TRAITÉ DU SOMMEIL ET DE LA VEILLE

ARISTOTE

 

Traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire

Paris : Ladrange, 1866

Nouvelle édition numérique http://docteurangelique.free.fr 2008

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

Plan du traité par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire_ 1

CHAPITRE I : Questions diverses qu'on peut se poser sur le sommeil et sur la veille, sur les rêves et sur la divination. 3

CHAPITRE II : Explication de la cause du sommeil et de la veille_ 5

CHAPITRE III : Conditions physiologiques du sommeil 8

 

 

Plan du traité par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire

 

Étudions maintenant le sommeil et la veille ; sachons à quelle partie de l'âme ou du corps appartiennent ces deux fonctions, ou bien si elles sont communes aux deux. Sachons encore si elles sont toujours compagnes l'une de l'autre, on si elles peuvent être séparées dans certains animaux. Une conséquence de cette première étude sera de rechercher ce que c'est que le rêve, et la divination qu'on essaye parfois de tirer des songes. D'abord le sommeil et la veille sont dans la même partie de l'animal, parce que ce sont des contraires qui se produisent mutuellement, et qui sont par la nature dans un seul et même sujet. Ce qui prouve bien que le sommeil et la veille sont des contraires, c'est que le même signe qui nous fait connaître que l'homme veille, nous fait aussi connaître, en sens opposé, qu'il dort. L'homme veille tant qu'il sent : il dort dès qu'il ne sent plus. Ainsi le principe qui fait que l'homme sent est aussi celui qui est affecté par le sommeil et par la veille; or, sentir n'appartient en propre ni à l'âme ni au corps; c'est une fonction commune aux deux. Par suite, les êtres qui n'ont pas la partie sensible de l'âme, les végétaux, par exemple, qui n'ont que la partie sensitive, ne dorment ni ne veillent. Une autre conséquence, c'est qu'il n'est point d'animal qui veille toujours ou qui dorme toujours. Tout organe, quelle qu'en soit d'ailleurs la fonction naturelle, ne peut l'exercer que durant un temps limité, après lequel il tombe dans l'impuissance. Si donc la veille est le libre exercice de la sensibilité, le sommeil sera une fonction aussi indispensable qu'elle; car il faut nécessairement que tout être qui veille puisse aussi dormir, pour réparer les forces que la veille lui enlève. D'autre part, le sommeil doit également finir avec cette réparation même, puisque l'exercice de la sensibilité est l'état complet et vrai de l'animal, qui n'est ce qu'il est qu'autant qu'il est doué de sensibilité. Tous les animaux autres que l'homme ont la faculté du sommeil comme lui. Il n'y a doute que pour les coquillages, sur lesquels on n'a point fait d'observations directes.

Les insectes dorment fort peu, et c'est là ce qui a fait parfois douter qu'ils eussent cette faculté comme les autres. Ainsi tous les animaux veillent et dorment, parce qu'ils sont sensibles; et il faut ajouter que, durant le sommeil, la nutrition dont ils ont tous besoin se fait d'une manière plus facile et plus complète. Ces préliminaires posés, voyons la cause du sommeil et de la veille, et le sens ou les sens auxquels ces deux fonctions se rapportent. D'abord, s'il y a des animaux qui soient privés de quelque sens, tous, sans exception, possèdent le toucher et le goût ; c'est un principe établi déjà dans le Traité de l'Ame. Nous y avons établi aussi qu'indépendamment de la fonction spéciale à chaque sens, il y a encore une faculté commune qui réunit et compare les sensations venues d'organes différents. Elle est simultanée au toucher, le seul sens qui puisse être séparé de tous les autres, tandis que tous les autres en sont inséparables. Ainsi, le sommeil et la veille sont des affections de ce sens général ; et, comme le toucher est commun à tous les animaux, voilà pourquoi tous aussi veillent et dorment. Les sens spéciaux peuvent agir indépendamment les uns des autres ; par suite, ils ne devraient point cesser simultané ment si 1e sommeil ne touchait que chacun d'eux en particulier. Mais on conçoit très-bien que, quand le principe général sans lequel les sens ne peuvent agir, vient à cesser, tous éprouvent la modification que lui-même subit. Ce qui le démontre non moins clairement, c'est que, dans certains états du corps, dans les évanouissements, par exemple, dans certaines hallucinations, et même par suite de certaines blessures, les sens tombent dans l'impuissance d'agir, et cependant il n'y a point sommeil. Voilà pour le sens qu'affectent le sommeil et la veille. Maintenant en voici la cause. La nature fait toujours toutes choses en Tue de quelque fin ; et ici la fin qu'elle se propose, c'est la conservation de l'animal à l'état de veille. La veille est la fin propre de l'animai, parce que sentir et penser sont les fonctions qui le constituent réellement. Pour savoir dans quel lieu du corps se produisent le sommeil et la veille, c'est sur l'homme qu'il faut observer, parce que les faits sont les mêmes pour les animaux qui ont du sang comme lui, et tout à fait analogues chez les animaux qui n'ont pas de sang. Le corps, chez l'homme, se divise en trois parties principales: la tête, le bas-ventre, et la partie centrale, intermédiaire entre les deux autres; c'est dans cette dernière que se trouvent et le principe de la sensibilité, et celui du mouvement, et celui de la respiration. C'est le cœur et les parties qui l'environnent qui renferment ces principes; et, par conséquent, le sommeil et la veille sont primitivement des affections de ces parties. Il y a des gens qui font, dans le sommeil, beaucoup d'actes qui semblent propres à la veille; nous en reparlerons plus loin. Nous avons aussi expliqué dans nos Problèmes comment on se souvient des songes, bien qu'on oublie souvent les actes faits durant la veille. Quelles sont donc les circonstances physiologiques qui accompagnent le sommeil? D'abord tout animal, par cela même qu'il est sensible, doit aussi pouvoir se nourrir. C'est le sang qui est en définitive sa nourriture, ou un fluide analogue ; et le sang circule dans les veines, qui toutes viennent du cœur. L'anatomie peut prouver ceci, ainsi que le démontrent les théories données par nous dans le Traité de la Nourriture. Nous ne les rappellerons ici qu'autant qu'elles concernent le sommeil et la veille. Les aliments modifiés arrivent dans les veines sous forme de sang, et y causent une évaporation qui se dirige vers le cœur. L'insensibilité spéciale que produit le sommeil ne vient que de cette évaporation, qui monte d'abord en haut, puis retombe par un mouvement assez pareil à celui des flots de l'Euripe. En redescendant, la vapeur chasse la chaleur, et cause ainsi le sommeil. L'action des narcotiques démontre combien ces théories sont exactes : ils portent tous à la tête. La somnolence qu'on sent après le repas vient aussi de ce qu'alors l'évaporation est plus considérable. D'autre part, la fatigue, et certaines maladies provoquent le sommeil par des causes tout à fait analogues. Si la première enfance est si sujette à un lourd sommeil, c'est que l'évaporation dans les enfants se porte avec violence vers les parties supérieures; car, chez eux, elles sont toujours beaucoup plus développées que les parties inférieures, circonstance qui cause aussi chez ces petits êtres de fréquentes convulsions. Voilà encore pourquoi le vin ne vaut rien aux enfants, soit qu'ils le prennent directement, soit qu'ils le reçoivent indirectement par les nourrices qui les allaitent. Il ne faut pour eux rien qui provoque la congestion vers les parties supérieures, qui sont déjà si engorgées que c'est à peine si, à cinq mois, ils peuvent tourner le cou. Cette disposition est encore plus prononcée dans le fœtus, et c’est là ce qui fait qu'il reste immobile dans le sein de la mère. On peut remarquer en outre sur les gens qui ont la tête fort grosse et des formes de nains, qu'ils sont plus portés au sommeil que les autres. Même remarque pour les gens qui ont les veines étroites, parce que l'humidité n'y peut pas circuler assez aisément. Au contraire, ceux qui ont les vaisseaux larges et la circulation facile dorment peu, ainsi que les mélancoliques, dont le corps, toujours froid à l'intérieur, n'a qu'une évaporation peu abondante. De tous ces faits on peut tirer cette conclusion que le sommeil est une sorte de concentration de la chaleur à l'intérieur, et comme une répercussion ; les parties supérieures du corps se refroidissent, tandis que les parties inférieures et celles du dedans s'échauffent. Le sommeil peut donc être considéré comme une sorte de refroidissement de l'intérieur du corps ; et cette théorie n'est pas contredite, parce que certaines boissons chaudes provoquent le sommeil. La chaleur naturelle s'éteint alors en partie, comme le feu se ralentit au moment même où l'on met du bois dessus. Quoi qu'il en soit, c'est le cerveau qui est le siège principal du sommeil; le cerveau est la partie la plus froide du corps de l'animal. L'évaporation inférieure s'y refroidit et s'y condense, ainsi que les vapeurs élevées de la terre se refroidissent et se condensent dans les régions supérieures de l'air. Comme les veines qui environnent le cerveau sont les plus ténues et les plus étroites de tout le corps, le sang qui y arrive est aussi le plus léger et le plus pur; le sang le plus épais retombe; et c'est quand cette sécrétion est accomplie, que le sommeil vient à cesser. La nourriture ingérée n'a plus alors le poids qui provoquait d'abord le sommeil. En résumé, l'on peut dire que la cause qui fait dormir, c'est la répercussion énergique de la chaleur naturelle sur le principe sensible; le sommeil est l'enchaînement du principe sensible réduit à l'inactivité ; enfin le sommeil est indispensable à l'animal, qui ne peut se conserver et vivre que grâce au repos que le sommeil lui procure.

 

CHAPITRE I : Questions diverses qu'on peut se poser sur le sommeil et sur la veille, sur les rêves et sur la divination.

 

Le sommeil et la veille appartiennent à une même faculté ; à la sensibilité, qui est commune au corps et à l'âme. Le sommeil et la veille doivent se succéder alternativement. — L'activité ne peut être continuelle. Quelques exemples tirés de la physiologie comparée : volatiles, animaux aquatiques et terrestres, mollusques, insectes, etc. Tout animal dort, parce qu'il est sensible : les végétaux ne dorment pas, parce qu'ils n'ont que' la faculté nutritive, qui s'exerce mieux durant le sommeil.

 

 

§ 1. Étudions maintenant le sommeil et la veille. Quels sont ces deux phénomènes? Est-ce à l'âme qu'ils appartiennent en propre? Est-ce au corps? Ou bien sont-ils communs aux deux? Et s'ils sont communs à l'un et à l'autre, à quelle partie de l'âme et du corps appartiennent-ils ? Pourquoi les animaux ont-ils ces deux fonctions? Est-ce que tous les animaux possèdent les deux à la fois? Ou bien ceux-ci ont-ils l'une de ces facultés, tandis que ceux-là n'ont que l'autre? Y a-t-il des animaux qui ne jouissent d'aucune d'elles, tandis que d'autres les ont simultanément?

 

§ 2. On peut encore se demander ce que c'est que rêver; et pourquoi, dans le sommeil, tantôt on rêve, et tantôt on ne rêve pas. Ou bien doit-on croire qu'on rêve toujours quand on dort, et que seulement on ne s'en souvient pas? Et, s'il en est ainsi, quelle est la cause de cette continuité des rêves?

 

§ 3. De plus, peut-on découvrir l'avenir dans les songes? ou bien est-ce là une chose impossible ? Et si cela se peut, comment cela se peut-il ? Ne peut-on découvrir que l'avenir qui dépend des actions des hommes? ou peut-on découvrir aussi cet avenir qui n'a pour causes que la volonté des dieux et les phénomènes naturels, c'est-à-dire les phénomènes spontanés?

 

§ 4. D'abord il est de toute évidence que le sommeil et la veille appartiennent à la même partie de l'animal; car ces fonctions sont opposées l'une à l'autre, et le sommeil ne paraît qu'une sorte de privation de la veille : or les contraires, pour toutes les choses que ne fait pas la nature, aussi bien que pour celles qu'elle fait, paraissent toujours se produire dans un seul et même sujet qui les peut recevoir, et ils sont les affections d'un même être. On pourrait citer bien des exemples : ainsi, la santé et la maladie, la beauté et la laideur, la force et la faiblesse, la vue et la cécité, l'ouïe et la surdité.

 

§ 5. Voici bien encore ce qui démontre l'opposition du sommeil et de la veille : c'est que le même signe qui nous fait connaître que l'homme est éveillé, nous fait connaître aussi qu'il est dans le sommeil. Quand un homme conserve sa sensibilité, nous pensons qu'il est éveillé : nous pensons que tout être qui est éveillé a la sensation, soit de l'une des choses qui se passent au dehors, soit de l'un des mouvements qui s'accomplissent en lui. Si donc être éveillé ne consiste absolument qu'à sentir, on peut conclure évidemment que le principe qui fait que l'on sent, est aussi celui par lequel les animaux veillent quand ils veillent, et dorment quand ils dorment.

 

§ 6. Or, sentir n'appartient en propre ni à l'âme ni au corps, puisque l'acte se rapporte au principe auquel se rapporte la puissance, et que ce qu'on appelle la sensation en tant qu'acte, n'est qu'une espèce de mouvement que l'âme reçoit par le moyen du corps. Par conséquent l'on peut évidemment affirmer, et que l'affection de la sensibilité n'appartient pas en propre à l'âme toute seule, et qu'un corps sans âme ne peut sentir. Antérieurement, nous avons déterminé, dans d'autres ouvrages, ce qu'on doit entendre par les parties de l'âme ; nous y avons établi que la partie nutritive peut être séparée des autres dans les êtres qui ont la vie, tandis qu'aucune des autres ne peut exister là où celle-là n'est point. Par suite, il est clair que les êtres vivants qui n'ont en partage que les fonctions d'accroissement et de destruction, n'ont ni sommeil ni veille, par exemple les végétaux : c'est qu'ils n'ont pas la partie sensible de l'âme, qu'elle soit d'ailleurs séparable ou inséparable; car, par sa fonction et par son essence, elle est séparable.

 

§ 7. Pour la même raison, il n'est point d'animal qui dorme toujours, ni qui veille toujours. Mais ces deux facultés appartiennent toutes deux à la fois aux mêmes animaux; et tout animal qui est doué de sensation doit nécessairement et sans exception ou dormir ou veiller, puisque ces deux affections sont, relativement à la sensation, les deux seules que puisse avoir le principe sensible. Mais il n'est pas possible que l'une des deux s'exerce constamment dans un même animal, c'est-à-dire que telle espèce d'animal dorme toujours, ou que telle autre veille sans cesse.

 

§ 8. En outre, pour tous les organes qui ont quelque fonction naturelle à remplir, quand on dépasse le temps durant lequel ils peuvent satisfaire à cette œuvre, quelle qu'elle soit, il faut nécessairement qu'ils tombent dans l'impuissance : ainsi les yeux, fatigués de voir, cessent de voir; il en est de même de la main, et de tout autre organe qui accomplit quelque fonction. Mais si sentir est la fonction d'un organe quelconque, et si cet organe dépasse le temps durant lequel il était capable de sentir sans discontinuité, il tombera dans l'impuissance et n'exercera plus sa fonction. Que si la veille est caractérisée par le libre exercice de la sensibilité, et qu'il faille toujours que, des deux contraires, l'un soit présent et l'autre absent; si, en outre, la veille est le contraire du sommeil, et que de toute nécessité l'un ou l'autre doive se trouver dans tout animal, dormir sera une fonction indispensable.

 

§ 9. Si donc le sommeil est une affection de ce genre, c'est-à-dire une impuissance de continuer la veille qui a dépassé ses limites, que d'ailleurs cet excès de veille soit morbide ou ne le soit pas, et que l'impuissance et la suspension d'activité qui le suit le soit ou ne le soit pas ainsi que lui, ce n'en est pas moins une loi nécessaire que tout être qui veille puisse aussi dormir; car il est impossible d'être toujours en activité. Par le même motif, il n'est pas possible non plus qu'aucun être puisse toujours dormir. Le sommeil est une certaine affection du principe sensible, c'en est l'enchaînement et l'immobilité. Ainsi, nécessairement tout être qui dort doit posséder la partie sensible de l'âme; or, l'on n'appelle sensible que ce qui peut sentir en acte et réellement. Mais faire acte de sensation, au sens propre et absolu, est impossible quand on dort; voilà aussi pourquoi il faut nécessairement que tout sommeil puisse finir par le réveil.

 

§ 10. Presque tous les animaux, autres que l'homme, ont comme lui la faculté du sommeil ; et cela peut se voir, et dans les volatiles et dans les animaux aquatiques et terrestres. En effet, on a observé le sommeil de toutes les espèces de poissons et de mollusques, ainsi que de tous les autres animaux qui ont des yeux. Ceux qui ont les yeux durs comme les insectes dorment évidemment ainsi que les autres ; seulement, tous ces animaux dorment fort peu ; et voilà ce qui a fait souvent qu'on a pu douter pour plusieurs s'ils dorment ou s'ils ne dorment pas. Quant aux animaux recouverts de coquilles, on ne sait pas encore, par des observations directes, s'ils dorment réellement; mais l'on s'en tiendra, sur ce point, à l'explication qu'on en donne, si on la trouve plausible.

 

§ 11. On voit donc que tous les animaux, sans exception, ont la faculté du sommeil; et en voici les raisons. Le caractère essentiel de l'animal, c'est la sensibilité qui, seule, le détermine; et nous avons dit qu'en un certain sens le sommeil est comme l'enchaînement et l'immobilité de la sensibilité, et que la veille en est comme la délivrance et l'exercice. Or, les végétaux ne peuvent avoir en partage ni l'une ni l'autre de ces deux affections, puisque sans la sensibilité il n'y a ni sommeil ni veille. Les animaux qui sont doués de sensibilité pourront aussi éprouver les sentiments de peine et de plaisir, et ceux qui ont ces deux ordres de sentiments ont aussi le désir; or, dans les végétaux ne se trouve rien de tout cela. De plus, la preuve que durant le sommeil la partie nutritive de l'âme accomplit son œuvre bien mieux que pendant la veille, c'est que durant le sommeil les êtres se nourrissent et s'accroissent bien davantage, comme s'ils n'avaient aucun besoin, dans ces deux fonctions, du secours de la sensibilité.

 

 

CHAPITRE II : Explication de la cause du sommeil et de la veille

 

Quel est le sens que ces fonctions modifient ? Le toucher est accordé à tous les animaux, et il est séparable des antres sens, qui sont inséparables de lui : le sens commun, qui concentre les perceptions de tous les autres sens, est surtout celui qu'affecte le sommeil ; et ce sens étant réduit à l'inactivité, tous les autres deviennent impassibles et inactifs comme il le devient lui-même. La cause du sommeil est le besoin indispensable de repos et de réparation qu'éprouvent tous les animaux régulièrement organisés. Le sommeil affectant le principe sensible, il se rapporte au lieu même où résident le principe de la sensibilité et celui du mou- ment, qui se confond en lui : ce lieu est le cœur : organisation des animaux suivant qu'ils ont ou n'ont pas de sang.

 

 

§ 1. Voyons maintenant quelle est la cause qui fait qu'on dort et qu'on veille, et quel est le sens ou quels sont les sens, s'il y en a plusieurs, auxquels se rapportent ces fonctions.

 

§ 2. D'abord, s'il y a certains animaux qui possèdent tous les sens, et s'il en est d'autres qui soient privés de quelques sens, par exemple de la vue et de l'ouïe, tous ont le toucher et le goût, en exceptant toujours les animaux incomplets. C'est ce dont on a déjà parlé dans le Traité de l'Ame. Or, il est impossible que l'animal qui dort sente véritablement par aucun de ses sens ; et il est aisé de se convaincre que nécessairement cette disposition est bien celle de tous les animaux, dans cet état qu'on appelle le sommeil; car, si alors l'animal sentait par tel sens et ne sentait pas par tel autre, il aurait la sensation même de cet état quand il dort, et c'est ce qui est impossible.

 

§ 3. Mais d'autre part, chaque sens remplit à la fois une fonction spéciale et une fonction commune. La fonction spéciale à la vue c'est de voir, à l'ouïe d'entendre; et de même pour les autres sens. Mais il y a de plus une faculté commune qui accompagne tous les sens, laquelle tout ensemble voit, entend et sent. Ainsi, ce n'est certainement pas par la vue qu'on voit que l'on voit. Certes si l'on juge, et si l'on peut juger que les saveurs douces sont autres que les couleurs blanches, ce n'est pas par le sens du goût ni par celui de la vue, ni même par les deux réunis; c'est uniquement par une certaine partie de l'âme commune à tous les organes sans exception ; car alors la sensation est une, et l'organe qui domine tous les autres est un. Ce qui n'empêche pas que l'essence de chaque genre de sensation ne soit différente, et que l'essence du son, par exemple, ne soit autre que celle de la couleur.

 

§ 4. Or, cette fonction générale est simultanée, surtout au toucher, parce que ce sens peut être séparé de tous les autres, tandis que les autres sont inséparables de celui-là. C'est ce qui a été expliqué dans nos Études sur l'Ame. Il est donc évident que le sommeil et la veille sont des affections de ce sens. Et voilà aussi pourquoi ils appartiennent à tous les animaux; car il n'y a que le toucher qui soit commun à tous. En effet, si le sommeil avait lieu par suite d'une certaine modification dans l'un des organes des sens, il serait absurde que des sens qui ne doivent point nécessairement, ni même ne peuvent en aucune façon agir ensemble, dussent nécessairement cesser d'agir ensemble et rester dans une immobilité commune. Le contraire serait bien plus naturel, et la raison concevrait bien mieux qu'ils ne pussent être en repos à la fois.

 

§ 5. L'explication que nous donnons ici n'est pas moins raisonnable, même à ce point de vue. En effet, quand le sens qui domine tous les autres et auquel tous les autres aboutissent, vient à éprouver quelque affection, il est tout simple que tous les autres, sans exception, doivent l'éprouver avec lui, tandis que quand l'un d'eux, au contraire, vient à défaillir, il ne faut pas du tout nécessairement que celui-là souffre la même défaillance. Bien des faits peuvent prouver que le sommeil ne consiste pas précisément en ce que les sens cessent d'agir et refusent leur service, ni dans l'impuissance où ils sont alors de sentir. Ainsi, il en arrive tout autant dans les évanouissements; car l'évanouissement consiste dans l'impuissance des sens; et il y a aussi quelques dérangements d'esprit qui produisent le même effet. On peut ajouter que ceux qui sont saisis par les veines du cou deviennent également insensibles. Mais quand cette impuissance à faire usage de ses sens n'affecte point seulement un organe quelconque, et n'est point amenée par une cause fortuite, mais que comme on le dit ici, elle réside dans le principe même qui nous sert à tout percevoir, du moment que ce principe est réduit à l'impuissance, il y a nécessité que tous les autres organes des sens cessent également de pouvoir sentir. Au contraire quand c'est seulement l'un d'eux qui cesse d'agir, il ne faut pas nécessairement que celui-là cesse aussi ses fonctions.

 

§ 6. Il faut expliquer maintenant la cause qui détermine le sommeil, et la nature de cette affection.

 

§ 7. Mais, d'abord, on distingue plusieurs espèces de causes. Ainsi, la fin en vue de laquelle se fait une chose, puis le principe d'où part le mouvement, en troisième lieu, la matière, et enfin l'essence, sont pour nous autant de causes distinctes. Nous disons donc d'abord que la nature agit toujours en vue de quelque fin, et que cette fin est toujours un bien. Mais pour tout ce qui a naturellement un mouvement, sans d'ailleurs pouvoir conserver ce mouvement toujours et continuellement, le repos est nécessairement agréable et utile; et c'est avec toute vérité que l'on applique cette métaphore au sommeil qu'on regarde comme un repos et un délassement. Par conséquent, le sommeil est donné aux animaux en vue de leur conservation. Mais la fin en vue de laquelle le sommeil a lieu, c'est la veille ; car, sentir et penser est la fin véritable de tous les êtres qui ont l'une ou l'autre de ces facultés, parce qu'elles sont leur plus grand bien, et que la fin de chaque être est toujours son bien le plus grand. Ainsi il faut nécessairement que la fonction du sommeil appartienne à tout animal sans exception.

 

§ 8. Je dis : Nécessairement, en faisant l'hypothèse que si l'animal a bien la nature qui lui est propre, alors nécessairement il faut qu'il soit doué de certaines facultés, et que du moment qu'il a ces facultés, il faut aussi qu'il en ait certaines autres.

 

§ 9. Nous dirons plus tard quel mouvement et quelle action sont indispensables dans le corps des animaux pour les fonctions de la veille et du sommeil. Quant aux animaux qui n'ont pas de sang, on doit supposer que les causes de cette affection sont chez eux les mêmes que chez ceux qui ont du sang, ou du moins que, si elles ne sont pas identiques, elles sont analogues. Pour les animaux qui ont du sang, elles doivent être les mêmes que chez l'homme. C'est donc par l'observation de ces derniers êtres que nous devons expliquer tout le reste.

 

§ 10. Que le principe de la sensibilité vienne, dans les animaux, de la même partie d'où leur vient le principe du mouvement, c'est ce que nous avons établi antérieurement ailleurs. Le corps ayant trois lieux déterminés, le principe est le lieu central, situé entre la tête et le bas-ventre. Dans les animaux qui ont du sang, c'est la partie qui environne le cœur; car tous les animaux qui ont du sang ont un cœur, et c'est de là que part le principe du mouvement et de la sensibilité supérieure. Il est évident que c'est là qu'est placé, outre le principe du mouvement, le principe de la respiration, ou, d'une manière générale, celui du refroidissement.

Aussi les êtres qui respirent, et ceux qui sont refroidis par l'eau ont-ils été organisés par la nature de façon à pouvoir conserver la chaleur qui est dans cette partie. Du reste, nous parlerons plus tard de ce principe considéré en lui-même. Pour les animaux qui n'ont pas de sang, les insectes, et ceux qui ne reçoivent pas l'air, il semble que le souffle, qui est inné à leur nature, s'enfle et s'abaisse dans la partie correspondante de leur organisation : c'est ce qu'on peut observer dans les insectes à ailes pleines, comme les guêpes, les abeilles, les mouches et autres animaux de ce genre.

 

§ 11. Mais il est impossible qu'un mouvement ou une action s'exécute sans une certaine force; or, retenir son souffle donne de la force, soit que ce souffle vienne du dehors, comme dans les animaux qui reçoivent l'air au dedans d'eux, ou qu'il soit intérieur et congénial, comme dans ceux qui ne respirent pas. Voilà aussi, à ce qu'il semble, pourquoi les insectes ailés bourdonnent quand ils se meuvent; c'est le bruit de l'air qui se brise en tombant sous le corselet des insectes à ailes pleines.

 

§ 12. Mais l'animal ne se meut jamais que parce qu'il a éprouvé dans le principe sensible une sensation, qui d'ailleurs peut lui être propre ou lui être étrangère. Si donc le sommeil et la veille sont des affections de cette partie, on voit clairement quels sont le lieu et la partie dans lesquels se produisent primitivement le sommeil et la veille.

 

§ 13. Il y a quelques gens qui, en dormant, se meuvent et font beaucoup d'actes propres à la veille ; mais ce n'est jamais sans image et sans quelque sensation; car le rêve est bien une sorte de perception. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

 

§ 14. Nous avons expliqué aussi dans nos Problèmes comment il se fait qu'on se souvient des songes quand on est éveillé, bien qu'on ne se rappelle pas toujours les actes faits pendant la veille.

 

 

CHAPITRE III : Conditions physiologiques du sommeil

 

Le sommeil se rapporte à la nutrition, et vient de l'évaporation intérieure produite par les aliments : somnolence après les repas : effets des narcotiques, de la fatigue et de certaines maladies : disposition de l'enfance aux longs sommeils : action du vin sur les enfants : constitutions plus ou moins portées au sommeil : les mélancoliques. Dans le sommeil, la chaleur naturelle se concentre à l'intérieur : disposition du cerveau : ses rapports avec l'action du cœur et le mouvement du sang. Résumé de ce Traité.

 

 

§ 1. Une suite de ce qui précède, c'est d'étudier les circonstances qui accompagnent le sommeil et la veille, et de voir quel est le principe de cette affection.

 

§ 2. II est d'abord de toute évidence que l'animal, dès qu'il a la sensibilité, doit nécessairement prendre de la nourriture, et par la nourriture, son accroissement. Dans tous les animaux qui ont du sang, c'est la nature du sang qui est en définitive ce qui les nourrit; et dans les animaux qui n'ont pas de sang, c'est le fluide qui correspond au sang. Le lieu du sang ce sont les veines; et le principe des veines, c'est le cœur. On peut bien s'en convaincre par l'Anatomie. Dès que les aliments arrivent du dehors dans les lieux propres à les recevoir, il y a évaporation dans les veines; là les aliments subissent un changement qui les convertit en sang, et ils se dirigent vers le principe [c'est-à-dire vers le cœur]. On a expliqué tout cela dans le Traité de la Nourriture. Mais, ici, il ne faut résumer nos explications à ce sujet, que pour bien faire voir quels sont les principes du mouvement, et quelle est la modification que doit éprouver la partie sensible de l'âme, pour que le sommeil et la veille puissent avoir lieu.

 

§ 3. En effet, le sommeil n'est pas, je le répète, une impuissance quelconque de sentir; la folie, la suffocation et l'évanouissement peuvent amener une impuissance de ce genre ; quelquefois même l'imagination subsiste encore avec toute sa vivacité chez ceux qui éprouvent une syncope. Ceci offre donc quelque difficulté ; car s'il est possible de dire qu'on dort quand on est évanoui, il se pourrait aussi que l'image vue dans cet état fût un rêve. Or il y a beaucoup de choses racontées par ceux qui ont éprouvé de ces longs évanouissements, et qui semblaient être morts ; et tous ces accidents doivent être rapportés à une même explication.

 

§ 4. Mais comme nous l'avons dit, le sommeil n'est pas toute impuissance quelconque de la sensibilité; cette affection ne vient que de l'évaporation que produit la nourriture. Il faut que tout ce qui s'évapore monte jusqu'à un certain point, puis revienne en sens contraire, et subisse un changement comme les flots de l'Euripe; or, la chaleur qui est dans chaque animal, se porte naturellement à la partie supérieure ; et une fois arrivée aux parties les plus hautes, alors elle retombe en masse et se dirige en bas. Voilà pourquoi le sommeil vient surtout après les repas ; car, à ce moment, l'humidité qui est considérable et fort épaisse, est portée en haut; et, s'y arrêtant, elle alourdit et fait sommeiller. Puis, quand elle redescend, et qu'en rétrogradant elle chasse la chaleur, alors vient le sommeil, et l'animal s'endort.

 

§ 5. L'effet des narcotiques prouve bien ce que nous avançons. Tous les narcotiques donnent des pesanteurs de tête, ceux qu'on boit comme ceux qu'on mange : le pavot, la mandragore, le vin, l'ivraie; frappés de vertiges et tout endormis, on voit alors les gens qui en ont pris ne pouvoir relever la tête ni ouvrir les paupières; et c'est surtout après le repas qu'on est saisi de ce sommeil pesant, parce que l'évaporation qui vient alors des aliments est considérable.

 

§ 6. Parfois encore, le sommeil arrive à la suite de certaines fatigues; car l'effet de la fatigue, c'est de relâcher le corps et de le liquéfier; et tout relâchement est une sorte d'indigestion, à moins qu'il ne soit froid. Il y a encore certaines maladies qui produisent le même effet, celles qui viennent d'un excès d'humide et de chaud ; et c'est ce qu'on observe dans la fièvre et dans les léthargies.

 

§ 7. La première enfance est sujette aussi à ce lourd sommeil ; car les enfants dorment beaucoup, parce que toute la nourriture se porte en haut ; et ce qui le prouve bien, c'est que dans le premier âge la grandeur des parties supérieures l'emporte de beaucoup sur les parties inférieures, parce que c'est surtout vers le haut du corps que se fait le développement.

 

§ 8. Telle est également la cause qui les rend épileptiques ; le sommeil, en effet, ressemble à l'épilepsie, et dans un certain sens, c'est une épilepsie réelle. Il ne faut donc pas s'étonner que fort souvent cette affection commence durant le sommeil, et que l'accès ait lieu quand on dort et qu'il cesse avec le réveil. En effet, quand l'air, après s'être porté en haut en quantité considérable, redescend ensuite, il gonfle les veines, et rétrécit l'ouverture par où la respiration a lieu.

 

§ 9. Voilà aussi pourquoi le vin ne vaut rien aux enfants, non plus qu'à leurs nourrices; car que ce soient les enfants eux-mêmes ou les nourrices qui en boivent, cela revient à peu près au même. Il faut que les enfants boivent le vin trempé de beaucoup d'eau et en petite quantité, parce que le vin est spiritueux, et surtout le vin de couleur foncée. Les parties supérieures du corps chez les enfants sont tellement pleines de nourriture que même à cinq mois ils ne peuvent pas encore tourner le cou. C'est que chez eux, de même que chez les gens qui sont tout à fait ivres, une quantité énorme d'humidité se porte en haut.

 

§10. C'est là très-probablement aussi ce qui fait que les fœtus restent d'abord immobiles dans le sein de la mère. Voilà encore pourquoi, en général, les gens les plus portés au sommeil sont ceux qui ont de petites veines, et ceux qui sont conformés- dans le genre des nains et qui ont de très-grosses têtes. Chez les premiers, en effet, les veines sont tellement étroites que l'humidité qui redescend ne peut facilement y circuler, de même que chez ceux qui sont conformes comme les nains et ont la tête très-forte, l'impulsion vers le haut et l'évaporation sont très violentes. Au contraire, ceux qui ont de larges veines ne sont pas dormeurs, parce que la circulation est très- facile dans leurs vaisseaux, à moins qu'ils n'aient quelque autre affection qui la trouble.

 

§11. Les mélancoliques ne sont pas non plus très-dormeurs, parce que l'intérieur de leur corps est toujours froid, et que par conséquent il n'y a pas chez eux une évaporation abondante. C'est là également ce qui les rend grands mangeurs et leur donne une chair dure ; car leur corps est toujours comme s'il ne pouvait rien absorber. C'est que la bile noire étant froide de sa nature, rend froide comme elle le lieu où se fait la nutrition, et les autres parties, où devrait pouvoir s'opérer l'excrétion.

 

§ 12. Il résulte donc évidemment de ce qui précède que le sommeil est une sorte de concentration de la chaleur au dedans, et une répercussion qui tient à la cause qu'on a dite. Voilà aussi pourquoi on se remue beaucoup dans le sommeil. Du moment qu'on commence à perdre connaissance, on se refroidit, et par suite de ce refroidissement les paupières s'abaissent; ce sont les parties supérieures et celles du dehors qui deviennent froides; mais les parties intérieures et celles d'en bas sont chaudes; par exemple, les pieds et le dedans du corps.

 

§ 13. On pourrait cependant demander ici pourquoi le sommeil est plus fort après le repas, et pourquoi le vin et toutes les substances de ce genre qui ont beaucoup de chaleur, provoquent le sommeil. Il semble contradictoire d'avancer que le sommeil soit un refroidissement, et de soutenir que les choses qui causent le sommeil soient chaudes. Doit-on dire que, de même que quand l'estomac est vide, il est chaud, et que la réplétion le refroidit par le mouvement qu'elle lui donne, de même aussi les pores et les lieux divers qui sont dans la tête sont refroidis quand l'évaporation s'y porte? Ou bien, doit-on dire que, comme le frisson saisit tout à coup ceux qui boivent une boisson chaude, de même ici la chaleur venant à monter, le froid qui se concentre refroidit le corps, et réduit à l'impuissance la chaleur naturelle qu'il chasse ?

 

§ 14. Cet effet se produit encore quand la nourriture ingérée en quantité considérable est soulevée par la chaleur; c'est alors comme le feu au moment où l'on met du bois dessus ; et cet effet dure jusqu'à ce que la nourriture ait été digérée. C'est que le sommeil a lieu, ainsi qu'on l'a déjà dit, quand une évaporation trop matérielle est portée par la chaleur au travers des veines jusqu'à la tête. Mais, quand la masse ainsi soulevée ne peut plus monter parce qu'elle est trop considérable, elle se trouve alors repoussée en sens contraire, et elle coule en bas.

 

§ 15. Voilà comment les hommes se couchent, quand la chaleur qui poussait en haut vient à être soustraite; car l'homme est le seul des animaux qui se tienne debout; et du moment que la chaleur retombe, on perd connaissance, et bientôt c'est l'imagination toute seule qui agit. Les explications que l'on vient de donner ici paraîtront-elles suffisantes pour rendre compte de la cause du refroidissement?

 

§ 16. Quoi qu'il en soit, c'est bien toujours le lieu du cerveau qui est le siège principal du sommeil, comme on l'a dit ailleurs. Le cerveau est tout ce qu'il y a de plus froid dans le corps; et dans les animaux qui n'ont pas de cerveau, c'est la partie qui le remplace. De même donc que l'humide vaporisé par la chaleur du soleil, en arrivant à la région supérieure, s'y refroidit par le froid qu'il y trouve, et se condensant retombe de nouveau sous forme d'eau, de même dans le mouvement d'ascension de la chaleur au cerveau, l'évaporation des excrétions se tourne en humeur flegmatique; et c'est là aussi pourquoi l'on voit les catarrhes venir de la tête; tandis que l'évaporation qui est capable de nourrir le corps et qui n'a rien de morbide, est portée en bas quand elle s'est condensée, et y tempère la chaleur.

 

§ 17. Ce qui aide encore à ce refroidissement et contribue à ce que l'évaporation ne pénètre pas trop aisément, c'est la ténuité et l'étroite dimension des veines qui entourent le cerveau ; c'est donc là ce qui est cause du refroidissement malgré l'excessive chaleur de l'évaporation. Mais on se réveille quand la chaleur, qui, sortant abondamment de toutes les parties environnantes a été resserrée en un petit espace, est digérée et qu'elle est devenue dominante; et alors aussi, la partie la plus substantielle et la plus pure du sang est sécrétée. Le sang qui est dans la tête est le plus léger et le plus pur, tandis que le plus épais et le plus bourbeux est celui qui est dans les parties inférieures; et c'est le cœur qui, comme on l'a dit soit ici soit ailleurs, est le principe de tout le sang.

 

§ 18. Quant aux parties qui sont dans le cœur, la veine médiane est commune aux deux ventricules; et chacun d'eux reçoit le sang de l'une et l'autre veine, c'est-à-dire, et de celle qu'on appelle la grande veine et de l'autre ; et la sécrétion du sang a lieu dans la veine médiane. Mais ces détails appartiennent plus spécialement à d'autres études.

 

§ 19. C'est parce que la sécrétion du sang est beaucoup moins facile après l'ingestion de la nourriture que le sommeil survient; et il a lieu jusqu'à ce que la partie la plus légère du sang se sépare et aille en haut, et que la partie la plus bourbeuse se précipite en bas. Quand cette séparation est accomplie, on s'éveille délivré du poids de la nourriture.

 

§ 20. Telle est donc la cause qui fait dormir : c'est la répercussion énergique sur le principe sensible de l'élément substantiel porté en haut par la chaleur naturelle. Nous savons aussi ce qu'est le sommeil : c'est l'envahissement du principe sensible réduit à ne plus pouvoir agir. Enfin, nous savons que cette fonction est nécessaire, parce que l'animal ne peut vivre sans les conditions qui le constituent; et le sommeil lui est indispensable pour sa conservation, parce que c'est le repos qui le conserve.