre sagesse de
s’être tourné vers vous, ou à ses forces d’arriver à vous, n’en sera que rejeté
plus loin, puisque vous résistez aux superbes (Jacob, IV, 6) et il n’est point exempt de cette faute principale,
ni agréable à vos yeux, Seigneur, qui nous rachetez afin que nous nous
convertissions à vous, et qui nous aidez afin que nous parvenions auprès de
vous.
Dans ce second discours
saint Augustin tire les conséquences morales et pratiques de l’exposé
précédent: 1° quant à la grâce de Dieu qui nous est acquise par les mérites de
Jésus Christ; 2° quant à l’unité et à la visibilité de l’Eglise, contre les
hérétiques; 3° quant aux dispositions qu’exige de nous la vraie conversion.
1. Après avoir supplié le Seigneur de nous
purifier de nos fautes ignorées, de préserver
ses serviteurs des péchés des autres, il nous
faut comprendre le sens de cette prière, afin de chanter en esprit les louanges
du Seigneur, en hommes raisonnables, et non comme les oiseaux; car on voit
chaque jour le merle et le perroquet, le corbeau et la pie, apprendre des
hommes à former des sons qu’ils ne comprennent point. Mais Dieu a bien voulu
faire à l’homme le don de comprendre ce qu’il chante; et c’est avec douleur que
nous voyons tant d’impies et de libertins exhaler des chants dignes de leurs
oreilles et de leurs coeurs d’autant plus coupables en cela qu’ils ne peuvent
ignorer ce qu’ils chantent. Car ils savent que leurs chants sont criminels, et
néanmoins ils les redisent avec une allégresse d’autant plus vive qu’elle est
plus immonde, et ils se croient d’autant plus joyeux qu’ils sont plus
lubriques. Pour nous, qui avons appris à chanter dans l’Eglise les cantiques
divins, nous devons nous efforcer d’atteindre cette perfection ainsi formulée:
« Bienheureux le peuple qui entend la louange (Ps. LXXXVIII, 16) ». Il faut donc, mes bien-aimés, étudier et
comprendre avec le calme du coeur, ce que nous avons chanté à l’unisson des
voix. Chacun de nous, dans ce cantique, a supplié le Seigneur, et a dit à Dieu:
« Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes cachées, préservez votre serviteur des
péchés des autres. Si je n’en ressens point la tyrannie, je serai sans tache,
et pur d’un grand péché (Ps. XVIII, 13,
14) ». Pour bien comprendre le sens et la portée de ces paroles, voyons
rapidement, et avec le secours de Dieu, le texte du psaume.
2. C’est une allégorie du Christ, et nous le
voyons clairement dans ces paroles: « Il est sorti comme l’époux de son lit
nuptial (Id. 16) ». Quel est cet
époux, sinon celui à qui l’Apôtre a fiancé une vierge? et dans ses chastes
sollicitudes, ce fidèle ami de l’époux craint que, comme Bye fut séduite par
les artifices du serpent, les sens de cette virginale épouse du Christ ne se
corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est dans le Christ (II Cor. XI, 3). C’est donc (195) en ce
même Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur que Dieu a mis ces trésors, cette
plénitude de la grâce dont l’Apôtre saint Jean nous a dit: « Nous avons vu sa
gloire, comme la gloire que reçoit de son Père le Fils unique, plein de grâce
et de vérité (Jean, I, 14). C’est
cette gloire que racontent les cieux ». Car les cieux, ce sont les saints,
élevés au-dessus de la terre, et qui portent le Seigneur; et toutefois le ciel
a raconté la gloire du Christ, à sa manière. Quand l’a-t-il racontée? Quand, à
la naissance de ce même Sauveur, il fit paraître une étoile nouvelle, et
jusqu’alors inconnue. Il est néanmoins d’autres cieux plus véritables et plus
sublimes, dont il est dit dans un verset suivant: « Il n’est point d’idiome,
point de langage, dans lequel on n’entende leurs voix. Ce bruit s’est fait
entendre par toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusqu’aux extrémités
du monde (Ps. XVIII, 4)». De qui ces
paroles, sinon des cieux? et de quels cieux, sinon des Apôtres? Ce sont eux qui
redisent à la louange de Dieu, cette grâce que Dieu a mise en Jésus-Christ pour
la rémission des péchés. « Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de
Dieu; ils sont justifiés gratuitement par le sang de Jésus-Christ (Rom. III, 23) ». Comme c’est
gratuitement, c’est donc une grâce, car il n’y a point de grâce qui ne soit
gratuite. Nous n’avions fait aucune bonne oeuvre qui nous méritât ces dons de
Dieu, et même ce n’eût pas été gratuitement qu’il nous eût infligé un supplice;
de là vient que ses bienfaits pour nous sont gratuits. Dans notre vie passée,
nous n’avions mérité rien autre chose qu’un juste châtiment. Dieu donc, non
plus à cause de notre justice, mais par un effet de sa miséricorde, nous a
sauvés par le bain de la régénération (Tit.
III, 5). C’est là, dis-je, la gloire de Dieu que racontent les cieux; car
tu n’as rien fait de bon, et néanmoins tu as reçu ces biens immenses. Si donc
tu as une part à cette grâce que les cieux ont chantée, tu dois dire au
Seigneur ton Dieu: « Il est mon Dieu, puisqu’il me prévient par sa miséricorde
(Tit. III, 5) ». C’est lui en effet
qui t’a prévenu, et tellement prévenu, qu’il n’a rien trouvé de bon en toi. Tu
avais prévenu ses châtiments par ton orgueil, et il a prévenu ton supplice en
effaçant tes péchés. En toi donc, le pécheur est devenu juste, l’impie est
sanctifié, le damné recouvre ses droits au ciel; aussi dois-tu dire à Dieu: «
Ce n’est point à nous, Seigneur, non ce n’est point à nous, mais à votre nom,
qu’il faut en attribuer la gloire (Ps.
CXIII, 9) ». Disons bien
« Non pas à nous », à qui la donnerait-il,
s’il nous considérait? Encore une fois, disons: « Non pas à nous, Seigneur».
S’il nous traitait selon nos mérites, il ne trouverait pour nous que des
peines. « Que son nom donc soit glorifié, et non point nous, parce qu’il ne
nous a point traités selon nos fautes (Id.
CII, 10).» Ne nous la donnez donc point, Seigneur, ne nous la donnez point.
Cette répétition fortifie la pensée. « Ce n’est point à nous, Seigneur, mais à
votre nom, qu’il faut donner la gloire ». C’est ce que comprenaient ces cieux
qui ont chanté la gloire de Dieu.
3. « Et le firmament publie l’ouvrage de ses
mains (Ps. XVIII, 2) ». Cette expression:
« La gloire de Dieu », est répétée dans cette autre: « L’ouvrage de ses mains
». Quels sont les ouvrages de ses mains? N’allons pas croire avec plusieurs,
que Dieu a tout fait de sa parole, mais que l’homme, créature supérieure aux
autres, est l’ouvrage de ses mains. Loin de nous cette pensée qui est basse et
peu exacte, car Dieu a tout fait par son Verbe. Bien que l’Ecriture nous expose
les oeuvres si diverses du Créateur, et nous dise qu’il fit l’homme à son
image; tout néanmoins a été fait par son Verbe, et sans lui rien n’a été fait (Jean, I, 3). Quant aux mains de Dieu, il
est dit encore: « Les cieux sont l’oeuvre de ses mains (Ps. CI, 16) », et pour que vous ne confondiez pas ces cieux avec
les saints, le Prophète ajoute: « Pour eux, ils périront, mais vous, Seigneur,
vous demeurez (Id. 27) ». Donc, non
seulement les hommes, niais aussi les cieux qui doivent périr, sont l’ouvrage
des mains de Dieu, à qui il est dit: « Les cieux sont l’oeuvre de vos mains ».
C’est encore ce qui est dit de la terre: « La mer est à lui puisqu’elle est son
ouvrage, et ses mains ont fait une base à la terre (Id. XCIV, 5) ». Donc s’il a fait le ciel de ses mains, la terre de
ses mains, l’homme n’est pas seul l’oeuvre de ses mains; mais s’il a fait le
ciel par son Verbe, la terre par son Verbe, il a fait aussi l’homme par son
Verbe. L’oeuvre du Verbe est l’oeuvre de sa main, comme l’oeuvre de sa main est
celle de son Verbe. Dieu n’a point comme nous des membres qui (196) dessinent
sa force, puisqu’il est tout entier en tout lieu, et n’a point de limite.
L’oeuvre de son Verbe est l’oeuvre de sa sagesse, et l’oeuvre de sa main celle
de sa puissance. « Or, le Christ est la puissance de Dieu, comme la sagesse de
Dieu (I Cor. I, 24); et c’est par lui
que tout a été fait, et rien n’a été fait sans lui (Jean, I, 3) ». Les cieux donc ont raconté la gloire de Dieu, la
redisent encore et la rediront toujours. Oui, ils chanteront la gloire de Dieu,
ces cieux, ou plutôt ces saints qui sont élevés au-dessus de la terre, qui
portent le Seigneur, qui font retentir ses préceptes et briller sa sagesse; ils
raconteront cette gloire du Seigneur qui nous a sauvés malgré notre indignité.
Il reconnaît cette indignité, ou la gloire dont nous ne sommes pas dignes, ce
fils le plus jeune, que presse l’indigence; il reconnaît cette indignité, ce
jeune homme qui s’éloigne de son père, pour adorer les démons et faire paître
les pourceaux; il reconnaît la gloire de Dieu, mais quand l’indigence le
presse. Et comme cette gloire nous a faits ce que nous n’étions pas dignes
d’être, il dit à son père: «Je ne suis pas digne d’être appelé votre fils (Luc, XV, 21) ». Il est dans le malheur,
et l’humilité lui obtient le bonheur; et il s’en montre digne parce qu’il s’en
confesse indigne. Telle est «la gloire de Dieu, qu’annoncent les cieux, cet
l’oeuvre de ses mains, que prêche le firmament ». Ce ciel firmament, c’est le
cœur du juste dans sa force, étranger à la crainte. Ces oeuvres donc ont été
prêchées parmi les impies, parmi les antagonistes de Dieu, parmi ces hommes
épris du monde et persécuteurs des justes; oui, dans ce monde frémissant de
rage, Mais que pouvait le monde avec sa rage, quand c’était le firmament qui
les prêchait? « Le firmament prêche », et que prêche-t-il? « Les oeuvres de ses
mains ». Quelles sont, les oeuvres de ses mains? Cette gloire de Dieu qui nous
a sauvés, et qui nous a créés dans les bonnes couvres. « Car c’est par lui, et
non par nous-mêmes (Ps. XCIX, 3), que
nous sommes non seulement hommes, mais justes », si tant est que nous soyons
justes.
4. « Le jour parle au jour, et la nuit
instruit la nuit (Ps. XVIII, 3) ».
Qu’est-ce à dire? On comprend facilement peut-être: « Le jour parle au jour»,
aussi facilement et aussi clairement que le jour. Mais « que la nuit instruise
la nuit », voilà qui est ténébreux comme la nuit. Ce jour qui parle au jour,
c’est le saint qui parle aux saints, l’Apôtre aux fidèles, le Christ aux
Apôtres, et qui leur dit: « Vous êtes la lumière du monde (Matt. V, 14) ». Voilà qui paraît clair et facile à comprendre. Mais
comment « la nuit peut-elle instruire la nuit? ». Quelques-uns l’ont pris à la
lettre, et c’est peut-être le vrai sens; selon eux, la science que les Apôtres
ont recueillie de Jésus-Christ pendant son séjour sur la terre, ils l’ont
transmise à leurs successeurs de siècle en siècle. Le jour parle donc au jour,
et la nuit à la nuit; le premier jour au jour suivant, la première nuit à la
nuit qui succède; parce que cette doctrine est annoncée jour et nuit. Celui-là
peut se contenter de cette explication si simple qui la trouve suffisante. Mais
l’obscurité de certains passages des saintes Ecritures a eu cet avantage de
produire plusieurs interprétations. Si donc ces paroles étaient claires, vous
n’y trouveriez qu’un sens unique; et parce qu’il est obscur, vous en entendrez
plusieurs. On explique autrement: « Le jour parle au jour et la nuit à la nuit
», c’est-à-dire l’esprit à l’esprit, et la chair à la chair. Puis encore: « Le
jour qui parle au jour », figurerait l’homme spirituel parlant à ceux qui vivent
selon l’esprit; et « la nuit à la nuit », l’homme charnel aux hommes charnels.
Les uns et les autres entendent cette parole, mais ne la goûtent pas également,
Pour les uns, c’est une parole prêchée; pour les autres, une science que l’on
annonce. Car prêcher n’a lieu que pour ceux qui sont présents, annoncer pour
ceux qui sont éloignés. On pourrait trouver aux cieux d’autres significations,
mais le peu de temps qui nous reste, nous force d’en rester là; donnons
toutefois une explication, que plusieurs ont donnée comme une conjecture. Selon
eux, quand Notre Seigneur Jésus-Christ parlait aux Apôtres, le jour parlait au
jour; et quand Judas trahissait le Christ, la nuit donnait la science à la
nuit.
5. « Il n’est point d’idiome, point de
langage, dans lequel cette voix ne se fasse entendre (Ps. XVIII, 4)». De qui cette voix, sinon des cieux qui racontent la
gloire de Dieu? « li n’est « point d’idiome, point de langage, dans lequel
cette voix ne se fasse entendre». Lisez, dans les actes des Apôtres, comment
ils furent (197) tous remplis de l’Esprit-Saint qui descendait sur eux: et
comme ils parlaient en toutes les langues, selon que l’Esprit-Saint les faisait
parler (Act. II, 4). Voilà comment. «
il n’est point d’idiome, point de langage, dans lequel leur voix ne se fasse
entendre ». Et non seulement leur voix a retenti dans l’endroit où ils avaient
reçu l’Esprit-Saint, mais « elle a parcouru toute la terre, et leurs
prédications ne s’arrêtent qu’aux extrémités du monde ». De là vient que nous
prêchons ici. Car cette voix qui a parcouru toute la terre est venue jusqu’à
nous, et la parole de l’hérésie n’entre point dans l’Eglise. Cette voix donc a
parcouru toute la terre, afin de vous faire entrer dans le ciel. O esprit de
pestilence, de contention, de méchanceté, et qui te plais dans l’erreur!
écoute, ô fils orgueilleux, le testament de ton père. Le voici, quoi de plus
clair et de plus net? «Le bruit de leur voix a parcouru toute la terre, et
leurs paroles ont retenti jusqu’aux confins du monde ». Est-il besoin d’aucun
éclaircissement? Pourquoi tourner tes efforts contre toi-même? Tu veux
contester pour retenir une partie, quand la paix te mettrait en possession du
tout.
6. « Il a établi son tabernacle dans le
soleil (Ps. XVIII, 5) »; en mettant
son Eglise en évidence et en grand jour, non dans l’obscurité, non dans le
mystère et sous un voile, de peur qu’elle ne se dérobât comme les assemblées
des hérétiques (Cant. I, 6, selon les
LXX.)». Il est dit à un coupable dans 1’Ecriture sainte: « Parce que tu as
péché dans le secret, tu seras châtié au grand jour (II Rois, XII, 12) »: c’est-à-dire que sous les yeux de tous tu
subiras le châtiment de ta faute commise dans le secret. « Il a donc établi son
tabernacle dans le soleil ». Pourquoi dès lors, enfant de l’hérésie, t’enfuir
dans les ténèbres? Es-tu chrétien? écoute Jésus-Christ. Es-tu serviteur? écoute
le maître. Es-tu fils? écoute un père: corrige-toi, reviens à la vie. Que nous
puissions dire de toi: Il était mort et il est ressuscité, il était perdu et il
est retrouvé. Garde-toi de me dire: Pourquoi me chercher, si je suis perdu? car
c’est précisément parce que tu es perdu que je te cherche. Ne me cherchez
point, dira-t-il. Tel est le voeu de l’iniquité qui nous divise, mais non de la
charité qui nous fait frères. Je ne serais point criminel si je cherchais un
serviteur, et l’on me fait un crime de chercher mon frère ! Que telle soit la
sagesse de celui qui n’a point la charité fraternelle, pour moi, je recherche
mon frère. Qu’il s’irrite, il n’en faut pas moins le chercher, il s’apaisera si
nous le retrouvons. Je cherche donc mon frère, et j’en appelle au Seigneur mon
Dieu, non contre lui, mais en sa faveur. Et nia prière ne sera point: Dites,
Seigneur, à mon frère qu’il divise l’héritage avec moi, mais bien: Dites à mon
frère qu’il jouisse avec moi de tout l’héritage (Luc, XII, 13). Pourquoi donc errer de la sorte, ô mon frère?
Pourquoi fuir dans les lieux écartés? Pourquoi ces efforts pour vous cacher? «
Dieu a placé son tabernacle dans le soleil. Il est comme le jeune époux qui
sort du lit nuptial (Ps. XVIII, 6) ».
Sans doute qu’il ne vous est pas inconnu « cet époux qui sort du lit nuptial,
qui s’élance comme un géant pour parcourir sa carrière », c’est lui « qui a
placé dans le soleil son tabernacle »; c’est-à-dire que le Verbe s’étant fait
chair (Jean, I, 15) a trouvé, comme
le jeune époux, un lit nuptial dans le sein d’une vierge; et alors uni à la
nature humaine, il est sorti comme d’un lit très-chaste, plus humble que tous
dans sa miséricorde, plus fort que tous dans sa majesté: de là vient « qu’il a
bondi comme un géant dans sa carrière »; naître, grandir, enseigner, souffrir,
ressusciter, monter aux cieux, c’est là courir et non s’arrêter dans la voie.
Le même époux qui a fait tout cela, a donc placé dans le soleil, ou dans
l’évidence, son tabernacle, qui est son Eglise.
7. Voulez-vous connaître cette voie qu’il a
parcourue avec tant de vitesse? « Il part du haut des cieux, pour retourner
jusqu’à leur sommet (Ps. XVIII, 7) ».
Mais après qu’il en est descendu, et qu’il y est retourné dans sa course
rapide, il a envoyé son Esprit. On vit, sur chacun de ceux qui le reçurent,
comme des langues de feu qui se divisaient (Act.
II, 3) ». L’Esprit-Saint est donc venu comme un feu, qui doit consumer la
chair comme une paille desséchée, et purifier l’or dans le creuset. Il est donc
venu comme un feu; aussi est-il dit que « nul ne se dérobe à son embrasement ».
8. « La loi du Seigneur est pure, elle
convertit les âmes ». C’est là l’Esprit-Saint. « Le témoignage du Seigneur est
fidèle, il donne la sagesse aux petits (Ps.
XVIII, 8) »; non pas aux superbes. Tel est encore l’Esprit-Saint.
9. « Les jugements du Seigneur sont droits»;
ils portent « dans les coeurs la joie n et non la crainte. C’est l’oeuvre de
l’Esprit-Saint. « Le précepte du Seigneur est lumineux, il éclaire les yeux (Id. 7) » sans les éblouir; non les yeux
de la chair, mais les yeux du cœur; non ceux de l’homme extérieur, mais de
l’homme spirituel. Tel est encore l’effet de l’Esprit-Saint.
10. « La crainte du Seigneur n n’est pas
servile, mais chaste »; elle aime gratuitement ce qu’elle appréhende; ce n’est
point le châtiment de celui qu’elle redoute, mais la séparation de celui
qu’elle aime. Telle est la crainte chaste qui ne disparaît pas devant la
charité parfaite (Jean, IV, 18), mais
« qui demeure dans le siècle des siècles ». C’est là l’Esprit-Saint, ou plutôt,
c’est lui qui la donne, qui la répand dans nos âmes, qui la greffe en nous. «
Les jugements du Seigneur sont vrais, et se justifient par eux-mêmes (Ps. XVIII, 10) », sans porter aux
querelles, mais à nous unir dans la paix; c’est ce que signifie « en eux-mêmes
». Tel est encore l’effet du Saint-Esprit. Aussi, ceux qui le reçurent à sa
première descente, reçurent-ils aussi le don des langues, pour nous montrer par
là qu’il ramènerait à l’unité toutes les langues de la terre. L’unité de
l’Eglise parle en toutes les langues, et continue aujourd’hui cette merveille
d’un seul homme qui s’exprimait alors dans la langue de tous (Act. II, 4), après avoir reçu l’Esprit-Saint.
Aujourd’hui c’est encore un seul homme qui parle à toutes les nations et dans
toutes les langues, un seul homme, c’est-à-dire la tête et le corps, un seul
homme, qui est le Christ et l’Eglise, l’homme parfait, l’époux et l’épouse. «
Ils seront deux dans une même chair (Gen.
II, 24) », a dit l’Ecriture. «Les jugements de Dieu sont véritables, ils se
justifient par eux-mêmes », à cause de l’unité.
11. « Ils sont plus désirables que l’or et
que les pierres précieuses. Beaucoup (Ps.
XVIII, 11) ». Ce «beaucoup » signifie beaucoup d’or, ou beaucoup
précieuses, ou beaucoup désirables; mais beaucoup, c’est peu pour l’hérétique.
Ils n’aiment pas avec nous id ipsum
ou l’unité, et avec nous ils confessent le Christ. Mais ce Christ que tu
confesses avec moi, aime-le donc avec moi. Et celui qui ne veut point l’unité,
qui refuse, qui regimbe, qui méprise, celui-là ne la croit point préférable à
l’or et aux pierres précieuses. Ecoutez encore: « Ils sont »; dit le Prophète,
« plus doux que le miel et que le rayon ». Mais ceci condamne celui qui
s’égare. Le miel est amer pour une bouche fiévreuse, quelque douceur qu’il ait
pour une bouche en santé, parce qu’il est précieux pour l’homme qui se porte
bien. « Ils sont donc plus désirables que l’or et que les pierres les plus
précieuses, plus doux que le miel et que le rayon de miel ».
12. « Aussi votre serviteur les
observe-t-il», et en éprouve-t-il ainsi la douceur, non plus en paroles, mais
en pratique. Votre serviteur les garde parce qu’ils sont doux en cette vie et utiles
pour l’autre vie. « Il trouve à les garder une ample récompensez». Mais dominé
par son obstination, l’hérétique ne peut voir cette lumière, ni goûter cette
douceur.
13. « Qui peut connaître ses péchés? — Mon
Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font (Luc, XVIII, 34) ». Celui-là donc, dit le Prophète, est votre
serviteur, qui peut goûter une semblable douceur, qui a cette tendresse de
charité, cet amour de l’unité. Et moi qui la goûte, poursuit le Prophète, je
vous en supplie, qui peut en effet connaître ses fautes? Que jamais en moi,
nulle faiblesse ne se glisse chez l’homme, et que cet homme ne se laisse point
séduire. « Purifiez-moi, Seigneur, des fautes qui m’échappent ». Nous l’avons
chanté, nous y arrivons dans nos explications. Disons donc avec intelligence:
Chantons et comprenons, prions en chantant, afin que notre prière soit exaucée;
disons: « Purifiez-nous, Seigneur, des fautes qui nous échappent ». Qui peut
connaître ses péchés? On ne peut les comprendre qu’en voyant ses ténèbres, et
nous ne sommes enfin dans la lumière que quand nous nous repentons de nos
fautes. Un homme qui se roule encore dans le péché, ne peut voir ce péché, tant
ses yeux sont obscurcis et fermés; que l’on vous mette, en effet, un bandeau
sur les yeux du corps, vous ne voyez plus rien, pas même le bandeau.
Adressons-nous donc à Dieu, qui sait voir en nous ce qu’il doit purifier, et
pénétrer ce qu’il doit guérir, et disons-lui
« Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes
cachées, épargnez à votre serviteur les péchés des autres n. Mes péchés,
dit-il, me souillent, et ceux des autres me contristent; épargnez-moi les uns
et purifiez-moi des autres. Enlevez de mon coeur toute pensée mauvaise,
éloignez de moi ce qui inspire le mal. Voilà ce que signifie: « Purifiez-moi de
mes fautes cachées, épargnez à votre serviteur les péchés des autres (Ps. XVIII, 14) ». Telles sont en effet
les deux sortes de péchés qui ont paru d’abord, au commencement du monde, les
nôtres et ceux des autres. Le diable est tombé par son propre péché (Isa. XIV, 12), Adam par celui d’un autre
(Gen. III). De là vient que le
serviteur de Dieu, qui observe les jugements de Dieu et y trouve une ample
récompense, prie ainsi dans un autre psaume: « Que l’orgueil n’entre point en
moi; que la main du pécheur ne m’ébranle point (Ps. XXXV, 12) ». « Que l’orgueil donc n’entre point en moi »,
c’est-à-dire, purifiez-moi de mes fautes cachées; et que la main du pécheur ne
m’ébranle point », c’est-à-dire, épargnez à votre serviteur les péchés des
autres.
14. « Si» mes fautes cachées et les péchés
des autres « ne me dominent plus(Ps.
XVIII, 14), alors je serai sans tache ». Il n’ose point l’espérer de ses
propres forces, mais il supplie le Seigneur de l’accomplir, et lui dit dans un
autre psaume: « Dirigez mes pas selon votre parole, et ne permettez pas que
l’iniquité domine jamais en moi (Id. 118,
133) ». Tu es chrétien, et dès lors garde-toi de craindre la domination
extérieure d’un homme; crains toujours le Seigneur ton Dieu. Crains le mal qui
est en toi, ou les passions; non point ce que le Seigneur a tait en toi, mais
ce que toi-même y as fait. Le Seigneur t’avait créé bon serviteur, et toi, tu
t’es créé dans ton coeur un maître méchant. C’est justement que tu es soumis à
l’iniquité, soumis au maître que tu t’es imposé toi-même, puisque tu n’as pas
voulu servir celui qui t’a créé.
15. « Si donc je ne suis plus esclave de leur
tyrannie, alors je serai sans tache et pur d’un grand crime (Ps. XVIII, 14) ». De quel crime,
pensez-vous? Quel est ce grand péché? Il peut n’être pas ce que je vais dire,
et toutefois je ne déguiserai point mon opinion; ce grand crime, à mon avis,
c’est l’orgueil. C’est là peut-être ce qu’il exprime en d’autres termes, en
disant: « Et je serai pur d’un grand crime ». Me demanderez-vous combien est
grand le crime qui a fait tomber l’ange, qui a changé cet ange en démon, et lui
a fermé pour toujours le royaume des cieux? C’est là le grand crime, la source,
l’origine de tous les crimes. Car il est écrit: « Le commencement de tout
péché, c’est l’orgueil (Eccli. X, 15)
». Et de peur qu’on ne le regarde comme une faute légère, l’Ecriture ajoute: «
Le commencement de l’orgueil chez l’homme est de lui faire apostasier Dieu (Id. 14) ». Non, mes frères, ce vice
n’est point une faute légère; c’est à ce vice que répugne l’humilité
chrétienne, chez les grands personnages que vous voyez. C’est ce vice qui leur
fait dédaigner de courber la tête sous le joug du Christ, eux qui sont asservis
au joug du péché. Car ils ne peuvent échapper à la servitude; ils se veulent
affranchir de la servitude, quand il leur est avantageux de servir. Ce qu’ils
gagnent en cherchant l’indépendance, c’est de refuser de servir un bon maître,
mais non de s’affranchir complètement; car on devient nécessairement esclave du
péché, quand on ne veut point l’être de la charité. Ce vice, que l’on peut
appeler la source de tous les autres, puisque les autres lui doivent leur
origine, nous a fait apostasier Dieu; et l’âme, par un déplorable usage de sa
liberté, se plonge dans les ténèbres, chargée qu’elle es-t de toute sorte de
péchés. Voilà qu’il vit dans la prodigalité, il dissipe ses richesses avec les
femmes sans pudeur, il devient le pâtre des pourceaux (Luc, XV, 13), celui qui était le compagnon des anges. C’est à cause
de ce vice, de cette grande iniquité de l’orgueil que Dieu s’est humilié parmi
les hommes. Tel est le motif, telle est la plaie profonde, la grande maladie
des âmes, qui a fait descendre du ciel le Médecin tout-puissant, qui l’a
humilié sous la forme de l’esclave, qui l’a outragé, suspendu au gibet, afin
qu’une semblable tumeur trouvât sa guérison dans un si grand remède. Que
l’homme donc rougisse de son orgueil, quand un Dieu s’est fait humble pour lui.
Alors, dit le Prophète, « je serai pur d’un grand péché », devant le « Dieu qui
résiste aux orgueilleux et qui donne la grâce aux humbles (Ps. XVIII, 15) ».
16. « Ainsi vous deviendront agréables les
paroles de ma bouche, et les pensées de mon coeur seront toujours en votre
présence (Ps. XVIII, 15) ». Car si je
ne suis point purifié de (200) ce grand vice, mes paroles pourront être
agréables devant les hommes, et non devant vous; puisque l’âme superbe demande
aux hommes ses applaudissements, mais l’âme vraiment humble veut plaire dans ce
secret que pénètre-Dieu seul; et si elle vient à plaire aux hommes par quelques
bonnes oeuvres, elle s’en réjouit pour-ceux qui se complaisent dans ses
oeuvres, et non pour elle-même; il doit lui suffire d’avoir fait le bien. «
Notre gloire », dit l’Apôtre, « c’est le témoignage de notre conscience (II Cor. I, 12) ». Chantons donc aussi à
Dieu le verset suivant: « Seigneur, vous êtes mon aide, mon rédempteur ». Vous
m’aidez dans le bien et me délivrez du mal. Vous êtes mon aide, afin que je
demeure dans la charité; mon rédempteur, en me rachetant de mon iniquité.
Ce psaume est le chaut de la
résurrection, qui est la Gloire de Jésus-Christ triomphant des Juifs ses
ennemis, et devenant notre médiateur dans le ciel.
POUR LA FIN, PSAUME A DAVID (Ps. XIX, 1)
1. Le titre nous est connu, ce n’est point le
Christ qui parle, mais le Prophète qui parle au Christ, et qui chante l’avenir
sous la forme d’un souhait.
2. « Que le Seigneur vous exauce au jour de
la tribulation (Id. 2) ». Qu’il vous exauce
au jour que vous lui avez dit: « Mon Père, glorifiez votre Fils (Jean, XVII, 1) ». « Que le nom du Dieu
de Jacob vous protège ». Car c’est à vous qu’appartient le plus jeune des deux
peuples, puisque l’aîné doit servir le puîné (Gen. XXV, 23) ».
3. « Qu’il vous protége du haut de son
sanctuaire, et vous protége de Sion (Ps.
XIX, 3); en sanctifiant votre corps mystique, ou 1’Eglise, qui trouve sa
sûreté dans la contemplation, et qui attend que vous reveniez des noces.
4. « Qu’il se souvienne de tout votre
sacrifice (Id. 4) ». Qu’il ne nous
laisse pas oublier les outrages et les affronts que vous avez endurés pour
nous. « Et qu’il rende suave le parfum de vos holocaustes ». Et que la douleur
de cette croix, sur laquelle vous vous êtes offert tout entier à Dieu, se
change en la joie de la résurrection.
5. « Diapsalma. Que le Seigneur vous donne
selon votre cœur (Ps. XIX, 5) ». Que
le Seigneur vous exauce, non point selon les désirs de ceux qui vous ont
persécuté dans l’espoir de vous anéantir, mais selon votre coeur qui connaît
les fruits de votre passion. « Et qu’il accomplisse tous vos desseins »; qu’il
accomplisse, non seulement ce dessein qui vous a porté à donner votre vie pour
vos amis (Jean, XV, 13), afin que le
grain mourût pour ressusciter en épis luxuriants (Id. XII, 14), mais encore celui par lequel l’aveuglement est tombé
sur une partie d’Israël, afin que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi
tout Israël fût sauvé (Rom. XI, 25)
».
6. « Nous tressaillerons dans votre salut ». Nous
tressaillerons de l’impuissance de la mort sur vous; car vous nous montrerez
ainsi qu’elle sera impuissante à nous nuire. « Et nous trouverons notre gloire
dans votre nom (Ps. XIX, 6) ». Pour
nous, confesser votre nom, nous conduira, non à notre perte, mais à la gloire.
7. « Que le Seigneur vous accorde toutes vos
demandes (Ibid.) ». Qu’il exauce non
seulement les prières que vous lui avez faites sur la terre, mais celles que
vous lui faites en (201) notre faveur dans le ciel. «Je reconnais maintenant que
le Seigneur a sauvé son Christ». L’esprit de prophétie m’a fait connaître que
le Seigneur doit ressusciter son Christ. « Il l’exaucera de son sanctuaire
céleste ». Il l’exaucera, non seulement quand sur cette terre il demandera
d’être glorifié (Jean, XVII, 1), mais
lorsque dans le ciel il intercédera pour nous, à la droite de son Père, et
répandra l’Esprit-Saint sur tous ceux qui croiront en lui (Act. II). « Il y a dans sa droite une puissance de salut ». Notre
puissance est dans ses faveurs salutaires, alors qu’il nous soutient dans les
afflictions, en sorte que c’est quand nous sommes faibles que nous devenons
forts (II Cor. XII, 10). Car le salut
des hommes est vain (Ps. LIX, 13),
quand il est de la gauche et non de la droite de Dieu, puisqu’ils s’enflent
d’un excessif orgueil, tous ces pécheurs qui trouvent leur salut dans les biens
du temps.
8. « Ceux-ci mettent leur confiance dans
leurs chariots, et dans leurs chevaux ». Les uns se laissent entraîner dans les
évolutions successives de la fortune, et les autres se prévalent avec orgueil
de leurs honneurs, et y placent leur félicité, « Pour nous, notre joie est dans
le nom du Seigneur, notre Dieu (Id. XIX,
8)». Pour nous, notre espérance est dans les biens éternels, et sans
chercher notre propre gloire, nous tressaillerons au nom du Seigneur, notre
Dieu.
9. Ils se sont embarrassés, et sont tombés (Ps. XIX, 9). L’amour des biens temporels
les a garrottés, ils ont craint que, s’ils laissaient vivre le Fils de Dieu,
les Romains ne prissent leur pays (Jean,
XI, 48) et en se heurtant contre cette pierre de scandale et d’achoppement
(Rom. IX, 32), ils ont perdu
l’espérance du ciel. Ils sont tombés dans l’aveuglement qui a frappé une partie
d’Israël (Id. XI, 25); et, en voulant
faire prévaloir leur propre justice, ils ont oublié celle de Dieu (Id. X, 3). « Pour nous, au contraire,
nous nous sommes relevés pour nous redresser ». Pour nous, peuples de la
Gentilité, nous étions des lierres, et Dieu a fait de nous des enfants
d’Abraham (Matt. III, 9); nous ne
cherchions point la justice, et nous l’avons embrassée (Rom. IX, 30), et nous voilà relevés; ce redressement n’est point dû
à nos forces, mais à la foi qui nous a justifiés.
10. « Seigneur, sauvez le roi », afin qu’a.
près nous avoir appris à combattre par sa passion, il offre aussi nos
sacrifices, après s’être ressuscité d’entre les morts, et installé dans les
cieux. « Exaucez-nous, au jour où nous vous invoquerons». Et comme il sera
notre intercesseur, vous nous exaucerez quand nous vous offrirons nos voeux.
Ce psaume parait avoir le même sujet que le
précédent; et, en l’appliquant à Jésus-Christ, nous retrouvons facilement cette
gloire de la résurrection et de l’ascension qui a su compenser les ignominies
du Calvaire.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. XX, 1).
1. Le titre nous est connu, c’est
Jésus-Christ que chante le Prophète.
2. « Seigneur, le roi s’applaudira de votre
puissance ». Seigneur, le Christ, dans son humanité, s’applaudira de cette
puissance qui a revêtu de chair le Verbe éternel. « Et votre salut le fera
tressaillir d’allégresse (Ps. XX, 2)
». Il trouvera sa joie dans cette force qui donne la vie à toute créature.
3. « Vous avez accompli les désirs de son
Cœur (Ps. XX, 3) ». Il avait désiré
manger la Pâque (Luc, XXII, 15), puis
donner sa vie quand il voudrait, et la reprendre encore à son gré (Jean, X, 18), et vous le lui avez
accordé. « Et vous n’avez point rendu vaine la prière de ses lèvres (Ps. XX, 3)». Il dit: « Je vous laisse ma
paix (Jean, XIV, 17) ». Et il en fut
ainsi.
4. « Vous l’avez prévenu par vos suaves
bénédictions (Ps. XX, 4) ». Et comme
il en avait savouré les douceurs, le fiel de nos péchés ne l’a point suffoqué.
— « Diapsalma. — Vous « avez placé sur sa tête une couronne de pierres précieuses».
Au début de sa prédication, vous l’avez environné de ces pierres précieuses,
qui furent ses disciples, et qui commencèrent à l’annoncer au monde.
5. « Il vous a demandé la vie, et vous la lui
avez donnée (Id. 5) ». Vous lui avez
accordé la résurrection que demandait cette prière: «Mon Père, glorifiez votre
Fils (Jean, XVII, 1). Vous lui avez
donné de longs jours pour l’éternité (Ps.
XX, 5) » les siècles de cette vie, qui mesurent la durée de son Eglise, et
ensuite la durée des siècles éternels.
6. « Sa gloire est grande à cause de votre
salut (Id. 6) ». En le ressuscitant
d’entre les morts, vous avez mis le comble à sa gloire. « Vous le chargerez de
gloire et d’honneur ». Vous ajouterez encore à sa gloire et à sa splendeur, en
le plaçant, au ciel, à votre droite.
7. « Sur lui retomberont vos bénédictions
éternelles (Id. 7) ». Et voici les
bénédictions que vous lui donnerez dans les siècles « Vous le remplirez de joie
devant votre face». La vue de votre face jettera dans une joie ineffable cette
humanité sainte qu’il a reportée près de vous.
8. « C’est dans le Seigneur que le roi a mis
son espoir ». Ce roi sans orgueil, mais humble de coeur, espère dans le
Seigneur. « Et il sera inébranlable dans la miséricorde du «Très-Haut (Id. 8) ». Et cette infinie miséricorde
ne troublera point l’humilité qui l’a rendu obéissant jusqu’à la mort de la
croix.
9. «Que votre main se fasse sentir à tous vos
ennemis (Id. 9) ».Quand vous
viendrez, pour nous juger, que votre pouvoir, ô roi, se fasse sentir à tous vos
ennemis qui ne l’ont point compris dans votre humilité. « Que ceux qui vous
haïssent ne puissent échapper à votre droite». Que cette gloire, qui vous fait
régner à la droite de votre Père, rencontre au jour du jugement et châtie ceux
qui vous haïssent, puisque sur la terre ils ne l’ont point connue.
10. « Vous les embraserez comme une fournaise
». La conscience de leur impiété
sera pour eux comme un brasier intérieur. «
Au jour de votre visage », ou quand vous
manifesterez votre gloire. « Le Seigneur,
dans sa colère, les frappera de terreur, et ils seront la proie des flammes (Ps. XX, 10) ». Troublés par les célestes
vengeances, et en proie au remords, ils seront dévorés par les flammes
éternelles.
11. « Vous effacerez leurs fruits de la
terre». Ces fruits sont terrestres, et doivent disparaître de la terre. « Et
leur génération d’entre les fils des hommes (Id. 11) ». Vous anéantirez leurs oeuvres, ou vous ne compterez pas
les hommes qu’ils ont pu séduire, parmi ceux que vous avez appelés à l’héritage
éternel.
12. « Parce qu’ils ont fait retomber leurs
malheurs sur vous ». Tel est le châtiment
qu’ils ont provoqué, en cherchant à
détourner, par votre mort, les maux qu’ils redoutaient, si
vous eussiez été leur roi. « Ils ont formé
des desseins qu’ils n’ont pu accomplir (Id.
12)». Ils
formaient ces desseins, quand ils disaient. «
Il est avantageux qu’un seul homme meure pour tous (Jean, XI, 50) »; dessein qu’ils n’ont pu accomplir, car ils ne
savaient ce qu’ils disaient.
13. « Vous leur tournerez le dos», car vous
les placerez parmi ceux dont vous vous détournerez avec mépris. « Et dans ce
que vous leur laissez, vous vous préparez leur visage (Ps. XX, 13)». Ce que vous leur laissez, ce sont les désirs d’un
royaume terrestre, et ces désirs stimuleront leur impudence ou leur visage,
dans la passion que vous vous préparez.
14. « Elevez-vous, Seigneur, dans votre
puissance ». O vous, Seigneur, qu’ils n’ont point reconnu dans votre humilité,
élevez-vous dans cette puissance qu’ils ont regardée comme une faiblesse. «
Nous bénirons vos grandeurs, nous les célébrerons sur la harpe (Id. 14) » Notre amour et nos oeuvres
chanteront vos merveilles, nous les ferons connaître par toute la terre. (203)
Dans le premier discours saint
Augustin expose le sens des paroles de David relatives à la passion, les
insultes des Juifs, le crucifiement, le partage des vêtements de Jésus-Christ;
puis les effets de l’Eucharistie. Dans le second discours, il s’applique à
démontrer contre les Donatistes le règne universel de Jésus-Christ, qu’ils
veulent scinder et restreindre à leur parti.
POUR LA FIN, SUR LE SECOURS DU MATIN, PSAUME DE DAVID (Ps. XXI, 1).
1. Pour la fin, ou pour Jésus-Christ qui chante
lui-même sa résurrection. Ce fut le matin du premier jour, après le sabbat, qu
s’opéra cette résurrection (Matt. XXVIII,
1), par laquelle il fut reçu dans la vie éternelle, « et soustrait ainsi à
l’empire de la mort (Rom. VI, 9) ».
Tout le psaume s’applique à la personne du Crucifié car il commence par ces
paroles que prononce le Sauveur, lorsque, du haut de la croix, il poussa un
grand cri, représentant alors h vieil homme dont il avait revêtu la mortalité;
car notre vieil homme a été cloué à la croix avec lui (Id.6):
2. « O Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur
moi; pourquoi m’avez-vous abandonné, bien loin de me secourir (Ps. XXI, 2)? » Vous n’avez garde de me
secourir, puisque votre salut est loin des pécheurs (Id. 118, 155). « Les cris de mes péchés vous implorent », car cette
prière n’est point celle d’un juste, mais d’un homme chargé de fautes. Celui
qui prie à la croix, est en effet le vieil homme, qui ne sait pourquoi le
Seigneur l’a délaissé. Ou bien encore: « Les rugissements de mes péchés vous
empêchent de me secourir ».
3. « Seigneur, je vous invoquerai pendant le
jour, et vous ne m’exaucerez point (Id.
XXI, 3). » O Dieu, dans les prospérités de cette vie, je vous demanderai
qu’elles ne changent point, et vous ne m’écouterez point, parce que cette
prière sera celle de mes péchés. « Je vous invoquerai la nuit, et ce ne sera
point une folie pour moi ». Si, dans les malheurs de cette vie, je vous demande
le bonheur, vous ne m’exaucerez pas non plus. Et vous en agirez ainsi, non pour
me jeter dans la folie, mais pour m’apprendre ce qu’il vous est agréable que je
vous demande, non plus dans ces prières du péché qui désire la vie du temps,
mais dans les supplications d’une âme qui se tourne vers vous, pour avoir la
vie éternelle.
4. « Mais vous habitez dans la sainteté,
vous, la gloire d’Israël ». Vous habitez le Saint des saints, et de là vient
que vous n’écoutez point les prières défectueuses du péché. Vous êtes la gloire
de celui qui vous contemple, et non de celui qui chercha sa propre gloire en goûtant
le fruit défendu, en sorte que lei yeux de son corps furent ouverts, et qu’il
voulut se dérober à votre présence et se cacher (Gen. III).
5. « En vous ont espéré nos pères (Ps. XXI, 5)». Tous ces justes, qui n’ont
point cherché leur gloire, mais la vôtre. « Ils ont espéré, et vous les avez
sauvés».
6. « Ils ont crié vers vous, et vous les avez
délivrés (Id.6) ». Ils vous ont fait
entendre, non la voix des péchés qui éloigne le salut, et c’est pourquoi vous
les avez délivrés. « Ils ont espéré en vous, et ils n’ont pas été confondus ».
Vous n’avez pas trompé l’espérance
qu’ils avaient mise en vous, parce qu’ils ne
comptaient point sur eux-mêmes.
7. « Pour moi, je suis un ver de terre et non
plus un homme (Id. 5)». Pour moi, qui
ne parle plus en Adam, mais qui suis Jésus-Christ, sans aucun germe je suis né
dans la chair, afin d’être, eu l’homme, au-dessus des hommes; et de la sorte,
l’orgueil humain ne dédaignera plus mon abaissement. « Je suis l’opprobre des
hommes, le rebut de la populace ». Cet abaissement a fait de moi le rebut des
hommes, au point que l’on disait, (204) comme un outrage et une malédiction: «
Pour toi, sois son disciple (Jean, IX,
28)»; tant le peuple avait de mépris pour moi.
8. « Tous ceux qui me voyaient, m’insultaient
(Ps. XXI, 8)». j’étais la dérision de
tous ceux qui me voyaient. « Ils parlaient des lèvres, et branlaient la tête ».
Ils parlaient des lèvres, et non du coeur.
9. Car c’est par dérision qu’ils disaient, en
branlant la tête: « Il a mis son espoir dans le Seigneur, que le Seigneur le
délivre; qu’il le sauve, s’il lui est cher (Id.
9) ». Tels étaient les paroles qui couraient sur leurs lèvres.
10. «C’est vous, Seigneur, qui m’avez tiré
des entrailles maternelles (Id. 10)
». C’est vous qui n’avez tiré, non seulement du sein d’une vierge, car telle
est la condition de tout homme, de naître en sortant du sein de sa mère; mais
vous m’avez tiré du sein de cette nation juive où est encore enveloppé dans les
ténèbres, sans arriver à la lumière du Christ, celui qui met son salut dans
l’observation extérieure du sabbat, dans la circoncision, et autres cérémonies.
«Vous êtes mon espérance dès la mamelle de ma mère ». Seigneur, vous êtes mon
espoir, non seulement depuis que j’ai sucé les mamelles de la Vierge, car vous
l’étiez bien auparavant; mais depuis que vous m’avez arraché aux mamelles,
comme aux entrailles de la synagogue, afin de me soustraire au lait d’une
coutume charnelle.
11. « Vous êtes mon ferme appui dès le sein
de ma mère (Id. 11)». Dès le sein de
cette synagogue qui m’a rejeté au lieu de me porter, et si je ne suis point
tombé, c’est que vous m’avez soutenu. « Dès le ventre de ma mère, vous êtes mon
Dieu ». Oui, « dès le ventre de ma mère », car nonobstant cette enveloppe
charnelle, je ne vous ai point oublié comme le petit enfant.
12. « Vous êtes mon Dieu; ne vous éloignez
pas de moi, parce que l’affliction est proche (Id. 12) ». Puisque vous êtes mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi,
aux approches de la tribulation, qui est déjà dans ma chair. «Car il n’y a
personne qui me vienne en aide». Qui me soutiendra, si ce n’est vous?
13. « Voilà qu’une foule de jeunes taureaux
m’ont environné (Id. 13) ». Les
attroupements d’un peuple dissolu font cercle autour de moi. « Des taureaux
puissants m’ont investi». Et les chefs de ce peuple, joyeux de mon oppression,
m’ont assiégé à leur tour.
14. « Ils ont ouvert leur bouche contre moi (Ps. XXI, 14) ». Leur bouche a livré
passage, non point aux paroles de vos saintes Ecritures, mais aux cris de leurs
passions. « Tel un lion saisit sa proie et rugit ». La proie de ce lion, ce
serait moi que l’on saisit et que l’on amène, et son rugissement: «
Crucifiez-le, crucifiez-le (Jean, XIX,
26)
15. « Je me suis écoulé comme l’eau, tous e
mes os se sont dispersés (Ps. XXI, 15)
». Je me suis écoulé comme l’eau, quand mes persécuteurs sont tombés; et mes
disciples qui faisaient la solidité de l’Eglise ou de mon corps, se sont
dispersés par la crainte. « Mon coeur s’est fondu comme la cire, au milieu de
mes entrailles (Ibid.) ». Ces paroles
que la Sagesse a consignées à mon sujet dans les livres saints, demeuraient
incomprises, comme des paroles dures et cachées; mais depuis qu’à la flamme de
mes douleurs elles se sont comme liquéfiées, elles sont devenues évidentes, et
se sont gravées dans la mémoire de mon Eglise.
16. « Ma vigueur s’est desséchée comme
l’argile(Id. 16) ». Mes douleurs ont
desséché mes forces, non comme l’herbe, mais comme l’argile que le feu rend
plus dure. « Ma langue s’est attachée à mon palais ». Ceux par qui je devais
parler ont gardé mes préceptes en eux-mêmes. « Vous m’avez réduit à la
poussière de la mort ». Vous m’avez jeté entre les mains de ces impies destinés
à la mort, et que le vent balayera de la surface de la terre.
17. « Des chiens sans nombre m’environnent (Id. 17) ». Voilà que j’étais environné
de gens qui aboyaient, non plus au nom de la vérité, mais au nom de la coutume.
« Le conseil des méchants m’a assiégé; ils ont percé mes mains et mes pieds
».Ils ont percé de clous
mes mains et mes pieds.
18. « Ils ont compté tous mes os (Id. 18) »compter tous mes os étendus sur
la croix. « Pour eux, ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement».
Pour eux, c’est-à-dire dans la même aversion, ils m’ont regardé et considéré.
19. « Ils se sont partagé mes vêtements, et
ont tiré ma robe au sort (Id. 19) ».
(205)
20. « Pour vous, Seigneur, n’éloignez pas de
moi votre secours (Ps. XXI, 20) ».
Mais vous, ô Dieu, ressuscitez-moi sans retard, et non point à la fin du monde,
comme les autres hommes. « Pourvoyez à ma défense ». Veillez sur moi, afin que
nul ne me nuise.
21. « Arrachez mon âme au glaive (Id. 21) »: préservez mon âme des langues
schismatiques; « et mon unique à la puissance des chiens »: Délivrez mon Eglise
de ce peuple qui aboie, au nom de ses coutumes.
22. « Sauvez-moi de la gueule du lion. »
Sauvez-moi de cette bouche qui m’offre un royaume temporel. « Epargnez à ma
faiblesse la corne des rhinocéros (Id.
22) »: préservez mon humilité des hauteurs de ces orgueilleux qui s’élèvent
d’une manière exclusive et ne souffrent aucun rival.
23. « Je redirai votre nom à mes frères (Id. 23)». J’annoncerai votre nom aux
humbles, qui sont mes frères, et qui s’aiment réciproquement, comme je les ai
aimés. « Je chanterai vos louanges au milieu de mon Eglise ». C’est avec joie que
je publierai votre gloire dans mon Eglise.
24. « Bénissez le Seigneur, vous qui le
craignez (Id. 24)». Vous qui craignez
le Seigneur, ne cherchez point votre gloire, mais louez le Seigneur. « Chantez
sa gloire, vous tous, enfants de Jacob ». Glorifiez Dieu, vous tous enfants de
celui que servit son aîné.
25. « Craignez-le tous, vous qui êtes enfants
d’Israël ». Qu’ils craignent le Seigneur, tous ceux qui sont régénérés dans une
vie nouvelle, et préparés à la vision de Dieu. « Car il n’a point dédaigné, ni
rejeté la prière du pauvre (Id. 25)
». Il n’a témoigné aucun mépris pour la prière, cette prière qui était celle du
pauvre sans enflure, étranger aux pompes frivoles, et non celle du pécheur dont
les vices crient vers Dieu, et qui ne voulait point quitter cette vie
misérable. « Il n’a point détourné de moi son visage », comme il l’a fait pour
celui qui disait: « Je crierai vers vous, et vous ne m’écouterez point. Il m’a
exaucé, quand j’ai crié vers lui ».
26. « C’est vous que je veux louer (Id. 26) ». Car je ne recherche point la
gloire pour moi, puisque je me glorifie en vous qui habitez le sanctuaire, et
que vous, gloire d’Israël, vous écoutez le saint qui:vous invoque. « C’est dans
votre Eglise si étendue que je publierai votre gloire ». Je vous bénirai dans
cette Eglise répandue par toute la terre. J’offrirai mes voeux, en présence de
ceux qui craignent mon Dieu. J’offrirai le sacrement de mon corps et de mon
sang, devant ceux qui craignent le Seigneur.
27. « Les pauvres mangeront et seront
rassasiés (Ps. XXI, 27)». Ils
mangeront, ceux qui sont humbles, qui méprisent le monde, et ils m’imiteront,
et de la sorte, ils ne désireront point les biens de ce monde, et ne craindront
point la pauvreté. « Ceux qui cherchent le Seigneur, le béniront». Car c’est de
l’âme qu’il rassasie, que déborde sa louange. « Leurs coeurs vivront dans
l’éternité ». Car il est lui-même l’aliment de notre coeur.
28. « Les nations les plus reculées se
souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui (Id. 28) ». Elles s’en souviendront; car Dieu était en oubli pour
ces peuples nés dans la mort, et n’ayant de tendance que pour les biens
extérieurs; et alors tous les confins de la terre se tourneront vers le
Seigneur. «Tous les peuples de la terre se prosterneront en sa présence ». Tous
les peuples de l’univers l’adoreront damas leurs coeurs.
29. « C’est au Seigneur de régner, et il
dominera les nations (Id. 29) ».
C’est au Seigneur, et non aux hommes superbes qu’appartient l’empire, et il
dominera les nations.
30. « Tous les riches de la terre ont mangé,
puis adoré ». Les riches de la terre ont mangé l’humble chair de leur maître,
et, bien qu’ils n’en aient pas été rassasiés comme les pauvres, jusqu’à imiter
Jésus-Christ, ils l’ont néanmoins adoré. « Ils tomberont en sa présence, tous ceux
qui s’abaissent sur la terre». Dieu seul voit la chute de tous ceux qui se las.
sent de converser dans le ciel, et qui préfèrent étaler, ici-bas, l’apparence
du bonheur aux yeux des hommes qui ne voient pas leur ruine.
31. «Mon âme, à son tour, vivra pour lui (Id. 31)». Et mon âme qui paraît morte
aux yeux des hommes, parce qu’elle méprise le monde, s’oubliera, pour vivre en
Dieu. « Et ma postérité le servira ». Mes oeuvres, ou ceux que je porterai à
croire en lui, le serviront.
32. « Elle sera prédite pour le Seigneur, la
génération à venir (Id. 32) ». Les
fidèles du Nouveau Testament seront célébrés à la louange (206) du Seigneur. «
Et les cieux publieront sa justice ». Les évangélistes annonceront sa justice.
« Au peuple qui doit naître, et que le Seigneur a fait (Ps. XXI, 32) »; au peuple que la foi doit engendrer au Seigneur.
Discours
prêché à la solennité de la Passion.
1. Je ne dois point garder sous silence, et
vous devez écouter ce que le Seigneur n’a pas voulu taire dans ses saintes
Ecritures. La passion de Notre Seigneur est arrivée une fois, nous le savons;
une seule fois le Christ est mort, l’innocent pour les coupables (I Pier. III, 18). Nous le savons, nous
en avons la certitude, nous croyons d’une foi inébranlable, « que Jésus-Christ
une fois ressuscité d’entre les u morts ne meurt plus, et que la mort n’aura
plus d’empire sur lui (Rom. VI, 9) ».
Ainsi l’a dit saint Paul: et de peur que nous ne venions à oublier ce-qui s’est
fait une fois, nous en célébrons chaque année la mémoire. Est-ce à dire que
Jésus-Christ meurt chaque fois que nous célébrons la Pâque? Néanmoins ce
souvenir annuel nous remet en quelque sorte sous les yeux ce qui s’est fait une
fois, et nous émeut aussi vivement que si nous voyions le Christ appendu à la
croix, non pour lui insulter, mais pour croire en lui. Car à la croix il fut
persillé, et on l’adore aujourd’hui qu’il est dans le ciel. N’est-il plus
insulté aujourd’hui, et avons-nous encore à nous indigner contre les Juifs qui
l’ont tourné en dérision à la croix, et non dans son règne céleste? Et qui donc
se moque aujourd’hui du Christ? Plût à Dieu qu’il n’y en eût qu’un seul, que
deux, qu’on pût même les compter ! Toute la paille qui est dans son aire, se
rit de lui, et le bon grain gémit de voir le Seigneur insulté. Je veux en gémir
avec vous; car voici le temps des pleurs. Nous célébrons la Passion du Sauveur;
c’est le temps de gémir, le temps de pleurer, le temps de confesser nos fautes
et d’en implorer le pardon. Et qui de nous pourrait verser autant de larmes
qu’en méritent ses incomparables douleurs? Ecoutons le Prophète: « Qui donnera,
dit-il, de l’eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes (Jérém. IX, 1)?» Non, une source de
larmes, fût-elle réellement dans mes yeux, ne suffirait point, quand nous
voyons le Christ persiflé lorsque la vérité est si claire, et quand nul ne peut
dire: Je ne savais pas. Car c’est à celui qui possède l’univers entier, que
l’on ose bien en offrir une partie; c’est à celui qui est assis à la droite de
son Père, que l’on dit: Qu’y a-t-il ici qui vous appartienne? et au lieu de
toute la terre, on ne lui montre que l’Afrique.
2. Que deviennent, mes frères, les paroles
que vous venez d’entendre? Que ne pouvons-nous les écrire avec des larmes?
Quelle est cette femme qui vint avec des parfums (Matt. XXVI, 7)? De qui était-elle un symbole? N’est-ce point de
l’Eglise? Que figurait le parfum qu’elle portait? N’est-ce point cette bonne
odeur dont l’Apôtre a dit: Nous sommes en tous lieux la bonne odeur de
Jésus-Christ (II Cor. II, 14)? Et
saint Paul nous désigne aussi l’Eglise; car en disant: « nous sommes», il
s’adresse aux fidèles. Et que leur dit-il? Nous sommes en tous lieux la bonne
odeur de Jésus-Christ. Voilà donc saint Paul qui nous dit que les fidèles sont
partout la bonne odeur de Jésus-Christ, et l’on ose le contredire? on soutient
que l’Afrique seule est une bonne odeur, que le reste du monde n’a qu’une odeur
fétide? Qui donc affirme que nous sommes en tous lieux la bonne odeur du
Christ? L’Eglise. C’est cette bonne odeur que figurait ce vase de parfums
répandu sur le Sauveur. Voyons si le Christ ne l’atteste pas lui-même. Quand
des hommes zélés pour leurs intérêts, avares et voleurs, c’est-à-dire quand
Judas disait de ce parfum: « Pourquoi le perdre ainsi? on aurait pu (207)
vendre ce parfum précieux et en faire le bien des pauvres (Matt. XXVI, 8) ». Quand il voulait vendre ainsi la bonne odeur de
Jésus-Christ, que lui répond le Sauveur? « Pourquoi, dit-il, contristez-vous
cette femme? Ce qu’elle a fait pour moi, est une bonne oeuvre (Id. 10)».Qu’ai-je à dire encore, quand
le Sauveur ajoute: « Partout où sera prêché 1’Evangile dans tout l’univers, on
dira à la louange de cette femme ce qu’elle vient de faire (Id. 13) ». Que peut-on ajouter à ces
paroles ou en retrancher? Comment prêter l’oreille à ces calomniateurs? Le
Seigneur a-t-il menti ou s’est-il trompé? Qu’ils choisissent, et qu’ils nous
disent ou que la vérité a pu mentir, ou que la vérité a pu se tromper. «
Partout où l’Evangile sera prêché », dit Jésus-Christ. Et comme si on lui
demandait: Où donc sera-t-il prêché? « Dans tout l’univers », répond-il.
Ecoutons notre psaume, voyons s’il parle dans le même sens. Ecoutons ce chant
lugubre, et d’autant plus digne de nos larmes que l’on chante pour des sourds.
Je serais étonné, -mes frères, que l’on chantât ce psaume aujourd’hui chez les
Donatistes. Pardonnez-moi, mes frères, si je vous confesse mon étonnement,
muais j’atteste le Christ miséricordieux, que je regarde ces hommes comme des
pierres, s’ils n’entendent pas ces choses. Comment parler plus clairement, même
à des sourds? On peut lire dans ce psaume la passion du j Christ aussi
clairement que dans l’Evangile, et toutefois, il a été composé je ne sais
combien d’années avant que le Sauveur fût né de la vierge Marie: c’était le
héraut qui annonçait le juge à venir. Lisons-le donc, autant que nous le
permettra le peu de temps qui nous reste, non pas autant que le voudrait notre
douleur, mais, ainsi que je l’ai dit, autant que nous le permettra l’heure
avancée.
3. « O Dieu, mon Dieu, regardez-moi: Pourquoi
m’abandonner ainsi? » Ce sont les mêmes paroles que nous avons entendues à la
croix, quand le Seigneur s’est écrié: « Eli, Eli », c’est-à-dire, mon Dieu, mon
Dieu « Lama sabachtani? » Pourquoi m’avez-vous abandonné? L’Evangéliste a
traduit ces paroles, et dit que le Seigneur s’écria en hébreu: « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m’abandonnez-vous? » Que voulait dire le Seigneur? Car Dieu ne
l’avait pas abandonné, puisque lui-même est Dieu, que le Fils de Dieu est Dieu,
que le Verbe de Dieu est Dieu. Ecoutons dans son premier chapitre, cet
Evangéliste qui répandait au dehors la surabondance qu’il avait puisée dans le
coeur de Jésus(Jean, XXIII, 23);
voyons si le Christ est Dieu. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe
était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Ce Verbe donc, qui était Dieu, « s’est
fait chair pour habiter parmi nous n. C’est ce Verbe qui était Dieu, et qui,
s’étant fait chair, disait pendant qu’il était cloué à la croix: « Mon Dieu,
mon Dieu, jetez les yeux sur moi, pourquoi m’avez-vous abandonné? » A quoi bon
parler de la sorte, sinon parce que nous étions là nous-mêmes, et que l’Eglise
est le corps de Jésus-Christ (Eph. I, 23)?
Pourquoi dire: « Mon Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, m’auriez-vous donc
abandonné? » sinon pour stimuler notre attention, et nous dire en quelque
manière: « C’est de moi qu’il est parlé dans ce psaume? Les cris de mes péchés
éloignent de moi le salut ». Quels péchés avait celui dont il est dit: « Qu’il
n’a commis aucune faute, et que le mensonge ne s’est point trouvé dans sa
bouche (I Pier. II, 23)? » Comment
peut-il dire: «mes péchés n, sinon parce qu’il implore le pardon de nos fautes,
et qu’il a voulu qu’elles devinssent ses fautes, afin que sa justice devînt
notre justice?
4. « Mon Dieu, je crierai vers vous pendant
le jour, et vous ne m’exaucerez point; « pendant la nuit, et ce ne sera point
une folie pour moi (Ps. XXI, 4) ».
Ainsi parle-t-il de lui-même, de vous, de moi; car il parlait au nom de son
corps mystique qui est l’Eglise. A moins
peut-être, mes frères, que vous ne croyiez
que le Seigneur craignait de mourir quand il disait: « Mon Père, s’il est
possible, que ce calice s’éloigne de moi (Matt.
XXVI, 39)». Le soldat n’est jas plus valeureux que le général. « Il suffit
au serviteur de ressembler au maître (Id.
X, 25) ». Toutefois saint Paul, ce champion du roi Jésus, s’écriait: « Je
me sens pressé des deux côtés, j’ai le vif désir d’être dégagé des liens du
corps pour être avec Jésus-Christ (Phil.
I, 23) ». Va-t-il désirer la mort pour être avec le Christ, quand ce même
Christ craignait de mourir? Qu’est-ce donc, sinon qu’il portait en lui notre
infirmité, et qu’il parlait de la sorte au nom des fidèles déjà établis en son
corps mystique, (208) et qui pourraient encore craindre la mort? De là vient
que cette prière était la prière des membres, et non du chef. Il en est de même
de ces paroles: « J’ai crié vers vous le jour et la nuit, et vous ne
m’exaucerez point ». Beaucoup en appellent à Dieu dans l’affliction et ne sont
point exaucés; mais c’est pour leur salut, et non parce qu’ils sont insensés.
Paul demanda d’être délivré de l’aiguillon de la chair et ne l’obtint point; il
entendit cette réponse: « Ma grâce te suffit, car la vertu use perfectionne
dans la faiblesse (II Cor. XII, 9) ».
Dieu donc ne l’exauça point; et ce refus, loin de l’accuser de folie, devait le
former à la sagesse; car l’homme doit comprendre que Dieu est médecin, et que
l’affliction est un remède pour nous guérir et non un châtiment qui aboutisse à
la damnation. Pour vous guérir, on brûle, on tranche, et vous criez; le médecin
est sourd à vos désirs, il cherche uniquement à vous guérir.
5. « Pour vous, ô gloire d’Israël, vous
habitez dans le sanctuaire (Ps. XXI, 4)
». Vous habitez en ceux que vous sanctifiez, et à qui vous faites comprendre
que si vous repoussez des demandes, c’est pour le bien de ceux qui supplient,
et que vous en exaucez d’autres pour leur propre perte. Ce fut pour l’avantage
de saint Paul que Dieu rejeta sa prière, et pour la confusion de Satan qu’il
accueillit la sienne. Il avait demandé de tenter Job, ce qui lui fut accordé (Job. I, 11). Les démons demandèrent
d’entrer dans les pourceaux, et Jésus le leur permit (Matt. VIII, 31). Ainsi les démons sont exaucés, l’Apôtre ne l’est
pas: mais ils sont exaucés pour leur confusion; et dans l’intérêt de son salut,
l’Apôtre ne le fut point. « Ce n’est point pour me convaincre de folie. Vous
êtes la gloire d’Israël et vous habitez dans vos saints». Pourquoi
n’exaucez-vous pas même ceux qui sont à vous? Mais pourquoi parler ainsi?
Souvenez-vous de dire toujours: Grâces à Dieu, devant cette foule d’assistants,
et plusieurs sont venus qui ne viennent point d’ordinaire. Je dis donc pour
tous que l’affliction n’est pour le chrétien qu’une épreuve, s’il n’abandonne
pas le Seigneur. Quand l’homme est heureux au dehors, le chrétien est dans un
délaissement intérieur. Le feu est mis à la fournaise, et cette fournaise de
l’orfèvre est le symbole d’un grand mystère. Il y a là de l’or, il y a de la
paille, il y a du feu qui agit dans un lieu resserré. Le feu est le même,
l’effet en est bien différent; il réduit la paille en cendre et ôte à l’or ses
scories. Ceux en qui habite le Seigneur deviennent ainsi meilleurs par
l’affliction, ils sont éprouvés comme l’or. Si donc le démon notre ennemi
demande quelqu’un et qu’il l’obtienne de Dieu, alors, soit dans les maladies
corporelles, soit dans la perte des biens, soit dans la mort de ses proches,
que le chrétien maintienne son coeur entre les mains de celui qui ne
l’abandonne et qui ne paraît fermer l’oreille à sa douleur que pour écouter
ensuite sa prière avec miséricorde. L’artisan qui nous a faits sait ce qu’il
doit faire, il sait aussi comment nous réconforter. C’est un habile architecte
qui a construit l’édifice, il sait réparer ce qui a pu s’en écrouler.
6. Ecoutez encore ce que dit le Prophète: «
En vous ont espéré nos pères; ils ont espéré, et vous les avez délivrés (Ps. XXI, 5) ». Nous savons, pour l’avoir
lu dans les Ecritures, combien de nos pères Dieu a délivrés, parce qu’ils
espéraient en lui, Il a délivré de l’Egypte tout le peuple d’Israël (Exod. XII, 51). Il a délivré les trois
jeunes hommes des flammes de la fournaise; il a délivré Daniel de la fosse aux
lions (Dan. III.), et Susanne d’une
accusation mensongère (Id. XIV): tous
l’invoquèrent, tous furent délivrés (Id.
XIII). A-t-il fait défaut à son Fils, au point de ne point l’exaucer sur la
croix? Pourquoi donc n’est-il pas délivré à l’instant, celui qui a dit: « Nos
pères ont espéré en vous, et vous les avez délivrés? »
7. « Pour moi, je suis un ver et non pas un
homme (Ps. XXI, 7) ». Un ver et non
pas un homme. L’homme aussi est un ver, mais celui-ci est un ver et non pas un
homme. Pourquoi pas un homme? Parce qu’il est Dieu. Pourquoi s’est-il abaissé
au point de se dire « un « ver? n Est-ce parce qu’un ver naît de la chair
spontanément comme le Christ est né de la vierge Marie? Il est donc un ver? Et
toutefois il n’est pas un homme. Pourquoi un ver? Parce qu’il est mortel, parce
qu’il est né de la chair, parce qu’il est né d’une vierge et sans le concours
d’aucun homme. Pourquoi n’est-il pas un homme? Parce que le Verbe était au
commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (Jean, I, 1).
8. « Je suis l’opprobre des hommes, le (209)
rebut de la populace (Ps. XXI, 7) ».
Voyez combien il a souffert; et avant le récit de sa passion, afin de l’écouter
avec des gémissements plus sincères, voyez d’abord les douleurs qu’il endure et
ensuite voyez pourquoi. Quel est le fruit de sa passion? Voilà que nos pères
ont espéré et ont été délivrés de l’Egypte. Et, comme je l’ai dit, tant
d’autres l’ont invoqué, et sans aucun retard ont été délivrés dès cette vie,
sans attendre la vie éternelle. Job lui-même, livré à Satan qui l’avait demandé,
en proie aux ulcères et aux vers (Job, I,
11), recouvra néanmoins la santé dès cette vie, et des richesses doubles de
celles qu’il avait perdues (Id. XLII, 11).
Pour le Sauveur, il est flagellé, et nul secours; il est couvert de crachats,
et nul secours; il est souffleté, et nul, secours; il est élevé en croix, et
nulle délivrance; il s’écrie: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous
abandonné (Matt. XXVIII)? » et nul
secours. Pourquoi donc, mes frères? Pourquoi tout cela? Quelle est la
récompense de tant de. douleurs? Tout ce qu’il endure est une rançon. Que
peut-il acheter au prix de tant de douleurs? Récitons le psaume et voyons ce
qu’il contient. Cherchons d’abord ce qu’il a souffert, et ensuite pourquoi: et
comprenons combien sont ennemis du Christ ceux qui confessent les douleurs
qu’il a endurées et qui lui en dérobent le prix. Ecoutons donc tout cela dans
le psaume, et voyons ce qu’il a souffert et pour quel motif. Retenez ces deux
points: qu’a-t-il souffert et pourquoi? J’explique maintenant ce qu’il a
souffert, sans trop m’y arrêter: les paroles du psaume vous l’expliqueront
mieux que moi. Voyez, chrétiens, ce qu’endure le Seigneur; il est « l’opprobre
des hommes et le rebut de la populace ».
9. « Tous ceux qui me voyaient me
persiflaient, ils parlaient des lèvres et branlaient la tête. Il a espéré en
Dieu, que Dieu le délivre, que Dieu le sauve puisqu’il se plaît en lui n. Mais
pourquoi les Juifs parlaient-ils ainsi? C’est parce que le Christ s’était fait
homme, et qu’ils le traitaient en homme.
10. « Parce que c’est vous qui m’avez tiré du
sein maternel (Ps. XXI, 8, 9) ».
Parleraient-ils ainsi contre ce Verbe qui était au commencement, ce Verbe qui
était en Dieu? Mais ce Verbe, par qui tout a été fait, n’a été tiré des
entrailles maternelles que parce que le Verbe a été fait chair et a habité
parmi nous. « Parce que vous m’avez tiré du sein de ma mère, vous êtes mon Dieu
dès que j’ai sucé la mamelle (Ps. XXI,
10) ». Avant tous les siècles vous êtes mon Père, mais vous êtes mon Dieu
depuis que j’ai sucé la mamelle.
11. « Du sein de ma mère, j’ai été reçu dans
vos bras », afin que vous fussiez mon unique espérance; c’est l’homme, et
l’homme dans sa faiblesse, le Verbe fait chair, qui parle ainsi. « Dès le sein
de ma mère, vous êtes mon Dieu (Id. 11)
». Non point mon Dieu par vous-même; par vous-même vous êtes mon Père; et mon
Dieu seulement depuis que j’ai passé par le sein de ma mère.
12. « Ne vous éloignez pas de moi; car la
tribulation est proche, et il n’y a personne pour me secourir (Id. 12) ». Voyez comme il est abandonné,
et malheur à nous, s’il nous abandonnait. « Il n’y a personne pour nous
secourir».
13. « De jeunes taureaux sans nombre, des
taureaux puissants m’ont environné (Id.
13) ».Voilà le peuple et le prince, le peuple ou les jeunes taureaux sans
nombre, les princes ou les taureaux puissants.
14. « Ils fondent surmoi, la gueule
entr’ouverte, comme le lion qui déchire et qui rugit (Id. 14) ». Ecoutez ces rugissements dans l’ Evangile: «
Crucifiez-le, crucifiez-le (Jean, XIX, 6)
».
15. « Je me suis répandu comme l’eau, et mes
ossements ont été dispersés (Ps. XXI, 15)
». Il appelle ossements, les disciples les plus fermes, car les os sont la
solidité des corps. Quand ces ossements furent-ils dispersés? Quand il leur
dit: « Voilà que je vous envoie, comme des brebis au milieu des loups (Matt. XI, 6)». Il dispersa donc ses
disciples les plus solides, et il se répandit comme l’eau. L’eau répandue lave
ou arrose; le Christ s’est répandu comme l’eau, pour laver nos souillures et
arroser nos âmes. « Mon coeur s’est fondu comme une cire au milieu de mes
entrailles ». C’est son Eglise qu’il appelle ses entrailles. Comment son coeur
est-il devenu comme une cire? Son coeur, c’est l’Ecriture, ou plutôt la Sagesse
renfermée dans-les saintes Ecritures. L’Ecriture était un livre fermé, que nul
ne comprenait; le Seigneur a été cloué à la croix, et alors elle est devenue
claire comme la cire liquéfiée, et les plus faibles (210) esprits ont pu la
comprendre. C’est de là que le voile du temple a été déchiré (Matt. XXVII, 51) et, ce qui était voilé,
mis à découvert.
16. « Ma force a été durcie comme l’argile (Ps. XXI, 16)». Admirable expression pour
dire mon nom s’est affermi par mes douleurs. De même que l’argile est molle
avant de passer par le feu, et solide quand elle en sort; de même le nom du
Seigneur, méprisé avant la passion, en est sorti glorieux. « Ma langue s’est
attachée à mon palais ». Comme ce membre n’est utile que pour-parler, le
Sauveur appelle sa langue, les prédicateurs, et ils se sont attachés à son
palais pour puiser la sagesse dans ses secrètes profondeurs. « Et vous m’avez
réduit à la poussière de la mort».
17. « Voilà qu’une meute de chiens
m’environne, que le conseil des méchants m’assiége (Id. 17) ». Voyez encore l’Evangile. « Ils ont percé mes mains et
mes pieds ».Alors s’ouvrirent ces plaies, dont un disciple incrédule toucha les
cicatrices. Il avait dit: « Si je ne mets mon doigt dans la blessure des clous,
je ne croirai point». Jésus lui dit alors: « Venez, mettez votre doigt, ô incrédule
». Et il y mit sa main, et il s’écria « Mon Seigneur, et mon Dieu ». Et Jésus:
Parce que tu m’as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui croient sans voir (XX, 25, 28). « Ils ont percé mes mains
et mes pieds ».
18. « Ils ont compté tous mes os (Ps. XXI, 18) », quand il était étendu
sur la croix. On ne peut mieux exprimer l’extension du corps sur la croix,
qu’en disant: « ils ont compté tous mes os».
19. « Ils m’ont regardé, ils m’ont considéré
attentivement (Id. 19) ». Ils ont
considéré, mais sans comprendre; ils ont regardé, mais sans voir. Leurs yeux
voyaient la chair, mais leur coeur ne s’élevait pas jusqu’au Verbe. « Ils se
sont partagé mes vêtements ». Ses vêtements sont les sacrements. Remarquez, mes
frères, que ses vêtements ou ses sacrements ont bien pu être divisés par
l’hérésie; mais il y avait là une robe, que nul ne peut diviser. « ils ont tiré
ma robe au sort ». « Il y avait là »,dit l’Evangéliste, «sa tunique tissue d’en
haut (Jean, XIX, 27) ». Donc, tissue
dans le ciel, tissue par le Père, tissue par l’Esprit-Saint. Quelle est cette
robe, sinon la charité que l’on ne peut partager? Quelle est cette robe, sinon
l’unité? On la tire au sort, parce que l’on ne peut la diviser. Les hérétiques
ont bien pu diviser les sacrements, mais non diviser la charité. Impuissants à
la partager, ils se sont retirés, mais elle demeure dans son intégrité. Le sort
l’a donnée à quelques-uns; celui qui la possède, est en sûreté; car nul ne peut
le jeter hors de l’Eglise catholique; et si l’homme du dehors commence à
l’avoir, on l’y introduit, comme le rameau d’olivier porté par la colombe (Gen. VIII, 11).
20. « Pour tous, ô mon Dieu, n’éloignez pas
de moi votre secours (Ps. XXI, 20)».
Ainsi en fut-il, et Dieu le ressuscita le troisième jour. « Pourvoyez à ma
défense ».
21. « Arrachez mon âme à la framée (Id. 21) »; c’est-à-dire à la mort. Une
framée est un glaive, et par le glaive il a voulu entendre la mort. « Et mon
unique à la main des chiens ». Cette âme, et cette unique, c’est son âme et son
corps; c’est son Eglise qu’il appelle unique.
« A la main », c’est-à-dire au pouvoir des chiens. Qui sont les chiens? Ceux
qui aboient commue des chiens, sans savoir à qui ils s’en prennent. On ne leur
fait rien, et néanmoins ils aboient. Que fait au chien un passant? le chien
l’aboie pourtant. Aboyer aveuglément, sans savoir ni contre qui, ni pour qui,
c’est là être chien.
22. « Sauvez-moi de la gueule du lion (Id. 22) ». Vous connaissez ce lion
rugissant qui rôde autour de nous, cherchant quelqu’un à dévorer (I Pierre, V, 8). « Epargnez à mon
humilité la corne du rhinocéros ». Il n’appelle rhinocéros que les orgueilleux;
aussi a-t-il ajouté: « Mon humilité ».
23. Vous avez entendu les douleurs que le
Christ a endurées, et les prières qu’il a faites pour en être délivré: considérons,
maintenant, pourquoi il a souffert. Mais voyez d’abord, mes frères, à quoi bon
porter le nom de chrétien, quand on n’est point dans cet héritage pour lequel
le Christ a souffert? Nous avons entendu ce qu’il a enduré; qu’on comptât ses
os, qu’on le tournât en dérision, qu’on partageât ses vêtements, qu’on tirât sa
robe au sort, qu’on dispersât ses ossements; c’est ce que nous apprend le
psaume, et ce que nous lisons dans 1’Evangile. Voyons pourquoi. O Christ, Fils
de Dieu, vous ne souffririez point, si vous ne le vouliez pas, montrez-nous
doue le fruit de (211) votre passion. Ecoutez, nous dit-il, quel est ce fruit:
je ne le cache point; mais l’homme est sourd à mes paroles. Ecoutez donc bien
quel est ce fruit acheté par mes douleurs. « J’annoncerai votre nom à mes
frères ». Voyons s’il ne prêche le nom du Seigneur à ses frères, que dans une
partie du monde. « J’annoncerai votre nom à mes frères, je vous chanterai au
milieu de l’Eglise (Ps. XXI, 23)».
C’est ce qui s’accomplit maintenant. Mais voyons quelle est cette Eglise: « Je
vous chanterai au milieu de l’Eglise ». Voyons donc l’Eglise pour laquelle il a
souffert.
24. « Louez le Seigneur, vous qui le craignez
(Id. 24)». L’Eglise du Christ est donc
partout où l’on craint et où l’on bénit Dieu. Or, voyez, mes frères, si dans
ces jours il n’y a point de sens dans le chant de l’Amen, et de l’Alléluia qui
retentit par toute la terre. Est-ce que Dieu n’y est pas craint? Est-ce que le
Seigneur n’y est pas béni? Voilà que Donat s’en vient nous dire: Il n’y a plus
de crainte, et le monde entier a péri, il a tort de dire le monde entier; n’en
restera-t-il donc qu’une faible part en Afrique? Mais le Christ n’a-t-il donc
pas une parole pour fermer la bouche à ces prédicateurs? N’a-t-il pas une
parole pour leur arracher la langue? Cherchions, nous la trouverons peut-être.
Quand le Christ doit u bénir Dieu au milieu de l’Eglise », c’est de notre
Eglise qu’il parle. « Bénissez le Seigneur, « vous qui craignez Dieu n. Voyons
si nos adversaires louent le Seigneur, afin de coin-prendre si c’est bien d’eux
qu’il parle, s’il est béni dans leur Eglise. Comment bénissent-ils le Christ,
ceux qui prêchent qu’il a perdu toute la terre, que le diable l’a conquise sur
lui, qu’il ne lui en reste qu’une partie? Mais voyons encore, et que le psaume
parle avec plus de clarté, qu’il s’explique avec plus d’évidence; qu’il n’y ait
plus besoin d’interprétation, qu’il mie reste aucun doute. « Glorifiez-le, race
entière de Jacob ». Peut-être diront-ils encore: C’est nous qui sommes la race
de Jacob. Voyons s’ils sont en effet cette race,
25. « Qu’il soit craint de toute la postérité
d’Israël (Id. 25)». Qu’ils disent
encore qu’ils sont la race d’Israël, nous leur permettons de le dire. « Car il
n’a point méprisé ni rejeté la prière des pauvres ». De quels pauvres? de ceux
qui ne présumaient point d’eux-mêmes. Jugeons par là s’ils sont pauvres, ceux
qui disent: « Nous sommes justes », quand Jésus-Christ dit lui-même: « Les cris
de mes péchés éloignent de moi le salut (Ps.
XXI, 2) ». Mais qu’ils disent encore ce qu’il leur plaira. «Il n’a point
détourné de moi son visage, et quand je criais vers lui il m’a exaucé (Id. 25) ». En quoi l’a-t-il exaucé, pour
quel motif?
26. « Vous êtes l’objet de ma louange (Id. 26)». Il met sa gloire en Dieu pour
nous apprendre à ne point présumer de l’homme. Qu’ils disent encore ce qu’ils
voudront. Déjà ils commencent à sentir l’effet du feu qui s’approche: « Car nul
ne peut se dérober à sa chaleur (Ps.
XVIII, 7) ». Qu’ils disent encore: Nous ne présumons pas non plus en
nous-mêmes, et c’est en Dieu que nous mettons notre gloire; qu’ils disent même:
« Je chanterai vos louanges dans une grande assemblée ». Il me semble qu’ici le
Christ les touche au coeur. Qu’est-ce, mes frères, qu’une grande Eglise?
Appellerait-on grande Eglise un coin de la terre? Une grande Eglise, c’est
l’univers entier. Quelqu’un voudrait-il contredire le Christ? Voici vos
paroles, ô Christ: « Je chanterai vos louanges dans une grande Eglise »;
dites-nous donc quelle est cette Eglise ! Vous êtes resserré dans un coin de
l’Afrique; vous avez perdu le monde entier, vous avez versé votre sang pour
tous; mais l’ennemi a envahi vos domaines. Si nous parlons ainsi, mes frères,
c’est comme pour l’interroger, car nous savons ce qu’il y aurait à répondre.
Supposons néanmoins que nous ignorons ce qu’il dit: sa réponse n’est-elle
point: Attendez, je vais parler de manière à lever tous les doutes? Ecoutons
donc ce qu’il va dire. Pour moi, je voulais prononcer, et ne point laisser aux
hommes la liberté d’interpréter cette parole du Christ: « Dans une grande
Eglise ». Et tu viens me dire qu’il est resserré à l’une des extrémités? Ils
oseront encore nous dire: Notre assemblée est grande, que dites-vous de Bagaï
et de Tamugade? Si le Christ n’a plus un mot pour les confondre, ils diront que
la Numidie seule est cette grande Eglise.
27. Voyons encore, écoutons Jésus-Christ. «
J’accomplirai mes voeux en présence de ceux qui le craignent (Ps. XXI, 26) ». Quels sont les voeux du
Christ? le sacrifice qu’il offrit à Dieu. Savez-vous quel sacrifice? Les
fidèles savent les (212) voeux accomplis par le Christ en présence de ceux qui
le craignaient. Car voici ce qui suit: « Les pauvres mangeront et seront
rassasiés (Ps. XXI, 27)». Bienheureux
donc ces pauvres qui mangent ainsi pour être rassasiés ! Donc, les pauvres
mangent. Quant aux riches, ils ne sont pas rassasiés, parce qu’ils n’ont pas
faim. Les pauvres mangeront. Il était un pauvre, ce Pierre le pêcheur, et Jean
cet autre pêcheur, et Jacques son frère (Matt.
IV, 18), et même le publicain Matthieu (Id.
IX, 9). Ils étaient des pauvres, tous ces autres qui mangèrent et qui
furent rassasiés, parce qu’ils souffrirent comme la victime qu’ils mangeaient.
Car le Christ a donné ses douleurs comme il a donné ses festins; c’est celui
qui souffre comme lui, qui est rassasié. Les pauvres l’imitent, car ils
souffrent pour suivre les traces de Jésus-Christ. « Ces pauvres mangeront ».
Comment sont-ils pauvres? « C’est qu’ils louent le Seigneur, ceux qui le
recherchent (Id. IX, 9) ». Les riches
se louent eux-mêmes, les pauvres louent le Seigneur. Comment donc sont-ils
pauvres? C’est qu’ils bénissent le Seigneur, qu’ils recherchent le Seigneur, et
que le Seigneur est le trésor des pauvres; d’où vient que leur maison est
dénuée, tandis que leur coeur est plein de richesses, Que le riche travaille à
remplir ses coffres, le pauvre cherche à remplir son coeur: et quand leur coeur
est enrichi, ils bénissent le Seigneur, ceux qui le recherchent. Voyez, mes
frères, en quoi consiste la richesse de ces vrais pauvres; elle ne loge, ni
dans les coffres, ni dans les greniers, ni dans tes celliers. « Leurs coeurs
vivront dans l’éternité ».
28. Ecoutez-moi donc, mes frères. Le Christ a
souffert, il a enduré tout ce que vous avez entendu; nous avons cherché le but
de ses douleurs, et il s’est mis à nous dire: « J’annoncerai votre nom à mes
frères, je vous chanterai au milieu de l’Eglise ». Mais ils répliquent: Nous
sommes cette Eglise. « Qu’il soit redouté dans la postérité d’Israël ». Et eux
de dire: Nous sommes la postérité d’Israël. « Il n’a point rejeté ni dédaigné
la «prière des pauvres ». Ils disent encore Nous sommes ces pauvres. « Il n’a
pas détourné de moi son visage ». Jésus-Christ, notre Seigneur, n’a pas
détourné sa face de lui-même, ou de son corps, qui est l’Eglise. «En vous est
ma louange ». Et vous voulez vous louer vous-mêmes. Mais, nous répondront-ils,
c’est bien lui que nous chantons aussi. « Je remplirai mes voeux en présence de
ceux qui le craignent». Les fidèles savent que c’est un sacrifice de paix, un
sacrifice de charité, le sacrifice de son corps: nous ne pouvons aujourd’hui
nous étendre à ce sujet. « Je remplirai mes voeux devant ceux qui me craignent
». Mangez, publicains, mangez pêcheurs, mangez, imitez le Seigneur, souffrez,
et vous serez rassasiés. Le Seigneur lui-même est mort; les pauvres meurent à
leur tour, et la mort des disciples vient s’ajouter à la mort du maître.
Pourquoi? montrez-m’en l’utilité. « Les extrémités de la terre se
ressouviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui(Ps. XXI, 30) ». Hélas! mes frères, pourquoi nous demander ce que
nous répondrons aux partisans de Donat? Ce psaume que nous lisons ici
aujourd’hui se ht encore aujourd’hui chez eux. Gravons-le sur nos fronts,
marchons avec lui, ne donnons aucun repos à notre langue, et répétons sans
cesse: Le Christ a souffert, voilà que ce négociant divin nous montre ce qu’il
vient d’acheter, son sang qu’il a répandu en est le prix. Il portait ce prix
dans une bourse divine; et cette bourse s’est répandue sous le coup d’une lance
impie, et il en est sorti la rançon du monde entier. Que viens-tu me dire, ô
hérétique? N’est-ce point le prix de l’univers entier? l’Afrique seule
serait-elle rachetée? tu n’oserais le dire. Tout l’univers a été racheté,
diras-tu, mais il a échappé au Christ. Quel ravisseur a donc. fait perdre au
Christ ce qui lui appartenait? « Voilà que tous les confins de la terre se
souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». Que ces paroles vous
suffisent donc. S’il était dit: Les confins de la terre, et non, « tous les
confins de la terre», ils pourraient nous répliquer: Nous avons en Mauritanie
ces confins de la terre. Mais, ô hérétique, il a dit: « Tous les confins de la
terre », oui, « tous »; où donc pourras-tu fuir, pour éviter cette réponse? Nul
moyen d’échapper; il ne te reste que la porte pour entrer.
29. Toutefois, mes frères, je ne veux pas
établir une dispute, de peur que l’on attribue quelque valeur à mon discours.
Ecoutez donc le psaume, et lisez-le. Voilà que le Christ a souffert, son sang
est répandu; voilà d’une part le Rédempteur, et d’autre part la rançon. Qu’on
me dise l’objet racheté. Mais pourquoi (213) le demander? puisqu’on pourrait me
répondre O insensé, à quoi bon les questions? Tu as un livre, et dans ce livre
le prix de la rançon, et l’objet racheté. Vous pouvez y lire: « Tous les
confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ».
Oui, les confins de la terre s’en souviendront. Mais les hérétiques l’ont
oublié, aussi le leur lit-on chaque année. Croyez-vous qu’ils prêtent
l’oreille, quand le lecteur répète: « Tous les confins de la terre se
souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui? » Mais ce n’est peut-être
qu’un verset, et vous aviez l’esprit distrait, ou vous parliez au voisin, quand
on a lu ce passage; voyez pourtant comme il le répète, et force les sourds
d’entendre: « Toutes les nations de la terre se prosterneront pour l’adorer ».
Il est encore sourd, et n’entend pas plus, frappons de nouveau. « Au Seigneur
appartient l’empire, et il dominera les nations ». Retenez bien, mes frères,
ces trois versets. Aujourd’hui on les chante aussi chez eux, à moins qu’ils ne
les aient effacés. Pour moi, mes frères, je suis tellement frappé, tellement
hors de moi-même, qu’une telle surdité, une telle dureté de coeur me jette dans
la stupeur, et je me prends à douter quelquefois s’ils ont ces passages dans
leurs livres. Aujourd’hui tous les fidèles accourent à l’Eglise, aujourd’hui
tous prêtent l’oreille attentivement à la lecture de ce psaume, tous demeurent
en suspens à cette lecture. Mais fussent-ils inattentifs, n’y a-t-il que ce
seul verset: « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se
tourneront vers lui? » Vous vous éveillez, vous frottez encore vos yeux: « Et
les peuples de la terre se prosterneront en sa présence ». Vous vous réveillez,
vous êtes encore assoupis, écoutez: « Au Seigneur appartient l’empire, et il
dominera toutes les nations ».
30. Que pourraient-ils répliquer? je ne sais;
qu’ils s’en prennent aux saintes Ecritures, et non plus à nous. Voilà le livre,
qu’ils le combattent. A quoi sert de dire: C’est nous qui -avons sauvé les
Ecritures, qu’on aurait brûlées? Elles sont sauvées pour te brûler, ô hérétique.
A quoi bon les sauver? Ouvre-les donc pour les lire. Tu les a sauvées, et tu
les combats. Pourquoi sauver de la flamme ce que tu effaces de la langue?Je
n’en crois rien, je ne puis croire que tu les aies sauvées; non, tu ne les as
pas sauvées, je n’en crois rien. Les nôtres, au contraire, ont raison de dire
que tu les as livrées. il prouve sa trahison, celui qui refuse d’exécuter un
testament qu’on lui alu. On le lit devant moi, et je m’y rends; devant toi, et
tu contestes. Quelle main l’a jeté au feu? Est-ce la main de celui qui
l’accepte et le suit, ou la main de celui qui est chagrin qu’il existe encore,
et qu’on le puisse lire? Mais je ne veux plus connaître le sauveur de ce livre;
peu importe de quelle manière et dans quelle caverne on l’ait trouvé, c’est le
testament de notre père; je ne connais ni les voleurs qui voulaient le
soustraire, ni les persécuteurs qui le voulaient brûler: de quelque part qu’il
nous vienne, il doit être lu. Pourquoi disputer? Nous sommes frères, à quoi bon
plaider? Notre père n’est point mont sans testament. Il en a fait un, et il est
mort; après sa mort, il est ressuscité. On dispute sur l’héritage d’un défunt,
tant que le testament n’est pas devenu public: dès que le testament se produit
en public, tous gardent le silence, afin qu’on l’ouvre et qu’on le lise. Le
juge l’écoute avec attention, les avocats se taisent, les huissiers font faire
silence, tout le peuple demeure en Suspens, pour laisser lire les paroles d’un
défunt, qui est sans mouvement dans le sépulcre. Cet homme est donc sans vie
sous la pierre, mais ses paroles ont une valeur: et c’est quand Jésus-Christ
est assis dans le ciel, que l’on conteste son testament? Ouvrez donc, et
lisons. Nous sommes frères, pourquoi ces disputes? Soyons plus paisibles, notre
père ne nous a pas laissés sans testament. Et celui qui a fait ce testament,
vit dans l’éternité, il entend nos voix, il connaît celle qui est à lui. Lisons
donc, à quoi bon disputer? Prenons possession de l’héritage, quand nous
l’aurons trouvé. Ouvrez le testament, et lisez donc un des premiers psaumes: «
Demande-moi e. Mais qui parle ainsi? Peut-être n’est-ce pas Jésus-Christ. Vous
avez encore au même endroit: « Le Seigneur m’a dit: Vous êtes mon Fils, c’est
aujourd’hui que je vous ai engendré (Ps.
II, 7)». Donc est-ce le Fils de Dieu qui parle, ou le Père qui parle à son
Fils? Et que dit-il à ce Fils? « Demande-moi, et je te donnerai les nations en
héritage, et ton empire embrassera tous les confins de la terre (Id. 8.) ». Souvent, mes frères, quand on
conteste au sujet d’un champ, on s’enquiert des possesseurs qui (214)
avoisinent, et entre tel ou tel voisin, on cherche l’héritier à qui il est échu
ou qui en est l’acheteur. Auprès de quels voisins s’informer? Auprès de ceux
qui possèdent les propriétés environnantes. Mais celui qui n’a aucune borne à
son héritage n’a aucun voisin, Or, de quelque part que vous vous tourniez,
c’est le Christ qui est possesseur. Tu as en héritage les confins de la terre,
viens, possède avec moi la terre entière. Pourquoi m’intenter un procès pour
m’appeler en partage? Viens ici, c’est un avantage de perdre ton procès puisque
tu auras le tout. Quel sujet pour toi de disputer? J’ai lu le testament, et tu
disputes encore? Viendras-tu nous objecter qu’il a dit: « Les confins de la terre,
et non, tous les confins? Lisons donc alors. Qu’avons-nous lu? « Tous les
confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui.
Toutes les nations de la terre se prosterneront en sa présence. L’empire est au
Seigneur, et il dominera les nations ». C’est donc à lui et non à vous
qu’appartient la domination. Reconnaissez donc et le Seigneur votre maître,
l’héritage du Seigneur.
31. Mais vous aussi, qui voulez avoir une
possession à part, et non plus avec nous dans l’unité du Christ, car vous
voulez dominer sur la terre et non régner avec lui dans le ciel, vous possédez
vos demeures. Nous sommes allés quelquefois les trouver, mes frères, et pour
leur dire: Cherchons la vérité, trouvons la vérité. Et eux de nous répondre:
Gardez ce que vous avez; tu as tes brebis, j’ai les miennes; laissez mes brebis
en paix comme j’y laisse les vôtres. Grâces à Dieu, j’ai mes brebis, et il a
ses brebis, qu’a donc racheté le Christ? Ah! qu’elles ne soient ni à toi ni à
moi, ces brebis, mais bien à celui qui les a rachetées, à celui qui les a
marquées de son caractère ! « Ni celui qui plante n’est rien, ni celui qui
arrose, mais c’est Dieu qui donne l’accroissement (I Cor. III, 7) ». Pourquoi donc avoir tes brebis et moi mes brebis?
Si le Christ est avec toi, que mes brebis y aillent aussi, car elles ne sont
pas à moi; et si le Christ est avec nous, que tes brebis y viennent aussi,
puisqu’elles ne sont pas à toi. Qu’elles entrent dans leur héritage en nous
baisant le front et les mains, et que les enfants étrangers disparaissent.
Elles ne m’appartiennent pas, dit-il. Qu’est-ce à dire? Voyons si elles ne vous
appartiennent pas, voyons si vous n’en avez pas revendiqué la possession. Je
travaille au nom du Christ, toi au nom de Donat; car si c’est pour le Christ,
le Christ est partout. Tu dis « Le Christ est ici (Matt. XXIV, 23) », et moi je dis qu’il est partout. « Enfants,
louez le Seigneur, bénissez le nom du Seigneur ».D’où viendra cette louange? Et
jusqu’où ira-t-elle? « De l’Orient jusqu’au couchant, bénissez le nom du
Seigneur (Ps. CXII, 1) ». C’est là
l’Eglise que je vous montre, c’est là ce qu’a acheté le Christ et ce qu’il a
racheté, c’est pour cela qu’il a donné son sang. Mais toi, que dis-tu? C’est
aussi pour lui que je recueille. « Celui qui ne ramasse « point avec moi, te
répond-il, celui-là disperse (Matt. XII,
30) ». Or, tu divises l’unité, tu veux un domaine à part. Pourquoi donc
avoir le nom du Christ? C’est parce que tu as prétendu que le nom fût comme un
titre qui garantît ta possession. N’est-ce point là ce que font plusieurs à
l’égard de leur maison? Pour la garantir contre l’avidité d’un larron puissant,
le maître y place le titre d’un autre homme puissant, titre mensonger. Il veut
être possesseur de sa maison, et pour se l’assurer, il met au frontispice un
titre d’emprunt, afin qu’en lisant ce nom d’un homme puissant dans le monde, un
ravisseur soit saisi de frayeur et s’abstienne de toute violence. C’est ce que
firent nos hérétiques lorsqu’ils condamnèrent les Maximianistes. Ils allèrent trouver
les juges, et pour montrer des titres qui les fissent regarder comme évêques,
ils récitèrent les canons de leur concile. Alors le juge demanda: Est-il ici
quelque autre évêque du parti de Donat? L’assemblée répondit: Nous ne
reconnaissons qu’Aurèle qui est catholique. Dans la crainte des lois, ils n’ont
parlé que d’un seul évêque. Mais pour se faire écouter du juge, ils
empruntaient le nom du Christ et couvraient de ses titres leur possession. Que
le Seigneur le leur pardonne dans sa bonté, et qu’il revendique son héritage
partout où il retrouve ses titres; sa miséricorde est assez grande pour leur
faire cette grâce, et pour ramener dans son Eglise tous ceux qu’il rencontrera
sous le nom du Christ. Voyez, mes frères, quand un prince trouve ses titres sur
quelque domaine, n’a-t-il pas le soin de le revendiquer en disant: S’il n’était
mon domaine, il ne porterait pas mes (215) titres? J’y trouve mon nom, le
domaine est à moi; tout domaine m’appartient quand il porte mon nom.
Change-t-il jamais ses titres? Le titre d’autrefois est le titre d’aujourd’hui;
l’héritage peut changer de maître et non de titre. De même, quand ceux qui ont
reçu le baptême du Christ reviennent à l’unité, nous ne changeons pas les
titres, nous ne les effaçons point; mais nous reconnaissons les titres de notre
roi, le nom de notre prince. Que disons-nous? Héritage infortuné, sois le
domaine de celui dont tu portes les titres; tu portes le nom du Christ, ne sois
donc pas l’héritage de Donat.
32. C’est beaucoup nous étendre, mes frères; mais
gardez-vous d’oublier ce que nous avons lu. Je vous le répète, et il faut
souvent le redire; au nom de ce jour sacré, ou plutôt, des mystères que l’on y
célèbre, je vous en supplie, n’oubliez pas ces paroles: « Toutes les nations de
la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui.Tous les peuples
de la terre se prosterneront en sa présence. L’empire est au Seigneur, et il
dominera les peuples ». En face d’un titre si clair, si authentique de la
possession du Christ, fermez l’oreille aux paroles d’un imposteur. Toute
contradiction est la parole d’un homme, ceci est la parole de Dieu.
L’Eglise par la bouche du
Prophète s’applaudit d’être le troupeau que dirige la houlette du bon pasteur,
qui la conduit dans les pâturages sacrés de l’Eucharistie.
1. C’est l’Eglise qui s’adresse au Christ «
Le Seigneur me dirige et rien ne me manquera (Ps. XXII, 1) ». Le Seigneur Jésus est mon pasteur, et je ne
manquerai de rien.
2. «Il m’a placé dans un lieu de pâturage (Id. 2)». Il m’a placé, pour me nourrir,
dans ce lieu de pâturage qui commence par me conduire à la foi. « Il m’a
entretenu le long des eaux salutaires ». Il m’a fait grandir par les eaux du
baptême, qui rendent la force et la santé à ceux qui ont langui.
3. « Il rend la force à mon âme, et me fait
marcher dans les sentiers de la justice, pour la gloire de son nom (Id. 3) » Il m’a conduit dans les
sentiers étroits de sa justice, où peu savent marcher; non point à cause de mes
mérites, mais pour la gloire de son nom.
4. « Quand même je marcherais au milieu des
ombres de la mort ». Dussé-je marcher au milieu de cette vie, qui est l’ombre
de la mort. « Je ne craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec moi (Ps. XXII, 4) ». Je ne craindrai aucun
mal, parce que vous habitez dans mon coeur par la foi, et maintenant vous êtes
avec moi, afin qu’après les ombres de la mort, je sois avec vous.
« Votre verge et votre houlette, voilà ce qui
m’a consolé ». Votre discipline est pour moi comme la verge qui ramène les
brebis au bercail, comme la houlette qui se fait sentir aux enfants plus
avancés, qui passent de la vie animale à la vie spirituelle; loin de
m’affliger, elles m’ont consolé, puisque vous prenez soin de moi.
5. « Vous avez préparé, sous mes yeux, un
banquet, à l’encontre de ceux qui me persécutent (Id. 5) ». Après la verge qui maintenait, dans le bercail et dans
les pâturages, mon enfance et ma vie animale, après cette verge est venue pour
moi la houlette, et alors vous avez préparé un festin sous mes yeux, afin que
le lait de l’enfance (I Cor. III, 2)
ne fût plus mon aliment, (216) mais que, devenu plus grand, je prisse une
nourriture qui me fortifiât contre ceux qui me persécutent. « Vous avez répandu
sur ma tête une huile parfumée». Vous avez donné à mon coeur une joie
spirituelle. «Quelle délicieuse ivresse dans la coupe que vous m’avez donnée (Ps. XXII, 5.) ! » Combien est doux votre
breuvage qui, nous fait oublier les vains plaisirs !
6. « Et votre miséricorde me suivra tous les
jours de ma vie (Ps. XXII, 6)»; c’est-à-dire tant que je suis en cette vie
mortelle, qui n’est pas la vôtre, mais la mienne. « Afin que j’habite la maison
du Seigneur, dans les jours éternels ». Elle me suivra, non seulement ici-bas,
mais elle me donnera la maison du Seigneur, pour la vie éternelle.
Le Prophète chante ici le
triomphe de Jésus-Christ, il le voit s’élever au ciel et dominer ces puissances
diaboliques qui s’étaient fait rendre les honneurs divins.
PSAUME DE DAVID LE LENDEMAIN DU SABBAT (Ps. XXIII, 1.)
1. Psaume de David sur la glorieuse
résurrection, qui eut lieu le matin du premier jour après le sabbat, jour que
depuis nous appelons dimanche ou jour du Seigneur.
2. « La terre et tout ce qu’elle contient est
au Seigneur, l’univers et tous les peuples qui l’habitent (Id. 2.) »; puisque sa gloire est proposée partout à la foi des
nations, et que son Eglise embrasse l’univers entier. « C’est lui qui l’a
fondée sur les mers (Id. 3.) ». Il a
solidement assis cette même Eglise sur les flots du siècle, qui doivent lui
être soumis, et ne jamais lui nuire. « Et il l’a élevée au-dessus des fleuves
». Comme les fleuves s’en vont à la mer, ainsi l’homme insatiable se répand
dans le monde: mais l’Eglise les domine, et refoulant, par la grâce, les
mondaines convoitises, elle se prépare au moyen de la charité à la gloire
immortelle.
3. « Qui s’élèvera jusqu’à la montagne du
Seigneur (Id. 4)? » Qui pourrait
atteindre les sommets de la justice divine? « Ou qui habitera son sanctuaire? »
Et après s’être élevé dans ce sanctuaire affermi sur les mers, élevé au-dessus
des fleuves, qui pourra s’y maintenir?
4. « Celui qui a les mains innocentes et le
coeur pur ». Qui donc pourra s’élever à ces hauteurs et s’y maintenir, sinon
l’homme aux oeuvres innocentes, et au coeur pur? « Qui n’a point reçu son âme
en vain 1 ». Qui n’a point laissé son âme s’attacher à tout ce qui est
périssable, mais qui, fier de son immortalité, lui a fait désirer l’éternité
qui est constante et immuable. « Et qui n’a jamais été parjure ». Et qui agit
envers ses frères, sans artifice, mais avec la simplicité et la vérité de tout
ce qui est éternel.
5. « Celui-à recevra la bénédiction du
Seigneur, et la miséricorde du Dieu son sauveur 2 ».
6. « Telle est la génération de ceux qui
cherchent le Seigneur ». Ainsi naissent tous ceux qui le cherchent, qui
cherchent la face du Dieu de Jacob 3. Diapsalina ». ils cherchent la face de ce
même Dieu qui a donné la primauté au plus jeune frère.
7. « Ouvrez les portes, ô vous qui êtes
princes ». Vous qui cherchez la domination sur les hommes, enlevez ces portes
de la cupidité et de la crainte, que vous avez établies, de peur qu’elles ne
vous nuisent. « Elevez-vous, portes éternelles 4 ». Portes de la vie
1. Ps. XXIII, 6. — 2. Id. 7. — 3. Id. 8. —
4.Jean, XVI, 33.
(217)
éternelle, portes de la renonciation au monde
et du retour à Dieu. « Et le roi de gloire entrera ». Alors entrera ce roi en
qui nous pouvons nous glorifier sans orgueil; qui brisa les portes de la mort,
s’ouvrit les portes du ciel, accomplissant ainsi ce qu’il a dit: «
Réjouissez-vous, car j’ai vaincu le monde».
8. « Quel est ce roi de gloire? » La nature
humaine demande avec stupeur: « Quel est ce roi de gloire? C’est le Seigneur
fort et puissant 1 », que vous avez cru faible et vaincu. « Le Seigneur
puissant dans la guerre ». Touchez ses plaies, vous les trouverez fermées, et
l’infirmité humaine rendue à l’immortalité. Elle est achevée cette
glorification du Seigneur qui devait éclater sur la terre, où elle a combattu
contre la mort.
9. « Ouvrez donc vos portes, ô princes 2 ».
Que d’ici nous puissions aller au ciel. Qu’elle retentisse de nouveau, la
trompette prophétique. « Enlevez, princes des cieux, ces portes par lesquelles
vous entrez dans l’âme de ceux qui adorent la milice du ciel 3; élevez-vous,
portes éternelles ». Portes de l’éternelle justice, de la charité, de la
chasteté, par lesquelles notre âme s’unit au seul vrai Dieu,
1. Ps. XXIII, 8. — 2. Id. 9. — 3. IV Rois,
XVIII, 10.
sans offrir à tant d’autres qu’on appelle des
dieux, un culte adultère. « Et le roi de gloire entrera ». Il entrera, ce roi
de gloire, qui doit s’asseoir à la droite de son Père afin d’intercéder pour
nous 1.
10. « Quel est ce roi de gloire? » D’où le
vient cette stupeur 2, ô prince des puissances de l’air, et pourquoi cette
question: « Quel est ce roi de gloire? C’est le Seigneur des Vertus qui est ce
roi de gloire 3 ». Il est ressuscité, celui que tu as tenté naguère, et il te
marche sur la tête, il s’élève au-dessus des anges, celui que tentait l’ange
prévaricateur. Que nul d’entre vous, désormais, ne se rue à l’encontre et nous
barre le passage, afin de se faire adorer par nous, comme un Dieu: ni
principauté, ni ange, ni vertu ne nous sépare désormais de la charité de
Jésus-Christ 4. Il est mieux pour nous d’espérer dans le Seigneur que dans les
princes 5; afin que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur
6. Il est vrai que dans les dispositions de ce monde ces esprits de l’air sont
des vertus, mais « c’est le Seigneur des vertus qui est le roi de gloire».
1.
Rom. VIII, 34. — 2. Eph. Ii, 2. — 3. Ps. XXIII, 10. — 4. Rom. VII, 39. — 5. Ps.
118, 9. — 6. I Cor. I, 31.
Sentiments de confiance,
d’humilité et de confiance avec lesquels on doit recourir à Dieu dans les
adversités de la vie présente.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (1)
1. C’est Jésus-Christ qui parle ici, mais au
nom de son Eglise. Car tout ce que renferme le psaume s’applique mieux au
peuple chrétien converti à Dieu.
2. « C’est vers vous, Seigneur, que j’élève
mon âme 2 », par de spirituels désirs, elle qui rampait sur la terre par ses
charnelles
1. Ps. XXIV, 1. — 2. Id, 2.
convoitises. « Mon Dieu, j’ai mis en vous mon
espoir, et je n’en rougirai point 1». Seigneur, ma confiance en moi m’a réduit
à ces infirmités de la chair; j’abandonnais Dieu pour être moi-même comme un
Dieu, et voilà que le moindre animal me fait craindre la mort, et que j’ai dû
rougir de mon orgueil dérisoire; maintenant que j’espère en vous seul, plus de
confusion pour moi.
1. Ps. XXIV, 2.
(218)
3. « Que mes ennemis ne me tournent plus en
dérision 1». Qu’ils ne me persiflent point, ceux dont les suggestions occultes
et empoisonnées sont autant de piéges; et qui en me criant: Courage, courage,
m’ont avili de la sorte. « Car la déception n’est plus pour ceux qui espèrent
en vous ».
4. « Que ceux-là soient couverts d’opprobre,
ceux qui font avec moi des actes futiles ». Honte à ceux qui font le mal pour
acquérir les biens qui passent. « Mais vous, Seigneur, montrez-moi vos voies,
ouvrez-moi vous-même vos sentiers 2 »; qui ne sont point spacieux, et qui ne
conduisent pas la foule à sa perte; enseignez-moi ces sentiers étroits qui sont
les vôtres et que peu connaissent 3.
5. « Faites-moi marcher dans votre vérité»,
et fuir l’erreur. « Enseignez-moi », puisque de moi-même je ne connais que le
mensonge. « C’est vous, ô Dieu, qui êtes mon Sauveur, vous que j’ai attendu
tout le jour 4». Banni par vous du paradis 5, errant dans les régions
lointaines 6, je ne puis retourner à vous si vous ne venez au-devant de moi; et
pendant le cours de cette vie terrestre, votre miséricorde attendait mon
retour.
6. « Souvenez-vous, Seigneur, de vos
miséricordes 7 ». Souvenez-vous, Seigneur, de vos oeuvres miséricordieuses, car
les hommes vous accusent d’oubli. « Souvenez-vous de ces bontés qui sont
éternelles ». N’oubliez point surtout que vos miséricordes ont commencé avec le
monde. Car elles sont inséparables de vous, puisque vous avez assujéti l’homme
pécheur à la vanité, mais dans l’espérance, et que vous avez donné à votre
créature de si nombreux et si grands sujets d’espérance.
7. «Ne gardez aucun souvenir des fautes de ma
jeunesse, et de mon ignorance 8 ». Ne réservez point de châtiment aux fautes
que j’ai commises par une témérité audacieuse, et par ignorance, qu’elles
soient effacées à vos yeux. « O Dieu, souvenez-vous de moi selon votre
miséricorde ». Souvenez-vous de moi, non point selon cette colère dont je suis
digne, nais selon cette miséricorde qui est digne de vous. « A cause de votre
bonté », et non point à cause de mes mérites.
8. «Le Seigneur est plein de douceur et
d’équité 9 ». De douceur, puisqu’il prend en
1. Ps. XXIV,
3.— 2. Id. 4.— 3. Matt. VII, 13, 14.— 4. Ps. XXIV,
5. — 5. Gen. III,13.— 6. Luc, XV, 17.— 7. Ps. XXIV, 6.— 8. Id. 7.— 9. Id. 8.
pitié les pécheurs et les impies, jusqu’à
leur pardonner leurs fautes passées, mais aussi de justice, car après la grâce
de la vocation et du pardon, grâce que nous n’avons point méritée, il exigera
au jour du dernier jugement des mérites proportionnés à ces grâces. « Aussi
fera-t-il connaître sa loi à ceux qui s’égarent en chemin », car c’est pour les
conduire dans la voie, qu’il leur a fait miséricorde.
9. « Il dirige les humbles dans la justice
1». C’est lui qui conduira les hommes doux, et qui, au jour du jugement, ne
jettera point dans l’effroi ceux qui suivent sa volonté, qui ne résistent pas à
la sienne pour lui préférer la leur. « Il enseignera ses voies à ceux qui sont
doux ». Il enseignera ses voies, non point à ceux qui les veulent dépasser,
comme s’ils étaient eux-mêmes plus capables de se diriger, mais à ceux qui ne
savent ni lever la tête, ni regimber quand on leur impose un joug doux et un
fardeau léger 2.
10. « Toutes les voies du Seigneur ne sont
que miséricorde et vérité 3 ». Quelles voies peut enseigner le Seigneur, sinon
cette miséricorde qui se laisse fléchir, et cette vérité qui le rend
incorruptible? Il exerce la première en nous pardonnant nos fautes, et la
seconde en jugeant nos mérites. De là vient que toutes les voies du Seigneur se
réduisent aux deux avènements du Fils de Dieu, l’un pour exercer la miséricorde
et l’autre le jugement. Celui-là donc arrive à Dieu par le chemin tracé, qui
reconnaît que sans aucun mérite il est délivré de ses fautes, qui renonce à
l’orgueil, et redoute le sévère examen d’un juge dont il a éprouvé la
secourable clémence. « Pour ceux qui recherchent son alliance et sa loi ». Car
ils reconnaissent la miséricorde du Seigneur dans son premier avènement, sa
justice dans le second, ceux qui recherchent avec douceur et mansuétude le
testament par lequel il nous a rachetés pour la vie éternelle, au prix de son
sang, qui étudient ses témoignages dans les prophètes et dans les évangélistes.
11. «A cause de votre nom, vous serez
miséricordieux pour mes fautes qui sont en si grand nombre 4». Non seulement
vous avez couvert du pardon les fautes que j’ai commises avant d’arriver à la
foi; mais le sacrifice d’un coeur contrit vous adoucira en faveur de mes péchés
qui sont nombreux, car la véritable.
1.
Ps. XXIV, 9. — 2. Matt. XI, 30. — 3. Ps. XXIV, 10. — 4. Id. 11.
(219)
voie elle-même n’est pas sans achoppement.
12. « Quel est l’homme qui craint le Seigneur
» et qui s’achemine ainsi vers la sagesse? « Le Seigneur lui dictera ses lois
dans la voie qu’il a choisie 1 ». Le Seigneur lui prescrira ses ordres dans la
voie qu’il a choisie, volontairement choisie, et il ne péchera plus impunément.
13. « Son âme se reposera dans l’abondance des
biens, et sa postérité aura la terre en héritage 2». Ses oeuvres lui vaudront
la possession solide d’un corps renouvelé par la résurrection.
14. « Le Seigneur est la force de ceux qui le
craignent 3 ». La crainte ne paraît convenir qu’aux faibles, mais le Seigneur
est la force de ceux qui le craignent. Et le nom du Seigneur, glorifié dans
l’univers entier, fortifie ceux qui ont de la crainte pour lui. « Et il leur
découvre son alliance ». Il leur fait connaître son alliance, car les nations
et les confins de la terre sont l’héritage du Christ.
15. « Mes yeux sont constamment tournés vers
le Seigneur; parce que c’est lui qui retirera mes pieds du piége 4 ». Je n’ai
point à craindre les périls de la terre quand je ne la regarde point, et celui
que je contemple dégagera mes pieds du piège.
16. « Jetez les yeux sur moi, et prenez-moi
en pitié, parce que je suis pauvre et unique 5 ». Je suis ce peuple unique,
conservant l’esprit d’humilité dans votre Eglise, qui est unique et ne souffre
ni schisme ni hérésie.
17. « Les tribulations de mon coeur se sont
multipliées 6». Mon coeur s’est fort affligé quand j’ai vu l’iniquité
s’accroître et la charité se refroidir. « Délivrez-moi de ces tristes
nécessités». Comme il m’est nécessaire de souffrir ainsi pour conquérir le
salut par la persévérance finale7, épargnez-moi ces nécessités.
1.
Ps. XXIV, 12. — 2. Id. 13. — 3. Id. 14. — 4. Id. 15. — 5. Id. 16. — 6. Id. 17. — 7.
Matt. X, 22.
18. « Voyez mon abaissement et mon labeur 1».
Voyez que je m’abaisse, et que l’orgueil de ma justice ne me jette point en
dehors de l’unité; voyez mon labeur à supporter les hommes déréglés qui
m’environnent. « Et pardonnez-moi mes péchés». En considération de douloureux
sacrifices, pardonnez-moi mes fautes, non seulement celles de ma jeunesse et de
l’ignorance avant que je crusse en vous, mais celles que m’ont fait commettre
la faiblesse et les ténèbres de cette vie depuis que je marche dans la foi.
19. « Considérez combien s’est accru le
nombre de mes ennemis 2 ». Non seulement j’en rencontre au-dehors, mais encore
dans la communion de l’Eglise. « Ils m’ont poursuivi d’une haine injuste». Ils
m’ont haï quand je les aimais.
20. « Soyez le gardien de mon âme et
délivrez-moi 3». Gardez mon âme, de peur que je n’en vienne à imiter les
méchants, et délivrez-moi de la peine que j’endure d’être mêlé avec eux. « Je
ne serai point confondu, parce que j’ai espéré en vous ». Qu’ils ne s’élèvent
point contre moi à ma confusion, car c’est cri vous et non en moi que j’ai mis
mon espoir.
21. « Les hommes innocents et droits se sont
attachés à moi, parce que je vous ai attendu, ô mon Dieu 4» Les coeurs purs et
droits ne me sont pas unis comme les méchants par la seule présence corporelle,
mais par leur inclination pour l’innocence et la justice, parce que je ne vous
ai point abandonné pour imiter les méchants; mais je vous ai attendu et vous
attends encore, jusqu’à ce que vous passiez au van la dernière de vos moissons.
22. « Délivrez Israël, ô mon Dieu, de toutes ses
afflictions 5 ». Seigneur, rachetez votre peuple que vous avez préparé à voir
votre lumière, délivrez-le, non seulement de toutes les tribulations du dehors,
mais de celles qu’il endure à l’intérieur.
1.
Ps. XXIV, 18. — 2. Id. 19. — 3. Id. 20. — 4. Id. 21. — 5. Id. 22.
(220)
Ce psaume est le chant de la
véritable innocence: il peut s‘appliquer à l’Eglise purifiée en Jésus-Christ,
ou à l’âme fidèle, qui chante son bonheur et qui ne goûte ce bonheur que dans l’innocence.
1. David ici pourrait s’entendre, non plus de
Jésus-Christ médiateur dans son humanité mais de l’Eglise parfaitement établie
dans le Christ.
2. «Jugez-moi, Seigneur, parce que j’ai
marché dans l’innocence 2». Jugez-moi, Seigneur, car après avoir été prévenu
par votre bonté, j’ai quelque mérite dans mon innocence, dont j’ai gardé les
sentiers. « Et mon espoir dans le Seigneur ne sera point ébranlé». Et
néanmoins, je mets ma con-tance non en moi, mais dans le Seigneur, et je ne serai
point ébranlé.
3. « Eprouvez-moi, Seigneur, et sondez mon
âme 3», Toutefois, de peur qu’une infirmité secrète n’échappe à mes regards
éprouvez-moi, Seigneur, et tentez-moi; faites-moi connaître, non plus à vous
qui voyez tout, mais à moi-même et aux hommes. « Faites passer au feu mes reins
et mon coeur». Appliquez à mes pensées et à mes convoitises un remède qui les
purifie comme le feu. « Car votre miséricorde est toujours devant mes yeux 4
».De peur que ce feu ne me consume entièrement, j’ai toujours devant les yeux,
non plus mes mérites, mais bien cette miséricorde, par laquelle vous m’avez
fait embrasser une semblable vie. « Et votre vérité m’a plu». J’ai pris à
dégoût tout ce qui n’est en moi que mensonge, votre vérité m’a plu, et c’est en
elle et avec elle que j’ai pu vous plaire.
4. « Je ne me suis pas assis dans les
assemblées de vanité ». Je n’ai point cherché pour mon coeur la société de ceux
qui s’efforcent de trouver dans la jouissance des biens passagers un bonheur
impossible. « Et je ne m’unirai point aux artisans de l’iniquité5».Et comme
1.
Ps. XXV, 1. — 2. Ibid. — 3. Id. 2. —4. Id. 3. — 5. Id. 4.
telle est la source de toutes les iniquités,
je n’aurai point de secrètes intelligences avec les hommes du crime.
5. « J’ai en horreur l’assemblée des méchants
1». Pour qu’il en résulte une assemblée de vanité, il faut que les méchants se
réunissent, et je hais ces réunions. « Je ne veux point m’asseoir avec les
impies ». Je ne veux donc point m’asseoir dans une semblable réunion, avec les
impies, je n’y mettrai point mon bonheur. « Je ne m’assiérai point avec les
impies ».
6. « Je laverai mes mains parmi les justes
2». Je ferai des oeuvres saintes parmi les saints, avec les âmes saintes, je
laverai ces mains qui saisiront vos sublimes hauteurs. « Et j’étreindrai vos
autels, ô mon Dieu ».
7. « Afin d’entendre la voix de vos louanges
3». Afin d’apprendre à vous bénir. « Et de raconter toutes vos merveilles».
Quand je saurai vous louer, j’annoncerai toutes vos merveilles.
8. « Seigneur, j’ai aimé la beauté de votre
ce maison », ou de votre Eglise, « et le lieu où habite votre gloire 4 »; le
lieu où c’est pour vous une gloire d’habiter.
9. « Ne perdez point mon âme avec les impies
5 ». Ne perdez donc pas avec ceux qui vous haïssent, mon âme, qui se plaît dans
la beauté de votre demeure. « Et ma vie avec celle des hommes sanguinaires». De
ces hommes qui haïssent le prochain. Car deux préceptes font l’ornement de
votre demeure.
10. « Leurs mains sont souillées d’iniquités
6». Ne me perdez point avec ces hommes impies et sanguinaires dont les oeuvres
sont mauvaises. « Leur droite est remplie de présents». Et ce qui leur était
donné pour acquérir le salut éternel, ils l’ont fait servir à
1.
Ps. XXV, 5. — 2. Id. 6. — 3. Id. 7. — 4. Id. 8. — 5. Id. 9 — 6. Id. 10.
(221)
se procurer les biens de ce monde et ont
regardé la pitié comme un trafic (Tim.
VI, 5),
11. « Pour moi, qui ai marché dans
l’innocence, rachetez-moi dans votre piété (Ps.
XXV, 11) ». Que le prix inestimable du sang de mon Dieu me délivre
complètement et que votre miséricorde ne m’abandonne jamais.
12. « Mon pied s’est maintenu dans la voie
droite (Ps. XXV, 12)». Mon amour ne
s’est point écarté de la justice. « Je vous bénirai, Seigneur, dans vos
assemblées». Seigneur, je ne laisserai point ignorer vos bontés à ceux que vous
appelez; car à l’amour pour vous, je joins l’amour du prochain.
Saint Augustin accommode le
psaume à celte pensée que nous devons tolérer les méchants dans l’Eglise, ce qui
parait être contre les Donatistes qui donnaient pour prétexte de leur
séparation, les désordres des chrétiens, et contre les chrétien faibles, que
scandalise le mélange des bons et des méchants. Il engage les bons à faire
fructifier eu eux les dons de Dieu.
1. Votre sainteté a comme nous entendu lire
ce passage de saint Paul: « Il faut », dit-il, « selon la vérité que nous
enseigne Jésus-Christ, vous dépouiller du vieil homme selon lequel vous avez
vécu autrefois, et qui se corrompt en suivant l’illusion de ses convoitises.
Renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme, et revêtez-vous de l’homme
nouveau qui est créé à la ressemblance de Dieu, dans la justice et dans une
sainteté véritable (Eph. IV, 21-21)
». Et de peur que l’on ne s’imagine qu’il faut nous dépouiller d’un objet
sensible comme d’un vêtement, et nous revêtir à. l’extérieur comme on prend un
vêtement, comme s’il fallait quitter une robe pour en prendre une autre, et
qu’une pensée si terrestre n’empêchât les hommes d’accomplir à l’intérieur et
d’une manière spirituelle, ce que l’Apôtre nous recommande, il nous explique
aussitôt ce que signifie se dépouiller du vieil homme et revêtir le nouveau.
Car, le reste de ce qu’on a lu ne tend qu’à nous le faire comprendre. Il semble
répondre à cette question: Comment me dépouiller du vieil homme et revêtir le
nouveau? Serai-je comme un troisième homme qui en quitte un vieux que j’avais,
pour en prendre un nouveau que je n’avais pas? En sorte qu’il y aurait trois
hommes, et que celui du milieu quitterait l’ancien pour s’attacher au nouveau?
De peur donc qu’une telle pensée ne nous embarrasse, et que n’ayant point
accompli le précepte, nous ne trouvions une excuse dans l’obscurité du passage,
saint Paul ajoute: « C’est pourquoi renoncez au mensonge et dites la vérité».
C’est là se dépouiller du vieil homme et revêtir le nouveau. « C’est pourquoi
donc, renoncez au mensonge, et que chacun dise la vérité à son prochain, parce
que nous sommes membres les uns des autres (Eph.
IV, 5) ».
2. N’allez point vous imaginer, mes frères,
qu’on ne doive dire la vérité qu’aux chrétiens, et que le mensonge se puisse
dire aux païens. Parlez selon la vérité à votre pro. chain; et votre prochain
est celui qui est comme vous né d’Adam et d’Eve. Nous sommes tous parents au
point de vue de la naissance humaine; mais nous sommes frères d’une autre
manière, et par l’espérance de l’héritage céleste. Vous devez donc, traiter
comme votre prochain, tout homme, avant même qu’il soit au Christ. Car vous ne
savez ce qu’il est devant Dieu, vous ignorez les desseins de Dieu sur lui. Tel
adore des pierres et vous en riez; un jour il se convertit, il adore le
Seigneur, et devient plus pieux que vous, qui naguère le trouviez ridicule.
Nous avons donc des frères cachés dans ces hommes qui ne sont point encore
(222)
enfants de l’Eglise, comme il y a des enfants
de l’Eglise, qui se cachent bien loin de nous. C’est Pourquoi, dans notre
ignorance de l’avenir, voyons dans tout homme notre prochain, non seulement en
vertu de cette nature humaine, qui nous fait partager avec lui le même sort
ici-bas; mais encore en vertu de l’héritage céleste, car nous ignorons ce que
deviendra celui qui n’est rien maintenant.
3. Ecoutez donc ce que saint Paul appelle
encore se dépouiller du vieil homme, et revêtir le nouveau. « Bannissons tout
mensonge, et que chacun dise la vérité à son prochain: parce que nous sommes
membres les uns des autres. Mettez-vous en colère, mais ne péchez point». Si
vous vous mettez en colère contre votre serviteur qui a fait une faute, fâchez-vous
contre vous-même, afin de ne point pécher. « Que le soleil ne se couche pas sur
votre colère 1». Cela se comprend, mes frères, du temps qu’elle doit durer.
Car, si dans la faiblesse humaine, si dans l’infirmité de cette chair mortelle
que nous portons, la colère se glisse chez un chrétien, elle ne doit point être
durable, ni aller jusqu’au lendemain. Bannis-la de ton coeur, avant que se lève
cette lumière visible, de peur que la lumière invisible ne t’abandonne.
Toutefois, on peut bien donner à ce passage un autre sens, et l’entendre du
Christ qui est pour nous la vérité, le soleil de justice non plus ce soleil
qu’adorent les païens et les Manichéens, et qui luit aux yeux des pécheurs;
mais cet autre soleil qui est la lumière pour la nature humaine, et la joie des
anges. Quant aux hommes, si les yeux de leurs coeurs sont trop faibles pour en
supporter l’éclat, ils se purifient par la pratique des commandements, de
manière à pouvoir le contempler. Quand ce soleil habitera dans l’homme par la
foi, gardez-vous alors de laisser prévaloir la colère qui s’élève en vous, au
point que le Christ se couche sur votre colère, ou plutôt qu’il abandonne votre
âme, car il lui répugne d’habiter avec la colère. On dirait en effet qu’il
s’éteint pour vous, quand c’est vous qui vous éteignez pour lui: car la colère
invétérée devient une haine; et quand il y a haine, il y a homicide. Car saint
Jean l’a dit: « Quiconque hait son frère est homicide 2». Il a dit encore
Quiconque haIt son frère demeure dans les ténèbres 3». Il n’est pas étonnant
qu’un
1. Eph. IV, 26. — 2. I Jean, III, 15. — 3.
Id. II, 9.
homme soit dans les ténèbres quand le soleil
est couché pour lui.
4. Tel est peut-être encore le sens de ce que
vous avez entendu dans l’Evangile: « La barque était en danger sur le lac, et
Jésus dormait 1». Car nous voguons sur un certain lac où ne manquent ni les
vents ni les tempêtes; chaque jour les tentations du siècle sont sur le point
de submerger notre navire. D’où cela vient-il, sinon de ce que Jésus est
endormi? Si Jésus ne dormait pas en toi, tu n’essuierais point ces bourrasques,
mais tu jouirais du calme intérieur parce que Jésus veillerait avec toi.
Qu’est-ce à dire que Jésus dort? C’est que votre foi en Jésus-Christ est
assoupie. Alors s’élèvent les tempêtes sur le lac de cette vie, tu vois l’impie
fleurir, le juste dans l’affliction, c’est là l’épreuve, c’est le flot qui
s’élève. Et ton âme s’écrie: Est-ce donc là, Seigneur, votre justice, que le
méchant soit dans la joie, le juste dans la peine?Tu t’en prends à Dieu. Est-ce
donc là votre justice? Et le Seigneur te répond: Est-ce donc là ta foi? Est-ce
là ce que je t’ai promis? Est-ce pour t’épanouir en cette vie que tu es
chrétien? Tu t’affliges de voir dans la joie ces méchants, qui doivent être
tourmentés avec le diable. Pourquoi ces murmures? Pourquoi te troubler au bruit
des flots et des tempêtes de cette vie? C’est que Jésus dort, ou plutôt que ta
foi en Jésus-Christ est assoupie dans ton coeur. Que fais-tu pour sortir du
danger? Eveille donc Jésus, et dis-lui: Maître, nous périssons 2». — Ce lac peu
sûr nous effraie, nous périssons. Jésus s’éveillera, ou plutôt la foi en
Jésus-Christ reviendra dans ton coeur; et à la lumière de la foi, tu verras en
ton âme que les biens donnés aujourd’hui aux méchants, ne doivent point leur
demeurer toujours. Car ils doivent, ou leur échapper dès cette vie, ou du moins
leur échapper à la mort. Pour toi, ce qui t’est promis, doit demeurer
éternellement. Pour eux le bonheur n’a qu’un temps, il s’évanouit bien. tôt. «
Il s’épanouit comme la fleur d’une herbe; or, toute chair est une herbe, et
l’herbe s’est desséchée, et la fleur est tombée, tandis que la parole du
Seigneur demeure éternellement 3». Tourne donc le dos à tout ce qui tombe, et
la face à tout ce qui demeure. Quand le Christ s’éveillera, ton coeur ne sera
plus battu par la tempête, ni ta barque submergée par les flots: parce que ta
1.
Luc, VIII, 23. — 2. Id. 24. — 3. Isa. XL, 8.
(223)
foi commandera aux vents et aux tempêtes, et
le danger disparaîtra. C’est à cela, nies frères, que reviennent ces conseils
que nous donne l’Apôtre de nous dépouiller du vieil homme
«Mettez-vous en colère, mais ne péchez point;
que le soleil ne se couche point sur votre colère, et ne donnez aucune prise au
démon 1». Le vieil homme lui donnait donc prise; qu’il n’en soit point ainsi du
nouveau. « Que celui qui dérobait, ne dérobe plus2». Donc, le vieil homme
dérobe, que le nouvel homme ne dérobe plus. Celui-là est homme aussi, c’est le
même homme, il était Adam, qu’il devienne Jésus-Christ; il était le vieil
homme, qu’il soit le nouveau; et le reste qui vient ensuite.
5. Mais voyons plus attentivement dans le
psaume, que tout chrétien qui avance en perfection dans l’Eglise, doit souffrir
les méchants dans l’Eglise. Toutefois, celui qui leur ressemble ne les connaît
point, car le plus souvent ceux qui se plaignent des méchants sont méchants à
leur tour; et un homme en santé supportera plus facilement deux malades, que
deux malades ne se supporteront mutuellement. Voici donc, mes frères, ce que nous
disons: L’Eglise ici-bas est une aire à battre le grain. Nous l’avons souvent
répété, nous le disons encore. Il y a dans cette aire de la paille et du bon
grain. Gardons-nous de chercher à séparer la paille, avant que Dieu ne vienne,
le van à la main. Que nul, avant ce temps, ne sorte de l’aire, comme s’il ne
pouvait supporter les pécheurs: de peur que l’oiseau ne le trouve hors de
l’aire et ne l’amasse avant qu’il soit entré dans les greniers célestes.
Ecoutez, mes frères, ce que cela signifie. Quand on commence à battre, les
grains ne se touchent pas à travers les pailles, ils sont pour ainsi dire
étrangers, à cause des pailles qui les séparent. Quiconque ne regarde la grange
que de loin, n’aperçoit que des pailles; il a peine à discerner le bon grain, s’il
n’approche plus près, s’il n’avance la main, s’il ne souffle avec sa bouche,
afin que ce souffle fasse une séparation. Il arrive donc, parfois, que les bons
grains sont tellement séparés l’un de l’autre, tellement étrangers, que le
chrétien qui avance en piété se croit seul. Cette pensée, mes frères, fut une
tentation pour Elie, et ce grand prophète, comme l’Apôtre nous l’a rappelé,
s’écriait: « Seigneur, ils ont tué vos
1. Eph. IV, 26, 27. — 2. Id. 28.
Prophètes, renversé vos autels, et je suis
demeuré seul, encore veulent-ils me faire mourir». Mais qu’est-ce que Dieu lui
répond? « Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou
devant Baal 1». Dieu ne dit point: il y en a deux ou trois qui vous
ressemblent, mais bien: Ne vous croyez pas seul, il y en a sept mille avec
vous, et vous vous croyez seul? Voici donc brièvement la recommandation que
j’avais commencé à vous faire. Que votre sainteté m’écoute avec attention, et
je prie Dieu qu’il touche vos coeurs dans sa miséricorde, afin que vous la
compreniez, de manière qu’elle agisse et fructifie en vous. Ecoutez donc en un
mot: Que celui qui est encore méchant, ne croie point que nul autre n’est bon,
et que, celui qui est bon, ne s’imagine pas être le seul. Comprenez-vous bien?
Je vous le répète, soyez attentifs: Que celui qui est méchant, qui interroge sa
conscience, et n’en reçoit qu’un mauvais témoignage, ne s’imagine point que nul
autre n’est bon; que celui qui est bon, ne se croie pas le seul, et qu’il ne
craigne pas, malgré sa justice, d’être mêlé aux méchants; viendra le temps où
il sera séparé. Aussi, aujourd’hui avons-nous chanté «Ne perdez pas mon âme
avec les impies, et ma vie avec celle des hommes sanguinaires 2». Qu’est-ce à
dire: «Ne perdez pas « avec les impies? » ne me perdez pas, confondu avec eux.
Pourquoi craint-il une même ruine? Je crois qu’il dit à Dieu: Vous nous
souffrez maintenant que nous sommes confondus, mais n’enveloppez pas dans une
même ruine ceux que vous laissez confondus. Tel est le sens du psaume, que je
veux examiner à ta hâte avec vous, parce qu’il est court.
6. « Jugez-moi, Seigneur 3 ». Ce voeu d’être
jugé, est un voeu désagréable, et peut être dangereux pour lui. Quel est ce
jugement qu’il invoque? sa séparation d’avec les méchants. C’est ce jugement de
séparation qu’il désigne clairement dans un autre psaume: « Jugez-moi,
Seigneur, et séparez ma cause de celle d’un peuple qui n’est pas saint 4». Nous
voyons là le sens de cette parole: « Jugez-moi». Que les bons et les méchants
n’aillent point au feu éternel, comme aujourd’hui on voit ces bons et ces
méchants entrer dans l’Eglise, pour ainsi dire sans aucun discernement. «
Jugez-moi,
1. III Rois, XIX, 10. — 2. Ps. XXV, 9. — 3.
Id. 1. — 4. Ps. XLII, 1.
Seigneur». Et pourquoi? « C’est que, pour
moi, j’ai marché dans mon innocence, et que mon espoir dans le Seigneur ne sera
point ébranlé 1 ». Quel est cet « espoir dans le Seigneur? » Celui-là chancelle
parmi les méchants, qui n’a point mis son espoir en Dieu. De là sont venus les
fauteurs des schismes. Ils ont tremblé en se voyant parmi les méchants, eux qui
étaient pires, ils ont rougi d’être bons au milieu des impies. Ah ! s’ils
eussent été le bon grain, ils eussent toléré la paille dans la grange, jusqu’au
jour du vanneur. Mais comme ils n’étaient que la paille, voilà qu’un souffle
s’est élevé, a prévenu le van du Seigneur, et enlevé de la grange cette paille
qu’il a jetée parmi les épines. Une paille a été enlevée, mais ce qui est
resté, n’est-il que froment? Il n’y a que la paille qui s’envole avant la
séparation, et néanmoins il reste de la paille et du froment; et au temps de la
séparation cette paille sera vannée. Voilà ce que dit le Prophète: « J’ai
marché dans mon innocence, et mon espoir dans le Seigneur ne sera point
ébranlé». Si je n’avais espéré que dans un homme, je verrais peut-être cet
homme tomber dans le désordre et ne point suivre ces voies de la justice qu’il
apprendra à connaître ou même qu’il enseigne dans 1’Eglise, mais s’égarer dans
celles que Satan lui a montrées. Si donc mon espérance était dans un homme,
elle chancellerait et tomberait avec cet homme chancelant et tombant; mais
comme elle est dans le Seigneur, elle est inébranlable.
7. « Eprouvez-moi, Seigneur, et sondez mon
âme, dit ensuite, le Prophète, faites passer au feu mes reins et mon coeur 2 ».
Qu’est-ce à dire: « Passez au feu mes reins et mon coeur? » — Passez au feu mes
convoitises et mes pensées. Les reins se disent ici des convoitises, et le
coeur des pensées, afin que nies pensées ne s’arrêtent pas au mal, et que le mal
m’excite pas mes désirs. A quel feu passer mes reins? au feu de votre parole. A
quel feu passer mon coeur? au feu de votre esprit. C’est de ce feu qu’il est
dit ailleurs: « Que nul ne peut se dérober à son action 3 », et dont le
Seigneur a dit à son tour: « Je suis venu apporter le feu sur la terre 4 ».
8. Le Prophète continue: « C’est que votre
miséricorde est devant mes yeux, et que votre vérité m’a plu ». C’est-à-dire,
je n’ai
1. Ps, XXV,1.— 2. Id. 2.— 3. Id. XVIII, 7.—
4. Luc, XII, 49.— 5. Ps. XXV,3.
point cherché à plaire aux hommes, mais j’ai
voulu vous plaire dans cet intérieur où pénètrent vos yeux, peu soucieux de
déplaire aux hommes qui voient le dehors, comme l’a dit l’Apôtre: « Que chacun
éprouve ses actions, et alors il pourra se glorifier dans lui-même, et non dans
un autre 1 ».
9. « Je ne me suis point assis dans les
assemblées de vanité 2 ». Quel est le sens de cette expression: « Je ne me suis
point assis? » Ecoutez, mes frères. En disant: « Je ne me suis point assis »,
il en appelle à Dieu qui voit tout. Vous pouvez être absent d’une réunion, et
pourtant y siéger. Par exemple, vous n’êtes pas au théâtre, mais des pensées
théâtrales absorbent votre esprit, contrairement à cette parole: « Passez au
feu mes reins », alors vous êtes assis au théâtre, nonobstant votre absence
corporelle. Mais il peut arriver qu’un ami vous y fasse entrer et vous y
retienne, ou qu’un office de charité vous force à vous y asseoir. Comment cela
est-il possible? Il peut arriver qu’un chrétien ait une bonne oeuvre à faire
qui le force de s’asseoir dans l’amphithéâtre: il voulait délivrer je ne sais
quel gladiateur; alors il a bien pu s’asseoir, et attendre que parût celui
qu’il voulait délivrer. Cet homme, nonobstant sa présence corporelle, ne s’est
pas assis dans les assemblées de la vanité. Qu’est-ce que s’y asseoir? C’est
être de coeur avec les assistants. Si votre coeur n’y est pas, nonobstant votre
présence vous n’y êtes point assis; si votre coeur y est, vous êtes assis
malgré votre absence. « Je ne m’unirai point aux artisans de l’iniquité; car
j’ai en horreur l’assemblée des méchants 3 ». Vous voyez donc que « s’asseoir
avec les impies », se dit de l’intérieur.
10. « Je laverai mes mains parmi les justes
4». Non point avec une eau visible. C’est laver tes mains, que d’avoir pour tes
oeuvres des pensées pures et innocentes aux yeux de Dieu. Il est aussi sous
l’oeil de Dieu, cet autel dont s’est approché le prêtre qui s’est offert le
premier pour nous. L’autel est donc sacré, et nul ne peut l’embrasser, s’il n’a
lavé ses mains avec les âmes justes. Beaucoup, il est vrai, s’en approchent
indignement, et Dieu souffre pour un temps que ses sacrements soient profanés.
Toutefois, mes frères, en serait-il de la Jérusalem céleste, comme des
murailles qui nous environnent? Point du tout, et si vous
1. Gal. VI,4.— 2. Ps.XXV,4.— 3. Id.5.— 4.
Id.6
(225)
entrez avec les méchants dons les murailles
de cette Eglise, vous n’entrerez pas avec les méchants dans le sein d’Abraham.
Ne craignez donc point de purifier vos mains. « J’embrasserai l’autel du
Seigneur »: cet autel où tu offres tes voeux à Dieu, où tu répands tes prières,
où ta confiance est pure, où tu dis à Dieu ce que tu es; et si quelque chose eu
toi pouvait déplaire à Dieu, celui qui reçoit tes aveux te guérirait. Lave donc
tes mains parmi les justes, embrasse l’autel du Seigneur afin d’entendre la
voix de ses louanges.
11. C’est en effet ce qui suit: « Afin
d’entendre la voix de vos louanges et de publier vos merveilles 1». Qu’est-ce à
dire: «Entendre la voix de vos louanges? » C’est-à-dire, afin que je comprenne.
Entendre, en effet, devant Dieu, ce n’est point percevoir des sons que beaucoup
entendent, et que beaucoup d’autres n’entendent pas. Combien entendent pour
nous, qui sont sourds à l’égard de Dieu! Combien ont des oreilles, mais non ces
oreilles dont Jésus parlait, quand il s’écriait: «Que celui-là entende qui a
des oreilles pour entendre 2 » Que signifie donc entendre la voix de la
louange? Je le dirai, s’il m’est possible, avec le secours de Dieu et de vos
prières. Entendre la voix de la louange, c’est comprendre intérieurement, que
tout ce qui est en toi corrompu par le péché, vient de loi; que tout ce qu’il y
a de bon et de juste, vient de Dieu. Entends donc la voix de la louange, de
manière à ne point te louer toi-même, quelle que soit ta justice. Louer ta
bonté, c’est devenir mauvais. L’humilité t’avait fait bon, l’orgueil te rend
méchant. Tu avais cherché la lumière dans ta conversion, et voilà que cette
conversion t’a rendu lumineux, tu es devenu éclatant. Mais à qui t’es-tu
converti? à toi-même? Situ pouvais être illuminé en retournant à toi-même, tu
ne serais jamais dans les ténèbres, parce que tu serais toujours avec loi. D’où
te vient donc la lumière? de ta conversion vers ce qui n’était pas toi. Et qu’est-ce
qui n’était pas toi? Dieu qui est la lumière. Tu n’étais pas lumière, à cause
de tes péchés. Voulant faire entendre aux fidèles cette voix de la louange,
l’Apôtre leur dit: « Autrefois vous étiez ténèbres, et maintenant vous êtes
lumière 3». Que signifie: «Vous u étiez autrefois ténèbres », sinon que le
vieil homme était eu vous? Maintenant vous êtes
1. Ps. XXV, 7. — 2. Matt. XIII, 9. — 3. Eph.
V, 8.
lumière, et ce n’est pas sans raison, qu’a. près
avoir été ténèbres, vous êtes lumière, puisque vous avez été éclairés.
Garde-toi de te croire lumière par toi-même: la lumière est « celle qui éclaire
tout homme venant en ce monde1». Quant à toi, ta nature, la volonté perverse,
ton éloignement de Dieu t’avaient rendu ténébreux, et maintenant tu es lumière.
Mais, de peur d’enorgueillir ceux qu’il félicite en disant: « Vous êtes
lumière», l’Apôtre ajoute: « Dans le Seigneur». Car il dit: « Vous fûtes
autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ». Si donc
il n’y a pas de lumière en dehors du Seigneur, et si vous êtes lumière,
précisément parce que vous êtes en lui, « qu’avez-vous, que vous n’ayez reçu?
Et si vous l’avez reçu, pour. « quoi vous glorifier comme si vous ne l’aviez pas
reçu 2?»Tel est, dans un autre endroit, le langage de l’Apôtre aux hommes
orgueilleux, et qui veulent s’attribuer les dons de Dieu, se glorifier du bien
qu’ils ont, comme s’il venait d’eux-mêmes. Qu’avez-vous, leur dit-il, que vous
n’ayez reçu? Si vous l’avez, pourquoi vous en glorifier, comme si vous ne
l’aviez pas reçu? Celui qui donne à l’humble, enlève aux superbes; car celui
qui peut donner, peut reprendre. C’est là le sens, mes frères, si toutefois je
vous l’ai fait comprendre, autant que je le voulais; mais si ce n’est autant
que je l’aurais voulu, c’est du moins comme je l’ai pu; tel est le sens de ces
paroles: «Je laverai mes mains avec les justes, et j’embrasserai votre autel, ô
mon Dieu, afin d’entendre la voix de votre louange »; c’est~à. dire, afin que
le bien qui est en moi, ne nie donne point une confiance présomptueuse en moi,
mais une confiance en vous qui nie l’avez donné, et que je ne cherche point ma
gloire en moi-même, mais la vôtre et en vous. Aussi le Prophète a-t-il ajouté:
« Afin que j’écoute la voix de votre louange, et que je raconte vos merveilles
». Oui, vos merveilles, et non les miennes.
12. Et maintenant, mes frères, voyez l’homme
qui aime Dieu, qui a mis sa conS fiance en Dieu, le voilà au milieu des
méchants, et il demande à Dieu de n’être point perdu avec ces méchants, parce
que Dieu est infaillible dans ses jugements. Pour toi, situ vois des hommes
réunis dans un même lieu, lu les crois égaux en mérite; mais sois sans
1.
Jean, I, 9 — 2. I Cor. IV, 7.
(226)
crainte, le Seigneur ne peut se tromper. Tu
as besoin d’un souffle pour séparer la paille du bon grain; tu veux un vent qui
souffle, et comme tu n’es pas toi-même ce souffle puissant, tu souhaites que le
vent vienne à ton aide; et quand en vannant tu secoues la paille et le froment,
le vent chasse tout ce qui est léger, et respecte ce qui a du poids. Tu as donc
recours au vent pour démêler ce qui est dans ta grange. Mais Dieu a-t-il besoin
qu’on l’aide à juger, pour ne point perdre les bons avec les méchants? Sois
donc sans crainte, et demeure en toute sécurité, même avec les méchants; et dis
avec le Prophète: « Seigneur, j’ai aimé la splendeur de votre maison 1 » Cette
maison de Dieu, c’est l’Eglise, qui renferme sans doute beaucoup d’impies; mais
la splendeur de cette maison de Dieu est dans les justes et dans les saints: et
telle est la splendeur que j’aime en elle. « J’ai aimé ce lieu où habite votre
gloire ». Quel est le sens de ces paroles? Ces paroles, je l’avoue, ont encore
le sens, quelque peu obscur, exposé plus haut Que le Seigneur me vienne en
aide, et dispose vos coeurs à l’attention. Qu’est-ce que Je Prophète appelle: «
Ce lieu où réside voire gloire?» Il vient de dire: « La splendeur de votre
maison »; et, pour expliquer cette splendeur, il ajouté: « Le lieu où réside
votre gloire ». Il ne lui suffit pas de dire: « Le lieu qu’habite le Seigneur
»; mais: « Le lieu où réside la gloire de Dieu». Quelle est cette gloire de
Dieu? C’est d’elle que je disais tout à l’heure, que celui qui devient bon, ne
se glorifie pas en lui-même, mais bien en Dieu 2. «Car tous ont péché, et tous
ont besoin de la gloire de Dieu 3». Ceux-là, dès lors, en qui le Seigneur
habite, de manière à se glorifier lui-nième de ses dons, qui ne veulent point
s’attribuer et revendiquer comme leur bien ce qu’ils ont reçu de Dieu, ceux-là
forment la splendeur de la maison de Dieu. L’Ecriture ne les distinguerait
point si spécialement, s’il n’y en avait d’autres qui possèdent les dons de
Dieu, à la vérité, mais qui, loin de se glorifier en Dieu, se glorifient en
eux-mêmes: ils ont en effet les dons de Dieu, mais ne contribuent point à la
splendeur de son palais. Car ceux qui contribuent à la splendeur de cette
habitation, et en qui réside sa gloire, sont le lieu qu’habite sa gloire. Mais
en qui réside la gloire de Dieu, sinon en ceux uni se
1.
Ps. XXV, - 2. I Cor. I,31.- 3. Rom 1,23.
glorifient de telle sorte qu’il en résulte,
non leur propre gloire, mais celle du Seigneur? Donc, parce que j’ai aimé la
gloire de votre maison, c’est-à-dire tous ceux qui sont à vous et qui
recherchent votre gloire, parce que je n’ai point mis ma confiance dans un
homme, que je n’ai point donné mon assentiment aux impies, que je ne veux ni
entrer ni m’asseoir dans leurs assemblées; parce que telle a été ma conduite
dans l’Eglise de Dieu, quelle sera ma récompense? Le verset suivant nous donne
la réponse: « Ne perdez pas mon âme avec les impies, et ma vie avec les hommes
sanguinaires 1».
13. « Leurs mains sont pleines d’iniquités,
leurs droites souillées de présents 2 ». Les présents ne sont pas seulement la
richesse, l’or, l’argent, les objets précieux; et tous ceux qui les reçoivent,
ne les reçoivent pas en présents pour cela. L’Eglise en reçoit quelquefois, et
même Pierre en reçut, le Seigneur en reçut, il eut une bourse, et l’argent
qu’on y jetait, Judas le dérobait 3. Qu’est-ce que recevoir des présents? Celui
qui juge d’une manière inique, non seulement par amour de l’or ou de l’argent,
ou d’autres richesses, mais par vaine gloire, reçoit un présent, et un présent
des plus vains. Il a ouvert la main pour recevoir le témoignage d’une langue
étrangère, et il a perdu le témoignage de sa conscience, Donc « leurs mains
sont pleines d’iniquités, et leurs droites souillées de présents». Vous voyez,
mes frères, qu’ils sont sous l’oeil de Dieu, ceux dont les mains ne sont point
entachées d’iniquités, dont la droite n’est pas souillée de présents; ils sont
sous l’oeil de Dieu, et ne peuvent dire qu’à lui seul: Vous le savez, Seigneur;
à lui seul ils peuvent dire: « Ne perdez pas mon âme avec les impies, et ma vie
avec les hommes sanguinaires »; lui seul peut voir qu’ils ne reçoivent aucun
présent. Ainsi, mes frères, deux hommes ont à vider un différend devant un
serviteur de Dieu; chacun ne voit de justice que dans sa cause. S’il croyait sa
cause injuste, il n’aurait point recours au juge. L’un se croit dans la
justice, l’autre aussi. On se présente au juge. Avant la sentence, chacun dit:
Nous acceptons votre arbitrage, à Dieu ne plaise que nous rejetions votre
sentence! Pour vous, que dites-vous? prononcez selon vos vues, seulement,
prononcez: Anathème à moi si je
1. Is. XXV, 9 — 2. Id. 10. — 3. Jean, XII, 6.
(227)
cherche à contredire. Tous deux aiment le
juge avant la sentence. Toutefois, cette sentence à prononcer condamnera l’un des
deux, et nul ne sait qui sera condamné. Si le juge veut plaire à tous deux, il
reçoit en présent la louange des hommes. Et ce présent qu’il accepte, voyez
quel présent il lui fait perdre. Il reçoit une parole qui fait du bruit et qui
passe, il perd la parole que l’on répète, qui ne passe point; car la parole de
Dieu se dit toujours, sans passer jamais; et la parole de l’homme s’évanouit, à
mesure qu’on la profère. Il perd ce qui est immuable, pour avoir ce qui est
futile. Mais s’il n’a que Dieu en vue, il prononcera une sentence contre l’un
d’eux, tenant ses regards sur Dieu, qu’il écoute en jugeant ainsi. Quant à
celui que condamne cette sentence, peut-être ne pourrait-il la faire cesser,
surtout s’il n’est point du ressort du droit ecclésiastique, mais des lois des
princes, il ont la déférence envers l’Eglise a rendu lotis ses jugements
irrévocables; mais s’il ne peut faire cesser la sentence, loin de jeter les
veux sur lui-même, il les tourne aveuglément vers le juge, qu’il déchire de
tout son pouvoir. lia voulu, dit~il, plaire à mon adversaire, il a favorisé le
riche, il en a reçu des présents, il a craint de le blesser. Il accuse donc son
juge d’avoir reçu des présents. Qu’un pauvre ait une affaire contre un riche,
et que l’on prononce en faveur du pauvre; le riche tient le même langage. Il a
reçu des présents. Quels présents peut faire un pauvre? Il a vu, dit-il, sa
pauvreté, il a craint le blâme s’il jugeait au désavantage du pauvre, et voilà
qu’il u étouffé la justice et porté une sentence contre la vérité. Si donc ces
récriminations sont inévitables, comprenez que Dieu seul voit ceux qui
reçoivent les présents et ceux qui les rejettent, et que devant lui seulement,
ceux qui les refusent, peuvent dire: « Pour moi, j’ai marché dans l’innocence,
délivrez-moi, prenez moi en pitié, mon pied est demeure dans la voie droite (Ps. XXV, 11, 12) ». Sans doute, j’ai pu
être ébranlé par les scandales et les efforts de ceux qui se récriaient avec
une téméraire audace contre mon jugement, mais « mon pied est demeuré dans le
sentier droit ». Pourquoi, dans le chemin droit? parce qu’il avait dit plus
haut: « J’espère dans le Seigneur, et je ne serai point ébranlé 1 ».
14. Quelle est sa conclusion? « Je vous
bénirai, Seigneur, dans les grandes assemblées 2 ». C’est-à-dire, ce n’est
point moi que je bénirai dans les églises, comme si j’étais assuré des hommes,
mais c’est vous que je bénirai par mes oeuvres: et bénir Dieu dans les
assemblées, mes frères, c’est vivre de manière que les oeuvres de chacun soient
une gloire pour le Seigneur. Bénir le Seigneur par la langue, et le maudire par
des actes, ce n’est point le bénir dans les assemblées; presque tous le
bénissent de la langue; mais pas tous par les oeuvres. Quelques-uns le
bénissent en paroles, et d’autres par les actions. Mais ceux dont les actes
sont en désaccord avec les paroles, font blasphémer le Seigneur. Et ceux qui
n’entrent point dans l’Eglise, bien que le vrai motif qui les empêche d’être
chrétiens, soit l’attachement pour leurs désordres, prennent pour excuse les
mauvais chrétiens, et ils s’applaudissent, ils se trompent eux-mêmes en disant:
Pourquoi m’exciter à devenir chrétien? Un chrétien m’a trompé, et moi, jamais;
un chrétien s’est parjuré envers moi, et moi, jamais. Ce langage les détourne
du salut, et c’est en vain, non seulement qu’ils ont quelques qualités, mais
qu’ils ne sont qu’à demi mauvais; de même qu’un homme qui est dans les ténèbres
ouvrira vainement les yeux, de même c’est en vain qu’il est en face de la
lumière, s’il veut les fermer. C’est là l’image d’un païen, et j’en parle
volontiers à cause de leur vie honnête en apparence; il ouvre les yeux, mais il
est dans les ténèbres, parce qu’il ne connaît point le Seigneur qui est sa
lumière; quant au chrétien qui vit dans le désordre, il est, je l’avoue, dans
la lumière de Dieu, mais ses yeux sont fermés. Dans sa dépravation, il refuse
de voir celui ami nom duquel il est, en plein jour, un aveugle, que ne vivifie
aucun rayon de la véritable lumière.
1. Ps. XXV, 1. — 2. Id. 22.
(228)
David a pu, dans ce psaume,
exprimer les douleurs de son exil, mais son langage convient parfaitement aux
membres de l’Eglise militante, qui se consolent au milieu des fatigues de cette
vie par l’espérance du repos et de la félicité dont ils jouiront dans la maison
de Dieu.
POUR DAVID, AVANT QU’IL AIT REÇU L’ONCTION 1.
1. Ce langage est celui du soldat du Christ
qui arrive à la foi. « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qu’aurai-je à
craindre2? » C’est le Seigneur qui me fait la grâce de le connaître et de me
sauver, qui pourra m’arracher à lui? « Il est le protecteur de ma vie, qui une
fera trembler 3? » C’est le Seigneur qui doit repousser l’assaut et les
embûches de mes ennemis, nul ne me fera peur.
2. « Des pervers s’approchent de moi pour
dévorer ma chair 4 ». Des méchants s’approchent de moi pour me connaître,
m’insulter, et se préférer à moi, quand je veux m’améliorer; leur dent maligne
va dévorer, Lion pas moi, mais bien maies désirs charnels. «Ces ennemis qui me
persécutent». Non seulement ceux qui viennent au nom de l’amitié me blâmer et
me détourner de mon dessein, mais encore mes ennemis « Ont chancelé à leur tour
et sont tombés». En agissant ainsi, pour défendre leur propre sera-liment, ils
sont devenus faibles pour embrasser une croyance meilleure, et se sont pris à
haïr cette parole qui me lait agir contre leur volonté.
3. « Que des armées campent autour de moi,
mon coeur m’en sera point ému 5 ». Que la foule de mes contradicteurs conspire
et se soulève contre moi, mon coeur ne les craindra pas au point de se ranger
avec eux. «Qu’on me livre un assaut, j’en redoublerai d’espérance». Que les
persécutions du monde viennent fondre sur moi, j’affermirai mon espoir dans
cette prière que médite mon coeur.
4. « J’ai fait une demande au Seigneur. Et
1. Ps. XXVI, 1. - 2. Id.2. - 3. Ibid. - 4.
Ibid. - 5. Id.4.
je la lui ferai encore». Ce que j’ai demandé
au Seigneur, je le demanderai encore. « C’est d’habiter dans la maison de Dieu,
tous les jours de ma vie 1 ». C’est que, durant mon séjour ici-bas, nulle
affliction ne me sépare du nombre de ceux qui gardent l’unité de la foi dans
l’univers entier. « C’est que je contemple un jour la beauté du Seigneur».
C’est que la persévérance dans la foi me découvre l’ineffable beauté du
Seigneur, et que je la puisse contempler face à face. « Et que je sois protégé
comme son temple », et que la mort, absorbée enfin par la victoire, me revête
d’immortalité, et fasse de moi le temple du Seigneur.
5. « Parce qu’il m’a caché dans son pavillon,
au jour de mes malheurs 2». Parce que datas cette chair mortelle, dont le Verbe
s’est revêtu, il m’a ménagé un abri contre ces tentations auxquelles est
assujettie ma vie mortelle. « Il m’a reçu dans le secret de son tabernacle». Il
m’a protégé, quand la foi qui justifie était dans mon coeur3.
6. « Il m’a établi sur le roc». Et afin de
m’amener au salut, par la manifestation de ma foi 4, il m’a donné la force de
la confesser au grand jour. « Et voilà qu’il m’a fait grandir au-dessus de mes
ennemis 5 ». Que me réserve-t-il pour l’avenir, puisque, dès aujourd’hui, mon
corps est mort au péché, et que mon esprit, je le sens, est soumis à la loi de
Dieu, sans se laisser assujettir aux rébellions de la loi du péché 6? « J’ai
jeté les yeux de toutes parts, et j’ai offert à Dieu, dans son tabernacle, une
hostie de louanges 7». J’ai vu que l’univers croit maintenant au Christ, et
parce qu’il s’est un moment humilié pour nous, je l’aï béni dans mon
allégresse: c’est
1.
Ps. XXVI, 1 - 2. Id. 5.— 3. Rom. X, 10.- 4. Ibid. - 5. Ps. XXVI, 6 - 6. Rom.
VIII, 10. - 7. Ps. XXV, 6.
(229)
là l’hostie que je lui ai offerte. « Je
chanterai, je bénirai le Seigneur». Mon coeur et mes oeuvres lui témoigneront
ma joie.
7. « Seigneur, exaucez la voix que j’élève jusqu’à
vous1». Exaucez, ô Dieu, cette voix
du coeur, que mes vifs désirs élèvent jusqu’à
vos oreilles. « Prenez-moi en pitié, exaucez-moi ». Ayez pitié de moi, exaucez
ma prière.
8. « Mon coeur vous a dit: J’ai cherché votre
face 2 ».Ce n’est point devant les hommes que j’ai prié; mais dans le secret où
vous entendez seul, mon coeur vous a dit: Je
cherche une récompense, non point hors de
vous, mais dans vos regards bienveillants, « C’est ce regard, ô mon Dieu, que
je veux chercher». Ce regard, je le chercherai sans cesse; rien de vil ne
saurait me plaire; mon amour pour vous sera sans bornes, parce que rien ne
m’est plus précieux.
9. « Ne détournez point de moi votre face 3
», afin que je trouve ce que je cherche. « Ne vous éloignez point de votre
serviteur dans votre colère»; de peur qu’en vous cherchant, je ne m’attache à
d’autres objets. Quel châtiment plus douloureux pour celui qui vous aime, et
qui cherche dans votre face l’éclat de la vérité? « Venez à mon aide ! »Quand
pourrais-je vous trouver, sans votre secours? « Ne m’abandonnez point, ne me
méprisez point, ô Dieu, mon Sauveur 4 ». Ne méprisez point un mortel qui ose
rechercher un Dieu éternel: c’est vous, ô mon Dieu, qui guérissez la plaie de
mon péché.
10. « Voilà que mon père et ma mère m’ont abandonné
5». Voilà que le royaume de ce monde, que la cité d’ici-bas, qui m’ont donné
pour un temps cette vie mortelle, m’ont délaissé parce que j’aspirais à vous
posséder, et que je méprisais ce qu’ils pouvaient m’offrir; car ils ne peuvent
me donner ce que je ne cherche avidement. « Mais le Seigneur m’a recueilli». Il
m’a recueilli, ce Dieu qui peut se donner à moi.
11. « Seigneur, montrez-moi les sentiers que
je dois suivre 6 » Je m’efforce d’aller à
1.
Ps. XXVI, 7.— 2. Id. 8. — 3. Id. 9. — 4. Ibid. — 5. Id. 10. — 6. Id. 11.
vous, je commence par la crainte la haute
entreprise d’arriver à la sagesse; enseignez. moi, Seigneur, la voie que je
dois suivre, de peur que je ne m’égare, et que votre croyance ne m’abandonne.
«Daignez me conduire dans la voie droite, pour confondre mes ennemis ». Dans
vos étroits sentiers, faites-moi prendre le chemin droit. Car il ne suffit
point d’entreprendre, puisque l’ennemi ne cessera de me harceler, jusqu’à mon
arrivée.
l2. « Ne me livrez pas à la rage de mes
persécuteurs ». Ne souffrez pas que ceux qui m’affligent se rassasient de mes
peines. « Voilà que de faux témoins s’élèvent contre moi 1 ». Des hommes se
sont levés pour m’accuser faussement, afin de me détacher et de m’éloigner de
vous, comme si je cherchais ma gloire parmi les hommes. « Et l’iniquité a menti
contre elle-même ». Mais l’iniquité n’a pu s’applaudir que de sa fausseté; car
elle ne m’a point ébranlé, et c’est de là qu’une plus belle récompense m’a été
promise dans le ciel.
13. « Je suis certain de voir les biens du
Seigneur dans la terre des vivants 2 ». Et parce que le Seigneur a souffert ces
persécutions avant moi, si, à mon tour, je méprise les langues de ces hommes
dévoués à la mort, « car la bouche qui ment, tue l’âme 3 », je suis certain de
voir les biens du Seigneur, dans la terre des vivants, où il n’y a plus de
fausseté.
14. « Attends le Seigneur, agis avec force;
affermis ton âme, et attends le Seigneur 4». Quand donc s’accomplira cette
promesse? Au mortel d’accuser la difficulté, à l’amour d’accuser la lenteur;
écoute néanmoins la voix infaillible qui dit: « Attends le «Seigneur». Souffre
courageusement le feu qui brûle tes reins, et vaillamment celui qui brûle ton
coeur, ne regarde pas comme refusé ce que tu n’as pas reçu. Contre le désespoir
et la défaillance, écoute cette parole: « Attends le Seigneur ».
1.
Ps. XXVI, 12.— 2. Id. 13. — 3. Sag. I, 11.— 4. Ps. XXVI, 14.
(230)
Saint Augustin paraphrase le
psaume en forme d’homélie, il s’empare des expressions et des sentiments du
Prophète pour encourager les chrétiens en butte ici-bas à la persécution et
attirer en eux le désir du vrai bonheur.
1. Le Seigneur notre Dieu, voulant nous
adresser des paroles consolantes, en nous voyant réduits par sors juste arrêt à
manger notre pain à la sueur de notre front 1, daigne emprunter notre langage
pour nous parler, afin de nous montrer, non seulement qu’il nous a créés, mais
encore qu’il habite avec nous. Nous avons entendu et en partie chanté les
paroles du psaume. Si nous disons que ces paroles sont les nôtres, craignons de
n’être pas dans le vrai, puisqu’elles appartiennent plus à l’Esprit-Saint qu’à
nous. Pourtant il y aurait une évidente fausseté à dire que ce sont là nos
paroles, puisqu’elles ne sont que les gémissements d’âmes dans la peine ou bien
ces cris pleins de douleur et de larmes, qui retentissent d’un bout à l’autre
du psaume, seraient-ils de Celui qui ne peut être dans la détresse? Dieu est
miséricordieux, mes frères, et nous misérables. Celui qui est assez compatissant
pour daigner adresser la parole à des malheureux, a daigné prendre aussi le
langage du malheur, Il est donc vrai de dire, que ces paroles sont les nôtres
et qu’elles ne nous appartiennent point; que c’est la voix de l’Esprit-Saint,
et que néanmoins elle n’est pas la sienne. C’est la parole de l’Esprit-Saint,
puisqu’elle n’est dans notre bouche que par son inspiration; mais elle n’est
point sa parole, en ce sens qu’il ne ressent ni la misère ni la fatigue, et ces
paroles sont les cris de la douleur et du travail. Elles sont nos paroles,
puisqu’elles témoignent de notre misère; mais elles ne viennent point de nous,
puisque c’est à sa grâce que nous devons de pouvoir gémir.
2. « Psaume de David, avant qu’il ait reçu
l’onction 2 ».Tel est le titre du psaume: « Psaume de David, avant qu’il ait
reçu l’onction ». C’est-à-dire, avant qu’il fût oint, car
il reçut l’onction royale3. Il n’y avait
alors
1. Gen. III, 9. — 2. Ps.
XXVI, I. — 3. I Rois, XVI, 13.
d’onction que pour le roi et pour le prêtre
et ces deux hommes qui recevaient l’huile sainte, étaient la figure du Christ
seul roi et seul prêtre, et appelé Christ, de l’onction qu’il a reçue. Et non
seulement notre chef a reçu l’onction, mais nous aussi qui sommes sont corps.
Il est donc notre roi, parce qu’il nous dirige et nous gouverne; il est prêtre,
parce qu’il intercède pour nous (Rom.
VIII, 31.). Il est encore le seul prêtre qui soit en même temps victime.
Car la victime du sacrifice, qu’il offrit à Dieu, n’est autre que lui-même: et
il n’eût pu trouver en dehors de lui une victime raisonnable, très-pure,
capable de nous racheter par l’effusion de son sang, comme l’agneau sans tache,
et de nous incorporer à lui comme ses membres, et de nous faire avec lui un
seul et même Christ. C’est pourquoi tous les chrétiens participent à l’onction,
qui, dans l’Ancien Testament, était l’apanage exclusif de deux personnes. D’où
il suit que nous sommes le corps du Christ, puisque nous avons tous reçu
l’onction; et que nous sommes tous en lui des christs et un seul Christ, car la
tète et les membres composent le Christ dans son intégrité. Cette onction doit
perfectionner en nous la vie spirituelle qui notas est promise. Ce psaume est
donc la prière d’une âme soupirant après cette vie spirituelle, et demandant
avec instance la grâce qui sera parfaite en nous, à notre dernier jour. Aussi
a-t-il pour titre: Avant l’onction. Car nous recevons, ici-bas, l’onction dans
le sacrement, et le sacrement est la figure de ce que nous devons être un jour.
Et cet avenir inconnu et ineffable, voilà ce que nous devons désirer, ce qui
doit nous faire gémir quand nous recevons le sacrement, afin qu’un jour nous
jouissions de cette réalité dont le sacrement est un symbole.
3. Voici donc le psaume: « Le Seigneur
(231)
est ma lumière et mon salut, que pourrai-je
craindre 1? » C’est lui qui m’éclaire; arrière les ténèbres! c’est lui qui est
mon salut, arrière l’infirmité ! En marchant dans la force et dans la lumière,
qu’ai-je à craindre? Ce salut qui vient de Dieu n’est point un salut qu’on puisse
m’arracher; ni sa lumière un flambeau que l’on puisse éteindre. C’est donc Dieu
qui nous éclaire, et nous qui sommes éclairés, c’est Dieu qui nous sauve, et
nous qui sommes sauvés. Si donc c’est Dieu qui est lumière, nous qui sommes
éclairés, lui qui est sauveur, nous qui sommes sauvés, sans lui nous ne serions
que ténèbres et que faiblesse. Ayant donc en lui une espérance ferme, fondée,
inébranlable, qui pouvons-nous craindre? Le Seigneur est donc ta lumière, le
Seigneur est ton sauveur. Crains encore, si tu trouves une puissance plus
grande. J’appartiens donc au Dieu plus puissant que tous, car il est le
Tout-Puissant; c’est lui qui m’éclaire, lui qui me sauve; je le crains, et n’ai
pas d’autre crainte. « C’est le Seigneur qui protège ma vie, qui pourrait me
faire peur? »
4. « Des pervers s’approchaient pour dévorer
ma chair, mes ennemis, mes persécuteurs ont chancelé, et sont tombés 2».
Qu’ai-je donc à redouter? Qui serait à craindre pour moi? Qui me ferait peur,
et pourquoi trembler? Voilà que mon persécuteur chancelle et tombe. Et pourquoi
me persécuter? « Pour dévorer ma chair ». Qu’est-ce que ma chair? Mes
affections charnelles. Qu’ils sévissent donc avec fureur en me persécutant,
rien de moi ne peut mourir, que ce qui est mortel. Il y a chez moi quelque
chose que la persécution ne saurait atteindre, c’est le sanctuaire qu’habite
mon Dieu. Que mes ennemis mangent ma chair; une fois ma chair consumée, je
serai tout esprit, l’homme spirituel. Et même le Seigneur m’a promis un salut
si complet, que cette chair mortelle, qui semble être pour un temps la proie de
mes persécuteurs, ne périra pas éternellement, et que les membres doivent
espérer pour eux-mêmes cette résurrection qu’ils ont admirée dans leur chef.
Que peut craindre mon âme, quand le Seigneur y habite? Que pourra craindre ma
chair, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité? Voulez-vous
voir comment ces persécuteurs, qui dévorent
1. Ps. XXVI, 2. — 2. Ps. XXVI, 4.
notre chair, ne sont cependant point à craindre
pour elle? « Il est semé un corps animal, il ressuscitera un corps spirituel
».Quelle ne doit donc pas être la confiance de celui qui comprend: « Le
Seigneur est ma lumière et mon salut, que puis-je craindre? Il protège ma vie,
qui me ferait peur? » Un prince est environné de ses gardes et ne craint rien;
un mortel gardé par d’autres mortels est plein d’assurance, et quand ce mortel
sera gardé par le Dieu immortel, il craindra et tremblera?
5. Ecoutez maintenant quelle doit être la
confiance de celui qui par-le ainsi: « Que des armées campent autour de moi,
mon coeur n’en sera point ému 1». Un camp est fortifié, mais qu’y a-t-il de
plus fort que Dieu? « Qu’on me livre un assaut». Que me ferait un
assaut?Peut-il m’enlever mon espérance? Peut-il m’arracher le don du
Tout-Puissant? Celui qui donne est invincible, et le don qu’il fait ne peut
être ravi. Ravir le don, ce serait vaincre le donateur. Donc, mes frères, ces
biens temporels eux-mêmes, nul ne peut nous les-ravir que celui qui nous les a
don. nés. Pour les biens spirituels qu’il nous accorde, il ne les reprend que
si tu les perds; mais les biens temporels, les biens de la santé, c’est Dieu
qui nous les enlève, puisque nul autre ne le peut s’il n’en a reçu de lui le
pou. voir. Nous savons, pour l’avoir lu dans Job, que le diable même 2, qui
paraît avoir reçu pour cette vie le plus grand pouvoir, ne peut rien sans la
permission de Dieu. Il a reçu quelque puissance sur les biens abjects, lui qui
a perdu les plus grands et les plus relevés. Son pouvoir n’est pas même l’effet
de sa colère, mais la peine de sa condamnation. Lui non plus n’a donc de
pouvoir star nous que par la permission de Dieu. C’est ce que nous voyons dans
le livre cité, et le Seigneur, dit dans l’Evangile: « Cette nuit, le démon a demandé
de vous passer au crible comme le froment, mais j’ai prié pour toi, Pierre,
afin que ta foi ne défaille point 3 ». Dieu lui accorde ce pouvoir, afin de
nous punir ou de nous éprouver. Donc, si nul ne peut nous ravir le don de Dieu,
ne craignons que Dieu seul. Quels que soient les frémissements contre nous,
quelle que soit l’insolence de tout autre ennemi, rassurons notre coeur.
6. « Qu’on me livre un assaut, c’est en elle
que je veux espérer». Qui, elle? « J’en ai
1. Ps. XXV, 3. — 2. Job, I. — 3. Luc, XXII,
31.
(232)
demandé une au Seigneur 1 ». Il met au
féminin le bienfait qu’il a sollicité, comme s’il disait: J’ai fait une seule
demande. Dans la conversation, par exemple, nous autres latins mettons souvent
deux au- féminin et non au masculin; l’Ecriture a dit de la même manière: «
J’en ai demandé une au Seigneur, je la réclamerai». Voyons ce qu’a demandé
celui qui n’a plus aucune crainte. Quelle sécurité d’âme! Voulez-vous ne rien
craindre aussi? Demandez cette seule grâce que demande uniquement celui qui ne
craint rien mais qu’a-t-il demandé, afin de ne rien craindre? « J’ai fait une
demande au Seigneur, et j’y reviendrai». Telle est l’occupation de ceux qui
marchent dans la voie droite. Quelle est donc cette demande, cette grâce
unique? « C’est d’habiter dans le palais du Seigneur tous les jours de ma vie».
Elle est unique, parce qu’on appelle palais la demeure où nous devons être
éternellement. On appelle maisons les demeures d’ici-bas, que l’on appellerait
mieux des tentes, puisque les tentes sont pour les voyageurs, qui sont une
certaine milice et qui livrent des assauts à l’ennemi. Donc, s’il y a des
tentes, il est visible qu’il y a des ennemis. Car habiter les mêmes tentes,
c’est être compagnon sous la tente, ce qui se dit des soldats, vous le savez.
Donc ici-bas est la tente, là-haut est le palais. liais on abuse de la
ressemblance pour appeler tente ce qui est maison, et souvent encore, le même
abus fait appeler maison ce qui est une tente. Toutefois, le ciel est à
proprement parler le palais, ici-bas nous sommes sous des tentes.
7. Dans un autre psaume, le Prophète nous
marque avec précision ce qui nous occupera dans cette demeure: « Bienheureux, ô
mon Dieu, ceux qui habitent votre demeure, ils vous béniront dans les siècles
éternels 2 ». Telle est la passion violente, pour parler ainsi, tel est l’amour
qui dévore comme une flamme celui qui désire passer tous les jours de sa vie
dans la maison du Seigneur, et par ces jours à passer dans la maison de Dieu,
il entend non pins des jours qui finiront, mais des jours éternels. Il en est
de ces jours comme des années dont il est dit: « Et vos années, Seigneur, ne
finiront point 3». Car les jours de la vie éternelle ne sont qu’un seul jour
sans fin. Il dit donc au Seigneur: « C’est là
1. Ps. XXVI,4. — 2. Ps. LXXXIII, 5. — 3. Id.
CI, 28.
mon désir, c’est là ma prière unique; celle
que je répéterai». Et comme si nous lui disions: Que ferez-vous dans la maison
de Dieu? Quel plaisir y goûterez-vous? Quelle joie y sollicitera votre coeur?
Quelles délices alimenteront votre joie? Car vous n’y demeurerez point si vous
n’y êtes heureux. D’où vous viendra cette félicité durable? Ici-bas les
plaisirs de l’homme sont variés, et l’on appelle malheureux celui qui est privé
de ce qu’il aime. Les hommes ont des goûts différents, et l’on appelle heureux
celui qui paraît avoir ce qu’il aime. Toutefois, celui-là est vraiment heureux,
non qui possède ce qu’il aime, mais bien qui aime ce qui est aimable. Il est
quelquefois plus malheureux de posséder ce que l’on aime que d’en être privé.
Il est malheureux d’aimer ce qui peut nuire, plus malheureux encore de le
posséder. Quand notre amour est dépravé, Dieu met sa bonté à nous refuser ce
que nous aimons; et c’est dans sa colère qu’il nous accorde ce que nous avons
tort d’aimer. Saint Paul nous l’enseigne clairement, quand il dit des anciens
que « Dieu les a livrés aux désirs de leurs cœurs 1 ». Il leur a donc livré ce
qu’ils désiraient, mais pour leur damnation. Il nous dit encore que Dieu
rejette nos demandes: « Trois fois », dit-il, « j’ai prié le Seigneur de me
délivrer (de l’aiguillon de la chair), et il m’a répondu: Ma grâce te suffit,
car la vertu se fortifie dans la faiblesse 2». Dieu donc livra les philosophes
aux désirs de leurs coeurs, et rejeta la prière de saint Paul. Il exauce les
uns pour leur damnation, il refuse à l’autre pour son bien spirituel. Mais
quand l’objet de nos désirs est d’accord avec la volonté de Dieu, sans aucun
doute, il nous l’octroiera. Et ce que nous devons désirer uniquement, c’est
d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de notre vie.
8. Il y a toutefois, pour les hommes, dans
nos demeures terrestres, des délices et des joies bien diverses; et chacun veut
choisir pour l’habiter le lieu où rien ne blessera son âme, et où elle trouvera
de nombreux agréments; que ces agréments disparaissent et l’homme cherche
ailleurs. Ayons la curiosité de demander au psalmiste, et qu’il veuille bien
nous dire ce qu’il doit faire, ce que nous ferons avec lui, dans cette agréable
demeure où il désire, où il souhaite si vivement, où il demande comme grâce
unique au Seigneur
1.
Rom. I, 24. — 2. II Cor. XII, 8, 9
(233)
d’habiter tous les jours de sa vie. Que
faites-vous là, dites-moi? quel est l’objet de vos désirs? Ecoutez sa réponse:
« C’est de contempler la beauté du Seigneur 1 ». C’est là ce que je désire, et
voilà pourquoi je veux habiter dans la maison du Seigneur, tous les jours de ma
vie. Spectacle immense, contempler la beauté du Seigneur même! Quand la nuit
d’ici-bas sera écoulée, il veut se reposer à la lumière de Dieu. Notre nuit
sera passée alors, et le matin se lèvera pour nous. Aussi est-il dit dans un
autre psaume: « Au matin je serai debout, et je vous contemplerai 2
».Maintenant que je suis tombé, je ne puis vous contempler; mais alors je me
tiendrai debout et je vous contemplerai. C’est l’homme qui parle ainsi, car
c’est l’homme qui est tombé, et si nous ne fussions tombés, le Messie ne serait
point venu pour nous relever. Nous sommes donc tombés, et il est descendu. Il
est remonté, et nous sommes relevés: « Car nul ne peut remonter, si d’abord il
n’est descendu 3». Celui qui était tombé est relevé, celui qui était descendu
est remonté. S’il est remonté seul, n’allons point nous décourager. Car il
n’est descendu que pou-r nous relever; et alors nous nous tiendrons debout, et
nous contemplerons, et nous serons comblés de joie. Voilà tout ce que j’ai dit,
et vous vous récriez sous le poids du désir de cette beauté que vous ne voyez
pas encore. Elevez votre coeur au-dessus de tout ce qui vous est ordinaire,
élevez votre intelligence au-dessus de toutes ces pensées Charnelles, qui vous
viennent des convoitises du corps, et qui vous représentent je ne sais quels
fantômes. Bannissez tout de votre esprit, renoncez à tout ce qui se présentera,
et confessant la faiblesse de votre coeur, dites à propos de toute pensée qui
vous viendra dans l’esprit: Ce n’est point cela; si c’était là ce que l’on me
promet, il ne me viendrait point à la pensée. De cette manière, vous aspirez à
quelque bien. Quel bien? Le bien de tout bien, d’où découlent tous les biens,
et auquel on ne peut rien ajouter de bien. Partout ailleurs, tu diras un homme
de bien, une bonne terre, un bon édifice, un bon animal, un bon arbre, une
bonne santé, un bon naturel, tu ajoutes à la qualité de bien; mais ici, c’est
le bien simplement, le bien d’où vient à tout le reste la bonté, le bien d’où
découlent tous les autres biens: telle est la
1. Ps. XXVI, 4. — 2. Id. V, 5. — 3. Jean,
III, 13.
beauté du Seigneur que nous contemplerons.
Voyez, mes frères: si tout ce que l’on appelle ici-bas des biens, a pour nous
des charmes; si nous sommes épris d’un bien qui n’est pas le bien par lui-même;
car tout ce qui est mobile n’est pas par lui-même un bien; jugez quel sera le
charme du beau immuable, éternel, et demeurant toujours le même. Car ce que
l’on appelle ici-bas des biens, n’aurait pour nous aucun attrait, s’il n’avait
réellement quelque chose de bien; et il n’y aurait là rien de bien, s’il ne
découlait de celui qui est simplement le bien.
9. Voilà pourquoi, dit le Prophète, je veau
habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie. Je vous ai exposé ce
motif: « C’est pour contempler la beauté du Seigneur ». Mais pour que je
contemple sans relâche, pour que rien ne me trouble dans cette contemplation,
que nulle suggestion ne m’en détourne, que nulle puissance ne m’en arrache, que
je ne sois en butte à nulle jalousie et que je goûte en paix les délices du
Seigneur, mou Dieu, que doit-il m’arriver? La protection du Seigneur. Non
seulement donc je veux contempler la beauté du Seigneur, dit le Prophète, mais
je veux être « protégé comme son temple ». Pour qu’il me protége comme son
temple, je deviendrai son temple en effet, et je serai sous sa garde. En est-il
d’un temple du vrai Dieu comme des temples des idoles? Les idoles sont à
couvert dans leurs temples, mais le Seigneur notre Dieu protége lui-même son
temple, et je serai en sûreté. Le contempler sera mon bonheur, sa protection
sera ma sûreté. Autant ma contemplation sera parfaite, autant le sera sa
protection; et plus sera parfait le bonheur de la contemplation, plus nia
sainteté sera inaccessible à la corruption. A ces deux paroles: « Je
contemplerai et je serai protégé », nous pouvons ramener celles qui commencent
le psaume: «Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qu’aurai-je à craindre? »
Le Seigneur est ma lumière, puisque je contemplerai sa beauté. Il est mon
salut, puisqu’il me protégera comme son temple.
10. Mais pourquoi Dieu nous accordera-t-il
cette grâce pendant l’éternité? « Parce qu’il m’a caché dans son pavillon au
jour de mes malheurs (Ps. XXVI, 5) ».
J’habiterai donc dans son palais tous les jours de ma vie, afin de contempler
(234) la beauté du Seigneur et d’être protégé comme son temple. D’où me vient
cependant la confiance d’y arriver un jour? « C’est qu’il m’a recueilli dans
son pavillon au jour de mes malheurs ». Il n’y aura plus alors de jours mauvais
pour moi, mais c’est dans les jours difficiles de cette vie que le Seigneur a
jeté sur moi les yeux. Si donc il me regarde avec une telle bonté quand je suis
si éloigné de lui, que sera-ce quand je jouirai de lui? Je n’agissais donc
point avec témérité, quand je lui faisais cette prière unique, et mon coeur ne
me disait point: quelle demande, et à qui la fais-tu? Oses-tu bien t’adresser à
Dieu, misérable pécheur? Oses-tu bien espérer de contempler le Seigneur, faible
créature au coeur souillé? Oui, j’ose bien l’espérer, non pas de moi, mais de
son ineffable bonté; cet espoir n’est point une présomption chez moi, mais un
gage de sa tendresse. Celui qui me témoigne tant de bonté dans le cours de mon
pèlerinage, m’abandonnera-t-il au terme, « lui qui m’a recueilli dans son
pavillon, en des jours mauvais?» Nos jours mauvais sont les jours de cette vie.
Autres sont les jours mauvais pour les impies, et autres pour les fidèles. S’il
n’y avait pas de jours mauvais pour ceux qui ont la foi, mais qui sont encore
éloignés du Seigneur, car, selon l’Apôtre, « nous sommes loin du Seigneur, tant
que nous habitons un corps 1 »; que signifierait cette parole de l’Oraison
dominicale: « Délivrez-nous du mal 2? » si nous ne sommes pas au jour des
malheurs. Mais les jours mauvais sont bien différents pour ceux qui n’ont pas
la foi: Dieu néanmoins ne les méprise pas, puisque Jésus-Christ est mort pour eux
3. Que notre âme donc s’enhardisse, et demande au Seigneur ce bien qui est
unique; elle l’obtiendra et le possédera en toute sûreté. Si elle est tant
aimée dans sa laideur, que sera-ce quand elle sera purifiée! « Il m’a recueilli
dans son pavillon, au jour de mes malheurs, il m’a protégé dans le secret de
son sanctuaire 4 ».Quel est le secret de son sanctuaire? Qu’entendre par là? Le
tabernacle avait, ce semble, plusieurs parties à l’extérieur; mais il y avait,
à l’intérieur du temple, un lieu mystérieux appelé sanctuaire secret. Qu’était
ce sanctuaire? Le grand prêtre seul y pénétrait 5. Et peut-être est-ce le
Pontife qui
1.
II Cor. V, 6.— 2. Matt. VI, 13. — 3. Rom. V, 6. — 4. Ps. XXVI, 5. — 5. Héb. XI, 3.
est lui-même ce tabernacle secret du
Seigneur. Car il s’est formé un corps du tabernacle de notre chair, et il est
devenu pour nous un asile mystérieux; et de la sorte, les membres qui croient
en lui, fouineraient le tabernacle, et lui-même en serait le lieu secret. «
Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 1 », a dit
l’Apôtre.
11. Veux-tu comprendre que tel est le sens de
l’Apôtre? La pierre, c’est le Christ 2. Ecoute ce qui suit: « Il m’a recueilli
dans son tabernacle au jour de mes malheurs, il m’a caché à l’ombre de son
sanctuaire». Tu voulais connaître le secret de ce sanctuaire; écoute la suite:
« Il m’a élevé sur la pierre mu. Donc il m’a élevé sur le Christ. Tu t’es
humilié dans la cendre, et Dieu t’a élevé sur la pierre. Mais le Christ est au
ciel, et toi sur la terre. Ecoute la suite: « Dès maintenant, il a élevé ma
tête au-dessus de la tête de mes ennemis ». Dès maintenant, avant que je fusse
arrivé à ce palais que je veux habiter tous les jours de ma vie, avant que je
fusse arrivé à contempler le Seigneur, « dès aujourd’hui, il a élevé ma tête
au-dessus de mes ennemis». Je suis persécuté, il est vrai, par les ennemis du
corps de Jésus-Christ; il est vrai que je ne suis point complètement au-dessus
de mes ennemis: toutefois « le Seigneur a élevé ana tête au-dessus de tous mes
adversaires ». Déjà notre chef, qui est le Christ, est au ciel; et pourtant nos
ennemis peuvent encore sévir contre nous, puisque nous ne sommes pas élevés
au-dessus d’eux; mais notre chef est dans le ciel d’où il a dit: « Saul, Saul,
pourquoi me persécuter 3?» Il montrait ainsi qu’il est en nous ici-bas; donc,
nous sommes en lui au ciel, puisque, « dès aujourd’hui, il a élevé ma tête
au-dessus de mes ennemis». Tel est le gage que nous avons de notre union
éternelle par la foi, l’espérance et la charité, avec notre chef qui est dans
le ciel; c’est que lui-même demeure avec nous sur la terre, jusqu’à la
consommation des siècles 4, par sa divinité, sa bonté, son unité.
12. « J’ai jeté les yeux de toutes parts, et
j’ai offert dans son tabernacle un sacrifice de louanges 5». Nous offrons une
hostie de jubilation, une hostie de joie, une hostie de félicitation, une
hostie d’actions de grâces,
1.
Coloss. III,3. — 2. I Cor. X, 4. — 3. Act. IX, 4. — 4. Matt. XXVIII, 20 — 5.
Ps. XXVI, 6.
(235)
qui demeure au-dessus de toute expression. Où
l’offrons-nous? Dans son tabernacle, dans la sainte Eglise. Quelle est cette
hostie? Une joie infinie, inénarrable, que nulle parole ne peut exprimer. Telle
est cette hostie d’allégresse. Où la chercher et où la trouver? En cherchant de
toutes parts. « J’ai jeté les yeux partout », dit le Prophète, et « j’ai offert
dans son tabernacle une hostie d’acclamation». Que ton âme s’adresse à toute
créature, et toute créature te répondra: C’est Dieu qui m’a faite. Tout le beau
d’une oeuvre d’art fait l’éloge de l’ouvrier, et ton admiration pour l’Ouvrier
suprême grandira, à mesure que tu considéreras ses oeuvres. Tu vois le ciel,
c’est le chef-d’oeuvre de Dieu. Tu vois la terre, c’est Dieu qui l’a couverte
de ces plantes sans nombre, de ces germes variés à l’infini, qui l’a peuplée
d’animaux. Parcours une seconde fois les cieux et la terre, que rien ne
t’échappe; de toutes parts tu entendras publier la gloire du Créateur; et ces
beautés si diverses des créatures forment un concert harmonieux en l’honneur de
celui qui les a faites. Qui pourra nous expliquer toute la création? Qui en
dira- les merveilles? Qui pourrait chanter dignement les cieux, la terre, les
mers, et tout ce qu’ils renferment? Ce ne sont là toutefois que des créatures visibles.
Qui chantera dignement les anges, les trônes, les dominations, les
principautés, les puissances? Qui pourra louer dignement ce qu’il y a de vital
en nous, qui anime notre corps, qui fait mouvoir nos membres, qui agit sur nos
sens, qui embrasse tant de choses par la mémoire, qui nous fait discerner par
l’intelligence? Si le langage humain devient si pauvre quand il s’agit des
créatures de Dieu, comment louer le Créateur, à moins qu’à défaut de paroles,
nous n’ayons recours à des acclamations? « J’ai cherché partout et j’ai offert
au Seigneur, dans son tabernacle, une hostie d’acclamation ».
13. On peut donner à ces paroles un autre
sens qui me paraît plus en harmonie avec la suite du Psaume. L’interlocuteur
dit qu’il a été élevé sur le rocher, qui est le Christ; que sa tête, qui est
aussi le Christ, a été élevée au-dessus de ses ennemis: il veut donc nous faire
comprendre que lui-même, élevé sur le rocher, a été encore, dans son chef
adorable, élevé au-dessus de ses ennemis; faisant allusion à la gloire de
l’Eglise à qui ses persécuteurs ont dû céder la victoire; et comme cette
victoire est la conversion de l’univers entier à la foi de Jésus-Christ: « J’ai
jeté les yeux partout », dit le Prophète, « et j’ai offert à Dieu, dans son
tabernacle, une hostie de bénédiction »; c’est-à-dire, j’ai considéré la foi de
tout l’univers, cette foi qui élève nia tête bien au-dessus de mes
persécuteurs, et dans le temple du Seigneur, ou plutôt dans cette Eglise qui
embrasse le monde, je l’ai béni, avec une joie ineffable.
14. « Je bénirai le Seigneur, je chanterai
des hymnes en son honneur » Tranquilles alors, nous chanterons le Seigneur sans
crainte, et sans crainte nous le bénirons, quand nous contemplerons sa beauté,
quand il nous protégera comme son temple, et quand la mort, absorbée dans sa
victoire, nous aura délivrés de la corruption «. Que dire à présent que nous
avons exposé les joies que nous devons goûter, quand notre prière unique sera
exaucée? Que dire maintenant? Seigneur, exaucez ma voix 2». Gémissons donc maintenant,
prions maintenant: pour le malheureux, il n’y a qu’à gémir, pour l’indigent,
qu’à prier. La prière passera, et fera place aux jubilations; les pleurs
passeront et feront place à la joie. Maintenant donc, pendant que nous sommes
dans les jours mauvais, ne cessons d’invoquer le Seigneur, de lui adresser
l’unique prière; que cette prière ne soit jamais interrompue, jusqu’à ce qu’en.
fin, par sa grâce et sous sa direction, nous arrivions à le contempler. «
Ecoutez, Seigneur, ma voix qui crie vers vous; ayez pitié de moi, exaucez-moi 3
». Telle est sa demande unique, tant que puissent durer son invocation, ses
gémissements et ses larmes, il ne fait qu’une seule demande. Il a mis fin tous
ses désirs, il ne lui reste que celui d’être exaucé.
15. Voyez la prière qu’il a réellement faite:
« Mon coeur vous a dit: J’ai cherché votre face 4 ». C’est le même sens qu’il
exprimait tout à l’heure: « Je veux contempler la beauté du Seigneur, mon coeur
vous a dit: J’ai cherché votre face ». Si nous mettions notre joie à contempler
le soleil d’ici-bas, ce n’est pas notre coeur qui dirait: « J’ai recherché
votre face ». Mais plutôt les yeux de notre corps. Mais à quel autre notre cœur
peut-il dire: « J’ai recherché votre face »,
1. I
Cor. XV, 54. — 2. Ps. XXVI, 7. — 3. Id. 7. — 4. Id. 8.
(236)
sinon à celui qui n’est visible qu’aux yeux
du coeur? La lumière sensible est pour les yeux du corps, mais la lumière
divine pour ceux du coeur. Or, voulez-vous voir cette lumière qui est faite pour
les yeux du coeur? car c’est Dieu lui-même, comme l’a dit saint Jean. «Dieu est
lumière, et il n’y a point de ténèbres en lui 1 »; voulez-vous donc voir cette
lumière? Purifiez l’oeil qui la voit: « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur,
car ils verront Dieu 2. »
16. « Mon coeur vous a dit: J’ai cherché
votre face; c’est votre face, ô mon Dieu, que je rechercherai ». Je n’ai fait
au Seigneur qu’une seule demande, et je la ferai toujours, c’est de voir votre
face: « Ne détournez donc point de moi votre visage » Voyez comme il s’arrête à
cette unique demande: Voulez-vous aussi l’obtenir? N’en faites aucune autre.
Fixez-vous uniquement à celle-là, puisque seule elle vous suffira. « Mon cœur
vous a dit: J’ai cherché votre face; et cette face, ô mon Dieu, je la
rechercherai. Ne détournez point de moi votre visage: dans votre colère, ne
vous détournez point de votre serviteur 3». On ne pouvait rien dire de plus
magnifique et de plus divin. Ils comprennent, ceux qui 1aiment véritablement.
Tout autre mettrait son bonheur à jouir sans fin de ces biens terrestres qu’il
aime par-dessus tout: il n’offrirait à Dieu ses adorations et ses prières
qu’afin d’en obtenir de vivre longtemps dans ces délices, de ne perdre aucun
objet de ses affections terrestres, ni son or, ni son argent, aises domaines
dont la vue peut lui procurer une jouissance, de ne voir mourir ni ses amis, ni
ses enfants, ni son épouse, ni ses clients; il voudrait toujours vivre dans la
possession de ses biens. Mais parce qu’il ne le peut toujours, et qu’il sait
qu’il mourra, dans le culte qu’il rend à Dieu, dans ses prières, liasses
gémissements, il se contentera peut-être de lui demander ces biens pendant
toute sa vieillesse. Que Dieu lui dise: Je te fais immortel avec ces biens; il
acceptera l’immortalité comme un grand bienfait, et il ne pourrait contenir les
transports de sa joie. Tel n’est point le désir de celui qui n’a fait au
Seigneur qu’une seule demande. Que peut-il donc souhaiter? de contempler la
beauté du Seigneur, tous les jours de sa vie. De même encore celui qui, dans le
service de Dieu, ne se
1. Jean, I, 5.— 2. Matt. V, 8.— 3. Ps. XXVI,
9.
proposerait aucun autre but et ne craindrait,
dans la colère de Dieu, que de perdre quelqu’un des biens temporels qu’il
pourrait posséder. Ce n’est point là ce que craint celui qui parle ici,
puisqu’il permet à ses ennemis « de manger sa chair 1». Que craint-il donc de
la colère de Dieu? Qu’elle ne le prive de l’objet de son amour. Qu’a-t-il aimé?
Votre face, ô mon Dieu. Il regarderait comme un effet de la colère divine que
le Seigneur détournât de lui son visage: « Ne vous détournez point de votre
serviteur dans votre colère 2 ». On pourrait peut-être lui répondre: Pourquoi
redouter qu’il se détourne de toi dans sa colère? S’il se détournait de toi dans
sa colère, tu aurais moins à craindre ses vengeances; et si tu tombes entre ses
mains dans sa colère, il la déchargera sur toi. Tu dois donc souhaiter qu’il se
détourne de toi dans sa colère. Non, répond-il, car il sait ce qu’il souhaite.
La colère de Dieu, pour lui, c’est de lui dérober sa face. Mais si Dieu te
rendait immortel au milieu de ces délices et de ces joies voluptueuses? Ce
n’est point là ce que je désire, nous répond le chaste ami de Dieu; tout ce qui
n’est point lui-même n’a aucune douceur pour moi. Loin de moi tout autre don
que le Seigneur voudrait me faire qu’il se donne à moi lui-même. « Ne vous
détournez point de votre serviteur, dans votre colère ». Quelquefois le
Seigneur se détourne de nous, mais sans colère aussi, plusieurs lui disent-ils:
« Détournez votre visage de mes péchés 3». Détourner sa face de tes péchés, ce
n’est donc point se détourner de toi dans sa colère. Qu’il détourne donc sa
face de vos péchés, mais non de vous.
17. « Soyez mon aide, ne m’abandonnez pas 4
», car je suis dans la voie; je vous ai demandé uniquement d’habiter dans votre
maison, tous les jours de ma vie, de contempler vos beautés, et d’être protégé
comme votre temple. C’est là l’unique bien que je demande, et je suis dans la
voie qui y conduit. Peut-être me direz-vous: Efforce-toi, marche, je t’ai donné
le libre arbitre, tu as ta volonté; marche dans la voie, aime la paix,
recherche-la; garde-toi de t’écarter du chemin 5, de t’arrêter en chemin, de
regarder en arrière: marche avec persévérance, parce que « celui- là
1.
Ps. XXVI, 2.—2. Id. 9.— 3. Ps. LXX, 11. — 4. Id. XXVI,9. — 5. Id. XXXII,
15.
(237)
sera sauvé, qui aura persévéré jusqu’à la fin
1». Avec le libre arbitre, tu crois pouvoir marcher; ne présume rien de
toi-même; que le secours t’abandonne, et il n’y aura pour loi que défaillance
en chemin, que chute, égarement, immobilité. Dites-lui donc: Il est vrai,
Seigneur, que vous m’avez donné une volonté libre, et que sans vous mes efforts
ne sont rien. « Soyez mon aide, ne m’abandonnez pas; ne me rejetez pas, ô Dieu,
qui êtes mon salut 2 » Vous m’aiderez, car je suis l’ouvrage de vos mains; vous
n’abandonnez pas vos créatures.
18. « Voilà donc que mon père et ma mère
m’ont abandonné 3 ». Il se fait petit enfant devant Dieu et le choisit pour son
père, le considère comme sa mère. Dieu est un père, parce qu’il crée, parce
qu’il appelle à son service, parce qu’il ordonne, parce qu’il gouverne; il est
une mère, parce qu’il réchauffe, qu’il nourrit, qu’il allaite, qu’il porte dans
son sein, « Mon père donc et ma mère m’ont «abandonné; mais le Seigneur m’a
pris» pour me diriger et me nourrir. Des parents qui doivent mourir ont
engendré; des fils mortels ont succédé à des parents mortels; ils sont nés pour
succéder, après le décès des parents: mais celui qui m’a créé, ne mourra point;
et moi, je ne me séparerai jamais de lui. « Mon père et ma mère m’ont
abandonné, mais le Seigneur m’a recueilli». En dehors de ces deux parents, de
cet homme et de cette femme qui ont été pour nous Adam et Eve, et nous ont
donné une vie corporelle, nous avons, ou plutôt nous avons eu un autre père, et
une autre mère. Le démon qui est le père de ce siècle, était notre père quand
nous étions dans l’infidélité; car le Seigneur dit aux infidèles: « Vous avez
le diable pour père 4 ». Si donc c’est là le père de tous les impies qui agit
sur les enfants rebelles 5, qu’elle sera leur mère? Il est une certaine cité
que l’on nomme Babylone; c’est la cité des enfants de perdition, depuis
l’Orient jusqu’à l’Occident: à elle appartient l’empire de la terre. Elle est
la capitale de ce que vous appelez la République, que vous voyez vieillir de
jour en jour, et décroître. C’est elle qui fut d’abord notre mère, c’est en
elle que nous avons pris naissance. Nous avons depuis connu un autre père, et
nous avons quitté le
1.
Matt. XIX, 22. — 2. Ps. XXI, 5. — 3. Id. 10. — 4. Jean, VIII, 44. — 5. Eph.
II, 2.
diable. Comment oserait-il approcher de ceux
qu’a recueillis un Dieu tout-puissant? Nous connaissons une autre mère, la
Jérusalemcé~ leste ou la sainte Eg’lise dont une portion encore est en exil sur
la terre; et nous avons quitté Babylone. « Mon père et ma mère m’ont abandonné
»: ils n’ont plus aucun bien à me faire; et quand ils paraissaient m’en faire
quelqu’un, c’était vous qui me le faisiez, ô mon Dieu, et je le leur
attribuais.
19. Qui peut, si ce n’est Dieu seul, faire en
ce bas monde quelque bien à l’homme?Qui peut lui rien enlever, sans l’ordre ou
la permission de Dieu qui nous a tout donné? Mais les hommes, dans leur folie,
croient tenir ces richesses des démons qu’ils adorent, et souvent ils se disent
en eux-mêmes que Dieu leur est nécessaire pour la vie éternelle, pour la vie
éternelle, vie toute spirituelle, mais que pour les biens de cette vie, il faut
rendre un ermite à ces puissances diaboliques. O hommes insensés t vous donnez
donc la préférence à ces biens qui vous font adorer les démons; car ou vous
préférez le culte des démons, ou si vous ne l’aimez mieux, c’est du moins
autant. Dieu, cependant, ne peut souffrir que l’on partage l’encens entre ses
autels et ceux du démon, dût-on lui rendre les plus grands honneurs, et pour
eux, les restreindre de beaucoup. Comment? me diras-tu, ne sont-ils donc point
nécessaires pour les biens d’ici-bas? Nullement. Ne devons-nous pas craindre au
moins qu’ils ne nous soient nuisibles? Ils ne peuvent nous nuire que si Dieu le
permet. Toujours ils sont prêts à nous nuire, et vos supplications ne
fléchiront point leur désir implacable de faire le mal. Tel est le caractère
distinctif de leur malice. Donc, le culte que vous leur rendrez ne peut aboutir
qu’à offenser Dieu, qui dans sa juste vengeance vous livrera en leur pouvoir:
impuissants à vous nuire, si Dieu vous eût été favorable, ils feront de vous
vira jouet de leur malice, parce que vous l’aurez offensé. Pour vous montrer, ô
vous qui avez ces pensées, que votre culte aux démons est inutile, même pour
les biens temporels, n’y a-t-il donc jamais eu de naufrage pour aucun adorateur
de Neptune? et nul de ceux qui l’ont en horreur n’est-il arrivé au port? Toutes
les mères qui invoquent Junon obtiennent-elles un enfantement heureux, et
toutes celles qui l’ont en horreur n’ont-elles qu’un enfantement malheureux?
(238) Comprenez donc par là, mes frères bien-aimés, combien est grande la folie
des hommes qui veulent adorer les démons pour en obtenir les biens temporels.
S’il faut les adorer pour en obtenir ces biens, leurs adorateurs seuls
devraient posséder les grandes fortunes. Et quand même il en serait ainsi, il
nous faudrait encore renoncer à de pareils dons, pour faire à Dieu l’unique
prière. Mais il y a de plus que Dieu seul peut donner ces biens, et qu’adorer
les démons, c’est l’offenser. Arrière donc notre père et notre mère; arrière
Salan, arrière la cité de Babylone! Vive le Seigneur qui nous recueille pour
nous consoler par les biens du temps, et nous rendre heureux par ceux de
l’éternité ! « Mon père et ma mère m’ont abandonné, mais le Seigneur m’a
recueilli ».
20. Nous voilà donc recueillis par le
Seigneur, après avoir fui Babylone et le démon qui la gouverne; car c’est le
diable qui dirige les impies, qui est le prince du monde, le prince des
ténèbres. De quelles ténèbres, direz-vous? Des pécheurs, des impies. Aussi
l’Apôtre dit-il à ceux qui ont embrassé la foi: « Vous étiez autrefois
ténèbres, maintenant vous êtes lumière en Jésus-Christ 1». Maintenant que Dieu
nous a recueillis, que devons-nous dire? « Seigneur, établissez-moi la loi que
je dois accomplir dans votre voie». Tu oses bien demander une loi? Et si le
Seigneur te répondait: Cette loi, l’accompliras-tu? l’observeras-tu si je te la
donne? Il n’oserait la demander, si d’abord il n’avait dit: Le Seigneur m’a
recueilli. Il ne la demanderait point, s’il n’avait dit d’abord: Venez à mon
aide. Si donc vous êtes mon soutien, si vous me recueillez, « donnez-moi,
Seigneur, une loi que j’accomplisse dans votre voie». Etablissez-moi une loi
dans votre Christ. Car c’est la voie elle-même qui nous a parlé, et nous a dit:
«lestais la voie, la vérité et la vie 2». La
loi dans le Christ est une loi de miséricorde. Il est la sagesse dont il est
écrit: « Elle a sur la langue «une loi de clémence 3». Si vous êtes coupable
d’infraction à cette loi, faites-en l’aveu, et vous en obtiendrez le pardon de
Celui qui répandu son sang pour vous. Seulement, ayez soin de ne point abandonner
la voie, et dites-lui: « Soyez-mon protecteur, et dirigez moi dans le sentier
de la justice, à cause de mes ennemis 4». Donnez-moi une loi, mais
1. Eph. V, 8.— 2. Jean. XIV, 6.— 3. Prov.
XXXI, 26.— 4. Ps. XXVI, 11.
ne me privez pas de votre miséricorde. Dans
un autre psaume, le Prophète a dit: « Celui qui vous a dicté la loi, vous
donnera aussi la miséricorde 1». Ces paroles donc: « Fixez-moi, Seigneur, une
loi que j’accomplisse dans votre voie », regardent le précepte. Qu’est-ce qui
nous désigne sa miséricorde? « Dirigez-moi », dit le Prophète, « dans la voie
du bien, à cause de mes ennemis ».
21. « Ne me livrez pas aux volontés de mes
persécuteurs 2 »; c’est-à-dire, ne permettez pas que j’acquiesce à leurs
désirs. Car si tu es uni d’âme et de volonté à celui qui te persécute, ce n’est
pas ta chair qu’il dévore en quelque sorte, mais bien mon âme par la perversité
qu’il t’inspire. « Ne m’abandonnez pas aux volontés de mes persécuteurs ».
Abandonnez-moi entre leurs mains, si vous le voulez. Telle était la prière que
faisaient les martyrs, et il les a livrés aux mains des persécuteurs. Mais que
leur en livrait-il? La chair seulement. C’est encore ce qui est écrit dans le
livre de Job: « La terre a été livrée aux mains de l’impie 3; c’est-à-dire, la chair
est entre les mains des persécuteurs. « Gardez-vous de me livrer », non pas ma
chair, mais moi. C’est moi l’âme qui vous parle, moi l’esprit qui vous parle.
Je ne vous dis point: Gardez-vous de livrer ma chair aux mains de mes
persécuteurs; mais. «Gardez-vous de me livrer aux volontés de o mes
persécuteurs». Comment les hommes sont-ils abandonnés aux volontés de ceux qui
les persécutent? «Voilà que des témoins menteurs se sont levés contre moi».
D’abord, par cela même qu’ils sont des témoins menteurs, qu’ils entassent les
accusations contre moi, et me déchirent par une foule de calomnies, si- vous
m’abandonnez à leurs volontés, je mentirai à mon tour, je deviendrai leur
complice, et sans avoir aucune part à votre vérité, je m’associerai à leurs
mensonges contre vous. « Des témoins menteurs se sont élevés contre moi, et
l’iniquité a menti contre elle-même 4 ». A elle-même, non pas à moi. Qu’elle
soit victime de ses faussetés, et non pas moi. Si vous me livrez aux volontés
de mes persécuteurs, c’est-à-dire, si je m’associe à leur dessein, l’iniquité
n’aura point menti pour elle seule, mais encore pour moi; qu’ils déchaînent au
contraire toute leur
1.
Ps. LXXXIII, 8. — 2. Id. XXVI, 12. — 3. Job, IX, 24. — 4. Ps. XXVI, 12.
(239)
fureur, et s’efforcent d’entraver ma course,
pourvu que vous ne m’abandonniez pas à leurs volontés, et que je n’embrasse pas
leurs desseins pervers, alors je demeurerai ferme, je subsisterai dans la
vérité, et les mensonges de l’iniquité tourneront contre elle et non contre
moi.
22. Après tant de dangers, tant de fatigues,
tant d’obstacles, accablé par les vexations de ses persécuteurs, haletant,
harassé, niais toujours ferme et plein de confiance dans celui qui l’a
recueilli, qui le soutient, qui le conduit, qui le gouverne, le Prophète en
revient à sa demande-unique; il a parcouru des yeux toutes les créatures en
tressaillant de joie, il a gémi sous le poids du labeur, il soupire enfin et
s’écrie: « Je crois que je verrai les biens du Seigneur, dans la terre des
vivants (Ps. XXVI, 13) ». O biens de
mon Dieu, qui êtes si doux ! biens impérissables, biens incomparables, biens
éternels, biens immuables! Quand vous verrai-je, ô biens de mon Dieu? Je crois
que je vous verrai, mais non sur la terre où l’on meurt. « Je crois que je
verrai les biens du Seigneur sur la terre des vivants». Il me délivrera de
cette terre où l’on meurt, ce Dieu qui a daigné, par amour pour moi, venir sur
la terre des mortels, et mourir entre les mains des mortels. « Je crois que je
verrai le Seigneur dans la terre des vivants ». Telle est sa parole quand il
sou pire, sa parole quand il est accablé, sa parole au milieu de dangers sans
nombre; et cependant il espère tout de la bonté de ce même Dieu, à qui il a
dit: « Seigneur, établissez-moi une loi ».
23. Et que lui dit celui-là même qui adonné
la loi? Ecoutons cette voix du Seigneur, voix d’encouragement et de consolation
qui nous vient d’en haut. Ecoutons la voix de celui qui nous tient lieu de ce
père et de cette mère qui nous ont quittés. Ecoutons-la, car lui-même a entendu
nos gémissements, il a compris nos sanglots, il a considéré nos désirs et la
seule prière que nous lui faisons cette unique demande, il l’a favorable I ment
accueillie par la médiation de Jésus. Christ, notre avocat; et tant que durera
notre pèlerinage en cette vie, qui éloigne de nous ses promesses, sans
toutefois nous en priver, il nous répète: «Attends le Seigneur». En lui tu
n’attendras pas un Dieu menteur, un Dieu qui se trompe, un Dieu qui ne puisse
trouver de quoi vous donner. C’est le Tout-Puissant qui vous a promis, celui
qui est fidèle par excellence, celui qui est la vérité même. « Attends donc le
Seigneur, et travaille en homme de cœur ». Ne te laisse pas abattre, afin de
n’être point avec ceux dont il est dit: « Malheur à ceux qui ont perdu la
constance 1». Attends le Seigneur, c’est là ce qu’il dit à tous les hommes,
bien qu’il ne parle qu’à un seul. Nous ne sommes qu’un en effet, en
Jésus-Christ, nous sommes le corps du Christ, nous qui n’avons qu’un seul
désir, ne formons qu’un seul voeu, qui gémissons en ces jours de tristesse, qui
croyons voir les biens du Seigneur dans la terre de la vie. C’est à nous tous
qui sommes un, en un seul Jésus-Christ, qu’il est dit: «Attends le Seigneur,
agis avec courage, affermis ton âme et attends le Seigneur ». Que peut-il dire
encore, sinon répéter ce que vous avez entendu? « Attends le Seigneur, agis en
homme de cœur ». Celui donc qui a manqué de confiance, est un efféminé, un
homme sans vigueur. Que les hommes écoutent cette parole, que-les femmes la
comprennent aussi, car l’homme et la femme ne sont qu’un en Jésus-Christ, qui
est un seul homme. Mais il n’est plus ni homme ni femme, celui qui vit en
Jésus-Christ 2. « Attends le Seigneur, agis en homme de coeur; affermis ton âme
et attends le Seigneur». C’est par la confiance que tu posséderas le Seigneur,
tu posséderas celui que tu auras attendu. Libre à toi de former d’autres
désirs, si tu trouves un objet plus grand, plus digne, plus suave.
1. Eccli. II, 16. — 2. Galat. III, 28.
(240)
Tout le psaume est consacré à célébrer la
gloire de la résurrection et l’aveuglement des Juifs. Ils ont voulu donner la
mort du Christ, et il est ressuscité pour soutenir ses élus. Quant aux Juifs
incrédules, ils ont perdu la vie éternelle. De là un double démenti donné à
leur perversité.
1. L’interlocuteur du psaume, c’est le
médiateur dont le bras a été fort dans le combat de sa passion. Les malheurs qu’il
paraît appeler sur ses ennemis, ne sont pas tant des imprécations que la
prophétie de leur châtiment: de même que dans l’Evangile, s’il parle des villes
qui ont vu ses miracles sans croire en lui 1, il prédit les malheurs qui les
menacent, beaucoup plus qu’il ne les frappe d’anathème.
2. Seigneur, mes cris s’élèvent jusqu’à nous,
ne retirez pas de moi votre parole, ô « mon Dieu ». Je crie vers vous, Seigneur
mon Dieu, ne séparez point en moi votre Verbe de l’humanité dont je suis
revêtu. « Si jamais vous retirez de moi votre parole, je userai semblable à
ceux qui s’en vont au sépulcre 2». L’union de votre Verbe éternel avec moi fait
que je ne ressemble point aux autres hommes, qui naissent dans les profondes
misères du siècle, où l’on ne connaît pas plus votre Verbe que si vous gardiez
le silence. « Exaucez, ô mon Dieu, la voix de mes supplications, lorsque je
crie vers vous.et que j’élève mes mains vers votre saint temple 3 »: quand je
suis cloué à la croix, pour le salut de ceux qui deviendront votre saint temple
en croyant en vous.
3. « Ne confondez pas mon âme avec les
pécheurs, ne me perdez pas avec ceux qui commettent l’iniquité, avec ceux qui
ont pour le prochain des paroles de paix 4»: avec ceux qui me disent « Maître,
nous savons que vous venez de Dieu 5 mais le mal est dans leur coeur »: mais
leur coeur n’est ouvert qu’aux pensées perverses.
1.
Matt. XI, 20. — 2. Ps. XXVIII, 1 — 2. Ibid. 2. — 3. Ibid. 3. — 4. Jean, III, 2.
4. « Traitez-les selon leurs œuvres ». Il est
juste que vous leur rendiez selon leurs actions: « Châtiez-les selon la
perversité de leurs desseins ». Car en s’étudiant au mal, ils ne peuvent
trouver le bien. « Traitez-les selon les oeuvres de leurs mains 1 ». Bien que
leurs oeuvres servent au salut des autres, rendez-leur néanmoins ce que mérite
l’oeuvre qu’ils méditaient. « Rendez-leur ce qu’ils méritent ». Puisque, au
lieu de la vérité qu’ils entendaient, ils n’ont voulu redire que la fausseté,
qu’ils soient dupes de leurs propres mensonges.
5. « Aussi n’ont-ils rien compris dans les
oeuvres du Seigneur 2 » Comment savons-nous qu’ils se sont trompés eux mêmes?
C’est qu’ « ils n’ont rien compris aux oeuvres du « Seigneur». Tel est leur
premier châtiment. Leur esprit pervers s’est attaqué à l’homme en Jésus-Christ,
et ils n’ont point connu qu’il était Dieu, ni dans quel dessein du Père il
s’était revêtu de notre chair. « Ni dans les oeuvres « de ses mains ». Les
oeuvres si visibles, qui s’opéraient sous leurs yeux, ne les ont point
ébranlés. « Vous les détruirez, Seigneur, et ne les rétablirez jamais ». Qu’ils
ne puissent me nuire, et qu’ils échouent dans leurs machinations artificieuses
contre mon Eglise.
6. « Béni soit le Seigneur, qui a écouté la
voix de ma prière 3 ».
7. « Le Seigneur est ma force et mon soutien
4». C’est le Seigneur qui me fortifie en rie telles souffrances, et qui me
soutient en m’accordant la résurrection et l’immortalité. « En lui mon coeur a
espéré, et il a obtenu le secours; et ma chair a refleuri ». Elle a ressuscité.
« Je le bénirai de toute mon âme ». Et ceux qui croiront en moi béniront le
Seigneur, non plus par la crainte comme sous
1.
Ps. XXVII, 4. — 2. Ibid. 5. — 3. Ibid. 6. — 4. Ibid. 7.
(241)
la loi, mais avec une volonté libre en se
conformant à la loi et comme je suis en eux, c’est moi qui bénirai le Seigneur.
8. « Le Seigneur est la force de son peuple 1
». Non point de ce peuple qui ignore la justice de Dieu et qui s’efforce
d’établir la sienne 2 mais de ce peuple qui ne croit point â sa propre force:
car c’est le Seigneur qui soutient son peuple dans sa résistance au démon parmi
les difficultés de cette vie. « Il est le protecteur de ceux que son Christ a
sauvés ». En sorte qu’après avoir sauvé son peuple par son Christ et soutenu
son
1. Ps. XXVII, 8. — 2. Rom. X, 3.
courage dans les combats, il l’établira dans
une paix sans fin.
9. « Seigneur, sauvez votre peuple et
bénissez votre héritage 1 ». Ma chair a refleuri, et je vous adresse ma prière;
car vous m’avez dit: « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage 2
». Sauvez votre peuple, bénissez votre héritage, puisque tout ce qui est à moi
vous appartient 3 ». Dirigez-les, élevez-les en gloire pour l’éternité ».
Dirigez-les en cette vie, et d’ici-bas, élevez-les à la vie éternelle.
1.
Ps. XXVII, 9. — 2. Id. II, 8. — 3. Dan, XVII, 10.
Ce Psaume nous expose les
merveilles que doit opérer, dans les peuples de la gentilité, cette voix de
Dieu qui se fait entendre et qui arrive à tous les coeurs par l’Evangile. C’est
le Christ qui prend aussi possession de tous les hommes.
PSAUME POUR DAVID, A L’ACHÈVEMENT DU TABERNACLE (1).
1. Psaume en l’honneur du Médiateur, à la
main forte, pour l’achèvement de son Eglise en ce monde terrestre, où elle doit
chaque jour livrer bataille au démon.
2. C’est le Prophète qui parle: « Présentez,
ô Fils de Dieu, présentez au Seigneur les fils des béliers ». Présentez-vous au
Seigneur, vous que les Apôtres, ces chefs du bercail, ont enfantés par
l’Evangile. « Offrez au Seigneur l’honneur et la gloire 3 ». Que vos oeuvres
soient pour Dieu une gloire et une louange. « Rendez gloire au nom du Seigneur
». Chantez sa gloire dans le monde entier. « Adorez le Seigneur devant la
gloire de son sanctuaire 3 ». Adorez le Seigneur dans vos coeurs dilatés et
sanctifiés. Car vous êtes vous-mêmes sa royale et sainte habitation.
3. « Voix du Seigneur sur les eaux ». Voix du
Christ sur les peuples. « Le Seigneur a tonné dans sa majesté ». Du milieu de
la
1. Ps. XXVIII, 1. — 2. Ibid. — 3. Id. 2.
nuée de sa chair, le Seigneur nous a prêché
la pénitence d’une voix effrayante et majestueuse. « L’Eternel est sur les
grandes eaux 1 », Le Seigneur Jésus a fait entendre sa voix sur les peuples,
qu’il a glacés d’effroi; il les a convertis à sa loi et a voulu habiter en eux.
4. « Voix du Seigneur, pleine de force Déjà
la voix du Seigneur est en eux et leur donne la puissance. «Voix du Seigneur
pleine de gloire 2 ». La voix de Dieu opère en eux de grandes choses.
5. «Voix du Seigneur qui brise les cèdres».
La voix du Seigneur brise le coeur des superbes et les humilie. « Le Seigneur
brise les cèdres du Liban 4 ». Le Seigneur va briser par la pénitence ceux qui
se prévalent d’uni noblesse tout à fait terrestre, il va les confondre en
choisissant des hommes que le monde méprise 4, pour faire éclater en eux la
puissance divine.
6. « Il les brisera, comme le jeune taureau
du Liban 5 ». Il abaissera leur orgueilleuse
1. Ps. XXVIII,
3 — 2. Id. 4. — 3. Id. 5. — 4. I Cor, I, 28. — 5. Ps. XXVIII, 6.
(242)
hauteur, les réduira à s’humilier comme celui
qui, semblable au jeune taureau, a été conduit à la boucherie par les grands de
ce monde. Car « les rois et les grands de la terre se sont levés, et ont
conspiré contre le Seigneur et contre son Christ. Et le bien-aimé a été comme
le fils des licornes». Car lui, le bien-aimé, le Fils unique du Père, s’est
dépouillé de sa noblesse; il s’est fait homme semblable au fils des Juifs qui
n’ont point connu la justice de Dieu 1 et qui s’applaudissaient avec orgueil de
leur propre justice, comme de l’unique justice.
7. « Voix du Seigneur, qui divise les traits
de flammes 2 ». Voix du Seigneur qui s’ouvre un passage au travers de ceux qui
le persécutent avec la haine la plus implacable, et n’en reçoit aucune
blessure, ou qui jette la division parmi ses persécuteurs les plus acharnés; il
fait dire aux uns: « Ne serait-il pas le Christ»; et aux autres: « Non, mais il
séduit le peuple 3 ». Il jette ainsi la division dans leur foule insensée,
amène les uns à l’aimer, et abandonne les autres à leur propre malice.
8. « Voix du Seigneur, qui ébranle les
déserts4 ».Voix du Seigneur qui ébranle, pour les amener à la foi, ces nations
qui n’avaient jadis ni espoir, ni Dieu en cette vie 5, et où n’habitait aucun
homme, c’est-à-dire aucun prophète, aucun prédicateur de la parole de Dieu. Et
il ébranlera le désert de Cadès ».
1. Rom. X, 3.— 2. Ps. XXVIII, 7.— 3. Jean,
VII, 12.— 4. Ps. XXVIII, 8. — 5. Eph. II, 12.
Alors il mettra en évidence la sainte parole
de ses Ecritures, abandonnée aux Juifs qui ne la comprenaient point.
9. « Voix du Seigneur qui perfectionne les
cerfs 1». La voix du Seigneur amène tout d’abord à la perfection ceux qui
savent surmonter et repousser les langues envenimées. « Il mettra au jour les
forêts». Il leur découvrira les obscurités des livres saints, les ombres de ses
mystères, afin qu’ils y paissent en liberté. « Et chacun le glorifiera dans son
temple ». Et dans son Eglise, quiconque est régénéré dans l’éternelle
espérance, bénit le Seigneur selon le don qu’il a reçu de l’Esprit-Saint.
10. « Le Seigneur habite le déluge 2». Tout
d’abord le Seigneur habite les grandes eaux de ce monde, en la personne des
saints, qu’il conserve dans son Eglise comme dans une arche 3. « Le Seigneur
s’assiéra pour régner éternellement ». Ensuite, il s’assiéra pour régner
éternellement dans ses élus.
11. « Le Seigneur donne la force à son peuple
4 ». Parce que le Seigneur doit fortifier son peuple dans sa lutte contre les
tempêtes et les ouragans du monde car il ne lui a point promis la paix ici-bas.
« Le Seigneur bénira son peuple dans la paix ». Le même Dieu qui bénira son
peuple lui donnera la paix en lui-même; car il a dit: « Je vous donne ma paix,
je vous laisse ma paix 5 ».
1.
Ps. XXVIII, 9.— 2. Id. 10.— 3. Gen.VII. — 4. Ps. XXVIII, 11.— 5. Jean,
XIV, 27.
Chaque membre de I’Eglise ou
de Jésus-Christ peut tenir le langage de ce psaume. Et-ce que peut dire
Jésus-Christ à propos de sa résurrection, et quand il se prépare à se consacrer
un temple dans les fidèles, tout fidèle sorti du péché peut se l‘appliquer, et
se considérer comme un temple consacré à Dieu.
POUR LA FIN, PSAUME CHANTÉ A LA DÉDICACE D’UN LIEU SACRÉ, POUR DAVID (1).
1. Pour la fin. Chant joyeux de la résurrection,
qui a renouvelé non seulement le corps de Jésus-Christ, mais de toute 1’Eglise,
et l’a changé en un corps immortel. Dans le psaume précédent, la tente que nous
devons habiter pendant la durée de la guerre s’achevait;
1. Ps. XXIX, 1.
maintenant il s’agit de faire la dédicace de
ce palais, que nous devons habiter dans une paix éternelle.
2. C’est le Christ qui parle ici dans son
intégrité: « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé 1 ». Je
chanterai votre grandeur, parce que vous m’avez protégé. « Et que vous n’avez
point réjoui mes ennemis de ma ruine ». Vous n’avez point permis que ceux qui,
tant de fois dans l’univers entier, ont cherché à m’écraser sous le poids des
persécutions, se réjouissent à mon sujet.
3. « Seigneur, mon Dieu, j’ai crié vers vous
et vous m’avez guéri 2 ». Je vous ai invoqué, Seigneur mon Dieu, et je ne suis
plus chargé d’un corps sujet à la mort ou à la maladie.
4. « Seigneur, vous avez retiré mon âme du
tombeau, vous m’avez séparé de ceux qui descendent dans l’abîme 3». Vous m’avez
sauvé d’un profond aveuglement et des bas-fonds d’une chair corruptible.
5. « Saints du Seigneur, célébrez ses
louanges ». Le Prophète voit dans l’avenir ce qu’il annonce, et il s’écrie dans
ses transports: « Saints du Seigneur, célébrez ses louanges, et rendez
témoignage à la mémoire le sa sainteté 4». Et confessez qu’il n’a point oublié
cette sainteté dont il vous a gratifiés: quoique le temps qui sépare la
sanctification de la récompense paraisse long à vos désirs.
6. « Son indignation amène la vengeance». Il
a vengé sur vous le premier péché que vous expiez par la mort. « Mais sa
volonté donne la vie 5 ». Cette vie éternelle, à laquelle vous ne pouviez
revenir de vos propres forces, il vous la donne, par un acte de sa bonne volonté.
« Le soir s’écoulera dans les pleurs ». Ce soir a commencé quand la lumière de
la sagesse s’est éteinte en l’homme pécheur, et qu’il a été condamné à la mort:
à dater de ce soir fatal, des pleurs doivent couler, tant que le peuple de Dieu
attendra, dans les travaux et les épreuves, le jour du Seigneur. « Au matin,
nous serons dans la joie». Il attendra jusqu’au matin, où il tressaillera dans
la joie de la résurrection future, que nous annonce comme une fleur matinale la
résurrection du Christ.
7. « En mes jours d’abondance, j’ai dit: Je
1.
Ps. XXIX, 2.— 2. Id. 3.— 3. Id. 4.— 4. Id. 5.— 5. Id. 6.
ne serai jamais ébranlé 1». Pour moi, peuple,
moi qui parlais dès l’abord, dans mes jours d’abondance, et quand je ne
ressentais pas la disette, j’ai dit: « Je ne serai point ébranlé ».
8. « Seigneur, dans votre bonté, vous m’avez
affermi dans ma félicité 2 ». Mais, Seigneur, j’ai compris que cette richesse
me venait de votre bonté et non de moi, quand « vous avez détourné de moi votre
face, et que je suis tombé dans le trouble », car mes fautes vous ont fait
détourner votre visage, et je suis tombé dans le trouble, quand votre lumière
s’est éteinte pour mes yeux.
9. « Je crierai vers vous, Seigneur, je vous
supplierai, ô mon Dieu 3». Quand je me souviens de mes jours de trouble et de
misère et que je m’y crois encore engagé, j’entends alors la voix de votre
premier-né, de celui qui est mon chef et qui doit mourir pour moi, et qui
s’écrie: «J’en appelle à vous, Seigneur; c’est vous que je supplierai, ô mon
Dieu! »
10. « Qu’est-il besoin de verser mon sang, si
je dois m’en aller en pourriture 4? Est-ce que cette poussière pourra vous
glorifier? » Si je ne ressuscite pas aussitôt, si mon corps est en proie à la pourriture,
« est-ce que vous tirerez votre gloire de cette poussière », ou de cette troupe
d’impies que ma résurrection doit justifier? « Ou bien, pourra-t-elle annoncer
votre vérité 5 » C’est-à-dire, pourront-ils annoncer aux autres la vérité du
salut?
11. « Le Seigneur m’a écouté et m’a pris en
pitié, il a été mon protecteur 6 ». Il n’a point permis que son saint devînt la
proie de la corruption7 ».
12. «Vous avez changé mon deuil en joie 8 ».
Moi, votre église, qui ai reçu ce premier-né d’entre les morts, je chante à la
dédicace de votre palais: «Vous avez changé mon deuil en joie; vous avez
déchiré mon cilice pour me revêtir de joie 9 ». Vous avez écarté le voile de
mes péchés et la tristesse de ma mortalité, pour me revêtir de ma robe première
et d’une joie impérissable.
13. «Afin que ma gloire vous chante, et que
nul aiguillon ne me meurtrisse 10». Afin qu’il n’y ait plus aucun deuil pour
moi; mais que ma gloire chante vos louanges, et non plus mon humilité, puisque
vous m’avez
1.
Ps. XXIX, 7 — 2. Id. 8.— 3. Id. 9.— 4. Id. 10.— 5. Ibid. — 6. Id. 11. — 7. Id.
XV, 10. — 8. Id. XXIX, 12.— 9. Ibid. — 10. Id. 13.
(244)
tiré de l’abaissement, et que la conscience
de mon péché, la crainte de la mort et du jugement ne perce plus mon coeur. «
Seigneur, mon Dieu, je vous bénirai éternellement ». C’est là ma gloire, ô mon
Dieu, de proclamer hautement à votre louange qu’il n’y a rien en moi de
moi-même, et que tout bien vient de vous, ô Dieu, qui êtes tout en tous (I Cor. XV, 28).
Dans ce discours, saint
Augustin nous montre que Jésus-Christ, notre chef, ayant reçu sa consécration
dans le ciel, nous devons l’y recevoir aussi et l’y suivre. Et nous y
arriverons, en bénissant Dieu, ou en le glorifiant dans nos douleurs, pour le
bénir ensuite dans sa gloire.
1.Assurément nous avons chanté: «Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé, et que vous n’avez point donné à mes «ennemis la joie de ma ruine 1». Si les saintes Ecritures nous ont fait connaître nos ennemis, nous comprenons la vérité de ce cantique nais si la prudence de la chair nous a jetés dans l’illusion au point que nous ne connaissions plus ce qu’il nous faut combattre 2, nous trouvons, dès l’abord du psaume, une difficulté insoluble pour nous. De qui pensons-nous sont ce chant d’actions de grâces, cette voix qui bénit Dieu dans son allégresse et qui s’écrie: «Je vous exalterai, Seigneur, parce que nous m’avez relevé, et que vous n’avez point donné à mes ennemis la joie de ma ruine?» Considérons d’abord que c’est Notre Seigneur qui, dans cette humanité dont il a daigné se revêtir, a pu fort bien s’approprier ces paroles du Prophète. Devenir homme, c’est cont