Auteur: a.dumouch Date: 18-02-2005
14:05
Chère Sylvie, Voici un article qui donne une opinion
sur le nombre des damnés en enfer:
Article 2: Y a-t-il des
hommes en enfer? Objection 1: Il semble qu’il n’y ait personne
en enfer. En effet, nul ne peut résister à la révélation de la
miséricorde de Dieu quand elle est plénière. Tout homme se convertit
donc au moment de la mort si ce c’est fait avant.
Objection
2: Jésus affirme que[88] «beaucoup sont appelés mais que peu sont
élus.» Il semble donc qu’il y ait peu d’homme au paradis de Dieu.
Objection 3: L’Ecriture parle explicitement de 144000
élus[89] ou, ailleurs, de deux tiers[90] des hommes sauvés. On doit
donc tenir l’un de ces chiffres pour la révélation exacte du nombre
des élus.
Objection 4: saint Thomas pense que la majorité
des hommes sont damnés, tandis que la majorité des anges seraient
sauvés[91]. Il s’appuie sur le raisonnement suivant: pour l’ange, ce
qui prévaut c’est sa nature intellectuelle, faite pour adhérer à la
vérité. Pour l’homme, au contraire, c’est son penchant mauvais et
sensuel qui l’emporte et qui le traîne en bas. Dans la majorité des
cas l’homme s’oriente donc vers le péché et l’enfer.
Objection 5: Historiquement -et la critique concernant
Balthasar le mentionne souvent- on connaît des récits de réprouvés
et des visions de l’enfer[92]. Donc il y a des hommes en
enfer.
Cependant: Jésus dit: «Les fils du royaume
seront jetés dans les ténèbres extérieures. Là seront les pleurs et
les grincements de dents.» Donc certaines âmes seront damnées,
celles qui appartiennent au royaume du
mal.
Conclusion: Au sujet du nombre de ceux qui sont
en enfer, plusieurs opinions ont été émises et chacune d’elles
s’appuie sur des arguments valables. Certains pensent que peu
d’hommes seront sauvés, s’appuyant en cela sur la parole du
Seigneur[93]: «Il est large en effet le chemin qui mène à la
perdition et beaucoup s’y engagent, mais elle est étroite la porte
qui mène à la Vie et il en est peu qui le trouvent.» Ils étayent
leur argumentation sur la constatation que bien peu d’hommes sur la
terre ont la volonté de mettre la charité au commencement et à la
fin de leur vie. Le philosophe Aristote disait[94]: «la plupart des
hommes restent dans le sensible.» D’autres théologiens affirment
qu’un tiers des hommes seront damnés. Selon eux, ce chiffre est
annoncé dans l’Ecriture et est à prendre au sens propre: «Le tiers
des hommes fut exterminé.» D’autres préfèrent prendre au sens propre
le passage de l’apocalypse des 144000 élus[95]. Selon une dernière
opinion enfin, certains affirment que le nombre des damnés sera très
faible si ce n’est nul à cause de la miséricorde de Dieu qui est
infinie et à cause de son projet de sauver tous les hommes qui ne
saurait être un échec.
Pour essayer de discerner vrai
dans tout cela, il faut se rappeler ce que nous avons dit sur la
cause de la réprobation: elle vient principalement de l’homme et de
sa volonté perverse qui se fixe immuablement sur le péché, avec
pleine connaissance et liberté. Il s’agit d’un péché contre l’Esprit
Saint, c’est-à-dire un péché de malice volontaire contre Dieu. Un
tel péché conduit immédiatement à la damnation après la mort. Il
faut donc, pour connaître d’une manière approximative le nombre de
ceux qui seront damnés, s’efforcer de savoir si le péché contre
l’Esprit Saint est fréquent. Pour qu’il y ait un véritable péché
contre l’Esprit Saint, il est nécessaire que celui qui le commette
ait une parfaite connaissance de ce qu’il fait, ce qui ne peut
convenir qu’à celui qui connaît un minimum sur l’existence de Dieu
et sur la rétribution future. L’homme qui, en effet, ne connaît
aucunement l’existence de Dieu ne peut pécher contre Dieu. De même,
le péché contre l’Esprit Saint présuppose une parfaite maîtrise de
sa sensibilité afin que la volonté qui commet le péché soit libre et
non causée par l’entraînement de la faiblesse. De telles conditions
sont rares sur la terre aussi on doit admettre que le péché contre
l’Esprit Saint est peu fréquent. Cependant, tout péché mortel commis
sur la terre peut être une disposition au péché contre l’Esprit
Saint. Celui qui, en effet, met son intention dans la recherche
exclusive de son bien-être égoïste, crée en lui une disposition
stable, un vice, qui fait que l’âme se complait de plus en plus dans
son péché. Ainsi, arrivé au moment de la mort où la révélation
l’enjoint à faire un choix entre l’amour de Dieu ou l’amour de soi,
elle est conditionnée par sa vie entière à se porter plutôt vers le
second choix. Mais il ne s’agit que d’une disposition et non d’une
détermination certaine. Parmi les hommes qui vivent en état de péché
mortel, la plupart le sont à cause d’une ignorance ou d’une
faiblesse présupposées. Mais ils ne resteraient certainement pas
dans cet état s’ils avaient l’occasion d’en connaître la gravité aux
yeux de Dieu, comme l’Ecriture le montre pour la ville de Ninive qui
se convertit après un seul appel du prophète Jonas. C’est aussi la
raison pour laquelle on constate que les conversions sont fréquentes
à l’approche d’un danger comme la guerre ou la maladie. Ainsi, il
est permis de penser que la masse de ceux qui ont commis durant leur
vie des péchés mortels par ignorance ou par faiblesse, seront sauvés
même s’ils doivent être auparavant purifiés par le feu du
purgatoire. Mais il existe aussi des hommes qui pèchent gravement
sur cette terre contre leur prochain par malice volontaire et cela
même parmi les païens. Ceux-là se mettent par leur péché dans une
disposition directe au péché contre l’Esprit Saint car il est
presque certain qu’ils agiraient de même dans la plupart des cas
même s’ils connaissaient Dieu. Celui qui est capable froidement de
faire le mal à son prochain, est disposé par sa malice à rester dans
le péché jusque dans la mort.
De tout cela, on peut conclure
qu’il semble que parmi les hommes, une petite partie va directement
au Ciel soit parce que, étant chrétiens ils ont vécu en plénitude de
la charité, soit parce que, étant païens ils étaient disposés par
leur bonne volonté à aimer Dieu dès qu’ils l’ont connu; une petite
partie est damnée parce qu’ils ont vécu dans le mal et ont maintenu
jusque dans la mort leur volonté fixée dans le péché. Quant à la
masse des hommes, elle vit dans le sensible et suit les impulsions
de la chair ou du monde plus par ignorance et faiblesse que par
véritable malice. Ceux là sont sauvés mais «comme à travers un feu»
selon l’apôtre[96], c’est à dire le
purgatoire.
Solution 1: Au moment de la mort, l’âme
ne voit pas directement l’essence divine. S’il en était ainsi, nul
ne pourrait se séparer de Dieu puisqu’il est l’essence même de la
bonté et qu’il n’a aucune espèce de mal en lui. L’intelligence est
confrontée avec l’humanité Sainte de Jésus. Il lui est possible de
résister à son amour. C’est ce que montre Balthasar[97]: «Que cela
soit possible, cela nous est attesté de nombreuses fois par
l’Ecriture, par Jésus lui-même. Il est possible de résister en face
à l’Esprit d’amour de Dieu, et alors il est évident qu’à quelqu’un
qui résiste ainsi, il ne puisse «être pardonné ni en ce monde ni
dans le monde à venir »[98]. Il est également possible qu’un tel
«non » ne se révèle comme déterminant pour une vie qu’au moment où
l’homme est placé devant la norme éternelle[99]. Avons-nous besoin
de nous représenter cette possibilité, voire de nous la dépeindre ?
A coup sûr pour nous-mêmes seulement; on ne devrait faire de
théories générales et neutres sur l’enfer ni en théologie ni en
pastorale. Mais on ne doit pas davantage répandre des théories
générales suivant lesquelles, à cause de la bonté de Dieu, il ne
peut pas exister un enfer dans lequel il y a quelqu’un. En le
faisant, nous empiéterions sur la souveraineté de notre Juge, qui
décide seul de notre salut et de notre perte.»
Solution 2: Cette parole de Jésus signifie que peu
d’hommes sont capables de rester tout au long de leur vie terrestre
fidèles à la grâce reçue. La plupart ne pensent à Dieu que lorsque
le besoin s’en fait sentir, et non par véritable amour. Mais cette
parole ne veut pas dire que ceux qui aiment Dieu d’un amour
utilitaire seront damnés. Dieu a le temps et les moyens de faire
progresser chacun, que ce soit à travers les croix de la vie
terrestre et de la mort, son apparition glorieuse ou le
purgatoire.
Solution 3: Il faut prendre ces chiffres
dans un sens symbolique comme presque toutes les images qui sont
dans le livre de l’apocalypse. Le chiffre 144000, à savoir 12000 de
chacune des douze tribus d’Israël signifie que Dieu connaît le
nombre des élus et que ce nombre sera parfait, ce qui signifie que
les hommes seront sauvés ou damnés selon l’ordre de la justice
divine. Quant au nombre d’un tiers, il manifeste que la part de ceux
qui seront damnés est connue et fixée par Dieu de toute éternité
puisque Dieu est au-delà du temps et connaît
tout.
Solution 4: Mais, pour l’homme, ce raisonnement
peut être renversé. S’il est vrai que celui-ci est tellement pauvre
et misérable, il faudrait plutôt conclure que personne ne peut se
damner, car ce n’est pas par ignorance et simple faiblesse qu’il
peut choisir le refus éternel. En fait, l’erreur de saint Thomas en
ces matières est venu d’un excès de confiance dans la logique des
raisonnements: De même qu’il ne découvrit pas l’immaculée conception
de Marie parce qu’il était nécessaire qu’elle ait été sauvée par le
Christ (la logique ne peut déduire de ces prémices que Marie peut
être sauvée autrement, par anticipation), de même il mettait
logiquement en enfer tous les hommes qu’il constatait mourir sans la
charité, donc la plupart d’entre les chrétiens, sans compter les
païens.) Il fut en cela fidèle au dogme mais n’imagina pas que Dieu
pouvait, étant au delà des raisonnements, leur proposer le salut
jusque dans leur mort.
Solution 5: D’après Balthasar,
il s’agit cependant de menaces qui veulent susciter la conversion.
Ce sont des images en creux du salut, c’est-à-dire des prophéties,
qui veulent précisément être contre productives en voulant arracher
à celui qui les écoute la décision de s’orienter vers le salut par
la description du mal. « Si les menaces de jugement et les images
terribles de la gravité des châtiments infligés aux pécheurs que
nous trouvons dans l’Ecriture et la Tradition ont un sens, alors
c’est certainement celui de me montrer, à moi, la responsabilité qui
m’incombe avec ma liberté.»[100]
D’après moi au contraire,
ces images de l’enfer sont crédibles à propos de la réalité du choix
de certains hommes. Nous ne sommes pas assez attentifs au bien réel,
quoique apparent et mensonger, que peut trouver l’homme égoïste dans
la proposition de l’enfer, telle qu’elle est vantée en toute vérité
par le démon à l’heure de la mort. L’amour de Dieu poussé jusqu’au
mépris de soi paraît bien peu tentant face à la liberté, cette
autonomie parfaite, cette capacité «divine »[101] à choisir soi-même
ce qui est bien et mal, et malgré la solitude et la souffrance
naturelle qui en découle.
Nous pouvons malgré tout faire
nôtre ce passage du Père Teilhard de Chardin[102]: «Vous m’avez dit,
mon Dieu, de croire à l’enfer. Mais vous m’avez interdit de penser,
avec absolue certitude, d’un seul homme, qu’il était damné. Je ne
chercherai donc pas ici à regarder les damnés ni même, en quelque
manière à savoir qu’il en existe. Mais acceptant, sur votre parole,
l’enfer, comme un élément structurel de l’univers, je prierai, je
méditerai, jusqu’à ce que, dans cette chose redoutable, apparaisse
pour moi un complément fortifiant, béatifiant même, aux vues que
vous m’avez ouvertes sur votre Omniprésence
»
Arnaud
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