ARISTOTE

LETTRE A ALEXANDRE SUR LE MONDE


 

 TRADUCTION DE BATTEUX, REVUE ET CORRIGEE, A PARIS, CHARPENTIER, ÉDITEUR, 29, CHEZ LEFÈVRE, ÉDITEUR, RUE DE L'EPERON, N° 6 CHEZ CHARPENTIER, EDITEUR, RUE DE SEINE N° 29, 1843.

 

ARISTOTE_ 1

LETTRE A ALEXANDRE SUR LE MONDE_ 1

AVANT-PROPOS_ 1

CHAPITRE I. Éloge de la philosophie, et surtout de celle qui a pour objet le système du monde. 3

CHAPITRE II. Du monde céleste, de ses parties, et des astres. 4

CHAPITRE III. Nature de la terre et de l'eau, et leurs positions. 5

CHAPITRE IV. Des principaux phénomènes de la terre, de l'eau et de l'air. 6

CHAPITRE V. Pourquoi le monde ne se détruit point, étant composé de principes contraires. 9

CHAPITRE VI. De la cause qui contient tous les êtres. 10

CHAPITRE VII. Des noms de Dieu. 14

NOTES_ 15

 

AVANT-PROPOS

La lettre d'Aristote à Alexandre, intitulée Περὶ Κόσμου, a été le sujet d'une longue discussion parmi les savants modernes. Quelques-uns prétendent que cette lettre n'est pas d'Aristote, d'autres soutiennent qu'elle ne peut être que de lui.

On prouve que l'ouvrage est d'Aristote : d'abord par des autorités anciennes. Stobée,qui en cite de grands morceaux; le donne à ce philosophe. Le rhéteur Démétrius le présente comme une preuve de l'éloquence d'Aristote. Apulée l'a traduit, en déclarant que c'est la philosophie d'Aristote et de Théophraste. Saint Justin dit que c'est un abrégé de la philosophie, adressé à Alexandre par Aristote. Enfin Philoponus, dans ses écrits contre Proclus, cite deux fois cet ouvrage sous le nom d'Aristote.

Aux autorités anciennes on joint celles de plusieurs modernes; celle de Pierre Petit, qui en a fait un sujet de dissertation dans ses Mélanges; celle de Pfeiffer, d'Elmenhorst, d'Olaus Vormius, de Langius, de Bonaventura Vulcanius ; celui-ci, entre autres, ne peut concevoir qu'un ouvrage si beau ait pu sortir que de celui qui a été surnommé le Génie de la nature.

A ces autorités on joint les preuves de raisonnement. Il contient, dit-on, la vraie doctrine d'Aristote dans tous ses points. On le prouve par le détail ; et si le style y parait différent de celui des autres ouvrages d'Aristote, c'est que le cas où il était, et le genre, étaient différents.

A la tète de ceux qui prétendent que le livre n'est point d'Aristote, on voit Muret, à qui la preuve tirée du style paraît une démonstration; ensuite les deux Scaliger, Casaubon, Saumaise, Ménage, Vossius, Simon Portius, qui donnent cet écrit ou à Théophraste, ou à Nicolas de Damas, ou à Anaximène de Lampsaque, contemporain d'Alexandre, ou même au stoïcien Posidonius (ce qui serait toujours un ouvrage précieux et de grande autorité). A tous ces critiques célèbres se joint Daniel Heinsius, qui seul vaut tous les autres, parce qu'il rassemble tout ce qu'ils ont dit, et qu'il attaque en règle, et se défend de même. Apulée, dit-il, nomme Aristote et Théophraste ; par conséquent l'ouvrage n'est ni de l'un ni de l'autre. Saint Justin parle d'un Abrégé de la Philosophie ; ce qui ne peut convenir au livre de Mundo. Aristote fait le monde éternel ; l'auteur du livre en fait l'ouvrage de Dieu. Aristote n'étend la Providence que jusqu'à la lune; ici elle descend jusqu'à la terre. On y parle de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, qui n'étaient point connues avant César; on nomme la Taprobane, qu'Alexandre a fait connaître aux Grecs. Il y a un prologue : Aristote n'en a jamais mis à aucun de ses ouvrages. Simplicius dit que quiconque veut savoir la théorie du monde, telle qu'Aristote l'a donnée, il la trouvera dans sa Physique , ou dans Nicolas de Damas. Eût-il parlé de la sorte, s'il eût connu le livre de Mundo comme d'Aristote? Ammonius fournit un argument à peu près semblable, quand il cite un passage court et maigre des Acroamatiques, pour prouver qu'Aristote connaissait le monde supérieur. Pourquoi aller chercher si loin une goutte d'eau trouble, tandis qu'il aurait eu dans le livre de Mundo une source si abondante? Qu'à ces caractères de supposition, tirés du fond des choses , on joigne ceux qu'on peut tirer de la forme. Où est cette méthode si précieuse à Aristote, lorsqu'il divise ses matières? Où est ce style austère, qui n'est que nerf ; cette précision géométrique, cette majestueuse obscurité qui repousse les ignorants? Que signifient ces phrases ambitieuses, ces comparaisons poétiques, qui décèlent le rhéteur, ou tout au plus le pythagoricien, ivre de l'enthousiasme de son école? D'où Heinsius conclut que cet ouvrage a été attribué à Aristote par quelqu'un qui aura eu besoin d'un plus grand nom que le sien, pour faire valoir sa production ; et que le nom d'Alexandre , à qui on l'adresse, n'est qu'une ruse pour accréditer l'erreur, ou bien que c'est quelque autre Alexandre que le conquérant de l'Asie. Telles sont les raisons d'Heinsius. Fabricius les avait vues et évaluées; et cependant il dit qu'il est clair et évident que l'ouvrage est d'Aristote.

Nous rappellerons ici les circonstances qui furent probablement l'occasion de cet ouvrage.

Tout le monde sait qu'Aristote ayant soutenu l'éternité du monde, formé, selon lui, par les qualités physiques de ses principes composants, et non par l'action de la divinité, ne faisait point descendre la Providence jusqu'au monde sublunaire. Selon toute apparence, elle n'était pas même dans le ciel, puisque, suivant les principes de ce philosophe , elle y était aussi oisive que sur la terre. Par ce seul mot, il avait renversé les temples etles autels, et troublé le peuple dans la possession de ses idées les plus chères. Les choses allèrent si loin, que bientôt après, Aristote fut obligé de se réfugier àChalcis, de peur, disait-il, que la superstition ne commît un nouvel attentat contre la philosophie, faisant allusion, ditÉlien, à la ciguë de Socrate.

Aristote était vieux, revenu par conséquent de cette petite gloire qu'on peut acquérir dans les disputes philosophiques. La question était profonde et abstruse ; il l'avait sondée assez longtemps pour avoir senti qu'elle avait des côtés impénétrables à l'esprit humain. Supérieur à tous ses rivaux, à la tête et au-dessus de tout ce qu'il y avait de gavants et de beaux esprits dans son siècle, que lui restait- il à desirer? de passer sans trouble ses derniers jours, et de mourir en paix dans le sein de sa patrie et de la philosophie. Il avait des ennemis. On l'avait menacé. On le croyait mal avec Alexandre, depuis l'aventure de Callis- thène son ami et son disciple. Dans ces circonstances, que devait faire le courtisan le plus délié de son siècle, qui connaissait le mieux les hommes, et surtout les princes?

Alexandre était aux extrémités de l'Asie. Quoique Aristote ne pût manquer d'avoir le cœur ulcéré contre lui, il avait le plus grand intérêt de ménager un prince tout-puissant, qui avait fait mourir ceux qui lui avaient rendu le plus de services. Alexandre, de son côté, ne devait pas être fâché que les dehors fussent conservés. Les relations subsistaient donc toujours. Aristote continuait de lui rendre compte de ses travaux philosophiques, auxquels, comme on sait, Alexandre fournissait matière. Quoi de plus simple, dans ces circonstances, que d'adresser au conquérant de l'Asie une lettre, apologétique dans le fond, philosophique dans la forme, pour produire à la fois les trois effets dont il avait besoin : le premier, de montrer à Alexandre, qu'il avait toujours toute confiance en lui; le second, de montrer à ses ennemis, qu'il avait toujours dans Alexandre un protecteur et un appui ; le troisième, de donner aux prêtres et au peuple une espèce de satisfaction, pour éteindre ou amortir leur ressentiment.

Le plan de cette lettre était simple comme l'idée. Il fallait : 1°. que le sujet en fût philosophique; 2°. que les parties de ce sujet fussent tellement disposées, qu'elles conduisissent l'auteur à s'expliquer sur la nature de la divinité et sur son influence dans le monde sublunaire; 3°. que ce dernier article fût traité d'un style populaire, c'est-à-dire brillant, éclatant, plus fort d'images et de mots, que de choses; 4°. que les expressions y fussent ménagées de manière qu'elles conciliassent extérieurement la doctrine du philosophe avec la croyance populaire, sans toutefois le mettre réellement en contradiction avec lui-même Qu'on relise l'ouvrage dans ce nouveau point de vue , on y reconnaîtra tous ces caractères; on verra que tout se porte comme de soi-même à ce but ; et alors la plupart des objections d'Heinsius tombent comme d'elles-mêmes.

Les observations qui précèdent appartiennent toutes à l'abbé Batteux, traducteur de la Lettre à Alexandre, et dont nous publions ici la traduction, mais revue et corrigée avec le plus grand soin par M. Hoefer, sur les meilleures éditions modernes.

Avant Batteux, cette lettre avait été jtraduite en français par Louis Meigret, grammairien célèbre du seizième siècle, mais cette traduction, devenue très rare, est loin de représenter l'original, et nous ne la citons ici que pour mémoire; cette lettre fut publiée à Paris, en 1541, par Denys Janot, libraire et imprimeur; elle porte ce titre : le livre du Monde, faict par Aristote et envoyé à Alexandre le Grand, traduit en françoys par Loys Meigret; un petit volume in-18 de trente-cinq feuillets.

L. A.

 

 

CHAPITRE I. Éloge de la philosophie, et surtout de celle qui a pour objet le système du monde.


 

1. Je me suis dit souvent en moi-même, ô Alexandre, que la philosophie est quelque chose d'essentiellement surnaturel et de divin , surtout dans cette partie où, s'élevant à la contemplation absolue des êtres, elle s'efforce de connaître leur essence intime.

2. Tandis que les autres sciences redoutaient la grandeur et lu sublimité de l'entreprise, la philosophie n'en a montré que plus d'ardeur pour se livrer à la contemplation des êtres, comme à l'étude la plus noble et la plus digne d'elle-même. Puisqu'il n'est point permis à notre corps de quitter la terre, et de s'élever dans le séjour céleste, comme le tentèrent autrefois les Aloides insensés; que notre âme du moins, guidée par la philosophie, prenne l'essor, et voyage dans ces régions immenses. Trouvant une route facile, elle embrasse par sa capacité les points les plus distants et comprend aisément les objets d'une origine commune ; c'est un être divin qui va reconnaître les choses divines, pour les révéler aux mortels ; car ce fut toujours sa mission, d'acquérir des lumières et de les communiquer au genre humain.

3. Qui osera comparer à de si hautes connaissances, ces détails, où l'on s'occupe de la figure d'une ville, du cours d'une rivière? l'on décrit la beauté de la nature d'une localité, d'une montagne, telle que l'Ossa, le Nyssa, ou l'antre de Corycée, ou tels autres objets qui rabaissent l'âme de ceux qui les admirent et qui s'enorgueillissent de ces petites recherches? S'ils eussent jamais porté leurs regards sur l'univers et sur les grandes choses qu'il renferme, ce spectacle les eût ravis, et le reste leur eût paru trop petit pour daigner s'y arrêter.

4. Nous allons essayer aussi de toucher ces grandes matières, et de pénétrer, autant qu'il nous sera permis, dans ce sanctuaire de la divinité, pour y reconnaître la nature, les positions, les mouvements des êtres.

Il vous appartient, Alexandre, comme au plus grand des souverains, de connaître ce qu'il y a de plus grand dans les sciences, d'élever vos pensées aussi haut que la philosophie, et d'enrichir de ses dons les princes qui vous environnent.


 

CHAPITRE II. Du monde céleste, de ses parties, et des astres.

 


 

1. Le monde est un composé du ciel et de la terre, et de tous les êtres qu'ils renferment. On le définit encore : l'ordre et l'arrangement de toutes choses, maintenu par l'action et à cause de la divinité.

2. Il y a dans le monde un centre fixe et immobile. C'est la terre qui l'occupe; mère féconde, foyer commun des animaux de toute espèce. Au-dessus d'elle est l'air, qui l'environne de toutes parts. Dans la région la plus élevée, est la demeure de la divinité, qu'on nomme le ciel. Il est rempli des corps divins, que nous appelons astres, et qui se meuvent avec lui dans un cercle éternel, par la même révolution, sans interruption et sans fin.

3. Le ciel et le monde étant sphériques, et se mouvant sans fin, comme on vient de le dire, il est nécessaire qu'il y ait deux points fixes à l'opposite l'un de l'autre, comme dans un globe qui se meut sur un tour, et que ces points soient immobiles, pour contenir la sphère lorsque le monde tourne sur eux (1). On les nomme pôles. Si on conçoit une ligne droite tirée de l'un de ces points à l'autre, on aura l'axe, diamètre du monde, ayant la terre au milieu, et les deux pôles aux extrémités, de ces deux pôles fixes, l'un au nord, est toujours visible sur notre horizon ; c'est le pôle arctique ; l'autre , au midi, reste toujours caché au-dessous de la terre, c'est l'antarctique.

4. La substance du ciel et des astres se nomme éther : non qu'elle soit ignée comme l'ont prétendu quelques-uns (2), faute d'avoir considéré sa nature , bien différente de celle du feu ; mais parce qu'elle se meut sans cesse circulairement, étant un élément pur, divin et tout différent des quatre autres.

5. Des astres qui sont contenus dans le ciel, les uns sont fixes, tournant avec le ciel, et conservant toujours entre eux les mêmes rapports ; au milieu d'eux est le cercle appelé zoophore, qui s'étend obliquement d'un tropique à l'autre, et se divise en douze signes. Les autres sont errants (3), et ne se meuvent ni avec la même vitesse que les premiers , ni avec la même vitesse entre eux, mais tous tournent dans différents cercles, et selon que ces cercles sont plus proches ou plus éloignés de la terre.

6. Quoique tous les astres fixes se meuvent à la même surface du ciel, aucun homme n'en saurait déterminer le nombre. Quant aux astres errants, il y en a sept, qui se meuvent chacun dans autant de cercles concentriques; de manière que le cercle d'au- dessus est plus grand que celui d'au-dessous, et que les sept, renfermés les uns dans les autres, sont tous environnés de la sphère des fixes.

7. Immédiatement au-dessous des fixes, est le cercle du Phénon ou Saturne (4) ; ensuite vient celui du Phaéton , ou Jupiter; celui du Pyroïs, surnommé l'astre d'Hercule, ou de Mars ; le Stilbon, que quelques-uns ont consacré à Mercure et d'autres à Apollon ; puis le Phosphore, que l'on attribue à Junon ; ensuite le soleil, et enfin la lune, après laquelle vient la terre. L'éther enveloppe tous ces corps divins, et comprend en lui l'ordre de leurs mouvements.

8. En deçà de cette nature éthérée et divine, ainsi ordonnée, et comme nous l'avons dit, immuable, inaltérable, impassible, est placée la nature muable et passible, en un mot, corruptible et mortelle. Elle a plusieurs espèces, dont la première est d'une essence subtile, inflammable, qui s'allume par la masse et le mouvement rapide de la substance éthé- rée. C'est dans la région ignée et désordonnée, que brillent les phénomènes lumineux, les flèches ardentes, les verges et les gouffres enflammés ; c'est là que sont fixées les comètes, et qu'elles s'éteignent souvent.

9. Au-dessous de cette région est répandu l'air, ténébreux et froid de sa nature, qui s'échauffe, s'enflamme , devient lumineux par le mouvement. C'est dans la région de l'air, passible et altérable de toutes manières, que se condensent les nuages, que les pluies se forment, les neiges, les frimas, la grêle, pour tomber sur la terre. C'est le séjour des vents orageux, des tourbillons, des tonnerres, des éclairs, de la foudre, et de mille autres phénomènes.

 

CHAPITRE III. Nature de la terre et de l'eau, et leurs positions.


 

1. La mer et la terre sont placées au-dessous de l'air. La terre est couverte de végétaux et d'animaux, arrosée de sources et de rivières, dont les unes serpentent dans les plaines, les autres se précipitent dans les mers. Elle est ornée d'une infinité de plantes sur les hautes montagnes et dans les vallées profondes, et de villes, que l'animal rationnel, l'homme, a bâties; enfin , elle a des îles maritimes et des continents. Car c'est ainsi que le vulgaire divise la terre, parce qu'il ignore que la terre tout entière n'est elle-même qu'une seule île environnée par la mer qu'on nomme Atlantique. Il est même probable qu'il y a, dans des régions opposées, d'autres terres au loin , les unes plus grandes, les autres plus petites que celle-ci ; mais qui nous sont toutes inconnues. Ce que nos îles sont à l'égard des mers qui les environnent, le continent l'est à l'égard de la mer Atlantique, et les autres terres inconnues, à l'égard de la mer prise dans sa totalité. Ces terres ne sont que de grandes îles, baignées par de grandes mers.

2. La nature de l'humide qui occupe les lieux bas de la terre, et d'où semblent sortir ceux que nous habitons, a son rang après l'air. Et après l'eau, c'est-à-dire dans les profondeurs et au milieu même de l'univers , est fixée la terre, inébranlable, immobile , également pressée de toutes parts. Voilà tout ce qu'on appelle la partie inférieure de l'univers.

3. Les cinq éléments , compris en cinq sphères, dont les plus petites sont contenues dans les plus grandes, la terre dans l'eau , l'eau dans l'air, l'air dans le feu , le feu dans l'éther, composent ce qu'on appelle l'univers. La région la plus élevée est le séjour des dieux ; la plus basse est celui des animaux périssables. Celle-ci a deux parties : l'une humide , que nous appelons fleuves, sources, mers; l'autre sèche, la terre, qui comprend les îles et les continents.

4. Parmi les îles, il y a les grandes, comme la terre habitée ou les autres continents, ainsi que nous l'avons dit ; et les petites, comme celles que nous connaissons dans la mer intérieure, dont les plus célèbres sont : la Sicile, la Sardaigne, la Corse, la Crète, l'Eubée, Cypre, Lesbos; et d'autres plus petites, telles que les Sporades, les Cyclades ; et d'autres encore, qui ont aussi leurs noms.

5. La mer qui baigne au dehors et environne notre continent, se nomme Atlantique ou Océan. Entrant vers l'occident par une embouchure étroite, où sont les colonnes dites d'Hercule, elle se jette dans la mer intérieure, comme dans un grand bassin. S'élargissant peu à peu, elle s'allonge entre les terres et remplit de vastes sinuosités qui se touchent; de manière toutefois qu'elle est tantôt plus large, et tantôt plus resserrée.

6. En partant des colonnes d'Hercule, l'Océan forme à droite deux sinuosités, qu'on appelle Syr- tes; l'une la grande, l'autre la petite. A gauche, les sinuosités sont différentes ; elles forment trois mers : la mer de Sardaigne, lamer des Gaules et la mer Adriatique, après laquelle vient la mer de Sicile, en inclinant un peu vers la droite ; ensuite celle de Crète ; puis d'un côté la mer d'Égypte, celle de Pamphylie, de Syrie; et de l'autre côté, la mer Egée et celle de Myrtos.

Au-dessus de ces mers est la mer du Pont (5), qu'on divise en plusieurs parties ; la plus enfoncée vers le nord, est la mer Méotide ; celle qui est en deçà, vers l'Hellespont, sert d'entrée à celle qu'on nomme la Propontide.

7. En partant de l'orient, l'Océan entre aussi dans les terres, et forme d'un côté la mer Indienne, le golfe Persique, et la mer Erythrée. De l'autre côté, en partant du même point d'orient, il baigne la Caspie et l'Hyrcanie, et occupe une vaste étendue au nord des Palus-Méotides. Ensuite resserrant peu à peu la terre habitée, au-dessous de la Scythie et de la Celtique, il revient vers les Gaules, et de là aux colonnes d'Hercule, au delà desquelles est l'Océan. C'est dans cette mer que sont les deux grandes îles Britanniques, Albion et Hierna, plus grandes que celles que nous avons nommées ci- dessus : elles sont situées immédiatement au-dessus des Celtes.

Il y en a au delà de l'Inde, qui ne sont pas moins considérables : la Taprobane, qui a sa position oblique au continent; celle de Phébol, qui est vers le golfe Arabique.

Il y en a de petites, en assez grand nombre, autour des îles Britanniques et de l'Ibérie, qui semblent couronner le continent, qui n'est lui-même qu'une île, comme nous l'avons dit.

8. La plus grande largeur du continent habité, est un peu moins de 40 000 stades, selon les plus habiles géographes. Sa longueur est environ de 70 000. On le divise en Europe, Asie et Libye.

9. L'Europe est bornée par les colonnes d'Hercule et par l'enfoncement du Pont-Euxin, la mer Hyrcanienne , dans l'endroit où l'isthme est le plus étroit : selon d'autres , par une ligne tirée de l'isthme au Tanaïs.

10. L'Asie s'étend depuis le même isthme, qui sépare le Pont-Euxin et la mer Hyrcanienne, jusqu'à un autre isthme qui sépare le golfe Arabique de la mer intérieure, et qui est baigné en dedans par celle-ci et en dehors par l'Océan. D'autres tirent cette ligne, limite de l'Asie, de l'embouchure du Tanaïs à celles du Nil.

11. La Libye s'étend depuis l'isthme Arabique jusqu'aux colonnes d'Hercule. Quelques-uns ne font partir cette limite que du Ni!, tellement que la partie de l'Egypte qui est comprise par les bouches du Nil, appartient à l'Asie; mais selon les autres, elle appartient à la Libye.

Quant aux îles, les uns les considèrent à part, les autres en font des dépendances des parties du monde qu'elles avoisinent.

Telle est la distribution de la mer et de la terre qu'on appelle vulgairement le continent.

 

 

CHAPITRE IV. Des principaux phénomènes de la terre, de l'eau et de l'air.


 

1. Il s'agit maintenant de parcourir rapidement les principaux phénomènes que la terre renferme , ou qui paraissent autour d'elle. Il y a deux sortes d'exhalaisons, qui s'élèvent continuellement dans l'air. Elles sont subtiles et invisibles, si ce n'est lorsqu'elles paraissent au lever du soleil, au-dessus des rivières et des terrains humides: l'une sèche, qui s'élève de la terre, comme une sorte de fumée ; l'autre humide, qui s'élève des lieux aqueux, comme une vapeur.

2. De l'exhalaison humide naissent les brouillards, les rosées, les gelées de différentes espèces, les nuages, les pluies, les neiges, les grêles. De l'exhalaison sèche proviennent les vents et les souffles de différentes espèces, les tonnerres, les éclairs, les foudres , les tourbillons de feu et les autres phénomènes du même genre.

3. Le brouillard est une vapeur légère, plus dense que l'air, plus rare que le nuage, et qui ne se résout point en eau. Ce n'est proprement qu'un nuage qui commence à se former, ou qui achève de se dissiper. Le serein, qui est le contraire du brouillard, est un air sans nuage et sans brouillard.

La rosée est une vapeur humide, condensée, dont les parties sont rapprochées par le serein, et qui retombe imperceptiblement.

La glace est une eau condensée, congelée par le froid du serein.

La gelée blanche est une rosée glacée. Quand la rosée n'est qu'à demi glacée, on la nomme droso- pachné.

Le nuage est un amas de vapeurs rapprochées qui se résolvent en eau.

La pluie se fait par la compression d'un nuage trop épais. Il y a autant de sortes de pluies qu'il y a de différentes compressions de nuages. Si la compression est légère, la pluie tombe comme une semence menue: si elle est forte, c'est la grosse pluie, qui tombe du ciel comme un torrent, et qui couvre la terre.

La neige se forme par le brisement des nuages qui se désunissent au moment où ils commençaient à se résoudre en eau; le brisement du nuage donne à la neige la forme d'écume et sa blancheur, et la congélation de l'humide, qui n'est encore ni liquide ni trop raréfié, lui donne la froideur; quand elle tombe drue et à gros flocons, on l'appelle niphetos.

La grêle est une neige grenue dont la dureté et le poids précipitent la chute avec d'autant plus de vitesse, que les grains sont plus gros. Tels sont les phénomènes que produisent les exhalaisons humides.

4. De l'exhalaison sèche, chassée par le froid au point de devenir un courant, naît le vent; car le vent n'est autre chose qu'un air abondant et comprimé qui s'écoule. On l'appelle aussi souffle (6), mot qui se prend encore dans les plantes et dans les animaux pour une substance vivifiante qui les pénètre ; mais ce n'est pas ici le lieu d'en parler.

Nous appelons vents ceux qui soufflent dans l'air, et air les exhalaisons qui viennent des eaux.

Il y a des vents qui soufflent des terres humides ; on les appelle vents de terre. Il y en a qu'on nomme vents de côtes, qui viennent des côtes de la mer, et auxquels ressemblent les vents de rivières et de marais.

On appelle ouragans les vents qui rompent les nuages violemment et qui les dispersent entre eux, et orages ceux qui sont accompagnés d'une grosse pluie,

5. Ceux qui soufflent de l'orient s'appellent euri; ceux du septentrion borées; zéphires, ceux d'occident ; noti, ceux du midi.

Parmi les euri, on distingue le cœcias qui souffle de l'orient vers le solstice d'été ; l'apeliote, qui souffle de l'orient pendant les équinoxes, et l'earus, proprement dit, qui souffle de l'orient aux environs du solstice d'hiver.

Les zéphires, qui leur sont opposés, sont l'argeste, qui part de l'occident d'été ; on l'appelle aussi olympias et japix. Le zéphire, qui part de l'occident équinoxial, et le libyen de l'occident d'hiver.

Parmi les borées, celui qui est après cœcias se nomme borée; celui qui part du pôle et va au midi, se nomme polaire, et trascias celui qui est après l'argeste ; il y a des pays où on le nomme ceecias.

Pour les vents du midi, celui qui part directement du pôle invisible, opposé au vent polaire, se nomme notus ; celui qui est entre l'eurus et le notus, euronotus, et celui qui est entre le notus et le libyen, libonotus ou libophénicien.

6. Il y a des vents dont le souffle est en ligne directe: d'autres qui vont en tournant comme le cœcias dont nous venons de parler. Il y en a qui règnent en hiver comme le notus, d'autres en été comme les étésiens.qui tiennent le milieu entre les zéphires et les vents de l'ourse ; d'autres, aviaires ou oiseleurs, soufflent au printemps; ceux-ci appartiennent aux borées.

Parmi les vents violents, on compte le saut-de-chèvre (7) qui se précipite des nues tout à coup; la tempête, qui s'élance avec violence et brusquement; le tourbillon, ou strobile, qui tournoie de bas en haut; la bouffée, qui sort par explosion d'un abîme ou d'un terrain entr'ouvert. Si la bouffée se roule quelque temps sur la terre, c'est un tourbillon terrestre.

7. Le vent qui, enfermé dans un nuage épais chargé d'eau, en rompt avec bruit et fracas (8) les parties condensées, s'appelle tonnerre. On en voit l'image lorsqu'on souffle avec violence dans l'eau ; et lorsque ce vent ou esprit s'enflamme et brille dans le brisement de la nuée, c'est l'éclair. Nous voyons l'éclair avant d'entendre le tonnerre, quoique le tonnerre le précède, parce que la vue est plus rapide que l'ouïe ; on voit la lumière dans l'éloignement, et on n'entend le son que quand il touche l'organe ; l'un tenant du feu, qui est le plus vite de tous les éléments, l'autre de l'air, qui n'arrive à l'oreille que par la percussion communiquée.

8. Si l'éclair tombe avec violence jusque sur la terre, c'est la foudre ; s'il n'est enflammé qu'à demi, c'est un tourbillon de feu ; s'il est tout à fait sans feu, c'est une bourrasque; quand il s'enfonce dans la terre, on le nomme en général sceptos.

Quand la foudre est accompagnée de fumée, on la nomme psoloïs; argès, quand elle frappe tout d'un coup ; elicias, quand elle trace un sillon de feu ; sceptos, quand elle touche quelque objet.

9. En résumé, parmi les phénomènes qui se passent dans l'air, les uns ne sont qu'apparents, comme l'iris, les verges de feu, etc.; les autres ont une existence réelle, comme les aurores, les étoiles filantes, les chevelues ou comètes et autres objets semblables.

L'iris est un arc du disque solaire ou lunaire qui se peint pour quelque temps dans un nuage humide et concave comme dans un miroir.

La verge de feu est un iris en ligne droite. Le halo est la lumière de l'astre réfléchie autour de lui-même. Il y a cette différence entre le halo et l'iris, que celle-ci est à l'opposite de l'astre, et que l'autre forme un anneau autour de lui.

Les feux célestes (météores) sont une matière inflammable qui s'allume dans l'air. Il y en a qui fuient comme un trait, et d'autres qui restent dans le même lieu.

Le javelot de feu est le produit igné d'un frottement ; il s'emporte dans les airs avec tant de rapidité, qu'il paraît un long sillon.

Le stérigmos est une espèce de rayon lumineux qui paraît s'écouler d'un astre. Si ce rayon est double, c'est une comète; il y a de ces feus célestes qui durent quelque temps, il y en a qui s'éteignent aussitôt.

Il y a encore plusieurs phénomènes du même genre: les torches, les poutres, les tonneaux, les puits et d'autres, ainsi nommés, à cause de quelque ressemblance avec ces objets. De ces mêmes phénomènes, les uns paraissent à l'occident, les autres à l'orient ou aux environs, rarement au nord ou au midi ; ils sont tous passagers. Jamais on n'a ouï dire qu'il y en eût de permanent. Tels sont les phénomènes de l'air.

10. La terre a aussi les siens ; elle a dans son sein des eaux, des vents, des feux, dont les uns, toujours sous terre, sont invisibles ; les autres ont des issues et des soupiraux, tels que Lipara, l'Etna, les îles Éoliennes. Il y a de ces feux qui coulent comme des ruisseaux ; il y en a qui lancent des masses enflammées. D'autres, dans le sein de la terre, voisins des sources, en échauffent tellement les eaux, que les unes .sont tièdes, les autres bouillantes, d'autres tiennent le milieu. Il en est de même des vents intérieurs qui se sont ouvert des issues en différents endroits. Ici (9) ils causent des fureurs à ceux qui en approchent; là ils causent de l'amaigrissement, ailleurs, comme à Delphes et en Lébadie, ils inspirent des oracles, ailleurs encore ils tuent sur-le-champ, comme en Phrygie.

11. Souvent l'air intérieur, après s'être entassé dans les cavités souterraines, s'agite, s'échappe tout à coup et ébranle des parties du globe. Quelquefois aussi l'air extérieur pénétrant dans ces mêmes cavités et s'y trouvant emprisonné, secoue le globe avec violence pour trouver une issue, ce qui produit le phénomène connu sous le nom de tremblement de terre.

Les tremblements de terre sont de plusieurs espèces. Il y en a qui secouent obliquement en angle aigu (10), d'autres agissent de bas en haut, en angle droit; d'autres affaissent les terres; d'autres ouvrent des abîmes ; d'autres sont accompagnés de vents violents; d'autres lancent des rochers, de la fange, ou font jaillir des sources nouvelles ; d'autres soulèvent les terres d'un seul effort ; d'autres agissent par secousses de droite et de gauche, comme dans le frisson de la fièvre ; d'autres enfin sont accompagnés de mugissements. Quelquefois aussi il y a mugissement sans qu'il y ait tremblement, lorsque l'air, n'étant point assez fort pour ébranler la terre, se roule dans les cavités et s'y brise avec l'impétuosité d'un torrent. Cet air, qui pénètre dans l'intérieur de la terre, y est encore fortifié par les liquides qui s'y trouvent cachés et font corps avec lui.

12. La mer a aussi ses phénomènes, à peu près semblables à ceux de la terre. Elle s'entr'ouvre souvent et se sépare en deux ; ses flots se portent sur le rivage, d'où ils reviennent quelquefois, et quelquefois ne reviennent point, comme dans la submersion d'Hélicé et de Bura (11).

Souvent on y voit des éruptions de flammes, des jets d'eau, des fleuves nouveaux, des arbres, des courants et des tourbillons d'eau semblables à ceux de vent, non-seulement dans la haute mer, mais dans les détroits et dans les golfes. Il y a même des pays où les flots de la mer couvrent les rivages et les découvrent périodiquement dans des temps marqués selon le cours de la lune. En un mot, les éléments étant mêlés les uns avec les autres dans l'air, dans la terre et dans l'eau, il est nécessaire qu'il y ait dans leurs affections particulières une certaine analogie qui les mette en état de concourir d'un côté à la génération et à la corruption des parties, et de l'autre à la conservation et à la stabilité du tout (12).

 

CHAPITRE V. Pourquoi le monde ne se détruit point, étant composé de principes contraires.


 

1. Si on est étonné de ce que le monde, étant composé de principes contraires, tels que le sec et l'humide, le froid et le chaud, n'est pas détruit depuis longtemps, c'est à peu près comme si on s'étonnait de voir subsister un état composé de toutes sortes de peuples, de riches et de pauvres, de jeunes et de vieux, de faibles et de forts, de bons et de méchants. On ne pense pas que c'est le chef-d'œuvre de la politique, de former de plusieurs parties un seul tout, d'éléments dissemblables un ensemble harmonieux (13) et d'embrasser dans un seul ordre toutes les variétés de la nature et de la fortune. Il semble même que la nature ait une sorte de prédilection pour les contraires. C'est des contraires qu'elle forme les accords, et non des semblables : ce sont les sexes différents qu'elle rapproche, non ceux d'un même sexe. En quoi les arts imitent la nature. La peinture fond les couleurs blanches avec les noires, les jaunes avec les rouges, pour faire des tableaux ressemblants. La musique mêle les sons graves avec les aigus, les longs avec les brefs, pour former un chant harmonieux. La grammaire fait un mélange de voyelles avec les consonnes, pour former le discours. L'obscur Héraclite le disait bien : Unir ensemble le courbe et le droit, le semblable et le divers, le con- sonnant et le dissonant ; faire un de tout, et tout d'un.

2. C'est ainsi que l'harmonie a formé un seul système des êtres, je veux dire, du ciel, de la terre, du monde entier, par le mélange tempéré des contraires. Une seule puissance pénétrant tout, conciliant le sec avec l'humide , le chaud avec le froid, le léger avec le grave, le mouvement direct avec le circulaire, a ordonné la terre, la mer, l'éther, le soleil, la lune, tout le ciel; travaillant le monde entier, avec des matériaux de nature immiscible et différente, qui sont l'air, la terre, le feu, l'eau, qu'elle a renfermés dans une sphère commune, où, les forçant de s'accorder ensemble, elle opère la conservation du tout par la contrariété des parties.

3. Cette conservation est l'effet du concert des éléments. Mais ce concert est lui-même l'effet de l'équilibre de leurs puissances. Car il y a égalité de force et de résistance entre le grave et le léger, entre le chaud et le froid; la nature nous montrant ainsi dans ses plus grandes parties, que l'égalité conserve l'harmonie, et l'harmonie le inonde, qui est le père de tous les êtres, et qui en est le plus beau. Quel être en effet pourrait le surpasser? S'il en est un, il fait partie de lui. Tout ce qui est beau, tire son nom de lui (14). Tout ce qui est ordonné, l'est par lui. Est-il rien de comparable à cet ordre du ciel, à cette marche des astres, du soleil, de la lune, qui se meuvent de siècle en siècle avec la mesure la plus juste? Est-il rien de plus invariable que l'ordre de ces saisons, belles et fécondes, qui ramènent avec elles toutes les productions de la terre, que cette alternative des hivers et des étés, des jours et des nuits, qui remplissent les mois et les années ? Si vous faites attention à la grandeur, rien n'est plus grand que le monde ; si c'est au mouvement, rien ne se meut plus vite; à l'éclat, rien n'est plus brillant; à la force, rien ne l'use ni ne l'affaiblit. C'est lui qui a distingué, d'après leur nature, les animaux aquatiques , terrestres et aériens -, qui a mesuré leur vie par ses mouvements; c'est par lui que tout animal vit et respire ; enfin, c'est lui qui produit, selon des lois certaines, les prodiges qui nous étonnent, lorsque les vents divers se livrent des combats, que les foudres tombent du ciel, que les tempêtes violentes se déchaînent. Par ces efforts extraordinaires, l'humide exprimé, le feu dilaté, rétablissent l'équilibre des parties et maintiennent l'univers. La terre, ornée de toutes sortes de plantes, arrosée d'eaux vives, peuplée d'animaux divers, produit selon les temps, nourrit, reprend dans son sein une infinité d'êtres de toute espèce ; conservant elle-même une jeunesse éternelle, malgré les secousses qui l'ébranlent, malgré les déluges qui l'inondent, malgré les feux qui la consument en plusieurs lieux.

4. Il y a plus : ces phénomènes effrayants sont utiles à sa conservation et assurent son état. Les tremblements la délivrent des vents intérieurs qui s'échappent par les soupiraux entr'ouverts, comme nous l'avons dit. Les pluies emportent les principes de maladie. Le souffle des vents balaye les impuretés de l'air. Les feux qui s'allument résolvent les matières trop condensées par le froid. Le froid défait l'œuvre du feu. Enfin quant aux parties, les unes naissent, les autres fleurissent, les autres meurent. Ce qui naît remplace ce qui a péri ; ce qui périt fait place à ce qui naît ; et la masse toujours entière , toujours la même, malgré les combats de ses éléments tour à tour victorieux et vaincus, se conserve dans tous les siècles.

 

CHAPITRE VI. De la cause qui contient tous les êtres.


 

1. Il nous reste encore à traiter sommairement de la cause qui contient et conserve toutes choses. Car il serait ridicule, lorsqu'on parle du monde, quoiqu'en peu de mots et seulement pour en ébaucher l'idée, de se taire sur le principe souverain du monde.

2. C'est une tradition ancienne (15), transmise partout des pères aux enfants, que tout émane de Dieu, et que c'est par lui que tout est composé pour nous.

Il n'est point d'être dans le monde qui puisse se suffire à lui-même, et qui ne périsse, s'il est abandonné de Dieu. C'est ce qui a fait dire à quelques-uns des anciens, que tout est plein de dieux ; qu'ils entrent en nous par les yeux, par les oreilles, par tous nos sens : ce qui convient à la puissance active de Dieu plutôt qu'à sa nature (16). Oui, Dieu est essentiellement le générateur et le conservateur de tous les êtres, quels qu'ils soient, dans tous les lieux du monde. Mais il ne l'est pas à la manière d'un être, dont l'effort est pénible et douloureux ; il l'est par sa puissance infinie-, qui atteint les objets qui paraissent les plus éloignés de lui.

3. Assis dans la première et la plus haute région de l'univers, au sommet du monde, comme l'a dit le poète, il se nomme le Très-Haut (17). Il agit sur le corps le plus voisin de lui, et ensuite sur les corps qui viennent après , descendant ainsi par degrés jusqu'aux lieux que nous habitons (18). C'est pour cela que la terre, et toutes les choses terrestres, sont si faibles et si inconstantes, si remplies de trouble et de désordres ; parce qu'elles sont à une distance qui leur donne la plus petite part possible à l'influence de la divinité. Toutefois cette influence bienfaisante pénétrant tout l'univers, la région que nous habitons participe à ses bienfaits, aussi bien que les régions supérieures, qui toutes y participent plus ou moins, selon qu'elles se trouvent plus ou moins éloignées du principe primordial.

4. Il est donc plus sensé, plus décent, plus convenable pour la divinité, de penser que cette puissance suprême, assise dans le ciel, a simplement une influence de conservation sur les êtres, quelque éloignés qu'ils soient, que de la faire aller et venir sans cesse dans des lieux indignes de sa gloire, et de l'abaisser jusqu'aux détails de la terre : détails qui sont au- dessous même des chefs qui commandent aux hommes, tels qu'un général d'armée, un magistrat, un chef de famille. Qu'il s'agisse de lier des nattes, ou de quelque autre travail pareil, il est tel esclave du grand roi qui ne voudrait pas descendre jusque-là.

5. La cour de Cambyse, de Xerxès, de Darius, présentaient bien à leurs peuples l'image de la grandeur et de la majesté du prince; mais le prince lui- même résidait à Suse ou à Ecbatane, invisible, retiré dans un palais magnifique, brillant d'or, d'ambre et d'ivoire. De longues avenues se succédant les unes aux autres, offraient de stades en stades des enceintes superbes, où l'on n'entrait que par des portes d'airain. Hors de ces enceintes étaient établis par ordre les seigneurs les plus éminents. Des soldats, attachés à la personne du roi, faisaient le service de l'intérieur. D'autres faisant garde à chacune des entrées, recevaient les avis, prêtaient l'oreille à tout; de sorte que le roi lui-même, portant les noms de maître absolu et même de Dieu, voyait tout, entendait tout. Il y avait des officiers pour recevoir les tributs des peuples ; il y en avait pour commander les armées, pour présider aux chasses, pour recevoir les offrandes; enfin il y en avait pour l'administration de chaque partie. Tout l'empire de l'Asie, qui, partagé en différentes provinces, s'étend au couchant jusqu'à l'Hellespont, et au levant jusqu'aux Indes, avait autant de chefs, de satrapes, et de rois, tous serviteurs du grand roi. Il y avait des courriers, des observateurs, des porteurs de messages, des gardes, des inspecteurs de signaux. L'ordre était tel, surtout parmi ces derniers, que, par le moyen de feux allumés de loin eu loin, le roi savait le même jour, à Suse et à Ecbatane, ce qui était arrivé dans toute l'Asie.

Mais il y a autant de différence entre le Dieu qui gouverne le monde et le grand roi, qu'il y en a entre le grand roi et le plus vil et le plus faible des animaux. Donc, s'il est au-dessous de la majesté de Xerxès d'exécuter tout par lui-même et d'entrer dans les détails de ce qui se fait, on doit, à plus forte raison, en dispenser la divinité.

6. Il est donc plus convenable, plus décent de dire, comme nous l'avons dit, que Dieu est dans la plus haute région de l'univers (19); et que par sa puissance, répandue partout, il meut le soleil et la lune; qu'il fait circuler tout le ciel ; qu'il conserve tout ce qui est sur la terre. Il n'a pas besoin d'art ni de secours, ni de services étrangers, comme ceux qui règnent sur nous, et qui emploient plusieurs mains ù cause de leur faiblesse. Le propre de la divinité est d'exécuter toutes sortes de plans avec facilité, et par un mouvement simple : semblables à ces machinistes qui produisent, par un seul ressort, des effets multiples et variés; qui composent des figures humaines, dont la tête, les mains, les épaules, les yeux, quelquefois tous les membres, jouent par un seul fil, a.vec une sorte de cadence.

7. La nature divine peut donc de même, par un mouvement simple de la première région, communiquer son action à la région suivante, et aller de proche en proche jusqu'aux extrémités. L'une mue, meut l'autre à son tour; et chacune d'elles répondant à l'impression, selon sa nature propre, suit une route différente, quelquefois même contraire à celle des autres, quoique la première impression ait été la même pour tous. Ainsi, lorsqu'on jette à la fois d'un même vase, un globe, un cube, un cône, un cylindre, chacun de ces corps suit une direction particulière, selon sa configuration propre ; ou lorsqu'on met en liberté un poisson, un quadrupède, un oiseau; chacune de cet espèces cherche l'élément qui lui convient : le poisson s'élancera dans les eaux, le quadrupède se rangera parmi les animaux terrestres, l'oiseau s'élèvera dans l'air. C'est cependant une même impulsion qui leur a donné à chacun leur propre mouvement.

8. La même chose arrive pour le monde. Par la simple révolution du ciel, qui s'achève en un jour et une nuit, les mouvements divers des corps se trouvent produits. Quoique tous renfermés sous la même sphère, les uns se meuvent plus lentement, les autres plus vite, selon leurs natures particulières et les espaces qui les séparent. La lune achève sa révolution en un mois, dans lequel elle a son accroissement, son plein et son déclin; le soleil en un an, et avec lui Vénus et Mercure qui l'accompagnent; Mars dans le double de cet espace de temps, Jupiter dans le sextuple ; Saturne en un temps une fois et demie plus grand que celui de l'astre qui est au-dessous de lui. Enfin le concert de tous ces corps, qui se meuvent avec une harmonie parfaite, commence et finit par l'unité : ce qui a mérité à l'univers le nom de Tout ordonné, plutôt que celui de Tout désordonné.

Ainsi, lorsque dans un chœur le coryphée a commencé, tous ceux qui le composent, hommes et femmes, lui répondent et forment un concert de voix de toute espèce, graves et aiguës. Il en est de même de Dieu agissant dans l'univers. Par l'impression que donne d'en haut ce coryphée du monde, les astres et tout le ciel sont ébranlés pour se mouvoir à jamais. Le soleil tout lumineux s'avance par un double mouvement, dont l'un marque les jours et les nuits aux points du lever et du coucher ; l'autre du midi au septentrion, et du septentrion au midi, amène les quatre saisons. Les pluies fécondes, les vents, les rosées et tous les autres phénomènes de l'air, naissent de l'action de cette cause primordiale. A ces phénomènes succèdent les débordements des rivières, les gonflements des mers, les accroissements des plantes, la maturité des fruits, la fécondation des animaux , la nourriture de tout, sa perfection , son  dépérissement ; en y joignant le concours de la disposition particulière de chacun des êtres, comme nous l'avons dit.

Quand donc le Chef suprême, le Générateur, qu'on ne voit que par l'esprit, a donné le signal aux natures qui se meuvent entre le ciel et la terre, toutes, sans s'arrêter jamais, s'avancent dans leurs cercles, selon les bornes qui leur sont prescrites, disparaissant et reparaissant tour à tour, sous mille formes qui s'élèvent et qui s'abaissent, toujours par l'impression du même principe.

9. On peut comparer ce qui s'exécute dans le monde aux mouvements d'une armée (20). Quand le signal de la trompette s'est fait entendre dans le camp, l'un saisit son bouclier, l'autre revêt sa cuirasse, celui- ci prend son casque ou ses bottes d'acier, celui-ci ceint son baudrier. Le cavalier met le mors à son cheval ; celui-ci monte sur son char ; cet autre donne le mot d'ordre : le capitaine se place à la tête de sa compagnie, le taxiarque à la tête de son bataillon ; le cavalier à l'aile de l'armée ; le soldat léger court à son poste : tout marche à un signal donné, qui émane du commandant en chef.

Voilà comment il faut se représenter l'univers. Par l'impulsion unique d'un être qui règle tout selon ses propres lois, et qui, pour être invisible et caché, n'en est ni moins actif ni moins démontré à notre raison. Notre âme, par laquelle nous vivons, et par laquelle nous construisons des villes et des maisons, est également invisible ; elle ne se manifeste que par ses œuvres. C'est elle qui a dressé le plan régulier de la vie humaine, qui le suit, qui le remplit : c'est elle qui a montré à cultiver les terres, à les ensemencer : c'est elle qui a inventé les arts, établi les lois, institué l'ordre des gouvernements, distribué les fonctions de la vie civile : enfin c'est elle qui a montré à faire la guerre et la paix.

Il en est de même de Dieu, dont la puissance est supérieure à toute autre puissance, la beauté à toute autre beauté; dont la vie est immortelle, la vertu infinie. Sa nature, incompréhensible à toute nature mortelle, ne se montre à nous que par ses œuvres. Aussi, tout ce qui se fait dans l'air, sur la terre, dans les eaux, on peut dire avec vérité que c'est l'ouvrage de Dieu, par qui, dit le poète physicien :

.. Tout fut, est, sera dans le monde,
Arbres, hommes, femmes, bêtes sauvages, oiseaux et poissons.

10. On pourrait encore comparer Dieu, quoique cette comparaison soit bien mesquine, à ces pierres qu'on nomme clefs de voûte, et qui, placées au milieu, soutiennent tout un édifice par la résistance égale qu'elles opposent de toutes parts. On dit que Phidias ayant fait la statue de Minerve, qui est placée dans la citadelle d'Athènes, grava au milieu du bouclier de la déesse son propre portrait, et que, par un mécanisme secret, il l'avait tellement lié avec la statue, que si jamais on entreprenait d'enlever cette image, on serait forcé de briser en même temps toute la statue  (21).

Il en est de même de Dieu dans le monde ; c'est lui qui en fait l'accord et la conservation, avec cette différence seulement qu'il n'est pas au milieu, où est la terre, dans une région d'agitation et de trouble , mais en haut, dans la région la plus pure, parce qu'il est le pins pur des êtres; région que nous appelons à juste titre Uranos, parce que c'est la limite de ce qui est en haut (22) de l'univers; Olympe, c'est-à-dire tout brillant, parce qu'il est totalement séparé de tout ce qui approche des ténèbres et des mouvements désordonnés qu'on voit se produire dans ces régions inférieures par la violence de la tempête et des vents. C'est ce qui a fait dire au poète :

L'Olympe est la demeure immortelle des dieux ;
Ni les vents déchaînés, ni les bruyants orages
N'en troublent le repos : un ciel tout lumineux
Y fait naître des jours sans nuits et sans nuages.

Ce qui se passe dans la vie humaine suffirait pour prouver que c'est là qu'habitent les dieux. Tous tant que nous sommes, nous levons les mains au ciel quand nous faisons des vœux. C'est pourquoi le prêtre a fort bien dit :

La part que fit le sort au puissant Jupiter,
Est l'enceinte immortelle où s'enflamme l'éther.

Aussi les corps les pi us parfaits, les astres, le soleil, la lune, sont placés dans le ciel ; c'est par cette raison que ces corps sont les seuls qui gardent toujours le même ordre. Jamais on ne voit parmi eux de mutations comme sur la terre, où tout change sans cesse de forme et de nature. Ce sont tantôt des tremblements qui déchirent une grande partie de la terre, tantôt des pluies excessives qui l'inondent ; ce sont les Ilots de la mer qui, suivant qu'ils se retirent ou qu'ils font irruption, changent la mer en terre et la terre en mer; ce sont des ouragans et des tourbillons qui renversent des villes entières ; ce sont des feux qui tombent du ciel comme dans le temps de Phaéton lorsque l'orient fut enflammé ; ce sont d'autres feux qui s'élancent des antres souterrains du côté de l'occident comme ceux qui sont vomis par les cratères de l'Etna, et qui, comme des torrents, se roulent au milieu des terres. Ce fut dans un de ces événements terribles qu'un bon génie conserva la race pieuse des parents entraînés dans ces ruisseaux de flammes. Les enfants avaient chargé sur leurs épaules leurs pères décrépits ; le courant du feu, prêt à les envelopper, se détourna de côté et d'autre et respecta les jeunes gens qui emportaient les auteurs de leurs jours.

11. Enfin, ce qu'est le pilote dans un navire, le conducteur sur un chariot, le coryphée dans un chœur, la loi dans un État, le général dans une armée, Dieu l'est dans le monde ; mais avec cette différence, que ce que tout homme qui gouverne ne peut faire que par des soins et des efforts pénibles, Dieu le fait sans peine, sans travail, sans aucune espèce de fatigue. Siégeant dans un lieu immobile, il meut, emporte tout, où et comme il lui plaît, et selon des plans différents ; de même que la loi d'un État, sans se mouvoir, meut et régit chaque citoyen conformément à l'ordre public. Sous l'empire de la loi, les chefs se rendent à leurs fonctions, les juges à leurs tribunaux, les orateurs aux assemblées; celui-ci, nourri par l'État, se rend au Prytanée ; cet autre arrive devant les juges pour y rendre compte de sa conduite; celui-là descend dans les prisons pour y mourir. C'est par cette même loi que sont célébrés les festins publics, les assemblées annuelles, les sacrifices aux dieux, les offrandes pour les héros, les expiations pour les morts ; tout se fait par tous les citoyens, sous une seule autorité qui conserve tous ceux qui lui obéissent.

Toute la ville est pleine d'encens, en même temps qu'elle retentit d'hymnes et de gémissements.

Il en est de même de la grande ville qui est le monde. Sa loi suprême est Dieu, loi d'un équilibre parfait qui n'admet ni correction ni réforme; plus stable et infiniment supérieure à celles qui sont gravées dans les tablettes.

C'est par l'autorité continue de cette loi que l'ordre est distribué dans toutes les parties du ciel et de la terre, dans toutes les natures, selon l'organisation de leurs semences particulières, dans les plantes et dans les animaux, selon leurs genres et leurs espèces ; car la vigne, comme dit le poète, le palmier, le pocher, le doux figuier, l'olivier et les plantes stériles qui servent à d'autres usages, le platane, le pin, l'if, l'aulne, le peuplier, l'odorant cyprès; les végétaux qui donnent en automne un fruit doux, mais difficile à conserver, le poirier, le grenadier et les brillants orangers ; enfin les animaux tant sauvages que domestiques; ceux qui vivent dans l'air, sur la terre, dans l'eau; ceux qui naissent, qui croissent, qui dépérissent, tout obéit aux lois de Dieu. Tout être qui rampe sur la terre tire d'elle sa nourriture, comme dit Héraclite.

 

CHAPITRE VII. Des noms de Dieu.

 

1. Dieu, qui est un, a plusieurs noms par rapport aux différents effets qu'il produit. On l'appelle Zeus et Dis, deux mots qui, réunis, semblent signifier par qui nous vivons (23); on l'appelle Chronus ou Cronus, parce que sa durée remplit le temps passé et à venir, on le nomme le Tonnant, l'Éthérien, le Serein, le Foudroyant, le Pluvieux, à cause de la pluie, de la foudre et des autres phénomènes ; le Fructifiant, à cause des fruits qu'il conserve; le Citoyen, à cause des villes dont il est le gardien. Il est le générateur, le défenseur, le garant de l'amitié, le paternel, l'ami, l'hospitalier, le guerrier, le vainqueur, le pacificateur, le combattant, le suppliant, le pacifique, comme disent les poètes ;-le sauveur, le libérateur, en un mot, le céleste et le terrestre. Il a tous les noms de la nature et de la fortune, parce qu'il en produit tous les effets. C'est ce qui a été fort bien dit dans les Orphiques : Zeus est le premier, Zeus le foudroyant est le dernier, Zeus est le sommet, Zeus est le milieu; tout est né de lui ; Zeus est la base de la terre et du ciel étoilé, Zeus est le principe mâle, Zeus est une nymphe immortelle, Zeus est le souffle de tout ce qui respire, Zeus est le principe du feu éternel, Zeus est la racine de l'Océan , Zeus est le soleil et la lune, Zeus est roi, Zeus est le premier être vivifiant, il cache tous les êtres, les fait reparaître à la lumière réjouissante, et son cœur sacré se pénètre de tous les soins.

2. Je pense que ce qu'on appelle Nécessité (24) n'est autre chose que Dieu, parce que sa nature est immuable, que c'est lui qu'on appelle Fatalité, parce que son action a toujours son cours ; Destin, parce qu'il conduit chaque chose à sa destination et qu'il n'y a point d'être qui n'aille à une fin ; Méra, parce qu'il distribue ses dons à chacun des êtres; Némésis, parce qu'il fait cette distribution avec justice ; Adrastée ou Toute-Puissance, à cause de son pouvoir irrésistible sur toute la nature ; Aisa, parce qu'il est toujours le même. L'allégorie des Parques et de leur fuseau a encore le même sens ; elles sont trois pour signifier les trois temps. Le fil qui est sur le fuseau est le passé ; celui qu'on y met est le présent ; celui qu'on va y mettre est l'avenir. Une des Parques est préposée au passé, c'est Atropos, parce que le passé est irrévocable. Lachésis préside à l'avenir, car tout est soumis au sort qui l'attend. L'instant présent appartient à Clotho, qui distribue à chaque être ce qui lui convient dans chaque moment de son actualité; cette image ingénieuse n'est autre chose que la divinité ; car, selon l'ancienne tradition des hommes, comme dit le noble Platon, Dieu comprenant en lui le commencement, la fin et le milieu de tous les êtres, traverse en ligne droite toute la nature avec la Justice qui l'accompagne pour punir ceux qui transgressent sa loi. Heureux celui qui s'est attaché à cette loi dans tous les temps de sa vie !

 

 

NOTES

(1) Le manuscrit du roi n° 1815, supprime une parenthèse, inutile après ce qui vient d'être dit : ὁ μὲν κόσμος ἐν κύκλῳ περιστρέφεται.

(2) C'était l'opinion d'Anaxagore , selon Aristote, de Cοelo, 1, 3; d'Heraclite, des stoïciens, etc.

(3) Planètes,  πλανητά.

(4) Les premières dénominations des planètes étaient relatives à leur degré de lumière. Saturne, peu visible , fut nommé Phénon , qui parait ; Jupiter, Phaéton, le brillant; Mars, Pyroïs, couleur de feu; Mercure, Stilbon , l'étincelant, et Vénus , Phosphore, porte- lumière.

(5) C'est le Pont-Euxin entre les Palus-Méotides, aujourd'hui mer d'Azof, et la Propontide ou mer de Marmara , où l'on entre par l'Hellespont, aujourd'hui détroit des Dardanelles.

(6) Πνεῦμα de πνέω, spirare, d'où le latin spiritus.

(7) Καταιγές.

(8) Πάταγος, tapage.

(9)  Apulée nomme le lieu; c'est Hiérapolis.

(10) On a cru inutile de mettre dans la traduction les noms ou grecs ou latinisés de ces différentes espèces de tremblements, qui n'ajouteraient rien à l'idée qu'en donne la définition. C'est tout à fait dans l'esprit des Grecs de spécialiser les phénomènes naturels d'après des caractères souvent fugitifs et superficiels. Ces différentes espèces (d'ailleurs tout accidentelles) de tremblement de terre, étaient appelées: ἐπικλίνται, βράσται, χασματίαι, ῥῆκται, ὤσται, παλματίαι, μυκητίαι.

(11)  Hélice et Itura, villes d'Achaïe, périrent par un tremblement de terre, accompagné d'une inondation qui les submergea. Arist., Meteor. Il, et Senec., Quœst. nat. VI, 23, 25.

(12)  Voyez Arist. Méteor. 1.

(13) Tout ce chapitre n'est qu'une transition oratoire pour conduire au chapitre suivant, qui a pour objet la divinité, et qui semble vire le but unique de cette lettre.

(14) Le mot grec κόσμος, qui signifie monde, signifie aussi ornement, arrangement qui fait la beauté.

(15) Ὁ παλαιὸς λόγος. Saint Justin citant Platon, qui a employé les mêmes termes pour annoncer la tradition du genre humain sur l'étendue de la puissance de Dieu, prétend qu'il désigne Moïse ; mais qu'il n'a osé le nommer, de peur de la ciguë : φόβῳ τοῦ κωνείου. Voici le passage dn Platon : 'Ὁ μὲν δὴ θεὸς, ὥσπερ καὶπαλαιὸς λόγος, ἀρχὴν καὶ τελευτὴν καὶ μέσα τῶν πάντων ἔχων.

(16)  Aristote a dit la même chose presque dans les mêmes termes. De Cœlo, 1. II, c. 1. Διόπερ...

(17) Voyez Arist. Phys. VIII, c. 15.

(18Athénagore, Apolog. c. VI, dit qu'Aristote a donné un corps à Dieu, et que ce corps était l'cthcr, ou la matière des astres.

(19) De Cœlo, I, 3. E. Πάντες γὰρ ἄνθρωποι περὶ θεοῦ...

(20) Cette comparaison a été employée par Aristote, Métaph. XIV, 10. Elle prouve l'activité propre des causes secondes, et la causalité générale du premier moteur.

(21) Apulée écrit, dans sa traduction, Vidi ipse in clypeo Minervae , etc.

(22) Ce jeu de mots n'est bien saisissable qu'en grec : οὐρανός dérive, selon l'auteur, de ὄρος, limite, et ἄνω, en haut.

(23) Ζῆνα, Δία, comme qui dirait ζῆν δὲ ὅν.

(24) Ἀνάγκη.