Docteur de l'Eglise
COMMENTAIRE DES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD
(1254-1256)
© Copyright, Traduction et notes par Serge Pronovost, 2019
Edition numérique http://docteurangelique.free.fr
Les œuvres complètes de saint Thomas
d'Aquin
Prologue général, la théologie, Le Dieu
unique
Il s'agit de la toute première œuvre de saint Thomas, la
première de ses Sommes de théologie.
Le texte latin est en caractère 12,
en bleu.
La traduction française est faite à partir de l’édition
électronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, réalisée par
le professeur Enrique Alarcón, dans le cadre de la publication accessible par
ordinateur du Corpus thomisticum (Université de Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org
Le premier livre : [Dieu et sa Trinité]
Le second livre : [La création par Dieu]
Le troisième livre : [La restauration des oeuvres de Dieu
: Le Christ et la grâce]
Le quatrième livre : [Les moyens sacramentels et la fin
des êtres]
TEXTE DE PIERRE LOMBARD, prologue : La théologie
COMMENTAIRE DE SAINT THOMAS SUR LE PROLOGUE (La
théologie)
Question unique : [La doctrine sacrée]
Article 1 – Outre les disciplines physiques y a-t-il une
autre discipline nécessaire à l’homme ?
Article 2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine outre
les sciences physiques ?
Article 3: [La nature de cette science]
Article 4 – Dieu est-il le sujet de cette science ?
Article 5 – La manière de procéder est-elle
selon l’art [1] ?_
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1[2]
Distinction 1 – [L'usage et la fruition de Dieu]
Question 1 – [La jouissance et l’usage]
Article 1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ?
Article 2 – L’usage est-il un acte de la raison ?
Article 1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ?
Article 2 – Est-ce que jouir de Dieu est une fruition
unique ?
Question 3 – [L’usage des créatures]
Article 1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que
Dieu ?
Question 4 – [Ceux qui jouissent et utilisent]
Article 1 – La jouissance appartient-elle à toutes
les choses ?
Est-ce que l’usage s’attribue à ceux qui existent dans la
Patrie ?
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1
Distinction 2 – [L’unité en Dieu]
Qestion unique : [Unité de l’essence divine]
Article 1 – N’y a-t-il qu’un seul Dieu ?
Article 2 – Y a-t-il plusieurs attributs en Dieu ?
Article 4 – Y a-t-il en Dieu plusieurs personnes ?
Article 5 – Les personnes divines diffèrent-elles
réellement ou en raison ?
Distinction 3 – [Comment on vient à la connaissance de
Dieu par sa trace des créatures]
Question 1 – [La connaissance de Dieu dans les créatures]
Article 1 – Dieu peut-il être connu par un intellect créé
?
Article 2 – L'existence de Dieu est-elle évidente par soi
?
Article 3 – Dieu peut-il être connu par l'homme à travers
les créatures ?
Article 1 – La ressemblance de Dieu dans les créatures
peut-elle être appelée vestige ?
Article 2 – Est-ce que les parties du vestige sont
au nombre de trois ou n’y en a-t-il que deux ?
Article 3 – Y a-t-il une trace en toute créature ?
Question 3 – [Le substrat de l’image]
Article unique : L’esprit est-il le seul sujet de
l’image ?
Question 4 – [La connaissance de l’image]
Article 1 – Est-ce que la mémoire a rapport à l’image ?
Article 2 – Les puissances de l'âme sont-elles son
essence ?
Article 3 – Est-ce qu’une seule et même puissance naît
d’une autre ?
Question 5 – [Les parties de l’image]
Distinction 4 – [La génération en Dieu]
Question 1 – [La génération divine]
Article 1 – Y a-t-il de la génération en Dieu ?
Article 2 – Cette proposition : « Dieu a engendré
Dieu » est-elle fausse ?
Article 3 – Dieu s’est-il engendré lui-même comme Dieu ou
a-t-il engendré un autre Dieu ?
Question 2 – [L’attribution divine]
Article 1 – Peut-on former une proposition au sujet de
Dieu ?
Article 2 – La personne peut-elle être attribuée à
l'essence ?
Distinction 5 – [Les noms qui signifient l’essence de
Dieu dans l’abstrait]
Question 1 – [L'essence se comporte-t-elle vis-à-vis de
la génération comme ce qui engendre ?]
Article 1 – L’essence engendre-t-elle ?
Article 2 – L'acte d'engendrer est-il attribué à l'un des
noms essentiels ?[7]
Question 2 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce d’où
vient la génération ?]
Article 1 – Le Fils est-il engendré de la substance du
Père ?
Article 2 – Le Fils vient-il du néant ?
Question 3 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce qui
est le terme de la génération]
Article unique : L’essence est-elle le terme de la
génération ?
Distinction 6 – [La génération en son principe]
Question unique : [La nécessité de la génération du Fils]
Article 1 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nécessité
?
Article 2 – Le Père a-t-il engendré le Fils par volonté ?
Article 3 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nature ?
Distinction 7 – [La puissance générative en Dieu.
Principe]
Question 1 – [La puissance d’engendrer en Dieu]
Article 1 – Y a-t-il de la puissance générative en Dieu ?
Article 2 – La puissance générative est-elle une relation
?
Question 2 – [L’état commun de cette puissance]
Article 1 – La puissance d’engendrer est-elle dans le
Fils ?
Article 2 – Le Fils peut-il engendrer un autre fils ?
Distinction 8 – [Les attributs divins : être,
éternité, immutabilité, simplicité]
Article 1 – Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ?
Article 2 – Dieu est-il l'être de toutes les choses ?
Article 3 – Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les
noms divins ?
Question 2 – [L’éternité divine]
Article 1 – La définition de l’éternité donnée par Boèce
convient-elle ?
Article 2 – L'éternité convient-elle à Dieu seulement ?
Article 3 – Peut-on attribuer à Dieu des paroles
temporelles?
Question 3 – [L’immutabilité de Dieu]
Article 1 – Dieu est-il changeant de quelque manière ?
Article 2 – Toute créature est-elle changeante ?
Article 3 – Les modes de changement des créatures
sont-ils attribués convenablementpar Augustin ?
Question 4 – [La simplicité en Dieu]
Article 1 – Dieu est-il simple d’une simplicité qui est
absolue?
Article 2 – Dieu est-il dans la catégorie de la substance
?
Article 3 – Est-ce que les autres prédicaments
s’attribuent à Dieu ?
Question 5 – [La simplicité du côté des créatures]
Article 1 – Existe-t-il une créature simple ?
Article 2 – L'âme est-elle simple ?
Article 3 – L'âme est-elle toute entière dans tout le
corps et en chaque partie ?
Distinction 9 – [La distinction des personnes]
Question 1 – [La distinction du Père et du Fils]
Article 1 – Le Fils est-il autre que son Père ?
Article 2 – Peut-on dire que le Père et le Fils sont
plusieurs éternels ?
Question 2 – [La coéternité du Père et du Fils]
Article 1 – Le Père est-il antérieur au Fils ?
Article 2 – La génération divine doit-elle être signifiée
par le temps présent ?
Distinction 10 – [L’Esprit Saint comme amour]
Question unique : [L’Esprit Saint comme amour]
Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il comme amour ?
Article 2 – L’Esprit Saint est-il l’amour que le Père a
pour le Fils ?
Article 3 – L’Esprit Saint est-il l’union du Père et du
Fils ?
Article 4 – Appelle-t-on au sens propre, l’Esprit Saint,
la personne qui procède par amour ?
Article 5 – Y a-t-il seulement trois Personnes en Dieu ?
Distinction 11 – [La procession de l’Esprit Saint]
Question unique : [La procession de l’Esprit Saint]
Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du
Fils ?
Article 2 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du
Fils en tant qu’ils sont un ?
Article 3 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du
Fils en tant qu’ils sont un en nature ?
Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils un seul agent de
spiration ?
Distinction 12 – [La procession de l’Esprit Saint –
suite]
Article 1 – La génération est-elle antérieure à la
procession ?
Article 2 – L'Esprit Saint procède-t-il plus du Père que
du Fils ?
Article 3 – L'Esprit Saint procède-t-il du Père par
l'intermédiaire du Fils ?
Distinction 13 – [la procession du Saint Esprit –
suite]
Question unique : [La procession du Saint
Esprit]
Article 1 – Y a-t-il une procession en Dieu ?
Article 2 – N'y a-t-il qu'une seule procession en Dieu ?
Article 3 – La procession de l'Esprit Saint doit-elle
être appelée procession ou génération ?
Article 4 – Doit-on dire que l’Esprit Saint est
inengendré ?
Distinction 14 – [La procession de l’Esprit Saint– suite]
Question 1 – [La procession temporelle en soi]
Article 1 – Y a-t-il une procession de l’Esprit Saint qui
est temporelle ?
Article 2 – La procession temporelle se distingue-t-elle
réellement de la procession éternelle ?
Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné temporellement ?
Article 2 – La procession temporelle de l’Esprit Saint
s’étend-elle à tous les dons ?
Question 3 – [Par qui la procession temporelle de
l’Esprit Saint est-elle faite ?]
Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné par les saints ?
Distinction 15 – [La mission en Dieu]
Question 1 – [Qu’est ce que la mission des Personnes
divines ?]
Article 1 – La mission convient-elle aux Personnes
divines ?
Article 2 – La mission signifie-t-elle une notion ?
Question 2 – [La mission convient-elle à toutes les
personnes ?]
Article 1 – La mission convient-elle à toutes les
personnes ?
Question 3 – [La mission par comparaison à celui
qui envoie]
Article 1 – Est-ce qu’une personne s’envoie ou se donne
elle-même ?
Article 2 – L’Esprit Saint envoie-t-il ou donne-t-il le
Fils ?
Question 4 – [La mission invisible du Fils en soi]
Article 1 – Le Fils est-il envoyé invisiblement en esprit
?
Article 2 – La mission du Fils se distingue-t-elle de
celle de l’Esprit Saint ?
Article 3 – La mission peut-elle être éternelle ?
Question 5 – [la mission du Fils par comparaison avec
ceux à qui il est envoyé]
Article 1 – La mission est-elle faite pour les créatures
sans raison ?
Article 2 – La mission invisible a–t-elle été plus complète
après l’Incarnation qu’avant ?
Article 3 – Par la mission invisible se fait-il que nous
ne sommes plus en ce monde ?
Distinction 16 – [Les missions visibles]
Question unique : [Les missions visibles des
Personnes divines]
Article 1 – Une mission visible convient-elle aux
Personnes divines ?
Article 2 – La mission visible aurait-elle dû exister pour
les Pères de l’ancien Testament ?
Article 3 – La mission visible est-elle faite seulement
dans une forme corporelle ?
Article 4 – Les formes de la mission visible sont-elles
formées par l’intervention des anges ?_
Distinction 17 – [Les missions invisibles de l’Esprit
Saint]
Question 1 – [La nature de la charité]
Article 1 – La charité est-elle quelque chose de créé
dans l’âme ?
Article 2 – La charité est-elle un accident ?
Article 3 – La charité est-elle donnée selon la capacité
des choses naturelles ?
Article 4 – La charité est-elle connue avec certitude par
celui qui la possède ?
Article 5 – La charité doit-elle être aimée par charité ?
Question 2 – [La croissance de la charité]
Article 1 – La charité s’accroît-elle ?
Article 2 – La charité s’accroît-elle par addition ?
Article 3 – La charité s’accroît-elle par n’importe quel
acte ?
Article 4 – L’accroissement de la charité a-t-il une
limite ?
Article 5 – La charité diminue-t-elle ?
Distinction 18 – [L’Esprit Saint comme don]
Question unique : [L’Esprit Saint comme don]
Article 1 – Est-ce que le nom don est un nom essentiel ?
Article 2 – Le don est-il le propre de l’Esprit Saint ?
Article 4 – L’Esprit Saint tient-il de la même procession
d’être don et Dieu ?
Article 5 – Peut-on appeler l’Esprit Saint notre don ?
Distinction 19 – [Les personnes divines, leurs relations,
leur égalité]
Question 1 – [L’égalité des personnes divines]
Article 1 – Y a-t-il de l’égalité en Dieu ?
Article 2 – L’égalité en Dieu est-elle réciproque ?
Question 2 – [Ce en quoi l’égalité des personnes divines
est atteinte]
Article 1 – L’éternité est-elle la substance de Dieu ?
Article 2 : L’instant de l’éternité est-il
l’éternité elle-même ?
Question 3 – [La grandeur des personnes divines]
Article 1 – La grandeur convient-elle à Dieu ?
Article 2 – Le Père est-il dans le Fils et inversement ?
Question 4 – [Le tout attribué à Dieu]
Article 1 – Y a-t-il en Dieu un tout intégral[15]?
Article 2 – Y a-t-il en Dieu un tout universel ?
Article 1 – La vérité est-elle l’essence de la chose ?
Article 2 – Tout est-il vrai d’une vérité incréée ?
Article 3 – Y a-t-il plusieurs vérités éternelles ?
Distinction 20 – [La puissance du Fils]
Question unique : [La puissance du Fils]
Article 1 – Le Fils est-il tout puissant ?
Article 2 – Le Fils est-il égal au Père ?
Article 3 – Y a-t-il un ordre dans les personnes divines
?
Distinction 21 – [Les noms divins (1)]
Question 1 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du
côté du sujet ?]
Article 1 – Cette proposition, ‘Seul Dieu est Dieu’,
est-elle fausse ?
Article 2 – Cette proposition : « Le Père seul
est Dieu », est-elle vraie ?
Question 2 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du
côté du prédicat ?]
Article 1 – Cette proposition : « La Trinité
est le seul Dieu », est-elle vraie ?
Article 2 – Le Père est-il le seul Dieu ?
Distinction 22 – [Les noms divins – suite]
Question 1 – [Le nom attribué à Dieu]
Article 1 – Est-ce que Dieu peut être désigné par un nom
?
Article 2 – Peut-on employer un nom au sens propre pour
Dieu ?
Article 3 – Dieu a-t-il un seul nom ?
Article 4 – La division des noms de Dieu donné par
Ambroise est-elle insuffisante[17] ?
Distinction 23 – [Le nom « personne »]
Article 2 – Ce nom « personne » est-il employé
au sens propre pour Dieu ?
Article 4 – « Personne » est-il prédiqué au
pluriel en Dieu ?
Distinction 24 – [L’unité en Dieu]
Question 1 – [L’unité en Dieu]
Article 1 – Peut-on dire que Dieu est un ?
Article 2 – Y a-t-il un nombre en Dieu ?
Article 3 – L’unité et le nombre placent-ils quelque
chose en Dieu ou l’excluent-ils ?
Article 4 – L’un et le nombre signifient-ils l’essence ?
Question 2 – La diversité en Dieu
Article 1 – Y a-t-il de la diversité en Dieu ?
Article 2 – Trinité est-il un nom essentiel ?
Distinction 25 – [Parle-t-on de manière univoque de
Dieu et des créatures ?]
Question unique : [La définition de la personne]
Article 1 – La définition de la personne donnée par Boèce
convient-elle ?
Article 3 – La personne est-elle commune aux trois
personnes ?
Article 4 – Peut-on dire que les trois personnes sont
trois choses ?
Distinction 26 – [Les hypostases[18] et
les relations]
Article 1 – Est-ce que l’hypostase s’attribue proprement
à Dieu ?
Article 2 – Si on exclut en esprit les relations, les
hypostases demeurent-elle distinctes ?_
Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles tout à fait
inexistantes ?
Article 2 – Les relations d'origine distinguent-elles les
hypostases ?
Article 3 – Les notions sont-elles seulement cinq ?
Distinction 27 – [Les propriétés et le Verbe]
Article 1 – Les propriétés se distinguent-elles entre
elles ?
Article 2 – L'opération personnelle précède-t-elle en
raison la relation de la personne ?
Article 1 – Parle-t-on du Verbe au sens propre en Dieu ?
Article 2 – Le verbe est-il dit selon la personne ?
Article 3 – Le verbe dit-il toujours le rapport à la
créature ?
Distinction 28 – [L’innascibilité et l’image]
Question 1 – [L’innascibilité]
Article 1 – L’innascibilité est-elle la propriété du Père
?
Article 2 – L’innascibilité est-elle la propriété
personnelle du Père ?
Article 2 – Parle-t-on de l’image selon l’essence ?
Article 3 – Peut-on dire que l’Esprit Saint est une image
?
Distinction 29 – [Le principe]
Question unique – [Le principe]
Article 1 – Une personne est-elle le principe d’une autre
?
Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils le principe
unique de l’Esprit Saint ?
Distinction 30 – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps]
Question unique – [Ce qu’on dit de Dieu selon le
temps]
Article 1 – Dit-on quelque chose de Dieu en rapport avec
le temps ?
Article 2 – Ce qui est dit de Dieu en rapport avec le
temps signifie-t-il son essence ?
Distinction 31 – [Egalité et appropriation]
Question 1 – [L’égalité des Personnes]
Article 1 – L’égalité place-t-elle quelque chose en Dieu
?
Article 2 – Les attributs essentiels de ce genre
doivent-ils être appropriés aux personnes divines ?
Question 2 – [L’appropriation]
Question 3 – [L’appropriation, suite]
Article 2 – Tout est-il un à cause du Père ?
Distinction 32 – [La médiation dans les processions]
Article 1 – Le Père aime-t-il le Fils en l’Esprit Saint ?
Article 2 – Le Père s’aime-il par l’Esprit Saint ?
Article 3 – Le Père et le Fils nous aiment-ils par
l’Esprit Saint ?
Question 2 – [Ce qui convient au Fils]
Article 1 – Le Père est-il sage par une sagesse engendrée
?
Article 2 – Le Fils est-il sage d’une sagesse engendrée ?
Distinction 33 – [Les propriétés et l’essence]
Question unique – [Les propriétés et l’essence]
Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles son essence
?
Article 2 – Les propriétés sont-elles les personnes ?
Article 3 – Les propriétés sont-elles dans les personnes
et dans l’essence ?
Article 4 – Les adjectifs essentiels s’attribuent-ils aux
propriétés ?
Article 5 – Les opinions contraires concernant les
notions peuvent-elles être sans péché ?
Distinction 34 – [L’essence et la Personne]
Question 1 – [La comparaison de l’essence avec la
personne].
Article 1 – La personne et l’essence sont-elles une même
chose en Dieu ?
Article 2 – Dit-on convenablement que les trois personnes
sont d’une seule essence ?
Question 2 – [L’appropriation qui est placée dans
la Lettre].
Question 3 – [Ce qui est dit métaphoriquement de Dieu].
Article 1 – Doit-on dire quelque chose de Dieu par
métaphore ?
Article 2 – La métaphore en Dieu doit-elle être faite à
partir des choses viles ?
Distinction 35 – [La science de Dieu]
Question unique – [La science convient-elle à Dieu
?]
Article 1 – La science convient-elle à Dieu ?
Article 2 – Dieu connaît-il ce qui est autre que lui ?
Article 3 – A-t-il une connaissance certaine et
particulière des autres choses que lui ?
Article 4 – La science de Dieu est-elle univoque à la
nôtre ?
Article 5 – La science de Dieu est-elle universelle ?
Distinction 36 – [La connaissance de Dieu et les idées]
Question 1 – [La connaissance de Dieu]
Article 1 – Dieu connaît-il les singuliers ?
Article 2 – Dieu connaît-il les maux ?
Article 3 – Ce qui est connu par Dieu est-il en lui ?
Question 2 – [Les idées de Dieu]
Article 1 – Qu’est-ce qui est impliqué par le nom d’idée
?
Article 2 – Y a-t-il plusieurs idées ?
Article 3 – Y a-t-il en Dieu les idées de tout ce qu’il
connaît ?
Distinction 37 – [L’ubiquité de Dieu. La localisation et
les mouvements des anges]
Question 1 – [La présence de Dieu]
Article 1 – Dieu est-il dans les choses ?
Question 2 – [L’ubiquité de Dieu]
Article 1 – Dieu est-il partout ?
Article 2 – Être partout convient-il à Dieu seul ?
Article 3 – Être partout convient-il à Dieu éternellement
?
Question 3 – [Le lieu des anges]
Article 1 – L’ange est-il dans un lieu ?
Article 2 – L’ange peut-il être en plusieurs lieux ?
Article 3 – Plusieurs anges peuvent-ils être dans un seul
et même lieu ?
Question 4 – [Le mouvement des anges]
Article 1 – L’ange se meut-il localement ?
Article 2 – L’ange dans son déplacement traverse-t-il
nécessairement un espace intermédiaire ?
Article 3 – L’ange se meut-il dans l’instant ?
Distinction 38 – [La science de Dieu]
Question unique – [L’universalité de la science de
Dieu]
Article 1 – La science de Dieu est-elle la cause des
choses ?
Article 2 – La science de Dieu concerne-t-elle de manière
uniforme les choses connues ?
Article 3 – La science de Dieu concerne-t-elle ce qui
peut être énoncé ?
Article 4 – Dieu a-t-il la science du non-être ?
Article 5 – La science de Dieu concerne-t-elle les futurs
contingents ?
Distinction 39 – [Science de Dieu et providence]
Question 1 – [l’invariabilité de la science divine]
Article 1 – Dieu peut-il ne pas connaître ce qui est
connu par lui ?
Article 2 – Dieu peut-il savoir ce qu’il ne sait pas ?
Article 3 – Dieu connaît-il l’infini ?
Question 2 – [l’universalité de la providence divine]
Article 1 – La providence appartient-t-elle à la science
?
Article 2 – La providence s’applique-t-elle à tout ce qui
existe ?
Distinction 40 – [La prédestination]
Question 1 – [La nature de la prédestination]
Article 1 – La prédestination est-elle quelque chose dans
le prédestiné ?
Article 2 – La prédestination appartient-elle à la
science ?
Question 2 – [L’objet de la prédestination]
Article 1 – Qui est concerné par la prédestination ?
Question 3 – [La certitude de la prédestination]
Article 1 – La prédestination est-elle certaine ?
Article 1 – La réprobation ajoute-t-elle quelque chose à
la prescience ?
Article 2 – Dieu est-il la cause de l’endurcissement ?
Distinction 41 – [L’élection en Dieu]
Question unique – [Y a-t-il en Dieu une élection ?]
Article 1 – Y a-t-il en Dieu une élection ?
Article 2 – L’élection précède-t-elle la prédestination
en raison ?
Article 3 – La préscience des mérites est-elle la cause
de la prédestination ?
Article 4 – La prédestination est-elle aidée par l’œuvre
de l’homme ?
Article 5 – Tout ce que Dieu a connu autrefois, le
connaît-il maintenant ?
Distinction 42 -- [La condition de la toute
puissance de Dieu[21]]
Question 1 – [La puissance de Dieu en soi]
Article 1 – Y a-t-il de la puissance en Dieu ?
Y a-t-il en Dieu une seule puissance ?
Question 2 – [Ce qui est soumis à la puissance de Dieu]
Article 1 – Dieu peut-il tout ce qui est possible à un
autre ?
Article 2 – Dieu peut-il ce qui est impossible à la
nature ?
Article 3 – Faut-il juger l'impossible selon les causes
inférieures ?
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42
Distinction 43 – [La puissance de Dieu, suite]
Question 1 – [Les limites de la puissance de Dieu]
Article 1 – La puissance de Dieu est-elle infinie ?
Article 2 – La toute puissance de Dieu peut-elle être
communiquée aux créatures ?
Question 2 – [La nécessité de l'opération divine]
Article 1 – Dieu opère-t-il par nécessité de nature ?
Article 2 – Dieu agit-il par une nécessité de justice ?
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 43
Distinction 44 – [La puissance de Dieu dans sa création]
Question unique – [La puissance de Dieu relativement à la
création]
Article 1 – Dieu aurait-il pu faire une créature
meilleure qu'il ne l’a faite ?
Article 2 – Dieu aurait-il pu faire un univers meilleur ?
Article 3 – Dieu aurait-il pu rendre l’humanité du Christ
meilleure qu’elle ne l’est ?
Article 4 – Dieu peut-il faire tout ce qu'il a pu
autrefois ?
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44
Distinctio 45 – [La volonté en Dieu]
Article 1 – La volonté existe-t-elle en Dieu ?
Article 2 – La volonté de Dieu ne se rapporte-t-elle
qu’à lui seul ?
Article 3 – La volonté de Dieu est-elle la cause des
choses ?
Distinction 46 – (2) La volonté de Dieu
Article 1 : Dieu veut-il que tous les hommes soient
sauvés ?
Article 2 : Est-il bon que des choses mauvaises
soient faites?
Article 3 : Le mal contribue-t-il à la perfection de
l’univers ?
Article 4 : Dieu veut-il que de mauvaises choses
soient faites ?
Distinction 47 – (3) La volonté de Dieu - Son
efficacité
Article 1 : La volonté divine s’accomplit-elle
toujours efficacement ?
Article 2 : Est-ce que rien ne se fait en dehors de
la volonté de Dieu ?
Article 3 : Est-ce que ce qui est contre la volonté
de Dieu n’obéit pas à sa volonté ?
Article 4 : Ce qui est en dehors de la volonté de
Dieu n’est-il pas soumis au précepte ?
Distinction 48 – La volonté de Dieu (4). La
conformité de la volonté de l’homme à celle de Dieu
Article 1 : Est-ce que la volonté humaine ne peut
pas se conformer à la volonté divine ?
Article 2 : La conformité des volontés se
vérifie-t-elle surtout selon ce qui est voulu ?
Article 3 : Ne sommes-nous pas tenus à la conformité
de la volonté divine ?
Article 4 : Sommes-nous tenus à la conformité dans
ce qui est voulu ?
Textum
Parmae 1858 editum ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias
magneticas denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit. |
© Copyright, Traduction et notes par Serge Pronovost |
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LIBER I |
LIVRE 1
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Prooemium |
Prologue |
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Ego sapientia effudi
flumina : ego quasi trames aquae immensae defluo : ego quasi fluvius Dorix,
et sicut aquaeductus exivi de Paradiso. Dixi : rigabo hortum plantationum, et
inebriabo partus mei fructum. Eccli. 24, 40. |
Moi, la Sagesse, j’ai relâché
des torrents : je me répands comme un cours d’eau immense : je suis
comme le fleuve Dorix, et comme un cours d’eau je suis sorti du Paradis. J’ai
dit : j’irriguerai abondamment le jardin de mes plantations et
j’enivrerai le fruit de mon enfantement. (Si. 24, 30-31). |
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Le premier livre : [Dieu et sa Trinité] |
Inter multas sententias
quae a diversis de sapientia prodierunt, quid scilicet esset vera sapientia,
unam singulariter firmam et veram apostolus protulit dicens Christum
Dei virtutem et Dei sapientiam, qui etiam nobis a Deo factus est sapientia, 1
ad Corinth. 1, 24 et 30. Non autem hoc ita dictum est, quod solus
filius sit sapientia, cum pater et filius et spiritus sanctus sint una
sapientia, sicut una essentia ; sed quia sapientia quodam speciali modo filio
propriis [appropriatur Éd. Parme], eo quod sapientiae
opera cum propriis [proprietatibus Éd. De Parme] filii plurimum
convenire videntur. Per sapientiam enim Dei manifestantur divinorum
abscondita, producuntur creaturarum opera, nec tantum producuntur, sed
[etiam Éd. De Parme] restaurantur et perficiuntur : illa, dico,
perfectione qua unumquodque perfectum dicitur, prout proprium finem attingit. |
Parmi les nombreuses sentences sur la sagesse produites
par différents auteurs pour exprimer ce que devait être la vraie sagesse,
l’apôtre en a déclaré une qui est spécialement forte et vraie en
disant : Le Christ est la puissance et la sagesse de Dieu, lui
qui a aussi été fait sagesse pour nous par Dieu. (1Cor. 1, 24 et 30).
Mais cela n’a pas été dit de telle manière que seul le Fils serait sagesse,
puisque le Père, avec le Fils et l’Esprit-Saint, sont une seule et même
sagesse tout comme ils sont une seule et même essence, mais en ce sens que la
sagesse semble appartenir en propre au Fils d’une manière spéciale, du fait
que les œuvres de la sagesse semblent grandement ressortir de ce qui est
propre au Fils. En effet, c’est par la Sagesse de Dieu que sont manifestés
les trésors cachés de la divinité, que sont produites les œuvres des
créatures, et qu’elles ne sont pas seulement produites, mais aussi restaurées
et conduites à leurs perfections ; et j’appelle ici perfection celle par
laquelle on dit de chaque chose qu’elle est parfaite dans la mesure où elle
parvient à la fin qui lui est propre. |
Quod autem manifestatio
divinorum pertineat ad Dei sapientiam, patet ex eo quod ipse Deus per suam
sapientiam seipsum plene et perfecte cognoscit. Unde si quid de ipso
cognoscimus oportet quod ex eo derivetur, quia omne imperfectum a perfecto
trahit originem : unde dicitur Sapient. 9, 17 : Sensum
tuum quis sciet, nisi tu dederis sapientiam ? Haec autem
manifestatio specialiter per filium facta invenitur : ipse enim est verbum
patris, secundum quod dicitur Joan. 1, unde sibi
manifestatio dicentis patris convenit et totius Trinitatis. Unde
dicitur Matth. 11, 27 : Nemo novit patrem nisi
filius et cui filius voluerit revelare : et Joan. 1,
18 : Deum nemo vidit unquam, nisi unigenitus qui est in sinu patris. |
Mais qu’il appartienne à la sagesse de Dieu de manifester
le divin, cela est évident du fait que Dieu lui-même, par sa sagesse, se
connaît lui-même dans sa plénitude de la façon la plus parfaite. C’est
pourquoi, si nous connaissons quelque chose de Lui, il faut que cette
connaissance provienne de Lui, car tout ce qui est imparfait tire son origine
de ce qui est parfait ; c’est pourquoi on lit ceci au livre de la
Sagesse (9, 17) : Qui connaîtra ta Pensée, si tu
ne lui donnes pas ta Sagesse ? Mais il se trouve que cette manifestation
du divin a spécialement été faite par le Fils : en effet, il est
Lui-même le Verbe du Père, conformément à ce qu’on lit dans le premier
chapitre de l’Évangile de Jean, et c’est pourquoi c’est à lui
qu’il revient de révéler ce que dit le Père et toute la Trinité. C’est
pourquoi Matthieu dit (11, 27) : Personne n’a connu le Père, si
ce n’est le Fils et celui à qui le Fils a voulu le révéler ; et Jean
dit de même (1, 18) : Dieu, personne ne l’a jamais
vu, si ce n’est celui qui est le seul à avoir été engendré dans le sein du
Père. |
Recte
ergo dicitur ex persona filii : ego sapientia effudi flumina. Flumina
ista intelligo fluxus aeternae processionis, qua filius a patre, et spiritus
sanctus ab utroque, ineffabili modo procedit. Ista flumina olim occulta et
quodammodo infusa [confusa Éd. De Parme]erant, tum in
similitudinibus creaturarum, tum etiam in aenigmatibus Scripturarum, ita ut
vix aliqui sapientes Trinitatis mysterium fide tenerent. Venit filius Dei et infusa
[inclusa Éd. De Parme] flumina quodammodo effudit, nomen
Trinitatis publicando, Matth. ult. 19 : Docete omnes
gentes, baptizantes eos in nomine patris et filii et spiritus sancti.
Unde Job 28, 2 : Profunda fluviorum scrutatus est et
abscondita produxit in lucem. Et in hoc tangitur materia primi libri. |
C’est donc à juste titre que ces paroles sont dites de la
bouche du Fils : Moi la sagesse, j’ai relâché des torrents.
J’entends par torrents l’écoulement d’une procession éternelle par lequel,
selon un mode ineffable, le Fils procède du Père et l’Esprit-Saint du Père et
du Fils. Autrefois ces torrents étaient cachés et d’une certaine manière
n’étaient connus que confusément, aussi bien à travers les similitudes des
créatures que dans les énigmes que présentent les Écritures, de telle manière
qu’à peine quelques sages adhéraient par la foi au mystère de la Trinité.
Mais le Fils de Dieu vint et il répandit en quelque sorte des torrents
intérieurs en proclamant le nom de la Trinité comme il est dit dans Matthieu
(28, 19) : Enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du
Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est aussi pourquoi on lit dans Job
(28, 2) : Il a scruté la profondeur des fleuves et il a amené à
la lumière ce qui était dans l’obscurité. Et par ces considérations, nous
touchons à la matière du premier livre. |
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Le second livre : [La création par Dieu] |
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Secundum quod
pertinet ad Dei sapientiam est creaturarum productio : ipse enim de rebus
creatis non tantum speculativam, sed etiam operativam sapientiam habet, sicut
artifex de artificiatis ; unde in Psalm. 103 : Omnia in
sapientia fecisti. Et ipsa sapientia loquitur, Proverb. 8,
30 : Cum eo eram cuncta componens. Hoc etiam specialiter filio
attributum invenitur, inquantum est imago Dei invisibilis, ad cujus formam
omnia formata sunt : unde Coloss. 1, 15 : Qui est
imago Dei invisibilis, primogenitus omnis creaturae, quoniam in ipso condita
sunt universa ; et Joan. 1, 3 :Omnia per ipsum facta
sunt. Recte ergo dicitur ex
persona filii : ego quasi trames aquae immensae de fluvio ; in quo notatur et
ordo creationis et modus. Ordo, quia sicut trames a fluvio derivatur, ita
processus temporalis creaturarum ab aeterno processu personarum : unde
in Psalmo 148, 5, dicitur : Dixit, et facta sunt. |
Ce qui relève en deuxième lieu de la sagesse divine,
c’est la production des créatures : Dieu lui-même en effet ne possède
pas seulement une sagesse spéculative au sujet des choses créées, mais aussi
une sagesse opérationnelle, comparable à celle de l’artisan par rapport aux
choses artificielles ; c’est pourquoi le Psaume dit (103) : Tu
as tout fait avec sagesse. Et c’est la sagesse elle-même qui parle dans
les Proverbes (8, 30) : J’étais avec lui,
disposant toute chose. Cela même se trouve encore à être spécialement
attribué au Fils selon qu’il est l’image visible du Dieu invisible à la forme
duquel toutes les choses ont été façonnées ; c’est pourquoi on lit
dans l’Épître aux Colossiens : C’est lui qui est
l’image du Dieu invisible, le Premier-né parmi toutes les créatures, puisque
c’est en lui que toutes les choses ont été créées ; et c’est
pourquoi aussi Jean (1, 3) dit : Tout
a été fait par Lui. C’est donc avec raison que la personne du fils
dit : Je suis comme le chemin parcouru par l’eau abondante d’un
fleuve ; en quoi on remarque à la fois l’ordre et le mode de la
création. L’ordre, parce que tout comme le cheminement provient du fleuve, de
même la marche temporelle des créatures provient de la procession éternelle
des personnes : c’est pourquoi le Psalmiste dit (148,
5) : Il dit, et cela fut. |
Verbum genuit, in
quo erat ut fieret [fierent Éd. De Parme],
secundum Augustinum. Semper enim id quod est primum est causa eorum quae sunt
post, secundum philosophum ; unde primus processus est causa et ratio omnis
sequentis processionis. Modus autem signatur quantum ad duo : scilicet ex
parte creantis, qui cum omnia impleat, nulli tamen se commetitur ; quod
notatur in hoc quod dicitur, immensae. Item ex parte creaturae : quia
sicut trames procedit extra alveum fluminis, ita creatura procedit a Deo
extra unitatem essentiae, in qua sicut in alveo fluxus personarum
continetur. Et in hoc notatur materia
secundi libri. |
Selon Augustin, le Père engendra le Verbe dans lequel il
était afin que toutes les choses voient le jour. Toujours en effet, selon le
Philosophe, ce qui est premier est la cause de ce qui vient par la
suite ; c’est pourquoi le premier processus est la cause et la raison de
toute procession qui vient par la suite. Mais le mode est signifié quant à
deux rapports : c’est-à-dire d’une part quant au créateur qui, bien
qu’il comble toute chose ne se mélange cependant à aucune, ce qui est
signifié au moyen du terme immense. Le mode est signifié d’autre
part du côté de la créature car tout comme le chemin procède ou sort du lit
du fleuve, de même la créature procède de Dieu en sortant de l’unité de son
essence dans laquelle, comme dans le lit d’un fleuve, le flux des personnes
est contenu. Et c’est par là qu’est désignée la matière du second livre. |
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Le troisième livre : [La restauration des oeuvres de Dieu : Le Christ et la grâce] |
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Tertium, quod
pertinet ad Dei sapientiam, est operum restauratio. Per idem enim debet res
reparari per quod facta est ; unde quae per sapientiam condita sunt, decet ut
per sapientiam reparentur : unde dicitur Sapient. 9, 19 : Per sapientiam sanati sunt qui tibi
placuerunt ab initio. |
Ce qui relève en troisième lieu de la sagesse divine,
c’est la restauration de la création. En effet une chose doit être réparée
par cette même cause par laquelle elle a été faite ; c’est pourquoi il
convient que les choses qui ont été créées par la sagesse soient réparées par
elle. C’est pourquoi on lit dans le livre de la Sagesse (9, 19) : Ceux
qui t’ont plu dès le début, c’est par la sagesse qu’ils ont été guéris. |
Haec autem reparatio specialiter per filium facta est,
inquantum ipse homo factus est, qui, reparato hominis statu, quodammodo omnia
reparavit quae propter hominem facta sunt ; unde Coloss.1, 20 : Per
eum reconcilians omnia, sive quae in caelis, sive quae in terris sunt. Recte ergo ex ipsius filii persona dicitur : ego quasi
fluvius Dorix, et sicut aquaeductus exivi de Paradiso. Paradisus iste, gloria
Dei patris est, de qua exivit in vallem nostrae miseriae ; non quod eam
amitteret, sed quia occultavit : unde Joan.16, 28 : Exivi
a patre et veni in mundum. Et circa hunc exitum duo notantur, scilicet
modus et fructus. Dorix enim fluvius rapidissimus est ; unde designat modum
quo, quasi impetu quodam amoris nostrae reparationis Christus complevit
mysterium ; unde Isaiae 59, 19 : Cum venerit quasi
fluvius violentus, quem spiritus domini cogit. |
Mais cette réparation, c’est spécialement le Fils qui l’a
réalisée puisque lui-même a été fait homme et, ayant restauré la condition de
l’homme, il a restauré du même coup en quelque sorte tout ce qui avait été
fait en vue de l’homme ; c’est pourquoi il est dit dans l’Épître
aux Colossiens (1, 20) : C’est par Lui qu’il a tout
réconcilié, ce qui est dans les cieux comme ce qui est sur la terre.
C’est donc avec raison qu’il est dit de la bouche même de la personne du
Fils : Moi, je suis comme le fleuve Dorix et comme un cours
d’eau sorti du Paradis. Ce Paradis est la gloire de Dieu le Père d’où il
est sorti pour entrer dans la vallée de notre misère, non pas parce qu’il
avait perdu cette gloire, mais parce qu’il l’a cachée : c’est pourquoi
Jean dit de Lui (16, 28) : Je suis sorti du Père et je suis venu
dans le monde. Et au sujet de cette sortie, il faut noter deux choses, à savoir
le mode et le fruit. En effet, le fleuve Dorix est très rapide ; c’est
pourquoi est désigné par cette similitude le mode par lequel, comme par un
certain élan d’amour pour notre réparation, il a accompli le mystère ;
c’est pourquoi Ésaïe dit (59, 19) : Lorsqu’Il
sera venu comme un fleuve impétueux poussé par l’Esprit du Seigneur. |
Fructus autem designatur ex hoc quod dicitur, sicut
aquaeductus : sicut enim aquaeductus ex uno fonte producuntur
divisim ad fecundandam terram, ita de Christo profluxerunt diversarum
gratiarum genera ad plantandam Ecclesiam, secundum quod dicitur Ephes.
4, 11 : Ipse dedit quosdam quidem apostolos, quosdam autem prophetas,
alios vero Evangelistas, alios autem pastores et doctores, ad consummationem
sanctorum in opus ministerii, in aedificationem corporis Christi. Et
in hoc tangitur materia tertii libri : in cujus prima parte agitur de
mysteriis nostrae reparationis, in secunda de gratiis nobis collatis per
Christum. |
Mais pour ce qui est du fruit, il est identifié à partir
de l’expression ¨comme un cours d’eau¨ : en effet, tout comme les
cours d’eau sont produits à partir d’une seule et même source qui se divise
pour féconder la terre, de même à partir du Christ seul se sont écoulés des
genres de grâces différentes pour planter l’Église, conformément à ce qu’on
dit dans l’Épître aux Éphésiens (4, 11) : Lui-même
a donné à certains d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes, à d’autres
d’être évangélistes, à d’autres d’être pasteurs et docteurs pour le
perfectionnement des saints dans l’œuvre du ministère, pour l’édification du
Corps du Christ. Et c’est en cela qu’on touche du doigt la matière du
troisième livre dont la première partie traite des mystères de notre
réparation et la seconde des grâces recueillies pour nous par le Christ. |
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Le quatrième livre : [Les moyens sacramentels et la fin des êtres] |
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Quartum, quod ad Dei
sapientiam pertinet, est perfectio, qua res conservantur in suo fine.
Subtracto enim fine, relinquitur vanitas, quam sapientia non patitur secum ;
unde dicitur Sap. 8, 1, quod sapientia attingit a fine
usque ad finem fortiter et disponit omnia suaviter. Suaviter autem
unumquodque tunc dispositum est quando in suo fine, quem naturaliter
desiderat, collocatum est. Hoc etiam ad filium specialiter pertinet, qui, cum
sit verus et naturalis Dei filius, nos in gloriam paternae hereditatis
induxit ; unde Hebr. 2, 10 : Decebat eum propter quem et
per quem facta sunt omnia, qui multos filios in gloriam adduxerat. |
Ce qui relève en quatrième lieu de la Sagesse de Dieu,
c’est la perfection par laquelle les choses sont conservées dans leur
finalité. En effet, si on enlève la fin, il ne reste que la vanité, laquelle
est incompatible avec la Sagesse. C’est pourquoi on dit dans le livre de la
Sagesse (8, 1) que la sagesse passe d’une fin à une autre avec
force et qu’elle dispose tout avec douceur. Mais chaque chose est
disposée avec douceur quand elle a été posée dans sa finalité qu’elle désire
naturellement. Mais cela revient spécialement au Fils qui, puisqu’il est le
Fils véritable et naturel de Dieu, nous a conduits à la gloire de l’héritage
paternel ; et c’est pourquoi l’Apôtre nous dit dans l’Épître aux
Hébreux (2, 10) : Il revenait à celui pour qui et par
qui tout a été fait de conduire à la gloire une multitude de fils. |
Unde recte dicitur : Dixi : rigabo hortum
plantationum. Ad consecutionem enim finis exigitur praeparatio, per
quam omne quod non competit fini, tollatur ; ita Christus etiam, ut nos in
finem aeternae gloriae induceret, sacramentorum medicamenta praeparavit,
quibus a nobis peccati vulnus abstergitur. Unde duo notantur in verbis
praedictis, scilicet praeparatio, quae est per sacramenta, et inductio in
gloriam. Primum per hoc quod dicitur : Rigabo hortum plantationum.
Hortus enim iste Ecclesia est, de qua Cant. 4, 12 : Hortus
conclusus soror mea sponsa : in quo sunt plantationes diversae,
secundum diversos sanctorum ordines, quos omnes manus omnipotentis plantavit.
Iste hortus irrigatur a Christo sacramentorum rivis, qui ex ejus latere
profluxerunt : unde in commendationem pulchritudinis Ecclesiae dicitur
in Num. 24, 5 : Quam pulchra tabernacula tua, Jacob.
Et post sequitur, 6 : Ut horti juxta fluvios irrigui. Et ideo
etiam ministri Ecclesiae, qui sacramenta dispensant, rigatores
dicuntur, 1 Corinth. 3, 6 : Ego plantavi,
Apollo rigavit. Inductio autem in gloriam notatur in hoc quod sequitur
: Et inebriabo partus mei fructum. |
C’est pourquoi il est dit avec raison dans la citation
initiale: J’ai dit: j’arroserai le jardin de mes plantations. Il
est nécessaire en effet qu’il y ait une préparation qui soit ordonnée à la
poursuite de la fin, au moyen de laquelle soit écarté tout ce qui ne
contribue pas à la fin; c’est ainsi encore que le Christ, afin que nous
soyions introduits dans cette fin qu’est la gloire éternelle, prépara pour
nous ces remèdes que sont les sacrements par lesquels est enlevée de nous la
blessure du péché. De là il y a deux choses à retenir des paroles qui
précèdent, à savoir l’idée de préparation, laquelle est achevée par les sacrements, et
l’expression introduction dans la gloire. Et la première idée,
celle de préparation, est rendue par cet énoncé: J’arroserai le
jardin de mes plantations. Ce jardin en effet est l’Église dont on parle
dans le Cantique (4, 12): Tu es mon jardin privé, ma
soeur, mon épouse: dans ce jardin, il y a différentes plantations,
correspondant aux différents ordres des saints, qui ont toutes été plantées
par la main du Tout-Puissant. Ce jardin est arrosé par le Christ grâce aux
ruisseaux des sacrements qui ont coulé de son côté: c’est pourquoi, dans la
louange de la beauté de l’Église, on dit dans le livre des Nombres (24,
5): Comme tes tentes sont belles, ô Jacob! Et plus loin on voit
suivre ceci (24, 6): Comme des jardins qui baignent près des fleuves.
Et c’est pour cette raison aussi que les ministres de l’Église qui
distribuent les sacrements sont appelés par l’Apôtre, dans la Première
Épître aux Corinthiens (3, 6) ¨ceux qui arrosent¨ : J’ai
planté, Apollos a arrosé. Mais l’introduction dans la gloire est soulignée
dans l’expression qui suit: Et j’enivrerai le fruit de mon
enfantement. |
Partus ipsius Christi sunt fideles Ecclesiae, quos suo
labore quasi mater parturivit : de quo partu Isa. ult., 9
: Numquid ego, qui alios parere facio, ipse non pariam ? Dicit dominus.
Fructus autem istius partus sunt sancti qui sunt in gloria : de quo
fructu Cant. 5, 1 : Veniat dilectus meus in hortum
suum et comedat fructum pomorum suorum. Istos inebriat abundantissima sui
fruitione ; de qua [fruitione et Éd. De Parme] ebrietate Psalm.
35, 9 : Inebriabuntur ab ubertate domus tuae. Et dicitur
ebrietas, quia omnem mensuram rationis et desiderii excedit : unde Isa.
64, 4 : Oculus non vidit, Deus, absque te quae praeparasti
expectantibus te. Et in hoc tangitur materia quarti libri : in cujus
prima parte agitur de sacramentis ; in secunda de gloria resurrectionis. Et
sic patet ex praedictis verbis intentio libri Sententiarum. |
Mais ce que le Christ enfante, ce sont les fidèles de
l’Église qu’il a enfantés par son travail comparable à celui de la mère qui a
enfanté : et c’est de cet enfantement dont parle Ésaïe à
la fin de son livre (66, 9) : Et moi qui fais enfanter les
autres, je ne pourrais pas moi-même enfanter ? Dit le
Seigneur. Mais les fruits de cet enfantement sont les saints qui vivent
dans la gloire, fruits dont le Cantique (5, 1)
dit : Que mon bien-aimé vienne dans son jardin et qu’il mange le
fruit de ses arbres. Il les enivre de sa joie immense ; et de cette
joie et de cet enivrement le Psaume (35, 9) dit : Ils
seront enivrés par l’abondance de ta maison. Et il parle d’enivrement
parce que cette joie dépasse toute mesure de la raison et du désir. Et c’est
pourquoi Ésaïe (64. 3) dit : Jamais un œil n’a
vu qu’un autre dieu que Toi ait préparé de telles choses pour ceux qui t’attendent.
Et c’est avec ce point qu’on touche du doigt la matière du quatrième livre
dont la première partie traite des sacrements et la seconde de la gloire de
la résurrection. Et c’est ainsi qu’apparaît avec clarté, en nous appuyant sur
les paroles qui précèdent, le propos du livre des Sentences. |
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Prooemium |
TEXTE DE PIERRE LOMBARD, prologue : La théologie |
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1. Cupientes aliquid de penuria ac tenuitate nostra cum
paupercula in gazophylacium Domini mittere, ardua scandere, opus ultra vires
nostras agere praesumsimus, consummationis fiduciam laborisque mercedem in
Samaritano statuentes, qui, prolatis in curationem semivivi duobus denariis,
supereroganti cuncta redere professus est. Delectat nos veritas pollicentis,
sed terret immensitas laboris : desiderium hortatur proficiendi, sed
dehortatur infirmitas deficiendi, quam vincit zelus domus Dei. "Quo
inardescentes, fidem nostram adversus errores carnalium atque animalium
hominum" Davidicae turris clypeis munire vel potius munitam
ostendere ac theologicarum inquisitionum abdita aperire nec non et
sacramentorum ecclesiaticorum pro modico intelligentiae nostrae notitiam
traducere studuimus, "non valentes studiosorum fratrum votis
iure resistere, eorum in Christo laudabilibus studiis lingua ac stilo nos
servire flagitantium, quas bigas in nobis agitat Christi caritas". |
Désirant introduire quelque
chose de notre dénuement et de notre petitesse, avec notre pauvreté, dans le
trésor du Seigneur et nous élever dans les hauteurs, nous avons osé nous engager
dans une œuvre qui dépasse nos capacités en fondant l’assurance de la
récompense du travail accompli sur le Samaritain lui-même, lequel, ayant cédé
deux deniers pour les soins à donner à celui qui était à peine vivant, promit
de rendre tout ce qui serait dépensé en sus. La vérité de cette promesse nous
réjouit, mais l’immensité du travail à accomplir nous effraie : le désir
de servir nous pousse à avancer, mais notre faiblesse, que vainc notre zèle
pour la maison du Seigneur, nous conseille d’abandonner. ¨Embrasés par ce
zèle, nous lançons notre foi à l’assaut des erreurs des hommes charnels et
sans esprit¨. Nous travaillons à fortifier notre foi avec les boucliers
de la Tour de David, ou plutôt à la montrer une fois fortifiée, à manifester
les secrets des recherches théologiques, et à ne pas transmettre une
connaissance tronquée de notre intelligence sur les sacrements de l’Église,
ne pouvant résister à juste titre aux vœux de nos frères dévoués et aux
efforts louables de ceux qui sont dans le Christ et qui nous exhortent à
servir par la langue et la plume, ce char à double attelage que l’amour du
Christ excite en nous. |
"Quamvis non ambigamus omnem
humani eloquii sermonem calumniae atque contradictioni aemulorum semper
fuisse obnoxium, quia, dissentientibus voluntatum motibus, dissentiens quoque
fit animorum sensus", "ut, cum omne dictum veri
ratione perfectum sit, tamen, dum aliud aliis aut videtur aut complacet,
veritati vel non intellectae vel offendenti impietatis error obnitatur, ac
voluntatis invidia resultet", "quam Deus
huius saeculi operatur in illis diffidentiae filiis, qui
non rationi voluntatem subiiciunt nec doctrinae studium impendunt, sed his
quae somniarunt sapientiae verba coaptare nituntur, non veri, sed placiti
rationem sectantes, quos iniqua voluntas non ad intelligentiam veritatis, sed
ad defensionem placentium incitat, non desiderantes doceri veritatem, sed ab
ea ad fabulas convertentes auditum (II Tim.4, 4) |
¨Bien que nous ne doutions pas que tout discours du
langage humain a toujours été assujetti à la calomnie et à la contradiction
des envieux parce que, une fois que les mouvements de la volonté sont
divisés, les jugements des âmes le deviennent aussi¨ (Hilaire, Trinité,
X, 1)… ¨de telle sorte que, puisque toute parole est parfaite en raison de sa
vérité cependant, alors même que ce qui plaît et apparaît vrai à chacun
diffère de l’un à l’autre, l’erreur de l’impiété s’oppose à la vérité soit
parce que cette dernière n’est pas comprise soit parce qu’elle choque et
alors la jalousie de la volonté résiste à la vérité¨, ¨que le Dieu de ce
siècle opère chez ces fils de la dissidence¨ qui ne soumettent pas leur
volonté à la raison et ne consacrent pas leur application à la doctrine mais
s’efforcent d’adapter les paroles de la sagesse à ceux qui rêvent, ne suivant
pas ainsi la raison du vrai, mais celle de l’agrément, eux qu’une volonté
inique ne pousse pas à comprendre la vérité mais à défendre ce qui leur
plaît, ne cherchant pas à être enseignés par la vérité mais à se
détourner d’elle pour tendre leurs oreilles vers les fables (11 Tm.
4, 4.). |
2. Quorum professio est magis placita quam docenda
conquirere nec docenda desiderare, sed desideratis doctrinam coaptare. Habent
rationem sapientiae in superstitione : quia fidei defectionem
sequitur hypocrisis mendax, ut sit vel in verbis pietas, quam amiserit
conscientiae, ipsamque simulatam pietatem omnium [omni, alt.]
verborum mendacio impiam reddunt, falsae doctrinae institutis fidei
sanctitatem corrumpere molientes auriumque pruriginem sub novello sui
desiderii dogmate aliis ingerentes, qui contentioni studentes contra
veritatem sine foedere bellant". "Inter veri
namque assertionem et placiti defensionem pertinax pugna est, dum se et
veritas tenet, et se voluntas erroris tuetur". Horum igitur et Deo
odibilem ecclesiam evertere atque ora oppilare, ne virus nequitiae in alios
effundere queant, et lucernam veritatis in candelabro exaltare volentes, in
labore multo ac sudore hoc volumen, Deo praestante, compegimus ex testimoniis
veritatis in aeternum fundatis, in quatuor libros distinctum. |
Leur enseignement tient plus de l’agrément que ce qu’on
doit enseigner à acquérir et ne pas enseigner à désirer, mais il consiste à
adapter la doctrine à leurs désirs. Ils trouvent la justification de
leur sagesse dans la religiosité : parce que le mensonge de
l’hypocrisie suit la disparition de la foi, comme la piété existe même dans
les paroles, laquelle se sera éloignée de la conscience, ils rendent impie
par le mensonge la piété simulée de toutes leurs paroles en travaillant à
corrompre la vérité de la foi par les principes d’une fausse doctrine et en
suscitant chez les autres une démangeaison des oreilles sous le nouveau dogme
de leur désir, eux qui sans mandat travaillent avec application à combattre
la vérité. ¨Car entre l’affirmation de la vérité et la défense de ce qui
plaît, il existe une guerre constante aussi longtemps que la vérité est
soutenue et que la volonté de l’erreur se maintient¨ (Hilaire, ibid.).
Voulant donc renverser leur église qui est détestable à Dieu et fermer leurs
bouches afin qu’ils ne répandent pas chez les autres le poison de leur
perversité, et élever sur le candélabre la lumière de la vérité, nous avons
rédigé, avec beaucoup de travail et de peines, avec l’aide de Dieu et à
partir des témoignages de la vérité qui se fondent sur l’éternité, ce volume
qui se divise en quatre livres. |
In quo maiorum exempla doctrinamque reperies, in quo
per dominicae fidei sinceram professionem vipereae doctrinae fraudulentiam
prodidimus, aditum demonstrandae veritatis complexi nec periculo impiae
professionis inserti, temperato inter utrumque moderamine utentes. Sicubi
vero parum vox nostra insonuit, non a paternis dicessit limitibus. "Non
igitur debet hic labor cuiquam pigro vel multum docto videri superfluus, cum
multis impigris multisque indoctis, inter quos etiam mihi, sit necessarius"(Augustin,
Trin. 3, 1), brevi volumine complicans Patrum sententias, appositis eorum
testimoniis, ut non sit necesse quaerenti librorum numerositatem evolvere,
cui brevitas collecta quod quaeritur offert sine labore. "In
hoc autem tractatu non solum pium lectorem, sed etiam liberum correctorem
desidero, maxime ubi profunda versatur veritatis quaestio, quae utinam tot
haberet inventores, quot habet contradictores (Augustin, La
Trinité, 3, 2)" Ut autem quod quaeritur facilius
occurrat, titulos, quibus singulorum librorum capitula distinguuntur,
praemisimus. |
Tu trouveras dans ce livre
les exemples et la doctrine des Anciens, dans lequel, par une enseignement
sincère de la foi dans le Seigneur, nous avons mis à jour la tromperie d’une
doctrine empoisonnée et donné accès à la vérité à démontrer que nous embrassons
sans la mélanger au danger de la doctrine impie, usant d’une conduite réglée
à leur égard. Mais si notre voix a quelque peu retenti, elle ne s’est pas
écartée du chemin tracé par les Pères. ¨Ce travail ne doit donc pas
paraître inutile à quelque paresseux ou à quelque grand docteur car il est
nécessaire à de nombreuses personnes actives et à de nombreux ignorants dont
je fais partie¨ (Augustin, La Trinité, 3, 12), car nous avons
embrassé dans un petit volume les sentences des Pères accompagnées de leurs
témoignages, afin qu’il ne soit pas nécessaire à celui qui cherche d’ouvrir
un grand nombre de livres, alors qu’une brève collection lui offre ce qu’il
cherche sans effort. ¨Mais pour l’examen de ce traité je désire non
seulement un lecteur bienveillant mais encore un critique libre, surtout là
où la question de la vérité se présente avec profondeur ; plût à Dieu
que la vérité en vienne aussi bien à être découverte qu’à être contredite¨.
(Augustin, La Trinité, 3, 2). Mais afin que ce qu’on recherche se
présente plus facilement, nous avons fait précéder des titres par lesquels
les chapitres de chacun des livres se trouvent à être distingués. |
Explicit Prologus |
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COMMENTAIRE DE SAINT THOMAS SUR LE PROLOGUE (La théologie) |
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Quaestio 1 |
Question unique : [La doctrine sacrée] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad evidentiam hujus sacrae doctrinae, quae in hoc libro
traditur, quaeruntur quinque : 1° de necessitate ipsius ; 2° supposito quod
sit necessaria, an sit una, vel plures ; 3° si sit una, an practica, vel
speculativa : et si speculativa, utrum sapientia, vel scientia, vel
intellectus ? 4° de subjecto ipsius ; 5° de modo. |
Pour mettre en évidence cette doctrine sacrée qui est rapportée dans ce livre, on s’interroge sur cinq points : 1° Sur sa nécessité : 2° En supposant qu’elle soit nécessaire, s’agit-il d’une seule et même doctrine ou de plusieurs ? 3° S’il s’agit d’une seule et même doctrine, est-elle pratique ou spéculative, et si elle est spéculative, est-ce une sagesse, une science ou une intelligence ? 4° Quel est son sujet ? 5° Quel est son mode ? [Article 1 – En dehors des disciplines physiques y a-t-il une autre discipline nécessaire à l'homme ? Article 2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine en plus des sciences physiques ? Article 3 – [La nature de cette science] Sous question 1 : La théologie est-elle pratique ou discursive ? Sous question 2 : Est-elle une science ? Sous question 3 : Est-elle une sagesse ? Article 4 – Dieu est-il l'object de cette science ? Article 5 – Ce mode de
procéder est-il scientifique ?] |
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q. 1 a. 1 tit. Articulus 1
: Utrum praeter physicas disciplinas alia doctrina sit homini necessaria. |
Article 1 – Outre les disciplines physiques y a-t-il une autre discipline nécessaire à l’homme ? |
q. 1 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur quod
praeter physicas disciplinas nulla sit homini doctrina necessaria. Sicut enim
dicit Dionysius in epistola ad Polycarpum, philosophia est
cognitio existentium ; et constat, inducendo in singulis, quod de quolibet
genere existentium in philosophia determinatur ; quia de creatore et
creaturis, tam de his quae sunt ab opere naturae, quam de his quae sunt ab
opere nostro. Sed nulla doctrina potest esse nisi de existentibus, quia non
entis non est scientia. Ergo praeter physicas disciplinas nulla doctrina
debet esse. |
Difficultés : 1. Par rapport à cette première question on procède de la
manière suivante. Il semble qu’en dehors des disciplines physiques, aucune
discipline ne soit nécessaire à l’homme. Ainsi que le dit en effet Denys dans
sa Lettre à Polycarpe, la philosophie est la connaissance de ce
qui existe ; et on constate, en examinant les cas particuliers, qu’on
traite en philosophie de tous les genres d’êtres, car on y traite du créateur
comme des créatures, aussi bien de celles qui sont l’œuvre de la nature que
de celles qui sont produites par nous. Mais toute doctrine porte sur ce qui
existe car il n’existe pas de science du non-être. Il ne doit donc exister
aucune doctrine en dehors des disciplines physiques. |
q. 1 a. 1 arg. 2
Item, omnis doctrina est ad perfectionem : vel quantum ad intellectum, sicut
speculativae, vel quantum ad effectum [affectum Éd. De Parme] procedentem in
opus, sicut practicae. Sed utrumque completur per philosophiam ; quia per
demonstrativas scientias perficitur intellectus, per morales affectus. Ergo non est necessaria alia doctrina. |
2. En outre, tout doctrine se rapporte à une perfection,
soit quant à l’intelligence comme dans les disciplines spéculatives, soit
quant à l’appétit qui procède dans une œuvre comme c’est le cas dans celles
qui sont pratiques. Mais la philosophie embrasse les deux sortes de
disciplines, car c’est par les sciences démonstratives que l’intelligence
atteint sa perfection et c’est par les sciences morales que l’appétit
parvient à la sienne. Il n’est donc pas nécessaire de faire appel à une
doctrine autre que la philosophie. |
q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quaecumque naturali
intellectu possunt cognosci ex principiis rationis, vel sunt in philosophia
tradita, vel per principia philosophiae inveniri possunt. Sed ad perfectionem
hominis sufficit illa cognitio quae ex naturali intellectu potest haberi.
Ergo praeter philosophiam non est necessaria alia doctrina. Probatio mediae.
Illud quod per se suam perfectionem consequi potest, nobilius est eo quod per
se consequitur [consequi non potest Éd. De Parme]. Sed alia
animalia et creaturae insensibiles ex puris naturalibus consequuntur finem
suum ; quamvis non sine Deo, qui omnia in omnibus operatur. Ergo et homo, cum
sit nobilior eis, per naturalem intellectum cognitionem sufficientem suae
perfectioni habere potest. |
3. De plus, tout ce qui peut être naturellement connu par
notre intelligence à partir des principes de la raison, ou bien est enseigné
en philosophie, ou bien peut être découvert au moyen des principes de la
philosophie. Mais cette connaissance qui peut être acquise naturellement à
partir de l’intelligence est suffisante à l’homme pour parvenir à sa
perfection. Une autre doctrine en dehors de la philosophie n’est donc pas
necessaire à l’homme. Preuve de la mineure. Ce qui est capable de parvenir à
sa perfection par soi-même est plus noble que ce qui en est incapable. Mais
les autres animaux et les créatures qui ne sont pas dotées de sensibilité
parviennent à leur fin à partir d’appétits purement naturels, bien que ce ne
soit pas sans Dieu qui opère tout en toutes choses. Donc l’homme, qui est plus
noble que ces créatures, peut à plus forte raison acquérir la connaissance
suffisante à sa perfection au moyen de son intelligence naturelle. |
q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Hebr. 11, 6
: Sine fide impossibile est placere Deo. Placere autem Deo
est summe necessarium. Cum igitur ad ea quae sunt fidei, philosophia non
possit [ascendere Éd. De
Parme], oportet esse aliquam doctrinam
quae ex fidei principiis procedat. |
Cependant : 1. Au contraire, Paul dit dans sa Lettre aux Hébreux (11, 6) : Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu. Mais ce qui nous est le plus nécessaire, c’est justement de plaire à Dieu. Donc, puisque la philosophie ne peut s’élever jusqu’aux choses qui relèvent de la foi, il faut qu’il existe une doctrine qui procède des principes mêmes de la foi. |
q. 1 a. 1 s. c. 2 Item,
effectus non proportionatus causae, imperfecte ducit in cognitionem suae
causae. Talis autem effectus est omnis creatura respectu creatoris, a quo in
infinitum distat. Ergo imperfecte ducit in ipsius cognitionem. Cum igitur
philosophia non procedat nisi per rationes sumptas ex creaturis, insufficiens
est ad Dei cognitionem faciendam. Ergo oportet
aliquam aliam doctrinam esse altiorem, quae per revelationem procedat, et
philosophiae defectum suppleat. |
2. En outre, si l’effet n’est
pas proportionné à sa cause, il ne mène qu’imparfaitement à sa cause. Mais
toute créature est un effet de cette sorte par rapport à son créateur qui la
dépasse infiniment. Donc, toute créature ne conduit qu’imparfaitement à la
connaissance de son créateur. Donc, puisque la philosophie ne procède qu’au
moyen de raisons qui sont tirées des créatures, elle ne peut suffire à
produire en nous une connaissance parfaite de Dieu. Il faut donc qu’il existe
une autre doctrine, plus élevée, qui procède au moyen de la révélation et qui
complète ce qui manque à la philosophie. |
q. 1 a. 1 co. Ad hujus evidentiam sciendum est, quod
omnes qui recte senserunt posuerunt finem humanae vitae Dei contemplationem.
Contemplatio autem Dei est duplex [dupliciter Éd. De Parme]. Una
per creaturas, quae imperfecta est, ratione jam dicta, in qua contemplatione
philosophus, felicitatem contemplativam posuit, quae tamen est felicitas viae
; et ad hanc ordinatur tota cognitio philosophica, quae ex rationibus
creaturarum procedit. Est alia Dei contemplatio, qua videtur immediate per
suam essentiam ; et haec perfecta est, quae erit in patria et est homini
possibilis secundum fidei suppositionem. Unde oportet ut ea quae sunt ad
finem proportionentur fini, quatenus homo manuducatur ad illam
contemplationem in statu viae per cognitionem non a creaturis sumptam, sed
immediate ex divino lumine inspiratam ; et haec est doctrina
theologiae. Ex hoc possumus habere
duas conclusiones. |
Corps de l’article : Pour avoir l’évidence de ceci il faut savoir que tous ceux qui ont pensé avec justesse ont posé que la fin de la vie humaine est la contemplation de Dieu. Mais on accède à la contemplation de Dieu de deux manières. La première se réalise au moyen des créatures, laquelle est imparfaite pour la raison que nous avons déjà dite, et c’est dans cette contemplation que le Philosophe a posé la félicité contemplative qui est cependant une félicité de passage ; et c’est à cette félicité qu’est ordonnée toute la connaissance philosophique qui procède de raisons tirées des créatures. Mais il existe une autre contemplation de Dieu par laquelle il est vu de façon immédiate au moyen de son essence ; et cette connaissance se réalisera parfaitement dans le royaume du Père et elle est accessible à l’homme en s’appuyant sur la foi. Et de là il faut que, comme les choses qui sont en vue de la fin soient proportionnées à la fin, l’homme soit conduit à cette contemplation jusque dans la condition de la vie présente par une connaissance qui ne se tire pas des créatures mais qui est inspirée de façon immédiate de la lumière divine ; et cette manière de procéder est celle de la doctrine théologique. Et de là nous pouvons tirer deux conclusions. |
Una est, quod ista scientia imperat omnibus aliis
scientiis tamquam principalis : alia est, quod ipsa utitur in obsequium sui
omnibus aliis scientiis quasi vassallis, sicut patet in omnibus artibus
ordinatis, quarum finis unius est sub fine alterius, sicut finis pigmentariae
artis, qui est confectio medicinarum, ordinatur ad finem medicinae, qui est
sanitas : unde medicus imperat pigmentario et utitur pigmentis ab ipso
factis, ad suum finem. Ita, cum finis totius philosophiae sit infra finem
theologiae, et ordinatus ad ipsum, theologia debet omnibus aliis scientiis
imperare et uti his quae in eis traduntur. |
La première est que cette
science est première par rapport à toutes les autres et qu’elle leur
commande : la deuxième est qu’elle-même se sert de toutes les autres
sciences comme de servantes soumises à sa volonté comme on le voit pour tous
les arts qui sont ordonnés les uns aux autres et dont la fin de l’un est
subordonnée à la fin de l’autre, tout comme la fin de l’art de la pharmacie,
qui est la production des médicaments, est ordonnée à la fin de la médecine
qui est la santé : c’est pourquoi le médecin commande au pharmacien et
se sert des médicaments produits par lui pour parvenir à sa fin. De même ,
puisque la fin de la philosophie est inférieure à la fin de la théologie et
qu’elle lui est ordonnée, la théologie doit commander à toutes les autres
sciences et se servir de ce qui y est enseigné. |
q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod, quamvis philosophia determinet de existentibus [et Éd.
De Parme] secundum rationes a creaturis sumptas, oportet tamen esse aliam
quae existentia consideret secundum rationes ex inspiratione divini luminis
acceptas. |
Solutions. 1. Par rapport à la première difficulté, il faut dire que bien que la philosophie traite des êtres d’après des raisons tirées des créatures, il faut cependant qu’il y ait une autre discipline qui considère les êtres d’après des raisons reçues de l’inspiration de la lumière divine. |
q. 1 a. 1 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum :
quia philosophia sufficit ad perfectionem intellectus secundum cognitionem
naturalem, et affectus secundum virtutem acquisitam : et ideo oportet esse
aliam scientiam per quam intellectus perficiatur quantum ad cognitionem
infusam, et affectus quantum ad dilectionem gratuitam. |
2. Et par là on voit
clairement la solution à la deuxième difficulté : car la philosophie
suffit à la perfection de l’intelligence quant à la connaissance naturelle,
et à celle de l’appétit quant à l’acquisition de la vertu : et c’est
pour cette raison qu’il faut qu’il y ait une autre science par laquelle l’intelligence
parvienne à sa perfection quant à une connaissance infuse et l’appétit quant
à un amour de charité. |
q.
1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in his quae acquirunt aequalem
bonitatem pro fine, tenet propositio inducta, scilicet, nobilius est eo quod
per se consequi non potest. Sed illud quod acquirit bonitatem perfectam
pluribus auxiliis et motibus, est nobilius eo quod imperfectam bonitatem
acquirit paucioribus, vel per seipsum, sicut dicit philosophus ; [in V
Caeli et Mundo,texte 53, sive cap. XII Éd. Mandonnet] et hoc
modo se habet homo respectu aliarum creaturarum, qui factus est ad ipsius
divinae gloriae participationem. |
3. Par rapport à la troisième difficulté, il faut dire
que pour les choses qui parviennent à un bien égal en tant que fin, la
proposition présentée est valide, à savoir que ce qui peut par soi parvenir à
sa fin est plus noble que ce qui en est incapable. Mais ce qui parvient à un
bien parfait par une multiplicité d’instruments et de mouvements est plus
noble que ce qui acquiert un bien imparfait par peu de moyens ou par
lui-même, ainsi que le dit le Philosophe (Du Ciel et du Monde, livre
V, texte 53 ou chapitre XII, Éd. Mandonnet) ; et c’est de
cette manière que se présente l’homme par rapport aux autres créatures,
lequel a été fait pour participer à la gloire divine elle-même. |
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Articulus 2. q. 1 a. 2 tit
: Utrum tantum una doctrina debeat esse praeter physicas. |
Article 2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine outre les sciences physiques ? |
q. 1 a. 2 arg. 1 Circa
secundum sic proceditur. Videtur quod non una tantum doctrina debeat esse
praeter physicas doctrinas, sed plures. De omnibus enim de quibus instruitur
homo per rationes creaturarum, potest instrui per rationes divinas. Sed
scientiae procedentes per rationes creaturarum sunt plures, differentes
genere et specie, sicut moralis, naturalis et cetera. Ergo scientiae
procedentes per rationes divinas, debent plures esse. |
Par rapport à ce deuxième
article on procede de la manière suivante. Difficultés. 1. Il semble qu’il ne doive
pas y avoir qu’une seule doctrine en dehors des sciences physiques mais
qu’on doive en poser plusieurs. L’homme en effet peut être
instruit par des raisons divines de toutes les choses dont il est instruit
par des raisons tirées des créatures. Mais les sciences qui procèdent de
raisons tirées des créatures sont multiples et diffèrent par le genre et
l’espèce comme c’est le cas pour la science morale, la science de la nature
et les autres. Donc les sciences qui procèdent de raisons divines doivent
aussi être multiples. |
q. 1 a. 2 arg. 2 Item, una
scientia est unius generis [subjecti add. Éd. de Parme], sicut
dicit philosophus ( I Posteriorum, texte 34 Éd. Mandonnet).
Sed Deus et creatura, de quibus in divina doctrina tractatur, non reducuntur
in unum genus, neque univoce neque analogice. Ergo divina scientia non est
una. Probatio mediae. Quaecumque conveniunt in uno genere univoce vel
analogice, participant aliquid idem, vel secundum prius et posterius, sicut
substantia et accidens rationem entis, vel aequaliter, sicut equus et bos
rationem animalis. Sed Deus et creatura non participant aliquid idem, quia
illud esset simplicius et prius utroque. Ergo nullo modo reducuntur in idem
genus. |
2. En outre, une même science ne se rapporte qu’à un seul genre-sujet, ainsi que le dit le Philosophe (1 Seconds Analytiques, texte 34, Éd. Mandonnet). Mais Dieu et les créatures, dont traite la doctrine sacrée, ne se ramènent pas à un seul et même genre, ni de façon univoque, ni de façon analogue. Donc la science divine n’est pas une science unique. Preuve de la mineure. Tout ce qui est contenu dans un même genre de façon univoque ou analogue participe de quelque chose qui est un, soit selon l’avant et l’après, comme la substance et l’accident par rapport à la notion d’être, soit selon l’égalité, comme le cheval et le bœuf participent de la définition de l’animal selon la même mesure. Mais Dieu et la créature ne participent pas d’une même chose car cette dernière serait plus simple et antérieure à l’un et à l’autre. Donc, Dieu et la créature ne se ramènent pas à un même genre. |
q. 1 a. 2 arg. 3
Item, ea quae sunt ab opere nostro, sicut opera virtutum et quae sunt ab
opere naturae, non reducuntur ad eamdem scientiam ; sed unum pertinet ad
moralem, alterum ad naturalem. Sed divina scientia determinat de his quae
sunt ab opere nostro, tractando de virtutibus et praeceptis : tractat etiam
de his quae non sunt ab opere nostro, sicut de Angelis et aliis
creaturis. Ergo videtur quod non sit
una scientia. |
3. De plus, les opérations qui sont le résultat de notre volonté, comme les actes de vertu, et celles qui sont produites par la nature ne se ramènent pas à une seule et même science ; au contraire, les premières se rapportent à la science morale et les secondes à la science de la nature. Mais la science divine traite à la fois des opérations qui relèvent de notre volonté lorsqu’il est question des vertus et des commandements, et de celles qui n’en relèvent pas lorsqu’il est question des anges et des autres créatures. Il semble donc que la science divine ne soit pas une science unique. |
q.
1 a. 2 s. c. 1 Contra, quaecumque conveniunt in ratione una possunt ad unam
scientiam pertinere : unde etiam omnia, inquantum conveniunt in ratione
entis, pertinent ad metaphysicam. Sed divina scientia determinat de rebus per
rationem divinam quae omnia complectitur : omnia enim et ab ipso et ad ipsum
sunt. Ergo
ipsa una existens potest de diversis esse. |
Cependant : 1. Tout ce qui se ramène à une notion unique peut relever d’une seule et même science : c’est pourquoi tous les êtres, dans la mesure où ils ont en commun la notion d’être, relèvent de la métaphysique. Mais la science divine traite des choses au moyen de la notion de Dieu qui embrasse tous les êtres : en effet, tous les êtres viennent de Lui et sont ordonnés à Lui. Donc cette seule et même science, sous ce même rapport, peut porter sur des êtres différents. |
q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, quae sunt diversarum scientiarum, distinctim et in diversis libris
determinantur. Sed in sacra Scriptura permixtim in eodem libro quandoque
determinatur de moribus, quandoque de creatore, quandoque de creaturis, sicut
patet fere in omnibus libris. Ergo ex hoc non diversificatur scientia. |
2. Par ailleurs, les choses
qui appartienntent à des sciences différentes sont traitées séparément dans
des livres différents. Mais dans les Saintes Écritures on traite pêle mêle
dans le même livre tantôt des mœurs humaines, tantôt du Créateur, tantôt des
créatures, ainsi qu’on le voit dans presque tous les livres. Il ne s’ensuit donc
pas de là une différence de science. |
q. 1 a. 2 co. Respondeo. Ad
hoc notandum est, quod aliqua cognitio quanto altior est, tanto est magis
unica et ad plura se extendit : unde intellectus Dei, qui est altissimus, per
lumen quod est ipse Deus, omnium rerum cognitionem habet distincte. Ita et
cum ista scientia sit altissima et per ipsum lumen inspirationis divinae
efficaciam habens, ipsa unica manens, non multiplicata, diversarum rerum
considerationem habet, non tantum in communi, sicut metaphysica, quae
considerat omnia inquantum sunt entia, non descendens ad propriam cognitionem
moralium, vel naturalium. Ratio enim entis, cum sit diversificata in
diversis, non est sufficiens ad specialem rerum cognitionem ; ad quarum
manifestationem divinum lumen in se unum manens, secundum beatum Dionysium in
principio caelestis hierarchiae, efficaciam habet. |
Corps de l’article. Je réponds à cela qu’il faut remarquer que plus une
connaissance est élevée, plus elle possède d’unité et s’étend à un plus grand
nombre de choses : c’est pourquoi l’intelligence de Dieu, laquelle est
l’intelligence la plus élevée, par cette Lumière qui est la sienne et qui est
son être même, possède une connaissance distincte de toutes les choses.
Ainsi, puisque cette science est la plus élevée et qu’elle possède sa
puisssance grâce à la lumière même de l’inspiration divine, tout en demeurant
une sans se multiplier, elle porte sa considération sur des choses
différentes, et non seulement sous l’angle de l’universel comme le fait la
métaphysique qui considère tous les êtres en tant qu’êtres sans descendre à
une connaissance spécifique des choses morales ou naturelles. En effet, la
notion d’être, bien qu’elle se différencie dans des êtres différents, ne
suffit pas à parvenir à une connaissance spécifique des choses ; au
contraire, la lumière divine, laquelle demeure une en elle-même, a le pouvoir
de manifester cela ainsi que le dit le bienheureux Denys au début de son
traité intitulé De la Hiérarchie céleste. |
q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod divinum lumen, ex cujus certitudine procedit haec
scientia, est efficax ad manifestationem plurium quae in diversis scientiis
in philosophia traduntur, ex eorum rationibus in eorum cognitionem
procedentibus ; et ideo non oportet scientiam istam multiplicari. |
Solutions. 1. Il faut donc dire, à l’égard de la première difficulté, que la lumière divine qui possède la certitude d’où procède cette science, a la puissance de manifester la multiplicité des choses qui sont enseignées dans les différentes sciences philosophiques qui procèdent des raisons qui leur sont propres pour parvenir à les connaître ; et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que cette doctrine se multiplie en différentes sciences. |
q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod creator et creatura reducuntur in unum, non
communitate univocationis sed analogiae. Talis
autem communitas potest esse dupliciter. Aut ex eo quod aliqua participant
aliquid unum secundum prius et posterius, sicut potentia et actus rationem
entis, et similiter substantia et accidens ; aut ex eo quod unum esse et
rationem ab altero recipit, et talis est analogia creaturae ad creatorem :
creatura enim non habet esse nisi secundum quod a primo ente descendit : unde
nec nominatur ens nisi inquantum ens primum imitatur ; et similiter est de
sapientia et de omnibus aliis quae de creatura dicuntur. |
2. Par rapport à la deuxième
difficulté il faut dire que le Créateur et la créature se ramènent à quelque
chose d’un non pas par une ressemblance univoque mais par une ressemblance analogue.
Mais une telle ressemblance peut se présenter de deux manières. Soit du fait
que certais objets participent de quelque chose d’un selon l’avant et
l’après, comme la puissance et l’acte par rapport à la notion d’être et il en
est de même aussi pour la substance et l’accident ; soit que l’un des
objets reçoive de l’autre l’être et la définition, et tel est le type
d’analogie qui existe entre la créature et le Créateur : la créature en
effet ne possède l’être que selon qu’elle procède du premier être : d’où
la créature n’est appelée être que pour autant qu’elle imite l’Être
premier ; et il en est de même pour la sagesse et pour tous les autres
attributs qui se disent de la créature. |
q.
1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae sunt ab opere nostro et ea quae
sunt ab opere naturae, considerata secundum proprias rationes, non cadunt in
eamdem doctrinam. Una tamen scientia utrumque potest considerare, quae per
lumen divinum certitudinem habet, quod est efficax ad cognitionem utriusque.
Potest tamen aliter dici, quod virtus quam theologus considerat, non est ab
opere nostro : immo eam Deus in nobis sine nobis operatur, secundum
Augustinum. |
3. Il faut dire en troisième lieu que les opérations qui
procèdent de notre volonté et celles qui procèdent de la nature, si on les
considère d’après les raisons qui leur sont propres, ne relèvent pas d’une
même science. Mais les deux peuvent faire l’objet de cette même science qui,
parce qu’elle tient sa certitude de la lumière divine, a la puissance de
connaître les deux. On pourrait néanmoins encore dire que la puissance que le
théologien considère n’est pas celle qui est le résultat de nos propres
efforts : c’est plutôt celle que Dieu opère en nous sans nous, d’après
les paroles d’Augustin. |
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Articulus 3 |
Article 3: [La nature de cette science] |
Quaestiuncula
1 : Utrum sit practica vel spéculative |
Sous-question 1
– [La théologie est-elle pratique ou spéculative ?]
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q.
1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Circa tertium sic proceditur. Videtur quod ista
doctrina sit practica. Finis enim practicae est opus, secundum philosophum.
Sed ista doctrina, quae fidei est, principaliter est ad bene operandum ;
unde Jacob. 2, 26 : Fides sine operibus mortua est ;
et Psalm. 110, 10 : Intellectus bonus omnibus
facientibus eum. Ergo videtur quod sit practica. |
Difficultés. 1. Il semble que cette
doctrine soit pratique. La fin d’une discipline pratique est en effet l’œuvre
à réaliser d’après le Philosophe. Mais cette doctrine, qui se fonde sur la
foi, a pour fin principale de bien agir ; c’est pourquoi on lit dans la Lettre de Jacques (2. 26) : La
foi sans les actes est une foi morte ; et dans le Psaume (110, 10) : L’
Intelligence est bonne pour tous ceux qui font le bien. Il semble donc
que cette doctrine soit pratique. |
q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Contra, dicit philosophus, quod
nobilissima scientiarum est sui gratia. Practicae autem non sunt sui gratia,
immo propter opus. Ergo, cum ista nobilissima sit scientiarum, non erit
practica. |
Cependant. 1. Mais contrairement à cela le Philosophe dit que la science la plus noble est celle qui est recherchée pour elle-même. Mais les sciences pratiques ne sont pas recherchées pour elles-mêmes, mais en vue d’une œuvre à réaliser. Donc, puisque cette science est la plus noble des sciences, elle n’est pas pratique. |
q. 1 a. 3 qc. 1 s.
c. 2 Praeterea, practica scientia determinat tantum ea quae sunt ab opere
nostro. Haec autem doctrina considerat Angelos et alias creaturas, quae non
sunt ab opere nostro. Ergo non est practica, sed speculativa. |
2. Par ailleurs, une science
pratique ne traite que de ce qui procède de nos opérations. Mais cette
doctrine considère les anges et les autres créatures, lesquels sont étrangers
à nos opérations. Cette doctrine n’est donc pas pratique mais spéculative. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
– [Est-elle une science ?]
|
q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1
Ulterius quaeritur, utrum sit scientia ; et videtur quod non. Nulla enim
scientia est de particularibus, secundum philosophum (I Post., texte
7 [Éd. Mandonnet]. Sed in sacra Scriptura gesta traduntur particularium
hominum, sicut Abraham, Isaac et cetera. Ergo non est scientia. |
Difficultés. 1. On cherche à savoir par la
suite si cette doctrine est une science ; et il semble que ce ne soit
pas le cas. Aucune science en effet ne porte sur des cas particuliers d’après
le Philosophe (Seconds Analytiques, 1, texte 7, Éd. Mandonnet).
Mais dans les Saintes Écritures on rapporte les faits et gestes d’individus
comme Abraham, Isaac et les autres. La doctrine sacrée n’est donc pas une
science. |
q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2
Praeterea, omnis scientia procedit ex principiis per se notis, quae cuilibet
sunt manifesta. Haec autem scientia procedit ex credibilibus, quae non ab
omnibus conceduntur. Ergo non est scientia. |
2. En outre, toute science procède de principes connus pas
eux-mêmes et qui sont évidents pour tous. Mais cette doctrine procède de ce
qu’il faut croire et qui n’est pas admis par tous les hommes. Cette doctrine
n’est donc pas une science. |
q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in omni scientia
acquiritur aliquis habitus per rationes inductas. Sed in hac doctrina non
acquiritur aliquis habitus : quia fides, cui tota doctrina haec innititur,
non est habitus acquisitus, sed infusus. Ergo non est scientia. |
3. De plus, dans toute science un habitus est acquis au moyen des raisons qu’on amène. Mais dans cette doctrine aucun habitus n’est acquis : car la foi, sur laquelle repose toute cette doctrine, n’est pas un habitus acquis mais répandu en nous par Dieu. Elle n’est donc pas une science. |
q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1
Contra, Augustinus [secundum Augustinum Éd. De Parme], theologia
est scientia de rebus quae ad salutem hominis pertinent. Ergo est scientia. |
Cependant. 1. D’après Augustin, la
théologie est la science qui traite des choses qui se rapportent au salut de
l’homme. Elle est donc une science. |
Quaestiuncula 3 |
Sous question 3
: [Est-elle une sagesse ?]
|
q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1
Ulterius quaeritur, utrum sit sapientia ; et videtur quod non. Quia, sicut
dicit philosophus, sapiens debet esse certissimus causarum. Sed in ista
doctrina non est aliquis certissimus ; quia fides, cui haec doctrina
innititur, est infra scientiam et supra opinionem. Ergo non est sapientia. |
Difficulté. On se demande par la suite si cette doctrine est une
sagesse et il semble que ce ne soit pas le cas. Car, ainsi que le dit le
Philosophe, le sage doit avoir la connaissance la plus certaine des causes.
Mais dans cette doctrine, ce degré de certitude n’est pas présent parce que
la foi sur laquelle se fonde cette doctrine est intermédiaire entre la science
et l’opinion. Cette docrine n’est donc pas une sagesse. |
q. 1 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Contra, 1 Corinth. 2, 6 : Sapientiam
loquimur inter perfectos. Cum ergo hanc doctrinam ipse docuerit et de
ipsa loquatur, videtur quod ipsa sit sapientia. |
Cependant. À l’opposé, Saint Paul dans
la Première Épître aux Corinthiens
(2, 6) dit ceci : Nous parlons une
Sagesse entre parfaits. Donc, puisque c’est cette doctrine que lui-même a
enseignée et dont il a parlé, il semble que cette doctrine soit une sagesse. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1 (La théologie est-elle pratique ou spéculative ?)
|
Super
Sent., q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod ista scientia, quamvis sit
una, tamen perfecta est et sufficiens ad omnem humanam perfectionem, propter
efficaciam divini luminis, ut ex praedictis patet. Unde perficit hominem et
in operatione recta et quantum ad contemplationem veritatis : unde quantum ad
quid practica est et etiam speculativa. Sed, quia scientia omnis
principaliter pensanda est ex fine, finis autem ultimus istius doctrinae est
contemplatio primae veritatis in patria, ideo principaliter speculativa est. |
Corps de l’article. Je réponds qu’il faut dire que cette science, bien
qu’elle soit une, est cependant parfaite et satisfait à l’ensemble de la
perfection humaine à cause de la puissance de la lumière divine, ainsi que
nous l’avons vu précédemment. De là, elle assure la perfection de l’homme à
la fois quant à l’opération droite et quant à la contemplation de la
vérité : et c’est pourquoi elle est sous un rapport, pratique, et sous
un autre, spéculative. Mais parce que toute science doit d’abord s’apprécier
quant à sa fin, et que la fin ultime de cette doctrine est la contemplation
de la Vérité première dans la patrie céleste, c’est pour cette raison qu’elle
est principalement spéculative. |
Et, cum habitus speculativi
sint tres, secundum philosophum, scilicet sapientia, scientia et intellectus
; dicimus quod est sapientia, eo quod altissimas causas considerat et est
sicut caput et principalis et ordinatrix omnium scientiarum : et est etiam
magis dicenda sapientia quam metaphysica, quia causas altissimas considerat
per modum ipsarum causarum, quia per inspirationem a Deo immediate acceptam ;
metaphysica autem considerat causas altissimas per rationes ex creaturis
assumptas. Unde ista doctrina magis etiam divina dicenda est quam metaphysica
: quia est divina quantum ad subjectum et quantum ad modum accipiendi ;
metaphysica autem quantum ad subjectum tantum. Sed sapientia, ut dicit
philosophus (In Ethic., cap. VIII vel 7), considerat
conclusiones et principia ; et ideo sapientia est scientia et intellectus ;
cum scientia sit de conclusionibus et intellectus de principiis. |
Et parce que les habitus spéculatifs sont au nombre de
trois d’après le Philosophe, à savoir la sagesse, la science et
l’intelligence, nous disons qu’elle est une sagesse du fait qu’elle considère
les causes les plus élevées et qu’elle est comme la têre et le principe
d’ordre par rapport aux autres sciences auxquelles elle commande : et on
doit même dire qu’elle est davantage une sagesse que la métaphysique, car
elle considère les causes les plus élevées à la manière de ces causes
elles-mêmes car elle se fonde sur une inspiration reçue directement de Dieu
alors que la métaphysique considère les causes les plus élevées par des
raisons tirées des créatures. C’est pourquoi cette doctrine doit davantage
être appelée divine que la métaphysique : car elle est divine à la fois
quant au sujet et on mode de procéder alors que la métaphysique est divine quant
au sujet seulement. Mais la sagesse, ainsi que le dit le Philosophe dans l’Éthique (chapitre VIII),
considère à la fois les conclusions et les principes et c’est pour
cette raison qu’elle est à la fois science et intelligence puisque la science
porte sur les conclusions et l’intelligence sur les principes. |
q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod opus non est ultimum intentum in hac scientia,
immo potius contemplatio primae veritatis in patria, ad quam depurati ex
bonis operibus pervenimus, sicut dicitur Matth. 5, 8 : Beati
mundo corde ; et ideo principalius est speculativa quam practica. |
Solutions ou réponses aux difficultés. 1. Il faut donc dire par rapport à la première difficulté que l’œuvre à réaliser n’est pas la fin ultime de cette science, mais plutôt la contemplation de la Vérité première dans la patrie céleste qui est cette fin à laquelle nous parviendrons lorsque nous serons purifiés par les bonnes œuvres ainsi qu’il est dit dans Matthieu (5, 8) : Heureux ceux qui ont le cœur pur ; et c’est pourquoi cette doctrine est davantage spéculative que pratique. |
q. 1 a. 3
qc. 1 ad s. c. Alia duo concedimus. |
2. Nous concédons les deux
autres. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2 [La théologie est-elle une science ?]
|
q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur,
dicendum, quod ista doctrina scientia est, [ut dictum est Éd de Parme]. |
Corps de l’article. Quant à ce qu’on recherche
par la suite il faut dire que cette doctrine est une science ainsi que nous
l’avons dit. |
q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Et quod objicitur, quod est de
particularibus, dicendum, quod non est de particularibus inquantum
particularia sunt, sed inquantum sunt exempla operandorum : et hoc usitatur
etiam in scientia morali ; quia operationes particularium circa particularia
sunt ; unde per exempla particularia, ea quae ad mores pertinent, melius
manifestantur, vel dicendum quod in scientia duo. Ex primo habet quod est ex
necessariis : ex contingentibus enim non potest causari certitudo ; ex
secundo quod est ex aliquibus principiis ; sed hoc est diversimode in
diversis, quia superiores scientiae sunt ex principiis per se nota, sicut
geometria, et huiusmodi habentia principia per se nota, ut : si ab aliquibus
aequalia deruas, etc. Inferiores autem scientiae, quae superioribus
subalternantur, non sunt ex principiis per se notis, sed supponunt
conclusiones probatas in superioribus scientiis, et eis utuntur pro
principiis quae in veritate non sunt principia per se nota, sed in
superioribus scientiis per principia per se nota probantur, sicut perspectiva
quae est de linea visuali, et subalternatur geometriae a qua etiam supponit
quae probantur de linea, inquantum linea, et per illa tanquam per principia
probat conclusiones quae sunt de linea, inquantum visualis. |
Réponses aux difficultés. 1. Quant à l’objection qui dit que cette doctrine
considère les cas particuliers, il faut dire qu’elle n’examine pas les
particuliers en tant que tels, mais en tant qu’exemples de ce qu’il faut
faire ; et on use du même procédé en science morale ; car les
opérations des individus portent sur des cas particuliers ; c’est
pourquoi, au moyen d’exemples particuliers, les choses qui se rapportent aux
mœurs sont mieux manifestées ; ou bien il faut dire qu’il y a deux
choses à considérer dans la science. Premièrement, elle procède de ce qui est
nécessaire : la certitude ne peut en effet être causée par ce qui est
contingent : deuxièmement, elle procède de certains principes ;
mais cela se présente différemment dans différentes sciences, car les
sciences supérieures procèdent de principes connus par eux-mêmes, comme la
géométrie, laquelle possède des principes connus par eux-mêmes comme :
si tu retires de certaines quantités des quantités égales etc. Mais les
sciences inférieures qui sont subordonnées aux sciences supérieures ne
procèdent pas de principes connus par eux-mêmes, mais elles supposent des
conclusions prouvées dans des sciences supérieures et s’en servent comme
principes qui en vérité ne sont pas des principes connus par eux-mêmes, mais
elles sont prouvées dans des sciences supérieures au moyen de principes
connus par eux-mêmes : par exemple, la science de la perspective a pour
sujet la ligne visuelle et elle est subordonnée à la géométrie de laquelle
elle suppose aussi les conclusions qui sont prouvées au sujet de la ligne en
tant que ligne, et partant de ces conclusions comme de principes elle prouve
les conclusions qui se rapportent à la ligne en tant que visuelle. |
Potest autem scientia
aliqua esse superior alia dupliciter : vel ratione subjecti, ut geometria
quae est de magnitudine, superior est ad perspectivam quae est de magnitudine
visuali ; vel ratione modi cognoscendi, et sic theologia est inferior
scientia quae in Deo est. Nos enim imperfecte cognoscimus id quod ipse
perfectissime cognoscit, et sicut scientia subalternata a superiori supponit
aliqua, et per illa tanquam per principia procedit ; sic theologia articulos
fidei quae infallibiliter sunt probati in scientia Dei supponit, et eis
credit, et per istud procedit ad probandum ulterius illa quae ex articulis
sequuntur. Est ergo theologie scientia quasi subalternata divinae scientiae
qua accipit principia sua. |
Mais une science peut être supérieure à une autre de deux manières : soit en raison du sujet comme la géométrie, dont le sujet est l’étendue, est supérieure à la perspective qui a pour sujet l’étendue visuelle ; soit en raison du mode de connaître, et ainsi la théologie est inférieure à la science qui est en Dieu. En effet, nous ne connaissons qu’imparfaitement ce que Lui-même connaît parfaitement, et comme une science subordonnée, la théologie suppose certaines vérités qu’elle emprunte à une science supérieure et elle procède à partir d’elles comme à partir de principes ; ainsi, la théologie suppose les articles de foi qui sont prouvés de manière infaillible dans la science de Dieu et elle y adhère et grâce à eux elle procède à la preuve de ce qui découle par la suite de ces principes. La science théologique est donc comme subordonnée à la science de Dieu de laquelle elle reçoit ses principes. |
q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad aliud dicendum, quod ista
doctrina habet pro principiis primis articulos fidei, qui per lumen fidei
infusum per se noti sunt habenti fidem, sicut et principia naturaliter nobis
insita per lumen intellectus agentis. Nec est mirum, si infidelibus nota non
sunt, qui lumen fidei non habent : quia nec etiam principia naturaliter
insita nota essent sine lumine intellectus agentis. Et ex istis principiis,
non respuens communia principia, procedit ista scientia ; nec habet viam ad
ea probanda, sed solum ad defendendum a contradicentibus, sicut nec aliquis
artifex potest probare sua principia. |
2. Par rapport à l’autre
difficulté il faut dire que cette doctrine a pour principes les premiers
articles de la foi qui sont connus par eux-mêmes au moyen de la lumière
infuse de la foi chez celui qui a la foi, tout comme les principes qui nous
sont naturellement donnés par la lumière de l’intellect agent. Et il n’est
pas étonnant qu’ils ne soient pas connus des infidèles qui ne possèdent pas
la lumière de la foi car même les principes donnés par la nature ne seraient
pas connus sans la lumière de l’intellect agent. Et cette science, ne
rejetant pas les principes communs, procède à partir de ces principes ;
et elle ne s’aventure pas à les prouver, mais seulement à les défendre contre
ceux qui les contredisent, tout comme un artisan ne peut prouver ses
principes. |
q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad
aliud dicendum, quod, sicut habitus principiorum primorum non acquiritur per
alias scientias, sed habetur a natura ; sed habitus conclusionum a primis
principiis deductarum : ita etiam in hac doctrina non acquiritur habitus
fidei, qui est quasi habitus principiorum ; sed acquiritur habitus eorum quae
ex eis deducuntur et quae ad eorum defensionem valent |
3. Par rapport à l’autre
difficulté, il faut dire que, tout comme l’habitus des premiers principes
n’est pas acquis par les autres sciences mais est plutôt donné par la nature
et que c’est l’habitus des conclusions déduites des premiers principes qui
est acquis ; de même encore dans cette doctrine, ce n’est pas l’habitus
de la foi qui est acquis, lequel est comme l’habitus des principes, mais ce
qui est acquis, c’est plutôt l’habitus des conclusions qu’on déduit des
articles de la foi et qui servent à les défendre. |
q.
1 a. 3 qc. 2 ad s. c. Aliud concedimus |
Nous concédons cet énoncé. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question
3.
|
q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad id
quod ulterius quaeritur, an sit sapientia, dicendum, quod propriissime
sapientia est, sicut dictum est. |
Quant à ce qui est recherché par la suite, à savoir si cette doctrine est une sagesse, il faut dire qu’elle l’est au plus haut point, ainsi que nous l’avons dit. |
q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Et
quod objicitur, quod non est certissimus aliquis in ista doctrina, dicimus,
quod falsum est : magis enim fidelis et firmius assentit his quae sunt fidei
quam etiam primis principiis rationis. Et quod dicitur, quod fides est infra
scientiam, non loquitur de fide infusa, sed de fide acquisita, quae est
opinio fortificata rationibus. Habitus autem istorum principiorum, scilicet
articulorum, dicitur fides et non intellectus, quia ista principia supra
rationem sunt, et ideo humana ratio ipsa perfecte capere non valet ; et sic
fit quaedam defectiva cognitio, non ex defectu certitudinis cognitorum, sed
ex defectu cognoscentis. Sed tamen ratio manuducta per fidem excrescit in hoc
ut ipsa credibilia plenius comprehendat, et tunc ipsa quodammodo intelligit :
unde dicitur Isa. 7, 9, secundum aliam litteram : nisi credideritis,
non intelligetis. |
Réponses aux difficultés. Cette objection, laquelle
prétend que celui qui s’occupe de cette science n’est pas le plus certain,
est fausse : en effet, celui qui croit adhère même plus fermement aux
articles de la foi qu’aux premiers principes de la raison. Et ce qu’on a dit,
à savoir que la foi est inférieure à la science, cela ne se dit pas de la foi
infuse mais de la foi acquise, laquelle est une opinion affermie par des
raisonnements. Mais l’habitus de ces principes, c’est-à-dire des articles de
la foi, on l’appelle foi et non intelligence car ces principes transcendent
la raison et c’est pourquoi la raison humaine elle-même est impuissante à les
saisir parfaitement ; et c’est ainsi qu’apparait une imperfection dans
la connaissance non pas en raison d’un défaut de certitude du côté de l’objet
connu mais d’un défaut de certitude du côté de celui qui connaît. La raison
cependant, conduite par la foi dépasse ses limites en cela qu’elle comprend
plus pleinement les articles de la foi eux-mêmes et les saisit alors en un
certain sens : c’est pourquoi on lit dans Ésaïe (7, 9)
d’après une autre version : À moins de croire, tu ne
comprendreras pas. |
|
|
q. 1 a. 4 tit. Utrum Deus sit subjectum istius
scientiae. |
Article 4 – Dieu est-il le sujet de cette science ? |
q.
1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Deus sit subjectum
istius scientiae. Omnis enim scientia debet intitulari et denominari a suo
subjecto. Sed ista scientia dicitur theologia, quasi sermo de Deo. Ergo videtur quod Deus sit
subjectum ejus. |
Objections. 1. Il semble que Dieu soit le
sujet de cette science. En effet, toute science doit être intitulée et
dénommée d’après son sujet. Mais cette science est dénommée théologie, à
savoir discours sur Dieu. Il semble donc que Dieu soit le sujet de cette science. |
Contra, Boetius dicit quod simplex forma subjectum esse
non potest. Sed Deus est hujusmodi. Ergo non potest esse subjectum. |
À l’opposé, Boèce dit qu’une
forme simple ne peut être un sujet. Mais Dieu est justement une forme
simple ; il ne peut donc être le sujet de cette science. |
q. 1 a. 4 arg. 2
Item, videtur, secundum Hugonem de sancto Victore, quod opera restaurationis
sint subjectum : sic enim dicit, quod opera primae conditionis sunt materiae
aliarum scientiarum, opera autem restaurationis sunt materia theologiae. Ergo
et cetera. Contra, quidquid determinatur in scientia debet contineri sub
subjecto ipsius. Sed in theologia determinatur de operibus creationis, ut
patet Genes. 1° Ergo videtur quod
opera restaurationis non sint subjectum. |
2. En outre, d’après Hugues de Saint Victor, il semble que les œuvres de la Réparation soient un sujet : il dit ainsi en effet que les œuvres de la première condition sont les matières des autres sciences et que les œuvres de la Réparation sont la matière de la théologie. Donc, etc. À l’opposé, tout ce dont on traite dans une science doit être contenu dans le sujet de cette science. Mais en théologie on traite des œuvres de la création comme on le voit au tout début du livre de la Genèse. Il semble donc que les œuvres de la Réparation ne soient pas le sujet. |
q. 1 a. 4 arg. 3 Item,
videtur quod res et signa sint subjectum : illud enim est subjectum in
scientia circa quod tota scientiae intentio versatur. Sed tota intentio
theologiae versatur circa res et signa, ut dicit Magister sententiarum. Ergo
res et signa sunt subjectum. Contra, per rationes subjecti debet scientia
differre ab aliis scientiis, cum quaelibet scientia habeat proprium
subjectum. Sed de rebus et signis considerant etiam aliae scientiae. Ergo non
sunt proprium subjectum hujus scientiae. |
3. De plus, il semble à
certains que les choses et les signes soient le sujet : dans un science
donnée en effet le sujet est ce sur quoi porte toute le propos de cette
science. Mais tout le propos de la théologie est dirigé sur les choses et les
signes ainsi que le dit le Maître des sentences. Donc, les choses et les
signes sont le sujet. Par contre, une science doit différer des autres par la
définition du sujet puisque toute science possède un sujet qui lui est propre.
Mais les autres sciences considèrent elles aussi les choses et les signes.
Donc, ces derniers ne sont pas le sujet de cette science. |
q.
1 a. 4 co. Respondeo, quod subjectum habet ad scientiam ad minus tres
comparationes. Prima est, quod quaecumque sunt in scientia debent contineri
sub subjecto. Unde considerantes hanc conditionem, posuerunt res et signa
esse subjectum hujus scientiae ; quidam autem totum Christum, idest caput et
membra ; eo quod quidquid in hac scientia traditur, ad hoc reduci videtur.
Secunda comparatio est, quod subjecti cognitio principaliter attenditur in
scientia. Unde, quia ista scientia principaliter est ad cognitionem Dei,
posuerunt Deum esse subjectum ejus. Tertia comparatio est, quod per
subjectum distinguitur scientia ab omnibus aliis ; quia secantur scientiae
quemadmodum et res, ut dicitur in 3 de anima : et secundum hanc
considerationem, posuerunt quidam, credibile esse subjectum hujus scientiae. |
Corps de l’article. Je réponds que le sujet se compare à la science au moins sous
trois rapports. Le premier est que tout ce qui est examiné dans la science
doit être contenu dans le sujet. C’est pourquoi ceux qui ont considéré cette
condition ont posé que les choses et les signes sont le sujet de cette
science ; d’autres cependant ont posé que c’est la totalité du Christ, à
savoir la tête et les membres, du fait que tout ce qui est enseigné dans
cette science semble se ramener à cela. Le deuxième rapport est que la
connaissance du sujet est ce qui est poursuivi principalement dans la
science. De là, parce que cette science vise principalement la connaissance
de Dieu, il ont posé que Dieu en est le sujet. Le troisième rapport est
qu’une science se distingue justement de toutes les autres par son sujet car
les sciences se divisent comme les choses ainsi qu’on le dit au troisième
livre de l’Âme : et sous ce rapport, certains ont posé que
ce qu’il faut croire est le sujet de cette science. |
Haec
enim scientia in hoc ab omnibus aliis differt, quia per inspirationem fidei
procedit. Quidam autem opera restaurationis, eo quod tota scientia ista ad
consequendum restaurationis effectum ordinatur. Si autem volumus invenire
subjectum quod haec omnia comprehendat, possumus dicere quod ens divinum
cognoscibile per inspirationem est subjectum hujus scientiae. Omnia enim quae
in hac scientia considerantur, sunt aut Deus, aut ea quae ex Deo et ad Deum
sunt, inquantum hujusmodi : sicut etiam medicus considerat signa et causas et
multa hujusmodi, inquantum sunt sana, idest ad sanitatem aliquo modo
relata. Unde
quanto aliquid magis accedit ad veram rationem divinitatis, principalius
consideratur in hac scientia. |
Cette science en effet
diffère de toutes les autres sciences en ceci qu’elle procède au moyen de
l’inspiration de la foi. Mais certains ont posé que les œuvres de la
Réparation sont le sujet du fait que toute cette science est ordonnée à la
poursuite de l’effet de la Réparation. Mais si nous voulons trouver le sujet
qui se trouve à comprendre tous ces points, nous pouvons dire que le sujet de
cette science est l’être divin qui est connaissable par
l’inspiration de la foi. En effet, tout ce qui est examiné dans cette science
est soit Dieu, soit ce qui vient de Dieu et est ordonné à Lui en tant que
tel : c’est ainsi encore que le médecin considère les signes et les
causes et beaucoup de choses de cette sorte en tant qu’elles sont saines,
c’est-à-dire pour autant qu’elles se rapportent d’une certaine manière à la
santé. Il résulte de là que ce qui se rapproche le plus d’un véritable
rapport à Dieu, c’est là ce qui est examiné principalement dans cette
science. |
q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod Deus non est subjectum, nisi sicut principaliter
intentum, et sub cujus ratione omnia quae sunt in scientia, considerantur.
Quod autem objicitur in contrarium, quod forma simplex non potest esse
subjectum, dicimus, quod verum est accidentis : nihilominus tamen potest esse
subjectum praedicati in propositione ; et omne tale potest esse subjectum in
scientia, dummodo illud praedicatum de eo probari possit. |
Réponses aux objections. 1. Il faut dire que Dieu
n’est le sujet de cette science que parce qu’Il en est le propos principal et
c’est sous ce rapport que toutes les autres choses sont examinées dans cette
science. Mais ce qu’on présente comme objection, à savoir qu’une forme simple
ne peut être un sujet, nous disons que cela est vrai si on le dit de
l’accident : il peut cependant être le sujet d’un prédicat dans une
proposition et dans ce cas il peut être sujet dans une science, aussi
longtemps que ce prédicat puisse être prouvé comme lui appartenant. |
q. 1 a. 4 ad 2 Ad aliud
dicendum, quod opera restaurationis non sunt proprie subjectum hujus
scientiae, nisi inquantum omnia quae in hac scientia dicuntur, ad
restaurationem nostram quodammodo ordinantur. |
2. Il faut dire par rapport à cette autre objection que les œuvres de la Réparation ne sont pas à proprement parler le sujet de cette science que dans la mesure où tout ce qui est dit dans cette science est ordonné en un sens à notre renouvellement. |
q. 1 a. 4 ad 3 Ad aliud
dicendum, quod res et signa communiter accepta, non sunt subjectum hujus
scientiae, sed inquantum sunt quaedam divina. |
3. Il faut dire à l’égard de
cette autre objection que les choses et les signes, pris absolument, ne sont
pas le sujet de cette science, mais il le sont dans le mesure où ils se
rapportent à Dieu. |
|
|
Articulus 5 : Utrum modus
procedendi sit artificialis |
Article 5 – La manière de procéder est-elle selon l’art [1] ? |
q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. [Videtur quod modus procedendi non sit artificialis add. Éd. De Parme].Nobilissimae [enim add. Éd. De Parme]scientiae debet esse nobilissimus modus. Sed quanto magis [modus add. Éd. De Parme] est artificialis, tanto nobilior est. Ergo, cum haec scientia sit nobilissima, modus ejus debet esse artificialissimus. |
Objections. 1. Il semble que le mode de
procéder ne soit pas selon l’art. Le mode le plus noble doit en effet appartenir
à la science la plus noble. Mais un mode est d’autant plus noble qu’il est
davantage conforme à l’art. Donc, puisque cette science est la plus noble,
son mode doit être le plus conforme à l’art. |
q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea,
modus scientiae debet ipsi scientiae proportionari. Sed ista scientia maxime
est una, ut probatum est. Ergo et modus ejus debet esse maxime unicus. Cujus
contrarium videtur, cum quandoque comminando, quandoque praecipiendo,
quandoque aliis modis procedat. |
2. En outre, le mode d’une
science doit être proportionné à la science elle-même. Mais cette science est
une au plus haut point ainsi qu’on l’a prouvé. Par conséquent, son mode doit
être le plus un ; mais il semble que ce soit le contraire qu’on observe,
puisqu’on y procède parfois en menaçant, parfois en enseignant, parfois selon
d’autres modes. |
q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea,
scientiarum maxime differentium non debet esse unus modus. Sed poetica, quae
minimum continet veritatis, maxime differt ab ista scientia, quae est
verissima. Ergo, cum illa procedat per metaphoricas locutiones, modus hujus
scientiae non debet esse talis. |
3. De plus, il ne doit pas exister un seul mode pour les sciences les plus différentes. Mais la poétique, qui contient très peu de vérités, diffère au plus haut point de cette science qui est la plus vraie. Donc, puisque cette science procède au moyen de locutions métaphoriques, le mode de la doctrine sacrée ne doit pas lui être identique sur ce point. |
q. 1 a. 5
arg. 4 Praeterea, Ambrosius : Tolle argumenta ubi fides quaeritur.
Sed in sacra scientia maxime quaeritur fides. Ergo modus ejus nullo modo
debet esse argumentativus. |
4. Ensuite, Ambroise
dit : Là où c’est la foi qu’on
cherche, qu’on écarte les arguments. Mais dans la doctrine sacrée, c’est
surtout la foi qu’on cherche. Donc, son mode ne doit aucunement faire usage
d’arguments. |
q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra, 1 Pet. 3, 15 : Parati
semper ad satisfactionem omni poscenti vos rationem de ea, quae in vobis est,
spe. Hoc autem sine argumentis fieri non valet. Ergo debet quandoque
argumentis uti. |
Au contraire : On lit dans la Première Lettre de Pierre (3, 15) : Soyez toujours prêts à vous défendre face à tous ceux qui vous demandent de justifier l’espérance qui est en vous. Mais il est impossible de réaliser cela sans former des arguments. On doit donc parfois se servir d’arguments. |
q. 1 a. 5 s. c. 2 Idem
habetur ex hoc quod dicitur Tit. 1, 9 : Ut potens sit exhortari in
doctrina sana et eos qui contradicunt, arguere. |
Saint Paul tient le même
discours dans sa Lettre à Tite (1, 9) : Pour
qu’il soit capable d’exhorter les autres à se conformer à la doctrine saine
et d’argumenter contre ceux qui la contredisent. |
q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod modus cujusque scientiae debet inquiri secundum conditiones
materiae, ut dicit Boetius, et philosophus. Principia autem hujus scientiae
sunt per revelationem accepta ; et ideo modus accipiendi ipsa principia debet
esse revelativus ex parte infundentis, ut in revelationibus prophetarum, et
orativus ex parte recipientis, ut patet in Psalmis. Sed quia, praeter lumen
infusum, oportet quod habitus fidei distinguatur ad determinata credibilia ex
doctrina praedicantis, secundum quod dicitur Rom. 10, 14 : quomodo
credent ei quem non audierunt ?Sicut etiam intellectus principiorum
naturaliter insitorum determinatur per sensibilia accepta, veritas autem
praedicantis per miracula confirmatur, ut dicitur Marc. ult. 20
: Illi autem profecti praedicaverunt ubique, domino cooperante et
sermonem confirmante sequentibus signis ; oportet etiam quod modus
istius scientiae sit narrativus signorum, quae ad confirmationem fidei
faciunt : et, quia etiam ista principia non sunt proportionata humanae
rationi secundum statum viae, quae ex sensibilibus consuevit accipere, ideo
oportet ut ad eorum cognitionem per sensibilium similitudines manuducatur :
unde oportet modum istius scientiae esse metaphoricum, sive symbolicum, vel
parabolicum. |
Corps de l’article. Je réponds qu’il faut dire que le mode de toute science
doit se rechercher conformément aux conditions de sa matière, comme le disent
Boèce et le Philosophe. Mais les principes de cette science sont reçus de la
révélation ; et pour cette raison la manière de recevoir ces principes
doit être du type de la révélation du côté de celui qui infuse, comme dans
les révélations des prophètes, et du type de la prière du côté de celui qui
reçoit comme on le voit dans les Psaumes. Mais parce que, en dehors de la
lumière infuse, il faut que l’habitus de la foi se distingue quant à des
objets de foi déterminés tirés de la doctrine de celui qui fait œuvre de
prédication, conformément à ce qui est dit dans l’Épître aux Romains (10,
14) : Et comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas
entendu parler ? Alors, tout comme l’intelligence des principes
donnés naturellement est déterminée par la réception des qualités sensibles
et que de même la vérité de celui qui proclame est confirmée par les miracles
ainsi qu’on le dit à la fin de l’Évangile de Marc (20) : Partout
où ils partaient prêcher, le Seigneur les aidait et les accompagnait par des
signes qui confirmaient la vérité de leurs discours ; c’est pourquoi
il faut aussi que le mode de cette science relate les signes qui contribuent
à confirmer la foi ; et, parce qu’en outre ces principes ne sont pas
proportionnés à la raison humaine dans la condition de la vie présente,
laquelle a coutume de recevoir les vérités à partir des choses sensibles,
c’est pourquoi il faut que nous soyons conduits à la connaissance de ces
principes par des similitudes sensibles : de là il faut que le mode de
cette science soit métaphorique ou symbolique, ou comporte des paraboles. |
Ex istis autem principiis
ad tria proceditur in sacra Scriptura : scilicet ad destructionem errorum,
quod sine argumentis fieri non potest ; et ideo oportet modum hujus scientiae
esse quandoque argumentativum, tum per auctoritates, tum etiam per rationes
et similitudines naturales. Proceditur etiam ad instructionem morum : unde
quantum ad hoc modus ejus debet esse praeceptivus, sicut in lege ;
comminatorius et promissivus, ut in prophetis ; et narrativus exemplorum, ut
in historialibus. Proceditur tertio ad contemplationem veritatis in
quaestionibus sacrae Scripturae ; et ad hoc oportet modum etiam esse
argumentativum, quod praecipue servatur in originalibus sanctorum et in isto
libro, qui quasi ex ipsis conflatur. |
Mais à partir de ces principes on procède à trois choses dans les Saintes Écritures : c’est-à-dire à la réfutation des erreurs, laquelle ne pourrait avoir lieu sans argumentation ; et c’est pourquoi le mode de cette science doit parfois être argumentatif, en procédant aussi bien au moyen d’autorités que de raisonnements et de similitudes tirées de la nature. Mais on y procède aussi à la formation des mœurs : et c’est pourquoi sous ce rapport son mode doit être didactique comme dans la Loi ; menaçant et prendre la forme d’une promesse, comme dans les Prophètes ; et elle doit faire le récit des faits exemplaires, comme dans les parties historiques. On y procède en troisième lieu à la contemplation de la vérité dans les questions de l’Écriture Sainte ; et pour cela il faut que son mode soit aussi argumentatif, lequel mode est conservé surtout pour les œuvres d’origine des saints et dans ce livre qui est comme composé à partir d’eux. |
Et secundum hoc etiam potest
accipi quadrupliciter modus exponendi sacram Scripturam : quia secundum quod
accipitur ipsa veritas fidei, est sensus historicus : secundum autem quod ex
eis proceditur ad instructionem morum, est sensus moralis ; secundum autem
quod proceditur ad contemplationem veritatis eorum quae sunt viae, est sensus
allegoricus ;et secundum quod proceditur ad contemplationem veritatis eorum
quae sunt patriae, est sensus anagogicus. Ad destructionem autem errorum non
proceditur nisi per sensum litteralem, eo quod alii sensus sunt per
similitudines accepti et ex similitudinariis locutionibus non potest sumi
argumentatio ; unde et Dionysius dicit (in Epistola ad Titum, in
Princip.) quod symbolica theologia non est argumentativa. |
Et c’est encore d’après cela
que la manière d’expliquer les Saintes Écritures peut se prendre de quatre
façons : car selon qu’on reçoit la vérité même de la foi, il y a le sens
historique : mais selon qu’à partir d’elles on procède à la formation
des mœurs, il y a le sens moral ; selon qu’on procède à la contemplation
de la vérité des choses qui appartiennent au passage dans cette vie, le sens
est allégorique ; selon qu’on procède à la contemplation de la vérité
des choses qui appartiennent à la patrie céleste, le sens est anagogique. Mais
pour la réfutation des erreurs on ne procède qu’au moyen du sens littéral, du
fait que les autres sens sont reçus par des similitudes et que
l’argumentation ne peut se tirer de locutions qui comportent des
similitudes ; c’est pourquoi Denys dit au début de sa Lettre à
Tite que la théologie symbolique n’est pas argumentative. |
q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod modus artificialis dicitur qui competit materiae ; unde
modus qui est artificialis in geometria, non est artificialis in ethica : et
secundum hoc modus hujus scientiae maxime artificialis est, quia maxime
conveniens materiae. |
Réponses aux objections. 1. Par rapport à la première objection, il faut dire qu’est conforme à l’art le mode qui est conforme à la matière ; c’est pourquoi le mode qui est conforme à l’art pour la géométrie n’est pas celui qui est valide pour l’éthique : et la raison pour laquelle ce mode est le plus conforme à l’art par rapport à cette science, c’est qu’il convient à sa matière. |
q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis ista scientia una sit, tamen de multis est et ad multa
valet, secundum quae oportet modos ejus multiplicari, ut jam patuit. |
2. Il faut dire sur ce deuxième point que bien que cette science soit une, elle porte cependant sur de nombreuses choses et elle excelle en de nombreuses matières d’après lesquelles ses modes doivent se diversifier ainsi que nous l’avons déjà vu. |
q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod poetica scientia est de his quae propter defectum veritatis
non possunt a ratione capi ; unde oportet quod quasi quibusdam
similitudinibus ratio seducatur : theologia autem est de his quae sunt supra
rationem ; et ideo modus symbolicus utrique communis est, cum neutra rationi
proportionetur. |
3. Sur ce troisième point il
faut dire que la science poétique porte sur une matière qui ne peut être
saisie par la raison à cause de son manque de vérité ; c’est pourquoi il
faut que la raison soit séduite par certaines similitudes : mais la
théologie porte sur des réalités qui dépassent la raison ; et c’est pourquoi
le mode symbolique est commun aux deux sciences parce qu’aucune d’elles n’est
proportionnée à la raison. |
q.
1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod argumenta tolluntur ad probationem
articulorum fidei ; sed ad defensionem fidei et inventionem veritatis in
quaestionibus ex principiis fidei, oportet argumentis uti : sic etiam
apostolus facit, 1 Corinth. 15, 16 : si Christus resurrexit, ergo et mortui
resurgent. |
4. Il faut dire sur ce point que les arguments sont
écartés pour ce qui est de prouver les articles de la foi ; mais il faut
se servir d’arguments pour la défense de la foi et la découverte de la vérité
pour les questions qui découlent des principes de la foi : c’est ainsi
encore que l’Apôtre dit dans sa Première Épître aux Corinthiens (15,
16) : Si le Christ est ressuscité, c’est donc que les morts
ressusciteront. |
|
|
q.
1 pr. Huic operi Magister prooemium praemittit, in quo tria facit. Primo
reddit auditorem benevolum ; secundo docilem, ibi, "Horum
igitur Deo odibilem Ecclesiam evertere, atque ora oppilare (...) volentes, in
labore multo ac sudore volumen, Deo praestante, compegimus" ;
tertio attentum, ibi, "non ergo debet hic labor cuiquam
pigro vel multum docto videri superfluus.". Benevolum reddit
assignando causas moventes ipsum ad compilationem hujus operis, ex quibus
ostenditur affectus ipsius in Deum et proximum. Sunt autem tres causae
moventes. Prima
sumitur ex parte sui, scilicet desiderium proficiendi in Ecclesia ; secunda
ex parte Dei, scilicet promissio mercedis et auxilii ; tertia ex parte
proximi, [scilicet instantia precum sociorum. Add. Éd. De
Parme]. |
Le maître fait précéder cette œuvre d’un proème dans lequel il fait trois choses. En premier lieu il rend l’auditeur bienveillant ; en deuxième lieu, il le rend docile, là où il dit : ¨Voulant donc détruire leur Église odieuse à Dieu et fermer leur bouche (…), nous avons, avec l’aide de Dieu, rédigé ce volume avec beaucoup de travail et de sueur.¨ En troisième lieu, il le rend attentif là où il dit : ¨Ce travail ne doit pas paraître inutile à quelque paresseux ou à quelque grand savant.¨ Il a rendu l’auditeur bienveillant en indiquant les causes qui l’ont poussé à rédiger cet ouvrage, lesquelles sont révélatrices de son amour pour Dieu et le prochain. Mais il y a trois causes qui l’ont poussé à réaliser ce travail. La première se prend de son côté, à savoir le désir de progresser dans l’Église ; la deuxième se prend du côté de Dieu, à savoir la promesse de la récompense et de l’aide pour y arriver ; la troisième se prend du côté du prochain, à savoir les supplications pressantes de ses compagnons. |
Sed
contra sunt tres causae retrahentes. Prima ex parte sui, defectus ingenii et
scientiae ; secunda ex parte operis, altitudo materiae et magnitudo laboris ;
tertia ex parte proximi, invidorum contradictio. Harum autem
causarum moventium duae primae insinuant caritatem in Deum, tertia in
proximum : unde dividitur in duas. In primo ponit causas moventes quae
ostendunt caritatem in Deum ; in secundo causam quae ostendit caritatem in
proximum, ibi, "non valentes studiosorum fratrum votis jure
resistere". |
Mais à
l’opposé il y a trois causes qui tendent à le faire reculer devant la tâche.
La première se tient de son côté, à savoir son manque d’intelligence et de
science; la deuxième se tient du côté de l’oeuvre en raison du caractère
élevé de la matière et de l’étendue du travail; la troisième se tient du côté
du prochain, à savoir la contradiction des envieux. Mais parmi les causes qui
le poussent à agir, les deux premières sont révélatrices de son amour pour
Dieu et la troisième de son amour pour le prochain: et c’est pourquoi cette
partie se divise en deux. Dans la première il présente les causes actives qui
montrent son amour pour Dieu; dans la deuxième il présente celle qui
manifeste son amour pour le prochain, là où il dit: ¨Ne pouvant pas
résister avec raison aux prières de mes frères zélés.¨ |
Causis autem moventibus
adjungit etiam retrahentes : unde primo ponit quasi quamdam controversiam
causarum moventium et retrahentium ; secundo victoriam, ibi, "quam
vincit zelus domus Dei". "Cupientes" In
hoc notatur primo causa movens, scilicet desiderium proficiendi. "Aliquid" sonat
immodicitatem. "De penuria ac tenuitate nostra".
Hic tangitur prima causa retrahens, scilicet defectus scientiae. Et dicitur penuria
proprie defectus exterioris substantiae, unde transfertur ad defectum
scientiae acquisitae. "Tenuitate", quae proprie
est defectus substantiae interioris, unde transfertur ad defectum
ingenii. "Cum paupercula", de qua Marc. 12
et Lucae 21. "Gazophylacium".
Gazophylacium repositorium dicitur divitiarum. Gazae enim Persice, divitiae
Latine dicuntur, et phylasso Graece, Latine servare : et quandoque sumitur
pro arca in quo arca reponitur, sicut 4 Reg. 12, 9 : Tulit
Joiada pontifex gazophylacium unum etc., quandoque pro loco in quo
arca reponitur, sicut Joan. 8, 20 : haec locutus est Jesus
in gazophylacio. Hic autem significat studium sacrae Scripturae, in
quo sancti sua opera reposuerunt. |
Mais à ces causes actives il
ajoute encore celles qui le retiennent d’agir: c’est pourquoi il présente
d’abord comme un combat l’opposition qu’il y a entre les causes qui le
poussent à agir et celles qui le retiennent; en deuxième lieu, il présente la
victoire, là où il dit: ¨que le zèle pour la maison du Seigneur a vaincu¨.
Lorsqu’il dit ¨Désirant¨, il
indique en premier lieu la première cause active, à savoir son désir de
progresser dans l’Église. Lorsqu’il dit ¨Quelque
chose¨, cela renvoie à la démesure de la tâche. Par l’expression ¨Sur notre pauvreté et notre dénuement¨,
il touche ici du doigt la première cause qui le retient, à savoir son manque
de science. Et le terme de pauvreté
exprime à proprement parler le manque d’une substance extérieure et c’est
pourquoi il est appliqué à un manque de science acquise; mais le
terme de dénuement se rapporte
proprement à un défaut de substance intérieure et c’est pourquoi il est
appliqué à un manque d’intelligence. ¨Avec
la pauvre femme¨ dont parle Marc
(12, 41-44) et Luc (21, 1-4).
¨Gazophylacium¨. Gazophylacium signifie la salle où l’on dépose les
richesses. En effet, le terme ¨gazae¨, qui vient de la langue perse,
correspond au terme en latin divitiae qui veut dire
richesses et ¨phylasso¨, qui est un terme grec, correspond au terme
latin servare qui veut dire conserver: et
parfois gazophylacium signifie le coffre dans lequel le
trésor est dépose ainsi qu’on le dit dans le deuxième livre des Rois (12, 10): ¨Le prêtre Yéhoyada
prit un coffre…¨, et parfois pour le lieu dans lequel le coffre est dépose,
ainsi qu’on le voit dans Jean (8,
20): ¨Jésus prononça ces paroles dans
la salle du Trésor¨. Mais ce terme signifie ici le lieu de l’étude des
Saintes Écritures dans lequel les saints avaient déposé leurs oeuvres. |
"Ardua scandere".
Hic ponitur secunda causa retrahens ex parte operis, et dicuntur ardua divina
quantum est in se. Scanduntur autem quasi triplici gradu. Primus est in
derelinquendo sensum ; secundus in derelinquendo phantasias corporum ;
tertius in derelinquendo rationem naturalem. "Opus
ultra vires". Hic ostenditur altitudo materiae per comparationem
ad nos. |
Lorsqu’il ajoute ¨S’élever sur les hauteurs¨, il présente la deuxième cause qui le retient du côté du travail à accomplir, et les réalités divines sont appelées hauteurs quant à ce qu’elles sont en elles-mêmes. Et on s’y élève comme en trois étapes. La première se fait en se dégageant des sens; la deuxième en délaissant les images des corps; la troisième, en se détachant de la raison naturelle. Et lorsqu’il dit ¨Un travail au-delà de nos forces¨, il montre par là à quel point la matière à examiner est élevée par rapport à nos capacités. |
Contra, Eccli. 3,
22 : Altiora te ne quaesieris. Respondeo. Verum est ex
consideratione [confidentia Éd. De Parme] propriarum virium ; sed ex
confidentia divini auxilii possumus elevata supra nostrum posse speculari. |
Mais au contraire on lit dans
l’Ecclésiaste (3, 22) : ¨Ne
cherche pas à connaître ce qui te dépasse¨. Je réponds
que cela est vrai si on ne se fie qu’à ses propres forces ; mais en nous
appuyant sur l’aide de Dieu, nous pouvons examiner les réalités qui sont
élevées au-dessus de nos capacités. |
"Praesumpsimus".
Contra, Eccli. 37, 3 : Ô praesumptio nequissima ! Ergo
videtur quod peccaverit. Respondeo. Expone "praesumpsimus",
idest prae aliis sumpsimus.. Vel dic, quod esset praesumptio per
comparationem ad vires humanas ; sed per comparationem ad Dei auxilium, quo
omnia possumus, sicut dicitur Philipp. ult. 13 : omnia possum in eo qui me
confortat, non est praesumptio. |
¨Nous avons anticipé¨. Mais nous lisons au contraire dans l’Ecclésiaste (37, 3): ¨Ô vaine anticipation!¨. Il semble donc avoir commis une faute. Je réponds que ¨Nous anticipons¨ s’explique comme synonyme du fait que nous saisissons avant les autres…Ou bien disons qu’il y aurait là une folle anticipation par rapport aux forces humaines; mais par rapport à l’aide que nous recevons de Dieu, par laquelle nous pouvons tout, cela n’est pas de la présomption et il faut dire comme l’Apôtre dans son Épître aux Philippiens (4, 13): Je puis tout en Celui qui me rend fort. |
"Consummationis
fiduciam". Hic ponit secundam causam moventem ex parte Dei. "In
Samaritano". Sumitur de parabola quae est Lucae 10, per quam
significatur Deus. In Psal. 120, 4 : Ecce non dormitabit
neque dormiet qui custodit Israel. Samaritanus enim interpretatur
custos. "Semivivi", hominis per peccatum
spoliati gratia et vulnerati in naturalibus. Duobus denariis, duobus
testamentis, quasi regis imagine insignitis, dum veritatem continent a prima
veritate exemplatam. "Supereroganti", idest
superaddenti, sicut sancti patres suis studiis fecerunt. |
En disant : ¨La confiance dans l’accomplissement¨,
il présente ici la deuxième cause qui le pousse à agir du côté de Dieu. ¨Dans le Samaritain¨. Cette expression
est tirée de la parabole qu’on retrouve en Luc (10, 29-37) et par laquelle Dieu est signifié. Et dans le
Psaume (120, 4) : Vois, il ne dormira ni ne sommeillera, le
gardien d’Israël. Samaritain en effet peut s’interpréter comme signifiant
gardien. ¨À moitié mort¨ s’applique
à l’homme qui, par le péché, est dépourvu de la grâce et qui, parmi les êtres
naturels, est un être blessé. Par les deux deniers, image des deux
testaments, comme marqués à l’image du roi, alors qu’ils contiennent une
vérité qui est à l’image de la vérité première. ¨À ce que tu auras dépensé en plus¨, c’est-à-dire à ce que tu
auras ajouté, tout comme les saints pères l’ont fait par leurs études. |
Contra, Apocalyps. ult. 18
: Si quis apposuerit ad haec, apponet Deus super illum plagas.
Respondeo. Est apponere duplex : vel aliquid quod est contrarium, vel
diversum ; et hoc est erroneum vel praesumptuosum : vel quod continetur
implicite, exponendo ; et hoc est laudabile. |
On lit au contraire à la fin du livre de l’Apocalypse (22, 18) : Et si quelqu’un ajoute quelque chose à ces paroles, Dieu le chargera de fléaux. Je réponds à cela qu’il y a deux manières d’ajouter : soit en ajoutant quelque chose de contraire ou de différent, et cela est une erreur ou une présomption ; soit en expliquant ce qui est déjà contenu mais implicitement, et cela est louable. |
"Delectat". Hic
colligit quatuor causas enumeratas. "Quam vincit".
Hic ponit victoriam. "Zelus". Zelus, secundum
Dionysium (De div. Nom. 4, 13) est amor intensus, unde non
patitur aliquid contrarium amato. "Domus Dei" idest
Ecclesiae. "Quo inardescentes", scilicet dum non
patimur Ecclesiam ab infidelibus impugnari. "Carnalium",
quantum ad illos qui inveniunt sibi errores, ut carnis curam faciant in
desideriis, Rom. 13, sicut qui negant providentiam divinam de
rebus humanis, et animae perpetuitatem, ut impune possint peccare. "Animalium",
quantum ad errantes, ex eo quod non elevantur supra sensibilia, sed secundum
rationes corporales volunt de divinis judicare. Davidicae turris. Hoc
sumitur Cant. 4, 4 : "Sicut turris David collum
tuum, quae aedificata est cum propugnaculis : mille clypei pendent ex ea,
omnis armatura fortium". Per David significatur Christus : turris
ejus est fides vel Ecclesia : clypei sunt rationes et auctoritates
sanctorum. "Vel potius munitam ostendere" ;
quia ipse non invenit rationes, sed potius ab aliis inventas compilavit : et
in hoc tangit unam utilitatem, scilicet exclusionem erroris. "Ac
theologicarum inquisitionum abdita aperire".Hic tangit aliam
quantum ad manifestationem veritatis ; et hoc in primis tribus libris. "Nec
non et sacramentorum ecclesiasticorum pro modulo [pro modico Lombard]
intelligentiae nostrae notitiam tradere studuimus : et hoc quantum ad quartum". |
¨ Il se réjouit¨. Et il recueille ici les quatre causes qui ont été
énumérées. ¨Qu’il a vaincu¨. Il présente
ici la victoire. ¨Le zèle¨. D’après
Denys (Les Noms Divins, 4, 13), le
zèle est un amour intense qui ne souffre pas ce qui s’oppose à l’objet
aimé. ¨La maison de Dieu¨,
c’est-à-dire l’Église. ¨Pour laquelle
nous nous enflammons¨, c’est-à-dire alors même que nous ne pouvons pas
supporter que l’Église soit combattue par les infidèles. ¨Des hommes charnels¨, quant à ceux qui
se retrouvent dans des erreurs, comme ceux qui se soucient de la chair pour
en satifaire les convoitises (Romains,
13, 14), comme ceux qui nient la Providence divine dans les choses humaines
ainsi que l’immortalité de l’âme de sorte qu’ils pourraient pécher impunément.
¨Des animaux¨, quant à ceux qui
s’égarent du fait qu’ils ne s’élèvent pas au-dessus des réalités sensibles et
veulent juger des choses divines d’après des raisons tirées des réalités
corporelles. La tour de David. Cette expression est tirée du Cantique des
Cantiques (4, 4) : ¨Ton cou est
comme la tour de David construite avec des remparts : mille boucliers y
sont suspendus, toutes les armes des combattants¨. David représente ici
le Christ ; sa tour est la foi ou l’Église ; les boucliers sont les
raisons et l’autorité des saints. ¨Ou
plutôt montrer l’abri des fortifications¨ car ce n’est pas lui qui a
découvert les raisons mais il a plutôt dépouillé celles qui ont été
découvertes par les autres : et en cela il touche du doigt une utilité,
à savoir le rejet de l’erreur. ¨Et
dévoiler les secrets des recherches théologiques¨. Il indique ici une
autre utilité quant à la manifestation de la vérité ; et il fait cela
dans les trois premiers livres. ¨Et
nous nous sommes appliqués à enseigner la connaissance des sacrements de
l’Église dans la mesure de notre intelligence : et c’est là l’objet
du quatrième livre¨. |
"Non valentes studiosorum
fratrum votis jure resistere". Hic ponit causam moventem, quae
dicit caritatem in proximum : et primo ponit causam moventem ; secundo
retrahentem, ibi, "quamvis non ambigamus omnem humani
eloquii sermonem calumniae atque contradictioni aemulorum semper fuisse
obnoxium". |
¨ Ne pouvant pas
résister avec raison aux prières de nos frères dévoués¨. Il présente ici
la cause motrice qui exprime la charité envers le prochain : et en
premier lieu il présente la cause motrice ; en deuxième lieu celle qui
le retient, là où il dit : ¨bien
que nous ne doutions pas que tout discours de l’éloquence humaine a toujours
été assujetti à la calomnie et à la contradiction des envieux¨. |
"Lingua",
ad praesentes, vel quantum ad communicationem doctrinae ; "stylo",
propter absentes, vel ad perpetuandam memoriam. |
¨Par la langue¨,
à l’égard de ceux qui sont présents, pour leur communiquer la doctrine; ¨par la plume¨, à l’égard de ceux qui
sont absents, pour en perpétuer la mémoire |
"Bigas",
idest linguam et stylum, quibus quasi duabus rotis vehitur a magistro in
discipulum, agitat Christi caritas. Hoc sumitur 2 Corinth. 5, 14 : caritas
Christi urget nos. |
Par ¨Les deux¨, c’est-à-dire la langue et la plume, par lesquels,
comme par deux roues, la vérité est transportée du maître au disciple,
s’avance ici la charité du Christ. Et cela est tiré de la Deuxième Épître aux Corinthiens (5,
14) : Car l’amour du Christ nous presse. |
Contra, Eccle. 9, 1 : "Nemo scit, utrum
amore an odio dignus sit". Ergo et cetera. Respondeo. Caritas
dicitur uno modo habitus infusus ; et hunc nullus potest scire se habere
certitudinaliter, nisi per revelationem ; sed potest conjicere per aliqua
signa probabilia. Alio modo dicitur caritas amor multum appretians amatum ;
et sic aliquis potest scire se habere caritatem. "Quamvis
non ambigamus omnem humani eloquii sermonem calumniae atque contradictioni
aemulorum semper fuisse obnoxium".Hic ponit tertiam causam
retrahentem, scilicet contradictionem invidorum : et circa hoc tria facit.
Primo ponit contradictionis evidentiam per simile in aliis ; secundo
contradictionis causam ex inordinatione voluntatis, ex qua error, ex qua
invidia, ex qua contradictio oritur, ibi, "quia
dissentientibus voluntatum motibus, dissentiens quoque fit animorum sensus" ;
tertio contradicentium nequitiam, ibi, "qui non rationi
voluntatem subjiciunt". |
Mais on lit au contraire dans l’Ecclésiaste (9, 1) : ¨Nul
ne sait s’il est digne d’amour ou de haine¨. Il en est donc ainsi pour le
reste. Je réponds que la charité se prend en un sens comme un habitus
infus ; et cet habitus, nul ne peut savoir avec certitude qu’il le
possède, si ce n’est par révélation ; mais il peut le conjecturer au
moyen de signes probables. En un autre sens charité se dit de l’amour qui
estime grandement l’objet aimé ; et ainsi, en ce sens, quelqu’un peut
savoir qu’il possède la charité. ¨Bien
que nous ne doutions pas que tout discours de l’éloquence humaine a toujours
été assujetti à la calomnie et à la contradiction des envieux¨.
Il présente ici la troisième cause qui le retient, à savoir la contradiction
des envieux : et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il
présente l’évidence de la contradiction au moyen d’une similitude chez les
autres ; en deuxième lieu il présente la cause de la contradiction qui se
tient du côté d’un désordre de la volonté à partir duquel naissent l’erreur,
l’envie et la contradiction, là où il dit : ¨car chez ceux qui sont en désaccord par les mouvements de la volonté
il se produit aussi un jugement discordant des âmes¨ ; en troisième
lieu il présente la malice des contradicteurs, là où il dit : ¨ceux qui ne soumettent pas la volonté à la
raison¨. |
"Calumniae",
quae est occulta et particularis impugnatio ; "contradictioni",
quae est aperta, et in toto, et universalis ; "obnoxium",
quasi poenae vel noxae addictum. |
¨À la calomnie¨, laquelle est cachée et constitue une forme d’attaque particulière ; ¨à la contradiction¨, qui se fait ouvertement, en totalité et universellement ; ¨assujetti¨, en tant que lié à la peine et au préjudice. |
"Veri ratione perfectum" ;
idest, perficiebat secundum rationem veritatis, videlicet quantum ad illos
qui male intelligunt, et tamen malum intellectum pertinaci voluntate
defendunt. |
¨Achevé par la raison du vrai¨ ; c’est-à-dire qu’il accomplissait tout par la raison de la vérité, c’est-à-dire par opposition à ceux qui comprennent mal et qui cependant défendent leurs erreurs par une volonté obstinée. |
"Complacet",
quantum ad illos quorum voluntas inordinate post se trahit judicium rationis,
ut verum judicetur illud quod placet. "Offendenti",
idest quod displicet. |
¨Ce qui plaît¨ s’adresse à ceux dont la volonté désordonnée traîne
à sa suite le jugement de la raison, de telle sorte que ce qui plaît est
considéré comme étant vrai et est préféré ¨à ce qui heurte¨, c’est-à-dire à ce qui déplaît. |
Contra,
3 Esdrae, 4, 39 : Omnes benignantur in operibus ejus. Ergo et cetera. —
Respondeo. Veritas secundum se semper amatur ; sed per accidens potest haberi
odio, et hoc accidens est infinitum : quia causae per accidens, secundum
philosophum (Physique, II, texte 3 sive cap. V) infinitae sunt. |
Mais on lit au contraire dans
Esdras (3, 11) : Tous se réjouissent dans ses œuvres.
Donc… Je réponds que la vérité en tant que telle est toujours
aimée ; mais par accident elle peut être tenue en haine, et cela à
l’infini : car les causes par accident sont infinies ainsi que le dit le
Philosophe dans sa Physique (livre 11, chapitre 5). |
"Deus hujus
saeculi". Sumitur 2 Corinth., 4, et exponitur de Deo vero, qui
operatur invidiam, permittendo ; vel de Diabolo, cui saeculum obedit, qui
operatur suggerendo. Diffidentiae, vel quia diffidunt de Deo, vel quia de eis
diffidendum est ex ratione morbi, quamvis non ex potestate medici. |
¨ Le Dieu de ce siècle¨. Cette expression est tirée de la Deuxième Épitre aux Corinthiens (ch. 4), et se dit du vrai Dieu qui suscite l’envie en la permettant, ou bien du Diable auquel ce siècle obéit, qui suscite l’envie en la suggérant. De la défiance, ou bien parce qu’ils se défient de Dieu, ou bien parce qu’il faut se défier d’eux à cause de leur maladie, bien qu’elle ne relève pas du pouvoir du médecin. |
"Qui non rationi voluntatem
subjiciunt". Hic ostendit contradicentium nequitiam : et primo ex
inordinata professione ; secundo ex simulata religione, ibi, "Habent
rationem sapientiae in superstitione" ; tertio ex pertinaci
contentione, ibi, "qui contentioni studentes, contra
veritatem sine foedere bellant". |
¨Qui ne soumettent pas la volonté à la raison¨. Il montre ici la
malice des contradicteurs : et il le fait en premier lieu à partir du
dérèglement de leur déclaration ; en deuxième lieu, en partant de leur
fausse religion, là où il dit : ¨C’est
dans la religiosité qu’ils ont l’apparence de la sagesse¨ ; en
troisième lieu il le fait en partant de leurs efforts obstinés, là où il
dit : ¨ceux qui, s’appliquant avec
effort, luttent sans loi contre la vérité¨. |
Ostendit autem primo ex duobus eos esse inordinatos,
scilicet quia voluntas non sequitur rationem, sed e converso ; quod tangit
ubi dicit : "Qui non rationi voluntatem subjiciunt" :
et quia rationem suam non subjiciunt sacrae doctrinae ; quod notatur
ibi, "nec doctrinae studium impendunt". |
Mais il montre d’abord à partir de deux points qu’ils sont déréglés, c’est-à-dire parce que leur volonté ne suit pas la raison mais que c’est l’inverse qui se produit dans leur cas, ce qu’il manifeste là où il dit : ¨Ceux qui ne soumettent pas leur volonté à la raison¨ ; et aussi parce qu’ils ne soumettent par leur raison à la sainte doctrine : ce qu’il indique là où il dit : ¨ils ne consacrent pas leur zèle à la doctrine¨. |
"Somniarunt",
quasi phantasiando, sicut homo in somniis. "Sed ad fabulas
convertentes auditum." Sumitur de 2 Timoth. 4. Fabula enim
composita est ex miris, secundum philosophum (Poét. IV, Metaph. I, Lectio 3), et isti
semper volunt nova audire. "Professio", idest
studium. "Docenda", idest digna doceri. "Rationem",
idest argumentum ad ostendendum sapientiam. "In
superstitione", superflua religione exterius simulata. Quia fidei
defectionem sequitur hypocrisis mendax. Sumitur 1 Timoth. 4, 1 : Discedent
quidam a fide, attendentes spiritibus erroris, et doctrinis Daemoniorum in
hypocrisi loquentium mendacium. "Omnium verborum." |
¨Ils auront déliré¨ comme dans des rêves, comme le fait l’homme
dans son sommeil. ¨Mais ils tourneront
leurs oreilles vers des fables.¨, lequel passage est tiré de la Deuxième Épître à Timothée (4, 4). Une
fable en effet, selon le Philosophe (Poétique
IV ; Métaphysique (L. 1, l. 3)
est composée de faits prodigieux et ceux-là désirent toujours entendre des
choses nouvelles. ¨Leur
travail¨, c’est-à-dire leur occupation. ¨Qui doit être enseigné¨, c’est-à-dire qui mérite d’être enseigné.
¨La raison¨, c’est-à-dire
l’argument qui manifeste la sagesse. ¨Dans
la religiosité¨, c’est-à-dire dans la vaine religion simulée
extérieurement. Car du défaut de foi découle le mensonge de l’hypocrisie
ainsi que le souligne l’apôtre dans la Première
Épître à Timothée (4,1) : Certains s’écarteront de la foi
pour suivre des esprits trompeurs et des doctrines inspirées par les démons,
séduits par ¨toutes les paroles¨ mensongères de l’hypocrisie. |
Contra, Beda : "Nulla
falsa est doctrina, quae non aliqua vera intermisceat". |
On lit au contraire dans Bède : ¨Il n’y a pas de doctine fausse dans laquelle ne se mêle quelque vérité¨. |
Respondeo, illa vera quae
dicunt, quamvis in se vera sint, tamen quantum ad usum eorum falsa sunt, quia
falso utuntur eis. |
Je réponds que les choses qu’ils disent sont
vraies ; cependant, bien qu’elles soient vraies en elles-mêmes, cependant
elles sont fausses quant à l’usage qu’ils en font, puisqu’ils s’en servent
faussement. |
"Pruriginem",
idest inordinatum desiderium nova audiendi, sicut pruritus concitatur ex
calore inordinato. Sumitur ex 2 Tim. 4, 3 : Erit
tempus, cum (...) ad sua desideria coacervabunt sibi magistros, prurientes
auribus. "Dogmate", propter hoc quod ratio
voluntatem sequitur. "Contentioni", quae,
secundum Ambrosium ad Rom. est impugnatio veritatis cum confidentia
clamoris. "Veritas". III Esdr. 4, 38
: "Veritas manet, et invalescit in aeternum". |
¨Démangeaison¨, c’est-à-dire un désir désordonné d’entendre des
choses nouvelles comme le prurit est excité par une chaleur excessive, comme
le dit Paul dans sa Deuxième Lettre à
Timothée (4, 3): Car un temps
viendra où (…) les gens, l’oreille les démangeant, s’entoureront de maîtres
conformes à leurs désirs. ¨D’une
manière dogmatique¨, parce que la raison suit la volonté. ¨ ¨Au combat¨, qui, selon Ambroise sur l’Épître aux Romains, est l’assaut de
la vérité avec la confiance de la clameur. ¨La vérité¨. On lit dans 111 Esdras
(4, 38): La vérité demeure, et elle s’établit pour l’éternité. |
"Horum
igitur Deo odibilem Ecclesiam evertere atque ora oppilare (...) volentes, in
labore multo ac sudore hoc volumen, Deo praestante, compegimus".
Hic reddit auditorem docilem, praelibando causas operis : et primo ponit
causam finalem quantum ad duas utilitates, scilicet destructionem erroris ;
unde dicit : odibilem Ecclesiam : Psalm. 25, 5 : "Odivi
Ecclesiam malignantium" : "ne virus",
idest ne venenum, "in alios effundere queant" : "et
manifestationem veritatis" : unde dicit : "Lucernam
veritatis in candelabro exaltare volentes".Sumitur de Luc.
8, 16 : "Nemo accendit lucernam, et ponit eam sub modio". "In
candelabro", idest in aperto. Secundo tangit causam efficientem,
scilicet principalem, "Deo praestante" :
instrumentalem, "Compegimus" : quia hoc
opus est quasi compaginatum ex diversis auctoritatibus. "Sudore",
quocumque defectu corporali, qui sequitur laborem spiritualem. Tertio ostendit
causam materialem ibi : ex testimoniis veritatis, Psalm. 118, 152
: "Initio cognovi de testimoniis tuis". Quarto
causam formalem quantum ad distinctionem librorum : "in
quatuor libros :" et quantum ad modum operis : "in
quo majorum exempla", quantum ad similitudines ; "doctrinam",
quantum ad rationes, "reperies". "Vipereae",
haereticae : haeretici enim pariendo alios in sua haeresi, pereunt sicut
vipera. "Prodidimus",
reseravimus. Adjicit viam. "Complexi",
amplexantes. "Impiae", infidelis. "Inter
utrumque", scilicet, nec nimis alte, nec nimis humiliter : vel
inter duos contrarios errores, sicut Sabellii, et Arii. "Non
a paternis discessit limitibus", secundum illud Proverb. 22,
28 : "Non transferes terminos antiquos, quos posuerunt patres
tui". |
¨Voulant donc renverser leur Église détestable à Dieu et fermer leur
bouche (…), nous avons rédigé, avec l’aide de Dieu, ce livre avec beaucoup de
travail et de sueur¨. Ici il rend l’auditeur docile en effleurant les
causes de cet ouvrage : et en premier lieu il présente la cause finale
quant à deux utilités, à savoir premièrement la destruction de
l’erreur ; c’est pourquoi il dit : Église détestable, ainsi qu’on
le lit dans le Psaume (25,
5) : ¨Déteste l’Église des malfaiteurs¨ : ¨afin que le poison¨, c’est-à-dire le
venin, ¨ils ne puissent le répandre
dans les autres¨ ; puis deuxièmement ¨la manifestation de la vérité¨ : c’est pourquoi il
dit : ¨Voulant relever la
chandelle de la vérité dans le chandellier¨. C’est aussi ce qu’on lit
dans Luc (8,
16) : ¨Personne n’allume une lampe pour la mettre sous un
lit¨. ¨Dans le chandellier¨,
c’est-à-dire en pleine évidence. En deuxième lieu il considère la cause
efficiente, c’est-à-dire la cause principale, en disant : ¨Avec l’aide de Dieu¨ ; puis la
cause instrumentale en disant : ¨nous
avons rédigé¨ : car cet ouvrage a été rédigé comme à partir de
différentes autorités. ¨Avec sueur¨
et tout autre défaut corporel qui suit le travail spirituel. En troisième
lieu il indique la cause matérielle là où il dit : à partir des témoignages
de la vérité, ainsi qu’on le voit dans le Psaume
(118, 152) : ¨Depuis le début j’ai connu de tes témoignages¨. En
quatrième lieu il considère la cause formelle quant à la distinction des
livres : ¨en quatre livres¨ ;
et quant au mode d’opérer : ¨dans lequel,
les exemples des grands¨, par rapport aux similitudes ; ¨la doctrine¨, quant aux arguments, ¨tu trouveras¨. ¨De la vipère¨, de l’hérétique : car les hérétiques en effet,
en séduisant les autres par leurs erreurs périssent comme une vipère. ¨Nous nous sommes avancés¨, nous avons
révélé. Il ajoute le chemin. ¨J’ai
embrassé¨, en saisissant. ¨De
l’impie¨, de l’infidèle. Entre les deux, c’est-à-dire ni trop haut ni
trop humblement : ou bien encore entre deux erreurs contraires, comme
celle de Sabellius et celle d’Arius. ¨Elle
ne s’est pas éloignée des limites paternelles¨, conformément à ce passage
des Proverbes (22, 28) : ¨Ne déplace pas les bornes anciennes que tes
ancêtres ont posées¨. |
"Non
igitur debet hic labor cuiquam pigro, vel multum docto, videri superfluus". Hic reddit auditorem
attentum : et primo ex utilitate operis, ibi : "brevi
volumine complicans patrum sententias".Sententia, secundum
Avicennam, est definitiva et certissima conceptio. Secundo ex profunditate
materiae, ibi : "in hoc autem tractatu pium lectorem, qui
secundum fidem intelligat, liberum correctorem, qui solum propter
correctionem corrigat, "desidero". Liber enim,
secundum philosophum (in proemium Metaph.) dicitur qui causa sui
est, et non propter odium vel invidiam. Tertio ex ordinatione modi
procedendi, ibi : "ut autem quod quaeritur facilius
occurrat, titulos quibus singulorum librorum capitula distinguuntur,
praemisimus". |
¨Ce travail ne doit donc pas sembler inutile au paresseux ou au grand
savant.¨ Et ici il rend l’auditeur attentif : et il le fait
premièrement à partir de l’utilité de l’ouvrage, là où il dit : ¨rassemblant dans un court traité les
sentences des Pères¨. Et la sentence, d’après Avicenne, exprime une
conception définitive et très certaine. En deuxième lieu, il le fait à partir
de la profondeur de la matière, là où il dit : ¨et pour ce traité ne désire qu’un lecteur vertueux, qui comprend en
s’appuyant sur la foi, et un correcteur libre, qui ne corrige qu’en vue de la
rectitude¨. Car on appelle libre, d’après le Philosophe (dans le proème
de la Métaphysique), ce qui n’existe qu’en vue de soi-même et non
en vue de la haine ou de l’envie. En troisième lieu, il le fait à partir de
l’ordonnance du mode de procéder, là où il dit : ¨afin que ce qu’on recherche se présente plus facilement, nous faisons
précéder les titres par lesquels se distinguent les chapitres de chacun des
livres¨. |
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Distinctio 1 |
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1[2] |
1. Omnis doctrina est de rebus vel de signis. Veteris
ac novae Legis continentiam diligenti indagine etiam atque etiam
considerantibus nobis, praevia Dei gratia innotuit sacrae paginae tractatum
circa res vel signa praecipue versari. Ut enim egregius doctor Augustinus ait
in libro De Doctrina Christiana : "Omnis doctrina vel rerum est, vel
signorum. Sed res etiam per signa discuntur. Proprie autem hic res
appellantur, quae non ad significandum aliquid adhibentur ; signa vero,
quorum usus est in significando". - Eorum autem aliqua sunt quorum omnis usus est in
significando, non in iustificando, id est, quibus non utimur nisi aliquid
significandi gratia, ut aliqua sacramenta legalia ; alia quae non solum
significant, sed conferunt quod intus adiuvet, sicut evangelica sacramenta. -
Ex quo aperte intelligitur, quae hic appellentur signa, res illae videlicet
quae ad significandum aliquid adhibentur. "Omne igitur signum etiam res
aliqua est : quod enim nulla res est", ut in eodem Augustinus ait,
omnino nihil est ; "non autem" e converso "omnis res signum
est", quia non adhibetur ad significandum aliquid. |
De l’usage et de la
jouissance. 1. Toute doctrine a pour
objet soit les choses soit les signes. À nous qui considérons sans cesse par
une recherche attentive le contenu de la Loi ancienne et nouvelle, la grâce
prévenante de Dieu a fait connaître que le traité de la page sacrée se
rapporte principalement aux choses et aux signes. Comme le dit en effet
l’éminent docteur, Augustin, dans son livre de La Doctrine Chrétienne :
¨Toute doctrine se rapporte soit aux
choses, soit aux signes. Mais les choses se saisissent aussi par les signes.
Mais ici on appelle proprement ¨chose¨ ce qui n’est pas employé pour
signifier quelque chose d’autre et ¨signe¨ ce qui sert à signifier¨ - Mais parmi ceux-là il y en
a certains dont tout l’usage ne consiste qu’à signifier et non à justifier et
dont nous ne nous servons qu’en vue de signifier quelque chose, comme c’est
le cas pour certains sacrements légaux ; et il y en a d’autres qui non
seulement signifient, mais qui confèrent une aide intérieure, comme les
sacrements évangéliques. – De là on comprend clairement qu’on appelle ici
signes ces choses qui sont employées pour signifier quelque chose. ¨Donc tout
signe est aussi une certaine chose : ce qui en effet n’est aucune
chose¨, comme le dit Augustin dans le même livre, n’existe absolument
pas ; ¨ce n’est cependant pas¨, à l’inverse, ¨toute chose qui est un
signe¨, car ce n’est pas toute chose qui est présentée pour signifier quelque
chose. |
2.
Cumque his intenderit theologorum speculatio studiosa atque modesta, divinam
Scripturam, formam praescriptam in doctrina tenere advertet. |
2. Et comme l’étude appliquée et mesurée des théologiens s’étend à cela, elle voit à ce que l’Écriture divine conserve la forme prescrite dans la doctrine. |
3. De his ergo nobis,
aditum ad res divinas aliquatenus intelligendas Deo duce aperire volentibus,
disserendum est ; et "primum de rebus, postea de signis
disseremus". |
3. Nous devons donc traiter
de ces choses, nous qui voulons ouvrir jusqu’à un certain point une porte sur
la compréhension des choses divines sous la conduite de Dieu ; et ¨en
premier lieu nous traiterons des choses, puis des signes¨. |
Cap. 2., 1. De rebus communiter
agit. "Id ergo in rebus
considerandum est, ut in eodem Augustinus ait, quod res aliae sunt quibus
fruendum est, aliae quibus utendum est, aliae quae fruuntur et utuntur. Illae
quibus fruendum est, nos beatos faciunt. Istis quibus utendum est, tendentes
ad beatitudinem adiuvamur et quasi adminiculamur, ut ad illas res quae nos
beatos faciunt, pervenire eisque inhaerere possimus". |
Chapitre 2, 1. Il traite des choses universellement. ¨Il faut donc, comme le dit Augustin dans le même
traité, considérer ce point, à savoir qu’autres sont les choses dont il faut
jouir, autres celles dont il faut user, autres encore celle dont il faut
jouir et user. Celles dont il faut jouir nous rendent heureux. Et tendant au
bonheur, nous sommes aidés et comme appuyés par les choses dont il faut user
pour que par elles nous puissions parvenir et nous attacher à ces choses qui
nous rendent heureux¨. |
2. De rebus quae fruuntur et utuntur*. "Res vero,
quae fruuntur et utuntur, nos sumus, quasi inter utrasque constituti",
et Angeli sancti (Angeli et Sancti al.). |
2. Il traite des choses dont on jouit et dont on use*. ¨Nous sommes les choses dont on jouit et dont on use, étant établis, comme les saints Anges (les Anges et les Saints), comme entre les deux premières sortes de choses. |
3. Quid sit frui et uti*. "Frui autem est amore
inhaerere alicui rei propter se ipsam ; uti vero, id quod in usum venerit
referre ad obtinendum illud quo fruendum est, alias abuti est, non uti, nam
usus illicitus abusus vel abusio nominari debet". |
3. Qu’est-ce que jouir et
user. ¨Mais jouir, c’est
s’attacher par amour à une chose pour elle-même ; mais user, c’est
rapporter ce dont on use à l’obtention de ce dont il faut jouir, autrement il
s’agit d’un abus et non d’un usage car on doit appeler abus ou mauvais usage
l’usage qui n’est pas légitime¨. |
4. De rebus quibus fruendum
est*. "Res igitur quibus fruendum est, sunt Pater et Filius et Spiritus
Sanctus. Eadem tamen Trinitas quaedam summa res est communisque omnibus
fruenitibus ea, si tamen res dici debet et non rerum omnium causa, si tamen
et causa. Non enim facile potest invenire nomen quod tantae excellentiae
conveniat, nisi quod melius dicitur Trinitas haec unus Deus". |
4. Des choses dont il faut jouir*. ¨Donc les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Cependant la même Trinité est la chose ou la réalité la plus élevée et elle est commune à toutes les choses qui en jouissent, si cependant elle doit être appelée chose plutôt que cause de toutes les choses, si cependant il s’agit bien ici de cause. Il n’est pas facile en effet de trouver un nom qui convienne à une réalité aussi excellente à moins qu’on ne dise d’une manière plus heureuse que cette Trinité est un seul Dieu¨. |
5. De rebus quibus utendum
est*. Res autem, quibus utendum est, mundus est et in eo creata. Unde
Augustinus in eodem : "Utendum est hoc mundo, non fruendum, ut
invisibilia Dei per ea quae facta sunt intellecta conspiciantur, id est ut de
temporalibus aeterna capiantur". - Item in eodem (c. XXII) : "In omnibus
rebus illae tantum sunt quibus fruendum est, quae aeternae et incommutabiles
sunt ; ceteris autem utendum est, ut ad illarum perfruitionem
perveniatur". Unde Augustinus in libro decimo De Trinitate (cap. X, 13)
: "Fruimur cognitis in quibus ipsis propter se voluntas delectata
conquiescit ; utimur vero eis quae ad aliud referimus quo fruendum est". |
5. Au sujet des choses dont
il faut user*. ¨Mais les choses dont il faut user sont le monde et ce qui
y a été créé. C’est pourquoi Augustin dit dans le même livre : ¨Il faut
user de ce monde et non en jouir pour que les réalités invisibles se
rapportant à Dieu soient comprises au moyen de celles qui ont été créées,
c’est-à-dire pour que ce qui est éternel soit saisi à partir de ce qui est
temporel¨. – Et de plus, dans le même livre (c. XXII) : ¨Parmi
toutes les choses, il ne faut jouir que de celles-là seules qui sont
éternelles et immuables ; et il ne faut qu’user des autres pour qu’au
moyen de ces dernières on parvienne à la jouissance des premières¨. C’est
pourquoi Augustin dit au dixième livre (ch. X, 13) de son traité de La
Trinité : ¨Nous jouissons des connaissances dans lesquelles la
volonté se repose avec complaisance pour elles-mêmes ; mais nous usons
de celles que nous rapportons à une autre dont nous devons jouir¨. |
Cap 3. 1. Item quid
intersit inter frui et uti, aliter quam supra. Notandum vero, quod idem
Augustinus in libro decimo De Trinitate, aliter quam supra
accipiens uti et frui, sic dicit : "Uti est assumere aliquid in
facultatem voluntatis ; frui autem est uti cum gaudio, non adhuc spei, sed
iam rei. Ideoque omnis qui fruitur, utitur : assumit enim aliquid in
facultatem voluntatis cum fine delectationis ; non autem omnis qui utitur, et
fruitur, si id quod in facultatem voluntatis assumit, non propter ipsum, sed
propter aliud appetivit". - Et attende quia videtur Augustinus dicere
illos frui tantum qui in re gaudent, non iam in spe ; et ita in hac vita non
videmur frui, sed tantum uti, ubi gaudemus in spe, cum supra dictum sit frui
esse "amore inhaerere alicui rei propter se", qualiter etiam hic
multi adhaerent Deo. |
Ch. 3. 1. En outre qu’y a-t-il entre la jouissance et l’usage et qui diffère de ce qui a été dit plus haut ? Mais il faut remarquer qu’Augustin, au dixième livre De la Trinité, parle autrement de la jouissance et de l’usage qu’il ne le fait plus haut lorsqu’Il dit : ¨User, c’est disposer d’une chose au gré de la volonté ; mais jouir, c’est user d’une chose avec joie, non pas dans l’espoir de posséder la chose, mais dans la chose déjà possédée. Et c’est pourquoi on se trouve à user de tout ce dont on jouit : on dispose en effet d’une chose dans la faculté de la volonté, chose qui s’accompagne de délectation ; mais on ne jouit pas de tout ce dont on use si ce dont on dispose dans la faculté de la volonté n’est pas désiré pour soi-même mais pour autre chose¨. – Et il faut ici faire attention car Augustin semble dire que ce sont seulement ceux qui se délectent dans la chose possédée qui jouissent et non pas ceux qui espèrent la posséder ; et ainsi en cette vie il semble que nous ne jouissions pas mais que nous usons seulement, là où notre joie en est une d’espérance, alors que nous avons dit plus haut que jouir, c’est ¨être attaché par amour à une chose pour elle-même¨, et que plusieurs, même ici, sont attachés à Dieu de cette manière. |
2.
Determinatio eorum quae videntur contraria. Haec ergo, quae sibi contradicere
videntur, sic determinamus, dicentes nos et hic et in futuro frui, sed ibi
proprie et perfecte et plene, ubi per speciem videbimus quo fruemur ; hic
autem, dum in spe ambulamus, fruimur quidem, sed non adeo plene. Unde in
libro decimo De Trinitate : "Fruimur cognitis in quibus voluntas
est". Idem in libro De Doctrina christiana ait : "Angeli illo
fruentes iam beati sunt, quo et nos frui desideramus ; et quantum in hac vita
iam fruimur, vel per speculum vel in aenigmate, tanto nostram peregrinationem
et tolerabilius sustinemus et ardentius finire cupimus". |
2. Réponse
aux difficultés. Nous répondons donc de la manière suivante à ce qui semble
faire difficulté en disant que nous jouissons à la fois maintenant et dans le
futur, mais là à proprement parler, parfaitement et en plénitude où nous
verrons par essence ce dont nous jouirons; mais ici, tant que nous marchons
dans l’espérance, nous jouissons certes, mais non pas parfaitement. C’est
pourquoi au dixième libre De La Trinité on lit: ¨Nous jouissons des
connaissances dans lesquelles la volonté se tient¨. De même dans le libre
De La Doctrine chrétienne Augustin dit: ¨Les Anges sont déjà heureux alors
qu’ils jouissent de Celui dont nous désirons jouir; et plus nous jouissons
déjà en cette vie, soit comme par un miroir, soit par énigme, plus nous
supportons avec une plus grande tolérance notre voyage et désirons plus
ardemment en arriver au terme¨. |
Alia determinatio*. Potest
etiam dici quod qui fruitur etiam in hac vita, non tantum habet gaudium spei,
sed etiam rei, quia iam delectatur in eo quod diligit, et ita iam rem
aliquatenus tenet. |
Autre réponse*. On peut aussi dire que celui qui jouit déjà en cette vie ne possède pas seulement une joie dans l’espérance de la chose, mais aussi une joie dans la chose elle-même parce qu’il se délecte déjà dans l’objet de son amour et qu’il le possède déjà ainsi d’une certaine manière. |
- 3. Constat ergo, quia
debemus Deo frui et non uti. "Illo enim, ut ait Augustinus, frueris, quo
efficeris beatus (…) et in quo spem ponis, ut ad id pervenias". De hoc
idem ait in libro De Doctrina christiana : "Dicimus ea re nos frui, quam
diligimus propter se, et ea re nobis fruendum esse tantum, qua efficimur
beati, ceteris vero utendum". - Frequenter tamen "dicitur frui, cum
delectatione uti. Cum enim adest quod diligitur, etiam delectationem secum
gerit. Si tamen per eam transieris, et ad illud ubi permanendum est eam
retuleris, uteris ea, et abusive, non proprie diceris frui. Si vero
inhaeseris atque permanseris, finem in ea ponens laetitiae tuae, tunc vere et
proprie frui dicendus es : quod non est faciendum nisi in illa Trinitate, id
est in summo et incommutabili bono". |
3. Il est donc clair que nous
devons jouir de Dieu et non en user. Comme le dit Augustin, ¨tu jouiras de
Celui par lequel tu sera rendu heureux (…) et dans lequel tu places ton
espoir afin de t’y unir ¨. Et il dit la même chose à ce sujet dans
son livre De La Doctrine chrétienne : ¨Nous
disons que nous jouissons de cette chose que nous aimons pour elle-même et
nous ne devons jouir que de cette seule chose qui nous rend heureux mais user
de toutes les autres¨. – Cependant, ¨jouir se dit souvent de l’usage
qui s’accompagne de délectation. Lorsqu’en effet l’objet de l’amour est
présent, il apporte aussi avec lui la délectation. Si cependant tu passes par
elle et que, la ramenant là où il faut demeurer, tu t’en sers,
alors c’est de façon abusive et non pas à proprement parler qu’on devra dire
que tu en jouis. Mais si tu t’y attaches et que tu y demeures, plaçant en
elle la fin de ta joie, alors c’est en vérité et à proprement parler qu’on
dira de toi que tu en jouis : ce qui ne doit avoir lieu que pour cette
Trinité, à savoir pour le bien par excellence et immuable¨. |
4. Utrum hominibus sit
utendum vel fruendum. Cum autem homines qui fruuntur et utuntur aliis rebus,
res aliquae sint, quaeritur "utrum frui se debeant, an uti, an
utrumque". Ad quod sic respondet Augustinus in
libro De Doctrina christiana., cap. XXII : "Si propter se homo
diligendus est, fruimur eo ; si propter aliud, utimur eo. Videtur autem mihi
propter aliud diligendus. Quod enim propter se diligendum est, in eo
constituitur beata vita, cuius etiam spes hoc tempore nos consolatur".
In homine autem spes ponenda non est, quia "maledictus" est qui hoc
facit. Ergo si liquide advertas, nec se ipso quisquam frui debet, quia non se
debet diligere propter se, sed propter illud quo fruendum est". |
4. S’il faut user ou jouir des hommes. Mais puisque les hommes qui se servent des autres choses sont eux aussi en quelque sorte des choses, on se demande ¨ s’il doivent jouir, user, ou à la fois jouir et user les uns des autres¨. Et c’est de la manière suivante qu’Augustin répond à cette question dans le livre De La Doctrine Chrétienne (ch. XXII) : ¨ Si c’est pour lui-même que l’homme doit être aimé, alors nous en jouissons ; si c’est en vue d’autre chose, alors nous en usons. Mais il me semble que c’est en vue d’autres chose qu’il doit être aimé. En effet, ce qui doit être aimé pour soi-même, c’est en cela même que doit consister la vie heureuse dont l’espérance en cette vie nous console¨. Mais l’espérance ne doit pas être placée en l’homme car ¨maudit¨ est celui qui fait cela. Donc, si tu vois avec netteté, personne ne doit jouir de lui-même car personne ne doit s’aimer pour lui-même mais pour ce dont il doit jouir¨. |
5. Huic autem contrarium
videtur quod Apostolus, ad Philemonem loquens, ait : "Ita, frater, ego
te fruar in Domino." Quod ita determinat Augustinus : "Si dixisset
tantum 'te fruar', et non addidisset 'in Domino', videretur finem dilectionis
ac spem constituisse in eo ; sed quia illud addidit, in Domino se finem
posuisse eodemque frui significavit". "Cum enim, ut idem Augustinus
ait, homine in Deo frueris, Deo potius quam homine frueris". |
5. Mais ce que l’Apôtre dit
en s’adressant à Philémon semble s’opposer à cela : ¨Ainsi mon frère,
je jouis de toi dans le Seigneur¨. Ce que précise Augustin de la manière
qui suit : ¨S’il avait dit seulement ¨je jouis de toi¨, et qu’il
n’avait pas ajouté ¨dans le Seigneur¨, la finalité de l’amour ainsi que
l’espérance aurait paru avoir été placé en lui ; mais parce qu’il a
ajouté cela, il a placé sa finalité dans le Seigneur et il a signifié par là
que sa jouissance est en Lui¨. Augustin dit encore la même chose
autrement : ¨En effet, lorsque tu jouis de l’homme en Dieu, tu jouis
davantage de Dieu que de l’homme¨. |
6. Hic
quaeritur utrum Deus fruatur an utatur nobis. Sed cum Deus diligat nos, ut
frequenter Scriptura dicit, quae "eius dilectionem erga nos multum
commendat", quaerit Augustinus, quomodo diligit, an ut utens, an ut
fruens. - Et procedit ita : "Si fruitur nobis, eget bono nostro : quod nemo
sanus dixerit. Ait enim Propheta : 'Bonorum meorum non indiges' ; omne enim
bonum nostrum vel ipse est, vel ab ipso est. Non ergo fruitur nobis, sed
utitur. Si enim nec fruitur nobis nec utitur, non invenio, quomodo diligat
nos. Neque tamen sic utitur nobis ut nos aliis rebus. Nos enim res quibus
utimur, ad id referimus ut Dei bonitate perfruamur ; Deus vero ad suam
bonitatem usum nostrum refert. Ille enim miseretur nostri propter suam
bonitatem, nos autem nobis invicem propter illius bonitatem ; ille nostri
miseretur ut se perfruamur, nos vero invicem nostri miseremur ut illo
fruamur. Cum enim nos alicuius miseremur et alicui consulimus, ad eius quidem
facimus utilitatem eamque intuemur ; sed et nostra fit consequens, cum
misericordiam quam aliis impendimus, non reliquit Deus sine mercede. Haec
autem merces summa est, ut ipso perfruamur". - Item "quia bonus est
sumus, et in quantum sumus, boni sumus. Porro quia etiam iustus est, non
impune mali sumus ; et in quantum mali sumus, in tantum etiam minus sumus. Ille
igitur usus, quo nobis utitur Deus, non ad eius, sed ad nostram utilitatem
refertur, ad eius vero tantummodo bonitatem". |
6. On se demande ici si Dieu
jouit ou use de nous. Mais puisque Dieu nous aime,
ainsi que les Écritures, qui louent abondamment son amour pour nous, nous
l’affirment souvent, Augustin se demande de quelle manière il nous aime:
est-ce en tant qu’il se sert de nous ou en tant qu’il jouit de nous? – Et il
procède ainsi: ¨S’il jouit de nous, il a besoin de nous comme d’un bien:
ce qu’aucune personne saine d’esprit ne dira. Le Prophète dit en effet: ¨Tu
n’as pas besoin de mes biens¨: en effet, la totalité de notre bien consiste
en Lui ou vient de Lui. Donc, il ne jouit pas de nous mais plutôt il se sert
de nous. Si en effet il ne jouit pas de nous et qu’il ne se sert pas de nous,
je ne vois pas comment il nous aime. Et cependant il ne se sert pas de nous
comme nous nous servons des autres choses. En effet, les choses dont nous
nous servons, c’est à Lui que nous les rapportons pour jouir de sa Bonté; mais
c’est à sa bonté que Dieu rapporte notre usage. Ce dernier en effet a pitié
de nous à cause de sa bonté, et nous avons mutuellement pitié les uns des
autres à cause de sa bonté; il a pitié de nous pour que nous jouissions de
Lui alors que nous avons mutuellement pitié de nous pour jouir de Lui. En
effet, lorsque nosu avons pitié de quelqu’un et que nous en prenons soin,
nous le faisons à son profit et c’est ainsi que nous le considérons; mais il
s’ensuit aussi un profit pour nous car la pitié que nous accordons aux autres
ne laisse pas Dieu sans recompense. Et cette recompense est la plus grande
qui soit, laquelle consiste à ce que nous jouissions de Lui¨. En outre, ¨c’est
parce qu’Il est bon que nous sommes et dans la mesure où nous avons de
l’être, nous sommes bons. Mais de plus, parce qu’Il est aussi juste, ce n’est
pas impunément que nous sommes mauvais; et dans la mesure où nous sommes
mauvais, dans la même mesure nous avons aussi moins d’être. Donc cet usage
par lequel Dieu se sert de nous ne se rapporte pas à son profit mais au nôtre
mais il ne doit être attribué qu’à sa seule bonté¨. |
7.
Utrum fruendum an utendum sit virtutibus. Hic considerandum est utrum virtutibus
sit utendum an fruendum. - Quibusdam videtur quod eis sit utendum, et non
fruendum. Et hoc confirmant auctoritate Augustini, qui, ut praetaxatum est,
dicit "non esse fruendum nisi Trinitate, id est summo et incommutabili
bono". - Item dicunt ideo non esse fruendum eis, quia propter se amandae
non sunt, sed propter aeternam beatitudinem ; illud autem quo fruendum est,
propter se amandum est. - Sed quod virtutes propter se amandae non sunt, immo
propter solam beatitudinem, probant auctoritate Augustini, qui in libro
decimo tertio De Trinitate contra quosdam ait : "Forte virtutes, quas
propter solam beatitudinem amamus, sic persuadere nobis audent ut ipsam
beatitudinem non amemus ; quod si faciunt, etiam ipsas utique amare
desistimus, quando illam, propter quam solam istas amavimus, non
amamus". Ecce his verbis videtur Augustinus ostendere, quod virtutes non
propter se, sed propter solam beatitudinem amandae sint. Quod si ita est,
ergo eis fruendum non est. |
7. Faut-il jouir ou user des
vertus ? Il faut ici considérer s’il
faut user ou jouir des vertus. – Il semble à certains qu’il faille en user et
non en jouir. Et ils confirment cela par l’autorité d’Augustin qui, comme il
l’a stipulé, ¨qu’on ne doit jouir que de la Trinité, c’est-à-dire du bien
par excellence et immuable¨. – En outre ils disent que la raison pour
laquelle on ne doit pas en jouir, c’est parce qu’elles ne doivent pas être
aimées pour elles-mêmes mais en vue du bonheur éternel ; mais ce dont il
faut jouir doit être aimé pour soi-même. – Mais que les vertus ne doivent pas
être aimées pour elles-mêmes mais plutôt en vue de la seule béatitude, ils le
prouvent par l’autorité d’Augustin qui dit, pour s’opposer à l’opinion
contraire dans le treizième livre faisant partie de son traité De
La Trinité : ¨À moins qu’ils osent nous persuader, puisque
nous n’aimons les vertus qu’en vue de la seule béatitude, que nous n’aimons
pas la béatitude elle-même ; si c’est le cas, nous devons cesser de les
aimer elles aussi alors même que nous n’aimons pas celle-ci en vue de
laquelle nous aimons celles-là¨. Et voici que par ces paroles Augustin
semble montrer que les vertus ne doivent pas être aimées pour elles-mêmes,
mais uniquement en vue de la seule béatitude. |
8. Aliis vero contra
videtur, scilicet quod eis fruendum sit, quia propter se petendae et amandae
sunt. Et hoc confirmant auctoritate Ambrosii, qui ait super illum locum
Epistolae ad Galatas : 'Fructus autem spiritus est caritas, gaudium, pax,
patientia etc. ' : "Haec non nominat opera, sed fructus, quia propter se
petenda sunt". Si vero propter se petenda sunt, ergo propter se amanda. |
8. Mais il semble à d’autres au contraire qu’il faille jouir des vertus car elles doivent être recherchées et aimées pour elles-mêmes. Et ils confirment cela par l’autorité d’Ambroise qui dit sur ce passage de l’Épître aux Galates (5, 22) : ¨Mais les fruits de l’Esprit sont l’amour, la joie, la paix, la patience, etc.¨ : ¨Et il ne les appelle pas œuvres mais fruits parce qu’ils doivent être recherchés pour eux-mêmes¨. Mais s’ils doivent être recherchés pour eux-mêmes, ils doivent donc être aimés pour eux-mêmes. |
9. Nos autem harum quae videtur auctoritatum
repugnantiam de medio eximere cupientes, dicimus quod virtutes propter se
petendae et amandae sunt, et tamen propter solam beatitudinem. Propter se
quidem amandae sunt, quia delectant sui possessores sincera et sancta
delectatione, et in eis pariunt gaudium spirituale. Verumtamen non est hic
consistendum, sed ultra gradiendum. Non hic haereat dilectionis gressus,
neque hic sit dilectionis terminus, sed referatur hoc ad illud summum bonum
cui soli omnino inhaerendum est, quia illud propter se tantum amandum est, et
ultra illud nihil quaerendum est : illud est enim supremus finis. - Ideo
Augustinus dicit quod eas diligimus propter solam beatitudinem, non quin eas
propter se diligamus, sed quia id ipsum, quod eas diligimus, referimus ad
illud summum bonum cui soli inhaerendum est ; et in eo permanendum finisque
laetitiae ponendus. Quare virtutibus non est fruendum. |
9. Désirant donc retirer de
l’opinion commune l’apparente contradiction qui ressort de ces autorités,
nous disons que les vertus doivent être recherchées et aimées pour
elles-mêmes, mais qu’elles doivent cependant l’être en vue de la seule
béatitude. Elles doivent certes être aimées pour elles-mêmes parce qu’elles
réjouissent d’une sainte et sincère délectation ceux qui la possèdent et
elles engendrent en eux une joie spirituelle. Et pourtant il ne faut pas
d’arrêter ici mais plutôt poursuivre la marche. Ce n’est pas ici que se fixe
la progression de l’amour et ce n’est pas ici que se trouve le terme de l’amour,
lequel terme s’attribue plutôt au plus grand bien auquel seul il convient de
s’attacher d’une manière absolue et car lui seul doit être aimé pour lui-même
et au-delà duquel rien ne doit être recherché : telle est en effet la
finalité ultime. – C’est pour cette raison qu’Augustin dit que nous aimons
les vertus en vue de la seule béatitude, non pas que nous ne les aimions pas
pour elles-mêmes, mais parce que cela même que nous aimons, nous le
rapportons au bien par excellence auquel seul il faut s’attacher ; et
c’est en lui qu’il faut demeurer et que la finalité de la joie doit être
placée. Et c’est pourquoi il ne faut pas jouir des vertus. |
10. Sed dicet aliquis : "Frui est amore inhaerere
alicui rei propter se ipsam", ut praedictum est ; si ergo virtutes propter
se amandae sunt, et eis fruendum est. - Ad quod dicimus : In illa
descriptione, ubi dicitur 'propter se ipsam', intelligendum est 'tantummodo',
ut scilicet ametur propter se ipsam tantum, ut non referatur ad aliud, sed
ibi ponatur finis, ut supra ostendit Augustinus dicens : "Si inhaeseris
atque permanseris, finem ponens laetitiae, tunc vere et proprie frui dicendus
est : quod non est faciendum nisi in illa Trinitate, id est summo et
incommutabili bono". - Utendum est ergo virtutibus, et per eas fruendum
summo bono. Ita et de voluntate bona dicimus ; Unde Augustinus in libro
decimo De Trinitate ait : "Voluntas est per quam fruimur". Ita et
per virtutes fruimur, non eis, nisi forte aliqua virtus sit Deus, ut caritas,
de qua post tractabitur. |
10. Mais quelqu’un dira : ¨Jouir, c’est s’attacher par amour à une chose pour elle-même¨, ainsi que nous l’avons déjà dit ; si donc les vertus doivent être aimées pour elles-mêmes, on doit donc en jouir. – Voici ce que nous répondons à cela : Dans cette définition, là où nous disons ¨pour elle-même¨, il faut comprendre ¨seulement¨, c’est-à-dire que l’objet de l’amour soit aimé pour lui seul de telle manière qu’il ne soit pas ordonné à quelque chose d’autre mais que ce soit en lui que la finalité est placée, comme le montre plus haut Augustin lorsqu’il dit : ¨Si tu t’attaches et que tu demeures dans l’objet dans lequel tu places la finalité de la joie, c’est alors qu’on devra dire de toi que tu jouis en vérité et à proprement parler : ce qui ne doit être fait qu’à l’égard de cette Trinité, laquelle est le bien par excellence et immuable¨. – Il faut donc user des vertus et par elles jouir du bien suprême. Et c’est de cette manière que nous parlons de la bonne volonté ; c’est pourquoi Augustin dit, au dixième livre de son traité intitulé De la Trinité : ¨C’est par la volonté que nous jouissons¨. Ainsi, c’est au moyen des vertus que nous parvenons à la jouissance, non pas des vertus elles-mêmes, à moins peut-être qu’une des vertus ne soit Dieu lui-même en tant que charité, ce dont nous traiterons par la suite. |
11. Epilogus. "Omnium
igitur, quae dicta sunt ex quo de rebus specialiter tractavimus, haec summa
est" : quod aliae sunt quibus fruendum est, aliae quibus utendum, aliae
quae fruuntur et utuntur ; et inter eas quibus utendum est, quaedam sunt per
quas fruimur, ut virtutes et potentiae animi, quae sunt naturalia bona. De
quibus omnibus, antequam de signis tractemus, agendum est ; ac primum de
rebus quibus fruendum est, scilicet de sancta atque individua Trinitate. |
11. Épilogue. ¨Donc, de tout ce dont
nous avons parlé et à partir de quoi nous avons traité des choses en
particulier, voici la plus importante¨ : autres sont les choses dont
il faut jouir, autres sont celles dont il faut user, autres sont celles dont
il faut jouir et user : et parmi celles dont il faut user, il y a celles
au moyen desquelles nous jouissons, comme les vertus et les puissances de
l’âme, lesquelles sont des biens naturels. Et nous devons examiner tout cela
avant même de traiter des signes ; et nous devons en premier lieu
examiner les choses dont il faut jouir, c’est-à-dire de la sainte et unique
Trinité. |
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Distinctio 1 |
Distinction 1 – [L'usage et la fruition de Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
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Article 1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ? Article 2 – Utiliser est-il un acte de la raison ? Question 2 Article 1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ? Article 2 – Jouir de Dieu, est-ce une seule jouissance ? Question 3 Article 1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que Dieu ? Question 4 Article 1 – Convient-il de jouir de toutes choses ? Article 2 – L’usage convient-il à ceux qui sont dans la patrie ? |
Super Sent., lib. 1 d. 1 q.
1 pr. Finito prooemio, hoc est initium praesentis operis in quo Magister
divinorum nobis doctrinam tradere intendit quantum ad inquisitionem veritatis
et destructionem erroris : unde et argumentativo modo procedit in toto opere
: et praecipue argumentis ex auctoritatibus sumptis. Dividitur autem in duas
partes : in quarum prima inquirit ea de quibus agendum est, et ordinem agendi
; in secunda prosequitur suam intentionem : et in duas partes dividitur.
Secunda ibi : hic considerandum est utrum virtutibus sit utendum, an
fruendum. |
Le proème étant terminé, voici le commencement du présent ouvrage dans lequel le Maître cherche à nous transmettre la doctrine ayant pour objet les choses divines, à la fois quant à la recherche de la vérité et quant à la réfutation de l’erreur : c’est pourquoi, dans tout l’ouvrage, il procède selon le mode de l’argumentation en se servant surtout d’arguments tirés d’autorités. Et cet ouvrage se divise en deux parties : dans la première il cherche à déterminer les choses dont il faut traiter ainsi que l’ordre selon lequel il faut les traiter ; dans la deuxième il poursuit son propos, laquelle se divise en deux parties. La deuxième partie commence là où il dit : il faut ici considérer s’il faut utiliser les vertus ou bien s’il faut en jouir. |
Ea autem de quibus in hac
doctrina considerandum est, cadunt in considerationem hujus doctrinae,
secundum quod ad aliquid unum referuntur, scilicet Deum, a quo et ad quem
sunt. Et ideo ea de quibus agendum est dividit per absolutum et relatum :
unde dividitur in partes duas. In prima ponit divisionem eorum de quibus
agendum est per absolutum et relatum secundum cognitionem, in secunda
secundum desiderium, ibi : id ergo in rebus considerandum. |
Mais les choses qu’il faut
considérer dans cette doctrine tombent sous la considération de cette
doctrine selon qu’elle se rapportent à quelque chose d’un, à savoir Dieu d’où
elles tirent leur origine et vers lequel elles tendent comme vers leur
finalité. Et c’est la raison pour laquelle il divise les choses dont il faut
traiter selon qu’elles se prennent absolument et relativement : c’est
pourquoi sa division se présente en deux parties. Dans la première il
présente la division des choses dont il faut traiter absolument et
ralativement selon la connaissance alors que dans la deuxième il la présente
selon le désir là où il dit : donc, il faut considérer cela dans
les choses. |
Circa primum duo
facit. Primo ponit divisionem eorum de quibus agendum est, in res et signa,
quae ad cognitionem rerum ducunt ; secundo concludit ordinem agendi, ibi
: cumque his intenderit theologorum speculatio studiosa atque
modesta, divinam Scripturam formam praescriptam in doctrina tenere advertet. |
Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la division, en choses et en signes qui conduisent à la connaissance des choses, des choses dont il faut traiter ; en deuxième lieu il conclut l’ordre selon lequel les traiter, là où il dit : et comme l’étude soignée et modeste des théologiens se sera appliquée à ces choses, elle sera attentive à ce que l’Écriture divine conserve la forme prescrite dans la doctrine. |
In primo tria facit. et dividitur in partes duas. Primo
ponit divisionem ; secundo probat per auctoritatem, ibi : ut enim
egregius doctor Augustinus ait ; tertio ponit membrorum divisionis
expositionem, ibi : proprie autem hic res appellantur quae non ad significandum
aliquid adhibentur : ubi primo exponit quid sit res ; secundo quid
sit signum, ibi : signa vero quorum usus est in significando ;
tertio utriusque comparationem, ibi : omne igitur signum etiam res
aliqua est. |
Dans la première partie qui
se divise en deux il fait trois choses. En premier lieu il présente la
division ; dans la deuxième il la prouve au moyen d’une autorité, là où
il dit : en effet, comme le dit l’éminent docteur Augustin ;
en troisième lieu il présente l’explication des membres de la division, là où
il dit : mais à proprement parler on appelle ici choses ce qui
n’est pas employé pour signifier quelque chose d’autre : et là il
explique d’abord ce qu’est une chose et en deuxième lieu ce qu’est un signe,
là où il dit : mais les signes dont l’usage consiste à signifier ;
en troisième lieu il explique la comparaison de l’un à l’autre là où il
dit : donc tout signe est aussi une certaine chose. |
Id ergo in rebus
considerandum est. Hic, dimissis signis, subdividit res per absolutum et relatum ex
parte desiderii, scilicet per fruibile, quod propter se desideratur, et
utibile, cujus desiderium ad aliud refertur : et dividitur in partes
duas. Primo ponit divisionem ;
secundo epilogat et concludit intentionem et ordinem, ibi : omnium
igitur quae dicta sunt, ex quo de rebus specialiter tractavimus, haec summa
est. Circa primum duo facit. Primo manifestat partes divisionis per
definitiones ; secundo quantum ad supposita, ibi : res igitur quibus
fruendum est, sunt pater, et filius, et spiritus sanctus. |
Voici ce qu’il faut considérer dans les choses. Ici, mettant de côté les signes, il subdivise les choses prises absolument et relativement du côté du désir, c’est-à-dire en objets de jouissance qui sont désirables pour eux-mêmes, et en objets d’usage, dont le désir se rapporte à quelque chose d’autre : et cette section se divise en deux parties. En premier lieu il présente la division ; en deuxième lieu il résume et conclut son propos ainsi que l’ordre à suivre, là où il dit : voici donc la somme de toutes les choses qui ont été dites et à partir desquelles nous avons traité des choses en particulier. Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il manifeste les parties de la division au moyen de définitions ; en deuxième lieu il les manifeste quant à ce qu’elles supposent, là où il dit : donc, les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. |
Circa primum quatuor facit. Primo definit fruibilia per
effectum ; secundo utibilia, ibi : istis quibus utendum est, tendentes
ad beatitudinem adjuvamur ; tertio definit utentia, et fruentia ibi
: res vero quae fruuntur et utuntur, nos sumus ; quarto
definit uti et frui ad probationem totius : frui autem est amore
alicui rei inhaerere propter seipsam. Et eodem ordine procedit
manifestando secundum supposita. Notandum vero, quod idem Augustinus
(...) aliter quam supra accipiens frui et uti, sic dicit. |
Au sujet du premier point il
fait quatre choses. En premier lieu, il définit par l’effet l’objet de
jouissance ; en deuxième lieu l’objet d’usage là où il dit : cherchant
la béatitude, nous sommes aidés par ce dont il faut user ; en
troisième lieu il définit ceux qui usent et ceux qui jouissent là où il
dit : mais nous sommes les choses qui jouissent et usent ;
en quatrième lieu il définit ce qu’est user et jouir pour l’ensemble de la
preuve : mais jouir, c’est s’attacher par amour à une chose pour
elle-même. Et dans le même ordre il procède à la manifestation de la
division selon ce qu’elle suppose : Mais il faut remarquer que le
même Augustin, prenant autrement que plus haut jouir et user, parle ainsi. |
Hic ponit
contrarietatem ad haec tria. Primo ponit diversam assignationem uti et frui ;
secundo concludit contrarietatem ad praedicta, ibi : et attende, quod
videtur Augustinus dicere illos frui tantum qui in re gaudent ;
tertio ponit solutionem, ibi : haec ergo quae sibi contradicere
videntur, sic determinamus. Et primo solvit per divisionem ; secundo per
interemptionem, ibi : potest etiam dici, quod qui fruitur etiam in
hac vita non tantum habet gaudium spei, sed etiam rei. |
Il présente ici une opposition à l’égard de ces trois
points. En premier lieu il présente une définition différente de jouir et
d’user ; en deuxième lieu il conclut le contraire de ce qui a été dit,
là où il dit : et fais attention à ce qu’Augustin semble dire
que seuls jouissent ceux qui se réjouissent dans la chose ; en
troisième lieu il présente la solution là où il dit : nous
résoudrons de la manière suivante ces choses qui semblent se contredire.
Et en premier lieu il résout par une division ; en deuxième lieu, il
résout par réfutation, là où il dit : on peut aussi dire que
celui qui jouit déjà en cette vie ne possède pas seulement une joie en
espérance mais une joie dans la chose. |
"Cum autem homines, qui fruuntur et utuntur aliis
rebus, res aliquae sint, quaeritur, utrum se frui debeant, an uti, an
utrumque". Hic movet dubitationes de habitudine eorum quae pertinent ad
invicem : et primo quaerit de utentibus et fruentibus, an sint utibilia vel
fruibilia ; secundo de fruibilibus, scilicet de Deo, utrum sit utens nobis
vel fruens, ibi : sed cum Deus diligat nos (...) quaerit Augustinus
quomodo diligat, an ut utens, an ut fruens ; tertio de quibusdam
utibilibus, utrum sint fruibilia, ibi : hic considerandum est, utrum
virtutibus sit utendum, an fruendum. Quaelibet harum partium dividitur in
quaestionem et solutionem. |
¨Mais puisque les hommes,
qui jouissent et usent des autres choses, sont eux-mêmes certaines choses, on
demande s’il doivent jouir, user, ou à la fois jouir et user d’eux-mêmes¨.
Il soulève ici des difficultés sur la nature des choses qui
s’attribuent mutuellement: et en premier lieu, il s’interroge sur les
choses qui usent et jouissent pour savoir si elles sont elles-mêmes objets
d’usage ou de jouissance ; en deuxième lieu il s’interroge sur les
objets de jouissance, à savoir sur Dieu pour savoir s’il use ou jouit de
nous, là où il dit : mais puisque Dieu nous aime (…), Augustin
se demande comment il aime, à la manière de celui qui use ou à la manière de
celui qui jouit ; en troisième lieu, il s’interroge sur certains
objets d’usage pour savoir s’ils sont objets de jouissance, là où il
dit : il faut ici examiner s’il faut user des vertus ou en jouir.
Et chacune de ces parties se divise en question et réponse. |
Hic quaeruntur tria :
primo, de uti et frui. Secundo, de utibilibus et fruibilibus. Tertio, de
utentibus et fruentibus. |
La recherche porte ici sur trois points : en premier
lieu sur la nature de l’usage et de la jouissance. En deuxième lieu sur les
objets d’usage et de jouissance. En troisième lieu sur ceux qui usent et
jouissent. |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La jouissance et l’usage] |
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Circa primum quaeruntur duo : 1 quid sit frui secundum
rem ; 2 quid sit uti secundum rem. |
Par rapport au premier point on se demande deux
choses : premièrement ce que c’est réellement que jouir ;
deuxièmement ce que c’est réellement qu’user. |
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Articulus 1 [64] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 tit. Utrum frui sit actus intellectus. |
Article 1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ? |
[65]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa primum sic proceditur. Videtur quod frui sit actus
intellectus. Nobilissimus enim actus est nobilissimae potentiae. Altissima
autem potentia in homine est intellectus. Ergo, cum frui sit perfectissimus
actus hominis, quia ponit hominem in suo fine ultimo, videtur quod sit actus
intellectus. |
Arguments : 1. Au sujet de la première
question on procède ainsi. Il semble que la jouissance soit un acte de
l’intelligence. En effet, l’acte le plus noble procède de la puissance la
plus noble. Mais la puissance la plus noble chez l’homme est l’intelligence.
Donc, puisque la jouissance est l’acte le plus parfait de l’homme puisqu’elle
place l’homme dans sa finalité ultime, il semble qu’elle soit l’acte de
l’intelligence. |
[66] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Augustinus, visio est tota merces.
Sed merces totius meriti consistit in fruitione divinitatis. Ergo fruitio est
essentialiter visio. Sed visio est actus intellectus : ergo et fruitio. |
2. Par ailleurs, comme le dit
Augustin, la vision est la récompense parfaite. Mais la récompense de tout le
mérite consiste à jouir de la divinité. Donc la jouissance est
essentiellement la vision. Mais la vision est l’acte de l’intelligence :
il en est donc de même pour la jouissance. |
[67]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 3 Sed videtur quod sit actus
voluntatis. Actus
enim determinatur ex objecto. Sed objectum fruitionis est fruibile, quod est
finis ultimus. Finis autem, cum rationem boni habeat, est objectum
voluntatis. Ergo et frui est actus voluntatis. |
3. Mais il semble que la
jouissance soit l’acte de la volonté. En effet, un acte se définit à partir
de son objet. Mais l’objet de la jouissance est ce dont on peut jouir qui est
la fin ultime. Mais la fin, parce qu’elle a raison de bien, est l’objet de la
volonté. La jouissance est donc l’acte de la volonté. |
[68] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, Augustinus, definit fruitionem per voluntatem dicens : fruimur
cognitis, in quibus ipsis propter se voluntas delectata conquiescit. Ergo
magis videtur esse actus voluntatis quam intellectus. |
4. Par ailleurs, Augustin
définit la jouissance par la volonté lorsqu’il dit : nous
jouissons des choses qu’on connaît dans lesquelles et pour elles-mêmes la
volonté se repose avec complaisance. La jouissance semble donc être
davantage l’acte de la volonté que celui de l’intelligence. |
[69]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, videtur quod sit actus omnium
potentiarum. Praemium enim respondet merito. Sed homo meretur per omnes
potentias. Ergo
et secundum omnes praemiabitur. Sed praemium est ipsa fruitio : ergo fruitio
est omnium potentiarum. |
5. En outre, il semble que la
jouissance soit l’acte de toutes les puissances. En effet, la recompense
correspond au mérite. Mais c’est au moyen de toutes les puissances que
l’homme est digne de mérite et c’est donc grâce à elles qu’il sera
recompensé. Mais la recompense est la jouissance elle-même: la jouissance est
donc l’acte de toutes les puissances. |
[70] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit, quod homo inveniet pascua
interius in divinitate salvatoris, et exterius in humanitate. Ergo videtur
quod tam vires exteriores quam interiores fruentur. |
6. Par ailleurs Augustin dit
que l’homme trouvera sa nourriture intérieure dans la divinité du sauveur et
sa nourriture extérieure dans son humanité. Il semble donc que la jouissance
appartienne aussi bien aux puissances extérieures qu’à celles qui sont
intérieures. |
[71]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 7 Sed videtur quod nullius potentiae
sit. Omnis
enim actus denominatur a potentia cujus est, sicut intelligere ab intellectu.
Sed frui non denominatur ab aliqua potentia. Ergo et cetera. |
7. Mais il semble que la
jouissance n’appartienne à aucune puissance. Tout acte en effet est dénommé
par la puissance d’où il procède, comme l’acte d’intelliger est dénommé par
cette puissance qu’est l’intelligence. Mais la jouissance n’est dénommée à partir
d’aucune puissance. Elle n’appartient donc à aucune puissance. |
[72] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 arg. 8 Unde ulterius quaeritur, cujus habitus actus sit : et
videtur quod tantum caritatis. Sicut enim dicitur 1 Corinth. 13, caritas
virtus perfecta est. Sed, secundum philosophum, felicitas est operatio
virtutis perfectae. Ergo fruitio, in qua est tota nostra felicitas, est actus
caritatis. |
8. À partir de là on se
demande par la suite de quel habitus la jouissance est l’acte : et il
semble qu’elle soit l’acte de la seule charité. En effet, comme le dit
l’Apôtre dans sa première Épître aux Corinthiens (ch. 13), la charité est la
vertu parfaite. Mais d’après le Philosophe, la félicité est l’opération de la
vertu parfaite. Donc la jouissance, dans laquelle consiste toute notre
félicité, est l’acte de la charité. |
[73] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 arg. 9 Hoc idem videtur ex definitione Augustini inducta in
littera : frui est amore inhaerere alicui rei propter seipsam. |
9. Il semble que la même conclusion
doive se tirer de la définition présentée dans la lettre : jouir,
c’est s’attacher à une chose pour elle-même par amour. |
[74] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 arg. 10 Sed videtur quod non tantum caritatis. Ad
fruitionem enim tria concurrunt, perfecta visio, plena comprehensio, et
inhaesio amoris consummati. Ergo videtur quod sit actus etiam succedentium fidei,
et spei. |
10. Mais il semble que la
jouissance n’appartienne pas seulement à l’habitus de la charité. En effet,
trois éléments contribuent à la jouissance : la vision parfaite, la
compréhension complète et l’adhésion de l’amour achevé. Il semble donc que la
jouissance soit aussi l’acte de la foi et de l’espérance qui suivent. |
[75] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 11 Praeterea, secundum fruitionem conjungimur Deo.
Sed omnis virtus conjungit nos Deo, cum virtus sit dispositio perfecti ad
optimum, ut dicitur in 7 Physic. Ergo fruitio est actus secundum omnem
virtutem. |
11. Par ailleurs, c’est pas
la jouissance que nous sommes unis à Dieu. Mais toute vertu nous unit à Dieu,
puisque la vertu est la disposition du parfait à l’égard de ce qu’il y a de
mieux, comme on le dit au septième livre des Physiques. La
jouissance est donc l’acte de toutes les vertus. |
[76] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod fruitio consistit in optima
operatione hominis, cum fruitio sit ultima felicitas hominis. Felicitas autem
non est in habitu, sed in operatione, secundum philosophum. Optima autem
operatio hominis est operatio altissimae potentiae, scilicet intellectus, ad
nobilissimum objectum, quod est Deus : unde ipsa visio divinitatis ponitur
tota substantia nostrae beatitudinis, Joan. 17, 3 : haec est vita
aeterna, ut cognoscant te solum Deum verum. |
Corps de l’article. Je réponds qu’il faut dire
que la jouissace consiste dans l’opération la plus parfaite de l’homme,
puisqu’elle est sa félicité ultime. Mais la félicité ne se range pas dans un
habitus mais dans une opération d’après le Philosophe. Mais l’opération
parfaite de l’homme est celle de sa puissance la plus élevée, à savoir
l’intelligence, à l’égard de l’objet le plus noble qui est Dieu : c’est
pourquoi c’est dans la vision même de la divinité qu’est placée l’essence de
notre béatitude dans sa totalité, ainsi que le dit Jean dans son évangile
(17, 3) : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, Toi le
seul vrai Dieu. |
Ex visione autem ipsum
visum, cum non videatur per similitudinem, sed per essentiam, efficitur
quodammodo intra videntem, et ista est comprehensio quae succedit spei,
consequens visionem quae succedit fidei, sicut spes quodammodo generatur ex
fide. Ex hoc autem quod ipsum visum receptum est intra videntem, unit sibi
ipsum videntem, ut fiat quasi quaedam mutua penetratio per amorem. Sic
dicitur 1 Joan. 4, 16 : qui manet in caritate, in Deo manet et Deus
in eo. Ad unionem autem maxime convenientis sequitur delectatio summa ;
et in hoc perficitur nostra felicitas, quam fruitio nominat ex parte sui
complementi, magis quam ex parte principii, cum in se includat quamdam delectationem.
Et ideo dicimus quod est actus voluntatis, et secundum habitum caritatis,
quamvis secundum ordinem ad potentias et habitus praecedentes. |
Mais cela même qui est vu
dans la vision, puisqu’il n’est pas vu par ressemblance mais par essence, est
rendu présent d’une certaine manière à l’intérieur de celui qui voit et cela
est la compréhension qui succède à l’espérance qui suit la vision qui succède
à la foi, tout comme l’espérance est engendrée en quelque sorte à partir de
la foi. Mais du fait que cela même qui est vu est reçu à l’intérieur à
l’intérieur de celui qui voit, il unit à lui celui-là même qui voit, de sorte
qu’il se produit par amour comme une certaine pénétration mutuelle. C’est
ainsi que parle Jean dans sa première Lettre (4, 16) : qui
demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Mais la
plus grande délectation suit l’union à ce qui convient le plus
parfaitement ; et c’est en cela que notre félicité trouve son achèvement
qu’il appelle jouissance du côté de son complément plutôt que du côté de son
principe puisque la félicité implique en elle une certaine délectation. Et
c’est la raison pour laquelle nous disons que la jouissance est un acte de la
volonté et, selon l’habitus, de la charité, bien que ce soit selon le rapport
des puissances aux habitus qui précèdent. |
[77] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod appetitus semper
sequitur cognitionem. Unde, sicut
inferior pars habet sensum et appetitum, qui dividitur in irascibilem et
concupiscibilem, ita suprema pars habet intellectum et voluntatem, quorum
intellectus est altior secundum originem, et voluntas secundum perfectionem.
Et similis ordo est in habitibus, et etiam in actibus, scilicet visionis et
amoris. Fruitio autem nominat altissimam operationem quantum ad sui
perfectionem. |
Solutions. 1. En réponse au premier argument il faut dire que
l’appétit suit toujours la connaissance. De là, tout comme la partie
inférieure possède le sens et l’appétit sensible, lequel se divise en irascible
et concupiscible, ainsi la partie supérieure possède l’intelligence et la
volonté, parmi lesquelles l’intelligence est supérieure quant à l’origine
alors que la volonté est supérieure quant à la perfection. Et le même ordre
se présente dans les habitus et même dans les actes, en l’occurrence pour la
vision et pour l’amour. Mais la jouissance se trouve à dénommer l’opération
qui est supérieure quant à la perfection. |
[78] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 ad 2 Et similiter etiam patet solutio ad secundum : quia visio
non habet perfectam rationem felicitatis, nisi secundum quod est operatio
perfecta per ea quae sequuntur. Perficit enim
delectatio operationem, sicut pulchritudo juventutem, ut dicitur 10 Ethic. |
2. Et c’est de la même
manière qu’apparaît clairement la solution au deuxième argument: car la
vision n’a parfaitement raison de félicité qu’au moyen de ce qui la suit. En
effet, c’est la delectation qui achève et complete la vision, tout
comme la beauté achève et complète la jeunesse, ainsi qu’on le dit au dixième
livre de l’Éthique. |
[79]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 3 Alia duo concedimus. |
3 et 4. Nous concédons les deux autres arguments. |
[80] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 ad 5 Ad aliud dicendum, quod inferiorum potentiarum non potest esse
fruitio proprie dicta : non enim habent operationem circa finem ultimum, quem
non apprehendunt, cum sint virtutes materiales ; sed sicut nunc intellectus
perficitur accipiendo ab inferioribus potentiis, ita erit in patria e
converso, quod perfectio et gaudium superioris partis redundabit in
inferiores potentias. Unde Augustinus : sensus vertetur in rationem,
inquantum scilicet sua remuneratio et gaudium a ratione emanabit. |
5. Par rapport à cet autre
argument il faut dire qu’il ne peut y avoir jouissance à propremet parler
pour les puissances inférieures : elles ne possèdent pas en effet une
opération qui se rapporte à la fin ultime qu’elles n’appréhendent
pas puisqu’elles sont des puissances matérielles ; mais tout
comme ici-bas notre intelligence parvient à son achèvement en empruntant aux
puissances inférieures, de même dans la patrie céleste à l’inverse la
perfection et l’allégresse de la partie supérieure rejaillira sur les
puissances inférieures. C’est pourquoi Augustin dit : le sens se
changera en raison, c’est-à-dire dans la mesure où sa récompense et sa
joie tirera son origine de la raison. |
[81] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 ad 6 Ad aliud dicendum, quod humanitas Christi non est ultimus
finis : unde in visione ejus non erit proprie fruitio, sed erit quoddam
accidentale gaudium, et non substantialis beatitudo. |
6. Par rapport à cet argument
il faut dire que l’humanité du Christ n’est pas la fin ultime : c’est
pourquoi dans la vision de son humanité il n’y aura pas à proprement parler
jouissance, mais il y aura une certaine joie accidentelle et non pas la
béatitude prise essentiellement. |
[82] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 7 Ad aliud
dicendum, quod quando aliquis actus est absolute alicujus potentiae,
denominatur ab illa, sicut intelligere ab intellectu ; sed quando est actus
unius potentiae secundum ordinem ad alteram, a nulla denominatur ; sicut
scire est actus rationis secundum ordinem ad intellectum inquantum principia
deducit in conclusiones ; similiter frui est actus voluntatis consequens
actum intellectus, scilicet apertam Dei visionem. |
7. Quant au septième argument
il faut dire que quand un acte appartient absolument à une puissance, c’est
d’elle qu’il tient sa dénomination, comme c’est le cas pour intelliger par
rapport à l’intelligence ; mais quand un acte appartient à a une
puissance mais d’après un rapport à une autre, alors il n’est dénommé par
aucune ; par exemple, savoir est un acte de la raison quant à son
rapport à l’intelligence selon qu’il tire les conclusions des principes ;
de la même manière la jouissance est l’acte de la volonté qui suit l’acte de
l’intelligence, ce dernier consistant en une claire vision de Dieu. |
[83]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 8 Alia duo concedimus. |
8 et 9. Nous concédons ces
deux autres arguments. |
[84] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 10 Ad alia patet solutio per ea quae dicta sunt :
quia, quamvis tria concurrant ad fruitionem, tamen in amore perficitur, ut
prius, in corp. art., dictum est. |
10. La solution à cet autre argument devient claire au moyen de ce qui a été dit : car, bien que ces trois éléments contribuent à la jouissance, c’est cependant par l’amour qu’elle trouve sa perfection ainsi que nous l’avons dit précédemment dans le corps de l’article. |
[85] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 ad 11 Ad ultimum dicendum, quod aliae virtutes conjungunt Deo per
modum meriti et dispositionis, sed sola caritas per modum perfectae unionis. |
11. Il faut dire à la fin que
les autres vertus nous unissent à Dieu par le mérite et la disposition, mais
seule la charité nous unit à Lui à la manière d’une union achevée. |
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Articulus 2 [86] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 tit. Utrum uti sit actus rationis |
Article 2 – L’usage est-il un acte de la raison ? |
[87]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic proceditur.
Videtur quod uti sit actus rationis. Ordinare enim unum ad alterum est
potentiae conferentis, cujusmodi est ratio. Sed uti dicit
ordinem ad finem. Ergo est actus rationis. |
Arguments : 1. On procède de la manière suivante quant au second article. Il semble que l’usage soit un acte de la raison. En effet, ordonner quelque chose à quelque chose d’autre appartient à la puissance qui compare, et la raison est une puissance de cette sorte. Or l’usage signifie que quelque chose est ordonné à une fin. Il est donc un acte de la raison. |
[88]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, ut dicit philosophus,
ordinatio eorum quae sunt ad finem et inventio finis pertinent ad
prudentiam. Prudentia
autem est habitus rationis. Ergo et uti, quod dicit talem ordinationem, est
actus rationis. |
2. Par ailleurs, comme le dit
le Philosophe, l’ordre des moyens à la fin et la découverte de la fin
relèvent de la prudence. Mais la prudence est un habitus de la raison. Donc
l’usage, qui implique un tel ordre, est un acte de la raison. |
[89] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed videtur quod sit actus voluntatis, quia voluntas
ponitur in definitione ejus : uti enim est assumere aliquid in facultatem
voluntatis. |
Au contraire : 1. Mais il semble que l’usage soit un acte de la volonté
car la volonté est placée dans la définition de l’usage : user en effet
c’est disposer d’une chose dans la faculté de la volonté. |
[90]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, illud ordinatur ad
finem quod finem consequitur. Sed frui, dicit consecutionem finis, [uti vero
dicit ordinem ad finem, ergo ejusdem est fruit et uti om. Éd. De
Parme] sed frui est actus voluntatis, ut dictum est, in articulo
antecedente. Ergo
et uti. |
2. De plus, est ordonné à la fin ce qui obtient la fin.
Mais la jouissance signifie l’obtention de la fin (mais l’usage signifie
l’ordre des moyens à la fin et il appartient donc à la même faculté de jouir
et d’user) et la jouissance est un acte de la volonté ainsi que nous l’avons
dit dans l’article précédent. Donc, l’usage est aussi un acte de la volonté. |
[91]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod uti dicitur
multipliciter. Aliquando enim nominat quamlibet operationem, secundum quod
dicimus usum alicujus rei esse bonum vel malum ; et secundum hoc videtur
definiri ab Augustino : uti est assumere aliquid in facultatem
voluntatis ; idest, ut operemur de eo quo utimur ad nutum
voluntatis. Aliquando dicit frequentiam operationis, secundum quod usus est idem
quod consuetudo : et sic definit Victorinus : usus est actus
frequenter de potentia elicitus. Sed utroque modorum istorum est actus
cujuslibet potentiae. Dicitur etiam aliquando uti eorum quae ad finem
ordinantur aliquem ; et sic uti sumitur hic quantum ad primam definitionem
quae ponitur. Illud autem quod est ad finem,
inducitur ad finem suum tribus operationibus. Prima est operatio rationis
praestituentis finem et ordinantis et dirigentis in ipsum. Secunda
est operatio voluntatis imperantis. Tertia est operatio virtutis motivae
exequentis. Uti autem nominat executionem ejus quod ad finem ordinatum est,
non secundum actum proprium alicujus motivarum virium, sed communiter
praesupposita ordinatione in finem. Unde est actus voluntatis, quae est
universalis motor virium secundum ordinem ad rationem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’usage se dit en plusieurs sens. Parfois en effet ce terme signifie toute opération selon que nous disons que l’usage d’une chose est bon ou mauvais : et c’est en ce sens que ce terme semble être défini par Augustin : user, c’est en disposer au gré de la faculté de la volonté ; c’est-à-dire de telle manière que nous employions la chose dont nous nous servons conformément aux ordres de la volonté. Mais parfois ce terme signifie la fréquence de l’opération, selon que l’usage signifie la même chose que l’habitude : et c’est ainsi que Victorin le définit : l’usage est l’acte qui est fréquemment choisi par la puissance. Mais pour chacune de ces modalités l’usage est l’acte de toute puissance. On dit encore parfois que quelqu’un use des choses qui sont ordonnées à la fin ; et en ce sens l’usage se tire ici du côté de la première définition qui a été posée. Mais ce qui est ordonné à une fin est conduit a sa fin par trois opérations. La première est l’opération de la raison qui détermine la fin, qui ordonne et conduit à la fin. La deuxième est l’opération de la volonté qui commande. La troisième est l’opération de la puissance motrice qui exécute. Mais l’usage signifie l’exécution de ce qui est ordonné à la fin, non pas d’après l’acte qui est propre à une des puissances motrices, mais universellement, une fois posé l’ordre déterminé par la raison. Par conséquent, l’usage est l’acte de la volonté, laquelle est l’agent universel qui met en mouvement toutes les puissances conformément à l’ordre de la raison. |
[92]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod uti
praesupponit ordinem ; sed ejus substantia magis est in executione
voluntatis. |
Solutions: 1. Il faut dire par rapport
au premier argument que l’usage suppose l’ordre, mais essentiellement il se
range dans l’exécution de la volonté. |
[93] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prudentia est perfectio rationis
practicae, secundum quod est recta. Rectitudo autem ejus et veritas est, ut
dicitur 6 Ethic., secundum convenientiam cum appetitu recto. Unde prudentia
non tantum perficit ad actum qui est ipsius rationis, sed etiam ad actum
voluntatis, qui regulatus est ratione ; sicut eligere, etsi sit actus
voluntatis vel liberi arbitrii, est tamen prudentiae. |
2. Quant au deuxième
argument, il faut dire que la prudence est la perfection de la raison
pratique dans la mesure où la raison est droite. Mais comme on le dit au
sixième livre de l’Éthique, la prudence est droite et vraie selon
qu’elle s’accorde avec l’appétit qui est droit. C’est pourquoi la prudence
n’est pas seulement la perfection de l’acte de la raison en tant que telle,
mais aussi de l’acte de la volonté qui est réglé par la raison ; par
exemple, bien que choisir soit l’acte de la volonté ou du libre arbitre, il
relève cependant de la prudence. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Jouir de Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
[94] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 pr. Circa objecta
dictorum actuum, primo quaeritur de fruibilibus ; secundo de utibilibus.
Quantum ad primum duo quaeruntur : 1 utrum solo Deo sit fruendum ; 2 utrum
una tantum fruitione vel pluribus. |
Par rapport aux objets des actes dont nous avons parlé, on s’interroge en premier sur ceux dont on peut jouir ; en deuxième lieu, sur ceux dont on peut user. Quant au premier point, on se demande deux choses : premièrement, ne faut-il jouir que de Dieu seul ; deuxièmement, ne faut-il en jouir que d’un seul ou de plusieurs actes de jouissance. |
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Articulus 1 [95] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 tit. Utrum fruendum
sit solo Deo. |
Article 1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ? |
[96]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non solo Deo fruendum
sit. His enim rebus fruendum est, ut dicitur in littera, quae nos beatos
faciunt. Beatitudo autem creata beatos nos facit. Ergo ea
fruendum est : non ergo tantum Deo. |
Arguments: 1. Dans ce premier article on procède de la manière suivante. Il semble qu’on ne doive pas jouir seulement de Dieu. Comme on le dit dans la Lettre, il faut jouir de ce qui nous rend heureux. Mais la béatitude créée nous rend heureux. Nous devons donc en jouir et donc ne pas jouir seulement de Dieu. |
[97] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, ultimus finis hominis est sua felicitas.
Felicitas autem ejus est perfectissima operatio. Cum igitur ultimo fine
fruendum sit, operatione perfectissima fruendum est : quod etiam videtur per
philosophum qui dicit, quod felicitas non quaeritur propter aliquid aliud :
et per Boetium, qui dicit, quod beatitudo est status omnium bonorum
aggregatione perfectus. |
2. Par ailleurs, la fin
ultime de l’homme est sa félicité. Mais sa félicité est son opération la plus
parfaite. Donc, puisqu’il faut jouir de la fin ultime, il faut jouir de
l’opération la plus parfaite : ce que semble dire aussi le Philosophe
qui dit que la félicité n’est pas recherchée en vue de quelque chose
d’autre ; et Boèce parle dans le même sens lorsqu’il dit : la
béatitude est l’état parfait par la réunion de tous les biens. |
[98] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, Tullius dicit : honestum est quod sua
vi nos trahit, et sua dignitate nos allicit. Sed quod per se allicit,
propter se amatur. Ergo omni honesto fruendum est, et ita omnibus virtutibus.
Ergo non tantum Deo. |
3. En outre, Cicéron
dit : l’honnête est ce qui nous tire par sa force et nous attire
par sa dignité. Mais ce qui attire par soi-même est aimé pour soi-même.
Il faut donc jouir de tout ce qui est honnête et par conséquent de toutes les
vertus. Il ne faut donc pas jouir seulement de Dieu. |
[99]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, apostolus ad Philemonem
20, dicit : itaque, frater, ego te fruar in domino. Ergo etiam homine justo
frui possumus, et per consequens quolibet homine, qui est ad imaginem Dei, et
qualibet creatura, in qua est vestigium Dei. |
4. De plus, l’Apôtre, dans sa
Lettre à Philémon (20) dit : c’est pourquoi, mon frère, je jouis
de toi dans le Seigneur. Nous pouvons donc jouir aussi de l’homme juste
et par conséquent de tout homme qui est à l’image de Dieu et de toute
créature dans laquelle est présent un vestige de Dieu. |
[100] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 1
Contra, ratio dilectionis est bonitas. Sed omnis bonitas refertur ad
bonitatem Dei a qua fluit et cujus similitudinem gerit. Ergo nihil est
diligendum nisi in ordine ad Deum. Ergo solo Deo fruendum est. |
Cependant : 1. La cause de l’amour est le bien. Mais tout bien se rapporte et dépend de ce Bien qui est Dieu et duquel il découle et dont il porte la ressemblance. Donc, tout ne doit être aimé qu’en étant rapporté à Dieu. Il ne faut donc jouir que de Dieu seul. |
[101] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Proverb. 16, 4, dicitur : universa
propter semetipsum operatus est Deus. Ergo ipse est finis omnium. Omnia
ergo propter ipsum diligenda sunt : et sic idem quod prius. |
2. On dit dans le Proverbe
(16. 4) : C’est pour lui-même que Dieu a tout créé. C’est
donc Lui-même qui est la fin de tout. C’est donc pour Lui-même que tout doit
être aimé et par conséquent on doit conclure la même chose que précédemment. |
[102]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod frui aliquo
dicitur tripliciter. Aut sicut objecto ; et hoc modo solo Deo fruendum est :
quia ad bonitatem ipsius Dei ordinatur tota bonitas universi ; sicut bonum
totius exercitus ad bonum ducis, ut dicitur 12 Metaph. Alio modo sicut habitu
eliciente actum fruitionis ; et hoc modo beatitudine creata et caritate fruendum
est. Tertio modo fruimur aliquo sicut instrumento
fruitionis ; et hoc modo fruimur potentia, cujus fruitio est actus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que jouir de quelque chose de
dit de trois manières. Ou bien jouir se dit de l’objet de la jouissance et en
ce sens on ne doit jouir que de Dieu : car c’est à ce Bien suprême
qu’est ordonné tout bien présent dans l’univers, tout comme le bien de toute
l’armée est ordonné au bien du chef, ainsi que le dit le Philosophe au
douzième livre de la Métaphysique. En un autre sens jouir se dit
comme de l’habitus qui provoque l’acte de la jouissance et en ce sens il
faut jouir de la béatitude créée et de la charité. En un troisième sens nous
jouissons de quelque chose comme d’un instrument de la jouissance et en ce
sens nous jouissons de la puissance dont l’acte est la jouissance. |
[103] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquid facit beatum
dupliciter : vel effective, sicut Deus ; et hoc solo fruendum est velut objecto
: vel formaliter, sicut albedo facit album ; et hoc fruendum est formaliter
loquendo, et sic beatitudo beatum facit. |
Solutions : 1. Il faut dire à l’égard du premier argument que quelque chose nous rend heureux de deux manières : soit à titre de cause efficiente, comme Dieu et on ne doit jouir que de cela comme objet ; soit à titre de cause formelle, comme la blancheur rend blanc et on doit jouir de cela formellement parlant et en ce sens la béatitude rend heureux. |
[104] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectum operationis terminat
et perficit ipsam, et est finis ejus. Unde impossibile est operationem habere
rationem finis ultimi. Sed, quia objectum non consequimur nisi per
operationem, ideo est idem appetitus operationis et objecti. Unde, si aliquo
modo ipsa fruitione fruimur, hoc erit inquantum fruitio nos Deo conjungit :
et eadem fruitione fruemur fine et operatione, cujus objectum est finis
ultimus ; sicut eadem operatione intelligo intelligibile et intelligo me intelligere. |
2. Il faut dire à l’égard du
deuxième argument que c’est l’objet de l’opération qui est son terme, sa
perfection et sa finalité. C’est pourquoi il est impossible que l’opération
ait d’elle-même raison de fin ultime. Mais parce que nous ne parvenons à
l’objet qu’au moyen de l’opération, c’est pourquoi le désir de l’opération et
celui de l’objet sont identiques. C’est pourquoi, si en un sens nous
jouissons de la jouissance elle-même, cela sera dans la mesure où la
jouissance nous unit à Dieu : et ce sera par la même jouissance que nous
jouirons à la fois de la fin et de l’opération dont l’objet est la fin
ultime ; par exemple c’est par la même opération que j’intellige
l’intelligible et que j’intellige que j’intellige. |
[105] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod propter se dicitur dupliciter.
Uno modo secundum quod opponitur ad propter aliud ; et hoc modo virtutes et
honestum non propter se diliguntur, cum etiam ad aliud referantur. Alio modo
dicitur propter se, secundum quod opponitur ad per accidens ; et sic dicitur
propter se diligi quod habet in natura sua aliquid movens ad diligendum : et
hoc modo virtutes propter se diliguntur, quia habent in se aliquid unde
quaerantur, etsi nihil aliud ab eis contingeret : non tamen est inconveniens
ut aliquid propter se ametur et tamen ad alterum ordinetur, sicut dicitur in
1 Ethic. Est autem aliquid quod desideratur, non propter aliquid quod in se
habet, sed tantum secundum quod ordinatur ad alterum, ut effectivum illius ;
sicut potio amara amatur, non propter aliquid quod in ipsa est, sed quia
sanitatem efficit : et hujusmodi nullo modo propter se diliguntur ; sive
propter se dicat causam formalem, sicut virtus dicitur propter se diligi ;
sive finalem, sicut Deus. |
Quant au troisième argument,
il faut dire que ¨pour soi¨ se dit de deux manières. En un sens selon qu’il
s’oppose à ¨pour autre chose¨ et en ce sens les vertus et l’honnête ne sont
pas aimés pour eux-mêmes puisqu’ils se rapportent aussi à autre chose. En un
autre sens ¨pour soi¨ se dit d’après son opposition à ¨par accident¨ ;
et en ce sens on dit qu’est aimé pour soi-même ce qui possède dans sa nature
même quelque chose qui pousse à devoir l’aimer et en ce sens les vertus sont
aimées pour elles-mêmes parce qu’elles possèdent en elles-mêmes quelque chose
qui fait qu’on les recherche, même si rien d’autre ne provenait
d’elles : il n’y a pas de problème cependant à ce qu’une chose soit
aimée pour elle-même et à ce qu’elle soit aussi ordonnée à quelque chose
d’autre, ainsi qu’on le dit dans le premier livre de l’Éthique. Il y a
cependant des choses qui sont désirées non pas à cause de quelque chose
qu’elles ont en elles mais seulement selon qu’elles sont ordonnées à quelque
chose d’autre parce qu’elles le produisent : c’est ainsi par exemple
qu’on aime la potion amère non pas à cause de quelque chose qui est en elle,
mais parce qu’elle produit la santé ; et les choses de cette sorte ne
sont en aucune manière aimées pour elles-mêmes, que le ¨pour soi¨ se rapporte
à la cause formelle, comme on dit que la vertu est aimée pour elle-même ou
qu’il se rappporte à la cause finale, comme on dit de Dieu qu’il est aimé
pour lui-même. |
[106] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod homine justo non est simpliciter fruendum, sed in Deo
; ita quod objectum fruitionis sit Deus ; et repraesentans ipsum gratiae
objectum per similitudinem, in qua inhabitat Deus, sit homo sanctus. Nec
tamen sequitur quod homine peccatore sit fruendum in Deo, quia non est in eo
gratia, quae facit Deum inhabitare, et quae est exemplar expressum illius
summae bonitatis, qua fruendum est : et multo minus hoc sequitur de creatura
irrationali : non enim sufficit ad hoc similitudo imaginis et vestigii, sed
similitudo gratiae. |
4. Pour ce qui est du quatrième argument il faut dire
qu’il ne faut pas jouir de l’homme juste à parler absolument, mais seulement
par rapport à Dieu, de telle manière que l’objet de la jouissance soit Dieu
et que celui qui rend présent par ressemblance l’objet même de la grâce dans
laquelle Dieu habite soit un homme saint. Il ne s’ensuit pas cependant qu’il
fait jouir en Dieu d’un homme pécheur car il n’y a pas en lui la grâce qui
ferait que Dieu habite en lui et qui est l’expression de cette suprême bonté
dont il faut jouir ; et on peut encore moins le dire d’une créature
irrationnelle car il ne suffit pas pour cela de la ressemblance d’une image
ou d’un vestige, mais seulement de la ressemblance de la grâce. |
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Articulus 2 : [107] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 tit. Utrum fruamur Deo una fruitione |
Article 2 – Est-ce que jouir de Dieu est une fruition unique ? |
[108] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic proceditur. Videtur quod non una fruitione Deo fruamur. Actus enim
distinguuntur secundum objecta. Sed objecta fruitionis sunt tres res
distinctae proprietatibus personalibus, scilicet pater, filius, et spiritus
sanctus. Ergo fruitiones sunt tres. |
Difficultés : 1. À l’égard de ce deuxième
article on procède de la manière suivante. Il semble que nous ne jouissons
pas de Dieu par un seul acte de jouissance. Les actes en effet se
distinguent d’après leurs objets. Mais les objets de la jouissance sont trois
réalités qui se distinguent par des propriétés personnelles, à savoir le
Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Il y a donc trois jouissances. |
[109] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, operatio animae sistens in communi non est
perfecta, nisi etiam descendat ad propria, sicut cognitio generis perficitur
per cognitionem differentiae ; et multo plus desiderium et amor perficitur in
particulari. Sed fruitio est operatio perfecta. Ergo non tantum fruemur
essentia communi tribus personis, sed singulis personis et proprietatibus
ipsarum ; et ita videtur quod non sit una tantum fruitio. |
2. De plus, l’opération de
l’âme qui pose l’universel n’est parfaite que si elle descend aussi à ce qui
est propre, tout comme la connaissance du genre n’est parfaite qu’au moyen de
la connaissance de la différence ; et l’amour et le désir trouvent
encore davantage leur achèvement dans le singulier. Mais la jouissance est
une opération parfaite. Nous ne jouissons donc pas seulement de l’essence qui
est commune aux trois Personnes mais aussi de chacune des Personnes ainsi que
de ses propriétés. Et ainsi il semble qu’il n’y ait pas qu’une seule
jouissance. |
[110] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 3
Praeterea, quidquid habet filius solet referre ad patrem a quo habet, sicut
Joan. 7, 16, dicitur : mea doctrina non est mea, sed ejus qui misit
me. Sed bonitatem accepit filius a patre nascendo, sicut essentiam. Ergo
et fruitionem bonitatis filii debemus referre in fruitionem patris. Ergo non
est aequaliter fruendum tribus personis : multo minus ergo nec eadem
fruitione. |
3. En outre, le Fils a coutume de rapporter tout ce qu’il possède à son Père de qui il le tient, ainsi qu’on le voit dans Jean (7, 16) : Ce que j’enseigne ne vient pas de moi mais de Celui qui m’a envoyé. Mais le Fils a reçu du Père la Bonté comme essence en naissant. Nous devons donc rapporter la jouissance de la bonté du Fils à la jouissance du Père. Il ne faut donc pas jouir également des trois Personnes : et donc nous devons encore moins en jouir d’une seule et même jouissance. |
[111] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut Deus Trinitas est unum principium
omnium, ita est unus finis omnium. Sed eadem operatio communis est totius
Trinitatis, inquantum est unum principium. Ergo eadem est fruitio trium,
inquantum est unus finis. |
Cependant : 1. Tout comme le Dieu
trinitaire est le seul principe de tout ce qui existe, de même il est la
seule fin de tout ce qui existe. Mais l’opération commune de toute la Trinité
est la même selon qu’Elle est le seul principe de tout. Donc, selon qu’Elle
est la seule fin de tout, il n’y a qu’une seule et même jouissance pour les
trois Personnes. |
[112] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, operatio felicitatis est ad nobilissimum
objectum, ut dicit philosophus. Nobilissimum autem est unum tantum, quia quod
per superabundantiam dicitur, uni soli convenit. Ergo, cum fruitio sit
operatio ultimae felicitatis, refertur ad unum tantum objectum ; ergo fruimur
tribus personis, inquantum sunt unum : ergo inquantum est unum objectum. |
2. Par ailleurs, l’opération
de la félicité se rapporte à l’objet le plus noble ainsi que le dit le
Philosophe. Mais l’objet le plus noble est unique car ce qui se dit de la
manière la plus excellente ne convient qu’à un seul. Donc, puisque la
jouissance est l’opération de la félicité ultime, elle ne se rapporte qu’à un
seul objet ; nous jouissons donc des trois Personnes selon leur unité et
donc dans la mesure où elles constituent un seul objet. |
[113]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod una fruitione
fruimur tribus personis : et hujus ratio est duplex. Una ex parte essentiae.
Objectum enim fruitionis est summa bonitas ; unde fruitio respicit
unamquamque personam, inquantum est summum bonum ; unde cum eadem numero sit
bonitas trium, eadem erit et fruitio. Alia ratio sumitur ex parte
proprietatum. Sicut enim dicit philosophus qui novit unum relativorum,
cognoscit et reliquum ; et sic cum tota fruitio originetur ex visione, ut
prius dictum est, qui fruitur uno relativorum inquantum hujusmodi, fruitur et
reliquo. Personae autem tres distinguuntur tantum secundum relationes ; et
ideo in fruitione unius includitur fruitio alterius ; et ita est fruitio
eadem trium. Sed prima ratio melior est, quae tangit rationem objecti, a qua
actus habet unitatem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que c’est par une seule et même jouissance que nous jouissons des trois Personnes : et il y a deux raisons pour cela. La première se tient du côté de l’essence. En effet, l’objet de la jouissance est le bien suprême ; c’est pourquoi la jouissance se rapporte à chacune des Personnes selon qu’elle est le bien suprême : de là, puisque la bonté des trois Personnes est la même par le nombre, la jouissance qui y correspond sera aussi la même. L’autre rasion se tire du côté des propriétés. En effet, comme le dit le Philosophe, qui connaît un des relatifs connaît aussi les autres ; et ainsi, puisque la jouissance dans sa totalité tire son origine de la vision ainsi que nous l’avons dit précédemment, celui qui jouit d’un des relatifs en tant que relatif jouit aussi des autres. Mais les trois Personnes ne se distinguent que par les relations et c’est pourquoi la jouissance de l’une comprend aussi la jouissance de l’autre ; et c’est ainsi qu’il n’y a qu’une seule et même jouissance pour les trois Personnes. Mais la premiere raison est préférable parce qu’elle traite de l’objet duquel l’acte tient son unité. |
[114] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum : quia tres
personae non distinguuntur secundum id quod sunt objectum fruitionis, immo
uniuntur in eo, scilicet in summa bonitate. |
Solutions: 1. Et au moyen de cette
réponse la solution à la première difficulté devient évidente: car les trois
Personnes ne se distinguent pas selon cela même qu’elles sont l’objet de la
jouissance mais au contraire elles sont unies en cela, à savoir en tant que
bien suprême. |
[115] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod proprietate uniuscujusque
personae fruimur, ut paternitate ; tamen paternitas non dicit rationem
fruitionis : unde fruemur paternitate, inquantum paternitas est idem re quod
summa bonitas, differens tamen ratione. |
2. Il faut dire à l’égard de la deuxième difficulté que nous jouissons de ce qui est propre à chacune des Personnes, par exemple de la paternité ; cependant la paternité elle-même n’a pas raison de jouissance et c’est pourquoi nous jouissons de la paternité selon qu’elle est identique par la chose au bien suprême ; elle en diffère cependant par la raison. |
[116] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa reductio non ponit gradum
bonitatis in patre et filio, sed tantum ordinem naturae ; et ideo non
tollitur aequalitas et unitas fruitionis. |
3. Pour ce qui est de la
troisième difficulté, il faut dire que tout ramener au Père ne pose pas un
degré différent de bonté dans le Père et le Fils mais seulement un ordre de
nature ; et c’est pourquoi cet argument n’empêche pas l’égalité et
l’unité de la jouissance. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [L’usage des créatures] |
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Articulus 1 [117] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 tit. Utrum utendum sit omnibus aliis a Deo. |
Article 1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que Dieu ? |
[118] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur de utibilibus, utrum omnibus aliis
praeter Deum sit utendum. Et videtur quod non. Uti enim est assumere aliquid
in facultatem voluntatis. Illud autem tantum est hoc modo assumptum quod
nostrae operationi subjacet. Non autem omnia creata sunt talia, sicut caelum
et Angeli, quae non sunt operabilia a nobis. Ergo non possumus omnibus uti. |
Difficultés : 1. On s’interroge ensuite sur
ce qui est objet d’usage, à savoir s’il faut user de tous les autres êtres
qui ne sont pas Dieu. Et il semble qu’on doive répondre par la négative. User
en effet, c’est disposer d’une chose au gré de la volonté. Mais seul se prend
de cette manière ce qui est soumis à notre opération. Mais ce ne sont pas
toutes les créatures, par exemple le Ciel et les Anges, qui sont de cette
sorte, puisqu’ils ne sont pas soumis à nos opérations. Nous ne pouvons donc
pas user de tous les autres êtres qui ne sont pas Dieu. |
[119]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, illo utimur quo
tendentes ad beatitudinem juvamur. Sed creaturis impedimur frequenter, sicut
dicitur Sap. 14, 2 : creaturae factae sunt in odium et in tentationem
animabus hominum, et in muscipulam pedibus insipientium. Ergo non omnibus possumus
uti. |
2. En outre, nous usons de ce qui nous aide à tendre à la
béatitude. Mais les créatures nous empêchent fréquemment d’y tendre ainsi
qu’on le dit dans le livre de la Sagesse (14, 11) : les
créatures sont devenues des objets de haine et de tentation pour les âmes des
hommes et des pièges pour les pieds des insensés. Nous ne pouvons donc
pas user de tous les êtres qui ne sont pas Dieu. |
[120] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 3
Praeterea, si omnibus praeter Deum tenemur uti, ergo quandocumque non
referimus aliquid in Deum, peccamus ; sed quandocumque referimus aliquid in
Deum, meremur. Ergo omnis actus est meritorius, et sic nullus actus erit
indifferens. |
3. De plus, si nous étions
tenus d’user de tout ce qui n’est pas Dieu, nous pécherions à chaque fois que
nous ne rapporterions pas quelque chose à Dieu ; mais à chaque fois que
nous rapportons quelque chose à Dieu, nous faisons du bien. Donc, tout acte
est méritoire et ainsi aucun acte ne sera indifférent. |
[121] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, sequitur quod nullum peccatum sit veniale ;
quia, si refertur in ultimum finem, non est aliquod peccatum ; si autem
constituatur aliquis finis alius ultimus, non relatus ad finem ultimum, est
peccatum mortale. Cum igitur omnis actus rationis sit ad aliquem finem,
oportet quod ille finis vel sit finis ultimus, et sic non est peccatum ; vel
sit alius finis non relatus ad finem ultimum, et sic erit peccatum mortale.
Ergo nihil est peccatum veniale. |
4. Par ailleurs, il s’ensuit
qu’aucune faute ne sera vénielle ; car si on le rapporte à la fin
ultime, un acte ne sera pas un péché ; mais si une autre fin est
constituée comme la fin ultime et n’est pas ordonnée à la fin ultime, alors
l’acte est un péché mortel. Donc, puisque tout acte de la raison est ordonné
à une fin, il faut que cette fin soit ou bien la fin ultime et ainsi cet acte
ne sera pas un péché ; ou bien qu’elle soit une autre fin qui n’est pas
rapportée à la fin ultime, et il y aura alors péché mortel. Donc, rien n’est
un péché véniel. |
[122] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, 1 Corinth. 10, 31 : sive manducatis,
sive bibitis (...) omnia in gloriam Dei facite. Ergo videtur quod omnibus
sit utendum. |
Cependant : 1. On lit dans la premère Épître aux Corinthiens (10, 31) : Que vous mangiez ou que vous buviez (…), faites tout pour la gloire de Dieu. Il semble donc que nous devions user de tout. |
[123] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 s. c. 2 Item,
sicut Deus est perfectae potentiae, ita est perfectae bonitatis. Sed ad perfectionem
potentiae ejus pertinet quod nihil habeat esse nisi productum ab ipso. Ergo et ad perfectionem divinae bonitatis pertinet quod
ametur nihil, nisi quod est in ordine ad ipsum. |
2. De plus, tout comme la
puissance de Dieu est parfaite, de même sa bonté est parfaite. Mais il
appartient à la perfection de sa puissance que tout ce qui existe soit
produit par Lui. Il appartient donc à la perfection de la bonté divine que
tout soit aimé par rapport à Lui. |
[124]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quaecumque
sunt bona, non habent bonitatem nisi inquantum accedunt ad similitudinem
bonitatis divinae. Unde oportet, cum bonitas sit ratio dilectionis et
desiderii, ut omnia amentur in ordine ad bonitatem primam. Omne autem quod bonum est,
a Deo est : unde quae ab ipso non sunt, nec quaerenda sunt, nec eis utendum
est : et ideo nullo peccato utendum est, quia peccatum non est a Deo. Poena
autem a Deo est ; et ideo poena utendum est, et ordinanda ad finem, secundum
quod promovet meritum hominis, ducens eum in considerationem suae
infirmitatis, et secundum quod purgat peccata. Similiter etiam res mundi ab
ipso sunt, et eis utendum est, vel inquantum conferunt ad Dei cognitionem,
ostendentes ipsius magnitudinem, vel secundum quod praebent subsidium vitae
nostrae ordinatae in Deum. Similiter opera nostra quae mala non sunt, ab ipso
sunt, et propter ipsum facienda : non quod quamlibet operationem oporteat
semper actualiter referre in Deum ; sed sufficit ut habitualiter in Deo
constituant finem suae voluntatis. |
Corps de l’article : Je réponds en disant que tout
ce qui est bon ne possède de bonté que dans la mesure où il arrive à
ressembler à la bonté divine. C’est pourquoi il faut, puisque le bien est la
cause de l’amour et du désir, que toute chose soit aimée dans son rappport au
bien premier. Mais tout ce qui est bon vient de Dieu ; de là, tout ce
qui ne vient pas de Lui ne doit pas être recherché et on ne doit pas en
user : et c’est pourquoi on ne doit user d’aucun péché parce que le
péché ne vient pas de Dieu. Mais le châtiment vient de Dieu ; et c’est
pourquoi il faut user du châtiment qui doit être ordonné à la fin selon qu’il
fait la promotion du mérite de l’homme en l’amenant à considérer son
infirmité et à le purger de ses fautes. De la même manière encore les choses
du monde viennent de Lui et il faut en user, soit dans la mesure où elles
contribuent à connaître Dieu en manifestant sa grandeur, soit dans la mesure
où elles offrent une aide à notre vie ordonnée à Dieu. De même encore nos
œuvres qui ne sont pas mauvaises viennent de Lui et doivent être faites en
vue de Lui : ce n’est pas qu’il faille toujours ordonner à Dieu n’importe
quelle opération de façon actuelle, mais il suffit d’établir en Dieu de
manière habituelle la fin de sa volonté. |
[125]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illis
creaturis non utimur tamquam a nobis operatis, sed sicut in Dei cognitionem
ducentibus. |
Solutions: 1. Pour ce qui est de la première difficulté, il faut dire que nous n’usons pas de ces créatures comme étant faites par nous, mais comme conduisant à la connaissance de Dieu.
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[126] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creaturae, quantum est in se,
non impediunt nos a consequenda beatitudine ; sed ex parte nostra, inquantum
eis abutimur, in eis sistendo, sicut in fine. |
2. Quant à la deuxième
difficulté il faut dire que ce ne sont pas les créatures prises en
elles-mêmes qui nous empêchent d’atteindre le bonheur; mais c’est nous qui,
par nos abus, y faisons obstacle en cherchant à nous y établir comme dans
notre finalité ultime. |
[127] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod, secundum theologum, nullus actus procedens a
voluntate deliberante est indifferens ; quia, si refertur in Deum, supposita
gratia, meritorius est ; si autem non est referibilis, peccatum est ; si vero
est referibilis et non referatur, vanus est : otiosum autem inter peccata
apud theologum computatur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que d’après le théologien aucun acte procèdant de la volonté délibérante
n’est indifférent; car si on le rapporte à Dieu en supposant la grâce, il est
méritoire; si cependant il ne peut être rapporté à Dieu, il est un péché;
mais s’il peut être rapporté à Dieu et qu’on ne le rapporte pas, il est
inutile: cependant, le théologien classe l’oisiveté parmi les péchés. |
[128] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, quamvis ille qui peccat
venialiter non referat actu in Deum suam operationem, nihilominus tamen Deum
habitualiter pro fine habet : unde non ponit creaturam finem ultimum, cum
diligat eam citra Deum ; sed ex hoc peccat, quia excedit in dilectione ;
sicut ille qui nimis immoratur viae, non tamen exit a via. |
4. Pour ce qui est de la
quatrième difficulté il faut dire que bien que celui qui fait un péché véniel
ne rapporte pas son opération à Dieu de manière actuelle, il prend
néanmoins Dieu comme fin d’une manière habituelle : par
conséquent, il ne pose pas la créature comme sa fin ultime lorsqu’il l’aime
avant d’aimer Dieu ; mais son péché consiste à aimer la créature de
façon excessive comme celui qui, s’attardant sur la route, n’en sort cependant
pas. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [Ceux qui jouissent et utilisent] |
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Prooemium |
Prologue |
[129] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 pr. Deinde quaeritur de fruentibus et utentibus. Et 1 de fruentibus
; 2 de utentibus. |
Ensuite on s’interroge sur ceux qui jouissent et ceux qui utilisent. |
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Articulus 1 [130]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 tit. Utrum frui conveniat omnibus rebus. |
Article 1 – La jouissance appartient-elle à toutes les choses ? |
[131]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Fruitio
dicit desiderium quietatum in fine. Sed omnis creatura, etiam insensibilis,
desiderat naturaliter suum finem. Ergo, cum contingat ipsam consequi suum
finem et quiescere in eo, videtur quod fruitio sit creaturae insensibilis. |
Difficultés : 1. On procède ainsi à l’égard de ce premier article. Qui
dit jouissance signifie un désir qui se repose dans la fin possédée. Mais
toute créature, même celle qui est insensible, désire naturellement sa fin.
Donc, puisqu’il arrive que celle-ci atteigne sa fin et s’y repose, il semble
que la jouissance appartienne même à la créature insensible. |
[132] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, fruitio est ejus quod per se quaeritur, non
relatum ad alterum. Sed bruta quaerunt aliqua in quibus delectantur et non
referunt ad aliud, quia carent ratione ordinante. Ergo brutorum est fruitio. |
2. De plus, la jouissance
porte sur ce qui est recherché pour soi et non pour autre chose. Mais les
bêtes recherchent les choses dans lesquelles elles se délectent sans les
rapporter à quelque chose d’autre car elles sont privées de la raison qui
ordonne. La jouissance appartient donc aux bêtes. |
[133] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, naturali dilectione contingit aliquem
diligere Deum super omnia, cum naturaliter cognoscatur esse summum bonum, et
ita propter se amandum. Sed fruimur eo quod propter se amamus. Ergo contingit
hominem existentem in naturalibus tantum, frui Deo. |
3. En outre, il arrive
d’aimer Dieu de préférence à toute chose d’un amour naturel lorsqu’on connaît
naturellement qu’Il est le bien suprême et qu’il doive ainsi être aimé pour
lui-même. Mais nous jouissons de la ¨chose¨ que nous aimons pour elle-même.
Il est donc possible à l’homme qui n’existe que dans le cadre des choses
naturelles de jouir de Dieu. |
[134] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 4
Praeterea, contingit quod aliquis existens in peccato mortali, alicujus suae
actionis Deum finem ultimum constituat, non referens ad aliud. Hoc autem est
frui. Ergo peccator etiam potest frui Deo. |
4. Par ailleurs, il est
possible à celui qui existe dans l’état de péché mortel d’établir Dieu comme
la fin ultime d’une de ses actions sans la rapporter à quelque chose d’autre.
Mais c’est cela même qui est la jouissance. Donc même le pécheur peut jouir
de Dieu. |
[135]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 5 Sed e contrario videtur quod nec
etiam justus fruatur in via. Frui enim est quiescere voluntatem delectatam in
cognitis propter se. Sed quamdiu aliquis est in via, non quiescit. Ergo
quamdiu est in via, aliquis Deo non fruitur. |
5. Mais au contraire il
semble que même le juste ne peut jouir de Dieu ici-bas. La jouissance en
effet est le repos de la volonté qui se délecte dans ce qui est connu pour
soi. Mais aussi longtemps que l’homme vit ici-bas, sa volonté ne peut trouver
de repos. Donc, aussi longtemps que l’homme vit ici-bas, il ne peut jouir de
Dieu. |
[136] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 6 Praeterea, videtur quod nec etiam beati
fruantur. Sicut enim habetur in littera, omne quod fruitur aliquo eget
illo. Sed quidquid eget aliquo caret
illo. Cum igitur beati non careant Deo, videtur quod non fruantur illo. |
6. Bien plus, il semble que
même les bienheureux ne jouissent pas de Dieu. Ainsi qu’il est établi dans le
document, tout ce qui jouit d’une chose en a besoin. Mais tout ce qui a
besoin d’une chose en est privé. Donc, puisque les bienheureux ne sont pas
privés de Dieu, il semble qu’ils n’en jouissent pas. |
[137] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 arg. 7. Ex quo etiam concluditur quod nec seipso Deus fruatur,
cum non seipso indigeat. |
7. On conclut aussi de là que Dieu lui-même ne jouit pas
puisqu’il n’a pas besoin de Lui-même. |
[138]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra
dictum est, qu. 1, art. 1, fruitio ponit quamdam delectationem in fine.
Delectatio autem non potest esse nisi in cognoscente : propter quod Plato
dixit, quod delectatio est generatio sensibilis in naturam ; id est, quae
sentitur naturae conveniens ; et ideo cum creaturae insensibiles non
cognoscant, non delectantur nec fruuntur. Item, fruitio proprie loquendo, est
tantum ultimi finis. Bruta autem ultimum finem non apprehendunt, nec finem
proximum possunt ordinare ad finem ultimum, cum careant ratione, cujus est
ordinare. Unde
non proprie fruuntur. Similiter peccator ponit finem ultimum in quo non est ;
unde, cum verum finem non habeat, non vere fruitur. Ulterius autem fruitio
dicit delectationem in fine ; unde perfecta fruitio non est, nisi sit
perfecta delectatio, quae esse non potest ante consecutionem finis : et ideo
justus homo non perfecte fruitur ; sed beati, qui consecuti sunt finem, vere
et perfecte et proprie fruuntur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, tout comme nous l’avons dit plus haut (qu. 1, a. 1), qui dit jouissance
pose une certaine délectation dans la fin. Il ne peut cependant y avoir
délectation que dans celui qui connaît : et c’est pour cette raison que
Platon a dit que la délectation est une génération sensible dans la nature,
c’est-à-dire qui est perçue comme convenant à la nature ; et c’est
pourquoi, puisque les créatures insensibles sont privées de connaissance,
elles ne peuvent ni se délecter ni jouir. En outre, la jouissance à
proprement parler ne se rapporte qu’à la fin ultime. Mais les bêtes ne
peuvent appréhender la fin ultime et elles ne peuvent ordonner une fin
prochaine à la fin ultime puisqu’elles sont privées de la raison à laquelle
il appartient d’ordonner. Par conséquent les bêtes ne jouissent pas à
proprement parler. De même le pécheur établit la fin ultime dans ce qui ne
l’est pas ; c’est pourquoi, puisqu’il ne possède pas la véritable fin,
il ne connaît pas la véritable jouissance. Enfin cependant la jouissance
implique une délectation dans la fin possédée ; par conséquent, la
jouissance parfaite n’est qu’une délectation parfaite qui ne peut exister
avant d’avoir atteint la fin ; et c’est pourquoi l’homme juste ne jouit
pas parfaitement ; mais les bienheureux, lesquels ont atteint la fin,
jouissent au sens propre, c’est-à-dire d’une jouissance véritable et
parfaite. |
[139]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod,
quamvis omne desiderium consequatur cognitionem, desiderium tamen creaturae
insensibilis non sequitur cognitionem in ipsa existentem, sed cognitionem
motoris primi (quicumque sit ille) ordinantis unumquodque in suum finem : et
ideo sine cognitione nec delectationem nec fruitionem habent. |
Solutions: 1. Il faut donc dire par
rapport à la première difficulté que bien que tout désir suive une connaissance,
cependant le désir de la créature insensible ne suit pas une connaissance qui
est présente en elle-même, mais il suit la connaissance du premier moteur
(quel que soit ce moteur) qui ordonne toute chose à sa fin: et c’est pour
cette raison que ces créatures, sans une connaissance présente en elles,
n’éprouvent ni délectation ni jouissance. |
[140] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pecora, quamvis delectentur in
fine, ille tamen finis non est ultimus ; immo est relatus ad aliud, non ab
ipsis, sed a primo ordinante omnia in seipsum : et ideo, cum non delectentur
in ultimo fine simpliciter, sed in ultimo apprehenso ab eis, aliquo modo
dicuntur frui, sed improprie. |
2. Il faut dire en second
lieu que les bêtes, même si elles se délectent dans une fin, cette fin n’est
cependant pas la fin ultime; bien plus, cette fin est ramenée à une autre
fin, non pas par elles-mêmes, mais par le premier moteur qui ordonne tout à
Lui-même: et c’est pourquoi, puisque les bêtes ne se délectent pas dans la
fin ultime prise absolument mais dans ce qui est appréhendé ultimement par
elles, on peut dire d’elles qu’elles jouissent en un certain sens mais non au
sens propre du terme. |
[141]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod delectatio
sequitur operationem perfectam. Perfecta autem est operatio quae
procedit ab habitu. Habitus autem acquisiti vel naturales non perficiunt ad
ultimam beatitudinem patriae, ut supra habitum est, sufficienter, et proxime
: [quia, ut dicit Augustinus in Lib. de poenitentia, immo X De Trin.,cap.
V elicitive, "quodam familiari contactu ad experiendam ejus
suavitatem adjacet amanti amata creatura. "Sed voluptas creatoris
longe alterius generis est" Éd. De Parme] et ideo sine
habitu gratuito non est delectatio talis quae ad fruitionem sufficiat. Vel
dicendum, quod delectatio naturalis non ponit aliquam operationem in actu,
sed tantum quamdam naturalem inclinationem, quae in actum reducitur per
habitum caritatis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la délectation suit l’opération parfaite. Mais l’opération parfaite
est celle qui procède de l’habitus. Mais les habitus, aussi bien ceux qui
sont acquis que ceux qui sont naturels, ne réalisent pas parfaitement et de
façon prochaine la béatitude ultime de la patrie, ainsi que nous l’avons
établi plus haut : [car, comme le dit avec insistance Augustin dans
le Livre sur la Pénitence, ou plutôt dans le dixième
livre Sur la Trinité (ch. V) : La créature aimée
habite auprès de l’amant pour expérimenter sa suavité par un contact familier.
¨Mais de loin la volupté du créateur
est d’un autre genre¨ Éd. De Parme] ; et c’est pourquoi, sans
l’habitus qui est gratuit, la délectation n’est pas telle qu’elle suffise à
la jouissance. Ou bien encore il faut dire que la délectation naturelle ne
pose pas une opération en acte mais seulement une inclination naturelle qui
est conduite à l’acte au moyen de l’habitus de la charité. |
[142] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod existens in mortali peccato,
diligit aliquid habitualiter supra Deum, etsi non in actu semper ; et ideo
non fruitur ipso, sed illo ad quod omnia ordinat. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que celui qui existe en l’état de péché mortel préfère quelque chose à
Dieu de manière habituelle, bien que ce ne soit pas toujours en acte ;
et c’est pourquoi il ne jouit pas de Lui, mais de ce à quoi il ordonne tout
le reste. |
[143] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod est duplex quies, scilicet
quies desiderii, et quies motus. Quies desiderii est quando desiderium sistit
in aliquo propter quod omnia facit et quaerit, et non desiderat aliquid
ulterius ; et hoc modo voluntas justi quiescit in via in Deo. Quies autem
motus est quando pervenitur ad terminum quaesitum ; et ista quies voluntatis
erit in patria. Haec autem quies facit perfectam fruitionem, sed prima
imperfectam. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu qu’il y a deux sortes de repos, à savoir le repos du désir et le repos
du mouvement. Le repos du désir a lieu quand le désir s’arrête dans un objet
pour lequel il fait tout et mène sa recherche, et au-delà duquel il ne désire
rien d’autre ; et en ce sens la volonté du juste se repose ici-bas en
Dieu. Mais le repos du mouvement a lieu quand on parvient au terme qu’on
recherchait ; et ce repos de la volonté se produira dans la patrie. Mais
c’est ce repos qui produit la jouissance parfaite, alors que le premier ne
produit qu’une jouissance imparfaite. |
[144]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod aliquid eget
altero dupliciter. Aut sicut eo a quo dependet secundum esse ; et hoc modo
omnia egent Deo ; quia, secundum Gregorium, omnia in nihilum tenderent, nisi
ea manus conditoris teneret : non enim est tantum causa fieri, sed esse rerum
; et hoc modo beati egent Deo. Alio modo dicitur quis egere illo quod nondum habet ;
et sic non egent. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que c’est de deux manières qu’une chose a besoin d’une autre. Ou bien
elle en a besoin comme d’une chose dont elle dépend pour son existence et en
ce sens toute chose a besoin de Dieu ; car selon Grégoire, si le
Créateur ne les tenait dans sa main, tous les êtres tendraient au
néant : en effet, Il n’est pas seulement la cause du devenir, mais aussi
de l’existence même des choses ; et c’est en ce sens que même les
bienheureux ont besoin de Dieu. Mais en un autre sens ¨avoir besoin¨ se dit
de celui qui ne possède pas encore l’objet dont il a besoin et ce sens ne
s’applique pas aux bienheureux. |
[145] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 7 Ad
ultimum dicendum, quod hoc intelligendum est, quando fruens et id quo fruitur
sunt diversa in essentia : quod non est in divina fruitione : et ideo
perfecte ipse fruitur seipso : unde Gregorius : esto gloriosus, et
speciosis induere vestibus ; dicit : ipse gloriosus est qui,
dum seipso fruitur, accedentis laudis indigens non est. |
7. Il faut dire finalement
que cet argument doit s’entendre pour les cas où celui qui jouit et la chose
dont il jouit ne partagent pas la même essence : ce qui n’est pas le cas
pour la jouissance de Dieu ; et c’est pourquoi Il jouit parfaitement de
Lui-même. Par conséquent Grégoire a raison de dire : Sois
glorieux et revêtu de riches vêtements ; il dit : Lui-même
est glorieux qui, alors qu’il jouit de Lui-même, n’a pas besoin des louanges
qui Lui parviennent. |
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Articulus 2 : [146] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 tit. Utrum usus conveniat existentibus in patria |
Est-ce que l’usage s’attribue à
ceux qui existent dans la Patrie ?
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[147] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in
patria nullus erit utens. Via enim non est necessaria habito fine ; unde
Bernardus : quid necesse est scala tenenti jam solium ? Sed
usus est eorum quae sunt ad finem, quae se habent per modum viae. Igitur in
beatis consecutis finem non erit usus. |
Difficultés: 1. Voici comment on procède par rapport à ce deuxième article. Il semble que dans la patrie nul ne sera sujet de l’usage. En effet, le chemin qui conduit à destination n’est pas necessaire à celui qui a déjà atteint son but. Mais l’usage se rapporte aux choses qui sont ordonnées à la fin et qui se présentent à la manière d’un chemin. Il n’y aura donc pas d’usage chez les bienheureux qui sont parvenus à la fin. |
[148] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, uti est referre aliquid in alterum. Sed hoc
non potest fieri nisi unum cogitetur post aliud ; quod non videtur esse in
patria, secundum Augustinum, quia non sunt ibi cogitationes volubiles. Ergo
videtur quod non sit ibi usus. |
2. En outre, user d’une
chose, c’est l’ordonner à une autre. Mais cela n’est possible que si une
chose est pensée suite à une autre ; mais il ne semble pas que cela soit
possible dans la patrie d’après Augustin car il n’y a pas là de pensées
réfléchies. Il semble donc qu’il n’y ait pas là d’usage. |
[149] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, constat quod in patria manet dilectio Dei et
proximi, quia caritas nunquam excidit, 1 Corinth. 13, 8. Sed
proximus nunquam diligetur propter se, sed propter Deum. Semper ergo erit ibi
dilectio usus. |
Cependant : Il est évident que dans la patrie l’amour du prochain et de Dieu demeurent car on lit dans la première Épître aux Corinthiens (13, 8) : L’amour ne meurt jamais. Mais le prochain n’est jamais aimé pour pour lui-même, mais pour Dieu. Il y aura donc toujours usage dans la Patrie. Il y aura donc toujours là un amour d’usage. |
[150]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod usus est
eorum quae sunt ad finem. Sed eorum quae sunt ad finem, quaedam sunt
includentia finem et contingentia ipsum, et haec sunt quae non repugnant
perfectioni finis, sicut dispositiones materiae manent cum forma substantiali
; et talium erit usus in patria ; sicut perfectiones naturales, et septem
dona spiritus sancti, et alia quae ex sua ratione imperfectionem non dicunt.
Quaedam autem sunt ad finem sicut distantia a fine, ut motus et hujusmodi ;
et ista propter suam imperfectionem non compatitur finis : unde talium non
erit usus in patria ; sicut poenae, et actus fidei et spei et cibi et
hujusmodi. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’usage se rapporte à ce qui est ordonné à la fin. Mais parmi les choses
qui sont ordonnées à la fin, certaines la contiennent et lui sont unies,
lesquelles ne s’opposent pas à la perfection de la fin, comme les
dispositions de la matière qui demeurent lorsque la matière est unie à la
forme substantielle ; et pour ces choses il y aura usage dans la
patrie : par exemple, les perfections naturelles, les sept dons de
l’Esprit-Saint et d’autres choses qui par nature n’impliquent pas une
imperfection. Mais d’autres choses sont ordonnées à la fin comme
l’éloignement par rapport à la fin, le mouvement et d’autres choses de cette
sorte, lesquelles sont incompatibles avec la fin en raison de leurs
imperfections et c’est pourquoi il n’y aura pas usage de ces choses dans la
patrie comme ce sera le cas pour les peines, les actes de foi et d’espérance,
les aliments corporels et les choses de cette sorte. |
[151]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut
invenimus in processu cognitionis, quod in cognitionem principiorum venit
quis per principiata, quibus tamen habitis, magis ipsa cognoscit quam
principiata ; nec indiget principiatis ad cognitionem principiorum quae jam
per se cognoscit ; neque tamen principiatorum cognitionem amittit ; immo illa
cognitio per principia perficitur : ita est in processu hominis in Deum, qui
per creaturas in Deum venit : quo habito, creaturis non eget ad ipsum
habendum, sed per ipsum venit in perfectum usum omnium aliorum. Sic etiam est in processu
naturae, quod per dispositiones acquiritur forma, quae habita, est principium
omnium accidentium ; et ita est in omnibus aliis invenire. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que le processus que nous
retrouvons pour la connaissance se compare à celui que nous retrouvons pour
l’homme à l’égard de Dieu. Celui en effet qui parvient à la connaissance des
principes au moyen des effets, une fois que ces principes sont possédés, il les
connaît mieux que les effets et il n’a plus besoin des effets pour connaître
ces principes qu’il connaît déjà par soi ; et il ne se dessaisit
cependant pas de la connaissance des effet ; au contraire cette
connaissance est rendue plus parfaite par la connaissance des principes. Et
il en est de même pour l’homme par rapport à Dieu dans le processus par
lequel l’homme vient à Dieu au moyen des créatures : une fois qu’il y
est venu, il n’a plus besoin des créatures pour le posséder, mais au moyen de
Dieu il en vient à un parfait usage de tous les autres êtres. Il en est
encore de même quant à la manière dont procède la nature : la forme est
acquise au moyen des dispositions de la matière, mais une fois acquise, la
forme est principe de tous les accidents. Et il en est encore de même pour
tout le reste. |
[152] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cogitatio volubilis proprie
dicitur quae est per discursum rationis, cui non offertur statim quod quaerit
: unde oportet quod inveniat procedendo ab uno in aliud. Ibi autem statim
sine difficultate occurret in illo divino lumine quidquid quaeretur : unde
etiam homines intelligent intellectu deiformi, sicut et Angeli. Non autem
excluditur successio cogitationum in patria, et multo minus ordo unius ad
alterum, qui etiam sine successione esse potest. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la pensée réfléchie se dit proprement du discours de la raison à
laquelle ne se présente pas immédiatement ce qu’elle recherche : c’est
pourquoi il faut qu’elle mène une recherche en procédant d’une chose à une
autre. Mais dans la patrie s’offrira de façon immédiate et sans
difficulté dans la lumière divine tout ce qui sera
recherché : c’est pourquoi les hommes aussi comprendront par une
intelligence qui a la forme de Dieu et qui sera semblable à celle des Anges.
La succession des pensées n’est cependant pas abolie dans la patrie et encore
moins l’ordre qu’il y a entre une chose et une autre qui peut aussi exister
sans la succession dans le temps. |
[153]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 ad s. c. Aliud concedimus. |
Nous concédons l’argument en sens contraire. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction. 1 |
Circa
litteram quaeritur de hoc quod dicitur : innotuit, sacrae paginae
tractatores circa res vel signa praecipue versari. Videtur enim divisio
esse incompetens : eo quod contingit idem signum esse et rem ; sicut corpus
Christi verum et character in Baptismo. |
On s’interroge sur ce qui est
dit dans le document, à savoir : il est devenu connu que ceux
qui commentent les écritures sacrées traitent principalement des choses et
des signes. Il semble en effet que la division n’est pas juste du fait
qu’il arrive que la chose et le signe soient identiques, tout comme le vrai
corps du Christ et son signe dans le Baptême. |
2. Praeterea, ipsemet dicit
quod omne signum res est ; et ita videtur quod divisio non sit per opposita. |
De plus, lui-même dit que tout signe est une chose ;
et il semble ainsi que la division ne se fait pas par les opposés. |
3. Item, creaturae omnes
sunt signum divinae bonitatis ; et ita videtur quod fere omnia quae in hac
doctrina traduntur sunt signa. |
En outre, toutes les créatures sont le signe de la bonté
divine ; et ainsi il semble que presque tout ce dont on traite dans cette
doctrine soit des signes. |
Ad quod dicendum, quod ista
divisio non est data per oppositas res, sed per oppositas rationes secundum
absolutum et relatum. Signum enim est quod est institutum ad aliquid
significandum : res autem est quae habet absolutam significationem non ad
aliud relatam. Unde non est inconveniens quod idem sit signum et res respectu
diversorum ; sicut etiam idem homo est pater et filius. Unde patet solutio ad
primum. |
Il faut répondre à cela que
cette division n’est pas donnée au moyen de choses opposées, mais au moyen de
définitions qui s’opposent selon l’absolu et le relatif. Un signe en effet
est ce qui est institué pour signifier quelque chose ; mais une chose
est ce qui possède une signification absolue en elle-même et non pas relativement
à quelque chose d’autre. C’est pourquoi il n’y a pas de difficulté à ce
qu’une même réalité soit à la fois signe et chose sous des rapports
différents, comme c’est le cas aussi pour le même homme qui est à la fois
père et fils. C’est pourquoi la solution à la première difficulté est
évidente. |
Ad secundum dicendum, quod
res dupliciter sumitur in processu hujus locutionis ; sumitur enim communiter
pro omni ente ; et sic omne signum est res : sumitur etiam magis stricte pro
eo quod est res tantum et non signum, et sic contra signum dividitur. |
Pour ce qui est de la deuxième difficulté, il faut dire
que le terme ¨chose¨ se prend de deux manières dans la façon dont on procède
dans ce discours ; il se prend en effet en un sens large, communément,
pour tout ce qui existe, et en ce sens tout signe est une chose ; mais
il se prend aussi en un sens plus étroit pour ce qui n’est que chose et non
signe, et en ce sens le terme ¨chose¨ s’oppose à signe dans la division. |
Ad tertium dicendum, quod
quamvis creaturae sint signum alicujus, nihilominus tamen ad hoc
principaliter non sunt institutae : et ideo non continentur sub signis, nisi
secundum quid. |
Pour ce qui est de la troisième difficulté il faut dire que bien que les créatures soient le signe de quelque chose, ce n’est cependant pas dans ce but qu’elles ont été établies principalement : et c’est pourquoi les craétures ne sont pas contenues dans les signes comme une de leurs parties, si ce n’est sous un certain rapport. |
Deinde quaeritur de hoc
quod dicitur : et primo de rebus, postea de signis disseremus.
Videtur enim quod prius agendum est de signis. Res enim per signa discuntur,
ut in littera dicitur. Ergo per cognitionem signorum devenimus in cognitionem
rerum. |
On s’interroge ensuite sur ce
qui est dit ici : et en premier lieu nous traiterons de choses
et par la suite des signes. Il semble en effet qu’il faut d’abord traiter
des signes. C’est en effet au moyen des signes que les choses sont enseignées
ainsi que le dit le texte. C’est donc par la connaissance des signes que nous
parvenons à la connaissance des choses. |
Ad quod dicendum, quod hoc
sequitur, quando signa et res sunt ejusdem ordinis, scilicet quod prius
determinandum est de signis quam de rebus quae per illa signa significantur.
Sic autem non se habent signa sacramentalia ad ea de quibus in primis tribus
libris agitur. Vel dicendum, quod alius est ordo
servandus in accipiendo cognitionem, et tradendo. Accipiens enim cognitionem
procedit de signis ad signata, quasi modo resolutorio, quia signa magis sunt
nota quo ad ipsum ; sed tradens cognitionem signorum, oportet quod res ante
signa manifestet, eo quod signa sumuntur per similitudinem ad res : unde
oportet praecognoscere res ad cognitionem signorum, ad quarum similitudinem
sumuntur. |
Il faut répondre à cela que
cette conclusion s’ensuit quand les signes et les choses sont du même ordre,
c’est-à-dire quand il faut traiter des signes avant les choses qui sont
signifiées par ces signes. Mais ce n’est pas de cette manière que se
présentent les signes sacramentels par rapport aux choses dont on traite dans
les trois premiers livres. Ou bien il faut dire que l’ordre à observer pour
acquérir la connaissance diffère de celui qu’il faut observer pour
l’enseigner. En effet, celui qui acquiert la connaissance procède des signes
pour aller à ce signifié par eux, comme par un mode de résolution, car les
signes sont plus connus par rapport à lui ; mais en enseignant la
connaissance des signes, il faut manifester les choses avant les signes du
fait que les signes sont tirés de leur ressemblance aux choses : par
conséquent il faut connaître les choses avant de connaître les signes qui
sont choisis d’après leurs ressemblances aux choses. |
Deinde quaeritur de hoc quod dicit : nos sumus
quasi inter utrasque constituti. Videtur enim ex hoc quod homo sit medium
inter utibilia et fruibilia : cujus contrarium videtur ex hoc quod virtus
continetur inter utibilia. Virtus autem est de maxime bonis, secundum
Augustinum, quibus nullus male utitur. Naturales autem potentiae sunt media
bona, quibus aliquis male potest uti, et bene : et ita videtur quod virtutes
sunt supra hominem. |
On s’interroge ensuite sur ce
qu’il dit : nous sommes constitués comme entre chacun des deux.
Il semble en effet d’après ces paroles que l’homme se situe entre les objets
d’usage et ceux de jouissance : mais il semble qu’il n’en soit pas ainsi
du fait que la vertu se prend parmi les objets d’usage. Mais la vertu se
trouve parmi les plus grands biens d’après Augustin, biens dont nul ne peut
mal user. Mais les puissances naturelles sont des biens intermédiaires dont
chacun peut bien ou mal user, de sorte qu’il semble que les vertus soient des
biens supérieurs à l’homme. |
Ad quod dicendum, quod ordo
bonorum dupliciter potest considerari. Aut per comparationem ad rectitudinem
vitae ; et hoc modo virtus, quae est sicut causa per se talis rectitudinis,
est maximum bonum ; potentia autem naturalis, quae est sicut materiale ad
talem rectitudinem, est medium ; et res aliae quae sunt exterius
adminiculantes, sunt minima bona. Potest etiam considerari ordo bonorum
secundum progressum in beatitudinem, et hoc modo ipsum beatificans erit
maximum bonum, et participans beatitudinem erit medium, et disponens ad ipsam
erit minimum. |
Il faut répondre à cela que
l’ordre des biens peut être considéré de deux manières : soit par
rapport à la rectitude de vie et en ce sens la vertu, qui est comme la cause
par soi d’une telle rectitude, est le plus grand bien ; mais la
puissance naturelle, qui est comme la cause matérielle d’une telle rectitude,
est un bien intermédiaire ; et les autres choses, qui sont comme des
aides extérieures, sont les moindres biens. On peut aussi considérer l’ordre
des biens d’après le cheminement vers la béatitude et en ce sens cela même
qui rend bienheureux est le plus grand bien, cellui qui participe de la
béatitude est le bien intermédiaire et ce qui dispose à la béatitude est le
moindre bien. |
Item quaeritur de hoc
: res aliae sunt quibus fruendum est, aliae quibus utendum est, aliae
quae fruuntur et utuntur. Omne enim quod est, vel est finis, vel est ad
finem. Sed fruibile habet rationem finis, utibile autem
rationem eorum quae sunt ad finem. Ergo utibile et fruibile sufficienter
dividunt res, et ita tertium membrum superfluit, praecipue cum ipse post
dicat, quod hominibus, qui utentes et fruentes sunt, utendum est. |
On s’interroge en outre sur ces paroles : autres
sont les choses dont il faut jouir, autres celles dont il faut user et autres
enfin sont celles dont il faut à la fois jouir et user. En effet, tout ce
qui existe est soit une fin, soit ce qui est en vue de la fin. Mais l’objet
de jouissance a raison de fin alors que l’objet d’usage a raison de ce qui
est en vue de la fin. Donc, l’objet d’usage d’une part et l’objet de
jouissance d’autre part divisent les choses de manière satisfaisante et ainsi
le troisième membre de la division est superflu, principalement parce que
lui-même dit par la suite qu’il faut user des hommes qui sont à la fois ceux
qui font usage et ceux qui jouissent. |
Ad quod dicendum, quod aliquid
est ad finem ordinatum dupliciter : vel sicut progrediens in finem ; et hoc
modo fruens et utens est ad finem : vel sicut via in finem ; et hoc modo
utibile est ad finem : unde utibile non comprehendit omnia quae sunt ad
finem, nisi valde large acceptum. Nec est inconveniens, si idem contineatur
sub duobus membris, cum divisio sit data per oppositas rationes, et non per
oppositas res. |
Il faut répondre à cela
qu’une chose est ordonnée à une fin de deux manières : soit à la manière
de ce qui progresse vers la fin, et en ce sens ce qui jouit et use est en vue
de la fin ; soit à la manière d’un chemin vers la fin et c’est en ce
sens que l’objet d’usage est ordonné à la fin : et c’est pourquoi
l’objet d’usage ne comprend pas en soi tout ce qui est ordonné à la fin, à
moins qu’on ne le prenne assurément au sens large. Et il n’y a pas de
difficulté à ce que la même chose soit contenue dans deux parties différentes
d’une même division, puisque la division se donne ici au moyen de deux
raisons opposées et non pas au moyen de deux choses opposées. |
Item quaeritur de hoc : uti vero est id quod in
usum venerit referre ad obtinendum illud quo utendum est. Videtur quod
male notificet : quia usum non est magis notum quam uti ; et ita videtur quod
definitio non sit per magis nota. |
De plus on s’interroge sur ceci : mais user,
c’est ce qui viendra à être reporté, dans l’usage qu’on en fait, à
l’obtention de ce dont il faut user. Mais il semble que la définition
soit mal faite car le terme ¨usage¨ n’est pas plus connu que le terme
¨user¨ ; et il semble ainsi que la définition ne procède pas au moyen de
ce qui est plus connu. |
Ad quod dicendum, quod
totum hoc quod dicitur : id quod in usum venerit, ponitur loco
unius dictionis, et est circumlocutio hujus quod dico utibile, quod est
objectum hujus actus uti. Actus autem convenienter per suum objectum
definitur. |
Il faut répondre à cela que l’ensemble de ce qui est dit, à savoir : ce qui viendra dans l’usage, est posé au lieu d’un terme unique, et est une locution qui remplace le terme ¨l’utile¨, lequel désigne l’objet de l’acte d’user. Mais un acte est défini correctement au moyen de son objet. |
Item quaeritur de hoc
: non enim facile potest inveniri nomen quod tantae excellentiae
conveniat, quae sit causa hujus dicti. Ad quod dicendum, quod nos
imponimus nomina rebus secundum quod veniunt in cognitionem nostram ; et quia
nos cognitionem accipimus a rebus creatis, imponimus nomina secundum modum
rerum creatarum. Ea autem quae sunt in creaturis, non sunt per eumdem modum
in Deo, sed excellentiori modo ; ideo nomina quae nos imponimus, non sunt
sufficientia ad significandum Deum, sicut patet quod nomina significantia in
abstracto, significant quid imperfectum non per se subsistens, ut humanitas,
vel albedo ; concreta autem significant quid compositum, quorum neutrum
divinae convenit nobilitati. |
On s’interroge par ailleurs
sur ce qui est dit ici : on ne peut en effet découvrir facilement le nom
qui convient à un bien d’une telle excellence et qui serait la cause de ce
qui est dit. Il faut répondre à cela que nous imposons les noms aux choses
selon qu’elles viennent à être connues de nous ; et parce que nous
acquérons les connaissances à partir des choses créées, nous imposons les
noms d’après le mode des choses créées. Mais ce qu’on retrouve dans les
choses créées n’existe pas de la manière en Dieu, mais selon d’une manière
plus excellente ; et c’est pour cette raison que les noms que nous
imposons ne signifient pas Dieu d’une manière qui lui est adéquate, comme on
le voit pour les noms qui signifient d’une manière abstraite, lesquels
signifient quelque chose d’imparfait qui ne subsiste pas par soi, comme
l’humanité et la blancheur ; et les noms concrets pour leur part
signifient quelque chose qui existe par soi mais qui est composé : on
voit donc bien qu’aucune de ces deux sortes de noms n’est parfaitement
ajustée à l’excellence de Dieu. |
Item quaeritur de hoc
: tanto nostram peregrinationem et tolerabilius sustinemus, et
ardentius finire cupimus. Videtur enim contrarium, per id quod dicitur Proverb. 13,
12 : spes quae differtur, affligit animam. Et ita per hoc quod in
speculo cognoscimus, et praesentiam desideramus, intolerabilius absentiam
sustinemus. |
On s’interroge en outre sur ceci : et nous supportons d’autant plus notre pèlerinage et nous désirons d’autant plus vivement le terminer. Il se semble que ce soit le contraire qui soit vrai selon ce qu’on en dit au livre des Proverbes (13, 12) : l’espoir qui est reporté attriste l’âme. Et ainsi du fait que nous Le connaissons comme par un miroir, nous en désirons la présence et en supportons l’absence d’une manière plus intolérable. |
Ad quod dicendum, quod
inquantum spes est desiderati absentis, sic est causa afflictionis ;
inquantum autem res desiderata per spem et imperfectam cognitionem aliquo
modo efficitur praesens, sic affert quamdam delectationem. |
Il faut répondre à cela que
dans la mesure où l’espoir se rapporte à un objet désiré qui est absent, cet
espoir est cause d’affliction ; mais dans la mesure où la chose désirée
est rendue présente d’une certaine manière par l’espoir et une connaissance
imparfaite, elle apporte alors une certaine délectation. |
Deinde quaeritur de hoc
quod dicit : notandum quod idem Augustinus (...) aliter quam supra,
accipiens uti et frui, sic dicit". Unius enim unica est definitio,
sicut et esse. Ergo de uti et frui non debent dari multae definitiones. |
On s’interroge ensuite sur ce qu’il dit ici : Il faut remarquer que le même Augustin (…) concevant autrement qu’il ne l’a fait plus haut l’usage et la jouissance, parle ainsi. Pour une même chose en effet il n’y a qu’une seule définition tout comme il n’y a qu’une seule existence. On ne doit donc pas donner plusieurs définitions de l’usage et de la jouissance. |
Ad quod dicendum, quod si
inveniretur aliqua definitio quae diceret esse rei secundum comparationem ad
omnes causas ipsius proprias, esset perfectissima, et una tantum ; sed
inveniuntur definitiones notificantes esse rei plures secundum diversas
causas. Unde aliqua datur per causam finalem, quaedam per formalem, et sic de
aliis. Inveniuntur etiam aliae notificationes sumptae ex proprietatibus
consequentibus esse rei, et tales etiam possunt esse plures. |
Il faut répondre à cela que
si on rencontrait une définition qui exprimerait l’existence de la chose
d’après un rapport à toutes ses causes propres, ce serait là sa définition la
plus parfaite et la seule définition. Mais on rencontre des définitions qui
font connaître l’existence de la chose d’après des causes différentes. Il est
donc possible de donner pour une même chose une définition par la cause
finale, une autre par la cause formelle et il en est de même pour les autres.
Il se rencontre même d’autres définitions tirées des propriétés qui découlent
de l’existence de la chose et celles-là aussi peuvent être nombreuses. |
Dicendum ergo, quantum ad
praesens pertinet, quod prima definitio de frui, scilicet, frui est
amore alicui rei inhaerere propter seipsam, datur per comparationem ad
objectum, et habitum elicientem actum ; secunda autem, scilicet, fruimur
cognitis in quibus ipsis propter se voluntas delectata conquiescit, datur
per comparationem ad potentiam cujus est actus secundum ordinem ad potentiam
praecedentem, scilicet cognitivam ; tertia, scilicet, frui est uti
cum gaudio, non adhuc spei, sed jam rei, datur per proprietatem
consequentem actum, inquantum perfectus est, scilicet gaudium de re habita.
Similiter dicendum quod prima definitio de uti, scilicet, uti est
referre quod in usus venerit, ad obtinendum id quo fruendum est, datur
per comparationem ad objectum et ad finem de uti proprie dicto : alia autem,
scilicet, uti est assumere aliquid in facultatem voluntatis,
datur de uti communiter sumpto per comparationem ad potentiam operantem et
universaliter moventem. |
Il faut donc dire, quant à ce
qui se rapporte au propos actuel que la première définition de la jouissance,
à savoir que jouir c’est s’attacher à une chose pour elle-même par
amour, est donnée ici par rapport à l’objet même de la jouissance et à
l’habitus qui fait naître l’acte ; mais la deuxième, à
savoir : nous jouissons des choses connues dans lesquelles la
volonté se repose pour elles-mêmes avec complaisance, est donnée par
rapport à la puissance dont elle est l’acte conformément à un rapport à la
puissance qui précède, c’est-à-dire la puissance cognitive ; la
troisième, à savoir que jouir, c’est user avec joie, non pas la joie
de l’espérance, mais celle de la chose déjà possédée, se donne par la
propriété qui découle de l’acte dans la mesure où cet acte est parfait, à
savoir la joie qui découle de la chose possédée. De la même manière il faut
dire que la première définition de l’usage, à savoir que user,c’est
ce qui viendra à être reporté, dans l’usage qu’on en fait, à l’obtention de
ce dont il faut jouir, est donnée par rapport à l’objet et à la fin
de l’usage proprement dit ; mais l’autre, à savoir que user
c’est disposer d’une chose au gré de la faculté de la volonté, est donnée
au sujet de l’usage pris communément par rapport à la puissance qui pose
l’opération et qui meut universellement. |
Deinde
circa hoc quod dicit : neque tamen sic utitur nobis ut nos aliis
rebus, notandum quod ostendit differentiam usus nostri ad usum divinum in
duobus : scilicet in hoc quod nos referimus usum nostrum, quo operamur circa
res, ad utilitatem nostram ; ille vero non ad utilitatem suam, sed
nostram. Item ipse refert usum suum, quo rebus utitur, ad
bonitatem suam ; nos vero non ad bonitatem nostram, sed ipsius. |
Ensuite, par rapport à ce
qu’il dit ici: et il n’use pas de nous de la même manière que nous
usons des autres choses, il faut remarquer qu’il manifeste une double
difference entre notre usage et l’usage divin: à savoir que notre usage, par
lequel posons des operations sur les choses, nous le rapportons à notre
utilité propre alors que Lui ne rapporte pas son usage à son utilité propre
mais à la nôtre. De plus, Lui-même attribute à sa bonté son usage par lequel
il se sert des choses alors que nous n’attribuons pas notre usage à notre
bonté mais à la sienna. |
Et hoc ostendit in operibus
misericordiae primo, et planum est : et secundo in operibus creationis : ipse
enim propter bonitatem suam fecit nos ; et ideo dicit : quia bonus
est, sumus; et ex eo quod sumus, habemus bonitatem : et hoc prodest
nobis. [Unde dicit : "inquantum est, boni sumus" om. Éd. De
Parme]. Et sic patet quod hoc opus est ad nostram utilitatem. Tertio
ostendit in opere justitiae ; ipse enim punit nos propter bonitatem suam ; et
ideo dicit : quia justus est, non impune mali sumus : quia
justitia ejus bonitas ejus est. Hoc etiam ad utilitatem nostram cedit ; quia
ad hoc punimur pro malo, ut a malo recedamus, et ita a non esse : propter
quod dicit : inquantum mali sumus, minus sumus ; quia quanto
magis mali sumus, minus sumus : malum enim est privatio ; unde quanto
multiplicatur in nobis, tanto elongat nos ab esse perfecto. |
Et il manifeste cela en premier lieu dans les œuvres de miséricorde, et cela est évident, puis il le manifeste en deuxième lieu dans les œuvres de la création : en effet, c’est à cause de sa bonté qu’il nous a faits et c’est pourquoi il dit : parce qu’il est bon, nous sommes; et du fait que nous sommes, nous avons de la bonté : et cela nous est utile. [De là il dit : ¨parce qu’il est, nous sommes bons¨]. Et ainsi il est clair que cette œuvre de la création est à notre avantage. En troisième lieu il le montre par l’œuvre de la justice ; c’est Lui-même en effet qui nous punit à cause de sa bonté et c’est pourquoi il dit : parce qu’il est juste, ce n’est pas impunément que nous sommes méchants : parce que sa justice est sa bonté. Et cela aussi tourne à notre avantage ; car nous sommes punis pour le mal que nous avons fait afin que nous nous en détachions et qu’ainsi nous nous détachions aussi du non-être ; et c’est pour cette raison qu’il dit : dans la mesure où nous sommes mauvais, nous avons moins d’être ; car nous avons d’autant moins d’être que nous sommes plus mauvais ; le mal en effet est une privation ; pour cela, le mal nous éloigne d’autant plus d’une existence parfaite qu’il grandit en nous |
Deinde quaeritur de hoc quod dicit : item
quia bonus est, sumus. Videtur enim esse falsum : sicut enim dicit
Boetius, si removeatur per intellectum bonitas a Deo, adhuc remanebunt alia
entia et alia, sed non bona. Ergo non quia bonus est, sumus. |
Ensuite on s’interroge sur ce
qu’il dit ici : en outre, parce qu’il est bon, nous sommes.
Cela semble faux en effet : en effet, tout comme le dit Boèce, si notre
intelligence retire de Dieu la bonté, il restera encore d’autres êtres, mais
non de bons êtres. Ce n’est donc pas parce qu’il est bon que nous sommes. |
Respondeo dicendum, quod
opera divina possunt comparari ad divina attributa sicut ad causam
efficientem exemplarem ; et hoc modo sapientia creaturae est a sapientia Dei,
et esse creaturae ab esse divino, et bonitas a bonitate ; et sic loquitur
Boetius (loc. cit.). Sed tamen quia bonitas habet rationem finis, et finis
est causa omnium causarum, ideo omnes istae processiones perfectionum in
creaturas attribuuntur bonitati divinae etiam a Dionysio, (De div. Nom.,)
quamvis a diversis attributis exemplentur. Item quaeritur de hoc quod dicit
: inquantum sumus, boni sumus. Alia enim est ratio boni et entis
; et ita videtur falsum dicere. |
Je réponds qu’il faut dire
que les œuvres divines peuvent se comparer aux attributs divins comme à leur
cause efficiente exemplaire : et en ce sens la sagesse de la créature
vient de la sagesse divine et l’être de la créature procède de l’être divin,
et la bonté de la créature de la bonté divine ; et c’est ainsi que parle
Boèce. Cependant, parce que le bien a raison de fin et que la fin est la
cause de toutes les autres causes, c’est pourquoi toutes ces processions des
perfections dans les créatures sont attribuées à la bonté divine même par
Denys dans Les Noms Divins bien qu’elles se trouvent a être
reproduites là par différents attributs. On s’interroge de plus ce qu’il dit
ici : nous sommes bons dans la mesure où nous sommes. En
effet, la notion du bien diffère de celle de l’être et ainsi il semble faux
de dire cela. |
Respondeo dicendum, quod
quamvis bonum et ens differant secundum intentiones, quia alia est ratio boni
et entis ; tamen convertuntur secundum supposita, eo quod omne esse est a
bono et ad bonum ; unde inquantum non dicit identitatem
intentionis, sed aequalitatem suppositorum boni et entis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que bien que le bien et l’être
diffèrent en tant que notions, car la définition du bien diffère de celle de
l’être, cependant ils se convertissent quant au sujet du fait que tout ce qui
existe vient du bien et est ordonné au bien ; par conséquent, en
ce sens, il n’affirme pas
l’identité des notions, mais l’identité des sujets du bien et de l’être. |
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Distinctio 2 |
Distinction 2 – [L’unité en Dieu] |
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Quaestio 1 |
Qestion unique : [Unité de l’essence divine] |
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Prooemium |
Proème. |
Ad evidentiam eorum quae
hic dicuntur, quinque quaeruntur : 1 de unitate divinae essentiae ; 2 utrum in illa unitate sit
invenire diversitatem attributorum ; 3 utrum pluralitas
rationum, secundum quas attributa differunt, sit aliquo modo in Deo, vel
tantum in intellectu ratiocinantis ; 4 utrum illa unitas
compatiatur pluralitatem personarum ; 5 si compatitur, utrum
pluralitas illa sit pluralitas realis, vel rationis tantum. |
Pour manifester les choses
qui sont dites ici on s’interroge sur cinq points : 1. Sur l’unité de l’essence
divine. 2. Doit- on retrouver dans
cette unité une diversité d’attributs ? 3. Est-ce que la multiplicité
des définitions, d’après lesquelles les attributs diffèrent, se retrouve en
un sens en Dieu ou seulement dans l’intelligence qui raisonne ? 4. Est-ce que cette unité est
compatible avec la pluralité des Personnes ? 5. Si elle est compatible,
est-ce que cette pluralité est réelle ou s’agit-il seulement d’une pluralité
de raison ? |
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Articulus 1 [156] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus sit tantum unus |
Article 1 – N’y a-t-il qu’un seul Dieu ? |
[157]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod non sit necessarium ponere unum Deum. Ab uno enim primo et simplici
procedit tantum unum, secundum philosophum [VIII Physic., text. 49, sive c. VI et VIII
Metaph., text. 15, sive cap. VI]. Sed plures bonitates inveniuntur
participari in creaturis, sicut sapientia, bonitas, pax et hujusmodi. Ergo
videtur quod procedant a pluribus primis principiis, et sic est ponere plures
deos : et hic videtur fuisse error gentilium, ut dicit Dionys. [lib. de div.
Nom., cap XI, § 6], quod etiam patet ex hoc quod ponebant unum Deum
sapientiae, et aliam deam pacem, et sic de aliis. |
Difficultés : 1. On procède de la manière suivante à l’égard de cette première question. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de poser un seul Dieu. En effet, à partir de l’un premier et simple ne procède qu’un seul être d’après le Philosophe [ VIII Physic. Ch. VI ; VIII Metaph. Ch. VI]. Mais plusieurs biens se trouvent à être participés par les créatures, comme la sagesse, la bonté, la paix et les biens de cette sorte. Il semble donc que ces biens procèdent de plusieurs premiers principes, et ainsi il faut poser plusieurs dieux : et telle semble avoir été l’erreur des Gentils comme le dit Denys dans le livre Des Noms Divins [Ch. XI, 6], ce qui apparaît encore clairement du fait qu’ils posaient l’existence d’un dieu de la sagesse, d’une déesse de la paix et ainsi de suite. |
[158]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, sicut dicitur 5
Metaph.,[text. 18] perfectum unumquodque est, quando potest producere sibi
simile in natura. Sed divina essentia est perfectissima. Ergo videtur quod
possit producere aliam essentiam sibi similem, ita quod sint plures divinae
essentiae. |
2. En outre, comme on le dit
au cinquième livre du traité de la Métaphysique, une chose est
parfaite quand elle peut produire ce qui lui est semblable par nature. Mais
l’essence divine est la plus parfaite. Il semble donc qu’elle puisse produire
une autre essence qui lui est semblable, de sorte qu’il y aurait plusieurs
essences divines. |
[159] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, prima materia, quae est pura potentia, est una ;
et quanto formae sibi sunt propinquiores, inveniuntur pauciores numero. Primo
enim perficitur per quatuor formas elementares, post per plurimas formas
mixtorum corporum. Ergo in ultimo remotionis a materia, debet inveniri maxima
pluralitas ; et ita videtur quod, cum Deus sit maxime remotus a materia, et
natura divina sit maxime multiplicata ; et sic sunt plures dii. |
3. En outre la matière
première, qui est pure puissance, est une ; et plus les formes en sont
rapprochées, plus on les retrouve en petit nombre. En premier lieu en effet
la matière première est complétée par les quatre formes élémentaires et par
la suite par les multiples formes des corps mixtes. Donc dans l’éloignement
extrême de la matière, on doit retrouver une multiplicité extrême de formes ;
et il semble ainsi, puisque Dieu est extrêmement éloigné de la matière, que
la nature divine se multiplie à l’extrême et qu’il y ait ainsi plusieurs
dieux. |
[160] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, omnis natura quae invenitur in pluribus
secundum prius et posterius, oportet quod descendat ab uno primo, in quo
perfecte habeatur. Unitas enim principiati attestatur unitati principii,
sicut omnis calor originatur ab uno calidissimo, quod est ignis. Sed entitas
invenitur in pluribus secundum prius et posterius. Ergo oportet esse unum
primum ens perfectissimum, a quo omnia entia habent esse, et hic est Deus.
Est igitur unus Deus. |
Cependant : 1. Toute nature qu’on
retrouve dans plusieurs êtres selon l’avant et l’après doit
provenir d’un seul premier principe dans lequel elle se présente
parfaitement. L’unité de l’effet est en effet confirmée par l’unité du
principe, tout comme toute chaleur tire son origine de ce seul corps le plus
chaud qui est le feu. Mais l’être se retrouve chez plusieurs selon l’avant et
l’après. Il faut donc qu’il y ait un seul être premier absolument parfait,
duquel tous les autres êtres tirent leur être et tel est Dieu. Il n’y a donc
qu’un seul Dieu. |
[161] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, si sint plures dii per essentiam distincti,
oportet quod eorum essentiae dividantur ab invicem essentiali differentia,
sicut quae differunt specie vel genere vel quae differunt numero. Si autem
differunt genere vel specie, oportet quod aliqua differentia differant. Illa
autem differentia aut pertinet ad bonitatem, aut non. Si non, ergo Deus, in
quo erat differentia, non habet puram bonitatem ; et sic non est purum bonum.
Si autem pertinet ad bonitatem, et illa non invenitur in alio, ergo ille in
quo non invenitur non erit perfectus in bonitate. Oportet autem Deum esse
summum bonum, quod sit et purum et perfectum in bonitate. Ergo impossibile
est esse plures deos. |
2. De plus, s’il y avait
plusieurs dieux distincts par leur essence, il faudrait que leurs essences se
distinguent les unes des autres par une différence essentielle, comme les
choses qui diffèrent par l’espèce ou le genre ou qui diffèrent par le nombre.
Mais s’ils diffèrent par le genre ou l’espèce, il faut qu’ils diffèrent par
une différence. Mais cette différence ou bien concerne la bonté ou bien ne la
concerne pas pas. Si elle ne la concerne pas il s’ensuit que le Dieu, dans
lequel était la différence, ne possède pas une pure bonté et ainsi n’est
pas purement bon. Mais si la différence concerne la bonté et que cette
dernière ne se retrouve pas dans l’autre, celui dans lequel elle ne se
retrouve pas ne sera pas parfait en termes de bonté. Mais il faut que Dieu
soit le bien suprême et qu’il soit la bonté pure et parfaite. Il est donc
impossible qu’il y ait plusieurs dieux. |
62] Super Sent., lib. 1 d.
2 q. 1 a. 1 s. c. 3 Si dicatur, quod illa differentia est eadem secundum
speciem in utroque, sed differens numero, contra : quidquid est ejusdem
speciei, non dividitur secundum numerum, nisi secundum divisionem materiae
vel alicujus potentialitatis. Ergo si [ergo et Éd. de Parme] illa differentia
est eadem secundum speciem, differens numero. Oportebit ergo quod in Deo sit
aliquid potentiale, et sic ens diminutum et dependens ad aliud, quod est
contra rationem primi entis. |
3. Mais si on dit que cette différence est la même selon l’espèce chez les deux et qu’ils ne diffèrent que par le nombre, il se présente une difficulté : tout ce qui est de même espèce ne se divise par le nombre que selon une division de la matière ou d’une potentialité. Donc si cette différence est la même selon l’espèce, il n’y a différence que par le nombre. Il faudra donc qu’en Dieu il y ait potentialité et il y aura donc en lui un être diminué et qui dépend d’un autre : et cela est contraire à la notion même d’un être premier. |
[163] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, ejus in quo non differt suum esse et sua
quidditas, non potest participari quidditas sua sive essentia, nisi et esse
participetur. Sed quandocumque dividitur essentia alicujus per
participationem, participatur essentia eadem secundum rationem et non
secundum idem esse. Ergo impossibile est ejus in quo non differt essentia et
esse, essentialem participationem dividi vel multiplicari. Tale autem est
Deus : alias esset suum esse acquisitum ab aliquo. Ergo impossibile est quod
divinitas multiplicetur vel dividatur ; et ita erit unus tantum Deus. |
4. Par ailleurs, pour l’être dans lequel l’existence ne diffère pas de la quiddité, la quiddité ou l’essence ne peut être participée que si l’existence elle-même peut être participée. Mais toutes les fois que l’essence d’une chose est divisée par mode de participation, cette même essence est participée selon la raison et non selon une même existence. Il est donc impossible, pour celui dans lequel l’essence ne diffère pas de l’existence, qu’il y ait division ou multiplication d’une participation essentielle. Mais Dieu est un être de cette sorte : autrement son existence serait acquise à partir d’un autre être. Il est donc impossible qu’il y ait une multiplication ou une division de Dieu et il n’y a donc ainsi qu’un seul Dieu. |
[164]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum omnis
multitudo procedat ex [ab Éd. de Parme] unitate aliqua, ut dicit Dionysius, oportet
universitatis multitudinem ad unum principium omnium [omnium Om. Éd. de
Parme] entium primum reduci, quod est Deus ; hoc enim et fides supponit et
ratio demonstrat. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque tout multiplicité procède d’une unité, ainsi que le dit Denys, il
faut que la multiplicité qu’on retrouve dans l’univers se ramène à un univque
premier principe de tous les êtres qui est Dieu ; et c’est là en effet
ce que la foi affirme et ce que la raison démontre. |
[165] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis bonitates
participatae in creaturis sint differentes ratione, tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera ; sicut in
intelligere includitur vivere, et in vivere includitur esse ; et ideo non
reducuntur in diversa principia, sed in unum. Si etiam ordinem non haberent,
non propter hoc excluderetur unitas primi principii : quia quod in principio
unitum est, in effectibus multiplicatur : semper enim in causa est aliquid
nobilius quam in causato. Unde primum principium licet sit unum et simplex
re, sunt tamen in eo plures rationes perfectionum, ut sapientia, vita
[scilicet sapientiae, vitae Éd. de Parme] et hujusmodi, secundum quas
diversae perfectiones re differentes in creaturis causantur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que bien que les biens dont les créatures participent diffèrent par la
raison, elles sont cependant ordonnées entre elles car l’une comprend l’autre
et l’une se fonde sur l’autre ; par exemple, intelliger est une forme de
vie et la vie est une forme d’existence ; et c’est pourquoi ces biens ne
se ramènent pas à des principes différents mais à un seul. Et même si ces
biens n’étaient pas ordonnés entre eux, l’unité du premier principe ne serait
pas écartée pour cela : car ce qui est uni dans le principe
se trouve à être divisé dans les effets : en effet, quelque
chose existe toujours d’une manière plus noble dans la cause que dans
l’effet. De là, bien que le premier principe soit un et simple en tant
qu’être, il y a cependant en lui plusieurs perfections de natures différentes
comme la sagesse, la vie et d’autres perfections de cette sorte d’après
lesquelles différentes perfections qui diffèrent par la chose sont causées
dans les créatures. |
[166] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc est de perfectione divinae
essentiae, quod sibi similis et aequalis alia essentia esse non potest. Si
enim ab ipsa esset, oporteret quod esse illius esset dependens ab ipsa, et
sic incideret in illam essentiam potentialitas, per quam distingueretur ab
essentia divina, quae est actus purus. Non autem oportet quod quidquid est de
nobilitate creaturae, sit de nobilitate creatoris, quae ipsam
improportionabiliter excedit ; sicut aliquid est de nobilitate canis, ut esse
furibundum, quod esset ad ignobilitatem hominis, ut dicit Dionysius [cap ; Iv
de div. Nom. § 25]. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’il est de la perfection même de l’essence divine qu’il ne puisse
exister une autre essence qui lui serait égale et semblable. Si en effet il
existait une autre essence divine venant d’elle, il faudrait que cette autre
essence divine en soit dépendante et on retrouverait ainsi dans cette autre
essence une potentialité par laquelle elle se distinguerait de
l’essence divine qui est acte pur. Mais il ne faut pas que ce qui fait partie
de l’excellence de la créature se retrouve dans l’excellence du créateur,
cette dernière dépassant la première sans aucune commune mesure : par
exemple, la fureur qui fait partie de l’excellence du chien serait méprisable
si on la retrouvait chez l’homme ainsi que le dit Denys dans Les Noms
Divins (ch. 4). |
[167] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod simplex principium habet rationem unitatis ; et quia materia est potentia tantum, ideo est una numero, non per unam formam quam habeat, sed per remotionem omnium formarum distinguentium ; et per eamdem rationem actus purus et primus est unus, non multiplicabilis sicut materia multiplicatur per adventum formarum, sed omnino impossibilis ad diversitatem. |
3. En troisième lieu il faut
dire qu’un principe simple a raison d’unité ; et parce que la matière
n’est que puissance, c’est pourquoi elle une par le nombre et non par la
possession d’une forme unique, mais par l’éloignement de toutes les formes
qui la distingueraient ; et pour la même raison l’acte pur et premier
est un et ne peut être multiplié, comme la matière se multiplie par la
réception des formes, mais l’altérité lui est absolument impossible. |
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Articulus 2 [168] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Deo sint plura attributa |
Article 2 – Y a-t-il plusieurs attributs en Dieu ? |
[169]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic
proceditur. Videtur
quod in divina essentia non sit pluralitas attributorum. Illud enim est
maxime unum quod omnino a pluralitate removetur. Albius enim est, secundum
philosophum [III Top., cap. VIII], quod est nigro impermixtius. Sed divina
essentia est summe una, quae est principium totius unitatis. Ergo in ea nulla
pluralitas attributorum cadere poterit [potest Éd. de Parme]. |
Difficultés : 1. On procède de la manière suivante pour ce deuxième article. Il semble qu’il n’y ait pas pluralité d’attributs dans l’essence divine. En effet, est suprêmement un ce qui est absolument éloigné de la multiplicité. D’après le Philosophe en effet, dans ses Topiques (3, 8), est plus blanc ce qui est moins mélangé au noir. Mais l’essence divine est suprêmement une, laquelle est principe de toute unité. On ne pourra donc retrouver en elle aucune pluralité d’attributs. |
[170] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, unius simplicis [simplicitatis Éd. de Parme] est
operatio una. Sed divina essentia est una et simplex. Ergo habet
tantum unam operationem. Diversorum autem attributorum sunt operationes diversae, sicut
scientiae scire et voluntatis velle et sic de aliis. Ergo in Deo non
invenitur diversitas attributorum. |
2. En outre, il appartient à un principe un et simple d’avoir une opération simple. Mais l’essence divine est une et simple. Elle ne possède donc qu’une seule opération. Mais des opérations différentes appartiennent à des attributs différents, comme le savoir relève de la science et le vouloir de la volonté et il en est de même pour le reste. On ne retrouve donc pas en Dieu une pluralité d’attributs. |
[171] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut dicit Augustinus, omne quod simpliciter
melius est esse quam non esse, Deo est attribuendum. Sed sapientia, bonitas
et hujusmodi simpliciter sunt melius esse quam non esse. Ergo sunt in Deo. |
Cependant : 1. Comme le dit Augustin,
tout ce qu’il est préférable qu’il existe plutôt que de ne pas exister doit
être attribué à Dieu. Mais il est préférable que la sagesse, la bonté et les
attributs de cette sorte existent plutôt qu’ils n’existent pas. On doit donc
les retrouver en Dieu. |
[172] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne quod dicitur secundum quid, originatur
ab eo quod est simpliciter et absolute. Sed invenimus quaedam esse perfecta
non absolute, sed secundum suam naturam, quaedam plus et quaedam minus. Ergo
oportet esse aliquod perfectum absolute et simpliciter, a quo omnia alia
perficiantur. Sed, sicut dicit philosophus [in V Metaph. , text. 21], perfectum
simpliciter est in quo inveniuntur omnes nobilitates repertae in omnibus
generibus, et Commentator dicit ibidem, quod hoc est Deus. Ergo in Deo est
reperire potentiam, bonitatem, et quidquid aliud est nobilitatis in quacumque
re. |
Par ailleurs, tout ce qui se
dit relativement tire son origine de ce qui se dit simplement et absolument.
Mais nous découvrons que certaines choses sont parfaites non pas absolument
mais d’après leur nature, certaines plus et d’autres moins. Il faut donc
qu’il y ait quelque chose de parfait absolument et simplement, duquel tous
les autres êtres tirent leurs perfections. Mais tout comme le dit le
Philosophe dans sa Métaphysique (V, 16), est parfait absolument ce en quoi se
rencontrent toutes les excellences qu’on découvre dans tous les genres, et le
Commentateur dit au même endroit que c’est cela même qui est Dieu. Il faut
donc retrouver en Dieu la puissance, la bonté et toute autre
excellence qu’on rencontre dans toutes les choses. |
[173]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quidquid est
entitatis et bonitatis in creaturis, totum est a creatore : imperfectio autem
non est ab ipso, sed accidit ex parte creaturarum, inquantum sunt ex nihilo.
Quod autem est causa alicujus, habet illud excellentius et nobilius. Unde
oportet quod omnes nobilitates omnium creaturarum inveniantur in Deo
nobilissimo modo et sine aliqua imperfectione : et ideo quae in creaturis
sunt diversa, in Deo propter summam simplicitatem sunt unum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que tout ce qu’on rencontre d’être et de bonté dans les créatures vient totalement du créateur : mais aucune imperfection ne vient de Lui mais vient des créatures selon qu’elles sont tirées du néant. Mais ce qui est cause de quelque chose le possède en lui d’une manière plus excellente et plus élevée. D’où il faut que toutes les perfections appartenant à toutes les créatures se retrouvent en Dieu d’une manière plus élevée et sans aucune imperfection : et c’est pourquoi ce qui existe dans les créatures dans la diversité n’existe en Dieu que dans l’unité en raison de sa suprême simplicité. |
Sic ergo dicendum est, quod
in Deo est sapientia, bonitas, et hujusmodi, quorum quodlibet est ipsa divina
essentia, et ita omnia sunt unum re. Et quia unumquodque eorum est in Deo
secundum sui verissimam rationem, et ratio sapientiae non est ratio
bonitatis, inquantum hujusmodi, relinquitur quod sunt diversa ratione, non
tantum ex parte ipsius ratiocinantis sed ex proprietate ipsius rei : et inde
est quod ipse non est causa rerum omnino aequivoca, cum secundum formam suam
producat effectus similes, non univoce, sed analogice ; sicut a sua sapientia
derivatur omnis sapientia, et ita de aliis attributis, secundum doctrinam
Dionysii [de div. Nom. Cap. VII]. Unde ipse est exemplaris forma rerum, non
tantum quantum ad ea quae sunt in sapientia sua, scilicet secundum rationes
ideales, sed etiam quantum ad ea quae sunt in natura sua, scilicet attributa. |
Ainsi donc il faut dire qu’en
Dieu on retrouve la sagesse, la bonté et les attributs de cette sorte dont
chacun est l’essence divine et ainsi tous sont un par la chose. Et parce que
chacun de ces attributs est en Dieu selon sa notion la plus vraie et que la
notion de sagesse n’est pas la notion de bonté en tant que telle, il s’ensuit
qu’elles sont différentes par la raison non seulement du côté de celui qui
raisonne mais en raison de la propriété de la chose elle-même : et il
suit de là que Lui-même n’est pas une cause absolument équivoque des choses
puisqu’il produit d’après sa forme des effets qui lui sont semblables non pas
d’une manière univoque, mais d’une manière analogue : par exemple, c’est
de sa sagesse que provient toute sagesse, et il en est de même pour tous ses
autres attributs d’après l’enseignement de denys [Les Noms Divins,
ch. VII]. C’est pourquoi il est Lui-même la forme exemplaire des
choses non seulement quant à ce qui est dans sa sagesse, c’est-à-dire d’après
des notions idéales, mais aussi quant à ce qui est dans sa nature,
c’est-à-dire les attributs. |
Quidam autem dicunt, quod
ista attributa non differunt nisi penes connotata in creaturis : quod non
potest esse : tum quia causa non habet aliquid ab effectu, sed e converso :
unde Deus non dicitur sapiens quia ab eo est sapientia, sed potius res creata
dicitur sapiens inquantum imitatur divinam sapientiam : tum quia ab aeterno
creaturis non existentibus, etiam si nunquam futurae fuissent, fuit verum
dicere, quod est sapiens, bonus et hujusmodi. Nec idem omnino significatur
per unum et per aliud, sicut idem significatur per nomina synonima. |
Certains cependant affirment
que ces attributs ne diffèrent que lorsqu’ils sont exprimés dans les
créatures : ce qui est impossible : tant parce que ce n’est pas la
cause qui tire de l’effet ce qu’elle possède mais c’est l’inverse qui est
vrai ; c’est pourquoi on ne dit pas de Dieu qu’il est sage parce qu’il
tire sa sagesse d’un tel, mais plutôt c’est la chose créée dont on dit
qu’elle est sage en tant qu’elle imite la sagesse divine ; tant parce
que de toute éternité, les créatures n’existant pas, et même si elle
n’avaient jamais existé, il était vrai de dire qu’Il est sage, bon, et
possède les attributs de cette sorte. Et on ne signifie pas absolument la
même chose par l’un et par l’autre de ces termes comme on signifie la même
chose par des noms synonymes. |
[174] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pluralitas attributorum in
nullo praejudicat summae unitati : quia ea quae in aliis sunt ut plura, in eo
sunt unum, et remanet pluralitas tantum secundum rationem, quae non opponitur
summae unitati in re, sed necessario ipsam consequitur, si simul adsit
perfectio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que la multiplicité des attributs n’empêche aucunement l’unité la plus parfaite : car ce qui dans les autres existe dans la multiplicité existe en Lui dans l’unité et ne demeure multiple que selon la raison, ce que n’empêche pas l’unité la plus parfaite selon la chose mais en découle nécessairement, si la perfection est présente simultanément. |
[175] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod operatio Dei est sua essentia.
Unde sicut essentia est una, ita operatio est una in re, sed plurificatur per
diversas rationes : sicut etiam est ex parte essentiae, quae licet sit una,
considerantur tamen in ea plures rationes attributorum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’opération de Dieu est son essence. De là, tout comme l’essence est
une, de même l’opération est une quant à la chose mais elle se multiplie au
moyen des notions différentes tout comme c’est à partir de l’essence
qui, bien qu’elle soit une, que sont cependant considérées en elle les
nombreuses notions des attributs. |
|
|
Quaestio 1 Articulus 3 lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 tit. Utrum pluralitas rationum, quibus attributa differunt,
sit tantum in intellectu, vel etiam in Deo ; |
Article 3 – La pluralité des notions par lesquelles les attributs diffèrent, est-elle seulement dans l’intellect ou aussi en Dieu ? |
lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 1 Circa tertium sic proceditur. Videtur quod pluralitas
rationum secundum quas attributa differunt, nullo modo sit in Deo, sed tantum
in intellectu ratiocinantis. Dicit enim Dionysius [I cap. de div. Nom. § 4, 589 D] Omnem
sanctorum theologorum hymnum invenies ad bonos thearchiae processus,
manifestative, et laudative Dei nominationes dividentem. Et est sensus, quod
nomina quae in laudem divinam sancti assumunt, secundum diversos divinitatis
processus, quibus ipse Deus manifestatur, dividuntur. Ergo ista pluralitas
non est ex parte Dei, sed ex parte diversorum effectuum, ex quibus
intellectus noster Deum diversimode cognoscit et nominat. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de ce troisième article. Il semble que la multiplicité des notions
d’après lesquelles les attributs diffèrent n’existe nullement en Dieu, mais
seulement dans l’intelligence de celui qui raisonne. Denys dit en effet [Les
Noms Divins, 1, & 4, 13, 589] : Tu trouveras toute la
louange des saints théologiens qui distingue clairement et avec évidence les
noms divins par rapport aux bons processus de la théarchie. Et le sens en
est que les noms que ces saints prennent dans la louange divine se divisent
d’après les différents manière dont les créatures procèdent de la divinité et
par lesquelles Dieu se manifeste. Cette multiplicité ne se tient donc pas du
côté de Dieu mais du côté des différents effets à partir desquels notre
intelligence connaît et nomme Dieu de différentes manières. |
lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 2. Praeterea, Dionysius[in Epist. Ad Gajun] dicit : si
aliquis videns Deum, intellexerit quod vidit, non ipsum vidit sed aliquid
eorum quae sunt ejus. Si ergo praedicta nomina differunt secundum diversas
rationes quas de eis intelleximus, istis rationibus nihil respondet quod in
Deo sit, sed in his quae Dei sunt, scilicet creaturis. |
2. Par ailleurs Denys dit
dans sa Lettre à Gaïus : Si quelqu’un, voyant Dieu, comprend
ce qu’il a vu, il comprendra que ce n’est pas Lui qu’il a vu, mais une des
choses qui viennent de Lui. Si donc les noms qui précèdent diffèrent d’après
différentes notions que nous avons comprises à leur sujet, rien de ce qui est
en dieu ne correspond à ces notions, mais c’est plutôt les choses qui
viennent de Dieu, à savoir les créatures, qui y correspondent. |
lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Commentator dicit [XI Metaph., text. 31) loquens de hujusmodi
nominibus, quod multiplicitas, quam ista nomina praetendunt, est in Deo
secundum intellectum, et nullo modo secundum rem. Ergo videtur quod
pluralitas harum rationum sit secundum intellectum nostrum tantum. |
3. Par ailleurs, le
Commentateur dit [Métaphysique XI, 31], en parlant de ces noms que la
multiplicité que ces noms mettent de l’avant est en Dieu seulement selon
l’intelligence et nullement selon la chose. Il semble donc que la multiplicité
de ces notions n’existe que selon notre intelligence. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg.
4 Praeterea, quidquid est in Deo, Deus est. Si ergo istae rationes secundum
quas attributa differunt, sunt in Deo, ipsae sunt Deus. Sed Deus est unus et
simplex. Ergo istae rationes, secundum quod in Deo sunt, non
sunt plures. |
4. Par ailleurs, tout ce qui
est en Dieu est Dieu. Si donc ces notions, d’après lesquelles les attributs
diffèrent, sont en Dieu, ces notions elles-mêmes sont Dieu. Mais Dieu est un
et simple. Donc ces notions, en tant qu’elles sont en Dieu, ne sont pas
multiples. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg.
5 Praeterea, illud quod in se est unum omnibus modis, non est radix alicujus
multitudinis in eo existentis. Sed essentia divina est una omnibus modis,
quia est summe una. Ergo non potest esse radix alicujus multitudinis in ea
existentis. Pluralitas ergo dictarum rationum non radicatur in essentia
divina sed in intellectu tantum. |
5. En outre, ce qui en soi
est un absolument n’est pas la racine d’une multiplicité existant en lui.
Mais l’essence divine est une absolument puisqu’elle est parfaitement une.
Elle ne peut donc être la racine d’une multiplicité existant en elle. Donc,
la multiplicité de ces notions ne s’enracine pas dans l’essence divine mais
dans l’intelligence seulement. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg.
6 Praeterea, Damascenus dicit, quod in Deo omnia sunt unum praeter
ingenerationem et generationem et processionem. Si ergo sapientia et bonitas
et hujusmodi attributa sunt in Deo, secundum quod in ipso sunt, non habent
aliquam pluralitatem. Ergo pluralitas rationum quam nomina significant, non
est in Deo, sed in intellectu nostro tantum. |
6. De plus, Damascène dit
qu’en Dieu toutes les choses sont une au-delà de toute création, de toute
génération et de toute procession. Si donc la sagesse, la bonté et tous les
attributs de cette sorte sont en Dieu, ils ne posséderont aucune multiplicité
en tant qu’ils existeront en Lui. Donc la multiplicité des notions que ces
noms signifient n’existe pas en Dieu lui-même, mais seulement dans notre
intelligence |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c.
1 Sed contra, Dionysius [ult. cap. de div. Nom. § 1] dicit quod Deus dicitur
perfectus sicut omnia in seipso comprehendens ; et hoc est etiam quod
philosophus et Commentator dicit, quod Deus dicitur perfectus, quia omnes
perfectiones quae sunt in omnibus generibus rerum in ipso sunt. Haec autem
perfectio, qua Deus perfectus est, est secundum rem, et non secundum
intellectum tantum. Ergo ista attributa quae perfectionem demonstrant, non
sunt tantum in intellectu, sed in re, quae Deus est. |
Cependant : 1. Denys dit dans le dernier
chapitre des Noms Divins [13, & 1] qu’on dit de Dieu
qu’il est parfait en tant qu’il comprend en Lui toute chose ; et c’est
là ce que disent aussi le Philosophe et le Commentateur, à savoir qu’on dit
de Dieu qu’il est parfait parce qu’existent en Lui toutes les perfections qui
existent dans tous les genres d’êtres. Mais cette perfection par laquelle
Dieu est parfait existe selon la chose, réellement, et non pas seulement selon
l’intelligence. Donc ces attributs qui manifestent la perfection n’existent
pas seulement dans l’intelligence mais dans cette réalité qui est Dieu. |
lib. 1 d.
2 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Dionysius[IX cap. De div. Nom. § 6] dicit,
quod creaturae dicuntur Deo similes, inquantum imitantur Deum, qui perfecte
imitabilis non est a creatura. Ista autem imitatio est secundum
participationem attributorum. Ergo creaturae sunt Deo similes, secundum
sapientiam, bonitatem et hujusmodi. Sed hoc non posset esse, nisi praedicta
essent in Deo secundum proprias rationes. Ergo ratio sapientiae et bonitatis
proprie in Deo est ; et ita hujusmodi rationes non sunt tantum ex parte
intellectus. |
2. De plus, Denys dit au
chapitre 1X des Noms Divins [&6, col. 914, t. 1] qu’on
dit des créatures qu’elles sont semblables à Dieu selon qu’elles imitent Dieu
qui ne peut être imité parfaitement par la créature. Mais cette imitation se
produit d’après une participation des attributs. Donc, les créatures sont
semblables à Dieu d’après la sagesse, la bonté et les attributs de cette
sorte. Mais cela ne peut avoir lieu que si les attributs qui précèdent
existent en Dieu selon la nature qui leur est propre. Donc, la nature de la
sagesse et de la bonté existent proprement en Dieu et ainsi de telles natures
n’existent pas seulement du côté de l’intelligence. |
[185] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, sapientia non dicitur aequivoce de Deo et
creatura ; alias sapientia creata non duceret in cognitionem sapientiae
increatae ; et similiter est de potentia et bonitate et de aliis
hujusmodi. Sed ea quae praedicantur de pluribus secundum rationes
omnino diversas, aequivoce praedicantur. Ergo aliquo modo ratio sapientiae,
secundum quod de Deo dicitur et de creaturis, est una, non quidem per
univocationem, sed per analogiam : et similiter est de aliis. Sed ratio sapientiae,
secundum quod de creaturis dicitur non est eadem ratio cum ratione bonitatis
et potentiae. Ergo etiam secundum quod ista de Deo dicuntur, non sunt
eaedem rationes sed diversae. |
3. En outre, la
sagesse ne s’attribue pas à Dieu et à la créature de manière équivoque :
autrement, la sagesse créée ne conduirait pas à la connaissance de la sagesse
incréée ; et il en est de même pour la puissance, la bonté et tous les
autres attributs de cette sorte. Mais ce qui s’attribue à une multiplicité
d’après des significations totalement différentes s’attribue de manière
équivoque. Donc, d’une certaine manière, la notion de sagesse, selon qu’elle
se dit de Dieu et des créatures, est une : non pas certes d’une manière
univoque, mais par analogie : et il en est de même pour les autres
notions. Mais la notion de sagesse, selon qu’elle se dit des créatures, n’est
pas une notion identique à la notion de bonté ou à celle de puissance. Donc,
même lorsque ces attributs se disent de Dieu, leurs notions ne sont pas
identiques mais différentes. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c.
4 Praeterea, sicut Deus vere est Pater, ita etiam vere est sapiens. Sed ex
hoc quod vere Deus est Pater, non potest dici quod ratio paternitatis sit in
intellectu tantum. Ergo nec ex hoc quod Deus vere est sapiens, potest dici
quod ratio sapientiae sit in intellectu tantum. Sed ratio paternitatis, quae
realiter in Deo est, non est eadem cum ratione divinitatis. Unde nec
paternitate est Deus, nec divinitate est Pater : et tamen ista pluralitas
rationum non tollit simplicitatem divinam, propter hoc quod essentia et
paternitas idem sunt in re. Ergo similiter si ponamus sapientiam et essentiam
esse idem re omnino, et rationes eorum diversas, non tolletur simplicitas
divinae essentiae. Sed divinae essentiae simplicitas est tota causa quare
ista attributa in Deo non differunt. Ergo non est inconveniens ponere, quod
sapientiae et bonitatis ratio in Deo est, et tamen una non est altera, si res
omnino una ponatur. |
4. Par ailleurs, tout comme
Dieu est véritablement Père, de même encore il est véritablement sage. Mais
du fait que Dieu est véritablement Père, on ne peut dire que la notion de
paternité est seulement dans l’intelligence. Donc du fait que Dieu est
véritablement sage, on ne peut dire que la notion de sagesse n’existe que
dans l’intelligence. Mais la notion de paternité, qui existe réellement en
Dieu, n’est pas identique à la notion de divinité. De là, ce n’est pas par la
paternité qu’il est Dieu et ce n’est pas par la divinité qu’il est Père. Et
cependant cette pluralité de notion n’empêche pas la simplicité divine pour
cette raison que l’essence et la paternité sont identiques par la chose. Donc
de même, si nous posions que la sagesse et l’essence sont absolument
identiques par la chose et que leurs notions sont différentes, la simplicité
de l’essence divine ne serait pas supprimée pour autant. Mais la simplicité
de l’essence divine est la seule cause pour laquelle ces attributs ne diffèrent
pas en Dieu. Il n’y a donc pas de difficulté à poser que la notion de sagesse
et de la bonté sont en Dieu et cependant que l’une n’est pas l’autre, si on
pose que la chose est absolument une. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c.
5 Si dicatur quod non est simile de relationibus personalibus et de
attributis essentialibus, quia in Deo non sunt nisi duo praedicamenta,
scilicet substantia et relatio, unde ratio relationis est alia a ratione
substantiae, non tamen ratio sapientiae et aliorum absolutorum est alia a substantia
: Contra. Relatio in divinis habet duplicem comparationem :
unam ad suum correlativum, secundum quam ad aliquid dicitur ; aliam ad
essentiam, secundum quam est idem re cum ea. Sed secundum id quod aliquid est
idem alteri, non facit numerum cum eo. Ergo quod
relationes ad aliud praedicamentum pertineant quam ad praedicamentum
substantiae, est per comparationem ad suum relativum. Ergo adhuc manet eadem
comparatio sapientiae et paternitatis ad essentiam. |
5. Si on dit qu’il n’en est pas de même pour les relations personnelles et pour les attributs essentiels parce qu’en Dieu il n’y a que deux prédicaments, à savoir la substance et la relation et que de ce fait la notion de la relation diffère de celle de la substance et que cependant la notion de la sagesse et des autres attributs essentiels ou absolus ne diffère pas de la substance, il faut répondre à cela que la relation dans les personnes divines se présente sous deux rapports : le premier se présente à l’égard de son corrélatif, selon lequel on l’appelle relatif ; l’autre se présente à l’égard de l’essence, selon lequel il lui est identique par la chose. Mais en tant qu’une chose est identique à une autre, elle ne fait pas nombre avec elle. Donc, que les relations appartiennent à un autre prédicament qu’à celui de la substance, cela est dû au rapport à leurs corrélatifs. Donc, le rapport de la sagesse et de la paternité à l’essence demeure encore le même. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, art. praeced., in corp.,
sapientia et bonitas et omnia hujusmodi sunt omnino unum re in Deo, sed
differunt ratione : et haec ratio non est tantum ex parte ipsius
ratiocinantis, sed ex proprietate ipsius rei. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, ainsi que nous l’avons dit plus haut dans le corps de l’article
précédent, la sagesse et la bonté, ainsi que tous les attributs de cette
sorte sont absolument un par la chose en Dieu, mais ils diffèrent par la
notion : et cette notion ne se tient pas seulement du côté de celui-là
même qui raisonne, mais du côté de la propriété de la chose elle-même. |
Ad cujus rei evidentiam, ut
diligenter explicetur, quia ex hoc pendet totus intellectus eorum quae in 1
libro dicuntur, quatuor oportet videre. Primo quid sit ratio
secundum quam dicimus attributa ratione differre. Secundo quomodo dicatur
aliqua ratio in aliqua re esse vel non esse. Tertio utrum istae rationes
diversae attributorum sint in Deo vel non. Quarto utrum pluralitas
istarum rationum sit tantum ex parte intellectus nostri vel aliquo modo ex
parte rei. |
Pour expliquer cela avec plus
de soin pour en avoir davantage l’évidence, car c’est de cela que dépend
toute la compréhension des choses dont on traite dans ce premier livre, il
faut saisir quatre points. En premier lieu il faut voir
quelle est la raison pour laquelle nous disons que les attributs diffèrent
par la raison. En deuxième lieu comment on
dit qu’une notion existe ou n’existe pas dans une chose. En troisième lieu il faut
voir si ces notions différentes des attributs existent ou non en Dieu. En quatrième lieu il faut
voir si la multiplicité de ces notions existe seulement du côté de notre
intelligence ou d’une certaine manière aussi du côté de la chose. |
Quantum ad primum pertinet,
sciendum est, quod ratio, prout hic sumitur, nihil aliud est quam id quod
apprehendit intellectus de significatione alicujus nominis : et hoc in his
quae habent definitionem, est ipsa rei definitio, secundum quod philosophus
dicit [IV Metaph., text ; 11] : Ratio quam significat nomen est definitio.
Sed quaedam dicuntur habere rationem sic dictam, quae non definiuntur, sicut
quantitas et qualitas et hujusmodi, quae non definiuntur, quia sunt genera
generalissima. Et tamen ratio qualitatis est id quod significatur nomine
qualitatis ; et hoc est illud ex quo qualitas habet quod sit qualitas. Unde non
refert, utrum illa quae dicuntur habere rationem, habeant vel non habeant
definitionem. Et sic patet quod ratio sapientiae quae de Deo dicitur, est id
quod concipitur de significatione hujus nominis, quamvis ipsa sapientia
divina definiri non possit. Nec tamen hoc nomen ratio significat ipsam
conceptionem, quia hoc significatur per nomen sapientiae vel per aliud nomen
rei ; sed significat intentionem hujus conceptionis, sicut et hoc nomen
definitio, et alia nomina secundae impositionis. |
Quant à ce qui appartient au premier point, il faut savoir que le terme ¨notion¨, tel qu’il est pris ici, n’est rien d’autre que ce qu’appréhende l’intelligence au sujet de la signification d’un nom : et cela, pour les choses qui ont une définition, est la définition de la chose elle-même, selon ce qu’en dit le Philosophe dans sa Métaphysique [Livre IV, text. 11] : la notion signifiée par le nom est la définition. Mais il y a des réalités dont on dit qu’elles ont une telle notion mais qui ne sont pas définies, comme la quantité et la qualité, car elles sont les genres les plus universels. Et pourtant la notion de la qualité est ce qui est signifié par le nom de qualité et c’est là ce par quoi la qualité est une qualité. De là, il n’importe pas que ce qu’on dit avoir une notion ait ou non une définition. Et ainsi il est clair que la notion de sagesse qui est attribuée à Dieu est ce qu’on conçoit au sujet de la signification de ce nom, bien que la sagesse divine elle-même ne puisse être définie. Et cependant ce nom de notion ne signifie pas la conception elle-même, car cela est signifié par le nom de sagesse ou par un autre nom de la chose ; mais il signifie plutôt l’intention de cette conception, comme ce nom de définition et les autres noms de la seconde imposition.
|
Et ex hoc patet secundum,
scilicet qualiter ratio dicatur esse in re. Non enim hoc dicitur, quasi ipsa
intentio quam significat nomen rationis, sit in re ; aut etiam ipsa
conceptio, cui convenit talis intentio, sit in re extra animam, cum sit in
anima sicut in subjecto : sed dicitur esse in re, inquantum in re extra
animam est aliquid quod respondet conceptioni animae, sicut significatum
signo. |
Et c’est à partir de là que
le deuxième point devient clair, à savoir de quelle manière on dit
qu’une notion existe dans la chose. En effet, on ne dit pas cela comme si
l’intention elle-même que signifie le nom de notion existait dans la chose ou
comme si encore la conception elle-même à laquelle appartient telle intention
existait dans la chose en dehors de l’âme, puisque cette conception existe
dans l’âme comme dans son sujet ; mais on dit qu’elle existe dans la
chose dans la mesure où dans la chose, en dehors de l’âme, il y a quelque
chose qui correspond à la conception de l’âme, tout comme le signifié
correspond au signe. |
Unde sciendum, quod ipsa
conceptio intellectus tripliciter se habet ad rem quae est extra animam. |
De là, il faut savoir que la
conception même de l’intelligence se rapporte de trois façons à la chose qui
est en dehors de l’âme. |
Aliquando enim hoc quod
intellectus concipit, est similitudo rei existentis extra animam, sicut hoc
quod concipitur de hoc nomine homo ; et talis conceptio intellectus habet
fundamentum in re immediate, inquantum res ipsa, ex sua conformitate ad
intellectum, facit quod intellectus sit verus, et quod nomen significans
illum intellectum, proprie de re dicatur. |
Parfois en effet cela même
que l’intelligence conçoit est une similitude de la chose qui existe en
dehors de l’âme, comme ce que l’intelligence conçoit au sujet de ce nom
homme ; et une telle conception de l’intelligence a un fondement dans la
chose d’une manière immédiate, dans la mesure où la chose elle-même, du fait
de sa conformité à l’intelligence, fait que l’intelligence est dans le vrai
et que le nom signifiant cette conception se dit proprement de la chose. |
Aliquando autem hoc quod
significat nomen non est similitudo rei existentis extra animam, sed est
aliquid quod consequitur ex modo intelligendi rem quae est extra animam : et
hujusmodi sunt intentiones quas intellectus noster adinvenit ; sicut
significatum hujus nominis genus non est similitudo alicujus rei extra animam
existentis ; sed ex hoc quod intellectus intelligit animal ut in pluribus
speciebus, attribuit ei intentionem generis ; et hujusmodi intentionis licet
proximum fundamentum non sit in re sed in intellectu, tamen remotum
fundamentum est res ipsa. Unde intellectus non est falsus, qui has
intentiones adinvenit. Et simile est de omnibus aliis qui consequuntur ex
modo intelligendi, sicut est abstractio mathematicorum et hujusmodi. |
Parfois cependant ce que
signifie le nom n’est pas une similitude de la chose qui existe en dehors de
l’âme mais est quelque chose qui découle de la manière de saisir la chose qui
est en dehors de l’âme : et les intentions que notre intelligence
découvre sont quelque chose de cette sorte ; par exemple la
signification du nom genre n’est pas une similitude d’une chose qui existe en
dehors de l’âme ; mais du fait que l’intelligence saisit la notion
d’animal comme existant dans plusieurs espèces, il lui attribue l’intention
de genre ; et bien que le fondement prochain d’une telle intention n’est
pas dans la chose mais dans l’intelligence, cependant le fondement éloigné
est la chose elle-même. De là, l’intelligence qui découvre ces intentions
n’est pas dans le faux. Et il en est de même pour toutes les autres notions
qui découlent de la manière de comprendre, comme on peut le voir dans les
abstractions mathématiques et les représentations de cette sorte. |
Aliquando vero id quod
significatur per nomen, non habet fundamentum in re, neque proximum neque
remotum, sicut conceptio Chimerae : quia neque est similitudo alicujus rei
extra animam, neque consequitur ex modo intelligendi rem aliquam naturae : et
ideo ista conceptio est falsa. Unde patet secundum, scilicet quod ratio
dicitur esse in re, inquantum significatum nominis, cui accidit esse
rationem, est in re : et hoc contingit proprie, quando conceptio intellectus
est similitudo rei. |
Mais parfois ce qui est signifié par le nom n’a dans la chose ni un fondement prochain, ni un fondement éloigné, comme la conception ¨chimère¨ : car cette conception n’est pas une similitude d’une chose qui existe en dehors de l’âme et elle ne découle pas de la manière de comprendre une chose ayant une nature ; et c’est pourquoi cette conception est fausse. C’est pourquoi le deuxième point est clair, à savoir qu’on dit qu’une notion existe dans une chose dans la mesure où la signification du nom, à laquelle correspond la notion, existe dans la chose ; et cela se produit à proprement parler quand la conception de l’intelligence est une similitude de la chose. |
Quantum ad tertium,
scilicet utrum rationes attributorum in Deo sint, sciendum est, quod circa hoc
videtur esse duplex opinio. Quidam enim dicunt, ut Avicenna [lib. de
intelligen.] et Rabbi Moyses [lib. I, cap. LVII et LVIII] quod res illa quae
Deus est, est quoddam esse subsistens, nec aliquid aliud nisi esse, in Deo
est : unde dicunt, quod est esse sine essentia. Omnia autem alia
quae Deo attribuuntur, verificantur de Deo dupliciter, secundum eos : vel per
modum negationis, vel per modum causalitatis. |
Quant au troisième point, à
savoir si les notions des attributs existent en Dieu, il faut savoir qu’à ce
sujet on retrouve deux opinions. Certains en effet, comme Avicenne [Livre sur
l’intelligence] et le Rabin Moïse [Livre 1, ch. LVIII], disent que cette
réalité qui est Dieu est un être subsistant et qu’en Dieu il n’y a rien
d’autre que l’être : et à partir de là ils disent qu’il est un être sans
essence. Mais toutes les autres choses qui sont attribuées à Dieu se
vérifient de Lui de deux manières selon eux : soit par mode de négation
soit par mode de causalité. |
Per modum negationis
dupliciter : vel ad removendum privationem seu defectum oppositum, ut dicimus
Deum sapientem, ut removeatur defectus qui est in carentibus sapientia ; vel
secundum quod aliquid ex negatione consequitur, sicut est de hoc nomine unus,
qui ex hoc ipso quod non est divisus, est unus. |
Par mode de négation de deux manières : soit pour écarter une privation ou un défaut opposé, comme lorsque nous disons que Dieu est sage pour écarter le défaut qu’on retrouve chez ceux qui manquent de sagesse ; soit d’après quelque chose qui découle d’une négation, comme on le voit par exemple pour le nom ¨un¨, qui signifie qu’un être est un par cela même qu’il n’est pas divisé. |
Similiter ex hoc ipso quod
est immaterialis, est intelligens. Unde, secundum
eos, omnia ista nomina potius sunt inventa ad removendum, quam ad ponendum
aliquid in Deo. Item per modum causalitatis dupliciter : vel inquantum
producit ista in creaturis, ut dicatur Deus bonus, quia bonitatem creaturis
influit et sic de aliis ; vel inquantum ad modum creaturae se habet, ut dicatur
Deus volens vel pius, inquantum se habet ad modum volentis vel pii in modo
producendi effectum, sicut dicitur iratus, quia ad modum irati se habet. Et
secundum hanc opinionem sequitur quod omnia nomina quae dicuntur de Deo et
creaturis, dicantur aequivoce, et quod nulla similitudo sit creaturae ad
creatorem ex hoc quod creatura est bona vel sapiens vel hujusmodi aliquid ;
et hoc expresse dicit Rabbi Moyses. |
De la même
manière, par cela même qu’il est immatériel, il est intelligent. De là,
d’après eux, tous ces noms ont plutôt été découverts pour écarter que pour
poser quelque chose en Dieu. En outre
par mode de causalité de deux manières: soit selon qu’il produit ces
attributs dans les créatures, comme lorsqu’on dit que Dieu est bon parce
qu’il répand la bonté dans les créatures et qu’il en est de même pour les
autres attributs; soit dans la mesure où il se presente à la manière de la
créature, comme lorsqu’on dit que Dieu veut ou qu’il est juste, selon qu’Il
se presente à la manière de celui qui veut et qui est juste dans sa façon de
produire son effet, tout comme on dit qu’il est en colère parce qu’il se
presente à la manière de celui qui est fâché. Et d’après cette opinion il
s’ensuit que tous les noms qu’on attribue à la fois à Dieu et aux créatures
s’attribuent de manière équivoque et qu’il n’y a aucune similitude de la
créature au créateur en partant du fait que la créature est bonne, sage ou
possède un attribut de cette sorte; et le Rabin Moïse s’exprime clairement à
ce sujet. |
Secundum
hoc, illud quod concipitur de nominibus attributorum, non refertur ad Deum,
ut sit similitudo alicujus quod in eo est. Unde sequitur quod rationes
istorum nominum non sunt in Deo, quasi fundamentum proximum habeant in ipso,
sed remotum ; sicut nos dicimus de relationibus quae ex tempore de Deo
dicuntur ; hujusmodi enim relationes in Deo secundum rem non sunt, sed
sequuntur modum intelligendi, sicut dictum est de intentionibus. Et sic,
secundum hanc opinionem, rationes horum attributorum sunt tantum in
intellectu, et non in re, quae Deus est ; et intellectus eas adinvenit ex
consideratione creaturarum vel per negationem vel per causalitatem, ut dictum
est. |
D’après
cela, ce qui est conçu au sujet des noms des attributs n’est pas rapporté à
Dieu comme s’il s’agissait d’une similitude de quelque chose qui existerait
en Lui. Il suit de là que les notions de ces noms n’existent pas en Dieu
comme si elles avaient en lui un fondement prochain, mais un fondement
éloigné, tout comme nous le disons pour les relations que nous attribuons à
Dieu à partir du temps; de telles relations en effet n’existent pas en Dieu
selon la chose, mais elles découlent de la manière de comprendre comme nous
l’avons dit au sujet des intentions. Et ainsi, d’après cette opinion, les
notions de ces attributs n’existent que dans l’intelligence et non pas dans
la réalité dont on parle et qui est Dieu; et l’intelligence les découvre à
partir de la considération des créatures soit par la négation, soit par la
causalité ainsi que nous l’avons dit. |
Alii vero dicunt, ut
Dionysius [cap. XIII de div. Nom. § 1] et Anselmus [Monol., cap. III],
quod in Deo praeeminenter existit quidquid perfectionis in creaturis
est. Et
haec eminentia attenditur quantum ad tria : scilicet quantum ad
universalitatem, quia in Deo sunt omnes perfectiones adunatae, quae non
congregantur in aliqua [aliqua una Éd. de Parme] creatura. Item quantum ad
plenitudinem, quia est ibi sapientia sine omni defectu, et similiter de aliis
attributis : quod non est in creaturis. Iterum
[Item Éd. de Parme] quantum ad unitatem ; quae enim in creaturis diversa
sunt, in Deo sunt unum. Et quia in illo uno habet omnia, ideo secundum illud
unum causat omnia, cognoscit omnia et omnia sibi per analogiam similantur. |
Mais
d’autres, comme Denys [Les Noms Divins, ch. XIII, &1] et Anselme
[Monol. Ch. 111], dissent que chacune des perfections qui existent dans les
creatures existe en Dieu d’une manière incomparablement plus élevée. Et cette
élévation doit s’entendre de trois manières: c’est-à-dire premièrement quant
à l’universalité, car en Dieu on retrouve toutes les perfections réunies,
lesquelles ne sont réunies dans aucune creature. En
outre cela doit s’entendre quant à la plenitude car là la sagesse est
présente sans aucun défaut et il en est de même pour les autres
attributs: ce qui n’a pas lieu chez les creatures. De
plus, cette élévation doit s’entendre enfin quant à l’unité; en effet ce qui
est séparé dans les créatures est un en Dieu. Et parce que c’est dans cet
unité qu’il possède tous les êtres, c’est pourquoi c’est d’après cet un qu’il
cause tous les êtres, qu’il les connaît tous et qu’il les rend tous
semblables à lui par analogie. |
Secundum ergo hanc
opinionem, conceptiones quas intellectus noster ex nominibus attributorum
concipit, sunt vere similitudines rei, quae Deus est, quamvis deficientes et
non plenae, sicut est de aliis rebus quae Deo similantur. Unde hujusmodi
rationes non sunt tantum in intellectu, quia habent proximum fundamentum in
re quae Deus est. Et ex hoc contingit quod quidquid sequitur ad sapientiam,
inquantum hujusmodi, recte et proprie convenit Deo. Hae autem opiniones,
quamvis in superficie diversae videantur, tamen non sunt contrariae, si quis
dictorum rationes ex causis assumit dicendi. Quia primi consideraverunt ipsas
res creatas, quibus imponuntur nomina attributorum, sicut quod hoc nomen
sapientia imponitur cuidam qualitati, et hoc nomen essentia cuidam rei quae
non subsistit : et haec longe a Deo sunt : et ideo dixerunt, quod Deus est
esse sine essentia, et quod non est in eo sapientia secundum se. |
Donc d’après cette opinion,
les conceptions que notre intelligence conçoit à partir des noms des
attributs sont véritablement des similitudes de la réalité qui est Dieu, bien
qu’elles soient déficientes et non complètes, comme les autres choses qui
sont semblables à Dieu. De là, de telles notions n’existent pas seulement
dans l’intelligence parce qu’elles possèdent un fondement prochain dans cette
réalité qui est Dieu. Et de là il résulte que tout ce qui découle de la
sagesse en tant que telle appartient de bon droit et proprement à Dieu. Mais
ces opinions, bien qu’elles apparaissent différentes en apparence, ne sont
cependant pas contraires si c’est à partir des causes qu’on
choisit de parler des raisons de ce qui est dit. Car les premiers ont considéré
les choses créées elles-mêmes auxquelles sont imposés les noms des attributs,
tout comme le nom sagesse est imposé à une qualité et le nom essence à une
chose qui ne subsiste pas : et ces choses sont fort éloignées de
Dieu : et c’est pourquoi ils ont dit que Dieu est un être sans essence
et que la sagesse en tant que telle n’existe pas en Lui. |
Alii vero consideraverunt
modos perfectionis, ex quibus dicta nomina sumuntur : et, quia Deus secundum
unum simplex esse omnibus modis perfectus est, qui importantur per hujusmodi
nomina, ideo dixerunt, quod ista nomina positive Deo conveniunt. Sic ergo
patet quod quaelibet harum opinionum non negat hoc quod alia dicit : quia nec
primi dicerent [dicunt Éd. de Parme] aliquem modum perfectionis Deo deesse,
nec secundi qualitatem, aut res non subsistentes in Deo ponerent [ponunt. Éd.
de Parme]. |
Mais les autres ont considéré
les modes de perfection à partir desquels ces noms se tirent ; et, parce
que Dieu, d’après un êre un et simple, est parfait de toutes les manières qui
sont introduites par de tels noms, c’est pourquoi ils ont dit que ces noms
conviennent à Dieu positivement. Ainsi donc, il est clair que chacune de ces
opinions ne nie pas ce que l’autre dit : car les premiers ne diraient
pas qu’un mode de perfection manque à Dieu et les seconds ne poseraient pas
en Dieu une qualité ou des choses qui ne subsistent pas. |
Sic ergo patet tertium,
scilicet quod rationes attributorum sunt vere in Deo, quia ratio nominis
magis se tenet ex parte ejus a quo imponitur nomen, quam ex parte eius cui
imponitur. |
Ainsi donc le troisième point
est clair, à savoir que les notions des attributs existent véritablement en
Dieu car la notion du nom se tient davantage du côté de celui par lequel le
nom est imposé que du côté de ce à quoi il est imposé. |
Quantum vero ad quartum,
scilicet utrum [Et sic patet quartum, quod Éd. de Parme] pluralitas istorum
nominum sit tantum est ex parte intellectus nostri formantis diversas
conceptiones de Deo, quae dicuntur diversae rationes, ut ex dictis, art.
anteced., patet, sed ex parte ipsius Dei, inquantum scilicet est aliquid in
Deo correspondens omnibus istis conceptionibus, scilicet plena et omnimoda
ipsius perfectio, secundum quam contingit quod quodlibet nominum
significantium istas conceptiones, de Deo vere et proprie dicitur ; non autem
ita quod aliqua diversitas vel multiplicitas ponatur in re, quae Deus est,
ratione istorum attributorum. |
Quant au quatrième point, à savoir si la pluralité de ces noms se tient seulement du côté de notre intelligence qui forme les différentes conceptions de Dieu et qu’on appelle les différentes notions ainsi que nous le voyons à partir de ce qui est dit dans l’article précédent, ou si elle se tient du côté de Dieu lui-même, c’est-à-dire dans la mesure où il y a quelque chose en Dieu qui correspond à toutes ces conceptions, c’est-à-dire la perfection pleine et complète de Celui-ci, d’après laquelle il résulte que n’importe quel des noms signifiant ces conceptions s’attribue véritablement et proprement à Dieu ; non pas cependant de telle manière qu’une diversité ou une multiplicité soit posée en la réalité qui est Dieu en raison de ces attributs. |
lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 1 His visis facile est respondere ad objecta. Ad
primum ergo dicendum, quod intentio Dionysii est dicere, quod secundum
diversas bonitates quas creaturis influit Deus nominatur, manifestatur et
laudatur ; non autem ita quod rationes illarum bonitatum ex hoc verificentur
de eo quia creaturis eas influit, sed magis e converso, ut dictum est, in
corp. Quamvis
enim conditio causae cognoscatur ex conditionibus effectus, non tamen
conditio causae verificatur propter conditiones effectus, sed e converso. |
Solutions : 1. Ceci étant vu, il est
facile de répondre aux difficultés. Il faut dire à l’égard de la première
difficulté que l’intention de Denys est de dire que Dieu est nommé, manifesté
et loué d’après les différentes bontés qu’Il répand dans les créatures ;
non pas cependant de telle manière que les notions correspondant à ces bontés
se vérifient de lui du fait qu’il les répand dans les créatures, mais plutôt
il les répand dans les créaturs du fait de sa bonté, ainsi que nous l’avons
dit dans les corps de l’article. Bien en effet que la condition de la cause
est connue à partir ds conditions de l’effet, ce n’est cependant pas la
condition de la cause qui se vérifie à cause des conditions de l’effet, mais
c’est plutôt l’inverse qui est vrai. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 2
Ad secundum dicendum, quod intellectus noster id quod concipit de bonitate
vel de sapientia non refert in Deum quasi in eo sit per modum quo ipse
concipit, quia hoc esset comprehendere ejus sapientiam vel bonitatem ; sed
intelligit ipsam bonitatem divinam, cui aliqualiter simile est quod
intellectus noster concipit, esse supra id quod de eo concipitur. Unde per
hujusmodi conceptiones non videtur ipse Deus secundum quod in se est, sed
intelligitur supra intellectum. Et hoc vult dicere Dionysius in illa
auctoritate. |
Quant à la deuxième difficulté, il faut dire que ce que conçoit notre intelligence au sujet de la bonté ou de la sagesse ne se rapporte pas à Dieu comme si ces conceptions existaient en elle à la manière dont Lui-même les conçoit, car cela reviendrait à comprendre sa sagesse et sa bonté ; mais notre intelligence saisit que la bonté divine elle-même, à laquelle ce que notre intelligence conçoit est semblable d’une certaine manière, est au-delà de ce que nous concevons à son sujet. De là, au moyen des conceptions de cette sorte, Dieu lui-même n’est pas vu tel qu’il est en lui-même mais il est saisi comme étant au-dessus de l’intelligence. Et c’est là ce que veut dire Denys par ce témoignage. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 3
Ad tertium dicendum, quod multiplicitas ista attributorum nullo modo ponitur
in Deo quasi ipse secundum rem sit multiplex ; sed tamen ipse secundum suam
simplicem perfectionem, multitudini istorum attributorum correspondet, ut
vere de Deo dicantur. Et hoc intendit Commentator. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cette multiplicité des attributs n’est en aucune manière posée en
Dieu comme si Lui-même était multiple en réalité ; mais Lui-même
cependant selon sa perfection qui est simple correspond à la multiplicité de
ces attributs de sorte que ces attributs se disent véritablement de Dieu. Et
c’est là ce que le Commentateur cherche à montrer. |
lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut ratio hominis non
dicitur esse in homine quasi res quaedam in ipso, sed est sicut in subjecto
in intellectu, et est in homine sicut in eo quod praestat fulcimentum
veritati ipsius ; ita etiam ratio bonitatis divinae est in intellectu sicut
in subjecto, in Deo autem sicut in eo quod correspondet per quamdam
similitudinem isti rationi, faciens ejus veritatem. Unde patet quod ratio procedit ex malo
intellectu ejus quod dicitur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que tout comme on ne dit pas que la notion de l’homme est dans l’homme
comme une chose qui est en lui, mais qu’elle est dans l’intelligence comme
dans un sujet et qu’elle est dans l’homme comme dans celui qui fournit un
soutien à sa vérité ; de même encore la notion de bonté divine est dans
l’intelligence comme dans un sujet, et en Dieu comme dans celui qui
correspond par une certaine ressemblance à cette notion de manière à la
rendre vraie. D’où il est clair que cette difficulté procède d’une mauvaise
interprétation de ce qui est dit. |
[193] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur fundari vel
radicari in aliquo metaphorice, ex quo firmitatem habet. Rationes autem
intellectae habent duplicem firmitatem : scilicet firmitatem sui esse, et
hanc habent ab intellectu, sicut alia accidentia a suis subjectis ; et
firmitatem suae veritatis, et hanc habent ex re cui conformantur. Ex eo enim
quod res est vel non est locutio et intellectus veritatem vel falsitatem
habet. Rationes ergo attributorum fundantur vel radicantur in intellectu
quantum ad firmitatem sui esse, quia, ut dictum est, art. anteced.,
intellectus est earum subjectum ; in essentia autem divina quantum ad
firmitatem suae veritatis ; et hoc in nullo repugnat divinae simplicitati. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que c’est de manière métaphorique qu’on dit d’une chose qu’elle se fonde ou s’enracine dans une autre de laquelle elle tient sa fermeté. Cependant les notions qu’on conçoit possèdent une double fermeté : à savoir premièrement la fermeté de leur existence qu’elles tiennent de l’intelligence comme les autres accidents tiennent la leur de leurs sujets ; puis deuxièmement la fermeté de leur vérité qu’elles tiennent de la chose à laquelle elles se conforment. En effet, du fait qu’une chose est ou n’est pas, la parole et l’intelligence possèdent vérité ou fausseté. Donc, les notions des attributs se fondent ou s’enracinent dans l’intelligence quant à la fermeté de leur existence car, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, l’intelligence est leur sujet ; cependant, quant à la fermeté de leur vérité, elles s’enracinent dans l’essence divine ; et cela ne répugne en rien à la simplicité divine. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 6
Ad sextum dicendum, quod in Deo omnia sunt unum re, praeter ingenerationem,
generationem, et processionem, quae constituunt personas re distinctas : non
autem oportet quod quidquid praeter ista de Deo dicitur, sit unum ratione. Et
similiter intelligendum est quod dicit Boetius [I De trin., cap. VI], quod
sola relatio multiplicat Trinitatem, scilicet pluralitate reali. Tunc enim
aliquid est unum re et ratione multiplex, quando una res respondet diversis
conceptionibus et nominibus, ut de ea verificentur ; sicut punctum, quod cum
sit una res, respondet secundum veritatem diversis conceptionibus de eo
factis, sive prout cogitatur in se, sive prout cogitatur centrum, sive prout
cogitatur principium linearum ; et hae rationes sive conceptiones sunt in
intellectu sicut in subjecto, et in ipso puncto sicut in fundamento veritatis
istarum conceptionum. Quamvis istud exemplum non sit usquequaque conveniens,
sicut nec alia quae in divinis inducuntur. |
6. En sixième lieu il faut
dire qu’en Dieu tous les attributs qui constituent les personnes distinctes
par la chose sont un par la chose, au-delà de toute création, de toute
génération de toute procession : il ne faut pas cependant que tout ce
qui est dit de Dieu en-dehors de cela soit un par la raison. Et c’est de la
même manière qu’il faut comprendre ce que dit Boèce [1 De Trinitate,
ch. VI], à savoir que la relation seule multiplie la Trinité,
c’est-à-dire la multiplicité réelle de Dieu. Alors en effet quelque chose est
un par la chose et multiple par la raison quand une même chose s’accorde
avec différentes conceptions et différents noms de telle manière que ces
derniers se vérifient de cette chose. Par exemple le point qui, alors qu’il
est une seule et même chose, s’accorde selon la vérité avec différentes
conceptions qu’on fait de lui, soit selon qu’il est pensé absolument et en
lui-même, soit selon qu’il est pensé en tant que centre, soit selon qu’il est
pensé en tant que principe de la ligne ; et ces notions ou ces
conceptions sont dansl’intelligence comme dans un sujet, et elles sont dans
le point comme dans le fondement de la vérité de ces conceptions. Bien que
cet exemple ne soit pas en tout point convenable, comme les autres choses qui
sont introduites pour parles des choses divines. |
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Quaestio 1, articulus 4
[195] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 tit. Utrum in divinis sint plures
personae |
Article 4 – Y a-t-il en Dieu plusieurs personnes ? |
[196]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod in unitate divinae essentiae non sit pluralitas personarum. In omnibus
enim creaturis ita est quod ad multiplicationem suppositorum sequitur
multiplicatio essentiae secundum numerum, sicut alia humanitas est numero in
Socrate et Platone. Sed creaturae sunt exemplatae a Deo. Cum igitur divinam essentiam
impossibile sit multiplicari, ut supra ostensum est, hac dist., art. 1,
videtur quod impossibile sit esse ibi pluralitatem suppositorum, vel
personarum. |
Difficultés: 1. On procède de la manière suivante pour ce quatrième article. Il semble qu’il n’y ait pas une pluralité de personnes dans l’unité de l’essence divine. Dans toutes les creatures en effet les choses se produisent de telle manière que la multiplication de l’essence selon le nombre découle de la multiplication des individus, tout comme l’humanité est autre par nombre dans Socrate et dans Platon. Mais les creatures sont multipliées par Dieu. Donc, puisqu’il est impossible que l’essence divine soit multipliée comme nous l’avons montré plus haut dans cette distinction à l’article premier, il semble qu’il soit impossible qu’il y ait là une pluralité d’individus ou de personnes. |
[197] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 arg. 2 Item, eorum quae sunt idem, si unum multiplicatur vel communicatur, et reliquum. Sed in Deo idem est quo est et quod est, sive essentia et suppositum. Si ergo essentia non multiplicatur, ergo nec suppositum. Ergo et cetera. |
2. En outre, si parmi les choses qui sont identiques, l’une d’elles est multipliée ou communiquée, il en sera de même pour les autres. Mais en Dieu, ce par quoi il est, à savoir l’essence, est identique à ce qui est, à savoir l’individu. Si donc l’essence n’est pas multipliée, l’individu ne le sera pas non plus. Il n’y aura donc pas une multiplicité de personnes en Dieu. |
[198] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, natura speciei ad hoc multiplicatur in pluribus
individuis, quia non potest totam perfectionem habere in uno, eo quod
individuum est corruptibile, et species incorruptibilis : unde in
incorruptibilibus est tantum unum individuum in una specie, sicut sol. Sed
natura divina habet omnem perfectionem in uno supposito. Ergo vanum est esse
pluralitatem suppositorum, et hoc non potest esse in Deo. |
3. En outre, la nature de
l’espèce est multipliée dans plusieurs individus pour cette raison qu’elle ne
peut posséder toute sa perfection dans un seul individu du fait que
l’individu est corruptible et que l’espèce est incorruptible : c’est
pourquoi dans les êtres incorruptibles il n’y a qu’un seul individu pour
chaque espèce, comme c’est le cas pour le soleil. Mais la nature divine
possède toute sa perfection dans un seul individu. Il est donc vain qu’il y
ait une pluralité d’individus et cela ne peut avoir lieu en Dieu. |
[199] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra. Sicut dicit Dionysius [De div. Nom., cap. IV,
§ 1, 694], bonum est communicativum sui. Sed Deus est summe bonus. Ergo summe
se communicabit. Sed in creaturis non summe se communicat, quia non recipiunt
totam bonitatem suam. Ergo oportet quod sit communicatio perfecta, ut scilicet
totam suam bonitatem alii communicet. Hoc autem non potest esse in
diversitate essentiae. Ergo oportet esse plures distinctos in unitate divinae
essentiae. |
Cependant : 1. Ainsi que le dit Denys
[Les Noms Divins, ch. IV, & 1, 694], il est dans la nature du bien de se
communiquer. Mais Dieu est le bien dans toute sa perfection. Il se
communiquera donc au plus haut point. Mais il ne se communique pas au plus
haut point dans les créatures, puisqu’elles ne reçoivent pas sa bonté dans sa
totalité. Il faut donc qu’il y ait une communication parfaite de telle
manière que sa bonté se communique à une autre dans sa totalité. Mais cela ne
peut avoir lieu dans une essence différente. Il faut donc qu’il y ait une
pluralité de personnes distinctes dans l’unité de l’essence divine. |
Hoc idem arguitur ex
perfectione divinae beatitudinis, quae ponit summum gaudium quod sine
consortio haberi non potest. Hoc etiam arguitur ex perfectione divinae
caritatis. Perfecta enim caritas est amor gratuitus qui tendit in alium. Sed
non erit amor summus, nisi summe diligat. Summe autem non diligit creaturam,
quae non summe diligenda est. Ergo oportet quod in ipsa creatrice essentia,
sit summe diligens et summe dilectus, distincti in essentiae unitate. |
Cette même chose se démontre
à partir de la perfection de la béatitude divine qui pose en Dieu la joie la
plus parfaite qui ne peut être possédée sans une communauté. La même chose se
défend aussi à partir de la perfection de la charité divine. La charité
parfaite en effet est l’amour gratuit qui tend vers un autre. Mais il n’y
aura d’amour parfait pour Dieu que s’il aime parfaitement. Mais il n’aime pas
parfaitement la créature, laquelle ne peut être aimée parfaitement. Il faut
donc que dans l’essence créatrice elle-même il y ait une personne qui aime
parfaitement et une autre qui est aimée parfaitement, les deux étant
distinctes dans l’unité de l’essence. |
I[200]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 co. Respondeo : concedendum est absque
ulla ambiguitate, esse in Deo pluralitatem suppositorum vel personarum in
unitate essentiae, non propter rationes inductas, quae non necessario
concludunt, sed propter fidei veritatem. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut concéder sans aucun doute qu’il y a en Dieu une pluralité d’individus ou de personnes dans l’unité de l’essence, non pas en raison des arguments présentés qui ne concluent pas avec nécessité, mais à cause de la vérité de la foi. |
[201] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in creatura differt
essentia rei et esse suum, nec habet essentia esse nisi propter comparationem
ad habentem essentiam ; et ideo quando essentia creata communicatur,
communicatur tantum secundum rationem suam et non secundum esse, quia
secundum illud esse non est nisi in uno tantum habente. Divina autem essentia
est idem quod suum esse ; et ideo quando communicatur essentia, communicatur
etiam esse. Unde essentia non tantum est una secundum rationem, sed secundum
esse ; et propter hoc potest esse una numero in pluribus suppositis. Creaturae
autem quamvis exemplentur a Deo, tamen deficiunt a repraesentatione ejus. |
Solutions: 1. Il faut dire en
premier lieu que dans la creature il y a une difference entre l’essence de la
chose et son existence et l’essence ne possède d’existence qu’en raison de
son rapport à celui qui possède l’essence; et c’est pourquoi, quand l’essence
créée est communiquée, elle est communiquée seulement d’après sa nature et
non pas selon son existence car selon cette existence elle n’existe que dans
celui-là seul qui la possède. Mais l’essence divine est identique à son
existence; et c’est pourquoi, quand l’essence est communiquée, l’existence
aussi est communiquée. De là, l’essence est une non seulement selon la
nature, mais aussi selon l’existence; et c’est pour cette raison que
l’essence peut être une par le nombre dans plusieurs individus. Mais, bien
que les créatures soient reproduites par Dieu, elles sont impuissantes
cependant à Le représenter de façon adéquate. |
[202] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia et suppositum sunt in
Deo idem re, nihilominus tamen differunt ratione, sicut de attributis dictum
est supra, art. praeced. Unde Commentator [II Metaph., text. 39] dicit,
quod vita et vivens non significant idem in Deo, sicut nomina synonyma : et
ideo contra rationem suppositi est quod communicetur, non autem contra
rationem essentiae. Ideo una essentia communicatur pluribus suppositis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que l’essence et l’individu sont en Dieu identiques par la
chose, cependant ils diffèrent néanmoins par la raison ou la notion, comme
c’est le cas pour les attributs dont nous avons parlé plus haut dans
l’article précédent. De là, le Commentateur dit [11 Métaphysiques,
text. 39] que la vie et le vivant ne signifient pas la même chose en Dieu
comme c’est le cas pour les noms qui sont synonymes : et c’est pourquoi
il est contraire à la notion d’individu d’être communiqué mais cela n’est pas
contraire à la notion d’essence. C’est pourquoi une même essence se communique
à plusieurs individus. |
[203] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod necessitas finis est necessitas
conditionata et ex suppositione. Unde non quaeritur in illis quae sunt
necessaria absolute, et multo minus in illis quae sunt per se necessaria, non
habentia necessitatem ab aliquo. Unde dico, quod pluralitas suppositorum in
divina essentia non est propter aliquem finem ; immo propter seipsam est
necessario, cum ipse Deus sit finis omnium. Unde non potest concludi quod sit
vana, quia vanum est quod est ordinatum ad finem quem non consequitur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la nécessité de la fin est une nécessité conditionnée et
hypothétique. De là, on ne la recherche pas dans ces choses qui sont
nécessaires absolument et encore moins dans celles qui sont nécessaires par
soi et qui ne tirent pas leur nécessité d’un autre. C’est pourquoi je dis que
la pluralité des individus dans l’essence divine n’est pas en raison d’une
fin ; bien plutôt, c’est pour elle-même qu’elle est de toute nécessité
puisque c’est Dieu lui-même qui est la fin de tous les êtres. C’est pourquoi
on ne peut conclure qu’elle soit vaine car est vain ce qui est ordonné à une
fin qui n’est pas atteinte. |
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Articulus 5 [204] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 tit. Utrum divinae personae differant realiter
aut tantum ratione |
Article 5 – Les personnes divines diffèrent-elles réellement ou en raison ? |
[205]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur
quod pluralitas suppositorum in divinis non sit realis, sed tantum rationis.
Sicut enim dicit Damascenus [lib. I de fide ortho., cap. II], tres personae re idem
sunt, ratione autem et cogitatione [cognitione Éd. de Parme] distinguuntur.
Ergo videtur quod non sit ibi pluralitas realis. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
suivante à l,égard de ce cinquième article. Il semble que la pluralité des
personnes en Dieu ne soit pas réelle, mais seulement une pluralité de raison.
Ainsi que le dit en effet Damascène [1 De La Foi Orthodoxe, ch.
11], les trois personnes sont identiques par la chose mais elles diffèrent
par la raison et par la pensée. Il semble donc là que la pluralité des
personnes ne soit pas réelle. |
[206]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit [V de
Trin., cap. VIII], quod tres personae in nullo absoluto distinguuntur, sed
tantum in his quae sunt ad aliquid. Res autem non est ad aliquid, sed est
absolutum. Ergo videtur quod tres personae non sunt tres res, et ita non est
ibi realis distinctio. |
2. Par ailleurs, Augustin dit
[V De Trinitate, ch. VIII] que les trois personnes ne
se distinguent en rien prises absolument, mais selulement dans leurs
relations. Mais une chose n’est pas une relation mais un absolu. Il semble
donc que les trois personnes ne sont pas trois choses et ainsi qu’il n’y ait
pas là une distinction réelle. |
[207]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 3 Item, personae distinguuntur per
proprietates. Proprietates autem illae non addunt supra essentiam secundum
rem, sed tantum secundum rationem. Ergo videtur quod distinctio personarum,
quam faciunt, sit tantum distinctio rationis. |
3. En outre, les
personnes se distinguent par leurs propriétés. Mais ces propriétés n’ajoutent
rien à l’essence selon la chose mais seulement selon la raison. Il semble
donc que la distinction des personnes due à ces propriétés soit seulement une
distinction de raison. |
[208] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 arg. 4 Item, sicut paternitas et essentia differunt ratione,
ita sapientia et essentia. Si ergo hoc sufficit ad distinctionem realem
suppositorum, videtur quod etiam secundum diversa attributa distinguantur
realiter supposita ; et ita sunt tot personae quot attributa. Hoc autem est
inconveniens. Ergo proprietates non faciunt realem distinctionem
suppositorum. |
4. De plus, tout comme la paternité et l’essence diffèrent par la raison, de même la sagesse et l’essence diffèrent par la raison. Si donc cela suffit à distinguer réellement les individus, il semble que ce soit aussi d’après leurs différents attributs que se distinguent réellement les individus ; et ainsi il y aura par conséquent autant de personnes qu’il y aura d’attributs, ce qui est absurde. Donc, les propriétés n’entraînent pas une distinction réelle des personnes. |
[209] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra, Augustinus [I de Doct. christ., cap. 5] dicit
: res quibus fruendum est, sunt pater et filius et spiritus sanctus. Ergo
tres personae sunt plures res. Ergo eorum pluralitas est pluralitas realis. |
Cependant : 1. Augustin dit [1 De La Doctrine Chrétienne, ch. V] : Les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc, les trois personnes sont plurieurs réalités. Donc, leur pluralité est une pluralité réelle. |
[210] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 s. c. 2 Item, distinctio rationis non sufficit ad
distinctionem suppositorum, cum unus et idem homo possit in se diversas
rationes habere, et cum suppositum dicat quid reale. Si ergo non est in
divinis nisi distinctio rationis, non erit ibi vera pluralitas personarum ;
quod est haereticum. |
2. De plus, une distinction
de raison ne suffit pas à distinguer les individus, puisqu’un seul et même
homme peut en lui-même avoir plusieurs rapports et qu’un individu dit quelque
chose de réel. Si donc il n’y a dans les personnes divines qu’une distinction
de raison, il n’y aura pas là une véritable pluralité de personnes, ce qui
constitue une erreur de doctrine. |
[211]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod dicere,
personas distingui tantum ratione, sonat haeresim Sabellianam : et ideo
simpliciter dicendum est, quod pluralitas personarum est realis. Quo modo autem hoc possit
esse, videndum est. |
Je réponds qu’il faut dire que dire que les personnes divines ne se distinguent que par la raison, c’est émettre l’hérésie de Sabellius : et c’est pourquoi il faut absolument dire que la pluralité des personnes est réelle. Mais de quelle manière cela est possible, il faut le voir dans ce qui suit. |
|
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Sciendum est igitur, quod
proprietas personalis, scilicet relatio distinguens, est idem re quod divina
essentia, sed differens ratione, sicut et de attributis dictum est. Ratio
autem relationis est ut referatur ad alterum. Potest ergo dupliciter
considerari relatio in divinis : vel per comparationem ad essentiam, et sic
est ratio tantum ; vel per comparationem ad illud ad quod refertur, et sic
per propriam rationem relationis relatio realiter distinguitur ab illo. Sed
per comparationem relationis ad suum correlativum oppositum distinguuntur
personae, et non per comparationem relationis ad essentiam : et ideo est
pluralitas personarum realis et non tantum rationis. |
Il faut donc savoir que la
propriété de la personne, à savoir la relation qui la distingue, est
identique par la chose à l’essence divine, mais elle en diffère par la
raison, tout comme nous l’avons dit pour les attributs. Mais il est de la
nature même de la relation de poser un rapport à un autre. La relation dans
les personnes divines peut donc être considérée de deux manières : soit
par rapport à l’essence et ainsi elle est seulement une notion ; soit
par rapport à celui auquel elle se rapporte et ainsi la relation, par la
notion propre de relation, se distingue réellement de lui. Mais c’est par la
comparaison de la relation à son corrélatif opposé que les personnes se
distinguent et non par la comparaison de la relation à l’essence : et
c’est pourquoi la pluralité des personnes est réelle et non seulement de
raison. |
[212] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas Damasceni sic
intelligenda est. Ratione, idest relatione ; et dicitur relatio ratio, per
comparationem ad essentiam, ut dictum est, in corp. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le témoignage de Damascène doit se comprendre de la manière suivante :
par raison ou notion, on doit ici entendre relation ; et la relation est
appelée raison ou notion par rapport à l’essence, ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article. |
[213] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod res est de transcendentibus,
et ideo se habet communiter ad absoluta et ad relativa [relata Éd. de Parme]
; et ideo est res essentialis, secundum quam personae non differunt, et est
res relativa sive personalis, secundum quam personae distinguuntur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le terme ¨chose¨ se dit des transcendants, et c’est pourquoi il
s’attribue comunément à ce qui est absolu et à ce qui est relatif ; et
c’est pourquoi ¨chose¨ se rapporte à l’essence selon laquelle les personnes ne
diffèrent pas, et elle se rapporte à la relation ou à la personne, selon
laquelle les personnes se distinguent. |
[214]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis
relatio per comparationem ad essentiam sit ratio tantum, tamen per comparationem
ad suum correlativum est res et realiter distinguens ab ipso. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que bien que la relation par rapport à l’essence ne soit
qu’une notion, cependant par rapport à son corrélatif elle est une réalité
qui distingue réellement de lui. |
[215] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet sapientia secundum suam
rationem differat ab aliis attributis, non tamen opponitur ad aliquod aliud
attributum, cum sapientia bonitatem, vitam [vitam om. Éd. de Parme] et alia
attributa secum compatiatur in eodem subjecto. Et ideo non habet rationem
distinguendi supposita divinae naturae, sicut habent relationes
oppositae. Sed sicut sapientia divina realiter facit effectum
sapientiae propter veritatem rationis ipsius, quae manet ; ita relatio facit
veram distinctionem propter rationem relationis veram, quae salvatur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que la sagesse d’après sa définition diffère des autres
attibuts, elle ne s’oppose pas cependant à un autre attribut puisque la
sagesse est compatible avec la bonté, la vie et d’autres attributs dans un
même sujet. Et c’est pourquoi il n’y a pas lieu qu’elle distingue les
personnes qui ont la nature divine, contrairement aux relations qui sont
opposées entre elles. Mais tout comme la sagesse divine produit réellement
l’effet de la sagesse à cause de la vérité de sa notion qui demeure, de même
la relation produit une véritable distinction à cause de la véritable notion
de relation qui est conservée. |
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Distinctio 3 |
Distinction 3 – [Comment on vient à la connaissance de Dieu par sa trace dans les créatures] |
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Prooemium |
Prologue |
I Sent. D. 3, qu. 1
Quia autem in parte ista ostenditur, qualiter venitur in cognitionem Dei per
vestigium creaturarum, ideo quaeruntur duo: primo de divina
cognitione. Secundo de creaturarum
vestigio. Circa primum quaeruntur
quatuor: 1 utrum Deus sit
cognoscibilis a creaturis ; 2 utrum Deum esse sit per
se notum ; 3 utrum possit cognosci
per creaturas, et quorum sit Deum per creaturas cognoscere ; 4 quid de
Deo philosophi per creaturas cognoscere potuerunt. |
Mais parce que dans la partie
qui suit on montre comment on en vient à la connaissance de Dieu par les
traces qu’on en perçoit dans les créatures, c’est pourquoi on s’interroge sur
deux points : en premier lieu sur la connaissance de Dieu ; en
deuxième lieu sur les traces qu’en laissent les créatures. Et par rapport au premier
point on cherche à répondre à quatre questions : 1. Est-ce que Dieu peut être
connu par les créatures ? 2. Est-ce que Dieu est connu
par lui-même ? 3. Est-ce que Dieu peut être
connu au moyen des créatures et à qui appartient-il de connaître Dieu au
moyen des créatures ? 4. Qu’est-ce que les
philosophes peuvent connaître de Dieu au moyen des créatures ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La connaissance de Dieu dans les créatures][3] |
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Articulus 1.Lib. 1 d. 3 q.
1 a. 1 tit. Utrum Deus possit cognosci ab intellectu creato. |
Article 1 – Dieu peut-il être connu par un intellect créé ? |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit
cognoscibilis a creato intellectu. Dicit enim Dionysius, cap. I de
div. Nom. § 1, quod Deum nec dicere nec intelligere
possumus: quod sic probat. Cognitio est tantum existentium. Sed Deus est
supra omnia existentia. Ergo est supra [omnem add. Éd. de Parme]
cognitionem. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
suivante à l’égard de ce premier article. Il semble que Dieu ne puisse être
connu par une intelligence créée. Denys dit en effet [Les Noms Divins, ch. 1,
&1] que nous ne pouvons ni comprendre ni dire ce qu’est Dieu, ce qu’il
prouve de la manière suivante. La connaissance ne porte que sur les étants.
Mais Dieu transcende tous les étants. Dieu transcende donc toute
connaissance. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg.
2 Item, Deus plus distat a quolibet existentium intelligibilium notorum
nobis, quam distet intelligibile a sensibili. Sed sensus non potest intelligibile
cognoscere. Ergo nec Deus potest a nostro intellectu cognosci. |
2. En outre, Dieu est plus
éloigné de chacun des étants intelligibles connus de nous que l’intelligible
est éloigné du sensible. Mais le sens ne peut connaître l’intelligible. Dieu
ne peut donc être connu par notre intelligence. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, omnis cognitio est per speciem aliquam, per
cujus informationem fit assimilatio cognoscentis ad rem cognitam. Sed a Deo non potest
abstrahi aliqua species, cum sit simplicissimus. Ergo non est cognoscibilis. |
3. De plus, toute
connaissance a lieu au moyen d’une espèce par l’information de laquelle se
produit l’assimilation de celui qui connaît à la chose connue. Mais on ne
peut tirer de Dieu aucune espèce, puisqu’Il est ce qu’il est suprêmement
simple. Il ne peut donc être connu de nous. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, ut dicit philosophus, (III Physic., text. 4), omne infinitum est
ignotum ; cujus ratio est, quia de ratione infiniti est, ut sit extra
accipientem secundum aliquid sui, et tale est ignotum. Sed Deus est
infinitus. Ergo est ignotus. |
4. Par ailleurs, comme le dit
le Philosophe [111 Physiques, text. 4], tout ce qui est infini est
inconnu ; la raison en est qu’il est de la nature de l’infini de
demeurer étranger pour tout ce qui le concerne à celui qui cherche à
l’accueillir, et de lui demeurer ainsi inconnu. Mais Dieu est infini. Il est
donc inconnu. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, philosophus dicit
(III de Animam text. 7), quod ita se habent phantasmata ad
intellectum, sicut colores ad visum. Sed visus corporalis nihil videt sine
colore. Ergo intellectus noster nihil intelligit sine phantasmate. Cum igitur
de Deo non possit formari aliquod phantasma, ut dicitur Isa. XL, 18, Quam
imaginem ponetis ei ? Videtur quod non sit cognoscibilis a nostro
intellectu. |
5. En outre, le Philosophe
dit [111 De l’Âme, text. 7] que les images se rapportent à l’intelligence de
la même manière que les couleurs se rapportent à la vue. Mais la vue
corporelle ne voit rien sans la couleur. Donc notre intelligence ne comprend
rien sans l’image. Donc, puisqu’on ne peut former aucune image par rapport à
Dieu comme le dit Ésaïe [XL, 18] : Quelle image pourriez-vous
fournir de Lui ?, il semble qu’Il ne puisse être connu par notre
intelligence. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 s. c.
1 Contra, Hierem. 9, 24, dicitur: In hoc glorietur qui gloriatur,
scire et nosse me. Sed ista non est vana gloria ad quam Deus hortatur.
Ergo videtur quod possibile sit Deum cognoscere. |
Cependant : 1. Jérémie dit [9,
23] : Mais qui veut se glorifier, qu’il trouve sa gloire en
ceci : avoir de l’intelligence et me connaître. Mais cette gloire à
laquelle Dieu nous exhorte n’est pas vaine. Il semble donc qu’il soit
possible de connaître Dieu. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 s. c.
2 Item, ut supra dictum est, etiam secundum philosophum (X Ethico., cap.
X), ultimus finis humanae vitae est contemplatio Dei. Si igitur ad hoc homo
non posset pertingere, in vanum esset constitutus ; quia vanum est, secundum
philosophum, quod ad aliquem finem est, quem non attingit ; et hoc est
inconveniens, ut dicitur in Psal. 88, 48: Numquid enim vane
constituisti eum ? |
2. Par ailleurs, comme nous
l’avons dit plus haut et aussi d’après le Philosophe [X Éthiques, ch. X], la
fin ultime de la vie humaine est la contemplation de Dieu. Si donc l’homme ne
pouvait pas parvenir à cette fin, il aurait été produit en vain ; car
d’après le Philosophe, est vain ce qui est ordonné à une fin qu’il ne peut
atteindre ; et il est impossible qu’il en soit ainsi pour l’homme ainsi
que le dit le Psalmiste [88, 48] : Tu l’aurais en effet de tout
temps créé pour l’envoyer au néant ? |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 s. c.
3 Item, ut dicit philosophus (III de anima, text. 7), in hoc
differt intelligibile a sensibili, quia sensibile excellens destruit sensum ;
intelligibile autem maximum non destruit, sed confortat intellectum. Cum
igitur Deus sit maxime intelligibilis quantum in se est, quia est primum
intelligibile, videtur quod a nostro intellectu possit intelligi: non enim
impediretur nisi propter suam excellentiam. |
3. En outre, ainsi que le dit le Philosophe [111, de l’Âme, text. 7], l’intelligible
diffère du sensible en ceci qu’un sensible extrême détruit le sens alors que
l’intelligible le plus élevé ne détruit pas l’intelligence mais l’affermit. Donc,
puisque Dieu quant à lui-même est l’intelligible le plus élevé du fait qu’il
est le premier intelligible, il semble qu’il puisse être saisi par notre
intelligence : celle-ci en effet ne pourrait en être empêchée qu’en
raison de l’excellence de ce premier intelligible. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod non est hic quaestio, utrum Deus in essentia sua
immediate videri possit, hoc enim alterius intentionis est ; sed utrum
quocumque modo cognosci possit. Et ideo dicimus quod Deus cognoscibilis est ;
non autem ita est cognoscibilis, ut essentia sua comprehendatur. Quia omne
cognoscens habet cognitionem de re cognita, non per modum rei cognitae, sed
per modum cognoscentis. Modus autem nullius creaturae attingit ad altitudinem
divinae majestatis. Unde oportet quod a nullo perfecte cognoscatur, sicut
ipse seipsum [perfecte add. Éd. de Parme] cognoscit. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il ne s’agit pas ici de
savoir si Dieu peut être vu immédiatement dans son essence, car c’est là le
propos d’une autre question; mais il s’agit de chercher à savoir si Dieu peut
être connu d’une certaine manière. Et c’est pourquoi nous disons que Dieu
peut être connu mais non pas de telle manière qu’il soit possible de saisir
son essence. Car tout être qui connaît possède une connaissance de la chose
connue, non pas à la manière de la chose connue, mais à la manière de celui
qui connaît. Aucun mode de connaître appartenant à une créature ne peut
cependant parvenir à s’élever à la hauteur de la divine majesté. De là il
doit nécessairement s’ensuivre qu’il n’est connu parfaitement par aucune
d’elle de la manière qu’Il se connaît lui-même. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut [sicut om. Éd. de Parme] Deus non est hoc modo existens
sicut ista existentia, sed in eo est natura entitatis eminenter. Unde,
[sicut add. Éd. de Parme] non est omnino expers entitatis, ita
etiam non omnino est expers cognitionis, quin cognoscatur ; sed non
cognoscitur per modum aliorum existentium, quae intellectu creato comprehendi
possunt. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que Dieu n’existe pas à la manière dont les autres êtres existent mais
en lui la nature de l’être existe de la manière la plus excellente. De là, il
n’est absolument pas dénué d’être et de même encore il n’est absolument pas
dénué de connaissance qui ne soit connue ; mais il n’est pas connu à la
manière des autres êtres, lesquels peuvent être compris par une intelligence
créée. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod quamvis plus distet Deus a quolibet intelligibili,
secundum naturae proprietatem, quam intelligibile a sensibili, tamen plus
convenit in ratione cognoscibilitatis [cognoscibilis Éd. de Parme].
Omne enim quod est separatum a materia, habet rationem ut cognoscatur sicut
intelligibile: quod autem materiale est cognoscitur ut sensibile. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que Dieu est plus éloigné de tout intelligible, quant à la
propriété de nature, que l’intelligible ne l’est du sensible, il est cependant
davantage proportionné à la nature de ce qui est connaissable. En effet, tout
ce qui est séparé de la matière a raison de connaissable en tant
qu’intelligible ; mais ce qui est matériel est connu en tant que
perceptible par les sens. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
species, per quam fit cognitio, est in potentia cognoscente secundum modum
ipsius cognoscentis: unde eorum quae sunt magis materialia quam intellectus,
species est in intellectu simplicior quam in rebus ; et ideo hujusmodi
dicuntur cognosci per modum abstractionis. Deus autem et Angeli sunt
simpliciores nostro intellectu ; et ideo species quae in nostro intellectu
efficitur, per quam cognoscuntur, est minus simplex. Unde non dicimur
cognoscere ea per abstractionem, sed per impressionem ipsorum in
intelligentias nostras. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’espèce, au moyen de laquelle se produit la connaissance, est dans
la puissance qui connaît selon le mode de celui-là même qui connaît :
c’est pourquoi, pour les choses qui sont plus matérielles que
l’intelligence, l’espèce est plus simple dans l’intelligence que dans les
choses ; et c’est pourquoi on dit de ces choses qu’elles sont connues
par mode d’abstraction. Mais Dieu et les Anges sont plus simples que notre
intelligence ; et c’est pourquoi les espèces qui sont produites dans
notre intelligence et par lesquelles ils sont connus sont moins simples. De
là, nous ne disons pas que nous les connaissons par abstraction mais par une
impression de ces réalités dans nos intelligences. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod infinitum dicitur dupliciter, scilicet privative et
negative. Infinitum privative est quod secundum suum genus est natum habere
finem, non habens ; et tale, cum sit imperfectum, ex sui imperfectione
perfecte non cognoscitur, sed secundum quid. Infinitum negative dicitur quod
nullo modo finitum est ; et hoc est quiddam quod se ad omnia extendit,
perfectissimum, non valens ab intellectu creato comprehendi, sed tantum
attingi. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’infini se dit de deux manières, à savoir à la manière d’une
privation et d’une négation. L’infini selon la privation est celui qui selon
son genre est apte à avoir une fin mais qui ne la possède pas ; et un
tel infini, puisqu’il est imparfait, n’est pas connu parfaitement mais
seulement sous un certain rapport en raison de son imperfection. L’infini selon
la négation se dit de qui n’est fini d’aucune manière : et c’est là
l’être le plus parfait qui étend sa puissance sur toute chose, ne pouvant
être saisi mais seulement abordé par une intelligence créée. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod philosophus (III de anima, text. 30],
loquitur de cognitione intellectus connaturali nobis secundum statum viae ;
et hoc modo Deus non cognoscitur a nobis nisi per phantasmata, non sui
ipsius, sed causati sui per quod in ipsum devenimus. Sed per hoc non
removetur quin cognitio aliqua possit esse intellectus, non per viam
naturalem nobis, sed altiorem, scilicet per influentiam divini luminis ad
quam phantasma non est necessarium. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que le Philosophe [111, de l’Âme, text. 30] par ici de la connaissance
de l’intelligence qui nous est naturelle en cette vie ; et en ce sens
Dieu n’est connu de nous qu’au moyen des images qui ne Le représentent pas
mais qui se rapportent à ses effets et au moyen desquelles nous nous
approchons de Lui. Mais cela n’empêche pas qu’il puisse y avoir une certaine
connaissance de l’intelligence de Dieu, non pas de la manière qui nous est
naturelle mais selon un mode plus élevé, c’est-à-dire au moyen du secours de
la lumière divine pour lequel les images ne sont pas nécessaires. |
Lib. 1 d.
3 q. 1 a. 1 ad s. c. 1 Alia concedimus. |
Réponses aux
objections en sens contraire. 1.Nous concédons
les réponses aux deux premières difficultés. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad s. c. 3 Tamen ad ultimum, quia
concludit, quod Deus etiam nunc maxime cognoscatur a nobis, respondendum est,
quod quodammodo est simile in intellectu et sensu, et quodammodo dissimile.
In hoc enim simile est quod sicut sensus non potest in id quod non est
proportionatum sibi, ita nec intellectus, cum omnis cognitio sit per modum
cognoscentis, secundum Boetium (De Consol., lib. V, prosa
VI): in hoc autem dissimile est quod intelligibile excellens non corrumpit,
sicut excellens sensibile ; unde intellectus non deficit a cognitione
excellentis intelligibilis quia corrumpatur, sed quia non attingit. Et ideo
non perfecte Deum videre potest intellectus creatus. |
3. Cependant à la fin, parce
qu’il conclut que Dieu aussi est en cette vie parfaitement connu de nous, il
faut répondre qu’en un sens il en est de même pour l’intelligence et le sens
mais non en un autre sens. Il en est de même en ce sens que
l’intelligence, tout come le sens, n’est pas proportionné à Dieu, puisque
toute connaissance a lieu d’après le mode de celui qui connaît selon Boèce [De
la Consolation, livre V, prose VI] : mais ils diffèrent
en cela que l’intelligible le plus élevé ne corromp pas l’intelligence
contrairement au sensible extrême à l’égard du sens ; d’où il suit que
l’intelligence n’est pas privée de la connaissance de l’intelligible par excellence
pour cette raison qu’elle est corrompue par lui, mais parce qu’elle ne
l’atteint pas. Et c’est là la raison pour laquelle une intelligence créée ne
peut parfaitement voir Dieu. |
|
|
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 Utrum Deum esse sit per se notum. |
Article 2 – L'existence de Dieu est-elle évidente par soi ?[4] |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deum esse sit
per se notum. Illa enim dicuntur per se nota quorum cognitio naturaliter est
nobis insita, ut: omne totum est majus sua parte. Sed cognitio existendi
Deum, secundum Damascenum (lib. de Fide orth., cap. 1)
naturaliter est omnibus inserta [insita. Éd. de Parme). Ergo
Deum esse est per se notum. |
Difficultés. 1. On procède de la manière
qui suit à l’égard de ce deuxième article. Il semble que l’existence de Dieu
soit connue par soi. On dit en effet que sont connues par soi les choses dont
la connaissance nous est naturellement donnée, comme de connaître que tout
tout est plus grand que chacune de ses parties. Mais d’après Damascène [Livre
au sujet de la Foi orthodoxe, ch. 1], la connaissance de l’existence de
Dieu nous est naturellement donnée. Donc, la connaissance de l’existence de
Dieu nous est connue par elle-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 arg.
2 Item, sicut se habet lux sensibilis ad visum, ita se habet lux
intelligibilis [intellectualis Éd. de Parme] ad intellectum. Sed
lux visibilis seipsa videtur ; immo nihil videtur, nisi mediante ipsa. Ergo
Deus seipso immediate cognoscitur. |
2. De plus, ce que la lumière
sensible est à la vue, la lumière intelligible l’est à l’intelligence. Mais
la lumière sensible se voit par elle-même ; bien plus, rein n’est vu si
ce n’est par son intermédiaire. Donc Dieu est connu immédiatement par
Lui-même. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, omnis cognitio est per unionem rei cognitae ad
cognoscentem. Sed Deus est per seipsum intrinsecus animae etiam magis quam
ipsa sibi. Ergo per seipsum cognosci potest. |
3. En outre, toute connaissance s’accomplit par l’union
de la chose connue à celui qui connaît. Mais Dieu est par lui-même uni à
l’âme davantage encore que l’âme ne l’est à elle-même. Dieu peut donc être
connu par lui-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 arg.
4 Praeterea, illud est per se notum quod non potest cogitari non esse. Sed
Deus non potest cogitari non esse. Ergo ipsum esse, per se est notum.
Probatio mediae est per Anselmum (Prosl., cap. XV): Deus est quo
majus cogitari non potest. Sed illud quod non potest cogitari non esse, est
majus eo quod potest cogitari non esse. Ergo Deus non potest cogitari non
esse, [cum sit illud quo nihil majus cogitari potest add. Éd. de
Parme]. Potest aliter probari. Nulla res potest cogitari sine sua
quidditate, sicut homo sine eo quod est animal rationale mortale. Sed Dei
quidditas est ipsum suum esse, ut dicit Avicenna (de inteligentiis, cap.1).
Ergo Deus non potest cogitari non esse. |
4. Par ailleurs, est connu
par soi ce qui ne peut être pensé comme non existant. Mais Dieu ne peut être
pensé comme n’existant pas. Donc son existence est connue par elle-même. La
mineure est prouvée par Anselme [Prosl., ch. XV] : Dieu est ce dont on
ne peut rien penser de plus grand. Mais ce qui ne peut être pensé comme
n’existant pas est plus grand que ce qui peut être pensé comme n’existant
pas. Donc, Dieu ne peut être pensé comme n’existant pas [puisqu’Il est Celui
au sujet de qui on ne peut rien penser de plus grand]. Mais on pourrait la
prouver autrement. Aucune chose ne peut être pensée sans sa quiddité, comme
l’homme ne peut être pensé sans ceci qu’il est un animal rationnel et mortel.
Mais la quiddité de Dieu est son existence même, ainsi que le dit Avicenne [Les
Intelligences, ch. 1]. Donc, Dieu ne peut être pensé comme n’existant
pas. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 s. c.
1 Contra, ea quae per se sunt nota, ut dicit philosophus (IV Metaph.,text.
28), etsi exterius negentur ore, nunquam interius negari possunt corde. Sed
Deum esse, potest negari corde. Psalm. 13, 1: Dixit
insipiens in corde suo: non est Deus. Ergo Deum esse non est per se
notum. |
Objections : 1. Ainsi que le dit le
Philosophe [IV Métaph. text. 28] bien qu’on puisse extérieurement nier de
vive voix ce qui est connu de soi, on ne peut jamais le nier intérieurement
par l’esprit. Mais l’existence de Dieu peut être nié intérieurement dans
l’esprit. Le psalmiste dit en effet [Psaume 13, 1] : L’insensé
dit en son cœur : Dieu n’existe pas. Donc, l’existence de Dieu n’est
pas connue par elle-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 s. c.
2 Item, quidquid est conclusio demonstrationis non est per se notum. Sed
Deum esse demonstratur etiam a philosophis (VIII Phys., text.
33, item XII Metaph., text. 35). Ergo Deum esse non est per se
notum. |
2. En outre, aucune
conclusion d’une démonstration n’est connue par elle-même. Mais l’exisntece
de Dieu est démontrée même par les philosophes [ VIII Phys, text, 33l XII
Métaph. text.35]. Donc, l’existence de Dieu n’est pas connue par elle-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 co. Respondeo, quod de cognitione
alicujus rei potest aliquis dupliciter loqui: aut secundum ipsam rem, aut quo
ad nos. Loquendo igitur de Deo secundum seipsum, esse est per se notum, et
ipse est per se intellectus, non per hoc quod faciamus ipsum intelligibile,
sicut materialia facimus intelligibilia in actu. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on peut parler de la connaissance d’une chose de deux manières : soit
quant à la chose elle-même, soit quant à nous-mêmes. Donc, en parlant de Dieu
quant à Lui-même, son existence est connue par elle-même et il est lui-même
intelligible par lui-même et non par le fait que nous le rendons intelligible
comme nous le faisons pour les choses matérielles que nous rendons
intelligibles en acte. |
Loquendo autem de Deo per comparationem ad nos, sic
iterum dupliciter potest considerari. Aut secundum suam
similitudinem et participationem ; et hoc modo ipsum esse, est per se notum ;
nihil enim cognoscitur nisi per veritatem suam, quae est a Deo exemplata ;
veritatem autem esse, est per se notum. |
Mais en parlant de Dieu par
rapport à nous-mêmes, nous pouvons encore considérer le problème de deux
manières. Soit selon sa ressemblance et
sa participation et en ce sens son existence elle-même est connue par soi ;
rien en effet n’est connu si ce n’est par sa vérité qui est modelée par
Dieu ; mais que la vérité existe, cela est connu par soi. |
Aut secundum suppositum,
idest considerando ipsum Deum, secundum quod est in natura sua quid
incorporeum ; et hoc modo non est per se notum ; immo multi inveniuntur
negasse Deum esse, sicut omnes philosophi qui non posuerunt causam agentem,
ut Democritus et quidam alii (I Metaph., text.9) Et hujus
ratio est, quia ea quae per se nobis nota sunt, efficiuntur nota statim per
sensum ; sicut visis toto et parte, statim cognoscimus quod omne totum est
majus sua parte sine aliqua inquisitione. |
Soit selon le sujet lui-même,
c’est-à-dire en considérant Dieu lui-même, selon qu’il est dans sa nature
même un être incorporel ; en ce sens Il n’est pas connu par soi ;
au contraire, il s’en trouve plusieurs qui ont nié l’existence de Dieu, comme
tous les philosophes qui n’ont pas posé une cause efficiente, comme Démocrite
et certains autres [1 Métaph. text.
9]. Et la raison en est que les choses qui nous sont connues par soi sont
rendues connues par les sens de façon immédiate ; par exemple, voyant ce
qu’est un tout et une partie, nous connaissons aussitôt, sans aucune
recherche, que tout tout est plus grand que sa partie. |
xUnde philosophus
(I Posterior., text. 24): Principia cognoscimus
dum terminos cognoscimus. Sed visis sensibilibus, non devenimus in Deum
nisi procedendo, secundum quod ista causata sunt et quod omne causatum est ab
aliqua causa agente et quod primum agens non potest esse corpus, et ita in
Deum non devenimus nisi arguendo ; et nullum tale est per se notum. Et haec est ratio Avicennae, lib. de Intellig. cap.
1. |
C’est pourquoi le Philosophe
dit [1 Seconds Analytiques, text.
24] : Nous connaissons les principes dès lors que nous connaissons les
termes. Mais en voyant les choses sensibles, on en vient à Dieu seulement par
ce procédé suivant lequel ces effets existent, que tout effet vient d’une
cause efficiente et que le premier agent ne peut être un corps et c’est ainsi
que nous ne parvenons à Dieu qu’à force de raisonner ; et rien de ce qui
est connu de cette manière n’est connu par soi. Et telle est l’argumentation
d’Avicenne [Livre sur les Intelligences, ch. 1]. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas Damasceni intelligenda est de divina
cognitione nobis inserta [insita Éd. de Parme], secundum ipsius
similitudinem et non secundum quod est in sua natura ; sicut etiam dicitur,
quod omnia appetunt Deum: non quidem ipsum prout consideratur in sua natura,
sed in sui similitudine ; quia nihil desideratur, nisi inquantum habet
similitudinem ipsius, et etiam nihil cognoscitur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que le témoignage de Damascène sur la connaissance de Dieu qui nous est
donnée doit s’entendre d’après sa similitude dans les choses et
non pas d’après son existence dans sa nature propre, tout comme on dit aussi
que tout être désire Dieu, non pas certes selon qu’on Le considère dans sa
nature, mais dans ses ressemblances ; car rien n’est désiré et même rien
n’est connu qu’à la condition d’avoir une similitude. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod visus noster est proportionatus ad videndum lucem
corporalem per seipsam ; sed intellectus noster non est proportionatus ad
cognoscendum naturali cognitione aliquid nisi per sensibilia ; et ideo in
intelligibilia pura devenire non potest nisi argumentando [arguendo Éd.
de Parme]. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que notre faculté de voir est proportionnée à voir par elle-même la
lumière corporelle ; mais notre intelligence n’est proportionnée à
connaître quelque chose par une connaissance naturelle qu’au moyen des choses
sensibles ; et c’est pourquoi notre intelligence ne peut
parvenir à saisir les purs intelligibles que par l’argumentation. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Deus sit in anima per
essentiam, praesentiam et potentiam, non tamen est in ea sicut objectum
intellectus ; et hoc requiritur ad cognitionem. Unde etiam anima sibi ipsi
praesens est ; tamen maxima difficultas est in cognitione animae, nec
devenitur in ipsam, nisi ratiocinando ex objectis in actus et ex actibus in
potentiam [potentias. Éd. de Parme] |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien que Dieu soit dans l’âme par son essence, sa présence et sa
puissance, il n’est cependant pas en elle comme objet de
l’intelligence ; et cela est une exigence pour la connaissance. De là
l’âme aussi est présente à elle-même ; il existe cependant une grande
difficulté à connaître l’âme et on y arrive qu’en raisonnant à partir des
objets dans les actes et à partir des actes pour en venir à la
puissance. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 4
Ad quartum dicendum, quod ratio Anselmi ita intelligenda est. Postquam
intelligimus Deum, non potest intelligi quod sit Deus, et possit cogitari non
esse ; sed tamen ex hoc non sequitur quod aliquis non possit negare vel
cogitare, Deum non esse ; potest enim cogitare nihil hujusmodi esse quo majus
cogitari non possit ; et ideo ratio sua procedit ex hac suppositione, quod
supponatur aliquid esse quo majus cogitari non potest. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le raisonnement d’Anselme doit s’entendre de la manière qui suit.
Après avoir vu ce qu’il en est de Dieu, on ne peut à la fois comprendre qu’Il
existe et pouvoir penser qu’il n’existe pas ; il ne s’ensuit cependant
pas à partir de là qu’on ne puisse pas nier Dieu ou penser qu’Il n’existe
pas ; on peut en effet penser qu’il n’y a rien de tel dont il ne soit
pas possible de penser quelque chose de plus grand ; et c’est pourquoi
le raisonnement d’Anselme procède de cette hypothèse qui suppose qu’il y a
quelque chose dont on ne peut rien penser de plus grand. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 2 ad s. c. Et similiter etiam dicendum ad aliam probationem. |
Réponse à l’objection : Et il faut répondre la même
chose à l’autre preuve. |
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Articulus 3 b. 1 d. 3 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus possit
cognosci ab homine per creaturas. |
Article 3 – Dieu peut-il être connu par l'homme à travers les créatures ? |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus possit
cognosci per creaturas ab homine. Rom. 1, 20: invisibilia Dei a
creatura mundi per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Creatura autem dicitur
[videtur Éd. de Parme].esse homo, secundum expositionem Magistri.
Ergo per creaturas ab homine potest cognosci. |
Difficultés : 1. Voici comme on procède à
l’égard de ce troisième article. Il semble que Dieu puisse être connu par
l’homme au moyen des créatures. C’est ce que dit Paul dans sa Lettre aux
romains [1, 20] : Ce qui ne peut être vu de Dieu par la créature
du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres. Mais la
créature dont on parle est l’homme, selon l’explication du Maître. Donc, Dieu
peut être connu par l’homme au moyen des créatures. |
Lib. 1 d.
3 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, videtur quod ab Angelo. Cognitio enim Dei per
creaturas fit per hoc quod videtur divina bonitas relucens in creatura. Sed
Angelus cognoscens res in proprio genere, videt divinam bonitatem in
ipsis. Ergo cognoscit creatorem ex creaturis. |
2. En outre, il
semble qu’il puisse être connu par l’Ange. La connaissance de Dieu au moyen
des creatures a lieu du fait qu’on voit la bonté divine se
refléter dans la creature. Mais l’Ange, en connaissant les choses dans leur
genre propre, voit la bonté divine en eux. Donc il connaît
le créateur à partir d’elles. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod etiam bruta. Nulli enim fit praeceptum
nisi ei qui cognoscit praeceptum. Sed Jonae, 4, dicitur, quod praecepit
dominus vermi, quod percuteret hederam. Ergo vermis potest cognoscere divinum
praeceptum, et ita potest etiam cognoscere praecipientem. |
3. De plus, il semble qu’il
en soit de même aussi pour la brute. Le commandement ne s’adresse en effet
qu’à celui qui connaît le commandement. Mais dans le livre de Jonas, 4, on
dit que le Seigneur commanda au ver de frapper le lierre. Donc le ver peut
connaître le commandement divin et ainsi il peut même connaître Celui qui le donne. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg.
4 Item, videtur quod etiam a peccatoribus possit cognosci: dicitur enim Rom.
1, 21: cum Deum cognovissent, non sicut Deum glorificaverunt.
Tales autem peccatores fuerunt. Ergo et cetera. |
4. Par ailleurs, il semble
que Dieu puisse être connu même par les pécheurs : dit en effet dans la
Lettre aux Romains (1, 21) : Puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas
rendu gloire comme ils le devaient à Dieu. Mais de tels pécheurs ont existé.
Donc, etc. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg.
5 Contra, omnis effectus ducens in cognitionem suae causae,
est aliquo modo proportionatus sibi. Sed creaturae non sunt proportionatae
Deo. Ergo ex eis non potest homo in suam cognitionem venire. |
Cependant : 5. Au contraire, tout effet
qui conduit à la connaissance de sa cause est en un sens proportionné à cette
cause. Mais les craétures ne sont pas proportionnées à Dieu. Donc, l’homme ne
peut à partir d’elles en venir à la connaissance de Dieu. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a.
3 arg. 6 Item, videtur quod nec Angeli. Quod enim per se cognoscitur, non
cognoscitur per aliquid aliud. Sed Deum cognoscunt Angeli per se, videntes
ipsum in sua essentia. Ergo non
cognoscunt ipsum per creaturas. |
6. En outre, il semble que
les Anges ne le puissent pas non plus. En effet, ce qui est connu par soi
n’est pas connu par quelque chose d’autre. Mais les Anges connaissent Dieu
par lui-même, le voyant dans son essence. Donc, ils ne connaissent pas Dieu
au moyen des créatures. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg.
7 Item, videtur quod nec etiam a brutis. Nulla enim potentia affixa organo
habet virtutem ad cognoscendum nisi speciem materialem, eo quod cognitio sit
in cognoscente secundum modum ipsius cognoscentis [.cognoscentis om.
Éd. de Parme]. Sed bruta non habent virtutes cognoscitivas, nisi sensitivas,
quae sunt affixae organo. Ergo nullo modo possunt cognoscere Deum, qui omnino
est immaterialis. |
7. De plus, il semble que les
brutes animales ne le puissent pas non plus. Toute puissance en effet qui est
liée à un organe ne peut connaître qu’une espèce matérielle, du fait que la
connaissance est dans celui qui connaît selon le mode de celui-à même qui
connaît. Mais les brutes animales ne possèdent comme puissances cognitives
que celles qui sont sensibles, lesquelles sont rattachées à un organe. Elles ne
peuvent donc en aucune manière connaître Dieu qui est absolument immatériel. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a.
3 arg. 8 Item, videtur quod nec etiam a peccatoribus. Ambrosius enim dicit
super illud, Matth. 5, 8: « Beati mundo corde quoniam ipsi Deum
videbunt ». (lib. I In luc, 27) Si qui mundo corde sunt,
Deum videbunt, ergo alii non videbunt ; neque enim maligni Deum videbunt,
neque is qui Deum videre noluerit, potest videre Deum. |
8. Enfin, il semble
qu’il ne puisse non plus être connu par les pécheurs. En effet en commentant
Matthieu (5, 8): ¨Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu¨,
Ambroise dit: Si ceux qui ont le coeur pur verront Dieu, alors les autres ne
Le verront pas; les méchants en effet ne verront pas Dieu, et celui qui ne
voudra pas voir Dieu ne pourra le voir. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, cum creatura exemplariter
procedat ab ipso [ab ipso om. Éd. de Parme] Deo sicut a causa
quodammodo simili per [secundum Éd. de Parme] analogiam, [eo
scilicet quod quaelibet creatura eum imitatur secundum possibilitatem naturae
suae, add. Éd. de Parme] ex creaturis potest in Deum deveniri
tribus illis modis quibus dictum est, scilicet per causalitatem, remotionem,
eminentiam. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque la créature procède à la manière d’un modèle de Dieu lui-même
comme d’une cause qui lui est en quelque sorte semblable par analogie [à
savoir du fait que toute créature imite Dieu selon les possibilités de sa
nature], il est possible de parvenir à la connaissance de Dieu à partir des
créatures selon les trois modalités dont nous avons parlé,
c’est-à-dire par la causalité, la négation et l’excellence. |
Ad hoc autem quod
aliquis ex creaturis in Deum deveniat, duo requiruntur: scilicet quod ipsum Deum possit aliquo modo capere, et
ideo brutis non convenit talis processus cognitionis ; secundo requiritur
quod cognitio divina in eis incipiat a creaturis et terminetur ad creatorem ;
et ideo Angelis non convenit Deum cognoscere per creaturas, neque beatis
hominibus, qui a creatoris cognitione procedunt in creaturas. Sed convenit iste processus hominibus, secundum statum
viae, bonis et malis. |
Mais afin de parvenir à la
connaissance de Dieu au moyen des créatures, deux choses sont
nécessaires : à savoir en premier lieu qu’on puisse saisir Dieu d’une
certaine manière, et c’est pourquoi un tel procédé de connaissance
n’appartient pas aux brutes animales ; il est requis en deuxième lieu
que la connaissance de Dieu commence en partant des créatures et se termine
au créateur : et c’est pourquoi il n’appartient pas aux Anges et aux
bienheureux de connaître Dieu au moyen des créatures, lesquels procèdent de
la connaissance du créateur pour aller à celle des créatures. Mais ce procédé
convient aux hommes en cette vie, qu’ils soient bons ou mauvais. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 1 Primum ergo concedimus. |
Solutions: 1. Nous concédons ce qui est dit dans la première
difficulté. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Angelus cognoscat
divinam bonitatem relucere in creatura, non tamen ex creatura venit in
creatorem, sed e contrario. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que bien que l’Ange connaît que la bonté divine se reflète dans
la créature, ce n’est cependant pas à partir de la créature qu’il en vient à
connaître le créateur mais c’est plutôt en suivant le procédé inverse. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 3
Ad tertium dicendum, quod praeceptum Dei non devenit ad vermem, ita quod
intentionem praecepti apprehenderet, sed quia divina virtute mota est ejus
aestimativa naturali motu ad complendum [explendum Éd. de Parme]
illud quod Deus disponebat. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que le commandemant de Dieu ne parvient pas au ver de telle
manière que ce dernier appréhende l’intention du précepte mais parce que par
la puissance divine son estimative est poussée par un movement naturel à
accomplir ce que Dieu avait ordonné. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 4 Quartum concedimus. |
4. Nous concédons ce qui est
dit dans la quatrième difficulté. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 5
Ad quintum dicendum, quod creatura est effectus non proportionatus creatori ;
et ideo non ducit in perfectam cognitionem ipsius sed in imperfectam. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la créature est un effet qui est sans commune mesure avec le
créateur ; et c’est la raison pour laquelle elle ne conduit pas à une
connaissance parfaite mais imparfaite du créateur. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 6
Sextum et septimum concedimus. |
6 et 7. Nous concédons les
arguments présentés dans 6 et 7. |
Ad octavum dicendum, quod
Ambrosius loquitur de visione Dei per essentiam, quae erit in patria, ad quam
nullus malus poterit pervenire. Similiter etiam ad cognitionem fidei nullus
venit nisi fidelis. Sed cognitio naturalis de Deo communis est bonis et
malis, fidelibus et infidelibus. |
8. Il faut dire par rapport à
ce huitième argument qu’Ambroise parle de la vision de Dieu par son essence
qui aura lieu dans la patrie céleste et à laquelle aucun méchant ne pourra
avoir accès. De même encore, nul ne vient à la connaissance de Foi excepté le
fidèle. Mais la connaissance naturelle de Dieu est commune aux bons et aux
méchants, aux fidèles et aux infidèles. |
|
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Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 tit. Utrum philosophi naturali
cognitione cognoverint Trinitatem ex creaturis |
Article 4 – Les philosophes ont-ils connu la Trinité d’une connaissance naturelle à partir des créatures ? |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod philosophi
naturali cognitione ex creaturis in Trinitatem devenerunt. Dicit enim
Aristoteles (in principio De caelo et mundi, text.,
5) : Et per hunc quidem numerum, scilicet ternarium, adhibuimus
nos ipsos magnificare Deum unum eminentem proprietatibus eorum quae creata
sunt. Similiter
etiam Plato, in Parmen, loquitur multa de paterno intellectu et
multi alii philosophi. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit par rapport à ce quatrième article. Il semble que les philosophes en
sont venus à une connaissance de la Trinité au moyen d’une connaissance
naturelle en partant des créatures. Aristote dit en effet [au début du traité du
Ciel et du Monde, text. 5] : Et par ce nombre, à savoir le
nombre trois, nous nous sommes appliqués à glorifier l’excellence du Dieu
unique par les propriétés des choses qui ont été créées. De même encore
Platon, dans son Parménide, et de nombreux autres philosophes, disent de
nombreuses choses sur l’intelligence du père. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, philosophi potuerunt devenire in
cognitionem eorum quae in creaturis relucent. Sed in anima est expressa
similitudo Trinitatis personarum. Ergo videtur quod per potentias animae,
quas philosophi multum consideraverunt, potuerunt in Trinitatem personarum
devenire. |
2. De plus, les
philosophes ont pu en venir à la connaissance de ce qui se reflète dans les
creatures. Mais dans l’âme il y a une resemblance qui représente
la Trinité des personnes. Il semble donc qu’au moyen des puissances de l’âme
que les philosophes ont grandement considérées, ces derniers ont pu en venir
à une connaissance de la Trinité des personnes. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 arg.
3 Item, Richardus de s. Victore (De Trin., cap. IV), dicit:
« Credo sine dubio quod ad quamcumque explanationem veritatis, quae
necesse est esse, non modo probabilia, immo et necessaria argumenta non
desunt ». Sed necessarium est cognoscere
Trinitatem. Ergo videtur quod ad ipsius cognitionem philosophi rationem
habere potuerunt. Quod etiam videtur ex probationibus supra inductis, dist. 2,
art. 4, quibus Trinitas probatur. |
3. En outre, Richard de Saint
Victor [de la Trinité, ch. IV] dit : Je crois sans aucun doute
que pour toute explication de la vérité qui doit nécessairement exister, les
arguments, non pas ceux qui se présentent sous une forme probable, mais
plutôt ceux qui sont nécessaires, ne manquent pas. Mais il est nécessaire
de connaître la Trinité. Il semble donc que pour cette connaissance les
philosophes ont pu posséder des arguments. Ce qui apparaît aussi à partir des
preuves introduites plus haut [dist. 2, art. 4], par lesquelles on prouve la
Trinité. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 arg.
4 Item, dicitur Rom. 1 in Glossa quod philosophi non pervenerunt ad notitiam
personae tertiae, scilicet Spiritus sancti, et idem habetur super Exod.
8, ubi dicitur, quod magi Pharaonis defecerunt in tertio signo. Ergo
videtur ad minus quod ad notitiam duarum personarum venerunt. |
4. Par ailleurs, on
dit dans la glose de la Lettre aux Romains que les philosophes ne sont pas
parvenus à la connaissance de la troisième personne, à savoir l’Esprit-Saint
et on affirme la même chose au livre de l’Exode [ch. 8] que les magiciens de
Pharaon renoncèrent au troisième signe. Il semble donc qu’ils en vinrent au
moins à la connaissance de deux personnes. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 s. c.
1 Contra, Hebr. 11, 1: Fides est substantia
sperandarum rerum, argumentum non apparentium. Sed Deum esse trinum et
unum, est articulus fidei. Ergo non est apparens rationi. |
Cependant : 1. On dit dans la Lettre aux Hébreux (11, 1) : La
foi est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on
ne voit pas. Mais que Dieu soit à la fois trine et un, cela est un
article de foi. Donc, cela n’est pas accessible à la raison. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 co.
Respondeo dicendum, quod per naturalem rationem non potest perveniri in
cognitionem Trinitatis personarum ; et ideo philosophi nihil de hoc
sciverunt, nisi forte per revelationem vel auditum ab aliis. Et hujus ratio
est, quia naturalis ratio non cognoscit Deum nisi ex creaturis. Omnia
autem quae dicuntur de Deo per respectum ad creaturas, pertinent ad essentiam
et non ad personas. Et ideo ex naturali ratione non venitur nisi in attributa
divinae essentiae. Tamen personas, secundum appropriata eis, philosophi
cognoscere potuerunt, cognoscentes potentiam, sapientiam, bonitatem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on ne peut parvenir à la connaissance de la Trinité des personnes par la
raison naturelle ; et c’est pourquoi les philosophes n’ont rien su à ce
sujet, si ce n’est bien sûr par révélation ou pour l’avoir entendu dire par
d’autres. Et la raison en est que la raison naturelle ne connaît Dieu qu’à
partir des créatures. Mais tout ce qu’on dit de Dieu en partant des créatures
se rapporte à l’essence divine et non aux personnes de la divinité. Et c’est
pourquoi en s’appuyant sur la raison naturelle on ne peut arriver à connaître
que les attributs de l’essence divine. Cependant les philosophes pouvaient,
selon le mode qui leur convient, connaître les personnes en connaissant la
puissance, la sagesse et la bonté. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, secundum expositionem
Commentatoris, Aristoteles non intendit Trinitatem personarum in Deo ponere ;
sed propter hoc quod in omnibus creaturis apparet perfectio in ternario,
sicut in principio, medio et fine, ideo antiqui honorabant Deum in
sacrificiis et orationibus triplicatis. Plato autem dicitur multa cognovisse
de divinis, legens libris [libros Éd. de Parme] veteris legis,
quos invenit in Aegypto. Vel forte intellectum paternum nominat intellectum
divinum, secundum quod in se quodam modo concipit ideam mundi, quae est
mundus archetypus. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que d’après l’explication du Commentateur, Aristote ne cherche pas à
affirme qu’il y a trois personnes en Dieu ; mais pour cette raison que
le nombre trois semble présenter une perfection dans toutes les créatures
comme le commencement, le milieu et la fin, c’est pourquoi les anciens
honoraient Dieu dans des sacrifices et des discours qui se multipliaient par
trois. Mais on dit que Platon a connu beaucoup de choses sur Dieu en lisant
les libres de la loi ancienne qu’il trouva en Égypte. Ou bien peut-être
appelle-t-il intelligence paternelle l’intelligence divine d’après laquelle
il conçut en lui-même d’une certaine manière l’Idée du monde qui est le
premier monde en tant que principe. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 2
Ad secundum dicendum, quod similitudo Trinitatis relucens in anima est omnino
imperfecta et deficiens, sicut infra dicet Magister. Sed dicitur expressa per
comparationem ad similitudinem vestigii. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la similitude de la Trinité qui se reflète dans l’âme est absolument
imparfaite et déficiente, comme le dira plus loin le Maître. Mais on dit
qu’elle représente la Trinité sous le rapport d’une ressemblance de vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 3
Ad tertium dicendum, quod si dictum Richardi intelligatur universaliter, quod
omne verum possit probari per rationem, est expresse falsum ; quia prima
principia per se nota non probantur. Si autem aliqua sunt in se nota quae
nobis occulta sunt, illa probantur per notiora quo ad nos. Notiora autem quo
ad nos sunt effectus principiorum. Ex effectibus autem creaturarum, Trinitas
personarum probari non potest, ut dictum est. Et ideo relinquitur quod nullo
modo possit probari ; et omnes rationes inductae sunt magis adaptationes
quaedam, quam necessario concludentes. Remoto enim per impossibile intellectu
distinctionis personarum, adhuc remanebit in Deo summa bonitas et beatitudo
et caritas. |
3. En troisième lieu il faut
dire que si les paroles de Richard s’entendent absolument, à savoir que tout
ce qui est vrai peut être prouvé par la raison, cela est manifestement
faux ; car les premiers principes connus par soi ne sont pas prouvés.
Mais s’il y a des vérités connues par soi qui nous sont inconnues, celles-là
sont prouvées par des vérités plus connues de nous. Mais les vérités plus
connues de nous sont des effets des principes. Mais à partir des effets des
créatures, la Trinité des personnes ne peut être prouvée, ainsi que nous
l’avons dit. Et c’est pourquoi il s’ensuit qu’elle ne peut en aucune façon
être prouvée ; et toutes les raisons qu’on introduit sont davantage des
ajustements que des raisons qui concluent avec nécessité. En effet, si par
impossible on écarte la compréhension de la distinction des personnes, il
demeurera encore en Dieu la bonté, la béatitude et la charité sous leur forme
la plus parfaite. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 4
Ad quartum dicendum, quod philosophi non pervenerunt in cognitionem duarum
personarum quantum ad propria, sed solum quantum ad appropriata, non
inquantum appropriata sunt, quia sic eorum cognitio dependeret ex propriis,
sed inquantum sunt attributa divinae naturae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que les philosophes ne
sont pas parvenus à la connaissance de deux personnes quant à ce qui les
distingue en propre mais seulement quant à des effets appropriés, non pas
cependant en tant qu’ils sont appropriés, car ainsi la connaissance de ces
derniers dépendrait de leurs effets propres, mais en tant qu’ils sont des
attributs de la nature divine. |
Et si objiciatur, quod
similiter devenerunt in cognitionem bonitatis, quae appropriatur spiritui
sancto, sicut in cognitionem potentiae et sapientiae, quae appropriantur
patri et filio: dicendum, quod bonitatem non cognoverunt quantum ad
potissimum effectum ipsius, incarnationem scilicet et redemptionem. Vel quia
non tantum intenderunt venerationi bonitatis divinae, quam etiam non
imitabantur, sicut venerati sunt potentiam et sapientiam. |
Et si on objectait que de la
même manière ils sont parvenus à la connaissance de la bonté qui est
appropriée à l’Esprit-Saint comme à la connaissance de la puissance et de la
sagesse qui sont respectivement appropriés au Père et au Fils, il faut dire
qu’ils n’ont pas connu la bonté quant à son effet le plus puissant, à savoir
l’incarnation et la rédemption. Ou encore qu’ils n’ont pas cherché à vénérer
la bonté divine, qu’ils n’ont pas même imitée, comme ils ont vénéré la
puissance et la sagesse. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Les traces] [5] |
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Prooemium |
Prologue |
Prooemium Lib. 1 d. 3 q. 2 pr Deinde quaeritur de vestigio, circa quod quaeruntur tria: 1 quid sit vestigium ; 2 de partibus vestigii
; 3 utrum in omni
creatura vestigium inveniatur. |
Proème, Livre 1, d. 3, q. 2 pr. On s’interroge ensuite sur le vestige, au sujet duquel on
pose trois questions : 1. Qu’est-ce qu’un vestige ? 2. Quelles en sont les parties ? 3. Est-ce qu’on retrouve un vestige en toute
créature ? |
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Articulus 1- I Sent. D.3, qu.
2, a. 1. Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 tit. Utrum similitudo Dei in creaturis, possit
dici vestigium |
Article 1 – La ressemblance de Dieu dans les créatures peut-elle être appelée vestige ? |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod similitudo
Creatoris reperta in creatura, non potest dici vestigium. Per vestigium enim
res investigatur. Sed divina majestas est investigabilis: unde dicitur Rom.
11, 33: O altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei, quam
incomprehensibilia sunt judicia ejus, et investigabiles viae ejus ! Et Psalm. 76,
20: Et vestigia tua non cognoscentur[6]. Ergo videtur quod similitudo creatoris in creatura
non sit vestigium. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède
par rapport à cette question. Il semble que la similitude du Créateur
découverte dans la créature ne puisse être appelée vestige. C’est au moyen
d’un vestige en effet qu’une chose est découverte. Mais la divine majesté ne
peut être découverte : c’est pourquoi Paul dit dans la Lettre aux
romains (11, 33) : O abîme des richesses de la sagesse et de la
science de Dieu ! que ses décrets sont insondables et ses voies
incompréhensibles ! Et le Psalmiste nous dit (76,
20) : Et tes traces, nul ne les connut. Il semble donc que
la similitude du créateur dans la créature ne soit pas un vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 arg.
2 Praeterea, vestigium est impressio quaedam consequens motum ejus cujus est
vestigium. Sed Deus res producit sine aliquo sui motu, Jac. 1,
17: Apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio.
Ergo vestigium non potest dici de similitudine creaturae, quae a creatore
producitur. |
Par ailleurs, un vestige est
une impression qui découle du mouvement de ce dont il est le vestige. Mais
Dieu produit les choses sans aucun mouvement selon ce que Jacques en dit dans
sa Lettre (1, 17) : Celui chez qui n’existe aucun
changement ni l’ombre d’une variation. On ne peut donc attribuer le terme
de vestige à la similitude de la créature qui est produite par le Créateur. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, vestigium, secundum quod hic sumitur, inducit
in cognitionem personarum. Sed per creaturas non potest haberi cognitio
Trinitatis, ut dictum est. Ergo similitudo reperta in creaturis non debet
dici vestigium ; vel vestigium non ducit in Trinitatem. |
3. En outre le
vestige, dans le sens où il est pris ici, introduit à la connaissance des
personnes. Mais on ne peut acquérir une connaissance de la Trinité au moyen
des creatures, ainsi que nous l’avons dit. Donc la similitude découverte dans
les créatures ne doit pas être appelée vestige; ou bien encore, si on le
fait, le vestige ne conduit pas à la Trinité. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a.
1 arg. 4 Item, Gregorius dicit, (X Moral., c.VIII) super
illud Job 11, 7: « Forsitan vestigia » Dei
comprehendes ? »Benignitas visitationis, qua viam nobis ostendit,
ejus vestigia dicuntur. Ergo videtur, quod vestigium non sit similitudo Dei
reperta in creaturis. |
4. Grégoire dit de
plus [X Moral., ch. VIII] au sujet de ce passage de
Job (11, 7): ¨Peut-être pretends-tu comprendre les vestiges de Dieu?¨: La
bienveillance de la manifestation par laquelle il nous montre la voie est ce
qu’on appelle son vestige. Il semble donc que la similitude de Dieu
découverte dans les creatures ne soit pas un vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod vestigium, secundum quod hic dicitur [sumitur Éd.
de Parme], metaphorice accipitur, et sumitur ad similitudinem vestigii
proprie dicti, quod est impressio quaedam, confuse ducens in cognitionem
alicujus, cum non repraesentet ipsum nisi secundum partem, scilicet pedem, et
secundum inferiorem superficiem tantum. Tria ergo considerantur in ratione
vestigii: scilicet similitudo, imperfectio similitudinis, et quod per
vestigium in rem cujus est vestigium devenitur. Secundum hoc
ergo, quia in creaturis invenitur similitudo creatoris, per quam in ipsius
cognitionem devenire possimus, et est imperfecta similitudo ; ideo in
creaturis dicitur vestigium creatoris. Et quia creaturae [creaturae om.
Éd. de Parme] magis deficiunt a repraesentatione distinctionis
personarum, quam essentialium attributorum ; ideo magis proprie dicitur
creatura vestigium, secundum quod ducit in personas, quam secundum quod ducit
in divinam essentiam. |
Corps de l’article: Je réponds que le
vestige, dans le sens où il est pris ici, se dit dans un sens métaphorique et
se tire d’une resemblance avec le vestige proprement dit, lequel est une
certaine impression qui conduit confusément à la connaissance d’une chose
puisqu’elle ne la représente que selon une partie, à savoir le pied et
seulement d’après une étendue inférieure. Tois aspects sont donc considérés
dans la notion de vestige: à savoir la similitude, l’imperfection de la
similitude et ce qui est découvert au moyen du vestige dans la chose dont
elle est le vestige. D’après cela par conséquent, parce que dans les
créatures on retrouve une similitude du créateur, par laquelle nous pouvons
en venir à la connaissance de ce dernier et que cette similitude est
imparfaite, c’est pourquoi cette similitude dans les créatures est appellée
vestige du créateur. Et parce que les creatures s’écartent davantage d’une
representation de la distinction qu’il y a entre les personnes que de la
représentation des attributs essentiels, c’est pourquoi la créature est plus
proprement appellée vestige selon qu’elle conduit à la connaissance des
personnes que selon qu’elle conduit à la connaissance de l’essence divine. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod divinae viae dicuntur investigabiles, quia non
ad plenum ipsius opera comprehendere possumus, non quod ex creaturis nullo
modo in ipsas devenire possimus. |
Solutions: 1. Il faut dire
premièrement qu’on dit des voies de Dieu qu’elles sont impénétrables, non pas
parce qu’à partir des creatures nous ne pouvons parvenir en aucune manière à
celles-ci mais parce que nous ne pouvons parvenir à comprendre pleinement ses
oeuvres. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod in his quae dicuntur per translationem, sufficit
quod attendatur similitudo quantum ad aliquid, et non oportet quod quantum ad
omnia ; alias esset proprietas [identitas Éd. de Parme], et non
similitudo. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que pour les choses qui sont dites métaphoriquement, il suffit que la
similitude s’étende à un certain rapport et non pas à tous les
rapports ; autrement, le terme désignerait une propriété ou une identité
et non pas une similitude. |
ib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod per vestigium non devenimus in cognitionem
personarum, nisi valde confuse ; quia per appropriata personis, magis quam
per ipsarum propria, sicut patet ex littera. Appropriata autem sunt
essentialia, quamvis similitudinem habeant cum propriis personarum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’au moyen d’un vestige on n’en vient pas à la connaissanace des
personnes, si ce n’est sans doute d’une manière confuse ; car alors
c’est au moyen des attributs qui sont appropriés aux personnes qu’on les
connaît plutôt que par ceux qui leur sont propres, ainsi qu’on le voit à
partir du document. Mais les attributs appropriés sont essentiels, bien
qu’ils entretiennent une similitude avec ceux qui sont propres aux personnes. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod uni rei possunt esse multa similia ; unde non est
inconveniens quod ab eodem transumentur [transmutentur Éd. de Parme]
aliqua diversa secundum diversas similitudines ; et ideo potest esse quod
similitudo reperta in creaturis dicatur vestigium in quantum confuse
repraesentat ; et opera divinae bonitatis in mysterio incarnationis ostensa
dicantur vestigia Dei inquantum per ea nobis via paratur ad veniendum in
ipsum. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que pour une seule et même chose il peut exister plusieurs
similitudes ; de là il n’y a pas de problème à ce que divers rapports
selon différentes similitudes soient reçus par une même chose ; et c’est
pourquoi il peut arriver que la similitude découverte dans les créatures soit
appelée vestige selon qu’elle représente confusément ce dont elle est la
similitude ; et les œuvres de la bonté divine manifestées dans le
mystère de l’incarnation sont appelées vestige de Dieu dans la mesure où
elles nous préparent le chemin pour parvenir jusqu’à Lui. |
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Articulus 2 Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 tit. Utrum partes vestigii sint
tres tantum vel duae. |
Article 2 – Est-ce que les parties du vestige sont au nombre de trois ou n’y en a-t-il que deux ? |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod debeant esse
tantum duae partes vestigii. Vestigium enim est proprietas quaedam creaturae.
Sed creatura habet tantum duas partes essentiales, scilicet materiam et
formam. Ergo videtur quod secundum has partes duae tantum sint partes
vestigii. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de ce deuxième article. Il semble qu’un vestige ne comporte que deux
parties. Un vestige en effet est une certaine propriété d’une créature. Mais
la créature ne possède que deux parties essentielles, à savoir la matière et
la forme. Il semble donc que le vestige ne comporte que deux parties d’après
ces composantes. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, videtur quod
quatuor. Per vestigium enim non tantum repraesentatur personarum Trinitas,
sed etiam unitas essentiae. Ergo oportet esse tria respondentia tribus
personis et quartum respondens unitati essentiae. |
2. En outre, il semble qu’un
vestige comporte quatre parties. Par un vestige en effet ce n’est pas
seulement la Trinité des personnes qui est représentée, mais aussi l’unité de
l’essence. Il faut donc qu’il y ait trois parties qui correspondent aux trois
personnes et une autre qui correspond à l’unité de l’essence. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, vestigium dicitur in creatura secundum quod
repraesentat creatorem. Cum igitur in creaturis repraesententur plurima
attributa ipsius Dei, quae participantur a creaturis, sicut patet per
Dionysium (de div. Nom., cap. IX) videtur quod sint plurimae
partes. |
3. De plus, on dit qu’il y a
vestige dans la créature selon qu’elle représente le Créateur. Donc,
puisqu’une multitude d’attributs de Dieu, dont les créatures participent,
sont représentés dans celles-ci, ainsi qu’on le voit chez Denys [Les Noms
Divins, ch. 1X], il semble qu’un vestige comporte une multitude de parties. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg.
4 Item, a diversis inveniuntur partes diversae assignatae ; sicut Sap. 11, 21
dicitur: omnia in numero, pondere et mensura disposuisti ;
et Augustinus (de natura boni, cap. III), ponit modum, speciem et
ordinem ; et multis aliis modis secundum diversos. Quaeritur ergo de ratione
diversitatis assignationum. |
4. Par ailleurs, différentes
parties se trouvent à être attribuées d’après différents principes, ainsi
qu’il est dit dans le livre de la Sagesse (XI, 20) : Tu as tout
réglé avec nombre, poids et mesure ; et Augustin pose [Sur la
Nature du Bien, ch. 111] le mode, l’espèce et l’ordre ; et c’est de
plusieurs autres manières que se font les attributions d’après différents
critères. On s’interroge donc sur la raison de la diversité des attributions. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod vestigium invenitur in
creatura, inquantum imitatur divinam perfectionem. Perfectio autem creaturae
non statim habetur in suis principiis, quae imperfecta sunt, ut patet in
materia et forma, quorum neutrum habet per se [per se om. Éd. de
Parme] esse perfectum ; sed in conjunctione ipsius creaturae ad suum
finem. Distantia autem natura non conjungit sine medio: et ideo in creaturis
invenitur principium, medium et finis, secundum quae tria ponebat Pythagoras
perfectionem cujuslibet creaturae. Et secundum rationem etiam horum trium
repraesentatur in creaturis distinctio divinarum personarum, in quibus Filius
est media persona, sed Spiritus sanctus est in quo terminatur processio
personarum. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire qu’on retrouve un vestige dans la creature dans la mesure où elle
imite la perfection divine. Mais la perfection de la creature n’est pas
possédée immédiatement dans ses principes, lesquels sont imparfaits, ainsi
qu’on peut le voir dans la matière et la forme, alors qu’aucune des deux ne
possède par elle-même une existence parfaite, mais seulement dans la mesure
où elles sont unies dans la créature en vue de sa fin. Mais ce n’est pas sans
intermédiaire que la nature réunit ce qui est éloigné: et c’est pourquoi dans
les créatures on retrouve un commencement, un milieu et une fin sur lesquels
Pythagore fondait la perfection de toute créature. Et c’est encore suivant la
notion de ces trois principes que se trouve à être représentée dans les
creatures la distinction des personnes divines dans lesquelles le Fils est la
personne intermédiaire et l’Esprit-Saint est celle dans laquelle se termine
la procession des personnes. |
Contingit autem inter duo extrema esse plurima
[plura Éd. de Parme] media ; et ideo contingit quod principium et
medium et finis diversimode possunt assignari, secundum quod ex his omnibus,
[scilicet principio, medio et fine, et multis mediis add. Éd. de
Parme], quaedam possunt accipi ut principium et quaedam ut medium et
quaedam ut finis, diversimode combinando ; et ideo contingit quod a diversis
partes vestigii diversimode sunt assignatae. Verbi gratia, primum quod
pertinet ad perfectionem rei, sunt principia ipsius rei ; ultimum autem est
perfectio [ipsius add. Éd.
de Parme] rei secundum comparationem
[operationem Éd. de Parme] suam ad alias res non tantum prout in
se perfecta est. Inter haec autem multa sunt media. Est enim dispositio
principiorum, sive inclinatio ad esse principiati ; est etiam limitatio principiorum
sub forma principiati, et est forma ipsius principiati et est virtus et
operatio et multa hujusmodi. |
Il arrive cependant qu’entre
deux extrêmes il y ait plusieurs intermédiaires ; et c’est pourquoi il
arrive que le commencement, le milieu et la fin puissent être attribués de
diverses manières selon qu’à partir de tous ces termes [à savoir le
commencement, le milieu et la fin et les nombreux intermédiaires] certains
puissent se prendre comme commencement, certains comme milieu et certains
comme fin par des combinaisons différentes ; et c’est pourquoi il arrive
que les parties du vestige soient attribuées différemment par différentes
combinaisons. En d’autres mots, les principes de la chose elle-même sont ce
qui se rapporte en premier lieu à la perfection de la chose ; mais ce
qui s’y rapporte en dernier lieu c’est son rapport aux autres choses
[l’opération, d’après l’Éd. de Parme] et non seulement selon
qu’elle est parfaite en elle-même. Mais entre ces deux termes il y a de
nombreux intermédiaires. Il y a en effet la disposition des principes ou
l’inclination à l’existence de ce qui résulte du principe ; il y a aussi
la limitation des principes sous la forme de ce qui résulte des principes, il
y a la forme de l’effet lui-même, en plus de la puissance, de l’opération et
de plusieurs autres facteurs de cette sorte. |
Potest ergo assignari
vestigium, ut pro principio sumatur solum illud quod primum est, scilicet
ipsa substantia principiorum ; et pro medio illud quod est immediate sequens,
scilicet dispositio principiorum sive inclinatio ad esse principii ; et pro
fine illud totum quod consequitur ; et secundum hoc sumitur illud quod
dicitur Sapien. 11, numerus, pondus et mensura ; quia numerus pertinet ad
pluralitatem principiorum, pondus ad inclinationem principiorum in esse
principiati, mensura ad terminationem principiorum sub esse creati terminato
[terminat Éd. de Parme] ; ita quod in ista terminatione sumatur
et terminatio in esse et in operari et in omnibus aliis. Item potest aliter
sumi, ut pro principio sumatur ipsa substantia principiorum et inclinatio et
quidquid aliud pertinet ad principia, et pro medio sumatur ipsa forma
principiati, et pro ultimo sumatur ipsa comparatio ipsius rei ad ea quae sunt
extra rem. Et sic sumuntur illa verba Augustin, lib. LXXXIII quest., d.
XVIII.: « Quod constat, quod discernitur, quod congruit ». |
Le vestige peut donc être
assigné de telle manière que soit pris pour principe seulement ce qui est
premier, à savoir la substance même des principes ; et que soit pris
pour milieu ce qui suit immédiatement, c’est-à-dire la disposition des
principes ou l’inclination à l’existence de ce qui résulte du principe ;
et que soit pris pour fin ce tout qui en découle ; et c’est d’après cela
que se prend ce qui est dit dans le livre de la Sagesse (ch. 11), à savoir le
nombre, le poids et la mesure ; car le nombre se rapporte à la
multiplicité des principes, le poids à l’inclination des principes à
l’existence de ce qui en résulte ou de l’effet, et la mesure à
l’établissement des principes sous l’existence achevée de ce qui est
créé ; de telle manière que dans cet achèvement on entende à
la fois l’achèvement dans l’existence et l’opération et l’achèvement dans
toutes les autres étapes. On peut aussi recevoir cela autrement, de telle
manière que pour principe on prenne la substance même des principes et
l’inclination et toute autre chose qui se rapporte aux principes, qu’on
prenne pour intermédiaire la forme même de l’effet et que pour fin on prenne
le rapport même de la chose elle-même à ce qui est extérieur à la chose. Et
c’est ainsi qu’on reçoit ces paroles d’Augustin [Livre des
Quatre-vingt-trois Questions, d. XVIII] : ¨Ce qui les constitue, ce
qui les distingue, ce qui convient¨. |
Constat enim res per ipsa
sua principia, discernitur per formam, congruit per comparationem ad alterum:
et quasi similiter sumuntur ista, modus, species et ordo ; ita quod modus
pertineat ad principia determinata sub esse principiati, species ad formam,
ordo ad comparationem ad alterum ; nisi quod ista sunt abstracta et prima
concreta ; et quasi similiter accipiuntur ista, unum, verum et bonum ; ut
unitas rei pertineat ad suam determinationem prout ex principiis constituta
est, et veritas secundum quod habet formam, et bonum secundum quod ordinatur
ad finem. Item etiam potest sumi pro principio tota res secundum quod est
etiam perfecta per formam, et pro medio virtus, et pro fine operatio ; et sic
sumitur illa Dionysii: essentia, virtus et operatio. Et sic patet quod
secundum quod perfectio rei potest intelligi terminari ad diversa, et
secundum quod unum membrum potest multa vel pauca includere, invenitur
diversitas partium vestigii in omnibus secundum unam communem rationem
principii, medii et finis assignatam [signatam. Éd. de Parme]. |
C’est par ses principes eux-mêmes
en effet que la chose est constituée, par sa forme qu’elle se distingue et
c’est dans son rapport à la chose à laquelle elle est ordonnée qu’elle
convient : et c’est comme de la même manière que se prennent ces trois
termes, à savoir le mode, l’espèce et l’ordre, de telle manière que le mode
se rapporte aux principes déterminés dans l’existence de l’effet, l’espèce à
la forme et l’ordre au rapport à autre chose, si ce n’est que cette dernière
séquence est abstraite alors que la première est concrète ; et c’est
encore comme de la même manière que se reçoivent les termes suivants, à
savoir l’un, le vrai et le bien, de telle manière que l’unité de la chose se
rapporte à sa définition selon qu’elle est constituée de principes
déterminés, la vérité à la forme qu’elle possède et le bien à la fin à
laquelle elle est ordonnée. En outre on peut encore prendre pour principe la
totalité de la chose selon qu’elle est achevée par sa forme, pour
intermédiaire la puissance et pour fin l’opération ; et c’est de cette
manière que se prennent ces termes de Denys, à savoir l’essence, la puissance
et l’opération. Et ainsi il est clair que selon que la perfection de la chose
peut s’entendre comme s’arrêtant à différentes termes, et selon qu’un même
membre peut contenir plusieurs ou peu d’éléments, la diversité des parties du
vestige se retrouve en tous d’après une même notion commune de principe, de
milieu et de fin ayant été attribuée. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sint duae partes essentiales creaturae,
nihilominus tamen est accipere habitudinem unius ad alteram, et multas etiam
perfectiones consequentes, secundum quas partes vestigii assignari possunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien qu’il y ait dans la créature deux parties essentielles,
il faut néanmoins comprendre le rapport de l’une à l’autre et aussi les
nombreuses perfections qui en découlent d’après lesquelles les parties du
vestige peuvent être attribuées. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod sicut in Deo essentia non facit numerum cum
personis, ita et in creatura est, quod tribus partibus vestigii substat ipsum
esse creaturae repraesentans essentiam non connumeratum tribus partibus
vestigii. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tout comme en Dieu l’essence ne fait pas nombre avec les personnes,
de même dans la créature l’existence même de la créature représentant
l’essence qui se tient sous les trois parties du vestige ne compte pas parmi
les trois parties du vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 ad 3
Ad tertium dicendum, quod proprietates creaturarum, ex quibus ducimur in
divina attributa, quamvis sint plura, habent tamen ordinem ad invicem
principii, medii et finis, sub quorum rationibus in tres personas ducunt,
qualitercumque diversificentur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les propriétés des créatures à partir desquels nous sommes conduits
aux attributs divins, bien qu’elles soient nombreuses, sont cependant
ordonnées les unes aux autres en tant que principes, intermédiaires et fins, et
c’est sous le rapport de ces notions qu’elles conduisent aux trois personnes,
peu importe par ailleurs de quelle manière ces propriétés diffèrent entre
elles. |
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Articulus 3 Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 tit. Utrum in omni creatura sit
vestigium |
Article 3 – Y a-t-il une trace en toute créature ? |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non in omni
creatura sit vestigium. Similitudo enim vestigii dividitur contra
similitudinem imaginis. Sed quaedam creaturae sunt in quibus est similitudo
imaginis, sicut in homine. Ergo in illis non est vestigium. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de ce troisième article. Il semle qu’il n’ y ait pas un vestige en
toute créature. La ressemblance du vestige en effet se distingue par opposition
à la ressemblance de l’image. Mais il existe des créatures dans lesquelles il
y a une ressemblance sous la forme de l’image, par exemple chez l’homme. Il
n’y a donc pas dans ces créatures une similitude de vestige. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 3 arg. 2 Item, vestigium est similitudo imperfecte
repraesentans. Sed aliquae creaturae sunt quae sunt [quae sunt om. Éd. de Parme] perfecta similitudo
divinae bonitatis, sicut gratiae gratum facientes, cum quibus Deus dicitur
inhabitare in homine. Ergo in illis non est vestigium. |
2. En outre, le vestige est
une similitude dont la représentation est imparfaite. Mais il y a certaines
créatures qui sont une similitude parfaite de la bonté divine, comme les
grâces qui rendent agréable et avec lesquelles on dit de Dieu qu’il habite en
l’homme. Il n’y a donc pas de vestige en elles. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg.
3 Item, si accipiamus singulas partes vestigii, quaelibet earum creatura est,
sicut modus, vel species. Si igitur in qualibet creatura est vestigium, tunc
modi erit modus, species et ordo ; et ita erit abire in infinitum, quod nec
intellectus nec natura patitur. |
3. De plus, si on prend
chacune des parties du vestige, chacune d’elles est une créature, comme le
mode ou l’espèce. Si donc il y a vestige en toute créature, alors il y aura
un mode, une espèce et un ordre du mode et ainsi on ira à l’infini, ce qui ne
s’accorde ni avec l’intelligence, ni avec la nature. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg.
4 Item, Ambrosius dicit: « Lucis natura est ut non sit in numero,
pondere et mensura, sicut alia creatura ». In
his autem tribus attenditur vestigium, secundum Augustinum, ut dictum est,
art. antecedent. Cum igitur lux sit creatura, videtur quod non in qualibet
creatura sit vestigium. |
4. En outre, Ambroise
dit : ¨La nature de la lumière est telle, contrairement aux autres
créatures, qu’elle ne comporte ni nombre, ni poids, ni mesure.¨ Mais ces
trois termes s’appliquent au vestige, d’après Augustin, ainsi que nous
l’avons dit dans l’article précédent. Donc, puisque la lumière est une créature,
il semble qu’il n’y ait pas vestige en toute créature. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg.
5 Item, Bernardus: « Modus caritatis est non habere modum ».
Ergo caritas, cum sit creatura, non habet modum, speciem et ordinem ; et sic
idem quod prius. |
5. Par ailleurs, Bernard
dit : ¨Le mode de la charité consiste à ne pas avoir de mode¨.
Donc la charité, bien qu’elle soit une créature, ne possède ni mode, ni
espèce, ni ordre. Donc, le vestige ne se retrouve pas en toute créature. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 s. c.
1 Contra, Sap. 11, 2: omnia in numero, pondere et mensura disposuisti.
Item Augustinus loquens de modo, specie, et ordine, dicit: ubi haec
tria magna sunt, magnum bonum est ; ubi parva, parvum ; ubi nulla, nullum.
Sed omnis creatura est aliquod bonum. Ergo omnis creatura habet haec tria. |
Cependant : 1. On lit dans le livre de la
Sagesse (11, 20) : Tu as tout réglé avec nombre, poids et mesure. En
outre, Augustin dit, en parlant du mode, de l’espèce et de
l’ordre : là où ces trois dispositions sont considérables, il y
a un grand bien ; là où elles sont minimes, le bien est minime ; là
où elles sont absentes, le bien est absent. Mais toute créature est un
bien. Donc, toute créature possède ces trois dispositions. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod vestigium invenitur in
creatura, secundum quod consequitur esse perfectum a Deo, ut supra dictum
est, art. praecedenti. Unde in his tantum simpliciter est invenire vestigium
quae perfecta sunt in se ; et hujusmodi sunt tantum individua in genere
substantiae. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire que le vestige se rencontre dans la créature selon qu’elle imite la
perfection de Dieu, ainsi que nous l’avons dit plus haut dans l’article
précédent. De là, à parler absolument, le vestige se rencontre seulement dans
les êtres qui sont parfait en eux-mêmes; et sont de cette sorte seulement les
individus contenus dans le genre de la substance. |
Accidentia autem non habent
esse, nisi dependens a substantia ; unde etiam in accidentibus non est
vestigium, nisi secundum ordinem ad substantiam ; ita quod accidentia magis
sint modi, species et ordines substantiarum, quam ipsa habeant speciem, modum
et ordinem: nisi effective Deus dicatur species, modus et ordo accidentium. Tamen, cum
secundum quodlibet accidens addatur aliquod esse ipsi substantiae, erit
secundum illud esse aliquo modo considerare vestigium. Unde quod privat illud
accidens, privat partes vestigii, scilicet modum, speciem et ordinem, quantum
ad illud esse ; sicut peccatum, quod privat gratiam, dicitur privatio modi,
speciei et ordinis, secundum esse gratuitum ; nihilominus tamen manent haec
tria secundum esse naturae. |
Mais les accidents
ne possèdent d’existence qu’en dépendant de la substance; par conséquent
encore il n’y a de vestige dans les accidents que selon leur rapport à la
substance de sorte que les accidents sont bien les modes, les espèces et les
ordres des substances plutôt qu’ils ne possèdent par eux-mêmes une espèce, un
mode et un ordre, à moins bien sûr que Dieu, comme cause efficiente, ne soit
appelé l’espèce, le mode et l’ordre des accidents. Cependant, puisque suite à
tout accident une certaine forme d’existence est ajoutée à la substance, il
faudra considérer d’une certaine manière un vestige selon cette existence.
Par la suite, ce qui prive de cet accident prive des parties du vestige, à
savoir du mode, de l’espèce et de l’ordre quant à cette existence; par
exemple on dit du péché, qui prive de la grâce, qu’il est une privation du
mode, de l’espèce et de l’ordre quant à l’existence de la grâce; cependant,
ces trois dispositions demeurent selon l’existence de la nature. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in superiori semper
includitur virtus inferioris, sicut in anima etiam est virtus naturae. Anima
enim est natura ipsius corporis, quod per ipsam movetur, et dat sibi esse
naturale, et super hoc habet proprias operationes suas: et ideo cum
similitudo imaginis sequatur animam secundum id quod intellectualis est, non
excluditur ab ea ratio vestigii, quae consequitur ipsam secundum quod natura
quaedam est creata. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que la puissance inférieure est toujours comprise dans
celle qui est supérieure, tout comme dans l’âme il y a encore la puissance de
la nature. L’âme en effet est ce qui par nature appartient au corps, lequel
se meut par elle et lui donne d’être naturelle, laquelle possède par delà le
corps les opérations qui lui sont propres; et c’est pourquoi, bien que la
similitude de l’image découle de l’âme en tant qu’elle est intellectuelle,
cependant il ne faut pas écarter de cette dernière la notion de vestige qui
découle de l’âme en tant que nature créée. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 2
Et similiter etiam dicendum ad secundum, quod gratia gratum faciens, secundum
id quod addit aliis creaturis, dicitur perfecta similitudo, non quidem
simpliciter, sed respectu aliarum creatarum similitudinum ; sed secundum id
in quo communicat cum aliis creaturis, habet rationem vestigii. |
2. Il faut
semblablement dire encore en deuxième lieu que la grâe qui rend agréable à
Dieu, quant à ce qu’elle ajoute aux autres créatures, est appelée similitude
parfaite, non pas absolument parlant, mais par rapport aux autres similitudes
créées; mais quant à ce qu’elle partage en commun avec les autres créatures,
elle a raison de vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
aliquid dicitur modificari aliquo dupliciter. Vel formaliter, et sic res dicitur modificari suo modo,
qui in ipsa est. Vel effective, et sic omnia modificantur ab eo qui modum
rebus imponit ; et hinc est quod Deus dicitur effective modus omnium rerum. Secundum hoc ergo dico,
quod modus creaturae non habet modum quo formaliter modificetur, sed modum
modificantem effective ; et ita est in omnibus aliis partibus vestigii. |
3. En troisième lieu il faut
dire qu’on dit d’une chose qu’elle est modifiée par quelque chose de deux
manières. Soit formellement, et ainsi
on dit d’une chose qu’elle est modifiée par son mode qui est en elle. Soit de façon efficiente et
ainsi toutes les choses sont modifiées par celui qui impose un mode aux
choses. Et c’est pour cela qu’on dit de Dieu qu’il est le mode de toutes les
choses à la manière d’une cause efficiente. Je dis donc d’après cela que
le mode de la créature ne possède pas le mode par lequel elle est modifiée
formellement, mais le mode qui modifie à la manière d’une cause
efficiente ; et il en est de même pour toutes les autres parties du
vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 4
Ad quartum dicendum, quod lux in se considerata, creata est in numero,
pondere et mensura, cum habeat finitum esse et posse, sicut et aliae
creaturae ; sed respectu aliarum creaturarum corporalium habet indeterminatam
virtutem, eo quod per lucem omnia corpora aliquo modo informantur et per
ipsam omnia corpora inferiora perficiuntur in suis naturis ; et hoc accidit
sibi inquantum est forma universalis et primi alterantis, scilicet caeli ; et
pro tanto non dicitur in numero, pondere et mensura esse creata. |
4. En quatrième lieu, il faut
dire que la lumière, considérée en elle-même, est créée en nombre, poids et
mesure, puisqu’elle possède une existence et une puissance limitées, comme
les autres créatures ; mais par rapport aux autres créatures corporelles
elle possède une puissance qui n’est pas limitée du fait que tous les autres
corps sont en quelque sorte informés par la lumière et que par elle tous les
corps inférieurs trouvent leur achèvement dans leur nature propre ; et
cela lui arrive dans la mesure où elle est une forme universelle et qu’elle
relève de la première cause du changement, à savoir le ciel ; et quant à
cela qu’on dit de la lumière qu’elle n’est pas créée en nombre, poids et
mesure. |
[308] Super Sent., lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 5 Ad
ultimum dicendum, quod caritas potest dupliciter considerari. Aut secundum esse quod habet in subjecto ; et hoc modo
modum habet secundum mensuram capacitatis recipientis, vel ex natura vel ex
conatu. Aut secundum inclinationem
in objectum, et sic intelligitur non habere modum: quia objectum, cum sit
infinitum, non proportionatur voluntati nostrae: unde nunquam tantum potest
amare Deum quin amplius amandus sit et se amare velit. |
5. Il faut dire finalement
que la charité peut être considérée de deux manières. Soit selon l’existence
qu’elle possède dans le sujet ; et de cette manière elle possède un mode
d’après la mesure de la capacité de celui qui la reçoit ou bien naturellement
ou bien avec effort. Soit selon l’inclination
qu’elle a vers son objet et ainsi elle se comprend comme n’ayant pas de
mode : car l’objet lui-même, puisqu’il est infini, est sans commune
mesure avec notre volonté : c’est pourquoi on ne peut jamais aimer Dieu
jusqu’à ce point où il doit être aimé et veut être aimé. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [Le substrat de l’image] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus partis duo quaeruntur: 1 de subjecto imaginis ; 2 de partibus imaginis enumeratis. |
Pour comprendre cette partie
on cherche à savoir deux choses : 1. Ce qu’il en est du sujet
de l’image. 2. Ce qu’il en est des
parties énumérées de l’image. |
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Articulus 1 Lib. 1 d. 3 q. 3 a.
1 tit. Utrum tantum mens sit subjectum imaginis. |
Article unique : L’esprit est-il le seul sujet de l’image ? |
Lib.
1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non tantum
mens sit subjectum imaginis. Augustinus enim ostendit, lib. II De
Trin., cap. 2, imaginem Trinitatis in visu corporali secundum tria quae
necessaria sunt ad visionem, scilicet res exterior et imago ejus in oculo, et
intentio videntis, quae ista duo conjungit. Visus autem corporeus non
pertinet ad mentem. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
suivante pour l’examen de la question qui précède. Il semble que ce ne soit
pas seulement l’esprit qui soit le sujet de l’image. Augustin manifeste en
effet [Livre 11 De la Trinité, ch. 2] l’image de la Trinité dans la vision
corporelle d’après trois conditions qui sont nécessaires à la vision
corporelle, à savoir la chose extérieure, l’image de cette chose dans l’œil,
et l’intention de celui qui voit, laquelle réunit les deux premières. Mais la
vision corporelle n’appartient pas au domaine de l’esprit. Donc, l’esprit
n’est pas le seul sujet de l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg.
2 Item, Damascenus, lib. III De fide orthod., cap. XVIII,
assignat imaginem in libero arbitrio, quod etiam non videtur esse de
pertinentibus ad mentem. |
2. De plus, Damascène [Livre
111 De la Foi orthodoxe, ch. XVIII] attribue l’image au libre arbitre qui lui
non plus ne semble pas faire partie de ce qui appartient à l’esprit. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg.
3 Item, Augustinus, XIV de Trin., cap. VIII :
« Imago Trinitatis ibi quaerenda est in anima nostra, quo nihil habet
melius ». Haec autem videtur esse ratio superior, secundum quam aeternis
contemplandis inhaeret. Ergo videtur quod in ratione superiori sit imago. |
3. Par ailleurs, Augustin
[XVI De la Trinité, ch. VIII] dit : ¨L’image de la Trinité
doit être recherchée dans notre âme là où elle ne possède rien de mieux¨.
Mais cette partie semble être la raison supérieure d’après laquelle l’âme
s’attache à contempler les vérités éternelles. Il semble donc que le sujet de
l’image soit la raison supérieure. |
Lib.
1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 4 Item, Dionysius IV cap. De divin. Nom., § 22, col. 723 :
Angelus est imago divina. Ergo videtur quod non tantum in mente nostra sit
imago. |
4. En outre, Denys [Les Noms
Divins, ch. IV, & 22, col. 723] dit : L’Ange est l’image de
Dieu. Il semble donc que l’image ne soit pas seulement dans notre esprit. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg.
5 Contra, videtur quod in nulla creatura sit imago. Imago enim, ut dicit
Hilarius De Synod. § 13, est rei ad rem coaequandam discreta
et unica similitudo. Sed nulla res creata coaequat creatorem. Ergo in nulla
creatura potest imago creatoris inveniri. |
Cependant : Il semble au contraire que
l’image ne soit dans aucune créature. L’image en effet, comme le dit Hilaire
[Sur le Synode, & 13] est la similitude distincte et unique d’une chose
pour égaler la chose. Mais aucune chose créée ne peut égaler le Créateur. On
ne peut donc dans aucune créature retrouver une image du Créateur. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod imago in hoc differt a vestigio: quod vestigium est
confusa similitudo alicujus rei et imperfecta ; imago autem repraesentat rem
magis determinate secundum omnes suas [suas om. Éd. de Parme]
partes et dispositiones partium, ex quibus etiam aliquid de interioribus rei
percipi potest. Et ideo in illis tantum creaturis dicitur esse imago Dei quae
propter sui nobilitatem ipsum perfectius imitantur et repraesentant ; et ideo
in Angelo et homine [tantum dicitur imago divinitatis, et in homine add.
Éd. de Parme] secundum id quod est in ipso nobilius. Alia autem, quae
plus et minus participant de Dei bonitate, magis accedunt ad rationem
imaginis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’image diffère en cela du
vestige que ce dernier est une similitude confuse et imparfaite d’une chose
alors que l’image représente la chose plus déterminément selon toutes ses
parties et toutes les dispositions de ses parties, à partir desquelles encore
on peut percevoir quelque chose de ce qu’il y a à intérieur même de la chose.
Et c’est pourquoi on dit qu’il y a une image de Dieu seulement dans ces
créatures qui en raison de leur excellence, imitent et représentent plus
parfaitement Dieu ; et c’est pourquoi l’image de Dieu n’est présente que
dans l’Ange et dans l’homme, et dans l’homme d’après ce qu’il y a en lui de
plus excellent. D’autres créatures cependant, qui participent plus ou moins
de la bonté de Dieu, s’approchent davantage de la notion d’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus in multis ostendit similitudinem
Trinitatis esse ; sed in nullo esse perfectam similitudinem, sicut in
potentiis mentis, ubi invenitur distinctio consubstantialis et aequalitas.
Constat autem illa tria in visu dicta, non esse consubstantialia, et ideo
solum in mente ponit imaginem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’Augustin montre que la similitude de la Trinité existe dans
de nombreux êtres ; mais dans aucun d’eux on ne retrouve une similitude
parfaite comme dans les puissances de l’esprit où on retrouve une
distinction consubstantielle et une égalité. Mais il est clair que ces trois
conditions dont on a parlé pour la vision corporelle ne sont pas
consubstantielles, et c’est pourquoi c’est seulement dans l’esprit qu’il pose
l’existence de l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod in libero arbitrio non potest esse perfecta
similitudo, cum non inveniatur ibi aliqua distinctio potentiarum ; nec etiam
est excellentior pars animae, cum sit tantum operativa. Et pars [constat
autem quod add. Éd. de Parme] contemplativa nobilior est parte
operativa. Sed Damascenus assignat ibi imaginem, large vocans imaginem
quamcumque similitudinem. Imitatur autem Deum liberum arbitrium, inquantum
est primum principium suorum operum non potens cogi. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans le libre arbitre il ne peut y avoir une similitude parfaite
puisqu’on ne retrouve pas là une distinction des puissances ; et ce
n’est pas non plus la partie la plus excellente de l’âme puisqu’elle est
seulement opérationnelle. Mais il est clair que la partie comtemplative est
plus noble que la partie opérationnelle. Mais Damascène désigne là l’image au
sens large, désignant par image toute similitude. Mais le libre arbitre est
une imitation de Dieu pour autant que, ne pouvant être contraint, il est le
premier principe des ses opérations. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod ratio superior inhaeret aeternis contemplandis,
inquantum sunt regula et norma agendorum, prout scilicet ex divinis
rationibus dirigimur in nostris operibus. Unde ibi non est imago ; sed in
illa parte quae aeterna secundum se contemplatur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la raison supérieure s’attache à la contemplation des vérités
éternelles dans la mesure où ces dernières sont les règles et les modèles de
nos actions, c’est-à-dire pour autant que c’est à partir des raisons divines
que nous sommes dirigés dans nos opérations. C’est pourquoi il n’y a pas là image,
mais seulement dans cette partie où les vérités éternelles sont contemplées
pour elles-mêmes, en tant que telles. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
imago Trinitatis potest attendi tripliciter. Vel quantum ad expressam repraesentationem divinorum
attributorum ; et sic, cum divinae bonitates copiosius effulgeant in Angelo
quam in homine, Angelus est expressior imago Dei quam homo, unde etiam
signaculum dicitur Ezech. XXVIII, secundum expositionem Gregorii, lib.
XXXIII Moralium, cap. XXXIII. Vel quantum ad distinctionem personarum ; et sic
expressior est similitudo in homine quam in Angelo, quia in Angelo suae
potentiae sunt minus distinctae. Vel inquantum ipse Deus est
principium rerum ; et sic imago invenitur in homine et non in Angelo,
inquantum unus homo est principium omnium hominum, sicut Deus omnium rerum,
et inquantum anima est in toto corpore tota, sicut Deus in mundo. Sed quia
ista repraesentatio est quantum ad exteriora, simpliciter concedendum est
quod angelus magis est ad imaginem, quam homo. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’image de la Trinité peut se prendre de trois manières. Soit quant à la
représentation distincte des attributs divins ; et ainsi, puisque les
bontés divines se répandent plus abondamment dans l’Ange que dans l’homme,
l’Ange est une image plus distincte de Dieu que l’homme et c’est pourquoi
Ézéchiel (XXVIII) dit de lui qu’il est une marque distinctive de Dieu d’après
l’explication qu’en donne Grégoire [Livre XXXIII, Sur les Choses Morales, ch.
XXXII]. Soit en tant que Dieu
lui-même est le principe des choses ; et ainsi l’image se retrouve en
l’homme et non dans l’Ange, pour autant qu’un seul homme est le principe de
tous les hommes, tout comme Dieu est le principe de toutes les choses, et
pour autant que l’âme est toute entière dans tout le corps, tout comme Dieu
est dans le monde. Mais parce que cette représentation se rapporte à ce qui
est extérieur, il faut concéder, absolument parlant, que l’Ange s’approche
davantage de l’image que l’homme. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum [ultimum Éd.
de Parme] dicendum, quod imago invenitur in Filio et in creatura
differenter, ut dicit Augustinus, lib. de decem Chordis, cap.,
sicut imago regis in filio, et in denario. Filius enim Dei est perfecta imago
Patris, perfecte repraesentans ipsum: creatura autem, secundum quod deficit a
repraesentatione, deficit a perfecta ratione imaginis. Unde etiam dicitur imago, et ad imaginem: quod de Filio
non dicitur. Et ideo non oportet quod creatura simpliciter adaequet creatorem:
hoc enim tantum verum est de Filio, qui est perfecta imago ; sed sicut
secundum quid repraesentat, ut imperfecta imago, ita etiam secundum quid
adaequat [coaequat. Éd. de Parme]. |
5. Il faut dire finalement
que l’image se retrouve dans le Fils et dans la créature, mais différemment,
ainsi que le dit Augustin [Livre Sur les Dix Cordes], tout comme l’image du
roi est dans son fils et sur la pièce de monnaie. En effet, le Fils de Dieu
est une image parfaite du Père qui le représente parfaitement : mais la créature,
selon qu’elle s’écarte de cette représentation, s’écarte de la notion
parfaite de l’image. C’est pourquoi on dit encore d’elle qu’elle est image et
qu’elle s’approche de l’image, ce qu’on ne peut dire au sujet du Fils. Et
c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la créature soit
absolument égale au Créateur : cela en effet n’est vrai que du Fils,
lequel est une image parfaite ; mais parce que la créature représente
Dieu sous un certain rapport, en tant qu’image imparfaite, de même encore
elle se compare à lui sous un certain rapport et non absolument. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [La connaissance de l’image] |
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Prooemium |
Proème |
Lib. 1 d. 3 q. 4 pr. Deinde quaeritur de partibus
imaginis: et primo de prima assignatione ; secundo de secunda. Circa primum
quaeruntur quinque: 1 de partibus imaginis quid unaquaeque sit, et qualiter
ab invicem differant ; 2 quomodo se habeant ad essentiam, utrum sint ipsa
essentia animae ; 3 quomodo se habeant ad invicem, utrum scilicet una ex
alia oriatur ; 4 de ipsis per comparationem ad objectum, scilicet
respectu cujus objecti attenditur in ipsis imago Trinitatis ; 5 de ipsis per
comparationem ad actum, utrum scilicet semper sint in suis actibus dictae
potentiae. |
On s’interroge ensuite sur les parties de l’image :
et en premier lieu sur la première attribution ; en deuxième lieu sur la
deuxième. Et sur la première partie on cherche à savoir cinq choses : 1. sur les parties de l’image on cherche à savoir ce
qu’est chacune d’elles, et de quelle manière elles diffèrent entre elles. 2. comment ces parties se rapportent à l’essence :
constituent-elles l’essence même de l’âme ? 3. quel rapport y a-t-il entre elles ?
Est-ce que l’une naît de l’autre ? 4. des parties de l’image par rapport à leur objet,
c’est-à-dire par rapport à l’objet de laquelle s’entend en elles l’image de
la Trinité. 5. de ces parties par rapport à leur acte, à savoir :
est-ce que les puissances dont on parle sont toujours en acte ? |
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Articulus 1 Lib. 1 d. 3 q.
4 a. 1 tit. Utrum memoria pertineat ad imaginem |
Article 1 – Est-ce que la mémoire a rapport à l’image ? |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod memoria non
pertineat ad imaginem. Sicut enim dicit Augustinus, XII de Trin., cap
; 17, quod in anima reperies commune cum brutis, ad sensualitatem pertinet.
Memoria autem est communis nobis et brutis. Igitur cum imago non sit in
sensualitate, videtur quod memoria ad imaginem non pertineat. |
Difficultés: 1. Voici comment on
procède pour cette question. Il semble que la mémoire ne se rapporte pas à
l’image. Comme le dit en effet Augustin [Livre XII De la Trinité, ch. 17], ce
que tu partages en commun avec les brutes animales se rapporte à la
sensualité. Mais la mémoire est commune au genre humain et aux brutes
animales. Donc, puisque l’image ne se retrouve pas dans la sensualité, il
semble que la mémoire ne se rapporte pas à l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg.
2 Item, omnis potentia apprehendens determinatam temporis differentiam
pertinet ad sensitivam partem et non ad intellectum, qui est universalium,
quae intellectus abstrahit [quae abstrahunt Éd. de Parme] a
quolibet tempore. Sed memoria concernit tempus
praeteritum. Ergo non pertinet ad intellectivam partem in qua est imago, sed
ad sensitivam. |
2. En outre, toute
puissance qui appréhende une difference déterminée de temps appartient à la
partie sensitive et non à l’intelligence dont l’objet est l’universel que
l’intelligence sépare du temps. Mais la mémoire concerne le temps passé. La
mémoire n’appartient donc pas à la partie intellectuelle dans laquelle est
l’image, mais à la partie sensitive de l’âme. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 3 Item, dicitur, XI, Metaph., text.
36, a Commentatore, quia natura intellectiva dividitur in intellectum et
voluntatem ; nec ullus unquam philosophus in intellectiva parte posuit
memoriam ; qui tamen potentias animae consideraverunt. Ergo memoria non pertinet
ad imaginem. |
3. De plus, le Commentateur
[Livre XI, Métaph., text. 36] dit que la nature intellectuelle se divise par
l’intelligence et la volonté ; mais jamais aucun philosophe n’a posé la
mémoire dans la partie intellectuelle ; pourtant, les philosophes ont
étudié les puissances de l’âme. La mémoire n’appartient donc pas à l’image. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod nec intelligentia pertineat ad
imaginem. Secundum
enim Dionysium, De caelest. Hier., cap. IV, § 2,
distinguuntur quatuor gradus entium, scilicet intellectualia, rationalia,
sensibilia et simpliciter existentia. Homo autem non continetur sub
intellectualibus, sed sub rationalibus. Cum igitur hic quaeratur quid sit
imago, secundum quod est in homine, videtur quod intelligentia ad imaginem
non pertineat. |
4. Par ailleurs, il semble
que l’intelligence elle-même n’appartienne pas à l’image. En effet, d’après
Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. IV, &2] tous les êtres se
divisent en quatre degrés, à savoir les intellectuels, les rationnels, les
sensibles et ceux qui existent tout simplement. L’homme cependant n’est pas
contenu dans les êtres intellectuels mais dans les rationnels. Donc,
puisqu’on recherche ici ce qu’est l’image selon qu’elle existe dans l’homme,
il semble que l’intelligence ne se rapporte pas à l’image. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 5 Item, potentiae distinguuntur per actus. Sed nosse et intelligere
non differunt nisi forte sicut habere in habitu et intueri in actu, secundum
quae non diversificantur potentiae, cum ejusdem potentiae sit habere habitum
et elicere actum. Ergo intelligentia, cujus actus assignatur intelligere, non
est alia potentia a memoria, cujus assignatur nosse. |
5. En outre, les puissances
se distinguent par leurs actes respectifs. Mais connaître et comprendre ne
diffèrent peut-être que comme posséder par habitus diffère de considérer en
acte, différence qui n’établit pas une distinction de puissance, puisqu’il
appartient à la même puissance de posséder l’habitus et de poser l’acte.
Donc, l’intelligence à laquelle est attribué l’acte de comprendre, n’est pas
une puissance distincte de la mémoire à laquelle est attribué l’acte de
connaître. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 6 Item, videtur quod nec voluntas. Voluntas
enim est principium operativum. Sed imago quaerenda est in parte suprema quae
est speculativa. Ergo voluntas non pertinet ad
imaginem. |
6. De plus, il
semble qu’il en soit de même pour la volonté. La volonté en effet est le
principe de nos actions. Mais l’image doit être recherché dans la partie
supérieure de l’âme qui est spéculative. La volonté ne se
rapporte donc pas à l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg.
7 Item, Augustinus, De spiritu et anima, cap.X, imago
est in potentia cognoscendi, similitudo in potentia diligendi. Sed voluntas
non est potentia cognoscendi, sed magis diligendi. Ergo non pertinet ad
imaginem sed ad similitudinem. |
7. Par ailleurs, selon
Augustin [De L’Esprit et de l’Âme, ch. X], l’image est dans la
puissance de connaître alors que la similitude est dans la puissance d’aimer.
Mais la volonté n’est pas dans la puissance de connaître mais plutôt dans la
puissance d’aimer. La volonté ne se rapporte donc pas à l’image mais à la similitude. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg.
8 Praeterea, illud quod imperat aliis et movet alia, est prius eis. Sed
voluntas movet omnes potentias alias, ut dicit Anselmus (lib. De
similitudinis, c.II ,. Ergo est prior quam memoria et
intelligentia, et ita non respondet ordini personarum ista assignatio, cum
voluntas Spiritui sancto approprietur. |
8. En outre, ce qui commande
aux autres et les meut leur est antérieur. Mais la volonté meut toutes les
autres puissances de l’âme, comme le dit Anselme [Livre sur les
Similitudes, ch. 11]. Elle est donc antérieure à la mémoire et à
l’intelligence et ainsi cette attribution ne correspond pas à l’ordre des
personnes, puisque la volonté est appropriée à l’Esprit-Saint. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a.
1 co. Respondeo dicendum, quod omnis proprietas consequens essentiam animae
secundum suam naturam, vocatur hic potentia animae, sive sit ad operandum
sive non. Cum igitur natura animae
sit receptibilis inquantum habet aliquid de possibilitate, eo quod omne
habens esse ab aliquo est possibile in se, ut probat Avicenna, lib. De
intellig., cap. IV, et non sit impressa organo corporali, cum habeat
operationem absolutam a corpore, scilicet intelligere ; consequitur ipsam
quaedam proprietas, ut impressa retineat. |
Corsp de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que toute propriété qui suit l’essence de l’âme selon sa nature s’appelle ici
puissance de l’âme, qu’elle soit ordonnée ou non à l’action. Donc, puisque la
nature de l’âme est apte à recevoir dans la mesure où elle possède de la
puissance, du fait que tout ce qui tient son existence d’un autre est en soi
en puissance comme le prouve Avicenne [Livre de l’Intelligence, ch. IV], et
qu’elle ne dépend pas d’un organe corporel, puisqu’elle possède une opération
dégagée du corps, c’est-à-dire comprendre, une propriété en découle pour
qu’elle puisse retenir ce qui la marque. |
Unde dicitur, III de
anima, text. 6, quod anima est locus specierum, praeter quam non
tota, sed intellectus. Ista ergo virtus retinendi dicitur hic potentia
memoriae. Ulterius, quia anima est immunis a materia, et omnis talis natura
est intellectualis, consequitur ut id quod in ipsa tenetur ab ea
intelligatur, et ita post memoriam sequitur intelligentia. |
C’est pourquoi on dit
[111 De l’Âme, text. 6] que l’âme est le lieu des espèces, non
pas toute l’âme, mais l’intelligence. Donc, cette capacité à retenir, on
l’appelle ici la puissance de la mémoire. Par la suite, parce que l’âme est
dégagée de la matière et qu’une nature de cette sorte est intellectuelle, il
s’ensuit que ce qui est conservé en elle soit compris, et ainsi
l’intelligence suit la mémoire. |
Item, quia id quod
intelligitur accipitur ut conveniens intelligenti, ideo consequitur voluntas,
quae tendit in ipsum conveniens: nec potest ultra procedere ; quia voluntas
est respectu finis, cum ejus objectum sit bonum, et rei perfectio non
extendatur ultra finem. Et secundum hoc sunt tres potentiae distinctae ab
invicem, memoria, intelligentia et voluntas. |
En outre, parce que ce qui
est compris est reçu comme convenant à celui qui comprend, c’est pourquoi
s’ensuit la volonté qui tend à ce qui est convenable ; et elle ne peut
procéder au-delà de ce point car la volonté se rapporte à la fin, puisque son
objet est le bien, et que la perfection d’une chose ne s’étend pas au-delà de
sa fin. Et c’est pour cela qu’il y a trois puissances distinctes les unes des
autres, à savoir la mémoire, l’intelligence et la volonté. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod memoria, secundum quod hic sumitur, non est
communis nobis et brutis, ut patet ex auctoritate philosophi inducta, in
corp., art., quia sola intellectiva anima in se retinet quod accipit, sed
sensitiva in organo corporali. |
1. Il faut donc dire en
premieur lieu que la mémoire, au sens où nous l’entendons ici, n’est pas
commune à l’homme et aux brutes animales, ainsi qu’on le voit par le
témoignage que présente le philosophe dans le corps de l’article, car seule
l’âme intellectuelle retient en elle-même ce qu’elle reçoit, alors que l’âme
sensible le retient dans un organe corporel. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aequivocatur nomen memoriae.
Memoria enim, secundum quod hic accipitur, abstrahit a qualibet differentia
temporis, ut in littera dicitur, quia est praesentium, praeteritorum et
futurorum ; unde sumitur hic pro memoria quae est potentia sensitivae partis,
quae habet organum in postrema parte capitis, et est thesaurus intentionum
sensibilium cum sensu, non a sensu acceptarum, ut dicit Avicenna, lib. De anima, part. IV, cap. IV. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le nom de mémoire est pris de manière équivoque dans cette
difficulté. La mémoire en effet, ainsi que nous l’entendons ici, fait
abstraction de toute différence de temps comme on peut le voir dans le texte,
car elle a pour objet à la fois le présent, le passé et le futur ; et
c’est pourquoi elle se prend ici par opposition à la mémoire qui est dans la
partie sensible de l’âme, laquelle a un organe dans la partie arrière de la
tête, et est comme l’entrepôt des intentions sensibles reçues avec le sens et
non seulement du sens, comme le dit Avicenne [Livre de L’Âme, partie
IV, ch. IV]. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophi accipiebant
potentias illas tantum quae ordinantur ad aliquem actum. Proprietas autem
retentiva ipsius animae non habet aliquem actum ; sed loco actus habet hoc
ipsum quod est tenere ; et ideo de memoria sic dicta non fecerunt mentionem
inter potentias animae. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que les philosophes d’admettaient que ces puissances qui sont
ordonnées à un acte. Mais à la propriété de conserver de l’âme elle-même ne
correspond pas un acte, mais à la place d’un acte il lui revient cela même
qui consiste à conserver; et c’est pourquoi, parmi les puissances de l’âme,
ils ne firent pas mention de la mémoire dont nous avons parlé. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, VII
cap. De divin. Nom., § 3, natura inferior secundum supremum
sui attingit infimum naturae superioris ; et ideo natura animae in sui
supremo attingit infimum naturae angelicae ; et ideo aliquo modo participat
intellectualitatem in sui summo. Et quia secundum optimum sui
assignatur imago in anima, ideo potius assignatur secundum intelligentiam,
quam secundum rationem ; ratio enim nihil aliud est nisi natura
intellectualis obumbrata: unde inquirendo cognoscit et sub continuo tempore
quod intellectui statim et plena luce offertur [confertur Éd. de
Parme] ; et ideo dicitur esse intellectus principiorum primorum, quae
statim cognitioni se offerunt. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que, tout comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. VII, &
3], la partie la plus élevée d’une nature inférieure atteint la partie la
moins élevée d’une nature supérieure ; et c’est pourquoi la nature de
l’âme dans ce qu’elle possède de plus élevé atteint ce qu’il y a de moins
élevé dans la nature angélique ; et c’est pourquoi elle participe d’une
certaine manière de la nature intellectuelle dans ce qu’elle a de plus noble.
Et parce que c’est d’après ce qu’elle possède de plus noble que l’image est
attribuée à l’âme, c’est pourquoi l’image lui est attribuée davantage d’après
l’intelligence que d’après la raison ; la raison en effet n’est rien
d’autre qu’une nature intellectuelle obscurcie : c’est pourquoi elle
connaît par mode d’enquête et dans la continuité du temps ce qui s’offre à
l’intelligence de façon immédiate et en pleine lumière ; et c’est
pourquoi on dit que l’intelligence a pour objet les premiers principes qui
s’offrent immédiatement à la connaissance. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod intelligere et nosse differunt: nosse enim est
notitiam rei apud se tenere ; intelligere autem dicit intueri. Quamvis autem
cujuslibet potentiae sit tenere suum habitum et objectum ; hoc tamen non est
earum, nisi inquantum est in eis virtus memoriae, quae immediate sequitur
essentiam naturae, sicut virtus prioris semper est in posteriori. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que comprendre et connaître diffèrent : connaître en effet c’est
conserver en soi la connaissance de la chose alors que comprendre implique la
considération actuelle de la chose. Mais bien qu’il appartienne à toute
puissance de posséder l’habitus et l’objet, cependant cela ne leur
appartient que dans la mesure où il y a en elles la puissance de
la mémoire qui suit immédiatement l’essence de la nature, tout comme la
puissance de ce qui est antérieur est toujours présente dans ce qui est
postérieur. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod voluntatis objectum est bonum.
Bonum autem habet rationem finis. Finis autem est et contemplationis et
actionis. Et ideo voluntas non tantum se habet ad partem
activam, sed etiam ad contemplativam: unde pertinet ad supremam partem
animae. |
6. Il faut dire en
sixième lieu que l’objet de la volonté est le bien. Mais le bien a raison de
fin. Mais la fin se rapporte à la fois à la contemplation et à l’action. Et
c’est pourquoi la volonté ne se rapporte pas seulement à la partie active
mais aussi à la partie contemplative; par conséquent la volonté appartient à
la partie supérieure de l’âme. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 7
Ad septimum dicendum, quod Augustinus vocat large potentiam cognoscendi, sive
quae ordinatur ad cognitionem, sicut memoria, sive qua cognoscitur, sicut
intelligentia, sive quae cognitionem consequitur, sicut voluntas. Potentiam
autem diligendi nominat habitus gratuitos, quibus Deum meritorie diligimus ;
et ideo dicitur quod homo per peccatum amittens Dei similitudinem abiit in
regionem dissimilitudinis, sed non amisit imaginem. |
7. Il faut dire en
septième lieu qu’Augustin parle de la puissance de connaître au sens large,
que ce soit celle qui est ordonnée à connaître, comme la mémoire, celle par
laquelle on connaît, comme l’intelligence, ou celle qui suit la connaissance,
comme la volonté. Mais il appelle puissance d’amour les habitus de la grâce
par lesquels nous aimons Dieu avec comme il se doit d’être aimé; et c’est
pourquoi on dit que par le péché l’homme, en perdant sa resemblance avec
Dieu, s’en est allé dans un état de dissimilitude, mais n’a pas perdu son
image. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 8
Ad octavum dicendum, quod, sicut in artibus est quod illa quae considerat
finem, imperat et movet artes considerantes ea quae sunt ad finem, sicut
medicus imperat pigmentario, ut supra dictum est, ita etiam est in potentiis
animae. Voluntas enim, quia considerat finem, movet alias omnes potentias
quae ordinantur ad finem et imperat eis actus suos. Unde quamvis prior sit
movendo, non tamen sequitur quod sit prior in esse ; sicut etiam finis est
ultimus in esse, et tamen movet efficientem. |
8. Il faut dire en huitième
lieu que, tout comme dans les arts celui qui considère la fin commande et
meut les arts qui considèrent les moyens ordonnés à la fin, comme c’est le
cas pour le médecin qui commande au pharmacien comme nous l’avons dit plus
haut, il en est de même dans les puissances de l’âme. La volonté en effet,
parce qu’elle considère la fin, meut toutes les autres puissances qui sont
ordonnées à la fin et commande leurs actes. Par conséquent, bien qu’elle soit
première quant au mouvement, il ne s’ensuit cependant pas qu’elle soit
première quant à l’existence ; tout comme aussi la fin est dernière dans
l’existence, elle meut cependant l’agent. |
|
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Articulus 2 Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 tit.
Utrum potentiae animae sint essentia ejus |
Article 2 – Les puissances de l'âme sont-elles son essence ? |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod essentia
animae sit suae potentiae. Primo per hoc quod dicitur in
littera: ista tria sunt una mens, una vita, una essentia. |
Difficultés: 1. On
procède de la manière suivante à l’égard de cette deuxième question. Il
semble que l’essence de l’âme s’identifie à ses puissances. Premièrement au
moyen de ce qui est dit dans le texte: ces trois facultés sont un seul
esprit, une seule vie, une seule essence. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg.
2 Item, idem est principium essendi et operandi. Sed anima est principium
essendi, cum sit forma substantialis corporis. Ergo per seipsam est
principium operationum. Non oportet ergo esse potentias medias. |
2. En outre, le principe de
l’existence est identique au principe de l’opération. Mais l’âme est le
principe de l’existence, puisqu’elle est la forme substantielle du corps.
C’est donc par elle-même qu’elle est le principe des opérations. Il ne faut
donc pas chercher des puissances intermédiaires entre l’âme et les
opérations. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg.
3 Item, forma substantialis nobilior est quam accidentalis. Sed forma
accidentalis facit operationes suas sine aliqua virtute media. Ergo et forma
substantialis ; et sic idem quod prius. |
3. De plus, la forme
substantielle est plus noble que la forme accidentelle. Mais la forme
accidentelle fait ses opérations sans aucune puissance intermédiaire. Il en
est donc encore de même pour la forme substantielle ; la conclusion est
donc la même que pour l’argument précédent. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, materia prima est sua potentia. Sed sicut
materiam potentia passiva consequitur, ita formam potentia active. [in
materia est potentia passiva, ita in forma potentia activa Éd. de
Parme]. Ergo etiam forma essentialis est sua potentia activa
; et sic idem quod prius. |
4. Par ailleurs, la matière
première est sa propre puissance. Mais tout comme la puissance passive
découle de la matière, de même la puissance active découle de la forme. [la
puissance passive est dans la matière comme la puissance active est dans la
forme : Éd. De Parme]. Donc, la forme substantielle aussi
est sa propre puissance active ; la conclusion est donc la même que précédemment. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg.
5 Praeterea, omne illud quod non est de essentia rei, est accidens. Sed
sensus et ratio, quae sunt potentiae quaedam, non sunt accidentia, cum sint
principia differentiarum substantialium. Ergo sunt de essentia ipsius animae. |
5. De plus, tout ce qui n’est
pas de l’essence de la chose est un accident. Mais le sens et la raison, qui
sont des puissances, ne sont pas des accidents puisqu’ils sont les principes
des différences substantielles. Ils font donc partie de l’essence de l’âme
elle-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 s. c.
1 Contra, sicut se habet posse ad esse, ita se habet potentia ad essentiam.
Sed in solo Deo verum est dicere, quod suum esse sit suum posse. Ergo in
nullo alio sua essentia est sua potentia: et ita nec in anima. |
Cependant : 1. Le pouvoir est à
l’existence ce que la puissance est à l’essence. Mais c’est en Dieu seul
qu’il est vrai de dire que son existence est son pouvoir. Il n’y a donc aucun
autre être chez lequel l’essence est sa puissance et il n’en est pas ainsi
non plus dans l’âme. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 s. c.
2 Praeterea, omne agens quod agit per essentiam suam, est agens primum, ut
dicit Avicenna lib. De intelligent., cap. 1. Cujus ratio
est, quia omne secundum agens agit inquantum participat aliquid ; et ita agit
per aliquid additum essentiae. Sed anima non est agens primum. Ergo non est
agens per suam essentiam, sed per suam potentiam. Ergo sua potentia non est
sua essentia. |
2. De plus, tout agent qui
agit pas son essence est l’agent premier comme le dit Avicenne [Livre de
l’Intelligence, ch. 1]. La raison en est que tout agent second agit en tant
que participant de quelque chose, et il agit ainsi au moyen de quelque chose
qui s’ajoute à son essence. Mais l’âme n’est pas l’agent premier. Elle n’agit
donc pas par son essence, mais par sa puissance. Sa puissance n’est donc pas
son essence. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 s. c.
3 Praeterea, cum perfectio et perfectibile [perfectibilia Éd. de
Parme] sint proportionata, oportet quod perfectibilia diversarum proportionum
recipiant diversas perfectiones. Organa autem corporis animati diversa sunt
diversarum proportionum in commixtione. Ergo diversimode perficiuntur ab
anima. Non autem quantum ad esse, quia anima, cum sit forma substantialis,
dat unum esse toti corpori. Ergo oportet quod diversimode
perficiantur quantum ad perfectiones consequentes esse, secundum quas habent
diversas operationes. Has autem perfectiones, quae sunt principia operationum
animae, vocamus potentias. Ergo oportet potentias animae diversas esse ab
essentia, utpote emanantes ab ipsa. |
3. En outre, puisque la
perfection et le perfectible [les perfectibles selon l’Éd. De Parme]
sont proportionnés, il faut que les perfectibles des différentes proportions
reçoivent différentes perfections. Mais les organes du corps animé sont
différents dans un mélange de différentes proportions. Ils se trouvent donc à
être achevés différemment par l’âme mais non pas quant à l’existence car
l’âme, étant la forme substantielle, donne une seule existence à tout le corps.
Il faut donc que les différents organes soient achevés par l’âme quant à des
perfections qui suivent l’existence et d’après lesquelles elles possèdent
différentes opérations. Mais ces perfections, qui sont les principes des
opérations de l’âme, nous les appelons puissances. Il faut donc que les
puissances de l’âme soient différentes de l’essence en tant qu’émanant
d’elle. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 co
Respondeo dicendum, quod effectus proprius et immediatus oportet quod
proportionetur suae causae ; unde oportet quod in omnibus illis, in quibus
principium operationis proximum est de genere substantiae, quod operatio sua
sit substantia ; et hoc solum in Deo est: et ideo ipse solus est qui non agit
per potentiam mediam differentem a sua substantia. In omnibus autem aliis
operatio est accidens: et ideo oportet quod proximum principium operationis
sit accidens, sicut videmus in corporibus quod forma substantialis ignis
nullam operationem habet, nisi mediantibus qualitatibus activis et passivis,
quae sunt quasi virtutes et potentiae ipsius. Similiter dico,
quod ab anima, cum sit substantia, nulla operatio egreditur, nisi mediante
potentia: nec etiam a potentia perfecta operatio, nisi mediante habitu. |
Corps de l’article : Je réponds en disant que
l’effet propre et immédiat doit être proportionné à sa cause ; de là il
faut, dans tous les cas où le principe prochain de l’opération est
du genre de la substance, que son opération soit sa substance ; et cela
ne se produit qu’en Dieu : et c’est pourquoi Lui seul est celui qui
n’agit pas par une puissance intermédiaire différente de sa substance. Dans
tous les autres cas cependant l’opération est un accident : et c’est
pourquoi il faut que le principe prochain de l’opération soit un acident
comme nous voyons dans les corps que la forme substantielle du feu ne possède
aucune opération si ce n’est par l’intermédiaire de qualités actives et
passives qui sont comme ses vertus et ses puissances. De la même manière je
dis que de l’âme, puisqu’elle est une substance, ne sort aucune opération, si
ce n’est au moyen d’une puissance et même qu’une opération parfaite ne
procède d’une puissance que par l’intermédiaire d’un habitus. |
Hae autem potentiae fluunt
ab essentia ipsius animae, quaedam ut perfectiones partium corporis, quarum
operatio fit [efficitur Éd. de Parme] mediante corpore, ut
sensus, imaginatio et hujusmodi ; et quaedam ut existentes in ipsa anima,
quarum operatio non indiget corpore, ut intellectus, voluntas et hujusmodi ;
et ideo dico, quod sunt accidentia: non quod sint communia accidentia, quae
non fluunt ex principiis speciei, sed consequuntur principia individui ; sed
sicut propria accidentia, quae consequuntur speciem, originata ex principiis
ipsius: simul tamen sunt de integritate ipsius animae, inquantum est totum potentiale,
habens quamdam perfectionem potentiae, quae conficitur ex diversis viribus. |
Mais ces puissances
s’écoulent de l’essence de l’âme elle-même : certaines comme des
perfections des parties du corps, dont l’opération a lieu [est
produite Ed. de Parme] par l’intermédiaire du corps, comme le sens,
l’imagination et les facultés de cette sorte ; certaines comme existant
dans l’âme elle-même, dont l’opération n’a pas besoin du corps, comme
l’intelligence, la volonté et les facultés de cette sorte ; et c’est
pourquoi je dis qu’elles sont des accidents : non pas des accidents
communs, lesquels ne découlent pas des principes de l’espèce mais des
principes individuels ; mais elles sont plutôt des accidents propres qui
découlent de l’espèce et tirent leur origine des principes de celle-ci :
elles vont cependant de pair avec l’intégrité de l’âme elle-même selon
qu’elle est un tout potentiel, possédant une perfection de puissance, qui est
réalisé par le concours de différentes forces. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur: tres potentiae sunt una mens, non
est praedicatio essentialis, sed totius potestativi de suis partibus. Unde de
potentiis imaginis propinquius et prius praedicatur mens: quia mentis,
inquantum hujusmodi, sunt istae potentiae in quibus consistit integritas
imaginis: et minus proprie vita, quae tamen includit potentias in generali,
quae sunt principium operum vitae ; et adhuc minus proprie dicuntur una
essentia, in qua, secundum id quod est essentia, non includuntur potentiae,
nisi sicut in origine, eo quod ab essentia oriuntur potentiae, in quibus
attenditur imago. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsqu’on dit que les trois puissances sont un seul esprit,
l’attribution n’est pas essentielle est est plutôt celle d’un tout investi de
puissance à ses parties. Par conséquent, l’esprit est attribué plus
prochainement et antérieurement aux puissances de l’image : car c’est à
l’esprit, en tant que tel, qu’appartiennent ces puissances dans lesquelles consiste
l’intégrité de l’image ; et la vie s’attribue moins proprement à elles,
laquelle contient cependant les puissances en général qui sont le principe
des opérations de vie ; et on dit encore moins proprement de ces
opérations qu’elles sont une seule essence, laquelle, en tant que telle, ne
contient les puissance que comme dans leur origine du fait que c’est de
l’essence que sortent les puissances auxquelles s’applique l’image. |
Totum enim potentiale,
quasi medium est inter integrale et universale. Universale enim adest
cuilibet parti subjectivae secundum esse et perfectam virtutem, et ideo
proprie praedicatur de parte sua. Sed totum integrale non adest cuilibet
parti, neque secundum esse, neque secundum virtutem. Non enim totum esse
domus est in pariete, neque tota virtus ; et ideo nullo modo praedicatur de
parte. Totum autem potentiale adest cuilibet parti secundum se, et secundum
aliquid virtutis, sed non secundum perfectam ; immo secundum perfectam
virtutem adest tantum supremae potentiae ; et ideo praedicatur quidem, sed
non adeo proprie sicut totum universale. |
Un tout potentiel en effet
est comme un intermédiaire entre un tout intégral et un tout universel.
L’universel en effet est présent à chacune des parties subjectives selon
l’existence et une parfaite puissance et c’est pourquoi il s’attribue
proprement à sa partie. Mais le tout intégral n’est pas présent à chacune de
ses parties, ni selon l’existence, ni selon la puissance. En effet, ce n’est
pas la totalité de la maison qui est dans le mur et elle n’y est pas non plus
selon toute sa puissance, et c’est pourquoi elle ne s’attribue nullement à sa
partie. Mais le tout potentiel est présent à chacune des parties selon
l’existence et selon une partie de sa puissance mais non selon une puissance
parfaite ; au contraire, elle n’est présente selon une puissance
parfaite qu’à la puissance la plus élevée ; et c’est pourquoi le tout
potentiel s’attribue certes, mais pas tout à fait proprement comme le tout
universel. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 2 ad Ad secundum dicendum, quod essentia ipsius animae est
etiam principium operandi, sed mediante virtute. Principium autem essendi
est immediate, quia esse non est accidens. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’essence de l’âme est aussi un principe d’opération, mais par l’intermédiaire
de la puissance. Elle est principe d’existence mais d’une manière immédiate
car l’existence n’est pas un accident. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 Ad
tertium dicendum, quod forma accidentalis est virtus alterius, per quam
producitur operatio, qui est effectus proportionatus sibi, sicut causae
proximae ; forma autem substantialis non est hoc modo proportionata
operationi, ut dictum est, in corp. art. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la forme accidentelle est une autre sorte de puissance par laquelle
c’est l’opération qui est produite, laquelle lui est proportionnée comme à sa
cause prochaine ; mais la forme substantielle n’est pas proportionnée de
cette manière à l’opération ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si per potentiam passivam
intelligatur relatio [vel ordo add. Éd. de Parme] materiae ad formam, tunc
materia non est sua potentia, quia essentia materiae non est relatio. Si
autem intelligatur potentia, secundum quod est principium in genere
substantiae, secundum quod potentia et actus sunt principia in quolibet
genere, ut diciturMetaph., text. 26, sic dico, quod materia est ipsa
sua potentia. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que si par puissance passive on entend la relation [ou l’ordre add.
Éd. De Parme] de la matière à la forme, alors la matière n’est pas sa
puissance car l’essence de la matière n’est pas la relation. Mais si on
entend plutôt par là la puissance, selon qu’elle est un principe dans le
genre de la substance, en tant que la puissance et l’acte sont des principes
dans tout genre comme le dit le Philosophe dans sa Métaphysique (text.
26), alors je dis que la matière est d’elle-même puissance. |
Et hoc modo se habet
materia prima, quae est primum recipiens, ad potentiam passivam, sicut se
habet Deus, qui est primum agens, ad potentiam activam. Et ideo materia est
sua potentia passiva, sicut et Deus sua potentia activa. Omnia
autem media habent utramque potentiam participative, et potentia materiae non
est ad aliquam operationem, sed ad recipiendum tantum. |
Et c’est de cette manière que
la matière première, laquelle est comme un premier réceptacle, est à la
puissance passive ce que Dieu, qui est le premier agent, est à la puissance
active. Et c’est pourquoi la matière est d’elle-même puissance passive tout
comme Dieu est de lui-même puissance active. Mais tous les intermédiaires
possèdent par participation ces deux sortes de puissances, et la puissance de
la matière n’est pas ordonnée à une opération mais seulement à recevoir. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 ad 5
Ad quintum dicendum, quod sensus, secundum quod est nomen potentiae, non est
principium hujus differentiae quae est sensibile ; sed secundum quod nominat
naturam sensitivam: et ita est de aliis. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que le sens, selon qu’il est le nom désignant une puissance, n’est pas
le principe de cette différence, à savoir ¨sensible¨ ; mais c’est plutôt
selon qu’il nomme la nature sensible qu’il est le principe de cette
différence : et il en est de même pour les autres termes. |
|
|
Articulus 3 Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 tit. Utrum una potentia oriatur
ex alia |
Article 3 – Est-ce qu’une seule et même puissance naît d’une autre ? |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod una potentia non
oriatur ex alia. Quaecumque enim simul sunt, unum ex altero non oritur. Sed
omnes potentiae simul sunt in anima ex creatione. Ergo una non oritur ex
alia. |
Difficultés : 1. Voivi comment on procède
par rapport à cette troisième question. Il semble qu’une même puissance ne
peut naître d’une autre. En effet, de tout ce qui existe simultanément, rien
ne peut naître d’un autre Mais toutes les puissances existent simultanément
dans l’âme depuis la création. Il est donc impossible qu’une puissance naisse
d’une autre. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 arg.
2 Praeterea, omne accidens causatur ex suo subjecto. Sed una potentia non est
subjectum alterius, quia accidens non est subjectum accidentis. Ergo una
potentia non oritur ex alia. |
2. En outre, tout accident
est causé à partir de son sujet. Mais une même puissance n’est pas le sujet
d’une autre car un accident n’est pas le sujet d’un autre accident. Une
puissance ne peut donc naître d’une autre. |
Lib. 1 d.
3 q. 4 a. 3 s. c. 1 Contra, potentiae determinantur secundum actus. Sed actus
unius potentiae sequitur naturaliter ad actum alterius potentiae, et
originatur ex ipsa ; sicut intelligere sequitur ad hoc quod est tenere
notitiam. Ergo
ita est etiam in potentiis. |
Cependant : 1. Les puissances se
définissent d’après leurs actes. Mais l’acte d’une puissance suit
naturellement l’acte d’une autre puissance et tire son origine d’elle, tout
comme comprendre suit la conservation de la connaissance. Il en est donc de
même pour les puissances. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 s. c.
2 Si dicas, quod ordo est in actibus ratione objectorum, et non ratione
potentiarum, in idem redibit: quia objecta sunt perfectiones potentiarum, et
formae ipsarum. Perfectio autem proportionatur perfectibili ; et sic idem
quod prius. |
2. Si tu dis que l’ordre qui
est présent dans les actes est en raison des objets et non en raison des
puissances, cela revient au même : car les objets sont les perfections
des puissances et leurs formes. Mais la perfection est proportionnée au
perfectible et ainsi la conclusion est la même que précédemment. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod omnis numerositas, quae descendit naturaliter ab
aliquo uno, oportet quod descendat secundum ordinem, quia ab uno non exit
nisi unum ; et ideo cum multae potentiae egrediantur ab essentia animae,
dicimus, quod in potentiis animae est ordo naturalis ; et cum omnes fluant ab
essentia, una tamen fluit mediante alia ; et inde est, quod posterior
potentia supponit in definitione sui priorem, et actus posterioris dependet a
priori. Si enim definiamus intellectum, definietur per suum actum, qui est
intelligere, et in definitione actus ejus cadet actus prioris potentiae, et
ipsa potentia. Oportet enim quod in definitione hujus actus qui est
intelligere, cadat phantasma, quod est objectum ejus, [ut in III De
anima, text. 39, dicitur Éd. Mandonnet] quod per actum
imaginationis repraesentatur intellectui ; et hoc etiam videmus in
accidentibus corporum, quod omnia alia accidentia elementorum fluunt ab
essentia, mediantibus primis qualitatibus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que toute multiplicité qui procède naturellement de quelque chose d’un doit
en procéder suivant un ordre, car de l’un ne peut provenir qu’un seul ;
et c’est pourquoi, puisque plusieurs puissances sortent de l’essence de
l’âme, nous disons que parmi les puissances de l’âme il y a un ordre
naturel ; et puisque toutes découlent de l’essence, l’une se trouve à en
découler par l’intermédiaire d’une autre ; et il suit de là qu’une
puissance postérieure suppose dans sa définition celle qui la précède, et que
l’acte d’une puissance postérieure dépend de l’acte d’une puissance
antérieure. Si en effet nous définissions l’intelligence, nous la définirions
par son acte qui est intelliger, et dans la définition de son acte entrerait
l’acte d’une puissance antérieure et cette puissance elle-même. Il faut en
effet que dans la définition de cet acte, à savoir intelliger, entre l’image,
conformément à ce qu’affirme le Philosophe [111 de l’Âme, text.
39] en disant que son objet est ce qui est représenté à l’intelligence au
moyen de l’acte de l’imagination ; et nous voyons cela même dans les
accidents des corps, à savoir que tous les autres accidents des éléments
découlent de l’essence par l’intermédiaire des premières qualités. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sint simul tempore, nihilominus tamen
una naturaliter prior est altera. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’elles existent simultanément dans le temps, néanmoins une
même puissance est par nature antérieure à une autre. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 ad 2
Ad secundum dicendum, quod accidens ex seipso non habet virtutem producendi
aliud accidens ; sed a substantia potest unum accidens procedere mediante
alio, secundum quod illud praesupponitur in subjecto ; et ita etiam accidens
non potest esse per se subjectum accidentis, sed subjectum mediante uno
accidente subjicitur alteri ; propter quod dicitur superficies esse subjectum
coloris. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’un accident ne possède pas de lui-même la capacité de produire un
autre accident ; mais un même accident peut procéder de la substance par
l’intermédiaire d’un autre accident selon que ce dernier est présupposé dans
le sujet ; et ainsi encore un accident ne peut être par lui-même le
sujet d’un autre accident, mais c’est le sujet qui est compris sous cet autre
accident qui l’est par son intermédiaire ; et c’est pour cette raison
qu’on dit de la surface qu’elle est le sujet de la couleur. |
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Articulus 4. Lib. 1 d. 3 q.
4 a. 4 tit. Utrum imago attendatur in potentiis rationalibus respectu
quorumlibet objectorum |
Article 4 – Est-ce que l’image s’applique dans les puissances rationnelles par rapport à n’importe quel objet ? |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod imago
attendatur in istis potentiis respectu quorumlibet objectorum. Potentia enim
ex natura potentiae se habet similiter ad omnia sua objecta. Sed
per habitus diversos restringitur ad haec vel ad illa. Cum igitur assignatio
primae imaginis sit secundum potentias, non secundum habitus, videtur quod
sit respectu quorumlibet objectorum. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit par rapport à cette quatrième question. Il semble que l’image se
prenne dans ces puissances par rapport à n’importe quel objet. La puissance
en effet, de par la nature même de la puissance, se rapporte de la même
manière à tous ses objets. Mais c’est par des habitus différents qu’elle se
limite à ceux-ci ou à ceux-là. Donc puisque l’attribution de la première
image se fait selon les puissances et non selon les habitus, il semble que
l’image se prenne par rapport à tout objet. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 4 arg. 2 Praeterea, Augustinus, lib. XII, De
Trin. , cap. IV: « Cum in natura mentis humanae quaerimus
Trinitatem, in tota quaerimus, non separantes actionem temporalium a
contemplatione aeternorum ». Omnia autem objecta vel sunt aeterna,
vel temporalia. Ergo respectu quorumlibet objectorum attenditur imago. |
2. De plus, Augustin [Livre
XII, De la Trinité, ch. IV] dit : ¨Puisque nous recherchons la
Trinité dans la nature de l’esprit humain, nous la recherchons dans tout son
esprit, ne séparant pas l’action dans les choses temporelles de la
contemplation des vérités éternelles¨. Mais tous les objets sont soit
éternels, soit temporels. L’image doit donc s’appliquer à tout objet. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 s. c.
1 Contra, ad rationem imaginis exigitur aequalitas imaginis [imaginis om.
Éd. de Parme]. Sed non in omnibus objectis invenitur aequalitas: non enim
quantumcumque cognosco aliquid, tantum volo illud. Ergo videtur quod non
respectu omnium attendatur imago. |
Cependant : 1. L’égalité de l’image est
requise à la notion d’image. Mais ce n’est pas parmi tous les objets qu’on
retrouve l’égalité : ce n’est pas en effet parce que je connais à ce
point une chose que je la veux pour autant. Il semble donc que l’image se
prenne par rapport à tout objet. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a.
4 s. c. 2 Praeterea, secundum istam assignationem imaginis, intelligentia
sequitur memoriam. Sed in illis quae per acquisitionem cognoscimus, ex
intelligentia sequitur memoria. Ergo videtur quod ista assignatio imaginis
non attenditur respectu quorumlibet objectorum. |
2. De plus, d’après
cette attribution de l’image, l’intelligence suit la mémoire. Mais dans les
choses qui sont connues par mode d’acquisition, c’est la mémoire qui suit
l’intelligence. Il semble donc que cette attribution de l’image ne se prenne
pas par rapport à n’importe quel objet. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a.
4 co Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, hac distin., quaest. 3, art.
1, imago dicit expressam repraesentationem. Expressa autem repraesentatio est in ipsis potentiis
propter quinque. Quorum duo se tenent ex parte ipsius animae, scilicet
consubstantialitas et distinctio potentiarum, et ideo se habent indifferenter
respectu quorumlibet objectorum ; alia vero tria, scilicet aequalitas, et
ordo, et actualis imitatio respiciunt objecta, unde se habent diversimode
respectu diversorum objectorum. Potest autem attendi in potentiis animae
duplex aequalitas, scilicet potentiae ad potentiam et potentiae ad objectum.
Et haec secunda aequalitas salvatur hic diversimode respectu diversorum
objectorum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction [qu. 3, art. 1], que l’image
réfère à une représentation distincte. Mais une représentation distincte dans
les puissances mêmes est due à cinq conditions. Parmi ces dernières, deux se
tiennent du côté de l’âme elle-même, à savoir la consubstantialité et la
distinction des puissances et par là elles se rapportent indifféremment à
tout objet ; mais les trois autres, à savoir l’égalité, l’ordre et
l’imitation actuelle s’adressent aux objets et c’est pourquoi elles se
présentent différemment par rapport à différents objets. Mais on
peut remarquer dans les puissances de l’âme une double égalité, à savoir
celle d’une puissance à une autre puissance et celle d’une puissance à son
objet. Et cette deuxième égalité est conservée ici différemment par rapport à
différents objets. |
In illis enim quae per
habitum acquisitum discuntur, non servatur ordo, ut dictum est supra, qu. 2,
art. 3, quia intelligendi actus praecedit actum memorandi ; et ideo non est
ibi actualis repraesentatio ipsius Trinitatis, secundum quod intendit illis
objectis quae non exprimunt Trinitatem. |
Pour les choses en effet qui
sont apprises au moyen d’un habitus acquis, l’ordre n’est pas observé ainsi
que nous l’avons dit plus haut [qu. 2, art. 3], car l’arte de comprendre
précède l’acte de mémoriser ; et c’est pourquoi il n’y a pas là une
représentation actuelle de la Trinité elle-même selon qu’elle s’applique à
ces objets qui n’expriment pas la Trinité. |
Servatur autem ibi
aequalitas quaedam, scilicet potentiae ad potentiam: quia quaecumque
comprehenduntur una potentia, comprehenduntur alia: non quod quidquid
intelligimus, simpliciter velimus ; sed aliquo modo in voluntate sunt,
inquantum volumus nos ea intelligere: sed non servatur aequalitas potentiae
ad objectum: quia res corporales sunt in anima nobiliori modo quam in
seipsis, cum anima sit nobilior eis, ut dicit Augustinus. Si autem
considerentur istae potentiae respectu hujus objecti quod est anima, sic
salvatur ordo, cum ipsa anima naturaliter sit sibi praesens ; unde ex notitia
procedit intelligere, et non e converso. |
Mais une certaines égalité
est observée là, là savoir celle d’une puissance à une autre puissance car
tout ce qui est compris par une puissance est compris par une autre : ce
n’est pas que nous voulons purement et simplement tout ce que nous comprenons,
mais en un sens les choses que nous comprenons sont dans notre volonté dans
la mesure où nous voulons les comprendre ; mais l’égalité de la
puissance à son objet n’est pas observée parce que les choses corporelles
sont dans l’âme selon un mode plus excellent que celui qu’elles ont en
elles-mêmes puisque l’âme est d’une substance plus noble que la leur, ainsi
que le dit Augustin. Mais si ces puissances étaient considérées par rapport à
cet objet qui est l’âme, alors l’ordre est observé puisque l’âme elle-même
est naturellement présente à elle-même ; et c’est pourquoi c’est de la
connaissance que procède l’acte de comprendre et non inversement. |
Servatur etiam aequalitas
potentiae ad potentiam simpliciter: quia quantum se intelligit, tantum se
vult et diligit: non sicut in aliis, quod velit se tantum intelligere, sed
simpliciter. Servatur etiam ibi aequalitas potentiae ad objectum. Servatur
etiam ibi actualis imitatio ipsius Trinitatis, inquantum scilicet ipsa anima
est imago expresse ducens in Deum. Si autem considerentur respectu hujus
objecti quod est Deus, tunc servatur ibi actualis imitatio. Maxime autem
servatur ordo, quia ex memoria procedit intelligentia, eo quod ipse est per
essentiam in anima, et tenetur ab ipsa non per acquisitionem. Servatur etiam
ibi aequalitas potentiae ad potentiam simpliciter, sed non potentiae ad
objectum: quia Deus est altior quam sit anima. Unde dico, quod imago
quodammodo attenditur respectu quorumlibet objectorum ; verius autem respectu
sui ipsius, et verissime respectu hujus objecti quod est Deus ; nisi tantum
quod deest aequalitas potentiae ad objectum, quae etiam non multum facit ad
imaginem. |
L’égalité d’une puissance à une autre est aussi observée
absolument parlant : car elle se veut et elle s’aime autant qu’elle se
comprend : non pas comme dans les autres, qu’elle veut seulement se
comprendre, mais absolument. Est observée aussi dans ce cas l’égalité de
la puissance à l’objet. Est observée aussi dans ce cas l’imitation
actuelle de la Trinité, c’est-à-dire dans la mesure où l’âme
elle-même est l’image distincte qui conduit à Dieu. Mais si les puissances
étaient considérées par rapport à cet objet qui est Dieu, alors dasn ce cas
est observée l’imitation actuelle. Mais l’ordre est observé au plus haut
point car l’intelligence procède de la mémoire du fait qu’elle-même est par
essence dans l’âme et que ce n’est pas par mode d’acquisition qu’elle est
possédée par elle. Est encore conservée dans ce cas l’égalité d’une puissance
à une autre absolument, mais non pas celle d’une puissance à son objet car
Dieu est d’une nature plus élevée que celle de l’âme. C’est
pourquoi je dis que l’image s’applique en un sens à tout objet ; mais
cela est plus vrai par rapport à lui-même et le plus véritablement par
rapport à cet objet qui est Dieu ; à moins seulement que ne manque
l’égalité de la puissance à son objet qui ne contribue pas grandement à
l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ista assignatio imaginis attendatur
secundum potentias absolute, nihilominus tamen praecipue attenditur secundum
id quod est altissimum in eis ; et hoc est respectu eorum objectorum quae per
sui essentiam sunt in anima. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que cette attribution de l’image se considère d’après
les puissances prises absolument, néanmoins elle se prend d’après ce qu’il y
a de plus élevé en elles ; et cela se fait par rapport à leurs objets
qui sont dans l’âme par essence. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 ad 2
Ad secundum dicendum, quod Augustinus vult, quod respectu quorumlibet
objectorum sit aliquo modo imago: sed praecipue respectu hujus objecti quod
est Deus et quod est anima: ipse enim in multis requirit similitudinem
Trinitatis, ut ad perfectam imaginem deveniat. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’Augustin veut que par rapport à tout objet il y ait image d’une
certaine manière, mais principalement par rapport à cet objet qui est Dieu et
à celui qui est l’âme : lui-même en effet exige en plusieurs points de
la ressemblance à la Trinité qu’elle parvienne à une image parfaite. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 4 ad s. c. Ad aliud patet responsio per ea quae dicta sunt. |
3. Par rapport à ce qui est
dit par la suite, ce que nous avons dit y répond clairement. |
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Articulus 5 : Lib. 1
d. 3 q. 4 a. 5 tit. Utrum potentiae rationales sint semper in actu respectu
objectorum, in quibus attenditur imago |
Article 5 – Est-ce que les puissances rationnelles sont toujours en acte par rapport aux objets auxquels l’image s’applique ? |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod istae
potentiae non semper sint in suis actibus respectu horum objectorum, in
quibus praecipue attenditur imago. Dicit enim philosophus, II De
anima, text. 17, quod una potentia existente in actu, altera abstrahitur ab
actu suo. Sed istae tres sunt diversae potentiae. Ergo impossibile est quod
quaelibet semper sit in suo actu respectu cujuslibet objecti. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède
par rapport à ce cinquième article. Il semble que ces puissances ne sont pas
toujours en acte par rapport à ces objets auxquels s’applique principalement
l’image. Le Philosophe en effet [11 De L’Âme, text. 17] dit
qu’une puissance existant en acte, l’autre est tirée de son acte. Mais ces
trois puissances sont différentes. Il est donc impossible que toute puissance
soit toujours en acte par rapport à tout objet. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 arg.
2 Item, philosophus, IV Metaph., text.12, dicit quod non
contingit multa simul intelligere. Sed anima quandoque intelligit quaedam
alia. Ergo tunc non intelligit simul seipsam [et Deum add. Éd. de
Parme] |
2. En outre, le Philosophe
[IV Métaphysique, text. 12] dit qu’il n’est pas possible de
comprendre plusieurs choses simultanément. Mais l’âme comprend parfois
certaines autres choses. Donc, dans ce cas elle ne comprend pas elle-même [et
Dieu add. Éd. De Parme] simultanément. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a.
5 arg. 3 Item, ad hoc quod anima intelligat vel videat, secundum Augustinum,
XI de trin., cap. II, requiritur intentio cognoscentis, per
quam species cognoscibilis in rem deducatur. Sed quandoque anima intelligit ex intentione se
intelligere. Cum igitur non percipiamus nos intelligere semper animam et
Deum, videtur quod intellectus noster non semper sit in actu, respectu horum
objectorum. |
3. En outre, pour que l’âme
puisse comprendre ou voir, d’après Augustin [XI De la Trinité,
ch. 11], l’intention de celui qui connaît est requise, par laquelle l’espèce
connaissable soit tirée de la chose. Mais parfois l’âme comprend à partir de
l’intention de se comprendre. Donc, puisque nous ne percevons pas toujours
que nous comprenons l’âme et Dieu, il semble que notre intelligence ne soit
pas toujours en acte par rapport à ces objets. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 s. c. 1 Contra, philosophus dicit
III de anima, text. 20), quod intellectus agens semper
intelligit. Maxime autem hoc videtur respectu eorum quae semper sibi sunt
praesentia, sicut anima et Deus. Ergo videtur quod intellectus, horum
respectu, semper sit in actu. |
Cependant : 1. Le Philosophe [111 De
l’Âme, text. 20] dit que l’intellect agent pose toujours son acte
d’intellection. Mais cela se voit le plus à l’égard des choses qui lui sont
toujours présentes, comme l’âme et Dieu. Il semble donc que, par rapport à
ces objet, l’intellect soit toujours en acte. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 s. c.
2 Praeterea, dicit Augustinus, De Trin., cap. XI, 18,
quod quidquid est in memoria mea, illud memini. Sed anima et Deus
semper est praesens memoriae. Ergo memoria semper est in actu eorum, et
similiter est in aliis. |
2. En outre, Augustin [De
la Trinité, ch. XI, 18] dit que je me suis rappelé de tout ce qui
est dans ma mémoire. Mais l’âme et Dieu sont toujours présents
à la mémoire. Donc la mémoire est toujours en acte par rapport à ces objets
et il en est de même pour les autres puissances. |
Lib. 1 d.
3 q. 4 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, secundum Augustinum, De
util. Credendi, cap. XI, differunt cogitare, discernere et
intelligere. Discernere est cognoscere rem per differentiam sui ab aliis.
Cogitare autem est considerare rem secundum partes et proprietates suas: unde
cogitare dicitur quasi coagitare. Intelligere autem dicit nihil aliud quam
simplicem intuitum intellectus in id quod sibi est praesens intelligibile.
Dico ergo, quod anima non semper cogitat et discernit de Deo, nec de se, quia
sic quilibet sciret naturaliter totam naturam animae suae, ad quod vix magno
studio pervenitur: ad talem enim cognitionem non sufficit praesentia rei
quolibet modo ; sed oportet ut sit ibi in ratione objecti, et exigitur
intentio cognoscentis. Sed secundum quod intelligere nihil aliud dicit quam
intuitum, qui nihil aliud est quam praesentia intelligibilis ad intellectum
quocumque modo, sic anima semper intelligit se et Deum [indeterminate add. Éd. de Parme], et consequitur quidam
amor indeterminatus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que , d’après Augustin [De l’utilité de
Croire, ch. XI], penser, distinguer et comprendre diffèrent. Distinguer,
c’est connaître la chose au moyen de ce qui la distingue des autres choses.
Mais penser, c’est considérer la chose d’après ses parties et ses
propriétés : c’est pourquoi penser signifie comme battre ou brasser
ensemble. Mais comprendre ne dit rien d’autre qu’un simple regard de
l’intelligence sur ce qui lui est présent comme intelligible. Je dis donc que
l’âme n’est pas toujours en train de penser et de distinguer au sujet de Dieu
et d’elle-même car ainsi tout homme connaîtrait naturellement toute la nature
de son âme, tâche qu’il parvient à peine à réaliser au prix d’un travail
considérable : en effet, la présence de la chose, de quelque manière que
ce soit, ne suffit pas à parvenir à une telle connaissance ; mais il
faut qu’elle soit là sous la raison d’objet et l’intention de celui qui
connaît est requise. Mais selon que comprendre ne signifie rien d’autre qu’un
examen, qui n’est rien d’autre que la présence de l’intelligible à
l’intelligence de quelque manière que ce soit, en ce sens l’âme se comprend
toujours elle-même ainsi que Dieu [d’une manière indéterminée add.
Éd. De Parme], et il s’ensuit un amour indéterminé. |
Alio tamen modo, secundum
philosophos, intelligitur quod anima semper se intelligit, eo quod omne quod
intelligitur, non intelligitur nisi illustratum lumine intellectus agentis,
et receptum in intellectu possibili. Unde sicut in omni colore videtur lumen
corporale, ita in omni intelligibili videtur lumen intellectus agentis ; non
tamen in ratione objecti sed in ratione medii cognoscendi. |
D’une autre manière
cependant, d’après les philosophes, on comprend que l’âme se comprend
toujours elle-même du fait que tout ce qui est compris n’est compris qu’en
tant qu’il est éclairé par la lumière de l’intellect agent et qu’il est reçu
dans l’intellect possible. De là, tout comme la lumière corporelle est vue à
travers toute couleur, de même la lumière de l’intellect agent est vue dans
tout intelligible, non pas cependant sous la raison d’objet, mais sous la
raison d’un moyen de connaître. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod hoc est intelligendum quando potentiae
operantur circa diversa objecta: tunc enim una impedit aliam in actu suo, vel
ex toto retrahit. Sed quando ordinantur ad idem objectum, tunc una juvat
aliam ; sicut illud quod videmus, facilius imaginamur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que c’est là ce qu’il faut comprendre quand les puissances
posent leurs opérations sur différents objets : alors en effet une
puissance empêche une autre puissance dans son opération ou la retire du
tout. Mais quand différentes puissances sont ordonnées à un même objet, alors
l’une assiste l’autre comme dans le cas par exemple où ce que nous voyons est
plus facile à imaginer. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 ad 2
Ad secundum dicendum, quod philosophus loquitur de intelligere, secundum quod
est operatio intellectus completa distinguentis vel cogitantis, et non
secundum quod hic sumitur intelligere. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le philosophe parle de comprendre selon qu’il s’agit là de
l’opération complète de l’intelligence de celui qui distingue ou qui pense et
non pas selon le sens de comprendre qui est pris ici. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum similiter, quod intentio
intelligentis non requiritur ad tale intelligere, sicut dictum est, in
corpore art. |
3. Il faut dire de la même
manière en troisième lieu que l’intention de celui qui comprend n’est pas
requise à une telle compréhension ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
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Quaestio 5 |
Question 5 – [Les parties de l’image] |
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Articulus 1 Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 tit. Utrum hae partes
imaginis, mens, notitia et amor differant ab aliis partibus. |
Article unique : Ces parties de l’image : l’esprit, la connaissance et l’amour, diffèrent-elles des autres parties ? |
1 Deinde quaeritur de alia
assignatione imaginis, scilicet mente, notitia et amore. |
1. Ensuite on s’interroge sur
une autre attribution de l’image, à savoir l’esprit, la connaissance et
l’amour. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg. Et videtur quod ista non
differt a praedicta, sicut [si Éd. de Parme] dicitur, quod ista
assignatur secundum habitus, illa secundum potentias: imago enim attenditur
in anima praecipue respectu hujus objecti quod est anima et hujus objecti
quod est Deus. Sed anima non cognoscit seipsam tali modo cognitionis, de quo hic
loquimur, mediante habitu, sed per suam essentiam. Ergo non videtur quod secundum aliquos habitus
assignetur imago. |
Difficultés : 1. Il semble que cette
attribution ne diffère pas de celle dont nous avons parlé précédemment
(mémoire, intelligence, volonté), comme [si Éd. De Parme] on dit
que celle-ci s’attribue d’après les habitus alors que celle-là s’attribue
d’après les puissances : l’image en effet s’applique à l’âme
principalement par rapport à cet objet qui est l’âme et à cet objet qui est
Dieu. Mais l’âme ne se connaît pas elle-même d’après le mode de connaître
dont nous parlons ici, au moyen d’un habitus, mais par son essence. Il ne
semble donc pas que l’image s’attribue selon des habitus. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg.
2 Praeterea, nullus habitus est consubstantialis, cum omnis habitus sit
accidens. Sed notitia et amor sunt consubstantiales ipsi menti, ut hic
dicitur. Ergo non sunt habitus. |
2. Par ailleurs, aucun
habitus n’est consubstantiel, puisque tout habitus est un accident. Mais la
connaissance et l’amour sont consubstantiels à l’esprit lui-même, comme on le
dit ici. Ils ne sont donc pas des habitus. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg.
3 Item, mens superius, quaest. 3, art. 1, fuit accepta non pro habitu, sed
pro potentiarum subjecto. Cum igitur eodem modo notificetur hic, sicut
supra, a Magistro, scilicet pro eo quod in anima est excellentius, videtur
quod non sit habitus: et ita haec assignatio non est secundum habitus. |
3. En outre, l’esprit [quest.
3, art. 1] a été admis plus haut non pas comme un habitus mais comme le sujet
des puissances. Donc, puisqu’il est ici notifié de la même façon qu’il l’a
été plus haut par le Maître, à savoir pour ce qu’il y a de plus excellent
dans l’âme, il semble qu’il ne soit pas un habitus ; par conséquent,
cette attribution n’est pas faite d’après les habitus. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg.
4 Praeterea, constat quod habitus non operatur sed est principium operandi.
Cum igitur hic dicat, quod mens novit se et amat se, videtur quod non sumatur
pro habitu. |
4. De plus, il est clair que
l’habitus ne pose pas d’opération mais il est plutôt principe d’opération.
Donc, lorsqu’on dit ici que l’esprit se connaît et s’aime, il semble que cela
ne se prenne pas à la manière d’un habitus. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg.
5 Contra, cuilibet potentiae respondet suus habitus. Si igitur mens non sit
habitus, sed ipsa essentia animae, secundum quod hic sumitur, erunt quatuor
partes imaginis, scilicet mens et tres habitus trium potentiarum ; et ita non
repraesentabunt Trinitatem. |
Cependant : À toute puissance correspond
son habitus. Si donc l’esprit n’est pas un habitus mais l’essence même de
l’âme d’après la manière de l’entendre ici, il y aura quatre parties de
l’image, à savoir l’esprit et les trois habitus des trois puissances et ainsi
elles ne représenteront pas la Trinité. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod mens
multipliciter dicitur secundum quosdam. Quandoque enim dicitur ipsa natura
intellectiva, sicut Dionysius, IV de divin. Nomin., 694)
vocat Angelos divinas mentes. Quandoque dicitur ipse intellectus examinans
res, secundum quod mens dicitur a metior metiris, et juxta hoc etiam supra
sumitur, quod mens est superior pars animae. Quandoque dicitur pro memoria a
reminiscendo dicta ; et ita dicunt quod sumitur hic: unde dicunt quod mens
hic sumitur pro habitu memoriae, et notitia pro habitu intelligentiae et amor
pro habitu voluntatis. Sed quia ista opinio non procedit secundum Magistri
opinionem [intentionem Éd. de Parme], et nimis extorta est ; ideo
aliter dicendum est, quod mens sumitur hic, sicut et supra, pro ipsa
superiori parte animae, quae est subjectum praedictae imaginis, et notitia
est habitus memoriae, et amor habitus voluntatis ; et ita haec assignatio
sumitur secundum essentiam et habitus consubstantiales ; praedicta autem
secundum potentias. Unde in ista non est tanta conformitas sicut in
praedicta, nec ita propria assignatio: propter quod etiam ultimo ponitur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’esprit se dit selon plusieurs acceptions d’après certains. Parfois en
effet on prend ce terme dans le sens de la nature intellectuelle, comme le
fait Denys [IV, Les Noms Divins,
694] lorsqu’il appelle les Anges esprits divins. Parfois le terme ¨esprit¨
est pris pour l’intellect lui-même qui examine les choses, selon l’esprit se
dit de l’acte de mesurer, et c’est conformément à cela aussi qu’il est pris
plus haut, à savoir que l’esprit est la partie supérieure de l’âme. Parfois
l’esprit se dit de la mémoire qui se tire de l’acte de se souvenir ; et
ils se trouvent ainsi à dire ce qu’on entend ici : ils disent par conséquent que
l’esprit se prend ici pour l’habitus de la mémoire, la connaissance pour
l’habitus de l’intelligence et l’amour pour l’habitus de la volonté. Mais
parce que cette opinion ne procède pas selon l’opinion du Maître [intention
Éd. De Parme] et qu’elle est trop forcée, c’est pourquoi il faut dire ici
autrement que l’esprit se prend ici, tout comme précédemment, pour la partie
supérieure de l’âme, laquelle est le sujet de l’image dont nous avons parlé,
que la connaissance est l’habitus de la mémoire et que l’amour est l’habitus
de la volonté ; et de cette manière cette attribution se prend d’après
l’essence et les habitus consubstantiels, alors que la précédente se prenait
d’après les puissances. C’est pourquoi cette attribution n’est pas aussi
conforme ni aussi propre que la précédente : et c’est pour cette raison
aussi qu’elle a été présentée en dernier lieu. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod ad esse habitus intellectivi duo concurrunt:
scilicet species intelligibilis, et lumen intellectus agentis, quod facit eam
intelligibilem in actu: unde si aliqua species esset quae in se haberet
lumen, illud haberet rationem habitus, quantum pertinet ad hoc quod esset
principium actus. Ita dico, quod quando ab anima cognoscitur aliquid quod est
in ipsa non per sui similitudinem, sed per suam essentiam, ipsa essentia rei
cognitae est loco habitus. Unde dico, quod ipsa essentia animae, prout est
mota a seipsa, habet rationem habitus. Et sumitur hic notitia materialiter
pro re nota ; et similiter est dicendum de amore. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que deux facteurs contribuent à l’existence d’un habitus
intellectuel : à savoir l’espèce intelligible, et la lumière de
l’intellect agent qui la rend intelligible en acte : par conséquent s’il
y avait une espèce qui possédait en soi la lumière, elle aurait raison
d’habitus quant à ceci qu’elle serait principe d’un acte. Ainsi je dis que
quand ce qui est connu par l’âme est en elle non pas au moyen de ce qui lui
ressemble mais au moyen de son essence, l’essence même de la chose connue
tient lieu d’habitus. De là je dis que l’essence même de l’âme, selon qu’elle
est mue par elle-même, a raison d’habitus. Et la connaissance se prend ici
matériellement parlant pour la chose connue ; et il faut dire
la même chose de l’amour. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 2
Unde etiam patet solutio ad secundum: quia habitus isti erunt
consubstantiales, cum sint in ipsa substantia animae, nec sunt ibi alii
habitus. Si autem diceremus, quod per notitiam et amorem significantur actus
et non habitus, planius esset ; et tunc dicerentur consubstantiales, sicut et
de potentiis supra dictum est, dist. 3, quaest. 4, art. 2. |
2. Et de là apparaît encore
la solution à la deuxième difficulté : car ces habitus seront
consubstantiels puisqu’ils sont dans la substance même de l’âme et il n’y a
pas là d’autres habitus. Mais si nous disions que par la connaissance et
l’amour ce sont les actes et non les habitus qui sont signifiés, alors
l’énoncé serait plus clair ; et alors ces habitus seraient appelés
consubstantiels, tout comme nous l’avons dit plus haut [distinction 3,
question 4, article 2] au sujet des puissances |
Lib.
1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 3 Tertium et quartum concedimus. |
3 et 4. Nous concédons la
troisième et la quatrième difficulté. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod habitus est principium elicitum [elicitivum Éd.
de Parme] operationis. Unde, quia memoria non habet per se actum qui sit
simpliciter operatio, non respondet sibi aliquis habitus, sed eodem habitu
notitia, scilicet [scilicet om. Éd. de Parme] memoria et
intelligentia reducuntur in unam operationem. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que l’habitus est le principe qui décide [qui choisit Éd.
de Parme] de l’opération. De là, parce que la mémoire ne possède pas d’elle-même
un acte qui soit une opération absolument parlant, il n’y a pas d’habitus qui
lui correspond, mais c’est par le même habitus que la connaissance,
c’est-à-dire la mémoire, et l’intelligence sont ramenées à une seule
opération. |
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Distinctio 4 |
Distinction 4 – [La génération en Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis
de duobus quaeritur : primo de divina
generatione. Secundo de divina
praedicatione. Circa primum tria
quaeruntur : 1 an in divinis sit generatio ; 2 supposito quod sic, an haec sit vera : Deus genuit
Deum ; 3 de aliis locutionibus quae ex ista littera
concluduntur. |
Afin de comprendre cette partie on s’interroge sur deux
choses : Premièrement sur la génération en Dieu. Deuxièmement sur ce que l’on attribue à Dieu. Au sujet du premier point on s’interroge sur trois
points : 1. Y a-t-il un génération dans les personnes
divines ? 2. En supposant qu’il ne soit ainsi, cet énoncé est-il
vrai : Dieu a engendré Dieu ? 3. Sur les autres paroles qui sont conclues à partir de
ce document. |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La génération divine] |
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Articulus 1.1 lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 tit. Utrum generatio sit
in Deo. |
Article 1 – Y a-t-il de la génération en Dieu ? |
lib. 1 d. 4 q. 1 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit
generatio. Generatio
enim est species mutationis, secundum philosophum, V Physic.,
text. 4.. Sed a Deo removetur mutatio, Jac. 1, 17 : Apud quem non est
transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio. Ergo nec generatio. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
suivante à l’égard de ce premier article. Il semble qu’il n’y ait pas
génération en Dieu. La génération en effet est
une espèce de changement d’après le Philosophe [V Physiques, text. 4]. Mais
dans la Lettre de Jacques (1, 17), on écarte de Dieu le
changement : Celui chez qui n’existe aucun changement ni l’ombre
d’une variation. Il n’y a donc pas de génération en Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quanto creaturae sunt nobiliores, magis
accedunt ad divinam similitudinem. Sed in creaturis nobilioribus non
invenitur generatio, sicut in Angelis et in corporibus caelestibus, sed
tantum in inferioribus. Ergo videtur quod nec in Deo inveniatur. |
2. Par ailleurs, quand les
créatures s’approchent d’autant plus de la ressemblance divine qu’elles sont
plus nobles. Mais on ne retrouve pas de génération dans les créatures qui
sont plus nobles, comme on le voit pour les Anges et les corps célestes, mais
on observe la génération seulement chez les créatures inférieures. Il semble
donc qu’il n’y en ait pas non plus en Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, ubicumque est generatio, oportet quod sit
aliquid in genito communicatum a generante. Sed per illud quod sibi a
generante communicatur non distinguitur a generante. Ergo oportet ibi
esse aliquid aliud per quod ab ipso distinguatur, cum omne genitum a
generante distinctum sit. Ergo omne quod generatur, est compositum, cum sit ibi aliquid
et aliquid. Sed in Deo non est compositio. Ergo nec generatio. |
3. En outre, partout où il y
a génération, il faut qu’il y ait quelque chose qui soit communiqué dans
celui qui est engendré par celui qui engendre. Mais celui qui est engendré ne
se distingue pas, par ce qui lui est communiqué par celui qui engendre, de
celui qui engendre. Il faut donc qu’il y ait là quelque chose d’autre au
moyen de quoi il se distingue de celui qui engendre puisque tout ce qui est
engendré est distinct de celui qui l’engendre. Donc, tout ce qui est engendré
est un composé puisqu’il y a là quelque chose est quelque chose d’autre. Mais
il n’y a pas de composition en Dieu. Il n’y a donc pas non plus génération. |
lib. 1 d.
4 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, generatio est actus medius inter generantem et
genitum. Sed
inter Patrem et Filium non est aliquid medium. Ergo videtur quod non sit ibi
generatio. |
4. De plus, la génération est
un acte intermédiaire entre celui qui engendre et celui qui est engendré.
Mais il n’y a pas d’intermédiaire entre le Père et le Fils. Il semble donc
qu’il n’y ait pas là de génération. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 s.
c. 1 Contra, Isa. ult., 9 : Ego qui generationem tribuo
sterilis ero ? |
Cependant : 1. On lit dans Isaïe (66, 9) : Moi qui fais naître, je serai stérile ? |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 s. c.
2 Item, omne quod communicat se, communicat se ratione actus qui est in ipso
; quia potentia non agit nec communicat se. Sed divina essentia est primus et
purus actus. Ergo videtur quod summe communicet se. Sed non communicat se
summe in creaturis, cum non terminetur in eamdem naturam talis communicatio.
Ergo videtur quod communicet se per generationem in Filio ; haec enim est
maxima communicatio. |
2. En outre, tout ce qui se
communique, se communique en raison de l’acte qui est en lui ; car la
puissance n’est pas capable par elle-même de poser une opération et de se
communiquer. Mais l’essence divine est un acte pur et premier. Il semble donc
qu’elle se communique au plus haut point. Mais elle ne se communique pas au
maximum dans les créatures parce qu’une telle communication ne se termine pas
dans une même nature. Il semble donc en effet que cette communication
maximale doive se communiquer par la génration dans le Fils. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod generationem esse in divinis, ratione efficaciter
confirmari non potest, sicut supra dictum est, dist. 3, quaest. 1, art. 4,
sed auctoritate et fide tenetur : unde simpliciter concedendum est,
generationem esse in divinis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on ne peut confirmer efficacement par la raison qu’il y a génération dans
les personnes divines, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 3, quest.
1, art. 4], mais c’est par la foi et l’autorité qu’on soutient qu’il y a
génération dans les personnes divines. |
Sciendum tamen est, quod,
cum omnis perfectio sit in Deo et nulla imperfectio, quidquid perfectionis
invenitur in creatura, de Deo dici potest quantum ad id quod est perfectionis
in ipsa, omni remota imperfectione. Si autem nomen imponitur ab eo quod
imperfectionis est, sicut lapis, vel leo, tunc dicitur de Deo symbolice vel
metaphorice. Si autem imponitur ab eo quod est perfectionis, dicitur proprie,
quamvis secundum modum eminentiorem. |
Il faut cependant savoir que
puisqu’il y a en Dieu toute perfection et aucune imperfection, tout ce qu’on
retrouve de perfection dans la créature peut s’attribuer à Dieu quant à ce
qu’il y a en elle de perfection, en écartant toute imperfection. Mais si le
nom est imposé en partant de ce qui relève de l’imparfait comme la pierre ou
le lion, alors on le dit de Dieu de manière symbolique ou métaphorique. Mais
si le nom est imposé en partant de ce qui relève de la perfection, alors il
se dit proprement de Dieu, bien que ce soit selon un mode plus excellent. |
Dicitur autem nomen imponi
ab eo quod est quasi differentia constitutiva et non ex ratione generis ; et
ideo quandocumque aliquid secundum suum genus dicit imperfectionem, et
secundum differentiam, perfectionem, illud [illud om. Éd. de Parme]
invenitur in Deo quantum ad rationem differentiae, et non quantum ad rationem
generis : sicut scientia non est in Deo quantum ad rationem habitus vel
qualitatis, quia sic habet rationem accidentis ; sed solum secundum id quod
complet rationem scientiae, scilicet cognoscitivum certitudinaliter
aliquorum. |
Mais on dit que le nom est imposé en partant de ce qui est comme la différence constitutive et non à partir de la notion de genre ; et c’est pourquoi, toutes les fois que quelque chose dit une imperfection selon son genre et une perfection selon sa différence, cela se retrouve en Dieu quant à la notion de différence et non quant à la notion de genre : par exemple la science n’est pas en Dieu quant à la notion d’habitus ou de qualité, car elle aurait ainsi raison d’accident; mais elle est en Dieu seulement d’après ce qui complète la définition de la science, à savoir qu’elle connaît des choses avec certitude. |
Similiter dico, quod si
accipiamus genus generationis, secundum quod invenitur in inferioribus,
imperfectionis est : mutatio enim, quae est genus ipsius, ponit exitum de
potentia ad actum, et per consequens ponit materialitatem in genito, et per
consequens divisionem essentiae : quae omnia divinae generationi non
competunt. |
Je dis de la même manière que
si nous prenons le genre de la génération selon qu’il se retrouve dans les
créatures inférieures, il dit une imperfection : le changement en effet,
qui est son genre, pose un passage de la puissance à l’acte et pose par
conséquent la matérialité dans ce qui est engendré et par conséquent la
division de l’essence : et tout cela est contraire à la génération
divine. |
Si autem consideretur
secundum differentiam suam, per quam completur ratio generationis, sic dicit
aliquam perfectionem : passive enim accepta dicit acceptationem essentiae in
perfecta similitudine ; cujus communicationem dicit, si sumatur active :
quorum neutrum imperfectionem dicit : communicatio enim consequitur rationem
actus : unde omnis forma, quantum est de se, communicabilis est ; et ideo
communicatio pertinet ad nobilitatem. |
Mais si on considère la
génération d’après sa différence par laquelle est achevée la définition de la
génération, cette dernière dit alors une perfection : prise passivement
en effet elle dit la réception de l’essence dans une similitude
parfaite ; si on la prend activement, elle dit la communication de cette
similitude parfaite. Mais dans aucun cas elle ne dit une imperfection :
la communication en effet suit la notion de l’acte : c’est pourquoi
toute forme en tant que telle est communicable et c’est pourquoi la
communication relève de l’excellence. |
Et hoc modo accepta
generatione est per prius in Deo, et omnis generatio in creaturis descendit
ab illa, et imitatur eam quantum potest, quamvis deficiat. Unde ad Ephes.
3, 15 : Ex quo omnis paternitas in caelis et in terra nominatur.
Si autem accipiatur secundum rationem usitatam in nomine, secundum quam
dicimus generationem in creaturis, sic non convenit Deo nisi transumptive,
sicut et alia corporalia. |
Prise en ce sens, la
génération se retrouve à titre premier en Dieu et toute génération observée
dans les créatures procède d’elle et l’imite dans la mesure du possible bien
qu’elle s’en écarte. C’est pourquoi on lit [Lettre aux Éphésiens, 3,
15] : De qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son
nom. Mais si on prenait la génération d’après la notion généralement
admise par l’usage du nom d’après laquelle nous parlons de la génération
telle qu’on la retrouve dans les créatures, alors elle ne conviendrait à Dieu
que par transfert métaphorique, comme toutes les autres réalités corporelles. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 1
Et per hoc jam patet solutio ad primum : quia generatio, secundum suum genus,
quod est mutatio, in divinis non invenitur ; unde in Deo non est mutatio, sed
operatio divinae naturae, secundum Damascenum, lib. I Fide
orth., cap. VIII. Differt autem operatio a motu, secundum philosophum, Ethic., V,
cap. IV,
V et VI, quia operatio est actus perfecti, sed motus est actus imperfecti,
quia existentis in potentia. |
Solutions : 1. Et par ce que nous venons de dire, la solution à la première difficulté est déjà claire : car la génération, selon son genre qui est le changement, ne se retrouve pas dans les personnes divines ; de là il n’y a pas en Dieu de changement, mais une opération de la nature divine d’après Damascène [1 Livre sur la Foi Orthodoxe, ch. VIII]. Or l’opération diffère du mouvement selon le Philosophe [V Éthique, ch. IV, V, VI] car l’opération est l’acte de ce qui est parfait alors que le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait parce qu’il est l’acte de ce qui existe en puissance. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod nulla creatura susceptibilis est generationis sine
eo quod est imperfectionis in ipsa : cum enim in omni creatura differat
essentia et esse, non potest essentia communicari alteri supposito, nisi
secundum aliud esse, quod est actus essentiae [in qua est add. Éd. de
Parme] ; et ideo oportet essentiam creatam communicatione dividi, quod
imperfectionis est ; et ideo in perfectissimis creaturis non invenitur, sed
in his quae magis removentur a divina similitudine. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’aucune créature n’est susceptib le de génération sans qu’il y ait
quelque chose d’imparfait en elle : en effet, puisque dans toute
créature l’essence diffère de l’existence, l’essence ne eput être communiquée
à un autre sujet que selon une autre existence, laquelle est l’acte de
l’essence [dans laquelle elle est add. Éd. de Parme] ; et
c’est pourquoi il faut que l’essence créée soit divisée par la communication,
ce qui relève de l’imperfection ; et c’est pourquoi, dans les créatures
les plus parfaites on ne retrouve pas cette division, mais seulement chez
celles qui sont les plus éloignées de la ressemblance divine. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod in divina generatione non est aliquid additum
essentiae in genito, per quod differat a generante ; sed ex hoc ipso quod
accipit essentiam a generante, distinguitur ab eo relatione dantis et
accipientis : quae relationes non differunt ab essentia realiter, sed tantum
ratione, ut dictum est, dist. 11, quaest. 1, art. 5. Et ideo non sequitur ibi
compositio : quod in aliis esse non potest, quia nulla relatio est substantia
secundum rem in creaturis. Unde oportet quod omne generatum sit compositum,
et sic iterum patet quod generatio in creaturis sine imperfectione esse non
potest. |
3. Il faut dire en troisième lieu que dans la génération divine il n’y a pas quelque chose qui est ajouté à l’essence dans celui qui est engendré et par quoi il diffère de celui qui engendre ; dans ce cas en effet, du fait même qu’il reçoit l’essence de celui qui engendre, l’engendré se distingue de lui par la relation de donneur à receveur, relation qui ne diffère pas de l’essence par la chose mais par la raison seulement, ainsi qu’on l’a dit précédemment [dist. 11, quest. 1, art. 5]. Et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas là une composition : ce qui n’est pas possible dans les autres êtres car aucune relation, chez les créatures, n’est la substance selon la chose. De là, il faut toujours dans ces cas que tout ce qui est engendré soit composé, et ainsi il est clair en outre que la génération dans les créatures ne peut exister sans imperfection. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod generatio realiter non est aliquid medium inter
Patrem et Filium, cum generatio secundum rem passive accepta, sit ipsa
filiatio, quae est proprietas Filii, et est in Filio ; et accepta vero active
[cum in Patre accipitur active. Éd. de Parme], est ipsa paternitas
quae est in Patre, et est ipse Pater : tamen significat proprietatem per
modum actus, et ista significatio fundatur aliquo modo supra rem in
acceptione unius ab altero. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la génération n’est pas un intermédiaire réel entre le Père et le
Fils puisque la génération selon la chose, prise passivement, est la
filiation même, laquelle est la propriété du Fils et est présente dans le
Fils ; mais prise activement [puisque dans le Père la génération est
prise activement. Éd. de Parme], elle est la paternité même qui
est dans le Père, et qui est le Père lui-même : cependant elle signifie
la propriété par mode d’acte, et cette signification se fonde d’une certaine
manière par-dessus la chose dans le rapport de l’un à l’autre. |
|
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Articulus 2.lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 tit. Utrum ista propositio,
Deus genuit Deum, sit falsa. |
Article 2 – Cette proposition : « Dieu a engendré Dieu » est-elle fausse ? |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod haec sit
falsa, Deus genuit Deum. Generatio enim importat relationem
distinguentem personas, ut dictum est, (art. praeced.) Si igitur conceditur, quod
Deus genuit Deum, oportet quod concedatur quod Deus distinguitur a Deo, et
quod Deus est alius a Deo, quod non conceditur. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit à l’égard de ce deuxième article. Il semble que cette
proposition, Dieu a engendré Dieu, soit fausse. La génération en
effet implique une relation qui distingue les personnes, ainsi que nous
l’avons dit [article précédent]. Si donc on concède que Dieu a engendré Dieu,
il faut concéder que Dieu se distingue de Dieu et que Dieu est autre que
Dieu, ce qu’on ne peut concéder. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 arg.
2 Praeterea, terminus in praedicato positus non trahit terminum in subjecto
positum extra suam significationem, sed tantum restringit ipsum ratione
consignificationis temporis, ut stet pro praesentibus, praeteritis, et
futuris : quin potius est e converso, secundum Boetium, lib. I Trin., cap.
V, quod talia sunt praedicata, qualia permiserint subjecta. Sed hoc nomen
Deus significat essentiam. Ergo per verbum quod praedicatur, non trahitur ad
standum pro persona, sed supponit essentiam. Haec autem est falsa, essentia genuit
essentiam, ut infra dicetur, dist. 5, quaest. 1, art. 1. Ergo et haec, Deus
genuit Deum. |
2. Par ailleurs, le terme
posé dans le prédicat ne tire pas le terme posé dans le sujet en dehors de sa
signification, mais le limite seulement en raison de la double signification
du temps pour se fixer dans le présent, le passé et le futur : mais n’en
serait-il pas plutôt, au contraire, comme le dit Boèce [1 De la
Trinité, ch. V], que les présicats sont tels que l’auront permis les
sujets. Mais ce nom, Dieu, signifie l’essence. Donc, par le verbe qui est
attribué, ce nom n’est pas entraîné à représenter la personne, mais suppose
l’essence. Mais cette proposition, à savoir l’essence engendre l’essence, est
fausse, ainsi qu’on le dira plus loin [dist. 5, quest. 1, art. 1]. Et par
conséquent celle-là aussi est fausse : Dieu a engendré Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 arg.
3 Item, si Deus genuit Deum, ergo Deus est generans, et Deus est genitus. Sed
quidquid dicitur de singulis personis, potest dici de Deo. Ergo [Sed. Éd.
de Parme] de Patre dicitur quod est generans et de Filio quod non est
generans. Ergo potest dici quod Deus generat et Deus non generat : quod
falsum est. Ergo et prima est falsa, Deus genuit Deum. |
3. En outre, si Dieu a
engendré Dieu, Dieu est celui qui engendre et Dieu est aussi celui qui est
engendré. Mais tout ce qui est dit de chacune des personnes peut être dit de
Dieu. Donc [Mais, Éd. de Parme]. Mais on dit du Père qu’Il est
celui qui engendre et du Fils qu’Il n’est pas celui qui engendre. On peut
donc dire que Dieu engendre et que Dieu n’engendre pas : ce qui est
faux. Donc, la première proposition est fausse, à savoir que Dieu a engendré
Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 s. c.
1 Contra, in symbolo dicitur : Deum de Deo genitum. Sed non
generatur de Deo, nisi sicut de generante. Ergo Deus generat Deum. |
Cependant : 1. On dit au contraire dans
le Symbole des Apôtres : Dieu né de Dieu. Mais on ne peut
naître de Dieu que comme de Celui qui engendre. Donc, Dieu engendre Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Deus dicit habentem deitatem. Ergo
quidquid dicitur de habente deitatem, potest dici de Deo. Sed
potest dici : habens deitatem generat habentem deitatem. Ergo potest dici :
Deus generat Deum. |
2. En outre, Dieu désigne
celui qui possède la divinité. Donc, tout ce qui et dit de celui qui possède
la divinité peut se dire de Dieu. Mais on peut dire que celui qui possède la
divinité engendre celui qui possède la divinité. On peut donc dire que Dieu
engendre Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ista
est simpliciter vera et concedenda, Deus generat Deum. Sed circa veritatem
ejus est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod
hoc nomen Deus significat essentiam et supponit essentiam quantum est de se,
sed propter indifferentiam essentiae ad personas in divinis, ex adjuncto
notionali trahitur ad supponendum pro persona. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que cette proposition, à savoir que Dieu engendre Dieu, est vraie absolument parlant et qu’elle doit être admise. Mais il existe deux opinions relativement à sa vérité. Certains en effet disent que ce nom Dieu signifie l’essence quant à lui-même, mais en raison de l’indifférence de l’essence à l’égard des personnes divines, mais par l’ajout d’une notion il est entraîné à se substituer à la personne. |
Alii dicunt quod hoc nomen
Deus significat essentiam, et supponit, quantum est de se, personam, tamen
indistincte : unde potest supponere unam tantum vel plures personas : unam
cum dicitur, Deus generat : plures, ut cum dicitur Deus est Trinitas. Et haec
opinio videtur verior esse. |
D’autres disent que le nom
Dieu signifie l’essence et suppose de lui-même la personne, mais
indistinctement : par conséquent il peut supposer une seule ou plusieurs
personnes : une seule comme lorsque je dit que Dieu engendre ;
plusieurs, comme lorsque je dis que Dieu est trine. Et cette dernière opinion
se présente comme la plus vraie. |
Quamvis enim, ut dicitur
Lib. de causis, prop. 6, omne nomen deficiat a significatione divini esse,
propter hoc quod nullum nomen significat simul aliquid perfectum et simplec
[simpliciter Éd. de Parme] quia abstracta non significant ens per
se subsistens, et concreta significant ens compositum, nihilominus tamen
abjicientes id quod imperfectionis est, utimur utrisque nominibus in divinis,
abstractis propter simplicitatem, concretis propter perfectionem. Unde hoc
nomen Deus significat per modum perfecti et per se subsistentis, sicut et hoc
nomen homo : unde, sicut et hoc nomen homo in se importat non tantum
essentiam, sed etiam suppositum, sed indistincte alias non praedicaretur de
individuis, ita et hoc nomen Deus. Et ideo de se habet quod possit supponere
pro persona, et non habet quod supponat pro essentia ex modo significandi
nominis, sed tantum ex ratione divinae simplicitatis, in qua idem est re
essentia et suppositum. |
En effet, bien que , comme on
dit [Livre des Causes, prop. 6] que
tout nom fait défaut par rapport à la signification de l’existence divine
pour cette raison qu’aucun nom ne signifie simultanément quelque chose de
parfait et de simple [simplement Éd. de Parme] car les termes
abstraits ne signifient pas un être qui subsiste par soi et les
termes concrets signifient de l’être composé, néanmoins cependant, rejetant
ce qu’il y a d’imparfait, nous utilisons les deux sortes de noms pour
signifier Dieu, des termes abstraits pour signifier sa simplicité et des
termes concrets pour signifier sa perfection d’être subsistant. Par conséquent
ce nom, Dieu, signifie à la manière de ce qui est parfait et subsiste par
soi, comme le nom homme ; par conséquent tout comme le nom homme
implique en lui-même non seulement l’essence, mais aussi le sujet, mais
indistinctement autrement il ne s’attribuerait pas aux individus, il en est
de même pour ce nom, Dieu. Et c’est pourquoi ce nom tient de lui-même qu’il
puisse être mis à la place de la personne et il ne tient pas du mode de
signifier du nom qu’il puisse être mis à la place de l’essence, mais il le
tient seulement en raison de la simplicité de Dieu dans laquelle l’essence et
le sujet sont identiques par la chose. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod generari significat proprietatem per modum
actus ; actus autem est suppositorum tantum : humanitas enim non generat, sed
homo : et ideo cum dicitur, Deus generat Deum, locutio simpliciter est vera,
quia actus non potest referri nisi ad suppositum. Sed referri et distingui
non significant actus nisi grammatice loquendo ; et ideo possunt referri ad
essentiam et ad suppositum : et ideo non simpliciter conceditur, Deus
distinguitur a Deo, ne distinctio referatur ad essentiam ; et praecipue cum
hoc nomen Deus importet suppositum indistinctum, quod non distinguitur nisi
personali proprietate adjuncta, ut paternitate vel filiatione. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le fait d’êre engendré signifie une propriété à la manière
d’un acte ; mais un acte n’appartient qu’à un individu : en effet,
ce n’est pas l’humanité mais l’homme qui engendre ; et c’est pourquoi,
lorsqu’on dit que Dieu engendre Dieu, l’expression est vraie absolument car
l’acte ne peut être rapporté qu’à un individu. Mais rapporter et distinguer
ne signifient un acte que grammaticalement parlant et c’est pourquoi ils
peuvent être attribués à la fois à l’essence et à l’individu : et c’est
pourquoi il ne faut pas concéder absolument que Dieu se distingue de Dieu,
afin que la distinction ne s’attribue pas à l’essence ; et
principalement puisque ce nom, Dieu, implique implique indistinctement
l’individu, lequel n’est distingué que par une propriété personnelle ajoutée,
comme la paternité ou la filiation. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod, quamvis hoc nomen Deus significet essentiam,
tamen, quantum est de se, supponit habentem essentiam, et rem naturae, etiam
non intellectis personis, quas fides distinguit. Unde potest supponere pro
persona, etiamsi ab alio non restringatur. Et quia supponit personam
indistincte, ideo potest stare in locutione pro quacumque persona : et sic
reddit locutionem veram. Unde in hac propositione, Deus generat
Deum, in supposito stat pro patre, in apposito pro filio. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que bien que le nom Dieu signifie l’essence, cependant, de
lui-même, il suppose celui qui possède l’essence et la chose de nature, même
si les personnes, que la foi distingue, ne sont pas comprises. C’est pourquoi
il peut être mis à la place d’une personne, même s’il n’est pas limité par un
autre terme. Et parce qu’il suppose la personne indistinctement, c’est
pourquoi dans le discours il peut représenter toute personne, de manière à
render vrai le discours. Par consequent, dans cette proposition, Dieu
engendre Dieu, le terme pris comme sujet tient lieu de père et dans le
prédicat il tient lieu de fils |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 3
Ad tertium dicendum quod hoc nomen Deus, proprie loquendo, nec est universale
nec singulare ; sed habet aliquid de ratione universalis, scilicet quod
praedicatur essentialiter de pluribus suppositis ; et inde habet quod ea quae
praedicantur de singulis suppositis, praedicantur de ipso : habet autem de
ratione singularis hoc quod non multiplicatur ad multitudinem suppositorum :
dicimus enim, quod Pater et Filius sunt unus Deus, sed Socrates et Plato sunt
plures homines : et ex parte ista habet hoc nomen Deus quod negatio et
affirmatio dictae de ipso [dictae de ipso om. Éd. de Parme]
opponuntur contradictorie : unde sicut istae non possunt simul esse verae,
Socrates currit et non currit ; ita nec istae, Deus generat et non generat. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que ce nom, Dieu, à proprement parler, n’est ni universel, ni
singulier ; mais il possède quelque chose du concept universel, à savoir
qu’il s’attribue essentiellement à plusieurs sujets ; et de là il tient
que ce qui s’attribue aux sujets individuels s’attribue à lui-même ;
mais il possède aussi quelque chose de la notion du singulier par cela qu’il
ne se multiplie pas à l’égard de la multiplicité des sujets : nous
disons en effet que le Père et le Fils sont un seul Dieu, mais que Socrate et
Platon sont plusieurs hommes : et de ce côté ce nom Dieu tient que la
négation et l’affirmation qu’on dit de Lui [qu’on dit de lui om. Éd.
de Parme] s’opposent de manière contradictoire : de là, tout comme
ces propositions ne peuvent êre vraies simultanément, à savoir Socrate court
et Socrate ne court pas, de même ces propositions, à savoir Dieu engendre et
Dieu n’engendre pas, ne peuvent être vraies simultanément. |
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Articulus 3. lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus genuit se
Deum vel alium Deum |
Article 3 – Dieu s’est-il engendré lui-même comme Dieu ou a-t-il engendré un autre Dieu ? |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod genuit vel se
Deum, vel alium Deum. Idem enim et diversum universaliter dividunt ens. Sed
se est relativum identitatis, alius autem importat diversitatem. Ergo oportet
dicere, quod genuit vel se Deum vel alium Deum. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit à l’égard de ce troisième article. Il semble ou bien qu’il se soit
engendré lui-même comme Dieu, ou bien qu’il ait engendré un autre Dieu. En
effet, le même et l’autre divisent tous les êtres. Mais le ¨soi-même¨ est un
relatif d’identité alors que ¨l’autre¨ implique la diversité. Il faut donc
dire que Dieu a engendré ou bien lui-même comme Dieu, ou bien un autre Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, ut supra dictum est, art. anteced., hoc nomen
‘Deus’ trahitur ad standum pro persona ex notionali adjuncto. Sed alius
importat distinctionem notionalem. Ergo ly alius hoc nomen Deus facit stare
pro persona. Sed
haec est vera : Deus genuit aliam personam divinam. Ergo et haec : Deus
genuit alium Deum. |
2. En outre, comme nous
l’avons dit plus haut dans l’article précédent, ce nom ¨Dieu¨ est entraîné à
tenir la place d’une personne à partir de l’ajout d’une notion. Mais l’autre
implique la distinction d’une notion. Donc le nom Dieu avec l’ajout de la
notion ¨autre¨ tient la place d’une personne. Mais cette proposition est
vraie : Dieu a engendré une autre personne divine. Donc celle-là l’est
aussi, à savoir que Dieu a engendré un autre Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg.
3 Item, videtur quod haec sit vera, Deus genuit se Deum. Idem enim, ut dicit
philosophus, V Metaph., cap. XV ; in ant. exempl., cap.
XVII, est unum in substantia, sicut aequale unum in quantitate. Sed sicut una
magnitudo est Patris et Filii, sic et una substantia. Ergo
sicut conceditur ista, Deus genuit aequalem Deum ; ita debet concedi ista,
Deus genuit eumdem Deum. Unde similiter et haec, Deus genuit se Deum, cum se sit
relativum identitatis. |
3. De plus, il semble que
cette proposition soit vraie, à savoir que Dieu s’est engendré lui-même comme
Dieu. Le même en effet, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique,
ch. XV], est l’un dans la substance comme l’égal est l’un dans la quantité.
Mais tout comme la grandeur du Père et celle du Fils sont une, de même leur
substance est une. Donc, tout comme on concède cette proposition-ci, à savoir
que Dieu a engendré un Dieu égal, de même on doit concéder cette
proposition-là, à savoir que Dieu a engendré le même Dieu. D’où on dit
semblablement concéder cette autre proposition, à savoir que Dieu s’est
engendré soi-même comme Dieu, puisque ¨soi-même¨est un relatif d’identité. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg.
4 Item, quaeritur de aliis duabus propositionibus, scilicet, genuit Deum, qui
est Deus Pater, vel Deum qui non est Deus Pater. Videtur enim quod haec sit
falsa : genuit Deum qui est Deus Pater. Qui enim cum sit relativum,
facit secundam notitiam suppositorum. Sed iste terminus Deus, ad quem
refertur, stabat pro persona Filii. Ergo et relativum supponet personam
Filii. Sed haec est falsa : Filius est Deus Pater. Ergo et haec, Deus genuit
Deum, qui est Deus Pater. |
4. En outre, on s’interroge
sur ces deux propositions, à savoir que Dieu a engendré Dieu qui est Dieu le
Père ou Dieu qui n’est pas Dieu le Père. Il semble en effet que cette
proposition soit fausse : Dieu a engendré Dieu qui est Dieu le Père.
Puisque le pronom ¨qui¨ est un relatif, il fait une deuxième connaissance des
sujets. Mais ce terme Dieu auquel il réfère, tenait lieu de la personne du
Fils. Donc le relatif aussi supposait la personne du Fils. Mais cette
proposition, à savoir le Fils est Dieu le Père, est fausse. Donc celle-là
l’est aussi : Dieu a engendré Dieu, qui est Dieu le Père. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a.
3 arg. 5 Item, videtur quod etiam negativa sit falsa. Negatio enim respicit
terminum sequentem formalem. Ergo cum dicit, Deus genuit Deum qui non est
Deus Pater, a Filio, quem refert relativum, per negationem removetur ly Deus,
qui in praedicato ponitur, non tantum quantum ad suppositum, sed quantum ad
formam ; et ita divina essentia removebitur a Filio, quod falsum est. |
5. Il semble que
même la négative soit fausse. La négation en effet considère le terme qui
suit la proposition formelle. Donc, lorsqu’il dit que Dieu a engendré Dieu
qui n’est pas Dieu le Père, par la négation, ce Dieu, qui est placé dans le
prédicat, est écarté du Fils auquel réfère le relatif, non seulement quant au
sujet, mais aussi quant à la forme; et ainsi l’essence divine sera écartée du
Fils, ce qui est faux. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod Magister in littera negat utramque praemissarum ; eo
quod alius, cum notet diversitatem, ponit formam suam circa terminum cui
adjungitur, cum sit adjectivum, et ita designabitur diversitas in forma
divinitatis. Ly se autem cum sit relativum identitatis, refert idem
suppositum ; et ita cum dico : genuit se Deum, ponitur indistinctio suppositi
inter Patrem et Filium ; et cum dicitur, genuit alium Deum, ponitur
diversitas naturae ; et ideo utraque neganda est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le Maître, dans le document nie chacune des deux propositions du fait que
¨autre¨, signifiant la différence, pose sa forme sur le terme auquel il
s’ajoute, puisqu’il et un adjectif, et ainsi la différence sera notée dans la
forme de la divinité. Mais ce ¨soi¨, puiqu’il est un relatif d’identité, se
rapporte au même sujet ; et ainsi lorsque je dis : Dieu s’est engendré
soi-même comme Dieu, un manque de distinction du sujet est posé entre le Père
et le Fils ; et lorsqu’on dit que Dieu a engendré un autre Dieu, on pose
une diversité de nature ; et c’est pourquoi chacune des deux
propositions doit être niée. |
Sed sunt aliqui qui
distinguunt istam, genuit alium Deum ; quia ly alium potest teneri
substantive vel adjective. Si adjective, tunc erit locutio falsa, quia ponet
diversitatem circa hunc terminum Deus ; si substantive, tunc erit constructio
appositiva, et locutio erit vera, et erit sensus, genuit alium [Deum add/
Éd de Parme], qui est Deus. Sed, quia non invenitur quod adjectivum in
masculino genere substantivetur, et maxime cum adjungitur sibi substantivum,
ideo haec distinctio non videtur multum valere ; nisi forte subintelligatur
hoc participium ens ut dicatur alium entem Deum. Sed hoc erit nimis extortum
; et ideo dicendum cum Magistro quod utraque falsa est. |
Mais il y en a d’autres qui
nuancent cette proposition, à savoir Dieu a engendré un autre Dieu ; car
¨autre¨ peut être pris comme substantif ou comme adjectif. S’il est pris
comme adjectif, alors l’énoncé sera faux car il posera une différence par
rapport à ce terme, Dieu ; s’il est pris comme substantif, alors il y
aura une apposition et l’énoncé sera vrai et aura pour signification que Dieu
a engendré un autre [Dieu add. Éd. de Parme] qui est Dieu. Mais parce qu’il
n’arrive pas que l’adjectif dans le genre masculin devienne un substantif, et
principalement lorsqu’un substantif lui est ajouté, c’est pourquoi cette distinction
ne semble pas avoir une grande valeur, à moins peut-être qu’on ne
sous-entende le participe ¨étant¨, comme lorsqu’on dit que Dieu a
engendré un autre étant Dieu. Mais cette expression sera trop forcée ;
et c’est pourquoi il faut dire comme le Maître que chacune des deux
propositions est fausse. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod idem et diversum sufficienter dividunt ens creatum, propter hoc quod
ubicumque in creaturis est diversitas suppositorum, est diversitas essentiae
; sed in Deo in diversis suppositis est una essentia : et ideo nec identitas
competit propter diversitatem suppositorum nec diversitas propter identitatem
essentiae ; sed tantum unitas. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le même et l’autre divisent l’être créé avec satisfaction
pour cette raison que partout où il y a une diversité de sujets dans les
créatures, il y a aussi une diversité de nature. Mais en Dieu il n’y a qu’une
seule essence dans les différents sujets : et c’est pourquoi l’identité
ne se rencontre pas à cause de la diversité des sujets et que la diversité ne
se rencontre pas à cause de l’identité de l’essence : on ne retrouve
alors que l’unité. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 2
Ad secundum dicendum, quod alius importat distinctionem in communi, non magis
personalem quam essentialem : et ideo quando adjungitur termino personali,
importat distinctionem personalem ; quando autem adjungitur termino
essentiali, importat diversitatem essentiae, secundum exigentiam formae
illius termini ; cum termini, praecipue substantiales, recipiant diversitatem
et pluralitatem ex parte suae formae. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le terme ¨autre¨ implique une distinction universelle, et non pas
une distinction qui serait davantage personnelle qu’essentielle : et
c’est pourquoi, quand il est ajouté à un terme personnel, il implique une
distinction personnelle ; mais quand il est ajouté à un terme essentiel,
il implique une diversité d’essence, d’après l’exigence de la forme de ce
terme, puisque les termes, principalement ceux qui sont substantiels,
reçoivent la diversité et la pluralité du côté de leur forme. |
Ad tertium dicendum, quod
idem significat unitatem in substantia ; et praeter hoc, quia relativum est
et habet articulationem implicitam, importat unitatem suppositi, et multo
plus hoc pronomen se, quod est etiam relativum reciprocum, quod non est
reperire in hoc nomine aequale : et ideo non est simile quod pro simili
inducitur. |
3. En troisième lieu il faut
dire que le même signifie l’identité de substance ; et en outre, parce
qu’il est un relatif et qu’il possède une articulation implicite, il implique
l’unité du sujet ; et il en est encore bien davantage ainsi pour le
pronom ¨soi¨, qui est aussi un relatif réciproque, ce qui ne se rencontre pas
par rapport au mot ¨égal¨ : et c’est pourquoi ce qui est introduit comme
un semblable ne l’est pas. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 4
Ad quartum dicendum, quod Magister distinguit utramque illarum propositionum.
Si enim cum dicitur, Deus genuit Deum, qui est Deus Pater, ly Pater
construitur appositive ad ly Deus, locutio falsa est : quia tunc ly Deus
restringetur ad standum pro persona patris ; et sic erit sensus : genuit
Deum, qui est ipse Pater : et sic affirmativa falsa est, et negativa vera. Si
autem intelligantur non per appositionem, sed mediate conjungi illi duo
termini, scilicet Deus, et Pater ; ut sit sensus : genuit Deum qui est Deus
et Deus est Pater ; tunc affirmativa vera est, et negativa falsa. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le Maître a distingué chacune de ces propositions. Si en effet,
lorsqu’on dit : Dieu a engendré Dieu, qui est Dieu le Père, ce Père est
construit appositivement à ce Dieu, l’expression est fausse : car alors
ce Dieu est limité à représenter la personne du père ; et ainsi le sens
sera : Dieu a engendré Dieu qui est le Père lui-même : et ainsi
l’affirmative sera fausse et la négative vraie. Mais si les termes ne sont
pas pris par apposition, mais que ces deux termes, à savoir Dieu et le Père,
sont pris comme réunis au milieu, de manière à ce que le sens soit :
Dieu, qui est Dieu le Père, a engendré Dieu, alors l’affirmative sera vraie
et la négative fausse. |
Praepositivus tamen dixit,
quod utraque falsa est, nec sunt contradictoriae propter diversam
suppositionem hujus relativi qui : in affirmativis enim refert tantum
suppositum antecedentis, et cum antecedens supponat pro persona filii,
referret personam filii, de qua non est verum dicere, quod sit Deus
pater. In negativa vero relativum refert non tantum
suppositum, sed etiam essentiam. Unde oporteret quod hoc praedicatum Deus
pater removeretur non tantum a supposito filii, sed etiam ab essentia : et
ita falsa est. |
Cependant la conjunction prepositive dit que chacune des deux est fausse, et elles ne sont pas contradictoires à cause de la supposition différente du relatif ¨qui¨: dans les affirmatives en effet il se rapporte seulement au sujet de l’antécédent, et comme l’antécédent suppose comme personne le Fils, il se rapporterait à la personne du Fils au sujet de laquelle il n’est pas vrai de dire qu’elle est Dieu le Père. Mais dans la negative le relative ne se rapporte pas seulement au sujet mais aussi à l’essence. D’où il faudrait que le prédicat, Dieu le Père, soit écarté non seulement du sujet, le Fils, mais aussi de l’essence: et ainsi elle serait fausse. |
Sed quia hac distinctione
facta, adhuc habet locum distinctio Magistri, et praecipue in affirmativa ;
et iterum quia non videtur necessarium esse quod in negativis relativum
referat aliter quam in affirmativis, nisi forte propter negationem, cujus est
confundere terminum et facere eum teneri simpliciter (quod tamen non habet
respectu praecedentis, sed tantum respectu sequentis) : ideo videtur
efficacior via Magistri, et secundum ipsum concedendum est, quod utraque
potest esse vera et falsa ; secundum cujus distinctionem patet solutio ad
quartum argumentum. |
Mais parce que, cette
distinction étant faite, la distinction du Maître a encore sa place et
principalement dans l’affirmative ; et en outre parce qu’il ne semble
pas qu’il soit nécessaire que dans les négatives le relatif se rapporte
autrement que dans les affirmatives, excepté peut-être à cause de la négation
à laquelle il appartient de confondre le terme et de le faire prendre
absolument (ce qu’elle ne fait cependant pas par rapport à ce qui précède,
mais seulement par rapport à ce qui suit) : c’est pourquoi la démarche
du Maître semble plus efficace et conformément à lui il faut concéder que
chacune des deux propositions peut être vraie et fausse ; et c’est d’après
cette distinction que la solution à la quatrième difficulté apparaît. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 5
Ad quintum dicendum, quod quando duo termini contrahuntur per appositionem,
terminus appositus efficitur quasi forma ei cui apponitur. Unde si
intelligatur appositive : genuit Deum qui non est Deus Pater, negatio non
removebit formam divinitatis sed paternitatis a Filio. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que quand deux termes se trouvent à être réunis par apposition, le terme
qui est apposé est établi comme la forme pour le terme auquel il est apposé.
De là, si l’expression, à savoir Celui qui n’est pas Dieu le Père a engendré
Dieu est entendue dans sa forme appositive, la négation n’enlèvera pas la
forme de la divinité, mais enlèvera du Fils la forme de la paternité. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’attribution divine] |
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Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 4 q. 2 pr. Deinde quaeritur de divina
praedicatione. Et circa hoc duo quaeruntur : 1 utrum possit fieri
praedicatio in divinis per propositionem aliquam ; 2 utrum possit persona
praedicari de essentia. |
Livre 1, dist. 4, quest. 2, proème. On s’interroge ensuite sur les attributions qui
s’adressent à Dieu. Et à ce sujet on se demande deux choses : 1. Est-il possible qu’il y ait attribution à Dieu au
moyen d’une proposition ? 2. Est-ce qu’une personne peut être attribuée à
l’essence ? |
Articulus 1. lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 tit. Utrum de divinis
possit formari propositio |
Article 1 – Peut-on former une proposition au sujet de Dieu ? |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in divinis non possit aliqua
formari propositio, in qua aliquid de ipso praedicetur. Veritas enim signi
consistit in conformitate signi ad signatum. Sed omnis praedicatio fit per
aliquam compositionem. Cum igitur in Deo nulla sit compositio, videtur quod
de ipso nulla possit formari vera praedicatio. |
Difficultés: 1. Il semble qu’on
ne puisse former une proposition sur Dieu dans laquelle un prédicat serait
attribué à un sujet. En effet, la vérité du signe consiste dans la conformité
du signe au signifié. Mais toute attribution est produite au moyen d’une
composition. Donc, puisqu’il n’y a en Dieu aucune composition, il semble
qu’on ne puisse former à son sujet aucune veritable attribution. |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 1 arg. 2 Item Dionysius, cap. II caelest hierar., §
3 142 : in Deo negationes sunt verae affirmationes incompactae. Appellatur
autem incompactum illud quod non est debito modo ordinatum, nec est
competens. Sed talis inordinatio inducit falsitatem in
propositionibus. Ergo videtur idem quod prius. |
2. En outre, Denys
[La Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 3, 142] dit: En Dieu les
négations sont de vraies affirmations qui sont défectueuses. Mais on
appelle défectueux ce qui n’est pas ordonné de la manière qui est juste et
qui ne convient pas. Mais un tel défaut d’ordre introduit de la fausseté dans
les propositions. Il semble donc que la conclusion soit la même que la
précédente. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 1
Contra ; fidei non potest subesse falsum. Sed multae propositiones
affirmativae enunciantur a nobis de Deo secundum fidem nostram, scilicet quod
Deus est trinus et unus. Ergo videtur quod de Deo possit formari vera
propositio. |
Cependant : 1. Mais la foi ne peut se fonder sur le faux. Mais nous
formons plusieurs propositions affirmatives sur Dieu conformément à notre
foi, par exemple que Dieu est à la fois trine et un. Il semble donc que de
vraies propositions puissent être formées au sujet de Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 2
Item, secundum Boetium, nulla propositio est verior illa in qua idem de se
praedicatur. Sed quidquid est in divinis, est idem re, cum in Deo sit idem
habens et habitum, et quod est et quo est, excepto quod una persona non est
alia. Ergo videtur quod de Deo possint formari verissimae locutiones. |
2. En outre, d’après Boèce,
aucune proposition n’est plus vraie que celle dans laquelle le même est
attribué au même. Mais tout ce qui est en Dieu est le même par la chose,
puisqu’en Dieu est identique à la fois ce qui possède et ce qui est possédé,
la chose qui existe et ce par quoi elle existe, à l’exception qu’une seule et
même personne n’est pas l’autre. Il semble donc que les propositions les plus
vraies puissent être formées au sujet de Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1
co. Respondeo dicendum, quod enuntiatio sequitur apprehensionem. Unde secundum quod intelligimus aliqua, oportet quod
enuntiemus illa. Apprehensio autem fit secundum potestatem apprehendentis ;
et ideo ea quae sunt simplicia intellectus noster enuntiat per modum cujusdam
compositionis ; sicut e contrario Deus intelligit res compositas modo
simplici : et inde est quod intellectus noster de Deo format propositiones ad
modum rerum compositarum, a quibus naturaliter cognitionem accipit. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’énonciation suit la compréhension. De là, il faut que nous énoncions
les choses conformément à la manière dont nous les comprenons. Mais la
compréhension se produit conformément à la puissance de celui qui
comprend ; et c’est pourquoi notre intelligence énonce par mode de composition
les choses qui sont simples, tout comme au contraire Dieu saisit les choses
composées d’après un mode qui est simple : et il suit de là que notre
intelligence forme sur Dieu des propositions d’après le mode qu’il applique
aux choses composées desquelles il reçoit naturellement la connaissance. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod intellectus noster deficit a cognitione divinae
majestatis, similiter etiam et enuntiatio deficit a significatione perfecta ;
nihilominus tamen est veritas, inquantum intellectus formans enuntiationem
accipit duo quae sunt diversa secundum modum et idem secundum rem. Unde
secundum diversitatem rationum format praedicatum et subjectum, et secundum
identitatem componit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que notre intelligence est loin de connaître la divine majesté tout comme notre discours est aussi loin de la signifier parfaitement ; néanmoins, il y a cependant là vérité dans la mesure où notre intelligence en formant l’énonciation reçoit deux choses qui sont différentes selon le mode et identitques selon la chose. Ensuite, conformément à la diversité des notions elle forme un prédicat et un sujet, et conformément à l’identité elle les compose. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod affirmativae propositiones pro tanto dicuntur
incompactae in divinis, quia nihil eorum quae praedicantur de ipso
significant ipsum per modum quo ipse est, sed per modum quo intellectus
noster accipit ex rebus creatis informatus. Unde oportet quod nomina illa
praedicata de Deo intelligantur praedicari remotis illis modis quibus de
creaturis praedicantur. Unde Dionysius, de divin nomin., cap.
VII, 866, omnes divinas praedicationes ita docet exponere : Deus est sapiens,
et non sapiens, scilicet sicut alia, ut differat in eo sapientia a sapiente ;
sed est supersapiens, inquantum est in ipso nobiliori modo sapientia quam
significetur per nomen. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’on dit que les propositions affirmatives attribuées à Dieu sont
d’autant plus défectueuses que rien en elles de ce qui Lui est attribué ne Le
signifie à la manière dont Lui-même existe, mais seulement à la manière dont
notre intelligence reçoit l’information des choses créées. De là il faut que
ces noms qu’on attribue à Dieu soient compris comme étant attribués sans ces
modalités d’après lesquelles on les attribue aux créatures. C’est pourquoi
Denys [Les Noms Divins, ch. VII, 866] enseigne qu’il faut
expliquer de la manière qui suit toutes les attributions qu’on fait à
Dieu : Dieu est sage et il n’est pas sage comme les autres le sont,
c’est-à-dire de telle manière qu’en Lui différerait la sagesse et celui qui
est sage ; au contraire, il est sage au-delà de toute sagesse, selon que
la sagesse en Lui existe selon un mode plus excellent que celui qui est
signifié par le nom. |
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Articulus 2. lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 tit. Utrum persona
possit praedicari de essentia |
Article 2 – La personne peut-elle être attribuée à l'essence ? |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod persona non
possit praedicari de essentia. Praedicatum enim habet rationem formae. Sed
persona est suppositum formae, vel naturae. Ergo persona non habet rationem
quod praedicetur de natura vel essentia. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit par rapport à cette deuxième question. Il semble que la personne ne
puisse être attribuée à l’essence. En effet, le prédicat a raison de forme.
Mais la personne est le sujet de la forme ou de la nature. Donc la personne
n’a pas raison d’être attribuée à la nature ou à l’essence. |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, praedicatum semper significatur inesse
subjecto. Persona
autem non significatur ut inhaerens essentiae, sed e converso. Ergo persona
non potest praedicari de essentia. |
2. En outre, le prédicat est
toujours signifié comme appartenant au sujet. Mais la personne n’est pas
signifiée comme appartenant à l’essence, mais c’est plutôt l’inverse qui se
produit. Donc la personne ne peut être attribuée à l’essence. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 3
Item, superius per se praedicatur de suo inferiori, sicut homo de Socrate ;
sed Socrates accidentali praedicatione praedicatur de homine ; accidit enim
homini esse Socratem. Sed sicut Socrates est suppositum humanae naturae, ita
Pater est suppositum naturae divinae. Ergo videtur quod haec non sit vera,
Deus est Pater, nisi forte per accidens. |
3. De plus, le supérieur
s’attribue de lui-même ou essentiellement à son inférieur, comme l’homme
s’attribue à Socrate. Mais Socrate s’attribue accidentellement à
l’homme ; en effet, il est accidentel à l’homme d’être Socrate. Mais
tout comme Socrate est le sujet de la nature humaine, de même le Père est le
sujet de la nature divine. Il semble donc qu’il ne soit pas vrai de dire que
Dieu est le Père, sauf peut-être par accident. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 4
Item, sicut dictum est, Sup., qu. 1, art. 2, hoc nomen Deus, quantum est de
se, supponit personam. Sed haec est falsa : una persona est Pater et Filius
et Spiritus sanctus. Ergo haec etiam : unus Deus est Pater et Filius et Spiritus
sanctus. |
4. En outre, comme nous
l’avons dit plus haut [quest. 1, art. 2], ce nom Dieu, en tant que tel,
suppose une personne. Mais cette proposition est fausse, à savoir qu’une
seule et même personne est à la fois le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc
cette proposition elle aussi est fausse, à savoir qu’un même Dieu est à la
fois Père, Fils et Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 5
Item videtur quod haec etiam sit falsa, Deus est Trinitas. Nihil enim
praedicatur de homine quod non praedicetur de aliquo supposito hominis. Sed
Trinitas neque praedicatur de Patre neque de Filio neque de Spiritu sancto.
Ergo per eamdem rationem non potest dici quod Deus sit Trinitas. |
5. Par ailleurs il semble que cette autre proposition
soit fausse : Dieu est Trinité. Rien en effet n’est attribué à l’homme
qui ne soit pas attribué à un sujet de l’homme. Mais la Trinité n’est
attribuée ni au Père, ni au Fils, ni au Saint-Esprit. Donc, pour la même
raison on ne peut dire que Dieu soit Trinité. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod in divinis est omnino indifferentia naturae ad
suppositum ; et ideo nec est ibi universale neque particulare : et ideo sicut
vere praedicatur essentia de persona, ita et e converso. Sed verum est quod
quantum ad modum significandi plus habet de proprietate propositio in qua
praedicatur essentia, quam in qua praedicatur persona, cum praedicatum se
habeat loco formae. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il n’y a absolument aucune différence entre la nature et le sujet dans les
personnes divines ; et c’est pourquoi il n’y a pas lieu de
distinguer dans ce cas l’universel du particulier : et c’est pour cette
raison que tout comme l’essence s’attribue véritablement à la personne, de
même inversement la personne s’attribue véritablement à l’essence. Mais quant
au mode de signifier lui-même, il est vrai que la proposition dans laquelle
l’essence s’attribue est possède plus d’intelligibilité que celle dans
laquelle la personne s’attribue, puisque le prédicat tient lieu de forme. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis persona sit suppositum, nihilominus tamen
propter indifferentiam suppositi ad naturam persona est aequalis
simplicitatis cum natura ; et ideo de se conversim praedicantur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que la personne soit le sujet, néanmoins cependant en
raison de l’absence de différence entre le sujet et la nature, la personne
est égale à la nature en simplicité ; et c’est pourquoi ils s’attribuent
réciproquement l’un à l’autre. |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum : quia in Deo habens
et habitum sunt idem re. |
2. Et par là on
voit la solution à la deuxième difficulté car en Dieu celui qui possède est
identique par la chose à ce qui est possédé. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod in divinis non est aliquid accidentale, nec est ibi
universale et particulare ; et ideo nihil dicitur ibi per accidens, neque per
consequens, sicut in creaturis ; sed tantum attenditur ibi alius et alius
modus significandi. |
3. Il fuat dire en
troisième lieu qu’en Dieu il n’y a rien d’accidentel, et il n’y a là ni
universel ni particulier; et c’est pourquoi il n’y a rien là qui soit dit par
accident et par conséquent comme dans les créatures; mais il faut seulement
comprendre qu’il y a là plusieurs manières de signifier. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod hoc nomen Deus, quantum est de se, quamvis supponat
pro persona, nihilominus tamen non supponit pro aliqua persona distincte,
immo indeterminate ; nec forma significata per nomen Deus, a qua nomen
imponitur, est proprietas personalis, sed potius [potius om.. Éd. de
Parme] natura communis : et ideo unitas significata per hoc adjectivum
unus, refertur ad formam divinitatis, et non ad suppositum. Sed hoc nomen
persona imponitur a personali proprietate, quae est forma significata per
terminum ; et ideo haec est falsa : una persona est Pater et Filius et
Spiritus sanctus ; quia significaretur una personalitas trium personarum. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que ce nom, Dieu, en tant que tel, bien qu’il suppose une personne,
néanmoins il ne suppose pas une personne distinctement mais bien plutôt d’une
manière indéterminée ; et la forme signifiée par le nom Dieu, à partir
de laquelle le nom est imposé, n’est pas une propriété personnelle mais
plutôt une nature commune : et c’est pourquoi l’unité signifiée par
l’adjectif ¨un¨ se rapporte à la forme de la divinité et non au sujet. Mais
le nom personne est imposé à partir d’une propriété personnelle, laquelle est
la forme signifiée par le terme ; et c’est pourquoi cette proposition
est fausse : une même personne est à la fois le Père, le Fils et
l’Esprit-Saint, car alors une seule des trois personnes serait signifiée. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod Pater supponit personam distinctam, similiter et
Filius et Spiritus sanctus ; sed hoc nomen Deus supponit personam
indeterminate ; et ideo ratione indeterminationis aliquid potest praedicari
de Deo quod de nulla distinctarum personarum praedicatur : sicut etiam de
homine dicitur, quod nulli singularium convenit esse commune vel speciem vel
aliquid hujusmodi. Quod autem plures personae hominum non possunt simul
praedicari de hoc nomine homo, ratio est quia plures personae non sunt unus
homo sicut plures personae sunt unus Deus et Trinitas ; et ideo convenienter
dicitur : Deus est tres personae vel Trinitas [vel Trinitas om. Éd.
de Parme]. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que le Père suppose une personne distincte, tout comme le Fils et
l’Esprit-Saint ; mais le nom Dieu suppose la personne d’une manière
indéterminée ; et c’est pourquoi, en raison de cette indétermination,
quelque chose peut être attribué à Dieu qui ne peut être attribué à aucune
des personnes prise séparément : tout comme aussi se dit de l’homme ce
qui est commun ou l’espèce ou quelque chose de la sorte qui ne convient à
aucun des individus. Mais que plusieurs personnes humaines ne puissent être
simultanément être attribuées à ce nom ¨homme¨, la raison en est que
plusieurs personnes ne sont pas un seul et même homme comme plusieurs
personnes divines sont un seul et même Dieu et la Trinité ; et c’est
pourquoi on dit avec raison que Dieu est trois personnes ou la Trinité [ou la
Trinité om. Éd. de Parme] |
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Distinctio 5 |
Distinction 5 – [Les noms qui signifient l’essence de Dieu dans l’abstrait] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus partis de tribus quaeritur : primo utrum essentia se
habeat ad generationem sicut generans. Secundo utrum se habeat
sicut de quo est generatio. Tertio utrum se habeat
sicut id quod est terminus generationis. Circa primum duo
quaeruntur : 1 utrum essentia generet ; 2 dato quod non, utrum
similiter sit in omnibus aliis essentialibus nominibus. |
Pour comprendre cette partie on s’interroge sur trois
points : 1. En premier lieu est-ce que l’essence se rapporte à la
génération comme ce qui engendre ? 2. En deuxième lieu est-ce qu’elle s’y rapporte comme au
sujet de la génération ? 3. En troisième lieu, est-ce qu’elle y est présente en
tant que terme de la génération ? Au sujet du premier point on se demande deux
choses : 1. Est-ce que l’essence engendre ? 2. Si on accorde que non, est-ce que l’essence se
présente de la même manière dans tous les autres noms essentiels ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L'essence se comporte-t-elle vis-à-vis de la génération comme ce qui engendre ?] |
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Articulus 1. lib. 1 d. 5 q. 1
a. 1 tit. Utrum essentia generet. |
Article 1 – L’essence engendre-t-elle ? |
lib. 1
d. 5 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod essentia generet. Major enim
est oppositio affirmationis et negationis, quam relationis. Sed oppositio
relationis facit in divinis ut una persona non sit alia. Ergo fortius faciet
hoc contradictio. Sed persona Patris est generans. Si igitur essentia non
generet, Pater non erit essentia ; quod est impossibile. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit à l’égard de ce premier article. Il semble que l’essence engendre.
L’opposition de l’affirmation et de la négation est plus grande que
l’opposition de relation. Mais dans la relation, l’opposition fait que dans
les personnes divines une personne n’est pas l’autre. Donc, l’opposition de
contradiction fera cela à plus forte raison. Mais la personne du Père
engendre. Si donc l’essence n’engendre pas, le Père ne sera pas
l’essence : ce qui est impossible. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, quidquid praedicatur de aliquo potest supponere illud. Sed
essentia praedicatur de patre et vere. Ergo potest supponere pro Patre, et ita
potest recipere praedicationem Patris. Ergo potest concedi quod essentia
generet. |
2. De plus, tout ce qui est
attribué à une chose peut lui être substitué. Mais l’essence est attribuée au
Père et en vérité. Elle peut donc être substituée au Père et ainsi elle peut
recevoir l’attribution du Père. On peut donc concéder que l’essence engendre. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 3
Item, si essentia est Pater, ergo est Pater Filii. Sed relativa dicuntur ad
convertentiam. Ergo et Filius erit Filius essentiae. Ergo essentia generat. |
3. En outre, si l’essence est
le Père, elle est donc le Père du Fils. Mais les relatifs se disent suivant
la conversion. Donc le Fils sera le Fils de l’essence. Donc l’essence
engendre. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 4
Item, essentia est res generans. Sed res generans est generans. Ergo essentia
est generans. |
4. De plus, l’essence est une
chose qui engendre. Mais une chose qui engendre engendre. Donc l’essence
engendre. |
lib. 1
d. 5 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, sicut se habet essentia ad personam, ita persona
ad essentiam. Sed de persona praedicantur attributa essentiae, sicut potentia,
bonitas, et cetera. Ergo et de essentia proprietates personae. Ergo potest
dici, quod essentia est generans. |
5. Par ailleurs, l’essence
est à la personne ce que la personne est à l’essence. Mais les attributs de
l’essence, comme la puissance, la bonté et les autres caractères de cette
sorte sont attibués à la personne. Donc les propriétés de la personnes le
sont à l’essence. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contrarium ostenditur per rationes Magistri. |
Cependant : Le maître manifeste le contraire au moyen de raisonnements. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod in creaturis actus sunt suppositorum ; et essentia
non agit, sed est principium actus in supposito : non enim humanitas generat,
sed Socrates virtute suae naturae. In creaturis autem essentia realiter
differt a supposito ; et ideo nullus actus proprie de essentia praedicatur
nisi causaliter. In divinis autem essentia realiter non differt a supposito,
sed solum ratione, sive quantum ad modum significandi : quia suppositum est
distinctum, et essentia est communis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans les créatures les actes appartiennent aux individus et que l’essence
n’agit pas d’elle-même mais elle est le principe de l’acte dans
l’individu : en effet, ce n’est pas l’humanité qui engendre, mais
Socrate par la puissance de sa nature. Mais dans les créatures, l’essence
diffère réellement de l’individu : et c’est pourquoi aucun acte n’est attribué
proprement à l’essence, si ce n’est comme à sa cause. Mais dans les personnes
divines l’essence ne diffère par réellement ou par la chose de l’individu,
mais seulement par la raison, ou quant au mode de signifier, car l’individu
est distinct alors que l’essence est commune. |
Et ideo in divinis quaecumque
praedicantur de supposito non secundum modum quo differt ab essentia,
praedicantur etiam de essentia : dicimus enim, quod essentia creat et
gubernat et hujusmodi. Sed actus qui dicitur de supposito secundum modum
secundum quem differt ab essentia, non potest de essentia praedicari ; et
hujusmodi est actus generandi, qui praedicatur de supposito Patris, secundum
quod distinctum est a supposito Filii : unde non est concedendum quod
essentia generet, sed quod Pater generat virtute essentiae, vel naturae. Unde
etiam dicit Damascenus, lib. I Fid. Orth., cap. VIII, quod
generatio est opus divinae naturae existens. |
Et c’est pourquoi dans les
personnes divines tout ce qui est attribué à l’individu, mais non selon le
mode par lequel il diffère de l’essence, s’attribue aussi à l’essence :
nous disons en effet que l’essence crée, gouverne, etc. Mais l’acte qui
s’attribue à l’individu, d’après le mode selon lequel il diffère de
l’essence, ne peut s’attribuer à l’essence ; et l’acte d’engendrer est
de cette sorte, lequel s’attribue à cet individu qu’est le Père selon qu’il
est distinct de cet individu qu’est le Fils : il ne faut par conséquent
pas concéder que l’essence engendre, mais plutôt que le Père engendre par la
puissance de l’essence ou de la nature. Et c’est pourquoi Damascène dit aussi
[1 De la Foi Orthodoxe, ch. VIII] que la génératioin
est l’œuvre de la nature divine existante. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod affirmatio et negatio dicuntur maxime opponi, quia
in eis non importatur aliqua convenientia : in privative enim oppositis
importatur convenientia quantum ad subjectum, quia nata sunt fieri circa idem
; in contrariis autem relativis etiam quantum ad genus, quia scilicet sunt in
eodem genere. Unde in utraque oppositione utrumque extremorum significatur
per modum entis et naturae cujusdam. Illud autem in quo invenitur aliquid non
permixtum contrario, est maximum et primum in genere illo, et causa omnium
aliorum ; et ideo oppositio affirmationis et negationis, cui non admiscetur
aliqua convenientia, est prima et maxima oppositio, et causa omnis
oppositionis et distinctionis ; et ideo oportet quod in qualibet alia
oppositione includatur affirmatio et negatio, sicut primum in posteriori. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’on dit que l’affirmation et la négation est l’opposition la
plus grande car il n’y a entre elles rien de commun : en effet, dans les
opposés par la privation il y a un rapport quant au sujet car ils sont aptes
à se produire dans un même sujet ; mais dans les contraires par la
relation il y a un rapport quant au genre puisqu’ils sont dans le même genre.
C’est pourquoi dans ces deux sortes d’oppositions chacun des extrêmes est
signifié à la manière d’un être et d’une certaine nature. Mais ce en quoi se
retrouve quelque chose sans être mélangé à son contraire est ce qu’il y a de
premier et de plus excellent dans ce genre et qui est la cause de tous les
autres ; et c’est pourquoi l’opposition de l’affirmation et de la
négation, dans laquelle rien de commun ne se mêle, est la première et la plus
grande opposition, et la cause de toute opposition et de toute
distinction ; et c’est pourquoi il faut que dans toute autre opposition
soient comprises l’affirmation et la négation, comme ce qui est premier est
compris dans ce qui est second. |
Unde plura requiruntur ad
alias oppositiones quam ad oppositionem contradictionis, quia se habent ex
additione ad ipsam. Unde non oportet quod, si contrarietas non inveniatur nisi
in diversis realiter, quod affirmatio et negatio inveniatur in diversis
realiter ; immo sufficit etiam distinctio rationis ad affirmationem et
negationem, cum quaelibet distinctio, ut dictum est, includat affirmationem
et negationem : et talis distinctio, scilicet rationis, est inter essentiam
et personam. Sed opposita relative aliquando requirunt diversitatem vel
distinctionem realem ; et talia sunt quae divinas personas distinguunt :
aliquando autem distinctionem rationis tantum ; ut cum dicitur idem eidem
idem : et hoc melius dicetur in Tractatu de relationibus, dist.
26, quaest. 2, art. 1. |
Et c’est pourquoi les autes
oppositions requièrent plus de conditions que l’opposition de contradiction
parce qu’elles sont constituées comme à partir d’éléments ajoutés à
l’opposition de contradiction. Par conséquent il ne faut pas que, si la
contrariété ne se retrouve que dans des sujets réllement différents, que
l’affirmation et la négation se retrouvent elles aussi dans des sujets
réellement différents ; au contraire, pour qu’il y ait affirmation et
négation, il suffit même qu’il y ait distinction de raison, puisque toute
distinction, ainsi que nous l’avons dit, comprend l’affirmation et la
négation : et une telle distinction, à savoir une distinction de raison,
se rapporte à l’essence et à la personne. Mais les opposés par la relation
exigent parfois une différence ou une distinction réelle ; et tels sont
les opposés qui distinguent les personnes divines ; mais parfois ils
n’impliquent qu’une distinction de raison, comme lorsqu’on dit que le même
est identique au même : et tout cela est mieux expliqué dans Le
Traité des Relations(dist. 26, quest. 2, art. 1). |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod essentia non praedicatur de supposito ratione modi significandi
in utroque, sed ratione indifferentiae secundum rem propter simplicitatem
divinae naturae, et ideo non oportet quod supponat Patrem. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’essence n’est pas attribuée à l’individu en raison du mode de
signifier qui est présent dans les deux, mais en raison de l’absence de
différence réelle ou selon la chose, à cause de la simplicité de la nature
divine et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle se substitue au
Père. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod cum dicitur essentia est Pater, est duplex locutio ex
eo quod ly Pater potest teneri quasi adjective, ut ponat formam suam circa
essentiam ; et sic falsa est, quia proprietates non determinant essentiam :
vel potest sumi substantive, et tunc supponit pater in praedicato pro persona
Patris ; et sic vera est, nec oportet quod fiat hoc modo conversio : ergo
Filius est Filius essentiae ; sed, ergo Filius est Filius Patris, qui est
essentia. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que lorsqu’on dit que l’essence est le Père, il y a là deux discours du
fait que Père peut être pris comme adjectif de manière à poser sa forme sur
l’essence ; et ainsi le discours est faux car les propriétés ne
déterminent pas l’essence ; mais Père peut être pris comme substantif et
alors père dans le prédicat est pris pour la personne du Père ; et ainsi
le discours est vrai et alors il ne faut pas que la conversion se produise de
cette façon : donc le Fils est le Fils de l’essence ; mais
plutôt : donc, le Fils est le Fils du Père, lequel est l’essence. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod cum dicitur, essentia est res generans, ly res potest
supponere essentiam, vel personam. Si essentiam, sic falsa est, quia sic
adjectivum poneret formam suam circa essentiam ; si personam, sic vera est ;
et tunc non sequitur : ergo essentia est generans, quia tunc non circa idem
ponetur forma adjectivi. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que lorsqu’on dit que l’essence est une chose qui engendre, la chose ici
peut être prise pour l’essence ou la personne. Si elle est prise pour
l’essence, alors la proposition est fausse car ainsi l’adjectif poserait sa
forme sur l’essence ; si elle est prise pour la personne, ainsi elle est
vraie et alors il ne s’ensuit pas : donc l’essence est ce qui
engendre car alors ce n’est pas sur la même chose qu’est posée la forme de
l’adjectif. |
ib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod cum essentia et persona differant in modo
significandi, illud quod praedicatur de persona ratione modi significandi
secundum quod ab essentia distinguitur, non praedicatur de essentia, ut
generans et genitum [generatum : alias Éd. de Parme] juiusmodi
similiter [etiam add. Éd. de Parme] est ex parte essentiae ;
illud enim quod praedicatur de essentia ratione modi significandi quo differt
a supposito distincto, non praedicatur de supposito ; sicut essentia est
communis tribus, tamen non potest dici hoc de aliqua personarum. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que puisque l’essence
et la personne diffèrent par le mode de signifier, ce qui est attribué à la
personne, comme ce qui engendre ou ce qui est engendré, en raison du mode de
signifier selon lequel elle se distingue de l’essence, ne s’attribue pas à
l’essence, et il en est de même du côté de l’essence : en effet, ce qui
est attribué à l’essence, en raison du mode de signifier par lequel elle
diffère d’un sujet distinct, ne s’attribue pas au sujet ; comme
l’essence est commune aux trois personnes, elle ne peut cependant être
atribuée à l’une des personnes. |
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Articulus 2. lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 tit. Utrum
actus generandi praedicetur de aliquo nominum essentialium |
Article 2 – L'acte d'engendrer est-il attribué à l'un des noms essentiels ?[7] |
lib. 1
d. 5 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod actus
generandi de nullo nominum essentialium praedicetur. Sicut enim tres personae
sunt una essentia, ita etiam sunt unus Deus. Sed, secundum rationem Magistri, non
potest dici essentia generare, ne notetur essentiae distinctio. Ergo
similiter non potest dici, Deus generat, ne sequatur deorum pluralitas. |
Difficultés : 1. Il semble que l’acte d’engendrer ne s’attribue à aucun des noms essentiels. En effet, tout comme les trois personnes sont une seule essence, de même encore elles sont un seul Dieu. Mais, d’après le raisonnement du Maître, on ne peut dire de l’essence qu’elle engendre afin de ne pas indiquer une distinction de l’essence. Donc, de la même manière on ne peut dire que Dieu engendre pour ne pas que s’ensuive une pluralité de dieux. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 2
Item, persona et hypostasis et substantia non dicuntur relative. Sed,
secundum Magistrum, ideo essentia non potest dici generare, quia relative non
dicitur. Ergo similiter nec persona vel hypostasis. |
2. En outre, la personne et
l’hypostase et la substance ne se disent pas relativement. Mais, d’après le
Maître, on ne peut dire que l’essence engendre par ce qu’elle ne se dit pas
relativement. Il en est donc de même pour la personne ou l’hypostase. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 3
Item, ista nomina, natura, bonitas et hujusmodi, sunt aequalis abstractionis
sicut essentia. Si igitur essentia propter modum significandi in abstracto
non potest generare, ergo videtur quod nec aliquod aliorum. |
3. De plus, ces noms, à savoir nature, bonté etc., sont d’une abstraction égale à celle de l’essence. Si donc l’essence, en raison de son mode de signifier dans l’abstrait, ne peut engendrer, il semble donc que les autres noms ne le puissent pas davantage. |
lib. 1
d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contrarium ostenditur per multas auctoritates in
littera. |
Cependant : De nombreuses autorités
présentées dans le document manifestent le contraire. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, art. praec. in corp., generare
proprie convenit supposito inquantum distinctum ; et ideo quanto magis
appropinquat nomen ad suppositum distinctum, tanto verius potest praedicari
de ipso actus generandi. Unde haec est propriissima, Pater generat, quia
imponitur nomen patris a proprietate distinguente. Et similiter potest dici,
persona generat, quia nomen personae imponitur a proprietate communi, quae
dicitur personalitas : et consequenter minus proprie dicitur, Deus generat ;
quia, quamvis claudat in se suppositum, non tamen suppositum distinctum ; nec
imponitur nomen a proprietate distinguente, sed ab essentia communi. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent, il
appartient au sujet en tant que distinct d’engendrer ; et c’est pourquoi
l’acte d’engendrer peut s’attribuer avec d’autant plus de vérité que le nom
(auquel il s’attibue ) s’approche davantage du sujet distinct. C’est pourquoi
c’est la proposition suivante qui est la plus appropriée : le Père
engendre ; car le nom de Père est imposé à partir d’une propriété qui le
distingue. Et on peut même dire que la personne engendre, car le nom de
personne est imposé à partir d’une propriété commune qu’on appelle la
personnalité : et par conséquent on le dit moins proprement, tout comme
on dit moins proprement que Dieu engendre car bien que le terme Dieu enferme
en lui le suppôt, il ne contient cependant pas le suppôt distinct et le nom
n’est pas imposé à partir d’une propriété qui le distingue, mais à partir de
l’essence commune. |
In omnibus autem abstractis etiam est ordo : quia quaedam ordinem dicunt ad actum, sicut virtus, bonitas, lux, natura et hujusmodi : et quia actus sunt suppositorum, ideo in istis invenitur dictum, quod sapientia generat vel natura generat ; tamen hujusmodi locutiones non sunt extendendae, sed pie intelligendae. Quaedam vero nomina sunt quae non dicunt ordinem ad operationem, sed tantum imponuntur secundum rationem nominis ab actu substandi, sicut substantia. Unde hoc nomen substantia adhuc accedit ad rationem suppositi, sed hoc nomen essentia removetur omnino a ratione suppositi : et ideo minime potest dici, quod essentia generet. Si tamen inveniretur, esset exponenda, essentia generat, idest Pater, qui est essentia. |
Cependant dans tous les termes abstraits aussi il y a un
ordre : car certains expriment un ordre en direction d’un acte, comme la
vertu, la bonté, la lumière, la nature, etc. : et parce que les actes
appartiennent aux suppôts, c’est pourquoi pour ces termes il arrive de dire
que la sagesse engendre ou que la nature engendre ; cependant de telles
expressions ne doivent pas s’étendre mais s’entendre bienveillamment. Mais il
y a des noms qui ne disent pas un ordre à une opération, mais sont seulement
imposés d’après la notion du nom de l’acte de subsister, comme le terme
substance. Par conséquent le nom substance atteint encore la
notion de suppôt, mais le nom d’essence s’écarte absolument de la notion de
suppôt : et c’est pourquoi on peut moins dire que l’essence engendre. Si
cependant cela se produisait, il faudrait expliquer cette expression, à
savoir l’essence engendre, en disant que c’est le Père, qui est l’essence,
qui engendre. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod hoc nomen Deus includit in se suppositum
indeterminate, et ratione ejus a quo nomen imponitur, includit in se naturam
: unde ratione modi significandi est quasi medium inter essentiam et personam
distinctam : et ideo nec repugnat sibi modus essentiae ratione
indeterminationis, nec modus distinctae personae ratione suppositi : et ideo
potest dici, Deus generat, et, Deus est communis tribus personis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ce nom, à savoir Dieu, inclut en lui le suppôt d’une manière
indéterminée, et en raison de ce à partir de quoi ce nom est imposé, il
inclut aussi en lui la nature : c’est pourquoi, en raison de son mode de
signifier, il est comme intermédiaire entre l’essence et la personne
distincte : et c’est pourquoi ni le mode de l’essence en raison de
l’indétermination, ni le mode de la personne distincte en raison du suppôt ne
s’oppose à ce nom ; et c’est pourquoi on peut dire que Dieu engendre et
que Dieu est commun aux trois personnes. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod relativum in divinis multipliciter dicitur ;
propriissime enim relativum est quod secundum suum nomen ad aliud refertur,
ut Pater. Aliud autem dicitur relativum quod sequitur vel causat relationem,
sicut generatio et generare. Aliud autem quod implicite claudit in se
relationem, sicut Trinitas personas distinctas relatione ; et hoc nomen
persona includit in se relationem distinguentem. Aliud autem potest dici
relativum, inquantum pro relatione ponitur, sicut Deus, et etiam quaedam
nomina abstracta, cujus ratio dicta est in corpore. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans les personnes divines ¨relatif¨ se dit en plusieurs sens ;
relatif en effet d’après son nom se dit le plus proprement de ce qui se
rapporte à un autre, comme Père. Mais on appelle aussi relatif ce qui suit ou
ce qui cause la relation, comme la génération ou l’acte d’engendrer. Mais en
un autre sens encore, on appelle relatif ce qui renferme implicitement en soi
une relation, comme la Trinité qui renferme en elle les trois personnes par
la relation, et le nom de personne qui renferme en lui la relation qui
distingue. On peut encore autrement appeler relatif ce qui est posé à la
place d’une relation, et aussi certains noms abstraits pour la raison dont nous
avons parlé dans le corps de l’article. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod majoris abstractionis est essentia quam bonitas vel
sapientia : quia quamvis aequaliter abstrahant a supposito, tamen essentia
super hoc abstrahit etiam ab actu ; illa vero dicunt ordinem ad actum. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le terme d’essence
est d’une plus grande abstraction que les termes de bonté et de
sagesse : car bien qu’ils font également abstraction d’un suppôt,
cependant l’essence ajoute aussi à cela l’abstraction d’un acte alors que les
autres signifient un ordre en direction d’un acte. |
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Quaestio 2 : Utrum
essentia se habeat ad generationem sicut id de quo est generatio ? |
Question 2 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce d’où vient la génération ?] |
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Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 5 q. 2 pr. Deinde quaeritur, utrum essentia se
habeat ad generationem sicut id de quo est generatio ; et circa hoc duo
quaeruntur : 1 utrum filius generetur de substantia patris ; 2 utrum sit ex nihilo. |
On se demande ensuite si l’essence se rapporte à la
génération comme ce d’où vient la génération ; et à ce
sujet on se demande deux choses : 1. Est-ce que le Fils est engendré de la substance du
Père ? 2. Est-il engendré à partir de rien ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 tit. Utrum
filius sit genitus de substantia patris. |
Article 1 – Le Fils est-il engendré de la substance du Père ? |
lib. 1
d. 5 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod filius non sit genitus de
substantia patris. Omnis enim praepositio transitiva est. Transitio autem
requirit diversitatem vel distinctionem. Cum igitur filius non distinguatur
ab essentia patris, non potest dici de essentia ejus natus. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne soit pas engendré de la substance du Père. En effet, toute préposition est transitive. Mais toute transition exige diversité ou distinction. Donc, puisque le fils ne se distingue pas de l’essence du père, on ne peut dire qu’Il soit né de son essence. |
lib. 1
d. 5 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, sicut se habet natura humana ad Socratem, ita
divina essentia ad Filium. Sed Socrates non potest dici de essentia humana. Ergo nec
Filius de essentia Patris. |
2. En outre, ce que la nature
humaine est à Socrate, la nature divine l’est au Fils. Mais on ne peut dire
que Socrate vient de l’essence humaine. Donc, le Fils ne peut venir de
l’essence du Père. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 3
Item, de semper dicit ordinem. Sed inter Filium et essentiam non est ordo
neque temporis, neque naturae, cum essentia non sit generans, sed Pater ;
neque causalitatis. Ergo videtur quod nullo modo sit de essentia Patris. |
3. De plus, ¨de¨ exprime
toujours un ordre. Mais entre le Fils et l’essence il n’y a ni ordre de
temps, ni ordre de nature puisque ce n’est pas l’essence qui engendre mais le
Père ; et il n’y a pas non plus un ordre de causalité. Il semble donc
qu’en aucune manière le Fils vienne de la substance du Père. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 4
Si dicas, quod hoc dicitur propter consubstantialitatem Filii ad Patrem,
contra. Sicut essentia Patris est essentia Filii, ita tota essentia Filii est
in Patre. Ergo eadem ratione potest dici Pater de substantia Filii, sicut e
contrario. |
4. Si tu dis qu’on peut dire cela en raison de la
consubstantialité du Fils et du Père, j’objecte ceci. Tout comme l’essence du
Père est l’essence du Fils, ainsi toute l’essence du Fils est dans le Père.
On peut donc dire pour la même raison que le Père vient de la substance du
Fils, tout comme on peut dire l’inverse. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1
s. c. 1 Contrarium ostenditur per auctoritates in littera. |
Cependant : Le contraire est manifesté
par de nombreuses autorités dans le document. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod haec praepositio de proprie designat principium et
consubstantialitatem ; haec autem praepositio ex designat tantum ordinem
principii. Unde quidquid dicitur esse de aliquo, ex illo est, sed non
convertitur, sicut dicitur infra, 36 distinct. Unde haec praepositio ex
quandoque notat ordinem temporis tantum, ut, ex mane fit dies ; quandoque
ordinem principii agentis, sicut, artificiata sunt ex artifice : quandoque
principium materiale, ut, cultellus fit ex ferro. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que cette préposition, de, désigne à proprement parler le principe et la consubstantialité, alors que cette préposition, à partir de, désigne seulement le rapport au principe. De là, tout ce qui est dit venir d’un être, existe à partir de cet être comme on le dit plus loin [distintion 36]. C’est pourquoi cette préposition, ¨à partir de¨, indique parfois l’ordre du temps seulement, comme le jour qui existe à partir du matin ; parfois il indique l’ordre par rapport au principe agent, comme la chose artificielle que existe à partir de l’artisan ; et parfois seulement l’ordre par rapport au principe matériel, comme le couteau qui existe à partir du fer. |
Sed de, cum notet
consubstantialitatem, semper notat vel principium materiale, [sicut,
cultellus est de ferro add. Éd. de Parme] ; vel agens
consubstantiale, sicut dicimus quod homo filius generatur de patre suo, cum
sit generatio per decisionem substantiae. Et secundum istum modum filius
dicitur de Patre et de essentia Patris : tamen de Patre sicut de generante,
et de essentia sicut de principio generationis communicato. Unde etiam accedit
ad similitudinem secundum materiam, si a materia removeatur totum quod est
imperfectionis et remaneat haec sola de conditionibus materiae, quod est
manens in re et per eam res subsistit ; et praecipue res artificiata, quae
est in genere substantiae propter suam materiam et non propter suam formam,
ut dicit Commentator, in II De anima,com.4. |
Mais la préposition ¨de¨, puisqu’elle réfère à la consubstantialité, indique toujours soit le principe matériel [comme le couteau qui vient du fer add. Éd. de Parme] ; soit l’agent consubstantiel, comme nous disons que l’homme fils est engendré de son père puisqu’il y a génération au moyen d’une division de la substance. Et c’est d’après ce mode qu’on dit du Fils qu’il vient du Père et de l’essence du Père : cependant il vient du Père comme de celui qui engendre et de l’essence comme du principe de la génération qui est communiqué. De là il parvient aussi à une ressemblance selon la matière si on écarte de la matière tout ce qu’il y a d’imperfection et qu’il ne reste plus de toutes les conditions de la matière que celle-là seule, à savoir qu’elle est ce qui demeure dans la chose et que c’est par elle que la chose subsiste ; et cela et surtout vrai de la chose artificielle qui est dans le genre de la substance en raison de sa matière et non en raison de sa forme, ainsi que le dit le Commentateur [11 De l’Âme, com. 4]. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod de, ut deductum est, dicit consubstantialitatem et
ordinem ad principium, et consubstantialitas respicit essentiam ; et ordo,
ratione cujus est transitio, respicit personam generantem : non enim dicimus
quod Filius sit de essentia, sed quod sit de essentia Patris ; et ideo non
oportet esse distinctionem Filii ab essentia sed a Patre. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que la préposition ¨de¨, telle qu’elle a été établie, exprime la consubstantialité et l’ordre à l’égard du principe, et la consubstantialité concerne l’essence alors que l’ordre, par la raison dont il est le passage, concerne la personne qui engendre : nous ne disons pas en effet que le Fils vient de l’essence, mais qu’Il vient de l’essence du Père ; et c’est pourquoi il ne faut pas qu’il y ait distinction entre le Fils et l’essence, mais entre le Fils et le Père. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod similiter Socrates dicitur nasci de natura patris vel
substantia, sicut Filius Dei, tamen differenter ; quia Filius Dei est de tota
substantia Patris, sed Socrates est de parte substantiae. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que de même que Socrate
est dit naître de la nature du père ou de sa substance, tout comme le Fils
naît de la substance de Dieu, cependant il y a une différence : car le
Fils de Dieu vient de la totalité de la substance du Père, alors que Socrate
ne vient que d’une partie de la substance. |
Item
ad aliud. Quia Socrates subsistit non tantum per essentiam, sed etiam per
materiam, per quam individuatur natura humanitatis in ipso. Sed Filius Dei subsistit per
essentiam Patris, cum essentia Patris non sit pars Filii, sed totum quod est
Filius. |
Il y a encore une autre
différence. Car Socrate subsiste non seulement par l’essence, mais aussi par
la matière grâce à laquelle la nature de l’humanité est individuée en lui.
Mais le Fils de Dieu subsiste par l’essence du Père, puisque l’essence du
Père n’est pas une partie du Fils, mais tout ce qu’est le Fils. |
lib. 1
d. 5 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum sicut ad primum. |
3. Il faut répondre à la
troisième difficulté de la même manière qu’à la première. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod non notatur ibi tantum consubstantialitas, sed etiam
ordo ad principium, qui non salvatur, si diceretur : Pater est de essentia
Filii. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que ce n’est pas
seulement la consubstantialité qui est signifiée là, mais aussi l’ordre à
l’égard du principe qui ne serait pas conservé si on disait : le Père
vient de l’essence du Fils. |
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Articulus 2. lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 tit. Utrum
filius sit ex nihilo. |
Article 2 – Le Fils vient-il du néant ? |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod filius sit ex nihilo. Illud enim dicitur ex nihilo esse quod non est ex
praejacenti materia. Sed Filius est hujusmodi, quia non est de aliquo sicut
de materia. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils
vienne du néant. On dit en effet que vient du néant ce qui n’existe pas à
partir d’une matière préexistante. Mais c’est le cas du Fils car il ne vient
pas de quelque chose qui serait comme une matière. Donc le Fils vient du
néant. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 2
Item, quidquid non habet esse nisi ab alio, quantum est in se, est non ens,
cum inter esse et non esse non sit medium. Sed Filius non habet esse nisi a
Patre. Ergo de se habet non esse. Sed omne tale, secundum Avicennam, VII
suae Metaph., cap. VII, est ex nihilo. Ergo Filius est ex
nihilo. |
2. De plus, tout ce qui
n’existe que par un autre, quant à ce qu’il est en lui-même, est du non-être,
puisqu’entre l’être et le non-être il n’y a pas d’intermédiaire. Mais le Fils
ne possède d’existence que par le Père. Il ne possède donc de lui-même que du
non-être. Mais tout ce qui est ainsi d’après Avicenne [ VII Métaphysique,
ch. VII] vient du néant. Donc le Fils vient du néant. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 1
Contra, omne quod est ex nihilo, est creatum. Sed filius est increatus. Ergo
et cetera. |
Cependant : 1. Tout ce qui vient du néant est créé. Mais le Fils est incréé. Il ne vient donc pas du néant. |
lib. 1
d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 2 Item, secundum Damascenum,lib. I Fid. Orth, cap. III, omne quod est ex
nihilo est vertibile in nihil. Sed Filius non est hujusmodi. Ergo et cetera. |
2. De plus, selon Damascène
[Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. 111], tout ce qui vient du
néant peut retourner au néant. Mais le Fils ne pelut retourner au néant. Il
ne vient donc pas du néant. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 co. :
Respondeo dicendum, quod differt dicere aliquid non esse ex aliquo, et
aliquid esse ex nihilo. Cum enim dicitur non esse ex aliquo sicut ex materia,
nihil ponitur ; et hoc convenit Filio Dei. Cum autem dicitur esse ex nihilo,
remanet ordo affirmatus ad nihil. Sed aliquid habet ordinem ad nihil
dupliciter ; scilicet ordinem temporis et ordinem naturae. Ordinem temporis
ex eo quod prius fuit non ens, et postea est ens ; et hoc nulli aeterno
convenit. Ordinem naturae, quando aliquid habet esse dependens ab alio ; hoc
enim ex parte sui non habet nisi non esse, cum totum esse suum ad alterum
dependeat ; et quod est alicui ex se ipso, naturaliter praecedit id quod est
ei ab altero. Et ideo, supposito quod caelum, et hujusmodi, fuerit ab
aeterno, adhuc tamen est verum dicere quod est ex nihilo, sicut probat
Avicenna. Neutro autem modo Filius habet ordinem ad nihil. Non enim habet
ordinem temporis, quia aeternus est : non habet ordinem naturae, quia suum
esse est absolutum, non dependens ab alio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’affirmer que quelque chose ne vient pas d’un autre n’est pas la même chose
que soutenir que quelque chose vient du néant. Lorsqu’on dit en effet qu’une
chose ne vient pas d’une autre comme d’une matière, on n’affirme rien et cela
peut se dire du Fils de Dieu. Mais lorsqu’on dit qu’une chose vient du néant,
il subsiste là l’affirmation d’un ordre à l’égard du néant. Mais une chose
possède un ordre à l’égard du néant de deux manières, à savoir un ordre du
temps et un ordre de nature. Un ordre du temps du fait il y eut d’abord du
non-être et après de l’être ; et cela n’appartient à rien de ce qui
est éternel. Mais il y a une ordre de nature quand un être possède une
existence qui dépend d’un autre ; cela en effet ne possède de soi-même
que du non-être puisque la totalité de son existence dépend d’un autre ;
et ce qui chez un être lui vient de lui-même précède naturellement ce qui lui
vient d’un autre. Et c’est pourquoi, en supposant même que le ciel, et les
autres êtres de cette sorte, ait existé de toute éternité, il est encore
cependant vrai de dire qu’il vient du néant, ainsi que le prouve Avicenne.
Mais le Fils n’est ordonné au néant d’aucune de ces manières. En effet, il
n’est pas soumis à l’ordre du temps puisqu’il est éternel. Et il n’est pas
soumis à un ordre de nature car son existence est absolue et ne dépend pas
d’un autre. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
quamvis non sit de materia, non tamen sequitur quod non de aliquo, quia est
de substantia Patris : quo etiam remoto, adhuc non sequeretur quod esset ex
nihilo, ut dictum est : quia Pater non est de aliquo, et tamen non est ex
nihilo. [Idem autem est esse Patris et Filii. Add. Éd. de Parme]. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que le Fils ne vienne pas d’une matière, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il ne vienne pas d’un autre, car il vient de la substance du Père : et même en écartant cette dernière raison, il ne s’ensuivrait pas encore qu’il viendrait du néant, ainsi que nous l’avons dit : car le Père ne vient pas d’un autre et cependant il ne vient pas du néant. [Mais l’existence du Père est identique à celle du Fils. Add. Éd. de Parme]. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod filius quamvis totum esse suum habeat ab alio,
nihilominus tamen esse suum non est dependens, quia accipit a Patre idem
numero esse quod ipse habet : et ideo non est dependens esse suum, sicut esse
creaturae quae in nihilum caderet, nisi ab alio contineretur
[sicut…contineretur om. Éd. de Parme], neque possibile, neque ex
nihilo : quod necessario sequeretur, si aliud in numero esse reciperet. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que le Fils tienne toute son existence d’un autre, néanmoins
son existence n’est pas dépendante car il reçoit du Père la même existence
individuelle que ce dernier possède : et c’est pourquoi son existence
n’est pas dépendante, comme l’existence de la créature qui tomberait dans le
néant si elle n’était contenue par un autre [comme… contenue om. Éd.
de Parme] et elle ne serait pas même possible et ne pourrait venir du
néant : ce qui devrait s’ensuivre nécessairement si le Fils recevait une
existence individuelle différente par le nombre. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce qui est le terme de la génération] |
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Articulus 1 lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 tit. Utrum essentia sit terminus
generationis. |
Article unique : L’essence est-elle le terme de la génération ? |
lib. 1 d. 5
q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur, utrum essentia sit terminus
generationis. Videtur quod non. Generatio enim est inter duos terminos,
scilicet terminum a quo et terminum ad quem. Sed generatio Filii non habet
terminum a quo, quia non est ex non esse. Ergo etiam non habet terminum ad
quem. |
Difficultés : 1. On se demande ensuite si
l’essence est le terme de la génération. Et il semble que non. La génération
en effet est comme un chemin entre deux termes : le point de départ et
le point d’arrivée. Mais la génération du Fils ne possède pas de point de
départ car il ne vient pas du non-être. Il ne possède donc pas non plus de
point d’arrivée. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 2
Item, omne quod est terminus generationis, est generatum per se vel per
accidens : per se, sicut ipsa res generata ; per accidens, sicut forma
ejus. Sed essentia nullo modo generata est, sicut nec
generans : quia sequeretur distinctio. Ergo non est terminus generationis. |
2. De plus, tout terme d’une
génération est ce qui est engendré par soi ou par accident : par soi,
comme par exemple la chose même qui est engendrée ; par accident, comme
la forme qui lui advient. Mais l’essence, tout comme celui qui engendre,
n’est nullement engendrée, car il s’ensuivrait une distinction. L’essence
n’est donc pas le terme de la génération. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 3
Praeterea, si esset terminus, hoc non esset nisi sicut acceptum per
generationem. Sed Filius non accepit essentiam. Ergo essentia non [non om.
Éd. de Parme] est terminus generationis. Probatio mediae. Accipere enim
cum non conveniat tribus personis, est actus notionalis. Sed nullus actus
notionalis terminatur ad essentiam, sicut patet quod Pater non generat
essentiam. Ergo nec Filius accepit essentiam. |
3. Par ailleurs, si elle
était le terme de la génération, cela ne se produirait que comme étant reçu
au moyen de la génération. Mais le Fils ne reçoit pas l’essence. Donc,
l’essence n’est pas le terme de la génération [ ne pas om. Éd. de
Parme]. Preuve de la mineure. En effet, recevoir est un acte notionel
puisqu’il ne convient pas aux trois personnes. Mais aucun acte notionel ne se
termine à l’essence, comme on le voit pour le Père qui n’engendre pas
l’essence. Donc le Fils ne reçoit pas l’essence. |
lib. 1
d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, illud in quo est generatio, est terminus
generationis. Sed Hilarius,lib. IX de Trinitate, in textu, dicit,
quod nativitas unigenita in naturam ingenitam subsistit. Ergo
natura vel essentia est terminus generationis. |
Cependant: 1. Ce en quoi il y a generation est le terme de la generation. Mais Hilaire [1X De la Trinité] dit dans son texte que la naissance unique subsiste dans une nature unique. Donc, la nature ou l’essence est le terme de la generation. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 2
Praeterea, generatio invenitur in divinis, ut supra dictum est, dist. 4,
quaest. 1, art. 1, secundum id quod est perfectionis in ipsa. Sed
tota perfectio generationis est ex termino ad quem. Ergo in generatione
divina est terminus ad quem. Sed hoc non est aliud quam essentia. Ergo et cetera. |
2. Par ailleurs, il y a
génération en Dieu, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1,
art. 1], selon ce qu’il y a de perfection en elle. Mais toute la perfection
de la génération vient de son point d’arrivée. Il y a donc dans la génération
divine un point d’arrivée. Mais cela n’est rien d’autre que l’essence.
L’essence est donc le terme de la génération. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod terminus generationis in creaturis potest accipi
dupliciter, sicut etiam et principium. Dicitur enim principium generationis
ipsum generans ; et huic principio correspondet sicut terminus ipsum genitum.
Dicitur etiam principium generationis a quo incipit generatio, et hoc modo
principium vel initium generationis est privatio formae inducendae ; et huic
principio terminus oppositus est forma per generationem inducta. Sicut etiam
in dealbatione terminus a quo est nigredo et terminus ad quem est albedo ;
similiter in divinis terminus generationis (quamvis non sit ibi actio vel
mutatio) potest accipi dupliciter : scilicet ipsum generatum, et hoc est
Filius ; vel essentia accepta a Filio per generationem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le terme de la génération chez les créatures peut s’entendre de deux
manières, tout comme aussi le principe. On dit en effet que le principe de la
génération est celui-là même qui engendre ; et le terme qui correspond à
ce principe est celui qui est engendré. Le principe de la génération est
aussi appelé le point de départ de la génération et en ce sens le principe ou
le commencement de la génération est la privation de la forme qui doit être
introduite ; et le terme opposé à ce principe est la forme introduite au
moyen de la génération. Par exemple, dans la génération de la blancheur le
point de départ est le noir et le point d’arriver est le blanc ; de la
même manière dans les personnes divines le terme de la génération (bien qu’il
n’y ait pas là action ou changement) peut se prendre de deux
manières : à savoir cela même qui est engendré et c’est là le
Fils ; ou l’essence reçue du Fils au moyen de la génération. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod generatio et quilibet motus totam imperfectionem
habet ex termino a quo, quod est privatio vel contrarium includens privationem
; et ideo in generatione divina non est terminus a quo, sed tantum terminus
ad quem, a quo est tota perfectio generationis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que la génération et tout mouvement tient toute son imperfection de son point de départ qui est la privation ou le contraire qui comprend la privation ; et c’est pourquoi dans la génération divine il n’y a pas en ce sens de point de départ mais seulement un point d’arrivée d’où vient toute la perfection de la génération. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod essentia divina non est genita in filio neque per se
neque per accidens : quia eadem essentia est in generante et genito. Si autem
essentia esset divisa, tunc sequeretur necessario quod esset genita per
accidens, quamvis non per se, sicut in rebus creatis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’essence divine n’est engendrée dans le Fils ni par soi ni par
accident : car c’est la même essence qui est dans celui qui engendre et
dans celui qui est engendré. Mais si l’essence était divisée, alors il
s’ensuivrait nécessairement qu’elle serait engendrée par accident bien
qu’elle ne le serait pas par soi, comme c’est le cas dans les choses créées. |
lib. 1
d. 5 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis accipere sit actus
notionalis, potest tamen terminari ad essentiam : quod sic patet ; quia in
generatione divina, sicut in qualibet alia, est tria considerare, scilicet
generantem et genitum et naturam communicatam per generationem. Possunt ergo
verba notionalia designare comparationem generantis ad genitum, sicut
generare vel dare ; vel geniti ad essentiam ut accipere, vel geniti ad
generantem, sicut nasci [vel generantis ad essentiam, vel geniti ad
essentiam, ut accipere ; vel geniti ad generantem, sicut nasci. Éd. de Parme]. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien que recevoir soit un acte notionel, il peut cependant se
terminer à l’esssence ; ce qui devient clair de la manière
suivante : car dans la génération divine, comme dans toute autre
génération, il y a trois choses à considérer, à savoir celui qui engendre,
celui qui est engendré et la nature qui est communiquée par la génération.
Les verbes notionels peuvent donc signifier le rapport de celui engendre à
celui qui est engendré, comme engendrer ou donner ; ou le rapport de
celui qui est engendré à l’essence, comme recevoir, ou encore le rapport de
celui qui est engendré à celui qui engendre, comme naître [ou de celui qui
engendre à l’essence, ou de celui qui est engendré à l’essence, comme
recevoir ; ou de celui qui est engendré à celui qui engendre, comme
naître. Éd. de Parme]. |
Sciendum igitur, quod, cum
omne verbum notionale significet actum personae ut distincta est, oportet
quod semper egrediatur a persona distincta : et ideo nullum verbum tale exit
ab essentia, ut dicatur essentia generare vel dare notionaliter vel accipere
vel nasci. Verba autem quae designant comparationem generantis ad essentiam
vel geniti ad essentiam, terminantur ad essentiam, quia ex parte illa non
sunt distinctiva ; et hujusmodi verba sunt accipere et dare. |
Il faut donc savoir que
puisque tout verbe notionel signifie l’acte d’une personne en tant que
distincte, il faut qu’il provienne toujours d’une personne distincte :
et c’est pourquoi aucun verbe de cette sorte ne sort de l’essence de telle
manière qu’on dirait que l’essence engendre ou donne notionnellement ou
reçoit ou naît. Mais les verbes qui désignent le rapport de celui qui
engendre à l’essence ou de celui qui est engendré à l’essence, se terminent à
l’essence car de ce côté ils ne sont pas distinctifs ; et recevoir et
donner sont des verbes de cette sorte. |
Sed verba quae designant
comparationem geniti ad generantem vel e converso, sunt distincta ex utraque
parte ; et ideo ex neutra parte potest eis adjungi essentia ; quia nec
essentia generat, nec Pater generat essentiam ; quod patet etiam ex
significatione verborum ; quia generans, inquantum generans, distinguitur a
genito et e converso. Sed dans distinguitur quidem ab eo cui dat, sed non ab
eo quod dat : quia aliquis potest dare seipsum. Similiter et accipiens
distinguitur ab eo a quo accipit, sed non ab eo quod accipit de necessitate ;
aliquis enim accipere seipsum potest, sicut servus manumissus. |
Mais les verbes qui désignent
le rapport de celui qui est engendré à celui qui engendre, ou inversement,
sont distincts de part et d’autre ; et c’est pourquoi ni d’un côté ni de
l’autre l’essence ne peut leur être ajoutée ; car l’essence n’engendre
pas et le Père n’engendre pas l’essence ; ce qui apparaît encore clairement
à partir de la signification des verbes ; car celui qui engendre, en
tant que tel, se distingue de celui qui est engendré et inversement. Mais
celui qui donne se distingue certes de celui à qui il donne mais non de ce
qu’il donne : car on peut se donner soi-même. De la même manière celui
qui reçoit se distingue de celui de qui il reçoit, mais non de ce qu’il
reçoit de toute nécessité ; on peut en effet se recevoir soi-même, comme
l’esclave qui a reçu la liberté. |
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Distinctio 6 |
Distinction 6 – [La génération en son principe] |
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Quaestio 1 |
Question unique : [La nécessité de la génération du Fils] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus
partis tria quaeruntur : 1 utrum Pater genuit Filium necessitate ; 2 utrum voluntate ; 3 utrum natura. |
Pour comprendre cette partie, on cherche à répondre à
trois questions : 1. Est-ce que le Père a engendré le Fils par
nécessité ? 2. L’a-t-il engendré par volonté ? 3. L’a-t-il engendré par nature ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 6 q. 1
a. 1 tit. Utrum pater genuit Filium necessitate. |
Article 1 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nécessité ? |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod
Pater genuit Filium necessitate. Necessarium enim et possibile dividunt
ens. Si igitur Pater non genuit Filium necessitate, genuit ipsum contingenter
vel possibiliter : quod est impossible. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père a
engendré le Fils par nécessité. L’être se divise en nécessaire et possible.
Si donc le Père n’a pas engendré le Fils par nécessité, il l’a engendré d’une
manière contingente ou d’une manière possible ; mais cela est
impossible. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne aeternum est necessarium. Sed generatio Filii a Patre
est aeterna. Ergo necessaria. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
est éternel est nécessaire. Mais la génération du Fils par le Père est
éternelle. Elle est donc nécessaire. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, sicut Deus est per se bonus, ita est per se ens necessarium : omne
enim quod est per participationem, reducitur ad id quod est per se. Sed in
per se bono nihil potest esse nisi bonum. Ergo nec in per se necessario
aliquid nisi necessarium. Cum igitur generatio sit in Deo, ergo erit necessaria. |
3. De plus, tout comme Dieu
est bon par soi, de même il est par soi un être nécessaire : en effet,
tout ce qui existe par participation se ramène à ce qui existe par soi. Mais
dans le bien par soi il ne peut exister que du bien. Donc dans le nécessaire
par soi il ne peut exister que du nécessaire. Donc, puisque la génération est
en Dieu, elle sera nécessaire. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contra, omnis necessitas est ratione alicujus fortioris [fortioris om.
Éd. de Parme] cogentis vel interius vel exterius. Sed Deo non potest esse
aliquid fortius. Ergo ibi non potest esse necessitas. |
Cependant : 1. Toute nécessité existe en
raison de quelque chose de plus fort [fort om. Éd. de Parme] qui
contraint soit intérieurement soit extérieurement. Mais il n’y a rien de plus
fort que Dieu. Il ne peut donc pas y avoir là nécessité. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, Augustinus, V de Civit. Dei, cap. X,
dividit necessitatem in coactionem et prohibitionem. Sed neutrum Deo
convenit. Ergo
et cetera. |
2. Par ailleurs, Augustin [V
De la Cité de Dieu, ch. X] divise la nécessité en obligation et en
interdiction. Mais aucune des deux ne convient à Dieu. Donc, le Père n’a pas
engendré le Fils par nécessité. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum philosophum, V Metaph., text.
6,
necessarium dicitur multipliciter. Est enim necessarium absolute, et
necessarium ex conditione ; et hoc est duplex : scilicet ex conditione finis
vel ex conditione agentis. Necessarium ex conditione agentis, est necessarium
per violentiam : non enim eum qui violenter currit, necesse est currere, nisi
sub hac conditione, si aliquis eum cogit. Necessarium ex conditione finis est
illud sine quo non potest consequi aliquis finis, vel non ita faciliter.
Finis autem est duplex : vel ad esse, et hoc modo cibus vel nutrimentum
dicuntur esse necessaria, quia sine eis non potest esse homo ; vel pertinens
ad bene esse, et sic dicitur esse navis necessaria eunti ultra mare ; quia
sine ea exercere non potest actionem suam. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 6], le nécessaire se dit de
plusieurs manières. Il y a en effet le nécessaire absolu et le nécessaire
conditionnel ; et ce dernier nécessaire se divise à son tour en
deux : le nécessaire par la fin et le nécessaire par l’agent. Le
nécessaire qui se fonde sur une condition de l’agent est le nécessaire par
violence : en effet, celui qui court par violence ne court
nécessairement qu’à cette condition d’y être forcé par quelqu’un. Le
nécessaire qui se fonde sur une condition de la fin est ce sans quoi la fin
ne peut être atteinte, ou ne peut être atteinte avec autant de facilité. Mais
il y a deux sortes de fins : il y a celle qui est ordonnée à l’être, et
en ce sens on dit de l’aliment ou de la nourriture qu’ils sont nécessaires
parce que sans eux l’homme ne peut exister ; mais il y a aussi la fin
qui est ordonnée au bien-être et en ce sens on dit du navire qu’il est
nécessaire à celui qui veut traverser la mer car sans lui il ne peut réaliser
son action. |
Necessarium
autem absolute dicitur quod est necessarium per id quod in essentia sua est ;
sive illud sit [sua om. Éd. De Parme] ipsa essentia, sicut in
simplicibus ; sive, sicut in compositis, illud principium sit materia, sicut
dicimus, hominem mori est necessarium ; sive forma, sicut dicimus, hominem
esse rationalem est necessarium. Hoc autem absolute necessarium est duplex.
Quoddam enim est quod habet necessitatem et esse ab alio, sicut in omnibus
quae causam habent : quoddam autem est cujus necessitas non dependet ab alio,
sed ipsum est causa necessitatis in omnibus necessariis, sicut Deus. |
Mais le nécessaire
absolu est celui qui a lieu au moyen de ce qui est dans l’essence de la
chose; alors ou bien cela est l’essence même de la chose, comme dans les
corps simples, ou bien ce principe est la matière, comme dans les corps
composés, comme lorsque nous disons qu’il est nécessaire que l’homme meurre,
ou bien ce principe est la forme, comme lorsque nous disons qu’il est
necessaire que l’homme soit rationnel. Mais ce necessaire absolu est de deux
sortes. Il y a en effet des êtres qui tiennent d’un autre la nécessité et
l’existence, comme tous les êtres qui on tune cause; mais il y a un être dont
la nécessité ne dépend pas d’un autre, mais Lui-même, à savoir Dieu, est la
cause de la nécessité pour tout ce qui est nécessaire. |
Dicendum ergo, quod generatio
in divinis non est ex necessitate conditionata, sive conditionetur ex fine,
sive ex agente. Non ex agente ; cum ipse Deus sit primum principium et
ultimus finis. Sed est necessaria necessitate absoluta, sicut est necessitas
primae causae quae non dependet ab alio, sed ipsa potius est causa
necessitatis in omnibus aliis. [quae… omnibus alliis om. Éd. de Parme]
Et per hoc patet solutio ad utramque partem : quia primae rationes procedunt
de necessitate absoluta, et aliae de necessitate coactionis quae repugnat
necessitati absolutae : et de ista procedebat haereticus, et secundum hoc
negatur in littera. |
Il faut donc dire que la
génération dans les personnes divines ne vient pas d’une nécessité
conditionnée, et elle n’est pas conditionnée par une fin ou par un agent.
Elle n’est pas conditionnée par un agent puisque Dieu lui-même est le premier
principe et la fin ultime. Mais la génération divine est nécessaire d’une
nécessité absolue comme elle est la nécessité de la première cause qui ne
dépend pas d’un autre, mais elle-même est plutôt cause de nécessité pour tous
les autres êtres. [qui…pour tous les autres êtres om. Éd. de Parme] Et par là
deveint évidente la solution aux deux séries de
difficultés : car les premiers arguments procèdent de la
nécessité absolue et les autres de la nécessité de contrainte qui répugne à
la nécessité absolue et c’est de cette raison que procédait l’hérétique et
c’est suivant cela qu’il est rejeté dans le document. |
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Articulus 2.lib. 1 d. 6 q. 1
a. 2 tit. Utrum pater genuit filium voluntate. |
Article 2 – Le Père a-t-il engendré le Fils par volonté ? |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod pater genuit filium voluntate. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père a
engendré le Fils par volonté. |
Omne enim bonum est volitum a
Deo, sicut omne verum scitum. Sed generatio Filii est optimum. Ergo est
volitum a Deo ; et ita Pater genuit Filium voluntate. |
En effet, tout ce qui est bon
est voulu par Dieu, comme tout ce qui est vrai est connu de Lui. Mais la
génération du Fils est ce qu’il y a de plus excellent. Elle est donc voulue
par Dieu ; et ainsi, le Père a engendré le Fils par volonté. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in generatione humana ita est quod
principium inclinans ad generandum, est voluntas. Sed generatio humana
extrahitur a divina. Ergo et similiter erit in generatione divina, et ita
videtur quod Pater genuit Filium voluntate. |
2. Par ailleurs,
les choses sont telles dans la generation humaine que le principe qui incline
à engendrer est la volonté. Mais la génération humaine est tirée de la
generation divine. Il en sera donc de même dans la generation divine et ainsi
il semble que le Père a engender le Fils par volonté. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, Origenes, in Apol. Pamphil. Col. 583, dicit de Patre
loquens : germen proferens voluntatis factus est verbi pater. Sed
illud quod est germen voluntatis, est natum voluntate generantis. Ergo Pater
genuit Filium voluntate |
3. De plus, Origène [Apol.
Pamphil. Col. 583], dit, en parlant du Père : En énonçant le
germe de la volonté, le Père fit la Parole. Mais le germe de la volonté
est apte à engendrer par volonté. Donc le Père a engendré le Fils par
volonté. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 1
Contra, voluntas est principium productionis eorum quae per artem producuntur
in rebus humanis. Sed Filius non producitur a Patre sicut artificiatum, immo
sicut ars ; sed creaturae sicut artificiata. Ergo videtur quod
Pater non genuit Filium voluntate ; sed voluntate creaturas produxit. |
Cependant: 1. La volonté est
le principe de production des choses qui sont produites par l’art dans les
choses humaines. Mais le Fils n’est par produit par le Père comme un
artefact, mais plutôt comme art, et il a produit les creatures comme des
artefacts. Il ne semble donc pas que le Père a engender le Fils par volonté;
mais c’est par volonté qu’il a produit les creatures. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hilarius, lib. de synodis, can. XXIV, col. 512 : Si
quis voluntate Dei filium tamquam factum dicat, anathema sit. Ergo et
cetera. |
2. En outre, Hilaire [Livre
sur les Synodes, can. XXIV, clo. 512] dit ceci : Si quelqu’un dit que le
Fils de Dieu a été produit par volonté, qu’il soit anathème. Donc, le Père
n’a pas engendré le Fils par volonté. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod voluntas potest comparari ad aliquid dupliciter :
aut sicut potentia ad objectum, aut sicut principium. Si comparetur ad
aliquid sicut ad objectum, tunc omne volitum a Deo, potest dici esse voluntate
ejus ; et sic potest dici, pater est Deus voluntate sua ; vult enim se esse
Deum ; et similiter potest concedi quod Pater genuit Filium voluntate. Si
autem comparetur voluntas ad aliquid sicut principium, hoc potest esse
dupliciter : quia aut illud ad quod comparatur sicut principium dicit
rationem principiandi ; aut dicit ipsum principiatum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la volonté se compare à une chose de deux manières : ou bien comme
une puissance à un objet, ou bien comme un principe. Si elle se compare à une
chose comme à son objet, alors on peut dire que tout ce qui est voulu par
Dieu vient de sa volonté ; et ainsi on peut dire que le Père est Dieu
par sa volonté : il veut en effet être Dieu ; et de la même manière
on peut concéder que le Père a engendré le Fils par volonté. Mais si c’est en
tant que principe qu’on compare la volonté à une chose, cela peut se faire de
deux manières : car ou bien ce à quoi elle se compare en tant que
principe a raison de ce qui doit être commencé, ou bien a raison d’effet. |
Si primo modo, sic comparatur
voluntas ad processionem Spiritus sancti, qui procedit ut amor, in quo
voluntas principiata omnia, scilicet creaturas, amore producit ; et secundum
hunc modum etiam intellectus in Deo se habet ad generationem Filii, qui
procedit ut verbum et ars. |
Si c’est de la première
manière, alors la volonté se compare à la procession de l’Esprit-Saint, qui
procède en tant qu’Amour, dans lequel la volonté produit par amour tous les
effets, c’est-à-dire les créatures. Et c’est de cette manière aussi que
l’intelligence en Dieu se rapporte à la génération du Fils qui procède en
tant que verbe et art. |
Si secundo
modo, tunc principiatum voluntatis procedit a voluntate secundum voluntatis
conditionem. Voluntas
autem, quantum est in se, libera est : unde principiata voluntatis sunt
tantum ea quae possunt esse vel non esse. Et hoc modo
constat, quod voluntas divina comparatur ad creationem rerum, et non ad
generationem Filii. Et hinc est quod quidam distinguunt voluntatem in tria,
scilicet in voluntatem accedentem, quae scilicet de novo accedit operi vel
operanti, et talis non est in Deo secundum aliquem trium dictorum modorum
voluntatis, quia omnis operatio ejus est a voluntate aeterna. Item in
voluntatem concomitantem quae dicitur secundum comparationem ad objectum
tantum ; et sic est in Deo respectu generationis Filii. Item in voluntatem
antecedentem ; et sic dicit comparationem principii ad principiatum ; et sic
est respectu creaturarum. |
Si c’est de la
deuxième manière, alors l’effet de la volonté procède de la volonté d’après
la condition de la volonté. Mais la volonté, quant à sa nature même, est
libre: de là les effets de la volonté sont seulement ceux qui peuvent être ou
ne pas être. Et il est clair que c’est de cette manière que la volonté divine
se compare à la création des choses et non pas à la génération du Fils. Et il
suit de là que certains font trois distinctions sur la volonté: à savoir la
volonté qui s’approche, c’est-à-dire qui aborde pour la première fois
l’oeuvre ou l’opération et cette volonté n’existe en Dieu selon aucun des
trois mode de volonté don nous avons parlé car toute operation de Dieu
procède d’une volonté éternelle; il y a en outre la volonté qui accompagne
qui se dit par rapport à son objet seulement et cette volonté est en Dieu par
rapport à la generation du Fils; il y a enfin la volonté qui précède et cette
volonté dit le rapport du principe à l’effet et qui se rapporte aux
créatures. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit
secundum comparationem voluntatis ad objectum tantum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que cet argument procède du rapport de la volonté à son objet
seulement. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum quod generatio humana non est aeterna, et ideo potest
habere voluntatem antecedentem, quod non potest esse in divina. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la génération humaine n’est pas éternelle et c’est pourquoi elle
peut avoir une volonté qui précède, ce qui ne peut être le cas pour Dieu. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Origenes vocat germen
voluntatis id in quo quiescit Patris beneplacitum ; et haec est Filius, sicut
ipse dixit Matth. 3, 17 : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi
complacui. Aliae autem rationes procedunt de voluntate antecedente, sive
secundum comparationem principii ad principiatum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’Origène appelle ¨germe de la volonté¨ ce en quoi se repose le bon
plaisir du Père, à savoir le Fils, ainsi qu’il l’a dit lui-même en Matthieu
(3, 17) : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai placé
tout mon amour. Mais tous les autres arguments procèdent de la volonté
qui précède ou de la volonté d’après le rapport du principe à l’effet. |
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Articulus 3 lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3
tit. Utrum pater genuit filium naturaliter. |
Article 3 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nature ? |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod pater non
naturaliter genuit filium. Hilarius, De synodis, can. XXV, col.
512, : Non naturali necessitate ductus Pater genuit Filium. Ergo
videtur quod non sit naturalis generatio. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de cette question. Il semble que le Père n’a pas engendré le Fils par
nature. Hilaire [Sur Les Assemblées, can. XXV, col. 512] dit en
effet : Ce n’est pas par une nécessité naturelle que le Père a
été conduit à engendrer le Fils. Il semble donc qu’il ne s’agisse pas là
d’une génération naturelle. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, in Deo idem est voluntas et natura. Sed Pater non genuit Filium
voluntate. Ergo nec genuit Filium natura. |
2. De plus, la volonté
s’identifie à la nature en Dieu. Mais le Père n’a pas engendré le Fils par
volonté. Il ne l’a donc pas engendré non plus par nature. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, sicut supra habitum est, dist. 3, quaest. 1,
art. 3, philosophi per rationes creaturarum potuerunt devenire in cognitionem
divinae naturae. Sed cognita natura cognoscitur operatio naturae. Ergo
potuerunt devenire in cognitionem generationis aeternae, si Pater naturaliter
genuit Filium : cujus contrarium superius est ostensum, dist. 3, quaest. 1,
art. 4. |
3. En outre, ainsi
que nous l’avons établi plus haut [dist. 3, quest. 1, art. 3], les
philosophes ont pu en arriver à la connaissance de la nature divine au moyen
des causes des creatures. Mais une fois connue la nature, l’opération de la
nature est connue. Ils ont donc pu en arriver à la connaissance de la
génération éternelle, si le Père a engendré le Fils par nature: ce dont on a
pourtant plus haut démontré le contraire [dist. 3, quest.1, art.
4] |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 1
Contra, Hilarius, De synodis § 58, col. 520 : Omnibus creaturis
substantiam Dei voluntas attulit ; sed Filio natura dedit. Ergo
videtur quod Pater genuit Filium natura. |
Cependant : 1. Hilaire dit [Sur les
Assemblées, &58, col. 520] : À toutes les créatures la
volonté de Dieu a apporté la substance, mais au Fils Dieu l’a donnée par
nature. Il semble donc que le Père a engendré le Fils par nature. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 2
Praeterea, Damascenus, lib. I Fid. orth., cap. VIII :Generatio
est opus divinae naturae existens. Ergo et cetera. |
2. En outre, Damascène dit
[Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. VIII] : La
génération est une œuvre qui existe dans la nature divine. Donc, etc. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod essentia divina, ut dictum est, dist. 3, art. 4, est
principium omnium actuum divinorum ; licet essentia sub ratione essentiae non
dicat principium actus qui est operatio, sed qui est esse. Sed cum in
essentia sit considerare diversa attributa, quae sunt realiter unum in ipsa,
ratione tamen distincta ; actus refertur ad essentiam secundum hoc attributum
vel illud, secundum quod exigit conditio actus ; sicut intelligere est ab
essentia divina, inquantum ipsa est intellectus ; et res volitae, quae
possunt esse vel non esse, producuntur ab essentia, inquantum ipsa est
voluntas. Et quia de ratione generationis est ut producatur genitum in
similitudinem generantis, et hujus productionis principium pertinet ad
naturam, quae est ex similibus similia procreans ; ideo dicitur, quod Pater
natura generat [genuit Éd. de Parme] Filium. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’essence divine, ainsi que nous l’avons dit [dist. 3, art. 4] est le
principe de tous les actes divins, bein que l’essence en tant qu’essence ne
signifie pas le principe de l’acte qui est l’opération mais celui de l’acte
qui est l’être. Mais puisque dans l’essence il faille considérer de nombreux
attributs qui sont réellement un en elle mais différents par la raison,
l’acte se rapporte à l’essence d’après cet attribut ou cet autre, selon ce
qu’exige la condition de l’acte ; par exemple, comprendre vient de
l’essence divine pour autant qu’elle est elle-même une intelligence, et les
choses voulues, qui peuvent être ou ne pas être, sont produites par l’essence
pour autant qu’elle-même est une volonté. Et parce qu’il est de la nature
même de la génération de produire ce qui est engendré à la ressemblance de ce
qui engendre, et que le principe de cette production appartient à la nature,
laquelle procrée du semblable à partir du semblable, c’est pourquoi nous
disons que le Père engendra le Fils par nature. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Hilarius naturalem necessitatem appellat, quando
virtute naturae aliquid agitur quod est contrarium voluntati, sicut fames et
sitis in nobis ; unde voluntas patitur quasi quamdam violentiam a natura ; et
talis necessitas non est in Deo. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’Hilaire appelle nécessité naturelle quand quelque chose se
passe en nous par une puissance de la nature qui est contraire à la volonté,
comme la faim et la soif en nous ; c’est pourquoi la volonté se trouve à
souffrir comme une certaine violence de la part de la nature ; et une
telle nécessité ne se trouve pas en Dieu. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis natura et voluntas sint idem re, differunt
tamen ratione, ut dictum est. Et ideo essentia divina in ratione naturae est
principium alicujus, cujus principium non est ipsa eadem, prout habet
rationem voluntatis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que la nature et la volonté soient un par la chose, elles
diffèrent cependant par la raison, ainsi que nous l’avons déjà dit. Et c’est
pourquoi l’essence divine, en tant que nature, est principe de quelque chose
dont elle-même n’est pas le principe en tant qu’elle a raison de volonté. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod naturam est [contingit Éd. de Parme]
cognoscere dupliciter. Vel perfecte comprehendendo ipsam ; et sic philosophi
non cognoverunt naturam divinam : quia sic cognovissent omnia opera divina,
et quaecumque sunt in ipsa. Vel est cognoscere [est om. Éd. de Parme]
per effectus ; et ita philosophi cognoverunt. Quia vero creatura non perfecte
repraesentat naturam divinam, secundum quod est principium generationis
aeternae et consubstantialis ; ideo generationem divinam, quae est ejus
operatio, non cognoverunt philosophi. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’il faut [qu’il est possible Éd. de Parme] connaître la
nature de deux manières. Soit en la comprenant parfaitement et en ce sens les
philosophes n’ont pas connu la nature divine car alors ils auraient connu
toutes les œuvres divines et tout ce qu’il y a en elle. Soit en la
connaissant au moyen des effets ; et de cette manière les philosophes
ont connu la nature divine. Mais parce que les créatures ne représentent pas
parfaitement la nature divine selon qu’elle est le principe de la génération
et de la consubstantialité éternelles, c’est pourquoi les philosophes n’ont
pas connu la génération divine qui est l’opération de la nature divine. |
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Distinctio 7 |
Distinction 7 – [La puissance générative en Dieu. Principe] |
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Prooemium |
Prologue |
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Question 1 Article 1 – Y a-t-il de la
puissance générative en Dieu ? Article 2 – la puissance
générative est-elle une relation ? Article 3 – Parle-t-on de la
puissance d'engendrer et celle de créer de manière univoque ? Question 2 Article 1 – La puissance
d'engendrer est-elle dans le Fils ? Article 2 – Le Fils peut-il
engendrer un autre Fils Quæstiuncula 1 : Le Père
peut-il engendrer un autre fils ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La puissance d’engendrer en Dieu] |
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Hic quaeruntur duo : primo de potentia generandi
in Deo. Secundo de communitate
ipsius. Circa primum tria quaeruntur : 1 utrum in Deo sit
potentia ad generandum ; 2 quid sit illa
potentia, an sit absolutum aliquid vel ad aliquid ; 3 de
comparatione ipsius ad potentiam creandi. |
On s’interroge ici sur deux choses : En premier lieu sur la puissance d’engendre
qui est en Dieu. En deuxième lieu sur le caractère commun de
cette puissance. Et au sujet du premier point on pose trois questions : 1. Est-ce qu’il y a en Dieu une puissance
d’engendrer ; 2. Quelle est cette puissance ? Est-elle
quelque chose d’absolu ou de relatif ? 3. Est-elle semblable ou différente de la
puissance de créer ? |
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Articulus 1 : 7 q. 1 a. 1 tit.
Utrum potentia generativa sit in Deo. |
Article 1 – Y a-t-il de la puissance générative en Dieu ? |
7 q. 1
a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit potentia ad
generandum. Quidquid enim exit ab aliqua potentia, sive sit potentia agentis
sive materiae, prius est in potentia quam sit in actu. Sed generatio Filii a Patre
non est hujusmodi, cum sit aeterna. Ergo non exit ab aliqua potentia. Ergo
in Deo non est potentia ad generandum. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas en Dieu une puissance d’engendrer. En effet, tout ce qui sort d’une
puissance, que ce soit de la puissance d’un agent ou de celle d’une matière,
est d’abord en puissance avant d’être en acte. Mais la génération du Fils du
Père n’est pas une génération de cette sorte, puisqu’elle est éternelle. Le
Fils ne provient donc pas d’une puissance. Il n’y a donc pas en Dieu une
puissance d’engendrer. |
7 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea,
illud quod per se est naturae, non exit ab ea mediante aliqua potentia, sicut
anima dat tale esse corpori nullo mediante. Sed generatio est
per se opus naturae, ut dicit Damascenus, Lib I, Fid. Orth., cap.VIII,
col. 814. Ergo
non est opus potentiae ; et sic idem quod prius. |
2. De plus, ce qui appartient
par soi à la nature ne naît pas d’elle au moyen d’une puissance, comme l’âme
qui donne telle existence au corps sans aucun intermédiaire. Mais la
génération est par soi une œuvre de la nature, ainsi que le dit Damascène
[Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. VIII, col. 814]. La
génération n’est donc pas l’œuvre d’une puissance et ainsi la conclusion est
identique à celle qui précède. |
7 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea,
omnis potentia vel est activa vel passiva. Sed in Patre non est potentia
passiva ad generandum Filium, quia secundum eam magis diceretur mater quam
pater. Nec est etiam in eo potentia activa ; quia, secundum philosophum,
V Metaph., text. 17 et IX metaph., text. 2, potentia activa est
principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud : unde potentia
activa exigit materiam in quam agat. Generatio autem Filii non est ex
materia. Ergo videtur quod in Deo non sit potentia ad generandum. |
3. Par ailleurs, toute
puissance est ou bien active ou bien passive. Mais il n’y a pas dans le Père
une puissance passive à engendrer le Fils car dans ce cas il devrait être
appelé mère plutôt que père. Et il n’y a pas en Lui une puissance active non
plus car d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 17, et
1X Métaphysique, texte 2] une puissance active est un principe de
changement dans un autre en tant qu’autre : c’est pourquoi la puissance
active exige une matière dans laquelle agir. Mais la génération du fils ne
procède pas d’une matière. Il semble donc qu’il n’y ait pas en Dieu une
puissance d’engendrer. |
7 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra,
Augustinus, II Contra Maxim., cap. VII, col. 761, arguit
: Si pater non potuit generare Filium aequalem et coaeternum sibi,
impotens fuit. Ergo ex hoc videtur quod potentia divina
etiam se extendat ad generationem Filii. |
Cependant: 1. Augustin [Contre
Maxim. Ch. VII, col. 761] affirme: Si le Père ne put
engendrer un Fils qui lui soit égal et coéternel, il fut impuissant. Il
semble donc à partir de là que la puissance divine s’étend même à la
génération du Fils. |
7 q. 1
a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis operatio demonstrat potentiam ipsius operantis.
Cum igitur actus generationis in infinitum transcendat productionem
creaturarum, quae tamen divinam omnipotentiam manifestat, videtur quod multo
fortius generatio Filii sit manifestativa divinae potentiae, et non nisi
sicut actus ejus. Ergo videtur quod in Deo sit potentia generandi. |
2. De plus, toute opération
manifeste la puissance de celui-là même qui pose l’opération.
Donc, puisque l’acte de la génération dépasse à l’infini la production des
créatures qui manifeste cependant la toute-puissance divine, il semble à plus
forte raison que la génération du Fils manifeste la puissance divine
puisqu’elle est son acte. Il semble donc qu’il y ait en Dieu une puissance
d’engendrer. |
7 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod in creaturis aliquid producitur per potentiam naturalem, et
hoc producitur per similitudinem naturae ipsius producentis, sicut homo
generat hominem : producitur etiam aliquid per potentiam rationalem, et hoc
producitur in similitudinem producentis quantum ad speciem, non naturae, sed
in ratione existentiae [existentem Éd. de Parme] ; cum omne agens
agat sibi simile aliquo modo ; sicut domus producitur ab artifice, et recipit
similitudinem speciei quam artifex habet in mente. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans les créatures quelque chose est produit par une puissance naturelle,
et que cela est produit à la ressemblance de la nature de celui qui produit,
comme c’est le cas pour l’homme qui produit un homme ; mais quelque
chose est produit aussi par une puissance rationnelle et cela est produit à
la ressemblance de celui qui produit quant à l’espèce qui n’est pas celle de
la nature, mais de celle qui existe dans la raison, puisque tout agent
produit ce qui lui ressemble d’une certaine manière : par exemple, la
maison est produite par l’artisan et reçoit la ressemblance de la forme que
l’artisan a à l’esprit. |
Et secundum
hos duos modos aliquid producitur a Deo. Procedit enim
aliquid a Deo in similitudinem naturae, recipiens totam naturam ; nec eamdem
specie tantum, sed eamdem numero ; et sic Filius procedit a Patre per actum
generationis. Unde in Deo est potentia ad generandum similis potentiae
naturali. Procedit etiam aliquid a Deo in similitudinem ideae existentis in
mente divina, quod non recipit naturam divinam, sicut creaturae. Unde
potentia operandi in creaturis est sicut potentia rationalis in Deo ; et
secundum istam potentiam attenditur omnipotentia in Deo. Persona enim divina,
quae procedit per potentiam quasi naturalem, non est aliquid connumeratum
omnibus. Unde potentia generandi non continetur sub omnipotentia, sicut
potentia creandi. Hoc tamen melius explicabitur infra, XX dist. [sicut… XX
dist. om. Éd. de Parme]. |
Et une chose est produite par
Dieu selon ces deux modalités. En effet un être procède de Dieu selon une
ressemblance de nature en recevant toute sa nature ; et il n’est pas
seulement de même espèce, mais de même individualité ; et c’est ainsi
que le Fils procède du Père par son acte de génération. Il y a par conséquent
en Dieu une puissance à engendrer qui est semblable à une puissance
naturelle. Mais quelque chose peut encore procéder de Dieu à la ressemblance
d’une idée existant dans l’esprit divin et qui ne reçoit pas la nature
divine, comme c’est le cas pour les créatures. C’est pourquoi la puissance
d’opérer dans les créatures est comme une puissance rationnelle en
Dieu ; et c’est d’après cette puissance que s’entend la toute-puissance
de Dieu. En effet la Personne divine qui procède de Dieu par une puissance
quasi naturelle, n’est pas quelque chose qui est compté parmi tous les autres
êtres. C’est pourquoi la puissance d’engendrer n’est pas comprise dans la
toute-puissance comme c’est le cas pour la puissance de créer. Cela sera
cependant mieux expliqué par la suite lors de l’examen de la distinction XX
[comme … dist. XX om. Éd. de Parme]. |
7 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod illud est verum, quando actus differt realiter a potentia
a qua exit : tunc enim oportet quod prius sit in potentia quam in actu vel
tempore vel natura. Sed in Deo est omnino idem re essentia, potentia et operatio,
sed differunt tantum ratione ; et ideo in divinis non valet. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ce qui est dit là est vrai quand l’acte diffère réellement
de la puissance de laquelle il procède : il faut alors en effet que
l’être en question existe d’abord en puissance avant d’exister en acte, ou
bien par le temps ou bien par la nature. Mais en Dieu l’essence, la puissance
et l’opération sont absolument identiques par la chose et diffèrent seulement
par la raison. Et c’est pourquoi cet argument ne tient plus à l’égard des
personnes divines. |
Vel dicendum, quod in divinis
personis est tantum ordo naturae, quo, secundum Augustinum, aliquis est ex
alio, et non prior alio. Unde non potest concludi aliqua prioritas per hoc
quod Filius generatur ex potentia Patris. |
Ou bien il faut dire qu’il
n’y a dans les personnes divines qu’un ordre de nature par lequel, selon
Augustin, l’un procède de l’autre et non antérieurement à l’autre. C’est
pourquoi on ne peut conclure aucune antériorité du fait que le Fils est
engendré à partir de la puissance du Père. |
7 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod natura vel essentia comparatur ad duo : ad habentem, et ad id
cujus natura est principium. Inter essentiam igitur et habentem essentiam non
cadit aliqua potentia media quantum ad actum ipsius essentiae in habentem,
qui est esse ; sed ipsa essentia dat esse habenti : et iste actus est quasi
actus primus. Egreditur etiam ab essentia alius actus, qui est etiam actus
habentis essentiam sicut agentis, et essentiae sicut principii agendi : et
iste est actus secundus, et dicitur operatio : et inter essentiam et talem
operationem cadit virtus media differens ab utroque, in creaturis etiam
realiter, in Deo ratione tantum ; et talis actus est generare ; et ideo, secundum
modum intelligendi, natura non est principium ipsius nisi mediante potentia. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la nature ou l’essence se compare à deux choses : d’abord à
celui qui la possède, puis à ce dont la nature est le principe. Donc entre
l’essence et celui qui la possède on ne trouve aucune puissance intermédiaire
quant à l’acte de l’essence même dans celui qui la possède, et qui est
l’existence ; mais l’essence elle-même donne l’existence à celui qui la
possède : et cet acte est comme l’acte premier. Mais de l’essence sort
un autre acte qui est aussi l’acte de celui qui possède l’essence en tant
qu’agent et qui est l’acte de l’essence comme principe d’action : et
c’est là l’acte second qu’on appelle l’opération ; et c’est entre l’essence
et une telle opération qu’on retrouve une puissance intermédiaire qui diffère
des deux ( de l’essence et de l’opération) réellement et par la raison dans
les créatures, mais en Dieu par la raison seulement ; et cet acte est
l’acte d’engendrer ; et c’est pourquoi, d’après le mode de comprendre,
la nature n’est le principe de cet acte que par l’intermédiaire d’une
puissance. |
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Article 2 – La puissance générative est-elle une relation ? |
7 q. 1
a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod potentia generandi sit
ad aliquid. Remoto enim intellectu distinctarum personarum a divinis, adhuc
manet intellectus omnium quae absolute dicuntur, sicut bonitas, sapientia et
hujusmodi. Sed remoto intellectu personarum, non remanet potentia generandi :
quia remotis personis removetur generatio, et remota generatione removetur
potentia generandi ; non enim potest in divinis esse aliquid in potentia quod
non sit actu ; alias Deus esset mutabilis. Ergo non est de absolutis, sed de ad
aliquid dictis. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit par rapport à cette deuxième question. Et il semble que la puissance
d’engendrer soit une relation. Si en effet on fait disparaître de Dieu
l’intelligence des personnes divines, il demeure encore l’intelligence de
tous les attributs qui se disent absolument de Lui, comme la bonté, la
sagesse, etc. Mais si on écarte l’intelligence des personnes, la puissance
d’engendrer n’est pas conservée : car une fois écartées les personnes,
la génération est elle aussi écartée et une fois cette dernière écartée, la
puissance d’engendrer l’est aussi ; il ne peut en effet exister en Dieu
une puissance qui ne soit pas en acte, autrement Dieu serait sujet au
changement. La puissance d’engendrer ne fait donc pas partie des attributs absolus,
mais de ceux qui se disent par la relation. |
7 q. 1
a. 2 arg. 2 Praeterea, potentiae distinguuntur per actus. Sed generare in
divinis est ad aliquid dictum : quia generatio est proprietas ipsa relativa,
ut supra dictum est, dist. 4, qu. 1, art. 2. Ergo et potentia generandi. |
2. De plus, les puissances se
distinguent par leurs actes. Mais en Dieu engendrer se dit par la
relation : car la génération est elle-même une propriété qui est
relative ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 2]. Donc
la puissance d’engendrer l’est aussi. |
7 q. 1
a. 2 arg. 3 Praeterea, omnis operatio propria alicujus rei egreditur a forma
propria ejusdem, sicut comburere a forma ignis. Sed generare Filium in
divinis, est propria operatio Patris. Ergo principium illius erit propria
forma Patris. Hoc autem est paternitas, quae relatio quaedam est. Cum
igitur principium operationis sit potentia, videtur quod potentia generandi
sit ad aliquid. |
3. En outre, toute
operation qui est propre à une chose procède de la forme qui est propre à
cette chose, tout comme brûler procède de la forme du feu. Mais en Dieu,
engendrer le Fils est l’opération propre du Père. Donc le principe de cette
opération sera la forme qui est propre au Père. Mais c, il semble ette forme
est la paternité, laquelle est une relation. Donc, puisque le principe de
l’opération est la puissance, il semble que la puissance d’engendrer soit une
relation. |
7 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra,
cujus est actus, ejus est potentia, secundum philosophum. De sensu et
sens., lect. 5, Sed, secundum Damascenum, I Fid.
Ortho., cap. VIII, col 814, generatio est actus naturae. Ergo et
potentia generandi [generandi om. Éd. De Parme] est ipsius
naturae. Sed [om. Éd. De Parme] natura autem est absolute dictum. Ergo
et potentia. |
Cependant : 1. D’après le Philosophe, ce
d’où procède l’acte est la puissance de cet acte [Du Sens et du Senti,
leçon 5]. Mais d’après Damascène, [1 De la Foi Orthodoxe,
ch. VIII, col. 814] la génération est l’acte de la nature. Et donc
la puissance d’engendrer [d’engendrer om. Éd. de Parme]
appartient à la nature elle-même. Mais [om. Éd. de Parme] la nature se
dit cependant absolument. Il en est donc de même pour la puissance. |
7 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea,
in qualibet generatione univoca idem est principium generationis et terminus
; sicut homo generat hominem. Sed terminus generationis in divinis est
essentia, quae communicatur per generationem, ut supra dictum est, dist. 5,
qu. 1, art. 1. Ergo essentia etiam est principium generationis ; et sic
videtur quod potentia generandi [generandi om. Éd. De Parme] sit
essentiale. |
2. En outre, dans toute
génération univoque, le principe est identique à son terme, tout comme
l’homme qui engendre un homme. Mais en Dieu le terme de la génération est
l’essence, laquelle se communique parla génération ainsi que nous l’avons dit
plus haut [dist. 5, quest. 1, art. 1]. Donc l’essence est aussi le principe
de la génération. Et ainsi il semble que la puissance d’engendrer
[d’engendrer om. Ed. de Parme] soit essentielle. |
7 q. 1 a. 2 co. Respondeo,
quidam dixerunt, quod potentia generandi simpliciter est ad aliquid non
tantum ex parte actus, sed etiam ex parte ipsius potentiae : potentia enim
dicit relationem principii. Sed hoc nihil est : quia potentia non est
relativum secundum suum esse, sed solum secundum dici : immo potentia
significat etiam illud quod est principium, et non tantum relationem
principii. Sic enim quaerimus hic de potentia generandi. Principium autem
cujuslibet operationis divinae, ut supra dictum est, dist. 4, qu. 1, art. 1,
est essentia divina. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que certains ont
soutenu que que la puissance d’engendrer, à parler absolument, est relative
non seulement du côté de l’acte mais aussi du côté de la puissance
elle-même : qui dit puissance en effet dit relation à un principe. Mais
cela n’est rien : car la puissance n’est pas relative quant à son
existence, mais seulement quant à l’attribution : bien plutôt, la
puissance signifie aussi cela même qui est principe et non seulement la
relation au principe. C’est en ce sens en effet que nous menons ici notre
recherche sur la puissance d’engendrer. Mais le principe de toute opération
divine, ainsi que nous l’avons dit [dist. 4, quest. 1, art. 1], est l’essence
divine. |
Sed ab essentia egreditur
aliquis actus, secundum quod essentia est sapientia ; et aliquis, secundum
quod est voluntas ; et sic de aliis attributis. Similiter dico, quod cum
proprietas realiter sit essentia, essentia secundum quod est ipsa paternitas,
est principium hujus actus qui est generare, non sicut agens, sed sicut quo
agitur : unde principium generationis est essentiale sub ratione relationis :
unde est quasi medium inter essentiale et personale ; ex parte enim illa qua
potentia, quae est media inter essentiam et operationem, radicatur in
essentia, est absolutum ; ex parte autem illa qua conjungitur operationi, est
relativum. |
Mais certains actes procèdent
de l’essence selon que l’essence est sagesse ; et d’autres selon que
l’essence est volonté et il en est de même pour les autres attributs. De
même, je dis que puisque la propriété est réellement l’essence, l’essence en
tant qu’elle est la paternité elle-même est le principe de cet acte qui est
celui d’engendrer, non pas en tant qu’agent, mais comme ce par quoi l’opération
est posée : c’est pourquoi le principe de la génération est essentiel
sous le rapport de la relation : de là il est comme intermédiaire entre
ce qui est essentiel et ce qui est personnel ; en effet, du côté par
lequel la puissance, qui est intermédiaire entre l’essence et l’opération,
s’enracine dans l’essence, le principe de la génération est absolu ;
mais du côté par lequel il est uni à l’opération, il est relatif. |
7 q. 1
a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, remoto intellectu personarum, remanent
ea quae sunt pure absoluta. Sed hujusmodi est potentia generandi, ut dictum est, in
corp. art., et ideo non remanet, subtractis personis. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu qu’une fois qu’on écarte l’intelligence des personnes, les attributs qui
sont purement absolus demeurent. Mais la puissance d’engendrer est de cette
sorte ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article et c’est pourquoi
elle n’est pas conservée une fois qu’on fait abstraction des personnes. |
7 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis potentiae innotescant per actus, non tamen oportet
quod in eodem genere ponantur potentiae et actus, praecipue de potentiis
activis : unde quamvis generare sit ad aliquid, non tamen oportet quod
potentia generandi sit ad aliquid ; sed verum est quod posse generare est
posse ad aliquid accusativi casus. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que les puissances sont connues par leurs actes, il n’est
cependant pas nécessaire que les puissances et les actes soient posés dans le
même genre, principalement dans le cas des puissances actives : de là,
bien qu’engendrer soit un relatif, il n’est cependant pas nécessaire que la
puissance d’engendrer soit un relatif ; mais il est vrai que le pouvoir
d’engendrer soit un pouvoir relatif à un accusatif. |
7 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod natura communis in unoquoque operatur secundum conditionem
ipsius : unde anima sensibilis habet in diversis animalibus diversas
operationes, et etiam in diversis organis sentiendi. Et hoc ideo est, quia
natura communis determinatur et contrahitur in unoquoque, secundum
proprietates inventas in illo. Divina autem natura non contrahitur neque
determinatur per proprietates suppositorum ; tamen natura divina in Patre est
proprietas patris, et in Filio est proprietas Filii. Ideo autem non
contrahitur, quia proprietas non est aliud [ab essentia vel add. Éd.
De Parme] ipsa natura, ut adveniat sibi quasi dispositio contrahens. Ideo
etiam [natura add.. Éd. De Parme] non determinatur vel
distinguitur, quia relatio non distinguitur secundum id quod est (sed
secundum hoc tantum comparatur ad essentiam, cum qua est idem re) sed
secundum quod ad alterum est, et sic respicit personam, et distinguit eam :
et ideo in Patre est principium operationis secundum proprietatem patris et
in Filio secundum proprietatem Filii. Unde eadem operatio est et naturae
communis, et propriae formae ipsius patris : et ideo potentia generandi, ut
dictum est, in corp. art., est medium inter absolutum et relatum. Et hoc
voluerunt quidam dicere, dicentes potentiam generandi absolutum, si
consideretur potentia remota, vel indisposita et ad aliquid si consideretur
potentia disposita [et ad aliquid…disposita om. Éd. De Parme] ;
quamvis improprie locuti sint, quia proprietas non disponit essentiam, sed
suppositum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la nature commune opère en chaque être d’après les conditions de cet
être : c’est pourquoi l’âme sensible est capable de différentes
opérations dans des animaux différents, et même dans des organes de sensation
différents. Et il en est ainsi parce que la nature commune se détermine et se
limite en chaque être d’après les propriétés qui se trouvent en lui. Mais la
nature divine n’est pas limitée et bornée par les propriétés des
suppôts ; cependant la nature divine dans le Père est la propriété du
Père et dans le Fils elle est la propriété du Fils. C’est pourquoi cependant
que cette nature n’est pas restreinte ou diminuée de manière à recevoir une
disposition qui la limiterait, parce que la propriété n’est rien d’autre que
la nature même [que l’essence ou add. Éd. de Parme]. C’est
pourquoi encore elle [la nature add. Ed. de Parme] n’est pas
limitée ou différenciée, car la relation ne se distingue selon ce qui est
(mais seulement selon qu’elle se compare à l’essence avec laquelle elle est
identique par la chose) mais selon qu’elle se rapporte à un autre et ainsi
elle concerne la personne et la distingue : et c’est pourquoi dans le
Père elle est le principe d’opération selon la propriété du Père et dans le
Fils selon la propriété du Fils. Par conséquent la même opération relève à la
fois de la nature commune et de la forme propre du Père lui-même : et
c’est pourquoi la puissance d’engendrer, ainsi que nous l’avons dit dans le
corps de l’article, est intermédiaire entre l’absolu et le relatif. Et c’est
là ce que certains ont voulu dire en disant que la puissance d’engendrer est
un absolu si la puissance est considérée comme retirée ou non ordonnée, et
comme un relatif si la puissance est considérée comme ordonnée [comme
relatif…ordonnée om. Éd. de Parme] ; ils se sont cependant
exprimés improprement, car la propriété n’ordonne pas l’essence mais le
suppôt. |
7 q. 1
a. 2 ad s. c. Et per ea quae dicta sunt, patet etiam solutio ad sequentia. |
Et la solution aux arguments
qui suivent devient claire au moyen de ce que nous avons dit. |
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Articulus 37 q. 1 a. 3 tit.
Utrum potentia dicatur univoce de potentia generandi et potentia creandi. |
Article 3 – Parle-t-on de manière univoque de la puissance d’engendrer et de la puissance créatrice[8] ? |
7
q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod potentia non dicitur
univoce de potentia generandi et creandi. Potentiae enim distinguuntur per
actus, et actus per objecta. Sed Filius Dei et creaturae non univocantur in
aliquo. Ergo nec generatio et creatio. Igitur ulterius nec potentia generandi
et creandi. |
Difficultés : 1. Il semble que la puissance
ne s’attribue pas univoquement à la puissance d’engendrer et à celle de
créer. Les puissances en effet se distinguent par leurs actes et les actes
par leurs objets. Mais le Fils de Dieu et les créatures ne reçoivent aucune
attribution univoque. Donc, la génération et la création n’en reçoivent pas
non plus. Par conséquent, la puissance d’engendrer et de créer ne reçoivent
pas une attribution univoque. |
7 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, potentia creandi est simpliciter absoluta. Sed potentia generandi
est quodammodo ad aliquid. Cum igitur nihil univocetur ad absolutum et
relatum, cum sint in diversis praedicamentis, videtur quod potentia non
univoce dicatur de utraque. |
2. En outre, la puissance de
créer est absolue en tant que telle. Mais la puissance d’engendrer est en
quelque sorte relative. Donc, puisque rien ne se dit univoquement de l’absolu
et du relatif, puisqu’ils sont dans des prédicaments différents, il semble
que la puissance ne se dise pas univoquement des deux. |
7 q. 1 a. 3 arg. 3 Contra,
sicut dictum est, art. antec., potentia generandi est ipsa divina essentia ;
similiter etiam potentia creandi, cum Deus sit primum agens, et omnis sua
operatio sit per suam essentiam. Ergo videtur quod utraque sit una potentia. |
3. Cependant, ainsi que nous
l’avons dit dans l’article précédent, la puissance d’engendrer est l’essence
divine elle-mpeme ; et il en est de même encore de la puissance de
créer, puisque Dieu est l’agent premier, et que toute son opération
s’effectue par son essence. Il semble donc que les deux puissances soient une
seule et même puissance. |
7 q. 1 a. 3 arg. 4
Supposito quod potentia aliquo modo de eis dicatur secundum prius et
posterius, quaeritur quae istarum potentiarum sit prior, et videtur quod
potentia creandi. Commune enim est ante proprium, et essentiale ante
personale, secundum rationem intelligendi. Sed potentia creandi est communis
tribus personis ; potentia autem generandi videtur proprie pertinere ad
personam Patris. Ergo videtur quod potentia creandi sit prior. |
4. En supposant que la
puissance se dise d’une certaine manière de ces puissances selon l’avant et
l’après, on se demande laquelle de ces puissances est antérieure à l’autre,
et il semble que ce soit la puissance de créer. En effet, le commun est
antérieur au propre, et l’essentiel l’est au personnel, selon l’ordre
d’intelligibilité. Mais la puissance de créer est commune aux trois
personnes, alors que la puissance d’engendrer semble appartenir en propre à
la personne du Père. Il semble donc que la puissance de créer soit
antérieure. |
7
q. 1 a. 3 arg. 5 Contra, secundum ordinem actuum est ordo potentiarum. Sed
generatio est prior creatione, sicut aeternum temporali. Ergo et potentia generandi
est prior. |
5. Cependant, l’ordre des
puissances est conforme à l’ordre des actes. Mais la génération est antérieure
à la création, comme l’éternel l’est au temporel. Donc, la puissance
d’engendrer est antérieure. |
7 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod potentia est medium, secundum rationem intelligendi, inter
essentiam et operationem naturae. Possunt ergo considerari potentia creandi
et potentia generandi secundum quod radicantur in essentia divina : et sic
est una numero potentia, nedum univoce dicta. Possunt etiam considerari ex
parte qua conjunguntur operationi, et secundum hoc potentia dicitur de eis
non univoce, sed secundum prius et posterius, et potentia generandi erit
prior secundum rationem intelligendi quam potentia creandi, sicut generatio
est prior creatione. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que la puissance
est intermédiaire, selon l’ordre d’intelligibilité, entre l’essence et
l’opération de la nature. La puissance de créer et celle d’engendrer peuvent
donc être considérées selon qu’elles s’enracinent dans l’essence
divine : et ainsi ce ne sont plus qu’une seule puissance par
le nombre et à plus forte raison elles se disent de manière univoque. Elles
peuvent aussi être considérées du côté par lequel elles se rattachent à
l’opération et de ce point de vue elles ne se voient pas attribuer la
puissance de manière univoque, mais plutôt selon l’avant et
l’après et alors la puissance d’engendrer est antérieure à la
puissance de créer selon l’ordre d’intelligibilité, tout comme la génération
est antérieure à la création. |
7
q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum, quod procedit de potentia
comparata ad actum. |
Solutions: 1. Et au moyen de
ce que nous avons dit la solution à la première difficulté, laquelle procède
de la puissance compare à l’acte, est évidente |
7 q. 1 a. 3 ad 2 Et
similiter ad secundum, quia potentia generandi non est ad aliquid nisi ex
parte illa qua conjungitur actui. |
2. Et il en est de même pour
la deuxième difficulté, car la puissance d’engendrer n’est relative que du
coté par lequel elle se rattache à l’acte. |
7 q. 1 a.
3 ad 3 Et similiter ad tertium, quod procedit e contrario de potentia
secundum quod se tenet a parte essentiae. |
3. Et il en est de même pour
la troisième qui procède au contraire de la puissance selon qu’elle se prend
du côté de l’essence. |
7 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod commune in divinis est ante proprium, quando commune per se
accipitur secundum rationem intelligendi ; sed quando commune accipitur cum
respectu ad creaturas, ratione respectus adjuncti, est posterius quam
proprium alicujus personae, secundum rationem intelligendi. |
4. Il faut dire pour la
quatrième difficulté qu’en Dieu le commun est antérieur au propre quand le
commun se prend en lui-même selon l’ordre d’intelligibilité ; mais quand
le commun se prend par rapport aux créatures, en raison du rapport ajouté, il
est postérieur à ce qui est propre à une personne, selon la raison
d’intelligibilité. |
7
q. 1 a. 3 ad 5 Quintum concedimus. |
5. Nous concédons la
quatrième difficulté. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’état commun de cette puissance] |
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Prooemium |
Prologue |
7 q. 2 pr. Deinde quaeritur de communitate
hujus potentiae ; et circa hoc duo quaeruntur : 1 utrum potentia
generandi sit in Filio ; 2 utrum Filius possit generare |
Nous nous interrogeons ensuite sur le
caractère commun de cette puissance ; et à ce sujet nous nous posons
deux questions : 1. Est-ce que la puissance d’engendrer est
dans le Fils ? 2. Est-ce que le Fils peut engendrer ? |
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Articulus 1 : 7 q. 2 a. 1 tit.
Utrum potentia generandi sit in filio. |
Article 1 – La puissance d’engendrer est-elle dans le Fils ? |
7 q. 2
a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Sicut supra dictum est, in corp. art.
2, qu. praeced., potentia generandi includit in se rationem
paternitatis. Sed paternitas non est in Filio. Ergo nec potentia
generandi. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de cette question. Ainsi que nous l’avons dit plus haut dans le corps
de l’article 2 de la question précédente, la puissance d’engendrer inclut en
elle la notion de paternité. Mais la paternité n’est pas dans le Fils. La
puissance d’engendrer n’y est donc pas non plus. |
7 q. 2
a. 1 arg. 2 Praeterea, cum potentia dicat rationem principii, potentia
generandi dicit principium generationis. Sed Filio nullo modo competit esse
principium generationis : esset enim principium suiipsius. Ergo in Filio
nullo modo est potentia generandi. |
2. En outre, puisque la
puissance a raison de principe, la puissance d’engendrer a raison de principe
de génération. Mais il n’appartient d’aucune manière au Fils d’être principe
de génération : Il serait en effet principe de lui-même. La puissance
d’engendrer n’est donc dans le Fils d’aucune manière. |
7 q. 2 a. 1 arg. 3 Contra,
sicut supra dictum est, in hac dist. qu. 1, art. 2, potentia generandi est
ipsa divina essentia. Sed essentia Patris tota est in Filio. Ergo videtur
quod etiam potentia generandi sit in filio. |
3. Cependant : Ainsi que nous l’avons dit
précédemment dans cette distinction (quest. 1, art. 2), la puissance
d’engendrer est l’essence divine elle-même. Mais l’essence du Père dans sa
totalité est dans le Fils. Il semble donc que même la puissance d’engendrer
soit dans le Fils. |
7 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea,
nulla scientia vel voluntas est patris, quae non sit Filii. Ergo nec etiam
aliqua potentia, cum potentia illis duobus condividatur. Sed potentia generandi
est in Patre. Ergo et in Filio. |
4. De plus, il n’y a aucune
science et aucune volonté du Père qui ne soit pas aussi celle du Fils. Il n’y
a donc aussi aucune puissance de Père qui ne soit pas celle du Fils puisque
la puissance se divise en ces deux dernières constituantes. Mais la puissance
d’engendrer est dans le Père. Elle est donc aussi dans le Fils. |
7 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
potentia generandi dicitur tripliciter, secundum quod generandi potest esse
gerundium verbi impersonalis, vel verbi personalis activi, vel verbi
personalis passivi. Si sit gerundium verbi impersonalis, tunc
potentia generandi est potentia qua ab aliquo generatur ; et ita est in Filio
potentia generandi, idest qua a Patre generatur. Si sit gerundium verbi personalis activi, tunc
potentia generandi dicitur potentia ut generet ; et sic non est in Filio. Si sit gerundium verbi
personalis passivi, tunc potentia generandi dicitur potentia ut generetur ;
et ita est in filio, quia eadem potentia quae in Patre est ut generet, est in
Filio ut generetur. Et ista distinctio fundatur super id quod dictum est, in
corp., art. 2, quaest. praeced., quod potentia generandi est essentia divina,
a qua, prout in Patre est paternitas, est generatio activa ; et prout in
Filio est filiatio, erit generatio passiva. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la puissance d’engendrer se dit de trois manières : selon
qu’engendrer se prenne comme le gérondif d’un verbe impersonnel, comme celui
d’un verbe personnel actif, ou celui qu’un verbe personnel passif. S’il est le gérondif d’un
verbe impersonnel, alors la puissance d’engendrement est la puissance par
laquelle on est engendré par un autre ; et ainsi il y a dans le Fils une
puissance d’engendrement, c’est-à-dire celle par laquelle il est engendré par
le Père. S’il est le gérondif d’un
verbe personnel actif, alors la puissance d’engendrer signifie une puissance
qui engendre et ainsi une telle puissance n’est pas dans le Fils. S’il est le gérondif d’un
verbe personnel passif, alors la puissance d’engendrer signifie une puissance
qui permet à l’être d’être engendré ; et une telle puissance est dans le
Fils, car la même puissance qui est dans le Père pour qu’il engendre est dans
le Fils pour qu’Il soit engendré. Et cette distinction se fonde sur ce qui a
été dit [quest. 1, art. 2, corps], à savoir que la puissance d’engendrer est
l’essence divine par laquelle, en tant qu’elle est paternité dans le Père,
est une génération active ; mais en tant qu’elle est filiation dans le
Fils, elle est une génération passive. |
7 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod potentia generandi ex parte qua conjungitur actui
includit in se paternitatem ; et secundum hoc non convenit filio : sed ex
parte illa qua radicatur in essentia, non includit ; et ita convenit Filio,
secundum quod generandi est gerundium verbi impersonalis, ut sit sensus :
potentia generandi est in Filio, idest, essentia divina per quam a Patre fit
generatio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la puissance d’engendrer, prise du côté par lequel elle est
rattachée à l’acte, inclut en elle la paternité ; et de ce point de vue
elle n’appartient pas au Fils. Mais prise du côté par lequel elle s’enracine
dans l’essence, elle n’inclut pas en elle la paternité et en ce sens elle
appartient au Fils, selon qu’engendrer est le gérondif d’un verbe
impersonnel, de sorte que le sens soit le suivant : la puissance
d’engendrer, à savoir l’essence divine par laquelle il y a génération par le
Père, est dans le Fils. |
7 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod potentia generandi non est nisi in Patre, secundum quod habet
rationem principii in se inclusam per modum paternitatis. Sed
alio modo potest esse in Filio, sicut dictum est. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la puissance d’engendrer n’est que dans le Père selon qu’elle a la
raison de principe incluse en elle par mode de paternité. Mais en un autre
sens elle peut être dans le Fils ainsi que nous l’avons dit. |
7 q. 2
a. 1 ad 3 Et ex his etiam quae dicta sunt patet solutio ad tertium. |
3. La solution à la troisième
difficulté devient elle aussi claire à partir de ce que nous avons dit. |
7 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod voluntas et scientia non habent rationem principii respectu
generationis Filii, qui procedit per modum naturae, sed tantum respectu
creaturarum, quae producuntur a Deo sicut artificiata ; sed potentia etiam
habet rationem principii ad generationem divinam, et ideo magis potest trahi
ad personale, ut sit proprium alicujus personae, quam scientia et voluntas. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la volonté et la science n’ont pas raison de principe à l’égard de
la génération du Fils, qui procède par mode de nature, mais seulement à
l’égard des créatures qui sont produites par Dieu à la manière
d’artefacts ; mais la puissance aussi a raison de principe par rapport à
la génération divine, et c’est pourquoi elle peut, plus que la science et la
volonté, être attribuée à ce qui est personnel de manière à être propre à une
personne. |
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Articulus 2 : 7 q. 2 a. 2 tit.
Utrum Filius possit generare alium Filium |
Article 2 – Le Fils peut-il engendrer un autre fils ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
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7 q. 2
a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius possit
generare Filium alium. Secundum enim potentiam non impeditam est aliquid
potens operari. Sed in Filio est aliquo modo potentia generandi, ut dictum
est, art. anteced. Cum igitur potentia Dei non possit impediri, videtur quod Filius
possit generare alium Filium. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils puisse
engendrer un autre Fils. En effet, c’est d’après une puissance qui n’est pas
empêchée qu’une chose peut produire son opération. Mais dans le Fils il y a
en un sens une puissance d’engendre ainsi que nous l’avons dit dans l’article
précédent. Donc, puisque la puissance de Dieu ne peut être empêchée, il
semble que le Fils puisse engendrer un autre Fils. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2
Praeterea, Filius est imago Patris perfecte repraesentans ipsum, secundum
perfectam similitudinem. Sed Pater potest generare. Ergo videtur quod etiam
Filius ; alias non perfecte assimilatur sibi. |
2. En outre, le Fils est une
image du Père qui Le représente parfaitement d’après une similitude parfaite.
Mais le Père peut engendrer. Il semble donc que le Fils le puisse aussi,
autrement il ne lui ressemblerait pas parfaitement. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3
Praeterea, quaecumque operatio est alicujus naturae communis, si est in uno
suorum suppositorum, est et in alio : sicut intelligere et ratiocinari
est operatio naturae humanae in Socrate et Platone. Sed
generatio est operatio divinae naturae in Patre. Ergo et in Filio. Videtur ergo quod Filius
possit generare Filium. |
3. De plus, toute opération
appartient à une nature commune, et si elle est dans l’un de ses suppôts,
elle est aussi dans l’autre : par exemple comprendre et raisonner sont
des opérations de la nature humaine qui se retrouvent à la fois dans Socrate
et Platon. Mais la génération est une opération de la nature divine dans le
Père. Elle est donc aussi dans le fils. Il semble donc que le Fils puisse
engendrer un autre Fils. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Item,
posse generare est aliquid dignitatis patris ; alias non esset proprietas
personalis. Sed nulla dignitas est in Patre quae non sit in Filio, cum sint
omnino aequales in dignitate. Ergo Filius potest generare. |
4. Par ailleurs, le pouvoir
d’engendrer est quelque chose qui appartient à la dignité du Père, autrement
il ne serait pas une propriété personnelle. Mais toute dignité qui est dans
le Père est aussi dans le Fils, puisqu’ils sont absolument égaux en dignité.
Donc, le Fils peut engendrer. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1
Contra, secundum Anselmum [Augustinum Éd. De Parme], minimum
inconveniens Deo est impossibile. Sed si Filius generaret Filium, sequeretur
in Deo inconveniens, quia ille Filius generaret alium, et sic in infinitum.
Ergo videtur quod Filius non possit generare. |
Cependant : 1. Selon Anselme
[Augustin Éd. de Parme], la plus petite incohérence est
impossible à Dieu. Mais si le Fils engendrait un Fils, il s’ensuivrait en Dieu
une incohérence car ce Fils engendrait un autre Fils et il en serait ainsi à
l’infini. Il semble donc que le Fils ne puisse engendrer. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2
Praeterea, si ille Filius generaret alium [si …alium om. Éd. De Parme]
non esset ibi summa unio et indistantia aequalis, quia Filius Deus
propinquius se haberet ad Filium quam ad Patrem, et hoc non videtur in
divinis competere. |
2. En outre, si ce Fils
engendrait un autre Fils [si…un autre om. Éd. de Parme], il n’y
aurait pas là la plus grande union et la plus parfaite intimité, car le Fils
de Dieu serait plus près du Fils que du Père, et cela ne semble pas que cela
puisse convenir aux personnes divines. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 3
Praeterea, qui non potest esse pater, non potest generare. Sed Filius non
potest esse pater, quia sequeretur confusio personarum. Ergo et cetera. |
3. Par ailleurs, celui qui ne
peut être le Père ne peut pas engendrer. Mais le Fils ne peut être le Père,
car il s’ensuivrait une confusion des Personnes. Le Fils ne peut donc engendrer
un autre Fils. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
|
7 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1
Ulterius quaeritur, utrum Pater possit generare alium Filium : et videtur
quod sic. Quia per generationem in nullo diminuitur ejus potentia. Ergo qua
ratione potest generare unum, potest et generare plures. |
On se demande par la suite si
le Père peut engendrer un autre Fils : et il semble qu’il en soit ainsi
pour cette raison que sa puissance n’est diminuée en rien par la génération.
Donc, pour la même raison qu’Il peut engendrer un seul Fils, il peut en
engendrer plusieurs. |
7 q. 2
a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam dixerunt quod Filius potest
generare alium Filium, sed ista potentia nunquam reducetur in actum propter
inconveniens, quod Augustinus inducit in littera. Sed hoc nihil est : quia in
perpetuis, secundum philosophum in III Phys., text. 32 non
differt esse et posse, et multo minus in divinis : unde quidquid non est in
Deo non potest esse ibi, alias Deus esset mutabilis. Unde dicendum
simpliciter, quod Filius non potest generare Filium. Et ratio hujus est, quia
ille Filius in nullo distingueretur ab alio. Cum enim personae divinae non
distinguantur secundum divisionem materiae, quia non sunt materiales, non
remanet ibi alia distinctio nisi per relationes originis. Impossibile est
autem quod una relatio originis, sicut filiatio, multiplicetur secundum
numerum, quia talis multiplicatio esset materialis. Unde in Deo non potest
esse nisi una filiatio, et una filiatione non constituitur nisi unus Filius ;
et ita in divinis non possunt esse plures Filii, nec plures Patres ; et hoc
pertinet ad perfectionem Filii, quia nihil de filiatione est extra ipsum in
divinis, unde est perfectus Filius. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que certains ont soutenu que le Fils peut engendrer un autre Fils mais que
cette puissance ne passe jamais à l’acte en raison d’une incohérence
qu’Augustin introduit dans une lettre. Mais il n’en est rien : car pour
ce qui est éternel, d’après le Philosophe [111 Physique, texte
32], il n’y a aucune différence entre l’existence et le pouvoir, et encore
moins chez les personnes divines : par conséquent, ce qui ne se retrouve
pas en Dieu ne peut se retrouver là, autrement Dieu serait sujet au
changement. C’est pourquoi il faut dire, à parler absolument, que le Fils ne
peut engendrer un autre Fils. Et la raison en est que ce Fils ne se
distinguerait en rien de l’autre. En effet, puisque les personnes divines ne
se distinguent pas d’après une division de la matière, car elles ne sont pas
matérielles, il ne se conserve pas là d’autre distinction que celle qui est
causée par les relations d’origine. Il est cependant impossible qu’une même
relation d’origine, par exemple la filiation, soit multipliée selon le
nombre, car une telle multiplication serait matérielle. C’est pourquoi en
Dieu il ne peut y avoir qu’une seule filiation, et par cette seule filiation
un seul Fils est constitué ; et ainsi dans les personnes divines il ne
peut y avoir plusieurs Fils et plusieurs Pères ; et cette unicité appartient
à la perfection du Fils, car il n’y a rien de la filiation qui soit en dehors
de Lui dans les personnes divines, d’où il suit qu’Il est le Fils parfait. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in Filio non est potentia generandi ; nisi secundum
quod radicatur in essentia, et non ex parte qua conjungitur actui generandi :
et ideo non sequitur quod sit actus ibi. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’il n’y a dans le Fils une puissance d’engendrer que selon
qu’elle s’enracine dans l’essence et non selon qu’elle se rattache à l’acte
d’engendrer : et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il y ait là un
acte. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ubicumque est similitudo, oportet quod ibi sit aliqua
distinctio : quia, secundum Boetium, lib. III in Porphyr. ‘De
l’espèce’, col. 99 in similitudo est rerum differentium eadem qualitas, alias
non esset similitudo, sed identitas. Unde inter Filium et Patrem salvatur
perfecta similitudo. Sed remanente distinctione, in omnibus attributis
conveniunt. Si autem Filius generaret non remaneret distinctio inter Patrem
et Filium, cum non sit ibi distinctio, nisi per relationes originis ; et non
possit ibi esse nisi una paternitas tantum, ut dictum est, in corp. art. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que partout où il y a ressemblance, il faut qu’il y ait là une
distinction : car, selon Boèce [111 Porphyre, De l’Espèce,
col. 99], dans la ressemblance il y a une qualité semblable pour des choses
différentes, autrement il n’y aurait pas similitude mais identité. C’est
pourquoi une parfaite ressemblance est conservée entre le Père et le Fils.
Mais, la distinction étant conservée, ils se ressemblent dans tous les
attributs. Mais si le Fils engendrait, la distinction entre le Père et le
Fils ne serait plus conservée puisqu’il n’y a là distinction que par les
relations d’origine : et il ne peut y avoir là qu’une seule paternité,
ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod generare non est actus divinae naturae, nisi secundum
quod natura divina est ipsa paternitas ; et sub tali ratione natura divina
non est in Filio. |
3. En troisième lieu il faut
dire qu’engendrer n’est l’acte de la nature divine que selon que la nature
divine est la paternité elle-même ; et sous ce rapport la nature divine
n’est pas dans le Fils. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod dignitas est de absolute dictis : et ideo eadem est
dignitas Patris et Filii numero, sicut eadem essentia. Unde sicut paternitas in
Patre est essentia, et eadem essentia est in Filio non paternitas, sed
filiatio ; ita eadem dignitas numero quae in Patre est paternitas, in Filio
est filiatio. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la dignité fait partie de ce qui se dit absolument : et c’est
pourquoi la dignité du Père et celle du Fils sont identiques par le nombre,
tout comme l’est leur essence. C’est pourquoi, tout comme la paternité dans
le Père est l’essence et que la même essence qui est dans le Fils n’est pas
la paternité mais la filiation, de même la même dignité par le nombre qui
dans le Père est paternité, dans le Fils est filiation. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3
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7 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad id
quod ulterius quaeritur, patet solutio etiam per praedicta ; quia impossibile
est in divinis plures esse filios : hoc enim non est ex defectu potentiae
patris, sed ex distinctione suppositorum divinae naturae, quae tolleretur, ut
dictum est, in corp. art. |
Corps de l’article : À l’égard de ce qu’on cherche
à savoir par la suite, la solution est évidente aussi au moyen de ce qui a
été dit précédemment ; car il est impossible qu’il y ait plusieurs fils
dans les personnes divines : et cela ne vient pas d’un défaut de
puissance de la part du Père, mais de la distinction des suppôts de la nature
divine qui serait supprimée, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
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Dictinctio 8 |
Distinction 8 – [Les attributs divins : être, éternité, immutabilité, simplicité] |
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Prooemium |
Prologue |
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Question 1 – [L’être de Dieu] Article 1 Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ? Article 2. Dieu est-il l'être de toutes les créatures ? Article 3. Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les noms divins ? Question 2 – [L’éternité de Dieu] Article 1. La définition de l'éternité donnée par Boèce convient-elle ? Article 2. L'éternité convient-elle à Dieu seulement ? Article 3. Est-ce que les paroles temporelles peuvent se dire de Dieu ? Question 3 – [L’immutabilité de Dieu] Article 1. Dieu est-il changeant de quelque manière ? Article 2. Toute créature est-elle changeante ? Article 3. Les modes de changement des créatures ont-ils été assignés convenablement par Augustin. Question 4 – [La simplicité de Dieu] Article 1. Dieu est-il tout à fait simple ? Article 2. Dieu est-il dans la catégorie de la substance ? Article 3. Est-ce que d'autres catégories que la substance peuvent se dire de Dieu ? Question 5 – [La simplicité des créatures] Article 1. Y a-t-il une créature qui soit simple ? Article 2. L'âme est-elle simple ? Article 3. L'âme est-elle toute en tout et toute en chaque partie ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L’être de Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Circa primam partem distinctionis, in qua agitur de
proprietate divini esse, duo quaeruntur: primo de ipso esse divino. Secundo de mensura ejus,
scilicet aeternitate. In primo tria quaeruntur: 1 utrum esse Deo proprie conveniat ; 2 utrum suum esse sit esse cujuslibet creaturae ; 3 de ordine hujus
nominis, qui est, ad alia divina nomina. |
Au sujet de la première
partie de la distinction, dans laquelle on traite de la propriété de
l’existence divine, on s’interroge sur deux choses : Premièrement sur l’existence
même de Dieu. Deuxièmement sur la mesure de
cette existence, à savoir l’éternité. Et sur le premier point on se
demande trois choses : 1. Est-ce que l’existence
appartient proprement à Dieu ? 2. Est-ce que son existence
est l’existence de toute créature ? 3. Quel est le rapport de ce
nom, ¨celui qui est¨, aux autres noms divins ? |
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Articulus 1. lib. 1 d. 8 q. 1
a. 1 tit. Utrum esse proprie dicatur de Deo. |
Article 1 – Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ? |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod esse non proprie dicatur de
Deo. Illud enim est proprium alicui quod sibi soli convenit. Sed esse non
solum convenit Deo, immo etiam creaturis. Ergo videtur quod esse non proprie
Deo conveniat. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de cette première question. Il semble que l’existence ne se dise pas
proprement de Dieu. En effet, ce qui est propre à un être n’appartient qu’à
lui. Mais l’existence n’appartient pas qu’à Dieu, mais bien aussi aux
créatures. Il semble donc que l’existence n’appartienne en propre à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, non possumus nominare Deum, nisi secundum quod ipsum cognoscimus ;
unde Damascenus lib. Fid. Orth., cap. XIII :
« Verbum est Angelus », idest nuntius intellectus. Sed nos non
possumus cognoscere Deum in statu viae immediate, sed tantum ex creaturis.
Ergo nec nominare. Cum igitur qui est non dicat aliquem respectum ad
creaturas, videtur quod non proprie nominet Deum. |
2. Par ailleurs, nous ne
pouvons nommer Dieu que d’après ce que nous connaissons de Lui ; c’est
pour cette raison que dans son livre, Damascène [De la Foi orthodoxe,
ch. XIII] dit : ¨L’Ange est une Parole¨, c’est-à-dire une intelligence
qui annonce ou fait connaître. Mais nous ne pouvons connaître Dieu de façon
immédiate dans l’état de la vie présente, mais seulement à partir des
créatures. Nous ne pouvons donc pas non plus le nommer. Donc, puisque ¨celui
qui est¨ ne dit rien par rapport aux créatures, il semble que ce nom ne se
dise pas proprement de Dieu. |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut sapientia creata deficit a sapientia
increata, ita et esse creatum ab esse increato. Sed propter hoc nomen
sapientiae dicitur deficere a perfecta significatione divinae sapientiae,
quia est impositum a nobis secundum apprehensionem creatae sapientiae. Ergo videtur quod eadem
ratione nec hoc nomen qui est, proprie significet divinum [Deum Éd.
de Parme] esse: et ita non oportet dici magis proprium nomen ejus quam
alia nomina. |
3. De plus, tout comme la
sagesse créée est fort éloignée de la sagesse incréée, de même l’existence
créée est fort éloignée de l’existence incréée. Mais c’est pour cette raison
qu’on dit que le nom de sagesse est loin de signifier parfaitement la sagesse
divine car il est imposé par nous d’après une compréhension de la sagesse
créée. Il semble donc pour la même raison que ce nom, à savoir ¨celui qui
est¨, ne signifie pas proprement l’existence divine [Dieu, Éd. de
Parme]. |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, Damascenus lib. I, Fid. Orth., cap. 9, dicit, quod « qui
est » non significat quid est Deus, sed quoddam pelagus substantiae
infinitum. Sed infinitum non est comprehensibile, et per consequens non
nominabile sed ignotum. Ergo videtur quod qui est non sit divinum nomen. |
4. En outre, Damascène [Livre 1, De la Foi
Orthodoxe, ch. 9] dit que ¨celui qui est¨ ne signifie pas ce qu’est Dieu
mais comme une mer de substance infinie. Mais l’infini n’est pas intelligible
et il ne peut par conséquent être nommé mais seulement rester inconnu. Il
semble donc que ¨celui qui est¨ ne soit pas un nom divin. |
lib. 1 d. 8
q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Exod. III, 14, Dixit Dominus [Deus Éd.
de Parme] ad Moysen: si quaesierint nomen meum, sic dices filiis
Israel: Qui est, misit me ad vos. Hoc idem videtur per Damascenum ubi
supra, cap. IX, dicentem quod qui est, maxime est proprium nomen
Dei: et per Rabbi Moysen, qui dicit, hoc nomen esse nomen Dei ineffabile,
quod dignissimum habebatur. |
Cependant : 1. On lit dans l’Exode (111,
14) que le Seigneur dit à Moïse : S’ils te demandent mon nom, tu
parleras ainsi aux fils d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous.
Cette parole semble être identique à ce que dit Damascène plus haut au
chapitre 1X où il dit que ¨celui qui est¨ est le nom qui se dit le plus
proprement de Dieu, et identique aussi à ce que dit le rabbi Moïse qui dit
que ce nom est le nom ineffable de Dieu et le plus digne qu’on possédait. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod qui est, est maxime proprium nomen Dei
inter alia nomina. Et ratio hujus potest esse quadruplex: prima sumitur ex
littera ex verbis Hieronymi secundum perfectionem divini esse. Illud enim est
perfectum cujus nihil est extra ipsum. Esse autem nostrum habet aliquid sui
extra se: deest enim aliquid quod jam de ipso praeteriit, et quod futurum
est. Sed in divino esse nihil praeteriit nec futurum est: et ideo totum esse
suum habet perfectum, et propter hoc sibi proprie respectu aliorum convenit
esse. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que ¨celui qui est¨ est le nom qui, parmi tous les autres noms, s’attribue le plus proprement à Dieu. Et on peut le montrer au moyen de quatre raisons. La première se tire du texte à partir des paroles de Jérôme sur la perfection de l’existence divine. Est parfait en effet ce dont rien n’est en dehors de lui. Mais notre existence a quelque chose qui est en dehors d’elle : elle manque en effet de quelque chose qui lui échappe encore à présent et qui est dans l’avenir. Mais rien ne manque à l’existence divine et qui est dans l’avenir : et c’est pourquoi il possède toute son existence dans sa perfection, et c’est pour cette raison que l’existence, parmi tous les autres noms, est le nom qui lui convient en propre. |
Secunda
ratio sumitur ex verbis Damasceni lib. I Fid. Orth., cap. IX),
qui dicit, quod qui est significat esse indeterminate, et
non quid est: et quia in statu viae hoc tantum de ipso cognoscimus, quia est,
et non quid est, nisi per negationem, et non possumus nominare nisi secundum
quod cognoscimus, ideo propriissime nominatur a nobis « qui est ». |
La deuxième raison se tire
des paroles de Damascène [1, De la Foi Orthodoxe, ch. 1X], qui
dit que ¨celui qui est¨ signifie l’existence d’une manière indéterminée et
non pas ce qu’est la chose : et parce que dans l’état de la vie présente
nous connaissons de Lui seulement qu’Il est et non ce qu’Il est, sauf par la
négation, et que nous ne pouvons le nommer que d’après ce que nous en connaissons,
c’est pourquoi nous nommons Dieu de la manière la plus propre qui soit par ce
nom : ¨celui qui est¨. |
Tertia ratio sumitur ex verbis
Dionysii, qui dicit, quod esse inter omnes alias divinae bonitatis
participationes, sicut vivere et intelligere et hujusmodi, primum est, et
quasi principium aliorum, praehabens in se omnia praedicta, secundum quemdam
modum unita ; et ita etiam Deus est principium divinum, et omnia sunt unum in
ipso. |
La troisième raison se tire
des paroles de Denys qui dit que l’existence, parmi toutes les autres
participations de la bonté divine, comme vivre, comprendre etc., est la
première et comme le principe de toutes les autres, possédant à l’avance en
elle, unies d’après une certaine modalité, toutes les autres dont nous avons
parlé ; et c’est pourquoi encore Dieu est le principe divin et que
toutes les choses existent en Lui dans l’unité. |
Quarta ratio potest sumi ex
verbis Avicennae, Metaph., tract. VIII, cap. 1, in hunc
modum, quod, cum in omni quod est sit considerare quidditatem suam, per quam
subsistit in natura determinata, et esse suum, per quod dicitur de eo quod
est in actu, hoc nomen res imponitur rei a quidditate sua, secundum Avicennam
tract. II Metaph, cap. 1, hoc nomen qui est vel ens imponitur ab
ipso actu essendi. Cum autem ita sit quod in qualibet re creata essentia sua
differat a suo esse, res illa proprie denominatur a quidditate sua, et non ab
actu essendi, sicut homo ab humanitate. In Deo autem ipsum esse suum est sua
quidditas: et ideo nomen quod sumitur ab esse, proprie nominat ipsum, et est
proprium nomen ejus: sicut proprium nomen hominis quod sumitur a quidditate
sua. |
La quatrième raison peut se
tirer des paroles d’Avicenne [Métaphysique, traité VIII,
ch. 1] de la manière qui suit, à savoir que puisque dans tout ce qui existe
il faut considérer la quiddité, par laquelle la chose existe dans une nature
déterminée, puis l’existence par laquelle on dit d’elle qu’elle existe en
acte, selon Avicenne [Métaphysique, traité 11, ch. 1] le nom ¨chose¨ est imposé
à la chose en partant de sa quiddité, alors que ce nom ¨qui est¨ ou ¨étant¨
lui est imposé à partir de l’acte même d’exister. Mais puisque toute chose
créée est telle que son essence diffère de son existence, cette chose est
proprement dénommée à partir de sa quiddité, comme l’homme qui est dénommé à
partir de son humanité, et non à partir de son acte d’exister. Mais en Dieu
son existence même est sa quiddité : et c’est pourquoi le nom qui est
tiré de l’existence Le nomme proprement et est son nom propre, tout comme le
nom propre de l’homme est celui qui se tire de sa quiddité. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod cum dicitur aliquid proprie convenire alicui, hoc
potest intelligi dupliciter: aut quod per proprietatem excludatur omne extraneum
a natura subjecti, ut cum dicitur proprium hominis esse risibile, quia nulli
extraneo a natura hominis convenit ; et sic esse non dicitur proprium Deo,
quia convenit etiam creaturis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsqu’on dit que quelque chose appartient en propre à un
être, cela peut s’entendre de deux manières : soit par ¨propre¨ on
exclut tout ce qui est extérieur à la nature du sujet, comme lorsqu’on dit
que la capacité de rire est le propre de l’homme, car cette capacité ne se
retrouve nulle part à l’extérieur de la nature humaine ; et en ce sens
l’existence ne s’attribue pas proprement à Dieu car elle appartient aussi aux
créatures. |
Aut secundum quod excluditur
omne extraneum a natura praedicati, ut cum dicitur, hoc proprie esse aurum,
quia non habet admixtionem alterius metalli, et hoc modo esse dicitur
proprium Deo, quia non habet admixtionem divinum esse alicujus privationis
vel potentialitatis, sicut esse creaturae. Et ideo pro eodem in littera
sumitur proprietas et veritas: verum enim aurum dicimus esse quod est
extraneo impermixtum. |
Soit par propre on exclut
tout ce qui est extérieur à la nature du prédicat, comme lorsqu’on dit que
cela est proprement de l’or car aucun autre métal ne s’y trouve mélangé et
c’est en ce sens que l’existence se dit proprement de Dieu, car l’existence
divine ne se trouve mélangée à aucune privation et à aucune potentialité,
comme c’est le cas pour les créatures. Et c’est pourquoi dans le document
¨propriété¨ et ¨vérité¨ sont pris comme des termes identiques : nous
disons en effet qu’est vrai l’or qui n’est mélangé à aucun métal étranger. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex creaturis contingit Deum nominari
tripliciter. Uno modo quando nomen
ipsum actualiter connotat effectum in creatura propter relationem ad
creaturam importatam in nomine, sicut creator et dominus. Alio modo quando ipsum
nomen nominat secundum suam rationem principium alicujus actus divini in
creaturis, sicut sapientia, potentia et voluntas. Alio modo quando
ipsum nomen dicit aliquid repraesentatum in creaturis, sicut vivens: omnis
enim vita exemplata est a vita divina. Et similiter hoc nomen qui est nominat
Deum per esse inventum in creaturis, quod exemplariter deductum est ab ipso. |
2. Il faut dire en troisième
que c’est de trois manières qu’il arrive de nommer Dieu à partir des
créatures. Premièrement quand le nom
lui-même fait actuellement connaître un effet dans la créature en raison
d’une relation à la créature qui est introduite dans le nom, comme c’est le
cas pour créateur et seigneur. Deuxièmement lorsque le nom
lui-même se trouve à nommer d’après sa signification le principe d’un acte
divin dans les créatures, comme la sagesse, la puissance et la volonté. Enfin, quand le nom lui-même
signifie quelque chose qui est représenté dans les créatures, comme le terme
¨vivant¨ : en effet, toute vie qui est copiée dans les créatures
provient de la vie divine. Et il en est de même pour ce nom, à savoir ¨celui
qui est¨ : ce nom en effet dénomme Dieu au moyen de l’existence
découverte dans les créatures, existence qui est tirée de Lui à la manière
dont une copie est tirée d’un modèle. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod cum esse creaturae imperfecte repraesentet divinum
esse, et hoc nomen qui est imperfecte significat ipsum, quia
significat per modum cujusdam concretionis et compositionis ; sed adhuc
imperfectius significatur per alia nomina: cum enim dico, Deum esse
sapientem, tunc, cum in hoc dicto includatur esse, significatur ibi duplex
imperfectio: una est ex parte ipsius esse concreti, sicut in hoc nomine qui
est ; et superadditur alia ex propria ratione sapientiae. Ipsa enim
sapientia creata deficit a ratione divinae sapientiae: et propter hoc major
imperfectio est in aliis nominibus quam in hoc nomine qui est ;
et ideo hoc est dignius et magis Deo proprium. |
3. Il faut dire en troisième lieu que puisque l’existence
de la créature représente imparfaitement l’existence divine et que le nom
¨celui qui est¨ Le signifie imparfaitement car il signifie par mode de
concrétion et de composition ; mais les autres noms Le signifient encore
plus imparfaitement : en effet, lorsque je dis que Dieu est sage, alors,
puisque dans ce qui est dit est inclut ¨être¨, il y a là deux imperfections
qui sont signifiées : une qui se tient du côté de l’existence concrète,
comme pour ce nom, à savoir ¨celui qui est¨ ; et il s’en ajoute une
autre du côté de la signification propre de la sagesse. En effet, la sagesse
créée elle-même est fort éloignée de la signification de la sagesse
divine : et c’est pour cette raison qu’il y a une plus grande
imperfection dans les autres noms que dans le nom ¨celui qui est¨ ; et
c’est pourquoi ce nom est le plus digne et celui qui appartient le plus
proprement à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod alia omnia nomina dicunt aliam rationem determinatam
[esse determinatum et particulatum Éd. de Parme] ; sicut sapiens
dicit aliquid esse ; sed hoc nomen qui est dicit esse
absolutum et indeterminatum per aliquid additum ; et ideo dicit Damascenus
quod non significat quid est Deus, sed significat quoddam pelagus substantiae
infinitum, quasi non determinatum. Unde quando in Deum procedimus per viam
remotionis, primo negamus ab eo corporalia ; et secundo etiam intellectualia,
secundum quod inveniuntur in creaturis, ut bonitas et sapientia ; et tunc
remanet tantum in intellectu nostro, quia est, et nihil amplius: unde est
sicut in quadam confusione. Ad ultimum autem etiam hoc ipsum esse, secundum
quod est in creaturis, ab ipso removemus ; et tunc remanet in quadam tenebra
ignorantiae, secundum quam ignorantiam, quantum ad statum viae pertinet,
optime Deo conjungimur, ut dicit Dionysius, et haec est quaedam caligo, in
qua Deus habitare dicitur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que les autres noms expriment une autre signification déterminée [une
existence déterminée et particulière Éd. de Parme] ; par
exemple, le terme sage dit quelque chose qui existe ; mais le nom ¨celui
qui est¨ dit une existence absolue et qui n’est pas déterminée par quelque
chose d’ajouté ; et c’est pourquoi Damascène dit que ce terme ne
signifie pas ce qu’est Dieu, mais qu’il signifie comme une mer de substance
infinie et comme indéterminée. De là, lorsque nous nous avançons vers Dieu
par voie de négation, nous nions d’abord de Lui les êtres corporels ;
deuxièmement nous nions aussi de Lui les réalités intellectuelles selon
qu’elles se retrouvent dans les créatures, comme la bonté et la
sagesse ; et alors il ne demeure plus dans notre intelligence que l’existence
et rien de plus : de là, il y a en elle comme un manque de distinction.
Mais à la fin aussi, cette existence même, selon qu’elle se retrouve dans les
créatures, nous la nions de Lui ; et alors elle demeure dans l’obscurité
de l’ignorance, et c’est selon cette ignorance que nous nous unissons le
mieux à Dieu dans l’état de cette vie ainsi que le dit Denys, état qui se
compare comme à des ténèbres dans lesquelles Dieu habite. |
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Articulus 2 I Sent. D. 8, q. 1, a. 2 lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2
tit. Utrum Deus sit esse omnium rerum. |
Article 2 – Dieu est-il l'être de toutes les choses ? |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus sit esse
omnium rerum per id quod dicit Dionysius 4 capit. Caelest. Hierar.: Esse
omnium est superesse divinitatis. Hoc etiam idem dicit 5 capit. de
divinis nominibus: ipse Deus est esse existentibus. |
Difficultés : 1. À l’égard de cette
question il semble que Dieu soit l’être de toutes les choses au moyen de ce
que dit Denys [La Hiérarchie Céleste, ch. 4] : L’existence
de toutes les choses est la supra-existence de Dieu. Et il le dit encore
[Les Noms Divins, ch. 5] ici : C’est Dieu lui-même qui est
l’existence même de ceux qui existent. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, nulla creatura est per se sed per aliud. Esse autem non est per aliud, quia si esset per aliud
esse, iterum eadem quaestio esset de illo, et sic in infinitum procederet, et
ita videtur quod esse non sit quid causatum, et ita est Deus. |
2. En outre, aucune créature
n’existe par elle-même, mais plutôt par un autre. Mais l’existence ne vient
pas d’un autre car si l’existence venait d’une autre existence, il faudrait
encore se poser la même question au sujet de cette dernière existence et
ainsi on procéderait à l’infini ; et ainsi il semble que l’existence ne
soit pas quelque chose qui est causé et il en est ainsi de Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, ea quae sunt et nullo modo differunt, sunt idem. Sed Deus et esse
rei sunt et nullo modo differunt. Ergo sunt idem. Probatio mediae. Quod sint
manifestum est ; quod autem non differant, videtur. Quaecumque enim
differunt, aliqua differentia differunt. Sed quaecumque differunt aliqua
differentia, in se habent aliquam differentiam, et ita sunt composita ; sicut
homo habet in se rationale. Cum igitur esse sit simplex, et similiter Deus,
videtur quod non differant. |
3. De plus, les choses qui
existent et ne diffèrent en rien sont identiques. Mais Dieu et l’existence de
la chose existent et ne diffèrent en rien. Ils sont donc identiques. Preuve
de la mineure. Il est manifeste qu’elles existent ; mais qu’elles ne
diffèrent pas, il semble qu’il en soit ainsi. En effet, toutes les choses qui
diffèrent par quelque différence possèdent en elles une différence et les
réalités composées sont ainsi, tout comme l’homme qui a en lui cette
différence d’être rationnel. Donc comme l’existence est simple et qu’il en
est de même pour Dieu, il semble qu’ils ne diffèrent pas. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 1
Contra, nihil est magis in re quod sit unitum sibi quam esse suum. Sed Deus
non unitur rebus, quod patet etiam per philosophum Lib. De causis, (prop.
20): « Causa prima regit omnes res, praeterquam commisceatur cum eis ».
Ergo Deus non est omnium esse. |
Cependant : 1. Il n’y a rien dans la chose qui ne lui soit plus uni que son existence même. Mais Dieu n’est pas uni aux choses, ce qui est clair encore au moyen de ce qui est dit par le Philosophe [Le Livre des Causes, prop. 20] : la cause première gouverne toutes les choses, excepté qu’elle ne se mélange pas avec elles. Donc, Dieu n’est pas l’existence de toutes les choses. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, nihil habet esse, nisi inquantum participat divinum esse, quia
ipsum est primum ens, quare causa est omnis entis. Sed omne quod est
participatum in aliquo, est in eo per modum participantis: quia nihil potest
recipere ultra mensuram suam. Cum igitur modus cujuslibet rei creatae sit
finitus, quaelibet res creata recipit esse finitum et inferius divino esse
quod est perfectissimum. Ergo constat quod esse creaturae, quo est
formaliter, non est divinum esse. |
2. En outre, aucun être ne
possède une existence, si ce n’est dans la mesure il participe de l’existence
divine, car Dieu lui-même est le premier à exister, et c’est pourquoi il est
la cause de tout être. Mais tout ce qui est participé dans un être est en lui
selon le mode de celui-là même qui en participe : car aucun être ne peut
recevoir une participation au-dela de la mesure qui lui est propre. Donc
puisque le mode de toute chose créée est fini, toute chose créée reçoit une
existence finie et inférieure à l’existence divine, laquelle est la plus
parfaite qui soit. Il est donc clair que l’existence de la créature, par
laquelle elle existe formellement, n’est pas l’existence divine. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 co.
Respondeo, sicut dicit Bernardus, Sermo,4 super Cant.,
Deus est esse omnium non essentiale, sed causale. Quod sic patet. Invenimus
enim tres modos causae agentis. Scilicet causam aequivoce agentem, et hoc est
quando effectus non convenit cum causa nec nomine nec ratione: sicut sol
facit calorem qui non est calidus. |
Corps de l’article : Je réponds, comme le dit
Bernard [Sermon 4 sur le Cantique], que Dieu est l’existence de toutes les
choses, non pas comme faisant partie de leur essence, mais à la manière d’une
cause. Ce qui est clair de la manière qui suit. Nous retrouvons en effet
trois modalités d’opération pour la cause efficiente : à savoir la cause
qui est efficiente de manière équivoque, et cela a lieu lorsque l’effet ne
s’accorde avec sa cause ni par le nom ni par la définition, tout comme le
soleil qui rend chaud, lui qui n’est pas chaud. |
Item causam univoce agentem,
quando effectus convenit in nomine et ratione cum causa, sicut homo generat
hominem et calor facit calorem. Neutro istorum modorum Deus agit. Non univoce
quia nihil univoce convenit cum ipso. Non aequivoce, cum effectus et causa
aliquo modo conveniant in nomine et ratione licet [licet om. Éd. de
Parme] secundum prius et posterius ; sicut Deus sua sapientia facit nos
sapientes, ita tamen quod sapientia nostra semper deficit a ratione
sapientiae suae, sicut accidens a ratione entis, secundum quod est in
substantia. |
Il y a encore la cause qui
est efficiente de manière univoque quand l’effet s’accorde avec sa cause à la
fois par le nom et par la définition, comme l’homme qui engendre un homme et
la chaleur qui produit la chaleur. Mais Dieu n’agit selon aucun de ces modes.
Il n’agit pas de manière univoque car rien ne lui correspond de manière
univoque. Et il n’agit pas de manière équivoque, puisque la cause et l’effet
correspondent d’une certaine manière par le nom et par la définition, bien
[bien om. Éd. de Parme] que ce soit selon l’avant et
l’après ; par exemple Dieu par sa sagesse nous fait sages de telle
manière cependant que notre sagesse est toujours en défaut à l’égard de la
définition de sa sagesse à Lui, tout comme l’accident est en défaut à l’égard
de la définition de ce qui possède l’existence, selon qu’il existe dans une
substance. |
Unde est tertius modus causae
agentis analogice. Unde patet quod divinum esse producit esse creaturae in
similitudine sui imperfecta: et ideo esse divinum dicitur esse omnium rerum,
a quo omne esse creatum effective et exemplariter manat. |
Il y a enfin la cause
efficiente qui agit de manière analogue. De là il est clair que l’existence
divine produit l’existence des créatures selon une ressemblance imparfaite de
sa propre existence : et c’est pourquoi on dit de l’existence de Dieu,
de laquelle toute existence des créatures provient comme d’une cause efficiente
et d’un modèle, qu’elle est l’existence de toutes les choses. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 ad 1 Et
per hoc patet solutio ad dictum Dionysii, quod ita intelligendum est, ut
patet ex hoc quod dicit superesse: si enim Deus esset
essentialiter esse creaturae, non esset superesse creatum. |
Solutions : 1. Et au moyen de ce que nous
avons dit la solution aux paroles de Denys devient évidente, à savoir
qu’elles doivent s’entendre de la manière suivante ainsi qu’on le voit à
partir de cette expression : supra-existence ; si en
effet Dieu était essentiellement l’existence des créatures, il ne
transcenderait pas l’existence créée. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod esse creatum non est per aliquid aliud, si ly per
dicat causam formalem intrinsecam ; immo ipso formaliter est creatura ; si
autem dicat causam formalem extra rem, vel causam effectivam, sic est per
divinum esse et non per se. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’existence créée n’existe pas par quelque chose d’autre si par ce
¨par¨ on signifie une cause formelle intrinsèque ; bien au contraire
cette existence est formellement par elle-même la créature ; mais si
elle signifie une cause formelle extérieure à la chose ou une cause
efficiente, en ce sens l’existence créée existe par l’existence divine et non
par elle-même. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod prima non sunt diversa nisi per seipsa: sed ea quae
sunt ex primis, differunt per diversitatem primorum ; sicut homo et asinus
differunt istis differentiis diversis, rationale et irrationale, quae non
diversificantur aliis differentiis, sed seipsis: ita etiam Deus et esse
creatum non differunt aliquibus differentiis utrique superadditis, sed
seipsis: unde nec proprie dicuntur differre, sed diversa esse: diversum enim est
absolutum, sed differens est relatum, secundum philosophum 10 Metaph.
Text. 13. Omne enim differens, aliquo differt ; sed non omne diversum, aliquo
diversum est. |
3. Il faut dire en troisième lieu que les différences qui sont premières ne diffèrent entre elles que par elles-mêmes ; mais les choses qui proviennent de celles qui sont premières diffèrent entre elles par les différences des premières ; par exemple, l’homme et l’âne diffèrent par ces différences, à savoir rationnel et irrationnel, lesquelles ne se distinguent plus par d’autres différences, mais par elles-mêmes : de même encore Dieu et l’existence des créatures ne diffèrent pas par des différences qui s’ajoutent à l’un et à l’autre, mais ils diffèrent par eux-mêmes : c’est pourquoi on ne dit pas à proprement parle qu’ils diffèrent, mais qu’ils sont autres ou divers ; en effet, le divers se prend absolument alors que le différent se prend relativement, selon le Philosophe [10 Métaphysique, texte 13]. En effet, tout ce qui est différent diffère par quelque chose, mais ce n’est pas tout ce qui est autre ou divers qui est divers par quelque chose d’autre. |
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Articulus 3lib. 1 d. 8 q. 1 a.
3 tit. Utrum hoc nomen qui est sit primum inter nomina divina. |
Article 3 – Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les noms divins ? |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur enim quod hoc nomen
qui est non sit primum inter divina nomina. De prioribus enim prius est
agendum. Sed Dionysius prius agit de bono in Lib. De divinis nominibus, quam
de existente. Ergo videtur bonum prius esse ente. |
Difficultés : 1. Il semble que ce nom, ¨celui qui est¨, ne soit pas le premier parmi tous les noms divins. En effet, il faut traiter en premier lieu de ce qui est premier. Mais Denys traite du bien avant de traiter de l’existence dans le livre intitulé Les Noms Divins. Il semble donc que le bien soit antérieur à l’être. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, illud quod est communius videtur esse prius. Sed bonum est
communius quam ens: quia divinum esse extendit se tantum ad entia quae esse
participant ; bonum autem extendit se ad non entia, quae etiam in esse vocat:
dicitur enim bonum a boare, quod est vocare, ut Commentator dicit Super Lib.
de ‘Divin. Nominib. c. IV. Ergo bonum est prius quam ens. |
2. En outre, ce qui est plus
commun semble être antérieur. Mais le bien est plus commun que l’être :
car l’existence divine s’étend seulement aux êtres qui participent de
l’existence ; mais le bien s’étend aussi à ce qui n’existe pas encore et
qu’il appelle aussi à exister : le bien en effet tire son origine du
terme ¨boare¨ qui signifie ¨appeler¨, ainsi que le Commentateur le
dit [Sur le Libre des Noms Divins, ch. IV]. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, quaecumque sunt aequalis simplicitatis, unum non est prius altero.
Sed ens, verum, bonum, et unum sunt aequalis simplicitatis: quod patet ex hoc
quod ad invicem convertuntur. Ergo unum non est altero prius. |
3. De plus, parmi tout ce qui
est d’une égale simplicité, on ne peut rien trouver qui serait antérieur au
reste. Mais l’être, le vrai, le bien et l’un sont d’une égale
simplicité : ce qui est clair du fait qu’ils se convertissent entre eux.
Aucun de ces termes n’est donc antérieur à l’autre. |
lib. 1 d. 8
q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, secundum Dionysium, De divin. Nom., cap.1, § 4, divina attributa
non innotescunt nobis nisi ex eorum participationibus, quibus a creaturis
participantur. Sed inter omnes alias participationes esse prius est, ut
dicitur 5 cap. De div. nom. his verbis: ante alias ipsius,
scilicet Dei, participationes, esse positum est. Cui etiam dictum
philosophi consonat Lib. De causis, prop. 4, prima rerum
creatarum est esse. Ergo videtur quod, secundum rationem intelligendi, in
Deo esse sit ante alia attributa, et qui est inter alia
nomina. |
Cependant : 1. D’après Denys [Les Noms
Divins, ch. 1, &4], les attributs divins ne nous deviennent connus
qu’à partir de leurs participations dont les créatures participent. Mais
parmi toutes les participations, l’existence est première, ainsi que Denys le
dit [Les Noms Divins, ch. 5] par ces paroles : avant ses (à
savoir celles de Dieu) autres participations, Il attribua l’existence.
Et l’opinion du Philosophe s’accorde aussi avec cet énoncé [Le Livre des
Causes, prop. 4] : la première des choses créées est l’existence. Il
semble donc que, d’après la raison d’intelligibilité, l’existence en Dieu est
le premier de tous les attributs et ¨celui qui est¨ est le premier de tous
les noms divins. |
Praeterea, illud quod est
ultimum in resolutione, est primum in esse. Sed ens, ultimum est in
resolutione intellectus : quia remotis omnibus aliis, ultimo remanet
ens. Ergo est primum naturaliter. |
2. En outre, ce qui est
dernier dans la résolution est premier dans l’existence. Mais l’être est
dernier dans la résolution de l’intelligence car si on écarte tout le reste,
en dernier il ne reste plus que l’être. L’être est donc premier par nature. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ista
nomina, ens et bonum, unum et verum, simpliciter secundum rationem intelligendi
praecedunt alia divina nomina: quod patet ex eorum communitate. Si autem
comparemus ea ad invicem, hoc potest esse dupliciter: vel secundum suppositum ; et sic convertuntur ad invicem,
et sunt idem in supposito, nec unquam derelinquunt se ; vel secundum intentiones eorum ; et sic simpliciter et
absolute ens est prius aliis. Cujus ratio est, quia ens
includitur in intellectu eorum, et non e converso. Primum enim quod cadit in
imaginatione intellectus, est ens, sine quo nihil potest apprehendi ab
intellectu ; sicut primum quod cadit in credulitate intellectus, sunt
dignitates, et praecipue ista, contradictoria non esse simul vera: unde omnia
alia includuntur quodammodo in ente unite et distincte [indistincte Éd.
de Parme], sicut in principio ; ex quo etiam habet quamdam decentiam ut
sit propriissimum divinum nomen. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que ces noms, à savoir l’être et le bien, l’un et le vrai, précèdent
absolument selon la raison d’intelligibilité les autres noms divins : ce
qui est évident à partir de leur universalité. Mais si nous les comparons
entre eux, cela peut se faire de deux manières : soit d’après le suppôt,
et ainsi ils se convertissent entre eux et ils sont identiques dans le suppôt
et ne se séparent jamais ; soit d’après leurs significations et alors
l’être est simplement et absolument antérieur aux autres noms. La raison en est que l’être
est inclut dans la signification des autres noms mais l’inverse n’est pas
vrai. En effet, la première représentation qui tombe dans l’intelligence,
sans laquelle rien ne peut être saisi par cette dernière, est l’être ;
tout comme les ¨dignités¨, et surtout celle qui pose que les contradictoires
ne peuvent être vraies simultanément, sont ce à quoi en premier
l’intelligence donne son adhésion. Par conséquent, toutes les autres notions
sont contenues d’une certaine manière dans la notion d’être sous le mode de
l’unité et de l’indétermination, comme dans un principe ; d’où il
convient encore que ce nom soit celui qui appartienne le plus proprement à
Dieu. |
Alia vero quae diximus,
scilicet bonum, verum et unum, addunt super ens, non quidem naturam aliquam,
sed rationem: sed unum addit rationem indivisionis ; et propter hoc est
propinquissimum ad ens, quia addit tantum negationem: verum autem et bonum
addunt relationem quamdam ; sed bonum relationem ad finem, verum relationem
ad formam exemplarem ; ex hoc enim unumquodque verum dicitur quod imitatur
exemplar divinum, vel relationem ad virtutem cognoscitivam ; dicimus enim
verum aurum esse, ex eo quod habet formam auri quam demonstrat, et sic fit
verum judicium de ipso. Si autem considerentur secundum rationem
causalitatis, sic bonum est prius: quia bonum habet rationem causae finalis,
esse autem rationem causae exemplaris et effectivae tantum in Deo: finis
autem est prima causa in ratione causalitatis. |
Mais les autres noms que nous
Lui attribuons, à savoir le bien, le vrai et l’un, ajoutent à la notion
d’être non pas certes une certaine nature, mais un aspect de raison, une
notion : or l’un ajoute la notion d’indivisibilité et c’est pour cette
raison que cette notion est la plus proche de la notion d’être, car elle
n’ajoute que la négation ; mais le vrai et le bien ajoutent une certaine
relation : le bien ajoute une relation à la fin alors que le vrai ajoute
une relation à la forme exemplaire, du fait que tout ce qui est vrai imite le
modèle divin, ou une relation à la puissance cognitive : nous disons en
effet que l’or est vrai du fait qu’il possède vraiment la forme de l’or qu’il
manifeste extérieurement et qu’ainsi le jugement qu’on porte sur lui devient
vrai. Mais si on considère ces notions sous le rapport de la causalité, alors
le bien est premier : car le bien a raison de cause finale alors que
l’être a raison de cause exemplaire et efficiente seulement en Dieu ;
mais la fin est la première cause sous le rapport de la causalité. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum dicendum, quod Dionysius tractat de divinis nominibus secundum quod
habent rationem causalitatis, prout scilicet manifestantur in participatione
creaturarum ; et ideo bonum ante existens determinat. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que Denys traite des noms divins selon qu’ils ont raison de causalité,
c’est-à-dire dans la mesure où ils se manifestent dans la participation des
créatures ; et c’est pourquoi il traite du bien avant de traiter de
l’être ou de l’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod bonum est communius non secundum ambitum
praedicationis, quia sic convertitur cum ente, sed secundum rationem
causalitatis ; causalitas enim efficiens exemplaris extenditur tantum ad ea
quae participant formam actu suae causae exemplaris ; et ideo causalitas
entis, secundum quod est divinum nomen, extenditur tantum ad entia, et vitae
ad viventia ; sed causalitas finis extenditur etiam ad ea quae nondum
participant formam, quia etiam imperfecta desiderant et tendunt in finem
[nondum participantia rationem finis, quia sunt in via ad eum add.
Éd. de Parme]. Vocat enim Dionysius non ens materiam propter privationem
adjunctam ; unde etiam dicit 4 cap. De div. nom. § 3,, quod ipsum
non existence [ens Éd. de Parme] desiderat bonum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le bien est plus commun non pas selon l’étendue de l’attribution car
alors il se convertit avec l’être, mais sous le rapport de la
causalité ; en effet, la causalité efficiente exemplaire s’étend
seulement aux choses qui participent en acte de la forme de leur cause
exemplaire ; et c’est pourquoi la causalité de l’être, selon qu’il est
un nom divin, s’applique seulement à ce qui existe en acte, tout comme la
causalité de la vie s’applique seulement aux vivants ; mais la causalité
de la fin s’étend même aux choses qui ne participent pas encore de la forme,
car même ce qui est imparfait désire et tend vers la fin [qui ne participent
pas encore de la fin parce qu’ils sont encore en chemin vers elle add.
Éd. De Parme]. Denys en effet donne au non-être le nom de
matière en raison de la privation qui lui est rattachée ; c’est pourquoi
Denys [Les Noms Divins, ch. 4, & 3] dit aussi que même ce qui
n’existe pas [le non-être Éd. de Parme] désire le bien. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod convertuntur secundum suppositum considerata ; sed
tamen secundum intentionem, ens est simplicius et prius aliis, ut dictum est. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que ces notions se convertissent selon qu’on les considère dans le
suppôt ; mais selon leur signification, l’être possède une plus grande
simplicité et une priorité par rapport aux autres, ainsi que nous l’avons
dit. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’éternité divine] |
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Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 8 q. 2 pr. Deinde quaeritur de mensura divini
esse, quae est aeternitas ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 quid est aeternitas ; 2 cui conveniat ; 3
utrum de aeterno verba diversorum temporum praedicari possint. |
On s’interroge ensuite sur la mesure de l’existence de
Dieu qui est l’éternité ; et à ce sujet on pose trois questions : 1. Qu’est-ce que l’éternité ? 2. À qui appartient-elle ? 3. Est-ce que les verbes qui expriment les différents
temps peuvent être attribués à ce qui est éternel ? |
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Articulus 1lib. 1 d. 8 q. 2 a.
1 tit. Utrum definitio aeternitatis a Boetio posita, sit
conveniens. |
Article 1 – La définition de l’éternité donnée par Boèce convient-elle ? |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Et ponitur definitio aeternitatis a
Boetio, 5 de Consol.: aeternitas est interminabilis vitae tota simul
et perfecta possessio. Sed videtur quod ista definitio
inconvenienter assignetur. Interminabile enim dicit negationem. Sed negatio non certificat
aliquid. Ergo videtur quod in definitione aeternitatis poni non debeat. |
1. La définition de l’éternité présentée par Boèce [5 De la Consolation] est la suivante : la possession entière, parfaite et simultanée d’une vie sans terme. Mais il semble que cette définition ne soit pas assignée avec justesse. Sans terme en effet ne dit qu’une négation. Mais une négation ne fait pas connaître une chose avec certitude. Il semble donc que cela ne doive par entrer dans la définition de l’éternité. |
lib. 1 d. 8
q. 2 a. 1 arg. 2 Item, prima mensura respondet primo mensurato. Sed primum
inter mensurata est esse. Ergo videtur quod aeternitas, quae est prima
mensura, non debet definiri per vitam sed per esse. |
2. En outre la première
mesure correspond au premier mesuré. Mais l’existence est la première des
réalités à être mesurées. Il semble donc que l’éternité, qui est la première
mesure, ne doive pas être définie par la vie mais par
l’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 3
Item, simplex non habet mensuram, immo simplicissimo mensurantur omnia alia,
secundum philosophum, X Metaph., text. 3. Sed vita divina
est simplicissima. Ergo non respondet aliquid sibi in ratione mensurae, sed
ipsa habet rationem mensurae: et ita nec aeternitas, quae rationem mensurae
dicit. |
3. De plus, le simple n’a pas
de mesure, mais plutôt tout le reste est mesuré par ce qu’il y a de plus
simple d’après le Philosophe [X Métaphysique, texte 3]. Mais la
vie divine est ce qu’il y a de plus simple. Donc, rien ne lui correspond en
terme de mesure, mais c’est elle-même qui a raison de mesure : et ainsi
l’éternité, qui a raison de mesure, n’est pas sa mesure. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 4
Item, totum dicitur respectu partium. Sed de ratione durationis est quod
partes ejus non sint simul: quia impossibile est simul esse duas durationes,
nisi una includat aliam, sicut Augustinus dicit, XI De civitate
Dei, cap. VI.. Ergo videtur duo opposita dicere, cum
dicit, tota simul. |
4. Par ailleurs, le tout se dit par rapport aux parties. Mais il est de la nature même de la durée que ses parties ne soient pas simultanées : car il est impossible que deux durées soient simultanées, à moins que l’une soit contenue dans l’autre, ainsi que le dit Augustin [XI De la Cité de Dieu, ch. VI]. Il semble donc qu’on dise deux choses qui s’opposent lorsqu’on dit : entière et simultanée. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, totum includit in se rationem perfectionis. Ergo videtur quod perfecta superfluit. |
5. En outre, le tout implique
en lui-même la notion de perfection. Il semble donc que le terme parfait soit
de trop. |
lib. 1 d. 8
q. 2 a. 1 arg. 6 Item, aeternitas habet rationem durationis. Sed possessio nihil
dicit ad durationem pertinens. Ergo videtur quod non debet poni in definitione
aeternitatis, ad minus in recto, et sicut genus: quia quod sic ponitur in
definitione alicujus, debet dicere quid sit definitum. |
6. Par ailleurs, l’éternité a
raison de durée. Mais la possession ne dit rien qui se
rapporte à la durée. Il semble donc que ce terme ne doive pas être posé dans
la définition de l’éternité, au moins directement et comme un genre :
car ce qui est placé de cette manière dans la définition d’un défini doit
dire ce qu’est le défini. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod aeternitas dicitur quasi ens extra terminos. Esse
autem aliquod potest dici terminatum tripliciter: vel secundum durationem
totam, et hoc modo dicitur terminatum quod habet principium et finem ; vel ratione
partium durationis, et hoc modo dicitur terminatum illud cujus quaelibet pars
accepta terminata est ad praecedens et sequens ; sicut est accipere in motu ;
vel ratione suppositi in quo esse recipitur: esse enim recipitur in aliquo
secundum modum ipsius, et ideo terminatur, sicut et quaelibet alia forma,
quae de se communis est, et secundum quod recipitur in aliquo, terminatur ad
illud ; et hoc modo solum divinum esse non est terminatum, quia non est
receptum in aliquo, quod sit diversum ab eo. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’éternité se dit comme de l’être posé en dehors de termes. Mais on peut dire qu’une existence possède des termes de trois manières : Soit selon la durée totale et en ce sens une chose est dite avoir des termes lorsqu’elle a un commencement et une fin. Soit en raison des parties de la durée et en ce sens on dit qu’a des termes ce dont n’importe quelle partie qu’on prend est terminée par rapport à ce qui précède et à ce qui suit, tout comme on le fait pour le mouvement. Soit en raison du suppôt dans lequel l’existence est reçue : l’existence en effet est reçue dans une être selon le mode de cet être et c’est pourquoi elle se trouve ainsi à être déterminée comme toute autre forme qui de soi est commune, et c’est de la manière qu’elle est reçue dans un être que l’existence se trouve à être limitée ou déterminée à cet être ; et en ce sens seule l’existence divine n’est pas déterminée car elle n’est pas reçue dans quelque chose d’autre qui ne serait pas elle. |
Dico ergo, quod ad excludendam
primam terminationem, quae est principii et finis totius durationis,
ponitur, interminabilis vitae ; et per hoc dividitur
aeternum ab his quae generantur et corrumpuntur. |
Je dis donc que pour exclure
de la définition de l’éternité la première détermination, qui est celle du
début et de la fin de la durée totale, il dit : de la vie sans
terme ; et par là il se trouve à distinguer l’éternité des choses
qui sont engendrées et corrompues. |
Ad excludendum autem secundam
terminationem, scilicet partium durationis, additur, tota simul:
per hoc enim excluditur successio partium, pro qua unaquaeque pars finita est
et transit: et per hoc dividitur aeternum a motu et tempore, etiam si semper
fuissent et futura essent, sicut quidam posuerunt. |
Mais pour exclure la deuxième
détermination, à savoir celle des parties de la durée, il ajoute : entière
et simultanée ; par là en effet il écarte la succession des parties
en faveur de laquelle toute partie est finie et passagère : et par là
l’éternel se distingue du mouvement et du temps, même s’ils avaient toujours
existé et devaient toujours exister, ainsi que certains l’ont soutenu. |
Ad excludendum tertiam
terminationem, quae est ex parte recipientis, additur, perfecta:
illud enim in quo non est esse absolutum, sed terminatum per recipiens, non
habet esse perfectum sed illud solum quod est suum esse: et per hoc dividitur
esse aeternum ab esse rerum immobilium creatarum, quae habent esse
participatum, sicut spirituales creaturae. |
Pour écarter la troisième
délimitation qui se tient du côté de celui qui reçoit, il ajoute : parfaite ;
en effet, celui en qui l’existence n’est pas absolue mais limitée par celui
qui reçoit, ne possède pas une existence parfaite contrairement à celui qui
est son existence même : et par là l’existence éternelle se distingue de
l’existence des réalités immobiles créées qui possèdent une existence par
participation, comme les créatures spirituelles. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod simplicia, et praecipue
divina, nullo modo melius manifestantur quam per remotionem, ut dicit
Dionysius. Cujus ratio est, quia ipsorum esse intellectus perfecte non potest
comprehendere ; et ideo ex negationibus eorum quae ab ipso removentur,
manuducitur intellectus ad ea aliqualiter cognoscenda. Unde et punctus negatione
definitur. Et praeterea in ratione aeternitatis est quaedam negatio,
inquantum aeternitas est unitas, et unitas est indivisio, et hujusmodi non
possunt sine negatione definiri. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que les réalités qui sont simples, et surtout Dieu, ne peuvent en aucune manière être mieux manifestées que par la négation ainsi que le dit Denys. La raison en est que l’intelligence ne peut saisir parfaitement leur existence ; et c’est pourquoi, à partir des négations des choses qui sont écartées par elle, l’intelligence est conduite petit à petit vers celles qui sont à connaître jusqu’à un certain point. C’est pourquoi le point aussi est défini par la négation. Et de plus dans la notion d’éternité il y a une certaine négation, selon que l’éternité est une sorte d’unité et que l’unité est indivisible, et de telles notions ne peuvent être définies sans la négation. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod vivere hic large sumitur ad
omne esse secundum etiam quod Augustinus dicit, lib. II Contre Max., cap.
XII, col. 768, quod quaelibet mutatio creaturae, aliqua mors ejus est. Vel
dicendum, quod quia in illo qui solus habet aeternitatem, esse et vivere sunt
omnino idem ; ideo ratione ejus [actus, Éd. de Parme] in quo est
aeternitas, posuit aeternitatem mensuram vitae. |
2. En deuxième lieu il faut
dire que vivre se prend ici au sens large pour tout ce qui existe selon ce
qu’en dit encore Augustin [Livre 11 Contre Max., ch. XII, col.
768], à savoir que tout changement dans la créature est pour elle une
certaine mort. Ou bien il faut dire que parce dans celui-là seul qui possède
l’éternité, exister et vivre sont absolument identiques, c’est pourquoi il
affirmé que l’éternité est la mesure de la vie en raison de celui [de
l’acte Éd. de Parme] dans lequel se trouve l’éternité. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod vivere et esse dicuntur per modum actus ; et quia
cuilibet actui respondet mensura sua, ideo oportet ut divino esse et vitae
divinae intelligatur adjacere aeternitas, quasi mensura ; quamvis realiter
non sit aliud a divino esse ; et quia vivere magis habet rationem actus etiam
[etiam om. Éd. de Parme] quam esse, ideo forte definit
aeternitatem per vitam potius quam per esse. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que vivre et exister se dire à la manière d’un acte ; et parce qu’à
tout acte correspond sa mesure, c’est pourquoi il faut que l’éternité soit
comprise comme accompagnant, comme une mesure, l’existence divine
et la vie divine ; bien qu’en réalité l’éternité ne diffère pas
de l’existence divine ; et parce que vivre a davantage raison d’acte
encore [encore om. Éd. de Parme] qu’exister, c’est pourquoi
peut-être il définit l’éternité par la vie plutôt que par l’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod in successivis est duplex imperfectio: una ratione
divisionis, alia ratione successionis, quia una pars non est cum alia parte ;
unde non habent esse nisi secundum aliquid sui. Ut autem excludatur omnis
imperfectio a divino esse, oportet ipsum intelligere sine aliqua divisione
partium perfectum, et hoc dicit nomen ‘tota’: non enim dicit rationem
partium. Item oportet ipsum intelligere sine successione, et hoc notatur
[importatur Éd. de Parme] per adverbium simul. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que dans la succession il y a une double imperfection ; la première
imperfection est en raison de la division alors que la deuxième est en raison
de la succession, car une partie n’est pas avec l’autre partie ; c’est
pourquoi elles ne possèdent l’existence que partiellement. Mais pour écarter
toute imperfection de l’existence divine, il faut la comprendre comme
parfaite sans aucune division de ses parties, et c’est ce que veut signifier
¨entière¨ : ce terme en effet ne dit pas la notion de parties. En
outre il faut comprendre cette existence sans aucune sucession, et cela est
signifié [introduit Éd. de Parme] par l’adverbe ¨simultanément¨ |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod imperfectio esse potest considerari dupliciter. Vel
quantum ad durationem ; et sic dicitur esse imperfectum cui deest aliquid de
spatio durationis debitae ; sicut dicimus vitam hominis qui moritur in
pueritia, imperfectam vitam ; et talis imperfectio tollitur per ly tota. Est
etiam quaedam imperfectio quantum ad modum habendi, sicut omnis creatura
habet imperfectum esse ; et talis imperfectio tollitur per ly perfecta unde
non superfluit. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que l’imperfection peut être considérée de deux manières. Soit quant à
la durée, et ainsi on dit qu’est imparfait celui à qui manque quelque chose
de l’espace de durée qui est due, tout comme nous disons que la vie de
l’homme qui meurt dans sa jeunessse est une vie imparfaite ; et une
telle imperfection est écartée par ce terme : entière. Mais
il y a encore une certaine imperfection quant à la manière de posséder, comme
toute créature qui possède une existence imparfaite ; et une telle
imperfection est écartée par le terme parfait qui n’est par conséquent pas de
trop. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod duratio dicit quamdam distensionem ex ratione nominis:
et quia in divino esse non debet intelligi aliqua talis distensio, ideo
Boetius non posuit durationem, sed possessionem, metaphorice loquens ad
significandum quietem divini esse ; illud enim dicimus possidere, quod quiete
et plene habemus ; et sic Deus possidere vitam suam dicitur, quia nulla
inquietudine molestatur. |
6. Il faut dire en sixième lieu que la durée dit une
certaine extension (dans le temps) en raison du nom : et parce que dans
l’existence divine on ne doit pas entendre une telle extension,
c’est pourquoi Boèce n’a pas posé dans sa définition la durée, mais la
possession, parlant par métaphore pour signifier le repos de l’existence
divine ; en effet, nous disons posséder ce dont nous jouissons
pleinement et paisiblement ; et c’est de cette manière que nous disons
de Dieu qu’Il possède sa vie car il n’est tourmenté par aucune inquiétude. |
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Articulus 2 ib. 1 d. 8 q. 2 a.
2 tit. Utrum aeternitas tantum Deo convenait |
Article 2 – L'éternité convient-elle à Dieu seulement ? |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod aeternitas non
tantum Deo conveniat. Aeternitas enim non est nobilior quam bonitas. Sed
bonitas communicatur cum creaturis, ita quod a bono Deo creatura sit
bona. Ergo videtur quod similiter aeternitas, ut alia ab
ipso sint aeterna. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de cette deuxième question. Il semble que l’éternité n’appartienne pas qu’à Dieu. En effet, l’éternité n’est pas plus noble que la bonté. Mais la bonté est communiquée aux créatures de telle manière que c’est d’un Dieu bon que la créature tient sa bonté. Il semble donc qu’il en soit de même pour l’éternité de sorte que les autres êtres soient éternels de par son éternité à Lui. |
lib. 1 d. 8
q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Dan. XII, 3: qui ad justitiam
erudiunt multos, fulgebunt quasi stellae in perpetuas aeternitates. Sed
plures aeternitates non sunt unius aeterni. Ergo videtur quod sint plura
aeterna, et non tantum Deus. |
2. On lit
dans Daniel (XII, 3): Ceux qui auront enseigné la justice à un grand
nombre resplendiront comme des étoiles dans les éternités perpétuelles.
Mais plusieurs éternités n’appartiennent pas à une seul être éternel. Il
semble donc qu’il y ait plusieurs êtres qui soient éternels et pas seulement
Dieu. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, in Psal.LXXV, 5: illuminans
tu mirabiliter a montibus aeternis. Sed montes sunt creaturae. Ergo etiam
creaturae sunt aeternae. |
3. Par ailleurs, le
Psalmiste dit (LXXV, 5): Tu resplendis admirablement sur les monts
éternels. Mais les monts sont des créatures. Donc, même les créatures
sont éternelles. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 4
Similiter etiam ignis Inferni dicitur aeternus, Matth. 25, 41: Ite
maledicti in ignem aeternum. Ergo et cetera. |
4. De la même
manière encore on dit [Matth. 25, 41] du feu de l’Enfer qu’il est
éternel: Allez, maudits, au feu éternel! La conclusion
est donc la même ici. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 2 arg. 5 Item, philosophus dicit, quod omne necessarium est aeternum.
Sed multa sunt necessaria. Ergo et cetera. Huic etiam consonat quod dicit
Augustinus, IV de trinitate, cap. XVIII, col. 904,
quod veritas aeterna est. |
5. En outre, le
Philosophe dit que tout ce qui est necessaire est éternel. Mais plusieurs
énoncés sont nécessaires. Donc, la conclusion est la même. Et ce que dit
Augustin [IV De la Trinité, ch. XVIII, col. 904] s’accorde avec
cela lorsqu’il affirme que la vérité est éternelle. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 s. c. 1
Contra, aeternum est esse interminatum, ut dictum est, art. praec. Sed solus
Deus est hujusmodi. Ergo et cetera. |
Cependant : L’éternité est une existence sans terme, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Mais seul Dieu existe de cette manière. Donc, seul Dieu est éternel. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod, sicut ex praedicta definitione patet, aeternitas
non potest nisi Deo convenire simpliciter et absolute secundum perfectam
rationem aeternitatis. Sed secundum quod aliqua participant de
interminabilitate aeternitatis, aliquo modo dicuntur aeterna participative. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout comme on le voit à partir de la définition qui précède, l’éternité
ne peut appartenir, à parler absolument et simplement, qu’à Dieu seul d’après
la définition parfaite de l’éternité. Mais selon que certains participent de
l’absence de limite de l’éternité, on dit d’eux qu’ils sont éternels
relativement, c’est-à-dire par participation. |
Quod vero nullo modo
interminabilitatem participat, nullo modo aeternum dicitur, sicut temporale,
quod incipit et finitur. Dico ergo, quod quibusdam communicatur
interminabilitas, secundum quod excludit terminum durationis ex parte post ;
et hoc modo ignis Inferni dicitur aeternus, quia nunquam finietur. Utrum
autem aliquod aeternum possit esse, quod non habeat principium durationis,
quaeretur in principio secundi. |
Mais ce qui ne participe en
aucune manière de l’absence de limite de l’éternité ne peut aucunement être
appelé éternel, par exemple ce qui est temporel et qui a un commencement et
une fin. Je dis donc qu’à certains êtres est communiqué l’absence de limite
selon qu’est enlevé le terme de la durée du côté de l’après ; et en ce
sens le feu de l’Enfer est dit éternel car il ne finira jamais. Mais
existe-t-il quelque chose qui puisse être éternel du côté de l’avant, sans
avoir de commencement de sa durée, nous chercherons à le savoir au début du
second livre. |
Aliquibus autem creaturis
communicatur interminabilitas, secundum quod excludit terminationem quae est
ex successione partium ; et istae sunt spirituales creaturae, quarum esse est
totum simul. Sed interminabilitas quae excludit omnem imperfectionem, non
communicatur alicui creaturae, cum nulla creatura possit esse perfecta
simpliciter ; sed communicatur sibi perfectio quaedam, scilicet quam nata
[nota Éd. de Parme] est creatura attingere, ut sit perfecta
secundum suam naturam: et sic Angeli et homines beati sunt perfecti, quia
totum habent id ad quod eorum natura capax est: unde Angeli beati, magis sunt
in participatione aeternitatis quam in naturalibus tantum considerati. |
Mais l’absence de limite est
communiquée à certaines créatures selon qu’elle exclut le terme ou la limite
qui se tient du côté de la succession des parties ; et c’est le cas pour
ces créatures qui sont spirituelles dont l’existence est entière et
simultanée. Mais l’absence de limite qui exclut toute imperfection n’est
communiquée à aucune créature, puisqu’aucune créature ne peut être absolument
parfaite ; mais plutôt ce qui lui est communiqué, c’est une certaine
perfection, c’est-à-dire celle pour l’atteinte de laquelle la
créature est faite de manière à être parfaite conformément à sa nature :
et en ce sens les Anges et les hommes bienheureux sont parfaits parce qu’ils
possèdent tout ce dont leur nature est capable : c’est pourquoi les
Anges bienheureux participent davantage de l’éternité que ceux qu’on
considère seulement parmi les êtres naturels. |
Ex hoc potest colligi
differentia inter aeternitatem, aevum et tempus. Illud enim quod habet
potentiam non recipientem actum totum simul, mensuratur tempore: hujusmodi
enim habet esse terminatum et quantum ad modum participandi, quia esse
recipitur in aliqua potentia, et non est absolutum quantum ad partes
durationis, quia habet prius et posterius. Illud autem quod habet potentiam
differentem ab actu, sed quae totum actum simul suscipiat, mensuratur aevo:
hoc enim non habet nisi unum modum terminationis, scilicet quia esse ejus est
receptum in alio a se, ut dictum est, hac dist., quaest. 1, art. 1. Illud vero
quod non habet potentiam differentem ab esse, mensuratur aeternitate ;
hujusmodi enim esse est omni modo interminatum. Unde patet etiam quod aevum
non est nisi quaedam aeternitas participata. |
Et à partir de là on peut recueillir la différence qu’il y a entre l’éternité, l’aevum et le temps. Ce qui en effet possède la puissance de ne pas recevoir l’acte entièrement et simultanément est mesuré par le temps : un tel être en effet possède une existence limitée à la fois à cause du mode de participation parce qu’il reçoit l’existence dans une certaine puissance et parce qu’il n’est pas absolu quant aux parties de la durée car il est soumis à l’avant et à l’après. Mais ce qui, tout en possèdant une puissance différente de son acte, reçoit simultanément la totalité de l’acte, est mesuré par l’aevum : cet être en effet ne possède qu’une seule sorte de limite, à savoir parce que son existence est reçue dans quelque chose d’autre qu’elle-même, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction (quest. 1, art. 1). Mais ce qui ne possède pas une puissance différente de son existence est mesuré par l’éternité ; une telle existence en effet n’est limitée d’aucune manière. D’où il est clair aussi que l’aevum n’est qu’une participation de l’éternité prise au sens propre. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis divina bonitas sit communicabilis, non
tamen secundum modum altissimum, prout est in Deo: unde summa bonitas non
communicatur. Et quia aeternitas dicit esse secundum altissimum modum, qui est
in Deo, ideo non communicatur ; sed esse absolute sumptum communicatur, sicut
et bonum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que la bonté divine soit communicable, elle ne l’est
pas cependant de la manière la plus élevée comme elle existe en Dieu :
de là, la bonté parfaite n’est pas communiquée. Et parce que l’éternité
signifie une existence selon le mode le plus élevé qui existe en Dieu, c’est
pourquoi elle non plus n’est pas communiquée ; mais l’existence prise
absolument est communiquée, tout comme le bien. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Daniel accipit ibi aeternitates participatas in
beatis, quae erunt plures secundum plures beatos. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que Daniel parle ici des éternités dont les bienheureux participent et
qui sont multiples selon qu’elles existent chez plusieurs bienheureux. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod montes aeterni possunt dici ipsi Angeli, qui dicuntur
aeterni participative, ut dictum est, in corp. art. Vel dicendum, quod potest
intelligi etiam ad litteram de montibus corporalibus ; et dicuntur aeterni
propter longaevitatem durationis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les Anges eux-mêmes peuvent être appelés monts éternels parce qu’ils
sont éternels par participation, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. Ou bien encore il faut dire qu’on peut aussi entendre cette
expression comme pouvant se dire littéralement des monts corporels ; et
on les dit éternels en raison de la longévité de leur existence. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ignis Inferni dicitur etiam aeternus, inquantum
participat aliquam conditionem aeternitatis, scilicet non habere finem. |
4. Il faut dire en quatrième lieu qu’on dit aussi du feu
de l’Enfer qu’il est éternel selon qu’il participe d’un caractère de
l’éternité, à savoir ne pas avoir de fin. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod necessaria sunt aeterna tantum
in mente divina, sicut etiam veritates enuntiabilium fuerunt ab aeterno in
Deo, et non aliter: nisi ponerentur creaturae ab aeterno, sicut philosophi
posuerunt. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que les propositions nécessaires sont éternelles seulement dans l’esprit
divin, tout comme aussi les vérités des énoncés qui existent de toute
éternité en Dieu et qui ne peuvent être autrement : à moins qu’on
affirme, ainsi que les philosophes l’ont soutenu, que les créatures sont
éternelles. |
|
|
Articulus 3. ib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 tit. Utrum verba
temporalia possint dici de Deo |
Article 3 – Peut-on attribuer à Dieu des paroles temporelles? |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod verba temporalia
non possint dici de Deo. Unicuique enim respondet propria mensura. Sed tempus
est propria mensura motus. Cum igitur in Deo nullus sit motus, videtur quod
de Deo nullum temporale dici possit. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de ce troisième article. Il semble qu’on ne puisse attribuer à Dieu des paroles temporelles. À toute chose en effet correspond une mesure qui lui est propre. Mais le temps est la mesure qui est propre au mouvement. Donc, puisqu’en Dieu il n’y a aucun mouvement, il semble qu’aucune parole temporelle ne puisse être attribuée à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 2
Item, quandocumque aliquid importans aliquam conditionem corporalem dicitur
de Deo, metaphorice vel symbolice dicitur. Sed tempus est conditio consequens
ipsa corpora, quia sequitur motum, et motus magnitudinem, secundum
philosophum, IV Phys.,text. 99. Ergo videtur quod quandocumque
aliquod verbum temporale dicitur de Deo, sit metaphorice dictum. |
2. De plus, quelque chose
impliquant une condition corporelle se dit parfois de Dieu par métaphore ou
de manière symbolique. Mais le temps est une condition qui suit les corps
eux-mêmes puisqu’elle découle du mouvement et que le mouvement découle de
l’étendue d’après le Philosophe [IV Physique, texte 99]. Il
semble donc que parfois une parole temporelle soit attribuée à Dieu et
qu’elle soit une expression métaphorique. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 3
Item, videtur quod tantum praesens de Deo debeat dici. Aeternitas enim, quae
est mensura divini esse secundum rationem intelligendi, omni [omni om.
Éd. de Parme] caret successione. Sed solum praesens non includit
successionem ; praeteritum enim et futurum dicuntur per relationem ad
praesens, et non e converso ; et relatio illa est in ordine successionis.
Ergo solum praesens de Deo debet dici. |
3. En outre, il semble que le
présent seul doive être attribué à Dieu. L’éternité en effet, qui est la
mesure de l’existence divine selon ce qu’il faut en comprendre, est privée de
toute [toute om. Éd. de Parme] succession. Mais seul le présent
ne comprend pas en lui la succession ; le passé et le futur en effet se
disent par rapport au présent et non inversement ; et cette relation
entre dans l’ordre de succession. Il n’y a donc que le présent qu’on doive
attribuer à Dieu. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 3 arg. 4 Item, videtur quod praeteritum. Divinum enim esse est
perfectum. Sed inter alia tempora praeteritum magis sonat
perfectionem. Ergo de Deo maxime dici debet. |
4. De plus, il semble que le
passé puisse se dire de Dieu. En effet, l’existence divine est parfaite. Mais
parmi tous les temps, le passé est celui qui signifie le plus la perfection.
C’est donc surtout ce temps qui doit lui être attribué. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, videtur quod praeteritum imperfectum. Quia Joannes in principio
Evangelii sui altissime de Deo locutus est. Sed ipse ibi utitur verbis
praeteriti imperfecti temporis ad designandum divinam aeternitatem,
dicens: In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus
erat Verbum. Ergo videtur quod ista verba maxime
competant ad significandum divinam aeternitatem. |
5. En outre, il
semble que ce doive être le passé imparfait. Car Jean, au début de son
Évangile, a parlé de Dieu de la manière la plus élevée. Mais lui-même se sert
là de verbes appartenant au temps du passé imparfait pour designer l’éternité
divine lorsqu’il dit: Au commencement était le Verbe, et le Verbe
était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Donc, il semble que ces verbes
conviennent au plus haut point pour signifier l’éternité divine. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 3 arg. 6 Item, videtur quod futurum. Divinum
enim esse maxime distat a defectu. Cum igitur futurum remotius sit inter alia
a deficiendo, videtur quod maxime competat in divinis. |
6. Mais il semble
que le futur soit plus approprié pour signifier l’éternité divine.
L’existence divine en effet est celle qui est la plus loin d’être en défaut.
Donc, puisque le futur est parmi tous les autres temps celui qui est le plus
éloigné d’être en défaut, il semble qu’il convienne davantage à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod enuntiatio non potest fieri de aliquo nisi secundum
quod cadit in cognitionem. Omne autem cognoscens cognoscit secundum
modum suum, ut dicit Boetius ; lib. V De consol., pros. 2,
et ideo, quia ratio nostra connaturale habet secundum statum viae accipere
cum tempore, propter hoc quod ejus cognitio oritur a sensibilibus, quae in
tempore sunt, ideo non potest formare enuntiationes nisi per verba
temporalia: unde cogitur de Deo enuntians, verbis temporalibus uti, quamvis
intelligat eum supra tempus esse: nihilominus tamen istae locutiones non sunt
falsae. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on ne peut former une énonciation sur une chose que dans la mesure où
cette dernière vient à être connue. Mais ce qui est capable de connaître
connaît selon les modalités qui lui sont propres, ainsi que le dit
Boèce [ 1 De la Consolation, pros. 2], et c’est pourquoi, parce que
notre raison naturelle doit ici-bas appréhender les choses en fonction du
temps pour cette raison que sa connaissance se forme à partir des choses
sensibles qui existent dans le temps, c’est pourquoi elle ne peut former des
énonciations qu’au moyen de verbes temporels : de là elle est réduite,
en formant des énoncés sur Dieu, de se servir de verbes temporels, bien
qu’elle comprenne elle-même que Dieu transcende le temps ; et néanmoins
cependant ces façons de parler ne sont pas fausses. |
Divinum enim esse, ut dicit
Dionysius, de divinis nominibus, c. V § 4, col. 818,
praeaccipit sicut causa in se omne esse quantum ad id quod est perfectionis
in omnibus ; et ideo enuntiamus de ipso verba omnium temporum, propter id
quod ipse nulli tempori deest, et quidquid est perfectionis in omnibus
temporibus, ipse habet. |
L’existence divine en effet,
ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, ch. V, &4, col. 818],
contient en elle comme dans leur cause toutes les existences quant à ce qu’il
y a de parfait en elles ; et c’est pourquoi nous formons sur Dieu des
énoncés au moyen de verbes de tous les temps pour cette raison que Lui-même
n’est absent à aucun temps et qu’Il possède tout ce qu’il y a de parfait dans
tous les temps. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quando verba temporalia dicuntur de Deo,
intellectus noster non attribuit divino esse illud quod est imperfectionis in
singulis temporibus, sed quod est perfectionis in omnibus ; aeternitas enim
includit in se omnem perfectionem modo simplici, quae est in temporalibus
divisum [divisa et temporibus diversis Éd. de Parme] cum tempus
imitetur perfectionem aeternitatis, quantum potest. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsque les verbes temporels sont dits de Dieu, notre intelligence n’attribue pas à l’existence divine ce qu’il y a d’imparfait dans chacun de ces temps, mais ce qu’il y a de parfait dans tous ces temps ; l’éternité en effet contient en elle selon le mode de la simplicité toutes les perfections qui dans les choses temporelles se rencontrent dans la division [divisées et dans des temps différents Éd. de Parme], puisque le temps se trouve à imiter, dans la mesure du possible, la perfection de l’éternité. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod aliqua dictio potest importare conditionem corporalem
dupliciter. Vel quantum ad rem significatam principaliter in nomine ; et tale
quid non dicitur de Deo nisi symbolice, sicut leo et agnus et ira et
hujusmodi. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’un énoncé comporter une condition corporelle de deux manières. Soit quant
à la chose qui est signifiée principalement dans le nom : et un tel
énoncé ne se dit de Dieu que dans un sens symbolique, comme lorsqu’on dit de
Lui qu’Il est un lion, un agneau, en colère, etc. |
Vel quantum ad modum
significandi, et non quantum ad rem significatam ; et ista proprie dicuntur
de Deo, quamvis non perfecte ipsum repraesentent: alias omnia nomina dicta de
Deo essent symbolica, quia modus significandi ipsorum est secundum quod de
creaturis dicuntur ; et de talibus haec sunt verba, fuit et erit quae
significant essentiam per modum actus, et consignificant tempus. |
Soit quant au mode même de
signifier et non quant à la chose même qui est signifiée ; et ces noms
se disent proprement de Dieu bien qu’ils ne Le représentent pas parfaitement,
(car autrement tous les noms s’attribueraient à Dieu selon le mode
symbolique) car le mode de signifier de ces noms de deuxième type est celui
dont on use pour les attribuer aux créatures ; et dans ce cas, tels sont
les verbes ¨fut¨ et ¨sera¨, lesquels signifient l’essence à la manière d’un
acte et transportent avec eux la signification du temps. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quantum ad id quod praesens non implicat successionem
nec habet aliquid de non esse inclusum, inter alia proprius Deo competit ;
nihilominus tamen verba aliorum temporum dicuntur de Deo secundum id quod
perfectionis est in ipsis, et non ratione successionis vel alicujus defectus. |
3. Il faut de en troisième
lieu que le présent, quant à ceci qu’il n’implique pas la succession et qu’il
ne contient pas en lui du non-être, convient plus proprement à Dieu que tout
autre temps ; néanmoins cependant les verbes relatifs aux autres temps
se disent de Dieu selon la perfection qui est impliquée en eux et non en
raison de la succession ou de tout autre défaut. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod nomine perfectionis praeteritum de Deo dicitur, et
quia non est novum, secundum quod ipse praeteritis non defuit. Nihilominus
tamen intelligendum est, quod aliquando per praesens magis designatur
perfectio quam per praeteritum: quaedam enim sunt quorum esse est in fieri,
et horum perfectio non est nisi quando venitur ad terminum, et horum
perfectio magis significatur per praeteritum, sicut sunt motus, et hujusmodi
successiva. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le passé se dit de Dieu par un nom de perfection et parce qu’il
n’est pas nouveau, selon que Lui-même n’abandonne pas ce qui est passé. Il faut
néanmoins comprendre que c’est parfois plus par le présent que par le passé
qu’une perfection est désignée : il y a des choses en effet dont
l’existence est dans le devenir et leur perfection ne s’accomplit que
lorsqu’elles parviennent à leur terme, et leur perfection est davantage
signifiée par le passé, comme c’est le cas pour le mouvement et tout ce qui
est soumis à la progression. |
Quaedam autem sunt quorum esse
consistit in permanendo ; et horum perfectio designatur magis per praesens
quam per praeteritum: quia in hoc quod sunt, habent perfectionem ; et
praeteritum dicitur secundum recessum ab esse. Unde etiam in divinis ea quae
dicuntur per modum rei permanentis verius signantur per praesens, ut, Deus
est bonus, ut hujusmodi ; quae autem signantur per modum actus, verius
signantur per praeteritum, sicut infra, dist. 9, dicit Gregorius quod magis
proprie dicimus filium natum, quam nasci. |
Mais il y a certaines choses
dont l’existence consiste dans la permanence ; et leur perfection est
davantage désignée par le présent que par le passé car elles possèdent leur
perfection par cela même qu’elles existent. Et le passé se dit d’après un
éloignement de l’être. C’est pourquoi même pour les choses divines ce qui se
dit par mode de permanence se dit est signifié davantage en vérité par le
présent : par exemple, comme lorsqu’on dit que Dieu est bon ; mais
ce qui est signifié par mode d’acte est signifié davantage en vérité par le
passé ainsi que le dit plus loin Grégoire dans la distincition 9 lorsqu’il
affirme que nous disons plus proprement que le Fils est né que lorsque nous
disons qu’Il naît. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod quoad aliquid magis proprie dicitur de ipso Deo
praeteritum imperfectum quam praeteritum perfectum, eo scilicet quod
terminationem non includit, sicut verbum praeteriti perfecti ; unde in illis
quae significantur per modum actus, verius dicitur praeteritum perfectum,
quia horum perfectio non potest significari nisi ex termino ; quae autem
significantur non per modum operationis, verius significantur per praeteritum
imperfectum, quia horum perfectio non dependet ex termino. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que d’un certain point de vue le passé imparfait se dit plus proprement de Dieu que le passé parfait du fait qu’il ne contient pas un terme comme c’est le cas pour le verbe du passé parfait ; c’est pourquoi, pour les choses qui sont signifiées par mode d’acte, le passé parfait se dit davantage en vérité parce leur perfection ne peut être signifiée qu’à partir du terme ; mais pour celles qui ne sont pas signifiées par mode d’opération, elles sont davantage signifiées en vérité par le passé imparfait car leur perfection ne dépend pas d’un terme. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod futurum maxime removetur a
divina praedicatione, propter hoc quod nondum est, nisi in potentia.
Nihilominus tamen secundum id quod est perfectionis in ipso, scilicet quod
longius distat a deficiendo, de Deo dicitur, abjecta imperfectione. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que le futur est le temps le plus éloigné de l’attribution divine pour
cette raison qu’il n’existe encore qu’en puissance. Néanmoins cependant,
selon ce qu’il y a de perfection en lui, à savoir selon qu’il est le plus
éloigné d’un défaut, il se dit de Dieu une fois l’imperfection
écartée. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [L’immutabilité de Dieu] |
Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 8 q. 3 pr. Dei etiam solius essentia
incommutabilis dicitur proprie. Hic prosequitur de secundo attributo,
scilicet immutabilitate, dicens solum Deum incommutabilem esse, alias autem
omnes creaturas aliquo modo mutabiles ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum Deus sit omnino immutabilis ; 2 utrum omnis creatura sit mutabilis ; 3 de modis mutationum, quos
Augustinus assignat in littera. |
Il n’y a encore que la seule essence de Dieu qui soit
immuable à proprement parler. Ceci
traite du deuxième attribut de Dieu, à savoir l’immutabilité, en disant que
seul Dieu est immuable et que toutes les créatures sont de quelque manière
changeantes ; et à ce sujet on cherche à répondre à trois
questions : 1. Est-ce que Dieu est absolument immuable ? 2. Est-ce que toute créature est changeante ? 3. Quels sont les modes de changements qu’Augustin
identifie identifie dans son texte ? |
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Articulus
1.lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 tit. Utrum Deus aliquo modo sit mutabilis. |
Article 1 – Dieu est-il changeant de quelque manière ? |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus sit aliquo modo
mutabilis. Sap. 7, 24: omnibus mobilibus mobilior est sapientia.
Sed sapientia divina, de qua loquitur, est ipse Deus. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de cette première question. Il semble que Dieu soit changeant d’une certaine manière. On lit en effet dans le livre de la Sagesse (7,24) : La Sagesse est plus mobile que tout ce qui se meut. Mais la Sagesse divine, dont il parle, est Dieu lui-même. Donc Dieu est changeant de quelque manière. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid movet seipsum, movetur a
seipso. Sed, sicut dicit Augustinus super Genes. ad
lit., lib. VIII, cap. XX, col.388 : spiritus creator movet
se nec per tempus nec per locum. Ergo videtur quod moveatur. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
se meut soi-même est mû par soi-même. Mais, tout comme le dit Augustin [ VIII1
Super Genes. ad litt., ch. XX, col. 388, t. 111] : L’Esprit
créateur se meut lui-même, mais ni dans le temps ni dans le lieu. Il
semble donc que Dieu se meuve. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1
arg. 3 Item, omne quod est per alterum, reducitur ad illud quod est per se.
Sed invenimus multa quae moventur per alios motores. Ergo oportet esse
aliquid quod moveatur a seipso. Sed omnis creatura mota movetur ab alio, quia
a Deo. Ergo
Deus est motus a se. |
3. En outre, tout ce qui existe par un autre se ramène à ce qui existe par soi. Mais nous rencontrons une multitude de choses qui sont mues par des moteurs extérieurs. Il faut donc qu’il y ait un être qui se meuve par lui-même. Mais toute créature qui se meut est mue par un autre qui est Dieu. Donc Dieu est mû par lui-même. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod exit de otio in actum, aliquo modo
movetur, secundum philosophum, III Physic., text. 16, quia
omnis operatio quae est ab operante non moto est semper. Sed Deus quandoque
creat in actu, vel infundendo gratiam, cum prius hoc non fecerit. Ergo
videtur quod ad minus sit in eo mutatio de habitu in actum. |
4. De plus, tout ce
qui passe du reposà l’acte est mû de quelque manière selon le Philosophe [111
Physique, texte 16], car toute operation qui vient d’un agent immobile est
éternelle. Mais Dieu crée parfois en acte, soit en répandant la grâce, alors
qu’il n’avait pas fait cela antérieurement. Il semble donc qu’il y ait au
moins en lui le changement de l’habitus à l’acte. |
lib. 1 d. 8
q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, Malach. III, 6: ego Deus, et non mutor ; et
Jacob. I, 17: apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio. |
Cependant : 1. Malachie dit (111,
6) : Je suis Dieu et je ne change pas ; et on lit dans
Jacques (1, 17) : Celui qui ne change pas et chez qui il n’y a
pas l’ombre d’une variation. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut probat philosophus, VIII Physic., text.
34,omne quod movetur, ab alio movetur. Si igitur illud a quo movetur mobile
ipsum, etiam movetur, oportet quod ab aliquo motore moveatur. Sed impossibile est ire in
infinitum. Ergo oportet devenire ad primum motorem, qui movet et nullo modo
movetur ; et hic est Deus. Ergo omnino est immutabilis. |
2. En outre, tout comme le
prouve le Philosophe [ VIII Physique, texte 34], tout ce qui se
meut est mû par un autre. Si donc ce par quoi le mobile se meut, se meut lui
aussi, il faut qu’il se meuve par l’action d’un moteur extérieur. Mais il est
impossible de procéder ainsi à l’infini. Il faut donc en venir à un premier
moteur qui meut tout en n’étant mû d’aucune manière ; ce premier moteur
est Dieu. Et il est absolument immuable. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod omnis motus vel mutatio, quocumque modo dicatur,
consequitur aliquam possibilitatem, cum motus sit actus existentis in
potentia. Cum igitur Deus sit actus purus, nihil habens de potentia admixtum,
non potest in eo esse aliqua mutatio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout mouvement ou tout changement, quelle qu’en soit la sorte, découle d’une
possibilité, puisque le mouvement est l’acte de ce qui existe encore en
puissance. Donc, puisque Dieu est acte pur, n’étant mélangé à aucune
puissance, il ne peut y avoir en Lui aucun changement. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod divina sapientia non dicitur mobilis quia in se
moveatur, sed inquantum procedit in effectus ; et ista processio non est
proprie motus, sed quamdam similitudinem motus habet. In motu enim locali
processivo, illud quod est in uno loco, fit postmodum in alio, et deinde in
alio, et sic deinceps quousque compleatur motus. Similiter autem divina
sapientia, quae est exemplar rerum, facit similitudinem suam in creatura
secundum ordinem: quia prius efficiuntur in participatione divinae
similitudinis creaturae superiores, et posterius inferiores. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’on n’attribue pas la mobilité à la sagesse divine parce qu’en
elle-même elle se meut mais pour autant qu’il y a des effets qui procèdent
d’elle ; et cette procession n’est pas à proprement parler un mouvement,
mais elle possède une certaine ressemblance à l’égard du mouvement. Dans le
mouvement local progressif en effet, ce qui est dans tel lieu devient par la
suite dans un autre lieu et ainsi successivement jusqu’à ce que le mouvement
soit complété. De la même manière en quelque sorte la sagesse divine,
laquelle est la cause exemplaire des choses, produit dans la créature sa
ressemblance selon un certain ordre : car ce sont en premier lieu les
créatures supérieures, puis celles qui sont inférieures, qui ont été
produites par participation à la ressemblance divine. |
Unde
in hoc habet similitudinem motus: quia ipsa divina sapientia secundum
similitudinem suam efficitur in creatura. In duobus autem deficit a ratione
motus: primo quia non est idem numero quod est in hoc et in illo ; sed
similitudo ejus ; secundo, quia non est ibi ordo temporis, secundum quod
procedit in diversas creaturas, sed tantum ordo naturae: quia per prius
naturaliter sunt in participatione divinae bonitatis creaturae nobiliores, et
si non tempore, saltem natura, et sic etiam intelligitur quod Dionysius dicit
in principio Cael. Hierar., 1, §1, 120 B : Sed et patre luminum moto etc.,
et quod frequenter dicit, divinam bonitatem vel sapientiam procedere in creaturas. |
C’est donc en cela que cette
procession ressemble au mouvement : car c’est la sagesse divine
elle-même qui est produite dans la créature selon la ressemblance. Et c’est
sous deux rapports qu’elle se distingue du mouvement : premièrement, ce
n’est pas la même chose par le nombre qui est en ceci et en cela, mais
seulement une ressemblance ; deuxièmement, parce qu’il n’y a pas là un
ordre temporel selon lequel elle procède dans les créatures, mais seulement
un ordre de nature : car c’est par nature que les craétures plus nobles
sont les premières à exister dans la participation de la bonté divine ;
et si ce n’est pas par le temps, elles les sont au moins par nature et c’est
ainsi encore que l’entend Denys au début de La Hiérarchie
Céleste (1, &1, 120 B) : Mais toute procession par
laquelle Dieu se manifeste vient à nous par le Père des lumières etc.,
et c’est là ce qu’il dit en de nombreuses occasions, à savoir que la bonté ou
la sagesse divine procède dans les créatures. |
[682] Super Sent., lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Augustinus accipit large moveri, secundum quod ipsum
intelligere est moveri quoddam et velle, quae proprie non sunt motus sed
comparatione [operationes Éd. de Parme]. In hoc enim verificatur
dictum Platonis in Parmenide, qui dicit: Deus movet se; sicut
dicit Commentator, XII Metaph., cap. II, qui dicit quod Deus
intelligit se et vult se: sicut etiam dicimus, quod finis movet efficientem.
Vel dicendum, quod movet se in creaturarum productione, ut dictum est, hac dist.,
quaest. 1, art. 1. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’Augustin parle ici du mouvement au sens large, selon que l’opération
de l’intelligence et celle de la volonté sont un certain mouvement,
lesquelles ne sont pas proprement un mouvement mais seulement par comparaison
[les opérations Éd. de Parme]. C’est en cela que se vérifie la
parole de Platon dans le Parménide qui dit : Dieu se
meut ; comme le dit le Commentateur [XII Métaphysique, ch.
11] qui dit que Dieu se comprend et se veut : tout comme nous disons
aussi que la fin meut l’agent. Ou bien il faut dire qu’Il se meut dans la
production des créatures ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction, à
l’article 1 de la question 1. |
[683] Super Sent., lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod impossibile est aliquid movere seipsum nisi secundum diversas
partes, ita quod una pars sit movens et alia mota ; sicut etiam in animali
est anima movens et corpus motum. Cujus ratio est, quia nihil movet nisi
secundum quod est in actu, nec movetur nisi secundum quod est in potentia, et
haec duo non possunt simul eidem inesse respectu ejusdem. Et quia Deus est
simplex, non potest esse quod seipsum moveat, proprie loquendo. Quod ergo
objicitur quod omne mobile per aliud reducitur ad mobile per se, verum est de
reductione quae est ad primum in genere illo. Unde secundum philosophos,
omnia mobilia reducuntur ad primum mobile, quod dicebant motum ex se, quia
est compositum ex motore et moto. Sed hoc ulterius oportet reducere in primum
simplex, quod est omnino immobile. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’il est impossible à une chose de se mouvoir soi-même si ce n’est
d’après différentes parties, de telle manière qu’une partie meuve et que
l’autre soit mue ; tout comme nous voyons encore que l’âme meut et que
le corps est mû. La raison en est que rien ne meut qui ne soit en acte et
rien n’est n’est mû qui ne soit en puissance, et ces deux dimensions ne
peuvent exister simultanément dans un même sujet sous un même
rapport. Et parce que Dieu est simple, il est impossible, à proprement
parler, qu’Il se meuve lui-même. Donc, ce qu’on objecte, à savoir que tout ce
qui est mû par un autre se ramène à ce qui se meut par soi est vrai de cette
réduction à l’égard de ce qui est premier dans tel genre. C’est pourquoi d’après
les philosophes tous les mobiles se ramènent à un premier mobile qu’ils
disaient être mû à partir de lui-même parce qu’ils le disaient être composé
d’un moteur et d’un mû. Mais il faut à la fin ramener cela à un être premier
et simple qui est absolument immobile. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in omnibus in quibus operatio
differt a substantia, oportet esse aliquem modum motus ex hoc quod exit de
novo in operationem ; quia acquiritur in ipso operatio, quae prius non erat.
In Deo autem operatio sua est sua substantia: unde sicut substantia est
aeterna, ita et operatio. Sed non sequitur operationem operatum ab aeterno,
sed secundum ordinem sapientiae, quae est principium operandi. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que dans tous les cas
où l’opération diffère de la substance, il faut qu’il y ait une sorte de
mouvement du fait qu’il passe une nouvelle fois à l’opération car alors est
acquise en lui l’opération qui n’y était pas antérieurement. Mais en Dieu son
opération est sa substance : de là, tout comme la substance est
éternelle, de même son opération est éternelle. Mais l’effet ou l’œuvre
produite ne suit pas l’opération de toute éternité mais suivant l’ordre de la
sagesse qui est le principe de l’opération. |
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Articulus 2lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 tit. Utrum omnis creatura
sit mutabilis. |
Article 2 – Toute créature est-elle changeante ? |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non omnis
creatura sit mutabilis. Omnis enim mutatio ut dicitur in V Phys.,
text. 7, est generatio vel corruptio vel motus. Sed quaedam sunt in quibus
nullum horum est, sicut Angeli, et hujusmodi, quae sunt separata a materia et
motu secundum philosophos, XII Metaph., text. 30. Ergo non
omnis creatura mutabilis est. |
Difficultés : 1. Il semble que toute
créature ne soit pas changeante. Tout changement en effet, comme le dit
[V Physique, texte 7] le Philosophe, est soit une génération,
soit une corruption, soit un mouvement. Mais il existe des êtres, comme les
Anges et les êtres qui sont séparés de la matière et du mouvement d’après les
philosophes [XII Métaphysique, texte 30], dans lesquels ne se
trouve aucun de ces changements. Donc, ce n’est pas toute créature qui est
changeante. |
Lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 arg. 2
Praeterea, quidquid est mutabile pertinet ad considerationem naturalis, cujus
est considerare motum. Sed substantiae separatae a materia non considerantur
a naturali. Ergo non sunt mutabiles. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
est changeant relève de la considération du naturaliste auquel il appartient
d’examiner le mouvement. Mais les substances séparées de la matière ne sont
pas examinées par le philosophe de la nature. Elles ne sont donc pas
changeantes. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, quidquid mutatur, subjicitur mutationi. Sed formae simplices non
possunt esse subjectum ut dicit Boetus, De Trinitae, cap.
II, col. 1250. Ergo non possunt mutari |
3. De plus, tout ce qui est
changé est le sujet d’un changement. Mais, comme le dit Boèce [De
la Trinité, ch. 11, col. 1250], les formes simples ne peuvent être un
sujet. Elles ne peuvent donc pas être changées. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut in Littera dicitur,
omnis creatura movetur per tempus vel per locum. Sed quaedam sunt creaturae
quorum non est locus et tempus ; sicut universale, quod, secundum
philosophum, I Post., text. 7, est ubique et semper ; et sicut
materia prima, de qua dicit Augustinus, XII, Confess. Cap.
XIX, col. 836, quod successiones temporum, non habet. Ergo non omnis creatura
mutatur. |
4. En outre, comme il est dit
dans le document, toute créature se meut par le temps ou par le lieu. Mais il
y a certaines créatures pour lesquelles il n’y a ni lieu ni temps, comme
c’est le cas pour l’universel qui, selon le Philosophe [1 Seconds
Analytiques, texte 7], se retrouve partout et toujours ; et il en
est de même pour la matière première, au sujet de laquelle Augustin
[XII Confessions, ch. XIX, col. 836] dit qu’elle n’est pas
soumise à la succession des temps. Ce n’est donc pas toute créature qui est
soumise au changement. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 s. c. 1
Contra, Psalm., 101, 28: Mutabis eos, et mutabuntur. |
Cependant : 1. Le Psalmiste dit
(101, 28) : Tu les changeras et ils seront changés. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 s. c. 2
Praeterea, Damascenus, lib. I Fidei orth., cap. III, col.
795, dicit: omne quod est ex nihilo, vertibile est in nihil ; quod
enim a mutatione incepit, subjacere mutationi necesse est. Sed omnis
creatura est hujusmodi. Ergo et cetera. |
En outre, Damascène [
1, De la Foi Orthodoxe, ch. 111, col. 795] dit : Tout ce qui
sort du néant peut retourner au néant ; tout ce qui a commencé à exister
par le changement est nécessairement soumis au changement. Toute créature est
donc soumise au changement. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. 1, motus, quocumque modo
dicatur, sequitur potentiam. Cum igitur omnis creatura habeat [aliquam
potentiam vel Éd. de Parme] aliquid de potentia, quia solus Deus
est purus actus, oportet omnes creaturas mutabiles esse, et solum Deum immutabilem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, tout comme nous l’avons dit dans l’article 1, le mouvement, quelle que
soit la manière dont on le prenne, découle d’une puissance. Donc, puisque
toute créature a en elle [une puissance Éd. de Parme] de la
potentialité, car seul Dieu est acte pur, il faut que toute créature soit
changeante et que seul Dieu soit immuable. |
Est autem considerare duplicem
possibilitatem: unam secundum id quod habet [res add. Éd. de Parme]
; alteram secundum id quod nata est habere. Prima consequitur creaturam
[naturam Éd. de Parme] secundum quod habet esse ab alio ; omne
enim quod esse suum ab alio habet, non est per se necesse esse, ut probat
Avicenna ; unde, quantum est in se, est possibile, et ista possibilitas dicit
dependentiam ad id a quo est. |
Mais il y a deux sortes de
puissances à considérer : la première selon ce qu’elle possède [la
chose add. Éd. de Parme] ; la deuxième selon ce qu’elle est
apte à posséder naturellement. La première résulte de la créature [nature Éd.
de Parme] selon qu’elle tient d’un autre son existence ; en effet,
tout ce qui tient son existence d’un autre, il n’est pas par soi nécessaire
qu’il existe ainsi que le prouve Avicenne ; de là, quant à ce qu’il est
en lui-même, il n’est qu’un possible ou une puissance et cette possibilité
dit une dépendance à l’égard de ce par quoi il existe. |
Haec autem possibilitas est
duplex. Quaedam secundum dependentiam totius esse ad id a quo est res
secundum totum esse suum, et illud [hujusmodi Éd. de Parme] est
Deus ; et hanc dependentiam sive possibilitatem consequitur mutabilitas
quaedam, quae est vertibilitas in nihil, secundum Damascenum ubi supra. Tamen
haec non proprie est mutabilitas [mutabilitas dicitur Éd. de Parme]
dicitur, nec creatura secundum hoc proprio mutabilis est ; et ideo Augustinus
de hoc non facit mentionem in Littera. |
Mais cette possibilité
d’existence est double. Il y a une possibilité d’existence d’après la
dépendance de toute l’existence à l’égard de ce par quoi la chose existe
d’après la totalité de son existence, et cela [un tel être Éd. de
Parme] est Dieu ; et de cette dépendance ou de cette possibilité
résulte un certain changement qui est le retour possible au néant, comme
Damascène l’a souligné plus haut. Cependant ce changement n’est pas à
proprement parler un changement [ne s’appelle pas changement Éd. de
Parme] et ce n’est pas d’après cela proprement que la créature est
changeante ; et c’est pourquoi Augustin n’en fait pas expressément
mention dans sa Lettre. |
Et hujus ratio est duplex,
quia in omni mutabili est invenire aliquid quod substernitur ei quod per
mutationem amovetur, et de hoc dicitur quod potest mutari. Sed si accipiamus
totum esse creaturae quod dependet a Deo, non inveniemus aliquid substratum
de quo possit dici quod potest mutari. |
Et il y a deux raisons pour
cela, car dans tout ce qui peut changer il faut retrouver quelque chose qui
se tient sous ce qui est retiré par le changement, et on peut dire que cela
peut changer. Mais si nous prenons la totalité de l’existence de la créature
qui dépend de Dieu, nous ne retrouvons pas un substrat au sujet duquel on
puisse dire qu’il peut changer. |
Alia ratio est, quia nihil
dicitur possibile cujus contrarium est necessarium, vel quod non potest esse,
nisi impossibili posito. Esse autem creaturae omnino deficere non potest,
nisi retrahatur inde fluxus divinae bonitatis in creaturis, et hoc est
impossibile ex immutabilitate divinae voluntatis, et contrarium necessarium ;
et ideo ex hoc creatura non potest dici simpliciter corruptibilis vel
mutabilis sed sub conditione si sibi relinquatur ; et hoc est quod dicit
Gregorius ; lib. XVI, Moralium, cap. XXXVII, col.
1343,: In nihilum omnia deciderent, nisi ea manus omnipotentis
contineret. |
L’autre raison est que rien
n’est dit possible dont le contraire est nécessaire, ou qui ne peut exister
que s’il est posé comme impossible. Mais l’existence de la créature ne peut
absolument s’éteindre que si le flot de la bonté divine est retiré aux
créatures, et cela est impossible à cause de l’immuabilité de la volonté
divine et contraire à ce qui est nécessaire ; et c’est pourquoi sous ce
rapport la créature ne peut être dite simplement corruptible ou changeante, à
condition toutefois que l’existence lui soit conservée ; et c’est là ce
que dit Grégoire [XVI, Des Choses Morales, ch. XXXVII, col.
1343] : Tous retourneraient au néant si la main du Tout-Puissant
ne les tenait. |
Est etiam quaedam dependentia
sive possibilitas rei secundum partem sui esse, scilicet formam,
praesupposita materia, vel eo quod est loco materiae ; et hanc possibilitatem
sequitur mutatio variabilitatis, ex eo quod id quod habet ab alio, potest
amittere, quantum est in se, nisi forte impediatur ex immutabilitate causae,
ut dictum est, art. praeced. ; et hoc modo sancti in gloria sunt immutabiles
in esse gloriae propter immutabilitatem divinae voluntatis. Secunda
possibilitas consequitur creaturam secundum quod non est perfecta simpliciter
; secundum hoc enim semper possibilis est ad receptionem. |
Mais il y a aussi une
dépendance ou une possibilité de la chose d’après une partie de son
existence, à savoir sa forme, la matière ou ce qui en tient lieu étant
présupposé ; et le changement de la variabilité résulte de cette
possibilité du fait que ce que la chose, quant à ce qu’elle est en elle-même,
tient d’un autre, elle peut le perdre à moins que cela ne soit empêché en
raison de l’immuabilité de la cause, comme nous l’avons dit dans l’article
précédent ; et en ce sens les saints qui jouissent de la gloire de Dieu
sont immuables dans leur existence en présence de cette gloire en raison de
l’immuabilité de la volonté divine. La deuxième possibilité résulte de la
créature selon que son existence n’est pas absolument parfaite ; sous ce
rapport en effet elle est toujours en puissance à recevoir. |
Unde secundum hoc etiam
dicitur omnis creatura mutabilis, accipiendo large mutationem, secundum quod
omne recipere dicitur pati quoddam et moveri, sicut dicit philosophus in Lib.
3 de anima, text. 12 : intelligere quoddam pati est. |
Par conséquent sous ce
rapport on dit encore de toute créature qu’elle est changeante, en prenant le
changement au sens large, selon qu’on dit de toute réception qu’elle est une
certaine passion, un certain mouvement, ainsi que le dit le Philosophe
[111 De l’âme, texte 12] : L’acte de l’intelligence
est une certaine passion. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod philosophi consideraverunt tantum illam mutationem
quae est secundum variationem formae substantialis vel accidentalis cujus
causa non est immutabilis ; et hanc diviserunt per generationem et
corruptionem et motum. Talem autem mutationem non est possibile in Angelis
esse quantum ad id quod in natura eorum est. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que les philosophes n’ont considéré que ce changement qui a lieu selon
la variation de la forme substantielle ou de la forme accidentelle dont la
cause n’est pas immuable ; et c’est pourquoi leur division du changement
contient la génération, la corruption et le mouvement. Mais il est impossible
qu’il y ait de tels changements chez les Anges quant à ce qui existe dans
leur nature. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 2 Et
per hoc patet solutio ad secundum, quia naturalis non considerat nisi dictam
mutationem. |
2. Et par là on voit la
solution à la deuxième difficulté car le naturaliste ne considère que les
changements dont nous venons de parler. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod Magister et Augustinus loquuntur hic de creaturis quae
habent esse perfectum ; formae autem non habent esse perfectum, cum non
subsistant in se, sed in alio. Vel dicendum, quod dupliciter dicitur aliquid
mutabile ; vel quia subjicitur mutationi, et hoc modo id tantum quod est in
potentia, mutatur ; aut sicut id quod removetur vel abjicitur in [in om.
Éd. De Parme] mutatione ; et sic formae, quae sunt actus, mutabiles sunt.
Non hoc tamen videtur esse de intentione Augustini. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le Maître, tout comme Augustin, parle ici des créatures qui
possèdent une existence parfaite ; mais les formes ne possèdent pas une
existence parfaite puisqu’elles ne subsistent pas en elles-mêmes mais dans
quelque chose d’autre. Ou bien encore il faut dire qu’une chose est dite
changeante de deux manières ; soit parce qu’elle est sujette au
changement et en ce sens seul ce qui est en puissance est changeant ;
soit comme ce qui est rejeté ou écarté dans [dans om. Éd. de Parme]
le changement ; et ainsi les formes, qui sont des actes, sont
changeantes. Mais cela ne semble pas avoir été l’intention d’Augustin. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum similiter,
quod materia prima et universale non habent in se esse completum ; sed esse
eorum est in particularibus compositis: et ideo esse non mutant per se, sed
tantum per accidens, sicut est de formis. |
4. Il faut dire de la même
manière en quatrième lieu que la matière première et l’universel ne possèdent
pas en eux-même une existence complète ; mais leur existence se retrouve
dans des composés particuliers : et c’est pourquoi leur existence n’est
pas changée essentiellement mais accidentellement, tout comme celle des
formes. |
|
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Articulus 3 lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3
tit. Utrum modi mutationis creaturarum convenienter assignentur ab Augustino. |
Article 3 – Les modes de changement des créatures sont-ils attribués convenablementpar Augustin ? |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Augustinus
inconvenienter assignet modos mutationis creaturarum. Secundum illud enim est
mutatio in quo invenitur motus, sicut secundum quantitatem vel qualitatem. Sed in quando non est motus,
ut dicit philosophus, V Phys., text. 9. Ergo videtur quod nihil
dicat creaturas moveri per tempora. |
Difficultés : 1. Il semble qu’Augustin
n’identifie pas comme il convient les modes de changements présents dans les
créatures. D’après lui en effet il y a changement là où on retrouve le
mouvement, comme celui selon la quantité et celui selon la qualité. Mais il
n’y a pas de mouvement dans le temps comme le dit le Philosophe [V Physique,
texte 9]. Il semble donc qu’il ne dise rien des créatures qui se meuvent par
le temps. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 2
Praeterea, in nulla divisione debet unum membrum contineri sub alio. Sed
omnis motus qui est per locum, est etiam [etiam om. Éd. De Parme]
per tempus. Ergo videtur inconvenienter dividere mutationem in mutationem
loci et temporis. |
2. Par ailleurs, dans aucune
division on ne doit retrouver un membre qui est contenu dans un autre. Mais
tout mouvement qui s’effectue dans le lieu se réalise aussi [aussi om.
Éd. de Parme] par le temps. Il semble donc incorrect de diviser le
changement en changement de lieu et en changement de temps. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 3
Praeterea, motus, secundum philosophum est in tribus generibus, scilicet
quantitate, qualitate, et ubi: et adhuc est in substantia generatio et
corruptio simpliciter, et in omnibus generibus generatio et corruptio
secundum quid: qui omnes inveniuntur in creatura corporali. Ergo
videtur quod diminute assignet mutationem creaturarum corporalium per ubi,
sive per locum tantum. |
3. En outre, le mouvement,
selon le Philosophe, se retrouve dans trois genres: la quantité, la qualité
et le lieu; et en outre dans le genre de la substance il y la génération et
la corruption proprement dites et dans tous les genres la génération et la
corruption sous un certain rapport: et tous ces changements se retrouvent
dans la créature corporelle. Il semble donc qu’il assigne sous une forme
diminutive le changement des créatures corporelles par le changement selon le
où, c’est-à-dire par le lieu seulement. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 4
Praeterea, tempus est mensura primi mobilis. Ergo quod non habet ordinem ad
motum primi mobilis, non habet relationem ad tempus. Sed affectiones animarum
non ordinantur ad motum caeli nec subjacent sibi. Ergo inconvenienter dicit,
quod moveri per tempus est per affectiones mutari. |
4. De plus, le temps est la
mesure du premier mobile. Donc, ce qui n’a pas rapport au mouvement du
premier mobile n’a pas de relation avec le temps. Mais les affections des
âmes n’ont pas de rapport au mouvement du ciel et ne lui sont pas soumises.
Il dit donc incorrectement que se mouvoir dans le temps c’est être changé
dans les affections. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod in motu proprie accepto est duo reperire, scilicet
continuitatem et successionem: et secundum quod habet continuitatem, sic
proprie mensuratur per locum, quia ex continuitate magnitudinis est
continuitas motus [ut dicitur IV Physic., text. 99 et
V Physic.,text ; 39 add. Éd. Mandonnet] secundum
autem quod habet successionem, sic proprie mensuratur per tempus ; unde
tempus dicitur numerus motus secundum prius et posterius. Quia autem
inveniuntur aliqui motus habentes continuitatem et successionem, aliqui autem
habentes successionem tantum, sicut motus affectionum, et etiam cogitationum,
quando scilicet anima transit de una cogitatione in aliam (inter enim illas
duas intentiones cogitatas non est aliqua continuitas) ideo divisit
mutationem creaturae per locum et tempus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a deux choses à retrouver dans le mouvement pris au sens propre, à
savoir la continuité et la succession : et selon qu’il posssède la
continuité, ainsi il est proprement mesuré par le lieu car la continuité du
mouvement vient de la continuité de l’étendue [ainsi qu’on le dit dans
IV Physique, texte 99 et V Physique, texte
39 ; add. Éd. Mandonnet] ; mais selon qu’il possède la
succession, alors le mouvement se mesure proprement par le temps ; c’est
pourquoi on dit du temps qu’il est la mesure du mouvement selon l’avant ety
l’après. Mais parce qu’il se rencontre certains mouvements qui possèdent à la
fois la continuité et la succession et d’autres qui ne possèdent que la
succession, comme celui des affections et celui des pensées, c’est-à-dire
quand l’âme passe d’une pensée à une autre (il n’y a en effet entre ces deux
intentions pensées aucune continuité), c’est pourquoi il divise le changement
de la créature par le lieu et par le temps. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in genere quando non est motus, sicut in
terminante motum ; nullus enim motus terminatur ad quando sicut ad ubi: est
tamen motus in quando, sicut in mensurante. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le mouvement n’est pas dans le genre du temps comme dans le
terme du mouvement ; aucun mouvement en effet ne se termine à un temps
comme il se termine à un lieu : le mouvement se termine cependant au
temps comme à ce qui le mesure. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod divisio intelligenda est cum praecisione, ut sic
scilicet intelligatur, quod quaedam mutatio est per locum et tempus ; quaedam
autem per tempus tantum ; quod patet ex his quae dicta sunt. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la division doit s’entendre avec précision, c’est-à-dire de manière
à se comprendre ainsi, à savoir que certains changements ont lieu dans le
temps et le lieu alors que d’autes ont lieu dans le temps seulement, ce qui
est manifeste à partir de ce qui a été dit. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quamvis in corporalibus sint plures motus, omnes tamen
ordinantur ad motum localem caeli, qui est causa omnis motus corporalis ; et
ideo per motum localem tanguntur omnes. Vel potest dici, quod alii motus a
motu locali tanguntur per mutationem quae est per tempus: quia, sicut
Commentator probat, nullus alius motus est simpliciter continuus nisi motus
localis ; et ipse Augustinus dicit in littera, quod Deus creaturam corporalem
movet et per tempus et per locum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien qu’il y ait plusieurs sortes de mouvements dans les réalités
corporelles, elles sont cependant toutes ordonnées au mouvement local du ciel
qui est la cause de tout mouvement corporel ; et c’est pourquoi par le
mouvement corporel on se trouve à toucher tous les mouvements. On peut encore
dire que les autres mouvements sont touchés par le mouvement local
au moyen du changement qui a lieu dans le temps : car, tout comme le
Commentateur le prouve, aucun autre mouvement n’est absolument continu, sauf
le mouvement local ; et Augustin lui-même dit dans la letre que Dieu
meut la créature corporelle à la fois par le temps et par le lieu. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
tempus dupliciter dicitur: uno modo numerus prioris et
posterioris inventorum in motu caeli ; et istud tempus continuitatem habet a
motu, et motus a magnitudine, et hoc tempore mensurantur omnia quae habent
ordinem ad motum caeli, sive per se, sicut motus corporales, sive per
accidens, sicut aliquae operationes animae, secundum quod habent aliquam
relationem ad corpus. Et hoc modo tantum accipitur a philosophis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que le temps se dit de
deux manières : premièrement comme le nombre de l’avant et de l’après de
ce que l’on rencontre dans le mouvement du ciel ; et ce temps tient sa
continuité du mouvement et le mouvement la tient de l’étendue, et c’est par
ce temps que sont mesurées toutes les réalités qui se rapportent au mouvement
du ciel, soit par soi, comme les mouvements corporels, soit par accident
comme certaines opérations de l’âme selon qu’elles ont une relation au corps.
Et c’est de cette manière seulement que le temps s’entend par les
philosophes. |
Alio modo, dicitur tempus
magis communiter numerus ejus quod habet quocumque modo prius et posterius:
et sic dicimus esse tempus mensurans simplices conceptiones intellectus, quae
sunt sibi succedentes: et istud tempus non oportet quod habeat continuitatem,
cum illud secundum quod attenditur motus, non sit continuum. Et sic accipitur
hic tempus, et frequenter a theologis. |
Deuxièmement le temps se dit
plus communément comme le nombre de ce qui possède de quelque façon que ce
soit de l’avant et de l’après : et c’est ainsi que nous disons que le
temps est ce qui mesure les conceptions simples de l’intelligence qui se
succèdent les unes aux autres : et il n’est pas nécessaire que ce temps
possède de la continuité puisque ce d’après quoi s’entend le mouvement n’est
pas continu. Et c’est ainsi que se prend ici le temps, comme le prennent
fréquemment les théologiens. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [La simplicité en Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad
intellectum hujus partis duo quaeruntur: primo de divina simplicitate.
Secundo de simplicitate creaturae. |
Pour arriver à comprendre cette partie, on s’interroge sur
deux choses : premièrement sur la simplicité de Dieu ; deuxièmement
sur la simplicité de la créature. |
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Circa primum tria quaeruntur: 1 si in Deo sit omnimoda
simplicitas ; 2 an contineatur in
praedicamento substantiae ; 3 si alia
praedicamenta de ipso dicantur. |
Au sujet du premier point on pose trois questions : 1. Y a-t-il en Dieu une simplicité absolue ? 2. Dieu est-il contenu dans le prédicament de la
substance ? 3. Est-ce que les autres prédicaments lui sont
attribués ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 tit. Utrum Deus sit omnino
simplex. |
Article 1 – Dieu est-il simple d’une simplicité qui est absolue? |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit simplex omnino.
Ens enim cui non fit additio, est ens commune praedicatum de omnibus de quo
nihil potest vere negari. Sed Deus non est hujusmodi. Ergo ad esse suum fit
aliqua additio. Non est ergo simplex. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de cette première question. Il semble que Dieu ne soit pas simple
d’une simplicité absolue. En effet, l’être auquel rien ne s’ajoute est l’être
commun qui est attribué à tous et duquel rien ne peut être véritablement nié.
Mais Dieu n’est pas un être de cette sorte. Il y a donc quelque chose qui
s’ajoute à son existence. Donc, il n’est pas simple. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, Boetius, lib. De hebdom. Col. 1311,: « Omne
quod est esse participat ut sit ; alio autem participat, ut aliquid
sit ». Sed Deus verissime est ens et est aliquid, quia bonus et sapiens
et hujusmodi. Ergo Deus habet esse suum quo est, et super hoc habet aliquid
aliud quo aliquid est. Ergo non est simplex. |
2. Par ailleurs, Boèce [De
Hebdom. Col. 1311] dit : ¨Toute chose qui existe participe de
l’être pour exister ; mais elle participe par ailleurs pour être aussi
quelque chose de déterminé¨. Mais Dieu est le plus véritablement celui
qui est et il est quelque chose, car il est bon, sage etc. Donc Dieu possède
son existence par laquelle il existe et en plus de cela il possède quelque
chose d’autre par quoi il est quelque chose. Il n’est donc pas simple. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 arg. 3
Item, de quocumque praedicatur aliquid quod non est de substantia sua, illud
non est simplex. Sed quidquid praedicatur de aliquo postquam non
praedicabatur, illud non est de substantia sua, cum nulli rei substantia sua
de novo adveniat. Cum igitur de Deo praedicetur aliquid postquam non
praedicabatur, ut esse dominum et creatorem quae dicuntur de ipso ex tempore,
videtur quod ipse non sit simplex. |
3. Toute ce à quoi on
attribue quelque chose qui ne fait pas partie de sa substance, cela n’est pas
simple. Mais tout ce qui est attribué à un être sans lui avoir été attribué
antérieurement ne fait pas partie de sa substance puisque la substance
d’aucun être ne lui survient à nouveau. Donc, puisque quelque chose est
attribué à Dieu à nouveau sans lui avoir été attribué avant, comme d’être
seigneur et créateur qui se disent de Lui à partir du temps, il semble que
Lui-même ne soit pas simple. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 arg. 4
Praeterea, ubicumque sunt plures res in uno, ibi oportet esse aliquem modum
compositionis. Sed in divina natura sunt tres personae realiter
distinctae, convenientes in una essentia. Ergo videtur ibi esse aliquis modus
compositionis. |
4. De plus, partout où il y a
plusieurs choses dans une seule, il faut qu’il y ait là une certaine forme de
composition. Mais dans la nature divine il y a trois personnes réellement
distinctes qui ont en commun une seule et même essence. Il semble donc qu’il
y ait là une certaine forme de composition. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 s. c. 1
Contra, omne compositum est posterius suis componentibus: quia simplicius est
prius in se, quam addatur sibi aliquid ad compositionem tertii. Sed primo
simpliciter nihil est prius. Cum igitur Deus sit primum principium, non est
compositus. |
Cependant : 1. Tout composé est
postérieur à ses composants : car ce qui est plus simple est antérieur
en soi à ce qui lui est ajouté pour la composition d’une troisième chose.
Mais rien n’est antérieur à ce qui est absolument premier. Donc, puisque Dieu
est le tout premier principe, il n’est pas composé. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 s. c. 2
Praeterea, illud quod est primum dans omnibus esse, habet esse non dependens
ab alio: quod enim habet esse dependens ab alio, habet esse ab alio, et
nullum tale est primum dans esse. Sed Deus est primum dans omnibus esse. Ergo
suum esse non dependet ab alio. Sed cujuslibet compositi esse dependet ex
componentibus, quibus remotis, et esse compositi tollitur et secundum rem et
secundum intellectum. Ergo Deus non est compositus. |
2. En outre, ce qui est
premier de manière à donner l’existence à tout le reste, cela même possède
une existence qui ne dépend pas d’un autre : en effet, ce qui possède
une existence qui dépend d’un autre tient son existence de cet autre et rien
de tel n’est premier à donner l’existence. Mais Dieu est le premier principe
qui donne l’existence à tous les êtres. Donc, son existence ne dépend pas
d’un autre. Mais l’existence de tout composé dépend des éléments de sa composition
qui, une fois retirés, l’existence du composé disparaît elle aussi, à la fois
quant à la chose et quant à l’intelligence. Donc, Dieu n’est pas un être
composé. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 s. c. 3
Item, illud quod est primum principium essendi, nobilissimo modo habet esse,
cum semper sit aliquid nobilius in causa quam in causato. Sed nobilissimus
modus habendi esse, est quo totum aliquid est suum esse. Ergo Deus est suum
esse. Sed nullum compositum totum est suum esse, quia esse ipsius sequitur
componentia, quae non sunt ipsum esse. Ergo Deus non est compositus. Et hoc
simpliciter concedendum est. |
3. En outre, ce qui est le
premier principe de l’existence possède l’existence de la manière la plus
noble puisque toujours quelque chose possède une existence plus noble dans la
cause que celle qu’il a dans l’effet. Mais la manière la plus noble de
posséder l’existence est celle par laquelle tout ce qu’est la chose est son
existence. Donc Dieu est sa propre existence. Mais aucun composé n’est dans
sa totalité son existence car son existence résulte de ses composantes qui ne
sont pas son existence même. Donc Dieu n’est par un être composé. Et cela
doit être concédé absolument. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquid esse sine additione
dicitur dupliciter. Aut de cujus ratione est ut nihil sibi addatur: et sic dicitur de
Deo: hoc enim oportet perfectum esse in se ex quo additionem non recipit ;
nec potest esse commune, quia omne commune salvatur in proprio, ubi sibi fit
additio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que c’est de deux manières qu’on peut dire que quelque chose
existe sans addition. Ou bien il est dans sa nature même que rien ne lui soit
ajouté et c’est ainsi que cela se dit de Dieu : cela doit être en effet
parfait en soi du fait qu’il ne reçoit aucune addition ; et il ne peut
être commun car tout universel est conservé dans le propre où quelque chose
lui est ajoute. |
Aut ita quod non sit de
ratione ejus quod fiat sibi additio, neque quod non fiat, et hoc modo ens commune
est sine additione. In intellectu enim entis non includitur ista conditio,
sine additione ; alias nunquam posset sibi fieri additio, quia esset contra
rationem ejus ; et ideo commune est, quia in sui ratione non dicit aliquam
additionem, sed potest sibi fieri additio ut determinetur ad proprium ; sicut
etiam animal commune dicitur esse sine ratione, quia de intellectu ejus non
est habere rationem, neque non habere ; asinus autem dicitur sine ratione
esse, quia in intellectu ejus includitur negatio rationis, et per hoc
determinatur secundum differentiam propriam. |
Ou bien quelque chose est
sans addition de telle manière qu’il ne soit pas dans sa nature ni que
quelque chose lui soit ajouté, ni que quelque chose ne lui soit pas ajouté,
et c’est en ce sens que l’être commun est sans addition. En effet, dans la
compréhension de l’être n’est pas incluse cette condition, à savoir sans
addition, autrement jamais une addition ne pourrait lui arriver car cela
serait contraire à sa nature ; et c’est pourquoi cet être est commun car
dans sa définition on ne dit aucune addition, mais il peut lui survenir une
addition de manière à ce qu’il se détermine à quelque chose de propre ;
c’est de cette manière encore qu’on dit de l’animal, pris universellement,
qu’il est sans raison car posséder la raison, tout comme ne pas la posséder,
ne fait pas partie de sa compréhension ; mais on dit de l’âne au
contraire qu’il est sans raison car dans la compréhension qu’on s’en fait est
incluse la négation de la raison et par là il se trouve à être déterminé
selon une différence qui lui est propre. |
Ita etiam divinum esse est
determinatum in se et ab omnibus aliis divisum, per hoc quod sibi nulla
additio fieri potest. Unde patet quod negationes dictae de Deo, non designant
in ipso aliquam compositionem. |
C’est de cette manière encore
que l’existence divine est déterminée en elle-même et séparée de toutes les
autres par cela même qu’aucune addition ne peut lui arriver. D’où il est
clair que les négations qu’on dit de Dieu ne désignent en Lui aucune
composition. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod in rebus creatis res determinatur ut sit
aliquid, tripliciter: aut per additionem
alicujus differentiae, quae potentialiter in genere erat ; aut ex eo quod natura communis recipitur in aliquo, et fit
hoc aliquid ; aut ex eo quod alicui additur
accidens, per quod dicitur esse vel sciens vel albus. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans les choses créées la chose est déterminée à être quelque chose
de trois manières : soit par l’addition d’une
différence qui existait potentiellement dans le genre ; soit du fait que la nature
commune est reçue dans un sujet pour devenir tel individu ; soit du fait qu’à un individu
un accident s’ajoute par lequel on dise de lui qu’il est soit savant, soit
blanc. |
Nullus istorum modorum potest
esse in Deo, quia ipse non est commune aliquid, cum de intellectu suo sit
quod non addatur sibi aliquid [alicui additur accidens Éd. de Parme]
; nec etiam ejus natura est recepta in aliquo, cum sit actus purus ; nec
etiam recipit aliquid extra essentiam suam, eo quod essentia sua continet
omnem perfectionem. |
Aucune de ces manières ne
peut exister en Dieu car Lui-même n’est pas comme un genre commun puisqu’il
est dans sa nature que rien ne lui soit ajouté [à quoi s’ajoute
l’accident Éd. de Parme] ; et en plus sa nature n’est
pas telle qu’elle soit reçue dans quelque chose puisqu’Il est acte pur ;
et enfin il ne reçoit pas quelque chose qui serait extérieur à son essence du
fait que son essence contient toute perfection. |
Remanet autem quod sit aliquid
determinatum per conditionem negandi ab ipso omnem additionem [vel
conditionem Éd. de Parme], et per hoc removetur ab eo omne illud
quod possibile est additionem recipere. Unde per suum esse absolutum non
tantum est, sed aliquid est. Nec differt in eo quo est et aliquid esse, nisi
per modum significandi, vel ratione, ut supra dictum est, (dist. 2, qu.
unica, art. 2), de attributis. Dictum autem Boetii intelligitur de
participantibus esse, et non Deo qui essentialiter est suum esse. Ex quo
patet quod attributa nullam compositionem in ipso faciunt. Sapientia enim
secundum suam rationem non facit compositionem, sed secundum suum esse, prout
in subjecto realiter differens est ab ipso ; qualiter in Deo non est, ut
dictum est, (in hac dist. qu. 1, art. 1). |
Il demeure cependant qu’il
soit un être déterminé par cette condition de devoir nier de Lui toute
addition [ou condition Éd. de Parme] et par là on écarte de Lui
tout ce qui est en puissance à recevoir une addition. C’est pourquoi par son
existence absolue il n’existe pas seulement, mais il existe comme être
déterminé. Et en Lui il n’y a pas de différence entre ce par quoi il est et
ce qu’il est, si ce n’est par la manière de signifier ou par la raison, ainsi
que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, qu. Unique, art. 2] au sujet des
attributs. Mais les paroles de Boèce s’entendent de ceux qui existent par
participation et non de Dieu qui est essentiellement sa propre existence.
D’où il est clair que ses attributs n’entraînent aucune composition en Lui.
Ce n’est pas en effet selon sa définition que la sagesse entraîne une
composition mais c’est selon son existence selon que dans un sujet elle
diffère réellement de ce dernier ; mais comme nous l’avons dit [dans
cette distinction, question 1, article 1], ce n’est pas de cette manière que
les choses se passent en Dieu. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hujusmodi relationes quae
dicuntur de Deo ex tempore, non ponunt aliquid in ipso realiter, sed tantum
in creatura. Contingit enim, ut dicit philosophus, V Metaph., text.
20, aliquid dici relative, non quod ipsum referatur, sed quia aliquid
refertur ad ipsum ; sicut est in omnibus quorum unum dependet ab altero, et
non e contrario ; sicut scibile non est relativum, nisi quia scientia
refertur ad ipsum ; scibile enim non dependet a scientia, sed e converso. Sed
quia intellectus noster non potest accipere relationem in uno relativorum
[extremorum Éd. de Parme] quin intelligatur in illo ad quod
refertur, ideo ponit relationem quamdam circa ipsum scibile, et significat
ipsum relative. Unde illa relatio quae significatur in scibili, non est
realiter in ipso, sed secundum rationem tantum ; in scientia autem realiter.
Ita etiam relatio importata per hoc nomen Deus, vel creator, cum de Deo
dicatur, non ponit aliquid in Deo nisi secundum intellectum, sed tantum in
creatura. Ex
quo patet quod diversitas relationum ipsius Dei ad creaturas non ponit
compositionem in ipso. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que de telles relations attribuées à Dieu à partir du temps n’affirment
pas quelque chose qui existent en Lui réellement, mais seulement dans la
créature. Il arrive en effet, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique,
texte 20] que quelque chose se dise relativement non pas de manière à se
rapporter à quelque chose d’autre, mais parce que quelque chose d’autre se
rapporte ou se compare à lui ; il en est ainsi par exemple dans tous les
cas où une même chose dépend d’une autre mais non inversement. Par exemple
l’objet qui peut être connu n’est relatif que parce que la science se
rapporte à lui ; en effet, ce n’est pas l’objet à connaître qui dépend
de la science mais c’est l’inverse qui est vrai. Mais parce que notre
intelligence ne peut recevoir une relation dans un seul des
relatifs [extrêmes Éd. de Parme] qui n’est compris que par
comparaison à celui auquel il se rapporte, c’est pourquoi il pose une
certaine relation sur l’objet à connaître lui-même et le signifie
relativement. C’est pourquoi cette relation qui est signifiée dans l’objet à
connaître n’existe pas en lui selon la réalité mais seulement selon la
raison, alors que cette relation existe en réalité dans la science. De même
encore la relation impliquée par ce nom, à savoir Dieu ou créateur,
lorsqu’elle se dit de Dieu, ne pose quelque chose en Dieu que selon
l’intelligence mais quelque chose de réel seulement dans la créature. D’où il
est clair que la diversité des relations de Dieu lui-même aux créatures ne
pose aucune composition en Lui. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist.
2, qu. unica, art. 5, proprietas personalis comparata ad essentiam, non
differt re ab ipsa, et ideo non facit compositionem cum ea ; sed comparata ad
suum correlativum, facit distinctionem realem ; sed ex illa parte non est
aliqua unio, et ideo nec compositio. Unde relinquitur ibi tres esse res et
tamen nullam compositionem. Ex hoc patet nomina personalia nullam in Deo
compositionem significare. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, qu. Unique, art. 5],
la propriété personnelle comparée à l’essence ne diffère pas par la chose de
cette dernière, et c’est pourquoi elle ne fait pas composition avec
l’essence ; mais comparée à son corrélatif, elle fait une distinction réelle ;
mais de ce côté il n’y a pas union et c’est pourquoi il n’y a pas non plus
composition. D’où il s’ensuit qu’il y a là trois réalités qui existent et
cependant aucune composition. D’où il est clair que les noms personnels ne
signifient en Dieu aucune composition. |
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lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2
tit. Utrum Deus sit in praedicamento substantiae. |
Article 2 – Dieu est-il dans la catégorie de la substance ?[9] |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus sit in
praedicamento substantiae. Omne enim quod est, vel est substantia vel accidens. Sed
Deus non est accidens, ergo est substantia. Cum igitur substantia praedicetur
de ipso sicut praedicatum substantiale, et non conversim, quia non omnis
substantia est Deus, videtur quod de ipso praedicetur sicut genus, et ita
Deus est in genere substantiae. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de cette deuxième question. Il semble que Dieu soit dans le prédicament de la substance. En effet, tout ce qui existe est soit une substance, soit un accident. Mais Dieu n’est pas un accident ; il est donc une substance. Donc puisque la substance s’attribue à Lui comme un prédicat substantiel et non inversement car ce n’est pas toute substance qui est Dieu, il semble que la substance Lui est attribuée comme un genre et ainsi Dieu est dans le genre de la substance. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 arg. 2
Praeterea, substantia est quod non est in subjecto, sed est ens per se. Cum
igitur Deo hoc maxime conveniat, videtur quod ipse sit in genere substantiae. |
2. Par ailleurs, la
substance est ce qui n’existe pas dans un sujet mais ce qui existe par soi.
Donc, puisque cela appartient à Dieu de la façon la plus excellente, il
semble que Lui-même soit dans le genre de la substance. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum, X Metaph., text. 3, unumquodque mensuratur
minimo sui generis, et dicit ibi Commentator quod illud ad quod mensurantur
omnes substantiae est primus motor, qui, secundum ipsum, est Deus. Ergo Deus
est in genere substantiae. |
3. De plus, selon le
Philosophe [X Métaphysique, texte 3], toute chose est mesurée par
ce qu’il y a de plus petit dans son genre, et là le Commentateur dit que ce à
quoi se mesurent toutes les substances est le premier moteur qui, d’après
lui, est Dieu. Dieu est donc dans le genre de la substance. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 s. c. 1
Contra, quidquid est in genere [substantiae add. Éd. de Parme],
aut est sicut generalissimum, aut est sicut contentum sub ipso. Sed Deus non
est in genere substantiae sicut generalissimum, quia praedicaretur de omnibus
substantiis ; nec etiam sicut contentum sub genere [contentum
sustantiae Éd. de Parme], quia adderet aliquid, supra genus
[scilicet supra add. Éd. de Parme] et ita non esset divina
essentia simplicissima. Ergo Deus non est in genere substantiae. |
Cependant : 1. Tout ce qui est dans le genre [de la substance add. Éd. de Parme] y est soit comme le plus universel, soit comme ce qui est contenu en lui. Mais Dieu n’est pas dans le genre de la substance comme ce qu’il y a de plus universel car alors Il s’attribuerait à toutes les substances ; et Il ne s’y trouve pas non plus comme contenu dans le genre [comme un contenu de la substance Éd. de Parme] car alors il ajouterait quelque chose au genre [c’est-à-dire au genre add. Éd. de Parme] et ainsi l’essence divine ne serait plus la plus simple. Donc, Dieu n’est pas dans le genre de la substance. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 s. c. 2.
Praeterea, quidquid est in genere, habet esse suum determinatum ad illud
genus. Sed esse divinum nullo modo determinatum [terminatum Éd. de
Parme] est ad aliquod genus ; quinimmo comprehendit in se nobilitates
omnium generum, ut dicit philosophus et Commentator, in V Metaph.,text.
21. Ergo Deus non est in genere substantiae. Quod simpliciter concedendum
est. |
2. De plus, tout ce qui est dans un genre possède une existence qui est déterminée ou limitée à ce genre. Mais l’existence divine n’est d’aucune manière déterminée [limitée Éd. de Parme] à un genre particulier ; mais au contraire elle comprend en elle-même les perfections de tous les genres, ainsi que le disent le Philosophe et le Commentateur [V Métaphysique, texte 21]. Donc, Dieu n’est pas dans le genre de la substance. Et cela doit être concédé purement et simplement. |
Hujus autem ratio quadruplex
assignatur, prima ponitur in littera ex parte nominis sumpta. Nomen enim
substantiae imponitur a substando, Deus autem nulli substat. |
Il y a quatre raisons pour
manifester cela et la première qui est présentée dans le document se tire du
côté du nom. En effet, le nom même de substance a été imposé à partir de
l’idée de se tenir dessous, alors que Dieu ne se tient sous rien. |
Secunda sumitur ex ratione
ejus quod est in genere. Omne enim hujusmodi addit aliquid supra genus, et
ideo illud quod est summe simplex, non potest esse in genere. |
La deuxième se tire de la
nature de ce qui est dans un genre. En effet tout ce qui est dans un genre
ajoute quelque chose au genre, et c’est pourquoi ce qui est le plus simple ne
peut se trouver dans un genre. |
Tertia ratio subtilior est Avicennae, tract. V Metaph., cap.IV
et tract. IX, cap. 1. Omne quod est in genere, habet quidditatem differentem
ab esse, sicut homo ; humanitati enim ex hoc quod est humanitas, non debetur
esse in actu ; potest enim cogitari humanitas et tamen ignorari an aliquis
homo sit. Et ratio hujus est, quia commune, quod praedicatur de his quae sunt
in genere, praedicat quidditatem, cum genus et species praedicentur in eo
quod quid est. |
Une troisième raison plus
fine nous vient d’Avicenne [Métaphysique V, ch. IV et 1X, ch. 1]. Tout ce qui
est dans un genre possède une quiddité qui est différente de son existence,
comme c’est le cas pour l’homme : en effet, du seul fait que l’humanité
est l’humanité, il ne lui est pas nécessaire d’exister en acte ; on peut
en effet penser l’humanité et cependant ignorer si tel homme existe. Et la
raison en est que l’universel, qui est attribué à ce qui est contenu dans le
genre, attribue la quiddité, puisque le genre et l’espèce sont attribués dans
l’essence. |
Illi autem quidditati non
debetur esse nisi per hoc quod suscepta est in hoc vel in illo. Et ideo
quidditas generis vel speciei non communicatur secundum unum esse omnibus,
sed solum secundum unam rationem communem. Unde constat quod esse suum non
est quidditas sua. In Deo autem esse suum est quidditas sua : aliter
enim accideret quidditati, et ita esset acquisitum sibi ab alio, et non
haberet esse per essentiam suam. Et ideo Deus non potest esse in aliquo
genere. |
Mais il n’est nécessaire à
cette quiddité d’exister qu’à la condition d’être reçue dans celui-ci ou dans
celui-là. Et c’est pourquoi la quiddité du genre ou de l’espèce n’est pas
communiquée à tous d’après une seule existence, mais seulement d’après une
seule définition commune. De là il est clair que son existence n’est pas sa
quiddité. Mais en Dieu l’existence est identique à la quiddité :
autrement il Lui surviendrait une quiddité et ainsi elle Lui serait acquise
par un autre et il ne posséderait par l’existence par son essence. Et c’est
là la raison pour laquelle Dieu ne peut être dans un genre. |
Quarta causa est ex
perfectione divini esse, quae colligit omnes nobilitates omnium generum. Unde
ad nullum genus determinatur, ut objectum est. |
La quatrième raison se tire
de la perfection de l’existence divine qui réunit toutes les perfections
qu’on retrouve dans tous les genres. C’est pourquoi Dieu ne peut être limité
à aucun genre, ainsi que nous l’avons expliqué. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Deus simpliciter non est accidens, nec tamen
omnino proprie potest dici substantia ; tum quia nomen substantiae dicitur a
substando, tum quia substantia quidditatem nominat, quae est aliud ab esse ejus.
Unde illa est divisio entis creati. Si tamen non fieret in hoc vis, largo
modo potest dici substantia, quae tamen intelligitur supra omnem substantiam
creatam, quantum ad id quod est perfectionis in substantia, ut non esse in
alio et hujusmodi, et tunc est idem in praedicato et in subjecto, sicut in
omnibus quae de Deo praedicantur ; et ideo non sequitur quod omne quod est
substantia, sit Deus ; quia nihil aliud ab ipso recipit praedicationem
substantiae sic acceptae, secundum quod dicitur de ipso ; et ita propter
diversum modum praedicandi non dicitur substantia de Deo et creaturis
univoce, sed analogice. Et haec potest esse alia ratio quare Deus non est in
aliquo genere, quia scilicet nihil de ipso et de aliis univoce praedicatur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que Dieu n’est absolument pas un accident et il ne peut cependant
absolument pas être appelé substance au sens propre, tant parce que le nom de
substance se dit de ce qui se tient dessous que parce que la substance
désigne une quiddité qui est autre que son existence. Et c’est pourquoi la
substance est une division de l’être créé. Cependant, s’il n’y a rien de
forcé en cela, au sens large Dieu peut être appelé substance si on l’entend
cependant comme une substance qui transcende toute substance créée quant à ce
qu’il y a de perfection dans la substance, comme de ne pas exister dans un
autre et d’autres choses de ce genre et alors c’est la même chose
qu’on retrouve dans le sujet et le prédicat, comme tout ce qui est attribué à
Dieu ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas que tout ce qui est
substance soit Dieu ; car rien d’autre que Lui ne reçoit l’attribution
de la substance prise en ce sens selon qu’elle se dit de Lui ; et ainsi,
en raison d’un mode différent d’attribution, la substance ne se dit pas de
Dieu et des créatures d’une manière univoque, mais par analogie. Et cela peut
constituer une autre raison pour laquelle Dieu n’est pas dans un genre,
c’est-à-dire parce que rien ne s’attribue de manière univoque à Dieu et aux
autres êtres. |
Lib.
1, dist. 8, qu. 4, art. 2, ad. 2. Ad
secundum dicendum, quod ista definitio, secundum Avicennam, tract. 11 Metaph., cap.
1, et tract. 111, cap. VIII, non potest esse substantiae :
substantia est quae non est in subjecto. Ens enim non est genus. Haec autem
negatio ¨non in subjecto¨ nihil ponit ; unde hoc quod dico, ens non est
in subjecto, non dicit aliquod genus : quia in quolibet genere oportet
significare quidditatem aliquam, ut dictum est, de cujus intellectu non est
esse. Ens autem non dicit quidditatem, sed solum actum essendi, cum sit
principium ipsum ; et ideo non sequitur : est non in subjecto, ergo
est in genere substantiae ; sed oportet addi : est habens
quidditatem quam consequitur esse non in subjecto ; ergo est in genere
substantiae. Sed hoc dictum Deo non convenit, ut dictum est. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que cette définition, d’après Avicenne [Métaphysique, tr. 11, ch.
1 ; et tr. 111, ch. VIII] ne peut pas être celle de la
substance : la substance est ce qui n’existe pas dans un sujet. L’être
en effet n’est pas un genre. Cette négation cependant, à savoir ¨n’est pas
dans un sujet¨, n’affirme rien ; de là ce que je dis, à savoir l’être
n’est pas dans un sujet, cela ne dit pas un genre car dans tout genre il
faut signifier une certaine quiddité, ainsi que nous l’avons dit, dans la
compréhension de laquelle il n’y a pas l’existence. L’être cependant ne dit
pas une quiddité, mais seulement l’acte d’exister puisqu’il est le principe
même ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas ceci : ceci n’est pas
dans un sujet, donc ceci est dans le genre de la substance ; mais il
faut ajouter : ceci possède une quiddité qui découle de ne pas exister
dans un sujet, donc ceci est dans le genre de la substance. [mais il faut
…dans le genre de la substance om. Éd. de Parme]. Mais cela ne
convient pas à Dieu, ainsi que nous l’avons dit [nous l’avons dit om.
Éd. de Parme] dans la citation précédente. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod mensura proprie dicitur in quantitatibus: dicitur enim
mensura illud per quod innotescit quantitas rei, et hoc est minimum in genere
quantitatis vel simpliciter, ut in numeris, quae mensurantur unitate, quae
est minimum simpliciter ; aut minimum secundum positionem nostram, sicut in
continuis, in quibus non est minimum simpliciter ; unde ponimus palmum loco
minimi ad mensurandum pannos, vel stadium ad mensurandum viam. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la mesure se dit proprement de la quantité : on dit en effet
d’une mesure qu’elle est ce par quoi la quantité de la chose est connue, et
cela est la plus petite partie dans le genre de la quantité soit absolument
comme dans les nombres qui sont mesurées par l’unité qui set la plus petite
partie absolument ; soit la plus petite partie selon notre position, comme
c’est le cas dans les quantités continues dans lequelles il n’y a pas de plus
petite partie absolue ; c’est pourquoi nous prenons le palme comme étant
la plus petite quantité pour mesurer les pièces d’étoffe, ou le stade pouir
mesurer le chemin parcouru. |
Exinde transumptum est nomen
mensurae ad omnia genera, ut illud quod est primum in quolibet genere et
simplicissimum et perfectissimum dicatur mensura omnium quae sunt in genere
illo ; eo quod unumquodque cognoscitur habere de veritate generis plus et minus,
secundum quod magis accedit ad ipsum vel recedit, ut album in genere colorum.
Ita etiam in genere substantiae illud quod habet esse perfectissimum et
simplicissimum, dicitur mensura omnium substantiarum, sicut Deus. Unde non
oportet quod sit in genere substantiae sicut contentum, sed solum sicut
principium, habens in se omnem perfectionem generis sicut unitas in numeris,
sed diversimode ; quia unitate non mensurantur nisi numeri ; sed Deus est
mensura non tantum substantialium perfectionum, sed omnium quae sunt in
omnibus generibus, sicut sapientiae, virtutis et hujusmodi. Et ideo quamvis
unitas contineatur in uno genere determinato sicut principium, non tamen
Deus. |
De là le nom de mesure a été
transporté à tous les genres, de sorte que ce qui est premier, le plus simple
et le plus parfait dans tout genre soit appelé la mesure de tout ce qui est
dans ce genre ; du fait que toute chose est connue comme possédant plus
ou moins de la vérité du genre selon qu’elle s’approche ou s’éloigne
davantage de la mesure, comme du blanc dans le genre de la couleur. De même
encore dans le genre de la substance ce qui possède l’existence la plus
parfaite et la plus simple, comme Dieu, est appelé la mesure de toutes les
substances. C’est pourquoi il ne faut pas que la mesure soit dans le genre de
la substance comme ce qui y est contenu, mais seulement comme un principe qui
possède en lui toute la perfection du genre comme c’est le cas pour l’unité
par rapport aux nombres, mais différemment ; car il n’y a que les nombres
qui soient mesurés par l’unité alors que Dieu est la mesure non seulement des
perfections substanctielles, mais de toutes les perfections qui sont dans
tous les genres, par exemple de la sagesse, de la vertu etc. Et c’est
pourquoi, bien que l’unité soit contenue dans un genre déterminé comme
principe, ce n’est pas le cas pour Dieu. |
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Articulus 3 :
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 tit. Utrum alia praedicamenta de Deo dicantur |
Article 3 – Est-ce que les autres prédicaments s’attribuent à Dieu ?[10] |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur etiam quod
alia praedicamenta de Deo dicantur. De quocumque enim praedicatur species, et
genus. Sed scientia, quae est species qualitatis, invenitur in Deo, et
magnitudo, quae est species quantitatis. Ergo et quantitas et qualitas. |
Difficultés : 1. Il semble que les autres prédicaments aussi s’attribuent à Dieu. L’espèce et le genre en effet s’attribuent à tout. Mais la science, qui est une espèce de la qualité, se retrouve en Dieu, comme la grandeur qui est une espèce de la quantité. Donc la quantité et la qualité s’attribuent à Dieu. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, philosophus in IV Metaph., text.
4 et seq., dicit: « unum in substantia facit idem, in quantitate
aequale, in qualitate simile ». Sed in Deo dicitur vere aequalitas
et similitudo. Ergo oportet de eo dici aliquid per modum qualitatis et
quantitatis, sicut scientiam vel magnitudinem. |
2. En outre, le Philosophe
[IV Métaphysique, texte 4 et suiv.] dit : ¨De l’un dans
la substance résulte le même, dans la quantité l’égal et dans la qualité le
semblable¨. Mais en Dieu on parle véritablement de l’égal et du
semblable. Il faut donc Lui attribuer quelque chose selon le mode de la
qualité et de la quantité, comme la science ou la grandeur. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, natura generis propriissime reperitur in eo
in quo primo est. Sed
Deus est primum agens. Ergo in eo actio praecipue invenitur. |
3. De plus, la nature du
genre se découvre le plus proprement dans ce en quoi elle se retrouve en
premier. Mais Dieu est l’agent premier. C’est donc en Lui que l’action se
retrouve en premier. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 arg. 4
Praeterea, quanto aliquid est debilioris esse, tanto magis repugnat summae
perfectioni. Sed inter omnia alia entia relatio habet debilissimum esse, ut
dicit Commentator, XI Metaph., text. 11, unde etiam fundatur
super alia omnia entia, sicut supra quantitatem aequalitas, et sic de aliis.
Cum igitur in divinis inveniatur relatio, multo fortius alia praedicamenta. |
4. Par ailleurs, un être
répugne d’autant plus à la plus grande perfection qu’il est plus faible. Mais
parmi tous les autres êtres, la relation comme catégorie possède l’existence
la plus faible, ainsi que le dit le Commentateur [XI Métaphysique,
texte 11], et c’est pourquoi elle se fonde sur tous les autres êtres comme
l’égalité se fonde sur sur la quantité, et il en est ainsi du reste. Donc,
puisqu’on retrouve une relation entre les personnes divines, on y retrouve à
plus forte raison les autres catégories. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 s. c. 1
Contra, Augustinus V De Trin., cap. VIII : omne quod
de Deo dicitur, aut secundum substantiam aut secundum relationem dicitur ;
et ita alia praedicamenta non erunt in divinis. Hoc etiam habetur ex
auctoritate Augustini in littera. |
Cependant : 1. Augustin [V De la
Trinité, ch. VIII] dit : Tout ce qui se dit de
Dieu se dit soit selon la substance, soit selon la relation ; et
ainsi les autres prédicaments de se retrouvent pas en Dieu. Cette conclusion
se tire aussi de l’autorité d’Augustin dans le document. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod quidquid inventum in creaturis, de Deo praedicatur,
praedicatur eminenter, ut dicit Dionysius, sicut etiam est in omnibus aliis
causis et causatis. Unde oportet omnem imperfectionem
removeri ab eo quod in divinam praedicationem venit. Sed in unoquoque novem
praedicamentorum duo invenio ; scilicet rationem accidentis et rationem
propriam illius generis, sicut quantitatis vel qualitatis. Ratio autem
accidentis imperfectionem continet: quia esse accidentis est inesse et
dependere, et compositionem facere cum subjecto per consequens. Unde secundum
rationem accidentis nihil potest de Deo praedicari. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout ce qu’on retrouve dans les créatures et qui s’attribue à Dieu Lui
est attribué de la manière la plus excellente, ainsi que le dit Denys [Les
Noms Divins, VII, & 3, col. 870, t. 1], comme c’est le cas
aussi pour toutes les autres causes et leurs effets. D’où il faut que toute
imperfection soit exclue de ce qui est présent dans la perfection divine.
Mais dans chacun des neuf autres prédicaments je découvre deux choses :
à savoir la notion d’accident et la notion propre à ce genre, comme la
quantité et la qualité. Mais la notion d’accident contient une
imperfection : car l’être d’un accident est d’exister dans un autre et
de dépendre, et par conséquent de produire une composition avec le sujet.
C’est pourquoi rien ne peut être attribué à Dieu d’après la notion
d’accident. |
Si autem consideremus propriam
rationem cujuslibet generis, quodlibet aliorum generum, praeter ad aliquid,
importat imperfectionem ; quantitas enim habet propriam rationem in
comparatione ad subjectum ; est enim quantitas mensura substantiae, qualitas
dispositio substantiae, et sic patet in omnibus aliis. Unde
eadem ratione removentur a divina praedicatione secundum rationem generis,
sicut removebantur per rationem accidentis. Si autem consideremus species ipsarum,
tunc aliqua secundum differentias completivas important aliquid perfectionis,
ut scientia, virtus et hujusmodi. Et ideo ista praedicantur de Deo secundum
propriam rationem speciei et non secundum rationem generis. Ad
aliquid autem, etiam secundum rationem generis, non importat aliquam
dependentiam ad subjectum ; immo refertur ad aliquid extra: et ideo etiam
secundum rationem generis in divinis invenitur. Et propter hoc tantum
remanent duo modi praedicandi in divinis, scilicet secundum substantiam et
secundum relationem ; non enim speciei contentae in genere debetur aliquis
modus praedicandi, sed ipsi generi. |
Mais si nous
considérons la notion propre à un genre, n’importe quel des autres genres en
dehors de la relation implique une imperfection; la quantité en effet possède
une notion propre par rapport au sujet: elle est en effet la mesure de la
substance, alors que la qualité est une disposition de la substance et il est
clair qu’il en est ainsi pour tous les autres genres. C’est pourquoi ces
autres genres sont exclus de l’attribution divine selon la notion du genre
pour la même raison qu’ils en étaient exclus pour la raison de l’accident.
Mais si nous considérons les espèces de ces genres, alors certaines, d’après
leurs differences complémentaires, impliquent quelque perfection, comme la
science, la vertu, etc. Et c’est pourquoi ces genres s’attribuent à Dieu
selon la notion propre à l’espèce et non pas selon la notion de genre en tant
que tel. Mais la relation, même selon la notion de genre, n’implique pas
quelque dépendance à l’égard d’un sujet; bien au contraire, elle se rapporte
à quelque chose d’extérieur: et c’est pourquoi elle se retrouve dans les
personnes divines même selon la notion de genre. Et c’est pour cette raison
qu’il ne reste que deux modes d’attribution qui s’appliquent aux personnes
divines, à savoir celui de la substance et celui de la relation; c’est au
genre lui-même en effet qu’est dû un mode d’attribution et non à l’espèce qui
est contenue dans le genre. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dictum est, in corp.
art., scientia non praedicatur de Deo secundum rationem generis, sed secundum
propriam differentiam, quae complet rationem ipsius. Unde non praedicatur univoce
de Deo et de aliis ; sed secundum prius et posterius. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article
précédent, la science ne s’attribue pas à Dieu selon la notion de genre mais
selon la différence propre qui complète sa notion. C’est pourquoi elle ne
s’attribue pas à Dieu et aux autres être de manière univoque, mais selon
l’avant et l’après. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in divinis quaedam dicuntur habere modum quantitatis
vel qualitatis ; non quia secundum talem modum praedicentur de Deo, sed
secundum modum quo inveniuntur in creaturis, prout nomina quae a nobis
imposita sunt, modum habent qualitatis et quantitatis: sicut etiam Damascenus
dicit, lib. I Fide orth.,cap. XII, col. 834, quod quaedam
dicuntur de Deo sicut assequentia substantiam, cum tamen, prout in ipso est,
nihil sit assequens. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que parmi les personnes divines certaines sont dites posséder
le mode de la quantité ou celui de la qualité; non pas parce qu’ils
s’attribuent à Dieu selon un tel mode mais selon le mode par lequel ils se
retrouvent dans les créatures, dans la mesure où les noms que nous imposons
possèdent le mode de la qualité ou de la quantité; tout comme Damascène dit
encore [De la Foi Orthodoxe, 1, ch. XII, col. 834] que certaines
choses se disent de Dieu comme si elles atteignaient la substance bien que
cependant, considérées en elles-mêmes, elles n’atteignent rien. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod actio, secundum quod est praedicamentum, dicit aliquid
fluens ab agente, et cum motu ; sed in Deo non est aliquid medium secundum
rem inter ipsum et opus suum, et ideo non dicitur agens actione quae est
praedicamentum, sed actio sua est substantia. De hoc tamen plenius
dicetur in principio secundi, (dist. 1, qu. unica, art. 2). |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’action, en tant que prédicament, dit quelque chose qui découle
d’un agent et qui s’accompagne de mouvement ; mais en Dieu il n’y a
aucun intermédiaire en réalité entre Lui et son œuvre, et c’est pourquoi on
ne dit pas de Lui qu’il est un agent par une action qui serait un
prédicament, mais au contraire son action est sa substance. Nous parlerons
cependant de cela d’une manière plus exhaustive au début du second livre
[dist. 1, qu. unique, art. 2]. |
Lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod debilitas esse relationis consideratur secundum
inhaerentiam sui ad subjectum: quia non ubje aliquid absolutum in ubject, sed
tantum per respectum ad aliud.Unde ex hoc habet magis quod veniat in divinam
praedicationem : quia quanto minus addit, tanto minus repugnat
simplicitati. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la faiblesse de l’existence de la relation est considérée d’après
son attachement au sujet : car elle ne pose pas quelque chose d’absolu
dans le sujet, mais seulement par rapport à quelque chose d’autre. Et c’est
pourquoi à partir de là il lui appartient davantage d’en venir à une
attibution aux personnes divines : car elle répugne d’autant moins à la
simplicité qu’elle ajoute moins. |
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Question 5 – [La simplicité du côté des créatures] |
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Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 8 q. 5 pr. Deinde quaeritur de simplicitate ex
parte creaturae ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum aliqua creatura sit simplex ; 2 utrum anima sit simplex, quia hoc habet specialem
difficultatem ; 3 utrum sit tota in qualibet
parte corporis. |
On s’interroge ensuite sur la
simplicité qui se tient du côté de la créature ; et à ce sujet on pose
trois questions : 1. Y a-t-il une créature qui
soit simple ? 2. Est-ce que l’âme est
simple ? Car cela présente une difficulté spéciale. 3. L’âme est-elle totalement
présente dans chacune des parties du corps ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1
tit. Utrum aliqua creatura sit simplex |
Article 1 – Existe-t-il une créature simple ? |
lib. 1
d. 8 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aliqua creatura simplex sit.
Forma enim est compositioni contingens, simplici et invariabili essentia
consistens. Sed forma est creatura. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il y ait
simplicité chez certaines créatures. La forme en effet est congingente à la
composition et consiste en une essence simple et invariable. Mais la forme
est une créature. Il y a donc simplicité chez la créature. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 2
Praeterea, resolutio intellectus non stat quousque invenit compositionem,
sive sint separabilia secundum rem, sive non ; multa enim separantur
intellectu quae non separantur actu, secundum Boetium, De hebdom., col.
1311, Illud ergo in quo ultima stat resolutio intellectus est omnino simplex.
Sed ens commune est hujusmodi. Ergo et cetera. |
2. Par ailleurs, la
résolution de l’intelligence ne s’arrête pas tant que l’on retrouve de la
composition, que l’objet de la résolution soit séparable en réalité ou
non : il y a plusieurs objets en effet selon Boèce [Les Hebdomadaires,
co. 1311]qui sont séparés par l’intelligence mais qui ne le sont pas en acte.
Donc, ce en quoi s’arrête la dernière résolution de l’intelligence est absolument
simple. Mais l’être commun est absolument simple. La simplicité existe donc
chez la créature. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 3
Praeterea, si omnis creatura est composita, constat quod non est composita
nisi ex creaturis. Ergo et componentia sua erunt composita. Igitur itur
[universaliter Éd. de Parme] in infinitum (quod natura et
intellectus non patitur) ; vel erit devenire ad prima componentia simplicia,
quae tamen creaturae sunt. Ergo et cetera. |
3. De plus, si toute créature
est composée, il est clair qu’elle n’est composée que de ce qui est créé,
d’autres créatures. Donc, les composantes elles-mêmes seront composées. On
ira donc [universellement Éd. de Parme] à l’infini (ce qui n’est
compatible ni avec nature ni avec l’intelligence) ; ou bien il faudra en
venir à de premières composantes simples qui sont cependant des créatures. Il
y donc simplicité chez la créature. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 4
Si dicatur, quod illa componentia non possunt esse simplicia, quia habent
habitudinem concretam, quod sint ab alio: contra, illud quod est extrinsecum
rei, non facit compositionem cum re ipsa. Sed agens est extrinsecum a re.
Ergo per hoc quod res est ab aliquo agente, non inducitur in ipsam aliqua
compositio. |
4. Si on disait que ces
composantes ne peuvent être simples car elles possèdent une manière d’être
qui et concrète, et qu’elles viennent d’un autre : mais ce qui est
extrinsèque à la chose ne fait pas composition avec elle. Mais l’agent est
extrinsèque à la chose. Donc, par cela que la chose vient d’un agent
extérieur, cela ne conduit pas à introduire en elle une composition. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 s. c. 1
Contra, Boetius, De Trinitate, cap. II: col. 1250: « In
omni eo quod est citra primum, differt et quod est et quo est ». Sed omnis
creatura est citra primum. Ergo est composita ex esse et quod est. |
Cependant : 1. Boèce [De la Trinité,
ch. 11, col. 1250] dit : ¨Dans tout ce qui est en deçà de ce qui est
premier, ce qui existe diffère de ce par quoi la chose existe¨.
Mais toute créature est en deçà de ce qui est premier. Elle est donc composée
de l’existence et de ce qui existe. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 s. c. 2
Praeterea, omnis creatura habet esse finitum. Sed esse non receptum in
aliquo, non est finitum, immo absolutum. Ergo omnis creatura habet esse
receptum in aliquo ; et ita oportet quod habeat duo ad minus, scilicet esse,
et id quod esse recipit. |
2. De plus, toute créature
possède une existence qui est finie. Mais l’existence qui n’est pas reçue
dans un autre n’est pas finie mais elle est plutôt absolue. Donc, toute
créature possède une existence qui est reçue dans un autre ; et ainsi,
il faut qu’elle possède au moins deux éléments, à savoir l’existence et ce
qui reçoit l’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod omne quod procedit a Deo in diversitate essentiae,
deficit a simplicitate ejus. Ex hoc autem quod deficit a simplicitate, non
oportet quod incidat in compositionem ; sicut ex hoc quod deficit a summa
bonitate, non oportet quod incidat in ipsam aliqua malitia. Dico ergo quod
creatura est duplex. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout ce qui procède de Dieu s’écarte de la simplicité de ce dernier. Mais
du fait qu’elle s’écarte de cette simplicité, il ne s’ensuit pas
nécessairement que la créature tombe dans la composition, tout comme du fait
qu’elle s’écarte de la bonté la plus excellente, il ne s’ensuit pas qu’il se
rencontre en elle de la méchanceté. Je dis donc qu’il y a deux sortes de
créatures. |
Quaedam enim est quae habet
esse completum in se, sicut homo et hujusmodi, et talis creatura ita deficit
a simplicitate divina quod incidit in compositionem. Cum enim in solo Deo
esse suum sit sua quidditas, oportet quod in qualibet creatura, vel in
corporali vel in spirituali, inveniatur quidditas vel natura sua, et esse
suum, quod est sibi acquisitum a Deo, cujus essentia est suum esse ; et ita
componitur ex esse, vel quo est, et quod est. |
Il y en a qui possèdent une
existence complète en elles-mêmes, comme l’homme et les créatures de cette
sorte, et ces créatures s’écartent de la simplicité divine de telle manière
qu’elles tombent dans la composition. En effet, puisque c’est en Dieu seul
que l’existence est identique à la quiddité, il faut que dans toute créature,
soit corporelle soit spirituelle on retrouve à la fois une quiddité et une
nature d’une part et une existence d’autre part qui lui soit acquise par Dieu
dont l’essence est son existence ; et ainsi toute créature est composée
de son existence, ou de ce par quoi elle est, et de ce qu’elle est. |
Est etiam quaedam creatura quae non habet esse in se, sed
tantum in alio, sicut materia prima, sicut forma quaelibet, sicut universale
; non enim est esse alicujus, nisi particularis subsistentis in natura ; et
talis creatura non deficit a simplicitate, ita quod sit composita. |
Mais il y a aussi une autre
sorte de créature qui ne possède pas l’existence en elle-même mais seulement
dans un autre comme la matière première, comme toute forme, comme
l’universel ; et une telle créature en effet n’est pas l’existence d’un
être, sauf d’un être particulier qui subsiste dans une nature ; et une
telle créature ne s’écarte pas de la simplicité de telle manière qu’elle
serait composée. |
Si enim dicatur, quod
componitur ex ipsa sua natura et habitudinibus quibus refertur ad Deum vel ad
illud cum quo componitur, item quaeritur de illis habitudinibus utrum sint
res, vel non: et si non sunt res, non faciunt compositionem ; si autem sunt
res, ipsae non referuntur habitudinibus aliis, sed se ipsis: quia illud quod
per se est relatio, non refertur per aliam relationem. Unde oportebit
devenire ad aliquid quod non est compositum, sed tamen deficit a simplicitate
primi: et defectus iste perpenditur ex duobus: vel quia est divisibile in
potentia vel per accidens, sicut materia prima, et forma, et universale ; vel
quia est componibile alteri, quod divina simplicitas non patitur. |
Si en effet on disait qu’elle
est composée de sa nature et des manières d’êtres par lesquelles elle se
rapporte à Dieu ou à ce avec quoi elle est composée, il faudrait encore savoir
au sujet de ces manières d’être si elles sont des choses ou non : et si
elles ne sont pas des choses, elles ne font pas composition ; mais si
elles sont des choses, elles-mêmes ne se rapportent pas à d’autres manières
d’être mais à elles-mêmes : car ce qui constitue une relation en
soi-même ne se rapporte pas à une autre relation. C’est pourquoi il faudra en
venir à quelque chose qui n’est pas composé mais qui s’écarte cependant de la
simplicité première : et ce défaut se juge d’après deux choses :
soit parce qu’elle est divisible en puissance ou par accident comme la
matière première, la forme et l’universel ; soit parce qu’elle peut
entrer en composition avec quelque chose d’autre, ce qui n’est pas compatible
avec la simplicité divine. |
lib. 1
d. 8 q. 5 a. 1 ad arg. Et per hoc patet solutio ad ea quae objecta
sunt. Primae
enim rationes procedebant de illis creaturis quae non habent esse completum,
quae non componuntur ex aliis sicut ex partibus ; et aliae duae procedebant
de creaturis quae habent esse completum. |
Et par là on voit manifestement la solution aux
difficultés qui ont été présentées. Les deux premières raisons en effet
procédaient de ces créatures qui ne possèdent pas en elles-mêmes une
existence complète et qui ne sont pas composées d’autres choses comme de
parties ; les deux dernières procédaient des créatures qui possèdent une
existence complète. |
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Articulus 2,
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 tit. Utrum anima sit simplex. |
Article 2 – L'âme est-elle simple ? |
lib.
1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 1. Ad secundum sic proceditur. Videtur quod anima sit
simplex. Sicut enim dicit philosophus, de anima, text. 2, anima est
forma corporis. Sed ibidem dicit, quod forma neque est materia neque
compositum. Ergo
anima non est composita. |
Difficultés : 1. Il semble que l’âme soit
simple. Comme le dit en effet le Philosophe [11 De l’Âme, texte
2], l’âme est la forme du corps. Mais il dit au même endroit que la forme
n’est ni une matière, ni un composé. L’âme n’est donc pas un composé. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 2
Praeterea, omne quod est compositum, habet esse ex suis componentibus. Si
igitur anima sit composita, tunc ipsa in se habet aliquod esse, et illud esse
nunquam removetur ab ea. Sed ex conjunctione animae ad corpus relinquitur
esse hominis. Ergo esse hominis est esse duplex, scilicet esse animae, et
esse conjuncti: quod non potest esse, cum unius rei sit unicum esse. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
est composé possède l’existence à partir de ses composants. Si donc l’âme
était un composé, elle posséderait en elle-même une existence et cette
existence ne pourrait jamais lui être enlevée. Mais c’est de l’union de l’âme
et du corps que résulte l’existence de l’homme. L’existence de l’homme est
donc double, à savoir l’existence de l’âme et celle du composé : mais
cela est impossible car pour une seule et même chose il n’y a qu’une seule
existence. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 3
Praeterea, omnis compositio quae advenit rei post suum esse completum, est
sibi accidentalis. Si igitur anima est composita ex suis principiis, habens
in se esse perfectum, compositio ipsius ad corpus erit sibi accidentalis. Sed
compositio accidentalis terminatur ad unum per accidens. Ergo ex anima et
corpore non efficitur nisi unum per accidens ; et ita homo non est ens per
se, sed per accidens. |
3. En outre, toute
composition qui survient à la chose suite à son existence complète lui est
accidentelle. Si donc l’âme est composée de ses principes, possédant en
elle-même une existence parfaite, sa composition avec le corps lui sera
accidentelle. Mais toute composition accidentelle se termine à une unité
accidentelle. Donc, de l’union du corps et de l’âme ne résulterait qu’une
unité accidentelle et ainsi l’homme ne serait pas un être essentiel, par soi,
mais un être accidentel. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 4 Contra, Boetius, I De Trin., cap. II, col. 1250: Nulla forma simplex potest esse subjectum. Sed anima est subjectum et potentiarum et habituum et specierum intelligibilium. Ergo non est forma simplex. |
4. Au contraire, Boèce
[1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250] dit : Aucune forme
simple ne peut être un sujet. Mais l’âme est le sujet à la fois des
puissances, des habitus et des espèces intelligibles. L’âme n’est donc pas
une forme simple. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 5
Praeterea, forma simplex non habet esse per se, ut dictum est, art. praec.,
in corp. Sed illud quod non habet esse nisi per hoc quod est in altero, non
potest remanere post illud, nec etiam potest esse motor, quamvis possit esse
principium motus, quia movens est ens perfectum in se ; unde forma ignis non
est motor ut dicitur VIII Physic. Text. 40. Anima autem
manet post corpus, et est motor corporis. Ergo non est forma simplex. |
5. Par ailleurs, la forme
simple ne possède pas d’existence par elle-même, ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article précédent. Mais ce qui ne possède l’existence que
du fait qu’il existe dans un autre ne peut continuer à exister sans cet autre
et il ne peut non plus être un moteur bien qu’il puisse être le principe d’un
mouvement, car tout moteur est un être qui est parfait en lui-même ;
c’est pourquoi la forme du feu n’est pas un moteur ainsi que le dit le
Philosophe [ VIII Physique, texte 40]. Mais l’âme continue à
exister sans le corps et elle est le moteur du corps. Elle n’est donc pas une
forme simple. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 6
Praeterea, nulla forma simplex habet in se unde individuetur, cum omnis forma
sit de se communis. Si igitur anima est forma simplex, non habebit in se unde
individuetur ; sed tantum individuabitur per corpus. Remoto autem eo quod est
causa individuationis, tollitur individuatio. Ergo remoto corpore, non
remanebunt animae diversae secundum individua ; et ita non remanebit nisi una
anima quae erit ipsa natura animae. |
6. De plus, aucune forme
simple ne possède en elle le principe de son individuation, puisque toute
forme est de soi universelle. Si donc l’âme est une forme simple, elle ne
possède pas en elle le principe de son individuation mais elle ne peut
être individuée que par un principe corporel. Mais une fois enlevé
ce qui est cause d’individuation, l’individuation elle-même disparaît. Donc,
une fois enlevé ce qui est corporel, il ne restera plus d’âmes différentes
dans des individus différents ; et ainsi il ne restera plus qu’une seule
âme qui sera la nature même de l’âme. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod hic est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod
anima est composita ex materia et forma ; quorum etiam sunt quidam dicentes,
eamdem esse materiam animae et aliorum corporalium et spiritualium. Sed hoc
non videtur esse verum, quia nulla forma efficitur intelligibilis, nisi per
hoc quod separatur a materia et ab appendentiis materiae. Hoc autem non est
inquantum est materia corporalis perfecta corporeitate, cum ipsa forma
corporeitatis sit intelligibilis per separationem a materia. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a deux opinions à ce sujet. Certains disent en effet que l’âme est
composée de matière et de forme ; parmi lesquels encore certains
soutiennent que la matière de l’âme est la même que celle des autres corps et
des réalités spirituelles. Mais cela ne semble pas être vrai car aucune forme
ne devient intelligible, si ce n’est par ceci qu’elle est séparée de la
matière et de ce qui dépend de la matière. Mais il n’en est pas ainsi selon que
la matière corporelle est parfaite par la corporéité, puisque la forme même
de la corporéité est intelligible par la séparation de la matière. |
Unde illae substantiae quae
sunt intelligibiles per naturam, non videntur esse materiales: alias species
rerum in ipsis non essent secundum esse intelligibile. Unde Avicenna dicit,
tract. III, cap. VIII, quod aliquid dicitur esse intellectivum, quia est
immune a materia. Et propterea materia prima, prout consideratur nuda ab omni
forma, non habet aliquam diversitatem, nec efficitur diversa per aliqua
accidentia ante adventum formae substantialis, cum esse accidentale non
praecedat substantiale. Uni autem perfectibili debetur una
perfectio. Ergo oportet quod prima forma substantialis perficiat totam
materiam. |
C’est pourquoi ces substances
qui sont intelligibles par nature ne semblent pas être matérielles :
autrement les espèces des choses ne seraient pas en elles selon une existence
intelligible. C’est pourquoi Avicenne dit [traité 111, ch. VIII]
qu’on dit d’un être qu’il est intellectuel parce qu’il est dépourvu de
matière. Et c’est à cause de cela que la matière première, selon qu’on la
considère comme dénuée de toute forme, ne possède aucune diversité et n’est
différenciée par aucun accident avant que lui suivienne la forme
substantielle, puisque l’existence accidentelle ne précède pas l’existence
substantielle. Mais à un seul et même perfectible n’est due qu’une seule
perfection. Il faut donc que la forme substantielle première donne sa
perfection à toute la matière. |
Sed prima forma quae recipitur
in materia, est corporeitas, a qua nunquam denudatur, ut dicit Comment. Ergo
forma corporeitatis est in tota materia, et ita materia non erit nisi in
corporibus. Si enim diceres, quod quidditas substantiae esset prima forma
recepta in materia, adhuc redibit in idem ; quia ex quidditate substantiae
materia non habet divisionem, sed ex corporeitate, quam consequuntur
dimensiones quantitatis in actu ; et postea per divisionem materiae, secundum
quod disponitur diversis sitibus, acquiruntur in ipsa diversae formae. Ordo
enim nobilitatis in corporibus videtur esse secundum ordinem situs ipsorum,
sicut ignis est super aerem ; et ideo non videtur quod anima habeat materiam,
nisi materia aequivoce sumatur. |
Mais la première forme qui
est reçue dans la matière est la corporéité de laquelle elle n’est jamais
dépouillée, comme le dit le Commentateur. Donc, la forme de la corporéité est
présente dans toute la matière et de cette manière la matière ne sera
présente que dans les corps. Mais si tu disais que la quiddité de la
substance est la première forme qui est reçue dans la matière, on en
reviendrait encore au même ; car ce n’est par de la quiddité de la
substance que la matière tient la division, mais de la corporéité d’où découlent
les dimensions de la quantité en acte ; et par la suite, grâce à la
division de la matière selon qu’elle est disposée en différentes positions,
diverses formes sont acquises en elle. En effet, l’ordre d’excellence parmi
les corps semble découler de l’ordre de leur position, tout comme le feu qui
est au-dessus de l’air ; et c’est pourquoi il ne semble pas que l’âme
possède une matière, à moins que cette dernière ne soit prise en un sens
équivoque. |
Alii dicunt, quod anima est
composita ‘ex quo est’ et ‘quod est’. Differt autem quod est a materia ; quia
‘quod est’, dicit ipsum suppositum habens esse ; materia autem non habet
esse, sed compositum ex materia et forma ; unde materia non est quod est, sed
compositum. |
D’autres disent que l’âme est
composée de ¨ce par quoi elle est¨ et de ¨ce qui est¨. Mais ¨ce qui est¨
diffère de la matière ; car ¨ce qui est¨ renvoie au suppôt lui-même qui
possède l’existence ; mais la matière elle-même ne possède pas
l’existence, mais c’est le composé de la matière et de forme qui la
possède ; c’est pourquoi ce n’est pas la matière, mais le composé qui
est ¨ce qui est¨. |
Unde in omnibus illis in quibus est compositio ex materia
et forma, est etiam compositio ex quo est et quod est. In compositis autem ex
materia et forma quo est potest dici tripliciter. Potest enim dici quo est ipsa forma partis, quae dat esse
materiae. Potest etiam dici quo est ipse actus essendi, scilicet
esse, sicut quo curritur, est actus currendi. Potest etiam dici quo est ipsa
natura quae relinquitur ex conjunctione formae cum materia, ut humanitas ;
praecipue secundum ponentes quod forma, quae est totum, quae dicitur
quidditas, non est forma partis, de quibus est Avicenna, tract. V, cap. III. |
C’est pourquoi, dans tous les
cas où il y a composition de matière et de forme, il y a aussi composition de
¨ce par quoi la chose est¨ et de ¨ce qui est¨. Mais dans les composés de
matière et de forme le ¨ce par quoi la chose est¨ peut se dire de trois
manières. Le ¨ce par quoi la chose est
peut en effet se dire de la forme d’une partie, qui donne l’existence à la
matière. Il peut aussi se dire de
l’acte même d’exister, à savoir l’existence, tout comme ce par quoi un tel
court est l’acte même de courrir. Le ¨ce par quoi la chose est¨
peut encore se dire de la nature même qui découle de l’union de la forme
avec la matière, par exemple l’humanité ; surtout d’après ceux qui
affirment, comme Avicenne [Traité V, ch. 111], que la forme, qui est le tout
et qu’on appelle quiddité, n’est pas la forme d’une partie |
Cum autem de ratione quidditatis,
vel essentiae, non sit quod sit composita vel compositum ; consequens poterit
inveniri et intelligi aliqua quidditas simplex, non consequens compositionem
formae et materiae. Si autem inveniamus aliquam quidditatem quae non sit
composita ex materia et forma, illa quidditas aut est esse suum, aut non. Si
illa quidditas sit esse suum, sic erit essentia ipsius Dei, quae est suum
esse, et erit omnino simplex. Si vero non sit ipsum esse, oportet quod habeat
esse acquisitum ab alio, sicut est omnis quidditas creata. |
Mais puisqu’il est de la
nature même de la quiddité qu’elle ne soit pas composée ou qu’elle ne soit
pas un composé, il s’ensuit qu’on pourra trouver et intelliger une quiddité
simple qui ne résulte pas de la composition d’une forme et d’une matière.
Mais si nous trouvions une quiddité qui n’est pas composée de matière et de
forme, cette quiddité serait ou non sa propre existence. Si cette quiddité
était sa propre existence, ce serait là l’essence de Dieu lui-même, lequel
est son existence même, et elle serait absolument simple. Mais si cette
quiddité n’était pas son existence même, il faudrait qu’elle possède une
existence acquise d’un autre, comme c’est le cas pour toute quiddité créée. |
Et quia haec quidditas posita
est non subsistere in materia, non acquireretur sibi esse in altero, sicut
quidditatibus compositis, immo acquiretur sibi esse in se ; et ita ipsa
quidditas erit hoc quod est, et ipsum esse suum erit quo est. Et quia omne
quod non habet aliquid a se, est possibile respectu illius ; hujusmodi
quidditas cum habeat esse ab alio, erit possibilis respectu illius esse, et
respectu ejus a quo esse habet, in quo nulla cadit potentia ; et ita in tali
quidditate invenietur potentia et actus, secundum quod ipsa quidditas est
possibilis, et esse suum est actus ejus. Et hoc modo intelligo in Angelis
compositionem potentiae et actus, et de quo est et quod est, et similiter in
anima. Unde Angelus vel anima potest dici quidditas vel natura vel forma
simplex, inquantum eorum quidditas non componitur ex diversis ; sed [om.
Éd. De Parme] tamen advenit [sibi add. Éd. De Parme]
compositio horum duorum, scilicet quidditatis et esse. |
Et parce qu’on affirme de
cette quiddité qu’elle ne subsiste pas dans une matière, il ne lui serait pas
acquis d’exister dans un autre, comme c’est le cas pour les quiddités
composées, mais il lui serait plutôt acquis d’exister en elle-même ; et
ainsi la quiddité elle-même sera ¨ce qui est¨ et son existence elle-même sera
¨ce par quoi elle est¨. Et parce que tout ce qui ne possède pas quelque chose
par soi-même est en puissance par rapport à cette chose, une telle quiddité,
puisqu’elle tient son existence d’un autre, sera en puissance par rapport à
cette existence et par rapport à celui, dans lequel ne se rencontre nulle
puissance, de qui elle tient cette existence ; et c’est ainsi que dans
une telle quiddité se retrouvent à la fois puissance et acte, selon que la
quiddité elle-même est la puissance et que son existence est son acte. Et
c’est de cette manière que je comprends la composition de la puissance et de
l’acte, et de ¨ce par quoi la chose est¨ et de ¨ce qui est¨ chez les Anges,
et il en est de même pour l’âme. Et c’est pourquoi l’Ange et l’âme peuvent
êre appelés quiddité, nature ou forme simple selon que leur quiddité n’est
pas composée de différentes parties ; mais [om. Éd. de
Parme] on [ y add. Éd. de Parme] retrouve cependant
composition de ces deux éléments, à savoir la quiddité et l’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod anima non est composita ex aliquibus quae sint
partes quidditatis ipsius, sicut nec quaelibet alia forma ; sed quia anima
est forma absoluta, non dependens a materia, quod convenit sibi propter
assimilationem et propinquitatem ad Deum, ipsa habet esse per se, quod non habent
aliae formae corporales. Unde in anima invenitur compositio esse et quod est,
et non in aliis formis: quia ipsum esse non est formarum corporalium
absolute, sicut eorum quae sunt, sed compositi. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que l’âme n’est pas composée d’éléments qui seraient les parties de sa
quiddité, tout comme elle n’est composée d’aucune autre forme ; mais
parce que l’âme est une forme absolue, qui ne dépend pas de la matière, ce
qui lui revient en raison de sa ressemblance et de sa proximité par rapport à
Dieu, c’est essentiellement qu’elle possède l’existence , ce que ne possèdent
pas les autres formes corporelles. C’est pourquoi on retrouve dans l’âme
composition d’existence et de ¨ce qui est¨, et non dans les autres formes :
car l’existence elle-même n’appartient pas aux formes corporelles prises
absolument comme à des choses qui existent, mais elle appartient au composé. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod anima sine dubio habet in se esse perfectum, quamvis
hoc esse non resultet ex partibus componentibus quidditatem ipsius, nec per
conjunctionem corporis efficitur ibi aliquod aliud esse ; immo hoc ipsum esse
quod est animae per se, fit esse conjuncti: esse enim conjuncti non est nisi
esse ipsius formae. Sed verum est quod aliae formae materiales, propter earum
imperfectionem, non sunt per illud esse, sed sunt tantum principia essendi. |
2. Il faut dire en deucième
lieu que l’âme en elle-même sans aucun doute possède une existence parfaite,
bien que cette existence ne résulte pas de parties composant sa quiddité et
que par l’union au corps n’est pas produite là une autre existence ;
bien au contraire, cette existence même qui appartient essentiellement à
l’âme devient l’existence du composé : l’existence en effet du composé
n’est que l’existence de la forme elle-même. Mais il est vrai que les autres
formes matérielles, en raison de leur imperfecion, ne possèdent pas cette
forme d’existence mais ne sont que des principes d’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 3 Et
per hoc etiam patet solutio ad tertium: quia compositio quae advenit animae
post esse completum, secundum modum intelligendi, non facit aliud esse, quia
sine dubio illud esse esset accidentale, et ideo non sequitur quod homo sit
ens per accidens. |
3. Et c’est ainsi que la
solution à la troisième difficulté devient elle aussi évidente : car la
composition qui arrive à l’âme suite à une existence complète, conformément à
la manière de le comprendre, n’entraîne pas une autre existence, car sans
aucun doute cette existence serait accidentelle, et c’est pourquoi il ne
résulte pas que l’homme soit un être par accident. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod si Boetius loquitur de subjecto respectu quorumcumque
accidentium, dictum [suum add. Éd. De Parme] est verum de forma
quae est ita simplex quod etiam est suum esse, sicut est Deus: et talis
simplicitas nec in anima nec in Angelo est. Si autem loquitur de subjecto
respectu accidentium quae habent esse firmum in natura, et quae sunt
accidentia individui ; tunc est verum dictum suum etiam de forma simplici,
cujus quidditas non componitur ex partibus. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que si Boèce parle du sujet par rapport à tout accident, l’énoncé
[son add. Éd. de Parme] est vrai au sujet de la forme qui est
simple en ce sens qu’elle est aussi son existence comme c’est le cas pour
Dieu : et une telle simplicité n’est présente ni dans l’âme ni chez
l’Ange. Mais si on parle du sujet par rapport aux accidents qui possèdent une
existence ferme dans la nature et qui sont les accidents d’un individu, alors
son énoncé est vrai aussi au sujet de la forme simple dont la quiddité n’est
pas composée de parties. |
Sunt enim quaedam accidentia
quae non habent esse vere, sed tantum sunt intentiones rerum naturalium ; et hujusmodi
sunt species rerum, quae sunt in anima, item accidentium habentium esse
naturae quoniam consequuntur naturam individui, scilicet materiam, per quam
natura individuatur, sicut album et nigrum in homine ; unde etiam non
consequuntur totam speciem: et talibus accidentibus non potest subjici anima. |
Il existe en effet certains
accidents qui ne possèdent pas une existence dans la réalité mais qui ne sont
que des intentions des choses naturelles ; et ces intentions sont les
espèces des choses, lesquelles espèces existent dans l’âme, et en outre des
accidents qui possèdent une existence de nature puisqu’ils découlent de la
nature de l’individu, c’est-à-dire de la matière par laquelle la nature est
individuée, comme c’est le cas pour le blanc ou le noir dans l’homme ;
c’est pourquoi aussi ils ne résultent pas de toute l’espèce : et l’âme
en tant que telle ne peut être le sujet de tels accidents. |
Quaedam autem habent esse
naturae, sed consequuntur ex principiis speciei, sicut sunt proprietates
consequentes speciem ; et talibus accidentibus potest forma simplex subjici,
quae tamen non est suum esse ratione possibilitatis quae est in quidditate
ejus, ut dictum est, in corp. art., et talia accidentia sunt potentiae animae
; sic enim et punctus et unitas habent suas proprietates. |
Mais certains accidents
possèdent une existence de nature mais ils découlent des principes de
l’espèce, comme c’est le cas pour les propriétés qui découlent de
l’espèce ; et une forme simple peut être le sujet de tels accidents,
laquelle cependant n’est pas sa propre existence en raison de la puissance
qui est dans sa quiddité, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article, et de tels accidents sont les puissances de l’âme ; c’est de
cette manière en effet que le point et l’unité possèdent leurs propriétés. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod omnis forma est aliqua similitudo primi principii, qui
est actus purus: unde quanto forma magis accedit ad similitudinem ipsius,
plures participat de perfectionibus ejus. Inter formas autem corporum magis
appropinquat ad similitudinem Dei, anima rationalis ; et ideo participat de
nobilitatibus Dei, scilicet quod intelligit, et quod potest movere, et, quod
habet esse per se ; et anima sensibilis minus, et vegetabilis adhuc minus et
sic deinceps. Dico igitur, quod animae non convenit movere, vel habere esse
absolutum, inquantum est forma ; sed inquantum est similitudo Dei. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que toute forme est une certaine similitude du premier principe qui est
acte pur : c’est pourquoi une forme participe d’un plus grand nombre de
ses perfections dans la mesure où elle s’approche davantage de sa
ressemblance. Mais parmi les formes des corps, c’est l’âme rationnelle qui
s’approche davantage de la ressemblance de Dieu ; et c’est pourquoi elle
participe davantage des perfections, c’est-à-dire qu’elle comprend, qu’elle
peut mouvoir et qu’elle possède essentiellement l’existence ; et l’âme
sensitive en participe moins et l’âme végétative encore moins et il en est
encore davantage ainsi pour le reste. Je dis donc que ce n’est pas en tant
que forme qu’il convient à l’âme de mouvoir ou de posséder une existence
absolue, mais en tant qu’elle est une similitude de Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod, secundum praedicta, in anima non est aliquid quo ipsa
individuetur, et hoc intellexerunt qui negaverunt eam esse hoc aliquid, et
non quod non habeat per se absolutum esse. Et dico quod non individuatur nisi
ex corpore. Unde impossibilis est error ponentium animas prius creatas, et
postea incorporatas: quia non efficiuntur plures nisi secundum quod
infunduntur pluribus corporibus. Sed quamvis individuatio animarum dependeat
a corpore quantum ad sui principium, non tamen quantum ad sui finem, ita
scilicet quod cessantibus corporibus, cesset individuatio animarum. |
6. Il faut dire en sixième
lieu, suivant ce qui a été dit précédemment, qu’il n’y a pas dans l’âme
quelque chose par quoi elle-même est individuée, et ceux qui ont nié qu’elle
soit une réalité individuelle ont compris cela, et non pas qu’elle ne possède
pas par elle-même une existence absolue. Et je dis que l’âme n’est individuée
que par le corps. C’est pourquoi l’erreur de ceux qui soutiennent que les
âmes ont été créées en premier puis qu’elles ont ensuite été incorporées, est
une absurdité : car une multiplicité d’individus n’est rendue possible
que si elle repose sur une multiplicité de corps. Mais bien que
l’individuation des âmes dépende du corps quant à son principe, elle n’en
dépend cependant pas quant à sa fin, c’est-à-dire de telle manière que les
corps cessant d’exister, l’individuation des âmes cesserait elle aussi. |
Cujus ratio est quod cum omnis
perfectio infundatur materiae secundum capacitatem suam, natura animae ita
infundetur diversis corporibus, non secundum eamdem nobilitatem et puritatem:
unde in unoquoque corpore habebit esse terminatum secundum mensuram corporis.
Hoc autem esse terminatum, quamvis acquiratur animae in corpore, non tamen ex
corpore, nec per dependentiam ad corpus. Unde, remotis corporibus, adhuc
remanebit unicuique animae esse suum terminatum secundum affectiones vel
dispositiones quae consecutae sunt ipsam prout fuit perfectio talis corporis. |
La raison en est que puisque
toute perfection se fonde sur la matière suivant les capacités de cette
dernière, c’est de cette manière aussi que la nature de l’âme est introduite
dans divers corps, à savoir d’après une perfection et une pureté
différentes : c’est pourquoi dans tout corps l’âme possédera
une existence limitée d’après la mesure du corps. Mais cette existence
limitée, bien que ce soit dans le corps qu’elle soit donnée à l’âme, ce n’est
cependant pas à partir du corps ni par une dépendance à l’égard du corps
qu’elle lui est acquise. C’est pourquoi, une fois disparus les corps, il
subsistera encore en toute âme son existence limitée d’après les affections
ou les dispositions qui en découlaient selon qu’elle était la perfection de
tel corps. |
Et haec est solutio Avicennae,
et potest manifestari per exemplum sensibile. Si enim aliquid unum non
retinens figuram distinguatur per diversa vasa, sicut aqua ; quando vasa
removebuntur, non remanebunt proprie figurae distinctae ; sed remanebit una
tantum aqua. Ita est de formis materialibus, quae non retinent esse per se.
Si autem sit aliquid retinens figuram quod distinguatur secundum diversas
figuras per diversa instrumenta, etiam remotis illis, remanebit distinctio
figurarum, ut patet in cera ; et ita est de anima, quae retinet esse suum
post corporis destructionem, quod etiam manet in ipsa esse individuatum et
distinctum. |
Et telle est la solution
d’Avicenne, et elle peut être manifestée par un exemple sensible. Si en effet
quelque chose d’un qui ne retient pas une figure, par exemple de l’eau, se
distingue par différents contenants, lorsque les contenants seront retirés,
les figures distinctes ne demeureront pas mais il ne demeurera plus qu’une
seule et même quantité d’eau. Il en est de même pour les formes matérielles
qui ne retiennent pas par elles-mêmes l’existence. Mais s’il existe une
matière qui retient la figure et qui se distingue selon différentes figures
obtenues au moyen de différents instruments, même si ces derniers sont
retirés, la distinction des figures sera conservée, comme on peut
le voir pour cette matière qu’est la cire ; et il en est ainsi pour
l’âme humaine, qui retient son existence après la destruction du corps, à
savoir que demeure encore en elle une existence individuée et distincte. |
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Articulus 3 lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 tit. Utrum anima sit
tota in toto, et tota in qualibet parte. |
Article 3 – L'âme est-elle toute entière dans tout le corps et en chaque partie ? |
lib. 1
d. 8 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod anima non sit
tota in qualibet parte corporis. Cum enim anima sit forma simplex, totalitas
ejus attenditur secundum potentias. Sed non in qualibet parte corporis sunt
omnes ejus potentiae. Ergo non est tota in qualibet parte corporis. |
Difficultés : 1. Il semble que l’âme ne soit pas totalement présente dans chacune des parties du corps. En effet, puisque l’âme est une forme simple, sa totalité doit s’entendre d’après ses puissances. Mais ce n’est pas dans chacune des parties du corps que se retrouvent toutes ses puissances. L’âme n’est donc pas totalement présente dans chacune des parties du corps. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 arg. 2
Praeterea, animal est quod est compositum ex anima et corpore. Si igitur
anima esset in qualibet parte corporis tota, quaelibet pars corporis esset
animal, sicut quaelibet pars ignis est ignis. Ergo et cetera. |
2. Par ailleurs, un animal
est composé d’une âme et d’un corps. Si donc l’âme était totalement présente
dans chacune des parties du corps, chacune d’elles serait l’animal, tout
comme chaque partie du feu est du feu. Donc, etc. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 arg. 3
Praeterea, constat quod anima influit vitam corpori. Si igitur anima esset
tota in qualibet parte corporis, quaelibet pars corporis immediate acciperet
vitam ab anima ; et ita vita unius partis non dependeret ab alia: quod
videtur falsum, quia vita totius corporis dependet ex corde. Ergo et cetera. |
3. De plus, il est clair que
l’âme fait passer la vie dans le corps. Si donc l’âme était totalement dans
chaque partie du corps, toute partie du corps recevrait immédiatement la vie
de l’âme ; et ainsi la vie d’une partie ne dépendrait pas
d’une autre : ce qu’on voit être faux car la vie de tout le corps dépend
du cœur. Donc, etc. |
lib. 1 d. 8
q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, corpus habet diversas partes distinctas. Si igitur anima esset in
qualibet parte corporis tota, tota esset in pluribus locis simul. Hoc autem
non videtur convenire nisi Deo. Ergo et cetera. |
4. En outre, le corps possède
différentes parties bien distinctes. Si donc l’âme était totalement présente
dans chacune des parties du corps, elle serait totalement présente dans
plusieurs lieux simultanément. Mais cela ne semble appartenir qu’à Dieu seul.
Donc, etc. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 s. c. 1
Contra, forma substantialis adest cuilibet parti materiae: non enim perficit
tantum totum, sed singulas partes. Sed anima est forma substantialis corporis
animati. Ergo est in qualibet parte ejus tota. |
Cependant : 1. La forme substantielle est présente à chaque partie de la matière : en effet, elle ne donne pas la perfection qu’au tout, mais aussi à chacune de ses parties. Mais l’âme est la forme substantielle du corps animé. Elle est donc présente totalement dans chacune de ses parties. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, videmus quod
anima aequaliter cito sentit laesionem in qualibet parte corporis. Hoc autem
non esset, nisi anima adesset cuilibet parti. Ergo anima est tota in qualibet
parte corporis. |
2. En outre, nous voyons que
l’âme ressent rapidement et également une blessure dans chacune des parties
du corps. Mais cela n’aurait pas lieu si l’âme n’était pas présente
totalement dans chaque partie du corps. Donc l’âme est présente totalement
dans chacune des parties du corps. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod quidam
posuerunt animam dupliciter posse considerari: aut secundum suam essentiam, aut
secundum quod est quoddam totum potentiale. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que certains ont soutenu que l’âme peut être examinée de deux manières : soit selon son essence, soit selon qu’elle est un certain tout potentiel. |
Si primo modo, sic dicebant, ipsam non esse in toto
corpore, sed in aliqua parte ejus, scilicet corde, et per cor vivificare
totum corpus per spiritus vitales procedentes a corde. Si secundo modo, sic anima
consideratur ut quaedam potentia integrata ex omnibus particularibus
potentiis ; et sic tota anima est in toto corpore, et non tota in qualibet
parte corporis: immo, sicut dicit philosophus, II De anima, text.
9, partes animae se habent ad partes corporis sicut tota anima ad corpus
totum ; unde si pupilla esset animal, visus esset anima ejus. |
Si on la considère de la
première façon, ils disaient que l’âme n’est pas dans tout le corps, mais
dans une de ses parties, à savoir le cœur et que par le cœur tout le corps
est vivifié par les esprits vitaux qui procèdent du coeur. Si c’est de la deuxième
manière, alors l’âme est considérée comme une certaine puissance renouvelée à
partir de toutes les puissances particulières ; et vue ainsi, l’âme est
toute entière dans tout le corps, et non toute entière dans chacune des parties
du corps : bien au contraire, comme le dit le Philosophe [11 De
l’Âme, texte 9], les parties de l’âme se rapportent aux parties du corps
comme la totalité de l’âme à la totalité du corps ; de là, si la pupille
était un animal, la vue serait son âme. |
Hujus autem positionis causa,
fuit duplex falsa imaginatio: una est, quia imaginati sunt animam esse in
corpore sicut in loco, ac si tantum esset motor, et non forma, sicut est
nauta in navi ; alia est, quia imaginati sunt simplicitatem animae esse ad
modum puncti, ut sit aliquid indivisibile habens situm indivisibilem. Et
utrumque horum stultum est. Et ideo dicendum cum Augustino, quod anima
secundum essentiam suam considerata, tota est in qualibet parte corporis. |
Mais la cause de cette
opinion fut une vision fausse à double titre : la première
est qu’ils croyaient que l’âme est dans le corps comme dans un lieu, comme si
elle était seulement un moteur, à la manière du pilote dans son navire, et
non une forme ; la deuxième est qu’ils croyaient que l’âme est simple à
la manière du point, comme si elle était quelque chose d’indivisible
possédant une position indivisible. Et ces visions sont toutes les deux
insensées. Et c’est pourquoi il faut dire avec Augustin que l’âme, prise
selon son essence, est totalement présente dans chacune des parties du corps. |
[Idem dicit Albertus add.
Éd. De Parme]. Non tamen tota, si accipiatur secundum totalitatem
potentiarum ; sic enim est tota in toto animali. Et ratio hujus est, quia
nulli substantiae simplici debetur locus, nisi secundum relationem quam habet
ad corpus. Anima autem comparatur ad corpus ut ejus formatio a qua totum
corpus et quaelibet pars ejus habet esse, sicut a forma substantiali. Et
tamen potentias ejus, non omnes partes corporis participant ; immo sunt aliquae
potentiae quibus non est possibile perfici aliquid corporeum, sicut potentiae
intellectivae ; aliae autem sunt, quae possunt esse perfectiones corporum,
non tamen eas omnes influit anima in qualibet parte corporis, cum non
quaelibet pars corporis sit ejusdem harmoniae et commixtionis ; et nihil
recipitur in aliquo nisi secundum proportionem recipientis ; et ideo non
eamdem perfectionem recipit ab anima auris et oculus, cum tamen quaelibet
pars recipiat esse. |
[Albert dit la même
chose add. Éd. de Parme]. Elle n’y est cependant pas totalement
présente, si l’âme se prend selon la totalité des puissances : de cette
manière en effet elle est totalement présente dans tout l’animal. Et la
raison en est qu’aucune substance simple n’est tenue d’avoir un lieu, sauf d’après
la relation qu’elle entretient avec le corps. Mais l’âme se compare au corps
comme une forme à la matière, forme de laquelle tout le corps et chacune de
ses parties tient son existence comme de la forme substantielle. Et cependant
ce ne sont pas toutes les parties du corps qui participent de ses
puissances ; bien au contraire, il y a des puissances pour lesquelles il
n’est pas possible de compléter quelque chose de corporel comme c’est le cas
pour les puissances intellectuelles ; mais il y en a d’autres qui
peuvent être les perfections des corps, mais l’âme ne se répand pas en elles
toutes dans chacune des parties du corps, puisque ce n’est pas chaque partie
du corps qui présente le même ordre et la même composition ; et tout ce
qui est reçu dans un être y est reçu proportionnellement à celui qui
reçoit ; et c’est pourquoi ce n’est pas la même perfection que l’oreille
et l’œil reçoivent de l’âme, bien que cependant chacune des parties reçoive
l’existence. |
Unde si consideretur anima
prout est forma et essentia, est in qualibet parte corporis tota ; si autem
prout est motor secundum potentias suas, sic est tota in toto, et in diversis
partibus secundum diversas potentias. |
C’est pourquoi, si l’âme est
considérée en tant qu’essence et forme, elle est totalement présente dans
chacune des parties du corps ; si cependant elle est considérée en tant
que moteur d’après ses puissances, ainsi elle est totalement dans le tout et
elle est dans ses différentes parties d’après ses différentes puissances. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod cum dicimus totam animam esse in qualibet parte
corporis, intelligimus per totum perfectionem naturae suae, et non aliquam
totalitatem partium ; totum enim et perfectum est idem, ut dicit
philosophus, Physic. III, text. 54. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que lorsque nous disons que toute l’âme est dans chacune des parties du
corps, nous entendons par ¨toute¨ la perfection de sa nature et non une
certaine totalité des parties ; en effet, ainsi que le dit le Philosophe
[111 Physique, texte 54], le tout et la perfection signifient la
même chose. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod perfectibile debet esse proportionatum suae
perfectioni. Anima autem quamvis sit forma simplex, est tamen multiplex in
virtute, secundum quod ex ejus essentia oriuntur diversae potentiae ; et ideo
oportet corpus proportionatum sibi habere partes distinctas ad recipiendum
diversas potentias ; unde etiam anima dicitur esse actus corporis organici.
Et quia non quaelibet pars animalis habet talem distinctionem, non potest
dici animal. Sed animae minus nobiles quae habent parvam diversitatem in
potentiis, perficiunt etiam corpus quod est quasi uniforme in toto et
partibus ; et ideo ad divisionem partium efficiuntur diversae animae actu in
partibus, sicut etiam in animalibus annulosis et plantis. Non tamen ante
divisionem in hujusmodi animalibus quaelibet pars dicitur animal, nisi in
potentia ; sicut nullius continui pars est nisi in potentia: unde nec pars
ignis est aliquid actu, nisi post divisionem. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le perfectible doit être proportionné à sa perfection. Mais l’âme,
bien qu’elle soit une forme simple, est cependant multiple en puissance,
selon que différentes puissances sortent de son essence ; et c’est
pourquoi il faut que le corps qui lui est proportionné possède des parties
distinctes pour recevoir différentes puissances ; c’est pourquoi encore
on dit de l’âme qu’elle est l’acte d’un corps organisé. Et parce que chaque
partie de l’animal ne possède pas cette distinction, elle ne peut être
appelée un animal. Mais les âmes qui sont moins nobles qui possèdent une
petite diversité dans leurs puissances se trouvent aussi à compléter un corps
qui est comme uniforme dans son tout et dans ses parties ; et c’est
pourquoi, suite à la division des parties, différentes âmes sont produites en
acte dans les parties comme on le voit encore chez les animaux à anneaux et
les plantes. Chez ces animaux cependant, avant la division, ce n’est qu’en puissance
que chaque partie est appelée animal, tout comme pour tout continu sa partie
n’existe qu’en puissance : c’est pourquoi une partie du feu n’est
quelque chose en acte qu’après la division. |
lib. 1
d. 8 q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vivere in animali dicitur
dupliciter: uno modo vivere est ipsum esse viventis, sicut dicit
philosophus, II de anima, text. 37 : « vivere
viventibus est esse » ; et hoc modo anima immediate facit vivere
quamlibet partem corporis, inquantum est ejus forma ; alio modo dicitur vivere pro
operatione animae quam facit in corde prout est motor ; et talis est vita
quae defertur per spiritus vitales ; et talem vitam influit primo in cor, et
postea in omnes alias partes. Et inde est quod laeso corde perit operatio
animae in omnibus partibus corporis, et per consequens esse ipsarum partium,
quod conservatur per operationem animae. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que chez l’animal, vivre de dit de deux manières : En un premier sens vivre est
l’existence même du vivant comme le dit le Philosophe [11 De l’Âme, texte
37] : ¨Pour les vivants, vivre c’est exister¨. Et en ce sens
l’âme, en tant qu’elle est la forme du corps, fait vivre
immédiatement chaque partie du corps. En un autre sens vivre se dit
pour l’opération de l’âme que l’âme fait dans le cœur en tant qu’elle est
moteur ; et telle est la vie qui est apportée par les esprits
vitaux ; et c’est en premier lieu dans le cœur que l’âme déverse une
telle vie, et par la suite dans toutes les autres parties. D’où il résulte
que l’opération de l’âme cesse dans toutes les parties du corps une fois que
le cœur est blessé, et que cesse par conséquent aussi l’existence des parties
elles-mêmes, existence qui est conservée par l’opération de l’âme. |
lib. 1
d. 8 q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod anima non est in corpore vel in
partibus corporis, sicut in loco, sed sicut forma in materia, et ideo non
sequitur quod sit in pluribus locis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que l’âme n’est pas
dans le corps ou dans les parties du corps comme dans un lieu, mais comme la
forme est dans la matière et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’elle soit
dans plusieurs lieux. |
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Distinctio 9 |
Distinction 9 – [La distinction des personnes] |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La distinction du Père et du Fils] |
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Prooemium |
Prologue |
Circa hanc partem quaeruntur duo: primo de distinctione Filii a
Patre. Secundo de
coaeternitate. [aeternitatem Éd.
de Parme] Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum propter distinctionem possit dici Filius alius a Patre
; 2 utrum Pater et Filius propter eamdem distinctionem
possint dici plures aeterni. |
Dans cette partie on s’interroge sur deux choses : Premièrement sur la distinction qu’il y a entre le Fils
et le Père. Deuxièmement sur la coéternité. [éternité Éd. de
Parme] Au sujet du premier point on pose deux questions : 1. Est-ce qu’en raison de la distinction on peut dire que
le Fils est autre que le Père ? 2. Est-ce qu’on peut dire du Père et du Fils, en raison
de la même distinction, qu’ils sont plusieurs éternités ? |
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Articulus 1.Article 1.[779] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1
a. 1 tit. Utrum Filius sit alius a Patre |
Article 1 – Le Fils est-il autre que son Père ? |
[780] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit alius a Patre. Alius enim,
secundum Priscianum, lib. II, cap. « De pronomine », est relativum
diversitatis substantiae. Sed Pater et Filius sunt unius substantiae. Ergo
Filius non potest dici alius a Patre. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne
soit pas autre que le Père. En effet, ¨autre¨, selon Priscien [Traité sur
l’art de la Grammaire, Livre 11, ch. Sur le Pronom], est un terme relatif
qui renvoie à une diversité de substance. Mais le Père et le Fils sont une
seule et même substance. Donc le Fils ne peut être dit autre que le Père. |
.[781] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 2. Item,
unitas substantiae impedit quod Filius non potest dici aliud esse a Patre,
propter diversitatem significatam per ly aliud. Sed alius et
aliud non differunt nisi secundum modum significandi: quia alius masculine,
aliud neutraliter significat. Cum igitur modus significandi non variet
significationem, videtur quod nec etiam alius a Patre dici possit. |
2. En outre, l’unité de la
substance empêche que le Fils puisse être dit autre que le Père, à cause de
la diversité signifiée par le terme ¨aliud¨. Mais ¨alius¨ et
¨aliud¨ ne diffèrent que par le mode de signifier : car ¨alius¨signifie
le masculin alors que ¨aliud¨ signifie le neutre. Donc, puisque le mode de
signifier ne change pas la signification, il semble qu’on ne puisse non plus
dire qu’il est autre que le Père. |
[782] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea,
si Filius dicitur alius a Patre, hoc non est nisi quia Filius est a Patre.
Sed Pater est a seipso. Ergo Pater erit alius a seipso. |
3. En outre, si on dit que le
Fils est autre que le Père, ce n’est que parce que le Fils vient du Père.
Mais le Père vient de lui-même. Donc, le Père sera autre que lui-même. |
[783] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, proprietas secundum Porphyrium, in Praedicabili., cap.
« De different., », non facit alietatem, sed magis alteritatem.
Pater autem non distinguitur a Filio nisi per proprietatem relationis. Ergo
Pater non potest dici alius a Filio, sed alter. |
4. De plus, la propriété selon Porphyre [Les
Prédicables, ch. De la différence], n’entraîne pas une altérité mais
plutôt une différence. Mais le Père ne se distingue du Fils que par la
propriété de relation. Donc le Père ne peut être dit autre que le Fils, mais
seulement différent. |
[784] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra,
quaecumque distinguuntur realiter, unum eorum est alia res ab alio. Sed Pater
et Filius, ut supra dictum est, dist. 2, quaest. unica, art. 5, distinguuntur
realiter. Ergo Pater est alia res a Filio ; et eodem modo potest dici esse
alius a Filio. Hoc etiam videtur per verbum Augustini in littera. |
Cependant : 1. Pour toutes les choses qui
se distinguent en réalité, l’une d’elles est une chose différente de l’autre.
Mais le Père et le Fils, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2,
quest. Uniquqe, art. 5], se distinguent en réalité. Donc le Père est une
réalité autre que le Fils ; et de la même manière on peut dire qu’il est
autre que le Fils. C’est ce que manifestent encore les paroles d’Augustin
dans le document. |
[785] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum,
quod in divinis invenimus tria, scilicet essentiam, personam, proprietatem,
quibus aptantur tria genera. Essentiae enim, quia communis est et
indistincta, aptatur neutrum genus, quod est informe non importans sexus
distinctionem. Personae vero, quae est distincta et significatur ut aliquid
existens in natura divina, aptatur masculinum genus quod est genus
distinctum, et non femininum propter imperfectionem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que nous retrouvons trois choses dans les personnes divines, à savoir
l’essence, la personne et la propriété, lesquelles s’appliquent à trois
genres. À l’essence en effet, parce qu’elle est commune et indifférenciée,
s’applique le genre qui est le neutre, lequel est informe et n’implique pas
la distinction de sexe. Mais le genre masculin qui est un genre distinct, et non
le genre féminin en raison de son imperfection, s’applique à la personne qui
est distincte et qui est signifiée comme quelque chose d’existant dans la
nature divine. |
Proprietati autem, quae significatur per modum formae,
aptatur genus femininum ; sic etiam essentiae aptari potest, inquantum
essentia significatur ut forma ; et ideo propter unitatem essentiae non
potest dici Pater aliud [alius Éd. de Parme] a Filio, sed
propter distinctionem personae dicitur alius. Istud autem videtur magis esse
adaptatio, quam expressio proprietatis locutionis. |
Mais c’est à la propriété,
qui est signifiée par mode de forme, que s’applique le genre féminin ;
mais il peut s’appliquer aussi à l’essence selon que l’essence est signifiée
en tant que forme ; et c’est pourquoi, en raison de l’unité de
l’essence, on ne peut dire du Père qu’Il est autre chose [autre Éd. de Parme]
que le Fils, mais en raison de la distinction des personnes on peut dire de
Lui qu’il est autre que le Fils. Mais cela semble être davantage un
ajustement que l’expression d’une propriété du langage. |
Unde dicendum aliter, quod hoc contingit, quia neutrum
genus substantivatur ; et ideo importat diversitatem simpliciter et absolute,
quae est diversitas essentiae ; sed masculinum genus et femininum tenentur
adjective ; unde ponunt diversitatem circa terminos personales qui in locutione
ponuntur, cum dicitur: Filius est alius a Patre ; et hoc
explicabitur in solutionibus argumentorum. |
C’est pourquoi il faut dire autrement que cela est
possible car le genre neutre est pris comme un substantif : et c’est
pourquoi il implique diversité purement et simplement, c’est-à-dire une
diversité d’essence ; mais les genres masculin et féminin sont pris
comme des adjectifs et c’est pourquoi ils posent une diversité sur les termes
personnels qui sont placés dans le discours lorsque l’on dit : Le
Fils est autre que le Père ; et cela sera expliqué dans les réponses
aux difficultés. |
[786] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alius semper significat
diversitatem substantiae. Sed substantia dicitur dupliciter: |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’autre signifie toujours une diversité de substance :
mais substance se dit de deux manières : |
quandoque enim sumitur pro essentia, sicut est in usu
Latinorum ; quandoque pro supposito essentiae, vel pro re naturae primi
praedicamenti, quae dicitur hypostasis apud Graecos ; et hoc secundo modo non
est eadem substantia Patris et Filii: quia sic substantia significat personam
; et hac ratione potest dici alius. |
Parfois ce terme est pris
pour l’essence comme c’est la coutume en latin ; mais parfois il est
pris pour le suppôt de l’essence ou pour la chose de nature du premier
prédicament qu’on appelle hypostase chez les Grecs ; et en ce deuxième
sens la substance du Père n’est pas la même que celle du Fils car alors substance
signifie la personne ; et c’est pour cette raison qu’elle peut être dite
autre. |
[787] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod neutrum genus substantivatur, et non masculinum. Substantivum
autem significationem suam habet absolutam ; sed adjectivum ponit
significationem suam circa proprie [proprie om. Éd. de Parme]
substantivum [subjectum Éd. de Parme]. Quando autem aliquid
dicitur absolute, intelligitur de eo quod simpliciter est, sicut ens,
absolute dictum, significat substantiam ; et ideo quia alietas essentiae est
simpliciter alietas, ideo neutrum genus substantivatum importat alietatem
essentiae. Sed genus masculinum, quia adjective tenetur, ponit alietatem
circa suum subjectum. Unde si terminus personalis est, designat suum
substantivum distinctionem personarum [personalis est suum substantivum
designat Éd. de Parme]. Et ideo haec est vera: Pater est
alius a Filio. Si autem sit terminus essentialis, designat diversitatem
substantiae ; unde haec est falsa: Pater est alius Deus a Filio. Et similiter
neutrum adjective sumptum, quando adjungitur termino personali, importat
alietatem personae, ut cum dicitur: Pater est aliud suppositum a Filio. Unde
hoc non contingit ex variata significatione, sed ex eo quod alietas significata
in masculino et neutro, non ad idem refertur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le genre neutre, et non le masculin, est pris comme substantif. Mais
le substantif possède une signification absolue alors que l’adjectif pose sa
signification sur ce qui lui est propre [propre om. Éd. de Parme]
comme substantif [sujet Éd. de Parme]. Mais quand quelque chose
se dit absolument, il se comprend comme existant purement et simplement,
comme l’être, dit absolument, signifie la substance ; et c’est pourquoi,
parce que l’altérité de l’essence est une altérité pure et simple, le genre
neutre pris comme substantif implique une altérité d’essence. Mais le genre
masculin, parce qu’il est pris comme adjectif, pose une altérité sur son
sujet. C’est pourquoi, si le terme est personnel, son substantif désigne une
distinction de personnes [le terme personnel désigne son substantif Éd.
de Parme]. Et c’est pourquoi cette proposition est vraie : Le Père
est autre que le Fils. Mais si le terme est essentiel, il désigne une diversité
de substance et c’est pourquoi cette proposition est fausse : Le Père
est un autre Dieu que le Fils. Et de la même manière le neutre, pris comme
adjectif, lorsqu’il est ajouté à un terme personnel, implique une altérité de
personnes, comme lorsqu’on dit : le Père est un suppôt autre que le
Fils. Et c’est pourquoi cela n’est pas possible si on change la
signification, mais seulement si l’altérité signifiée au masculin et au
neutre ne se rapporte pas à la même chose. |
[788] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod haec est impropria: Pater est a se ; et exponenda est per
negationem ; id est, non est ab alio. Ista autem est propria: Filius est a
Patre. Unde non est simile. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cette proposition est impropre : le Père vient de
lui-même ; et elle dit être expliquée par la négation, c’est-à-dire
qu’Il ne vient pas d’un autre. Mais celle-ci est se dit proprement : le
Fils vient du Père. C’est pourquoi elle n’est pas semblable. |
[789] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod proprietas in divinis non tantum est proprietas, sed etiam
subsistens: Paternitas enim est ipse Pater ; et ideo proprietas facit alium
magis proprie, quam alterum. De hoc tamen infra plenius habebitur, dist. 26,
quaest. 2, art. 2.4 |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la propriété chez les personnes divines n’est pas seulement une
propriété, mais aussi une substance : la Paternité en effet est le Père
lui-même ; et c’est pourquoi la propriété rend plus proprement autre que
divers. Nous traiterons cependant plus loin [dist. 26, quest. 2, art. 2.4] de
ce sujet d’une manière plus complète. |
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Articulus 2 [790] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 tit.
Utrum Pater et Filius possint dici plures aeterni ? |
Article 2 – Peut-on dire que le Père et le Fils sont plusieurs éternels ? |
[791] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Pater et Filius non possint dici plures
aeterni, per id quod habetur in symbolo Athanasii: Et tamen non tres
aeterni. |
Difficultés : 1. Il semble qu’on ne puisse
dire du Père et du Fils qu’ils sont plusieurs éternels en s’appuyant sur ce
qui est établi dans le symbole d’Athanase : Et cependant ils ne
sont pas trois éternels. |
[792] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea,
Augustinus, V De Trinit., cap. VIII, col. 916 : quidquid
in divinis ad se dicitur, singulariter de tribus, et non pluraliter
praedicatur. Sed aeternus ad se dicitur: non enim est relativum. Ergo
singulariter de tribus dicitur, et non pluraliter. |
2. Par ailleurs, Augustin
[V De la Trinité, ch. VIII, col. 916] dit : Tout
ce qui se dit absolument de Dieu s’attribue aux trois personnes au singulier
et non au pluriel. Mais éternel se dit absolument : en effet, il
n’est pas un relatif. Donc il s’attribue aux trois personnes au singulier et
non au pluriel. |
[793] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea,
sicut una deitas est trium personarum, ita etiam est una aeternitas, cum
aeternitas sit ipsa divina substantia. Sed non potest dici: Pater et Filius
sunt [plures add. Éd. de Parme] dii ; propter unitatem
divinitatis. Ergo nec etiam propter unitatem aeternitatis potest dici: Pater
et Filius sunt [plures add. Éd. de Parme] aeterni. |
3. En outre, tout comme une
même divinité appartient aux trois personnes, de même c’est une même éternité
qi appartient aux trois personnes puisque l’éternité est la substance divine
elle-même. Mais on ne peut dire : le Père et le Fils sont
[plusieurs add. Éd. de Parme] des dieux, en raison de l’unité de
la divinité. Donc en raison de l’unité de l’éternité on ne peut non plus
dire : le Père et le Fils sont [plusieurs add. Éd. de Parme]
des éternels. |
[794] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 4 Si dicas,
quod hoc est, quia Deus est substantivum, sed aeternus est adjectivum, et
ideo aeternus recipit pluralem numerum, secundum numerum suppositorum.
Contra, adjectivum significatur per modum accidentis. Sed in Deo non potest
esse aliquod accidens, quia, sicut dicit Boetius, lib. I De
Trinit., cap. IV, col. 1252, caetera praedicamenta cum in divinam
venerint praedicationem mutantur in substantiam. Ergo non potest ibi esse adjectivum. |
4. Mais tu pourrais dire
qu’ils sont plusieurs éternels parce que Dieu est un substantif mais
qu’éternel est un adjectif et que c’est là pourquoi éternel reçoit le nombre
pluriel selon le nombre des suppôts. Cependant l’adjectif signifie à la
manière d’une accident. Mais en Dieu il ne peut y avoir aucun accident car,
ainsi que le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. IV, col. 1252], lorsque
les autres prédicaments en viennent à l’attribution divine, ils se changent
en la substance. Eternel ne peut donc pas être pris là comme adjectif. |
Sed contra est quod habetur in Symbolo Athanasii,
quod tres personae sunt sibi coaeternae. |
Cependant on établit dans
le Symbole d’Athanase que les trois personnes sont
coéternelles. |
[795] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, adjectivum trahit numerum a
substantivo. Sed aeternus est
adjectivum. Cum ergo Pater et Filius sint plures quidam, videtur quod debeant
dici aeterni. |
5. De plus, l’adjectif tire
son nombre du substantif. Mais éternel est un adjectif. Donc, puisque le Père
et le Fils sont plusieurs personnes, il semble qu’ils doivent être appelées
éternels. |
[796]
Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod haec est
differentia inter adjectiva et substantiva: quia substantiva significant per
modum substantiae, et ideo significant rem suam absolute ; et ideo
substantivum non dicitur in plurali numero, nisi formatio sua numeretur ;
adjectivum autem significat per modum accidentis, quod non habet esse
absolutum, nec unitatem: sed esse suum et unitas sua dependet ex eo cui
inhaeret. Unde etiam non multiplicatur secundum numerum per divisionem
alicujus quod sit pars sui, sicut species substantiarum multiplicantur per
individua, secundum divisionem materiae. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que telle est la différence entre les adjectifs et les substantifs : car
les substantifs signifient à la manière d’une substance et c’est pourquoi ils
signifient leur chose absolument ; et c’est pourquoi le substantif ne se
dit au pluriel que si sa formation est comptée ; mais l’adjectif
signifie à la manière d’un accident qui ne possède ni une existence ni une unité
absolue mais son existence et son unité dépendent de ce en quoi il se trouve.
C’est pourquoi encore il ne se multiplie pas selon le nombre par
la division de ce qui serait une de ses parties comme les espèces
des substances se multiplient en individus par la division de la matière. |
Sed accidens multiplicatur secundum divisionem subjecti in
quo est ; unde haec albedo est alia ab illa, inquantum haec est hujus, et
illa illius ; et ideo adjectivum non habet numerum pluralem, nisi ex parte
suppositorum. Dicendum igitur, quod omnes termini essentiales
[essentiales om. Éd. de Parme] significantes substantiam per
modum substantiae, sicut sunt substantiva, non praedicantur in plurali de
tribus personis, eo quod forma [formatio Éd. de Parme]
significata, scilicet ipsa essentia divina, non dividitur. |
Mais l’accident se multiplie
d’après la division du sujet dans lequel il se trouve ; c’est pourquoi
cette blancheur-ci diffère de cette blancheur-là selon qu’elle appartient à
celui-ci et celle-là à celui-là ; et c’est pourquoi l’adjectif ne
possède le nombre pluriel que du côté de son suppôt. Il faut donc dire que
tous les termes essentiels [essentiels om. Éd. de Parme]
signifiant la substance par mode de substance, comme les substantifs, ne
s’attribuent pas au pluriel aux trois Personnes du fait que la forme [la
formation Éd. de Parme] signifiée, à savoir l’essence divine
elle-même, ne se divise pas. |
Termini vero significantes
substantiam adjective per modum inhaerentis, vel assequentis substantiam, ut
dicit Damascenus, I Fid. Orthod., cap. IX, col. 834,
praedicantur in plurali de tribus personis, propter pluralitatem
suppositorum. Sed tamen in talibus terminis, qui significant substantiam
adjective, est ordo. Quaedam enim significant ut inhaerenter, non
significantes substantiam quantum ad modum significandi quem grammatici
considerant dicentes, nomen significare substantiam cum qualitate, sicut
verba et participia: et ista nullo modo debent praedicari in singulari, quia
significant per modum actus, qui non significatur nisi ut inhaerens. |
Mais les termes qui
signifient la substance à la manière d’un adjectif par mode d’inhérence ou de
ce qui arrive à la substance, comme le dit Damascène [1 De la Foi
Orthodoxe, ch. 1X, col. 834], s’attribuent au pluriel aux trois Personnes
en raison de la pluralité des suppôts. Mais dans de tels termes cependant qui
signifient la substance à la manière d’un adjectif, il y a un ordre. Certains
en effet signifient comme étant présents dans la substance, qui ne signifient
pas la substance quant au mode de signifier que les grammairiens
considèrent en disant que le nom signifie la substance avec une
qualité, tout comme les verbes et les participes : de tels termes ne
doivent en aucune manière être attribués au singulier car ils signifient à la
manière d’un acte qui n’est signifié que comme étant présent dans la
substance. |
Quaedam
autem significant substantiam quantum ad modum consideratum a grammaticis,
sicut nomina adjectiva. Omne enim nomen significat substantiam et qualitatem ; sed formam
quae est qualitas, significant ut inhaerentem ; et talia possunt magis
praedicari singulariter, et praecipue quia possunt substantiari, sicut
aeternus, et hujusmodi. Quando tamen talibus adjectivis additur
per compositionem aliqua praepositio denotans habitudinem personae ad
personam, magis trahuntur ad suppositum ; et tunc nunquam debent praedicari
in singulari, sed tantum in plurali, sicut coaeternus. |
Mais il y a les termes qui signifient la substance quant
au mode considéré par les grammairiens, comme les noms adjectifs. Tout nom en
effet signifie la substance et la qualité ; mais ils signifient la
forme, qui est une qualité, comme étant présente dans la substance ; et
de tels noms peuvent davantage être attribués au singulier et surtout parce
qu’ils peuvent être pris comme des substantifs, comme éternel et les termes
de cette sorte. Quand cependant à de tels adjectifs s’ajoute une préposition
par composition dénotant le rapport d’une personne à une autre, ils sont
davantage appliqués au suppôt ; et alors ils ne doivent jamais être
attribués au singulier mais seulement au pluriel, comme coéternel. |
[797] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 1 a. 2 ad 1 Dico igitur ad primum, quod si aeternus substantive sumatur,
tunc praedicatur in singulari de tribus ; et sic accipit Athanasius. Si
adjective, tunc praedicatur pluraliter. Sed coaeternus semper debet
pluraliter praedicari, propter habitudinem personae ad personam, quam
importat. |
Solutions : 1. Je dis donc en premier
lieu que si éternel est pris comme substantif, alors il s’attribue au
singulier aux trois personnes. Et c’est ainsi qu’Athanase le prend. Mais si
on le prend comme adjectif, alors il s’attribue au pluriel. Mais coéternel
doit toujours s’attribuer au pluriel en raison du rapport qu’il implique de
la personne à la personne. |
[798] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut dictum est, in corp. art., adjectiva non habent numerum
ex seipsis, sed ex suis suppositis ; et ideo aeternus, quamvis non numeretur
ex seipso, quia absolutum est, tamen praedicatur in plurali propter
pluralitatem suppositorum, quae relativa sunt. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, ce n’est
pas d’eux-mêmes que les adjectifs possèdent un nombre, mais ils le tiennent
de leurs suppôts ; et c’est pourquoi éternel, bien qu’il ne se dénombre
pas de lui-même car il est un absolu, il s’attribue cependant au pluriel en
raison de la pluralité des suppôts qui sont des relatifs. |
[799] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium: quia Deus non est
adjectivum, ut recipiat numerum ab alio, sicut aeternus. Unde non posset pluraliter praedicari nisi propter
pluralitatem suae formae: quam pluralitatem non est in Deo ponere. |
3. Et par là la réponse à la
troisième difficulté devient évidente : car Dieu n’est pas un adjectif
qui, comme éternel, reçoit son nombre d’un autre. De là il ne pourrait
s’attribuer au pluriel qu’en raison de la pluralité de sa forme, pluralité
qu’il n’y a pas lieu de poser en Dieu. |
[800] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis secundum rem non sit accidens in divinis, tamen
quantum ad modum significandi potest aliquid ut adjacens significari, vel
assequens substantiam ; et inde sunt adjectiva in divinis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien qu’il n’y ait pas en réalité d’accidents dans les personnes
divines, il se peut cependant que, quant au mode de signifier, quelque chose
soit signifié comme étant rattaché ou comme advenant à la substance ; et
c’est de là qu’on retrouve des adjectifs dans les Personnes divines. |
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Question 2 – [La coéternité du Père et du Fils] |
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Prooemium |
Prologue |
[801] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 pr. Deinde quaeritur
de coaeternitate Filii ad Patrem ; et quaeruntur duo: 1 utrum Pater aliquo modo sit
prior Filio ; 2 si non, sed generatio est aeterna, quibus verbis
significari debeat. |
On s’interroge ensuite
sur la coéternité du Fils à l’égard du Père ; et on pose alors deux
questions : 1. Est-ce que le Père est antérieur
au Fils de quelque manière ? 2. Si ce n’est pas le cas, la
génération étant éternelle, par quels verbes doit-elle être signifiée ? |
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Articulus 1 [802] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1
tit. Utrum
Pater sit prior Filio |
Article 1 – Le Père est-il antérieur au Fils ? |
[803] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur quod Pater sit prior Filio. Sicut enim se
habet corruptio ad desitionem, ita se habet generatio ad inceptionem. Sed omne quod corrumpitur, desinit esse. Ergo omne quod
generatur, incipit esse per generationem. Ergo Filius coepit esse ; et ita
est posterior Patre. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père soit
antérieur au Fils. En effet, tout comme la corruption se rapporte au terme,
la génération se rapporte au commencement. Mais tout ce qui se corrompt cesse
d’exister. Donc, tout ce qui est engendré commence à exister par
la génération. Donc le Fils a commencé à exister ; et ainsi il est
postérieur au Père. |
[804] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 2 a. 1 arg. 2, nihil accipit aliquid, nisi quod non habet. Sed omne quod
generatur, accipit esse a generante. Ergo omne quod generatur, ante
generationem non habet esse ; et sic idem quod prius. |
2. On ne reçoit que ce que
l’on ne possède pas. Mais tout ce qui est engendré reçoit l’existence de
celui qui engendre. Donc tout ce qui est engendré ne possède pas l’existence
avant d’être engendré ; et ainsi la conclusion est la même que
précédemment. |
[805] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 2 a. 1 arg. 3, principium naturaliter prius est eo cujus est principium.
Sed Pater est principium Filii. Ergo etsi non tempore, saltem natura est
prior ipso. |
3. Le principe est
naturellement antérieur à ce dont il est le principe. Mais le Père est le
principe du Fils. Donc, si ce n’est pas par le temps, Il Lui est au moins
antérieur par nature. |
[806] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, dare
esse est aliqua dignitas. Sed Pater dat esse suum Filio. Ergo ad minus
dignitate Pater est prior Filio. |
4. De plus, donner
l’existence constitue une dignité. Mais le Père donne son existence au Fils.
Donc le Père est antérieur au Fils au moins par la dignité. |
[807] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, omne illud quo aliquid est prius, non est
simpliciter primum. Si ergo Filio esset Pater prior, Filius non esset
simpliciter primum. Sed omnes dicunt Deum esse primum principium, sicut dicit
philosophus, I Metaph., I, 7. Ergo Filius non
esset Deus: quod Ariani concedunt. |
Cependant : 1. Tout ce dont quelque chose est antérieur, cela n’est
pas absolument premier. Si donc le Père était antérieur au Fils, le Fils ne
serait pas absolument premier. Mais tous disent que Dieu est le premier
principe, comme le Philosophe le dit [1 Métaphysique, 1, 7]. Donc
le Fils ne serait pas Dieu : ce que les Ariens concèdent. |
[808] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum,
quod Pater nullo modo est prior Filio, neque duratione, neque natura, neque
intellectu, neque dignitate: in Patre enim et Filio non possumus nisi duo
considerare. Vel id quod absolutum est: et hoc utrique commune est:
unde ex hoc unus non habet prioritatem ad alium, cum essentia divina non sit
divisibilis, ut supra ostensum est, in hac dist., qu. 1, art. 1. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le Père n’est d’aucune manière antérieur au Fils, ni par la durée, ni par
la nature, ni par l’intelligence, ni par la dignité : dans le Père et le
Fils en effet on ne peut considérer que deux choses. Soit ce qui est absolu :
et cela est commun aux deux : c’est pourquoi de ce point de vue l’un ne
possède aucune antériorité sur l’autre puisque l’essence divine n’est pas
divisible comme nous l’avons montré plus haut dans cette distinction [quest.
1, art. 1]. |
Vel id quod est ad aliquid. Relativorum autem est simul
esse natura, secundum philosophum, in Praedicam., cap.
« De relat., », et etiam tempore: quia posita se
ponunt, et perempta se perimunt: et etiam intellectu, cum unum per alterum
definiatur: quamvis enim in hominibus ille qui est pater, sit prior eo qui
est filius, ut Socrates Platone ; nihilominus tamen ista duo relativa,
inquantum relativa sunt, Pater et Filius simul sunt omnibus modis
praedictis. Unde patet quod Pater nullo modo potest esse prior Filio ; neque secundum
id quod absolutum, neque secundum id quod ad aliquid est. |
On peut encore considérer ce
qui est relatif. Mais pour les relatifs l’existence est simultanée par
nature, selon ce qu’en dit le Philosophe dans ses Prédicaments,
au chapitre intitulé ¨Des relatifs¨, et elle l’est aussi par le
temps : car si l’un est posé les deux le sont et si l’un est
anéanti les deux le sont : et leur existence est simultanée aussi par
l’intelligence car l’un se définit par l’autre bien qu’en effet chez les
hommes celui qui est père soit antérieur à celui qui est fils, comme Socrate
est antérieur à Platon ; cependant ces deux relatifs, à savoir le Père
et le Fils, en tant qu’ils ont relatifs, existent néanmoins
simultanément de toutes les manières dont nous venons de parler. C’est
pourquoi il est clair que le Père n’est en aucune manière antérieur au Fils,
quelque soit la manière dont on les considère, soit absolument, soit
relativement. |
[809] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod generatio quae opponitur corruptioni, est mutatio ; et
tali generationi semper annexa est inceptio. Sed generatio, prout est in
divinis, non est mutatio, ut supra dictum est, dist. 4, quaest. 1, art. 1,
sed operatio naturae divinae prout est in Patre. Et quia naturalis operatio
semper sequitur id cujus est, cum natura divina in Patre sit aeterna, et
generatio erit aeterna. |
Solutions: 1. Il faut dire en
premier lieu que la génération qui s’opose à la corruption est un changement;
et à une telle génération est toujours rattaché un commencement. Mais la
génération, selon qu’elle existe chez les personnes divines, n’est pas un
changement ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 1]
mais une operation de la nature divine existant dans le Père. Et parce qu’une
operation naturelle correspond toujours à ce à quoi elle appartient, puisque
la nature divine est éternelle dans le Père, la génération aussi sera
éternelle. |
[810] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod illud quod accipit aliquid, non habet illud a se, non tamen
sequitur quod non habeat illud simpliciter: quia potest esse quod illud
accipere nunquam inceperit ; et ita Filius accepit esse a Patre, nec habet
esse a se, sed ab aeterno a Patre accepit esse. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que si ce qui reçoit quelque chose ne le possède pas de lui-même, il ne
s’ensuit pas cependant qu’il ne possède absolument pas cela : car il se
peut qu’il n’ait jamais commencé de recevoir cela ; et c’est de cette
manière que le Fils a reçu l’existence du Père et qu’il ne possède pas
l’existence de Lui-même, mais il a reçu l’existence du Père de toute
éternité. |
[811] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod principium potest dupliciter
considerari: vel id quod est principium, et hoc est prius naturaliter
eo cujus est principium ; vel secundum relationem principii, et sic est simul
naturaliter cum principiato. Si igitur esset aliquis ab eodem habens quod sit
aliquis et quod sit ad aliquid ; omnino simul esset naturaliter cum eo ad
quod diceretur. Et quia in divinis Pater ab eodem habet quod sit aliquis et
quod sit Pater ; est simul natura cum Filio, non solum inquantum est Pater,
sed simpliciter. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que par le terme de principe on peut considérer deux choses : Soit cela même qui est le
principe et cela est antérieur à ce dont il est le principe. Soit la relation de principe
et alors le principe est par nature simultané avec ce dont il est le
principe. Si donc il existait un être qui du même coup tiendrait son
existence et d’être en relation, il serait par nature absolument simultané
avec ce dont il est dit relatif. Et parce que dans les Personnes divines le
Père tient du même coup son existence et sa Paternité, il est par nature
simultané avec le Fils, non seulement en tant que Père, mais absolument. |
[812] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod proprietas qua Pater dat esse, est dignitas sua. Sed quia
dignitas est de absolutis, ideo eadem dignitas est in Patre et Filio, et
eadem dignitas quae in Patre est paternitas, in Filio est filiatio ; sicut
paternitas in Patre est divina essentia vel divina bonitas, et eadem essentia
in numero vel bonitas, est filiatio in Filio. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la propriété par laquelle le Père donne l’existence est sa dignité
propre. Mais parce que le dignité porte sur des absolus, c’est pourquoi il y
a une même dignité dans le Père et dans le Fils, et la même dignité qui dans
le Père est la paternité se retrouve dans le Fils sous la forme de la
filiation ; tout comme la paternité dans le Père est l’essence divine ou
la bonté divine, la même essence ou bonté par le nombre est la filiation dans
le fils. |
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Articulus 2 [813] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2
tit. Utrum
generatio divina debeat significari per tempus praesens. |
Article 2 – La génération divine doit-elle être signifiée par le temps présent ? |
[814] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod generatio
divina debeat significari per praesens tempus. Praesens enim maxime aeternitati
competit, eo quod non habet successionem. Sed generatio divina est aeterna.
Ergo debet significari per praesens tempus. |
Difficultés : 1. Il semble que la
génération divine doive être signifiée par le temps présent. Le présent en
effet semble convenir plus proprement à l’éternité du fait qu’il n’implique
pas la succession. Mais la génération divine est éternelle. Elle doit donc
être signifiée par le temps présent. |
[815] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Avicenna, tract. VI, Metaph., cap. II), distinguit duplex
agens: quoddam quod est causa fiendi tantum, et istud non influit
in rem nisi dum est in fieri ; quoddam autem quod est principium essendi, et hoc agens
non cessat ab influendo in causatum suum quamdiu habet esse. Constat autem
quod Pater non est principium Filii sicut principium fiendi, quia Filius non
est factus ; sed sicut principium essendi, quia dat sibi esse. Ergo quandiu
Filius habet esse, Pater dat sibi esse, quae datio est generatio. Cum igitur
Filius verissime dicatur semper esse, et magis quam fuisse, verius diceretur
semper nasci quam semper natus. |
2. Par ailleurs, Avicenne [ VI Métaphysique, ch. 11] distingue deux sortes d’agents : La première qui est la cause du devenir seulement, et celle-ci ne se répand dans la chose que lorsqu’elle est en devenir ; l’autre cependant est le principe de l’existence, et un tel agent ne cesse de passer dans son effet tant qu’il possède l’existence. Il est clair cependant que le Père n’est pas le principe du Fils en tant que principe de devenir, car le Fils n’est pas produit, mais en tant que principe d’existence parce qu’il lui donne d’exister. Donc, aussi longtemps que le Fils possède l’existence, le Père lui donne d’exister, et ce don est une génération. Donc puisqu’on dit du Fils avec la plus grande justesse qu’il existe de toute éternité, plus qu’il a toujours existé, on dira avec plus de vérité qu’il naît de toute éternité que si on dit qu’il est né de toute éternité. |
[816] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 3 Contra,
illud quod est semper in fieri, est imperfectum. Sed quod semper nascitur,
significatur semper ut in fieri. Ergo significatur ut imperfectum. Ergo non
proprie dicitur Filius semper nasci, cum ab eo secludatur omnis imperfectio. |
3. Mais au contraire, ce qui
est toujours en devenir est imparfait. Mais ce qui naît toujours est signifié
comme étant toujours en devenir. Il est donc signifié comme imparfait. On ne
dit donc pas proprement du Fils qu’Il naît toujours, puisque toute
imperfection est exclue de Lui. |
[817] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea,
omne illud quod consequitur generationem secundum modum intelligendi, est
quasi terminus generationis. Sed relatio filiationis consequitur generationem
secundum modum intelligendi. Ergo se tenet ex parte termini generationis. Sed
terminus generationis non significatur per praesens, sed per praeteritum.
Ergo Filius verius dicitur natus quam nascens. |
4. En outre, tout ce qui suit
la génération selon la manière de la comprendre est comme le terme de la génération.
Mais la relation de filiation suit la génération selon la manière de la
comprendre. Elle se tient donc du côté du terme de la génération. Mais le
terme de la génération n’est pas signifié par le présent mais par le passé.
On dit donc avec davantage de vérité que le Fils est né que si on dit qu’Il
est en train de naître. |
[818] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est superius,
dist. 8, qu. 2, art. 3, nullum verbum alicujus temporis perfecte aeternitatem
repraesentat. Unde cum generatio Filii sit aeterna, ut dictum est,
dist. 4, qu. 1, art. 1, non sufficienter
exprimitur per verbum alicujus temporis ; unde per diversorum temporum verba
significari potest, ut quidquid est perfectionis in quolibet tempore, divinae
generationi attribuatur, et omnis imperfectio excludatur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, qu. 2, art. 3], qu’aucun
verbe, quel qu’en soit le temps, ne représente parfaitement l’éternité. C’est
pourquoi, puisque la génération du Fils est éternelle ainsi que nous l’avons
dit [dist. 4, qu. 1, art. 1], elle n’est exprimée avec satisfaction par aucun
verbe de quelque temps qu’il soit ; c’est pourquoi elle peut être
exprimée au moyen de verbes de différents temps de telle manière que ce qu’il
y a de perfection dans chaque temps soit attribué à la génération divine et
que toute imperfection en soit exclue. |
Cum igitur in omni inferiori generatione vel in quocumque
fieri, ipsum esse sit imperfectum, quia hujusmodi non sunt nisi in fieri, et
perfectio non est nisi quando fieri terminatur, et tunc esse non retinet
generatio creaturae, sicut etiam in termino motus non est motus ; in divina
tamen generatione invenitur simul et perfectio et esse. |
Donc, alors que dans toute génération inférieure ou dans
tout devenir l’existence elle-même est imparfaite car de tels êtres
n’existent que dans le devenir et qu’il n’y a perfection que lorsque le
devenir est terminé et que la génération de la créature ne retient pas alors
l’existence, tout comme aussi dans le terme du mouvement il n’y a plus de
mouvement ; dans la génération divine cependant on retrouve
simultanément la perfection et l’existence. |
Unde ad significandum esse divinae generationis, quod
nunquam transit, possumus uti verbo praesentis temporis, ut dicamus filium
generari a Patre ; ad significandum vero generationis perfectionem possumus
verbo praeteriti temporis uti, ut dicamus filium natum ; ut autem utrumque
concludatur simul, scilicet perfectio et esse generationis, convenientissime
dicitur semper natus ; ut per sempiternitatem significetur esse generationis
indeficiens, et per praeteritum tempus ipsius perfectio. |
C’est pourquoi, pour
signifier l’existence de la génération divine, laquelle ne passe jamais, nous
pouvons faire usage d’un verbe du temps présent, comme lorsque nous disons
que le fils est engendré par le Père ; mais pour signifier la perfection
de la génération nous pouvons user d’un verbe du temps passé, comme lorsque
nous disons que le Fils est né ; mais pour que les deux dimensions
soient conclues simultanément, à savoir à la fois la perfection et
l’existence de la génération, il convient au plus haut point de dire qu’il
est toujours né, de telle manière que par l’éternité soit signifiée l’existence
indéfectible de la génération, et par le temps passé sa perfection. |
Si autem diceremus, semper nascitur, designaretur solum
esse generationis indeficiens, sed non perfectio ; et ideo melius dicitur
semper natus quam semper nascens. In aliis autem divinis quae non
significantur ut in fieri, convenientius utimur praesenti tempore. |
Mais si nous disions qu’il naît toujours, il n’y aurait
que l’existence indéfectible de la génération qui serait désignée mais non sa
perfection ; et c’est pourquoi on parle avec plus de justesse lorsqu’on
dit qu’il est toujours né que si on dit qu’il est toujours en train de
naître. Mais pour toutes les autres caractéristiques divines qui ne sont pas
signifiées comme dans le devenir, on use avec plus d’à propos du temps présent. |
[819] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis praesens aeternitati
conveniat maxime, quia ponit esse in actu, tamen in illis quae per modum
fieri significant, importat imperfectionem, quia talia dum habent esse,
imperfecta sunt ; et ideo in talibus convenientius utimur praeterito,
praecipue si addatur aliquid ad indeficientiam designandam. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que le
temps présent convienne au plus haut point à l’éternité car il pose
l’existence en acte, cependant pour les cas qui signifient par mode de
devenir, il implique une imperfection car de tels êtres, tant et aussi
longtemps qu’ils possèdent l’existence, sont imparfaits ; et c’est
pourquoi dans ces cas on se sert de préférence du temps passé, surtout si
quelque chose est ajouté pour désigner l’indéfectibilité ou la perpétuité. |
[820] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per illam rationem probatur quod
esse divinae generationis nunquam transeat, et hoc significatur per praesens
; tamen ex modo significandi, quia significatur per modum fieri, importatur
quaedam imperfectio ; et ideo oportet uti praeterito tempore, et hoc
sequentia argumenta concludunt. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que par cet argument on prouve que l’existence de la génération divine
ne passe jamais, et cela est signifié par le présent ; cependant de par
son mode de signifier, car il signifie par mode de devenir, il implique une
certaine imperfection ; et c’est pourquoi il faut user du temps passé et
c’est là ce que concluent les arguments qui suivent. |
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Distinctio 10 |
Distinction 10 – [L’Esprit Saint comme amour] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis quinque quaeruntur: 1 utrum Spiritus sanctus procedat ut amor ; 2 utrum sit amor quem Pater habet in Filium, et e
contrario ; 3 utrum sit nexus vel unio Patris et Filii ; 4 utrum ex processione sua possit dici proprie Spiritus
sanctus ; 5 de numero personarum. |
Afin de bien comprendre cette
partie nous cherchons à répondre à ces cinq questions : 1. Est-ce que l’Esprit-Saint
procède en tant qu’amour ? 2. Est-il l’amour que le Père
porte au Fils ou est-ce plutôt l’inverse ? 3. Est-il le lien ou l’union
entre le Père et le Fils ? 4. Est-ce à partir de sa
procession qu’il peut être appelé proprement Esprit-Saint ? 5. Quel est le nombre des
Personnes ? |
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Quaestio 1 |
Question unique : [L’Esprit Saint comme amour] |
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Articulus 1 : [823] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a.
1 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat ut amor. |
Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il comme amour ? |
[824] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Spiritus
sanctus non procedat ut amor. Quia Spiritus sanctus procedit ut persona in se
subsistens. Amor autem non significat aliquid per modum subsistentis ;
immo per modum inhaerentis formae, vel passionis. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne procède pas en tant qu’amour, car c’est en tant que
personne qui subsiste en elle-même qu’elle procède. Mais l’amour ne signifie
pas quelque chose à la manière d’une substance mais bien plutôt à la manière
d’une forme ou d’une passion rattachée à autre chose. Donc, Il ne procède pas
en tant que forme. |
[825] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, nunquam natura communicatur nisi per actum naturae. Sed amor non
significat actum naturae, sed magis voluntatis. Ergo cum per processionem
Spiritus sancti communicetur tota divina natura personae procedenti, videtur
quod Spiritus sanctus non procedat ut amor. |
2. Par ailleurs, jamais la
nature ne se communique autrement que par un acte de la nature. Mais l’amour
ne signifie pas un acte de la nature mais plutôt de la volonté. Donc,
puisqu’au moyen de la procession de l’Esprit-Saint c’est toute la nature
divine qui est communiquée à cette Personne qui procède, il semble que
l’Esprit-Saint ne procède pas en tant qu’amour. |
[826] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, non est idem modus processionis creaturae et personae divinae. Sed
creaturae procedunt a Deo per actum voluntatis, cujus opus est creatio,
secundum Damascenum, lib. I Fid. Orth., c. VIII, col.
811. Ergo nulla persona divina procedit
per modum amoris, qui est actus voluntatis. |
3. En outre, le mode de
procession de la créature n’est pas identique au mode de procession de la
personne divine. Mais les créatures procèdent de Dieu par son acte
de volonté dont l’œuvre est la création selon Damascène [1 De la Foi
Orthodoxe, ch. VIII, col. 811]. Donc, aucune Personne divine ne
procède par mode d’amour, lequel est un acte de la volonté. |
[827] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 4 Item,
modus processionis personae est proprius personae procedenti, quia per
processionem distinguitur una persona ab alia. Sed amor est commune tribus
personis, ut dicitur in Littera. Ergo nulla persona ut amor
procedit. |
4. De plus, le mode de
procession de la personne est propre à la personne qui procède, car c’est par
sa procession qu’une Personne se distingue d’une autre. Mais l’amour est commun
aux trois Personnes, ainsi qu’on le lit dans le Document. Donc, aucune
Personne ne procède en tant qu’amour. |
[828] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 5
Praeterea, non est idem appropriatum et proprium, quia appropriatum sumitur
juxta rationem proprii: unde sapientia, quae appropriatur Filio, nulli
personae propria est. Sed amor, ut dicitur in littera, est appropriatum
Spiritui sancto. Ergo non est proprius modus suae processionis ut procedat ut
amor |
5. Enfin, ce qui est
approprié n’est pas identique à ce qui est propre, car l’approprié se tire
immédiatement à côté de la notion du propre : de là la sagesse, qui est
appropriée au Fils, n’est propre à aucune Personne. Mais l’amour, comme on le
lit dans le Document, est approprié à l’Esprit-Saint. Ce n’est donc pas là le
mode propre de sa procession de procéder en tant qu’amour. |
[829] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, imago creata, quae est in anima,
repraesentat Trinitatem in creatura. Sed in imagine creata procedit aliquid
per modum notitiae, et aliquid per modum amoris. Cum igitur in Trinitate
increata procedat Filius per modum notitiae, erit alia persona procedens per
modum amoris. |
Cependant : 1. L’image créée qui est dans
l’âme représente la Trinité dans la créature. Mais dans l’image créée on a
quelque chose qui procède par mode de connaissance, et quelque chose qui
procède par mode d’amour. Donc puisque dans la Trinité incréée le Fils
procède par mode de connaissance, il y aura une autre Personne qui procède
par mode d’amour. |
[830] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 2 Item,
cognitio perfecta non est, nisi adjungatur voluntas. Sed sicut se habet
intellectus ad voluntatem, ita et verbum ad amorem. Ergo verbum non erit perfectum sine amore. Sed Verbum Dei
perfectum est. Ergo et associatur sibi amor perfectus ; et hic est Spiritus
sanctus. |
2. En outre, une connaissance
n’est parfaite que si elle est unie à la volonté. Mais ce que l’intelligence
est à la volonté, le verbe l’est à l’amour. Donc le verbe ne pourra être
parfait sans l’amour. Mais le verbe de Dieu est parfait. Donc un amour
parfait lui est rattaché et c’est là l’Esprit-Saint. |
[831] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in processione creaturarum duo est considerare
ex parte ipsius creatoris: |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans la procession des créatures il y a deux choses à considérer du côté
du créateur lui-même : |
scilicet naturam ex cujus plenitudine et perfectione omnis
creaturae perfectio et efficitur et exemplatur, ut supra dictum est, dist. 2,
qu. unic., art. 2, |
À savoir la nature d’une part
à partir de la plénitude et de la perfection de laquelle toute perfection de
la créature est produite et modelée, ainsi que nous l’avons dit plus haut
[dist. 2, quest. Unique, art. 2], |
et voluntatem, ex cujus liberalitate, non naturae
necessitate haec omnia creaturae conferentur. Supposita autem, secundum fidem
nostram, processione divinarum personarum in unitate essentiae, ad cujus
probationem ratio sufficiens non invenitur, oportet processionem personarum,
quae perfecta est, esse rationem et causam processionis creaturae. |
Et la volonté d’autre part, à
partir de la libéralité de laquelle et non à partir d’une nécessité de
nature, toutes ces créatures sont réunies. Mais ayant posé, conformément à
notre foi, la procession des Personnes divines dans l’unité de l’essence, ce
que la raison ne se montre par capable de démontrer, il faut que le
procession des Personnes, laquelle est parfaite, soit la raison et la cause
de la procession de la créature. |
Unde sicut processionem creaturarum naturae divinae
perfectionem imperfecte repraesentantium reducimus in perfectam imaginem,
divinam perfectionem plenissime continentem, scilicet Filium, tamquam in
principium, et quasi naturalis processionis creaturarum a Deo, secundum
scilicet imitationem naturae, exemplar et rationem ; ita oportet quod,
inquantum processio creaturae est ex liberalitate divinae voluntatis,
reducatur in unum principium, quod sit quasi ratio totius liberalis collationis.
Haec autem est amor, sub cujus ratione omnia a voluntate conferuntur ; et
ideo oportet aliquam personam esse in divinis procedentem per modum amoris,
et haec est Spiritus sanctus. Et inde est quod quidam philosophi totius
naturae principium amorem posuerunt. |
De là, tout comme nous
ramenons la procession des créatures qui représentent imparfaitement la
perfection de la nature divine à une image parfaite contenant dans sa
plénitude la perfection divine, à savoir au Fils, comme au principe de la
procession naturelle des créatures qui viennent de Dieu, c’est-à-dire d’après
une imitation, un modèle et une raison de la nature ; de même il faut,
dans la mesure où la procession de la créature vient de la liberté de la
volonté divine, qu’elle soit ramenée à un principe unique qui soit comme la
cause de ce libre rassemblement. Et cette cause est l’amour en raison duquel
toutes les choses sont rassemblées par la volonté ; et c’est pourquoi il
faut qu’il y ait parmi les Personnes divines une Personne qui procède par mode
d’amour, laquelle est l’Esprit-Saint. Et c’est pour cette raison que certains
philosophes ont soutenu que l’amour est le principe de toute la nature. |
[832] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod licet amor, inquantum amor, non dicat quid perfectum et
subsistens ; tamen inquantum est Dei amor, a quo omnis imperfectio removetur,
habet quod sit perfectum quid et subsistens ; et simile est de Verbo. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que l’amour, en tant qu’amour, ne signifie pas en
lui-même un être parfait et subsistant, cependant en tant qu’il est l’amour
de Dieu duquel toute imperfection est exclue, il possède une existence
parfaite et subsistante ; et il en est de même pour le Verbe. |
[833] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut per primum processum naturae communicatur tota natura
divina, cum sit perfectus ; ita et per primum processum voluntatis, qui est
ratio omnis processionis voluntariae a Deo, communicatur tota voluntas ; et
quia in Deo idem est voluntas et natura, nec tota voluntas, quae infinita
est, posset esse nisi in natura infinita ; et non nisi boni infiniti, quasi
objecti aequantis infinitam voluntatem, unde nec amor, qui est ratio
voluntatis, potest esse nisi infinitus ; ideo oportet etiam communicari
naturam. Unde amor, quamvis non dicat communicationem naturae inquantum est
amor, dicit tamen inquantum est amor Dei et primus processus divinae
voluntatis. |
2. En deuxième lieu il faut
dire que tout comme dans la première procession de la nature, puisqu’elle est
parfaite, c’est toute la nature divine qui est communiquée, de même par la
première procession de la volonté, laquelle est la cause de toute procession
volontaire provenant de Dieu, c’est toute la volonté qui est
communiquée ; et parce qu’en Dieu la volonté et la nature sont
identiques et qu’une volonté totale qui est infinie ne pourrait exister que
dans une nature infinie et ne peut porter que sur un bien infini comme objet
qui est proportionné à une volonté infinie, c’est pourquoi l’amour,
qui est la cause de la volonté, ne peut être qu’infini ; et c’est
pourquoi il faut aussi que la nature soit communiquée. C’est pourquoi
l’amour, bien qu’en tant qu’amour, il ne signifie pas la communication de la
nature, il la signifie cependant dans la mesure où il est l’amour de Dieu et
le premier mouvement de la volonté divine. |
[834] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod creatura procedit a
voluntate sicut res operata per voluntatem ; sed Spiritus sanctus sicut ratio
cujuslibet operis voluntatis, sicut etiam Filius producitur ut ars omnium
eorum quae per intellectum divinum constituta sunt. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la créature procède de la volonté comme l’œuvre d’art est réalisée
au moyen de la volonté ; mais l’Esprit-Saint est comme la cause de toute
œuvre de la volonté comme aussi le Fils est engendré comme l’art d’où toutes
les choses sont constituées par l’intelligence divine. |
[835] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod amor in divinis tripliciter
sumitur. Quandoque enim sumitur
essentialiter, quandoque personaliter, quandoque notionaliter. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’amour se prend de trois manières dans les Personnes divines. Il se
prend en effet tantôt essentiellement, tantôt personnellement, tantôt
notionnellement. |
Quando sumitur essentialiter, non dicit aliquam
processionem vel relationem realem, sed tantum rationis, sicut etiam cum de
Deo dicimus intelligens et intellectum: eadem enim persona potest esse
intelligens et intellecta. |
Quand il se prend
essentiellement, il ne signifie pas une procession ou une relation réelles,
mais seulement de raison, tout comme lorsque nous disons aussi de Dieu qu’il
comprend et qu’il est compris : en effet, la même personne peut à la
fois comprendre et être comprise. |
Quando autem dicitur personaliter, tunc importatur
processio et relatio realis, et significatur ipsa persona, sive res
procedens, sicut amor est quoddam procedens. |
Quand il se prend
personnellement, alors il implique une procession et une relation réelles et
alors ce qui est signifié c’est la Personne elle-même ou la réalité qui
procède, tout comme l’amour est quelque chose qui procède. |
Quando autem dicitur notionaliter, significat ipsam
rationem processionis personae: quia amor non tantum est procedens, sed etiam
dicit rationem sub qua alia procedunt. Secundum ergo quod est essentiale, est
commune tribus, sed appropriatur Spiritui sancto ; ut cum dicitur, Deus
caritas est, 1 Joan. 4, 16 ; secundum autem quod est personale, est
proprium Spiritus sancti ; et dicitur, quod Spiritus sanctus procedit ut
amor. Secundum autem quod est notionale, est quaedam relatio vel notio
communis Patri et Filio, quae etiam dicitur communis spiratio ; et hoc modo
significatur amor in hoc verbo diligunt: cum dicitur, Pater et Filius
diligunt se Spiritu sancto. |
Mais quand il se dit
notionnellement, il signifie la cause même de la procession de la
Personne : car l’amour n’est pas seulement ce qui procède, mais il
signifie aussi la raison sous laquelle les autres procèdent. Donc, selon
qu’il est essentiel, l’amour est commun aux trois Personnes, mais il est
approprié à l’Esprit-Saint, comme lorsqu’on dit que Dieu est Amour [1 Jean,
4, 16] ; mais selon qu’il est personnel, il est le propre de
l’Esprit-Saint et c’est ainsi qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il procède en
tant qu’amour. Mais selon qu’il est notionnel, l’amour est une relation ou
une notion commune au Père et au Fils, qu’on appelle aussi le souffle
commun ; et c’est en ce sens qu’est signifié l’amour dans
cette parole où on dit qu’Ils s’aiment, lorsqu’on dit du Père et du Fils
qu’ils s’aiment par l’Esprit-Saint. |
[836] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod amor, secundum quod est proprium, non est
appropriatum. Sapientia autem ita est appropriata quod nunquam potest esse
proprium. Et ratio hujus est, quia sapientia non significatur per modum
alicujus exeuntis ab aliquo, sed per modum quiescentis in subjecto ; et ideo
semper est essentialis, et nunquam personalis. Sed amor significatur per
modum exitus ; nihilominus tamen significat aliquid absolutum. Exitus autem
ille potest intelligi ut realis, vel secundum rationem tantum. Ex parte ergo
qua significat aliquid absolutum, est essentiale ; et tunc relatio, vel
exitus importatus, erit rationis tantum, sicut cum dicitur idem eidem idem.
Quando autem ille exitus significatur non tantum ut rationis, sed ut realis,
tunc amorem significat personalem. |
5. En cinquième lieu, il faut
dire que l’amour, en tant qu’il set propre, n’et pas approprié. Mais la
sagesse est appropriée de telle manière qu’elle ne peut jamais être propre.
Et la raison en est que la sagesse n’est pas signifiée à la manière de ce qui
sort d’un autre, mais à la manière de ce qui repose dans un sujet. Et c’est
pourquoi elle est toujours essentielle et jamais personnelle. Mais l’amour
est signifié à la manière d’une sortie ; néanmoins il signifie cependant
quelque chose d’absolu. Mais cette sorte peut se comprendre soit comme étant
réelle, soit selon la raison seulement. Donc, du côté par lequel il signifie
quelque chose d’absolu, il est essentiel ; et alors la relation ou la
sortie impliquée en sera une de raison seulement, comme lorsqu’on dit que le
même est identique au même. Mais lorsque cette sortie est signifiée non
seulement comme en étant une de raison seulement mais comme étant réelle,
alors elle signifie un amour personnel. |
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Articulus 2 [837] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 tit.
Utrum Spiritus sanctus sit amor quem habet Pater in Filium. |
Article 2 – L’Esprit Saint est-il l’amour que le Père a pour le Fils ? |
[838] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus
sanctus non sit amor quem Pater habet in Filium vel e contrario. Quidquid
enim procedit in aliud tendens, non procedit ut per se subsistens. Sed Spiritus sanctus
procedit ut persona subsistens per se. Ergo non procedit in Filium. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne soit pas l’amour que le Père porte au Fils ou inversement.
En effet, tout ce qui procède en tendant vers un autre ne procède pas en tant
qu’être subsistant. Mais l’Esprit-Saint procède en tant que personne qui
subsiste par elle-même. Il ne procède donc pas vers le Fils. |
[839] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 2 Item,
quod procedit in aliquid, recipitur in illo, nisi sit ex defectu recipientis.
Sed in Filio non est aliquis defectus. Si ergo Spiritus sanctus procedit a
Patre ut in Filium, Filius recipit Spiritum sanctum. Sed quidquid Filius
recipit a Patre, recipit per generationem. Ergo processio per quam Spiritus
sanctus procedit a Patre in Filium, est generatio, vel etiam prius secundum
rationem, sicut quod includitur in illa. |
2. De plus, ce qui
procède vers quelque chose est reçu dans cette chose à moins d’un défaut du
côté de celui qui reçoit. Mais il n’y a aucun défaut dans le Fils. Si donc
l’Esprit-Saint procède du Père comme au Fils, le Fils reçoit l’Esprit-Saint.
Mais tout ce que le Fils reçoit du Père, il le reçoit par mode de génération.
Donc la procession par laquelle l’Esprit-Saint procède du Père au Fils est
une génération ou encore elle lui est antérieure selon la raison comme ce qui
est inclu en elle. |
[840] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, etsi Filius aliquid accipiat a Patre,
tamen Pater nihil accipit a Filio. Ergo cum illud in quod est aliquid, se
habeat in ratione recipientis, nullo modo poterit dici Spiritus sanctus amor
quem habet Filius in Patrem. |
3. En outre, bien
que le Fils reçoive quelque chose du Père, cependant le Père ne reçoit rien
du Fils. Donc, puisque ce en quoi se trouve quelque chose a raison de
récepteur, en aucune manière l’Esprit-Saint ne pourra être appelé l’amour que
le fils a pour le Père. |
[841] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, omnis amor procedit ab amante in amatum.
Sed Spiritus sanctus est amor, ut supra dictum est, art. anteced. in Resp. ad
4. Ergo videtur, cum Pater amet Filium et e contrario, quod Spiritus sanctus
sit amor Patris in Filium et e contrario. |
Cependant: 1. Tout amour
procède d’un amant vers un objet aimé. Mais l’Esprit-Saint est amour ainsi
que nous l’avons dit plus haut [art. Précéd., dans la réponse à la quatrième
difficulté]. Il semble donc, puisque le Père aime le Fils et inversement, que
l’Esprit-Saint soit l’amour que le Père porte au Fils et inversement. |
[842] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc videtur per auctoritatem Hieronymi
in littera. |
2. C’est encore là
ce qui apparaît clairement par l’autorité de Jérôme dans le document. |
[843] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod in processione Spiritus sancti est considerare duo: scilicet
processionem ipsam, et modum procedendi. Et quia Spiritus sanctus procedit ut
res distincta et per se existens, non habet ex processione sua, inquantum
processio est, quod sit a Patre in Filium, vel e contrario ; sed quod sit in
se subsistens. Si autem consideretur modus processionis quia procedit ut
amor, ut dictum est, art. praec., ad 2, cum amatum secundum rationem
intelligendi sit id in quod terminatur amor, et amans a quo exit amor: cum
Pater amet Filium, potest dici amor Patris in Filium ; et cum Filius amet
Patrem, amor Filii in Patrem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a deux choses à considérer dans la procession de
l’Esprit-Saint : à savoir la procession elle-même et le mode de
procéder. Et parce que l’Esprit-Saint procède à la manière d’une réalité
distincte et existant par elle-même, il ne Lui est pas nécessaire que sa
procession, en tant que procession, procède du Père au Fils ou inversement,
mais qu’Il soit une réalité subsistant en elle-même. Mais si on considère le
mode de la procession, car l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour ainsi que
nous l’avons dit plus haut [art. précéd., réponse à la deuxième difficulté],
puisque l’objet aimé d’après son intelligibilité est ce en quoi l’amour
trouve son terme et que l’amant est ce d’où procède l’amour, il s’ensuit que
puisque le Père aime le Fils, l’Esprit-Saint peut être appelé l’amour que le
Père a pour le Fils et comme le Fils aime le Père, il est aussi être appelé
l’amour que le Fils a pour le Père. |
[844] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum. Quia Spiritus
sanctus non habet ut sit amor unius personae in aliam ex hoc quod est persona
procedens, sed ex hoc quod procedit ut amor. |
Solutions: 1. Et c’est par là
qu’apparaît la solution à la première difficulté. Car l’Esprit-Saint est
nécessairement l’amour d’une personne pour une autre du fait qu’il procède en
tant qu’amour et non pas du fait qu’il est une personne qui procède. |
[845] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur Filius amari a
Patre, non praedicatur secundum rem quod Filius aliquid a Patre accipiat, sed
quod terminetur in ipsum actus amoris ; et ideo hoc quod dicitur esse
Spiritus sanctus amor Patris in Filium, non pertinet ad generationem, sed ad
Spiritus sancti processionem. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que lorsqu’on dit que le Fils est aimé du Père, on ne dit pas
que c’est en réalité que le Fils reçoit quelque chose du Père mais que c’est
en Lui que se termine l’acte d’amour; et c’est pourquoi ce qui est dit ici, à
savoir que l’Esprit-Saint est l’amour du Père pour le Fils, cela n’appartient
pas à la génération, mais à la procession de l’Esprit-Saint. |
[846] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. Quia sicut cum
dicitur, quod Pater habet amorem in seipsum, non significatur ibi aliqua
terminatio vel acceptio secundum rem, sed tantum secundum modum significandi
; ita etiam cum dicitur Spiritus sanctus amor Filii in Patrem, non ponitur
quod Pater aliquid accipiat, nisi quod secundum modum significandi in ipsum
terminatur amor Filii, sicut in amatum. |
3. Et par là on voit
clairement la solution à la troisième difficulté. Car tout comme lorsque nous
disons que le Père a de l’amour pour Lui-même, on ne signifie pas par là un
terme ou une concession selon la chose mais seulement selon le mode de signifier ;
de même encore lorsque nous disons que l’Esprit-Saint est l’amour du Fils
pour le Père, on n’affirme pas que le Père reçoit quelque chose, si ce n’est
que selon le mode de signifier l’amour du Fils se termine en Lui comme dans
l’objet aimé. |
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Articulus 3 [847] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 tit.
Utrum Spiritus sanctus sit unio Patris et Filii |
Article 3 – L’Esprit Saint est-il l’union du Père et du Fils ? |
[848] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non sit nexus vel unio
Patris et Filii. Quod enim est discretum et distinctum ab aliquibus, non est
unitivum ipsorum. Sed Spiritus sanctus est distinctus a Patre et Filio. Ergo
non est unio utriusque. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Esprit-Saint
ne soit pas le lien ou l’union qu’il y a entre le Père et le Fils. En effet,
il n’y a pas de lien entre les choses et celles dont elles se distinguent et
sont séparées. Mais l’Esprit-Saint est distinct du Père et du Fils. Il n’y a
donc pas de lien entre les deux. |
[849] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, nexus vel unio habet quasi rationem medii inter ea quae uniuntur
vel connectuntur. Sed Spiritus sanctus non est media in Trinitate persona, sed
tertia. Ergo non est unio vel nexus. |
2. De plus, le lien a raison
d’intermédiaire entre les choses qui sont unies ou reliées. Mais
l’Esprit-Saint n’est pas la personne intermédiaire dans la Trinité, mais la
troisième personne. Il n’est donc pas le lien ou l’union entre les deux
autres Personnes. |
[850] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, nexus dicitur quo aliqua nectuntur. Sed sive hoc intelligatur
effective, sive formaliter, illud quo aliqua nectuntur habet aliquam rationem
principii annexam. Ergo cum Spiritus nullo modo sit principium Patris et
Filii, immo e contrario, non poterit dici nexus vel unio utriusque. |
3. En outre, le lien se dit
de ce par quoi certaines choses sont rattachées. Mais qu’on entende cela
effectivement ou formellement, ce par quoi certaines choses sont rattachées a
une raison ajoutée de principe. Donc, puisque l’Esprit-Saint n’est en aucune
manière le principe du Père et du Fils et que c’est bien plutôt le contraire
qui est vrai, on ne pourra dire de Lui qu’Il est le lien ou l’union entre le
Père et le Fils. |
[851] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra,
Dionysius, lib. De divin. Nomin., cap. IV, § 15, col.
714 : Amorem sive divinum sive angelicum sive intellectualem sive
animalem sive naturalem dicamus, unitivam quamdam et concretivam accipimus
virtutem. Sed Spiritus sanctus est amor Patris et Filii. Ergo est unio
ipsorum. |
Cependant : Denys dit [Les Noms Divins,
ch. IV, &15, col. 714] : Nous admettons que l’amour, qu’il
soit divin, angélique, intellectuel, animal ou naturel, est puissance d’union
et de rassemblement. Mais l’Esprit-Saint est l’maour du Père et du Fils.
Il est donc l’union ou le lien qu’il y a entre les deux. |
[852] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 s. c. 2 Hoc
etiam videtur ex auctoritate apostoli, Eph. 4, 3: soliciti servare
unitatem Spiritus in vinculo pacis ; et ita amor habet rationem
vinculi et nexus. |
2. Cela se voit aussi par
l’autorité de l’Apôtre [Épître aux Éphésiens, 4, 3] : Appliquez-vous
à conserver l’unité de l’Esprit par ce lien qu’est la paix. Et c’est
ainsi que l’amour a raison de lien ou de joint. |
[853] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod amor semper ponit
complacentiam amantis in amato. Quando
autem aliquis placet sibi in aliquo, trahit se in illud et conjungit se illi
quantum potest, ita ut illud efficiatur suum ; et inde est quod amor habet
rationem uniendi amantem et amatum. Et quia Spiritus sanctus procedit ut
amor, ex modo processionis habet ut sit unio Patris et Filii. Possunt enim
Pater et Filius considerari vel inquantum conveniunt in essentia, et sic
uniuntur in essentia ; vel inquantum distinguuntur in personis, et sic
uniuntur per consonantiam amoris: quia et si per impossibile poneretur quod
non essent unum per essentiam, ad perfectam jucunditatem oporteret in eis intelligi
unionem amoris. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’amour pose toujours une complaisance de l’amant pour l’objet aimé. Mais
quand on se complaît en quelqu’un, on se trourne vers lui et on s’y unit dans
la mesure du possible afin qu’il devienne soi ; et c’est de là que
l’amour a raison d’unir l’amant à l’objet aimé. Et parce que l’Esprit-Saint
procède en tant qu’amour, c’est de cette forme de procession qu’il se trouve
à être l’union du Père et du Fils. Le Père et le Fils peuvent en effet être
considérés soit selon qu’ils se rencontrent dans une
même essence et ainsi ils sont unis dans cette même essence, soit selon
qu’ils se distinguent par la personne et alors ils sont unis par l’harmonie
de l’amour : car si par impossible on posait qu’ils ne sont
pas un par l’essence, il faudrait que soit comprise en eux l’union de l’amour
pour une joie parfaite. |
[854] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod ex ipsa processione Spiritus sanctus habet quod procedat ut
persona ; et sic est distinctus a Patre et Filio [et sic …Filio om.
Éd. de Parme] sed ex modo processionis habet quod sit vinculum vel unio
amantis et amati. Utrum autem Pater et Filius diligant se Spiritu sancto,
infra quaeretur, dist. 32, quaest. 1, art. 1 et 2. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que c’est de la procession elle-même qu’il revient à l’Esprit-Saint de
procéder comme personne ; et c’est ainsi qu’il est distinct du Père et
du Fils [et ainsi…du Fils om. Éd. de Parme], mais c’est du mode
de procession qu’il Lui revient d’être le lien ou l’union de l’amant à
l’objet aimé. Mais est-ce que le Père et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint,
nous chercherons à le savoir plus loin [dist. 32, quest. 1, art. 1 et 2] |
[855] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inquantum procedit a
duobus, habet quod sit tertia in Trinitate persona ; sed ex modo procedendi,
quod sit unio utriusque personae. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que pour autant qu’Il procède des deux autres Personnes, il
revient à l’Esprit-Saint d’être la troisième personne de la Trinité; mais il
Lui revient, considérant le manière dont il procède, d’être le lien entre les
deux autres Personnes. |
[856] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Pater et Filius dicuntur
uniri Spiritu sancto, non effective, sed quasi formaliter. Sed forma est duplex: quaedam enim manens et quiescens in his quorum est forma ;
et sic per modum formae se habet ad personas divina essentia, et sic uniuntur
formaliter amore essentiali. Est etiam aliquid formaliter uniens, non quasi inhaerens,
sed sicut procedens ab utroque unitorum ; ac si diceremus, aliqua duo corpora
uniri per aliquem liquorum [aliquorum Éd. de Parme] ab eis
procedentem ; et ita Pater et Filius uniuntur Spiritu sancto. Unde non
sequitur quod sit principium Patris et Filii, sed e converso. Hoc tamen magis
discutietur, dist. 32, ut Sup., quando quaeretur, utrum Pater et Filius
diligant se Spiritu sancto. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’on dit du Père et du Fils qu’ils sont unis par l’Esprit-Saint non pas
à la manière d’une cause efficiente, mais comme formellement. Mais il y a
deux sortes de formes : il y a en effet celle qui demeure et repose dans
les choses dont elle est la forme ; et c’est de cette manière que
l’essence divine se rapporte aux Personnes et c’est ainsi que ces dernières
sont unies formellement par un amour essentiel. Il y a aussi celle qui unit
formellement non pas en tant qu’elle est présente dans la chose, mais en tant
qu’elle procède des choses qui sont unies, comme si on disait que deux corps
sont unis par un des fluides [de certains Éd. de Parme] qui en
procèdent ; et c’est ainsi que le Père et le Fils sont unis par
l’Esprit-Saint. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il soit le principe du
Père et du Fils, mais c’est le contraire qui s’ensuit. Cela sera cependant
davantage discuté à la distinction 32 quand on cherchera à savoir si le Père
et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint. |
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Articulus 4 [857] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 tit.
Utrum persona procedens per modum amoris, proprie dicatur Spiritus sanctus |
Article 4 – Appelle-t-on au sens propre, l’Esprit Saint, la personne qui procède par amour ? |
[858] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod persona quae procedit ut amor, non proprie
dicatur Spiritus sanctus. Illud enim quod est commune tribus personis, non
efficitur proprium, nisi aliquo proprio adjuncto. Sed Spiritus convenit
tribus personis, Joan. 4, 24: Spiritus est Deus. ‘Sanctus’ autem
quod additur, est etiam commune, et non proprium. Ergo videtur quod Spiritus
sanctus non sit proprium nomen alicujus personae. |
Difficultés ; 1. Il semble que la Personne
qui procède en tant qu’amour ne s’appelle pas proprement Esprit-Saint. En
effet, ce qui est commun aux trois Personnes n’est rendu propre que par un
ajout qui lui est propre. Mais l’Esprit est commun aux trois Personnes ainsi
que Jean (4, 24) le dit : L’esprit est Dieu. Mais le terme
¨saint¨, qui est ajouté, est lui aussi commun et non pas propre. Il semble
donc que ¨Esprit-Saint¨ ne soit pas le nom propre d’une Personne. |
[859] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, personae distinguuntur per relationem
originis. Sed hujusmodi relationes, secundum modum intelligendi, consequuntur
processiones personarum. Ergo quaelibet persona debet denominari secundum
processionem aliquam. Sed Spiritus sanctus nullam processionem vel
processionis modum exprimit. Ergo non
videtur esse nomen alicujus personae. |
2. Par ailleurs, les
Personnes se distinguent par la relation d’origine. Mais de telles relations,
selon la manière de les comprendre, résultent des processions des Personnes.
Donc, toute Personne doit être dénommée d’après une procession. Mais
l’Esprit-Saint n’exprime aucune procession ou un mode de procession. Il ne
semble donc pas être le nom d’une Personne. |
[860] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 3 Si dicas,
quod dicitur Spiritus sanctus, quia procedit ut amor, scilicet ad
similitudinem ejus quod [dico add. Éd. de Parme] duo amantes
conspirant sibi in amore per osculum oris, unde fit respiratio: contra,
secundum hoc, nomen Spiritus sumeretur ex similitudine spiritus corporalis.
Sed omne tale nomen dicitur de Deo metaphorice, et non proprie nec secundum prius.
Cum igitur nomina personalia inveniantur in divinis proprie, et etiam per
prius quam in creaturis, ut dicitur Ephes. 3, 15: Ex quo omnis
paternitas in caelis et in terra nominatur ; videtur quod per istum
modum nulla persona divina debeat nominari Spiritus sanctus. |
3. Si tu dis qu’on l’appelle
Esprit-Saint parce qu’il procède en tant qu’amour, c’est-à-dire à la
ressemblance de ce qu’on voit chez deux amants qui se serrent mutuellement
dans l’amour au moyen d’un baiser de la bouche, d’où résulte une respiration,
il faudra dire à l’encontre de cela que le nom d’Esprit se tire d’après cela
d’une ressemblance à un esprit corporel. Mais tout nom de cette sorte se dit
de Dieu sous la forme de la métaphore et non proprement ni par priorité.
Donc, puisque les noms personnels se retrouvent proprement dans les personnes
divines et même antérieurement aux créatures, comme le dit l’Apôtre
[Ephésiens 3, 15] : De qui toute paternité, au ciel et sur la
terre, tire son nom, il semble que suivant ce mode aucune Personne divine
ne doive être appelée Esprit-Saint. |
[861] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 4
Praeterea, sicut processio, quae est per modum amoris, est sancta ; ita illa
quae est per modum naturae. Ergo sicut non dicitur Filius sanctus, ita non
debet dici Spiritus sanctus. |
4. En outre, tout comme la
procession qui a lieu par l’amour est sainte, de même est sainte celle qui a
lieu par la nature. Donc, tout comme on ne dit pas Fils-Saint, de même on ne
dit pas Esprit-Saint. |
[862] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 s. c. 1 In
contrarium est tota Scriptura, et totus usus Ecclesiae, quae tertiam in
Trinitate personam sic nominat. |
Cependant : Toute l’Écriture et toute la
tradition de l’Église est contraire à cette position en nommant ainsi la
troisième Personne de la Trinité : Esprit-Saint. |
[863] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod spiritus est nomen positum ad significandum subtilitatem
alicujus naturae ; unde dicitur tam de corporalibus quam de incorporeis: aer
enim spiritus dicitur propter subtilitatem ; et exinde attractio aeris et
expulsio dicitur inspiratio et respiratio ; et exinde ventus etiam dicitur
spiritus ; et exinde etiam subtilissimi vapores, per quos diffunduntur
virtutes animae in partes corporis, dicuntur spiritus ; et similiter
incorporea propter suam subtilitatem dicuntur spiritus ; sicut dicimus
Spiritum Deum, et Angelum, et animam. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le terme ¨esprit¨ est le nom posé pour signifier la subtilité d’une
nature ; c’est pourquoi on le dit aussi bien des réalités
corporelles que de celles qui sont incorporelles : l’air est appelé
esprit en raison de sa subtilité ; et c’est de là que l’entrée de l’air
et sa sortie sont appelées inspiration et respiration ; et c’est pourquoi
le vent aussi est appelé esprit ; et c’est pourquoi encore les vapeurs
les plus subtiles par lesquelles se répandent les puissances de
l’âme dans les parties du corps s’appellent aussi esprits ; et de la
même manière les réalités incorporelles, en raison de leur subtilité, sont
appelées esprits. C’est ainsi en effet que nous atribuons à Dieu, à l’Ange et
à l’âme humaine le nom d’esprit. |
Et inde est etiam quod dicimus duos homines amantes se, et
concordes, esse unius spiritus vel conspiratos ; sicut etiam dicimus eos esse
unum cor et unam animam ; sicut dicitur Eth. IX, cap. X : proprium amicorum
est, unam animam in duobus corporibus esse. Subtilitas autem dicitur per
remotionem a materialitate ; unde ea quae habent multum de materia vocamus
grossa, sicut terram ; et ea quae minus, subtilia, sicut aerem et ignem. Unde
cum removeri a materia magis sit in incorporeis, et maxime in Deo,
spiritualitas secundum rationem significationis suae per prius invenitur in
Deo, et magis in incorporeis quam in corporalibus ; quamvis forte secundum
impositionem nominis spiritualitas magis se teneat ad corporalia, eo quod
nobis qui nomina imposuimus, eorum subtilitas magis est manifesta. |
Et c’est pourquoi nous disons
encore de deux hommes qui s’aiment et qui sont d’accord qu’ils sont d’un même
esprit ou qu’ils sont en harmonie, tout comme nous disons encore qu’ils sont
un seul cœur et une seule âme ; tout comme on le dit le Philosophe [
1X Éth. Ch. X] : le propre des amis est d’être une seule âme
dans deux corps. Mais la subtilité se dit par opposition à la
matérialité ; c’est pourquoi les choses dont la matière est abondante,
par exemple la terre, sont appelées grossières alors que celles qui en ont
peu, comme l’air et le feu, sont appelées subtiles. Donc, puisque le fait
d’être éloigné de la matière se retrouve davantage dans les réalités
incorporelles et surtout en Dieu, la spiritualité, en raison de sa
signification se retrouve premièrement en Dieu, et davantage dans les
réalités incorporelles que dans celles qui sont corporelles ; bien que
selon l’imposition du nom la spiritualité se tienne peut-être davantage du
côté des réalités corporelles du fait que pour nous qui imposons les noms,
leur subtilité nous est davantage manifeste. |
Secundum hoc igitur dico, quod Spiritus, inquantum nominat
subtilitatem naturae, commune est tribus personis ; sed duplici ratione
nominatur Spiritus sanctus a spiritualitate. Una et praecipua est, ut credo, quia per ipsum et dona
ipsius in participationem divinae spiritualitatis trahimur, inquantum a
temporalibus removemur. Unde contemptores temporalium spirituales dicuntur:
et hoc convenit sibi inquantum procedit ut amor, qui habet rationem primi
doni in quo omnia dona donantur. Alia ratio est quia est amor Patris in Filium, quo se
diligunt ; et amantem et amatum dicimus in spiritu uniri. |
D’après cela je dis donc que
l’Esprit, selon qu’il nomme une subtilité de nature, est commun aux trois
Personnes ; mais c’est pour deux raisons que l’Esprit-Saint se dénomme à
partir de la spiritualité. La première et la principale
est, comme je crois, que c’est par Lui est ses dons que nous sommes attirés à
participer à la spiritualité divine selon que nous nous éloignons des choses
temporelles. C’est pourquoi ceux qui méprisent les choses temporelles sont appelés
spirituels : et cela convient à l’Esprit-Saint selon qu’Il procède en
tant qu’amour, Lequel a raison de premier don dans lequel tous les dons sont
distribués. L’autre raison est que
l’Esprit-Saint est l’amour du Père pour le Fils par Lequel Ils s’aiment :
et nous disons que l’amant et l’aimé sont unis en esprit. |
[864] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod hoc quod dico, Spiritus sanctus, potest dupliciter
considerari: vel quantum ad virtutem vocabulorum, et sic convenit toti
Trinitati prout sumitur in virtute duarum dictionum ; vel quantum ad
impositionem Ecclesiae, per quam hoc impositum est ad significandum unam
personam, quasi circumlocutio unius nominis, propter defectum vocabulorum,
quia linguae nostrae deficiunt a narratione Dei ; et sic proprie convenit
Spiritui sancto. Et rationem convenientiae assignat Augustinus in Littera.
Quia enim est communitas Patris et Filii, decet ut communi nomine nominetur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsque je dis ¨Esprit-Saint¨, cette expression
peut être considéré de deux manières : soit quant à la puissance des
mots, et ainsi ce terme s’applique à toute la Trinité selon qu’il se prend
dans la puissance des deux termes ; soit quant à l’imposition qu’en a fait
l’Église et par laquelle cette expression a été imposée pour signifier une
personne, comme une circonlocution d’un nom en raison d’un manque de termes
car nos langues sont impuissantes à parler parfaitement de Dieu ; et
ainsi cette expression convient proprement à l’Esprit-Saint. Et Augustin
désigne la raison de cette convenance dans la Lettre en disant que puisqu’Il
est commun au Père et au Fils, il est juste qu’Il soit nommé par un nom
commun. |
[865] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ex ratione suae processionis Spiritus sanctus procedit ut amor
; et inquantum est amor, convenit sibi quod nominetur per spiritualitatem, ut
dictum est, in corp. art., et sic aliquo modo nomen Spiritus sancti quemdam
modum processionis exprimit, quia amoris. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que c’est en raison de sa procession que l’Esprit-Saint procède en tant
qu’amour : et en tant qu’il est amour, il lui convient qu’il soit nommé
par la spiritualité ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article et
c’est ainsi que d’une certaine manière le non d’Esprit-Saint exprime un
certain mode de procession pour cette raison qu’Il est le mode de procession
de amour. |
[866] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Spiritus per prius dicitur de divinis quam de corporeis, sicut
praedictum est, loc. cit., et ideo objectio illa non tenet ; nec credo ab
illa similitudine Spiritum sanctum vocari. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’Esprit se dit des personnes divines avant de se dire des réalités
corporelles ainsi que nous l’avons dit précédemment et c’est pourquoi cette
objection ne tient pas ; et je ne crois pas que l’Esprit-Saint soit
dénommé à partir de cette similitude. |
[867] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, cap.
XII De div. Nom., § 2, col.970, sanctitas est ab omni
immunditia libera et perfecta et immaculata munditia ; et ideo
convenienter sanctitas spiritualitati adjungitur, quae etiam a materialitate
separationem dicit, ut sic per spiritualitatem designetur separatio a
materia, et per sanctitatem a materialibus defectibus. Vel dicendum, quod
natura semper eodem modo operatur ; et ideo in opere naturae non est invenire
rectum et non rectum, sicut in opere voluntatis. Et ideo convenienter sanctitas, quae rectitudinem
voluntatis importat, adjungitur processioni amoris, et non generationi, quae
est opus naturae. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que, tout comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. XII, &2,
col. 970] : la sainteté est détachée de toute souillure et
consiste en une propreté parfaite et sans tache ; et c’est pourquoi
la sainteté est rattachée à juste titre à la spiritualité, puisqu’elle
implique elle aussi une séparation de la matière de telle manière que par
spiritualité on désigne une séparation de la matière et que par sainteté on
signifie une séparation des défauts matériels. Ou bien il faut dire que la
nature opère toujours de la même manière ; et c’est pourquoi dans les
œuvres de la nature on ne retrouve pas du juste et de l’injuste comme dans
les œuvres de la volonté. Et c’est pourquoi la sainteté, qui implique une
rectitude de la volonté, est rattachée à juste titre à la procession de
l’amour et non à la génération qui est une œuvre de la nature. |
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Articulus 5 [868] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5
tit. Utrum
tantum tres personae sint in divinis |
Article 5 – Y a-t-il seulement trois Personnes en Dieu ? |
[869] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod non sint tantum tres personae in divinis. In
divinis enim non plus distat voluntas et natura, quam intellectus. Sed alia persona est
procedens per modum voluntatis vel amoris, ab illa quae procedit per modum
naturae vel generationis. Ergo adhuc debet esse alia quae procedat per modum
intellectus. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas seulement trois personnes en Dieu. En Dieu en effet il n’y a
pas plus de différence entre la volonté et la nature qu’entre l’intelligence
et la nature. Mais la personne qui procède par mode de volonté ou d’amour est
autre que celle qui procède par mode de nature ou de génération. Il doit donc
y avoir encore une autre personne qui procède par mode d’intelligence. |
[870] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 2
Praeterea, sicut Pater diligit Filium, ita etiam diligit Spiritum sanctum.
Sed amor quo Pater diligit Filium, est una persona. Ergo et amor quo diligit
Spiritum sanctum, est una persona, et ita sunt plures quam tres. |
2. Par ailleurs, tout comme
le Père aime le Fils, de même encore il aime l’Esprit-Saint. Mais l’amour par
lequel le Père aime le Fils est une Personne. Donc, l’amour par lequel il
aime l’Esprit-Saint est une autre Personne et ainsi il y a plus que trois
personnes. |
[871] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 3 Item,
sicut est perfecta bonitas et liberalitas in Patre et Filio, ita et in
Spiritu sancto. Sed propter summam bonitatem et liberalitatem convenit Patri
quod naturam suam communicet alii, quia bonum est communicativum sui. Ergo
eadem ratione Spiritus sanctus communicabit naturam suam perfecta
communicatione. Sed non perfecte communicat creaturae. Ergo communicabit alii
divinae personae. |
3. En outre, il y a dans
l’Esprit-Saint, tout comme dans le Père et dans le Fils, une parfaite bonté
et une parfaite liberté. Mais en raison de son excellente bonté et de son
excellente liberté, il revient au Père de communiquer sa nature à un autre,
car il est dans la nature du bien de se communiquer. Donc pour la même raison
l’Esprit-Saint communiquera sa nature par une parfaite communication. Mais il
ne la communique pas parfaitement à la créature. Il la communiquera donc à
une autre personne divine. |
[872] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 4 Item, in
Deo non tantum est natura et voluntas, sed plura alia attributa, quorum
unumquodque habet rationem principii. Sed voluntati et naturae respondet
aliqua processio, inquantum habent rationem principii. Ergo etiam et aliis
attributis respondebunt aliae processiones, secundum quas multiplicabuntur
personae multo plures quam tres. |
4. De plus, il n’y a pas
seulement en Dieu la nature et la volonté, mais plusieurs autres attributs
dont chacun a raison de principe. Mais à la nature et à la volonté correspond
respectivement une procession selon qu’elles ont raison de principe. Donc
d’autres processions correspondront aussi aux autres attributs, processions
selon lesquelles se multiplieront les personnes en un nombre plus
grand que trois. |
[873] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 5 Sed
contra, videtur quod sint tantum duae. Personae enim non distinguuntur nisi
secundum relationes originis. Sed relatio originis est secundum quam aliquis
est ab alio. Ergo videtur quod sit tantum una persona, quae sit ens ab alia,
et reliqua a qua est alius. Ergo sunt tantum duae personae. |
5. Il semble cependant qu’il
n’y ait que deux Personnes en Dieu. Les Personnes en effet ne se distinguent
que par les relations d’origine. Mais une relation d’origine est celle selon
laquelle un être vient d’un autre. Il semlbe donc qu’il n’y ait qu’une
personne qui soit un être qui vient d’un autre et que le reste soit celle
d’où vient cet autre. Il n’y a donc que deux Personnes en Dieu. |
[874] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod non sunt nisi tres personae in divinis. Et ratio hujus est,
quia in divinis propter essentiae simplicitatem non potest esse distinctio
secundum aliquod absolutum, sed secundum relationem, et tantum secundum
relationem originis, ut infra probabitur, dist. 26, quaest. 2, art. 2. Item,
relatio originis non potest constituere personam, si significet in communi ;
sed oportet quod significet aliquid proprium et determinatum. Habet enim se
loco differentiae constitutivae respectu personae, quam oportet esse
propriam. |
Corps de l’article ; Je réponds qu’il faut dire
qu’il n’y a que trois Personnes en Dieu. Et la raison en est qu’il ne peut y
avoir en Dieu, en raison de la simplicité de l’essence, une distinction selon
quelque chose d’absolu, mais seulement selon la relation, et seulement selon
la relation d’origine ainsi qu’on le prouvera plus loin [dist. 26, quest. 2,
art. 2.]. En outre la relation d’origine ne peut constituer la Personne si
elle signifie dans l’universel, mais il faut qu’elle signifie quelque chose
de propre et de déterminé. Elle tient lieu en effet de différence
constitutive, laquelle doit être propre, par rapport à la personne. |
Item, quia persona est nomen dignitatis, oportet
quod illa relatio sit ad dignitatem pertinens. Sic ergo oportet tria
considerare in constituentibus personas, scilicet quod sit relatio originis,
quod sit propria, quod sit ad dignitatem pertinens |
De plus, parce que ¨personne¨
est un nom de dignité, il faut que cette relation concerne la dignité. Ainsi
donc il faut considérer trois choses dans ce qui constitue les personnes, à
savoir qu’il y ait une relation d’origine, qu’elle soit propre et qu’elle
concerne la dignité. |
Relatio autem originis in communi importatur in his
duobus, qui ab alio, et a quo alius. Hoc etiam quod dico, a quo alius, est
quidem ad dignitatem pertinens, sed commune est. Unde oportet, ad hoc
quod constituat personam, quod determinetur per specialem modum
originis. In divinis autem non potest esse nisi duplex modus originis,
secundum quod omne agens dividitur in agens a natura et agens a voluntate: et
istae actiones inventae in creaturis, ut supra dictum est, dist. 4, quaest.
1, art. 1, reducuntur, ut in causam et exemplar, in duas processiones in
divinis, quarum una est per modum naturae et vocatur generatio, et alia per
modum voluntatis et vocatur spiratio, ut supra dictum est, loc. cit. Oportet
igitur ita specificare, a quo alius per generationem, a quo alius per
spirationem. |
Mais la relation
d’origine prise dans l’universel est introduite dans ces expressions, à
savoir ¨celui qui vient d’un autre¨ et ¨ celui d’où il vient¨. Et ce que je
dis, à savoir ¨celui d’où il vient¨, concerne certes la dignité, mais est
universel. C’est pourquoi il faut, pour que cela constitue la personne, que
l’expression soit déterminée par un mode particulier d’origine. Mais en Dieu
il ne peut y avoir que deux modes d’origine, selon que tout agent se divise
soit en agent par nature, soit en agent par volonté: et ces actions qu’on
trouve dans les créatures, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4,
quest. 1, art. 1], se ramènent, comme dans leur cause et leur modèle, aux
deux processions qui sont présentes en Dieu dont l’une se fait par mode de
nature et qu’on appelle la génération alors que l’autre se fait par mode de
volonté et qu’on appelle spiration ainsi que nous l’avons dit dans la référence
que nous venons de citer. Il faut donc préciser ¨celui d’où vient l’autre¨
par génération et ¨celui d’où vient l’autre¨ par spiration. |
Haec autem duo non habent repugnantiam: quia idem potest
esse principium plurium diversis modis. Unde ex hoc non constituentur duae
personae, sed una tantum ; quia nihil habet virtutem distinguendi, nisi quod
habet aliquam rationem oppositionis. Sic igitur habemus unam personam, a qua
est aliquis per generationem et spirationem, sicut Pater. Si autem accipiamus
aliud, scilicet, qui est ab alio, quamvis importet relationem originis, tamen
non sufficit ad constituendam personam: tum quia commune est, tum quia nihil
dignitatis importat. Esse enim ab alio potest aliquid vel nobili vel ignobili
modo. |
Mais ces deux formes de
relations d’origine ne s’opposent pas : car le même agent peut être le
principe de plusieurs effets selon différentes modalités. C’est pourquoi à
partir de là ce ne sont pas deux personnes qui sont constituées, mais
seulement une seule ; car rien n’a la capacité d’être distingué s’il ne
contient pas en lui une cause d’opposition. Ainsi donc nous avons une
personne de laquelle vient une autre personne par génération et
par spiration, à savoir le Père. Mais si nous prenons l’autre terme de la
relation, à savoir celui qui vient de l’autre, bien qu’il implique une
relation d’origine, cependant il ne suffit pas à constituer une Personne,
tant parce qu’il est commun que parce qu’il n’implique rien de la dignité.
Quelque chose en effet peut venir d’un autre soit d’une manière honorable,
soit d’une manière méprisable. |
Unde oportet ad hoc
quod constituatur persona, quod determinetur per specialem modum ad
dignitatem pertinentem ; et isti sunt tantum duo in divinis, et ideo
oportebit ita dicere: qui est ab alio per generationem, et qui est ab alio
per spirationem. Ista autem duo non possunt
uni convenire, quia una res habet tantum unum modum quo oritur ex alio. Non
enim idem in specie est a natura et ab arte, nec per putrefactionem et
seminationem. Et ideo erit una persona quae est ab alia per generationem, et
hic est Filius ; et alia quae est ab alia per spirationem, et hic est
Spiritus sanctus. Et cum istae relationes non possint multiplicari secundum
numerum, ita quod remaneat unitas in specie, eo quod non est ibi aliqua
divisio materialis, oportet quod sint tantum tres personae. |
D’où il faut, pour que soit
constituée la Personne, qu’elle soit déterminée par un mode particulier qui
concerne la dignité ; et il n’y a que deux mode de cette sorte en Dieu,
et c’est pourquoi il faudra parler de la manière suivante : celui qui
vient d’un autre par génération et celui qui vient d’un autre par spiration.
Mais ces deux modes particuliers ne peuvent s’appliquer à un seul, car une
même réalité ne possède qu’une seule modalité par laquelle elle provient
d’une autre. En effet, ce qui vient de la nature et ce qui vient de l’art
n’est pas identique par l’espèce, ni ce qui est le résultat d’une
putréfaction et d’une reproduction. Et c’est pourquoi il n’y aura qu’une
seule personne qui vient d’une autre par génération, et celle-ci est le Fils,
et une seule autre qui vient d’une autre par spiration, et celle-là est
l’Esprit-Saint. Et puisque ces relations ne peuvent se multiplier selon le
nombre de manière à ce que soit conservée l’unité dans l’espèce du fait qu’il
ne peut y avoir là de division matérielle, il faut qu’il n’y ait que trois
Personnes en Dieu. |
[875] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod processio intellectus et naturae habent quamdam
similitudinem per quam distinguuntur a processione per modum voluntatis.
Potest enim procedere aliquid ab uno vel a pluribus [Potest… pluribus om.
Éd. de Parme]. Quod autem procedit per modum naturae, procedit ut ab uno,
si illud perfectum sit ; et similiter quod procedit per modum intellectus ;
non enim plures homines habent unam conceptionem in numero. Et ita Filio, qui
est tantum ab uno, scilicet a Patre, attribuitur uterque modus ; procedit
enim per modum naturae ut Filius, et per modum intellectus ut Verbum. Sed
voluntas tendit in alium, et potest esse reciprocatio, ut ex duobus una
voluntatis procedat conformitas, quae est unio utriusque. Et ideo procedere
per modum voluntatis convenit Spiritui sancto, qui procedit a duobus, uniens
eos, inquantum sunt distinctae personae. Inquantum enim sunt una essentia,
uniuntur per essentiam ; et secundum hoc est inter eos amor essentialis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la procession de l’intelligence et celle de la nature ont
quelque ressemblance par laquelle elles se distinguent de la procession par
mode de volonté. Quelque chose en effet peut procéder d’un seul ou de
plusieurs [peut…plusieurs om. Éd. de Parme]. Mais ce qui procède par mode de
nature ne procède que d’un seul si celui-ci est parfait ; et il en est
de même pour ce qui procède par mode d’intelligence ; en effet,
plusieurs hommes ne possèdent pas une même conception numériquement parlant.
Et ainsi au Fils, qui ne provient que d’un seul et même principe, à savoir le
Père, on attribue les deux modes : il procède en effet du Père par mode
de nature comme Fils et il en procède par mode d’intelligence comme Verbe.
Mais la volonté tend vers un autre et il peut y avoir réciprocité de telle
manière que de deux personnnes procède une conformité de volonté qui est
l’union des deux. Et c’est pourquoi il appartient à l’Esprit-Saint de
procéder par mode de volonté, Lui qui procède de deux Personnes en les
unissant en tant qu’elles sont deux Personnes distinctes. En effet, en tant
que les deux Personnes sont une même essence, elles sont unies par l’essence
et conformément à cela il y a entre elles un amour essentiel. |
[876] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod, sicut est in inferioribus, quod non alio actu potentia fertur
in objectum et in actum suum, eodem enim actu intellectus intelligit se et
intelligit se intelligere ; ita etiam cum Spiritus sanctus procedat ut amor
quo Pater amat Filium, non oportet quod sit alius amor quo amet illum amorem
; et praecipue cum ille amor non differat ab isto nisi secundum numerum, et
non secundum rationem. Et talis diversitas in divinis non potest esse, ut
supra, dist. 9, quaest. 1, art. 1, probatum est. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tout comme dans les réalités inférieures ce n’est pas par un acte
différent que la puissance est conduite à son objet et à son acte : en
effet, c’est par le même acte que l’intelligence se comprend et qu’elle
comprend qu’elle se comprend ; de même encore lorsque l’Esprit-Saint procède
en tant qu’amour par lequel le Père aime le Fils, il ne faut pas qu’il y ait
un autre amour par lequel il aime cet amour ; et surtout puisque cet
amour ne diffère de celui-là que par le nombre et non par la raison ; et
une telle diversité ne peut exister en Dieu comme nous l’avons prouvé plus
haut [dist. 9, quest. 1, art. 1]. |
[877] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod liberalitas et bonitas sunt essentialia ; essentialia autem
non sunt principia actuum notionalium, nisi secundum quod ipsa essentia est
idem re quod proprietas vel notio, ut supra, dist. 2, quaest. unica, art. 3,
dictum est. Unde bonitas vel liberalitas in Patre, non est principium
generationis, nisi inquantum bonitas est sua paternitas ; in Filio autem bonitas
non est Paternitas sed filiatio. Unde eadem bonitate et liberalitate Pater
generat, et Filius generatur, et Pater spirat, et Spiritus sanctus spiratur.
Unde secundum Augustinum, lib. III Contra Maximinum, c.
XVIII, § 3, col. 786, cum dico, de quo est, est quaestio originis
et non aequalitatis ; sed cum quaeritur, qualis vel quantus. Et ideo per hoc
quod Spiritus sanctus non producit aliam personam, non est minoris
liberalitatis vel bonitatis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la liberté et la bonté sont des attributs essentiels ; mais les
principes des actes notionnels ne sont essentiels que selon que l’essence
même est identique par la chose à la propriété ou à la notion, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 2, question unique, art. 3]. C’est pourquoi la
liberté ou la bonté dans le Père n’est principe de génération que selon que
la bonté est sa Paternité ; mais dans le Fils la bonté n’est pas la
Paternité mais la Filiation. C’est pourquoi c’est par la même bonté et la
même liberté que le Père engendre et que le Fils est engendré, et que le Père
spire et que l’Esprit-Saint est spiré. C’est pourquoi, comme Augustin
[111, Contre Maximin, ch. XVIII, & 3, col. 786], lorsque je
dis ceci, à savoir d’où il vient, la question en est une
d’origine et non d’égalité comme lorsque la question porte sur la qualité et
la quantité. Et c’est pourquoi l’Esprit-Saint n’est pas d’une moins grande
liberté ou bonté par cela même qu’il ne produit pas une autre personnes. |
[878] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod omnia attributa divina sunt principium productionis per modum
efficientis exemplaris ; sicut bonitatem omnia bona imitantur, et essentiam
omnia entia, et sic de aliis. Unde omnis illa processio est per modum naturae
; et ideo non oportet esse plures modos processionis in divinis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que tous les attributs divins sont principes de production par mode de
modèle efficient ; par exemple tous les biens imitent la Bonté et tous
les êtres imitent l’Essence et il en est de même pour les autres. C’est
pourquoi toute cette procession a lieu par mode de nature ; et c’est
pourquoi il ne faut pas qu’il y ait plusieurs modes de procession
en Dieu. |
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Distinctio 11 |
Distinction 11 – [La procession de l’Esprit Saint] |
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Prooemium |
Prologue |
[881] Super Sent., lib. 1 d.
11 q. 1 pr. Hic determinat de processione Spiritus sancti quantum ad suum
principium ; et dividitur in duas partes : in prima ostendit, spiritum
sanctum procedere a patre et filio ; in secunda inquiritur utrum aequaliter
ab utroque procedat, 12 dist. : item quaeritur, cum Spiritus sanctus a patre
procedat et a filio, utrum prius vel magis processerit a patre quam a filio.
Prima in duas : in prima probat veritatem ; in secunda excludit errorem, ibi
: Graeci tamen dicunt, spiritum sanctum procedere tantum a patre et non a
filio. Quae dividitur in duas : in
prima ostendit Graecorum controversiam ; in secunda reducit ad concordiam
intellectus, ibi : sciendum tamen est, quod Graeci confitentur spiritum sanctum
esse filii, sicut et patris. Prima in duas : in prima ponit objectionem
Graecorum ; in secunda solutionem, ibi : nos autem illa verba ita
determinamus. Sciendum tamen, quod Graeci confitentur spiritum sanctum esse
filii, sicut et patris. Hic ostendit Graecorum concordiam ad Latinos quantum
ad sensum, quamvis in verbis sit differentia ; et circa hoc duo facit : primo
ostendit quod Graeci concedunt, spiritum sanctum esse a filio in suo
aequivalenti, quia scilicet concedunt eum esse filii ; secundo ostendit per
multas auctoritates doctorum Graecorum, quod etiam concedunt spiritum sanctum
expresse esse a filio, ibi : unde et quidam eorum Catholici doctores (...)
professi sunt spiritum sanctum etiam procedere a filio. |
Il traite ici de la
procession de l’Esprit-Saint quant à son principe ; et cette section se
divise en deux parties : dans la première il montre que l’Esprit-Saint
procède du Père et du Fils ; dans la deuxième, à la distinction 12, on
se demande s’Il procède des deux d’une manière égale : on se demande en
outre, puisque l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils, s’Il procède
antérieurement ou davantage du Père que du Fils. La première partie se divise
elle-même en deux parties : dans la première il prouve la vérité ;
dans la deuxième il écarte une erreur, là où il dit : les Grecs disent
cependant que l’Esprit-Saint procède seulement du Père et non du Fils. Cette dernière partie se
divise en deux : dans la première il montre cette difficulté provenant
des Grecs ; dans la deuxième il la ramène à un accord de l’intelligence,
là où il dit : il faut cependant savoir que les Grecs confessent que
l’Esprit-saint appartient au Fils tout comme il appartient au Père. La
première partie se divise en deux : dans la première il présente
l’objection des Grecs ; dans la deuxième il présente la réponse, là où
il dit : mais nous répondons ainsi à ces paroles. Il faut cependant
savoir que les Grecs confessent que l’Esprit-Saint appartient au Fils tout
comme il appartient au Père. Il montre ici l’accord qu’il y a entre les Grecs
et les Latins quant au sens, bien qu’il y ait une différence quant aux
paroles elles-mêmes ; et à ce sujet il fait deux choses :
premièrement il montre que les Grecs concèdent que l’Esprit-Saint vient du
Fils dans son égalité, c’est-à-dire parce qu’ils concèdent qu’il appartient
au Fils ; deuxièmement il montre par de nombreux témoignages des
docteurs Grecs qu’ils concèdent même clairement que l’Esprit-Saint vient du
Fils, là où il dit : c’est pourquoi certains d’entre eux, comme les docteurs
Catholiques (…), ont confessé que l’Esprit-Saint procède aussi du Fils. |
Ad intelligentiam hujus partis
quatuor quaeruntur : 1 utrum Spiritus sanctus procedat a Patre et Filio ; 2
dato quod sic, utrum procedat ab eis inquantum sunt unum, vel inquantum sunt
plures. Et si inquantum unum ; 3 quaeritur utrum inquantum sunt unum in
essentia, vel inquantum sunt unum in aliqua notione ; 4 utrum possint dici Pater et Filius unus spirator. |
Pour comprendre cette partie
on pose quatre questions : 1. Est-ce que l’Esprit-Saint
procède du Père et du Fils ? 2. Si on accorde qu’il en est
ainsi, est-ce qu’il procède d’eux en tant qu’ils sont un ou en tant qu’ils
sont plusieurs personnes ? 3. Et si c’est en tant qu’ils
sont un, est-ce en tant qu’ils sont un dans l’essence ou en tant qu’ils sont
un dans une notion ? 4. Est-ce qu’on peut dire du
Père et du Fils qu’ils ne sont qu’une seule et même
spiration ? |
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Quaestio 1 |
Question unique : [La procession de l’Esprit Saint] |
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Articulus 1 [882]
Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat a
Patre et Filio |
Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils ? |
[883] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non procedat a Filio, sed
tantum a Patre. Dionysius [de divin.nomin. cap.II] quod Pater quidem est
fontana deitas, Filius et Spiritus sanctus deigenae deitatis, si ita oportet
dicere, pullulationes sunt, et sicut flores divinae naturae, et sicut divina
lumina, a sanctis eloquiis accepimus. Sed pullulatio non est a pullulatione,
nec flos a flore. Ergo nec Spiritus sanctus a Filio. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne procède pas du Fils mais seulement du Père. Denys [Les
Noms Divins, ch. 11] dit que le Père est certes la source de la divinité,
et que le Fils et l’Esprit-Saint sont comme la descendance de Dieu, s’il faut
parler ainsi, et ses rejetons, et nous admettons des Écrivains
sacrés qu’ils sont comme les fleurs de la nature divine et comme des lumières
divines. Mais un rejeton ne vient pas d’un rejeton ni une fleur ne vient
d’une fleur. Donc l’Esprit-Saint ne vient pas du Fils. |
[884] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, in Legenda B. Andreae dicitur : Pax vobis et universis qui credunt
in unum Deum Patrem, et in unum Filium ejus Dominum nostrum Jesum, et in unum
Spiritum sanctum procedentem ex Patre, et in Filio permanentem. Quod autem permanet in
aliquo procedens ab alio, non procedit ab eo in quo permanet ; alias non
diceretur manere in eo. Ergo Spiritus
sanctus non procedit a Filio. |
2. Par ailleurs on dit dans
la Légende de Saint-André : Paix à vous et à tous ceux qui croient en un
seul Dieu le Père, et en son Fils unique notre Seigneur Jésus, et en un seul
Esprit-Saint qui procède du Père et demeure dans le Fils. Mais ce
qui demeure dans un être en procédant d’un autre ne procède pas de celui dans
leqel il demeure, autrement on ne dirait pas qu’il demeure en lui. Donc,
l’Esprit-Saint ne procède pas du Fils. |
[885] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 3 Item,
Damascenus, [de Fid. Orth., c. VII] : Spiritum sanctum ex Patre dicimus, et
Spiritum patris nominamus ; ex Filio autem Spiritum non dicimus, Spiritum
vero Filii nominamus. Ergo et cetera. |
3. En outre, Damascène [De
la Foi Orthodoxe, ch. VII] dit : Nous disons que l’Esprit-Saint
vient du Père et nous l’appelons l’Esprit du Père ; nous ne disons pas
cependant que l’Esprit vient du Fils, mais nous l’appelons néanmoins l’Esprit
du Fils. Donc, etc. |
[886] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, hoc videtur per quasdam similitudines. Spiritus enim corporalis, quo verbum vocale profertur, non
procedit a verbo, immo utrumque a loquente. Ergo nec Spiritus sanctus
procedit a Filio, qui est Verbum ; sed utrumque a Patre. |
4. De plus, cela se voit par
certaines similitudes. En effet l’esprit corporel, par lequel le verbe vocal
est proféré, ne procède pas du verbe mais bien plutôt les deux procèdent de
celui qui parle. Donc, l’Esprit-saint ne procède pas du Fils qui est le
Verbe, mais les deux procèdent du Père. |
[887] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, ex
sole procedit splendor et calor, ita quod neutrum ex altero. Sed Filius est
splendor Patris, Hebr. 1, Spiritus sanctus autem est sicut calor, cum sit
amor. Ergo et cetera. |
5. Par ailleurs, l’éclat et
la chaleur procèdent du soleil de telle manière qu’aucun des deux ne procède
de l’autre. Mais le Fils est la splendeur du Père [Épître aux Hébreux,
1], mais l’Esprit-Saint est comme sa chaleur puisqu’Il est amour. Donc, etc. |
[888] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 6 Item,
videmus quod illud quod procedit corporaliter, procedit ex uno loco in alium,
et non ex illis duobus. Ergo et Spiritus sanctus procedit ex Patre in Filium,
et non ex Patre et Filio. |
6. En outre, nous voyons que
ce qui procède corporellement, procède d’un lieu à un autre et non de ces
deux lieux. Donc l’Esprit-Saint procède du Père vers le Fils et non du Père
et du Fils. |
[889] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 7 Item, hoc videtur ratione. Nullum enim simplex potest esse a duobus ; alias enim
effectus esset simplicior causa, quod est impossibile. Sed Spiritus sanctus
est simplex. Ergo non est a duobus. |
7. De plus, cela se voit
aussi par raisonnement. En effet, rien de ce qui est simple ne vient d’une
dualité, car autrement en effet l’effet serait plus simple que sa cause, ce
qui est impossible. Mais l’Esprit-Saint est simple. Il ne vient donc pas
d’une dualité, c’est-à-dire du Père et du Fils. |
[890] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 8
Praeterea, Spiritus sanctus non minus convenit cum Patre quam Filius, nec
minoris est dignitatis. Si igitur Filius communicat cum Patre in spiratione
Spiritus sancti, videtur quod Spiritus sanctus communicet cum Patre in
generatione Filii, et hoc est falsum. Ergo et primum. |
8. En outre, l’Esprit-Saint
n’est pas moins uni au Père que le Fils et qu’il ne possède pas moins de
dignité que Lui. Si donc le Fils communique avec le Père dans la spiration de
l’Esprit-Saint, il semble que l’Esprit-Saint communique avec le Père dans la génération
du Fils, et cela est faux. Donc, puisque ce conséquent est faux, l’antécédent
l’est aussi. |
[891] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 9
Praeterea, aut Pater perfecte spirat Spiritum sanctum, aut non. Si non, ergo
est aliqua imperfectio in Patre, quod est impossibile. Si perfecte, ergo
superfluus est alius spirans. In divinis autem nihil est superfluum. Ergo
Filius non spirat Spiritum sanctum. |
9. Par ailleurs, ou bien le
Père est l’agent parfait de la spiration de l’Esprit-Saint, ou bien il ne l’est
pas . S’il ne l’est pas, il y a donc une imperfection dans le Père, ce qui
est impossible. Mais s’il en est l’agent parfait, un autre agent de spiration
serait donc inutile. Mais il n’y a rien d’inutile en Dieu. Le Fils n’est donc
pas un agent de spiration de l’Esprit-Saint. |
[892] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium sunt multae auctoritates in Littera
positae. |
Cependant : 1. De nombreux témoignages
présentés dans le Document affirment le contraire. |
[893] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 2 Idem
ostenditur per similitudinem. Quia in anima est imago Trinitatis. Sed amor in
anima, qui repraesentat Spiritum sanctum, procedit a notitia, quae
repraesentat Filium. Ergo in divinis Spiritus sanctus procedit a Filio. |
2. La même chose est
manifestée par la similitude de l’âme qui est une image de la Trinité. Mais
l’amour dans l’âme, lequel représente l’Esprit-Saint, procède d’une
connaissance qui représente le Fils. Donc en Dieu l’Esprit-Saint procède du
Fils. |
[894] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 3 Item, omnis amor procedit ab amante. Sed Spiritus sanctus [amor add. Ed de Parme] est Patris et
Filii, secundum auctoritatem Damasceni inductam. Ergo procedit ab
utroque [ut amor ipsorum. om. Ed. de Parme]. |
3. En
outre, tout amour procède d’un amant. Mais l’Esprit-Saint [l’amour add.
Éd. de Parme] est l’amour du Père et du Fils selon le témoignage
introduit par Damascène. Il procède donc des deux [en tant qu’amour
communiqué entre ces deux Personnes om. Éd. de Parme]. |
[895] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum simpliciter, quod Spiritus sanctus
procedit a Filio. Hoc enim remoto, inevitabiliter removetur distinctio Filii
et Spiritus sancti. Cum enim divinae personae secundum nihil absolutum
distinguantur, oportet quod omnis ipsarum distinctio sit secundum relationes
originis. Unde si Spiritus sanctus et
Filius non distinguerentur per hoc quod unus est ab alio, oporteret quod
uterque esset una persona. Nec hoc remoto posset dici quod distinguerentur
personaliter Filius et Spiritus sanctus per diversum modum procedendi a
patre, ut quod Filius procederet per modum naturae, et Spiritus sanctus per
modum voluntatis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut
absolument dire que l’Esprit-Saint procède du Fils. En effet, si on rejette
cette affirmation, la distinction entre le Fils et l’Esprit-Saint est
nécessairement abolie. En effet, puisque les Personnes divines ne se
distinguent par rien d’absolu, il faut que toute distinction qu’il y ait
entre elles tienne à des relations d’origine. C’est pourquoi, si
l’Esprit-Saint et le Fils ne se distinguaient pas par le fait que l’un vient
de l’autre, il s’ensuivrait que les deux ne seraient plus qu’une seule et
même personne. Et cela rejeté, on ne pourrait dire que le Fils et
l’Esprit-Saint se distingueraient personnellement par une manière différente
de procéder du Père et qui serait telle que le Fils procéderait du Père par
mode de nature et l’Esprit-Saint par mode de volonté. |
Ille enim modus diversus aut haberet [diceret Éd. de
Parme] diversitatem per oppositionem relationis, et sic rediret idem quod
prius : aut diceret diversitatem in absolutis ; et tunc vel realem
diversitatem, et sic esset compositio in Deo ; vel diversitatem rationum, et
sic non posset esse inter Filium et Spiritum sanctum nisi diversitas rationis
; et hoc non sufficit ad distinctionem personarum, ut supra dictum est, dist.
2, quaest. Unic., art. 5. Et ideo cum Filius non sit a Spiritu sancto,
relinquitur quod Spiritus sanctus sit a Filio. |
Ce mode différent de
procéder présenterait [signifierait Éd. de Parme] en
effet une diversité par l’opposition de relation, et ainsi elle reviendrait à
ce qui précède : ou bien elle signifierait une diversité par quelque
chose d’absolu ; et alors on aurait ou bien une diversité réelle et
ainsi il y aurait composition en Dieu, ou bien on aurait une diversité de
raisons et ainsi on ne retrouverait plus entre le Fils et
l’Esprit-Saint qu’une diversité de raison et cela ne suffit pas à distinguer
les Personnes ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, quest. unique,
art. 5]. Et c’est pourquoi, puisque le Fils ne vient pas de l’Esprit-Saint,
il reste que l’Esprit-Saint vient du Fils. |
[896] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod locutiones illae sunt symbolicae ; et ideo ex eis non
procedit argumentum, sicut idem Dionysius dicit in Epistola ad Titum ; quia
symbolica theologia non est argumentativa. Est autem similitudo quantum ad
aliquid, scilicet quod flores sunt ab uno ; non tamen quantum ad omnia. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ces expressions sont symboliquees ; et c’est pourquoi à
partir d’elles on ne peut procéder par argumentation, comme le dit aussi
Denys dans l’Épître à Tite ; car la théologie symbolique
n’est pas argumentative. Mais il y a ressemblance sous un rapport, à savoir
que les fleurs viennent d’un principe unique ; mais il n’y a pas
ressemblance sous tous les rapports. |
[897] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Spiritus sanctus dicitur manere in filio, non quod sit
distinctus ab eo, sed quia virtus spirativa est in Patre, et a Patre est in
Filio, sicut et omnia quae Filius habet, et ibi manet, et non procedit
ulterius, quia Spiritus sanctus non habet virtutem spirandi, ut scilicet
spiret, sed ut spiretur, ut supra dictum est, dist. 7, quaest. 2, art. 2, de
potentia generativa Filii. Vel dicendum, quod intelligitur de Filio secundum
naturam assumptam, in quo nihil fuit contrarium gratiae Spiritus sancti ; et
ideo in ipso dicitur quiescere, sicut etiam dicitur habitare in sanctis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint demeure dans le Fils, on ne veut
pas dire qu’il y est comme distinct de Lui, mais parce que la puissance de
spiration est dans le Père et que par le Père elle est dans le Fils, comme
tout ce que possède le Fils et y demeure sans procéder ultérieurement, car
l’Esprit-Saint ne possède pas la puissance de spiration de telle manière que
Lui-même ne spire pas mais est spiré seulement, comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 7, quest. 2, art. 2] au sujet de la puissance de génération du
Fils. Ou bien il faut dire qu’on l’entend du Fils au sujet de la nature qu’il
a prise et dans laquelle il ne fut contraire en rien à la grâce de l’Esprit-Saint ;
et c’est pourquoi on dit que l’Esprit-Saint repose dans le Fils, tout comme
on dit aussi qu’il habite dans les bienheureux. |
[898] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Damasceno in hac parte non creditur, quia dicitur fuisse
tempore illo quo incepit controversia super hac quaestione inter Graecos et
Latinos. Tamen
non negat quin sit ex filio ; sed dicit se non concedere quod sit a filio,
quia adhuc apud eos in dubio vertebatur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’on n’adhère pas à la position de Damascène en ce point car il a
existé à cette époque dans laquelle a commencé la controverse sur cette
question entre les Grecs et les Latins. Cependant il ne nie pas que
l’Esprit-Saint procède du Fils, mais plutôt il dit qu’il ne concède pas qu’Il
vienne du Fils car c’est encore dans le doute qu’il se tournait vers eux. |
[899] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod verbum est duplex, scilicet vocale, et verbum mentis ; et
duplici verbo respondet duplex spiritus. Verbo enim vocali respondet spiritus
corporalis, verbo mentali spiritus amoris intimi. Unde dico, quod Verbum,
secundum generationem aeternam est simile verbo mentali ; et ideo a verbo
procedit Spiritus sanctus, sicut a verbo mentali amor. Sed Filius, secundum
quod carnem assumpsit, habet similitudinem verbi vocalis ; et sicut formatio
vocis fit per aerem respiratum, ita incarnatio Verbi facta est operatione
Spiritus sancti. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu qu’il y a deux sortes de verbes : le verbe vocal et le
verbe mental ; et à ces deux verbes correspondent deux esprits. Au verbe
vocal correspond l’esprit corporel et au verbe mental correspond l’esprit
d’un amour intime. C’est pourquoi je dis que le Verbe, selon sa génération
éternelle, est semblable au verbe mental ; et c’est pourquoi
l’Esprit-Saint procède du Verbe comme l’amour procède du verbe mental. Mais
le Fils, selon qu’Il a pris chair, partage quelque ressemblance avec le verbe
vocal ; et tout comme la formation de la voix se fait par l’air qui est
respiré, de même l’incarnation du Verbe est produite par l’opération de
l’Esprit-Saint. |
[900] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod in illa similitudine supponitur falsum. Calor enim procedit ex
splendore, secundum philosophos ; unde dicit Avicenna [VI De Naturalibus,
part. III,
cap. I] quod sol non facit calorem in inferioribus nisi mediante splendore. |
5. Il
faut dire en cinquième lieu qu’on suppose quelque chose de faux dans cette
similitude. La chaleur en effet procède de la splendeur selon les
philosophes; c’est pourquoi Avicenne dit [ VI Des Choses Naturelles,
part. 111, ch. 1] que le soleil ne produit la chaleur dans les choses
inférieures que par l’intermédiaire de la splendeur. |
[901] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod processio dicitur proprie in
divinis, sicut et generatio. Unde non sumitur a similitudine processionis
localis, quia hoc esset metaphorice dictum ; sed dicit exitum a principio.
Non autem omne quod est a principio, procedit in aliud ; sed aliquid procedit
ut in se subsistens ; et ita procedit Spiritus sanctus a Patre et Filio. |
6. Il faut dire en
sixième lieu que la procession se dit proprement de Dieu, tout comme la
generation. C’est pourquoi elle ne se tire pas de la similitude de la
procession selon le lieu, car elle se dirait alors d’une façon métaphorique,
mais elle dit plutôt la sortie ou la provenance d’un principe. Mais ce n’est
pas tout ce qui vient d’un principe qui procède dans un autre; mais il arrive
que quelque chose procède en tant que subsistant en soi-même; et
c’est ainsi que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils. |
[902] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod simplex non potest
procedere a pluribus quae sunt diversa per essentiam, quorum sunt diversae
operationes. Sed Pater et Filius virtute
unius naturae spirant Spiritum sanctum unica spiratione. Et ideo qui spiratur
est simplex. |
7. Il faut dire en septième
lieu que le simple ne peut procéder d’une pluralité où il y a diversité par
essence et dont les opérations diffèrent. Mais le Père et le Fils sont les
agents d’une unique spiration de l’Esprit-Saint par la puissance d’une nature
unique. Et c’est pourquoi Celui qui est spiré est simple. |
[903] Super Sent., lib. 1 d.
11 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod non potest Spiritus sanctus
communicare Patri in generatione Filii duplici ratione. Primo, quia Filius procedit
per modum naturae, quia per actum generationis ; et actus naturae est unius
tantum ; sed Spiritus sanctus procedit ut amor per modum voluntatis. Sed
plures uniuntur in voluntate ad aliquem actum ; et ideo Spiritus sanctus
potest esse a Patre et Filio. Alia ratio est, quia repugnaret proprietati Spiritus
sancti, qua scilicet procedit a Patre et Filio ut amor : non enim potest esse
quod duo sint principium sibi invicem. Unde sicut Pater Filio non communicat
paternitatem, ut seipsum generet, ita nec spiritui sancto, ut Filium generet.
Sicut enim [autem Éd de Parme] est inconveniens quod aliquid generetur ex
seipso, ita etiam vel plus, quod aliquid generetur ab eo cujus est
principium. |
8. Il faut dire en huitième
lieu qu’il y a deux raisons pour lesquelles l’Esprit-Saint ne peut partager
la génération du Fils à partir du Père. Premièrement parce que le Fils
procède par mode de nature qui se fait au moyen de l’acte de
génération ; et l’acte de la nature ne relève que d’un seul
principe ; mais l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour par mode de
volonté. Et plusieurs peuvent s’unir par la volonté en vue d’un même
acte ; et c’est pourquoi l’Esprit-Saint peut provenir à la fois du Père
et du Fils. L’autre raison est que ce
partage répugnerait à la propriété de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire à celle
par laquelle Il procède du Père et du Fils en tant qu’amour : il est
impossible en effet que deux réalités soient mutuellement principes l’une de
l’autre. C’est pourquoi, tout comme le Père ne communique pas sa paternité au
Fils de sorte que ce dernier engendrerait le Père, de même il ne la
communique pas non plus à l’Esprit-Saint de sorte que ce dernier engendrerait
le Fils. En effet [mais Éd. de Parme] tout comme il est
impossible que quelque chose soit engendré à partir de soi-même, de même ou
encore plus il est impossible qu’un être soit engendré par celui dont il est le
principe. |
[904] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 9 Ad ultimum
dicendum, quod Pater perfecte spirat Spiritum sanctum. Sed quia omnis
perfectio patris communicatur filio, quae non repugnat suae proprietati, cum
nihil distinguat inter eos nisi originis relatio, oportet quod sicut
communicat sibi perfectionem divinitatis, ita etiam perfectionem spirandi.
Unde non est propter imperfectionem Patris quod Filius spiret, sed propter
perfectionem Filii, qui habet totam perfectionem Patris. Eodem enim modo posset
argui quod Filius non esset Deus, vel quod non crearet. |
9. Il faut dire finalement
que le Père est un agent parfait de la spiration de l’Esprit-Saint. Mais
parce que toute perfection du Père qui ne s’oppose pas à la propriété du
fils, est communiquée au Fils, car rien ne les distingue si ce n’est la
relation d’origine, il faut que tout comme il lui communique la perfection de
la divinité, de même il faut qu’il Lui communique aussi la perfection de la
spiration. C’est pourquoi ce n’est pas en raison d’un imperfection du Père
que le Fils est lui aussi agent de spiration, mais c’est en raison de la
perfection du Fils qui tient toute sa perfection du Père. C’est de la même
manière en effet qu’on pourrait faire difficulté en déclarant que le Fils
n’est pas Dieu ou qu’il ne crée pas. |
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Articulus 2 [905] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat a Patre et
Filio inquantum sunt unum |
Article 2 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un ? |
[906] Super Sent.,
lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus procedit a Patre et
Filio, non inquantum sunt unum. Spiritus sanctus enim procedit ab eis ut
nexus vel unio quaedam. Sed nexus est distinctorum. Ergo procedit ab eis, ut
distincti sunt. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne procède pas du Père et du Fils en tant qu’ils sont un. En
effet l’Esprit-Saint procède d’eux en tant que lien ou union entre eux. Mais
un lien n’existe qu’entre des êtres distincts. L’Esprit-Saint procède donc
d’eux en tant qu’ils sont distincts. |
[907] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 2 Item,
Pater et Filius diligunt se et inquantum sunt unum in essentia, et inquantum
sunt distinctae personae ; si enim per essentiam distinguerentur, adhuc
diligerent se. Diligunt autem se, inquantum sunt unum in essentia, amore
essentiali. Ergo inquantum sunt distincti in personis, amore [personali add.
Ed. de Parme] ab eis procedente. Sed hic amor est Spiritus sanctus. Ergo
Spiritus sanctus procedit ab eis, inquantum sunt distinctae personae. |
2. En outre, le Père et le
Fils s’aiment à la fois en tant qu’ils sont un dans l’essence et en tant
qu’ils sont des personnes distinctes ; si en effet ils se distinguaient
par l’essence, ils s’aimeraient encore. Mais ils s’aiment d’un amour
essentiel en tant qu’ils sont un dans l’essence. Donc, en tant qu’ils se
distinguent comme Personnes, ils s’aiment d’un amour [personnel add.
Éd. de Parme] qui procède d’eux. Mais cet amour est l’Esprit-Saint. Donc
l’Esprit-Saint procède d’eux en tant qu’ils sont des Personnnes distinctes. |
[908] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, actus sunt suppositorum. Si ergo spirare est actus Patris et Filii, oportet quod
sit actus eorum, inquantum sunt supposita distincta. Sed Spiritus sanctus
procedit ab eis per actum spirationis. Ergo procedit ab eis inquantum sunt
personae distinctae. |
3. De plus, les
actes appartiennent aux suppôts. Si donc l’acte de spiration est l’acte du
Père et du Fils, il faut que cet acte leur appartienne en tant
qu’ils sont des suppôts distincts. Mais l’Esprit-Saint procède du Père et du
Fils au moyen de l’acte de spiration. Il procède donc d’eux en tant qu’ils
sont des personnes distinctes. |
[909] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra,
Pater et Filius distinguuntur paternitate et filiatione. Ergo si Spiritus
sanctus procedit ab eis inquantum sunt personae distinctae, procedet a Patre
inquantum habet paternitatem et a Filio inquantum habet filiationem. [Ergo paternitate Pater
refertur ad spiritum sanctum add. Ed. de Parme]. Sed Pater paternitate
refertur ad Filium. Ergo eadem relatione, [scilicet paternitate add. Ed. de
Parme], refertur ad Filium et Spiritum sanctum, et eadem erit processio
utriusque, quod stare non potest. |
Cependant: 1. Le Père et le
Fils se distinguent par la paternité et la filiation. Donc, si l’Esprit-Saint
procède d’eux en tant qu’Ils sont des personnes distinctes, il procède du
Père en tant qu’il possède la paternité, et du Fils selon qu’il possède la
filiation. [C’est donc par la paternité que le Père se rapporte à
l’Esprit-Saint add. Éd. de Parme]. Mais c’est par la paternité
que le Père se rapporte au Fils. C’est donc par la même relation [à savoir
par la paternité add. Éd. de Parme] que le Père se rapporte au
Fils et à l’Esprit-Saint, et ainsi il n’y aura donc qu’une même procession
pour les deux, ce qu’il est impossible de soutenir. |
[910] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 2 Item, ut dictum est, dist. 8, quaest. 5, art. 2,
nullum simplex procedit a pluribus, nisi in essentia uniantur et
operatione. Sed Spiritus sanctus est
simplex. Ergo procedit a Patre et Filio inquantum sunt unum. |
2. En outre, ainsi que nous
l’avons déjà dit [dist. 8. Quest. 5, art. 2], rien de simple ne procède d’une
multiplicité, à moins que cette multiplicité ne soit unie dans l’essence et
l’opération. Mais l’Esprit-Saint est simple. Il procède donc du Père et du
Fils en tant qu’Ils sont un. |
[911] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod omnis actus refertur ad duo
originaliter, scilicet ad agentem, et ad principium actionis. Agens autem est
ipsum suppositum, ut homo vel ignis ; et principium actionis est aliqua forma
in ipso, substantialis vel accidentalis. Dico ergo, quod ly inquantum
potest dicere conditionem agentis, vel principium actionis. Si dicat
conditionem agentis vel operantis, sic procedit Spiritus sanctus a Patre et
Filio inquantum sunt plures, et inquantum sunt distinctae personae, quia ab
eis pluribus et distinctis procedit. Si autem
dicat conditionem principii actionis, sic dico, quod procedit ab eis
inquantum sunt unum. Cum enim operatio non sit nisi ab uno principio oportet
aliquid esse unum in Patre et Filio, quod est principium hujus actus qui est
spirare, qui est unus et simplex, quo una et simplex persona Spiritus sancti
procedit. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout acte se rapporte à deux choses dans son origine : à l’agent et
au principe d’action. Mais l’agent est le suppôt lui-même, comme l’homme ou
le feu ; et le principe d’action est une forme qui est en lui, soit
substantielle, soit accidentelle. Je parle donc de cet acte selon qu’il peut
signifier la condition de l’agent ou le principe de l’action. S’il signifie
la condition de l’agent ou de celui qui pose l’opération, alors
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils selon qu’ils sont des personnes
multiples et selon qu’ils sont des Personnes distinctes, car c’est de leur
multiplicité et de leur distinction qu’Il procède. Mais si cet acte signifie
la condition du principe d’action, alors je dis qu’Il procède d’eux en tant
qu’ils sont un. En effet, puisqu’une opération ne procède que d’un seul
principe, il faut qu’il y ait quelque chose d’un dans le Père et le Fils qui
soit le principe de cet acte qui est la spiration, lequel est lui-même un et
simple, duquel l’unique et simple personne de l’Esprit-Saint procède. |
[912] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad totum. Quid autem sit illud unum commune in Patre et Filio,
patebit in sequenti articulo. |
Solutions : Et c’est ainsi qu’on voit la
solution à l’ensemble des difficultés soulevées plus haut. C’est dans
l’article suivant qu’apparaîtra avec clarté ce qu’est ce principe commun
présent dans le Père et le Fils. |
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Article 3 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un en nature ?[11] |
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[914] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus procedat a Patre et Filio,
inquantum sunt unum in natura. Natura enim non communicatur nisi per actum
naturae. Sed Spiritus sanctus procedendo accipit totam naturam divinam sicut
Filius nascendo. Ergo principium actus,
quo communicatur sibi natura divina, est natura. Ergo et cetera. Et hoc idem
videtur per Anselmum in Tract. De process. Spiritui sancti, cap. VI qui
dicit, quod ridiculum est dicere, quod propter relationem tota essentia
Patris et Filii sit in Spiritu sancto, et non potius propter essentiam. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un par leur
nature. La nature en effet ne se communique que par un acte de la nature.
Mais par la procession l’Esprit-Saint reçoit la totalité de la nature divine
tout comme le Fils la reçoit par la génération. Donc le principe de l’acte
par lequel la nature divine lui est communiquée est la nature. Donc, etc. Et
Anselme [Traité sur la Procession de l’Esprit-Saint, ch. VI]
semble manifester la même conclusion en disant qu’il est absurde
de dire que c’est à cause de la relation et non pas plutôt à cause de
l’essence que la totalité de l’essence du Père et du Fils est dans
l’Esprit-Saint. |
[915] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Spiritus sanctus procedit ut amor. Amor
autem dicit processum voluntatis. Ergo Spiritus sanctus procedit a patre et
filio, inquantum sunt unum in voluntate. Sed voluntas, cum sit de absolutis,
tenet se ex parte naturae. Ergo et
cetera. |
2. En outre, l’Esprit-Saint
procède en tant qu’amour. Mais l’amour signifie un processus de la volonté.
Donc, l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils selon qu’Ils sont un par la
volonté. Mais la volonté, puisqu’elle porte sur des absolus, se tient du côté
de la nature. Donc, etc. |
[916] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, cum proprietas recipiat numerum a supposito, impossibile est
duorum suppositorum esse eamdem numero proprietatem vel notionem. Sed Pater
et Filius sunt supposita distincta. Ergo non possunt convenire in aliqua una
notione : et ita Spiritus sanctus non procedet a patre et filio inquantum
sunt unum in notione aliqua. Restat ergo quod inquantum sunt unum in
essentia. |
3. De plus, puisque c’est du
suppôt que la propriété reçoit le nombre, il est impossible que la même
propriété ou notion par le nombre appartienne à deux suppôts différents. Mais
le Père et le Fils sont des suppôts distincts. Ils ne peuvent donc pas se
rencontrer dans une notion unique : et ainsi il est impossible que
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un dans une
notion. Il reste donc qu’Il en procède selon qu’ils sont un dans l’essence. |
[917] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 4 Sed
contra, in virtute divinae essentiae communicat non tantum Filius, sed etiam
Spiritus sanctus. Si igitur Pater et Filius spirant spiritum sanctum
inquantum sunt unum in natura, oportet quod etiam Spiritus sanctus simul cum
eis spiret seipsum, quod est impossibile. Ergo et primum. |
4. Au contraire, ce n’est pas
seulement le Fils, mais aussi l’Esprit-Saint qui communique dans la puissance
de l’essence divine. Si donc le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint en
tant qu’ils sont un par la nature, il faut que l’Esprit-Saint se spire
lui-même simultanément avec eux, ce qui est impossible. Donc, ce n’est pas en
tant qu’ils sont un par la nature que le Père et le Fils spirent
l’Esprit-Saint. |
[918] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 5 Si dicas,
quod repugnat proprietas Spiritus sancti : contra, proprietates non
distinguunt nec determinant essentiam, sed tantum personam. Ergo quidquid
convenit essentiae in persona Patris et Filii, convenit etiam in persona
Spiritus sancti. |
5. Si tu dis que la propriété
de l’Esprit-Saint s’oppose à cela, il faut dire au contraire que les
propriétés ne distinguent et ne déterminent pas l’essence mais seulement la
personne. Donc, tout ce qui appartient à l’essence dans les personnes du Père
et du Fils se rencontre aussi dans la personne de l’Esprit-Saint. |
[919] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod Pater et Filius spirant Spiritum sanctum, inquantum sunt unum
in potentia spirativa. Potentia autem spirativa, sicut et supra dictum est,
dist. 7, quaest. 1, art. 2, dicit aliquid quasi medium inter essentiam et
proprietatem, eo quod dicit essentiam sub ratione proprietatis : sic enim
actus notionalis ab essentia egreditur, non sicut ab agente, sed sicut ab eo
quo agitur. Generatio enim non egreditur ab essentia inquantum est essentia,
sed inquantum est paternitas. |
Corps de l’article : Je réponds en disant que le
Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint en tant qu’ils sont un dans la
puissance de spiration. Mais la puissance de spiration, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 7, quest. 1, art. 2] renvoie comme à un
intermédiaire entre l’essence et la propriété, du fait qu’elle signifie
l’essence sous la raison de propriété : c’est ainsi en effet que l’acte
notionnel sort de l’essence, non pas comme d’un agent, mais comme de ce par
quoi il est amené. La génération en effet ne sort pas de l’essence en tant
qu’essence mais en tant qu’elle est paternité. |
Et si ista duo, scilicet essentia et paternitas,
differrent in divinis, egrederetur ab utroque generatio ; sed a paternitate
immediate, et ab essentia sicut a primo principio. Similiter dico, quod
spiratio egreditur ab essentia, non sicut a spirante, sed sicut a principio
spirationis, inquantum habet rationem alicujus notionis quae est communis
Patri et Filio, quae dicitur communis spiratio : et ita spirativa potentia
dicit essentiam sub ratione talis proprietatis. Et ideo dico, quod procedit
Spiritus sanctus a Patre et Filio, inquantum sunt unum in essentia, et in
aliqua notione, scilicet in communi spiratione. Et per hoc solvenda sunt
argumenta ad utramque partem. |
Et si ces deux aspects, à
savoir l’essence et la paternité, diffèrent en Dieu, la génération
proviendrait des deux ; mais de fait elle provient de la paternité de
façon immédiate et de l’essence comme d’un premier principe. De la même
manière je dis que la spiration sort de l’essence non pas comme de ce qui
spire, mais comme du principe de la spiration, en tant qu’elle a raison de
notion commune au Père et au Fils et qu’on appelle la spiration
commune : et c’est ainsi que la puissance de spiration signifie
l’essence sous la raison d’une telle propriété. Et c’est pourquoi je dis que
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un dans
l’essence et dans une notion, à savoir dans la spiration commune. Et c’est
ainsi que se trouvent à être solutionnées les difficultés qui ont été
présentées de part et d’autre. |
[920] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod natura communicatur per actum naturae, communiter
loquendo ; sed determinata communicatio debet esse per actum naturae sub
aliqua propria ratione acceptae ; et ideo communicatio quae est per
spirationem, est actus divinae naturae, inquantum habet rationem spirationis.
Et hoc intendit Anselmus, quod impossibile est dicere, quod processionis,
quae terminatur in naturam, non sit aliquo modo natura principium, cum sit
ibi quasi communicatio univoca. Deus enim procedit a Deo, sicut ignis ab
igne. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que, à parler universellement, la nature se communique au moyen d’un
acte de nature ; mais une communication déterminée doit avoir lieu au
moyen d’un acte de nature pris sous une raison propre ; et c’est
pourquoi la communication qui a lieu par spiration est un acte de la nature
divine en tant qu’elle a raison de spiration. Et c’est ce que cherche à
montrer Anselme, à savoir qu’il est impossible de dire que la nature ne soit
pas de quelque manière principe de la procession, laquelle a pour terme la
nature, puisqu’il y a là comme une communication univoque. Dieu en effet procède
de Dieu comme le feu procède du feu. |
[921] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 2 Et per hoc
patet solutio etiam ad secundum : quia eadem est ratio de voluntate et
essentia. |
2. Et c’est par là qu’on voit
aussi la solution à la deuxième difficulté, car le raisonnement relatif à la
volonté est le même que celui qui se rapporait à l’essence. |
[922] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod diversorum suppositorum secundum essentiam distinctorum non
potest esse notio una ; sed si eorum sit essentia una, erit et operatio una.
Et quia relatio secundum intellectum innascitur ex aliqua operatione, per
consequens erit et relatio una : et ita Pater et Filius possunt convenire in
una proprietate relativa. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que pour des suppôts différents, il ne peut y avoir une notion unique
d’après l’essence de ce qui diffère; mais si leur essence est unique, leur
opération le sera aussi. Et parce que la relation selon l’intelligence naît
d’une opération, par conséquent la relation sera elle aussi unique : et
ainsi le Père et le Fils peuvent se rencontrer dans une propriété relative
unique. |
[923] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod ab essentia, inquantum est essentia, non est actus spirandi,
sed inquantum habet rationem talis proprietatis, scilicet communis
spirationis. Et quia rationem hanc non habet essentia in Spiritu sancto, ideo
non sequitur quod Spiritus sanctus per essentiam suam spiret. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’acte de spiration ne vient pas de l’essence en tant qu’essence
mais en tant qu’elle a raison de cette propriété qui est la spiration
commune. Et parce que l’essence dans l’Esprit-Saint n’a pas cette raison,
c’est pourquoi il ne s’ensuit pas que l’Esprit-Saint spire par son essence. |
[924] Super Sent., lib. 1 d.
11 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si proprietas in persona esset
aliud ab essentia, de necessitate determinaret ipsam per se vel per accidens
; sed quia est idem quod essentia secundum rem, ideo non advenit sibi ut
restringens vel determinans eam ; tamen secundum unam proprietatem est
principium unius actus, cujus non est principium secundum rationem alterius
proprietatis : sicut patet etiam quod est principium hujus actus, velle,
secundum rationem voluntatis, et hujus actus, scire, secundum rationem
scientiae ; et tamen essentia per hoc non determinatur realiter, neque
distinguitur. Et ideo, cum secundum rationem communis spirationis essentia in
Patre et Filio sit principium actus notionalis quo Spiritum sanctum spirant ;
non oportet quod in Spiritu sancto eadem essentia sit principium ejusdem
actus, cum essentia divina in Spiritu sancto non sit communis spiratio, sicut
in Patre et Filio. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que si la propriété dans la Personne était autre que l’essence, elle la
déterminerait nécessairement essentiellement ou
accidentllement ; mais parce qu’en réalité ou selon la chose elle est
identique à l’essence, elle ne lui survient pas comme ce qui la limite ou la
détermine ; c’est cependant d’après une même propriété qu’elle est
principe d’un même acte pour lequel elle n’est pas principe d’après la raison
d’une autre propriété : tout comme il est clair aussi que l’essence est
le principe de cet acte, à savoir vouloir, d’après la raison de volonté, tout
comme elle est le principe de cet acte, savoir, d’après la raison de
science ; et cependant l’essence n’est ni déterminée ni distinguée
réellement par cela. Et c’est pourquoi, puisque c’est sous la raison de
spiration commune que l’essence dans le Père et le Fils est le principe de
l’acte notionnel par lequel ils spirent l’Esprit-Saint, il ne faut pas que
dans l’Esprit-Saint la même essence soit le principe du même acte, puisque
l’essence divine dans l’Esprit-Saint n’est pas la spiration commune comme
c’est le cas dans le Père et le Fils. |
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Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils un seul agent de spiration ? |
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[926] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod Pater et Filius sint unus spirator. Per hoc
enim non importatur nisi unitas in actu spirandi. Sed uno actu spirant Pater
et Filius. Ergo sunt unus spirator, sicut unus Deus propter unitatem
deitatis. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père et
le Fils soient un seul agent de spiration. C’est par cela en effet qu’est
causée l’unité dans l’acte de spiration. Mais c’est par un acte unique que le
Père et le Fils accomplissent la spiration. Il n’y a donc qu’un seul agent de
spiration, tout comme il n’y a qu’un seul Dieu en raison de l’unité de la
divinité. |
[927] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, sicut Pater et Filius conveniunt in actu creandi, ita etiam in
actu spirandi. Sed propter illam convenientiam Pater et Filius dicuntur unus
creator. Ergo eadem ratione debent dici unus spirator. |
2. En outre, tout comme le
Père et le Fils sont unis dans l’acte de création, de même encore ils sont
unis dans l’acte de spiration. Mais c’est en raison de cette union qu’on dit
du Père et du Fils qu’ils sont un seul créateur. Donc pour la même raison on
doit dire d’eux qu’ils sont un seul agent de spiration. |
[928] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, principium dicit relationem consequentem
ad actum, quo est principium. Sed Pater
et Filius dicuntur unum principium Spiritus sancti, ut infra habebitur,
distin. 29, qu. Unic., art. 4. Ergo etiam dici debent unus spirator. |
3. De plus, le principe
signifie une relation qui découle de l’acte par lequel il est principe. Mais
on dit du Père et du Fils qu’ils sont un principe unique de l’Esprit-Saint,
comme nous l’établirons plus loin [dist. 29, quest. uniq. Art. 4]. On doit
donc aussi dire d’eux qu’Ils sont un seul agent de spiration. |
[929] Super Sent., lib. 1 d.
11 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, quicumque spirant, sunt spirantes. Sed Pater et
Filius spirant spiritum sanctum. Ergo sunt spirantes ; ergo etiam sunt
spiratores Spiritus sancti. |
Cependant : 1. Tous ceux qui posent
l’acte de spiration sont des agents de spiration. Mais le Père et le Fils
posent l’acte de spiration de l’Esprit-Saint. Ils posent donc un acte de
spiration ; ils sont donc aussi des agents de spiration de
l’Esprit-Saint. |
[930] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod actus recipit numerum a
suppositis ; unde etiam verbum significans substantiam per modum actus,
dicitur de pluribus personis pluraliter, quamvis sit essentia una, sicut
Joan. 10, 30 : Ego et Pater unum sumus. Actus
autem significatur etiam in verbo et in participio et in nomine verbali ; sed
tamen participium plus accedit ad substantiam quam verbum, et adhuc nomen
verbale magis quam participium [vel verbum om. Ed. de Parme). Et ideo non
possumus [praesumimus Éd. de Parme] dicere, quod Pater et Filius spiret
Spiritum sanctum ; vel quod sint spirans, vel quod sint spirator ; sed quod
spirent, et sint spirantes et sint spiratores ; et quamvis sit actus unus quo
spirant, tamen secundum quod unumquodque eorum magis accedit ad significandum
actum, minus proprie potest in singulari praedicari. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’acte reçoit son nombre des suppôts ; c’est pourquoi aussi un verbe
signifiant la substance à la manière d’un acte se dit de plusieurs personnes
de plusieurs manières, bien que l’essence soit unique ainsi que le dit Jean
(10, 30) : Le Père et moi sommes un. Mais un acte est
signifié aussi dans un verbe, un participe et un nom verbal ; mais le
participe s’approche cependant davantage de la substance que le verbe, et le
nom verbal encore davantage que le participe [ou le verbe om. Éd. de
Parme]. Et c’est pourquoi nous ne pouvons [présumons Éd. de Parme]
dire que le Père et le Fils ¨posent¨ l’acte de spiration, ou qu’ils ¨sont en
train de poser l’acte de spiration¨ ou qu’ils sont ¨un agent de
spiration¨ ; mais plutôt qu’ils posent l’acte de spiration, qu’ils sont
en train de poser l’acte de spiration et qu’ils sont des agents de
spiration ; et bien qu’il n’y ait qu’un seul acte par lequel ils posent
l’acte de spiration, cependant selon que chacune de ces expressions
s’approche davantage de la signification de l’acte, elle peut moins
proprement s’attribuer au singulier. |
¨[931] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod quamvis actus sit unus, tamen quando significatur ut
actus egrediens a pluribus suppositis, oportet quod significetur pluraliter.
Actus enim trahit numerum a suppositis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que l’acte soit unique, cependant quand il est signifié
comme un acte qui procède de plusieurs suppôts, il faut qu’il soit signifié
au pluriel. En effet, l’acte tire son nombre des suppôts. |
[932] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatio est actus trium
personarum, non secundum quod distinctae sunt, sed secundum quod uniuntur in
essentia : quia etiam per intellectum remota distinctione personarum, adhuc
remanebit creatio. Et ideo dicimus quod
Pater et Filius et Spiritus sanctus sunt unus creator, quamvis non dicamus
quod sint unus creans ; quia nomen verbale plus recedit ab actu quam
participium. Sed spiratio est actus conveniens pluribus suppositis
quodammodo, secundum quod distinguuntur, ut supra dictum est, in corp. art.
Et ideo etiam in nomine verbali oportet quod actus pluraliter significetur. |
2. Il faut dire en second
lieu que la création est un acte des trois personnes non pas en tant qu’elles
sont distinctes, mais en tant qu’elles sont unies dans l’essence : car
même si par l’intelligence on met de côté la distinction des personnes, la
création demeure encore. Et c’est pourquoi nous disons que le Père, le Fils
et l’Esprit-Saint sont un seul créateur, bien que nous ne disons pas qu’ils
sont un seul ¨créant¨, car le nom verval s’éloigne davantage de l’acte que le
participe. Mais la spiration est un acte qui convient d’une certaine manière,
selon qu’ils se distinguent, à plusieurs suppôts ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article. Et c’est pourquoi il faut que l’acte soit
signifié au pluriel même dans le nom verbal. |
[933] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod principium non nominat aliquem actum, sed tantum relationem ;
et quia Pater et Filius referuntur una relatione ad Spiritum sanctum, ideo
dicuntur unum principium Spiritus sancti, sed non unus spirator. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que principe ne désigne pas un acte mais seulement une relation ;
et parce que le Père et le Fils se rapportent à l’Esprit-Saint par une
relation, c’est pourquoi on dit d’eux qu’ils sont un unique principe de
l’Esprit-Saint mais non qu’ils en sont un agent unique de spiration. |
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Expositio textus |
Texte de Pierre Lombard |
[934] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 expos.
Misit Deus spiritum filii sui in corda nostra. Haec probatio non videtur
sufficiens : quia Graeci confitentur spiritum sanctum esse filii, sed non a filio.
Sed dicendum, quod cum oporteat genitivum in aliqua habitudine construi, non
potest alia inveniri nisi habitudo originis, quia sola talis relatio personas
distinguit ; et ideo oportet concedere, quod Spiritus sanctus a filio
oriatur. Quem ego mittam vobis a patre. Videtur etiam haec probatio
insufficiens : quia hic loquitur de temporali processione Spiritus sancti,
quam Graeci a filio esse concedunt, non autem aeternam. Sed dicendum, quod
cum temporalis processio includat aeternam, ut infra dicetur, dist. 15, qu.
4, art. 5, oportet quod a quo procedit temporaliter, etiam ab aeterno
procedat. Qui aliud docuerit, vel aliter praedicaverit, idest contrarium.
Haec Magister bene exponit, aliud pro contrario sumens : quod enim non est
contrarium sacrae Scripturae, veritas ejus est, secundum Anselmum, nec potest
esse quod omnia credenda explicite in illo symbolo contineantur in quo de
descensu ad Inferos nulla mentio sit. Processio autem Spiritus sancti
continetur ibi implicite, inquantum ibi continetur distinctio personarum,
quae aliter esse non posset, ut dictum est. Sed quaerunt Graeci quomodo
fuerunt Latini ausi hoc addere. Ad quod dicendum, quod necessitas fuit, sicut
eorum error ostendit, et auctoritas Romanae Ecclesiae synodum congregandi, in
qua exprimeretur aliquid quod implicite in articulis fidei continebatur. |
Dieu a envoyé l’esprit de son
Fils dans nos cœurs. Cet argument ne semble pas suffisante : car les Grecs
confessent que l’Esprit-Saint est du Fils mais non qu’il vient du Fils. Mais
il faut dire que puisqu’il faut que ce qui est engendré soit constitué dans
un certain rapport, on ne peut y trouver un autre rapport que celui de
l’origine, car c’est seulement une relation de cette sorte qui distingue les
personnes ; et c’est pourquoi il faut concéder que l’Esprit-Saint
provient du Fils. Celui que je vous enverrai par mon Père. Il
semble que même cela ne soit pas un argument suffisant : car il parle
ici de la procession temporelle de l’Esprit-Saint que les Grecs concèdent
provenir du Fils sans concéder qu’il en soit de même pour la procession
éternelle. Mais il faut dire que puisque la procession temporelle comprend
celle qui est éternelle, ainsi qu’on le dira plus loin [dist. 15, quest. 4,
art. 5], il faut que ce d’où elle procède selon le temps soit aussi ce d’où
elle procède de toute éternité. Certains auront enseigné autre chose ou
auront proclamé autrement, c’est-à-dire le contraire. Et le Maître explique
bien cela en prenant autre chose pour le contraire : en effet ce qui
n’est pas contraire aux Écritures fait partie de sa vérité selon Anselme, et
il n’est pas possible que tout ce qui doit être cru soit contenu
explicitement dans ce Symbole dans lequel il n’est nullement fait mention de
la descente aux Enfers. Mais la procession de l’Esprit-Saint y est
implicitement contenue selon qu’y est contenue explicitement la distinction
des Personnes qui ne pourrait exister autrement ainsi que nous l’avons dit.
Mais les Grecs demandent comment les Latins ont pu oser ajouter
cela. Il faut répondre à cela qu’il était nécessaire de le faire, tout comme
leur erreur le montre, et l’autorité de l’Église Romaine devait réunir le
synode dans lequel serait exprimé quelque chose qui était contenu
implicitement dans les articles de la foi. |
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Distinctio 12 |
Distinction 12 – [La procession de l’Esprit Saint – suite] |
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Quaestio 1 |
Question unique : [L’Esprit Saint procède-t-il antérieurement et plus pleinement du Père que du Fils ?] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis tria quaeruntur : 1 utrum
generatio filii praecedat aliquo modo processionem Spiritus sancti ; 2 utrum
Spiritus sanctus prius vel plenius procedat a Patre quam a Filio ; 3 utrum
procedat a Patre mediante Filio. |
Pour comprendre cette partie,
on cherche à répondre à ces trois questions : 1. Est-ce que la génération
du Fils précède de quelque manière la procession de l’Esprit-Saint ? 2. Est-ce que l’Esprit-Saint
pricède antérieurement et plus pleinement du Père que du Fils ? 3. Procède-t-il du Père par
l’intermédiaire du Fils ? |
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Articulus 1 [936] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1
tit. Utrum
generatio sit prior processione |
Article 1 – La génération est-elle antérieure à la procession ? |
[937] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod generatio praecedat
processionem. Principium enim processionis, ad minus naturaliter, est prius
processione. Principium autem processionis Spiritus sancti est Filius, qui
est terminus generationis ; ut supra dictum est, dist. 5, qu. 2, art. 1. Ergo
generatio praecedit processionem. |
Difficultés : 1. Il semble que la
génération précède la procession. En effet le principe de la procession, au
moins par nature, est antérieur à la procession elle-même. Mais le principe
de la procession de l’Esprit-Saint est le Fils qui est le terme de la
génération ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 5, quest. 2, art. 1].
Donc la génération précède la procession. |
[938] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, cum
sint duo agentia in rebus creatis, scilicet natura et propositum vel voluntas
; actio naturae praecedit actionem voluntatis, quia actio voluntatis fundatur
super actionem naturae. Sed generatio Filii est a Patre per modum naturae ;
processio Spiritus sancti ab utroque per modum voluntatis. Ergo generatio est
prior processione. |
2. En outre, puisqu’il y a
deux agents dans les choses créées, à savoir la nature et le propos ou la
volonté, l’action de la nature précède celle de la volonté car l’action de la
volonté se fonde sur l’action de la nature. Mais la génération du Fils vient
du Père par mode de nature, alors que la procession de l’Esprit-Saint vient
des deux par mode de volonté. Donc la génération est antérieure à la
procession. |
[939] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 3.
Praeterea, in anima est imago Trinitatis in qua processus notitiae a mente
praecedit processum amoris. Sed processus notitiae repraesentat generationem
Filii ; processus amoris processionem Spiritus sancti. Ergo ut prius. |
3. De plus, il y a dans l’âme
une image de la Trinité dans laquelle le processus de la connaissance par
l’intelligence précède le processus de l’amour. Mais le processus de la
connaissance représente la génération du Fils, alors que le processus de
l’amour représente la procession de l’Esprit-Saint. La génération est donc représentée
comme antérieure à la procession. |
[940] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed
contra est quod dicitur in Littera, quod Spiritus sanctus non
procedit jam nato Filio ; quod oporteret, si nativitas processionem
praecederet. |
Cependant : 1. On dit dans le document que l’Esprit-Saint ne procède pas après que le Fils soit déjà né, ce qui devrait se passer si la naissance précédait la procession. |
[941] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet Filius ad Patrem in ratione
ordinis, ita Spiritus sanctus ad filium. Sed Pater nullo modo prior est Filio,
ut supra ostensum est, dist. 9, qu. 2, art. 1, nec intellectu nec dignitate nec
tempore. Ergo nec Filius Spiritu sancto prior est. Ergo nec generatio
processione : quia sicut se habet Filius ad Spiritum sanctum, ita generatio
ad processionem. |
2. De plus, sous le
rapport de l’ordre, l’Esprit-Saint est au Fils ce que le Fils est au Père.
Mais le Père n’est aucunement antérieur au Fils, ainsi que nous l’avons
montré plus haut [dist. 9, quest. 2, art. 1], ni par l’intelligence, ni par
la dignité, ni par le temps. Donc le Fils n’est pas antérieur à
l’Esprit-Saint. Et la génération n’est donc pas antérieure à la procession
car la génération est à la procession ce que le Fils est à l’Esprit-Saint. |
[942] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, secundum Augustinum [contr. Maximinien., II,
14], in divinis non est aliquis ordo nisi ordo naturae. Ordo autem naturae
est quo aliquis est ex alio, non quo aliquis est prior altero ; et ideo in
divinis nullo modo potest aliquid altero prius dici. Et ratio hujus est, quia
in divinis non potest considerari nisi id quod absolutum est, et hoc unum est
et indivisibile, in quo prioritas vel posterioritas non invenitur vel id quod
ad aliquid dicitur. Horum autem quae ad aliquid dicuntur, natura est ut sint
simul tempore, intellectu, natura. Et ideo dicimus, quod generatio non est
prior processione aliquo modo qui possit ad divina referri ; sed tantum
secundum modum intelligendi, qui est in intellectu nostro tantum, accipiente
generationem et processionem in divinis secundum similitudines repertas in
creaturis, quae deficientes sunt ad repraesentandum generationem et
processionem prout sunt in divinis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
d’après Augustin [Contre Maximien, 11, 14], qu’il n’y a en Dieu qu’un
ordre de nature. Mais l’ordre de nature est celui par lequel une personne
vient d’un autre et non pas celui par lequel une personne est antérieure à
une autre. Et c’est pourquoi en Dieu il n’y a rien qui puisse être dit
antérieur à un autre. Et la raison en est qu’en Dieu on ne peut considérer
que ce qui est absolu, et cela est un et indivisible, où on ne peut retrouver
de la priorité ou de la postériorité ou ce qui se dit
relativement. Mais pour les choses qui se disent relativement, leur nature
est qu’elles soient simultanées par le temps, l’intelligence et la nature. Et
c’est pourquoi nous disons que la génération n’est pas antérieure à la
procession d’une manière qui pourrait se rapporter à Dieu, sauf seulement
d’après le mode de comprendre qui n’existe que dans notre intelligence, en
prenant la génération et la procession dans les Personnes divines d’après des
ressemblances qu’on découvre dans les créatures qui sont incapables de
représenter parfaitement la génération et la procession en tant qu’elles
existent dans les Personnes divines. |
[943] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod principium, secundum relationem principii non est eo
prius cujus est principium aliquo modo ; sed id quod est principium,
naturaliter est prius. Si autem ille qui est principium, ipsa relatione sit
quis, vel persona distincta ; omnis prioritas removetur ab eo respectu illius
cujus est principium ; et ita, cum Filius, ut supra dictum est, dist. 9, qu.
2, art. 1, ipsa sua relatione sit persona distincta, nullo modo est prior
Spiritu sancto. Sed verum est quod propter ordinem naturae Spiritus sanctus
est a Filio ; quamvis enim communis spiratio non sit proprietas personalis
Filii, est tamen ipsa persona filii, sicut bonitas divina est ipse Deus ; et
prima processio correspondens sibi est proprietas personalis Spiritus sancti. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que le principe, selon la relation de principe, n’est pas antérieur à ce
dont il est le principe de quelque manière ; mais ce qui est le principe
est naturellement antérieur. Mais si celui qui est le principe, par la
relation elle-même est quelqu’un ou une personne distincte, toute antériorité
disparaît de lui par rapport à ce dont il est le principe ; et ainsi,
puisque le Fils , comme nous l’avons dit plus haut [dist. 9, quest. 2, art.
1], de par sa relation elle-même est une Personne distincte, l n’est
nullement antérieur à l’Esprit-Saint. Mais il est vrai qu’en raison de
l’ordre de nature l’Esprit-Saint vient du Fils ; en effet,
bien que la spiration commune ne soit pas une propriété personnelle du Fils,
elle est cependant la personne même du Fils, tout comme la bonté divine est
Dieu lui-même ; et la première procession qui lui correspond est la
propriété personnelle de l’Esprit-Saint. |
[944] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum et tertium, quod rationes illae deficiunt ex hoc quod similitudines
inventae in creaturis non perfecte repraesentant ea quae sunt in Deo ; et hoc
patet in proposito : quia non invenitur aliqua creatura quae ab eodem habeat
quod ad aliquid dicatur, et sit in se subsistens. |
2. Il faut dire en deuxième
et troisième lieu que ces arguments sont faibles du fait que les similitudes
qu’on découvre dans les créatures ne représentent pas parfaitement la réalité
divine ; et cela est évident dans le propos car on ne retrouve aucune
créature qui tienne du même principe de se dire relativement et de subsister
en elle-même. |
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Articulus 2 [945]
Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus magis
procedat a Patre quam a Filio |
Article 2 – L'Esprit Saint procède-t-il plus du Père que du Fils ? |
[946] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus magis procedat a Patre quam
a Filio. Sicut enim dicit philosophus [in lib. De causis], omnis
causa primaria plus est influens in suum causatum quam causa secundaria. Sed
Filius est quasi secunda causa, Pater autem quasi primum principium, quod non
est de aliquo. Ergo Spiritus sanctus magis procedit a Patre quam a Filio. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Esprit-Saint procède davantage du Père
que du Fils. Ainsi que le dit le Philosophe [Au sujet des Causes], toute cause première a plus d’influence sur
son effet que la cause seconde. Mais le Fils est comme une cause seconde,
alors que le Père est comme le premier principe qui ne procède de rien. Donc,
l’Esprit-Saint procède davantage du Père que du Fils. |
[947] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, philosophus [in I Posteriorum, text. 5] :« propter quod unumquodque tale et
illud magis ». Sed Filius hoc quod est principium Spiritus sancti habet
a Patre. Ergo Pater magis est principium quam Filius. |
2. En outre, le Philosophe
[1 Seconds Analytiques, texte 5] dit : Ce à cause de
quoi une chose est telle, cela l’est davantage. Mais le Fils tient du
Père qu’il soit principe de l’Esprit-Saint. Donc le Père est davantage
principe de l’Esprit-Saint que le Fils. |
[948] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, illud quod est principium alicujus principaliter et proprie,
videtur esse magis ejus principium quam illud quod non est ita. Sed, sicut
dicitur in littera, Spiritus sanctus procedit a Patre principaliter et
proprie ; non autem dicitur hoc de Filio. Ergo et cetera. |
3. Par ailleurs, ce qui est
principe d’une chose au premier titre et à proprement parler semble davantage
en être principe que ce qui ne l’est pas de cette manière. Mias, comme on le
dit dans le document, l’Esprit-Saint procède du Père à titre premier et à
proprement parler ; mais on ne dit pas cela du Fils. Donc, etc. |
[949] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, Spiritus sanctus non habet aliquid quod non habeat a Patre ; habet
autem aliquid quod non habet a Filio, hoc scilicet quod procedit a Patre.
Ergo Spiritus sanctus magis procedit a Patre quam a Filio. |
4. De plus l’Esprit-Saint ne
possède rien qu’il ne tient pas du Père ; il possède cependant quelque
chose qu’il ne tient pas du Fils, à savoir cela même qu’il procède du Père.
L’Esprit-Saint procède donc davantage du Père que du Fils. |
[951] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, ubi est summa aequalitas, non potest esse magis et plenius. Sed
inter Patrem et Filium est summa aequalitas. Ergo Spiritus sanctus non potest
esse magis ab uno quam ab alio. |
Cependant : Par ailleurs, là où on retrouve l’égalité la plus grande,
on ne peut retrouver du plus et une plus grande plénitude. Mais entre le Père
et le Fils l’égalité est parfaite. Donc l’Esprit-Saint ne peut procéder
davantage de l’un que de l’autre. |
[952] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod Spiritus sanctus nec prius nec plenius nec magis procedit a
Patre quam a Filio. Et ratio hujus tota est, quia Pater et Filius sunt unum
principium Spiritus sancti ; et ubi est unitas, non potest esse distinctio
plenitudinis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’Esprit-Saint ne procède ni antérieurement, ni plus pleinement, ni
davantage du Père que du Fils. Et toute la raison en est que le Père et le
Fils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint ; et là où l’unité
est présente il ne peut y avoir une différence de plénitude. |
[953] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod Pater quamvis dicatur principium Filii et Spiritus
sancti, tamen non potest dici causa, proprie loquendo : causa enim semper
ponit diversitatem essentiae, sicut patet in omnibus. Sed principium aliquod
a quo aliquid fluit, est consubstantiale rei cujus est principium ; sicut
dicimus, quod punctum est principium lineae, et cor principium animalis, et
fundamentum domus ; et ideo propter consubstantialitatem Pater dicitur
principium, sed non causa. Praeterea, causatum habet dependentiam ad causam.
Sed principium importat originem quamdam, secundum quod dicitur principium,
ex quo incipit aliquid. Item, quamvis dicatur
principium, non tamen potest dici primum ; quia ibi non est aliquid prius et
posterius, ut dictum est, dist. 9, quaest. 2, art. 1. Unde patet quod illa
auctoritas non est ad propositum : quia Pater nec est causa nec primaria
respectu Filii et Spiritus sancti. Si tamen in hoc non fiat vis, adhuc Pater
et Filius respectu Spiritus sancti non se habent sicut duo principia, sed
sicut unum ; et ideo nullus gradus inter eos invenitur in spirando Spiritum
sanctum. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que bien qu’on dise du Père qu’Il est le principe du Fils et de
l’Esprit-Saint, cependant on ne peut dire qu’il en est la cause à proprement
parler : la cause en effet pose toujours une diversité d’essence ainsi
qu’on le voit dans tous les cas. Mais un principe duqueel quqelque chose
s’écoule est consubstantiel à la chose dont il est le princpe ; par
exemple nous disons que le point est le principe de la ligne et que le cœur
est le principe de l’animal et que les fondations sont le principe de la
maison ; et c’est pourquoi c’est en raison de la consubstantialité qu’on
dit du Père qu’Il est principe et non une cause. Par ailleurs, l’effet a une
dépendance par rapport à sa cause. Mais le principe implique une certaine
origine d’après laquelle il est dit principe et d’où procède quelque chose.
En outre, bien qu’on dise du Père qu’il est principe, on ne peut dire de Lui
qu’il est premier car il n’y a rien là qui soit antérieur et postérieur ainsi
que nous l’avons dit [dist. 9, quest. 2, art. 1]. D’où il est clair que cette
autorité n’a pas rapport au propos car le Père n’est ni cause ni premier par
rapport au Fils et à l’Esprit-Saint. Si cependant il n’y avait pas de force
dans ce raisonnement, ajoutons par ailleurs le Père et le Fils par rapport à
l’Esprit-Saint ne se présentent pas comme deux principes, mais comme un
seul ; et c’est pourquoi il ne se trouve entre eux aucun degré ou aucun
rang dans la spiration de l’Esprit-Saint. |
[954] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod dictum philosophi verificatur, quando illud quod convenit
alicui propter aliquid aliud, est diversum in utroque, et praecipue quando
unum est causa alterius essentiali ordine causae ; tunc enim causalitas sua
est respectu totius speciei, et non unius individui tantum, ut dicit Avicenna
[IX Metaph., cap. II), sicut calor est magis in igne quam in corpore
mixto, quia propter ignem est in corpore mixto. Sed quamvis Filius habeat a
Patre hoc quod spirat Spiritum sanctum, nihilominus tamen non est hoc
diversum in Patre et Filio ; quia eamdem virtutem spirativam, quam Pater
habet, Filio communicat : et ideo per illam aequaliter Pater et Filius
spiritum sanctum spirant. Et si etiam non
esset una numero, sed specie tantum, ratio non valeret : sicut patet in
omnibus univocis generationibus : non enim Pater Socratis plus influit in
filium Socratis quam Socrates. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que la parole du Philosophe se vérifie lorsque ce qui appartient à une chose
en raison d’une autre est différent dans les deux, et surtout quand l’une est
la cause de l’autre selon l’ordre essentiel de la cause ; alors en effet
sa causalité est par rapport à toute l’espèce et non par rapport à un seul
individu, ainsi que le dit Avicenne [1X Métaphysique, ch. 11], comme c’est le
cas pour la chaleur qui est davantage dans le feu que dans le corps mixte
parce que c’est à cause du feu qu’elle est dans le corps mixte. Mais bien que
le Fils tienne du Père cela même qu’Il spire l’esprit-Saint, néanmoins cet
acte n’est pas différent dans le Père et dans le Fils ; car c’est la
même puissance de spiration que le Père possède et qu’Il communique au Fils :
et c’est pourquoi le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint d’une manière
égale au moyen de cette puissance. Et encore si elle n’était pas une par le
nombre mais seulement par l’espèce, la raison ne tiendrait plus, comme on le
voit dans tous les cas de génération univoque : en effet, le père de
Socrate ne se répand pas davantage dans le fils de Socrate que Socrate
lui-même. |
[955] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Spiritus sanctus dicitur esse principaliter a Patre, quia in
Patre est auctoritas spirationis, a quo etiam habet Filius virtutem
spirativam, et non propter aliquem ordinem vel gradum prioritatis vel
posterioritatis Patris et Filii. Similiter etiam propter eamdem rationem
dicitur proprie procedere a Patre, maxime cum haec praepositio a apud
Graecos notet relationem ad primam originem : unde apud eos non dicitur, quod
lacus sit a rivo, sed quod est a fonte ; et inde est etiam, quod non
concedunt, quod Spiritus sanctus sit a Filio, sed a Patre. Nihilominus tamen
non est dicendum, quin etiam a Filio proprie procedat, qui cum Patre est unum
principium Spiritus sancti. Non autem sic rivus et fons sunt unum principium
laci. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’Il vient principalement du Père parce que
c’est dans le Père que se trouve l’autorité de la spiration, de qui le Fils
possède aussi la puissance de spiration, et non pas à cause d’un ordre ou
d’un degré de priorité ou de postériorité du Père et du Fils. De la même
manière encore, pour la même raison qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il procède
proprement du Père, surtout à cause de cette préposition ¨a¨ qui désigne chez
les Grecs une relation à l’origine première : c’est pourquoi chez eux on
ne dit pas que le lac vient du ruisseau, mais qu’il vient de la source ;
et c’est de là aussi qu’ils ne concèdent pas que l’Esprit-Saint vient du
Fils, mais plutôt qu’Il vient du Père. Néamoins cependant il ne faut pas dire
qu’il procède aussi proprement du Fils, lequel avec le Père est un unique
principe de l’Esprit-Saint. Ce n’est cependant pas de cette manière que le
ruisseau et la source sont un unique principe du lac. |
[956] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Spiritus sanctus non aliter nec alia processione procedit a
Patre quam a Filio : unde processio Spiritus sancti tota est a Filio, sicut
etiam tota est a Patre. Unde non sequitur quod alia res sit in Spiritu sancto
quae non sit a Filio. Sed verum est quod illa processio non est a Filio
secundum omnem sui habitudinem, sed hoc in nullo derogat plenitudini
processionis. Accidit enim processioni Spiritus sancti quod secundum
habitudinem qua est a Filio, sit a Patre : non quia a Filio est Spiritus
sanctus, sed quia Filius est a Patre. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’Esprit-Saint ne procède pas du Père autrement qu’Il procède du
Fils, ni par une autre procession : de là, la procession de
l’Esprit-Saint vient totalement du Fils tout comme elle vient aussi
totalement du Père. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il y ait autre chose
dans l’Esprit-Saint qui ne viendrait pas du Fils. Mais il est vrai que ce
n’est pas selon toute sa nature que cette procession vient du Fils mais cela
n’enlève rien à la plénitude de la procession. Il est accidentel en effet à
la procession de l’Esprit-Saint que selon le rapport sous lequel elle vient
du Fils, elle vienne aussi du Père : ce n’est pas parce que
l’Esprit-Saint vient du Fils, mais parce que le Fils vient du Père. |
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Articulus 3 [957] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 tit.
Utrum Spiritus sanctus procedat a Patre mediante Filio ? |
Article 3 – L'Esprit Saint procède-t-il du Père par l'intermédiaire du Fils ? |
[958] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus
sanctus procedat a Patre mediante Filio. Illud enim per quod aliquid
procedit, videtur esse medium in processione. Sed Spiritus sanctus procedit a
Patre per Filium. Ergo procedit a Patre mediante Filio. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Esprit-Saint procède du Père par
l’intermédiaire du Fils. En effet, ce par quoi quelque chose procède se
présente comme un intermédiaire dans la procession. Mais l’Esprit-Saint
procède du Père par le Fils. Il en procède donc par l’intermédiaire du Fils. |
[959] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea,
constat quod tertium non exit a primo, nisi per medium. Sed Spiritus sanctus
dicitur esse tertia persona in Trinitate. Ergo non procedit a Patre, qui est
principium non de principio, nisi mediante Filio. |
2. De plus, il est clair qu’un troisième ne sort d’un
premier que par un intermédiaire. Mais on dit que l’Esprit-Saint est la
troisième personne de la Trinité. Donc, Il ne procède du Père, lequel est un
principe sans principe, que par l’intermédiaire du Fils. |
[960] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, in imagine creata amor repraesentat Spiritum sanctum, et notitia
Filium. Sed amor non procedit a mente nisi mediante notitia. Ergo nec
Spiritus sanctus a Patre nisi Filio mediante. |
3. En outre, dans l’image
créée l’amour représente l’Esprit-Saint, et la connaissance représente le
Fils. Mais l’amour ne procède de l’intelligence que par l’intermédiaire de la
connaissance. Donc l’Esprit-Saint ne procède du Père que par l’intermédiaire
du Fils. |
[961] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 4 Sed
contra, videtur quod immediatius procedit a Patre quam a Filio. Immediatum
enim principium dicitur principalius quam mediatum, ut patet in primis
propositionibus, quae immediatae dicuntur. Sed Spiritus sanctus procedit
principaliter a Patre. Ergo immediatius procedit ab ipso quam a Filio. |
4. Au contraire, il semble
que l’Esprit-Saint procède plus immédiatement du Père que du Fils. On dit en
effet du principe immédiat qu’il est un principe plus premier que celui qui
est médiat, ainsi qu’on le voit pour les propositions premières qu’on appelle
immédiates. Mais l’Esprit-Saint procède premièrement du Père. Donc, il
procède plus immédiatement du Père que du Fils. |
[962] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod omne medium aliquo modo distinguitur
ab his inter quae medium dicitur. Cum autem in spiratione Pater et Filius
sint duo spirantes, inquantum sunt unum in potentia spirativa, possumus loqui
de actu spirationis per comparationem ad ipsos spirantes, vel ad principium
spirandi sicut virtute cujus fit spiratio. Si autem consideremus ipsum principium, scilicet potentiam
spirativam, cum in hoc non distinguantur Pater et Filius, non potest dici
spiratio esse a Patre mediante Filio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout intermédiaire se distingue de quelque façon des extrêmes
entre lesquels il est dit être intermédiaire. Mais comme dans la spiration le
Père et le Fils sont deux agents de spiration, selon qu’Ils sont un dans la
puissance de spiration, nous pouvons parler de l’acte de spiration par
rapport aux agents eux-mêmes ou par rapport au principe de spiration comme à
la puisssance d’où vient la spiration. Mais si nous considérons le principe
lui-même, à savoir la puissance de spiration, puisqu’en cela le Père et le Fils
ne se distinguent pas, on ne peut dire que la spiration vient du Père par
l’intermédiaire du Fils. |
Si autem consideremus ipsos spirantes qui distincti sunt, et secundum hoc praebent suppositum spirationi, sic est ibi mediatio, secundum quod est ibi ordo naturae : quia Filius est ex Patre, et Spiritus sanctus simul a Patre et Filio. Unde dicit Richardus (V de Trinitate, cap. VI et VII), quod generatio in divinis est a Patre immediate ; sed processio Spiritus sancti quodammodo est mediate et quodammodo immediate. Immediate quantum ad virtutem spirativam, quae est una patris et Filii, et iterum quantum ad ipsum suppositum Patris quod immediate est principium processionis, quia ipse simul et Filius spirant. Sed mediate, inquantum Filius, qui spirat, est a Patre. |
Mais si nous considérons
ceux-là même qui posent cette opération et qui sont distincts, et qui en cela
fournissent un suppôt à la spiration, alors il y a là une médiation selon
qu’il y a là un ordre de nature : car le Fils vient du Père et l’Esprit-Saint
vient simultanément du Père et du Fils. C’est pourquoi Richard dit [V De la
Trinité, ch. VI et VII] que la génération dans les
Personnes divines vient immédiatement du Père, mais que le procession de
l’Esprit-Saint est en un sens médiate et en un autre sens immédiate. Elle est
immédiate quant à la puissance de spiration qui est une seule spiration du
Père et du Fils et aussi quant au suppôt même du Père qui est immédiatement
le principe de la procession car c’est Lui et le Fils qui posent simultanément
cette opération. Mais elle est médiate en tant que le Fils, qui pose cette
opération, vient du Père. |
[963] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod per hoc quod dicitur,
Spiritum sanctum procedere a Patre per filium, designatur auctoritas in Patre
respectu Filii ; quia Filius habet a Patre quod Spiritum sanctum spiret. Ex hoc autem non ponitur mediatio aliqua nisi ex parte
suppositorum, quae distinguuntur per hoc quod unum est ab alio, ratione cujus
in uno est auctoritas respectu alterius. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit
que l’Esprit-Saint procède du Père par le Fils, on désigne l’autorité du Père
apr rapport au Fils ; car c’est du Père que le Fils tient son opération
de spiration de l’Esprit-Saint. Et c’est à cause de cela qu’il n’y a lieu de
poser une médiation que du côté des suppôts eux-mêmes qui se distinguent par
ceci que l’un vient de l’autre, en raison de quoi l’autorité est dans l’un
par rapport à l’autre. |
[964] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Spiritus sanctus uno modo, ut dictum est, procedit a Patre
mediante Filio : sed hoc non excludit quin etiam immediate a Patre procedat,
ut dictum est, in corp. art. praeced. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’Esprit-Saint procède en un sens du Père par l’intermédiaire du
Fils comme nous l’avons dit ; mais cela n’empêche pas qu’il
procède aussi immédiatement du Père, comme nous l’avons dit dans le corps de
l’article précédent. |
[965] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod imago quae est in anima, deficienter repraesentat Trinitatem ;
notitia enim est omnino distincta a mente ; et ideo simpliciter amor a mente
mediante notitia procedit. Sed in divinis personis Filius non quantum ad
omnia distinguitur a Patre ; et ideo secundum aliquid non est ibi mediatio. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’image qui est dans l’âme représente faiblement la Trinité ;
la connaissance en effet est absolument distincte de l’intelligence ; et
c’est pourquoi l’amour procède de l’intelligence par
l’intermédiaire de la connaissance. Mais dans les Personnes divines le Fils
ne se distingue pas du Père sous tous les rappports ; et c’est pourquoi
sous certains rapports il n’y a pas médiation. |
[966] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quando sunt multae causae agentes ordinatae, possunt
dupliciter considerari, secundum quod est duo invenire in agente, scilicet
ipsum agens quod exercet actionem, et virtutem ipsius quae est principium
actionis impositio. Si igitur considerentur causae agentes ordinatae secundum
rationem agentis cujus est agere, sic quanto agens est posterius, tanto magis
est proximum et immediatum ad actionem, et ad id quod per actionem educitur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que lorsqu’il y a multiplicité de causes agentes ordonnées, elles
peuvent être considérées de deux manières, selon qu’il y a deux aspects qui
se trouvent dans l’agent, à savoir l’agent lui-même qui exerce l’action et la
puissance de ce dernier qui est le principe de l’action à laquelle elle
s’applique. Si donc on considère les causes agentes ordonnées sous le rapport
de l’agent auquel il appartient d’agir, alors l’agent est d’autant plus
prochain et immédiat par rapport à l’action et à ce qui est amené par
l’action qu’il est postérieur. |
Si autem considerentur quantum ad virtutem quae est
principium operationis, quanto causa est magis prima, tanto est magis
immediata, eo quod agens secundum non agit, nisi inquantum est motum a primo,
et secundum quod virtus primi est in ipso. Unde oportet ut semper resolvatur
virtus ultimi agentis in virtutem agentis primi. Verbi gratia, quod planta
generat plantam hoc habet a virtute solis, et quod sol moveat ad generationem
plantae, habet a virtute motoris sui quicumque sit ille. |
Mais si ces causes sont considérées quant à la vertu qui
est le principe de l’action, alors la cause est d’autant plus immediate
qu’elle est antérieure du fait que l’agent second n’agit que dans la mesure
où il est mû par le premier et dans la mesure où la puissance du premier est
en lui. C’est pourquoi il faut toujours que la puissance du dernier agent
soit ramenée à la puissance du premier agent. En d’autres mots, que la plante
engendre une plante, elle le tient de la puissance du soleil, et que le
soleil provoque la génération d’une plante, il le tient de la
puissance de son agent, quel qu’il soit. |
Et inde est quod quia
Deus est agens primum, ipse immediatius se habet secundum virtutem suam ad
quamlibet operationem naturae, quam aliquod agens naturale. Et inde est etiam
quod propositiones primae dicuntur immediatae, quia praedicatum non
conjungitur subjecto per virtutem alterius causae praecedentis. Inde est
etiam quod haec praepositio per, quae denotat causam mediam,
quandoque notat auctoritatem in recto, quandoque in obliquo : in recto, ut
cum dicitur : rex facit hoc per balivum ; tunc enim mediatio attenditur
quantum ad ipsos operantes. In obliquo,
cum dicitur : praepositus facit hoc per regem. |
Et il suit de là que parce
que Dieu est l’agent premier, c’est lui qui selon sa puissance est une cause
plus immédiate que tout agent naturel par rapport à toute opération de la
nature. Et il s’ensuit encore qu’on appelle imémédiates les propositions
premières parce que le prédicat n’est pas rattaché au sujet par la puissance
d’une autre cause antérieure. D’où il suit encore que cette préposition
¨par¨, qui signifie une cause intermédiaire, signifie parfois une autorité
directe, parfois une autorité indirecte : directe, comme lorsqu’on dit :
le roi fait cela par son bailli : alors en effet la médiation se prend
quant à ceux-là mêmes qui posent l’opération. Mais elle signifie une autorité
indirecte comme lorsqu’on dit : l’intendant fait cela par le roi. |
Hic enim consideratur
mediatio quantum ad virtutem, quae est principium operationis. Virtus enim
superioris est quasi medium, per quod operans suae operationi conjungitur ;
in Patre autem et in Filio non est accipere distinctionem quantum ad
principium operationis, quia illud est idem in utroque, scilicet divina
potentia ; sed solum quantum ad operantes, qui sunt ad invicem distincti. Et
ideo, cum in Patre sit auctoritas, dicitur Pater operari per filium, et nullo
modo Filius per Patrem. Inde est etiam quod secundum aliquem modum Filius est
medium in operatione Patris, sed Pater nullo modo in operatione Filii. |
Alors dans ce cas
en effet la médiation se prend du côté de la puissance qui est le principe de
l’opération. En effet la puissance de la cause supérieure est comme un
intermédiaire par lequel celui qui pose l’opération est rattaché à son
opération; mais il n’y a pas à chercher de distinction dans le Père et dans
le Fils quant au principe de l’opération car c’est la même puissance
numériquement parlant qui existe dans les deux, à savoir la puissance divine;
mais il n’y a distinction que du côté de ceux qui posent l’opération et qui
sont distincts entre eux. Et c’est pourquoi, puisque l’autorité est dans le
Père, on dit que le Père opère par le Fils et en aucune manière que le Fils
opère par le Père. Et c’est pourquoi encore, en un certain sens, le Fils est
un intermédiaire dans l’opération du Père, mais le Père ne l’est nullement
dans l’opération du Fils. |
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Distinctio 13 |
Distinction 13 – [la procession du Saint Esprit – suite] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus partis, quatuor
quaeruntur : 1 utrum in Deo sit aliqua processio ; 2 si est, utrum sit una tantum vel plures ; 3 qualiter duae processiones nominari debeant ; 4 si Spiritus sanctus, qui procedit, non dicatur genitus,
utrum debeat dici ingenitus. |
Pour comprendre cette partie, on cherche à
répondre à quatre questions : 1. Y a-t-il une procession en Dieu? 2. Y en a-t-il une seule ou plusieurs ? 3. De quelle manière les deux processions
doivent-elles être nommées ? 4. Est-ce qu’on doit dire de l’Esprit-Saint
qui procède et n’est pas engendré, qu’Il est inengendré ? |
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Quaestio 1 |
Question unique : [La procession du Saint Esprit] |
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Articulus 1 [969] Super Sent., lib. 1 d. 13 q.
1 a. 1 tit. Utrum processio sit in Deo. |
Article 1 – Y a-t-il une procession en Dieu ? |
[970] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit processio. Processio enim
dicit motum quemdam processivum. Omnis autem motus indigentiae et imperfectionis
est, et Deo non competit. Ergo in Deo non est processio. |
Difficultés : Il semble qu’il n’y ait pas de procession en
Dieu. En effet, qui dit procession dit un certain mouvement progressif. Mais
tout mouvement relève d’un manque et d’une imperfection et n’appartient pas à
Dieu. Il n’y a donc pas de procession en Dieu. |
[971] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, processio dicit exitum unius ab alio. Exitus
autem est per distantiam exeuntis ab eo ex quo exit. Cum igitur in
divinis personis sit omnino indistantia, videtur quod ibi non sit processio. |
2. En outre, toute procession
implique qu’un être sorte d’un autre. Mais une sortie se réalise par une
distantiation de celui qui sort par rapport à celui d’où il sort. Donc,
puisqu’en Dieu il n’y a absolument aucune distance, il semble qu’il n’y ait
là aucune procession. |
[972] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, omnis processio est ab aliquo in aliquid. Sed divinae personae cum
sint per se subsistentes, non sunt ab aliquo in aliquid. Ergo videtur quod
non conveniat eis procedere. |
3. De plus, toute procession
a lieu d’un être à un autre. Mais les Personnes divines, puisqu’elles
subsistent par elles-mêmes, n’existent par par un passage d’un être à un
autre. Il semble donc qu’il ne leur appartient pas de procéder. |
[973] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra,
Joan. 15, 26 : cum venerit Paraclitus, quem ego mittam a patre,
spiritus veritatis, qui a patre procedit. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Jean (15, 26) dit dans son évangile : Lorsque
viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de
vérité, qui procède du Père…Donc, il y a bien procession en Dieu. |
[974] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, in anima est imago Trinitatis. Sed in anima invenitur notitia
procedere a mente, et amor ab utroque. Videtur ergo quod sit processio etiam
in divinis personis. |
2. Par ailleurs, il y a dans
l’âme une image de la Trinité. Mais dans l’âme il se trouve que la
connaissance procède de l’intelligence, et l’amour procède de ces deux
dernières. Il semble donc qu’il y ait procession même chez les Personnes
divines. |
[975] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod processio dicitur dupliciter : uno modo dicit motum
localem qui proprie est motus animalis motu progressivo, et talis processio
non potest esse in divinis, nisi metaphorice loquendo : secundum
similitudinem enim talis processionis dicitur divina sapientia vel bonitas
procedere in creaturas, secundum quod similitudinem suam gradatim efficit in
illis ; secundum quem modum quaedam Deo aliis similiora sunt. Alio modo dicitur
processio eductio principiati a suo principio ; et cum in divinis personis
una sit ab alia sicut a principio, per modum istum proprie est processio in
divinis. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire que le terme de procession se dit en deux sens: Il se dit
premièrement à la manière du mouvement local qui est proprement celui de
l’animal qui se meut d’un mouvement progressif, et une telle procession ne
peut exister en Dieu, si ce n’est en un sens métaphorique: c’est à la
resemblance d’une telle procession qu’on dit de la sagesse ou de la bonté
divine qu’elle procède dans les créatures selon qu’elle imprime peu à peu sa
resemblance en elles; et selon ce mode certaines créatures ressemblent
davantage à Dieu que d’autres. Mais en un autre
sens le terme de procession se dit de la sortie d’une chose de son principe;
et comme en Dieu une personne vient d’une autre comme de son principe, c’est
de cette manière qu’on retrouve proprement une procession en Dieu. |
[976] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in creaturis quaelibet
processio est per aliquem motum vel mutationem ; quia nec aliquid localiter
procedit nisi per motum, nec aliquid a causa sua egreditur nisi aliqua
mutatione contingente circa ipsum a quo egreditur, si sit de essentia ejus,
vel saltem circa id quod egreditur. In divinis autem est origo unius personae
ab alia sine aliqua mutatione, ut supra de generatione dictum est, dist. 4,
quaest. 1, art. 1, cum nihil praedicetur de Deo secundum id quod
imperfectionis est in ipso. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que dans les créatures toute procession se réalise par un
mouvement ou un changement ; car ce n’est que par le mouvement que
quelque chose procède selon le lieu et ce n’est que par un changement se
produisant sur cela même d’où elle sort qu’une chose sort de sa cause si elle
est de même essence qu’elle, ou au moins sur cela même qui en sort. |
[977] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod quamvis in divinis personis non sit distantia
secundum locum neque secundum essentiam, est tamen distinctio in personis
secundum proprietates personales ; et hoc sufficit ad rationem processionis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que dans les Personnes divines il n’y ait distance ni selon le
lieu ni selon l’essence, il y a cependant une distinction entre elles d’après
les propriétés personnelles. Et cela suffit à la notion de procession. |
[978] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod processio localis est in
aliquid sicut in terminum motus ; sed quod procedit a causa, non oportet quod
in alterum procedat, et sic sumitur processio in divinis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la procession locale est dans une chose comme dans le terme du
mouvement ; mais ce qui procède d’une cause ne procède pas
nécessairement dans un autre et c’est en ce sens que se prend la procession
dans les Personnes divines. |
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[979] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 tit. Utrum processio divina sit
tantum una |
Article 2 – N'y a-t-il qu'une seule procession en Dieu ? |
[980] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in divinis
una tantum sit processio. Sicut enim paternitas notat proprietatem originis,
ut a quo est aliquis ; ita processio, ut qui est ab alio. Sed supra dictum est, dist. 7, quaest. 2, art. 2, quod in
divinis non potest esse nisi una paternitas. Ergo nec nisi una processio. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
qu’une seule procession en Dieu. En effet, tout comme la paternité désigne
une propriété d’origine, comme celui d’où vient un être, de même la
procession désigne la propriété d’origine comme celui qui vient d’un autre.
Mais nous avons dit plus haut [dist. 7, quest. 2, art. 2] qu’il ne peut y
avoir qu’une paternité en Dieu. Il ne peut donc y avoir qu’une seule
procession. |
[981] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, in omnibus habentibus unam naturam in specie, non est nisi unus
modus quo natura illa communicatur ; unde etiam dicit Commentator 8 Physic.,
quod mures qui generantur ex putrefactione terrae, et qui generantur ex
semine, non sunt ejusdem speciei. Sed per processionem personarum
communicatur natura divina, quae est una tantum non solum in specie, sed
etiam in numero. Ergo non est nisi unus
modus processionis in divinis. |
2. Par ailleurs, pour tous
les êtres qui possèdent une même nature dans l’espèce, il n’y a qu’une seule
manière par laquelle cette nature est communiquée ; c’est pourquoi le
Commentateur dit aussi [8 Physique] que les souris qui sont
engendrées par la putréfaction de la terre et celles qui sont engendrées à
partir d’une semence ne sont pas de même espèce. Mais par la procession des
Personnes c’est la nature divine qui est communiquée, laquelle est unique non
seulement par l’espèce mais aussi par le nombre. Il n’y a donc qu’une seule
forme de procession dans les Personnes divines. |
[982] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, operationes vel actus distinguuntur ad
invicem penes terminos et penes principia. Sed processio in divinis est
semper ab eodem principio, quia omnis processio est virtute naturae ipsius
producentis ; est etiam ad eumdem terminum per processionem acceptum, quia in
processione divina semper accipitur divina natura. Ergo videtur quod non sit nisi una processio in divinis. |
3. En outre, les opérations
ou les actes se distinguent les uns des autres par les termes et par les
principes. Mais la procession en Dieu vient toujours d’une même principe car
toute procession vient de la puissance de la nature de celui-là même qui
produit ; et par la procession c’est toujours le même terme qui est
atteint car dans la procession divine c’est toujours à la nature divine qu’on
aboutit. Il semble donc qu’il n’y ait qu’une seule procession en Dieu. |
[983] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, si sunt duae processiones, aut differentiam habebunt ex parte
essentiae, aut ex parte relationum, cum non sint plura in divinis. Sed ex
parte essentiae non invenitur diversitas nisi rationis secundum pluralitatem
attributorum ; diversitas autem rationis non causat pluralitatem realem,
qualem oportet esse processionum duarum, secundum quas duae personae realiter
distinctae procedunt. Ergo ex parte essentiae non potest sumi realis
diversitas processionum. Similiter nec ex parte relationum ; relationes enim
secundum rationem intelligendi consequuntur processiones ; eo enim Filius
est, quia a Patre procedit. Ergo videtur quod nullo modo possunt esse
processiones plures in divinis. |
4. De plus, s’il y a deux
processions, ou bien elles se différencieront du côté de l’essence, ou bien
du côté des relations, car il n’y a rien d’autre en Dieu. Mais du côté de
l’essence on ne retrouve qu’une différence de raison d’après la multiplicité
des attributs ; mais une différence de raison n’entraîne pas une
multiplicité réelle qu’il doit y avoir pour qu’il y ait deux processions
d’après lesquelles deux Personnes réellement distinctes procèdent. Une
différence réelle de processions ne peut donc se tirer du côté de l’essence.
Elle ne peut non plus se tirer du côté des relations puisque les relations en
effet, selon la manière de les comprendre, découlent des processions ;
c’est parce qu’Il procède du Père que le Fils existe comme Fils. Il semble
donc qu’en aucune manière il ne peut y avoir plusieurs processions en Dieu. |
[984] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra,
secundum unam processionem est unus tantum procedens. Sed in divinis sunt
duae personae procedentes, scilicet Filius et Spiritus sanctus, ut habetur in
littera. Ergo videtur quod oportet esse duas processiones. |
Cependant : 1. Au contraire, un seul être
procède d’une seule et même procession. Mais en Dieu il y a deux personnes
qui procèdent, à savoir le Fils et l’Esprit-Saint, ainsi qu’on l’établit dans
le document. Il semble donc qu’il faut qu’il y ait deux processions. |
[985] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum,
quod quidam dicunt quod istae duae processiones realiter distinguuntur, nec
oportet quaerere quo distinguantur, quia sunt prima distinguentia personas ;
sicut nec quaerimus quo distinguuntur rationale et irrationale. Sed hoc non
videtur conveniens : quia generatio et processio nullam habent oppositionem
ad invicem ; omnis autem distinctio formalis est secundum aliquam
oppositionem. Et praeterea processio et generatio significantur per
modum operationum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que certains disent que ces deux processions se distinguent réellement et
qu’il ne faut pas chercher par quoi elles se distinguent parce qu’elles sont
premières à distinguer les personnes, tout comme nous ne cherchons pas à
savoir par quoi se distinguent le rationnel et l’irrationnel. Mais cela ne semble
pas juste car la génération et la procession ne s’opposent nullement entre
elles ; mais toute distinction formelle implique une opposition. Et dès
lors la procession et la génération signifient par mode d’opération. |
Hoc autem non convenit, ut per operationes vel motus,
distinguantur operantia vel operata ; sed magis e converso, quia actiones
differunt specie secundum formas agentium, ut calefacere et infrigidare, et
motus secundum terminos. Et ideo alii dicunt quod differentia sumitur ex hoc
quod generatio est processio naturae, et processio Spiritus sancti est
processio voluntatis. Sed hoc etiam non competit : quia voluntas et natura in
divinis solum ratione distinguuntur. |
Mais il ne convient pas que
ce soit par les opérations ou par les mouvements que se distinguent ceux qui
posent les opérations et les œuvres ; mais c’est plutôt l’inverse car
les actions, comme réchauffer et refroidir, diffèrent par l’espèce d’après
les formes des agents, et les mouvements diffèrent d’espèce d’après leurs
termes. Et c’est pourquoi d’autres disent que la différence se tire de ceci
que la génération est une procession de la nature alors que la procession de
l’Esprit-Saint est une procession de la volonté. Mais cela non plus n’est pas
valable car la nature et la volonté ne se distinguent en Dieu que par la
raison. |
Unde talis distinctio, realis distinctionis ratio esse non
potest, quia principium non est debilius principiato. Et praeterea secundum
hoc processio intellectus, secundum quam dicitur Verbum, esset alia a processione
naturae, secundum quam dicitur Filius. Et ideo dicendum, quod in divinis non
potest esse aliqua realis distinctio et pluralitas, nisi secundum relationes
originis. |
C’est pourquoi une telle
distinction ne peut être la raison d’une distinction réelle car le principe
n’est pas plus faible que ce qui en résulte. Et par la suite suivant cela la
procession de l’intelligence d’après laquelle se dit le Verve serait autre
que la procession de la nature selon laquelle se dit le Fils. Et c’est
pourquoi il faut dire qu’en Dieu il ne peut y avoir une distinction réelle et
une multiplicité que d’après les relations d’origine. |
Et ideo secundum hoc nos oportet investigare pluralitatem
procedentium et processionum. Dico igitur secundum hoc, quod est in divinis
aliqua processio secundum quam una persona procedit ab una ; et haec est
processio generationis, secundum quam Filius est a Patre ; et ideo dicitur
esse per modum naturae vel intellectus ; procedit enim ut Filius, et ut
Verbum : quia in utroque modo istarum processionum, scilicet naturae et
intellectus, est unius ab uno processio. Item est aliqua processio in divinis
quae est simul a duobus, scilicet ab eo qui procedit et ab eo a quo procedit
; et haec distinguitur a prima secundum originem ; quia ista secunda processio
est a procedente secundum processionem praedictam, quae est per modum
naturae. |
Et c’est pourquoi suivant
cela il nous faut rechercher la multiplicité de ceux qui procèdent et des
processions. Je dis donc suivant cela qu’il y a en Dieu une procession
d’après laquelle une seule Personne procède d’une seule autre et c’est là la
procession de la génération d’après laquelle le Fils vient du Père ; et
c’est pourquoi on dit que c’est là une procession par mode de nature ou
d’intelligence ; cette Personne en effet procède en tant que Fils et en
tant que Verbe : car dans chacune de ces deux sortes de processions, à
savoir celle de la nature et celle de l’intelligence, un seul être procède
d’un seul autre. Il y a en outre en Dieu une procession qui vient simultanément
de deux autres, à savoir de celui qui procède et de celui duquel il
procède ; et cette procession se distingue de la première d’après
l’origine ; car cette deuxième procession vient de ce qui procède
d’après la procession précédente et qui opère par mode de nature. |
Et inde est quod ista processio dicitur per modum
voluntatis esse, quia per consensum ex duobus volentibus potest unus amor
procedere. Et secundum istos modos diversos originis, producuntur plures
personae relatione originis distinctae, scilicet Filius, qui est a Patre, et
Spiritus sanctus, qui est ab utroque. Unde concedo quod nisi Spiritus sanctus
esset a Filio, non esset assignare distinctionem realem inter Filium et
Spiritum sanctum. |
Et c’est pourquoi on dit que
cette procession a lieu par mode de volonté, car c’est de l’accord de deux
volontés que peut procéder un unique amour. Et c’est d’après ces différentes
sortes d’origine que sont produites plusieurs Personnes qui se distinguent
par une relation d’origine : le Fils qui vient du Père, et le
Saint-Esprit qui vient du Père et du Fils. C’est pourquoi nous concédons
qu’il n’y a lieu d’assigner une distinction réelle entre le Fils et
l’Esprit-Saint que parce que l’Esprit-Saint vient du Fils. |
[986] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod paternitas dicit modum determinatum originis, qui
ulterius non potest multiplicari secundum diversam rationem originis, sed
tantum secundum materiam, ut diversificetur in numero ; sed processio dicit
originem in communi, et potest secundum duos modos originis determinari ;
scilicet quod sit processio unius ab uno non procedente, et quod sit
processio etiam a procedente. Plures modi non possunt inveniri qui
distinguantur ex ratione originis ; et ideo non possunt esse plures processiones
in divinis quam duae. Si enim acciperetur processio ab uno procedente vel
pluribus, non esset differentia nisi secundum unum et plura, quae differentia
nullo modo ad originem pertinet, sicut si divideretur gressibile, non per
bipes et quadrupes, sed per album et nigrum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la paternité renvoie à un mode déterminé d’origine qui ne
peut par la suite se multiplier d’après une notion différente d’origine, mais
seulement d’après la matière pour se différencier par le nombre ; mais
c’est dans l’universel que la procession renvoie à l’origine et elle peut
être précisée suivant deux modes ; à savoir le premier où un seul être
procède d’un seul autre qui ne procède pas et le second cas où il y a
procession même de ce qui procède. On ne peut trouver davantage de sortes de
processions qui se distinguent par la notion d’origine et c’est pourquoi il
n’y a pas plus que deux processions en Dieu. Si en effet on prenait une
procession venant d’un seul principe qui procède ou de plusieurs,
il n’y aurait de différence que selon l’un et le multiple, différence qui ne
renvoie nullement à l’origine, par exemple si on divisait les animaux qui
marchent non pas en bipèdes et quadrupèdes, mais en blancs et noirs. |
[987] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in natura creata est duplex communicatio : una quae
est per modum naturae, et alia quae est per modum amoris. Non autem in
utraque communicationum communicatur natura, sed tantum in ea quae est per
modum naturae. Ex imperfectione autem voluntatis creatae est quod non potest
communicari per eam natura ; quia illud quod procedit per modum voluntatis,
scilicet amor, non est hypostasis per se subsistens, sicut in divinis ; et
ideo ex perfectione divinae naturae est quod communicetur non tantum per
actum naturae, qui est generatio, sed per actum voluntatis, qui est consensus
amoris. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans la nature créée il y a deux sortes de communications : la
première qui est par mode de nature et la deuxième qui est par mode d’amour.
Et ce n’est pas dans les deux sortes de communications que la nature est
communiquée, mais seulement dans celle qui est par mode de nature. C’est en
raison de l’imperfection de la volonté créée que la nature ne peut être
comuniquée par cette dernière ; car ce qui procède par mode de volonté,
à savoir l’amour, n’est pas une hypostase qui subsiste par elle-même comme
c’est le cas en Dieu ; et c’est pourquoi c’est en raison de la perfection
de la nature divine que cette dernière est communiquée non seulement par
l’acte de nature qui est la génération mais aussi par l’acte de volonté qui
est l’accord de l’amour. |
[988] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod distinguuntur processiones in divinis et penes principium et
penes terminum [finem Éd. de Parme]. Ut enim superius dictum est,
quamvis natura divina sit principium generationis in Patre, non tamen
absolute sub ratione naturae, sed sub ratione paternitatis. Et similiter natura,
inquantum est natura divina, quae accipitur [Et similiter a natura divina,
inquantum est natura quae acquiritur Éd. de Parme] in Filio per
generationem, non habet Filius quod sit Filius, sed ab eo quod natura in
Filio secundum rem est ipsa filiatio. Et ita patet quod ipsae relationes se
habent aliquo modo ut principium et ut terminus ad ipsas processiones. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les processions en Dieu se distinguent à la fois par le principe et
par le terme [la fin Éd. de Parme]. En effet, ainsi que nous l’avons dit plus
haut, bien que la nature divine soit le principe de la génération dans le
Père, ce n’est cependant pas d’une manière absolue nous la notion de nature,
mais sous la notion de paternité. Et de la même manière la nature, selon
qu’elle est la nature divine, qui est reçue [Et de la même manière c’est de
la nature divine, selon qu’elle est la nature qui est acquise Éd. de
Parme] dans le Fils par la génération ne fait pas que le Fils soit le
Fils, mais que par là la nature qui est reçue dans le Fils est selon la chose
la filiation elle-même. Et ainsi il est clair que le
relations elles-mêmes se présentent d’une certaine manière comme
principe et comme terme par rapport aux processions. |
[989] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod, cum secundum processiones distinguantur personae, quae
realiter plures sunt, non potest dici quod processiones re non differunt sed
ratione tantum. Nihil enim causat distinctionem majorem, formaliter loquendo,
quam sit distinctio qua distinguuntur ipsa ad invicem. Sed sicut proprietates
personales, secundum quod comparantur ad essentiam, sunt idem re, quia sunt
divina essentia, a qua tantum ratione differunt ; secundum autem quod ad
aliquid dicuntur, sunt secundum rem plures ; ita est etiam de processionibus
: quia secundum quod comparantur ad naturam ut principium vel terminum
[terminus Éd. de Parme], non distinguuntur nisi ratione, secundum
quod dicitur in Deo voluntas et natura ratione differre ; sed quia
comparantur etiam ad proprietates relativas sicut ad principium vel terminum,
ut dictum est, dist. 2, qu. 1, art. 5, ideo ex hoc etiam habent realem
differentiam. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que puisque c’est d’après les processions que se distinguent les
personnes, lesquelles sont réellement multiples, on ne peut dire que les
processions diffèrent seulement par la raison et non pas réellement. Rien en
effet ne cause une différence majeure, à parler formellement, si ce n’est la
distinction par laquelle les Personnes se distinguent l’une de l’autre. Mais
tout comme les propriétés personnelles, selon qu’elles se comparent à
l’essence, sont identiques par la chose parce qu’elles sont l’essence divine
de laquelle elles diffèrent seulement par la raison, mais selon qu’elles se
disent relativement elles sont réellement multiples, il en est de même aussi
des processions : car selon qu’elles se comparent à la nature comme
principe ou terme [terme Éd. de Parme], elles ne se distinguent
que par la raison, selon qu’on dit que la volonté et la nature en Dieu ne
diffèrent que par la raison ; mais parce qu’elles se comparent aussi aux
propriétés relatives comme à leur principe ou à leur terme ainsi que nous
l’avons dit [dist. 2, quest. 1, art. 5], c’est pourquoi elles tiennent aussi
de cela une différence réelle. |
[990] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad s. c. 1 Quod
ergo objicitur, quod relationes consequuntur processiones, unde magis videtur
quod processiones diversae causent diversitatem relationum, quam e converso ;
vel ad minus erit ibi circulatio : dicendum, quod relatio in divinis non
tantum habet quod sit relatio, sed etiam quod sit personalis, idest
constituens personam ; et ex hoc habet quasi actum differentiae constitutivae
et formae propriae ipsius personae, cujus est operatio generationis vel
spirationis ; et ideo non est inconveniens quod secundum relationis rationem
relationes consequantur ipsas processiones, et recipiant differentiam ab eis
; secundum autem quod sunt formae propriae ipsarum personarum, causent differentiam
processionum. |
1. Ce qui et présenté comme
objection, à savoir que les relations découlent des processions, d’où il
semble davantage que les processions différentes causent la diversité des
relations plutôt que l’inverse, ou au moins qu’il y aura cercle vicieux, il
faut dire que la relation en Dieu ne tient pas seulement qu’elle soit une
relation, mais aussi qu’elle soit personnelle, c’est-à-dire qu’elle constitue
la Personne ; et c’est de là qu’elle tient comme l’acte de la différence
constitutive et de la forme propre de la Personne elle-même, dont l’opération
est celle de la génération ou de la spiration ; et c’est pourquoi il n’y
a pas de problème à ce que selon la notion de relation les relations
découlent des processions elles-mêmes et reçoivent d’elles leur
différence ; mais selon qu’elles sont les formes propres des Personnes
elles-mêmes, les relations causent la différence des processions. |
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Articulus 3 |
Article 3 – La procession de l'Esprit Saint doit-elle être appelée procession ou génération ? |
[992] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod processio
Spiritus sancti non debet nominari processio, sed generatio. Si enim non sit
generatio, tunc contra generationem dividitur. Sed nullum commune
dividitur contra proprium. Cum igitur processio sit communis generationi et
processioni Spiritus sancti, videtur quod processio Spiritus sancti non
debeat nominari processio. |
Difficultés : 1. Il semble que la
procession de l’Esprit-Saint ne doive pas être appelée procession, mais
plutôt génération. Si en effet elle n’était pas une génération,
alors elle se distinguerait par opposition à la génération. Mais rien de ce
qui est commun ne se distingue par opposition à ce qui est propre. Donc,
puisque la procession est commune à la fois à la génération et à la
procession de l’Esprit-Saint, il semble que la procession de l’Esprit-Saint
ne doive pas être appelée procession. |
[993] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, sicut generatio Filii dicit specialem modum originis, ita et
processio Spiritus sancti ; alias non esset proprietas constitutiva personae,
ut prius dictum est, art. antec. Sed processio non dicit aliquem specialem
modum originis, ut dictum est, art. 1, istius dist. Ergo modus originis
Spiritus sancti non debet per processionem nominari. |
2. Par ailleurs, tout comme
la génération du Fils signifie un mode d’origine particulier, il en est de
même pour la procession de l’Esprit-Saint ; autrement, il n’y aurait pas
une propriété constitutive de la personne comme nous l’avons dit plus haut
dans l’article précédent. Mais le terme de procession ne dit pas un mode
particulier d’origine comme nous l’avons dit dans l’article premier de cette
distinction. Donc, le mode d’origine de l’Esprit-Saint ne doit pas être
dénommé par le terme de procession. |
[994] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, sicut Filius accipit totam naturam et substantiam Patris, ita et
Spiritus sanctus. Sed illa processio secundum quam aliquis accipit naturam ejus a quo procedit,
dicitur generatio, etiam in inferioribus, ut patet inducendo in
singulis. Ergo videtur quod processio
Spiritus sancti debet dici generatio. |
3. En outre, tout comme le
Fils reçoit toute sa nature et toute sa substance du Père, il en est de même
de l’Esprit-Saint. Mais cette procession, selon laquelle un être reçoit la
nature de celui duquel il procède, s’appelle génération même chez les êtres
inférieurs ainsi qu’on le voit par l’examen des cas particulieurs. Il semble
donc que la procession de l’Esprit-Saint doive être appelée génération. |
[995] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, Damascenus, definiens generationem dicit sic : generatio est
divinae naturae opus existens, ut versionem, qui generat, non suscipiat, et
ut neque Deus prior neque posterior sit. Sed processio Spiritus sancti est
opus divinae naturae et cetera. Ergo videtur quod sit generatio. Quod autem
sit opus divinae naturae et non voluntatis, probatur per Hilarium, qui dicit,
quod omnibus creaturis substantiam voluntas attulit, sed Filio natura dedit.
Sed Spiritus sanctus non est creatura ; et ita non habet substantiam per
voluntatem, sed per naturam Patris. |
4. De plus Damascène,
lorsqu’il définit la génération, parle ainsi : la génération
est l’œuvre de la nature divine qui existe de telle manière que celui qui
engendre ne reçoit pas le changement et que Dieu n’est ni antérieur ni
postérieur. Mais la procession de l’Esprit-Saint est une œuvre de la nature
divine etc. Donc il semble qu’elle soit une génération. Mais qu’elle soit
l’œuvre de la nature divine et non de la volonté, cela est prouvé par
Saint-Hilaire qui dit que la volonté a apporté la substance à toutes les
créatures mais que la nature l’a donnée au Fils. Mais l’Esprit-Saint n’est
pas une créature et ainsi il ne tient pas sa substance de la volonté mais de
la nature du Père. |
[996] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, quidquid procedit per modum generationis,
procedit ut genitum, praecipue in rebus viventibus. Sed Spiritus sanctus non procedit ut genitus : alias
essent duo filii in Trinitate, quod non potest esse. Ergo processio Spiritus
sancti non debet dici generatio. |
Cependant : Au contraire, tout ce qui
procède par mode de génération procède à la manière de ce qui est engendré,
surtout chez les vivants. Mais l’Esprit-Saint ne procède pas à la manière de
ce qui est engendré : autrement, il y aurait deux fils dans la Trinité,
ce qui est impossible. La procession de l’Esprit-Saint ne doit donc pas être
appelée génération. |
[997] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod in divinis est accipere commune et proprium, quamvis non sit
accipere universale, et particulare. Ad hoc enim quod sit universale et
particulare, exigitur aliqua diversitas realis, ut supra dictum est, dist. 8,
quaest. 4, art. 1, quidditatis communicabilis, et esse quod proprium est. Et
talis diversitas non potest esse in divinis. Sed est ibi accipere commune et
proprium dupliciter, scilicet secundum rem, et secundum rationem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’en Dieu il faut admettre du commun et du propre, bien qu’il n’y ait pas à
admettre de l’universel et du particulier. En effet, pour qu’il y ait de
l’universel et du particulier, il faut qu’il y ait une différence réelle,
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 1], entre une
quiddité communicable et une existence qui est propre. Et une telle
différence ne se trouve pas en Dieu. Mais il faut y admettre du commun et du
propre de deux manières, à savoir selon la chose, en réalité, et selon la
raison. |
Secundum rem, sicut
dicimus essentiam esse communem tribus personis, et unamquamque personam
distingui per id quod sibi est proprium. Secundum rationem autem,
sicut quando intellectus noster in divinis accipit aliquid et quantum ad
rationem communem vel indeterminatam, et quantum ad rationem determinatam et
propriam : quia utrumque ad dignitatem pertinet, et ratio generis et ratio
differentiae : sicut in divinis est ratio cognitionis, quae communis est, et
ratio scientiae, quae propria est et determinata ; nec tamen unum est genus
alterius, secundum quod in Deo sunt. Ita dico, quod processio dicitur
secundum rationem communem originis, generatio autem secundum determinatam
originis rationem. Unde se habent sicut commune et proprium ; non tamen sicut
genus et species. |
Selon la chose, comme nous
disons que l’essence est commune aux trois Personnes et que toute personne se
distingue par ce qui lui est propre. Mais selon la raison, comme
lorsque notre intelligence admet en Dieu quelque chose à la fois quant à la
notion commune ou indéterminée et quant à la notion déterminée ou
propre : car les deux se rapportent à la dignité, à la fois la notion de
genre et celle de différence : par exemple en Dieu il y a la notion de
connaissance, qui est commune, et la notion de science qui est propre et
déterminée ; et cependant, selon qu’elles existent en Dieu, l’une n’est
pas le genre de l’autre. Ainsi je dis que la procession se dit selon une
notion commune d’origine, et la génération selon une notion déterminée
d’origine. C’est pourquoi elles se présentent dans le rapport du commun au
propre et non dans celui du genre à l’espèce. |
[998] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod processio, secundum quod sumitur in communi ratione,
non condividitur generationi ; sed prout sumitur secundum determinatum modum
processionis, qui Spiritui sancto competit. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que la procession, ne se distingue pas par opposition à la
génération selon qu’on la prend dans sa notion commune mais selon
qu’elle se prend d’après un mode déterminé de procession qui appartient à
l’Esprit-Saint. |
[999] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 2
Ad secundum dicendum, quod frequenter invenimus quod aliquod proprium denominatur
nomine communi ; sicut omne convertibile dicitur proprium, sive significet
quid est res, sive non. Sed tamen hoc nomen sibi specialiter retinet illud
convertibile quod substantiam non significat, quia non addit aliquid
nobilitatis quo nominari possit. Non autem sic dicimus in proposito : non
enim origo spiritus sancti nominatur communi nomine, quia nihil addit supra
rationem, vel minus habet quam generatio Filii, cum Spiritus sanctus Filio
sit aequalis in dignitate. Sed hujusmodi assignantur tres rationes. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’il arrive souvent que quelque chose de propre soit dénommé par un nom
commun, comme tout ce qui est convertible est appelé propre, qu’il signifie
ou non ce qu’est la chose. C’est cependant le convertible qui ne signifie pas
la substance qui retient pour lui ce nom d’une manière spéciale car il
n’ajoute rien de notable par quoi il pourrait être nommé. Mais ce n’est pas
en ce sens que nous parlons dans notre propos : en effet, l’origine de
l’Esprit-Saint n’est pas dénommée par un nom commun parce qu’elle n’ajoute
rien à la nature de la génération du Fils ou qu’elle lui est inférieure,
puisque l’Esprit-Saint est égal au Fils en dignité. Mais on présente trois
raisons pour expliquer cette attribution qu’on fait à l’Esprit-Saint d’un nom
commun. |
Prima est, quia Spiritus sanctus maxime accedit ad
processionem : non enim tantum ipse procedit sicut et Filius, sed a
procedente procedit, quod Filio non competit. |
La première est que
l’Esprit-Saint accède davantage à la procession : en effet, Lui-même ne
procède pas à la manière du Fils, mais Il procède de ce qui procède, ce qui
n’est pas le cas pour le Fils. |
secunda est, quia cum processio dicatur dupliciter,
scilicet secundum motum localem et secundum exitum causati a causa, uterque
modus aliquo modo competit origini Spiritus sancti. |
La deuxième est que puisque
la procession se dit en deux sens, à savoir selon le mouvement local et selon
qu’une effet sort de sa cause, les deux modalités appartiennent d’une
certaine manière à l’Esprit-Saint. |
Inquantum enim procedit
ut persona distincta, sic sua processio habet similitudinem ad exitum causati
a causa. Inquantum autem procedit ut amor, qui tendit [in add. Éd. de
Parme] alterum non sicut in recipiens, sed sicut in objectum, habet similitudinem
cum processione locali, quae est ex aliquo in aliquid. Pater enim amat Filium amore, qui est Spiritus sanctus.
Filio autem non competit processio nisi secundum unum modum, scilicet exitum
a causa. |
En effet, selon qu’Il procède
en tant que personne distincte, ainsi sa procession ressemble à la sortie
d’un effet de sa cause. Mais selon qu’il procède en tant qu’amour qui se
continue [vers add. Éd. de Parme] dans un autre non
pas comme dans ce qui reçoit mais comme dans un objet, alors il ressemble à
une procession locale qui va d’un point à un autre. En effet, c’est par
l’amour qui est l’Esprit-Saint que le Père aime le Fils. Mais il n’y a qu’un
seul mode de procession qui appartient au Fils, à savoir celui qui consiste
pour un effet à sortir de sa cause. |
Tertia ratio (et credo quod melior est) quia in rebus
creatis invenimus aliquid in se subsistens, procedere per modum naturae, et
hoc dicimus generari ; unde secundum hoc potuimus processionem Filii proprio
nomine nominare, scilicet generationis nomine. Sed non invenimus aliquid in
creaturis per se subsistens, procedere per modum amoris, sicut Spiritus
sanctus procedit : et ideo istam processionem non potuimus nominare nomine
proprio, sed tantum communi. |
La troisième raison (et je
crois que c’est la meilleure) est que dans les choses créées nous découvrons
que ce qui subsiste en soi procède par mode de nature et nous appelons cela
être engendré ; par la suite c’est d’après cela que nous avons pu nommer
la procession du Fils au moyen d’un nom propre, à savoir par le nom de
génération. Mais dans les créatures nous n’observons rien qui subsiste par
soi et qui procède par mode d’amour à la manière dont l’Esprit-Saint
procède : et c’est pourquoi nous n’avons pu dénommer cette
procession par un nom propre mais seulement par un nom commun. |
[1000] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod processio amoris, inquantum hujusmodi, non habet quod per
ipsam natura aliqua communicetur ; sed hoc habet inquantum est in divinis,
ubi non potest esse aliquid imperfectum. Et ideo Spiritus sanctus secundum
rationem processionis, communiter loquendo, non habet quod communicetur sibi
natura ; et ideo talis processio non potest dici generatio secundum suam
propriam rationem. Ex ipsa enim ratione generationis est quod natura genito
communicetur : quamvis enim diversitas rationis non sufficiat ad realem
processionum differentiam, sufficit tamen ad differentem nominationem. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que la procession de l’amour, en tant que telle, n’a pas le
pouvoir de communiquer par elle-même une nature ; mais elle possède ce
pouvoir en tant qu’elle existe en Dieu en qui rien d’imparfait ne peut
exister. Et c’est pourquoi il ne revient pas à l’Esprit-Saint que lui soit
communiquée une nature d’après la notion de procession telle qu’on l’entend
communément ; et c’est pourquoi une telle procession ne peut être
appelée génération si on prend ce terme d’après sa définition propre. En
effet, il est de la nature même de la génération de communiquer une nature à
ce qui est engendré : en effet, bien qu’une différence de définition ne
suffise pas à établir une différence réelle de processions, elle suffit
cependant à établir une dénomination différente. |
[1001] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod natura non est principium processionis Spiritus sancti sub
ratione naturae, sed sub ratione voluntatis, a qua procedit amor ; et ideo
sua processio non dicitur nativitas, cum nativitas a natura dicatur. Nec
tamen ex hoc sequitur quod Spiritus sanctus sit creatura. Voluntas enim
comparatur ut principium ad ipsa principiata, et sic comparatur ad creaturas
; vel ad ipsam rationem principiandi, et sic comparatur ad amorem, qui est
Spiritus sanctus, sicut intellectus ad artem, ut superius dictum est, dist.
10, quaest. 1, art. 3. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la nature n’est pas le principe de la procession de l’Esprit-Saint
sous le rapport de la nature, mais sous le rapport de la volonté de laquelle
l’amour procède ; et c’est pourquoi sa procession n’est pas appelée
naissance, puisque la naissance se dit à partir de la notion de nature. Et
cependant il ne suit pas de là que l’Esprit-Saint soit une créature. C’est en
tant que principe en effet que la volonté se compare à ce qui en résulte et
c’est ainsi qu’elle se compare aux créatures ; ou bien elle se compare à
la notion même de principe et c’est ainsi qu’elle se compare à l’amour, qui
est l’Esprit-Saint, comme l’intelligence se compare à l’art, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 10, quest. 1, art. 3]. |
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Articulus 4 [1002] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4
tit. Utrum spiritus sanctus debeat dici ingenitus |
Article 4 – Doit-on dire que l’Esprit Saint est inengendré ? |
[1003] Super Sent.,
lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus debet dici ingenitus. Et
primo per auctoritatem Hieronymi in littera. |
Difficultés : 1. Il semble qu’on doive dire
de l’Esprit-Saint qu’Il est inengendré. Et premièrement en raison de
l’autorité de Saint-Jérôme dans le document. |
[1004] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, terminus infinitus convertitur cum negatione, supposita existentia
subjecti ; sicut non homo, non est homo. Quidquid enim est et non est homo,
est non homo. Sed ingenitus est terminus infinitus. Ergo cum Spiritus sanctus
sit, et non sit genitus, videtur quod sit ingenitus. |
2. Par ailleurs, un terme
infini se convertit avec la négation, une fois supposée l’existence du
sujet ; tout comme un non-homme n’est pas un homme. En effet, tout ce
qui existe et n’est pas un homme est un non-homme. Mais ¨inengendré¨ est un
terme infini. Donc, puisque l’Esprit-Saint existe et qu’Il n’est pas
engendré, il semble qu’il soit inengendré. |
[1005] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 3
Praeterea, ingenitum aut dicit relationem, aut absolutum. Sed non dicit
relationem notionalem, quia tunc non posset dici essentia ingenita. Ergo
videtur quod sit de absolutis ; et ita videtur convenire Spiritui sancto. |
3. En outre, inengendré dit
soit une relation, soit un absolu. Mais il ne dit pas une relation
notionnelle, car alors on ne pourrait pas dire de l’essence qu’elle est
inengendrée. Il semble donc que ce soit un terme qui fait partie des
absolus ; et ainsi il semble que ce terme convienne à l’Esprit-Saint. |
[1006] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed in
contrarium est quod dicitur in littera, quod solus pater ingenitus est. Ergo
non spiritus sanctus. |
Cependant : 1. Mais au contraire on dit dans le document
que seul le Père est inengendré. Donc l’Esprit-Saint n’est pas inengendré. |
[1007] Super Sent.,
lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod in divinis, proprie loquendo, nihil potest dici privatum
[privative Éd. de Parme] : quia ad rationem privationis exigitur
quod aliquid sit aptum natum habere quod non habet. Hoc autem Deo competere
non potest. Unde oportet quod ingenitus sumatur negative et non privative.
Sed negatio quaedam negat in genere determinato, et haec habet aliquid simile
privationi, inquantum ponitur aliquod determinatum genus. Est etiam quaedam
negatio extra genus ; et haec est absoluta negatio, quia nullum genus
determinat. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’en Dieu, à proprement parler, la privation ne peut être attribuée à rien
[par privation Éd. de Parme] : car la notion de privation
suppose nécessairement qu’une chose est apte à posséder ce qu’elle ne possède
pas. Mais cela ne peut se rencontrer en Dieu. C’est pourquoi il faut que
¨inengendré¨ se prenne par la négation et non par la privation. Mais une
certaine négation nie quelque chose dans un genre déterminé, et celle-ci a
quelque chose de semblable à la privation en tant qu’elle pose un genre
déterminé. Mais il y a une négation qui est étrangère à un genre et celle-là
est une négation absolue car elle ne précise aucun genre. |
Dico ergo, quod ingenitus si dicat negationem extra genus,
tunc convenit omni ei quod est et quod non est ab alio per generationem, sive
sit ab aliquo alio sive non, et sive sit creatum sive increatum ; et secundum
hoc possumus dicere Patrem ingenitum, et Spiritum sanctum, et essentiam
divinam, et primas creaturas, quae non exierunt in esse per generationem. Si
autem sit negatio in genere, hoc potest esse dupliciter, secundum quod in
divinis accipitur : vel in genere divinae naturae ; et sic adhuc convenit
Patri, Spiritui sancto et essentiae ; vel in genere principii in natura
divina ; et sic non convenit nisi patri, et tunc erit notio Patris.
Principium enim aliquod potest innotescere aut secundum quod aliquid est ab illo,
et sic Pater innotescit per generationem et spirationem activam : aut
secundum quod non est ab alio, et sic est notio Patris ingenitus. |
Je dis donc que si
¨inengendré¨ renvoie à une négation étrangère à un genre, alors il convient à
tout ce qui existe et qui ne vient pas d’un autre par mode de génération,
qu’il vienne d’un autre ou non, qu’il soit créé ou incréé ; et en ce
sens nous pouvons dire que le Père, l’Esprit-Saint, l’essence divine et les
premières créatures qui ne sont pas venues à l’existence par mode génération,
sont tous inengendrés. Mais si on parle d’une négation qui est dans un genre,
cela peut exister de deux manières selon qu’on le prend en Dieu : soit
dans le genre de la nature divine et ainsi ce terme convient ce terme s’attribue
encore au Père, à l’Esprit-Saint et à l’essence ; soit dans le genre du
principe dans la nature divine et alors ce terme n’appartient qu’au Père et
alors il sera la notion même de Père. Un principe en effet peut se faire
connaître soit selon qu’une chose vient de lui et ainsi le Père se fait
connaître par la génération et par la spiration active ; soit selon
qu’il ne vient pas d’un autre et ainsi ¨inengendré¨ est la notion de Père. |
[1008] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod Hieronymus accipit ingenitum, idest non genitum, secundum
quod negatio est extra genus ; vel in genere divinae naturae, et non in
genere principii. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que Saint-Jérôme prend inengendré, c’est-à-dire non-engendré, comme une
négation étrangère à un genre ou comme étant dans le genre de la nature
divine et non dans le genre de principe. |
[1009] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 2
Ad secundum dicendum, quod negatio termini infiniti non est negatio in aliquo
genere determinato, sed tantum in genere entis ; et ideo potest dici de omni
ente cui non convenit affirmatio : sed negatio quae negat in aliquo genere
determinato, non potest dici extra illud genus. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la négation présente dans un terme infini n’est pas une négation
dans un genre déterminé, mais seulement dans le genre de l’être ; et
c’est pourquoi elle peut se dire de tout être auquel l’affirmation ne se
vérifie pas : mais la négation qui nie dans un genre déterminé ne peut
se dire en dehors de ce genre. |
[1010] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ingenitus, secundum quod convenit tantum Patri, dicit notionem
Patris ; et sic non convenit essentiae. Secundum autem quod convenit
essentiae et Spiritui sancto, non dicit aliquam notionem, nec etiam aliquid
de absolutis, quia sic etiam conveniret Filio ; sed removet notionem quamdam,
scilicet generationem passivam. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que ¨inengendré¨, en tant que ce terme convient seulement au Père,
signifie la notion de Père et en ce sens il ne convient pas à l’essence. Mais
selon que ce terme convient à l’essence et à l’Esprit-Saint, il ne signifie
pas une notion ni même un des absolus car alors il conviendrait même au
Fils ; mais il exclut cependant une certaine notion, à savoir celle de
génération passive. |
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Distinctio 14 |
Distinction 14 – [La procession de l’Esprit Saint– suite] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis tria quaeruntur: primo de processione temporali
secundum se. Secundo ratione cujus Spiritus
sanctus temporaliter procedere dicatur, vel secundum quid fiat. Tertio a quo fiat. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum sit aliqua temporalis
processio Spiritus sancti ; 2 utrum
ponat in numerum cum aeterna. |
Pour comprendre cette partie,
nous faisons porter nos interrogations sur trois points : Premièrement sur la
procession temporelle en elle-même. Deuxièmement sur la raison
pour laquelle nous disons que l’Esprit-Saint procède temporellement et selon
laquelle elle se produit. Troisièmement sur ce d’où
elle est produite. Et sur le premier point nous
posons deux interrogations : 1. Est-ce qu’il existe une
procession temporelle de l’Esprit-Saint ? 2. Est-ce qu’elle est
numériquement distincte de celle qui est éternelle ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La procession temporelle en soi] |
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Articulus 1 lib. 1 d. 14 q. 1
a. 1 tit. Utrum aliqua processio Spiritus sancti sit temporalis. |
Article 1 – Y a-t-il une procession de l’Esprit Saint qui est temporelle ? |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulla processio Spiritus
sancti sit temporalis. Sicut enim generatio est proprietas aeterna Filii
secundum quam distinguitur a Patre, ita processio Spiritus sancti est
proprietas secundum quam distinguitur a Patre et Filio. Sed generatio Filii
non dicitur temporalis nisi secundum naturam assumptam. Cum igitur Spiritus
sanctus nullam assumpserit naturam, nec assumet, videtur quod nulla sit ejus
processio temporalis. |
Difficultés : 1. Il semble qu’aucune procession
de l’Esprit-Saint ne soit temporelle. En effet, tout comme la génération est
une propriété éternelle du Fils selon laquelle il se distingue du Père, de
même la procession de l’Esprit-Saint est une propriété selon laquelle Il se
distingue du Père et du Fils. Mais on ne dit de la génération du Fils qu’elle
est temporelle que selon la nature qu’il a prise. Donc, puisque
l’Esprit-Saint n’aura pris et ne prendra aucune nature, il semble
qu’aucune procession temporelle ne lui appartienne. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea, omne illud cui convenit aliquid temporaliter, est mutabile
vel variabile. Hoc autem Spiritui sancto non convenit, cum sit verus Deus.
Ergo nec temporalis processio. |
2. Par ailleurs, tout ce à
quoi appartient quelque chose selon le temps, cela même est changeant et
variable. Mais le changement ne peut s’attribuer à l’Esprit-Saint puisqu’il
est Dieu en vérité. On ne peut donc lui attribuer non plus une procession
temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea, secundum philosophum Lib. De causis, prop.31, inter rem
cujus substantia et operatio est in tempore, et inter rem cujus substantia et
operatio est in momento aeternitatis, est res media, cujus operatio est in
tempore, et substantia in aeternitate. Rem autem illam, cujus substantia et
operatio est in aeternitate, dicit substantias separatas, et praecipue Deum.
Cum igitur processio sit operatio ipsius Dei, sive active sive passive
intelligatur, videtur quod non sit in tempore, et ita nec temporalis dici
debeat. |
3. En outre, d’après le
Philosophe [Livre des Causes, prop. 31], entre la réalité dont la
substance et l’opération sont dans le temps et celle dont la substance et
l’opération sont dans le moment de l’éternité, il y a une réalité
intermédiaire dont l’opération est dans le temps et dont la substance est
dans l’éternité. Mais il dit de ces réalités dont la substance et l’opération
sont dans l’éternité, et surtout de Dieu, qu’elles sont des substances
séparées. Donc puisque le procession est une opération de Dieu lui-même,
qu’on la prenne activement ou passivement, il semble qu’elle ne soit pas dans
le temps et qu’elle ne doive pas non plus être appelée temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, illud quod elevat hominem supra tempus, non potest dici
temporale. Sed per processionem Spiritus sancti in hominem
elevatur homo supra omnia temporalia: quia, secundum Augustinum, IV De
Trinit., cap. XX,
§ 28, inquantum aliquod aeternum mente capimus, non in hoc mundo sumus. Ergo
non debet dici temporalis. |
4. De plus, ce qui élève
l’homme au-dessus du temps ne peut être appelé temporel. Mais par la
procession de l’Esprit-Saint dans l’homme, l’homme est élevé au-dessus de
tout ce qui est temporel : car selon Augustin [IV De la Trinité,
ch. XX, & 28], dans la mesure où nous saisisson quelque chose d’éternel
par notre intelligence, nous ne sommes pas en ce monde. La procession de
l’Esprit-Saint ne doit donc pas être appelée temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea, in processione temporali, quae etiam missio dicitur,
includitur intellectus processionis aeternae, secundum Augustinum, De
Trinit., cap. XV et XVI, col. 921, et II De Trinit., cap. V col. 848 Sed
denominatio debet fieri a digniori. Igitur etsi in processione esset aliquid
temporale, non deberet dici temporalis, sed aeterna. |
5. Aussi, selon Augustin
[V De la Trinité, ch. XV et XVI, col. 921, t. VIII et
11 De la Trinité, ch. V col. 848] dans la procession temporelle
qu’on appelle aussi mission est comprise l’intelligence de la procession
éternelle. Mais la dénomination doit provenir de ce qui est plus digne. Donc,
bien que dans la procession il y ait quelque chose de temporel, elle ne doit
pas être appelée temporelle, mais plutôt éternelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
s. c. 1 Contrarium dicitur per auctoritates in Littera. |
Cependant : 1. Mais plusieurs autorités
disent le contraire dans le document. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
s. c. 2 Praeterea, contingit aliquem ex tempore habere Spiritum sanctum, qui
prius non habuit. Sed Spiritus sanctus non habetur nisi ut procedens a Patre
et Filio, cum sit donum utriusque. Ergo est ejus aliqua processio temporalis,
secundum quam procedit ad sanctificandum creaturam, ut in littera dicitur. |
2. De plus, il est possible
que quelqu’un reçoive l’Esprit-Saint dans un temps déterminé alors qu’il ne
Le possédait pas antérieurement. Mais l’Esprit-Saint n’est dans un homme
qu’en tant qu’Il procède du Père et du Fils, puisqu’il est un don qui vient
des deux. Il y a donc une procession de l’Esprit-Saint qui est temporelle et
selon laquelle il procède à la sanctification de la créature, ainsi qu’on le
dit dans le document. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
co. Respondeo dicendum, quod quamvis in personis divinis, proprie loquendo,
dicatur processio secundum rationem exitus a principio, qui non necessario
tendit in aliud, tamen processio Spiritus sancti ex modo suae processionis
habet, inquantum scilicet procedit ut amor, quod in alium tendat, scilicet in
amatum, sicut in objectum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que bien que dans les Personnes divines, la procession se dit à proprement
parler selon la notion de ce qui sort d’un principe et qui ne tend par
nécessairement vers un autre, cependant la procession de l’Esprit-Saint tient
du mode même de sa procession, à savoir selon qu’Il procède en tant qu’amour,
qu’il tende vers un autre, c’est-à-dire vers ce qui est aimé comme vers son
objet. |
Et quia processiones
personarum aeternae, sunt causa et ratio totius productionis creaturarum,
ideo oportet quod sicut generatio Filii est ratio totius productionis
creaturae secundum quod dicitur Pater in Filio omnia fecisse, ita etiam amor
Patris tendens in Filium ut in objectum, sit ratio in qua Deus omnem effectum
amoris creaturis largiatur ; et inde est quod Spiritus sanctus, qui est amor
quo Pater amat Filium, est etiam amor quo amat creaturam impartiendo sibi
suam perfectionem. |
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Poterit ergo processio istius
amoris dupliciter considerari: vel secundum quod tendit in
objectum aeternum, et sic dicetur aeterna processio, vel secundum quod procedit ut
amor in objectum creatum, inquantum scilicet per illum amorem, creaturae
aliquid a Deo confertur ; et sic dicetur processio temporalis, ex eo quod ex
novitate effectus consurgit nova relatio creaturae ad Deum, ratione cujus
oportet Deum sub nova habitudine ad creaturam significari, ut patet in
omnibus quae de Deo ex tempore dicuntur. |
La procession de cet amour
pourra donc être considérée de deux manières : Soit selon qu’elle tend vers
son objet éternel et ainsi on dira de la procession qu’elle est éternelle. Soit selon qu’elle procède en
ant qu’amour vers l’objet créé, c’est-à-dire en tant que par cet amour
quelque chose est donné par Dieu à la créature ; et ainsi on dira de la
procession qu’elle est temporelle du fait qu’une nouvelle relation de la
créature à Dieu naît de la nouveauté de l’effet, par la raison par laquelle
il faut que Dieu soit signifié à l’égard de la créature sous un nouveau
rapport, ainsi qu’on le voit pour tout ce qui se dit au sujet de Dieu à
partir du temps. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio de ratione sui non dicit
respectum nisi ad eum a quo est generatio. Hoc autem dupliciter potest esse
in Filio: aut sicut a quo accipit
divinam naturam, et sic est generatio aeterna a Patre ; aut sicut a quo accipit
naturam humanam, et sic est temporalis generatio a matre. Processio autem
Spiritus sancti, ut dictum est, dist. 13, quaest. unica, art. 2, non solum
dicit respectum ad principium a quo procedit, secundum quem aeterna
tantummodo est, sicut et generatio ; sed etiam importat respectum ad eum in
quem procedit, secundum quem temporalis dici potest. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que la génération, de par sa définition ne signifie un rapport qu’à
celui d’où procède la génération. Mais cela peut exister dans le Fils de deux
manières : Soit comme de celui d’où Il
reçoit la nature divine, et ainsi la génération vient du Père de toute
éternité ; Soit comme de celui d’où il
reçoit la nature humaine et en ce sens la génération qui vient de la mère est
temporelle. Mais la procession de l’Esprit-Saint, comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 13, quest. unique, art. 2], ne dit pas seulement un rapport au principe
d’où Il procède et selon lequel la procession est seulement éternelle, tout
comme la génération ; mais cette procession implique aussi un rapport à
celui vers lequel elle procède et selon lequel elle peut être appelée
temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod inquantum per amorem, qui est Spiritus
sanctus, aliquod donum creaturae confertur, nulla mutatio vel variatio fit in
ipso amore, sed in eo cui per amorem aliquid datur ; si tamen mutatio, et non
potius perfectio dici debet. Et ideo ille temporalis respectus non ponitur
circa Spiritum sanctum realiter, sed solum secundum rationem ; realiter autem
in creatura quae mutatur ; sicut fit cum dicitur Deus Dominus ex tempore. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans la mesure où un don est tranmis à la créature par l’amour qui
est l’Esprit-Saint, aucun changement ou aucune variation ne se produit dans
l’amour lui-même, mais seulement dans celui auquel quelque chose est donné
par l’amour, si cependant cela doit être appelé un changement et non pas
plutôt une perfection. Et c’est pourquoi ce rapport temporel n’est
pas attribué à l’Esprit-Saint comme étant réel, mais seulement
selon la raison ; mais il est attribué à la créature qui change comme
étant réel, tout comme cela se produit lorsque nous disons de Dieu qu’Il est
Seigneur pour nous qui existons dans le temps. |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operatio divina dupliciter potest
considerari: vel ex parte operantis, et sic
est aeterna ; vel quantum ad effectum
operationis, et sic potest esse temporalis. Sed tamen quia Deus non agit per
operationem quae sit media inter ipsum et operatum, sed sua operatio est in
ipso et est tota sua substantia ; ideo operatio ejus essentialiter aeterna
est, sed effectus temporalis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’opération divine peut être considérée de deux manières : Soit du côté de celui qui pose
l’opération et en ce sens elle est éternelle ; Soit quant à l’effet de
l’opération et en ce sens elle peut être temporelle. Mais parce que Dieu
n’agit par au moyen d’une opération qui serait un intermédiaire entre lui et
l’effet de l’opération, mais que son opération et en Lui et qu’elle est toute
sa substance, c’est pourquoi son opération est essentiellement éternelle,
mais son effet est temporel. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliquid potest dici temporale multipliciter: vel quia subjacet variationi
temporis, et hoc modo processio non dicitur temporalis, etiam quantum ad
effectum gratiae ; vel quia habet initium in
tempore, et sic gratia dicitur temporalis, et eadem ratione processio ratione
effectus. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’une chose peut être dite temporelle de plusieurs manières : Soit parce qu’elle est
soumise à la variation du temps et en ce sens la procession ne peut être dite
temporelle, même quant à l’effet de la grâce ; Soit parce qu’elle a un
commencement dans le temps et en ce sens la grâce est dite temporelle, et
pour la même raison la procession en raison de l’effet. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquod conjunctum non potest affirmari nisi
pro utraque parte, sed negari potest pro altera parte tantum ; sicut patet in
veritate et falsitate copulativae propositionis. Et quia temporale claudit in
se quamdam negationem cum affirmatione, scilicet aliquando esse et prius non
fuisse, aeternum autem importat tantum affirmationem essendi ; ideo
conjunctum non potest dici aeternum, nisi utrumque aeternum sit ; temporale
autem dici potest, etiam si alterum tantum sit temporale, sicut creator
importat divinam operationem et connotat effectum in creatura actualiter,
ratione cujus Deus non dicitur creator ab aeterno sed ex tempore. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu qu’une proposition double ne peut être affirmée que pour les deux
parties mais peut être niée pour une partie seulement, ainsi qu’on peut le
voir pour la vérité et la fausseté d’une proposition copulative. Et parce que
le temporel renferme en lui une certaine négation avec une affirmation,
c’est-à-dire ce qui vient enfin à exister sans avoir existé antérieurement,
l’éternel implique cependant uniquement l’affirmation de l’existence ;
c’est pourquoi ce qui est double ne peut être appelé éternel que si les deux
parties le sont, mais il peut être appelé temporel même si seulement une des
parties est temporelle ; par exemple, la notion de créateur implique une
opération divine et fait connaître un effet en acte dans la créature, en
raison de quoi Dieu n’est pas appelé créateur de toute éternité, mais à partir
d’un temps déterminé. |
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Articulus 2 lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 tit. Utrum processio temporalis distinguatur realiter ab aeterna |
Article 2 – La procession temporelle se distingue-t-elle réellement de la procession éternelle ? |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod temporalis
processio ponat in numerum cum aeterna, ut sit alia et alia processio.
Aeternum enim et temporale non possunt idem esse in essentia. Sed quae differunt per
essentiam, simpliciter multiplicantur et numerantur. Ergo aeterna processio
et temporalis simpliciter sunt duae. |
Difficultés : 1. Il semble que la
procession temporelle soit numériquement différente de celle qui est
éternelle, de sorte de sorte que l’une soit réellement différente de l’autre.
En effet, l’éternel et le temporel ne peuvent être identiques par l’essence.
Mais les choses qui diffèrent par l’essence se multiplient et se comptent
absolument parlant. Donc la procession éternelle et celle qui est temporelle
sont réellement deux processions absolument différentes. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
arg. 2 Item, idem non est signum sui ipsius. Sed processio temporalis,
secundum Augustinum, lib. V De Trinit., XV est signum aeternae. Ergo non sunt
una processio. |
2. En outre, une même chose
n’est pas signe d’elle-même. Mais la procession temporelle, d’après Augustin
[V De la Trinité, ch. XV], est le signe de celle qui est
éternelle. Les deux ne sont donc pas une seule et même procession. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, cum una dicatur processio aeterna et alia temporalis, aut
hoc erit quia essentialiter differunt, aut quia una addit super aliam. Sed
aeterna non potest addere supra temporalem, quia sic temporalis esset
naturaliter prior aeterna ; nec etiam temporalis potest se habere ex
additione ad aeternam, cum aeterno, quia perfectum est, nihil sit addibile.
Ergo relinquitur quod essentialiter differant, et ita simpliciter sunt duae. |
3. Par ailleurs, puisque
l’une des processisons est appelée éternelle et que l’autre est appelée
temporelle, il en sera ainsi soit parce qu’elles diffèrent essentiellement,
soit parce que l’une ajoute à l’autre. Mais la procession éternelle ne peut
ajouter à celle qui est temporelle car ainsi celle qui est temporelle serait
naturellement antérieure à celle qui est éternelle ; et aussi la
procession qui est temporelle ne peut se prendre par addition à celle qui est
éternelle car à l’éternel, parce qu’il est parfait, rien ne peut être ajouté.
Il reste donc que les deux processions diffèrent essentiellement et qu’alors
elles sont deux processions absolument différentes. |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut Filius se habet ad generationem passivam, ita et
Spiritus sanctus ad processionem passivam. Sed propter aeternam generationem et
temporalem, Filius dicitur habere duas nativitates et bis natus. Ergo et
Spiritus sanctus dicitur habere duas processiones |
4. En outre, ce que le fils
est à la génération passive, l’Esprit-Saint l’est à la procession passive.
Mais à cause de la génération éternelle et de celle qui est temporelle, on
dit du Fils qu’il possède deux naissances et qu’il est né deux fois. On dit
donc de l’Esprit-Saint qu’il possède deux processions. |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 arg. 5 Contra, processio ponit aliquid in ipso procedente. Sed processio temporalis,
inquantum est temporalis, nihil ponit circa Spiritum sanctum. Ergo oportet
quod in processione temporali essentialiter includatur aeterna. Ergo non
differunt essentialiter, nec simpliciter sunt plures. |
5. Au contraire, la
procession pose quelque chose dans celui-là même qui procède. Mais la
procession temporelle, en tant qu’elle est temporelle, n’affirme rien au
sujet de l’Esprit-Saint. Il faut donc que la procession éternelle soit
incluse essentiellement dans la procession temporelle. Elles ne diffèrent
donc pas essentiellement et elles ne sont pas absolument différentes. |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 arg. 6 Item, ea quae non sunt ejusdem rationis, non connumerantur ad
invicem. Sed
temporale et aeternum non sunt ejusdem rationis. Ergo non potest dici quod
sint duae processiones, temporalis et aeterna. |
6. De plus, les choses qui
n’appartiennent pas à une même définition ne sont pas comptées comme faisant
partie d’un même ensemble. Mais le temporel et l’éternel n’appartiennent pas
à une même définition. On ne peut donc dire qu’il y ait deux processions,
l’une temporelle et l’autre éternelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
co. Respondeo dicendum, quod cum processio semper dicat respectum procedentis
ad illum a quo procedit, Spiritus sanctus autem ad Patrem non refertur nisi
relatione aeterna ; oportet quod nulla processio Spiritus sancti sit alia
essentialiter ab aeterna ; sed potest sibi advenire aliquis respectus alius
ex parte ejus in quem est, sicut in amatum, et ratione illius dicitur
temporalis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque la procession signifie toujours un rapport de celui qui procède à
celui duquel il procède, mais que l’Esprit-Saint ne se rapporte au
Père que par une relation éternelle, il faut qu’aucune procession
de l’Esprit-Saint ne soit essentiellement différente de celle qui est
éternelle ; mais il pouet lui advenir un rapport différent du côté de
celui dans lequel il est comme dans l’objet aimé, et c’est en raison de ce
rapport qu’on dit de la procession qu’elle est temporelle. |
Dicendum ergo, quod est una
processio essentialiter propter respectum unum procedentis ad id a quo
procedit, quem principaliter importat. Processio autem est duplex, vel
gemina, ratione duorum respectuum in duo objecta, scilicet in aeternum et
temporale: quorum unus, scilicet aeternus, realiter est in ipso procedente ;
alius autem secundum rationem tantum in Spiritu sancto, sed secundum rem in
eo in quem procedit. Horum tamen respectuum primus includitur in secundo,
sicut ratio et causa ejus ; unde secundus se habet ex additione ad primum. |
Il faut donc dire qu’il n’y a
essentiellement qu’une seule procession à cause de l’unique rapport de celui
qui procède par rapport à celui d’où il procède qu’elle implique
principalement. Mais la procession est double ou forme un couple, en raison
de deux rapports à deux objets, à savoir à l’éternel et au temporel :
dont le premier, à savoir l’éternel, existe réellement dans celui-là même qui
procède ; mais l’autre n’existe dans l’Esprit-Saint que selon la raison
mais réellement dans celui dans lequel Il procède. Cependant, parmi ces deux
rapports, le premier est compris dans le second comme sa raison et sa
cause ; c’est pourquoi le second rapport se prend par addition à l’égard
du premier. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod processio non dicitur temporalis secundum
id quod est, sed ratione respectus ad creaturam, temporalis dicitur, ut
dictum est, art. 1 hujus quaest. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la procession n’est pas appelée temporelle selon ce qu’elle
est en elle-même, mais c’est en raison du rapport à la créature qu’elle est
dite temporelle, ainsi que nous l’avons dit dans l’article premier de cette
question. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod processio temporalis dicitur esse signum
aeternae, quantum ad effectum ex quo consurgit respectus ille temporalis
secundum quem processio temporalis dicitur. Effectus autem hujus processionis
est amor gratuitus, qui est similitudo quaedam amoris increati, qui est Spiritus
sanctus, et per consequens signum ejus. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’on dit de la procession temporelle qu’elle est le signe de celle qui
est éternelle quant à l’effet à partir duquel apparaît ce rapport temporel
d’après lequel la procession est appelée temporelle. Mais l’effet de cette
procession est l’amour gratuit qui est une certaine ressemblance de l’amour
incréé, lequel est l’Esprit-Saint ; et par conséquent cet amour gratuit
est le signe de l’amour incréé. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aeterno secundum rem nihil sit
addibile ; nihilominus tamen aeternum potest intelligi in aliqua habitudine
se habere ad aliquod temporale: quae tamen habitudo non ponitur realiter
circa ipsum aeternum, ut dictum est. Et quia intellectus potest repraesentari
per nomen, quia voces sunt notae earum quae sunt in anima passionum, ut lib.
I Perih., ideo potest aeterno imponi aliquod nomen, prout intelligitur sub
illa habitudine, sicut Deus dicitur Dominus ex tempore. Ita etiam dicitur
processio temporalis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien qu’à l’éternel selon la chose rien ne puisse être ajouté,
néanmoins cependant l’éternel peut se comprendre comme étant dans un certain
rapport à quelque chose de temporel : lequel rapport n’est cependant pas
affirmé comme existant réellement dans l’éternel lui-même, ainsi que nous
l’avons dit. Et parce que le concept peut être représenté par un nom, car les
sons de voix sont les signes de ces passions qui sont dans l’âme comme on le
dit au premier livre du Peri Hermeneias, c’est pourquoi on peut
imposer un nom à l’éternel en tant qu’il est compris sous ce rapport, tout
comme c’est à partir du temps qu’on dit de Dieu qu’Il est Seigneur. Et c’est
encore de la même manière qu’on peut dire de la procession qu’elle est
temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum dicendum, quod generatio Filii temporalis et aeterna
distinguuntur etiam secundum respectum ad principium a quo sunt, quia aeterna
est a Patre et temporalis a matre, et secundum diversas naturas ; et ideo una
realiter non est alia. Sed de processione non est simile, ut dictum est, art.
antec |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la génération temporelle du Fils se distingue aussi de celle qui est
éternelle selon le rapport au principe d’où elles viennent, car la génération
éternelle vient du Père et celle qui est temporelle vient de la mère, et ces
deux générations résultent en des natures différentes ; et c’est
pourquoi l’une diffère réellement de l’autre. Mais il n’en est pas de même
pour la procession ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 ad 5 Quintum concedimus. |
5. Nous concédons la
cinquième difficulté. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
ad 6 Ad sextum dicendum, quod processio temporalis et aeterna, consideratae
secundum respectum procedentis ad principium, a quo est, sunt omnino idem,
nedum ejusdem rationis ; et ex hac parte non numerantur. Sed consideratae
secundum respectum ad id in quod est processio per modum dictum, non sunt
ejusdem rationis, scilicet per univocationem, sed analogice ; quia unum est
ratio alterius ; et ita possunt connumerari: sicut etiam dicimus Deum et
hominem duas res. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que la procession temporelle et celle qui est éternelle, considérées
d’après le rapport de celui qui procède au principe d’où il procède, sont
absolument identiques et non seulement d’une même définition ; et de ce
côté elles ne se distinguent pas par le nombre. Mais si on les considère
d’après le rapport à ce dans quoi la procession existe de la manière que nous
avons dite, elles n’appartiennent pas à une même définition, c’est-à-dire que
procession n’est plus ici un mot univoque, mais un mot analogue ; car
l’une est la raison de l’autre ; et en ce sens elles se distinguent par
le nombre, tout comme nous disons encore que Dieu et l’homme sont deux
réalités distinctes. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [En raison de qui dit-on que l’Esprit Saint procède temporellement, ou selon quoi cela se produit-il ?] |
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Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 14 q. 2 pr. Deinde
quaeritur, secundum quid attendatur processio temporalis, et circa hoc duo
quaeruntur: 1 utrum ipse Spiritus sanctus
secundum processionem temporalem detur, vel tantum dona ejus, vel utrumque. Et si utrumque, quaeritur,
secundum quae dona dicatur Spiritum sanctum dari vel procedere temporaliter |
On se demande ensuite
selon quoi s’étend la procession temporelle et à ce sujet on pose deux
questions : 1. Est-ce l’Esprit-Saint
lui-même, ses dons, ou les deux à la fois qui sont donnés selon la procession
temporelle ? 2. Et si ce sont les deux qui
sont donnés, selon quels dons dit-on de l’Esprit-Saint qu’Il est donné ou
qu’Il procède temporellement ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 14 q. 2
a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus temporaliter detur |
Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné temporellement ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
–
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lib. 1
d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod ipse Spiritus
sanctus non procedat temporaliter vel detur. Illud enim quod secundum se est ubique
non videtur usquam secundum se procedere. Sed Spiritus sanctus, cum sit Deus,
est ubique. Ergo non potest in quemquam procedere. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne procède pas ou n’est pas donné temporellement. En effet, ce
qui en soi-même est partout ne semble pas en soi-même procéder en quelque
lieu. Mais l’Esprit-Saint, puisqu’Il est Dieu, est partout. Il ne peut donc
pas procéder en quelque lieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 2 Si dicas, quod potest esse secundum aliquem modum in aliquo
secundum quem prius non erat, adhuc habetur propositum ; quia, secundum
Dionysium, De div. nom., c. III, col. 679, et auctorem [philosophum Éd.
Mandonnet] Lib. De causis prop. 24. Deus eodem modo se habet ad omnia,
quamvis non omnia eodem modo se habeant ad ipsum. Sed iste modus diversus in
creaturis est ex diversis perfectionibus quas ex Deo consequuntur. Ergo
videtur quod [ex add. Éd. de Parme] hoc quod Spiritus sanctus dicatur
[dicitur Éd. de Parme] aliter esse in isto quam prius, non sit [fuit, non Éd.
de Parme] propter aliud est nisi quia aliquem effectum consequitur iste quem
prius non consequebatur: et sic tota datio vel processio refertur ad dona, et
non ad ipsum Spiritum sanctum |
2. Si tu dis qu’il peut
procéder en un endroit d’une certaine manière selon laquelle il n’était pas
antérieurement, la question demeure ; car selon Denys [Les Noms
Divins, ch. 111, col. 679] et l’auteur [le philosophe Éd.
Mandonnet] dans son livre Sur les Causes, proposition 24,
Dieu est toujours de la même manière face à tout, bien que ce ne soient pas
tous les êtres qui se présentent toujours de la même manière par rapport à
Dieu. Mais ces manières d’être différentes qu’on retrouve dans les créatures
proviennent de perfections différentes qu’elles poursuivent et qui viennent
de Dieu. Il semble donc que [à partir de Éd. de Parme] cela même
qu’on dit [dit Éd. de Parme] de l’Esprit-Saint qu’Il soit autrement dans
celui-ci qu’Il ne l’était antérieurement ne soit [était Éd. de Parme]
pas parce qu’Il est autre, si ce n’est parce que celui-ci poursuit
un effet qu’il ne poursuivait pas antérieurement : et ainsi toute la
donation ou la procession se rapporte aux dons et non à l’Esprit-Saint
lui-même. |
lib. 1 d. 14 q. 2
a. 1 qc. 1 arg. 3 Item, ut dictum est, in hac dist., quaest. 1, art. 2,
processio temporalis nihil secundum rem addit ex parte ipsius procedentis ad
processionem aeternam. Sed secundum processionem aeternam ipse
Spiritus sanctus non procedit in aliquam creaturam. Ergo nec secundum temporalem,
quantum ex parte ipsius Spiritus sancti, sed solum quantum ad dona ipsius. |
3. En outre, ainsi que nous
l’avons déjà dit [dist. 14, quest. 1, art. 2], la procession temporelle
n’ajoute rien en réalité du côté de celui-là même qui procède en
regard de la procession éternelle. Mais selon la procession éternelle
l’Esprit-Saint lui-même ne procède pas dans une créature. Donc, Il n’y
procède pas davantage selon la procession temporelle en tant qu’Esprit-Saint
lui-même, mais seulement en tant que dons qui viennent de Lui. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 4 Praeterea, constat quod virtus infusa non est deficientior in
operibus meritoriis, quam virtus acquisita in operibus politicis. Sed virtus
acquisita sufficienter dirigit hominem in omnibus civilibus. Ergo infusa in
omnibus meritoriis. Non igitur oportet, ut videtur, quod cum virtute infusa
ipse Spiritus sanctus detur, sed vel solus Spiritus sanctus, vel sola virtus. |
4. De plus, il est clair
que la vertu infuse n’est pas plus faible dans les œuvres
méritoires que la vertu acquise dans les œuvres politiques. Mais la vertu
acquise guide suffisamment l’homme dans toutes les activités civiles. Donc la
vertu infuse dirige suffisamment l’homme dans toutes les œuvres méritoires.
Il ne faut donc pas, comme on le voit, que ce soit l’Esprit-saint lui-même
qui soit donné avec la vertu infuse, mais plutôt soit seulement
l’Esprit-Saint, soit seulement la vertu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Contra, Rom. 5, 5, dicitur: caritas Dei diffusa est in cordibus
nostris per Spiritum sanctum, qui datus est nobis. Ergo videtur quod utrumque
detur. |
Cependant : 1. Au contraire, l’Apôtre dit
[Romains 5, 5] : L’amour de Dieu a été répandu dans
nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. Il semble donc que ce
soient les deux qui ont été donnés. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, amor habet rationem primi doni, quia in ipso omnia
ex liberalitate conferuntur. Cum igitur Spiritus sanctus sit amor, videtur
quod habeat rationem doni. Sed non nisi quia datur. Ergo videtur quod ipse Spiritus
sanctus detur. |
2. De plus, l’amour a raison
de premier don car c’est en lui que tous les autres sont attribués par pure
bonté. Donc puisque l’Esprit-Saint est amour, il semble qu’il ait raison de
don. Mais cela n’est possible que parce qu’Il est donné. Il semble donc que
l’Esprit-Saint lui-même soit donné. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question
2.
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lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2
arg. 1 Ulterius quaeritur circa hoc, si utrumque datur, quid per prius datur.
Et videtur quod Spiritus sanctus: quia per ipsum dantur alia, et quia habet
rationem primi doni. |
Difficulté : 1. On se demande par la suite
à ce sujet si, des deux qui sont donnés, lequel est donné en priorité. Et il
semble que ce soit l’Esprit-Saint : parce que c’est à travers Lui que
les autres dons sont donnés, et parce qu’Il a raison de premier don. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a.
1 qc. 2 s. c. 1 Sed e contrario videtur quod dona per prius. Quia dona ipsius
disponunt nos ad hoc quod ipsum habeamus. Dispositio autem prior est eo ad quod
disponit. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Mais au contraire il
semble que ce soient les dons qui sont attribués en priorité. Car ses dons
nous disposent à Le recevoir. Mais la disposition est antérieure à ce à quoi
elle dispose. Donc, etc. |
Quaestiuncula
1 |
Sous-question
1.
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lib. 1
d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod ipsemet Spiritus sanctus procedit
temporali processione, vel datur, et non solum dona ejus. Si enim
consideremus processionem Spiritus sancti ex parte ejus a quo procedit, non
est dubium quin secundum illum respectum ipsemet Spiritus sanctus
procedat. Si autem consideremus processionem secundum
respectum ad id in quo procedit, tunc, sicut dictum est, in hac dist.,
quaest. 1,
art. 1, respectus iste in Spiritu sancto ponitur, non quia ipse realiter
referatur, sed quia alterum refertur ad ipsum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que c’est l’Esprit-Saint lui-même qui procède ou qui est donné selon une
procession temporelle, et non seulement ses dons. Si en effet nous
considérons la procession de l’Esprit-Saint du côté de celui d’où Il procède,
il n’y a pas de doute que sous ce rapport c’est l’Esprit-Saint lui-même qui
procède. Mais si nous considérons la procession sous le rapport de ce en quoi
Il procède, alors, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction [quest.
1, art. 1], ce rapport est posé dans l’Esprit-Saint non pas parce que
Lui-même se rapporte réellement à autre chose, mais parce que quelque chose
d’autre se rapporte à Lui. |
Cum igitur in acceptione
donorum ipsius non solum relatio nostra terminetur ad dona, ut ipsa tantum
habeamus, sed etiam ad Spiritum sanctum, quia aliter ipsum habemus quam prius
; non tantum dicentur dona ipsius procedere in nos, sed etiam ipsemet ;
secundum hoc enim ipse dicitur referri ad nos, secundum quod nos referimur in
ipsum. Et ideo procedit ipse in nos et dona ipsius: quia et dona ejus
recipimus et per eadem ad ipsum nos aliter habemus, inquantum per dona ejus
ipsi Spiritui sancto conjungimur, [vel ille nobis add. Éd. de Parme], per
donum nos sibi assimilanti [assimilans Éd. de Parme]. |
Donc puisque dans la
réception de ses dons notre relation ne se termine pas seulement à ses dons
de sorte que nous ne posséderions que les dons eux-mêmes, mais aussi à
l’Esprit-Saint car c’est Lui-même que nous possédons d’une manière qui
est autre qu’antérieurement ; ce ne sont pas seulement ses dons dont on
dit qu’ils procèdent en nous, mais aussi Lui-même ; on dit en effet
qu’Il se rapporte à nous selon que nous nous rapportons à Lui. Et c’est
pourquoi Lui-même procède en nous avec ses dons : car en même temps que
nous recevons ses dons, par eux nous nous présentons à Lui différemment,
selon qu’au moyen de ses dons nous nous unissons à l’Esprit-Saint Lui-même
[ou Lui-même à nous add. Éd. de Parme], Lui étant rendus
semblables par le don [rendant semblable Éd. de Parme]. |
lib. 1 d. 14 q. 2
a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod cum dicitur Deus esse ubique,
importatur quaedam relatio Dei ad creaturam, quae quidem realiter non est in
ipso, sed in creatura. Contingit autem ex parte creaturae istas relationes multipliciter
etiam diversificari secundum diversos effectus quibus Deo assimilatur ; et
inde est quod significatur ut aliter se habens ad creaturam quam prius. Et
propter hoc Spiritus sanctus, qui ubique est secundum relationem aliquam
[aliquam om. Éd. de Parme] creaturae ad ipsum, potest dici de novo esse in
aliquo, secundum novam relationem ipsius creaturae ad ipsum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsqu’on dit que Dieu est partout, cela implique une
relation de Dieu à la créature qui n’existe certes pas réellement en Lui,
mais dans la créature. Il est possible cependant que ces relations, du côté
de la créature, se différencient d’après différents effets par lesquels elle
est assimilée à Dieu ; et c’est de là qu’Il est signifié comme se
présentant à la créature autrement qu’antérieurement. Et à cause de cela on
peut dire de l’Espri-Saint, qui est partout selon une certaine relation
[certaine om. Éd. de Parme] de la créature à Lui, qu’Il existe pour la
première fois dans un être d’après une nouvelle relation de la
créature elle-même à Lui. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis ille modus aliter se habendi, diversificetur
ex diversis donis receptis in creatura, tamen relatio creaturae non sistit in
donis illis, sed ulterius tendit in eum per quem illa dona dantur. Et ideo
possumus significare, nos alio modo habere Spiritum sanctum, et Spiritum
sanctum aliter a nobis haberi ; et hoc significatur cum dicitur ipsemet in nos
procedere vel nobis dari. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que cette manière d’être différente se différencie à partir des
dons différents reçus dans la créature, cependant la relation de la créature
ne s’arrête pas à ces dons, mais tend ultérieurement vers Celui par lequel
ces dons sont distribués. Et c’est pourquoi nous pouvons signifier que nous
possédons l’Esprit-Saint d’une autre manière, et que l’Esprit-Saint est
possédé par nous autrement ; et cela est signifié lorsqu’on dit de Lui
qu’Il procède en nous ou qu’Il nous est donné. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non dicitur ipsemet in nos procedere,
quia circa ipsum aliquid fiat ; sed quia ex eo quod nos ad ipsummet aliter
nos habemus, ipse potest significari sub alio respectu se habere ad nos. Et
ita dicitur in nos procedere quantum ad illum respectum quem processio ponit
ad id in quod est processio ; licet non quantum ad illum quem ponit ad id a
quo est |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’on ne dit pas de Lui qu’Il procède en nous parce que quelque chose se
produit en Lui ; mais parce que du fait que nous nous présentons
différemment à Lui, Lui-même peut être signifié sous un autre rapport comme
se présentant à nous. Et ainsi on dit de Lui qu’Il procède en nous quant à ce
rapport que la procession pose à l’égard de ce vers quoi il y a procession,
bien que ce ne soit pas quant à ce rapport qu’elle pose à l’égard de ce d’où
il y a procession. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus infusa est multo sufficientior quam
virtus acquisita, et ex ratione suae perfectionis habet quod nos maxime Deo
conjungat et assimilet ; secundum quam conjunctionem innascitur nobis novus
respectus ad Deum. Unde quanto sufficientior est, tanto magis in ipsa Spiritus
sanctus procedere dicitur et cum ipsa. Utrum autem oporteat aliquod donum
creatum dari cum spiritu sancto, erit quaestio infra, dist. 18, quaest.
unica, art. 3. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la vertu infuse est de beaucoup plus suffisante que la vertu
acquise, et c’est en raison de sa perfection qu’elle a le pouvoir de nous
unir et de nous assimiler à Dieu au plus haut point ; et c’est d’après
cette union que naît en nous un nouveau rapport à Dieu. C’est pourquoi elle
est d’autant plus suffisante que l’Esprit-Saint procède davantage en elle et
avec elle. Mais faut-il qu’un don créé soit donné avec l’Esprit-Saint, la
question sera posée plus loin [dist. 18, quest. unique, art. 3]. |
lib. 1 d. 14
q. 2 a. 1 qc. 1 ad s. c. Alia duo concedimus. |
Nous concédons les deux
autres difficultés. |
Quaestiuncula
2 |
Sous-question
2.
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lib. 1
d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod ordo
aliquorum secundum naturam potest dupliciter considerari. Aut ex
parte recipientis vel materiae ; et sic dispositio est prior quam id ad quod
disponit: et sic per prius recipimus dona Spiritus sancti quam ipsum
spiritum, quia per ipsa dona recepta spiritui sancto assimilamur. Aut ex parte agentis et finis
; et sic quod propinquius erit fini et agenti, dicitur esse prius: et ita per
prius recipimus Spiritum sanctum quam dona ejus, quia et Filius per amorem
suum alia nobis donavit. Et hoc est simpliciter esse prius. |
Corps de l’article : Il faut dire, par rapport à
ce qu’on se demande par la suite, que l’ordre de certaines choses
selon la nature peut être considéré de deux manières. Soit du côté de celui qui
reçoit ou de la matière. Et en ce sens la disposition
est antérieure à ce à quoi elle dispose : et ainsi nous recevons en
priorité les dons de l’Esprit-Saint plutôt que l’Esprit-Saint lui-même, car
c’est par les dons reçus que nous sommes assimilés à l’Esprit-Saint. Soit encore du côté de
l’agent et de la fin ; et en ce sens on dira qu’est antérieur ce qui est
le plus proche de la fin et de l’agent : et ainsi nous recevons
l’Esprit-Siant antérieurement à ses dons, car le Fils par son amour nous a
donné les autres. Et c’est là ce qui est antérieur absolument. |
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Articulus 2 : lib. 1 d.
14 q. 2 a. 2 tit. Utrum processio temporalis Spiritus sancti attendatur
secundum omnia dona. |
Article 2 – La procession temporelle de l’Esprit Saint s’étend-elle à tous les dons ? |
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lib. 1 d. 14 q. 2
a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod secundum omnia dona
processio temporalis Spiritus sancti attendatur. Omne
enim donum quod creaturae confertur, ex liberalitate divinae voluntatis
procedit. Sed ratio conferendi per liberalitatem est amor. Ergo videtur quod
secundum quaelibet dona creaturae collata, Spiritus sanctus detur vel
procedat. |
Difficultés : 1. Il semble que la
procession temporelle de l’Esprit-Saint s’étend à tous les dons. En effet,
tout don qui est conféré à la créature procède de la générosité de la volonté
divine. Mais la raison de cette prodigalité est l’amour. Il semble donc que
l’Esprit-Saint soit donné ou qu’Il procède d’après tous les dons réunis de la
créature. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2
arg. 2 Praeterea, in collatione cujuslibet doni, creatura secundum aliquem
respectum se habet ad Deum secundum quem prius non se habebat. Assimilatur
enim sibi secundum participationem illius perfectionis quam de novo a Deo
recepit. Sed hoc erat Spiritum sanctum temporaliter procedere, quod
significari Spiritum sanctum in habitudine aliqua ad creaturam, ex eo quod
creatura novo modo referebatur ad ipsum. Ergo videtur quod Spiritus sanctus etiam
secundum dona naturalia mittatur, et non tantum secundum gratum facientia. |
2. Par ailleurs, dans la
réception de tout don, la créature se présente à Dieu sous un rapport selon
lequel elle ne se présentait pas antérieurement. Elle Lui est rendue
semblable en effet d’après la participation de cette perfection qu’elle
reçoit de Dieu pour la première fois. Mais c’est là en quoi consiste la
procession temporelle de l’Esprit-Saint, à savoir d’être signifié dans un
certain rapport à la créature, du fait que la créature se rapporte à Lui pour
la première fois. Il semble donc que l’Esprit-Saint soit envoyé même d’après
les dons naturels et non seulement d’après ceux qui nous rendent agréables à
Dieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2
arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum, IV de Trinit., cap. XX, col. 906,
mitti est cognosci quod ab alio sit. Sed aliquis sine gratia gratum faciente
potest cognoscere Spiritum sanctum ab alio esse per fidem informem. Ergo
videtur quod processio temporalis non semper sit secundum donum gratum
faciens. |
3.
De plus, selon Augustin [IV De la
Trinité, ch. XX, col. 906], être envoyé c’est être connu comme venant
d’un autre. Mais quelqu’un, sans la grâce qui rend agréable à Dieu peut
connaître par la foi informe que l’Esprit-Saint vient d’un autre. Il semble
donc que la procession temporelle n’a pas toujours lieu d’après un don qui
rend agréable à Dieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2
a. 2 arg. 4 Praeterea, Rabanus, in XII, v. 11, 1 ad Cor., dicit, quod
Spiritus sanctus datus est apostolis ad operationem miraculorum. Hoc autem donum non est gratum
faciens, sed tantum gratis datum. Ergo etiam secundum haec dona potest
attendi temporalis processio Spiritus sancti. |
4. En outre, l’Apôtre [1 Corinth., ch. XII, v. 10] dit que
l’Esprit-Saint est donné aux apôtres pour opérer les miracles. Cependant ce
don ne rend pas agréable à Dieu mais il est seulement donné gratuitement.
C’est donc même à ces dons que peut s’étendre la procession temporelle de
l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 s.
c. 1 Contra, Sapient. 1, 5: Spiritus sanctus disciplinae effugiet
fictum. Quicumque autem caret gratia gratum faciente, pro
ficto habetur. Ergo in nullum talem Spiritus sanctus procedit. |
Cependant: 1. On lit au
contraire dans La Sagesse (1, 5): L’Esprit-Saint,
l’éducateur, fuit la fourberie. Mais quiconque est privé de la grâce qui
rend agréable à Dieu est tenu pour fourbe. Donc, l’Esprit-Saint ne procède en
aucune personne de cette sorte. |
lib. 1 d. 14
q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Spiritus sanctus non procedit in aliquem nisi
quem inhabitat Deus, sicut in templo suo: quia per Spiritum sanctum efficitur
quis templum Dei, 1 Corinth. 6. Sed in nullo dicitur habitare Deus nisi per
gratiam gratum facientem. Ergo secundum hoc donum tantum temporalis processio
Spiritus sancti attenditur. |
2. En outre,
l’Esprit-Saint ne procède qu’en celui que Dieu habite comme Il habite son
temple: car c’est pas l’Esprit-Saint que quelqu’un devient le temple de Dieu
[1 Corinth. 6]. Mais on ne dit que Dieu habite quelqu’un que par
la grâce qui rend agréable à Dieu. Ce n’est donc qu’à cette sorte de don que
la procession temporelle de l’Esprit-Saint s’applique. |
lib. 1
d. 14 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in exitu creaturarum a primo
principio attenditur quaedam circulatio vel regiratio, eo quod omnia
revertuntur sicut in finem in id a quo sicut a principio prodierunt. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire qu’un certain circuit et un certain retour s’applique à la sortie
des créatures du premier principe du fait que toutes les choses se
retournent, comme vers leur fin, vers celui d’où elles procèdent comme de
leur principe. |
Et ideo oportet ut per eadem
quibus est exitus a principio, et reditus in finem attendatur. Sicut igitur
dictum est, dist. 13, quaest. 1, art. 1, quod processio personarum est ratio
productionis creaturarum a primo principio, ita etiam est eadem processio
ratio redeundi in finem, quia per Filium et Spiritum sanctum sicut et conditi
sumus, ita etiam et fini ultimo conjungimur ; ut patet ex verbis Augustini,
de vera religione, LV, 113, col. 172, positis in 3 dist., ubi dicit:
Principium ad quod recurrimus, scilicet Patrem, et formam quam sequitur,
scilicet Filium, et gratiam qua reconciliamur. |
C’est pourquoi il
faut que ce soit par les mêmes choses par lesquelles a lieu la sortie du
principe que le retour tende vers la fin. Donc, tout comme nous avons dit
[dist. 13, quest. 1, art. 1] que la procession des Personnes est la cause de
la production des créatures par le premier principe, de même encore c’est la
même procession qui est la cause du retour vers la fin, car tout comme c’est
par le Fils et l’Esprit-Saint que nous sommes fondés, de même encore c’est
par eux que nous sommes rattachés à la fin ultime; c’est là
ce qu’on voit par les paroles d’Augustin [De la Vraie Religion, LV,
113, col. 172] présentées dans la distinction 3, où il dit: le Principe vers
lequel nous retournons, à savoir le Père, et la forme qui est poursuivie, à
savoir le Fils, et la grâce par laquelle nous sommes réconciliés. |
Et Hilarius
dicit infra 31 dist.: Ad unum initiabile omnium initium per Filium universa
referimus. Secundum hoc ergo processio divinarum personarum in creaturas
potest considerari dupliciter. Aut inquantum est ratio
exeundi a principio ; et sic talis processio attenditur secundum dona
naturalia, in quibus subsistimus, sicut dicitur a Dionysio, IV de div. nom.,
cap. IV, col. 694, divina sapientia vel bonitas in creaturas procedere. Sed de
tali processione non loquimur hic. |
Et Saint-Hilaire dit plus
loin dans la distinction 31 : C’est à un unique pouvoir de
commencement de tous les commencements par le Fils que nous
rapportons toutes les choses. C’est donc conformément à cela que la
procession des Personnes divines dans les créatures peut être considérée de
deux manières. Soit en tant qu’elle est la
notion de la sortie du principe et en ce sens une telle procession s’applique
aux dons naturels dans lesquels nous subsistons ainsi que le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. IV, col. 694] lorsqu’il affirme que la sagesse et la
bonté divines procèdent dans les créatures. Mais nous ne parlons pas ici de
cette procession. |
Potest etiam attendi
inquantum est ratio redeundi in finem, et est secundum illa dona tantum quae
proxime conjungunt nos fini ultimo, scilicet Deo, quae sunt gratia gratum
faciens et gloria, et de ista processione loquimur hic. Sicut enim in
generatione naturali generatum non conjungitur generanti in similitudine
speciei nisi in ultimo generationis, ita etiam in participationibus divinae
bonitatis non est immediata conjunctio ad Deum per primos effectus quibus in
esse naturae subsistimus, sed per ultimos quibus fini adhaeremus ; et ideo
concedimus, Spiritum sanctum non dari nisi secundum dona gratum facientia. |
Mais elle peut aussi
s’entendre comme la notion du retour vers la fin et alors la procession n’a
lieu que selon ces seuls dons qui nous rattachent intimement à la fin ultime,
c’est-à-dire à Dieu, et qui sont la grâce et la gloire qui nous rendent
agréables à Dieu, et c’est de cette procession que nous parlons ici. En
effet, tout comme dans la génération naturelle ce qui est engendré n’est
rattaché à celui qui engendre dans la ressemblance de l’espèce qu’à la fin de
la génération, de même encore dans les participations de la bonté divine il
n’y a pas une union immédiate à Dieu au moyen des premiers effets par
lesquels nous subsistons dans l’existence de la nature, mais au moyen des
derniers grâce auxquels nous sommes unis à la fin ; et c’est pourquoi
nous concédons que l’Esprit-Saint n’est donné que selon les dons qui nous
rendent agréables à Dieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in collatione donorum naturalium
vel gratis datorum attendatur magna liberalitas, tamen perfectio
liberalitatis attenditur in his quae ultimae perfectioni conjungunt: et ista
sunt quae immediate ordinant nos in finem ; et ideo secundum ista dona
praecipue Spiritus sancti processio attenditur |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que dans la réunion des dons naturels ou de ceux qui
sont donnés gratuitement on remarque une grande libéralité, cependant la
perfection de la libéralité se remarque dans ceux qui unissent à la
perfection ultime : et ces dons sont ceux qui nous ordonnent
immédiatement à la fin ; et c’est pourquoi la procession de
l’Esprit-Saint s’étend surtout d’après ces dons. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod in processione Spiritus, secundum quod hic
loquimur, prout scilicet claudit in se dationem Spiritus sancti, non sufficit
quod sit nova relatio, qualiscumque est, creaturae ad Deum ; sed oportet quod
referatur in ipsum sicut ad habitum: quia quod datur alicui habetur aliquo
modo ab illo. Persona autem divina non potest haberi a nobis nisi vel ad
fructum perfectum, et sic habetur per donum gloriae ; aut secundum fructum
imperfectum, et sic habetur per donum gratiae gratum facientis ; vel potius
sicut id per quod fruibili conjungimur, inquantum ipsae personae divinae
quadam sui sigillatione in animabus nostris relinquunt quaedam dona quibus
formaliter fruimur, scilicet amore et sapientia ; propter quod Spiritus
sanctus dicitur esse pignus hereditatis nostrae. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans la procession de l’Esprit dont nous parlons ici, c’est-à-dire
dans la mesure où elle enferme en elle le don de l’Esprit-Saint, il ne suffit
pas qu’il y ait une nouvelle relation, quelle qu’elle soit, de la créature à
Dieu, mais il faut qu’elle se rapporte à Lui comme à ce qui est
possédé : car ce qui est donné à l’un se trouve à être possédé de quelque
manière par ce dernier. Mais la personne divine ne peut être possédée par
nous que pour une jouissance parfaite et ainsi elle est possédée par le don
de la gloire, ou selon une jouissance imparfaite et ainsi elle est possédée
par le don de la grâce qui rend agréable à Dieu ; ou de préférence elle
est possédée comme ce par quoi nous sommes unis à l’objet de la jouissance,
selon que les personnes divines elles-mêmes déposent en nos âmes certains
dons par lesquels nous jouissons formellement, c’est-à-dire de l’amour et de
la sagesse ; c’est à cause de cela que nous disons de l’Esprit-Saint
qu’il est le gage de notre héritage. |
lib. 1 d. 14 q. 2
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non qualiscumque cognitio sufficit ad
rationem missionis, sed solum illa quae accipitur ex aliquo dono appropriato
personae, per quod efficitur in nobis conjunctio ad Deum, secundum modum
proprium illius personae, scilicet per amorem, quando Spiritus sanctus datur.
Unde cognitio
ista est quasi experimentalis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que ce n’est pas n’importe quelle connaissance qui remplit la notion de
mission, mais seulement celle qui est reçue à partir d’un don approprié à la
personne et par lequel est produite en nous l’union à Dieu selon le mode
propre de cette personne, c’est-à-dire par l’amour, quand l’Esprit-Saint est
donné. C’est pourquoi cette connaissance est comme expérimentale. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quamvis operatio virtutum non sit donum gratum
faciens, tamen cum dono gratum faciente conferri potest. Et quia apostoli hoc
donum non sine gratia gratum faciente acceperunt, ideo dicuntur temporaliter
accepisse Spiritum sanctum in collatione hujus doni. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que l’opération des vertus ne soit pas un don qui rend agréable
à Dieu, cependant elle peut être donnée avec le don qui rend agréable à Dieu.
Et parce que les apôtres n’ont pas reçu ce don sans la grâce qui rend
agréable à Dieu, c’est pourquoi on dit qu’ils ont reçu temporellement
l’Esprit-Saint en union à ce don. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [Par qui la procession temporelle de l’Esprit Saint est-elle faite ?] |
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Articulus 1 lib. 1 d. 14 q. 3
a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus detur a viris sanctis ; |
Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné par les saints ? |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
arg. 1 Deinde quaeritur a quo Spiritus sanctus procedit: et quaeritur hic,
utrum Spiritus sanctus detur a sanctis viris ; alia enim quae ad hanc
inquisitionem pertinent, infra dicentur, dist. 16, quaest. unica, art. 2. Videtur
autem quod sancti viri Spiritum sanctum dare possunt. Remissio enim
peccatorum non fit nisi per Spiritum sanctum. Sed sancti viri possunt
remittere peccata, Joan. 20, 23: Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis.
Ergo videtur quod possunt dare Spiritum sanctum. |
Difficultés : 1. On se demande ensuite de
qui l’Esprit-Saint procède : et on se demande ici si l’Esprit-Saint est
donné par des hommes saints. En effet, les autres choses qui appartiennent à
cette recherche seront exposées plus loin [dist. 16, quest. unique, art. 2].
Il semble cependant que des hommes saints peuvent donner l’Esprit-Saint. En
effet, la rémission des péchés n’est réalisée que par l’Esprit-Saint. Mais
les hommes saints peuvent remettre les péchés [Jean, 20,
23] : Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront
remis. Il semble donc que les hommes saints peuvent donner
l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
arg. 2 Praeterea, gratia Spiritus sancti est sicut lumen spirituale. Sed unum
corpus illuminatum lumine corporali potest et aliud illuminare. Ergo et unus
existens in gratia potest alteri gratiam conferre. |
2. De plus, la grâce
de l’Esprit-Saint est comme une lumière spirituelle. Mais un corps
illuminé par une lumière corporelle peut en illuminer un autre. Donc, celui qui
existe dans la grâce peut conférer la grâce à un autre. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
arg. 3 Praeterea, qui dat occasionem damni, damnum dedisse videtur. Ergo qui
facit aliquid, quo facto confertur gratia Spiritus sancti, videtur gratiam
Spiritus sancti conferre. Sed ministri Ecclesiae sacramenta dispensant, in
quibus gratia Spiritus sancti datur. Ergo videtur quod Spiritum sanctum dare
possint. |
3. En outre, celui qui donne
l’occasion d’un tort semble avoir donné le tort. Donc celui qui fait quelque
chose, et par l’action de qui la grâce de l’Esprit-Saint est conférée,
celui-là semble avoir conféré la grâce de l’Esprit-Saint. Mais les ministres
de l’Église distribuent les sacrements dans lesquels la grâce de
l’Esprit-Saint est donnée. Il semble donc qu’ils peuvent donner
l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
s. c. 1 Contra, dans nunquam est inferior eo quod datur. Sed quilibet
minister Ecclesiae est inferior Spiritu sancto, et quasi instrumentum ipsius.
Ergo nullus talis Spiritum sanctum dare potest. |
Cependant : 1. Au contraire, celui qui
donne n’est jamais inférieur à ce qui est donné. Mais tout ministre de
l’Église est inférieur à l’Esprit-Saint et en est comme l’instrument. Donc,
aucun d’eux ne peut donner l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
s. c. 2 Praeterea, Spiritus sanctus non datur nisi in gratia gratum
faciente. Gratiam autem talem nulla creatura conferre potest.
Ergo nec Spiritum sanctum. Probatio mediae. Nullum infinitum potest esse a potentia
finita. Gratia autem habet quamdam virtutem infinitam, inquantum scilicet
ipsi Deo qui est infinitus, conjungit. Ergo cum omnis
potentia creaturae sit finita, gratia gratum faciens a nulla creatura
conferri potest. |
2. Par ailleurs,
l’Esprit-Saint n’est donné que dans la grâce sanctifiante. Mais aucune créature
ne peut conférer une telle grâce. Donc, aucune créature ne peut donner
l’Esprit-Saint. Preuve de la mineure : Rien d’infini ne peut venir
d’une puissance finie. Mais la grâce possède une puissance infinie,
c’est-à-dire en tant qu’elle unit à Dieu qui est infini. Donc, puisque toute
puissance qui se trouve dans la créature est finie, aucune créature ne peut
conférer la grâce sanctifiante. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
co. Respondeo dicendum, quod nulla creatura potest dare Spiritum sanctum, sed
solus Deus. Cum enim in processione temporali, ut dictum est, duo sint ;
scilicet respectus aeternus, quo Spiritus sanctus exit a Patre et Filio, et
respectus temporalis qui consurgit ex eo quod creatura per donum susceptum
novo modo se habet ad ipsum: constat quod neutro modo potest ab aliqua
creatura processio temporalis Spiritus sancti intelligi: quod enim a nulla
creatura Spiritus sanctus procedat secundum relationem aeternam, nulli dubium
est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’aucune créature ne peut donner l’Esprit-Saint et que seul Dieu le peut. En
effet, ainsi que nous l’avons dit, puisqu’il y a deux choses à considérer
dans la procession temporelle, à savoir un rapport éternel par lequel
l’Esprit-Saint provient du Père et du Fils, et un rapport temporel qui
provient du fait que la créature se présente à Dieu d’une nouvelle manière
par le don reçu : il est clair que la procession temporelle de
l’Esprit-Saint ne peut être comprise d’aucune de ces manières par une
créature : en effet, personne ne doute que l’Esprit-Saint ne procède
d’aucune créature selon la relation éternelle. |
Similiter etiam nulla creatura
gratiam gratum facientem, in qua sola Spiritus sanctus datur, conferre
potest. Cujus ratio potest dupliciter assignari. |
De la même manière aussi
aucune créature ne peut conférer la grâce sanctifiante qui est la seule dans
laquelle l’Esprit-Saint est donné. Et la raison peut en être donnée de deux
manières. |
Primo, quia cum omnis operatio
creaturae praesupponat potentiam materiae, impossibile est quod aliqua
creatura aliquam formam producat in esse, quae non educitur de potentia
materiae: et inde est quod anima rationalis a solo Deo creatur. Et quia
gratia gratum faciens elevat hominem supra totum esse naturae, inquantum
elicit actum et ordinat in finem in quem natura per sua principia attingere
non potest ; non est perfectio educta de potentia materiae ; et ideo a solo
Deo confertur |
Premièrement, parce que toute
opération de la créature présuppose la puissance de la matière,
il est impossible qu’une créature fasse exister une forme qui ne
soit pas tirée de la puissance de la matière : et c’est pourquoi l’âme
rationnelle n’est créée que par Dieu. Et parce que la grâce sanctifiante
élève l’homme au-dessus de la totalité de son existence naturelle selon
qu’elle engage l’acte et l’ordonne à une fin que la nature ne peut atteindre
par ses seuls principes, et que la perfection n’est pas tirée d’une puissance
de la matière, c’est pourquoi elle n’est conférée que par Dieu. |
Alia ratio potest esse, quia
cum omnis actio sit secundum aliquam similitudinem in per se agentibus,
secundum quod videtur quod unumquodque agit sibi simile ; oportet, si aliqua
perfectio acquisita in aliquo immediate conjungat alicui sicut similitudo
ipsius, quod immediate ab ipso producatur. Et quia per gratiam efficimur ipsi
Deo conjuncti, et non mediante aliqua creatura ; ideo oportet quod gratia
immediate a Deo in nos procedat. |
On peut présenter une
deuxième raison car puisque toute action est produite d’après une
certaine ressemblance chez les agents par soi, selon qu’on voit que chacun
fait ce qui lui est semblable ; il faut, si une perfection acquise dans
un être l’unit immédiatement à un autre comme sa ressemblance, que cet être
soit produit immédiatement par lui. Et parce que par la grâce nous sommes
unis à Dieu lui-même et non par l’intermédiaire d’une créature, c’est
pourquoi il faut que la grâce procède immédiatement de Dieu en nous. |
Tertia ratio potest etiam sumi
ex virtute ipsius gratiae, ex qua eliciuntur in nobis actus meritorii, qui
ducunt in infinitum bonum, sicut objectio tangit ; et ex eo quod in omnibus
agentibus ordinatis per modum agentis et instrumenti, ultima perfectio
attribuitur primo agenti ; sicut forma substantialis non est per calorem
ignis, qui est quasi instrumentum, sed per virtutem caelestem. |
Une troisième raison peut
encore se tirer de la puissance de la grâce elle-même, à partir de laquelle
sont obtenus en nous les actes méritoires qui conduisent à un bien infini,
comme une objection l’indique ; et du fait que dans tous les agents qui
sont ordonnés à la manière d’un agent et de son instrument la perfection
ultime est attribuée à l’agent premier comme c’est le cas pour la forme
substantielle qui n’est pas d’abord produite par la chaleur du feu qui est comme
un instrument, mais par la puissance céleste. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ministri Ecclesiae non remittunt peccata
auctoritate, vel per modum efficientis ; sed solus Deus, qui dicit Isa. 43,
25: Ego sum qui deleo iniquitates tuas propter me. Remittunt autem per modum
ministerii: et ideo etiam possunt dici ministri collationis Spiritus sancti,
sed non datores, quia hoc importat auctoritatem. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que les ministres de l’Église ne remettent pas les péchés de leur propre
autorité ou par mode de cause efficiente, mais seul Dieu le fait lorsqu’il
dit [Isa. 43, 25] : C’est moi, moi, qui efface tes crimes par
égard pour moi. Mais les ministres ne remettent les péchés que par mode de
ministère : et c’est pourquoi on peut encore dire à leur sujet qu’ils
sont les ministres de la communication de l’Esprit-Saint et non ses donateurs
car cela implique autorité. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod lumen spirituale est nobilius et potentius quam lumen
corporale, et ex sua dignitate habet quod a nullo creato potest produci,
sicut et anima rationalis, ut dictum est, in corp. hujus art. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la lumière spirituelle est plus noble et plus puissante que la lumière
corporelle, et c’est de sa dignité qu’elle tient de ne pouvoir être produite
par aucune créature, comme c’est le cas pour l’âme rationnelle, ainsi que
nous l’avons dit dans le corps de cet article. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ille qui dat occasionem damni, videtur damnum fecisse
interpretative, sed non proprie ; et tamen qui dat occasionem damni, facit
aliquid proportionatum et sufficiens ad hoc quod damnum sequatur. Sed nulla
operatio ministri in se considerata, prout exit a ministro, est proportionata
et sufficiens ut sequatur Spiritus sancti donatio ; sed solum hoc habet ex
divina institutione et dignatione ; et ideo tota causalitas in Deum refertur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que celui qui donne l’occasion d’un tort semble avoir produit le tort en
un sens mais non à proprement parler ; et cependant celui qui donne
l’occasion du tort fait quelque chose qui est proportionné au tort et qui
suffit à entraîner le tort. Mais aucune opération d’un ministre, considérée
en elle-même, en tant qu’elle provient d’un ministre, n’est proportionnée à
la donation de l’Esprit-Saint et ne suffit à l’entraîner ; mais elle ne
tient cela que de la seule institution divine et de son excellence ; et
c’est pourquoi la causalité de la donation de l’Esprit-Saint doit être
totalement rapportée à Dieu. |
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Distinctio 15 |
Distinction 15 – [La mission en Dieu] |
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Prooemium |
Prologue15 |
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Question 1 Article 1 La mission
convient-elle aux Personnes divines ? Article 2 La mission
signifie-t-elle une notion ? Question 2 Article 1. La
mission convient-elle à toutes les personnes ? Question 3 Article 1 Est-ce qu’une
personne s’envoie ou se donne-t-elle elle-même ? Article 2 L’Esprit Saint
envoie-t-il ou donne-t-il le Fils ? Question 4 Article 1 Le Fils est-il
envoyé invisiblement dans l’esprit[12] ? Article 2 La mission du Fils
se distingue-t-elle de celle de l’Esprit Saint ? Article 3 La mission peut-elle
être éternelle ? Question 5 Article 1 La mission est-elle
faite pour les créatures sans raison ? qc. 2. Le Fils et l’Esprit
Saint sont-ils envoyés à tous les saints[13] ? qc. 3. Y a-t-il une mission
pour les anges ? qc. 4. Une mission peut-elle
être faite pour le Christ en tant qu’homme ? Article 2 La mission
invisible a-t-elle été plus complète après l’Incarnation ? Article 3 Par la mission
invisible se fait-il que nous ne sommes plus en ce monde ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Qu’est ce que la mission des Personnes divines ?] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis de tribus
quaeritur: primo de missione secundum
se. Secundo de ipsa ex parte
missi. Tertio de eadem ex parte
mittentis. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum missio aut datio conveniat divinis
personis ; 2 quid significet, utrum essentiam, vel
notionem. |
Pour comprendre cette partie,
on s’interroge sur trois points : Premièrement sur la mission
en elle-même. Deuxièmement sur la mission
prise du côté de celui qui est envoyé. Troisièmement sur la mission
prise du côté de celui qui envoie. Et au sujet du premier point
on se demande deux choses : 1. Est-ce que la mission ou
la donation convient aux personnes divines ? 2. Cette mission
signifie-t-elle l’essence ou la notion ? |
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Articulus 1 [1082] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
1 a. 1 tit. Utrum missio conveniat divinis personis |
Article 1 – La mission convient-elle aux Personnes divines ? |
[1083] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod missio
non conveniat divinis personis. Missio enim videtur dicere quamdam loci
mutationem, secundum quod dicimus nuntium mitti ad aliquem locum. Sed divinis personis, quae ubique sunt, non
convenit aliqua loci mutatio. Ergo nec missio. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
ne convienne pas aux personnes divines. La mission en effet semble signifier
un changement de lieu selon que nous disons du messager qu’il est envoyé vers
un lieu. Mais aux personnes divines qui sont partout, on ne peut
attribuer un changement de lieu, ni par conséquent une mission. |
[1084] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg.
2 Praeterea, super illud Ezech., 16, 53: Convertens restituam eos
conversione Sodomorum cum filiabus suis, et conversione Samariae et filiarum
ejus ; dicit Hieronymus: « Quod conjunctum est et in uno
corpore copulatum, mitti non potest ». Sed una persona conjuncta est alii
majori unione quam aliqua copulatio corporalis. Ergo una persona non potest
mitti ab alia. |
2. Par ailleurs, sur ce
passage d’Ézéchiel (16, 53) : ………., Saint-Jérôme
dit : Ce qui vous est uni et conjoint dans un seul et même corps
ne peut être envoyé. Mais une personne est unie à une autre
par une union plus grande que l’union corporelle. Donc, une Personne ne peut
être envoyée par une autre. |
[1085] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg.
3 Item, nihil pertinens ad inferioritatem potest dici de una persona respectu
alterius, cum non sint gradus in Trinitate ; unde dicit Damascenus, lib.
III, Fid orthod., cap. XIV, col. 1042, quod Christus non est
obediens Patri nisi secundum quod homo. Missio autem et datio videntur
importare quamdam inferioritatem in misso et dato. Ergo neutrum convenit
divinae personae. |
3. En outre, rien d’inférieur
par rappport à une autre ne peut être attribué à une
personne puisqu’il n’y a pas de degrés parmi les Personnes de la
Trinité ; c’est pourquoi Damascène [111, De la Foi Orthodoxe,
ch. XIV, col. 1042] dit que le Christ n’obéit à son Père qu’en
tant qu’Il est homme. Mais la mission et la donation semblent
impliquer une certaine infériorité dans celui qui est envoyé
et donné. Donc, ni l’un ni l’autre ne convient à la Personne
divine. |
[1086] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg.
4 Item, constat quod divina persona est in infinitum dignior quam aliquis
Angelus. Sed Angeli superiores qui sunt assistentes, secundum Dionysium,
XIII, Caelest. Hierar., col. 299, non mittuntur ad nos propter suam
dignitatem. Ergo multo minus divinae personae mittuntur. |
4. De plus, il est
clair qu’une Personne divine est infiniment plus digne qu’un Ange. Mais les
Anges supérieurs qui sont des assistants d’après Denys [XIII De la
Hiérarchie Céleste, col. 299], ne sont pas envoyés vers nous
en raison de leur dignité. Donc, à bien plus forte raison les personnes
divines ne sont pas envoyées. |
[1087] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 s.
c. 1 In contrarium autem sunt plurimae auctoritates canonis et sanctorum, ut
in littera. |
Cependant : Un grand nombre d’autorités
du canon et de saints affirment le contraire, comme on le voit dans le
document. |
[1088] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod missio vel datio ratione
suae significationis dicit exitum alicujus ut missi ab aliquo sicut a
mittente, et ad aliquem terminum. Iste autem exitus in creaturis est secundum
distantiam corporalem missi a mittente, et in comparatione ad terminum ponit
in misso esse ubi non fuit prius. Quia autem omnis imperfectio amovenda est
ab his quae in divinam praedicationem veniunt, ideo missio in divinis
intelligitur non secundum exitum localis distantiae, nec secundum aliquam
novitatem advenientem ipsi misso, ut sit ubi prius non fuerat ; sed secundum
exitum originis ab aliquo ut a principio, et secundum novitatem advenientem
ei ad quem fit missio, ut novo modo persona missa in eo esse dicatur. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire que le mission ou la donation en raison de sa signification dit la
sortie de quelqu’un à titre d’envoyé de la part de quelqu’un qui
envoie vers un certain terme. Mais chez les créatures cette sortie s’opère
d’après une distance corporelle entre celui qui est envoyé et celui qui
envoie, et par rapport au terme elle pose chez celui qui est envoyé d’être en
un lieu où il n’était pas antérieurement. Mais parce que toute imperfection
doit être écartée de ce qui est attribué aux personnes divines, c’est
pourquoi la mission, en tant qu’elle s’applique à Dieu, doit s’entendre non
pas d’après une sortie qui implique une distance dans le lieu, ni selon
une nouveauté qui arrive à celui-là même qui est envoyé de sorte qu’il serait
là où il n’était pas avant, mais d’après une sortie d’origine de
quelqu’un comme de son principe, et d’après une nouveauté qui arrive à celui
à qui est ordonnée la mission comme terme, de telle manière qu’on dise que la
personne envoyée est en lui d’une nouvelle manière. |
Ex quo patet quod missio de ratione sui differt
a processione et datione. Processio enim, inquantum processio, dicit realem distinctionem
et respectum ad principium a quo procedit, et non ad aliquem terminum. Datio
autem non importat distinctionem dati a principio a quo datur, quia idem
potest dare seipsum ; sed tantum ab eo cui datur, ut supra dictum est,
dist. 14,
qu. 2, art. 1. Sed missio ponit distinctionem in misso et ad principium et ad
terminum. Et ideo cum dicitur Spiritus sanctus mitti, includitur in
significatione missionis uterque respectus, scilicet temporalis et aeternus ;
aeternus prout a Patre et Filio procedit ; et temporalis prout significatur
in habitudine ad creaturam, quae novo modo ad ipsum se habet. |
D’où il est clair
que la mission de par sa notion diffère de la procession et de la donation.
La procession en effet, en tant que procession, dit une distinction réelle et
un rapport au principe d’où elle procède et non un rapport à un terme. Mais
la donation n’implique pas une distinction entre ce qui est donné et le
principe duquel il est donné, car un même être peut se donner lui-même, mais
elle implique une distinction entre ce qui est donné et celui auquel se fait
le don, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 14, quest. 2, art. 1].
Mais la mission pose une distinction de l’envoyé à la fois à l’égard du
principe et du terme. Et c’est pourquoi, lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint est
envoyé, les deux rapports sont compris dans la signification de la mission, à
savoir celui qui est temporel et celui qui est éternel: éternel en tant
qu’elle procède du Père et du Fils, temporel en tant que la mission est
signifiée dans son rapport à la créature qui se présente à l’Esprit-Saint
d’une nouvelle manière. |
[1089] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Spiritus sanctus, qui ubique est, non
possit esse ubi non fuerat, loci mutatione circa ipsum intellecta ; tamen
potest esse aliquo modo quo prius non fuerat, mutatione facta circa illud in
quo esse dicitur ; et in hoc salvatur ratio missionis. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que bien que l’Esprit-Saint, qui est partout, ne puisse être là où il
n’était pas auparavant par un changement de lieu étant pris comme lui
appartenant, cependant il peut être selon un mode par lequel il
n’était pas avant grâce à un changement produit sur la chose même dans
laquelle on dit qu’Il est ; et c’est en cela que se conserve la notion
de mission. |
[1090] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod Glossa Hieronymi intelligitur de missione
creaturae quae fit per loci mutationem, quae non potest esse nisi ejus quod
localiter separatur. Ad divinam autem missionem sufficit distinctio
personarum in essentiae unitate. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que la somme de Saint-Jérôme doit ici s’entendre de la mission
de la créature qui s’opère par un changement de lieu et qui ne peut avoir
lieu que pour celui qui s’éloigne d’un lieu. Mais la distinction des
Personnes dans l’unité de l’essence suffit à conserver la mission divine. |
[1091] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod obedientia est proprie respectu praecepti, quod
proprie ad dominium pertinet. Unde patet quod obedientia gradum importat
dignitatis. Unde non potest dici de persona Filii vel Spiritus sancti
secundum divinitatem. Mittere autem non ponit gradum dignitatis, sed
auctoritatem principii in uno, respectu alterius qui ab illo exit: et iste
ordo est in divinis personis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’obéissance se rapporte proprement au commandement qui appartient
en propre au Seigneur. C’est pourquoi il est clair que l’obéissance implique
un degré de dignité. Et c’est pourquoi elle ne peut se dire de la
personne du Fils ou de l’Esprit-Saint sous le rapport de la
divinité. Mais la mission ne pose pas un degré de dignité, mais l’autorité
d’un principe dans un être par rapport à un autre qui sort de lui : et
cet ordre existe dans les Personnes divines. |
[1092] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod non secundum eamdem rationem missio dicitur de
Angelo et de divina persona. Angelus enim missus localiter movetur, cum sit
ubi prius non fuerat: quia cum sunt in caelo, non sunt in terra. Unde missio
talis aliquam indignitatem vel inferioritatem gradus ponit circa missum. Non
autem missio divinae personae a qua omnino loci mutatio excluditur. Et
praeterea effectus ille ad quem est missio personae divinae etiam immediate
est ab ipsa persona, scilicet gratia gratum faciens, ut dictum est,
dist. 14,
qu. 2, art. 2. Effectus autem superiorum Angelorum efficitur in nos
mediantibus inferioribus Angelis, secundum Dionysium, caelest.
Hier., cap. XIII, § 3, col. 299, et ideo non dicuntur ipsi
superiores Angeli ad nos mitti, sed inferiores, qui circa nos immediate
operantur ; sicut etiam nec missio divinae personae est secundum illas
perfectiones quas creatura a Deo recipit, agente aliqua media creatura. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu que ce n’est pas d’après la même notion qu’on parle
de la mission de l’Ange et de celle de la Personne divine. En effet, l’Ange
qui est envoyé se meut localement, puisqu’il est là où il n’était pas avant:
car alors même qu’ils sont dans le ciel, ils ne sont pas sur la terre. C’est
pouquoi une telle mission pose une indignité ou une infériorité de degré sur
celui qui est envoyé. Ce qui n’est pas le cas pour la mission de la personne
divine de laquelle tout changement de lieu est absolument exclu.
Et de plus cet effet auquel la mission de la personne divine est ordonné, à
savoir la grâce sanctifiante, est immédiatement produit par la Personne
elle-même, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 14, quest. 2, art. 2].
Mais les effets des Anges supérieurs sont produits en
nous par l’intermédiaire des Anges inférieurs d’après Denys [De la
Hiérarchie Céleste, ch. XIII, & 3, col. 299], et c’est pourquoi on ne
dit pas des Anges supérieurs qu’ils sont envoyés vers nous, mais on le dit
seulement des Anges inférieures qui agissent immédiatement sur nous; tout
comme aussi la mission de la Personne divine, d’après ces
perfections que la créature reçoit de Dieu, ne se fait pas par l’action d’une
créature intermédiaire. |
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Articulus 2 [1093] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
1 a. 2 tit. Utrum missio significet notionem |
Article 2 – La mission signifie-t-elle une notion ? |
[1094] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio
significet notionem. Dicit enim Beda in quadam Homil., quod missio Spiritus
sancti est ejus processio. Sed processio est notionale. Ergo et missio. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
signifie une notion. Bède dit en effet dans une de ses homélies
que la mission de l’Esprit-Saint est sa procession. Mais la procession est
notionnelle. Donc la mission l’est aussi. |
[1095] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg.
2 Praeterea, quidquid importat originem in divinis, est notionale: quia
essentia divina non originatur, nec aliquam personam originat. Missio autem, ut dictum
est, in art. antec., importat exitum originis ab alio sicut a
principio. Ergo est
notionale. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
implique une origine en Dieu est notionel : car l’essence divine n’a pas
d’origine et ne donne pas son origine à une Personne. Mais la mission, ainsi
que nous l’avons dit dans l’article précédent, implique, sous le rapport de
l’origine, une sortie d’un autre comme d’un principe. Elle est donc
notionnelle. |
[1096] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg.
3 Contra, secundum Dionysium, De div. nom., cap. II, col. 615, omne
nomen connotans effectum aliquem in creatura, dictum de Deo pertinet ad
communitatem essentiae. Sed missio importat effectum aliquem in creatura, ut
dictum est. Ergo significat
essentiam. |
3. Au contraire, selon Denys
[Les Noms Divins, ch. 11, col. 615], tout nom qui signifie un effet
dans la créature, dit de Dieu, relève de la communauté de
l’essence. Mais la mission implique un effet dans la créature, ainsi que
nous l’avons dit. Elle signifie donc l’essence. |
[1097] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg.
4 Praeterea, nulla notio communis est Filio et Spiritui sancto. Sed missio
communis est utrique: uterque enim legitur missus, ut in Littera dicitur.
Ergo missio non dicit aliquam notionem. |
4. De plus, aucune notion
n’est commune au Fils et à l’Esprit-Saint. Mais la mission est commune aux
deux : chacun des deux en effet est choisi comme envoyé, ainsi qu’on le
dit dans le document. Donc la mission ne dit pas ne notion. |
[1098] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quaedam nomina sunt in
divinis quae significant tantum personam, ut Pater et Filius ; quaedam quae
tantum significant essentiam, sicut hoc nomen essentia ; quaedam quae
significant utrumque, sicut dictum est, dist. 7, qu. 1, art. 1, de potentia generandi et spirandi. Et
ita dico, quod missio est et essentiale et notionale, secundum aliud et
aliud. Secundum enim respectum quem importat missio ad suum principium, est notionale
; secundum autem respectum quem importat ad effectum in creatura, est
essentiale. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a certains noms qui à l’égard de Dieu signifient seulement la
personne, comme Père et Fils ; il y en a d’autres qui signifient
seulement l’essence, comme ce nom, ¨essence¨ ; mais il y en a d’autres
qui signifient les deux, ainsi que nous l’avons dit [dist. 7, quest. 1, art.
1] au sujet de la puissance de génération et de la puissance de spiration. Et
ainsi je dis que la mission est à la fois essentielle et notionnelle, mais
sous des rapports différents. En effet, selon le rapport que la mission
implique à son principe, elle est notionnelle ; mais sous le rapport que
la mission implique à l’effet qu’elle produit dans la créature, elle est
essentielle. |
Sed circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod principaliter
significat notionem, et ex consequenti essentiam secundum effectum
connotatum. Alii dicunt e converso ; et hoc mihi videtur
verius esse, considerata virtute vocabuli. Missio enim secundum rationem sui
nominis non dicit exitum ab aliquo sicut a principio a quo missio esse habet
; sed solum in ordine ad effectum missionis ponitur auctoritas alicujus ad
missum. Servus enim qui mittitur a domino, non exit ab ipso secundum suum
esse, sed sicut a principio movente ipsum per imperium ad hunc actum. |
Mais à ce sujet il
y a deux opinions. Certains en effet
disent que la mission signifie principalement une notion et par conséquent
l’essence d’après l’effet qui lui est rattaché. Mais d’autres disent
le contraire et cela me semble plus près de la vérité si on considère la
puissance du mot lui-même. La mission en effet, d’après la signification du
nom, ne dit pas la sortie d’un être comme du principe par lequel la mission
tient son existence, mais c’est seulement dans le rapport à l’effet de la
mission que l’autorité de quelqu’un est posée à l’égard de celui qui est
envoyé. En effet, l’esclave qui est envoyé par le seigneur ne sort pas de lui
quant à son existence mais comme d’un principe qui le meut à cet acte par un
commandement. |
Sed quia in divinis personis non potest esse
auctoritas respectu missi, nisi secundum originem essendi, ideo ex
consequenti importatur relatio originis in missione, secundum quam est notionale
; et principaliter importatur ordo ad effectum missionis secundum quem est
essentiale. Sed in processione temporali est e converso: quia processio
secundum notionem suam, prout sumitur in divinis, dicit exitum a principio
originante, et non dicit ordinem ad effectum nisi ex consequenti ; scilicet
quantum ad modum processionis, [qui est temporalis add. Éd. de Parme],
ut dictum est, art. antec. Et ideo processio temporalis videtur esse
principaliter notionale, et ex consequenti significare essentiam ratione
connotati effectus. [Dico autem, quod hic accedit plus Éd. de Parme].
Datio autem accedit adhuc plus ad essentiam quam missio, ut patet ex dictis. |
Mais parce que dans les
Personnes divines il ne peut y avoir une autorité par rapport à celui qui est
envoyé que d’après l’origine de l’existence, c’est pourquoi par conséquent la
relation d’origine est impliquée dans la mission et d’après laquelle la
mission est notionnelle ; et principalement c’est le rapport à l’effet
de la mission qui est impliqué et d’après lequel la mission est
essentielle. Mais dans la procession temporelle c’est l’inverse : car la
procession selon sa notion, si on la prend dans les personnes divines, dit
une sortie d’un principe d’origine et ne dit pas un rapport à un effet si ce
n’est comme conséquence, c’est-à-dire quant à la modalité de la procession,
[qui est temporelle add. Éd. de Parme] ainsi que nous l’avons dit
dans l’article précédent. Et c’est pourquoi la procession temporelle semble
être principalement notionnelle et par conséquent signifier l’essence en
raison de l’effet qui lui est rattaché. [Mais je dis qu’ici s’approche
davantage Éd. de Parme]. Mais la donation s’approche encore
davantage de l’essence que la mission ainsi qu’on le voit en partant de ce
qui a été dit. |
[1099] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 ad 1
Et per hoc patet solutio ad tria prima argumenta. |
Solutions: 1. Suite à cela, la
solution aux trois premières difficultés est évidente. |
[1100] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 ad 4
Ad quartum dicendum, quod notio potest significari in divinis dupliciter: aut
proprie, sicut paternitas vel innascibilitas ; aut communiter, sicut esse ab
alio vel a quo est alius ; et hoc modo significatur notio in missione ; et
ideo communis est duabus personis ab alio existentibus. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la notion en Dieu peut être signifiée de deux manières : ou
bien proprement, comme la paternité et l’inascibilité ; ou bien au sens
large, comme d’exister par un autre ou ce par quoi un autre existe ; et
en ce sens la notion est signifiée dans la mission ; et c’est pourquoi
elle est commune à deux personnes qui existent par un autre. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La mission convient-elle à toutes les personnes ?] |
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Articulus 1 [1101] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
2 a. 1 tit. Utrum missio conveniat omnibus personis |
Article 1 – La mission convient-elle à toutes les personnes ? |
[1102] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
1 Deinde quaeritur cui convenit mitti. Et videtur quod toti Trinitati. Sicut
enim dicit Damascenus, lib. I Fide, orthod., cap.II, col. 79, in
divinis omnia unum sunt, praeter ingenerationem, generationem et
processionem. Sed missio nullum horum est. Ergo videtur quod toti Trinitati
convenit. |
Difficultés : 1. On se demande ensuite à
qui il convient d’être envoyé. Et il semble que cela convienne à toute la
Trinité. En effet, comme le dit Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. 11,
col. 79], en Dieu tout est un, à l’exception de l’inascibilité, de la
génération et de la procession. Mais la mission n’appartient à aucune de ces
trois notions. Il semble donc que la mission appartienne à toute la Trinité. |
[1103] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
2 Praeterea, missio divinae personae intelligitur secundum hoc quod ipsa
persona per missionem manifestatur. Unde dicit Augustinus, IV De
Trinit., cap. XX, col. 906, quod mitti est cognosci quod ab alio
sit. Sed effectus in creatura qui fit per missionem, manifestat totam
Trinitatem sicut causatum suam causam. Ergo videtur quod tota Trinitas
mittatur. |
2. Par ailleurs, la mission
de la personne divine se comprend selon ceci que la personne
elle-même est manifestée par la mission. C’est pourquoi Augustin dit
[IV De la Trinité, ch. XX, col. 906] qu’on dit qu’est envoyé ce
qui est connu comme venant d’un autre. Mais l’effet qui est produit par la
mission dans la créature manifeste toute la Trinité comme le causé manifeste
sa cause. Il semble donc que toute la Trinité soit envoyée. |
[1104] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
3 Praeterea, sicut dona appropriata Filio et et Spiritui sancto sunt
communicabilia creaturae, scilicet sapientia et bonitas, ita et dona
appropriata Patri, scilicet potentia. Sed ratione illorum donorum
appropriatorum eis dicuntur Spiritus sanctus et Filius mitti. Ergo eadem
ratione et Pater. |
3. En outre, tout comme les
dons appropriés au Fils et à l’Esprit-Saint, à savoir la sagesse et la bonté,
sont cummunicables à la créature, de même encore les dons appropriés au Père,
à savoir la puissance, sont eux aussi communicables à la créature. Mais c’est
en raison de ces dons qui leur sont appropriés qu’on dit du Fils et de
l‘Esprit-Saint qu’ils sont envoyés. Pour la même raison, il en est donc de
même pour le Père. |
[1105] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
4 Item, ubicumque est Filius vel Spiritus sanctus, est et Pater. Sed Spiritus sanctus vel
Filius dicuntur mitti, quia novo modo existunt in aliqua creatura. Ergo
videtur quod simul cum eis Pater mittatur, et ita toti Trinitati convenit
mitti. |
4. De plus, partout où sont
le Fils et l’Esprit-Saint, le Père y est aussi. Mais on dit de l’Esprit-Saint
et du Fils qu’ils sont envoyés parce qu’ils existent d’une nouvelle manière
dans la créature. Il semble donc que le Père soit envoyé simultanément avec
eux et qu’il convienne ainsi à toute la Trinité d’être envoyée. |
[1106] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
5 Sed contra, videtur quod solus Filius mittatur. Sicut enim dicit
Augustinus, IV de Trinitate, cap. XX, col. 906, mitti est
cognosci quod ab alio sit. Sed cognitio appropriatur Filio, qui est Verbum et
sapientia Patris. Ergo solus Filius videtur mitti. |
5. Au contraire, il semble
que seul le Fils soit envoyé. En effet, comme le dit Augustin [IV De
la Trinité, ch. XX, col. 906], on dit qu’est envoyé ce qui est connu
comme venant d’un autre. Mais la connaissance est appropriée au Fils qui est
le Verbe et la sagesse du Père. Il semble donc que seul le Fils soit envoyé. |
[1107] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
6 Item, videtur quod solus Spiritus sanctus. Omnia enim dona spiritualia
pertinent ad manifestationem Spiritus, ut habetur 1 Corinth. 12,
7: unicuique datur manifestatio Spiritus ad utilitatem. Sed per
missionem manifestatur persona divina. Ergo videtur quod solus Spiritus
mittatur in omnibus donis. |
6. Aussi, il semble que seul
l’Esprit-Saint soit envoyé. En effet, tous les dons spirituels appartiennent
à la manifestation de l’Esprit ainsi que l’affirme l’Apôtre [1 Corinth., 12,
7] : À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit pour le service.
Mais la personne divine est manifestée par la mission. Il semble donc que
seul l’Esprit-Saint soit envoyé dans tous les dons. |
[1108] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, in hac
dist., qu. 1, art. 1, in omni missione oportet quod ponatur aliqua auctoritas
alicujus ad ipsum missum. In
divinis autem personis non est auctoritas nisi secundum originem ; et ideo
nulli personae divinae convenit mitti nisi ei quae est ab alio, respectu
cujus potest in alio designari auctoritas ; et ideo Spiritus sanctus et
Filius dicuntur mitti, et non Pater vel Trinitas ipsa. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
comme nous l’avons déjà dit [dist. 15, quest. 1, art. 1], que dans toute
mission il faut que l’autorité d’une personne soit posée à l’égard de celui
qui est envoyé. Mais dans les personnes divines il n’y a d’autorité que selon
l’origine ; et c’est pourquoi il ne convient à une personne divine
d’être envoyée que si elle vient d’une autre et sous ce rapport l’autorité
peut être désignée comme étant dans l’autre ; et c’est pourquoi on dit
du Fils et de l’Esprit-Saint qu’ils sont envoyés et non le Père ou la Trinité
elle-même. |
[1109] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod in missione includitur intellectus processionis
et generationis implicite quantum ad id quod commune est eis, scilicet esse
ab alio: quamvis non quantum ad propriam rationem generationis vel
processionis. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que dans la mission sont implicitement inclus les concepts de
procession et de génération quant à ce qui leur est commun, à
savoir d’exister par un autre, bien qu’ils ne le soient pas quant à leur
définition propre. |
[1110] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod in missione non tantum est effectus doni creati
creaturae collati, sed etiam, ut dictum est, in corp. art., ponitur
auctoritas alicujus principii respectu ipsius missi. Unde in missione
personae cognoscitur persona ab alia esse, secundum Augustinum IV De
Trinit., cap. XX, col. 906. Et quia hoc non convenit toti Trinitati
nec ipsi Patri, ideo non potest dici Pater vel Trinitas mitti. Et praeterea
effectus ille magis appropriatur uni personae quam alii, secundum quem una
persona dicitur mitti et non alia. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans la mission il n’y a pas seulement l’effet du don qui est uni à
la créature mais aussi, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article
l’autorité d’un principe est posée par rapport à celui qui est envoyé. C’est
pourquoi dans la mission de la personne il est connu que la
personne vient d’une autre d’après Augustin [IV De la Trinité,
ch. XX, col. 906]. Et parce que cela ne convient pas à toute la Trinité ni au
Père lui-même, c’est pourquoi on ne peut attribuer la mission ni au Père ni à
la Trinité. Et par ailleurs tel effet est davantage approprié à une personne
qu’à une autre, selon lequel on dit d’une personne et non d’une autre qu’elle
est envoyée. |
[1111] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia, quae
appropriatur patri, non habet rationem ut pertineat ad reditum in finem ; sed
magis pertinet ad exitum a principio, dicit enim potentia rationem principii:
et ideo non pertinet ad missionem, quae fit ad revocandum rationalem
creaturam in Deum. Et
praeterea Pater, in quo est prima auctoritas, non potest designari mitti,
quia respectu ejus nulla habetur auctoritas. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la puissance qui est appropriée au Père n’a pas raison de se
rapporter à un retour vers la fin mais plutôt elle se rapporte à une sortie
d’un principe car la puissance en effet a raison de principe : et c’est
pourquoi elle ne se rapporte pas à la mission qui a lieu pour rappeler la
créature rationnelle à Dieu. Et par ailleurs le Père dans lequel se tient la
première autorité, ne peut être identifié comme un envoyé car au-dessus de
Lui il n’y a aucune autorité. |
[1112] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod cum Pater sit in Filio, et Filius in Spiritu
sancto, quando Filius mittitur, simul et venit Pater et Spiritus sanctus ;
sive intelligatur de adventu Filii in carnem, cum ipse dicat, Joan. 8,
16: Solus non sum [et non sum solus Éd. de Parme],
sed ego, et qui misit me Pater, sive intelligatur de adventu in mentem,
cum ipse dicat, Joan. 14, 23: Ad eum veniemus, et mansionem apud eum
faciemus. Et ideo adventus vel inhabitatio convenit toti Trinitati: quae
non dicuntur nisi ratione effectus conjungentis ipsi Trinitati, quamvis ille
effectus ratione appropriationis possit ducere magis in unam personam quam in
aliam. Sed missio super hoc addit auctoritatem alicujus respectu personae
quae mitti dicitur ; et ideo non potest convenire nisi personae quae est ab
alio principio. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que puisque le Père est dans le Fils et que le Fils est dans
l’Esprit-Saint, quand le Fils est envoyé, le Père et l’Esprit-Saint viennent
simultanément ; soit qu’on le prenne quant à la venue du Fils dans la
chair comme Il le dit lui-même dans Jean (8,
16) : Je ne suis pas seul [et je ne suis pas seul Éd.
de Parme] mais il y a moi et le Père qui m’a envoyé ;
soit qu’on le prenne quant à sa venue dans notre intelligence, comme Il le
dit lui-même dans Jean(14, 23) : Nous viendrons chez
lui et nous ferons notre maison en lui. Et c’est pourquoi la venue ou
l’habitation convient à toute la Trinité et ces termes ne sont dits qu’en
raison de l’effet qui unit à la Trinité elle-même, bien que cet effet en
raison de l’appropriation puisse conduire davantage à une personne qu’à une
autre. Mais la mission ajoute à cela l’autorité d’une personne par rapport à
la personne qu’on dit être envoyée ; et c’est pourquoi la mission ne
peut convenir qu’à la personne qui vient d’une autre comme de son principe. |
[1113] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod quamvis cognitio approprietur Filio, tamen donum
illud ex quo sumitur experimentalis cognitio, quae necessaria est ad
missionem, non necessario appropriatur Filio, sed quandoque Spiritui sancto,
sicut amor. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que bien que la connaissance soit appropriée au Fils, cependant ce don,
d’où se tire la connaissance expérimentale qui est nécessaire à la mission,
n’est pas nécessairement approprié au Fils, mais parfois
à l’Esprit-Saint en tant qu’amour. |
[1114] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in dono duo est
considerare: scilicet rationem doni, et sic manifestat omne
donum Spiritum sanctum, inquantum habet rationem primi doni, secundum quod
est amor ; aut secundum speciem doni, et sic aliquod donum
manifestat ipsum Filium, sicut sapientia vel scientia. |
6. Il faut dire en sixième
lieu qu’il y a deux choses à considérer dans le don : Soit la notion universelle de
don et ainsi tout don manifeste l’Esprit-Saint selon qu’Il a raison de
premier don en tant qu’Il est amour ; Soit l’espèce du don et ainsi
un don particulier manifeste le Fils lui-même en tant qu’il est sagessse ou
science. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [La mission par comparaison à celui qui envoie] |
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Prooemium |
Prologue |
[1115] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 pr.
Deinde quaeritur de missione per comparationem ad mittentem, et circa hoc duo
quaeruntur: 1 utrum alicui personae
conveniat quod mittat se, vel procedat a se, vel det ; 2 utrum Filius mittatur a Spiritu sancto. |
Par la suite on s’interroge
sur la mission par rapport à celui qui envoie et à ce sujet on
pose deux questions : 1. Convient-il à une personne
de s’envoyer elle-même, de procéder d’elle-même ou de se donner
elle-même? 2. Est-ce que le Fils est
envoyé par l’Esprit-Saint ? |
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Articulus 1 [1116] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
3 a. 1 tit. Utrum aliqua persona mittat se vel det |
Article 1 – Est-ce qu’une personne s’envoie ou se donne elle-même ? |
[1117] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulla persona det se, vel mittat
se. Dans enim semper videtur habere auctoritatem respectu dati. Sed nulla
persona habet auctoritatem respectu sui ipsius. Ergo videtur quod nulla
persona det se. |
Difficultés : 1. Il semble q’aucune
personne ne s’envoie ou ne se donne elle-même. Celui qui donne en effet
semble toujours posséder une autorité par rapport à ce qui est donné. Mais
aucune Personne ne possède une autorité par rapport à elle-même. Il semble
donc qu’aucune personne ne se donne. |
[1118] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 2 Item supra, dist. 14, dixit Magister, quod homines non possunt dare Spiritum
sanctum, quia ab eis non procedit. Sed nulla persona procedit a seipsa ;
alias esset principium sui ipsius. Ergo nulla persona seipsam dare potest. |
2. En outre, plus haut (dist.
14), le Maître a dit que les hommes ne peuvent donner l’Esprit-Saint car il
ne procède pas d’eux. Mais aucune personne ne procède d’elle-même autrement
elle serait principe d’elle-même. Donc, aucune personne ne peut se donner
elle-même. |
[1119] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg.
3 Item, sicut dictum est, in hac dist., qu. 1, art. 2, missio ponit exitum
ipsius missi a mittente. Sed nulli personae convenit [exire a seipsa Éd.
deParme] mittere se. Ergo nulli personnae convenit mittere se |
3. De plus, ainsi que nous
l’avons dit dans cette distinction (quest. 1, art. 2), la mission affirme que
l’envoyé lui-même sort de celui qui envoie. Mais il ne convient à aucune
personne [de sortir d’elle-même Éd. de Parme] de s’envoyer
elle-même. Donc il ne convient à aucune personne de s’envoyer elle-même. |
[1120] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg.
4 Item, sicut dictum est, processio principaliter importat respectum personae
ad principium a quo distinguitur. Sed nulla persona divina distinguitur a seipsa.
Ergo nec a se procedit. |
4. Par ailleurs, ainsi que
nous l’avons dit, la processon implique principalement un rapport de la
personne à un principe dont elle se distingue. Mais aucune personne divine ne
se distingue d’elle-même. Donc aucune personne divine ne procède d’elle-même. |
[1121] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg.
5 Praeterea, haec praepositio a importat habitudinem
principii. Sed nulla res est principium sui ipsius. Ergo etsi conceditur quod
aliqua persona mittit se, non debet concedi quod mittatur a se. |
5. De plus, cette préposition
¨par¨ implique un rapport à un principe. Mais aucune chose n’est
le principe d’elle-même. Donc, bien qu’on concède qu’une personne s’envoie
elle-même, on ne doit pas concéder qu’elle est envoyée par elle-même. |
[1122] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 s.
c. 1 Contra, Augustinus, IV De Trinit., cap. XX, XXIX, col.
908 : « Sicut generari est Filium esse a Patre, ita Filium cognosci
esse a Patre, est Filium mitti ». Sed ista cognitio potest causari a
Filio. Ergo et missio Filii potest esse a Filio. |
Cependant : 1. Au contraire,
Saint-Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, & 29 , col. 908]
dit : ¨Tout comme la génération fait exister le Fils par
le Père, de même c’est la mission du Fils qui fait connaître que
le Fils vient du Père¨. Mais cette connaissance peut être causée par le Fils
et par conséquent la mission du fils peut venir du Fils. |
[1123] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 s.
c. 2 Item, hoc videtur ex his quae in littera dicuntur. |
2. En outre cela est clair en
partant de ce qui est dit dans le document. |
[1124] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum differentiam
donationis, missionis et processionis superius assignatam in hac dist.,
quaest. 1, art. 1, diversimode oportet in hac quaestione loqui. Si enim accipiamus donationem sive dationem, de
ratione dationis non videtur plus esse nisi quod datum libere a dante
habeatur. Hoc autem potest esse dupliciter: aut sicut aliquis libere seipsum habet, vel
aliquid quod in ipso est ; aut sicut libere aliquis habet suam possessionem, vel id respectu cujus dominium habet, secundum
quod habere multis modis dicitur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après la distinction qui a été assignée [dist. 15, quest. 1, art. 1]
entre la donation, la mission et la procession, il importe dans cette
question de parler de différentes manières. Si en effet nous prenons la
donation, il ne semble pas y avoir plus dans la définition de la donation que
ce qui est donné est possédé librement par celui qui donne. Mais cela peut
avoir lieu de deux manières : Soit comme celui qui se
possède lui-même librement ou qui possède librement quelque chose qui est en
lui ; ou comme celui qui possède librement sa possession. Soit ce par rapport à quoi il
possède une autorité, selon que ¨posséder¨ se dit de multiples manières. |
Unde de ratione donationis non est quod ponatur
aliqua auctoritas respectu ipsius dati (potest enim aliquis et seipsum ex
amore dare alicui in amicum), nisi specificetur datio secundum specialem
modum habendi, qui est secundum dominium. Talis autem donatio nulla est
respectu divinorum. Et ideo donatio non exigit aliquam rationem principii
respectu ipsius dati. Unde dari, potest convenire et essentiae divinae, prout
dicimus quod Pater dat essentiam suam Filio ; et potest convenire Patri, ut
dicatur Pater seipsum dare ; et similiter Filio, et Spiritui sancto. Nec
notabitur aliqua distinctio dantis ad datum, nisi forte secundum rationem, sicut
intelligentis ad intellectum. Et sic concedimus simpliciter quod persona dat
se, et datur a se. |
C’est pourquoi il ne fait pas
partie de la notion de donation qu’une autorité soit posée par rapport à cela
même qui est donné (quelqu’un peut en effet par amour se donner lui-même dans
son ami), à moins que la donation ne soit spécifiée d’après un mode spécial
de possession qui est celui du maître. Mais il n’y a aucune donation de cette
sorte par rapport aux personnes divines. Et c’est pourquoi la donation n’exige
pas l’idée de principe par rapport à cela même qui est donné. C’est pourquoi
¨être donné¨ peut s’attribuer à la fois à l’essence divine, selon que nous
disons que le Père donne son essence au Fils, au Père lorsque nous disons que
le Père se donne lui-même, et de la même manière au Fils et à l’Esprit-Saint.
Et on ne notera pas une distinction entre celui qui donne et ce qui est
donné, saug bien sûr selon la raison comme on le fait entre celui
qui comprend et ce qui est compris. Et c’est ainsi que nous concédons
absolument que la personne se donne elle-même et qu’elle est donnée par
elle-même. |
Sed circa missionem est major difficultas, quam
attestatur opinionum diversitas. Quidam enim dicunt, quod omnes tales sunt
falsae: Spiritus sanctus mittit se vel Filius mittit
se. Et dicunt, rationes Magistri non valere ; quia cum missio includat in
se notionem, non oportet quod in potentia vel operatione missionis tres
personae conveniant, sicut nec in generatione vel potentia generandi. Et
dicunt etiam non esse simile de missione in carnem, secundum quam Filius
seipsum mittere dicitur ; quia in illa missione natura creata assumitur in
unitatem divinae personae ; quod non contingit in aliis missionibus. |
Mais en ce qui concerne la
mission la difficulté est plus grande, ce qu’atteste la diversité des
opinions. Certains en effet disent que toutes ces propositions sont
fausses : L’esprit-Saint s’envoie lui-même ou le
Fils s’envoie lui-même. Et ils disent que les raisonnements du Maître ne
sont pas valides ; car puisque le mission inclut en elle la notion, il
ne faut pas que dans la puissance et l’opération de la mission les trois
personnes se rencontrent, tout comme il ne faut pas qu’elles se
rencontrent dans la génération ou la puissance d’engendrer. Et ils disent
encore qu’il n’en est pas de même pour la mission dans la chair selon
laquelle on dit du Fils qu’il s’envoie lui-même ; car dans cette mission
la nature créée est assumée dans l’unité de la personne divine, ce qui ne se
produit pas dans les autres missions. |
Et si in auctoritate aliqua invenitur quod
Spiritus sanctus mittat se, glossandum est: idest, a Spiritu sancto est
effectus, in quo ab alio cognoscitur esse. Sed quia sancti communiter talibus
locutionibus utuntur et praecipue Augustinus et Magister hoc concedunt ; ideo
alii dixerunt, quod missio aliquando proprie sumitur, aliquando improprie.
Quando missio sumitur proprie, importat distinctionem missi ab eo a quo fit
missio ; et ideo hoc modo non potest dici quod Spiritus sanctus mittat se.
Communiter autem sumitur et improprie missio pro influentia vel datione ; et
sic dicunt Spiritum sanctum mittere se quia dat se vel quia inspirat se. |
Et si on trouve dans une
autorité que l’Esprit-Saint s’envoie lui-même, on doit s’en moquer : à
savoir qu’il y a un effet produit par l’Esprit-Saint et par lequel il est
connu qu’il vient d’un autre. Mais parce que les saints se servent
communément de telles locutions, et surtout Augustin et le Maître, ils
concèdent cela ; c’est pourquoi d’autres auront dit que la mission se prend
parfois proprement, parfois improprement. Quand la mission se prend
proprement, elle implique une distinction entre celui qui est envoyé et celui
d’où vient la mission ; et c’est pourquoi en ce sens on ne peut dire que
l’Esprit-Saint s’envoie lui-même. Mais prise communément et improprement, la
mission tient lieu d’influence ou de donation ; et en ce sens ils disent
que l’Esprit-Saint s’envoie lui-même parce qu’il se donne lui-même ou parce
qu’il s’inspire lui-même. |
Et haec opinio est Praepositini et
Altisiodorensis, lib. I Summae VIII. Et quia haec opinio
parum videtur recedere a prima ; ideo dixerunt alii, quod proprie dicitur
Spiritus sanctus se mittere. Et huic consentiendum videtur, si virtus nominis
attendatur. Missio enim, ut dictum est, in hac dist., qu. 1, art. 1, importat
duo ; scilicet missum esse ab alio, ratione auctoritatis quam importat ; et
iterum effectum, secundum quem novo modo in aliqua creatura Spiritus sanctus
dicitur. Unde sensus est: Spiritus sanctus mittitur ; idest, est ab aliquo,
et fit novo modo in aliquo, nulla tamen mutatione facta circa ipsum, ut prius
dictum est. Notandum est autem, quod diversimode
verificatur locutio, quando aliquod conjunctum praedicatur de aliquo secundum
esse, et quando secundum fieri. Quando enim praedicatur secundum esse,
oportet quod utrumque illorum esse dicatur ; ut si dicam, Socrates est homo
albus, oportet eum esse hominem, et album esse ; nisi alterum diminuat
rationem alterius, ut cum dicitur, homo mortuus. |
Et cette opinion est celle de
Préposition et d’Altisiodore [1 De la Somme VIII]. Et parce que
cette opinion semble peu s’éloigner de la première c’est pourquoi d’autres
ont dit que c’est proprement qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il s’envoie. Et
il semble qu’il faille se rallier à cette position si on s’arrête à la
puissance du nom. La mission en effet, ainsi que nous l’avons dit [dist. XIV,
quest. 1, art. 1], implique deux choses : à savoir que l’envoyé vient
d’un autre en raison de l’autorité qu’elle implique ; et en outre elle
implique l’effet selon lequel on dit que l’Esprit-Saint est présent d’une
manière nouvelle dans une créature. C’est pourquoi le sens est :
l’Esprit-Saint est envoyé, c’est-à-dire qu’il vient de la part d’un autre et
il se fait présent d’une nouvelle manière dans une créature sans
qu’aucun changement ne soit produit en Lui, ainsi que nous l’avons dit
antérieurement. Il faut cependant remarquer
que la locution se vérifie différemment quand ce qui est rattaché à une chose
s’attribue à quelque chose selon l’existence et selon le devenir. Quand il
s’attribue selon l’existence, il faut dire de chacun des deux qu’il
existe ; par exemple si je dis que Socrate est un homme blanc, il faut
qu’il soit un homme et qu’il soit blanc, à moins que l’un des deux
n’amoindrisse la notion de l’autre comme lorsqu’on dit ¨homme mort¨. |
Sed quando praedicatur conjunctum secundum
fieri, sufficit quod alterum in fieri praedicetur ; ut si dicam, Socrates est
nunc factus homo albus, sufficit ad veritatem hujus locutionis, quod sit nunc
factus albus, quamvis non sit factus homo. Item notandum est, quod quando
aliquod compositum praedicatur de aliquo secundum fieri, diversimode se habet
in faciente et in facto. Quia ex parte facti, oportet quod utrumque
praedicetur secundum esse, etsi non utrumque secundum fieri, ut si dicam,
iste est factus homo albus, oportet eum esse hominem et esse album, nisi
alterum sit diminuens ; non autem oportet quod fiat homo, sed sufficit quod
fiat album. |
Mais quand ce qui est
rattaché s’attribue selon le devenir, il suffit que l’un s’attribue dans le
devenir ; comme lorsque je dis que Socrate est maintenant en train de
devenir un homme blanc, il suffit, pour que cette locution soit vraie, qu’il
soit maintenant en train de devenir blanc bien qu’il ne soit pas en train de
devenir homme. Il faut en outre noter que lorsqu’un composé s’attribue à un
sujet selon le devenir, cela se présente différemment dans ce qui est en
train de devenir et dans ce qui est devenu. Car du côté de ce qui
est devenu, il faut que chacun des deux soit attribué selon l’existence bien
que chacun d’eux ne soit pas attribué selon le devenir, comme si je disais
que celui-ci est devenu homme blanc, il faut qu’il soit homme et qu’il soit
blanc, sauf si l’un est un terme de diminution ; cependant il ne faut
pas qu’il devienne homme, mais il suffit qu’il devienne blanc. |
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Unde oportet ad hoc ut dicatur missus, quod et
sit ab alio, et fiat in aliquo secundum novam habitudinem. Propter quod Pater
non potest dici mitti, quia non est ab aliquo. Si autem accipiamus ex parte
mittentis, tunc mittere Spiritum sanctum nihil aliud est quam facere Spiritum
sanctum existentem ab alio, esse in aliquo secundum novam habitudinem ; et
ideo cuicumque personae convenit facere alterum istorum, scilicet quod sit in
aliquo secundum novam habitudinem, dicetur mittere Spiritum sanctum, quamvis
non sit principium Spiritus sancti, secundum quod est ab aliquo. Et quia tota
Trinitas facit Spiritum sanctum esse in aliquo secundum novam habitudinem,
propter donum collatum totius Trinitatis ; ideo tota Trinitas dicitur mittere
Spiritum sanctum ; et ipse seipsum mittit et ipse a se mittitur sub eodem
sensu. |
C’est pourquoi il faut, pour
dire qu’une Personne est envoyée, qu’elle vienne d’une autre et qu’elle se
présente dans un être sous un nouveau rapport. Et c’est pourquoi on ne peut
dire du Père qu’il est envoyé car il ne vient pas d’un autre. Mais si on le
prend du côté de celui qui envoie, alors envoyer l’Esprit-Saint n’est rien
d’autre que de faire que l’Esprit-Saint, qui existe par un autre, soit dans
un être sous un nouveau rapport ; et c’est pourquoi on dira de toute
Personne à laquelle il convient de remplir une de ces conditions de la
mission, à savoir pour l’esprit-Saint d’être dans un être sous un nouveau
rapport, qu’elle envoie l’Esprit-Saint, bien qu’elle ne soit pas le principe
de l’Esprit-Saint selon qu’Il vient d’un autre. Et parce que toute la Trinité
rend l’Esprit-Saint présent dans un être sous un nouveau rapport, pour cette
raison ce dernier est le don réuni de toute la Trinité ; c’est pourquoi
on dit de toute la Trinité qu’elle envoie l’Esprit-Saint ; et dans le
même sens Il s’envoie lui-même et Il est envoyé par lui-même. |
Ulterius, si loquamur de processione, habebit
minus de proprietate, et minus proprie dicetur, Spiritum sanctum procedere a
se, quam mitti a se. Sed tamen, quia processio temporalis, ut dictum est,
loc. cit., ponit novam habitudinem ad creaturam in quam procedit, et omnis
novitas pertinet ad aliquam factionem ; ideo etiam secundum processionem
temporalem Spiritus sanctus ens ab alio est et existens novo modo in aliquo.
Et sic sub eodem sensu conceditur quod Spiritus sanctus procedat a se
temporaliter. |
Par la suite, si nous parlons
de procession, le terme sera moins propre et on dira moins proprement de l’Esprit-Saint
qu’Il procède de lui-même que si on dit qu’il est envoyé par lui-même.
Cependant, parce que la procession temporelle, ainsi que nous l’avons dit,
pose un nouveau rapport à la créature dans laquelle il procède et que toute
nouveauté appartient à une production, c’est pourquoi encore selon la
procession temporelle l’Esprit-Saint est un être qui vient d’un autre et qui
existe d’une nouvelle manière dans un être. Et ainsi en ce sens nous
concédons que l’Esprit-Saint procède temporellement de lui-même. |
[1125] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod non est de ratione dationis quod ponatur aliqua
auctoritas respectu dati, nisi quando datur aliquid quod habetur per modum
dominii ; et talis datio non est in divinis, ut dictum est, in corp. art. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’il ne fait pas partie de la notion de donation qu’une
autorité soit posée par rapport à ce qui est donné sauf quand est donné
quelque chose qui est possédé à la manière d’un maître ; et une telle
donation ne se trouve pas en Dieu, ainsi que nous l’avons dit dans le corps
de l’article. |
[1126] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod neutrum horum homines efficiunt quae in missione
importantur ; quia nec gratiam conferunt, nec ab eis Spiritus sanctus
procedit ; et ideo nullo modo potest homo mittere Spiritum sanctum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que les hommes ne produisent aucune des choses qui sont impliquées
dans la mission ; car ils ne confèrent pas la grâce et l’Esprit-Saint ne
procède pas d’eux ; et c’est pourquoi en aucune manière l’homme ne peut
envoyer l’Esprit-Saint. |
[1127] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod missio non ponit tantum exitum ; sed cum hoc
aliquid aliud, scilicet esse in creatura secundum novam habitudinem. Et
quamvis secundum alterum, scilicet exitum, non referatur ad se sicut ad
principium ; tamen secundum utrumque conjunctum refertur ad se sicut ad
principium ; ipse enim facit, se existentem ab alio, secundum novam
habitudinem esse in aliquo ratione perfectionis quam illi confert. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la mission ne pose pas seulement une sortie ; mais avec cela
elle pose quelque chose d’autre, à savoir une existence dans la créature
d’après une nouvelle relation. Et beine qued’apre`s l’autre
aspect, à savoir la sortie, l’Esprit-Saint ne se rapporte pas à lui-même
comme à un principe, cependant d’après les deux aspects réunis il se rapporte
à Lui-même comme à un principe ; c’est Lui-même en effet qui,
existant par un autre, se fait exister dans un être selon un nouveau rapport
en raison de la perfection qu’il lui apporte |
[1128] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod quamvis processio importet tantum respectum ad
personam a qua habet esse, tamen processio temporalis, ut dictum est,
importat respectum ad creaturam in quam procedit ; et hujus ratione
temporaliter dicitur procedere a se, sicut et mitti a se. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que la procession implique seulement un rapport à la personne
de laquelle elle tient l’existence, cependant la procession temporelle, comme
nous l’avons dit, implique un rapport à la créature dans laquelle elle
procède ; et en raison de ce rapport on dit qu’il procède temporellement
de lui-même, tout comme on dit qu’il est envoyé par lui-même. |
[1129] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod ipse Spiritus sanctus quamvis non sit principium
sui ipsius simpliciter, tamen ipse facit, se existentem ab alio, esse in
aliquo secundum novam habitudinem ; et secundum hoc, totum conjunctum
refertur in se sicut in principium, ratione alterius tantum, ut patet ex
praedictis in hoc art. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que l’Esprit-Saint lui-même, bien qu’il ne soit pas le principe de
Lui-même à parler absolument, cependant Lui-même, existant par un autre, se
fait exister dans un être dans une nouvelle relation ; et d’après cela,
tout ce qui est ainsi conjoint se rapporte à lui comme à un principe, en raison
de l’autre seulement, comme cela est clair à partir de ce qui précède dans
cet article. |
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Articulus 2 [1130] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
3 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus mittat vel det Filium |
Article 2 – L’Esprit Saint envoie-t-il ou donne-t-il le Fils ? |
[1131] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non det vel
mittat Filium. Augustinus, III De Trinit., cap. V, col. 849,
enim dicit, quod exire Filium a Patre et venire in mundum hoc est Filium
mitti a Patre. Sed Filius non exit a Spiritu sancto. Ergo non mittitur ab
ipso. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne donne pas ou n’envoie pas le Fils. En effet, Augustin
[111 De la Trinité, ch. V, col. 849] dit que le fait que le Fils
sorte du Père et qu’il vienne dans le monde, telle est la mission
que le Fils reçoit du Père. Mais le Fils ne sort pas de
l’Esprit-Saint. Il n’est donc pas envoyé par Lui. |
[1132] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 2 Item, sicut Filius se habet ad Patrem, ita
Spiritus sanctus ad Filium. Sed Filius nullo modo mittit Patrem. Ergo nec Spiritus
sanctus Filium. |
2. En outre, l’Esprit-Saint
se rapporte au Fils comme le Fils se rapporte au Père. Mais en aucune manière
le Fils n’envoie le Père. Donc l’Esprit-Saint n’envoie pas le Fils. |
[1133] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 s.
c. 1 Contra, Isa. 48, 16: Et tunc misit me Dominus, et Spiritus ejus ;
et exponit Glossa de Filio. Ergo mittitur a Patre et Spiritu sancto. |
Cependant : On lit au contraire
dans Isaïe (48, 16) : Alors le Seigneur et son
Esprit m’a envoyé ; et la Somme donne cette explication au sujet du
Fils. Donc le Fils est envoyé par le Père et par l’Esprit-Saint. |
[1134] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 s. c. 2 Item, Ambrosius, lib. III, cap. II, col. 811 De Spiritu
sancto : « Datus Filius est a Patre, ut Isaias dicit, 9,
6, Filius datus est nobis. Datus est (audeo dicere) et a
Spiritu sancto, quia a Spiritu sancto missus est ». Ergo et
cetera. |
2. De même
Ambroise [111 De l’Esprit-Saint, ch. 11, col. 811] : ¨Le
Fils a été donné par le Père comme le dit Isaïe (9, 6) : Le Fils
nous a été donné. Il a été donné (j’ose dire) aussi par l’Esprit-Saint
car c’est par l’Esprit-Saint qu’il a été envoyé¨. Donc, etc. |
|
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que certains distinguent trois missions chez le Fils. La première par laquelle Il a
été envoyé dans la chair, une deuxième par laquelle il a été envoyé dans
l’esprit et une troisième par laquelle il est envoyé en prédication ; et
ils disent que le Fils est envoyé par l’Esprit-Saint selon cette dernière
mission mais non selon les deux premières dans lesquelles il n’est envoyé que
par le Père. La raison en est, selon eux, que la mission de
la prédication peut convenir au Christ en raison de la nature
humaine dont l’acceptation est présupposée ; mais les deux premières
missions se rapportent à la Personne même du Fils car la mission dans la
chair appartient à la personne elle-même en elle-même, et non en raison de
la nature humaine dont l’acceptation découle de la mission selon
l’intelligence comme l’effet découle de sa cause et comme le terme suit le
mouvement. |
Et similiter in mentem non mittitur ratione
humanae naturae. Et quia Spiritus sanctus non habet auctoritatem respectu
personae Filii sed tantum respectu naturae assumptae, ideo concedunt tertiam
missionem Filii esse a Spiritu sancto et non duas primas. Sed quia, ut dictum est, in hac distin.,
quaest. 1, art. 2, non requiritur de necessitate quod in mittente sit
auctoritas respectu missi, sed tantum efficientia respectu ejus secundum quod
missus dicitur mitti ; ideo concedimus quod Spiritus sanctus et tota Trinitas
misit Filium, secundum quamlibet missionem ; et praecipue cum Augustinus, in
lib. II De Trint., cap. V, 8 expresse dicat eum missum a
Spiritu sancto loquens de missione in carne: « mitti, inquiens, a Patre
sine Spiritu sancto non potuit: quia Pater intelligitur eum misisse, cum
fecit eum ex femina ; quod utique non fecit sine Spiritu sancto ». |
Et de la même manière il
n’est pas envoyé dans l’esprit en raison de la nature humaine. Et parce que
l’Esprit-Saint ne possède pas une autorité par rapport à la personne du Fils
mais seulement par rapport à la nature qu’il a prise, c’est pourquoi ils
concèdent que la trisième mission du Fils vient de l’Esprit-Saint et non les
deux premières. Mais parce que, ainsi que
nous l’avons dit [dist. 15, quest. 1, art. 2], il n’est par nécessairement
requis qu’il y ait chez celui qui envoie une autorité par rapport à celui qui
est envoyé mais seulement une efficience par rapport à celui selon lequel on
dit de l’envoyé qu’il est envoyé, c’est pourquoi nous concédons
quel’Esprit-Saint et toute la Trinité envoie le Fils selon chacune des
missions ; et surtout qu’Augustin [11 De la Trinité, ch. V,
8] dit expressément que le Fils est envoyé par l’Esprit-Saint en parlant de
la mission dans la chair : ¨Le Fils n’a pas pu être envoyé par le Père
sans l’Esprit-Saint, parce que l’on comprend que le Père l’a envoyé lorsqu’il
l’a fait à partir d’une femme, ce qu’Il n’a pas fait sans
l’Esprit-Saint¨. |
[1136] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quando Pater dicitur mittere Filium, in
mittente intelligitur auctoritas respectu missi, non inquantum est mittens,
sed inquantum est Pater ; et ideo Filium mitti a Patre est ipsum exire a
Patre. Non autem ostenditur auctoritas in mittente cum seipsum Filius mittere
dicitur, vel cum Spiritus sanctus eum mittit ; et ideo Filium mitti a se vel
a Spiritu sancto, non est ipsum exire a se vel a Spiritu sancto. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que lorsqu’on dit du Père qu’il envoie le Fils, une autorité est
comprise dans celui qui envoie par rapport à celui qui est envoyé, non pas en
tant qu’il est celui qui envoie, mais en tant qu’Il est Père ; et c’est
pourquoi l’envoie du Fils pas le Père est sa sortie même du Père. Mais aucune
autorité n’est manifestée dans celui qui envoie lorsqu’on dit que le Fils
s’envoie lui-même ou que l’Esprit-Saint l’envoie ; et c’est pourquoi
l’envoie du Fils par lui-même ou par l’Esprit-Saint n’est pas une sortie de
Lui-même ou de l’Esprit-Saint. |
[1137] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod Filius non potest mittere Patrem ; quia Pater non
potest mitti, cum non sit ab alio. Si ab alio esset, et mitti posset et
Filius eum mitteret. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le Fils ne peut envoyer le Père ; car le Père ne peut être
envoyé puisqu’Il ne vient pas d’un autre. S’il venait d’un autre,
il pourrait être envoyé et le Fils l’enverrait. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [La mission invisible du Fils en soi] |
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Prooemium |
Prologue |
[1139] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 pr. Ad
intellectum hujus partis de duobus quaeritur. Primo de missione Filii
invisibili, secundum se ; quia de visibili dicetur in 3. Secundo de missione per
comparationem ad eos ad quos sit missio. |
Pour comprendre cette partit
on s’interroge sur deux points : en premier lieu sur la mission
invisible du Fils en elle-même car on parlera de sa mission visible dans le
livre 3 ; en deuxième lieu sur la mission par rapport à ceux pour
lesquels il y a mission. |
Circa primum tria quaeruntur: 1 utrum missio invisibilis conveniat Filio ; 2 utrum fit distincta a missione Spiritus
sancti invisibili ; 3 utrum aliqua missio sit aeterna, sicut
processio est aeterna et temporalis. |
Et au sujet du premier point
on pose trois questions : 1. Convient-il au Fils
d’avoir une mission invisible ? 2. Cette mission serait-elle
distincte de la mission invisible de l’Esprit-Saint ? 3. Y a-t-il une mission qui
est éternelle, tout comme il y a une procession qui est éternelle et une
autre qui est temporelle ? |
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Articulus 1 [1140] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
4 a. 1 tit. Utrum Filius invisibiliter mittatur in mentem |
Article 1 – Le Fils est-il envoyé invisiblement en esprit ? |
[1141] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius
invisibiliter in mentem non mittatur. Ad missionem enim divinae personae
requiritur quod cognoscatur ipsa persona adveniens ; et praecipue in missione
sapientiae, quam nullus habens ignorat. Sed adveniente Filio, non cognoscitur
ejus adventus. Job 9, 11: Si venerit ad me, non intelligam. Non
videbo illum, si abierit [non …abierit om. Éd. de Parme]. Ergo videtur quod Filius non mittatur
in mentem. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne
soit pas envoyé invisiblement en esprit. Il est requis en effet à la mission
de la personne divine que la personne qui survient soit connue ; et
c’est surtout le cas pour la mission de la sagesse que nul n’ignore lorsqu’il
la possède. Mais lorsque le Fils vient, sa venue n’est pas connue. C’est là
ce qui est dit en Job 9, 11 : Si tu viens vers moi, je ne
comprendrai pas. Je ne le verrai pas s’il s’en va [ne…s’en va om. Éd.
de Parme]. Il semble donc que le Fils ne soit pas envoyé en esprit. |
[1142] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg.
2 Item, missio est idem quod processio temporalis, ut supra dictum est, dist.
ista, quaest. 1, art. 1. Sed, sicut supra diximus, processio non habet quod
dicatur temporalis, nisi secundum respectum in quem est ; quem respectum
habet processio Spiritus sancti ex ipso modo processionis, inquantum procedit
ut amor. Cum igitur processio Filii ex suo modo non habeat respectum ut in
quem, sed solum ut a quo, videtur quod processio temporalis Filio non
conveniat, et ita nec missio. |
2. En outre, la mission est
identique à la procession temporelle, ainsi que nous l’avons dit plus haut
[dist. 15, quest. 1, art. 1]. Mais, ainsi que nous l’avons dit plus haut, la
procession n’a à être dite temporelle que par rapport à celui dans lequel
elle est ; et la procession de l’Esprit-Saint tient ce rapport de son
mode même de procession dans la mesure où il procède en tant qu’amour. Donc,
puisque la procession du Fils quant à son mode ne possède pas un rapport à
celui dans lequel elle est mais seulement à celui par lequel elle
est, il semble quela procession temporelle ne convienne pas au Fils et par
conséquent ni la mission. |
[1143] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg.
3 Praeterea, persona divina non mittitur nisi in donis gratiae gratum
facientis. Sed dona pertinentia ad intellectum quae appropriantur Filio, non
sunt gratum facientia, cum sint communia bonis et malis, ut dicitur 1
Corinth. 13: « Si habuero omnem scientiam (...) caritatem autem non
habuero, nihil sum ». Ergo Filius non dicitur mitti invisibiliter in
donis sibi appropriatis ; et ita nullo modo. |
3. Par ailleurs, la personne
divine n’est envoyée que dans les dons de la grâce sanctifiante. Mais les
dons qui se rapportent à l’intelligence, lesquels sont appropriés au Fils, ne
sont pas ceux de la grâce sanctifiante, puisqu’ils sont communs aux bons et
aux méchants comme le dit l’Apôtre [1 Corinth. 13] : ¨Même si je
possède toute la science (…) si je ne possède pas l’amour, je ne suis rien¨.
On ne peut donc dire que le Fils est envoyé invisiblement dans les dons qui
lui sont appropriés ; et alors, Il n’est envoyé d’aucune manière. |
[1144] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 s.
c. 1 In contrarium est quod habetur Sap. 9, 10: Mitte illam,
sapientiam, de caelis, scilicet tuis, a sede magnitudinis
tuae. Non autem loquitur de sapientia essentialiter dicta ; quia illa non
mittitur, cum non sit ab alio. Ergo loquitur de sapientia genita, quae est
Filius. |
Cependant : 1. On affirme le contraire dans
ce passage [Sagesse 9, 10] : Envoyez-la, cette
sagesse, de vos cieux, du trône de votre gloire. Cependant on ne
parle pas ici de la sagesse prise absolument car celle-là n’est pas envoyée
puisqu’elle ne vient pas d’un autre. On parle donc de la sagesse qui est
engendrée, laquelle est le Fils. |
[1145] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 s.
c. 2 Item, Augustinus, libro IV De trinit., cap. XX, 29,
col. 906 : Sicut Filium generari, est ipsum esse a Patre ; ita Filium
mitti est cognosci quod sit a Patre. Hoc autem contingit. Ergo et Filium
mitti. |
2. En outre, Augustin [IV De
la Trinité, ch. XX, 29, col. 906] dit : Tout comme la génération du Fils
est son existence même par le Père, de même la mission du Fils consiste à
être connu comme venant du Père. Mais cela est possible. Il est donc
possible que le Fils soit envoyé. |
[1146] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut in exitu rerum a
principio dicitur bonitas divina in creaturas procedere, inquantum
repraesentatur in creatura per similitudinem bonitatis divinae in ipsa
receptam [bonitas divina recepta Éd. de Parme] ; ita
in reductione rationalis creaturae in Deum intelligitur processio divinae
personae, quae et missio dicitur, inquantum propria relatio ipsius personae
divinae repraesentatur in anima per similitudinem aliquam receptam, quae est
exemplata et originata ab ipsa proprietate relationis aeternae ; sicut
proprius modus quo Spiritus sanctus refertur ad Patrem, est amor, et proprius
modus referendi Filium in Patrem est, quia est verbum ipsius manifestans
ipsum. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que tout comme dans le fait que les choses
sortent de leur principe on dit que la bonté divine procède dans les créatures
dans la mesure où elle est représentée dans la créature par une similitude de
la bonté divine reçue dans la creature [bonté divine reçue Éd. De
Parme], de même dans le retour de la créature rationnelle à Dieu on
entend la procession de la personne divine qui est aussi appelée mission,
dans la mesure où la relation propre de la personne divine elle-même est
représentée dans l’âme par une certaine similitude reçue qui est comme un
exemplaire qui tient son origine de la propriété même de la relation
éternelle; par exemple le mode propre par lequel l’Esprit-Saint se rapporte
au Père est l’amour, et il est le mode propre de rapporter le Fils au Père
car le Fils est le verbe qui manifeste le Père. |
Unde sicut Spiritus
sanctus invisibiliter procedit in mentem per donum amoris, ita Filius per
donum sapientiae ; in quo est manifestatio ipsius Patris, qui est ultimum ad
quod recurrimus. Et quia secundum receptionem horum duorum efficitur in nobis
similitudo ad propria personarum ; ideo secundum novum modum essendi, prout
res est in sua similitudine, dicuntur personae divinae in nobis esse,
secundum quod novo modo eis assimilamur ; et secundum hoc utraque processio
dicitur missio. |
C’est
pourquoi, tout comme l’Esprit-Saint procède invisiblement dans l’esprit par
le don de l’amour, il en est de même pour le Fils par le don de sagesse; et
en cela nous avons une manifestation du Père qui est le dernier
auquel nous recourons. Et parce que d’après la reception de ces deux sortes
de dons est produite en nous une resemblance à l’égard de ce qui est propre
aux personnes, c’est pourquoi d’après ce nouveau mode d’exister, selon que la
chose existe dans cette ressemblance, on dit que les Personnes
divines existent en nous selon que nous sommes assimilés à elles d’une
manière nouvelle; et conformément à cela les deux processions sont appelées
missions. |
Ulterius, sicuti
praedicta originantur ex propriis personarum, ita etiam effectum suum non
consequuntur ut conjungantur fini, nisi virtute divinarum personarum ; quia
in forma impressa ab aliquo agente est virtus imprimentis. Unde in receptione hujusmodi
donorum habentur personae divinae novo modo quasi ductrices in finem vel
conjungentes. Et ideo utraque
processio dicitur datio, inquantum est ibi novus modus habendi. |
Par la suite, comme les dons
dont on vient de parler tirent leur origine de ce qui est propre aux
personnes, de même encore leur effet n’est atteint de manière à
être uni à la fin que par la puissance de l’Esprit-Saint car dans la forme
inprimée par un agent est présente la puissance de celui qui imprime. C’est
pourquoi dans la réception de tels dons les personnes divines se présentent
d’une nouvelle manière comme conduisant ou unissant à la fin. Et c’est
pourquoi chacune des deux processions est appelée donation, dans la mesure où
il y a là un nouveau mode de possession. |
[1147] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod ad rationem missionis non requiritur quod sit
ibi cognitio actualis personae ipsius, sed tantum habitualis, inquantum
scilicet in dono collato, quod est habitus, repraesentatur proprium divinae
personae sicut in similitudine ; et ita dicitur quod mitti est cognosci quod
ab alio sit per modum repraesentationis, sicut [repraesentationis.
Sicut Éd. de Parme] aliquid dicitur se manifestare
vel facere cognitionem de se, inquantum se repraesentat in sui similitudine. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que pour la notion de mission il n’est pas exigé qu’il y ait là
une connaissance actuelle de la personne elle-même, mais seulement
une connaissance habituelle, c’est-à-dire dans la mesure où dans le bien
rattaché, qui est un habitus (possédé ?), ce qui est propre à la
personne divine est représenté comme dans une similitude ; et ainsi on
dit qu’être envoyé c’est être connu comme existant par un autre par mode de
représentation, tout comme [de représentation. Tout comme Éd. de
Parme] on dit qu’une chose se manifeste ou se fait connaître selon
qu’elle se représente dans ce qui lui ressemble. |
Sed tamen me habere actuale donum, in quo
persona divina detur, non possum scire certitudinaliter in actu, propter
similitudinem actuum naturalium [moralium Éd. de Parme]
ad actus meritorios etsi possim ex aliquibus signis conjicere nisi per
revelationem fiat certitudo ; et ideo dicit Job: si venerit ad me,
non videbo eum ; si abierit, non intelligam ; quia certitudinaliter
gratia gratum faciens in qua est adventus divinae personae, cognosci non
potest ; quamvis ipsum donum perceptum sit in se sufficienter ductivum in
cognitionem advenientis personae. |
Mais je ne peux savoir en
acte avec certitude que je possède un don actuel dans lequel la personne se
donne à cause de la ressemblance des actes naturels [moraux Éd. de
Parme] aux actes méritoires bien que je puisse à partir de certains signes le
conjecturer, à moins que la certitude ne vienne de la révélation ; et
c’est pourquoi Job dit : S’il vient vers moi, je ne le verrai
pas ; s’il s’éloigne, je ne le saisirai pas. Car la grâce
sanctifiante, dans laquelle est la venue de la personne divine, ne peut être
connue avec certitude, bien que le don perçu conduise suffisamment en
lui-même à la connaissance de la personne qui vient. |
[1148] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod proprium Spiritus sancti, quod est amor, potest
dupliciter habere respectum ad creaturam, vel ut objectum, vel secundum
rationem principii exemplaris ad principiatum exemplatum. Sed proprium Filii
unam tantum habere potest relationum dictarum, scilicet illam quae est
secundum rationem principii ; et hoc sufficit ad processionem temporalem Filii,
quamvis secundum plura possit attendi respectus temporalis in processione
Spiritus sancti: et ita etiam missio utrique convenire potest. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le propre de l’Esprit-Saint, qui est amour, peut avoir deux rapports
à la créature : soit comme objet, soit selon la notion de principe
exemplaire à ce qui en résulte comme copie à l’image de l’exemplaire. Mais le
propre du Fils ne peut avoir qu’une seule des relations que nous avons dites,
à savoir celle qui est selon la notion de principe ; et cela suffit à la
procession temporelle du Fils, bien que le rapport temporel dans la
procession de l’Esprit-Saint puisse puisse comporter plus de rapports :
et ainsi la mission peut convenir à chacun des deux. |
1149] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod quando aliquid participatur non secundum suum actum
perfectum, sed secundum aliquem modum, non dicitur proprie haberi ; sicut
animalia habent aliquem modum prudentiae, non tamen dicuntur prudentiam
habere, quia non habent actum rationis, qui proprie est actus prudentiae,
scilicet ipsa electio ; unde magis habent aliquid simile prudentiae quam
prudentiam. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que lorsqu’un être est participé non pas d’après son acte parfait mais
d’une certaine manière, on ne dit pas qu’il est possédé à proprement
parler ; par exemples les animaux possèdent une certaine sorte de
prudence mais on ne dit pas pour cela qu’ils possèdent la prudence car ils ne
possèdent pas l’acte de la raison, lequel est proprement l’acte de la
prudence, c’est-à-dire le choix ; c’est pourquoi, au lieu de posséder la
prudence, ils possèdent plutôt quelque chose de semblable à la prudence. |
Videmus autem in cognitione duos gradus:
primum, secundum quod cognitio intellectiva tendit in unum ; secundum, prout
verum accipit ut conveniens et bonum. Et nisi sit aliqua resistentia ex tali
cognitione, sequitur amor et delectatio ; quia, secundum philosophum,
VII Ethic., cap. XIII et XIV, delectatio consequitur
operationem perfectam non impeditam. Unde felicitas contemplativa est quando
aliquis pervenit ad ultimam operationem intellectus et ipsam sine impedimento
exercet. Constat autem quod in processione Verbi aeterni est cognitio
perfecta secundum omnem modum, et ideo ex tali notitia procedit amor. |
Mais nous observons deux
degrés dans la connaissance : le premier, selon que la connaissance
intellectuelle tend vers quelque chose d’un ; le deuxième, selon qu’elle
reçoit le vrai comme convenable et comme un bien. Et à moins qu’un obstacle
ne naisse de cette connaissance, il s’ensuit l’amour et la délectation ;
car d’après le Philosophe [ VII Éthic. Ch. XIII et XIV, la
délectation suit l’opération parfaite non-empêchée. C’est pourquoi la
félicité contemplative a lieu quand on parvient à l’opération ultime de
l’intelligence et qu’on l’exerce sans obstacle. Il est clair cependdant que
dans la procession du verbe éternel il y a connaissance parfaite sous tous
les rapports et c’est pourquoi l’amour procède d’une telle connaissance. |
Unde dicit Augustinus, III De
Trint., cap. X,: « Verbum quod insinuare intendimus cum amore
notitia est ». Quandocumque igitur habetur cognitio ex qua non sequitur
amor gratuitus, non habetur similitudo Verbi, sed aliquid illius. Sed solum
tunc habetur similitudo Verbi, quando habetur cognitio talis ex qua procedit
amor, qui conjungit ipsi cognito secundum rationem convenientis. Et ideo non
habet Filium in se inhabitantem nisi qui recipit talem cognitionem. |
C’est pourquoi Augustin
[111 De la Trinité, ch. X] dit : ¨Le verbe que nous
cherchons à faire entendre est une connaissance pleine d’amour¨. Donc à
chaque fois qu’est possédée une connaissance de laquelle ne suit pas l’amour
gratuit, la similitude du Verbe n’est pas possédée mais quelque chose de Lui.
Mais la similitude du Verbe n’est possédée que lorsqu’est possédée cette
connaissance de laquelle procède l’amour qui unit à l’objet connu lui-même
sous le rapport de ce qui convient. Et c’est pourquoi ne possède le Verbe qui
habite en lui que celui qui reçoit une telle connaissance. |
Hoc autem non potest esse sine gratia gratum
faciente. Unde constat quod, simpliciter et proprie loquendo, Filius nec
datur nec mittitur, nisi in dono gratiae gratum facientis ; sed in aliis
donis quae pertinent ad cognitionem, participatur aliquid de similitudine
Verbi. |
Mais cela ne peut avoir
lieu sans la grâce sanctifiante. C’est pourquoi il est clair que,
à parler absolument et proprement, le Fils n’est donné ou envoyé que dans le
don de la grâce sanctifiante. Mais pour ce qui est des autres dons qui se
rapportent à la connaissance, c’est quelque chose de la similitude du Verbe
qui est participé. |
|
|
[1150] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 tit.
Utrum missio Filii distinguatur a missione Spiritus sancti |
Article 2 – La mission du Fils se distingue-t-elle de celle de l’Esprit Saint ? |
[1151] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio
Filii distinguatur a missione Spiritus sancti. Missio enim est temporalis
processio, ut supra dixit Magister, dist. 14. Sed alia est ratio processionis
Filii, alia ratio processionis Spiritus sancti: quia Spiritus sanctus
procedit ut amor, Filius ut verbum. Ergo et alia ratio missionis. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
du Fils se distingue de celle de l’Esprit-Saint. La mission en effet est une
procession temporelle, ainsi que l’a dit le Maître dans la distinction 14.
Mais autre est la raison de la procession du Fils, autre est celle de la
procession de l’Esprit-Saint : car l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour
alors que le Fils procède en tant que verbe. Donc la mission de l’un diffère
de la mission de l’autre. |
[1152] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg.
2 Item, omne quod convenit aliquibus secundum prius et posterius non convenit
eis secundum eandem rationem. Sed Spiritui sancto convenit datio per prius
quam Filio, quia habet rationem primi doni: ergo alia est ratio dationis in
utroque. Ergo et missionis, cum missio sit ipsa datio. |
2. En outre, tout ce qui
convient à plusieurs selon l’avant et l’après ne leur convient pas
selon la même définition. Mais la donation convient à l’Esprit-Saint avant de
convenir au Fils, car elle a raison de premier don : donc, la raison de
la donation diffère chez l’un et chez l’autre et par conséquent, puisque la
mission est la donation elle-même, la raison de la mission diffère dans les
deux cas. |
[1153] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg.
3 Praeterea, dona in quibus datur Filius et Spiritus sanctus sunt diversa et
non dependentia ad invicem. Sed eorum quae non dependent ad invicem, unum
potest esse sine alio. Ergo missio Filii potest esse sine missione Spiritus
sancti et e converso, et ita sunt distinctae etiam secundum tempus missionis. |
3. De plus, les dons dans
lesquels le Fils et l’Esprit-Saint sont donnés sont différents et ne
dépendent pas les uns des autres. Mais parmi les choses qui ne dépendent pas
les unes des autres, les unes peuvent exister sans les autres. Donc la
mission du Fils peut exister sans celle de l’Esprit-Saint et inversement, et
ainsi elles sont distinctes même selon le temps de la mission. |
[1154] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg.
4 Praeterea, videmus sensibiliter quosdam simplices ferventes esse in amore
divino, qui tamen sunt valde hebetes in cognitione divinae sapientiae et e
converso. Cum igitur missio Filii sit secundum donum sapientiae et missio
Spiritus sancti sit secundum amoris donum, videtur quod una missio sine alia
possit esse. |
4. Par ailleurs, nous voyons
de nos yeux certaines âmes simples et ferventes exister dans l’amour divin et
qui sont cependant grandement dépourvues dans la connaissance de la sagesse
divine et inversement. Donc, puisque la mission du Fils s’opère selon le don
de la sagesse et que la mission de l’Esprit-Saint s’effectue selon le don de
l’amour, il semble donc qu’une mission puisse exister sans l’autre. |
[1155] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg.
5 Contra, missio Spiritus sancti est ad sanctificandum creaturam, ut supra
dixit Magister, dist. 14. Si igitur missio Filii quae est etiam in gratia
gratum faciente, cujus est sanctificare, esset alia a missione Spiritus
sancti, essent duae missiones ad sanctificandum creaturam rationalem ; et ita
altera superflueret, quod non invenitur in operibus divinis. Ergo una missio
non distinguitur ab alia. |
5. Au contraire, la mission
de l’Esprit-Saint est ordonnée à la sanctification de la créature ainsi que
l’a dit plus haut le Maîrte dans la distinction 14. Si donc la mission du
Fils, qui est aussi dans la grâce sanctifiante à laquelle il appartient de
sanctifier, était distincte de celle de l’Esprit-Saint, ily aurait deux
missions ordonnées à la sanctification de la créature rationnelle ; et
ainsi l’une des deux serait superflue, ce qui ne se rencontre pas dans les
œuvres divines. Donc, une mission ne se distingue pas de l’autre. |
[1156] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de distinctione missionum
Filii et Spiritus sancti, tripliciter contingit loqui: aut quantum ad ipsarum
diversitatem realem, aut quantum ad rationem missionis, aut quantum ad earum
separationem. Si primo modo,
cum in missione duo considerentur: scilicet exitus personae missae ab alia,
et effectus secundum quem novo modo in creatura persona divina esse dicitur ;
utroque modo missio Filii est alia a missione Spiritus sancti secundum rem:
quia et generatio qua Filius exit a Patre, est alia a processione Spiritus
sancti qua exit ab utroque. Similiter donum quod perficit intellectum,
scilicet sapientia, secundum quod attenditur missio Filii, est aliud a dono
quod perficit affectum vel voluntatem, secundum quod attenditur missio
Spiritus sancti. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il est possible de parler de trois manières de la distinction qu’il y a
entre la mission du Fils et celle de l’Esprit-Saint : soit quant à la
distinction réelle qu’il y a entre elles, quant à la notion de
mission ou quant à leur séparation. Si on en parle de la première manière,
puisqu’il y a dans la mission deux aspects à considérer, à savoir le fait que
la personne envoyée sort d’une autre et l’effet selon lequel on dit de la
personne divine qu’elle existe d’une nouvelle manière dans la créature ;
et par ces deux aspects la mission du Fils diffère de celle de l’Esprit-Saint
par une différence réelle : car la génération par laquelle le Fils sort
du Père diffère de la procession de l’Esprit-Saint par laquelle ce dernier
sort des deux autres. De la même manière le don qui donne sa perfection à
l’intelligence, à savoir la sagesse, et selon lequel s’étend la mission du
Fils, diffère du don qui donne sa perfection à l’affectivité ou à la volonté
et selon lequel s’étend la mission de l’Esprit-Saint. |
Si autem secundo modo de earum distinctione
loquamur, hoc potest esse dupliciter ; aut secundum rationem propriam utriusque, aut
secundum communem. Si secundum communem, tunc eadem ratio est missionis Filii
et Spiritus sancti quantum ad utrumque ; quia et esse ab alio commune est
utrique, et similiter esse novo modo in creatura. |
Mais si on parle de leur
distinction d’après la deuxième manière, cela peut se faire de deux
manières ; Soit d’après la notion qui
est propre à chacune des deux, soit d’après la notion commune. Si c’est
d’après la notion commune, alors la notion de la mission du Fils est la même
que celle de l’Esprit-Saint sous les deux rapports car exister par une autre
est commun aux deux Personnes et il en est de même pour ce qui est d’exister
d’une nouvelle manière dans la créature. |
Sed secundum propriam rationem utrumque
differt: quia et propria ratio processionis Filii non est propria ratio processionis
Spiritus sancti, cum ille procedat ut amor, et hic ut Filius vel verbum ; et
similiter proprius modus quo Filius dicitur esse in creatura, non est
proprius modus quo Spiritus sanctus est ; quinimmo unus per sapientiam, alter
per amorem. Si autem tertio modo, tunc dico, quod una
missio nunquam est sine alia ; quia amor sequitur notitiam ; notitia
perfecta, secundum quam est missio Filii, semper inducit in amorem, et ideo
simul infunduntur et simul augmentantur. |
Mais selon la notion propre
de mission les deux diffèrent : car d’une part la notion propre de la
procession du Fils n’est pas la notion propre de la procession de
l’Esprit-Saint, puisque ce dernier procède en tant qu’amour et que le premier
procède en tant que Fils ou Verbe ; et de la même manière d’autres part
le mode propre par lequel on dit du Fils d’il existe dans la créature n’est
pas le mode propre par lequel on dit de l’Esprit-Saint qu’il existe dans la
créature : car le premier y existe par la sagesse alors que le dernier y
existe par l’amour. Mais si on en parle de la
troisième manière, alors je dis qu’une mission n’est jamais sans
l’autre ; car l’amour suit la connaissance ; et la connaissance
parfaite, qui soutient la mission du Fils, conduit toujours à l’amour, et
c’est pourquoi ils se fondent et croissent simultanément. |
[1157] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sit alia processio secundum rem,
conveniunt tamen in quodam communi secundum rationem, quod est esse ab alio. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que bien que les deux procession diffèrent réellement, elles se
rencontrent cependant dans une notion commune qui est celle d’exister par un
autre. |
[1158] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod, ut prius diximus, in divinis non est prius et
posterius ; tamen exitus Spiritus sancti praesupponit exitum Filii, secundum
ordinem naturae ; et ex parte ista, si liceret ita loqui, possemus dicere,
quod missio Filii ex parte exitus importati, est prior missione Spiritus
sancti. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que, ainsi que nous l’avons dit plus tôt, il n’y a pas d’avant et
d’après en Dieu ; cependant la sortie de l’Esprit-Saint présuppose,
d’après un ordre de nature, la sortie du Fils ; et de ce côté, s’il était
permis de parler ainsi, nous pourrions dire que la mission du Fils, du côté
de la sortie qu’elle implique, est antérieure à la mission de l’Esprit-Saint. |
Sed hoc esset secundum rationem propriam
utriusque, et non secundum rationem communem. Si autem considerentur istae
missiones quantum ad effectum in creatura, hoc dupliciter: vel ex parte
ipsius dantis vel mittentis ; vel ex parte ipsorum donorum in quibus fit
missio. Si ex parte donorum, tunc simpliciter naturaliter notitia praecedit
amorem, et ex parte illa missio Filii missionem Spiritus sancti. Sed hoc erit
secundum rationis propriae considerationem, et non communis ; sicut omnes
species motus aequaliter conveniunt in ratione communi motus ; tamen secundum
esse suum proprium, motus localis est prior aliis motibus. Si autem ex parte
dantis, cum primum movens et inclinans ad dandum sit ipse amor, sic datio
Spiritus sancti est prior datione Filii. Sed hoc non ita exprimitur in
ratione missionis. |
Mais il en serait ainsi
d’après la notion propre à chacun et non d’après la notion commune. Mais si
on considérait ces missions quant à l’effet qu’elles produisent dans la
créature, on le ferait de deux manières : soit du côté de celui-là même
qui donne ou qui envoie ; soit du côté des dons mêmes dans lesquels
s’opère la mission. Si on le fait du côté des dons, alors la connaissance
précède naturellement l’amour de façon absolue, et de ce côté la mission du
Fils précède la mission de l’Esprit-Saint. Mais cela sera d’après la
considération de la notion propre et non d’après celle qui est commune ;
par exemple, toutes les espèces de mouvement se rencontrent également dans la
notion commune de mouvement ; cependant, selon l’existence qui lui est
propre, le mouvement local est antérieur aux autres mouvements. Mais si on
considère ce problème du côté de celui qui donne, puisque le moteur qui est
premier et qui incline à donner est l’amour lui-même, alors la donation de
l’Esprit-Saint est antérieure à la donation du Fils. Mais cela n’est pas
exprimé de cette manière dans la notion de mission. |
[1159] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 3
Ad tertium dicendum, quod dona in quibus mittitur Filius et Spiritus sanctus,
consequuntur se invicem necessario, ut supra ostensum est, in corp. art., et
ideo ratio procedit ex falsis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les dons dans lesquels le Fils et l’Esprit-Saint sont envoyés se
suivent nécessairement comme nous l’avons montré plus haut dans le corps de
l’article et c’est pourquoi cet argument procède de prémisses fausses. |
[1160] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 4
Ad quartum dicendum, quod illa notitia ex qua procedit amor, viget in
ferventibus divino amore, qua scilicet cognoscunt divinam bonitatem inquantum
est finis, et inquantum est largissime in eos profluens sua beneficia ; et
talem notitiam perfecte non habent qui amore ipsius non accenduntur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que cette connaissance de laquelle procède l’amour,
est florissante dans ceux qui brûlent de l’amour divin, à savoir
cette connaissance par laquelle ils connaissent la bonté divine en tant que
fin et en tant qu’elle coule abondamment en eux de par sa bienfaisance ;
et ceux qui ne sont pas élevés par son amour ne possèdent pas parfaitement
une telle connaissance. |
[1161] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 5
Ad quintum dicendum, quod utraque missio ordinatur ad finem unum ultimum,
scilicet conjungere Deo ; sed effectus utriusque missionis differt secundum
duo quae inveniuntur in rationali creatura, quibus Deo conjungitur, scilicet
intellectus et affectus, et ita neutra superfluit. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que les deux missions sont ordonnées à une même fin ultime, à savoir
d’être uni à Dieu ; mais l’effet de chaque mission diffère d’après deux
aspects qu’on retrouve dans la créature rationnelle et par lesquels elle est
unie à Dieu, à savoir l’intelligence et l’affectivité, et ainsi aucune des
deux n’est inutile ou superflue. |
|
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Articulus 3[1162] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
4 a. 3 tit. Utrum missio possit esse aeterna |
Article 3 – La mission peut-elle être éternelle ? |
[1163] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod missio
possit esse aeterna. Sicut enim dicit Gregorius, Homil., XXVI,
in octav. Paschae, 2, col. 1198, « eo mittitur Filius quo
generatur ». Sed
generatio ejus est aeterna. Ergo et missio. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
puisse être éternelle. En effet, comme le dit Saint Grégoire [Homélie XXVI,
dans l’Octave de Pâques, 2, col. 1198] : ¨Le Fils est envoyé du fait
qu’il est engendré¨. Mais sa génération est éternelle. Donc sa mission
aussi est éternelle. |
[1164] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 arg.
2 Item, sicut missio dicit respectum a quo est, et in quem ; ita et processio
amoris, ut supra dictum est, in hac dist., quaest. 1, art. 2. Sed
processio amoris est aeterna a Patre in Filium. Ergo et missio potest esse aeterna. |
2. En outre, tout comme la
mission dit un rapport à celui d’où elle procède et au terme auquel elle est
ordonnée, il en est de même pour la procession de l’amour comme nous l’avons
dit plus haut [dist. 15, quest. 1, art. 2]. Mais la procession de l’amour qui
va du Père au Fils est éternelle. Donc la mission aussi peut être éternelle. |
[1165] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut missio dicitur per respectum
ad creaturam, ita et donum. Sed
donum Spiritus sancti dicitur ab aeterno. Ergo et missio potest dici aeterna. |
3. De plus, tout comme la
mission se dit par rapport à la créature, il en est de même pour le don. Mais
le don de l’Esprit-Saint se dit de toute éternité. Donc la mission peut être
dite éternelle. |
[1166] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 s.
c. 1 Contra est illud quod Augustinus in litteradicit: Non
eo quod de Patre natus est, dicitur Filius missus. |
Cependant : 1. Augustin dit le contraire
dans la lettre : Ce n’est pas du fait qu’il est né du Père que
le Fils est envoyé. |
[1167] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 s.
c. 2 Praeterea, missio semper ponit novum modum existendi in aliquo ipsius
missi. Sed nihil novum est aeternum. Ergo non est aeterna, sed tantum
temporalis: et hoc simpliciter concedendum est. |
2. Par ailleurs, la mission
pose toujours pour celui qui est envoyé un nouveau mode d’exister dans un
être. Mais rien de nouveau n’est éternel. Donc la mission n’est pas éternelle
mais temporelle : et cela doit être concédé absolument. |
[1168] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod verbum Gregorii potest tripliciter exponi. Uno modo quod loquatur de generatione temporali
ipsius Filii, secundum quam dicitur missus in carne. Secundo modo ut ly eo non sit adverbium, sed
ablativi casus ; ut sit sensus: ab eo a quo generatur mittitur: et hoc verum
est. Tertio modo ut loquatur non de missione in
actu, sed secundum aptitudinem: ex hoc enim Filius est, ut ita dicam,
missibilis, quo a Patre per generationem exivit. Esse enim ab alio non dicit
totam rationem missionis, ut patet ex dictis. |
Solutions : 1. Il faut dire en troisième
lieu que la parole de Saint Grégoire peut s’expliquer de trois manières. Premièrement dans le sens où
il parle de la génération temporelle du Fils selon laquelle on dit de lui
qu’Il est envoyé dans la chair. Deuxièmement de telle manière
que ce ¨du fait¨ ne soit pas pris comme un adverve mais comme un ablatif, de
sorte que le sens serait : il est envoyé du fait qu’Il est
engendré : et cela est vrai. Troisièmement de telle
manière qu’il ne parle pas de la mission en acte, mais selon
l’aptitude : de sorte que je dirais que le Fils est apte à être envoyé
du fait qu’Il sort du Père par la génération. En effet, le seul fait
d’exister par un autre ne dit pas la totalité de la notion de mission, comme
on le voit à partir de ce qui a été dit. |
[1169] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 2
Ad secundum dicendum, quod processio amoris, quamvis sit in aliquem, non
tamen ponit novum modum existendi in illo, et ideo potest esse aeterna: sed
missio ponit novitatem existendi in aliquo, et ideo non potest esse aeterna.
Et propter hoc, quamvis possit concedi aliquo modo quod Spiritus sanctus procedat
a Patre in Filium ab aeterno, non tamen conceditur quod mittatur a Patre in
Filium ab aeterno. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la procession de l’amour, bien qu’elle soit dans un être, ne pose
cependant pas une nouvelle manière d’exister dans cet être, et c’est pourquoi
elle peut être éternelle : mais la mission au contraire pose une
mouvelle manière d’exister dans un être et c’est pourquoi elle ne peut être
éternelle. Et pour cette raison, bien qu’on puisse concéder en un sens que
l’Esprit-Saint procède du Père dans le Fils de toute éternité, on ne concède
pas cependant qu’Il soit envoyé par le Père dans le Fils de toute éternité. |
[1170] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio est nomen
verbale, unde importat actualem relationem ad creaturam ; sed donum imponitur
ab aptitudine donandi, et ideo non importat actualem respectum ad creaturam ;
propter quod ab aeterno Spiritus sanctus dicitur donum, non autem missus,
sicut nec datus. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la mission est un nom verbal et c’est pourquoi il implique une
relation actuelle à la créature ; mais le don est un nom imposé à partir
de l’aptitude à donner et c’est pourquoi il n’implique pas une relation
actuellee à la créature ; et c’est pour cette raison qu’on dit de
l’Esprit-Saint qu’Il est un don de toute éternité, mais non qu’Il est envoyé
ni qu’il est donné de toute éternité. |
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Quaestio 5 |
Question 5 – [la mission du Fils par comparaison avec ceux à qui il est envoyé] |
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Prooemium |
Prologue |
[1171] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 pr.
Deinde quaeritur de missione Filii per comparationem ad eos ad quos mittitur
; et circa hoc tria quaeruntur: 1 ad quos fiat missio Filii vel Spiritus
sancti ; 2 supposito quod ad omnes sanctos, utrum
plenius post incarnationem quam ante ; 3 de effectu invisibilis missionis: utrum
faciat eos ad quos mittitur, non in hoc mundo esse. |
On s’interroge ensuite sur la
mission du Fils par rapport à ceux auxquels il est envoyé ; et à ce
sujet on pose trois questions : 1. Quels sont ceux pour
lesquels il y a mission du Fils ou de l’Esprit-Saint ? 2. En supposant qu’elle
s’adresse à tous les saints, est-elle plus substantielle après l’incarnation
qu’avant ? 3. Au sujet de l’effet
invisible de la mission, est-ce qu’elle fait que ceux auxquels elle est
envoyée n’existent plus en ce monde ? |
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Articulus 1 [1172] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
5 a. 1 tit. Utrum missio fiat ad creaturas irrationales |
Article 1 – La mission est-elle faite pour les créatures sans raison ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
–
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[1173] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod
missio fiat etiam ad creaturas irrationales. Est enim missio ad
sanctificandum creaturam, ut dictum est, dist. 14, quaest. 2, art. 2. Sed quaedam creaturae irrationales dicuntur
sanctificari, ut templum et vasa. Ergo et ad eas fit missio. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
s’adresse même aux créatures irrationnelles. En effet, la mission est
ordonnée à la sanctification de la créature ainsi que nous l’avons dit [dist.
14, quest. 2, art. 2]. Mais on dit de certaines créatures irrationnelles
qu’elles sont sanctifiées, comme un temple ou un vase. La mission s’adresse
donc à elles. |
[1174] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
1 arg. 2 Item, in nullo potest esse gratia, nisi missio ad ipsum fiat. Sed in
sacramentis continetur gratia, et tamen sunt insensibiles creaturae. Ergo ad
eas fit missio. |
2. En outre, la grâce ne peut
être dans un être que si la mission s’adresse à lui. Mais la grâce est
contenue dans les sacrements, lesquels sont cependant des créatures
insensibles. La mission s’adresse donc aux créatures insensibles. |
[1175] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
1 arg. 3 Item, Filius non tantum procedit ut Verbum manifestans Patrem per
modum cognitionis, sed etiam ut repraesentans Patrem secundum similitudinem
naturae. Sed omnes creaturae etiam insensibiles, habent similitudinem
generationis Filii, inquantum procedunt in aliqua imitatione divinae naturae,
secundum attributa participata ; sicut rationalis creatura participando
sapientiam, habet similitudinem ipsius, inquantum procedit ut Verbum. Ergo
cum ratione istius assimilationis dicatur Filius mitti ad rationales
creaturas inquantum est Verbum, eadem ratione debet mitti ad irrationales
inquantum est Filius. |
3. De plus, le Fils ne
procède pas seulement comme Verbe qui manifeste le Père par mode de
connaissance, mais aussi comme représentant le Père selon une similitude de
nature. Mais toutes les créatures, même celles qui sont insensibles, ont une
similitude de la génération du Fils en tant qu’elles procèdent dans une
certaine imitation de la nature divine d’après des attributs
participés ; par exemple la créature rationnelle, en participant de la
sagesse, possède une similitude possède une similitude de cette sagesse qui
procède comme Verbe. Donc, puisque c’est en raison de cette assimilation
qu’on dit du Fils qu’il est envoyé aux créatures rationnelles en tant qu’Il
est Verbe, pour la même raison Il doit être envoyé aux créatures
irrationnelles en tant qu’Il est Fils. |
[1176] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
1 arg. 4 Contra, missio divinae personae est tantum secundum gratiam gratum
facientem, ut dictum est. Hujus autem creaturae rationales tantum capaces
sunt. Ergo ad eas tantum fit missio. |
4. Au contraire, la mission
de la Personne divine n’a lieu que selon la grâce sanctifiante, comme nous
l’avons dit. Cependant, seules les créatures rationnelles sont capables de
recevoir cette grâce. C’est donc à elles seules que la mission s’adresse. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Dit-on que le Fils et l’Esprit Saint sont
envoyés pour tous les saints pour l’accroissement de la grâce ?]
|
[1177] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
2 arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad omnes sanctos, ratione augmenti
gratiae, dicatur mitti Filius vel Spiritus sanctus. Et videtur quod non. Quia
missio dicit novum modum existendi personae divinae in creatura. Sed per
gratiae augmentum non dicitur alio modo Deus esse in sanctis quam prius. Ergo
ad eos non fit missio divinae personae. |
Difficultés : 1. On se demande par la suite
si on doit dire que le Fils et l’Esprit-Saint sont envoyés à tous les saints
pour l’accroissement de la grâce. Car la mission dit une nouvelle manière
d’exister de la Personne divine dans la créature. Mais par l’augmentation de
la grâce on ne dit pas de Dieu qu’il existe dans les saints d’une manière qui
est autre qu’antérieurement. La mission de la Personne divine ne s’adresse
donc pas à eux. |
[1178] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, missio personae fit ad
revocandum rationalem creaturam, ut Magister dicit. Sed non revocantur nisi errantes. Ergo cum
sancti non sint errantes, ad eos non fit missio. |
2. Par ailleurs, la mission
de la Personne a lieu pour rappeler la créature rationnelle, ainsi que le dit
le Maître. Mais seuls ceux qui se sont égarés sont rappelés ou ramenés. Donc,
puisque les saints ne se sont pas égarés, la mission ne s’adresse pas à eux. |
[1179] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
2 s. c. 1 Contra, Spiritus sanctus missus est ad apostolos in Pentecostes in
visibili missione. Sed missio visibilis demonstrat invisibilem. Ergo etiam et
invisibiliter. Sed ipsi prius habebant gratiam. Ergo secundum augmentum
gratiae in sanctis, dicitur ad eos mitti Filius vel Spiritus sanctus. |
Cependant : 1. Au contraire,
l’Esprit-Saint a été envoyé aux Apôtres à la Pentecôte dans une mission
visible. Mais la mission visible manifeste la mission invisible. Donc,
l’Esprit-Saint leur a été envoyé aussi d’une manière invisible. Mais ces
derniers possédaient déjà la grâce avant. Donc, c’est pour l’augmentation de
la grâce qu’on dit du Fils et de l’Esprit-Saint leur a été envoyé. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La mission de l’Esprit Saint est-elle pour
les anges et les autres bienheureux ?]
|
[1180] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
3 arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad Angelos et ad alios beatos fiat missio
Spiritus sancti. Videtur quod non. Missio enim semper est secundum aliquem
effectum gratiae, qui in ea mittitur. Sed in Angelis et beatis, qui
devenerunt ad terminum vitae, neque datur de novo gratia neque augetur. Ergo
ad eos non fit missio. |
Difficultés : 1. On se demande par la suite
si la mission de l’Esprit-Saint s’adresse aux Anges et aux autres bienheureux.
En effet, la mission a toujours lieu d’après un certain effet de la grâce qui
est envoyée en elle. Mais dans les Anges et les bienheureux qui seront
parvenus au terme de la vie, une nouvelle grâce ne sera ni donnée ni
augmentée. La mission ne s’adresse donc pas à eux. |
[1181] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
3 arg. 2 Item, non est idem nuntius et ad quem fit missio. Sed in missione
Filii et Spiritus sancti, Angeli se habent ut nuntii, quia custodiunt et
suggerunt. Ergo videtur quod ad eos non fiat missio, quia sic oporteret ire
in infinitum. |
2. En outre, le messager
n’est pas identique à celui à qui s’adresse la mission. Mais dans la mission
du Fils et de l’Esprit-Saint, les Anges se présentent comme des messagers car
ils protègent et conseillent. Il semble donc que la mission ne s’adresse pas
à eux, car ainsi il faudrait procéder à l’infini. |
[1182] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
3 s. c. 1 Sed contrarium habetur ex littera. |
Cependant : On établit le
contraire dans le document. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 : [Une mission peut-elle être faite pour le
Christ en tant qu’homme ?]
|
[1183] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
4 arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad Christum, secundum quod homo, possit
fieri missio. Videtur quod non. Missio enim semper est ad distans. Sed humana
natura nunquam fuit in Christo distans a divina ; immo a principio
conceptionis suae fuit conjuncta per unionem et plenitudinem omnis gratiae.
Ergo videtur quod ad eum non fiat missio. |
Difficultés : 1. Par la suite, on se
demande s’il peut y avoir une mission qui s’adresse au Christ en tant qu’il
est homme. Et il semble que non. Une mission en effet est toujours ordonnée à
ce qui est éloigné. Mais dans le Christ la nature humaine ne fut jamais
éloignée de la nature divine ; bien au contraire, dès le début de sa
conception elle lui fut unie par une union et une plénitude de toute grâce.
Il semble donc que la mission ne s’adresse pas à Lui. |
[1184] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, missio est ad sanctificandum
creaturam. Sanctificatur
autem quod non est sanctum. Cum igitur Christus nunquam fuerit non sanctus,
videtur quod ad eum non possit fieri missio. |
2. De plus, la mission est
ordonnée à la sanctification de la créature. Mais ce qui est sanctifié n’est
pas saint. Donc, puisque le Christ ne fut jamais dans un état où il n’était
pas saint, il semble qu’il ne puisse y avoir une mission qui s’adresse à Lui. |
[1185] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
4 arg. 3 Contra, missio Spiritus sancti est ipsa datio. Sed Spiritus sanctus
datus est Christo, ut dicitur Joan. 3, 34: non ad
mensuram dat Deus Spiritum. Ergo ad eum fit missio. |
3. Au contraire, la mission
de l’Esprit-Saint est la donation elle-même. Mais l’Esprit-Saint a été donné
au Christ ainsi qu’on le lit dans Jean (3, 34) : Dieu
Lui a donné l’Esprit sans mesure. Donc, la mission s’adresse au Christ. |
[1186] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
4 arg. 4 Praeterea, missio visibilis est signum invisibilis. Sed ad Christum
facta est missio visibilis Spiritus sancti in columbae specie, Matth. 3. Ergo
et invisibilis. |
4. Par ailleurs, la mission
visible est le signe de la mission invisible. Mais la mission visible de
l’Esprit-Saint s’est adressée au Christ sous la forme d’une colombe comme le
dit Matthieu au chapitre 3 de son évangile. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[1187] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum missio divinae
personae sit solum in donis gratiae gratum facientis, ad illos solum fit
missio quibus hujusmodi dona conferri possunt ; et ideo concedimus quod ad
omnes rationales creaturas potest fieri missio, nisi sint depravatae per
obstinationem in malo, sicut Daemones et damnati, et non ad irrationales
creaturas. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque la mission de la Personne divine n’est présente que dans les dons
de la grâce sanctifiante, la mission ne s’adresse qu’à ceux auxquels de tels
dons peuvent être conférés ; et c’est pourquoi nous concédons qu’il peut
y avoir mission pour toutes les créatures rationnelles, à moins qu’elles ne
soient corrompues par une persévérance dans le mal, comme c’est le cas pour
le Démon et les damnés ; mais il n’y a pas mission pour les créatures
irrationnnelles. |
[1188] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sanctificari tripliciter dicitur: uno modo secundum quod sanctum dicitur mundum,
prout sanctificatio dicitur emundatio a peccato per gratiam ; alio modo secundum quod sanctum dicitur firmum,
prout dicitur sanctificatio, confirmatio in bono per donum gratiae vel
gloriae, et istis duobus modis est tantum in rationali creatura, et secundum
hos tantum fit missio ; tertio modo dicitur sanctificatio, secundum
quod aliquid accommodatur ad usum divini cultus, quem decet omnis munditia,
et hoc modo dicuntur templum et vasa sanctificari. |
Solutions : 1. ll faut donc dire en
premier lieu qu’être sanctifié se dit de trois manières : En un sens selon qu’on dit du
monde qu’il est saint pour autant qu’on appelle sanctification la
purification du péché par la grâce. En un autre sens selon qu’on
appelle saint ce qui est ferme, pour autant que la sanctification se dit de
la confirmation dans le bien par le don de la grâce ou de la gloire, et, par
ces deux modalités, la mission est seulement dans la créature rationnelle et
ne s’effectue en elle que par ces modalités. En un troisième sens la
sanctification se dit de ce qu’on applique à l’usage du culte divin qui exige
une pureté absolue, et c’est en ce sens qu’on dit d’un temple ou d’un vase
qu’ils sont sanctifiés. |
[1189] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in sacramentis
non habetur gratia sicut in subjecto gratiae, sed sicut in instrumento in quo
confertur gratia. De hoc tamen habebitur in 4, distin. 1, quaest. 1, art. 1.
Unde sanctificatio sacramentorum pertinet ad tertium modum, secundum quem non
fit missio. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que dans les sacrements la grâce n’est pas
contenue comme dans le sujet de la grâce mais comme dans l’instrument par
lequel la grâce est conférée. Nous traiterons cependant de cela plus loin
[livre 4, dist. 1, quest. 1, art. 1]. C’est pourquoi la sanctification se
rapporte au troisième sens du nom sanctification d’après lequel il n’y a pas
mission. |
[1190] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio pertinet
ad reditum creaturae in finem ; et ideo non potest esse missio, nisi secundum
illa quae possunt dicere relationem in finem. Sed generatio Filii, inquantum
Filius est, dicitur tantum secundum exitum a principio, et ideo secundum
rationem illam non pertinet ad missionem, sed magis ad creationem, secundum
quod res educuntur in esse, prout dicitur, quod per Filium omnia facta sunt.
Sed ratio Verbi et amoris possunt se habere ad utrumque ; et ideo ratio Verbi
et amoris pertinet ad creationem et ad missionem. Et praeterea,
imitatio divinae naturae, quam Filius perfecte accipit, est etiam secundum
primos effectus, quibus in esse naturae subsistimus: qui non sufficiunt ad
talem conjunctionis rationem qualem missio requirit. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que la mission se rapporte au retour de la
créature à sa finalité; et c’est pourquoi il ne peut y avoir mission que pour
ce qui peut dire une relation à la finalité. Mais la génération du Fils, en
tant que Fils, se dit seulement d’après une sortie du principe, et c’est
pourquoi elle ne peut se rapporter à la mission d’après cette définition,
mais plutôt à la création selon laquelle les choses sont amenées à
l’existence, comme on dit que c’est pas le Fils que toute chose a été faite.
Mais les notions de Verbe et d’amour peuvent comporter les deux rapports et
c’est pourquoi ces deux notions se rapportent à la fois à la création et à la
mission. Et
par ailleurs l’imitation de la nature divine qui est reçue parfaitement dans
le Fils se réalise aussi selon les premiers effets par lesquels nous
subsistons dans notre existence de nature, lesquels cependant ne suffisent
pas à la notion de réunion exigée par la mission. |
[1191] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 4 Quartum concedimus. |
4. Nous concédons la
quatrième difficulté. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[1192] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod Filius et
Spiritus sanctus dicuntur mitti ad sanctos secundum augmentum gratiae. Sed
augmentum gratiae potest esse dupliciter: |
Corps de l’article : Il faut dire, par rapport à
ce qu’on se demande par la suite, que le Fils et l’Esprit-Saint sont envoyés
aux saints pour l’augmentation de la grâce. Mais il peut y avoir augmentation
de la grâce de deux manières. |
aut secundum intentionem ejusdem virtutis
tantum, et ratione hujus augmenti non dicitur nova missio ; aut secundum quod per augmentum gratiae
perficit in novum usum vel actum gratiae, et secundum hoc dicitur Spiritus
sanctus et Filius mitti nova missione ; verbi gratia, notitia talis quae
habetur de Deo, ut ex ea procedat amor, sufficit ad rationem missionis Filii. |
Soit conformément à l’intention
de la même puissance seulement, et en raison de cette augmentation on ne
dit pas qu’il y a nouvelle mission ; Soit selon que par
l’augmentation de la grâce il y a perfectionnement dans un nouvel usage ou un
nouvel acte de la grâce, et c’est conformément à cela qu’on dit que
l’Esprit-Saint et le Fils sont envoyés dans une nouvelle mission ; en
d’autres mots, une telle connaissance qui est possédée sur Dieu, de telle
manière que l’amour procède d’elle, suffit à la notion de mission du Fils. |
Quando autem ita
notitia per inspirationem elevatur ut etiam divina mysteria cognoscat, sic
datur in dono prophetiae. Et
similiter est de Spiritu sancto, quia amor caritatis quicumque sufficit ad
missionem Spiritus sancti. Sed quando virtus amoris excrescit, ut ratione
amoris conferatur sibi aliquis alius usus gratiae, ut miracula facere, vel
sine difficultate omnem tentationem vincere, vel aliquid hujusmodi, tunc
dicitur esse nova missio Spiritus sancti. Quidam tamen dicunt quod in omni
augmento gratiae gratum facientis, est missio divinae personae, quod etiam
facile potest sustineri. |
Mais quand la connaissance
est ainsi élevée par l’inspiration qu’elle connaît aussi les mystères divins,
elle est donnée dans la don de prophétie. Et il en est de même pour
l’Esprit-Saint car tout amour de charité suffit à la mission de
l’Esprit-Saint. Mais quand la puissance de l’amour s’étend démesurément, de
telle sorte qu’en raison de l’amour lui est conféré un autre usage de la
grâce, comme de faire des miracles ou de vaincre toute tentation sans
difficulté ou de poser toute opération de cette sorte, alors on dit qu’il y a
une nouvelle mission de l’Esprit-Saint. Certains disent cependant que dans
toute augmentation de la grâce sanctifiante il y a une mission d’une Personne
divine qui peut encore être soutenue avec facilité. |
[1193] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis non sit alius modus
accipiendo generales modos, tamen est secundum aliquem specialem modum,
inquantum secundum specialem usum gratiae assimilat sibi illum ad quem fit
missio. Vel etiam est in eo pleniori modo ; et hoc sufficit ad missionem
quantum ad secundam opinionem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien qu’il n’y ait pas une autre manière de recevoir les
modes généraux, cependant cela a lieu d’après une manière spéciale, dans la
mesure où celui qui est envoyé s’assimile d’après un usage spécial de la
grâce celui auquel est ordonnée la mission. Ou bien encore Il est en lui
d’une manière plus parfaite ; et cela suffit à la mission entendue selon
la deuxième opinion. |
[1194] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod revocare aberrantem accidit missioni ex
parte ejus ad quem fit missio qui est in culpa. Missio enim determinat
terminum ad quem, ut scilicet per missionem gratia conferatur ; non autem ex
ratione missionis determinatur terminus a quo, sive sit status culpae, sive
sit status naturalium tantum, vel etiam status minoris gratiae. Vel dicendum,
quod quamvis non revocet actu errantem, tamen gratia facit ne erret, et haec
est quaedam revocatio ab errore. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le rappel de celui qui s’égare se produit dans la mission
du côté de celui auquel la mission est ordonnée, lequel est dans le péché. La
mission en effet précise le terme d’arrivée de la mission, c’est-à-dire que
par la mission la grâce soit conférée ; mais par la notion de mission le
terme du départ n’est pas déterminé, qu’il s’agisse de l’état de la faute, de
celui des choses naturelles seulement ou même de l’état d’une grâce
inférieure. Ou bien il faut dire que bien qu’elle ne rappelle pas en acte
celui qui s’égare, cependant la grâce fait qu’il ne s’égare pas et c’est là
un certain rappel qui détourne de l’erreur. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[1195] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 co. Ad id quod ulterius quaeritur de Angelis et
beatis, dicendum, quod visio quae est essentialis beatitudini, et caritas et
hujusmodi quae pertinent ad praemium substantiale, non augentur in eis ex quo
jam beati sunt effecti ; sed per hoc non tollitur quin aliquae revelationes
novae fiant in eis, cum quantumcumque perficiatur eorum cognitio, in
infinitum a Dei cognitione excedatur ; et secundum illas novas revelationes
consurgunt ad Dei amorem, non quidem ut magis ament, sed ut sub alia ratione
eorum amor dirigatur in Deum. |
Corps
de l’article: Il
faut dire, par rapport à ce qu’on cherche à savoir par la suite au sujet des
Anges et des bienheureux, que la vision qui est essentielle à la
béatitude essentielle, et la charité et les autres attributs de cette sorte
qui appartiennent à la recompense substantielle, n’augmentent pas en eux du
fait qu’ils ont déjà été rendus bienheureux; mais cela n’empêche pas que de
nouvelles révélations se produisent en eux, puisque quelle que soit la
perfection à laquelle parvient leur connaissance, elle est dépassée à
l’infini par la connaissance de Dieu; et conformément à ces nouvelles
révélations ils s’élèvent à l’amour de Dieu, non pas de telle manière qu’ils
L’aiment advantage, mais de telle manière que leur amour se tourne vers Dieu
sous un autre rapport. |
[1196] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 ad 1 Dicendum igitur ad primum, quod Angelis
facta est missio Filii et Spiritus sancti in ipsa collatione gratiae vel
gloriae. Ulterius etiam
fit ad eos missio Filii et Spiritus sancti, postquam beati sunt effecti,
secundum novas revelationes et novos modos amandi. Et per hoc patet responsio
ad primum. Quia quamvis non fiat ad eos missio secundum augmentum gratiae
intensive, fit tamen, secundum quod quodammodo eorum gratia extensive ad
plura augetur ex novis revelationibus. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la mission du Fils et de l’Esprit-Saint a été faite aux
Anges dans l’union même à la grâce ou à la gloire. Par la suite encore il y a
mission du Fils et de l’Esprit-Saint envers eux, après qu’ils aient été
rendus bienheureux, d’après de nouvelles révélations et de nouvelles manières
d’aimer. Et par là la réponse à la première difficulté est claire. Car bien
qu’il ne se produise pas à leur égard une mission selon une augmentation de
la grâce d’une manière intensive, il s’en produit une cependant, selon que
leur grâce d’une certaine manière s’étend à plusieur chose d’une manière extensive
à partir de nouvelles révélations. |
[1197] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in eadem missione non est idem nuntius
et ad quem fit missio ; sed in diversis non est inconveniens. Dico igitur,
quod in missione divinarum personarum ad nos, Angeli sunt missi vel nuntii,
non tamquam ipsi menti illabentes, sed per ministerium exterius. In missione
vero quae fit ad eos, non sunt ipsi sicut nuntii, nisi forte secundum quod
superiores Angeli cooperantur divinis personis in illuminatione inferiorum.
Sed tamen non erit abire in infinitum: quia est devenire ad supremos Angelos,
qui immediate lumen divinae revelationis recipiunt. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que pour la même mission, le messager n’est pas identique à celui à qui
s’adresse la mission ; mais pour des missions différentes, cela n’est
pas un problème. Je dis donc que dans la mission des Personnes divines à
notre égard, les Anges sont des envoyés ou des messagers, non pas en tant que
pénétrant eux-mêmes dans l’intelligence, mais par un ministère de extérieur.
Mais pour la mission qui s’adresse à eux, ils ne sont pas eux-mêmes comme des
messagers, à moins peut-être selon que des Anges supérieurs collaborent avec
les Personnes divines pour l’illumination des Anges inférieurs. On ne pourra
cependant procéder à l’infini car il faut en venir à des Anges suprêmes qui
reçoivent immédiatement la lumière de la révélation divine. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 4
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[1198] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 co. Ad id quod ulterius quaeritur de Christo,
dicendum, quod non est dubium quin ad humanam naturam in Christo missus sit
Dei Filius missione visibili quae est in carnem. Sed utrum ad Christum,
secundum quod homo est, mittatur Filius invisibiliter, vel Spiritus sanctus
visibiliter vel invisibiliter, dubium est. Quidam enim dicunt, quod ad ipsum
nulla invisibilis missio facta est. Cujus rationem assignant, quia Christus ab initio
conceptionis suae plenus fuit omni gratia: unde gratia in eo nullo modo fuit
augmentata. Et ideo neque ratione collationis gratiae, neque ratione augmenti
potest ad eum fieri missio invisibilis. Sed missio visibilis Spiritus sancti
ad ipsum facta est, ad manifestationem interioris gratiae et non alicujus
missionis interioris quae aliquam novitatem in gratia importaret. Alii
dicunt, et verius, ut videtur, quod ad animam Christi facta est missio
invisibilis in collatione gratiae quam in initio suae conceptionis accepit ;
sed postmodum nulla missio ad eum facta est, quia nulla circa ipsius gratiam
innovatio facta est. |
Corps de l’article : Quant à ce qu’on cherche à
savoir par la suite sur le Christ il faut dire qu’il n’y a pas de doute que
le Fils de Dieu, par la mission visible qui est dans la chair, a été envoyé
pour prendre la nature humaine qui est dans le Christ. Mais est-ce que le
Fils d’une manière invisible ou l’Esprit-Saint d’une manière visible ou
invisible, a été envoyé vers le Christ, cela n’est pas évident. Certains en
effet disent qu’aucune mission invisible n’a été faite pour lui. Et ils en
donnent pour raison que le Christ dès le début de sa conception fut rempli de
toute grâce : de là, la grâce en lui ne fut augmentée d’aucune manière.
Et c’est pourquoi ni en raison de la réunion de la grâce ni
en raison de son augmentation il ne peut y avoir mission invisible à son
égard. Mais il y a eu mission visible de l’Esprit-Saint à son égard pour
manifester la grâce intérieure et non une mission intérieure qui impliquerait
une nouveauté dans la grâce. D’autres disent, et avec plus de justesse, comme
on le voit, qu’une mission invisible a été faite pour l’âme du Christ dans la
réunion de la grâce qu’il a reçue au début de sa conception ; mais par
la suite aucune mission n’a été faite pour lui, car aucune nouveauté n’a été apportée
à sa grâce. |
[1199] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod humana natura quamvis tempore non
fuerit ante unionem, tamen prius est ipsam considerare secundum intellectum
in se quam ut unitam ; et ideo ad ipsam fit missio Filii per gratiam unionis,
quae dicitur missio in carnem. Similiter etiam secundum quod intelligitur
unita, adhuc est distans a divina natura secundum conditionem naturae,
quamvis non secundum unitatem personae ; et ideo ad naturam humanam etiam
unitam potest fieri missio per gratiam invisibilem in mentem, quamvis tempore
natura gratiam non praecedat. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien qu’il n’y ait pas eu de nature humaine
antérieurement à l’union selon le temps, cependant il faut la considérer en
elle-même selon l’intelligence avant de la considérer comme étant
unie ; et c’est pourquoi c’est à la nature humaine que la mission du
Fils est ordonnée par la grâce de l’union, qu’on appelle la mission dans la
chair. De la même manière encore selon qu’elle est comprise comme étant unie,
elle est encore éloignée de la nature divine selon une condition de nature,
bien qu’elle ne le soit pas selon l’unité de la personne ; et c’est
pourquoi il peut y avoir mission à l’égard de la nature humaine, même en tant
qu’elle est unie, par une grâce invisible dans l’esprit, bien que la nature
ne précède pas la grâce selon le temps. |
[1200] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sanctificare est sanctum facere. Sanctum
autem facere contingit dupliciter: vel ex non sancto, vel ex sancto. Ex non sancto dupliciter: vel privative,
idest quod primum fuerit natum habere sanctitatem non habens, et sic
sanctificari non convenit Christo ; vel negative, et sic convenit Christo ex non
sancto fieri sanctum secundum humanam naturam, quae prius quam esset, sancta
non erat ; et hoc sufficit ad rationem missionis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que sanctifier signifie rendre saint. Mais rendre saint se produit de
deux manières : soit à partir de ce qui n’est pas saint, soit à partir
de ce qui est déjà saint. Et à partir de ce qui n’est
pas saint, il arrive de rendre saint de deux manières : soit par la
privation, c’est-à-dire pour qui ne possède pas la sainteté mais qui était
apte à la posséder, et en ce sens sanctifier ne convient pas au Christ ; Soit négativement, et en ce
sens il convient au Christ à partir de ce qui n’est pas saint de devenir
saint selon la nature humaine qui, avant d’exister, n’était pas sainte ;
et cela suffit à la notion de mission. |
Ex sancto autem fieri sanctum, est
dupliciter: vel ex minus sancto facere magis sanctum, et in tali
sanctificatione adhuc salvatur ratio missionis, sed talis sanctificatio vel
missio Christo non competit ; vel secundum continuationem sanctitatis, ut sit
sanctificari, in sanctitate continuari. Sed hoc proprie non dicitur. Unde
haec sanctificatio non sufficit ad rationem missionis, quia non ponitur
aliqua innovatio ; quamvis talis sanctificatio Christo conveniat, ut ipse
dicit Joan. 17, 19: Ego pro eis sanctifico meipsum. |
Mais devenir saint à partir
de ce qui est déjà saint se produit de deux manières : soit de rendre
plus saint à partir de ce qui est moins saint et dans une telle
sanctification est encore conservée la notion de mission, mais une telle
sanctification ou mission ne convient pas au Christ ; soit selon la
continuité de la sainteté, de telle manière qu’être sanctifié, c’est
continuer dans la sainteté. Mais cela ne se dit pas proprement de la
sanctification. C’est pourquoi cette sanctification ne suffit pas à la notion
de mission, car on ne retrouve pas en elle l’idée d’innovation, bien qu’une
telle sanctification convienne au Christ comme il le dit lui-même dans Jean (17,19) : Mais
moi, c’est pour eux que je me sanctifie. |
[1201] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 4 ad 3 Ad tertium, secundum aliam opinionem, potest dici, quod non omnis
datio est missio, sed illa quae fit alicui praeexistenti ; quamvis hoc non
multum habeat rationis. |
3. On peut dire en troisième
lieu, d’après une autre opinion, que toute donation n’est pas une mission
mais celle qui arrive à qui existe déjà, bien que cela ne contienne pas
beaucoup de raison. |
[1202] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum patet responsio per praedicta,
in corp. art. |
4. La réponse à la quatrième
difficulté est claire au moyen de ce qui a été dit dans le corps de
l’article. |
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Articulus 2 [1203] Super Sent., lib. 1 d. 15
q. 5 a. 2 tit. Utrum missio invisibilis fuerit plenior post incarnationem
quam ante |
Article 2 – La mission invisible a–t-elle été plus complète après l’Incarnation qu’avant ? |
[1204] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio
invisibilis non plenior fuerit post incarnationem quam ante. Missio enim fit
per quamdam irradiationem divinae bonitatis in donis gratiae gratum
facientis. Sed sol
corporalis, cui bonitatem divinam Dionysius, IV de divin.
Nomin. §§1 et 4, col. 694, assimilat, semper aequaliter irradiat.
Ergo videtur quod missio omni tempore aequaliter fiat. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
invisible ne fut pas plus complète après qu’avant l’incarnation. La mission
en effet se produit par une irradiation de la bonté divine dans les dons de
la grâce sanctifiante. Mais le soleil physique, auquel Denys [IV Les
Noms Divins, & 1 et 4, col. 694] compare la bonté divine, irradie
toujours d’une manière égale. Il semble donc qu’en tout temps la mission a
lieu d’une manière égale. |
[1205] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2
arg. 2 Praeterea, Augustinus, De bono conjugali, cap. XXI, §
26, col. 391, dicit, quod caelibatus Joannis non praefertur conjugio Abrahae,
et ita videtur quod sancti novi testamenti non sint majoris meriti quam
sancti veteris testamenti. Sed plenitudo missionis attenditur secundum copiam
gratiae, quae est principium merendi. Ergo videtur quod non plenius sit facta
post incarnationem quam ante. Hoc etiam videtur, quod sancti veteris
testamenti proponuntur nobis in exemplum perfectae virtutis, sicut patet ad
Hebr. 11, ut Job proponitur in exemplum patientiae, Abraham in exemplum fidei
; et sic de aliis. |
2. Par ailleurs Augustin [Le
bien conjugal, ch. XXI, & 26, col. 391] dit que le célibat de Jean
n’est pas préféré au mariage d’Abraham et il semble ainsi que les
saints du nouveau testament ne sont pas d’un plus grand mérite que
les saints de l’ancien testament. Mais la plénitude de la mission se prend
selon une imitation de la grâce, laquelle est le principe du mérite. Il
semble donc que la mission n’a pas été rendue plus complète après
l’incarnation qu’avant. On le voit encore à ce que les saints de l’ancien
testament nous sont proposés comme exemples d’une vertu parfaite, comme le
montre l’Apôtre dans l’Épître aux Hébreux (11), comme Job qui est présenté
comme un exemple de patience et Abraham comme un exemple de foi ; et il
en est ainsi pour les autres. |
[1206] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2
s. c. 1 Contra Augustinus, IV De Trin., cap. XX, § 29, col.
908, exponens illud Joan. 7, 39: Nondum erat Spiritus
datus, quia Jesus nondum erat glorificatus ait: Quomodo hoc
intelligitur nisi quod illa datio Spiritus vel missio futura erat qualis
nunquam ante fuerat ? Non enim antea nulla erat, sed non talis erat. Ergo
videtur quod post incarnationem plenior fuerit. |
Cependant : Augustin prend une position
contraire [IV De la Trinité, ch. XX, & 29, col. 908] en
expliquant ce passage de Jean (7, 39) : L’Esprit-Saint n’avait
pas encore été donné, car Jésus n’avait pas encore été glorifié,
lorsqu’il dit : Comment comprendre ce passage autrement qu’en ce sens, à
savoir que cette donation ou cette mission à venir de l’Esprit-Saint était
telle qu’elle n’avait jamais été avant ? En effet, elle n’était pas
nulle avant, mais elle n’avait pas une telle importance. Il semble donc
qu’elle fut plus complète après qu’avant l’incarnation. |
[1207] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod de missione possumus loqui dupliciter: vel ex parte ipsius mittentis, et sic cum
apud ipsum nulla sit transmutatio, aequalis fit missio in omni tempore ; nisi
forte secundum praedeterminationem sapientiae et praescientiae suae, secundum
quod praeordinavit sine sui mutatione, secundum diversas congruitates
temporum, aliquid uno tempore facere, et non alio ; vel ex parte eorum ad quos fit missio ; et sic
illi qui magis sunt parati ad perceptionem gratiae, pleniorem gratiam
consequuntur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que nous pouvons parler de la mission de deux manières : Soit du côté de celui-là même
qui envoie, et ainsi puisqu’il n’y a en lui aucun changement, la mission est
égale en tout temps, sauf peut-être d’après la prédétermination de sa sagesse
et de sa préscience, selon qu’il a ordonné à l’avance sans aucun changement
de sa part, d’après les différentes opportunités des époques, de faire
quelque chose en tel temps et on en un autre ; Soit du côté des êtres vers
lesquels se porte la mission ; et ainsi ceux qui sont davantage préparés
à recevoir la grâce y parviennent plus pleinement. |
Dicendum igitur, quod quia per adventum Christi
remotum est obstaculum antiquae damnationis, totum humanum genus effectum est
paratius ad perceptionem gratiae quam ante: tum propter solutionem pretii, et
victoriam Diaboli ; tum etiam propter doctrinam Christi, per quam clarius
nobis innotescunt divina. Et ideo, loquendo communiter, plenior facta est
missio post incarnationem quam ante, quia de plenitudine ejus omnes
accepimus. Sed verum est quod ad aliquas speciales personas est in veteri
testamento plenissima facta missio secundum perfectionem virtutis ; et ipsi
tamen de plenitudine Christi acceperunt, inquantum in fide mediatoris salvati
sunt, secundum Augustinum, lib. III, De gratia Christi et de peccato
originali., c. XXIV, col. 398. |
Il faut donc dire que par la
venue du Christ est écarté l’obstacle de l’ancienne damnation, tout le genre
humain a été rendu plus prêt qu’avant à recevoir la grâce ; tant à cause
de la perte de la récompense et de la victoire du Diable d’une part, qu’à
cause de la doctrine du Christ par laquelle les choses divines nous sont
connues plus clairement. Et c’est pourquoi, pour parler universellement, la
mission a été rendue plus complète après qu’avant l’incarnation car nous
avons tout reçu de sa plénitude. Mais il est vrai que pour certaines
personnes spéciales de l’ancien testament la mission fut la plus complète
selon la perfection de sa puissance ; et cependant eux-mêmes ont
accueilli la plénitude du Christ selon qu’ils ont été sauvés par leur foi
dans le médiateur, d’après Augustin [111 De la Grâce du Christ et du
péché originel, c. XXIV, col. 398] |
[1208] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod illa ratio procedit ex parte ipsius
mittentis, qui, quantum in se est, semper aequaliter se habet ad gratiam
conferendam. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que cet argument procède de celui-là même qui envoie qui, quant
à ce qu’il est en lui-même, est toujours égal à lui-même dans sa manière de
conférer la grâce. |
[1209] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod sancti veteris testamenti dupliciter possunt
considerari: vel quantum ad gratiam personalem, et sic
per fidem mediatoris consecuti sunt gratiam aeque plenam his qui sunt in novo
testamento et multis plus et multis minus ; vel secundum statum
naturae illius temporis, et sic cum adhuc continerentur obnoxii divinae
sententiae pro peccato primi parentis, nondum soluto pretio, erat in eis
aliquod impedimentum, ut non ad eos ita plena missio fieret, sicut fit in
novo testamento etiam per traductionem in gloriam, in qua omnis perfectio
naturae amovetur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que les saints de l’ancien testament peuvent être considérés de deux
manières : Soit quant à la grâce
personnelle et ainsi par leur foi dans le médiateur ils ont atteint une grâce
également pleine à ceux du nouveau testament, et plus abondamment que
plusieurs et moins abondamment que plusieurs ; Soit d’après l’état de nature
de ce temps, et ainsi puisqu’ils étaient encore contenus comme prisonniers de
la sentence divine pour la faute des premiers parents, la récompense n’étant
pas encore détruite, il y avait en eux un obstacle tel qu’une mission
complète ne pouvait leur être adressée comme c’est le cas dans le Nouveau
Testament même par ce passage à la gloire dans laquelle toute perfection de
nature est écartée. |
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Articulus 3 [1210] Super Sent., lib. 1 d. 15
q. 5 a. 3 tit. Utrum per missionem invisibilem efficimur ne simus in hoc mundo |
Article 3 – Par la mission invisible se fait-il que nous ne sommes plus de ce monde ? |
[1211] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per
missionem invisibilem efficimur quod non in hoc mundo simus. Qui enim est in caelis, non est in mundo.
Sed apostolus in persona omnium sanctorum dicit, Phil. 3, 20: Nostra
conversatio in caelis est. Ergo videtur quod sancti ad quos fit missio,
non sint in mundo. |
Difficultés : 1. Il semble que par la
mission invisible il se fait que nous ne sommes plus de ce monde. En effet,
celui qui est dans les cieux n’est pas de ce monde. Mais l’Apôtre, dans la
personne de tous les saints, dit [Phil.
3, 20] : Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux. Il
semble donc que les saints envers auxquels s’adresse la mission ne sont plus
de ce monde. |
[1212] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3
arg. 2 Item, Augustinus dicit, quod anima verius est ubi amat, quam ubi est.
Sed esse essentialiter in aliquo, est verissimus modus essendi in eo. Ergo
sancti essentialiter sunt in caelestibus, quae amant. |
2. En outre, Augustin dit que
l’âme est plus véritablement là où elle aime que là où elle est. Mais être
essentiellement pour un être est le mode d’être le plus vrai qu’il y a en
lui. Donc les saints sont essentiellement dans les cieux qu’ils aiment. |
[1213] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3
arg. 3 Praeterea, cum anima fit substantia incorporalis, non determinatur ad
locum nisi per accidens. Ibi ergo erit anima essentialiter ubi est per
accidens. Sed in suo objecto est anima per accidens sicut in sua materia.
Ergo essentialiter est ubi est suum objectum. |
3. De plus, puisque l’âme est
une substance incorporelle, ce n’est que par accident qu’elle est déterminée
à un lieu. L’âme sera donc essentiellement là où elle est par accident. Mais
dans son objet l’âme existe par accident comme dans sa matière. Elle est donc
essentiellement là où est son objet. |
[1214] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3
arg. 4 Praeterea, nos dicimus Angelos esse in aliquo loco, propter hoc quod
ibi operantur. Sed operatio animae est circa objectum. Ergo anima
essentialiter est ubi est suum objectum. |
4. Par ailleurs nous disons
que les Anges sont dans un lieu pour cette raison que c’est là qu’ils posent
une opération. Mais l’opération de l’âme porte sur un objet. Donc l’âme est
essentiellement là où est son objet. |
[1215] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3
s. c. 1 Contra, forma nunquam excedit id cujus est forma. Sed anima est forma
essentialis corporis. Ergo non est essentialiter nisi ubi est corpus. Corpus
autem nunquam est extra mundum, quamdiu vivimus. Ergo missio invisibilis non
facit nos in hoc mundo non esse. |
Cependant : Au contraire, la forme
n’outrepasse jamais ce dont elle est la forme. Mais l’âme est la forme
substantielle du corps. Donc, elle n’est essentiellement que là où est le
corps. Mais le corps n’est jamais en dehors du monde, tant que nous vivons.
Donc la mission invisible ne fait pas que nous ne sommes plus de ce monde. |
[1216] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod anima nostra comparatur ad duo: scilicet ad corpus, cui dat
esse substantiale, per quod etiam ipsa est ; non enim est aliud animae esse
quam hoc quod corpori dat, ut supra dictum est, dist. 8, quaest. 5, art. 2.
Comparatur etiam ad objectum suum, a quo recipit esse secundum perfectionem
secundam, quod est esse accidentale. Et ideo anima essentialiter est ubi est
corpus suum ad quod habet essentialem relationem. Ubi autem est objectum
suum, non est essentialiter, sed solum per quamdam conformitatem: prout
dicitur quod scientia est assimilatio scientis ad rem scitam. Et hoc modo intelligitur
quod dicitur in Littera: « Secundum quod aliquod aeternum
mente percipimus, non in hoc mundo sumus » ; quia non conformatur
affectus noster et intellectus mundanis rebus et caducis, sed caelestibus et
aeternis ; et sic etiam intelligendum est quod apostolus dicit: Nostra
conversatio in caelis est ; ut patet ex cantu Ecclesiae :
« cogitatione et amore in illa aeterna patria conversatio est [ut
patet…conversatio est om. Éd. de Parme]. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que notre âme se compare à deux choses : à savoir au corps, auquel il
donne l’être substantiel par lequel elle aussi existe ; en effet,
l’existence de l’âme n’est pas autre que celle qu’elle donne au corps, ainsi
que nous l’avons dit [dist. 8, quest. 5, art. 2]. Notre âme se compare aussi
à son objet, duquel elle reçoit une existence selon une perfection seconde
qui est son être accidentel. Et c’est pourquoi l’âme est essentiellement là
où est son corps avec lequel elle a une relation essentielle. Mais l’âme
n’est pas essentiellement, mais seulement par une certaine conformité, là où
est son objet, pour autant qu’on dit que la science est l’assimilation de
celui qui sait à la chose qu’il sait. Et c’est de cette manière qu’on
comprend ce qui est dit dans le Document : ¨Selon que par
l’esprit nous saisisson quelque chose d’éternel, nous ne sommes pas en ce
monde¨ ; car notre affectivité et notre intelligence ne sont pas
conformées aux choses du monde qui sont passagères, mais aux choses célestes
et éternelles ; et c’est encore de cette manière qu’il faut comprendre
ce que l’Apôtre dit : Pour nous, notre cité se trouve dans les
cieux ; tout comme on le voit dans ce chant de l’Église : ¨Par
la pensée et l’amour notre relation est dans cette patrie éternelle [comme on
le voit…notre relation est om. Éd. de Parme] |
[1217] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 1 Unde patet responsio ad primum. |
Solutions: 1. À
partir de là la réponse à la première difficulté est évidente. |
[1218] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis esse
substantiale animae sit in conjunctione ad corpus, tamen tota nobilitas
ipsius est, secundum quod per actus suos nobilissimos suis perfectionibus
conjungitur. Et ideo
Augustinus dicit animam verius esse ubi amat, quia ibi est secundum suum
nobilius esse, quod est secundum perfectionem ultimam. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que l’existence substantielle de l’âme est dans son union au
corps , cependant toute sa noblesse a lieu selon que par ses actes
les plus nobles elle est unie à ses perfections. Et c’est pourquoi Augustin
dit que l’âme est plus véritablement là où elle aime car c’est là qu’elle
existe d’après une existence plus noble conforme à sa perfection ultime. |
[1219] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3
ad 3 Ad tertium dicendum, quod locus non convenit animae nisi per accidens:
tamen ad hoc quod in loco essentialiter esse dicatur, oportet quod etiam
essentialiter conjungatur ei, ratione cujus sibi locus attribuitur. Sed anima
non conjungitur objecto suo essentialiter, sed tantum secundum similitudinem
ipsius receptam in anima: quia lapis non est in anima, sed species lapidis,
secundum philosophum, De anima, texte 38 : cui etiam
speciei, sive intentioni, conjungitur anima, non quantum ad esse primum, quod
est substantiale, sed quantum ad esse secundum, quod est esse accidentale. Et
ideo ratione objecti sui non dicitur anima essentialiter esse in loco. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le lieu ne convient à l’âme que par accident : cependant, pour
qu’on dise qu’elle existe essentiellement dans un lieu, il faut encore
qu’elle lui soit essentiellement unie à la chose en raison de laquelle le
lieu lui est attribué. Mais l’âme n’est pas unie essentiellement à son objet
mais seulement d’après sa similitude reçue dans l’âme : car ce n’est pas
la pierre qui est reçue dans l’âme mais la forme de la pierre,
selon le Philosophe [De l’Âme, texte 38] : et à cette forme ou à cette
intention l’âme s’unit encore non pas quant à son existence première qui est
substantielle, mais quant à son existence seconde qui est accidentelle. Et
c’est pourquoi on ne dit pas pas que l’âme existe essentiellement dans le
lieu en raison de son objet. |
[1220] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod operatio Angeli in res corporales
est operatio activa ; et ideo oportet quod per virtutem suam, quae non
separatur ab essentia sua, conjungatur corpori in quod operatur, sicut motor
mobili. Sed operatio animae intellectualis in rem quam cognoscit et diligit,
est operatio non activa, sed receptiva ; et ideo non oportet quod conjungatur
ei essentialiter, sed quod intentio illius recipiatur in ipsa anima. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’opération de l’Ange dans les choses corporelles est une opération
active ; et c’est pourquoi il faut que par sa puissance qui n’est pas
séparée de son essence, il s’unisse au corps dans lequel il opère, comme le
moteur est uni au mobile. Mais l’opération de l’âme intellectuelle dans la
chose qu’il connaît et qu’il aime est une opération qui n’est pas active mais
réceptive ; et c’est pourquoi il ne faut pas qu’elle s’unisse à elle
essentiellement mais plutôt que l’intention de la chose soit reçue dans
l’âme elle-même. |
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Distinctio 16 |
Distinction 16 – [Les missions visibles] |
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Quaestio 1 |
Question unique : [Les missions visibles des Personnes divines] |
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Prooemium |
Prologue |
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Ad intellectum hujus partis quatuor
quaeruntur: 1 de ipsa missione visibili secundum se ; 2 ad quos fieri
debeat ; 3 quibus speciebus ; 4 per quos missio visibilis administrata
sit. |
Pour comprendre cette partie
nous nous interrogeons sur quatre points : 1. Sur la mission visible en
elle-même. 2. À qui elle doit
s’adresser. 3. Les formes qu’elle doit
revêtir. 4. Au moyen de qui la mission
visible doit être administrée. |
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Articulus 1 [1223] Super Sent., lib. 1 d. 16
q. 1 a. 1 tit. Utrum missio visibilis conveniat divinae personae |
Article 1 – Une mission visible convient-elle aux Personnes divines ? |
[1224] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod missio visibilis divinae
personae non competat. Missio enim est, ut prius dictum est, dist. 15, qu. 1, art. 1,
secundum quod divina persona aliquo novo modo est in aliquo quo prius non
fuit. Sed in nulla creatura visibili potest esse aliquo modo quo prius non
fuerit ; est enim in omnibus creaturis essentialiter, potentialiter,
praesentialiter ; et praeter hoc est in sanctis mentibus per gratiam, quo
modo in aliquo visibili corporeo esse non potest. Ergo videtur quod missio visibilis non sit
[possit esse Éd. de Parme]. |
Difficultés : 1. Il semble qu’une mission
visible ne convienne pas à une Personne divine. Une mission en effet, ainsi
que nous l’avons dit précédemment [dist. 15, qu. 1, art. 1] a lieu selon
qu’une personne divine existe dans un être d’une manière nouvelle par
laquelle elle n’y existait pas avant. Mais elle ne peut exister dans une
créature visible d’une manière par laquelle elle n’y était pas
avant ; Dieu en effet est dans toutes les créatures essentiellement,
potentiellement et par sa présence ; et en plus de cela elle est dans
les esprits saints par la grâce, ce qui ne peut être le cas pour certains
corps visibles. Il semble donc qu’il n’y ait [ne puisse y avoir Éd.
de Parme] pars de mission visible pour une Personne divine. |
[1225] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
arg. 2 Si dicas [dicis Éd. de Parme] quod esse
in illis creaturis visibilibus alio modo est, quia sicut in signo ; contra,
omnis effectus repraesentans causam est signum illius quo in ipsam potest
deveniri. Sed omnes creaturae repraesentant ipsum Deum tamquam causam per
imaginem vel vestigium. Ergo secundum hoc in omnibus creaturis mittetur
visibiliter, nec alio modo erit in illis visibilibus creaturis, in quibus
mitti dicitur, quam prius. |
2. Si
tu disais [dis Éd. de Parme] qu’exister dans ces creatures
visible a lieu d’une autre manière, car elle y existe comme dans un signe, il
faudrait dire au contraire que tout effet représentant une cause est un signe
par lequel on peut parvenir à sa cause. Mais toutes les créatures, en tant
qu’images ou vestiges, représentent Dieu lui-même comme cause. Donc, d’après
cette position la Personne divine serait envoyée visiblement dans toutes les
créatures, et il n’y aurait pas une autre manière pour la Personne divine d’être
présente dans ces créatures visibles, dans lesquelles on dit qu’elle est
envoyée, que celle que nous avons présentée avant. |
[1226] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ratio sacramenti est quod in ipso
sit Deus sicut in signo visibili. Si igitur propter hoc dicitur visibiliter mitti, quia
in rebus visibilibus est, sicut in signis ; tunc illae res essent sacramenta,
et in omnibus sacramentis esset missio visibilis. |
3. Par ailleurs, la
définition du sacrement est ce en quoi Dieu existe comme dans un signe
visible. Si donc on dit que la Personne divine est envoyée visiblement pour
cette raison qu’elle est dans les choses visibles comme dans des signes,
alors ces choses seraient des sacrements et il y aurait mission visible dans
tous les sacrements. |
[1227] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit in Littera, quod ex hoc
Spiritus sanctus visibiliter mitti dicitur, quod facta est quaedam species
creaturae ex tempore, in qua visibiliter ostenderetur. Sed in apparitionibus
veteris testamenti in visibilibus creaturis ostendebantur divinae personae,
sicut ipsi Abrahae, Genes. 18. Ergo secundum hoc videtur quod missio
visibilis non sit aliud quam apparitio. |
4. En outre, Augustin dit
dans la Lettre, qu’on dit que l’Esprit-Saint est envoyé visiblement du fait
qu’une certaine espèce de créature est produite dans le temps, dans laquelle
il serait manifesté visiblement. Mais dans les apparitions de l’ancien
testament les Personnes divines étaient manifestées dans des créatures
visibles, comme ce fut le cas pour Abraham (Genèse 18). Donc, suivant cela,
il semble que la mission visible ne soit rien d’autre qu’une apparition. |
[1228] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
arg. 5 Si dicatur, quod missio visibilis ostendit missionem invisibilem,
quod non facit apparitio ; contra, per missionem invisibilem
efficitur aliquis dignus Dei amore: Sed nemo scit utrum amore vel
odio dignus sit, Eccle. 9, 1, nec videtur hoc utile scire,
quia alias non esset ita homini occultatum. Ergo videtur quod nulla visibilis
apparitio fiat ad missionis interioris manifestationem. |
5. Si on dit que
la mission visible manifeste la mission invisible, ce que ne fait pas une
apparition, il faut dire par contre que par la mission invisible quelqu’un
est rendu digne de l’amour de Dieu : Mais personne ne sait s’il
est digne d’amour ou de haine (Ecclés. 9, 1) et il ne semble pas
utile de savoir cela car autrement cela ne serait pas ainsi caché à l’homme.
Il semble donc qu’aucune apparition visible ne se produit pour manifester la
mission intérieure. |
[1229] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
arg. 6 Praeterea, nihil potest manifestari per aliquid, nisi sufficienter
illud ducat in ipsum. Sed nulla creatura visibilis ducit sufficienter in
cognitionem gratiae invisibilis. Ergo videtur quod invisibilis missio per
visibiles species non manifestetur. |
6. Par ailleurs, aucune chose
ne peut être manifestée par une autre à moins que cette dernière ne conduise
suffisamment à elle. Mais aucune créature visible ne conduit suffisamment à
la connaissance de la grâce invisible. Il semble donc que la mission
invisible n’est pas manifestée par des espèces visibles. |
[1230] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut processio
temporalis non est alia quam processio aeterna essentialiter, sed addit
aliquem respectum ad effectum temporalem ; ita etiam missio visibilis non est
alia essentialiter ab invisibili missione Spiritus sancti, sed addit solam
rationem manifestationis per visibile signum. Ad rationem ergo visibilis
missionis Spiritus sancti tria concurrunt, scilicet quod missus sit ab aliquo
; et quod sit in alio secundum aliquem specialem modum, et quod utrumque
istorum per aliquod visibile signum ostendatur, ratione cujus tota missio
visibilis dicitur. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que tout comme la procession temporelle ne diffère
pas essentiellement de la procession éternelle mais ajoute seulement un
rapport à un effet temporal, de même encore la mission visible ne diffère pas
essentiellement de la mission invisible de l’Esprit-Saint mais ajoute
seulement l’idée de manifestation au moyen d’un signe visible. Il y
a donc trois choses qui contribuent à définir la mission visible de
l’Esprit-Saint, à savoir qu’il soit envoyé par une autre Personne, qu’il soit
dans une creature d’après une modalité spéciale, et que chacun des deux soit
manifesté par un signe visible, en raison de quoi on dit qu’il y a mission
visible. |
[1231] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa visibilis
creatura, secundum quam missio dicitur visibilis, aliter se habet in missione
visibili Filii, et in missione visibili Spiritus sancti. Quia in missione
Filii se habet non solum ut per quod vel in quo ostenditur missio, sed etiam
ut ad quod fit missio ; quia naturam humanam visibilem assumpsit in unitatem
personae ; secundum quam assumptionem visibiliter in carnem mitti dicitur. Et
ideo in ipsa natura visibili quodam novo modo per carnem existit, scilicet
per unionem non tantum in anima, sed etiam in corpore. At in missione
visibili Spiritus sancti illa creatura visibilis non se habet ut ad quod fit
missio ; sed solum ut ostendens missionem invisibilem factam in aliquem ; et
ideo non oportet quod in illa creatura visibili sit novo modo nisi sicut in
signo ; sed est novo modo in eo ad quem fit missio. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que cette créature visible d’après laquelle on
parle de mission visible, se présente autrement dans la mission visible du
Fils et dans la mission visible de l’Esprit-Saint. Car dans la mission du
Fils elle se présente non seulement comme ce par quoi ou en quoi la mission
est manifestée, mais aussi comme le terme vers lequel il y a mission; car il
a choisi la nature humaine visible dans l’unité de la Personne; et c’est
d’après ce choix qu’on dit qu’il a été envoyé visiblement dans la chair. Et
c’est pourquoi il existe dans la nature visible elle-même d’une manière
nouvelle par la chair, c’est-à-dire par une union non seulement à une âme,
mais aussi à un corps. Et dans la mission visible de l’Esprit-Saint cette
créature visible ne se présente pas comme le terme auquel est ordonnée la
mission mais seulement comme manifestant la mission invisible réalisée dans
un être; et c’est pourquoi il ne faut pas que la Personne
existe dans cette créature visible selon un nouveau
mode mais qu’elle y existe comme dans un signe; mais elle existe d’une
nouvelle manière dans celui qui est le terme de la mission. |
[1232] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis omnis creatura
significet Deum esse et bonitatem ipsius ; non tamen significat ipsum esse
per gratiam in aliquo nisi ad hoc specialiter instituatur, sicut illae
creaturae visibiles ad hoc specialiter factae sunt, ut in eis praesentia Spiritus
sancti insinuetur. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que bien que toute créature est le signe de
l’existence de Dieu et de sa bonté, cependant toute créature ne signifie pas
son existence par la grâce dans un être, à moins d’avoir été instituée spécialement
à cette fin comme ces créatures visible qui ont été faites spécialement à
cette fin de telle manière que la présence de l’Esprit-Saint s’introduise en
elles. |
[1233] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per sacramenta
significatur praesentia divinae inhabitationis, sicut in signis institutis,
non ad tempus, sed semper. Sed illae creaturae visibiles non fuerunt
institutae ut significarent gratiam divinae inhabitationis semper, sed solum
in illo tempore determinato ; et ideo non est simile. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que la présence de la divine habitation est
signifiée par les sacrements comme dans des signes institués, non pas par
rapport à un temps déterminé, mais toujours. Mais ces créatures visibles ne
furent pas instituées pour signifier la grâce de l’habitation divine
toujours, mais seulement dans tel temps déterminé; et c’est pourquoi on ne
parle pas ici de la même chose. |
Vel aliter dicendum,
et melius, quod sacramenta veteris legis significabant quidem gratiam
affuturam, sed non praesentem, eo quod in eis gratia non conferebatur.
Sacramenta vero novae legis non tantum sunt signa, sed etiam causae
quodammodo ; et ideo non significant gratiam ut jam habitam, sed ut per
sacramenta inducendam. Sed
illae species sunt tantum signa praesentis gratiae et non causae, sicut patet
quod circa Christum, ad quem visibilis missio facta est, nihil gratiae
invisibilis effectum est. Unde etiam omnes ad quos missio visibilis facta
est, gratiam habent ; non autem omnes quibus sacramenta conferuntur, gratiam
suscipiunt, quia causalitas sacramentorum impeditur: significant enim
gratiam, non ut existentem, sed ut causandam quodammodo per ipsa. |
Ou bien encore il faut dire
autrement, et même mieux, que les sacrements de l’ancienne alliance
signifiaient certes une grâce à venir mais non présente, du fait qu’en eux la
grâce n’était pas conférée. Mais les sacrements de la nouvelle loi ne sont
pas seulement des signes, mais ils sont aussi des causes en quelque
sorte ; et c’est pourquoi ils ne signifient pas la grâce en tant qu’elle
serait déjà possédée, mais comme introduite par les sacrements. Mais ces
formes ou ces espèces sont seulement des signges d’une grâce présente et non
pas des causes de la grâce, ainsi qu’on le voit par rapport au Christ, pour
lequel ne mission visible a été faite, rien d’une grâce invisible n’a été
fait. C’est pourquoi encore tous ceux à qui une mission visible a été faite
possèdent la grâce ; cependant ce ne sont pas tous ceux à qui les
sacrements sont conférés qui reçoivent la grâce car la causalité des
sacrements est empêchée : en effet, ils signifient la grâce non pas
comme existante, mais comme devant être causée d’une certaine manière par
eux. |
[1234] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod missio visibilis includit in se apparitionem,
et super hoc aliquid addit, scilicet rationem missionis ; quae in duobus
consistit, ut dictum est, in corp. art. Unde de ratione apparitionis non est
nisi quod aliquod divinum in signo visibili manifestetur, non autem quod
manifestetur origo unius personae ab alia, nec inhabitatio secundum specialem
modum essendi in eo cui fit apparitio, vel in aliquo alio, sicut patet in
apparitione facta Abrahae ; quamvis enim apparuerint tres ad manifestandum
numerum personarum, tamen ordo unius personae, secundum quem est ab alio, in
illo signo visibili non manifestabatur ; et inde est quod apparitio potest
Patri convenire, non autem missio visibilis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la mission visible comprend en elle une apparition et elle ajoute à
cela quelque chose de plus, à savoir la notion de mission ; laquelle
consiste en deux points ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. C’est pourquoi dans la notion d’apparition il n’y a rien d’autre
que quelque chose de divin qui est manifesté dans un signe sensible, et non
pas la manifestation de l’origine d’une personne par rapport à une autre, ni
l’habitation d’après un mode spécial d’existence dans celui à qui se présente
l’apparition ou dans un autre, ainsi qu’on le voit dans l’apparition faite à
Abraham ; en effet, bien qu’il y eut trois hommes qui lui apparurent
pour manifester le nombre des Personnes, cependant l’ordre d’une Personne,
d’après lequel elle vient d’une autre, cela n’est pas manifesté dans ce signe
visible ; d’où l’apparition peut convenir au Père mais non pas la
mission visible. |
[1235] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod nullus per se potest scire utrum dignus sit
odio vel amore ; sed potest sibi divinitus propter aliquam utilitatem
manifestari ; et non solum sibi, sed aliis etiam ; [quia add. Éd. de
Parme] quod est uni utile, non est utile omnibus. Unde non oportet quod
si uni reveletur, quod omnibus. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que personne ne peut par lui-même savoir s’il est digne d’amour ou de
haine ; mais quelque chose de divin peut lui être manifesté pour une
certaine utilité ; et non seulement à lui mais aussi aux autres ;
[parce que add. Éd. de Parme] ce qui est utile à l’un n’est pas
utile à tous. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que ce qui est révélé à
l’un soit révélé à tous. |
[1236] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis una creatura visibilis non sufficiat ad
hoc quod ducat in cognitionem invisibilis missionis, tamen ex sua novitate
excitat videntes in admirationem et inquisitionem, et tunc inquirentibus per
gratiam invisibilem et per doctrinam praedicatoris exterius potest missio
invisibilis designata edoceri. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que bien qu’une créature visible ne suffise pas à conduire à la
connaissance d’une mission invisible, cependant de par sa nouveauté elle
pousse à l’admiration et à la recherche ceux qui la voient, et alors , à ceux
qui recherchent, la mission invisible désignée peut être enseignée par une
grâce invisible et par la doctrine du prédicateur extérieur. |
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Articulus 2 [1237] Super Sent., lib. 1 d. 16
q. 1 a. 2 tit. Utrum missio visibilis debuerit fieri ad patres veteris
testamenti |
Article 2 – La mission visible aurait-elle dû exister pour les Pères de l’ancien Testament ? |
[1238] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur etiam quod
ad patres veteris testamenti missio visibilis fieri debuerit. Missio enim
visibilis est signum invisibilis missionis. Sed ad patres veteris testamenti
facta est missio invisibilis, ut supra dictum est, distinct. 15, qu. 5, art.
2. Ergo videtur quod etiam visibilis fieri debuerit. |
Difficultés : 1. Il semble encore que la
mission visible aurait dû exister pour les Pères de l’ancien testament. En
effet, la mission visible est le signe de la mission invisible. Mais la
mission invisible a été faite aux Pères de l’ancien testament, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 5, art. 2]. Il semble donc que la
mission visible aurait dû leur être faite. |
[1239] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, constat quod gratia novi testamenti est gratia
plenitudinis, inquantum de plenitudine Christi omnes accepimus. Si igitur ad
illos de primitiva Ecclesia propter gratiae plenitudinem missio Spiritus
sancti fiebat, videtur quod etiam ad omnes fideles fieri debuerit. |
2. Par ailleurs, il est clair
que la grâce du nouveau testament est la grâce de la plénitude selon que nous
recevons tous de la plénitude du Christ. Si donc la mission de l’Esprit-Saint
existait pour ceux de l’église primitive à cause de la plénitude de la grâce,
il semble qu’elle aurait dû exister aussi pour tous les fidèles |
[1240] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, per visibiles missiones et visibilia signa, apostoli
notitiam fidei in multos diffuderunt, sicut dicitur Marci ult.: Illi
autem profecti, praedicaverunt ubique, domino cooperante, et sermonem
confirmante sequentibus signis. Sed sicut illi tenebantur ad
praedicationem fidei, ita etiam et praelati nostri temporis. Ergo videtur
quod ad eos etiam missio visibilis fieri debeat. |
3. En outre, par les missions
visibles et les signes visibles, les apôtres ont répandu en plusieurs la
connaissance de la foi, ainsi que le dit Marc à la fin de son
évangile : Pour eux, ils s’en allèrent prêcher en tout lieu, le
Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui
l’accompagnaient. Mais tout comme ceux-là étaient tenus à la prédication
de la foi, de même aussi les prélats de notre temps le sont. Il semble donc
que la mission visible doive aussi exister pour eux. |
[1241] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, constat quod beata virgo plenissimam gratiam habuit inter
omnes puras creaturas. Si igitur missio visibilis fit ad ostendendum
plenitudinem gratiae inhabitantis, videtur quod ad ipsam fieri debuerit
missio specialis. |
4. De plus, il est clair que
la bienheureuse vierge parmi toutes les créatures pures a possédé
la grâce la plus complète. Si donc la mission visible existe pour manifester
la plénitude de la grâce qui habite, il semble qu’une mission spéciale aurait
dû exister pour elle. |
[1242] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 5 E contrario videtur quod ad Christum non debuit fieri missio. Missio
enim visibilis est signum invisibilis missionis. Sed ad Christum nulla missio
invisibilis Spiritus sancti facta est, nisi forte in principio suae
conceptionis. Ergo videtur quod postmodum nulla missio visibilis ad eum fieri
debuerit. |
5. Il semble au
contraire qu’une mission n’a pas dû exister pour le Christ. La mission
visible en effet est le signe de la mission invisible. Mais il semble
qu’aucune mission invisible de l’Esprit-Saint n’a été faite pour le Christ,
excepté peut-être au début de sa conception. Il semble donc que par la suite
aucune mission visible n’a dû exister pour Lui. |
[1243] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut in missione
invisibili Spiritus sancti ex plenitudine divini amoris redundat gratia in
mentem, et per illum effectum gratiae accipitur cognitio illius personae
divinae experimentalis ab ipso cui fit missio, ita in missione visibili
attenditur alius gradus redundantiae, inquantum scilicet gratia interior
propter sui plenitudinem quodammodo redundat in visibilem ostensionem, per
quam manifestatur inhabitatio divinae personae, non tantum ei cui fit missio,
sed etiam aliis. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que tout comme dans la mission invisible de
l’Esprit-Saint la grâce abonde dans l’esprit de par la plenitude de l’amour
divin, et que par cet effet de la grâce est recue une connaissance
expérimentale de cette personne divine par celui à qui s’adresse la mission,
de même dans la mission visible on considère un autre degré de débordement,
c’est-à-dire dans la mesure où la grâce intérieure, en raison de sa
plénitude, déborde d’une certaine manière, dans une manifestation visible par
laquelle est manifestée l’habitation de la divine personne, non seulement sur
celui à qui s’adresse la mission mais aussi sur les autres. |
Unde oportet quod ad
missionem visibilem duo concurrant, scilicet quod sit gratiae plenitudo in
illis ad quos fit missio, et ulterius quod plenitudo ordinetur ad alios, ut
per aliquem modum gratia abundans redundet in eos: propter quod manifestatio
gratiae interioris non tantum habenti, sed etiam aliis fit. Et ideo Christo primo, et postmodum
apostolis missio, visibilis scilicet, facta est, quia per eos plures gratia
diffusa est, secundum quod per eos Ecclesia plantata est. |
C’est pourquoi deux choses
sont requises à la mission visible, à savoir qu’il y ait plénitude de grâce
chez ceux à qui s’adresse la mission, et par la suite que cette plénitude
soit ordonnée aux autres, afin que la grâce d’une certaine manière déborde
sur eux : c’est pour cette raison que la manifestation de la grâce
intérieure a lieu non seulement chez celui qui la possède, mais aussi chez
les autres. Et c’est pourquoi la mission, c’est-à-dire celle qui est visible,
a d’abord eu lieu dans le Christ et par la suite dans les apôtres car c’est à
travers leur grand nombre que la grâce s’est répandue de telle manière que
c’est à travers eux que l’Église a été implantée. |
[1244] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis aliqui patres veteris testamenti
gratiam plenissimam acceperint personalem, tamen quia nondum erat tempus
gratiae, propter impedimentum originalis peccati, a quo nondum morte Christi
natura humana remedium acceperat, ideo non debuit significari plenitudo
gratiae ut praesens, sed tantum ut futura in apparitionibus et legalibus
sacramentis. Vel ex alia parte non erat tunc tempus spiritualis
propagationis, per quam spirituali modo diversae gentes in Dei cognitione
regenerantur, sed carnali propagatione cultus divinus a patribus in filios
procedebat: et ideo non debuit significari gratia per missionem visibilem,
quae significat gratiam tendentem in alios. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que bien que certains Pères de l’ancien testament ont reçu la grâce
personnelle la plus abondante, cependant parce que le temps de la grâce
n’était pas encore arrivé, à cause de l’empêchement du péché originel pour
lequel la nature humaine n’avait pas encore reçu la guérison par la mort du
Christ, c’est pourquoi la plénitude de la grâce n’a pas dû être signifiée
dans les apparitions et dans les sacrements légaux comme étant présente, mais
seulement comme étant à venir. Ou bien d’un autre côté ce n’était pas encore
le temps de la propagation spirituelle par laquelle différentes nations
seraient regénérées dans la connaissance de Dieu d’une manière spirituelle,
mais celui où le culte divin passait des pères aux fils par une propagation
charnelle ; et c’est pourquoi la grâce n’a pas dû être signifiée par une
mission visible qui signifie la grâce qui tend vers les autres. |
[1245] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod fideles primitivae Ecclesiae erant quasi
semen quoddam spirituale per quos debuit pullulare fides in omnibus gentibus
; et ideo ad eos visibilis missio facta est, ad ostendendum quod per eos
plantanda erat Ecclesia in cognitione Dei per universum mundum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que les fidèles de l’Église primitive était comme une certaine semence
spirituelle et c’est grâce à eux que la foi a dû se multiplier chez tous les
peuples ; et c’est pourquoi la mission visible s’est adressée à eux,
pour montrer que l’Église devait être implantée par eux dans la
totalité du monde pour la connaissance de Dieu. |
[1246] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod duplici ratione non oportet modo fieri
missionem visibilem, sicut tunc: primo quia iste est naturalis ordo quod ex
visibilibus in invisibilia veniatur. Unde primis tamquam adhuc rudibus in Dei
cognitione signa visibilia ostendebantur ; sed jam modo innotescente et
publicata fide, sufficit cognitio in invisibilibus signis, quae sunt dona
gratiarum mentibus infusa. Videmus enim aliquid proficere novae plantulae,
quod postmodum sibi non adhibetur, quando ad perfectum venit. Alia ratio est, quia signa illa et visibiles
missiones fuerunt quasi argumentum confirmans fidei veritatem. Illius autem
cujus probatio semel perfecta est, non oportet probationem iterari ; sed ex
suppositione prioris probationis procedere. Ita etiam non oportet quod per
nova signa modo fides probetur, sed per ea quae tunc facta sunt. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que pour deux raisons il ne faut pas que la mission visible ait lieu
comme alors : Premièrement parce que
l’ordre qui consiste à aller du visible à l’invisible est un ordre naturel.
C’est pourquoi aux membres de l’Église primitive qui étaient encore ignorants
de la connaissance de Dieu de nombreux signes visibles étaient
manifestés ; mais la foi étant annoncée et s’étant déjà fait connaître,
la connaissance des signes invisibles suffit, lesquels sont les dons des
grâces répandus dans les esprits. Nous voyons en effet qu’une plante
progresse d’une nouvelle bouture qui par la suite ne lui est pas jointe quand
elle est parvenue à sa perfection. L’autre raison est que ces
signes et les missions visibles furent comme des signes pour confirmer la
vérité de la foi. Mais pour les choses dont la preuve est parfaite une fois
pour toutes, la preuve n’a pas besoin d’être renouvelée, mais il faut aller
de l’avant en s’appuyant sur ce qui a été prouvé antérieurement. Ainsi encore
il n’est pas nécessaire que la foi soit prouvée en procédant par de nouveaux
signes, mais par les choses qui ont déjà été réalisées. |
[]1247] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum dicendum, quod inter alios qui fuerunt de primitiva Ecclesia,
in die Pentecostes etiam beatae virgini visibilis missio Spiritus sancti
facta est. Sed quamvis singularem plenitudinem gratiae consecuta sit, tamen
non fuit ad ipsam facta missio visibilis specialis: quia non ordinabatur
gratia sua ad plantationem Ecclesiae per modum doctrinae et administrationis
sacramentorum, sicut per apostolos factum est. Unde apostolus dicit 1 ad
Timoth. 2, 12: Mulierem in Ecclesia loqui non permitto. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que parmi ceux qui furent membres de la primitive
Église, la mission de l’Esprit-Saint au jour de la Pentecôte a eu lieu aussi
pour la bienheureuse vierge. Mais bien qu’elle parvint à une plénitude
exceptionnelle de la grâce, cependant la mission visible spéciale n’a pas eu
lieu pour elle: car sa grâce n’était pas ordonnée à l’implantation de
l’Église par mode d’enseignement et d’administration des sacrements comme ce
fut le cas pour les apôtres. C’est pourquoi l’Apôtre dit [1Tm. 2, 12]: Je
ne permets pas à la femme d’enseigner dans l’Église. |
[1248] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum dicendum, quod missio visibilis ostendit missionem
invisibilem non semper tunc fieri, sed sufficit si etiam prius facta
fuerit. Quare autem tunc missio visibilis ad Christum facta sit, dicetur
infra, art. seq. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la mission visible ne manifeste pas toujours la mission invisible en
devenir, mais il suffit même qu’elle ait déjà eu lieu antérieurement. Mais
pourquoi alors la mission visible a eu lieu pour le Christ, on le dira plus
loin dans l’article suivant. |
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Articulus 3 [1249] Super Sent., lib. 1 d. 16
q. 1 a. 3 tit. Utrum missio visibilis fiat tantum in specie corporali |
Article 3 – La mission visible est-elle faite seulement dans une forme corporelle ? |
[1250] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod missio
visibilis non solum fiat in specie corporali. Est enim triplex missionis
genus, scilicet corporalis, imaginaria et intellectualis, ut dicitur in
Glossa Isidori. Per quamlibet autem harum potest fieri divinorum
manifestatio. Ergo videtur quod sicut est missio aliqua quae fit secundum
visionem intellectualem, scilicet per gratiam invisibilem, et aliqua quae fit
secundum corporalem, scilicet secundum species corporales ; ita etiam sit
aliqua secundum visionem imaginariam per species imaginarias. |
Difficultés: 1. Il
semble que la mission visible n’ait pas lieu seulement dans une espèce corporelle.
Il y a en effet trois genres de missions, à savoir corporelle, imaginaire et
intellectuelle, ainsi qu’on le dit dans la glose d’Isidore. Et Dieu peut se
manifester dans n’importe laquelle de ces missions. Il semble donc que tout
comme il y a une mission qui a lieu d’après une vision intellectuelle,
c’est-à-dire au moyen d’une grâce invisible, et une autre qui a lieu d’après
une vision corporelle, c’est-à-dire d’après des espèces corporelles, de même
encore il y a une mission qui a lieu d’après une vision imaginaire au moyen
d’espèces imaginaires. |
[1251] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, quanto aliquid nobilius est, tanto
nobiliores proprietates habet. Sed nobilioribus proprietatibus creatura
nobilior divinam bonitatem repraesentat. Ergo cum missio visibilis sit ad
manifestandum divinas personas, videtur quod semper per creaturas
nobilissimas fieri debet, ut per stellam vel aliquid hujusmodi, et non per
columbam vel ignem. |
2.
Par ailleurs, un être possède des propriétés d’autant plus nobles que sa
nature est plus noble. Mais c’est par ses propriétés plus nobles qu’une
créature noble représente la bonté divine. Donc, puisque la mission visible a
lieu pour manifester les Personnes divines, il semble qu’elle doive toujours
avoir lieu au moyen des créatures les plus nobles, par exemple au moyen des
étoiles ou de quelque chose du genre, et non pas au moyen d’une colombe ou du
feu. |
[1252] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, Spiritum veritatis non decet aliqua fictio. Sed Spiritus
sanctus est Spiritus veritatis, ut dicitur Joan. 15. Ergo non decet quod per
aliquas species, quibus non subsit rei veritas, appareat ; et ita videtur
quod columba illa, in qua apparuit, verum animal fuerit, et linguae et ignis,
verae linguae et verus ignis. Quod non videtur ; quia non comburebat ignis,
et columba, peracto illo officio, reversa est in pristinam materiam, ut
sancti dicunt. Et praeterea si essent verae res, non ducerent in aliud. |
3. De plus, une fiction ne
convient pas à l’Esprit de vérité. Mais l’Esprit-Saint est l’Esprit de
vérité, comme on le dit dans l’Évangile de Jean au chapître 15. Il ne
convient donc pas qu’Il apparaisse au moyen de certaines espèces par
lesquelles la vérité de la chose ne subsiste pas ; et ainsi il semble
que cette colombe, dans laquelle Il apparut, devait être un véritable animal,
et les langues et le feu, de véritables langues et du véritable feu. Mais il
semble que ce ne fut pas le cas car le feu ne brûlait pas et la colombe,
ayant rempli sa fonction, retourna à sa matière primitive ainsi que le disent
les saints. Et par ailleurs si elles étaient de véritables choses, elles ne
conduiraient pas à autre chose. |
[1253] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea, Spiritus sanctus unus est, ut dicitur 1 Corinth. 12,
13: Uno spiritu potati sumus. Sed signum debet respondere
signato. Ergo videtur quod in uno tantum signo Spiritus sanctus apparere
debuerit. |
4. En outre, l’Esprit-Saint
est un, comme le dit l’Apôtre [1 Co. 12, 13] : C’est par un seul
Esprit que nous avons tous été abreuvés. Mais le signe doit correspondre
au signifié. Il semble donc que c’est dans un seul signe que
l’Esprit-Saint aurait dû apparaître. |
[1254] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
arg. 5 Praeterea, sicut Spiritus sanctus invisibiliter mittitur in mentem,
ita et Filius ; et per utramque missionem ordinatur aliquis ad plantationem
Ecclesiae. Cum igitur missio visibilis ad hoc ostendendum facta sit, videtur
quod sicut Spiritus sanctus visibilibus signis ad aliquos missus est, ita et Filius
etiam sine hoc quod carnem assumpsit. |
5. Aussi, le Fils, tout comme
l’Esprit-Saint, est envoyé invisiblement dans l’Esprit ; et chacun est
ordonné à l’implantation de l’Église par ces deux missions. Donc, puisque la
mission visible a été faite pour manifester ces deux missions invisibles, il
semble que tout comme l’Esprit-Saint a été envoyé vers certains par des
signes visibles, de même le Fils devait l’être sans même devoir prendre
chair. |
[1255] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art.
anteced., missio visibilis fit ad significandum plenitudinem gratiae
redundantis in multos ; propter quod manifestatio talis aliis etiam fit.
Redundat autem gratia dupliciter, scilicet per instructionem, et per operationem,
secundum quod se habet aliquo modo ille in quo est gratiae plenitudo,
efficienter ad gratiam. Uterque autem modus redundantiae fuit in Christo.
Ipse enim per doctrinam suam nos in Dei cognitionem adduxit, ut dicitur Joan.
1, 18: Unigenitus, qui est in sinu Patris, ipse enarravit. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que, ainsi que nous l’avons déjà dit dans l’article
précédent, que la mission visible a lieu pour manifester la plenitude de la
grâce qui déborde sur plusieurs; et c’est pourquoi une telle manifestation a
lieu aussi pour les autres. Mais la grâce rejaillit de deux manières,
c’est-à-dire par l’instruction et par l’opération selon lesquelles celui dans
qui se trouve la plénitude de la grâce se présente en un sens d’une manière
efficace à l’égard de la grâce. Mais ces deux modalités de débordement furent
dans le Christ. En effet, de par son enseignement, Il nous conduisit à la
connaissance de Dieu ainsi qu’Il le dit Lui-même [Jean, 1, 18]: Le
Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître. |
Ipse etiam gratiam dedit, inquantum Deus,
effective, et inquantum homo, per modum meriti. Unde ad significandum
redundantiam gratiae ipsius in nos per modum operationis, facta est missio
visibilis ad ipsum in Baptismo: quia tunc ipse nihil accipiens a Baptismo,
tactu suae mundissimae carnis vitam regenerativam [regenerantem Éd.
de Parme] contulit aquis, efficienter ut Deus, et meritorie ut homo. |
Lui-même nous donna aussi la
grâce, d’une manière efficace en tant que Dieu et par son mérite en tant
qu’homme. C’est pourquoi, pour signifier le débordement de sa grâce en nous
par mode d’opération, il y a eu la mission visible à son égard lors de son
Baptême : car alors lui-même ne recevant rien du Baptême, il apporta aux
eaux, efficacement en tant que Dieu et d’une façon méritoire en tant
qu’homme, une vie regénérative [qui regénère Éd. de Parme] par le
seul toucher de sa chair la plus pure. |
Et ideo in specie
columbae facta est ad eum missio Spiritus sancti, ad significandum fecunditatem
spiritualem: quia columba animal fecundissimum est. Propter quod etiam Pater
apparuit in sono vocis naturalem filiationem ipsius protestans, dicens Matth.
17, 5: Hic est filius meus dilectus. Ad cujus filiationis
similitudinem per baptismalem gratiam in filios adoptionis regeneramur, ut
dicitur Roman. 8,
29: Quos praescivit, eos et praedestinavit conformes fieri imagini
Filii ejus. Ad insinuandum vero redundantiam gratiae ex ipso in alios per
modum doctrinae, apparuit Spiritus super ipsum in nube lucida, cujus est
lumen spargere. Job 37, 2: Nubes spargunt lumen suum. |
Et c’est pourquoi il y a eu
mission de l’Esprit-Saint à son égard sous la forme d’une colombe, pour
signifier sa fécondité spirituelle : car la colombe est l’animal le plus
fécond. Et c’est pour cette raison aussi que le Père apparut dans un son de
voix témoignant avec force de la filiation naturelle de celui-ci, en disant
[Mt. 17, 5] : Celui-ci est mon fils bien-aimé. Et c’est à la
ressemblance de cette filiation que nous sommes regénérés par la grâce
baptismale en des fils d’adoption comme le dit l’Apôtre [Rm. 8, 29] :
Ceux qu’il a d’avance discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire
l’image de son Fils. Mais pour faire connaître le débordement de la grâce de
Lui aux autres par mode d’enseignement, l’Esprit-Saint apparut sur Lui dans
un nuage lumineux auquel il appartient de répandre la lumière ainsi qu’il est
dit [Job 37, 2] : Les nuages répandent sa lumière. |
In quo signatur
effusio doctrinae per praedicationem, secundum Gregorium, lib. XXVII Moral., cap.
XXXI, col. 132. Et hoc in transfiguratione, ut dicitur Matth. 17, secundum
Glossam Augustini, Annotationes in Job, c. XXXVII, col. 868
et Bernardi. Et ideo cum
vox Patris tunc super ipsum intonuit: Hic est Filius meus dilectus,
additum est, ipsum audite. Unde patet quod non oportet fieri
visibilem missionem ad Christum a principio conceptionis suae ; sed tunc
quando incepit ejus gratia in alios redundare. Similiter etiam apostolis bis
facta est visibilis missio Spiritus sancti. |
Et c’est en cela qu’est
signifiée l’effusion de la doctrine par la prédication selon Saint-Grégoire
[XXVII, Moral. ch. XXXI, col. 132]. Et cela est manifesté dans la
transfiguratin comme il est dit dans Matthieu au chapître 17, conformément à
la glose d’Augustin [Annotations sur Job, ch. XXXVII, col. 868] et de
Bernard. Et c’est pourquoi lorsque la voix du Père retentit alors sur
lui : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, elle
ajouta : écoutez-le. C’est pourquoi il est clair qu’il ne
fallait pas qu’il y ait une mission visible à l’égard du Christ au début de
sa conception, mais seulement alors que sa grâce commença à déborder sur les
autres. De la même manière encore la mission visible de l’Esprit-Saint fut
faite deux fois sur les apôtres. |
Primo ad insinuandum redundantiam gratiae ex
ipsis per modum operationis, in administrationem sacramentorum, in specie
flatus, ut legitur Joan. 20: unde et ibi dicitur, 23: Quorum
remiseritis peccata, remittuntur eis ; et quorum retinueritis, retenta sunt ;
ut ostenderetur quia talis auctoritas non devenit in eos nisi ex influxu
capitis, scilicet Christi. In Christum autem devenit immediate ab ipso Patre ;
et propter hoc in ipso significabatur haec auctoritas per volatum columbae
desuper advenientis ; in apostolis autem per speciem flatus a Christo
procedentis. |
Premièrement
pour faire connaître le débordement de la grâce à partir d’eux par mode
d’opération, dans l’administration des sacrements, sous la forme d’un souffle
comme le dit Jean (20, 23): Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils
leur seront remis; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus;
pour que soit manifesté qu’une telle autorité ne leur venait que par
l’influence de la tête, c’est-à-dire du Christ. Mais le Christ tenait cette
autorité immédiatement du Père lui-même; et c’est pour cette raison que cette
autorité était signifiée en Lui par le vol d’une colombe venant
d’en haut, et chez les apôtres sous la forme d’un souffle venant du Christ. |
Secundo facta est ad
eos missio visibilis, ad insinuandum redundantiam per modum doctrinae ; et
hoc in die Pentecostes, ut legitur actuum 2. Et ideo apparuit super eos in linguis igneis: Verbis
ut essent proflui, et caritate fervidi zelantes proximorum salutem. |
Deuxièmement la mission
visible de l’Esprit-Saint a eu lieu sur les apôtres pour faire connaître le
débordement par mode d’enseignement ; et cela au jour de la Pentecôte
comme on le lit au chapître deux des Actes
. Et c’est pourquoi l’Esprit apparut sur eux comme des langues de
feu : pour qu’ils soient inondés de paroles et brûlants d’amour,
zélés pour le salut de leurs prochains. |
[1256] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod visio imaginaria dicitur proprie
revelatio et non apparitio vel missio, et hujusmodi visiones prophetis saepe
factae sunt. In missione enim visibili ostenditur praesentia gratiae
inhabitantis. Species autem quae est in imaginatione, non est necessario rei
praesentis, sicut species quae est in sensu ; et ideo per corporales species
exteriori visioni subjectas, magis debet manifestari interior missio, quam
per imaginarias. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu qu’une vision imaginaire s’appelle proprement révélation et non pas
apparition ou mission, et de telles visions prophétiques ont souvent eu lieu.
En effet, la présence de la grâce d’habitation est manifestée dans la mission
visible. Mais l’espèce qui est dans l’imaginatio n’est pas nécessairement
celle de la chose présente comme c’est le cas pour l’espèce qui est dans le
sens ; et c’est pourquoi la mission intérieure doit davantage être
manifestée par les espèces corporelles soumises à la vision extérieure que
par des espèces imaginaires. |
[1257] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis in nobilioribus creaturis divinae
perfectionis similitudo, quo ad attributa essentialia, magis inveniatur
expressa ; tamen quo ad exitum unius personae ab alia, et quantum ad modum
processionis donorum a Deo, et effectus ipsorum, potest etiam in
ignobilioribus creaturis similitudo convenientior attendi, sicut fecunditas
in columba et locutio in lingua, et hoc oportuit per missionem visibilem
significari |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que la ressemblance de la perfection divine se retrouve plus
clairement dans les créatures plus nobles quant à ses attributs essentiels,
cependant, quant à la sortie d’une Personne d’une autre et quant au mode de
procession des dons de Dieu et des leurs effets, cette ressemblance peut
aussi se remarquer plus convenablement dans les créatures inférieures, comme
la fécondité pour la colombe et la parole pour la langue, et cela devait être
signifié par la mission visible. |
. Vel dicendum, secundum
Dionysium,II cap. Caelest hierarch, § 2, col. 138, quod
inferiores creaturae eo ipso quo magis distant a participatione divinarum
personarum, convenientius per ea divina manifestantur vel significantur ;
quia non potest ex hoc aliquis error provenire propter manifestam distantiam
eorum a divinis ; qui error posset contingere, si per nobiles creaturas divina
significarentur: de facili enim posset aliquis errare, credens aliquod numen
esse in stella, vel in aliqua nobiliori creatura. |
Ou bien il
faut dire, selon Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 2,
col. 138], que les créatures inférieures, par cela même qu’elles sont plus
éloignées d’une participation des Personnes divines, manifestent ou
signifient plus clairement les réalités divines; car à cause de la distance
manifeste qu’il y a entre elles et Dieu, aucune erreur ne peut provenir de
là, erreur qui pourrait se produire si les personnes divines étaient
signifiées par des créatures nobles: : alors en effet quelqu’un pourrait
facilement se tromper en croyant qu’il existe une divinité dans l’étoile ou
dans quelque noble créature. |
[1258] Super Sent., lib. 1
d. 16 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod columba illa non fuit verum et
naturale animal, sed tantum similitudo columbae visibiliter ostensa in aliqua
materia ad hoc praeparata. Unde etiam peracto officio in pristinam materiam
est reversa. Nec fuit ibi aliqua fictio, quia illa similitudo columbae non
ostendebatur ad manifestandum aliquam veritatem in ipsa columba, sed ad
manifestandas proprietates invisibilis missionis. Et ideo non fuit ibi falsitas signi, quia
signatum respondebat signo, et res similitudini ; sicut aliquis loquens per
metaphoricas locutiones, non mentitur: non enim intendit sua locutione ducere
in res quae per nomina significantur, sed magis in illas quarum illae res
significatae per nomina similitudinem habent: similiter de igne dicendum est
[dicendum est om. Éd. de Parme]. Sed natura visibilis in qua
Filius apparuit, assumebatur ad esse et non tantum ad signum ; et ideo
oportuit quod verum esse hominis haberet. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cette colombe n’était pas un animal véritable et naturel, mais
seulement une similitude de la colombe manifestée visiblement dans une
matière préparée à cette fin. C’est pourquoi encore, une fois sa fonction
accomplie, elle retourna à sa matière originelle. Et il n’y eut pas là une
fiction, car cette similitude de la colombe n’était pas montrée pour
manifester une vérité dans la colombe elle-même, mais pour manifester les
propriétés de la mission invisible. Et c’est pourquoi il n’y eut pas là une
erreur de signe, car le signifié correspondait au signe, et la chose à la
similitude ; tout comme celui qui parle par locutions métaphoriques ne
ment pas : en effet, il ne cherche pas par son discours à conduire aux
choses qui sont signifiées par les noms, mais plutôt à celles avec lesquelles
ces choses signifiées par les noms ont une ressemblance : c’est de la
même manière qu’il faut parler [qu’il faut parler om. Éd. de Parme]
du feu. Mais la nature visible dans laquelle le Fils est apparu était assumée
pour l’existence et non seulement comme signe ; et c’est pourquoi il
fallait qu’il possède une véritable existence d’homme. |
[1259] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum dicendum, quod species illae in quibus Spiritus sanctus
apparuit, significant effectus Spiritus sancti, secundum quos Spiritus
sanctus dicitur multiplex, quamvis substantialiter sit unus, ut dicitur Sap.
7. Et ideo secundum plures species apparuit et pluries. Sed quia natura
visibilis, in qua Filius apparuit, assumpta est ad esse unum in persona Filii
Dei ; sicut est unum esse personae, ita est una tantum talis missio. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que ces espèces dans lesquelles l’Esprit-Saint est apparu signifient des
effets de l’Esprit-Saint d’après lesquelles on dit de l’Esprit-Sant qu’il est
multiple, bien qu’Il soit substantiellement un, comme on le dit au chapître 7
du livre de la Sagesse. Et c’est pourquoi Il est apparu sous plusieurs
espèces et en plusieurs occasions. Mais parce que la nature visible dans
laquelle le Fils est apparu a été prise en vue d’une existence unique dans la
Personne du Fils de Dieu, tout comme il n’y a qu’une seule existence de la
Personne, de même il n’y a qu’une seule mission de cette sorte. |
[1260] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
ad 5 Ad ultimum dicendum, quod apparitio sub aliena specie, quae includitur
in missione visibili, non competit nisi ei quod non habet speciem per quam
corporaliter videri possit. Missio autem visibilis, ut dictum est, art.
anteced., non debuit esse ante tempus gratiae. Tempus autem gratiae incepit,
quando Filius Dei carnem assumpsit. Et quia inseparabiliter assumpsit, ideo
tempore quo convenit fieri visibilem missionem, semper habet speciem
visibilem propriam, in qua videri potest. Unde nunquam competit sibi missio
visibilis, nisi una quae est in natura assumpta [assumptam Éd. de
Parrme]. Quare autem Spiritus sanctus naturam non assumpserit in unitatem
personae, quaeretur in 3, distin. 1, quaest. 2, art. 3. |
5. Il faut dire en dernier
lieu qu’une apparition sous une forme étrangère, qui est comprise dans la
mission visible, n’appartient qu’à celui qui ne possède pas l’espèce par
laquelle il pourrait être vu corporellement. Mais la mission visible, ainsi
que nous l’avons dit dans l’article précédent, ne devait pas exister avant le
temps de la grâce. Mais le temps de la grâce commença quand le Fils de Dieu
prit chair. Et parce qu’il la prit inséparablement, c’est pourquoi à l’époque
à laquelle il convient qu’il y ait mission visible, Il possède toujours la
forme visible propre dans laquelle il peut être vu. C’est pourquoi il ne lui
appartient jamais qu’une seule mission visible à savoir celle qui existe dans
la nature qui est prise [qu’il a prise Éd. de Parme]. Mais
pourquoi l’Esprit-Saint n’a pas pris une nature dans l’unité de la Personne,
on cherchera à le savoir dans le livre 3 [dist. 1, quest. 2, art. 3]. |
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Articulus 4 [1261] Super Sent., lib. 1 d. 16
q. 1 a. 4 tit. Utrum species missionis visibilis sint formatae ministerio Angelorum |
Article 4 – Les formes de la mission visible sont-elles formées par l’intervention des anges ? |
[1262] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod illae species visibiles,
ministerio Angelorum formatae non sint. Dicit enim Augustinus, III De
trinit., cap. quod sermones Dei in novo testamento non per Angelos,
sed per ipsum Deum facti sunt. Ergo illa locutio, sive ille sonus qui in novo
testamento factus est, Matth. 17, 5: Hic est Filius meus dilectus,
non est per Angelos formatus ; et eadem ratione nec alia quae ad missionem
pertinent visibilem. |
Difficultés : 1. Il semble que ces formes
visibles ne soient pas formées par le ministère des Anges. En
effet, Augustin [111 De la Trinité, ch. XI, &22,
co. 882, t. VIII] dit que les discours de Dieu dans le nouveau
testatement ne sont pas faits par les Anges mais par Dieu lui-même. Donc
cette parole ou ce son de voix qui a été fait dans le nouveau
testament [Mt. 17, 5] : Celui-ci est mon Fils
bien-aimé, n’a pas été formé par les Anges ; et pour la même raison
il en est de même pour les autres paroles qui se rapportent à la mission
visible. |
[1263] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, corpori quod per Angelum formatur,
unitur Angelus, sicut motor mobili. Si igitur illae species per Angelos
formatae sunt, tunc sunt corpora assumpta ab Angelis. Ergo in eis non dicetur
mitti divina persona, sed Angelus. |
2.
Par ailleurs, l’Ange est uni, comme le moteur au mobile, au corps qui est
formé par l’Ange. Si donc ces formes sont formées par les Anges, alors elles
sont des corps pris par les Anges. On ne dira donc pas que dans ces formes
c’est la Personne divine qui est envoyée, mais l’Ange. |
[1264] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, sicut visibilis missio Filii facta est
per corpus assumptum, ita missio visibilis Spiritus sancti per hujusmodi
species. Sed corpus Christi assumptum, Angeli nullo modo formaverunt. Ergo nec
species illas visibiles. |
3. En
outre, tout comme la mission visible du Fils a été faite par la prise d’un
corps, de même le mission visible de l’Esprit-Saint a été faite par des
formes de cette sorte. Mais les Anges n’ont en aucune manière formé le corps
pris par le Christ. Ils n’ont donc pas formé non plus ces formes visibles. |
[1265] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
arg. 4 Contra, Gregorius XXVIII Moral., c. 1, § 4 col. 449,
loquens de illa voce, qua Pater respondit Filio: Et clarificavi, et
clarificabo, Joan. 12, 28, ita dicit: « Nimirum de caelestibus
loquens verba sua, quae ab hominibus audiri voluit, rationali administrante
creatura formavit » ; et eadem ratio est de aliis. Ergo videtur quod
omnes administratae sunt per Angelos. |
4. Au contraire,
Saint-Grégoire [XXVIII, Moral. ch.
1, & 4, col. 449], en parlant de ce son de voix par lequel le Père
répondit au Fils [Jean 12, 28] : Je l’ai glorifié et je le
glorifierai, dit : ¨Assurément, prononçant des cieux ses paroles
qu’il voulait faire entendre des hommes, il les forma par l’administration
d’une créature rationnelle¨ ; et la même raison vaut pour les autres
cas. Il semble donc que toutes les formes de la mission visible sont
administrées par les Anges. |
[1267] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in hoc est duplex opinio. Quidam dicunt, quod
in hoc differunt missiones novi testamenti ab apparitionibus veteris
testamenti, quod apparitiones veteris testamenti factae sunt per Angelos, ut
sancti communiter volunt ; missiones autem novi testamenti factae sunt
immediate per divinas personas. Quapropter in illis speciebus divinae personae mitti
dicuntur, et non Angeli. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’à ce sujet il y a deux opinions. Certains disent que les
missions du nouveau testament diffèrent des apparitions de l’ancien testament
en ceci que les apparitions de l’ancien testament ont été faites par les
Anges, ainsi que le veulent communément les saints, alors que les missions du
nouveau testament ont été faites immédiatement par les Personnes divines.
C’est pourquoi les Personnes divines, et non des Anges, ont été envoyées dans
ces formes. |
Alii dicunt e contrario,
quod utrumque Angelorum ministerio perfectum est. Videtur autem quod utrique
quantum ad aliquid verum dicant. In utroque enim, scilicet apparitione
veteris testamenti et missione visibili, est duo considerare: scilicet illud
quod exterius apparet, et aliquid quod interius efficitur vel factum
signatur. Sed tamen diversimode, quia in apparitione veteris testamenti illud
exterius apparens non refertur ut signum ad illud quod interius est, sed ad
aliquid aliud, sicut ad significandum Trinitatem, vel aliquid hujusmodi ;
unde illud quod interius est, nihil aliud est quam ipsa cognitio vel
illuminatio animae de rebus quae per signa exteriora significantur |
D’autres
disent au contraire que les deux ont été accomplies par le ministère des
Anges. Mais il semble que les deux opinions soient dans le vrai sous un
certain rapport. Dans les deux cas en effet, c’est-à-dire dans l’apparition
de l’ancien testament et dans la misión visible, il y a deux choses à
considérer: à savoir ce qui apparaît extérieurement et quelque chose qui est
produit intérieurement ou qui est signalé comme étant fait. Mais différemment
cependant, car dans l’apparition de l’ancien testament cela même qui apparaît
extérieurement n’est par rapporté comme un signe par rapport à ce qui existe
intérieurement mais par rapport à quelque chose d’autre, comme pour signifier
la Trinité ou quelque chose de la sorte; c’est pourquoi ce qui existe
intérieurement n’est rien d’autre que la connaissance ou l’illumination même
de l’âme au sujet des choses qui sont signifiées par les signes extérieurs. |
Et quia illuminationes divinae descendunt in
nos, secundum Dionysium, cap. IV, Caelest. Hier. § 2, etc.,
col 179, per Angelos, ideo ministerio Angelorum in illis apparitionibus
utrumque factum est, scilicet et quod exterius est, et quod interius ; et
ideo nullo modo est ibi missio divinae personae, quae tantum attenditur
secundum immediatum effectum ipsius personae divinae. |
Et parce que d’après Denys [La
Hiérarchie Céleste, ch. IV, & 2, etc., col. 179, t. 1] les
illuminations divines descendent en nous par les Anges, c’est pourquoi dans
ces apparitions les deux aspects sont faits par le ministère des Anges, à
savoir ce qui existe extérieurement et ce qui existe intérieurement ; et
c’est pourquoi en aucune manière il n’y a là mission de la Personne divine,
laquelle ne s’applique qu’à un effet immédiat de la Personne divine
elle-même. |
In missione autem visibili, illud quod
exterius apparet, est signum ejus quod interius est factum, vel tunc, vel
prius ; unde interius non ponitur tantum aliqua cognitio, sed aliquis
effectus gratiae gratum facientis, qui est immediate a divina persona,
ratione cujus divina persona mitti dicitur. |
Mais dans la mission visible,
ce qui apparaît extérieurement est le signe de ce qui est réalisé
intérieurement, soit au moment même, soit antérieurement ; c’est
pourquoi ce n’est pas seulement une connaissance qui est affirmée
intérieurement, mais un effet de la grâce sanctifiante qui provient
immédiatement de la Personne divine et en raison de quoi on dit que c’est la
Personne divine elle-même qui est envoyée. |
Unde in missione visibili illud quod est
interius, immediate sine ministerio Angelorum effectum est, propter quod
ratione illius effectus persona divina mitti dicitur ; sed quantum ad id quod
est exterius, Angeli ministerium habent, ut Gregorius dicit. |
C’est pourquoi ce qui existe
intérieurement dans la mission visible est produit immédiatement sans le
ministère des Anges, et c’est à cause de cela qu’on dit que la Personne
divine est envoyée en raison de cet effet ; mais quant à ce qui existe
extérieurement dans ces missions, il y a ministère de l’Ange, comme le dit
Saint-Grégoire. |
[1268] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Augustinus loquitur de sermone quem
Filius Dei in corpore assumpto protulit, quem constat immediate a Deo esse
prolatum. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu qu’Augustin parle du discours que le Fils de Dieu prononça dans le corps
qu’il avait pris, et dont il est clair qu’il a été immédiatement prononcé par
Dieu. |
[1269] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Angelus habeat operationem in
creatura exterius apparente, non tamen habet in effectu interiori ; et ideo
ratione ejus persona divina mitti dicitur. Nec est inconveniens ut persona
divina simul, et Angelus mittatur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que l’Ange pose une opération dans une créature qui apparaît
extérieurement, il n’a cependant pas une opération dans l’effet
intérieur ; et c’est pourquoi, en raison de cet effet, on dit de la
personne divine qu’elle est envoyée. Et il ne convient pas que la Personne
divine et l’Ange soient envoyés simultanément. |
[1270] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
ad 3 Ad tertium dicendum, quod corpus assumptum est unitum ipsi personae
divinae, unione ad unum esse personale. Unde non decuit propter suam
dignitatem ut non a Deo formaretur. Non autem similis ratio est in aliis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le corps qui est pris est uni à la Personne divine elle-même par une
union en vue d’une seule existence personnelle. C’est pourquoi il
ne convenait pas, en raison de sa dignité, qu’il ne soit pas formé par Dieu.
Et la raison n’est pas la même pour les autres cas. |
[1271] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
ad 4 Ad quartum dicendum, quod dictum Gregorii referendum est tantum ad illud
quod exterius est, et non quantum ad interius significatum. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le passage de Saint-Grégoire doit être rapporté seulement à ce qui
existe extérieurement et non à ce qui est signifié intérieurement. |
[1272] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
ad 5 Ad quintum dicendum, quod dictum Dionysii habebat veritatem in
effectibus qui a creatura possunt esse ; non autem talis effectus est, gratia
; et ideo quantum ad interius, quod est in missione visibili, Angeli non
habent operationem, sed solum quantum ad exterius. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la parole de Denys est conforme à la vérité pour les effets qui
peuvent exister par la créature ; mais la grâce n’est pas un effet de
cette sorte ; et c’est pourquoi, quant à l’effet intérieur qui existe
dans la mission visible, les Anges n’interviennent pas par une opération mais
seulement quant à ce qui apparaît extérieurement. |
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Distinctio 17 |
Distinction 17 – [Les missions invisibles de l’Esprit Saint] |
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Prooemium |
Prologue[14] |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La nature de la charité] |
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Articulus 1 [1275] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 tit. Utrum caritas
sit aliquid creatum in anima |
Article 1 – La charité est-elle quelque chose de créé dans l’âme ? |
[1276]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod caritas non sit aliquid creatum in anima. Agens enim quod sine medio
operatur perfectius est quam illud quod non agit nisi per medium. Sed
Spiritus sanctus operatur in nobis velle et perficere in actibus meritoriis,
secundum apostolum: Qui enim spiritu Dei aguntur hi filii Dei sunt, Roman. 8,
14. Ergo cum ipse sit perfectissimum agens, videtur quod non moveat ad hanc
operationem per aliquem habitum creatum medium. |
Difficultés: 1. Il
semble que la charité ne soit pas quelque chose de créé dans l’âme. En effet,
un agent qui opère sans intermédiaire est plus parfait qu’un agent qui n’agit
que par un intermédiaire. Mais l’Esprit-Saint opère en nous le vouloir et
l’exécution dans les actes méritoires d’après l’Apôtre [Romains 8, 14]: En
effet, tous ceux qui sont animés par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont des fils
de Dieu. Donc, puisque l’Esprit-Saint est l’agent le plus parfait, il semble
qu’il ne pousse pas à cette opération par un intermédiaire qui serait un
habitus créé. |
[1277]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, sicut anima se habet ad
corpus ut vita ipsius, ita se habet Deus ad animam, ut dicit Augustinus De
verbis Apostoli, Serm. XVIII et XXVIII. Sed anima non vivificat corpus per
aliquam formam mediam. Ergo nec Spiritus sanctus animam per habitum medium. |
2. Ce
que l’âme est au corps comme principe de vie, Dieu l’est à l’âme comme le dit
Augustin [Sur les Paroles de l’Apôtre, Serm. XVIII et XXVIII]. Mais
l’âme ne vivifie pas le corps par une forme intermédiaire. Donc,
l’Esprit-Saint ne vivifie pas l’âme par un habitus intermédiaire. |
[1278] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, esse gratiae immediatius est a Deo et
propinquius, quam esse naturae. Sed Deus in
creatione non est usus aliquo medio, quando naturam instituit. Ergo nec in
recreatione, quando gratiam infundit. |
3.
Par ailleurs, l’existence de la grâce vient plus immédiatement et
prochainement de Dieu que l’existence de la nature. Mais Dieu dans la
creation ne s’est pas servi d’un intermédiaire quand il a institué la nature.
Il ne s’en est donc pas servi non plus dans la recréation quand il a
introduit la grâce. |
[1279] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 arg. 4 Hoc etiam ostenditur ex dignitate caritatis. Omnis
enim creatura est vanitas. Si ergo caritas est creatura, vanitas erit. Sed vanitas non conjungit
veritati, nec confirmat in veritate. Ergo caritas non conjungeret nos Deo ;
quod falsum est. |
4. Cela est manifeste aussi
en partant de la dignité de la charité. Toute créature en effet est vanité.
Si donc la charité est une créature, elle sera vanité. Mais la vanité ne
s’unit pas à la vérité et ne s’affirme pas dans la vérité. Donc la charité ne
nous unirait pas à Dieu, ce qui est faux. |
[1280] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nullum finitum est virtutis infinitae: cum
virtus fluat ab essentia. Sed omnis creatura finita est. Ergo
nullius creaturae virtus infinita est. Sed virtus caritatis infinita est,
quia movet per infinitam distantiam ; conjungit enim creaturam creatori, et
facit de peccatore justum. Ergo videtur quod non sit creatura. |
5. En outre, rien de fini
n’appartient à une puissance infinie, puisque la puissance découle de
l’essence. Mais toute créature est finie. Donc la puissance d’aucune créature
n’est infinie. Mais la puissance de la charité est infinie car elle meut sur
une distance infinie ; elle unit en effet la créature au créateur et
d’un pécheur elle fait un juste. Il semble donc qu’elle ne soit pas une
créature. |
[1281] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 arg. 6 Item, nulla creatura est dignior quam anima Christi.
Sed caritas est dignior quam anima Christi ; quia ipsa caritate anima Christi
bona est. Ergo caritas non est creatura. |
6. De plus, aucune créature
n’est plus noble que l’âme du Christ. Mais la charité est plus noble que
l’âme du Christ, car c’est par la charité elle-même que l’âme du Christ est
bonne. Donc la charité n’est pas une créature. |
[1282]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, majori bono debetur
major amor. Sed
Deus est infinitum bonum, et infinita fecit pro nobis. Igitur debemus sibi
infinitum amorem. Sed amor quo diligimus Deum, est caritas. Ergo caritas est
quid infinitum. Ergo non est creatura. |
7. Par ailleurs, à un plus
grand bien doit correspondre un plus grand amour. Mais Dieu est un bien
infini, et il a produit pour nous des biens infinis. Nous lui devons donc un
amour infini. Mais l’amour par lequel nous aimons Dieu est la charité. Donc
la charité est quelque chose d’infini. Elle n’est donc pas une créature. |
[1283]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, omne creatum est in
praedicamento aliquo. Sed quidquid continetur in decem generibus, est aliqua natura.
Si ergo caritas sit quid creatum, erit natura quaedam. Sed natura adveniens
naturae non facit nisi naturam. Ergo anima habens caritatem, si caritas sit
quid creatum, non habebit nisi esse naturae. Sed per
caritatem potest mereri. Ergo natura aliqua per se poterit in actus
meritorios ; quod est haeresis Pelagiana. Videtur ergo quod caritas non sit
quid creatum. |
8. Enfin, tout ce qui est
créé se range dans un prédicament. Mais tout ce qui est contenu dans les dix
genres est une nature. Si donc la charité est quelque chose de créé, elle
sera une certaine nature. Mais une nature qui s’ajoute à une nature ne peut
produire qu’une nature. Donc l’âme qui possède la charité, si la charité est
quelque chose de créé, n’aura qu’une existence de nature. Mais par la charité
elle peut obtenir du mérite. Donc une nature sera capable par elle-même
d’actes méritoires, ce qui constitue l’hérésie de Pélage. Il semble donc que
la charité ne soit pas quelque chose de créé. |
[1284]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, omne quod recipitur in
aliquo, recipitur in eo per modum recipientis. Sed amor increatus, qui est
Spiritus sanctus, participatur in creatura. Ergo secundum modum ipsius
creaturae. Sed modus ejus est finitus. Ergo oportet quod recipiatur in
creatura aliquis amor finitus. Sed omne finitum est creatum. Ergo in anima
habente Spiritum sanctum, est aliqua caritas creata. |
Cependant: 1. Au
contraire, tout ce qui est reçu dans un être y est reçu à la manière de celui
qui reçoit. Mais l’amour incréé, qui est l’Esprit-Saint, est participé dans
la créature. Il y est donc participé selon le mode de la créature elle-même.
Mais son mode est fini. Il faut donc que ce soit un amour fini qui soit reçu
dans la créature. Mais tout ce qui est fini est créé. Il y a donc une charité
créée dans l’âme qui possède l’Esprit-Saint. |
[1285]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 2 Item, omnis assimilatio fit per
formam aliquam. Sed per caritatem efficimur conformes ipsi Deo ; qua amissa,
dicitur anima deformari. Ergo videtur quod caritas sit quaedam
forma creata manens in anima. |
2. En outre, toute
assimilation se réalise au moyen d’une certaine forme. Mais c’est par la
charité que nous sommes rendus conformes à Dieu, de telle manière que si elle
manque, on dit de l’âme qu’elle est déformée. Il semble donc que la charité
soit une certaine forme créée qui demeure dans l’âme. |
[1286] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea constat quod Deus aliquo modo est in
sanctis quo non est in creaturis. Sed ista diversitas non potest
poni ex parte ipsius Dei, qui eodem modo se habet ad omnia. Ergo videtur quod
sit ex parte creaturae, scilicet quod ipsa creatura habeat aliquid quod alia
non habent. Aut ergo habet ipsum divinum esse ; et sic omnes justi
assumerentur a Spiritu sancto in unitatem personae, sicut natura humana
assumpta est a Christo in unitatem personae ipsius Filii Dei: quod non potest
esse. Aut
oportet quod illa creatura, in qua speciali modo Deus esse dicitur, habeat in
se aliquem effectum Dei, quem alia non habent. Iste autem effectus non potest
esse tantum actus ; quia sic in justis dormientibus non esset alio modo quam
in aliis creaturis. Ergo oportet quod sit aliquis habitus. Oportet igitur
aliquem habitum caritatis creatum esse in anima, secundum quem Spiritus
sanctus ipsam inhabitare dicitur |
3. De plus, il est clair que
Dieu est dans les saints selon un mode par lequel il n’est pas dans les créatures.
Mais cette différence ne peut être posée du côté de Dieu lui-même qui est le
même à l’égard de tout. Il semble donc que cette différence se tienne du côté
de la créature, c’est-à-dire qu’une créature possède quelque chose que les
autres ne possèdent pas. Donc, soit qu’elle possède l’existence divine
elle-même ; et ainsi tous les justes seraient seraient assumés par
l’Esprit-Saint dans l’unité de la Personne, tout comme la nature humaine est
assumée par le Christ dans l’unité de la Personne du Fils de Dieu lui-même,
ce qui est impossible. Ou bien il faut que cette créature, dans laquelle on
dit de Dieu qu’il y exise selon un mode spécial, possède en elle un effet de
Dieu que les autres ne possèdent pas. Mais cet effet ne peut être seulement
un acte, car ainsi dans les justes qui reposent il n’en serait pas autrement
que dans les autres créatures. Il faut donc qu’il y ait un certain habitus.
Il faut donc qu’il y ait dans l’âme un certain habitus créé de la charité,
selon lequel on dit de l’Esprit-Saint qu’Il y habite. |
[1287]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod tota bonitas
ipsius animae est ex caritate: unde quantum bona est tantum habet de caritate
; et si caritatem non habeat, nihil est, sicut dicitur 1 Corinth., 13. Constat
autem quod per caritatem anima non habet minus de bonitate in esse gratiae,
quam per virtutem acquisitam in esse politico. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que toute la bonté de l’âme elle-même vient de la charité, d’où elle est
aussi bonne qu’elle possède de la charité ; et si elle ne possédait pas
de charité, elle ne serait rien, ainsi que le dit l’Apôtre [1 Corinth. 13].
Mais il est clair que par la charité l’âme ne possède pas moins de
bonté dans l’existence de la grâce qu’elle n’en possède dans l’existence
politique par la vertu acquise. |
Virtus autem politica duo
facit: quia facit bonum habentem, et opus ejus bonum reddit. Multo fortius
igitur hoc facit caritas. Neutrum autem horum effici poterit, nisi caritas
sit habitus creatus. Constat enim quod omne esse a forma aliqua inhaerente
est, sicut esse album ab albedine, et esse substantiale a forma substantiali. |
Mais la vertu politique
produit deux choses : car elle rend bon celui qui la possède et elle
rend bonne son œuvre. Donc à plus forte raison la charité produit ces deux
effets. Mais la charité ne pourra produire aucun de ces effets si elle n’est
pas un habitus créé. Il est clair en effet que toute existence vient d’une
forme inhérente, tout comme d’être blanc vient de la blancheur, et que
l’existence substantielle vient d’une forme substantielle. |
Sicut igitur non potest
intelligi quod paries sit albus sine albedine inhaerente ; ita non potest
intelligi quod anima sit bona in esse gratuito sine caritate et gratia
informante ipsam. Similiter etiam, cum actus proportionetur potentiae
operativae sicut effectus propriae causae, impossibile est intelligere quod
actus perfectus in bonitate sit a potentia non perfecta per habitum ; sicut
etiam calefacere non potest esse ab igne nisi mediante calore. |
Ainsi donc on ne peut
comprendre qu’un mur soit blanc sans qu’il y ait en lui la blancheur ;
de même on ne peut comprendre que l’âme soit bonne dans l’existence gratuite
sans la charité et sans la grâce qui l’informe. De la même manière encore,
puisque l’acte est proportionnée à la puissance d’opération comme
l’effet est proportionné à la cause qui lui est propre, il est impossible de
comprendre qu’un acte qui est parfait en bonté vienne d’une puissance qui ne
serait pas achevée par un habitus, tout comme aussi réchauffer ne peut venir
du feu que par l’intermédiaire de la chaleur. |
Et ideo cum actus caritatis
perfectionem quamdam habeat ex hoc quod est meritorius omnibus modis, oportet
ponere, caritatem esse habitum creatum in anima ; quae quidem efficienter est
a tota Trinitate, sed exemplariter manat ab amore, qui est Spiritus sanctus:
et ideo frequenter invenitur quod Spiritus sanctus sit amor quo diligimus
Deum et proximum, sicut etiam dicitur a Dionysio,cap. IV Caelest. Hier. §1
col. 178, quod esse divinum est esse omnium rerum, inquantum scilicet ab eo
omne esse exemplariter deducitur. Magister tamen vult quod caritas non sit
aliquis habitus creatus in anima ; sed quod sit tantum actus qui est ex
libero arbitrio moto per Spiritum sanctum, quem caritatem dicit. |
Et c’est pourquoi, puisque
l’acte de la charité possède une telle perfection du fait qu’elle est plus
méritoire de toutes les manières, il faut affirmer que la charité est un
habitus créé dans l’âme, laquelle est certes l’effet de toute la Trinité,
mais elle demeure en nous à titre d’exemplaire grâce à cet amour qui est
l’Esprit-Saint : et c’est pourquoi il arrive fréquemment que
l’Esprit-Saint soit l’amour par lequel nous aimons Dieu et le prochain, comme
dit encore Denys [IV De la Hiérarchie Céleste, & 1, col. 178]
que l’existence de Dieu est l’existence de toutes les choses, c’est-à-dire
pour autant que toute existence se tire de Lui comme d’un modèle. Mais le
Maître veut que la charité ne soit pas un habitus créé dans l’âme, mais qu’elle
soit seulement un acte qui vient du libre arbitre mû par
l’Esprit-Saint qu’Il appelle charité. |
Ad cujus explanationem,
quidam dixerunt, quod sicut lux dupliciter potest considerari, vel prout est
in se, et sic dicitur lux ; vel prout est in extremitate diaphani terminati,
et sic lux dicitur color (quia hypostasis coloris est lux, et color nihil
aliud est quam lux incorporata) ; ita dicunt, quod Spiritus sanctus, prout in
se consideratur, Spiritus sanctus et Deus dicitur ; sed prout consideratur ut
existens in anima, quam movet ad actum caritatis, dicitur caritas. |
Et pour expliquer cela
certains ont dit que tout comme la lumière peut être considérée de deux
manières, c’est-à-dire soit en elle-même et ainsi elle est appelé lumière,
soit selon qu’elle se termine à une extrémité de l’air et alors la lumière
s’appelle couleur (car la substance de la couleur est la lumière et la
couleur n’est rien d’autre qu’une lumière dans un corps), de même ils disent
que l’Esprit-Saint, considéré en lui-même, s’appelle Esprit-Saint et
Dieu ; mais selon qu’il est considéré comme existant dans l’âme qu’Il
meut à l’acte de charité, il s’appelle charité. |
Dicunt enim, quod sicut
Filius univit sibi naturam humanam solus, quamvis sit ibi operatio totius
Trinitatis ; ita Spiritus sanctus solus unit sibi voluntatem, quamvis ibi sit
operatio totius Trinitatis. Sed hoc non potest stare ; quia unio humanae
naturae in Christo terminata est ad unum esse personae divinae: et ideo idem
actus numero est personae divinae et naturae humanae assumptae. Sed voluntas
alicujus sancti non assumitur in unitatem suppositi Spiritus sancti. Unde cum
operatio a supposito unitatem habeat et diversitatem ; non potest esse quod
intelligatur esse una operatio voluntatis et Spiritus sancti, nisi per modum
quo Deus operatur in qualibet re. |
Ils disent en effet que tout
comme le Fils seul s’est uni à une nature humaine bien qu’il y ait là
l’opération de toute la Trinité, de même seul l’Esprit-Saint s’est uni à la
volonté bien qu’il y ait là l’opération de toute la Trinité. Mais cela ne
peut se défendre ; car l’union à la nature humaine dans le Christ se
termine à une seule existence de la personne divine : et c’est pourquoi
c’est le même acte, numériquement parlant, qui appartient à la fois à la personne
divine et à la nature humaine assumée. Mais la volonté d’un saint n’est pas
assumée dans l’unité du suppôt de l’Esprit-Saint. C’est pourquoi, puisque
l’opération tient son unité et sa diversité du suppôt lui-même, c’est
pourquoi il est impossible de comprendre qu’une seule et même opération
appartienne à la fois à la volonté et à l’Esprit-Saint, sauf à la manière par
laquelle Dieu opère en une chose. |
Sed iste modus non sufficit
ad operationis perfectionem ; quia operatio consequitur conditiones causae
proximae in necessitate et contingentia et perfectione et hujusmodi, et non
primae causae. Unde non est intelligere quod sit operatio perfecta voluntatis
per quam uniatur Spiritui sancto, nisi sit ibi habitus perficiens potentiam
operativam: nec potest esse similitudo actus voluntatis ad Spiritum sanctum,
nisi sit similitudo Spiritus sancti in anima per aliquam formam, quae est
principium actus quo Spiritui sancto conformetur ; unde oportet in anima poni
aliquem formam, per quam Spiritui sancto conformetur [unde… conformetur om.
Éd de Parme] quia actus ad hoc non sufficit, ut dictum est. |
Mais cette manière ne suffit
pas à la perfection de l’opération ; car l’opération suit les conditions
de la cause prochaine sous le rapport de la nécessité, de la contingence, de
la perfection et sous d’autres rapports, et non les conditions de la cause
première. Et c’est pourquoi on ne peut comprendre qu’il y ait une opération
parfaite de la volonté par laquelle elle est unie à l’Esprit-Saint qu’à
condition qu’il y ait là un habitus qui donne son achèvement à la puissance
d’opération : et il ne peut y avoir similitude entre l’acte de la
volonté et l’Esprit-Saint que s’il y a une similitude de l’Esprit-Saint dans
l’âme au moyen d’une forme qui soit le principe de l’acte par lequel elle se
conforme à l’Esprit-Saint ; c’est pourquoi il faut poser qu’il y a dans
l’âme une forme par laquelle elle se conforme à l’Esprit-Saint [c’est
pourquoi … elle se conforme om. Éd. de Parme] car l’acte ne
suffit pas à cela ainsi que nous l’avons dit. |
[1288]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in
gratificatione animae est considerare duplicem operationem Spiritus sancti. Unam, quae terminatur ad
esse secundum actum primum qui est esse gratum in habendo habitum caritatis. Aliam,
secundum quam operatur actum secundum, qui est operatio movens voluntatem in
opus dilectionis: et
utroque modo oportet incidere medium non propter indigentiam vel defectum
ipsius Spiritus operantis, sed propter necessitatem animae recipientis ; sed
diversimode. Quia quo ad primum effectum, qui est esse gratiae, caritas est
medium per modum causae formalis: quia nullum esse potest recipi in creatura,
nisi per aliquam formam. Ad effectum autem secundum, qui est operatio, est
medium caritas in ratione causae efficientis secundum quod virtutem quae est
principium operandi reducimus in causam agentem: quia etiam non est possibile
aliquam operationem perfectam a creatura exire, nisi principium illius
operationis sit perfectio potentiae operantis, prout dicimus habitum
elicientem actum esse principium ejus. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que dans la gratification de l’âme il faut
considérer deux opérations de l’Esprit-Saint. La
première qui se termine à l’existence selon l’acte premier qui est l’existence
de la grâce dans la possession de l’habitus de la charité. La
deuxième, selon laquelle il opère l’acte second, qui est l’opération qui meut
la volonté à une oeuvre d’amour: Et
dans les deux cas, mais de différentes manières, il faut rencontrer un
intermédiaire non pas à cause d’un manque ou d’un défaut du côté de
l’opération de l’Esprit-Saint lui-même, mais à cause d’une nécessité qui se
tient du côté de l’âme qui reçoit. Car quant au premier effet, qui est
l’existence de la grâce, la charité est un intermédiaire à la la manière
d’une cause formelle, car aucune forme d’existence ne peut être recue dans la
créature sans quelque forme. Mais quant au deuxième effet qui est
l’opération, la charité est un intermédiaire sous le rapport d’une cause efficiente
selon que nous ramenons la vertu, qui est principe d’opération, à une cause
agente: car encore il n’est possible qu’une opération parfaite sorte de la
créature que si le principe de cette opération est la perfection de la
puissance d’opération, selon que nous disons que l’habitus qui décide de
l’acte est le principe de cet acte. |
[1289]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima
comparatur ad corpus non tantum ut causa agens, secundum quod est motrix
corporis, sed etiam ut forma ; unde formaliter seipsa facit vivere corpus,
secundum quod vivere dicitur esse viventium. Deus autem non est forma ipsius animae
vel voluntatis, qua formaliter vivere possit ; sed dicitur vita animae sicut
principium exemplariter influens vitam gratiae ipsi. Similiter dicendum de
luce, quod lux potest dupliciter considerari. Vel prout est in ipso corpore
lucido ; et sic se habet ad illuminationem aeris ut principium efficiens, nec
illuminat nisi per formam luminis influxam ipsi diaphano illuminato: vel
prout est in diaphano illuminato ; et sic est forma ipsius, qua formaliter
est lucidum. Deus autem dicitur esse illuminans lux per modum lucis quae est
in ipso corpore lucenti per se, et non per modum quo illuminatum formaliter
illuminatur a forma lucis in ipso recepta. Sed illi lumini recepto
assimilatur caritas vel gratia recepta in anima. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’âme se compare au corps non seulement comme une cause agente,
selon qu’elle meut le corps, mais aussi comme une forme ; c’est pourquoi
c’est formellement elle qui fait vivre le corps, selon que nous disons que
vivre est l’existence même des vivants. Mais Dieu n’est pas la forme de l’âme
elle-même ou de la volonté, par laquelle elle peut vivre formellement ;
mais on dit de Dieu qu’Il est la vie de l’âme au sens où, comme principe, à
la manière d’un modèle, Il répand la vie de la grâce en elle. Il faut dire la
même chose de la lumière, à savoir qu’elle peut être considérée de deux
manières. Soit selon qu’elle est dans le corps même qui est
éclairé ; et ainsi elle se rapporte à l’illumination de l’air comme un
principe efficient et elle n’éclaire que parla forme de la lumière répandue
sur l’air illuminé lui-même ; soit selon qu’elle est dans l’air
éclairé ; et ainsi elle est sa forme par laquelle l’air est formellement
éclairé. Mais on dit de Dieu qu’il est une lumière qui éclaire à la manière
d’une lumière qui est dans le corps même qui éclaire par lui-même et non pas
à la manière par laquelle ce qui est éclairé est formellement éclairé par la
forme de la lumière reçue en lui. Mais c’est à cette lumière reçue que se
compare la charité ou la grâce reçue en l’âme. |
[1290] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnino simile est de creatione
et recreatione. Sicut enim Deus per creationem contulit rebus esse naturae,
et illud esse est formaliter a forma recepta in ipsa re creata, quae est
quasi terminus operationis ipsius agentis ; et iterum forma illa est
principium operationum naturalium, quas Deus in rebus operatur: ita etiam et
in recreatione Deus confert animae esse gratiae ; et principium formale
illius esse est habitus creatus, quo etiam perficitur operatio meritoria quam
Deus in nobis operatur ; et ita iste habitus creatus partim se habet ad
operationem Spiritus sancti ut terminus, et partim ut medium. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’il en est absolument de même pour la création et la recréation. En
effet, tout comme Dieu confère aux choses une existence de nature par la
création, et que cette existence vient formellement d’une forme reçue dans la
chose créée elle-même et qui est comme le terme de l’opération de l’agent
lui-même, et que cette forme est par la suite le principe des opérations
naturelles que Dieu opère dans les choses, de même encore dans la recréation
Dieu confère à l’âme l’existence de la grâce ; et le principe formel de
cette existence est un habitus créé par lequel l’opération méritoire que Dieu
opère en nous trouve sa perfection ; et c’est ainsi que cet habitus créé
se rapporte à l’opération de l’Esprit-Saint en partie comme terme et en
partie comme intermédiaire. |
[1291] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas, inquantum est ex
nihilo, habet quod sit vanitas ; sed inquantum procedit a Deo ut similitudo
ipsius, non habet rationem vanitatis, immo conjungendi ipsi Deo. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la charité, pour autant qu’elle est créée à partir de rien, possède
quelque chose de la vanité ; mais pour autant qu’elle procède de Dieu
comme une ressemblance de Lui, n’a pas raison de vanité mais plutôt de moyen
devant unir à Dieu lui-même. |
[1292]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid
dicitur facere dupliciter: vel per modum efficientis, sicut pictor facit parietem
album ; vel per modum formae, sicut albedo facit album. Facere igitur de peccatore
justum vel Deo conjunctum, est ipsius Dei sicut efficientis, et ipsius
caritatis sicut formae. Unde non potest concludi quod caritas sit virtutis
infinitae, sed solum quod est effectus virtutis infinitae. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que c’est de deux manières qu’on dit d’une chose qu’elle ¨fait¨ :
soit à la manière d’une cause efficiente, comme le peintre qui rend le mur
blanc ; soit à la manière d’une forme, comme la blancheur qui fait
qu’une chose est blanche. Donc c’est à Dieu comme cause efficiente et à la
charité comme forme qu’il appartient de rendre le pécheur juste ou uni à
Dieu. On ne peut donc conclure que la charité soit d’une puissance infinie,
mais seulement qu’elle est l’effet d’une puissance infinie. |
[1293] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nobilitas aliquorum potest
attendi dupliciter: vel simpliciter, vel secundum quid. Videtur autem
simpliciter dignius esse quod secundum suum esse nobilius est, et hoc modo
anima Christi et anima cujuscumque justi est nobilior quam caritas creata,
quae habet esse accidentis. Videtur etiam aliquid dignius secundum quid, quod
secundum aliquod dignius est ; et hoc modo caritas creata est nobilior quam
anima Christi. In quolibet enim genere actus est nobilior quam potentia,
quantum ad illud genus. Unde sicut albedo corporis Christi quantum ad hoc
esse quod est esse album, est nobilior quam sit corpus Christi ; ita etiam
scientia ejus creata est nobilior quam anima ejus quantum ad hoc quod est
esse scientem, quod est esse secundum quid. Et similiter caritas quantum ad
tale esse: quia se habet in esse illo ad animam Christi, sicut actus ad
potentiam. |
6. En sixième lieu il faut
dire que la noblesse de certains êtres peut se remarquer de deux
manières : soit absolument, soit d’une certaine manière. Mais il semble
que soit plus digne absolument ce qui est plus noble selon son existence, et
en ce sens l’âme du Christ et l’âme de tout juste est plus noble que la
charité créée qui possède l’existence d’une accident. Il semble encore qu’un
être soit plus digne d’une certaine manière ce qui est plus digne sous un
rapport déterminé ; et en ce sens la charité créée est plus noble que
l’âme du Christ. Dans tout genre en effet l’acte est plus noble que la
puissance quant à ce genre déterminé. C’est pourquoi tout comme la blancheur
du corps du Christ, quant à cette existence déterminée qui consiste à être
blanc, est plus noble que ne l’est le corps du Christ, de même encore sa
science créée est plus noble que son âme quant à ceci qu’il existe comme
savant, ce qui est une existence sous un certain rapport. Et il en est de
même pour la charité quant à cette existence déterminée : car dans cette
existence elle se rapporte à l’âme du Christ comme l’acte se rapporte à la
puissance. |
[1293] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod secundum Philosophum VIII
Ethicorum, cap. VIII, numquam in quibusdam amicitiis contingit aequivalens
reddere ; sed sufficit ad aequitatem amicitiae illud quod est possibile reddi
; sicut filius numquam potest patri carnali reddere aliquid aequivalens ei
quod ab ipso acceptit, scilicet esse et doctrinam et nutrimentum. Multo minus
divinis beneficiis et bonitati suae possumus reddere amorem aequivalentem.
Unde non sequitur quod amor quo Deum diligimus sit infinitus quantum ad
substantiam actus : licet [sed… habet Éd. De Parme] infinitatem habeat,
ex hoc quod objectum amoris omnibus aliis praeponitur : sed sufficit
quod amemus cum amore commensurato nobis. |
7. Il faut dire en septième
lieu que d’après le Philosophe [ VIII Éthiques,
ch. VIII] il n’est jamais possible dans certaines amitiés de
rendre la pareille ; mais il suffit, pour que l’amitié soit équitable,
de faire ce qu’il est possible de faire ; par exemple, le fils ne peut
jamais rendre à son père charnel quelque chose qui soit égal à ce qu’il a
reçu de lui, à savoir l’existence, l’enseignement et la nourriture. Nous
pouvons encore moins rendre à Dieu un amour qui soit équivalent à sa bonté et
aux bienfaits divins que nous en retirons. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas,
dans cet argument, que l’amour par lequel nous aimons Dieu soit infini quant
à l’essence même de l’acte, bien [mais…il possède Éd. de Parme] qu’il
possède un certain caractère d’infinité du fait que l’objet de l’amour dans
ce cas est préférable à tous les autres. Il suffit donc que nous aimions Dieu
d’un amour qui nous est proportionné. |
[1295] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 ad 8 Ad ultimum dicendum, quod natura dicitur multipliciter,
secundum Boetium de duabus naturis c. 1, col. 1341, : dicitur enim uno modo
natura omne quod est, vel substantia vel accidens ; et hoc modo gratia est
natura quaedam. Alio modo dicitur natura quod est principium motus et quietis
ipsius in quo est, unde illud dicitur esse naturale vel quod causatur a
principiis naturalibus, vel causari potest ; et hoc modo caritas non est
natura, quia per principia naturalia creaturae non potest causari ; et
secundum hunc modum dicit Pelagius, per naturalia sola hominem posse in actus
meritorios. |
8. Il faut dire finalement
que selon Boèce [De Duabus Naturis ch. 1, col. 1341] nature se
dit suivant plusieurs significations : en un premier sens en effet
nature signifie tout ce qui existe, soit la substance, soit l’accident ;
et en ce sens la grâce est une certaine nature. Mais en un autre sens nature
signifie ce qui est principe du mouvement ou du repos de celui dans lequel
elle est et c’est pourquoi on dit qu’est naturel soit ce qui est causé, soit
ce qui peut être causé par les principes naturels ; et en ce sens
la charité n’est pas nature car elle ne peut être causée par les principes
naturels de la créature ; et c’est en ce sens que Pélage dit que l’homme
est capable d’actes méritoires par les seuls principes naturels. |
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[1296] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 tit. Utrum caritas sit accidens |
Article 2 – La charité est-elle un accident ? |
[1297]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caritas non
sit accidens. Nullum enim accidens extenditur ultra suum subjectum. Sed
caritas extenditur ultra suum subjectum, quia caritate etiam alios amamus.
Ergo videtur quod caritas non sit accidens. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
ne soit pas un accident. Aucun accident en effet ne s’étend au delà de son
sujet. Mais la charité s’étend au-delà de son sujet, car c’est par la charité
que nous aimons aussi les autres. Il semble donc que la charité ne soit pas
un accident. |
[1298] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, omne accidens est causatum a substantia ; quia,
secundum Avicennam, tract. II Metaph., cap ; 1, subjectum est quod est in se
completum, praebens alteri occasionem essendi. Sed caritas non causatur a
principiis animae in qua est. Ergo videtur quod non sit accidens. |
2. En outre, tout accident
est causé par la substance ; car, selon Avicenne [traité 11, Métaphysique,
ch. 1], le sujet est ce qui est complet en soi et qui offre à un autre
l’occasion d’exister. Mais la charité n’est pas causée par les principes de
l’âme dans laquelle elle existe. Il semble donc qu’elle ne soit pas un
accident. |
[1299] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, nullum accidens est melius et nobilius suo
subjecto. Sed caritas est melior quam anima. Ergo non est
in anima sicut accidens in subjecto. Probatio mediae. Propter quod unumquodque
tale, et illud magis. Sed anima est bona propter caritatem. Ergo caritas est
melior. |
3. Par ailleurs, aucun
accident n’est plus noble et meilleur que son sujet. Mais la charité est
meilleure que l’âme. Elle n’existe donc pas dans l’âme comme un accident dans
son sujet. Preuve de la mineure. Cela même, à cause de quoi un être est tel,
l’est davantage. Mais l’âme est bonne à cause de la charité. La charité est
donc meilleure que l’âme. |
[1300] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 arg. 4 Item, agens semper est honorabilius patiente, secundum
philosophum, in III De anima, text. 19. Sed caritas agit in animam, mundando
ipsam a peccatis. Ergo est honorabilior anima, et ita idem quod prius. |
4. De plus, l’agent est
toujours plus digne que le patient selon le Philosophe [111 de L’Âme,
texte 19]. Mais la charité agit dans l’âme en la purifiant de ses péchés.
Elle est donc plus digne que l’âme et il faut donc conclure de la même
manière que précédemment. |
[1301] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, quidquid potest adesse et abesse praeter
subjecti corruptionem, est accidens. Caritas est hujusmodi. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Tout ce qui peut être
présent et absent au-delà de la corruption du sujet est un accident. Or c’est
le cas pour la charité. Elle est donc un accident. |
[1302]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod omne illud
quod advenit alicui post esse completum, advenit sibi accidentaliter ; nisi
forte assumatur ad participationem ipsius esse substantialis, sicut dictum
est supra, 8 dist., quaest. 5, art. 2, de anima. Sed hoc tamen non sufficit
ut dicatur accidens in se: potest enim aliquid in se substantia esse, et advenire
alicui accidentaliter, sicut vestimenta ; sed si adveniat post esse completum
ut forma inhaerens, de necessitate est accidens. Et quia post esse naturale
animae advenit sibi caritas ut forma perficiens ipsam ad esse gratiae, prout
dictum est, art. antec., ideo oportet quod sit accidens. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout ce qui survient à un être suite à une existence complète est un
accident, à moins peut-être que cela ne soit pris pour participer à
l’existence substantielle de cet être, ainsi que nous l’avons dit plus haut
au sujet de l’âme [dist. 8, quest. 5, art. 2]. Mais cela n’est pas suffisant
pour être appelé un accident en soi : quelque chose peut en effet être
une substance en soi et survenir à un être accidentellement, comme les
vêtements ; mais si quelque chose survient à un être suite à une
existence complète comme une forme qui lui est inhérente, alors cela est
nécessairement un accident. Et parce que la charité, suite à
l’existence naturelle de l’âme, survient en elle comme une forme qui la
complète en vue de l’existence de la grâce, ainsi que nous l’avons dit dans
l’article précédent, c’est pourquoi il faut qu’elle soit un accident. |
[1303]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idem accidens
numero nunquam extenditur ultra subjectum suum, idest ut sit in alio sicut in
subjecto ; sed bene extenditur extra subjectum suum sicut ad objectum
operationis ; sed diversimode in operatione activa et passiva. Quia in activa
extenditur ad objectum extrinsecum, imprimens similitudinem formae suae in
ipso, sicut patet quod calor ignis active calefacit aliud corpus, et est
operatio activa. Similiter etiam quando est operatio passiva, et extenditur
in aliud objectum extrinsecum, cujus similitudo in ipso recipitur ; et ita
anima per habitum scientiae scit ea quae sunt extra ipsam, et per habitum
amoris eadem amat. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que le même accident individuel ne s’étend
jamais au delà de son sujet, c’est-à-dire de telle manière qu’il serait dans
un autre comme dans un sujet; mais il s’étend bien en dehors de son sujet
comme vers l’objet de l’opération, mais d’une manière différente dans
l’opération active et dans celle qui est passive. Car dans l’opération active
il s’étend à un objet extrinsèque, imprimant la similitude de sa forme en
lui, comme on le voit pour la chaleur du feu qui réchauffe activement un
autre corps et dont l’opération est active. Il en est de même encore quand
l’opération est passive et s’étend à un autre objet extérieur dont la
resemblance est recue en lui; et c’est ainsi que l’âme, connaît les choses
qui sont en dehors d’elle par l’habitus de la science et les aime par
l’habitus de l’amour. |
[1304]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod subjectum
diversimode se habet ad diversa accidentia. Quaedam autem sunt accidentia
naturalia quae creantur ex principiis subjecti ; et hoc dupliciter: quia vel
causantur ex principiis speciei, et sic sunt propriae passiones, quae
consequuntur totam speciem ; vel ex principiis individui, et sic sunt
communia consequentia principia naturalia individua. Sunt
etiam quaedam accidentia per violentiam inducta, sicut calor in aqua, et ista
sunt repugnantia principiis subjecti. Quaedam autem sunt quae quidem
causantur ab extrinseco non repugnantia principiis subjecti, sed magis
perficientia ipsa, sicut lumen in aere: et ita etiam caritas in anima est ab
extrinseco. Tamen
sciendum, quod omnibus accidentibus, communiter loquendo, subjectum est causa
quodammodo, inquantum scilicet accidentia in esse subjecti sustentantur ; non
tamen ita quod ex principiis subjecti omnia accidentia educantur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le sujet se rapporte différemment à différents accidents. Car parmi
les accidents certains sont des accidents naturels qui sont créés à partir
des principes du sujet, et cela de deux manières : car ou bien ils sont
causés à partir des principes de l’espèce et ainsi ils sont des passions
propres qui suivent toute l’espèce ; ou bien ils sont causés par les
principes de l’individu et ainsi ils sont des accidents communs
qui suivent les principes naturels individuels. Mais il y a aussi certains
accidents qui sont provoqués par violence, comme la chaleur pour l’eau et
ceux-là sont contraires aux principes du sujet. Mais il y en a certains qui
sont certes causés par un principe extérieur et qui ne répugnent pas aux
principes du sujet mais qui plutôt les perfectionnent comme la lumière le
fait pour l’air : et c’est ainsi encore que que la charité est
introduite dans l’âme par un principe extérieur. Il faut ependant savoir, à
parler universellement, que le sujet se présente face à tous les accidents
comme une cause d’une certaine manière, c’est-à-dire pour autant que les
accidents sont soutenus dans l’existence du sujet mais non pas cependant de
telle manière que tous les accidents sont tirés des principes du sujet. |
[1305] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod eadem ratione posset probari
quod nulla perfectio animae esset accidens, nec aliqua perfectio corporis:
quia unumquodque perfectibile habet bonitatem ex sua perfectione. Dicendum
est igitur, quod simpliciter anima est melior caritate, et quodlibet
subjectum suo accidente ; sed secundum quid est e converso. Cujus ratio est,
quia esse, secundum Dionysium, V cap. de div. nominibus, col. 815, est
nobilius omnibus aliis quae consequuntur esse: unde esse simpliciter est
nobilius quam intelligere, si posset intelligi intelligere sine esse. Unde
illud quod excedit in esse, simpliciter nobilius est omni eo quod excedit in
aliquo de consequentibus esse ; quamvis secundum aliud possit esse minus
nobile. Et quia anima et quaelibet substantia habet nobilius esse quam
accidens, ideo simpliciter nobilior est. Sed quantum ad aliquod esse, vel
secundum aliquod accidens, potest accidens esse nobilius, quia se habet ad
substantiam sicut actus ad potentiam ; et hanc bonitatem consequentem habet
substantia ab accidentibus, sed non bonitatem primam essendi. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que c’est par le même raisonnement qu’on pourrait prouver qu’aucune
perfection de l’âme n’est un accident et qu’aucune perfection du corps n’est
un accident : car tout ce qui est perfectible tient sa bonté de sa
perfection. Il faut donc dire, à parler absolument, que l’âme est meilleure
que la charité et que tout sujet est meilleur que son accident ; mais
sous un certain rapport, c’est le contraire. Et la raison en est que
l’existence, selon Denys [Les Noms Divins, ch. V, col. 815], est plus
noble que tout ce qui découle de l’existence : c’est pourquoi
l’existence à parler absolument est plus noble que l’intelligence si
l’intelligence pouvait se prendre sans l’existence. C’est pourquoi ce qui
excelle dans l’existence est absolument plus noble que tout ce qui excelle
dans une des choses qui suivent l’existence, bien que selon un autre rapport
il puisse être moins noble. Et parce que l’âme et toute substance possède une
existence plus noble qu’un accident, c’est pourquoi elle est plus noble
absolument. Mais quant à une certaine forme d’existence ou d’après un
accident, l’accident peut être plus noble car il se rapporte à la substance
comme l’acte à la puissance ; et la substance tient des accidents cette
bonté qui découle de l’existence mais non pas cette bonté première d’exister. |
[1306] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas non dicitur agere in
animam per modum efficientis, sed solum formaliter ; et secundum id quod
forma est, quantum ad esse secundum, nobilior est. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’on ne dit pas que la charité agit dans l’âme à la manière d’une cause
efficiente, mais seulement à la manière d’une cause formelle ; et selon
qu’elle est une forme, elle est meilleure quant à l’existence seconde. |
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Articulus 3 [1307] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 tit. Utrum caritas
detur secundum capacitatem naturalium |
Article 3 – La charité est-elle donnée selon la capacité des choses naturelles ? |
[1308]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod caritas detur secundum capacitatem naturalium. Ita dicitur Matth. 25,
15: Dedit unicuique secundum propriam virtutem ; ubi Glossa Hieronymi: Non
pro largitate vel parcitate, alii plus vel minus recipiunt ; sed secundum
virtutem recipientium. Sed ante adventum caritatis non intelligitur nisi virtus quae
est secundum naturalia. Ergo videtur quod secundum capacitatem naturalium
caritas infundatur. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
soit donnée selon les capacités des choses naturelles. C’est que ce que dit
l’évangéliste [Matthieu : 25, 15] : Il donna à
chacun selon ses capacités ; et à ce sujet la glose de Saint-Jérôme
dit : Ce n’est pas à cause d’une prodigalité ou d’une modération que
certains ont reçu plus ou moins, mais à cause des capacités de ceux qui
reçoivent. Mais avant l’arrivée de la charité il n’y a pas d’autres capacités
à chercher que celles qui sont naturelles. Il semble donc que la charité soit
répandue selon les capacités des choses naturelles. |
[1309] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, sicut se habet forma substantialis ad esse
naturae, ita caritas ad esse gratiae. Sed forma
substantialis datur secundum capacitatem materiae, ut dicit Plato, II De
anima mundi. Ergo
et caritas datur secundum capacitatem naturae, quae per eam perficitur. |
2. De plus, la charité est à
l’existence de la grâce ce que la forme substantielle est à l’existence de la
nature. Mais la forme substantielle est donnée selon la capacité de la
matière comme le dit Platon [De l’Âme du Monde, ch. 11]. Donc la charité est
donnée suivant la capacité de la nature qui tient d’elle sa perfection. |
[1310] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut gloria praesupponit gratiam, ita
gratia praesupponit naturam. Sed gloria datur secundum modum gratiae, ut qui
plus habet de capacitate, plus etiam de gloria recipiat. Ergo videtur quod
etiam caritas detur secundum capacitatem naturae, ut qui meliora naturalia
habet, major sibi caritas infundatur. |
3. Par ailleurs, tout comme
la gloire présuppose la grâce, de même la grâce présuppose la nature. Mais la
gloire est donnée selon le mode de la grâce de telle manière que celui qui a
plus de capacités reçoit aussi plus de gloire. Il semble donc que la charité
aussi soit donnée selon la capacité de la nature de telle manière qu’une plus
grande charité soit introduite dans celui qui possède de meilleures capacités
naturelles. |
[1311] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 arg. 4 Item, in quibuscumque invenitur perfectio ejusdem
rationis, videtur esse idem modus consequendi illam perfectionem, cum
unaquaeque res proprium modum habeat. Sed caritas invenitur in hominibus et
Angelis secundum rationem eamdem, quod patet ex actu et fine. Cum igitur
Angeli consecuti sint majorem caritatem et meliora gratuita, secundum gradum
naturalium, videtur etiam quod in hominibus ita sit. |
4. En outre, dans tous ceux
chez lesquels on retrouve une perfection pour la même raison, il semble que
la manière d’atteindre cette perfection soit la même puisque toute chose
possède un mode qui lui est propre. Mais la charité se retrouve chez les
hommes et les Anges selon la même raison, ce qui apparaît clairement à partir
de l’acte et de la fin. Donc puisque les Anges obtiennent une plus grande
charité et de meilleurs grâces suivant le degré de leurs capacités
naturelles, il semble qu’il en soit aussi de même chez les hommes. |
[1312] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, natura angelica altior est et sublimior quam
natura humana. Sed aliqui homines, secundum gradum gratiae
assumuntur ad sublimius praemium quam Angeli, cum, secundum Gregorium, Hom.
XXXIV in Evang. § 1, col. 1252, ad singulos ordines Angelorum aliqui homines
assumantur. Ergo
videtur quod perfectiones gratiae et gloriae non dentur secundum mensuram
naturalium. Hoc idem videtur per hoc quod dicitur Prov. XXX, 28: Stellio
manibus nititur ; ubi dicit Gregorius quod gratia major infunditur, secundum
quod ad habendum gratiam aliquis magis nititur. |
Cependant : Au contraire, la nature
angélique est plus élevée et plus grande que la nature humaine. Mais certains
hommes, conformément au degré de la grâce, sont établis dans une plus grande
récompense que les Anges puisque, selon Saint-Grégoire [HomélieXXXIV,
in Évang. & 1, col. 1252], certains hommes sont établis à des degrés
particuliers des Anges. Il semble donc que les perfections de la grâce et de
la gloire ne soient pas données selon les capacités des choses naturelles. La
même chose apparaît au moyen de ce que nous dit l’Écriture [Proverbes XXX,
28] : Le lézard que l’on capture à la main ; et
là-dessus Saint-Grégoire dit qu’une plus grane grâce est versée dans celui
qui s’efforce davantage de posséder la grâce. |
[1313]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, cum Deus
habeat se aequaliter ad omnia, oportet quod diversitas donorum receptorum ab
ipso, attendatur secundum diversitatem recipientium. Diversitas autem
recipientium attenditur, secundum quod aliquid est magis aptum et paratum ad
recipiendum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, puisque Dieu est le même à l’égard de tout, il faut que la diversité des
dons reçus de lui soit considérée d’après la diversité de ceux qui reçoivent.
Mais la diversité de ceux qui reçoivent se prend suivant qu’un être est
davantage apte et prêt à recevoir. |
Sicut autem videmus in
formis naturalibus, quod per dispositiones accidentales, sicut calorem et
frigus et hujusmodi, materia efficitur magis vel minus disposita ad
suscipiendum formam ; ita etiam in perfectionibus animae ex ipsis operibus
animae anima efficitur habilior vel minus habilis ad consequendum
perfectionem suam. Sed tamen differenter se habent
operationes animae ad perfectiones infusas vel acquisitas. Acquisitae enim
perfectiones sunt in natura ipsius animae, in potentia, non pure materiali
sed etiam activa, secundum quod [qua Éd. de Parme] aliquid est in causis
seminalibus. |
Mais tout comme nous voyons
dans les formes naturelles que la matière, par des dispositions naturelles
comme la chaleur, le froid et des caractéristiques de cette sorte, est rendue
plus ou moins disposée à recevoir la forme, de même encore pour les
perfections de l’âme, en partant des œuvres mêmes de l’âme, l’âme est rendue
plus ou moins habile à poursuive sa perfection. Cependant les opérations de
l’âme se présentent différemment par rapport aux perfections infuses et à
celles qui sont acquises. Les perfections acquises existent en effet en
puissance dans la nature de l’âme, non pas par une puissance purement
matérielle mais aussi active, selon laquelle [par laquelle Éd. de
Parme] une chose existe dans sa cause comme dans une semence. |
Sicut patet quod omnis
scientia acquisita est in cognitione primorum principiorum, quae naturaliter
nota sunt, sicut in principiis activis ex quibus concludi potest. Et
similiter virtutes morales sunt in ipsa rectitudine rationis et ordine, sicut
in quodam principio seminali. Unde philosophus, VII Ethic., cap. V, dicit
esse quasdam virtutes naturales, quae sunt quasi semina virtutum moralium. Et
ideo operationes animae se habent ad perfectiones acquisitas, non solum per
modum dispositionis, sed sicut principia activa. Perfectiones autem infusae
sunt in natura ipsius animae sicut in potentia materiali et nullo modo
activa, cum elevent animam supra omnem suam actionem naturalem. Unde
operationes animae se habent ad perfectiones infusas solum sicut
dispositiones. |
Par
exemple il est clair que toute science acquise existe dans la connaissance
des premiers principes qui sont naturellement connus comme dans les principes
actifs à partir desquelles elle peut être tirée. Et de la même manière les
vertus morales existent dans la rectitude même et l’ordre de la raison comme
dans un principe et une semence. C’est pourquoi le Philosophe [ VII Éthiques,
ch.. V] dit qu’il existe certaines vertus naturelles qui sont comme les
semences des vertus morales. Et c’est pourquoi les opérations de l’âme se
rapportent aux perfections acquises non seulement à la manière d’une
disposition mais comme des principes actifs. Mais les perfections infuses
sont dans la nature de l’âme elle-même comme dans une puissance
matérielle et en aucune manière comme dans une puissance active
puisqu’elles élèvent l’âme au-dessus de la totalité de son action
naturelle. C’est pourquoi les opérations de l’âme ne se présentent que comme
des dispositions face aux perfections infuses. |
Dicendum est igitur, quod
mensura secundum quam datur caritas, est capacitas ipsius animae, quae est ex
natura simul, et dispositione quae est per conatum operum: et quia secundum
eumdem conatum magis disponitur natura melior ; ideo qui habet meliora
naturalia, dummodo sit par conatus, magis recipiet de perfectionibus infusis
; et qui pejora naturalia, quandoque magis recipiet, si adsit major conatus. |
Il faut donc dire que la
mesure selon laquelle la charité est donnée est la capacité de l’âme
elle-même qui vient à la fois de la nature et de la disposition acquise par
l’entreprise des œuvres : et parce que suivant les mêmes efforts la
nature est davantage disposée à être meilleure, c’est pourquoi celui qui
possède de meilleurs moyens naturels, pourvu que les efforts demeurent égaux,
recevra davantage de perfections infuses ; et celui qui possède des
ressources naturelles moindres recevra parfois davantage si des efforts plus
grands sont présents. |
[1314] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus recipientis non est
consideranda secundum naturam tantum ; sed etiam secundum dispositionem
conatus advenientem naturae: et ita etiam est in formis substantialibus
respectu materiae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la capacité de celui qui reçoit ne doit pas être considérée
seulement selon la nature mais aussi selon la disposition de l’effort
qui survient à la nature : et il en est encore de même dans les formes
substantielles par rapport à la matière. |
[1315]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 2 Unde patet solutio ad secundum. |
2. À
partir de là la solution à la deuxième difficulté est évidente. |
[1316]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ipsa
gratia est dispositio naturae ad gloriam. Unde non
requiritur quod interveniat alia dispositio media [media om. Éd. de Parme] inter
caritatem et gloriam: sed inter naturam et gratiam cadit conatus medius,
quasi dispositio. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la grâce elle-même est une disposition de la nature à l’égard de la
gloire. De là il n’est pas requis qu’intervienne une autre disposition
intermédiaire [intermédiaire om. Éd. de Parme] entre la charité
et la gloire : mais entre la nature et la grâce tombe l’effort
intermédiaire comme à titre de disposition. |
[1317] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in Angelis non est aliquid
quod contendat ad motum naturae intellectualis, ex quo conatus naturae
retardetur, sicut in natura hominis est natura sensitiva, quae tendit in
contrarium de se ad id quo tendit [ad id…tendit om. Éd. de Parme] motus
naturae intellectivae, scilicet delectabile secundum sensum, nisi cogatur et
reguletur ab ipsa ; et ideo in Angelis est diversitas secundum diversitatem
naturae. Haec tamen melius in 2, dist. 3, quaest. 1, art. 4, dicentur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que chez les Anges il n’y a pas quelque chose qui tend avec effort au
mouvement de la nature intellectuelle par quoi le mouvement de la nature
serait retardé, comme dans la nature de l’homme il y a la nature sensible qui
de soi tend à ce qui est contraire à ce vers quoi tend [à ce…tend om.
Éd. de Parme] le mouvement de la nature intellectuelle, à savoir à ce qui
est délectable selon le sens, à moins qu’elle ne soit contrainte et réglée
par elle ; et c’est pourquoi chez les Anges il y a une diversité selon
une diversité de nature. Mais nous verrons mieux cela plus loin [Livre 2,
dist. 3, quest. 1, art. 4] |
|
|
Articulus 4 [1318] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 tit. Utrum caritas certitudinaliter ab habente
cognoscatur |
Article 4 – La charité est-elle connue avec certitude par celui qui la possède ? |
[1319]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod caritas
certitudinaliter ab habente cognoscatur. Ita enim dicitur in Littera: Magis
novit quis dilectionem qua diligit, quam fratrem quem diligit. Sed
fratrem suum certitudinaliter cognoscit. Ergo multo magis caritatem qua ipsum
diligit. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
soit connue avec certitude par celui qui la possède. C’est de cette manière
en effet qu’on s’exprime dans le document : Quelqu’un connaît davantage
l’amour par lequel il aime que le frère qu’il aime. Mais il connaît son frère
avec certitude. Il connaît donc bien davantage la charité par laquelle il
l’aime. |
[1320] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 arg. 2 Item, philosophus dicit, II Post. lect. 20, contra
Platonem, quod inconveniens est habere nos nobilissimos habitus, et nos
lateant. Sed caritas est habitus nobilissimus. Ergo videtur quod ab habente
certitudinaliter cognoscatur. |
2. En outre, le Philosophe
[11 Seconds Analytiques, lect. 20] dit à l’encontre de Platon qu’il est
absurde de posséder les plus nobles habitus et qu’ils nous soient cachés.
Mais la charité est le plus noble des habitus. Il semble donc qu’elle soit
connue avec certitude par celui qui la possède. |
[1321] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, quicumque habet fidem, scit se habere
fidem. Sed fides non magis est praesens animae [animae om. Éd. de Parme],
quam caritas. Ergo et qui habet caritatem, scit se habere illam. |
3. Par ailleurs, quiconque
possède la foi sait qu’il la possède. Mais la foi n’est pas plus présente à
l’âme [âme om. Éd. de Parme] que la charité. Donc celui-là qui
possède la charité sait aussi qu’il la possède. |
[1322] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 arg. 4 Item, quidquid cognoscitur ab anima, cognoscitur ab ea
per hoc quod praesens sibi efficitur per sui [sui om. Éd. de Parme]
similitudinem. Sed magis est praesens animae quod est in ipsa essentialiter,
quam quod est per sui similitudinem. Ergo cum caritas essentialiter sit in
anima, videtur quod certius cognoscatur ab habente quam res exteriores quae
per sui similitudinem cognoscuntur. |
4. De plus, tout objet connu
par l’âme est connu par elle au moyen de ce qui lui est rendu présent par une
similitude de lui [de lui om. Éd. de Parme]. Mais est plus
présent à l’âme l’objet qui est en elle essentiellement que ce qui est en
elle par une similitude de lui. Donc, puisque la charité est présente dans
l’âme essentiellement, il semble qu’elle soit connue avec plus de certitude
par celui qui la possède que les choses extérieures qui sont connues par
leurs similitudes. |
[1323] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, caritas est quoddam lumen spirituale, ut
habetur 1 Joan., 2, 10: Qui diligit fratrem, in lumine manet. Sed lux seipsa
videtur. Ergo videtur quod similiter caritas ; et sic certius quam alia cognoscatur. |
5. Par ailleurs, la charité
est une certaine lumière intellectuelle comme le dit l’Écriture [1 Jean,
2, 10] : Qui aime son frère demeure dans la lumière. Mais la
lumière elle-même est perçue. Il semble donc que la charité semblablement
soit vue ; et ainsi elle est connue avec plus de certitude que les
autres choses. |
[1324] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, per caritatem quae est in aliquo efficitur
dignus Dei amore. Sed, ut dicitur Eccle. 9, 1, Nemo scit, utrum amore an odio
dignus sit. Ergo videtur quod nullus sciat se habere caritatem
certitudinaliter. |
Cependant : 1. Au contraire, c’est par la
charité qui est en soi qu’on est rendu digne de l’amour de Dieu. Mais, comme
il est dit [Ecclésiaste 9, 1] : Personne ne sait
s’il est digne d’amour ou de haine. Il semble donc que nul ne sache avec
certitude s’il possède la charité. |
[1325]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, apostolus dicit 1
Corinth. 4, 4: Nihil mihi conscius sum, sed non in hoc justificatus
sum. Cum
ergo nullum majus signum possit haberi de caritate quam non habere
conscientiam peccati mortalis, et hoc non sufficit ; videtur quod per nullum
signum possit aliquis certitudinaliter scire se habere caritatem. |
2. En outre, l’Apôtre
[1 Corinth. 4, 4] dit : Ma conscience ne me reproche
rien, mais je n’en suis pas justifié pour autant. Donc, puisqu’on ne peut
posséder aucun signe plus grand au sujet de la charité que celui de ne pas
avoir conscience d’un péché mortel et que cela ne suffit pas, il semble qu’on
ne puisse savoir avec certitude au moyen d’aucun signe qu’on possède la
charité. |
[1326]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, secundum
philosophum, II Métaph., text. 1, aliquid dicitur esse difficile ad
cognoscendum dupliciter: vel secundum se, vel quo ad nos. Dicendum est igitur
quod ea quae per esse suum non sunt unum in materia, quantum in se est, sunt
maxime nota ; sed quo ad nos sunt difficillima ad cognoscendum ; propter quod
dicit philosophus, ibidem, quod intellectus noster se habet ad manifestissima
naturae, sicut oculus vespertilionis ad lucem solis. Cujus ratio est, quia
cum intellectus noster potentialis sit in potentia ad omnia intelligibilia,
et ante intelligere non sit in actu aliquod eorum ; ad hoc quod intelligat actu,
oportet quod reducatur in actum per species acceptas a sensibus illustratas
lumine intellectus agentis ; quia, sicut dicit philosophus, III De anima,
text. 32, sicut se habent colores ad visum, ita se habent phantasmata ad
intellectum potentialem. Unde cum naturale sit nobis procedere ex sensibus ad
intelligibilia, ex effectibus in causas, ex posterioribus in priora, secundum
statum viae, quia in patria alius modus erit intelligendi ; ideo est quod
potentias animae et habitus non possumus cognoscere nisi per actus, et actus
per objecta. In actu autem animae est plura considerare: scilicet speciem
ipsius actus, quae est ab objecto, et modum et effectum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après le Philosophe [11 Métaphysique,
texte 1], une chose est dite difficile à connaître de deux manières :
soit en elle-même, soit quant à nous. Il faut donc dire que les choses qui
dans leur existence ne sont pas unies à la matière, autant qu’elles le sont
en elles-mêmes, sont les plus connues ; mais quant à nous, elles sont
les plus difficiles à connaître ; et c’est pour cela que le Philosophe,
au même endroit, dit que le rapport de notre intelligence à ce qui
est le plus manifeste par nature est le même que celui de l’œil de
l’oiseau de nuit à la lumière du soleil. La raison en est que puisque notre
intellect possible est en puissance à tous les intelligibles et qu’avant de
concevoir il n’eat aucun d’eux en acte, pour concevoir ou intelliger en acte,
il faut qu’il passe à l’acte d’intelliger au moyen des espèces reçues des
sens et éclairées par la lumière de l’intellect agent ; car, ainsi que
le dit le Philosophe [111 de L’Âme,
texte 32], ce que les couleurs sont à la vue, de même les images le sont à
l’intellect possible. C’est pourquoi, puisqu’il nous est naturel ici-bas de
procéder du sensible à l’intelligible, des effets aux causes, de ce qui est
second à ce qui est premier parce que dans la patrie céleste il y aura une
autre manière d’intelliger, c’est pourquoi nous ne pourvons connaître les
puissances de l’âme et leurs habitus que par leurs actes et les
actes par leurs objets. Mais dans l’acte de l’âme il y a plusieurs choses à
considérer : à savoir l’espèce de l’acte lui-même, qui se tire de son
objet, le mode et l’effet. |
Si igitur accipiamus actum
caritatis, qui est diligere Deum et proximum, ex specie actus, non
discernitur utrum sit a potentia imperfecta, vel perfecta per habitum ; quia
ad idem objectum ordinatur potentia et habitus, sicut scientia et intellectus
possibilis. Modus autem quem ponit habitus in opere est facilitas et
delectatio, unde [ut Éd. de Parme] dicit philosophus, II Ethic., c. III, quod
signum habitus oportet accipere fientem in opere delectationem. Per istum
autem modum non discernitur utrum sit ab habitu caritatis infuso, vel ab
habitu acquisito. |
Si donc nous considérons à
part l’acte de charité, qui consiste à aimer Dieu et son prochain, à partir
de l’espèce même de cet acte, on ne distingue pas s’il vient d’une puissance
imparfaite ou d’une puissance qui est complétée par un habitus ; car
c’est au même objet que sont ordonnés la puissance et l’habitus, par exemple
la science et l’intellect possible. Mais le mode que présente l’habitus dans
l’opération est la facilité et le plaisir et de là [de telle manière que Éd.
de Parme] le Philosophe dit [11 Éthique, ch. 111] que le
signe qu’il faut prendre de l’habitus est qu’il produit le plaisir dans
l’opération. Mais par ce mode on ne distingue pas si l’acte de charité vient
d’un habitus infus de charité ou d’un habitus acquis. |
Effectus autem proprius
dilectionis, secundum quod est ex caritate, est in virtute merendi. Hoc autem
nullo modo cadit in cognitionem nostram nisi per revelationem. Et ideo nullus
certitudinaliter potest scire se habere caritatem ; sed potest ex aliquibus signis
probabilibus conjicere. Caritatem etiam increatam, quae Deus est, quamdiu
vivimus, per speciem non videmus, ut dicitur 1 Corinth. 13. |
Mais l’effet propre de
l’amour, selon qu’il vient de la charité, réside dans la capacité de mériter.
Et cela ne vient en aucune manière à notre connaissance si ce n’est par la
révélation. Et c’est pourquoi personne ne peut savoir avec certitude s’il
possède la charité, mais il peut le conjecturer à partir de signes probables.
Comme le dit l’Apôtre [1 Corinth., ch. 13], tant que nous vivons
en cette vie, nous ne pouvons voir non plus telle qu’elle est,
spécifiquement, la charité incréée qui est Dieu. |
Quamvis quidam aliter
dicant, quod ipsam caritatem, quae Deus est, in nobis videmus, sed visio est
adeo tenuis, scilicet quod nec visio potest dici, nec aliquis percipit se
videre ; eo quod visio ipsius Dei quasi confunditur et admiscetur in
cognitione aliorum. Sicut etiam dicunt, quod anima semper se intelligit, sed
tamen non semper de se cogitat. Hoc autem quomodo intelligendum est, supra,
dist. 3, qu. 1, art. 2, dictum est. |
Bien que certains parlent
autrement, à savoir que nous voyons en nous la charité même qui est Dieu,
cette vision cependant est faible, c’est-à-dire qu’on ne peut pas même
l’appeler vision et qu’on ne se perçoit pas en train de voir du fait que
la vision de Dieu se confond et se mêle à la connaissance des autres choses.
Par exemple ils disent aussi que l’âme se saisit toujours elle-même mais
cependant elle ne pense pas toujours à elle-même. Mais nous avons dit plus
haut [dist. 3, quest. 1, art. 2] comment cela doit se comprendre. |
[1327] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod auctoritates Augustini
in Littera positae loquuntur de cognitione ex parte ipsius cognoscibilis, et
non ex parte cognoscentis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que les témoignages d’Augustin présentés dans le Document
parlent de la connaissance prise du côté de l’objet connaissable lui-même et
non du côté de celui qui connaît. |
[1328] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus ibi loquitur de
habitibus nobilissimis partis cognitivae. Sed istorum habituum actus perfecte
exprimunt suos habitus quantum ad id quod est proprium eis ; sicut in actu
scientiae est certitudo per causam, in qua expresse scientia demonstratur ;
et multo plus est hoc in intellectu principiorum. Et ideo qui habet
scientiam, scit se habere, quamvis non e converso: quia aliqui se credunt
habere, qui non habent. Semper enim ad rectum mensuratur obliquum ; et ideo,
secundum philosophum, III Ethic., c. VIII, virtuosus est mensura in operibus
humanis ; quia illud est bonum, quod virtuosus appetit ; et similiter etiam
est de rectitudine intellectus ; quia illud est verum quod videtur habenti
rectum intellectum ; non autem quod videtur cuilibet. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le Philosophe parle à cet endroit des habitus les plus nobles de la
partie cognitive. Mais les actes de ces habitus expriment parfaitement leurs
habitus quant à ce qui leur est propre ; par exemple dans l’acte de
science la certitude s’obtient au moyen de la cause dans laquelle la science
est démontrée de manière explicite ; et il en est bien davantage ainsi
dans l’intelligence des principes. Et c’est pourquoi celui qui possède la
science sait qu’il la possède mais l’inverse n’est pas nécessairement
vrai : car certains croient posséder la science mais ils ne la possèdent
pas. En effet, c’est toujours par rapport à ce qui est droit que se
mesure ce qui est courbé; et c’est pourquoi, d’après le Philosophe
[111 Éthique, ch. 8], la mesure des actes humains est le
vertueux ; car ce qui est bon, c’est ce que le vertueux désire ; et
il ne est de même encore pour la rectitude de l’intelligence car est vrai ce
que voit celui qui possède une intelligence droite et non pas ce que le
premier venu voit. |
[1329]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 3 Et per hoc patet etiam solutio ad
tertium. Quia
actus fidei per ipsum objectum, quod est creditum, distinguitur ab actibus
aliorum habituum vel potentiae imperfectae, quae non potest per se in tale
objectum ; et ideo habens fidem scit se illam habere. |
3. Et au moyen de ce qui
vient d’être dit la solution à la troisième difficulté est évidente. Car
c’est pas son objet lui-même, qui est ce qui est cru, que l’acte de foi se
distingue des actes des autres habitus ou d’une puissance imparfaite qui est
incapable par elle-même d’un tel objet ; et c’est pourquoi celui qui
possède la foi sait qu’il la possède. |
[1330]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad hoc
quod aliquid cognoscatur ab anima, non sufficit quod sit sibi praesens
quocumque modo, sed in ratione objecti. Intellectui autem nostro nihil est
secundum statum viae praesens ut objectum, nisi per aliquam similitudinem
ipsius, vel ab ipso effectu acceptam: quia per effectus devenimus in
causas. Et
ideo ipsam animam et potentias ejus et habitus ejus non cognoscimus nisi per
actus, qui cognoscuntur per objecta. Nisi largo modo velimus loqui de
cognitione, ut Augustinus loquitur, secundum quod intelligere nihil aliud est
quam praesentialiter intellectui quocumque modo adesse. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que pour qu’une chose soit connue par l’âme, il ne suffit pas qu’elle
lui soit présente de n’importe quelle manière, mais seulement en tant
qu’objet de connaissance. Mais en cette vie, aucun être n’est présent à notre
intelligence en tant qu’objet si ce n’est n’est au moyen d’une similitude de
cet être, ou reçue de son effet : car c’est au moyen des effets que nous
parvenons aux causes. Et c’est pourquoi nous ne connaissons l’âme elle-même,
ses puissances et ses habitus que par leurs actes qui ne sont eux-mêmes
connus que par leurs objets. À moins que nous voulions parler de la
connaissance au sens large comme le fait Augustin, au sens où comprendre ou
intelliger n’est rien d’autre que ce qui est présent maintenant d’une manière
ou d’une autre à l’intelligence. |
[1331] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per hoc quod caritas creata
vel increata est lux, ostenditur quod in se cognoscibilis sit, sed non
cognoscitur, ab intellectu nostro in se nisi per effectum suum, ratione jam
dicta, in corp. art. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que du fait que la charité créée ou incréée est une lumière, on montre
qu’elle est connaissable en elle-même mais non pas qu’elle est connue en
elle-même par notre intelligence, si ce n’est par son effet pour la raison
que nous avons déjà dite dans le corps de l’article. |
|
|
Articulus 5 [1332] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 tit. Utrum caritas sit ex caritate diligenda |
Article 5 – La charité doit-elle être aimée par charité ? |
[1333]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod caritas non
sit ex caritate diligenda. Quatuor enim tantum sunt diligenda ex caritate, ut
in 3, dist. 27, qu. unica, art. 5, dicetur: scilicet, Deus, proximus, anima,
corpus. Sed caritas nullum horum est. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
ne doive pas être aimée par charité. Il n’y a en effet que quatre choses qui
doivent être aimées par charité comme nous le dirons plus loin [Livre 3,
dist. 27, quest. unique, art. 5] : à savoir Dieu, le prochain, l’âme et
le corps. Mais la charité n’est aucune de ces réalités. Elle ne doit donc pas
être aimée par charité. |
[1334] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 arg. 2 Item, nulla res denominat seipsam, quia albedo non
dicitur alba. Sed dilectum denominatur a dilectione. Ergo dilectio non
diligitur, nec caritas caritate amatur. |
2. De plus, aucune chose ne
se voit attribuer à elle-même son propre nom, car on ne dit pas de la
blancheur qu’elle est blanche. Mais ce qui est aimé est dénommé à partir de
l’amour. Donc l’amour n’est pas aimé et la charité n’est pas aimée par
charité. |
[1335] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, sicut se habet sensus ad sentire, ita se
habet affectus ad diligere. Sed sensus proprius non sentit se sentire. Ergo
nec affectus diligit suam dilectionem. Caritas autem est in affectu. Ergo
caritas ex caritate non diligitur. |
3. Par ailleurs,
l’affectivité est à l’acte d’aimer ce que le sens est à l’acte de sensation.
Mais le sens propre ne sent pas qu’il sent. Donc l’affectivité n’aime pas son
amour. Mais la charité est dans l’affectivité. Donc la charité n’est pas
aimée par charité. |
[1336] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, omne quod diligitur, aliqua dilectione
diligitur. Si igitur actus caritatis amatur, oportet quod aliquo alio actu
ametur, et ille eadem ratione erit diligendus. Ergo hoc modo ducitur in
infinitum, quod non est ponendum. Ergo videtur quod caritas non sit ex
caritate diligenda. |
4. En outre, tout ce qui est
aimé est aimé d’un certain amour. Si donc l’acte de charité est aimé, il faut
qu’il soit aimé d’un autre acte et ce dernier pour la même raison devra être
aimé d’un autre acte. Et de cette manière on sera conduit à procéder à
l’infini, ce qui est impossible. Il semble donc que la charité ne doive pas
être aimée par charité. |
[1337] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra est quod habetur in Littera ex verbis
Augustini: Qui proximum diligit, consequens est ut ipsam praecipue
dilectionem diligat. Sed proximus diligendus est ex caritate. Ergo et
caritas. |
Cependant : 1. C’est le contraire qui est
établi dans le document à partir des paroles d’Augustin : Qui aime son
prochain, c’est principalement l’amour même qu’il aime. Mais le prochain doit
être aimé par charité. Il en est donc de même pour la charité. |
[1338] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 s. c. 2 Item, proximus non est diligendus ex caritate, nisi
inquantum habet imaginem Dei. Sed expressius repraesentat Deum caritas, quam
imago naturalis quae est in anima. Ergo videtur quod ipsa sit magis ex
caritate diligenda. |
2. En outre, le prochain ne
doit être aimé par charité que pour autant qu’il possède l’image de Dieu.
Mais la charité représente plus clairement Dieu que l’image naturelle qui est
dans l’âme. Il semble donc que la charité elle-même doive davantage être
aimée par charité. |
[1339]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod aliquid est
diligibile dupliciter: vel sicut ratio dilectionis, vel sicut objectum, sicut
etiam color videtur ut objectum, et lumen ut ratio per quam color est
visibilis in actu. Sicut autem eodem actu videtur color et lux, ita etiam eodem
actu diligitur quod amatur ut objectum et ut ratio objecti. Sciendum est
igitur quod caritas potest tripliciter sumi ; vel pro caritate increata, quae
Spiritus sanctus est ; vel pro caritate habituali ; vel pro actu caritatis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’un être peut être aimé de deux manières : soit comme la raison de
l’amour, soit comme l’objet de l’amour, tout comme aussi la couleur est vue
comme objet, et la lumière comme la raison par laquelle la couleur est
visible en acte. Mais tout comme c’est par le même acte que la couleur et la
lumière sont vues, de même aussi c’est par le même acte qu’est aimé ce qui
est aimé comme objet et ce qui est aimé en tant que raison de l’objet. Il
faut donc savoir que la charité peut se prendre de trois manières ; soit
en tant que charité incréée qui est l’Esprit-Saint ; soit en tant que
charité habituelle ; soit en tant qu’acte de charité. |
Quodlibet autem istorum est
ratio diligendi, et potest esse objectum dilectionis ; sicut proximum
diligimus inquantum in ipso Deus inhabitat, et habitum caritatis habet, et
actum exercet ; et sic diliguntur ut ratio diligibilis. Si autem
considerentur in se, sic adhuc diliguntur ut objectum dilectionis. Sic autem
non diligitur caritatis habitus vel actus dilectione amicitiae vel
benevolentiae quae inanimatorum esse non potest, ut philosophus, VIII Ethic.,
cap. 1, dicit, sed dilectione cujusdam complacentiae, secundum quod diligere
dicimur illud quod approbamus, et quod esse volumus. |
Et chacune de ces charités
est une raison d’aimer et peut aussi être objet d’amour ; tout comme
nous aimons le prochain en tant que Dieu habite en lui, qu’il possède
l’habitus de la charité et qu’il exerce l’acte de charité ; et dans ces
cas il y a amour en tant que raison de ce qui est aimable. Mais si on les
considère en eux-mêmes, alors en outre ils sont aimées en tant qu’objets
d’amour. Mais alors l’habitus et l’acte de charité ne peut être aimé d’une
amour d’amitié ou de bienveillance qui ne peut avoir lieu pour les objets
inanimés, comme le dit le Philosophe [ VIII Éthiques, ch. 1], mais seulement
d’un amour de complaisance, selon que nous disons aimer ce que nous
approuvons ou ce que nous voulons être. |
[1340] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas est quodammodo
medium inter Deum et proximum: quia est similitudo Dei, et etiam est ratio
diligendi ipsum proximum ; et ideo consequitur ad dilectionem utriusque. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la charité est d’une certaine manière un intermédiaire entre
Dieu et le prochain car elle est une similitude de Dieu et aussi la raison
d’aimer le prochain ; et c’est pourquoi elle atteint à l’amour des deux. |
[1341] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod denominatio proprie est
secundum habitudinem accidentis ad subjectum: sic autem dilectum non
denominatur a dilectione, sed magis sicut objectum ; et ideo ratio non
procedit. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la dénomination a proprement lieu d’après le rapport de l’accident
au sujet : mais de cette manière ce qui est aimé n’est pas dénommé à
partir de l’amour, mais plutôt comme un objet ; et c’est pourquoi cet
argument ne nous fait pas avancer. |
[1342] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in potentiis materialibus hoc
contingit quod potentia non reflectitur super suum actum, propter hoc quod
determinata est secundum complexionem [compilationem Éd. de Parme] organi.
Visus enim particularis non potest cognoscere nisi illud cujus species
spiritualiter in pupilla potest recipi ; et ideo visus non potest
comprehendere suum actum. Si autem hoc esset necessarium in omnibus, quod
actus cujuslibet potentiae non cognosceretur a propria potentia, sed a superiore,
tunc oporteret quod vel in potentiis animae iretur in infinitum, vel
remaneret aliquis actus animae imperceptibilis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que dans les puissancs matérielles il est possible que la puissance ne
revienne pas sur son acte pour cette raison qu’elle est déterminée suivant la
complexion [dépouillement Éd. de Parme] de l’organe. Une vision
particulière en effet ne peut connaître que ce dont l’espèce peut être reçue
immatériellement dans la pupille ; et c’est pourquoi la vue ne peut
comprendre son propre acte. Mais s’il était nécessaire qu’il en soit ainsi
pour toutes les puissances, à savoir que l’acte de n’importe quelle puissance
ne soit pas connu par la puissance qui lui est propre mais par une puissance
supérieure, alors il faudrait soit qu’on procède à l’infini dans les
puissances de l’âme, soit qu’un acte de l’âme demeure inintelligible. |
Et ideo dicendum, quod
potentiae immateriales reflectuntur super sua objecta ; quia intellectus
intelligit se intelligere, et similiter voluntas vult se velle et diligere.
Cujus ratio est, quia actus potentiae immaterialis non excluditur a ratione
objecti. Objectum enim voluntatis est bonum ; et sub hac ratione diligit
voluntas omne quod diligit ; et ideo potest diligere actum suum inquantum est
bonus ; et similiter est ex parte intellectus ; et propter hoc Lib. De Caus.,
prop. 15, dicitur quod cujuscumque actio redit in essentiam agentis per
quamdam reflexionem, oportet essentiam ejus ad seipsam redire, idest in se
subsistentem esse, non super aliud delatam, idest non dependentem a materia. |
Et c’est pourquoi il faut
dire que les puissances immatérielles font un retour sur leurs objets ;
car l’intelligence comprend qu’elle comprend et la volonté veut vouloir et
aimer. La raison en est que l’acte d’une puissance immatérielle n’est pas
écarté de la notion d’objet. L’objet de la volonté en effet est le bien et
c’est sous cette raison que la volonté aime tout ce qu’elle aime ; et
c’est pourquoi elle peut aimer son acte dans la mesure où il est bon ; et
il en est de même du côté de l’intelligence ; et c’est pour cette raison
qu’on dit [Livre des Causes, prop. 15] que l’action de quiconque qui
aboutit à l’essence de l’agent par un certain retour sur soi, il faut que son
essence se ramène à elle-même, c’est-à-dire qu’elle soit subsistante en
elle-même sans être portée par quelque chose d’autre, c’est-à-dire sans
dépendre de la matière. |
[1343] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actus dilectionis, secundum
quod tendit in alterum, constat quod differt numero ab actu dilectionis qui
in alio diligitur, sive diligatur ut objectum, sive ut ratio diligendi. Sed
quia etiam animam suam potest aliquis ex caritate diligere, potest etiam ex
caritate actum suae caritatis diligere. Et tunc distinguendum est. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’acte d’amour, selon qu’il tend vers un autre, diffère clairement
par le nombre de l’acte d’amour qui est aimé dans un autre, qu’il soit aimé
comme objet ou comme raison d’aimer. Mais parce que quelqu’un peut aimer par
charité même son âme, il peut aussi par charité aimer l’acte de sa charité.
Et alors il faut distinguer. |
Quia vel dilectio fertur in
actum dilectionis proprium, sicut in rationem dilectionis tantum ; et sic
constat quod eodem actu numero diligitur diligens et actus ejus ; et sic idem
actus diligitur per actum qui est ipse. Vel diligitur ut objectum
dilectionis, et sic est alius actus dilectionis numero qui diligitur et quo
diligitur ; sicut patet planius in actu intellectus. Cum enim actus
distinguantur per objecta, oportet dicere diversos actus qui terminantur ad
objecta diversa. Unde sicut sunt diversi actus quibus intellectus intelligit
equum et hominem, ita sunt diversi actus in numero, quo intelligit equum et
quo intelligit actum illius sub ratione actus. Nec est inconveniens quod in
actibus animae eatur in infinitum in potentia, dummodo actus non sint
infiniti in actu. Unde etiam Avicenna concedit non esse impossibile quin
relationes consequentes actum animae, multiplicentur in infinitum. |
Car ou bien l’amour se porte
vers l’acte propre de l’amour comme vers la raison de l’amour seulement et
ainsi il est clair que c’est par le même acte numériquement parlant que sont
aimés celui qui aime et son acte ; et ainsi c’est le même acte qui est
aimé par l’acte qui est lui-même. Ou bien il est aimé comme objet d’amour et
ainsi ce qui est aimé et ce par quoi il est aimé sont des actes
différents d’amour numériquement parlant, tout comme on le voit plus
clairement dans l’acte de l’intelligence. En effet, puisque les actes se
distinguent par leurs objets, il faut dire que les actes qui se terminent à
des objets différents sont eux-mêmes différents. C’est pourquoi tout comme
sont différents les actes par lesquels l’intelligence conçoit le cheval et
l’homme, de même l’acte par lequel l’intelligence conçoit le cheval et celui
par lequel elle conçoit cet acte sous la raison d’acte sont des actes
différents numériquement parlant. Et il n’y a pas de problème à aller à
l’infini en puissance dans les actes de l’âme, pourvu que les actes ne soient
pas infinis en acte. C’est pourquoi même Avicenne [111 Métaphysique,
ch. X] concède qu’il n’est pas impossible que les relations découlant de
l’acte de l’âme se multiplient à l’infini. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La croissance de la charité] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus
partis quinque quaeruntur: 1 utrum caritas augeatur ; 2 de modo augmenti ; 3 utrum quolibet actu
augeatur ; 4 utrum sit aliquis
terminus augmenti ; 5 utrum diminuatur. |
Pour comprendre cette partie
on s’interroge sur cinq points : 1. Est-ce que la charité peut
s’accroître ? 2. De quelle manière ? 3. Est-ce qu’elle s’accroît
par n’importe quel acte ? 4. Est-ce que cet
accroissement se limite à un terme ? 5. Est-ce que la charité peut
diminuer ? |
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Articulus 1 [1346] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 tit. Utrum caritas augeatur |
Article 1 – La charité s’accroît-elle ? |
[1347]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod caritas non
augeatur. Nihil enim augetur nisi quantum. Sed nullum simplex est quantum,
quia omne quantum est divisibile. Caritas autem est simplex habitus, et ita
non est quantum per se, nec similiter per accidens, cum ejus subjectum,
scilicet anima, sit etiam indivisibile. Ergo non augetur. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
ne puisse croître. Rien en effet n’est le sujet d’une croissance si ce n’est
ce qui possède une quantité. Mais rien de simple ne possède une quantité car
toute quantité est divisible. Mais la charité est un habitus qui est simple
et ainsi elle n’est une quantité ni par soi ni par accident puisque son
sujet, à savoir l’âme, est elle aussi indivisible. Elle ne peut donc croître. |
[1348] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 arg. 2 Si dicis, quod quanta est, non quantitate molis, sed
virtutis, contra: quantitas virtutis dividitur secundum objecta in quae
virtus potest. Sed in omnia objecta caritatis potest quaelibet caritas,
quantumcumque parva. Ergo non augetur secundum quantitatem virtutis. |
2. Si tu dis qu’elle est une
quantité non pas par la quantité d’une masse matérielle mais d’une puissance,
il faut dire cependant que la quantité d’une puissance de divise d’après les
objets dans lesquels la puissance peut se diviser. Mais toute charité, si
petite qu’elle soit, peut se diviser dans tous les objets de charité. La
charité ne peut donc croître selon la quantité d’une puissance. |
[1349] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, cum augmentum sit species motus, quidquid
augetur movetur, et quod essentialiter augetur essentialiter movetur. Sed
quod movetur est corpus, ut probat philosophus, VI Physic. : text. 32 ;
et quod naturaliter movetur corrumpitur. Cum igitur caritas non corrumpatur,
quia caritas nunquam excidit, 1 Corinth. 13, 8, nec sit corpus mobile ;
videtur quod non essentialiter augeatur. |
3. En outre, puisque la
croisssance est une espèce de mouvement, tout ce qui croît se meut, et tout
ce qui croît essentiellement se meut essentiellement. Mais ce qui se meut est
un corps ainsi que le prouve le Philosophe [ VI Physiques, texte
32] ; et ce qui se meut par nature se corrompt. Donc, puisque la charité
ne peut se corrompre, car la charité ne meurt jamais [1 Corinth.
13, 8], elle n’est pas non plus un corps en mouvement ; il semble donc
qu’elle ne puisse croître essentiellement. |
[1350] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, cujus causa semper se habet eodem modo, illud
neque augetur neque minuitur, nec aliquo modo variatur. Sed causa
immediata caritatis Deus est, qui semper eodem modo se habet. Ergo caritas non variatur
per augmentum. |
4. De plus, ce dont la cause
est toujours la même n’est sujet ni à croissance, ni à diminution, ni à
aucune sorte de changement. Mais la cause immédiate de la charité est Dieu
qui est toujours le même. Donc la charité ne peut changer par augmentation. |
[1351] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, constat quod augmentum qualitatis non
potest reduci ad aliquam speciem motus, nisi ad alterationem. Sed alteratio,
ut probat philosophus VII Physic., text. 20, non est nisi circa partem animae
sensitivam, et circa objecta ejus. Cum ergo caritas qualitas sit et sit in
parte intellectiva, alioquin non esset in Angelis, qui sensitiva carent,
videtur quod non augeatur. |
5. Par ailleurs, il est clair
que l’augmentation d’une qualité ne peut se ramener à une espèce de mouvement
que selon l’altération. Mais l’altération, comme le prouve le Philosophe [
VII Physiques, texte 20], ne se rapporte qu’à la partie sensitive de l’âme et
à ses objets. Donc, puisque la charité est une qualité et qu’elle est dans la
partie intellective de l’âme, autrement on ne la retrouverait pas chez les
Anges qui sont privés de la partie sensitive, il semble que la charité ne
soit pas le sujet d’une croissance. |
[1352]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, Augustinus, Tract. V
Super I Epist. Joan., § 4, dicit: Caritas cum fuerit nata, nutritur ; cum
fuerit roborata, perficitur. Omne autem in quo progressus secundum diversos
gradus attenditur, augetur. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Au contraire, Augustin
[Traité V, Sur la Première Lettre de Jean, & 4] dit : Lorsque la
charité sera née, elle se nourrira ; lorsqu’elle aura été fortifiée,
elle se perfectionnera. Mais toute chose dans laquelle on remarque un
processus qui s’échelonne suivant différents degrés est sujette à croissance.
Il en est donc ainsi pour la charité. |
[1353] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, per actum devenimus in cognitionem
habitus. Sed contingit actum caritatis intensiorem fieri. Ergo etiam et
caritas augeri potest. |
2. Par ailleurs, c’est au
moyen de l’acte que nous parvenons à la connaissance de l’habitus. Mais il
arrive que se produise une augmentation de l’acte de charité. L’habitus de la
charité peut donc augmenter lui aussi. |
[1354]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam
posuerunt caritatem essentialiter non augeri, et horum fuit quadruplex
opinio. Quidam enim dixerunt, ut
Magister in littera, quod caritas secundum se non augetur, sed dicitur augeri
in nobis, inquantum nos in caritate proficimus ; et hoc quia ponit caritatem
esse Spiritum sanctum, in quem variatio non cadit. Sed hoc non potest stare:
quia non est intelligibile, quod nos in caritate, quae Spiritus sanctus est,
proficiamus, nisi aliquid fiat in nobis quod prius non fuit ; et hoc non
potest esse tantum actus, cum omnis actus sit ex virtute aliqua, et actus
perfectus, quali Spiritu sancto unimur, est a virtute perfecta per habitum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que certains ont affirmé que la charité, essentiellement, ne peut croître et
parmi eux il y a eu quatre opinions. Certains en effet ont dit,
comme le Maître dans ce document, que la charité en elle-même ne croît pas,
mais on dit qu’elle croît en nous dans la mesure où nous progressons dans la
charité ; et cette opinion découle de ce qu’il pose que la charité est
l’Esprit-Saint lui-même dans lequel il ne peut se rencontrer aucun
changement. Mais cette position ne peut tenir : car on ne peut
comprendre que nous progressions dans la charité qui est l’Esprit-Saint que
s’il se produit quelque chose en nous qui n’y était pas avant ; et cela
ne peut être seulement un acte puisque tout acte vient d’une certaine
puissance, et que tout acte parfait par lequel nous sommes unis à
l’Esprit-Saint, vient d’une puissance qui est achevée par un habitus. |
Alii dixerunt, quod caritas
essentialiter non augetur, sed dicitur augeri, inquantum magis firmatur in
subjecto, secundum ipsam radicationem. Sed ex hoc etiam sequitur ipsam augeri
essentialiter. Nulla enim forma potest intelligi magis firmari in subjecto,
nisi per hoc quod habet majorem victoriam super subjectum suum. Augmentum
autem victoriae redundat in augmentum virtutis, et per consequens in
augmentum essentiae: quia virtus, si non est ipsa essentia, oportet quod sit
ab essentia, et commensuretur sibi sicut effectus causae proximae. |
D’autres disent que la
charité ne croît pas essentiellement, mais on dit qu’elle croît selon qu’elle
est davantage fixée, selon son enracinement même, dans un sujet. Mais il
découle encore de cette position que la charité croît essentiellement. En
effet, on ne peut comprendre qu’une forme se fixe davantage dans un sujet que
du fait qu’elle obtient une plus grande supériorité sur son sujet. Mais l’augmentation
de la supériorité retombe sur l’augmentation de la puissance et par
conséquent sur l’augmentation de l’essence : car la puissance, si elle
n’est pas l’essence même, il faut qu’elle vienne de l’essence et qu’elle lui
soit proportionnée, comme l’effet est proportionné à sa cause prochaine. |
Alii dixerunt, quod caritas
essentialiter non augetur, sed adveniente majori caritate, minor caritas,
quae inerat, destruitur. Hoc etiam non potest stare: quia nulla forma
destruitur, nisi vel ex contrario agente, vel per accidens ex corruptione
subjecti. Cum igitur subjectum caritatis maneat, et caritas adveniens
caritati inventae non contrarietur ; non potest esse quod destruatur nec per
se nec per accidens, sicut ignis parvus a magno igne propter consumptionem materiae. |
D’autres disent que la
charité ne croît pas essentiellement, mais qu’une fois survenue une plus
grande charité, la plus petite charité qui était présente disparaît. Mais
cela non plus ne peut tenir : car aucune forme n’est détruite, si ce
n’est par un agent contraire ou par accident suite à la corruption du sujet.
Donc, puisque le sujet de la charité demeure et que la charité qui survient
n’est pas contraire à la charité déjà obtenue, il est impossible que la
charité soit détruite soit essentiellement soit par accident, comme un petit
feu est détruit par un grand feu à cause de la corruption de la matière. |
Alii dixerunt, quod caritas
non augetur nisi quantum ad fervorem. Sed hoc etiam non potest stare: quia
fervor caritatis dupliciter accipitur: proprie et metaphorice. Metaphorice,
secundum quod dicimus caritatem esse calorem, et intensionem actus caritatis
metaphorice dicimus fervorem, secundum quod Dionysius, VII De cael. hier.,
col. 206, ponit fervidum in amore Angelorum. Sic autem fervor acceptus, est
per se consequens essentiam caritatis ; unde non potest in tali fervore fieri
augmentum, nisi ipsa caritas essentialiter augeatur ; cum simul varietur res
et omnia quae per se consequuntur ipsam. |
D’autres disent que la
charité ne croît que quant à la ferveur. Mais cela non plus ne peut tenir car
la ferveur de la charité se prend de deux manières : soit proprement,
soit d’une manière métaphorique. Elle se prend d’une manière métaphorique
selon que nous disons que la charité est de la chaleur et que nous appelons
métaphoriquement ferveur l’augmentation de l’acte de charité,
conformément à ce que Denys dit [ VII De
la Hiérarchie Céleste, col. 206] lorsqu’il affirme qu’il y a de la
ferveur dans l’amour des Anges. Mais prise en ce sens, la ferveur découle essentiellement
de l’essence de la charité ; c’est pourquoi il ne peut y avoir
croissance dans une telle ferveur que si la charité elle-même croît
essentiellement, puisque la chose et tout ce qui découle de la chose changent
simultanément. |
Alio modo dicitur fervor
prout est in parte sensitiva ; cum enim vires inferiores sequantur motum
superiorum, si sit intensior, sicut videmus quod ad apprehensionem mulieris
dilectae totum corpus exardescit et movetur ; ita etiam quando affectus
superior movetur in Deum, consequitur quaedam impressio etiam in virtutibus
sensitivis, secundum quam incitantur ad obediendum divino amori. Intensio
autem istius fervoris non sufficit ad augmentum caritatis: quia secundum
augmentum istius fervoris non attenditur quantitas meriti, cum consistat in
dispositione corporis. Unde magis ferventes non semper magis merentur. Sed
ille qui dicitur crescere in charitate, crescit etiam in merito, si sit in
statu merendi. |
En un autre sens on appelle
ferveur ce qui existe dans la partie sensitive ; en effet, puisque les
puissances inférieures suivent le mouvement des puissances supérieures s’il
s’y manifeste une plus grande intensité, comme nous voyons qu’à
l’appréhension de la femme aimée tout le corps s’enflamme et s’émeut, de même
encore quand l’affectivité supérieure se meut vers Dieu, il s’ensuit une
impression même dans les parties sensitives d’après laquelle elles sont
portées à obéir à l’amour divin. Mais l’intensité de cette ferveur ne suffit
pas à l’augmentation de la charité : car ce n’est pas d’après
l’augementation de cette ferveur que se considère la quantité du mérite,
puisqu’elle consiste dans une disposition du corps. C’est pourquoi les plus
fervents ne sont pas toujours ceux qui méritent le plus. Mais celui dont on
dit qu’il croît dans la charité, il faut aussi qu’il croisse dans le mérite
s’il est dans l’état de mériter. |
Et ideo dicendum, quod
charitas essentialiter augetur. Sciendum tamen est, quod augeri nihil aliud
est quam sumere majorem quantitatem ; unde secundum quod aliquid se habet ad
quantitatem ; ita se habet ad augmentum. Quantitas autem dicitur dupliciter ;
quaedam virtualis, quaedam dimensiva. Virtualis quantitas non est ex genere
suo quantitas, quia non dividitur divisione essentiae suae ; sed magnitudo
ejus attenditur ad aliquid divisibile extra, vel multiplicabile, quod est
objectum vel actus virtutis. Sed ex genere suo est vel forma accidentalis in
genere qualitatis, vel forma substantialis, quae tamen non est major vel
minor. Et ideo augmentum secundum quantitatem virtutis non pertinet ad
speciem motus quae augmentum dicitur, sed magis ad alterationem ; et hoc modo
augetur caritas et aliae qualitates. |
Et c’est pourquoi il faut
dire que la charité croît essentiellement. Il faut cependant savoir que
croître n’est rien d’autre que prendre une plus grande quantité ; c’est
pourquoi un être se rapporte à la croissance de la même manière qu’il se
rapporte à la quantité. Mais la quantité se dit de deux manières : soit
quant à la puissance, soit quant à la dimension. La quantité potentielle
n’est pas une quantité de par son genre lui-même car elle ne se divise pas
par la division de son essence mais son étendue se considère par rapport à
quelque chose qui est divisible extérieurement, ou qui est multipliable, à
savoir l’objet ou l’acte de la puissance. La quantité potentielle est donc,
de par son genre, ou bien une forme accidentelle dans le genre de la qualité,
ou bien une forme substantielle qui cependant ne peut être plus grande ou
plus petite. Et c’est pourquoi la croissance selon la quantité de la
puissance n’appartient pas à cette espèce de mouvement qu’on appelle la
croissance, mais plutôt à l’altération ; et c’est en ce sens que la
charité et les autres qualités croissent. |
Quantitas autem dimensiva
est quorumdam per accidens, sicut albedinis, quae dicitur quanta secundum
quantitatem superficiei, ut in Praedicamentis « De quant. »,
dicitur. Unde non augetur nisi per accidens ; sed per se invenitur in
corporibus quae per se augentur. Hoc autem contingit dupliciter. Quia aliquando
illud quod sumit majorem quantitatem, movetur de quantitate minori in
majorem. Aliquando autem est sine motu ipsius quod augeri dicitur ; unde non
quaelibet pars augetur, sicut quaelibet pars moti per se movetur. |
Mais la quantité
dimentionnelle appartient à certaines choses d’une manière accidentelle,
comme à la blancheur qui est dite grande d’après la quantité de la surface,
ainsi qu’on le dit dans le Traité des Prédicaments au
chapître intitulé ¨De la Quantité¨. C’et pourquoi la
couleur ne croît que par accident, mais elle se retrouve par elle-même dans
les corps qui croissent essentiellement. Mais cela est possible de deux
manières. Car parfois ce qui prend une quantité plus grande se meut d’une
quantité plus petite à une quantité plus grande. Mais parfois la
quantité plus grande est acquise sans mouvement de la part de celui dont on
dit qu’il croît ; c’est pourquoi ce n’est pas toute partie qui croît,
comme toute partie de ce qui se meut se meut essentiellement. |
Et hoc contingit quando
efficitur major quantitas per additionem quantitatis, sicut quando additur
lignum ligno, vel linea lineae. Unde hoc est augmentum, sed non motus
augmenti. Quod autem moveatur aliquid ad majorem quantitatem, contingit
dupliciter: vel ita quod quantitas sit per se terminus motus ; vel quod
consequatur terminum. |
Et cela se produit quand une
quantité plus grande est réalisée par l’addition d’une quantité, comme
lorsqu’on ajoute du bois à du bois, une ligne à une autre ligne. C’est
pourquoi cela est une croissance mais non un mouvement de croissance. Mais
qu’une chose se meuve vers une plus grande quantité, cela est possible de
deux manières : soit de telle manière que la quantité soit par elle-même
le terme du mouvement, soit qu’elle suive le terme. |
Quando per se quantitas
est terminus motus, oportet quod sit ibi additio ad totum, et quod ad
quamlibet partem, ut totum augeatur et quaelibet pars ejus ; sicut est in
animali et in planta ; et tunc proprie est motus augmenti. Unde motus
augmenti non est nisi in habentibus nutritivam. Consequitur autem quantitas
[quantitatis om. Éd. de Parme] terminum motus, quando est ad formam aliquam
quam consequitur aliqua quantitas. Cuilibet enim formae debetur quantitas
determinata: et quia motus non specificatur nisi ab eo quod est per se
terminus motus, ideo talis motus non dicitur per se motus augmenti ; sed vel
generatio si sit forma substantialis, sicut quando ex aere fit ignis ; vel
alteratio, quando est forma accidentalis, sicut in rarefactione aeris patet. |
Quand la quantité est par
elle-même le terme du mouvement, il faut qu’il y ait là une addition par
rapport au tout et par rapport à chacune des parties pour que le tout croisse
et que chacune de ses parties croisse ; et c’est là ce qu’on observe
chez l’animal et la plante ; et c’est alors qu’on parle proprement de
mouvement de croissance. Et c’est pourquoi le mouvement de croissance ne se
retrouve que chez ceux qui possèdent la capacité de se nourrir. Mais la
quantité [quantité om. Éd. de Parme] suit le terme du mouvement
quand une quantité est en vue d’une certaine forme qu’elle poursuit. À toute
forme en effet est due une quantité déterminée : et parce qu’un
mouvement n’est spécifié que par ce qui est par soi le terme du mouvement,
c’est pourquoi un tel mouvement n’est pas appelé par soi un mouvement de
croissance ; mais il s’agit là d’une génération si la forme est
substantielle, comme lorsque le feu est obtenu à partir de l’air, ou d’une
altération si la forme est accidentelle comme on le voit dans la raréfaction
de l’air. |
[1355] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas, quamvis non
habeat quantitatem dimensivam neque per se neque per accidens, quia subjectum
etiam ejus non est quantum ; tamen in ea quantitas virtutis est, ratione
cujus augeri dicitur, sicut et albedo et calor. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la charité, bien qu’elle ne possède une quantité
dimentionnelle ni essentiellement ni accidentellement, parce que son sujet
n’est pas lui non plus une quantité, a en elle, comme la blancheur et la
chaleur, la quantité d’une puissance en raison de laquelle on peut dire
qu’elle croît. |
[1356] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas virtutis attenditur
dupliciter: vel quantum ad numerum objectorum, et hoc est per modum
quantitatis discretae ; vel quantum ad intensionem actus super idem objectum
; et hoc est sicut quantitas continua ; et ita excrescit virtus caritatis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la quantité de la puissance se prend de deux manières : soit
quant au nombre des objets, et cela à la manière d’une quantité
discrète ; soit quant à l’intensité de l’acte sur le même objet, et cela
à la manière d’une quantité continue ; et c’est ainsi que se développe
ou s’accroît la vertu de charité. |
[1357] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas non dicitur augeri
quasi subjectum augmenti, cum sit accidens, sed quia secundum ipsam
attenditur augmentum ; sicut etiam quantitas augeri dicitur, et albedo
variari quando aliquid per albedinem variatur. Nec oportet quod si
essentialiter augetur, quod destruatur. Dicitur enim aliquid secundum
essentiam suam moveri dupliciter: vel quia essentia est per se terminus
motus, et sic moveri per essentiam est essentiam amittere et corrumpi ; vel
quia est motus [motus om. Éd. de Parme] secundum aliquid conjunctum
essentiae, quod est per se terminus motus, sicut dicitur aliquid moveri
essentialiter dum secundum locum movetur, quia secundum suam essentiam in
loco est. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’on ne dit pas que la charité croît à titre de sujet de la croissance
puisqu’elle est un accident, mais parce que c’est par rapport à elle qu’on
considère la croissance, tout comme on dit aussi que la quantité augmente et
que la blancheur varie quand quelque chose varie par la blancheur. Et il
n’est pas nécessaire qu’elle soit détruite si elle augmente essentiellement.
C’est de deux manières en effet qu’on dit d’une chose qu’elle se meut suivant
son essence : soit parce que son essence est essentiellement le terme du
mouvement, et ainsi se mouvoir par essence c’est perdre l’essence et se
corrompre ; soit parce qu’elle est en mouvement [mouvement om.
Éd. de Parme] d’après quelque chose qui est uni à l’essence et
qui est par soi le terme du mouvement, tout comme on dit qu’une chose se meut
essentiellement alors qu’elle se meut selon le lieu, car c’est d’après son
essence qu’elle est dans un lieu. |
Et sic essentiale augmentum
dicitur quod est secundum quantitatem essentiam consequentem, manente una et
eadem essentia sub diversa quantitate ; sive quantitas sit ipsa essentia rei,
sicut quantitas virtutis est idem cum ipsa virtute, et tamen movetur per se
loquendo secundum quantitatem, secundum majorem et minorem perfectionem virtutis
; nec tunc per se secundum essentiam movetur, quia esse suum retinet: sive
sit aliud ab essentia, sicut patet in augmento corporali. Nec oportet quod
omne quod movetur, sit corpus, nisi accipiatur de motu naturali, qualis non
est motus animae. |
Et ainsi la croissance se dit
essentiellement de ce qui suit l’essence selon la quantité, l’essence
demeurant une seule et unique essence sous des quantités différentes ; soit
que la quantité soit l’essence même de la chose, comme la quantité de la
puissance est identique à la puissance elle-même, et cependant à parler
essentiellement elle se meut d’après la quantité d’après une plus grande et
une plus petite perfection de la puissance ; et cependant alors elle ne
se meut pas essentiellement d’après l’essence car elle conserve son
existence. Soit encore la quantité est autre que l’essence, comme on le voit
dans la croissance corporelle. Et il n’est pas nécessaire que tout ce qui se
meut soit un corps, à moins qu’on ne parle du mouvement naturel, lequel n’est
pas le mouvement de l’âme. |
[1358] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis causa efficiens
caritatis sit in se immobilis ; tamen secundum ordinem sapientiae suae,
potest alicui majorem caritatem praebere pro beneplacito suae voluntatis, et
secundum quod aliquis diversimode se ad caritatem praeparat, qui etiam se
habet aliquo modo ad caritatem ut causa materialis recipiens ad cujus
diversitatem etiam sequitur variatio in effectu. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que la cause efficiente de la charité soit en elle-même
immobile, cependant, suivant l’ordonnance de sa sagesse, Dieu peut fournir à
un tel une plus grande charité pour le bon plaisir de sa volonté et
conformément à une préparation différente de chacun à l’égard de la charité,
chacun se rapportant encore d’une certaine manière à la charité comme la
cause matérielle qui reçoit, et c’est de la diversité de cette cause
matérielle que découle encore une variation dans l’effet. |
[1359] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, cum alteratio passiva
includat in intellectu suo passionem, sicut duplex est passio, ita et duplex
est alteratio. Dicitur enim communiter passio uno modo omnis receptio,
secundum etiam quod intelligere pati dicitur, et sic etiam alteratio secundum
istam passionem consistit in qualibet variatione circa receptionem alicujus
qualitatis ; et hoc modo potest esse alteratio etiam in substantiis pure
intellectualibus, et sic alteratio potest esse in caritate. Alio modo dicitur
proprie passio, quando abjicitur aliquid a substantia, et hoc est ex actione
contrarii transmutantis ; et secundum istam passionem alteratio dicta non est
nisi circa sensibilia et circa sensibilem partem animae per se, et circa
intellectum per accidens, quantum ad illas qualitates quae in parte
intellectiva ex sensibus oriuntur, sicut sunt omnes habitus acquisiti ;
quorum non est caritas. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que, puisque l’altération passive inclut dans sa compréhension une
passion et comme il y a deux sortes de passion, il y aura deux sortes
d’altération. En un sens en effet on appelle communément passion toute
réception suivant laquelle on appelle aussi passion l’acte de l’intelligence
et de la même manière encore l’altération suivant cette signification
consiste en une certaine variation par rapport à la réception d’une
qualité ; et en ce sens il peut y avoir altération même dans les
substances purement intellectuelles, et c’est en ce sens qu’il peut y avoir
altération dans la charité. En un autre sens passion se dit proprement quand
quelque chose est rejeté de la substance et cela provient de l’action d’un
agent contraire qui transforme ; et l’altération dite d’après cette
sorte de passion ne se rapporte qu’aux choses sensibles, essentiellement à la
partie sensible de l’âme et accidentellement à sa partie intellectuelle quant
à ces qualités qui naissent dans l’âme intellectuelle à partir des sens comme
c’est le cas pour tous les habitus acquis dont la charité ne fait
pas partie. |
|
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Articulus 2 [1360] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 tit. Utrum caritas
augeatur per additionem |
Article 2 – La charité s’accroît-elle par addition ? |
[1361]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod caritas augeatur per additionem. Philosophus enim dicit, I De
generatione, text. 32 : Augmentum est praeexistenti quantitati additamentum.
Si igitur caritas augetur, oportet quod praeexistenti caritati alia caritas
addatur. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
croisse par addition. Le Philosophe dit en effet [1 De la Génération,
texte 32] : La croissance est une addition à une quantité préexistante.
Si donc la charité croît, il faut qu’une autre charité s’ajoute à une charité
préexistante. |
[1362] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, nihil potest augere caritatem nisi Deus qui
dedit. Sed Deus non agit aliquid in anima de novo nisi per novum influxum.
Non potest autem intelligi novus influxus nisi aliquid de novo infundatur.
Ergo videtur quod caritas augeatur per hoc quod alia caritas de novo infusa
praesenti addatur. |
2. En outre, rien ne peut
augmenter la charité si ce n’est Dieu qui l’a donnée. Mais Dieu ne fait rien
de nouveau dans l’âme si ce n’est au moyen d’une influence nouvelle. Mais on
ne peut comprendre qu’il y ait une influence nouvelle à moins que quelque
chose ne soit répandu à nouveau. Il semble donc que la charité augmente ou
croît du fait qu’une autre charité nouvellement répandue s’ajoute à celle qui
est présente. |
[1363] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, si non augetur per additionem novae caritatis a
Deo, non videtur posse augeri nisi per recessum a contrario caritatis. Sed
contra, augmentum caritatis potest esse in illis in quibus nihil est de
contrario caritatis, sicut in Angelo, et homine in statu innocentiae. Ergo
videtur quod isto modo caritas non augeatur, sed praedicto modo. |
3. De
plus, si la charité n’est pas accrue par Dieu au moyen de l’addition d’une
nouvelle charité, il semble qu’elle ne puisse croître qu’au moyen d’un
retrait de ce qui est contraire à la charité. Mais cependant, la croissance
de la charité peut avoir lieu dans ceux chez lesquels il n’y a rien de
contraire à la charité, comme chez les Anges et chez les hommes qui sont dans
l’état d’innocence. Il semble donc que la charité ne puisse croître de cette
manière mais de la manière qui précède. |
[1364] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, videtur, secundum hoc, quod Deus non est
causa augmenti caritatis, sed homo, qui se a contrario caritatis refrenat,
sicut a concupiscentia. Et hoc est inconveniens. Ergo videtur quod non
augeatur nisi per additionem. |
4. Par ailleurs, il semble,
d’après cela, que ce ne soit pas Dieu qui est la cause de l’augmentation de
la charité, mais l’homme qui se soustrait à ce qui est contraire à la
charité, par exemple à la concupiscence. Mais cela est impossible. Il semble
donc que la charité ne croisse que par addition. |
[1365] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, simplex simplici additum, nihil majus efficit,
ut probat philosophus, I de generatione, text. 8. Sed caritas est quid
simplex. Ergo per additionem caritatis ad caritatem non efficitur major
caritas. |
Cependant : 1. Au contraire, le simple
ajouté au simple ne produit pas quelque chose de plus grand, ainsi que le
prouve le Philosophe [1 De la Génération, texte 8]. Mais la
charité est quelque chose de simple. Donc l’addition d’une charité à une
autre ne produit pas une charité plus grande. |
[1366] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Dionysium, V cap. De div. nom.,
tantum distat inter ipsas Dei participationes et participantes, quod
participatio quanto simplicior est tanto nobilior, participans vero quanto
majorem habet compositionem donorum participatorum, tanto nobilius est ;
sicut esse est nobilius quam vivere, et vivere quam intelligere, si unum sine
altero intelligatur: omnibus enim esse praeeligeretur. Sed quod habet plura
ex his, melius est. Sed caritas est quaedam participatio divinae
bonitatis. Ergo quanto compositior est per additionem caritatis
ad caritatem, minus valebit. Igitur si caritas augetur per additionem, quanto magis
augetur, minus erit eligenda. Hoc autem est ridiculum. Ergo non augetur per
additionem. |
2. Par ailleurs, d’après
Denys [Les Noms Divins, ch. V], les participations et les participants
de Dieu diffèrent seulement entre eux en ceci que la participation est
d’autant plus noble qu’elle est plus simple, mais le participant est d’autant
plus noble qu’il possède une plus grande composition des dons participés ;
par exemple exister est plus noble que vivre, et vivre plus qu’intelliger, si
l’un se comprend sans l’autre : en effet, exister est préférable à tout
le reste. Mais ce qui, à partir de là, possède davantage, est meilleur. Mais
la charité est une certaine participation de la bonté divine. Donc, plus elle
est composée par l’addition d’une charité à une charité, moins elle vaudra.
Donc, si la charité croît par addition, plus elle croîtra, moins elle devra
être choisie. Mais cela est ridicule. Elle ne croît donc pas par addition. |
[1367]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod eorum qui
ponunt caritatem essentialiter augeri, dicta revertuntur in duas opiniones:
quarum una est, quod augetur per additionem caritatis ad caritatem ; alia est
quod augetur per intensionem secundum accessum ad terminum ; et in hoc
revertitur quod quidam dicunt, caritatem augeri per multiplicationem sui in
anima sicut lux in aere: lux enim non augetur nisi per intensionem, sicut
aliae qualitates. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que parmi ceux qui affirment que la charité croît
essentiellement, ce qui est dit se ramène à deux opinions: dont l’une pretend
qu’elle croît par l’addition d’une charité à une autre et l’autre qu’elle
croît par l’intensité d’après l’accès au terme; et c’est à cela que se ramène
ce que certains disent, à savoir que la charité croît par sa multiplication
dans l’âme comme c’est le cas pour la lumière dans l’air: la lumière en effet
ne croît que par intensité comme les autres qualités. |
Primam
autem positionem non possum intelligere ; quia in omni additione oportet
intelligere duo diversa, quorum unum alteri additur. Si autem intelligantur
duae caritates, aut intelligentur diversae secundum speciem aut
numerum. Constat
quod non secundum speciem, cum omnes caritates sint in eadem specie virtutis. |
Mais la première position
m’est inintelligible car dans toute addition il faut comprendre deux choses
différentes dont l’une s’ajoute à l’autre. Mais si on entend deux charités,
on les entend différentes soit selon l’espèce, soit selon le nombre. Mais il
est clair que ce n’est pas selon l’espèce, puisque toutes les charités font
partie de la même espèce de vertu. |
Diversitas autem secundum
numerum est ex diversitate materiae, sicut haec albedo differt ab illa
numero, quia est in diverso subjecto. Unde non potest qualitas addi qualitati
nisi per hoc quod subjectum subjecto additur. Caritas autem quae potest addi,
nunquam fuit in alio subjecto, antequam in isto ; et secundum hoc quod est in
isto, non differt numero ab alia caritate in eodem existente, ut probatum
est, in hac dist., quaest. 1, art. 1. Unde nullo modo est intelligere ibi
additionem. Sed ista positio provenit ex falsa imaginatione, quia augmentum
caritatis imaginati sunt ad modum augmenti corporalis, in quo fit additio
quantitatis ad quantitatem. |
Mais la différence selon le
nombre vient d’une différence de matière, tout comme cette blancheur diffère
de telle autre par le nombre parce qu’elle est dans un sujet différent. C’est
pourquoi une qualité ne peut être ajoutée à une qualité que par ceci qu’un
sujet est ajouté à un sujet. Mais la charité qui peut être ajoutée ne fut
jamais dans un autre sujet avant d’être dans celui-ci ; et selon qu’elle
existe dans celui-ci, elle ne diffère pas par le nombre d’une autre charité
qui existe dans le même sujet ainsi que nous l’avons prouvé [dist. 17, quest.
1, art. 1]. C’est pourquoi en aucune manière il y a lieu d’entendre là une
addition. Mais cette position vient d’une fausse imagination car ils ont
imaginé la croissance de la charité à la manière de la croissance corporelle
dans laquelle il y a addition d’une quantité à une quantité. |
Et ideo dico, quod quando
caritas augetur, nihil ibi additur, sicut philosophus etiam dicit in IV Physic.,
texte 84, quod aliquid efficitur magis album vel magis calidum, non per
additionem alicujus albedinis vel caloris ; sed quia illa qualitas quae prius
inerat intenditur secundum propinquitatem ad terminum. |
Et c’est pourquoi je dis que
quand la charité croît, rien n’est ajouté là ainsi que le Philosophe le dit
aussi [IV Physique, texte 84], à savoir qu’une chose est rendue
plus blanche ou plus chaude non pas par l’addition d’une blancheur ou d’une
chaleur mais parce que cette qualité qui était déjà présente dans un corps
s’intensifie selon sa proximité par rapport au terme. |
Haec autem intensio
contingit diversimode in qualitatibus simplicibus et compositis, primis et
secundis. Qualitates enim compositae vel secundae, intenduntur secundum
intensionem qualitatum primarum, sicut sapor et sanitas et alia hujusmodi,
secundum intensionem caloris et frigoris, humoris et siccitatis. |
Mais cette intensification se
présente différemment dans les qualités simples et composées, dans celles qui
sont premières et celles qui sont secondes. En effet, les qualités composées
ou secondes s’intensifient d’après l’intensification des qualités premières,
comme la saveur, la santé et les qualités de cette sorte s’intensifient
d’après l’intensification de la chaleur et du froid, de l’humidité et de la
sécheresse. |
Qualitates autem primae et
simplices intenduntur ex causis suis, scilicet ex agente et recipiente. Agens
enim intendit reducere patiens de potentia in actum suae similitudinis,
quantumcumque potest. |
Mais les qualités premières
et simples s’intensifient à partir leurs causes, c’est-à-dire à partir de
l’agent et de celui qui reçoit. L’agent en effet cherche à faire passer le
patient de la puissance à l’acte de sa ressemblance dans la mesure du
possible. |
Sicut autem non calidum est
potentia caloris ; ita minus calidum est potentia respectu magis calidi. Unde
sicut per potentiam calidi efficitur de non calido calidum, non quod ponatur
ibi aliquis calor, sed quia calor qui est in potentia, educitur in actum ;
ita etiam efficitur magis calidum per actionem calidi, inquantum educitur
calor, qui inerat ut actus imperfectus, in majorem perfectionem et majorem
assimilationem agentis ; et hoc contingit, secundum quod potentia subjecta
actui, quae quidem, quantum in se est, ad multa se habet, magis ac magis
terminatur ab actu illo ; vel quia augetur virtus agentis, sicut ex
conjunctione plurium luminarium intenditur illuminatio ; vel ex parte ipsius
materiae, secundum quod efficitur susceptibilior illius actus, sicut aer
quanto plus attenuatur, fit susceptibilior luminis. |
Mais tout comme ce qui n’est
pas chaud est en puissance à être chaud, de même ce qui est moins chaud est
en puissance à être plus chaud. C’est pourquoi tout comme c’est par la
puissance à la chaleur que ce qui n’est pas chaud devient chaud, non pas
parce qu’on pose là une chaleur, mais parce que la chaleur qui est en
puissance passe à l’acte, de même encore ce qui est moins chaud est rendu
plus chaud par l’action du chaud dans la mesure où la chaleur, qui était
présente comme un acte imparfait, passe à une perfection plus grande et à une
plus grande ressemblance à l’agent ; et cela est possible selon que la
puissance qui est placée sous l’acte, et qui certes en elle-même se rapporte
à une multiplicité, est délimitée de plus en plus par cet acte ; soit
parce que la puissance de l’agent croît, tout comme l’illumination
s’intensifie à partir de la réunion de plusieurs luminaires ; soit du
côté de la matière elle-même selon qu’elle est rendue plus apte à recevoir cet
acte, tout comme l’air devient plus capable de recevoir la lumière selon
qu’il est rendu d’autant plus fin. |
Intensio autem caritatis
non contingit ex hoc quod virtus agentis fortificetur, sed tantum ex hoc quod
natura recipiens, quae quantum in se est, dispositionem quamdam habet
secundum quod est in potentia ad plura, magis ac magis praeparatur ad
susceptionem gratiae, secundum quod ex dicta multitudine, scilicet confusione
potentialitatis, in unum colligitur per operationes quibus ad caritatem
suscipiendam praeparatur, ut prius dictum est, art. 1 istius quaest. Et ideo
Dionysius perfectum sanctitatis semper designat per hoc quod est ex partita
[partita : sparsa Éd. de Parme] vita sparsa vita in unicam consurgere. |
Mais l’intensification de la
charité n’est pas possible à partir de ceci que la puissance de l’agent est
fortifiée, mais seulement à partir de ceci que la nature de celui qui reçoit,
qui quant à ce qu’elle est en elle-même, possède une certaine disposition
selon qu’elle est en puissance à une multiplicité, est préparée de plus en
plus à recevoir la grâce selon qu’à partir de cette multiplicité dont on
parle, à savoir le mélange des potentialités, elle se concentre sur une seule
finalité au moyen des opérations par lesquelles elle se prépare à recevoir la
charité ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 17, quest. 2, art. 1].
Et c’est pourquoi Denys désigne toujours la perfection de la sainteté par
ceci que la vie qui est dispersée du fait qu’elle est partagée
[partagée : dispersée Éd. de Parme] soit élevée à une vie
unique et remarquable. |
Et sic patet quod augmentum
caritatis simile est augmento qualitatum naturalium, licet origo ejus
differat ab origine illarum. Cujus ratio est, quia qualitates naturales
educuntur de potentia materiae, quarum inchoationes quasdam materiae Deus
opere creationis indidit ; et ideo quando in actum procedunt, est exitus de
imperfecto ad perfectum. |
Et ainsi il est clair que la
croissance de la charité est semblable à la croissance des qualités
naturelles, bien que l’origine de celle-ci soit différente de l’origine de
celles-là. La raison en est que les qualités naturelles procèdent de la
puissance de la matière, qualités dont Dieu, par l’œuvre de la création, a
donné certains fondements ou commencements à la matière ; et c’est
pourquoi, quand ces qualités passent à l’acte, il y a là comme un passage de
l’imparfait au parfait. |
Dona autem gratuita non
educuntur quasi de potentia naturae ; quia nihil est in potentia naturali
quod per agens naturale educi non possit. Et ideo origo
gratiae est per novam infusionem ; sed augmentum ejus est per hoc quod de
imperfecto ad perfectum actus infusus educitur. |
Mais
les dons de la grâce ne sont pas produits comme à partir d’une puissance de
la nature car il n’y a rien dans une puissance naturelle qui ne puisse être
produit par un agent naturel. Et c’est pourquoi l’origine de la grâce a lieu
par une infusion inusitée; mais sa croissance a lieu par ceci que son acte
est produit de l’imparfait au parfait. |
[1368]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod
propositio philosophi intelligitur de augmento corporali, quod fit semper per
additionem quantitatis, quia in hac materia ab ipso proponitur. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que la proposition du Philosophe s’entend de
la croissance corporelle qui a toujours lieu par l’addition d’une quantité,
car c’est pour cette matière que cette proposition est présentée par lui. |
[1369]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus una et
eadem operatione agit in omnia quae sunt, quamvis forte illa operatio
differat solum secundum rationem, secundum quod exit a ratione diversorum
attributorum, vel diversarum idearum. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que c’est par une seule et même opération que Dieu
agit en tout ce qui existe, bien que peut-être cette opération diffère
seulement par la raison selon qu’elle procède de la notion de différents
attributs ou de différentes idées. |
Unde dico, quod una et
eadem operatione infunditur gratia et augetur ; nec est diversitas nisi ex
parte recipientis, quod ex illa operatione plus minusve recipit, secundum
quod ad eam diversimode praeparatur ; sicut eadem irradiatione solis
efficitur aer clarus et magis clarus, depulsis nebulosis vaporibus qui receptionem
luminis impediebant ; unde non oportet quod sit ibi alia et alia claritas. |
C’est pourquoi je dis que
c’est par une seule et même opération que la grâce est répandue et qu’elle
croît ; et il n’y a de différence que du côté de celui qui
reçoit, à savoir qu’à partir de cette opération il reçoit plus ou moins
selon qu’il est préparé différemment à la recevoir ; tout comme c’est
par le même rayonnement du soleil que l’air est rendu clair et plus clair une
fois qu’ont été repoussées les brumes qui empêchaient la réception de la
lumière ; c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il y ait là telle et
telle autre clarté. |
Praeterea,
etiam si essent duae operationes, non oporteret quod terminarentur ad duo
diversa secundum substantiam ; sed prima terminaretur ad esse caritatis
imperfectae, secunda ad eamdem caritatem secundum perfectionem, secundum quod
aliquid educitur de imperfecto ad perfectum. |
Par
ailleurs, même s’il y avait deux opérations, il ne serait pas nécessaire
qu’elles se terminent à deux choses différentes selon la substance; mais la
première operation se terminerait à l’existence d’une charité imparfaite et
la seconde à la même charité selon sa perfection, selon que
quelque chose est conduit de l’imparfait au parfait. |
[1370]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est de
ratione intensionis alicujus qualitatis, quod sit per remotionem a contrario
; sed hoc accidit qualitati, secundum quod inest in subjecto participante
contrarium. Sed hoc est de necessitate intensionis quod qualitas educatur de
imperfecto ad perfectum, sicut patet de diaphano, in quo nihil est contrarium
luci, quod potest lumen intendi secundum incrementum virtutis
illuminantis. Haec autem imperfectio est ex potentialitate ipsius naturae,
quae subjicitur perfectioni et actui. Cum enim omnis potentia receptiva ad
multa se habeat, secundum istam multitudinem ipsius, dissimile est principio
agenti, quod est terminatum ad actum unum ; et secundum quod ista confusio
potentialitatis magis subjicitur actui, perfectior perficitur actus, et ipsum
perfectum magis efficitur unum, et magis assimilatum principio agenti. Haec
autem confusio potentialitatis est in qualibet natura creata, secundum id [id
om. Éd. de Parme] quod nondum est perfecta per actum. Unde etiam per istum
modum ponit Dionysius, purgationem in Angelis, scilicet secundum quod
removentur a confusione dissimilitudinis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’il n’entre pas dans la définition de l’intensité d’une qualité
qu’elle ait lieu au moyen d’un éloignement de la qualité contraire ;
mais cela se produit dans le cas d’une qualité qui appartient au sujet qui
participe de la qualité contraire. Mais il appartient nécessairement à
l’intensité que la qualité soit conduite de l’imparfait au parfait comme on le
voit pour le diaphane dans lequel il n’y a rien de contraire à la lumière, à
savoir que la lumière peut s’intensifier selon l’augmentation de la puissance
de celui qui éclaire. Mais cette imperfection vient d’une potentialité de la
nature elle-même qui est soumise au perfectionnement et à l’acte. En effet,
puisque toute puissance réceptive est apte à une multiplicité, c’est d’après
cette multiplicité qui la concerne qu’elle s’oppose au principe agent qui est
déterminé à l’égard de son acte ; et selon que cette sorte de mélange de
potentialité est davantage soumis à l’acte, l’acte se trouve à être achevé
plus parfaitement et cela même qui est achevé est davantage rendu un et
davantage rendu semblable au principe agent. Mais ce mélange de potentialité
est présent dans toute nature créée selon ceci [ceci om. Éd. de Parme]
qu’elle n’est pas encore achevée par l’acte. C’est pourquoi c’est encore de
cette manière que Denys présente la purgation chez les Anges, à savoir selon
qu’ils s’écartent du mélange de la dissemblance. |
[1371] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod eodem modo sumus causa
augmenti gratiae, sicut et causa ipsius gratiae, scilicet per modum
dispositionis tantum. Sed efficientia utrobique est ex parte ipsius Dei,
sicut patet ex his quae supra dicta sunt, in corp. art. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que c’est de la même manière que nous sommes causes de l’augmentation de
la grâce et que nous sommes causes de la grâce elle-même, à savoir à la
manière d’une disposition seulement. Mais la cause efficiente dans les deux
cas se trouve du côté de Dieu lui-même comme on le voit en s’appuyant sur ce
qui a été dit plus haut dans le corps de l’article. |
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Articulus 3 [13 72] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 tit. Utrum caritas augeatur quolibet actu |
Article 3 – La charité s’accroît-elle par n’importe quel acte ? |
[1373]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod caritas
quolibet actu augeatur. Ubi enim eadem causa est, et idem effectus. Sed omnes
actus caritatis sunt ejusdem speciei quantum ad esse morale, sicut omnes
actus fortitudinis. Ergo cum aliquis actus caritatis caritatem augeat,
videtur etiam quod quilibet actus. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
croît par n’importe quel acte. Là en effet où la cause est la même, l’effet
est le même. Mais tous les actes de charité sont de même espèce quant à
l’existence morale, comme c’est le cas pour tous les actes de force. Donc
puisque tout acte de charité augmente la charité, il semble qu’il en soit de
même pour n’importe quel acte. |
[1374] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 arg. 2 Item, quod facere potest majus, potest etiam facere
minus. Sed quodlibet actu caritatis meretur quis vitam aeternam. Ergo et
potest mereri augmentum caritatis. |
2. En outre, ce qui peut
faire plus peut aussi faire moins. Mais c’est par n’importe quel acte de
charité que quelqu’un mérite la vie éternelle. C’est donc aussi par n’importe
quel acte qu’il peut mériter l’augmentation de la charité. |
[1375] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, quilibet actus caritatis est longe
potentior quantum ad esse gratiae, quam actus qui sunt ex naturalibus tantum.
Sed per actus qui sunt tantum ex naturalibus, homo praeparatur per modum
dispositionis ad recipiendum gratiam. Ergo multo magis per quemlibet actum
caritatis disponitur ad caritatis augmentum. |
3. Par ailleurs, n’importe
quel acte de charité est de loin plus puissant quant à l’existence de la
grâce que les actes qui viennent des puissances naturelles seulement. Mais
c’est par les actes qui viennent des seules puissances naturelles que l’homme
se prépare à recevoir la grâce par mode de disposition. C’est donc bien
davantage par n’importe quel acte de charité que l’homme se dispose à la
croissance de la charité. |
[1376] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 arg. 4 Contra, ex eisdem principiis ex quibus aliquid
nascitur, et augmentatur. Sed unus actus non sufficit ut disponens [ad
dispositionem Éd. de Parme] ut caritas infundatur. Ergo
nec ad hoc ut augeatur. Probatio mediae. Majorem causalitatem habet actus
noster ad virtutem acquisitam quam ad caritatem infusam. Sed unus actus non
sufficit ad generationem virtutis acquisitae ; quinimmo ex frequenti bene
agere fit homo bonus, secundum philosophum, II Ethic., cap. 1. Ergo multo minus unus actus
sufficit disponere ad caritatem. |
4. Au contraire, une chose
croît à partir des mêmes principes à partir desquels elle naît. Mais un seul
acte ne suffit pas pour disposer [à la disposition Éd. de Parme]
à répandre la charité. Donc, un seul acte ne suffit pas non plus pour la
faire croître. Preuve de la mineure. Notre acte possède une plus grande
causalité à la vertu acquise qu’à la charité infuse. Mais un seul acte ne
suffit pas à la génération de la vertu acquise ; mais au contraire c’est
par la répétition de bonnes actions que l’homme devient bon d’après le
Philosophe [11 Éthique, ch. 1]. Donc un seul acte suffit beaucoup
moins à disposer à la charité. |
[1377] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, secundum augmentum caritatis augetur etiam
praemium substantiale ; sed non quolibet actu charitatis augetur praemium
substantiale [sed… substantiale om. Éd. de Parme] dicitur enim communiter,
quod pluribus operibus in caritate factis, non plus meretur quis quantum ad augmentum
praemii substantialis, quam uno ex aequali caritate facto. Ergo non quolibet
actu caritatis caritas augetur. |
5. De plus, c’est d’après la
croissance de la charité qu’est aussi accrue la récompense
substantielle ; mais ce n’est pas par n’importe quel acte de charité
qu’est accrue la récompense substantielle [mais…substantielle om. Éd.
de Parme] puisqu’on dit en effet communément que quelqu’un ne mérite pas
davantage, quant à l’augmentation de la récompense substantielle, au moyen de
plusieurs œuvres faites dans la charité que par une seule faite dans une
charité égale. Ce n’est donc pas par n’importe quel acte de charité que la
charité croît. |
[1378]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod non eodem
modo se habet actus informatus caritate ad augmentum caritatis, et actus
praecedens caritatem ad habendam caritatem. Actus enim qui est ex caritate,
ordinatur ad augmentum caritatis et per modum dispositionis et per modum
meriti ; sed actus praecedens caritatem ordinatur ad consequendum caritatem
solum per modum dispositionis, ut supra dictum est, art. antec., non per
modum meriti: quia ante caritatem nullum potest esse meritum. Neuter autem
actus ordinatur ad habendam vel augmentandam caritatem per modum alicujus
efficientiae, sicut actus nostri ad habendum habitus acquisitos. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le rapport de l’acte informé par la charité à la croissance de la charité
n’est pas le même que celui de l’acte qui précède la charité à celui qui la
possède. En effet, l’acte qui vient de la charité est ordonné à la croissance
de la charité à la fois à la manière d’une disposition et à la manière d’un
mérite ; mais l’acte qui précède la chatité est ordonné à la poursuite
de la charité uniquement à la manière d’une disposition, comme nous l’avons
dit dans l’article précédent, et non à la manière d’un mérite : car
avant la possession de la charité, il ne peut y avoir aucun mérite. Mais ni
l’un ni l’autre n’est ordonné à la possession ou à l’augmentation de la charité
à la manière d’une cause efficiente comme c’est le cas pour nos actes qui
sont ordonnés à la possession des habitus acquis. |
Sciendum est igitur, quod
actus qui praecedit caritatem, quandoque unus solus disponit ultima
dispositione ut infundatur caritas, secundum immobilitatem divinae bonitatis,
per quam unicuique largitur secundum quod praeparatum est ad recipiendum:
quandoque autem unus actus non disponit nisi dispositione remota, et sequens
actus magis disponit, et sic deinceps, secundum quod ex multis bonis actibus
pervenitur ad ultimam dispositionem, inquantum actus sequens semper agit in
virtute omnium praecedentium ; ut patet in guttis cavantibus lapidem, quod
non quaelibet aufert aliquid de lapide, sed omnes praecedentes disponunt, et
una ultima agens in virtute omnium praecedentium, inquantum scilicet invenit
materiam dispositam per praecedentes, complet cavationem. |
Il faut donc savoir que pour
ce qui est de l’acte qui précède la charité, un seul suffit parfois pour
disposer l’âme d’une disposition ultime telle que la charité soit répandue,
conformément à l’immobilité de la bonté divine, charité par laquelle elle se
donne à chacun en autant qu’il est préparé à la recevoir ; parfois
cependant un seul acte ne dispose que par une disposition éloignée, et l’acte
qui suit dispose davantage et ainsi de suite, selon qu’à partir de plusieurs
actes bons on parvienne à la disposition ultime, dans la mesure où l’acte qui
suit agit toujours dans la puissance de ceux qui précèdent ; c’est ce
qu’on voit par exemple dans le cas des gouttes qui creusent la pierre, à
savoir que ce n’est pas n’importe laquelle d’entre elles qui enlève une
partie à la pierre, mais toutes celles qui précèdent la préparent, mais la
seule et dernière goutte, agissant dans la puissance de toutes celles qui ont
précédé, c’est-à-dire dans la mesure où elle trouve la matière disposée par
les gouttes qui ont précédé, achève le creusage. |
Hoc autem ideo contingit,
quia homo est dominus sui actus. Unde potest agere secundum totam virtutem
naturae suae vel secundum partem: quod non contingit in illis quae agunt ex
necessitate naturae: semper enim agunt tota virtute sua. Quando ergo ita est
quod homo non habens caritatem ex tota virtute bonitatis naturalis sibi
inditae movetur ad caritatem, tunc unus actus disponit eum ultima
dispositione, ut caritas sibi detur. |
Mais cela n’est possible que
parce que l’homme est maître de ses actes. C’est pourquoi il peut agir soit
selon la totalité de la puissance de sa nature, soit selon une partie
seulement : ce qui n’est pas possible chez ceux qui agissent par une
nécessité de nature : ces derniers en effet agissent toujours par la
totalité de leur puissance. Donc quand il en est ainsi que l’homme qui ne
possède pas la charité se meut vers la charité par toute la puissance de la
bonté naturelle qui lui est donnée, alors un seul acte le dispose d’une
disposition dernière telle que la charité lui est donnée. |
Quando vero non secundum
totam virtutem, sed secundum aliquid ejus praeparatur ad caritatem, tunc
actus non est sicut dispositio ultima, sed remota, et per plures actus
poterit pervenire ad dispositionem ultimam. Similiter dico ex parte alia,
quod quando actus caritatis procedit ex tota virtute habentis et quantum ad
virtutem naturae et quantum ad virtutem habitus infusi, tunc unus actus
disponit, et meretur augmentum caritatis, ut statim fiat. Quando autem non
secundum totam virtutem procedit actus ille, tunc est ut dispositio remota,
et poterit tunc per plures actus pervenire ad augmentum caritatis, non tamen
de necessitate: quia homo, quantumcumque sit dispositus, potest non agere
secundum rationem dispositionis illius: quod non contingit in dispositionibus
non voluntariis, ratione jam dicta, paulo sup. |
Mais quand ce n’est pas selon
toute sa puissance, mais d’après une partie seulement qu’il se prépare à la
charité, alors l’acte ne se présente pas comme une disposition dernière, mais
comme une disposition éloignée, et c’est alors par plusieurs actes qu’il
pourra parvenir à la disposition dernière. D’un autre côté je dis
semblablement que quand l’acte de charité procède de toute la puissance de
celui qui possède à la fois quant à la puissance de la nature et quant à la
puissance de l’habitus infus, alors un seul acte dispose et mérite la
croissance de la charité de telle manière qu’elle est produite aussitôt. Mais
quand cet acte de charité ne procède pas suivant toute la puissance, alors il
n’y a qu’une disposition éloignée, et il pourra alors parvenir à la
croissance de la charité au moyen de plusieurs actes, mais non
nécessairement : car l’homme, quelle que soit sa disposition, peut ne
pas agir en raison de cette disposition : ce qui n’est pas possible pour
les dispositions qui ne sont pas volontaires pour la raison que nous avons
déjà dite un peu plus haut. |
[1379] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non eodem modo se habet
quilibet actus caritatis, eo quod unus potest esse magis intensus, et etiam
unus potest esse disponens in virtute plurium praecedentium, ut dictum est, in
corp. art., et ideo non sequitur idem effectus. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que ce n’est pas de la même manière que se présente n’importe quel acte
de charité, du fait que l’un peut être plus intense, et même que l’un peut
disposer par la puissance des nombreux autres qui précèdent, ainsi que nous
l’avons dit dans le corps de l’article, et c’est pourquoi ce n’est pas le
même effet qui suit. |
[1380] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praemium substantiale vitae
aeternae ordinatur sicut finis ad actus caritatis, et commensuratur ad
invicem, non secundum aequiparantiam, sed secundum proportionem. Unde actui
caritatis debetur praemium substantiale, et actui majoris caritatis majus
praemium. Unde quilibet actus caritatis, inquantum est informatus tali
habitu, ordinatur ad praemium substantiale ; non tamen ad augmentum praemii,
sicut nec ad augmentum caritatis, secundum quod caritas remanet primum
principium merendi, sed solum secundum quod augmentum caritatis pertinet ad
perfectionem praemii. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la récompense substantielle de la vie éternelle est ordonnée à
l’acte de charité comme à sa fin et qu’ils sont proportionnés l’un à l’autre
non pas selon l’égalité mais selon la proportion. C’est pourquoi à un acte de
charité est due une récompense substantielle et à un acte de charité plus
grand est due une récompense substantielle plus grande. C’est pourquoi tout
acte de charité, en autant qu’il est informé par un tel habitus, est ordonnée
à une récompense substantielle, mais non pas cependant à la croissance de la
récompense ni à la croissance de la charité, selon que la charité demeure le
premier principe du mérite, mais seulement selon que la croissance de la
charité appartient à la perfection de la récompense. |
[1381]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium jam patet responsio per
id quod dictum est, quia actus caritatis excedit actum praecedentem caritatem
in hoc quod habet virtutem merendi, et ita accedit plus ad causalitatem
caritatis quam actus praecedens caritatem. |
3. La
réponse à la troisième difficulté est déjà claire au moyen de ce qui a été
dit, car l’acte de charité dépasse l’acte qui précède la charité en ceci
qu’il possède la puissance du mérite et qu’ainsi il accède advantage à la
causalité de la charité que l’acte qui précède la charité. |
[1382]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad hoc
quod aliqua perfectio introducatur, duo requiruntur. Unum
ex parte introducentis, ut sua operatio commensuretur secundum aequalitatem
perfectioni introducendae: non enim ex parva calefactione inducitur calor
ignis, sed ex tali calefactione, quae habet aequalem virtutem, ad minus ex
suo principio, calori ignis. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que pour qu’une perfection soit introduite, deux
conditions sont requises. Une
qui se tient du côté de celui qui introduit, afin que son operation soit
proportionnée selon l’égalité à la perfection devant être introduite: en
effet, ce n’est pas à partir d’une petit réchauffement que la chaleur du feu
est introduite, mais à partir d’un réchauffement qui possède une puissance
égale, au moins à son début, à la chaleur du feu. |
Aliud ex
parte recipientis, ut dispositio sua proportionetur eodem modo perfectioni
inducendae. Contingit autem quandoque, sicut in operibus animae,
quod aliquid disponitur et perfectionem recipit a seipso, ut in scientia et
virtute patet. Unde ad perfectam dispositionem sufficit quod anima operetur
secundum virtutem proportionatam illi perfectioni quae inducenda est: et quia
tota capacitas animae vix sufficit ad receptionem tantae perfectionis quanta
est caritas, nisi Deus de sua liberalitate suppleret ; ideo ad hoc quod sit
in anima ultima dispositio ad caritatem requiritur actus qui sit secundum
totam virtutem suam, et iste sufficit quantum in nobis est ; sed minor non
sufficit ad talem dispositionem. |
Une
autre condition se tient du côté de celui qui reçoit, de telle manière que sa
disposition soit proportionnée d’une manière semblable à la perfection devant
être introduite. Mais il est parfois possible, comme c’est le cas pour les
opérations de l’âme, que ce soit d’elle-même qu’une chose soit disposée à une
perfection et la reçoive, comme on le voit pour la science et la vertu. C’est
pourquoi, pour en venir à une disposition parfait, il suffit que l’âme opère
suivant une puissance proportionnée à cette perfection qui doit être
introduite: et parce que toute la puissance de l’âme ne suffit à peine à
recevoir cette si grande perfection qu’est la charité que si Dieu la complète
de sa bonté, c’est pourquoi, pour qu’il y ait dans l’âme une disposition
dernière à la charité, il faut que l’acte procède suivant toute sa puissance,
et cela suffit quant à ce qui relève de nous; mais un acte plus faible ne suffit
pas à une telle disposition. |
Ulterius
in illis perfectionibus in quibus per actum animae non tantum est dispositio,
sed etiam ipsa perfectio, exigitur quod actus ipsius animae sit
proportionatus et aequalis in virtute ipsi perfectioni introducendae. Omnis autem habitus de
ratione sua habet quod sit difficile mobilis ; idest, habet firmitatem
quamdam. Unde quando una actio animae habet firmitatem, inducit habitum ;
sicut patet quod una demonstratio propter sui certitudinem et firmitatem
facit habitum scientiae. |
Par la suite, pour ces
perfection dans lesquelles au moyen de l’acte de l’âme il n’y a pas seulement
disposition mais aussi la perfection elle-même, il est nécessaire que l’acte
de l’âme elle-même soit proportionné et égal en puissance à la perfection
même devant être introduite. Mais il est dans la nature même d’un habitus
d’être difficilement mobile, c’est-à-dire de posséder une certaine fermeté.
C’est pourquoi, quand une même action de l’âme possède de la fermeté, elle
conduit à un habitus ; on voit par exemple qu’une démonstration, en
raison de sa certitude et de sa fermeté, produit l’habitus de la science. |
Quando autem unus actus non
habet firmitatem, non sufficit unus, sed oportet quod sint plures. Unde ex
uno argumento dialectico non generatur opinio, sed ex pluribus congregatis.
Ita etiam quia actus voluntatis humanae non habet firmitatem, cum voluntas
indeterminate se habeat ad multa, habitus virtutum politicarum, qui
acquiruntur per actus voluntatis, non possunt acquiri tantum per unum actum,
sed oportet quod multi conveniant. Habitus autem caritatis non habet
firmitatem per actum animae, sed a causa sua, quae Deus est ; et ideo unus
actus voluntatis potest sufficere ad hoc quod caritas infundatur, et
similiter ad hoc quod augeatur. |
Mais quand
un même acte ne possède pas la fermeté, il ne suffit pas à lui seul, mais il
faut qu’il y ait plusieurs actes. C’est pourquoi ce n’est pas à partir d’un
seul argument dialectique mais à partir de plusieurs que l’opinion est
engendrée. De même encore, parce que l’acte de la volonté humaine ne possède
pas de fermeté, puisque la volonté se rapporte indéterminément à une
multiplicité, les habitus des vertus politiques, qui sont acquis par les
actes de la volonté, ne peuvent être acquis par un seul acte mais il faut que
plusieurs y contribuent. Mais l’habitus de la charité ne tient pas sa fermeté
de l’acte de l’âme, mais de sa cause propre qui est Dieu; et c’est pourquoi
un seul acte de volonté ne peut suffire pour que la charité soit
répandue et aussi à ce qu’elle soit accrue. |
[1383] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando est talis actus
caritatis qualis requiritur ad augmentum caritatis, tunc etiam augetur
praemium substantiale, quod debetur caritati majori consequenti actum, non
caritati quae est radix actus. Non autem omnes sunt tales, ut dictum est, in
respons., ad 2 istius art. ; et ideo ad multitudinem actuum non sequitur de
necessitate augmentum praemii substantialis. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que quand il y a un acte de charité tel qu’il est requis à la croissance
de la charité, alors c’est aussi la récompense substantielle qui est accrue,
laquelle est due à une charité plus grande qui suit l’acte et non à la
charité qui est la racine de l’acte. Mais ce ne sont pas tous les actes de
charité qui sont de cette sorte, ainsi que nous l’avons dit dans la réponse à
la deuxième difficulté de cet article ; et c’est pourquoi la croissance
de la récompense substantielle ne découle pas nécessairement de la multitude
de tous les actes de charité. |
|
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Articulus 4 [1384] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 tit. Utrum augmentum caritatis habeat aliquem
terminum |
Article 4 – L’accroissement de la charité a-t-il une limite ? |
[1385]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod augmentum caritatis habeat aliquem terminum. Perfectio enim non excedit
capacitatem perfectibilis. Sed capacitas animae finita est. Ergo non potest
recipere nisi perfectionem finitam. Sed omnis motus qui est ad finitum,
finitus est. Ergo augmentum caritatis, quod est ad perfectionem animae, est
finitum. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’accroissement de la charité comporte une limite. La perfection en effet ne
dépasse pas la capacité de ce qui est perfectible. Mais la capacité de l’âme
est limitée. Elle ne peut donc recevoir qu’une perfection limitée. Mais tout
mouvement qui est ordonné à un terme est fini. Donc la croissance de la
charité, qui est ordonnée à la perfection de l’âme, est limitée. |
[1386]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, nihil ordinate movetur
ad id quod consequi non potest, secundum philosophum, III Physic.,
text. 47
; sicut qui non potest esse in Aegypto, non movetur ordinate ad eundum illuc.
Sed infinitum distans nullus potest consequi, cum nullus motus possit esse
secundum distantiam infinitam. Ergo nullus motus est infinitus. Sed augmentum
caritatis est quidam motus. Ergo venit ad aliquem terminum. |
2. Par ailleurs, rien ne se
meut avec ordre vers ce qu’il ne peut atteindre d’après le Philosophe
[111 Physique, texte 47] ; par exemple, celui qui ne peut
être en Égypte ne peut se mouvoir avec ordre pour y aller. Mais nul ne peut
atteindre à ce qui est infiniment éloigné, puisqu’aucun mouvement ne peut
exister suivant une distance infinie. Donc, aucun mouvement n’est infini.
Mais la croissance de la charité est un certain mouvement. Elle doit donc en
venir à un terme. |
[1387]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut infra, in 3,
distinct. 13,
dicit Magister, gratia Christi nihil potest etiam Deus majus facere. Sed si
augmentum caritatis et gratiae esset in infinitum, qualibet caritate posset
esse aliqua major. Ergo non est infinitum. Et similiter potest dici de beata
virgine, de qua dicit Anselmus, De concept. Virg., cap. XVIII, col. 451, quod
ea puritate nituit qua major sub Deo nequit intelligi. Et similiter etiam de
beatis, quorum caritas augeri non potest. Per quae omnia videtur quod
augmentum caritatis venit ad terminum aliquem, qui augeri non potest. |
3. En outre, ainsi que nous
le verrons plus loin [Livre 3, dist. 13] le Maître dit que par la grâce du
Christ même Dieu ne peut rien faire de plus. Mais si la croissance de la
charité et de la grâce était infinie, il pourrait y avoir pour toute charité
une charité plus grande. La croissance de la charité n’est donc pas infinie.
Et on peut dire la même chose de la bienheureuse Vierge, de laquelle
Saint-Anselme [De la Conception de la Vierge, ch. 18, col. 451] dit
qu’elle brilla d’une pureté telle qu’on ne peut pas en saisir une plus grande
qui soit inférieure à celle de Dieu. Et on peut dire encore la même chose des
bienheureux, dont la charité ne peut croître. Et c’est par tous ces cas qu’on
voit que la croissance de la charité en vient à un terme qui ne peut être augmenté. |
[1388] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 4 s. c. 1 Contra, augmentum caritatis est, secundum majorem
assimilationem ad Deum. Sed quantumcumque aliquis accedat ad Dei
similitudinem, semper in infinitum distat ab eo. Ergo semper magis potest
accedere ; et ita videtur quod augmentum caritatis non sit infinitum. |
Cependant : 1. Au contraire, la
croissance de la charité a lieu suivant une plus grande ressemblance à Dieu.
Mais si près qu’on puisse s’approcher de la ressemblance de Dieu, on en
demeure cependant toujours infiniment éloigné. On peut donc toujours s’en
approcher davantage ; et ainsi il semble que la croissance de la charité
ne soit pas finie. |
[1389] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quando caritatis actus procedit a majori caritate,
majoris est virtutis in merendo. Sed actus caritatis imperfectae meretur
augmentum caritatis. Ergo multo magis merebitur quando caritas magis
perficietur, et ita augmentum caritatis nunquam stabit. |
2. En outre, quand l’acte de
charité procède d’une plus grande charité, elle est d’une plus grande
puissance quant au mérite. Mais l’acte d’une charité imparfaite demande une
augmentation de la charité. Donc, quand la charité sera plus parfaite elle
demandera encore davantage à s’accroître, et ainsi la croissance de la
charité ne s’arrêtera jamais. |
[1390]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod de termino
augmenti caritatis dupliciter possumus loqui: aut quantum ad id quod est, aut
quantum ad id quod potest esse. Sicut etiam dicimus, quod summum malum non
est quo non possit esse aliquid pejus ; tamen aliquid est summe malum quo
nihil est pejus. Similiter dico, quod augmentum caritatis pervenit ad aliquem
terminum ultra quem caritas non augetur in quolibet homine ; non tamen pervenit
ad aliquem terminum ultra quem non possit augeri. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que c’est de deux manières que nous pouvons parler du terme de la croissance
de la charité : soit quant à ce qu’il est, soit quant à ce qu’il peut
être. Par exemple nous disons aussi que le plus grand mal est ce dont il ne
peut y avoir rien de pire ; cependant il y a un mal suprême dont il n’y
a rien de pire. De la même manière je dis que la croissance de la charité
parvient à un terme au-delà duquel la charité ne croît plus en aucun
homme ; elle ne parvient cependant pas à un terme au-delà duquel elle ne
peut parvenir. |
Cujus ratio est ex parte
ejus quod movetur secundum hoc augmentum, et ex parte ejus ad quod movetur.
Id autem ad quod movetur anima in augmento caritatis, est similitudo divinae
caritatis, cui assimilatur ; ad quam, cum infinita sit, in infinitum potest
accedi plus et plus, et nunquam adaequabitur perfecte. |
La raison de cela se tient du
côté de ce qui se meut selon cette croissance et du côté de ce vers quoi il
se meut. Mais ce vers quoi se meut l’âme dans la croissance de la charité,
c’est la ressemblance de la charité divine à laquelle elle est
assimilée ; et quant à cette charité divine, puisqu’elle est infinie,
l’âme peut s’en approcher de plus en plus à l’infini, et elle ne s’y élèvera
jamais de manière à l’égaler parfaitement. |
Ex parte autem ejus quod
movetur est quod ipsa anima, quantum plus recipit de bonitate divina et
lumine gratiae ipsius, tanto capacior efficitur ad recipiendum ; et ideo
quanto plus recipit, tanto plus potest recipere. Cujus ratio est, quia
potentiae materiales sunt terminatae et finitae secundum exigentiam materiae
; et ideo non possunt recipere nisi secundum proportionem materiae ;
potentiae autem immateriales non limitantur ex materia, sed magis secundum
quantitatem bonitatis divinae in eis perceptae. |
Mais du côté de celui qui se
meut il y a que l’âme elle-même, selon qu’elle reçoit davantage de la bonté
de Dieu et de la lumière de sa grâce, elle est rendue d’autant plus capable
d’en rcevoir ; et c’est pourquoi elle peut d’autant plus recevoir
qu’elle reçoit davantage. La raison en est que les puissances matérielles sont
limitées et finies d’après les exigences de la matière ; et c’est
pourquoi elles ne peuvent recevoir que proportionnellement à la
matière ; mais les puissances immatérielles ne sont pas limitées par la
matière mais plutôt par la quantité de bonté divine reçue en elles. |
Unde quanto plus additur de
bonitate, tanto magis est de potentia ad capacitatem ; sicut patet in exemplo
philosophi de sensu et intellectu, III De anima,Text. 7,. Dicit enim quod
sensus a fortibus sensibilibus corrumpuntur, et non augetur eorum capacitas,
quia sunt potentiae materiales ; sed intellectus quanto magis intelligit
difficilia, tanto etiam plus potest ; ita etiam quanto natura spiritualis
plus recipit de caritate, plus potest recipere. |
Et c’est pourquoi l’âme
humaine a d’autant plus de puissance à la capacité qu’on y ajoute davantage
de bonté ainsi qu’on le voit dans l’exemple du Philosophe sur le sens et
l’intelligence [111 De l’Âme, texte 7]. Il dit en effet que les sens sont
détruits par des qualités sensibles extrêmes et que leurs capacités ne s’en
trouvent pas accrues parce qu’ils ont des puissances matérielles ; mais
l’intelligence au contraire devient d’autant plus capable de comprendre
qu’elle saisit des vérités qui sont difficiles à comprendre. De même encore
une nature spirituelle peut d’autant plus recevoir de charité qu’elle en
reçoit davantage. |
Quidam autem comparantes
capacitatem substantiae spiritualis capacitati substantiae materialis,
dixerunt quod est terminus in augmento caritatis secundum capacitatem naturae
scilicet quod quando [quando om. Éd. de Parme] tantum recipit de caritate
quod impleatur capacitas prima quae erat ex natura, nec potest plus recipere. |
Mais certains, comparant la
capacité de la substance spirituelle à la capacité de la substance
matérielle, ont dit qu’il y a dans la croissance de la charité un terme
d’après la capacité de la nature, à savoir que quand [quand om. Éd. de Parme]
elle reçoit une telle quantité de charité que la capacité première qui venait
de la nature est comblée, elle ne peut en recevoir davantage. |
Et ponunt exemplum de aere,
qui habet terminum subtilitatis suae, quem non excedit. Unde potest in eo
intendi lumen, secundum quod magis et magis depuratur a vaporibus permixtis ;
sed quando pervenitur ad puritatem naturae suae, non potest amplius
purificari, nec illuminari ab eodem illuminante. Sed non est simile de
capacitate substantiae materialis et spiritus, ut dictum est, in hac dist.,
qu. 1, art. 3. |
Et ils donnent l’exemple de
l’air qui a une limite à sa subtilité et qu’il ne dépasse pas. Et c’est
pourquoi la lumière peut pénétrer en lui selon qu’il se libère de plus en plus
des vapeur qui y sont mélangées ; mais quand il est parvenu à la pureté
de sa nature, il ne peut être purifié davantage ni être éclairé par le même
éclairage. Mais il n’en est pas de même de la capacité de la substance
matérielle et de celle de l’esprit ainsi que nous l’avons déjà dit [dist. 17,
quest. 1, art. 3]. |
[1391] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis capacitas animae
sit finita in actu, tamen potest plus et plus in finitum elongari, secundum
quod plus et plus recipit. Nunquam tamen erit infinita, nec recipiet
perfectionem infinitam ; sicut etiam patet in additione numeri, qui in
infinitum est possibilis [imposibilis Éd. de Parme] ; nunquam tamen est
aliquis numerus infinitus in actu ; quia potentia additionis numerorum, ut
dicit Commentator in III Physic., text. 68, non est una, sed semper ex nova
additione efficitur alia potentia in numero secundum quod efficitur nova
species numeri. Unde quaelibet potentia potest exire in actum, non tamen
potest esse ut omnes exeant in actum, quia in quolibet actu additur etiam
potentia ; et ita est etiam hic de capacitate animae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que la capacité de l’âme soit limitée en acte, elle
peut cependant s’étendre de plus en plus dans la limite selon qu’elle reçoit
de plus en plus. Jamais cependant elle ne sera infinie et ne recevra une
perfection infinie ; tout comme on le voit aussi pour l’addition du
nombre qui est un infini possible [impossible Éd. de Parme] ; cependant,
jamais on ne rencontre un nombre infini en acte ; car la puissance de
l’addition des nombres, comme le dit le Commentateur [111 Physique,
texte 68] n’est pas une mais c’est toujours une autre puissance dans un
nombre qui est produite à partir d’une nouvelle addition, selon qu’une
nouvelle espèce de nombre est produite. C’est pourquoi toute puissance peut
passer à l’acte, et cependant il est impossible que toutes passent à l’acte
car dans tout acte s’ajoute aussi une puissance ; et ainsi il en est encore
de même pour la capacité de l’âme. |
[1392] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quodlibet augmentum caritatis
terminatum est, et est ad terminum quem consequi potest homo ; sed tamen ille
terminus, cum non sit actus purus, est permixtus potentiae ; unde adhuc
potest esse aliud augmentum numero, et ita in infinitum augmentum succedere
augmento, et hoc modo intelligitur augmentum caritatis interminatum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que toute croissance de la charité a un terme et elle se rapporte à un
terme que l’homme peut atteindre ; mais puisqu’il n’est pas un acte pur,
ce terme est cependant mélangé à de la puissance ; c’est pourquoi il
peut encore y avoir une autre croissance numériquement parlant, et ainsi une
croissance peut succéder à une croissance à l’infini, et c’est en ce sens que
se comprend une croissance illimitée de la charité. |
[1393] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia Christi, quamvis
secundum essentiam esset finita, tamen secundum quid fuit infinita, inquantum
scilicet erat dispositio congruitatis ad unionem, et inquantum concurrebat in
operationem Christi, qui erat virtutis infinitae ex hoc quod erat persona
divina, et aliis modis, ut dicetur in 3, dist. 17, qu. 1, art. 2, qu. 3, et
ex hoc habebat quod non poterat augeri. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la grâce du Christ, bien qu’elle soit limitée selon l’essence, elle
fut cependant infinie sous un certain rapport, c’est-à-dire selon qu’elle
était une disposition de conformité à l’union, et selon qu’elle contribuait à
l’opération du Christ qui était d’une puissance infinie du fait qu’il était
une personne divine, et de d’autres manières comme on le dira [Livre 3, dist.
17, quest. 1, art. 2] plus loin. Et c’est de là qu’elle tenait de ne pouvoir
croître. |
Ad illud quod
objicitur de beata virgine, dicendum est, quod differt puritatis augmentum,
et caritatis. Augmentum enim puritatis est secundum recessum a contrario ; et
quia in beata virgine fuit depuratio ab omni peccato, ideo pervenit ad summum
puritatis ; sub Deo tamen, in quo non est aliqua potentia deficiendi, quae
est in qualibet creatura, quantum in se est. Caritatis autem augmentum est
per accessum ad divinam bonitatem ; et ideo non habuit beata virgo summam caritatem
qua major non possit intelligi, quia etiam profecit in caritate et gratia. |
Quant à la difficulté qu’on
présente au sujet de la bienheureuse Vierge, il faut dire que la croissance
de la pureté diffère de la croissance de la charité. En effet, la croissance
de la pureté se fait d’après un retrait de son contraire ; et parce que
dans la bienheureuse Vierge il y eut une épuratioin de tout péché, c’est
pourquoi elle est parvenue au sommet de la pureté ; une pureté
inférieure à celle de Dieu cependant, dans lequel il n’y a aucune puissance à
défaillir qu’on retrouve en toute créature en tant que telle. Mais la
croissance de la charité a lieu au moyen d’un rapprochement de la bonté
divine ; et c’est pourquoi la bienheureuse Vierge n’a pas possédé la
charité suprême au-delà de laquelle on ne peut en penser une plus grande car
elle-même a progressé en charité et en grâce. |
Ad illud quod objicitur de
beatis, dicendum, quod caritas non augetur in eis propter conditionem status:
quia non sunt in via, sed in termino viae. Unde datur eis
praemium secundum illud quod caritas in statu viae in eis crevit. |
Quant à la difficulté
soulevée par rapport aux bienheureux, il faut dire que la charité ne croît
pas en eux à cause d’une condition de leur état : car ils ne
sont pas sur le chemin d’ici-bas, mais au terme du chemin. C’est pourquoi il
leur est donné une récompense conforme à l’accroissement de la charité dans
l’état du chemin d’ici-bas. |
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Articulus
5 [1394] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 tit. Utrum caritas minuatur |
Article 5 – La charité diminue-t-elle ? |
[1395]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod caritas
minuatur. Contraria enim nata sunt fieri circa idem. Sed augmentum et
diminutio sunt contraria. Cum igitur caritas augeatur, videtur quod minuatur. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
diminue. Les contraires en effet sont aptes à être produits dans un même
sujet. Mais la croissance et la décroissance sont des contraires. Donc
puisque la charité croît, il semble qu’elle décroisse ou diminue. |
[1396] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 arg. 2 Item, Augustinus dicit, Enchir., cap. CXXXI, col.
288 : « Ubi magna cupiditas, ibi parva caritas ; » et alibi,
Conf. : « Minus te amat qui aliquid tecum amat ». Sed
contingit cupiditatem augeri. Ergo etiam caritatem contingit minui. |
2. En outre, Augustin [Enchir.
ch. CXXXI, col. 288] dit : ¨Où la cupidité est grande, la charité est
petite ;¨ et ailleurs dans les Confessions : ¨Celui qui aime
quelque chose avec toi t’aime moins¨. Mais il est possible à la cupidité
de croître. Donc il est aussi possible à la charité de diminuer. |
[1397] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, veniale peccatum est malum culpae. Sed omne
malum aliquod bonum adimit sibi oppositum. Cum igitur malo culpae opponatur
bonum gratiae vel caritas, adimet veniale peccatum bonum caritatis. Sed non
adimit totum, quia sic excluderet a regno ; sola enim caritas dividit inter
filios regni et perditionis, secundum Augustinum, et sic esset mortale. Ergo
adimit aliquid ejus ; ergo diminuit ipsam. |
3. Par ailleurs, le péché
véniel est le mal de la faute. Mais tout mal enlève le bien qui lui est
opposé. Donc, puisque le bien de la grâce ou de la charité est opposé au mal
de la faute, le péché véniel enlève le bien de la charité. Mais il ne
l’enlève pas totalement, car il écarterait ainsi du règne ; d’après
Augustin en effet, seule la charité fait la séparation entre les fils du
règne et ceux de la perdition, et ainsi le péché véniel serait mortel. Il
enlève donc seulement une partie du bien de la charité ; donc il diminue
la charité. |
[1398] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 arg. 4 Item, secundum quod aliquis se disponit ad caritatem
et gratiam, secundum hoc sibi Deus infundit, quia, secundum Augustinum, lumen
divinae gratiae omnibus praesens est. Sed quod aliqui non suscipiant eam, est
quia avertunt se ab illa ; sicut qui claudit oculos ad lumen solis. Sed
contingit quod aliquis minus disponit se ad caritatem quam prius fecerat.
Ergo minus participabit de lumine gratiae et de caritate. |
4. En outre, c’est selon que
nous nous disposons à la charité et à la grâce que Dieu les répand en nous
car, selon Augustin, la lumière de la grâce divine est présente à tous. Mais
si certains ne la reçoivent pas, c’est parce qu’ils s’en détournent, tout
comme ceux qui ferment leurs yeux à la lumière du soleil. Mais il est
possible que quelqu’un se dispose moins à la charité qu’il ne le faisait
avant. Il participera donc moins de la lumière de la grâce et de la charité. |
[1399] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 s. c. 1 Contra, quaelibet caritas creata est finita. Sed
omne finitum, secundum philosophum, I Physic., Texte 37, consumitur per
ablationem, ablato quodam semper et semper. Si igitur veniale diminuit aliquid de
caritate, sequens etiam diminuit, et sic multiplicatis venialibus tota
caritas tolletur. Sed caritas non tollitur nisi per mortale peccatum. Ergo
multa venialia fient unum mortale, quod nullus ponit. |
Cependant : 1. Au contraire, toute
charité créée est limitée. Mais tout ce qui est limité, selon le Philosophe
[1 Physique, texte 37], est détruit par le retrait, une fois
qu’on aura enlevé encore et encore. Si donc le péché véniel enlève quelque
chose à la charité, celui qui suit aussi diminue et ainsi toute la charité
sera enlevée par la multiplication des péchés véniels. Mais la charité n’est
enlevée que par le péché mortel. Et donc plusieurs péchés véniels deviendront
un péché mortel, ce que personne n’affirme. |
[1400] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 s. c. 2 Si dicas, quod in ista ablatione est sicut in
divisione continui, quae est in infinitum, si fiat secundum eamdem
proportionem, et non secundum eamdem quantitatem, contra: quando est divisio
secundum eamdem proportionem, illud quod post aufertur, semper est minus eo
quod prius auferebatur ; sicut si primo auferatur tertia pars lineae, et
postea tertia illius residui, et sic deinceps ; semper acceptum post, erit
minus secundum quantitatem. Sed quod sequens veniale non habeat minorem
virtutem quam primum, potest contingere. Ergo adimet de caritate quantum et
primum ; et ita consumetur per ablationem. |
2. Si tu dis que cette sorte
de retrait ou d’enlèvement est semblable à celui qui a lieu dans la division
du continu qui est infinie, si elle a lieu selon la même proportion et non
selon la même quantité, je m’oppose : quand il y a division selon la
même proportion, ce qui est enlevé après est toujours plus petit que ce qui
avait été enlevé avant ; par exemple si tu enlèves d’abord la troisième
partie de la ligne et que tu enlèves ensuite la troisième partie de ce qui
reste et ainsi de suite : toujours ce qui est pris par après sera
moindre selon la quantité. Mais il est possible que le péché véniel qui suit
ne possède pas une plus petite puissance que le premier. Donc il enlèvera de
la charité autant que le premier et ainsi la charité sera détruite par le
retrait. |
[1401]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod caritas non
potest diminui essentialiter, nisi forte per successionem, ita scilicet quod
destruatur caritas quae inest, per mortale peccatum, et postmodum minor
infundatur per minorem praeparationem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la charité ne peut être diminuée essentiellement, sauf peut-être par le remplacement,
c’est-à-dire de telle manière que la charité qui est présente soit détruite
par le péché mortel et que par la suite elle soit répandue plus faiblement
par une plus faible préparation. |
Et causa hujus est, quia
causa diminutionis caritatis non potest sumi ex parte Dei ; cum nullus
defectus reducatur in ipsum qui est actus completus, sicut in causam. Oporteret
ergo, si caritas diminuatur, quod diminutionis causa ex parte nostra
suscipiatur. Defectus autem contingens
ex parte nostra, vel est ex cessatione actus vel ex inordinatione. Ex
cessatione actus non potest remitti caritas, sicut habitus virtutum
acquisitarum, secundum id quod in se est. Firmitas enim caritatis ipsius non
est ex actu nostro, sed ex principio influente, ut dictum est, in hac quaest.,
art. 2. |
Et la cause en est que la
cause de la diminution de la charité ne peut se prendre du côté de Dieu,
puisqu’aucun défaut ne se ramène à Lui, qui est complet, comme à sa cause. Il
faudrait donc, si la charité diminue, que la cause de la diminution se
reçoive de notre côté. Mais un défaut se produisant
de notre côté a lieu soit par l’arrêt de l’acte soit par un désordre. Mais la
charité, selon ce qu’elle est en elle-même ne peut être affaiblie à partir de
l’arrêt de l’acte, comme c’est le cas pour les habitus des puissances
acquises. En effet, la fermeté de la charité elle-même ne lui vient pas de
notre acte, mais du principe qui répand la grâce, ainsi que nous l’avons dit
dans l’article deux de cette question. |
Unde cessantibus actibus,
manet nihilominus idem robur caritatis. Sed verum est quod per actus
frequentes disponuntur omnes vires animae, et membra corporis rediguntur in
obsequium caritatis, in quo consistit fervor, ut dictum est ; et ideo ex otio
tepescit caritatis fervor. |
C’est pourquoi, les actes
ayant cessé, il reste néanmoins une même force de la charité. Mais il est
vrai que c’est pas des actes fréquents que toutes les forces de l’âme sont
disposées et que les membres du corps sont ramenés à une soumission à la
charité, en quoi consiste la ferveur comme nous l’avons dit ; et c’est
pourquoi la ferveur de la charité se refroidit par l’oisiveté. |
Habitus autem acquisitarum
virtutum, robur et firmitatem habent ex nostris operibus: unde cessantibus
operibus, remittitur robur virtutis etiam in se. Inordinatio autem actus vel
est circa finem, vel circa ea quae sunt ad finem. Si circa finem, ita
scilicet quod finis tollatur ; sic caritas, secundum quam adhaeretur fini,
tollitur: et hoc fit per mortale peccatum |
Mais les habitus des
puissances acquises tiennent leur force et leur solidité de nos
opérations : c’est pourquoi, si les opérations cessent, la force de la
puissance est affaiblie même en elle-même. Mais le désordre de l’acte se
rapporte soit à la fin, soit aux moyens qui sont ordonnés à la fin. S’il se
rapporte à la fin, c’est-à-dire de telle manière que la fin soit
supprimée ; alors la charité, d’après laquelle on adhérait à la fin, est
elle aussi supprimée : et cela se produit par le péché mortel. |
Si autem circa ea quae sunt
ad finem, ita scilicet quod finis remaneat, et inordinate aliquis immoretur
circa ea quae sunt ad finem ; talis inordinatio, quae est peccati venialis,
non attingit caritatem, quae est secundum adhaesionem finis, et ideo nihil
diminuit de ipsa. |
Mais si le désordre a lieu
par rapport aux moyens qui sont ordonnés à la fin, c’est-à-dire de telle
manière que la fin elle-même demeure, et que quelqu’un s’arrête avec désordre
sur les moyens qui sont ordonnés à la fin, un tel désordre, qui relève du
péché véniel, n’atteint pas la charité qui concerne l’adhésion à la fin, et
c’est pourquoi ce désordre ne diminue en rien la charité. |
Sed verum est quod sicut ea
quae sunt ad finem disponunt ad finem, ita inordinatio in eis est dispositio
ad inordinationem quae est circa finem, secundum quod dicimus, quod veniale
peccatum est dispositio ad mortale. Unde per hujusmodi venialia disponitur
quis ad amissionem caritatis. |
Mais il est vrai que tout
comme les choses qui sont en vue de la fin disposent à la fin, de même le
désordre qui se présente en elles est une disposition à un désordre qui se
rapporte à la fin, selon que nous disons que le péché véniel est une
disposition au péché mortel. Et c’est pourquoi quelqu’un, par de telles
fautes vénielles, est disposé à l’abandon de la charité. |
Et inde est quod
caritas dicitur diminui quantum ad radicationem et fervorem, et non quantum
ad essentiam. Quantum ad radicationem quidem, secundum quod fit dispositio ad
contrarium, unde minuitur firma inhaesio caritatis ; secundum fervorem vero, prout
impeditur obedientia inferiorum virium ad superiores, ex quo dictus fervor
causabatur. |
Et c’est de là qu’on dit que
la charité est diminuée quant à son enracinement et à sa ferveur, et non
quant à son essence. Quant à son enracinement certes, selon que se produit
une disposition à ce qui est contraire, d’où s’ensuit une diminution d’un
ferme attachement à la charité ; mais quant à la ferveur, pour autant
que la soumission des puissances inférieures aux puissances supérieures, qui
causait la ferveur dont on parle, est empêchée. |
[1402] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod contraria nata sunt
fieri circa idem, nisi alterum naturaliter insit. Et dicitur naturaliter
inesse, quando consequitur causas ejus. Unde dico, quod augmentabilitas, quia
ex parte suscipientis et influentis potest esse aliqua causa augmenti, et non
diminutionis, ut dictum est, in corp. art. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que les contraires sont aptes à se produire dans un même sujet,
à moins que l’un d’eux y soit naturellement présent. Et on dit qu’il y est
naturellement présent quand il découle de ses causes. C’est pourquoi je dis
que c’est le cas pour la capacité de croître, car il peut y avoir une cause
de croissance du côté de celui qui reçoit et de celui qui répand, mais non de
diminution, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
[1403] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commensuratio cupiditatis et
caritatis per oppositum, potest intelligi dupliciter: vel quantum ad ipsum
fieri caritatis, vel quantum ad esse. Si quantum ad fieri, tunc verum est
quod quanto per actus inordinatos magis dominatur in eo cupiditas, minus
disponitur ad caritatem vel augmentum ejus: quia ad habendum caritatem vel ad
proficiendum in ea disponunt actus nostri. Si quantum ad esse, tunc, cum
actus nostri non sint causa esse ipsius caritatis, ex inordinatione actuum
per cupiditatem nihil derogatur caritati quantum ad suum esse, sed solum
quantum ad fervorem, secundum quod dehabilitantur inferiores partes a
caritatis obedientia. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que la proportion inverse de la cupidité et de la charité peut
s’entendre de deux manières : soit quant au devenir même de la charité,
soit quant à son existence. Si on l’entend quant à son devenir, alors il est
vrai que plus la cupidité domine dans une âme par des actes déréglés, moins
elle est disposée à la charité ou à sa croissance : car ce sont nos
actes qui nous disposent à posséder la charité ou à progresser en elle. Si on
l’entend quant à son existence, alors, puisque nos actes ne sont pas la cause
de l’existence même de la charité, à partir du désordre de nos actes par la
cupidité rien n’est retranché à la charité quant à son existence mais
seulement quant à sa ferveur selon que les parties inférieures de l’âme
perdent de leur habilité à se soumettre à la charité. |
[1404] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod veniale non potest adimere
aliquid de caritate, quia non attingit ad illam partem animae ubi est
caritas. Sicut enim superior pars intellectus est in consideratione
principiorum per se notorum, per quae alia cognoscuntur ; unde quantumcumque
dubitatio oriatur circa conclusiones, de certitudine principiorum nihil
minuitur ; ita etiam superior pars affectus est in adhaesione finis, propter
quem omnia diliguntur. Unde quaecumque inordinatio contingat circa illa quae
sunt ad finem, ipsa non minuitur inhaesio finis, quae est per caritatem, nisi
ponatur finis contrarius. Unde veniale, quia non ponit finem indebitum, non
attingit ad illud supremum affectus ubi est caritas. Sed sicut veniale non
est peccatum simpliciter, sed solum inquantum est dispositio ad mortale ; ita
etiam privat bonum, quod se habet ut dispositio ad caritatem, idest fervorem,
qui contingit in habilitate actus ex diligenti obedientia vel subjectione
inferiorum virium ad superiorem partem affectus, in qua est caritas. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la faute vénielle ne peut retirer quelque chose de la charité car
elle ne parvient pas à cette partie de l’âme où réside la charité. En effet,
tout comme la partie supérieure de l’intelligence est dans la considération
des principes connus par soi au moyen desquels tout le reste devient
connu ; c’est pourquoi, quelque soit le doute qu’on soulève par rapport
aux conclusions, cela ne diminue en rien la certitude qu’on porte aux
principes ; de même encore la partie supérieure de l’affectivité est
dans l’adhésion à la fin par rapport à laquelle tout le reste est aimé. C’est
pourquoi, quel que soit le désordre qui se produise sur les choses qui sont
ordonnées à la fin, l’attachement à la fin, qui a lieu par la charité, ne
s’en trouve aucunement diminué, à moins qu’on ne pose une fin contraire.
C’est pourquoi le péché véniel, parce qu’il ne pose pas une fin injuste, ne
parvient pas à cette affectivité suprême où se trouve la charité. Mais tout
comme le péché véniel n’est pas un péché pris absolument mais seulement selon
qu’il est une disposition au péché mortel, de même encore il prive du bien
qui se présente comme une disposition à la charité, c’est-à-dire de la
ferveur qui se produit dans l’aptitude de l’acte qui lui vient d’une
soumission ou d’un assujettissement amoureux des puissances inférieures à la
partie supérieure de l’affectivité dans laquelle se trouve la charité. |
[1405]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dispositio
ad caritatem est secundum actus inferiorum virium, prout operantur circa ea
quae sunt ad finem, sicut per ea quae sunt ad finem, devenitur in finem.
Habito autem fine, non indigetur his quae sunt ad finem. Unde quaecumque inordinatio
fit circa ea, non redundat in deordinationem finis, nisi per modum
dispositionis ; sicut etiam cognitio principiorum primorum determinatur in
nobis per sensus, qui si etiam destruantur, non minuitur certitudo
principiorum, quae non est acquisita, sed naturaliter insita ; et similiter
est de caritate infusa. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la disposition à la charité a lieu d’après les actes des puissances
inférieures, pour autant qu’ils opèrent sur les choses qui sont ordonnées à
la fin, tout comme au moyen des choses qui sont ordonnées à la fin on en
vient à la fin. Mais la fin une fois possédée, on n’a plus besoin des choses
qui sont ordonnées à la fin. C’est pourquoi, quel que soit le désordre qui se
produise par rapport à elles, il ne déborde pas en un désordre de la fin,
sauf à la manière d’une disposition ; et il en est de même pour la
charité infuse, tout comme aussi pour la connaissance des premiers principes
qui est fixée en nous au moyen des sens, lesquels, même s’ils sont détruits,
la certitude des principes, n’étant pas acquise mais naturellement donnée, ne
s’en trouve pas diminuée. |
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Distinctio 18 |
Distinction 18 – [L’Esprit Saint comme don] |
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Quaestio 1 |
Question unique : [L’Esprit Saint comme don] |
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Prooemium |
Prologue |
Postquam determinavit de temporali processione Spiritus
sancti, hic determinat nomen quod sibi competit secundum rationem qua
temporaliter procedit, scilicet donum. |
Après avoir traité de la
procession temporelle de l’Esprit-Saint, il traite ici du nom qui lui revient
selon la raison par laquelle il procède temporellement, à savoir le don. |
Circa hanc partem quinque quaeruntur: 1 utrum donum sit essentiale, vel personale ; 2 utrum sit proprium Spiritus sancti ; 3 utrum per hoc donum omnia dona dentur ; 4 utrum Spiritus sanctus processione qua donum dicitur,
etiam Deus dicatur ; 5 utrum possit dici donum nostrum. |
Et par rapport à cette partie
on se pose cinq questions : 1. Est-ce que le don est
essentiel ou personnel ? 2. Est-ce que le don est
propre à l’Esprit-Saint ? 3. Est-ce par ce don que tous
les dons sont donnés ? 4. Est-ce que l’Esprit-Saint
est aussi appelé Dieu par la procession par laquelle il est appelé don ? 5. Est-ce qu’on peut
l’appeler notre don ? |
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Articulus 1 [1408] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1
tit. Utrum
donum sit nomen essentiale |
Article 1 – Est-ce que le nom don est un nom essentiel ? |
[1409] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod donum
sit nomen essentiale. Omne enim nomen connotans effectum in creatura,
significat divinam essentiam, ut communiter dicitur. Sed hoc nomen donum
connotat effectum in creatura: dicitur enim Spiritus sanctus donum, inquantum
est donabilis creaturae in aliquo effectu. Ergo est essentiale. |
Difficultés : 1. Il semble que ¨don¨ soit
un nom essentiel. En effet, tout nom qui renvoie à un effet dans la créature
signifie l’essence divine, ainsi qu’on le dit généralement. Mais ce nom,
¨don¨, renvoie à un effet dans la créature : on dit en effet de
l’Esprit-Saint qu’il est un don dans la mesure où il peut être donné dans un
effet à la créature. Ce nom est donc un nom essentiel. |
[1410] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, nullum nomen personale convenit essentiae ; quia essentia nec
genita est nec gignens. Sed essentia divina dicitur donata esse Filio a
Patre, ut dicitur Philip., 2, 9: Donavit illi nomen quod est super
omne nomen: quod etiam accipitur ex verbis Hilarii supra positis, (16
distinct., ult. Cap). Ergo donum est nomen essentiale. |
2. Par ailleurs, aucun nom
personnel ne convient à l’essence car l’essence n’est ni engendrée ni
engendrante. Mais comme le dit l’Apôtre [Philippiens 2, 9], l’essence
divine est donnée au Fils par le Père : Il lui a donné le nom
qui est au-dessus de tout nom. : ce qu’on admet aussi à partir des
paroles de Saint-Hilaire présentées plus haut [dist. 16, chapître dernier.
¨Don¨ est donc un nom essentiel. |
[1411] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 3 Item,
Spiritui sancto convenit esse donum, inquantum procedit ut amor. Sed amor in
divinis etiam essentialiter dicitur, ut habetur ex verbis Augustini supra,
distin. 10 positis. Ergo videtur quod et donum. |
3. En outre, il convient à
l’Esprit-Saint d’être un don en tant qu’il procède comme amour. Mais l’amour
chez les personnes divines se dit aussi essentiellement comme on l’a établi à
partir des paroles de Saint-Augustin présentées plus haut dans la distinction
dix. Il semble donc qu’il en soit aussi ainsi pour le don. |
[1412] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, quidquid habetur ab aliquo, hoc dicitur esse datum vel donatum.
Sed, non intellecta distinctione personarum adhuc possemus habere Deum ad
fructum, et non habemus hoc a nobis. Ergo esset datum nobis. Quidquid autem
intelligitur in divinis, exclusa per intellectum distinctione personarum, est
essentiale. Ergo donum est essentiale. |
4. De plus, tout ce qui est
possédé par quelqu’un, on dit que cela est donné ou procède d’une donation.
Mais même si nous ne comprenons pas la distinction des personnes, nous
pouvons encore posséder Dieu pour en jouir et ce n’est pas de nous que nous
tenons cela. Il nous serait donc donné. Mais tout ce qui est compris dans les
personnes divines, si on exclut la distinction des personnes par
l’intelligence, est essentiel. Donc le don est essentiel. |
[1413] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contra, quidquid convenit alicui personae secundum rationem originis, non est
essentiale sed notionale. Donum autem dicitur Spiritus sanctus, inquantum ab
aeterno procedit, ut dicitur in Littera. Ergo non est essentiale,
sed personale. |
Cependant : 1. Au contraire, tout ce qui
convient à une personne en raison de l’origine n’est pas essentiel mais
notionnel. Mais on dit de l’Esprit-Saint qu’il est un don en tant qu’il
procède éternellement, comme on le dit dans le Document. Donc, le
nom ¨don¨ n’est pas un nom essentiel mais personnel. |
[1414] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. 15, quaest. 3, art. 1, dare vel
donare dicitur dupliciter. Uno modo illud quod habetur per modum dominii, ut
possessio. Alio modo illud quod habetur quasi intrinsecum sibi,
sicut aliquis habet seipsum vel materiam suam vel qualitatem. Quamvis autem
in divinis personis non sit dominium unius respectu alterius, tamen est ibi
auctoritas principii. Dicendum igitur, quod datio potest importare
auctoritatem respectu dati ; et sic donum vel datum est notionale. Potest
etiam non importare auctoritatem, sed tantum hoc quod id quod datur, libere
habeatur ; et hoc modo ipsa essentia dicitur dari vel donari. Et secundum
hoc, donum vel datum non est personale, sed essentiale ; tamen semper
importat distinctionem dantis ad eum cui datur, quamvis non ad id quod datur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quet. 3, art. 1],
donner ou faire une donation se dit de deux manières. En un premier sens comme ce
qui est possédé à la manière d’une domination, comme un bien. En un deuxième sens comme ce
qui est possédé intérieurement à soi-même, comme celui qui possède lui-même
sa matière ou une qualité. Mais bien que dans les personnes divines il n’y
ait pas supériorité de l’une par rapport à l’autre, il y a cependant là une
autorité de principe. Il faut donc dire que la donation peut impliquer une
autorité par rapport à ce qui est donné. Et de cette manière le
don ou ce qui est donné est notionnel. Mais elle peut aussi ne pas comporter
une autorité mais seulement ceci que ce qui est donné est possédé
librement ; et en ce sens on dit de l’essence elle-même qu’elle est
donnée ou qu’elle fait l’objet d’une donation et suivant cela, le don ou ce
qui est donné n’est pas personnel mais essentiel ; cependant la donation
comporte toujours une distinction de celui qui donne par rapport à celui à
qui il y a don, et non par rapport à ce qui est donné. |
[1415] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod nomen potest
connotare effectum in creatura dupliciter: vel secundum rationem principii tantum ; et quia eadem
est operatio totius Trinitatis, oportet quod tale nomen commune sit toti
Trinitati et ad essentiam pertinens ; vel ita quod cum ratione principii, respectu creaturae,
etiam aliquid aliud importet: et tunc, quamvis secundum respectum ad
creaturam det intelligere essentiam ex consequenti, sicut causa intelligitur
in effectu ; tamen secundum aliud quod significat potest ad personam
pertinere ; sicut assumere carnem importat et operationem, quae communis est
tribus personis, et terminum operationis in quem terminata est assumptio,
quod proprium est personae Filii ; et ideo sibi soli convenit. Similiter
dico, quod donum, praeter respectum quem importat ad illud cui donabile est,
importat respectum ad illum a quo est, sicut a principio respectu ejus
auctoritatem habente ; et ex hac parte est notionale. |
Solutions : 1. Il faut donc dire
en premier lieu que le nom peut renvoyer à un effet dans la créature de deux
manières : Soit selon la raison
de principe seulement ; et parce que l’opération de toute la Trinité est
la même, il faut que tel nom soit commun à toute la Trinité et appartienne à
l’essence ; Soit de telle
manière qu’avec la raison de principe par rapport à la créature, il comporte
quelque chose d’autre : et alors, bien que selon le rapport à la
créature il donne à comprendre l’essence à partir de la conséquence, comme la
cause qui est comprise dans son effet, cependant d’après ce qu’il signifie d’autre
il peut appartenir à la personne ; par exemple assumer la chair comporte
à la fois l’opération qui est commune aux trois personnes et le terme de
l’opération dans lequel se termine cet emprunt et qui est propre à la
personne du Fils ; et c’est pourquoi il convient à Lui seulement. De la
même manière je dis que le don, en dehors du rapport qu’il implique à
l’égard de celui à qui il peut être donné, comporte un rapport à
celui d’où il vient comme au principe qui possède l’autorité par rapport à
lui ; et ce ce côté ce nom est notionnel. |
[1416] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod si dare importet auctoritatem respectu dati in dante,
sic essentia non dicitur dari, sed alio modo, ut dictum est, in corp. art. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que si donner implique une autorité dans celui qui donne
par rapport à ce qui est donné, alors on ne dit pas de l’essence
qu’elle est donnée, mais le don se dit en un autre sens, ainsi que nous
l’avons dit dans le corps de l’article. |
[1417] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 3 Et per
hoc patet responsio ad tertium ; quia amor essentialis, quamvis sit habens
rationem primi doni, in quo alia dona dantur, tamen respectu ejus non potest
denotari auctoritas ; et ideo ratione praedicta, amor non potest dici donari
secundum quod auctoritas importatur in donante respectu dati. |
3. Et c’est grâce à cela
qu’est manifeste la réponse à la troisième difficulté ; car l’amour
essentiel, bien qu’il soit ce qui a raison de premier don dans lequel tous les
autres dons sont donnés, on ne peut cependant lui reconnaître une
autorité ; et c’est pourquoi, pour la raison que nous avons dite, on ne
peut dire de l’amour qu’il est un don selon que l’autorité est impliquée dans
celui qui donne par rapport à ce qui est donné. |
[1418] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 4 Et
similiter etiam dicendum ad quartum ; quia donum, in cujus ratione importatur
auctoritas, non remanet, non intellecta distinctione personarum. |
4. C’est de la même manière
encore qu’il faut parler de la quatrième difficulté ; car le don, dans
la définition duquel l’autorité est impliquée, ne demeure pas si la
distinction des personnes n’est pas comprise. |
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Articulus 2 [1419] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2
tit. Utrum donum sit proprium Spiritus sancti |
Article 2 – Le don est-il le propre de l’Esprit Saint ? |
[1420] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod donum
non sit proprium Spiritus sancti. Temporalis enim processio vel missio
Spiritus sancti dicitur ejus donatio. Sed Filius mittitur sicut Spiritus
sanctus, et habet aptitudinem ad missionem a processione aeterna sicut
Spiritus sanctus, ut patet ex dictis, dist. 15, quaest. 4, art. 2. Ergo Filius potest dici donum
sicut Spiritus sanctus. |
Difficultés : 1. Il semble que le
don ne soit pas propre à l’Esprit-Saint. On dit en effet de la procession ou
de la mission de l’Esprit-Saint qu’elle est la donation de ce dernier. Mais
le Fils est envoyé comme l’Esprit-Saint et il possède, tout comme lui, d’une
procession éternelle, une aptitude à la mission ainsi qu’on le voit à partir
de ce qui a été dit [dist. 15, quest. 4, art. 2]. Donc le Fils, tout comme
l’Esprit-saint, peut être appelé don. |
[1421] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, cum personae distinguantur per processiones aeternas, nomen
proprium personae potest designari in actu processionis ; sicut Filius
designatur in generatione, inquantum est Filius. Sed nomen doni non
designatur in processione aeterna: quia secundum eam Pater non dicitur donare
donum, sicut dicitur generare Filium. Ergo videtur quod non sit proprium
Spiritus sancti. |
2. Par ailleurs, puisque les
personnes se distinguent au moyen des processions éternelles, le nom propre
de la personne peut être désigné dans l’acte même de la procession, tout
comme le Fils est désigné dans la génération en tant que Fils. Mais le nom de
don n’est pas désigné dans la procession éternelle : car on ne dit pas
d’après elle que le Père donne un don comme on dit de lui qu’il engendre le Fils.
Il semble donc que le don ne soit pas propre à l’Esprit-Saint. |
[1422] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 3 Item,
propria personarum dicunt tantum relationem, quia in absolutis divinae
personae non distinguuntur. Sed donum non dicit tantum relationem, immo
aliquid aliud quod datur. Ergo videtur quod non sit nomen proprium Spiritus
sancti. |
3. En outre, le propre des
personnes dit seulement la relation car les personnes divines ne se
distinguent pas par les caractères absolus. Mais le don ne dit pas seulement
la relation, mais bien plutôt quelque chose d’autre qui est donné. Il semble
donc que le don ne soit pas un nom propre à l’Esprit-Saint. |
[1423] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, Spiritus sanctus non habet nisi unam notionem, quae est ejus
processio. Sed alio modo innotescit Spiritus sanctus inquantum est donum, et
inquantum est procedens. Ergo videtur quod notio qua donum dicitur, non sit
propria Spiritus sancti, et ita nec nomen doni. |
4. De plus, l’Esprit-Saint ne
possède qu’une seule notion, laquelle est sa procession. Mais l’Esprit-Saint
se fait connaître d’une autre manière en tant qu’il est don et en tant qu’il
procède. Il semble donc que la notion par laquelle il est appelé don n’est
pas propre à l’Esprit-Saint et qu’il en soit de même aussi pour le nom de
don. |
[1424] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 1 In
contrarium est quod dicit Augustinus, Lib. de Trinit., quia sicut in
Trinitate solus Filius dicitur Verbum, ita solus Spiritus sanctus dicitur
donum. Sed quod convenit soli alicui personae, est proprium sibi. Ergo nomen
doni proprium est Spiritus sancti. |
Cependant : 1. Saint-Augustin dit le
contraire dans le Livre sur la Trinité, car tout comme dans la
Trinité seul le Fils est appelé Verbe, de même seul l’Esprit-Saint est appelé
don. Mais ce qui convient à une seule personne lui est propre. Donc le nom de
don est propre à l’Esprit-Saint. |
[1425] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod donum et datum differunt,
ut in littera dicitur: et horum differentia potest attendi quantum ad tria ;
scilicet quantum ad consignificationem. Datum
enim consignificat tempus, cum sit participium ; donum autem non, cum sit
nomen. Inde est quod donum competit magis divinis, quae sine tempore sunt,
quam datum: unde donum potest esse aeternum, sed non datum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que don diffère du donné, ainsi qu’on le dit dans le document : et la
différence qu’il y a entre eux peut se prendre de trois manières ;
c’est-à-dire soit quant à ce qu’elles consignifient. Le
donné en effet consignifie le temps puisqu’il est un participe, mais non le
don qui est un nom. Et de là le don appartient davantage aux personnes
divines, lesquelles existent en dehors du temps, que le donné : c’est
pourquoi le don peut être éternel mais non le donné. |
Item quantum ad
significationem, quia donare addit supra dare. Donum enim, ut dicit philosophus IV Top., cap.
2, est datio irreddibilis, non quae recompensari non valeat, sed illa quae
recompensationem non quaerit. |
Soit deuxièmement quant à
leur signification, car faire une donation ajoute à donner. Une donation,
ainsi que le dit le Philosophe [IV Topiques, ch. 2], est un don
qui ne peut être rendu, non pas celui qui ne vaut pas d’être récompensé, mais
celui qui ne cherche pas à être récompensé. C’est pourquoi la donation
implique une libéralité chez celui qui donne. |
Unde donum importat
liberalitatem in dante. Item quantum ad modum significandi: quia donum
importat aptitudinem ad dandum ; datum autem importat dationem in actu. Aptitudo autem ad dandum potest attendi dupliciter ;
vel ex parte ipsius dati, quasi passiva, sicut calefactibile ad calefactionem
aptitudinem importat: vel ex parte dantis quasi activa ; et talis aptitudo
est secundum rationem qua aliquid datur liberaliter. |
Soit troisièmement quant au
mode de signifier : car la donation implique une aptitude à l’acte de
donner alors que le don implique l’action de donner en acte. Mais l’aptitude
à donner peut se prendre de deux manières ; soit du côté de ce qui est
donné, comme étant passive, comme ce qui peut être réchauffé implique une
aptitude au réchauffement ; soit du côté de celui qui donne, comme étant
active ; et une telle aptitude existe d’après la raison par
laquelle quelque chose est donné avec libéralité. |
Ratio autem omnis liberalis collationis est amor: quod
enim propter cupiditatem datur, vel propter timorem, non liberali datione
datur ; sed talis datio magis dicitur quaestus vel redemptio. |
Mais la raison ou la cause de
toute contribution libérale est l’amour : en effet, ce qui est donné à
cause de la cupidité ou de la crainte n’est pas donné par une donation
libérale, mais une telle donation s’appelle plutôt une recherche de profit ou
un trafic. |
Quia igitur Spiritus sanctus est amor, ex ratione suae
processionis habet in se et quod detur, et quod sit ratio dandi: unde est
donum per se, et primo ; alia autem quae dantur non sunt dona nisi secundum
quod participant aliquid amoris, ut ex amore data. |
Donc, parce que
l’Esprit-Saint est amour, c’est en raison de sa procession qu’il est en son
pouvoir d’être donné et d’être la raison de donner : c’est pourquoi il
est le premier don, et il l’est essentiellement ; mais les autres choses
qui sont données ne sont données que selon qu’elles participent de l’amour,
en tant qu’elles sont données par amour. |
Si igitur colligantur tres dictae rationes doni,
adjuncta auctoritate dantis ad donum, patet quod in Trinitate donum Spiritui
sancto convenit secundum suam processionem aeternam, inquantum procedit ut
amor, qui est ratio liberalis collationis. Unde sicut amor est sibi proprium,
ita donum. |
Si donc nous rassemblons les
trois raisons du don que nous avons dites, si on y ajoute l’autorité de celui
qui donne par rapport à ce qui est donné, il est clair que dans la Trinité le
don convient à l’Esprit-Saint selon sa procession éternelle, en tant qu’Il
procède comme amour, lequel est la raison d’une contribution libérale. C’est
pourquoi le don, tout comme l’amour, lui est propre. |
[1426] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 1
Ad primum igitur dicendum, quod donum non importat missionem in actu, sed
rationem liberalis collationis vel dationis ; quae quamvis sit idem re quod
missio in divinis personis, tamen differunt ratione. Unde quamvis Filius
detur vel mittatur, tamen ratio liberalis dationis est amor, qui est Spiritus
sanctus: et ista ratio non pertinet ad Filium: unde non proprie potest dici
donum, etsi dicatur datus. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le don n’implique pas la mission en acte, mais la cause
d’une contribution ou d’une donation libérale ; laquelle, bien qu’elle
soit identique par la chose à la mission chez les personnes divines, en
diffère cependant par la raison. C’est pourquoi, bien que le Fils soit envoyé
ou donné, cependant la raison ou la cause de la donation libérale est l’amour
qui est l’Esprit-Saint : et cette raison n’appartient pas au Fils :
c’est pourquoi, bien qu’on dise de Lui qu’il est donné, on ne peut dire de
Lui à proprement parler qu’il est don. |
[1427] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod, sicut dictum est, distin. 13, quaest. unica, art. 3,
processio Filii nominatur etiam quantum ad proprium suum modum, scilicet
nomine suae generationis ; et ideo ex propria sua processione potest trahi
sua proprietas, scilicet Filius. Sed processio Spiritus sancti non habet
nomen quantum ad modum suae processionis proprium. Unde ex actu personali quo
significatur procedere, non potest trahi ad proprium pertinens ad modum
processionis, secundum quod dicitur amor vel donum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que, ainsi que nous l’avons dit [dist. 13, quest. unique, art. 3] la
procession du Fils est aussi dénommée quant au mode qui lui est propre, à
savoir par le nom de sa génération ; et c’est pourquoi sa propriété, à
savoir d’être Fils, peut se tirer de sa procession propre. Mais la
procession de l’Esprit-Saint ne possède pas un nom quant au mode qui
est propre à sa procession. C’est pourquoi, selon qu’il est appelé
amour ou don, son nom ne peut se ramener à ce qui lui appartient en propre
quant à son mode de procession à partir de l’acte personnel par lequel on
signifie de Lui qu’il procède. |
[1428] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod hoc nomen donum vel datum, praeter relationem ex qua
dicitur donum vel datum, dat intelligere rem quamdam quae datur ; quamvis
forte non sicut partem significationis nominis, quia subjectum non includitur
in significatione nominis significantis accidens concretive, ut dicit
Commentator, quamvis Avicenna, V metaph., text. 14,
contrarium senserit. Sed ad rationem dati vel doni, nihil refert utrum illa
res data sit in hoc genere vel in illo: et secundum quod coarctatur donum
conditionibus praedictis, oportet quod res illa data relationem significet:
quia donum, ut ratio dandi, est amor ; nec amor potest dari ut respectu cujus
habeatur auctoritas nisi personalis quae ad aliquid est. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les noms de don ou de donné, en dehors de la relation à partir de
laquelle on dit don ou donné, donnent à entendre une chose qui est donnée,
bien que ce ne soit peut-être pas comme une partie de la signification du
nom, car le sujet n’est pas inclus dans la signification du nom qui signifie
l’accident concrètement comme le dit le Commentateur, bien qu’Avicenne
[V Métaphysique, texte 14] ait pensé le contraire. Mais il est
indifférent à la définition du don ou du donné que la chose donnée soit dans
tel ou tel autre genre : et selon que le don se limite aux conditions
que nous avons dites, il faut que cette chose donnée signifie une
relation : car le don, comme la raison de donner, est l’amour ; et
l’amour ne peut être donné comme en rapport à ce qui possède l’autorité que
si cette autorité qui est une relation est personnelle. |
[1429] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod sicut est in essentialibus, quod una essentia communis
est bonitas et sapientia et omnia alia attributa, secundum diversas rationes
; ita etiam in personalibus: quia una proprietas vel notio secundum rem
differt secundum diversas rationes significandi in nomine ; sicut proprietas Verbi
alio modo significatur dum dicitur Filius, et dum dicitur Verbum. Ita etiam
proprietas Spiritus sancti potest secundum diversas rationes diversis
nominibus significari ; et potest esse quod secundum rationem intelligendi
una illarum rationum consequatur ad aliam, sicut etiam est in essentialibus
attributis, quod voluntas praesupponit intellectum. Unde ratio doni
consequitur rationem amoris simili modo. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que tout comme dans les attributs essentiels il y a une seule essence
commune qui est la bonté et la sagesse et tous les autres attributs d’après
différentes définitions, il en est de même encore pour les attributs
personnels : car une même propriété ou une même notion selon la chose
diffère d’après différentes raisons de signifier dans le nom ; par
exemple, la propriété du Verbe est signifiée différemment selon qu’il est
appelé Fils et selon qu’il est appelé Verbe. De même encore la propriété de
l’Esprit-Saint peut être signifiée par différents noms selon différentes
raisons ; et il peut arriver que, suivant la raison de comprendre, une
de ces raisons découle d’une autre, comme cela se produit aussi dans les
attributs essentiels, à savoir que la volonté présuppose l’intelligence.
C’est pourquoi, de la même manière, la notion de don découle de la notion
d’amour. |
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[1430] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 tit. Utrum
per donum, quod Spiritus sanctus est, dentur omnia dona |
Article 3 – Est-ce que tous
les dons sont donnés par le don qui est l’Esprit Saint ? |
[1431] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per donum, quod est Spiritus sanctus, non
dentur omnia dona. Sicut enim dicit philosophus, V Physic., text.
10, alterationis non est alteratio: alias in infinitum abiretur. Si ergo
donum datur per donum, ibitur in infinitum ; et hoc non est ponere. Ergo
videtur quod dona non dentur per aliud donum. |
Difficultés : 1. Il semble que tous les
dons ne soient pas donnés par ce don qu’est l’Esprit-Saint. En effet, tout
comme le dit le Philosophe [V Physique, texte 10], il n’y a pas
d’altération de l’altération : autrement, il faudrait aller à l’infini.
Si donc un don est donné par un don, on ira à l’infini ; et cela est
impossible. Il semble donc que les dons ne soient pas donnés par un don. |
[1432] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, ut supra habitum est ex verbis Hilarii, d. XVI ex IX de
Trinit., ipsa essentia divina est data a Patre Filio. Si igitur omne
datum datur per Spiritum sanctum, tunc essentia datur Filio per Spiritum
sanctum ; et hoc est inconveniens, quia Spiritus sanctus esset principium
Filii. Ergo videtur quod per hoc donum non dentur omnia dona. |
2.
Par ailleurs, comme nous l’avons établi à partir des paroles de Saint-Hilaire
[1X De la Trinité] à la distinction XVI, l’essence divine est
donnée par le Père au Fils. Si donc tout don est donné par l’Esprit-Saint,
alors l’essence est donnée au Fils par l’Esprit-Saint; et cela est impossible
car l’Esprit-Saint serait ainsi le principe du Fils. Il semble donc que tous
les dons ne soient pas donnés par ce don. |
[1433] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, Filius est etiam datus nobis, Isaiae 9.
Sed Spiritus sanctus non habet aliquam rationem principii respectu
Filii. Ergo videtur quod non omne
datum detur per hoc donum. |
3. En outre, le Fils aussi
nous est donné (Isaïe, 9). Mais l’Esprit-Saint n’a pas raison de principe par
rapport au Fils. Il semble donc que ce ne soit pas tout don qui soit donné
par ce don qu’est l’Esprit-Saint. |
[1434] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil datur per donum aliquod, nisi
illud donum detur. Sed multa dantur nobis a Deo, in quibus non datur Spiritus
sanctus, sicut data naturalia, et gratiae gratis datae. Ergo videtur quod non
omnia dona dentur per hoc donum. |
4. De
plus, rien n’est donné par un don, à moins que ce don ne soit donné. Mais
plusieurs choses nous sont données par Dieu dans lesquelles l’Esprit-Saint n’est
pas donné, par exemple les dons naturels, et les grâces données gratuitement.
Il semble donc que ce ne soient pas tous les dons qui sont donnés par ce don. |
[1435] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 s. c. 1
Contra est quod in Littera dicitur. Praeterea, illud quod
est primum in quolibet genere, est causa omnium quae sunt in genere illo ut
habetur ex verbis philosophi,II Metaph., text. 4. Sed
Spiritus sanctus habet rationem primi doni, inquantum ipse est amor Patris et
Filii. Ergo videtur quod per hoc donum omnia dentur. |
Cependant : 1. On dit le contraire dans
le Document. Par ailleurs, ce qui est premier dans tout genre est
la cause de tout ce qu’on retrouve dans ce genre, ainsi que l’établissent les
paroles du Philosophe [11 Métaphysique, texte 4]. Mais
l’Esprit-Saint a raison de premier don, en tant qu’il est l’amour qu’il y a
entre le Père et le Fils. Il semble donc que ce soit par ce don que tout le
reste nous est donné. |
[1436] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod aliquid dicitur dari multipliciter: quandoque ex ipsa proprietate naturae, secundum quod
dicimus quod ignis dat calorem suum et sol splendorem, et hujus dationis non
est principium voluntas: quandoque ex voluntate, ut principio dationis ; et hoc
contingit dupliciter ; quandoque enim per dationem intenditur aliqua utilitas
ipsius dantis, vel quantum ad remotionem mali, sicut quando aliquid datur ex
timore, et talis datio dicitur redemptio ; vel quantum ad acquisitionem alicujus boni, et talis
datio est proprie quaestus, vel venditio ; quandoque autem non intenditur utilitas aliqua in ipso
dante, et haec datio dicitur liberalis, et proprie dicitur donatio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que c’est de plusieurs manières qu’une chose est donnée : Parfois à partir de la
propriété même de la nature, selon que nous disons que le feu donne sa
chaleur et que le soleil donne sa lumière, et la volonté n’est pas le
principe d’un tel don. Parfois à partir de la
volonté comme principe de don, et cela est possible de deux manières ;
parfois par le don c’est l’utilité de celui-là même qui donne qui est
recherchée, soit pour éloigner un mal comme lorsque quelque chose est donné
par crainte et un tel don s’appelle rançon ; soit pour acquérir un bien,
et un tel don s’appelle proprement un profit ou une vente ; Mais parfois celui qui donne
ne recherche aucune utilité et on dit alors du don qu’il est libéral et
s’appelle proprement donation. |
Constat autem quod illa datio in qua intenditur
utilitas dantis nunquam competit Deo ; unde ipse [ipsa Ed. de Parme]
singulariter dicitur liberalis, quia in omnibus aliis dantibus intenditur
aliqua utilitas in dante vel boni temporalis vel spiritualis. Unde nulla
datio est pure liberalis, ut dicit Avicenna, nisi Dei et operatio ipsius.
Ratio autem liberalis dationis est amor qui, secundum Dionysium, IV
cap. de divin. Nomin. § 1, col 694 ; movet superiora ad
provisionem minus habentium. Et quia Spiritus sanctus est amor, ideo ipse est
ratio omnium eorum datorum quorum principium est divina voluntas, sicut sunt
omnia data creaturis. |
Il est clair cependant que ce
don dans lequel est recherchée une utilité du côté de celui qui donne ne se
retrouve jamais en Dieu ; c’est pourquoi on dit de lui [elle Éd.
de Parme] qu’il est exceptionnellement libéral car une utilité,
temporelle ou spirituelle, est recherchée dans celui qui donne chez tous les
autres donneurs. C’est pourquoi aucun acte de donner n’est purement libéral,
comme le dit Avicenne, si ce n’est celui de Dieu et son opération. Mais la raison
du don libéral est l’amour qui, selon Denys [Les Noms Divins, ch. IV,
& 1, col. 694] meut les êtres supérieurs à pourvoir à ceux qui possèdent
moins. Et parce que l’Esprit-Saint est amour, c’est pourquoi il est Lui-même
la raison de tous ces dons dont le principe est la divine volonté, comme tout
ce qui est donné aux créatures. |
[1437] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod philosophus intendit dicere, quod alteratio non
terminatur ad alterationem, per se loquendo ; non tamen intendit dicere, quod
una alteratio non possit esse causa alterius: et ita etiam unum donum potest
esse causa alterius [ et ita… alterius om. Ed. de Parme] et non
ibitur in infinitum, quia erit devenire ad primum donum quod datur per
seipsum, et non per aliud donum Spiritus sancti. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le Philosophe cherche à dire que le terme de l’altération, à
parler essentiellement, n’est pas l’altération ; cependant il ne cherche
pas à dire qu’une altération ne peut être la cause d’une autre
altération : et ainsi encore un don peut être la cause d’un autre don
[et ainsi… d’un autre om. Éd. de Parme] et alors on ne procédera
pas à l’infini car il faudra en venir à un premier don qui se donne par
lui-même et non par un autre don de l’Esprit-Saint. |
[1438] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod datio illa qua Pater dat essentiam Filio est datio ex
proprietate naturae ; unde ad illam dationem comparatur natura ut principium
et non voluntas, ut supra dictum est, dist. 15, quaest. 3, art. 1, et ideo
talis datio non est per Spiritum sanctum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que ce don par lequel le Père donne l’essence au Fils est un don à
partir d’une propriété de nature ; c’est pourquoi c’est la nature, et
non la volonté, qui se compare à ce don comme principe, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 3, art. 1] ; et c’est pourquoi
un tel don n’a pas lieu par l’Esprit-Saint. |
[1439] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis Spiritus sanctus non sit principium Filii, est tamen
principium effectus secundum quem Filius dicitur dari vel mitti: et ideo
etiam ipse Filius est datus per donum quod est Spiritus sanctus, scilicet per
amorem: unde dicitur Joan. 3, 16: sic Deus dilexit mundum ut Filium
suum unigenitum daret. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien que l’Esprit-Saint ne soit pas le principe du Fils, il est
cependant le principe de l’effet selon lequel on dit du Fils qu’il est donné
ou envoyé : et c’est pourquoi encore le Fils lui-même est donné par le
le don qu’est l’Esprit-Saint, à savoir par l’amour : c’est pourquoi on
lit [Jean, 3, 16] : Dieu a tant aimé le monde qu’il a
donné son Fils unique. |
[1440] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quamvis omnia dona et naturalia et gratuita, dentur
nobis a Deo per amorem, qui est primum donum, non tamen in omnibus donis
datur ipse amor, sed tantum in dono quod est similitudo illius amoris,
scilicet in dono caritatis. Cum enim dicitur, quod alia dona dantur per donum
amoris, qui est Spiritus sanctus, praepositio per non notat causam ex parte
recipientis, ut sit sensus: per hoc quod recipit donum amoris, recipit alia
dona: sed notat habitudinem causae ex parte dantis, qui per hoc quod amat
creaturam suam, omnia data dat. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que tous les dons, à la fois ceux qui sont naturels et ceux qui
sont reçus par pure grâce, nous viennent de Dieu par l’amour qui est le
premier don ; ce n’est cependant pas dans tous les dons que se donne
l’amour lui-même, mais seulement dans ce don qui est une similitude de cet
amour, à savoir dans le don de la charité. En effet, puisqu’il a été dit que
que les autres dons sont donnés par le don de cet amour qui est l’Esprit-Saint,
la préposition ¨par¨ ne désigne pas la cause du côté de celui qui reçoit, de
telle manière qu’on voudrait dire : par cela même qu’il reçoit le don de
l’amour, il reçoit les autres dons ; mais cette proposition indique un
rapport de causalité du côté de celui qui donne, lequel, par cela même qu’il
aime sa créature, lui donne tous les autres dons. |
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Articulus 4 [1441] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4
tit. Utrum eadem processione Spiritus sanctus habeat quod sit donum et Deus |
Article 4 – L’Esprit Saint tient-il de la même procession d’être don et Dieu ? |
[1442] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non eadem processione Spiritus sanctus
habeat quod sit Deus et quod sit donum. Non enim est eadem ratio communis et
proprii. Sed donum est proprium Spiritui sancto. Deus autem est commune. Ergo
non est idem donum et Deus. |
Difficultés : 1. Il semble que ce ne soit
pas de la même procession que l’Esprit-Saint tienne d’être Dieu et d’être
don. En effet, la raison commune n’est pas identique à la raison propre. Mais
le don est propre à l’Esprit-Saint alors que la divinité est commune aux
trois Personnes. Ce n’est donc pas pour la même raison que l’Esprit-Saint est
don et qu’Il est Dieu. |
[1443] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, quidquid habet Spiritus sanctus per processionem, secundum
rationem intelligendi consequitur ipsam processionem. Sed deitas non est
consequens processionem: quia non procedit neque per se neque per accidens,
sicut etiam non generatur. Ergo videtur quod Spiritus sanctus non habet per
processionem quod sit Deus. |
2. Par ailleurs, tout ce que
l’Esprit-Saint possède de par la procession découle de la procession
elle-même, conformément à la manière de comprendre. Mais la divinité ne
découle pas de la procession : car elle ne procède ni essentiellement,
ni accidentellement, tout comme aussi elle n’est pas engendrée. Il semble
donc que ce ne soit pas par sa procession que l’Esprit-Saint tienne d’être
Dieu. |
[1444] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 s. c. 1
Contra, Spiritus sanctus non est Deus, nisi inquantum habet deitatem. Sed per processionem
recipit totam deitatem a Patre. Ergo processione est Deus. |
Cependant: 1. Au
contraire, l’Esprit-Saint n’est Dieu qu’en tant qu’il possède la divinité.
Mais c’est par procession qu’il reçoit toute sa divinité du Père. C’est donc
par procession qu’il est Dieu. |
[1445] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod sicut in Filio est
significare proprietatem ejus per modum relationis, ut cum dicitur filiatio,
et per modum exitus vel emanationis, ut cum dicitur generatio passive, vel
nativitas ; ita esset etiam in Spiritu sancto, si nomina essent posita ; sed
propter defectum nominum utimur eodem nomine ad significandum emanationem
ipsius, et proprietatem vel relationem, scilicet nomine processionis. Dico igitur, quod processio potest dicere emanationem
Spiritus sancti, vel relationem sive proprietatem ejus |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout comme pour le Fils sa propriété doit être signifiée par le mode de
relation, comme lorsqu’on parle de filiation , ou par la modalité de sortie
ou d’émanation, comme lorsqu’on parle de génération passive ou de naissance,
il en serait de même pour l’Esprit-Saint si des noms avaient été posés ;
mais en raison d’un défaut de nom nous nous servons du même nom pour
signifier son émanation et sa propriété ou sa relation, à savoir du nom de
procession. Je dis donc que la procession peut dire l’émanation de l’Esprit-Saint
aussi bien que sa relation ou sa propriété. |
Si relationem vel proprietatem, sic Spiritus sanctus
proprietate sua, formaliter loquendo, est Spiritus sanctus et donum et amor,
non autem Deus, sicut nec Filius filiatione est Deus formaliter loquendo, sed
filiatione est Filius, et deitate Deus, et sapientia sapiens. Si dicat
emanationem, tunc potest dici, quod Spiritus sanctus sua processione est Deus
et donum, sicut etiam Filius sua nativitate est Filius et Deus ; sed
diversimode: quia deitas se habet ad generationem solum ut accepta per
generationem ; sed filiatio, secundum rationem intelligendi, est consequens
generationem. |
Si elle dit la relation ou la
propriété, alors l’Esprit-Saint, de par sa propriété, à parler formellement,
est à la fois don et amour, mais non pas Dieu ; tout comme le Fils, de
par sa filiation n’est pas Dieu formellement parlant, mais par la filiation
il est Fils, par sa divinité il est Dieu et par sa sagesse il est sage. Mais
si la procession disait l’émanation, alors on pourrait dire que
l’Esprit-Saint par sa procession est Dieu et don, tout comme aussi le Fils
par sa naissance est Fils et Dieu, mais d’une manière différente : car
la divinité se rapporte à la génération seulement comme reçue au moyen de la
génération ; mais la filiation, d’après la manière de la comprendre,
découle de la génération. |
Et simili ratione consequitur quod Filius nascendo
accipiat divinitatem ; et non solum ita quod gerundium importet
concomitantiam, ut cum [cum om. Éd. de Parme] dicitur de aliquo:
currendo est homo: sed importat ordinem ad acceptum, ut sit sensus: Filius
nascendo accepit deitatem ; idest, per nativitatem accepit divinitatem. Et
similiter est de processione Spiritus sancti. Haec autem plenius dicta sunt
supra, dist. 10, quaest. unic. art. 1. |
Et il s’ensuit pour la même
raison que le Fils en naissant reçoit la divinité ; et non seulement de
telle manière que le gérondif implique un accompagnement , comme lorsqu’on
[lorsque om. Éd. de Parme] dit de quelqu’un : l’homme en
courant ; mais se telle manière qu’il implique un ordre à l’égard de ce
qui est reçu, de telle manière que le sens soit le suivant : le Fils en
naissant reçoit la divinité, c’est-à-dire que c’est au moyen de la naissance
qu’Il reçoit la divinité. Et il en est de même au sujet de la procession de
l’Esprit-Saint. Mais nous avons parlé plus clairement de ces choses plus haut
[dist. 10, quest. unique, art. 1]. |
[1446] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod non eodem modo formaliter secundum rationem Spiritus
sanctus est Deus et donum ; sed per eamdem emanationem habet utrumque: quia
sicut Filius nihil habet nisi quod nascendo accepit, ita et Spiritus sanctus
nihil habet nisi quod procedendo accepit. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que selon la raison ce n’est pas de la même manière formellement parlant
que l’Esprit-Saint est à la fois Dieu et don ; mais c’est par la même
émanation qu’il tient d’être les duex : car tout comme le Fils ne
possède que ce qu’il a reçu en naissant, de même l’Esprit-Saint ne possède
que ce qu’il a reçu en procédant. |
[1447] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod essentia divina non accepit novum esse in Spiritu
sancto per processionem, cum unum et idem sit esse trium personarum ; et ideo
non procedit neque per se neque per accidens ; neque etiam processionem
consequitur ; sed hoc quod Spiritus sanctus habeat deitatem, convenit ei ex
sua processione. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’essence divine n’a pas reçu une nouvelle existence dans
l’Esprit-Saint par la procession, puisqu’il n’y a qu’une seule et même
existence pour les trois personnes ; et c’est pourquoi elle ne procède
si par essence ni par accident ; et elle ne découle pas non plus de la
procession ; mais le fait que l’Esprit-Saint possède la divinité, cela
lui appartient de par sa procession. |
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Articulus 5 [1448] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 tit. Utrum Spiritus sanctus possit dici donum nostrum |
Article 5 – Peut-on appeler l’Esprit Saint notre don ? |
[1449] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod
Spiritus sanctus possit dici donum nostrum. Donum enim dicitur secundum
respectum ad creaturam. Sed eis quae important respectum ad creaturam, potest
addi meum vel nostrum, ut creator noster. Ergo videtur quod Spiritus sanctus possit dici donum nostrum. |
Difficultés : 1. ll semble que
l’Esprit-Saint puisse être appelé notre don. Le don en effet se dit d’après
un rapport à la créature. Mais à ce qui implique un rapport à la créature, on
peut ajouter mon et notre, comme dans ¨notre créateur¨. Il semble
donc que l’Esprit-Saint puisse être appelé notre don. |
[1450] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 2 Item,
sanctus nihil adimit de ratione hujus quod dicitur spiritus. Sed dicitur
spiritus noster, ut Spiritus Eliae. Ergo videtur quod potest dici Spiritus
sanctus noster. |
2. En outre, ¨saint¨ n’enlève
rien de la signification de ce qu’on veut dire quand on dit ¨esprit¨. Mais on
dit notre esprit, comme l’Esprit d’Élie. Il semble donc qu’Il puisse être
appelé notre Esprit-Saint. |
[1451] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 3 Item,
sicut Filius importat relationem aeternam, a qua imponitur, ita et Pater. Sed
dicitur Pater noster. Ergo etiam potest dici Filius noster. |
3. De plus, tout comme le
Fils apporte avec Lui une relation éternelle par laquelle il est porté, il en
est de même pour le Père. Mais on dit ¨notre Père¨. On peut donc aussi dire
¨notre Fils¨. |
[1452] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 4
Praeterea, quidquid datur nobis, est nostrum. Sed Filius datus est nobis.
Ergo est Filius noster. |
4. Par ailleurs, tout ce qui
nous est donné est nôtre. Mais le Fils nous est donné. Donc le Fils est
nôtre. |
[1453] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 5
Praeterea, in Deo idem est deitas et Deus et sapientia et bonitas et omnia
hujusmodi. Sed dicitur Deus noster ; ergo etiam potest dici Deus sapientia nostra
vel essentia nostra. |
5. En outre, la divinité,
Dieu, la sagesse, la bonté et tous les caractères de cette sorte sont
identiques en Dieu. Mais on dit ¨notre Dieu¨ ; donc, Dieu peut aussi
être appelé notre sagesse ou notre essence. |
[1454] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 6 Sed e
converso videtur quod non potest dici Deus noster. In pronomine enim
nostrum vel meum, importatur aliqua habitudo vel relatio creatoris ad
creaturam. Sed Deus est nomen
absolutum et nomen naturae, ut dicit Ambrosius, lib. I De fide, cap.
1, col. 552. Ergo videtur quod non potest dici Deus noster. |
6. Mais au contraire il
semble qu’on ne puisse dire ¨notre Dieu¨. En effet, dans les pronoms ¨le
nôtre¨ et ¨le mien¨ est impliqué un rapport ou une relation du créateur à la
créature. Mais Dieu est un nom absolu et un nom de nature, comme le dit
Saint-Ambroise [De la Foi, livre 1, ch. 1, col. 552]. Il semble donc qu’on
ne puisse dire ¨notre Dieu¨. |
[1455] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod Deus non potest habere aliquam relationem ad nos, nisi per
modum principii. Cum autem causae sint quatuor, ipse non est causa materialis
nostra ; sed se habet ad nos in ratione efficientis et finis et formae
exemplaris, non autem in ratione formae inhaerentis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que Dieu ne peut avoir une relation à nous qu’à la manière d’un principe.
Mais comme il y a quatre causes, Il ne peut être notre cause
matérielle ; mais il se présente à nous sous le rapport d’une cause
efficiente, d’une fin et d’une forme exemplaire, mais non sous le rapport
d’une forme inhérente. |
Considerandum est igitur in nominibus divinis, quod
omnia illa nomina quae important rationem principii per modum efficientis vel
finis recipiunt additionem dictorum pronominum, sicut dicimus: creator noster
et bonum nostrum. Ea autem quae dicuntur per modum formae inhaerentis, non
recipiunt dictorum pronominum additionem ; et talia sunt nomina omnia divina,
quae in abstracto significantur, quae omnia significantur per modum formae,
ut essentia, bonitas et hujusmodi. Unde in talibus non potest fieri additio. |
Il faut donc considérer dans
les noms divins, que tous ces noms qui impliquent la relation de principe à
la manière d’une cause efficiente et d’une fin reçoivent d’addition de ces
pronoms dont on vient de parler, comme lorsque nous disons : notre
créateur et notre bien. Mais ceux qui se disent à la manière d’une forme
inhérente ne reçoivent pas l’addition de ces pronoms ; et tels sont tous
les noms divins qui signifient dans l’abstrait, lesquels signifient tous à la
manière d’une forme, comme l’essence, la bonté et les caractères de cette
sorte. C’est pourquoi il ne peut y avoir dans ces cas l’addition de ces
pronoms. |
Non enim possum dicere, quod Deus sit essentia nostra
vel substantia vel aliquid hujusmodi. Tamen in istis nominibus considerandus
est quidam ordo. Quia quaedam horum abstractorum important rationem principii
efficientis et exemplaris, ut sapientia et bonitas et hujusmodi, quando fit
additio dictorum pronominum, ut cum dicimus, Deus est sapientia nostra
causaliter, per modum quo dicitur spes nostra: quia per ejus sapientiam
efficitur in nobis sapientia exemplata a sua sapientia, per quam sapientes
sumus formaliter. Quaedam autem non important rationem principii, nisi forte
exemplaris, et talibus non consuevit fieri dicta additio. Non enim consuetum
est dici, quod Deus sit essentia nostra, vel substantia nostra. Tamen etiam
quandoque istis nominibus fit talis additio propter habitudinem principii
exemplaris: sicut Dionysius dicit, IV cap. cael. hier. § 1,
quod esse omnium est superesse deitatis ; licet hujusmodi locutiones magis
sint exponendae quam extendendae. |
Je ne peux dire en effet que
Dieu est notre essence, notre substance ou quelque chose de la sorte.
Cependant dans ces noms il y a un ordre à considérer. Car certains de ces
noms abstraits comportent le rapport de principe efficient et exemplaire,
comme la sagesse, la bonté et les autres quand il y a addition de ces
pronoms, comme lorsque nous disons que Dieu est notre sagesse à titre de
cause, à la manière par laquelle nous disons de Lui qu’il est notre
espoir : car c’est au moyen de sa sagesse qu’une imitation de la sagesse
est produite en nous par sa sagesse et par laquelle nous sommes formellement
sages. Mais d’autres ne comportent pas le rapport de principe, si ce n’est
peut-être le rapport de principe exemplaire et pour eux il n’est pas coutume
qu’il y ait une telle addition. Il n’est pas coutume en effet de dire que
Dieu est notre essence ou notre substance. Cependant il arrive aussi parfois
qu’il y ait une telle addition à cause du rapport de principe
exemplaire : tout comme Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. IV,
&1] dit que la supra-existence de Dieu est l’existence de tous les êtres,
bien qu’on doive davantage expliquer de telles expressions que les répandre. |
[1456] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod donum importat quamdam relationem in actu,
scilicet ad dantem, et quamdam solum in aptitudine, quantum est in ratione
sui nominis, scilicet ad eum cui datur ; et ideo potest semper dici donum
dantis ; sed non est ejus cui datur, nisi quando sibi est datum in actu ; et
propter hoc dicimus datum nostrum et non donum nostrum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le don implique une relation en acte, à savoir par rapport à
celui qui le donne, et une seulement dans l’aptitude quant à la signification
de son nom, à savoir par rapport à celui à qui il est donné ; et c’est
pourquoi on peut toujours dire qu’il est le don de celui qui donne et non pas
qu’il est le don de celui à qui il est donné, si ce n’est quand il lui est
donné en acte ; et c’est pour cette raison que nous disons notre donné
et non pas notre don. |
[1457] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Spiritus sanctus est quaedam circumlocutio inventa ad
exprimendum personam Spiritus sancti: ipse autem, inquantum est persona
subsistens, non importat relationem principii, sed magis ejus qui est a
principio ; et ideo non potest dici Spiritus sanctus noster ; sed Spiritus
importat rationem principii, inquantum a spiritu est inspiratio, propter quod
potest dici Spiritus noster. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’Esprit-Saint est une expression inventée pour exprimer la personne
de l’Esprit-Saint : mais Lui-même, en tant qu’Il est une personne
subsistante, n’implique pas la relation de principe mais plutôt de ce qui
vient du principe ; et c’est pourquoi il ne peut être appelé notre
Esprit-Saint ; mais il comporte la notion de principe, pour autant que
c’est pas l’Esprit qu’il y a inspiration, pour laquelle il peut être appelé
notre Esprit. |
[1458] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod Pater importat rationem principii, Filius autem non,
sed magis ejus quod est a principio ; et ideo non potest dici Filius noster,
sicut dicitur Pater noster ; quamvis etiam non dicatur Pater noster, prout
imponitur nomen a paternitate aeterna: sic enim est Pater solius Filii
naturalis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le Père implique le rapport de principe mais non le Fils qui
implique plutôt le rapport de ce qui vient du principe ; et c’est pourquoi
il ne peut être appelé notre Fils, comme on dit notre Père, bien qu’il ne
puisse aussi être appelé notre Père pour autant que le nom est imposé en
partant d’une paternité éternelle : en ce sens en effet il n’est le Père
que du seul Fils naturel. |
[1459] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quamvis Filius datus sit nobis, non tamen datus est
nobis in Filium, sed in doctorem vel salvatorem ; et ideo potest dici
salvator noster, sed non filius noster. Et si objiciatur: est Filius et est
noster ; ergo est filius noster, patet quod est fallacia accidentis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que le Fils nous soit donné, il ne nous est cependant pas donné
en tant que Fils, mais en tant que maître ou sauveur ; et c’est pourquoi
il peut être appelé notre sauveur et non notre Fils. Et si on objecte qu’il
est Fils, qu’il est nôtre, et qu’il est donc notre Fils, il est clair qu’il
s’agit d’un sophisme de l’accident. |
[1460] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sapientia in abstracto
significata [significata om. Éd. de Parme]significat
id quo aliquis est formaliter sapiens ; et propter hoc ratione praedicta non
potest proprie dici quod sit sapientia, nisi per modum qui dictus est, in
corp. art. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la sagesse signifiée dans l’abstrait [signifiée om. Éd. de
Parme] signifie ce par quoi quelqu’un est formellement sage ; et à
cause de cela, pour la raison que nous avons dite, on ne peut proprement dire
qu’il soit la sagesse, si ce n’est de la manière que nous avons dite dans le
corps de l’article. |
[1461] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 6 Ad
ultimum dicendum, quod Deus, quamvis significet essentiam divinam quantum ad
id cui imponitur, tamen quantum ad id a quo imponitur nomen, significat
operationem, ut supra dictum est ex verbis Damasceni. Et ideo potest dici
Deus noster. Tamen diversimode potest dici Deus omnium et justorum ; Deus
enim dicitur omnium propter relationem principii, inquantum scilicet est
creator omnium ; dicitur autem Deus justorum specialiter, secundum rationem
finis quem contingunt ; et ideo dicitur etiam ab eis haberi. Alia enim licet
ordinentur in ipsum sicut in finem, non tamen consequuntur ipsum, nisi justi
qui conjunguntur sibi per gratiam et gloriam: et ideo etiam omnium communiter
dicitur vel finis vel aliquid hujusmodi ; sed absolute dicitur de justis quia
Deus est eorum, quia habent ipsum sicut suam hereditatem, et per quemdam
modum possessionis. |
6. Il faut dire finalement
que le nom de Dieu, bien qu’il signifie l’essence divine quant à celui à qui
il est imposé, cependant quant à celui par qui le nom a été imposé, ce nom
signifie l’opération, ainsi que nous l’avons dit plus haut en nous appuyant
sur les paroles de Damascène. Et c’est pourquoi Il peut être appelé notre
Dieu. C’est cependant d’une manière différente qu’il peut être appelé le Dieu
de tous et le Dieu des justes ; on dit en effet qu’Il est le Dieu de
tous à cause de la relation de principe, à savoir pour autant qu’Il est le créateur
de tous ; mais il est appelé le Dieu des justes d’une manière spéciale,
selon la raison de fin qu’ils atteignent ; et c’est pourquoi on dit
encore qu’Il est possédé par eux. Les autres en effet, bien qu’ils soient
ordonnés à lui comme à leur fin cependant ils n’y parviennent pas, sauf les
justes qui Lui sont unis par la grâce et la gloire : et c’est pourquoi
on dit encore généralement de lui qu’il est la fin de tous ou quelque chose
de cette sorte ; mais c’est d’une manière absolue qu’on L’attribue aux
justes, car Dieu appartient à ceux qui le possèdent comme leur héritage et à
la manière d’une certaine propriété. |
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Distinctio 19 |
Distinction 19 – [Les personnes divines, leurs relations, leur égalité] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur duo. Primo de aequalitate. Secundo de illis in quibus
attenditur aequalitas. Circa
primum quaeruntur duo: 1
an in divinis sit aequalitas ; 2
an ibi sit mutua aequalitas. |
On s’interroge ici sur deux
choses. En premier lieu sur
l’égalité. En deuxième lieu sur les
choses dans lesquelles on observe l’égalité. Et au sujet du premier point
on se demande deux choses : 1. Y a-t-il égalité chez les
personnes divines ? 2. Est-ce qu’il y a là une
égalité réciproque ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L’égalité des personnes divines] |
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Articulus 1 [1464] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 tit. Utrum
aequalitas sit in divinis |
Article 1 – Y a-t-il de l’égalité en Dieu ? |
[1465]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod aequalitas non sit in divinis. Sicut enim dicit philosophus V Métaph.,
c XV, unum in quantitate facit aequale. Sed in Deo non est quantitas, ut supra
dixit Augustinus V De Trin., cap. 1, quod est sine
quantitate magnus. Ergo videtur quod non sit aequalitas ibi. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas égalité en Dieu. En effet, ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique,
ch. XV], c’est l’unité dans la quantité qui fait l’égalité. Mais il n’y a pas
de quantité en Dieu ainsi que l’a dit Saint-Augustin plus haut [V De la Trinité,
ch. 1], en disant qu’Il est grand mais sans la quantité. Il semble donc qu’il
n’y ait pas d’égalité en Dieu. |
[1466] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid est in divinis de absolutis,
significat divinam substantiam. Sed secundum unitatem substantiae attenditur
identitas, et non aequalitas. Ergo videtur quod per hoc quod probatur una
essentia trium personarum, magis probetur identitas quam aequalitas. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
se trouve dans les caractères absolus en Dieu signifie la substance divine.
Mais selon l’unité de la substance c’est l’identité qui est attendue et non
l’égalité. Il semble donc qu’on prouve une seule essence pour trois
personnes, c’est davantage l’identité que l’égalité qui est prouvée. |
[1467] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, qualitas magis se habet ad spiritualia quam
quantitas: quia quaedam species qualitatis, ut scientia et virtus et
hujusmodi, inveniuntur in substantiis spiritualibus ; non autem species
quantitatis, nisi forte numerus, secundum quem non attenditur haec aequalitas
personarum. Ergo cum secundum qualitatem potius sit similitudo quam
aequalitas, videtur quod ista convenientia in essentialibus magis dicenda sit
similitudo quam aequalitas. |
3. En outre, c’est davantage
la qualité que la quantité qui se rapporte aux réalités spirituelles :
car certaines espèces de qualité, comme la science, la vertu, et d’autres de
la sorte, se retrouvent dans les substances spirituelles, mais on n’y
retrouve pas des espèces de la quantité, si ce n’est peut-être le nombre qui
ne s’applique pas à l’égalité des personnes. Donc
puisque selon la qualité il y a davantage similitude
qu’égalité, il semble que cette ressemblance dans les termes essentiels doive
danvantage être appelée similitude qu’égalité. |
[1468] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis aequalitas dicit proportionem et
commensurationem quamdam. Sed infinitorum non est aliqua commensuratio nec
proportio. Cum igitur divinae personae infinitae sint, non videtur in eis
esse aequalitas. |
4. De plus, toute égalité dit
une proportion et une certaine égalité de mesure. Mais il n’y a ni égalité de
mesure ni proportion à l’égard de ce qui est infini. Donc, puisque les
personnes divines sont infinies, il ne semble pas qu’il y ait entre elles
égalité. |
[1469] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium, est quod in symbolo Athanasii
dicitur: et totae tres personae coaeternae sibi sunt
et coaequales. |
Cependant : 1. On dit le contraire dans
le symbole de Saint-Athanase : Les trois Personnes sont
coéternelles et égales entre elles. |
[1470]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dicit
philosophus, loc. cit., unum in substantia facit idem, unum
in quantitate aequale, unum in qualitate facit simile. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que, comme le dit le Philosophe dans la citation
précédente, l’un dans la substance fait l’identité, l’un dans la quantité
fait l’égalité et l’un dans la qualité fait le semblable. |
Quamvis autem in divinis
non sit qualitas vel quantitas secundum communem rationem generis, sunt tamen
ibi aliquae species qualitatis secundum proprias rationes suas, quantum ad
differentias constitutivas ; et similiter aliquae species quantitatis
secundum id quod est proprium eis, ut magnitudo et duratio: et ideo ratione
eorum dicitur in divinis aequalitas et similitudo. |
Mais bien que dans les
personnes divines il n’y ait pas de qualité ou de quantité selon la notion
commune de genre, il y a cependant là certaines espèces de qualité selon les
notions qui leur sont propres, quant aux différences
constitutives ; et de même il y a certaines espèces de quantité selon ce
qui leur est propre, comme la grandeur et la durée : et c’est pourquoi
c’est en raison d’elles qu’on dit qu’il y a en Dieu égalité et similitude. |
Sicut autem ea quae
significantur per modum qualitatis, ut sapientia et hujusmodi, non sunt aliud
secundum rem ab essentia, sed solum secundum rationem ; ita etiam similitudo
et identitas in divinis differunt secundum rationem et non secundum rem, et
similiter est de aequalitate. |
Mais tout comme les
caractères qui sont signifiés à la manière d’une qualité, comme la sagesse et
d’autres de cette sorte, ne diffèrent pas de l’essence selon la chose mais
seulement selon la raison, de même encore la similitude et l’identité chez
les personnes divines diffèrent selon la raison et non selon la chose, et il
en est de même pour l’égalité. |
Et inde est quod
diversimode invenitur aequalitas et similitudo in divinis personis et in aliis
rebus. In aliis enim aequalibus non est eadem quantitas secundum essentiam,
sed solummodo secundum commensurationem ; et similiter una qualitas secundum
speciem ; quia in eis est aliud qualitas et essentia, quae respicit esse
sicut actum proprium. |
Et c’est de là que l’égalité
et la similitude se retrouvent différemment dans les personnes divines et
dans les autres choses. En effet, dans les autres choses qui sont égales, la
quantité n’est pas la même selon l’essence mais seulement selon l’égalité de mesure ;
et de la même manière la qualité est une selon l’espèce ; car en elles
la qualité est autre que l’essence, laquelle s’intéresse à l’existence comme
à l’acte qui lui est propre. |
Qualitas autem vel
quantitas non dicitur per respectum ad esse, sed tantum dicunt quidditatem
alicujus generis. Unde potest dici una quantitas ubi non est unum esse ; sed
non potest dici una essentia absolute, nisi ubi est unum esse ; et hoc est
ubi est eadem essentia secundum numerum. |
Mais la qualité ou la
quantité ne se disent pas par rapport à l’existence, mais elles disent
seulement la quiddité d’un genre. C’est pourquoi on peut parler d’une seule
et même quantité là où il n’y a pas une seule existence ; mais on ne
peut parler d’une seule et même essence absolument que là où il n’y a qu’une
seule et même existence ; et cela ne se rencontre que là où il y a une
seule et même essence selon le nombre. |
[1471] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod aequalitas non causatur
ex uno in quantitate solum secundum rationem quantitatis communem, sed etiam
secundum rationem alicujus speciei quantitatis. Ad rationem enim aequalitatis
sufficit quod sit unitas numeri, vel etiam temporis. Et ita cum in divinis
sit ratio aliquarum specierum quantitatis, potest ibi esse aequalitas
proprie. Sed quia quod invenitur in pluribus, convenit eis secundum id quod
est eis commune, et non secundum quod est eis proprium: ideo potest melius
dici, quod aequalitas consequitur rationem quantitatis in communi, quae
consistit in quadam divisibilitate: unde ratio quantitatis invenitur proprie
in illis quae secundum se dividuntur ; et sic Deo non convenit. Invenitur
etiam quodammodo in illis quorum divisio attenditur secundum ea quae
extrinsecus sunt, sicut virtus dicitur divisibilis et quantitatis rationem
habens ex ratione et divisione actuum et objectorum. Et talis ratio
quantitatis, scilicet virtualis, Deo convenit, et per consequens aequalitas. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que l’égalité n’est pas causée par l’un dans la quantité seulement selon
la définition universelle de la quantité, mais aussi selon la définition
d’une espèce particulière de quantité. Il suffit en effet à la définition de
l’égalité qu’il y ait unité de nombre ou même de temps. Et ainsi puisqu’il y
a raison de poser en Dieu certaines espèces de quantité, il peut y avoir là
égalité à proprement parler. Mais parce que ce qu’on retrouve en plusieurs
leur convient selon ce qui leur est commun et non selon ce qui leur est
propre, c’est pourquoi, pour mieux s’exprimer, l’égalité découle de la
définition commune de la quantité qui consiste en une certaine
divisibilité : c’est pourquoi la notion de quantité se retrouve
proprement dans les choses qui sont divisibles en elles-mêmes ; et en ce
sens la quantité ne convient pas à Dieu. Mais la notion de quantité se
retrouve aussi dans les choses dont la division se vérifie selon ce qui est
extérieur, tout comme on dit de la puissance qu’elle est divisible et qu’elle
a raison de quantité en raison de la division de ses actes et de ses objets.
Et une telle notion de la quantité, à savoir de celle qui se rapport à la
puissance, convient à Dieu, et par conséquent l’égalité aussi. |
[1472]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratione
jam dicta, dist. 9, patet quod identitas ponit unitatem in essentia secundum
numerum: et quia in rebus creatis, ex quarum consideratione nomina imponimus,
etiam illa quae de Deo praedicantur, unitas essentiae non est nisi in eodem
supposito ; ideo identitas nullam importat distinctionem in supposito ; sed
magis unitatem. Unde Filius non potest dici, masculine loquendo, idem Patri,
sed neutraliter tantum ; ut unitas ad essentiam referatur. Aequalitas vero et
similitudo, quae important unitatem quantitatis vel qualitatis non secundum
essentiam vel esse, quantum est de sui significatione, non important unitatem
quantitatis vel qualitatis in numero ; sed sufficit quod sint idem specie.
Haec autem unitas est in diversis suppositis: et ideo aequalitas et similitudo
simul cum unitate important distinctionem: et propter hoc dicimus Filium
similem Patri vel aequalem ; non tamen eumdem. Et inde est quod potius
Magister de aequalitate quam de identitate determinavit, dist. 9, quia in
identitate importatur tantum unitas essentiae. Nec etiam secundum quemlibet
modum divinis personis competit, scilicet masculine ; sed in aequalitate
importatur utrumque ; et unitas essentiae per modum quantitatis significatae,
et personarum distinctio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que pour la raison que nous avons déjà dite antérieurement (distinction
neuf), il est clair que l’identité pose l’unité dans l’essence selon le
nombre : et parce que dans les choses créées l’unité de l’essence
n’existe que dans un même suppôt, puisque nous imposons les noms, même ceux
que nous attribuons à Dieu, à partir de la considération de ces choses, c’est
pourquoi l’identité n’implique en elle-même aucune distinction dans le
suppôt, mais plutôt l’unité. De là on ne peut dire du Fils, en parlant au
masculin, qu’il est identique au Père, mais seulement en parlant au neutre,
de telle manière que l’unité se rapporte à l’essence. Mais l’égal et le
semblable, qui n’impliquent pas l’unité de la quantité ou de la qualité selon
l’essence ou l’existence quant à leur signification, n’impliquent pas l’unité
de la quantité ou de la qualité selon le nombre, mais il suffit qu’ils soient
identiques selon l’espèce. Mais cette unité a lieu dans des suppôts
différents : et c’est pourquoi l’égal et le semblable impliquent une
distinction simultanément avec l’unité : et c’est pour cette raison que
nous disons du Fils qu’il est semblable ou égal au Père, mais non qu’il lui
est identique. Et c’est de là que le Maître traita plutôt de l’égalité que de
l’identité (distinction neuf) car l’identité implique seulement l’unité de
l’essence. Et ce n’est pas de n’importe quelle manière qu’elle convient aux
personnes divines, c’est-à-dire au masculin ; mais l’égalité implique
les deux, à savoir à la fois l’unité de l’essence à la manière d’une quantité
signifiée et la distinction des personnes. |
[1473] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in similitudine
similiter importetur utrumque, ut patet ex verbis Hilarii, in 2 distinct.
positis quod similitudo sibi ipsi non est, tamen aequalitas addit aliquid
supra similitudinem, et includit eam, quando dicitur de divinis personis. Cum
enim in divinis non nisi quantitas sit virtutis, quae fundatur in qualitate,
in unitate talis quantitatis ponitur unitas qualitatis, et privatur
intensionis excessus, ut patet: quia quaecumque aequalia sunt in colore, sunt
etiam similia, sed non convertitur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien que le semblable implique également les deux, comme on le voit
à partir des paroles de Saint-Hilaire présentées (distinction deux) plus
haut, à savoir que le semblable n’est pas semblable à lui-même, cependant
l’égal ajoute quelque chose au semblable et le contient quand il se dit des
Personnes divines. En effet, puisqu’en Dieu il n’y a comme quantité que celle
qui appartient à la puissance qui se fonde sur la qualité, il faut poser
l’unité de la qualité dans l’unité d’une telle quantité et cette dernière est
exempte d’une différence de degrés, ainsi qu’on le voit : car tout ce
qui est égal dans une même couleur est aussi semblable, mais tout ce qui a
une couleur semblable n’est pas nécessairement égal dans l’intensité de cette
couleur. |
[1474] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aequalitas est species
proportionis: est enim aequalitas proportio aliquorum habentium unam
quantitatem. Dico igitur de aequalitate, sicut de quibusdam aliis, quod
praedicatur de Deo quantum ad rationem differentiae, quod est habere unam
quantitatem, et non quantum ad rationem generis, quae consistit in
commensuratione quantitatis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’égalité est une espèce de proportion : l’égalité en effet est
la proportion par rapport à des choses qui possèdent une même quantité. Je
dis donc de l’égalité, comme de certaines autres choses, qu’elle s’attribue à
Dieu quant à la raison de différence qui est de posséder une même quantité,
et non quant à la raison de genre qui consiste dans la proportion de la
quantité. |
Unde
dico, quod divina magnitudo nullo modo est mensurabilis vel mensurata nec ab
alio nec a se. Primo, quia
mensuratio ponit terminationem, et divina magnitudo non habet terminum intra
nec extra ; et ideo infinita dicitur, non quidem per extensionem privative,
sed per negationem termini. Secundo, quia commensuratio non
est unius quantitatis ad se, sed duarum ; et nulla alia magnitudo potest esse
aequalis sibi. Pater autem et Filius non habent aliam et aliam magnitudinem,
sed unam et eamdem, secundum quam aequales dicuntur ; et ita divinae
magnitudini nihil diversum ab ipsa commensuratur. Tertio, quia sicut omnis motus
reducitur ad movens quod non est motum neque a se neque ab alio: ita omnis
mensuratio reducitur ad unum primum quod nullo modo est mensuratum, sed est
omnium mensura ; et hoc Deus est, ut etiam Commentator dicit (X Metaph.,
text. 17). |
C’est pourquoi je dis que la
grandeur divine n’est en aucune manière mesurable ou mesurée, ni par un autre
ni par elle-même. Premièrement parce que la mesure
pose un terme et que la grandeur divine n’a de terme ni en elle-même ni à
l’extérieur d’elle-même ; et c’est pourquoi on dit d’elle qu’elle est
infinie, non pas certes à la manière d’une privation, par extension, mais par
la négation d’une terme. Deuxièmement parce que la proportion
n’appartient pas à une seule quantité par rapport à elle-même, mais à
deux ; et aucune autre grandeur ne peut être égale à elle-même. Mais le
Père et le Fils ne possèdent pas une telle et une autre grandeur, mais une
seule et même grandeur d’après laquelle ils sont dits égaux ; et ainsi
il n’y a rien d’autre qu’elle qui soit proportionné à la grandeur divine. Troisièmement parce que tout comme
tout mouvement se ramène au moteur qui n’est mû ni par lui-même ni par un
autre, de même toute mesure se ramène à un premier principe unique qui n’est
mesuré en aucune manière mais qui est la mesure de tout le reste. Et ce
premier principe est Dieu comme le dit aussi le Commentateur [X Métaphysique,
texte 17]. |
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Articulus 2 [1475] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 tit. Utrum
aequalitas in divinis sit mutua |
Article 2 – L’égalité en Dieu est-elle réciproque ? |
[1476]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non sit ibi
mutua aequalitas. Ita enim dicit Dionysius cap. IX [cap. X, Éd. de
Parme] De div. Nom. § 6, col. 914) quod in causa et in
causatis non recipimus conversionem similitudinis et aequalitatis. Sed
quamvis in divinis personis non sit causa et causatum, est tamen ibi
principium et quod est de principio. Ergo videtur quod Filius, qui est a Patre
sicut a principio, sit similis et aequalis Patri, sed non e converso. |
Difficultés : 1. Il semble que l’égalité ne
soit pas mutuelle en Dieu. C’est ne ce sens en effet que parle Denys [1X (X
Éd. de Parme) Les Noms Divins, &6, col. 914], lorsqu’il dit
qu’il ne faut pas admettre la conversion du semblable et de l’égal dans la
cause et les effets. Mais bien qu’en Dieu il n’y ait pas de cause et
d’effets, il y a cependant là un principe et ce qui vient du principe. Il
semble donc que le Fils, qui vient du Père comme de son principe, soit
semblable et égal au Père, mais non inversement. |
[1477] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, unumquodque est aequale illi quo non est
minus ; et nihil est aequale illi quo est majus. Sed supra, distinct. 16, dicit
Hilarius IX De Trin.,§ 54 : « Filius non est minor
Patre, et tamen Pater est major Filio ». Ergo Filius est aequalis
Patri, sed non e converso. |
2. Par ailleurs, chacun est
égal à celui dont il n’est pas plus petit ; et nul n’est égal à celui
dont il est plus grand. Mais plus haut (distinction 16), Saint Hilaire
[1X De la Trinité, & 54] dit : ¨Le Fils n’est pas
plus petit que le Père, et cependant le Père est plus grand que le Fils¨.
Donc le Fils est égal au Père mais non inversement. |
[1478] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, cum nihil sibiipsi sit aequale, omne quod
aequale dicitur praesupponit aliquid cui aequale dicatur. Sed Filius secundum
ordinem naturae praesupponit Patrem, non autem Pater praesupponit aliquid.
Ergo videtur quod Filius sit aequalis Patri, et non e converso. |
3. En outre, puisque rien
n’est égal à soi-même, tout ce qui se dit égal présuppose quelque chose par
rapport à quoi il est dit égal. Mais le fils présuppose le Père selon l’ordre
de nature, alors que le Père ne présuppose rien. Il semble donc que le fils
soit égal au Père et non inversement. |
[1479] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in symbolo Athanasii dicitur: « Tres
personae coaeternae sibi sunt et coaequales ». Ergo
est ibi mutua aequalitas. |
Cependant : 1. On dit le contraire dans
le symbole d’Athanase : ¨Les trois personnes sont coéternelles et
égales entre elles¨. Il y a donc là une égalité réciproque. |
[1480]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum aequalitas
fundetur in unitate quantitatis, idem est aliquid esse aequale alicui, quod
habere quantitatem illius ; et esse simile, quod habere qualitatem illius.
Qualitas autem alicujus dicitur quam proprie et plene habet. Contingit autem
quandoque quod qualitas illa perfecta est in utroque: unde utriusque dici
potest: et secundum hoc in talibus potest dici quod utrumque alteri simile
est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
puisque l’égalité se fonde sur l’unité de la quantité, qu’affirmer qu’une
chose soit égale à une autre, c’est la même chose que de dire qu’elle possède
sa quantité ; et lui être semblable, c’est la même chose que de posséder
sa qualité. Mais on appelle qualité d’une chose ce qu’elle possède proprement
et pleinement. Mais il arrive parfois que cette qualité soit parfaite dans
les deux sujets : c’est pourquoi elle peut se dire des deux : et
d’après cela dans ces cas on peut dire que chacun des deux est semblable à
l’autre. |
Quandoque autem qualitas
aliqua est proprie et plene in uno, et in alio est tantum quaedam imitatio
illius, secundum aliquam participationem: et tunc illa qualitas non dicitur
utriusque, sed ejus tantum quod eam [non add. Ed. de Parme] plene
possidet. Et tunc illud quod non plene habet, dicetur simile ei quod plene habet,
et non e converso: ut si dicamus quod pictura est similis homini, et non e
converso. Non enim dicitur quod homo sit similis suae imagini, proprie
loquendo. |
Mais parfois une qualité est
proprement et pleinement dans l’un et dans l’autre il y a seulement une
certaine imitation de cette qualité suivant une certaine participation :
et alors on ne dit pas que cette qualité appartient aux deux, mais seulement
à celui qui [ne add. Éd. de Parme] la possède pleinement. Et
alors on dira de celui qui ne la possède pas pleinement qu’il est semblable à
celui qui la possède pleinement, mais non inversement, comme lorsque nous
disons que l’image de l’homme est semblable à l’homme et non inversement. On
ne dit pas en effet, à proprement parler, que l’homme est semblable à son
image. |
Ulterius, assimilari, supra
hoc quod est similem esse, ponit quemdam motum et accessum ad unitatem
qualitatis, et similiter, adaequari, ad quantitatem. In divinis autem
personis non est aliquis motus ; sed loco motus est ibi acceptio, prout
dicitur una persona ab alia accipere: unde non potest esse assimilatio vel
adaequatio, nisi secundum rationem acceptionis. Dico igitur, quod quia
magnitudo vel bonitas est plene in qualibet divinarum personarum, quaelibet
persona potest dici aequalis vel similis alii. |
Par la suite, être assimilé
ajoute à l’idée d’être semblable la notion d’un mouvement et d’un
rapprochement de l’unité de la qualité et de la même manière, être égalé
ajoute à l’idée d’être égal la notion d’un mouvement et d’un rapprochement de
l’unité de la quantité. Mais il n’y a pas de mouvement dans les personnes
divines et au lieu du mouvement il y a là réception, selon qu’on dit d’une
personne qu’elle reçoit d’une autre : c’est pourquoi il ne peut y avoir
là assimilation ou égalisation que d’après la notion de réception. Je dis
donc que parce que la grandeur ou la bonté existe en plénitude dans chacune
des personnes divines, chaque personne peut être dite égale ou semblable à
l’autre. |
Sed quia una persona
accipit ab alia et non e converso, ideo persona accipiens potest dici
adaequari vel assimilari illi personae a qua accipit, et non e converso.
Concedimus igitur inter Patrem et Filium esse mutuam similitudinem vel
aequalitatem: quia Pater est similis Filio, et e converso: non autem mutuam
adaequationem vel assimilationem: quia Filius adaequatur Patri et
assimilatur, et non e converso. |
Mais parce qu’une personne
reçoit d’une autre et non inversement, c’est pourquoi on peut dire de cette
personne qui reçoit qu’elle est égalée ou assimilée à cette personne de qui
elle reçoit et non inversement. Nous concédons donc qu’il y a entre le Père
et le fils une similitude ou une égalité réciproque : parce que le Père
est semblable au fils et inversement ; mais non pas qu’il y a assimilation
ou adéquation réciproque : car le Fils est rendu égal au Père et lui est
assimilé et non inversement. |
[1481] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Dionysius loquitur in
causatis illis quae non perfecte recipiunt similitudinem suae causae, quod
non est in divinis personis, quia tota plenitudo Patris est in Filio: et ideo
potest dici mutua similitudo vel aequalitas. Unde Dionysius dicit, quod in
coordinatis, idest aequalibus, possibile est similia sibi invicem esse, et
convertere ad alterutrum similitudinem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que Denys parle ici de ces effets qui ne reçoivent pas
parfaitement la similitude de leur cause, ce qui n’est pas le cas pour les
personnes divines, car toute la plénitude du Père est dans le Fils : et
c’est pourquoi dans ce cas on peut parler de similitude ou d’égalité
réciproque. C’est pourquoi Denys dit que pour ce qui est des choses
coordonnées, c’est-à-dire égales, il est possible qu’elles soient semblables
entre elles et que la similitude se convertisse d’un côté ou de l’autre. |
[1482] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per hoc quod dicitur Pater
major Filio, non ponitur aliquis gradus magnitudinis, sed tantum ordo
auctoritatis. Unde per hoc non removetur mutua
aequalitas, sed tantum mutua adaequatio. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que du fait qu’on dise que le Père est plus grand que le Fils, on ne
pose pas un degré de grandeur mais seulement un ordre d’autorité. C’est
pourquoi on n’exclut pas par là une égalité réciproque, mais seulement une
réciproque action d’égaler. |
[1483] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas non de necessitate
praesupponit aliquid aliud, sed supponit. Unde non oportet quod illud quod
dicitur aequale, habeat aliquem ordinem vel prioritatis vel principii ad
illud cui aequale dicitur, vel e converso. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’égalité ne présuppose pas nécessairement quelque chose d’autre,
mais elle le suppose. C’est pourquoi il ne faut pas que ce qu’on dit être
égal ait un ordre de priorité ou de principe par rapport à ce à quoi il est
dit égal, ou inversement. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Ce en quoi l’égalité des personnes divines est atteinte] |
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Prooemium |
Prologue |
[1484] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 pr. Deinde quaeritur de illis in quibus attenditur illa aequalitas
; et circa hoc quaeruntur duo. Primo de
aeternitate. Secundo
de magnitudine: quia de potentia infra, distinct. 43, quaest. 1, art. 1,
quaeretur. De aeternitate,
praeter ea quae supra, dist. 8, quaesita sunt, duo quaeruntur: 1 quid
sit aeternitas secundum rem ; 2 quomodo
se habeat nunc aeternitatis ad aeternitatem. |
On s’interroge ensuite sur
les choses sur lesquelles se vérifie cette égalité ; et à ce sujet on
s’interroge sur deux choses. En premier lieu sur
l’éternité. En deuxième lieu sur la
grandeur : car on s’interrogera plus loin sur la puissance [dist. 43,
quest. 1, art. 1]. Sur l’éternité, en plus des
choses que nous avons examinées plus haut (dist. 8), on soulève deux
questions : 1. Qu’est-ce que l’éternité
en elle-même ? 2. Comment se rapporte
l’instant de l’éternité à l’éternité ? |
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Articulus 1 [1485] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 tit. Utrum aeternitas sit substantia Dei |
Article 1 – L’éternité est-elle la substance de Dieu ? |
[1486]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aeternitas non
sit ipsa divina substantia. Nihil enim est causa sui ipsius. Sed Deus est
auctor aeternitatis, ut dicit Augustinus lib. LXXXQuaest., qu.
XXIII, col. 16 et est etiam ante aeternitatem, sicut causa ejus, ut dicitur
lib. De causis, prop. 2. Ergo videtur quod aeternitas non
sit ipse Deus. |
Difficultés : 1. Il semble que l’éternité
ne soit pas la substance même de Dieu. En effet, rien n’est cause de
soi-même. Mais Dieu est l’auteur de l’éternité, ainsi que le dit
Saint-Augustin [Livre Des Quatre-vingt-trois questions, quest.
XXIII, col. 16], et il est même antérieur à l’éternité en tant que cause de
cette dernière ainsi qu’on le dit dans le Livre Des Causes, à la
proposition 2. Il semble donc que l’éternité ne soit pas Dieu lui-même. |
[1487] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, unumquodque mensuratur primo sui generis. Sed
primum esse est divinum esse. Ergo per ejus mensuram mensuratur omne esse.
Sed esse temporalium mensuratur per tempus, et aeternorum [aeviternorum Éd.
de Parme] per aevum. Ergo videtur, cum unius non sit nisi una mensura,
quod aeternitas sit idem secundum rem quod aevum et tempus. |
2. En outre, chaque chose est
mesurée par ce qui est premier dans son genre. Mais l’existence première est
l’existence divine. Donc, toute existence est mesurée par la mesure de
l’existence divine. Mais l’existence des êtres temporels est mesurée par le
temps, et celle des êtres éternels [éviternelles Éd. de Parme]
est mesurée par l’aevum. Il semble donc, puisque que pour une seule et même
chose il n’y a qu’une mesure, que l’éternité soit identique selon la chose au
temps et à l’aevum. |
[1488] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, in omnibus participationibus divinae
bonitatis est communitas in nomine et in ratione cujusdam analogiae inter
perfectionem participatam a creatura et principium communicationis in Deo,
sicut se habet bonitas creaturae cum bonitate increata. Sed secundum
Dionysium, de divin. Nomin., cap. VII, col. 866, et X, col.
935, sicut Deus dicitur sapiens inquantum implet alios sapientia, ita per hoc
dicitur aeternus quod est causa aevi et temporis. Ergo videtur quod aevum et
tempus debeant dici aeternitas. |
3. Par ailleurs, dans toutes
les participations de la bonté divine il y a quelque chose de commun dans le
nom et la notion d’une certaine analogie entre la perfection participée par
la créature et le principe de ce caractère commun en Dieu, de la même manière
que la bonté de la créature se rapporte à la bonté incréée. Mais d’après
Denys [Les Noms Divins, ch. VII, col. 866, et X, col. 935],
tout comme Dieu est dit sage selon qu’Il comble tous les autres de sagesse,
de la même manière il est appelé éternel du fait qu’il est la cause de
l’aevum et du temps. Il semble donc que l’aevum et le temps doivent être
appelés éternité. |
[1489] Super Sent.,
lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, mensura est proportionata mensurato. Sed
omne esse in se consideratum indivisibile est, quia nihil habet admixtum ut
dicit Boetius, lib. De hebd., col. 1311 et quamdiu res
manet, esse suum substantiale non variatur, quamvis accidentia varientur. Cum
igitur esse temporalium mensuretur tempore, videtur quod tempus sit mensura
indivisibilis et permanens, et sic non differat ab aeternitate. |
4. De plus, la mesure est
proportionnelle au mesuré. Mais toute existence considérée en elle-même est
indivisible, car rien ne lui est mélangé comme le dit Boèce [Livre sur Les
Semaines, col. 1311] et tant que la chose demeure, son existence
substantielle ne change pas bien que ses accidents changent. Donc, puisque
l’existence des choses temporelles est mesurée par le temps, il semble que le
temps soit une mesure indivisible et permanente, et qu’elle ne diffère pas
ainsi de l’éternité. |
[1490] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, in quocumque est invenire successionem,
illud mensuratur tempore. Sed esse aeviternorum, sicut Angeli et substantiae
caeli, non mensuratur tempore. Ergo videtur quod eorum esse non habeat
successionem, et ita videtur quod non differat ab aeternitate. |
5. Enfin, partout où on
retrouve succession dans le temps, la chose est mesurée par le temps. Mais
l’existence des êtres éviternels, comme les Anges et les substances célestes,
n’est pas mesurée par le temps. Il semble donc que leur existence ne comporte
pas de succession dans le temps et ainsi il semble qu’elle ne diffère pas de
l’éternité. |
[1491]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod diversitatem
aeternitatis, temporis et aevi, quidam voluerunt accipere, quod tempus habet
principium et finem ; aevum principium habet et non finem ; aeternitas nec
principium nec finem. Sed secundum hoc non attenditur essentialis eorum diversitas:
quia posito quod tempus nunquam inceperit, nec nunquam finiatur, adhuc tempus
non erit aeternitas, ut dicit Boetius, lib. V De Consol., prosa
ultim, col. 858. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut
dire que certains ont voulu prendre la différence entre
l’éternité, le temps et l’aevum en ceci que le temps a un principe et une
fin, l’aevum a un principe et non une fin, et l’éternité n’a ni principe ni
fin. Mais cela ne vérifie pas la différence essentielle qu’il y a entre
eux : car une fois qu’on aura dit que le temps n’a jamais commencé et
qu’il ne finira jamais, cela ne fera pas encore du temps l’éternité, comme le
dit Boèce [Livre V De la Consolation, prose dernière, col. 858. |
Supposito
etiam quod Angeli semper fuerint, aevum adhuc differret ab aeternitate. Quid tamen veritatis
habeat, ex his quae dicentur, patebit. Sciendum est igitur, quod tria
praedicta nomina significant durationem quamdam. Duratio autem omnis
attenditur secundum quod aliquid est in actu: tamdiu enim res durare dicitur
quamdiu in actu est, et non dum est in potentia. Esse autem in actu
contingit dupliciter. |
En supposant même que les
Anges aient toujours ex : isté, l’aevum différerait encore de
l’éternité. Que cela soit vrai, on le verra par ce qui sera dit. Il faut donc
savoir que les trois noms qui précèdent signifient une certaine durée. Mais
toute durée se vérifie selon qu’un être est en acte. En effet, on dit d’une
chose qu’elle est dans la durée, tant qu’elle est en acte, et non aussi
longtemps qu’elle est en puissance. Mais exister en acte est possible de deux
manières. |
Aut secundum hoc quod actus
ille est incompletus, et potentiae permixtus, ratione cujus ulterius in actum
procedit ; et talis actus est motus: est enim motus actus [actus om. Ed.
de Parme] existentis in potentia, secundum quod hujusmodi, ut dicit
philosophus, III Phys., text. 6. Aut secundum quod actus non
est permixtus potentiae, nec additionem recipiens perfectionis ; et talis
actus est actus quietus et permanens. |
Soit selon que cet acte est
incomplet et mélangé à de la puissance, en raison de quoi il progresse par la
suite vers son acte ; et un tel acte est le mouvement : le
mouvement en effet est l’acte [acte om. Éd. de Parme] de ce qui
existe en puissance en tant que tel, comme le dit le Philosophe [111 Physique, texte 6]. Soit selon que
l’acte n’est pas mélangé à de la puissance et qu’il ne reçoit pas l’ajout
d’une perfection ; et un tel acte est l’acte de ce qui est en repos et
qui est permanent. |
Esse autem in tali actu
contingit dupliciter. Vel ita quod ipsum esse
actu, quod res habet, sit sibi acquisitum ab alio ; et tunc res habens tale
esse est potentialis respectu hujus actus, quem tamen perfectum accepit. Vel esse actu est rei ex
seipsa, ita quod est de ratione quidditatis suae ; et tale esse est esse
divinum, in quo non est aliqua potentialitas respectu hujus actus. Sic igitur
patet quod est triplex actus. |
Mais l’existence dans un tel
acte est possible de deux manières. Soit de telle manière que l’existence
même en acte que la chose possède lui est acquise d’un autre et alors la
chose qui possède une telle existence est en puissance par rapport à cet acte
qu’elle reçoit cependant parfaitement. Soit c’est d’elle-même que la
chose possède l’existence en acte de telle manière qu’elle fasse partie de sa
quiddité ; et une telle existence est l’existence divine dans laquelle
il n’y a aucune potentialité par rapport à cet acte. Il est donc clair qu’il
y a trois sortes d’actes. |
Quidam cui non substernitur
aliqua potentia ; et tale est esse divinum et operatio ejus ; et huic
respondet loco mensurae aeternitas. Est alius actus cui substat
potentia quaedam ; sed tamen est actus completus acquisitus in potentia illa
; et huic respondet aevum. Est autem alius cui
substernitur potentia, et admiscetur sibi potentia ad actum completum
secundum successionem, additionem perfectionis recipiens ; et huic respondet
tempus. |
Il y a certes celui qui n’est
assujetti à aucune puissance ; et c’est là l’existence de Dieu et son
opération ; et c’est à ce cas que correspond l’éternité à titre de
mesure. Il y a l’autre acte qui est
assujetti à une certaine puissance ; cependant l’acte complet est acquis
dans cette puissance : et c’est à cet acte que correspond l’aevum. Mais il y a l’autre acte qui
est assujetti à la puissance, mais la puissance qui lui est mélangée est
ordonnée à un acte complet suivant la succession et reçoit l’ajout d’une
perfection ; et c’est à cet acte que correspond le temps. |
Cum igitur unicuique rei
respondeat propria mensura, oportet quod secundum conditionem actus mensurati
accipiatur essentialis differentia ipsius mensurae. Invenitur autem in actu
qui motus est, successio prioris et posterioris. Et haec duo, scilicet prius
et posterius, secundum quod numerantur per animam, habent rationem mensurae
per modum numeri, quae tempus est. Unde dicit philosophus, IV Physicorum, text.
101, quod tempus est numerus motus secundum prius et posterius. Et est
numerus numeratus, et non numerus simpliciter. |
Donc, puisqu’à chaque chose
correspond la mesure qui lui est propre, il faut donc que ce soit selon la
condition de l’acte mesuré que soit reçue la différence essentielle de la
mesure elle-même. Mais on retrouve, dans l’acte qui est le mouvement, la
succession de l’avant et de l’après. Et ces deux termes, à savoir l’avant et
l’après, selon qu’ils sont nombrés par l’âme, ont raison de mesure à la
manière d’un nombre, laquelle est le temps. C’est pourquoi le Philosophe dit
[IV Physique, texte 101] que le temps est le nombre du
mouvement selon l’avant et l’après. Et il est un nombre nombré et non le
nombre pris absolument. |
Sicut enim dicimus quod duo
canes est numerus numeratus, et duo est numerus simpliciter ; ita etiam
numerus prioris et posterioris in motu est numerus numeratus, qui est tempus.
Ex quo patet quod illud quod est de tempore quasi materiale, fundatur in
motu, scilicet prius et posterius ; quod autem est formale, completur in
operatione animae numerantis: propter quod dicit philosophus, IVPhysic. , text.
13) quod si non esset anima, non esset tempus. |
En effet, tout comme nous
disons que deux chiens est un nombre nombré et que deux est nombre pris
absolument, de même encore le nombre de l’avant et de l’après dans le
mouvement est un nombre nombré qui est le temps. D’où il est clair que ce qui
s’attribue au temps comme matériellement se fonde dans le mouvement,
c’est-à-dire dans l’avant et l’après ; mais ce qui s’attribue à lui
formellement est accompli dans l’opération de l’âme qui nombre : c’est
pour cette raison que le Philosophe dit [IV Physique, texte 13]
que si l’âme n’existait pas, le temps n’existerait pas. |
Sic igitur de ratione hujus
mensurae, quae est tempus, sunt duo: scilicet quod accipiantur ibi plura, ad
minus duo ; vel duo nunc, inter quae est tempus ; vel duo tempora continuata
per unum nunc: et quod illa sint succedentia. Continuitas etiam accedit
tempori ex ratione motus quem mensurat. |
Ainsi donc il y a deux choses
dans la définition de cette mesure qui est le temps, il y a deux
choses : à savoir qu’on entend là une pluralité, et au moins deux
choses : soit deux instants entre lesquels est le temps, soit deux temps
qui se continuent au moyen d’un seul instant ; et qu’ils se succèdent.
La continuité survient encore au temps en raison du mouvement qu’il mesure. |
Unde si aliquis motus esset
non continuus, non habens ordinem ad motum continuum caeli, tempus mensurans
illum motum non esset continuum. Ex quo patet quod tempore non mensuratur
nisi id quod includitur in tempore, et secundum principium et finem. |
C’est pourquoi, s’il existait
un mouvement non-continu, n’étant pas ordonné par rapport au mouvement
continu du ciel, le temps qui mesurerait ce mouvement ne serait pas continu.
D’où il est clair que n’est mesuré par le temps que ce qui est compris dans
le temps, à la fois selon le commencement et la fin. |
Motus enim caeli etsi
ponatur semper fuisse, secundum philosophum, VIII Phys., text.
17 tamen unaquaeque revolutio vel pars revolutionis, quae mensuratur tempore,
secundum prius et posterius accepta in ipsa, principium habet et finem, et
secundum hoc verum est quod tempus habet principium et finem: quia non est
mensura nisi habentis principium et finem. |
En effet, bien qu’on pose que
le mouvement du ciel ait toujours existé, cependant d’après le Philosophe [
VIII Physique, texte 17] chacune des révolutions ou chaque partie
d’une révolution, qui est mesurée par le temps selon l’avant et l’après qui
est prise en elle, a un commencement et une fin, et suivant cela il est vrai
que le temps a un commencement et une fin : car le temps n’est la mesure
que de ce qui possède un commencement et une fin. |
In actu autem illo qui est
actus completus, non est intelligere prius et posterius, nec aliqua plura, et
ita nec successionem: unde mensura quae respondet eis, non est per modum
numeri, sed magis per modum unitatis. Sicut ergo prius et posterius temporis,
prout intelliguntur numerata, complent rationem temporis ; ita permanentia
actus, secundum quod intelligitur in ratione unius quod habet rationem
mensurae, complet rationem aevi et aeternitatis. |
Mais pour ce qui est de cet
acte qui est complet, il n’y a pas lieu d’entendre, un avant et un
après, ni une pluralité, ni non plus une succession : c’est pourquoi la
mesure qui leur correspond n’a pas lieu à la manière d’un nombre, mais plutôt
à la manière de l’unité. Donc, tout comme l’avant et l’après du temps, pour
autant qu’ils s’entendent comme étant nombrés, complètent la notion de temps,
de même la permanence de l’acte, selon qu’elle s’entend dans la notion de
l’un qui a raison de mesure, complète la notion de l’aevum et de l’éternité. |
Sed quia esse aeviternorum
est acquisitum ab alio, ideo aevum mensurat esse quod habet principium ; non
autem aeternitas, quae mensurat esse quod non est acquisitum ab alio. Et
secundum hoc potest sustineri dicta differentia, licet non uniformiter sumpto
principio: quia aeternitas respicit illud esse quod non habet principium
efficiens ; aevum autem quod habet tale principium ; tempus vero respicit
actum qui habet principium et finem durationis, ut mensuratur tempore. |
Mais parce que l’existence
des êtres éviternels est acquise d’un autre, c’est pourquoi l’aevum mesure
l’existence qui a un principe ; il n’en est cependant pas ainsi pour
l’éternité qui mesure l’existence qui n’est pas acquise d’un
autre. Et c’est pour cette raison que peut être soutenue la différence qui a
été présentée, bien que principe ne se soit pas pris dans le même sens :
car l’éternité a rapport à cette existence qui n’a aucun principe
efficient ; l’aevum cependant se rapporte à ce qui a un tel principe ;
mais le temps se rapporte à l’acte qui a un commencement et une fin dans la
durée de telle manière qu’il soit mesuré par le temps. |
[1492] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sicut patet ex
praedictis, in corp. art., aevum nihil aliud est quam aeternitas quaedam
participata ; unde non inveniuntur auctores antiqui multum curasse de
differentia aevi et aeternitatis: propter hoc Dionysius utitur uno pro alio.
Unde si proprie accipiatur causa et auctor, Deus dicitur esse auctor aeternitatis,
non qua ipse aeternus est, sed aeternitatis participatae, quae aevum est ;
sicut dicimus, quod ipse est causa omnis bonitatis, non suae, sed ejus quae
ab ipso in creaturas effluit sicut a principio. Posset etiam dici, quamvis
non ita bene, quod causa communiter accipitur pro omni eo quod est etiam
prius secundum rationem: cum enim essentia divina secundum intellectum sit
prius quam esse suum, et esse prius quam aeternitas, sicut mobile est prius
motu, et motus prior tempore ; dicetur ipse Deus esse causa suae aeternitatis
secundum modum intelligendi, quamvis ipse sit sua aeternitas secundum rem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que tout comme on voit à partir de ce qui précède dans le corps
de l’article, l’aevum n’est rien d’autre qu’une participation de
l’éternité ; c’est pourquoi on n’a pas trouvé chez les auteurs anciens
un grand souci au sujet de la différence entre l’aevum et l’éternité ;
et c’est pour cette raison que Denys a utilisé l’un à la place de l’autre. C’est
pourquoi, si on entend proprement la cause et l’auteur, on dit de Dieu qu’il
est l’auteur de l’éternité, non pas de celle par laquelle il est lui-même
éternel, mais de l’éternité participée qui est l’aevum ; par exemple,
nous disons que Lui-même est la cause de toute bonté, non pas de la sienne,
mais de celle qui est répandue dans les créatures par Lui comme par son
principe. On pourrait encore dire, bien que d’une manière moins excellente,
que la cause est entendue universellement pour tout ce qui est aussi antérieur
selon la raison : en effet, puisque l’essence divine est
antérieure à son existence selon l’intelligence, et que son existence est
antérieure à l’éternité, tout comme le mobile est antérieur au mouvement et
que le mouvement est antérieur au temps, on dira que Dieu lui-même est la
cause de son éternité selon l’intelligence, bien qu’il soit son éternité
selon la chose, en réalité. |
[1493] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnibus illis in quibus
invenitur diversa ratio mensurandi, oportet esse diversas mensuras proprias ;
non enim eodem modo mensurantur panis et vinum. Unde cum diversa ratio
mensurandi sit in diversis actibus, oportet quod respondeant eis diversae
mensurae propriae: verumtamen una earum potest ordinari ad aliam, sicut ad
primam mensuram et excedentem. Unde sicut divinum esse est mensura omnis
actus, ita aeternitas est mensura omnis durationis, excedens et non
coaequata. Sed praeter hoc oportet habere alias proprias mensuras
propter diversos modos mensurandi. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que pour toutes ces choses dans lesquelles on retrouve une manière
différente de mesurer, il faut que les différentes mesures soient
appropriées ; ce n’est pas de la même manière en effet que se mesurent
le pain et le vin. C’est pourquoi, puisque la manière de mesurer diffère dans
les actes différents, il faut que les différentes mesures qui leur
correspondent soient appropriées : il est vrai cependant que l’une
d’elles peut être ordonnée à une autre, tout comme à une mesure première et
supérieure. C’est pourquoi, tout comme l’existence divine est la mesure de
tout acte, de même l’éternité est la mesure de toute durée, une mesure qui
trascende et non pas une mesure qui est sur le même pied que le mesuré. Mais
outre cela il faut posséder d’autres mesures qui sont propres en raison des
différentes manières de mesurer. |
[1494] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod divina bonitas participatur in
diversis secundum diversos modos. Perfectioni autem participatae duplex nomen
imponitur. Vel secundum rationem
communem perfectionis illius ; et tunc nomen est commune et ipsi principio
communicanti et omnibus participantibus, secundum analogiam, sicut bonitas,
entitas et hujusmodi. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la bonté divine est participée par différents êtres d’après
différentes modalités. Mais deux sortes de noms sont imposés à une perfection
qui est participée. Soit d’après la définition
commune de cette perfection : et alors le nom est commun, d’une manière
analogue, à la fois au principe même qui communique la perfection et à tous
ceux qui en participent, comme c’est le cas pour la bonté, l’être et les
notions de cette sorte. |
Vel secundum proprium modum
quo recipitur vel est in aliqua creatura, ut patet quod cognitio participatur
a Deo in omnibus cognoscentibus et hoc nomen sensus imponitur ad
significandum cognitionem secundum aliquem modum determinatum habendi ipsam,
et propter hoc non est commune omnibus. Similiter aeternitas nominat durationem
secundum illum modum quo est in principio suo ; et ideo aliae durationes
participatae non dicuntur nomine aeternitatis. |
Soit d’après le mode propre
par lequel la perfection est reçue ou existe dans une créature, comme on voit
par exemple que la connaissance est participée de Dieu dans tous les êtres
connaissants et que le nom de sens est imposé pour signifier la connaissance
selon un mode déterminé de la posséder, et c’est pour cette raison que ce nom
n’est pas commun à tous. De la même manière l’éternité signifie la durée
selon cette modalité par laquelle elle existe dans son principe ; et
c’est pourquoi les autres durées, qui participent de l’éternité, ne sont pas
dénommées du nom d’éternité. |
[1495] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus per se est mensura
motus primi ; unde esse rerum temporalium non mensuratur tempore nisi prout
subjacet variationi ex motu caeli. Unde dicit Commentator, quod sentimus
tempus, secundum quod percipimus nos esse in esse variabili ex motu caeli. Et
inde est quod omnia quae ordinantur ad motum caeli sicut ad causam, cujus
primo mensura est tempus, mensurantur tempore ; et quicumque sentit
quamcumque variabilitatem quae consequitur ex motu caeli, sentit tempus,
quamvis non videat ipsum motum caeli. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le temps est par soi la mesure du mouvement premier ; c’est
pourquoi l’existence des choses temporelles n’est mesurée par le temps que
pour autant qu’elle est soumise au changement à partir du mouvement du ciel.
C’est pourquoi le Commentateur dit que nous sentons le temps selon que nous
percevons que nous sommes dans une existence changée à partir du mouvement du
ciel. Et c’est de là que tous les êtres qui sont ordonnés au mouvement du
ciel comme à leur cause, dont la mesure est d’abord le temps, sont eux-mêmes
mesurés par le temps ; et quiconque sent un changement qui découle du
mouvement du ciel sent le temps, bien qu’il ne voit pas le mouvement même du
ciel. |
[1496] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis actus qui mensuratur
aevo, sit totus simul sine successione, hoc esse tamen est ab alio ; et in
hoc ab aeternitate aevum discernitur, ut prius dictum est, dist. 8, quaest.
2, art. 2. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que bien que l’acte qui est mesuré par l’aevum soit entier et simultané
sans aucune succession, cette existence cependant vient d’un autre ; et
c’est en cela que l’aevum se distingue de l’éternité, ainsi que nous l’avons
dit précédemment [dist. 8, quest. 2, art. 2]. |
|
|
Articulus 2 [1497] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 tit. Utrum nunc aeternitatis sit ipsa
aeternitas |
Article 2 : L’instant de l’éternité est-il l’éternité elle-même ? |
[1498]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nunc
aeternitatis non est ipsa aeternitas. Nunc enim aeternitatis, temporis et
aevi, videtur unum esse, quod significatur, cum dicitur: quando motus est, et
Angelus est, et Deus est. Sed aeternitas non est tempus, ut dictum est, art.
antec. Ergo nunc aeternitatis, quod est idem quod nunc temporis, non est idem
quod aeternitas. |
Difficultés : 1. Il semble que l’instant de
l’éternité ne soit pas l’éternité elle-même. En effet, l’instant de
l’éternité, du temps et de l’aevum semble être le même, ce qu’on signifie
lorsqu’on dit : quand il y a mouvement, c’est à la fois l’Ange et Dieu
qui est. Mais l’éternité n’est pas le temps, comme nous l’avons dit dans
l’article précédent. Donc l’instant de l’éternité, qui est identique à
l’instant du temps, n’est pas identique à l’éternité. |
[1499] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, omne nunc est indivisibile. Sed aeternitas est
divisibilis: quod videtur ex hoc quod in littera inducitur: in
generationem et generationem anni tui, ps CI, 25 ; et loquitur de
duratione aeternitatis. Ergo videtur quod nunc aeternitatis non sit
aeternitas. |
2. En outre, tout instant est
indivisible. Mais l’éternité est divisible : ce qui apparaît à partir de
ce qui est introduit dans le document : D’âge en âge vont tes années (Psaume C1,
25) ; et on parle de la durée de l’éternité. Il semble donc que
l’instant de l’éternité ne soit pas l’éternité. |
[1500] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, nunc stans facit aeternitatem, ut Boetius dicit
; et ita nunc est causa aeternitatis. Sed non potest idem esse causa sui
ipsius. Ergo non est idem aeternitas et nunc aeternitatis. |
3. De plus, l’instant qui
demeure fait l’éternité, comme le dit Boèce ; et ainsi l’instant est la
cause de l’éternité. Mais il n’est pas possible que le même soit la cause de
lui-même. Donc, l’éternité n’est pas la même chose que l’instant de
l’éternité. |
[1501] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut se habet nunc temporis ad tempus, ita
se habet nunc aeternitatis ad aeternitatem. Sed nunc temporis non est tempus
sicut nec punctus est linea. Ergo nec nunc aeternitatis est aeternitas. |
4. Par ailleurs, ce que
l’instant du temps est au temps, de même l’instant de l’éternité l’est à
l’éternité. Mais l’instant du temps n’est pas le temps, tout comme le point
n’est pas la ligne. Donc, l’instant de l’éternité n’est pas l’éternité. |
[1502] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, aeternitas est ipse Deus. Sed in divina
essentia non est aliqua realis diversitas. Ergo non differt ibi nunc
aeternitatis et aeternitas. |
Cependant : 1. Au contraire, l’éternité
est Dieu lui-même. Mais dans l’essence divine, il n’y a aucune diversité
réelle. Il n’y a donc pas là de différence entre l’instant de l’éternité et
l’éternité. |
[1503]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum
philosophum, IV Phys., text. 101, tempus est mensura ipsius
motus, et nunc temporis est mensura ipsius mobilis. Unde sicut est idem
mobile secundum substantiam in toto motu, variatur tamen secundum esse, sicut
dicitur, quod Socrates in foro est alter a seipso in domo ; ita nunc est
etiam idem secundum substantiam in tota successione temporis, variatum tantum
secundum esse, scilicet secundum rationem quam accepit prioris et
posterioris. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après le Philosophe [IV Physique, texte 101], le temps est
la mesure du mouvement lui-même et l’instant du temps est la mesure du mobile
lui-même. C’est pourquoi, tout comme le mobile reste identique à lui-même
quant à la substance pendant tout le mouvement et qu’il change cependant
quant à son existence, tout comme on dit de Socrate sur la place publique
qu’il diffère de lui-même dans la maison, de même l’instant reste
identique à lui-même selon la substance pendant toute la succession du temps,
n’étant changé que selon son existence, c’est-à-dire selon la raison qu’il
reçoit de l’avant et de l’après. |
Sicut autem motus est actus
ipsius mobilis inquantum mobile est ; ita esse est actus existentis,
inquantum ens est. Unde quacumque mensura mensuretur esse alicujus rei, ipsi
rei existenti respondet nunc ipsius durationis, quasi mensura: unde per nunc
aevi mensuratur ipsum existens cujus mensura est aevum, et per nunc
aeternitatis mensuratur illud ens cujus esse mensurat aeternitas. |
Mais tout comme le mouvement
est l’acte du mobile en tant que mobile, de même l’être est l’acte de ce qui
existe en tant qu’être. C’est pourquoi, quelle que soit la mesure par
laquelle l’être d’une chose est mesurée, à la chose même qui existe
correspond, comme une mesure, l’instant de cette durée : c’est pourquoi
c’est par l’instant de l’aevum qu’est mesuré l’être même dont la mesure est
l’aevum, et c’est par l’instant de l’éternité est mesuré cet être dont
l’existence mesure l’éternité. |
Unde sicut se habet
quilibet actus ad id cujus est actus, ita se habet quaelibet duratio
ad suum nunc. Actus autem ille qui mensuratur tempore, differt ab
eo cujus est actus, et secundum rem, quia mobile non est motus ; et secundum
rationem successionis, quia mobile non habet substantiam de numero
successivorum sed permanentium. |
C’est pourquoi, ce que tout
acte est à ce dont il est l’acte, de même toute durée l’est à son instant.
Mais cet acte qui est mesuré par le temps diffère de ce dont il est l’acte à
la fois réellement, car le mobile n’est pas le mouvement, et selon la raison
de succession car le mobile n’a pas une substance qui fait partie de ce qui
passe mais de ce qui demeure. |
Unde eodem modo tempus a
nunc temporis differt dupliciter, scilicet secundum rem, quia nunc non est
tempus, et secundum successionis rationem, quia tempus est successivum et non
nunc temporis. Actus autem qui mensuratur aevo, scilicet ipsum esse
aeviterni, differt ab eo cujus est actus re quidem, sed non secundum rationem
successionis, quia utrumque sine successione est. |
C’est pourquoi de la même
manière le temps diffère de l’instant du temps de deux façons, à savoir
réellement car l’instant n’est pas le temps, et selon la raison de
succession, car le temps est successif alors que l’instant du temps ne l’est
pas. Mais l’acte qui est mesuré par l’aevum, à savoir l’existence éviternelle
elle-même, diffère certes réellement de ce dont elle est l’acte mais non
selon la raison de succession car les deux existent sans la succession dans
le temps. |
Et sic etiam intelligenda
est differentia aevi ad nunc ejus. Esse autem quod mensuratur aeternitate,
est idem re cum eo cujus est actus, sed differt tantum ratione ; et ideo
aeternitas et nunc aeternitatis non differunt re, sed ratione tantum,
inquantum scilicet ipsa aeternitas respicit ipsum divinum esse, et nunc
aeternitatis quidditatem ipsius rei, quae secundum rem non est aliud quam
suum esse, sed ratione tantum. |
Et c’est encore de cette
manière que doit s’entendre la différence qu’il y a entre l’aevum et son
instant. Mais l’existence qui est mesurée par l’éternité, est réellement
identique à ce dont elle est l’acte mais en diffère seulement par la
raison ; et c’est pourquoi l’éternité et l’instant de l’éternité ne
diffèrent pas réellement, mais seulement par la raison, c’est-à-dire dans la
mesure où l’éternité elle-même se rapporte à l’existence divine elle-même, et
l’instant de l’éternité à la quiddité de la chose même qui n’est pas
différente de son existence réellement mais par la raison seulement. |
[1504] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non est idem nunc
aeternitatis, temporis et aevi ; et quando dicitur: quando est motus, est
Angelus et Deus, potest significari tripliciter nunc vel aeternitatis vel
aevi vel temporis. Si significetur nunc temporis ; tunc dicetur motus esse in
illo, sicut in propria mensura ; Angelus autem et Deus, non secundum rationem
mensurationis, sed magis secundum concomitantiam quamdam, prout aeternitas et
aevum cum tempore simul sunt, nec sibi deficiunt. Si autem significetur nunc
aeternitatis ; tunc dicitur Deus esse in illo sicut in mensura propria et
adaequata ; Angelus autem et mobile, sicut in mensura excedenti. Si autem
significetur nunc aevi, respondebit Angelo sicut mensura adaequata, et Deo
secundum concomitantiam, et mobili sicut mensura excedens. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’instant de l’éternité n’est pas le même que celui du temps
et celui de l’aevum ; et quand on dit : quand il y a le mouvement
,il y a l’Ange et Dieu, cet énoncé peut signifier l’instant de trois
manières : soit celui de l’éternité, soit celui celui de
l’aevum, soit celui du temps. S’il signifie l’instant du temps, alors on dira
que le mouvement est en lui comme dans la mesure qui lui est propre ;
mais l’Ange et Dieu sont en cet instant non pas selon la raison de mesure
mais plutôt selon un certain accompagnement, pour autant que l’éternité et
l’aevum sont simultanés au temps et ne lui font pas défaut. Mais si l’instant
qui est signifié est celui de l’éternité, alors on dit de Dieu qu’il existe
en lui comme dans la mesure qui lui est propre et adéquate, mais de l’Ange et
du mobile qu’ils y sont comme d’une dans une mesure qui les dépasse. Mais si
c’est l’instant de l’aevum qui est signifié, alors il correspondra à l’Ange
comme une mesure qui lui est proportionnée, à Dieu selon l’accompagnement et
au mobile comme une mesure qui le dépasse. |
[1505] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aeternitas indivisibilis est,
et quod pluraliter aliquando significetur, hoc potest esse dupliciter: vel
secundum quod participatur in diversis, praecipue in beatis, ut dicitur Dan.
XII, 3: Qui ad justitiam erudiunt multos, quasi stellae in perpetuas
aeternitates ; vel ratione mensurae inferioris, cui per se accidit
divisio, scilicet ratione temporis. Unde est sensus: anni aeternitatis, idest
aeternitas, sub qua possibile esset contineri plurimos annos, sicut in
mensura excedenti. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’éternité est indivisible et qu’elle est signifiée parfois de
plusieurs manières, soit en particulier de deux manières : soit selon
qu’elle est participée dans différents êtres, surtout chez les bienheureux,
comme le dit l’Écriture [Daniel, XII, 3] : Ceux qui ont
enseigné la justice à un grand nombre resplendiront comme les étoiles pour
toute l’éternité ; ou bien selon qu’elle est signifiée en raison
d’une mesure inférieure à laquelle survient accidentellement une division,
c’est-à-dire en raison du temps. C’est pourquoi le sens est le suivant :
les années de l’éternité, c’est-à-dire l’éternité sous laquelle il serait
possible que plusieurs années soient contenues comme dans une mesure qui les
dépasse. |
[1506] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut esse, secundum rationem
intelligendi, consequitur principia ipsius entis quasi causas ; ita etiam
mensura entis se habet ad mensuram essendi secundum rationem causae. Unde
nunc aeternitatis secundum rationem videtur esse causa aeternitatis. Sed ex
hoc non ostenditur diversitas in re, sed tantum in ratione ; sicut nec inter
ipsum divinum esse et ipsum ens. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que tout comme l’existence, selon la manière de la comprendre, découle
des principes de l’être lui-même comme de ses causes, de même encore la
mesure de l’être se rapporte à la mesure de l’existence selon la raison de
cause. C’est pourquoi l’instant de l’éternité selon la raison semble être la
cause de l’éternité. Mais à partir de là on ne montre pas une diversité dans
la réalité, mais seulement dans la raison, tout comme on n’en montre pas non
plus entre l’existence divine elle-même et l’être lui-même. |
[1507] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est similis ratio de
tempore et nunc temporis et de aeternitate et nunc aeternitatis, et ratio
assignata est. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le rapport entre le temps et l’instant du temps n’est pas semblable
à celui qu’il y a entre l’éternité et l’instant de l’éternité, et le rapport
a été identifié. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [La grandeur des personnes divines] |
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Prooemium |
Prologue |
[1508] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 pr. Deinde quaeritur de magnitudine ; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum magnitudo Deo
conveniat, et quid sit ; 2
de signo aequalitatis in magnitudine divinarum personarum, secundum quod in
se invicem [invicem om. Éd. de Parme] esse dicuntur. |
On s’interroge ensuite sur la
grandeur ; et à ce sujet, deux points font l’objet d’une recherche : 1. Est-ce que la grandeur
convient à Dieu, et en quoi consiste-t-elle ? 2. Le signe de l’égalité dans
la grandeur des personnes divines, selon qu’on dit à leur sujet qu’elles
existent réciproquement [réciproquement om. Éd. de Parme] l’une
dans l’autre. |
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Articulus 1 [1509] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 tit. Utrum magnitudo competat Deo |
Article 1 – La grandeur convient-elle à Dieu ? |
[1510]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod magnitudo Deo
non competat. Magnitudo enim est quaedam conditio materiae. Sed nulla
conditio materialis de Deo dicitur, nisi metaphorice. Ergo videtur quod
magnitudo Deo non conveniat nisi metaphorice. |
Difficultés : 1. Il semble que la grandeur
ne convienne pas à Dieu. La grandeur en effet est une condition de la
matière. Mais aucune condition de la matière ne se dit de Dieu, si ce n’est
en un sens métaphorique. Il semble donc que la grandeur ne convienne à Dieu
qu’en un sens métaphorique. |
[1511] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, magnum et parvum ex opposito dividuntur.
Sed, secundum philosophum, omne parvum est magnum sicut et omne paucum est
multum, ut X Metaphys., cap. IX dicit. Ergo videtur etiam quod omne magnum
sit parvum. Sed Deus non est parvus. Ergo non est magnus. |
2. Par ailleurs, le grand et
le petit se divisent par l’opposé. Mais d’après le Philosophe, tout petit est
grand comme tout peu nombreux est nombreux [X Métaphysique, ch.
1X]. Il semble donc aussi que tout grand soit petit. Mais Dieu n’est pas
petit. Donc il n’est pas grand. |
[1512] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 arg. 3 Item, magnitudo est quantitas continua. Sed in Deo non
potest esse continuatio, cum sit simplex et indivisibilis. Ergo nec
magnitudo. |
3. En outre, la grandeur est
une quantité continue. Mais il ne peut y avoir de continuité en Dieu,
puisqu’il est simple et indivisible. Il n’y a donc pas en lui de grandeur. |
[1513] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 arg. 4 Si dicas, quod in Deo est quantitas
virtutis secundum quam dicitur magnus ; contra Deus secundum
virtutem suam dicitur potens. Sed hic dividitur potentia contra magnitudinem.
Ergo non intelligitur de magnitudine virtutis. |
4. Si tu dis qu’en Dieu il y
a la quantité de la puissance selon laquelle il est appelé grand, je dirai
par contre que Dieu est appelé puissant selon sa puissance. Mais ici la
puissance se divise par opposition à la grandeur. Elle ne s’entend donc pas
de la grandeur de la puissance. |
[1514] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicitur in Psalm. CXLVI,
5: Magnus Deus et magna virtus ejus. |
Cependant : C’est le contraire qui est
dit dans l’Écriture [Psaume CXLVI, 5] : Dieu est
grand et grande est sa puissance. |
[1515]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in Deo non
potest esse quantitas nisi virtutis ; et cum aequalitas attendatur secundum
aliquam speciem quantitatis, aequalitas non erit nisi secundum virtutem.
Virtus autem, secundum philosophum VI Ethic., c. II, est
ultimum in re de potentia. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il ne peut y avoir en Dieu que la quantité de la vertu ; et puisque
l’égalité se vérifie selon une espèce de la quantité, il n’y aura là
d’égalité que selon la vertu. Mais la vertu, selon le Philosophe [ VI Éthique,
ch. 11] est l’excellence dans la chose au sujet de la puissance. |
Unde
etiam dicitur in VII Physic., text. 18, quod virtus est perfectio quaedam,
et tunc unumquodque perfectum est quando attingit propriam virtutem. Omnibus
igitur illis modis quibus contingit pertingere ad ultimum est considerare
virtutem rei. |
C’est pourquoi il dit encore
[ VII Physique, texte 18] que la vertu est une certaine
perfection, et alors chacun est parfait quand il parvient à la vertu qui lui
est propre. Il faut donc considérer la vertu d’une chose d’après toutes les
modalités par lesquelles il est possible de parvenir à l’excellence. |
Hoc autem contingit tripliciter: primo in operationibus, in
quibus contingit gradus perfectionis inveniri. Unde dicitur habere virtutem
ad operandum quod attingit completam operationem, prout dicitur II Ethic.,
cap ; V, quod virtus est quae bonum facit habentem, et opus ejus bonum
reddit. |
Mais cela est possible de
trois façons : Premièrement dans les
opérations dans lesquelles il est possible de retrouver des degrés de
perfection. C’est pourquoi on dit que possède la vertu ordonnée à l’opération
celui qui parvient à poser une opération complète, comme on dit [11 Éthique,
ch. V] que la vertu rend bon celui qui la possède et rend bonne aussi son
œuvre. |
Secundo etiam respectu
ipsius esse rei, secundum quod etiam philosophus dicit, I Caeli et
mundi, text. 103, quod aliquid habet virtutem ut semper sit. Item secundum plenitudinem
perfectionis respectu ipsius entis, secundum quod attingit ultimum naturae
suae. Unde etiam virtus circuli dicitur, secundum philosophum, V Phys., text. 5,
quando attingit complete definitionem suam. Si igitur virtus divina
consideretur secundum perfectionem ad opus, erit virtus potentiae operativae.
Si autem consideretur perfectio quantum ad ipsum esse divinum, virtus ejus
erit aeternitas. Si autem consideretur quantum ad complementum perfectionis
ipsius naturae divinae, erit magnitudo. |
Deuxièmement
aussi par rapport à l’existence même de la chose, selon ce que dit encore le
Philosophe [1, Du Ciel et du Monde, texte 103], à savoir qu’un
être possède la vertu pour exister toujours. En
outre selon la plénitude de la perfection par rapport à l’être lui-même,
selon qu’il parvient à l’excellence de sa nature. C’est pourquoi la vertu se
dit aussi du cercle d’après le Philosophe [V Physique, texte 5]
quant il attaint complètement sa circonscription. Si donc la vertu divine est
considérée d’après la perfection à agir, la vertu sera celle d’une puissance
opérationnelle. Mais si la perfection est considérée quant à l’existence même
de Dieu, sa vertu sera l’éternité. Mais si elle est considérée quant au
caractère accompli de la perfection de la nature divine elle-même, sa vertu
sera la grandeur. |
Quod
patet ex hoc quod ipse probat aequalitatem in magnitudine ex hoc quod tota
plenitudo naturae Patris est in Filio ; secundum quem etiam modum Augustinus
dicit, VI De trinitate, cap. VIII, col. 929, quod in his quae non
mole magna sunt, idem est majus esse quod melius ; secundum quod etiam
dicimus aliquem hominem esse magnum, qui est perfectus in scientia et
virtute. Et sicut omnipotentiae suae virtute omnes potentias operativas
fundat et in eis operatur ; ita per virtutem aeternitatis suae instituit et
firmat omnem durationem et per virtutem magnitudinis suae omnia implet et
continet. |
Ce qui est évident du fait
que lui-même prouve l’égalité dans la grandeur du fait que toute la plénitude
de la nature du Père est dans le Fils ; et c’est aussi de la même
manière que Saint-Augustin dit [ VI De la Trinité,
ch. VIII, col. 929] que dans les choses qui sont grandes d’une
grandeur qui n’est pas celle de la masse, être plus grand c’est être
meilleur ; et c’est d’après cela encore que nous disons qu’une homme est
grand quand il est parfait dans la science et la vertu. Et tout comme il
établit toutes les puissances opérationnelles et opère en elles par la vertu
de sa toute-puissance, de même par la vertu de son éternité il institue et
affermit toute durée, et par la vertu de sa grandeur il comble et conserve
tous les êtres. |
[1516] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod magnitudo secundum
rationem generis sui, quod est quantitas, est conditio materiae ; et secundum
hoc non praedicatur de Deo, sed secundum rationem differentiae suae ; quae consistit
in ratione completionis, prout dicimus aliquem ex parvo fieri magnum, quando
attingit completam quantitatem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la grandeur, sous le rapport de son genre qui est la
quantité, est une condition de la matière ; et d’après cela elle ne
s’attribue pas à Dieu, mais seulement sous le rapport de sa différence qui
consiste dans la notion d’accomplissement, selon que nous disons d’une chose
que de petite elle devient grande, quand elle atteint sa quantité complète. |
[1517] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas continua dividitur
in infinitum, sed non in infinitum augetur ; et ideo ratione divisionis
infinitae quodlibet parvum potest habere minus, in cujus respectu dicetur [
videtur Éd. de Parme] magnum ; sed tamen non quolibet magno est
aliquod majus, respectu cujus possit dici minus, sicut patet in quantitate
caeli. Nihilominus tamen si magnum et parvum non dicatur secundum relationem,
sed absolute, prout consideratur, quantitas determinata ad aliquam speciem,
sic quamvis quodlibet minus sit majus, non tamen quodlibet minus est parvum,
nec quodlibet majus est magnum, ut dicit philosophus, III, Caeli et
lundi, text. 9. Nihilominus tamen sciendum quod Deus sicut dicitur
magnus, ita etiam dicitur parvus, ut dicit Dionysius, IX cap. De
divin. Nom., § 3, col. 911, et accipit parvum pro subtili, secundum
quod ipse penetrat omnia, etiam profundas cogitationes, et secundum quod
dicitur quod principia sunt parva quantitate et magna virtute. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la quantité continue se divise à l’infini, mais elle ne croît
pas à l’infini ; et c’est pourquoi tout ce qui est petit, en raison de
la division infinie, pourra avoir une quantité moindre par rapport à laquelle
il sera dit [paraîtra Éd. de Parme] grand ; cependant ce
n’est pas par n’importe quoi de grand qu’une chose est plus grande et par
rapport à quoi elle peut être dite moindre, comme on le voit dans la quantité
du ciel. Néanmoins cependant si le grand et le petit ne se disent pas selon
la relation mais absolument selon qu’on considère une quantité déterminée à
une espèce, ainsi, bien que n’importe quel moindre soit plus grand, ce n’est
cependant pas n’importe quel moindre qui est petit, ni n’importe quel plus
grand qui est grand ainsi que le dit le Philosophe [111 Du Ciel et du
Monde, texte 9]. Néanmoins cependant il faut savoir que tout comme Dieu
est appelé grand, de même il est aussi appelé petit, comme le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. 1X, & 3, col. 911], et il prend ici petit au sens de
fin, selon que Dieu pénètre toute chose, même les pensées les plus profondes,
et selon qu’on dit que les principes sont petits quantitativement parlant
mais grands en puissance. |
[1518] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod continuitas sequitur
magnitudinem dimensivam, non autem magnitudinem virtutis, quae sola debet in
Deo intelligi. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la continuité découle de la grandeur de la dimension et non de la
grandeur de la vertu qui est la seule à devoir être comprise comme étant
présente en dieu. |
[1519] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum patet jam solutio per ea quae dicta sunt, in
corp. art. ; quia virtus non tantum dicitur respectu operis [operationis Éd.
de Parme] secundum quod hic accipitur potentia, sed etiam aliis modis, ut
dictum est, ubi supra. |
4. En quatrième lieu la
solution à cette difficulté est déjà claire au moyen de ce qui a été dit dans
le corps de l’article ; car la vertu ne se dit pas seulement par rapport
à l’œuvre [l’opération Éd. de Parme], d’après le sens dans lequel
on prend ici puissance, mais aussi autrement comme nous l’avons dit plus
haut. |
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Articulus 2 [1520] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 tit. Utrum Pater sit in Filio et e converso |
Article 2 – Le Père est-il dans le Fils et inversement ? |
[1521]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod Pater non sit in Filio nec e converso. Philosophus enim, in
IV Physic., text. 23, assignat octo modos essendi in, quorum
nullus potest aptari ad hoc quod Pater in Filio esse dicatur vel e converso.
Neque enim est sicut totum in partibus neque sicut e converso, neque sicut
genus in speciebus neque sicut e converso, neque sicut in loco, neque sicut
forma in materia, neque sicut in movente, sicut regnum est in rege ; neque
sicut in fine optimo, ut de facili potest probari. Ergo Pater non est in
Filio. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père ne
soit pas dans le Fils ni réciproquement. Le Philosophe [IV Physique,
texte 23] en effet désigne huit manières d’exister dans un autre, dont aucune
ne peut s’appliquer à ce qu’on dit, à savoir que le Père est dans le Fils ou
réciproquement. En effet, il n’est pas comme un tout dans ses parties, ni
comme une partie dans son tout, ni comme un genre dans ses espèces ni comme
inversement, ni comme dans un lieu, ni comme une forme dans la matière, ni
comme dans un moteur, comme le royaume est dans le roi ; ni comme dans
une fin suprême, comme on peut le prouver facilement. Donc le Père n’est pas
dans le Fils. |
[1522] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, eorum quorum unum est apud alterum, ut
distinctum ab ipso, unum non est in altero. Sed Filius est apud Patrem, ut
dicitur Joan. 1: Et Verbum erat apud Deum. Ergo videtur quod
Pater non sit in Filio, nec e converso. |
2. Par ailleurs, parmi les
choses dont l’une est auprès de l’autre et comme distincte d’elle, l’une
n’est pas dans l’autre. Mais le Fils est auprès du Père comme le dit Jean (1,
1) : Et le Verbe était auprès de Dieu. Il semble donc que le
Père ne soit pas dans le Fils, ni inversement. |
[1523] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 arg. 3 Item, in divinis non est nisi relatio originis. Sed
haec praepositio in importat aliquam habitudinem. Ergo in divinis non potest
importare nisi relationem originis. Sed non eamdem relationem habet Filius ad
Patrem et Pater ad Filium. Ergo vel non uterque est in altero, vel non eodem
modo. |
3. En outre, il n’y a dans
les personnes divines qu’une relation d’origine. Mais cette préposition
¨dans¨ implique une certaine manière d’être. Donc dans les personnes divines
on ne peut introduite qu’une relation d’origine. Mais la relation du Fils au
Père n’est pas la même que celle du Père au Fils. Donc, ou bien ce ne sont pas
les deux qui sont dans l’autre, ou bien ils ne le sont pas de la même
manière. |
[1524] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 s. c. 1 Contra, ubicumque est essentia Patris, est Pater. Sed
tota essentia Patris est in Filio et e converso. Ergo Pater est in Filio et e
converso. |
Cependant : 1. Au contraire, partout où
est l’essence du Père, là est le Père. Mais toute l’essence du Père est dans
le Fils et réciproquement. Donc le Père est dans le Fils et réciproquement. |
[1525] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in uno relativorum intelligitur aliud. Sed
Pater et Filius sunt relativa. Ergo videtur quod Pater sit in Filio et e
converso. |
2. Par ailleurs, dans l’un
des relatifs, l’autre est compris. Mais le Père et le Fils sont des relatifs.
Il semble donc que le Père soit dans le Fils et réciproquement. |
[1526]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in divinis
personis est duo considerare: scilicet essentiam quae est una et eadem, et
relationes quibus distinguuntur ; et secundum utrumque Pater dicitur esse in
Filio et e converso, secundum diversorum assignationes. Secundum enim tres
doctores, qui in Littera inducuntur, scilicet Augustinum, Hilarium,
Ambrosium, hoc dicitur propter essentiae unitatem, quia essentia Patris est
in Filio et Pater non deserit naturam suam ; unde ubi est natura sua, ibi est
ipse, sicut patuit etiam ex verbis Hilarii (supra) inductis, (dist. 5),
inductis. Sed secundum Damascenum, lib. III Fid. orthod., cap.
VI, col. 1002, hoc intelligitur secundum rationem relationis, prout in uno
relativorum intelligitur aliud. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans les personnes divines il y a deux choses à considérer :
c’est-à-dire l’essence qui est une et la même, et les relations par lesquelles
elles se distinguent ; et sous ces deux rapports, on dit que le Père est
dans le Fils et inversement, selon les assignations de différents
auteurs. En effet, d’après les trois docteurs qui sont introduits dans le
Document, à savoir Saint-Augustin, Saint-Hilaire et Saint-Ambroise, cela se
dit à cause de l’unité de l’essence, car l’essence du Père est dans le Fils
et le Père n’abandonne jamais sa nature ; c’est pouqquoi, là où est sa
nature, là il est Lui-même, ainsi qu’on l’a vu aussi à partir des paroles de
Saint-Hilaire présentées plus haut (dist. 5). Mais d’après Damascène
[111 De la Foi Orthodoxe, ch. VI, col. 1002], cela
s’entend sous le rapport de la relation, selon que chacun des relatifs entre
dans la notion de l’autre. |
[1527] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod stricte accipiendo, non
omnes modi quibus aliquid est in aliquo, continentur in illis octo, nisi per
quamdam similitudinis reductionem ; sicut esse in tempore reducitur ad illum
modum quo aliquid dicitur esse in loco, quia utrumque est sicut mensuratum in
mensura ; sic etiam per quamdam similitudinem ille modus potest reduci ad
aliquem illorum. Si enim hoc accipiatur quantum ad unitatem essentiae, tunc
Pater dicitur esse in Filio propter hoc quod essentia Patris in Filio est. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’à le prendre au sens strict, ce ne sont pas tous les modes
par lesquels une chose est dans une autre qui se trouvent à être contenus
dans ces huit modalités, sauf si on les ramène à une certaine
ressemblance : tout comme exister dans le temps se ramène à ce mode par
lequel on dit d’une chose qu’elle est dans un lieu, car chacun des deux se
présente comme ce qui est mesuré dans une mesure ; de même encore c’est
pas une certaine ressemblance que ce mode peut se ramener à l’un d’eux. Si en
effet cet énoncé se prend quant à l’unité de l’essence, alors on dit du Père
qu’il est dans le fils pour cette raison que l’essence du Père est dans le
Fils. |
Unde
ad illum modum reducitur ad quem reduceretur si essentia in Filio esse
diceretur. Hoc
autem est per modum quo natura communis est in aliquo supposito, et reducitur
ad illum modum quo genus est in specie ; quamvis in divinis non sit genus et
species, ut infra, dist. 25, quaest. unic., art. 3, patebit. Si autem
accipiatur quantum ad relationem, tunc reducetur ad illum modum quo aliquid
est in aliquo sicut in principio movente et efficiente ; quamvis enim Pater
non sit principium efficiens Filii, tamen est originans ipsum. Unde Filius
est in Patre sicut originatum in originante, et e converso Pater in Filio
sicut originans in originato. Sed adhuc magis proprie dicitur in divinis
Filius in Patre, etiam ex parte relationis, quam in humanis ; quia Filius ex
ipsa relatione est persona subsistens ; sua enim relatio est sua
personalitas, quod in aliis rebus non contingit. |
C’est pourquoi il se ramène à
ce mode auquel il se ramènerait si on disait que l’essence est dans le Fils.
Mais cela se dit au moyen de ce mode par lequel une nature commune est dans un
suppôt, cela se ramène à ce mode dans lequel un genre est dans son
espèce, bien qu’en Dieu il n’y ait ni genre ni espèce, comme on le verra plus
loin [dist. 25, quest. unique, art. 3]. Mais si on prend cet énoncé quant à
la relation, alors il se ramène à ce mode par lequel une chose est dans une
autre comme dans son principe moteur et efficient ; bien qu’en effet le
Père ne soit pas le principe efficient du Fils, il est cependant son origine.
C’est pourquoi le Fils est dans le Père comme celui qui procède est dans le
principe d’origine, et inversement le Père est dans le Fils comme le principe
d’origine est dans celui qui en procède. Mais en outre on dit plus proprement
dans les personnes divines que dans les personnes humaines que le Fils est
dans le Père, même du côté de la relation, car c’est par la relation
elle-même que le Fils est une personne subsistante ; en effet, sa
relation est sa personne, ce qui n’est pas possible pour les autres réalités. |
[1528] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod una persona dicitur esse apud
aliam ratione distinctionis ; sed dicitur esse in alia vel quantum ad
essentiam, vel quantum ad intellectum relationum, quia in una intelligitur
alia, quamvis unum relativum ab altero sit distinctum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’on dit d’une personne qu’elle est auprès d’une autre en raison de sa
distinction ; mais on dit qu’elle est dans une autre soit quant à
l’essence, soit sous le rapport des relations, car l’un des relatifs entre
dans la notion de l’autre, bien que l’un des relatifs soit distinct de
l’autre. |
[1529] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si accipiatur Pater esse in
Filio propter unitatem essentiae, eodem modo est Pater in Filio et Filius in
Patre: et tunc haec praepositio in non importabit aliquam relationem realem,
sed tantum relationem rationis, qualis est inter essentiam et personam,
secundum quam essentia dicitur esse in persona. Si autem hoc accipiatur ex
parte relationis, tunc est alius modus, ut dictum est, in Resp. ad primum,
secundum diversam habitudinem Patris ad Filium et Filii ad Patrem. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que si on prend le Père comme étant dans le Fils à cause de l’unité de
l’essence, c’est de la même manière que le Père est dans le Fils et que le
Fils est dans le Père : et alors cette préposition ¨dans¨ n’impliquera
pas une relation réelle, mais seulement une relation de raison, laquelle se
trouve entre l’essence et la personne, selon laquelle on dit de l’essence
qu’elle est dans la personne. Mais si on prend le même énoncé du côté de la
relation, alors le mode diffère, conformément à une différente manière d’être
du Père à l’égard du Fils et du Fils à l’égard d u Père. ainsi que nous
l’avons dit dans la réponse à la première difficulté. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [Le tout attribué à Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeritur de duobus,
secundum duas rationes quae in hac lectione habentur. Circa
primam probationem quaeruntur duo: 1
utrum in divinis sit totum integrale ; 2 utrum
sit ibi totum universale. |
On s’interroge ici sur deux
choses, d’après deux notions qui sont contenues dans cette leçon. Et au sujet
de ce premier examen on pose deux questions : 1. Y a-t-il en Dieu un tout
intégral ? 2. Y a-t-il en Dieu un tout
universel ? |
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Articulus 1 [1532] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 tit. Utrum in
divinis sit totum integrale |
Article 1 – Y a-t-il en Dieu un tout intégral[15]? |
[1533]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in divinis sit
totum integrale. Ubicumque enim est quantitas aliqua, ibi est ratio totius
integralis, cum omnis quantitas in partes divisibilis sit. Sed in Deo est
quantitas virtutis. Ergo est ibi totum integrale. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il y ait en
Dieu un tout intégral. Partout en effet où il y a une quantité, il y a là
raison de tout intégral, puisque toute quantité est divisible en parties.
Mais en Dieu il y a la quantité de la vertu. Il y a donc là un tout intégral. |
[1534] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut quantitas continua integratur ex suis
partibus, ita et numerus. Sed in divinis est numerus personarum, scilicet
ternarius, cujus pars quaedam est unum et duo. Ergo videtur quod sit ibi
totum integrale. |
2. Par ailleurs, tout comme
la quantité continue est constituée comme tout à partir de ses parties, il en
est de même du nombre. Mais en Dieu il y a une nombre de personnes, à savoir
trois, dont les parties sont un et deux. Il semble donc qu’il y ait un tout
intégral en Dieu. |
[1535] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 arg. 3 Item, quidquid est aliquid alicujus et non est illud,
est pars integralis illius. Sed Pater est aliquid Trinitatis et non est
Trinitas. Ergo est pars integralis Trinitatis. |
3. En outre, tout ce qui est
une partie d’une chose sans être cette chose, est une partie intégrale de
cette chose. Mais le Père fait partie de la Trinité et n’est pas la Trinité.
Il est donc une partie intégrale de la Trinité. |
[1536] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, ex sola natura nunquam constituuntur res
naturae, et praecipue ubi sunt plures res naturae in una natura. Sed in una
natura divina sunt plures res naturae, scilicet personae. Ergo oportet quod
ad constitutionem personae aliquid aliud naturae divinae adveniat ; et sic
erit ibi aliquid integratum ex pluribus. |
4. De plus, les choses d’une
même nature ne sont jamais constituées à partir de leur seule nature, et
principalement là où il y a plusieurs choses de même nature dans une seule et
même nature. Mais dans une seule et même nature divine il y a plusieurs
choses de même nature, à savoir les personnes divines. Il faut donc que
quelque chose d’autre survienne à la nature divine pour constituer la
personne ; et ainssi il y aura là quelque chose qui sera constitué de
plusieurs parties intégrales. |
[1537] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 s. c. 1 Contra, omne totum integrale est compositum ex
partibus. Sed in Deo nulla est compositio, sed summa simplicitas,
ut supra, dist. 8, quaest. 4, art. 1, habitum est. Ergo in divinis non est
totum integrale. |
Cependant : 1. Au contraire, tout tout
intégral est composé de parties. Mais en Dieu il n’y a nulle composition,
mais la plus grande simplicité, ainsi que nous l’avons établi plus haut
[dist. 8, quest. 4, art. 1]. Il n’y a donc en Dieu aucun tout intégral. |
[1538]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ratio totius
integralis consistit in compositione. Ratio autem partis integralis habet
imperfectionem annexam, quibus divina simplicitas et perfectio repugnat ;
unde non potest ibi esse totum integrale et pars. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que la notion de tout integral consiste en une
composition. Mais la notion de partie intégrale comporte une imperfection qui
lui est rattachée à laquelle répugne la simplicité et la perfection divines;
c’est pourquoi il ne peut y avoir là ni tout integral, ni partie intégrale. |
[1539]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod
quantitas virtutis non attenditur secundum divisionem virtutis intrinsecus ;
sed magis attenditur ejus divisio respectu exteriorum, vel secundum numerum
objectorum, vel secundum intensionem actus, vel secundum modos agendi. Unde patet quod in
quantitate virtutis non est ratio totius et partis integralis, quia partes
integrales sunt intra suum totum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la quantité de la vertu ne se vérifie pas d’après
une division intérieure de la vertu, mais sa division se vérifie
plutôt par rapport à quelque chose d’extérieur, soit d’après le nombre des
objet, soit selon l’intention de l’acte, soit d’après les modes d’opération.
D’où il est clair que dans la quantité de la vertu il n’y a pas raison de
tout intégral ni de partie intégrale, car les parties intégrales sont à
l’intérieur de leur tout. |
[1540] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in divinis unitas vel
dualitas non est pars ternarii nisi secundum rationis acceptionem. Cujus
ratio est, quia alio modo est numerus in rebus divinis et in rebus creatis,
et alio modo unitas. Cum enim unum sit quod est indivisum in se et divisum ab
aliis, unumquodque autem creatum per essentiam suam distinguatur ab aliis ;
ipsa essentia creati, secundum quod est indivisa in se et distinguens ab
aliis, est unitas ejus, et plures unitates constituentes numerum personarum
creatarum, sunt plures essentiae congregatae secundum numerationem, ita quod
nihil est in una quod sit in alia secundum numerum idem. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans les personnes divines l’unité ou la dualité n’est une partie de
trois que selon la conception de la raison. La raison en est que c’est d’une
manière différente que se présentent le nombre et l’unité dans les personnes
divines et dans les choses créées. En effet, puisque l’un est ce qui est
indivisé en soi et divisé par les autres, toute chose créée se distingue des
autres par son essence ; l’essence même de la chose créée, selon qu’elle
est indivisée en elle-même et se distingue des autres, est son unité ;
et plusieurs unités constituant un nombre de personnes créées sont plusieurs
essences rassemblées selon le nombre, de telle manière que rien de ce qui est
dans l’une n’est numériquement identique à ce qui est dans l’autre. |
Sic ergo numerus in rebus
creatis habet rationem distinctionis et cujusdam coacervationis distinctorum
per essentiam, et ex hoc habet rationem totius integralis. Unitas autem
personalis est ipsa proprietas relativa, distinguens unam personam ab alia,
et non essentiam ipsius personae ; unde tres personae non sunt differentes
per essentiam, cum una numero essentia sit in tribus personis. Et ideo non
potest ibi esse coacervatio, sed tantum distinctio. Et propter hoc numerus
non habet rationem totius integralis, nisi forte secundum quod in intellectu
coadunantur rationes proprietatum personalium. Sed per hoc non erit
integratio alicujus rei, sed in ratione tantum. |
Ainsi donc le nombre dans les
choses créées a raison de distinction et d’une certaine accumulation de
réalités distinctes par l’essence et de ce fait a raison de tout intégral.
Mais l’unité de la personne divine est la propriété relative elle-même,
laquelle distingue une personne d’une autre et non l’essence de la
personne ; c’est pourquoi les trois personnes ne sont pas différentes
par l’essence puisqu’il y a dans les trois personnes une seule essence
numériquement parlant. Et c’est pourquoi il ne peut y avoir là accumulation
mais seulement distinction. Et pour cette raison le nombre n’a pas raison de
tout intégral, si ce n’est peut-être selon que les notions des
propriétés personnelles sont réunies dans l’intelligence. Mais par cela il
n’y aura pas intégration dans une réalité, mais dans la raison seulement. |
[1541] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec est falsa: Pater est
aliquid Trinitatis, si intelligatur partitive ; significaretur enim quod
haberet partem essentiae Trinitatis, ex hoc quod aliquid, cum sit neutrum,
essentiam significat. Sed haec est vera: [est aliquis Trinitatis: ex quo non
potest concludi quod sit pars Trinitatis, nisi secundum rationem ; quia
scilicet non est tot personae quot est Trinitas: quia Trinitas est tres
personae, et non Pater Éd. de Parme]. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cette proposition est fausse : le Père est quelque chose de la
Trinité, si on l’entend à la manière d’un partage ; elle signifierait en
effet que le Père ne possède qu’une partie de l’essence de la Trinité, du
fait que quelque chose signifie l’essence puisqu’il est neutre. Mais cette
proposition est vraie : [le Père est quelqu’un de la Trinité car de là
on ne peut conclure qu’il soit une partie de la Trinité que selon la
raison : c’est-à-dire qu’il n’est pas à lui seul autant de
personnes qu’il y en a dans la Trinité : car la Trinité, c’est les trois
personnes et non pas le Père Éd. de Parme]. |
Éd.
Mandonnet : [quia scilicet non est tot personae quot est Trinitas ;
quia Trinitas et tres personae, et non Pater. Sed ex hoc quod est aliquis
Trinitas non sequitur quod sit pars Trinitatis, nisi secundum rationem, ut
dictum est.] |
Éd. Mandonnet : [c’est-à-dire qu’il
n’est pas autant de personnes qu’il y en a dans la Trinité ; car la
Trinité, c’est les trois personnes et non pas le Père. Mais du fait qu’il est
quelqu’un de la Trinité, il ne s’ensuit pas qu’il soit une partie de la
Trinité, si ce n’est selon la raison, comme nous l’avons dit.] |
[1542] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod naturae divinae nihil additur
ad constituendum rem naturae, cum in Deo idem sit quo est et quod est, sive
qui est. Distinctio autem non est ex ratione naturae, sed ex ratione
proprietatis relativae ; quae quidem, secundum quod comparatur ad essentiam,
est ratione tantum et non re ab ipsa differens ; prout autem comparatur ad
correlativum cui opponitur, facit realem distinctionem personae, ut supra
dictum est, dist. 9, quaest. unic. art. 1. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que rien n’est ajouté à la nature divine pour constituer une réalité de
cette nature, puisqu’en Dieu ce par quoi il est et ce qui est ou qui il est,
sont identiques. Mais la distinction ne vient pas de la raison de nature,
mais de la raison de la propriété relative laquelle certes, selon qu’elle se
compare à l’essence, diffère d’elle par la raison et non dans la
réalité ; mais pour autant qu’elle se compare au corrélatif auquel elle
s’oppose, entraîne une distinction réelle de la personne ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 9, quest. unique, art. 1]. |
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Articulus 2 [1543] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 tit. Utrum in
divinis sit totum universale |
Article 2 – Y a-t-il en Dieu un tout universel ? |
[1544]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in divinis sit
totum universale. Quidquid enim praedicatur de aliquo substantialiter et non
conversim, praedicatur de ipso ut totum universale de parte subjectiva. Sed
essentia divina, vel Deus, hoc modo praedicatur de Patre: Pater enim est
essentia divina, sed non quicumque est essentia divina est Pater. Ergo ibi
est totum universale. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il y ait un
tout universel en Dieu. En effet, tout ce qui s’attribue substantiellement à
un être et non réciproquement, lui est attribué comme un tout universel
s’attribue à la partie subjective. Mais l’essence divine, ou Dieu, s’attribue
au Père de cette manière. Le Père en effet est l’essence divine mais ce n’est
pas toute personne divine ayant l’essence divine qui est le Père. Il y a donc
là un tout universel. |
[1545] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, universale et particulare differunt, sicut
commune et proprium. Sed in divinis invenitur commune et proprium ; quia
essentia est communis, et relatio est propria personae. Ergo est ibi
universale et particulare. |
2. Par ailleurs, l’universel
et le particulier diffèrent comme le commun et le propre. Mais on retrouve le
commun et le propre dans les personnes divines ; car l’essence est
commune tandis que la relation est propre à la personne. Il y a donc là de
l’universel et du particulier. |
[1546]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 3 Item, supra, dist. 5, ex verbis Hilarii
habitum est, quod Filius Dei generis sui potestatem in habitu
assumptae humilitatis [humanitatis Éd. de Parme] exercuit.
Genus autem suum nominat naturam divinam [suam Éd. de Parme].
Ergo videtur quod essentia sit genus et universale respectu personarum. |
3. En outre, nous avons
établi plus haut dans la distinction cinq à partir des paroles de
Saint-Hilaire que le Fils de Dieu a exercé la puissance de son genre
dans la possession de l’humilité [de l’humanité Éd. de Parme] qu’il avait
prise. Il semble donc que l’essence soit le genre et l’universel par
rapport aux personnes. |
[1547] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, scientia est species cognitionis. Sed de
Deo utrumque dicitur, scilicet quod cognoscit et scit. Ergo videtur quod in
divinis sit totum universale. |
4. Par ailleurs, la science
est une espèce de connaissance. Mais les deux se disent de Dieu, à savoir
qu’il connait et qu’il sait. Il semble donc qu’il y ait un tout universel en
Dieu. |
[1548] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, ubicumque est universale et particulare,
particularia sunt potentia in suis universalibus sicut differentiae in
genere. Sed in divinis non est aliquid in potentia. Ergo non est ibi
universale et particulare. |
Cependant : 1. Par contre, partout où il
y a l’universel et le particulier, les particuliers existent en puissance
dans leurs universels, comme les différences dans leur genre. Mais en Dieu il
n’y a rien qui soit en puissance. Il n’y a donc pas là d’universel ni de
particulier. |
[1549] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne superius est pars integralis constituens
definitionem inferioris ; unde dicit Porphyrius, in Praed., cap.
« De diffi., » quod genus se habet ad similitudinem
materiae, et differentia ad similitudinem formae, et species ad similitudinem
compositi. Sed in divinis non est totum integrale et pars. Ergo etiam nec
totum universale et pars sibi respondens. |
2. De plus, tout supérieur
est une partie intégrale constituant la définition de l’inférieur ;
c’est pourquoi Porphyre [Les Prédicables, ch. Sur la
Différence] dit que le genre se présente comme une similitude de la
matière, la différence comme une similitude de la forme et l’espèce comme une
similitude du composé. Mais en Diue il n’y a ni tout, ni partie intégrale. Il
n’y a donc pas non plus un tout universel ni une partie qui lui correspond. |
[1550]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in divinis
non potest esse universale et particulare. Et hujus ratio potest quadruplex
assignari: |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’en Dieu il ne peut y avoir ni universel ni particulier. Et quatre raisons
peuvent être assignées pour le prouver : |
primo, quia,
secundum Avicennam, (II parte Logicae, cap. II) ubicumque est genus et
species, oportet esse quidditatem differentem a suo esse, ut prius, dist. 8,
quaest. 1, art. 1, dictum est ; et hoc in divinis non competit ; |
Premièrement, parce que, selon Avicenne [Logique,
partie 11, ch. 11], partout où il y a genre et espèce, il faut que la
quiddité soit différente de son existence, ainsi que nous l’avons dit
précédemment [dist. 8, quest. 1, art. 1], ce qui répugne à Dieu. |
secundo, quia essentia universalis
non est eadem numero in suis inferioribus, sed secundum rationem tantum ;
essentia autem divina est eadem numero in pluribus personis ; |
Deuxièmement, parce que l’essence universelle
n’est pas la même numériquement parlant dans ses inférieurs, mais elle est la
même seulement selon la raison ; mais l’essence divine est la même
numériquement parlant dans la pluralité des personnes. |
tertio, quia universale exigit
pluralitatem in his quae sub ipso continentur vel in actu vel in potentia: in
actu sicut est in genere, quod semper habet plures species ; in potentia
sicut in aliquibus speciebus, quarum forma, quantum est de se, possibilis est
inveniri in multis, cum omnis forma sit de se communicabilis ; sed quod
inveniatur tantum in uno, est ex parte materiae debitae illi speciei, quae
tota adunatur in uno individuo, ut patet in sole, qui constat ex tota sua
materia ; et ista pluralitas est secundum numerum, qui numerus simpliciter est
fundatus in substantiali distinctione: tres autem personae non numerantur
tali numero, ut dictum est, art. antec., et ideo essentia non habet rationem
universalis ; |
Troisièmement, parce que l’universel exige
une pluralité, soit en acte, soit en puissance, dans les choses qui sont
contenues en lui : en acte, comme c’est le cas pour le
genre qui possède toujours plusieurs espèces ; en puissance
comme dans certaines espèces, dont la forme qui, quant à ce qu’elle est en
elle-même, peut être retrouvée en plusieurs puisque toute forme, en
elle-même, est communicable ; mais ce qu’on retrouve seulement dans une
chose vient du côté de la matière qui est due à cette espèce et qui est
totalement réunie en un seul individu, comme on le voit pour le soleil qui
subsiste à partir de toute sa matière ; et cette pluralité est selon le
nombre, lequel nombre s’enracine absolument dans la distinction
substantielle : mais les trois personnes ne se nombrent pas par un tel
nombre, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, et c’est
pourquoi dans ce cas l’essence n’a pas raison d’universel. |
quarto, quia particulare semper se habet ex additione ad
universale. In divinis autem, propter summam simplicitatem, non est
possibilis additio, et ideo nec universale nec particulare. |
Quatrièmement, parce que le particulier se
présente toujours à partir d’une addition à l’universel. Mais dans les
personnes divines, à cause de leur parfaite simplicité, aucune addition n’est
possible, et c’est pourquoi ni l’universel, ni le particulier ne peut leur
être ajouté. |
[1551] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod modus praedicandi
proportionatur ipsis rebus de quibus fit praedicatio ; cum, secundum
Hilarium, IV De Trinitate, § 14, col. 107, sermo sit rei subjectus.
Unde sicut nulla res in creaturis invenitur similis ex toto unitati essentiae
in tribus personis, sed secundum aliquid: ita etiam nullus modus praedicandi
in creaturis est similis huic modo praedicandi quo essentia vel Deus de
tribus personis praedicatur. Dico igitur, quod secundum id quod tactum est in
objectione, habet similitudinem cum modo praedicandi totius universalis, sed
differt secundum alia quae supra, in corp. art., dicta sunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le mode d’attribution est proportionné aux choses mêmes
auxquelles il y a attribution, puisque, selon Saint-Hilaire [IV De la
Trinité, & 14, col. 107], le discours est soumis à la chose. C’est
pourquoi, tout comme aucune chose dans les créatures ne se trouve semblable
en totalité à l’unité de l’essence dans les trois personnes, mais seulement
d’une certaine manière, de même encore aucun mode d’attribution dans les
créatures n’est semblable à ce mode d’attribution par lequel l’essence ou
Dieu est attribué aux trois personnes. Je dis donc que ce dernier mode
d’attribution, selon ce qui a été abordé dans l’objection, présente une
similitude avec le mode d’attribution du tout universel, mais il en diffère
sous d’autres rapport dont nous avons parlé plus haut dans le corps de
l’article. |
[1552] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commune, quantum est de se,
non determinat rei communitatem, vel rationis, sicut universale ; et ideo
essentia potest dici communis, non autem universalis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le commun, quant à ce qu’il est en lui-même, ne détermine pas le
caractère commun de la chose en elle-même ou de la raison comme le fait
l’universel ; et c’est pourquoi l’essence peut être dite commune mais
non pas universelle. |
[1553] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Hilarius loquitur ad
similitudinem creaturarum, prout communiter loquendo dicimus, genus hominum
unum genus esse, secundum quod est multitudo aliquorum se habentium ad unum
principium ; ita etiam dicitur genus divinum ipsa pluralitas personarum,
secundum ordinem emanationis ab uno principio, qui est Pater. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que Saint-Hilaire parle de la similitude des créatures, en tant que nous
disons en parlant universellement que le genre humain est un seul genre selon
lequel il y a une multitude d’individus qui se rapportent à un seul
principe ; de même encore on dit la même chose du genre divin à l’égard
de la pluralité des personnes, selon un ordre d’origine à partir d’un seul et
même principe qui est le Père. |
[1554]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in
creaturis quaedam inveniuntur quae tam secundum rationem generis, quam
secundum rationem speciei dicunt aliquid perfectionis. Unde attribuitur Deo
utrumque secundum propriam rationem, sicut patet in cognitione et scientia.
Et haec quidem quamvis in creaturis se habeant sicut genus et species, tamen
in divinis non sic se habent ; quia unum, secundum rem nihil addit super
alterum, sed solum secundum rationem. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que dans les créatures on retrouve certaines
caractéristiques qui disent quelque chose de la perfection, tant sous le
rapport du genre que sous celui de l’espèce. C’est pourquoi on attribute les
deux à Dieu sous le rapport qui lui est propre, ainsi qu’on le voit pour la
connaissance et la science. Et bien que ces caractères se présentent certes
chez les créatures comme un genre et une espèce, cependant ils ne se
présentent pas ainsi dans les personnes divines; car l’un n’ajoute rien à
l’autre dans la réalité, mais seulement selon la raison. |
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Quaestio 5 |
Question 5 – [La vérité] |
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Prooemium |
Prologue |
[1555] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 pr. Circa secundam probationem quaeritur de veritate, et
quaeruntur tria: 1 quid
sit veritas ; 2 utrum
omnia sint vera una veritate, quae est veritas increata, [sive prima ; add. Ed. de Parme] 3 de conditionibus
veritatis, scilicet aeternitate et incommutabilitate ejus. |
Par rapport à l’autre examen
on s’interroge sur la vérité, et on pose trois interrogations : 1. Qu’est-ce que la
vérité ? 2. Est-ce que toutes les
vérités sont vraies par une seule et même vérité qui est une vérité incréée
[ou première ; add. Éd. de Parme] 3. Quelles sont les
conditions de la vérité, à savoir son éternité et son immutabilité ? |
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Articulus 1 [1556] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 tit. Utrum veritas sit
essentia rei |
Article 1 – La vérité est-elle l’essence de la chose ? |
[1557]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod veritas sit
idem quod essentia rei [rei om.Ed. de Parmei]. Dicit enim
Augustinus, lib. II Soliquiorum, c. V, col. 389, quod
« verum est id quod est », et ab aliis dicitur quod verum est
indivisio esse et ejus quod est. Ergo unumquodque dicitur verum, secundum
quod habet esse. Esse autem est actus essentiae. Ergo cum unumquodque
veritate formaliter sit verum, videtur quod omnino idem sit veritas et
essentia. |
1. Il semble que la vérité
soit identique à l’essence de la chose [chose om. Éd. de Parme].
Saint-Augustin dit en effet [11 Soliloques, ch. V, col. 389] que
¨le vrai est ce qui est ¨ et d’autres disent que le vrai est l’indivision de
l’être et de ce qui est. Donc tout est dit vrai selon qu’il a de
l’être. Mais l’être est l’acte de l’essence. Donc, puisque c’est par la
vérité que tout est formellement vrai, il semble que la vérité et l’essence
soient absolument identiques. |
[1558] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, quaecumque differunt re vel ratione unum
potest intelligi sine altero, unde etiam secundum Boetium,lib. De
hebdom., col. 1312, potest intelligi Deus, non intellecta ejus
bonitate. Sed essentia rei non potest intelligi sine veritate. Ergo essentia
rei et veritas non differunt neque re neque ratione. |
2. Par ailleurs, pour tout ce
qui diffère réellement ou par la raison, l’un peut être compris sans l’autre
et c’est pourquoi aussi d’après Boèce [Les Semaines, col. 1312], Dieu
peut être compris même si on ne comprend pas sa bonté. Mais l’essence d’une
chose ne peut être comprise sans la vérité. Donc l’essence de la chose et la
vérité ne diffèrent ni réellement ni par la raison. |
[1559] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 arg. 3 Item, quidquid differt secundum rationem ab ente, se
habet ex additione ad illud. Sed quod habet se ex additione ad aliquid,
contrahit et determinat illud, sicut se habet homo ad animal. Cum igitur
verum non contrahat ens (quia verum et ens convertuntur), videtur quod
veritas neque re neque ratione ab essentia differat. |
3. En outre, tout ce qui
diffère de l’être par la raison se présente comme une addition à l’être. Mais
ce qui se présente comme une addition à un être le restreint et le détermine,
comme c’est le cas pour l’homme par rapport à l’animal. Donc, puisque le vrai
ne restreint pas l’être (car l’être et le vrai se convertissent), il semble
que la vérité ne diffère de l’essence ni réellement ni par la raison. |
[1560]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, Anselmus, lib. De veritate, cap. XI, col. 480, dicit,
quod veritas est rectitudo sola mente perceptibilis. Constat autem quod
loquitur metaphorice de rectitudine, quia rectitudo proprie dicta est passio
continui. Sed bonitas et justitia secundum propriam rationem habent quod sint
rectitudo sola mente perceptibilis. Ergo videtur quod veritas re et ratione
sit idem quod bonitas et justitia. |
4. Par ailleurs,
Saint-Anselme [De la Vérité, ch. XI, col. 480] dit que la vérité est
une droiture qui n’est perceptible que par l’intelligence. Mais il est clair
qu’il parle ici de la droiture en un sens métaphorique, car la rectitude au
sens propre est une propriété du continu. Mais la bonté et la
justice proprement dites sont une droiture perceptible par l’intelligence
seule. Il semble donc que la vérité soit identique réellement et par la
raison à la bonté et à la justice. |
[1561] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 arg. 5 Contra, contingit aliquid verum dicere et de ente et
de non ente. Sed non entia non habent essentiam. Cum ergo omne verum veritate
sit verum, videtur quod veritas non sit idem quod essentia. |
5. Au contraire, il est
possible de dire quelque chose de vrai à la fois de l’être et du non-être.
Mais ce qui n’existe pas n’a pas d’essence. Donc, puisque tout ce qui est
vrai est vrai par la vérité, il semble que la vérité ne soit pas identique à
l’essence. |
[1563] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 arg. 7 Item, veritas et falsitas sunt tantum in complexis ;
quia singulum incomplexorum neque verum neque falsum est. Sed essentia est
rerum incomplexarum. Ergo non est idem quod veritas. |
6. Par ailleurs, la vérité et
la fausseté ne se retrouvent que dans ce qui est complexe ; car chacune
des conceptions simples n’est ni vraie ni fausse. Mais l’essence fait partie
des réalités intellectuelles simples. Elle n’est donc pas identique à la
vérité. |
[1564] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 arg. 8 Item, veritati opponitur falsitas. Sed falsitatem
contingit invenire in entibus, sicut dicimus aurum falsum: sed de ente non
dicitur non ens. Ergo falsum non est idem quod non ens ; ergo nec veritas est
idem quod essentia ; quia si contrarium de contrario non praedicatur ut idem,
nec oppositum de opposito. |
7. En outre, la fausseté
s’oppose à la vérité. Mais il est possible de retrouver la fausseté dans des
êtres, par exemple lorsque nous disons que nous sommes en présence d’un faux
or : mais nous ne disons pas de l’être qu’il est du non-être. Donc le
faux n’est pas identique au non-être ; donc la vérité n’est pas
identique à l’essence ; car si le contraire ne s’attribue pas comme
identique au contraire, alors l’opposé ne s’attribuera pas comme identique à
l’opposé. |
[1565]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod eorum quae
significantur nominibus, invenitur triplexdiversitas. Quaedam enim sunt quae
secundum esse totum completum sunt extra animam ; et hujusmodi sunt entia
completa, sicut homo et lapis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que parmi ce qui est signifié par les noms, on retrouve une triple diversité. Il y en a en effet qui
existent en dehors de l’âme selon la totalité complète de leur existence. Et
les êtres complets, comme l’homme et la pierre, sont de cette sorte. |
Quaedam autem sunt quae
nihil habent extra animam, sicut somnia et imaginatio Chimerae. |
Mais il y en a qui ne possèdent
aucune existence en dehors de l’âme, comme les songes et les fables
construites par l’imagination. |
Quaedam
autem sunt quae habent fundamentum in re extra animam, sed complementum
rationis eorum quantum ad id quod est formale, est per operationem animae, ut
patet in universali. Humanitas enim est aliquid in re, non tamen ibi habet
rationem universalis, cum non sit extra animam aliqua humanitas multis
communis ; sed secundum quod accipitur in intellectu, adjungitur ei per
operationem intellectus intentio, secundum quam dicitur species: et similiter
est de tempore, quod habet fundamentum in motu, scilicet prius et posterius
ipsius motus ; sed quantum ad id quod est formale in tempore, scilicet
numeratio, completur per operationem intellectus numerantis. |
Mais
il y en a d’autres qui possèdent un fondement dans la chose en dehors de
l’âme mais ce qui complète leur définition du point de vue formel a lieu par
l’opération de l’âme, comme on le voit pour l’universel. L’humanité en effet
est quelque chose dans la réalité, mais ce n’est pas là qu’elle a raison
d’universel, puisqu’il n’existe pas en dehors de l’âme une humanité commune à
une pluralité d’individus; mais selon qu’elle est recue dans l’intelligence,
une intention lui est ajoutée par l’opération de l’intelligence selon
laquelle elle est appelée espèce: et il en est de même pour le temps qui a un
fondement dans le movement, à savoir qu’il est l’avant et l’après du
movement; mais quant à ce qu’il y a de formel dans le temps, à savoir le fait
de la compter, cela est accompli par l’opération de l’intelligence qui
compte. |
Similiter
dico de veritate, quod habet fundamentum in re, sed ratio ejus completur per
actionem intellectus, quando scilicet apprehenditur eo modo quo est. Unde
dicit philosophus, VI Métaph., text. 8, quod verum et falsum
sunt in anima ; sed bonum et malum in rebus. Cum autem in re sit quidditas
ejus et suum esse, veritas fundatur in esse rei magis quam in quidditate,
sicut et nomen entis ab esse imponitur ; et in ipsa operatione intellectus accipientis
esse rei sicut est per quamdam similationem ad ipsum, completur relatio
adaequationis, in qua consistit ratio veritatis. |
Je
dis qu’il en est de même pour la vérité qui possède un fondement dans la
réalité, mais sa definition est complétée par l’action de l’intelligence, à
savoir quand elle est saisie de la manière par laquelle elle existe. C’est
pourquoi le Philosophe [ VI Métaphysique, texte 8] dit que le
vrai et le faux existent dans l’âme, mais le bien et le mal dans les choses.
Mais puisque c’est dans la chose qu’existe sa quiddité et et son existence,
la vérité se fonde davantage dans l’existence de la chose que dans sa
quiddité, tout comme le nom d’étant est imposé à partir du terme ¨être¨; et
c’est dans l’opération même de l’intellect qui reçoit l’existence de la chose
en tant qu’elle y existe par une certaine resemblance à ce dernier, qu’est
complétée la relation d’adéquation dans laquelle consiste la notion de
vérité. |
Unde dico, quod ipsum esse
rei est causa veritatis, secundum quod est in cognitione intellectus. Sed
tamen ratio veritatis per prius invenitur in intellectu quam in re: sicut
etiam calidum et frigidum et aliae causae sanitatis sunt causa sanitatis quae
est in animali, et tamen animal per prius dicitur sanum et signa sanitatis et
causa sanitatis dicuntur sana secundum analogiam ad sanum quod de animali
dicitur. Unde dico, quod verum per prius dicitur de veritate intellectus, et
de enuntiatione dicitur inquantum est signum illius veritatis ; de re autem
dicitur, inquantum est causa. |
De là je dis que l’existence
même de la chose est la cause de la vérité selon qu’elle existe dans la
connaissance de l’intelligence. Mais cependant la notion de vérité se
retrouve dans l’intelligence avant de se retrouver dans la chose : tout
comme encore le chaud et le froid et les autres causes de la santé sont cause
de la santé qui est dans l’animal, et cependant c’est l’animal d’abord qui
est dit sain et par la suite les signes de la santé et les causes de la santé
sont dits sains par analogie à la santé qui se dit de l’animal. C’est
pourquoi je dis que le vrai se dit d’abord de la vérité de l’intelligence, et
il se dit ensuite de l’énonciation en tant qu’elle est le signe de cette
vérité, puis enfin de la chose, selon qu’elle en est la cause. |
Unde res dicitur vera quae
nata est de se facere veram apprehensionem quantum ad ea quae apparent
exterius in ipsa ; et similiter dicitur falsa res quae nata est facere,
quantum ad id quod apparet exterius de ipsa, falsam apprehensionem, sicut
aurichalcum dicitur aurum falsum. Et inde est etiam quod homo dicitur falsus,
qui dictis vel factis ostendit de se aliud quam sit ; et per oppositum
intelligitur veritas quae est virtus in dictis et factis consistens, ut dicit
philosophus, V Métaph.,text. 34 (cf. IV Ethic. , c.
XII) |
De là une chose est dite
vraie qui est apte d’elle-même à entraîner une appréhension vraie à partir de
ce qu’elle manifeste à l’extérieur d’elle-même ; et de même une chose
est dite fausse qui est apte d’elle-même, quant à ce qui apparaît à l’extérieur
d’elle-même, à entraîner une appréhension fausse, tout comme on dit du laiton
qu’il est un faux or. Et c’est de là qu’on dit encore qu’est faux l’homme
qui, à partir de ce qu’il dit et ce qu’il fait, se montre autre qu’il est en
réalité ; et c’est par opposition à cela que se comprend la vérité qui
est la vertu qui se maintient dans le dire et le faire, comme le
dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 34 (cf. IV Éthique,
ch. XII)]. |
Utraque autem veritas,
scilicet intellectus et rei, reducitur sicut in primum principium, in ipsum
Deum ; quia suum esse est causa omnis esse, et suum intelligere est causa
omnis cognitionis. Et ideo ipse est prima veritas, sicut et primum ens:
unumquodque enim ita se habet ad veritatem sicut ad esse, ut patet ex dictis. |
Mais les deux vérités, à
savoir celle de l’intelligence et de la chose se ramènent à Dieu comme à un
premier principe ; car son existence est la cause de toute existence, et
l’acte de son intellect est la cause de toute connaissance. Et c’est pourquoi
il est lui-même la première vérité, tout comme il est le premier être :
en effet, toute chose se rapport à la vérité comme elle se rapporte à l’être,
ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été dit. |
Et inde est quod prima
causa essendi est prima causa veritatis et maxime vera, scilicet Deus, ut
probat philosophus II Metaph., text. 4. Veritas autem
enuntiationis reducitur in prima principia per se nota sicut in primas causas
; et praecipue in hoc principium, quod affirmatio et negatio non sunt simul
vera, ut dicit Avicenna, II parte Logicae, cap. IV. |
Et c’est de là qu’il faut
poser que la cause première de l’être est aussi la cause première de la
vérité et qu’elle est la vérité suprême, à savoir Dieu, comme le prouve le
Philosophe [11 Métaphysique, texte 4]. Mais la vérité de
l’énonciation se ramène aux tout premiers principes connus par eux-mêmes
comme à ses causes premières, et surtout à ce premier principe que
l’affirmation et la négation ne sont pas simultanément vraies, comme le dit
Avicenne [Logique, partie 11, ch. IV]. |
Sic ergo
patet quomodo diversae definitiones de veritate dantur. Quaedam enim
veritatis definitio datur secundum hoc quod veritas completur in
manifestatione intellectus ; sicut dicit Augustinus, lib. de vera
religione, cap. XXXVI, col. 151 : Veritas est qua ostenditur id
quod est ; et Hilarius V De Trinitate, § 14, col.
137 : verum est declarativum aut manifestativum esse. |
Il apparaît donc clairement
comment différentes définitions sont données au sujet de la vérité. En effet,
une définition de la vérité est donnée d’après ceci que la vérité est
complétée dans ce que l’intelligence en manifeste ; comme le dit
Saint-Augustin [De la Vraie Religion, ch. XXXVI, col.
151] : La vérité est la manifestation de ce qui est ;
et Saint-Hilaire dit de même [V De la Trinité, &14, col.
137] : le vrai est la déclaration ou la manifestation de l’être. |
Quaedam autem datur de
veritate secundum quod habet fundamentum in re, sicut illa Augustini,
II Soliloq., cap.V, col. 889 : « Verum est id
quod est ; et alia magistralis: Verum est indivisio esse
et ejus quod est » ; et alia Avicennae, tract. VIII Metaph. :
« Veritas cujusque rei, est proprietas sui esse quod stabilitum ei
est ». |
Mais une autre définition est
donnée au sujet de la vérité d’après ce qu’elle a de fondement dans la
réalité, comme celle-ci qu’en donne Saint-Augustin [11 Soliloques,
ch. V, col. 889] : ¨Le vrai est ce qui est¨ ; et cette autre du
maître : ¨Le vrai est l’indivision de l’être et de ce qui est¨ ; et
cette autre enfin d’Avicenne [Métaphysique,
traité VIII] : ¨La vérité de chaque chose consiste dans la
propriété de son être tel qu’il lui a été attribué¨. |
Quaedam autem datur
secundum commensurationem ejus quod est in intellectu ad id quod est in re,
sicut dicitur: veritas est adaequatio rei ad intellectum ; et Augustinus:
« Verum est quod ita se habet ut cognitori videtur si velit et possit
cognoscere ». |
Mais une autre définition de
la vérité est donnée selon l’égalité de mesure de ce qui est dans
l’intelligence par rapport à ce qui existe dans la chose, comme lorsqu’on dit
que la vérité est l’adéquation de la chose à l’intelligence ; et c’est
là ce que dit Saint-Augustin : ¨Le vrai est ce qui est tel qu’il
apparaît à celui qui connaît si ce dernier veut et peut le connaître¨. |
Quaedam autem datur de
veritate secundum quod appropriatur Filio, cui etiam appropriatur cognitio,
scilicet ab Augustino, lib. De vera relig., cap. XXXVI, col. 151 :
« Veritas est summa similitudo principii quae sine ulla
dissimilitudine est ». |
Mais une autre définition est
données de la vérité selon qu’elle est appropriée au Fils auquel est aussi
appropriée la connaissance par Saint-Augustin [De la Vraie Religion,
ch. XXXVI, col. 151] : ¨La vérité est la parfaite similitude de
chaque chose avec son principe sans nulle dissemblance¨. |
Quaedam autem datur de
veritate, comprehendens omnes veritatis acceptiones, scilicet: veritas est
rectitudo sola mente perceptibilis. In rectitudine tangitur commensuratio ;
et in hoc quod dicitur sola mente perceptibilis, tangitur id quod complet
rationem veritatis. |
Mais il y a une définition de
la vérité qui est donnée et qui comprend toutes les acceptions de la vérité,
à savoir : la vérité est une rectitude qui est perçue par la seule
intelligence. Par le terme de rectitude on touche à l’idée de proportion ou
d’égalité de mesure ; et en ceci qu’on dit qu’elle n’est perçue que par
l’intelligence, on touche ce qui complète la notion de vérité. |
Patet etiam ex dictis, quod
veritas addit supra essentiam secundum rationem, scilicet ordinem ad cognitionem
vel demonstrationem alicujus. |
Il est encore clair à partir
de ce qui a été dit que la vérité ajoute à l’essence selon la raison,
c’est-à-dire le rapport à la connaissance ou à la démonstration d’une vérité. |
[1566] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod esse dicitur dupliciter: uno modo secundum quod ens
significat essentiam rerum prout dividitur per decem genera ; alio modo secundum quod
esse significat compositionem quam anima facit ; et istud ens philosophus,
V Metaph., text. 14, appellat verum. Et similiter Augustinus,
cum dicit quod verum est id quod est ; quasi dicat: verum est quando dicitur
de eo quod est ; et similiter intelligitur quod dicitur: verum est indivisio
esse et ejus quod est. Et si in negativis sit veritas quae non consistit in
compositione, sed in divisione, tamen veritas negative fundatur supra
veritatem affirmative, cujus signum est quod nulla negativa probatur nisi per
aliquam affirmationem. Vel potest dici, quod definitiones istae dantur de
vero non secundum completam sui rationem, sed secundum illud quod fundatur in
re. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’être se dit de deux manières : en un premier sens selon que
l’être signifie l’essence des choses selon qu’elle se divise par les dix
genres ; en un deuxième sens selon que
l’être signifie la composition que l’âme fait ; et cet être, le
Philosophe [V Métaphysique, texte 14] l’appelle le vrai. Et Saint-Augustin fait de
même lorsqu’il dit que le vrai est ce qui est ; c’est comme s’il
disait : il y a vérité quand on dit de la chose qu’elle est et que ce
qu’on dit est entendu semblablement : le vrai est l’indivision de l’être
et de ce qui est. Et si dans les négatives il y a une vériét qui ne consiste
pas en une composition mais en une division, cepenant la vérité qui est sous
une forme négative se fonde sur une vérité affirmative ; le signe en est
qu’aucune négative n’est prouvée si ce n’est par une affirmative. Ou bien on
peut encore dire que ces définitions au sujet de la vérité ne sont pas
données d’après sa notion complète, mais selon qu’elle se fonde sur la
réalité. |
[1567]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut
bonitas dicit rationem per quam essentia ordinatur ad appetitum, ita veritas
dicit rationem per quam essentia ordinatur ad intellectum. Unde sicut nullum esse
appetitur amota ratione boni, ita nullum esse intelligitur amota ratione
veri. Nihilominus tamen alia est ratio veri et alia ratio entis. Dupliciter
enim dicitur aliquid non posse intelligi sine altero. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tout comme le bien dit le rapport par lequel l’essence est ordonnée
à l’appétit, de même la vérité dit le rapport par lequel l’essence est
ordonnée à l’intelligence. C’est pourquoi, tout comme aucun être n’est désiré
si on enlève la notion de bien, de même aucun être n’est l’objet de l’acte de
l’intelligence si on enlève la notion de vrai. Néanmoins cependant, autre est
la notion du vrai, autre est la notion d’être. En effet, c’est de deux manières
qu’on dit qu’une chose ne peut être comprise sans une autre. |
Aut ita quod unum non
possit intelligi si non ponatur alterum esse ; et sic dicitur quod esse non
potest intelligi sine vero, sicut etiam non potest intelligi sine hoc quod
est esse intelligibile. |
Soit de telle manière que
l’une ne peut être comprise si on ne pose pas que l’autre existe ; et
c’est ainsi qu’on dit que l’être ne peut être compris sans le vrai, tout
comme aussi il ne peut être compris sans que l’être soit intelligible. |
Sive ita quod quandocumque
intelligitur unum, intelligatur alterum ; sicut quicumque intelligit hominem
intelligit animal. Et hoc modo esse potest intelligi sine vero, sed non e
converso: quia verum non est in ratione entis, sed ens in ratione veri ;
sicut potest aliquis intelligere ens, et tamen non intelligit aliquid de
ratione intelligibilitatis ; sed nunquam potest intelligi intelligibile,
secundum hanc rationem, nisi intelligatur ens. Unde etiam patet quod ens est
prima conceptio intellectus. |
Soit de telle manière qu’à
chaque fois que l’un est compris, l’autre est compris ; tout comme
quiconque comprend l’homme comprend l’animal. Et en ce sens l’être peut être
compris sans le vrai, mais non inversement : car le vrai n’est pas
compris dans la notion de l’être, mais l’être est compris dans la notion du
vrai ; par exemple quelqu’un peut concevoir l’être sans cependant
concevoir quelque chose de la notion d’intelligibilité ; mais on ne peut
jamais concevoir l’intelligible, en tant qu’intelligible, sans concevoir
l’être. C’est pourquoi encore il est clair que l’être est la première
conception de l’intelligence. |
[1568] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verum addit supra ens, sicut
et bonum et unum. Nullum tamen eorum addit aliquam differentiam contrahentem
ens, sed rationem quae consequitur omne ens ; sicut unum addit rationem
indivisionis, et bonum rationem finis, et verum rationem ordinis ad
cognitionem ; et ideo haec quatuor convertuntur, ens, bonum, unum et verum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le vrai ajoute à l’être comme c’est le cas pour le bien et pour
l’un. Cependant, aucune de ces notions n’ajoute une différence qui limite
l’être, mais seulement une notion qui découle de l’être ; par exemple
l’un ajoute la notion d’indivision, et le bien la notion de fin, et le vrai
la notion de rapport à la connaissance ; et c’est pourquoi ces quatre
notions, à savoir l’être, le bien, l’uln et le vrai, se convertissent. |
[1569] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod rectitudo dicitur de bonitate,
justitia et veritate, metaphorice, secundum diversas rationes. Invenitur enim
in recto quaedam aequalis proportio principii, medii et finis ; unde secundum
hoc quod aliquis in distribuendo vel communicando, mensuram aequalitatis
justitiae servat, vel mensuram praecepti legis, dicitur rectitudo justitiae ;
secundum autem quod aliquid non egreditur commensurationem finis, dicitur
rectitudo bonitatis ; secundum autem quod non egreditur ordinem
commensurationis rei et intellectus, dicitur rectitudo veritatis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la droiture se dit métaphoriquement de la bonté, de la justice et de
la vérité, selon différentes définitions. On retrouve en effet dans le droit
une proportion égale du commencement, du milieu et de la fin ; c’est
pourquoi, suivant ceci qu’on observe la mesure de l’égalité de la justice
dans la distribution et la communication, ou qu’on observe la mesure du
précepte de la loi, on dit de la droiture qu’elle est celle de la justice ;
mais selon que quelque chose n’outrepasse pas l’égalité de mesure de la fin,
on dit de la droiture qu’elle est celle du bien ; mais selon qu’elle
n’outrepasse pas l’ordre de l’égalité de mesure de la chose et de
l’intelligence, on dit de la droiture qu’elle est celle de la vérité. |
[1570] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, secundum Avicennam tract.
II Metaph., cap. 1, de eo quod nullo modo est, non potest
aliquid enuntiari: ad minus enim oportet quod illud de quo aliquid
enuntiatur, sit apprehensum ; et ita habet aliquod esse ad minus in
intellectu apprehendente ; et ita constat quod semper veritati respondet
aliquod esse ; nec oportet quod semper respondeat sibi esse in re extra
animam, cum ratio veritatis compleatur in ratione animae. |
5. Il faut dire en
cinquième lieu que d’après Avicenne [Métaphysique, traité 11, ch. 1], on ne
peut rien énoncér au sujet de ce qui n’existe d’aucune manière ; il faut
en effet que cela même, au sujet de quoi on énonce quelque chose, soit
appréhendé ; et ainsi cela possède une certaine existence au moins dans
l’intellect de celui qui appréhende ; et ainsi il est clair qu’à la
vérité correspond toujours une certaine forme d’existence et il n’est pas
nécessaire que lui corresponde toujours une existence dans la réalité qui est
en dehors de l’âme, puisque la notion de vérité trouve son achèvement dans le
rapport à l’âme. |
[1571] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis esse sit in rebus
sensibilibus, tamen rationem essendi, vel intentionem entis, sensus non
apprehendit, sicut nec aliquam formam substantialem, nisi per accidens, sed
tantum accidentia sensibilia. Ita etiam quamvis veritas sit in rebus
sensibilibus, prout dicitur esse veritas in rebus, tamen intentio veritatis
solo intellectu percipitur. Vel dicendum, quod quamvis res sensibiles sensu
comprehendantur, tamen earum adaequatio ad intellectum sola mente capitur, et
pro tanto dicitur, quod veritas est sola mente perceptibilis. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que bien qu’il y ait de l’être dans les choses sensibles, cependant le
sens n’appréhende pas la notion d’être ou l’intention de l’être, tout comme
il n’appréhende pas la forme substantielle, si ce n’est pas accident, mais
seulement les accidents sensibles. De même encore, bien que la vérité soit
dans les choses sensibles, pour autant qu’on dise que la vérité est dans les
choses, cependant l’intention de vérité n’est perçue que par l’intelligence.
Ou bien il faut dire que bien que les choses sensibles soient saisies par le
sens, cependant leur adéquation à l’intelligence n’est saisie que par
l’esprit et c’est pour cela qu’on dit que la vérité n’est perceptible que par
l’esprit. |
[1572] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod cum sit duplex operatio
intellectus: una quarum dicitur a quibusdam imaginatio intellectus, quam
philosophus, III De anima, text. 21, nominat intelligentiam
indivisibilium, quae consistit in apprehensione quidditatis simplicis, quae
alio etiam nomine formatio dicitur ; alia est quam dicunt fidem, quae
consistit in compositione vel divisione propositionis: prima operatio
respicit quidditatem rei ; secunda respicit esse ipsius. |
7. Il faut dire en septième
lieu que puisqu’il y a deux opérations de l’intelligence : donc l’une
est appelée par certains l’imagination de l’intelligence, et que le
Philosophe [111 De l’Âme, texte 21] appelle l’intelligence des
conceptions indivisibles qui consiste dans l’appréhension de la quiddité
simple qui est aussi appelée du nom de formation ; et l’autre qu’ils
appellent l’opinion, qui consiste en une composition ou une division de la
proposition, il résulte de là que la première opération se rapporte à la
quiddité de la chose alors que la deuxième se rapporte à son existence. |
Et quia ratio
veritatis fundatur in esse, et non in quidditate, ut dictum est, in corp.,
ideo veritas et falsitas proprie invenitur in secunda operatione, et in signo
ejus, quod est enuntiatio, et non in prima, vel signo ejus quod est
definitio, nisi secundum quid ; sicut etiam quidditatis esse est quoddam esse
rationis, et secundum istud esse dicitur veritas in prima operatione
intellectus: per quem etiam modum dicitur definitio vera. Sed huic veritati
non adjungitur falsitas per se, quia intellectus habet verum judicium de
proprio objecto, in quod naturaliter tendit, quod est quidditas rei, sicut et
visus de colore ; sed per accidens admiscetur falsitas, scilicet ratione
affirmationis vel negationis annexae, quod contingit dupliciter: a/ vel ex comparatione
definitionis ad definitum, et tunc dicitur definitio falsa respectu alicujus
et non simpliciter, sicut definitio circuli est falsa de triangulo ; b/ vel in respectu partium
definitionis ad invicem, in quibus implicatur impossibilis affirmatio ; sicut
definitio vacui, quod est locus in quo nullum corpus est ; et haec definitio
dicitur falsa simpliciter, ut in V Metaphys., Metaph., text.
34, dicitur. |
Et parce que la notion de
vérité se fonde dans l’existence et non dans la quiddité, ainsi que nous
l’avons dit dans le corps de l’article, c’est pourquoi la vérité et la
fausseté se retrouve proprement dans la deuxième opération et dans son signe
qui est l’énonciation, et non pas dans la première ou dans son signe qui est
la définition, si ce n’est d’une certaine manière ; tout comme encore
l’être de la quiddité est un certain être de raison, et c’est d’après cet
être qu’on dit de la vérité qu’elle est dans la première opération de
l’intelligence : et c’est aussi suivant cette modalité qu’on dit de la définition
qu’elle est vraie. Mais la fausseté ne se s’applique pas essentiellement à
cette vérité, car l’intelligence possède un jugement vrai sur son objet
propre vers lequel il tend naturellement et qui est la quiddité de la chose,
tout comme la vue porte un jugement vrai sur son objet propre qui est la
couleur ; mais c’est par accident que la fausseté se mêle à cette
vérité, c’est-à-dire en raison de l’affirmation ou de la négation qui s’y
rattache, ce qui ce produit de deux manières : a) soit par la comparaison de
la définition au défini, et alors la définition est dite fausse par rapport à
un défini et non fausse absolument, comme la définition du cercle est fausse
si on l’attribue au triangle. b) soit dans le rapport des
parties de la définition entre elles, dans lesquelles est impliquée une
affirmation impossible ; par exemple la définition du vide qui est le
lieu dans lequel n’existe aucun corps ; et on dit de cette définition
qu’elle est fausse absolument, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique,
texte 34]. |
Sed hoc non contingit nisi
in quidditatibus compositorum: quia in quidditatibus rerum simplicium non
deficit intellectus nisi ex hoc quod omnino nihil intelligit, ut in IX Metaph.,
text. 22, dicitur. Secundae autem operationi admiscetur falsitas etiam per
se: non quidem quantum ad primas affirmationes quas naturaliter intellectus
cognoscit, ut sunt dignitates, sed quantum ad consequentes: quia rationem
inducendo contingit errare per applicationem unius ad aliud. Patet igitur ex
dictis, in corp. art., quod verum proprie loquendo, quod invenitur tantum in
complexis, non impedit conversionem veri et entis: quia quaelibet res
incomplexa habet esse suum, quod non accipitur ab intellectu nisi per modum
complexionis ; et ideo ipsa ratione quam addit verum supra ens, scilicet
ordinem ad intellectum, sequitur ista differentia, quod verum sit
complexorum, et ens dicatur de re extra animam incomplexa. |
Mais cela n’est possible que
pour les quiddités des êtres composés : car pour les quiddités des êtres
simples, l’intelligence n’est fautive que du faut qu’elle n’y comprend
absolument rien comme le dit le Philosophe [1X Métaphysique,
texte 22]. Mais c’est aussi par soi que la fausseté se même à la deuxième
opération : non pas certes quant aux premières affirmations que l’intelligence
connaît naturellement, à savoir les dignités, mais quant à ce qui en
découle : car il arrive à la raison de se tromper dans sa conduite en
appliquant les unes aux autres. Il est donc clair à partir de ce qui a été
dit dans le corps de l’article que le vrai à proprement parler qu’on retrouve
seulement dans le complexe n’empêche pas la conversion du vrai et de
l’être : car toute réalité incomplexe possède sa propre existence
qu’elle ne reçoit pas de l’intelligence si ce n’est à la manière d’un ajout ;
et c’est pourquoi, par la notion que le vrai ajoute à l’être, c’est-à-dire
l’ordre à l’intelligence, il s’ensuit cette différence que le vrai appartient
aux réalités complexes, et que l’être se dit de la réalité incomplexe en
dehors de l’âme. |
[1573] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 8 Ad ultimum dicendum, quod, sicut dictum est, in corp.
art., ens est prima conceptio intellectus ; unde enti non potest aliquid
opponi per modum contrarietatis vel privationis, sed solum per modum
negationis: quia sicut ipsum non fundatur in aliquo, ita nec oppositum suum:
opposita enim sunt circa idem. |
8. Il faut dire en dernier
lieu que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, l’être est
la première conception de l’intelligence ; c’est pourquoi on ne peut
rien opposer à l’être par mode de contrariété ou de privation, mais seulement
par mode de négation : car tout comme lui-même ne se fonde par sur
quelque chose, il en est de même pour son opposé : les opposés en effet
se rapportent à un même sujet. |
Sed unum, verum et bonum,
secundum proprias intentiones, fundantur supra intentionem entis, et ideo
possunt habere oppositionem contrarietatis vel privationis fundatae super
ens, sicut et ipsa super ens fundantur. Unde patet quod non eodem modo se
habet verum et falsum et malum et bonum sicut ens et non ens, nisi accipiatur
non ens particulariter pro remotione alicujus cui substernitur aliquod ens.
Unde sicut quaelibet privatio entis particularis fundatur in bono, sic et
falsum fundatur in aliquo vero sicut in aliquo esse. Unde sicut illud in quo
est falsitas vel malitia, est aliquod ens, sed non est ens completum ; ita
etiam illud quod est malum vel falsum, est aliquod bonum vel verum
incompletum. |
Mais l’un, le vrai et le bien
, d’après leurs intentions propres, se fondent sur l’intention de l’être et
c’est pourquoi ces intentions peuvent avoir l’opposition de la contrariété ou
de la privation qui se fonde sur l’être, tout comme eux-mêmes se fondent sur
l’être. C’est pourquoi il est clair que le rapport du vrai au faux et du mal
au bien n’est pas le même que le rapport de l’être au non-être, à moins qu’on
ne prenne le non être non pas universellement mais particulièrement, pour
l’enlèvement de quelque chose sous lequel se tenait un être. C’est pourquoi,
tout comme toute privation d’un être particulier se fonde sur le bien, de
même le faux se fonde sur une certaine vérité comme sur un certain être.
C’est pourquoi tout comme ce en quoi se trouve la fausseté ou le mal est un
certain être mais non pas un être complet, de même encore ce qui est mal ou
faux est un certain bien ou une vérité incomplète. |
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Articulus 2 [1574] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 tit. Utrum omnia
sint vera veritate increata. |
Article 2 – Tout est-il vrai d’une vérité incréée ? |
[1575]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnia sint
vera una veritate quae est veritas increata. Sicut enim dictum est in
solutione praecedentis articuli, verum dicitur analogice de illis in quibus
est veritas, sicut sanitas de omnibus sanis. Sed una est sanitas numero a qua
denominatur animal sanum, sicut subjectum ejus, et medicina sana sicut causa
ejus, et urina sana sicut signum ejus. Ergo videtur quod
una sit veritas qua omnia dicuntur vera. |
Difficultés : 1. Il semble que tout soit
vrai d’une vérité qui est une vérité incréée. En effet, tout comme nous
l’avons dit dans le corps de l’article précédent, le vrai se dit d’une
manière analogue des choses dans lesquelles se trouve la vérité, tout comme
la santé de dit d’une manière analogue de tout ce qui est dit sain. Mais il
n’y a qu’une seule santé numériquement parlant par laquelle l’animal est dit
sain en tant que sujet de la santé, la médecine en tant que cause de la santé
et l’urine en tant que signe de la santé. Il semble donc qu’il
n’y ait qu’une seule vérité par laquelle toutes les choses sont
dites vraies. |
[1576] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, omnis rectitudo attenditur per aliquam
mensuram. Sed veritas est rectitudo quaedam. Cum igitur videamus, omnibus
temporalibus respondere unum tempus quasi mensuram, videtur etiam quod
omnibus veris respondeat una veritas, secundum quam dicantur vera. |
2. Par ailleurs, toute
droiture se vérifie par une certaine mesure. Mais la vérité est une certaine
droiture. Donc, puisque nous voyons qu’à toutes les choses temporelles
correspond un seul temps comme mesure, il semble aussi qu’à toutes les choses
vraies corresponde une seule vérité d’après laquelle elles sont dites vraie. |
[1577] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut se habet bonitas ad bona, ita se
habet veritas ad vera. Sed omnia sunt bona una bonitate. Unde Augustinus,
lib. VIII de Trinit., c. III, col. 949 : Bonus
est homo, bona est facies,… bonum est hoc et illud. Tolle hoc et illud, et
videbis bonum omnis boni. Unde videtur quod sit una bonitas numero in
omnibus participata, secundum quam dicuntur bona. Ergo videtur quod
similiter omnia dicantur vera una veritate, quae est veritas increata. |
3. En outre, ce que la bonté
est aux choses bonnes, la vérité l’est aux choses vraies. Mais toutes les
choses sont bonnes par une seule et même bonté. C’est pourquoi Saint-Augustin
[ VIII De la Trinité, ch. 111, col. 949] dit : Bon
est l’homme et bon est son sapect, …bon est ceci et bon est cela. Enlève donc
ceci et cela, et tu verras le bien de tout bien. C’est pourquoi il semble
que ce soit par une seule et même bonté numérique participée dans tous les
êtres qu’on dise de ces derniers qu’ils sont bons. Il semble donc de la même
manière que ce soit par une seule et même vérité, qui est une vérité incréée,
que toutes les choses soient dites vaies. |
[1578] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 arg. 4 Si dicas quod omnia dicuntur vera
veritate increata exemplariter ; contra. Uniuscujusque formae
exemplar est in Deo, quod est creatrix essentia. Si igitur hoc sufficeret ut
omnia dicerentur vera veritate increata, quia exemplantur ab ipsa, videtur
quod similiter omnia possent dici colorata, quia exemplantur colore, qui est
in Deo exemplariter: quod est inconveniens. |
4. Si tu dis que toutes les
choses sont dites vraies d’une vérité incréée prise comme modèle, je dis par
contre que le modèle de toute forme est en Dieu, lequel est l’essence
créatrice. Si donc cela suffisait, pour dire que toutes les choses sont
vraies d’une vérité incréée, qu’elles soient copiées à partir de la vérité
incréée, il semblerait de la même manière quetoutes les choses pourraient
être dites colorées parce qu’elles sont copiées à partir de cette couleur qui
est en Dieu à titre de modèle : ce qui est faux. |
[1579] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 arg. 5 Contra, mala fieri est verum. Sed nullum
malum est a Deo. Ergo videtur quod non omnia vera sint vera veritate
increata. |
5. Cependant, il est vrai que
des maux se produisent. Mais aucun mal ne vient de Dieu. Il semble donc que
ce ne soient pas toutes les vérités qui soient vraies d’une vérité incréée. |
[1580]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut
dictum est, art. antec., ratio veritatis in duobus consistit: in esse rei, et
in apprehensione virtutis cognoscitivae proportionata ad esse rei. Utrumque autem horum
quamvis, ut dictum est, distin. 8, quaest. 1, art. 1, reducatur in Deum sicut
in causam efficientem et exemplarem ; nihilominus tamen quaelibet res
participat suum esse creatum, quo formaliter est, et unusquisque intellectus
participat lumen per quod recte de re judicat, quod quidem est exemplatum a
lumine increato. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
tout comme nous l’avons dit dans l’article précédent, que la notion de vérité
consiste en deux choses : dans l’existence de la chose, et dans
l’appréhension de la puissance cognitive qui est proportionnée à l’existence
de la chose. Mais bien que ces deux conditions, comme nous l’avons dit plus
tôt [dist. 8, quest. 1, art. 1] se ramènent à Dieu comme à leur cause
efficiente et exemplaire, néanmoins cependant toute chose participe de son
existence créée par laquelle elle existe formellement, et chaque intelligence
participe de la lumière par laquelle elle juge des choses avec rectitude,
laquelle lumière est certes comme une copie qui vient de la lumière incréée. |
Habet etiam intellectus
suam operationem in se, ex qua completur ratio veritatis. Unde dico, quod
sicut est unum esse divinum quo omnia sunt, sicut a principio effectivo
exemplari, nihilominus tamen in rebus diversis est diversum esse, quo
formaliter res est ; ita etiam est una veritas, scilicet divina, qua omnia
vera sunt, sicut principio effectivo exemplari ; nihilominus sunt plures
veritates in rebus creatis, quibus dicuntur verae formaliter. |
L’intelligence possède aussi
en elle-même son opération à partir de laquelle est achevée la notion de
vérité. C’est pourquoi je dis que tout comme il n’y a qu’une seule existence
divine par laquelle toutes les choses existent comme par leur principe
efficient et exemplaire, néanmoins cependant dans les différentes choses il y
a une existence différente par laquelle la chose existe formellement ;
de même encore il existe une vérité unique, à savoir la vérité divine, par
laquelle, comme par leur principe efficient et exemplaire, toutes les choses
sont vraies ; néanmoins il y a plusieurs vérités dans les choses créées
par lesquelles ces choses sont dites vraies formellement. |
[1581] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod aliquid dicitur secundum
analogiam tripliciter: a) vel secundum intentionem
tantum, et non secundum esse ; et hoc est quando una intentio refertur ad
plura per prius et posterius, quae tamen non habet esse nisi in uno ; sicut
intentio sanitatis refertur ad animal, urinam et dietam diversimode, secundum
prius et posterius ; non tamen secundum diversum esse, quia esse sanitatis
non est nisi in animali. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’on dit d’une attribution qu’elle est analogue de trois
façons : a) soit selon l’intention
seulement et non selon l’existence ; et cela a lieu quand une intention
se rapporte à plusieurs sujets selon l’avant et l’après, laquelle cependant
ne possède d’existence que dans un seul d’entre eux ; par exemple
l’intention de la santé se rapporte de manières différentes à l’animal, à
l’urine et à la diète, selon l’avant et l’après, mais non pas selon une
existence différente car l’existence de la santé ne se retrouve que dans
l’animal. |
b) Vel secundum esse et non
secundum intentionem ; et hoc contingit quando plura parificantur in
intentione alicujus communis, sed illud commune non habet esse unius rationis
in omnibus, sicut omnia corpora parificantur in intentione corporeitatis.
Unde logicus, qui considerat intentiones tantum, dicit, hoc nomen corpus de
omnibus corporibus univoce praedicari: sed esse hujus naturae non est ejusdem
rationis in corporibus corruptibilibus et incorruptibilibus. Unde quantum ad
metaphysicum et naturalem, qui considerant res secundum suum esse, nec hoc
nomen corpus, nec aliquid aliud dicitur univoce de corruptibilibus et
incorruptibilibus, ut patet X Metaphys., text. 5, ex philosopho
et Commentatore. |
b) Soit selon l’existence
mais non selon l’intention ; et cela se produit quand une multiplicité
de choses est rendue égale dans une intention commune, mais cet universel ne
possède pas l’existence d’une même définition dans tous les cas, comme tous
les corps qui sont rendus égaux dans l’intention de la corporéité. C’est
pourquoi le logicien, lequel considère seulement les intentions, dit que le
nom de corps s’attribue de manière univoque à tous les corps : mais
l’existence de cette nature n’appartient pas à une même notion dans les corps
corruptibles et dans ceux qui sont incorruptibles. C’est pourquoi, du point
de vue du métaphysicien et du naturaliste, qui considèrent les choses selon
leur existence, ni ce nom ni aucun autre ne se dit univoquement des corps
corruptibles et de ceux qui sont incorruptibles, ainsi qu’on le voit chez le
Philosophe [X Métaphysique, texte 5] et le Commentateur. |
c).Vel secundum intentionem
et secundum esse ; et hoc est quando neque parificatur in intentione communi,
neque in esse ; sicut ens dicitur de substantia et accidente ; et de talibus
oportet quod natura communis habeat aliquod esse in unoquoque eorum de quibus
dicitur, sed differens secundum rationem majoris vel minoris perfectionis. |
c) soit selon l’intention et
selon l’existence ; et cela a lieu quand il n’y a égalité ni dans une
intention commune, ni dans l’existence ; par exemple l’être se dit de la
substance et de l’accident ; et au sujet de tels sujets il faut que la
nature commune possède une certaine existence dans chacune de ceux auxquels
elle s’attribue, mais différente sous le rapport d’une plus grande ou d’une
plus petite perfection. |
Et similiter dico, quod
veritas et bonitas et omnia hujusmodi dicuntur analogice de Deo et creaturis.
Unde oportet quod secundum suum esse omnia haec in Deo sint, et in creaturis
secundum rationem majoris perfectionis et minoris ; ex quo sequitur, cum non
possint esse secundum unum esse utrobique, quod sint diversae veritates. |
Et de la même manière je dis
que la vérité et la bonté et tous les attributs de cette sorte s’attribuent à
Dieu et aux créatures de manière analogue. C’est pourquoi il faut que tous
ces attributs soient en Dieu selon leur existence, et dans les créatures sous
le rapport d’une plus grande ou plus petite perfection ; d’où il suit,
puisqu’ils ne peuvent exister d’après une seule et même existence dans les
deux cas, qu’ils sont des vérités différentes. |
[1582] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum veritas sit quaedam
rectitudo et commensuratio, oportet quod in ratione veritatis intelligatur
mensura, et sicut dictum est, in corp. art., oportet esse commensurationem
rei ad intellectum, ut compleatur ratio veritatis. Res autem diversimode se
habent ad diversos intellectus: quia intellectus divinus est causa rei ; unde
oportet quod res mensuretur per intellectum divinum, cum unumquodque
mensuretur per suum primum principium ; et ideo dicit Anselmus, De
verit., cap. VII, col. 475) quod res dicitur esse vera quando implet
hoc ad quod est ordinata in intellectu divino. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que puisque la vérité est une certaine droiture et une égalité de
mesure, il faut que dans la notion de vérité on entende une mesure et, comme
nous l’avons dit dans le corps de l’article, il faut qu’il y ait une égalité
de mesure de la chose à l’intelligence, pour que la notion de vérité trouve
son achèvement. Mais les choses se rapportent différemment à des
intelligences différentes : ca l’intelligence divine est la cause des
choses ; c’est pourquoi il faut que les choses soient mesurées par
l’intelligence divine, puisque toute chose est mesurée par son premier
principe ; et c’est pourquoi Saint-Anselme [De la Vérité,
ch. VII, col. 475] dit qu’on dit de la chose qu’elle est vraie
quand elle accomplit ce à quoi elle est ordonnée dans l’intelligence divine. |
Sed res se habent ad
intellectum nostrum sicut causa, inquantum scilicet intellectus accipit a
rebus ; et inde est quod scientia nostra non mensurat res, sed mensuratur ab
eis, ut dicitur X Metaphysic., text. 5. Non enim ita ideo est in
re, quia sic videtur nobis: sed magis quia ita est in re, verum est quod
videtur nobis. Sic ergo intellectus divinus est ut mensura prima, non
mensurata ; res autem est mensura secunda, mensurata ; intellectus autem
noster est mensuratus et non mensurans. Dico igitur, quod prima mensura
veritatis est una tantum ; sed mensurae secundae, scilicet ipsae res, sunt
plures ; unde sunt plures veritates. Et si non esset nisi una mensura
veritatis, adhuc non sequeretur quod esset tantum una veritas: quia veritas
non est mensura, sed commensuratio vel adaequatio ; et respectu unius
mensurae possunt esse diversae commensurationes in diversis. Unde non est
simile de tempore, quia tempus est ipsa mensura. |
Mais les choses se présentent
à notre intelligence comme une cause, c’est-à-dire pour autant que notre
intelligence reçoit des choses ; et c’est de là que notre science ne
mesure pas les choses, mais est plutôt mesurée par elles, comme le dit le
Philosophe [X Métaphysique, texte 5]. C’est pourquoi en effet il n’en est pas
ainsi dans les choses parce qu’il nous semble qu’il doive en être
ainsi : mais plutôt, c’est parce qu’il en est ainsi dans la chose que ce
qu’il nous semble est vrai. Ainsi donc l’intelligence divine est comme une
mesure première qui n’est pas mesurée ; mais la chose est comme une
mesure seconde qui est mesurée ; mais notre intelligence est mesurée et
ne mesure pas. Je dis donc qu’il n’y a qu’une seule mesure première de la
vérité ; mais les mesures secondes, c’est-à-dire les choses elles-mêmes,
sont multiples ; et c’est pourquoi il y a plusieurs vérités. Et s’il n’y
avait qu’une seule mesure de la vérité, il ne s’ensuivrait pas encore qu’il
n’y aurait qu’une seule vérité : car la vérité n’est pas la mesure, mais
l’égalité de mesure ou l’adéquation ; et par rapport à une seule et même
mesure il peut y avoir différentes égalités de mesure dans différentes
choses. Et c’est pourquoi il n’en est pas de même pour le temps car le temps
est la mesure elle-même. |
[1583] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similiter dico de bonitate,
quod est una bonitas, qua sicut principio effectivo exemplari omnia sunt
bona. Sed tamen bonitas qua unumquodque formaliter est bonum, diversa est in
diversis. Sed quia bonitas universalis non invenitur in aliqua creatura, sed
particulata, et secundum aliquid ; ideo dicit Augustinus, quod si removeamus
omnes rationes particulationis ab ipsa bonitate, remanebit in intellectu
bonitas integra et plena, quae est bonitas divina, quae videtur in bonitate creata
sicut exemplar in exemplato. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que je dis la même chose au sujet de la bonté, à savoir qu’il n’y a
qu’une seule bonté par laquelle, comme par un principe efficient et
exemplaire, toutes les choses sont bonnes. Cependant la bonté par laquelle
chaque être est formellement bon, est différente dans différents sujets. Mais
parce que la bonté universelle ne se retrouve pas en tant que telle dans une
créature, mais seulement sous une forme particulière et partiellement, c’est
pourquoi Saint-Augustin dit que si nous enlevions tous les rapports
particuliers de la bonté elle-même, il demeurera dans l’intelligence une
bonté intacte et pleine qui est la bonté divine qui apparaît dans la bonté
créée comme le modèle apparaît dans son exemplaire. |
[1584] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod exemplar rerum est in Deo
dupliciter. Vel quantum ad id quod est
in intellectu suo, et sic secundum ideas est exemplar intellectus divinus
omnium quae ab ipso sunt, sicut intellectus artificis per formam artis omnium
artificiatorum. Vel quantum ad id quod est
in natura sua, sicut ratione suae bonitatis qua est bonus, est exemplar omnis
bonitatis ; et similiter est de veritate. Unde patet quod non eodem modo Deus
est exemplar coloris et veritatis, et ideo objectio non procedit. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le modèle des choses est en Dieu de deux manières. Soit quant à ce qui est dans
son intelligence et ainsi Dieu est le modèle, au moyen des Idées, de toutes
les choses qui viennent de Lui, comme l’intelligence de l’artiste est le
modèle de toutes les choses artificielles au moyen de la forme de l’art. Soit quant à ce qui est dans
sa nature, comme c’est en raison de sa bonté par laquelle il est bon qu’il
est le modèle de toute bonté ; et il en est de même pour la vérité.
C’est pourquoi il est évident que ce n’est pas de la même manière que Dieu
est le modèle de la couleur et de la vérité, et c’est pourquoi l’objection ne
tient pas. |
[1585] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 ad 5 Ad ultimum dicendum, quod quamvis malum non sit bonum,
nec sit a Deo, nihilominus intelligere malum bonum est, et a Deo est ; et
ideo veritas quae consistit in commensuratione intellectus ad privationem
existentem extra animam, bona est, et a Deo ; et ideo dicit Ambrosius, sup.
XII cap. I ad Cor., V, 3, col. 258) quod omne verum, a
quocumque dicatur, a Spiritu sancto est. |
5. Il faut dire finalement
que bien que le mal ne soit pas le bien et qu’il ne vienne pas de Dieu,
néanmoins, comprendre le mal est un bien et cela vient de Dieu ; et
c’est pourquoi la vérité qui consiste en une égalité de mesure de
l’intelligence à l’égard de la privation qui existe en dehors de l’âme est un
bien et vient de Dieu ; et c’est pourquoi Saint-Ambroise [Sur la Première
Épître aux Corinthiens, ch. XII, v. 3, col. 258] dit que toute vérité,
peu importe qui la dise, vient de l’Esprit-Saint. |
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Articulus 3 [1586] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 tit. Utrum sint plures veritates aeternae |
Article 3 – Y a-t-il plusieurs vérités éternelles ? |
[1587]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sint plures
veritates aeternae. Sicut enim patet ex dictis, diversarum propositionum
diversae sunt veritates. Sed: Pater est Deus, Filius est Deus, sunt duae
propositiones. Ergo et sunt duae veritates. Sed utrumque istorum ab aeterno
est verum. Ergo plures veritates sunt aeternae. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il y ait
plusieurs vérités éternelles. Ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été
dit, il y a différentes vérités pour différentes propositions. Mais ¨le
Père est Dieu¨ et ¨le Fils est Dieu¨ sont deux propositions. Il s’agit donc
là de deux vérités. Mais chacune d’elles est vraie de toute éternité. Il y a
donc plusieurs vérités éternelles. |
[1588] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnia quaecumque fuerunt, sunt et erunt,
Deus ab aeterno praescivit, quae constat quod plura sunt. Sed Deus non
praescivit nisi verum. Ergo plura vera sunt ab aeterno. |
2. Par ailleurs, toutes les
choses qui ont existé, existent et existeront, Dieu l’a connu à l’avance de
toute éternité, dont il est clair qu’elles sont nombreuses. Mais Dieu ne
prévoit que le vrai. Il y a donc plusieurs vérités qui sont vraies de toute
éternité. |
[1589] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 3 Item, Augustinus, De immort. Animae, cap.
II, col. 1029, probat animam esse immortalem per hoc quod est subjectum
veritatis, quae est aeterna. Sed constat quod veritas quae est in intellectu
nostro sicut in subjecto, non est veritas divina per essentiam. Ergo videtur
quod plures veritates sint aeternae. Quod autem
veritas sit aeterna, sic probatur. Omne illud ad cujus remotionem sequitur
positio ejus, est aeternum. Sed si negatur veritas esse, ponitur
esse. Ergo veritas est aeterna. Probatio mediae. Si veritas non est,
veritatem esse est falsum. Sed si affirmatio est falsa, negatio est vera.
Ergo veritatem non esse erit verum. Sed non est verum nisi aliqua veritate.
Ergo aliqua veritas est. |
3. En outre, Saint-Augustin [De
l’Immortalité de l’Âme, ch. 11, col. 1029] prouve que l’âme est
immortelle par ceci qu’elle est le sujet de la vérité qui est éternelle. Mais
il est clair que la vérité qui est dans notre intelligence comme dans un
sujet n’est pas essentiellement la vérité divine. Il semble donc que
plusieurs vérités soient éternelles. Mais que la vérité soit éternelle, il le
prouve de la manière suivante. Tout ce dont la négation est suivie de sa
position est éternel. Mais si on nie que la vérité existe, on se trouve à poser
qu’elle existe. Donc la vérité est éternelle. Preuve de la mineure.
Si la vérité n’existe pas, il est faux que la vérité existe. Mais si
l’affirmation est fausse, la négation est vraie. Donc, il sera vrai que la
vérité n’existe pas. Mais cela n’est vrai que grâce à une certaine vérité.
Donc il existe certaines vérités. |
[1590] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod non potest intelligi non esse,
est aeternum: quia quidquid potest non esse, potest intelligi non esse. Sed
veritas non potest intelligi non esse, quia quidquid intelligitur,
intelligitur per judicium veritatis. Ergo videtur quod veritas quae est in
intellectu, sit aeterna et immutabilis. |
4. De plus, ce dont on ne
peut comprendre qu’il n’existe pas, cela est éternel : car tout ce qui
peut ne pas exister, peut êre conçu comme n’existant pas. Mais la vérité ne
peut être conçue comme n’existant pas car tout ce qui est conçu, est conçu
par un jugement de la vérité. Il semble donc que la vérité qui est dans
l’intelligence soit éternelle et immuable. |
[1591] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 5 Praeterea, idem videtur de veritate enunciationis. Si
enim veritas enuntiationis mutetur vel destruatur, hoc erit vel per
destructionem signi vel per destructionem rei. Sed neutro modo
destruitur vel mutatur. Ergo veritas enuntiationis est immutabilis et
aeterna. Probatio mediae. Non existente signo, rectum est rem
signari. Sed veritas est rectitudo, et veritas signi est rectitudo
significationis. Ergo si non sit enuntiatio, vel quodcumque signum veritatis,
adhuc remanebit veritas signi. Similiter probatur, quod non mutetur ex
mutatione rei ; quia ut dictum est, art. 1 istius quaest., ad secundum,
unumquodque habet veritatem quando implet id ad quod est ordinatum in mente
divina. Sed cessante cursu Socratis, adhuc ista enuntiatio, Socrates currit,
facit id ad quod ordinata est in mente divina, quia significat Socratem
currere. Ergo videtur quod destructa vel mutata re, non mutatur neque
destruitur veritas signi. |
5. Par ailleurs, il semble en
être de même pour la vérité de l’énonciation. Si en effet la vérité de
l’énonciation était changée ou détruite, cela aurait lieu soit par la
destruction du signe, soit par la destruction de la chose. Mais elle n’est
changée ou détruite d’aucune de ces deux manières. Donc la vérité de
l’énonciation est éternelle et immuable. Preuve de la mineure. Le
signe n’existant pas, la chose est encore signalée directement, en ligne
droite. Mais la vérité est une droiture, et la vérité du signe est une
droiture de la signification. Donc s’il n’y avait pas d’énonciation ou
quelque signe de la vérité, la vérité du signe demeurerait encore. On prouve
également que la vérité de l’énonciation n’est pas changée par un changement
de la chose ; car, ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 19,
quest. 5, art. 1, solut. 2], chacun possède la vérité quand il accomplit ce à
quoi il est ordonné dans l’intelligence divine. Mais une fois terminée la
course de Socrate, cette énonciation, à savoir Socrate court, fait encore ce
à quoi elle est ordonnée dans l’esprit divin, car elle signifie encore que
Socrate court. Il semble donc qu’une fois la chose détruite ou changée, la
vérité du signe n’est ni changée ni détruite. |
[1592] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 6 Praeterea, idem videtur de veritate quae est in re:
quia, ut dicit Augustinus, II Solil., c. XV, col. 898,
pereunte vero, non perit veritas. Sed veritas rei non posset destrui vel
mutari nisi per mutationem rei. Ergo videtur quod nullo modo pereat. |
6. Par ailleurs, il semble en
être de même au sujet de la vérité qui est dans la chose : car, comme le
dit Saint-Augustin [11 Soliloques, ch. XV, col. 898], ce qui est
vrai ayant péri, la vérité ne périt pas. Mais la vérité de la chose ne peut
être détruite ou altérée que par un changement dans la chose. Il semble donc
qu’elle ne puisse périr d’aucune manière. |
[1593] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 7 Item, Omne totum est majus sua parte, est
quaedam veritas, quae nullo modo videtur mutabilis, et similiter multa
hujusmodi. Ergo videtur quod sint plures veritates aeternae immutabiles. |
7. En outre, Tout
tout est plus grand que sa partieest une certaine vérité qui ne semble
pouvoir changer en aucune manière, et il y en a encore plusieurs de cette
sorte. Il semble donc qu’il y ait plusieurs vérités éternelles immuables. |
[1594] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 s. c. 1 Contra, Augustinus, De natura boni, cap.
1, col. 551s., dicit, quod vera aeternitas et sola immutabilitas in Deo est.
Sed veritas Dei est una tantum, sicut et essentia. Ergo videtur quod sit una
tantum veritas aeterna et immutabilis. |
Cependant : 1. Par contre, Saint-Augustin
[De la Nature du Bien, ch. 1, col. 551s.] dit que la véritable
éternité et l’unique immutabilité n’existent qu’en Dieu. Mais il n’y a qu’une
seule vérité de Dieu, tout comme il n’y a qu’une seule essence de Dieu. Il
semble donc qu’il n’y ait qu’une seule vérité éternelle et immuable. |
[1595]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod est una tantum veritas aeterna, scilicet veritas divina. Cum enim ratio veritatis in
actione compleatur intellectus, et fundamentum habeat ipsum esse rei ;
judicium de veritate sequitur judicium de esse rei et de intellectu. Unde
sicut esse unum tantum est aeternum, scilicet divinum, ita una tantum
veritas. Similiter de mutabilitate veritatis idem dicendum est quod de
mutabilitate essendi ; ut enim supra dictum est, art. antec., simpliciter
immutabile non est nisi esse divinum ; unde simpliciter immutabilis veritas
non est nisi una, scilicet divina. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il n’y a qu’une seule vérité éternelle, à savoir la vérité divine. En
effet, puisque la notion de vérité trouve son achèvement dans l’opération de
l’intelligence et qu’elle trouve son fondement dans l’existence même de la
chose, le jugement sur la vérité découle du jugement sur l’existence de la
chose et sur l’intelligence. C’est pourquoi, tout comme une seule existence
est éternelle, à savoir l’existence divine, de même il n’y a qu’une seule
vérité. Et il faut parler également du changement dans la vérité de la même
manière qu’on parle du changement dans l’existence ; en effet, comme
nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent, il n’y a que l’existence
divine qui soit absolument immuable et c’est pourquoi il n’y a qu’une seule
vérité absolument immuable, à savoir la vérité divine. |
Esse autem aliarum
rerum quarumdam dicitur mutabile mutatione variabilitatis, sicut est in
contingentibus ; et horum etiam veritas mutabilis est et contingens.
Quorumdam vero esse est mutabile solum secundum vertibilitatem in nihil, si
sibi relinqueretur ; et horum veritas similiter mutabilis est per
vertibilitatem in nihil, si sibi relinqueretur. |
Mais on dit de l’existence de
certaines autres choses qu’elle peut changer par un changement de variation,
par exemple dans les choses contingentes ; et la vérité de ces choses
est changeante et contingente. Mais l’existence de certains êtres est
changeante seulement par un retour au néant, si elle était abandonnée à
elle-même ; et de la même manière la vérité de ces êtres est changeante
par un retour au néant si elle était abandonnée à elle-même. |
Unde
patet quod nulla veritas est necessaria in creaturis. Similiter etiam si loquaris
de veritate secundum quod ratio ejus completur in ratione intellectus, patet
quod nullus intellectus est aeternus et invariabilis ex natura sua, nisi
intellectus divinus. Ex quo etiam patet quod sola veritas una quae in Deo
est, et quae Deus est, est aeterna et immutabilis. |
D’où il est clair que dans
les créatures aucune vérité n’est nécessaire. De la même manière encore si tu
parles de la vérité selon que sa notion est achevée dans son rapport à
l’intelligence, il est clair qu’aucune intelligence, sauf l’intelligence
divine, n’est éternelle et invariable de par sa nature même. D’où il est
aussi évident que seule la vérité unique qui est en Dieu, et qui est Dieu,
est éternelle et immuable. |
[1596] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut trium personarum una
est essentia, qua quaelibet habet esse, quamvis sint plures proprietates
quibus distinguuntur (quae tamen omnes non differunt secundum rem ab
essentia), ita etiam est una veritas trium personarum ex parte ipsius rei, de
qua fit enuntiatio. Sed quod sint enuntiationes plures verae, est per
intellectum nostrum. Unde veritas quae est in istis enuntiationibus, qua
formaliter verae sunt, vel quae est in intellectu nostro, non est aeterna,
sicut nec propositiones, nec intellectus noster aeternus. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que tout comme il n’y a qu’une seule essence pour les trois personnes et
par laquelle chacune possède l’existence, bien qu’il y ait plusieurs
propriétés (et cependant aucune ne diffère réellement de l’essence) par lesquelles
elles se distinguent l’une de l’autre, de même encore il n’y a qu’une vérité
pour les trois personnes, du côté de la réalité elle-même, au sujet de
laquelle il y a énonciation. Mais qu’il y ait plusieurs énonciations qui
soient vraies, cela est le fait de notre intelligence. C’est pourquoi la
vérité qui est dans ces énonciations, par laquelle elles sont formellement
vraies, ou qui est dans notre intelligence, n’est pas éternelle, comme ne le
sont pas non plus nos propositions ni notre intelligence. |
[1597] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rationes ideales rerum, quae
sunt in Deo ab aeterno, non sunt aliud secundum rem ab ipso intellectu et
essentia divina. Unde sicut veritas essentiae est una secundum rem, ita etiam
veritas omnium illarum rationum ; et non multiplicatur, nisi secundum
respectum ad diversas res. Unde ex hoc non probatur quod sint plures
veritates ab aeterno, sed solum hoc quod sit una veritas plurium secundum
rationem. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que les notions idéales des choses, qui sont en Dieu de toute éternité,
ne sont rien d’autre en réalité que l’intelligence même de Dieu et son
essence divine. C’est pourquoi, tout comme il n’y a en réalité qu’une seule
vérité de l’essence, de même encore il n’y a qu’une seule vérité pour toutes
ces notions ; et elle ne se multiplie que par rapport aux choses
différentes. C’est pourquoi à partir de là on ne prouve pas qu’il y ait
plusieurs vérités éternelles, mais seulement qu’il n’y a, selon la raison,
qu’une seule vérité pour plusieurs notions. |
[1598] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si anima non esset, nec
aliquis intellectus creatus, veritas, secundum quod consistit in operatione
animae, non esset. Posset tamen remanere, secundum quod fundamentum habet in
re. Remaneret etiam intentio veritatis intellecta in Deo. Unde cum anima non
sit aeterna, nec aliquis intellectus creatus, antequam haec essent, nulla
veritas creata erat. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que si l’âme n’existait pas, ni aucune intelligence créée, la vérité,
selon qu’elle consiste dans l’opération de l’âme, n’existerait pas. Elle
pourrait cependant demeurer selon qu’elle trouve son fondement dans la
réalité. Et l’intention de la vérité comprise en Dieu demeurerait aussi.
C’est pourquoi, puisque l’âme, comme c’est le cas aussi pour toute
intelligence créée, n’est pas éternelle, avant que ces intelligences
existent, aucune vérité créée n’existait. |
Et si objicitur: veritas
non est ; ergo veritatem esse est falsum, quantum ad illud tempus in quo non
erat veritas creata: dico quod non sequitur: quia quando non est veritas, nec
etiam falsitas est. Hoc autem quod non sit veritas vel falsitas, non est ex
defectu veritatis vel falsitatis quantum ad intentiones ipsarum, sed ex
defectu eorum in quibus veritas habet esse. Sicut enim dicimus de
universalibus, quod [quae Éd. de Parme] sunt incorruptibilia et
aeterna, quia non corrumpuntur nisi per accidens, scilicet quantum ad esse
quod habent in alio, quod potest non esse ; ita etiam est de veritate et
falsitate, quod consideratae secundum intentiones suas, non accidit eis
corruptio per se, sed solum secundum esse quod habent in alio: et ex hoc
procedit probatio Augustini ; quia omnis virtus quae apprehendit rationem intentionis
alicujus, oportet quod sit virtus non obligata ad corpus, nec dependens a
corpore, eo quod virtutes apprehensivae quae sunt impressae in organis
corporalibus, ut patet in sensibus, non apprehendunt intentionem rationis, ut
rationem hominis vel coloris, sed tantum apprehendunt hujusmodi, secundum
quod sunt particulata. |
Et si on objecte que la
vérité n’existe pas ; il est donc faux que la vérité existe quant à ce
temps dans lequel la vérité créée n’existait pas ; je dis que cette
conclusion ne suit pas : car quand la vérité n’existe pas, il n’y a pas
non plus de fausseté. Mais qu’il n’y ait pas de vérité ni de fausseté, cela
ne provient pas d’un défaut de vérité ou de fausseté quant à leurs intentions
elles-mêmes, mais d’un défaut de ceux dans lesquels la vérité a l’existence.
En effet, tout comme nous disons au sujet des universels qu’ils [qui Éd.
de Parme] sont incorruptibles et éternels parce qu’ils ne se corrompent
que par accident, c’est-à-dire par rapport à l’existence qu’ils ont dans un
autre, lequel peut ne pas exister ; il en est encore de même pour la
vérité et la fausseté qui, considérées d’après leurs intentions, ne sont pas
atteintes essentiellement par la corruption, mais seulement quant à
l’existence qu’elles ont dans un autre : et c’est de là que procède la
preuve de Saint-Augustin : car toute puissance qui appréhende la notion
d’une intention doit être une puissance qui n’est pas liée au corps et qui ne
dépend pas du corps, du fait que les puissances d’appréhension qui sont
imprimées dans des organes corporels, comme on le voit pour les sens,
n’appréhendent pas l’intention de la notion, comme la notion de l’homme ou
celle de la couleur, mais elles n’appréhendent ces sortes de choses que selon
qu’elles sont particulières. |
Virtus autem quae non
dependet a corpore, est incorruptibilis ; et ita probatur quod anima
intellectiva est immortalis ex eo quod apprehendit veritatem. Virtutes enim
sensitivae quamvis sint verae in suis apprehensionibus, non tamen
apprehendunt rationem suae veritatis, sicut facit intellectus. |
Mais la puissance qui ne
dépend pas du corps est incorruptible ; et c’est ainsi qu’il prouve que
l’âme intellectuelle est immortelle du fait qu’elle appréhende la vérité. Les
puissances sensitives en effet, bien qu’elles soient vraies dans leurs
appréhensions, n’appréhendent cependant pas la notion de leur vérité comme le
fait l’intelligence. |
[1600] Super Sent.,
lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod utroque modo veritas
enuntiationis potest mutari ; si enim nulla enuntiatio esset, veritas
enuntiationis non esset. Et ad id quod objicitur, quod adhuc rectum esset rem
significari, dicimus, quod verum est ; sed tamen illa rectitudo nihil est
aliud quam signabilitas rei ; et hoc non ponit veritatem signi in actu, sed
tantum in potentia. Similiter etiam quando mutatur res, mutatur veritas
enuntiationis. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la vérité de l’énonciation peut être changée des deux
manières ; si en effet il n’y avait aucune énonciation, il n’y aurait
pas de vérité de l’énonciation. Et par rapport à ce qui est objecté, à savoir
que la chose serait encore signalée directement, en ligne droite, nous disons
que cela est vrai ; cependant cette droiture n’est rien d’autre que
l’aptitude de la chose à être signifiée ; et cela ne pose pas en acte la
vérité du signe, mais seulement en puissance. De la même manière encore,
quand la chose est changée, la vérité de l’énonciation est changée. |
Unde,
secundum philosophum, in Praed., cap. « De substantia in
sexta proprietate », eadem propositio quandoque potest esse vera et
quandoque falsa. Et ad id, quod ulterius objicitur quod implet illud ad quod
ordinatum est in mente divina dicendum, quod enuntiatio potest dupliciter
considerari: vel ut res quaedam, et sic
est in ipsa veritas rei, sicut in qualibet re, quando implet illud ad quod
ordinata est in mente divina ; et talis veritas manet in ipsa etiam mutata re
; vel ut signum talis rei, et
sic veritas ejus est per adaequationem ad rem illam. Mutata autem re,
tollitur adaequatio signi ad signatum, sine aliqua mutatione ipsius signi ;
quod manifestum est in relationibus posse contingere ; unde veritas
enuntiationis non manet. |
C’est pourquoi d’après le
Philosophe [Les Prédicaments, ch. : ¨De la substance dans la
sixième propriété¨ la même proposition peut parfois être vraie
et parfois fausse. Et à l’égard de ce qui est objecté par la suite, à savoir
que chaque chose possède la vérité quand elle accomplit ce à quoi elle est
ordonnée dans l’intelligence divine, il faut dire que l’énonciation peut être
considérée de deux manières : soit comme une certaine chose, et ainsi il
y a en elle la vérité de la chose, comme en toute chose, quand elle accomplit
ce à quoi elle est ordonnée dans l’esprit divin ; et une telle vérité
demeure en elle-même une fois que la chose a changé ; soit comme le signe de cette
chose, et ainsi sa vérité existe par l’adéquation à cette chose. Mais la
chose ayant changé, l’adéquation du signe au signifié disparaît sans aucun
changement du signe lui-même ; et il est manifeste que cela peut se
produire dans les relations ; c’est pourquoi la vérité de l’énonciation
ne demeure pas. |
[1601] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod pereunte re vera, perit veritas
quantum ad illud esse quod habet in re illa. Sed tamen potest remanere
intentio veritatis secundum esse quod habet in alia re, vel secundum esse
quod habet in anima. Quae omnia si auferantur, non remanebit veritas nisi in
Deo. Nec ille defectus accidit veritati per se, sed per
accidens, ut dictum est, in Resp. ad 3 ; quia, secundum philosophum, in Praed.,
cap. « de
substantia », destructis primis substantiis, impossibile est aliquod
ceterorum remanere ; quamvis universalia sint per se incorruptibilia. |
6. ll faut dire en sixième
lieu que la chose vraie ayant péri, la vérité périt quant à cette existence
qu’elle possède dans cette chose. Cependant l’intention de la vérité peut
demeurer selon l’existence qu’elle possède dans une autre chose ou selon
l’existence qu’elle possède dans l’âme. Mais si on enlève toutes ces
existences, la vérité ne demeurera plus qu’en Dieu. Et ce
défaut ne survient pas à la vérité en elle-même, essentiellement,
mais par accident, ainsi que nous l’avons dit dans la réponse à la troisième
difficulté ; car, d’après le Philosophe [Les Prédicaments, ch. ¨Sur
la Substance¨, une fois détruites les substances premières, il est
impossible que demeure quelque chose d’autre, bien que les universels soient
essentiellement incorruptibles. |
[1602]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum similiter, quod
veritas propositorum necessariorum potest deficere per accidens quantum ad
esse quod habet in anima vel in rebus si res illae deficerent: tunc enim non
remanerent istae veritates nisi in Deo, in quo sunt una et eadem veritas. |
7. Il
faut également dire en septième lieu que la vérité des propositions
nécessaires peut s’éteindre accidentellement quant à l’existence qu’elle
possède dans l’âme ou dans les choses si ces choses elles-mêmes s’éteignent:
alors en effet ces vérités ne demeureraient plus qu’en Dieu, en qui elles ne
sont plus qu’une seule et même vérité. |
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Distinctio 20 |
Distinction 20 – [La puissance du Fils] |
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Lib. 1 d. 20 q. 1 pr. Hic quaeruntur tria: 1 an Filius sit
omnipotens ; 2 an sit aequalis
patri in omnipotentia ; 3 utrum sit aliquis ordo inter patrem et Filium. |
On se pose ici trois
questions : 1. Est-ce que le Fils est
tout-puissant ? 2. Est-ce que sa
toute-puissance est égale à celle du Père ? 3. Est-ce qu’il y a un ordre
entre le Père et le Fils ? |
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Quaestio 1 |
Question unique : [La puissance du Fils] |
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Articulus 1 Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 tit. Utrum Filius
sit omnipotens. |
Article 1 – Le Fils est-il tout puissant ? |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod Filius non sit omnipotens. Potentia enim, ut dictum est,
dist. 7, qu. 1, art. 1, dicitur secundum virtutem ad opus. Sed aliqua
operatio est quae pertinet ad omnipotentiam Patris, in quam non potest
Filius, scilicet generatio activa ; non enim Filius potest generare, ut
supra, dist. 7, qu. 2, art. 2,
habitum est. Ergo videtur quod non sit omnipotens. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne
soit pas tout-puissant. La puissance en effet, ainsi que nous l’avons dit
[dist. 7, quest. 1, art. 1], se dit d’après une capacité à une opération.
Mais il y a une certaine opération qui appartient à la toute-puissance de
Dieu, à savoir la génération active, et pour laquelle le Fils ne possède
aucune capacité ; le Fils en effet ne peut engendrer, comme nous l’avons
établi plus tôt [dist. 7, quest. 2, art. 2]. Il semble donc que le Fils ne
soit pas tout-puissant. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg.2 Praeterea,
Deus dicitur omnipotens, quia omnia potest, quod simpliciter possibile est.
Sed maximum posse Patris ostenditur in generatione Filii ; majus enim est
generare Filium in infinitum quam creare caelum et terram. Cum igitur istud
posse Filio detrahatur, videtur quod non sit omnipotens. |
2. Par ailleurs, Dieu est dit
tout-puissant parce qu’il peut absolument tout ce qui est possible. Mais la
puissance extrême du Père se manifeste dans la génération du fils ; il
est en effet plus grand d’engendrer le Fils à l’infini que de créer le Ciel
et la Terre. Donc, puisque ce pouvoir est absent du Fils, il semble qu’il ne
soit pas tout-puissant. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 3 Si dicas,
quod posse generare non est aliquid, sed ad aliquid, et ita quamvis Filius
non possit generare, non tamen sequitur quod non possit omnia ; contra. Cum dico omnia, includo
universaliter omnia entia. Sed relativa continentur in entibus. Ergo videtur quod distributio etiam fiat pro relativis. |
3. Mais si tu dis que
le pouvoir d’engendrer n’est pas un absolu mais un relatif et que bien que le
Fils ne puisse engendrer, cependant il ne s’ensuit pas qu’il ne puisse pas
tout, par contre, quand je dis tout, j’inclus universellement
tous les êtres. Mais les relatifs sont contenus dans les êtres. Il semble que
la distribution se produit aussi pour les relatifs. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 4 Si dicas,
quod intelligitur respectu omnium creatorum, et non respectu eorum quae in
Deo sunt ; contra. Secundum hoc ratio Augustini in Littera posita
nihil valeret. Arguit enim, quod si Pater non potuit generare Filium aequalem
sibi, non fuit omnipotens. Ergo videtur quod omnipotentia Patris etiam ad
generationem Filii se extendat. Sed Filius non potest generare. Ergo non
habet omnipotentiam. |
4. Si tu dis que
cela s’entend par rappor à toutes les créatures, et non par rapport à ce qui
est en Dieu, je dis par contre ceci : suivant cela,
l’argument de Saint-Augustin présenté dans le document ne
vaudrait rien. Il argumente en effet ainsi : si le Père n’avait pu
engendrer un Fils égal à Lui, il n’aurait pas étét tout-puissant. Il semble
donc que la toute-puissance du Père s’applique aussi à la génération du Fils.
Mais le Fils ne peut engendrer. Il ne possède donc pas la toute-puissance. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium est quod
in symbolo dicitur: Omnipotens Pater, omnipotens Filius, omnipotens
Spiritus sanctus. |
Cependant : 1. On dit le contraire dans
le Symbole : Père tout-puissant, Fils tout-puissant,
Esprit-Saint tout-puissant. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
sine omni dubio concedendum est, Filium Dei omnipotentem esse, sicut et
Pater: et tamen dicimus quod Filius non potest generare. Unde ad intellectum
hujus videndum est, quod Deus dicitur omnipotens, quia omnia potest, et
quidquid est aliquid vel ens, potest Deus. Sed notandum, quod relatio alio
modo dicitur esse aliquid quam alia entia. In aliis enim entibus unumquodque
dicitur dupliciter esse: et quantum ad esse suum, et quantum ad rationem
quidditatis suae ; sicut sapientia secundum esse suum aliquid ponit in
subjecto, et similiter secundum rationem suam ponit naturam quamdam in genere
qualitatis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il faut concéder sans aucun doute que le Fils de Dieu est tout-puissant
comme le Père : et cependant nous disons qu’il ne peut engendrer. C’est
pourquoi, pour comprendre cela, il faut voir qu’on dit de Dieu qu’il est tout-puissant
parce qu’il peut tout, et tout ce qui est quelque chose ou de l’être, Dieu le
peut. Mais il faut remarquer que c’est d’une autre manière que pour les
autres êtres qu’on dit de la relation qu’elle est quelque chose. Pour les
autres êtres en effet on dit de chaque chose qu’elle existe de deux
manières : soit quant à son existence, soit quant à la définition de sa
quiddité ; par exemple la sagesse quant à son existence pose quelque
chose dans un sujet et de la même manière quant à sa définition elle pose une
certaine nature dans le genre de la qualité. |
Sed relatio est aliquid secundum esse suum quod habet
in subjecto ; sed secundum rationem suam non habet quod sit aliquid, sed
solum quod ad aliud referatur ; unde secundum rationem suam non ponit aliquid
in subjecto: propter quod Boetius dicit quod relativa nihil praedicant de eo
de quo dicuntur. Inde etiam est quod invenitur aliquid relatum in quo est
tantum relatio rationis, et non ponitur ibi aliquid secundum rem, sicut cum
scibile refertur ad scientiam. |
Mais la relation est quelque
chose selon l’existence qu’elle possède dans un sujet ; mais quant à sa
définition elle ne tient pas d’être quelque chose mais seulement d’être
rapportée à quelque chose d’autre ; de là, d’après sa définition, elle ne
pose pas quelque chose dans un sujet : c’est pour cette raison que Boèce
dit que les relatifs n’attribuent rien à ce à quoi ils s’attribuent. Il
résulte encore de là qu’il se trouve du relatif dans lesquel il n’y a qu’une
relation de raison et dans lequel rien n’est posé dans la réalité, comme
lorsque l’objet de science est mis en rapport avec la science. |
Et hoc est verum tam in relationibus quae de Deo
dicuntur quam de illis quae in creaturis sunt ; sed diversimode ; quia
relatio quae habet esse in creatura, habet aliud esse quam sit esse sui
subjecti ; unde est aliquid aliud a suo subjecto: sed in Deo nihil est quod
habeat esse aliud ab ipso: esse enim sapientiae est ipsum esse divinum et non
superadditum, et similiter esse paternitatis. Unde relatio, quantum ad esse
suum, secundum quem solum modum debetur ei quod ponat aliquid, est essentia
divina ; sed secundum rationem suam, per quam habet distinguere unam personam
ab alia, non debetur ei quod dicat aliquid, sed potius ad aliquid. Unde
quamvis pater habeat paternitatem quam Filius non habet, et paternitas sit
aliquid, non tamen Pater habet aliquid quod Filius non habeat. |
Et cela est vrai tant pour
les relations qui se disent de Dieu que pour celles qui existent dans les
créatures, mais différemment ; car la relation qui a son existence dans
la créature possède une existence autre que celle de son sujet ; c’est
pourquoi elle est quelque chose d’autre que son sujet. Mais en Dieu il n’y a
rien qui possède une existence qui se distingue de Lui : en effet, en Lui,
l’existence de la sagesse est l’existence même de Dieu et non quelque chose
d’ajouté, et il en est de même de la paternité. C’est pourquoi la relation,
quant à son existence, seule modalité selon laquelle il lui revient de poser
quelque chose, est l’essence divine elle-même ; mais selon sa
définition, par laquelle elle doit distinguer une personne d’une autre, il ne
lui revient pas de dire quelque chose, mais plutôt une relation. C’est
pourquoi, bien que le Père possède la paternité que le Fils ne possède pas et
que la paternité soit quelque chose, cependant le Père ne possède pas quelque
chose que le Fils ne possède pas. |
Sicut: paternitas est essentia ; Filius non habet
paternitatem ; ideo tamen non sequitur quod Pater essentiam aliquam habeat
qua careat Filius. Si autem Pater haberet sapientiam et non Filius, haberet
aliquid Pater quod non haberet Filius ; quia sapientia dicit aliquid in
sapiente etiam secundum rationem suam. Similiter dico, quod cum generare in
divinis sit relatio quaedam, et sit aliquid, quamvis Pater possit generare,
et non Filius, non sequitur quod possit aliquid pater quod non possit Filius
; sed bene sequeretur, si Pater posset intelligere, et non Filius, quod Pater
posset aliquid quod non posset Filius: sicut Pater est Pater, et esse Patrem
est aliquid esse, et tamen cum Filius non sit Pater, nullum esse est Patris,
quod non sit Filii, quia omne esse in divinis est essentiae ; et similiter
omne ad aliquid est ibi secundum rationem essentiae, vel secundum rationem
attributorum. |
Par exemple, la paternité est
l’essence ; le Fils ne possède pas la paternité ; c’est pourquoi
cependant il ne s’ensuit pas que le Père possède une essence dont le Fils
soit privé. Mais si le Père possédait la sagesse et non le Fils, le Père posséderait
quelque chose que le Fils ne posséderait pas ; car la sagesse, même
selon sa définition, dit quelque chose qui est dans le sage. De la même
manière je dis que puisqu’engendrer est en Dieu une certaine relation et que
ce soit là quelque chose, bien que le Père puisse engendrer et non le Fils,
il ne s’ensuit pas que le Père ait un pouvoir que le Fils ne possède
pas ; mais il s’ensuivrait bien, si le Père pouvait comprendre et non le
Fils, que le Père aurait un pouvoir que le Fils n’aurait pas. Ainsi le Père
est le Père, et l’existence du Père est une certaine existence, et cependant
bien que le Fils ne soit pas le Père, il n’y a aucune existence du Père qui
ne soit pas celle du Fils, car toute existence dans les personnes divines est
l’essence ; et de la même manière toute relation se retrouve là sous le
rapport de l’essence ou sous le rapport des attributs. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio significat relationem per
modum operationis, et etiam est operatio aliqua divinae naturae, secundum
Damascenum. Et quamvis generatio non conveniat Filio, non tamen sequitur quod
aliqua operatio conveniat Patri quae non conveniat Filio: una enim et eadem
operatione Pater generat et Filius nascitur ; sed haec operatio est in Patre
et Filio secundum aliam et aliam relationem. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que la generation signifie une relation par
mode d’opération et même elle est une operation de la nature divine, d’après
Damascène. Et bien que la génération ne convienne pas au Fils, il ne s’ensuit
pas cependant qu’il y a une opération qui convient au Père sans convenir au
Fils: en effet, c’est par une seule et même operation que le Père engender et
que le Fils est engendré; mais cette operation est dans le Père selon une
relation et dans le Fils selon une autre. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nullum posse detrahitur Filio ; sed illo
eodem posse quo Pater generat, Filius generatur, ut supra, in corp. art.,
dictum est. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu qu’aucun pouvoir n’est absent du Fils; mais c’est
un même pouvoir par lequel le Père engendre et le Fils est engendré, ainsi
que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sub omnibus comprehenditur ad aliquid,
quantum ad hoc quod habet esse, sic enim ad aliquid est aliquid de omnibus,
sed non quantum ad rationem ad aliquid, secundum quod ad aliud refertur: sic
enim non habet quod sit aliquid simpliciter. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que la relation est comprise dans toutes les
categories de l’être quant à ceci qu’elle possède de l’existence, car c’est
ainsi en effet que la relation est quelque chose qui se dit de tout, mais non
par quant à la definition même de la relation selon laquelle elle se rapporte
à un autre: en ce sens en effet elle ne tient pas d’être quelque chose
absolument. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnipotentia Dei potest comparari ad aliquid
vel sicut ad operatum vel sicut ad operationem. Sicut ad operatum, non
comparatur ad aliquid quod in ipso sit: quia in Deo nihil est factum ; et sic
omnipotentia est respectu creaturarum solum ; sed comparatur sicut ad
operationem ad hoc quod in ipso est, praecipue cum nulla operatio sit ipsius
quae sit extra essentiam ejus. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que la toute-puissance de Dieu peut être comparée
à quelque chose soit comme à une oeuvre, soit comme à une operation. Elle ne
se compare pas à quelque chose comme à une oeuvre qui serait en elle car en
Dieu rien n’est fait; et en ce sens la toute-puissance de Dieu se rapporte
seulement aux creatures; mais elle se compare à quelque chose comme à une
opération qui se rapporte à ce qui est en Lui, surtout puisqu’il n’y a aucune
de ses opérations qui soit extérieure à son essence. |
Unde omnipotentia Patris extenditur et ad generare et
ad intelligere et creare, et breviter ad omnia quae perfectionis sunt ; et
propter hoc patet quod ratio Augustini efficax est. Nec tamen sequitur quod
Filius non sit omnipotens, si non potest generare filium aequalem sibi,
ratione praedicta. Sequeretur tamen in Patre ; quia Patri non deest relatio,
quae significatur in generatione activa. Unde si negaretur ab eo
perfectio generationis, oporteret quod esset defectus in ipsa operatione
inquantum operatio est ; et hoc redundaret in defectum potentiae. Sed a Filio
removetur activa generatio non nisi ratione relationis importatae. Relatio
autem, inquantum hujusmodi, nullum ordinem ad potentiam habet, ut ex dictis,
distinct. 2, quaest. Unic., art. 5,
patet. |
C’est pourquoi la
toute-puissance du Père s’étend à la fois à la génération, à l’intellection,
à la création et en bref à tout ce qui relève d’une perfection ; et
c’est pour cette raison qu’il est clair que l’argument de Saint-Augustin est
efficace. Et cependant il ne s’ensuit pas que le Fils ne soit pas
tout-puissant s’il ne peut engendrer un fils égal à lui, pour la raison que
nous avons dite. C’est ce qui s’ensuivrait cependant pour le Père ; car
la relation qui est signifiée dans la génération active est inséparable du
Père. C’est pourquoi si on niait de lui la perfection de la génération, il
faudrait qu’il y ait un défaut dans l’opération même en tant qu’opération et
cela se réfléterait dans un défaut de puissance. Mais la génération active
n’est refusée au Fils qu’en raison de la relation impliquée. Mais la
relation, en tant que telle, n’a aucun rapport à la puissance ainsi qu’on le
voit à partir de ce qui a été dit [dist. 2, quest. unique, art.
5]. |
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Articulus 2 Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 tit. Utrum Filius
sit aequalis patri |
Article 2 – Le Fils est-il égal au Père ? |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit aequalis
Patri in omnipotentia. Sicut enim infra dicitur, distinct. 31, quaest. unic.,
art. 2, potentia appropriatur Patri, non autem Filio. Ergo videtur quod magis
Patri quam Filio conveniat ; et sic non sunt aequales in potentia. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne
soit pas égal au Père en toute-puissance. En effet, ainsi qu’on le dit plus
loin [dist. 31, quest. unique, art. 2], la puissance est appropriée au Père
et non au Fils. Il semble donc qu’elle convienne davantage au Père qu’au Fils
et par conséquent ils ne sont pas égaux en puissance. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, inter habere
aliquid ab alio personaliter et essentialiter, et non habere aliquid ab alio
nec personaliter nec essentialiter, medium est habere aliquid ab alio
personaliter et non essentialiter. Sed non habere aliquid ab alio nec
personaliter nec essentialiter, quod convenit Patri, dignitatis et
auctoritatis est ; habere autem aliquid ab aliquo personaliter et
essentialiter, quod creaturae competit, minorationem ponit et defectum
creaturae respectu creatoris. Ergo cum medium sapiat naturam extremorum,
videtur quod habere ab alio personaliter et non essentialiter, quod Filio
competit, secundum aliquid sit dignitatis, quod est scilicet non habere ab
alio essentialiter, et secundum aliquid ponat defectum et minorationem, quod
est ab alio habere personaliter ; et sic Filius est minus potens quam pater. |
2. Par ailleurs, posséder
quelque chose d’un autre personnellement et non essentiellement est un
intermédiaire entre posséder quelque chose d’un autre personnellement et
essentiellement et ne pas posséder quelque chose d’un autre, ni
personnellement ni essentiellement. Mais ne pas posséder quelque chose d’un
autre ni personnellement ni essentiellement, ce qui convient au Père, relève
d’une dignité et d’une autorité ; mais tenir quelque chose d’un autre
personnellement et essentiellement, ce qui appartient à la créature, pose une
infériorité et un défaut de la créature par rapport au créateur. Donc,
puisque l’intermédiaire connaît la nature des extrêmes, il semble que tenir
d’un autre personnellement et non essentiellement, ce qui appartient au Fils,
sous un rapport relève d’une dignité, à savoir ne pas posséder quelque chose
d’un autre essentiellement, mais sous un autre rapport pose un défaut et une
infériorité, c’est-à-dire tenir personnellement quelque chose d’un autre ;
et en ce sens le Fils est moins puissant que le Père. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, ita videmus in
creaturis quod nihil receptum ab aliquo est aeque potens illi a quo recipitur
; sicut lumen in aere non est aeque potens lumini in sole. Sed potentia est
recepta in Filio a Patre. Ergo videtur quod Filius non sit aequalis Patri in
potentia. |
3. En outre, nous voyons dans
les créatures que rien de ce qui est reçu dans un autre n’est égal en
puissance à celui par lequel il est reçu ; par exemple, la lumière dans
l’air n’est pas égale en puissance à la lumière dans le soleil. Mais la
puissance est reçue du Père dans le Fils. Donc, il semble que le Fils ne soit
pas égal au Père en puissance. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud quod
agit per alium videtur esse potentius eo per quod agit. Sed Pater agit per
Filium et non e converso. Ergo Pater est potentior Filio. |
4. De plus, ce qui agit par
un autre semble être plus puissant que celui par lequel il agit. Mais le Père
agit par le Fils et non inversement. Donc le Père est plus puissant que le
Fils. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, potentia
radicatur in essentia. Sed est una essentia Patris et Filii numero. Ergo et
una potentia: ergo non est aliqua inaequalitas in potentia, cum omnis
inaequalitas diversitatem ponat ; sicut enim unum in quantitate facit
aequale, ita diversum facit inaequale: quod concedimus. |
Cependant : La puissance s’enracine dans
l’essence. Mais il n’y a qu’une seule essence, numériquement parlant, pour le
Père et le Fils. Il n’y a donc qu’une seule puissance pour les deux : et
il ne peut donc y avoir là une inégalité dans la puissance, puisque toute
inégalité pose une diversité ; en effet, tout comme l’un est la cause de
l’égal dans la quantité, de même le divers est cause d’inégalité : ce
que nous concédons. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum,
quod potentia appropriatur Patri, non quia magis sibi conveniat quam Filio,
sed quia majorem similitudinem habet cum proprietate Patris quam cum
proprietate Filii: potentia enim habet rationem principii, et Pater est
principium non de principio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la puissance est appropriée au Père non pas parce qu’elle
lui convient davantage qu’au Fils, mais parce qu’elle possède une plus grande
ressemblance avec la propriété du Père qu’avec la propriété du Fils : la
puissance a en effet raison de principe, et le Père est un principe sans
principe. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
habere essentialiter et personaliter ab alio, importat defectum solum quantum
ad hoc quod est habere ab alio essentialiter, idest in diversitate essentiae
; ex hoc enim causatur inaequalitas magnitudinis et potentialitatis: quia
inaequalitatis causa est diversitas, sicut unitas aequalitatis, ut dictum
est, in argum. sed contra istius artic., et quantum ad hoc Filius non est
medium inter Patrem et creaturam, immo aequali et eadem dignitate convenit
Filio sicut et Patri non habere ab alio essentialiter. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tenir essentiellement et personnellement d’un autre implique un
défaut seulement quant à ce qui est de tenir d’un autre essentiellement,
c’est-à-dire quant à la diversité de l’essence ; c’est à partir de là en
effet qu’est causée une inégalité de grandeur et de potentialité : car
la diversité est la cause de l’inégalité, comme l’unité est celle de
l’égalité, ainsi que nous l’avons dit dans l’argument ¨cependant¨ de cet
article, et quant à cela que le Fils n’est pas un intermédiaire entre le Père
et la créature, mais bien plutôt, c’est par une égale et même dignité qu’il
convient au Fils comme au Père de ne rien tenir d’un autre essentiellement. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
in inferioribus quandoque recipitur aliquid in eadem virtute quae est in eo a
quo recipitur, quando scilicet recipiens est proportionatum ad recipiendum
totam virtutem dantis, sicut patet in omni generatione univoca, ut quando
homo generat hominem, et ignis ignem: quandoque autem non recipitur tota
virtus, et hoc est ex defectu recipientis, quod non est proportionatum ad
recipiendum totum quod agens influere potest, sicut corpora inferiora se
habent ad actionem solis ; vel forte ex defectu agentis, cujus virtus est
deficiens a communicatione suae similitudinis ; sicut parva [una Éd.
de Parme] scintilla non potest calefacere aliquod lignum, etiam multum
dispositum. Sed in divinis non est defectus ex parte dantis neque ex parte
accipientis, cum una et eadem sit virtus utriusque ; et ideo quantam
potentiam Pater habet, tantam accipit Filius ab eo. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que parfois dans êtres inférieurs une chose est reçue avec la même
puissance qui est dans celui duquel elle est reçue, c’est-à-dire quand celui
qui reçoit est proportionnné à recevoir toute la puissance de celui qui
donne, ainsi qu’on le voit dans toute génération univoque, comme lorsque
l’homme engendre un homme et le feu engendre le feu : mais parfois toute
la puissance n’est pas reçue, et cela vient d’un défaut du côté de celui qui
reçoit, lequel n’est pas proportionné à recevoir tout ce que l’agent peut
répandre en lui, ainsi qu’on le voit chez les corps inférieurs par rapport à
l’action du soleil ; ou bien cela vient d’un défaut du côté de l’agent,
dont la puissance fait défaut dans la communication de sa ressemblance ;
par exemple, une [seule Éd. de Parme] petite étincelle ne peut
réchauffer une pièce de bois, même si cette dernière est bien disposée. Mais
dans les personnes divines il n’y a pas de défaut, ni du côté de celui qui
donne, ni du côté de celui qui reçoit, puisqu’il n’y a qu’une seule et même
puissance pour chacun des deux ; et c’est pourquoi le Fils reçoit autant
de puissance que le Père en possède. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
cum dicitur Pater operari per Filium, non ponitur aliquis gradus potestatis,
sed signatur auctoritas in Patre, ut dictum est, dist. 15, quaest. unic.,
art. 4. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que lorsqu’on dit que le Père agit par le Fils, on ne pose pas là un
degré de puissance, mais on signifie une autorité qui est dans le Père, ainsi
que nous l’avons déjà dit [dist. 15, quest. unique, art. 4]. |
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Articulus 3. Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 tit. Utrum in divinis
personis sit ordo |
Article 3 – Y a-t-il un ordre dans les personnes divines ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1[16] :
|
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in divinis personis non sit ordo. Ut enim dicit
Augustinus, XIX de civ ; Dei, cap. XIII, col. 640 :
« Ordo est parium dispariumque sua cuique tribuens loca
dispositio ». Sed in divinis personis non competit aliqua localis
dispositio. Ergo videtur quod nec ordo. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas d’ordre dans les personnes divines. En effet, comme le dit Saint-Augustin
[XIX De la Cité de Dieu, ch. 13, col. 640], ¨L’ordre
est une disposition qui assigne son lieu à chacune des choses égales et
inégales¨. Mais aucune disposition selon le lieu ne convient aux personnes
divines. Il semble donc que l’ordre ne leur convienne pas non plus. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Boetius, lib. De Trinit., cap.
1, col. 124, dicit:Eos sequitur differentia deitatis qui in
Trinitate gradus constituunt. Sed ubicumque est ordo, est aliquis gradus.
Ergo si in divinis personis est ordo, videtur quod sequatur diversitas
deitatis. Hoc autem est impossibile. Ergo personae divinae non habent
ordinem. |
2. Par ailleurs, Boèce [De
la Trinité, ch. 1, col. 124] dit : La différence à
l’intérieur de la divinité découle de ce qui constitue des degrés dans la
Trinité. Mais partout où il y a ordre, il y a des degrés. Donc, s’il y a
un ordre à l’intérieur des personnes divines, il semble qu’il s’ensuive une
diversité dans la divinité. Mais cela est impossible. Il n’y a donc pas un
ordre dans les personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ubi est
eadem aeternitas, simplicitas et dignitas, non videtur esse aliquis ordo:
aeternitas enim aequalis excludit ordinem temporis, simplicitas aequalis
ordinem causae ad causatum et partis ad totum, et aequalis dignitas ordinem
dignitatis. Sed in Patre et Filio est eadem numero aeternitas, simplicitas et
dignitas. Ergo non est aliquis ordo. |
3. En outre, là où
l’éternité, la simplicité et la dignité sont identiques, il ne semble pas
qu’il y ait un ordre : en effet, une éternité égale exclut l’ordre du
temps, une simplicité égale l’ordre de la cause à l’effet et de la partie au
tout, et une dignité égale l’ordre de la dignité. Mais dans le Père et le
Fils, l’éternité, la simplicité et la dignité sont identiques numériquement
parlant. Il n’y a donc pas là un ordre. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Item, quidquid est
in divinis, aut significat essentiam aut notionem Sed ordo non pertinet ad
essentiam divinam, in qua nulla est distinctio, nec ad notionem, quia nulla
notio communis est tribus personis, sicut ordo. Ergo videtur quod in divinis
personis non sit ordo. |
4. De plus, tout ce qui est
en Dieu signifie ou bien l’essence, ou bien une notion. Mais l’ordre ne se
rapporte pas à l’essence divine dans laquelle il n’y a aucune distinction, ni
à la notion, car il n’y a aucune notion qui soit commune aux trois personnes,
tout comme l’ordre. Il semble donc qu’il n’y ait pas d’ordre dans les
personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Contra,
ubicumque est pluralitas sine ordine, ibi est confusio. Sed in divinis
personis est pluralitas et non confusio. Ergo ibi est ordo. |
Cependant : 5. Au contraire, partout où
il y a pluralité sans ordre, il y a confusion. Mais dans les personnes
divines il y a pluralité mais non pas confusion. Il y a donc là un ordre. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 6 Hic etiam videtur,
quod Spiritus sanctus dicitur tertia in Trinitate persona ; et hoc dicit
aliquem ordinem. |
6. Il semble aussi ici que
l’Esprit-Saint est appelé la troisième des personnes divines ; et cela
signifie qu’il y a là un ordre. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
–
|
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur,
an sit ibi ordo naturae: et videtur quod non. Quia omnis ordo importat
aliquam distinctionem. Sed in natura divina nulla est distinctio. Ergo nec
naturae divinae est aliquis ordo ; et ita in divinis personis non est ordo
naturae. |
Difficultés : 1. On cherche par la suite
s’il y a là un ordre de nature : et il semble que ce ne soit pas le cas.
Car tout ordre implique une distinction. Mais il n’y a aucune distinction
dans la nature divine. Il n’y a donc pas un ordre qui appartienne à la nature
divine et ainsi il n’y a pas un ordre de nature dans les personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, natura
divina est idem quod essentia. Sed nihil est dictu quod in divinis personis
sit ordo essentiae. Ergo nec naturae. |
2. Par ailleurs, la nature
divine est identique à l’essence divine. Mais il n’y a rien qui dise qu’il y
a un ordre d’essence dans les personnes divines. Il n’y a donc pas un ordre
de nature. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 In contrarium est
quod in littera dicitur. |
Cependant : Ce qu’on dit dans le document
s’oppose à cela. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod
ordo in ratione sua includit tria, scilicet rationem prioris et posterioris ;
unde secundum omnes illos modos potest dici esse ordo aliquorum, secundum
quos aliquis altero prius dicitur et secundum locum et secundum tempus et
secundum omnia hujusmodi. Includit etiam distinctionem, quia non est ordo
aliquorum nisi distinctorum. Sed hoc magis praesupponit nomen ordinis quam
significet. Includit etiam tertio rationem ordinis, ex qua etiam ordo in
speciem trahitur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’ordre, dans sa nature même, comprend trois choses : à
savoir un rapport de ce qui est premier à ce qui est second ; c’est
pourquoi on peut dire qu’il y a un ordre entre des êtres de toutes ces
manières selon lesquelles on dit d’un être qu’il est antérieur à un autre
selon le lieu, selon le temps et selon d’autres catérories de cette sorte.
L’ordre comprend aussi une distinction car il n’y a un ordre entre des êtres
que s’ils sont distincts. Mais cela présuppose davantage le nom d’ordre qu’il
ne le signifie. Et l’ordre comprend aussi en troisième lieu la cause de
l’ordre à partir de laquelle l’ordre s’attribue aussi à l’espèce. |
Unde unus est ordo secundum locum, alius secundum
dignitatem, alius secundum originem, et sic de aliis: et ista species
ordinis, scilicet ordo originis, competit divinis personis. Unde dico quod
ordo originis signatur cum dicitur ordo naturae, secundum quod dicitur natura
a philosopho, V Metaphys., text., 5, ex qua pullulat pullulans
primo. |
C’est pourquoi autre est
l’ordre selon le lieu, autre l’ordre selon la dignité et autre celui selon
l’origine et il en est de même du reste : et cette espèce d’ordre, à savoir
l’ordre d’origine, appartient aux personnes divines. C’est pourquoi je dis
que l’ordre d’origine est signifié lorsqu’on dit de l’ordre de nature,
conformément à ce que dit le Philosophe de la nature [V Métaphysique,
texte 5], qu’il est ce à partir de quoi le géniteur engendre. |
Unde nomen naturae importat rationem originis: et sic
ista duo nomina ordo naturae sumuntur in vi unius nominis, ad significandum
speciem ordinis: quae quidem species salvatur in divinis personis quantum ad
rationem differentiae, scilicet originem, et non quantum ad rationem generis,
scilicet prioritatem et posterioritatem, ut in pluribus aliis dictum est. Et
hoc patet ex definitione Augustini quam ponit, II Contra
maximin., cap. XIV, § 8, col. 775, quod ordo naturae est quo aliquis
est ex alio, in quo ponitur differentia originis, et non prior alio, in quo
removetur ratio generis. Unde non est concedendum quod sit ibi ordo
simpliciter, sed ordo naturae. |
C’est pourquoi le nom de
nature implique la notion d’origine : et ainsi ces deux noms, à savoir ¨ordre
de nature¨, sont pris dans la force d’un seul nom pour signifier l’espèce de
l’ordre : et l’espèce est certes conservée dans les personnes
divines quant à la notion de différence, à savoir quant à l’origine, et non
quant à la notion de genre, c’est-à-dire quant à la notion de priorité et de
postériorité, comme cela est dit par plusieurs autres auteurs. Et cela est clair
à partir de la définition que Saint-Augustin [11 Contre Maximin,
ch. XIV, & 8, col. 775] présente, à savoir que l’ordre de nature est
celui par lequel un être vient d’un autre, et non que l’un est antérieur à
l’autre, dans lequel on pose une différence d’origine, et où on écarte la
notion de genre. C’est pourquoi il ne faut pas concéder qu’il y ait là un
ordre pris absolument, mais un ordre de nature. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod illa definitio Augustini datur de ordine secundum locum, qui
divinis personis non competit. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que cette définition donnée par Saint-Augustin se rapporte à l’ordre
selon le lieu, lequel ne convient pas aux personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod gradus dicit quamdam speciem ordinis, scilicet secundum dignitatem vel
perfectionem, vel locum: et nullus horum competit divinis personis ; et ideo
nec gradus. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la notion de degré dit une certaine espèce d’ordre, à savoir l’ordre
selon la dignité, selon la perfection et selon le lieu : et aucune de
ces sortes d’ordres ne convient aux personnes divines, ni par conséquent la
notion de degré ou de rang. |
Super Sent., lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod illa ratio procedit de ordine quantum ad rationem
generis, prout ponit prius et posterius, quod nullo modo divinis competit. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cet argument procède de l’ordre sous le rapport de son genre, selon
qu’il pose l’avant et l’après, ce qui ne convient en aucune manière aux
personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod hoc nomen ordo significat notionem, non tamen in speciali, sed in
communi, quae determinatur secundum diversa adjuncta ; ut cum dicitur ordo
Patris ad Filium, significatur notio quae est paternitas ; et cum dicitur
ordo Filii ad Patrem, significatur notio quae est filiatio ; et similiter
patet in aliis ; et similiter etiam est de hoc nomine principium, quod aliam
notionem significat cum dicitur Pater principium Filii, et cum dicitur
principium Spiritus sancti. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le nom d’ordre signifie une notion, non en particulier mais dans
l’universel, qui est spécifiée par différents ajouts ; par exemple,
lorsqu’on parle de l’ordre du Père au Fils, on signifie une notion qui est la
paternité et lorsqu’on parle de l’ordre du Fils au Père, on signifie la
notion qui est la filiation ; et il en est de même pour les autres. Et
il en est encore de même pour le nom de principe, qui signifie une notion
lorsqu’on dit du Père qu’il est le principe du Fils, et une autre notion
lorsqu’on dit qu’Il est le principe de l’Esprit-Saint. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod ordo originis sufficit ut confusio non ponatur, et ad hoc quod Spiritus
sanctus dicatur tertia persona. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que l’ordre d’origine suffit à ne pas poser une confusion et à dire que
l’Esprit-Saint est la troisième personne. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 6. Unde patet
solutio ad sextum. |
6. Et
de là la solution à la sixième difficulté est évidente. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
3 qc. 2 co. [solutio II Éd. Mandonnet] Ad id quod ulterius
quaeritur, dicendum, quod est ibi ordo naturae, non tamen ita quod natura
ordinetur, vel quod Pater naturaliter prior sit Filio ; sed ita quod dicat
rationem ordinis, secundum quod in natura importatur origo. Et quamvis
secundum rem sit idem divina natura quod essentia, tamen ratio originis non
importatur in nomine essentiae sicut in nomine naturae, ratione enim
differunt ; et ideo non potest dici ordo essentiae, sicut ordo naturae. |
Corps
de l’article [corps de l’article 11 Éd.
Mandonnet]: Par
rapport à ce qu’on cherche à savoir par la suite il faut dire qu’il y a là un
ordre de nature, non pas cependant de telle manière que la nature soit
ordonnée ou que le Père soit par nature antérieur au Fils, mais de telle
manière qu’il dise la raison de l’ordre selon laquelle l’origine est
impliquée dans la nature. Et bien qu’en réalité la nature divine est
identique à l’essence, cependant la notion d’origine n’est pas impliquée dans
le nom d’essence comme dans le nom de nature et à cause de cela ils diffèrent
en effet par la raison; et c’est pourquoi on ne peut parler d’un ordre d’essence
comme d’un ordre de nature. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
3 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet responsio ad ea quae objiciuntur. |
Solution: Et
c’est par cela que la réponse aux difficultés est évidente. |
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Distinctio 21 |
Distinction 21 – [Les noms divins (1)] |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du sujet ?] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur duo. Primo,
utrum dictio exclusiva possit in divinis addi ex parte subjecti. Secundo,
utrum ex parte praedicati. Circa
primum quaeruntur duo: 1 utrum
possit addi ex parte subjecti termino essentiali cum praedicato essentiali
vel personali ; 2 utrum
possit addi termino personali cum praedicato essentiali. |
Deux
interrogations se présentent ici. En premier
lieu, est-ce qu’un mot exclusif peut être ajouté du côté du sujet chez les
personnes divines? En deuxième
lieu, peut-il en être de même du côté du prédicat? Au sujet du
premier point, on soulève deux questions: 1. Est-ce
que le terme exclusif peut être ajouté du côté du sujet à un terme essentiel
avec un prédicat essentiel ou personnel? 2. Peut-il
être ajouté à un terme personnel avec un prédicat essentiel? |
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Articulus 1 [1647] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 tit. Utrum ista propositio, solus Deus est
Deus, sit falsa |
Article 1 – Cette proposition, ‘Seul Dieu est Dieu’, est-elle fausse ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
–
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[1648]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur
quod haec sit falsa: « Solus Deus est Deus ». Omne enim adjectivum
ponit rem suam circa suum substantivum. Sed « solus » est quoddam
adjectivum. Ergo cum dicitur: « Solus Deus », implicat solitudinem
circa Deum. Sed sicut dicit Hilarius lib. IV de Trinit., §
18, col. 111, et habitum est supra distinctione II, « Nobis neque
solitarius est Deus, neque diversus confitendus ». Ergo videtur quod
haec sit falsa: « Solus Deus est Deus ». |
Difficultés : 1. Il semble que cette
proposition : ¨Seul Dieu est Dieu¨, est fausse. En effet, tout adjectif
pose sa réalité sur son substantif. Mais ¨seul¨ est un certain adjectif.
Donc, lorsqu’on dit ¨seul Dieu¨, cela implique une solitude en Dieu. Mais
comme le dit Saint-Hilaire [IV De la Trinité, & 18, col.
111], et comme cela a été établi plus haut à la distinction 2, ¨Nous
devons confesser qu’il n’y a en Dieu ni solitude ni diversité¨. Il semble
donc que cette proposition : ¨Seul Dieu est Dieu¨, est fausse. |
[1649] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, hoc nomen Deus intantum habet naturam
termini communis, ut quod de Deo dicitur de omnibus personis dicatur, ut cum
dicitur: « Deus creat » ; vel saltem de aliqua, ut cum dicitur:
« Deus generat ». Unde potest fieri descensus sub hoc nomine Deus,
in subjecto posito pro aliqua personarum. Si igitur haec est vera:
« Solus Deus est Deus », aliqua istarum erit vera: « Solus
Pater est Deus », vel « Solus Filius est Deus », vel
« Solus Spiritus sanctus est Deus ». Sed quaelibet harum falsa est.
Ergo et prima. |
2. Par ailleurs le nom ¨Dieu¨
possède possède à ce point la nature d’un terme commun que ce qui se dit de
Dieu se dise de toutes les personnes, comme lorsqu’on dit : ¨Dieu crée¨,
ou même de l’une d’entre elles, comme lorsqu’on dit : ¨Dieu engendre¨.
C’est pourquoi, sous le nom de Dieu, il peut se produire une descente dans un
sujet posé pour une des personnes. Si donc cette proposition est vraie, à
savoir ¨Seul Dieu est Dieu¨, une de celles-là sera vraie, à savoir ¨Seul le
Père est Dieu¨, ou ¨Seul le Fils est Dieu¨, ou encore ¨Seul l’Esprit-Saint
est Dieu¨. Mais chacune de ces dernières propositions est fausse. Donc la
première l’est aussi. |
[1650] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Item, secundum philosophum VII Metaphys., texte
20, « solum » idem est quod non cum alio. Sed Deo, praecipue post
rerum creationem, nunquam convenit cum alio non esse, quia in participationem
sui esse res creando adduxit. Ergo non potest dici aliquo modo solus Deus. |
3. En outre, d’après le
Philosophe [ VII Métaphysique, texte 20], le terme ¨seul¨
signifie la même chose que de ne pas être avec un autre. Mais il ne convient
jamais à Dieu, surtout après la création, de ne pas être avec un autre, car
en les créant, il amène les choses à participer de son existence. On ne peut
donc dire en aucune façon ceci : ¨seul Dieu¨. |
[1651] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Contra, proprium est quod convenit
uni soli. Sed esse divinum vel omnipotentem est proprium Deo. Ergo solus Deus
est Deus vel omnipotens. |
Cependant : 4. Ce qui est propre à un
être est ce qui convient à lui seul. Mais l’existence divine ou
toute-puissante est propre à Dieu. Donc, seul Dieu est Dieu ou tout-puissant. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question
11-
|
[1652] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur de ista: « Solus Deus
est Pater » ; videtur enim esse falsa. Quia id quod in alio invenitur,
non potest alicui soli inesse. Sed paternitas non tantum est in Deo, sed
etiam in hominibus, et quodammodo in Angelis, ut dicit Dionysius cap.
III, de div. Nomin. § 2, col. 616. Ergo non potest dici,
quod solus Deus est pater. |
Difficulté : 1. Nous nous arrêtons ensuite
à cet énoncé : ¨Seul Dieu est Père¨. Et il semble en effet qu’il soit
faux. Car ce qui se retrouve dans un autre ne peut appartenir à un seul. Mais
la paternité n’est pas seulement en Dieu, mais nous la retrouvons aussi chez
les hommes et d’une certaine manière chez les Anges, ainsi que le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. 111, & 2, col. 616]. On ne peut donc dire que seul
Dieu est père. |
[1653] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Contra, de quocumque praedicatur commune
praecise, praedicatur cum praecisione et proprium, si de ipso praedicetur: si
enim solum corpus est coloratum, sequitur solum corpus esse album, si
supponatur album de corpore praedicari. Sed Deus est sicut commune respectu
trium personarum, ut supra habitum est, dist. 19, quaest. III, art. 2, ex
verbis Damasceni. Ergo sequitur, si solus Deus est Deus, cum Deus sit pater,
quod solus Deus sit pater. |
Cependant : 1. Tout ce à quoi s’attribue
l’universel avec précision, le particulier aussi s’y attribue avec précision
s’il devait s’y attribuer : si en effet seul un corps est coloré, il
s’ensuit que seul un corps est blanc, si on supposait que le blanc s’attribue
au corps. Mais Dieu est comme un universel par rapport aux trois personnes,
ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. 19, quest. 3, art. 2] à partir
des dires de Saint-Damascène. Il s’ensuit donc, si seul Dieu est Dieu,
puisque Dieu est père, que seul Dieu est père. |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question
1-
|
[1654]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod,
secundum philosophum, VII Metaphysicor., texte 20, « solum » idem
est quod non cum alio, in quo consortium removetur. Potest igitur haec dictio
solus removere consortium simpliciter, vel respectu alicujus. Et dicitur simpliciter
removere consortium, quando tollitur associatio alterius quod sit ejusdem
naturae et conditionis cum ipso ; sicut dicimus aliquem hominem esse solum in
domo, quamvis ibi sint multa alia animalia: et dicimus aliquem religiosum
incedere solum, cum sine socio sui ordinis vadit, multis etiam ipsum
comitantibus ; et tunc solus idem est quod solitarius ; et est etiam dictio
categorematica implicans solitudinem circa subjectum, sicut et quodlibet
aliud adjectivum ; et ita nullo modo potest accipi in divinis: quia una
persona semper habet consortium societatis alterius personae connaturalis et
similis sibi |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après le Philosophe [ VII Métaphysique, texte 20],
¨seul¨ s’identifie à ne pas être avec un autre, en quoi la communauté
disparaît. Donc, ce terme ¨seul¨ peut faire disparaître la communauté
soit absolument, soit par rapport à un aspect. Et on dit qu’il
fait disparaître la communauté absolument quand il retire l’association avec
l’autre qui est de même nature et de même condition que lui ; par
exemple, nous disons qu’un homme est seul dans la maison bien qu’il y ait là
plusieurs animaux ; et nous disons qu’un religieux marche seul lorsqu’il
va sans aucun membre de son ordre, même si plusieurs autres personnes
l’accompagnent ; et alors ¨seul¨ signifie la même chose que solitaire,
et il est aussi un terme catégorématique impliquant la solitude sur le sujet
comme le ferait tout autre adjectif ; et en ce sens le terme ¨seul¨ ne
peut être admis pour les personnes divines, car une des personnes possède
toujours une communauté d’association avec les autres qui sont de même nature
et semblables à elle. |
Si autem excludat
consortium respectu alicujus determinati, tunc dictio est syncategorematica,
importans aliquem ordinem vel habitudinem unius ad alterum, ratione
negationis implicitae, magis quam implicans formam aliquam ; et secundum hoc
dico, quod haec est duplex: solus Deus creat ; quia removet consortium
alterius a forma subjecti subintellecta implicatione, quod est, vel qui est ;
et tunc est sensus: « Solus Deus », idest ille qui ita est Deus
quod praeter ipsum nullus alius est Deus, « creat », et sic vera
est. Vel removet consortium in participatione praedicati, et in hoc etiam
sensu vera est: est enim sensus, quod nullus alius praeter Deum creet. Et
idem est judicium de hac: « Solus Pater est Pater » ; vel:
« Solus Pater generat ». Omnes enim hujusmodi in primo sensu sunt
falsae et in duobus aliis verae. |
Mais si le terme ¨seul¨ exclut
la communauté par rapport à quelque chose de déterminé, alors il est
syncatégorématique, impliquant un ordre ou un rapport à un autre, en raison
d’une négation implicite plus qu’en impliquant une forme ; et suivant
cela je dis que cet énoncé : ¨seul Dieu crée¨, est double, car ou bien
il retire la communauté d’un autre de la forme du sujet par une implication
sous-entendue, à savoir ¨ce qui est¨ ou ¨qui est¨ ; et alors la
signification est la suivante : ¨Seul Dieu¨, c’est-à-dire celui qui est
Dieu de telle manière qu’en dehors de Lui aucun autre n’est Dieu, ¨crée¨, et
en ce sens l’énoncé est vrai. Ou bien il retire la communauté dans la
participation du prédicat et en cela aussi la signification est vraie car
alors en effet le sens est qu’aucun autre en dehors de Dieu ne crée. Et on
doit porter le même jugement sur les énoncés suivants, soit : ¨Seul le
Père est Père¨, et ¨Seul le Père engendre¨. En effet, tous ces énoncés sont
faux s’ils sont pris dans la première signification, mais vrais s’ils sont
pris dans les deux autres significations. |
[1655]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ex quo patet responsio ad
primum, quod procedit secundum primum sensum. |
Solutions: 1. De
là apparaît clairement la réponse à la première difficulté qui procède d’après
la première signification. |
[1656]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
sicut dicunt sophistae, dictio exclusiva immobilitat terminum cui adjungitur
ratione negationis implicitae. Unde non sequitur: solus homo est rationalis ; ergo
solus Socrates. Non enim omne quod est aliud a Socrate, est aliud ab homine.
Unde negatio implicita in dictione exclusiva ad plura se extendit quando
adjungitur proprio quam quando adjungitur communi. Sed verum est quod ratione
affirmationis posset fieri descensus. Unde cum ista: « Solus Deus est
Deus », habeat duas expositivas, unam affirmativam: « Deus est
Deus », et alteram negativam, scilicet hanc: « Alius a Deo non est
Deus », sub affirmativa potest fieri descensus, ut dicatur: « Pater
est Deus », et non sub negativa: « Alius a Patre non est
Deus ». |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tout comme le disent les philosophes, le terme exclusif immobilise
(isole) le terme auquel il est ajouté en raison de la négation implicite.
C’est pourquoi il ne s’ensuit pas : seul l’homme est rationnel, donc
seul Socrate est rationnel. En effet, ce n’est pas tout ce qui est autre que
Socrate qui est autre que l’homme. C’est pourquoi la négation implicite dans
le terme exclusif s’étend à plus de choses quand il s’ajoute au propre que
quand il s’ajoute au commun. Mais il est vrai qu’en raison d’une affirmation
il pourrait y avoir une descente. C’est pourquoi puisque cet énoncé, à savoir
¨Seul Dieu est Dieu¨, possède deux explications, dont l’une est affirmative,
soit : ¨Dieu est Dieu¨, et l’autre négative, soit : ¨Un autre que
Dieu n’est pas Dieu¨, il peut y avoir une descente sous l’affirmative de
manière à dire : ¨Le Père est Dieu¨, mais non pas sous la négative de
manière à dire : ¨Un autre que le Père n’est pas Dieu¨. |
[1657] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dictum est, in
corp. art., haec dictio « solus » privat consortium ; et quamvis,
creaturis existentibus, non possit ab eo removeri consortium respectu hujus
quod est esse, tamen potest removeri consortium respectu propriae suae
operationis, quae est creatio, et etiam respectu propriae suae naturae. Unde,
secundum Hilarium IV De Trinitate, remota distinctione
personarum, etiam creaturis existentibus, Deus dicitur solitarius. Quamvis
enim haec non esset vera: « Solus Deus est », haec tamen vera
esset: « Deus est solus », idest solitarius. |
3. Il faut dire en troisième
lieu, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, que ce terme,
¨seul¨, prive de la communauté ; et bien que, les créatures existant, la
communauté ne puisse lui être retirée par rapport à tout ce qui existe,
cependant la communauté peut lui être enlevée par rapport à son opération
propre, qui est la création, et même par rapport à sa nature propre. C’est
pourquoi, d’après Saint-Hilaire [IV De la Trinité], une fois
enlevée la distinction des personnes, même si les créatures existent, Dieu
est dit solitaire. En effet, bien que cet énoncé ne serait pas vrai, à savoir
¨Seul Dieu existe¨, celle-ci cependant serait vraie : ¨Dieu est seul¨,
c’est-à-dire solitaire. |
[1658]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Quartum concedimus, quod
procedit secundum tertium sensum. |
4.
Nous concédons la quatrième difficulté qui procède d’après la troisième
signification du terme ¨seul¨. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question
2-
|
[1659]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, an haec
sit vera: « Solus Deus est Pater », dicendum ; quod secundum tres
sensus tripliciter potest judicari. Si enim haec dictio « solus »
implicet solitudinem circa Deum, locutio falsa est. Si autem importat
exclusionem a forma subjecti, vera est, et est sensus ; Deus, praeter quem
non est alius, est Pater. Si autem removeat consortium a participatione
praedicati, dico quod est duplex. Quia in nomine Patris potest intelligi
tantum proprietas paternitatis prout praedicatum formaliter tenetur, et sic
falsa est, quia paternitas non tantum in Deo est sed etiam in hominibus. Vel
ipsa persona subsistens distincta paternitate ; et sic est vera, et hoc modo
probatur et improbatur. |
Corps de l’article : Par rapport à ce qu’on
cherche à savoir par la suite, à savoir s’il est vrai de dire ¨Seul Dieu est
le Père¨, il faut dire qu’on peut en juger de trois manières différentes
d’après les trois significations présentées plus haut. Si en effet ce terme,
à savoir ¨seul¨, implique une solitude au sujet de Dieu, l’expression est
fausse. Mais s’il implique une exclusion de la forme du sujet, elle est vraie
et alors la signification est : Dieu, en dehors de qui il n’y en a aucun
autre, est Père. Mais s’il écarte une communauté de la participation du
prédicat, je dis alors qu’elle est double. Car par le nom de père on peut
seulement entendre la propriété de la paternité selon que le prédicat est
pris formellement et ainsi l’expression est fausse car la paternité ne se
retrouve pas seulement en Dieu mais aussi chez les hommes. Mais on peut aussi
entendre par le nom de ¨père¨ la personne même qui subsiste par une paternité
distincte et ainsi l’énoncé est vrai ; et c’est de cette manière que
l’expression est à la fois approuvée et désapprouvée. |
Tamen sciendum, quod
paternitas non est ejusdem rationis secundum univocationem in Deo et in
creaturis, quamvis sit eadem ratio secundum analogiam, quae quidem aliquid
habet de identitate rationis, et aliquid de diversitate. Unde etiam si
praedicatum sumatur formaliter. Tamen potest aliquo modo vera esse:
« Solus Deus est Pater », et secundum eumdem modum loquendi quo
dicitur Luc. XVIII, 19: « Nemo bonus nisi solus Deus ». |
Il faut cependant savoir que
la paternité n’a pas la même nature en Dieu et dans les créatures suivant une
attribution univoque, bien que la notion soit la même selon l’analogie,
analogie dont la notion est en partie identique, en partie différente. C’est
pourquoi même si le prédicat se prend formellement, cet énoncé peut cependant
être vrai en un sens : Seul Dieu est Père¨, et cela de la même manière
dont on parle lorsqu’on dit [Luc, XVIII, 19] : ¨Personne n’est
bon, que Dieu seul¨. |
|
|
Articulus 2 [1660] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 tit. Utrum ista propositio, « Solus Pater
est Deus », sit vera |
Article 2 – Cette proposition : « Le Père seul est Dieu », est-elle vraie ? |
[1661]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod haec sit vera:
« Solus Pater est Deus », vel, « Solus Filius est Deus ».
Sicut enim esse Deum convenit tribus personis, ita et esse altissimum. Sed de
Filio legitur: « Tu solus altissimus ». Ergo potest
dici: « Solus Filius est Deus ». |
Difficultés : 1. Il semble que cette
proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est vraie, ou
même encore cette autre : ¨Seul le Fils est Dieu¨. En effet,
tout comme il appartient aux trois personnes d’être Dieu, de même il leur
appartient de posséder l’existence la plus noble. Mais on lit au sujet du
Fils : ¨Toi seul es le Très-Haut¨. On peut donc dire : ¨Seul
le Fils est Dieu¨. |
[1662] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, haec, « Solus Pater est Deus »,
habet duas expositivas: unam indefinitam, vel singularem, quae convertitur
sicut particularis affirmativa, scilicet haec: « Pater est Deus » ;
aliam negativam universalem, scilicet: « Nullus alius a Patre est
Deus » ; et utraque harum convertitur simpliciter. Sed haec est vera in
aliquo sensu: « Solus Deus est Pater ». Ergo a simplici conversa
haec erit vera: « Solus Pater est Deus ». |
2. Par ailleurs, cette
proposition : ¨Seul le Père est Dieu¨, possède deux explications :
la première, qui est indéfinie ou singulière, qui se convertit comme une
particulière affirmative, à savoir celle-ci : ¨Le Père est Dieu¨ ;
la deuxième, qui est une universelle négative, à savoir : ¨Nul autre que
le Père n’est Dieu¨ ; et chacune de ces propositions se convertit
simplement. Mais celle-là, à savoir ¨Seul Dieu est le Père¨, est vraie en un
sens ; donc par une conversion simple celle-ci le sera aussi :
¨Seul le Père est Dieu¨. |
[1663] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, si haec est falsa: « Solus Pater est
Deus », hoc non erit nisi quia per dictionem exclusivam excluduntur
aliae personae divinae a participatione praedicati. Sed per dictionem
exclusivam adjunctam Patri non excluduntur Filius et Spiritus sanctus. Ergo
haec est simpliciter vera: « Solus Pater est Deus ». Media probatur
per auctoritatem Augustini in Littera qui dicit: « Si
de solo Patre praedicta dicerentur, non tamen excluderetur Filius nec
Spiritus sanctus, quia hi unum sunt ». Probatur etiam
per rationem sic. Major est unio Filii ad Patrem, quam partis ad totum. Sed dictio exclusiva
adjuncta toti, non excludit partem [ad partem Éd. De Parme]: non
enim sequitur: solus Socrates est albus, ergo pes ejus non est albus. Ergo
cum exclusio fiat ratione diversitatis, videtur quod non excludatur Filius
per dictionem exclusivam adjunctam Patri. |
3. En outre, si cette
proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est fausse, cela ne sera
possible que parce que les autres personnes divines sont exclues de la
participation du prédicat par un terme exclusif. Mais le Fils et
l’Esprit-Saint n’en sont pas exclues par le terme exclusif ajouté au Père.
Donc cette proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est vraie purement
et simplement. La mineure est prouvée par l’autorité de Saint-Augustin dans
le document lorsqu’il dit : ¨Si ce qui précède ne se disait que du seul
Père, le Fils et l’Esprit-Saint n’en seraient cependant pas exclus, car ils
ne font qu’un avec Lui¨. La mineure est aussi prouvée par le raisonnement
suivant. L’union du Père au Fils est plus grande que celle d’une partie à son
tout. Mais le terme exclusif ajouté au tout n’exclut pas la partie [à l’égard
de la partie Éd. de Parme] : en effet, si seul Socrate est
blanc, il ne s’ensuit pas que son pied n’est pas blanc. Donc, puisque
l’exclusion a lieu en raison d’une diversité, il semble que le Fils ne soit
pas exclu par un terme exclusif ajouté au Père. |
[1664] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, dictio exclusiva non removet a consortio
nisi hoc quod est separatum ab eo cui adjungitur. Sed Filius est in Patre, ut
supra, distin. 9, quaest. 1, art. 1, probatum est. Ergo cum dicitur :
« Solus Pater », non excluditur Filius. |
4. De plus, le terme exclusif
n’écarte de la communauté que ce qui est séparé de ce à quoi il est ajouté.
Mais le Fils est dans le Père, ainsi que nous l’avons prouvé plus haut [dist.
9, quest. 1, art. 1]. Donc, lorsqu’on dit ¨Seul le Père¨, on n’exclut pas le
Fils. |
[1665] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, dictio exclusiva adjuncta antecedenti, non
excludit consequens ; non enim sequitur: Solus homo currit, ergo animal non
currit, vel: solum animal non currit, ergo homo non currit. Sed Filius
sequitur ad Patrem, quia si Pater est, Filus est [quia…est om. éd. de
Parme] et e converso, ut habitum est ex Ambrosio, dist. IX. Ergo videtur
quod cum dicitur: « Solus Pater », non excludatur Filius nec e
converso ; et ita haec erit vera: « Solus Pater est Deus ». |
5. Par ailleurs, le terme
exclusif ajouté à l’antécédent n’exclut pas le conséquent ; si en effet
on dit que seul l’homme court, il ne s’ensuit pas que l’animal ne court
pas ; ou bien si seul l’animal ne court pas, il ne s’ensuit pas que
l’homme ne court pas. Mais le Fils suit le Père, car si le Père est, le Fils
est [car…est om. Éd. de Parme] et inversement, comme nous l’avons
établi en nous appuyant sur Saint-Ambroise à la distinction 1X. Il semble
donc que lorsqu’on dit : ¨Seul le Père¨, le Fils n’est pas exclu, ni
inversement ; et ainsi cette proposition sera vraie : ¨Seul le Père
est Dieu¨. |
[1666] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur. |
Cependant : 1. Ce qu’on dit dans le document est
contraire à ce qui précède. |
[1667] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hujus propositionis: « Solus Pater
est Deus », una expositiva est: Nullus alius a Patre est Deus. Sed haec
est falsa, quia Filius, qui est alius a Patre, est Deus. Ergo haec est falsa:
« Solus Pater est Deus ». |
2. Par ailleurs, une des
explications de cette proposition : ¨Seul le Père est Dieu¨, est la
suivante : ¨Aucun autre que le Père n’est Dieu¨. Mais cette dernière est
fausse, car le Fils, qui est autre que le Père, est Dieu. Donc la première
proposition, ¨Seul le Père est Dieu¨, est fausse. |
[1668]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum
quosdam dictio exclusiva adjuncta uni relativorum in creaturis non excludit
alterum: non enim sequitur: tantum Pater est, ergo Filius non est ; quia ad
unum relativorum sequitur alterum. Sed hoc videtur esse falsum, quia dictio
exclusiva adjuncta supposito excludit omne aliud suppositum. Unde cum Filius
sit aliud suppositum a Patre, excluditur Filius, cum dicitur: « Solus
Pater. » Nec hoc impeditur per hoc quod unum sine altero esse non
potest: quia generatio etiam non potest esse sine alteratione et loci
transmutatione ; et tamen cum dicitur: sola generatio est, excluditur omnis
alia mutatio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après certains le terme exclusif ajouté à un des relatifs
dans les créatures n’exclut pas l’autre : si en effet on dit que Seul le
Père existe, il ne s’ensuit pas que le Fils n’existe pas, car l’un des
relatifs découle de l’autre. Mais cela semble être faux car le terme exclusif
ajouté au suppôt exclut tout autre suppôt. C’est pourquoi, puisque le Fils
est un autre suppôt que le Père, le Fils est exclu lorsqu’on dit : ¨Seul
le Père¨. Et le fait que l’un ne peut exister sans l’autre n’empêche rien à
cela car même la génération ne peut avoir lieu sans l’altération et le
changement de lieu, et pourtant lorsqu’on dit ¨seule le génération est¨, on
écarte tout autre changement. |
Praeterea, quamvis relativa
consequantur se in esse, non tamen consequuntur se in aliis praedicamentis:
non enim sequitur, si pater est musicus, quod filius est musicus. Et
praeterea, cum solus sit determinatio suppositi, excludit omne aliud
suppositum. Diversitatem autem suppositorum non tollit relativorum
consecutio. Unde non est aliqua ratio quare respectu horum praedicatorum,
unum non excluderetur per exclusionem adjunctam alteri. Et ideo dicendum est,
quod dictio exclusiva adjuncta Patri excludit Filium, quantum pertinet ad
oppositionem relationis. |
Par ailleurs, bien que les
relatifs se suivent dans l’existence, ils ne se suivent cependant pas dans
les autres prédicaments : en effet, si le père est musicien, il ne
s’ensuit pas que le fils soit musicien. Et de plus, puisque le terme seul est
une détermination du suppôt, il exclut tout autre suppôt. Mais la conséquence
des relatifs ne fait pas disparaître la diversité des suppôts. C’est pourquoi
il n’y a pas de raison pour laquelle l’un des relatifs ne serait pas exclu
par l’exclusion ajoutée à l’autre par rapport à ces prédicats. Et c’est
pourquoi il faut dire que le terme exclusif ajouté au Père exclut le Fils
sous le rapport de l’opposition de relation. |
Tamen intelligendum est
quod diversimode se habet in creaturis et in divinis quantum ad duo: primo, quia in creaturis
pater et filius non sunt unum in essentia, unde filius est alius a patre, et
aliud ; quod tamen non est verum in divinis. |
Il faut cependant comprendre
que cela se présente différemment dans les créatures et en Dieu sous deux
aspects : Premièrement parce que dans
les créatures le père et le fils ne sont pas un, numériquement parlant, dans
l’essence ; d’où le fils est autre que le père, et autre chose comme
réalité ; ce qui n’est pas vrai pour les personnes divines. |
Secundo, quia in creaturis
per paternitatem additur novum esse quod est esse accidentale, et non idem,
quod est esse subjecti. In divinis autem paternitas non addit secundum rem
aliud esse quam esse essentiae, in quo Pater et Filius communicant |
Deuxièmement parce que dans
les créatures une nouvelle existence est ajoutée par la paternité, qui est
une existence accidentelle et qui n’est pas identique à l’existence du sujet.
Mais dans les personnes divines la paternité n’ajoute pas une autre existence
en réalité à l’existence de l’essence dans laquelle le Père et le Fils
communiquent. |
Cum ergo loquimur in
humanis, dicentes: « Solus pater », excluditur omnibus modis
filius, quia filius est alius et aliud a patre. Et praeterea, si esset unum
in essentia cum patre, adhuc excluderetur ab illo, inquantum est alius a
patre secundum esse relationis superadditum essentiae ; unde secundum quid
esset aliud a filio, quamvis in essentia convenirent. |
Donc, lorsque nous parlons
des humains en disant : ¨Seul le père¨, cela exclut le fils de toutes
les manières, car le fils est quelqu’un d’autre et quelque chose d’autre que
le père. Et par ailleurs, s’il était un avec son père dans l’essence, il en
serait encore séparé selon qu’il est autre que le père selon l’existence de
la relation ajoutée à l’essence ; c’est pourquoi il serait autre que le
fils sous un rapport, bien qu’il serait un avec lui dans l’essence. |
Sed in divinis Pater et
Filius sunt unum in essentia, et tamen distinguuntur relationibus ; et tamen
illae relationes non addunt aliquid secundum rem ad essentiam. Unde ratione
illius distinctionis nullo modo potest dici Filius aliud a Patre, sed tantum
alius. |
Mais dans les personnes
divines le Père et le Fils sont une seule et même essence, et ils se
distinguent cependant par les relations ; et cependant ces relations
n’ajoute rien en réalité à l’essence. C’est pourquoi on ne peut dire du fils
en raison de cette distinction qu’il est autre chose que le Père,
mais seulement qu’il est un autre. |
Unde cum dicitur:
« Solus Pater », potest intelligi fieri exclusio
« alius » masculine, et sic excluditur Filius: et hoc magis
proprium est considerata consignificatione vocabulorum ; vel
« aliud » neutraliter, et sic non excluditur Filius, quia Filius
non est aliud a Patre, cum essentia divina quae est in Filio sit totum id
quod est Pater, et non aliqua pars ejus. |
C’est pourquoi, lorsqu’on
dit : ¨Seul le Père¨, c’est pour ¨un autre¨ au masculin qu’on peut
entendre qu’il y a exclusion, et ainsi c’est le Fils qui est exclu : et
cela est davantage approprié si on considère la signification des
termes ; ou bien on peut aussi entendre ¨quelque chose d’autre¨ au neutre,
et en ce sens le Fils n’est pas exclu du Père, puisque l’essence divine qui
est dans le Fils est la totalité de ce qu’est le Père et non une partie de ce
qu’Il est. |
Secundum hoc ergo haec est
distinguenda: « Solus Pater est Deus », per tres sensus praedictos.
Quia si « solus » implicet solitudinem circa Patrem, falsa est. Si
autem excludit a forma subjecti, sic vera est ; et est sensus: ille qui est
Pater, praeter quem nullus alius est Pater, est Deus. Si autem fiat exclusio
a participatione praedicati, sic est duplex. Quia cum solus sit idem quod non
cum alio, vel excludit alium masculine ; et sic est falsa, et sic primo negat
eam Augustinus: vel excludit aliud ; et sic est vera, quia sic non excluditur
Filius qui non est aliud a Patre ; et sic potest concedi, ut patet ex dictis
Augustini supra positis. |
Donc suivant cela cette
proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, doit être distinguée d’après
les trois significations précédentes. Car si ¨seul¨ implique une solitude du
côté du Père, elle est fausse. Mais si elle exclut de la forme du sujet,
alors elle est vraie et le sens sera : celui qui est Père, en dehors
duquel nul autre n’est Père, est Dieu. Mais s’il y avait exclusion d’une
participation du prédicat, alors elle serait double. Car puisque seul s’identifie
à ne pas être avec un autre, ou bien il exclut un autre en tant que masculin
et ainsi la proposition est fausse, et c’est ainsi que Saint-Augustin la nie
en premier ; ou bien le terme ¨seul¨ exclut quelque chose d’autre et
alors elle est vraie et ainsi le Fils, qui n’est pas quelque chose d’autre
que le Père, n’est pas exclu. Et c’est en ce sens que la proposition peut
être concédée comme on le voit à partir des paroles de Saint-Augustin
présentées plus haut. |
[1669] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod ista: « Solus Filius
est altissimus », est distinguenda, sicut et prima ; et in aliquo sensu
est vera, et in aliquo falsa. Et praeterea hoc quod dicitur: Tu solus
altissimus Jesu Christe, intelligendum est cum toto hoc quod consequitur:
« Cum sancto Spiritu in gloria Dei patris » ; et hoc est
absolute verum, quod solus Filius cum Patre et sancto Spiritu est altissimus. |
Solutions : Il faut donc dire en premier
lieu que cette proposition, à savoir : ¨Seul le Fils est le Très-Haut¨
doit être distinguée, comme c’était le cas pour la première ; et en un
sens elle est vraie, et en un autre elle est fausse. Et par ailleurs, ce qui
est dit, à savoir : Toi seul es le Très-Haut, Jésus-Christ,
cela doit s’entendre avec tout ce qui suit, soit : ¨Avec
l’Esprit-Saint dans la gloire de Dieu le Père¨ ; et cela est
absolument vrai que seul le Fils, avec le Père et l’Esprit-Saint, est le
Très-Haut. |
[1670] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum quod haec: « Solus Deus est
Pater », quantum ad hanc expositivam, « Deus est Pater »,
convertitur simpliciter ; sic: Pater est Deus. Similiter alia: « Nullus
alius a Deo est Pater », convertitur simpliciter ; sed ejus conversa non
est: « Nullus alius a Patre est Deus », cum non sit idem in
subjecto et praedicato, sed magis ista: « Pater non est alius a
Deo », quae quodammodo vera est, ut supra dictum est, in corp. art. ; et
ex hoc non sequitur quod solus Pater sit Deus. |
2. En deuxième lieu il faut
dire que cette proposition : ¨Seul Dieu est le Père¨, quant à cette
explication, ¨Dieu est le Père¨, se convertit simplement ainsi : le
Père est Dieu. De la même manière, cette autre proposition : ¨Aucun
autre que Dieu n’est Père¨, se convertit simplement, mais sa conversion n’est
pas : ¨Nul autre que le Père n’est Dieu¨, car on n’a pas la même chose
dans le sujet et le prédicat, mais plutôt elle se convertit ainsi : ¨Le
Père n’est pas autre que Dieu¨, laquelle est vraie en un certain sens, comme
nous l’avons dit plus haut dans le corps de l’article ; et de là il ne
s’ensuit pas que seul le Père est Dieu. |
[1671] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur « Solus
Pater », excluditur Filius, si solus dicat idem quod non cum alio
masculine ; si autem dicat idem quod non cum alio neutraliter, non excluditur
; et sic intelligitur dictum Augustini ; quod patet ex hoc quod dicit, quia
hi tres unum sunt. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que lorsqu’on dit ¨Seul le Père¨, cela exclut le Fils, si ¨seul¨ dit la
même chose que ¨non avec un autre¨ au masculin ; mais s’il dit la même
chose que ¨non avec un autre¨ au neutre, cela n’exclut pas le Fils ; et
c’est ainsi que s’entendent les paroles de Saint-Augustin ; ce qui est
clair à partir de ce qu’il dit car ces trois personnes ne sont qu’une seule
et même chose. |
[1672] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 ad 4 Et ad id quod objicitur de parte et consequente, et de
hoc quod unus est in alio, patet quod non sequitur ; quia pars non est aliud
suppositum quam totum, immo includitur in supposito totius ; similiter hoc
consequens quod est animal, non est aliud secundum suppositum ab homine. Et
ideo quamvis Pater sit in Filio per unitatem essentiae, et quantum ad
intellectum relationis ; tamen relatio, inquantum habet rationem oppositionis,
distinguit Patrem a Filio secundum suppositum. |
4. Et par rapport à ce qui
est objecté au sujet de la partie et du conséquent, et au sujet de ce que
l’un est dans l’autre, il est clair que la conclusion ne suit pas ; car
la partir n’est pas un suppôt autre que le tout, au contraire elle est
comprise dans le suppôt du tout ; et de la même manière ce conséquent
qui est l’animal, en tant que suppôt, n’est pas autre que
l’homme. Et c’est pourquoi, bien que le Père soit dans le Fils par
l’unité de l’essence et quant à l’intelligence de la relation, cependant la
relation, en tant qu’elle a raison d’opposition, distingue le Père du Fils
selon le suppôt. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du prédicat ?] |
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Prooemium |
Prologue |
[1673] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 pr. Deinde quaeritur, quomodo possit addi ex parte praedicati
dictio exclusiva in divinis ; et circa hoc duo quaeruntur: 1 utrum haec sit
vera, « Trinitas est solus Deus » ; 2 utrum sit haec vera, « Pater
est solus Deus ». |
On se demande ensuite comment
le terme exclusif peut être ajouté du côté du prédicat chez les personnes
divines ; et à ce sujet on présente deux questions : 1. Est-ce que cette
proposition, à savoir : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, est vraie ? 2. Est-ce que cette
proposition, à savoir : ¨Le Père est le seul Dieu¨, est vraie ? |
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Articulus 1 [1674] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 tit. Utrum ista propositio, « Trinitas est
solus Deus », sit vera |
Article 1 – Cette proposition : « La Trinité est le seul Dieu », est-elle vraie ? |
[1675]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod haec sit
falsa, « Trinitas est solus Deus ». « Solus » enim est
dispositio subjecti, sicut et « omnis ». Sed
haec dictio « omnis » incongrue additur ad praedicatum. Ergo
videtur quod etiam haec dictio « solus ». |
Difficultés: 1. Il
semble que cette proposition: ¨La Trinité est le seul Dieu¨, soit fausse. En
effet, le terme ¨seul¨ est une disposition du sujet, comme c’est le cas pour
le terme ¨tout¨. Mais il ne convient pas d’ajouter le terme ¨tout¨ au
prédicat. Il semble donc qu’il en soit aussi de même pour le terme ¨seul¨. |
[1676] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Philosophum, II Periher., lect.
4, nomina transposita et verba, idem significant. Si ergo haec est vera:
Trinitas est solus Deus, haec etiam erit vera: Trinitas est Deus solus. |
2. Par ailleurs, d’après le
Philosophe [11 Perihermeneias, leçon 4], les noms et les verbes,
une fois transposés, signifient la même chose. Si donc cette proposition est
vraie, à savoir : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, cette autre proposition
aussi sera vraie : ¨La Trinité est Dieu seul¨. |
[1677] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, haec dictio solus est syncategorematica, et
importat negationem. Sed negatio debet praecedere compositionem vel aliquid
quod negetur. Cum autem dicitur sic : « Pater est solus Deus »
nulla affirmatio [nihil éd. De Parme] sequitur. Ergo videtur quod
locutio sit falsa vel incongrua, et sic idem quod prius. |
3. En outre, ce terme ¨seul¨
est un terme syncatégorématique, et implique une négation. Mais la négation
doit précéder la composition ou quelque chose qui est nié. Mais lorsqu’on
parle ainsi : ¨Le Père est le seul Dieu¨, aucune affirmation [rien Éd.
de Parme] ne suit. Il semble donc que l’expression soit fausse ou ne
convienne pas, et ainsi la conclusion est identique à la précédente. |
[1678]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, termini in praedicato tenentur
formaliter. Sed
solitudo non convenit formae, quia forma, quantum est de se, communicabilis
est. Ergo videtur quod non debeat poni ex parte praedicati ; et sic idem quod
prius. |
4. De plus, les termes
contenus dans le prédicat sont pris formellement. Mais la solitude ne
convient pas à la forme car celle-ci, quant à ce qu’elle est en elle-même,
est communicable. Il semble donc que le terme ¨seul¨ ne doive pas être placé
du côté du prédicat. Et ainsi la conclusion est la même que la précédente. |
[1679] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra est quod habetur in Littera. |
Cependant : 1. Ce qui est établi dans le
document est contraire aux conclusions qui précèdent. |
[1680]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod istae dictiones
exclusivae « solus », et « tantum » in hoc differunt,
quod tantum, cum sit adverbium, et similiter solum determinat actum verbi,
quia adverbium est adjectivum verbi ; unde cum verbum ratione compositionis
conjungat praedicatum subjecto, et ad utrumque se habeat, congrue possunt
ista adverbia tam ad subjectum quam ad praedicatum adjungi. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que ces termes exclusifs, à savoir ¨seul¨
et ¨uniquement¨ different en cela que ¨uniquement¨, puisqu’il est un adverbe,
tout comme ¨seulement¨, determine l’acte du verbe, car un adverbe est un
adjectif du verbe; c’est pourquoi, puisque le verbe en raison de la
composition conjugue le prédicat au sujet et se rapporte aux deux, ces
adverbes peuvent convenablement être ajoutés aussi bien au sujet qu’au
prédicat. |
Sed haec dictio
« solus » cum sit nomen privans consortium, est determinatio ejus
cum quo consortium potest haberi. Habetur autem consortium cum eo cui aliquid
convenit, et hoc significatur ut subjectum ; unde proprie est dispositio
subjecti. |
Mais ce terme ¨seul¨,
puisqu’il est un nom qui prive de la communauté, est une détermination de ce
avec quoi il peut y avoir communauté. Mais la communauté est étblie avec ce à
quoi quelque chose convient, et cela est signifié en tant que sujet ;
c’est pourquoi ce terme est proprement une disposition du sujet. |
Secundum haec igitur
dicunt, quod est impropria: « Trinitas est solus Deus », quia si ly
« solus » proprie tenetur, non additur ad praedicatum. Si autem
teneatur pro ly « tantum » superflue additur praedicato essentiali
vel substantiali, ut si diceretur: Socrates est tantum homo ; quia per
dictionem exclusivam non potest excludi nisi natura extranea ab eo cui
adjungitur. |
D’après cela ils disent donc
que l’énoncé suivant est impropre ; ¨La Trinité est le seul Dieu¨ ;
car si le terme ¨seul¨ est pris proprement, il n’est pas ajouté au prédicat.
Mais si à la place on prenait ¨uniquement¨, ce terme s’ajouterait inutilement
au prédicat essentiel ou substantiel, comme si on disait : Socrate est
uniquement un homme ; car au moyen d’un terme exclusif, il n’y a qu’une
nature extérieure qui puisse être exclue de ce à quoi il s’ajoute. |
Et hoc intelligitur etiam
ex ipso praedicato substantiali ; ex hoc enim quod dicitur, Socrates est homo,
intelligitur quod non est asinus vel equus. Et similiter dicunt, quod
superflue additur, cum dicitur, Trinitas est tantum Deus: nisi addatur
« unus », vel aliquis alius terminus accidentalis, qui possit
inesse vel non inesse ; quia sic excluderetur oppositum unitatis quod est
pluralitas. |
Et cela s’entend aussi à
partir du prédicat substantiel lui-même ; en effet, à partir de ce qui
est dit, à savoir Socrate est un homme, on comprend qu’il n’est pas un âme ou
un cheval. Et de la même manière ils disent que le terme exclusif s’ajoute
inutilement lorsqu’on dit que la Trinité est uniquement Dieu, à moins qu’on
ajoute ¨un¨, ou un autre terme accidentel qui pourrait appartenir ou ne pas
appartenir ; car ainsi serait exclu l’opposé de l’unité qui est la pluralité. |
Et dicunt, quod intentio
Augustini non est dicere, quod hoc quod dico « Solus Deus »
praedicetur de Trinitate, ut Magister innuit ; sed cum dicitur « Solus
Deus », supponitur Trinitas, et non Pater vel Filius. Sed hoc non
videtur multum necessarium. |
Et ils disent que l’intention
de Saint-Augustin n’est pas de dire que ce que je dis, à savoir ¨Seul Dieu¨,
s’attribue à la Trinité, comme le Maître l’indiquait ; mais lorsqu’on
dit ¨Seul Dieu¨, c’est la Trinité qui est supposée et non le Père ou la Fils.
Mais cela ne semble pas être grandement nécessaire. |
Quamvis enim ly
« solus » sit dispositio subjecti, non tamen oportet quod addatur
semper ad subjectum ; quia illud etiam quod in praedicato ponitur, potest
significari ut suppositum alicui naturae vel proprietati, ratione cujus
potest ab eo privari consortium, ut si diceretur: Socrates est solus homo
sedens. |
En effet, bien que ce ¨seul¨
soit une disposition du sujet, il n’est cependant pas nécessaire qu’il soit
toujours ajouté au sujet ; car même ce qui est posé dans le prédicat,
peut être signifié comme le suppôt d’une nature ou d’une propriété, en raison
de quoi la communauté peut être retirée de lui, comme si on disait :
Socrate est le seul homme assis. |
Similiter dico in proposito, quod alio modo praedicatur hoc nomen « Deus » de tribus personis, et hoc nomen homo de Socrate et Platone. Cum enim non praedicetur de utroque nisi id quod utrique commune est ; utrique autem non est commune nisi natura humana, quae in se considerata non est quid subsistens ; constat quod iste terminus « homo » non praedicat aliquam rem subsistentem, sed solum naturam inhaerentem, et ut inhaerentem ; et ideo non potest sibi fieri |