3 mars 2021 Spe Salvi 47 et
Mgr Rudolf Voderholzer
THÉOLOGIE CATHOLIQUE
LE RETOUR DU CHRIST EN GLOIRE
un événement vécu à l’heure de la mort
comme à la fin du monde
THÈSE
Préparée par Arnaud Dumouch dans le
cadre doctoral, Toulouse.
La date de sa soutenance publique n’est
pas fixée.
La méthodologie s’appuyant en premier
sur le Magistère de l’Eglise étant discutée
Suivie du
TRAITÉ DES FINS DERNIÈRES
Catéchisme de l’Eglise Catholique 634.
634 " La Bonne Nouvelle a été également
annoncée aux morts... " (1 P 4, 6). La descente aux enfers est
l’accomplissement, jusqu’à la plénitude, de l’annonce évangélique du salut.
Elle est la phase ultime de la mission messianique de Jésus, phase condensée
dans le temps mais immensément vaste dans sa signification réelle d’extension
de l’œuvre rédemptrice A TOUS LES HOMMES DE TOUS LES TEMPS ET DE TOUS LES
LIEUX, car TOUS ceux qui sont sauvés ont été rendus participants de la
Rédemption.
Benoît XVI, encyclique Spe Salvi, 47.
«
47. Certains théologiens récents sont de l'avis que le feu qui brûle et en même
temps sauve est le Christ lui-même, le Juge et Sauveur. La rencontre avec le
Christ est l'acte décisif du Jugement. Devant son regard s'évanouit toute
fausseté. C'est la rencontre avec Lui qui, nous brûlant, nous transforme et
nous libère pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées
durant la vie peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et
s'écrouler. Mais dans la souffrance de cette rencontre, où l'impur et le
malsain de notre être nous apparaissent évidents, se trouve le salut (…). Le « moment » transformant de cette
rencontre échappe au chronométrage terrestre – c'est le temps du cœur, le
temps du « passage » à la communion avec Dieu dans le Corps du Christ. »
Nihil
Obstat Archevêché de Paris
Paris,
le 12 mars 1992 (n° 50), M. Dupuy
Imprimatur
Archevêché de Paris
Paris,
le 5 novembre 1992, Mgr M. Vidal
Auteur : Arnaud DUMOUCH, Agrégé en Sciences religieuses, Paris,
1992.
1° La thèse elle-même qui vise à établir
la nécessité de la parousie du Christ glorieux à l’heure de la mort, avant
l’entrée dans l’autre monde.
2° Le Traité des fins dernières
qui en ressort, et qui manifeste autours de cette clef de voute, la cohérence
de la foi et des dogmes de l’Eglise.
LE RETOUR DU CHRIST EN GLOIRE, un événement vécu à l’heure de
la mort comme à la fin du monde
I - GENÈSE — le drame d’une une humanité sans finalité
II - QUESTION POSÉE, AXE DE LA THÈSE — Le salut des païens.
PROLÉGOMÈNES — Sur quoi se fonde la salut ?
1-1- EXPOSÉ DU CONTENU DOCTRINAL
1-2- DIFFICULTÉ DE CETTE POSITION — Le salut de ceux qui
meurent sans la charité
2-1- EXPOSÉ — La foi au sens de Luther est autre que la
charité thomiste
2-2- DIFFICULTÉ — Le salut de ceux qui meurent sans la foi
3- LE SALUT PAR LA BONNE VOLONTÉ
3-1- PÉLAGE — Le salut par la vertu acquise
3-2- L’HUMANISME LIBÉRAL — Quand la fraternité humaine est
identifiée à la charité théologale
PREMIÈRE PARTIE — LE RETOUR DU CHRIST A L’HEURE DE LA MORT.
APPROCHE THEOLOGIQUE
I-1- LE FONDEMENT D’UNE DÉMONSTRATION THÉOLOGIQUE
I-1-1- Approche démonstrative théologique et certitude de la
vérité
I-1-3- L’origine de la foi et de sa certitude
I-1-4- Comment retrouver la Parole de Dieu ?
I-1-6- Réponse à ceux qui critiquent notre méthodologie
théologique
I-2- LA FOI DE L’ÉGLISE CONCERNANT LE SALUT
I-2-1- PREMIER DOGME — la charité seule ouvre le Ciel
I-2-2- DEUXIÈME DOGME — Dieu propose à tous le salut
I-3- THÈSE — L’HEURE DE LA MORT ET LE RETOUR DU CHRIST EN
GLOIRE
I-3-2 Établissement de l’hypothèse
DEUXIÈME PARTIE — SIGNES A L’APPUI DE CETTE HYPOTHESE
II-1- FONDEMENTS SCRIPTURAIRES
II-1-1- L’annonce de la venue du Christ dans sa gloire — Mt
26, 63
II-1-2- La conversion de Paul, une N.D.E. ?
II-1-3- Le genre littéraire apocalyptique 2 Théssaloniciens
1, 6
II-1-7- Luc 17, 21-37 — La où se trouvera le cadavre, là se
réuniront les aigles
II-1-8- Jean 6, 35-40 — Celui qui voit le Fils et croit en
lui est sauvé
II-1-9- Jean 14, 2 — L’annonce de son retour par le Christ,
dès la fin du séjour terrestre
II-1-10- Actes 1, 6-11 — L’ascension du Christ
II-1-11- Actes 7, 54-59 — La mort d’Etienne
II-I-12- Actes 20, 9-12 — La résurrection d’un enfant
mort
II-1-14- L’Ecriture et la mort comme une durée ?
II-1-16- La parabole des ouvriers de la onzième heure
II-1-16- Dans les évangiles apocryphes (par Manuel Sanchez,
2005)
II-1-17- La venue du Christ à l’heure de la mort dans la
liturgie catholique des morts
II-1-18- Apocalypse 1, 18 — Le Credo et la descente de Jésus aux enfers.
II-1-19- Apocalypse 1, 18 — Le shéol comme « séjour
des morts ».
II-2- SIGNES ET SOURCES CHEZ LES SAINTS ET LES THÉOLOGIENS
II-2-1 Sources chez les saints
- Une NDE chez saint Paul ? (vers 35 ap JC)
- Témoignages de Sainte Perpétue sur une NDE (III° siècle)
- Saint Antoine le grand (vers 300-350) : Le mort reste
quelque temps sur terre
- Saint Augustin, Docteur de l’Eglise (354-430) et la survie de
la vie psychique à la mort
- Pape Célestin Ier (428) : La miséricorde de Dieu
s’étend jusqu’à l’heure de la mort
- Saint Jean Climaque (525-605) : Récit d’une NDE
- Le Témoignage de saint Saulve sur une NDE (vers 573)
- Saint Grégoire de Tours, historien et évêque (mort en 595)
: Récit de sa NDE
- Saint Grégoire, pape et Docteur de l’Eglise (540-604) :
Récit d’une NDE
- Bède le vénérable, Docteur de l’Eglise (632-635) :
Récit d’une NDE
- Saint Bernard, Docteur de l’Eglise catholique, (1090-1153) :
Vision d’une âme errante
- Le pape Innocent III (1160-1216) : l’apparition glorieuse
du Christ crucifié à l’heure de la mort
- Bienheureux Conrad de Frisach (+ 1239) : L’apparition
du Christ à l’heure de la mort
- Sainte Claire d’Assise (+ 11 août 1253) voit le Christ
glorieux à l’heure de sa mort
- Sainte Mechtilde de Hackeborn (1241-1298) :
L’assistance de la Vierge à l’heure de la mort
- Sainte Brigitte de Suède et le salut d’une âme dans la mort
(1303-1373) : le salut des infidèles
- Sainte Brigitte de Suède et le salut d’une âme dans la mort
(1303-1373) : Le rôle de Marie
- Bienheureux Jan van Ruysbreock (1293-1381) : La fin du
monde est aussi l’heure de la mort
- Saint Jean de Dieu (1495-1550) : Apparition de la
Vierge à l’heure de la mort
- Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) : a-t-elle vécu une
NDE ?
- Saint Louis-Marie Grignion de Montfort : La Vierge à
l’heure de la mort (1673-1716)
- Le curé d’Ars : « entre le pont et l’eau, salut
d’un suicidé » (1786-1859).
- Le curé d’Ars : « C’est soi-même et soi-même seul
qui nous damnons librement » (1786-1859).
- Sainte Faustine et l’apparition du Christ à l’heure de la
mort (1905-1938).
- Sainte Faustine : L’agonie se prolonge plusieurs
heures après la mort biologique (1905-1938).
- Sainte Faustine et l’enfer est un choix libre (1905-1938).
- Sainte Faustine Kowalska : L’apparition de Jésus après
un temps de ténèbres (1905-1938).
- La Vierge de Fatima, la promesse de son assistance « à
l’heure de la mort » (1925).
- La vénérable sœur Benigna Consolata, 1885-1916 : La
Lumière à l’heure de la mort
- La vénérable Luisa Piccarreta : les attaques du démon
à l’heure de la mort (1865-1947).
- Maria Valtorta, mystique catholique, et la conversion au
jugement individuel (1897-1961).
- Le père Derobert, disciple de Saint Padre Pio (1887-1968)
vit une NDE en 1958
- Saint Paul VI, pape (mort en 1978) : Le mystère de la mort
et la Lumière du Christ qui l’illumine
-
Adrienne von Speyr , le « passage » et la grâce à l’heure de la
mort (1902-1967)
II-2-2- Intuition des théologiens
- Mgr. d’Hulst et une « apparition à l’heure de la
mort » (fin du XIX° siècle).
- Père F.-W. FABER, 1923 : Les grâces données à l’heure
de la mort, dans l’agonie
- Jean Daujat et une « grâce de lumière à l’heure de la
mort » (1906-1998, écrit vers 1990)
- Père Marie-Dominique Philippe op : « Une grâce au
moment de la mort », 1994, Les trois sagesses
- Pape Benoît XVI et « la mort comme une durée »,
nov. 2010
- Pape Benoît XVI et « la rencontre purificatrice de
Jésus à l’heure de la mort », mai 2011
- « Derniers témoignages » de Maria Simma, la
possibilité de dire « oui » à l’heure de la mort
- Mirella Pizzioli, "Porte ouverte sur l'au-delà",
Éditions du Parvis, 2011
- Plutarque raconte vers 125 ap JC une NDE avec tous les
détails
- Proclus, philosophe grec du Ve siècle ap JC
(412-485) : une NDE
- Karl-Gustav Jung et sa NDE (psychanalyste, milieu du XX°
siècle)
Trois traits de la consolation du Seigneur
II-3- SOURCES DANS DANS LES AUTRES RELIGIONS
A/ L’Egypte antique et le passage de la mort, la
décorporation, l’apparition d’Osoris
C/ L’Islam : Fdal Haja et l’apparition du Messie au pied
du lit de mort
D/ Victor Hugo et la venue de la Lumière
II-4-1- Importance pour notre hypothèse d’un fondement
empirique
II-4-2- Lecture critique de « La vie après la vie »
II-4-3- Un exemple de témoignages, Jean-Michel Gaudet
II-5- TRACES DANS LA CROYANCE DES FIDELES (SENSUS FIDEI) –
Partie en cours de réalisation
II-6-1- Une doctrine doit être crue toujours et partout, dit
saint Vincent de Lérins
II-6-2- Dès le Moyen âge dans le courant des « Artes moriendi »
II-6-3- Dans les milieux populaires actuels
II-6-4- Dans la littérature populaire
II-6-5- Dans le Sensus fidei des fidèles, Jeanne Favier
Duchesne (Lettre, 15 mai 2013).
Saint Thomas d’Aquin — Sa mort prématurée
Plan du traité des fins dernières
PREMIÈRE PARTIE — LA VISION BÉATIFIQUE
QUESTION 1 — Les convenances de la vision béatifique
Traité des fins dernières, Q. 1, a. 1 — Dieu appelle-t-il
l’homme à la vision béatifique ?
QUESTION 1 bis — LE DESIR NATUREL DE VOIR DIEU
QUESTION 2 — la nature de la vision béatifique
Traité des fins dernières, Q. 2, a. 3 — Comment la vision
béatifique peut-elle être réalisée ?
Traité des fins dernières, Q. 2, a. 5 — Par la vision
béatifique, l’homme devient-il Dieu ?
QUESTION 3 — La cause de la vision béatifique
QUESTION 4 — Le siège de la vision béatifique
Traité des fins dernières, Q. 4, a. 1 — Le siège de la vision
béatifique est-il l’intelligence ?
QUESTION 5 — Les effets de la vision béatifique
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 1 — Les âmes qui voient
Dieu sont-elles dans la béatitude ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 3 — Les vertus
intellectuelles demeurent-elles après cette vie ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 4 — La foi demeure-t-elle
après cette vie ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 5 — L’espérance
demeure-t-elle après cette vie ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 6 — Demeure-t-il quelque
chose de la foi ou de l’espérance ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 7 — La charité
demeure-t-elle après cette vie ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 8 — Les dons du
Saint-Esprit demeurent-ils dans la patrie ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 13 — La Vision béatifique
est-elle éternelle ?
QUESTION 6 — Les conditions de la Vision béatifique en ce qui
concerne l’âme humaine
Traité des fins dernières, Q. 6, a. 1 — La lumière de gloire
est-elle nécessaire pour voir Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 6, a. 2 — la lumière de gloire
est-elle créée ?
Traité des fins dernières, Q. 7, a. 7 — Peut-on sans la grâce
mériter la vie éternelle ?
Traité des fins dernières, Q. 7, a. 13 — Le baptême est-il
nécessaire à l’entrée dans la gloire ?
DEUXIÈME PARTIE — CE QUI PRÉCÈDE LA RÉSURRECTION
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 1 — L’âme humaine
survit-elle à la mort du corps ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 2 — Après la mort,
l’homme conserve-t-il une vie sensible ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 3 — La mort est-elle
naturelle ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 4 — La mort est-elle
instantanée ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 7 — L’homme voit-il Dieu
dans son essence au moment de la mort ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 9 — L’homme peut-il voir
des personnes décédées avant-elle ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 10 — L’homme voit-il
Lucifer à l’heure de la mort ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 12 — L’homme voit-il
défiler sa vie, le bien et le mal commis ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 13 — Peut-il y avoir
repentir dans le moment de la mort ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 15 — Peut-t-on se faire
baptiser pour un mort ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 17 — Le jugement dernier
a-t-il lieu au moment de la mort ?
QUESTION 9 — La condition des âmes séparées du corps
Traité des fins dernières, Q. 9, a. 3 — Les souvenirs de la
vie terrestre passée demeurent-ils ?
Traité des fins dernières, Q. 9, a. 5 — Comment s’exerce
l’acte de la volonté dans l’âme séparée ?
Traité des fins dernières, Q. 9, a. 7 — L’âme séparée
voit-elle les hommes qui sont sur la terre ?
Traité des fins dernières, Q. 9, a. 8 — Les âmes séparées
peuvent-elles apparaître aux hommes ?
QUESTION 10 — Le jugement dernier de l’individu
Traité des fins dernières, Q. 10, a. 3 — Toutes les âmes
passent-elles en jugement ?
Traité des fins dernières, Q. 10, a. 4 — Est-ce Jésus sous la
forme de son humanité qui juge l’âme ?
Traité des fins dernières, Q. 10, a. 5 — Est-ce l’Eglise du
Ciel qui juge ?
Traité des fins dernières, Q. 10, a. 6 — Est-ce l’âme qui se
juge elle-même ?
QUESTION 11 — La cause de la réprobation prise du côté de
l’homme
Traité des fins dernières, Q. 11, a. 4 — La présomption
peut-elle conduire à la damnation ?
Traité des fins dernières, Q. 11, a. 7 — L’obstination
conduit-elle à la damnation éternelle ?
QUESTION 12 — L’enfer et sa peine
Traité des fins dernières, Q. 12, a. 2 — Outre la séparation
d’avec Dieu, y a t-il un feu en enfer ?
Traité des fins dernières, Q. 12, a. 3 — Existe-t-il en enfer
un feu matériel ?
Traité des fins dernières, Q. 12, a. 4 — Les damnés
souffrent-ils du ver rongeur de la rancoeur ?
Traité des fins dernières, Q. 12, a. 5 — Les damnés
pleurent-ils et grincent-ils des dents ?
QUESTION 13 — La volonté et l’intelligence des damnés
Traité des fins dernières, Q. 13, a. l — Les damnés
veulent-ils aller en enfer ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 2 — Y a-t-il des hommes
en enfer ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 3 — Tout vouloir des
damnés est-il mauvais ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 4 — Les damnés se
repentent-ils du mal qu’ils ont accompli ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 6 — Les damnés voudraient-ils
la damnation des non damnés ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 7 — Les damnés
haïront-ils Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 8 — Les damnés
déméritent-ils encore ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 10 — Les damnés
penseront-ils parfois à Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 11 — Les damnés
voient-ils la gloire des bienheureux ?
QUESTION 14 — La miséricorde de Dieu à l’égard des damnés
Traité des fins dernières, Q. 14, a. 1 — L’enfer est-il
éternel ?
Traité des fins dernières, Q. 15, a. l — Existe-t-il un
purgatoire après cette vie ?
Traité des fins dernières, Q. 15, a. 2 — Y a t-il six degrés
du purgatoire ?
Traité des fins dernières, Q. 15, a. 3 — La vie terrestre
est-elle le premier purgatoire ?
Traité des fins dernières, Q. 15, a. 4 — Les purgatoires de
l’au-delà ont-il un lieu ?
QUESTION 16 — Le shéol, purgatoire qui précède la parousie du
Christ
Traité des fins dernières, Q. 16, a. 1 — Existe-t-il un
purgatoire dans le passage qu’est la mort ?
Traité des fins dernières, Q. 16, a. 2 — La peine de ce
purgatoire est-elle voulue par Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 16, a. 5 — Ce purgatoire
est-il plus douloureux que la vie d’ici-bas ?
Traité des fins dernières, Q. 16, a. 6 — Les âmes de ces
purgatoires sont-elles saintes ?
Traité des fins dernières, Q. 16, a. 8 — Les âmes du
shéol peuvent-elles prier pour nous ?
QUESTION 17 — Les trois purgatoires qui suivent la parousie
du Christ
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 2 — Le feu des
purgatoires de lumière est-il le désir de Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 7 — La peine du
purgatoire est-elle voulue par Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 8 — Les âmes de ces
purgatoires sont-elles saintes ?
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 11 — les âmes des
purgatoires de lumière peuvent-elles pécher ?
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 12 — Les âmes de ces
trois purgatoires peuvent-elles mériter ?
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 14 — Les âmes du
purgatoire peuvent-elles les prier pour nous ?
QUESTION 18 — Les effets des trois purgatoires qui suivent la
parousie du Christ
QUESTION 19 — La condition des âmes en état de péché originel
Traité des fins dernières, Q. 19, a. 3 — Dieu propose-t-il
aux innocents sa grâce et sa gloire ?
QUESTION 20 — Le salut des païens, des suicidés
Traité des fins dernières, Q. 20, a. 1 — Ceux qui meurent
païens ou infidèles sont-ils sauvés ?
Traité des fins dernières, Q. 20, a. 2 — Ceux qui se sont
suicidés seront-ils sauvés ?
QUESTION 21 — Les suffrages pour les défunts
Traité des fins dernières, Q. 21, a. 3 — Les suffrages des pécheurs
sont-ils utiles aux défunts ?
Traité des fins dernières, Q. 21, a. 5 — Les suffrages
sont-ils utiles aux damnés ?
QUESTION 22 — Les diverses manières de nommer le paradis
Traité des fins dernières, Q. 22, a. 2 — Le paradis est-il le
Royaume des Cieux ?
Traité des fins dernières, Q. 22, a. 3 — le paradis est-il la
terre promise aux Hébreux ?
Traité des fins dernières, Q. 22, a. 4 — Le paradis est-il la
Jérusalem céleste ?
Traité des fins dernières, Q. 22, a. 5 — Le paradis céleste
est-il le festin des noces de l’Agneau ?
Traité des fins dernières, Q. 22, a. 6 — Serons-nous prêtres
?
QUESTION 23 — La condition des âmes glorifiées par rapport à
elles-mêmes
Traité des fins dernières, Q. 23, a. 2 — L’âme bienheureuse
peut-elle pécher ?
Traité des fins dernières, Q. 23, a. 6 — Les degrés de
béatitude doivent-ils être appelés demeures ?
QUESTION 24 — Les dots des bienheureux
Traité des fins dernières, Q. 24, a. 1 — Doit-on attribuer
des dots aux hommes bienheureux ?
Traité des fins dernières, Q. 24, a. 2 — La dot est-elle la
même chose que la béatitude ?
Traité des fins dernières, Q. 24, a. 3 — Convient-il au
Christ d’avoir des dots ?
Traité des fins dernières, Q. 24, a. 4 — Les anges ont-ils
des dots ?
Traité des fins dernières, Q. 24, a. 5 — Convient-il
d’attribuer à l’âme trois dots ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 2 — L’auréole
diffère-t-elle du fruit ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 3 — Le fruit est-il
réservé à la vertu de continence ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 5 — Une auréole est-elle
due à la virginité ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 6 — Une auréole est-elle
due aux martyrs ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 7 — Les docteurs ont-ils
droit à une auréole ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 8 — Une auréole est-elle
due au Christ ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 9 — Une auréole est-elle
due aux anges ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 11 — L’auréole des
vierges est-elle supérieure aux autres ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 12 — Un bienheureux
possède-t-il plus qu’un autre une auréole ?
QUESTION 26 — La condition des âmes glorifiées par rapport
aux autres
Traité des fins dernières, Q. 26, a. 2 — Les âmes glorifiées
peuvent-elles communiquer entre elles ?
Traité des fins dernières, Q. 26, a. 5 — Devons-nous demander
aux saints de prier pour nous ?
Traité des fins dernières, Q. 26, a. 10 — Les bienheureux se
réjouiront-ils des peines des impies ?
DEUXIÈME SECTION : LE DESTIN GÉNÉRAL DE L’HUMANITÉ
QUESTION 27 — Le retour du Christ
Traité des fins dernières, Q. 27, a. 5 — La date du retour du
Christ est-elle inconnue ?
QUESTION 28 — Les signes précurseurs de la fin du monde
Traité des fins dernières, Q. 28, a. 3 — Quels sont ces signes
?
QUESTION 29 — Les signes valables pour toutes les époques
Traité des fins dernières, Q. 29, a. 3 — Y aura-t-il des
guerres et de fausses paix ?
Traité des fins dernières, Q. 29, a. 4 — Y aura-t-il des faux
prophètes ?
Traité des fins dernières, Q. 29, a. 5 — Y aura-t-il une
grande apostasie ?
Traité des fins dernières, Q. 29, a. 6 — Le monde
sombrera-t-il dans le péché ?
QUESTION 30 — Les signes de la fin du monde dans les autres
religions
Traité des fins dernières, Q. 30, a. 1 — Les diverses
religions sont-elles bonnes ?
Traité des fins dernières, Q. 30, a. 2 — Les diverses
religions viennent-elles de Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 30, a. 4 — Y aura-t-il des
signes dans les diverses religions ?
Traité des fins dernières, Q. 30, a. 5 — L’islam vient-il de
Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 30, a. 6 — Y aura-t-il des
signes concernant l’islam ?
QUESTION 31 — Les signes du retour du Christ concernant
l’Église
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 1 — Y aura-t-il des martyrs
?
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 2 — L’évangile doit-il
être prêché à toutes les nations ?
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 3 — L’Église doit-elle
subir un martyre vers la fin du monde ?
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 4 — Peut-on savoir
comment se produira ce martyre ?
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 5 — L’heure de l’Église
sera-t-elle annoncée par la papauté ?
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 6 — Sera-t-elle annoncée
par la liturgie ?
QUESTION 32 — Les signes donnés par la vierge Marie
Traité des fins dernières, Q. 32, a. 2 — La Vierge
apparaîtra-t-elle aux hommes ?
Traité des fins dernières, Q. 32, a. 3 — Y aura-t-il des
apparitions d’anges ?
Traité des fins dernières, Q. 32, a. 4 — Deux témoins
doivent-ils venir vers la fin du monde ?
Traité des fins dernières, Q. 33, a. 3 — L’Antéchrist sera
t-il un homme ou un démon fait homme ?
Traité des fins dernières, Q. 33, a. 4 — Qu’est-ce que 666,
le chiffre de la Bête ?
Traité des fins dernières, Q. 33, a. 7 — Peut-on savoir
quelle sera l’œuvre de l’Antéchrist ?
QUESTION 34 — Le signe du fils de l’homme
Traité des fins dernières, Q. 34, a. 2 — Le signe du fils de
l’homme est-il le signe de Jonas ?
Traité des fins dernières, Q. 35, a. 1 — Dieu mettra-t-il fin
au monde tel qu’il est ici-bas ?
Traité des fins dernières, Q. 35, a. 2 — La fin des temps se
distingue-t-elle de la fin du monde ?
Traité des fins dernières, Q. 35, a. 4 — Connaît-on la date
de la fin du monde ?
Traité des fins dernières, Q. 35, a. 7 — Tous les hommes
mourront-ils ?
TROISIÈME PARTIE — LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR
QUESTION 36 — La résurrection des corps physiques
Traité des fins dernières, Q. 36, a. 1 — La résurrection des
corps doit-elle avoir lieu ?
Traité des fins dernières, Q. 36, a. 2 — Tous les hommes
ressusciteront-ils ?
Traité des fins dernières, Q. 36, a. 3 — La résurrection
est-elle naturelle ?
QUESTION 37 — La cause de la résurrection
Traité des fins dernières, Q. 37, a. 1 — La résurrection du
Christ est-elle la cause de la nôtre ?
Traité des fins dernières, Q. 37, a. 3 — Les anges
coopéreront-ils à la résurrection ?
QUESTION 38 — Le temps et le mode de la résurrection
Traité des fins dernières, Q. 38, a. 3 — La résurrection
sera-t-elle instantanée ?
QUESTION 39 — Le point de départ de la résurrection
QUESTION 40 — L’état des ressuscités et d’abord leur identité
Traité des fins dernières, Q. 40, a. 1 — L’âme
reprendra-t-elle le même corps ?
Traité des fins dernières, Q. 40, a. 2 — L’homme ressuscité sera-t-il
le même homme ?
QUESTION 41 — L’intégrité du corps des ressuscités
Traité des fins dernières, Q. 41, a. 1 — Tous les membres du
corps humain ressusciteront-ils ?
QUESTION 42 — La qualité du corps des ressuscités
Traité des fins dernières, Q. 42, a. 1 — Les hommes
ressuscités seront-ils immortels ?
Traité des fins dernières, Q. 42, a. 2 — Les ressuscités
auront-ils besoin de se nourrir ?
Traité des fins dernières, Q. 42, a. 3 — Le corps des ressuscités
sera t-il sexué ?
Traité des fins dernières, Q. 42, a. 4 — Les ressuscités
exerceront-il des relations sexuelles ?
Traité des fins dernières, Q. 42, a. 5 — Les ressuscités
auront-ils l’âge parfait ?
QUESTION 43 — L’état corporel des élus comparé à celui des
damnés
Traité des fins dernières, Q. 43, a. 1 — L’état du corps des
élus diffère-t-il de celui des damnés ?
QUESTION 44 — Quelques considérations sur le corps des élus
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 1 — Y aura-t-il de
nouvelles sensations ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 4 — La subtilité
rend-elle impalpable le corps glorieux ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 5 — Le corps des élus est-il
doué d’agilité ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 6 — Les élus feront-ils
usage de leur agilité ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 7 — Leur mouvement
sera-t-il instantané ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 8 — La clarté
sera-t-elle une prérogative du corps des élus ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 9 — Le corps aussi
a-t-il droit à une auréole ?
QUESTION 45 — L’état corporel des damnés
Traité des fins dernières, Q. 45, a. 2 — Le corps des damnés
sera-t-il incorruptible ?
Traité des fins dernières, Q. 45, a. 3 — Le corps des damnés
sera-t-il impassible ?
LA TRANSFORMATION DE L’UNIVERS
QUESTION 46 — La conflagration du monde
Traité des fins dernières, Q. 46, a. 1 — Le monde doit-il
être purifié ?
Traité des fins dernières, Q. 46, a. 2 — Cette purification
se fera-t-elle par le feu ?
Traité des fins dernières, Q. 46, a. 3 — Ce feu
purifiera-t-il les cieux supérieurs ?
Traité des fins dernières, Q. 46, a. 6 — La dernière
conflagration suivra-t-elle le jugement ?
Traité des fins dernières, Q. 46, a. 8 — Ce feu
engloutira-t-il les réprouvés ?
QUESTION 47 — Le monde nouveau
Traité des fins dernières, Q. 47, a. 2 — Une société d’amis
est-elle nécessaire à la béatitude ?
Traité des fins dernières, Q. 47, a. 3 — Le monde sera t-il
renouvelé ?
QUATRIÈME PARTIE — CE QUI SUIT LA RÉSURRECTION
QUESTION 48 — Le jugement général de l’humanité
Traité des fins dernières, Q. 48, a. 1 — Le jugement général
aura-t-il lieu ?
Traité des fins dernières, Q. 48, a. 2 — Ce jugement
aura-t-il lieu oralement ?
Traité des fins dernières, Q. 48, a. 3 — Le jugement
aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat ?
QUESTION 50 — Juges et jugés au jugement général
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 1 — Y aura-t-il des
hommes qui jugeront avec le Christ ?
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 3 — Les anges
doivent-ils juger ?
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 4 — Tous les hommes
comparaîtront-ils en jugement ?
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 5 — Les bons seront-ils
jugés en ce dernier jugement ?
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 6 — Les méchants
seront-ils jugés ?
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 7 — Les anges seront-ils
jugés lors du jugement dernier ?
QUESTION 51 — La forme sous laquelle le juge viendra
Traité des fins dernières, Q. 51, a. 1 — Le Christ nous
jugera-t-il sous la forme de son humanité ?
QUESTION 52 — L’état du monde après le jugement
Traité des fins dernières, Q. 52, a. 5 — Le monde demeurera
t-il ainsi éternellement ?
UNE BIBLIOGRAPHIE SUR L’ESCHATOLOGIE
INDEX DES PRINCIPAUX LIEUX THÉOLOGIQUES
Le parcours universitaire que j’ai suivi m’a conduit à
m’intéresser successivement à la biologie, à la philosophie et à la théologie catholique.
Ces trois voies m’ont amené à m’interroger sur la raison des choses, sur
l’homme dans son être et sa finalité. La question de la finalité,
particulièrement, a retenu mon attention selon ces approches distinctes et
complémentaires qui constituent trois « sciences », trois savoirs non opposables :
finalité de la vie, de l’homme, au plan humains et chrétiens. A travers ces
diverses recherches, il m’est apparu que cette question était de la plus haute
importance puisqu’elle donne son sens ultime au réel dans son ensemble.
Quelques exemples peuvent illustrer cette découverte : à quoi sert en
définitive à un homme une connaissance parfaite de sa structure biologique si,
dans le même temps, sa « théologie » lui enseigne que l’aventure de la vie
est vouée un jour ou l’autre au néant. Dans sa vie pratique, ne sera-t-il pas
conduit à agir de façon à profiter dans l’urgence d’une liberté appelée à se
dissoudre tôt ou tard ? Comme dit saint Paul[1], « Mangeons et buvons car demain nous mourrons. » De même, en biologie, l’organe ne se comprend pas de manière
ultime dans son mode de fonctionnement mais dans sa finalité.
La question de la finalité de ce qui existe est une question
ultime. Or, l’Occident, par sa conduite pratique, semble lui apporter la
réponse suivante : ce monde est sans finalité et l’homme, terme d’une chaîne de
hasards, doit se hâter de vivre avant de retourner au chaos. Mon activité
professionnelle liée à l’enseignement de la philosophie et de la théologie me
confronte quotidiennement à la jeune génération dont le comportement apparaît
de plus en plus concrètement marqué par cette conception sans espérance. Un
film récent intitulé le cercle des poètes disparus a marqué la jeunesse
d’une manière prophétique en lui révélant une sagesse de vie qui lui correspond
: « Carpe Diem, profite du jour selon
toutes les richesses de ton humanité avant que vienne le soir. »[2] Mais l’absence quasi
universelle de finalité ultime capable de rendre raison de la présence sur
terre ne s’accompagne pas toujours d’une recherche aussi positive que celle
proposée dans ce film. Le fait d’épanouir ses talents en se servant de la
pensée de la mort comme d’un rappel de l’urgence n’est pas donné à tous. Nous
pourrions aller jusqu’à dire que le suicide, tel qu’il est présenté à la fin du
film et qui devient de plus en plus le fléau majeur de nos sociétés
post-chrétiennes, est le cri primal de l’absurdité des espoirs humains
lorsqu’ils ne se fondent pas sur une espérance au-delà de la mort.
Que nos sociétés modernes manquent de finalité ultime est chose
peu surprenante mais force est de constater que les chrétiens eux-mêmes
connaissent une anémie[3] de la vertu d’espérance.
Trop souvent, le christianisme a été réduit à un de ses effets les plus
marquants : la construction ici-bas d’un monde équitable. La responsabilité
première de cette déviation est à rechercher dans le travers libéral d’un
clergé qui n’ose plus parler en chaire de la Vie spirituelle. Beaucoup de raisons
peuvent expliquer ce silence : soucis de s’adapter à un public déjà laïcisé,
absence de certitude sur la nature de l’au-delà... Quelles que soient les
raisons évoquées, force est de constater que l’absence de prédication des fins
dernières[4] laisse un vide dont la
nature a horreur, qu’elle emplit de formes d’espérances néo-chrétiennes et
étrangères à la foi. Ainsi voit-on apparaître chez les chrétiens eux-mêmes de
nouvelles espérances. La plus connue actuellement (Nouvel Age) s’appuie sur la
réincarnation mais n’est pas la première tentative. Elle est précédée par
toutes les formes de messianismes temporels dont la liste ne cesse de
s’allonger : idéologie marxiste baptisée en vue d’un paradis sur terre,
humanismes millénaristes, syncrétismes hindouistes... Il existe même des sectes
dont le fond de commerce est le don d’une espérance historiquement datée :
elles annoncent le retour du Christ avec force de dates. Elles prophétisent le
malheur pour ceux qui n’adhéreront à temps pas à l’arche de Noé qu’elles
s’estiment être. Leurs adeptes sont nombreux et leur adhésion totale.
La gène d’une partie du clergé face à la prédication des fins
dernières est compréhensible pour d’autres raisons, d’ordre théologique.
Historiquement, depuis un demi-siècle, la doctrine des fins dernières est en
crise. L’interprétation des dogmes et de l’Écriture par la théologie
scolastique est devenue insupportable. Il convient de se souvenir que la
théologie traditionnelle enseignait, jusque dans les années 50, la séparation
éternelle de Dieu des enfants morts sans baptême, la damnation des païens. Il
ne s’agissait pas de conclusions liées à un sectarisme catholique mais, aux
yeux de la plupart des théologiens, de saint Augustin et saint Thomas d’Aquin
en particulier, d’une conséquence nécessaire de la foi. Il semblait en effet
impossible de conclure autrement puisque la foi catholique pose comme une
certitude que nul n’entre au Ciel s’il meurt sans la grâce sanctifiante, fondement
ontologique de la vertu de charité. Or un païen ne peut vivre de la charité
puisque, selon saint Paul[5], il n’a pas reçu la
prédication de l’Évangile. A la suite du long travail de réflexion entrepris
depuis le Concile Vatican II, il est devenu évident qu’un enfer éternel et
largement ouvert aux innocents par la justice du Créateur ne concorde pas avec
Jésus tel qu’il se révèle.
Se pose alors le problème de savoir comment on peut concevoir le salut des non-chrétiens qui sont sans
rapport humain avec ce Verbe fait chair, les textes conciliaires s'en tenant
quant à eux à un vague “par des voies connues de Lui [Dieu]”, comme la
Déclaration Gaudium et Spes le rappelle (§ 21). Celle-ci
“n'entend pas offrir des solutions” (§ 3) mais “indiquer certains problèmes
fondamentaux qui restent ouverts à d'ultérieurs approfondissements. »
Tout le début du
§ 3 vaut d'être retranscrit : “De la pratique et de la théorisation du dialogue
entre la foi chrétienne et les autres traditions religieuses, naissent de
nouvelles questions ; il faut les affronter en parcourant de nouvelles pistes d'investigation, en avançant des
propositions et en suggérant des comportements, qui doivent être soumis à un
discernement attentif. La présente Déclaration intervient dans cette recherche
pour rappeler aux Evêques, aux théologiens et à tous les fidèles catholiques
certains contenus doctrinaux essentiels, qui puissent aider la réflexion
théologique à découvrir peu à peu des
solutions conformes aux données de la foi et aptes à répondre aux défis de
la culture contemporaine. »
C'est ce que Un théologien ne dit jamais qu'il ne sait pas ; Augustin fait figure d'exception
préhistorique lorsqu'il écrit de la raison de la ddd : “Est-ce pour le salut de
tous ceux qu’il a trouvés, ou de quelques-uns seulement qu’il a jugés digne de
ce bienfait ? Je me le demande encore... ce que je n’ai pu trouver encore,
c’est quel bien il a pu apporter, en descendant dans les enfers, à ceux qui
étaient dans le sein d’Abraham et qu’il n’avait jamais privé de la vision
béatifique de sa divinité”[6].
A fortiori, il est exceptionnel de lire
sous une plume théologienne que, dans le futur, un théologien pourrait trouver
une réponse à telle question qui paraît aujourd'hui une énigme. L'attitude
habituelle consiste à inventer des formules subtiles qui donnent l'illusion
d'une explication mais qui, en réalité, renferment une contradiction
indépassable. Les textes conciliaires furent plus sages qui qualifient la
manière dont Dieu sauve en dehors des sacrements de l'Eglise, de modo Deo cognito ou de viis sibi notis (G.S. n° 22,5 et A.M.
n° 7[7]). Ce devait sans doute être
une manière de prévenir les discussions stériles et les dérapages sur un tel
sujet ; c'est le contraire qui s'est passé, comme on l'a vu plus haut. De plus,
ces formules du type “par des voies
connues de Dieu [seul]” laissaient entendre qu'il est impossible de
comprendre le modus salutis de la
plupart des hommes, voire que Dieu nous le dissimulerait délibérément. La juste
compréhension de ces deux passages conciliaires découlent d'un document
largement postérieur – mais il n'est jamais trop tard – : Dominus Iesus. Cette déclaration constitue pour les
théologiens une invitation à chercher et à trouver, et il est exceptionnel
qu'un document romain invite à parcourir de nouvelles pistes d’investigation...
La présente Déclaration intervient dans cette recherche pour rappeler...
certains contenus doctrinaux essentiels, qui puissent aider la réflexion théologique à découvrir peu à peu des solutions
conformes aux données de la foi et aptes à répondre aux défis de la culture
contemporaine” (n° 3 §1).
A la lumière de Dominus
Iesus, les deux passages conciliaires relatifs au salut des non chrétiens
doivent désormais être lus comme signifiant : « d'une manière dont nous sommes actuellement pas en mesure de
rendre compte », c'est-à-dire
dans une perspective invitant à trouver une solution qui existe nécessairement :
« Lorsque viendra l'Esprit de
vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. » (Jn 16,13)
L’abandon de la réponse scolastique à la question du,salut des
païens laissait un vide. Il convenait donc d’établir une autre théologie
capable de remplacer ce qui était périmé dans l’ancienne. Mu par le soucis de
concorder au plus près avec l’esprit des évangiles, une partie du clergé
catholique se mit à enseigner une thèse diamétralement opposée : la bonne
volonté suffit au salut car Dieu est amour. On a reproché avec raison à cette
conception trop simple d’être marquée par le laïcisme ambiant. Une théologie
qui enseigne une ouverture large et inconditionnelle du paradis à tous les
hommes de bonne volonté et sans autre condition affadit tellement le sel de
l’Évangile qu’il ne reste bientôt plus de la charité théologale qu’une forme
élevée de philanthropie[8]. L’Évangile entre en
contradiction avec cette thèse par la bouche de Jésus lui-même : « Les païens eux-mêmes en font autant »[9]. D’autres essais ont été
tentés. Mais, et nous serons amenés à l’étudier dans nos prolégomènes, l’étude
des systèmes théologiques qui s’efforcent d’expliquer le salut ou la damnation
des hommes et en particulier des païens, ne nous a pas permis de trouver une
solution qui satisfasse avec harmonie à tous les enseignements évangéliques.
Sur un point ou sur un autre, elles rencontrent la contradiction. Il convient
en effet, pour être en phase avec les enseignements de Jésus de soutenir à la
fois la bonté d’une volonté humaine droite[10], la nécessité absolue pour
le salut d’une naissance d’en haut[11] qui est plus que la simple
bonne volonté, la possibilité pour les païens d’être sauvés malgré leur mort
séparée de la grâce sanctifiante. La difficulté du débat a été ressentie par la
majorité du clergé qui s’est en conséquence efforcé de ne parler qu’en termes
vagues de la manière dont Dieu sauve à l’heure de la mort. Les conséquences
pratiques d’une telle lacune de la prédication ne cessent de se manifester.
Nous l’avons déjà dit.
Quelles qu’elles soient, les théologies du salut peuvent être
classées en trois catégories : celles qui réservent l’entrée dans la Vie
éternelle à la seule charité (Agape
au sens de saint Thomas d’Aquin : amitié d’égalité avec Dieu[12]), celles qui la réservent
aux seuls croyants (adhésion confiante à la parole de Dieu[13]) et celles, enfin, qui la
réservent à tous les hommes de bonne volonté[14] (ceux qui écoutent la voix
de leur conscience, et compte sur une qualification humaine de leur personne.)
Nous préciserons au cours de notre étude ce que nous entendons sous cette
distinction[15]. Les deux premiers systèmes
frappent par leur élitisme. Ils sont logiquement conduits à admettre la
damnation de beaucoup car la charité et la foi théologales sont rares. Aristote
l’affirmait déjà : la plupart vivent dans le sensible[16] à l’exclusion du spirituel.
Quant au troisième système, il conduit à mettre en doute la nécessité du Christ
lui-même.
Comment échapper au dilemme d’une eschatologie élitiste ou laxiste
? Comment est-il possible de répondre du salut des hommes selon un regard
pleinement évangélique ?
Il nous est alors apparu que la tension de ce problème ne pouvait
être desserrée que de la manière suivante : les païens ne vont pas en enfer
bien qu’ils paraissent mourir sans la charité parce que tout homme, chrétien ou
non, reçoit la possibilité d’aimer Dieu à l’heure de la mort. Par « heure de la mort », nous entendons, et c’est important, la durée qui précède la
séparation de l’esprit et du corps. Nous essayerons d’établir que l’amour de
Dieu (Agapè) est proposé à l’homme
par une prédication sensible de l’Évangile opérée par la venue glorieuse
du Christ accompagnée des saints et des anges. Il nous est apparu que les
textes concernant la parousie devaient être appliqués non seulement au domaine
de la fin du monde mais aussi à celui de l’heure de la mort.
L’objet de notre hypothèse consiste précisément en ceci :
démontrer, autant que faire se peut par une méthode théologique, que le Christ
glorieux apparaît à tout homme à l’heure de sa mort. Nous espérons qu’à la
lecture de ce travail, le théologien sera convaincu qu’il s’agit plus que d’une
simple opinion.
PROLÉGOMÈNES : Dans une approche théologique (s’appuyant sur l’histoire
de la théologie mais non exclusivement historique), nous exposerons les plus
caractéristiques parmi les conceptions du salut. L’utilisation diachronique de
l’histoire nous permettra de mettre en valeur l’axe de la recherche : la
question du salut des non-chrétiens n’est pas résolue. Afin de mieux aiguiser
le champ de ces recherches, nous ne nous arrêterons pas aux conceptions
marginales ou périmées. Nous montrerons comment la question de l’enfer ne
trouve jamais une solution satisfaisante. Le dilemme entre l’amour de Dieu qui
veut proposer à tous les hommes son salut et le mystère de la damnation
éternelle suscite nombre de théories mais aucune ne satisfait pleinement
l’esprit.
Trois grandes tentatives d’explication retiendront notre attention
:
Le salut par la charité (saint
Augustin, saint Thomas d’Aquin, Concile de Trente.)
Nous entendons par charité sa définition thomiste : un amour d’amitié envers Dieu parce qu’il est
Dieu et envers son prochain par amour de Dieu. Existentiellement, le premier
exercice de la charité est manifeste dans le cœur à cœur d’un dialogue avec
Dieu (la prière.)
Le salut par la foi (thèse
principalement soutenue par les Réformés, Luther, Calvin, mais aussi par
l’Islam bien que le rôle des œuvres y est différent.)
Nous entendons la foi au sens de Luther : une confiance absolue en
Dieu qui nous sauve gratuitement, quelles que soient les œuvres. Il est
intéressant de remarquer que la foi confiante peut exister sans la charité, de
même qu’un serviteur peut avoir parfaitement confiance en son maître et l’aimer
profondément sans oser l’aimer comme un ami. L’amitié implique en effet d’être
l’égal de son ami. Il existe donc une distinction, qui n’a pas échappé à
Luther, entre foi et charité.
Le salut par la bonne volonté (Modernes.)
Par bonne volonté, nous entendons tout type de comportement en
harmonie avec la conscience morale naturelle
et subjective de chacun, cette conscience naturelle n’ayant pas
nécessairement de rapport explicite avec l’existence de Dieu. Selon cette
théologie, tout homme agissant en rectitude avec ce qu’il dénomme le bien et le
mal mérite d’entrer dans la gloire à cause même de sa rectitude morale et sans
autre condition.
Nous avons choisi d’exposer les grandes conceptions du salut et de
l’heure de la mort sous ces trois rubriques. Nous établirons ultérieurement
qu’elles constituent une bonne division car assez complète des théologies du
salut. Elles nous paraissent donner une vision synthétique digne de
prolégomènes. En effet, l’objet de ce prologue n’est pas directement notre
hypothèse mais plutôt la manifestation de son importance. Nous aurions pu
exposer à la suite une série d’auteurs ayant traité de l’heure de la mort et du
salut. Cela eût été à la fois moins adapté à notre but et moins clair au plan
théologique. Le rapport entre salut, grâce et nature est, nous le verrons, au
cœur de notre hypothèse. Il convient de le manifester sans attendre.
PREMIÈRE PARTIE : Approche démonstrative théologique
Elle constitue la partie la plus importante de notre recherche car
c’est sur elle et non sur la suite des arguments simplement probables que nous fondons notre
certitude. Nous procéderons à une approche
démonstrative théologique
concernant la nécessité du retour du Christ à l’heure de la mort (cette « heure de la mort » n’étant pas celle qui suit la séparation de l’âme et du corps
mais celle qui la précède.)
Par approche démonstrative
théologique, nous entendons un raisonnement certain. En science ou en
philosophie, nous nous serions appuyés en premier lieu sur l’expérience du
réel, puis sur des raisonnements de l’intelligence. L’utilisation d’un exemple
peut rendre plus clair notre assertion. Ainsi, on a pu démontrer l’existence de
la planète Pluton en observant la déviation d’une autre planète (fondement
expérimental) puis en calculant la place théorique de la cause déviante
(raisonnement impliquant ici une induction -s’il y a effet, il y a cause-, un
jugement d’existence sur cette cause et un calcul de son emplacement).
L’observation au télescope n’est venue qu’après.
Une approche démonstrative théologique est analogue à ceci près
qu’elle s’appuie sur la foi. Elle ne s’appuie pas en premier lieu sur
l’expérience mais sur la certitude de la vérité de la Parole de Dieu qui se
révèle et ne peut mentir. « L'annonce
eschatologique chrétienne puise sa force dans le Dieu vivant et n'est
compréhensible que dans la foi. Si nous croyons en Dieu et au lien vital qui
nous relie à lui, nous avons l'assurance la plus totale que notre vie
personnelle, que notre moi, se poursuivra en lui. Un christianisme purement
horizontal n’est plus un christianisme.
»[17] La réponse de l’homme à
cette révélation est la foi. Or la certitude de la foi, si elle s’appuie sur
Dieu qui ne ment pas, passe par des instruments humains qui peuvent être source
d’ambiguïtés et d’erreurs. En ce qui concerne l’Écriture Sainte, l’exégèse
historique et critique est un outil qui peut aider à approcher une certitude de
type théologique. Cependant, au-delà de son rôle instrumental (instrumental car
la foi a besoin d’une certitude autre que la démarche historique et critique),
le lieu théologique de la certitude se trouve, au moins dans une perspective
catholique, dans la conjonction entre trois voies de connaissance : Les deux
plus importantes sont 1) le sens littéral de l’Écriture et 2) sa confirmation
par la Tradition des saints. Lorsque, confirmant ces deux voies, 3) le
Magistère de l’Église s’est prononcé à travers une définition solennelle, nous
touchons à l’absolue certitude de la foi.
Quand l’Écriture Sainte, la Tradition et le Magistère solennel s’unissent pour
affirmer la vérité d’une proposition de foi, il est alors possible pour le
théologien de s’appuyer avec une certitude quasi « native », comme en
direct, sur la Parole de Dieu qui ne ment pas. Nous estimons que cette
conjonction, qui n’est pas si fréquente en théologie, constitue un fondement
aussi certain que celui de l’expérimentation pour le scientifique. En ce sens,
une fois le fondement établi, si notre raisonnement par induction ou déduction
est valide, il nous paraît possible de parler d’approche démonstrative théologique. Saint Thomas d’Aquin utilisa
souvent cette méthode. Dans la grande majorité des cas, l’histoire des dogmes
qui ont suivi sa mort montre qu’il avait choisi la bonne voie. Pourtant, il
s’est parfois trompé. A cet égard, son raisonnement sur le péché originel en
Marie est significatif de la limite des raisonnements de type « théologie scientifique » face au mystère de l’amour de Dieu. » Puisque
tout homme est sauvé par le Christ, disait saint Thomas d’Aquin, si Marie est immaculée dans sa conception,
c’est qu’elle échappe à cette règle. Donc Marie est née avec la tâche
originelle »[18]. Il s’est trompé. Son
erreur n’est pas dogmatique (tout homme est sauvé par le Christ) mais dans le
raisonnement logique qui suit le dogme et qui oublie une possibilité : qui peut
empêcher Dieu de sauver par anticipation ?
Dans le projet qui est le nôtre, nous avons conscience de ce
risque d’erreur : notre méthode démonstrative s’appuie sur la Parole de Dieu
solennellement confirmée avec le souci d’établir avec précision ce qui, dans
cette Parole, a été défini de manière sûre et précise par le Magistère. Dans
cette première approche, il est relativement aisé de ne pas se tromper et de ne
pas confondre un dogme certain avec une opinion débattue. Certes, une nouvelle
génération de théologiens discute de la nécessité de soumettre les dogmes
solennellement définis à une exégèse historique et critique. Quitte à paraître
un peu marginal aujourd’hui, nous estimons que ce n’est pas nécessaire pour
ceux que nous utiliserons. Les textes dogmatiques
du Magistère, jusqu’au Concile Vatican II inclus, ne sont en général situés
historiquement que par rapport au contexte qui a conduit l’Église à les
rédiger. Mais leur contenu est présenté avec une précision quasi juridique qui
évite les contresens. D’autres théologiens estiment qu’on ne peut plus, à
l’heure actuelle, s’appuyer sur les dogmes en théologie. Nous les laissons à
leur responsabilité. Pour notre part, nous préférons donner à ces repères la
place importante que leur laisse Lumen
Gentium : n’étant jamais allé vérifier ce qui se passe dans l’autre monde,
il nous paraît pratique et sensé de nous appuyer fermement sur ce que l’Esprit
Saint en a dit. Puisque le Magistère a reçu de Dieu le ministère de confirmer
aux croyants que c’est bien l’Esprit qui a parlé et ce qu’il a voulu dire, il
serait bien dommage de se passer de cette aide précieuse.
Ce n’est que dans un deuxième temps que le risque d’erreur
apparaît. Appuyé sur la foi et sur l’esprit qui infuse cette foi (nous
entendons par-là l’amour, Agapè), le
théologien est conduit à raisonner. Ce raisonnement reste humain, à la mesure
des pensées limitées de l’homme, conditionné par l’analogie de la foi. Est-ce à
dire que le théologien ne peut que conjecturer la vérité de sa découverte ? En
science positive, il existe un critère qui permet de présumer de la validité
d’une théorie : C’est la prédictibilité. Une hypothèse qui permet
d’établir d’autres conclusions elles-mêmes vérifiables, est fort probablement
vraie. Ainsi, la théorie de la relativité généralisée découverte par Einstein à
partir de calculs mathématiques théoriques permit de prévoir des applications
concrètes qui se révélèrent par la suite vérifiées. En théologie, dans le domaine
des fins dernières, nous ne pourrons malheureusement vérifier le réel qu’en
passant par la mort. Cependant, en deçà de cette expérience, il existe une
série de données enseignées avec certitude par l’Écriture et confirmées par le
Magistère (possibilité de l’enfer éternel, sous réserve de blasphème contre le
Saint Esprit, purgatoire pour les saints après la mort, possibilité du salut
des païens selon des voies connues de Dieu (GS 22) etc.) Or notre hypothèse
permet de rendre raison de manière limpide,
simple et pacifiante de ces dogmes difficiles[19]. L’intelligence et la foi
ne peut qu’être frappée par l’harmonie totale[20] du Traité des fins dernières si on lui ajoute l’hypothèse dont nous
parlons : une parousie glorieuse du Christ pour tout homme à la fin de la vie
terrestre.
Abordons maintenant de manière résumée la démarche démonstrative
qui sera la nôtre. Voici, en premier lieu, le fondement dogmatique sur lequel
nous choisissons de nous appuyer parce que, objectivement, nous ne pouvons pas
faire autrement comme croyant[21] :
1- La charité seule
introduite dans la vision de Dieu ;
2- Dieu propose à tous
cette charité afin que tous puissent être sauvés ;
3- Il la propose avant la
mort, c’est-à-dire durant notre vie terrestre, alors que notre âme est unie
à notre corps ;
4- AUSSITÔT après la mort,
sans délai, l’âme qui n’est pas en état de charité est en état de damnation
éternelle.
Nous présenterons dans un premier temps la certitude de ces quatre points. Par certitude, nous entendons
qu’ils réunissent tous les critères permettant d’affirmer qu’ils sont Parole de
Dieu et non une simple opinion théologique (concordance entre sens littéral de
l’Écriture, Tradition, Magistère.) Dans un second temps, nous expliciterons
leur signification dans la rigueur
d’un langage théologique dépouillé. Nous isolerons avec précision, à la base
des conceptions citées en prolégomènes, ce qui constitue le domaine de la foi
et ce qui est interprétation de la foi. Cette démarche devra être effectuée
avec une grande rigueur, en confrontant l’ensemble des textes du Magistère et
en tenant compte de leur degré d’autorité. C’est en effet très souvent à cause
d’un manque de précision dans ce travail, provoqué la plupart du temps par une
théorie théologique présupposée et a
priori, que le reste des recherches prend une option déviante. Or c’est
principalement sur la base de ce travail d’isolement que veut se fonder la
scientificité théologique du reste de notre recherche.
Appuyé sur ces bases, nous établirons notre hypothèse. La mineure
de notre approche démonstrative ne sera pas un article de foi mais une
constatation d’ordre expérimental :
« Des millions d’hommes
de jadis et d’aujourd’hui meurent sans avoir seulement soupçonné l’existence
d’un Dieu d’amour. Ils meurent donc sans la charité (comment aimer Dieu sans le
connaître), alors que l’Évangile nous dit que Dieu veut proposer le salut à
tout homme. Sont-ils donc damnés pour l’éternité tel que semble l’affirmer le
quatrième article cité ? »
Oui, répondaient saint Augustin et saint Thomas d’Aquin à leur
cœur défendant. Non, dirons-nous, d’où notre hypothèse. Sont-ils sauvés par la
seule force de leur volonté droite, sans l’amour de charité ? Oui, répondent
beaucoup de théologiens contemporains. Non, affirmerons-nous, d’où encore une
fois la nécessité de notre hypothèse : «
Le retour du Christ en gloire est un événement qui concerne non seulement la
fin du monde mais aussi l’heure de la mort individuelle. »
Nous manifesterons la nécessité d’un choix libre et définitif,
condition nécessaire à l’entrée dans la Vision éternelle de Dieu ou dans le
refus éternel de cette vision. Nous distinguerons notre propos de celui de
Ladislas BOROS sur l’option finale[22] qu’il situe après la mort[23].
Arrivé à ce point de l’exposition résumée de notre hypothèse, une
objection peut être formulée : est-il légitime de raisonner en s’appuyant sur
une majeure dogmatique et une mineure expérimentale ? Il semble illégitime de
mélanger les genres.
Cette objection n’est pas nouvelle : elle fut adressée à saint
Thomas d’Aquin qui fut même un temps condamné par ses paires théologiens pour
avoir introduit en théologie des données philosophiques d’Aristote. Ce grand
théologien se serait sans doute justifié ainsi : Dieu est l’auteur de tout le
réel. Il est à la fois le Créateur des anges que nulle philosophie
expérimentale ne peut connaître, et des plantes qu’on peut examiner au
microscope. Ainsi, quel que soit le mode par lequel l’homme parvient à la
connaissance du réel, que ce soit par les seules forces de son intelligence ou
en s’appuyant sur la révélation, il ne peut y avoir contradiction. Le réel ne
se contredit jamais. S’il y a contradiction, ce peut être parce que l’homme
appelle « foi » ce qui n’est qu’opinion théologique ou qu’il appelle « science » ce qui n’est qu’erreur philosophique. Il est donc possible pour
le théologien de mélanger les genres, d’appeler son expérience au service de sa
foi. Saint François de Sales l’enseigne : «
La foi et la raison doivent marcher ensemble comme deux affectionnées. » Non seulement cette attitude est
possible mais elle est nécessaire pour le service de la « science des sciences »
qu’est la théologie. Mais cette synthèse harmonieuse est difficile. On a
rarement égalé en ce domaine le « Docteur
commun. »
DEUXIÈME PARTIE : Témoignages à l’appui.
Dans un domaine aussi pratique que celui que nous abordons, la
puissance d’un raisonnement ne saurait suffire. Il paraît nécessaire qu’une
certaine base traditionnelle étaye le propos. Lorsqu’une thèse est totalement
étrangère à l’Écriture Sainte ou à la Tradition de l’Église, ne risque-t-elle
d’être considérée comme une opinion marginale ? C’est pourquoi, dans cette
deuxième partie, nous rechercherons ce qui dans l’Ecriture Sainte, dans
l’expérience ou les écrits des saints, des théologiens, correspond à notre
hypothèse.
L’Écriture Sainte en parle-t-elle explicitement ou implicitement ?
Là encore notre recherche sera très pauvre : aucun texte explicite n’existe
mais seulement plusieurs textes du discours eschatologique où Jésus semble unir
l’annonce de la fin du monde, l’annonce de la mort individuelle ou de la ruine
du temple de Jérusalem. Ces textes ne peuvent constituer une preuve car, comme
le dit saint Thomas d’Aquin, « seul le
sens littéral et explicite a valeur de fondement de foi »[24].
La Tradition de l’Eglise, représentée en particulier par les
saints canonisés ou les théologiens reconnus en parle-t-elle explicitement ou
implicitement ? Nous ne nous appuierons pas excessivement sur ces témoignages.
En effet, les saints et les théologiens se contredisent trop souvent entre eux
pour constituer une preuve. Ils constituent simplement un signe manifestant que
notre hypothèse, quoique nouvelle, n’est pas radicalement étrangère à l’Église.
Enfin, toujours dans un souci d’élargissement des bases de la
thèse, il nous faudra rechercher hors du domaine de l’Eglise : Que disent les
autres religions ? Existe-t-il des témoignages paranormaux de l’approche de la
mort ? Que penser des récits nombreux de ceux qui ont approché la mort et vécu
à cette occasion une expérience de lumière ? Depuis quelques années, grâce
surtout aux études du Docteur en Psychiatrie Raymond Moody, ce genre de
témoignages s’est imposé à la connaissance du public au point de devenir l’un
des sujets paranormaux les plus en vogue. Les opinions des scientifiques et des
théologiens divergent : effet subjectif du cerveau en détresse ? Réelle
expérience mystique[25] ? Cet aspect de notre étude
nous paraît particulièrement important. S’il peut exister une approche de type
expérimental de l’heure de la mort et des événements qui se produisent, si des
témoins nombreux et critiquables se révèlent dignes de crédibilité au terme
d’une enquête policière sur leur témoignage, alors la recherche philosophique
vient croiser ma recherche théologique. Les points d’intersection entre ces
domaines de connaissance sont rares et intéressants.
TROISIÈME PARTIE : Où se construit l’harmonie d’un traité théologique.
Notre hypothèse ouvre la voie à la rédaction d’un Traité des fins dernières, à la fois
harmonieux avec lui-même et avec l’ensemble de l’enseignement évangélique
(l’amour de Dieu, la possibilité réelle d’un enfer éternel, le blasphème contre
l’Esprit de ceux qui se damnent, le silence de Dieu, la souffrance, le purgatoire,
la persistance des autres religions après la venue du Christ, le développement
permis par Dieu des athéismes etc.) C’est par cette ouverture que nous
conclurons la rédaction de notre hypothèse. La question de la mort, en
particulier, sera l’objet de notre attention ; De cette manière, si nous
n’avons su convaincre entièrement le lecteur de la nécessité de l’hypothèse que
nous défendons, nous espérons cependant en avoir manifesté la très grande
probabilité. Lorsqu’un traité s’harmonise avec la foi en un Dieu d’amour et de
lumière au point de constituer un appel à la contemplation, lorsqu’il donne de
plus une explication évangélique à des énigmes jusque là sans réponses c’est
qu’il ne manque pas d’intérêt.
Le dilemme suivant est-il
réellement insoluble ?
« Ou le christianisme est
nécessaire pour le salut, et vous êtes obligé de damner tous les millions
d’hommes qui sont venus au monde sans le Christ ; ou bien vous direz qu’ils peuvent
être sauvés, mais alors le christianisme n’est pas nécessaire au salut et
toutes les religions païennes valaient autant! »[27]
Au cours de notre
introduction, nous avons suggéré les difficultés des grandes théologies
chrétiennes sur la question du salut des non-chrétiens. Nous voudrions montrer
comment de grandes traditions chrétiennes, dans la mesure où elles gardent la
conviction que le salut éternel consiste dans la Vision face à face de la
Trinité (nous ne voulons pas aborder les messianismes temporels, notre sujet
étant axé sur une question d’ordre spirituel), ont imaginé le chemin nécessaire
pour y accéder. Nous voudrions surtout manifester les limites ou même les
contradictions de ces systèmes pour la question du salut de ceux du dehors. Cette
partie préparatoire vise à établir d’une manière critique la nécessité de
continuer la recherche en ce domaine, car l’Évangile du Christ ne peut se
contenter d’à-peu-près pour des questions aussi essentielles.
Appuyés sur la révélation
contenue dans l’Écriture Sainte, parfois aussi sur la tradition des anciens,
des théologiens se sont efforcés de discerner les conditions spirituelles
voulues par Dieu pour que l’homme puisse être introduit dans son Mystère. Ce
domaine de réflexion est l’un des plus fondamentaux de la théologie. Le débat
sur la place de la grâce et de la nature est central. Il est aussi l’un des
plus débattus depuis le début de l’Église au point qu’il est impossible d’en
faire l’exposé complet.
Mais, au-delà des
foisonnements des systèmes théologiques en ce domaine, il est possible de
discerner trois grandes orientations. Ces courants sont discernables dès le
début de l’Église et réapparaissent périodiquement jusqu’à notre époque dans
les débats théologiques.
Le courant le plus
traditionnel dans les Églises chrétiennes, issu de la majorité des Pères de
l’Église, systématisé dans l’Église latine par saint Augustin, rationalisé par
saint Thomas d’Aquin, canonisé par le Concile de Trente, consiste à montrer que
le salut ne peut être obtenu qu’en raison de l’amour surnaturel appelé par
saint Paul la charité[28]. La charité est un amour d’amitié où Dieu et l’homme se donnent
réciproquement. Elle est l’acte surnaturel par excellence puisque l’homme doit
être élevé au niveau de la surnature de Dieu, Dieu s’abaissant au niveau de
l’homme. L’amitié, disait Aristote, ne peut exister entre un supérieur et un
inférieur mais entre deux égaux, d’où cet équilibrage réalisé par la grâce pour
que puisse exister la charité.
Pour d’autres, à la suite de
Luther et des réformés, l’homme est certain de recevoir la gloire dans l’autre
monde s’il constate qu’il éprouve pour Dieu une
foi confiante[29]. La foi confiante est la seule attitude religieuse dont est
capable un homme qui connaît par Révélation l’existence de Dieu et son amour.
Pour Luther et ses disciples, l’homme est définitivement incapable de tout acte
bon personnel depuis le péché originel[30]. Lorsqu’un homme découvre par un don de la grâce qu’il a été créé
par un Dieu personnel et sauvé par l’incarnation et la passion de son Fils, il
peut l’adorer puis se tourner vers lui et lui remettre sa confiance. Il agit
passivement, tel un enfant. Il remet à Dieu sa confiance et sa reconnaissance
pour le salut qu’il sait avoir reçu sans aucun acte de sa part, avant ou après.
Cette attitude est louée par l’Écriture : «
L’homme doit croire que Dieu existe et se fait rémunérateur de ceux qui le
cherchent[31]. » Cette foi n’implique
pas la charité au sens catholique du terme. L’amour qu’elle contient n’est pas
une amitié d’égal à égal, mais une attitude confiante de d’enfant sauvé à son
Père miséricordieux[32]. Si la confiance est nécessaire pour qu’existe l’amitié, la
confiance ne conduit pas toujours à l’amitié. Jésus établit cette distinction :
« Je ne vous appelle plus serviteurs mais
amis »[33]. Pourtant, un serviteur peut avoir confiance en son maître. La
Doctrine luthérienne pense qu’il est possible à l’homme de dépasser le statut
du serviteur[34]. Mais ils bloquent la relation à Dieu à celle que peut avoir un
enfant dénué de liberté envers son Père qu’il aime. Les catholiques parlent
donc de la foi qui sauve en l’identifiant à la charité. Les réformés
l’identifient à la confiance de l’enfant. La distinction foi—charité-active
d’avec la foi—confiance-passive nous paraît tout à fait justifiée puisqu’elle
est reconnue explicitement par les protagonistes de l’époque de la Réforme, du
côté de Luther[35] et du Concile de Trente[36]. Il est vrai que la problématique actuelle entre réformés et
catholiques s’est déplacée. Le sens des mots a changé de part et d’autre. Mais
la problématique du passé intéresse notre recherche.
Enfin, une troisième
orientation considère le salut acquis pour tout homme de bonne volonté. La notion de bonne volonté a pris plusieurs sens au
cours des crises de l’histoire. Les deux plus connus sont chez Pélage une
volonté conquérante de la vertu ou, comme l’enseigne une grande part des
théologiens contemporains[37], une bonne volonté fragile et conditionnée par les faiblesses
humaines. La bonne volonté est le fait de tout homme droit qui écoute sa
conscience. L’athée lui-même peut agir en homme droit. La conscience morale
n’est pas l’apanage de l’homme religieux. Elle peut s’établir dans les amitiés
humaines. La bonne volonté ne nécessite ni la foi ni la charité. Elle est l’acte
d’un homme droit, s’appuyant sur ses capacités intellectuelles et spirituelles
naturelles. L’Évangile reconnaît la valeur d’actes humains bons et différents
des actes spécifiquement chrétiens : «
Les païens eux-mêmes en font autant.
» [38]. Quant à cette distinction charité-foi d’une part, bonne volonté
d’autre part, elle reprend la confrontation ancienne comme l’Église et toujours
actuelle entre nature et grâce. Au cours de l’histoire, cette distinction s’est
déclinée de manière diverse mais elle est toujours apparue profondément encrée
dans le judéo-christianisme.
Dans le cadre de cette
première approche, nous avons esquissé cette distinction traditionnelle et
thomiste[39] entre charité, foi confiante et bonne volonté[40]. Elle apparaîtra dans toute sa clarté et jusque dans ses
conséquences à la fin de nos prolégomènes.
Il est aisé de se rendre
compte que la division des théologies du salut selon la valeur rédemptrice
attribuée à ces trois attitudes est valide car exhaustive : elle englobe tout
acte humain volontaire ; Elle s’étend même plus loin que le domaine des
théologies chrétiennes et peut rendre compte de toutes les religions et
Sagesses. La théologie islamique du salut, par exemple, se distingue de la
conception catholique par son rejet de la charité, l’idée même de cette vertu
théologale lui paraissant constituer un crime de lèse-majesté contre Dieu : qui
est l’homme pour prétendre à une amitié d’égalité avec le Tout-Puissant ? Pour
le musulman, le salut est une question de foi
confiante en Dieu, considéré comme le Créateur miséricordieux et
transcendant, à travers une attitude religieuse de soumission et comportement
humainement droit envers l’autre. Le bouddhisme, quant à lui, même s’il
n’attend pas un salut personnel à travers la rencontre avec Dieu, passe par une
conquête constante et volontaire de la part de l’homme : la volonté droite, naturelle, de l’homme
joue un rôle primordial. Dans notre terminologie, nous devrions dire que le
bouddhiste échappe aux réincarnations par un travail d’ascèse qui rend sa
volonté droite et harmonieuse à l’univers. Dans sa conscience, s’il se fond
dans l’extinction de toutes les passions de souffrance, s’il entre en vibration
paisible avec ce qu’il est (le grand Tout, l’univers), alors il est de bonne
volonté. Nous pourrions multiplier les exemples. Nous pourrions manifester
aussi que toute attitude humaine morale peut être classée sous un de ces trois
niveaux éthiques qui sont :
1) Les éthiques humaines, naturelles, fondées sur les rapports existentiels
de l’homme avec les autres hommes et avec l’univers ;
2) Les éthiques religieuses fondées sur le rapport de l’homme avec
son Créateur (monothéisme) ou ses dieux (polythéisme.) Il importe peu dans ce
domaine de savoir si l’homme à découvert sa religion par lui-même ou par un don
gracieux de la Révélation, l’essentiel étant l’apparition d’une réponse
religieuse passive de confiance et d’amour révérenciel du Tout-Autre
transcendant (ce que nous avons appelé la foi confiante) ;
3) Il existe enfin une éthique surnaturelle spécifiée par
la charité, amour du Tout-Autre se faisant proche comme un ami, et qui exige
une surélévation au-dessus de la condition de créature. Cet amour là est aussi
différent du précédent que peut l’être l’amour d’un enfant et l’amour d’une
épouse.
Que nul ne puisse entrer
dans la gloire sans aimer Dieu pour lui-même à travers cet amour particulier
appelé charité et que saint Thomas d’Aquin décrit comme une amitié[41], voici la conception la plus ancienne et la plus traditionnelle
de la théologie chrétienne, (orthodoxe, catholique). En Occident, elle fut
magistralement enseignée par saint Augustin et, à sa suite, par la scolastique
dans son ensemble. Elle s’identifie avec la théologie catholique avec, à son
terme, les écrits de H.U. von Balthasar[42].
Pour cette étude, nous nous
sommes inspirées des auteurs suivants : saint Augustin, saint Thomas d’Aquin,
sainte Thérèse d’Avila, Mgr Glorieux, Ladislas Boros, Père Marie-Eugène de
l’Enfant-Jésus, Charles Journet, H. U. von Balthasar[43]. Cette liste est étrange par son caractère méta-historique. C’est
que, au plan des conceptions théologiques en ce domaine, Balthasar est plus
proche de saint Augustin que son contemporain Pélage. Ils n’ont en commun ni
l’époque, ni le genre littéraire. Mais tous se rejoignent pour placer les deux
commandements de la charité au principe (comme source de toute intelligibilité)
de leur enseignement moral et mystique. Le fait de les confronter ainsi, sans
prendre garde à la chronologie, peut paraître illégitime en ce siècle où la
méthodologie exige que tout soit situé historiquement. Il est cependant
certains domaines où le temps interfère peu : la modalité du langage employé
diffère mais la doctrine sous-jacente est fondamentalement la même. De par leur
interprétation de l’Écriture en cette matière, ces divers auteurs sont au-delà
du temps.
Ces penseurs s’unissent dans
la reconnaissance unanime que la révélation judéo-chrétienne est identifiée à celle
de l’amour (Agapè) de Dieu pour les
hommes conjointement à celle de la possibilité pour l’homme d’aimer (Agapen) Dieu en retours comme on aime un
ami.
La source de cette étonnante
relation au Créateur leur semble venir de la nature même de Dieu : l’amour de
charité tel qu’il est vécu en Dieu et proposé à l’homme dépasse tout ce qui
peut être imaginé puisqu’il s’identifie à la nature infinie de Dieu et ne
trouve qu’une manifestation limitée donc nécessairement inadéquate dans la
passion du Christ. Cette charité éternelle et incréée est source des actions
extérieures de Dieu (création, sanctification.) Le premier acte
extra-trinitaire, selon un ordre génétique, dans lequel transparaît l’amour de
Dieu, est la création. Dieu qui est parfait ne crée pas pour s’accomplir à la
manière de l’homme mais dans une gratuité absolue qui n’a d’autre raison que le
don de lui-même.
La finalité de ce premier
acte est dans un second, premier selon l’ordre de perfection, réservé aux
seules créatures spirituelles. Dieu veut se donner dans une vie de charité
réciproque semblable, autant que faire se peut pour des natures créées, à la
charité trinitaire. L’union offerte trouve son modèle dans l’union éternelle et
non créée des personnes de la Trinité entre elles. Pour une créature, il ne
peut exister d’union plus proche de ce modèle que celle de la vision
béatifique. Mais cette vision ne peut être obtenue par autre chose qu’un amour
de qualité analogiquement semblable à l’amour intratrinitaire. Selon ces
auteurs, nul n’entre dans la gloire sans aimer Dieu d’une amitié intime, à la
manière dont les Personnes s’aiment entre elles. Tel est donc le projet ultime
qui explique de la part de Dieu la création gratuite de tout esprit, ange ou
homme.
Mais pour que puisse exister
un tel amour d’amitié, dont la propriété première est d’être, à l’image des
amitiés humaines les plus nobles, totalement libre de la part de la créature,
certaines conditions sont présupposées : là où se trouve un esprit créé, Dieu
se révèle en vue de s’unir amoureusement avec cet esprit. En effet, pour que
l’amitié puisse naître, il est nécessaire en premier lieu que l’existence de
l’ami et la possibilité de l’aimer de cette manière soient connues. A cette
révélation de Dieu, toujours première et don de sa grâce, la créature répond
par la foi au sens de connaissance de ce que Dieu révèle. Appuyée sur la
confiance dans la vérité de cette révélation, si la créature y consent dans sa
liberté, cette foi peut alors s’épanouir dans une autre foi (appelée par saint
Thomas d’Aquin la foi confiante) et qui n’est autre qu’un premier amour
reconnaissant. Cette confiance peut se concrétiser dans l’expérience en la
créature d’une présence d’habitation affective. Dieu est là, tout proche, à
l’intersection entre la conscience et la foi. En dernier lieu, cette confiance
peut elle-même s’épanouir en amitié. Si la créature a l’audace de s’adresser à
son Dieu comme à son ami, d’égal à égal dans un amour de réciprocité fondé sur
l’édifice précédant, il entre dans la vie de la grâce sanctifiante. Cela se
concrétise selon les mystiques dans une vie d’oraison du cœur. « Je l’avise
et il m’avise », disait un paroissien du Curé d’Ars.
Saint Thomas d’Aquin[44], conscient de la valeur surnaturelle de la charité, montre que
son existence même présuppose une surélévation de l’âme au-dessus de ses
possibilités naturelles. C’est le rôle, selon lui, de la grâce sanctifiante qui
transforme et surélève en rendant possible une vie avec la surnature de Dieu.
L’existence de la grâce sanctifiante a été posée en premier par saint Augustin
dans sa controverse avec Pélage pour expliquer la possibilité d’un rapport
d’égalité entre deux natures infiniment éloignées l’une de l’autre. Dès qu’il y
a état de grâce, il y a habitation des personnes divines et dès qu’il y a
habitation, celle-ci produit elle-même dans l’esprit ce qui la rend possible, à
savoir la grâce sanctifiante. La grâce vient dans l’essence de l’âme puis
répand dans les vertus théologales déjà existantes, surélevant la foi jusqu’ici
source de confiance en un Dieu proche mais inaccessible en une foi amoureuse
d’un Dieu « amant de l’âme. » De même, l’espérance est vivifiée
dans la volonté, la charité lui donnant un réalisme qui ressemble à une
nouvelle naissance. Nicodème, ce fils éminent de la sagesse d’Israël, possédait
les vertus théologales de foi et d’espérance mais était considéré par Jésus
comme non encore né tant qu’elles n’étaient pas transfigurées par la
charité.
La justification est un terme théologique dont l’origine évangélique[45] a reçu l’interprétation suivante en théologie scolastique :
l’acte par lequel Dieu « transfère » dans l’état de grâce celui qui vivait
loin de sa présence d’habitation. Par la charité, l’homme passe de l’état de
non-justice par rapport à Dieu à l’état de justice ou de sainteté. La
justification est un acte de la volonté libre de Dieu, qui répond à la réponse
audacieuse de l’homme selon l’adage de saint Augustin : « Dieu qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi. » L’homme étant un être libre, Dieu le
meut en actionnant son libre arbitre, et d’un libre oui à un autre, il le
conduit, si l’homme ne refuse pas ces motions, jusqu’au oui de la justification
où fond en lui la grâce décisive, celle qui rend possible l’exercice d’une
charité réciproque.
La grâce de Dieu vient
toujours prévenir l’homme et elle le pousse pas à pas vers la justification.
Les voies peuvent être diverses mais commencent toujours par une certaine prise
de conscience de Dieu. En ce sens, la foi (entendue ici comme une simple
connaissance) est la racine de la justification. Puis vient l’espérance en
Dieu, espérance dans sa Parole qui ne peut manquer de tenir les promesses crues
par la foi. Unies entre elles, la foi-connaissance et l’espérance forment une
attitude théologale que des spirituels comme Luther appellent « Foi. » Il s’agit de la foi
confiante dont nous avons exposé précédemment l’existence et qui a pris
depuis la Réforme une grande importance. Il est clair que l’utilisation par
l’Écriture Sainte du mot foi en des sens très différents ne rend pas facile la
tâche du théologien. Pour les auteurs cités dans cette section, si les voies de
la justification sont préparées par l’espérance en la miséricorde mais la grâce
ultime, la seule grâce qui en définitive compte et est vie, consiste dans
l’expérience mystique d’une amitié avec la Trinité rendue possible par la charité. La justification est donc
spécifiée pour ces auteurs par le premier acte d’amour d’amitié envers Dieu.
Cet acte, quel que soit son peu d’intensité, implique une union d’égalité et de
réciprocité. L’amour existait avant mais, n’ayant pas eu l’audace de se séparer
de la distance respectueuse de la créature, puis de l’enfant devant la
transcendance du Créateur et du Père, il ne pouvait être qualifié de charité.
Il demeurait une forme religieuse de l’amour (aimer Dieu en tant que Créateur)
ou un exercice théologal de la foi et non une amitié réciproque (vertu
théologale de charité). On le voit, aux yeux de ces auteurs, la spécifité des
religions catholiques et orthodoxes est à la fois une notion enfantine (car
l’audace d’un tel amour mérite l’inconscience de l’enfant) et impliquant une
maturité d’adulte (car l’amitié ne peut être vécue de manière vraie que par une
personne morte aux autres motifs d’affection : plaisir et utilité.) L’amitié
est chose très rare et pure. La charité étant une amitié théologale, l’Eglise a
toujours affirmé qu’il était impossible à un homme de savoir s’il aimait Dieu
de cette manière[46]. La charité ne cesse de s’affiner au cours d’une vie, à mesure
qu’elle est détachée de ce qui la pollue et la rend moins noble. Il faut du
temps pour passer d’un amour intéressé (même inconsciemment) à l’amour d’amitié
total, où seul l’autre compte. Cette évolution fut magistralement décrite par
les Docteurs mystiques Thérèse d’Avila et Jean de la Croix.
Par rapport au sujet qui
nous intéresse, la doctrine du mérite est éclairante[47]. Elle enseigne que la grâce sanctifiante mise en l’homme par Dieu
mérite à ses yeux selon la justice qu’il
a lui-même établi d’être récompensée au terme de la vie terrestre par
l’obtention de la vision béatifique. L’union affective rendue possible par la
grâce sanctifiante et la charité s’ouvre avec certitude à l’union effective de
la gloire[48]. Ainsi, la charité telle qu’elle est vécue dans une vie terrestre
n’est qu’une ébauche de la réciprocité que Dieu s’engage à donner à ceux qui
l’aiment. « Nous serons des dieux car nous le verrons face à face », dit
saint Jean[49]. Pour les auteurs de cette doctrine, le rapport charité-vision béatifique
est nécessaire, sans qu’il puisse exister d’exception : nul ne peut entrer dans
la vision sans la charité. Pour eux, l’analogie la plus éclairante est celle
des noces : nul ne peut prétendre épouser une femme s’il n’existe pas de
manière réciproque, un amour d’amitié qui les pousse à échanger leur
consentement. De même, nul ne peut s’unir à Dieu dans la vision béatifique (les
noces de l’agneau) sans la charité réciproque.
Jusqu’ici, la doctrine sur
le mérite et la justification par la charité est limpide et laisse le goût de
la Bonne Nouvelle. Mais dès qu’il s’agit de se pencher sur le « comment » concret, sur la manière dont Dieu communique la possibilité du
salut aux hommes, les choses se compliquent. Si l’on considère l’entrée dans la
vision béatifique comme le terme de l’histoire des hommes et des nations et si
l’on garde avec la tradition catholique l’analogie des noces humaines pour
éclairer de manière adéquate ce mystère, d’où la nécessité de la charité au
centre de la vie chrétienne, on se trouve confronté au problème suivant : il
est de notoriété que peu d’hommes se dirigent dans la vie mus par la charité au
sens le plus théologique que peut prendre cette notion : amour surnaturel d’amitié pour Dieu et pour son prochain à cause de
Dieu.[50] La plupart meurent sans vivre de la charité. Si l’on reprend les
mots mêmes de l’évangile de saint Jean[51], « Ils ne sont pas nés d’en
haut. » En d’autres termes, dira
saint Thomas d’Aquin, ils sont spirituellement morts.[52] Ainsi, lorsque le Pape Benoît XII définit solennellement que « selon la disposition générale de Dieu, les
âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur
mort en enfer »[53], faut-il en déduire avec saint Augustin, saint Thomas d’Aquin et
la scolastique jusqu’au Concile Vatican II la damnation éternelle des païens,
des enfants morts avec la marque du péché originel, des chrétiens morts sans
avoir eu le temps de se repentir d’une faute en contradiction avec la charité ?
Tout repose en fait sur
l’interprétation de l’expression péché
mortel. Pour saint Thomas d’Aquin, le péché mortel est une notion
analogique très large puisqu’il intègre des péchés non volontaires (péché
originel chez l’enfant, l’ignorance non coupable chez les païens), et des
péchés volontaires (de faiblesse ou de méchanceté chez les chrétiens). Au sens
le plus analogique de sa théologie issue de ses grands prédécesseurs, tout
homme qui ne vit pas de la charité est dans un état de péché mortel[54]. Cela lui vaudra, s’il meurt, d’être séparé de Dieu pour
l’éternité. Selon lui en effet, tout homme qui ne vit pas de la grâce
sanctifiante, pour quelque raison que ce soit, libre ou non, est en état
de mort spirituelle. La notion de « péché
mortel », cet acte et cet état
spirituel qui selon le pape Benoît XII, conduit en enfer, est donc très large[55]. Elle peut être le fait des petits enfants comme des faibles. Pour
s’en convaincre, il peut être intéressant de lire l’article de sa Somme
Théologique intitulé : « Le péché de
faiblesse peut-il être un péché mortel ? » Cette conclusion semble même
portée par les textes évangéliques : en Jean 3, 5, Nicodème, homme de bonne
volonté, mu par la foi et l’espérance d’Israël, n’en doit pas moins naître
selon l’esprit pour entrer dans le Royaume de Dieu.
Saint Thomas d’Aquin n’est
pas à blâmer d’avoir ouvert largement les portes de l’enfer. Comme saint
Augustin, il s’est montré fidèle à la doctrine de sa foi et a manifesté avec
soumission les conséquences des données suivantes : la charité seule ouvre le
Ciel, et cette charité doit être acquise tant que dure la vie terrestre. La vie
est le temps du mérite et la durée de ce temps est limitée. Il y aura un terme
et déjà dans les desseins de Dieu ce terme est prévu et fixé pour chaque homme.
Chacun, étant donné la nature humaine avec ses faiblesses, ses alternatives de
bons désirs ou de lâches retours, peut donner son concours à la grâce de Dieu.
La grâce divine excitera, soutiendra, reprendra par ses sollicitations
multiples et diversifiées presque à l’infini, s’adaptant à la prédestination de
chacun. Cependant, force nous est de le constater, la grâce décisive qui
justifie n’est pas proposée à tous, parce que le missionnaire n’a pas prêché,
parce que la mort est venue trop tôt, parce que l’Église n’était pas icône de
l’Évangile ou parce que Dieu s’est tu (voir le septième sceau de l’Apocalypse
de saint Jean.) Lorsque le jour du Seigneur arrive comme un voleur, peu de
lampes sont allumées, la plupart du temps parce que l’homme n’avait pas entendu
dire qu’il existait une lampe. Pourtant, une fois le terme atteint et le temps
de l’épreuve terminé, le « status viae »
fait place au « status termini. » Il ne peut être question d’existences
nouvelles, de métempsycoses, de réincarnations où de nouveau l’épreuve serait
tentée sur de nouvelles bases ou en des conditions différentes. L’âme sera
conduite à son sort éternel en fonction de l’emploi qu’elle a fait du temps qui
lui fut laissé. L’Évangile est formel à cet égard : le riche est jeté au feu
malgré son regret[56] ; Lazare est appelé dans le sein d’Abraham. Il n’est pas jusqu’au
degré de ce bonheur qui ne soit fixé par l’usage que dans son pèlerinage
terrestre l’homme aura fait de sa liberté et de sa correspondance à la grâce.
Saint Thomas d’Aquin
enseigne un autre point qui selon lui, à cause de la netteté de l’enseignement
de l’Église à cet égard, ne peut faire de doute, à savoir que le terme assigné
à l’état d’épreuve n’est autre que la mort. Le temps des œuvres méritoires est
égal à la durée de la vie. Après la mort, aucun recours n’est plus possible
mais le sort de l’homme se trouve alors définitivement fixé pour l’éternité.
Toutes ces formules sont équivalentes et elles expriment un état de fait : « Dieu a lié le sort de l’homme à l’heure de
sa mort.[57] »
Le problème grave qui se
pose alors est de savoir pourquoi certains hommes sont morts sans la charité
sans qu’il y ait faute de leur part. Plusieurs solutions ont été avancées.
Certains[58] ont pensé résoudre le problème de la manière suivante : « Tout homme de bonne volonté meurt avec
la grâce de Dieu, même si cette grâce ne transparaît pas. Le Royaume de Dieu ne
se laisse pas voir de l’extérieur. Ils sont donc sauvés. » Selon eux, Dieu ne se tait donc jamais mais c’est l’homme qui ne
sait discerner la grâce sanctifiante là où elle est, à savoir dans tout acte
humainement bon. Le Cardinal Journet soutient cette position en introduisant la
possibilité d’une charité implicite.
Mais nous ne pouvons suivre
cette position, au moins dans la perspective de ce paragraphe : nous ne parlons
pas ici du salut obtenu par n’importe quelle grâce surnaturelle mais selon les
expressions scolastiques consacrées, par la
grâce sanctifiante librement et
consciemment exercée en charité
(sauf pour les petits enfants, précisera-t-on, où la charité peut exister sans
exercice.) Les grâces peuvent être multiples dans le chemin qui mène l’homme à
la charité (pré-attraction, grâces actuelles, présence d’un prédicateur de
l’Évangile, foi, espérance etc.) Il ne s’agit pas ici de ces grâces préparatoires
mais de la seule charité. Or une telle vie spirituelle ne peut en aucun cas
être totalement vécue dans l’inconscient pour un adulte. Il en est de même pour
l’amitié entre deux personnes humaines : il est aussi irréaliste de parler
d’amitié entre deux personnes qui ne se connaissent d’aucune manière que de
parler de charité pour une personne qui n’a pas la foi.
D’autres solutions plus
bibliques ont été proposées : pour saint Thomas d’Aquin, le silence de Dieu qui
ne communique pas sa grâce sanctifiante à de nombreux hommes est un mystère
dont il ne trouve pas d’explication autre que celle de l’Écriture : « Il endurcit qui il veut et il propose son
salut à qui il veut »[59]. Avec sa foi d’un réalisme terrible, constatant d’expérience que
des millions meurent sans la charité, il admet leur damnation éternelle comme
un acte où s’exprime la justice divine. La définition de l’état de mort
spirituelle est large puisqu’elle s’étend à tout homme dont la fin ultime est
en dehors (à noter en dehors pas
nécessairement en contradiction) de
la charité.[60] Saint Thomas d’Aquin, nous le verrons, nuance parfois cette idée
vertigineuse en imaginant pour les païens de bonne volonté la possibilité d’une
révélation directe du Christ avant la mort, proposant la possibilité d’adhérer
au salut par la charité, sans l’intervention du missionnaire dont parle saint
Paul dans l’épître aux Romains[61]. Il écrit : « A un homme
qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle pour chercher le
bien et éviter le mal, on doit tenir pour très certain que Dieu révélerait par
une inspiration intérieure les choses qu’il est nécessaire de croire ou lui
enverrait quelque prédicateur de la foi, comme Pierre à Corneille. » S’il avait pu terminer la Somme
Théologique, sa pensée sur les fins dernières n’eût sans doute cependant
pas essentiellement différé de celle de saint Augustin, du moins si l’on en
juge par ses derniers écrits. La grâce particulière dont il parle dans ce texte
très court est selon lui exceptionnelle et privée. Parler autrement l’aurait
conduit à une conséquence inacceptable à ses yeux. N’aurait-il pas réduit
l’Église hiérarchique tel que Jésus l’a voulue à une servante inutile, Jésus
pouvant se substituer à elle à l’heure de la mort.
La théologie catholique
issue de saint Augustin et saint Thomas d’Aquin a été marquée au cours des
siècles suivants d’une certaine gêne : Comment harmoniser l’amour d’un Dieu qui
donne sa vie sur la croix et la théorie d’une justice qui damne des innocents,
enfants ou païens ? La contradiction, flagrante de nos jours, sera pourtant
pendant des siècles refoulée dans l’inconscient collectif des chrétiens, la
fidélité aux dogmes ne paraissant pas pouvoir s’accommoder d’une autre solution
que celle-ci. Cette doctrine aura aussi des conséquences positives pour
l’Église : Portés par leur inquiétude pour le salut des païens, des générations
de missionnaires ont donné leur vie pour annoncer le salut de Dieu.
Cependant, au cours des temps et surtout à l’époque contemporaine,
on voit cette doctrine structurée dans sa logique éclater ici et là, souvent
sans même que les auteurs s’en aperçoivent. Dans son ouvrage de vulgarisation
théologique intitulé « Entretiens
sur la grâce »[62], le Cardinal Journet
commence par énoncer en chapitres précis la pensée thomiste sur le salut
réservé à la seule grâce sanctifiante, fondement de la vertu de charité.
Puis, tout naturellement, sa pensée le conduit à se pencher sur le
cas de ceux qui meurent sans la charité. Selon lui, avant que la venue du
Christ ne soit manifeste à la conscience d’un homme religieux tel qu’un juif
qui en a pourtant reçu la foi et l’espérance, l’homme se trouve dans « l’état de l’attente du Christ. » Les hommes sont sauvés par lui, sans
avoir encore vu sa venue, s’ils « croient » profondément par un assentiment de
foi théologale que Dieu est et qu’il est secourable. Dans la foi que Dieu est, est
contenue de manière implicite la foi en la Trinité. Dans la foi en un Dieu
secourable, est pré-contenue la foi en l’Incarnation rédemptrice. Le cardinal
Journet fonde sa thèse sur l’épître aux Hébreux[63] : « Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu. Car celui qui
s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il se fait le rémunérateur de
ceux qui le cherchent. » Il admet donc ici, pour certains hommes morts sans
la charité, l’exception d’un salut par la foi confiante.
Il ira même plus loin : son réalisme philosophique et théologique
lui faisant reconnaître qu’il existe des êtres qui n’ont même pas à l’heure de
la mort la possibilité de faire un acte de foi en l’existence de Dieu, il
admettra la possibilité d’une justification «
par la bonne volonté » des actes,
rejoignant ainsi tout un courant moderne[64]. Sa pensée, d’inspiration
thomiste, peut se résumer ainsi : l’enfant né dans une tribu sauvage où
l’Évangile ne sera jamais prêché, n’en développe pas moins une conscience
morale. Il posera un premier acte libre, conscient et moral par lequel il se
tournera vers le bien ou vers le mal. L’essentiel n’est pas l’objectivité de ce
bien ou de ce mal mais plutôt qu’il soit bien ou mal selon ce qu’est la
conscience de l’enfant. Dans la mesure où il choisit le bien, il est
secrètement investi de la grâce de Dieu. Le cardinal Journet conclut alors : « A cet instant, cet enfant est justifié et
purifié du péché originel. »
Il parle aussi d’une notion qu’il qualifie de « charité implicite. » Selon
lui, tout homme qui aime de manière altruiste son prochain, même si cet homme
est païen ou athée, aime sans le savoir le Dieu qui est la plénitude de la
bonté. Implicitement, cet homme vit d’une charité qui n’est pas explicitement
une amitié pour le Dieu de Jésus Christ. L’évangile de saint Mathieu semble
conforter cette thèse[65] : « Alors le Roi dira à ceux de
droite : Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous
a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez
donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger
et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité,
prisonnier et vous êtes venus me voir. Alors les justes lui répondront :
Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé
et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir, malade ou
prisonnier et de venir te voir ? Et le Roi leur fera cette réponse : En vérité
je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de
mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. » Selon le Cardinal
Journet, l’homme de bonne volonté, à cause du caractère implicite mais réel de
sa charité, est introduit dans le salut et il mérite après sa mort, l’entrée
dans la vision béatifique.
Que penser de cette théologie ? Tout se résume dans le fait de
savoir s’il peut exister une charité implicite. Pour y répondre de manière
moins théorique, l’analogie de la foi est éclairante. La charité est une amitié
entre Dieu et la personne. Elle fonctionne au plan surnaturel comme au plan
humain l’amour d’amitié le plus fort entre deux personnes. Existe-t-il une
amitié implicite ? Tel homme, parce qu’il est de bonne volonté, honnête et
disposé à la fidélité, aime-t-il d’un amour implicite Juliette qui est
là ? Est-il possible de les unir dans le mariage, sans autres conditions ?
Posée ainsi, la question revêt un caractère cocasse. Au plan humain, on doit y
répondre de la manière suivante : non, cet homme ne peut être marié à Juliette.
Une seule chose est certaine. Parce que Juliette est, elle aussi, honnête et de
bonne volonté, quelque chose peut les disposer à s’aimer un jour, à condition
1) qu’ils se rencontrent, 2) qu’ils se plaisent, 3) etc. La théologie officielle
définie par l’Eglise au Concile de Trente ne parle pas autrement de la charité
vis-à-vis de Dieu. Pour elle, il ne peut exister de charité implicite, mis
seulement toute une série de dispositions qui, si les personne se rencontrent,
aboutiront certainement à la charité. Ainsi, pour parler avec précision, la
grâce surnaturelle qui anime l’homme dont parle le cardinal Journet n’est pas
la grâce sanctifiante agissant par la charité (voir précédemment) mais
seulement cette attraction mystérieuse qui attire tout homme, sans même qu’il
en ait conscience, vers Dieu. Il s’agit d’une grâce actuelle que saint Thomas
d’Aquin distingue formellement[66] de la grâce sanctifiante.
Il l’appelle la « prémotion divine. »
Existe-t-il donc, pour le cardinal Journet, un salut fondé sur la
seule valeur d’actes de volonté naturelle ? N’est-ce pas en contradiction
flagrante avec premiers chapitres de son ouvrage ? Faisons-lui cependant
justice : interrogé, il aurait certainement précisé sa pensée trop visiblement
contradictoire avec les pages sur la nature de la justification par la seule
charité, en disant, avec le Concile de Vatican II que les hommes ne sont pas
justifiés au sens fort par leur seule bonne volonté ou foi mais « disposés à l’être par cette bonté de leurs
actes, dès que le salut de la charité leur sera prêché. » La pensée du
cardinal Journet nous paraît significative de la gêne des théologiens
catholiques quand ils essayent de faire se rejoindre leurs convictions
dogmatiques et leur expérience à propos du salut par la charité : ou bien la
charité théologale est nécessaire durant la vie terrestre pour être sauvé et
l’on doit admettre la damnation de foules immenses ou bien elle n’est pas
nécessaire et les dogmes de l’Église catholique sont constamment nuancés, interprétés,
déviés de leur sens pourtant précis et sans équivoque. Le dilemme posé par J.J.
Rousseau précédemment ne s’en trouve pas résolu.
Des théologiens catholiques se sont efforcés, tout en gardant la
plénitude des dogmes, de trouver d’autres solutions au problème de la damnation
des païens. Au XXème siècle, on peut citer la tentative subtile de
Mgr Glorieux[67]. Évêque dont l’orthodoxie
et l’écoute du Magistère de l’Église ne peuvent être mis en doute, il s’est efforcé
de résoudre la question du salut de ceux qui paraissent mourir sans la charité.
Il émet une hypothèse qui peut être résumée de la manière suivante[68] :
Mgr Glorieux suppose que, si saint Thomas avait pu terminer sa
Somme, il aurait adopté sa thèse. Il se situe donc résolument dans la ligne du
Docteur Commun. Son intention consiste à aborder, à l'école de saint Thomas, la
question des fins dernières. A son école, c'est-à-dire en s’inspirant de ses
enseignements et des principes qu'il a posés, puisque lui-même n'en a point
traité ex professo, et n'a soulevé
nulle part de façon explicite ces questions de l'impénitence finale et des
grâces dernières[69].
1- Il compare le sort de l’ange et celui de l’homme chez saint
Thomas : l’ange ne se damne qu’à cause d’une obstination définitive, parce que
libre et lucide, dans le péché. « C'est
pourquoi l'ange s'étant délibérément prononcé au moment de son péché contre le
souverain bien qu’était Dieu et s'étant érigé lui-même en fin dernière, il se
trouve de par sa nature même dans l'impossibilité de voir autre chose, de
vouloir autre chose, de s'arracher à son moi pour se retourner vers Dieu. » [70] Or le choix de l’ange et
celui de l’homme sont identiques pour saint Thomas. De part et d'autre,
l’esprit s'immobilise dans la décision prise et devient incapable de revenir
sur elle. Et ceci, d'ailleurs, pour des motifs semblables ; car l'explication
fournie plus haut de l'endurcissement du démon, s'applique de point en point à
l'âme du damné ; si bien que nulle raison n'existe qui puisse la faire revenir
sur son choix. » Volontairement coupable, nécessairement impénitent, il sera l'éternel
ennemi, l’éternel damné. Entre les deux cas : la mort chez l'homme, la chute
chez l'ange, la parité semble absolue pour saint Thomas[71]. »
2- Or cette obstination parfaite ne peut exister sur terre pour
l’homme à cause du corps (passions, raisonnements fragiles.) La doctrine de la
parité entre l’ange et l’homme pour la damnation pose plus de problèmes qu’elle
n’en résout. L’homme, à cause de sa faiblesse n’est pas capable d’une telle
obstination satanique, au moins durant sa vie terrestre.
« Et pourtant s'en tenir à
cette affirmation nous semble trop sommaire. C'est passer à côté de la
difficulté et négliger le véritable problème que pose justement le texte du
Damascène et son exploitation par saint Thomas. Ce qui à première vue
semblerait être la raison décisive du rapprochement entre l'ange et l'homme et
de l'identité dans l'explication de leur éternel malheur à tous deux, n'est-il
pas précisément ce qui différencie leurs cas du tout au tout, et ce qui, pour
être dans la logique des principes posés par saint Thomas, devrait nous faire
reprendre tout le problème pour l'examiner à nouveau de très près ? »
Pour que l'obstination de l'âme s'explique de la même façon et
pour que soit exact ce parallélisme étroit sur lequel insiste saint Thomas
entre le damné et le démon, il faudrait que chez elle, comme chez l'ange, ne se
trouvent, naturellement ni surnaturellement, de causes susceptibles de la faire
revenir sur sa décision ; Qu’aucun élément nouveau n'intervienne après
l'élection dernière à laquelle elle s'est portée, capable de modifier sa façon
de voir et de l'amener à réviser son choix.
3- S’il en est ainsi, Mgr Glorieux se voit obliger de poser
l’hypothèse d’une lucidité parfaite donnée par Dieu à l’homme. Cet état ne peut
exister, selon lui, tant que l’homme est lié à son corps. Le poids de la nature
corporelle emprisonne par trop l’intelligence et le choix pour qu’il ait cette
propriété de lucidité parfaite. Il ne peut donc exister que par la séparation
de l’âme et du corps.
« Qu'on veuille bien
l'observer, le raisonnement de saint Thomas n'a de rigueur et de valeur que si
l'on suppose ce jugement porte par l'âme quand déjà elle se trouve établie dans
un état pareil à celui de l'ange, quand elle est substance spirituelle séparée.
»
Entre l'âme unie au corps et l’âme séparée, il y a un abîme, tant
pour le mode que pour l'objet de sa connaissance. A partir du moment où elle
est séparée du corps, sa connaissance n'est plus comme auparavant acquise en
partant des sens. Elle participe au mode de connaissance de l'ange. Et même si
elle doit être vouée à l'enfer, l’âme reçoit de Dieu tout le bagage d'espèces infuses
qui lui sont dues naturellement. Entre l'âme unie au corps et l'âme séparée,
n'y a-t-il pourtant pas de disparité complète. Dans les deux états, la personne
demeure substantiellement elle-même. Son mode d’exercice spirituel a cependant
été bouleversé, lui permettant une activité de qualité angélique. Le passage
d'un état où les appétits étaient multiples, où le poids du corps était lourd
et aggravait l'esprit subtil, où les passions pouvaient sans cause apparente
arrêter ou brouiller les jugements de l'âme, où les décisions dernières étaient
prises sous cette multiplicité d'appétits, de tendances et d'influences
extérieures, le passage de cet état à un autre où l'âme deviendrait
participante de la simplicité d'appétition qui est propre à l'ange est en effet
très différent au plan psychologique :
« Qu'on le veuille ou non,
le fait même de la mort introduit nécessairement dans l'expérience
psychologique de l'âme une révolution totale, inévitable puisque commandée par
la nature même des choses ; un bouleversement capital, capable et au-delà
d'amener une révision complète des jugements précédents. »
Si on n’admet pas cette hypothèse, on est obliger de reconnaître
que c’est Dieu lui-même qui est positivement responsable de la damnation d’une
âme qu’il fixe dans le choix fragile mais définitif de son dernier instant.
Cette thèse ancienne paraît à Mgr Glorieux par trop opposée à la révélation du
Dieu de Jésus-Christ.
« Si dans ces conditions on
prétendait maintenir malgré tout son incapacité à se déjuger, à réviser ses
décisions antérieures, celle-ci ne pourrait en toute vérité être attribuée qu'à
Dieu qui en déciderait ainsi, et qui lui interdirait, malgré les éléments
nouveaux d'appréciation dont elle disposerait, de revenir sur ce qu'elle a
fait. »
Selon l’auteur, cette hypothèse est thomiste par essence. Encore
qu'il ne le dise pas explicitement, et qu'il ne se prononce pas là-dessus,
toute la logique du raisonnement de saint Thomas suppose que le choix décisif
de l'âme se fait quand s'inaugure pour elle son état d'âme séparée
4- Il émet une objection de la foi à cette hypothèse : le « status viae », celui de
l’apprentissage et du mérite, est fini à la mort. Or cette doctrine est un
dogme de la foi. N'est-ce pas en effet rompre en vision avec toute la tradition,
avec l'enseignement courant que traduit précisément ce langage, que de rejeter
non plus au dernier moment de la vie mais au premier moment de l'après-vie,
comme cette thèse semble bien l'exiger, l’acte qui prononcera du sort éternel
de l'homme ? N'est-ce pas, par le fait, prolonger indûment (ne serait-ce peut
être que d'un instant, mais illégitime déjà) le « status viae » et placer la détermination dernière et le véritable
dénouement du drame du salut personnel quand déjà le « status termini » est commencé ?
5- En s’appuyant sur une méthode thomiste, il trouve une réponse à
cette objection. Il arrive à résoudre cette objection en se servant de
l’analyse thomiste du mouvement et en l’appliquant au sens du mot mort. Il montre que plusieurs significations se cachent sous ce mot :
a- Le processus d’agonie qui prépare la séparation de l’âme et du
corps ;
b- L’acte même de cette séparation qui lui semble nécessairement
instantané ;
c- Ce qui suit cette séparation.
On reconnaît là la classique analyse thomiste du mouvement :
avant, pendant, après. La pointe de sa recherche se trouve dans un travail
philosophique puis théologique sur l’instant de la séparation. Il croit pouvoir
lire dans saint Thomas d’Aquin que rien ne s’oppose à ce qu’un mouvement,
pourtant instantané, puisse être en même temps le lieu d’une extrême activité.
On le voit selon lui dans des exemples tels que la création, la mutation.
Appliquée à l’instant de la mort, cette considération peut se ramener à quatre
points :
a- La mort implique séparation de l’âme d’avec le corps qu’elle
informait précédemment ; Il n’y a donc pas de mort tant que l’âme demeure unie
au corps, si peu que ce soit, puisque union et séparation, être uni et ne pas
être uni, sont opposés contradictoirement.
b- Cette séparation est instantanée ; Et par le fait même, se
séparer et être séparé, se confondent.
c- En l’instant où se réalise cette séparation, rien ne s’oppose à
ce que puisse s’exercer une riche activité d’ordre spirituel de connaissance,
d’appétition, de libre adhésion.
d- Si enfin, à cet instant précis de la séparation, de la mort,
l’âme exerce une activité, celle-ci revêtira les caractères des opérations
propres aux intelligences séparées.
Pour Mgr Glorieux, ces quatre points paraissent aptes à être
soutenus en philosophie, sans que la révélation chrétienne soit nécessaire.[72]
Dans un second temps, il émet l’hypothèse que cet instant de la
mort, celui qu’il vient de décrire comme siège d’une activité spirituelle de
type angélique (propre aux intelligences séparées), fait encore partie de la
vie terrestre, c’est-à-dire de l’état d’union entre l’âme et le corps
(hypothèse difficile s’il en est puisqu’il admet dans le même temps que l’âme
exerce alors son activité spirituelle de la même manière que le décrit saint
Thomas d’Aquin pour les esprits sans corps.
6- A partir de cette hypothèse qui sera ensuite élaborée de
manière impressionnante par Ladislas Boros[73], P. Glorieux peut justifier
avec force des domaines mystérieux de la théologie.
« Il reste néanmoins que, transposé dans ces conditions que nous
ne pouvons que malaisément entrevoir, le geste décisif de l'homme s'ouvre à
d'étranges perspectives. La mort, même celle du pécheur, n'est plus le
coupe-gorge ou l'embuscade que, dans certaines façons de présenter
l'impénitence finale, Dieu semble lui dresser (...) Elle apparaît comme plus
digne de l'homme et plus digne de Dieu. »
Il y voit aussi l’explication dernière au mystère de l’éternité de
l’enfer, le damné s’étant obstiné jusque dans les grâces de l’instant de la
mort, donc en pleine lucidité spirituelle à la manière des démons. Il y voit la
solution au problème du salut des païens à qui la miséricorde divine peut être
appliquée de manière ultime, à travers une révélation spirituelle et intuitive
de l’Évangile.
« L’âme pourra d'autant
moins reprocher à son Dieu sa damnation qu'à ce moment-là, pour la dernière
fois il est vrai, la grâce lui sera offerte. Et là encore, toutes sortes de
perspectives s'offrent à la spéculation théologique ; car c'est là que vient se
placer précisément le problème des grâces dernières. Dans ce combat dernier où
se joue le sort de l'âme, un élément prépondérant peut intervenir : la grâce.
»
Selon lui, non seulement les lumières nouvelles qui devraient être
naturellement données même à l'âme destinée à l'enfer, puisque ce mode de
connaissance lui devient connaturel ; Non seulement la libération soudaine de
l'âme soustraite aux chaînes de son corps, de ses sens et de ses passions ;
toutes choses inséparables de cet état nouveau et qui demeureront quelle que
soit l'issue du débat ; mais auprès d'elles les ressources infiniment variées
et riches de la grâce actuelle ; Les lumières qui peuvent être données à
l'intelligence et aller jusqu'à l'éblouissement ; Les attraits qui peuvent être
déposés dans la volonté et l'emporter sans peine sur toutes les résistances
invétérées. Ainsi, si l'homme se damne, sa réprobation n'est en aucune façon
imputable à Dieu, car même alors le secours véritablement suffisant lui aura
été présenté.
Il réfute à l’avance une accusation qu’il prévoit : son hypothèse
ne rend-elle pas le salut par trop facile
? « Ce n'est point d'ailleurs décréter
par avance le salut de tous les pécheurs et fermer l'enfer devant eux, que de
reporter (comme la thèse de saint Thomas semble nous y engager) le choix
dernier de l'âme dans les conditions que l'on a dites. L'ange a pu pécher, lui
qui pourtant avait la lumière autrement vive que notre pauvre âme humaine. Et
l'homme se trouve moins assuré encore que l'ange de son salut. II serait
inexact, croyons-nous, de vouloir utiliser cette thèse au profit de l'opinion
ultra-miséricordieuse. »
Mgr Glorieux reste volontairement en retrait de certaines
conclusions qu’il voit se profiler derrière sa thèse. La question des grâces de
l’heure de la mort intéresse notre propre recherche. Il ne se prononce pas.
« Nous n'avons point voulu
aborder précédemment ce problème très contesté de révélations dernières faites
par Dieu à toutes les âmes au moment de la mort. Ni le dogme de la grâce
suffisante, ni celui de la miséricorde divine ne requièrent cela pour ceux qui
ont connu la vraie foi et auxquelles suffisent les grâces de rappel, de lumière
ou de force sans que s'y joigne une révélation divine. Mais ne pourrait-on pas
le supposer, du moins avec une certaine vraisemblance, pour les âmes qui ont
besoin non seulement de grâces actuelles pour se sauver, mais de foi, et donc
de révélation. »
De même, son hypothèse ne lui paraît pas porter en elle une solution
définitive à la question du salut des enfants. Il reste très prudent, comme en
retrait. Pourquoi ne se permet-il pas d’aller plus loin ? Selon lui, ces divers
problèmes peuvent s'expliquer l'un par l'autre. Mais ils ne s'impliquent pas
nécessairement l'un l'autre. Sans doute les explications seraient-elles
facilitées par la thèse qu’il expose. Ce n'est pas là cependant un argument
suffisant à ses yeux pour les ériger en certitudes. Mais la thèse elle-même ne
dépend pas de ces applications lointaines plus ou moins assurées. Plus modeste
dans ses prétentions, elle a voulu uniquement s'autoriser des principes posés
par saint Thomas dans l'explication qu'il fournit de l'obstination des démons
et, partant, de la justice de Dieu dans le châtiment qu'il leur inflige. Nous
montrerons plus loin que notre propre recherche aborde de façon tout autre
cette question.
« Nous n’irons pas jusqu’à
dire qu'il en pourrait être ainsi même pour les enfants, car il ne faut point
compromettre de bonnes causes par d'imprudentes hypothèses. Pourtant on ne peut
oublier que, même pour les enfants morts avant le développement de leur raison,
l’état d'âmes séparées dans lequel les plonge la mort, implique également aussi
bien que pour les adultes, et aussi connaturellement, l’infusion d'espèces
intelligibles qui leur permettent de ne pas demeurer éternellement dans la
torpeur ou l'hébétude, mais d'avoir une vie et une activité semblable à celles
des anges. Mais on reste là dans le domaine naturel ; une révélation nous
transporterait dans le domaine surnaturel pour lequel on ne peut rien affirmer,
si Dieu lui-même n'a rien certifié. »
Le problème de Mgr Glorieux, s’il ne l’avoue pas, semble être le
suivant : Pour ce qui concerne les enfants morts sans baptême, la grâce de Dieu
leur serait proposée après la réception d’espèces intelligibles qui les
rendraient capables de juger. Or cela se passerait nécessairement après leur
mort. Il y a ici pour le coup contradiction flagrante avec le dogme de la
foi. Les artifices de la dialectique n’y peuvent rien changer, à moins
d’admettre que, dans l’instant de la mort, les enfants soient rendus à la fois
mûrs au plan naturels et saints au plan de la grâce.
Dors et déjà, on peut émettre à la thèse de Mgr Glorieux les deux
réserves suivantes :
1) N’est-il pas limite en théologie, en utilisant un artifice
logique thomiste, d’arriver à conclure que l’état d’une âme séparée fait partie
intégrante de la vie terrestre ? Nous verrons ultérieurement que c’est sur ce
point là que notre propre recherche se sépare de celle de cet auteur.
2) Plus grave encore, il affirme que l’homme devient enfin
lui-même quand son âme, enfermée dans le tombeau du corps, en a été totalement
séparée. Cette thèse de type platonicienne, est en contradiction avec la foi en
la résurrection de la chair. Elle identifie trop l’homme à l’ange et néglige
l’immense richesse qu’est pour l’homme le fait de posséder un psychisme et un
corps physique. Nous montrerons ultérieurement à quel point il est important de
respecter l’homme dans la plénitude de sa nature et de ne pas confondre le
poids du corps comme conséquence provisoire du péché originel, avec la nature
du corps. Notre thèse rendra sa place au corps.
Ladislas Boros n’a pas les exigences d’orthodoxie de Mgr Glorieux.
Il connaît sa thèse mais il s’en sépare et assume plènement ce que l’évêque
n’approchait que du bout des lèvres : l’inutilité du corps, la disparition
définitive de la chair pour la réalisation du choix éternel. Il élabore de
manière impressionnante les conséquences théologiques de ce présupposé
platonicien[74].
1- La mort n’existe plus.
Ladislas Boros se sépare résolument de la problématique thomiste
et dogmatique de Mgr Glorieux. Il s’appuie sur une conception résolument
platonicienne de l’homme pour réinterpréter les dogmes catholiques, depuis
celui de la résurrection à celui du purgatoire et du jugement dernier. Ainsi,
il commence sa recherche en se démarquant par rapport à la conception thomiste
de la mort. Habituellement la mort de l'homme est conçue comme la « séparation de l'âme et du corps. » Mais est-il encore possible
d'admettre une telle séparation ? A Jérusalem, devant le Sanhédrin, saint Paul prononça
cette parole si importante pour notre interprétation de la mort : « C'est pour notre espérance, la
résurrection des morts, que je suis mis en jugement »[75]. Au centre de la
prédication chrétienne se place cette affirmation : dans la Résurrection du Christ
la mort a été vaincue. Depuis lors, ce qui se passe à la mort de l'homme
n'est plus une limite absolue de la vie. Il n’y a plus de mort donc,
conséquemment, la résurrection est l’heure de la mort. Boros résume sa
recherche de la manière suivante : « Nous
pourrions formuler brièvement notre opinion -déjà soutenue ailleurs- dans les
termes suivants : à ta mort s’ouvre la possibilité de la première décision
pleinement personnelle de l’homme. La mort est ainsi le lieu de la prise de
conscience de l'homme, de la rencontre de Dieu et de la décision sur le destin
éternel. »
Pour mesurer toute la portée de cette hypothèse, il présente
d'abord les raisons qui l’amènent à considérer la mort de l'homme avec tant
d'espérance. Son hypothèse implique que c'est seulement au moment de la mort
que l'homme peut déposer l'aliénation de son existence ; c'est seulement à la
mort qu'il est suffisamment en possession de son être pour rencontrer
totalement Dieu -dans le Christ- et se décider définitivement par rapport à lui.
« Tels sont les principes dont nous partons pour repenser la théologie de la
mort. »
2- Lié à son corps,
l’homme est dépossédé de lui-même. Avant la mort, l’homme est
comme étranger à lui-même, à ses aspirations et à leurs réalisations. Les plus
belles expériences de Dieu que nous faisons dans notre existence restent
toujours à la surface. Notre relation avec Dieu est irréelle, incertaine et
sans consistance : ce ne sont que des passages fugitifs. Une étrange incapacité
règne à l'intérieur de nous-mêmes : l'incapacité de voir et de faire l'unique
nécessaire. L'homme est incapable de jouir de la plénitude de son désir. Dans
la connaissance, l'homme saisit par anticipation l’absolu mais ne peut en
approcher. Connaître signifie que l'esprit reçoit en lui-même une vérité qu’il
peut saisir. L'amour humain dépasse toute réalisation. Dans l'amour deux
personnes réalisent une unité d'être lorsqu'elles prononcent avec vérité le mot
« nous. » Mais l’homme est condamné par sa condition à ne faire
qu’approcher la réalisation d’un tel amour. Comment un monde transfiguré
peut-il s'élever de cette vie déchirée ?
3- Libéré du corps,
l’homme devient pleinement lui-même. Pour la première fois, son
intelligence s’exerce dans sa pleine dimension : fait pour la connaissance et
l’amour infinis. A la mort, dans la perte totale de l'extériorité, surgit
l'intériorité totale. Ainsi, dans la mort seulement, l'homme devient
parfaitement lui-même, une personne définitive. « Considérons dans son ensemble l'analyse que nous avons amorcée du
désir, de la connaissance et de l'amour humains. Au centre de tous ces actes de
l'existence il y a une rencontre claire, franche et pleinement personnelle avec
le Christ, avec l'Inconditionnel devenu contingent, comme le point Oméga, la
condition de possibilité de l'humanisation totale. C'est seulement à l'instant
où cela se réalise avec une totalité existentielle que l'homme naît vraiment. »
Nous voyons que son esquisse de la structure de l'existence
humaine implique déjà une affirmation importante sur la mort, et cela dans le
sens de l'hypothèse, formulée au début, de la décision finale au moment de la
mort. A la mort seulement l'homme devient totalement une personne ; à la mort
seulement il peut obtenir définitivement son salut en produisant librement son
être propre en face du Christ. Si on prolonge les lignes de cette dialectique,
si on en tire l'ultime conséquence, on obtient l'image suivante de la mort : à
la mort, dans la perte totale de l'extériorité, surgit l'intériorité totale.
Ainsi, dans la mort seulement, l'homme devient parfaitement lui-même, une
personne définitive, un centre d'être totalement autonome. A la mort il devient
définitivement « adulte » ; libre, éclairé, affranchi, capable
de prononcer une décision définitive. Dans cette décision se produit la
rencontre la plus nette de sa vie avec le Christ.
3- Conséquence de son
hypothèse sur la mort : Dans cette perspective, il
peut réinterpréter la théologie des fins dernières. La résurrection signifie
une totalité existentielle, une immédiateté de corps et d'âme par rapport à
l'univers, à l’heure de la mort.
« Le mot « résurrection »
est ici comme un symbole désignant l'interprétation de ce qui ne peut être
interprété, l'explication de ce qui ne peut être expliqué. La résurrection
signifie une totalité existentielle, une immédiateté de corps et d'âme par
rapport à l'univers. La nature corporelle se développe en une personne. L'homme
pose dans sa décision finale sa propre éternité. L'immortalité devient
l'événement concernant la personnalité totale de l'homme comme unité de corps
et d'âme et donc aussi comme résurrection. Dans cette perspective il n'y a plus
de différence entre l'immortalité et la résurrection. »
En voici la conséquence. Boros peut donner un sens renouvelé aux
propositions de la foi. En voici quelques exemples. L'événement de la
résurrection doit être universel. Boros écrit, dans sa perspective de l’option
finale à l’heure de la mort : « L'univers
se concentre dans l’homme. Nous sommes enfants de la terre, d'une terre qui n'est
pas seulement l’espace de notre développement indépendant et autonome, mais qui
appartient à la constitution de notre être. Si notre âme acquiert
l'immortalité, celle-ci doit s'appeler résurrection ; si la résurrection
s'applique à notre corps, elle doit en même temps signifier la transfiguration
de l'univers. »
Le jugement dernier : L'univers doit être jugé
: « Le monde n'est juste que si le bien
est en même temps bon et l'être lumineux. Ce monde n'existe pas encore. Il est
redressé par nous, par notre décision personnelle prise au moment de la mort. »
Dans l'Evangile de saint Mathieu[76] est gardée cette parole de
Jésus : les justes (et aussi les injustes) demandent au Christ : « Seigneur, quand avons-nous fait cela ? »
Quand t'avons-nous vu avoir faim ou avoir soif, être nu, malade, étranger, en
prison ? L’homme a accompli les plus grands actes de la vie sans s’en être
rendu compte. Si on n'affaiblit pas ces paroles du Christ, Boros pense qu’on
peut esquisser, à partir de l'image du jugement présentée par le Christ, une
théologie de la rencontre du Christ.
Le purgatoire : Le jugement est en même
temps le processus de purification « On
peut, dans cette hypothèse, concevoir le « purgatoire » comme la qualité et
l'intensité de l’option pour Dieu réalisée dans la mort. L'amour de Dieu baigne
l'existence en un seul instant. L'être humain doit alors s'élancer vers Dieu de
toutes ses forces. Les êtres humains traverseraient donc, suivant cette
hypothèse, un processus personnel de purification, différent pour chacun, en un
seul instant, à la mort. » A la mort se produit la même décision : c'est
l'effondrement de tout ce que l'homme a accumulé en lui d'aliénation
existentielle. L'homme est placé en face de ce qu'il est réellement, de ce qui
dans son être a une consistance éternelle, son succès est anéanti, sa
puissance dissipée, sa richesse évanouie. Il n'a plus d'appuis extérieurs.
C'est dans ce retour de l'homme à l'essentiel de ses sentiments que consiste
simplement le purgatoire. C'est la
rencontre de l’homme avec son être, la condensation de toute l'existence, un
processus instantané par lequel on devient soi-même dans l'abîme de la mort.
Mais comme l'homme ne peut être ainsi « lui-même » totalement sans ressentir en même
temps dans son propre devenir d'homme la réalité de l'homme qu'il a été, la
rencontre de l'homme avec lui-même monte au niveau d'une rencontre avec Dieu
par l'intermédiaire du Christ.
L’enfer : Dieu ne damne
personne de lui-même
L'enfer n'est pas quelque chose qui nous arrive. Ce n'est pas quelque
chose que Dieu nous impose pour nous punir après coup de nos mauvaises actions.
Il n'y a rien de grand, de majestueux, de brûlant, d'étouffant dans l'enfer.
C'est simplement l'homme même, qui s'identifie totalement avec ce qu'il est
lui-même, avec ce qu'il peut atteindre, réaliser par lui-même. C'est le mode
d'existence d'un homme qui trouve sa satisfaction en lui-même, pendant toute
une éternité.
Le retour du Christ prend une autre lumière. Le
Christ est encore et toujours en devenir. Telle est la réinterprétation de
Boros à propos du retour du Christ : « Le
Christ apparaît à la plénitude de son âge cosmique quand tous les hommes qui
doivent constituer sa « plénitude » (plérôme) l'ont rencontré à l’heure de la
mort dans l'amour qui produit l'unité d'être. »
La descente du Christ aux
enfers. Le Christ a pénétré dans la profondeur du monde. Il est descendu
dans la couche profonde de la réalité, où tout s’unit par les principes. Il
faut voir ici selon l’auteur une profondeur de la terre qui est le lieu où
s'intériorise tout l'être du monde, non seulement l'organisation cosmique, mais
aussi les relations historiques, personnelles et existentielles. » En
pénétrant par sa mort -comme prolongement de la descente de l'Incarnation- dans
la profondeur du monde, dans le « cœur de la terre » (comme le rapporte saint
Mathieu), le Christ s'est rendu présent à toute l'humanité pré chrétienne. Le
monde n'est plus le même qu'avant, en tout ce qui est « profond, « réfléchi et
essentiel », vit le Christ lui-même. »
Le sens de la vie réside dans la préparation
de la mort : « L'homme doit s'efforcer
d'atteindre durant sa vie cette fermeté résolue de l'existence qui lui rendra
possible de prendre à la mort la décision que réclame son être. L'idée d'une
possibilité d'option ultime ne diminue aucunement notre vigilance. L'obligation
qui résulte de la situation clairement envisagée dans laquelle on « va à la
rencontre de la mort comme décision finale « est plus profonde et plus «
exigeante » qu'une simple morale de commandements dans notre existence.
L'obligation résulte de la constitution fondamentale de l'existence même. »
Le sens de la vie consiste dans ta pratique de ta vertu. La « vertu » est l'accomplissement de la capacité d'être de l'homme comme orientation
permanente vers l'essentiel : c'est l'essence de l'homme réalisée par l'effort
personnel et vécue comme témoignage. Elle est le « courant des profondeurs »
du destin réalisé.
Le
cardinal Ratzinger présente et critique cette thèse à travers ce qu’il en
connaît par son principal défenseur, Ladislas Boros[77] qui en est le théoricien principal. Il le cite : « La mort offre à l’homme la possibilité de
son premier acte totalement personnel, elle est donc le lieu existentiellement
privilégié de la prise de conscience, de la liberté, de la rencontre avec Dieu
et de la décision sur sa destinée éternelle. » Ratzinger s’efforce de comprendre les raisons qui ont poussé
Boros à établir une telle doctrine qui lui paraît exagérée. Il croit pouvoir
les trouver dans la distance réelle entre une vie terrestre courte et marquée
des nombreux conditionnements de la liberté, et d’autre part un choix éternel
et définitif qui se fonde sur elle. En conséquence, il paraît nécessaire
d’admettre que Dieu qui est juste laisse à l’homme un moment de liberté de type
angélique. Mais ici justement se manifeste selon Ratzinger la faiblesse de
la thèse de Boros : elle voudrait finalement faire de l’homme un ange et, sans
le dire, elle tient pour irrecevable la spécificité de la condition humaine.
Cette critique, à quoi on devrait ajouter le défaut d’indices empiriques et de
tradition théologique convaincante, ne répond évidemment pas à la grave
question que sous-entendent ces réflexions. Pour un jugement dont l’enjeu est
éternel, ne faut-il pas exiger en fait une autre liberté ? Ratzinger le
reconnaît et il mérite d’être cité : « Il
faut admettre que la conception traditionnelle a sur ce point une réflexion
beaucoup trop limitée. La vérité de l’homme qui devient définitive dans le
jugement, est cette vérité qui a été la direction fondamentale de son existence
dans l’ensemble de sa vie et de sa conduite. Mais, dans la somme des décisions
qui font une vie entière, quelle est la direction suprême de l’homme ? »[78]
La critique la plus grave qu’on peut appliquer, semble-t-il à Mgr
Glorieux et à L. Boros est la réduction platonicienne qu’ils font du corps à un
tombeau provisoire de l’âme. De fait, bien qu’ils s’efforcent de s’en défendre
à travers des artifices théologiques, leur système de pensée en arrive à
conclure que l’homme n’est vraiment lui-même, ressuscité selon Boros, qu’après
la rupture avec le corps.
Pour terminer notre panorama des tentatives théologiques, parmi
les théologiens qui admettent que le salut n’est ouvert qu’à la charité
surnaturelle, certains parmi les disciples de Boros, simplifiant sa pensée,
admettent la possibilité d’une justification après la mort. Ils sont peu
nombreux et très largement critiqués par ceux qui reconnaissent à la nature
humaine, corps et âme, une valeur substantielle voulue par Dieu. Cependant,
leur tentative platonicienne manifeste une fois de plus le trouble de la
confrontation entre cette charité si nécessaire, la faiblesse des choix humains
terrestres et la certitude que Dieu veut sauver tous les hommes. La théologie
des fins dernières dans sa version catholique en est rendue là.
Le salut par la charité ne fut pas universellement enseigné par
tous les chrétiens. Nous avons montré d’autre part comment l’amour de Dieu
révélé à la croix fut source pour les théologiens catholiques jusqu’à
aujourd’hui de questions insolubles à propos du « comment » concret de
l’arrivée de ce salut pour tous les hommes avant que l’heure de la mort ne les
fige à tout jamais loin de Dieu. Historiquement, la doctrine catholique a
toujours enseigné le salut par la charité. Elle ne s’est jamais contredite sur
ce point, au moins dans la succession de ses papes et de ses docteurs reconnus.
Dans la pratique, la réalité est moins simple. Les périodes de décadence
spirituelle sont fréquentes. L’une des grandes tentations de l’Église latine,
présente à travers toute son histoire, consiste en une tendance à donner une
place quasi absolue au mode sacramentel de la prière (sacrements et
sacramentaux) et des œuvres extérieures pour le salut. Que n’a-t-on entendu,
jusqu’à une période récente, sur la damnation de celui qui n’a pas le temps de
se confesser à un prêtre. Au début du XVIème siècle, la prédication
du clergé n’exaltait pas seulement les sacrements mais aussi des sacramentaux
comme les prières indulgenciées. Confronté à une Église vivant trop souvent la
charité comme un commerce de mérites accumulés et d’indulgences dispensant de
la souffrance expiatoire du purgatoire, la conscience de certains fidèles
s’émût. C’est l’époque de Luther et de son fils spirituel Calvin.
Pour notre recherche, l’apparition d’un deuxième grand pôle de la
théologie du salut dans l’Église est de grande importance. Nous allons montrer
que pour Luther et toute la Réforme, dans la lignée de la religion d’Abraham,
c’est la foi et la foi seule qui justifie
et mérite l’entrée dans la gloire. Or cette foi est distincte de la charité. La conception du
christianisme en est bouleversée. On le sait, dans toute forme de pensée, une
légère différence dans le principe fondateur se répercute avec force dans les
applications existentielles.
Pour développer sans la déformer la pensée de ces deux
réformateurs de la théologie, nous nous sommes référés à certains de leurs
écrits personnels (voir la bibliographie générale), à Melanchthon, l’auteur de
la confession d’Augsbourg. Nous avons aussi été aidés et confirmés par le Père
Frost, représentant catholique auprès du Conseil Oecuménique des Églises
(Genève).
- Luther, sa vie, sa
réflexion
Luther est avant tout un homme profondément religieux. Malgré les
erreurs et les faiblesses dont sa vie est semée, celle-ci a été tout entière
dominée par les grandes questions qui préoccupent le chrétien voulant vivre de
sa foi. C’est tout lui-même, dans toute la profondeur de sa vie intérieure que
Luther a engagé au service d’une œuvre religieuse. Né en 1483 en Saxe, ce moine
augustin semble avoir été travaillé très tôt par de graves crises de conscience
que son directeur ne pourra adoucir. La confrontation journalière entre son
état de pécheur et la haute conscience qu’il a de la grandeur de la justice de
Dieu le mine. Il vit de longues périodes d’introspection dépressive et la
question de son propre salut, du salut des pécheurs ne trouve pas de réponse dans
ce qui lui paraît être la théologie catholique. Comment être certain du salut ?
A cette époque, le Dominicain Tetzel avait entrepris de persuader
les fidèles que le salut s’opère aisément par les œuvres. II proposait « les passeports pour franchir l'océan en
furie, et arriver tout droit au paradis.
» Il utilisait volontiers le dicton à la mode : « Sitôt l'argent tinte dans la cassette, sitôt l’âme en faveur de qui
l'on donne saute hors du purgatoire. Martin Luther, lui, éprouvait dans son
cœur et dans sa chair « qu'il faut entrer
au ciel par beaucoup de tribulations. » Il se dressa donc contre ceux qui,
à ses yeux, incitaient les malheureux chrétiens à se reposer sur la sécurité
d'une fausse paix. Il le fit au nom de ce qu'il appelait « la découverte de la miséricorde » dont il avait reçu la grâce
alors qu'il professait l'Épître aux Romains entre 1514 et 1517 : « Tandis que dans ma méditation, j’examinais
l’enchaînement de ces mots du verset 17 du ch. 1 : « la justice de Dieu se
révèle dans l'Évangile, comme il est écrit : le juste vit par la foi », j'ai
commencé à comprendre que la justice de Dieu signifie celle par laquelle le
juste vit par le don de Dieu, c'est-à-dire par la foi. Le sens de la phrase est
donc celui-ci : l’Évangile nous révèle la justice de Dieu, mais la justice
passive par laquelle, au moyen de la foi, nous justifie Dieu, plein de
miséricorde... aussitôt, je me sentis renaître, et il me sembla être entré par
les portes grandes ouvertes, au paradis même. » Voici que la prédication
des Indulgences lui donnait l'occasion de crier sa découverte. Se doutait-il
qu'en prenant ces positions, il allait déclencher une crise telle que jamais le
christianisme n'en avait traversée de si grave ? Certainement non. Mais à ce
cri, l’Allemagne inquiète et frémissante allait répondre et ce drame d’âme
déclencherait une révolution.
- La foi qui sauve selon
Luther
Selon Luther, la foi a une définition bien précise qu’il distingue
de l’amour. Cette distinction, reconnue par les auteurs de l’époque tant luthériens
que catholiques, nous semble constituer l’axe qui permet de distinguer les deux
Églises. Dans le Credo qu’il laisse
Melanchthon rédiger et qu’il prend le temps de corriger, mot à mot, pour
laisser aux juges catholiques un exposé sûr de ce qu’il prêche, il définit la
foi de la manière suivante[79] : « On instruit également (les gens) de ce qu’il n'est pas question ici
de cette foi qu’ont même les diables et les impies qui, eux aussi, croient les
récits historiques[80] relatant que le Christ a souffert et qu'il est ressuscité des
morts. Celui qui sait que, grâce au Christ, il a un Dieu qui fait miséricorde,
connaît Dieu et l'invoque ; L'Écriture parle de la foi selon que nous l’avons
fait connaître à présent ; Dans Hébreux[81], elle enseigne, au sujet de la foi, que croire, ce n'est pas
seulement avoir connaissance des faits historiques, mais avoir une ferme
confiance en Dieu, avoir la ferme assurance de recevoir ce qu’il promet. Et
Augustin nous rappelle aussi que dans l'Écriture nous devons comprendre le mot «
foi » de telle sorte, qu’il veut dire la ferme confiance en Dieu, la ferme
assurance qu’il nous fait miséricorde, et non la simple connaissance des faits
historiques, tels que les diables, eux aussi, les connaissent.[82] »
A la suite de saint Thomas d’Aquin[83], Luther distingue dans
l’Ecriture plusieurs sens du mot « foi. » Il en existe dans l’Ecriture au moins
six. « L’acte d’une puissance ou d’un habitus dépend toujours de
l’adaptation de la puissance ou de l’habitus à son objet. Or l’objet de la foi
peut se présenter de trois façons. Croire appartient à l’intelligence
en tant qu’elle est portée par la volonté à donner son adhésion ; aussi
l’objet de foi peut-il se prendre soit du côté de l’intelligence elle-même,
soit du côté de la volonté qui la meut. Si on le prend du côté de
l’intelligence, on peut voir dans l’objet de foi deux choses, selon ce que nous
avons dit plus haut. (1) De ces deux choses, l’une est objet matériel de la foi,
et à ce point de vue l’acte de la foi consiste à « croire à Dieu » (Credere
Deum) puisque rien ne nous est proposé à croire, avons-nous dit, si ce n’est dans la mesure où cela
concerne Dieu. »
L’Ecriture sainte exprime ce premier sens quand l’épïtre
aux Hébreux dit[84] : « L’homme
qui s’approche de Dieu doit croire que Dieu existe et qu’il se fait
rémunérateur et qu'il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent. »
(2) « L’autre est la
raison formelle de l’objet ; c’est comme le moyen à cause de quoi l’on adhère
effectivement à telle et telle chose parmi les réalités à croire et à cet égard
l’acte de la foi consiste à « croire Dieu » (Credere Deo) car, avons-nous dit,
l’objet formel de foi c’est la vérité première, et c’est à elle que l’on
s’attache pour adhérer par elle à ce qu’on croit.
L’Ecriture sainte exprime ce deuxième sens dans l’épître
de Jacques[85] : « Toi, tu crois qu'il y a un
seul Dieu ? Tu fais bien. Les démons le croient aussi, et ils tremblent. » Les démons croient car leur
intelligence est suffisamment perspicace pour savoir que ce qu’il dit ne peut
être que vrai.Mais leur foi n’implique aucun amour.
(3) Enfin, si l’on
regarde l’objet de foi de la troisième manière, en tant que l’intelligence est
mue par la volonté, alors c’est « croire en Dieu » (Credere in Deum), qui est
l’acte de la foi ; car la vérité première se réfère au vouloir en tant qu’elle
s’offre comme une fin. » L’Ecriture sainte
exprime ce troisième sens dans de nombreux textes[86] : « Abram crut en Yahvé, qui le
lui compta comme justice »
Selon Luther, la foi qui sauve est cette foi là. Dans la Confession
d’Augsbourg, Melanchthon situe d’ailleurs l’amour en rapport avec les œuvres,
c’est-à-dire en second lieu. Il ne
nie pas l’importance des œuvres mais manifeste que seule la foi qui les fonde
justifie. L’amour lui paraît être une conséquence naturelle de la
reconnaissance de celui qui se sait sauvé.
(4) Si l’on suit l’Ecriture, il existe un quatrième sens du mot « foi
», identifiable à la charité. Saint Thomas d’Aquin l’appelle « la foi formée »[87] et cite saint Jacques[88] : « Veux-tu savoir, homme insensé,
que la foi sans les œuvres est stérile ? » Pour lui, celui qui
a confiance en Dieu peut, en outre entrer avec lui dans une autre dimension.
S’il se met à vivre dans l’intimité de Dieu d’un amour réciproque et agissant,
d’une amitié adulte, alors sa foi devient agissante au sens profond du terme,
elle devient vivante et elle fait entrer dans le salut. Luther s’oppose
explicitement à cette conception. Il ne définit jamais l’amour à la manière de
l’Église catholique, à savoir comme une amitié qui élève l’homme dans un
rapport de tendresse d’égalité avec Dieu. Sans doute doit-on trouver ici
l’explication de l’absence de vie religieuse contemplative dans la Réforme.
Elle n’a jamais été comprise par Luther, son noviciat augustinien ne lui ayant
appris à la vivre que sous le mode d’une pratique extérieure. « En second lieu, on enseigne qu'on a le
devoir et que la nécessité impose de faire des œuvres bonnes, non pour y mettre
sa confiance, afin de mériter la grâce, mais pour l'amour de Dieu et pour sa
louange. C'est toujours la foi seule qui saisit la grâce et la rémission des
péchés. »
(5)
Il existe deux autres sens du mot foi, prise cette foi du côté des effets. Il
peut s’agir du fruit du Saint Esprit[89]
: « Mais le fruit de l'Esprit
est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, foi dans les autres,
douceur, maîtrise de soi : contre de telles choses il n'y a pas de loi. » Celui qui vit dans l’a
charité developpe en lui, comme un fruit surnuméraire, ces qualités
intérieures.
(6) Enfin, un sixième sens relève du charisme. La foi charismatique est visible chez celui qui rayonne
extérieurement la confiance en Dieu. Saint Paul en parle[90]
: « A chacun la manifestation de
l'Esprit est donnée en vue du bien commun. A l'un, c'est un discours de sagesse
qui est donné par l'Esprit ; à tel autre un discours de science, selon le même
Esprit ; à un autre la foi, dans le même Esprit. »
On le voit, la complexité de la notion
de foi implique une extrême précision théologique.
- La justification par la
foi seule
C’est au niveau proprement théologique de la parole de Dieu que
Luther trouve la réponse qui le libère. Il découvre le sens véritable de la
justice de Dieu dans le texte clef de l’épître aux Romains : « Car en lui (l’Évangile), la justice de
Dieu se révèle de la foi à la foi comme il est écrit : Le juste vivra par la
foi. » [91]. Ce texte fait le lien
explicite entre justice de Dieu et foi. C’est par la foi et non plus par la loi
que, dans la nouvelle Alliance de l’Évangile, la justice de Dieu se révèle. Par
la foi, Luther entend une confiance
abandonnée passivement en Dieu qui sauve, ni plus ni moins. Il le
reconnaîtra lui-même face aux critiques catholiques. Elle n’est pas la charité qui
agit dans des œuvres au service de Dieu (réciprocité d’amour d’amitié) ou du
prochain (action). Elle est cette confiance reçue passivement de Dieu par
l’homme blessé et incapable d’agir (le péché originel le rend tel.[92])
Pour comprendre la différence entre la charité catholique et la
foi réformée, il est intéressant de comparer les interprétations de Luther et
de saint Thomas d’Aquin dans leur commentaire respectif de Romains[93] : pour Luther, l’expression
paulinienne « de la foi à la foi »
manifeste la nécessité et la suffisance de la confiance en Dieu pour obtenir le
salut. Pour saint Thomas d’Aquin, le passage de la foi à la foi signifie le passage par étape comme dans
l’architecture d’une cathédrale. On commence par une foi fondation qui est la
simple « connaissance de l’existence
de Dieu et de son salut. »
L’édifice prend forme dans une foi « confiance
en Dieu. » Mais son achèvement, sa
flèche qui touche le ciel est dans une troisième espèce de la foi, la foi vive « Agapé, amour d’amitié. » Saint Thomas d’Aquin, à travers ses
écrits multiples et d’une manière scientifique dans La Somme Théologique, distingue ces différents sens du mot foi.
Dans le traité de la Foi[94], il l’analyse selon son
premier sens : « adhésion de
l’intelligence à la vérité révélée en tant qu’elle se révèle. » Selon lui, cette foi là est présente
jusqu’en enfer où les démons croient, bien qu’ils tremblent[95]. Dans le traité de la
charité, il manifeste que par le péché mortel un homme peut perdre l’amour
d’amitié avec Dieu (la foi vive, Agapé),
tout en gardant une foi informe (la foi morte). Cette foi morte est plus que la
simple connaissance de Dieu. Elle peut impliquer la confiance en Dieu et même
un certain amour : l’homme garde, malgré le péché qu’il ne reproche qu’à
lui-même, sa confiance en Dieu mais la conscience de son action mauvaise lui
interdit l’exercice d’un amour d’amitié réciproque avec Dieu tant qu’il ne se
l’est pas réconcilié par une sincère confession, contrition et pénitence. Tant
qu’il ne l’a pas fait, son amour n’ose plus s’appeler amitié réciproque. Dieu
est aimé de plus loin, comme Créateur ou comme Sauveur, mais plus comme l’ami
et, d’une certaine manière, l’égal. La foi-confiance est certes présente dans
l’amitié mais elle ne nécessite pas l’amitié : elle peut être le fait du serviteur pour son maître, du militaire
pour le capitaine qu’il admire.
La pensée de Luther, surtout dans ce qu’elle comporte d’original,
se présente comme une suite de l’intuition fondatrice qui est sienne concernant
le rôle suffisant de la foi-confiance pour le salut. On le voit, c’est bien sa
propre expérience de désert spirituel qui est source de la force qu’il imprime
à sa découverte. La foi est le salut en ce sens qu’elle manifeste la présence,
à l’état de germe dans l’homme, d’une œuvre salvifique initiée par Dieu et
qu’il épanouira avec certitude en gloire dans l’autre monde. L’homme est
certain de la chose suivante : ce que Dieu a commencé et que l’homme a reçu
passivement, sans que ses œuvres ou sa liberté intervienne, mais par un don gratuit,
Dieu l’achèvera dans l’autre monde. En ce sens, s’il a la foi, l’homme est
absolument certain de son salut. Luther trouve donc le moyen de libérer le
croyant de toute angoisse vis à vis de son destin éternel puisqu’il lui assure,
par la même qu’il a confiance en Dieu, au delà de son irrémédiable état de
pécheur, qu’il sera sauvé par le seul fait de l’action commencée par Dieu.
Fondé sur l’Écriture, Luther est illuminé par l’intuition que
seule la foi justifie. Il ne s’agit nullement d’opposer la foi aux œuvres,
comme le fera une certaine scolastique protestante ultérieure, mais de
souligner la nouveauté radicale, par rapport à la loi de l’Ancien Testament ou
à l’activisme dévot de certains catholiques, de l’attitude de foi demandée au
chrétien en réponse à l’initiative de salut révélée en Jésus-Christ. C’est
ainsi que l’insistance de Luther sur la justification par la foi seule est liée
chez lui à cette autre intuition, centrale elle aussi, que le salut est offert
en Jésus-Christ de manière totalement gratuite.
A cause de sa nature originellement scrupuleuse, Luther aura
tendance à trouver dans son intuition un remède d’ordre psychologique à
l’angoisse du salut. Souvent, sous le couvert de formules théologiques tirées
de la Bible, il montre que parce qu’il discerne en lui l’existence de cette foi
au salut apporté par le Christ, l’homme peut en retirer la certitude,
psychologiquement sentie, d’être sauvé. C’est d’ailleurs au yeux du réformateur
la seule vertu qui compte dans ce domaine du salut puisque l’homme,
radicalement vicié par les conséquences du péché originel, n’a aucun rôle actif
dans sa propre justification. Il reçoit entièrement le salut de Dieu, sans
aucune initiative vers la grâce offerte. Affirmer autre chose serait nier la
souveraineté de Dieu et la gratuité totale du salut qui seule convient dans les
rapports entre l’homme et Dieu.
- Les œuvres ne sauvent pas,
la charité non plus
Puisque
par la foi le Saint Esprit nous est donné, le cœur, à son tour, devient disposé
à faire des œuvres bonnes. Car, avant d'avoir reçu le Saint Esprit, il est trop
faible ; de plus, il est au pouvoir du diable qui pousse la misérable nature
humaine à commettre de nombreux péchés. Nous le voyons chez les philosophes qui
se sont avisés de mener une vie honnête et irréprochable, mais qui, malgré
cela, n'y sont pas parvenus et sont tombés dans nombre de péchés grossiers et
manifestes. II en va de même pour l'homme qui, étant en dehors de la vraie foi,
est privé du Saint-Esprit et n’a, pour se diriger, que ses propres forces
humaines.
C'est
pourquoi il n'y a pas lieu de reprocher à cette doctrine de la foi de proscrire
les bonnes œuvres ; tout au contraire, il faut la louer de ce qu'elle enseigne
à faire des œuvres bonnes et de ce qu'elle nous en offre le moyen. Car, en
dehors de la foi et hors du Christ, la nature et le pouvoir de l'homme sont
beaucoup trop faibles pour qu'il puisse faire des bonnes œuvres, invoquer Dieu,
être patient dans la souffrance, aimer son prochain, exercer avec soin les
fonctions de sa charge, être obéissant, fuir les mauvais désirs, etc. Ces
grandes et véritables œuvres ne peuvent être accomplies sans l'aide du Christ,
comme il le déclare lui-même dans Jean[96] : « Sans moi, vous ne pouvez
rien faire. » Et l'Église chante : « Sine tuo numine (Sans ta divine puissance), nihil est in homine, (rien
dans l'homme), nihil est innoscium, (rien
n'est innocent) » (Liturgie de la
messe de la Pentecôte : Veni sancte
spiritus et emitte caelitus.)
La théologie réformée, dont nous avons manifesté l’originalité
propre, apporte-t-elle une solution satisfaisante à la question du salut des
incroyants ? Tel est, rappelons le, l’axe de nos prolégomènes puisqu’il s’agit
de manifester l’impasse où se trouve selon nous toute théologie chrétienne en
ce domaine, face à l’Évangile, quelle que soit sa logique.
Marqué par sa propre expérience de pécheur, Luther croit en la
corruption totale de la nature humaine. Il n’y a donc de mouvement que de Dieu
vers l’homme et le mouvement inverse est impossible. Le salut se reçoit
passivement et la foi est la preuve que l’on est sauvé. Cette doctrine, belle
dans sa simplicité, semble pouvoir définitivement rassurer le croyant pécheur
sur son salut. Cependant, que devient-elle lorsqu’on l’applique aux incroyants
pour comprendre la manière dont Dieu les sauve ?
Logique avec lui-même, Luther développera dans ses œuvres
tardives, notamment dans son commentaire de l’épître aux Galates publié en 1534[97], une doctrine de la justification
prise du côté de Dieu : il impute de l’extérieur sa justice aux hommes et
ceux-ci n’en sont que les réceptacles passifs. Il attaquera aussi la doctrine
catholique de la charité dont il niera toute possibilité d’exercice à la
manière d’une amitié réciproque et co-active (les œuvres).
Luther ne développera pas de doctrine cohérente avec ses principes
concernant la question du sort des incroyants. C’est à son fils spirituel
Calvin que l’on doit une telle recherche.
Calvin est de vingt-cinq ans le cadet de Luther. Il ne fait pas
œuvre de réformateur mais de penseur. Sa vocation consiste, il le dit lui-même,
à mettre au service de la Réforme son intelligence. L’intérêt de son œuvre
consiste dans son aspect systématique. Il pousse jusqu’à leurs ultimes conclusions
les principes que Luther ne fait qu’exposer dans leur beauté native. L’esprit
de système le domine au point qu’il ne sera pas suivi par tous les réformés.
Pourtant, ses conclusions sont filles de Luther. Réfléchissant au mystère de
Dieu qui donne sa grâce à ceux qu’il appelle, Luther pose au centre de sa
théologie le principe suivant : Dieu est souverain, Créateur et régisseur de
toutes choses. Ceci s’exprime dans la devise qu’aiment les calvinistes : « Soli gloria Deo. » Que soient attribuées à Dieu toute initiative et toute vertu,
afin qu’il soit affirmé et confessé maître et souverain de toute chose. La
souveraineté absolue de Dieu est même le critère interne, le principe au sens
aristotélicien de la dogmatique calviniste.
Puisque Dieu est souverain, déterminant toutes choses, sa volonté
toute juste est pour l’homme une règle décisive. « Nous ne sommes point nôtre, nous appartenons au Seigneur. » Telle
est la première entrée à l’obéissance de la foi.
Fondé sur ce principe, la question de l’existence d’incroyants
trouve aussitôt sa solution pour Calvin : s’ils n’ont pas la foi et donc s'ils
ne sont pas justifiés, c’est que Dieu dans sa sagesse l’a voulu ainsi. Et
puisque la foi est un don de Dieu que nul homme, tant à cause de sa nature
corrompue que de la valeur surnaturelle de ce don ne peut obtenir par lui-même,
c’est donc que Dieu a voulu dans sa sagesse que certains meurent sans la
justice de la foi. Ils sont damnés pour l’éternité non par leur faute mais par
un acte de prédestination souverain, de même que ceux qui sont sauvés ne le
sont pas par leurs mérites mais par un acte souverain de prédestination. On le
voit, cette position découle tout droit, avec cette logique raide et linéaire
dont nous avons parlé, du point de vue de la souveraineté absolue de Dieu, qui
détermine tout et n’est déterminée par rien. Aussi arrive-t-il à poser une
double prédestination, l’une à la vie, l’autre à la mort : « Les uns sont prédestinés à Salut, les autres à damnation. » [98] Calvin n’a ici qu’un refuge
: la volonté de Dieu qui est pure, juste et bonne par elle-même.
Pensant à l’élection des croyants, dont il était, Calvin voyait
dans sa doctrine un motif de joie et d’assurance. Mais ses disciples se sont
révoltés souvent devant cette prédestination directe et positive de certains à
la mort. La critique adressée à Calvin atteint aussi Luther. La doctrine du
salut par la foi ne résout en rien la question du salut des incroyants pour qui
cependant le Christ est mort. Elle oblige effectivement à conclure avec Calvin
que si Dieu ne donne pas la foi à certains, c’est que, mystérieusement, il y
trouve un motif de sagesse. Pourtant, elle laisse le théologien réformé devant
le même scandale que le théologien catholique qui réfléchit au salut par la
charité. Elle ne fait qu’élargir le domaine du salut aux autres religions qui
vivent de cette foi théologale, principalement les juifs et les musulmans.
Certains protestants ne reconnaîtront même pas à ces hommes la qualité de
croyants au sens de Luther puisqu’ils n’ont pas explicitement Jésus-Christ au
centre de leur démarche religieuse. Ainsi, le scandale du septième sceau de
l’Apocalypse reste entier. Il s’agit du scandale du silence de Dieu qui de
fait, ne se révèle qu’à ceux qu’il choisit.
De nos jours, la théologie réformée reste confrontée, tout comme
celle des catholiques, à la question de l’enfer pour ceux qui meurent en dehors
de la justification de Dieu. Elle multiplie les solutions depuis le plus rigide
sectarisme calviniste au libéralisme le plus ouvert. C’est dans la Réforme que
se manifeste pour la première fois dès le XIXème siècle la vision de
l’universalité du salut pour tous les hommes de bonne volonté. L’humanisme
identifié au christianisme se développera dans le luthéranisme avant de se
répandre dans des courants de la théologie catholique. Le Concile Vatican II
saura tirer de ce courant ce qui est bon et qui sera résumé en une phrase : « Tout acte bon dispose(dispose seulement
mais pas davantage) au salut dans lequel l’homme est introduit par la charité. »[99] Il nous faut maintenant
analyser cette position, de plus en plus répandue de nos jours et que nous
avons nommée humanisme chrétien.
Introduction :
Nous laissons de côté toutes les conceptions du salut qui se sont
trompées sur la nature de ce salut. Le messianisme temporel n’est pas un
phénomène moderne puisque déjà les juifs furent tentés de faire de Jésus un roi
terrestre d’Israël. Mais notre étude n’est pas directement concernée par des
pensées comme celle de la théologie de la libération, le marxisme chrétien ou
le millénarisme, toutes conceptions qui attendent un salut terrestre d’une action terrestre bonne. Nous voudrions étudier
celles qui espèrent la vision béatifique par le mérite d’une action terrestre (naturelle et non théologale)
bonne.
Deux courants nous ont particulièrement intéréssé, à cause de leur
impact historique ou contemporain. Le premier exalte une perfection acquise à
force d’ascèse. Nous avons choisi de présenter la pensée de Pélage, plutôt que
tout autre parmi les puritanismes car il est significatif d’un courant se
caractérisant par l’exaltation de la perfection vertueuse.
Nous avons choisi de développer aussi cette forme d’humanisme
moderne, identifié au christianisme par une part importante de l’Eglise
catholique ou des courants réformés. Il exalte la valeur d’attitudes
humainement bonnes comme l’humilité, l’attention aux autres. Sa valeur suprême
est une bonne volonté se traduisant par un réel amour humain pour son prochain.
Mais que ce soit perfection ou humanisme, ces deux courants se
rejoignent dans leur sens d’un salut par une attitude naturelle.
Né dans les années 350, le moine Pélage était doté à son époque
d’une réputation d’ascète. Il est contemporain de saint Jérôme et de saint
Augustin. Sa doctrine est digne d’intérêt pour le sujet qui nous occupe car
elle contient une conception du salut liée à l’activité d’une volonté droite et
conquérante. Notre source principale est sa Lettre à Démétriade où il
expose à travers un enseignement ascétique assez classique, l’essentiel de sa
pensée. Cette doctrine exprime une confiance optimiste dans le bonum naturae, dans les forces et les
possibilités de la nature, qui est l’œuvre de Dieu. Contre tout fatalisme,
contre tout déterminisme, d’où qu’ils viennent, elle exalte la liberté de l’homme.
Dieu a donné à l’homme la possibilité foncière de choisir librement entre le
bien et le mal. La bonté foncière de la nature se manifeste dans les vertus des
païens et des philosophes. Il y a donc une sainteté naturelle qui devient, aux
yeux de Pélage, la seule sainteté réelle. L’exemple des saints antérieurs à la
Loi montre ce que nous pouvons faire[100]. « Si les hommes tels qu’ils ont été créés par Dieu, peuvent ainsi faire
le bien, même sans Dieu, vois tout ce que peuvent faire les chrétiens, eux dont
la nature et la vie ont été instruites par le Christ et qui sont aidés par le
secours de la grâce divine. »
(Lettre 2) Ces mots expriment au mieux la pensée de Pélage sur la grâce. Elle
est une éducation, un enseignement et un secours pour faire mieux que les
autres. Mais elle n’est en aucun cas une surélévation de la nature en vue d’une
vie surnaturelle. La grâce du Christ est nécessaire pour que nous puissions
accomplir plus facilement ce qui nous est commandé par Dieu. Elle consiste dans
l’effet pédagogique de l’enseignement et l’exemple du Christ : Pélage insiste
volontiers sur l’imitation du Christ. Mais il est frappant de voir comment son
commentaire de Philémon[101] fausse habilement la pensée
de l’apôtre : « C’est Dieu qui fait en
nous le vouloir et le faire. Il fait en nous le vouloir par la persuasion et
par la promesse des récompenses ; il fait en nous le faire en disant : celui
qui persévérera jusqu’au bout sera sauvé. »
Dans la logique de Pélage, on pourra dire que l’homme « mérite » par la force de ses actes de vertu l’entrée dans le salut de
Dieu. Cela aboutira à un culte de la perfection morale, assez semblable
extérieurement à celle qui fut cultivée par le Jansénisme, cette doctrine sur
la grâce étant pourtant opposée radicalement aux conceptions pélagiennes.
Dans la perspective ici étudiée, la manière concrète pour l’homme
d’être justifié n’a rien à voir avec un don gratuit de Dieu mais dépend
entièrement de la force morale de chacun. Une fois juste devant Dieu par la
force de sa conduite vertueuse, l’homme est assuré de recevoir en récompense de
ses luttes la vie éternelle et la gloire de l’autre monde. Ainsi, le salut
appartient aux forts et seuls les forts s’en emparent, non par aide de Dieu
mais par conquête personnelle. Bien évidemment, Pélage ne se souciera guère du
sort des païens ou plutôt, devrions nous dire, des faibles qu’ils soient
chrétiens ou non. Le fait qu’il ne se pose pas la question de leur salut et
qu’il les pense simplement voués à l’enfer éternel par punition de Dieu est
significatif : son système de pensée n’est pas centré sur la charité ni même
sur l’amour humain mais sur des valeurs plus viriles à ses yeux. Ce système de
pensée est bien évidemment un contresens évangélique. Il permet cependant
d’éclairer notre recherche en dévoilant par mode d’analogie celui que nous
allons présenter maintenant. En effet, à notre époque, les tentatives pour
expliquer la manière dont l’homme incroyant mais de bonne volonté est justifié
se multiplient. Elles s’expliquent par la multiplication du nombre des athées
autours d’une Église davantage consciente des qualités de cœur des
non-chrétiens.
La tentative la plus importante car la plus enseignée et la plus
semblable au christianisme est celle de «
l’humanisme. » Nous avons choisi
de nommer ainsi un courant à multiples facettes qui s’impose de plus en plus
aux grandes Églises chrétiennes contemporaines comme étant l’essence de
l’Évangile de Jésus-Christ[102]. La dénomination est
ambiguë. Nous n’entendons pas sous ce mot les nombreux courants de la
Renaissance qui ont abouti à redonner sa place à l’homme dans une théologie
chrétienne excessivement théocentrique[103]. Cette perspective
constituait un rééquilibrage des deux commandements de l’amour, pour que
l’amour ne l’homme ne soit pas effacé par l’amour de Dieu. Dans le cas qui nous
occupe, le commandement de l’amour du prochain devient mesure de tout, le
commandement de l’amour de Dieu ne trouvant pas d’autre manifestation que dans
l’action au service de l’homme. A la différence du pélagianisme, cette
conception du christianisme ne prétend pas fonder le salut sur la vertu
individuelle, sur la capacité à dominer son propre être, mais sur la bonne
volonté d’un cœur humain attentif à l’autre. Théorisée, elle va jusqu’à
identifier charité et amour humain authentique. Cette théologie n’est pas
facile à identifier car il existe effectivement une grande ressemblance
phénoménologique entre les diverses espèces de l’amour « honnête », qu’il soit
naturel ou non. Rien ne ressemble plus à un amour authentique qu’un autre amour
authentique (tourné vers l’autre.) Seule une analyse de théologie morale peut
découvrir une différence entre charité et amitié naturelle, à partir en
particulier, de l’étude des finalités.
Parce qu’il est difficile à distinguer, ce courant de pensée se
répand partout, y compris chez d’authentiques thomistes. A cet égard, l’exemple
du Père Guy Vandevelde est remarquable : formé à l’Université Grégorienne, ce
prêtre séculier enseigne la théologie dogmatique. Docteur en théologie, il a
soutenu sa thèse intitulée « expression
de la cohérence du mystère du salut »
à Rome en 1993. Sa thèse n’aborde pas exclusivement la question du salut des
païens mais porte un regard d’ensemble sur l’harmonie de la révélation. Dans
cette perspective, au cours de la troisième partie, il s’efforce de rendre
compte du salut des païens[104]. Il élabore donc une
hypothèse justifiant leurs mérites pour la vie éternelle : dans l’amour
d’autrui, dit-il, il n’y a jamais que de l’humain seulement. Il y a toujours
une part de grâce parce que celui qui imite Dieu qui est Amour, même du dehors,
ne peut le faire sans être rapproché de lui. Il reconnaît cependant que cette
grâce n’est pas la plénitude de la grâce sanctifiante telle que décrite
précédemment et qui donne part à la vie intime de Dieu. Son analyse, portée par
une formation thomiste, en arrive à distinguer l’amour du frère motivé par la
reconnaissance en lui de l’image de l’homme, de l’amour du frère motivé par
l’Image de l’Homme Nouveau, c’est-à-dire du Christ. Cependant, (et là se trouve
l’argument qui le pousse à en arriver à l’identification de la charité dans
tout amour humain), celui qui aime d’amitié cherche à promouvoir l’image de
l’homme et cela ne peut venir que de l’image de l’Homme Nouveau qui est en lui.
Ainsi, en aidant celui qui souffre, tout homme aide réellement le Christ qui
souffre. Il vit de la charité fraternelle. Citons le père Vandevelde : « C’est pourquoi il faut affirmer que tout
comportement habituel envers les autres, individus ou groupes, constitué par le
respect de la dignité de l’autre selon ce que l’on sait de vrai, par la volonté
de promouvoir dans le bien que l’on voudrait pour soi, en marchant dans l’oubli
de soi qui va jusqu’au pardon (grâce de la « proximité » ou passion et
résurrection du Christ dans la vie de l’homme) est pour un homme la grâce de la
charité qui l’unit au Père et au Fils
dans l’Esprit, en l’associant à la foi de l’Église. »[105]
Cette tentative s’appuie sur la foi de l’Église catholique dans
l’existence d’une grâce surnaturelle à l’intérieur de tout acte humain. Elle est
critiquable par l’identification qu’elle implique en définitive entre cette
grâce là (qui est, au sens thomiste une grâce
actuelle, c’est-à-dire une
attraction de Dieu donnée à toute créature spirituelle) et la grâce sanctifiante
qui est de toute autre nature et est seule apte à expliquer la vertu de
charité. Le Père Vandevelde se défend de faire cette confusion aussi il
contourne la difficulté en établissant une théorie de l’Assomption par le
Christ homme des actes bons faits à ses frères hommes. L’Évangile semble
suggérer cette solution : « En vérité, je
vous le dis, dans la mesure où vous avez fait du bien à l’un de ces plus petits
de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » [106]
D’une manière pratique et bien au delà des laborieuses
théorisations, l’humanisme tend s’imposer comme l’unique Évangile chez les
chrétiens eux-mêmes. Le commandement de l’amour du prochain est exalté tant par
la prédication que par le mode de l’action catholique. La vie contemplative, de
moins en moins comprise, est dévaluée au profit de l’action sociale ou
humanitaire. La valeur suprême de l’Évangile se trouve dans l’amour d’autrui
(aimé pour lui-même, que la lumière du Christ intervienne ou non.)
Les conséquences de cette pensée se font sentir dans l’attitude
des chrétiens. Plus profondément qu’on le croit, l’Église est actuellement
divisée en deux courants difficiles à réconcilier et qui se qualifient l’un
l’autre d’intégrisme et de progressisme. Sans doute les divisions sont-elles moins
médiatiques qu’à l’époque des combats liturgiques de l’Église de France et de
Mgr Lefebvre. Mais elles sont en revanches beaucoup plus profondes car elles ne
touchent plus l’expression de la foi, mais la foi elle-même et ce de manière
radicale.
Aux yeux du courant humaniste libéral, tel que nous l’entendons
ici, l’attitude qui spécifie le chrétien est à prendre dans son amour
respectueux d’autrui. Une autre vertu est une certaine humilité à reconnaître
sa propre faiblesse accompagné d’une étrange tolérance pour le péché. « Si
ton péché te conduit au bonheur, est-il un péché aux yeux de Dieu ? La gloire
de Dieu n’est-elle pas l’homme heureux ? » Le mot le plus employé pour
caractériser le comportement issu de cet amour est celui de tolérance. Il n’y a pas d’attitude plus chrétienne que celle qui consiste à
tolérer autrui dans ses idées et son comportement (dans la mesure ce
comportement et ces idées sont elles-mêmes tolérantes envers autrui.) Or, dans
un monde sécularisé, la valeur suprême qu’il convient de respecter chez
l’autre, parce qu’elle définit sa qualité de personne humaine, consiste dans sa
liberté. En raison de sa liberté, l’homme peut rechercher de manière pleinement
humaine, affirmera-t-on, son bonheur personnel. C’est pourquoi toute attitude qui
s’opposerait d’une manière ou d’une autre à la liberté inaliénable de chacun
dans sa recherche du bonheur est qualifiée d’anti- humaine et, par conséquent,
d’anti-chrétienne. Il est à noter que le premier ennemi, pour les tenants de
cette conception humaniste et libérale du christianisme, est l’autre
christianisme, celui des dogmes et de la morale imposée comme une règle venant
d’en haut. Il est légitime de s’en prendre à l’enseignement des papes tel qu’il
est caricaturé, déformé par la Presse. Il est vrai que si le Magistère
enseignait réellement qu’il vaut mieux communiquer le Sida à son prochain que
d’utiliser le préservatif, il serait criminel. Mais cherche-t-on à connaître en
vérité la pensée du Magistère de Pierre à cet égard ? Fidélité et liberté sont
souvent antagonistes. Il existe en effet, sous forme de non-dits, un
antagonisme entre cette forme de christianisme sécularisé et le christianisme
le mieux compris : aimer Dieu et son prochain jusqu’à donner sa vie, jusqu’à
renoncer à sa liberté comme le font certains contemplatifs, n’est-ce pas une
pratique radicalement opposée à celle qui consiste à exalter la liberté
individuelle comme valeur suprême, digne d’être aimée en soi et tolérée en
l’autre ?
En adhérant à cette thèse, le théologien semble enfin trouver la
solution à la question du salut des infidèles : tout homme est sauvé et entrera
dans la vision béatifique dans la mesure où il est de bonne volonté. Il n’y a
pas à rechercher dans cette bonne volonté un critère de vérité autre que
l’adhésion sincère à ce que la conscience morale présente comme bon. Mieux que
ne le fait Pélage, cette solution humaine est apaisante pour l’intelligence car
elle n’exalte pas la force mais la qualité du cœur. Elle possède même un
certain fondement évangélique, davantage que la théorie de Pélage qui se trouve
symbolisée par l’attitude pharisienne[107] : « Alors les justes lui
répondront : Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te
nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t’accueillir, nu et de te
vêtir, malade ou prisonnier et de venir te voir ? Et le Roi leur fera cette
réponse : En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un
de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »
Cependant, si on l’analyse de plus près, on s’aperçoit qu’elle
soulève d’autres questions théologiques plus graves : elle relativise le
Christ. Elle en fait un élément second et dispensable. Que devient en effet la
spécificité évangélique soulignée par Jésus : « Quel gré vous en sera-t-on de cette action ? Les païens n’en font-ils
pas autant ? »[108] Qu’en est-il de l’analogie
des noces prise par Jésus pour illustrer l’entrée dans le Royaume de Dieu par
la grâce et la gloire ? En effet, si pour entrer au Ciel, il suffit d’avoir été
humainement bon sur la terre sans qu’un désir de Dieu se soit manifesté, c’est
donc que le « mariage » de l’entrée dans la Vision se fait
par surprise et non par choix mutuel d’amour... On pourrait multiplier la liste
des difficultés que pose cette thèse qui, en un mot, réduit le Christ à
l’homme.
Le Père Vandevelde ne peut être accusé de réduire le christianisme
à l’humanisme. Mon but, en le citant, était le même qui me fit citer
précédemment les tentatives du cardinal Journet : La question du salut des
païens reste ouverte et les théologiens qui s’expriment, même s’ils s’efforcent
en conscience de trouver une solution conforme avec tout ce qu’ils croient être
l’Évangile, sont condamnés à entrer en contradiction avec leur foi s’ils ne
veulent pas poser la damnation éternelle de millions d’innocents. Tout ceci
manifeste une fois de plus la nécessité de la recherche théologique renouvelée
pour rendre raison, en harmonie avec la foi, (toute la foi !) de l’évidence
chrétienne du fait que tout homme de bonne volonté sera un jour introduit par
Dieu dans la Vision. Il convient cependant que cette solution garde entière la
saveur de l’Évangile.
Nous constatons ainsi que chacune des nombreuses systématisations
du problème du salut, lorsqu’elle est confrontée à la question concrète de la
place de ceux parmi les hommes qui ne répondraient pas aux conditions requises
pour être sauvé, s’est efforcée de se prononcer sur leur sort après la mort.
Diverses solutions ont été proposées jusqu’à aujourd’hui. Les passer toutes en
revue serait un travail démesuré. Cependant, nous constatons que la question de
la damnation éternelle est une pierre d’achoppement sur laquelle les plus
belles théologies viennent tourner et retourner. La théologie scolastique, en
admettant comme le centre de la foi que Dieu ne communique la béatitude
éternelle qu’à celui qui l’aime de charité, a été conduite à des contradictions
non encore résolues comme, chez un saint Thomas d’Aquin, à l’harmonisation
fragile entre l’amour infini du Christ mort pour tous et la doctrine des limbes
des petits enfants morts sans baptême, de l’enfer pour les païens ou ceux qui
meurent sans avoir entendu la prédication de la foi qui leur aurait permis d’aimer.
Chez d’autres thomistes, contemporains cette fois, l’idée de cet enfer
largement ouvert ne passe pas. Pour arriver à conserver l’idée du salut par la
charité sans damner une masse de pauvres gens qui l’ignorent, on invente des
concepts douteux de « charité
implicite », comme si l’amitié
pouvait être implicite. On ne discerne pas que ce qu’on appelle charité
implicite est un amour humain explicite, si bien que la contradiction avec les
prémices du raisonnement n’est pas perçue.
La position de Luther aboutit quant à elle à celle de Calvin car
une foi donnée sans coopération de l’homme qui la reçoit conduit logiquement à
l’idée d’un Dieu qui damne qui il veut dans sa souveraineté éternelle. Cette
position est difficilement conciliable avec l’amour crucifié, mais qu’importe
une telle évidence au théoricien perdu dans sa logique.
Quant à ceux qui ouvrent le salut à toute bonne volonté, ils
résolvent la question de l’enfer et semblent régler celle de l’amour universel
de Dieu. Mais ils ne résolvent plus la question de l’utilité du christianisme.
En présentant de manière synthétique quelques théologies du salut,
nous espérions manifester le goût d’inachevé qu’elles laissent toutes : toutes
présentent un goût de vérité et en même temps un arrière goût d’insatisfaction.
Une analogie peut éclairer ce fait : elles ressemblent à la tentative d’une
marieuse voulant créer les conditions d’un mariage d’amour. Puisque l’entrée
dans la gloire ressemble à un mariage, cette analogie semble convenir. La
marieuse fait un premier essai, rêve pour les futurs époux (Dieu et l’âme,
dirait saint Bernard) d’un amour réciproque et oblatif mais ne sait pas comment
obtenir qu’ils se rencontrent avant le jour des noces (ainsi en est-il pour les
païens avant leur mort dans la théologie traditionnelle.) Elle tente donc un
second essai, obtient que les époux se rencontrent et croit pouvoir les marier
pour toujours alors qu’elle sait que la fiancée n’éprouve pour son fiancé que
de la confiance (tel est Luther et sa foi imputée) ; quant à sa troisième
tentative, elle est encore plus décevante puisque cette fois, notre
entremetteuse amène à Dieu (l’époux) toutes les filles de la terre, toutes fort
braves et gentilles (la bonne volonté), mais toutes fort étrangères puisque
incapables d’amour du fait qu’elles n’ont jamais entendu dire qu’il allait être
question d’un mariage d’amour. Telle est la théologie qui prétend introduire
tout homme de bonne volonté dans la vision de Dieu sans présupposer la charité.
Quant à Pélage, il est encore davantage en dehors du problème puisque l’épouse
qu’il propose s’avère invivable, centrée qu’elle est sur la recherche de sa
propre perfection.
Cette analogie des noces éternelles éclaire de manière
satisfaisante la gêne où se débat toute théologie face au mystère du salut.
Lorsque nous aborderons la question de la foi solennellement enseignée par
l’Église catholique en ce domaine, nous verrons que cette analogie du « mariage d’amour » n’est pas une pieuse image mais un véritable sacrement du
Royaume de Dieu. La question ne se pose ni en terme de confiance affectueuse ou
de bonne volonté générale qu’elle soit vertueuse ou pauvre, mais d’amour
exclusif et passionné envers un Dieu auquel il s’agit de s’unir pour
l’éternité, en lui offrant par concomitance sa confiance, sa vertu et sa bonne
volonté. Ainsi, si la racine de la vérité est plutôt chez saint Augustin et
saint Thomas d’Aquin, comment faire porter à cette racine tout ce qu’elle
promet en fruits d’espérance ? Comment s’y prend d’une manière très concrète le
Dieu qui veut sauver tous les hommes pour que tous arrivent dans l’autre monde
en aimant ou en refusant d’aimer et ce en pleine lucidité, volonté et liberté,
comme il convient au jour où l’on se marie pour l’éternité ?
Nous parlions dans notre introduction d’approche démonstrative théologique. Cette expression, peu utilisée,
mérite quelque précision. Tout d’abord, il n’est licite de parler d’approche
démonstrative que lorsque, à partir d’un raisonnement, on aboutit à une
conclusion nécessaire. Dans le
domaine mathématique, la réalité du point de départ importe peu. Quelles que
soient les prémices, cette discipline étant abstraite du réel, la validité
logique du raisonnement suffit à établir une démonstration. Il n’en est pas de
même dans le domaine du réel. Il n’est pas négligeable dans ce domaine de
vérifier si le point de départ est vrai, autrement dit s’il est en conformité
avec la réalité.
Or, selon saint Thomas d’Aquin, il existe deux sciences qui se
partagent l’étude du réel[109].
La science philosophique, qui ne considère la
réalité dans son ensemble que dans la mesure où l’intelligence humaine, par ses
propres moyens, peut l’atteindre. Dans ce domaine, s’il est nécessaire de
démontrer l’existence d’une réalité, d’une cause ou d’une loi quelconque dont
on n’a pas l’expérience, la certitude de la vérité du point de départ est
essentielle. Elle est acquise par divers moyens tels l’expérience,
l’expérimentation. Cette solidité du point de départ est fondamentale pour la
solidité du reste de l’édifice, d’où le soin que prennent les scientifiques à
établir les prémices expérimentales.
La seconde science du réel, la
science théologique, ne considère quant à elle la réalité que selon qu’une
Autorité supérieure et digne de confiance, Dieu lui-même, la révèle pour le salut
des hommes. Ainsi, en théologie, le fondement sur lequel doit s’appuyer tout
raisonnement démonstratif ne se trouve pas dans un fait d’expérience mais dans
une « parole de Dieu. » Il s’agit à la fois d’une parole au sens d’un concept intelligible
et d’une parole au sens d’une
promesse sur l’honneur de ne pas mentir. Une approche démonstrative théologique
n’aura donc de valeur, à l’instar d’une démonstration philosophique ou
scientifique, que si :
1- Son fondement est une vérité certaine, donc si l’on est sûr que
la proposition de départ est réellement une Parole de Dieu et non une opinion
théologique trop valorisée.
2- Le raisonnement qui la constitue est valide, conforme non
seulement à la logique rationnelle mais surtout à la « logique de ce qu’est Dieu. »
Comment être certain de la vérité révélée d’une proposition
théologique ? Cette recherche, le lecteur l’aura compris, est fondamentale à
notre thèse. Si nous avions voulu établir, parmi d’autres hypothèses, celle du
retour du Christ à l’heure de la mort pour expliquer le salut des païens, nous
n’aurions pas parlé d'approche démonstrative théologique mais d’hypothèse
théologique. Notre intention est tout autre. Aussi, connaissant les
controverses actuelles de la théologie fondamentale à propos du domaine de la
certitude de la foi, il nous paraît utile de préciser sur quelle base nous nous
appuyons. Nous laissons le lecteur juge de nos choix.
Pendant les sessions de préparation au Doctorat, deux théologiens
de haut niveau, auteurs de livres faisant autorité, se sont exprimés sur la
notion de certitude d’une vérité théologique. Le Père Joseph Moingt, s.j. fut
on ne peut plus clair à propos de la certitude venant du Magistère solennel en
matière de foi. « Qui d’entre vous,
disait-il aux doctorants, peut encore de
nos jours donner une quelconque valeur aux documents des papes ?[110]. » Pour lui, la seule certitude en théologie venait non de
l’autorité d’une parole mais des méthodes rationnelles de l’exégèse confrontées
à l’écrit. Or ce genre de certitude, historico-critique, ne peut que provoquer
une moue pour tout esprit moderne habitué à chercher la vérité de l’être des
choses. Ce genre de certitudes est faible car l’écrit est dépendant de trop de
facteurs humains. La théologie ne serait donc pas autre chose qu’une science
humaine ? Interrogé à la session suivante par mes soins sur le point
particulier du Magistère solennel de l’Église en matière de foi, le Père
Gislain Lafont o.s.b, prieur de l’abbaye de la Pierre-Qui-Vire, répondait[111] : « Les documents du Magistère ont une valeur probable. » Précisant sa pensée un peu plus tard,
il ajoutait : « 92 à 94% sont vrais, mais
que faire des 6 à 8% restant ? » Pas une fois dans son propos n’intervint
la distinction simple et classique entre les documents doctrinaux, pastoraux ou
sacerdotaux du Magistère, ni celle des degrés d’autorité des documents
doctrinaux. Il en ressortait de ce fait une grande confusion dans ce domaine et
une certitude : rien n’est certain dans la Révélation, tout est recherche et
opinions. Evidemment, dans cette perspective, parler d’approche démonstrative
théologique est hors de propos. On est loin de la pensée de saint Thomas
d’Aquin, qui écrivait au XIIIème siècle : « La certitude en théologie vient de Dieu qui se révèle et ne peut
mentir. » On le voit, la question de la Théologie fondamentale est loin de
faire l’unanimité chez les théologiens. Il nous paraît donc nécessaire, avant
d’établir notre hypothèse, de manifester clairement quelle est la nôtre. Nous
ne cachons pas que nous ferons un choix, peu commun aujourd’hui chez nos pairs.
Notre théologie fondamentale n’est pas choisie a priori. Non seulement elle est celle de l’Eglise catholique à
travers son magistère[113], mais elle est réfléchie et
simplement logique avec ce qu’est une révélation.
D’où vient en effet, le contenu de la théologie chrétienne ?
Vient-elle d’un homme ou de Dieu ? Il s’agit d’une parole émanant de la Trinité
éternelle. Dieu lui-même prend l’initiative de parler à l’homme pour lui
annoncer sa prédestination à la vision béatifique. Le contenu de cette Parole
n’est donc pas autre chose, en définitive, que l’essence Infinie de Dieu. Elle
ne sera saisie face à face, ad modum
recipientis, qu’après la glorification de l’homme.
Pour se révéler, Dieu
adapte évidemment son langage à ceux à qui il s’adresse. L’homme sur terre ne
peut comprendre l’Infini qu’à travers une image créée et adaptée à sa capacité[114]. Cette Image n’est autre que Jésus Christ, à travers sa vie, sa
mort, sa résurrection et son enseignement oral. Or, il est intéressant de
remarquer qu’entre la créature Jésus, vrai homme (Verbe de Dieu) et sa divinité
de vrai Dieu qu’il révèle (Verbe de Dieu), la distance est infinie. Si Jésus
aime humainement pour révéler l’Amour trinitaire, sa révélation n’est pas
adéquate au Révélé. Est-ce à dire que son action est vaine, aléatoire et qu’il
ne peut y avoir de véritable théologie ici-bas ? Dieu n’agit pas en vain. C’est
donc qu’il peut exister, par l’analogie, un discours vrai sur Dieu. Le discours
sur l’analogie de la foi est fondé en ce lieu théologique.
Mais la distance entre la Trinité infinie et la connaissance
humaine ne s’arrête pas ici. Jésus s’est exprimé oralement. Il a parlé à
l’homme pour lui dire à travers des mots, la Trinité éternelle et
l’Evangile. D’où viennent ses paroles articulées ? D’abord, il a pensé
humainement ce qu’il a dit. Or, entre sa pensée humaine et la pensée
Trinitaire, la distance est infinie.
Ensuite, il a exprimé extérieurement sa pensée. Or, entre la
pensée humaine et son expression à travers un langage articulé, il existe encore
une distance supplémentaire. Tous les poètes en ont l’expérience.
Jésus n’a rien écrit. L’Ecriture Sainte est le fait de ses
disciples directs ou indirects. Ainsi, avant qu’apparaissent les écrits, sa
Parole avait été reçue dans le cœur de certains croyants. Ils n’y comprirent
rien au début, rapportent les évangiles. «
L’Esprit Saint n’avait pas été donné »[115]. Le récit des pèlerins
d’Emmaüs ou celui de la Pentecôte est à cet égard significatif. L’Esprit Saint
a un certain rôle à jouer en théologie...Mais ici intervient un autre
intermédiaire entre l’Ecriture et la Trinité éternelle : la Tradition des
Saints. Cet intermédiaire est plus important, semble-t-il, que l’Ecriture
elle-même puisqu’il la crée, il en est à la source.
Les écrivains sacrés ont vécu l’Evangile. Portés par l’Esprit, ils
en ont compris des bribes, chacun à leur niveau. Puis ils ont pensé ces bribes
(nouvelle distance entre vie et pensée.) Enfin, ils ont écrit avec leurs
propres mots (distance entre la pensée et le mot.) Ces écrits nous sont
parvenus, séparés de leur auteur et de son histoire (nouvelle distance.)
Pour résumer notre propos, il est possible de réaliser le schéma
suivant :
L’origine de la Parole de
Dieu, l’importance de trois sources
I- L’ESPRIT SAINT :
I-
1- TRINITÉ INFINIE
distance infinie entre divinité et humanité du Christ, analogie de
la foi.
I- 2- VERBE FAIT CHAIR, JESUS-HOMME
distance entre sa vie
mystique et la pensée en concepts humains de cette vie
I- 3- CONCEPTS HUMAINS DE JESUS
distance immense entre concepts
et mots
I- 4- ENSEIGNEMENT ORAL DE JESUS
distance immense entre Jésus et les saints
II- LA TRADITION :
II- 1- PAROLE RECUE CHEZ LES SAINTS
(intervention de l’Esprit
Saint)
distance immense entre vie mystique des saints et leur pensée en
concepts humains de cette vie
II- 2- PENSEE DES SAINTS
III- L’ECRITURE SAINTE :
III- 1- ECRITURE DES TEXTES
distance immense entre
écrits et pensée
III- 2- MORT DES ECRIVAINS
Distance entre l’écrit mort
et son auteur humain historiquement situé.
Difficulté pour le lecteur
moderne et importance de l’exégèse historique et critique.
On le voit, à travers ces étapes, il
s’établit une distance de plus en plus lointaine entre l’écrit mort, figé, son
auteur humain disparu et son auteur principal : la Trinité éternelle.
Conscient de cette distance infinie entre la Trinité et son
expression, certains pasteurs Réformés ont parfois nié la possibilité de tout
langage théologique vrai, conforme à ce qu’il doit exprimer. Cette position est
exagérée. Elle ne tient pas compte de la capacité de l’intelligence humaine à approcher le réel avec vérité. Il ne
s’agit pas pour la théologie de prétendre embrasser
l’essence de Dieu selon ce qu’elle est, mais de l’approcher par analogie.
L’intelligence ne peut d’ailleurs jamais agir autrement, même pour le réel créé
objet de la philosophie puisque la réalité est toujours plus que ce qu’on en a
compris. Mais comment un chrétien peut-il, au XXème siècle,
approcher au plus près ce qui est révélé par Dieu, à savoir Dieu lui-même,
sachant que sa découverte ne sera qu’analogique.
Fondé sur ce que nous venons de manifester concernant l’origine de
la Parole de Dieu, il paraît évident que l’ordre vital est le suivant : plus le
chrétien est à proximité de la Source (Dieu), plus il peut et doit s’appuyer
sur cette source. L’ordre est donc :
1- L’Esprit Saint ;
2- Jésus vrai homme, approché de manière vivante (prière du cœur,
liturgie) ;
3- La Tradition vivante des saints, son interprétation de
l’Ecriture ;
4- L’Ecriture en tant que texte séparé de sa source.
Cet ordre, idéal en sa conception théorique, est malheureusement
moins évident dans sa réalisation concrète. Il présente des incertitudes.
1- Comment distinguer une inspiration de l’Esprit Saint d’une
inspiration psychologique, poétique ou angélique ? S’il était si aisé de
distinguer les esprits avec certitude, saint Paul aurait-il eu besoin de mettre
en garde contre les faux esprits ? Pour le chrétien priant, il ne peut être
question de nier l’existence d’un sensus
fidei proportionnel à la qualité de son humilité et de sa foi. Mais il est
difficile de fonder une théologie définitivement vraie sur ce seul fondement.
Le monde des Églises Pentecôtistes et sa division le manifeste.
2- Comment être sûr que le Jésus imaginé par chacun correspond au
Jésus réel ? Là encore se mêle un fatras de constructions et de projections
psychologiques. Le Jésus de saint Jérôme est plus intransigeant que le Jésus de
sainte Thérèse de l’Enfant Jésus...
3- Les saints et les grands théologiens disent tout et l’inverse
de tout. Les Pères de l’Église sont à cet égard intéressants à lire. Comment
distinguer la vraie Tradition de ce qu’elle charrie avec elle ?
4- L’Ecriture Sainte est immense et souvent contradictoire.
L’exégèse du sens littéral humain (ce que l’auteur humain a voulu dire) ne
cesse d’élaborer des conclusions aussitôt périmées par de plus récentes
recherches. Il lui manque un outil fondamental : les auteurs humains sont morts
et inaccessibles. Elle en est donc réduite, dans le meilleurs des cas, à des
conjectures probables. Elle est une science bien pauvre en certitude. Quant à
l’exégèse du sens divin de l’Écriture, elle est aussi très complexe. Tous les
artifices de la parole humaine ont été employés par Dieu pour se révéler,
depuis la métaphore en passant par le conte... Si l’on ajoute à cela que Dieu
n’a rien dicté mot à mot de sa parole, au moins dans les traditions
monothéistes non musulmanes, mais qu’il s’est contenté d’inspirer un auteur qui
a retranscrit avec ses propres mots, protégé cependant de l’erreur par une
grâce spéciale, la vérité révélée, on voit mal comment tirer avec certitude le
vrai du faux de l’Écriture. Difficile en conséquence pour le lecteur solitaire
de la Bible, de reconnaître une métaphore d’une analogie propre. Les témoins de
Jéhovah, dans leur controverse avec les catholiques, ne font souvent qu’appeler
métaphore ce que nous appelons sens littéral.
La seule autorité qui de manière absolue est certaine en matière
de Révélation, c’est la parole de Dieu éternelle, incréée. Mais, étant
inaccessible tant que l’homme n’est pas introduit dans la vision béatifique,
cette parole a du s’incarner pour lui parvenir en mots humains. Traduire des
vérités infinies par l’analogie de vérités limitées est difficile. Pourtant,
grâce précisément à l’analogie, Dieu s’est révélé à l’homme.
Heureusement, un moyen utile et pratique a été prévu par Dieu dès
l’époque lointaine de la révélation faite à Moïse : il s’agit d’un charisme
particulier, donné à un ou plusieurs hommes marqués du sceau de l’autorité,
pour confirmer leurs frères dans leurs interprétations laborieuses de l’Écriture
Sainte. Dans l’évangile de saint Jean[116], Jésus l’attribue au peuple
juif, par opposition au peuple samaritain : «
Nous, nous adorons ce que nous connaissons car le salut vient des juifs. » De même, ce charisme est donné à
l’Église catholique, à travers la personne fragile mais protégée en ce domaine,
des papes. L’Écriture Sainte, sans erreur en elle-même, est difficile à
interpréter dans la plénitude de sa vérité. L’exégèse y travaille ; La prière
des croyants, support de la Tradition est sûre en elle-même mais mélangée à
tout un ajout imaginaire difficile à séparer du bon grain.
C’est
pourquoi, 1) lorsque l’Écriture Sainte enseigne une vérité selon son
sens littéral,
2)
lorsque la Tradition des saints canonisés affirme la même chose et
3) que
le charisme particulier du Magistère vient confirmer solennellement
la vérité de cette proposition, nous estimons être en présence d’une vérité
théologique sûre, capable de fonder une approche démonstrative théologique.
Notre choix méthodologique se résume, au moins en ce qui concerne
notre point de départ, à cet a priori
: nous estimons pouvoir adhérer par la foi (la méthode de l’analogie étant
présupposée), à toute proposition confirmée de manière solennelle par le
Magistère. Les documents du Magistère étant la plupart du temps rédigés selon
un code de mots définis avec une précision juridique, leur interprétation en
est comme nous le verrons grandement facilitée (l’analogie de la foi restant
présupposée.) Nous avons pu l’expérimenter tout au long de notre recherche,
l’Église, en précisant les critères d’infaillibilité, ne cherche pas à enfermer
l’intelligence du théologien ou du croyant dans une discipline contraignante,
mais veut l’aider à entrer plus résolument dans le mystère de l’amour. Ainsi, il
nous paraît évident que l’infaillibilité ne s’est pas rajoutée tout à trac aux
prérogatives des papes un beau jour de juillet 1870. Elle fait partie
intégrante du mystère de la rédemption et de sa logique sacrée. C’est pourquoi
le charisme de l‘infaillibilité n’est pas attaché à un homme et à sa sainteté
mais à une fonction qui participe du mystère de l’Église.
Afin de manifester avec précision ce que nous appelons le
fondement d’une approche démonstrative théologique, il nous paraît utile de
préciser sur quels critères nous baserons la qualité de notre assentiment à tel
ou tel document magistériel. Rappelons que nous appelons Magistère ce qui a pour objet la morale et les mœurs, la vérité et
le bien de l’homme en vue de son salut. Car «
l’objet de la foi, c’est le salut des âmes »[117]. Il ne s’agit ici ni des
documents pastoraux, ni des décisions en matière de gestion des cultes.
Le Concile Vatican II présente dans la constitution dogmatique sur
l’Église une doctrine équilibrée concernant les degrés d’autorité des documents
du Magistère[118]. Pour discerner la foi de
l’Église concernant le salut des hommes, nous nous référerons à ces pages.
L’assentiment religieux demandé par le Concile aux fidèles peut revêtir des
degrés divers de certitude dans la foi. En matière doctrinale, autre est un
document qui tranche définitivement une question, d’un autre qui se contente
d’émettre une opinion. Entre ces deux extrêmes, le Concile avertit qu’un
discernement est nécessaire pour chaque document en fonction de sa présentation.
C’est donc qu’une réelle souplesse est de mise. Il nous paraît utile de
distinguer trois degrés d’infaillibilité.[119]
Lorsqu’un Pape ou un Concile uni au Pape définit en matière de foi
une vérité qui n’est contenue dans l’Écriture Sainte ou dans la tradition que
d’une manière implicite, donc non
explicite. Nous possédons, semble-t-il, deux exemples et deux exemples
seulement de l’exercice de cette autorité doctrinale étonnante de l’Église
inspirée et portée par l’Esprit Saint. Il s’agit des dogmes de l’Immaculée
Conception et de l’Assomption de Marie. Il est clair que l’Écriture ne nous
parle de ces mystères qu’à travers des métaphores lointaines et que la
Tradition n’en a découvert la réalité que sur le tard. Nous n’utiliserons pas
dans le cadre de notre étude de documents de cette teneur.
Lorsqu’un Pape ou un Concile uni au Pape définit avec son autorité
apostolique une vérité de foi ou de morale qui est déjà « explicitement »
contenue dans l’Écriture Sainte.
« Cette infaillibilité, dont
le divin Rédempteur a voulu pourvoir son Église pour définir la doctrine
concernant la foi et les mœurs, s'étend aussi loin que le dépôt lui-même de la
Révélation divine à conserver saintement et à exposer fidèlement. De cette
infaillibilité, le Pontife romain, chef du collège des évêques, jouit du fait
même de sa charge quand, en tant que pasteur et docteur suprême de tous les
fidèles, et chargé de confirmer ses frères dans la foi[120], il proclame, par un acte définitif, un point de doctrine
touchant la foi et les mœurs. C'est pourquoi les définitions qu'il prononce
sont dites, à juste titre, irréformables par elles-mêmes et non en vertu du
consentement de l‘Église, étant prononcées sous l'assistance du Saint-Esprit à
lui promise en la personne de saint Pierre, n'ayant pas besoin, par conséquent,
d'une approbation d'autrui, de même qu'elles ne peuvent comporter d'appel à un
autre tribunal. En effet, le Pontife romain ne prononce pas une sentence en
tant que personne privée, mais il expose et défend la doctrine de la foi
catholique, en tant qu'il est, à l'égard de l’Église universelle, le maître
suprême en qui réside, à titre singulier, le charisme d'infaillibilité qui est
celui de’Église elle-même. L'infaillibilité promise à l’Église réside aussi
dans le corps des évêques quand il exerce son magistère suprême en union avec
le successeur de Pierre. A ces définitions, l'assentiment de’Église ne peut
jamais faire défaut, étant donné l'action du même Esprit-Saint qui conserve et
fait progresser le troupeau entier du Christ dans l'unité de la foi. »[121]
L’exemple le plus typique que nous aurons sans cesse à utiliser,
est la définition dogmatique du Pape Benoît XII en matière d’eschatologie[122]. Son caractère solennel et
définitivement sûr ne laisse aucun doute : «
Par la présente constitution, qui restera à jamais en vigueur, et de notre
autorité apostolique, nous définissons que... » D’autre part, la précision du langage théologique utilisé lui
confère une haute valeur doctrinale. Nous ne considérons pas comme
extraordinaire mais simplement solennelle l’autorité de la constitution « Benedictus Deus » puisque tout
son contenu est explicitement enseigné par l’Écriture.
C’est sur ce genre de document que nous fonderons notre recherche,
dans l’assurance qu’en conservant dans son intégrité tout ce qui a été ainsi
défini, nous faisons œuvre de théologien catholique. En effet, la valeur de
certitude de tels dogmes vient de Dieu lui-même et de sa promesse vis à vis de
la vérité du Magistère de l’Église.
L’utilisation de l’Autorité
présente l’inconvénient suivant : elle peut être ressentie par le lecteur comme
excessive ou servile. Nous prions le lecteur de nous en excuser à l’avance.
Notre intention est ailleurs : nous voulons nous servir du dogme non comme
d’une prison mais comme d’un guide vers la vérité.
Telle qu’elle est définie par le Concile, elle est le fait du
successeur de Pierre ainsi de toute l’Église lorsqu’elle est unie au pape et en
premier lieu des évêques. Elle s’étend aux saints, aux théologiens dans la
mesure où ils enseignent des vérités contenues dans l’Écriture Sainte et dans
la Tradition, même si elles n’ont pas fait l’objet d’une définition solennelle
de la part du Magistère. « Quoique les
évêques, pris un à un, écrit le Concile,
ne jouissent pas de la prérogative de l'infaillibilité, cependant, lorsque,
même dispersés à travers le monde, mais gardant entre eux et avec le successeur
de Pierre le lien de la communion, ils s'accordent pour enseigner
authentiquement qu'une doctrine concernant la foi et les mœurs s'impose de
manière absolue, alors, c'est la doctrine du Christ qu'infailliblement ils
expriment. La chose est encore plus manifeste quand, dans le Concile
oecuménique qui les rassemble, ils font, pour l'ensemble de l'Église, en
matière de foi et de mœurs, acte de docteurs et de juges, aux définitions
desquels il faut adhérer dans l'obéissance et la foi. »
Cependant, lorsque le Magistère du pape et des évêques enseigne
depuis toujours de manière habituelle une doctrine, elle peut être considérée
comme infaillible. En novembre 1995, le pape Jean-Paul II fut conduit à
s’appuyer sur une telle infaillibilité pour rappeler qu’il serait à jamais
impossible à l’Église, à cause d’une volonté implicite de Jésus, de communiquer
le sacerdoce ministériel aux femmes. Cependant, en s’exprimant ainsi, il nous
semble que le pape fit passer une doctrine habituellement reconnue comme vraie
à un niveau d’infaillibilité solennellement établi.
Jean-Paul II, dans son discours à la Congrégation de la Doctrine
de la Foi[123] éclaire ce troisième niveau
en expliquant que l’autorité ne doit pas être perçue sous le seul angle de « l’infaillibilité. » En effet, si les conditions d’actualisation de l’infaillibilité
sont clairement définies et établies dans l’Église, cette situation ne doit pas
fournir le prétexte de ne consentir qu'aux définitions pour lesquelles le Pape
engage son infaillibilité de manière extraordinaire ou solennelle. Il ne s'agit
pas, dit explicitement Jean-Paul II, de «
n'adhérer de façon irrévocable, qu’aux seuls enseignements et décisions doctrinales
du magistère, quand celui-ci s'exprime en un jugement solennel pour un acte
définitif ; et, pour les autres cas, de n'y adhérer qu'en fonction des matières
concernées et des motivations. »
Dans le cas général, tout en accordant une confiance totale aux
évêques et aux saints, aux encycliques papales, nous ne fonderons pas la
recherche de cette première partie sur ces écrits ou ces dires. En effet, nous
recherchons une certitude absolue comme fondement à notre recherche. Or, le
discernement de la vérité de ces documents est moins aisé à établir. Il s’y
mélange opinions et extrapolations à partir des dogmes ou de l’Écriture qui
n’engagent que leurs auteurs. Cependant, lorsque dans la deuxième partie nous
chercherons à confirmer par mode de signe notre recherche, nous utiliserons
largement toute une documentation de cet ordre. En effet, dans un premier
temps, afin de fonder de manière scientifique notre parcours théologique, nous
allons nous efforcer de dégager ce qui est d’une manière sûre la foi de l’Église.
Nous nous attacherons donc en premier lieu à ce qui, dans l’Écriture Sainte, a
fait l’objet de la part du Magistère d’une définition interprétative
solennelle. Nous dégagerons à partir de là quelques vérités fondamentales à
notre recherche qui nous permettront d’établir solidement et de manière
théologique notre hypothèse concernant le retour du Christ en gloire à l’heure
de la mort[124].
L’opposition à Rome n’est pas un phénomène nouveau. La France est
dans ce domaine l’un des champions. Historiquement, la gifle envoyée par
ambassade au pape par le roi de France Philippe IV le bel marque le début d’une
histoire orageuse. Tant que ces luttes se situent au plan temporel, au plan des
luttes de pouvoir et de juridiction humaine, elle est normale et saine. La « clérocratie » n’est pas chrétienne. Mais, la papauté est de nos jours
contestée jusque dans son domaine réservé, celui de son charisme magistériel.
Les universités catholiques dans leur ensemble sont tentées par une attitude « d’opposition larvée ou publique au
Magistère doctrinal, qui tend à instituer un contre-magistère, en proposant aux
croyants des positions doctrinales et des modalités de comportement
alternatives »[125]. « Or, poursuit Jean-Paul II, la
théologie ne peut jamais se réduire à la réflexion privée d’un théologien. Le
milieu vital du théologien, c’est l’Église, et la théologie, pour rester fidèle
à son identité, ne peut faire moins que de participer intimement au tissu de la
vie de l’Église dans sa doctrine, dans sa sainteté, dans sa prière. » Autrement dit, « le théologien a besoin de la parole vivante et clarifiante du
Magistère. » Sans cela, explique
Jean-Paul II, c’est l’édifice même de l’Église qui s’écroule car « l’Église se fonde essentiellement sur une
adhésion partagée à la parole de Dieu et sur la certitude qui en découle de
vivre dans la vérité. » L’enjeu
n’est donc pas mince.
« Nous devons prendre acte
aujourd'hui, ajoute-t-il, d'une
incompréhension répandue sur le sens et le rôle du magistère de l’Église » constate le Saint-Père. « Une situation qui est à la base de
critiques et de contestations vis-à-vis des enseignements. Ces critiques et ces
contestations ne sont pas peu diffusées dans les milieux théologiques et
ecclésiastiques à propos des plus récents documents du magistère pontifical. » II établit alors la liste des textes
en cause : « Veritatis Splendor », «
Evangelium Vitae », la Lettre apostolique « Ordinatio Sacerdotalis » sur l'impossibilité de conférer
l'ordination sacerdotale aux femmes, et la Lettre de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi sur la question de la communion eucharistique des divorcés
remariés.
Tous ces textes concernent effectivement l'ensemble de
l’enseignement moral du pape Jean-Paul II. Comment, dès lors, sortir de
l'impasse ? Un effort peut être réalisé sur le vocabulaire pour mieux rejoindre
« L’homme contemporain », en particulier « par un style plus incisif et efficace », mais l'essentiel, pour le Pape, est ailleurs : « II
n'est pas possible, dit-il, de
laisser de côté l'un des aspects décisifs, à la base du malaise de plusieurs
secteurs du monde ecclésiastique : la façon dont l'autorité est perçue. » Jean-Paul II insiste : « L'autorité ne s'applique pas seulement
quand intervient le charisme de l'infaillibilité. » Son exercice est « plus vaste. » II s'applique « comme une tutelle du dépôt
révélé de la Foi. » Le Saint-Père prévient : « L'autorité sur la détermination des contenus à croire et à enseigner
est une chose à laquelle on ne peut renoncer » même s'il est évident que
des « hiérarchies » existent dans
l'enseignement de l'Église. L'essentiel, dans ce cas, est une « urgence » : il s'agit de retrouver le
concept authentique d'autorité, non seulement sous son aspect juridique formel,
mais, plus profondément, « comme une
instance de garantie, de gardien et de guide de la communauté chrétienne, dans
la fidélité et la continuité à la Tradition afin de permettre aux croyants le
contact avec la prédication des apôtres, et avec la source de la réalité
chrétienne elle-même. »
Enfin, et à propos de son enseignement en matière morale,
Jean-Paul II ajoute : « J'ai voulu
reproposer la doctrine constante de la Foi de l'Église, comme un acte confirmé
de vérité, clairement attesté dans l'Ecriture. la Tradition apostolique et
l’enseignement des pasteurs. De telles déclarations, en vertu de l’autorité
transmise par le successeur de Pierre de confirmer ses frères, expriment la
certitude commune, présente dans la vie et l’enseignement de l’Église. »
Déjà, en 1979, la Congrégation de la Doctrine de la foi rappelait
les exigences du théologien catholique en matière de recherche :
« Après avoir rappelé ces
données, qu’il soit permis maintenant d’évoquer les aspects principaux de la
responsabilité pastorale telle qu'elle doit se traduire dans les circonstances
actuelles et à la lumière de la prudence chrétienne.
Les difficultés inhérentes à
ces problèmes créent de graves devoirs aux théologiens, dont la mission est
indispensable. Aussi ont-ils droit à nos encouragements et à la marge de
liberté qu'exigent légitimement leurs méthodes. De notre part, cependant, il
est nécessaire de rappeler aux chrétiens sans nous lasser les enseignements de
l'Église qui constituent la base aussi bien de la vie chrétienne que de la
recherche des experts. Il faut aussi arriver à faire partager aux théologiens
nos soucis pastoraux pour que leurs initiatives de recherches ne soient pas
témérairement répandues parmi les fidèles dont la foi est mise en péril aujourd'hui
plus que jamais.
Le dernier Synode a
manifesté l'attention que l'Episcopat porte au contenu essentiel de la
catéchèse, en vue du bien des fidèles. Il est nécessaire que tous ceux qui sont
chargés de le transmettre en possèdent une idée très claire. »[126]
On le voit, cet esprit d’attention et d’écoute de l’Église qui
préside à cette recherche n’est pas illégitime ni marginale.
Procédons à notre démarche de
démonstration théologique en commençant par la proposition majeure, le
fondement dans le réel. Il s’agira ici de dogmatique. Quatre dogmes
complémentaires vont être établis. A titre de proposition mineure, nous
établirons une constatation expérimentale[127],
elle aussi fondée dans le réel mais de manière philosophique.
Objection à propos de la majeure : Pourquoi, pourrait-on
objecter à ma méthode, ne pas commencer par étudier les Écritures pour établir
les vérités évangéliques ? Pourquoi s’appuyer sur le Magistère ?
La raison en est simple : pour gagner en certitude scientifique.
Je ne veux pas dire par là, comme d’aucuns ont reproché à l’Église catholique
de le faire, qu’il y aurait moins de vérité dans l’Écriture que dans le
Magistère. Je veux dire que la vérité de l’Écriture, étant présentée sous la
forme d’un texte vaste et de genres littéraires multiples, ne laisse pas
facilement apparaître son unité de doctrine. C’est pourquoi, par l’utilisation
directe du Magistère qui vient confirmer à la fois l’Écriture et la Tradition,
tout un travail exégétique m’est évité et la même vérité est atteinte. Elle est
de plus présentée sous l’analogie de concepts philosophiques rigoureux. Elle
est donc doté d’une très grande précision. Cette méthode, difficile à
comprendre dans la perspective actuelle d’une redécouverte du texte biblique, a
été trop utilisée par le passé. Cela ne veut pas dire quelle est devenue
illégitime. Il convient de l’employer à bon escient. Nous verrons par la suite
qu’elle se justifie parfaitement pour nous, l’Écriture ne parlant jamais de manière
claire au sens littéral, du retour du Christ à l’heure de la mort.
Les positions multiples que nous avons évoquées en prolégomènes se
réfèrent à diverses conceptions de la justice qui mérite la vision de Dieu.
Pour saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, conjointement à la théologie
scolaire traditionnelle, c’est la charité fondée sur la foi et l’espérance qui
seule rend digne d’entrer dans la gloire. Les théologies des auteurs
catholiques se déclinent, avec des nuances, autour de ce principe. Mais quelle
est, au delà de cette diversité, la foi de l’Église ? Trouve-t-on dans le
Magistère solennel, une explication sûre de ce qu’affirme l’Écriture de
l’entrée dans le salut ? Bonne volonté, foi, espérance ou charité sont-ils
requis ?
« La vie éternelle, c’est te
connaître, toi le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus le
Christ »[128].
Face à la crise de la Réforme, l’Église catholique fut conduite
durant le Concile de Trente à se prononcer définitivement sur l’origine de la
justification[129]. Il en sortit un texte dont
la précision de type scolastique éclaire d’une lumière sans ambiguïté ce
problème. Nous commenterons les chapitres 4 à 7 de la 6ème session (13
janvier 1347) intitulée : « esquisse
d’une description de la justification de l’impie. » Nous nous référons à la traduction du Père Dumeige[130].
Au début du chapitre 4, le Concile explique son intention : donner
une explication nette de la nature de la justification. L’Écriture Sainte
montre que nul ne peut entrer dans le
Royaume de Dieu s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint[131]. Que signifie ce bain de
régénération sans lequel l’homme reste séparé de Dieu, éloigné de l’adoption
filiale qu’il propose ?
A partir du chapitre 5, le Concile entreprend une analyse
théologique du processus vital qu’est la justification. La méthode est
visiblement inspirée du thomisme puisqu’elle procède en premier lieu selon un
ordre « génétique »classique à saint Thomas d’Aquin (ce qui précède la
justification, ce qu’elle est et ce qui la suit), avant de reprendre l’analyse
selon un l’ordre de « perfection »des cinq causalités (chap. 7.)
Le chapitre 6 décrit ce qui précède la justification et la
prépare. Puisqu’il s’agit de l’entrée dans une vie absolument surnaturelle pour
l’homme, elle ne peut se préparer que par une initiative d’origine divine. La
première grâce est donc adressée à l’homme sans aucun mérite de sa part, sans
même qu’il soit encore capable de soupçonner ce qui est préparé en lui. L’effet
de cette première grâce est une certaine attraction à se détourner du péché.
Ainsi Dieu touche le cœur de l’homme par l’illumination du Saint Esprit, mais
l’homme lui-même n’est pas inactif en recevant cette inspiration qu’il peut
librement rejeter. Le Concile d’Orange avait déjà décrit cette première grâce
comme une « affection pieuse »[132]. Psychologiquement, son
effet est d’attirer par mode de nostalgie l’homme vers un au-delà de lui-même,
dont il soupçonne ou espère plus ou moins consciemment l’existence sans en
connaître la nature. Par contrecoup, cette attraction provoque une tristesse
devant son propre péché. Mais tout cela n’est pas saisi comme venant de Dieu et
de l’attirance de sa Nature faite pour combler le cœur de l’homme. Saint
Augustin décrit dans ses confessions, 1 ce qu’il comprit être d’origine
divine après sa conversion : « Avant de
te connaître, je t’aimais et mon cœur ne trouvait pas de repos avant de se
reposer en toi. » Par l’effet de
cette grâce, la liberté de l’homme est appelée mais elle ne sait encore où se
tourner pour donner réponse. Dans le meilleur des cas, la nostalgie de Dieu
peut conduire, tant que l’homme ne sait pas qu’elle vient de Dieu, à une
recherche du sens de la vie, à une conversion vers une meilleure conduite
humaine envers son prochain, à des œuvres artistiques sacrées car tournées vers
« autre chose. » Dans la mesure où une culture religieuse forte subsiste autour
de la personne, l’attraction divine pousse l’homme à chercher sa réponse dans
une recherche de Dieu à travers le conseil des croyants.
Le chapitre 6 de la Constitution étudie les conditions d’une
préparation plus proche à l’entrée dans la justice. Il est important de noter
qu’il ne s’agit encore que d’une préparation et rien dans ce chapitre ne
parle de l’entrée dans la justice elle-même. Il s’appuie sur le réalisme de
saint Paul[133] : « Comment invoquer Dieu sans d’abord croire en lui ? Et comment croire
en lui sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? Et comment
prêcher sans d’abord être envoyé ? (...)La foi naît de la prédication. » Ainsi, il est évident pour le Concile
que l’attraction divine ne restera qu’une angoisse d’un au-delà sans objet si
un prédicateur, homme, ange ou Dieu, ne vient expliquer à l’intelligence de
l’homme ce qu’elle signifie. L’homme étant un être doué de liberté, il ne peut
choisir sans connaître ce qu’il a à choisir. Ainsi, le premier pas vers la
justification est la foi prise dans
le sens non de la confiance en Dieu mais de l’arrivée à la connaissance de l’homme de l’existence d’un Dieu Créateur animé
d’un projet positif sur l’homme créé. Savoir que Dieu veut justifier l’homme
impie par sa grâce, « au moyen de la
Rédemption qui est opérée par le Christ Jésus »[134] est le fondement sans quoi
aucun chemin vers la justification ne peut être envisageable. L’effet de ce
savoir est en premier lieu de manifester à l’homme qu’il est pécheur (au sens
théologique du terme, c’est-à-dire séparé de Dieu.) S’il considère la
miséricorde de Dieu, il découvre l’espérance. Si la prédication est portée à
insister sur la rigueur de la justice de Dieu, cette espérance théologale peut
être teintée de crainte. L’espérance et la crainte provoquent un ébranlement
positif vers le rejet des mauvaises actions et l’amendement du mode de vie.
L’homme se propose, enseigne le Concile, «
de commencer une vie nouvelle, d’observer les commandements divins et de
recevoir le baptême. » « Il commence à aimer Dieu comme la source
de toute justice. »
Arrivé ici dans notre analyse, une question se pose : le Concile
de Trente nous donne la description d’un homme vivant de la foi dans le Christ
Sauveur, de l’espérance dans la miséricorde de Dieu, du rejet de ses péchés et
qui « aime » Dieu comme la source de toute justice, tout en affirmant que cet
homme n’est pas justifié et seulement en voie de justification. Au début du
chapitre 7, il dit : « Cela constitue une
disposition ou préparation qui sera suivie de la justification elle-même qui
n’est pas simple rémission des péchés mais aussi sanctification et rénovation
de l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons. »
Quelles sont donc la foi, l’espérance et l’amour qui ne justifient
pas ? N’y a-t-il pas contradiction avec l’enseignement évangélique ? En fait,
il n’y a aucune contradiction. Encore faut-il être attentif à la nature de
l’amour dont parle le Concile : Dieu n’est pas aimé en tant qu’il est ami,
d’égal à égal et réciproquement, mais en tant qu’il est source transcendante de
toute justice. Autre est l’amour d’amitié et l’amour qui unit un inférieur au
maître qu’il admire. Cette distinction peut être repérée à travers l’Évangile
dans son ensemble et dans les enseignements unanimes des Conciles : « Je ne vous appelle plus serviteurs mais
amis », dit Jésus à ses disciples[135]. De même, lorsque le juste
Nicodème vient le trouver au jardin des oliviers[136], bien que cet homme soit le
portrait de ce que réalise de mieux la foi d’Israël en foi, espérance, conduite
droite et amour de Dieu, Jésus lui dit : «
A moins de renaître d’en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu. » Dans
la logique de ces enseignements, le Concile Vatican II réaffirme que les
traditions religieuses juives et musulmanes disposent au salut (mais ne donnent
pas le salut) donné par Dieu dans la charité.[137] En conséquence, on doit
interpréter le désir de la réception du baptême dont parle le Concile de Trente
comme le désir du baptême de l’eau, c’est-à-dire du repentir des péchés que
prêchait Jean le baptiste avant la venue du Christ. Il ne s’agit pas encore du
baptême de l’Esprit Saint, objet du chapitre 7 de la constitution. Le chapitre
7 définit ce qu’est la justification elle-même : « Bien que personne ne puisse être juste que par la communication des
mérites de la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, cette communication
s’accomplit dans la justification de l’impie, quand, par le mérite de cette
Passion très Sainte, LA CHARITÉ de DIEU est répandue par le Saint Esprit dans
les cœurs de ceux qui sont justifiés[138] et y demeure inhérente. Ainsi, dans la justification même, avec
la rémission des péchés, l’homme reçoit-il à la fois, par Jésus-Christ en qui
il est inséré, tous les dons infus : la foi, l’espérance et la charité. » Le Concile précise que si la
charité ne se joint pas à la foi et l’espérance, la foi n’unit pas parfaitement
au Christ et ne rend pas l’homme vivant de la nouvelle vie d’union. Cette foi
est une foi morte selon Jacques[139]. Ainsi, il semble que l’on
peut distinguer dans les Écritures une foi théologale qui ne justifie pas mais
dispose par la confiance en Dieu qu’elle suscite à la justice et une foi vive,
qui opère par la charité et constitue aux yeux de Dieu la justice[140]. Par charité, le Concile
entend cette forme d’amitié surnaturelle que saint Thomas d’Aquin a
magistralement définie dans sa Somme de théologie[141]. Ce texte est d’une grande
précision. Il ne laisse subsister aucun doute sur le fait que l’entrée dans la
vie de Dieu, grâce sanctifiante, ne se fait qu’à travers un don mutuel de
charité. Le Concile précise que cette grâce seule mérite la gloire de la vie
éternelle. Il s’agit d’un mystère d’épousailles impliquant nécessairement
une réciprocité de choix amoureux.
Ceci étant posé, la place des autres qualités humaines et
surnaturelles apparaît : La bonne volonté, l’attraction divine, les actes
humains bons, la foi et même l’espérance sont comme les fondements sur lesquels
peut et doit s’épanouir la charité. Ils sont des DISPOSITIONS[142] à la justification mais ils
ne constituent en aucun cas la justice que recherche Dieu. Ainsi, il est
certain que nul n’entre dans la vision de Dieu s’il n’aime pas Dieu
EXPLICITEMENT de cet amour d’amitié, de la même façon que nul ne peut prétendre
à un mariage sacramentel valide (selon les conditions précises qu’on peut
trouver dans le code de droit canonique) si son sentiment est seulement celui
de la confiance (qui correspond à la foi au sens luthérien.) Il lui est en
outre demandé un amour d’amitié désireux de vivre en commun dans l’acceptation
des fruits de l’amour.
Dans la troisième partie de notre étude[143], nous développerons avec
ampleur ce fondement de notre hypothèse. Nous présenterons d’une manière vitale
l’organisme spirituel qui fonde la charité et ouvre les portes du Ciel.
Cependant, nous pouvons dès maintenant tirer quelques conclusions
qui nous seront utiles pour discerner la vérité des systèmes théologiques à
propos du salut.
« Si quelqu'un dit que l'homme peut être justifié devant Dieu par ses œuvres,
réalisées soit par les forces de sa nature soit par l'enseignement de la Loi,
sans la grâce divine qui vient par Jésus-Christ, anathema sit. » [144]
Cette position trouve souvent une justification théologique dans
la reconnaissance universelle de l’Église pour la présence de la grâce au cœur
des actes bons. Cependant, le texte cité du Concile de Trente ne laisse aucun
doute sur la nature de cette grâce. Elle n’est pas celle qui ouvre au salut
mais seulement celle qui dispose, qui prépare au salut, puisqu’il est évident
qu’un homme de bonne volonté est disposé à accueillir la charité le jour où
elle lui est proposée.
L’erreur de ceux qui rendent immédiatement « méritoires » (au sens
scolastique du mot) les actes humains est à rechercher dans un manque de
connaissance de la notion de grâce. Elle est une notion analogique. Elle
implique de multiples significations et les réalités qu’elle exprime ont un
certain rapport entre elles, tout en étant très différentes[145]. Bien des conflits
intellectuels pourraient être évités si, au delà du mot employé, on prenait le
temps de discerner les multiples sens possibles. Ainsi, lorsqu’on entend par
grâce « un don gratuit fait à la
créature », on trouve (alors qu’il ne
s’agit que d’un des trois sens possibles du mot) une multitude de réalités. « Tout est grâce », affirme-t-on. De fait, le don de l’existence, de la vie, du
mouvement sont déjà des grâces de Dieu. Tout homme quel qu’il soit les a reçues
de Dieu en tant qu’il est Créateur (l’être), Père (la vie), et Moteur premier
(le mouvement.) Dans ce sens, les animaux eux-mêmes peuvent être regardés comme
comblés de grâce. Maître Eckart n’hésitait pas à écrire que les fleurs sont
remplies de la grâce de Dieu. Une telle affirmation lui valut (avec d’autres)
une enquête doctrinale. Il ne faisait pourtant qu’utiliser une vérité déjà
enseignée par saint Thomas d’Aquin : «
Dire qu’un homme a la grâce de Dieu, c’est dire qu’il a en lui un effet produit
gratuitement par la volonté de Dieu. Or cette aide s’exerce doublement : par un
amour général qui fait que Dieu aime tout ce qui existe et donne aux êtres
créés leur être naturel ; Mais il est un autre amour, spécial celui-là, en
vertu duquel Dieu attire la créature spirituelle vers la vie surnaturelle. »[146]
La vie surnaturelle n’est certes pas objet d’expérience
philosophique. Elle n’est pas seulement objet de foi mais une réalité que
l’homme peut expérimenter intérieurement. Par vie surnaturelle, on entend une
série d’activités qui dépassent totalement les possibilités de la nature humaine.
Pour la spécifier en un seul mot quand il s’agit d’ici-bas, on peut dire
qu’elle consiste dans la charité. La charité est une amitié avec Dieu. Comme
les amitiés terrestres, elle peut atteindre divers degrés en nous. Cependant, à
son sommet, elle devient comparable aux épousailles les plus tendres entre Dieu
et l’homme. Elle est surnaturelle car elle implique des conditions qui
dépassent la nature humaine : l’homme et Dieu doivent devenir en un certain
sens égaux car l’amitié n’existe qu’entre deux semblables. Il faut donc que
Dieu s’abaisse et qu’il surélève l’homme. Les vertus théologales réalisent
cette surélévation dans l’esprit. Mais, d’une façon plus radicale, il faut
admettre que c’est le fond même de l’homme qui doit être disposé et élevé (toujours
à cause de la grandeur surnaturelle qu’implique la moindre amitié cœur à cœur
avec Dieu.) C’est ainsi que la théologie occidentale a été amenée par induction
(de l’effet qui est charité, elle est remontée à la cause qui est
la grâce) à poser une grâce particulière dont la fonction est de surélever
l’âme elle-même (le principe de vie.) Saint Thomas d’Aquin l’appelle la
grâce habituelle[147] car elle est donnée à
l’homme comme un avoir dont il peut user à volonté ou encore grâce
sanctifiante car c’est elle et elle seule qui sauve. En effet, elle rend
ontologiquement possible la charité et la charité seule plaît à Dieu au point
de le faire « fondre » devant nous, au point de nous mériter[148] la vision béatifique après
cette vie.
Mais, pour que cette charité soit possible, cet « habitus » passif ne suffit pas. Chacun de nous sait que, dans l’amour
humain, il ne suffit pas de pouvoir aimer pour aimer. Encore faut-il tomber
amoureux, c’est-à-dire être attiré par le bien-aimé. Il en va de même dans la
vie surnaturelle. Saint Thomas d’Aquin appelle cette attraction que Dieu exerce
sur nous pour nous conduire à la charité «
une grâce actuelle. » Elle
est vraiment une grâce de la vie surnaturelle et non une simple grâce donnée
par Dieu en tant qu’il étend sa providence sur toute créature. En effet, par
elle, Dieu nous attire à lui avant même que nous le connaissions, pour nous
unir à lui. Il existe donc en théologie catholique deux grandes acceptions de
la grâce surnaturelle :
- La grâce habituelle qui surélève les facultés de l’âme et rend
possible la charité, donc la justice et le mérite de la gloire ;
- La grâce actuelle qui aimante l’esprit vers Dieu.
Là se situe le contresens de ceux qui pensent que tout acte humain
bon mérite de soi la vie éternelle : ils y discernent une grâce surnaturelle et
ils ne se trompent pas. Cependant, le mot grâce est ici employé par l’Église
dans un sens analogique : Elle entend par là une forme de l’attraction de Dieu.
Dans tout acte humain bon, Dieu non seulement agit comme Moteur premier (Auxilium) mais en plus il attire
invisiblement l’homme vers sa vocation qui est celle de la vision béatifique.
Cependant, cette attraction n’est pas réservée aux hommes de bonne volonté mais
à toute créature spirituelle. Certains théologiens vont jusqu’à affirmer que
les démons en enfer restent attirés par cette grâce de Dieu, d’où le feu qui
règne en eux[149]. Nous pensons quant à nous que
l’orientation naturelle de l’esprit vers la Vision pour laquelle il est fait
suffit à expliquer ce feu, sans que Dieu ait à surajouter son attraction
extérieure.
Il est par contre certain que les actes humains dans leur ensemble
sont marqués ici-bas par la grâce actuelle de Dieu qui attire à lui tous les
hommes, y compris les pécheurs. Est-ce à dire qu’un homme humainement juste est
aussi divinement juste ? Autrement dit, en langage d’École, les actes bons
humainement méritent-ils de soi la vie éternelle ? Si l’on se réfère à Trente
et à toute la tradition du Magistère, la réponse est non. Par contre, on peut
affirmer avec Vatican II à propos des religions non-chrétiennes, que ces actes
bons disposent au salut. Il est évident qu’un homme droit fait sienne la Bonne
Nouvelle lorsqu’elle lui est suffisamment prêchée. Il convient d’être très
précis en ce domaine : un homme de bonne volonté, un juste au plan humain ne
mérite pas la vision béatifique parce qu’il ne la désire pas explicitement dans
l’amour de charité. De même, un homme juste et de bonne volonté ne serait
pas digne d’épouser, quelles que soient ses qualités, telle jeune fille
particulière tant que, étant aimé par elle, il ne l’aime pas, elle et elle
seule, explicitement d’amour.
Nous
rejetons donc toute conception de l’entrée dans la vision béatifique fondée sur
le seul mérite des actes humains bons. Nous acceptons la richesse de ces actes
humains et les considérons comme des dispositions importantes au salut.
« Si quelqu'un dit que la foi qui justifie
n'est autre chose que la confiance en la miséricorde divine qui remet les
péchés à cause du Christ ou que cette confiance seule est ce qui nous justifie,
anathema sit. »[150]
Le Concile de Trente, dans sa polémique avec la Réforme, précise
de la manière suivante le rôle de la confiance en Dieu dans la justification
dont nous parlons ici, c’est-à-dire celle qui mérite la vision béatifique[151] : « Quand donc l’apôtre dit que l’homme est justifié « par la foi » et «
gratuitement »[152], ces mots sont à prendre dans le sens que l’Église catholique a
toujours et unanimement exprimé, à savoir que nous sommes dits justifiés par la
foi parce que « la foi est le commencement du salut de l’homme », le fondement
et la racine de toute justification, « sans laquelle il est impossible de
plaire à Dieu »[153]et « de parvenir à partager le sort de ses enfants. »
L’ambiguïté des débats entre catholiques et réformés repose souvent
sur l’utilisation des mots. Saint Thomas d’Aquin remarque que le mot foi reçoit de l’Écriture de nombreux
sens différents. Il peut signifier dans certains cas une simple connaissance
intellectuelle de la révélation ou ailleurs une confiance de serviteur, un
amour de charité, un charisme ou un fruit du Saint Esprit. Or, Luther lui-même
le reconnaît, il entend par foi cette
confiance absolue en Dieu. Cette foi est présente dans la charité mais peut
aussi exister sans elle. On n’a pas confiance uniquement dans ses amis intimes. Cette foi confiante n’est pas le fait
des seuls chrétiens. Elle existe déjà chez les croyants juifs ou musulmans,
parfois aussi dans des religions d’autres origines « Entendant cela, Jésus fut
dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « En vérité, je vous le dis,
chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël.[154] » La Tradition de l’Église
enseigne unanimement que cette attitude intérieure, lorsqu’elle existe sans la
charité, dispose au salut, à la justice et à la gloire, mais n’est pas le salut
lui-même : la foi est un réceptacle immédiat à la naissance de la charité sur
laquelle celle-ci peut venir se greffer le jour où elle est révélée et reçue
par l’homme.
L’analogie que nous avons suggérée plusieurs fois et qui compare
l’amour divin à des épousailles humaines éclaire encore une fois la vérité de
ce mystère : la foi ne suffit pas à rendre juste devant Dieu (de cette justice
parfaite qui mérite la vision béatifique) de la même manière que la confiance
ne suffit pas à fonder un mariage humain.
Certains théologiens, en vue d’une recherche oecuménique, ont
manifesté la présence dans la foi confiante de Luther d’un amour. Il leur
paraît artificiel de vouloir séparer les positions du luthéranisme orthodoxe de
celles du catholicisme puisqu’elles semblent, au delà des mots employés,
signifier les mêmes réalités. Qu’on se réfère à notre étude précédente et l’on
verra que pour Luther et le Concile de Trente, la distinction est réelle. C’est
que, encore une fois, il convient de ne pas jouer sur l’ambiguïté analogique du
mot amour. L’amour qui sort naturellement de la foi et de l’espérance en un
Dieu transcendant et Tout-puissant est un amour de respect et d’admiration
soumise, comme celui d’un inférieur envers un supérieur. Il n’est pas
comparable à l’union de secrets et de confidences que suscite l’amour d’amitié.
L’Ancienne Alliance dans son sommet visait à préparer de tels hommes de foi.
Elle devait préparer le plus grand des hommes, Jean-Baptiste[155] qui pourtant resta le plus
petit dans le Royaume de Dieu tant qu’il ne fut pas introduit dans le cœur à
cœur que donne la charité. Luther prépare, dans la mesure où l’on suit à la
lettre sa doctrine, des hommes de l’Ancienne Alliance mais non de la Nouvelle.
Nous
rejetons donc toute conception de l’entrée dans la vision béatifique fondée sur
la seule foi confiante en Dieu, lorsque cette foi existe sans la charité. Nous
reconnaissons la grandeur surnaturelle de cette foi et la considérons comme la
disposition la plus immédiate à la réception du salut par la charité.
Afin de rendre plus complet le regard synthétique que nous voulons
donner sur les conceptions du salut, il nous paraît bon de citer rapidement
cette conception très proche, et sans doute même identique à la précédente. A
propos d’une question sur la mise à l’écart d’Israël, la théologienne
Marie-Thérèse Huguet écrit dans la revue Nova et Vetera[156] que c’est par l’espérance en la réalisation de la
promesse de Dieu que les fils d’Israël du passé, alors même qu’ils ne
connaissaient pas encore le Christ, étaient justifiés ; Elle s’appuie sur une
citation de l’épître aux Galates[157]. A fortiori, les Israélites d’aujourd’hui lui paraissent justifiés
par l’espérance en Dieu qui tient ses promesses lorsqu’on les voit, poussés par
leur histoire dramatique, attendre la consolation d’Israël. Elle cite la
ferveur des hassidim et l’admirable profession de foi d’Elie Wiesel : « Au jour du jugement, il ne sera demandé au
juif qu’une seule chose : As-tu espéré dans la Rédemption ? »
Sans entrer dans une polémique qui est certainement hors de la
pensée de l’auteur, nous pensons que la précision du langage théologique est
importante : plutôt que de dire que les juifs sont justifiés par leur espérance
théologale en la Rédemption future, nous préférons dire qu’ils sont « disposés » à être justifiés, du moins si l’on entend par justice celle qui
nous occupe actuellement et qui seule ouvre le Ciel. C’est donc que l’espérance
elle-même est autre chose que l’entrée en possession de ce qu’on espère, de
même que l’espoir humain d’approcher un jour un roi est autre chose que le fait
d’en devenir l’épouse aimée. Il est indispensable pour les théologiens d’avoir
un langage très précis en ce qui concerne ces matières, sous peine de réduire
l’Évangile à une nouvelle forme, sans radicale nouveauté, des Alliances
anciennes.
Cette position théologique n’est pas une simple nuance. Elle
permet de dire deux choses : 1) Il est certain que ceux qui espèrent seront
sauvés et vivront de la charité dès qu’elle leur sera proposée, à l’image du
bon larron crucifié : « Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi,
lorsque tu viendras avec ton royaume. Et Jésus lui dit : En vérité, je te
le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis.[158] » 2) La spécificité de
l’Evangile de Jésus, c’est la charité théologale. Elle est le salut.
L’espérance
théologale la plus profonde ne sauve que si elle devient le fondement d’une
charité théologale. Mais nous reconnaissons la valeur de l’espérance comme une
disposition immédiate à l’accueil de ce salut dès qu’il est proposé.
Cette conclusion s’impose à nous. Elle constitue le premier point
de l’approche démonstrative théologique que nous entreprenons. Nous suivons
donc sur ce point saint Augustin et saint Thomas d’Aquin ainsi que la théologie
scolastique. Avec eux, nous affirmons que :
Nul
homme n’entre dans la vision de Dieu s’il n’est pas rené de l’eau de la
pénitence et de l’Esprit de la charité.
Mais nous constatons que la vérité de cette thèse a conduit saint Augustin
et saint Thomas d’Aquin a des conclusions sur le salut des païens, des pécheurs
et des enfants morts sans baptême sur lesquelles il faut maintenant
s’interroger.
Concile de Quierzy, canon n°3[159]
« Dieu tout-puissant veut que « tous les hommes » sans exception « soient sauvés »[160], bien que tous ne soient
pas sauvés. Que certains se sauvent, c'est le don de celui qui sauve ; que
certains se perdent, c'est le salaire de ceux qui se perdent. »
Concile de Quierzy, canon n°4[161]
magistralement définie dans sa Somme de théol"
« De même qu'il n'y a eu ou qu'il n'y aura
aucun homme dont la nature n'ait été assumée dans le Christ Jésus notre
Seigneur, de même il n'y a, il n’y a eu et il n'y aura aucun homme pour qui il
n'ait pas souffert, bien que tous pourtant ne soient pas rachetés par sa
Passion. Que tous ne soient pas rachetés par le mystère de sa Passion, ne
concerne ni la grandeur ni l'abondance du rachat, mais la partie des infidèles
et de ceux qui ne croient pas de cette foi qui « agit par la charité [162]« car la coupe du salut de
l'humanité, faite de notre faiblesse et de la puissance divine, contient ce qui
est utile à tous ; mais si l’on n'y boit pas, on n'est pas guéri. »
La vérité de cette proposition n’aurait pas besoin d’autre
démonstration que l’Évangile. Elle est l’Évangile. Celui qui médite sur la
croix de Jésus, voit à travers l’acte rédempteur du Dieu fait homme l’évidence
de cette proposition.
Cependant, afin de garder à notre recherche son caractère
d’approche démonstrative théologique, il nous paraît bon d’étayer notre
affirmation par quelque confirmation solennelle du Magistère de l’Église.
Et un tel dogme solennel existe, dans le concile Vatican II, ce
Concile que Jean XXIII avait voulu uniquement pastoral et que l’Esprit Saint
voulu aussi dogmatique.
Citation: |
Vatican II: “Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière
de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que
l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité
d'être associé au mystère pascal” (Gaudium et Spes n° 22, 5) |
Commentant cette doctrine de Vatican II,
voilà ce que disait Karol Wojtyla dans "le signe de contradiction"
Citation: |
"La naissance de l'Eglise qui a eu lieu sur la croix, au moment
messianique de la mort rédemptrice du Christ, fut dans son essence la naissance
de l'homme, de chaque homme et de tous les hommes, de l'homme qui - qu'il le
sache ou non, l'accepte ou non dans la foi - se trouve déjà dans la nouvelle
dimension de son existence. cette nouvelle dimension, saint Paul la définit
tout simplement par l'expression In Christo, dans le Christ" |
un peu plus loin
Citation: |
"Tous les hommes depuis le commencement jusqu'à la fin du monde ont été
racheté et justifiés par le Christ et par sa croix" |
Dans Redemptor Hominis :
Citation: |
"Il s'agit donc ici de l'homme dans toute sa vérité, dans sa pleine
dimension. Il ne s'agit pas de l'homme «abstrait», mais réel, de l'homme
«concret», «historique». Il s'agit de chaque homme, parce que chacun a été
inclus dans le mystère de la Rédemption, et Jésus-Christ s'est uni à chacun,
pour toujours, à travers ce mystère.(...)c'est cela, l'homme dans toute la
plénitude du mystère dont il est devenu participant en Jésus-Christ et dont
devient participant chacun des quatre milliards d'hommes vivant sur notre
planète, dès l'instant de sa conception près du coeur de sa mère." |
Auparavant, voici quelques textes de l’Écriture Sainte :
« Alors toute chair verra le
salut de Dieu »[163]. Telle est la parole prophétique
qu’utilise le rédacteur du troisième évangile pour manifester la nature de la
mission de Jean-Baptiste, le précurseur. Saint Paul écrit d’autre part, pour
signifier que tous les hommes paraîtront au tribunal de Dieu[164] : « Par ma vie, dit le Seigneur, tout genou devant moi fléchira et toute
langue rendra gloire à Dieu. » C’est donc, commente-t-il, que chacun de
nous rendra compte à Dieu pour lui-même. Ailleurs, il s’exprime avec précision
à propos de la manière dont Dieu agit :[165] « Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui
veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la
vérité. Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les
hommes, le Christ Jésus, homme lui-même s’est livré en rançon pour tous. Tel
est le témoignage rendu aux temps marqués. »
L’Église, confrontée aux thèses de Calvin, s’est prononcée
solennellement pour réaffirmer cette vérité. Le canon 17 du décret sur la
justification, condamne la thèse des prédestinés au mal[166] « Si quelqu’un dit que la grâce de la justification n’est accordée
qu’aux prédestinés à la vie et que tous les autres appelés, tout en étant
appelés, ne reçoivent pas cette grâce, parce que prédestinés au mal par la
puissance divine, qu’il soit anathème.
»
Déjà par le passé, devant des interprétations durcies des thèses
de saint Augustin sur la prédestination éternelle confondue avec la
prédestination dans le temps en fonction des mérites et de la liberté de
chacun, l’Église avait rappelé la vérité de l’Évangile[167] : « Dieu tout-puissant veut que « tous les hommes »sans exception «
soient sauvés »[168], bien que tous ne soient pas sauvés. Que certains se sauvent,
c’est le don de celui qui sauve ; que certains se perdent, c’est le salaire de
ceux qui se perdent. »
Nous n’entrerons pas ici dans l’analyse des subtilités
théologiques qui entrent dès que l’on veut confronter la Science éternelle de
Dieu sur la damnation de certains et la liberté humaine qui fait qu’eux seuls
se séparent de Dieu. L’essentiel pour le sujet qui nous occupe, est contenu
dans la conclusion suivante : « Dieu
veut que tout homme soit sauvé. Il donne donc à Tout homme les moyens d’être
sauvé. » Libre à lui, dans un second
temps, de refuser ce salut.
Le canon 17 du décret sur la justification[169], condamne la thèse des
prédestinés au mal : « Si quelqu'un dit
que la grâce de la justification n'est accordée qu'aux prédestinés à la vie et
que tous les autres appelés, tout en étant appelés, ne reçoivent pas cette
grâce, parce que prédestinés au mal par la puissance divine, qu'il soit
anathème. »
Fondé sur une telle foi, nous rejetons avec certitude la théorie
calviniste sur la prédestination divine de certains à la damnation éternelle.
Cette thèse est en contradiction manifeste avec l’Évangile. De même, il nous
paraît impossible de sauver certaines conclusions augustiniennes et thomistes à
propos du sort des hommes qui meurent, sans faute de leur part, sans la grâce
de Dieu (donc, nous l’avons précisé précédemment, sans la charité.) La théorie
des limbes éternelles pour les enfants morts sans baptême ne peut
qu’entrer en contradiction directe avec ce dogme de la foi. Elle consiste en
effet à affirmer que ces innocents, parce qu’ils n’ont pas reçu le baptême
d’eau, sont exclus par Dieu de la proposition du salut. Imaginer un état de
damnation éternelle où l’on ne souffre pas car on n’a pas fait le mal est
visiblement, compte tenu du dogme ici rappelé, en opposition avec la foi. De
même, certaines thèses allant dans le sens d’une damnation éternelle des
païens, des pécheurs graves (exception faite, nous le verrons, du seul
blasphème contre le Saint Esprit), nous paraissent exagérées. Un païen n’est
tel que parce qu’il n’a pas reçu avec clarté la proposition de l’Évangile.
Saint Thomas d’Aquin dépasse heureusement par la souplesse contemplative de sa
pensée, ce que la rigidité de la logique pourrait suggérer : ne sachant pas par
quel moyen Dieu pourrait sauver les païens dont il constatait avec évidence la
mort éloignée de la charité, et étant mal à l’aise devant la certitude de
certains quant à leur rejet éternel, il écrit :[170]
« A
un homme qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle pour
chercher le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très certain que Dieu
révélerait par une inspiration intérieure les choses qu’il est nécessaire de
croire ou lui enverrait quelque prédicateur de la foi, comme Pierre à Corneille. »
Ce texte est le plus ancien mais aussi le plus court allant dans
le sens de notre thèse. Saint Thomas d’Aquin n’a pas eu l’audace d’aller plus
loin et d’en faire un principe de sa théologie du salut. Il n’a pas pu, dans
son réalisme expérimental, s’imaginer l’universalité de cette parousie du
Christ dans l’heure de la mort. Nous savons pourtant de source contemporaine
qu’il a vécu cette parousie. Lorsque le Christ lui est apparu, dans les
derniers mois de sa vie, il fut saisi par sa gloire au point de vouloir brûler
sa Somme de Théologie. Il n’écrivit jamais plus rien. Dans une chrétienté comme
celle de son époque, il n’a pas été suffisamment confronté au drame de
l’incroyance pour réfléchir au cas de ceux qui vivent dans le péché parce
qu’après la mort « c’est le néant. » De même, la psychologie moderne
manifestera avec force les limites de notre liberté terrestre. Le salut, même
prêché avec force, peut être rejeté ou oublié sans que la responsabilité soit telle
qu’elle puisse mériter la damnation éternelle. Dieu qui connaît la nature
humaine et prend en pitié le petit troupeau des hommes sans berger, ne veut-il
pas sauver tous les hommes ? Qu’un enfant soit loin de lui pour l’éternité
parce que personne n’a pensé à l’aimer en le baptisant, voici une théorie
contradictoire avec la fameuse parole de Jésus concernant le pardon de tous les
péchés [171]que le Pape Innocent IV
commente ainsi à l’évêque du Tusculum[172] : « Enfin, puisque la Vérité affirme dans l’Évangile que « si quelqu’un a
blasphémé contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pas pardonné ni dans ce monde à
venir »[173], ce qui nous fait comprendre que certaines fautes sont déliées
dans le siècle présent, mais d’autres dans le siècle futur ; Puisque l’Apôtre
dit que « le feu éprouvera la qualité de l’œuvre de chacun »et que « celui dont
l’œuvre est consumée en subira la perte ; pour lui, il sera sauvé, mais comme à
travers le feu »[174]
Dieu
qui veut que tout homme soit sauvé, propose à la connaissance et au choix de
tous sans exception son salut de telle manière que nul ne puisse le rejeter
que librement.
Le problème qui apparaît maintenant est celui de la manière dont
Dieu procède au salut de ceux qui meurent sans connaître l’Évangile. Comment, quand
et par qui leur est-il prêché ? Saint Thomas d’Aquin nous ouvre la porte par le
texte cité plus haut. Mais avant d’aller plus loin dans cette recherche, il
convient de jeter quelques balisent supplémentaires de la foi de l’Église. Nous
dégagerons ainsi notre chemin des voies sans issues.
L’absence de délai entre la séparation de l’âme et du corps et le
jugement particulier par lequel Dieu donne à l’âme ce qu’elle mérite est une
vérité de foi qui ne laisse au théologien aucune autre alternative. Nous le
devons à une définition solennelle du Pape Benoît XII, à la suite de sa
controverse avec son prédécesseur Jean XXII[175].
En 1331, Jean XXII avait affirmé dans ses sermons et ce à titre de
recherche personnelle que les âmes des élus ne jouiraient de la vision
béatifique qu’après le Jugement dernier et la résurrection de la chair, et
qu’en attendant elles ne possédaient qu’une béatitude incomplète (celle des
limbes, du « sein d’Abraham. ») En 1332, il prêcha une opinion
analogue sur la peine des damnés. Ces prédications n’étaient pas des
définitions solennelles. Elles n’exprimaient que l’opinion privée du Pape. Néanmoins
elles provoquèrent aussitôt de vives contradictions, notamment de la part des
dominicains de l’Université de Paris et des franciscains schismatiques
d’Allemagne. Jean XXII renonça à son opinion personnelle en faveur de la
doctrine traditionnelle de l’Église, qu’il entendit proposer par un décret
solennel. Mais c’est seulement son successeur Benoît XII, auteur, alors qu’il
était cardinal, d’un De statu animarum
sanctarum ante generale judictium, qui put, après une minutieuse
enquête, réaliser ce projet par sa constitution Benedictus Deus, document «
ex cathedra. »
Nous citons les extraits de ce document qui intéressent notre
propos, en priant le lecteur de bien vouloir pardonner la longueur de la
citation :[176]
«
Par la présente constitution, qui restera à jamais en vigueur, et de notre
autorité apostolique, Nous définissons que, d’après la disposition générale de
Dieu, les âmes de tous les saints qui ont quitté ce monde avant la Passion de
notre Seigneur Jésus-Christ : que celles des saints Apôtres, martyrs,
confesseurs, vierges et autres fidèles morts après avoir reçu le saint baptême
du Christ, en qui il n’y a rien eu à purifier lorsqu’ils sont morts ou en qui
il n’y aura rien à purifier lorsqu’ils mourront dans la suite ou encore, s’il y
a eu ou qu’il a quelque chose à purifier, lorsque, après leur mort, elles
auront achevé de le faire ; que, de même, les âmes des enfants régénérés par ce
même baptême du Christ ou encore à baptiser, une fois qu’ils l’auront été,
s’ils viennent à mourir avant d’user de leur libre-arbitre, (que toutes les
âmes de ces enfants), aussitôt après leur mort et la purification dont
nous avons parlé pour celles qui en auraient besoin, avant même la résurrection
dans leur corps et le Jugement général, et cela depuis l’Ascension du Seigneur
et Sauveur Jésus-Christ au Ciel, ont été, sont et seront au Ciel, au Royaume
des cieux et au paradis céleste avec le Christ, admises dans la société des
saints anges.
En
outre, nous définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les âmes de
ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort
en enfer, où elles sont tourmentées de peines infernales. »
La précision du langage scolastique de ce texte et la solennité de
sa présentation ne laisse aucun doute sur la vérité de ce qu’il définit. Nous
le faisons donc nôtre et admettons qu’il n’existe aucun délai entre la
séparation de l’âme et du corps (la mort au sens théologique du terme) et
l’acquisition de son orientation éternelle. Nous savons par ailleurs que cette
orientation consiste en enfer par un rejet de Dieu motivé par un blasphème
contre le Saint Esprit (Voir le texte du Pape Innocent IV à l’évêque de
Tusculum cité précédemment), c’est-à-dire par un de ces péchés absolument
libres, car lucides et volontaires contre l’amour. De même, nous avons montré
que le mérite du paradis est dû à la charité surnaturelle dans son exercice
réciproque et libre. Il apparaît donc déjà à notre regard la conclusion
suivante : tout homme arrive après la mort en état de mérite ou de démérite
libre par rapport à la vision béatifique de telle façon qu’aussitôt après la
mort, il peut être jugé pour son éternité.
A l’époque de saint Thomas d’Aquin où de saint Augustin, si ce
dogme n’avait pas encore été solennellement confirmé par Pierre, il n’en était
pas moins connu. Il est aisé de comprendre maintenant pourquoi ils en
arrivèrent à conclure, souvent à leur cœur défendant mais par fidélité à leur
foi, à la damnation éternelle de millions de païens et de nouveau-nés. Si toute
personne humaine qui meurt sans la charité est aussitôt conduite en enfer éternel, il n’y a plus d’espoir à avoir
pour les incroyants et les enfants non baptisés. L’absence de délai,
l’impossibilité apparente d’une ultime prédication à l’heure de la mort
(l’inconscience de l’agonisant étant apparemment expérimentalement prouvée), il
fallait bien se résoudre à cette conclusion. Par cette thèse, nous essayons de
prouver qu’un acte de la pièce a été oublié, qui rend tout limpide et simple.
Mais nous ne pouvons manquer d’admirer, tout en rejetant leur thèse, la foi de
saint Augustin et saint Thomas d’Aquin qui les amène à adhérer à un mystère que
leur charité ne comprend pas.
Grâce à cette définition du Pape Benoît XII, nous pouvons exclure
de notre panorama d’hypothèses théologique la thèse de Ladislas Boros[177] et celle de Mgr Glorieux[178]. Boros part de la constatation
des limites de la liberté humaine qui est ici-bas conditionnée par toutes
sortes d’influences étrangères. Il analyse les causes de cette faiblesse et
conclut par la dénonciation du corps biologique. Pour lui, une vie terrestre
ainsi fragilisée ne saurait à elle seule déterminer le destin éternel d’un
homme. A cause de la justice de Dieu, il se voit contraint de poser un temps
intermédiaire « après la mort », lorsque l’âme enfin libérée du
corps, est en mesure de juger intuitivement et sans erreur du bien et du mal,
peut choisir son orientation éternelle. Boros lui-même résume sa position : « Dans la mort (c’es-à-dire après la mort)
s’ouvre la possibilité du premier acte personnel de l’homme ; il est ainsi le
lieu privilégié de la prise de conscience, de la liberté, de la rencontre avec
Dieu et de la décision du destin éternel. » Cette position présente une
recherche intéressante mais elle est concrètement inconciliable avec la
définition solennelle de Benoît XII. Le temps intermédiaire que pose Boros
entre la séparation de l’âme et du corps et le jugement dernier n’existe pas
aux yeux de la foi catholique. Mais sa position présente un autre inconvénient
: le rôle de la vie terrestre et l’unité substantielle de l’homme, âme et
corps, deviennent incompréhensibles. Si le corps est le tombeau de l’âme au
point que l’âme n’est elle-même que séparée, on en arrive à un dualisme de type
platonicien qui pose plus de problèmes à la foi qu’il n’en résout. La Sagesse
de Dieu qui a créé l’homme âme, esprit, psychisme et corps devient obscure.
De même, la définition de Benoît XII permet de repousser toute
hypothèse théologique qui suggérerait la possibilité d’un choix après la mort.
Plus subtile que la position de L.Boros, celle de H.U. von Balthasar n’en reste
pas moins difficile à mettre en accord avec la constitution Benedictus Deus : Dans sa Dramatique
Divine[179], il écrit qu’au jugement,
le bien d’une vie humaine n’est pas opposé quantitativement au mal. Par
ailleurs, selon lui, la liberté humaine ne fait pas une sélection ponctuelle
entre des biens finis, mais elle transcende la finitude et décide à partir
d’une autonomie absolue, qui la dépasse elle-même. C’est pourquoi la décision
humaine, « le choix fondamental », doit être évaluée qualitativement ; « Ce choix fondamental... ne se fait
cependant pas in abstracto, mais dans les différentes situations de vie qui se
succèdent, dans une série d’actes et d’attitudes, qui ont tous une pente vers
la mort et qui nous révèlent aussi sans cesse la finitude de l’espace assigné à
la liberté de choix. Il est difficile d’éclaircir la relation avec le choix
fondamental, qui ne se laisse pas décomposer d’après les différentes situations
; il y va sans aucun doute, primordialement de la sentence objective
(c’est-à-dire le jugement de Dieu), d’une part, de son Incarnation nécessaire
dans les décisions toujours exigées par les situations... Et comme il ne s’agit
pas d’une estimation quantitative, mais de la qualité du choix fondamental...,
se pose la question de savoir si un choix fondamental négatif, même s’il s’agît
du dernier dans le temps d’une vie, a pu s’exprimer sans restriction dans
toutes les situations d’une vie... Ici le juge cherchera « si, dans la vie de
celui qu’il a à juger quelque chose peut se laisser trouver qui a été saisi,
peut se laisser saisir de son amour vivifiant, une possibilité au moins
potentielle de foi, si donc dans l’homme qu’il a à juger, quelque chose est
capable d’amour! D’un petit grain d’amour en réponse à tout l’amour qui lui est
offert par Dieu. »
Les citations de ce texte sont tirées du commentaire de la
première lettre de saint Jean par Adrienne von Speyr, alors que la note en bas
de la page fait référence à Mechtilde von Magdebourg. La mystique du Moyen-Age
y décrit comment le Père céleste s’approche d’une âme chargée de péchés et lui
dit : « Ai-je seulement trouvé quelque
chose de bien en toi ?. »
Outre le fait que l’âme connaît après la mort un moment d’incertitude où le choix est comme
suspendu, cette conception présente encore la difficulté de faire porter le
jugement sur des actes bons mais des actes bons au plan naturel. Or nous avons montré précédemment[180] que ces actes ne pouvaient
constituer qu’une disposition à la seule réalité qui compte en définitive pour
entrer dans la gloire : la charité théologale. Devra-t-on alors admettre que, après la mort et le jugement
miséricordieux de Jésus : « Ai-je
seulement trouvé quelque chose de bien en toi ? », l'âme se tourne dans sa
reconnaissance vers lui dans un premier acte de charité explicite et méritoire
? On se heurte alors de nouveau à la constitution de Benoît XII, qu’il est
difficile de ne pas admettre comme l’annonce solennelle et infaillible d’un
dogme.[181]
Bien d’autres théologiens, poussés par leur foi en la bonté de
Dieu et recherchant le comment concret du salut des pécheurs, se refusant à
admettre avec saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin la « massa damnata », ont recherché la possibilité d’une option « dans la mort. » Dans la mort est une expression imprécise qui signifie la
plupart du temps « après la mort. » C’est qu’en effet, l’expérience
démontrait qu’ » avant la mort », la charité n’était pas
révélée à tous. D’autre part, la mort elle-même était un moment de faiblesse
inconsciente qui semblait ne laisser aucune place à un événement lucide. La
théologie des fins dernières s’est donc retrouvée dans une tension
inconciliable de la foi et de la charité. La théorie scolastique, concluant
logiquement à la damnation éternelle des hommes morts sans la charité, quelle
que soit leur responsabilité, était devenue insupportable à l’amour et aux
textes du Concile Vatican II démontrant la valeur dispositive de tout acte bon,
de toute religion empreinte « de semences
du Saint Esprit. » Si l’on ajoute
à cela le quatrième point de foi que nous allons maintenant étudier, on
comprend la détresse du Traité des fins
dernières.
Aussitôt après la séparation de l’âme et du corps, l’âme est définitivement
orientée selon sa charité ou son refus de la charité vers le Ciel ou l’enfer,
et cela sans délai.
C’est une doctrine très ancienne, qui
fut cependant exprimée avec une force dogmatique particulière durant le Concile Vatican II : “Puisque le Christ est mort pour tous et
que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine,
nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu
connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal” (Gaudium et Spes
n° 22, 5, trad. officielle). Ce texte ne fait que reprendre des dogmes
solennels plus anciens : « Dieu qui veut que tout homme soit sauvé...
propose à tous son salut... ce qui ne signifie pas que tous l'acceptent..."
Voici quelques textes du Magistère plus anciens. Il en existe bien
d'autres dans le Dentzinger :
Dentzinger 340 : « Mais maintenant, en raison de l'autorité des
saints témoignages qui se trouvent en abondance dans le domaine des saintes
Ecritures et qui sont dévoilés de par la doctrine des anciens, je confesse
volontiers que le Christ est également venu sauver non seulement ceux qui
croient, mais ceux qui sont perdus, car ils sont perdus contre sa volonté. Et
il ne convient pas que la richesse de la bonté infinie et les bienfaits divins
soient limités seulement à ceux-là qui manifestement sont sauvés.
(pape Simplicius, 3 mars 468, Concile d'Arles)
Dentzinger 623 : « Dieu veut que tous les hommes sans exception
soient sauvés" (pape Léon IV, 10 avril 847, Concile de Pavie)
Dentzinger 780 : On ne peut admettre en effet que tous les
petits enfants, dont tant meurent chaque jour, périssent sans que le Dieu de
miséricorde, qui veut que personne ne périsse, leur ait procuré à eux aussi un
moyen de salut. (Pape Grégoire IX, Décrétales, I, III, tit. 42, c. 3).
Ce dogme n’est que la conséquence des précédents : Si Dieu propose
à tous le salut, à travers la « prédication » de l’Évangile[182], puisque ce salut consiste
en une charité choisie (Trente), puisque d’autre part aussitôt après la mort
(Benoît XII), l’âme reçoit ce qu’elle mérite, c’est donc que l’Évangile lui est
prêché AVANT LA MORT.
Dans les évangiles, nous ne disposons malheureusement à l’appui de
cette vérité que de textes de type apocalyptique. La difficulté de ces textes
est qu’ils englobent en un seul regard des réalités diverses comme la ruine du
temple de Jérusalem, la mort individuelle, la fin des sociétés, la fin du
monde. Il semble que dans le regard de Jésus, ces réalités diverses méritaient
d’être ainsi réunies à cause du rapport de signification qu’elles avaient les
unes avec les autres. Parmi les textes de ce genre, on peut citer Mathieu[183] : « Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier
en témoignage à la face de toutes les nations. Et alors viendra la fin. » Appliqué
à la mort individuelle, il pourrait être ainsi traduit : l’Évangile sera prêché
à tout homme puis viendra sa mort. On pourrait citer aussi Mathieu[184] dont nous verrons ensuite
en quel sens une des interprétations possibles signifie les événements de la
mort individuelle, terme des souffrances de l’agonie. « Aussitôt après la
tribulation de ces jours-là, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa
lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront
ébranlées. Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme ; et
alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine ; et l’on verra le
Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire.
Et il enverra ses anges avec une trompette sonore, pour rassembler ses élus des
quatre vents, des extrémités des cieux à leurs extrémités. »
Cependant, il faut reconnaître que ces deux textes ne constituent qu’un
signe et non une preuve de la prédication universelle à chaque homme
individuellement, avant sa mort, de la Bonne Nouvelle du salut. La constitution
de Benoît XII, éclairée par les autres points de la foi que nous avons
développés, permet cependant de conclure, avec une certitude que donne la
confiance en l’amour de Dieu (qui ne saurait permettre qu’un homme soit damné
sans liberté) et en la vérité de Dieu (qui ne saurait permettre que le
Magistère de l'Église se soit trompé aussi gravement sur « l’aussitôt après la mort »), à la proposition suivante :
Tout homme reçoit durant sa vie terrestre la proposition explicite
du salut.
Si notre confiance en Dieu adhère à cette vérité, elle le fait
avec grande difficulté à cause de l’énorme contradiction que semble apporter
notre expérience. Le Christ lui-même manifeste que c’est une contre vérité, au
moins pour les hommes qui vécurent avant sa venue : « En vérité je vous le dis, il en est beaucoup qui auraient voulu voir
un seul des jours que vous voyez et ne l’ont pas vu. » [185]Pourtant, cette foi est
essentielle à garder si l’on veut comprendre le sérieux de la vie terrestre et
la grandeur de notre nature humaine corps et âme. Il n’est pas naturel, en
effet, à notre nature d’être en état d’âme séparée de notre corps. Nous ne
sommes pas une âme tombée dans un corps dont elle doit se libérer pour être
elle-même, mais un être corps, psychisme, esprit et âme. Ainsi, quoiqu’en
suggère la pensée de Boros, il n’est pas naturel à notre esprit de connaître à
la manière des anges, c’est-à-dire par mode d’intuitions directes. Pour nous,
l’intelligible parvient à la connaissance grâce à la médiation des sens. De
même, il n’est pas naturel à notre volonté de se porter vers un bien d’un seul
acte définitif. Elle doit auparavant analyser une par une les raisons de la
bonté de l’objet, les comparer afin de s’y porter. Quoiqu’en dise Boros, cet
acte n’est pas par nature handicapé. La fragilité de nos choix terrestres ne
vient pas de ce mode de fonctionnement mais des tromperies de notre imaginaire
débridé depuis le péché originel. Sans le «
fomes peccati » au cœur de leur nature, Adam et Ève étaient capables de
choix absolument responsables. De même, quoiqu’en dise Luther, le foyer du
péché n’a pas détruit complètement notre capacité de choix. Cette capacité est
certes conditionnée, marquée par des influences inconscientes (Freud, Jung),
mais elle reste la plupart du temps réelle et même éducable. L’homme qui
développe des vertus intérieures dispose favorablement par la même occasion sa
capacité de choix et « règne sur les
astres » (Aristote.) La Bible témoigne de cette nature humaine bonne,
quoique blessée : « L’homme fort qui
dompte son âme vaut mieux que celui qui prend des villes »[186]. Ainsi, lorsque Boros
affirme que l’homme n’est lui-même que délivré de ce corps de mort, il exagère
et sort de la foi chrétienne en la bonté de la nature humaine corps et âme.
Pourtant, sa position marque avec vérité l’incroyable lourdeur de notre nature
humaine soumise aux lois d’une « chair
qui convoite contre l’esprit »[187]. Il manifeste la faiblesse
de notre état blessé qui ne saurait permettre un choix aussi vertical que celui
qui engage une éternité. A réfléchir sur la précarité de nos décisions et
l’éternité de leurs sanctions, le croyant ne sent guère, il est vrai, surgir
d’objection quand il s’agit d’une issue heureuse et du bonheur des élus. Mais
s’il commence à songer à l’éternité de l’enfer, un légitime vertige et un
scandale peuvent le saisir. Ce vertige ne semble pas affecter saint Thomas
d’Aquin qui justifie rationnellement la réalité de ce mystère[188] : « Celui qui dans sa propre éternité pèche contre Dieu, sera puni dans
l’éternité de Dieu. Et l’homme pèche dans sa propre éternité non seulement par
la continuation d’un même acte tout au long de sa vie ; mais du seul fait qu’il
constitue sa fin dans le péché, sa volonté est de pécher éternellement. »
Ce texte de saint Thomas d’Aquin est vrai dans son fond de foi
puisqu’il affirme avec l’Église sa confiance dans la capacité qu’a l’homme de
choisir durant sa vie terrestre. Mais, grâce au regard de Boros, Freud et de
tous ceux qui ont manifesté les limites de la liberté terrestre, il se heurte
de front à la force de l’expérience : comment choisit durant sa vie terrestre
l’enfant avorté, l’africain mort de famine dans ses premières années de vie de
misère, l’athée européen centré sur son travail et mort d’infarctus en pleine
carrière... Confronté à la réalité expérimentale de chaque vie humaine, le
vertige aussitôt nous prend non seulement à cause des risques de l’enfer mais
aussi devant les exigences de la charité qui conduit seule au face à face avec
Dieu. Nous maintenons cependant notre conclusion :
Le salut par la charité est
proposé à l’homme durant sa vie terrestre, explicitement (de droit et de fait),
avant la séparation de l’âme et du corps.
Objection à propos de la proposition mineure de notre
démonstration théologique : Avant d’aller plus loin,
une objection peut être formulée concernant la méthode de ce que nous appelons
une approche démonstrative théologique : est-il légitime de raisonner en
s’appuyant sur une majeure dogmatique et une mineure expérimentale ? Il semble
illégitime de mélanger les genres.
Cette objection n’est pas nouvelle : elle fut adressée à saint
Thomas d’Aquin qui fut même un temps condamné par l’Église pour avoir introduit
en théologie des données philosophiques d’Aristote. Ce grand théologien se
serait sans doute justifié ainsi : Dieu est l’auteur de tout le réel. Il est le
Créateur des anges que nulle philosophie expérimentale ne peut connaître et des
plantes qu’on peut examiner au microscope. Ainsi, quel que soit le mode par
lequel l’homme parvient à la connaissance du réel, que ce soit par les seules
forces de son intelligence ou en s’appuyant sur la révélation, il ne peut y
avoir contradiction. Le réel ne se contredit jamais. S’il y a contradiction, ce
peut être parce que l’homme appelle « foi » ce qui n’est qu’opinion théologique
ou qu’il appelle « science » ce qui n’est qu’erreur philosophique.
Il est donc possible pour le théologien d’utiliser à son service tout type de
connaissance du vrai. Non seulement il lui est possible d’agir ainsi, mais il
doit le faire puisque sa foi cherche à être intelligente ; Non seulement cette
attitude est possible mais elle est nécessaire pour le service de la « science des sciences » qu’est la théologie. Saint François
de Sales l’enseigne : « La foi et la
raison doivent marcher ensemble comme deux affectionnées. » Bien des conflits dont la science ou
la foi ont été victimes au cours de l’histoire auraient été évités si cette
attitude harmonieuse avait toujours été de mise. Mais, parce que la méthode
philosophique et la méthode théologique sont utilisées par des hommes dont le
moindre des défauts est de croire qu’ils sont maîtres de toute la vérité, la
coopération est difficile. On a rarement égalé en ce domaine d’harmonie
coopérante de la science avec la foi le «
Docteur commun. »
Là se trouve la difficulté de la foi des fidèles et des
théologiens attentifs au salut de leurs frères. Le livre de l’Apocalypse
présente le silence de Dieu comme l’un des sept mystères scellés que seul
l’agneau peut ouvrir, c’est-à-dire que seule la passion du Christ preuve de
l’amour de Dieu peut expliquer[189]. Encore faut-il admettre
avec réalisme le scandale, c’est-à-dire reconnaître que chaque jour, des
milliers d’hommes meurent en ignorant tout du salut par la charité.
S’ils ignorent la possibilité de la charité, c’est qu’ils meurent sans être
entrés dans le salut selon saint Paul : «
Comment l’invoquer sans d’abord croire en lui ? Et comment croire en lui sans
d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? »[190]. Mais en imaginant par
impossible que depuis l’Incarnation du Christ, toutes les nations de la terre
aient entendu parler de la Bonne Nouvelle, la question n’en serait pas résolue
: comment expliquer le retard entre le péché originel et la Rédemption ? A
cette époque, tous les hommes sauf exception notoire mouraient en ignorant
totalement tout de la charité de Dieu. Il leur était bien sûr impossible de
l’aimer de charité en retour et ils entraient dans la mort avec une grande
frayeur de l’injustice des dieux. De même, dans les chrétientés les plus ferventes,
qui peut prétendre avoir saisi toute l’urgence du message ? La vie est longue,
les soucis multiples et Dieu bien loin. Saint Thomas d’Aquin faisait à la suite
d’Aristote cette réflexion désabusée : «
la plupart vivent dans le sensible. »[191] Il commentait cette pensée
à la lumière de l’Évangile[192] : « Large et spacieux est le chemin qui mène à la perdition et il en est
beaucoup qui l’empruntent. »
Cette tension entre la foi qui enseigne solennellement que Dieu propose à tout
homme le salut durant sa vie terrestre et la constatation expérimentale du fait
inverse est source de trouble.
Qu’on se souvienne du trouble analogue qui saisit la réflexion juive
de l’Ancien Testament dans la tension d’une foi enseignant sans ambiguïté que « Dieu comble de biens les hommes droits et
renvoie les riches les mains vides » et la constatation quotidienne de
l’inverse. Cette dramatique expérience fut source d’une mutation spirituelle
majeure de Job à la Sagesse, en préparation de la venue de Jésus. Au temps de
leur gloire, les juifs tuaient comme hérétiques les prophètes qui osaient
annoncer, chose impossible pour raison de présence de Dieu, la destruction du
Temple. Il fallut plusieurs ruines et déportations d’Israël pour que certains
comprennent qu’il était question d’un temple théologal. Nous sommes dans la
même situation paradoxale et les solutions évoquées par les fidèles ou les
théologiens ressemblent fort à celles des amis de Job. Il est à remarquer que
Dieu se plaît aux apparentes contradictions. Nous sommes frappés à l’évocation
des nombreux exemples qui jalonnent l’Écriture ou la vie des saints : Marie, au
pied de la croix, repensait-elle à la promesse de l’ange « Il gouvernera les nations avec un sceptre de fer » ? Jeanne
d’Arc, demandant à ses voix si elle serait sauvée s’entendit répondre : « oui, par grande victoire! » Deux jours plus tard, elle était
brûlée vive. Sainte Thérèse d’Avila, remarquant dans sa vie cette contradiction
entre les promesses de Dieu et leur réalisation, disait : « Dieu torture admirablement ceux qui l’aiment. »
Pour le théologien, l’opposition apparente entre foi et réalité,
loin d’être une torture, constitue le lieu théologique par excellence, le lieu
des découvertes. Nous disions précédemment que la foi et l’expérience ne
peuvent entrer en contradiction, Dieu étant Créateur de tout ce qui est connu
par la foi ou par l’expérience. Deux vérités apparemment contradictoires, dont
l’une procède de la foi (Dieu propose son salut par la charité à tous les
hommes durant leur vie terrestre) et l’autre de l’expérience (ce n’est pas vrai
car des hommes meurent en ignorant tout de la charité) sont comparables à deux
silex durs qu’on frotte : La lumière en jaillit. Parvenus ici dans notre
recherche, nous sommes proches du moment où le jaillissement peut se produire.
Comment, dans le peuple des chrétiens, s’est on efforcé de
résoudre cette apparente contradiction, à savoir la foi en Dieu qui sauve tous
les hommes par le don de sa grâce durant leur vie et la constatation
expérimentale de l’inverse ?
Pour une part des chrétiens, la responsabilité de l’absence de
charité chez les païens ne peut être celle de Dieu mais celle des païens
eux-mêmes. Dans les chrétientés occidentales, il leur semble en effet que nul
ne peut ignorer totalement la foi. Si elle n’est pas vivante dans les cœurs,
cela ne peut venir que d’un manque d’attention des hommes. Selon eux, Dieu
propose sa grâce sanctifiante à tout homme mais beaucoup la refusent.
Évidemment, cette solution simpliste ne résiste pas à un examen sérieux. Elle
ne résout d’ailleurs pas davantage des questions telles que l’existence d’un
Islam puissant à la place des chrétientés primitives, l’existence actuelle d’un
judaïsme 2000 ans après la Rédemption, des paganismes, de l’athéisme
envahissant les anciennes religions. Ce monde est mystérieux dans sa structure
même et Dieu qui peut faire des enfants
pour Abraham à partir des pierres[193] semble avoir des projets
autrement mystérieux que ceux d’une conversion rapide, immédiate et définitive
à la charité qui conduit au salut (qu’il a pourtant au moins le pouvoir de
proposer aux hommes.)
Devant le mystère du silence de Dieu qui ne propose pas à tous les
hommes son salut durant leur vie terrestre malgré ce qu’en dit la foi
catholique, certains évoquent le respect qu’il a pour notre liberté. On entend
le raisonnement suivant : « s’il
révélait son amour avec la puissance des signes et des miracles, chacun serait
obligé de croire, ce qui serait un manque de respect pour la liberté. » Ce raisonnement est fallacieux.
Chacun sait que la liberté ne naît pas de l’ignorance du choix proposé. Qui
peut choisir ou rejeter pour l’éternité ce qu’il ne connaît pas ou ce qu’il ne
connaît qu’à travers les voiles déformants d’une prédication humaine ? Au
contraire, la vraie liberté de choix se manifeste dans l’accueil ou le rejet
d’une vérité parfaitement révélée.
D’autres évoquent donc une mystérieuse volonté prédestinatoire de
Dieu à la damnation de certains. Calvin soutient sa thèse inacceptable en
s’appuyant sur un raisonnement logique compte tenu de sa foi et de son
expérience. L’Écriture Sainte confirme ses dires : « Aussi bien ne pouvaient-ils pas croire, car Isaïe dit encore : il a
aveuglé leurs yeux et il a endurci leur cœur, pour que leurs yeux ne voient pas
et que leur cœur ne comprenne pas, qu’ils ne se convertissent pas et que je ne
les guérisse pas. »[194] Ce texte, on doit le
reconnaître, est profondément mystérieux. Calvin a-t-il raison ? Nous
soutiendrons plus tard, à la lumière de notre hypothèse, une autre
interprétation : Dieu endurcit provisoirement
le cœur de certains en ne leur donnant pas sa grâce, il les « damne » ici-bas pour que, ayant touché leur misère, ils crient vers lui
et ne soient pas damnés pour l’éternité. Mais, bien souvent, il se réserve de
se révéler à eux à l’heure de la mort et non avant.
D’autres théologiens, à la suite de l’école augustinienne ou
thomiste, acceptent le fait de la damnation éternelle de tout homme qui meurt
sans la grâce. Pour ce faire, saint Thomas d’Aquin établit une doctrine du
péché mortel qu’il définit par les mots suivants : « Tout acte de la volonté humaine qui met sa fin dans un bien de telle
façon que Dieu ne peut être aimé en même temps comme fin dernière »[195]. Cette définition ouvre
toutes grandes les portes de l’enfer puisque, saint Thomas d’Aquin le reconnaît
lui-même, la faiblesse de la nature humaine, l’ignorance ou même le péché
originel non volontaire, peuvent laisser l’homme dans un état de mort
théologale. Nous avons souvent cité cette conception thomiste très large du
péché mortel. Elle surprend parfois les théologiens scolastiques eux-mêmes.
Elle ressort pourtant avec clarté de textes précis et aboutit aux conclusions
déjà citées pour leur évidente contradiction avec l’amour de Dieu : limbes des
enfants, damnation des païens etc. L’Église, pour enlever ces ambiguïtés
scolastiques trop visiblement contradictoires avec la Parole de Jésus sur le
blasphème contre le Saint Esprit qui seul est irrémissible[196], redéfinira au XXème
siècle le péché mortel en se servant des mots qu’utilisait saint Thomas d’Aquin
pour le blasphème contre le Saint Esprit : «
péché volontaire, lucide et libre en matière grave, c’est-à-dire contre l’amour. »
D’autres chrétiens ne se résolvent pas à la damnation éternelle
des masses de pauvres gens. Ils inventent donc des scénarios du salut qui tous,
par un axe ou par un autre, viennent buter contre les enseignements solennels
de l’Écriture ou de l’Église : Certains voient le salut mérité pour tout acte
authentiquement bon au plan humain, car la grâce règne dans tout amour
(Vandevelde, Journet, Balthasar avec des nuances), car l’Évangile est
libération sociale (théologie de la libération), car l’homme est maître de sa
vie avec Dieu (Pélage..). Mais toutes ces conceptions, si on en poussait les
conséquences à l’extrême, arriveraient à ne plus discerner ce qui est
radicalement différent dans la vie surnaturelle et que décrit magistralement le
Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus[197]. D’autres penseurs en
arrivent à poser une option finale qui ne peut se situer, l’expérience de la
vie terrestre les pousse à affirmer cela, qu’après la mort et avant le jugement
dernier (Boros, Glorieux, Balthasar, chacun selon des nuances à préciser.) Là
encore, la foi définie vient achopper, principalement grâce à l’éclairage donné
par l’Esprit Saint à travers le Pape Benoît XII. C’est donc que la vie humaine
terrestre est le lieu du choix éternel, aussi scandaleux que cela puisse
paraître à tout homme sensé et un peu conscient de l’état de misère où l’homme
vit. L’Église prend donc au sérieux l’état de notre vie terrestre. L’homme est
indissociablement esprit, psyche et
corps et c’est dans son état parfait d’homme vivant qu’il choisit pour
l’éternité. Cependant, n’exagérons pas l’étendue de cette liberté, à la manière
du Père J.H.Nicolas[198] dans un texte de sa Synthèse
Dogmatique. Il pense pouvoir expliquer sans scandale le salut des hommes
par le simple exercice des lois naturelles de la liberté à qui a été proposée
la foi au Christ. Il montre que la conversion « peut être refusée. »
Mais il omet de se poser la question de ceux à qui ce choix n’est pas proposé.
Quoiqu’en
dise la foi catholique, nous constatons que, de fait, la grâce sanctifiante
n’est pas proposée à tous les hommes, au moins dans ce que nous voyons de leur
vie terrestre.
Rappelons notre recherche de la partie précédente.
D’abord celle de la foi :
1- Seule la charité théologale (voir déf. précédemment) ouvre à la
vision béatifique.
2- Dieu qui veut que tout homme soit sauvé propose à tous les
conditions de cette charité
3- durant la vie terrestre, à l’homme tout entier, corps et âme.
4- Ainsi, aussitôt après la mort, l’homme en état de refus mortel
de la charité est damné pour l’éternité.
Il est possible de synthétiser ces quatre dogmes par la
proposition suivante :
« DURANT SA VIE TERRESTRE,
L’HOMME REÇOIT DE DIEU LA POSSIBILITÉ DE L’AIMER DE CHARITÉ, DE TELLE FAÇON QU’IL
PEUT, S’IL REFUSE, ENTRER AUSSITÔT APRÈS LA MORT, DANS L’ENFER ÉTERNEL. »
Ensuite celle de l’expérience :
5- Quoiqu’en dise la foi, tous les hommes ne reçoivent pas la
prédication de l’Évangile, au moins dans ce qui est visible de leur vie terrestre.
Cette donnée de l’expérience est sûre et vérifiable car l’Évangile n’est pas un
message « implicite » mais une prédication que chacun sait
avoir reçue ou non.
En confrontant foi et expérience, dans une confiance totale à la
foi et à l’expérience, nous pensons
pouvoir établir avec certitude les quatre points suivants :
1- Puisque l’Évangile n’est pas prêché à tous
les hommes dans ce que nous voyons de leur vie terrestre mais qu’il est certain
qu’il est prêché, c’est donc que cette prédication a lieu dans ce que nous ne
voyons pas de la vie terrestre, à savoir à l’heure de la mort, dans les
instants qui précèdent la séparation de l’âme et du corps.
------------------
2- Puisqu’il convient que cette
prédication soit parfaite, devant déterminer le destin éternel d’une personne
rachetée par le sang de Jésus-Christ, il convient qu’elle soit faite par celui
qui est l’Image parfaite de Dieu, Jésus-Christ Sauveur.
------------------
3- Puisqu’il convient que ce soit l’homme
tout entier, corps et âme, qui détermine son destin éternel vers la charité ou
l’amour égoïste de soi, il convient que cette révélation soit à la fois
sensible et spirituelle, c’est-à-dire, comme il convient à l’homme, spirituelle
par l’intermédiaire du sensible. La prédication de l’Évangile sera donc
réalisée par l’apparition glorieuse de l’humanité corporelle de Jésus, gloire
qui contient par son rayonnement la plénitude de la Parole de Dieu.
------------------
4- Enfin, puisque le choix de l’homme
doit être parfaitement libre, il est nécessaire qu’à l’heure de la mort, il
soit délivré de tout ce qui conditionne de l’extérieur cette liberté : en
premier lieu, la souffrance, violence ou peur ; en second lieu le foyer du
péché hérité de la faute originelle ; en troisième lieu de l’ignorance.
Cependant, tout ce qui aide ce choix doit être conservé et soutenu à commencer
par les acquis de la vie terrestre passée, intentions, choix, circonstances, le
choix final n’étant que l’acte ultime d’une personnalité déjà construite.
La difficulté de mon hypothèse réside dans le point suivant :
chacun sait que l’arrêt du cœur signifie aussi l’arrêt immédiat du cerveau
(l’organe le plus sensible au manque d’oxygène) et donc, conséquemment, perte
de conscience. Comment admettre, dans cette perspective, la possibilité d’un
choix conscient ? C’est d’ailleurs ce fait évident, lié à l’expérience, qui
explique l’absence dans la théologie catholique de l’hypothèse que je soutiens.
Boros s’est penché sur les moments qui suivent la séparation de l’âme et du
corps parce que son bon sens ne lui permettait pas d’envisager autre chose. On
a critiqué Boros pour le manque de fondements empiriques de sa thèse[199]. Nous ne voulons pas prêter
le flanc aux même critiques aussi nous étudierons longuement les témoignages de
ceux qui, ayant approché la mort à la suite d’un arrêt cardiaque, prétendent
avoir vécu des événements à la fois sensibles et spirituels[200]. Nous montrerons la haute
probabilité de vérité de ces témoignages, tant au plan d’une enquête policière
puisque ce qui est vu dans le phénomène de décorporation qui suit l’arrêt du cœur
peut être par la suite vérifié, qu’au plan psychiatrique et spirituel à cause
de la haute valeur des effets provoqués par la rencontre de l’être de lumière.
Le propos de ce chapitre n’est pas de traiter de manière philosophique
de la possibilité d’admettre d’un état de conscience à l’heure de la mort. Nous
traiterons ultérieurement cette question, de manière critique, en analysant
l’Expérience de Mort Approchée[201]. S’il nous était absolument
nécessaire, pour étayer préalablement notre hypothèse, d’établir
philosophiquement l’existence d’une conscience à l’heure de la mort, notre
recherche ne serait plus d’ordre théologique mais philosophique. Or, quand bien
même il n’existerait aucune base expérimentale venant confirmer notre approche
démonstrative théologique, il nous semble que sa conclusion n’en serait pas
moins certaine.
Cependant, afin de rendre plus concret ce que nous allons
développer par la suite, il convient de rappeler brièvement quelques faits
d’ordre expérimentaux : L’étude de la mort fait
partie intégrante du Traité des fins
dernières. Nous prions le lecteur de se référer à la troisième partie où
figure le plan d’un tel traité tel que nous le structurerions sous une forme
scolastique[202]. Mais elle est aussi objet
d’étude scientifique et philosophique.
Au plan médical, la mort est définie comme un état organique
irréversible de destruction du cerveau.
Au plan philosophique, selon saint Thomas d’Aquin, la mort est la
séparation de l’âme et du corps. Elle est un devenir réel impliquant un avant
et un après, comme tout mouvement[203]. Au point de départ, nous
avons un homme vivant, corps et âme ; Au terme, nous voyons un corps sans vie
et nous savons que l’âme subsiste, séparée du corps. Mais, le premier de ces
deux termes (départ), il est nécessaire d’admettre qu’il possède une certaine
durée. La science elle-même en témoigne : l’arrêt du cœur marque une certaine
étape, suivie de l’arrêt de l’activité électrique du cerveau. La réanimation
est impossible après environ sept minutes de cet état par suite de destruction
irrémédiable des neurones. Ce qui se voit au plan médical est analogue au plan
philosophique (nous sous-entendons une philosophie Aristotélico-thomiste) : de
même que sept à huit minutes ne sont pas la mort médicale réalisée puisque le
réveil est possible, de même, rien ne prouve que l’âme quitte le corps aussitôt
après le caractère irrémédiable du coma.
Arrivés à l’aspect théologique de notre recherche, contentons-nous
d’ouvrir une piste qui relève davantage du domaine de la philosophie : comment
peut-il être possible qu’une activité sensible et spirituelle subsiste dans un
coma profond ? Il s’agit d’une question médicale et philosophique. Nous
renvoyons pour cela aux excellentes recherches du Docteur E. KUEBLER-ROSS : Les
derniers instants de la vie[204].
Les études du Docteur Moody et d’E. Kuebler-Ross sont formelles
sur ce point : L’état de coma biologique n’empêche en rien mais semble
favoriser plutôt un exercice paisible, surdéveloppé jusqu’à l’apparition de
phénomènes paranormaux de télépathie, de la vie sensible et spirituelle.
Or l’existence d’activité spirituelle et psychique à l’heure de la
mort (sensations, mémoire sensible, imagination, cogitative) prouve que
l’esprit reste lié au corps. En effet, le psychisme est le siège d’activités
impliquant un organe matériel[205]. C’est donc que la mort, la
séparation de l’âme et du corps, n’est pas réalisée. Ainsi, dans l’hypothèse où
l’expérience décrite par les témoins correspond à une prédication de la Bonne
Nouvelle, elle est réalisée avant la mort. Au plan théologique, cette remarque
présente l’avantage de ne pas entrer en contradiction avec la définition du
Pape Benoît XII. L’expérience et la foi ne semblent donc pas entrer en contradiction.
Ceci est important en théologie puisque la source de notre certitude en cette
discipline ne vient pas seulement des fondements empiriques mais surtout de
l’autorité de Dieu qui se révèle pour notre salut.
Conclusion :
La
science et l’expérience de ceux qui ont approché la mort manifeste avec de plus
en plus de certitude l’existence d’une activité spirituelle et psychique au
cœur du coma dépassé qui précède la mort. Il n’y a donc pas d’impossibilité à
notree hypothèse.
Faut-il parler de simple hypothèse ou d’hypothèse très sûre pour ce premier point ? Il semble que nous le
pouvons parler d’une certaine certitude. Nous ne nous appuyons pas pour le dire
sur le signe empirique que nous venons d’évoquer mais sur un argument de
théologie : en effet, la certitude de la foi en l’amour de Dieu et la confiance
dans le Magistère solennel de l’Église qui enseigne, en s’appuyant sur l’Écriture
Sainte que Dieu propose son salut à tout homme durant sa vie terrestre, nous
permet de conclure qu’il le fait nécessairement
au dernier moment de cette vie, de sa propre initiative, même s’il a pu le
faire avant par son Église.
La nécessité de ce que
nous établissons est, nous semble-t-il, absolue. Et c’est justement quand une
conclusion a pu être établie sans qu’aucun doute soit possible qu’on peut la
qualifier de scientifique. Cependant, la relation de nécessité ici utilisée est d’une nature spéciale qui mérite d’être
définie. En effet, c’est sur la qualité de cette nécessité que nous nous
appuyons pour parler d’approche démonstrative théologique. Aristote distingue
dans sa métaphysique quatre « Kat auto »,
quatre relations de nécessité dans le monde :
1- Une nécessité de substance
: il s’agit de la relation de nécessité la plus profonde puisqu’elle se fonde
sur l’être même des réalités. De par sa substance, par exemple, l’homme est
nécessairement doté d’une âme spirituelle.
2- Une nécessité de propriété
: elle concerne des effets secondaires et pourtant nécessaires de l’être
Exemple : de par sa nature, il est nécessaire que l’homme soit capable de rire.
3- Une nécessité de quiddité
: il s’agit d’une relation de nécessité entre les concepts et leur définition.
Elle se situe donc dans la pensée et peut, comme on le voit en mathématique,
être indépendante du réel. Exemple : la notion d’être contient nécessairement
en elle toutes les autres notions.
4- Enfin, une nécessité de finalité
: elle concerne l’action et sa finalité. Certains moyens peuvent être
nécessaire en vue de l’accès à une fin. Ainsi, il est nécessaire à l’homme d’en
aimer un autre que lui-même pour être heureux.
La nécessité d’une prédication de l’Évangile à l’heure de la mort
relève de la finalité qui est
l’entrée en possession de la grâce et de la gloire. De plus, nous pouvons aller
jusqu’à dire que cette prédication, liée à la finalité du projet éternel de
Dieu sur les hommes est absolue (donc constitue sans doute davantage qu’une
hypothèse.) En effet, il existe deux manières dont un moyen est nécessaire pour
obtenir une fin :
- Une nécessité absolue (Par exemple, il est nécessaire
d’avoir un moyen de transport adapté pour traverser un océan.) De même,
il est absolument nécessaire, compte tenu de l’amour de Dieu, de sa volonté de
conduire tout homme qui le veut à la gloire et de la nature de cette gloire,
que l’Évangile soit prêché à l’heure de la mort.
- Une nécessité relative (Par exemple, il est nécessaire
d’avoir un paquebot pour traverser
l’océan.) Cette deuxième forme de la nécessité ne porte pas sur l’action
elle-même dans sa recherche de la fin mais sur l’efficacité de l’action. Le
paquebot n’est nécessaire de manière absolue qu’en tant qu’il est un bateau et
évite la noyade. Mais sa qualité de paquebot permet d’atteindre le but fixé
avec une plus grande efficacité et facilité. Elle est donc nécessaire de
manière relative. Ce type de nécessité relative ne concerne pas ce paragraphe
mais d’une certaine manière, comme nous le verrons, le suivant. En effet, la
manière dont la prédication de l’Évangile est faite, si elle nécessite une
efficacité absolue (car la connaissance et l’adhésion à l’Évangile n’est pas un
plus relatif mais une nécessité vitale sans laquelle, nous l’avons vu, nul ne peut
aimer de charité), implique-t-elle nécessairement l’intervention directe du
Christ Jésus ou simplement de l’un de ses amis (ange ou saint)[206] ?
Ce que nous avons dit jusqu’ici de la nécessité absolue, en vue du
salut éternel, d’une prédication de l’Évangile pour les païens à l’heure de la
mort, peut nous conduire plus loin : cette même nécessité de l’ordre de la
finalité nous oblige à étendre cette révélation ultime aux chrétiens eux-mêmes.
En effet, la prédication de l’Évangile telle que nous la recevons sur terre par
l’intermédiaire d’instruments humains ou sacramentaux n’est jamais adéquate à
l’intensité de l’amour révélé. Si déjà, sans faute de leur part, de nombreux
juifs qui virent Jésus prêcher puis mourir sur la croix ne comprirent rien du
motif spirituel de ces événements, que dire des générations de chrétiens qui
n’entendirent parler de lui que par la prédication d’apôtres plus ou moins
purifiés. Qui peut prétendre avoir compris en plénitude l’intensité du contenu
de l’Évangile ? Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus dit, dans ses Derniers
Entretiens, qu’elle ne sera pas surprise en voyant le Ciel. Il n’est pas
seulement probable, il est certain qu’elle se trompait : « L’esprit humain n’a pas conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui
l’aiment »[207]. Elle reçut donc
nécessairement, à l’heure de sa mort, et en vue de son entrée au Ciel, la
révélation plénière de ce qu’elle connaissait déjà. La même relation de
nécessité nous oblige à étendre la certitude de cette révélation à tous les
hommes de tous les temps et de tous les lieux : parce que Dieu ne donne la
vision de son essence infinie qu’à ceux qui l’aiment de charité et parce que
cette charité implique un choix libre fondé sur la foi, avant la mort, Dieu
s’est nécessairement révélé à tout homme d’une manière ou d’une autre. Au cours
de notre troisième partie, nous aborderons uns à uns les cas généraux des
hommes qui vécurent avant la Rédemption, des enfants morts sans baptême, des
païens. Nous verrons que la nécessité de l’amour de Dieu permet de conclure que
tous les hommes, sans AUCUNE exception (L’Antéchrist lui-même s’il devait être
un homme), reçoivent la révélation de l’Évangile à l’heure de la mort. Chacun
peut alors décider en toute liberté de son destin éternel, tout en étant dans
l’état de perfection naturelle à l’homme pour sa connaissance et ses choix :
l’état de vivant, âme unie à son corps.
La
logique de la foi catholique nous oblige à admettre avec certitude qu’une forme
de prédication de l’Évangile a lieu dans les derniers instants de la vie
terrestre.
Cette prédication doit-elle nécessairement être réalisée par le
Christ et par personne d’autre ? Se pourrait-il qu’il soit absent physiquement
et qu’il délègue cette prédication à un de ses amis, un ange, un saint ? Pour
répondre à ce problème, il convient de se poser deux questions :
1) Qui est le Sauveur ? Pourquoi est-ce le Christ qui est appelé
rédempteur et personne d’autre ?
2) Les amis de Dieu peuvent-ils être des co-rédempteurs[208] ? A cause de leur union
avec le Christ, ont-ils le pouvoir de coopérer avec Lui au point d’être des
canaux communiquant la grâce de Dieu ? Leur apparition glorieuse à l’heure
de la mort, aurait-elle le pouvoir de révéler au mourant la plénitude de
l’Evangile, au point de rendre possible un choix pour l’éternité ?
Ces questions ne sont pas secondaires. De leur réponse sortira
telle ou telle conception de l’Eglise, de la communion des saints. Pour un
protestant fidèle, de telles interrogations sont hors de propos. Elles
constituent un outrage à la majesté du Christ, vrai Dieu et vrai homme, seul
rédempteur à l’exclusion des hommes dont la liberté est détruite du fait du
péché originel. Mais pour un catholique s’ouvre une des plus incroyables
conséquences du mystère de la charité : les amis de Dieu coopèrent à la
diffusion de la grâce.
1) Qui est le Sauveur ? Pourquoi est-ce le Christ qui est appelé
rédempteur et personne d’autre ?
Le Rédempteur ne pouvait être, selon saint Thomas d’Aquin[209], que le Christ lui-même, à
savoir le Verbe de Dieu fait homme, parce qu’il est… Dieu et homme. Au début du
traité du Verbe incarné, traitant des convenances de l’Incarnation, il établit
que, compte tenu du péché originel, il fallait nécessairement que nous soyons sauvés par le Christ qui est, selon
saint Paul, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes[210]. Mais est-ce le Christ
parce qu’il est homme ou parce qu’il est Dieu ?
Saint Thomas d’Aquin montre que si on entend le Christ selon qu’il
est Dieu, cette nécessité est
absolue, sans autre voie possible puisque c’est Dieu le Verbe et lui seul qui
crée la grâce et la gloire conjointement au Père et au Saint Esprit. Les
théologiens orthodoxes expriment ce fait d’une autre façon : le Christ Dieu est
source nécessaire de la grâce parce qu’il est la Grâce et la Gloire. Ainsi, la
révélation de l’heure de la mort, comme celles qui peuvent venir avant, ont
nécessairement comme origine l’initiative de Dieu, le Christ Sauveur.
Cependant, si on regarde le Christ en tant qu’il est homme, il
convient selon saint Thomas d’Aquin de parler autrement : en se faisant homme
et en mourant sur la croix, le Verbe a opéré une œuvre de Rédemption dont il
est impossible de penser une plus grande : «
il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour celui qu’on aime »[211]. Cependant, la nécessité de
cette œuvre par rapport à sa finalité qu’est le salut de l’homme est d’une
autre nature : elle est de l’ordre non de la nécessité absolue mais de la nécessité
gratuite d’un amour qui aurait pu se révéler par toutes sortes d’autres
moyens imaginables. Elle est le moyen le plus efficace et le mieux adapté au
salut de l’homme par la charité. Cependant, elle n’est pas le seul moyen
imaginable. La vie de Jésus eût pu être toute autre ; La prédication
évangélique eût pu être communiquée par une autre méthode que le cri de la
croix. Ainsi, lorsque l’alliance se brise dans un couple humain, il est de
nécessité absolue si l’on veut qu’elle se rétablisse, que les époux se
pardonnent mutuellement et s’aiment de nouveau ; mais il n’est pas nécessaire
que la réconciliation soit obtenue par un sacrifice total de l’époux fidèle, à
travers une mort d’amour. Cet acte est le plus grand possible mais il n’est pas
la seule façon de prouver son amour.
2) L’apparition glorieuse des amis de Dieu à l’heure de la mort,
aurait-elle le pouvoir de révéler au mourant la plénitude de l’Evangile, au
point de rendre possible un choix pour l’éternité ?
En conséquence, nous pouvons répondre à la question posée en début
de ce paragraphe de la manière suivante : il est nécessaire que ce soit la
personne du Christ, selon qu’il est homme qui réalise la prédication ultime de
l’Évangile à l’heure de la mort parce qu’il est par son être et par sa vie
l’Image la plus parfaite de Dieu, image non faite de main d’homme. Mais son
rôle d’image n’épuise pas l’infini de la révélation trinitaire : comment une
créature (et tel est Jésus en tant qu’homme) pourrait-elle épuiser la
révélation du Créateur ? C’est pourquoi Jésus peut laisser sur la terre à des
prédicateurs humains un véritable rôle sacerdotal : des hommes et avant tout
des saints peuvent devenir, conjointement avec lui, image de Dieu et révéler
Dieu aux hommes. Il peut en être de même pour des anges ou pour toute créature
image de Dieu par sa sainteté. On peut donc dire que Jésus en tant qu’il est
Verbe Éternel est l’unique médiateur entre les hommes et le Père, et ce d’une
manière absolue. En tant qu’homme, il est l’unique médiateur d’une médiation
qui rend possible toute autre médiation humaine ou angélique qui lui est
conjointe.
Ainsi, à l’heure de la mort, il est nécessaire que ce soit le
Christ en personne qui prêche la Bonne Nouvelle au mourant, mais il est nécessaire
que ce soit ainsi non d’une manière
absolue. Par rapport à la finalité recherchée (la proposition du salut),
tout saint, homme ou ange, étant devenu au Ciel « une seule chair »[212] avec Dieu peut être
considéré comme une Image Parfaite, conjointement au Christ, de Dieu. Ainsi,
tout l’Évangile est contenu tout entier dans l’apparition de la Vierge à
Bernadette de Lourdes : cette enfant saisit dans le regard de Marie la
plénitude du message chrétien car Marie est Christo-conforme. Si par impossible
elle s’était détournée volontairement de Marie, elle n’aurait pu le faire qu’à
la suite d’un blasphème contre le Saint Esprit, c’est-à-dire contre l’amour
parfaitement révélé. Cette souplesse de l’amour qui se révèle est refusée par
une grande partie du protestantisme. Elle est pourtant importante car elle nous
permettra de comprendre comment le Ciel entier, hommes et anges, peut coopérer
à la révélation de l’Évangile à la fin de la vie humaine (comme d’ailleurs
durant cette vie à travers les multiples sacerdoces délégués par Dieu[213]). De même, elle nous
permettra de comprendre comment un messager délégué par Dieu au nom du Christ
non encore né (l’Ange de la mort des
anciens) put prêcher l’Évangile à Abraham selon le témoignage de Jésus : « Abraham a vu mon jour et il s’en est
réjoui »[214], et à tous les hommes
d’avant le Christ. Elle nous permettra de montrer que le Christ ne vient pas
seul à l’heure de la mort comme à la fin du monde mais accompagné des saints et
des anges, dont le rôle n’est pas seulement figuratif. Nous verrons que l’amour
chrétien est une communion des saints où chacun, uni à Dieu par la charité,
devient de manière aussi réelle qu’efficace coopérateur en royauté, sacerdoce
et prédication, tout cela en vue de la Rédemption des hommes.[215]
CONCLUSION
Le
Christ, parce qu’il est l’Évangile fait homme, prêche lui-même la Bonne
Nouvelle à tout homme à l’heure de sa mort (avant la mort réalisée.) Il peut
être accompagné (ou représenté pour les hommes qui vécurent avant sa
résurrection) par les saints et les anges.
Nous avons montré à quel point la thèse de L. Boros sur l’après de la mort présentait
d’inconvénients graves pour la foi et le réalisme philosophique. L’unité substantielle
et naturelle de l’homme âme et corps, parfait selon cette nature quoique
imparfait à cause des blessures de la faute originelle, s’en trouvait remise en
cause. Or nous avons montré aussi que l’état d’une âme séparée, semblable à
celui des anges, est pourtant imparfait relativement à ce qu’est l’esprit
humain. L’homme est une créature spirituelle faite pour son corps et capable de
choisir d’une manière libre sans que la médiation de ce corps nuise à cette
liberté. Dieu qui a créé cette nature mixte le sait bien et, dans sa volonté de
sauver tous les hommes, connaît les moyens ultimes qu’il convient d’employer au
terme de la vie pour qu’un choix parfait et définitif soit réalisé. Nous
verrons au paragraphe suivant certaines conditions nécessaires dans le sujet
qui choisit. Penchons nous maintenant sur les conditions objectives de la
révélation qui doivent précéder ce choix.
Puisque le message doit être présenté à l’homme selon qu’il lui
est naturel de connaître, c’est-à-dire à travers des « espèces » sensibles
dont l’intellect agent abstrait le contenu spirituel, il convient que le mode
de la révélation soit sensible en vue du spirituel. Une révélation
purement spirituelle comme une compréhension directe de l’âme spirituelle du
Christ est, quoiqu’on puisse en penser, moins parfaite pour l’homme compte tenu
de ce qu’il est. Cette révélation, en ne touchant que son esprit, est à la fois
moins comprise et moins engageante : moins comprise car, à la différence des
anges qui connaissent par nature ainsi, elle acquiert pour l’homme un caractère
abstrait, plaqué comme de l’extérieur de sa vitalité ; Moins engageante car
elle ne touche qu’une partie de son être, même si cette partie est la plus
noble. Or l’homme, dans toutes ses opérations d’homme, est fait pour s’engager
corps et âme.[216]
Quelle peut être la façon la plus parfaite de révéler la plénitude
de l’Évangile à un homme ? Nous avons affirmé au paragraphe précédent que le
Christ est l’Évangile incarné. « Qui m’a
vu a vu le Père »[217], dit-il lui-même à l’un de
ses apôtres. L’Évangile n’est pas une doctrine seulement mais une personne que
la doctrine ne doit pas cacher. Cependant, la vue du Christ peut présenter des
modes différents :
1- Mode biologique durant sa vie terrestre ;
2- Mode mystique à travers le cœur à cœur de l’oraison ;
3- Mode sacramentel à travers sa présence réelle dans
l’eucharistie ;
4- Mode de représentation et de symbole à travers une icône de sa
présence, qu’elle soit une peinture ou une personne sainte qui reflète quelque
chose de son visage ;
5- Mode glorieux enfin.
Il convient que la présence finale du Christ contienne ce qui est
bon dans tous ces modes de présence, afin que celui qui le rejette puisse le
faire en toute connaissance de cause et afin que celui qui l’épouse le fasse en
toute vérité. Ce qu’est le Christ, à savoir l’Évangile, doit apparaître en
plénitude à la connaissance humaine. Le Christ est à la fois beauté extérieure
dans son visage et souffrance inhumaine dans sa passion ; il est Dieu et il est
homme ; il est amour humain pour sa mère et ses amis et charité surnaturelle
pour tous ; il est justice contre les péchés et miséricorde pour les
pécheurs...On peut multiplier à l’infini les qualités de son être Image de
Dieu. En un mot, le Christ est Lumière et Amour. Pour manifester une telle
plénitude sans erreur possible, sa vie terrestre n’a pas suffi comme on le voit
pour ceux qui, sans mauvaise volonté, ne discernèrent en lui qu’un homme,
parfois même un faux prophète. De même, sa présence eucharistique, bien qu’adaptée
à ceux qui ont la foi, est trop cachée sous les symboles sacramentels pour
parler aux autres. Il en est de même pour la présence mystique qui ne peut être
atteinte qu’au terme d’un cheminement spirituel dont la délicatesse de l’amour
n’est réservée qu’aux petits. Il en est certainement autre chose dans la
présence de Jésus lorsqu’elle est manifestée par le visage et la rencontre d’un
saint. Mais la sainteté, même transfigurante comme celle d’un saint François
d’Assise, est du même ordre que la présence de Jésus durant sa vie terrestre :
elle ne touche pas l’homme mal disposé car elle est alors interprétée selon les
intentions de celui qui juge de l’extérieur. L’homme voit ce qu’il veut voir et
transforme le monde à l’image de son cœur.
Reste donc la présence de gloire : la gloire n’est autre que la
magnificence de la beauté. La présence de gloire de Jésus que l’humanité attend
pour la fin du monde n’est autre que la manifestation instantanée et magnifique
de TOUTE sa beauté-Image de Dieu. Cette apparition est en premier lieu sensible
: les hommes verront le Christ avec leurs yeux de chair car il se manifestera
avec son corps. Cependant, l’une des propriétés majeures d’un corps glorieux
est d’être lumineux[218], c’est-à-dire qu’il laisse
transparaître sans aucune résistance à travers sa beauté le fond tout entier de
l’âme. Balthasar exprimerait ainsi cette propriété des corps glorieux : par le
rayonnement de la beauté qui est selon lui un des transcendantaux de l’être, la
bonté et la vérité sont manifestées en plénitude, sans aucun obstacle. Ainsi,
le contenu de la révélation d’un corps glorieux est adéquat, autant que le peut
une image parfaite, à la profondeur spirituelle du mystère. Concrètement, en
voyant le corps glorieux du Christ, l’homme saisit en un seul regard intuitif
sa vie et sa mort, son Évangile et son Amour, son être et sa mission. Certes,
le vertige de cette vision n’est pas celui de la vision béatifique mais il est
la représentation la plus parfaite de la nature divine, suffisante à un choix éternel.
Comme par clair-obscur, cette vision sensible est capable de révéler à l’homme
sa vie personnelle et la qualité de sa mort de pécheur, sa vérité et son amour
limités, son être et sa mission si peu réalisés.
Comme pour le paragraphe précédent, il nous faut remarquer que la
vision sensible du plus petit des saints du Royaume de Dieu est capable de
produire ce même effet[219]. En effet, la vision de
Dieu transfigure l’âme et, par l’âme le corps au point que l’image de Dieu se
trouve parfaitement réalisée. Après la résurrection, chacun d’entre les hommes
sauvés sera image de Dieu jusqu’en ses péchés passés et pardonnés qui
brilleront physiquement la miséricorde du Tout-Puissant. Ainsi, l’apparition du
corps glorieux du Christ réalisera pour l’homme la prédication ultime de
l’Évangile au terme de notre vie, sans pourtant effacer la coopération des
saints et des anges qui seront rendus visibles d’une gloire physique pour cette
occasion (voir en conclusion, traité de la mort.) La gloire du Christ n’efface
rien de celle de ses amis, de même que, selon Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus,
la beauté de Marie ne fera que mettre en valeur celle de ses enfants.
Ce qui paraît si évident pour la fin du monde, à savoir le mystère
du retour glorieux du Christ accompagné des saints et des anges, ne l’est pas
moins pour l’heure de la mort de chacun. Compte tenu de la finalité recherchée,
à savoir une prédication ultime et parfaite de l’évangile pour le salut, il
n’est nul besoin de faire autre chose que d’appliquer pour cette heure ce que
l’Église a toujours cru pour la fin du monde.
CONCLUSION
Il
convient que la prédication de l’Évangile qui intervient d’une manière ultime à
la fin de la vie terrestre soit réalisée par la venue glorieuse du Christ
accompagné des saints et des anges.
Remarque : nous ne prétendons pas identifier le mystère de la
parousie tel qu’il est annoncé dans les évangiles à ce que nous décrivons ici
sur l’heure de la mort. Nous reconnaissons qu’à la fin du monde, le Christ se manifestera
à tous les hommes d’un seul coup. Cependant, ce que nous décrivons ici nous
semble être le même mystère en tant qu’il se réalise peu à peu au cours des
siècles à l’heure de chacun. Nous allons donc dans le sens du document de la
congrégation pour la foi, mai 1979 : «
L’Église, conformément à l’Écriture, attend la manifestation glorieuse de notre
Seigneur Jésus-Christ »[220], considérée cependant comme distincte et différée par rapport à
la situation qui est celle des hommes immédiatement après leur mort. »
On a souvent reproché à la thèse de Ladislas Boros [221]le fait qu’elle ne laisse
plus de place au rôle de la vie terrestre. Selon lui, les choix posés durant
cette vie sont trop entachés des conditionnements extérieurs de la psychologie
ou de l’entourage pour être capable d’engager le destin éternel. A l’inverse,
on reproche à une grande partie du Thomisme rigide de croire exagérément en la
capacité de ces choix à déterminer à eux seuls réprobation éternelle ou entrée
dans la vision béatifique. Il nous semble que la vérité se trouve dans un
équilibre entre ces deux positions. Nul ne peut nier le rôle de la vie
terrestre, ni par le point de vue de la foi ni par celui de l’expérience : elle
façonne notre être et notre personnalité présente est le fruit d’une
interférence entre quantité de conditionnements non choisis tel que le milieu
où nous sommes nés, l’éducation reçue, les événements qui se sont imposés à
nous ; Ces conditionnements sont reçus dans une liberté plus ou moins
développée, plus ou moins construite et qui peut à la limite être inexistante
(handicap profond) ou surdéveloppée (chez ceux qui sont à la fois lucides sur
eux-mêmes et maîtres de ce qui dépend d’eux dans leur vie.) La plupart des hommes
se dirigent à travers une liberté médiane, naviguant au rythme des
conditionnements, avec d’étonnants sursauts d’héroïsme choisi ou de lâcheté
subie, la réciproque étant tout aussi vraie. Bref, notre personnalité est le
fruit de notre passé et notre personnalité est nous-mêmes. C’est elle qui doit
à la fin de notre vie se diriger librement vers le salut, si elle ne l’a déjà
fait au cours de sa vie. Il est donc évident que Dieu n’efface pas d’un geste
ce passé mais au contraire le propose à la conscience de chaque homme à ce
moment ultime, avec cependant une lecture miséricordieuse quoique vraie, tel
qu’il convient à sa Révélation. Ainsi, notre vie terrestre et ses
conditionnements limités sont l’humus d’où jaillit l’acte ultime de notre vie,
celui par lequel, dans la logique de ce que nous sommes vraiment, nous
choisissons pour l’éternité. A la différence de Boros, nous pensons que
l’option finale et libre est à situer dans la logique profonde de notre vie
terrestre. Nous entendons par logique profonde autre chose que cette apparence
de logique qui fait qu’un homme jugera perdu celui qu’il discerne de
l’extérieur comme un grand pécheur. La profondeur de l’être humain est au delà
de ces apparences, et celui qui s’est comporté durement dans ce monde peut avoir
des raisons profondes d’excuse que lui-même ignore mais que Dieu saura mettre
en pleine lumière dans la parousie de son Fils.
A la différence de la scolastique, nous maintenons la nécessité
d’une option finale, à condition toutefois que cette option ait lieu durant la
vie terrestre, avec une liberté parfaite fondée sur la lucidité de
l’intelligence et la parfaite maîtrise de la volonté.
Nous avons déjà étudié les conditions subjectives quant à
l’intelligence, celle-ci devant s’exercer avec la perfection de son mode humain
lié aux sens, dans la révélation sensible du Christ glorieux.
La volonté, quant à elle, doit pouvoir se porter sans violence
vers ce qui lui paraît être son bien ultime, que ce soit l’amour de Dieu ou
l’amour égoïste de soi (dont les avantages, nous le verrons en troisième
partie, sont présents au choix de l’homme.) Les conditions de la liberté quant
à la volonté ont été largement étudiées par les philosophes. Nous ne ferons
donc que les citer : Absence de violence extérieure, de passion intérieure
excessive, qu’elle soit une jouissance trop forte ou une crainte. Mais surtout,
à la racine de cela, il existe ce que saint Thomas d’Aquin appelle en
théologien « le foyer de la concupiscence
»[222]. Selon lui, ce foyer qui
explique que nous faisons parfois ce que nous ne voudrions pas[223], est un désir déréglé de la
concupiscence. Il est un état de fait de l’appétit sensitif, conséquemment au
péché originel. Il n’est pas naturel car ce qui est naturel chez l’homme, c’est
que la passion soit régie par la raison. Chez Adam ou Ève, avant leur péché, la
volonté demeurait soumise à Dieu au point d’en rejaillir sur les facultés
inférieures dans une grâce de pacification au point qu’elle ne se tournait vers
un bien qu’avec le consentement de la raison. Il leur était donc impossible de
pécher par faiblesse et leur désobéissance n’eut pas de circonstances
atténuantes.
Pour saint Thomas d’Aquin, ce foyer est à considérer comme une
peine voulue par Dieu après le péché ayant pour finalité l’humilité des hommes
: confrontés à la faiblesse de leur nature esclave de ses mauvais penchants,
les hommes sont sensés ne pas s’illusionner longtemps sur leur capacité à se
passer d’un Sauveur[224]. Cette inclination est donc
voulue par Dieu compte tenu de sa volonté de sauver tous les hommes. En effet,
par elle, l’homme est humilié de sa propre situation et, par ce fait, disposé à
l’humilité.
Cependant, le foyer du péché n’est utile que dans la période
préparatoire au choix définitif qui oriente le destin éternel. En effet, s’il
est bon avant en diminuant la liberté et en révélant l’homme à lui-même, il
devient mauvais au moment du choix puisqu’il est capable de diminuer la liberté
de ce choix. Il est donc nécessaire que l’homme en soit délivré à cette heure.
Nous l’affirmons au plan d’un raisonnement théologique et nous montrerons la
correspondance expérimentale étonnante chez ceux qui ont connu une expérience
de mort approchée : tous reconnaissent avoir vécu ce moment dans une paix
psychologique jusqu’ici inconnue.
Comment est possible une telle libération à l’heure de la mort ?
Par la grâce de la venue de Jésus-Christ dont la présence puissante provoque
les mêmes effets de pacification que ceux connus par Adam et Ève avant la faute
originelle : toute présence de Dieu conduit à cela, mais lorsque cette présence
est intense, elle peut arriver à calmer totalement la sensibilité qui se soumet
alors à la volonté. Il s’agit de ces grâces «
préternaturelles »alliant une
origine divine et une source naturelle.
CONCLUSION
A la
fin de la vie terrestre, Dieu délivre l’homme du foyer de péché de telle façon
qu’il puisse choisir librement sa fin dernière compte tenu de ce qu’il s’est
fait durant sa vie.
Au delà de la méthode rationnelle utilisée ici, il peut être utile
de s’arrêter un instant pour un regard plus contemplatif. Les conclusions
auxquelles nous aboutissons sont établies selon un raisonnement utilisant la
logique.
Cependant, la nécessité qui les fonde est celle d’une finalité, finalité établie par Dieu
souverainement dans un amour. Cette finalité est simple puisqu’elle consiste à
communiquer sa béatitude à ceux qui l’aiment. Tout le reste est de l’ordre du
moyen et Dieu adapte ses moyens à la nature humaine de manière à ce que tout
soit tenté pour sauver tout homme. Puisque les conditions d’entrée dans la
vision d’un Dieu humble et amour sont l’humilité et l’amour, Dieu apprend aux
hommes à être humble et à aimer.
Dieu commence par les créer ; Il leur impose un difficile temps de
vie terrestre, marqué par la souffrance ; Il se fait homme pour ne pas leur
cacher plus longtemps ce qu’ils avaient oublié ; Il se cache de nouveau pour
leur apprendre à espérer ; Enfin, il se présente à eux à l’heure de la mort,
dans toute la beauté de son amour, de telle manière que ceux qui le refusent
soient l’exception. Comment refuser l’amour d’un tel Dieu quand on vient de
l’épreuve de la terre, quand on a appris dans son sang que l’homme est peu de
chose et que l’amour seul est digne de foi ?
Si un homme se comporte ainsi, c’est que l’orgueil et l’amour de
soi sont en lui plus forts que la mort.
" La Bonne Nouvelle a été également annoncée aux
morts... " (1 P 4, 6). La descente aux enfers est l’accomplissement,
jusqu’à la plénitude, de l’annonce évangélique du salut. Elle est la phase
ultime de la mission messianique de Jésus, phase condensée dans le temps mais
immensément vaste dans sa signification réelle d’extension de l’œuvre rédemptrice à tous les hommes de tous les
temps et de tous les lieux, car tous ceux qui sont sauvés ont été rendus
participants de la Rédemption.
1- Fondements
scripturaires
2- Sources chez les
saints et les théologiens catholiques
3- Sources dans les
autres religions
4- Fondements empiriques
Lorsqu’on cherche, on trouve. Lorsqu’on a
en tête l’idée d’un retour du Christ dans sa gloire non seulement à la fin du
monde comme la Tradition l’a toujours explicitement lu dans l’Ecriture, mais
aussi à l’heure de la mort, on repère de nombreux textes où ces deux évènements
paraissent identifiés en un seul. Et pourtant, on ressort de cette étude avec
une interrogation : pourquoi les grands théologiens du passé n’ont-ils pas vu
cela ?
La réponse tient en une phrase : cette
venue du Christ est annoncée de manière si grandiose, qu’on a tendance à la
voir, « comme l'éclair, en effet,
part du levant et brille jusqu'au couchant, « (Matthieu 24, 27), comme un évènement nécessairement cosmique,
donc collectif. Pourtant, à de nombreuses reprises, la parousie glorieuse est
vécue de manière individuelle.
Mais les textes parlent d’eux-mêmes :
Matthieu 26, 63 Mais Jésus se taisait. Le Grand Prêtre lui dit : «
Je t'adjure par le Dieu Vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de
Dieu" -- "Tu l'as dit, lui dit Jésus. D'ailleurs je vous le déclare :
dorénavant, vous verrez le Fils de l'homme siégeant à droite de la Puissance
et venant sur les nuées du ciel."
Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements en disant : « Il a
blasphémé! qu'avons-nous encore besoin de témoins ? Là, vous venez d'entendre
le blasphème!
Il s’agit d’un récit
mystérieux et fort. Paul n’a pas approché la mort, pourtant ce qu’on raconte de
lui ressemble à une Near Death Experience. Aurait-il vécu ici-bas, en vue de sa
mission d’apôtre, ce que vivront tous les hommes à l’heure de la mort[225] ?
« Saul, ne respirant
toujours que menaces et carnage à l'égard des disciples du Seigneur, alla
trouver le grand prêtre et lui demanda des lettres pour les synagogues de
Damas, afin que, s'il y trouvait quelques adeptes de la Voie, hommes ou femmes,
il les amenât enchaînés à Jérusalem. Il faisait route et approchait de Damas, quand
soudain une lumière venue du ciel l'enveloppa de sa clarté. Tombant à terre,
il entendit une voix qui lui disait : « Saoul, Saoul, pourquoi me
persécutes-tu" -- "Qui es-tu, Seigneur ? » Demanda-t-il. Et lui : «
Je suis Jésus que tu persécutes. Mais relève-toi, entre dans la ville, et l'on
te dira ce que tu dois faire." Ses compagnons de route s'étaient arrêtés,
muets de stupeur : ils entendaient bien la voix, mais sans voir personne. Saul
se releva de terre, mais, quoiqu'il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien. On
le conduisit par la main pour le faire entrer à Damas. Trois jours durant, il
resta sans voir, ne mangeant et ne buvant rien. »
Paul lui-même confirme et
commente sa conversion dans la deuxième épître aux Corinthiens[226] : « J'en viendrai aux visions et révélations du Seigneur. Je connais un
homme dans le Christ qui, voici quatorze ans - était-ce en son corps ? Je ne
sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais ; Dieu le sait - cet homme-là
fut ravi jusqu'au troisième ciel. Et cet homme-là - était-ce en son corps ?
Etait-ce sans son corps ? Je ne sais, Dieu le sait --, je sais qu'il fut ravi
jusqu'au paradis et qu'il entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas
permis à un homme de redire. Pour cet homme-là je me glorifierai ; mais pour
moi, je ne me glorifierai que de mes faiblesses. Oh! si je voulais me
glorifier, je ne serais pas insensé ; je dirais la vérité. Mais je m'abstiens,
de peur qu'on ne se fasse de moi une idée supérieure à ce qu'on voit en moi ou
ce qu'on m'entend dire. Et pour que l'excellence même de ces révélations ne
m'enorgueillisse pas, il m'a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan
chargé de me souffleter - pour que je ne m'enorgueillisse pas! A ce sujet, par
trois fois, j'ai prié le Seigneur pour qu'il s'éloigne de moi. Mais il m'a
déclaré : « Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la
faiblesse." C'est donc de grand coeur que je me glorifierai surtout de mes
faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. »
Paul répète par deux fois la
mention « - était-ce en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps (c'est-à-dire mort au sens philosophique, âme séparée du
corps) ? » Il semble indiquer son trouble devant la nature de son expérience.
Son état physique lui paraît mystérieux. On ne peut manquer de faire le
rapport, à titre de piste, avec cette mystérieuse expérience de décorporation
dont parlent beaucoup de témoins de l’approche de la mort.
Et voilà pourquoi saint
Paul, qui voit le Christ et qui monte jusqu'au troisième Ciel, ne finasse pas
quand il dit :
Citation: |
2 Corinthiens 12,
2 Je connais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans - était-ce
en son corps? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais ;
Dieu le sait - cet homme-là fut ravi jusqu'au troisième ciel. Et cet homme-là -
était-ce en son corps? Etait-ce sans son corps (c'est-à-dire mort au
sens philosophique, âme séparée du corps)? Je ne sais, Dieu le sait --,
je sais |
Il n’existe aucun texte de l’Écriture Sainte qui enseigne au sens
littéral le mystère de la parousie en l’appliquant à l’heure de la mort
exclusivement. C’est pourquoi il faut reconnaître que la voie scripturaire ne
peut constituer une preuve de notre hypothèse mais un signe de sa crédibilité.
Tous les exégètes depuis saint Césaire d’Arles dans son Commentaire
de l’Apocalypse[227] reconnaissent que les
discours eschatologiques mêlent des mystères divers. En général, on reconnaît à
ces textes[228] une valeur d’annonce de la
ruine du temple de Jérusalem, de la fin du monde, de la fin des sociétés
humaines passagères et de la mort individuelle de chacun de nous. Ces diverses
significations ne sont pas sans rapport, la première étant le symbole des
autres. La difficulté des textes consiste dans le fait qu’ils passent très
souvent, sans avertissement, selon leur littéralité d’une signification à une
autre.
Dans le langage de Dieu, biblique, de type eschatologique, « Vengeance" veut dure
"épreuve (temporelle)" en vue du salut (éternel).
Exemple ce texte :
Citation : |
2 Théssaloniciens 1, 6 Car ce sera bien l'effet de la justice de
Dieu de rendre la tribulation à ceux qui vous l'infligent, et à vous, qui la
subissez, le repos avec nous, quand le Seigneur Jésus se révélera du haut
du ciel, avec les anges de sa puissance, au milieu d'une flamme brûlante,
et qu'il tirera vengeance de ceux qui ne connaissent pas Dieu et de ceux qui
n'obéissent pas à l'Evangile de notre Seigneur Jésus. Ceux-là seront châtiés d'une perte éternelle, éloignés de la
face du Seigneur et de la gloire de sa force, quand il viendra pour être
glorifié dans ses saints et admiré en tous ceux qui auront cru - et vous,
vous avez cru notre témoignage. Ainsi en sera-t-il en ce jour-là. |
Ce signifie :
Quand Jésus va apparaître à l'heure de notre mort, ce qui est
saint en nous se précipitera vers lui, mais ce qui est méchant fuira, effrayé,
détruit. Car sa vengeance, ce ne sera pas sa colère, mais son amour puissant,
humble, compréhensif.
Ceux qui ne connaissent pas Dieu signifient deux choses :
1° La partie qui en nous
refuse Dieu
2° Ceux qui librement se damneront et
fuiront avec grande colère cette révélation insupportable de l'amour glorifié.
Bref, ces textes de style apocalyptique se décryptent à la lumière
de l'ÉVANGILE. Ils n'ont pas leur sens en eux-mêmes.
Pour le sujet qui nous occupe, nous voudrions citer quelques uns
de ces textes dont nous manifesterons la possibilité d’une interprétation dans
le sens de la mort individuelle :
« Comme aux jours de Noé, ainsi
sera la parousie du fils de l’homme. Alors, deux hommes seront dans un champ :
l’un sera pris, l’autre laissé ; Deux femmes seront en train de moudre, l’une
sera prise, l’autre laissée. »
Habituellement, les exégètes commentent ce texte en insistant sur
l’aspect inattendu de la parousie. Ils y voient l’annonce d’une parousie
inopinée à l’image de la mort qui surprend l’agriculteur dans son champ. A cet
égard, le meilleur commentaire est, me semble-t-il, celui de Daniel Marguerat[229]. » Cette impressionnante
accumulation de matériel parabolique tend à exploiter l’Apocalypse dans un sens
précis : La communauté est invitée à saisir le sérieux de la situation engendrée
par l’incertitude de l’heure de la parousie. Le savoir sue l’ignorance de
l’heure doit conduire les destinataires du discours à un faire : la vigilance.
» Nous ne nions pas la portée de cette intention de Jésus. Elle apparaît
trop clairement à travers le reste du discours eschatologique. Cependant,
l’insistance concernant cette intention des textes ne peut supprimer un autre
de leur enseignement, tiré du sens littéral de l’Ecriture : des logia de Jésus annonçaient la parousie
pour l’époque de la génération contemporaine du Christ. » Cette génération ne
passera pas que tout cela ne soit accompli. » De fait, la génération contemporaine du Christ croyait fermement
vivre cette parousie avant la mort des onze apôtres. Saint Paul en témoigne par
sa mise en garde contre ceux qui ne font plus rien dans ce monde qui leur
paraît vain car voué à sa fin de manière imminente. La génération suivante,
ayant constaté que la parousie n’était pas venue, fut conduite à interpréter
les textes autrement et dans le sens exclusif rapporté par Daniel Marguerat.
Notre hypothèse permet de donner une autre interprétation de ces textes qui ne
refoule pas dans la métaphore le sens littéral et historique qu’ils semblent
contenir :
Ce texte est précieux puisqu’il unit en deux versets l’expression « parousie du Fils de l’homme », et la
description d’une scène de travail décrivant la mort individuelle d’un des deux
travailleurs. La parousie du Fils de l’homme n’est autre que son Avènement
final, celui que Mathieu décrit en termes apocalyptiques dès le début du
chapitre 24. Or, à lire le texte, on est tenté (et la majorité des exégètes le
sont) de n’insister que sur la signification politique, visible aux yeux des
nations toutes entières, de ces faits. Tout se passe en terme de ruine de temple
(1-3), massacres et persécutions religieuses (4-25), cataclysmes cosmiques
(29-31), apparition glorieuse du Fils comme l’éclair qui va de l’orient à
l’occident (26-28.) Nous ne refusons pas cette interprétation traditionnelle[230], la plus évidente à la
lecture des textes. Cependant, nous pensons qu’elle en cache bien d’autres dont
celle sur laquelle nous voudrions insister. S’il s’agissait ici uniquement de
la fin du monde, de la parousie finale qui fera cesser le monde d’ici-bas, le
Christ aurait-il parlé d’un homme laissé dans son champ à travailler ou d’une
femme laissée à moudre ? On ne peut d’ailleurs objecter à notre interprétation
une autre, à savoir que cet homme et cette femme ne sont pas « laissés »sur terre mais « abandonnés »parce que ne méritant pas la Vie
éternelle. L’expression « laissé »est en effet à opposer à « pris »qui signifie un enlèvement en plein travail réalisé sur l’un des
deux travailleurs par l’Avènement du Seigneur. Ainsi, comme ces textes se
réfèrent à des événements visibles au quotidien des hommes, nous pensons qu’ils
se réfèrent à la mort individuelle, brutale et dangereuse pour celui qui n’a
pas veillé[231].
En nous référant à cette clef d’interprétation, les autres textes
de ce chapitre de saint Mathieu prennent une autre lumière : « Aussitôt après les tribulations de ces
jours-ci, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les
étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées. Et alors
apparaîtra le signe du Fils de l’homme ; et alors toutes les races de la terre
se frapperont la poitrine ; et l’on verra le Fils de l’homme venant sur les
nuées du ciel avec grande puissance et grande gloire. Et il enverra ses
anges avec une trompette sonore pour rassembler les élus des quatre vents, des
extrémités des cieux à leurs extrémités.
»
Cet autre texte a toujours reçu une explication concernant la fin
du monde. Cependant, son genre littéraire apocalyptique ne fait pas de doute et
nous autorise à en diversifier les interprétations. L’auteur d’un tel texte n’a
d’ailleurs pas d’autre intention. Sous le même symbole, il entend signifier des
réalités multiples. Ainsi, appliqué à l’heure de la mort, ce texte prend une
lumière particulière. Procédons à la manière de saint Césaire d’Arles,
c’est-à-dire en relisant le texte point par point : Les tribulations de ces
jours-ci signifient la vie terrestre et ses épreuves qui constituent un
purgatoire préparatoire à la rencontre ; le soleil qui s’obscurcit signifie le
moment qui précède la fin de la vie où l’homme découvre à travers des épreuves
physiques et psychologiques que la vie est passagère et le monde insensé
lorsqu’il est recherché pour lui-même ; la lune qui ne donne plus sa lumière
peut symboliser les moments de l’agonie où les créatures qui reflétaient la
lumière du soleil, c’est-à-dire donnaient sens à la vie d’ici-bas perdent leur
utilité ; les étoiles qui tombent du ciel annoncent que ce qui donnait à
l’homme la direction dans sa vie devient vain ; le signe du fils de l’homme est
l’heure de la mort elle-même. En effet, la croix ou encore le signe de Jonas
est le signe de la limite des fils d’homme mortels. C’est l’épreuve ultime et
substantielle où chacun expérimente sa pauvreté, comme le Christ lui-même à son
heure. Chacun se frappe la poitrine à cette heure ultime, ceux qui sont adonnés
à la terre car ils perdent ce qui donnait sens à leur vie, ceux qui servaient
le Seigneur car ils discernent ne pas avoir correspondu à leur vocation. Enfin,
la venue du Fils de l’homme signifie son apparition qui suit l’arrêt du cœur et
précède la mort ; il vient accompagné des anges qui coopèrent avec les saints
au salut du mourant. Cette interprétation, nous le verrons en conclusion, ne
supprime en rien celle qui annonce le retour du Christ à la fin du monde ; elle
respecte aussi celle qui lit la description de la fin des sociétés, des projets
humains. Elle ne fait qu’ajouter une pierre aux sens multiples de la Parole de
Dieu.
« En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout
cela ne soit arrivé. Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne
passeront pas. »
Ce troisième texte et d’autres analogues semble annoncer la fin du
monde et la parousie générale en en fixant la date à la génération de ceux qui
ont connu Jésus. Il fut d’ailleurs à ce point interprété comme cela que saint
Paul dut tenir un discours très ferme dans le sens du démenti[232]. Devant la ruine du temple
de Jérusalem assaillis par les armées romaines, cette peur de la fin du monde
se fit certitude. Pourtant, dès les années apostoliques, saint Pierre signale
la venue de « railleurs pleins de
raillerie, guidés par leurs passions qui disent : où est la promesse de son
avènement ? Depuis que les pères sont morts, tout demeure comme au début de la
création » [233]. Cette remarque des
railleurs est d’actualité. Pourtant la parole de Jésus semble aussi nette que
possible : « Cette génération ne passera
pas... » S’est-il trompé ?
Notre hypothèse permet d’ouvrir la voie à une interprétation
nouvelle : il existe une parousie au cours de l’histoire qui marque chaque
génération tout aussi réellement que la parousie définitive qui fera s’arrêter
le cycle des générations. En effet, moins de cent ans après que Jésus a
prononcé ses paroles prophétiques, toute la génération qui les avait entendues
avait réellement et historiquement connu la parousie. Cela ne s’était pas
réalisé d’un seul coup mais par la somme des parousies individuelles à la mort
de chacun. Ainsi, la génération entière des hommes de l’époque de Jésus s’est
trouvé face à sa gloire très peu de temps après sa promesse. Ceux qui restaient
sur terre n’ayant, quant à eux, encore rien vu venir, pouvaient se permettre de
railler mais bien à tort... De même, notre interprétation permet de comprendre
des saints comme Vincent Ferrier qui annoncèrent sur ordre du Seigneur, avec
force signes et miracles prouvant leurs dires, le retour du Christ pour leur
génération. Canonisé sous le vocable d’ »ange
de l’Apocalypse », ce dominicain mort
en 1419 n’a pas menti. C’est ce dont pourrait témoigner sa génération, tout
entière jugée et fixée à l’heure qu’il est sur son destin éternel. Somme toute,
chaque homme peut recevoir pour lui cette parole de Jésus, sachant avec certitude
que peu d’années le séparent de sa mort et de la Manifestation glorieuse du
Christ. Quant à la fin définitive du monde, elle reste une réalité annoncée
littéralement par l’Écriture, du même ordre, avec cependant une solennité
particulière.
Nous pourrions citer aussi de nombreux textes de l’Apocalypse. Ils
se prêtent à une interprétation dans ce sens mais ne constituent pas un apport
essentiel : « Interprétation
symbolique ne constitue qu’un signe modéré de la vérité d’une hypothèse, selon
saint Thomas d’Aquin[234]
Une remarque de J. Bescond, un
traducteur de la Bible, montre que en Luc 17, 21, il vaut mieux traduire
"parmi" par "au dedans". Cela change la donne si l'on veut
prendre les deux acceptations du terme grec (Royaume de Dieu et Parousie, un
public et un intérieur, un visible et un invisible).
Ceci illustre de manière cachée la
thèse de la Parousie du Christ à l'âme à l'article de la mort, qui devient
scripturaire.
Martin 1744 / S. Luc chapitre 17 a
écrit: |
Et on ne dira point : voici, il est
ici; ou voilà, il est là; car voici, le Règne de Dieu est au-dedans
de vous. Il dit aussi à ses Disciples : les jours
viendront que vous désirerez de voir un des jours du Fils de l'homme,
mais vous ne [le] verrez point. Et l'on vous dira : voici, il est
ici; ou voilà, il est là; [mais] n'y allez point, et ne les suivez point. Car comme l'éclair brille
de l'un des côtés de dessous le ciel, et reluit jusques à l'autre qui est
sous le ciel, tel sera aussi le Fils de l'homme en son jour. (...) Et eux répondant lui dirent : où
[sera-ce] Seigneur? et il leur dit : en quelque lieu que sera le
corps [mort], là aussi s'assembleront les aigles. |
ou encore :
« Où sera le cadavre, là
se rassembleront les vautours. »
On conclut avec un défunt, et ses
démons.
Par ailleurs ce verset biblique : « Or, la volonté de celui qui m'a envoyé, c'est que je ne perde
aucun de ceux qu'il m'a donnés, mais que je les ressuscite tous au dernier
jour. Car la volonté de mon Père, c'est que tout homme qui voit le Fils et croit en lui obtienne la vie
éternelle; et moi, je le ressusciterai au dernier jour» (Jean 6,35-40).
Car cette parole de Notre Seigneur est très claire. On peut certes
voir le Christ à travers ses Saints qui lui sont comme transparents, mais cette
parole semble plus précise encore.
« Jean 14, 2 je vais
vous préparer une place. Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé
une place, à nouveau je viendrai et je
vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous aussi, vous
soyez. »
Partout dans l'Ecriture, cette annonce est donnée, pour ceux qui
on appris à chercher.
« Etant donc réunis, ils l'interrogeaient
ainsi : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté
en Israël ? » Il leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les
temps et moments que le Père a fixés de sa seule autorité. Mais vous allez
recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez
alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux
extrémités de la terre." A ces mots, sous leurs regards, il s'éleva, et
une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils étaient là, les yeux fixés au
ciel pendant qu'il s'en allait, voici que deux hommes vêtus de blanc se
trouvèrent à leurs côtés ; ils leur dirent : Hommes" de Galilée,
pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Celui qui vous a été enlevé, ce
même Jésus, viendra comme cela, de la même manière dont vous l'avez vu s'en
aller vers le ciel."
Deux point sont à relever dans ce récit :
1° L’ascension fut un
phénomène visible, au sens « sensible » du terme. Elle se passe « sous leurs regards. » Une nuée dérobe Jésus à leur yeux.
2° Mais l’ascension fut un
phénomène visible, au sens « spirituel » du terme. Les disciples vivent un
phénomène extatique qui les laisse comme fixés, un long moment, les yeux
tournés vers le ciel. Deux hommes vétus de blanc (des anges) sont comme
contraints de les tirer de leur extase.
3° Les anges annoncent que ce
phénomène est le modèle de la façon dont se produira le retours du Christ. On
peut en conclure que le retours du Christ, que le Credo définit ainsi : « Il
reviendra dans sa gloire accompagné des saints et des anges pour juger les
vivants et les morts. » sera un phénomène à la fois sensible et
porteur de sens spirituel. On ne peut manquer d’y voir une certaine concordance
avec les récits des témoins de Near Death Experience. Et, surtout, ce
mode de connaissance est parfaitement humain, adapté au mode habituel que
décrit saint Thomas : sensible en vue du spirituel.
Le retours du Christ est toujours présenté comme un évènement
inédit, de type céleste, et non comme une descente de type purement
charnel (Matthieu
24, 26) : « Si
donc on vous dit : Le voici au désert, n'y allez pas ; Le voici dans les
retraites, n'en croyez rien. Comme l'éclair, en effet, part du levant et brille
jusqu'au couchant, ainsi en sera-t-il de l'avènement du Fils de l'homme. »
La mort du Diacre Etienne, racontée un peu plus loin dans le livre
des Actes semble décrire ce retour du Christ lorsqu’il s’applique à la fin d’un
individu et son caractère à la fois sensible et spirituel.
« A ces mots, leurs coeurs frémissaient de rage, et ils grinçaient des
dents contre Etienne. Tout rempli de l'Esprit Saint, il fixa son regard vers le
ciel ; il vit alors la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu.
"Ah! dit-il, je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la
droite de Dieu." Jetant alors de grands cris, ils se bouchèrent les
oreilles et, comme un seul homme, se précipitèrent sur lui, le poussèrent hors
de la ville et se mirent à le lapider. Les témoins avaient déposé leurs
vêtements aux pieds d'un jeune homme appelé Saul. Et tandis qu'on le lapidait,
Etienne faisait cette invocation : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit."
Puis il fléchit les genoux et dit, dans un grand cri : « Seigneur, ne leur
impute pas ce péché." Et en disant cela, il s'endormit. »
La vision d’Etienne, il faut le remarquer, se passe avant
sa mort et non « dans son agonie », ce qui est attesté par plusieurs
témoins de Near Death Experience pour qui l’ordre des évènements est
variable. Pour la décrire, Etienne utilise des termes semblables à ceux de
l’ascension : « il voit les cieux ouvert. »
Cette petite citation
présente dans les Actes des apôtres ou St Paul préche longuement, pourrait être
un signe scripturaire interessant de la mort comme « durée » [235]:
« Un adolescent, du nom d'Eutyque, qui était assis sur le bord de la
fenêtre, se laissa gagner par un profond sommeil, pendant que Paul discourait
toujours. Entraîné par le sommeil, il tomba du troisième étage en bas. On le
releva mort. Paul descendit, se pencha sur lui, le prit dans ses bras et
dit: «
Ne vous agitez donc pas: son âme est en lui." Puis il remonta,
rompit le pain et mangea; longtemps encore il parla, jusqu'au point du jour.
C'est alors qu'il partit. Quant au jeune garçon, on le ramena vivant, et ce ne
fut pas une petite consolation. »
Il est mort et son âme est
en lui. Quelle conséquence en tirer sinon que la mort a une durée ?
Citons pour terminer un magnifique et peu connu texte de saint
Pierre[236] : « Béni soit le Dieu et Père de
notre Seigneur Jésus-Christ : dans sa grande miséricorde, il nous a engendrés de
nouveau par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, pour une vivante
espérance, pour un héritage exempt de corruption, de souillure, de flétrissure,
et qui vous est réservé dans les Cieux, à vous que, par la foi, la puissance de
Dieu garde pour le salut prêt à se MANIFESTER AU DERNIER MOMENT. »
D’autres textes étonnant de
cette épître ont récemment conduit des théologies Protestante et Orthodoxe à
poser que tous les païens sont évangélisés dans les limbes après leur mort et
que leur est donné la possibilité de conversion et de salut. D’après le
« DICTIONARY OF Dogmatic Theology, Parente & Al, Milwaukee, 1951,
pp. 164-165 », cette opinion est, du point de vue critique, intenable
(insoutenable). Mon avis : Cela ne se
passe pas APRES la mort. C'est impossible, affirme la constitution Benedictus Deus. Cela se passe à l'heure
de la mort, dans le passage du shéol entre ce monde et l'autre. Et c'est
obligatoire, sous peine de damner des millions de gens à cause d'une ignorance
non coupable.
« 1
Pierre 3, 18 Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste pour
des injustes, afin de nous mener à Dieu. Mis à mort selon la chair, il a été
vivifié selon l'esprit.
1
Pierre 3, 19 C'est en lui qu'il s'en
alla même prêcher aux esprits en prison,
1
Pierre 4, 5-6 Pierre 4, 6 Mais ils auront à rendre compte de leurs actes à
Dieu, qui est prêt à juger les vivants et les morts. Voilà pourquoi la Bonne Nouvelle a été annoncée même aux morts :
ainsi, bien que jugés quant a leur existence terrestre, comme tous les humains,
ils ont maintenant la possibilité, grâce à l'esprit, de vivre la vie de Dieu.
La mort est-elle instantanée
ou dure-t-elle « un certain temps,
comme un passage ?
A contrario, I Rois 17, 8-24 indique plutôt le contraire :
Citation : I Rois 17, 8-24 |
17 Après ces événements,
le fils de la femme, maîtresse de la maison, devint malade, et sa maladie fut
très violente, au point qu'il ne resta plus de souffle en lui. 18 Alors cette femme dit à
Elie : « Qu'ai-je à faire avec toi, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour
rappeler le souvenir de mes iniquités et pour faire mourir mon fils ? » 19 Il
lui répondit : « Donne-moi ton fils. » Et il le prit du sein de la femme et,
l'ayant monté dans la chambre haute où il demeurait, il le coucha sur son
lit. 20 Puis, il invoqua Yahvé, en disant : « Yahvé, mon Dieu, auriez-vous
encore fait tomber le malheur sur cette veuve chez laquelle je demeure,
jusqu'à faire mourir son file ? » 21 Et il s'étendit trois fois sur l'enfant,
en invoquant Yahvé et en disant : « Yahvé, mon Dieu, je vous en prie, que
l'âme de cet enfant revienne au dedans de lui! » 22 Yahvé écouta la voix
d'Elie, et l'âme de l'enfant revint au dedans de lui, et il fut rendu à la
vie. 23 Elie prit l'enfant, le descendit de la chambre haute dans la
maison et le donna à sa mère ; et Elie dit : « Voici que ton fils est vivant.
» |
Donc, si dès que l'âme
(souffle) revient dans l'homme, il est vivant, alors dès que l'âme (souffle)
s'en détache, il est mort. A ce moment, Hébreux 9, 27 s'applique : après la
mort vient le jugement.
Or, il n'est pas indifférent
qu'on associe dans la Bible le souffle et l'âme. On pourra donc dire que dès
l'arrêt respiratoire, il y a mort et impossibilité de repentir ni de conversion
(Hébreux 6, 1-6). Dans ce cas, cette serait plus que suspecte bibliquement, par
son manque de fondements clairs -sedes doctrinae- et par les récits qui
témoignent plutôt contre elle...
Mais Actes 20, 7-12
pourrait constituer un début de confirmation du contraire, à savoir que la mort
apparente n’est pas la mort accomplie (mais il n'est pas sûr que ce ne soit
plutôt une résurrection !)
Citation : Actes 20, 7-12 |
7 Or, le premier jour de
la semaine, comme nous étions assemblés pour la fraction du pain, Paul, qui
devait partir le lendemain, discourait avec (les frères), et il prolongea son
discours jusqu'à minuit. Il y avait beaucoup de lampes dans la salle haute où
nous étions assemblés. Or un jeune homme, nommé Eutyche, qui était assis sur
la fenêtre, pris par un sommeil profond tandis que Paul discourait
longuement, fut entraîné par le sommeil, tomba du troisième en bas et fut
relevé mort. Mais Paul, étant descendu, se pencha sur lui et le prit dans ses
bras, disant : « Ne vous troublez pas, car son âme
est en lui. " Puis étant remonté, il rompit le pain et mangea, et après avoir
conversé assez longtemps, jusqu'au point du jour, il partit ainsi. On ramena
le garçon vivant, et on (en) fut grandement consolé. |
Deux autres textes semblent
indiquer que l'âme n’est pas immédiatement séparée du corps, sans délai et
qu’on peut définir la mort comme autre chose, comme l'entrée dans l'autre
monde. C'est ce que constatèrent sans doute, face à Jésus, les amis de cet enfant
:
Citation : Marc 5, 38-40, Luc 8 |
Ils arrivent à la maison
du chef de synagogue et il aperçoit du tumulte, des gens qui pleuraient et
poussaient de grandes clameurs. Etant entré, il leur dit : « Pourquoi ce tumulte et ces pleurs ? L'enfant
n'est pas morte, mais elle dort." Et ils se moquaient de lui. Mais lui, prenant sa main,
l'appela en disant : « Enfant,
lève-toi." Luc 8, 55 Son esprit revint, et elle se leva à
l'instant même. |
Que signifient ces paroles :
elle n’est pas morte mais elle dort… son esprit revint… ?[237]
Jésus utilise pour Lazare la
même expression, plusieurs jours après sa mort :
Citation : Jean 11, 11-14 |
Il dit cela, et ensuite : « Notre ami Lazare repose, leur
dit-il ; mais je vais aller le réveiller." Les disciples lui dirent
: « Seigneur, s'il repose, il sera
sauvé." Jésus avait parlé de sa mort, mais eux pensèrent qu'il parlait
du repos du sommeil. Alors Jésus leur dit ouvertement : « Lazare est mort… |
Il pourrait donc, bibliquement, y avoir une mort apparente qui pour Jésus n'est pas une mort accomplie ?
Une thèse se forge en théologie
scientifique. Elle doit partir des textes bibliques, ou se déduire de dogmes
exprimés au sens littéral. Or il existe une autre manière de faire de la
théologie, chère aux Pères de l'Eglise, très pratiquée par Origène, et qu'on
appelle la « théologie
symbolique. » C'est elle qui
découvre, sous le texte de l'Ecriture, des sens symboliques multiples et
explicitement voulus par Dieu. Cette théologie là ne démontre rien mais
illustre.
Or, il se trouve qu’il
existe, en théologie symbolique, un sens absolument étonnant. Pourquoi Jésus,
au moins dix fois dans le Nouveau Testament, dit-il à des disciples de se
rendre en Galilée, après sa résurrection, pour le voir ?
Que symbolise cette Galilée
des nations ? Dans les évangiles, c’est la région sombre de la mort,
comme l’indique ce texte :
Citation : (Matthieu (BJ) 4) |
Ayant appris que Jean
avait été livré, il se retira en Galilée s'établir à
Capharnaüm, au bord de la mer, sur les confins de Zabulon et de Nephtali, 14 pour
que s'accomplît l'oracle d'Isaïe le prophète : « Terre de Zabulon et
terre de Nephtali, Route de la mer, Pays de Transjordanie, Galilée des
nations! Le peuple qui demeurait dans les ténèbres a vu une grande lumière ;
sur ceux qui demeuraient dans la région sombre de la mort, une lumière s'est
levée. » |
La
théologie symbolique, dit saint Thomas (Somme, Ia pars Q. 1) donne trois sens
aux textes :
Sens
allégorique : Pris en ce sens, cela peut signifier l'âme humaine dans sa nuit (la
Christ vient au fond de la nuit de notre âme).
Sens
moral : Il signifie la manière dont il faut agir : « Trouver le Christ dans le
quotidien" (La Galilée étant le symbole de ce quotidien
triste).
Sens
eschatologique : Il est clair que si l’on identifie, en théologie symbolique, la Galilée et le pays sombre de la mort, on trouve des richesses de sens incontestablement proche de cette
thèse sur la venue du Christ à l’heure de la mort.
Citation : (Matthieu (BJ) 26, 32) |
Mais après ma résurrection
je vous précéderai en Galilée (dans la région sombre de la mort). |
Citation : (Matthieu (BJ) 28, 5-7) |
Mais l'ange prit la parole
et dit aux femmes : « Ne craignez
point, vous : je sais bien que vous cherchez Jésus, le Crucifié. Il n'est pas
ici, car il est ressuscité comme il l'avait dit. Venez voir le lieu où il
gisait, et vite allez dire à ses disciples : Il est ressuscité d'entre les
morts, et voilà qu'il vous précède en Galilée (dans la région sombre de la mort) ; c'est là que vous le verrez. |
Citation : (Matthieu (BJ) 28, 9-10) |
Et voici que Jésus vint à
leur rencontre : « Je vous salue », dit-il. Et elles de s'approcher et
d'étreindre ses pieds en se prosternant devant lui. Alors Jésus leur dit : « Ne craignez point ; allez annoncer à
mes frères qu'ils doivent partir pour la Galilée (pour la région sombre de la mort), et là ils me verront." |
Citation : (Matthieu (BJ) 28, 16) |
Quant aux onze disciples, ils
se rendirent en Galilée (à la région sombre de la mort), à la montagne où Jésus leur avait donné rendez-vous. |
Citation : (Matthieu (BJ) 4, 23-25) |
Il parcourait toute
la Galilée Galilée (toute la région sombre de la mort) enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du
Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur parmi le peuple. Des
foules nombreuses se mirent à le suivre, de la Galilée, de la Décapole, de
Jérusalem, de la Judée et de la Transjordanie. |
Citation : (Jean 2, 11) |
Tel fut le premier des signes
de Jésus, il l'accomplit à Cana de Galilée Galilée (dans la région sombre de la mort) et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en
lui. |
Le verset 17 dans la
traduction de Louis Segond dévoile un sens étonnant :
Citation : |
15 Le peuple de Zabulon et
de Nephthali, De la contrée voisine de la mer, du pays au delà du Jourdain,
Et de la Galilée des Gentils, 16 Ce peuple, assis dans
les ténèbres, A vu une grande lumière ; Et sur ceux qui étaient assis dans la
région et l'ombre de la mort La lumière s'est levée. 17 Dès ce moment Jésus
commença à prêcher, et à dire : Repentez-vous, car le royaume des cieux
est proche. (Matthieu (LSG) 4) |
« Dès ce moment Jésus
commença à prêcher… sur ceux qui étaient assis dans la région et l'ombre de la
mort. »
Alors ceux qui sont assis
(ni debout ni allongés mais en attente) vont bientôt se lever. Car voici en
résumé dans Josué l’Evangile que Jésus leur annonce :
Citation : |
1 Après la mort de Moïse, serviteur
de Yahvé, Yahvé parla à Josué, fils de Nûn, l'auxiliaire de Moïse, et lui dit
: 2 "Moïse, mon serviteur, est mort ; maintenant, debout! Passe le
Jourdain que voici, toi et tout ce peuple, vers le pays que je leur donne
(Josué (BJ) 1) |
Moïse qui n'a pas vu la
terre promise peut symboliser notre vie terrestre.
(Moïse, le corps et « l'auxiliaire », l'âme) alors un sens apparaît.
« Serviteur tu es mort. Lève toi et passe le Jourdain vers la terre
promise. »
Il y a également quelque
chose à méditer dans ce passage du Jourdain, lieu de baptême par excellence.
Si Jésus n'avait pas
volontairement mêler les textes sur son retour à la fin de la vie avec les textes
sur la fin du monde (car c'est exactement le même mystère), tout serait plus
clair et les Pères, unanimement, auraient compris. Heureusement, ici où là, le
Nouveau Testament est très clair.
« Jean 14, 2 je vais vous
préparer une place. Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une
place, A NOUVEAU JE VIENDRAI ET JE VOUS PRENDRAI PRES DE MOI, afin que, là où
je suis, vous aussi, vous soyez. »
Maintenant, depuis le XX° s,
les saints voient ce retour de Christ à l'heure de la mort. Et il n'y a pas que
Marthe Robin. Et alors, la parabole des ouvriers de la onzième heure prend tout
son sens.
Matthieu 20, 1 "Car il
en va du Royaume des Cieux comme d'un propriétaire qui sortit au point du jour
afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il convint avec les ouvriers d'un
denier pour la journée et les envoya à sa vigne (ceux qui sont chrétiens depuis l'enfance). Sorti vers la troisième
heure, il en vit d'autres qui se tenaient, désoeuvrés, sur la place, et à ceux-là il dit : Allez, vous aussi, à la
vigne, et je vous donnerai un salaire équitable (ceux qui se sont convertis dans leur jeunesse). Et ils y allèrent.
Sorti de nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième heure, il fit de
même. Vers la onzième heure (à l'heure
de la mort), il sortit encore, en trouva d'autres qui se tenaient là et
leur dit : Pourquoi restez-vous ici tout le jour sans travailler ? -- C'est que, lui disent-ils, personne ne nous a
embauchés ; Il leur dit : Allez, vous aussi, à la vigne. Le soir venu, le maître de la vigne dit à son
intendant : Appelle les ouvriers et remets à chacun son salaire, en remontant
des derniers aux premiers. Ceux de la onzième heure vinrent donc et touchèrent
un denier chacun. Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu'ils allaient
toucher davantage ; mais c'est un denier chacun qu'ils touchèrent, eux aussi.
Tout en le recevant, ils murmuraient contre le propriétaire : Ces derniers
venus n'ont fait qu'une heure, et tu les as traités comme nous, qui avons porté
le fardeau de la journée, avec sa chaleur. Alors il répliqua en disant à l'un
d'eux : Mon ami, je ne te lèse en rien : n'est-ce pas d'un denier que nous
sommes convenus ? Prends ce qui te
revient et va-t'en. Il me plaît de donner à ce dernier venu autant qu'à toi :
n'ai-je pas le droit de disposer de mes biens comme il me plaît ? Ou faut-il
que tu sois jaloux parce que je suis bon ? Voilà comment les derniers seront
premiers, et les premiers seront derniers."
Le sujet de cette thèse est
dans la continuité de la tradition du christianisme primitif et des premiers
siècles. Nous pouvons dire que le paradigme de cette approche (présentation de
Lucifer et du Christ à l"heure de la mort) se retrouve dans cette évangélisation
des morts qui séjournaient dans le séjour des morts avant la Résurrection. Il
me semble important de porter à votre connaissance ces phrases tirées
d'évangiles apocryphes [239] :
- Dans le "Transitus
Marie" attribué à l'évêque Méliton (Fin IIème siècle) au
chapitre III, il est écrit : « "Marie dit : « Je te prie d'envoyer sur
moi ta bénédiction afin que nulle puissance de l'enfer ne m'attaque à l'heure
où mon âme sortira de mon corps et afin que je ne voie point le prince des
ténèbres." Et l'ange répondit : "La puissance de l'enfer ne te
nuira pas. Le Seigneur, dont je suis l'esclave et l'envoyé, te donnera la
bénédiction éternelle ; Il ne m'est pas accordé de te donner de ne pas voir le
prince des ténèbres ; c'est au pouvoir de celui que tu as porté dans ton sein
sacré et dont la puissance s'étend dans les siècles et des siècles." »
- Au chapitre VIII : « Le Sauveur répondit : «
"Lorsque, envoyé par mon Père pour le salut du monde, j'ai été suspendu
sur la croix, le prince des ténèbres est venu vers moi ; mais ne pouvant
trouver nul vestige de son coeur, il s'est retiré vaincu et foulé aux pieds. Je
l'ai vu et tu le verras, suivant la loi commune du genre humain, à laquelle tu
te conformes en mourant, mais il ne pourra te nuire, parce qu'il n'y a rien en toi
qui soit en lui, et je serai avec toi pour te protéger. Viens donc en paix, car
la milice céleste t'attend pour que je t'introduise dans les joies du
paradis." »
- Dans l'introduction de l'Evangile
de Nicodème ou Actes de Pilate, l'auteur nous rappelle la réponse dans
l'Epître de Pierre sur le moment séparant la mise au tombeau et la résurrection
de Notre Seigneur Jésus-Christ : « "... mis à mort dans sa chair, mais
rendu à la vie par l'Esprit. C'est alors qu'il est allé prêcher même aux
esprits en prison, aux rebelles d'autrefois..." » (1 Pierre 3,
18-19 et : « " C'est pour cela, en effet, que même aux morts la bonne nouvelle
a été annoncée... " » (1 Pierre 4, 6).
- L'évangile de Nicodème ou Actes de Pilate au Chapitre
XVII-XXIX qui décrit la descente du Christ aux enfers et son évangélisation des
morts.
Dans l'évangile de Nicodème,
les morts qui sont libérés des ténèbres par l'arrivée du Christ sont ceux qui
l'ont attendu ou l'attendaient (Chapitre XXII-XXV) Autrement dit Christ
est reconnu par ses brebis comme le dit les évangiles canoniques. (ceux qui
reconnaissent l'amour et l'humilité).
Le Catéchisme de l’Eglise
Catholique (1992) se penche sur la question de la mort.
Il rappelle les dogmes
traditionnels de la foi au numéro 1021 :
Citation : |
I. Le jugement particulier 1021 La mort met fin à
la vie de l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce
divine manifestée dans le Christ (cf. 2 Tm 1, 9-10). Le Nouveau Testament
parle du jugement principalement dans la perspective de la rencontre finale
avec le Christ dans son second avènement, mais il affirme aussi à
plusieurs reprises la rétribution immédiate après la mort de chacun en fonction
de ses œuvres et de sa foi. La parabole du pauvre Lazare (cf. Lc 16,
22) et la parole du Christ en Croix au bon larron (cf. Lc 23, 43), ainsi que
d’autres textes du Nouveau Testament (cf. 2 Co 5, 8 ; Ph 1, 23 ; He 9, 27 ;
12, 23) parlent d’une destinée ultime de l’âme (cf. Mt 16, 26) qui peut être
différente pour les unes et pour les autres. |
Auparavant, il manifeste le
chemin habituel des sacrements qui accompagnent le mourant dans son passage :
Citation : |
1020 Le chrétien qui unit
sa propre mort à celle de Jésus voit la mort comme une venue vers Lui et une
entrée dans la vie éternelle. Lorsque l’Église a, pour la dernière fois, dit
les paroles de pardon de l’absolution du Christ sur le chrétien mourant,
l’a scellé pour la dernière fois d’une onction fortifiante et lui a donné le
Christ dans le viatique comme nourriture pour le voyage, elle lui parle avec
une douce assurance. |
Les sacrements sont des
signes sensibles donnés par un prêtre à des catholiques. On donne dans l'ordre :
1° L'absolution = Le sacrement de pénitence
2° L'onction fortifiante est le sacrement des malades
3° Le viatique qui est la dernière eucharistie
Puis le catéchisme fait
allusion à un texte liturgique qui dépasse le sacrement et en indique le sens :
Citation : |
Quitte ce monde, âme
chrétienne, au nom du Père Tout-Puissant qui t’a créé, au nom de
Jésus-Christ, le Fils du Dieu vivant, qui a souffert pour toi, au nom du
Saint-Esprit qui a été répandu en toi. Prends ta place aujourd’hui dans la paix, et
fixe ta demeure avec Dieu dans la sainte Sion, avec la vierge Marie, la Mère
de Dieu, avec saint Joseph, les anges et tous les saints de Dieu (...).
Retourne auprès de ton Créateur qui t’a formé de la poussière du sol. Qu’à
l’heure où ton âme sortira de ton corps, Marie, les anges et tous les saints
se hâtent à ta rencontre (...). Que tu puisses voir ton Rédempteur face à
face... (Ex « Commendatio animæ ») |
Cet
extrait montre l’ancienneté de cette certitude que, A LA MORT, Marie, les anges et tous les saints se hâtent à ta rencontre (...)
du mourant.
Cependant, il convient de le reconnaître : le
Catéchisme utilise tour à tour les notions de :
AVANT la mort
A l'heure de la mort
APRÈS la mort.
Il
est donc très important de les travailler (voir Traité des fins dernières, Question 8, article 4).
Il est essentiel de se demander si la mort est
instantanée, de telle façon que personne n'ait plus l'occasion d'être sauvé,
tout en se souvenant du dogme :
APRÈS LA MORT, le jugement et la rétribution sont donnés (de foi, Benoît
XII).
A L'HEURE DE LA MORT, l'âme rencontre le Christ et la Vierge (oraison de la liturgie,
non dogmatique, mais très traditionnelle).
Citation: |
Apocalypse 1, 18 « je fus
mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et de l'Hadès. » |
Dès le début de l’Eglise, le
texte du Credo affirme la descente de Jésus aux enfers : « Jésus a
souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli, est
descendu aux enfers. »
Le père Michel Guitton écrit,
dans France Catholique, 21 septembre 2007 (n°3085) :
Citation: |
La question reste, toujours brûlante,
de ce qu’il advient de ceux qui, sans fautes de leur part, n’ont pu profité
de l’annonce de l’Evangile. Nous pouvons alors nous appuyer sur la phrase de
saint Paul (Romains 11, 32) : « Dieu a enfermé tous les hommes dans la
désobéissance pour faire à tous miséricorde », pour penser qu’ils ne sont pas abandonnés. Nous pouvons
évoquer la Descente aux enfers où Jésus rejoint les justes de l’Ancien
Testament (alors pourquoi pas ceux d’après ?) |
Il faudrait étudier si cette
descente de Jésus dans l'Hadès décrite par saint Pierre n'est pas, en clair,
une preuve de plus de l'apparition glorieuse de Jésus, pour tous les hommes de
tous les temps, dans ce passage qu'est la mort.
Citation: |
Actes 2, 23 cet homme qui avait été livré selon le
dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l'avez pris et fait mourir
en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l'a ressuscité, le
délivrant des affres de l'Hadès.
Aussi bien n'était-il pas possible qu'il fût retenu en son pouvoir; |
Le mot sheol veut-il dire, au
sens Biblique, la mort ? Sheol (שאול), parfois
écrit Shéol, est un terme hébraïque intraduisible, désignant le « séjour des
morts », la « tombe commune de l'humanité », le puits, sans vraiment pouvoir
statuer s'il s'agit ou non d'un au-delà."
L'étymologie du mot hébreux
"cheôl" est obscure, attribuée à plusieurs racinnes dont "lieu
d'interrogation" (Dictonnaire du NT de Xavier Léon-Dufour). Et c'est le
mot grec "haïdès" qui a été choisis pour dire en grec le mot
"shéol" ; hâdès qui veut dire "invisible"
Dans l'Apocalypse, la mort et
l'hadès sont étroitement liés. A chaque fois qu'il est question de l'hadès, on
lui adjoint la mort :
1 18 le Vivant; je fus mort, et me voici vivant pour les siècles des
siècles, détenant la clef de la Mort et
de l'Hadès. Et la mer rendit les morts qu'elle gardait, la Mort et l'Hadès rendirent les morts
qu'ils gardaient, et chacun fut jugé selon ses oeuvres.
Si la mort était uniquement la
mort biologique, pourquoi l'Apocalypse nous dit-elle que la mort va rendre les
morts qu'elle gardait ? Est-ce la mort où l'hadès qui a rendu Lazare ?
C'est la mort qui le gardait depuis 3 jours.
On
trouve dans les actes des apôtres le récit d’une expérience qui ressemble fort
à ce dont témoignent les téoins des Expérience proches de la mort. Le texte
parle de lui-même. Il nous est donné en deux versions :
Citation : |
Actes 22, 6-11 "Je
faisais route et j'approchais de Damas, quand tout à coup, vers midi, une
grande lumière venue du ciel m'enveloppa de son éclat. Je tombai sur le sol et
j'entendis une voix qui me disait : Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ?
Je répondis : Qui es-tu, Seigneur ? Il me dit alors : Je suis Jésus le
Nazôréen, que tu persécutes. Ceux qui étaient avec moi virent bien la
lumière, mais ils n'entendirent pas la voix de celui qui me parlait. Je
repris : Que dois-je faire, Seigneur ? Le Seigneur me dit : Relève-toi. Va à
Damas. Là on te dira tout ce qu'il t'est prescrit de faire. Mais comme je n'y
voyais plus à cause de l'éclat de cette lumière, c'est conduit par la main de
mes compagnons que j'arrivai à Damas. |
ou
encore :
Citation : |
Actes 26, 12-18 "C'est
ainsi que je me rendis à Damas avec pleins pouvoirs et mission des grands
prêtres. En chemin, vers midi, je vis, ô roi, venant du ciel et plus éclatante
que le soleil, une lumière qui resplendit autour de moi et de ceux qui
m'accompagnaient. Tous nous tombâmes à terre, et j'entendis une voix qui me
disait en langue hébraïque : Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ? Il est
dur pour toi de regimber contre l'aiguillon. Je répondis : Qui es-tu,
Seigneur ? Le Seigneur dit : Je suis Jésus, que tu persécutes. Mais
relève-toi et tiens-toi debout. Car voici pourquoi je te suis apparu : pour
t'établir serviteur et témoin de la vision dans laquelle tu viens de me voir
et de celles où je me montrerai encore à toi. C'est pour cela que je te
délivrerai du peuple et des nations païennes, vers lesquelles je t'envoie,
moi, pour leur ouvrir les yeux, afin qu'elles reviennent des ténèbres à la
lumière et de l'empire de Satan à Dieu, et qu'elles obtiennent, par la foi en
moi, la rémission de leurs péchés et une part d'héritage avec les sanctifiés. |
Il y a
même, chez saint Paul, la question de la présence ou non de son corps dans
cette expérience :
Citation : |
2 Corinthiens 12, 2-4 Je
connais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans - était-ce en son
corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais ; Dieu le sait -
cet homme-là fut ravi jusqu'au troisième ciel. Et cet homme-là - était-ce en son
corps ? Etait-ce sans son corps ? Je ne sais, Dieu le sait --, je sais qu'il
fut ravi jusqu'au paradis et qu'il entendit des paroles ineffables, qu'il
n'est pas permis à un homme de redire. |
Tertullien, cité par Michel Hulin, « La face cachée du
temps » Fayard, rapporte le rêve de sainte Perpétue (avant son martyre) :
Perpétue rencontre son compagnon de martyre, Saturus, et elle lui
fait le récit suivant :
« Nous mourûmes et sortîmes de notre corps. Alors, des anges se mirent à
nous porter dans la direction de l'Orient. Leurs mains ne nous touchaient pas.
Nous n'avions pas l'impression d'être étendus sur le dos mais plutôt celle de
gravir une pente douce... à peine sortis de ce monde et toujours portés par les
quatre anges, nous vîmes une lumière immense et nous débouchâmes sur un vaste
espace qui ressemblait à un verger avec des arbres, des roses et toutes sortes
de fleurs. Les arbres étaient hauts comme des cyprès et leurs feuilles ne
cessaient de chanter. »
(Provenance : Olivier)
Dans la tradition orthodoxe, qui se fonde sur les visions dont certains
saints ont été favorisés, on estime que durant les deux premiers jours après la
mort, l’âme reste encore sur terre, parcourant les lieux où elle a vécu et
auxquels elle a été attachée durant sa vie terrestre. À partir du troisième
jour, elle passe par ce que les Pères de l’Église appellent les "postes de
péage. » Ces "péages" sont
représentés de la manière suivante dans des visions de saint Antoine le Grand
que nous raconte saint Athanase, Docteur de l’Eglise, dans sa vie de saint
Antoine écrite en 356 :
« Un jour, sur le point de manger, étant debout pour prier vers la
neuvième heure, il se vit lui-même ravi en esprit. Chose étonnante, debout, il
se vit lui-même hors de lui-même comme conduit à travers les airs par certains personnages
; ensuite il en vit d’autres, amers et cruels, debout dans l’air et voulant
l’empêcher de monter. Ses conducteurs le défendant, les autres demandèrent s’il
leur était soumis et voulurent lui faire rendre des comptes depuis sa
naissance. Les guides d’Antoine s’y opposèrent, disant aux adversaires : Le
Seigneur a remis les fautes commises depuis sa naissance ; vous pouvez lui
demander compte de celles qu’il a commises depuis qu’il s’est fait moine et
consacré au Seigneur. Les adversaires l’accusaient, sans pouvoir rien prouver
La route fut libre et sans obstacles.
Alors Antoine se vit revenir ; debout devant soi, et de nouveau il
fut lui-même. Oubliant son repas, il passa le reste du jour et la nuit dans les
gémissements et la prière. Il admirait par quelle lutte et quels labeurs il
faut traverser les airs et il se souvenait de ce que dit l’Apôtre du prince de
la puissance de l’air (Ép 2,2). L’ennemi a pouvoir de combattre et d’empêcher
ceux qui montent à travers (les airs). Il faisait donc surtout cette
exhortation : « C’est pourquoi prenez l’armure de Dieu, afin de pouvoir
résister aux jours mauvais en sorte que l’adversaire soit dans la confusion :
n’ayant aucun (mal) à dire de nous " (2 Co 12, 2).
Plus tard, il eut une controverse avec quelques visiteurs
concernant le passage et le séjour de l’âme après la mort ; la nuit suivante,
quelqu’un l’appela d’en haut : « Antoine, lève-toi et regarde. " Il
sortit, car il savait à qui il convenait d’obéir ; levant les yeux, il vit un
être géant, affreux, redoutable, debout et atteignant les nuées. Des êtres
paraissant ailés montaient. Le géant étendait les mains, empêchait les uns ;
les autres, volant au-dessus, traversaient, étaient conduits en haut sans être
inquiétés. Pour ces derniers, le grand grinçait les dents ; il se réjouissait
de voir tomber les autres. Aussitôt Antoine perçut une voix : « Comprends ce
que tu vois. » L’esprit lui fut ouvert : il comprit que c’était le passage des âmes, que le géant debout
était l’ennemi qui porte envie aux fidèles, règne sur ceux qui se sont soumis à
lui et les empêche de passer ; mais ne peut dominer d’en haut ceux qui ne se
sont pas laissé persuader par lui. Averti par cette nouvelle vision, il luttait
de plus en plus pour progresser chaque jour. »
Ainsi, pendant les quarante jours qui précèdent l’attribution à
l’âme du défunt de ce qui sera son séjour provisoire jusqu’à la parousie, les
démons présentent tout ce qu’elle a pu commettre comme fautes durant sa vie
terrestre ; son seul recours est alors le repentir qu’elle a manifesté pour les
péchés qui lui sont reprochés, les bonnes œuvres qu’elle a accomplies durant sa
vie terrestre et l’intercession de l’Église et des saints. La prière pour les
défunts revêt ainsi, dès le moment de leur mort, une grande importance ; elle
protège l’âme et la défend contre les entreprises des démons.
Certains détails du récit ci-dessus rappellent ceux des
témoignages rapportés par le psychologue R. Moody dans son étude sur ceux qui
ont approché la mort : le brusque changement que cette expérience a apporté
dans la vie et les perspectives de cet homme, la présence d’un esprit servant
de guide à travers cette pérégrination, enfin les réticences montrées par le
héros à raconter son histoire à quiconque ne l’aurait pas écoutée avec un esprit
ouvert et bienveillant. Par rapport à notre hypothèse, nous remarquons que les
visions sensibles et imaginatives de cet homme prouvent qu’il est par quelque
partie de lui-même lié à son corps, au moins par son psychisme. Il n’est donc
pas vraiment mort, la séparation de son âme n’est pas totale. D’autre part, le
guide qui ne semble pas être nécessairement le Christ lui-même en est cependant
la ressemblance puisqu’il provoque une conversion vers l’amour et la vie
contemplative. Nous sommes donc bien, semble-t-il, devant une prédication
mystérieuse et forte de l’Évangile à l’heure de la mort.
Dans son homélie 23, sur S. Matthieu
10, 28 « Ne craignez rien de ceux
qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme ; craignez plutôt Celui qui a le
pouvoir d’envoyer dans la géhenne à la fois l'âme et le corps. », Saint Jean Chrysostome commente : « Si vous
approfondissez ces paroles, vous y trouverez encore un autre
enseignement. En effet, Notre Seigneur ne dit pas : « Qui envoie dans
la géhenne » mais : « Qui a le pouvoir d’envoyer » car tous ceux qui meurent dans le péché ne sont
pas immédiatement livrés au supplice, mais ils éprouvent quelques moments de
repos et d’adoucissement par suite des sacrifices et des prières qui sont
offertes pour les âmes des défunts."
Commentaire
du Père Marie-Bernard d'Alès, le 16 oct 2015 : « ce passage pourrait
signifier cette rencontre avec le Christ dont bénéficient même les futurs
damnés. Ils ne ne sont pas immédiatement livré au supplice car le Christ
accompagné des saints et de leurs prières magnifie leurs bonnes actions afin de leur permettre le repentir et la conversion dans
le passage de la mort.
Mais ils
refusent bien sûr et leur choix définitif est ratifié par le jugement dernier
et le renvoie.
On trouve chez saint Augustin des récits concernant des
miraculés de la mort, des gens ayant connu un terrible accident et qui se
réveillent à la surprise générale. Ils rapporteraient tous des visions du
Christ et des saints. Augustin avait entendu parler de cela et, en en
débattant, il émet par deux fois dans ses œuvres l'avis philosophique suivant :
Citation : |
« Tant que l'ordre et l'harmonie règnent entre les parties, le
corps jouit de la vie et de la santé, et l'âme ne pense pas à le quitter.
Mais s'il y a désaccord et confusion, l'âme se retire à regret, emportant tout avec elle, le sens,
l'imagination, la raison, l'intellect, l'intelligence, la concupiscibilité et
l'irascibilité, pour que tout cela serve, suivant ses mérites, à la
rendre heureuse ou malheureuse. » « Quæ cum temperata et
ordinata fuerint, congruunt vivificationi, et nunquam recedit anima. Si vero
distemperata et confusa fuerint, invita recedit anima, secum trahens omnia,
sensum scilicet, imaginationem, rationem, intellectum, intelligentiam,
concupiscibilitatem, et irascibilitatem : et ex his secundum merita afficitur
ad deleclationem, sive ad dolorem. » Saint Augustin, De l’esprit et de l’âme, Chap. 15[240]. S. Augustin dit encore : «
Nous croyons que seul l’homme possède une âme subsistante qui, séparée du
corps, continue à vivre et garde vivants ses sens et son intelligence. » Commentaire du livre de Qohelet, Chap. 16. |
Il appuyait ses dires sur des expériences de mort approchée, déjà
fréquentes à son époque. Les expériences de mort approchée se multipliant de
nos jours et étant de mieux en mieux étudiées, on est obligé d’admettre au plan
philosophique le fait d’une survie, non seulement des puissances de la vie
sensible mais de leurs actes.
Chez saint Thomas d’Aquin, au Moyen-âge, le deuxième degré de vie,
sensible, est une fonction de l'organe du cerveau, au point que la mort du
cerveau détruit toute vie sensible. Les morts sont donc pour lui de purs
esprits, dotés de deux facultés : leur intelligence et leur volonté. Du
coup, chez saint Thomas, la totalité des souvenirs sensibles liés à
l'imaginaire et à la mémoire des images, disparaît (odeurs, visage des siens
etc.). Les morts gardent uniquement leur compréhension spirituelle et leurs
choix libre.
Saint Augustin semble ici donner une indication philosophique sur
cette vie sensible et sa nature : le cerveau semble donc être un organe
matériel qui structure et fabrique une sorte d'organe psychique qui
survit à sa destruction. Si cela est vrai, alors l'état des âmes des morts est
différent : non seulement leur esprit survit mais aussi toutes leurs facultés
sensibles : ils voient, ils entendent, ils se souviennent du visage physique
de leur mère etc.
Cette indication semble purement philosophique et n'a pas de
conséquences opposées à la foi. Saint
Cette conception philosophique de la survie du psychisme ne
subsistera pas au réalisme d'Aristote qui, introduit au Moyen-âge conclut :
Citation : |
« La vie sensible est
manifestement un effet du cerveau. Donc elle ne survit pas au cerveau ». |
Pour ma part, j'ai été contraint par la multiplication des données
expérimentales, d'opter pour la conception plus ancienne, connue jadis dans la
psychologie de l'Egypte antique et de l'hindouisme (d'où est venu le
bouddhisme).
La Bible n'y est pas entièrement étrangère, parlant des morts non
comme des esprits purs, mais comme des "ombres », voire dans l'évangile, comme des fantômes :
Citation : |
Matthieu 14, 26 Les disciples, le voyant marcher sur la mer,
furent troublés : « C'est un
fantôme », disaient-ils, et pris de
peur ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla en disant : « Ayez confiance, c'est moi, soyez
sans crainte. » |
Citation : |
Luc 24, 36 Tandis qu'ils disaient cela, lui se tint au milieu
d'eux et leur dit : « Paix à vous! » Saisis de frayeur et de crainte,
ils pensaient voir un esprit. Mais il leur dit : « Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi des doutes montent-ils en
votre coeur ? Voyez mes mains et mes pieds ; c'est bien moi! Palpez-moi et
rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez
que j'en ai. » |
Ce texte ne soutient pas une
théologie identique à celle qui est soutenue ici et qui parle de l’apparition
du Christ avant et pendant le
jugement. Mais c’est une théologie proche. La Trinité, I, 13, 30-31 (trad.
Brévard, 2000 ans A, p. 152)
« Combien de temps vas-tu nous
laisser dans le doute ? »
« Comme il est égal au Père, le
Fils de Dieu ne reçoit pas le pouvoir de juger, mais il le possède avec le
Père. Il le reçoit pour que bons et méchants le voient juger, parce qu'il est
Fils de l'homme. Voir le Fils de l'homme sera donné aux méchants
eux-mêmes, mais la vision de sa divinité ne sera donnée qu'aux cœurs purs, car
ce sont eux qui verront Dieu (Mt 5,8). Qu'est-ce-que la vie éternelle,
sinon que cette vision, qui sera refusée aux impies ? « Qu'ils te connaissent, dit le Seigneur, toi le seul vrai Dieu, et
celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17,3). Comment connaîtront-ils
Jésus Christ lui-même, sinon comme le seul vrai Dieu, lui qui se montrera
lui-même à eux ? Il se montrera plein de bonté dans la vision qui le découvrira
aux cœurs purs. « Qu'il est bon le Dieu d'Israël
pour ceux qui ont le cœur droit » (Ps 72,1). Dieu seul est bon.
Voilà pourquoi quelqu'un qui avait
appelé le Seigneur « bon maître », en lui demandant conseil pour arriver à la
vie éternelle, s'est attiré cette réponse : «
Pourquoi m'interroges-tu sur ce qui est bon ? Personne n'est bon sinon Dieu
seul » (Mc 10,17-18). C'est que cet homme qui l'interrogeait ne
soupçonnait pas à qui il s'adressait et le prenait simplement pour un fils
d'homme... « Cet aspect que je revêts, c'est celui du Fils de l'homme, celui
qui a été assumé, celui qui apparaîtra lors du jugement aux impies aussi bien
qu'aux justes... Mais il y a une vision de ma condition divine : quand je
l'avais, je ne me suis pas prévalu de ce qu'elle me rendait égal à Dieu, mais
je me suis anéanti moi-même pour prendre l'autre condition » (Ph 2,6-7). C'est
donc lui, ce Dieu unique, Père, Fils, Esprit Saint, qui n'apparaîtra que pour
la joie inaltérable des justes.
Petit texte intéressant du Denzinger:
Lettre Cuperemus quidem aux évêques des provinces
de Vienne et de Narbonne, 26 juillet 428.
La réconciliation à l'heure de la mort
« Nous avons appris que la pénitence était refusée
aux mourants, et que l'on ne répondait pas aux désirs de ceux qui, au moment de
leur mort, désiraient qu'on vienne en aide à leur âme par ce remède. Nous
restons horrifiés, nous l'avouons, devant l'impiété de ceux qui osent mettre en
doute la bonté de Dieu. Comme si
Dieu ne pouvait pas secourir tous les pécheurs qui se tournent vers lui, à
n'importe quel moment, et comme s'il ne pouvait pas délivrer l'homme,
chancelant sous le poids de ses péchés, du fardeau dont il souhaite être
débarrassé. Je vous le demande : que signifie ceci, sinon apporter une nouvelle
mort à celui qui va mourir et tuer son âme, en se comportant de telle sorte
qu'elle ne puisse plus être purifiée ? Or Dieu est toujours disposé au
pardon ; il invite à la pénitence et déclare : "Le pécheur, quel que soit le jour où il se sera converti, son
péché ne lui sera plus imputé " Ez 33,16.... Puisque c'est Dieu qui
sonde les coeurs, il ne faut refuser à aucun moment la pénitence à qui la
demande.... »
Ce récit est tiré du livre « L’échelle sainte » de saint Jean Climaque, higoumène
(supérieur) du groupe de solitaires du Mont Sinaï (éditions de Bellefontaine).
6° degré n°20. Ce traité enseigne à des moines du 6° siècle quel dur chemin
suivre, qui conduit au ciel. Jean Climaque, également connu sous le nom de Jean
le Sinaïtique, moine syrien du VIe ou VIIe siècle. Il est considéré comme
saint par les Églises catholique et orthodoxe. Sa fête est célébrée le 30 mars
et le quatrième dimanche du Grand Carême orthodoxe.
« Je ne
peux omettre de te raconter l’histoire d’Hésychius, le solitaire de l’Horeb. Il
avait toujours vécu dans une totale négligence, sans aucun souci de son âme.
Mais un jour, il tomba gravement malade
et émigra hors de son corps l’espace d’une heure. Etant alors revenu à lui,
il nous supplia tous de nous retirer immédiatement. Il mura la porte de sa
cellule et y demeura reclus pendant 12 ans, sans jamais adresser un mot à
personne, sans se nourrir d’autre chose que de pain et d’eau. Il se tenait
assis, ravi en esprit par tout ce qu’il avait vu dans son extase ; il
était tellement absorbé qu’il ne changeait jamais de position ; semblant
toujours hors de lui-même, il versait silencieusement des larmes brûlantes.
Mais quand il fut près de mourir, nous enfonçâmes la porte et entrâmes ;
et à toutes nos questions, il ne répondait que ces seuls
mots : « Pardonnez-moi ! Celui qui garde le souvenir de la
mort ne pourra jamais pécher. » Et nous admirions dans cet homme, que nous
avions vu jadis si négligent, ce bienheureux et subit changement et une telle
transformation. Nous l’ensevelîmes avec vénération dans le cimetière voisin de
la forteresse. Quelques jours après, ayant voulu revoir ses restes saints, nous
ne les retrouvâmes plus. Le Seigneur voulut ainsi à l’occasion de sa pénitence
sincère et digne de louange, donner pleine confiance à ceux qui ont résolu de
se corriger, même après une longue négligence. »
Saint Grégoire de Tours raconte
dans son Histoire des Francs :
« Saint Saulve que l'on avait cru mort et dont on préparait les
funérailles revint à la vie le matin même du jour prévu pour son enterrement. En
ouvrant les yeux, il se plaignit d'avoir regagné le monde terrestre et ses
ombres. Pendant trois jours, il jeûna et, le quatrième jour, il raconta son
histoire.
Au moment où ses compagnons crurent qu'il trépassait, il fut
emmené par deux anges vers le plus haut des cieux. De là, il pouvait contempler
sous ses pieds, non seulement cette terre misérable mais aussi les nuages, la
lune, le soleil, les étoiles. Ensuite, par une porte étincelante, il fut
conduit à l'intérieur d'un palais où brillait une lumière ineffable et où se
trouvait une multitude d'hommes, de femmes et d'enfants. Les anges lui
frayèrent un passage à travers la foule et il parvint en un lieu où il y avait
un nuage plus éclatant que toute autre lumière. Il n'y avait là ni soleil, ni
lune, ni étoiles mais cela brillait davantage que tous ces astres réunis. Et,
du fond du nuage, se faisait entendre une voix semblable à la rumeur des eaux
mêlées. Une douce fragrance emplissait l'atmosphère, en sorte qu'il n'éprouvait
le besoin ni de boire ni de manger. Mais on lui fait savoir qu'il doit
retourner sur terre pour le bien de l'Eglise. »
On note la parenté de ces visions de
l'Antiquité ou du Moyen Age avec celles qui nous sont communiquées par nos
contemporains :
On y retrouve jusqu'au regret de revenir `sur terre', pour y
accomplir une mission inachevée.
On y retrouve aussi une description paradisiaque qui s'estompe peu
à peu dans une description plus abstraite et plus proche du langage des
théologiens.
Les images ne sont là que pour suggérer la béatitude et elles
cèdent la place à la lumière, une lumière sans astres ni soleil, une lumière
intérieure.
Grégoire de Tours[241], historien franc
du VIe siècle, rapporte le témoignage de Salvi qui
après avoir été cru mort, se réveille en s'écriant :
« (...) O seigneur
miséricordieux, qu'as tu fait de moi pour me permettre de revenir dans ce lieu
ténébreux qui sert d'habitation au monde alors que ta miséricorde dans le ciel
était pour moi préférable à la vie détestable de ce monde ?. (...)
Lorsqu'il y a quatre jours vous m'avez vu inanimé dans la cellule qui
tremblait, j'étais appréhendé par deux anges et transporté dans les hauteurs
des cieux en sorte que je m'imaginais avoir sous les pieds non seulement ce
monde du siècle hideux, mais encore le ciel, la lune, les nuages et les
étoiles. Ensuite par une porte plus brillante que cette lumière je fus
introduit dans une demeure dont le pavé était brillant comme l'or et l'argent,
la lumière ineffable, l'ampleur indescriptible. Une multitude des deux sexes la
couvrait en sorte qu'on ne pouvait absolument pas se rendre compte de la
profondeur ni du front de cette foule…Et j'entendis une voix qui disait
"Que cet homme retourne dans le siècle parce qu'il est nécessaire à nos
églises" On entendait seulement la voix car celui qui parlait, il était
absolument impossible de le discerner. (…) Après avoir prononcé ces paroles à
la stupeur de ceux qui étaient présents, le saint de Dieu recommença à parler
avec des larmes dans les yeux : "Malheur à moi parce que j'ai osé
révéler un tel mystère… »
Saint-Grégoire
fait état en 590 dans ses Dialogues
de visions rapportées par certains religieux à l'instant de trépasser ou de
personnes ayant été tenues pour mortes :
« Ce vénérable prêtre, ayant vécu fort longtemps, tomba malade la 40ème année
de sa promotion aux Ordres, et fut travaillé d'une violente fièvre qui le
réduisit à l'extrémité (...). Il était tout épuisé de force et étendu sur son
lit comme une personne morte. Il s'efforça de parler et dit d'un ton assez
vigoureux : « Messieurs soyez les bienvenus. Quelle est votre bonté de vivifier
ainsi votre petit serviteur ? Je m'en vais, je m'en vais, je vous rends grâce.
» Comme il répétait toujours ces mots, ses amis qui l'assistaient lui
demandèrent à qui il parlait. Il leur répondit avec étonnement : « Ne
voyez-vous pas que les Saints Apôtres sont venus ici ? " Puis, s'étant de
nouveau tourné vers ces saints, il dit : "Me voici, je viens, me voici,
je viens" et, prononçant ces paroles, il rendit l'esprit. »
« Un
soldat fut attaqué de la peste et réduit à l'extrémité. Il sortit de son corps
qui resta mort et sans âme, mais il y rentra bientôt, et il raconta ce qui lui
était arrivé. Il disait donc qu'il y avait un pont sous lequel passait un
fleuve dont l'eau était noire et d'où s'élevait un nuage obscur d'une puanteur
insupportable. Mais après que l'on avait passé le pont, l'on entrait dans des
prairies bien vertes, riantes et ornées d'herbes et de fleurs d'une odeur fort
agréable, où il paraissait de petites compagnies d'hommes vêtus de blanc. L'air
y était rempli d'une senteur si douce que ceux qui s'y arrêtaient en étaient
tout parfumés (...). Il y avait aussi diverses demeures pour chacun, qui
étaient pleines d'une grande lumière, faites d'un assemblage de lames
d'or. » »
Le Docteur Raymond Moody cite, quant à lui un récit de saint Bède
le Vénérable[242], Docteur de l’Eglise. Nous
le rapportons in extenso, en priant
le lecteur de nous pardonner la longueur de la citation :
« En ce temps là, un miracle
insigne, semblable à ceux des jours anciens, eut lieu dans la Grande-Bretagne.
Car afin de réveiller les vivants de la torpeur spirituelle où ils étaient
tombés, un homme qui était mort revint à la vie corporelle et raconta maintes
choses remarquables dont il avait été témoin, et dont il m’a paru opportun de donner ici une brève
mention.
Un chef de famille vivait
naguère dans une ville du pays de Northumbrie appelée Cunningham ; il menait,
avec tous ceux de sa maison, une vie fort dévote. Cependant, il tomba malade et
son état empira rapidement ; aux premières heures de la nuit, il mourut. Mais à
l’aube, il revint à la vie et s’assit soudainement sur sa couche, au grand
effroi de ceux qui l’entouraient en pleurant, et qui s’enfuirent à toutes
jambes. Seule son épouse qui l’aimait tendrement demeura auprès de lui,
tremblante et apeurée. L’homme la rassura et lui dit : « Sois sans crainte ;
car j’ai vraiment échappé à l’étreinte de la mort, et il m’a été donné de vivre à nouveau parmi les hommes. Mais il me faudra dorénavant vivre autrement que je ne l’ai fait jusqu’ici,
et adopter un mode de vie très différent. » Peu de temps après, il renonça à
toutes ses obligations mondaines et se retira dans le monastère de Melrose.
Voici comment il avait
coutume de raconter son aventure : « J’avais pour guide un homme avenant vêtu
d’une robe brillante, et nous marchions en silence vers ce qui semblait être la
direction du nord-est. Tout en allant droit devant nous, nous arrivâmes à une
large et profonde vallée dont la longueur paraissait infinie(...) Il me fit
bientôt passer de l’obscurité à une atmosphère de claire lumière, et tandis que
j’avançais dans la lumière brillante, j’aperçus au devant de nous une muraille
colossale qui n’avait de limite ni en hauteur ni en longueur, dans toutes les
directions. Ne lui voyant aucun porche, aucune fenêtre, aucune entrée, je
commençais à me demander pourquoi nous étions venus jusqu’à ce mur ; mais
lorsque nous parvînmes à son pied, tout d’un coup, et je ne sais par quel
moyen, nous nous trouvâmes à son fait. A l’intérieur s’étendait une vaste et
agréable prairie (....) La lumière qui resplendissait en ce lieu surpassait en
brillance la lumière du jour ou les rayons du soleil à midi.
Le guide dit : « Il te faut
maintenant rejoindre le corps que tu as laissé et revivre parmi les hommes ;
toutefois, si tu veux bien peser tes actes avec plus de soin de façon à
conserver tes paroles et ta conduite dans les voies de la vertu et de la
simplicité, alors quand tu mourras, tu obtiendras toi aussi une demeure parmi
ces esprits bienheureux que tu vois. Car lorsque je t’ai quitté durant quelques
instants, je l’ai fait pour découvrir ce que sera ton avenir. »
Comme il disait cela, je ne
me sentais guère enclin à retourner vers mon corps, car j’étais ravi par le
charme et la beauté du lieu, ainsi que par l’agrément de la compagnie que
j’entrevoyais. Mais je n’osais pas questionner mon guide et, sur ces
entrefaites, je me retrouvais soudain vivant à nouveau parmi les hommes. »
Cet homme de Dieu se
refusait à commenter tout cela et les autres choses qu’il avait vues lorsqu’il
s’adressait à des indifférents ou à des personnes aux mœurs relâchées ; il
réservait ses récits à ceux qui vivaient dans la crainte du châtiment ou dans
l’espérance des joies éternelles, ceux qui voulaient bien prendre à cœur sa
parole et croître en sainteté. »
- Saint
Paschase Radbert (?-v. 849), moine bénédictin, le jour du Seigneur à l’heure de
la mort
Commentaire
sur l'évangile de Matthieu, 11, 24 ; PL 120, 799 (trad. Delhougne, Les Pères
commentent, p. 13).
« Tenez-vous donc prêts »
« Veillez, car vous ne
savez ni le jour ni l'heure. » Bien que le Seigneur parle ainsi pour tous,
il s'adresse à ses contemporains, comme dans beaucoup d'autres de ses discours
qu'on lit dans l'Écriture. Pourtant, ces paroles concernent tous les hommes
parce que, pour chacun d'eux, le dernier
jour arrivera pour lui, ainsi que la fin de ce monde, le jour où il devra
quitter cette vie. Il faut donc que chacun en sorte comme s'il devait être
jugé ce jour-là. C'est pourquoi tout homme doit veiller à ne pas se laisser
égarer, mais à rester vigilant, afin que le jour du Seigneur, quand il viendra,
ne le prenne pas au dépourvu. Car celui
que le dernier jour de sa vie trouvera sans préparation serait encore trouvé
sans préparation au dernier jour du monde.
Saint Bernard raconte dans la Vie de saint Malachie[243] : « Saint Malachie vit un jour
sa sœur qui avait trépassé depuis quelques temps. Elle faisait son purgatoire
au cimetière : à cause de ses vanités, des soins qu’elle avait eus de sa
chevelure et de son corps, elle avait été condamnée à habiter la propre fosse
où elle avait été ensevelie et à assister à la dissolution de son cadavre. Le
saint offrit pour elle le sacrifice de la messe durant trente jours. Ce terme
expiré, il revit à nouveau sa sœur. Cette fois elle avait été condamnée à
achever son purgatoire à la porte de l’Église, sans doute à cause de ses
irrévérences pour le lieu saint, peut être parce qu’elle avait détourné les
fidèles de l’attention des Mystères Sacrés. » De multiples autres
témoignages d’apparitions et de révélations faites aux saints confirment ce
genre de récit. Donc certaines âmes font leur purgatoire sur terre.
Lotario,
de la famille des comtes de Segni, (Gavignano, 1160–Pérouse, 1216),
élu pape le 8 janvier 1198 sous le nom d'Innocent III, est
considéré comme le plus grand pape du Moyen Âge. Intellectuel et homme
d'action, préoccupé de remplir au mieux sa fonction religieuse, il fut un chef
à la décision rapide et autoritaire1. Il cherchera à exalter au mieux la
justice et la puissance du Saint-Siège de façon à renforcer son autorité
suprême, gage selon lui de la cohésion de la chrétienté.
Avant
d’être pape et comme théologien privé, enseigne que « tout homme, bon ou
mauvais, au moment de quitter cette terre et avant de paraître devant son juge,
voit lui apparaître Notre Seigneur Jésus Christ crucifié. Le méchant voit
le Christ pour sa confusion, afin qu’il rougisse de n’être pas racheté par le
sang du Sauveur. Ses fautes exigent qu’il en soit ainsi. »
In Innocent III, De contemptu mundi
sive de miseria conditione humanae, Libri III CAPUT 43 |
D’Innocent III, Le mépris du monde ou la
misère de la condition humaine, Livre 3 Chapitre
43. |
De adventu Christi ad diem mortis cujuslibet
hominis. |
Au sujet de la venue du Christ au jour
de la mort de chaque homme. |
Videt etiam
tam bonus quam malus, antequam egrediatur anima de corpore, Christum in cruce
positum. Malus videt sibi ad confusionem, ut erubescat se non esse redemptum
sanguine Christi, sua culpa exigente. Unde de malis dicitur in Evangelio: «
Viderunt inquem pupugerunt », quod intelligitur de adventu Christi
ad judicium, et de adventu ejus ad diem mortis cujuslibet hominis. Bonus vero
videt ad exsultationem. Et hoc habemus ex verbis Apostoli, qui ait: «
Usque in adventum Domini nostri Jesu Christi », id est ad diem mortis,
quando apparet tam bonis quam malis Christus in cruce positus; et ipse
Christus de Joanne Evangelista ait: « Si eum volo manere donec veniam »
scilicet veniam ad obitum ejus. Quatuor namque leguntur adventus Christi, duo
visibiles, et duo invisibiles. Primus adventus visibilis fuit in carne,
quando natus est de Virgine; alius adventus visibilis est ad judicium, quando
judicabit bonos et malos, quando statuet oves a dextris, haedos vero a
sinistris. Primus adventus invisibilis fit in mente justi, per gratiam; unde
Christus de viro justo ait: « Ad eum veniemus, et mansionem apud eum
faciemus.» Est ergo anima justi sedes et habitaculum Dei, sicut scriptum
est: «Anima justi sedes Dei », quia sedet Deus in eo per gratiam.
Secundus adventus invisibilis est in obitu uniuscujusque fidelis; unde
Joannes in Apocalypsi, desiderans liberari a carcere corporis, ad Christum
ait: « Veni Domine Jesu » scilicet ad obitum meum; unde dicitur quod
in die obitus sui, obviam venit ei Christus. |
« Tant le bon que le méchant voit le Christ
en croix, avant que l’âme ne sorte du corps. Le méchant le voit à sa
confusion, pour rougir de ne pas avoir été racheté par le sang du Christ,
comme sa faute l’exige. C’est pourquoi il est dit des méchants dans
l’évangile : « Ils verront celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19, 37), ce
qui s'entend de la venue du Christ au jugement, et de sa venue au jour de la mort de chaque homme. Le bon,
lui, le voit pour son exultation. Et nous tirons cela des paroles de l’Apôtre
qui dit : « Jusqu'à l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ » (1Tm
6, 14), c’est-à-dire au jour de la mort, quand le Christ en croix apparaît
tant aux bons qu’aux méchants ; et le Christ lui-même dit à propos de Jean
l’évangéliste : « Si je veux que celui-ci demeure, jusqu’à ce que je
vienne » (Jn 21, 22), c’est-à-dire «
jusqu’à ce que je vienne à sa mort ». De fait,
nous lisons qu’il y a quatre venues du Christ : deux visibles et deux
invisibles. La première
venue visible fut dans la chair, quand il est né de la Vierge ; la deuxième
venue visible est au Jugement, quand il jugera les bons et les méchants,
quand il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. La première
venue invisible se fait dans l’esprit du juste par la grâce ; c’est pourquoi
le Christ dit de l’homme juste : « Nous viendrons à lui, et nous ferons
notre demeure chez lui » (Jn 14, 23). Donc l’âme du juste est le siège et
la demeure de Dieu, ainsi qu’il est écrit : « L’âme du juste est le trône
de Dieu », parce que Dieu siège en lui par la grâce. La deuxième venue invisible est à la mort de chaque fidèle ;
c’est pourquoi Jean, dans l’Apocalypse, désirant être libéré de la prison du
corps, dit au Christ : « Viens, Seigneur Jésus » (Ap 22, 20),
c’est-à-dire à ma mort ; c’est pourquoi on dit qu’au jour de sa mort, le
Christ vint à sa rencontre. » |
Rappelons
que ceci n’est pas un enseignement pontifical. Mais il manifeste que cette idée
a toujours couru dans l’Eglise chez des fidèles et même des théologiens.
Et
surtout cela m'a poussé à faire le raisonnement suivant :
- on dit
qu'Innocent ne parle pas de choix
- or
il parle d'une rencontre avant la mort
- si
c'est avant la mort nécessairement l'âme est encore libre d'agir
-
donc l'âme peut se repentir
-
donc l'idée de choix est implicite à la thèse d'Innocent.
Ajoutons
à cela les Artes Moriendi, et il semblerait qu’il existe une thèse sur l'heure
de la mort fondée par un Pape au XIIIe siècle et relayée par la culture
populaire jusqu'à nos jours.
Il est fêté le 24 novembre. Docteur de l'Université de Bologne, il
fut reçu dans l'Ordre des Prêcheurs par saint Dominique lui-même, qui l’avait
attiré dans l’Ordre par une seule prière adressée humblement au Seigneur, et
qui l’envoya en Allemagne. Ayant appris par révélation l’heure de sa mort, il
mourut à Magdebourg, en chantant le psaume Cantate
Domino canticum novum, tandis que
Jésus, Marie et les anges le visitaient au moment suprême.
Tout quitter pour le suivre
Depuis quarante ans déjà Claire, selon la comparaison employée par
saint Paul (1Co 9,24), menait la course dans le stade de la très grande
pauvreté. Elle approchait du but de sa vocation céleste et de la récompense
promise au vainqueur... La divine Providence se hâtait d'accomplir ce qu'elle
avait prévu pour Claire : le Christ veut introduire dans son palais royal la
petite pauvre au terme de son pèlerinage. Quant à elle, elle aspirait de tout
l'élan de son désir...à contempler, régnant là-haut dans sa gloire, le Christ
qu'elle avait imité sur terre dans sa pauvreté... Toutes ses filles étaient
réunies autour du lit de leur mère... S'adressant alors à elle-même, Claire dit
à son âme : « Pars en toute sécurité, car tu as bon guide pour la route. Pars,
car celui qui t'a créée t'a aussi sanctifiée ; il t'a toujours gardée et aimée
d'un tendre amour, comme une mère aime son enfant. Sois béni, Seigneur, toi qui
m'as créée ! »
Une sœur lui demanda à qui elle s'adressait. Claire répondit : « A
mon âme bénie ». Son guide pour la route n'était pas loin. En effet, se
tournant vers l'une de ses filles, elle dit : « Vois-tu le Roi de gloire que j'aperçois ? »...
Bénie soit sa sortie de cette vallée de misère, sortie qui fut
pour elle l'entrée dans la vie bienheureuse ! En récompense de ses jeûnes
d'ici-bas, elle connaît maintenant la joie qui règne à la table des saints ; en
échange des guenilles et des cendres, elle est entrée en possession de la
béatitude du Royaume des cieux où elle est revêtue de la robe de gloire
éternelle.
Saint Thomas d’Aquin lui-même nie la possibilité d’une survie du
psychisme à la mort ou « dans la mort » (Voir Somme Théologique : La
condition des âmes séparées). Il n’envisage jamais d’autre possibilité et pose
le raisonnement suivant : La vie sensible étant liée à l’organe corporel, elle
ne peut subsister à la disparition de l’organe. Ainsi, l’âme séparée ne
conserve que ce qui est spirituel, à l’exclusion des sensations, passions,
souvenirs sensibles. Elle est, à l’image des anges, intelligence et volonté
spirituelles. Et l’exercice de cette intelligence se fait selon le mode
angélique et non par abstraction à partir du sensible. Il n’envisage donc pas
d’événements dans le passage de la mort qui est pour lui un évènement
instantané, une séparation de l’âme et du corps et non un passage.
Malgré la logique de sa doctrine du salut, Saint Thomas se permet
parfois, poussé par une autre logique qui est celle de sa contemplation, des
audaces pour le salut des infidèles. A la suite des Pères, il a compris, à
travers le discours de Pierre à Corneille[246], que Dieu se manifeste à
quiconque le craint et le cherche en pratiquant la justice. D’où l’axiome
théologique : « A celui qui fait son
possible, Dieu ne refuse pas la grâce.
» [247] Thomas d’Aquin en a déduit la
possibilité d’une révélation immédiate, à l’intime de la conscience, en
concepts humains, de Dieu et de son Christ, accordée à l’homme fidèle à sa
conscience, en vue de lui donner la foi chrétienne et le salut éternel. Même au
sauvage vivant dans une forêt vierge... Il convient de citer le Docteur
angélique :[248]
« A
un homme qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle pour chercher le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très certain
que Dieu révélerait par une inspiration intérieure les choses qu’il est
nécessaire de croire ou lui enverrait quelque prédicateur de la foi, comme
Pierre à Corneille. »
Ce texte est le plus ancien que j’ai pu retrouver concernant la
nécessité d’une prédication pour les païens justes. Cette doctrine n’est
différente de la nôtre qu’en tant que nous l’avons poussée à l’extrême de son
évidence, allant jusqu’à en faire un des principes de la théologie, et en la
rendant nécessaire pour tout homme, saint, juste. Devant la croix de Jésus, et
dans les limites de la foi catholique telle qu’elle est définie par l’Église,
nous ne pouvons faire autre chose. Nous la poussons même plus loin, allant
jusqu’à dire que Dieu ne refuse pas, même à l’homme le plus perverti, la grâce
de la prédication de l’Évangile. Libre à cet homme de la rejeter. Telle est la
justice de l’amour de Dieu en vue du salut de tous.
On peut en ajouter un autre texte, tiré du même ouvrage : On n'est
jamais fixé dans le bien ou dans le mal avant le dernier acte de liberté. « cas
où la justification ne se fait pas en un seul instant mais à travers de lentes
préparations. On pourrait ajouter que le poids des conditionnement négatifs est
au moins contrecarré partiellement par la rencontre de la beauté du Christ,
icône de Dieu, qui parle à la sensibilité ! »[249]
Mais, encore plus troublante est chez ce saint, l’effet d’une
expérience bouleversante qu’il fit vers la fin de sa vie. En 1273, Frère Thomas d’Aquin dictait la troisième et dernière partie de sa
Somme Théologique. Il avait dicté à
son fidèle disciple, frère Reginald, un article concernant le sacrement de la
Pénitence. S’étant rendu à l’église Sainte Dominique pour y célébrer la messe,
il fut pris d’une extase. Lorsqu’il revint à lui, plusieurs frères dominicains
qui avaient été témoins de son ravissement voulurent connaître de sa bouche ce
qu’il avait vu. Mais Frère Thomas se tut puis se retira dans sa cellule. Frère
Reginald étant venu près de lui comme à l’habitude pour recevoir la dictée de
la suite de son travail, il fut renvoyé. Le lendemain, il revint mais Frère
Thomas d’Aquin ne voulut rien lui dicter. Il en fut ainsi les jours suivants au
point que son ami finit par lui demander en privé la raison d’un tel
comportement. Frère Thomas d’Aquin lui avoua alors ceci : « J’ai vu des choses que la langue de l’homme ne peut exprimer. » Et comme Frère Reginald insistait, il
continua : « A côté de ce qui m’a été
révélé, tout ce que j’ai écrit et dit m’apparaît comme rien. » A partir de ce jour, Frère Thomas
d’Aquin n’écrivit plus rien. Sa Somme resta inachevée, à l’endroit même où son
extase l’avait saisi. On ne peut manquer de penser à l’expérience de saint Paul
lors de sa conversion, à son trouble devant non seulement la profondeur du
mystère entrevu : « Je
connais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans fut ravi jusqu'au
paradis et entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme
de redire », mais aussi devant le
caractère incompréhensible du mode de son expérience : « Etait-ce
en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais ; Dieu le
sait »[250]. Si l’on pense à une
expérience de décorporation du type de celle dont témoignent les témoins d’une
expérience de mort approchée (N.D.E.), on comprend le trouble de saint Thomas.
Sa théologie de l’âme séparée est à réformer. Le psychisme et ses facultés
sensibles peuvent s’exercer d’une manière séparée du cerveau…
Par contre, saint Thomas enseigne explicitement que le retour du
Christ se passe à l’heure de la mort ET à la fin du monde[251] :
2470. Mais que dit [le Seigneur] ? CAR VOUS NE SAVEZ PAS À QUELLE
HEURE VIENDRA VOTRE MAÎTRE [dominus]. Il disait cela aux apôtres et on ne
trouve nulle part ailleurs qu’il se soit appelé aussi expressément « Maître », comme ici et en Jn 13, 13 : Vous m’appelez Maître et Seigneur,
et vous parlez justement, car je le suis. Mais quelqu’un pourrait dire que le
Seigneur parlait aux apôtres. Or, les apôtres n’allaient pas vivre jusqu’à la
fin du monde. Comment donc peut-il dire : VEILLEZ, CAR VOUS NE SAVEZ PAS À
QUELLE HEURE VIENDRA VOTRE MAÎTRE ? Augustin dit que cela était nécessaire même
pour les apôtres, pour ceux qui nous ont précédés et pour nous, car
le Seigneur vient de deux manières. Il viendra à la fin du monde pour tous
d’une manière générale ; il viendra aussi vers chacun lors de sa propre fin,
c’est-à-dire de sa mort. Jn
14, 18 : Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous.
2471. Il y
a donc un double avènement : à la fin du monde et à la mort, et
il a voulu que les deux soient incertains. Et ces avènements sont en rapport
l’un avec l’autre, car on se retrouvera au second comme on aura été au premier.
Augustin [dit] : « Celui qui n’était
pas prêt à son dernier jour ne sera pas prêt au dernier jour du monde. » On peut aussi l’interpréter d’un
autre avènement, à savoir, [de l’avènement] invisible, lorsque [le Seigneur]
vient dans l’esprit. Jb 9, 11 : Si tu viens à moi, je ne m’en apercevrai pas.
Ainsi, il vient chez plusieurs, mais ils ne s’en aperçoivent pas. Vous devez
donc veiller avec attention, de sorte que, s’il frappe, vous lui ouvriez. Ap 3,
20 : Je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un m’ouvre, j’entrerai chez
lui et je dînerai avec lui.
En lisant le commentaire de
l’évangile de Jean tiré d'un écrit de St Thomas d'Aquin[252], on peut voir l’évidence de la venue du
Christ. Mais St Thomas d'Aquin n’est pas précis. Parle-t-il le la Venue du
Christ dans sa gloire de réssuscité ou dans la Vision béatifique de sa
divinité ?
Joie de la
vision du Seigneur ressuscité, joie de la vision de gloire
« Après avoir appliqué
la comparaison (de la femme qui enfante) à la tristesse des Apôtres; le
Seigneur l’applique à leur joie future.
Il leur promet premièrement
qu’ils le reverront, lorsqu’il dit : ‘Mais de nouveau je vous verrai’.
Toutefois il ne dit pas : ‘vous me verrez’, mais ‘je vous verrai’, parce que le
fait de se montrer lui-même provient de sa miséricorde, signifiée par son
regard. Il dit donc : ‘Mais de nouveau je vous verrai’, à l’heure de la Résurrection et dans la gloire future : « Tes yeux
verront le roi dans sa beauté » (Is 33,17).
Il leur promet ensuite la joie du cœur et l’exultation, en disant : ‘et votre
cœur sera dans la joie’ à savoir celle de me voir à la Résurrection. Aussi
l’Église chante-t-elle : « Voici le jour que le Seigneur a fait, exultons et
soyons dans l’allégresse » (Ps 117, 24). ‘Et votre cœur sera dans la joie’
également à cause de la vision de la gloire. « Tu m’empliras d’allégresse près
de ta face » (Ps 15, 11) Pour tout être, en effet, il est naturel de trouver sa
joie dans la contemplation de la réalité aimée. Or personne ne peut voir
l’essence divine sans l’aimer. La joie accompagne donc nécessairement cette
vision : Vous « le verrez », en le connaissant par l’intelligence, « et votre
cœur se réjouira » (Is, 60,5) ; et cette joie elle-même rejaillira jusque sur
le corps, lorsqu’il sera glorifié ; aussi Isaïe enchaîne-t-il : « et vos os
seront florissants » (Is 66, 14). « Entre dans la joie de ton Seigneur ». (Mt
25, 21).
Enfin le Seigneur promet une joie qui durera toujours, lorsqu’il dit : ‘et
votre joie’, celle que vous aurez à cause de moi à la Résurrection - « Je me
réjouirai d’une grande joie dans le Seigneur » (Is 61,10) - ‘nul ne vous
l’enlèvera’ puisque «ressuscitant des morts, le Christ ne meurt plus ; la mort
n’a plus sur lui d’empire (Rm 6,9). Ou encore, ‘votre joie’, la joie de jouir
de la gloire, ‘nul ne vous l’enlèvera’ puisqu’elle ne peut être perdue et
qu’elle est perpétuelle - « Une allégresse éternelle sera sur leur tête » (Is
35,10).
Cette joie, en effet nul ne se l’enlèvera lui-même par le péché, puisque
là, la volonté de chacun aura été confirmée dans le bien ; et
personne non plus n’enlèvera cette joie à un autre, puisqu’il n’y aura là
aucune violence et que nul ne portera préjudice à un autre. »
Dans Le Livre de la Grâce spéciale, 1° partie, ch. XLVII, Tours,
Mame, 1921.
Pendant que sainte Mechtilde priait la glorieuse Vierge Marie de
daigner l'assister de sa présence à sa dernière heure, la Sainte Vierge
répondit : « Je te le promets, mais
toi, récite chaque jour trois Ave Maria. »
Par le premier, tu t'adresseras à Dieu le Père, qui a exalté mon
âme pour me donner rang après lui seul, au ciel et sur la terre, et tu lui
demanderas que je sois présente à l'heure de ta mort pour te réconforter et
chasser loin de toi toute puissance adverse.
Par le second, tu t'adresseras au Fils de Dieu, qui, dans son
insondable sagesse, m'a douée d'une telle plénitude de science et
d'intelligence que je jouis de la très Sainte Trinité, dans une connaissance
supérieure à celle de tous les autres saints. Tu lui demanderas aussi que (…)
je remplisse ton âme, à l'heure de ta mort, des lumières de la foi et de la
science, et que tu sois abritée contre toute ignorance et toute erreur.
Par le troisième, tu t'adresseras au Saint-Esprit, qui m'a inondée
de son amour et tu demanderas que je sois présente à l'heure de ta mort, pour
répandre en ton âme la suavité du divin amour. Ainsi tu pourras triompher des
douleurs et de l'amertume de la mort, au point de les voir se changer en
douceurs et allégresses. »
Dans le livre de sa vie, il est rapporté un dialogue étrange entre
Satan et la vierge, au sujet d’une âme sauvée au dernier moment. Les termes
décrits pour définir le moment où ce salut s’est produit sont « l'heure
de l'agonie de cette âme » ou encore « la mort. »
« Elle
m'a injustement ravi l'âme qui comparaît devant vous. »
Citation, Vie de Sainte Brigitte, tome II ch XXXI :
« Après
la mort de son fils, Sainte Brigitte fut transportée dans un palais vaste et
magnifique. Elle vit Jésus-Christ assis sur son tribunal et entouré de la cour
innombrable des Anges et des Saints. Près de Lui se tenait sa très-sainte Mère,
qui écoutait avec attention le jugement.
Elle aperçut aux pieds du juge, sous la forme d'un enfant nouveau-né,
l'âme du défunt, tremblante, ne pouvant ni voir ni entendre ce qui se passait,
mais en ayant la perception intime. A la droite du Juge et près de l'âme se
tenait un Ange; le démon était à gauche; mais ni l'un l'autre ne touchaient
l'âme.
Le démon se mit alors à crier : « Écoutez, Juge tout-puissant. J'ai à me plaindre d'une femme qui
est à la fois ma Souveraine et votre Mère, à laquelle votre amour a donné tout
pouvoir sur le ciel et sur la terre, et sur nous, démons de l'enfer. Elle m'a
injustement ravi l'âme qui comparaît devant vous. Car, en bonne justice,
j'avais le droit de m'en emparer au moment de sa sortie du corps et de
l'amener, avec mes compagnons, devant votre tribunal. Or, ô juste Juge,
l'âme n'était pas sortie pour ainsi dire du corps, que cette femme, votre Mère,
s'en est saisie, l'a couverte de sa puissante protection, et vous l'a
présentée. »
La Bienheureuse vierge Marie, Mère de Dieu, répondit ainsi : « Ecoute,
Satan, ma réponse. Quand tu sortis des mains du Créateur, tu avais
l'intelligence de la justice qui est en Dieu dès l'éternité et sans
commencement. Tu as eu aussi la liberté d'agir à ton gré, et, bien que tu aies
préféré haïr Dieu que de lui donner ton cœur, tu sais cependant ce que la
justice exige. Or je te dis qu'il m'appartient plus qu'à toi de présenter cette
âme à Dieu, son Juge. Car, durant son séjour sur la terre, elle m'a témoigné
une grande affection; elle se plaisait à se rappeler que Dieu a daigné me
choisir pour sa Mère et qu'il a voulu m'exalter au-dessus de toutes les
créatures. »
La pensée des privilèges dont Dieu a bien voulu m'honorer, lui
inspirait un tel amour qu'elle se disait souvent à elle-même : « Je
suis si heureuse de voir la Très-Sainte vierge Marie plus chère à Dieu que
toutes les créatures, que pour rien au monde je ne donnerais la joie que j'en
ressens. Bien plus, je mets cette joie au-dessus de tous les plaisirs de la
terre, et s'il était possible que Marie perdît un seul instant quelque chose de
sa haute dignité, j'aimerais mieux, s'il m'était donné de l'empêcher, être
éternellement tourmentée dans les abîmes de l'enfer que de le souffrir. Donc,
gloire éternelle et action de grâces infinies à Dieu, pour cette faveur
singulière et cette gloire immense qu'il a donnée à sa Bienheureuse Mère."
»
« Tu vois, Satan, dans quelles
dispositions cet homme est mort. Que
te semble-t-il donc ? N'était-il pas juste que je prisse cette âme sous ma
protection devant le tribunal de Dieu, et pouvais-je la laisser tomber entés
mains pour partager tes supplices? »
Et Satan demanda de nouveau: «
Pourquoi, ô Reine, à l'heure de
l'agonie de cette âme, nous avez-vous mis en fuite de telle sorte qu'aucun de
nous n'a pu ni la troubler ni l'effrayer? » La Vierge répliqua :
"J'ai fait cela à cause
de l'ardent amour qu'elle me portait." »
Autre récit (Révélations de sainte Brigitte, Liv. V, ch.
XL.) :
Un démon apparut au jugement divin, qui
tenait l’âme d’un défunt toute tremblante.
Voici de la proie, dit-il au Juge, votre
ange et moi avons suivi cette âme depuis sa naissance jusqu’à la fin de ses
jours, lui pour la sauver, moi pour la perdre.
Elle est à la fin tombée dans mes mains,
mais votre justice ne s’est pas prononcée ; c’est pourquoi je ne la possède pas
avec assurance. Je la désire avec autant d’ardeur qu’un animal affamé et si
tourmenté par la faim qu’il mange ses membres. Pourquoi est-elle tombée en mes
mains plutôt qu’en celles de son ange ?
–
Le juge répondit :
« Parce que ses péchés sont en plus
grand nombre que ses bonnes œuvres. »
Le démon dit :
"j’ai un livre tout plein de ses
péchés. Le nom de ce livre est Désobéissance. En ce livre sont sept livres et
chacun a trois colonnes, et chaque colonne n’a pas moins de mille paroles et
souvent plus."
Puis sur l’ordre du Juge, le démon
énuméra en détail les péchés d’orgueil, de cupidité, d’envie, d’avarice, de
paresse, de colère et de volupté commis par le défunt.
Quand il eût fini son accusation, la
Mère de Miséricorde s’approcha, et invitée par son divin Fils à parler, elle dit
au démon :
« Sais-tu toutes les pensées des hommes
? »
- Non, répondit le diable, je ne connais
que celles qui se manifestent par les œuvres extérieures et ce que je puis en
conjecturer.
- La Sainte Vierge reprit : « Qu’est ce qui
peut effacer les écrits de ton livre ? »
- une seule chose, qui est la charité ;
quiconque l’obtient, soudain l’écriture de mon livre est effacée.
– « Dis-moi, poursuivit Marie, quelqu’un
peut-il être si méchant et si corrompu qu’il ne puisse venir à résipiscence
pendant qu’il vit ? »
- Il n’y à personne, répondit le démon,
qui s’il le veut, ne le puisse avec la grâce ; Quand un pécheur, quel qu’il
soit, change sa mauvaise volonté en une bonne, tous les démons ne sauraient le
retenir.
Alors la Mère de Miséricorde dit à ceux
qui étaient autour d’elle :
« Cette âme à la fin de sa vie s’est
tournée vers moi et m’a dit :
Vous êtes Mère de Miséricorde. Je suis
indigne de prier votre Fils, parce que mes péchés sont trop grands et trop
nombreux. Je vous supplie donc d’avoir pitié de moi, car vous ne refusez jamais
votre Miséricorde à qui vous la demande. Je me tourne donc vers vous et je vous
promets, si je vis, de me corriger, de tourner ma volonté vers votre Fils et de
n’aimer que Lui… »
Le diable reprit : Je n’ai rien su d’une
telle volonté.
- Se tournant vers le Juge, la Sainte
Vierge lui dit : O mon Fils, que le démon ouvre maintenant son livre et qu’il
voie s’il y a quelque chose d’effacé. »
Et le démon dut reconnaître que tous les
péchés de cette âme étaient effacés.
Le Juge dit alors au bon ange qui était
là présent :
« Où sont donc les bonnes œuvres de
cette âme. »
Et le bon ange les énuméra.
Et le diable cria, s’adressant à Marie :
Malheur, malheur, vous m’avez déçu. J’ai perdu, je suis vaincu.
Le Juge dit au démon : « Je te permets
maintenant de voir la vérité et la justice ; dis, que ceux qui sont ici
l’entende, quelle est ma volonté et quel doit être le jugement de cette âme. »
Le démon répondit : qu’elle soit
purifiée de telle sorte qu’il n’y reste aucune tache ; car elle ne peut arriver
à Vous avant qu’elle soit purifiée. Combien de temps sera-t-elle en mes mains ?
Le Juge répondit :
« Je veux que tu n’entres point en elle,
mais tu dois la purifier jusqu’à ce qu’elle ait enduré la peine selon la
grandeur de sa faute. Elle doit voir ses péchés et ses abominations ; elle doit
te voir en ta méchanceté ; elle doit voir les peines terribles des autres âmes.
Elle doit entendre les malheurs horribles, parce qu’elle à voulu entendre les
cris épouvantables et les moqueries des démons. Elle sera brûlée d’un feu très
ardent, tant au-dedans qu’au dehors, de sorte qu’il n’y aura pas la moindre
tache qui ne soit effacée par ce feu ; elle souffrira une grande rigueur de
froid, parce qu’elle brûlait de l’ardeur de ses passions et elle était glacée
dans ma charité ; elle sera aux mains du démon, afin qu’il n’y ait pas la
moindre pensée qui ne soit purifiée. Et comme elle aurait voulu vivre en son
corps jusqu’à la fin du monde, elle devra être dans la souffrance jusqu’à la
fin du monde. Celui qui me désire ardemment et aspire à quitter le monde pour
être avec moi mérite d’avoir le ciel sans peine, les épreuves de la vie
présente lui servant de purification ; celui qui craint la mort et pour la mort
elle-même et pour les peines qui la suivent, celui-là mériterait une peine plus
légère ; mais celui qui désire vivre jusqu’au jour du jugement par amour pour
cette vie, mérite d’être retenu dans le purgatoire jusqu’au jour du jugement. »
Alors la Vierge Marie, pleine de
miséricorde, dit :
« Béni soyez-vous, mon Fils, pour votre
justice qui est unie à la miséricorde. Bien que nous voyions et sachions toutes
choses en vous, néanmoins pour l’instruction des autres, dites-nous quel remède
on peut appliquer pour diminuer un si long temps, et quel remède pour éteindre
un feu si ardent, et délivrer cette âme des mains du démon.?
- Il y a trois choses, répondit le Fils,
qui abrégeront la peine, éteindront le feu et l’arracheront aux mauvais esprits
;
la première, si par quelque peine on
expie ses injustices ;
la deuxième par de très grandes aumônes
car, par l’aumône, les flammes sont éteintes comme le feu par l’eau ;
la troisième par les messes et
sacrifices et par les prières de ses amis. »
La Mère de Miséricorde reprit alors : En
quoi lui profitent maintenant les bonnes œuvres qu’il a faites pour vous ? »
- Le fils répondit : « Il n’y aura pas
la moindre parole dite pour mon honneur, pas la moindre bonne pensée qui n’aie
sa récompense. Tout ce qu’il a fait pour l’amour de moi est maintenant devant
lui et lui sert de soulagement dans ses peines; et moindre sont les rigueurs du
feu. »
La Mère de Dieu intercéda encore,
alléguant que cette âme avait certaines pratiques en son honneur, comme de
jeûner la veille de ses fêtes, de réciter son office, de chanter ses louanges,
et elle obtint que cette âme ne vît point les démons dans toute leur horreur,
qu’elle n’entendît point les paroles qui l’eussent couverte de confusion,
qu’elle ne ressentît point le froid glacial qu’elle avait mérité par sa
froideur pour Dieu.
Puis les saints intercédèrent à leur
tour et obtinrent que les démons n’aient pas le pouvoir de l’aveugler et de
l’empêcher de se consoler par la pensée que ses maux prendraient fin et que la
gloire lui serait donnée.
Cette âme était celle d’un soldat, doux
et ami des pauvres.
Sa femme fit pour lui de grandes
aumônes.
Quatre (jours ou mois ?) après cette
vision, sainte Brigitte la vit derechef comme un jeune enfant très beau et à
demi vêtu. La sainte intercéda pour elle et le Juge lui dit :
« des larmes de charité m’ont été
présentées pour elle. Qu’on la porte au séjour du repos que l’œil n’a point vu
, que l’oreille ne peut entendre, qu’elle-même, si elle était en la chair, ne
pourrait comprendre ; là ou il n’y a point de ciel au dessus ni de terre au
dessous; là ou la hauteur est incompréhensible, la longueur indicible, la
largeur admirable et la profondeur inexprimable ; là où Dieu est sur toute chose,
autour et au-dedans de toutes choses, où il régit et contient toutes choses
sans être contenu par aucune. »
Alors sainte Brigitte vit que cette âme
montait au ciel, aussi brillant qu’une étoile. (Liv. V, ch. XL.)
Le Seigneur donna à sainte Brigitte
cette consolante instruction : « Je
fais miséricorde aussi bien aux païens qu’aux Juifs et il n’y a aucune créature
en dehors de ma miséricorde, car quiconque pense que ce qu’il croit est la
vérité, parce qu’il ne lui a jamais été prêché rien de meilleur, et fait de
toutes ses forces ce qu’il peut, sera jugé avec miséricorde. Si rien n’a
empêché les infidèles de rechercher le vrai Dieu, ni la difficulté, ni la
crainte de perdre l’honneur et les biens, mais seulement un empêchement humain,
moi qui ait vu Corneille et le Centurion qui n’étaient pas baptisés être grandement
récompensés, je sais qu’ils seront rémunérés comme leur foi l’exige. »
Après la mort de son fils, sainte
Brigitte fut transportée dans un palais vaste et magnifique. Elle vit
Jésus-Christ assis sur son tribunal et entouré de la cour innombrable des Anges
et des Saints. Près de Lui se tenait sa Très Sainte Mère qui écoutait avec
attention le jugement.
Elle aperçut aux pieds du Juge, sous la
forme d'un enfant nouveau-né, l'âme du défunt, tremblante, ne pouvant ni voir
ni entendre ce qui se passait, mais en ayant la perception intime. À la droite
du Juge et près de l'âme se tenait un Ange ; le démon était à gauche ; mais ni
l'un l'autre ne touchaient l'âme.
Le démon se mit alors à crier : Écoutez, Juge tout-puissant. J'ai à me
plaindre d'une femme qui est à la fois ma Souveraine et votre Mère, à laquelle
votre amour a donné tout pouvoir sur le ciel et sur la terre, et sur nous,
démons de l'enfer. Elle m'a injustement ravi l'âme qui comparaît devant vous.
Car, en bonne justice, j'avais le droit de m'en emparer au moment de sa sortie
du corps et de l'amener, avec mes compagnons, devant votre tribunal. Or, ô
juste Juge, l'âme n'était pas sortie pour ainsi dire du corps, que cette
femme, votre Mère, s'en est saisie, l'a couverte de sa puissante protection, et
vous l'a présentée.
- Sainte Gertrude, vierge (1256-1302)
« Quand je
vois à l'agonie ceux qui, parfois, ont eu quelque douce pensée ou mémoire de
Moi ou qui ont accompli quelque oeuvre méritoire, Je me montre à eux, au
dernier moment, si bon, si tendre et si aimable qu'ils se repentent du plus
profond de leur coeur de m'avoir offensé et se repentir fait qu'ils sont
sauvés. »[253]
Commentaire du Bienheureux Jan van Ruusbroec sur Mathieu 11, 28-30
: « Venez à moi..., car je suis doux et humble de coeur »
« Le troisième
avènement du Christ appartient encore à l'avenir. Il aura lieu, soit au Jugement, soit à l'heure de la mort... Le
jugement du Christ est équitable car il est le Fils de l'homme et la sagesse du
Père, à laquelle appartient tout jugement. Tous les coeurs en effet lui sont
transparents et manifestes, au ciel, sur terre et aux enfers... Le mode que le
Christ, notre époux et juge, emprunte lors de ce jugement, consiste à
récompenser et à punir selon la justice, car il donne à chacun selon ses
mérites. A tout homme bon, et pour chaque oeuvre bonne produite en Dieu, il
accorde la récompense sans mesure qu'il est lui-même et qu'aucune créature ne
saurait mériter. En effet, puisqu'il collabore à chaque oeuvre de la créature,
c'est grâce à la puissance de celui-ci que la créature mérite le Christ
lui-même en récompense, et cela en toute équité... Le premier avènement, en
lequel Dieu s'est fait homme, a vécu en humilité et est mort par amour pour
nous, il nous faut le suivre au-dehors avec les moeurs parfaites des vertus,
au-dedans avec la charité et une vraie humilité. Le deuxième avènement, qui est
actuel et en lequel Dieu vient avec la grâce en tout coeur qui aime, il nous
faut le désirer et le demander tous les jours, afin de demeurer debout et de
croître en nouvelles vertus. Le
troisième avènement, qui est celui du Jugement ou de l'heure de notre mort, il
nous faut l'attendre et le désirer, avec confiance et respect, pour être
délivrés de l'exil présent et pénétrer dans la demeure de la gloire. »
- Sainte Catherine de Sienne, Docteur de l’Eglise (1347-1380),
la miséricorde à l’heure de la mort
« Celui qui
m'offense en s'appuyant sur ma Miséricorde ne peut pas dire qu'il espère en ma
Miséricorde, il est plutôt coupable de présomption, cependant il a foi en Ma
Miséricorde. Si, quand vient l'heure de la mort, il reconnait ses fautes et
décharge sa conscience par une sainte confession, la présomption cesse, et il
ne m'offense plus.
La miséricorde
lui reste, et , avec cette miséricorde, il peut, s'il le veut, se rattacher à
l'espérance.
Sans cela, il ne pourrait éviter le désespoir qui l'entrainerait avec les démons dans l'éternelle damnation. » [255]
- Bienheureux Jan van Ruusbroec (1293-1381) : Le
Christ reviendra à l’heure de la mort comme à la fin du monde.
Déjà au 14ème siècle, Jan van Ruusbroec écrit
dans son livre « Les Noces spirituelles », 1 (Écrits - vol. II, coll.
Spiritualité occidentale, n° 3; trad. A. Louf; Abbaye Bellefontaine 1993, p.
49)
« Le troisième avènement du Christ appartient encore à l'avenir.
Il aura lieu, soit au Jugement, soit à l'heure de la mort. (...) Le jugement du Christ est équitable car il est le Fils de
l'homme et la sagesse du Père, à laquelle appartient tout jugement. Tous les cœurs
en effet lui sont transparents et manifestes, au ciel, sur terre et aux enfers.
(...) Le mode que le Christ, notre époux et juge, emprunte lors de ce jugement,
consiste à récompenser et à punir selon la justice, car il donne à chacun selon
ses mérites. À tout homme bon, et pour chaque œuvre bonne produite en Dieu, il
accorde la récompense sans mesure qu'il est lui-même et qu'aucune créature ne
saurait mériter. En effet, puisqu'il collabore à chaque œuvre de la créature,
c'est grâce à la puissance de celui-ci que la créature mérite le Christ
lui-même en récompense, et cela en toute équité. (...) Le premier avènement, en lequel Dieu s'est fait homme, a vécu en
humilité et est mort par amour pour nous, il nous faut le suivre au-dehors avec
les mœurs parfaites des vertus, au-dedans avec la charité et une vraie
humilité. Le deuxième avènement, qui est
actuel et en lequel Dieu vient avec la grâce en tout cœur qui aime, il nous
faut le désirer et le demander tous les jours, afin de demeurer debout et de
croître en nouvelles vertus. Le
troisième avènement, qui est celui du Jugement ou de l'heure de notre mort,
il nous faut l'attendre et le désirer, avec confiance et respect, pour être
délivrés de l'exil présent et pénétrer dans la demeure de la gloire »
- Sainte Catherine de Sienne, Docteur de l’Eglise (1347-1380),
négation de la miséricorde à l’heure de la mort
« Cette seconde réprimande, ma très chère
fille, se fait entendre au dernier moment, alors qu'il n'y a plus de remède. L'homme est au porte de la mort,
et là il retrouve le ver de la conscience, qu'il ne sentait plus, aveuglé qu'il
était par l'amour-propre; mais, à cet
instant de la mort, quand
l'homme s'aperçoit qu'il va tomber entre mes mains, ce ver commence à se
réveiller et à ronger la conscience de ses reproches à la vue des grands maux
où il a été conduit par sa faute. Si
cette âme avait alors la lumière qu'il faut pour connaître son péché et en
concevoir du repentir, non à cause de la peine de l'enfer qui en est la suite,
mais pour moi qu'elle a offensé et qui suis la souveraine et éternelle Bonté,
elle trouverait encore miséricorde. Mais
elle franchit encore cet instant de la mort, sans une lumière, avec le seul
remord dans sa conscience, sans l'espérance dans le Sang, tout entière à sa
propre souffrance, se lamentant de sa perte, sans un regret de mon offense:
elle tombe ainsi dans l'éternelle damnation. C'est alors que ma justice
intervient (121) pour l'accuser, en toute rigueur, de son injustice et de son
faux jugement, et non seulement en général, des injustices et des faux
jugements dont elle a usé ordinairement dans toutes ses opérations, mais aussi
et surtout de l'injustice particulière qu'elle a commise en ce dernier instant,
et du faux jugement qu'elle a
porté, en estimant que sa misère était plus grande que ma miséricorde. Voilà le
péché irrémissible, qui n'est pardonné ni en ce monde ni dans l'autre. Elle a
repoussé, elle a méprisé ma miséricorde, et
ce péché est plus grave à mes yeux que tous les autres péchés dont elle s'est
rendue coupable. Aussi le désespoir de Juda, fut-il plus offensant pour Moi, et
plus douloureux pour mon Fils que sa trahison elle-même.[256]
Comme
on le voit, le mécanisme de la [con]damnation expliqué par sainte Catherine de
Sienne, ne passe par par une lumière à l’heure de la mort, à la différence
de celui décrit par sainte Faustine dans son Petit Journal 1697 : « au dernier moment, l’âme éclairée par
un puissant rayon de la grâce suprême, »
Comment
expliquer cette contradiction chez les saints ? L'autorité des saints est
faillible. Et c'est justement parce qu'ils soutiennent des opinions souvent
contradictoires sur des sujets ouverts, qu'on peut s'appuyer sur eux comme sur
des opinions respectables mais faillibles. C’est aussi pourquoi Jésus a
instauré le Magistère infaillible qui SEUL tranche le débat à la fin.
Ainsi,
l'illumination finale, rejetée par les certains docteurs (dont saint Thomas
d'Aquin) est accepté par d'autres dont le pape Innocent III.
Marie apparaît au mourant[257].
Saint Jean de Dieu, se trouvant près de mourir, attendait la
visite de Marie : il aimait tant cette bonne Mère ! Ne la voyant
point paraître, il s'attristait et peut-être s'en plaignait-il. Quand le moment
fut venu, la divine Mère se montra devant lui.
Voici le récit tel que le rapporte 1'abbé Saglier : « L'obligeance que mit l'archevêque à
célébrer dans la chambre du malade avait procuré à celui-ci la double et
incomparable joie d'entendre la messe et de recevoir le saint viatique. Or,
après sa communion, comme il était seul et tout entier à son action de grâces,
la Sainte Vierge lui apparut, accompagnée de l'archange Raphaël et de saint
Jean l'Evangéliste. Il comprit alors qu'elle-même avait inspiré et ménagé
tout ce qui venait de s'accomplir, et il ne savait comment l'en remercier.
Mais elle, lui essuyant la sueur qui couvrait son front, daigna lui parler en ces termes: " Ce n'est pas ma coutume d'abandonner à pareille heure ceux qui m'ont suivi. Et sachez aussi que je ne ferai jamais défaut à vos pauvres".
Panorama de la vie
Sainte Thérèse a vécu le panorama
de la vie, d'une façon très proche de celle des expérienceurs de NDE. Déclenché
sur l'injonction d'une instance transcendante, il s'assortit d'un bilan de vie
:
« Un soir, tandis que j'étais en
oraison, le divin Maître m'adressa quelques paroles qui me remettaient en
mémoire les grandes fautes de ma vie. Elles me remplirent de confusion et de
peine. De fait, ces paroles, lors même qu'elles ne sont pas dites avec
sévérité, provoquent un repentir et une douleur qui anéantissent. Une seule
d'entre elles fait plus avancer une âme dans la connaissance d'elle-même qu'un
temps considérable passé à réfléchir sur sa misère, parce qu'elles portent avec
elles un caractère de vérité auquel il lui est impossible de se soustraire.
« Quand je commets des fautes, et
elles sont nombreuses, Sa Majesté me les montre dans une telle lumière que j'en
reste broyée. »
Rencontre de personnes décédées
Les expérienceurs parlent de
tunnel, de gouffre ou de cylindre, dans lequel ils se trouvent aspirés. C'est
dans ce tunnel, ou à la transition vers la Lumière, qu'ils rencontrent des
êtres chers décédés. Thérèse ne se sent pas, si l'on peut dire, aspirée par le
bas, mais par le haut : elle est transportée. C'est alors qu'il lui arrive
d'entrer en contact avec des membres de sa famille.
Un jour, alors qu'elle ne faisait
aucun effort pour se recueillir, elle fut saisie d'un ravissement d'une force
irrésistible : « II me sembla que j'étais transportée dans le ciel, et les premières
personnes que j' y aperçus furent mon père et ma mère. »
La Lumière
Sainte Thérèse nous parle de la
Lumière en utilisant presque les mêmes termes que les expérienceurs du
cinquième stade :
« La différence est si grande
entre la lumière qui frappe nos yeux et celle qui brille dans ce séjour où tout
est lumière qu'il n'y a pas de comparaison à établir. La clarté du soleil ne
semble plus ensuite que laideur. Non, l'imagination la plus subtile est
incapable de se peindre, de se représenter celle lumière telle qu'elle est
[...] Les sens se trouvent alors dans une telle jouissance et une telle suavité
qu'il est impossible d'en donner l'idée. Ainsi, mieux vaut n'en rien dire de
plus. [...]
« Après ces faveurs, mon âme
voudrait rester toujours en celle région supérieure et ne plus revenir à la
vie, tant elle conçoit de mépris pour toutes les choses d'ici-bas. De fait, elles
ne semblent plus que fumier. [...]
« Tout ce que je vois des yeux du
corps me fait alors l'effet d'un rêve et d'une plaisanterie. Ce que l'âme
aperçu de ses yeux intérieurs, voilà ce qu'elle appelle de ses vœux. »
Lors de séances de relaxation
dynamique, certains sujets voient une sphère lumineuse d'un diamètre de 50 cm à
1 m, d'autres une colonne de lumière. Les sujets décrivent cette lumière comme
étant très blanche et pénétrante, presque palpable
Saint Louis Marie Grignon de Montfort, le grand apôtre marial de
l’Ouest de la France, lisait beaucoup les écrits de saint Vincent Ferrier qui
l’avait précédé comme missionnaire sur ces terres. Dans son Traité de la vraie dévotion à la sainte
Vierge, il écrit, à propos de la conversion des pécheurs :
« C'est ce que Dieu a révélé à saint Vincent Ferrier, grand apôtre de son
siècle, comme il l'a suffisamment marqué dans un de ses ouvrages.
C'est ce que le Saint-Esprit semble avoir prédit dans le Psaume
58, dont voici les paroles : « Et scient quia Dominus dominabitur Jacob et
finium terrae ; convertentur ad vesperam, et famem patientur ut canes, et
circuibunt civitatem » : Le Seigneur règnera dans Jacob et dans toute la terre
; ils se convertiront sur le soir, et il souffriront la faim comme des chiens,
et ils iront autour de la ville pour trouver de quoi manger. Cette ville que
les hommes tournoieront à la fin du monde pour se convertir, et pour rassasier
la faim qu'ils auront de la justice, est la Très Sainte Vierge qui est appelée
par le Saint-Esprit ville et cité de Dieu. »
« Ils se convertiront vers le soir. » Cette parole mystérieuse est
interprétée non seulement pour signifier la fin du monde mais les derniers
moments de la vie humaine, l’heure de la mort.
De nombreux saints ont été ravis par l’Esprit Saint en Paradis et
de là sont arrivés au Saint des Saints, au Trône de Dieu entouré de chérubins
et de Séraphins. Ainsi le saint homme de Dieu Syméon le Stylite vit au paradis
de merveilleux jardins et en leur sein l’âme d’Adam, le premier homme et l’âme
du Bon Larron( Saint Dismas) qui se tourna vers le Christ en Croix et qui fut
ainsi le premier homme à être conduit par Dieu en paradis après
l’accomplissement de l’œuvre de rédemption du Christ. (Vie de St. Syméon le
Stylite, 24 mai)
De toutes les visions des Saints Pères qui nous soient connues, la
vision du Paradis la plus vivante et la plus détaillée est celle qui apparut
à St. André le Fol en Christ, ce
dernier contempla en effet surnaturellement le Paradis invisible pendant deux
semaines. Il confia cette vision à Nicéphore, homme à qui il
confiait ses secrets.
Voici ce qu’il lui dit...
« Je
vis que j’étais dans un jardin beau et tout à fait merveilleux... Mon esprit
était exalté et je pensai: qu’est ceci? Je sais que je vis à Constantinople,
comment puis-je être ici? Je ne puis comprendre. J’étais vraiment étonné et je
ne savais si j’étais dans mon corps ou bien hors de mon corps; Dieu seul le
sait! Mais je me voyais vêtu d’un vêtement très léger qui semblait être fait
d’éclairs de lumière tissés, sur ma tête était une couronne faite de grande
fleurs et j’étais ceint d’une ceinture digne d’un roi. Je me réjouissais de
cette beauté, m’en émerveillai intérieurement et je me réjouissais en mon cœur
de la douceur du Paradis de Dieu tandis que je le foulais de mes pieds.
Je vis de nombreux jardins
avec de grands arbres agréables à voir dont les cimes se balançaient; leurs
branches diffusaient un parfum merveilleux. Certains de ces arbres étaient perpétuellement
en fleurs, d’autres étaient couverts de feuilles d’or, d’autres encore
portaient des fruits d’uns beauté et d’une douceur indicibles. Il est
impossible de comparer ces arbres avec ceux qui poussent sur terre car c’était
la main de Dieu et non celle de l’homme qui les avait plantés. Il y avait
des myriades d’oiseaux dans ces jardins. Certains étaient perchés sur les
branches des arbres et chantaient magnifiquement, d’une manière tellement belle
que je ne me souvenais plus qui j’étais tant mon cœur en était touché. Il me
semblait que leur chant atteignait le sommet même du Paradis. Ces magnifiques
jardins poussaient en rangs comme des armées alignées
l’une à côté de l’autre.
Tandis
que je marchais là et sentais mon cœur s’exalter,je vis un grand fleuve qui
coulait en leur mitan et les irriguait, Sur l’autre rive, il y avait une vigne.
Ses plants étaient couverts de feuilles d’or et de grandes grappes dorées. Des
quatre points soufflaient des vents paisibles et fragrants et les jardins sous
l’effet de la brise émettaient avec leurs feuilles bruissantes un son
délicieux. »
St. André ne fut pas seulement emporté
en Paradis, mais comme l’Apôtre Paul, il fut ravi jusques au troisième ciel.
Après son récit du Paradis, il poursuit...
« Après
cela, je fus effrayé et je sentis que j’étais plus haut que la surface des
Cieux. Un jeune homme dont le visage était brillant comme le soleil marchait
devant moi. Je le suivis. Je vis enfin une belle et grande Croix qui était en
ses couleurs semblable à un arc-en-ciel. Autour d’elle se tenaient des
chanteurs semblables à des flammes qui chantaient une hymne de louange au
Seigneur crucifié. Le jeune homme qui me conduisait, s’approcha de la Croix,
l’embrassa et me fit signe de faire de même. Tandis que je m’exécutais, je fus
rempli d’une douceur spirituelle indicible et je sentis une fragrance plus
forte que celle du Paradis.
Dépassant
la Croix, en regardant vers le bas, je vis un abîme sous mes pieds, car il me
semblait que je marchais sur l’air. Je fuseffrayé et criai vers mon guide,
“j’ai peur de tomber dans l’abîme!” Il se tourna vers moi et dit:” N’aie pas
peur, nous devons aller plus haut,” et il me donna la main. Tandis que je
saisissais sa main, je vis que nous étions au-dessus du deuxième Ciel. Je vis
là des hommes merveilleux et leur grande paix, la joie d’une fête perpétuelle
qui est inexprimable dans la langue des hommes.
Après
cela, nous entrâmes dans une merveilleuse flamme qui ne brûlait pas mais qui
nous illumina. Je fus à nouveau effrayé et à nouveau il se tourna vers moi et
me donna la main en disant: “ Nous devons monter au troisième Ciel et plus haut
encore.” Après cette parole, nous étions déjà au-dessus du troisième Ciel et
j’entendis de nombreuses puissances célestes qui chantaient et louaient Dieu.
Nous
approchâmes d’un rideau qui brillait comme l’éclair. Devant lui se tenaient de
grands jeunes gens qui brillaient comme des flammes de feu. Leurs visages
brillaient plus encore que le soleil et dans leurs mains ils tenaient des armes
flamboyantes. Ils étaient entourés d’une multitude d’hôtes célestes. Le jeune
homme qui me conduisait me dit:” Quand le rideau sera levé, tu verras le
Seigneur Christ, incline-toi devant le trône de Sa gloire.”
Quand
j’entendis ceci. je tremblai de joie. L’horreur mais aussi un bonheur
inexplicable m’envahit. Je me tins là, fixant le rideau. Une main flamboyante
l’écarta et je vis mon Seigneur comme le Prophète Isaïe le vit un jour, assis
sur un trône élevé, entouré de séraphins. Il était vêtu de pourpre, Son visage
brillait d’une lumière indicible. Avec grand amour, il tourna Ses yeux vers
moi.
Quand
je Le vis, je tombai à genoux devant Lui et me prosternai devant le trône
radieux et terrifiant de Sa gloire. Il est impossible de dire quelle grande
joie me remplit quand je vis Son visage. Même à présent, tandis que je me
souviens de cette vision, je suis rempli d’une indescriptible douceur. Je
gisais devant le Seigneur, tremblant et étonné de Sa miséricorde: comment
pouvait-Il me permettre, à moi, l’homme impur et pécheur de venir devant Lui et
de contempler Sa divine beauté?
J’étais
empli d’une grande tendresse mais aussi de la conscience de mon indignité.
Tandis que je contemplais la grandeur de mon Seigneur, je me répétais les
paroles du Prophète Isaïe:” Alors je dis: Malheur à moi! je suis perdu, car je
suis un homme dont les lèvres sont impures, j'habite au milieu d'un peuple dont
les lèvres sont impures, et mes yeux ont vu le Roi, l'Éternel des armées.” (
Isaïe 6:5 )
Puis
j’entendis mon Créateur miséricordieux me dire avec Ses très pures et douces
lèvres trois paroles divines qui remplirent mon cœur d’une telle douceur et
m’enflamma d’une tel amour pour Lui que je me sentis fondre comme de la cire
avec la chaleur de mon esprit; les paroles de David me vinrent à l’esprit: “Mon
coeur est comme de la cire, Il se fond dans mes entrailles. ( Psaume 22:14)
Alors
tous les hôtes célestes entonnèrent une hymne merveilleuse impossible à
décrire. Puis -je ne sais comment- je me retrouvai marchant à nouveau en Paradis.
La pensée me vint que je n’avais pas vu la Souveraine et Très Sainte Mère de
Dieu. Alors je vis un homme léger comme un nuage qui portait une croix. Il me
dit: “ Tu aurais aimé voir la très Sainte Reine des Hôtes célestes? Elle n’est
point ici à présent. Elle est allée dans ce monde troublé afin d’aider les
hommes et de réconforter ceux qui sont dans l’affliction.
J’aimerais
te montrer sa sainte demeure, mais le temps est compté...
Tu
dois retourner à l’endroit d’où tu es venu. Ainsi l’ordonne le Seigneur. A ces
paroles, je me retrouvai dans le même lieu où j’étais avant ma vision. »
Parmi les œuvres de ce saint français très marial, on compte cet ouvrage
peu connu : « Le secret admirable du très saint Rosaire. » Saint Grignon de Montfort a divisé
son livre sur le rosaire en 50 roses, soit 50 chapitres.
Il existe aussi quatre dédicaces qui sont titrées :
- La rose blanche aux prêtres
- La rose rouge aux pécheurs
- Le rosier mystique aux âmes dévotes
- Le bouton de rose aux petits enfants
A la vingtième Rose, il commente la fin du texte de l’Ave Maria :
« Sainte Marie, mère de Dieu,
priez pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l'heure de notre mort.
« Et à l'heure de notre mort », si terrible et si périlleux, où
nos forces sont épuisées, où nos esprits et nos corps sont abattus par la
douleur et la crainte ; à l'heure de notre mort que Satan redouble ses efforts
afin de nous perdre pour jamais ; à cette heure que ce sera la décision de
notre sort pour toute l'éternité bienheureuse ou malheureuse. Venez au secours
de vos pauvres enfants, ô Mère pitoyable, ô l'avocate et le refuge des
pécheurs, chassez loin de nous, à l'heure de la mort, les démons nos
accusateurs et vos ennemis, dont l'aspect effroyable nous épouvante. Venez nous
éclairer dans les ténèbres de la mort. Conduisez-nous, accompagnez-nous au
tribunal de notre juge, votre Fils ; intercédez pour nous, afin qu'il nous
pardonne et nous reçoive au nombre de vos élus dans le séjour de la gloire
éternelle. "Amen. » Ainsi soit-il. » (Le secret admirable du très
saint Rosaire, Vingtième Rose)
Ce texte suggère qu’il est vrai que la foi a toujours enseigné que
le Christ ne vient pas seul mais accompagné des saints et des anges
représentées sous l’image des nuées du ciel.
La mort de cet enfant de 14 ans a été racontée par saint Jean
Bosco au XIX° s. Il a 15 ans, il est retourné chez ses parents pour son agonie
et son père, sur sa demande, lui lit les prières de la bonne mort. Soudain, il
se redresse sur son lit et son visage s’illumine : « Oh papa, comme c’est beau ce que je vois », puis il meurt. 20
années plus tard, il apparaît à saint Jean Bosco en rêve. Celui-ci racontera à
ses jeunes : « Je lui ai
demandé quelle était la plus belle des vertus. - Je vais vous le dire, Don
Bosco, m’a-t-il répondu. C’est la dévotion à la sainte Vierge. Dites-le bien à
tous les enfants. Qu’ils ne manquent pas de l’invoquer souvent tant qu’ils sont
en vie. Son assistance au moment de la
mort se fera alors toute-puissante pour eux ».
Au cours du XXème siècle, on a vu se multiplier chez
les saints et les mystiques l’intuition de la nécessité d’un « événement spécial »à l’heure de la mort. Il s’agit d’une intuition qui se répand
sans autre cause apparente, si ce n’est une pression divine du sens de la foi.
Nos sources pour cette recherche sont diverses et glanées ici et là au cours de
nos lectures. Certainement, nous ne sommes pas exhaustifs. Force nous est
cependant de remarquer que la venue du Christ à l’heure de la mort est très peu
si ce n’est jamais explicitement enseignée. Les saints restent flous, n’osent
affirmer, sans doute hésitant devant le manque de fondement traditionnel de
cette doctrine. Si on trouve peu cette doctrine, on trouve par contre de
nombreux témoignages, en particulier chez les Pères, d’expériences d’apparition
du Christ auprès des mourants.
Un saint comme le curé d’Ars, confronté au Saint Sacrement,
découvre cette vérité à travers une lente maturation qui le fait passer d’un
christianisme rigide à un christianisme centré sur l’amour de Dieu. Vers la fin
de sa vie, il console une mère éplorée devant le suicide de sa fille. Loin de
la croire nécessairement en enfer, comme semblait l’affirmer la traditionnelle
théologie du péché mortel à l’heure de la mort, il affirme : « Entre le pont et l’eau, elle s’est
convertie. » « Entre le pont et l’eau » : ne s’agit-il pas là d’une manière
figurée, de la limite ultime de la vie terrestre, la dernière heure où le
Maître en personne appelle ses ouvriers à la vigne ? Dans le même ordre
d’idées, on pourrait citer le témoignage suivant : “L'un des cas qui m'a le
plus frappé... est celui de cette jeune femme de 27 ans qui s'est suicidée.
Elle se souvient de ses hurlements lorsqu'elle se retrouva dans le tunnel et de
sa dernière pensée qui fut “ Mon Dieu, faites-moi savoir si Vous me
pardonnez, avant de mourir ”. Elle ne sait pas – et sa requête le prouve –
qu'on ne meurt pas. A peine sa phrase achevée, Joan explique au De Serdahely
que deux mains immenses sont sorties de cette Lumière et une voix d'amour, de
compassion et de joie aussi retentit, lui disant en substance : “Je te
pardonne, Je te pardonne. Je te donne une seconde chance” ».[259]
Oui, M.F., un chrétien se dira pendant l'éternité : « Qui est-ce donc qui m'a jeté en
enfer ? Est-ce Dieu ? Ah ! non, non. Ce n'est pas Jésus-Christ ; au
contraire, il voulait absolument me sauver. Est-ce le démon ? Oh non, non,
je pouvais bien ne pas lui obéir, comme tant d'autres ont fait. Sont-ce
donc mes penchants ? Ah ! non, non, ce ne sont pas mes penchants ;
Jésus-Christ m'avait donné l'empire sur eux, je pouvais les dompter avec
la grâce de Dieu qui ne m'aurait jamais
manqué. D'où peut donc venir
ma perte et mon malheur ? Hélas ! tout cela ne vient que de moi-même, et
non de Dieu, ni du démon, ni de mes penchants. Oui, c'est moi-même qui me suis attiré tous ces malheurs ; oui,
c'est moi qui me suis perdu et réprouvé de ma propre volonté ; si j'avais
voulu, je me serais sauvé. Mais je me suis damné ! »
Cela se passait en 1864. Il avait quitté le monde, était rentré dans
un ordre religieux très austère et adorait très fréquemment le Saint Sacrement
pour lequel il avait une grande vénération.
Pendant ses adorations, il suppliait le Seigneur de convertir sa mère qu'il
aimait beaucoup.
Mais sa mère mourut sans s'être convertie. Hermann en devint fou de douleur. Il
se prosterna devant le Saint Sacrement et, donnant libre cours à ses plaintes,
pria ainsi :
"Seigneur, je vous dois tout, il est vrai, mais que vous
ai-je refusé ? Ma jeunesse, mes espérances dans le monde, le bien-être, les
joies de ma famille, un repos peut-être légitime ? J'ai tout sacrifié dès que
vous m'avez appelé. Mon sang ? Je l'eusse donné de même, et vous Seigneur, vous
l'Eternelle Bonté, qui avez promis de rendre au centuple, vous m'avez refusé
l'âme de ma mère... Mon Dieu, je succombe à ce martyr, le murmure va s'exhaler
de mes lèvres."
Les sanglots étouffaient ce pauvre coeur. Tout à coup une voix
mystérieuse frappe son oreille et dit : "Homme de peu de foi, ta mère est
sauvée, sache que la prière a tout pouvoir auprès de moi. J'ai recueilli toutes
celles que tu m'as adressées pour ta mère et ma Providence lui en a tenu compte
à son heure dernière. Au moment où elle
expirait, je me suis présentée à elle, elle m'a vu et s'est écriée :"Mon
Seigneur et mon Dieu !" Relève donc ton courage, ta mère a évité la
damnation et tes supplications ferventes délivreront bientôt son âme de la
prison du purgatoire."
Le Père Hermann Cohen, très peu de temps après, apprit par une
seconde apparition que sa mère montait au Ciel.
Avant d'entrer au Carmel, sa famille voulut la marier de force à
un oncle en Egypte. Elle s'enfuit et une famille de musulmans l'accueillit. Après
avoir raconté son histoire, le père de famille lui proposa de se convertir à
l'islam mais elle refusa. Pris de colère, il se mit à la battre, prit son
cimeterre et lui trancha la gorge. Son corps baignant dans un bain de sang, le
fanatique, aidé de sa mère et de sa femme, l'enveloppa dans un grand voile, et
le corps fut déposé dans une ruelle obscure.
Plus tard, sa maîtresse des novices à Marseille lui demanda si
elle avait subi le jugement particulier. Elle répondra:
"Oh non ! mais je me suis retrouvé au Ciel. J'ai vu la Sainte
Vierge, les anges, les saints m'accueilir dans une grande bonté, et je voyais
aussi mes parents en leur compagnie. Je voyais le trône éclatant de la Très
Sainte Trinité, Jésus-Christ notre Seigneur en son humanité. Point de soleil,
point de lampe; mais tout était brillant de clarté. Alors quelqu'un me dit :
"Vous êtes vierge c'est vrai, mais votre livre n'est pas achevé".
Ensuite, Mariam s'est retrouvée dans une grotte, et une religieuse
aux vêtements d'azur s'occupa d'elle pendant au moins un mois. Elle lui dit
l'avoir recueillie dans la ruelle et lui avoir recousu le cou. Elle lui faisait
à manger des soupes délicieuses.
Elle sut plus tard qu'il s'agissait de la Vierge Marie.
« Ce
n'est pas Moi qui choisit l'enfer pour vous, vous faites ce choix vous-même.
Pas une âme ne se perd sans que je lui aie parlé mille fois au coeur. » [260]
Les témoignages nombreux que nous connaissons sur les derniers
moments des saints (canonisés ou non) vont plutôt dans le sens de cette
apparition du Christ à l’heure de la mort : extases finales d’enfants,
illumination du visage du mourant, sourire d’accueil devant une présence
invisible. On ne compte plus les témoignages de ce genre. L’un des plus
significatifs concerne l’extase finale de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
telle qu’elle fut observée par quelques-uns unes de ses sœurs. Elles voulaient
d’ailleurs assister à sa mort dans l’espoir bien naturel chez des religieuses
de voir un éclat du Ciel.
Le Père Jean-Michel Maldamé rapportait lors d’une session de
théologie à Toulouse (25 janvier 1995) une histoire vécue et racontée par un
ancien déporté russe du camp de Dora : il assistait tous les jours au décès de
dizaines de prisonniers épuisés par les mauvais traitements et la
sous-alimentation. Or le visage d’un parmi ces hommes s’est illuminé juste
avant sa mort. Certains affirmaient qu’il avait vu le Christ.
Cette conviction est d’ailleurs ancrée chez beaucoup parmi les
revenants des camps. Un polonais qui m’entendait présenter l’hypothèse ici
soutenue ne cessait d’acquiescer de la tête. Il me posa à la fin la question
suivante : « Connaissez-vous le lieu où
la Vierge est apparue au plus grand nombre de personnes ? »Devant mon
ignorance, il continua : « C’est la
chambre à gaz du camp d’extermination d’Auschwitz... »
Le Père Maldamé me conseillait de chercher parmi les écrits
mystiques orthodoxes quelques traces allant dans le sens de la parousie du
Christ à l’heure de la mort, convaincu que les visions répétées des déportés
russes avaient laissé une trace en théologie. Je n’ai pour le moment rien
trouvé si ce n’est une multitude sans cesse grandissante de témoignages. Il est
d’ailleurs étonnant qu’aucune thèse ne soit encore parue sur ce thème. On ne
peut plus reprocher un manque de bases empiriques.
Sainte
Thérèse de l’Enfant-Jésus aborde aussi, dans ses « derniers
entretiens » (18 août 1897, carnet de mère Agnès), la nécessité d’être
confronté au démon. Elle n'en éprouvait aucune crainte : « 5 Puisqu'on dit que toutes les âmes
sont tentées par le démon au moment de la mort, il faudra que j'y passe. Mais
pourtant non, je suis trop petite. Avec les tout petits, il ne peut
pas... »
- Bénigna Consolata, Religieuse visitandine
(1885-1916) : Une illumination finale à l’heure de la mort
Ordre de la Visitation Sainte Marie de Côme.
Il ne faut jamais désespérer du salut d’un pécheur :
La Mère Scazziga, qui fut la supérieure de Bénigna Consolata a
témoigné au procès de béatification que la servante de Dieu avait appris du
Seigneur qu’il exerçait sa miséricorde même dans les cas les plus désespérés
: « Si une personne enfoncée dans le
péché trouvait la mort sous un train ou sous une automobile, que nul ne dise :
elle est perdue ; car personne ne peut
savoir ce qui se passe en ce moment entre l’âme et Dieu. Je peux donner un tel
jet de lumière, capable de susciter une lumière si intense que l’âme passe du
fond de l’iniquité à l’étreinte de ma miséricorde. »
Jésus à Bénigne :
"La porte de ma
miséricorde n’est pas fermée à clef ; elle est seulement entrebâillée.
Pour peu qu’on la touche, elle s’ouvre. Même un petit enfant peut l’ouvrir,
même un vieillard qui a perdu ses forces.
« Celui
là seul se perd qui le veut et qui le veut obstinément, en dépit des efforts
répétés, des efforts amoureux de Ma Grâce pour le conduire au bien. » [261]
Chez les saints modernes ou contemporains, l’intuition devient
parfois enseignement explicite. Leur autorité est malheureusement difficile à
utiliser en théologie car ils parlent le plus souvent par mode de visions ou de
révélations privées. Pourtant, sainte Faustine, canonisée par le Pape Jean-Paul
II en 2000, a vu explicitement les évènements situés à l’heure de la mort.
« Peins une image
pareille à ce modèle »
La Congrégation de Notre Dame de la Miséricorde à Varsovie
(Pologne) accueille en 1926, Hélène Kowalska, jeune novice. Elle y recevra
l'habit, sous le nom de sœur Faustine. Le 22 février 1931, au couvent de Plock,
Jésus lui apparaît. Elle raconte:
"Le soir, dans ma cellule, j'ai vu le Seigneur Jésus. (…) Mon
âme était remplie de crainte, mais aussi d'une grande joie. Au bout d'un
moment, le Seigneur Jésus me dit: Peins une image pareille à ce modèle et
signe: 'Jésus, j'ai confiance en toi'. Je désire que cette image soit vénérée
tout d'abord dans votre chapelle, puis dans le monde entier. Je promets à ceux
qui la vénéreront qu'ils ne périront pas. Je leur promets dès ce monde la
victoire sur l'ennemi, mais surtout à
l'heure de la mort. Je les défendrai Moi-même, comme ma gloire."
Cette image - peinte à Vilnius, en Lituanie, en 1934, par le
peintre polonais Eugène Kazimirowski, selon les indications de sœur Faustine -
fut exposée pour la première fois au sanctuaire lituanien Notre Dame d'Ostra
Brama (Ostra Brama veut dire Mère de Miséricorde). C'est donc à Vilnius que fut
célébrée la première fête de la miséricorde en 1935.
Elle constate qu’il s’agit bien d’un « moment qui dure »,
d’une lutte et d’un choix pour l’âme[262] :
« Petit journal 1697.
J’accompagne souvent les âmes agonisantes et je leur obtiens la confiance en la
miséricorde divine. Je supplie Dieu de leur donner toute la grâce divine, qui
est toujours victorieuse. La miséricorde divine atteint plus d’une fois le
pécheur au dernier moment, d’une manière
étrange et mystérieuse. A l’extérieur, nous croyons que tout est fini, mais
il n’en est pas ainsi. L’âme éclairée par un puissant rayon de la grâce
suprême, se tourne vers Dieu avec une telle puissance d’amour, qu’en un instant
elle reçoit de Dieu le pardon de ses fautes et de leurs punitions. Elle ne nous
donne à l’extérieur aucun signe de repentir ou de contrition, car elle ne
réagit plus aux choses extérieures. Oh ! Que la miséricorde divine est
insondable !
Mais horreur! Il y a aussi
des âmes, qui volontairement et consciemment, rejettent cette grâce et la
dédaignent. C’est déjà le moment même de l’agonie. Mais Dieu, dans sa miséricorde, donne à
l’âme dans son for intérieur ce moment de clarté. Et si l’âme le veut, elle a
la possibilité de revenir à Dieu.
Mais parfois, il y a des
âmes d’une telle dureté de cœur qu’elles choisissent consciemment l’enfer.
Elles font échouer non seulement toutes les prières que d’autres âmes dirigent
vers Dieu à leur intention, mais même aussi les efforts divins. »
Ce texte de sainte Faustine sur l’heure de la mort nous est
précieux. Il est sans doute le plus explicite de tous ceux que nous avons
trouvés. Il se situe bien à l’heure de la mort, sur le lit d’agonie, et non
après la mort comme l’entendent bien des théologiens de l’option finale,
sortant en cela du domaine de la foi catholique. Il reste cependant imprécis
sur la nature de la grâce du dernier moment, appelée « clarté », « puissant rayon
de la Grâce suprême. » Sœur
Faustine ne sait pas en définir la nature qui reste à ses yeux « étrange et mystérieuse » quoique « puissante. » S’agit-il d’une simple Révélation spirituelle, dans
l’intelligence ou comme nous espérons l’avoir démontré, d’une Apparition
glorieuse, donc sensible et spirituelle à la fois, du Christ accompagné des
saints et des anges ?
Il faut remarquer que Faustine Kowalska fut mise à
l'index par le Saint Office en 1959 à cause de ses œuvres suspectes d’hérésie.
Après une tentative avortée de convaincre le pape Pie XII de signer une
condamnation, le cardinal Alfredo Ottaviani du Saint-Office a inclus ses livres
sur une liste qu'il a présenté au pape Jean XXIII. Le pape a signé le décret
qui a placé ses œuvres dans l'index des livres interdits et ils y sont restés
plus de 20 ans. Le Père Polonais Sopoćko a été durement réprimandé, et
tout son travail de publication de Faustine a été supprimé. Toutefois, Mgr
Eugeniusz Baziak, l'archevêque de Cracovie, a permis aux religieuses de
maintenir l'image du Christ miséricordieux dans leur chapelle pour que ceux qui
voulaient continuer à prier avant de pouvoir le faire.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Index_Librorum_Prohibitorum
Le motif de cette mise à l'index n'a pas été clairement précisé
par le saint Office mais tout indique que c'est dans la ligne de celle du Père
espagnol Luis G. Alonso Getino sur l'illumination finale dans la mort : « Le 5
mars 1936, le Saint-Office inscrivait dans l'Index des livres prohibés le livre
de Luis G. Alonso Getino, Del gran
numero de los que se salvan y de la mitigación de las penas
eternas (Madrid, f.e.d.a., 1934). Le 6 mars 1936, l'Osservatore
Romano commentait ainsi cette mise à l'Index :
« Cette condamnation mérite
qu'on y attache une importance particulière et qu'on la signale tout de suite à
l'attention des fidèles pour le tort très grave que pourrait leur causer la
lecture du livre en question (…)
Dans ladite publication, on
défend en outre, ex professo une étrange théorie concernant une prétendue
illumination spéciale que les âmes humaines recevraient de Dieu au moment de
leur séparation du corps, et grâce à laquelle elles se convertiraient
intimement et parfaitement au Créateur et seraient ainsi justifiées et sauvées. Il
n'est pas nécessaire, certes, de beaucoup de paroles pour faire comprendre
combien grave est le danger caché sous ces théories qui, non seulement
n'ont aucun fondement dans la Révélation, mais sont même en contradiction avec
elle et avec le sentiment commun de l'Église. »
Canonisée par Jean-Paul II le 30 avril 2000, sainte
Faustine Kowalska est avec Marthe Robin, une de
celle qui VOIT DE SES YEUX, la mort comme un passage. Il y a parfois
d’intéressants de retournements de l'histoire.
Sainte Faustine est donc réhabilitée et, dès 1985, dans l’édition
en Français de son « petit journal », il est écrit[263] : « En présentant ici l'édition du Petit Journal de Sœur Faustine
Kowalska, j’ai pleine conscience de présenter un document de la Mystique
catholique d'une valeur exceptionnelle, et cela, non seulement pour l'Église de
Pologne, mais aussi pour l'Église universelle.
Il s'agit de l'édition
critique et authentique (digne de foi) faite par la Postulation de la cause de
Sœur Faustine, sous la compétence territoriale de l'Archevêché de Cracovie.
Le Petit Journal dont le
contenu concerne la dévotion à la Miséricorde Divine est devenu ces derniers
temps extrêmement actuel pour deux raisons.
Premièrement, parce que la
Congrégation de la Doctrine de la Foi a annulé, il y a deux ans (1983), les
griefs et les réticences soulevés jadis par la Congrégation du Saint-Office
contre les écrits de Sœur Faustine ; cette annulation de la Notification a
eu pour résultat le renouveau de la Dévotion à la Miséricorde Divine sur tous
les continents, dévotion présentée dans le Journal mentionné, ce que confirment
sans cesse les témoignages qui parviennent à la Postulation et à la
Congrégation à laquelle appartenait Sœur Faustine. [...]
Rome,
le 20 décembre 1980 Andrzej Maria Deskur
Archevêque »
Dans ses apparitions, Jésus insiste souvent sur cette lutte, cette
gloire, et cette défense venant de sa miséricorde à l’heure de la mort :
Petit journal 47. (Extrait n° 47 du Petit
journal de Ste Faustine) : « Un soir, dans ma cellule, je vis Jésus vêtu
d’une tunique blanche, une main levée pour bénir, la seconde touchait son
vêtement sur la poitrine. De la tunique entr’ouverte sortaient deux grands
rayons, l’un rouge, l’autre pâle. Je fixais le Seigneur en silence, l’âme
saisie de crainte, mais aussi d’une grande joie. Après un moment, Jésus me dit
; "Peins un tableau de ce que tu vois, avec l’inscription : « Jésus, j’ai confiance en Vous ! » Je
désire qu’on honore cette image, d’abord dans votre chapelle, puis dans le
monde entier". »
Petit journal 48. "Je promets que
l’âme qui honorera cette image, ne sera pas perdue. Je lui promets aussi la
victoire sur ses ennemis dès ici-bas, et spécialement à l’heure de la mort.
Moi-même je la défendrai comme Ma propre gloire. »
Petit journal 1540. "Toutes les âmes
qui vénéreront ma miséricorde et propageront sa gloire en incitant les autres
âmes à la confiance en ma miséricorde - ces âmes ne connaîtront pas l'effroi à
l'heure de la mort. Ma miséricorde les abritera lors de cette dernière lutte
"...
Petit journal 1541. "Dis-leur
qu'aucune âme faisant appel à ma miséricorde n'a été déçue ni n'a éprouvé la
honte... Ecris : Si l'on récite ce chapelet auprès d'un agonisant, je me
tiendrai entre le Père et l'âme agonisante, non pas en tant que Juge juste,
mais comme Sauveur miséricordieux. "
Autre texte de sainte Faustine concernant la possibilité d’un
choix à l’heure de la mort[264]. Ce texte de sainte
Faustine qui confirme que l'heure de la mort et l'agonie se prolongent bien après
l'arrêt du cœur (de trois heures à cinq heures, soit deux heures dans ce cas) :
Petit journal : « Malgré le bruit
qu’elles faisaient, j’entendis en mon âme ces mots : " Prie pour moi
! " Mais je ne pouvais pas bien comprendre ces mots. Je me suis éloignée
de quelques pas de mes élèves, en me demandant qui pouvait bien me demander des
prières. Soudain j’entendis ces mots : « Je suis Sœur... » Cette Sœur
était à Varsovie, et moi à Wilno maintenant.
"Prie pour moi jusqu’à ce que je te dise de cesser. Je suis en agonie !"
Sur le champ, je recommençai à prier ardemment pour elle et sans relâche, je
priai ainsi de trois heures à cinq heures. A cinq heures j’entendis le mot : «
Merci " - J’ai compris qu’elle avait expiré. Cependant le lendemain à la
Sainte Messe j’ai prié pour son âme avec ferveur. Dans l’après-midi est arrivée une carte postale annonçant que Sœur...
était morte à telle heure. C’était l’heure où elle me disait " Prie pour moi. "
En d'autres termes, cette religieuse mit deux heures à
faire son choix, et la prière de sainte Faustine n'y fut pas pour rien. Mais
s'il y a liberté, quel est, exactement, le mode d'action, si je puis dire, de
la prière ? En effet, est-ce le fait, pour l'âme, de "voir" que l'on
prie pour elle qui fait son "efficacité". Est-ce par un
autre mode que passe cette grâce surajoutée de notre prière ?
Autre texte du Journal de sainte Faustine. Elle ne
cesse de parler de « l’heure de la mort » et de cette présence du
Christ :
« Petit journal 810. En rentrant dans ma solitude, j’entendis ces mots :
« Je défends chaque âme à l’heure de la mort comme Ma propre gloire. Que l’on récite
ce chapelet soi-même, ou bien que d’autres le récitent pour l’agonisant,
l’indulgence est la même. Quand on le récite auprès de l’agonisant, la colère
divine s’apaise, la miséricorde insondable s’empare de son âme et les
profondeurs de Ma miséricorde sont émues par la douloureuse Passion de Mon
Fils. »
Oh ! Si l’on pouvait comprendre combien est grande la
miséricorde du Seigneur et que nous en avons tous besoin, surtout à cette heure
décisive ! »
« Petit journal 1074. Je protègerai leur vie durant, comme une
tendre mère son nourrisson, les âmes qui propageront la vénération de Ma
miséricorde. A l’heure de la mort Je ne serai pas pour elles un Juge, mais
le Sauveur Miséricordieux. »
« Petit journal 1539. 28 janvier 1938 - Le Seigneur m’a dit
aujourd’hui : « Ecris ces paroles ma fille : toutes les âmes qui vénéreront ma
miséricorde et propageront sa gloire en incitant les autres âmes à la confiance
en ma miséricorde – ces âmes ne connaîtront pas l’effroi à l’heure de la
mort ! Ma miséricorde les abritera lors de cette dernière lutte… »
« Petit journal 1542. Ce soir, le Seigneur m’a dit : « Remets-toi
entièrement à moi à l’heure de la mort, et je te présenterai à mon Père
comme ma bien-aimée. Maintenant je te recommande de joindre de façon
particulière tes actes, mêmes les plus minimes, à mes mérites, et alors mon
Père les regardera avec amour comme il regarderait les miens. »
L’importance de ces dizaines de textes
est dans ce passage qui résume la vocation de sainte Faustine :
« Petit journal 428. V.
1935. Lorsque j’ai compris les grands
desseins de Dieu sur moi, je fus effrayée de leur grandeur. Et me sentant tout
à fait incapable de les accomplir, j’ai commencé à éviter intérieurement les
conversations avec Dieu et je remplaçais ce temps par des prières vocales. Je
le faisais par humilité, mais je m’aperçus bientôt, que ce n’était pas la
véritable humilité, mais une grande tentation du démon.
Quand, un jour
au lieu de l’oraison, je pris un livre de lecture spirituelle, j’ai entendu
distinctement et fortement ces paroles : « Tu prépareras le monde à Ma venue
dernière. »
Ces paroles
m’ont profondément impressionnée et quoique faisant semblant de ne pas les
avoir entendues, je les comprenais bien et je n’avais aucun doute. »
Petit
journal 313. Un après midi, je me rendis au
jardin, mon Ange gardien me dit : " Prie pour les agonisants. " Alors
j’ai tout de suite commencé à réciter le rosaire avec les jardinières. Après le
rosaire nous avons récité diverses petites prières pour les agonisants. Les
prières terminées, les élèves commencèrent à causer gaiement.
Malgré le bruit qu’elles faisaient, j’entendis en mon âme ces mots "Prie
pour moi ! " Mais je ne pouvais pas bien comprendre ces mots. Je me suis
éloignée de quelques pas de mes élèves, en me demandant qui pouvait bien me
demander des prières. Soudain j’entendis ces mots : " Je suis Sœur . . .
" Cette Sœur était à Varsovie, et moi à Wilno maintenant. "Prie pour moi jusqu’à ce que je te
dise de cesser. Je suis en agonie !" Sur le champs, je
recommençai à prier ardemment pour elle et sans relâche, je priai ainsi de
trois heures à cinq heures.
A cinq heures j’entendis le mot
: " Merci " - J’ai compris qu’elle avait expiré. Cependant le
lendemain à la Sainte Messe j’ai prié pour son âme avec ferveur. Dans l’après
midi est arrivée une carte postale annonçant que Sœur . . . était morte à telle heure. C’était
l’heure où elle me disait : Prie pour moi. »
Autrement dit, elle avait été déclarée
morte par le médecin plus de deux heures avant que, finalement son choix
éternel ait été fait.
Il s’agit d’un passage de
plus dans le cinquième cahier au paragraphe 1452 qui étaye ses propos sur la
miséricorde divine lors de notre passage après la mort :
« Petit journal 1452. Lorsque sonna minuit, mon âme se plongea
en un profond recueillement et j'entendis une vois en mon âme :"Ne crains
rien, ma petite enfant, tu n'es pas seule, lutte bravement car mon épaule te
soutient, lutte pour le salut des âmes, les incitant à faire confiance à ma
miséricorde, car c'est ton devoir en cette vie et dans la vie future. Après ces paroles, j'eux une plus profonde compréhension de la
miséricorde divine. Seule l'âme qui le voudra elle même sera damnée, car Dieu
ne condamne personne."
Dans son « Petit Journal », n° 83 :
« Avant qu'advienne le jour de justice, il sera
donné aux hommes un signe dans le ciel. Toute lumière dans le ciel s'éteindra
et il y aura de grandes ténèbres sur toute la terre. Alors le signe de la croix
se montrera dans le ciel, et des plaies des mains et des pieds du Sauveur,
sortiront de grandes lumières, qui pendant quelque temps illumineront la terre.
Ceci se passera peu de temps avant le dernier jour. »
On ne doit pas prendre ce texte de genre
littéraire apocalyptique au sens matériel. Comme le texte de saint Matthieu
auquel il fait référence, son sens est celui d’une épreuve de té »nèbres suivie
de l’apparition glorieuse du Christ dont l’âme est rendue parfaitement visible
à l’intelligence.
Ce texte se réalise de plusieurs façons : 1°
Dans notre vie personnelle, par l’épreuve de la nuit de l’esprit, cette forme
de perte du sens de sa vie qui nous façonne un cœur brisé. 2° A chaque
génération quand ses projets qu’elle croyait fondés pour toujours, sont balayés
par la génération suivante ; A la fin du monde lorsque viendra le dernier
Antéchrist, avant qu’il ne soit bousculé par le retour du Christ ; A la
fin de notre vie lorsque, dans le passage de la mort, nous serons confrontés à
Lucifer puis lorsque nous verrons le Christ dans sa gloire accompagné des
saints et des anges.
Lors de son apparition à Fatima (au Portugal) le
13 juillet 1917, la Sainte Vierge avait annoncé : «Pour empêcher la guerre je
viendrai demander la consécration de la Russie à mon Cœur Immaculé et la
Communion réparatrice des Premiers Samedis ».
Le 10 décembre 1925, Marie apparaît avec
l'Enfant-Jésus à Sœur Lucie, au couvent de Pontevedra (Espagne) et dit : « Regarde mon cœur entouré d'épines que
les hommes lui enfoncent par blasphèmes et ingratitudes. Toi, cherche à me
consoler et dis que je promets d'assister à l'heure de la mort, avec toutes
grâces nécessaires au salut, ceux qui, le Premier Samedi cinq mois de
suite, se confesseront, recevront la Communion, réciteront le chapelet et me
tiendront compagnie quinze minutes en méditant les 15 mystères du Rosaire avec
l'intention de me faire réparation. »
La Mère Scazziga, qui fut la supérieure de Bénigna Consolata a
témoigné au procès de béatification que la servante de Dieu avait appris du
Seigneur qu’il exerçait sa miséricorde même dans les cas les plus désespérés : « Si une personne enfoncée dans le
péché trouvait la mort sous un train ou sous une automobile, que nul ne
dise : elle est perdue ; car
personne ne peut savoir ce qui se passe en ce moment entre l’âme et Dieu. Je
peux donner un tel jet de lumière, capable de susciter une lumière si
intense que l’âme passe du fond de l’iniquité à l’étreinte de ma
miséricorde. »
Bien cher Arnaud suite à quelques prédications sur l’enfer et
recherches, je relisais Spes Salvi 47 et le n° 1697 du petit journal de Sainte
Faustine, dont tu as fait un très bonne petite vidéo. Je trouve que chez Luisa
Piccarreta ce passage du moment de la mort est précisé et confirmé, de très
belle manière. je te le fait passé. Union de prière.
P. Dominique Duten, le 5 août 2019
Parole
de Jésus à Luisa Piccarreta, Vol 36, 22 mars 1938.
« Notre
Bonté et notre Amour sont si grands que Nous utilisons tous les moyens
pour sortir la créature de son péché – pour la sauver; et si
Nous ne réussissons pas durant sa vie, Nous faisons une dernière Surprise d’Amour au moment de sa mort.
Tu dois savoir qu’à ce moment, Nous donnons le dernier signe d’Amour
à la créature en lui accordant avec nos Grâces, Amour et
Bonté, en témoignant des Tendresses d’amour propres à adoucir
et à gagner les cœurs les plus durs. Lorsque
la créature se trouve entre la vie et la mort – entre le temps qui est
sur le point de finir et l’Éternité qui est sur le point de
commencer – presque dans l’acte de quitter son corps, ton Jésus se fait
voir avec une Amabilité qui ravit, avec une Douceur qui enchaîne et
adoucit les amertumes de la vie, spécialement en ce moment extrême.
Puis, il y a Mon regard... Je la regarde avec tant d’Amour pour faire
sortir de la créature un acte de contrition – un acte d’amour, un acte
d’adhésion à ma Volonté.
En ce
moment de désillusions, en voyant – en touchant de ses mains combien Nous
l’aimions et l’aimons encore, la créature ressent une si grande
souffrance qu’elle se repent de ne pas Nous avoir aimés; elle reconnaît
notre Volonté comme principe et accomplissement de sa vie et, en
satisfaction, elle accepte sa mort pour accomplir un acte de notre
Volonté. Car tu dois savoir que si la créature n’accomplissait pas
même un seul acte de la Volonté de Dieu, les portes du Ciel ne
s’ouvri- raient pas; elles ne seraient pas reconnues comme
héritière de la Patrie Céleste et les Anges et les Saints ne
pourraient pas l’admettre parmi eux – et elle-même ne voudrait pas
entrer, étant consciente que cela ne lui appartient pas. Sans notre
Volonté, il n’y a ni Sainteté ni Salut. Combien de créatures
sont sauvées en vertu de ce signe de notre Amour, à l’exception des
plus perverties et des plus obstinées; même si suivre le long
chemin du Purgatoire serait plus convenable pour elles. Le moment de la mort
est Notre prise quotidienne – la découverte de l’homme perdu.
Puis
Il ajouta : Ma fille, le moment de la mort est le temps de la
désillusion. À ce moment, toutes les choses se présentent les
unes après les autres pour dire : « Adieu, la terre est finie pour toi;
maintenant commence l’Éternité. » C’est pour la créature
comme si elle était enfermée dans une chambre et que quelqu’un lui
dise : « Derrière cette porte, il y a une autre chambre dans laquelle se
trouvent Dieu, le Ciel, le Purgatoire, l’Enfer; en somme,
l’Éternité. » Mais la créature ne peut voir aucune de ces
choses. Elle les entend affirmer par d’autres; et ceux qui les lui disent ne
peuvent pas les voir non plus, de sorte qu’ils parlent presque sans même
trop y croire; sans accorder beaucoup d’importance au fait de donner à
leurs paroles le ton de la réalité – comme quelque chose de
certain.
Alors,
un jour, les murs tombent et la créature peut voir de ses propres yeux ce
qu’on lui avait dit avant. Elle voit son Dieu et son Père qui l’aimait
d’un grand Amour; elle voit les dons qu’Il lui a faits, un par un; et tous les
droits d’amour qu’elle lui devait et qui ont été brisés. Elle
voit que sa vie appartenait à Dieu, et non à elle-même. Tout
passe devant elle : Éternité, Paradis, Purgatoire, et Enfer – la
terre qui s’en va; les plaisirs qui lui tournent le dos. Tout disparaît;
la seule chose qui lui reste présente dans cette pièce aux murs
abattus : l’Éternité. Quel changement pour la pauvre
créature!
Ma
Bonté est si grande, voulant sauver tout le monde, que Je permets la
chute de ces murs lorsque les créatures se trouvent entre la vie et la
mort – au moment où l’âme quitte le corps pour entrer dans
l’Éternité – afin qu’elles puissent faire au moins un acte de
contrition et d’amour pour Moi, en reconnaissant sur elles mon Adorable
Volonté. Je peux dire que Je leur donne une heure de Vérité
afin de les sauver. Oh! Si toutes connaissaient les industries d’amour que
j’utilise au dernier moment de leur vie pour les empêcher
d’échapper à Mes mains plus que paternelles – elles n’attendraient
pas ce moment, elles m’aimeraient toute leur vie. »
Luisa Piccarreta (23 avril 1865 - 4 mars 1947),
également connue sous le nom de « Petite Fille de la Divine
Volonté », est un auteur et une mystique italienne. Un procès est en
cours pour sa canonisation en tant que sainte de
l' Église catholique. Elle eut pour quelque temps comme confesseur
Saint Hannibal Marie di Francia . Sa spiritualité était centrée sur
l'union avec la Volonté Divine.
Jésus a dit les mots les plus consolants à Luisa au
sujet du moment de la mort, à tel point que celuyi qui comprendra perdra toute
crainte de ce moment : « Au
moment de la mort, les murs tombent et elle peut voir de ses propres yeux ce
qu’on lui avait dit auparavant. Elle voit son Dieu et Père qui l’a aimée
avec beaucoup d’amour. Ma bonté est telle, voulant que tout le monde soit
sauvé, que je permets la chute de ces murs lorsque les créatures se
retrouvent entre la vie et la mort, au moment où l’âme sort de son corps
pour entrer dans l’éternité, afin qu’elles puissent faire un acte de contrition
et d’amour pour moi, en reconnaissant mon adorable volonté. Je peux dire que je
leur donne une heure de vérité afin de les sauver. Oh ! Si tous
connaissaient mon persistant amour, celui que j’exécute au dernier moment de
leur vie, afin qu’ils ne s’échappent pas de mes mains, plus que paternelles,
ils n’attendraient pas ce moment, mais ils m’aimeraient toute leur vie. »
(22 mars 1938)
« Craignez
vous la mort ou les attaques du démon qui peuvent se produire à ce moment là,
ou la possibilité de l’enfer après la mort ? Bannissez également ces
peurs. Je me sens triste quand je pense que je suis d’abord sévère et que
j’utilise plus la justice que la miséricorde. Il agissent avec moi comme si je
devais les frapper à chaque circonstance. Oh ! Combien je me sens
déhonnoré par eux ! En jetant simplement un regard sur ma vie, ils ne
peuvent que constarter que je n’ai fauit qu’un seul acte de justice, quand pour
défendre la maison de mon Père, j’ai pris des cordes et j’ai frappé à droite et
à gauche pour chasser les profanateurs. Tout le reste, alors, n’était que
miséricorde : miséricorde ma conception, ma naissance, mes paroles, mes
œuvres, mes pas, le sang que j’ai versé, mes douleurs. Tout en mi n’était qu’un
amour miséricordieux. Pourtant ils me craignent, alors qu’ils devraient se
craindre plus que moi. » (9 juin
1922).
De Maria Valtorta : Catéchèse du 28 janvier
1947, p. 326 et 327 : « Dans l’atome de l’instant du jugement
particulier, l’âme a le temps de comprendre ce qu’elle n’a pas voulu
comprendre de son vivant sur terre, …elle a également le temps d’emporter dans
son lieu d’expiation ou pour la damnation éternelle le souvenir qui suscitera
en elle des flammes d’amour pour l’éternelle Beauté, ou la torture du châtiment
par la mémoire obsédante du Bien perdu… La création de l’âme et le jugement
particulier sont les deux atomes d’instant pendant lesquels les âmes des
enfants de l’homme connaissent Dieu intellectuellement, dans la juste mesure
qui suffit à leur donner un instrument pour tendre vers leur Bien à peine
entrevu, mais demeuré inscrit dans leur substance ».
A la même époque que sainte Faustine, le Saint Padre
Pio voit dans la mort un passage immédiat vers le jugement immédiat, sans
qu’aucune conversion ne soit possible :
« Les gens du monde qui ne
sont plongés que dans leurs problèmes matériels vivent dans l'obscurité et dans
l'erreur.
Ils
ne se soucient pas des réalités spirituelles, ne pensent guère à leur salut
éternel et n'ont aucune hâte de connaître ce Messie dont la venue est attendue
par toutes les nations.
Quand notre dernière heure
aura sonné, quand les battements de notre cœur se seront tus, tout sera fini
pour nous, le temps de mériter et le temps de démériter. Nous nous présenterons au Christ-Juge tels que la mort nous
trouvera.
Nos
cris de supplication, nos larmes, nos remords, qui sur la terre encore,
auraient touché le cœur de Dieu et auraient pu, grâce aux sacrements, nous
faire passer de l'état de pécheurs à celui de saints, n'auront alors plus
aucune valeur.
Le
temps de la miséricorde sera terminé, celui de la justice commencera.
Le
Seigneur révèle et appelle ; mais bien souvent nous ne voulons ni voir ni
répondre, car nous préférons nos vues personnelles. Ne te décourage pas s'il
t'arrive de beaucoup travailler et de récolter si peu. Si tu savais combien une
seule âme coûte à Jésus, tu ne te plaindrais jamais ! »
Padre Pio, sermon du 29 décembre 1960.
Cette opposition entre les saints de Dieu, entre sainte
Faustine et saint Padre Pio, est fréquente. En Orthodoxie, les docteurs, y
compris canonisés, ont des opinions si souvent diverses que, sans magistère
pontifical pour trancher, cette Eglise n’a pu définir de manière définitive
aucune vérité définitive depuis le schisme. Il
faudra donc qu'un jour Pierre tranche entre deux voies de compréhension,
soutenues par deux saints de son Eglise.
Mais je dirais que la chose est
entendue depuis que le Concile Vatican II s’est exprimé dans Gaudium et Spes
22, 5.
Cette
citation de Padre Pio : |
« Nos cris de supplication,
nos larmes, nos remords, qui sur la terre encore, auraient touchés le cœur de
Dieu, n’auront alors plus aucune valeur » |
est à interpréter. Non seulement il est
nécessaire que Dieu propose explicitement son salut à ceux qui ne le
connaissent pas, mais il est certain Dieu pardonne tout dès qu'il y a repentir
lié à l'amour. Et s'il ne pardonne pas, c'est que les cris ne viennent pas du
repentir de l'amour mais de la haine revendicatrice, autrement dit d'un
blasphème contre l'Esprit. Jésus le dit explicitement lui-même :
Citation: |
Matthieu 12, 31 Aussi je vous le
dis, tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre
l'Esprit ne sera pas remis. Et quiconque aura dit une parole contre le Fils
de l'homme, cela lui sera remis ; mais quiconque aura parlé contre l'Esprit
Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l'autre. |
https://sites.google.com/site/petitmondedeceline/amour-et-bonheur
« Je ne crois que pas qu'un grand
nombre d'âmes vont en enfer. Dieu nous aime tellement qu'il nous a formés à son
image, Dieu nous aime au-delà de la compréhension.
Et c'est ma conviction que lorsque
nous sommes passés de la conscience de l'autre monde, lorsque nous semblons être morts, Dieu, avant qu'il ne nous juge,
nous donnera l'occasion de voir et de comprendre ce que le péché est vraiment. Et
si nous le comprenons bien, comment ne pas se repentir? »
Maria Pompilio, quand son frère
mourut, demanda à Padre Pio, d'intercéder pour qu'il puisse entrer dans
ses rêves. Son frère est venu dans un rêve et lui a dit : « Padre Pio m'a aidé dans mon
agonie. Il est resté jusqu'à ce que le juge me juge et celui-ci m'a donné onze ans de
purgatoire, mais sur l'intercession de Padre Pio ,la douleur a été réduite à un
an. »
DOCUMENT FAISANT PARTIE DES
MINUTES
DU PROCÈS EN CANONISATION
DE PADRE PIO
Cher Père,
Vous m’avez demandé un résumé écrit au sujet de l’évidente
protection dont j’ai été l’objet en Août 1958, pendant la guerre d’Algérie.
J’étais, à ce moment-là, au service de santé des armées. J’avais
remarqué qu’à chaque moment important de ma vie, Padre Pio qui m’avait pris en
1955 comme fils spirituel, me faisait parvenir une carte m’assurant de sa
prière et de son soutien. Tel fut le cas avant mon examen de l’Université
Grégorienne de Rome, tel fut le cas au moment de mon départ à l’Armée, tel fut
le cas au moment où je dus rejoindre les combattants d’Algérie.
Un soir, un commando F.L.N. (Front de Libération Nationale
Algérienne) attaqua notre village et je fus bientôt maîtrisé et mis devant une
porte avec cinq autres militaires et là, nous fûmes fusillés. Je me souviens
que je n’ai pensé ni à mon père, ni à ma mère dont j’étais pourtant le fils
unique mais j’éprouvais seulement une grande joie car « j’allais voir ce
qu’il y a de l’autre côté ». J’avais reçu, le matin même, une carte de la
part de Padre Pio avec deux lignes manuscrites : « La vie est
une lutte mais elle conduit à la lumière » (souligné deux
et trois fois).
Immédiatement, je fis
l’expérience de la dé-corporation. Je vis mon corps à côté de moi-même, couché
et sanglant au milieu de mes camarades tués, eux aussi. Et je commençai une
ascension curieuse dans une sorte de tunnel. De la nuée qui m’entourait,
émergeait des visages connus et inconnus. Au début, ces visages étaient
sombres ; il s’agissait de gens peu recommandables, pécheurs, peu
vertueux. À mesure que je montais, les visages rencontrés devenaient plus
lumineux.
Je m’étonnais de ce que je pouvais marcher… et je me dis que, pour
moi, j’étais hors du temps, donc déjà ressuscité… Je m’étonnais de voir tout
autour de ma tête sans me retourner… Je m’étonnais de n’avoir rien ressenti des
blessures occasionnées par les balles de fusils… et je compris qu’elles étaient
entrées dans mon corps tellement vite que j’avais pu ne rien sentir.
Subitement, ma pensée s’envola vers mes parents. Immédiatement, je
me suis trouvé chez moi, à Annecy, dans la chambre de mes parents que je vis
dormir. J’essayais de leur parler, sans succès. J’ai visité l’appartement
notant le changement de place d’un meuble. Plusieurs jours après, écrivant à ma
mère, je lui ai demandé pourquoi elle avait déplacé ce meuble. Elle m’écrivit
en réponse : « Comment le sais-tu ? ».
J’ai pensé au Pape Pie XII que je connaissais bien (j’étais
étudiant à Rome) et, de suite, je me suis trouvé dans sa chambre. Il venait de
se mettre au lit. Nous avons parlé par échange de pensées, car c’était un grand
spirituel.
J’ai continué mon ascension jusqu’au moment où je me suis trouvé
dans un paysage merveilleux, enveloppé d’une lumière bleutée et douce… Il n’y
avait pourtant pas de soleil « car le Seigneur est leur
lumière… » comme dit l’Apocalypse. J’ai vu là des milliers de
personnes, toutes à l’âge de trente ans à peu près, mais j’en rencontrais
quelques unes que je connaissais de leur vivant… Telle était morte à
80 ans… et elle semblait en avoir 30…telle autre était morte à
2 ans…et elles avaient le même âge…
J’ai quitté ce « paradis » plein de fleurs
extraordinaires et inconnues ici-bas. Et je suis monté encore plus haut...Là,
j’ai perdu ma nature d’homme et je suis devenu une « goutte de
lumière »
Je vis beaucoup d’autres « gouttes de lumière » et je
savais que telle était Saint Pierre, telle autre Paul ou Jean ou un apôtre, ou
tel saint…
Puis je vis Marie,
merveilleusement belle dans son manteau de lumière, qui m’accueillait avec un
sourire indicible… Derrière elle, il y avait Jésus, merveilleusement beau, et
derrière, une zone de lumière dont je savais qu’elle était le Père, dans
laquelle je me suis plongé…
J’ai ressenti là
l’assouvissement total de tout ce que je pouvais désirer… J’ai connu le bonheur
parfait… et brusquement, je me suis
retrouvé sur terre, le visage dans la poussière, au milieu des corps sanglants
de mes camarades.
Je me suis rendu compte que la porte devant laquelle je me
trouvais, était criblée par les balles qui m’avaient traversé le corps, que mon
vêtement était percé et plein de sang, que ma poitrine et mon dos étaient maculés
de sang à moitié séché, un peu visqueux …mais que j’étais intact. Je suis allé
voir le commandant dans cette tenue. Il vint à moi et cria au miracle. C’était
le commandant Cazelle, aujourd’hui décédé.
Cette expérience m’a beaucoup marqué, on s’en doute. Mais lorsque,
libéré de l’Armée, je me rendis auprès de Padre Pio, celui-ci m’aperçut de loin
dans le salon Saint-François. Il me fit signe de m’approcher et me donna, comme
d’habitude, un petit signe d’affection. Puis il me dit ces simples mots :
« Oh ! que tu as pu me faire courir, toi ! Mais ce que
tu as vu, c’était très beau ! ». Et il borna là son explication.
On comprend maintenant pourquoi je n’ai plus peur de la mort…
puisque je sais ce qu’il y a de l’autre côté. »
Père Jean Derobert
*********************
Ce document fait partie des minutes du procès en canonisation de
Padre Pio.
Cette lettre nous avait été donnée à condition de ne pas la faire
connaître, c’était avant sa canonisation.
Maintenant qu’elle est publiée, nous vous la transmettons. Merci
au lecteur qui nous l’a remémorée.
Ce 2 mai est le 13ème anniversaire de sa béatification.
Le 6 août 1978, fête de la
Transfiguration, Paul VI ne put prononcer
devant les pèlerins de Castel Gandolfo la prière qu’il avait préparée
pour l’angélus. Le soir même, épuisé, miné par la maladie, il s’éteignait dans
la résidence d’été des papes. Quelques années plus tôt, il avait écrit dans son
testament : « Je fixe mon regard
avec une humble et sereine confiance vers
le mystère de la mort et de ce qui l’accompagne dans la lumière du Christ qui
seul l’illumine. » (Prières de poche, Paul VI, Editions Artège,
112 pages).
http://www.aleteia.org/fr/religion/article/le-bienheureux-paul-vi-serviteur-souffrant-roseau-dans-les-tempetes-5804334138785792?page=2
Adrienne von Speyr, née
le 20 septembre 1902 à La
Chaux-de-Fonds et morte le 17
septembre 1967 à Bâle, est un médecin suisse, auteur de plus d'une soixantaine de livres
sur la spiritualité et la théologie.
Mystique catholique, stigmatisée à partir de 1942, elle décrit dans ses
ouvrages de nombreuses visions de la Trinité, de la Vierge
Marie et des saints.
Son Article « Mort » décrit dans les mêmes termes (passage, jugement, vue de son péché, grâce)
que le pape Benoît XVI dans son encyclique Spe salvi, l’heure de la mort.
« On assure que, lorsqu’un homme
en bonne santé meurt – par noyade par exemple -, il voit toute sa vie se
dérouler dans son esprit à la vitesse de l’éclair. J’ai fait moi-même un jour
l’expérience du passage de la mort;
je me trouvais au lit avec une crise cardiaque et je savais : maintenant je meurs, et pourtant je ne
meurs pas... Puis je vis ... qu’il y avait dans la mort une grâce qui me montrait, justement dans le passage, comment
j’étais. Comme dans une analyse. On voit côte à côte son indignité et les
sources infinies de la grâce dans son existence.Et les deux choses sont miennes
: les grâces ne me furent pas seulement prêtées, elles furent réellement
offertes, ce qui ne diminue pas leur caractère de grâce, ne les met pas à mon
service, mais ce qui montre seulement la qualité du don de Dieu. Et mienne
aussi est mon indignité, mien est mon péché, tout ce qui ne correspondait pas à
la grâce. Les deux choses qui m’appartenaient se trouvent devant mes yeux d’une
manière totalement objective parcequ’elles sont vues ainsi objectivement par
Dieu – ou disons : par le juge – qui
utilise maintenant une mesure que je ne connaissais pas jusqu’alors mais dont
je dois admettre que c’est la juste mesure et qu’elle n’est pas à relativiser.
On voit qu’on est appelé à mourir tel qu’on est maintenant. Et on voudrait
alors d’un côté se débarrasser de ce qui est indigne, non présentable, demander
à Dieu de nous l’enlever... On a un besoin pressant de se tenir devant Dieu
avec toute sa miséricorde... Ce n’est pas encore le jugement ni le purgatoire. C’est le passage. On ne se sent pas encore
cadavre, mais on sait que c’est le dernier acte où l’on dispose de soi,
c’est un testament en quelque sorte qu’on rédige en présence de Dieu. Peut-être
que toute sa vie durant une femme a porté un bijou et qu’elle voulait être
enterrée avec lui. Etau moment où elle meurt elle pense: «Ah! non. C’est de la bêtise. Les bijoux doivent parer les autres, les
vivants» (2103)
Il nous paraît possible de citer Marthe Robin. Cette mystique
stigmatisée, dont la sainteté est à l’étude dans son diocèse d’origine, est morte
en 1983. Après vérification auprès du Père Pagnoux des Foyers de charité, il
apparaît qu’elle a développé une véritable pensée sur les agonisants. Sans
aller trop loin et dans l’attente des textes non encore publiés, il semble
qu’elle considérait la mort comme le passage ultime où se joue dans la logique
d’une vie le destin éternel. Elle parlait de l’importance de la prière pour les
mourants, de ces instants qui pouvaient durer longtemps, et de la grâce ultime donne par Jésus en personne.
Philippe Coutel (philippecoutel@msn.com) qui assistait à une
retraite des Foyers de Charité, rapporte (témoignage revérifié avec lui le 13
mai 2018) : « Le 31 octobre 1979, vers 17h, deux cousines, un cousin et un de
leurs amis, dans la baie de Quiberon, ont voulu faire une dernier tour de
bateau avant de mettre celui-ci en cale-sèche pour l'hiver. Ils avaient 18-19
ans. Brusquement alors qu'ils étaient dans la rade, une très violente tempête
s'est levée d'un coup. Le voilier a été sur le champs absorbé par les flots, et
ils sont morts noyés. Quelques semaines plus tard, je suis allé voir Marthe
Robin pour savoir ce qu'il était advenu d'eux quant à leur éternité, car aucun
d'eux n'étaient pratiquants, avec même une vie moralement plus ou moins
dissolue, comme il est d'usage en Occident. J’étais donc un peu inquiet pour
eux. Mais le père spirituel de Marthe, le père Finet à du nez. Et sans même
être au courant de mon affaire, il a sorti aux retraitants : "Surtout
n'allez pas demander à Marthe si vos proches qui sont morts sont sauvés. Et si
elle vous disait qu'ils sont en enfer "? Fort de cette recommandation je
n'ai rien demandé à Marthe. Mais la question me brûlait les lèvres. Dans la
journée qui a suivi, tout en respectant la consigne du père Finet, elle a
demandé au père qui nous prêchait la retraite de nous dire : "Et
Marthe Robin m'a fait savoir, que quand des jeunes qui ne pratiquaient pas,
meurent dans l'ignorance de Jésus, il va se passer plusieurs heures avant le
jugement définitif; Et même plusieurs jours, où le Seigneur va se montrer à eux
dans toute sa lumière; Et va leur demander: VEUX-TU DE MON AMOUR ? Et en
général, les gens disent OUI".
Beaucoup plus a dû se dire entre Marthe et ce père, car pendant
tout le temps où il disait ça, il a pris bien soin de ne pas regarder dans ma
direction. Et même à un moment, il a carrément mis une main en cache devant ses
yeux pour ne pas me regarder.
Marthe Robin insistait souvent sur cette « durée » du
temps de la mort. Le père Maurice de Lesseps osb, moine de Fontgombault,
rapporte le témoignage suivant (mai 2007, plesseps@netcourrier.com) : « Le
neveu d’un de mes amis religieux (un confrère du Père André Rannou des Missions
Etrangères de Paris), mourut dans un accident de la route dans des
circonstances troubles, à la sortie d’une boite de nuit. Son oncle était fort
inquiet pour son salut, et pensait qu’il était damné. Et voici le témoignage
qu’il me rapporta. Il se rendit pour une retraite au foyer de charité de
Châteauneuf de Galaure. Vers la fin de la semaine, on le prévint que Marthe
voulait le rencontrer. Il se rendit donc dans sa chambre, mais avec une
certaine défiance, étant naturellement prévenu contre le merveilleux. Or
Marthe, qui était d’origine rurale, lui parla durant tout l’entretien de la
nature, des travaux agricoles. Il voulut brusquer la fin de l’entretien et se
leva pour prendre congé. Alors Marthe lui dit ceci : « Vous savez, Père, l’âme reçoit une grande lumière au moment de la
mort. Et peu d’âmes disent non à Dieu, surtout parmi les jeunes. » Mon ami
prêtre est sorti de la chambre assez bouleversé. »
Maria Simma a dit quelque chose de semblable :
Au moment de la mort, avant d'entrer dans son éternité, y a t-il
un temps où l'âme a encore la possibilité de se tourner vers Dieu, même après
une vie de péché. Y a t-il un laps de temps entre la mort apparente et la mort
réelle ?
Maria Simma :
« Oui, le Seigneur
donne quelques minutes à chacun pour regretter ses péchés et pour se décider
: "J'accepte ou je
n'accepte pas d'aller voir Dieu." Là, on voit le film de sa vie.
Je connais un homme qui croyait aux préceptes de l'Église, mais
pas à la vie éternelle. Un jour il est tombé gravement malade, a sombré dans le
coma et s'est vu alors dans une chambre avec un tableau sur lequel toutes ses
oeuvres étaient écrites, les bonnes et les mauvaises. Puis le tableau a disparu
ainsi que les murs de cette chambre et c'était infiniment beau. Puis il s'est
réveillé de son coma et a décidé de changer sa vie ! »
http://eschatologie.free.fr/heuremort/mariasimmaetlepurgatoire.htm
Nous avons vu comment des théologiens, sortant malheureusement des
indications précieuses du Magistère de l’Église, ont formalisé cette intuition
sous la forme d’une grâce « après la
mort. » L. Boros et Mgr Glorieux s’en
défendent. Il nous a paru cependant qu’une opération intellectuelle « à la manière des substances séparées »ne peut avoir lieu qu’après la mort.
D’autres théologiens cependant, quoique de manière encore
imprécise concernant la nature de la grâce finale ou le moment de son don, ont
eu l’intuition de ce mystère. Au sommet de tous, tant par sa précision que par
la sûreté de sa doctrine, on trouve Mgr. d’Hulst. Cet évêque français, mort au
début du XXème siècle, fut un directeur spirituel apprécié pour
avoir su unir douceur et fermeté. Dans ses lettres de direction, confronté à la
question du salut des infidèles, il sait unir rigueur de la doctrine et audace
de l’amour.[266] Selon lui, il faut chercher la solution de tous
ces problèmes théologiques épineux dans la contemplation de la croix de Jésus.
Elle permet à l’esprit un envol d’aigle car elle est un scandale de l’amour qui
dépasse toutes les formalisations de la pensée. Fondé sur cette contemplation,
il distingue une formule officielle du salut : « Il faut mourir dans les règles » ; et une loi du sauveur qui
dépasse toutes les lois et ne demande la permission à personne pour proposer
son salut à qui il veut. Cette liberté de l’amour de Jésus ne vient pas
détruire la formule officielle du salut et les ministres de Dieu qui n’ont pas
fait les règles, ont le devoir de les appliquer. Citons Mgr d’Hulst à propos de
l’heure de la mort :[267]
« Dans ce dernier combat de l’agonie,
quand la pensée est lucide et la voix muette, quand le monde extérieur s’éteint
autour du moribond et le laisse seul avec son monde intérieur, quand son
oreille n’entend plus ses paroles trompeuses destinées à le rassurer et que son
âme entend la réponse de mort, qui lui dit la prochaine et terrible vérité, à
cette heure d’angoisse et de clairvoyance, il y a certainement une
sollicitation suprême de la miséricorde ; Il y a une apparition (je
prends ce mot dans le sens métaphysique et le plus large), une apparition de
Jésus. Il y a le souvenir, tout d’un coup ranimé, de
ces fragments épars d’instruction religieuse oubliés depuis l’enfance, d’idées
religieuses répandues çà et là dans la société et que l’on rencontrait
autrefois sur son chemin d’indifférence. Tout cela s’assemble, tout cela revit
comme les ossements d’Ezéchiel, tout cela se recompose une figure de la vérité
qui s’offre à l’âme dans les traits bénis du Rédempteur. » Selon Mgr d’Hulst, cette grâce finale
qui précède la mort est si certaine qu’in ne doit jamais désespérer du salut de
personne. L’âme du mourant se sent attirée par la miséricorde, elle jette vers
la croix le dernier regard et peut, si elle ne résiste pas, être sauvée.
Dans une autre lettre de direction, écrite en 1882 pour une
religieuse, Mgr d’Hulst précise sa pensée à propos de la mort d’un franc maçon
militant[268] : « La voie unique du salut est Jésus-Christ, mais s’il y a la façon
officielle de trouver Jésus-Christ, nul ne lui refusera, je pense, le droit de
se mettre en rapport avec les âmes par d’autres moyens.(...) Saint Thomas
d’Aquin disait lui-même, à propos des bons infidèles : « A une âme ainsi
disposée, Dieu enverra plutôt un ange à l’heure de la mort que de la laisser en
dehors de la Rédemption. » [269]
Mgr. d’Hulst reste à notre sens imprécis sur la nature de la grâce
qu’il sait pourtant nécessaire à l’heure de la mort. Une apparition au sens le
plus métaphysique du mot signifie à ses yeux que, quel que soit le moyen
(intuition intellectuelle, imaginative, apparition d’un ange ou du Christ
glorieux), Dieu trouve le moyen de donner à la connaissance du mourant l’être
même de l’Évangile. A l’époque où ce prêtre reçut sa formation, « métaphysique » ne signifiait pas nécessairement « présence de l’être »
mais aussi « connaissance de l’être. » Quoi qu’il en soit, il nous paraît
être le premier auteur à avoir enseigné avec un tel développement la nécessité
vitale pour le salut d’une grâce de conversion à l’heure de la mort. Il est
remarquable qu’à peu près à la même époque, sœur Faustine ait reçu par voie de
révélation privée, la même certitude.
Notre ignorance des opérations de l'âme au lit de mort laisse une
des plus vastes parties de l'existence humaine inaccessible à notre
pénétration, si nous considérons que la vie ne se mesure pas seulement à la
longueur du temps matériel.
L'observation et la
psychologie s'accordent à enseigner qu'il se passe à l'heure dernière beaucoup
de choses d'un caractère plus intellectuel que nous ne pourrions le concevoir.
Il y a souvent peu de place pour Dieu dans l'âme fascinée par les spectacles
extérieurs, et dans le cœur où résonnent les bruits du monde : mais l'heure
suprême est longue, et elle fait place au Créateur. Elle change les minutes en
années; elle redouble constamment l'activité de l'esprit à l'instant où il va
quitter le corps. C'est une heure de vérité, et une heure de vérité est plus
longue qu'un siècle de mensonge.
Le Ciel s'approche alors pour secourir autant que pour contempler.
Les yeux voilés, le visage sans expression ou ravagé par la souffrance, les
sons inarticulés sont des voiles qui nous dérobent cette suprême entrevue
terrestre entre le Créateur et sa créature. C'est pour Lui la dernière chance
qu'il a de la sauver, et la divine Sagesse doit bien savoir comment en user.
Dans la vie du Père de Condren il y a un remarquable passage qui
est de nature à exciter notre reconnaissance pour les grâces que Dieu accorde
aux mourants, car dit-il : « Sa
compassion pour eux est inexplicable et il paraît leur prodiguer ses faveurs
d'autant plus volontiers qu'ils ne sont plus guère en danger de les profaner. »
Magnifique pensée! Je concède que nous marchons ici sur un terrain inconnu
: mais parce que la volonté de Dieu est que l'âme soit sauvée, et qu'à ce
moment décisif II accorde des grâces cent fois plus nombreuses que nous ne le
pouvons croire, je prétends hardiment que le lit des mourants catholiques est
le pur domaine de la compassion divine. Cette heure dernière peut expliquer un
grand nombre de saluts inexplicables .
Parmi les théologiens actuels, nous voudrions citer le Père
François-Xavier Durwell. Domicilié à Strasbourg, ancien professeur à la Faculté
de Théologie catholique, son œuvre écrite témoigne de son intérêt pour le
mystère de la mort[271]. A plusieurs reprises, à
l’occasion de la rédaction de ce travail, j’ai pu le rencontrer.
La thèse du Père Durwell concernant notre sujet consiste dans
l’affirmation d’une grâce de lumière à l’heure de la mort, en vue du choix
final qui oriente le destin éternel. Selon lui, cette grâce n’est pas à
considérer comme un « retour sensible » du Christ tel que je l’entends, mais
par une révélation mystique et purement spirituelle de la Lumière de son
Évangile. Au cours de nos discussions, le Père Durwell s’est plutôt opposé à ma
position, la qualifiant de « mythologique. » Une heureuse réponse m’est venue : « Quand un exégète veut s’opposer à
l’historicité d’une donnée de l’Évangile, il la qualifie de mythologique ; s’il
veut la défendre, il la qualifie de mystère de l’Incarnation. » Au cours
d’un entretien avec lui en 1993 au Carmel de Forges près d’Avon, nous avons pu
nettement nous expliquer sur cette divergence qui, de fait, ne bouleverse pas
le fond commun de notre entente. L’essentiel est ailleurs : Dieu sauve. Plutôt
que de citer des passages de ses écrits, nous reproduisons un extrait d’une de
ses lettres[272] :
« Le thème de la mort est
important. Il y a une très grave lacune en théologie : on ne sait pas, on ne
dit pas ce qu’est la mort, ce qui s’y passe. Pourtant Jésus est venu, selon
Heb. 2, 14ss, nous délivrer par sa mort de la peur de la mort. Il y a des
théologiens qui prétendent qu’il ne s’y passe rien du tout. Un théologien
allemand, Greshake, a écrit : « on sort de la vie comme on y entre, sans le
savoir et sans le vouloir. » Dans Esprit et Vie, un recenseur, Pierre
Jay, ironise au sujet de mon petit livre « Le Christ, l’homme et la mort
», où je prétends que c’est l’instant suprême de la vie. Je ne me suis
nullement inspiré des thèses de Ladislas Boros dans Mysteruim Mortis à
propos de l’option finale. Je l’ai moi-même ignoré plus ou moins, pour ne
m’inspirer que de ce que je crois savoir du mystère pascal, à l’aide de
l’Écriture Sainte. Les théologiens ne sont pas assez attentifs à ce problème de
la mort. J’ai multiplié les publications. Mais du moins en France, les
théologiens ne tiennent guère compte de ce que je dis. »
Les remarques un peu douloureuses du Père Durwell sont
malheureusement tout à fait justifiées. Il faudra attendre trois ans après sa
mort et une encyclique du pape Benoît XVI (Spe salvi 47) pour que soit évoqué
publiquement l’hypothèse de la rencontre avec le Christ dans la mort. De son
vivant, la théologie sortait à peine de ses controverses sur l’existence de
l’âme séparée du corps, rejetée par peur panique de tomber dans un dualisme
soi-disant non biblique (comme si l’Ancien Testament n’avait pas eu le droit de
mûrir sous l’influence de la pensée grecque, lui qui s’est nourri des
conceptions égyptiennes et babyloniennes). Force est de constater que, à la fin
du XX° siècle, l’interrogation sur l’existence et la nature d’une vie après la
mort était passée au second plan de la recherche théologique. La pensée des
grandes Églises avait été relayée par celle des sectes qui trouvent dans ce
terrain en friche un champ d’apostolat.
Recension communiquée par
RicardoMalaguti en 2010 riccardo_malaguti@yahoo.it
Le père Fortea est un exorciste espagnol
connu qui a écrit la « Summa daemoniaca et exorcistica »
(on la trouve même en Internet, mais en espagnol). Il y écrit un chapitre au
sujet des « âmes errantes » (en espagnol : « almas
perdidas »). Il parle de certains cas où pendant ses exorcismes ces âmes
se manifestent à travers les possédés. Il analyse la question, il propose des
faits et donne différentes interprétations…Même la sienne !
Il dit que ces âmes ont une
voix qui n’est pas pleine de haine (comme celle des démons), elles prient sans efforts
et disent souvent de se trouver « dans l’obscurité » et qu’il y a
beaucoup d’âmes qui « errent » sans repos sur terre. Si on prie pour
elles, on les « évangélise », on leur parle de Jésus et de son
Evangile…à un moment donné elles disent qu’elles voient « une femme »
(la Vierge ?) et une Lumière (un ange ? Le Seigneur ?) et elles
s’en vont en sortant du possédés « sans fracas » (mais au
contraire les démons quand s’en vont font des CRIS TERRIBLES !). Si on
cherche à les exorciser rien ne se passe. Ils ont seulement besoin de prière.
Parfois elles ne connaissent même pas l’existence de Dieu ! dit Père
Fortea.
Le Père Fortea cite le dogme de
Benoit XII (Benedictus Deus), le passage célèbre « AUSSITOT APRES LA
MORT…etc. » et se demande comment on peut concilier le dogme avec
ces faits.
Voilà comment faire concorder
cela avec le dogme de Benoît XII : en Hébreu, "Shéol" veut dire
"la mort". Autrement dit ces âmes sont DANS LE PASSAGE DE LA MORT.
Elles ne sont pas APRES LA MORT. Après la mort (c'est-à-dire après ce PASSAGE
PAR LA MORT, le shéol, qui doit durer normalement quelques heures, mais dure
parfois des années) l'âme entre aussitôt en enfer éternel car, cette fois, elle
a rejeté lucidement le Christ et son évangile.
Le père Fortea confirme qu’il
peut y avoir des âmes qui REFUSENT la Lumière du Christ au moment de la mort,
parce que elles NE VEULENT PAS SE REPANTIR, mais qui n’arrivent pas
jusqu’à la HAINE DE DIEU…Par conséquent le Seigneur les
laisse « errer sur terre » jusqu’au jour du Jugement Final. Le
père Fortea pense qu’il s’agit du "Purgatoire" de ces gens qui ont
risqué et risquent l’enfer (ils n’ont pas même encore fait leur choix pour ou
contre le Christ).
On peut citer aussi
« Esorcisti e psichiatri » (« Exorcistes et psychiatres »)
du Père Gabriele Amorth où (sans donner un jugement définitif) il réfère
l’opinion de différents exorcistes à ce sujet-là (le chapitre s’appelle
« Les surprises des exorcistes : les âmes des morts »). Beaucoup
disent que la théologie doit approfondir la question relative à ce qui se passe
« au moment de la mort », en comprenant le dogme de Benoit XII dans
sa profondité…
Je pense que ce fait des
"âmes errantes" (s'il est vérifié) peut être le plus important à
faveur de cette thèse sur l'eschatologie. Il contient: 1) le sens de la mort
comme "passage" qui peut "durer"; 2) la clé pour comprendre
la Miséricorde de Dieu à l'égard de ces qui n'ont pas connu l'Evangile sur
terre...3) la parousie du Christ à l'heure de la mort...
Une approche de Jean Daujat[273] :
« A l'instant même de la mort
est un instant de lucidité totale et ceci même pour l'enfant en bas âge car cela résulte de la nature humaine et de
l'existence de l'âme spirituelle que cet enfant possède, celui-ci aura donc à
l'instant de sa mort le plein usage de son intelligence qu'il n'aura encore
jamais eu auparavant. Rien n'empêche alors que dans cette lucidité de l'instant
de la mort Dieu d'une manière quelconque fasse connaître à l'enfant sa destinée
surnaturelle et que celui ci puisse y adhérer librement, une telle solution ne
méconnaît nullement l'importance de baptiser les enfants car leur adhésion à
leur destinée surnaturelle à l'instant de leur mort est évidemment grandement
aidée par la possession de la grâce baptismale. On reconnaît donc à la fois
l'importance primordiale des sacrements et en même temps que Dieu qui les a
choisis comme moyens d'action peut s'en passer et agir autrement. »
En audio, par Jean Daujat :
http://www.dailymotion.com/user/fredsinam/video/x8v3lg_lenfer_news
Cette remarque concernant les enfants est très forte,
très moderne et osée. En 2007, la commission Théologique internationale, sans
aller aussi loin, se penchera sur la question controversée du sort des enfants
morts sans baptême.
Alexandre
Kalomiros, théologien grec contemporain, est mort en 1990. Il a fait revivre
l'esprit patristique en notre temps, que ce soit dans un article comme Figures
célestes, qui explique le sens de l'iconographie orthodoxe, ou dans les
nombreux textes qu'il a consacrés à la défense de l'orthodoxie. La Lumière du
Thabor a publié plusieurs articles de lui. Le texte suivant est une conférence
donnée, en anglais, à Seattle en juillet 1980 intitulée « Le fleuve de
feu », dans le cadre d'une rencontre de la jeunesse orthodoxe de l'Eglise
russe.
XIV
« Certains pourront toutefois insister et dire que les
Ecritures et les Pères parlent toujours de Dieu comme du Grand Juge qui
récompensera ceux qui Lui ont obéi et punira les désobéissants au Jour du
Jugement (2 Tim., 4, 6-8). Comment devons-nous comprendre ce jugement si nous
interprétons les paroles de Dieu dans un sens divin plutôt qu'humain ? Qu'en
est-il du jugement de Dieu ?
Dieu est la Vérité et la Lumière. Le jugement de Dieu n'est rien d'autre que notre entrée en contact avec
la vérité et la lumière. Au Jour du Jugement, au Second Avènement, tous les
hommes paraîtront à nu devant la lumière pénétrante de la vérité. Les
livres seront ouverts. Que sont ces «livres» ? Ce sont nos cœurs. Nos cœurs
seront ouverts par la lumière pénétrante de Dieu, et ce qu'ils renferment sera
révélé. Les cœurs qui renferment l'amour de Dieu se réjouiront à la vue de Sa
lumière. Au contraire, ceux dont les cœurs renferment la haine de Dieu
souffriront en recevant dans leurs cœurs ouverts cette lumière pénétrante de la
vérité qu'ils auront détestée toute leur vie.
Ce ne sera donc pas une décision de Dieu, une récompense ou une
punition de Sa part, qui différenciera les hommes, mais ce qu'il y aura dans le
cœur de chacun ; ce que nos cœurs ont renfermé pendant toute notre vie sera
révélé au jour du Jugement. Si cette révélation comporte une récompense ou une
punition - et tel est le cas - cela ne viendra pas de Dieu mais de l'amour ou
de la haine qui règne dans notre cœur. Qui dit amour dit béatitude et qui dit
haine dit désespoir, amertume, peine, affliction, méchanceté, agitation,
confusion, obscurité et toutes les autres conditions intérieures qui composent
l'enfer (1 Cor., 4, 6).
La lumière de la Vérité, l'Energie divine, la grâce de Dieu, que
la corruption présente n'empêchera plus d'atteindre les hommes sans entraves au
jour du Jugement, sera la même pour tous. Il n'y aura aucune distinction. La
différence se trouvera tout entière dans ceux qui reçoivent et non dans Celui
qui donne. Le soleil brille sans distinction sur les yeux sains et sur les yeux
malades. L’œil sain apprécie la lumière qui lui permet de voir la beauté qui
l'entoure. Ceux dont l’œil est malade au contraire ressentent de la douleur,
sont blessés, souffrent et veulent se dérober à cette même lumière qui apporte
tant de joie à ceux qui ont les yeux en bon état.
Mais, hélas, il ne sera plus possible d'échapper à la lumière de Dieu.
Ce l'était pendant cette vie, mais dans la nouvelle Création de la
Résurrection, Dieu sera partout et en tout. Sa lumière et Son amour
embrasseront tout. Nul endroit ne sera caché de Dieu comme c'est le cas pendant
notre vie corrompue dans le royaume du prince de ce monde(40). Le diable sera
dépouillé de son royaume lors de la Résurrection générale et Dieu reprendra
possession de Sa création(41). L'Amour enveloppera tout de son feu sacré qui
jaillira comme un fleuve du trône de Dieu pour irriguer le paradis. Mais ce
même fleuve d'Amour suffoquera et brûlera ceux qui ont la haine dans le
cœur.
«Car notre Dieu est un feu consumant» (Héb. 12, 29). Le feu qui
purifie l'or, consume le bois. Les métaux précieux y brillent comme le soleil,
les déchets y brûlent avec une fumée noire. Tous sont dans le même feu de
l'Amour. Certains y brillent, d'autres deviennent noirs et sombres. Dans la
même fournaise, l'acier brille comme le soleil et l'argile noircit et devient
dur comme la pierre.
La différence est dans l'homme, non en Dieu. Elle provient du
libre choix de l'homme, que Dieu respecte absolument. Le jugement de Dieu est
la révélation de ce qu'il y a réellement dans l'homme. »
Le Père Marie-Dominique Philippe est un religieux français dominicain né à Cysoing (Nord) le 8 septembre 1912 et mort le 26 août 2006 au prieuré de Saint-Jodard (Loire), fondateur, en 1975, de la Communauté Saint Jean à Fribourg, puis des Sœurs contemplatives et des Sœurs apostoliques de
Saint-Jean. Il est un théologien reconnu.
15 août 2011
Voici l'opinion du Père Marie-Dominique Philippe op, à propos de
l'heure de la mort et du salut offert à tous les hommes, qui me semble - bien
qu'exprimée succinctement- tout à fait cohérente avec cette thèse.
Citation: |
Père M.-D.Philippe : « (...)
le Christ est mort pour tous les hommes, de sorte qu'il y a une unité avec le
Christ qui existe au-delà de la conscience des gens. Si je crois au Corps mystique,
je crois que Jésus porte tous les hommes. Alors les uns en ont
conscience, les autres beaucoup moins, certains pas du tout, et parfois
certains se révoltent. Et malgré cela, Jésus les porte, si bien qu'à un
moment donné la révolte tombera. » Question (F. Lenoir) : « Elle tombera peut-être après leur
mort ? » Réponse (Père M.-D.Philippe) : « Oui, ou au moment de
leur mort. Au moment de la mort il peut y avoir une grâce très particulière
d'amour. (...) » Les trois sagesses, Ed. Aletheia
/ Sarment editions du Jubilé, 1994, p. 281, Nihil obstat. |
Comme chez saint Thomas d’Aquin, il n’y a dans toute son œuvre que
cette seule phrase évoquant ce thème, comme une intuition évidente.
Un texte du pape Benoît XVI, présenté sous forme d’une simple mise
en perspective, semble indiquer la prise en compte par l’Eglise de cette
hypothèse théologique, celle d’une rencontre lumineuse avec le Christ (sans
plus de précision sur son moment) :
Benoît XVI, encyclique Spe salvi, 47 : « Certains théologiens
récents sont de l'avis que le feu qui brûle et en même temps sauve est le
Christ lui-même, le Juge et Sauveur. La
rencontre avec le Christ est l'acte décisif du Jugement. Devant son regard
s'évanouit toute fausseté. C'est la
rencontre avec Lui qui, nous brûlant, nous transforme et nous libère pour
nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées durant la vie
peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et s'écrouler. Mais dans la souffrance de cette rencontre,
où l'impur et le malsain de notre être nous apparaissent évidents, se
trouve le salut. Le regard du Christ, le battement de son cœur nous guérissent
grâce à une transformation certainement douloureuse, comme « par le feu. »
Cependant, c'est une heureuse souffrance, dans laquelle le saint pouvoir de son
amour nous pénètre comme une flamme, nous permettant à la fin d'être totalement
nous-mêmes et avec cela totalement de Dieu. Ainsi se rend évidente aussi la
compénétration de la justice et de la grâce: notre façon de vivre n'est pas
insignifiante, mais notre saleté ne nous tache pas éternellement, si du moins
nous sommes demeurés tendus vers le Christ, vers la vérité et vers l'amour. En
fin de compte, cette saleté a déjà été brûlée dans la Passion du Christ. Au
moment du Jugement, nous expérimentons et nous accueillons cette domination de
son amour sur tout le mal dans le monde et en nous. La souffrance de l'amour
devient notre salut et notre joie. Il est clair que la « durée » de cette
brûlure qui transforme, nous ne pouvons la calculer avec les mesures
chronométriques de ce monde. Le « moment
» transformant de cette rencontre échappe au chronométrage terrestre –
c'est le temps du cœur, le temps du « passage » à la communion avec Dieu dans
le Corps du Christ [39]. Le Jugement
de Dieu est espérance, aussi bien parce qu'il est justice que parce qu'il est
grâce. S'il était seulement grâce qui rend insignifiant tout ce qui est
terrestre, Dieu resterait pour nous un débiteur de la réponse à la question
concernant la justice – question décisive pour nous face à l'histoire et face à
Dieu lui-même. S'il était pure justice, il pourrait être à la fin pour nous
tous seulement un motif de peur. L'incarnation de Dieu dans le Christ a
tellement lié l'une à l'autre – justice et grâce – que la justice est établie
avec fermeté: nous attendons tous notre salut « dans la crainte de Dieu et en
tremblant » (Ph 2, 12). Malgré
cela, la grâce nous permet à tous d'espérer et d'aller pleins de confiance à la
rencontre du Juge que nous connaissons comme notre « avocat » (parakletos) (cf. 1 Jn 2, 1). »
COMMENTAIRE :
Quand le pape dit dans son encyclique : « Certains théologiens
soutiennent que la rencontre avec le Christ est un feu qui etc. » Il me conduit à m’interroger sur le nom de ces théologiens. Or,
de théologiens qui soutiennent ceci, à ma connaissance, il n'y en a que trois
(quatre avec moi). Ils sont sans autorité et peu reconnus (j’exclus Mgr Glorieux (XIX° s) et Ladislas Boros (1950) qui parlent
d’une rencontre avec le Christ APRÈS la mort, une fois débarrassé du corps. Le
Cardinal Ratzinger, futur pape Benoît XVI, dans son livre sur l’eschatologie[276] condamne leur thèse et il a raison) :
1° Mgr d’Hulst au XIXème
siècle dans un texte de dix lignes encore peu précis, qui évoque plutôt une grâce
métaphysique, qui touche au sens profond) venant du Christ : « Il y a une apparition (je prends ce mot
dans le sens métaphysique et le plus large), une apparition de Jésus. »
2° le Père
François-Xavier Durwell sj vers 1990. Je l'ai rencontré. Mais il parle d’une « grâce de lumière » et nie formellement
comme "mythologique" une rencontre avec l’humanité du Christ
glorieux.
3° Jean Daujat dans un
petit texte écrit en 1990 où il évoque «
à l'instant même de la mort est un instant de lucidité total ». Il ne parle
pas directement de cette rencontre.
J'ignore s'il existe
des théologiens germanophones.
Donc le fait que le
pape cite ces quelques théologiens me frappe. Cela veut dire que, au delà du
peu de nombre de théologiens et de leur peu d'autorité dans l'Eglise, cette
thèse avance et entre avec cette encyclique (c’est un premier pas) comme une
hypothèse pour le Magistère...
Il faut remarquer que la recherche initiée ici par
le pape était nécessaire. En effet, la synthèse scolastique de saint Augustin puis de saint Thomas d’Aquin,
ne tenant pas compte de ce dogme inconnu d’eux : « Dieu propose explicitement (et en cette vie donc) l'entrée dans la
grâce sanctifiante », ne peut plus être gardée sur ce point du salut
ultime. En effet, constatant que les enfants non-baptisés meurent en état de
mort spirituelle (ainsi que les païens ou les pécheurs chrétiens surpris avant
le repentir), ils sont contraints d'admettre leur séparation éternelle d'avec
Dieu. Il faut donc que les théologiens
cherchent une nouvelle synthèse intégrant ce troisième dogme.
Ce texte du pape fait
référence à un purgatoire. La
rencontre avec le Christ, dit le pape, provoque purification du cœur de ceux
qui, à sa vue, l'aiment. Pourtant, il ne s'agit pas des purgatoires jusqu'ici
enseignés par les saints.
- Ce n'est pas le
purgatoire de cette terre (AVANT LA MORT) où le Christ, par définition, se
cache.
- Ce ne sont pas les
trois purgatoires de sainte Catherine de Gênes qui sont efficaces du fait d'un
temps de grande solitude APRÈS LA MORT.
- C'est autre chose.
C'est une rencontre lumineuse, douloureuse et joyeuse à la fois, où beaucoup
changent leur cœur. De cette rencontre sort le jugement individuel et
définitif.
MON AVIS:
Si on est fidèle aux
trois dogmes cités plus haut, cela ne se passe ni dans ce monde, ni après la
mort.... Mon opinion est que cela se passe « DANS LE PASSAGE DE LA MORT », à la fin de cette vie.
Et cela oblige à repenser
la notion de mort qui, chez saint Thomas, est instantanée et ne laisse place à
rien. C'est uniquement chez sainte Faustine, chez Marthe Robin, que la mort
devient, comme dans la Bible, un "passage" qui dure et laisse place à
une rencontre.
Enfin, il faut remarquer que le pape, dans le passage cité, assortit sa pensée de cette
réserve explicite : « (…) Ainsi se rend
évidente aussi la compénétration de la justice et de la grâce: notre façon de
vivre n'est pas insignifiante, mais notre saleté ne nous tache pas éternellement, SI du moins nous
sommes demeurés tendus vers le Christ, vers la vérité et vers l'amour. »
Ne doit-on pas voir là l’indication de ce
que la question examinée ne concerne que ceux qui n’ont pas rompu l’amitié avec
Dieu par la perte de la grâce sanctifiante ?
C’est vrai. Ce
n'est donc pas ce texte mais ma thèse qui étend cette rencontre à tous les
hommes sans exception, à cause du dogme cité en Gaudium et Spes 22, 5. Le pape ne va pas jusque là. Il faut dire
que, comme il le remarque, il s'agit de l'avis de « certains théologiens récents. »
Une dernière
remarque: le ton du pape indique qu’il s’agit pour lui d'une HYPOTHÈSE. Il n’y
a rien de dogmatique, bien que ce soit dans une encyclique théologique.
https://www.youtube.com/watch?v=HeMKgreHUjI&lc=UgxFrmowg20U_oAjywh4AaABAg.9KWRs7RWMq39L0kawHSpub
Johan Villon
m’écrit : « Je me suis permis de contacter « l‘Institut Pape Benoît
XVI » qui se trouve dans ma ville de Ratisbonne, ville très liée au Pape
puisqu’il y a enseigné à l’université pendant de nombreuses années. Cet
Institut, fondé sur demande du Pape par Mgr Gerhard Ludwig Müller, a été
inauguré en 2008 et a été chargé de gérer toutes œuvres du Pape, qu’elles
soient publiées ou inédites. Le Directeur actuel n’est autre que le successeur
du Cardinal Müller à Ratisbonne, à savoir Mgr
Rudolf Voderholzer.
Donc voilà la
réponse de l’Institut à ma demande concernant l’interprétation de Spe Salvi,
passage 47. Vous pouvez partir du principe que le Pape Benoît XVI considère le Catéchisme
et son contenu, rédigé avec sa participation, comme étant fiable pour toute la
Doctrine de la Foi.
Le Chapitre 47 de « Spe salvi » ne
traite pas d’une possibilité de choix de l’homme entre Ciel et Terre, mais du
rôle purificateur du Jugement à travers le Christ en miséricorde et justice. La
liberté de l’homme de refuser Dieu, et par ce choix de le renier, ce qui dans
son cas signifie l’Enfer, ne sera pas supprimé lors de la rencontre avec le
Christ lors du Jugement.
« Je vous
laisse le passage en Allemand au cas où vous voudriez le traduire par
vous-même ».
« sie können natürlich davon ausgehen, dass P. Benedikt XVI. den von ihm mit erarbeiteten Katechismus in seinem Inhalt als zuverlässig für die ganze Glaubenslehre sieht. Kap. 47 von „Spe salvi“ behandelt nicht eine aktive Wahlmöglichkeit des Menschen zwischen Himmel und Erde, sondern die läuternde Funktion des Richtens durch Christus in Gnade und Gerechtigkeit. Die Freiheit des Menschen, sich gegen Gott zu entscheiden, und damit ihn zu „nichten“, was dann die Hölle für ihn bedeutet, wird in dieser Begegnung Christi im Gericht nicht aufgehoben ».
COMMENTAIRE :
Ce mot porte en
lui deux propositions :
1° "Le Chapitre 47 de « Spe salvi » ne
traite pas d’une possibilité de choix de l’homme ENTRE LE CIEL ET LA
TERRE".
Commentaire :
C'est évident : L'homme est dans le passage de la mort. Il n'est pas là pour
revenir vivre sur terre.
2° "LA LIBERTE DE L'HOMME DE REFUSER
DIEU, et par CE CHOIX de le renier, ce qui dans son cas signifie l’ENFER, ne
sera pas supprimé lors de la rencontre avec le Christ lors du Jugement"
Commentaire :
Bref, l'homme
peut refuser Dieu lors de la rencontre avec le Christ au moment du Jugement. Il
peut choisir l'enfer.
La scolastique
classique ne peut pas aimer. "CHOISIR
DE REFUSER DIEU CE QUI SIGNIFIE L'ENFER ? » Pour la scolastique, Dieu
ne laisse aucun choix. Il met dans la damnation éternelle tous ceux qui
arrivent au jugement sans la grâcee (enfants morts sans baptême, gens morts
païens, pécheurs faibles surpris par la mort avant de s'être confessé, et
grands pécheurs lucides)".
Mgr Rudolf
Voderholzer va plus loin que moi. Je dis que le choix est fait AVANT LE
JUGEMENT (DANS LE PASSAGE DE LA MORT),
face au Christ et que, lors du jugement (APRES
LA MORT), personne ne change plus de choix. Le Christ juge ratifie selon
les deux états des hommes morts (blasphème libre contre l'Esprit / Conversion
au Christ)
En 2011, dans
son livre livre : « Lumière du monde
; le pape, l'Eglise et les signes des temps » (Entretien
Avec Peter Seewald), le pape Benoît XVI répond à la question suivante :
« La notion de tribunal, lors du jugement dernier, est-elle
symbolique ?
Il répond : « bien sûr que non ! C’est
bel et bien un jugement dernier qui aura lieu ici. Disons que l'avant-dernier
jugement a déjà lieu au cours de la mort. Le grand sénario que
dessine surtout Mathieu 25, avec les brebis et les bouc, est un scénario de
l’inconcévable ».
Cette
expression est hélas trop courte et trop orale. Mais il est interessant de la
noter.
En mai 2011,
lors d’une adresse télévisée à la télévision italienne, une auditrice pose la
question suivante :
«
Sainteté, Dans le Credo, on dit que
Jésus est descendu aux enfers après sa mort. Pouvons-nous penser que nous le
verrons nous-aussi après la mort et avant de monter au Ciel ?
Benoît
XVI : « Tout d’abord, cette descente de l’âme de Jésus aux enfers ne
doit pas être imaginée comme un voyage géographique local. C’est un voyage de
l’âme. Nous ne devons pas oublier que l’âme de Jésus touche toujours le Père
mais que, en même temps, cette âme humaine touche jusqu’aux dernières frontières
de l’être humain. C’est pourquoi elle va en profondeur vers tous les égarées,
vers tous ceux qui ne sont pas arrivés au but de leur vie, et jusqu’aux hommes
du passé. Cette descente de Jésus aux enfers indique que même le passé est
rejoint par Jésus. Il embrasse le passé et tous les hommes de tous les temps.
Les Pères disent avec une image très belle que Jésus prend Adam et Eve par la
main, c'est-à-dire l’humanité et la guide vers le haut. Il crée ainsi l’accès à
Dieu parce que l’homme ne peut atteindre la hauteur de Dieu par lui-même. Il
prend l’homme par la main et ouvre ainsi l’accès au Ciel. C’est pourquoi cette
descente de Jésus aux enfers, c’est-à-dire dans les profondeurs de l’être
humain, dans les profondeurs du passé de l’humanité, vers les hommes du passé
est une partie essentielle de sa mission de rédempteur.
Cette
descente de Jésus aux enfers des anciens ne s’applique pas à nous. Notre vie
est différente. Nous avons déjà été racheté par le Seigneur. Pourtant nous
verrons le visage du juge, de Jésus, à l’heure de notre mort. Et son regard
sera purifiant car je pense que tous, plus ou moins, nous avons besoin de
purification. Cette purification venant de son regard nous purifiera d’abord
puis nous rendra capable de vivre avec Dieu et avec les saints, mais aussi en
communion avec les personnes que nous aimons et qui nous ont précédé. »
Benoît XVI
semble prendre fait et cause personnellement cette fois pour ce qu'il
présentait en 2007 comme une simple hypothèse de théologiens récents dans Spe
Salvi 47.
La thèse centrale qu'il m'a semblé
développer est que l'Occident n'a plus de théologie
de la valeur salvifique de la passion
du Christ depuis l'abandon des notions post-Augustiniennes de Substitution et
de Satisfaction.
En quoi fallait-il que le fils de
Dieu souffrit cette mort-là pour que nous soyons sauvés ?, lui semble être la
question sans réponse pour les hommes de ce temps, actuellement.
Pour ceux qui ne connaitraient pas
ces notions qui furent officiellement enseignées pendant des siècles : elles
consistent à présenter le Père comme si atrocement offensé par la faute de nos
premiers parents qu'aucune expiation par aucun être humain ne pouvait apaiser
sa colère infinie. Il fallait donc que son fils ( Substitution ) souffrit sa
passion pour satisfaire à l'infini de l'offense des péchés humains et
rétablir ainsi l'honneur de Dieu.
On a donc présenté un Père
Tortionnaire de son fils en proie à une passion Humaine (la colère), juge
sévère et impitoyable. Autrement dit, on a présenté un Dieu qu'il est
impossible d'aimer mais seulement de craindre ou d'être térrorisé par Lui.
Or, nous dit François Brune, il faut
sortir de toute urgence de cette théologie-là, car le Vrai sens de la passion
du Christ est de le rendre capable de rencontrer tout être humain pendant
sa Mort qu'elle soit violente, atrocement douloureuse, infamante et humiliante
comme a été au plus haut degré la crucifixion du Seigneur, ou qu'elle ait été
douce, préparée et pacifiée par un cheminement et un accompagnement, comme
certains ont la chance de la vivre.
Sans sa passion, le Christ n'aurait
pas été capable de rencontrer tout humain au moment de sa mort et tel me semble
bien être la théologie qui pourrait remplacer celle mortifère des siècles
passés de L'occident.
Tout
Mourant est en effet configuré à la croix et à la passion du Seigneur, en la
solitude du passage, sa douleur, son caractère terrorisant et sa déréliction que
Le Seigneur lui même a éprouvée lorqu'il a crié : " Pourquoi m'as tu
abandonné?".
Et c'est en cela même qu'il rejoint
le profond abandon où tout humain se pense dans ce moment décisif pour le
rejoindre de tout son amour infini.
L'évangile qui met bien cela en
évidence est celui du Bon Larron. Car le Bon Larron, c'est chacun d'entre nous
au moment de l'humilation et de la nudité de la mort. Et c'est parceque le
Christ est passé par là qu'il peut rejoindre chacun d'entre nous, et certainement
pas pour satisfaire à la colère infinie de son Père, ce qui est
blasphématoire.
Ainsi cette thèse de la venue du
christ à l’heure de la mort est un mouvement théologique profond, peut être encore
au millieu du gué qui va d'un Dieu qui terrorise et qu'on ne peut pas aimer
vers un Dieu qui a tout donné et par l'amour duquel on est irrésistiblement
sauvé, sauf à refuser le moyen qu'il a choisi pour nous sauver : la volonté de
de pas être roi et d'être humilié, discrédité, diffamé, assassiné, torturé et
avili. C'est seulement si on méprise cela qu'on ne peut pas être sauvé comme en
font preuve les chefs, le Peuple et les soldats, dans cette cécité contagieuse
du péché collectif, et comme en fait preuve aussi le mauvais Larron.
L’intuition centrale du père Gallez est que l’heure de la mort est
une petite fin du monde et implique, comme pour la fin du monde, une rencontre
avec le Christ.
Au cours de son argumentation il écrit : « Il apparaît ainsi que
l’augustinisme a contribué à détourner la réflexion théologique du sens
biblique de l’histoire. Le noeud du changement se situe dans le basculement opéré
par st Augustin (dans La Cité de Dieu) qui reporte le temps de la millénie à
celui de l’Eglise, ce qui réduit les trois étapes de l’histoire à deux : il n’a
pas compris que la manifestation glorieuse –la Parousie – et l’entrée de la
création dans la gloire étaient deux étapes différentes et nécessaires toutes
les deux. Un parallèle doit d’ailleurs être fait avec le domaine de «
l’eschatologie » personnelle où il opère un basculement semblable : il réduit
les trois étapes (vie terrestre, cheminement après la mort, Eternité) à deux
(vie terrestre, Eternité). Il enlève
toute consistance à la Rencontre-Jugement avec le Christ dans le mystère de la
mort – en quelque sorte une Parousie personnelle – en reportant son contenu sur
la vie présente, spécialement au moment de son terme (le dernier soupir). C’est
de là que vient l’idée insensée que les dernières pensées avant de « rendre
l’âme » détermineront le lieu où l’on sera (Dieu sait comment !) quelques
instants plus tard : au ciel, au purgatoire ou en enfer. »
|
On lit à la page 180 : « Les
âmes m'ont dit que chacun a la même possibilité, à sa mort, de dire
"oui" au dernier moment. Que ce soit une lente maladie qui les
emporte ou une balle qui leur traverse la cervelle, tous disposent des mêmes deux ou trois minutes pour dire "oui
" à Dieu. »[280]
« Le moment viendra où
chaque personne sur la terre pourra voir l’état de son âme. Et beaucoup
mourront de saisissement. C’est la même
chose que ce qui arrive à l’heure de la mort mais alors tous le verront en même
temps. C’est le moment où le Christ viendra juger les vivants et les morts.
Nous n’avons pas de raisons de craindre cet avertissement sauf si nous sommes
loin de Dieu et chargés de péchés. Si nous nous efforçons de lui être fidèle,
nous n’avons aucune crainte à avoir. En un mot, ceux qui prient seront en
sécurité et la miséricorde de Dieu vient toujours avant sa justice ».[281]
Une italienne, Mirella Pizzioli, semble avoir reçu le charisme de
recevoir des messages de l’au-delà. Les messages visent souvent les familles en
deuil. "Le ciel est ouvert au-dessus
de moi, dit-elle, la mort n'existe
pas, je les vois, j'entends leurs voix, ils sont vivants, ils nous tendent les
bras, nous sourient…"
Ces révélations privées sont intéressantes en ce sens qu’elles
parlent de ce qui se passe dans les instants de la mort et semblent confirmer
point par point ce que cette thèse s’efforce de poser : la mort est un
passage qui peut durer, les morts gardent leur vie sensible, le Christ, des
morts et des anges leur apparaissent, les mourants y font un choix.
Voici des extraits d'un entretien de C. Parmantier tirés de
plusieurs articles du journal « STELLA MARIS » (2011).
« (...) J'ai assisté
une autre femme âgée, de la famille de mon mari. On a dû lui mettre les
barrières de protection, parce qu'en agonie, elle tombait du lit. Et quand elle est partie, les créatures du Ciel m'ont dit
que cette personne est au purgatoire et que sa faute, c'était son grand égoïsme
et son attachement à l’argent. J'ai dit quelques mots à sa famille, mais ils se
sont offensés, disant qu'il n'était pas possible que cette femme de 80 ans
puisse être au purgatoire, parce que son purgatoire, elle l'avait déjà fait sur
la terre.
- Que doit faire la famille quand arrive l'agonie ?
« Elle doit prier,
prier, demander pardon au Seigneur pour cette créature. Si elle est catholique,
elle doit demander le prêtre pour le sacrement des malades et l'inviter
doucement à se confesser. Et si on n'y réussit pas, nous, prions pour elle. Si elle
n'accepte pas, on prie discrètement pour elle; il suffit d'aller dans le
couloir, et de dire : "Seigneur, miséricorde pour cette personne !",
parce que la miséricorde que le Seigneur a pour cette personne, un jour, il
l'aura pour nous qui l'avons imploré pour les autres.
- Pour un agonisant, la prière des proches est donc très
importante. Libère-t-elle le moribond plus vite ?
« Je pense que oui. Mais,
de toute façon, le Seigneur a pitié de cette créature, même si personne ne prie
pour elle. Mais, si nous mettons en acte notre foi, nous avons, nous, un
bénéfice, qui est toujours réciproque. Dans les messages que je reçois, selon
ce que disent les créatures de leur
passage, c'est un moment sans douleurs. Très souvent, elles disent qu'au
moment de partir, elles se sentent comme quand elles étaient petites, serrées
dans les bras de la maman.
« Arrivées au moment de « la mort », - elles ne disent jamais
« la mort »; la mort, pour elles, a un autre sens, pas celui-ci -, après la souffrance, après l'immense lassitude, l'épuisement
physique au point de n'en plus pouvoir, alors, elles éprouvent la sensation de
rêver, de se sentir si bien, qu'elles sont convaincues de rêver. Et dans ce
rêve conscient, elles se disent: « Je ne veux pas ouvrir les yeux », parce cela
faisait longtemps qu'elles ne se sentaient pas aussi bien. Elles goûtent la
paix en elles-mêmes. Elles ne ressentent plus les douleurs, elles n'entendent
plus le bruit. Et elles craignent d'ouvrir les yeux, parce que, après ce temps
de souffrances, elles vivent une sensation si belle, qu'elles ont peur, en
ouvrant les yeux, de se retrouver malades à l'hôpital.
« Et à l'improviste, il
arrive toujours quelque chose. Ou elles s'entendent appeler, ou elles sont
comme obligées d'ouvrir les yeux. Au moment où il y a cette ouverture, elles
s'aperçoivent que quelque chose est arrivé. Certaines disent qu'elles se sont
senties planer, comme une plume qui flotte dans l'air, comme quelque chose qui
se balance, mais toujours quelque chose de très agréable.
« La mort, telle que
nous en parlons, ne comporte pas de souffrances. C'est un moment de grâce, c'est un moment de tendresse.
« Et alors, il y a le
contact avec l'autre réalité. Dès qu'elles ouvrent les yeux, elles se rendent
compte immédiatement qu'elles sont « mortes », de l'autre côté... que c'est une
autre situation où elles n'ont plus rien à faire avec la terre.
La terre, elle est fermée !
Et là, pour certains, c'est la terreur, pour d'autres la joie. Quand l'âme est
détachée du corps, elle acquiert la connaissance immédiatement et opère un
certain retour, une réflexion profonde sur ce qu'a été sa vie. Sereine et en
paix, elle éprouve la sensation d'être arrivée : "Il n'y a plus de
problèmes".
« Elle veut affronter
avec courage la purification qui reste nécessaire.
« Pour les créatures
qui ont vécu de manière indifférente vis-à-vis de Dieu, ou sans le connaître,
celles qui n'ont pas réfléchi, qui n'ont
pas encore choisi, lorsqu'elles se trouvent sur le seuil de la Porte, le Seigneur leur donne l'opportunité de
comprendre, de voir, d'entendre. Et alors elles se décident à dire oui ou non à
Dieu.
Le plus grand nombre, au
moment du détachement, se convertit, demande pardon et est sauvé. Mais il y a des personnes qui malgré tout ne le veulent
pas.
« Si je pouvais vous
raconter tous les messages, reçus ici, dans ce sous-sol, ce serait plein
d'écrits, des piles de paquets! Bien que ce soit la même chose, chacun a une
sensation différente. Chaque personne est différente d'une autre, différente
dans sa vie sur la terre, différente dans sa préparation...
« C'est merveilleux, vu
que chacun vit ce moment d'une manière qui lui est propre. Mais au fond, à ce
moment-là, c'est toujours un réveil; la créature comprend immédiatement sa
situation, avec une très grande lucidité.
Personne ne dit : "Mais qu'est-ce que je fais là, où suis-je ?" Non,
chacun sait ce qu'il lui est arrivé.
« Pour certains, j'ai
l'impression qu'ils se retournent comme s'ils voulaient revenir en arrière,
s'échapper de là. Mais c'est impossible. Ceux qui meurent dans la violence,
ceux qui se suicident, qui partent immédiatement dans un accident de la
route... et se mettent presque en colère. Ceux qui se suicident, c'est presque
de la folie. Ils veulent revenir en arrière, parce qu'ils se disent: "Mais
qu'est-ce que j'ai fait ? Je n'ai rien compris ! " C'est vraiment la
perception immédiate de ce qu'ils ont fait.
« Beaucoup, dans les accidents de la route, restent sur le
lieu même des jours durant; je les vois assis sur le trottoir. Et souvent, quand il y a un accident, un autre survient au même
endroit... Elles me parlent de la
lumière, mais pas de tunnels. Elles parlent seulement de leur totale
lucidité à comprendre où elles sont.
« Très souvent si c'est un fils, Dieu envoie la maman qui s'approche pour consoler. En voyant une maman, on n'a pas
peur.
« Si c'est une personne
qui a déjà l'habitude de vivre en Dieu, la sainteté se reflète, et c'est la rencontre
proprement dite. Mais je crois que c'est une action immédiate, aussi bien l'une
que l'autre, parce qu'il n'est plus question de temps (puisqu'il n'y a plus de
matière, il n'y a plus de lieu ni de temps).
« Pour des garçons qui s'en
vont dans les accidents de la route, d'autres garçons qui sont déjà au Ciel
viennent parler avec cette créature. Et voyant des jeunes, ils se
tranquillisent entre eux. Ils plaisantent entre eux; je les vois, avec les
jeans, les chaussures de sport toutes défaites, ils rient ; puis la personne
qui est morte à ce moment, si elle est jeune, très souvent donne des coups de
pied à la voiture ! Elle est comme en colère après la voiture. Et puis, elle se dit: «C'est ma faute, parce que j'allais
trop vite, je savais que je ne devais pas le faire, c'est de ma faute». (...)
« Les créatures voient leur corps, et elles ne se plaisent jamais! Quand elles se regardent de
l'extérieur de leur corps, c'est comme d'enlever un vêtement sale, déchiré...
Elles n'ont aucune nostalgie du corps. C'est même un plaisir de se détacher de
quelque chose qui a fait souffrir. "C'était si pesant", disent-elles.
Certaines m'ont avoué avoir bien ri, malgré le déplaisir de voir leurs parents
les pleurer. L'âme est dans la joie. (...)
« Les âmes n'oublient
rien de la terre, elles se souviennent de tout.
« Dans tous les cas,
elles viennent nous enseigner à ne pas faire les mêmes erreurs qu'elles ont
faites, elles : "Si je n'avais pas fait ceci..." Elles demandent
pardon si elles n'ont pas su aimer, elles se repentent de ne pas avoir enseigné
l'amour à leurs enfants, de ne pas leur avoir appris à embrasser, à
s'embrasser.
« Elles disent toutes
une chose : "Jamais plus sur la terre ! Si le Seigneur me demandait un tel
sacrifice, je le ferais pour lui, mais, moi, de ma propre volonté, jamais plus
sur la terre !" Mais le Seigneur ne le demande pas.
« Les âmes s'en
souviennent de la mort comme d'un moment très doux, le moment le plus
important; elles l'appellent la renaissance. C'est pourquoi elles ne fêtent pas
le jour de leur anniversaire, mais le jour de leur départ de la terre.
(...). »
La mort imminente et l'histoire de Thespesios qui
commence ainsi, nous est contée par Plutarque, penseur grec de la Rome
antique, qui vécut de 46 ap. JC. jusque 125 ap. JC.
« Au moment où je perdis connaissance, j’eus l’impression de
tomber dans un gouffre, d’être un marin que la mer aurait englouti. Puis je me
relevai et je constatai que je respirais parfaitement et que je
pouvais voir de tous les côtés à la fois, mon âme s’étant ouverte comme si elle
constituait un seul œil. J’apercevais des astres d’une grandeur prodigieuse qui
jetaient des feux éblouissants et colorés. Ces astres étaient séparés par des
intervalles immenses. Portée sur cet océan de lumière comme un navire sur des
eaux calmes, mon âme voguait avec légèreté et se rendait là où la portait
son désir avec une extrême vitesse. On pouvait en voir d’autres, au
sommet du cosmos, brillantes, se rapprochant par amour les unes des autres et
s’éloignant de ces âmes troublées. Elles marquaient, me semblait-il, un sentiment
désagréable par un resserrement sur elles-mêmes, et par une expansion un
sentiment agréable et doux. Une de ces âmes s’approcha de moi et me dit
: « Bonjour, Thespesios ! » C’était un de mes
parents, j’eus de la peine à le reconnaître, car il était mort pendant mon
enfance. « Tu n’es pas mort,
m’assura-t-il, mais par une volonté particulière des dieux tu es venu ici avec
ta conscience. Tu as laissé le reste de tes facultés comme une ancre dans ton
corps. La preuve que je t’en donne, c’est que les âmes des morts ne projettent
pas d’ombre et que leurs yeux ne cillent pas ». Entendant
cela, je me mis à réfléchir davantage, et je vis qu’une certaine ligne obscure
et ombreuse était attachée à moi-même, tandis que les autres âmes étaient
rayonnantes et transparentes, mais pas toutes de la même manière : les unes,
comme le clair de lune le plus pur, irradiaient une couleur unique, continue et
régulière. D’autres étaient traversées de mouchetures, d’autres étaient tout à
fait bigarrées et d’aspect étrange, comme les serpents tachetés de noir,
d’autres présentaient comme de larges meurtrissures. “ “ Celui qui, de la
terre, arrive ici sans être purifié est saisi par Diké, la Justice, qui
montre son âme toute nue, n’ayant rien pour dissimuler et envelopper ses vices.
Elle est vue de tous les côtés par tous dans sa totalité. Diké la montre
d’abord, dégoûtante et indigne, à ses parents, s’ils sont gens de bien. Si les
parents sont mauvais, l’âme voit les supplices de ces derniers, qui voient les
siens et elle est châtiée longtemps. Diké enlève à chacun ses fautes par ses
douleurs et ses supplices, qui dépassent en intensité et en violence ceux de la
chair, dans la mesure où la réalité est plus énergique que le rêve. Les
cicatrices et les meurtrissures provenant des passions subsistent plus ou moins
longtemps selon les êtres. “Vois, me dit mon parent, les couleurs
bigarrées et variées des âmes. La couleur sombre et sale est le revêtement de
la bassesse et de la cupidité, la couleur rouge et enflammée, le revêtement de
la cruauté et de la dureté. Là où se trouve une teinte verte, là se trouve
l’intempérance dans les plaisirs qui ne s’arrache qu’avec peine. La
malveillance, accompagnée d’envie, émet une teinte rouillée et malsaine comme
les seiches émettent leur couleur noire.
« Là-bas, la malice de l’âme, tourmentée par les passions et
tourmentant à son tour le corps, donne ces couleurs. Ici, c’est l’achèvement de
la purification et du châtiment, et l’âme devient complètement brillante et de
couleur unie.
Jusqu’à ce que cela se produise, il arrive quelques retours de
passion qui amènent des agitations et des crises ; pour quelques-uns ces crises
sont obscures et rapidement étouffées, pour d’autres, elles durent avec
violence. Certaines âmes, à force d’être châtiées, reprennent l’ordre et l’état
convenables. Pour les autres, leur ignorance et leur luxure les obligent à
retomber dans le corps d’êtres organisés.
En effet, d’une part la faiblesse de raisonnement et l’incapacité
de réfléchir les portent activement vers la génération ; d’autre part, ayant
besoin d’un instrument pour leurs débauches, elles désirent coudre ensemble
passions et jouissances et les exciter au moyen d’un corps. Car ici elles ne
sont qu’une ombre incomplète et un rêve qui ne connaît pas l’accomplissement.
[…] »
« Plus loin, traversant un séjour de clarté, j’entendis au
passage la voix aiguë d’une femme qui parlait en vers et prédisait
l’avenir. Un Génie me dit que c’était la voix de la sibylle qui
gravitait dans l’orbite de la lune. Elle m’annonça le temps auquel je devrais
mourir pour de bon. J’aurais bien voulu en entendre davantage, mais je fus
repoussé par un tourbillon. »
Plutarque nous apprend que Thespésios effectue alors une
volte-face, un revirement :
« Un revirement
incroyable dans son mode de vie, car les Ciliciens ne connaissent pas d’homme
qui ait davantage respecté la justice dans ses engagements parmi ses
contemporains, ni été plus pieux envers la divinité, ni plus fâcheux pour ses
ennemis ou plus sûr pour ses amis. Aussi ceux qui le fréquentaient voulurent-ils
apprendre la cause de cette différence de comportement, se disant qu’une
réforme si complète de son caractère ne pouvait être l’effet du hasard — et
c’était bien la vérité, comme lui-même le raconta à Protogène et à d’autres
amis tout aussi respectables. »
Il rapporte la vision de Cléonyme qui raconte que son âme, « dégagée »
de son corps, s'est élevée au point d'avoir une vision du monde en dessous
d'elle :
« Cléonyme d'Athènes, …
navré de douleur à la mort d'un de ses amis, perdit cœur, s'évanouit. Ayant été
cru mort, il fut, le troisième jour, exposé selon la coutume. Or, comme sa mère
l'embrassait…, elle perçut un léger souffle. Cléonyme reprend peu à peu ses
sens, se réveille et raconte tout ce qu'il avait vu et entendu après qu'il
avait été hors du corps. Il lui avait paru que son âme, au moment de la mort,
s'était dégagée, comme de certains liens, du corps gisant à côté d'elle,
s'était élevée vers les hauteurs et, ainsi élevée au-dessus du sol, avait vu
sur la terre des lieux infiniment variés quant à l'aspect et aux couleurs, et
des courants fluviaux invisibles aux humains. Elle était parvenue enfin à un
certain espace consacré à Hestia [Vesta des Romains : divinité gardienne
du foyer], que fréquentaient des Puissances démoniques sous la forme de femmes
d'une beauté indescriptible… »
Karl-Gustav JUNG (1875 - 1961) lorsqu'il fut hospitalisé à la
suite d'une crise cardiaque, au début de l'année 1944 fit la description dans
son autobiographie d'une NDE.
« (...) Les images avaient une telle violence que j'en conclus moi-même
que j'étais tout près de mourir. Mon infirmière me dit plus tard : « Vous étiez
comme entouré d'un halo lumineux ! » C'est un phénomène qu'elle avait parfois
observé chez les mourants (...)
Je croyais être très haut dans l'espace cosmique. Bien loin
au-dessous de moi, j'apercevais la sphère terrestre baignée d'une merveilleuse
lumière bleue (...) Évidemment je voyais aussi les sommets enneigés de
l'Himalaya, mais tout y était brumeux et nuageux (...) Je savais que j'étais en
train de quitter la terre. (...) Le spectacle de la terre vue de cette hauteur
était ce que j'ai vécu de plus merveilleux et de plus féerique.
(...) Quelque chose de nouveau entra dans mon champ visuel. À une
faible distance, j'aperçus dans l'espace un énorme bloc de pierre, sombre comme
un météorite, à peu près de la grosseur d'une maison, peut-être même plus gros.
La pierre planait dans l'univers et je planais moi-même dans l'espace.
J'ai vu des pierres semblables sur la côte du Bengale (...). Ma
pierre était aussi un de ces sombres et gigantesques blocs. Une entrée donnait
accès à un petit vestibule ; à droite, sur un banc de pierre, un indien à la
peau basanée était assis dans la position du lotus, complètement détendu, en
repos parfait ; il portait un vêtement blanc. Ainsi, sans mot dire, il
m'attendait. Deux marches conduisaient à ce vestibule ; à l'intérieur, à
gauche, s'ouvrait le portail du temple (...)
Quand je m'approchai des marches par lesquelles on accédait au
rocher, je ressentis une très étrange impression : tout ce qui avait été
jusqu'alors s'éloignait de moi. Tout ce que je croyais, désirais ou pensais,
toute la fantasmagorie de l'existence terrestre se détachait de moi ou m'était
arrachée ; processus douloureux à l'extrême. Cependant quelque chose en
subsistait, car il me semblait avoir alors, près de moi, tout ce que j'avais
vécu ou fait, tout ce qui s'était déroulé autour de moi. Je pourrais tout aussi
bien dire : c'était près de moi et j'étais cela ; tout cela en quelque sorte me
composait. J'étais fait de mon histoire et j'avais la certitude que c'était
bien moi. (...) Cet événement me donna l'impression d'une extrême pauvreté,
mais en même temps d'une extrême satisfaction. Je n'avais plus rien à vouloir,
ni à désirer ; j'étais pourrait-on dire, objectif, j'étais ce que j'avais vécu.
(...) Plus aucun regret que quelque chose fût parti ou enlevé. Au contraire :
j'avais tout ce que j'étais et je n'avais que cela.
J'eus encore une autre préoccupation : tandis que je m'approchais
du temple, j'avais la certitude d'arriver dans un lieu éclairé et d'y
rencontrer le groupe d'humains auquel j'appartiens en réalité. Là je
comprendrais enfin, cela aussi était pour moi une certitude, dans quelle
relation historique je me rangeais, moi ou ma vie. Je saurais ce qui était
avant moi, pourquoi j'étais devenu ce que je suis et vers quoi ma vie continuerait
à s'écouler...
Tandis que je méditais sur tout cela, un fait capta mon attention
: d'en bas, venant de l'Europe, une image s'éleva : c'était mon médecin, ou
plutôt son image, encadrée d'une chaîne d'or ou d'une couronne dorée de
lauriers. Je me dis aussitôt : « Tiens ! C’est le médecin qui m'a traité !
"
Dans une vie antérieure il aurait été le roi de cette île où l'on
avait érigé un temple en hommage à Esculape, dieu romain de la médecine, mais
aussi lieu de naissance d'Hippocrate, modèle de l'éthique médicale. »
Jung poursuit :
« Quand il fut arrivé devant moi, planant comme une image née des
profondeurs, il se produisit entre nous une silencieuse transmission de
pensées. Mon médecin avait été en effet délégué par la terre pour m'apporter un
message : on y protestait contre mon départ. Je n'avais pas le droit de quitter
la terre et devais y retourner. Au moment où je perçus ce message, la vision
disparu.
J'étais déçu à l'extrême ; maintenant tout semblait avoir été en
vain. Le douloureux processus de "l'effeuillement" avait été inutile
: il ne m'était pas permis d'entrer dans le temple ni de rencontrer les hommes
parmi lesquels j'avais ma place. (...) En réalité, il se passa encore trois
bonnes semaines avant que je pusse me décider à revivre, je ne pouvais pas me
nourrir, j'éprouvais du dégoût pour tous les mets. »
Par la suite, le compte rendu relate la déception de Jung d'être
revenu à la vie, « La vie et le monde entier m'apparaissaient
comme une prison... », avant de s'achever sur une funeste prémonition :
Je ressentais de la résistance face à mon médecin parce qu'il
m'avait ramené à la vie. Par ailleurs, j'éprouvais du souci à son sujet : « Par
Dieu, il est menacé ! Ne m'est-il pas apparu sous sa forme première ? Lorsque
quelqu'un en est arrivé à cette forme, c'est qu'il est sur le point de
mourir" (...). J'essayai de mon mieux de lui en parler, mais il ne comprît
pas. (...) J'avais la ferme conviction qu'il était en danger parce que je
l'avais rencontré dans sa forme originelle.
En effet je fus son dernier malade. Le 4 avril 1944, je sais
encore très exactement la date, je fus autorisé, pour la première fois, à
m'asseoir sur le bord du lit et ce même jour, il se coucha pour ne plus se
relever.
(...) Après cette maladie commença pour moi une période fertile de
travail. Bon nombre de mes œuvres principales ne furent écrites qu'après. La
connaissance ou l'intuition de la fin de toutes choses me donnèrent le courage
de chercher de nouvelles formes d'expression. »
On ne peut certainement pas écarter du récit de Jung l'influence
de ses thèmes d'étude, de ses voyages et de son attrait pour les cultures
orientales, hindoues plus particulièrement. Il n'empêche que l'on y rencontre
de fortes similitudes, riches de composantes transcendantales, avec notre
" EMI standard "
Un premier trait : Le Seigneur console dans la proximité.
Un deuxième trait «de la manière dont Jésus console est la vérité
: Jésus est vrai.
Le troisième trait de la consolation de Jésus «est l'espérance. Il
dit : "Oui, c'est un mauvais moment. Mais que votre cœur ne soit pas
troublé : ayez foi en moi aussi", car "dans la maison de mon Père, il
y a beaucoup d'habitations. Je vais vous préparer une place". Il va
d'abord ouvrir les portes de cette demeure où il veut nous emmener : "Je
reviendrai, je vous emmènerai avec moi afin que là où je suis, vous y soyez
aussi". "Le Seigneur revient
chaque fois que l'un de nous est en route pour quitter ce monde. "Je
viendrai te prendre" : l'espérance. Il viendra et nous prendra par la main
et nous prendra. Il ne dit pas : "Non, vous ne souffrirez pas, il n'y
a rien. Non. Il dit la vérité : "Je suis proche de toi, c'est la vérité :
c'est une mauvaise période, de danger, de mort. Mais ne laissez pas votre cœur
se troubler, restez dans cette paix, cette paix qui est la base de toute consolation,
car je viendrai et par la main je vous emmènerai là où je serai».
A travers les mythes et récits des nombreuses traditions
religieuses, on trouve une constante affirmation d’un jugement à l’heure de la
mort. Nous aurions pu ici rapporter les multiples analogies à notre hypothèse :
Apparition d’un Dieu, d’une barque, d’un fleuve symbolisant le passage et le
jugement. Nous nous contenterons de rapporter les plus significatives, celles
en qui nous estimons que tout le reste est présent. Nous avons retenu le
tantrisme et l’Islam. Nos sources se trouvent dans l’Encyclopédia
Universalis, articles Tantrisme, Bouddhisme, Islam, le livre des morts
tibétains, un traité de catéchisme islamique doté de l’Imprimatur, de Fdal
Haja.
La religion de l’Egypte antique est comme une religion d’enfants.
Elle représente sa théologie, parfois très spirituelle, sous forme sensibles et
animale. Cela rend très aisé à comprendre sa conception des évènements de la
mort.
Or, ce qui est étonnant, c’est la concordance extrême entre la
vision des évènements de la mort et ce qui
est raconté ici, au point que cette phrase mystérieuse de Matthieu 2, 15,
citant un oracle inconnu d’un prophète « D’Egypte j’ai appelé mon Fils », prend
un sens étonnant.
J’ai tenté d’établir un tableau de concordance mettant en
parallèle ce qui est commun entre ces deux religions et les Near Death
Experiences. Il en ressort de fortes similitudes.
L’Égypte Antique |
Le catholicisme |
Les Near Death Experiences |
Osiris, Dieu de la vie, mis à mort et ressuscité |
Le Christ, Dieu fait homme, mis à mort et ressuscité (De foi). |
|
Isis, sœur et épouse d’Osiris qui obtint en priant sa
résurrection. |
Marie, mère et épouse mystique du Christ qui obtint en priant sa
résurrection (opinion des mystiques). |
|
Imiter Isis et Osiris pour obtenir d’eux la résurrection. |
Imiter le Christ et Marie pour obtenir de Dieu la résurrection
(De foi). |
|
A l’heure de la mort, le Kâ
(le double sensible du mort) et le Baï,
son esprit) sortent du corps. |
A l’heure de la mort, seul l’esprit survit. Tout ce qui est lié au
cerveau disparaît, donc la vie sensible (opinion de saint Thomas d’Aquin). |
A l’heure de la mort, un corps psychique et l’esprit sortent
du corps. |
3 degrés de vie : - le corps (fondement de tout, lié à la momie qui doit rester
intact). - Kâ, siège des
sensations et sentiments, survit à la mort. C’est le « corps double. » - Baï, siège des choix
et des péchés, survit à la mort. |
3 degrés de vie : - La chair, le corps mortel - La vie sensible (pas de corps distinct de la chair pour cette
vie intermédiaire). - L’esprit, directement créé par Dieu, survit SEUL à la mort
(opinion de saint Thomas d’Aquin). |
3 degrés de vie : - Biologique, lié au corps de chair. - Sensible, lié au corps psychique ou astral, qui est comme le
« corps double. » Il survit à la mort. - Spirituel, survit à la mort. |
Le Kâ et le Baï ne peuvent survivre si la momie
n’est pas conservée intacte. |
La survie de l’esprit est indépendante de la décomposition du cadavre,
bien que l’Eglise préfère l’inhumation à l’incinération. |
La survie du corps astral et de l’esprit sont indépendantes de
la décomposition du cadavre, comme l’atteste la venue des proches décédés
depuis longtemps. |
A l’heure de la mort, décorporation puis passage difficile sur le
fleuve-serpent Apophis. |
Rien d’attesté par la foi, ni pour ni contre, sur la survie du
psychisme, sauf pour la survie de l’esprit qui est de foi. |
A l’heure de la mort, décorporation (corps psychique et
esprit) puis passage vers un tunnel noir. |
Présence du dieu Anubis, le chacal, qui aide le mourant. |
Foi dans la présence de l’ange gardien (opinion des mystiques). |
Présence attesté d’un « guide » invisible, qui accompagne et
rassure. |
Epreuve des sept portiques que l’âme doit passer un à un en
attestant de sa justice et en prononçant les noms des sept gardiens, puis des
dix pylônes et de leurs dix dieux. |
Foi dans la présence de Lucifer auprès du mourant, dans une
dernière tentation (opinion des mystiques). |
Quelques N.D.E. infernales, extrêmement effrayantes attestées
par de grands pécheurs. |
Apparition du tribunal d’Osiris, en présence des dieux. |
Credo : « Le Christ reviendra
dans sa gloire… |
Apparition de l’Etre de Lumière, au trois qualités : Amour,
vérité, humour. |
C’est le lieu du jugement. Le cœur du mourant est déposé sur la
balance et pesé face à une plume de la déesse Maat, la droiture. |
… pour juger les vivants et les morts… |
L’Être de Lumière passe en revue, avec douceur et vérité, le
film de la vie, le bien et le mal commis. |
Rien d’attesté. |
… accompagné des saints et des anges. » (De foi, foi
habituellement comprise pour la seule fin universelle du monde). |
Apparition des proches décédés qui viennent soutenir le
mourant et l’entourer. |
L’âme justifiée est conduite aux jardins d’Elihu, le paradis, où
elle reprend, dans la lumière et face aux dieux, sa vie d’avant, mais sans la
souffrance. |
Après le jugement dernier, l’âme est immédiatement conduite au
paradis qui est la vision spirituelle et face à face, de l’essence de Dieu
(De foi). |
(Les témoins des N.D.E. ne vont pas plus loin : une limite
apparaît, celle de l’au-delà : s’ils la franchissent, ils savent qu’ils ne
reviendront plus sur terre. |
L’âme des méchants est livrée à la « dévorante », qui est un monstre crocodile, hippopotame, et
lion. |
L’âme en état de péché mortel est aussitôt conduite en enfer où
elle subit des peines diverses (De foi). |
Fin de l’expérience… |
Rien |
L’âme en qui il reste quelque imperfection est conduite à un
temps de purgatoire (De foi). |
Rien |
A la fin du monde, tel le scarabée, la résurrection de la momie
est promise aux seuls justifiés. |
A la fin du monde, tel le Christ, la résurrection de la chair
est promise, aux méchants comme aux bons (De foi). |
|
Le livre des morts tibétain est un ouvrage hors du commun qui se présente
comme une anthologie des enseignements dispensés au long des siècles par les
sages de l’ancien Tibet. Il s’agit de la mise par écrit au VIIIème siècle
de notre ère de traditions orales plus anciennes.
La forme adoptée par ce livre étrange résulte des différents
usages auxquels il a été destiné. Tout d’abord, aux yeux des érudits qui
l’avaient rédigé, la mort passait pour une activité impliquant une certaine
technique ; on pouvait s’en tirer avec art, comme aussi avec maladresse, selon
que l’on possédait ou non les connaissances requises à cet effet. C’est
pourquoi la lecture de ce livre faisait partie de la cérémonie funéraire ou
s’effectuait au chevet d’un mourant pour accompagner ses derniers instants. On
assignait donc à cette lecture deux fonctions. La première : aider le mourant à
se pénétrer de la nature de chacun des phénomènes accompagnant la mort, si
nouveaux et si merveilleux, à mesure qu’il en faisait l’expérience. La seconde
: Encourager les survivants à former des pensées bénéfiques, de manière à ne
pas retarder le mourant par des manifestations d’amour ou de tension
émotionnelle, en sorte qu’il puisse accéder aux plans de l’après vie dans un
état d’esprit approprié, dégagé de tout souci terrestre.
Pour parvenir à ces fins, le livre contient une longue description
des différentes étapes par lesquelles l’âme passe après la mort (ou au moment
?) de la mort physique. Or, la concordance entre les premiers stades de la mort
ainsi présentée et ce que nous soutenons comme nécessaire à la mort chrétienne
à travers notre hypothèse est tout bonnement fantastique. De même, on ne peut
manquer de remarquer les similitudes avec les récits de l’expérience de ceux
qui ont approché la mort[286].
Pour commencer, dans l’exposé tibétain, l’esprit ou l’âme (la
précision scolastique des mots n’est pas à rechercher dans ces descriptions) du
mourant se détache de son corps. Peu après, cette âme connaît une sorte de
syncope et se trouve dans un vide (non pas un vide physique, mais un vide qui
possède en fait des limites qui lui sont propres), et où la conscience est
conservée. Il se peut que le défunt entende à ce moment là des bruits ou des
sons alarmants ou désagréables, qualifiés de grondements, de tonnerres ou de
sifflements semblables à ceux du vent. Il se retrouve ensuite, en général,
aussi bien lui-même que ce qui l’entoure, comme enveloppé d’un éclairage gris
et brumeux.
Il s’étonne en s’apercevant qu’il a quitté son corps. Il voit et
il entend ses parents et ses amis qui se lamentent tout en se livrant à la
toilette du corps en vue des funérailles. Il voit et il entend, ce qui signifie
que, sans être dans son corps physique qu’il peut regarder, il est doté d’une
activité sensible qui implique un certain lien de son esprit avec une partie
physique de lui-même. C’est donc que la mort au sens chrétien du mot
(séparation de l’âme et du corps), n’est pas réalisée. Le mourant ne se rend
d’ailleurs pas encore compte qu’il est mort, si ce n’est par le fait que
lorsqu’il essaye de parler à ceux qui entourent sa dépouille, ils ne
l’entendent pas. Il en est désorienté. Il se demande s’il est mort ou non et,
quand il finit par concevoir qu’il l’est effectivement, il ne sait où aller ni
quoi faire. Un grand regret s’abat sur lui et il se sent déprimé par ce nouvel
état. Il demeure un certain temps au voisinage des lieux qui lui sont
familiers.
Il constate qu’il continue à avoir un corps (dénommé par le livre
corps brillant) qui ne paraît pas constitué de matière au sens palpable du mot.
Ainsi, il peut traverser les murs, les rochers et même les montagnes sans
rencontrer la moindre résistance. Les déplacements sont instantanés ; quel que
soit le lieu où il désire aller, il y parvient en une seconde. Sa pensée et ses
perceptions sont moins limitées ; son intellect devient lucide, et ses sens lui
paraissent plus aiguisés, plus parfaits, et d’une nature plus proche du divin.
S’il a été, durant sa vie physique, sourd ou aveugle ou estropié, il est
surpris de se découvrir dans son corps brillant doté de l’intégrité de ses
membres. Il rencontre éventuellement d’autres êtres possédant un corps
semblable, et peut aussi se trouver devant ce que le texte désigne comme « une claire et pure lumière. » Les Tibétains conseillent au mourant,
lorsqu’il approche de cette lumière, de s’efforcer de n’avoir que des pensées
d’amour et de compassion à l’égard d’autrui. Les descriptions de cette lumière
sont à la fois physiques et spirituelles. Plus qu’une lumière, il s’agit d’une
entité rayonnant lumière physique et spirituelle, chaleur physique et
spirituelle. Le mourant est attiré vers elle et découvre à travers sa présence
que l’amour seul est digne de foi. Ces descriptions ne peuvent que frapper le
chrétien dans la mesure où il ne voit pas autrement le Christ : la gloire de
son corps, telle qu’elle est apparue aux disciples le jour de la
transfiguration ne rayonnait-elle pas lumière et amour, comme une image
sensible de la gloire de Dieu ? En ce qui concerne notre hypothèse, nous ne
pouvons manquer de faire remarquer à quel point cette apparition, qui semble
appartenir encore à ce monde et devancer la séparation totale de l’âme et du
corps, ressemble à une parousie.
Le livre décrit aussi des sensations de paix immense et de bonheur
éprouvé par le défunt ; et, également, une sorte de « miroir »dans lequel sa
vie entière, les bonnes et les mauvaises actions, se reflètent à sa propre vue
comme à celle des entités qui la jugent. Dans cette circonstance, aucune erreur
n’est possible. Nul ne peut tricher sur sa propre vie. Ceci nous paraît
s’identifier à ce que nous avons cru pouvoir admettre comme nécessaire, à
travers une recherche de théologie catholique, au choix qui précède le destin
éternel. En termes scolastiques, on parlerait de « disparition du foyer de péché
»et de conditions parfaites au choix libre. L’analogie est en tout cas
frappante.
Bref, bien que le Livre des morts tibétain contienne encore
de nombreuses informations sur les stades ultérieurs de la vie après la mort,
qui sont nécessairement teintés de croyances bouddhiques et outrepassent le
domaine dont nous nous sommes fixé l’étude, il est notoirement évident que de
frappantes similitudes s’établissent entre ce que la théologie catholique
fondée sur ses dogmes se doit d’admettre et les descriptions de ces hommes qui
semblent avoir expérimenté le phénomène.
• Grande spécialiste
du bouddhisme tibétain, Françoise Pommaret
rapporte remarquablement des récits d'expériences qu'elle nomme, non sans une
certaine pertinence, des "descentes aux enfers. » On rencontre, explique-t-elle,
“Les récits de descente aux enfers par une personne apparemment
morte, forment un genre littéraire bien connu aussi en Chine. Il en est de deux
espèces... [Dans l'une] un individu quelconque s'évanouit et revient à la vie.
L'autre concerne de héros religieux comme Maudgalyâyana qui va volontairement
en enfer grâce à sa puissance religieuse... Cette seconde catégorie de
personnes [ne traverse pas la mort]... mais descend simplement aux enfers... de
son plein gré, pour “ sauver ” un être qui lui est cher et le amener
sur terre, ou bien le faire renaître dans un meilleur domaine de réincarnation
afin qu'il trouve pleinement le salut.
[Le récit
relevant de la première catégorie, lui,]... met en scène un personnage qui
n'est au départ ni un héros, ni un saint... Il “ meurt ” à la suite
d'une maladie et se trouve propulsé dans un voyage à travers les enfers et
quelquefois les paradis... il doit faire face aux acolytes du dieu des morts,
Yama Dharmarâya, puis assister aux tortures des pécheurs dans les différents
enfers, rencontrer des personnages qui lui expliquent la raison de leurs
châtiments... Ce message [pour les vivants] enjoint [à ceux-ci] d'accomplir de
bonnes actions et d'éviter les péchés. Tout au long de son parcours dans l'au-delà,
le ’das log est souvent accompagné par une
entité surnaturelle [!] qui le protège et lui explique ce qu'il voit”[287].
Au Bhoutan,
l'auteur a rencontré plusieurs de ces ’das
log, qui, en majorité, sont des femmes.
Françoise Pommaret
rapporte des récits d'expériences du type NDE,
conférant à ceux qui les ont vécues (seulement à l'occasion d'une
"maladie" ?), un statut particulier dans la communauté sociale, celui
de ’das log. Au Bhoutan, l'auteur a
rencontré plusieurs de ces ’das
log, qui, en majorité, sont des femmes.
« Les récits de descente aux enfers par une
personne apparemment morte, forment un genre littéraire bien connu [pas
seulement au Tibet mais] aussi en Chine... [Un tel récit] met en scène un personnage
qui n'est au départ ni un héros, ni un saint... Il "meurt" à la suite
d'une maladie et se trouve propulsé dans un voyage à travers les enfers et
quelquefois les paradis... il doit faire face aux acolytes du dieu des morts,
Yama Dharmarâya, puis assister aux tortures des pécheurs dans les différents
enfers, rencontrer des personnages qui lui expliquent la raison de leurs
châtiments... Ce message [pour les vivants] enjoint [à ceux-ci] d'accomplir de
bonnes actions et d'éviter les péchés. Tout au long de son parcours dans
l'au-delà, le ’das log est souvent
accompagné par une entité surnaturelle [!] qui le protège et lui explique ce
qu'il voit »[288].
L’Islam est une religion d’un tout autre genre que l’origine
judéo-chrétienne rapproche davantage des dogmes de l’Église catholique. Elle
croit que Jésus, vrai homme et non pas Dieu, est le Messie et qu’il apparaîtra
à la fin du monde pour remettre entre les mains de Dieu les vrais musulmans. La
foi dans le retour du Christ est très vivante en Islam. Mais, curieusement,
cette venue est explicitement enseignée comme ne concernant pas seulement la
fin du monde mais la mort individuelle de chacun. L’Islam a donc franchi le pas
que nous nous efforçons de franchir en théologie catholique par notre
recherche. Notre source principale est l’excellent résumé de Fdal Haja dans son
ouvrage : la mort et le jugement dernier selon les enseignements de l’Islam[289].
Son travail a le mérite d’avoir été approuvé par les autorités
religieuses de l’Islam Chiite et sunnite. L’auteur part d’un verset du Coran[290] : « Il n’en pas un seul parmi les gens du Livre à ne pas croire à lui
avant sa mort, et le jour de la Résurrection Jésus sera témoin contre eux. » Haja, s’appuyant sur les commentaires
des Docteurs qui l’ont précédé croit pouvoir interpréter de la manière suivante
ce verset : il y est dit que tout homme verra la vérité dévoilée sur son lit de
mort au point que pas un seul être humain ne mourra sans avoir reconnu avant le
vrai du faux. La vérité sera prêchée par Jésus, et les gens sauront en
particulier toute la vérité sur lui : ils sauront qu’il est homme et non pas
Dieu.
Alors la religion deviendra une, la religion d’Abraham, le
musulman, le fervent. Jésus tuera l’Antéchrist dans le cœur de chacun, sur
ordre de Dieu. Haja cite un propos prêté au prophète Mahomet par Abu Hurayra : « Comment vous comporterez vous au jour de
l’apparition parmi vous du fils de Marie, si vous vous comportez ainsi avec
votre guide qui est pourtant des vôtres ? »
On le voit, la pensée Islamique, sans doute grâce à une plus
grande familiarité avec le genre littéraire apocalyptique, n’hésite pas à
appliquer à l’heure de la mort individuelle de tels textes. Elle résout de cette
manière sans difficulté la question du salut des gens du Livre (juifs et
chrétiens) qui vivent dans l’erreur par la faute de leurs premiers imams. Nous
ne souscrivons certes pas au contenu de la prédication faite par Jésus sur le
lit de mort mais nous reconnaissons avec l’Islam la nécessité d’une telle
prédication pour tout homme sous peine de non-compréhension du mystère de la
justice de Dieu.
Force nous est aussi de remarquer l’importance qu’a prise en terre
d’Islam la théologie du « lit de
mort. » Il s’y passe des événements
spirituels d’une extrême importance pour le salut.
Victor Hugo est loin d’être un prophète mais il est, en un certain
sens un fondateur de religion, d’une sorte de culte spirite dont les îles
anglo-normandes furent la matrice. A sa façon de poète, il fut un mystique.
Nous ne pouvons résister à la tentation de citer en conclusion quelques vers de
son poème intitulé Ce qu’est la mort[291] :
CE QUE C’EST QU’EST LA MORT
Ne dites pas : mourir ;
dites : naître. Croyez.
On voit ce que je vois et ce
que vous voyez ;
On tâche d'oublier le bas,
la fin, l’écueil.
La sombre égalité du mal et
du cercueil ;
Quoique le plus petit vaille
le plus prospère ;
Car tous les hommes sont les
fils du même père ;
Ils sont la même larme et
sortent du même œil.
On vit usant ses jours à se
remplir d'orgueil ;
On marche, on court, on
rêve, on souffre, on penche, on tombe,
On monte. Quelle est donc
cette aube ? C’est la tombe.
Où suis-je ? Dans la mort.
Viens! Un vent inconnu
Vous jette au seuil des
cieux. On tremble ; on se voit nu,
Impurs hideux, noué de mille
nœuds funèbres ;
De ses torts de ses maux
honteux, de ses ténèbres ;
Et soudain on entend
quelqu'un dans l'infini
Qui chante et par quelqu'un
on sent qu'on est béni.
Sans voir la main d'où tombe
à notre âme méchante
L'amour, et sans savoir
quelle est la voix qui chante
On arrive homme, deuil,
glaçon, neige : on se sent
Fondre et vivre : et
d'extase et d'azur s'emplissant,
Tout notre être frémit de la
défaite étrange
Du monstre qui devient dans
la lumière un ange
Au dolmen de la tour Blanche, jour des morts, novembre 1854
Victor Hugo, Les contemplations
On
tremble, on se voit nu. Où suis-je ? Dans la mort... Et soudain on entend
quelqu’un dans l’infini qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni,
sans voir la main d’où tombe à notre âme méchante, l’amour.
Dans sa synthèse dogmatique, le Père J.H. Nicolas n’a pas de mots
trop durs pour attaquer une position proche de celle que nous défendons et
qu’il attribue à Boros, Glorieux et Geffré[292]. Il cite un texte de Geffré
: « La mort coïnciderait avec le premier
acte pleinement personnel de l’homme. Elle serait ainsi le lieu privilégié de
la conscience de soi, de la liberté, de la rencontre avec Dieu et de sa
décision quant à sa destinée éternelle. La mort réaliserait ainsi l’achèvement
de notre dynamisme humain et épuiserait toutes nos possibilités de choix. Cet
acte ultime n’est pas à situer avant ou après la mort. Il coïncide avec
l’instant même de la mort. » Puis
le Père Nicolas le commente de la façon suivante : « Il faut noter que c’est là pure hypothèse, absolument invérifiable,
qui va plutôt à l’encontre de tout ce qu’on peut vérifier de l’état de la
personne au moment de la mort.(...) Il n’existe pas de dernier instant
qualitativement différent des précédents. Ordinairement, la personne est au
contraire extrêmement diminuée et incapable d’agir et de décider à ce point
ultime de la vie terrestre. Il est tout à fait arbitraire d’affirmer qu’elle
est à ce moment plus capable qu’auparavant de se décider librement à l’égard de
Dieu, du Christ. »
Le Père Nicolas élabore ensuite une théorie du salut de type
classique en montrant que les choix terrestres, malgré les limites de leur
liberté, suffisent à déterminer le destin éternel. Il semble ne pas se rendre
compte de la contradiction interne que présente sa théologie puisqu’il
reconnaît par ailleurs que celui qui se met en enfer ne le fait qu’à travers un
acte parfaitement libre (blasphème contre le Saint Esprit au sens le plus
thomiste de l’expression), blasphème dont il reconnaît ici l’impossibilité
puisque la liberté est limitée. De fait, il n’échappe pas à la contradiction
interne de la conception traditionnelle de l’eschatologie. Mais sa critique
contre la position de Geffré nous atteint : de fait, la faiblesse de notre
position vient du manque apparent de fondements empiriques. Notre position
est-elle si arbitraire qu’il y paraît ? C’est ce que nous allons étudier.
Cependant, qu’on ne pense pas que nous fondons notre hypothèse sur ce qui va
suivre. Il semble, en effet, que des hommes réanimés par la médecine, témoignent
d’une expérience très semblable à celle dont nous avons posé la nécessité en
théologie. Au delà de l’expérience de mort approchée (« Near Death Experience »),
c’est la logique interne de toute la foi catholique telle que nous l’avons
rapportée précédemment, qui nous a obligé à poser cette parousie à l’heure de
la mort. Nous répondrons au Père Nicolas comme à tous ceux qui formulent ce
genre de critique trop rapide : le problème n’est pas que cela paraît
arbitraire, à cause d’un manque de fondement empirique ; le problème est de
savoir si cela est nécessaire, compte tenu de qui est Dieu.
L’expérience de mort approchée, telle qu’elle est rapportée par
des personnes de plus en plus nombreuses, les progrès des techniques de réanimation
expliquant cela, n’est pas de l’ordre d’une révélation privée. Étant vécu par
un nombre important, elle entre dans le
domaine expérimental de la philosophie. Mais est-elle autre chose qu’un
rêve ? Epistémologiquement, elle ne relève donc pas de la théologie catholique
mais de la philosophie. Elle ne relève pas de la foi mais de l’expérience, même
si cette expérience n’est vécue que dans des circonstances particulières. Or,
il est toujours intéressant pour un théologien de voir le domaine de la théologie
entrer en intersection avec le sien. Nous avons prouvé théologiquement la
nécessité d’admettre une révélation à l’heure de la mort. cette révélation
peut-elle être identifiée à l’expérience de ceux qui ont approché la mort ?
En 1977, le Docteur Raymond Moody publie chez Laffont un ouvrage
intitulé la vie après la vie, suivi d’une étude plus approfondie et
critique en 1978 sous le titre de Lumières nouvelles sur la vie après la vie.
Ces deux ouvrages deviennent vite des best seller et suscitent de vifs
débats dans les milieux catholiques, où ils sont tour à tour taxés de « religion au rabais »ou de « phénomène
parapsychique. » Il s’agit d’une
sélection et d’une analyse des témoignages de plus de trois cents personnes
qui, étant passées par une mort clinique et ayant ensuite été réanimées, ont
vécu l’expérience d’un mode de vie préternaturel pendant la durée où elles
étaient cliniquement mortes. Docteur et praticien à la fois en psychologie et
en médecine, Moody était bien préparé pour mener cette étude. Sa méthode
consiste avant tout dans l’écoute des témoignages, dans leur affinement à
l’aide d’un questionnaire ciblé. Il en souligne lui-même les insuffisances.
Dans ce domaine nouveau, il lui a été impossible de suivre une méthode
rigoureusement scientifique, telle que celle du double aveugle. Les témoignages
recueillis sont d’autre part encore trop peu nombreux, et surtout ils
proviennent d’un milieu trop homogène : l’américain moyen, c’est-à-dire des
chrétiens (qui ne le sont souvent que de nom) et quelques juifs. Dans les
années qui ont suivi ses premières publications, ce handicap a été en partie
supprimé et la palette des témoignages est aujourd’hui à la fois plus large et
toujours concordante. Moody a tenté d’élargir son enquête en retrouvant des
expériences analogues dans les écrits de Platon, des Tibétains, des orphiques
et dans ceux de Emmanuel Sweedenborg (1688-1772). De son côté, le traducteur a
enrichi l’enquête de quelques témoignages relevés dans la culture occidentale catholique.
Son enquête est donc typiquement philosophique puisqu’elle par de l’expérience
(non de la foi) et cherche à en établir la nature. Certes, il n’a pas lui-même
vécu cette expérience. Il prend donc le temps de vérifier la crédibilité de
ceux qu’il interroge.
Moody est chrétien et certaines de ses remarques témoignent d’une
foi vivante. Il nous laisse donc entrevoir le regard de sa foi sur cette
expérience. Il note qu’il n’a relevé de goût pour l’occultisme que chez cinq ou
six témoins, soit avant, soit après leur aventure[294]. Et il n’a « relevé dans aucun des cas la moindre
indication concernant l’éventualité d’une réincarnation. Néanmoins, il est
juste de reconnaître qu’aucun d’eux n’élimine radicalement cette hypothèse. »[295] Il s’est efforcé de faire abstraction
de ses convictions chrétiennes, n’ayant indiqué sa propre lecture de ces
phénomènes qu’avec la plus grande discrétion dans sa dédicace : « A George Ritchie, docteur en médecine, et,
à travers lui, à Celui dont il a suggéré le nom. » Il a cherché à s’assurer
la collaboration d’un théologien et malheureusement il n’y est pas parvenu,
ceux qui se sont intéressés à ses recherches appartenant comme lui au milieu
des évangélistes ou fidéistes, esprits simplistes incapables d’aborder ces
faits avec une mentalité théologiquement critique.
On peut reprocher à son étude d’être, philosophiquement parlant,
involontairement tendancieuse, tant à cause des influences de sa foi que des
nécessités de son public avide de sensationnel. Elle l’est déjà dans son titre,
qui devrait être, non pas « la vie après
la vie » mais : « la vie pendant la
mort clinique. » Les témoins ont
en effet tous survécu à leur expérience. Ils ne sont donc pas morts mais ont
été considérés comme morts. Selon R. Chatillon, la nuance est capitale[296]. Toute l’équivoque est dans
l’emploi de la préposition « après. » Il est probable que ce titre a été
choisi par l’éditeur et imposé à l’auteur par l’éditeur en raison d’arguments
publicitaires. Moody ne fait pas de mise au point, même discrète, dans son
deuxième ouvrage. C’est regrettable. Au contraire, il se permet de sortir de
son objectivité de clinicien pour interpréter les témoignages d’une façon
tendancieuse, dans le sens de l’équivoque suggérée par le titre. En ce qui
concerne les témoins, il est remarquable de constater qu’ils demeurent
objectifs. En général, ils n’ont pas de culture religieuse concernant les fins
dernières, aussi leur témoignage n’est pas entaché d’influences idéologiques
extérieures. Or, ils retrouvent pour décrire l’inexprimable les mêmes mots : la
rencontre avec « l’être de lumière »
est à cet égard significative.
On peut adresser une autre critique à Moody : il fait œuvre de
clinicien aussi il s’efforce d’isoler dans les témoignages les phases les plus
significatives. Il s’ensuit malheureusement que très peu de relations sont
données dans leur ensemble et d’une seule venue, en particulier les expériences
les plus complètes et les relations les plus détaillées. De plus, l’auteur a
peu développé la phase ultime, celle qui à notre avis est essentielle et va
dans le sens de notre hypothèse : les fruits de la vision de l’être de lumière,
la conversion à une vie spirituelle.
Dans un premier temps, il est légitime de se demander ce que nous
entendons par ce terme d’expérience.
Il ne s’agit pas d’expérience au sens d’expérimentation scientifique. Le film
intitulé L’expérience interdite,
sorti sur les écrans en 1993, raconte une approche de ce type réalisée par un
groupe d’étudiants qui veut observer ce qui se passe de l’autre côté de la
mort. Dans ce but, ils provoquent artificiellement la mort clinique de l’un
d’entre eux. Leur expérience, quoique très risquée (c’est ce que veut montrer
le film), est de type scientifique. En ce qui nous concerne, nous prenons ce
mot dans son sens très général, à savoir celui d’une aventure vécue au plan
extérieur ou intérieur, sans chercher dans un premier temps à déterminer sa
vérité ou son caractère purement imaginaire. Notre étude comporte trois parties
:
1- Description.
2- Analyse et recherche critique au plan philosophique et
théologique.
3- Conclusion et confrontation à notre hypothèse.
A la lecture des divers témoignages, nous pouvons discerner
diverses phases dans l’expérience de mort approchée. Toutes ne sont pas
décrites par tous les témoins. Il s’agit d’éléments divers qui en général ont
été vécus dans leur ensemble, quoique l’un ou l’autre puisse manquer. Par
ailleurs, même dans les expériences les plus complètes, la rencontre avec l’être
de lumière fait parfois défaut. Notons qu’aucune de ces phases n’est
conditionnée par la mort clinique. Il peut arriver qu’un simple état de choc à
la suite d’un accident suffise. L’auteur en donne des exemples. Enfin, il faut
remarquer que les témoins sont unanimes à dire que leur expérience est
inexprimable. Ce qu’ils en disent n’est qu’un effort pour l’exprimer en images
sensibles.
La première phase, la moins profonde et la plus vécue, est décrite
ainsi : le mourant entend des bruits désagréables ou au contraire des sons
harmonieux, et se sent emporté dans un tunnel obscur ou une spirale. Ce
phénomène est connu dans d’autres cas comme lors d’une anesthésie à l’éther ou
d’une prise de fortes doses de drogue. Il semble que c'est une réaction purement
psychique, une réaction du cerveau au choc de la mort approchée. Cette phase ne
présente donc pas d’intérêt.
La deuxième phase est beaucoup plus intéressante et méritera une étude
particulière. Le mourant se retrouve soudain hors de son corps physique. Il
constate qu’il peut regarder son corps en dehors de lui-même, de la même
manière que tous les objets extérieurs qui l’entourent. Il voit, il entend parler
ceux qui entourent son corps, personnel médical ou famille. Certains récits
émanant d’aveugles de naissance témoignent d’un retour à la vue. Le corps dans
lequel se retrouve le mourant est une entité particulière, invisible à ceux qui
sont vivants dans la pièce et incapable de communiquer avec eux. Il est doté de
propriétés étonnantes. Il obéit à la volonté de telle manière que le désir de
passer dans une autre pièce est immédiatement exécuté, en passant à travers les
murs. Il peut lire les pensées de ceux qui sont présents (télépathie ?) Le
mourant éprouve alors en général un sentiment de grande inquiétude : il ne
comprend pas ce qui lui arrive. Tout se passe comme si ce n’était pas l’âme
seule qui quitte le corps, mais un être plus complexe, immatériel mais
jouissant encore de facultés corporelles. Avec quelques témoins, l’auteur le
désigne sous le nom équivoque de « corps
spirituel »[297]. Cette décomposition de
l’être humain semble accompagner nécessairement la mort clinique sans que cette
mort en soit la condition nécessaire, puisque certains témoignages connus en
parapsychologie attestent de décorporations provoquées volontairement ou sous
l’influence de drogues.
Il arrive souvent qu’à cette étape ou plus tard, des parents ou
amis décédés, et quelquefois des inconnus, se montrent. Ils se présentent dotés
d’un corps « spirituel »semblable à celui du mourant. Ils
veulent aider le mourant. Par ailleurs, à une étape que les témoins ne
parviennent pas à préciser, certains ont rencontré des « âmes en peine »[298].
Cette quatrième phase est la plus importante à nos yeux et dans le
cadre de cette étude. Nous reviendrons donc de manière particulière et critique
sur elle ultérieurement.
Le mourant se trouve face à une grande lumière blanche (donc
sensible et non seulement spirituelle.) Elle est décrite invariablement comme un être doué de personnalité, débordant d’un
amour miséricordieux. Certains précisent qu’ils se sentent aimés « tels qu’ils sont. » Immédiatement ou bientôt, ils se sentent envahis par de la joie
et de la paix, d’une manière inconnue de telle sorte qu’ils ne désirent plus
revenir dans le monde qu’ils viennent de quitter.
Nous voici au noyau de l’expérience. Il est ressenti à la fois
comme surnaturel et humain, bien qu’aucun des témoins n’emploie ces mots. Cet « être de lumière » comme le qualifient la plupart, n’est pas rencontré par ceux qui
se trouvent en état de mort clinique à la suite d’un suicide, au moins dans les
expériences étudiées par l’auteur. Les souffrances de ces témoins particuliers
demeurent cependant relatives. Une femme raconte que les circonstances qui
l’avaient poussée au suicide « en étaient
toujours au même point. » C’était
comme si la même chose se répétait sans cesse, un éternel retour »[299]. Un témoin précise : « Je ne voyais pas seulement tout ce que
j’avais fait (de mal) mais même les répercussions que mes actes avaient
entraînées pour d’autres personnes »[300]. C’est une expérience
difficile, mais elle ne nous permet pas d’y voir l’enfer. Moody nous semble
sortir de sa méthode et de ses compétences de cliniciens en se permettant cette
conclusion. Quand on lui demande si quelque témoin a vu l’enfer, il répond
qu’aucun d’eux n’a été un grand pécheur, et il évoque ce que peut être la souffrance
par exemple d’un des responsables des atrocités nazies, confronté non seulement
à ses actes, mais à leurs conséquences. Il se déclare incapable « d’imaginer un enfer plus horrible, plus
fondamentalement insupportable que celui là »[301]. Et pourtant, il manque à
l’enfer tel que l’imagine Moody la qualité particulière qui le distingue de
tout ce qu’on peut appeler purgatoire : la volonté libre et obstinément
maintenue face à la révélation de l’amour de Dieu, de ne pas se convertir.
De même, ceux qui n’ont pas connu la mort clinique ne connaissent
en aucun cas une rencontre avec l’être de lumière.
« Pas un seul de mes sujets, écrit l’auteur, n’a exprimé le moindre doute quant au fait
qu’il s’agissait d’un être, d’un être de lumière. Et qui plus est, cet être est
une personne, il possède une personnalité nettement définie. Il émane de lui
une chaleur et un amour à l’adresse du mourant qu’il est postérieurement
impossible de décrire. Le témoin est comme envahi et transporté hors de lui par
cet amour ; il s’abandonne en paix à celui qui l’accueille et, en même temps,
il voudrait ne jamais le quitter. L’être de lumière est attirant, magnétique et
l’homme est inéluctablement entraîné. Tous les témoignages sont unanimes sur ce
point. Par contre, lorsqu’il s’agit d’identifier l’être de lumière, les
réponses varient et sont en dépendance des antécédents, de l’éducation et des
croyances religieuses de chaque individu. Ainsi, la plupart de ceux qui ont été
élevés dans la tradition et la foi chrétiennes identifient cette lumière au
Christ. (...) Un homme et une femme de tradition israélite voyaient en cette
entité un ange (...). Un homme qui n’avait reçu ni croyance ni éducation
religieuse parlait simplement d’un « être de lumière. » Cette même appellation
a également été utilisée par une dame professant la foi chrétienne et qui,
apparemment, ne se sentait nullement portée à considérer que cette lumière
était le Christ. »[302]
Avant de procéder à l’étude du rôle de cet être de lumière au
cours de la revue de la vie passée, nous pouvons nous arrêter à un témoignage
exceptionnel qui ne comporte ni revue de la vie, ni mort clinique, et qui fut
pourtant très complexe. Trois jours avant une opération critique, apparemment
au cours d’un évanouissement, l’être de lumière apparut à ce témoin et l’invita
à le suivre. C’est alors seulement que se produisit la décorporation. Il fut
conduit à la salle de réanimation : il n’allait pas survivre à l’opération et « l’être ne voulait pas que je prenne peur
au moment où mon esprit quitterait mon corps, il voulait me faire reconnaître
ce que j’éprouverais à l’instant du passage, parce qu’il ne m’apparaîtrait pas
immédiatement ; Il fallait que je passe d’abord par d’autres épreuves. Mais il
me promettait de tout surveiller d’en haut, et se présenterait à moi tout à
fait à la fin. » Jusqu’au
lendemain matin, le malade se sentit tout à fin calme : « Je me rendais compte que j’allais mourir et je n’en concevais ni
regret ni terreur. » Puis, il se
sentit préoccupé par le sort d’un neveu qu’il avait adopté, et se mit à rédiger
une lettre posthume pour sa femme et pour son neveu, et bientôt il fondit en
larmes. Il sentit alors de nouveau la présence de l’être de lumière, qu’il prit
d’abord pour une infirmière : « Pourquoi
pleures-tu ? Je pensais que tu serais heureux de venir à moi. » Il songeait : « Oui, c’est vrai, je le désire vivement »- « Alors, pourquoi pleures-tu ? »Le malade expliqua le souci qu’il
avait pour le sort de son neveu. L’être répondit : « Parce que tu intercèdes pour quelqu’un d’autre, parce que tu penses à
autrui et non à toi-même, je vais t’accorder ce que tu demandes. Tu vivras
jusqu’à ce que ton neveu ait atteint l’âge d’homme. » Le lendemain,
l’opération fut menée à bien et, à la grande surprise des docteurs, il n’y eut
pas besoin de technique spéciale de réanimation.[303]
La rencontre avec l’être de lumière est intense et se prolonge
dans un dialogue, non fait de paroles articulées mais d’intuition directe. Une
question est posée qui invite le mourant à faire le bilan de sa vie. Selon les
témoins, il s’agit d’un « jugement. »
Le mourant relit sa vie en compagnie de l’être de lumière.
Auparavant, il comprend qu’une question lui est posée. La question n’est pas
formulée verbalement aussi elle est traduite de manière diverse par les
témoins. Le docteur Moody en donne plusieurs formulations[304] : « Es-tu préparé à la mort ? - Qu’as-tu fait de ta vie, que tu puisses
me montrer ?- Qu’as-tu fait de ta vie que tu estimes suffisamment ? - Veux-tu
mourir ? - Est-ce que cela valait la peine ? - M’aimes-tu ? - Jusqu’à quel
point as-tu appris à aimer ?- Te sens- tu capable d’aimer les autres avec la
même intensité que je t’aime ? »
Chez plusieurs autres témoins, la formulation est presque identique. Tandis que
se déroule le film de la vie, l’être de lumière accompagne tel un guide le
mourant et la miséricorde qui émane de lui rend l’expérience pleine de
compréhension et non de condamnation. Dans cette lumière, même les actions
mauvaises prennent un aspect positif. Un témoin déclare : « Il insistait aussi sur l’importance de la connaissance. Il me
signalait sans arrêt tout ce qui a rapport avec apprendre. Il m’a dit que
j’allais devoir continuer (parce que, entre temps, il m’avait révélé que
j’allais revivre). Il y aurait toujours en moi un besoin de savoir. Il m’a dit
que c’était un besoin permanent, d’où j’ai conclu que cela doit continuer après
la mort. Je crois bien que son but, en me faisant assister à mon passé, était
de m’instruire. » [305] Cela s’est traduit chez ce
témoin par un changement de vie vers une conversion au savoir qui permet de
mieux aimer. Ce témoignage manifeste le caractère pleinement humain, quoique
souverain ou transcendant, de l’intervention de l’être de lumière.
Un témoin qui ne semble pas avoir vu le film de sa vie ou qui a
omis de le mentionner, déclare : «
J’imagine maintenant que cette voix qui me parlait a dû constater que je
n’étais pas du tout prêt à mourir. Elle voulait simplement me mettre à l’épreuve,
sans plus. Et cependant, à partir du moment où elle a commencé à parler, je me
suis senti délicieusement bien, protégé et aimé. L’amour qui émanait de la
lumière est inimaginable, indescriptible. Et, par dessus le marché, elle dégage
de la gaieté! Elle avait le sens de l’humour, je vous assure! »[306].
L’être de lumière reste présent et assiste le mourant dans son
examen. Il peut y avoir une vue rapide et intense de leur vie passée que les
témoins décrivent comme un film d’une rapidité vertigineuse, comme une vue
panoramique et pourtant détaillée. Certains précisent qu’ils se voyaient
objectivement, se reconnaissant par exemple enfant.
Le mourant se trouve ensuite devant une sorte de passage, de
frontière qui semble figurer le point de non-retour de l’au-delà. Elle se
présente sous la forme de nombreux symboles sensibles : rivière, mur,
précipice, prairie. A ce moment, il lui est indiqué par l’un de ses proches ou
par l’être de lumière qu’il lui faut retourner en arrière. Assez souvent, il en
prend lui-même la décision, avec la permission de l’être de lumière, souvent
parce que ses enfants ou ses proches ont besoin de lui. Il peut y avoir un
combat intérieur tant la paix de ce qui est vécu contraste avec l’état habituel
du monde des hommes. A son grand regret, il se retrouve dans son corps. Ce
regret est moins sensible lorsque l’être de lumière n’a pas été rencontré.
Après le retour dans le corps, le témoin ne trouve pas de mots
pour décrire son aventure. Il pense pourtant l’avoir vécue comme « quelque chose de réel, de plus réel non
seulement que le rêve, mais que la réalité elle-même. » La distinction avec le rêve lui paraît en tous cas évidente.
S’il essaie d’en parler, on ne le prend pas au sérieux. Mais la vie et la mort
prennent pour lui un sens nouveau. Il peut se produire une véritable conversion
du comportement et des finalités de la vie : aimer son prochain et se préparer
à la rencontre avec l’être de lumière. S’il n’a pas rencontré l’être de
lumière, il s’efforce en général d’oublier cette aventure plus mystérieuse
qu’angoissante.
Qu'est-ce qu'une NDE ou Expérience de Mort
Imminente
Quelques remarques générales au sujet des
N.D.E. Pour plus de commodité, nous utiliserons le terme anglo-américain
d'expérienceur pour désigner toute personne ayant vécu une N.D.E. (Near Death
Experience) ou Expérience de Mort Imminente (E.M.I), encore appelée E.F.M
(Expérience aux Frontières de la Mort). Ce qui est remarquable dans les N.D.E.,
c'est que nous retrouvons tous les mêmes phases, bien qu'il n'y ait pas deux
N.D.E. identiques. Cependant, dans la réalité, nous qui avons vécu cette
expérience, nous ne connaissons que très rarement l'intégralité des étapes
répertoriées ci-après. Généralement, nous ne vivons que quelques-unes
d'entre-elles et l'ordre dans lequel se déroule ces étapes diffère d'une N.D.E.
à l'autre. Tous les chercheurs s'accordent malgré tout pour dire qu'il existe
une "structure-type" de la N.D.E., une sorte de modèle de référence,
dont ils soulignent les caractères d'invariabilité et de permanence, quelle que
soit la culture, l'époque, la zone géographique, l'âge, le sexe ou la religion
du sujet. Cependant, il ne faut jamais perdre de vue que la N.D.E. est une
expérience globale et globalisante qui se prête mal à une dissection
parcellaire de ses éléments que l'on essaierait ensuite de relier entre eux par
des liens de cause à effet. En réalité, cette expérience se situe tellement
au-dessus de la capacité de nos outils analytiques habituels que toute
tentative visant à la comprendre en la divisant et en l'émiettant, en quelque
sorte, s'expose inexorablement à en travestir la véritable nature. La
possibilité d'expérimenter une N.D.E serait donc une constante universelle, une
possibilité inhérente à la condition humaine qui ne serait ni rare, ni récente.
Par ailleurs, les N.D.E. sont remarquables par la richesse de leur contenu.
Potentiellement, elles comportent une prodigieuse variété‚ de thèmes de
réflexions et d'interrogations, ainsi que des voies de recherches prometteuses
dans des domaines aussi différents que la physique quantique, par exemple, ou
l'existence d'entités immatérielles désignées comme étant des "anges"
ou des "guides. » D'ailleurs,
ceux qui s'intéressent aux N.D.E. découvrent bien vite en les étudiant qu'il
semble impossible d'épuiser l'immense champs de recherches qu'elles contiennent
à l'état latent. Pour établir cette "structure-type », nous nous sommes inspirés des travaux du Docteur Raymond
Moody, et surtout de son livre fondateur "La vie après la vie.
» Nous avons puisé aussi dans l'œuvre du Professeur Kenneth Ring
et principalement dans ses deux excellents livres intitulés : « Sur
la frontière de la vie » et « En route vers Oméga. » Le
livre d'Evelyn Elsaesser-Valarino, « D'une vie à l'autre »
(cf. Le Grain de Sable n° 2 p. 21) nous a été d'une grande aide également.
Enfin, nos témoignages ont complété utilement ces recherches
Les principales étapes de la N.D.E.
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Lorsque la N.D.E. survient lors d'un accident ou d'une maladie
par exemple, notre état interne (physiologique et organique) est généralement
dégradé. Nous entrons alors dans le processus de mort et les mécanismes
physiologiques correspondants sont amorcés. Il peut alors être enregistré, si
l'on est dans un milieu médical, une perte de connaissance, un arrêt cardiaque
brusque, un électro-encéphalogramme plat, un pouls indétectable, une
respiration imperceptible,. Lors de cette étape, les conditions
physiologiques objectives sont réunies pour aboutir réellement à la mort. Pour
ceux qui l'ont vécu, l'intégrité physique est gravement menacée. Certains ont
d'ailleurs eu le sentiment que leur mort était proche, alors que d'autres n'en
ont pas eu conscience du tout. Une restriction notoire est à apporter ici car
il existe des cas où des N.D.E. se sont produites en dehors de tout risque
mortel. Il n'est donc pas nécessaire d'être physiquement proche de la mort pour
vivre une N.D.E. Cette restriction est importante, car elle montre que la
N.D.E. n'est pas intrinsèquement liée à la détérioration des fonctions
biologiques de l'organisme. Cette remarque pourra nous servir à valider, par
exemple, le rapprochement entre N.D.E. et expériences religieuses, mystiques ou
initiatiques, que nous développerons dans de prochains articles. Il semblerait
pourtant que le sentiment de mort inéluctable intensifie extrêmement l'impact
concret de l'expérience par la suite, dans la vie de ceux d'entre-nous qui
l'ont éprouvé. Leur regard sur la mort est définitivement et très profondément
changé. Peut-être pourrait-on dire que si toutes les N.D.E. changent le regard,
celles qui ont été vécues en conscience de mourir réellement, ancrent une
certitude totale que la mort n'est qu'un passage et transforme profondément le
regard sur la vie.
L'étape autoscopique correspond à l'épisode de sortie
hors du corps. Ceux d'entre-nous qui l'ont connue vivent une décorporation
(appelée O.B.E. Out of Body Expérience - expérience hors du corps). Lors de
cette décorporation, ils voient leur corps, sans le reconnaître tout de suite
quelquefois s'ils n'ont pas l'immédiate conscience de ce qu'il leur arrive. Ils
éprouvent une sensation de légèreté, et ils flottent au-dessus de leur corps
inerte. Certains "voient" à 360°,
dessus et dessous à la fois, d'autres normalement, mais tous voient très
distinctement les détails et l'ensemble, avec une clarté‚ très particulière. En
milieu hospitalier par exemple, ils "voient" et "entendent"
très bien le personnel médical s'affairer autour de leur corps pour les ramener
à la vie. Ils ont très souvent la faculté de lire dans la pensée des personnes
présentes. Ils découvrent souvent leur nouvel état en se découvrant planer au
plafond. Il semblerait que beaucoup réalisent seulement à ce moment-là, de par
ce qu'ils "voient" et "entendent" qu'ils sont en train de
mourir, souvent avec un étrange détachement. D'autres se déplacent au travers
d'objets matériels, de personnes, de murs, etc., déplacement très rapide, à la
vitesse de la pensée, avec la possibilité de se rendre très loin de leur corps
physique, auprès de leurs enfants par exemple, ou ailleurs, dans une évidence
simple et sans questionnements. Certains vivent cet épisode conscients du
changement de la relation à l'espace, d'autres ne réalisent l'étrangeté de ce
passage qu'après l'expérience. Certains d'entre-nous, dont Carl-Gustav Jung, un
des créateurs de la psychanalyse, sont sortis de leur corps, ont quitté notre
planète, et se sont retrouvés dans l'espace au-dessus de l'atmosphère
terrestre. Certains disent s'être ressentis dans un « corps subtil éthérique
», d'autres se sont perçus comme une conscience, d'autres encore n'ont rien
de spécial.
Ceux qui l'ont vécue sont envahis par un grand calme et
une paix profonde. Leurs douleurs physiques, même les plus vives, ont disparues
pour laisser place à un bien-être paisible et serein. Au cours de cette phase,
ils vivent un élargissement de la conscience. Etrangement, la capacité de
penser, de raisonner et de comprendre non seulement n'a pas disparue mais au
contraire apparaît comme très rapide, fluide, claire et instantanée. La
majorité d'entre-nous dit avoir vécu sa N.D.E., dans ces nouvelles conditions
d'existence, comme si une version élargie de l'être s'exprimait. Un sentiment
d'être plus authentiquement nous-mêmes, ayant pris conscience que la
personnalité n'est, en définitive, qu'un aspect contracté et limité de l'être
véritable. Comme si nous découvrions un "moi" supérieur et transcendant,
possédant des facultés plus développées que notre "moi" terrestre.
La plus grand partie d'entre-nous est aspirés dans une
sorte de tunnel, ou dans un couloir étroit, voire dans une "canalisation », et même parfois dans un « cône », plus
rarement un "vide noir. » Il
existe cependant des expériences dans lesquelles le tunnel est clair ou de
lumière ou un « passage d'énergie
protectrice. » Nous ne savons pas où
nous sommes mais nous ne sommes pas angoissés, au contraire. Nous sommes calmes
et sereins, certains expriment la curiosité de cette situation impensable. Nous
nous déplaçons, pour la plupart, très rapidement dans ce tunnel. La vitesse est
si prodigieuse que certains ont l'impression qu'ils se sont déplacés plus vite
que la vitesse de la lumière et ont franchi d'énormes distances (un nombre
infini de kilomètres disent-ils) en un temps presque nul. A un moment de ce
parcours dans le tunnel, nous percevons tous la Lumière, qui devient de plus en
plus intense. Certains s'en sont retournés à ce moment-là, simplement parce
qu'ils en ont éprouvé de la crainte. Mais en général cette Lumière nous attire.
Elle est fascinante et exerce sur certains un attrait irrésistible, magnétique.
Ils ressentent un besoin profond de la rejoindre. Dans le tunnel, certains
perçoivent des sons, plus ou moins harmonieux. Cela va de musiques d'une beauté
indicible aux simples sifflements, en passant, mais plus rarement, par des sons
pouvant être pénibles et dérangeants. D'autres y rencontrent leurs « disparus », des
« guides » ou des « anges », en
tout cas des entités qu'ils perçoivent comme tels.
Ceux qui ont vécu cet épisode décrivent les
"guides" comme étant des entités spirituelles, ou les assimilent
parfois aux anges gardiens. Ils les ont rencontrés à des étapes différentes.
Quelquefois, ils sont venus vers eux dès la phase de décorporation, la prise de
conscience de notre mort est immédiate dans ces cas-là- ou dans le tunnel
qu'ils ont aidé à traverser. D'autres fois, dans la Lumière. Ils nous
accompagnent presque toujours dans les revues de vie et dans les prises de
décision de notre retour sur terre. Les entités perçues comme
"guides" sont toujours bienveillantes. Elles peuvent, selon le cas,
prendre apparence humaine, mais avec un corps subtil éclatant, souvent revêtus
d'une tunique blanche qui descend jusqu'aux pieds (à noter que les pieds sont
souvent invisibles). Elles peuvent aussi se présenter uniquement sous une forme
lumineuse indéfinie, très puissante, sorte de foyer énergétique de Conscience
pure, neutre et impersonnel. Parfois, aucune forme n'a été vue mais il a été
ressenti une présence et entendu (ou non) le son d'une voix. Ces
"rencontres" communiquent télépathiquement guident et rassurent. Elles
répondent à toutes les questions. Cette communication est comparable à un
transfert immédiat de la pensée et des idées, sans aucun obstacle, « circulant" dans une absolue clarté, sans équivoques.
Les concepts sont perçus comme une vérité évidente et limpide, sans que le
doute d'une erreur ou d'un mensonge n'effleure. Nous sommes nombreux à dire que
nous recevions la réponse immédiate à la moindre pensée ou question qui nous
venaient à l'esprit. Les pensées sont émises et reçues sans l'intermédiaire
d'un langage particulier ; elles sont simplement et immédiatement comprises et
l'information "circule" à ce moment, de façon instantanée. Lors de
N.D.E. provoquées par un accident, il arrive que les "guides"
conseillent des gestes précis pour éviter de plus graves blessures, ou tout
simplement pour sauver la vie. Des chercheurs ont remarqué que les
"guides" apparaissent très souvent dans les N.D.E. d'enfants et
qu'ils prennent alors très souvent une apparence féminine. Lorsque la rencontre
se fait avec un foyer de conscience impersonnel, la communication peut prendre
la forme d'une mémoire retrouvée. Elle semble en
connexion étroite avec la Connaissance intégrale à laquelle elle donne souvent
accès.
La plupart d'entre-nous, une fois le tunnel franchi, sont
entrés dans ce que nous décrivons tous comme une Lumière d'une beauté
ineffable, qui, bien qu'étant très brillante (blanche ou dorée) et d'une force
inimaginable sur terre, ne brûle pas, n'aveugle pas, n'éblouit pas. Certains
récits la comparent au soleil ou à un coucher de soleil dont on peut regarder
les rayons en face sans être incommodé. Mais pour la majorité, elle est
indescriptible en langage humain. Elle est perçue comme une grande puissance vibratoire,
une Energie vivante, quelquefois un Etre. Certains y perçoivent des couleurs
vives, cristallines. Pour d'autre, elle apparaît comme une sorte d'arc-en-ciel
supraterrestre. Une sensation de chaleur douce y est souvent associée. Elle les
enveloppe, les pénètre. Elle est en eux. Il se passe une fusion entre la
Lumière et eux. Elle est eux, ils deviennent Elle, tout en conservant leur
individualité. Ceux d'entre-nous qui sont rentrés dans la Lumière, ne se
préoccupent plus de leur existence terrestre, ni de leur corps, ni de leurs
famille ou amis (pour nos enfants la question est plus délicate). C'est la
béatitude. Ils sont dans un état où seule existe la Lumière et une forme
sublime et transcendante de leur conscience. La Lumière est pour eux un univers,
une "porte" permettant l'accès à autre plan que celui que nous
connaissons. Quand ils pénètrent dans la Lumière, ils vivent diverses
expériences qui restent pour eux d'une importance primordiale. La Lumière
dispense un Amour inconditionnel qui n'a pas d'équivalent sur terre. Ils sont
submergés d'un Amour absolu, d'une profondeur et d'une pureté imaginable, qui
enveloppe l'ensemble de l'expérience. Certains Le reçoivent, baignent dedans
dans un bonheur serein et total ; d'autres Le perçoivent comme émergeant
d'eux-mêmes et deviennent source d'un amour indicible. L'Amour est partout, Il
est tout, le commencement et la fin de tout, l'essentiel, le sens du
"Graal. » Cette perception de
l'Amour marque souvent ceux qui l'ont vécue à jamais, et beaucoup en garde une
profonde et douloureuse nostalgie. En général, elle change en profondeur leur
perception du monde et des relations, et participe de manière essentielle aux
changements de valeurs qui suivent pratiquement toujours le retour à la vie.
La connaissance Intégrale :
La connaissance intégrale Pour ceux qui ont eu accès à la
connaissance universelle, tout s'est passé comme s'ils avaient eu accès à une
vision absolument prodigieuse concernant la totalité de l'univers. Pour les
uns, flot continu d'informations, pour les autres "océan de connaissance. » Ils reviennent avec le souvenir
d'avoir contemplé tous les secrets de l'univers, dans une compréhension étendue
du début à la fin des temps, - paradoxalement sans début ni fin puisque temps
et espace étaient abolis, d'avoir découvert le secret du cosmos, de l'espace et
du temps, d'avoir perçu l'harmonie parfaite de toutes choses et les liens qui
unissent les êtres et tout ce qui existe, d'avoir compris que nous faisons tous
partie d'un ensemble harmonieux, universel, dans lequel nous sommes tous
interdépendants où tout est interdépendant, d'avoir vu profondément l'unicité
de toute chose et de tout être, vu le sens de la vie en général, de la leur en
particulier. Cette Connaissance dépasse infiniment toutes les formes
de connaissances humaines, les capacités de compréhension intellectuelle et les
capacités cognitives humaines. Aucun mot ne peut la retranscrire sans la
réduire. Beaucoup disent avoir eu le sentiment de retrouver ce
savoir, comme s'il avait toujours été en eux. Cette expérience de Connaissance
est reçue le plus souvent dans la Lumière mais peut aussi être dispensée par
des "guides. » En réintégrant
leurs corps, ils ont reperdu cette mémoire mais ils sont nombreux à dire la
retrouver par bribes, le plus souvent au cours des lectures faites dans cette
passion de connaître que déclenche la N.D.E. chez beaucoup. Pendant toute cette
phase de la Lumière, ils parlent tous d'extase, de béatitude, mots qui pour la
plupart d'entre eux restent trop faibles pour exprimer ce qu'ils ont vécu. Une
paix, absolue, un sentiment radieux de perfection, une joie et un bonheur
incomparables à ceux qu'ils ont pu vivre sur terre. Ils sont nombreux à dire
avoir retrouvé là-bas leur "maison »,
leur "vraie demeure », leur
"patrie. » Ils étaient de retour
chez eux, enfin, après les tempêtes et les épreuves de la vie. Pour ceux qui
ont reçu l'Amour et la Connaissance intégrale, il est indéniable que le stade
de la Lumière représente la phase centrale et décisive de la N.D.E., son "noyau
dur », « l'expérience centrale" selon Kenneth Ring, son coeur
rayonnant. C'est la phase transcendante par excellence, une expérience
cruciale, d'une profondeur et d'une beauté indescriptibles. La grande majorité
de ceux qui ont vécu cette phase reviennent à la vie avec un regard sur le
monde tout autre. Elle est à l'origine des plus profonds changements de
valeurs, elle bouleverse tous les repères, les structures et les croyances
antérieures. C'est elle qui entraîne les plus grandes transformations,
les plus grandes perturbations aussi, la plus grande nostalgie.
La phase du panorama de la vie peut survenir dès le tout
début de la N.D.E. Dans ce cas, elle se déclenche le plus souvent lors d'un
événement brutal : accident, ou noyade par exemple. On peut tout aussi bien la
rencontrer dans le tunnel ou dans la Lumière. Ceux qui l'expérimentent la
vivent comme une revue panoramique, vivante, hors du temps, en trois
dimensions, parfois de leur vie entière, parfois seulement des événements
essentiels. Elle est revécue profondément, non seulement ses actions et
réactions mais aussi ce qu'elles ont provoqué chez autrui. C'est alors qu'ils
comprennent leurs erreurs et leurs impacts. Personne ne les juge, simplement
les causes et les effets de leur comportement deviennent évidents. Beaucoup
perçoivent aussi une question, telle que : - Qu'as-tu fait de ta vie ? -
Qu'as-tu fait de ta vie que tu puisses me montrer ? - Qu'as-tu fait de ta vie
que tu estimes suffisant ? - Qu'as-tu fait pour autrui ? - As-tu aimé
suffisamment autrui ? Cette question ne suggère ni condamnation ni jugement
quelconque, plutôt une aide à prendre conscience des vraies valeurs de la vie,
une obligation à voir l'essentiel. Ce qui paraissait important sur terre
(situation sociale, argent, possessions matérielles, notoriété, succès
mondains, réussite scolaire, etc.), devient secondaire dans la Lumière. De
même, les simples actes d'amour et de vérité, jugés insignifiants sur terre,
prennent alors une dimension insoupçonnée et une valeur considérable. Ils
comprennent l'importance primordiale de l'Amour. Les actes sont appréhendés par
rapport au degré d'Amour qui les a inspirés. Ils découvrent que le critère
fondamental d'évaluation de la conduite humaine est l'Amour. Toute leur vie est
pesée à l'aune de l'Amour. Les actes accomplis par et avec Amour et
authenticité sont essentiels, seuls facteurs de progrès spirituels. Le panorama
de la vie s'effectue devant une entité bienveillante et aimante, un "guide"
ou un "ange" ou un foyer d'énergie lumineuse. Cette présence ne juge
pas, elle pointe seulement les actes adéquats ou inadéquats. La confrontation
avec le panorama de vie est pour ceux qui le vivent une grande source
d'enseignement et de compréhension. Pour certains, cette vision ne s'est pas
limitée au passé et s'est étendue à leur avenir. D'autres y ont revécu des
scènes de vies antérieures. D'autres encore ont vu le futur de l'humanité.
Généralement, ce qui leur est montré concerne des catastrophes naturelles (inondations,
tremblements de terre, activité volcanique accrue, etc.), des guerres, des
famines, et des problèmes engendrés par la pollution. La leçon qui se dégage de
ces images est que si l'humanité s'entête dans ses erreurs et ses errements
actuels, il lui faudra bientôt affronter de redoutables épreuves.
Les rencontres peuvent avoir lieu, elles aussi, à
différents stades de la N.D.E., dans la Lumière, dans le tunnel, lors de la
décorporation, voire même dès la première étape d'entrée dans la mort. Ceux qui
les ont vécues rencontrent des parents, des amis, dont certains qu'ils n'ont
jamais connus (un grand-père mort avant leur naissance, par exemple). D'une
manière générale, les défunts viennent spontanément à leur rencontre pour les
accueillir et pour les aider à aller plus loin si la rencontre a lieu dans les
premières étapes de l'expérience. Il peut y avoir une seule personne,
plusieurs, ou parfois même toute une "foule », en général, très heureuse de les accueillir. Se vivent toujours
de joyeuses retrouvailles pleines d'amour, comme après une longue séparation.
Dans d'autres cas, les défunts se contentent de sourire en silence. Lorsqu'il y
a communication, elle est télépathique. Ils peuvent leur apparaître dans une
sorte de corps subtil diaphane, réplique exacte de leur corps terrestre, sans
aucune trace de dommages, même si leur mort avait été violente (par exemple :
accidenté.).
En sortant du tunnel, certains d'entre-nous arrivent
directement dans une sorte de paysage surnaturel d'une très grande beauté. Les
visions décrites sont soit de magnifiques jardins, des prairies, des paysages
champêtres analogues à nos plus belles campagnes. Mais la splendeur de ces
paysages ne trouve aucun équivalent terrestre. Il y règne une telle perfection
qu'elle fait dire à certains avoir l'impression d'avoir séjourné au « Paradis. »
Cette mention fait aussitôt penser au fameux jardin d'Eden mentionné dans la
Bible et dans toutes les autres descriptions paradisiaques mentionnées dans les
autres traditions. La mort semble bannie de cette étrange contrée. Aucune feuille
fanée, aucune branche cassée, aucun arbre sec ne viennent rompre le charme
fascinant de ces lieux. Là-bas, tout paraît extraordinairement vivant. Ceux qui
ont eut la chance de cette fabuleuse visite disent y avoir observé une très
grande variété de fleurs, de plantes, souvent totalement inconnues. Des fleurs
qui, par exemple, réagissent au touché en changeant de couleur. Certains
perçoivent cette flore fantastique comme interagissant avec leur conscience.
Cette nature bienveillante, harmonieuse et parfaite, leur donne l'impression
d'être en osmose totale avec leur état d'esprit. On peut y rencontrer des
animaux (chevaux, oiseaux, etc.), de même que des chemins, des ponts, des lacs,
des clôtures, des vallées, et même pour certains des habitations. Jamais et en
aucun cas il n'y a été rencontré une quelconque hostilité. Tout est d'une telle
harmonie et d'une si étonnante beauté que ceux qui l'ont contemplé ne peuvent
l'oublier.
Certains d'entre-nous ont visité de véritables
"villes de lumière. » Elles sont
généralement immenses et ressemblent à nos cités terrestres. Elles ont leurs rues,
des jardins extraordinaires et des édifices divers. Elles sont construites avec
des matériaux transparents, semblables à du plexiglas et qui ont souvent la
forme de briques cubiques, dans lesquelles brille une "lumière d'or et
d'argent. » La lumière qui les
illumine semble provenir tout autant du centre de la ville que des bâtiments
eux-mêmes. Tout y respire la clarté, la pureté, l'harmonie, la beauté, la
douceur et l'Amour. Dans ces récits, la ville est souvent en liaison étroite
avec la Connaissance intégrale, tout comme la rencontre des foyers d'énergie
pure. En effet, certains édifices ressemblent à des cathédrales dans
lesquelles, ceux qui y pénètrent sont envahis par un immense flot de
connaissances. Ils en parlent comme d'un lieu de savoir, disent parfois que
l'édifice et les matériaux sont en fait la Connaissance même. Il peut leur
arriver d'entendre, de comprendre et de parler des langues inconnues.
Cette frontière représente la limite entre le monde des
vivants et celui des morts. Elle "matérialise" une zone de
démarcation à la fois réelle et symbolique entre la condition humaine terrestre
et cette forme d'existence supraterrestre. Tous ceux d'entre-nous qui la
perçoivent savent que cette limite franchie, ils ne reviendront pas dans le
monde des humains. Bien qu'elle soit difficile à décrire avec les mots du
langage ordinaire (comme toute l'expérience d'ailleurs), elle est parfois
comparée à une ‚tendue d'eau, lac ou rivière, à une barrière, sous forme de
"mur », ou "clôture"
ou "haie », parfois même à une
montagne. A quelque étape que soit perçue cette frontière, elle indique la
limite du "voyage », qui peut
parfois être orienté dans un autre sens, vers une autre phase. La plupart
l'acceptent simplement et sans questions ; d'autres la craignent ou s'en
tiennent à distance ; d'autres encore tentent de la forcer et rencontrent à ce
moment-là une "présence" qui les guide ailleurs et ils
"comprennent" alors d'eux même que ce n'est pas le moment. La présence de
cette frontière laisse à penser que l'expérience de la N.D.E., avec toutes ses
phases, se déroule dans un espace "sas" entre la vie consciente et la
mort effective, qui se situe au sens propre comme au sens figuré réellement
entre la vie et la mort, libre des lois de la première et initiatrice de celles
de la seconde.
Il est demandé à certains s’ils veulent revenir. Une
vision de leurs proches ou de leurs enfants est souvent décisive. Certains décident
de repartir, d'autres se voient renvoyés et d'autres encore l'acceptent,
comprenant soudain ce qu'il leur reste à faire ou à apprendre. Beaucoup se
retrouvent brusquement dans leur corps, sans qu'il ne leur soit rien demandé ou
dit. Un des aspects les plus étranges de cette phase concerne la réintégration
corporelle qui survient, le plus souvent, immédiatement après que la décision
de retour ait été prise, volontairement ou non. C'est le moment précis de
l'inversion du processus de mort. On pourrait dire que tant que la décision de
retour n'a pas été prise, nous restons dans ce sas, mort en puissance, vie en
sursis. Tout se passe alors comme si notre vie physique était
suspendue à cet instant. Décidons-nous de rester dans l'au-delà et nous
mourons, décidons-nous ou acceptons-nous le retour et nous réintégrons notre
corps. Certains d'entre-nous sont revenus à la vie alors que leurs fonctions
corporelles, trop affaiblies ou détériorées, ne leur permettaient normalement
pas. Ils n'auraient pas dû survivre. Quelques uns ont même totalement et
inexplicablement guéris.
La plupart n'ont aucun souvenir du retour dans leur
corps. Ceux qui s'en souviennent parlent tous d'un moment très désagréable, avec
la sensation de rentrer dans un vêtement trop étroit. Les uns sont rentrés dans
leur corps par le haut du crâne, d'autres par le ventre. La majorité s'est
retrouvée brutalement engoncée dans un corps parfois terriblement douloureux,
par exemple lors d'un accident ou d'une maladie. C'est brutalement à nouveau le
contact avec la vie, dans la dimension ordinaire. Nous y découvrons que ce
voyage qui nous a paru si long s'est écoulé en une fraction de seconde. Comme
si il y avait eu une distorsion du temps, suspendu ou "gel‚" tout au
long de cette expérience. Ce retour à la vie et dans le corps est, pour la
plupart, vécu dans un bouleversement émotionnel plus ou moins profond et plus
ou moins long. Certains parlent : - Pourquoi m'avez-vous ramené ? - Je voulais
rester là-bas. - J'ai vu. En général,
leurs propos sont tenus pour du délire ou des incohérences dues au choc. S'ils
persistent, souvent en milieu hospitalier, ils ne tardent pas à recevoir la
visite du psychiatre. Beaucoup se taisent. Si l'expérience n'est pas allée
trop loin, certains peuvent même revenir en ayant l'impression d'un rêve très
étrange. De manière générale, plus la N.D.E. a été profonde, surtout si la
Lumière a été rencontrée dans toutes ses composantes, plus son impact sera
fort. Parler ou se taire dépend bien souvent de l'accueil que nous craignions à
nos propos. Une évidence qui, dans la majorité des cas, nous contraint au
silence ce qui ne simplifie pas la phase suivante. Cette phase de
la N.D.E. peut donc être inconsciemment occultée. Mais nous sommes de plus en
plus nombreux à penser que, loin d'être insignifiante, elle pourrait bien être,
au contraire, décisive au déroulement global de l'expérience, à la forme de son
impact concret et au degré d'intégration ultérieur.
La terre est un lieu merveilleux pour vivre, si l'on n'en
connaît pas d'autres. Or le problème justement est que nous avons entrevu un
autre monde, bien meilleur, tellement plus beau, vrai, harmonieux. Contrairement à
ce que l'on croit, les difficultés de réadaptation à la vie normale sont plutôt
la règle que l'exception. Nous avons vécu une expérience inintégrable dans le
cadre reconnu par notre société, notre culture, notre religion, et dans
l'immenses majorité, notre famille même. Après le choc, à
dépasser de l'expérience elle-même, d'une manière générale, nous avons
"peur de passer pour un fou »,
et malheureusement non sans raison, beaucoup d'entre-nous ayant fait la
douloureuse expérience de l'incompréhension, de la méfiance, voire de la visite
du psychiatre ! Nous nous retrouvons dans l'impossibilité de parler, de
partager, de recevoir des explications, d'être rassuré, de comprendre ce qui
nous est arrivé. Dès notre retour, bien sûr, nous nous replions sur nous-mêmes
et sur notre indicible et perturbant vécu, nous rentrons dans le secret. Nous nous
retrouvons très rapidement à avoir besoin d'accepter, de reconnaître la
validité pour nous de cette expérience, pour certains soudain étrange, sinon
suspecte, pour les autres toujours aussi prégnante mais maintenant perturbante
tant elle change notre regard sur la vie, de nous l'approprier et de la voir
reconnue et comprise dans les changements qu'elle apporte. Ce qui est rarement
le cas car en général le silence règne. Les liens familiaux et sociaux établis
avant sont très souvent soumis à rude épreuve, de manière incompréhensible pour
les autres puisque rien n'a été exprimé. Nous réapproprier notre corps est loin
d'être toujours évident. Une intégration harmonieuse nous oblige à accepter
cette expérience pleinement. Nous devons digérer l'enseignement ramené, la
mémoire retrouvée, les dimensions contactées, ce qui peut, selon les cas,
remettre en question jusqu'aux fondements de notre identité et de notre
personnalité car nos repères habituels, nos modes de pensée et notre conception
du monde et de la vie ont changés, ce qui peut créer de profonds
bouleversements dans nos vies. L'intégration est d'autant plus longue et
difficile que le silence dure, car nos proches, conjoints, parents ou amis ne
sont, dans la plupart des cas, pas du tout préparés à recevoir ni à accepter ce
genre d'expérience et encore moins leurs répercussions. De plus, le fait
d'avoir connu une réalité merveilleuse et de l'avoir "perdue" pour
revenir parfois dans un corps très douloureux ou des circonstances de vie
insupportables, a généré, chez certains d'entre-nous, une profonde fracture
intérieure. D'un côté, ils ‚prouvent cette nostalgie du "paradis
perdu" et de l'autre, peuvent avoir à affronter de nouveau des contraintes
parfois particulièrement difficiles de l'existence terrestre. Cette situation,
en plus du silence et de la solitude éprouvée, peut engendrer de nombreux
déséquilibres psychologiques et de profondes dépressions. Quelques uns
d'entre-nous reviennent avec l'impression d'avoir eu accès à la Vérité absolue,
peuvent se penser détenteur d'une grande mission et développer un complexe de
gourou. D'autres passent par une phase de gonflement de l'ego relativement
brève si l'intégration se fait de manière équilibrée. Il nous faut en général
une dizaine d'années environ pour vivre en harmonie avec notre expérience.
Lorsque nous réussissons cette intégration, les répercussions tant
psychologiques que comportementales peuvent se révéler très positives. Pour certains
d'entre-nous, les choses se révèlent plus longues, plus douloureuses. Dans ce
cas-là, nous ressentons cruellement la solitude, le besoin de compréhension, de
partage et d'aide. Chacun procède alors à sa manière pour se protéger d'un
monde vécu comme agresseur et injuste et cherche à sa façon à retrouver son
sens et sa cohérence Nous sommes unanimes pour souligner le caractère
transformateur de nos N.D.E. respectives. La transformation qu'elle opère chez
beaucoup d'entre-nous est parfois si radicale et si profonde qu'elle laisse en
nous une empreinte indélébile. Les métamorphoses intérieures qui en découlent
marquent souvent une rupture définitive avec le passé.
a) - Renversement des valeurs.
D'une manière générale, vivre une N.D.E. a notablement
modifié notre vision du monde. La grande majorité d'entre-nous, surtout ceux
qui ont bénéficié du contact avec la Lumière, reviennent avec une nouvelle
conception de l'existence. Lorsque ce changement de valeurs intervient, de
manière plus ou moins profonde selon les cas, il transforme notre rapport à la
vie. Notre compréhension des relations humaines est différente. Bien sûr, nous
rejetons le matérialisme et l'individualisme moderne, donnant désormais
priorité aux valeurs essentielles. La plupart d'entre-nous parlent de la
primauté de l'être sur l'avoir, de celle de l'amour dans toutes les situations
relationnelles, de développer la compassion, l'ouverture et l'écoute à l'égard
d'autrui, de cultiver l'oubli de soi et de diminuer l'impact séparateur de
notre ego. Une vision commune de la vie se développe après la
N.D.E. : l'homme serait sur terre pour apprendre et évoluer et la vie faite de
mises en situation et d'épreuves dans ce but, ce passage sur terre étant très
court par rapport à ce qu'il retrouvera après la mort. Nous quitterions notre
véhicule corporel pour accéder à la réalité de l'au-delà, où continuent
l'apprentissage et l'évolution spirituelle. Nous n'avons plus peur de la mort
puisque nous sommes persuadés que la vie continue sous une autre forme.
Beaucoup d'entre-nous ont tendance à admettre l'idée de la réincarnation, et
sont attirés par les religions orientales. En ce qui concerne notre rapport aux
religions institutionnalisées, nous n'accordons, en général, moins sinon plus
du tout, d'importance aux aspects formels et rituels de chaque culte. Beaucoup
d'entre-nous les rejettent même comme étant séparateurs. Cette tendance
provient sans doute du fait de cette vision unitive des différentes religions,
que nous considérons comme des manifestations relatives et contingentes d'une
vérité sous-jacente, d'une vérité transcendante qui serait située au cœur de
tous les cultes et de toutes les voies spirituelles. D'ailleurs,
beaucoup d'entre-nous rêvent d'une sorte de religion universelle qui les
engloberait tous et toutes.
b) - Recherche de connaissances nouvelles.
Après cet oubli de l'océan de Connaissance dans lequel
nous avons été plongés, sommes-nous à la recherche d'une autre conception du
monde, ou de nouveaux points de repères ? Cherchons-nous à confirmer, ancrer ou
structurer celle que nous ramenons avec nous ? En tout cas, nous avons tous un
point commun : le besoin insatiable de connaître et de s'informer. Nous
consacrons tous beaucoup plus de temps à la lecture et à la réflexion. Beaucoup
d'entre-nous entreprennent des recherches dans le domaine de la spiritualité,
des états de conscience modifiée, des phénomènes paranormaux. Certains
éprouvent une attirance très marquée pour la cosmologie, ou la physique. Dans
ce dernier cas, l'intérêt va surtout vers la physique quantique même sans
aucune connaissance de base dans ce domaine. Il est vrai que les concepts
développés par la théorie quantique sont beaucoup plus en résonance avec notre
nouvelle vision de la réalité‚. Entre autre dans sa représentation de l'espace
et du temps, très différente de la conception habituelle. Nous y retrouvons un
niveau de réalité dans lequel il n'y a ni passé, ni présent, ni avenir, mais
simultanéité absolue de tous les événements. La théorie des quanta semblerait
donner à la N.D.E. un sens et un cadre que ne peut lui accorder la physique
newtonienne conventionnelle. Beaucoup d'entre-nous disent retrouver, au cours
de leurs recherches diverses, des bribes de la mémoire perdue. Ce qui leur
permet peut-être de manière subtile de confirmer et de structurer de manière
plus stable cette nouvelle appréhension du monde.
c) - Dons psychiques.
Une des répercussions inattendue de nos N.D.E. est, assez
souvent, l'acquisition de dons psychiques tels que la télépathie, la
clairvoyance, la télékinésie, la précognition, la prédiction, les O.B.E, la
bilocation, les visions d'apparitions, la propension aux états de conscience
modifiée, au don de guérison, etc. Selon les cas, il peut nous être difficile
de reconnaître, d'admettre et de vivre avec ces nouveaux dons. Si l'on part du
principe que la N.D.E. est bien une expérience spirituelle, qui peut être très
profonde, rien n'interdit de penser que, comme d'autres expériences
spirituelles, elle soit capable de déclencher un développement plus ou moins
spectaculaire de nos facultés psychiques. Cet aspect des implications de la
N.D.E. est des plus fascinants. Cependant, les études dans ce domaine ne sont
pas faciles à réaliser d'une part, parce qu'il est difficile de prouver que
c'est la N.D.E. qui est à l'origine du "réveil" de ces facultés,
d'autre part, parce qu'elles ne se laissent pas facilement appréhender par les
méthodes habituelles d'investigation scientifique.
d) - Besoin de partager.
Nous avons souvent souligné le fait de rencontrer
beaucoup de difficultés à raconter et expliquer notre N.D.E à des tiers. Nombre
d'entre-nous ont mis l'accent sur l'impossibilité dans laquelle ils étaient
d'en faire part même à leur famille ou à leurs amis. Plusieurs années peuvent s'écouler
avant que nous osions enfin nous ouvrir à des proches. Aussi délicat que cela
puisse rester, il est devenu actuellement plus facile d'en parler car ce
phénomène est, malgré tout, de plus en plus connu. Beaucoup d'entre-nous
mentionnent le fait d’être revenus à la vie parce qu'ils n'avaient pas achevé
leur "mission », ou parce qu'il
leur restait quelque chose d'important à faire ici-bas. De fait, nous avons en
général conscience que notre vie a un sens, et sinon, lui cherchons-nous une
signification nouvelle. La plupart d'entre-nous éprouvent le besoin profond de
connaître la finalité de notre existence et de savoir à quels buts se
consacrer. Nous pensons souvent qu'il doit y avoir une raison à notre N.D.E., à
notre retour à la vie, avec le sentiment prégnant qu'elle s'inscrit dans un
ensemble plus vaste et que nous avons désormais conscience d'un rôle à jouer
dans le monde. Certains le ressentent même comme une mission. Et précisément,
ce rôle consiste d'abord, pour quelques-uns d'entre-nous, à témoigner et à
tenter d'expliquer aux autres ce qu'il nous est arrivé. A noter le paradoxe de
cette situation puisque quasiment tous, nous insistons sur le caractère
ineffable de notre expérience et sur l'impossibilité de la partager. Comment et
avec quels mots décrire une expérience qui ne l'est pas, qui s'est déroulée
dans une dimension aussi immatérielle qu'intemporelle, et dont nous avons
oublié les révélations. Et pourtant, ce besoin de partager
l'incommunicable, de dire l'indicible, de faire connaître, d'ouvrir une brèche,
peut être là Un chemin vers une autre vision de la vie et du monde.
e) - Préoccupations humanitaires et écologiques.
Une des préoccupations semblant découler automatiquement
de notre N.D.E. concerne l'avenir de la planète et de l'humanité. Les
"études" disent qu'il est possible que cette expérience nous ait
donné une conscience plus aiguë de la précarité et de la fragilité des systèmes
vivants. Peut-être, certainement, quoique cette explication ne soit pas
suffisante. Il est nécessaire d'évoquer une raison sous-jacente, plus profonde
que l'inquiétude provoquée par les récentes et graves ruptures de l'équilibre
de notre planète et par le devenir de l'homme. Certes, nous vivons une époque
où ces équilibres sont très menacés et où émerge une très timide forme de
conscience écologique et humanitaire. Nous nous inscrivons donc parfaitement
dans cette mouvance, mais avec la différence que nos motivations s'enracinent
avant tout dans notre N.D.E. Certains d'entre-nous ont vu l'avenir de notre planète,
en général assez sombre. Mais surtout, beaucoup d'entre-nous ont vu et compris
qu'en tout être humain, la Lumière est présente, que nous sommes tous
profondément égaux, que la nature elle-même, faune et flore, est notre égal,
que nous devons la respecter et qu'elle nous le rendra au centuple. Le
développement de la pensée d'un humanisme et d'une écologie planétaire découle
avec évidence de cette compréhension.
f) - Développement de la créativité.
Il n'est pas rare qu'à la suite d'une N.D.E se manifeste
pour certains une irrépressible envie de créer. Ceux qui étaient déjà artistes
découvrent de nouvelles sources d'inspiration et peuvent même parfois être,
comme ils le disent, « guidés" par
une force qui les dépasse. Ceux qui n'avaient pas de prédispositions
particulières pour les arts se sentent brusquement inspirés et se lancent à
corps perdu dans la poterie, la peinture, la sculpture, l'écriture, etc.
g) - Changement de personnalité.
Ce changement dépend d'une appropriation et d'une
intégration équilibrée et harmonieuse des différents aspects et répercutions de
nos expériences. Pour la majorité, le changement commence par une vision de la
vie différente, sinon totalement transformée. Mais le concept n'est pas la
chose. La remise en question peut concerner parfois beaucoup de domaines, la
mise en acte peut être très douloureuse, les ajustements personnels intérieurs
et extérieurs difficiles et problématiques. On peut estimer que l'intégration
est réussie lorsque s'accomplit le processus qui nous conduit à adopter un mode
d'existence conforme à cette nouvelle conscience de notre nature profonde.
Notre comportement peut alors changer radicalement. Dans ce cas, les traits
généraux qui caractérisent ce changement de personnalité‚ peuvent être résumés
ainsi : - Une meilleure estime de soi et une plus grande confiance en soi, une
auto acceptation, avec ses qualités et de ses défauts, dans un jugement plus
objectif et serein de soi-même et la capacité de se remettre en question et de
"travailler sur soi. » Il y a
une profonde aspiration à l'authenticité dans ses relations, à l'expression de
l'identité véritable. - L'affirmation de soi se fait sans crainte ni excès et
l'approbation extérieure revêt beaucoup moins d'importance. De manière assez
générale, il y a plus de dynamisme, d'activités et d'engagements dans divers
projets. On vit l'instant qui passe dans une sorte de paix et de réconciliation
intérieure. Il n'y a plus de peur de la mort. Si le changement de personnalité‚
est parfois très spectaculaire il faut savoir qu'il ne se produit pas sans
souffrances, mais au contraire au prix de douloureuses ruptures avec le passé
et de longs ajustements intérieurs. Il devient impératif de renouer avec son
essence la plus intime et en définitive de devenir ce que l'on est vraiment. En
tout cas, quel que soit le chemin de la transformation, il est évident pour
ceux qui la vivent qu'ils ne peuvent plus être ce qu'ils étaient avant leur
N.D.E.
h) Difficultés et pièges.
Tant que l'appropriation et l'intégration de nos
expériences ne sont pas faites, nous passons par beaucoup de phases de
décalages, de malaises, de déséquilibres qui peuvent être très douloureuses.
Beaucoup ont perdu tous leurs repères, leurs bases ; leurs croyances sont
bouleversées. Nous revenons en effet avec une vision nouvelle mais cela peut
aussi rester dans les concepts ou les discours, car nous nous retrouvons
prisonniers, malgré toutes les merveilles entrevues, d'une multitude de vieux
conditionnements émotionnels, culturels et personnels. Nous aspirons tous à
exprimer la Lumière et l'Amour de notre nature profonde, mais dans la
confrontation avec la réalité de la vie "ici-bas », il n'y a plus l'évidence perçue "là-bas. » Le choc peut être très rude. Certains
peuvent s'enfermer dans un regret nostalgique, passer par des dépressions
profondes. D'autres, au retour, peuvent se réapproprier les valeurs ordinaires
et considérer leur expérience comme un rêve magnifique. La difficulté peut
conduire certains à l'occulter, comme un fantasme utopique, à la rationaliser
ou au contraire à la mystifier. Il y a aussi les crises mystiques, les
affirmations absolues et les gourous en herbe. Chacun cherche à continuer à
vivre à sa manière et à retrouver ses marques. Les uns essayent de coller leurs
visions à la vie, d'autres la vie à leur vision. Il revient alors à chacun de
trouver le moyen d'effectuer le travail d'harmonisation nécessaire à la
construction d'une identité renouvelée et équilibrée. Ce qui peut parfois être
particulièrement difficile à réaliser sans écoute compréhensive et sans aide
appropriée. En dernier lieu, notre N.D.E. aura sur nous l'impact que notre
interprétation et notre appropriation lui permettront d'avoir et notre
transformation sera proportionnelle au changement que nous serons capables
d'accepter dans nos vies, quel que soit le plan concerné. Les N.D.E.
douloureuses ("négatives") Certains d'entre-nous ont vécu une
expérience difficile et semble-t-il parfois même terrifiante. Pour beaucoup
d'entre eux, il est très difficile et parfois impossible d'en parler,
d'expliquer, de raconter. Ils ne connaissent pas les aspects dont
nous venons de parler et ont, semble-t-il, souvent bien du mal à exprimer ce
qui les a terrifié. Rien dans leur vie ou leur personnalité ne les différencie
de nous tous. Il semblerait qu'ils aient abord‚ "là-bas" par un côté
plus sombre ou d'un symbolisme obscur. Ils en gardent
souvent un souvenir difficile et la crainte de la mort semble persister.
Certains en reviennent très perturbés, d'autres avec un regard nihiliste sur la
vie et d'autres encore dans une quête spirituelle intense et réparatrice. Ceux
d'entre-nous qui ont vécu ces voyages douloureux n'en parlent pas ou très
rarement. Il est difficile pour eux de raconter ce vécu particulier, de poser
une expérience douloureuse au côté de tant de récits merveilleux. Même ceux
d'entre-nous qui ont vécu cette étape sombre avant la Lumière, en parlent peu,
voire l'occulte complètement pour ne parler que du lumineux. Mais tant que nous
n'aurons pas les témoignages de leur vécu, tant que nous ne saurons pas quels
sont leurs points communs, leurs visions, leurs angoisses, leur douleur
commune, nous n'aurons qu'une face de la N.D.E., qu'un aspect. Celui dont on
parle, que l'on met en exergue, dont on généralise l'interprétation comme étant
ce que l'on trouve derrière la mort. Peut-être
sont-ils beaucoup à ne rien dire de leur expérience douloureuse ? Les entendre,
les écouter, nous ouvrir au message qu'ils portent est essentiel pour pouvoir
appréhender le double aspect de ce qui se trouve derrière la porte de la mort. Ils portent très
probablement un message de première importance pour ce qui est d'une
compréhension encore plus globale de la Vie. Conclusion Nous vous avons
présenté ce que les scientifiques appellent la "structure-type" de la
N.D.E., en exprimant la manière dont nous la vivons. Bien sûr, elle n'est pas
exhaustive et vous pouvez nous aider à l'améliorer en nous faisant part de vos
remarques et de vos expériences afin d'élargir ensemble ce modèle. Si d'autres
caractéristiques de la N.D.E. vous paraissent oubliées, si vous avez vécu des
aspects particuliers, n'hésitez pas à nous les communiquer car c'est essentiellement
à partir de vos témoignages que nous affinerons les aspects essentiels de nos
expériences. Il y a peut-être deux autres points qu'il serait nécessaire
d'approfondir. Ce sont d'une part les effets biologiques éventuels de la
N.D.E., par exemple les effets sur la composition sanguine, le système
immunitaire, le fonctionnement du système nerveux, etc. les différences
biologiques entre avant et après. Si tel est votre cas, écrivez-nous, s'il vous
plaît. D'autre part, nous ne connaissons pas la multiplication de la N.D.E. en
occident, et peut-être dans le monde entier, ni l'impact de ce phénomène sur
l'évolution de l'humanité. Les recherches dans ces domaines sont pratiquement
inexistantes. Le champ est ouvert aux recherches, aux analyses, aux interprétations
et aux supputations. Il est ouvert aussi vers une autre réflexion, un autre
point de vue : la N.D.E. ouvre une brèche dans la conception ordinaire du
monde. Si l'on accepte sa réalité, sans la réduire à une résultante biologique
quelconque, elle secoue et bouleverse les repères sur lesquels sont assis
toutes nos croyances et tous nos systèmes de pensées, notre conception du réel
et de la vie. Elle est novatrice, transformatrice, perturbante, dérangeante. Et c'est parfait
ainsi, chacun se trouvant effectivement responsable à la fois de son
interprétation, de sa réponse et de ses résultats.
a) Analyse : La description de cette expérience, telle qu’elle est
rapportée plus haut, permet d’établir, par induction ou déduction
philosophique, quelques conclusions. Elle pose surtout au philosophe de
nombreuses questions.
- Les témoins ne sont pas morts (séparation de l’esprit et du
cerveau) puisqu’ils demeurent capables d’opérations sensibles : ils voient,
entendent, ils éprouvent des sentiments (paix, bien être et, sous d’autres
rapports, inquiétude, angoisse.) Ils restent en rapport avec les facultés
sensibles dont l’exercice lié à la matière ne peut être le fait d’un pur
esprit. Ils sont liés à leur corps ou, pour le moins, à quelque chose de leur
corps. C’est pourquoi il est raisonnable de parler d’expérience de mort
approchée et non d’expérience de la mort.
- Les témoins décrivent une sorte de rupture entre leur vie
végétative, représentée par leur corps physique qu’ils observent comme mort
au-dessous d’eux et leur vie psychologique et spirituelle qui subsiste en
dehors de ce corps dans un double fait de matière non palpable. Faut-il donc
parler pour décrire le cheminement de la mort d’une étape de séparation entre
le corps physique et un corps psychique ? Ce serait un apport intéressant qui,
s’il s’avérait vrai, pourrait avoir des conséquences importantes pour la
philosophie des vivants. D’autre part, l’existence d’une manière de corps
psychique, fait de matière réelle quoiqu’impalpable, pourrait ouvrir la voie à
une meilleure connaissance des propriétés de la matière en science physique. Il
n’est pas exclu qu’à l’état corpusculaire et ondulatoire de la matière, on
puisse ajouter un état psychique encore inconnu et siège de la vie sensible.
- Les témoins décrivent avec étonnement ce phénomène inconnu en
Occident quoique très connu en Chine, de séparation du corps physique et d’un
corps psychique. Les théologiens occidentaux parlent plutôt de séparation du
corps (vie végétative et vie sensible) de l’âme spirituelle (vie de l’esprit)
quand ils analysent la mort. Faut-il renouveler notre conception théologique de
la mort (les morts seraient des esprits liés à leur vie sensible) ou simplement
parler d’une étape non encore décrite (en admettant une étape suivante de
séparation du psychisme sensible et de l’esprit) ?
- Les témoins décrivent tous une augmentation qualitative de leur
vie sensible et l’apparition de nouvelles facultés sensibles comme la
télépathie, la liberté des mouvements locaux par rapport aux limites
habituelles comme la gravitation, les obstacles matériels. Il semblerait donc
que la séparation d’avec le corps biologique libère la vie psychique sensible
d’obstacles importants. Toute la difficulté de cette description réside dans la
question suivante : le siège des facultés sensibles est le cerveau. La
neurologie le montre de manière expérimentale. Comment expliquer la subsistance
de telles facultés alors que l’activité électrique du cerveau est nulle ? Le
cerveau et son activité neurologique ne serait-il qu’un siège facultatif de la
vie psychique. Dans ce cas, il est difficile d’en comprendre l’utilité. Est-il
au contraire un siège nécessaire mais qui laisse subsister une activité
psychique quelque temps après sa destruction, un peu comme un aimant naturel
transforme pendant quelques minutes un morceau d’acier en aimant, alors qu’il
n’est plus en contact avec lui ?
b) Critique : S’agit-il d’une expérience imaginaire ou d’une
réalité ? L’étude de la condition nouvelle où prétendent se trouver les témoins
intéresse davantage le philosophe que le théologien. Elle n’a pas en soi de
valeur religieuse. Mais elle est extrêmement importante pour décider si la
suite de l’expérience de mort approchée est un pur effet subjectif dans le
cerveau fragilisé ou une expérience réelle. En effet, la vérification de la
valeur objective de toute l’expérience de mort approchée trouve une aide
précieuse dans le fait que, pour cette phase, une enquête de type policier peut
être faite : le récit des témoins concorde-t-il avec ce qui s’est passé
réellement pendant leur mort clinique ? Par cette méthode, il n’est pas
possible d’obtenir une certitude de type mathématique ou positive. Il est
possible par contre d’obtenir une certitude humaine rigoureuse, fondée sur des
témoignages impossibles à falsifier dans leur confrontation à ce qui s’est
réellement passé au cours de leur mort clinique.
Fondé sur la base d’enquêtes sérieuses décrites par le Docteur
Moody et bien des chercheurs après lui, il est possible de conclure à la
réalité d’un phénomène paranormal particulier, réel et non seulement lié à la
réaction subjective d’un cerveau fragilisé. En effet, un questionnaire sérieux
réalisé auprès des témoins et confronté aux récits de ceux qui ont assisté aux
tentatives de réanimation, confirme la vérité de ses dires : il a bien vu, de
manière vraie et vérifiable, ce qui se passait dans la pièce, alors même qu’il
gisait inanimé sans activité apparente du cœur et du cerveau. Il a donc été
conscient alors que son corps était en état de mort clinique. Le Docteur Moody,
aidé de médecins intéressés par ses recherches, est allé jusqu’à imaginer de
petites expériences significatives. Ils cachèrent sur des armoires des salles
d’opération, à l’insu de tous et surtout des malades, de petits objets
surprenants dans de tels lieux (peluches, autocollants.) Après les opérations,
dans les cas de graves difficultés opératoires, ils obtenaient auprès des
malades réanimés des réactions nettes : «
Pourquoi y a-t-il une peluche rouge sur l’armoire. Je la voyais bien du lieu où
j’étais.[307]Il est de nos jours
difficile d’expliquer cette expérience de décorporation par un rêve sans suite
du cerveau traumatisé. Il s’agit bien d’une expérience sensible objectivée par
le réel. Cette deuxième phase, même si elle n’est pas la plus profonde, est à
cet égard intéressante car elle augure bien, par son objectivité vérifiable, de
l’objectivité des autres phases.[308]
c) Recherche du comment : Comment expliquer le phénomène de la
décorporation ? Il semble que l’étude de la constitution même de l’homme
pourrait amener des pistes de réponse. Selon des traditions philosophiques
chinoises et indiennes[309], on peut discerner dans
l’être humain trois degrés de vie auxquels correspondent trois corps
parfaitement adaptés l’un à l’autre pour former une seule personne : le corps
physique, le corps astral et le corps mental. Le corps physique est le siège
des facultés végétatives comme la nutrition, la reproduction, la croissance. Il
est aussi le siège d’un autre corps appelé corps astral. Le corps physique est
source de l’existence du corps astral à tel point que, selon eux, la survie de
ce dernier est assez éphémère après la mort du premier. Mais la phase de survie
peut expliquer l’expérience de la décorporation que rapportent ces nombreux
témoignages. Le corps astral serait le siège des facultés psychiques comme les
sensations, les passions, l’imagination et la mémoire sensible. Le corps mental
n’est autre que ce que la théologie occidentale appelle l’esprit, siège de
l’intelligence et de la volonté. Ils ne lui donnent le nom de corps que par
métaphore car, selon eux, il dépasse cette notion pour être entièrement
spirituel. C’est lui qui, dans la pensée hindouiste, se réincarne à travers les
âges. Aristote distingue de la même façon trois degrés de vie mais son analyse
s’attache moins à la cause matérielle. Peut-être faudrait-il revenir à
l’anthropologie tripartite de saint Paul : il y a dans l’homme le corps,
l’esprit et l’âme. Il fut suivi par quelques-uns uns des Pères mais le
laborieux développement des sciences expérimentales fit préférer la division
bipartite.
Cette approche philosophique est à travailler. Il est clair en
tout cas que la théologie occidentale classique ne nous fournit que peu de
lumière. Nous pouvons peut-être nous rapporter au commentaire théologique que
saint Thomas d’Aquin, à la suite de saint Augustin, donne des « visions et révélations du Seigneur »dont fait état saint Paul dans la
seconde lettre aux Corinthiens[310] : « Je connais un homme en Christ qui, voici quatorze ans -était-ce avec
son corps ? Je ne sais, Dieu le sait -était-ce sans son corps ? je ne sais,
Dieu le sais-, cet homme-là fut enlevé jusqu’au troisième ciel (...) « Ce passage de saint Paul relate une
grâce tout à fait particulière appelée, du terme utilisé par l’Écriture « enlevé », raptus. Saint Paul
révèle dans ses paroles une gêne à expliquer le rapport à son corps dans son
expérience. Doit-on y voir une allusion à une mystérieuse décomposition en deux
parties ?
Quant aux sciences exactes, elles n’ont pas su faire place pour
l’étude de quantité de phénomènes dits extraordinaires, et cependant communs,
tels que la communication de pensées à distance, et moins encore à la
prescience d’un événement futur. Des expériences ont été faites en U.R.S.S. au
temps de la guerre froide[311]. Mais la décorporation
reste ignorée jusqu’à ce jour ou qualifiée de phénomène imaginaire.
d) Apport pour notre hypothèse : Cependant, vécu par tous dans le
moment de l’approche de la mort, elle semble correspondre à un supplément de vie terrestre et on peut y voir ce moment si
nécessaire que nous avons cru devoir poser en théologie catholique pour
justifier du salut des hommes. Une révélation ne peut-elle se produire dans cet
espace qui, tout en faisant partie de la vie terrestre, est déjà passage vers
l’autre monde (voir l’étape 4)
On trouve dans l’Écriture quelques allusions à un délai avant la
mort définitive. Quand Jésus ressuscite la fille de Jaïre, il dit : « L’enfant n’est pas morte mais elle dort.
Et on se moquait de lui. » [312] De même, Jésus dit de
Lazare : « Cette maladie n’est pas
mortelle »et « Notre ami Lazare
repose ; je vais aller le réveiller »[313]. Lorsqu’un jeune homme de
l’auditoire de Paul tombe par la fenêtre, Luc nous affirme qu’ »on le releva mort. » Mais Paul dit : « Ne vous
agitez pas : Son âme est encore en lui »[314]. Dans ce dernier cas, il y
aurait bien délai. Et, plus important encore, ce délai permettrait une intense
activité spirituelle, profondément humaine car fondée sur des sensations comme
il est naturel à l’homme, paisible car libérée des affres d’un corps en agonie,
qualitative car liée à une sensibilité affinée. Nous n’entendons pas autre
chose dans notre recherche théologique quand nous posons la nécessaire
disparition du fomes peccati.
a- Au plan philosophique, la vérité de cette phase est beaucoup
moins vérifiable que celle de la précédente. En effet, on pourrait attribuer à
une subjectivité en détresse la mémorisation des visages des proches décédés.
Il existe cependant certaines expériences troublantes permettant d’hypothéquer
sans trop de risques de la vérité de ces rencontres. Un patient, hospitalisé
dans un état critique, avait dans le même temps perdu son épouse. Nul ne lui
avait annoncé, craignant de lui causer un choc fatal. Suite à un arrêt
cardiaque, il sort de son corps et est accueilli par la vision de proches décédés
parmi lesquels se trouve sa femme. Revenu à lui, il demandait autour de lui
pourquoi on lui avait caché son décès.[315] De tels témoignages
peuvent-ils être mis en doute ? En poussant l’exigence critique, il est certain
que beaucoup de chercheurs n’hésitent pas à les rejeter complètement.
Cependant, leur attitude est souvent exagérée, et suscitée par une intention
autre que scientifique (La peur de paraître crédule donc non crédible devant
ses pairs est un motif très actuel chez beaucoup de chercheurs.)
Il ne s’agit pas de rechercher en science humaine une certitude de
type positiviste. Les témoignages humains ont leurs limites, bien établies en
psychologie. Faut-il les rejeter parce qu’ils sont liés à une part de
subjectivité ? Dans cette hypothèse, il conviendrait de rejeter toutes les
disciplines liées au témoignage comme l’histoire ou la recherche judiciaire des
coupables car leur fondement est bien souvent lié exclusivement à des
témoignages concordants. L’histoire et la justice peuvent se tromper. Mais lorsque
les témoins visuels sont nombreux et dignes de confiance, l’erreur est rare.
Qui peut nier, par exemple, Auschwitz alors que des millions de témoins
silencieux ou encore vivants parlent ? Seuls de malhonnêtes historiens mus par
une idéologie cachée ont osé nier ce crime.
b- Au plan de la théologie catholique, cette phase va dans le sens
de la communion des saints. L’Église a toujours enseigné la protection
particulière exercée par les fidèles défunts sur les vivants. La fête de la
Toussaint n’a pas d’autre but que de rappeler la présence affectueuse et
agissante des morts auprès des vivants. L’hagiographie fait souvent état de
telles apparitions d’âmes à des saints qui témoignent avoir été ainsi avertis
de se préparer à la mort (voir le récit de Bède le Vénérable, ci-dessus.)
D’autre part, dans la première épître à Timothée[316], l’apôtre Paul parle de « l’avènement du Seigneur Jésus avec tous
les saints. » C’est donc
accompagné de personnes déjà décédées que le Seigneur se montrera à la fin. On
le voit, cette venue des proches décédés à l’heure de la fin individuelle,
telle que l’expérimentent les agonisants, n’a rien de contradictoire avec la
foi.
Certains témoignages attestent la rencontre avec des âmes en
peine. Il faut dire que cette expression religieuse n’est employée par aucun
des témoins. Ils les décrivent comme des hommes décédés errant avec leur propre
détresse et incapables psychologiquement de se sortir de cette errance. Les
témoignages recueillis par le docteur Moody sont rares à leur sujet. Ils sont
aussi rapportés dans l’hagiographie chrétienne, islamique ou bouddhiste, aussi
bien du reste que dans l’expérience de ceux qui s’adonnent aux drogues ou au
spiritisme. S’agit-il, comme l’affirment certains théologiens (84) de cette
catégorie d’hommes que la notion d’altruisme et de bonté laisse indifférents,
sans qu’ils soient cependant foncièrement pervers, et auquel Dieu laisse un
temps de réflexion au désert avant de se révéler pour leur salut. En Russie
orthodoxe, on appelle ces êtres les « âmes
qui paient », c’est-à-dire qui paient
un droit de passage dans l’éternité. Il s’agit d’un souvenir des croyances
judéo-chrétiennes sur la nécessaire purification. Une pieuse croyance,
respectée par l’Église d’Orient et justifiée par un texte attribué à Saint
Antoine le Grand, veut qu’à l’image du Christ les morts n’entrent dans leur
état définitif que par étapes. C’est pourquoi on prie pour eux aux 3èmes,
9 èmes, 40 èmes jours après leur décès.
En rapport avec notre hypothèse, il nous sera possible d’établir
ultérieurement l’importance de la manifestation des saints qui accompagne la
parousie du Christ[317]. Nous montrerons qu’il ne
s’agit pas d’un épiphénomène mais d’une réalité essentielle à la conception catholique
du salut par la charité, c’est-à-dire par la communion avec Dieu et ses saints.
En tout état de cause, le fait que les agonisants réanimés prétendent
rencontrer des proches décédés ne peut qu’apporter un surcroît de crédibilité à
ce que nous avons posé auparavant dans notre approche théologique.
a- Analyse du phénomène
- La première difficulté qui ressort à mon sens des descriptions
du phénomène, consiste à établir ce que voient réellement les témoins.
S’agit-il d’une vision spirituelle d’un être de vérité (lumière) et de
compréhension (chaleur) ? S’agit-il d’une simple lumière et chaleur de type
physique ? A la lecture des témoignages descriptifs, on constate que les deux
approches sont intimement liées : des couleurs magnifiques ont été vues, avec des nuances de dégradés
inconnues sur terre ; Une chaleur douce a été ressentie, accompagnée d’une impression de paix psychologique
totale. En même temps, les témoins s’accordent à dire que cette lumière et
cette chaleur étaient un être spirituel dont ils comprenaient la vérité et l’amour. L’expérience semble donc mêler
intimement des aspects sensibles et spirituels. Nous pourrions même parler,
sans trop nous avancer, de spirituel par
le sensible. Nous l’avons montré précédemment, il s’agit là du mode le plus
naturel de la connaissance humaine puisque l’homme est par nature un être
sensible dont l’intelligence et la volonté s’exercent naturellement en
s’appuyant sur l’apport des sens.
- Quelle est l’image sensible qui leur apparaît ? Unanimement, les
témoins s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas d’un être humain. Ils
distinguent facilement l’être de lumière des autres créatures qui les entourent
comme les proches décédés. Les proches décédés ont un corps humain semblable au
leur. Ils reconnaissent les visages. L’être de lumière leur paraît être de
nature différente, supérieure. Il n’a pas de visage, ni de regard sensible
(jamais aucun des témoignages ne rapporte qu’il en ait.) Sa personnalité
rayonne autrement. Il semble que nous sommes obligés d’admettre qu’il ne s’agit
pas d’un homme. Dans ce cas, une objection majeure semble apparaître au plan
théologique vis à vis du titre même de notre hypothèse. La parousie du Christ,
si elle a lieu à l’heure de la mort, est celle d’un vrai Dieu mais aussi d’un
vrai homme. Son mode de manifestation ne devrait-il pas se rapprocher davantage
de celle des proches décédés que de celle des anges qui n’ont pas de corps qui
leur soit naturellement uni ? Sommes-nous donc en présence du Christ ? Ne
sommes-nous pas plutôt en présence d’une créature d’un autre type ? En fait,
nous l’avons montré précédemment, il ne s’agit pas d’une contradiction
fondamentale de notre hypothèse. Le plus important est situé ailleurs, dans la
question suivante à laquelle il nous faudra répondre : cet être est-il une
image de Dieu ? S’agit-il d’une expérience mystique ? (Nous entendrons par
expérience mystique tout au long de ce travail la rencontre personnelle avec la vie de la grâce ou de la gloire.
Nous n’en parlons pas dans le sens analogique attribué par les modernes aux
expériences bouddhique du nirvana ou aux expériences de contemplation
artistique.)
- En philosophie, il est impossible de parler des anges. Ils
échappent à sa raison formelle voir[318] car ils ne peuvent en
aucune manière être découverts par les seules forces naturelles de
l’intelligence. Leur existence est révélée et seule la foi, tant que l’homme
vit ici-bas, peut les atteindre. Par contre, il est possible de découvrir en
philosophie l’existence d’un être supérieur, que les traditions religieuses
appellent Dieu et qui est Créateur. Saint Thomas d’Aquin montre dans son De Deo uno que ce Créateur est
nécessairement Acte pur, donc indépendant de tout corps physique comme du
temps, du lieu, des limites de toutes sortes. Il est donc possible de conclure
en philosophie, par simple comparaison avec ces conclusions nécessaire, que ce
que voient les agonisants n’est pas Dieu dans son essence, mais une créature.
Il est évident que Dieu est au delà du rayonnement des plus magnifiques
couleurs. Celles-ci peuvent constituer un vestige de sa nature infinie mais un
vestige seulement.
- Comment expliquer qu’une image de lumière sensible puisse être
source d’une connaissance spirituelle d’une telle intensité ? Bergson, dans ses
études sur les phénomènes de la vie mystique, discerne chez certains saints la
possibilité d’une connaissance nouvelle au plan qualitatif, de type extatique[319]. Au plan artistique, il
existe un « analogué » de cette expérience : à travers une
vision sublime de beauté sensible, il peut arriver qu’une sensibilité fine
discerne d’un seul regard une profondeur insoupçonnée de signification
spirituelle. La beauté sensible est source d’un déclic spirituel fugace qui
peut laisser par la suite une impression inoubliable. Dans la connaissance
extatique d’une beauté de l’autre monde, un phénomène semblable peut sans doute
se produire. L’intelligence est happée par la vision sensible qui rayonne
surnaturellement. Elle discerne par mode d’intuition et d’un seul coup
l’intensité spirituelle sous jacente.
b- Approche critique au plan
philosophique
Jugeant de l’extérieur ce phénomène, il n’est guère possible de
trancher définitivement sur sa vérité. Certains signes inclinent à pencher dans ce sens comme le témoignage unanime
des personnes interrogées qui sont certaines de pouvoir distinguer cette
apparition d’un simple rêve. Les effets à moyens et long terme sont aussi très
significatifs : ils vont dans le sens d’un progrès, d’une meilleure attention aux
autres, d’une envie de vivre pleinement, tous phénomènes positifs très
étrangers à ce que produit une simple hallucination. Cependant, le philosophe
Feuerbach, s’il avait eu à critiquer ce phénomène, aurait certainement écrit la
même théorie qu’il utilise pour expliquer le christianisme : « projection sublime dans un au-delà
objectif des désirs d’une subjectivité portant en elle l’infini. » Il est donc difficile de conclure
sans se voir retourner ses propres arguments dans le sens inverse. Nous ne
pouvons donc pas aller plus loin que l’établissement de cette vérité par mode
de signes de crédibilité.
Il est légitime de se demander pourquoi seulement un petit
pourcentage de ceux qui sont passés par la mort clinique y vivent une telle rencontre.
L’auteur mentionne un malade qui, étant passé plusieurs fois par la mort
clinique, n’a vu l’être de lumière qu’une fois. Cette expérience n’est pas
nécessairement conditionnée par la mort clinique. Elle peut la précéder ou même
se produire en pleine santé. Sans doute trouvons-nous là un signe de plus de
son objectivité puisqu’elle se dissocie de l’état d’un cerveau traumatisé
c- Approche critique au plan
théologique
L’Église utilise habituellement certains critères qui lui
permettent de juger d’un phénomène paranormal. Ils sont au nombre de trois[320].
1- Conformité à la foi catholique ;
2- Fruits spirituels positifs ;
Ces deux premiers signes permettent d’établir un a priori positif face à la réalité d’un
phénomène mystique. Ils ne suffisent cependant pas fonder une conclusion
définitive puisqu’il est possible d’imiter de tels critères. Le cas de Vassula,
récemment traité par la Congrégation de
la Foi[321] est à cet égard
significatif. C’est pourquoi l’Église demande, avant de se prononcer définitivement
sur tel ou tel phénomène, la confirmation de son caractère surnaturel par :
3- Un miracle d’origine divine, impossible à mettre en doute,
comme une guérison instantanée échappant au pouvoir de la psychologie, la
résurrection d’un mort etc. dans le cas qui nous occupe, il n’existe rien de
tel. Notre approche reste donc probable.
1- Conformité à la foi
catholique
Pour le théologien
catholique, au plan du dogme, une conclusion positive, s’impose : rien dans l’expérience
de mort approchée ne s’oppose à la foi de l’Église catholique. Tout
n’appartient pas à son enseignement officiel certes mais rien ne va contre. Au
contraire, la rencontre d’un être personnel, sensible et surnaturel, dont la
personnalité s’épanouit en sagesse et amour, va dans le sens de l’Évangile. Si
l’Évangile n’est pas là, où le trouvera-t-on ?
Quelques questions méritent d’être soulevées
En premier lieu, cette expérience n’est pas en lien avec l’Église
prise dans le sens de sa hiérarchie. L’expérience n’est pas ecclésiale au sens
d’un lien avec la hiérarchie terrestre. Il semble qu’il y ait ici un premier
problème. Le Père Bot, professeur au Séminaire International d’Ars y voyait
l’objection la plus déterminante. Rien, selon lui, ne peut advenir de
surnaturel dans une séparation totale à l’Église militante (spiritualité
sulpicienne.)
Il est possible de répondre à cette objection. Quoiqu’il en
paraisse, cette expérience est ecclésiale[322]. Elle l’est dans le sens
d’une rencontre avec l’Église du Ciel puisqu’elle implique la rencontre avec
des personnes rayonnant la vérité et l’amour, qualités essentielles à l’Église
sainte. Cette expérience est d’autre part ecclésiale au plan de ses effets
puisqu’elle dispose celui qui en revient à l’attention au prochain à cause de
l’être de lumière. Le fruit premier de cette aventure est là et non, comme
c’est le plus souvent le cas pour les adeptes du spiritisme, dans une curiosité
malsaine pour les phénomènes parapsychiques : c’est la conscience d’être réellement
aimé par un amour souverain, et le désir d’apprendre à aimer réellement le
prochain. D’un chrétien qui choisit la voie des conseils évangéliques, il est
remarquable qu’on dise : « Il a
entendu l’appel du Christ », alors
qu’on pourrait dire avec plus de réserve : «
Il a entendu l’appel de l’Église. »
La première formule a pour elle un argument scripturaire : « Ils n’auront plus à s’instruire mutuellement se disant l’un à l’autre
: Ayez la connaissance de Yahvé! Mais ils me connaîtront tous, des plus petits
jusqu’aux plus grands - oracle de Yahvé »[323].
Le fait que cette expérience n’ait pas de lien avec l’Église
hiérarchique ne peut être un argument décisif. Il est vrai que le chemin
habituel de la grâce est dans l’Église à travers sa prédication, son enseignement,
et ses sacrements. Cependant, Dieu n’a institué ces moyens humains que pour
rendre l’Évangile accessible de manière sociale. L’homme étant par nature un
animal politique, la nécessité de ces modes de communication de la grâce est
évidente. Cependant, Dieu n’est pas lié à ces seuls moyens et la grâce peut
parvenir à l’homme par bien d’autres voies selon son initiative. L’Abbé
Mugnier, aumônier des artistes parisiens à la fin du siècle dernier, se
plaignait dans son journal de ce que la grâce était rendue prisonnière du seul
culte par l’Église. Sa critique est absolument juste en ce qui concerne la
spiritualité des prêtres séculiers français de son milieu. Elle ne porte pas
s’il s’agit de l’enseignement le plus profond de l’Église. Sainte Thérèse d’Avila,
Docteur en ces matières mystiques, enseigne tout autre chose. Pour elle, la
grâce de Dieu et communiquée à l’homme par tous les moyens imaginables,
l’essentiel de cette grâce n’étant pas son caractère sacramentel mais son
intensité de rencontre personnelle.
Autre question : La conversion que
rapportent les témoins semble liée au don d’une grâce sensible et visible.
N’est-ce pas en opposition avec ce qu’implique une réelle conversion chrétienne
: « Heureux ceux qui croient sans avoir
vu »[324] ?
Cette question est un faux problème. Qu’ils aient bénéficié ou non
de grâces sensibles extraordinaires, la générosité des saints à suivre le
Christ ne peut s’expliquer psychologiquement que par l’amour d’un ami. Ils
témoignent unanimement et ce jusque dans une fidélité héroïque, que le Christ
est vivant et s’est manifesté à eux. Chez les uns, cette rencontre peut être
retracée jusqu’à une manifestation sensible extérieure ; Chez les autres -le
plus grand nombre, peut-être il n’y a eu que l’expérience ressentie au fond de
leur sensibilité, d’une Présence. Mais chez les uns et les autres, il y a
rencontre, il y a révélation personnelle et affective. Etant hommes, cette
rencontre se fait obligatoirement par l’intermédiaire de grâces sensibles. Ce
n’est que dans un second temps que ces grâces sensibles peuvent disparaître
pour laisser la place à la foi nue (nuit des sens et surtout nuit de l’esprit.)
Les fruits de cette rencontre sont considérés par l’unanimité des maîtres
spirituels comme des signes certains de son origine : toute authentique
théophanie produit des fruits en paix, joie intérieure et en désir de charité
fraternelle extérieure.
Ainsi, les grâces sensibles, plus ou moins intenses ou intérieures
sont nécessaires au commencement de toute vie spirituelle. Elles peuvent aussi
se montrer indispensables pour certaines étapes de sa croissance. C’est du
moins l’opinion des plus grands maîtres[325]. La raison de la nécessité
de ces grâces sensibles est à rechercher dans la nature même de l’homme qui ne
peut arriver au spirituel sans l’instrument de ses sens.
Une objection pourrait encore être formulée : Comment est-il possible que
ceux qui ont eu l’expérience d’une rencontre avec l’être de lumière, dans
l’hypothèse où cette rencontre fut réelle et d’origine surnaturelle, comment
peuvent-ils encore avoir la foi ? Ou bien on vit sous le régime de la foi ou
bien sous celui de l’expérience, et si on a eu l’expérience on n’est plus
capable d’être assailli par le doute. A cette question, la réponse est en
premier lieu pratique : Saint Paul, lui dont nous tenons cette définition de la
foi, avait-il lui même la foi, alors qu’il avait rencontré Jésus dans une
grande lumière sur le chemin de Damas et que plus tard il fut enlevé jusqu’au
septième ciel. Les mystiques ont-ils cessé de vivre sous le régime de la foi ?
Thérèse de Lisieux endura dans son agonie le désespoir des incroyants et
Bernadette à la fin de sa vie ne savait plus dire si elle avait vu réellement
la Dame. Elles étaient donc bien sous le régime de la foi pure. En effet, la
disparition de la foi ne peut intervenir que dans la pleine Vision,
c’est-à-dire dans le face à face de la vision de Dieu. Or aucun des saints
cités ni même ceux qui ont approché la mort n’ont vu Dieu face à face. Leur
expérience reste sensible, adaptée au mode humain de connaissance,
quoiqu’extatique. De retour dans ce monde, elle laisse une trace sensible qui
ne supprime pas l’absence de nouveau vécue. Certes, le doute sur l’existence de
l’au-delà n’est plus de mise, sauf épreuve particulière envoyée comme une nuit
par Dieu. Mais absence de doute n’est qu’une propriété normale de la foi,
certitude des choses qu’on ne voit pas.
Qui est l’être de lumière ? Peut-il être identifié au Christ
glorieux ? Nous avons montré précédemment que tout semblait indiquer la nature
non humaine de cet être. Or cela semble constituer un signe contraire à notre
hypothèse concernant l’apparition glorieuse du Christ - Vrai homme à l’heure de
la mort.
En fait, cette objection nous paraît peu essentielle : dans le
cadre de notre hypothèse et en particulier du paragraphe I-3-2-2 concernant
l’auteur de la prédication à l’heure de la mort, une seule chose nous paraît
importante. A l’heure de la mort, un envoyé de Dieu, homme ou ange, suffit par
sa manifestation, à révéler au mourant qui est Dieu. En effet, tout homme et
tout ange entré dans la vision béatifique est devenu image parfaite de Dieu,
christoconforme.
Qu’en est-il de la « Near
Death Experience » ? Nous sommes
obligés de reconnaître que la description faite par les témoins de l’être de
lumière constitue une remarquable Image de Dieu. Tout en étant perçu par les
sens (lumière blanche, couleurs ineffables, chaleur), il rayonne
spirituellement jusqu’au fond de l’âme du témoin de Lumière spirituelle et
d’amour. On ne saurait mieux décrire en termes humains et surnaturels ce qu’est
à un tout autre niveau le Dieu de l’Évangile. Le fait qu’il s’agisse d’une
Image glorieuse (c’est-à-dire resplendissante de la Beauté qu’elle représente)
suffit à notre hypothèse. C’est bien, nous semble-t-il, une prédication de
l’Évangile qui se réalise ici. Par contre, en toute objectivité, nous hésitons
à conclure en une apparition glorieuse du Christ : nulle part en effet, il n’est
dit que cet être de lumière a forme humaine. La tradition judéo-chrétienne
m’invite à interpréter plutôt cette apparition comme celle d’un ange, les « messagers »de Dieu, créatures purement spirituelles et pourtant capables de
se rendre visibles aux sens, et qui ne font pas écran entre Dieu et le sujet,
comme nous le voyons à l’Annonciation. A travers l’ange, c’est Dieu lui-même
qui se manifeste, en la personne de Jésus ou en celle du Saint Esprit. La « lumière blanche » dont parlent tant de témoins fait penser à la transfiguration
dont bénéficièrent Séraphim de Sarov et son disciple. Mais cet être de lumière
se montrant le maître de nos destinées et la qualité de son amour étant
profondément humaine, nous sommes ramenés à la personne de Jésus. L’hagiographie
nous montre que l’expérience des saints est tantôt christique, tantôt plus
pneumatique, mais en fin de compte le Verbe et le Saint Esprit ne font qu’un
quand ils se manifestent aux âmes : c’est une question d’accent. Quand Dieu se
manifeste à un Israélite, on conçoit que l’accent ne soit pas mis d’emblée sur
l’Incarnation, qu’il ignore. Si cette délicatesse peut être interprétée par
certains comme une preuve du subjectivisme de l’expérience, elle nous paraît
plutôt un signe de plus du caractère surnaturel car très respectueux, de cette
parousie. L’essentiel est que tous les témoins ont expérimenté cette présence
comme celle de l’Ami qui les aime et qui les sauve, et non comme celle d’un
inconnu qu’ils chercheraient à identifier.
2- Fruits spirituels
postérieurs à l’expérience
Le docteur Moody a voulu confronter l’expérience qu’il rapporte
aux critères habituellement utilisés par l’Église catholique pour vérifier la
vérité d’une révélation privée. L’auteur peut répondre que « c’est précisément dans ce sens que les personnes interviewées ont été
poussées à la suite de leur approche de la mort. » [326] Les fruits spirituels de
cette rencontre sont multiples.
a- Un certain changement
de vie
Beaucoup de témoins paraissent n’avoir eu qu’une conversion embryonnaire.
Cela n’est pas étonnant si l’on considère leur point de départ, souvent
étranger à toute vie spirituelle. » J’agissais auparavant sous le coup
d’impulsions ; maintenant, je réfléchis d’abord aux choses, calmement,
lentement »[327]. » La vie m’est devenue bien
plus précieuse depuis lors » (p. 111) «
C’est l’esprit qui est devenu pour moi la partie la plus essentielle de
moi-même, au lieu de la forme de mon corps. » (p. 111) Il existe aussi des conversions plus complètes et plus
radicales : « Un homme, à sa rencontre
avec l’être de lumière, s’est senti totalement aimé et accepté, alors même que
sa vie se déroulait en un panorama destiné à être vu de l’entité. Il lui
semblait que la question posée par celui-ci équivalait à lui demander s’il était
capable d’aimer les autres avec la même intensité. Il pense maintenant que sa
mission sur terre consiste à s’efforcer d’apprendre à aimer ainsi. »[328]. D’une façon générale,
l’auteur peut affirmer que « tous
reconnaissent que leur foi religieuse est sortie de l’épreuve fortifiée »[329].
b- L’amour du prochain
La plupart des témoins insistent sur leur désir de se montrer
généreux envers leurs prochains à la suite de cette expérience. Ils semblent
marqués par la relecture accomplie en compagnie de l’être de lumière et qui
portait essentiellement sur les relations aux autres. Ce désir ressort
clairement de l’ensemble des témoignages.
» A mon retour, j’étais dominé par un
désir envahissant, cuisant, de faire quelque chose pour autrui (...) J’avais
tellement honte de ce que j’avais fait ou n’avais pas fait dans ma vie ; Il me
semblait qu’il fallait tout réparer tout de suite, que cela ne pouvait attendre
»[330].
L’auteur analyse cet amour dans son deuxième livre : l’amour est
selon lui l’» agapé » grec et la
connaissance est la « Sofia. » «
Il s’agissait d’un amour qui n’a rien à voir avec sous-estimer les gens ;
Etais-je capable d’aimer les gens, même ceux que je connaissais, à fond, avec
leurs défauts- voilà ce que l’être de lumière me demandait. » «
Ce que voulait l’être de lumière en parlant de savoir, c’était une connaissance
en profondeur, en quelque sorte reliée à l’âme... la sagesse plutôt »[331]. L’auteur ajoute : « C’était l’amour qui se présentait comme le
but essentiel. Quand l’être de lumière évoquait la connaissance, il le faisait
en passant, et comme par dessus le marché » [332].
c- Un désir de la sagesse
A ce désir d’aimer le prochain s’ajoute donc chez certains un
désir de s’instruire.
Certains ont expérimenté un mode transcendant de savoir : « Plusieurs sujets m’ont affirmé que, à un
certain moment de leur expérience, ils avaient eu de furtifs aperçus d’une
façon d’exister entièrement différente, dans laquelle toutes les connaissances
-celles du passé, du présent et de l’avenir- se fondaient en une sorte d’état intemporel
(...) Cette fugitive vision ne les avait en aucune façon détournés de l’effort
de s’instruire au cours de cette vie, mais avait au contraire produit chez eux
un effet de stimulation. »[333]
d- L’humilité
L’auteur remarque en concluant : « Pas un seul de ceux que j’ai interrogés n’a prétendu sortir de
l’expérience purifié ou amélioré par rapport aux autres. Aucun n’a fait montre
d’une attitude du style « je suis plus saint que toi. » En fait, la plupart ont
spécifié qu’ils se sentent comme en recherche, en travail. Leur vision leur a
assigné de nouveaux buts à poursuivre, de nouveaux préceptes moraux (...), mais
en aucun cas elle ne leur a inspiré l’idée d’un salut instantané ou d’une
infaillibilité morale »[334]. Quand il y a mission
explicite, c’est seulement en accomplissement des devoirs familiaux.
Autre point remarquable et qui explique peut-être une forme de
réticence à admettre la valeur de cette expérience de mort approchée par les
responsables des religions instituées, c’est que dans aucun des cas étudiés, il
n’a été demandé au mourant de se tourner vers telle ou telle Église pour y
trouver la vérité. Le converti se sent simplement « en travail, en recherche », livré à lui-même sans autre
assistance que le souvenir de sa rencontre. Mais cela n’est pas étonnant :
ainsi en est-il de toute grâce de conversion. Elle est donnée dans un cœur à
cœur sensible et spirituel, d’où la possibilité pour elle de se corrompre
ensuite au contact de mauvais bergers. Sur le chemin de Damas, Paul fait
exception à cette règle commune. Mais il ne s’agit pas d’un simple fidèle
bénéficiant d’une révélation privée : sa vocation était de devenir l’apôtre des
nations. Il convenait que le salut lui vienne à travers l’Église
e- Au dessus de tout,
l’amour et l’obéissance à l’être de lumière
Pour notre part, en tant que théologien catholique, nous ne
pouvons manquer d’admirer la haute valeur spirituelle de ces fruits. Ils se
résument en deux axes : un désir de changer sa vie dans le sens de la préparation
à la rencontre de l’être de lumière et dans le sens de l’amour du prochain. Or
ce désir, si on l’analyse selon les critères du théologien, n’est pas celui
d’un humanisme mais d’une véritable charité théologale. Le prochain est aimé
dans la lumière et pour l’être de lumière qui, s’il n’est pas Dieu en personne,
n’en est pas moins, nous l’avons montré, son Image souveraine et humaine.
En employant l’expression « expérience
mystique », nous l’opposons à « naturelle » : Il reste en effet à décider de la nature de l’expérience de
mort approchée. Est-elle porteuse d’une grâce surnaturelle originée dans la
rencontre avec un représentant de Dieu (telle est selon nous la définition
chrétienne de la vie mystique) ? Est-elle un rêve du cerveau en détresse ? Un
témoin rapporte : « J’ai voulu tout
raconter à mon confesseur. Mais il m’a répondu que j’avais eu des
hallucinations. Du coup, je n’ai plus rien dit »[335]. Le positivisme de notre
culture a contaminé bien des pasteurs.
Dans l’expérience de mort approchée, au delà des phénomènes
paranormaux secondaires, l’élément essentiel est d’une part la vision d’un être
souverain et aimant, et d’autre part une parole -la vocation- qui n’a pas
besoin d’être formulée verbalement pour être perçue. Ces deux phénomènes nous
apparaissent comme ordonnés l’un à l’autre : c’est pour « appeler »que l’être de
lumière semble se manifester. Le fait que cette manifestation puisse arriver à
tous les hommes (y compris aux chrétiens fervents) et qu’elle est toujours
source d’une prise de conscience supérieure de l’importance de l’amour,
manifeste sa qualité spirituelle, supérieure à tout ce qui peut être imaginé
humainement. Seule sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, parmi les mystiques, eut
l’audace d’affirmer avant sa mort : «
Lorsque je le verrai, je crois qu’il ne pourra pas me surprendre. » [336] En fait, elle fut surprise
car l’apparition glorieuse du Christ dépasse tout ce que peut imaginer un homme
ici-bas.
Au terme l’expérience mystique, la parole intérieure est perçue
comme distincte de la voie de la conscience. La croissance de la vie
spirituelle (quatrièmes et sixièmes demeures de sainte Thérèse d’Avila) conduit
le croyant à ne plus chercher autre chose que l’amour, au delà des besoins
naturels de sentir ou même de comprendre la finalité de l’appel. Il apprend par
diverses étapes purifiantes que sa réponse fidèle suffit, au delà de toutes les
lumières de la grâce.
Le docteur Moody pense pouvoir l’identifier[337] au jugement particulier et
définitif de la théologie catholique. Il n’en est rien. Le jugement dernier
prend en théologie catholique un sens très particulier. Il suit l’acte d’un
choix définitif posé par l’âme du mourant et aboutit à l’assignation par Dieu
de son destin éternel. Il s’agit plutôt ici d’un examen de conscience portant
sur l’état provisoire d’une vie non encore pleinement mûre : « Le jugement que je portais sur la valeur
de ma vie, sachant désormais ce que je savais »[338]. Il semble être mesuré en
fonction du degré de développement spirituel du sujet : « J’avais brusquement mûri (...) La vie ne se borne pas au cinéma du
vendredi soir et aux matches de football ; il y a, dans ma propre vie, beaucoup
plus que je n’en connais moi-même. »
[339] Généralement cependant,
l’examen de conscience est spécifiquement moral : « En face d’une action égoïste, les sujets avaient ressenti une
impression de repentir cuisant ; là où ils avaient fait preuve d’amour
désintéressé, ils en éprouvaient du bonheur »[340]. Aussi, déclare un témoin, « quand je suis revenu à moi, j’avais pris
la résolution de tout changer »[341].
Par rapport à l’hypothèse qui nous intéresse, la relecture de la
vie passée prend un sens très favorable : nous avons montré en théologie
catholique à quel point la vie terrestre est importante puisqu’elle façonne
notre personnalité ; En même temps, nous affirmions que les choix d’ici-bas,
parce que teintés d’ignorance et de faiblesse, ne pouvaient suffire à eux seul
à déterminer le choix éternel. L’expérience de ceux qui ont approché la mort
semble confirmer ce fait : la vie passée a sa place, mais elle est relue à la
lumière de la vérité et de l’amour. Elle prend alors tout son sens pédagogique,
quoique restant une disposition au choix final qui ne relève pas des témoignages
rapportés par l’auteur. En tout état de cause, l’expérience de mort approchée
semble aller dans le sens d’une vision du salut telle que nous l’avons décrite
en première partie.
On connaît en psychologie des cas purement naturels de vision des
souvenirs passés. La revue de la vie est parfois vécue comme un phénomène
simplement psychique, provoqué par un état de stress brutal du cerveau ou de
frayeur incontrôlable. Cela arrive fréquemment dans l’instant d’un danger de
mort ressenti intensément, sans qu’il y ait aucune rencontre avec un être de
lumière. Guy de Larigaudie, auteur d’un petit livre de mémoires intitulé Étoile
au grand large[342], décrit une expérience de
ce type. Voulant épater des amies en plongeant du haut d’une falaise dans l’eau
d’un torrent, il eut l’impression fugitive mais certaine qu’il allait s’écraser
sur un rocher en contrebas alors qu’il s’était déjà élancé. » Dans la seconde qui sépara
mon départ de mon arrivée sain et sauf dans l’eau, je vis défiler ma vie, à une
vitesse inimaginable et pourtant avec un luxe de détails qui me laissa tout
étourdi. Je me revis enfant, je revis jeune le visage de ma mère. » Des
phénomènes analogues peuvent être provoqués cliniquement ou par hypnose. Cela
se produit en un instant réel et peut paraître subjectivement très long. Cette
fausse impression de durée est-elle due à une accélération de la faculté de
perception, sous l’effet de l’émotion ? parfois, lors d’un accident, la
catastrophe est vue comme au ralenti. Cela peut se produire dans de nombreux
cas que Moody cite. Il emploie l’expression de « décomposition du temps »,
de parenthèse dans le temps linéaire.
Le cas qui nous occupe est différent. L’être de lumière semble
être la source d’une relecture à la suite de la question qu’il pose au mourant.
Même en présence de l’être de lumière, il arrive qu’il soit ressenti par les
témoins comme autre chose qu’un jugement. Certains témoins ont trouvé plutôt
amusant de revoir leur enfance[343]. Un accidenté par exemple[344] entre directement dans la
phase 2 et voit les sauveteurs s’activer à la réanimation de son corps. Après
avoir parcouru les phases 4 à 7, il fait retour à la phase 2 et revoit les
sauveteurs au moment même où il les a quittés, comme s’ils s’étaient figés dans
leur mouvement, alors qu’il a l’impression subjective de s’être absenté une
heure. Puis il réintègre son corps et le temps reprend son cours normal.
Depuis toujours, les maîtres spirituels et les responsables de
l’Église catholique sont unanimes à enseigner la plus grande prudence vis à vis
des manifestations extraordinaires. Prudence ne veut pas dire refus
systématique mais discernement des esprits, car tout ne vient pas du Saint
Esprit. La rencontre avec l’être de lumière peut-elle être un effet de l’imagination
? Il est difficile d’être définitivement concluant pour cette question.
L’expérience de mort approchée a suscité de vifs débats entre les tenants de
son authenticité et les autres. Ces derniers ont fait remarquer avec justesse
l’existence de faits analogues chez les drogués ou dans certaines formes de
maladies mentales. La décorporation, la vision de scènes du passé inscrite dans
la mémoire, l’apparition de morts, tout cela pourrait selon eux être expliqué
par un surgissement dans certaines conditions de l’inconscient personnel.
Cependant, peut-on objecter, chez les malades, de tels phénomènes, loin de
provoquer un mieux être, sont source au contraire d’une aggravation de l’état
mental, d’un désir de fuite du monde et de refuge dans cet imaginaire protecteur.
Les relations avec le réel se dégradent, l’attention au prochain disparaît. Au
contraire, l’expérience de mort approchée suscite toujours un mieux être : les
pensées de suicide disparaissent, l’attention aux autres redouble, le
comportement moral change, une lutte contre les défauts est entreprise,
l’espérance théologale naît. Tout cela ne prouve pas mais indique avec force
qu’on n’est pas en présence d’un rêve mais d’une expérience forte dont l’effet
réaliste est suffisamment puissant pour durer un certain temps dans la majorité
des cas. Ce fait peut être constaté non seulement par le psychologue mais par
tous les proches. La radicale nouveauté de l’expérience n’est pas à rechercher
dans les phénomènes cités mais dans la rencontre personnelle avec l’être de
lumière.
Dans sa chronique du Figaro du 22 janvier 1979, Jean Guitton se
dit « frappé de l’analogie de ces
expériences de récupération avec les témoignages des mystiques dans toutes les
religions. » Sa réticence vient
d’une crainte, justifiée à l’époque comme de nos jours, de réduire la mystique
à une rencontre impersonnelle de type New Age avec un Tout harmonieux. Or il
nous semble que Jean Guitton a fait un contre sens en ne remarquant pas que le
noyau de ces expériences est une rencontre entre avec une entité personnelle, un « être de lumière »qui
lui manifeste un amour souverain et miséricordieux. Le fruit de cette
expérience est une conversion, au sens chrétien du mot, qui cependant n’inclut
pas nécessairement un rapprochement avec l’Église chez ceux qui lui étaient
étrangers. Ainsi, il y a analogie avec les expériences mystiques
judéo-chrétiennes, bien plus spécifiquement qu’avec les religions orientales
qui ignorent une entité divine personnelle. Et comme cet amour semble bien avoir
un caractère, non pas seulement souverain, mais en même temps humain, il y
aurait, plus spécifiquement encore, analogie avec la mystique chrétienne.
Ainsi, malgré les réserves qu’il faut faire, le lecteur chrétien se trouve
confronté à la question suivante : comment justifier ces grâces, abondantes,
reçues hors de l’Église visible ? Secondairement, le lecteur est amené à se
demander que penser de l’état de décorporation où se trouve généralement le
sujet au cours de cette expérience. Enfin, quelques témoignages, rares mais
précis, faisant état de la rencontre avec ce que la sagesse populaire appelle
des « âmes en peine », le lecteur ne peut manquer d’être
frappé du caractère d’orthodoxie chrétienne de ce qui est dit à leur sujet.
Une autre critique moins traditionnelle et très contemporaine
mérite d’être citée. Dans la lignée du courant théologique symbolique
contemporain (exaltation du sens symbolique de l’Écriture et relégation dans le
mythe du sens historique) Jacques Neirynck, professeur à l’École polytechnique
fédérale de Lausanne écrit[345] : « L’exégèse historico-critique appliquée aux évangiles a sérieusement
changé la perspective où nous les lisons.(...) Lire les évangiles de Pâques,
ces récits bien évidemment non historiques, est tout aussi nécessaire
aujourd’hui pour l’esprit cultivé que de connaître les textes littéraires que
sont Oedipe-roi, la belle au bois dormant et Robinson Crusoë. Mais seuls les
enfants posent la question naïve de savoir s’ils ont existé. (...) Ne
sommes-nous pas restés dans cette attitude infantile à l’égard de Pâques ? Ne
cherchons-nous pas des assurances pseudo-scientifiques de notre résurrection
dans les comptes rendus de « Near Death Experience » (Expérience proche de la
mort) ? »
Le côté paradoxal de l’exégèse historico-critique, consiste en ce
qu’elle prétend distinguer de manière scientifique ce qui dans l’Écriture est
historique et ce qui n’est que symbolique. Or, bien souvent, ses arguments
rationnels sont si faibles que ses conclusions apparemment scientifiques ne sont
que le reflet de la foi ou de l’incroyance de leur auteur. Monsieur Neirynck
illustre ce travers. Son argumentation exégétique est faible : parce qu’il
discerne quelques contradictions dans les récits de la résurrection du Christ
(Y avait-il une femme ou deux femmes au tombeau, un ange ou deux anges ?), il
les relègue tout entiers dans le domaine des contes symboliques. Il ressemble
en cela à Drewerman. Sans doute a-t-il trop étudié en faculté pour savoir
discerner épistémologiquement un témoignage d’une Thèse d’État en histoire.
Parce qu’il est incroyant (la foi rappelons-le, est une réponse d’enfant à une révélation digne de
confiance) et parce qu’il veut paraître intelligent, il se pose dans une
attitude de recul rationaliste. Il en résulte une bouillie
théologico-littéraire d’où il est difficile de discerner ce qui relève de
l’incroyant et de l’exégète rigoureux. On peut porter un regard analogue sur sa
critique de la « Near Death
Experience. » La rejette-t-il parce
que, a priori, l’homme cultivé ne saurait
porter un regard scientifique sur une telle expérience trop grossièrement
évangélique ? Ou parce qu'il s’est appliqué de manière rigoureuse à étudier les
témoignages ? Ainsi, dans ce monde où il est de bon ton pour l’homme cultivé de
ne pas paraître naïf en restant croyant, il est souvent de bon ton de ne pas
paraître naïf en restant philosophe.
Pour notre part, quitte à paraître naïf, nous avons abordé ce
phénomène paranormal avec la même option de crédibilité philosophique que nous
accordons à tout récit hagiographique ou simplement au récit ingénu d’une
conversion, avec l’apport supplémentaire du nombre. Il ne s’agit pas d’un récit
mais de centaines. Nous n’avons rien rejeté a
priori mais nous avons soumis les témoignages à une étude critique raisonnable
(l’hyper criticisme n’est pas philosophique.)
Jean-Michel Gaudet <jean.michel.gaudet58@gmail.com>
Ven 30/08/2019 16 h 20
Ce matin même un de mes amis, m'annonça avoir recemment été
hospitalisé sur la région aquitaine pour une affaire de genou
Sitot le reveil en chambre vitrée aprés opération, il se
retrouve donc seul et constate qu'un individu , simplement vétu d'un pyjama,
déambule dans le couloir et tout à coup la même personne traverse une porte
battante sans l'ouvrir ! puis revient sur ses pas !
Mon ami est magnétiseur, et prescentant ce qui est en train de se
déroulé, interpelle l'intéréssé par voie télépathique::immédiatement la personne
répond et se rend auprés de lui, là encore en passant à travers la porte de la
chambre, et là un dialogue s'installe !!
"Ainsi donc vous pouvez
me voir et m'entendre, alors que personne dans l'hopital ne répond à des
demandes, je suis perdu, je ne sais pas ce qui m'arrive"
Oui. Il est un peu délicat de vous expliquer (il n'arriva pas à
lui avouer ,,qu'il était décédé) : mais ne soyez pas trop inquiét ; tentez
de prier, priez encore et les évenements vont s'éclaircir ,,vous allez être
aidé!!!
L 'homme un peu stupéfait pas ce genre de discours,,semble peu
enclin à continuer le débat et aprés un simple salut, reprend le couloir, aprés
un passage de porte identique et disparait dans l'hopital
Mon ami, reprenant un peu ses esprit aprés, cette "expérience"
particuliére, reçoit la visite d'une infirmiére, à qui il ne peut s'empécher de
relater cette situation, tout en décrivant avec minutie l'allure de la personne
et la nature du pyjama
A ces mots, l'infirmiére palit d'émotion et se trouve profondément
bouleversée et bravant les consignes de l'établissement, emméne mon ami dans un
autre étage dans une chambre à un lit dissimulé par un paravent !
Là derriére, une forme humaine sous un drap blanc. L'infirmiére
retire le linge et apparait le corp d'un patient hélas décédé depuis quelques
heures ,attendant la descente au dépot mortuaire. Sans aucune hésitation , mon
ami a reconnu l'individu ainsi que son pyjama ,,,son dernier vêtement !
Il s'agit là , d'un témoignage personnel de premiére main datant
de ce matin du 30 aout 2019, et les faits remontent à seulement plusieurs
années, ils sont donc incontestables et authentiques !!!
C'est donc sur la base de ces circonstances avérées ,,que l'on
peut et doit recentrer l'escathologie catholique ,en mettant à l'honneur la
notion de mort conçue comme un passage et non pas comme un instant,
contrairement à la théologie scolastique romaine traditionelle, ainsi donc ce
sont bien les observations objectives qui nous obligent à reconsidérer le
devenir immédiat de la conscience humaine aprés le décés !!
Pour faire un jour partie de la foi catholique, une doctrine doit
avoir été crue toujours est partout. Ce principe lérinien n’est pas gardé sans
restriction par l’Eglise qui a constaté qu’il n’est pas toujours valable.
Beaucoup de choses fausses ont été crue toujours et partout (Ex : la
création du monde en six vrais jours) et se sont révélées fausses ;
D’autres doctrines furent rejetées par tous les théologiens et se révélèrent
vraies (ex : la proposition du salut à tous les hommes y compris aux
enfants morts sans baptême, Gaudium et Spes 22, 5). Le critère de vérité ultime
n’est donc pas dans ce critère de saint Vincent de Lérins mais dans la
confirmation ultime du Magistère.
Ainsi, pour décider si la question du retour du christ à l’heure
de la mort peut intéresser la foi un jour, l’histoire du dogme de l’immaculée
conception peut nous servir de modèle. Le pape Benoît XVI, dans une catéchèse
du 7 juillet 2010, faisait remarquer que, « à
l'époque de Duns Scot, la majorité
des théologiens opposait une objection,
qui semblait insurmontable, à la doctrine selon laquelle la très Sainte Vierge
Marie fut préservée du péché originel dès le premier instant de sa conception :
en effet, l'universalité de la Rédemption opérée par le Christ, à première vue,
pouvait apparaître compromise par une telle affirmation, comme si Marie n'avait
pas eu besoin du Christ et de sa rédemption. C'est pourquoi les théologiens
s'opposaient à cette thèse. Alors, Duns Scot, pour faire comprendre cette
préservation du péché originel, développa un argument qui sera ensuite adopté
également par le Pape Pie IX en 1854, lorsqu'il définit solennellement le dogme
de l'Immaculée Conception de Marie. Et cet argument est celui de la «
Rédemption préventive », selon laquelle l'Immaculée Conception représente le
chef d'œuvre de la Rédemption opérée par le Christ, parce que précisément la
puissance de son amour et de sa médiation a fait que sa Mère soit préservée du
péché originel. Marie est donc totalement rachetée par le Christ, mais avant
même sa conception. Les Franciscains, ses confrères, accueillirent et
diffusèrent avec enthousiasme cette doctrine, et d'autres théologiens - souvent
à travers un serment solennel - s'engagèrent à la défendre et à la
perfectionner. »
Mais le pape Pie IX, tout en remarquant l’opposition quasi
universelle des théologiens à l’immaculée conception et son absence totale de
l’Ecriture Sainte, avait remarqué que cette doctrine avait toujours été crue,
et partout, par la majorité des fidèles.
Les papes, avec une très grande prudence, n’avaient pas tranché contre cette
croyance populaire. Il avait pu alors proclamer ce dogme.
Qu’en est-il de la question du retour du Christ à l’heure de la
mort ? Il semble que son histoire soit en tout point comparable à celle de
l’Immaculée Conception bien qu’elle soit, quant à elle, présente de manière
réelle dans l’Ecriture.
Force est de constater (nous l’avons vu en II-2) que la question
de l’apparition du Christ à l’heure de la mort est récente chez les
théologiens. On la voit pointer chez les théologiens au XIX° s. et seuls deux
saints du XX° s. (sainte Faustine et Marthe Robin) la voient de leur yeux sous
la forme d’une « illumination finale » ; Auparavant, à part
quelques traces ici ou là (dont le futur pape Innocent III qui l’enseigna explicitement
à titre privé), la majorité des grands théologiens et des docteurs enseignent
l’inverse. Pour eux, la mort est un instant et il ne s’y passe rien.
Mais qu’en pense le peuple de Dieu ? Dans sa simplicité
inspirée parfois par l’Esprit Saint, a-t-il cru que, à sa mort, il verrait le
Christ ?
Il semble que, de manière très
ancienne, dans le peuple de Dieu, on ait cru en cette venue du Christ à la
mort. Jacques Le Goff, dans « La civilisation de l'Occident
Médiéval », p 137, écrit tout un chapitre sur le contexte spirituel du
temps : « Disputé ici-bas entre Dieu et Diable, l'homme est enfin à sa
mort l'enjeu d'une dernière et décisive dispute à l’heure de sa mort. L'art
médiéval a représenté à satiété la scène finale de l'existence terrestre où
l'âme du mort est écartelée entre Satan et Saint Michel avant d'être amenée par
le vainqueur au
Paradis ou en Enfer ».
Cette image représente l’orgueil du
mourant qui est l’une des cinq tentations répertoriées par l’Ars moriendi. Sur
cette représentation, le démon propose une couronne au mourant, sous l’œil
désapprobateur de Marie, Jésus et Dieu.
On trouvera ici http://www.bdnancy.fr/Ars%20Moriendi.htm une courte présentation du concept et surtout des gravures numérisées.
Pour Jacques Le Goff, il s'agit du
courant des artes moriendi. L'art de mourir. Voici un document PDF
qui t'intéresse cette thèse :
http://misraim3.free.fr/divers/la_mort_en_occident.pdf
Extrait :
page 22-23 a écrit: |
Peu à peu, au XV° s., on passe des
morts à la Mort : une mort plus individualisée, mais aussi plus abstraite,
remplace les foules de squelettes évoquant les revenants. Un peu partout,
vers 1460, la mort relaye les morts dans les danses macabres. Le motif de la
mort saisissant un vivant - un jeune surtout - se répand dans l’art. Le
discours iconographique et littéraire passe ainsi de la mort collective à la
mort individuelle, de la peur des revenants à l’angoisse de la mort,
personnage symbolique qui hante le chevet du mourant, rôde autour des avares,
menace les couples d’amoureux. Il faut donc apprendre à mourir, à
négocier l’hora mortis, ce passage dont dépend le salut de l’âme : la bonne
mort peut racheter la mauvaise vie terrestre, ouvrir la porte à la vie
éternelle. C’est pour s’assurer de cet enjeu d’importance que se développent,
de 1450 à 1530, les artes moriendi, les arts de mourir (p. 19). L’ars moriendi (en français l’art
au morier), est un best-seller (234 manuscrits connus et 77 éditions) qui
domine durant 80 ans la littérature sur la mort. Son originalité, parmi
les autres productions, est d’exposer une attitude rigoureusement chrétienne.
Son succès tient probablement à la combinaison du texte et des gravures sur
bois. L’ars moriendi déroule l’agonie du bon chrétien en 5 tentations
diaboliques corrigées par 5 inspirations célestes, suivies d’une bonne mort.
Couché dans son lit, le mourant est seul, environné tour à tour des démons et
des anges qui se livrent à travers lui à un dernier combat dont dépend son
salut. Les démons tentent le mourant sur sa foi, puis sur son espérance, sur
son impatience, sur son orgueil et sur son avarice. L’ars moriendi témoigne
d’une christianisation de la mort qui ira croissant, mais aussi d’une
insistance sur les effets magiques de l’ultime repentir qui permet d’effacer
toutes les fautes. L’art au morier, incunable
xylographique de 1450, est le premier livre imprimé en français (24 bois
gravés de 260 x 185 mm). Les documents de la p. 28 concernent la deuxième
tentation, celle du désespoir, et l’inspiration contre elle. La Tentation
représente le mourant entouré de démons qui lui rappellent ses fautes,
nommées sur des phylactères dans la gravure sur bois. On note l’étroite
concordance entre le texte et l’image “Voici tes péchés” dit le démon qui en
brandit la liste. “Tu es pécheur” dit son voisin. “Tu as forniqué” dit celui
du haut. En bas, de gauche à droite, sont représentés le vol, le meurtre, le
refus de secourir les pauvres. L’ange de l’Inspiration contre le désespoir
insiste sur la miséricorde de Dieu, dont ont bénéficié saint Paul, le bon
larron (sauvé in extremis…), sainte Madeleine et saint Pierre. * A l’âge classique : Les catéchismes font leur apparition
dans la deuxième moitié du XVI° s., au moment où les artes moriendi
périclitent. Fort répandus à l’âge classique, ils enseignent aux enfants le
mystère de la mort et des fins dernières. On peut lire dans l’un des plus
communs au XVII° s. : « Quel doit être le plus grand soin d’un chrétien ? -
C’est de se bien préparer à la mort. » Suivent plusieurs leçons consacrées à
la mort, au jugement, à l’enfer et au paradis. Dans les petites écoles,
l’enseignement élémentaire fait de la mort un thème privilégié. En Anjou,
pour apprendre à lire aux enfants aux XVII° et XVIII° s., on utilise un
manuel intitulé Les sept trompettes pour réveiller les pécheurs et pour les
induire à faire pénitence, du P. Jouye : près de la moitié du livre est
centrée sur la mort et ses suites, avec de terribles descriptions des
derniers moments et de l’enfer. Les sermons et cantiques des curés et des
missionnaires prennent ensuite le relais. Viennent s’ajouter les livrets
populaires comme la Danse macabre, le Calendrier des Bergers, et surtout des
manuels, comme le De arte bene moriendi de Bellarmin (début XVII° s.), le
Pensez-y bien du P. de Barry (1654), La préparation à la mort du P. Crasset
(1689), la Douce et sainte mort (1680), la Méthode pour finir saintement sa
vie (1741), etc. |
page 25 a écrit: |
La « bonne mort » à l’âge classique (documents p. 21) : * les images Jusqu’au XVI° s.,
l’image a joué un grand rôle dans la pédagogie de la mort, à travers les gravures
des artes moriendi et des livres d’heures. Il s’agissait surtout des scènes
de l’histoire sainte, à commencer par la Passion du Christ et sa mort sur la
croix. L’image pesait même plus lourd que le texte : dans les livres d’heures
imprimés de 1450 à 1550, 2 à 3 % du texte (office des morts) mais 20 % des
images concernent la mort. Il n’en va plus ainsi au XVII° s. La part de
l’image régresse au profit du texte. Pour D. Roche (cf. bibliographie), il
s’agit d’un signe de la promotion de la mort : en parvenant au stade de
l’Ecrit, elle s’adresse à l’élite sociale. Cette régression se poursuit au
XVIII° s. : les préparations à la mort sont rarement illustrées et les images
volantes ne s’intéressent plus à la mort (1 % des estampes). Le document de la p. 21 est l’image
d’une « Bonne mort ». Comme dans les artes moriendi, le mourant assiste à une scène surnaturelle (ange gardien,
démon, tableau, angelots…), que n’aperçoivent pas le jeune homme effondré (le
fils ?) au premier plan et le prêtre qui prie au pied du lit (presque
invisible, sous l’angelot du milieu). Là aussi, le mourant est un enjeu
entre le Bien et le Mal. Là aussi, la référence scripturaire
(l’exemple de Jésus) est bien mise en valeur. Mais le traitement de la scène
est baroque et l’image, encadrée par trois textes, est traitée comme un
emblème. |
Toujours pour vérifier si la parousie du Christ à l’heure
de la mort a toujours été crue dans le peuple de dieu, ce chapitre vise donc à
collecter, en dehors des témoignages de saints, les récits de "l'heure de
la mort dans la culture chrétienne populaire". Qu’en dit la vox populi à travers les
siècles ?
Lorsque Yvonne Bonis, une de mes amies bretonne née vers
1930 relut les épreuves du livre « L’heure de la mort », elle me dit
que, dans sa jeunesse en Bretagne, dans la région de Quimper, elle se souvenait
que le Recteur enseignait explicitement en chaire que dans la mort, le christ
apparaissait à l’âme et venait la chercher. Ce recteur n’était pas un grand
théologien thomiste mais un homme de terrain, formé par le bon sens et par sa
foi.
Reçu ce témoignage de Jean-Daniel Jouanneault (j2nlt@wanadoo.fr) le 11 novembre
2010 :
« Quand je vous ai entendu parler des NDE sur Radio
Notre Dame j’ai ri intérieurement. Non de dérision mais de joie. En effet, il a
55 ans, j’avais lu le tout premier livre « La vie après la vie » de
Raymond Moody et ce livre décrivait avec une telle évidence que l’éblouissante
Lumière de Jésus nous attendait au bout du tunnel et que nous devions exercer
notre liberté entre l’enfer et le ciel, cela corroborait tellement tout ce que
mes Parents m’avaient raconté sur la mort (Dans ma famille, il était raconté de
génération en génération, que la durée de la séparation de l’âme du corps était
inversement proportionnelle avec la brutalité du décès. Ainsi une mort dans un
accident de voiture permettait au défunt de choisir durant une petite semaine,
alors qu’une lente agonie sur plusieurs semaines ne permettait à l’âme du
défunt de quitter son corps qu’en quelques heures seulement), tout ce
que j’avais pressenti au lendemain du départ de ma sœur qui l’âge de 13 ans
tout juste, était monté tout droit au Ciel (« Marie-France ou l’offrande à
l’aube de la vie », Editeur : François Xavier de Guibert) puisqu’elle
s’adressait à moi de manière très concrète après son envol, tout ce que j’avais
appris au catéchisme, lu dans la Bible, que j’ai accepté ces témoignages
relatés par Raymond Moody comme une évidence, un « enfonçage de portes
ouvertes » qui me confirmait bien la naïveté enfantine de ces braves
Américains !
Cette piste (confirmée par le témoignage de Philippe
Coutel sur Marthe Robin) de la proportionnalité de la durée du détachement de
l'âme du corps en fonction de la brutalité du décès est intéressante. Elle
laisse penser qu'une âme non préparée à mourir "lutte" pour rester
accrochée au corps.
Ici on pourrait recenser tous les contes, histoires
brèves et autres points de vue traitant de la comparution devant le Christ, ou
la confrontation avec un ange, au moment du trépas.
Ce moyen "CONNU DE DIEU", les plus petits le
connaissaient bien avant les grands théologiens ! Ils savaient bien, en
mourant, qu'ils allaient voir Jésus ! Mais, que voulez-vous, les théologiens
doivent le RAISONNER et le COMPRENDRE.
Les petites gens se contentent de le sentir.
La petite filles aux allumettes,
Andersen, 1845
Et l'enfant alluma une nouvelle allumette, et puis une
autre, et enfin tout le paquet, pour voir la bonne grand-mère le plus longtemps
possible. La grand-mère prit la petite dans ses bras et elle la porta bien
haut, en un lieu où il n'y avait plus ni de froid, ni de faim, ni de chagrin:
c'était devant le Trône de Dieu.
Le lendemain matin, cependant, les passants trouvèrent
dans l'encoignure le corps de la petite ; ses joues étaient rouges, elle
semblait sourire ; elle était morte de froid, pendant la nuit qui avait apporté
à tant d'autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main,
toute raidie, les restes brûlés d'un paquet d'allumettes.
Le Drôle de Noël de Scrooge, de Charles
Dickens.
Un homme égoïste est visité le jour de Noël par trois fantômes
(passé-présent-futur). Il n’est pas mort mais il semble dans un état second
est-ce avec son corps ou sans son corps) qui lui fait revisiter sa vie.
« J'ai
toujours eu la conviction intime, comme une certitude, (à tel point que c'est
la manière dont je présentais les choses à mes enfants) qu'au moment de la
mort, Jésus nous apparaissait à tous en nous tendant les bras plein d'Amour et
en nous proposant son infinie miséricorde, et que l'homme à ce moment là,
choisissait cet Amour miséricordieux, ou au contraire le refusait... J'ai
toujours eu cette certitude que Dieu, puisqu'il est Miséricorde infinie ne
pouvait pas damner un homme par un jugement qui proviendrait de Lui (sinon il y
aurait là un contresens!), ni même envoyer une âme dans un purgatoire qui
serait un lieu de souffrance où l'âme expierait ses fautes...sinon, là aussi,
contresens: Il s'agirait d'un Dieu avec une miséricorde "partielle",
puisque il faudrait un certain d'attente et d'expiation avant d'obtenir la
miséricorde (Alors qu'Il est fou d'Amour, et a-t-on déjà vu un amoureux
passionné dire à sa bien-aimée: je t'aime d'un amour absolu et j'ai donné ma
vie pour toi... mais reviens plus tard, tu n'es pas digne de moi? Ca ne colle
pas!)
Cela voudrait aussi
dire que l'homme se "sauverait lui-même" en expiant lui-même ses
fautes... Or Jésus n'a-t-Il pas pris sur Lui tous les péchés du monde? Donc
c'est Lui seul qui nous sauve par son seul mérite, et non le nôtre... Il me
semblait que je m'étais "forgé" cette conviction profonde en lisant
St Thérèse de Lisieux...Lorsque l'âme découvre Jésus dans toute sa splendeur,
au moment des noces éternelles, elle se sentait tellement souillée qu'elle
choisissait elle-même de prendre le temps de se faire "toute belle",
comme une fiancée qui se présenterait devant son époux le jour des noces avec
les cheveux sales, et une robe déchirée et couverte de boue... Elle aurait
alors le désir irrépressible de Lui dire: "Mon Amour, attends, je reviens
me préparer dignement pour notre Alliance"...
Voilà ce que je
racontais à ma fille de 9 ans quand elle me posait la question: "Mais si
Dieu nous aime, comment peut-il nous envoyer en enfer... ou même au
purgatoire?"
Quand j’ai entendu
expliquer par la théologie si brillamment et si clairement ce qui se passait au
"passage de la mort" (avec toutes les nombreuses références aux
textes bibliques sur laquelle votre théologie s'appuie), c'est comme si enfin
cette conviction intime et très profonde éclatait au grand jour! Quelle joie!
Cependant, ce que
je ne comprenais pas, c'était: Qui ne choisirait pas l'Amour et la miséricorde,
et choisirait l'Enfer, c'est à dire le "manque d'Amour"?? Merci
d'expliquer si bien la grande tentation de Lucifer et de son "homme
debout", choisissant lui-même son bien et son mal... Quelle tentation, en
effet!!!!!
Et merci
d'expliquer que l'âme qui a "choisi de se faire belle" au purgatoire,
doit en fait arriver à la conclusion qu'elle ne sera jamais assez digne du
Christ, et qu'elle doit s'en remettre à Lui, le coeur brisé...
MERCI!!!!!!!!!
Bien à vous, une
théologienne en herbe »
Nous avions cité précédemment un dilemme posé par J.J.Rousseau à
l’Église dans la Profession de foi d’un vicaire savoyard. Il le pensait
insoluble.
« Ou
le christianisme est nécessaire au salut, et vous êtes obligés de damner tous
les millions d’hommes qui ont vécu avant le Christ ; Ou bien vous direz qu’ils
pouvaient être sauvés, mais alors le christianisme n’est pas nécessaire au
salut. »
Il est vrai que ce dilemme est difficile à résoudre dans le cadre d’une
ecclésiologie trop centrée sur l’aspect hiérarchique ou sacramentel de
l’Église. A travers cette hypothèse, nous espérons avoir ouvert la voie d’une
réponse authentiquement évangélique :
Dans le christianisme, les seules réalités absolues, faites pour
demeurer éternellement, sont les personnes, à savoir le Christ et nos frères.
L’amour de charité est le lien qui unit pour toujours Dieu et ses amis. Pris en
ce sens, qui n’est autre que la communion
des saints, le christianisme ne disparaîtra jamais. Tout le reste
(hiérarchie, sacrements, états de vie etc.), est appelé à disparaître. Il ne
constituait qu’un moyen en vue de la croissance du lien de la charité qui
construit la communion des saints, c’est-à-dire l’Église.
Nul homme ne peut être sauvé en dehors de la communion des saints.
Mais, parallèlement, nul homme ne peut être damné sans avoir lucidement
blasphémé la communion des saints.
Ainsi, le christianisme en
tant que religion structurée n’est nécessaire que dans la mesure où il
construit la charité théologale. S’il ne le fait plus, par manque de saints, il
devient inutile et parfois nuisible.
Mais le christianisme, en
tant que communion des saints fut nécessaire pour tous les hommes de tous
les temps. Tous ont expérimenté, avant même la naissance du Christ, ce que
signifie être accueillis par une Église Sainte et éternelle à l’heure de la
mort. C’est ce que nous espérons avoir démontré.
L’heure de la mort est l’heure de la réunion définitive des saints,
libérés enfin, dans la lumière de la venue du Christ accompagné des habitants
du Ciel, d’une trop longue séparation.
Nihil
Obstat Archevêché de Paris
Paris,
le 12 mars 1992 (n° 50), M. Dupuy
Imprimatur
Archevêché de Paris
Paris,
le 5 novembre 1992, Mgr M. Vidal
Auteur : Arnaud DUMOUCH, Agrégé en Sciences religieuses, Paris,
1992.
Dans la récente édition par le Cerf (1986) de la Somme Théologique de saint Thomas
d’Aquin, le choix des traducteurs fut de ne pas faire figurer le "Supplément". Les raisons se
comprennent aisément. Cette partie de la Somme n’est pas directement de
l’auteur, puisque celui-ci mourut prématurément. Elle est le fruit d’une
compilation réalisée par ses disciples à partir d’œuvres de jeunesse. Et la
qualité de ce Supplément est loin de valoir le reste de l’œuvre. On peut même
dire sans exagération que la théologie catholique a connu des siècles de
blocages sur bien des points de ces traités abusivement vénérés au même titre
que le reste de son œuvre de maturité (Voir en particulier l’histoire des
doctrines de l’ordre, du mariage et des fins dernières).
En 1273, Thomas d’Aquin était âgé de 47 ans. Depuis longtemps, il
était connu dans la chrétienté comme l’un des plus grands docteurs jamais
donnés à l’Église. Il dictait alors la troisième et dernière partie de sa Somme
Théologique. Il avait dicté à son fidèle ami et disciple, frère Reginald, un
article concernant le sacrement de la Pénitence. S’étant rendu à l’église
Sainte Dominique pour y célébrer la messe, il fut pris d’une extase. Lorsqu’il
revint à lui, plusieurs frères dominicains qui avaient été témoins de son
ravissement voulurent connaître de sa bouche ce qu’il avait vu. Mais Frère
Thomas d’Aquin se tut puis se retira dans sa cellule. Frère Reginald étant venu
près de lui comme à l’habitude pour recevoir la dictée de la suite de son
travail, il fut renvoyé. Le lendemain, il revint mais Frère Thomas d’Aquin ne
voulut rien lui dicter. Il en fut ainsi les jours suivants au point que son ami
finit par lui demander en privé la raison d’un tel comportement. Frère Thomas
d’Aquin lui avoua alors ceci : « J’ai
vu des choses que la langue de l’homme ne peut exprimer" Et comme Frère
Reginald insistait, il continua : « À
côté de ce qui m’a été révélé, tout ce que j’ai écrit et dit m’apparaît comme
rien. » À partir de ce jour, Frère
Thomas d’Aquin n’écrivit plus rien. Sa Somme resta inachevée, à l’endroit même
où son extase l’avait saisi. Sa méditation sur la Pénitence s’éteint dans le
silence de Dieu comme si tout l’effort de l’homme n’était rien devant la
Lumière. Frère Thomas d’Aquin mourut moins d’un an plus tard. Ses disciples
s’efforcèrent de compléter l’œuvre théologique qu’il laissait inachevée ; mais
leur travail ressemble à celui d’un architecte maladroit qui s’efforcerait
d’achever à sa façon la flèche d’une cathédrale laissée par les siècles. Le
génie de saint Thomas d’Aquin est unique. On ne peut que l’imiter.
Le Thomisme n’est surtout pas une doctrine. C’est à cause de cette
confusion qu’il est devenu aujourd’hui insupportable pour beaucoup dans les
Églises chrétiennes. C’est d’abord un esprit. Si la Somme Théologique a
contribué à faire de son auteur le plus grand Docteur de l’Église catholique,
c’est certainement à cause de cet esprit qui l’anime de bout en bout.
Malheureusement, seul le temps et la maturation permet de le discerner.
Saint Thomas d’Aquin fut d’abord, à l’école d’Aristote un grand
philosophe. Il apprit à écouter la réalité, à s’y soumettre selon toutes ses
dimensions. Même lorsqu’elle lui semblait d’un premier abord contradictoire
avec la révélation, il s’y soumettait. Il remettait en cause son interprétation
de la révélation. Jamais l’affaire Galilée n’aurait pu avoir lieu si les
théologiens de cette époque avaient été vraiment thomistes. Jamais la science
actuelle dans son réalisme ne se serait à ce point séparée de la philosophie
devenue idéaliste et coupée du réel si Descartes avait été disciple de saint
Thomas.
A son école, nous ne cesserons de tendre à l’écoute de la réalité.
Nous ajouterons à la méthode nécessairement limitée, vu les outils
scientifiques de son époque, ceux d’aujourd’hui. Cet effort apparaîtra
particulièrement dans le traité de la résurrection. La nature du corps glorieux
apparaîtra plus mystérieuse qu’à l’époque de saint Thomas depuis que nous
approchons mieux aujourd’hui l’incroyable diversité d’états que peut prendre la
matière. De même, notre traité de l’heure de la mort a été marqué profondément
par l’expérience de la mort approchée. Cette expérience, non accessible à la
science positive est tout à fait réaliste au plan d’une enquête rigoureuse de
philosophie.
Saint Thomas d’Aquin fut un grand théologien car il fut avant tout
un homme de foi. Il se permet des audaces doctrinales très grandes car il sait
s’appuyer sur le rocher de la révélation. Il n’essaye jamais de remettre en
doute les définitions solennelles du Magistère. Il croit en la protection de
Dieu sur le ministère de Pierre. Il sait hiérarchiser avec précision le degré
de chaque autorité. Il a raison d’agir ainsi. La qualité de son travail en est
rendue unique. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder la structure de
ses articles. Chacun est centré sur un argument d’autorité qu’il tire, le plus
souvent qu’il le peut, de l’Écriture Sainte ou encore de l’enseignement de
l’Église ou des docteurs reconnus.
Cependant, il est conscient que l’utilisation de l’Écriture Sainte
par fragments détachés de leur contexte risque de conduire à négliger leur
genre littéraire et par la suite à faire erreur sur leur sens. Aussi saint
Thomas d’Aquin ne se contente pas de ces arguments mais fait suivre son étude
par un raisonnement théologique que l’on peut qualifier de scientifique. Il
s’agit d’une science au sens profond du terme puisque, appuyé sur la
révélation, il s’efforce d’en établir les multiples conséquences par un
raisonnement rigoureux. Il fait confiance à l’intelligence humaine et l’établit
dans toutes ses potentialités au service de la foi. Il réalise à l’avance cette
maxime de saint François de Sales : « La
foi et la raison sont filles d’un même Père : elles doivent avancer ensemble
comme deux affectionnées"
L’esprit et la méthode de saint Thomas d’Aquin vont encore plus loin
: Pour mieux approcher le réel révélé, il écoute les penseurs qui l’ont
précédé. Il s’intéresse aux docteurs et aux théologiens reconnus par l’Église
comme aux hérétiques. Il cite leur thèse en une série d’objections quand elles
s’opposent à ses propres opinions. À la fin de chaque article, il s’efforce de
leur répondre, sur un ton mesuré et jamais polémique, et la vérité s’en trouve
bien.
Chaque article, construit pour répondre
à un problème précis, fait lui-même parti d’un ensemble organique plus grand
appelé "question. » Ces
questions correspondent chacune à un des grands axes de compréhension du sujet
traité. Elles rejoignent souvent les cinq causalités telles qu’elles ont été
définies par Aristote.
Sa logique : C’est que, outre cet esprit de foi qui fonde toute la
théologie thomiste, il existe une méthode structurellement aristotélicienne. Il
fit de ce maître le formateur de sa pensée. Il fit traduire du grec,
spécialement pour lui, une grande partie des écrits du philosophe. Il
s’imprégna de sa pensée non seulement à cause de sa parfaite structure
analytique mais surtout à cause de la vérité qu’on peut y trouver. Selon saint
Thomas d’Aquin, Aristote n’est autre que le "philosophe », c’est-à-dire celui qui, parmi tous
les chercheurs de la vérité, l’a approchée de plus près.
De tout cela, il résulte un exposé
organique, très complet, précis et, malheureusement, trop souvent utilisé par
les lecteurs d’une manière scolaire et désincarnée. Pour éviter ce risque, il
faut se souvenir qu’au delà de la fidélité doctrinale, l’esprit de saint Thomas
d’Aquin consiste dans la charité. Il n’utilise les moyens de connaître mieux
que pour mieux aimer. Ainsi, sans une vie d’oraison et un exercice quotidien de
l’amour du prochain, le lecteur de tels traités court le risque d’hypertrophier
sa raison.
Dans le travail qui est le mien,
j'essayerai d’appliquer la même méthode à ce que, selon moi, devrait être un
traité complet des fins dernières.
Mon intention première est théologique.
Il s’agit de montrer l’harmonie totale de la révélation chrétienne lorsqu’on
lui donne son sens ultime, son terme.
Il s’agit aussi de montrer la valeur
unique que peut prendre la pensée chrétienne lorsqu’elle fait le double pari de
la fidélité catholique aux trois canaux de la révélation (Écriture, Tradition
Magistère) et de la soumission philosophique au réel.
Mon intention est enfin pastorale. Une théologie peut être plus
facilement mise au service de la prédication lorsqu’elle s’organise selon un
plan structuré et sait aborder les questions subtiles dans un langage à la fois
précis et simple. Il est important que la prédication des fins dernières
viennent à nouveau soutenir l’espérance. Si les prédicateurs se remettent à
enseigner notre avenir, la foi et la charité reprendront feu.
Remarque : L’esprit de saint Thomas n’est pas toujours sa lettre :
Certains points de ce travail sont dans la droite ligne de
L'ESPRIT DE SAINT THOMAS... et pourtant sont opposés SELON LA LETTRE. Les
voici, pour le propre jugement du lecteur.
Deux points sont fondamentaux et visibles car à la source des
autres :
1° La possibilité de la survie
du psychisme (la vie sensible) à la mort. C'est absolument nié par saint
Thomas...
2° La nécessité, dans le
passage de la mort, d'une parousie du Christ glorieux, accompagné des saints et
des anges. C'est nouveau, cela ne fait pas partie de la foi définie. Mais cela
ne s'y oppose pas, loin de là. Seule sainte Faustine et Marthe Robin en
parlent... Si cela se révèle vrai, les conséquences sont essentielles pour toute
la théologie catholique.
3° L'impossibilité des limbes
ETERNELLES. "Tout homme se verra proposé le salut. » Mais la probabilité de limbes... PROVISOIRES (là encore, ce
n'est pas thomiste et c'est pour moi un point essentiel).
Deux points sont importants quoique seconds :
1° Les SIX degrés du
purgatoire (ils ne sont que la compilation de ce que les saints ont ajouté
depuis la mort de saint Thomas).
2° Les peines de l'enfer ne sont
pas surajoutées par Dieu. Elles sont toutes, y compris le feu corporel, les
conséquences NATURELLES de la privation de la fin, la vision béatifique.
Enfin, deux points sont accessoires :
1° Certaines considérations
sur le corps ressuscité et le monde physique nouveau. Elles sont dues aux
progrès de la physique.
2° La présence d'animaux et de
plantes dans le monde nouveau (explicitement niée par saint Thomas).
Quand Saint Thomas d’Aquin est mort, laissant la Somme de
Théologie inachevée, son disciple, Frère Reginald, s’efforça de remplacer ce
que le maître n’avait pu faire en prenant, ici et là, dans d’autres œuvres, des
éléments susceptibles de jouer ce rôle. Il se servit principalement du
commentaire des Sentences de Pierre Lombard, qui est une œuvre de jeunesse. Il
en sortit un résultat qui n’est pas inintéressant, mais qui, malheureusement,
pèche par bien des points. Le traité le plus faible, lorsqu’on le regarde avec
un œil du XXIème siècle, est celui du mariage. Mais peut-on
reprocher à saint Thomas d’Aquin de n’avoir pas eu le Pape Pie XII et le
Concile Vatican II ? Le traité de la Résurrection est souvent inutilisable car
le maître appuie ses raisonnements sur une science physique erronée, celle du
Moyen Âge ; Quant au Traité des fins
dernières dans son ensemble, frère Reginald prit le parti de le centrer
autour du mystère de la résurrection des corps. Ce choix est commode car il
permet de voir beaucoup de choses en les groupant dans "ce qui précède la
résurrection, ce qui l’accompagne et ce qui la suit" Cependant, un tel
ordre présente l’inconvénient d’être peu scientifique, c’est-à-dire de ne pas
mettre en valeur le principe de toute l’intelligibilité de l’au-delà, à savoir
la fin, le but qui éclaire tout et vers lequel tout chemine : la vision de
Dieu.
De telles critiques sont fondamentales,
surtout si l’on est habitué à l’extrême précision des analyses thomistes
habituelles. Quel est, de fait, le bonheur ultime de l’homme ? Le recouvrement
de son intégrité physique ? Mais les damnés eux-mêmes ressuscitent. Il semble
que l’Évangile insiste sur l’annonce certaine du miracle futur de la
résurrection des corps pour mieux démontrer, par mode de signe concret, la
réalité de la seule vie qui de fait donne sens à cette résurrection, celle de
l’entrée dans la gloire. En conséquence, s'il faut présenter un traité complet
des fins dernières selon une analyse thomiste,
1° Il faut l’inaugurer d’une
première partie intitulée la vision béatifique.
2° Dans un deuxième temps, parce que le
destin de l'homme se réalise selon un devenir (passé, présent, futur), il faut
reprendre le plan général de Frère Reginald : ce qui précède la résurrection,
ce qui l’accompagne et ce qui la suit.
3° Cependant, et cela paraîtra
dans le résumé qui va suivre, il faudra bouleverser l’ordre des questions et en
ajouter d’autres selon les précisions théologiques apportées par l’Église ou
par les saints.
Voici le plan du traité :
PREMIÈRE PARTIE : LA VISION
BÉATIFIQUE
1° Ses convenances dans le
plan de Dieu.
2° Sa nature.
3° Sa cause.
4° Son siège dans l’âme
humaine.
5° Ses effets dans l’homme.
6° Les conditions ontologiques
dans l’âme pour qu’elle soit possible.
7° Les conditions spirituelles
requises pour être digne d’être élevé par Dieu à la vision béatifique.
DEUXIÈME PARTIE : CE QUI
PRÉCÈDE LA RÉSURRECTION
8° La mort ; (ici se situe
notre thèse par rapport à l’ensemble du traité).
9° La condition de l’âme
séparée du corps.
10° Le jugement dernier de
l’individu.
11 à 14° L’enfer ; (cette question
complexe nécessite en effet plusieurs chapitres)
15 à 17° Le purgatoire.
18° La condition des âmes des
enfants morts sans baptême.
19° Les suffrages pour les
défunts.
20 à 24° Le paradis.
25° Le retour du Christ ; (nous
quittons ici l’étude du destin individuel pour celle du destin des communautés
humaines).
26 à 32° Les signes de la fin du
monde.
33° La fin du monde.
TROISIÈME PARTIE : LA
RÉSURRECTION
34 à 37° Sa cause, son mode, son
point de départ.
38 à 40° L’état des ressuscités.
41 à 46° L’état corporel des élus
comparé à celui des damnés.
47° La conflagration du monde.
48° Le monde physique nouveau.
QUATRIÈME PARTIE : CE QUI
SUIT LA RÉSURRECTION
49 à 52° Le jugement général de
l’humanité.
53° L’état du monde après le
jugement.
Ce plan donne une idée générale de la structure du traité. Notons
qu’il y apparaît une distinction entre l’eschatologie de la communauté et celle
de l’individu[347]. Nous n’avons cependant pas
voulu la faire apparaître sous forme de grandes parties indépendantes afin de
ne pas laisser penser qu’il s’agit d’une division plus qu’une distinction. Il
faut en effet remarquer que si l’Ancien comme le Nouveau Testament soulignent
davantage l’eschatologie de la communauté en tant que telle, cela ne veut pas
dire que le salut soit une réalité toute faite qui intéresse une communauté
anonyme et non pas l’individu. Bien au contraire, c’est l’individu qui s’insère
dans la communauté par une adhésion de foi personnelle. Si par le passé on a
surtout présenté l’eschatologie sur le plan individuel, aujourd’hui, on met en
évidence sa dimension communautaire et cosmique. Cependant, même à l’intérieur
de l’eschatologie individuelle, la dimension communautaire garde une place
fondamentale. Ainsi, même dans la mort, qui est le moment où l’individu se
trouve seul, la personne se trouve confrontée à l’autre monde et à sa vie tout
entière. Ainsi, là encore, les rapports avec les autres gardent une importance
capitale. Il en va de même pour la béatitude céleste, qui tout en reliant
l’individu à la Trinité, l’associe à l’Église triomphante avec ses anges et ses
Saints et nous apparaît donc comme une réalité communautaire.
Ces questions sont traitées dans un
langage qui recherche la précision intellectuelle. Elles paraîtront au premier
abord desséchantes. Saint Thomas avait choisi ce style pour les débutants en
théologie. Il pensait éviter les répétitions. Beaucoup lui ont reproché par la
suite d’avoir étouffé l’Esprit Saint dans la pensée occidentale. Pour éviter ce
danger, la solution est donnée par le Saint lui-même : ne jamais travailler la
théologie sans prier ; Prier surtout Marie qui sait rendre doux ce qui est
rigide.
Nous sommes arrivés à traiter de la fin dernière de la vie
humaine, celle des bienfaits que le sauveur nous a préparés. Et le bienfait
principal, c’est la vision béatifique où Dieu se montrera à nous "face à
face" Il s’agit de la fin de la vie immortelle, selon cette parole de
saint Augustin : « Te posséder toi, ô
mon Dieu, c’est être riche de tous les biens »[348]. Nous traiterons ensuite de
la résurrection qui réalise jusque dans notre corps les promesses du sauveur.
Ce traité se divise en quatre parties :
1° La vision béatifique en
elle-même.
2° Les moyens ultimes par
lesquels Dieu nous conduit à la vision béatifique, au moment de notre mort,
après notre mort et à la fin du monde.
3° La résurrection qui est la
rémunération due à notre corps qui a participé à nos actes durant la vie
terrestre.
4° Ce qui suit la
résurrection, à savoir le monde nouveau, lieu du jugement général et éternel de
tous sur tout.
Dans la première partie, nous aurons à
considérer :
1° La convenance de la vision
béatifique.
2° La nature de la vision
béatifique.
3° Sa cause.
4° Son siège en nous.
5° Ses effets et sa durée.
6° Les conditions requises par
l’âme pour qu’elle soit capable de la vision béatifique.
7° Les conditions spirituelles
requises pour être digne d’être élevé par Dieu à la vision béatifique.
Dans cette première partie, je me suis
efforcé de dévoiler la lumière qui permet de comprendre théologiquement
absolument tout l’univers créé. Dieu a tout fait à cause d’un projet unique de
son cœur : il veut communiquer (1) son bonheur infini à des créatures
spirituelles (2) Il veut se montrer face à face, gratuitement, à ceux qui
l’aiment (3). Or, la Vision béatifique (4), c’est le bonheur absolu, à savoir
la béatitude (5).
Celui qui saisit le sens de ce projet de
Dieu peut comprendre dans un regard simple toute la théologie chrétienne car il
a saisi la source et le but de tout ce qui est.
(1) Questions 1 et 3, (2) Question 4 ;
(3) Question 7 ; (4) Question 5
(5) « La croyance au
Ciel, épurée mais réelle, est nécessaire pour que la terre demeure habitable et
pour que l’homme soit délivré de son angoisse devant la mort. Le Ciel fait
reconnaître la terre comme l’espace où se joue la comédie divino-humaine,
constamment élevée au-dessus d’elle-même par un incessant jeu d’amour. » [349]
Pour envisager les convenances du
mystère de la vision béatifique nous nous poserons sept questions :
1° Dieu appelle-t-il l’homme à
la vision béatifique ?
2° La vision béatifique
est-elle nécessaire à la béatitude parfaite de l’homme ?
3° Dans l’hypothèse où Dieu
n’aurait pas proposé la vision béatifique, l’homme aurait-il été heureux dans
l’au-delà ?
4° Le motif ultime de la
création de l’homme est-il l’entrée dans la vision béatifique ?
5° Le motif ultime de la
création de l’ange est-il l’entrée dans la vision béatifique ?
6° Dans l’hypothèse où Adam
Ève n’auraient pas péché, seraient-ils entrés dans la vision béatifique ?
7° Le motif ultime de
l’Incarnation et de la Rédemption opérée par le Verbe est-il de nous introduire
à nouveau dans l’espérance de la vision béatifique ?
8° Convenait-il que la vision
béatifique ne nous soit donnée qu’après une vie terrestre ?
Objections :
1. La béatitude éternelle de
l’homme ne semble pas pouvoir consister dans la vision de l’essence divine car
selon la parole de Denis : « le
suprême effort de l’intelligence consiste à s’unir à Dieu comme à un être
pleinement inconnu ». Ainsi, la
dernière perfection de l’intelligence ou béatitude ne consiste pas à voir
l’essence divine.[350]
2. Dieu ne peut proposer à
l’homme une chose qui est impossible. Or la vision béatifique, qui consiste à
voir Dieu tel qu’il est, est impossible à l’homme, selon cette parole de
l’Écriture : « Nul ne peut voir ma
face, car l’homme ne peut me voir et vivre »[351]. Il semble donc que Dieu
n’appelle pas l’homme à la vision de son essence.
3. De même, l’homme ne doit pas
désirer des réalités qui ne sont pas à sa portée : « oui, Dieu est si
grand qu’il dépasse notre science » reconnaît le livre de Job[352]. La vision de l’essence de
Dieu dépasse l’homme. L’homme ne peut donc la désirer sans courir le risque de
tomber dans le péché de présomption.
Cependant :
Saint Paul dit aux Corinthiens : « Maintenant, nous voyons dans un miroir, d’une manière
mystérieuse, mais alors nous verrons face à face ».1 Ce qui se voit face à face se voit dans son essence. Les saints
dans la patrie verront Dieu dans son essence.
En outre, Saint Jean dit : «
Quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, car nous le verrons tel
qu’il est »[353]. Nous le verrons donc dans
son essence.
Conclusion :
C’est une donnée de la foi que la fin ultime de la vie humaine
consiste en la vision de Dieu. C’est en ce sens que s’exprime le pape Benoît
XII, à travers une parole solennelle et définitive : « Les âmes saintes aussitôt après la mort et la purification
pour sceller qui en ont besoin, avant même la résurrection dans leur corps et
le jugement général, entrent au Ciel, au royaume des cieux et au paradis
céleste avec le Christ et les anges saints. Elles voient l’essence divine d’une
vision intuitive et même face à face, sans la médiation d’aucune créature qui
serait un objet de vision. La divine essence se manifeste plutôt à eux à nu,
clairement et à découvert et, par cette vision, elles jouissent de cette même
essence. Par cette vision et cette jouissance, les âmes sont vraiment
bienheureuses et possèdent la vie et le repos éternels ».[354]
Solutions :
1. Le texte de Denis qu’on nous
cite concerne la connaissance de Dieu qu’ont en cette vie ceux qui tendent à la
béatitude
2. Ce qui est impossible à
l’homme n’est pas irréalisable si l’on considère la puissance de Dieu. Seules
les choses contradictoires en soi échappent à la puissance de Dieu. Dieu ne
peut faire par exemple que ce cercle soit en même temps carré. La vision
béatifique n’entre pas dans ce genre d’impossibilité. Elle est seulement
impossible relativement à la puissance naturelle de l’homme. Rien n’empêche
donc que Dieu, par sa gloire, surélève les facultés de l’homme.
3. L’homme ne peut désirer une chose
qui le dépasse sauf si Dieu lui en donne l’ordre. C’est pourquoi les saints
n’encouraient pas le péché de présomption quand leur désir commun attendait de
Dieu la vision de son essence, selon l’Exode : « Montre-moi ta gloire »
[355] et le psalmiste : « montre ta face et nous serons sauvés »[356]. Bien au contraire, c’est à
cause de leur très grand amour de Dieu qu’ils s’exprimaient ainsi.
Objections :
1. La vision de l’essence
divine dépasse les capacités naturelles de l’homme. Elle dépasse donc aussi son
désir naturel. Il semble donc que ces désirs naturels de bonheur peuvent être
satisfaits par des biens inférieurs comme une certaine contemplation de Dieu à
travers ses œuvres, une harmonie avec les créatures spirituelles et avec
l’univers.
2. Ensuite,
la perfection d’une nature supérieure est elle-même supérieure. Or la vision de
l’essence divine est la perfection propre de la nature divine. Elle dépasse les
aspirations de la nature humaine qui est faite pour contempler Dieu de loin. On
doit donc dire que la destinée de l’homme est dans une fin moins haute[357].
Cependant :
La dernière et parfaite béatitude de
l’homme ne peut consister qu’en la vision de l’essence divine. La raison en est
que l’homme ne saurait être parfaitement heureux tant qu’il lui reste quelque
chose à désirer et à poursuivre. Or, si l’homme ne voit pas l’essence divine,
il ne connaît pas la Réalité qui donne raison à tout ce qu’il est et à tout ce
qui s’entoure. Il reste donc en son intelligence un manque et son bonheur ne
peut être plénier.
Conclusion :
La dernière et parfaite béatitude de
l’homme ne peut être effective que si les facultés vitales qui sont en lui se
reposent parfaitement dans leur objet. La perfection d’une faculté doit être
appréciée d’après la nature de son objet. Or l’objet de l’intelligence est la
quiddité des choses, autrement dit leur essence, ce qu’elles sont. D’où il
résulte que la perfection atteinte par l’intelligence procède de la
connaissance qu’elle a de l’essence des réalités. Si donc une intelligence
connaît dans son essence un certain effet, mais de telle sorte que par cet
effet elle ne puisse parvenir à la connaissance de la cause dans son essence
même à savoir dans ce qu’elle est, on ne peut dire que cette intelligence
atteigne purement et simplement la cause bien que, par l’effet envisagé, elle
sache de cette cause qu’elle est. Voilà pourquoi, en raison de sa nature même,
l’homme désire non seulement connaître l’existence d’une cause mais aussi la
nature de cette cause, ce qu’elle est. Et c’est là un désir d’admiration ou
d’étonnement qui provoque la recherche, comme il est dit au début de la
Métaphysique d’Aristote. Par exemple, quelqu’un, voyant une éclipse de soleil,
comprend qu’elle doit avoir une cause, et comme il l’ignore, il s’étonne,
admire, et sous l’empire de ces sentiments, il cherche et son investigation
n’aura de cesse qu’il ne soit parvenu à connaître l’essence même de cette cause.
De la même manière, l’intelligence
humaine, quand elle connaît dans son essence un effet qu’elle sait créé par
Dieu, mais qu’elle ne connaît rien de ce Dieu sinon son existence, ne peut
prétendre connaître en plénitude la Cause Première. Il lui reste un désir
naturel de chercher à connaître cette cause. Elle n’est donc pas encore
parfaitement heureuse. En conséquence, dans la parfaite béatitude, il faut que
l’intelligence atteigne à l’essence même de la Cause Première. C’est ainsi
qu’elle obtiendra sa perfection absolue par son union à Dieu comme à son objet
puisqu’en cet objet seul consiste la béatitude de l’homme ainsi que nous
l’avons dit[358].
On peut, donner une autre raison commune aux philosophes et aux
théologiens : connaître intellectuellement étant par dessus tout l’opération
propre de l’homme et de toute créature spirituelle, il faut que sa béatitude
consiste en la forme la plus parfaite de cette opération. La perfection de
celui qui connaît en tant que tel, est l’intelligible lui-même : si dans l’opération
la plus parfaite de l’intelligence l’homme ne parvenait pas à voir l’essence
divine mais un autre objet, on devrait dire que l’homme est béatifié par autre
chose que Dieu et puisque l’ultime perfection de chaque chose consiste dans la
conjonction avec son principe, il s’en suivrait que le principe effectif du
bonheur de l’homme serait autre chose que Dieu, ce qui nous semble absurde.
C’est pourquoi, selon nous, on doit dire qu’il est nécessaire que l’essence
divine soit vue pour qu’une béatitude parfaite existe.
Solutions :
1. La réalisation de la vision
de l’essence divine dépasse les capacités naturelles de l’intelligence humaine.
Il existe par contre un désir naturel de connaître l’essence de Dieu, en tant
qu’elle est cause de tout le monde créé et qu’elle seule peut nous en donner la
parfaite intelligibilité.
2. En
ce qui concerne les degrés qu’on signale entre les natures il faut observer
ceci : le mot fin se prend en deux sens :
a)
Il
signifie la chose même qui est désirée et, en ce cas, la fin est la même pour
la nature inférieure, voire pour tous les êtres, puisque toute chose existe
pour Dieu.
b)
La
fin se prend aussi pour l’entrée dans la possession de la chose, et alors la
fin est différente pour la nature supérieure et pour la nature inférieure, à
cause du rapport différent qu’elles entretiennent avec cette chose. Ainsi, Dieu
a une plus haute béatitude du fait qu’il enveloppe complètement par son
intelligence sa propre essence, que l’homme ou que l’ange qui voient cette
essence mais ne l’épuisent pas dans toute son intelligibilité.
Objections :
1. Il semble que l’homme n’aurait
pas été heureux. Saint Augustin affirme dans ses Confessions : « Posséder toutes choses sans t’avoir,
toi, ô mon Dieu, c’est être démuni de tout ».
2. Être séparé de Dieu dans
l’au-delà, sans espoir de le voir un jour, c’est ainsi que l’on définit
l’enfer. Or il n’y a pas de bonheur en enfer. L’homme, s’il n’a pas après la
mort la Vision Béatifique ne peut donc aucunement être heureux.
3. Cette
question paraît insensée. Au paradis terrestre, Dieu avait comblé Adam et Ève
de la plus haute béatitude possible, exception faite bien sûr de celle que
donne la vision béatifique. En conséquence, un au-delà sans vision béatifique
n’eut été qu’une prolongation éternelle du jardin d’Eden.
Cependant :
Même sur cette terre, l’homme peut atteindre à un certain degré de
bonheur. Il peut y avoir un bonheur naturel fondé sur l’amitié et une certaine
contemplation de Dieu comme en parle Aristote dans l’éthique à Nicomaque. Il
peut aussi y avoir un bonheur surnaturel fondé sur la grâce donnée par Dieu
"je les comblerai de joie dans ma maison de prière" dit le Seigneur[359].
Conclusion :
La béatitude plénière, telle que nous
l’avons décrite dans l’article précédant, consiste en la disparition de tous
les désirs, aussi bien pour l’esprit que pour le corps de l’homme. Elle ne peut
donc se réaliser que par la possession de tous les biens et surtout de celui
qui les contient tous : Dieu lui-même. Mais rien n’empêche qu’il existe des
degrés de béatitude qui, s’ils ne sont pas pléniers, peuvent néanmoins être de
véritables bonheurs. Ainsi, Adam et Ève jouissaient dans le paradis terrestre
de la béatitude la plus parfaite possible, bien qu’il leur manquât la vision
béatifique. C’est vers un tel bonheur retrouvé qu’aspirent les adeptes de
l’Islam.
Si Dieu n’avait pas proposé à l’homme la vision béatifique, il lui
aurait préparé dans l’au-delà un bonheur à sa mesure mais il ne lui aurait pas
donné le bonheur absolu qui ne peut être obtenu qu’à travers la vision, la
possession et la jouissance de Dieu. En conséquence, sans ce pour quoi il est
créé, l’homme aurait pu être heureux mais imparfaitement.[360]
Solutions :
1. L’homme n’a pas besoin de la
vision béatifique pour posséder, d’une certaine manière, Dieu. Il peut s’unir à
lui dans l’obscurité de la foi à travers un amour de charité. Les dons du Saint
Esprit et principalement le don de sagesse peuvent donner à l’homme dès cette
terre une connaissance amoureuse de l’essence de Dieu. Cette connaissance, bien
qu’obscure, donne une certaine béatitude.
2. L’enfer ne consiste pas dans
n’importe quelle séparation de Dieu. Il s’agit d’une séparation volontaire que
l’âme damnée provoque par son trop grand amour d’elle[361].
3. Saint
Thomas a évoqué explicitement l’hypothèse de la nature pure : un homme dans
l’état de nature pure n’aurait pas, après sa mort, la vision divine. Mais ce ne
serait pas une sanction : autre chose est de n’avoir pas un droit, ce qui n’est
qu’un manque, non une peine ; autre chose d’être privé d’un droit, ce qui est
une peine.
Selon lui, les enfants dans les limbes sont privés de la grâce
adamique. En ce sens, l’absence des dons surnaturels a un caractère pénal. Mais
saint Thomas déclare qu’en fait "ces enfants n’ont jamais été
proportionnés à la vie éternelle : elle ne leur était due ni en raison des
principes de la nature dont elle excède toutes les ressources, ni en raison
d’un acte personnel qui aurait pu les proportionner à un si grand bien. Aussi
ne souffriront-ils absolument pas de la privation de la vision divine : au
contraire, ils se réjouiront de tout ce qu’ils participeront de la bonté divine
dans les biens naturels. Cependant, selon saint Thomas,
« l’intelligence humaine, ouverte à l’infini, désire connaître pleinement
non seulement les créatures, mais Celui qui les a causées. » C’est
pourquoi, « pour atteindre la béatitude parfaite, il est requis que
l’intelligence atteigne l’essence même de la cause première. » Il semble
s’inspirer de ce texte lorsqu’il écrit, à propos des enfants dans les limbes : « Tout ce firmament ouvert au-dessus
d’eux et propre à les ravir, pourra bien éveiller en eux quelque indéfinissable
et exaltante nostalgie, mais non pas une souffrance. » Nostalgie, non souffrance. Mais qu’est-ce qu’une nostalgie sinon
une forme douce de souffrance ? Même si l’amour naturel envers Dieu les faisait
consentir à leur état de bonheur imparfait, cette souffrance subsisterait. Nous
pouvons conclure que le thème d’une béatitude naturelle est contradictoire. En
conclusion, nous pouvons dire que si le Seigneur n’avait pas proposé la vision
de son essence, nous n’aurions jamais été pleinement heureux dans l’autre
monde. Nous sommes faits pour voir Dieu. Loin de lui, nous brûlons. Nous
montrerons ailleurs que l’hypothèse des limbes éternels, d’origine augustinienne,
est intenable face à la foi catholique.
Objections :
1. Il ne semble pas que ce soit
le motif de la création de l’homme. On voit mal les raisons pour lesquelles
dans ce cas, Dieu aurait imposé à l’homme l’épreuve d’une vie terrestre. Il
aurait, semble-t-il, donné directement à l’homme ce pourquoi il était fait.
2. L’expérience montre que
l’homme est fait, par tout son être, pour vivre dans la société des autres
hommes, pour vivre des amitiés et communiquer la vie à d’autres êtres
semblables à lui. Ainsi, dans la Genèse, Dieu commande de dominer l’univers, de
donner des noms aux animaux et il ne lui propose pas d’autres buts que ceux-là.
Dieu n’a donc pas créé l’homme pour la vision béatifique.
3. Dans le paradis terrestre,
l’homme vivait de la présence de Dieu d’une manière surnaturelle. Dieu
s’entretenait familièrement avec lui et "tout cela était bon" (Genèse
I, 31) dit la Bible. Il semble que ce bonheur eût suffi pour l’éternité.
Cependant :
Saint Paul affirme : « Tout a été créé par lui et pour
lui »[362]. Or l’homme, par son
esprit, peut connaître et aimer. Son esprit trouve sa pleine réalisation dans la
connaissance plénière de Dieu et dans l’amour de charité. C’est pourquoi Jésus
prie le Père : « Je veux que ceux que
tu m’as donnés soient avec moi, pour qu’ils voient cette gloire que tu m’as
donnée »[363]. Dieu a créé l’homme en vue
de lui communiquer sa propre béatitude, par la vision de son essence.
Conclusion :
Pour le comprendre, il faut se souvenir
que Dieu est, par essence, la bonté[364].
Non seulement il possède toutes les perfections, dans tous les ordres, mais il
trouve en lui-même sa propre finalité et sa béatitude plénière. Or la bonté a
pour tendance de se communiquer. Ainsi celui qui découvre une chose bonne
désire en faire partager la découverte aux autres. De même Dieu, dans sa totale
liberté, veut en créant des êtres spirituels à son image, leur communiquer sa
vie et sa béatitude. Or nul ne peut vivre de la béatitude d’un autre s’il n’en
connaît l’objet. Il est donc nécessaire que l’homme, pour vivre de la bonté
même de Dieu, connaisse son essence qui est cette bonté même. De tout cela, on
peut conclure que Dieu a créé l’homme pour lui donner la vision béatifique.
C’est librement que Dieu se communique à l’homme jusque dans la vision de son
essence et non par nécessité de nature. Rappelons que Dieu se suffit
entièrement à lui-même, dans le bonheur plénier de sa vie trinitaire. Il n’a
nul besoin d’autre chose que lui. S’il crée et communique à des créatures son
bonheur, c’est donc par un don absolument gratuit de sa bonté.
Solutions :
1. La vision béatifique est un
bien spirituel qui présuppose une certaine amitié avec Dieu. Comme le secret
qui noue l’amitié, il est indispensable qu’une confiance mutuelle s’instaure.
C’est pourquoi Jésus disait aux Juifs : « Quiconque n’accueille pas le
Royaume de Dieu en enfant n’y entrera pas »[365]. De même qu’on ne peut
imposer une amitié, de même Dieu ne peut imposer la vision béatifique et
l’amour qu’elle présuppose. L’homme doit être apte à en faire le choix. La
vision béatifique ne pouvait donc être donnée à l’homme dès le premier instant
de sa création.
Quant à la nécessité de la vie terrestre, elle s’impose à l’homme
à cause de sa nature sensible. À la différence de l’ange qui est un pur esprit,
parfait dès l’instant de sa création, l’homme devient capable de choix en
développant son intelligence par étapes, en s’élevant du sensible à
l’intelligible. Adam et Ève échappent bien sûr à cette loi puisqu’ils ont été
créés avec les capacités adultes du choix. Cependant, même s’ils n’avaient pas
péché, ils auraient mis au monde des enfants soumis à la nécessité d’avancer «
en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes »[366].
2. Les activités humaines comme
le travail, la vie politique et l’amitié sont elles-mêmes ordonnées par Dieu au
développement des virtualités présentes en germe dans la nature de l’homme.
Elles ne sont donc pas, dans le plan de Dieu, des fins en soi.
3. Adam
et Ève ne seraient pas restés éternellement dans le paradis terrestre même
s’ils n’avaient pas péché. Ils ne seraient pas morts mais Dieu, au moment
choisi par lui, les aurait enlevés dans la vision de son essence. Il serait
venu les chercher corps et âme, d’une manière semblable à celle de la vierge
Marie lors de sa dormition et de son assomption. De même que la vierge Marie,
qui était exempte du péché originel, n’a pas connu la mort et la corruption, de
même Adam et Ève auraient été introduits directement dans la vision béatifique.
Objections :
1. Il ne semble pas. La Bible
dit à propos des anges : "Dieu donnera ordre à ses anges et sur leurs
mains ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre"[367]. Les anges ont donc été
créés pour être les serviteurs des hommes.
2. Nous
avons montré que Dieu a tout créé pour lui[368].
Mais les réalités créées ne sont pas toutes ordonnées à la vision béatifique.
Les plantes et les animaux par exemple en sont incapables. Le but premier de la
création des anges semble donc être le même que pour toutes choses, à savoir la
gloire de Dieu qui se manifeste par la beauté de ses œuvres.
Cependant :
Jésus affirme en saint Matthieu[369] : « Je vous le dis, leurs anges aux Cieux voient constamment la face
de mon Père qui est aux Cieux ».
Donc les anges ont été créés eux aussi pour la vision béatifique. C’est
pourquoi l’égalité avec les anges est promise aux saints.
Conclusion :
Dieu, dans la gratuité de sa bonté, a créé les êtres spirituels en
vue de se communiquer à eux. Dans l’hypothèse où il existe, outre les hommes et
les anges, d’autres espèces de créatures dotées d’un esprit dans l’univers,
Dieu ne pourrait les avoir créés pour une finalité ultime autre. La nature même
de l’esprit permet de le comprendre. L’intelligence est faite pour connaître
tout ce qui est, à commencer par la cause première de tout. La volonté tend à
s’unir au bien absolu, source de tous les biens. Les anges, cependant,
parviennent d’une manière différente à la vision béatifique. N’étant pas liés à
un corps, ils n’ont pas besoin de l’apprentissage des choses sensibles pour
atteindre sa perfection naturelle. Ils sont créés parfaits et leur intelligence
contient dès le premier instant tout ce qui leur est nécessaire pour leur vie.
Comme les hommes, la vision béatifique ne leur est pas imposée mais proposée
par Dieu comme une fin surnaturelle à laquelle il les appelle. Les anges ont
donc été créés dans la foi en cette parole de Dieu les appelant à la
contemplation de son essence. Ils ont reçu la grâce qui leur permettait de se
tourner vers cette fin surnaturelle. Ceux parmi eux qui ont posé un acte de
charité à l’égard de Dieu furent introduits immédiatement dans sa béatitude.
Quant à ceux qui refusèrent Dieu, ils furent immédiatement plongés dans la
solitude de l’enfer. Cette absence de délai et de réflexion sur un tel choix
est possible à cause de la perfection totale et immédiate de leur jugement. Le
mode parfaitement spirituel de leur nature le permettait sans aucune erreur
possible donc sans aucun changement de choix.[370]
Solutions :
1. La mission des anges par
rapport aux hommes ne constitue pas le motif de leur création. Il s’agit d’un
ministère qui leur fut confié par surcroît. La nécessité n’en est pas chez les
anges qui trouvent leur pleine béatitude dans la vision de Dieu mais chez les
hommes qui, par la faiblesse de leur nature, ont besoin d’être protégés et
conduits. Cette mission leur fut cependant présentée avant leur choix. Elle
constitua pour certains un motif de révolte parce qu’ils discernèrent en
l’homme et surtout en la femme une créature mieux bâtie qu’eux pour l’humilité
(kénose) et l’amour.
2. Il est vrai que la création
entière, par son harmonie, manifeste les perfections du Créateur. Elle est un
reflet de sa gloire et c’est en ce sens que s’exprime le livre de Judith :
« que la création entière te serve »[371]. La parfaite harmonie des
hiérarchies angéliques manifeste avec le plus d’éclat la gloire de Dieu. Mais
cet ordre et cette harmonie eux-mêmes ne constituent pas la finalité ultime du
projet de Dieu[372]. Saint Paul, dans l’épître
aux Romains[373] l’exprime ainsi : « la création en attente aspire à la
révélation des fils de Dieu »,
c’est-à-dire à l’entrée dans la vision béatifique des êtres spirituels qui
aiment Dieu.
Objections :
1. Il semble que si Adam et Ève
n’avaient pas péché, ils ne seraient pas entrés dans la vision béatifique. La
liturgie de Pâques chante en effet : « Bienheureuse
faute qui nous valut un tel Sauveur. »
Elle veut exprimer par là que Jésus par son Incarnation est venu nous apporter
un bien supérieur à celui d’Adam et Ève. Ce bien ne peut être que l’espérance
du Royaume de Dieu réalisée dans la vision de son essence.
2. Adam et Ève avaient reçu le
don de l’immortalité. C’est en effet par leur péché que la mort est entrée dans
le monde, selon la parole de saint Paul[374]. Il semble donc qu’ils
seraient restés à jamais dans le paradis terrestre, comme l’immortalité de leur
corps le leur permettait.
3. Dans
le livre de la Genèse, Dieu ne donne pas à l’homme la promesse de la vision
béatifique. Au contraire, après l’avoir créé, il se repose de toutes ses
œuvres. Il semble donc que, si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils seraient
restés dans le jardin préparé pour eux en Éden.
Cependant :
Si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils
auraient tout de même engendré des fils et des filles en grand nombre. La terre
n’aurait bientôt pas suffis pour contenir et pour nourrir l’humanité. Elle
n’était donc qu’un séjour temporaire pour l’homme[375].
Conclusion :
Si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils
ne seraient pas restés pour toujours dans le paradis terrestre mais auraient
été introduits dans la vision béatifique. La raison en est qu’ils furent créés
par Dieu dans ce but, comme nous l’avons montré précédemment. Mais le mode de
leur vie terrestre eut été différent. Ils auraient vécu sur terre un temps,
mettant en pratique les commandements donnés par Dieu. Ils auraient résisté à
la tentation du démon victorieusement, manifestant ainsi leur totale soumission
à la volonté de Dieu. Ils auraient gardé intact le don originel qui les
unissait d’une manière familière à leur Créateur et les conséquences qui en
découlaient dans leur âme, dans leur corps et sur la nature entière[376].
Ils auraient mis au monde des enfants auxquels ils auraient transmis la grâce
originelle et ses effets. Ceux-ci auraient à leur tour subi la tentation de l’orgueil
suggérée par le serpent et auraient choisi librement de rester unis à Dieu ou
au contraire de s’en détourner.
Pour comprendre la manière dont Adam et Ève et leur descendance
auraient été introduits dans la vision béatifique, nous avons un modèle dans la
nouvelle Ève, la vierge Marie. Comme Ève, la vierge Marie fut conçue d’une
manière immaculée mais elle sut conserver durant toute sa vie terrestre ce don
de Dieu. Ayant remporté un triomphe total sur le péché et ses suites, elle a
obtenu, comme le couronnement suprême de ses privilèges, d’être préservée de la
corruption du tombeau et, comme son Fils, après avoir vaincu la mort, d’être
élevée en corps et en âme à la gloire du plus haut des Cieux. [377] Sa vie se termina donc par
la glorification de son corps virginal, sitôt qu’elle fut parvenue à cette
béatitude qui est réalisée par la vision de Dieu face à face. Elle est devenue
spirituelle tant dans son corps que dans son âme[378].
Au sujet de la mort de la vierge Marie, deux opinions existent :
certains prétendent que la Vierge est morte vraiment, à cause de son trop grand
désir de Dieu qui arracha son âme dans une dernière extase. Selon cette
tradition plutôt latine, elle aurait été mise au tombeau d’où son corps aurait
ressuscité trois jours plus tard, à l’image de son Fils. Selon une autre
opinion davantage orthodoxe, la Vierge immaculée, n’ayant pas le péché
originel, ne connut pas la mort, c’est-à-dire la séparation de son âme et de
son corps. Elle ne vécut qu’une mort apparente car son âme était déjà intentionnellement
auprès de Dieu avant son assomption, ce qui la faisait apparaître comme morte.
C’est en ce sens qu’on parle du mystère de la "dormition" de Marie et
non de sa mort. Une telle tradition sur le sommeil-mystérieux de Marie est plus
conforme aux prérogatives de son Immaculée Conception.
La glorification de la Vierge n’en reste
pas moins le modèle de ce qui se serait passé pour Adam et Ève si le péché
originel ne les avait pas soumis à l’obligation de mourir.
Solutions :
1. Quand la liturgie chante : « bienheureuse faute qui nous valut un
tel Sauveur », elle ne prétend pas
affirmer que Dieu a voulu introduire l’homme dans la vision béatifique grâce à
son péché originel et qu’il n’en avait l’intention auparavant. Elle veut
simplement montrer que si la faute originelle n’avait pas existé, Dieu ne se
serait pas incarné en Jésus Christ. La Rédemption qui est la finalité de
l’incarnation n’aurait pas été nécessaire[379].
Elle veut aussi sous-entendre que sans ce péché, l’homme et la
femme auraient été introduits dans la vision sans qu’aucune souffrance physique
ou psychologique ne soit possible de manière directe et immanente aux
dérèglements de la nature humaine. Ces souffrances ne sont subies durant la vie
terrestre que parce que la grâce originelle d’harmonie de l’homme avec sa
propre nature et l’univers a été enlevée. Ces "croix" ont la
particularité de pouvoir creuser dans le cœur de l’homme une découverte unique
de sa petitesse. Leur effet est au terme d’une vie terrestre une humilité (kénose),
et un désir du salut sans commune mesure avec celle de l’innocence originelle.
La gloire qui en résulte après cette vie en est considérablement augmentée
puisque Dieu ne se donne qu’à la mesure du désir de sa créature.
2. L’immortalité d’Adam et Ève
dans le paradis terrestre n’était que la figure de l’immortalité que Dieu avait
préparée pour eux dans la gloire de sa vision. Mais s’ils n’avaient pas péché,
la glorification de leur corps se serait faite sans la rupture de la mort à
laquelle nous sommes aujourd’hui soumis et qui conduira Dieu à ressusciter
notre chair à la fin des temps pour nous rendre la plénitude de notre nature
humaine.
3. Dieu
est dit se reposer le septième jour en ce sens qu’il a cesse de produire de
nouvelles créatures. Ultérieurement, en effet, il ne fit rien qui n’ait d’une
manière quelconque préexisté dans les premières œuvres[380].
La glorification d’Adam et Ève préexistait dans leur âme par la communication
de la grâce habituelle qui n’attendait que son plein épanouissement dans la
lumière de gloire.
Objections :
1. Cela paraît bien improbable :
le retard dans la révélation n’a suscité que du mal selon le livre de la Genèse
au point que Dieu dut prendre la décision d’éliminer les hommes de la surface
de la Terre[381]. Le péché s’était en effet
considérablement multiplié au point qu’on peut douter du salut des hommes de
cette époque.
2. Loin de Dieu, les hommes
oublièrent vite l’Évangile connu par Ève et Adam. Ils inventèrent toutes sortes
de théories idolâtriques pour résoudre les énigmes de l’univers. Or l’Écriture
est très sévère vis-à-vis de l’idolâtrie dont saint Paul dit quelle n’obtiendra
pas le Royaume de Dieu. Il aurait donc mieux valu que Dieu vienne parler
lui-même à l’homme juste après le péché originel.
3. À
travers tout l’Ancien Testament, depuis Noé à Abraham, Moïse aux prophètes, on
voit se développer une connaissance de Dieu toujours partielle et surtout
superficielle puisque le mystère de sa charité et de la charité que nous
pouvons lui rendre en retour est caché. Souvent, Dieu est davantage connu comme
un juge intransigeant que comme un véritable ami[382].
Mais le royaume de la vision béatifique n’est ouvert, nous le verrons[383]
qu’à ceux qui l’aiment de charité. Donc le retard de l’incarnation est un grand
malheur, source de la damnation de peuples entiers.
Cependant :
L’Écriture nous dit à propos de Dieu : « Tu sauves, Seigneur, l’homme et les bêtes ». Le Seigneur, pour montrer l’incommensurable Sagesse qui
règle ses actions, dit à Job : « As-tu,
une fois dans ta vie, assigné à l’aurore son poste ? »[384]. C’est donc que le retard
dans l’Incarnation du Verbe fut utile au salut des hommes.
Conclusion :
Nous le verrons[385],
l’entrée dans la Vision béatifique est comparable point par point à un mariage
d’amour entre deux époux qui se donnent pour l’éternité. Pour se réaliser, ce
mariage implique du côté de Dieu et de l’homme des conditions permettant un
choix mutuel finalisé exclusivement par la personne du conjoint. Ce choix doit
être pur c’est-à-dire dépouillé de tout motif autre que le bien de l’autre.
Tout reste d’égoïsme et de sa première conséquence qui n’est autre que
l’orgueil et l’exaltation de sa volonté propre en face de celle de l’autre rend
impossible l’union béatifique des époux célestes. Cette condition est
incontournable au point que le moindre orgueil et la moindre trace d’égoïsme rendent
Dieu incompréhensible au présomptueux qui espèrerait le voir dans cet état.
Du côté de Dieu, ces conditions sont
toujours réalisées car Dieu, dans sa simplicité, est amour. Mais du côté de
l’homme, il en est tout autrement : Les premiers, Adam et Ève brisèrent leurs
fiançailles avec Dieu, préférant à l’amour une indépendance fondée sur
l’orgueil. Ils ne se rendaient pas compte des conséquences de leurs actes
puisque, étant faits pour voir Dieu dans l’autre monde, ils se disposaient à se
fixer dans le malheur de l’égoïsme éternel. Cependant, à la différence de
l’ange, leur acte n’était pas définitivement lucide. Ils pouvaient donc être
sauvés, avant de s’enferrer définitivement dans un orgueil impénitent. Or, la
première disposition d’un amour rejeté ne consiste pas à se révéler à nouveau
aussitôt. On le voit dans les couples humains. Le conjoint rejeté par son époux
adonné à un autre amour, aurait beau supplier, s’humilier dans l’attente
immédiate d’un retour de son conjoint, il n’obtiendrait que du mépris. Mieux
vaut au contraire s’effacer et laisser l’autre vivre sa vie comme il l’entend,
en espérant que la vie nouvelle dans l’infidélité sera meilleur avocat au
retour. Dieu n’agit pas différemment avec nous. L’histoire de l’humanité et
notre histoire témoignent de sa sagesse.
Dans un premier temps, il laissa l’humanité vivre jusqu’au bout de
la liberté choisie par Adam et Ève. Il s’effaça et l’homme put expérimenter le
malheur d’une vie terrestre sans espérance après la mort. C’est ce que nous dit
Dieu en Osée[386] à propos de son épouse
infidèle : « Je la conduirai au
désert. » Dans un deuxième temps Dieu
révéla une partie de son mystère, à commencer par son existence unique et sa
justice. Mais il ne révéla pas la profondeur de son amour, laissant le peuple peu
nombreux qui le découvrait dans la peur de son Nom. Ainsi, au mont Sinaï, il
menaça de mort celui qui, parmi le peuple, s’aventurerait à l’escalader[387]. De toute cette terreur et
de l’absence de connaissance de Dieu à cette époque, il sortit beaucoup de bien
pour le salut des hommes. Confrontés à l’angoisse d’une vie éprouvante et d’une
mort inconnue, ils étaient disposés par ces humiliations à devenir humbles et à
renoncer à l’orgueil de « leur
nuque raide. » L’humilité ainsi
acquise dans la peur ne les sauvait pas mais les disposait à accueillir le
salut proposé par l’envoyé de Dieu à l’heure de la mort.
Mais Dieu ne fit pas que préparer son
salut futur par l’humilité. Il le fit aussi désirer par l’espérance. Que ce
soit à travers la Révélation explicite faite aux Hébreux d’un Sauveur à venir
ou celle moins explicite qui circulait dans toutes les religions, philosophies
et même idolâtries du monde, il conduisait les hommes à espérer l’existence de
Dieu et d’un salut futur. Cette espérance est qualifiée par le Concile Vatican
II de semence du Saint Esprit. À cause d’elle, les religions dans leur ensemble
ne sauvent pas mais disposent le cœur de l’homme à embrasser le salut lorsqu’il
est proposé. Ainsi, comme nous le verrons[388],
lorsque les hommes découvrent l’amour dont ils sont aimés par Dieu, que ce soit
durant leur vie ou, pour la plupart, à l’heure de la mort, ils sont disposés
par leur vie et le dépouillement de leur mort en train de s’accomplir à écouter
l’Évangile.
Solution l :
Les souffrances de toute sorte, loin de conduire à la damnation,
disposent plutôt le cœur de l’homme à l’humilité (après le péché originel).
Voilà pourquoi Dieu décida de donner à l’homme la grâce qui était la cause de
l’harmonie parfaite de son corps, de sa psychologie et de son esprit. Blessé
dans son être, l’homme connut la souffrance physique et les pulsions de sa
sensibilité. Dieu préférait le voir entrer estropié et malade dans son Royaume
après la mort, plutôt que de le voir aller tout entier et en bonne santé dans
l’enfer. La souffrance apparut donc dans le monde, une souffrance non seulement
spirituelle (le désir de Dieu, du bonheur), mais aussi psychologique (la peur,
le désespoir, l’angoisse) et physique. Ces deux dernières souffrances,
tellement palpables et déchirantes, firent découvrir à beaucoup combien était
réelle et misérable leur condition de créatures sans Dieu et l’orgueil en fut
diminué, dès le départ, en Adam et Ève : ils découvrirent qu’ils pouvaient être
impudiques, lâches, menteurs, non seulement par choix, mais entraînés par des
instincts sommeillant au fond de leur sensibilité. Leurs enfants après eux
purent vivre de cette dérisoire liberté promise par Satan, dérisoire liberté
dont Freud, d’une manière exagérée, a montré les limites : liberté conditionnée,
parfois déterminée par les instincts du corps, les mouvements de l’entourage
social ; liberté manipulée, affirme l’Église, par le rôle occulte des démons
vainqueurs et triomphants qui, le jour de la chute d’Adam et Ève, reçurent un
pouvoir direct sur leur corps et leur psychisme. Il en résulta beaucoup de mal,
jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit heureusement d’un mal davantage provoqué par la
faiblesse des passions et par la bêtise que par une réelle méchanceté. Peu
d’hommes sont capables d’être ici-bas réellement coupable du blasphème contre
l’Esprit Saint, c’est-à-dire du choix parfaitement lucide et volontaire de
l’égoïsme, tant la nature humaine est fragilisée. Le premier, Caïn, fils
d’Adam, tua son frère Abel par jalousie, plongeant par la même occasion sa mère
dans le chagrin « Tu enfanteras
dans la douleur », avait prédit Dieu.
Puis l’humanité se pervertit de plus en plus malgré des cycles et des
renouveaux partiels de civilisation. La préhistoire aurait beaucoup à dire en
ce domaine.
Pendant des milliers d’années, Dieu laissa Adam et Ève, puis leurs
enfants, manger jusqu’au bout les fruits de l’arbre de la connaissance du bien
et du mal. Dieu les laissa se diriger seuls. Il ne parlait plus. Il était comme
absent de la terre. Quand un homme le cherchait, il lui répondait dans son
silence qui est lumière. Il acceptait de venir habiter son cœur, mais d’une
manière très différente de celle du jardin d’Éden. En effet, à ceux qui le
cherchaient, Dieu ne se faisait plus aussi présent. Mais très peu d’hommes eurent
foi en lui. La bible en cite quelques-uns : Énoch, Noé. La plupart des autres,
la grande masse des autres perdirent jusqu’au sens de Dieu. Confrontés à la
souffrance de cette vie, ils se façonnèrent des images de Dieu, aussi fausses
que désespérantes. Elles furent multiples : certains l’imaginaient comme un
Dieu cruel ou encore comme des dieux multiples et assoiffés de gloire. D’autres
adorèrent Lucifer et ses démons. D’autres prétendirent que Dieu était l’univers
ou encore cette statue façonnée de leurs mains ou le soleil. D’autres
affirmèrent qu’il n’y avait pas de Dieu. Ils se firent alors eux-mêmes leur
propre dieu. Comment en vouloir à ces hommes désespérément à la recherche de
solutions à leur vie dirigée vers la mort, et confrontés au silence de Dieu. La
clef de la connaissance véritable, celle qui mène à la vie éternelle, était
perdue, et Dieu se taisait[389]. Les hommes vécurent de ces
dieux froids ou féroces. Le silence de Dieu durant ces nombreux siècles était
aussi réel que terrible. Il n’y avait pas de prophètes pour parler de lui, et
très peu d’hommes osaient découvrir sa présence tant on l’imaginait faussement
absent ou méchant Les seules actions de Dieu que décrit la Bible, dans cette
première phase de l’humanité, sont le déluge qui tua la plus grande partie des
habitants de la terre, puis la destruction de la tour de Babel. En effet,
lorsqu’il voyait les hommes sombrer dans le péché d’orgueil, malgré tous ces
malheurs qui sans cesse les humiliaient, lorsqu’il discernait l’apparition de
cette racine qui conduit en enfer, Dieu agissait. En livrant les corps à la
mort, il sauvait leur âme. À Babel, où les hommes réussissaient enfin à bâtir
une humanité puissante et harmonieuse (fondée sur la puissance et non sur
l’amour), Dieu agit. Voyant qu’ils s’enorgueillissaient de leur œuvre et
pensaient, ainsi, devenir comme des dieux, il divisa leur cœur et leur langage.
Ils ne s’entendirent plus entre eux, se firent la guerre et leur œuvre fut
ruinée. En livrant l’homme à la souffrance, à la mort, en se taisant durant des
siècles, en n’agissant que pour détruire les œuvres dont l’homme était fier,
que voulait Dieu ? Il voulait sauver ses enfants. Et, réellement, il les sauva
en masse. Lorsque, broyés par la souffrance, leur âme quittait leur corps, elle
avait été humiliée, et humiliée, elle était bien souvent devenue humble
(kénose).
2. Saint Jean Chrysostome
répond à cette objection : « Donnez-moi
deux attelages pour une course de chars. Que les chevaux du premier s’appellent
vérité et orgueil, ceux du second, hérésie et humilité. Et bien vous verrez le
second attelage remporter la victoire, non à cause de l’erreur mais à cause de
l’humilité. » Il en est ainsi pour
les noces de la Vision béatifique. La vérité étant de toute façon prêchée à
tout homme au cours de sa vie, c’est bien sur son humilité que pourra se fonder
son choix ou son refus de l’amour.
3. Et
cela répond à la troisième objection : Dieu pourrait par sa puissance faire que
l’Évangile ait été proposé à toutes les nations de la terre au point que l’Église
soit aujourd’hui la seule communauté religieuse vivante. Il aurait pu aussi
s’incarner plus tôt mais, pour que l’humilité demeure attachée à la vérité et
qu’ainsi, la vérité serve l’amour, il préfère retarder ce moment. Il est clair
qu’il n’existe pas d’Église à la fois puissante politiquement et humble. Or cet
orgueil est, en face de l’entrée dans la vie éternelle, un mal plus grand que
l’ignorance de la vérité sur Dieu, vérité qui de toute façon est prêchée tôt ou
tard.
Objections :
1. Il ne semble pas. Il a été
montré que le motif principal de l’incarnation était de nous délivrer au péché
qu’il soit originel ou actuel[390].
2. Le Verbe s’est fait chair
pour nous manifester le Père. C’est en se sens que saint Paul appelle le Christ
l’image du Dieu invisible[391]. Saint Jean dit que Jésus
est la manifestation de l’amour du Père[392]. Le motif premier de
l’incarnation et de la crucifixion est donc de nous donner une connaissance
vraie de Dieu, à savoir de rendre notre foi plus certaine et plus profonde.
3. Saint Augustin écrit[393] : « Rien n’était aussi nécessaire, pour accroître notre
espérance que de nous montrer à quel point Dieu nous aimait. » Il semble que le motif premier de
l’incarnation et de la Rédemption soit de rendre à l’humanité son espérance.
4. Le motif premier de l’incarnation
et de la Rédemption semble être de nous donner un modèle sur lequel nous
pouvons calquer notre vie car, comme écrit saint Augustin[394] : « Nous ne pouvions suivre l’homme que nous avions sous les yeux et
il fallait imiter Dieu qui pour nous était invisible : afin donc de donner à
l’homme un exemplaire, et un exemplaire visible, Dieu s’est fait homme ».
5. Le but ultime de la création et de la Rédemption semble être de
nous réconcilier avec Dieu, de nous réintroduire dans l’amour qui nous unit à lui.
« Qu’a voulu Dieu, en venant à
nous, sinon nous montrer son amour »,
dit saint Augustin[395].
Cependant :
Jésus dit : « la vie
éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul véritable Dieu. » Or il n’y a pas de véritable[396] connaissance de Dieu si ce n’est
celle de la vision de son essence. Jésus est donc venu en premier lieu pour
nous introduire dans la vision béatifique.
Le Cardinal Gouyon écrit : «
Si le Fils de Dieu s’est fait homme, c’est pour nous proposer cette
expérience, c’est pour nous faire connaître cette vie. Toute la prédication de
sa vie terrestre, tout l’effort de l’Esprit Saint à travers l’histoire de
l’Église qui est insérée dans la trame de l’histoire du monde, vise à cette
connaissance et à cette expérience. L’Église -dit le Concile dans la Constitution
qui lui est consacrée- à laquelle nous sommes tous appelés dans le Christ et
dans laquelle nous acquérons la sainteté par la grâce de Dieu, n’aura sa
consommation que dans la gloire céleste, lorsque viendra le temps où toutes
choses seront renouvelées [397]et que, avec le genre
humain, tout l’univers lui-même, intimement uni avec l’homme et atteignant par
lui sa destinée, trouvera dans le Christ sa définitive perfection »[398][399].
Conclusion :
Dans la nature, la causalité finale se
comporte avec ordre. Ainsi, si l’on peut attribuer à une chose une finalité
mais que cette finalité elle-même est ordonnée à une autre, on peut dire qu’en
dernier lieu, cette chose a pour fin ce qui est le plus ultime dans l’ordre des
fins. Ainsi, un homme utilise une scie dans le but de couper du bois. Mais si
ce bois est lui-même ordonné au chauffage de sa maison, on dira que cet homme
scie du bois pour se chauffer.
Il en est ainsi dans l’ordre de l’Incarnation et de la Rédemption
opérée par le Christ. Après le péché originel, l’homme s’est retrouvé dans une
situation telle qu’il était soumis à l’empire du démon qui était devenu le
prince de ce monde. De même l’homme était dans la servitude du péché de la
gangue duquel il lui était impossible de se sortir par lui-même. En
conséquence, la connaissance de Dieu était obscurcie et l’espérance de son
salut avait quasiment disparu. De même, il était impossible à l’homme d’aimer
Dieu avec cette amitié que confère la vertu de charité.
Le Verbe s’est fait chair, en vue de rétablir en l’homme l’image
de Dieu détruite par le péché originel. Pour réaliser une telle œuvre de
Rédemption il faut :
1° en premier lieu détruire
l’obstacle qui l’empêche, à savoir le règne du démon et l’empire du péché.
C’est donc là le motif fondamental de ce mystère puisqu’il détruit l’obstacle
fondamental.
2° En second lieu, il fallait
redonner à l’homme une connaissance du vrai Dieu[400]. Selon l’ordre de
perfection, la libération du péché et du démon était ordonnée comme à sa fin à
une connaissance plus parfaite du vrai Dieu, grâce à la suppression de la
pesanteur intellectuelle à laquelle conduit le péché, donc à la pureté de la
foi. C’est en ce sens que l’on peut dire, avec l’objection 2, que l’Incarnation
et la Rédemption sont ordonnées à la foi.
3° Mais la foi elle-même
trouvait un certain achèvement dans l’espérance des biens promis par la bonté
de ce Dieu qui se révélait en Jésus car il est plus grand d’espérer la présence
de Dieu et sa grâce que de simplement le connaître. Et cela répond à la troisième
difficulté.
L’espérance elle-même trouvait son achèvement dans l’amour de
charité dont l’homme était à nouveau capable grâce à la Rédemption opérée par
Jésus. On peut donc dire en ce sens que le motif de la venue du Christ est de
nous réintroduire dans la communion avec Dieu, selon l’objection 5.
4° C’est pour mieux vivre de
cette communion instaurée par le Christ qu’il nous laisse un modèle de la
manière dont il veut que nous nous comportions, selon la quatrième difficulté
car la vie vertueuse à laquelle Jésus appelle le chrétien n’a pas de sens si
elle n’est mise au service de l’amour de charité selon cette parole : « Les deux commandements de la charité
résument la loi et les prophètes. »
5° Quant à la charité, elle
trouve son plein achèvement dans la vision béatifique. La charité se comporte
en effet comme une amitié. Or un ami ne peut se contenter d’une lointaine union
affective avec son ami. Il désire une pleine union effective qui ne peut se
réaliser que dans une parfaite communauté de vie impliquant une connaissance
profonde de son ami et une identité de volonté. Si la charité peut réaliser
déjà sur cette terre une certaine identité de la volonté de l’homme avec celle
de Dieu, seule la vision béatifique peut le faire pleinement. Il est en effet impossible
d’être parfaitement en union avec la volonté de Dieu qui est son essence même,
si l’on ne connaît cette essence. Ainsi, la charité telle qu’elle est vécue sur
terre est ordonnée à la vision béatifique qui en est la réalisation plénière.
C’est donc bien pour cette finalité
ultime qu’est la vision de l’essence divine, que le Messie s’est incarné et
nous a sauvé.
Pour mieux comprendre l’édifice surnaturel de la sanctification,
on peut prendre l’analogie de l’union conjugale. Le but ultime en est l’union
intime à travers l’amour effectif d’une vie commune source de vie. Mais, pour
réaliser cette grande œuvre, plusieurs conditions sont requises. 1° Si le prétendant est en prison, il
faut d’abord qu’il en sorte (L’emprise du démon) ; 2° Il faut qu’il connaisse l’existence de l’autre et quelque chose
de lui, ce qui correspond à l’enseignement du Christ et au contenu de la foi ; 3° Il faut ensuite avoir un certain
espoir de ce futur mariage ce qui est impossible si la personne refuse ou est
déjà engagée. 4° Il faut surtout
aimer cette personne. Qui peut prétendre au mariage avec une personne qu’il
n’aime pas ? Cet amour doit devenir réciproque et s’achever dans une volonté
commune de s’engager.
Solutions : et cela répond aux
objections.
Une remarque doit cependant être ajoutée : certains théologiens
enseignent, à la suite de l’école franciscaine inaugurée par saint Bonaventure
que le Verbe se serait fait chair même s’il n’y avait pas eu le péché originel.
Ils estiment, considérant l’amour infini de Dieu, qu’une telle grâce n’aurait
pas pu nous être refusée. Saint Paul semble aller dans ce sens : « Dieu nous a élus dans le Christ dès
avant la fondation du monde. »[401] Cette opinion n’est pas
inconciliable avec la foi, bien au contraire. Il faut cependant chercher quel
aurait été en Dieu le motif de cette incarnation. Cela n’aurait pas été pour
une rédemption des hommes pécheurs, ceux-ci étant restés par hypothèse unis à
la grâce de Dieu ; cela n’aurait pas eu comme finalité d’augmenter leur vie contemplative,
celle-ci étant à l’origine la plus tendre et la plus profonde qu’on puisse
imaginer sur la Terre ; cela n’aurait pas été utile pour entrer dans la vision
béatifique, Dieu se laissant voir ici directement, sans la médiation d’aucune
créature, fusse sa nature humaine. Saint Bonaventure le reconnaît : le Verbe,
dans cette hypothèse, se serait incarné non pour sauver l’homme de la mort
éternelle mais pour donner un certain achèvement à la beauté de l’univers, Dieu
s’unissant à sa créature non seulement dans la vision bienheureuse des élus
mais aussi dans l’union hypostatique avec sa nature humaine. Il est difficile
de conclure définitivement sur la vérité de cette opinion, saint Paul
enseignant bien souvent ailleurs que le Verbe s’est fait chair "pour nous
sauver de nos péchés"[402]. En tout état de cause, il
est évident que, s’il n’y avait pas eu le péché, le Christ ne serait pas mort
sur une croix.
Objections :
1. On voit mal la nécessité
d’une vie terrestre précédant l’entrée dans la vision béatifique. En effet, la
vision béatifique est donnée à l’intelligence qui est une faculté spirituelle de
l’âme. Or, dans la vie terrestre, l’esprit est appesanti par le corps qui est,
selon Platon, comme le tombeau de l’âme. Il semble donc que le corps est
inutile à l’homme et il aurait été préférable que Dieu propose la vision
béatifique sans passer par la vie terrestre.
2. Même dans l’état parfait que
connurent Adam et Ève à l’origine, le corps et la vie terrestre qu’il implique
constituaient un obstacle. Leur intelligence en était obscurcie. La preuve en
est que le serpent n’eut pas de mal à les séduire et à les entraîner au péché.
3. Après le péché originel,
l’inutilité de la vie terrestre pour conduire l’homme à Dieu apparaît en pleine
lumière : l’esprit est à ce point aveuglé par l’ignorance que bien des hommes
ne soupçonnent même pas l’existence du Créateur. De même le poids de la chair
est tel que, comme le disait le philosophe Aristote : « la plupart demeurent dans le sensible » s’élevant à peine au-dessus de la vie animale. Il semble
donc que la vie terrestre ne prépare en rien l’entrée dans le Ciel mais
l’occulte au contraire.
4. Le
monde d’ici-bas donne à l’homme une existence précaire. Il peut disparaître à
tout moment et la vie est un perpétuel combat. Il existe de multiples maux dont
l’origine est parfois la nature tels la mort, les tremblements de terre, les
malades, parfois l’homme lui-même comme la guerre, le péché. Un tel monde a
plutôt tendance à révéler un Dieu cruel qu’un Dieu d’amour. Il semble donc que
la vie terrestre, loin de conduire à Dieu, en éloigne.
Cependant :
La Bible dit : « Dieu
planta un jardin en Éden, à l’Orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé »[403]. C’est donc le Créateur
lui-même qui a placé l’homme sur la terre et cela ne peut être que bon.
Conclusion :
Pour répondre à cette question, il faut
se souvenir que lorsque Dieu a créé l’homme, il lui a fait don d’un état de
perfection qui a disparu avec le péché originel. Dans cet état primitif, il
n’existait aucun mal aussi bien dans l’âme humaine que dans la nature. C’est
pourquoi la Bible parle d’un paradis situé en Éden. Or, dans cet état de
perfection primitif, il convenait que l’homme passe par une vie terrestre avant
d’être introduit dans l’ultime béatitude préparée pour lui, la vision
béatifique.
La raison en est dans la nature même de
l’homme. À la différence de l’ange, il est un esprit naturellement uni à la
matière. Or toute perfection, y compris la vision béatifique, est reçue dans
son sujet conformément à la nature de ce sujet. Le propre de la nature
angélique, c’est d’acquérir sa perfection naturelle non pas progressivement,
mais par elle-même dès qu’elle existe, ainsi que nous l’avons montré[404].
De même donc que, du seul fait de sa nature, l’ange reçoit dès le premier
instant de sa création toutes les perfections qui lui sont naturelles, comme la
science de lui-même et des autres anges, de même dans l’ordre de la vie
surnaturelle, l’ange est introduit dans la vision béatifique dès qu’il s’y
dispose par un seul acte de charité.
Or l’homme n’est pas, comme l’ange,
destiné selon sa nature à acquérir sa perfection immédiatement. Il y parvient
progressivement et ce qui est psychique en lui précède ce qui est spirituel.
Ainsi, c’est par de longs efforts et après beaucoup de temps que l’enfant entre
dans la perfection de l’âge adulte. De même, dans l’ordre de la vie surnaturelle,
il convient qu’un plus long espace de temps que pour l’ange précède l’entrée
dans la béatitude divine. Ce temps permet une croissance en perfection
naturelle (physique, psychique et spirituelle) puis un choix définitif à
l’heure où la vérité est totalement manifestée. C’est pour cette raison qu’Adam
et Ève ont été placés par Dieu sur la terre au jour de leur création.
Après le péché originel, l’homme s’est trouvé dans un état de
nature corrompu. Or, même dans cet état, il convenait qu’il passe par une vie
terrestre avant d’entrer dans la gloire. Étant soumis à la misère d’une
existence précaire, s’achevant dans la mort, étant constamment dépendant des
conséquences du péché originel, l’homme découvrait sa petitesse. Il lui était
alors difficile de sombrer dans l’orgueil qui est un péché contradictoire avec
l’entrée dans la vision béatifique, comme nous le verrons. De même, il aspirait
à la venue d’un Sauveur qui le délivrerait de tous les esclavages. De cette
manière, à travers les misères de la vie terrestre, Dieu disposait les hommes
en vue du bonheur éternel qu’il voulait leur proposer. Il leur apprenait
l’humilité qui est une disposition nécessaire à l’entrée dans la gloire, selon
cette parole : « Dieu résiste aux
orgueilleux, mais il donne sa grâce aux humbles »[405].
De même, après la venue du Christ qui rétablit l’amour de Dieu sur
la terre, il convenait que l’homme passe par la vie terrestre avant d’entrer
dans la gloire. Jésus, s’il a rétabli la grâce et la vie surnaturelle, n’a pas
supprimé les conséquences du péché originel comme la souffrance, la mort et la
faiblesse. Là encore, la vie terrestre dispose l’homme à entrer dans la vision
béatifique. Non seulement elle maintient l’homme dans l’humilité de sa
condition précaire mais elle lui donne la possibilité d’aller plus loin dans
les exigences de la charité à travers la souffrance elle-même. Ainsi, Jésus
disait : « chargez-vous de mon joug
et venez à ma suite »[406], c’est-à-dire : aimez Dieu
et votre prochain à travers votre temps de souffrance.
Solutions :
1. Le corps appesantit la vie
intellectuelle. En effet, l’intelligence humaine doit abstraire à partir des
données des sensations le contenu intelligible qui s’y trouve. Au contraire, l’intelligence
angélique qui atteint d’une manière directe et intuitive des réalités est bien
supérieure à celle des hommes. Mais il n’en est pas de même dans le domaine de
l’amour. L’homme, grâce à sa sensibilité peut dépasser les anges dans l’ordre
de l’amour. L’ange aime en effet d’une manière entièrement volontaire et se
porte tout entier dès la première fois vers l’objet de son amour, sans qu’aucun
progrès ne soit possible et selon le degré de perfection de sa nature. Il
n’aime donc qu’autant qu’il comprend qu’il faut aimer. L’homme au contraire
peut s’il le veut progresser sans cesse dans l’amour. Il lui est possible
d’aimer jusqu’à l’absurde, ce qui est la mesure de Dieu : Aimer ses ennemis,
aimer, jusqu’à la mort, aimer jusqu’à accepter volontairement d’être anathème
pour le salut de ses frères[407]. « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour
ses amis »[408]. En ce sens, il dépasse en
perfection la nature angélique et peut être considéré comme le chef-d’œuvre de
Dieu.
2. Adam et Ève, dans l’état de
perfection qui était le leur avant le péché, ne pouvaient en aucune façon être
trompés par le démon puisque leur intelligence était protégée de l’erreur. Ils
avaient reçu de Dieu suffisamment de connaissances pour empêcher toute
ignorance dans les domaines importants de leur vie. Leur péché fut donc leur
entière responsabilité. Ils s’enorgueillirent de la beauté qu’ils découvraient
en eux et décidèrent d’être eux-mêmes les maîtres du bien et du mal. Quant au
démon, son rôle fut simplement de présenter extérieurement les avantages d’un
tel orgueil. Adam et Ève, malgré la science qu’ils avaient reçue de Dieu à
propos des conséquences d’un tel péché, décidèrent d’ignorer cet avertissement.
Leur ignorance fut donc volontaire.
3. La fragilité dans laquelle
les hommes furent plongés après le péché originel est, en ce qui concerne
l’entrée dans la vision béatifique, un mal moins grave que l’orgueil. Si Adam
et Ève avaient gardé après leur péché la pleine maîtrise de leur nature, il est
certain qu’ils se seraient complus dans leur orgueil et se seraient séparés
définitivement de Dieu. Au, contraire, la misère où ils furent plongés, si elle
ne les rapprocha pas entièrement de leur Créateur, leur fit comprendre que,
sans lui, l’homme n’est et ne peut rien faire (dans le domaine du salut).
4. Le mal qui règne dans le
monde provoque chez beaucoup le rejet et la haine de Dieu. Mais, en définitive,
l’homme rejette alors ce qu’il ne connaît pas car il ne peut comprendre que
c’est en vue d’un bien éternel que Dieu impose à l’homme des maux temporels.
L’homme agit un peu comme le petit enfant, qui recevant de sa mère une punition
qui lui paraît injustifiée, n’en découvre que plus tard le bien-fondé. De même
les hommes, en découvrant au moment de leur mort la vraie raison du
gouvernement divin sur eux, n’en éprouveront plus de scandale, sauf si
l’orgueil est resté en eux. Telle est la finalité de la souffrance. Telle est
la raison ultime de toutes les peines que subissent les hommes en ce monde. Le
peuple juif en est témoin : les justes massacrés à Auschwitz ont vérifié
l`affirmation suivante : Celui qui persévère dans l’amour qui est la voie de
l’espérance et de la crainte recevra affermissement et secours du Seigneur pour
-au-delà des possibilités humaines- parvenir à l’amour absolu qui offre la vie
pour l’amour de Dieu comme Abraham sacrifiant Isaac. Ainsi ont-ils aussi
vérifié le suprême distique en lequel Bahya résume chacun des Portiques de son
introduction au devoir des cœurs[409] : « Alors, du Dieu vivant, tu verras le visage unissant dans l’amour
ton âme au Rocher. » [410]
Si on suit Aristote, un bonheur humain est possible. Selon lui, il
se réalise à travers la possession de deux biens : l’amitié et une
contemplation naturelle de l’Etre premier.
Ce bonheur raisonnable suffit-il pour combler les aspirations de
l’homme ? Qohélet constate que non (Ecclésiaste 1, 12) : « Moi, Qohélet, j'ai été roi d'Israël à Jérusalem. J'ai mis tout
mon cœur à rechercher et à explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le
ciel. C'est une mauvaise besogne que Dieu a donnée aux enfants des hommes pour
qu'ils s'y emploient. J'ai regardé toutes les œuvres qui se font sous le soleil
: Eh bien, tout est vanité et poursuite de vent! » L’expérience montre qu’un désir irréaliste mais très réel
demeure en celui qui est comblé de tout. Le philosophe Feuerbach décrit ces
désirs qui dépassent le raisonnable :
1° L’homme est touché dans son
être même : il ne veut pas mourir, il désire vivre éternellement.
2° Le bonheur auquel il aspire
doit être toujours nouveau, libéré du poids du quotidien.
3° Son intelligence voudrait
maîtriser la totalité du réel.
4° Son affectivité aspire à
l’amour romantique d’un être complémentaire qui ne s’use jamais, dont le
premier désir résiste au temps.
5° Son désir de
puissance illimité qui fait souvent de l’homme un prédateur insatiable.
6° Son psychisme rêve de
plaisir, de beauté, de paix et d’activité à la fois.
7° Cela s’étend jusqu’au corps
qu’il voudrait lumineux, jeune, impassible, léger, obéissant, délivré des
limites et des murs.
Ces désirs sont connus des théologiens. Ils appellent béatitude un
état où tout désir est comblé. La béatitude se distingue du bonheur qui n’en
est qu’une approche mesurée.
Au plan psychiatrique, ce désir est dangereux car utopique. Il
conduit les gens raisonnablement heureux au malheur et les angoissés au
suicide. L’éducation s’efforce soit de le réprimer dans l’inconscient soit de
le canaliser vers des activités constructives comme l’amour, l’art, la
contemplation du vrai. Il ressort alors, tôt ou tard, sous la forme d’une
angoisse, c’est-à-dire un mal-être dont le sujet ignore l’origine. C’est l’une
des pierres d’achoppement du monde moderne.
Au plan politique, ce désir non canalisé est source des
messianismes temporels. Les politiques s’efforcent de combler leurs concitoyens
de tous les biens pour instaurer par la matière, la béatitude ici-bas. Or la
consommation de drogue, le suicide, la violence autodestructrice augmentent
sans qu’ils en trouvent la raison.
Au plan religieux, ce désir constitue la raison même de toutes les
religions qui proposent, d’une manière ou d’une autre la béatitude pour
l’au-delà.
Ce désir apparaît à la connaissance par diverses activités qu’il
produit comme le mal-être et son effet, la recherche perpétuelle de « toujours plus. » Il y a donc bien une actuation. S’il
est un acte, c’est qu’il existe une puissance tapie quelque part dans l’homme.
On peut se représenter cela métaphoriquement
comme un « creux », une béance dans le désir agissant
comme un inconscient douloureux. Si ce vide n'est pas empli, l'esprit souffre
sans savoir pourquoi. On peut représenter cela à la manière de ce vase dont parlait
Agnès, la sœur de sainte Thérèse, dans l'histoire d'une âme.
Au plan scientifique, il s’agit
d’une puissance.
Ne peut-on pas dire que la psychanalyse de Freud a cherché l’objet
de ce désir ? Il parle d’une recherche inconsciente liée à une libido (désir
fondamental du plaisir). L’expérience montre que sa recherche reste
superficielle. Certes, le plaisir est important car présent en extension dans
chacune des velléités du bonheur infini. Mais il n’est qu’un aspect de ce qui
est constaté.
Au plan philosophique, on peut dire que l’objet de ce désir n’est
pas un simple bonheur (une vie raisonnablement agencée dans l’épanouissement
modéré de l’esprit). Il a pour objet la béatitude, c’est-à-dire un bonheur
complet, irraisonnable, de tout l’être (esprit, sensibilité et corps) où le
désir s’arrête tant il est comblé d’actuations toujours renouvelées.
Toujours au plan philosophique, on doit donc en déduire que la
contemplation naturelle de Dieu à travers ses œuvres ne comble pas la totalité
de ce désir. Dieu y est connu comme l’inconnu. Il y est aimé comme le Créateur
des choses ce qui est loin de correspondre aux velléités d’amour et d’union
décrites par Feuerbach plus haut. Ce désir ne peut donc avoir pour objet Dieu
en tant qu'accessible à la raison, même si celui qui contemple Dieu ainsi
trouve un certain soulagement à son désir.
Cependant, au plan théologique : quand la Révélation passe par là,
elle permet de comprendre par l’espérance des biens promis la profondeur du
désir en question. On s’aperçoit que la Bonne Nouvelle promet point par point,
sans rien omettre, tout ce qui est désiré de manière velléitaire par le
non-croyant.
1° L’éternité de l’être : « De mort, il n’y en aura plus. »
2° Le bonheur : « On ne
se souviendra plus du passé. J’essuierai toutes les larmes de leurs
yeux. »
3° Son intelligence verra
Dieu, la Lumière, face à face.
4° Son affectivité : sainte
Thérèse de Lisieux la décrit dans un poème : « J'ai besoin d'un cœur brûlant de tendresse, restant mon appui
sans aucun retour, aimant tout en moi, même ma faiblesse... Ne me quittant pas,
la nuit et le jour. Je n'ai pu trouver nulle créature qui m'aimât toujours,
sans jamais mourir. Il me faut un Dieu prenant ma nature, devenant mon frère et
pouvant souffrir ! »
5° Son désir de puissance :
car Dieu mettra sa Toute-puissance à la disposition des humbles.
6° Son psychisme qui verra de
ses yeux un monde nouveau préparé pour l’éternité.
7° Son corps qui sera
ressuscité glorieux.
Conclusion :
Ainsi, ce que la Révélation montre, c’est que ce désir a pour
objet non seulement la béatitude de la partie supérieure de l’être, mais celle
de tout l’être dans son extension. Il s’agit à la fois, et dans l’ordre
d’importance de 1- Dieu vu dans son essence, aimé et possédé comme un époux
(donc de la béatitude essentielle, celle de l’esprit), mais aussi 2- de la
glorification de la sensibilité avec le mode de lumière et de beauté qu’elle
implique et 3- de la résurrection dans la gloire de la chair, avec le monde
physique qu’elle implique.
Bref, c’est l’épanouissement total de tout l’être, jusqu’à ce que
l’imaginaire, dans sa folie, ne peut concevoir, qui semble l’objet réel de cet
inconscient spirituel.
Ce désir n’a pas pour siège l’esprit mais l’essence de l’âme
humaine. En effet, il étend son feu dans tout l’être : La substance (dans sa
recherche d’immortalité) ; l’intellect (dans sa recherche du Vrai) ; la volonté
en tant qu’appétit (sous la raison générale de Bien) ; mais aussi la volonté
dans son rapport aux moyens (dans sa recherche de toute puissance) ; le composé
d’esprit et de psychisme (dans sa recherche du Beau) ; la sensibilité (dans sa
recherche du plaisir sensible) ; le corps (dans son aspiration à
l’incorruptibilité). Il me semble donc que cet appétit dépasse l’une ou l’autre
faculté de l’esprit.
C’est ce que semble rappeler la phrase de saint Paul (Romains
8, 19) : « Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si
elle fut assujettie à la vanité, -- non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de
celui qui l'y a soumise, -- c'est avec l'espérance d'être elle aussi libérée de
la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants
de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création jusqu'à ce jour
gémit en travail d'enfantement. »
Bref, il me semble que la puissance qui est à la source de ce
désir n’a pas pour sujet l’esprit dans l’une ou l’autre de ses facultés, mais
la racine de notre être (l’âme) puisque seule une cause plus radicale que celle
d’une faculté peut avoir un tel effet universel dans l’être. Ce serait une
marque entitative, une orientation créée dans l’âme par Dieu au moment
où il la crée.
On objecte que Dieu ne peut avoir mis une telle marque dans la
nature humaine. S’il l’avait mise, c’est qu’il aurait créé l’homme pour la
Vision béatifique et la glorification de ses facultés. Or, le don de la Vision
est gratuit…
Comme Alain, je pense qu’il n’y a pas de contradiction entre
gratuité du don et présence de cette marque entitative. Un simple exemple
permet de le comprendre. L’entrée dans la Vision béatifique fonctionne comme le
mariage d’amour. Les époux se donnent gratuitement. Cette gratuité n’empêche
pas que, dès leur conception, ils ont reçu dans leur être une orientation innée
pour l’amour de l’autre sexe.
Ce que j’ai dit répond à cette question : dans la réalité, les
effets de ce désir sont souvent anarchiques puisqu’ils ne sont pas ordonnés par
leur vraie cause. Du coup, au plan d’une raison athée, le chercheur a beaucoup
de mal à en découvrir l’unité. Sans son principe d’intelligibilité, ce désir
apparaît non structuré, sans signification. Il peut être décrit par la raison seule
comme le prouve Feuerbach. Dans ce cas, il apparaît comme une velléité que
l’individu doit réprimer et canaliser car ennemie du bonheur puisque
inaccessible. Par contre, au plan sociologique, il apparaît comme le moteur de
l’humanité qui la pousse à aller toujours plus loin dans tous les domaines
(conquêtes géographiques, scientifiques, intellectuelles, croissance matérielle
etc.). L’humanité ne supporte pas de frontière.
Au plan d’une philosophie réaliste, ouverte à la contemplation
d’un Etre premier, je me demande si quelqu’un de très perspicace ne pourrait
pas en déduire un certain soupçon sur le monde de l’au-delà en posant le
principe suivant : Dieu, qui a créé l’âme humaine, y aurait-il mis de tels
désirs sans raison ?...
Par la Révélation, ce désir prend tout son sens, de même qu’une
puissance devient connue par son acte : Comme dit saint Augustin : « Avant de te connaître je t’aimais », ce qui montre que cet appétit
fondamental de l’âme s’exerce sans objet conscient avant que le don de la foi
ne vienne rendre explicite son objet.
Ce n’est que dans la Vision béatifique que la profondeur de ce
désir sera connu dans son acte, donc en plénitude. Sa partie suprême, celle qui
concerne l’esprit et la Vision de Dieu, apparaîtra alors non comme un désir infini
puisqu’elle trouve son siège dans une âme finie. Elle apparaîtra comme le désir
d’un être infini. Cet être (Dieu) la dépassera toujours et ce désir, pourtant
comblé, ne pourra en maîtriser la démesure de la Trinité. Sa partie seconde (la
glorification de la sensibilité et du corps), loin d’être une velléité,
deviendra la plus réaliste des réalités.
Ce désir entre en acte dès que la vie spirituelle émerge,
c’est-à-dire dans l’enfance.
De manière naturelle, ce désir s’actue de manière anarchique comme
tout appétit séparé de son objet. Livré à lui-même, sans être canalisé, il est
source des plus profondes maladies psychiques.
Mais, comme un torrent, il peut être en partie canalisé dans les
digues naturelles de la recherche de biens terrestres. La recherche de l’amitié
et d’une contemplation de l’Etre premier donne un certain bonheur, selon
Aristote. Celui qui n’a pas la chance ou l’éducation pour entrer dans ces deux
finalités risque bien d’expérimenter ce qu’est la convoitise : à la recherche
du bonheur, on emplie sa vie de toujours plus de plaisirs, de richesses, de
gloires, sans jamais être rassasié, sans autre objet précis que la recherche
d’un bonheur toujours plus grand. C’est ce qui explique que le cœur de l’homme,
même lorsqu’il est objectivement comblé de tous les biens terrestres, est sans
repos.
De manière surnaturelle, ce désir prend son sens. La foi en révèle
la vraie nature ; la charité en fait toucher déjà l’objet ; l’espérance révèle
que seule la Vision béatifique le comblera et qu’en attendant, il faut vivre
assoiffé sur terre. Ce dernier point est important au plan spirituel pour ceux
qui se contenteraient de la vie chrétienne d’ici-bas : la vie terrestre reste
une vallée de larmes ; la vie de la grâce et l’eucharistie ne peuvent combler
qu’en partie ce désir ; seule la Vision béatifique et la glorification le
pourra.
On en revient ici à l’hypothèse des limbes des enfants morts sans
baptême.
J’essaye de m’imaginer cet état. L’hypothèse de saint Thomas
montre que dans les limbes, les enfants vivront ressuscités pour l’éternité
d’un bonheur naturel et sans souffrir de ne pas voir Dieu. L’esprit de ces
enfants s’exercera puisqu’il vivra d’une contemplation philosophique de Dieu, à
travers ses effets selon les trois modes qu’il décrit [par mode de causalité : « Dieu existe puisque ces réalités sont
sorties du néant » ; par mode de
négation : « Dieu est infini, à
l’inverse de ces créatures finies » ;
par mode d’éminence "Dieu est infiniment intelligent, bien plus que
moi"].
Ces enfants ne seront donc plus des enfants. Ce sont des adultes
qui penseront et aimeront. Leur corps sera ressuscité. Leur psychisme sera dans
sa plénitude. Ils pourront voir de leurs yeux les merveilles inouïes du monde
nouveau. Ils passeront leur éternité, séparés du monde des élus, avec leurs
compagnons de limbes, à visiter ces merveilles. Ca doit être fabuleux, une
véritable aventure…
La question que je me pose est celle-ci : comment imaginer que
l’inconscient spirituel que les six articles précédent ont décrit puisse alors
s’éteindre ? Cela me paraît très contradictoire avec l’expérience de la nature
humaine. Saint Augustin dit dans ses confessions (je cite approximativement) : « Posséder toutes les merveilles du
monde, sans te posséder toi, la Source de tous les biens, c’est être indigent. » J’avoue que ces observations de
l’âme humaine me laissent dubitatives sur la possibilité d’une éternité
vraiment heureuse, sans désir, sans la Vision de Dieu. Mais Bouddha le montre,
le désir, c’est cause de la souffrance.
A propos de la nature de la vision
béatifique, cinq questions se posent :
1° Consiste-t-elle à voir[411] l’essence de Dieu ?
2° Par l’intermédiaire de
l’humanité du Christ ?
3° Comment une telle vision
peut-elle se réaliser ?
4° Consiste-t-elle à
comprendre l’essence divine tel que Dieu la comprend ?
5° Dans la vision béatifique,
l’homme devient-il Dieu ?
Objections :
1. Il ne semble pas. Saint Jean
dit : « Personne n’a jamais
vu Dieu »[412] et saint Jean Chrysostome
affirme[413] que « même les essences célestes (les chérubins et les séraphins eux-mêmes)
ne pourront jamais le voir tel qu’il est ».
Aux hommes est promise seulement l’égalité avec les anges : en saint Matthieu[414] : « ils seront comme des anges de Dieu dans le Ciel ». Donc les Saints eux-mêmes dans
la patrie céleste ne verront pas Dieu dans son essence.
2. Denys[415] montre que le moyen le plus
parfait pour notre intelligence d’être unie à Dieu, c’est d’adhérer à lui comme
à l’inconnu. Or une chose qui est vue en son essence n’est pas inconnue. Nous
ne verrons pas Dieu dans son essence[416].
3. Ce qui est vu à travers un
intermédiaire n’est pas vu dans son essence. Dieu, dans la patrie, sera vu par
l’intermédiaire de la lumière de gloire, comme dit le psalmiste : « Dans ta lumière nous verrons la
lumière »[417]. Il ne sera donc pas vu
dans son essence.
4. Dans la patrie, Dieu sera vu
face à face, selon saint Paul aux Corinthiens[418]. Quand nous voyons un homme
face à face, nous le voyons dans sa représentation imprimée en nous. Dieu, dans
la patrie, sera donc vu dans une représentation de lui, non en son essence.
5. Tout
ce qui est vu dans son essence, est connu selon ce qu’il est. Mais notre
intelligence ne peut pas savoir de Dieu ce qu’il est, mais seulement ce qu’il
n’est pas, comme disent Denys et saint Jean Damascène. Notre intelligence ne
pourra donc pas voir Dieu dans son essence.
Cependant :
Benoît XII, pape, écrit : « Les âmes saintes voient l’essence
divine d’une vision intuitive et même face à face sans aucune médiation ».[419]
Conclusion :
Pour comprendre la nature de la vision
béatifique, il faut voir qu’il peut exister plusieurs manières de contempler
Dieu.
La première peut être obtenue par les simples forces de
l’intelligence humaine. Il s’agit d’une contemplation naturelle. Dans un
premier temps, l’intelligence découvre la nécessité de l’existence d’un Être
Premier. Par mode de causalité, c’est-à-dire en s’appuyant sur le fait que tout
effet a une cause, elle aboutit à poser l’existence d’une cause Première qui
n’a pas de cause. Dans un second temps, elle peut arriver à manifester la manière
d’être de cet Être Premier : elle nie en lui toutes les potentialités que l’on
constate dans les réalités de ce monde. Dieu ne peut qu’être simple, parfait,
bon, indépendant du lieu, du temps, du mouvement. Il s’agit d’une contemplation
par mode négatif. Elle manifeste enfin que l’Être Premier, Dieu, doit posséder
éminemment les perfections des réalités de ce monde : Dieu ne peut qu’être
éminemment bon, amour, intelligence, puissance, vie et être. Il s’agit d’une
contemplation par mode d’éminence. Une telle contemplation philosophique
atteint Dieu non en ce qu’il est mais à travers ses effets c’est-à-dire à
travers sa création.
Un second mode de contemplation s’appuie sur les données révélées
par la foi. Dieu en effet a révélé par touches successives au cours de
l’histoire des aspects de son mystère. Ainsi, il dit à Moïse son nom « Je SUIS celui qui est » ; En Jésus, il révèle le secret de sa
vie trinitaire. L’intelligence humaine en s’appuyant sur ces données révélées, peut
aboutir à une nouvelle contemplation de Dieu. L’intelligence essaie de percer
les mystères révélés en les éclairant par des analogies propres et
métaphoriques prises dans le monde d’ici-bas. Il s’agit d’une contemplation
théologique.
Un troisième mode de contemplation peut être obtenu dès cette
terre mais nécessite le secours d’un don surajouté qu’on appelle la grâce
sanctifiante[420]. L’Esprit Saint vient
habiter dans l’âme et lui révèle intimement par l’action des 7 dons fondés sur
la charité des aspects de son Mystère divin. Ainsi le psaume[421] chante : « Goûtez et voyez comme le Seigneur
est bon. » Il s’agit d’une
contemplation mystique. Là encore, Dieu est vu par l’intermédiaire d’images ou
de concepts. Il n’est donc pas vu face à face dans son essence. On distingue
plusieurs degrés de contemplation mystique en fonction des degrés
d’intelligence infusés par l’Esprit Saint.
La vision béatifique, quant à elle, ne peut être comparée à aucune
de ces trois sagesses[422]. Comme dit saint
Paul : « l’œil n’a pas vu,
l’oreille n’a pas entendu, le cœur de l’homme n’a pas soupçonné ce que Dieu a
préparé pour ceux qui l’aiment »[423]. La vision béatifique
consiste en la vision de Dieu dans son essence, sans aucun intermédiaire créé.
Solutions :
1. Le texte cité peut être interprété
de trois manières, comme le dit Saint Augustin dans le livre de la vision de
Dieu. Ou bien il exclut la vision corporelle par laquelle personne n’a vu ni ne
verra l’essence divine ; ou bien il exclut la vision intellectuelle de Dieu
dans son essence pour ceux qui vivent dans cette chair mortelle ; ou bien il
exclut la vision de compréhension[424] par une intelligence créée.
Et c’est ainsi que l’entend saint Jean Chrysostome. Il ajoute donc : « l’évangéliste parle ici de la
connaissance qui serait la contemplation tout à fait sûre et la compréhension
telle que le Père l’a du Fils ». C’est
bien aussi la pensée de l’évangéliste qui continue : « Le Fils unique qui est dans le sein du Père, nous l’a fait
connaître », voulant nous prouver
d’une manière exhaustive que le Fils est Dieu.
2. Denys parle ici de la
connaissance par laquelle sur terre nous connaissons Dieu à travers une forme
créée par notre intelligence. Mais comme dit saint Augustin : « Dieu échappe à toute forme de
notre esprit » parce que, quelle
que soit la forme conçue par notre esprit, elle n’atteint pas la notion de
l’essence divine. C’est pourquoi il ne peut être rejoint par notre
intelligence. Mais nous le connaissons très parfaitement dans notre condition
de voyageurs si nous savons qu’il est au-dessus de tout ce que notre
intelligence peut concevoir : et ainsi nous lui sommes unis comme à quelqu’un
d’ignoré. Au contraire, dans la patrie, nous le verrons par cette forme qu’est
son essence, et nous lui serons unis comme à quelqu’un de connu.
3. La lumière de gloire n’est
pas un intermédiaire dans lequel Dieu serait vu. Elle est plutôt une grâce
donnée par Dieu qui élève la puissance de notre intelligence afin de la rendre
capable d’être unie à la substance incréée. Elle ne se met pas entre le connaissant
et le connu mais elle est ce qui donne à celui qui connaît la puissance de
connaître.
4. On
dit des créatures corporelles qu’elles sont vues sans intermédiaire quand ce
qui en elle peut être uni au sens de la vue lui est uni en fait. Mais elles ne
peuvent pas être unies au sens de la vue dans leur essence à cause de leur
matérialité. Elles sont donc vues sans intermédiaire quand leur image est unie
à la vue. Mais Dieu est par essence capable d’être uni à l’intelligence. Il ne
serait donc pas immédiatement visible si son essence n’était pas unie à
l’intelligence. Et cette vision qui s’opère d’une manière immédiate, s’appelle
la vision de la face.
En outre, l’image de la chose corporelle est reçue dans le sens de
la vue telle qu’elle est en réalité, quoique non selon la même manière d’être.
Elle conduit donc directement à cette chose. Aucune représentation ne peut
conduire notre esprit de cette manière jusqu’à Dieu.
5. Ces
citations et toutes celles qui leur sont semblables doivent s’entendre de la connaissance
que nous avons de Dieu sur terre, pour les raisons dites plus haut.
Objections :
1. L’Écriture Sainte l’affirme
en de nombreux passages : « Nul ne
vient au Père que par moi. Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon
Père. »[425] À Philippe qui lui a
demandé de voir le père, Jésus répond : «
Comment peux-tu dire : montre nous le Père! Qui m’a vu a vu le Père. Ne
crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? »[426]
2. L’Évangile de saint Jean
rapporte la parole suivante du Seigneur[427] : « Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main. Qui croit au Fils
a la vie éternelle ; qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie. » De ce texte il ressort que la
médiation du Christ est indispensable pour obtenir la vie éternelle qui n’est
autre que la Vision béatifique.
3. Affirmer que la Vision
béatifique se réalisera directement sans la médiation de l’humanité créée du
Verbe c’est, semble-t-il, ne pas tenir compte de la dignité et de la primauté
du Christ "par qui et pour qui tout a été créé au Ciel et sur la
Terre"[428]. Cela réduit l’humanité du
Verbe à l’inutilité dans l’au-delà.
Cependant :
Le pape Benoît XII a défini solennellement la foi catholique comme
suit[429] : « Les bienheureux voient l’essence divine d’une vision
intuitive et même face à face, sans la médiation d’aucune créature qui serait
objet de vision ». Or, selon que
l’on considère sa nature humaine, le Christ est une créature. Il ne peut donc
sous ce rapport-là être un intermédiaire de vision intellectuelle de l’essence
divine. En conséquence, la vision béatifique ne peut consister à voir Dieu à travers
l’humanité du Verbe.
Conclusion :
Considérée en elle-même, la nature humaine du Verbe éternel est
une créature et, par conséquent, est soumise aux contingences essentielles de
tout ce qui est créé. Malgré sa perfection suprême et les prérogatives dont
elle est revêtue dans la gloire, elle ne devient pas la nature divine. Ainsi,
dans la personne du Verbe incarné, les deux natures sont unies pour former un
seul être, mais sans mélange ni confusion. En conséquence, lorsque
l’intelligence contemple le Mystère de Dieu en fixant son jugement sur
l’humanité sainte du Christ, ce qui spécifie son acte, c’est une nature créée.
Appuyée sur cet objet de connaissance, elle peut alors par l’analogie de la foi
que la grâce de Dieu illumine contempler comme dans un miroir, l’essence
divine. Une telle contemplation est notre lot d’ici-bas. Lorsqu’elle est
produite principalement par l’effort de notre intelligence, on l’appelle la
sagesse théologique ; Lorsqu’elle est produite avant tout par la motion divine
à travers les dons du Saint Esprit, on l’appelle la sagesse mystique. Elle peut
atteindre des degrés sublimes dans l’intelligence du mystère à cause de la
qualité des grâces de lumière communiquées par Dieu, que de la lumière sensible
donnée par la méditation de la vie de Jésus. Le sommet de ce genre de
contemplation est certainement celle qui fut offerte à saint Jean sur l’île de
Patmos[430]. En voyant dans une extase
le corps glorifié du Christ, il comprit comme saint Paul "des paroles
ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de redire"[431]. Pourtant, malgré le
caractère élevé de cette grâce qui le laissa comme mort, il ne peut s’agir de
la Vision béatifique. Ce qui est contemplé directement est une nature créée, et
par elle indirectement comme dans l’éclat d’une image, l’Incréé. Or voir le
créé, aussi sublime soit-il, reste infiniment distant de la vision de l’Incréé.
De tout cela il ressort que l’acte contemplatif dans lequel consiste la Vision
béatifique ne peut avoir l’humanité sainte du Christ comme intermédiaire de
vision.
Solutions :
1. Tous
les textes semblables à celui-ci, si on les interprète en considérant qu’ils se
réfèrent au Christ selon son humanité concernent la manière dont nous devons
remonter au Père durant notre vie ici-bas. En effet, depuis le péché originel,
la nature humaine est ainsi blessée qu’il nous est impossible de progresser
durablement dans la vie surnaturelle sans nous appuyer sur la médiation du
Christ dans son humanité. Sainte Thérèse montre très bien cette nécessité dans
les sept demeures de son château intérieur. Ainsi, celui qui s’essaye à
contempler une personne divine en se séparant totalement de la contemplation
sensible de Jésus ne peut que sombrer tôt où tard dans un vide spirituel et,
par suite, dans la divagation de sa pensée. Au contraire, en revenant sans
cesse à l’Image que Dieu nous a donnés de lui-même, nous trouvons la voie qui
conduit à la vérité et à la vie. Dans la Vision béatifique, l’humanité du Verbe
n’est plus nécessaire si l’on considère ce point précis. En effet, la Trinité
réalise elle-même et sans intermédiaire la manifestation de son essence. Ainsi,
dans l’au-delà, loin de nous manifester les personnes divines, l’humanité
sainte du Verbe nous sera plutôt rendue manifeste par la vision directe que
nous aurons de ces personnes puisque ce qui est moins lumineux est rendu
visible par ce qui l’est plus.
Cependant, ces textes de saint Jean peuvent trouver une autre
interprétation si on les considère comme se référant au Christ en tant qu’il
est Dieu, c’est-à-dire au Verbe éternel. Pris en ce sens, ce texte peut être
appliqué par mode d’appropriation à la Vision béatifique. En effet, il s’agit
d’un acte de contemplation dont le siège, nous le verrons, est spécifiquement
l’intelligence, même si elle s’origine dans l’amour de charité et s’achève en
lui. Or on attribue habituellement au Verbe tout ce qui a rapport en Dieu avec
l’intelligence puisqu’il procède du Père en tant qu’il se connaît lui-même. En
ce sens, nous connaîtrons le Père par le Verbe.
2. Nous avons montré que ce
texte comme les précédents se réfère au temps du pèlerinage vers la Vision
béatifique. Mais lorsque viendra le temps de la vision de Dieu, il en sera tout
autrement selon saint Paul :[432] « Puis ce sera la fin
; alors le Christ remettra la royauté à Dieu le Père après avoir détruit toute
Principauté, Domination, Puissance. Car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il
ait placé tous ses ennemis sous ses pieds (...). ; Alors le Fils se soumettra à
celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous. » Et ce mystère de l’effacement de
l’humanité du Verbe ne signifie pas qu’elle n’aura plus de place dans l’au-delà
mais seulement qu’elle ne sera plus la voie qui conduit à la vision de Dieu, le
temps de la voie étant terminé. Le Verbe incarné sera alors visible pour nous
directement en tant qu’il est la seconde personne de la Trinité et sera l’objet
de notre béatitude essentielle conjointement au Père et à l’Esprit Saint. C’est
ce que veut signifier métaphoriquement ce passage de l’Apocalypse[433] : « La ville peut se passer de l’éclat du soleil et de celui de la
lune, car la gloire de Dieu l’a illuminée ». L’humanité du Verbe sera
présente et vue par nous mais ne constituera pas la raison première de notre
béatitude. Elle sera pour nous un bonheur de surcroît, en ce sens qu’en la
voyant de nos yeux de chair selon la parole de Job[434], elle sera source d’une
extension nouvelle de joie jusque dans notre sensibilité. C’est ce que signifie
la suite du texte de l’Apocalypse : « L’Agneau
lui tiendra lieu de flambeau », c’est-à-dire
d’illumination surajoutée.
3. Pour
l’éternité, l’humanité du Verbe gardera le rang de premier :
1° Au plan de son être en
premier lieu, elle est et restera la nature humaine de Dieu.
2° Au plan des grâces dont
elle est revêtue, elle surpassera pour toujours toutes les autres créatures,
brillant dans le Ciel d’un éclat qui attirera tous les regards. Le corps
glorieux du Christ sera le centre du monde matériel refaçonné à la fin ; son
âme ravira par sa grâce tous les regards.
3° Le Christ dans son humanité
gardera pour toujours la primauté de la reconnaissance des élus car chaque
homme sauvé saura qu’il n’a pu parvenir à un tel bonheur que par sa
médiation : « la grâce et
la vérité nous sont venues par Jésus-Christ ».[435]
4° Cependant, le Christ quant
à son humanité ne sera plus l’objet premier de la contemplation des élus
puisque le Christ selon sa divinité sera vu sans intermédiaire comme nous
l’avons montré. Un tel effacement ne nuira pas à la dignité du Christ puisque
sa personne restera le centre de toute vie surnaturelle, conjointement au Père
et au Saint Esprit, à cause cependant de sa nature divine.
Objections :
1. Il ne semble pas que la
vision béatifique soit réalisée par l’union directe de l’essence divine à
l’intelligence. En effet, puisque l’être intelligible perfectionne
l’intelligence, il doit y avoir proportion entre l’intelligible et
l’intelligence, comme entre le visible et la vue. Or il ne peut y avoir de
proportion entre notre intelligence et l’intelligence divine, puisqu’elles sont
infiniment distantes. L’essence divine ne peut donc être unie à notre
intelligence comme son objet[437].
2. Dieu est plus distant de
notre intelligence que l’intelligible créé est distant du sens. La vision de la
créature spirituelle ne peut d’aucune manière être atteinte par le sens. Dieu
ne peut donc d’aucune manière s’unir à notre intelligence pour qu’elle le voie
dans son essence.
3. Selon Denys, « Dieu, l’Être, est quelqu’un
d’invisible à cause de son excessive clarté »[438]. Cette clarté qui est trop
vive pour l’intelligence de l’homme sur la terre, l’est aussi pour son
intelligence dans la patrie. Elle sera donc invisible dans la patrie comme pour
l’homme en marche sur terre parce qu’elle lui sera disproportionnée.
4. Tout
infini comme tel, est inconnu. Dieu est infini de toutes manières et donc tout
à fait inconnu et inconnaissable par une intelligence finie.
Cependant :
Le pape Benoît XII écrit : «
La divine essence se manifeste immédiatement à nu, clairement et à
découvert à l’intelligence à travers une vision intuitive »[439].
Conclusion[440] :
Il nous reste donc à rechercher comment Dieu peut rendre visible
son essence à l’intelligence humaine. Certains affirmèrent, comme Alpharabe et
Avempace, que par le fait même que notre intelligence connaît n’importe quel
objet intelligible, elle parvient à voir l’essence d’une substance séparée.
Pour le montrer, ils procèdent de deux manières. La première : de même que la
nature de l’espèce ne varie pas dans les divers individus, sauf en tant qu’elle
est unie aux principes d’individuation, de même, la forme intelligible connue
ne varie pas selon qu’elle est connue par tel ou tel, sauf en tant qu’elle est
unie à diverses formes imaginatives. C’est pourquoi quand l’intelligence sépare
par l’abstraction la forme intelligible des formes imaginatives, il reste la
quiddité intellectuelle, qui est une et identique dans les diverses intelligences
qui la connaissent. Et cela c’est la quiddité de la substance séparée. C’est
pourquoi, quand notre intelligence parvient à la totale abstraction de la
quiddité intelligible de n’importe quoi, elle connaît par là la quiddité de la
substance séparée, qui est semblable à elle-même.
La seconde manière de démonstration :
notre intelligence est faite pour abstraire la quiddité de tous les êtres
intelligibles qui en ont une. Si donc la quiddité qu’elle abstrait de tel être
individué ayant une quiddité, est une quiddité qui n’a pas elle-même de
quiddité, en la connaissant, elle connaît la quiddité d’une substance séparée,
qui est ainsi disposée, puisque les substances séparées sont des quiddités
subsistantes, qui n’ont pas de quiddité ; car la quiddité de ce qui est simple
est le simple lui-même, comme dit Avicenne. Mais si la quiddité abstraite de
tel être sensible individué est une quiddité qui possède sa quiddité, alors
l’intelligence est apte à abstraire cette quiddité. Ainsi, puisqu’on ne peut
pas remonter à l’infini, on doit arriver à une quiddité qui n’a pas elle-même
de quiddité, c’est-à-dire une quiddité séparée.
Mais cette argumentation ne semble pas
suffisante. D’abord parce que la quiddité de la substance matérielle, que
l’intelligence abstrait, n’est pas de la même nature que les quiddités de
substances séparées : donc, du fait que notre intelligence abstrait les
quiddités des choses matérielles et les connaît, il ne suit pas qu’elle
connaisse la quiddité de la substance séparée, et surtout l’essence divine, qui
est tout à fait d’une autre nature que toute quiddité créée. Ensuite, parce que
même en supposant qu’elle soit de la même nature cependant en connaissant la
quiddité d’une chose composée, on ne connaîtrait pas celle de la substance
séparée, sauf selon son genre le plus éloigné, qui est la substance. Mais cette
connaissance est imparfaite tant qu’on ne parvient pas aux caractères propres
de la chose. En effet, celui qui connaît l’homme seulement en tant qu’il est
animal ne le connaît que relativement et en puissance. Et il le connaît bien
moins encore s’il ne connaît que la nature de la substance en lui-même. C’est
pourquoi, connaître ainsi Dieu ou les substances séparées, ce n’est point voir
l’essence divine ou la quiddité de la substance séparée : c’est seulement
connaître par les effets produits et comme dans un miroir.
C’est pourquoi Avicenne, dans ses
Métaphysiques, expose un autre moyen de connaître les substances séparées :
celles-ci seraient connues par nous à travers les intentions de leurs
quiddités, qui seraient des similitudes d’elles-mêmes, non pas abstraites
d’elles-mêmes, puisqu’elles sont immatérielles, mais imprimées par elles dans
nos âmes. Mais ce nouveau mode de connaître ne nous paraît pas non plus
suffisant pour la vision divine que nous recherchons. Il est en effet évident
que « tout ce qui est reçu en quelque chose est en elle selon la manière
d’être de cette chose qui reçoit. » La similitude de la divine essence
imprimée dans notre intelligence serait donc en elle selon le mode de notre
esprit. Mais le mode de notre esprit est déficient en regard de la parfaite
réception de la similitude divine. Cette déficience à l’égard de la parfaite
similitude peut se produire avec autant de manières qu’il y a de manières
d’être dissemblables.
D’une manière, la similitude est
déficiente quand la forme est participée dans la même espèce, mais non d’une
manière aussi parfaite : comme si quelqu’un est seulement un peu blanc, tandis
que l’autre l’est bien plus. D’une autre manière, la similitude est encore plus
déficiente quand les deux êtres n’appartiennent pas à la même espèce, mais
seulement au même genre : comme seraient semblables celui qui a une couleur
citron ou jaunâtre et celui qui a la couleur blanche. D’une autre manière
encore il y a davantage déficience de similitude quand deux êtres
n’appartiennent pas au même genre, mais sont seulement analogues ou
proportionnés : comme si on parle de similitude entre la blancheur et l’homme
parce que tous deux sont des êtres. Et de cette manière, toute similitude entre
une créature et la divine essence est tout à fait déficiente. Pour que la vue
connaisse la blancheur, il faut que la représentation de la blancheur soit
reçue en elle selon sa raison d’espèce, bien que non selon le même mode d’être,
car être une forme reçue dans un sens ou bien être une chose existant en dehors
de l’âme, ce sont deux modes d’être fort différents. Si l’œil recevait la forme
couleur citron, on ne dirait pas qu’il voit la blancheur. De même pour que
l’intelligence connaisse une quiddité, il faut qu’elle reçoive une similitude
selon la raison d’espèce, bien que peut-être les deux n’aient pas le même mode
d’être : en effet la forme qui se trouve dans l’intelligence ou le sens n’est
pas principe de connaissance selon le mode d’être possédé par l’un et l’autre,
mais selon la raison par laquelle elle communique avec la chose extérieure. Il
est ainsi évident que Dieu ne peut être connu, de telle sorte que son essence
serait vue immédiatement, par aucune similitude reçue dans un esprit créé.
C’est pourquoi certains qui pensaient que l’essence divine pouvait être vue
seulement de cette manière, dirent que cette essence même ne sera pas vue, mais
seulement une sorte d’éclair, comme un rayon d’elle-même. Cette manière de
connaître ne suffit donc pas à atteindre la vision divine, que nous cherchons à
expliquer.
Nous devons donc considérer une autre manière que certains
philosophes, Alexandre et Averroès, ont proposée : en toute connaissance, il
doit y avoir quelque forme par laquelle la chose est connue ou est vue. La
forme par laquelle l’intelligence est perfectionnée pour voir les substances
séparées ne serait pas la quiddité que l’intelligence abstrait des choses
composées, comme le prétendait la première opinion. Ce ne serait pas non plus
une impression produite dans notre esprit par la substance séparée, comme
disait la seconde opinion : ce serait la substance, séparée elle-même qui
s’unirait à notre intelligence comme une forme, de telle sorte qu’elle serait à
la fois ce qui est connu, et ce par quoi on le connaît. Quoi qu’il en s oit des
autres substances séparées, nous devons accepter cette manière de connaître
quand il s’agit de la vision de Dieu en son essence ; car toute autre forme qui
informerait notre intelligence ne pourrait pas la conduire à l’essence divine.
Nous ne devons pas entendre cela en ce
sens que l’essence divine serait la vraie forme de notre intelligence ou que
par l’union entre elle et notre intelligence serait formée quelque chose d’un
absolument comme dans les choses naturelles résultant de l’union de la forme et
de la matière ; mais en ce sens que le rapport entre l’essence divine et notre
intelligence est comparable au rapport entre la forme et la matière. Chaque
fois en effet que deux choses dont l’une est plus parfaite que l’autre sont
reçues dans le même réceptacle, le rapport de l’une à l’autre est analogue au
rapport de la forme à la matière : ainsi la lumière et la couleur sont reçues
dans le diaphane, et la lumière est par rapport à la couleur comme la forme par
rapport à la matière. De même, quand l’âme reçoit la lumière intellective et
l’essence divine elle-même, qui l’habite, bien que ce ne soit point de la même
manière, l’essence divine est par rapport à l’intelligence comme la forme par
rapport à la matière. Et l’on peut prouver de la façon suivante que cela suffit
pour que l’intelligence puisse voir l’essence divine elle-même à travers cette
même essence divine : de même que par l’union de la forme naturelle, de
laquelle une chose reçoit l’être, et de la matière, il se forme un seul être
unique, ainsi par l’union de la forme par laquelle l’intelligence connaît, et
de l’intelligence elle-même, il se forme un seul être dans celui qui connaît.
Dans les choses naturelles, une chose subsistante en soi ne peut
pas devenir la forme d’une matière, si cette chose possède déjà de la matière
qui fait partie d’elle, car une matière ne peut pas devenir la forme de quelque
chose. Mais si cette chose subsistante en elle-même est seulement une forme,
rien n’empêche qu’elle devienne la forme de quelque matière et qu’elle devienne
ce par quoi existe un composé : comme cela se produit pour l’âme humaine. Dans
l’intelligence, nous devrons considérer l’intelligence elle-même étant en
puissance comme une sorte de matière tandis que l’espèce intelligible est la
forme. Quand l’intelligence connaît en acte, elle est comme un composé des
deux. Donc, s’il y a une chose subsistante par elle-même qui n’a pas en soi
autre chose que d’être intelligible en elle-même, cette chose pourra par
elle-même être la forme par laquelle l’intelligence connaît. Une chose est
intelligible en tant qu’elle est en acte, non en tant qu’elle est en puissance.
Nous en voyons un signe dans ce fait que la forme intelligible doit être
abstraite de la matière et de toutes ses propriétés. C’est pourquoi, puisque
l’essence divine est acte pur, elle pourra être la forme par laquelle
l’intelligence connaît : telle sera la vision béatifiante. Aussi Aristote
dit-il que l’union entre l’âme et le corps est "un exemple de l’union
bienheureuse par laquelle l’esprit est uni à Dieu"
Solutions :
1. Il ne peut y avoir de
proportion entre le fini et l’infini, puisque l’infini dépasse le fini d’une
manière absolument indéterminée. Mais il peut y avoir entre eux une certaine
proportion dans le sens d’une similitude de leurs proportions : car de même que
le fini est égal à tel autre fini, ainsi l’infini est égal à l’infini. Pour
qu’une chose soit totalement connue, il faut parfois qu’il y ait une proportion
entre le connaissant et le connu, puisque la puissance du connaissant doit
égaler la possibilité d’être connu de la chose connue : cette égalité constitue
une certaine proportion. Mais parfois la cognoscibilité de la chose dépasse la
puissance de celui qui connaît : comme quand nous connaissons Dieu ou au
contraire quand Dieu connaît les créatures. Et alors il ne doit pas y avoir une
proportion entre le connaissant et le connu mais seulement une certaine
proportionnalité : c’est-à-dire que celui qui connaît soit par rapport à ce qui
doit être connu comme le connaissable par rapport à ce qui est connu. Et cette
proportionnalité suffit pour que l’infini soit connu par le fini, et vice
versa. On pourrait dire aussi que la proportion, selon la signification propre
de ce mot, indique un rapport de quantité à quantité, selon un certain
dépassement déterminé ou bien une égalité. Mais on peut l’étendre pour
signifier toute relation d’une chose avec une autre. C’est ainsi que nous
disons que la matière doit être proportionnée à la forme. De cette manière,
rien n’empêche que notre intelligence, bien que finie, soit proportionnée à la
vision de l’essence infinie, non cependant en la saisissant totalement, à cause
de son immensité.
2. Il y a deux sortes de
similitudes ou de distances entre les choses. La première est considérée selon
leurs natures : et ainsi Dieu est plus distant de l’intelligence créée que
l’être intelligible créé est distant du sens. La seconde est considérée selon
la proportionnalité : ici, c’est le contraire, car le sens n’est pas
proportionné pour connaître quelque chose d’immatériel comme l’intelligence
l’est pour connaître n’importe quel être immatériel. Cette seconde similitude
est requise pour connaître, non la première : car il est évident que
l’intelligence qui connaît une pierre ne lui est point semblable en son état
naturel, de même que l’œil voit du miel rougeâtre et du fiel rougeâtre, bien
qu’il ne saisisse pas la douceur du miel. La rougeur du fiel se compare mieux
avec le miel en tant que visible, que la douceur du miel avec le miel en tant
que visible.
3. La clarté de Dieu, bien
qu’elle dépasse toutes les formes par lesquelles notre esprit est informé
ici-bas, ne dépasse pas l’essence divine elle-même, qui sera comme la forme de
notre esprit dans la patrie. C’est pourquoi, bien qu’elle soit maintenant
invisible, elle ne le sera plus alors.
4. L’infini
considéré au sens privatif (ou indéfini) est inconnaissable, en tant que tel,
puisqu’il est privé de ce complément de détermination d’où vient la connaissance
d’une chose. Il se réduit à la manière d’être de la matière qui serait privée
de toute détermination, comme dit Aristote dans les Physiques. Mais l’infini
pris dans le sens seulement négatif signifie l’absence de matière qui le
limite. Tel est l’infini de Dieu, infini déterminé et connaissable.
Objections :
1. Cela semble nécessaire. Tout
ce qui existe d’une manière et est vu d’une autre manière, n’est pas vu tel
qu’il est. Ainsi, si Dieu est vu par les saints d’une autre manière que ce
qu’il est vraiment, on ne pourra pas parler d’une véritable vision de l’essence
divine. Il ne sera pas vu par eux selon ce qu’il est.
2. La compréhension est
nécessaire à la vision béatifique. En effet, comprendre signifie seulement
posséder un objet dans sa connaissance.
Cependant :
Dieu est infini et il dépasse les
capacités de l’intelligence humaine. Il est donc impossible à l’homme de voir
Dieu tel qu’il se voit lui-même.
Conclusion :
De même que Dieu dépasse par son essence infinie toutes les choses
existantes qui ont une essence limitée, de même la connaissance qu’il a de
lui-même est au dessus de toute connaissance. Le rapport de notre connaissance
avec notre essence créée est comme le rapport de la connaissance divine avec
son essence infinie. Dans toute connaissance, il y a trois choses à considérer
: ce qui est connu ; ce par quoi nous connaissons ; celui qui connaît 1° Dans la vision béatifique, l’homme
verra la même chose que Dieu à considérer ce qui est connu puisque c’est Dieu
lui-même qui sera vu, comme nous l’avons montré. 2° De même, considérer ce par quoi il est vu, nous serons
semblables à Dieu car nous le verrons dans son essence comme il se voit dans
son essence. 3° Mais du côté du
connaissant, il y a une différence : celle qui existe entre l’intelligence
divine et la nôtre. L’intensité de la connaissance dans celui qui connaît
dépend de la puissance de celui-ci : celui qui a une vue plus forte voit plus
nettement. En conclusion, on doit dire que l’homme verra réellement Dieu dans
son essence mais selon la possibilité limitée de son intelligence créée ; Nous
montrerons que cette potentialité sera mesurée en chacun par l’intensité du
désir de sa charité et non selon la puissance naturelle de l’intelligence
elle-même, d’où le scandale des anges déchus dont l’intelligence est
incomparablement plus vigoureuse que celle des hommes. L’homme ne comprendra
donc pas Dieu tel qu’il se comprend[442].
Solutions :
1. Dans la patrie, Dieu sera vu
par les saints tel qu’il est, si nous parlons de celui-là même qui est vu ; les
saints le verront de la manière qu’il est lui-même. Mais si nous parlons de
celui qui le connaît, alors il ne sera pas vu tel qu’il est parce que l’esprit
créé n’aura pas une capacité suffisante pour le voir, en comparaison de la
possibilité que l’essence divine possède en elle-même d’être connue. Sainte
Thérèse de l’Enfant Jésus explique ce fait par une analogie : l’essence divine
est comme un vin précieux. De même que le vin peut remplir en plénitude un
petit verre et un grand verre, mais seulement selon la capacité de chacun, de
même la vision béatifique sera donnée à chacun selon le degré de son désir de
Dieu. Mais c’est le même vin qui remplit les deux verres, de même que c’est la
même essence de Dieu.
2. Le
mot compréhension peut être entendu de deux manières. Il peut signifier une
inclusion de ce qui est compris dans celui qui le comprend, et dans ce cas ce
qui est compris par un être fini est fini, de telle sorte que Dieu, en ce sens,
ne peut être compris par l’intellect d’aucune créature. En second lieu,
comprendre peut signifier simplement tenir dans ses prises l’objet qui désormais
est possédé et rendu présent. Ainsi un homme qui en poursuit un autre est dit
l’appréhender quand une fois il le tient, et c’est ce genre de compréhension
qui est requis pour la béatitude.
Objections :
1. « Dans les choses séparées de
la matière, dit Aristote, l’intelligence et son objet ne sont qu’un »[443]. Mais Dieu est absolument
séparé de toute matière. Si donc l’intelligence créée voit Dieu dans son
essence, c’est qu’elle devient cette essence même de Dieu.
2. Le
Christ est non seulement l’image de Dieu mais aussi la préfiguration de ce que
nous serons dans l’au-delà. Or l’humanité du Christ n’est pas seulement unie à
Dieu par une amitié. Elle est unie dans sa substance au point de former avec
Dieu une seule personne. Il semble donc que lorsque les effets de la Rédemption
seront donnés en plénitude, les hommes deviendront Dieu de la même manière que
Jésus est Dieu.
Cependant :
Si dans la Vision béatifique, l’homme devenait Dieu, il serait
détruit dans son être substantiel. Ce qui s’oppose à l’Écriture qui parle des
saints comme d’êtres différents de Dieu : «
les serviteurs de Dieu règneront pour les siècles des siècles ».[444]
Conclusion :
Dans la vision que l’homme aura de Dieu, l’essence divine sera
elle-même la forme par laquelle l’intelligence humaine connaîtra. Il n’est pas
nécessaire qu’elle devienne une seule chose avec l’essence divine c’est à dire
qu’elle devienne l’être de Dieu, mais seulement que l’une et l’autre deviennent
une seule chose dans l’acte de connaître. C’est cette unité réalisée par la
connaissance que veut exprimer saint Jean lorsqu’il dit[445] "Nous serons
semblables à lui car nous le verrons tel qu’il est." Dans la Vision béatifique,
l’âme deviendra déiforme car elle vivra de la vie même de Dieu. Son opération
sera simple, parfaite, bonne à l’image de la simplicité, perfection et bonté de
sa Cause. De même, la Trinité des personnes divines imprimera son caractère à
l’opération contemplative de l’esprit humain. Mais cette transformation n’ira
pas jusqu’à atteindre la substance, c’est-à-dire à faire de l’homme Dieu
lui-même.
Solutions :
1. La substance séparée de la matière
se connaît et connaît les autres choses : et dans les deux cas, nous pouvons
constater la vérité du texte cité. En effet, puisque l’essence même de la
substance séparée est intelligible par elle-même et est en acte en tant que
séparée de la matière, il est évident que quand la substance séparée se connaît
elle-même, le connaissant et le connu sont tout à fait la même chose. Car elle
ne se connaît pas elle-même à travers quelque intention abstraite d’elle-même,
comme nous connaissons les choses matérielles. Telle semble être la pensée
d’Aristote.
Mais en tant que la substance séparée connaît d’autres choses, ce
qui est connu en acte devient une même chose avec ce qui connaît en acte, en
tant que la forme du connu devient forme de l’intelligence, comme le prouve
Avicenne. Car l’essence de l’intelligence demeure une sous de multiples formes,
en tant qu’elle connaît plusieurs choses successivement, comme la matière
première demeure unique sous diverses formes. C’est pourquoi le Commentateur
compare l’intellect possible dans ce cas à la matière première. Et ainsi, il ne
s’ensuit nullement que notre intelligence devienne l’essence divine elle-même,
mais qu’elle est comparée à elle comme à sa perfection et à sa forme.
2. Il
y a une grande différence entre le Christ qui est Fils de Dieu par nature et
nous qui le sommes par adoption. Ainsi le Christ n’est pas une personne humaine
mais il est la deuxième personne de la Trinité unie substantiellement à
une nature humaine. Au contraire les hommes sont à part entière et
substantiellement des créatures. L’individuation de leur être est une des
perfections données par Dieu. Leur fusion en Dieu serait une perte de cette
perfection.
A ce sujet, trois questions se posent :
1° L’homme peut-il par ses
propres forces arriver à voir Dieu ?
2° L’homme acquiert-il la
vision béatifique par l’action d’une créature supérieure ?
3° Est-ce Dieu qui réalise en
l’homme la manifestation de son essence ?
Objections :
1. La nature ne fait pas défaut
dans les choses nécessaires, comme il est dit dans le livre de l’âme. Or rien
n’est plus nécessaire à l’homme que ce par quoi il obtient sa fin dernière.
Donc cela ne fait pas défaut à la nature humaine, et par conséquent l’homme
peut acquérir la vision béatifique par ses forces naturelles.
2. Au surplus, l’homme étant
supérieur aux créatures privées de raison doit pouvoir mieux qu’elles se
suffire à lui-même. Or ces créatures peuvent parvenir à leurs fins par leurs
forces naturelles, donc l’homme, à plus forte raison, peut de la même manière
acquérir la vision béatifique.
3. En
outre, la vision béatifique est une opération parfaite. Or il appartient à la
même cause de commencer et de parfaire. Donc puisque l’opération imparfaite qui
est au point de départ de l’activité humaine est soumise au pouvoir naturel de
l’homme, par quoi il est maître de ses actes, il semble que par le même pouvoir
naturel l’homme puisse parvenir à l’opération parfaite qui est la vision de
l’essence divine.
Cependant :
C’est par son intelligence et sa volonté que l’homme est
naturellement le principe de ses actes. Or la dernière béatitude promise aux
saints dépasse l’intelligence et la volonté de l’homme, ce qui fait dire à
l’apôtre[446] : « l’œil de l’homme
n’a point vu, son oreille n’a point entendu et jamais n’est monté jusqu’à son
cœur ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. » Donc l’homme, par ses
forces naturelles, ne peut acquérir la béatitude.
Conclusion :
Voir Dieu dans son essence dépasse non seulement la nature de
l’homme mais celle de toute créature comme nous l’avons montré. En effet, la
connaissance naturelle de chaque créature est conforme à la modalité de sa
substance, ce qui a fait dire de l’intelligence dans le livre des causes, qu’ « elle connaît ce qui est au dessus
d’elle et ce qui est au dessous d’elle selon le mode de sa substance ». Mais toute connaissance réduite
au mode de la substance créée est en défaut quant à la vision de la divine
essence, puisque celle-ci dépasse infiniment toute substance créée. Donc
l’homme ni aucune créature ne peut voir Dieu par ses seules forces naturelles.
Solutions :
1. De même que la nature ne
fait pas défaut à l’homme quant au nécessaire, bien qu’elle ne l’ait pas pourvu
d’armes et de vêtements comme elle l’a fait pour les autres animaux, puisque,
en revanche, elle lui a donné une raison et des mains qui lui permettent
d’acquérir ces choses ; de même la nature ne fait pas défaut à l’homme
dans les choses nécessaires en ne lui donnant pas le moyen d’acquérir par
lui-même la béatitude, car cela était impossible ; mais elle lui a donné le
libre arbitre, par lequel il peut se tourner vers Dieu qui, lui, le fera
heureux, et le Philosophe nous dit : « Ce
que nous pouvons par nos amis, c’est par nous-mêmes, en quelque sorte, que nous
le pouvons. »
2. La supériorité de l’homme
sur les créatures sans raison n’est pas compromise de ce fait ; car une nature
qui peut acquérir le bien parfait, quoique ayant besoin pour cela d’un secours
extérieur, est d’une condition supérieure à celle de la nature qui ne peut pas
acquérir ce bien parfait, mais qui en acquiert un imparfait, n’ayant besoin
pour cela d’aucun secours étranger. Ainsi raisonne le Philosophe. Par exemple,
celui-là est dans de meilleures dispositions par rapport à la santé qui peut
obtenir une santé parfaite, bien que ce soit par le secours de l’art, que celui
qui peut obtenir sans ce secours une santé imparfaite. Voilà pourquoi la
créature raisonnable, pouvant conquérir le bien parfait de la béatitude, tout
en ayant besoin pour cela du secours divin, est supérieure à la créature privée
de raison, qui n’est pas capable d’un tel bien, mais peut acquérir un bien
imparfait par les seules forces de sa nature.
3. On
veut que le bien imparfait et le bien parfait qui est la béatitude procèdent de
la même cause. Mais l’imparfait et le parfait ne procèdent du même pouvoir que
s’ils sont de même espèce ; cela ne s’impose plus quand ils sont d’espèce
différente. En effet, tout ce qui peut disposer une matière n’est pas apte à
procurer l’ultime perfection du travail. Or l’action imparfaite qui est au
pouvoir naturel de l’homme n’est pas de la même espèce que l’opération parfaite
en laquelle consiste la béatitude, puisque c’est l’objet qui détermine l’espèce
de l’opération. Cet argument n’a donc pas de valeur.
Objections :
1. Il semble que l’homme puisse
être rendu heureux par l’action d’une créature supérieure, à savoir l’ange. En effet,
il existe deux sortes d’ordre dans les choses : un ordre qui relie entre elles
les diverses parties de l’univers, et un ordre qui rattache par un juste
rapport tout l’univers à un bien qui lui est extérieur. Le premier de ces
ordres dépend du second comme de sa fin, ainsi que le dit Aristote dans la
Métaphysique, de la même manière que l’ordre des éléments d’une armée a pour
fin le rapport de l’armée elle-même à l’égard du chef. Or l’ordre des parties
de l’univers s’obtient par l’action des créatures supérieures à l’égard des
créatures inférieures comme nous l’avons dit dans la Première Partie et la
béatitude consiste dans le juste rapport de l’homme au bien qui est extérieur à
l’univers, à savoir Dieu. Donc c’est par l’action d’une créature supérieure,
l’ange, que l’homme atteint à sa béatitude.
2. En outre, ce qui est tel en
puissance peut être amené à l’acte par ce qui est lui-même tel en acte et par
exemple ce qui est chaud en puissance devient chaud en acte par l’action de ce
qui est lui-même chaud en acte. Or l’homme a la béatitude en puissance : donc
il peut être rendu heureux en acte par l’ange qui est lui-même actuellement
heureux.
3. Au
surplus, la béatitude consiste, nous l’avons dit, dans une opération de
l’intellect. Or nous avons dit également, dans la Première Partie, que l’ange
peut éclairer l’intellect de l’homme : donc l’ange peut rendre l’homme heureux.
Cependant :
On lit dans le psaume 83 : «
C’est Dieu qui donne la grâce et la gloire. »
Conclusion :
Toute créature, du fait qu’elle a une
vertu et une action finie, est soumise aux lois de la nature, et ce qui est
au-dessus de la nature ne peut donc pas être réalisé par la vertu d’une
créature quelconque. Si donc quelque chose doit être réalisé qui dépasse la
nature, cela est fait par Dieu sans intermédiaire, comme par exemple la
résurrection d’un mort, le retour d’un aveugle à la vue, et autres faits du
même genre. Or nous avons montré que la béatitude est un bien supérieur à toute
nature créée. II est donc impossible que la béatitude soit procurée à l’homme
par l’action d’une créature. C’est par l’action de Dieu seul que l’homme est
rendu heureux, à parler de la béatitude parfaite. S’agit-il de la béatitude
imparfaite, il en est d’elle comme de la vertu, dans l’exercice de laquelle cette
béatitude consiste.
Solutions :
1. La considération de l’ordre
du monde ne peut que confirmer notre conclusion car ce qui arrive le plus
souvent, quand des puissances actives sont ordonnées entre elles, c’est qu’il
appartienne à la puissance la plus élevée de conduire l’objet commun à sa
dernière fin, alors que les puissances inférieures aident à ce résultat en
créant les dispositions favorables. Ainsi l’art de la navigation, qui préside à
l’art des constructions navales a la charge d’utiliser le navire qui n’a été
construit qu’à cet effet. Ainsi, dans l’ordre universel, l’homme est aidé par
les anges à atteindre sa fin dernière quant à certaines conditions qui l’y
préparent mais la fin dernière elle-même est obtenue par l’action du premier
agent, qui est Dieu.
2. En ce qui concerne la
communication de l’acte par un agent en acte, on n’a pas suffisamment précisé.
Quand une forme existe en acte dans un sujet selon son être parfait et naturel,
cette forme peut être un principe d’action à l’égard d’un autre sujet : ainsi
un corps chaud échauffe grâce à sa chaleur Mais si la forme n’existe dans le
sujet qu’imparfaitement et non pas selon son être naturel, elle ne peut être un
principe de communication au profit d’un autre. Ainsi la représentation de la
couleur, dans l’œil, n’a pas le pouvoir de blanchir. Au surplus, il n’est pas
vrai que tout ce qui est clair ou chaud puisse éclairer ou échauffer autre
chose de cette façon. En effet l’éclairement ou l’échauffement se
perpétueraient à l’infini. Or la lumière de gloire, par laquelle on voit Dieu,
est bien en Dieu d’une manière parfaite et selon son être naturel ; mais dans
une créature, elle n’existe qu’imparfaitement, par ressemblance ou
participation. De là vient qu’une créature heureuse ne peut pas communiquer sa
béatitude à une autre.
3. Enfin
il est très vrai que l’ange, du sein de la béatitude, peut éclairer l’intellect
de l’homme et aussi celui d’un ange inférieur en ce qui concerne certains
aspects des œuvres divines ; mais non pas quant à la vision de la divine
essence, comme nous l’avons montré dans la Première Partie. Pour cette vision,
tous sont immédiatement illuminés par Dieu.
Objections :
1. Il est dit en Ssint Jean[449] : « La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. » Or ce nom de Jésus- Christ ne désigne
pas seulement la nature divine qui s’est unie la nature humaine, mais encore
cette nature humaine créée par Dieu. Donc la gloire céleste qui est une grâce
divine peut être donnée par une créature.
2. Denys
dans sa hiérarchie céleste, affirme que les anges purifient, illuminent et
perfectionnent les anges inférieurs et aussi les hommes. Mais la vision
béatifique est le don par excellence par lequel la créature raisonnable peut
être purifiée, illuminée et perfectionnée. Donc Dieu n’est pas le seul à donner
la gloire de la vision béatifique.
Cependant :
Il est dit dans le psaume[450] : « C’est le Seigneur qui vous donnera la grâce et la gloire. »
Conclusion :
Aucun agent ne peut produire un résultat
qui sorte des limites de son espèce, car il faut toujours que la cause soit
supérieure à l’effet. Or le don de la gloire surpasse la puissance de toute nature
créée puisque la gloire est la participation à la nature divine, laquelle
surpasse toute nature. C’est pourquoi aucune créature ne saurait être cause de
la vision béatifique en une autre créature. Dieu seul peut déifier des êtres en
leur communiquant son essence ; de même que seul le feu peut mettre un corps en
état de combustion.
Solutions :
1. L’humanité du Christ est,
selon l’expression de Ssint Jean Damascène, « une sorte d’instrument de sa
divinité »[451]. Or ce n’est pas par son
propre pouvoir que l’instrument réalise l’action de l’agent principal, c’est
par la vertu de cet agent. Ce n’est donc pas par sa propre puissance que
l’humanité du Christ introduira l’homme dans la Vision béatifique, mais par la
vertu même de la divinité à laquelle elle est jointe et qui donne aux œuvres de
l’humanité du Christ leur valeur de salut.
2. Si l’ange purifie, illumine
et perfectionne un autre ange et même l’homme, c’est en l’instruisant d’une
certaine manière, mais non en lui communiquant la vision de l’essence divine.
Aussi bien Denys lui-même dit-il que « cette purification, cette
illumination et ce perfectionnement ne sont pas autre chose qu’une réception de
la science divine. »
A propos de ce sujet, deux questions se
posent :
1° Le siège de la vision
béatifique est-il l’intelligence ou la volonté ?
2° Les saints après la
résurrection, verront-ils Dieu avec les yeux du corps ?
Objections :
1. II semble que la béatitude
consiste en un acte de la volonté. En effet, saint Augustin écrit : « La béatitude de l’homme consiste dans
la paix », selon ces mots du psaume :
« Il a fait de tes frontières un
séjour de paix ». Or la paix
s’établit dans la volonté.
2. La béatitude est aussi un
souverain bien. Or le bien est du ressort de la volonté.
3. N’est-ce pas du reste au
premier moteur que doit correspondre l’ultime fin, de même que la victoire, fin
dernière de toute l’armée, est la fin du chef qui meut l’armée tout entière ?
Or le premier moteur de toute opération est en nous la volonté car c’est elle
qui actionne nos autres facultés ainsi que nous le dirons par la suite. Donc la
béatitude appartient à la volonté.
4. Au surplus, supposé que la
béatitude soit une opération, ce doit être l’opération humaine la plus noble.
Or l’amour de Dieu, qui est un acte de la volonté, est plus noble que la
connaissance, opération intellectuelle. C’est ce que proclame l’Apôtre dans sa
première épître aux Corinthiens.
5. Enfin, nous trouvons dans
saint Augustin ces paroles : « Celui-là
est heureux qui a tout ce qu’il veut et ne veut rien de mal ». Et peu après : « Celui-là
est proche d’être heureux qui veut selon le bien tout ce qu’il veut ; car ce
sont des biens qui rendent heureux, et de ces biens un tel homme a déjà une
part, qui est sa propre bonne volonté ».
C’est donc que la béatitude consiste en un acte de volonté.
Cependant :
Le Seigneur dit : « La
vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, seul vrai Dieu ». Or la vie éternelle est notre
dernière fin, comme nous l’avons dit. Donc la béatitude de l’homme consiste
dans la connaissance de Dieu, qui est un acte intellectuel. Donc le siège de la
Vision béatifique est l’intelligence.
Conclusion :
Ainsi que nous l’avons dit plus haut,
deux choses sont requises pour la béatitude : l’une qui est son essence même,
l’autre qui est en quelque sorte son propre accident, à savoir la délectation
qui s’y ajoute. Je dis donc qu’en ce qui concerne l’essence même de la
béatitude, il est impossible qu’elle consiste en un acte de volonté. Il est
clair en effet, d’après ce qui précède, que la béatitude est l’entrée en
possession de notre fin dernière. Or l’entrée en possession de la fin ne
consiste pas dans un acte de volonté. Car la volonté se porte vers la fin soit
absente, alors qu’elle la désire, soit présente, lorsque s’y reposant, elle en
jouit. Or il est évident que le désir de la fin n’en est pas l’acquisition,
mais un mouvement vers elle. La jouissance, à son tour, vient à la volonté de
ce que la fin lui est présente, et on ne peut dire, à l’inverse, que quelque
chose soit rendu présent du fait que la volonté en jouit. Il faut donc qu’il y
ait quelque chose d’autre, en dehors de l’acte de la volonté, par quoi la fin
même soit rendue présente à celui qui veut.
Cela apparaît clairement quand on l’applique à des fins sensibles
Si l’on pouvait acquérir de l’argent par un acte de volonté, l’avare serait en possession
de cet argent dès le moment où il le désire. Mais au départ l’argent lui
manque, il l’acquiert en y portant la main ou par quelque autre geste, et
désormais il se délecte en l’argent possédé. Ainsi en est-il en ce qui concerne
notre fin intelligible. Au départ, nous voulons obtenir cette fin intelligible
; nous l’obtenons du fait qu’elle nous devient présente par un acte
intellectuel, et dès lors notre volonté, mise en état de jouissance se repose
dans son union avec la fin cette fois possédée.
Ainsi, l’essence de la béatitude consiste en un acte intellectuel
; mais à la volonté appartient la délectation afférente à la béatitude, ce qui
fait que saint Augustin définit la béatitude : « la joie de la vérité »,
parce que la joie est la consommation de la béatitude.
Solutions :
1. Assurément la paix a rapport
à la fin dernière de l’homme ; mais elle n’en est pas l’essence ; elle n’est à
son égard qu’un antécédent et une conséquence. Un antécédent en ce que par
elle, tout élément perturbateur et tout obstacle sont écartés du chemin de la
béatitude. Une conséquence, parce que désormais l’homme en possession de sa
dernière fin demeure apaisé, son désir ayant trouvé le repos.
2. On argue de l’objet de la
volonté. Mais le premier objet de la volonté n’est pas son acte à elle comme le
premier objet de la vue n’est pas la vision mais le visible. Ainsi, de cela
même que la béatitude concerne la volonté comme son premier objet, il résulte
qu’elle ne se confond pas avec son acte même.
3. II est très vrai que la fin
dernière doit correspondre au premier principe, et si la fin est appréhendée
d’abord par l’intelligence, le mouvement vers la fin s’inaugure en effet dans
la volonté. Mais c’est précisément pour cela que nous attribuons à la volonté
ce qui résulte en dernier de l’acquisition de la fin, à savoir la délectation
ou la jouissance.
4. On plaide pour le primat de
la volonté, et assurément l’amour surpasse la connaissance là où il s’agit
d’imprimer le mouvement. Mais la connaissance précède l’amour quant au fait
d’atteindre ; car ainsi que l’observe saint Augustin, on n’aime que ce qui est
déjà connu. Pour cette raison, nous atteignons d’abord notre fin intelligible
par une action de l’intellect, de même que c’est par les sens que nous
atteignons d’abord une fin de l’ordre sensible.
5. Ce
que dit le texte invoqué dans la dernière objection ne nous contredit pas.
Celui qui a tout ce qu’il veut est heureux du fait même qu’il a ce qu’il veut ;
Mais s’il l’a, c’est par tout autre chose qu’un acte de volonté. Quant à ne
vouloir rien de mal, c’est là une prédisposition nécessaire à la béatitude
même. Enfin la bonne volonté est placée par saint Augustin au rang des biens
qui nous rendent heureux, en ce sens qu’elle est une sorte d’inclination vers
ces biens. C’est ainsi que le mouvement rentre dans le genre auquel appartient
son terme et l’altération dans le genre de la qualité qui en sera le résultat.
Objections :
1. Il semble que oui. L’œil
glorifié aura une puissance plus grande que celle de tout œil non glorifié. Or
le bienheureux Job a vu Dieu de ses yeux : «
Je t’ai entendu par mon oreille, et maintenant mon œil te voit. » À bien plus forte raison l’œil
glorifié pourra-t-il voir Dieu en son essence.
2. Job dit : « Dans ma chair, je verrai Dieu mon
Sauveur. » Dans la patrie, on verra
donc Dieu, des yeux du corps.
3. Parlant de la vue qu’auront
les yeux glorifiés, saint Augustin s’exprime ainsi : « Leurs yeux posséderont une force toute-puissante, non pour qu’ils
voient d’un regard plus perçant comme celui qu’on attribue aux serpents ou aux
aigles : quelle que soit la pénétration de vision de ces animaux, ils ne
peuvent voir rien d’autre que les corps. Mais les yeux glorifiés verront même
les choses incorporelles. » Toute
puissance capable de voir les choses incorporelles peut être élevée jusqu’à la
vision de Dieu. Les yeux glorifiés pourront donc le voir.
4. La différence entre les
choses corporelles et les incorporelles est la même qu’entre celles-ci et les
premières. Or l’œil incorporel peut voir les choses corporelles. Donc l’œil
corporel peut voir les choses incorporelles : donc, même conclusion que plus
haut.
5. Saint Grégoire dit : « L’homme qui, s’il avait observé les
préceptes, serait devenu spirituel jusqu’en sa chair, est devenu, par le péché,
charnel jusqu’en son esprit ».
Mais de ce fait, « il ne pense plus
qu’aux choses qui parviennent à l’esprit par les images des corps ». Quand sa chair sera devenue
spirituelle (ce qui est promis aux saints après leur résurrection), il pourra
voir dans sa chair même les choses spirituelles. Donc, aussi Dieu.
6. L’homme ne peut recevoir que
de Dieu sa béatitude. Il la recevra non seulement dans son âme, mais aussi dans
son corps. Il verra donc Dieu ; non seulement par l’intelligence mais aussi par
sa chair.
7. Comme Dieu est présent par
son essence dans l’intelligence, ainsi il sera présent dans le sens, car
"il sera toutes choses en tous "comme dit saint Paul aux Corinthiens.
Mais l’intelligence le voit parce que son essence lui est une. Il pourra donc
être vu aussi par le sens.
Cependant :
Saint Ambroise dit, au sujet de saint Luc : « Dieu ne peut être cherché par les yeux du corps, il ne sera pas
cerné par la vue ni touché par le tact. »
Dieu ne sera donc vu en aucune manière par un sens corporel. En outre, saint
Jérôme dit à propos d’Isaïe, « J’ai
vu le siège du Seigneur ». « Les yeux de chair ne peuvent
apercevoir ni la divinité du Père, ni celle du Fils, ni celle de l’Esprit
Saint, mais seuls la voient les yeux de l’esprit, dont il est dit : Bienheureux
ceux qui ont le cœur pur ». De
plus, saint Jérôme dit ailleurs : « Une
chose incorporelle n’est pas visible pour des yeux corporels. » Or Dieu est le plus incorporel de
tous les êtres. Donc, etc. De plus, saint Augustin dit : « Personne n’a jamais vu Dieu tel qu’il est, soit en cette vie,
soit en la vie des anges, à la manière dont sont visibles les choses qui sont
vues par la vision corporelle. » Mais
la vie des anges est la vie bienheureuse dans laquelle les ressuscités vivront.
Donc, etc. De plus « on dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu, en
tant qu’il peut voir Dieu », comme dit saint Augustin. Mais l’homme est à
l’image de Dieu par son esprit, non par sa chair. C’est donc par l’esprit et
non par la chair qu’il verra Dieu.
Conclusion :
Il y a deux manières de percevoir
quelque chose par le sens corporel : par soi ou par accident. Par soi : nous
percevons ce qui peut produire par soi une impression sur le sens corporel. Une
chose peut produire cette impression ou bien sur le sens en tant que sens ou
sur tel sens en tant qu’il est tel sens. Ce qui agit sur le sens de cette dernière
façon est le sensible propre de tel sens, par exemple la couleur pour la vue,
le son pour l’ouïe. Puisque le sens en tant que tel se sert d’un organe
corporel, une chose ne peut être perçue par lui que corporellement, car tout ce
qui est reçu en quelque chose l’est à la manière de ce qui le reçoit. C’est
pourquoi toutes les choses sensibles impressionnent le sens en tant que sens,
selon qu’elles possèdent une dimension. Dès lors, la dimension et toutes ses
conséquences, comme le mouvement, le repos, le nombre, etc., sont appelées des
sensibles communs par soi. Ce qui n’impressionne pas le sens, ni en tant que
sens, ni en tant qu’il est tel sens, peut pourtant être connu, par accident :
parce qu’il est uni aux choses qui impressionnent le sens par elles-mêmes.
C’est ainsi que Socrate, et le fils de Diares, et son ami, et d’autres réalités
de ce genre, qui sont connues par soi universellement par l’intelligence,
peuvent être connues dans le concret par la puissance cogitative de l’homme ou
par l’estimative des autres animaux. Nous disons que le sens extérieur perçoit
ces choses, par accident seulement, quand à partir de ce qu’il connaît par soi,
la puissance cognitive (à qui il appartient de connaître par soi cet objet
connu), le perçoit aussitôt, sans doute et sans déduction : De même que nous
voyons que quelqu’un vit s’il parle. Quand il n’en est pas ainsi, on ne dit pas
que le sens connaît, même par accident.
Je dis donc que Dieu ne peut en aucune manière être vu du regard corporel,
ni être perçu par quelque sens, comme une chose visible par soi, ni ici-bas, ni
dans la patrie ; car si on enlève au sens ce qui lui convient en tant que sens,
il cesse d’être un sens. De même, si on enlève à la vue ce qui lui convient en
tant que telle, il n’y a plus de vue. Le sens en tant que tel perçoit la
dimension et la vue en tant que telle perçoit la couleur. Il est donc
impossible que la vue perçoive quelque chose qui n’est pas coloré, ni étendu, à
moins de parler de sensation d’une manière équivoque. Puisque la vue et le sens
seront dans le corps glorieux spécifiquement les mêmes qu’ici-bas, il n’est pas
possible qu’ils voient l’essence divine comme une chose visible par soi. La vue
le percevra seulement comme une chose visible par accident, d’une part en
considérant la gloire de Dieu dans les corps, surtout glorifiés, et
principalement dans le corps du Christ ; et d’autre part parce que
l’intelligence verra Dieu si clairement, que la vue le percevra dans les choses
corporelles, de même que si quelqu’un parle on perçoit qu’il vit. Assurément
notre intelligence ne verra pas Dieu dans les créatures, mais elle le verra à
travers les créatures vues corporellement. C’est de cette manière de voir Dieu
corporellement que Saint Augustin parle quand il dit : « Il est tout à fait croyable que nous verrons les réalités
corporelles du monde, du nouveau Ciel et de la nouvelle terre de telle sorte
que nous apercevrons dans une éblouissante clarté Dieu présent en toutes choses
et gouvernant tous les êtres même corporels. Cela se fera, non pas comme
maintenant nous découvrons les choses invisibles de Dieu à travers celles qu’il
a créées, mais de la manière dont, quand nous voyons les hommes, nous ne
croyons pas, mais nous voyons qu’ils vivent.
»
Solutions :
1. Job se réfère à l’œil
spirituel ; c’est pourquoi saint Paul dit : que « seront éclairés les yeux
de notre cœur. »
2. Ce mot de Job peut
prophétiser plusieurs choses. S’il parle de la vision béatifique, cette
citation doit être comprise non en ce sens que nous verrons Dieu par nos yeux
de chair, mais en ce sens que, étant dans la chair, nous verrons Dieu. S’il
parle de la vision de la gloire de Dieu qui accompagne l’heure de la mort, il
se réfère alors à une réalité sensible (apparition de l’envoyé de Dieu)
manifestant de manière puissante l’essence encore cachée de Dieu. En ce sens,
il s’agit d’une vision de l’œil physique, comme nous le montrerons.[454]
3. Dans ce passage, saint
Augustin est à la recherche du sens de ces paroles, et parle conditionnellement.
Cela ressort de ce qu’il dit plus haut : «
ils seront d’une toute autre puissance. Si par les yeux ils voient la
nature incorporelle. » Il ajoute : « C’est pourquoi cette puissance. » Et il conclut en accord avec ce que
nous avons vu plus haut. Toute connaissance se réalise par une abstraction de
la matière. C’est pourquoi, plus la forme corporelle est abstraite de la
matière, plus elle est principe de connaissance. La forme qui existe dans la
matière n’est aucunement principe de connaissance ; elle l’est de quelque
manière dans le sens, en tant que séparée de la matière, et mieux encore dans
notre intelligence. C’est pourquoi l’œil spirituel, libéré de l’empêchement
matériel de la connaissance, peut voir une chose corporelle. Il n’en découle
pas que l’œil corporel, dépourvu de la puissance de connaître à cause de sa
participation à la matière, puisse connaître parfaitement les choses
connaissables incorporelles.
5. Bien que l’esprit devenu
charnel ne puisse connaître que ce qu’il reçoit des sens, cependant, il le
connaît immatériellement. Tout ce que la vue saisit, elle le voit
corporellement. Elle ne peut donc pas connaître les choses qui ne peuvent être
saisies corporellement.
6. La béatitude est la
perfection de l’homme en tant qu’homme. Il n’est pas homme par son corps, mais
plutôt par son âme. Les corps ne sont de l’essence de l’homme qu’en tant qu’ils
sont perfectionnés par l’âme. C’est pourquoi la béatitude de l’homme ne
consiste principalement que dans un acte de l’âme, et c’est d’elle qu’elle dérive
dans le corps par une sorte de débordement, comme nous l’avons vu. Il y aura
cependant une certaine béatitude de notre corps en tant qu’il verra Dieu dans
les créatures sensibles, et surtout dans le corps du Christ.
7. L’intelligence
perçoit les choses spirituelles, qui échappent à la vue du corps. C’est
pourquoi l’intelligence pourra connaître l’essence divine qui lui sera unie ;
mais non l’œil corporel.
A propos de ce problème, douze questions
se posent :
1° Les âmes qui voient Dieu
sont-elles dans la béatitude ?
2° Les vertus morales
demeurent-elles dans la vision béatifique ?
3° Les vertus intellectuelles
demeurent-elles dans la vision béatifique ?
4° La foi reste-t-elle après
cette vie ?
5° L’espérance reste-t-elle
après la mort et dans l’état de gloire ?
6° Reste-t-il dans la gloire
quelque chose de la foi ou de l’espérance ?
7° La charité reste-t-elle
dans la gloire après cette vie ?
8° Les dons du Saint Esprit
restent-ils dans la patrie ?
9° Les récompenses attribuées
aux huit béatitudes seront-elles données dans la vision béatifique ?
10° Les fruits du Saint Esprit
seront-ils des effets de la Vision béatifique ?
11° L’élément principal de la
béatitude est-il la vision de Dieu ou la délectation qui en résulte ?
12° Les saints en voyant Dieu,
voient-ils tout ce que Dieu voit ?
13° La vision béatifique
est-elle éternelle ?
Objections :
1. La béatitude est la possession totale et simultanée de la
perfection du bien qui comble un être. Or, avant la résurrection, les hommes
sont des âmes car ils sont privés de leur corps, donc d’une partie de leur
être. Ils ne peuvent donc pas être dans la béatitude, qui implique perfection,
mais seulement dans un bonheur spirituel qui ne s’étend pas dans tout leur
être.
2. Le désir naturel de l’intelligence est de voir Dieu tout entier et
tel qu’il se voit puisque c’est la seule manière de connaître la Cause de tout ce
qui est. Or l’intelligence humaine étant limitée, il est impossible qu’elle
voit Dieu tel qu’il se voit. L’âme ne peut donc pas être dans la béatitude.
3. La béatitude ne peut pas être durable car l’homme finit par se
lasser de tout. C’est ce que dit Qohelet qui, ayant essayé tous les bonheurs,
en conclut[456] : « Tout est vanité ». Il est même destructeur
pour l’homme que d’aspirer à ce qui est utopique et il vaut mieux se contenter
d’un simple état de bonheur, c’est-à-dire, commente Aristote, d’amis fidèles et
d’une contemplation de l’Etre premier.
Cependant :
Le pape Benoît XII écrit
dans la constitution dogmatique Benedictus
Deus : « En outre, par le
fait même de cette vision, les âmes de ceux qui sont déjà morts, jouissent de
la divine essence, et par le fait même de cette vision et de cette jouissance
elles sont vraiment bienheureuses et possèdent la vie et le repos
éternel. »
Conclusion :
Etre bienheureux, c’est être
comblé de manière absolue dans toutes les dimensions de son être. Pour savoir
où se trouve la béatitude, il faut voir que le bonheur humain possède quatre degrés dans son épanouissement.
1°
Sa vie mystique, propre à l’esprit, aspire de manière naturelle à connaître et
aimer la Cause première de tout, à être uni à elle pour toujours.
2°
Sa vie morale aspire à un lien stabilisé aux autres personnes dans la communion
et la confiance de l’amour d’amitié.
3°
Sa vie psychologique (commune avec les animaux) trouve son équilibre dans le fait de se
sentir bien. Pour résumer ses aspirations, on peut dire avec Piaget qu’un homme
ou un animal est équilibré par la possession de trois sentiments du moi.
Ces sentiments s’acquièrent dans la construction de la personnalité à travers
son histoire passée (sentiment de valorisation), présente (sentiment
d’autonomie) et future (sentiment de sécurité).
4°
Sa vie physique trouve son équilibre dans la possession d’un corps parfait, en
bonne santé et aux performances maîtrisées.
La vision de Dieu donnera à
tous ces points de vue la béatitude.
1° Dieu y sera vu face à
face, dans une union de lumière venant de l’amour. Sainte Thérèse de l’Enfant
Jésus, manifestant la plénitude de ce mystère du point de vue de l’union
d’amour, écrit dans ses « Poésies » : « J'ai besoin d'un
cœur brûlant de tendresse, restant mon appui sans aucun retour, aimant tout en
moi, même ma faiblesse... Ne me quittant pas, la nuit et le jour. Je n'ai pu
trouver nulle créature, qui m'aimât toujours, sans jamais mourir. » Mais la vision de Dieu ne comblera pas que
notre désir d’amour. Il comblera notre intelligence par sa Lumière et la
volonté d’efficacité de notre esprit par sa Puissance, ne laissant aucun désir
de l’esprit sans réalisation selon cette parole de Jésus : « Lorsque
vous priez, croyez déjà avoir été exaucé ».
2°
Selon notre vie morale, la Vision béatifique nous comblera bien que tous nos
frères et sœurs ne soient pas encore parvenus au terme de leur chemin vers
Dieu. En effet, nous verrons tout avec le regard de Dieu si bien que les
souffrances des nôtres encore présents dans les purgatoires ne seront vues que
selon leur finalité et la gloire qu’elle doit bientôt réaliser en eux. Si l’un
de nos proches se damne, nous respecterons dans la joie et la paix son choix
final entièrement libre et qu’il maintient pour toujours.
3°
Selon notre vie psychologique, qui reste présente comme nous l’avons dit avant
même la résurrection, la connaissance parfaite de Dieu se répercutera par un
profond sentiment de valorisation ; l’union amoureuse à notre Bien-aimé
nous rendra autonome car comblés de tout ; la stabilité de la possession
de Dieu nous sécurisera définitivement.
4°
Avant la résurrection, n’ayant pas encore retrouvé la totalité de notre être,
il y aura en nous un manque naturel mais nous n’en souffrirons pas, comme le
montre la solution 1.
Solutions :
1. Saint Augustin répond à cette objection dans ses Confessions par
cette phrase : « Te posséder,
toi le seul Vrai Bien, c’est être riche de toutes les richesses ». Par
la vision de Dieu, c’est la partie la plus profonde de l’âme humaine qui est
rendue bienheureuse. Mais, par extension, l’homme tout entier s’en trouve
perfectionné à tel point que, même si provisoirement, l’être entier de l’homme
n’est pas rendu à sa perfection, il n’en ressent aucun manque. Le retour du
corps lors de la résurrection ne rendra d’ailleurs pas l’homme plus heureux, la
béatitude étant parfaite, mais permettra l’extension de cette béatitude jusque
dans sa chair à travers les opérations du sens du toucher mises au service de
l’amour.
2. On ne peut certes voir Dieu tel qu’il se voit. Mais on voit Dieu
à la mesure de notre désir de le voir selon l’Ecriture[457] : « C'est une bonne mesure, tassée, secouée,
débordante, qu'on versera dans votre sein ; car de la mesure dont vous mesurez
on mesurera pour vous en retour. » Si bien que, l’aimant et le désirant de
tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force, il est entièrement
comblé.
3. Cette objection fait référence à la recherche de la béatitude
ici-bas. En ce monde, la béatitude est inaccessible et la rechercher est un
péché capital destructeur. Seule la recherche du bonheur, qui est un bien-être
raisonnable et se contentant de ses imperfections est possible. Il arrive
cependant que certains puissent éprouver durant des moments fugaces quelque
chose qui ressemble de loin à une forme de béatitude. C’est le cas des jeunes
couples dans les premiers moments de leur amour ou des adeptes de paradis
artificiels par la drogue. Le danger de ces expériences est de croire qu’il est
possible de les prolonger toute une vie. Voilà pourquoi le Catéchisme de
l’Eglise catholique, 676, écrit en 1992 : « Cette imposture
antichristique se dessine déjà dans le monde chaque fois que l’on prétend
accomplir ici-bas dans l’histoire l’espérance messianique qui ne peut s’achever
qu’au-delà d’elle à travers le jugement eschatologique. »
Dans l’autre monde au
contraire, la béatitude est rendue possible par la vision directe de Dieu. Sa
nature étant infinie, c’est lui qui à chaque instant et pour l’éternité,
renouvellera la nouveauté de son apparition si bien que, sans pouvoir se
lasser, l’homme sera éternellement bienheureux.
En enfer au contraire, où
l’homme possède tout ce qu’il veut sauf la vision de Dieu et la présence
d’amis, tout se transforme en malheur. Et ce mécanisme se voit déjà en ce monde
où les plus grandes merveilles finissent par devenir ennuyeuse pour celui qui
les recherche pour le seul plaisir égoïste.
Objections :
1. Selon toute apparence, non.
Car dans l’état de la gloire future les hommes seront semblables aux anges,
comme il est dit en saint Matthieu[458]. Mais il est ridicule de
supposer chez les anges des vertus morales. Il n’y en aura donc pas non plus
chez les hommes après cette vie.
2. Les vertus morales
perfectionnent l’homme dans la vie active. Mais la vie active ne demeure pas
après cette vie : « les œuvres de la vie active, dit saint Grégoire,
passent avec le corps. » Donc les vertus morales ne demeurent pas après la
vie présente.
3. La tempérance et la force qui sont des vertus morales
appartiennent aux fonctions non spirituelles de l’âme, dit le Philosophe. Or
ces fonctions disparaissent avec le corps, puisqu’elles sont actes d’organes
corporels. Il semble donc que les vertus morales ne demeurent pas après cette
vie.
Cependant :
Il est écrit dans la Sagesse [459]que « la justice est perpétuelle immortelle. »
Conclusion :
Selon saint Augustin, Cicéron a estimé que les quatre vertus
cardinales n’existent plus après cette vie, mais que dans l’autre vie les
hommes « sont heureux uniquement par la connaissance de cette nature en
laquelle on ne peut rien trouver qui soit meilleur et plus aimable »,
sous-entendu « que cette nature
même qui a créé toutes les natures »,
comme Saint Augustin le dit en cet endroit. Mais lui-même après cela définit
que ces quatre vertus existent encore dans la vie future, cependant sous un
autre mode.
Pour y voir clair, il
faut savoir que dans ces vertus il y a quelque chose de formel, et quelque
chose qui tient lieu de matière. Leur côté matériel, c’est le penchant des
appétits vers les passions ou vers les opérations, selon une certaine mesure.
Mais puisque cette mesure est déterminée par la raison, il s’ensuit que, dans
toutes les vertus, le formel est l’ordre même de la raison. Ainsi donc, il faut
affirmer que ces vertus morales ne demeurent pas dans la vie future quant à ce
qu’elles ont de matériel. Car les convoitises et les plaisirs relatifs à la
nourriture et aux activités sexuelles n’auront pas place dans la vie future ;
ni non plus les craintes et les audaces relatives aux périls de mort ; ni non
plus les distributions et les échanges appelés par la pratique de la vie
présente. Mais quant à ce qu’elles ont de formel, ces vertus subsisteront après
cette vie chez les bienheureux à leur plus haut degré de perfection ;
c’est-à-dire que la raison de chacun sera dans la plus grande rectitude selon
son état, et que l’appétit sera mû entièrement selon l’ordre de la raison pour
tout ce qui ressortit à cet état. D’où, ces réflexions de saint Augustin dans
le même passage : « la prudence sera là sans aucun péril d’erreur ; la
force, sans l’ennui des maux à supporter ; la tempérance sans l’opposition des
mauvais désirs. La prudence sera de ne préférer ni égaler à Dieu aucun bien ;
la force, d’être attaché à lui avec la plus grande fermeté ; la tempérance, de
se délecter sans aucune défaillance coupable. Quant à la justice, il est encore
plus évident que l’acte qu’elle aura là-haut ce sera d’être soumis à Dieu,
parce que même en cette vie il appartient à la justice qu’on soit soumis à son
supérieur. »
Solutions :
1. Le Philosophe parle là de
nos vertus morales en ce qu’elles ont de matériel ; ainsi, à propos de la
justice, il pense aux « échanges,
ventes et achats » ; à propos de la
force, aux « choses qui font peur et aux périls » ; à propos de la
tempérance, aux « convoitises
dépravées. »
2. Il faut en dire autant pour la seconde objection. Les choses de
la vie active sont pour les vertus comme le côté matériel.
3. Nous aurons deux états après cette vie : l’un avant la
résurrection, quand les âmes seront séparées de leurs corps ; l’autre après la
résurrection, quand les âmes seront de nouveau unies à leurs corps. En cet état
de résurrection, il y aura des puissances non rationnelles dans les organes du
corps comme il y en a maintenant. De sorte qu’il pourra y avoir de la force
dans l’irascible, et de la tempérance dans le concupiscible, en tant que l’une
et l’autre puissance seront parfaitement disposées à obéir à la raison. Mais
dans l’état précédant la résurrection, dans l’hypothèse ou les facultés de la
vie sensible ne subsisteront pas, les fonctions non rationnelles ne seront pas
dans l’âme d’une manière actuelle, elles n’y seront que par leur racine dans
l’essence de l’âme elle-même. Aussi les vertus de cette sorte n’existeront pas
non plus d’une manière actuelle, si ce n’est en leur racine, c’est-à-dire dans
la raison et dans la volonté où il y a, avons-nous dit, des germes de ces
vertus. Toutefois, la justice qui réside dans la volonté subsistera même d’une
manière actuelle ; c’est pourquoi on a dit d’elle spécialement qu’elle est « perpétuelle et immortelle », tant en raison du sujet, puisque la
volonté est une faculté qui ne peut périr, qu’à cause aussi de la similitude de
l’acte qui est le même, comme nous venons de le dire, en cette vie et en
l’autre.
Objections
:
1. Il semble que non. L’Apôtre
écrit en effet que « la science
sera détruite », et la raison en est
que nous avons là une « connaissance
partielle »[460]. Mais, si la connaissance de
science est partielle, c’est-à-dire imparfaite, il en est de même des autres
vertus intellectuelles, aussi longtemps que dure cette vie. Toutes ces vertus
cesseront donc après cette vie.
2. Le Philosophe dit que la science, puisqu’elle est un habitus, est
une qualité difficilement changeante ; en effet, elle ne se perd pas facilement,
si ce n’est par quelque forte modification organique ou par maladie. Mais il
n’y a pas de modification du corps humain aussi grande que celle qui se fait
par la mort. Ni la science ni les autres vertus intellectuelles ne demeurent
donc après cette vie.
3. Les vertus intellectuelles perfectionnent l’intelligence pour le
bon accomplissement de son acte propre. Mais cet acte, semble-t-il, n’existe
plus après cette vie du fait que « l’âme
n’a plus aucune pensée sans image »,
d’après Aristote ; or les images ne subsistent pas après cette vie puisqu’elles
n’existent que dans des organes corporels. Les vertus intellectuelles ne
subsistent donc pas non plus après cette vie.
Cependant :
La connaissance de l’universel et du nécessaire est plus ferme
que celle du particulier et du contingent. Mais il demeure en l’homme après
cette vie une connaissance de choses particulières contingentes, par exemple
de ce qu’il a fait et souffert, selon cette parole de saint Luc[461] : « Souviens-toi que tu as reçu des biens pendant ta vie et que
Lazare a reçu des maux. » Donc la
connaissance de l’universel et du nécessaire, objet de la science et des
autres vertus intellectuelles, demeure bien davantage.
Conclusion :
Ainsi que nous l’avons dit dans la première Partie, certains ont
soutenu que les espèces intelligibles ne sont pas en permanence dans
l’intellect passif si ce n’est lorsqu’il fait acte d’intelligence ; en dehors
de la pensée actuelle, il n’y aurait pas la moindre conservation d’espèces, si
ce n’est dans les facultés sensibles qui sont les actes d’organes corporels,
c’est-à-dire dans l’imagination et dans la mémoire. Or ce sont là des facultés
qui disparaissent avec le corps. Aussi, dans cette position, la science ne
restera d’aucune manière après cette vie, une fois le corps détruit ; ni non
plus aucune autre vertu intellectuelle.
Mais cette opinion contredit la pensée d’Aristote qui affirme au
livre III du Traité de l’âme que « l’intellect passif est en acte du fait qu’il devient chaque
chose en la connaissant, alors qu’il n’est cependant qu’en puissance à y penser
d’une manière actuelle. » Cette
opinion contredit aussi la raison, car les espèces intelligibles sont reçues dans
l’intellect passif de façon immuable selon le mode du récepteur. C’est pourquoi
cet intellect est appelé « le lieu des espèces », étant pour ainsi
dire le conservatoire des espèces intelligibles.
Toutefois, il est bien vrai, comme nous l’avons dit dans la
première Partie, que l’homme en cette vie pense à condition de regarder les
images pour y appliquer les espèces intelligibles. Or les images sont détruites
avec le corps. Donc, quant à ces images qui sont pour ainsi dire le matériel
des vertus intellectuelles, on peut dire que ces vertus sont détruites avec le
corps. Mais quant aux espèces intelligibles qui résident dans l’intellect
passif les vertus intellectuelles demeurent ; or de telles espèces sont comme
le formel de ces vertus. Aussi celles-ci demeurent-elles après cette vie par
leur côté formel, mais non par leur côté matériel, comme nous l’avons dit à
propos des vertus morales.
Solutions :
1. La parole de l’Apôtre doit s’entendre de ce qu’il y a de matériel
dans la science, et aussi du mode de penser. Le fait est qu’une fois le corps
détruit les images ne subsisteront pas, et que l’usage de la science ne se fera
plus par recours aux images.
2. Par la maladie l’habitus de science est détruit dans ce qu’il a
de matériel, c’est-à-dire dans les images, mais non dans les espèces
intelligibles, qui ont leur siège dans l’intellect passif.
3. L’âme séparée possède après la mort, comme nous l’avons dit dans
la première Partie, une autre manière de penser que par recours aux images. Et
ainsi la science demeure, non pas cependant selon la même manière d’opérer,
comme nous l’avons aussi remarqué pour les vertus morales.
Objections
:
1. Il semble que la foi demeure
après cette vie, car elle est plus noble que la science, et nous venons de voir
que celle-ci demeure. Donc la foi aussi.
2. « Personne, dit l’Apôtre[462], ne peut poser d’autre
fondement que celui qui a été posé, qui est le Christ Jésus, c’est-à-dire la
foi au Christ Jésus. » Mais, le
fondement enlevé, il ne reste rien de ce qui est bâti dessus. Donc, si la foi
ne demeurait pas après cette vie, aucune autre vertu ne demeurerait.
3. Connaissance de foi et
connaissance de gloire diffèrent comme le parfait et l’imparfait. Mais une
connaissance imparfaite peut coexister avec une connaissance parfaite ; ainsi,
chez l’ange, il peut y avoir la connaissance du soir en même temps que celle du
matin ; et un homme peut avoir sur la même conclusion une science par syllogisme
démonstratif et une opinion par syllogisme dialectique. Donc la foi aussi peut
exister après cette vie en même temps que la connaissance de gloire.
Cependant :
L’Apôtre dit[463] : « Tant que nous sommes dans notre corps, nous sommes en exil loin
du Seigneur, car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. » Mais ceux qui sont dans la gloire ne
sont plus en exil loin du Seigneur, ils lui sont présents. C’est donc que la
foi ne demeure pas après cette vie quand on est dans la gloire.
Conclusion :
Ce qui fait l’essentiel et la cause propre d’une opposition, c’est
que les opposés s’excluent l’un l’autre au point qu’il y ait toujours entre eux
l’opposition entre affirmation et négation. Or, en certains cas, l’opposition
se rencontre bien selon des formes contraires, comme le blanc et le noir dans
les couleurs. Mais, en d’autres cas, elle se fait selon des degrés de parfait
et d’imparfait ; c’est ainsi que dans les changements par altération, le plus
et le moins sont pris comme des contraires, par exemple quand une chose passe
du moins chaud au plus chaud, selon Aristote, et parce que le parfait et
l’imparfait s’opposent, il est impossible qu’il y ait en même temps dans le
même sujet perfection et imperfection.
Il faut néanmoins
remarquer que parfois l’imperfection est essentielle à une chose et fait
partie de l’espèce même, comme le manque de raison fait partie de la notion
spécifique du cheval ou du bœuf. Et, comme une réalité ne peut jamais être
transférée d’une espèce à une autre tout en restant numériquement la seule et
même réalité, il s’ensuit que si l’on enlève à une chose cette imperfection qui
lui est essentielle, on change l’espèce : un bœuf, par exemple ou un cheval, ne
serait plus ni bœuf ni cheval s’il devenait un être raisonnable. Parfois en
revanche l’imperfection n’appartient pas à la raison spécifique, mais elle est
un accident déterminé, chez un individu, par quelque chose d’étranger à
l’espèce ; c’est ainsi qu’il arrive à un homme d’être privé de la raison en
tant que le sommeil, l’ivresse ou un autre accident semblable l’empêche
d’exercer sa raison. Mais il est clair que si l’on éloigne une telle
imperfection, la substance de la chose n’en demeure pas moins.
Or, il est évident que l’imperfection de la connaissance est
essentielle à la foi. Elle est dans sa définition : la foi est « la substance des choses à
espérer, la conviction de ce qui ne se voit pas », selon l’épître aux Hébreux[464] ; et saint Augustin affirme
: « Qu’est-ce que la foi ? C’est
croire à ce que tu ne vois pas. » Mais
qu’une connaissance existe ainsi sans l’apparition ni la vision de l’objet,
c’est pour elle une imperfection. Et ainsi l’imperfection de la connaissance
est essentielle à la foi. D’où il est manifeste que la foi ne peut devenir une
connaissance parfaite tout en restant numériquement identique.
Mais il faut aller plus loin, pour savoir si elle peut exister en
même temps qu’une connaissance parfaite. Il faut donc remarquer que la connaissance
peut être imparfaite de trois manières : du côté de l’objet à connaître, du
côté du moyen de connaître, du côté du sujet. Du côté de l’objet à connaître,
la connaissance du matin et celle du soir chez les anges diffèrent comme le
parfait et l’imparfait, car la connaissance du matin regarde les choses en tant
qu’elles ont leur existence dans le Verbe, celle du soir les regarde selon
qu’elles ont l’existence dans leur propre nature, ce qui est imparfait en
comparaison de la première existence.
Du côté du moyen, ce qui diffère comme le parfait et l’imparfait,
c’est la connaissance qu’on a d’une conclusion par un moyen démonstratif, et
celle qu’on a par un moyen probable. Du côté du sujet enfin, ce qui diffère
comme parfait et imparfait, c’est l’opinion, la foi, la science. Car il est
essentiel à l’opinion de prendre un parti avec la crainte que le parti opposé
ne soit vrai ; aussi n’a-t-elle pas d’adhésion ferme. Au contraire, il est
essentiel à la science d’avoir une ferme adhésion avec la vision
intellectuelle, car elle a une certitude qui découle de l’intelligence des
principes. Quant à la foi, elle tient le milieu ; en ce qu’elle a une ferme
adhésion, elle dépasse l’opinion ; mais en ce qu’elle n’a pas la vision, elle
est au-dessous de la science.
Évidemment, le parfait et l’imparfait ne peuvent exister en même
temps sous un même aspect. Mais les choses qui diffèrent selon le parfait et
l’imparfait sur un certain point, peuvent exister ensemble identiquement sur un
autre point. Ainsi donc, une connaissance parfaite et une connaissance
imparfaite du côté de l’objet ne peuvent aucunement avoir en commun le même
objet. Elles peuvent cependant avoir en commun le même moyen terme et le même
sujet. Rien n’empêche en effet qu’un homme ait en même temps et du même coup,
par un seul et même moyen terme, la connaissance de deux objets dont l’un est
parfait et l’autre imparfait, comme la santé et la maladie, le bien et le mal.
Pareillement, il est impossible aussi qu’une connaissance parfaite et une
connaissance imparfaite du côté du moyen terme se rejoignent dans un seul moyen.
Mais rien n’empêche qu’elles se rejoignent dans un seul objet et dans un seul
sujet ; car le même homme peut connaître une même conclusion par un moyen terme
probable, et par un moyen terme démonstratif. Enfin, il est pareillement
impossible qu’une connaissance parfaite et une connaissance imparfaite, du côté
du sujet, existent ensemble dans le même sujet. Or, la foi implique dans sa
raison même cette imperfection subjective : que le croyant ne voit pas ce qu’il
croit ; La béatitude au contraire a dans sa notion même cette perfection, que
le bienheureux voit ce qui le béatifie. Aussi est-il évidemment impossible que
la foi demeure en même temps que la béatitude dans le même sujet.
Solutions
1. La foi est plus noble que la
science du côté de l’objet, parce que celui-ci est la vérité première. Mais la
science a un mode de connaître plus parfait, qui ne s’oppose pas à la
perfection de la béatitude, c’est-à-dire à la vision, comme s’y oppose le mode
de la foi.
2. La foi est un fondement quant
à ce qu’elle possède de connaissance. C’est pourquoi, quand il y aura une
connaissance plus parfaite, il y aura un fondement plus parfait.
3. La solution ressort ici de
ce que nous venons de dire.
Objections :
1. Il semble bien. Car
l’espérance perfectionne l’appétit humain plus noblement que ne le font les
vertus morales. Mais les vertus morales demeurent après cette vie, comme le
montre saint Augustin. Donc l’espérance à plus forte raison.
2. La crainte s’oppose à
l’espérance. Mais la crainte subsiste après cette vie : chez les bienheureux,
la crainte filiale qui demeure à jamais ; chez les damnés, la crainte des
châtiments. Donc l’espérance, à titre égal, peut demeurer.
3. Comme l’espérance a pour
objet un bien à venir, de même le désir. Mais il y a chez les bienheureux un
désir des biens à venir, et quant à la gloire du corps à laquelle, dit saint
Augustin, aspirent les âmes des bienheureux, et même quant à la gloire de l’âme
selon cette parole de l’Ecclésiastique[465] : « Ceux qui me mangent auront encore faim et ceux qui me boivent
auront encore soif », et le mot de
saint Pierre sur « celui en qui
les anges désirent plonger leur regard »[466]. Il semble donc que l’espérance
puisse exister après cette vie chez les bienheureux.
Cependant :
L’Apôtre écrit[467] : « Voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer. » Mais les bienheureux voient ce qui
fait l’objet de leur espérance, c’est-à-dire Dieu. Donc ils n’espèrent plus.
Conclusion :
Ainsi que nous venons de le dire pour la foi, quand une chose
implique par définition une imperfection du sujet, elle ne peut rester dans un
sujet qui possède parfaitement la perfection opposée. Ainsi, il est évident que
le mouvement implique de soi une imperfection du sujet, puisqu’on le définit « l’acte d’un être en puissance en
tant que tel ». Aussi, quand
cette puissance est réduite en acte, le mouvement cesse lorsqu’une chose est
déjà devenue blanche, elle n’a pas à blanchir encore. Or l’espérance implique
un mouvement vers ce qu’on n’a pas, comme on peut le voir par tout ce que nous
avons dit plus haut sur la passion d’espérance. C’est pourquoi quand on sera en
possession de ce qu’on espère, c’est-à-dire lorsqu’on jouira de Dieu, il ne
pourra plus y avoir d’espérance.
Solutions :
1. L’espérance est plus noble
que les vertus morales quant à l’objet qui est Dieu. Mais les actes des vertus
morales, sauf peut-être par ce côté matériel qui ne subsiste pas dans l’autre
vie, ne s’opposent pas à la perfection de la béatitude comme fait l’acte de
l’espérance. En effet la vertu morale perfectionne l’appétit non pas seulement
en vue de ce qu’on n’a pas encore, mais aussi par rapport à ce qu’on a
présentement en sa possession.
2. Comme nous le dirons plus loin, il y a deux craintes, la crainte
servile et la crainte filiale. La crainte servile est la peur du châtiment, qui
ne pourra plus exister dans la gloire puisqu’il ne restera aucune possibilité
de subir une peine. Quant à la crainte filiale, elle a deux actes :
révérer Dieu, et quant à cet acte elle demeure ; puis, craindre d’être séparé
de lui, et quant à cet acte elle ne demeure pas. En effet, être séparé de Dieu,
c’est un mal ; or aucun mal ne sera plus à craindre là-haut, selon la parole
des Proverbes[468] « On jouira
abondamment, la crainte du mal ayant disparu. »Pour ce qui est de
l’opposition entre la crainte et l’espérance, elle se fonde, avons-nous dit,
sur l’opposition entre le bien et le mal : aussi la crainte qui restera dans la
gloire n’est-elle pas en opposition avec l’espérance.
Chez les damnés, au contraire, la crainte du châtiment peut
exister, plus que chez les bienheureux l’espérance de la gloire. C’est que
chez les damnés les peines se présenteront les unes après les autres, et ainsi
elles auront toujours l’aspect d’une chose à venir, qui est l’objet formel de
la crainte. Mais la gloire des saints ne se réalise pas d’une manière
successive : elle participe de l’éternité, où il n’y a ni passé ni futur mais
uniquement le présent. Et pourtant, même chez les damnés la crainte à
proprement parler n’existe pas. Car elle n’est jamais, avons-nous dit, sans
quelque espoir d’évasion ; or cet espoir chez les damnés n’existera aucunement.
Par conséquent la crainte non plus, si ce n’est dans le sens tout à fait
général où l’on donne le nom de crainte à n’importe quelle attente d’un mal à
venir.
3. Quant à la gloire de l’âme,
il ne peut y avoir, pour la raison que nous venons de dire, un véritable désir chez
les bienheureux sous l’aspect où le désir regarde le futur. On dit que la faim
et la soif existent là-haut, pour écarter l’idée qu’on s’ennuierait. C’est pour
la même raison qu’on dit que le désir existe chez les anges. Mais par rapport à
la gloire du corps, dans les âmes des saints il peut bien y avoir un désir,
mais non une espérance à proprement parler ; ni au sens précis où elle est
vertu théologale, car alors son objet est Dieu et non un bien créé ; ni au sens
où elle est prise en général, parce que l’objet de l’espérance est quelque
chose d’ardu, avons-nous dit. Or, aussitôt que nous possédons la cause inéluctable
d’un bien, il ne se présente plus à nous sous un aspect ardu. Ainsi, lorsque
quelqu’un a de l’argent, et qu’il y a des choses qu’il peut acheter tout de
suite, on ne dit pas à proprement parler qu’il espère les avoir. Et
pareillement, ceux qui possèdent la gloire de l’âme, on ne dit pas à proprement
parler qu’ils espèrent la gloire du corps ; on dit seulement qu’ils la
désirent.
Objections :
1. Il semble qu’il en demeure
quelque chose dans la gloire. En effet, écartez ce qui est propre, il demeure
ce qui est commun. On lit ainsi au livre Des Causes : « Une fois écarté l’être raisonnable, il reste le vivant ; et une
fois écarté le vivant, il reste l’être. »
Mais la foi a quelque chose de commun avec la béatitude, à savoir la
connaissance même ; elle a d’autre part quelque chose qui lui est propre, à
savoir l’énigme : elle est en effet une « connaissance
en énigme ». Donc, une fois
écarté le caractère énigmatique de la foi, il reste encore la connaissance même
de la foi.
2. La foi est dans l’âme une
lumière spirituelle, selon l’Apôtre[469] : « Que les yeux de votre cœur soient illuminés pour la connaissance
de Dieu. » Mais cette lumière est
imparfaite par rapport à la lumière de gloire dont il est dit dans le Psaume[470] : « Dans ta lumière nous verrons la lumière. » Or une lumière imparfaite demeure même quand survient la lumière
parfaite : un cierge ne s’éteint pas quand survient la clarté du soleil. Il
semble donc que la lumière de foi demeure avec la lumière de gloire.
3. On n’enlève pas sa substance
à un habitus du fait qu’on lui ôte sa matière ; on peut garder l’habitus de la
libéralité même après qu’on a perdu son argent, mais on ne peut plus en avoir
l’acte. Or la foi a pour objet la vérité première non vue. Une fois cette
matière enlevée par le fait même de la vision de la vérité première, il peut
donc y avoir encore l’habitus même de la foi.
Cependant :
La foi est un habitus simple. Or une chose simple ou disparaît
tout entière ou demeure tout entière. Donc, puisque la foi ne peut pas demeurer
entièrement mais, comme nous l’avons dit est vidée de ce qui la définit, il
semble qu’elle soit totalement enlevée.
Conclusion :
Pour certains, l’espérance disparaît tout à fait, tandis que la
foi disparaît en partie, c’est-à-dire quant à l’énigme, et demeure en partie,
c’est-à-dire quant à la substance de la connaissance. Si l’on entend par là
qu’elle reste, non dans une identité numérique mais dans une identité
générique, c’est tout à fait vrai, car la foi s’accorde avec la vision de la
patrie dans un genre, celui de la connaissance. L’espérance, au contraire, ne
s’accorde pas avec la béatitude dans un genre ; en effet, l’espérance est
comparée à la jouissance de la béatitude, comme le mouvement est comparé au
repos que l’on goûte en arrivant au terme.
Mais si l’on veut dire que la connaissance qu’on a dans la foi
reste numériquement la même dans la patrie, c’est tout à fait impossible. Car
lorsqu’on enlève la différence constitutive d’une espèce, la substance du genre
ne reste plus numériquement la même ; ainsi, quand vous ôtez ce qui fait la
blancheur, la substance de la couleur ne demeure pas numériquement la même, de
sorte qu’une couleur numériquement la même serait tantôt le blanc et tantôt le
noir. Le genre, en effet, ne se compare pas à la différence spécifique comme la
matière à la forme, au point que la substance du genre puisse rester identique
numériquement, même après qu’on a changé la différence, comme la substance de
la matière demeure identique numériquement, même quand la forme a changé. Le
genre et la différence ne sont pas des parties de l’espèce ; autrement, on n’en
ferait pas des prédicats de l’espèce. Mais, de même que l’espèce signifie le
tout, c’est-à-dire le composé de matière et de forme dans les réalités
matérielles, de même la différence représente le tout, et pareillement le genre
; mais le genre désigne le tout par ce qui en est pour ainsi dire la matière,
tandis que la différence le désigne par ce qui en est pour ainsi dire la forme
; mais l’espèce le désigne par l’un et l’autre côté. Ainsi, dans l’homme, la
nature sensible se présente matériellement par rapport à la nature
intellectuelle ; On appelle animal ce qui a la nature sensible ; raisonnable,
ce qui a la nature intellectuelle ; homme enfin, ce qui est en possession des
deux. C’est bien le même tout qui est signifié par ces trois choses, mais non
du même point de vue.
De toute évidence par conséquent, puisque la différence ne fait
que préciser le genre, si l’on écarte la différence, la substance du genre ne
peut rester la même, car ce n’est pas la même animalité qui demeure si c’est
une autre sorte d’âme qui constitue l’animal. Par conséquent il n’est pas
possible qu’une connaissance qui a existé d’abord sous forme d’énigme, devienne
ensuite une vision à découvert en demeurant numériquement la même. Ainsi est-il
évident que rien de ce qui est dans la foi ne demeure dans la patrie, identique
numériquement ou spécifiquement ; ce n’est identique que génériquement.
Solutions :
1. Otez le raisonnable, le
vivant ne demeure plus le même numériquement, mais par le genre, nous venons de
le montrer.
2. L’imperfection de la lumière
d’un cierge ne s’oppose pas à la perfection de la lumière solaire, parce qu’il
ne s’agit pas du même sujet. Mais l’imperfection de la foi et la perfection de
la gloire s’opposent entre elles et regardent le même sujet. Elles ne peuvent
donc exister ensemble, pas plus que dans l’air la clarté ne peut coexister avec
l’obscurité.
3. Celui qui perd de l’argent ne perd pas la possibilité d’en avoir,
et c’est pourquoi il peut très bien garder l’habitus de la libéralité. Mais
dans l’état de gloire non seulement on perd en acte l’objet de foi,
c’est-à-dire ce qu’on ne voit pas ; mais on perd jusqu’à la possibilité de le
recouvrer, étant donné la stabilité de la béatitude. Aussi un tel habitus
demeurerait pour rien.
Objections
:
Il ne semble pas. Car, dit l’Apôtre[471], « quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel
(c’est-à-dire imparfait) disparaîtra. »
Mais la charité de l’homme voyageur est imparfaite. Donc elle disparaîtra
lorsqu’adviendra la perfection de la gloire.
2. Habitus et actes se
distinguent d’après les objets. Mais l’objet de l’amour est le bien appréhendé.
Comme on appréhende tout autrement dans la vie présente et dans la vie future,
il semble donc que la charité ne doive pas rester la même des deux côtés.
3. Dans les choses qui sont d’une même essence, l’imparfait peut
s’élever au niveau de la perfection par un accroissement continu. Mais la
charité dans l’état de voyage, quelle que soit sa croissance, ne peut jamais
parvenir à égaler la charité dans la patrie. Il semble donc que la charité du
voyage ne demeure pas dans la patrie.
Cependant :
L’Apôtre assure[472] : « La charité ne disparaîtra jamais. »
Conclusion :
Quand l’imperfection d’une chose, avons-nous dit, n’appartient pas
à la définition de son espèce, rien n’empêche qu’en demeurant identique
numériquement, ce qui fut d’abord imparfait ne devienne ensuite parfait, comme
l’homme se perfectionne par croissance, et la blancheur par intensification. Or
la charité est un amour. Il n’est aucune imperfection qui soit essentielle à
l’amour ; il peut avoir pour objet aussi bien ce qu’on possède que ce qu’on ne
possède pas, ce qu’on voit que ce qu’on ne voit pas. Aussi la charité ne
disparaît pas par la perfection même de la gloire, mais elle reste
numériquement la même.
Solutions :
1. L’imperfection de la charité
lui advient par accident ; l’imperfection n’est pas essentielle à l’amour. Or,
quand on ôte ce qui est accidentel, il reste néanmoins la substance de la
réalité. Dès lors, si l’imperfection de la charité est supprimée, la charité
elle-même ne l’est pas.
2. La charité n’a pas pour
objet la connaissance même ; dans ce cas en effet, elle ne serait pas la même
dans le voyage et dans la patrie. Mais elle a pour objet la réalité connue qui,
elle, reste identique, à savoir Dieu même.
3. Si la charité du voyage ne
peut parvenir par accroissement à égaler celle de la patrie, cela tient à une
différence du côté de la cause ; la vision est en effet une cause de l’amour,
dit Aristote. Or Dieu est d’autant plus parfaitement aimé qu’il est plus
parfaitement connu.
Objections :
1. Il semble bien que non. Car
saint Grégoire affirme : « Par les
sept dons, le Saint-Esprit forme notre esprit à résister à chacune des
tentations de la vie. » Mais dans la
patrie il n’y aura plus de ces épreuves, selon la parole d’Isaïe[474] : « On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma sainte
montagne. » Les dons du Saint-Esprit
n’existeront donc plus dans la patrie.
2. Ces dons sont, avons-nous dit, des habitus. Or c’est bien inutilement
qu’il y aurait des habitus s’il ne peut plus y avoir d’actes. Mais les actes
de certains dons ne peuvent avoir lieu dans la patrie. Saint Grégoire dit en
effet : « L’intelligence fait
pénétrer ce qu’on connaît, le conseil empêche la précipitation, la force empêche
de craindre l’adversité, la piété emplit le fond du cœur d’œuvres de
miséricorde. » Or tout cela ne
convient pas à l’état de la patrie. Donc ces dons n’existeront plus dans l’état
de gloire.
3. Parmi les dons, les uns, comme la sagesse et l’intelligence,
perfectionnent l’homme dans la vie contemplative ; les autres, comme la piété
et la force, le perfectionnent dans la vie active. Mais, dit saint Grégoire : « La vie active se termine avec la vie
présente. » Donc dans l’état de gloire
il n’y aura pas tous les dons du Saint-Esprit.
Cependant :
Saint Ambroise écrit dans
son livre sur le Saint-Esprit : « La
cité de Dieu, la Jérusalem céleste, n’est pas arrosée par le cours d’un fleuve
terrestre ; mais le Saint-Esprit qui découle de la fontaine de vie, dont une
petite gorgée nous contente, semble jaillir avec plus d’abondance dans les
esprits célestes, bouillonnant à plein dans le canal des sept vertus qui
émanent de lui. »
Conclusion :
Nous pouvons parler des dons de deux manières. 1° En les considérant dans leur essence
même. À ce point de vue, ils existeront dans la patrie à leur degré le plus
parfait, comme le fait voir l’autorité de saint Ambroise qu’on vient de citer.
La raison en est que les dons du Saint-Esprit perfectionnent l’âme humaine pour
lui faire suivre la motion du Saint-Esprit ; ce qui aura lieu surtout dans la
patrie quand Dieu sera "tout en tous" comme dit l’Apôtre [475]et que l’homme sera
totalement soumis à Dieu. 2° On peut
aussi considérer les dons quant à la matière sur laquelle ils s’exercent. À cet
égard, ils ont à s’exercer présentement dans une matière qui aura disparu dans
l’état de gloire. Et à ce point de vue ils ne demeureront pas dans la patrie,
ainsi que nous l’avons dit auparavant à propos des vertus cardinales.
Solutions :
1. Saint Grégoire parle là des
dons selon qu’ils conviennent à l’état présent ; c’est bien par eux en effet
que nous sommes protégés contre les tentations des maux de cette vie. Mais dans
l’état de gloire, tous les maux ayant cessé, les dons du Saint-Esprit serviront
encore à nous parfaire dans le bien.
2. Saint Grégoire met en chacun
des dons quelque chose qui passe avec l’état présent, et quelque chose qui
demeure dans la vie future. Il dit en effet que « la sagesse rassasie l’âme par l’espérance et la certitude
des biens éternels ». De ces
deux choses, l’espérance passe, mais la certitude demeure. - De l’intelligence
il dit « qu’elle pénètre
l’enseignement entendu, et par là même en éclaire les ténèbres en nous
rassasiant le cœur. » De ces deux
choses, l’enseignement entendu passe, puisque « l’homme n’aura plus à enseigner son frère » comme il est écrit en Jérémie[476] mais l’illumination de
l’esprit demeurera. - Du conseil, il dit qu’il « empêche la précipitation
», ce qui est nécessaire dans la vie présente, et en outre, qu’il
« remplit l’âme de raison », ce qui est nécessaire même dans la vie
future. - De la force il dit qu’elle « ne
craint pas l’adversité », ce qui est
nécessaire à présent, et en outre, qu’elle « nourrit
la confiance », ce qui demeure même à
l’avenir. - Pour la science il est vrai qu’il mentionne une seule chose,
qu’elle « surmonte le jeûne de
l’ignorance », ce qui appartient à
l’état présent. Mais ce qu’il ajoute : « dans
le ventre de l’esprit », peut au
figuré s’entendre d’une plénitude de connaissance, ce qui demeure même dans
l’état futur. - Pour la piété il dit qu’elle « remplit les entrailles du cœur d’œuvres de miséricorde. » C’est là une chose qui littéralement
n’appartient qu’à l’état présent. Mais ce sentiment profond à l’égard du
prochain, que désigne le mot « entrailles », appartient aussi à l’état futur, où
la piété ne se répandra plus en œuvres de miséricorde mais en gratitude
réciproque. – À propos de la crainte, il dit qu’elle « abaisse l’esprit pour l’empêcher de s’enorgueillir du
présent », ce qui est bien pour le
présent ; il dit aussi qu’ « au
sujet des réalités futures, elle le réconforte en le nourrissant d’espérance.
C’est encore pour maintenant, quant à l’espérance ; mais ce peut être aussi
pour l’état à venir, quant au réconfort que procurent ces réalités espérées
ici-bas et obtenues là-haut. »
3. Cette raison est valable si l’on regarde la matière des dons. Car
les œuvres de la vie active ne seront plus la matière des dons. Mais tous
exerceront leurs actes sur les choses de cette vie contemplative qu’est la vie
bienheureuse.
Objections :
1. Il semble que ces
récompenses dont l’énumération est la suivante : la possession du royaume de
Dieu, de la terre, la consolation, le rassasiement de tout désir de justice,
l’obtention de la miséricorde, la vision de Dieu, le nom de fils de Dieu, peuvent
être d’ores et déjà obtenues dès cette terre chez les saints, comme nous
l’avons montré précédemment. Il est donc inutile qu’elles le soient à nouveau
après la mort.
2. Il
semble que la possession de la terre est une récompense du monde d’ici-bas. Or,
dans la vision béatifique, nul n’emporte avec lui ses possessions terrestres.
Cependant :
Le livre de l’Apocalypse écrit : « Il essuiera toutes larmes de leurs yeux : de mort, il n’y en aura
plus, de pleur, de cri, de peine, il n’y en aura plus car l’ancien monde s’en
est allé. » Les récompenses promises
pour les béatitudes sont donc de l’au delà.
Conclusion :
Durant notre vie terrestre, les
récompenses promises dans les béatitudes sont déjà présentes en germe chez les
saints, à la manière d’un commencement. En premier lieu, ils possèdent déjà la
grâce qui est la cause par mode de mérite de la béatitude future qui sera
réalisée en eux. En second lieu, leur espérance leur fait déjà goûter les biens
de la vie future. Ils possèdent en quelque sorte les moyens qui les mènent à la
fin espérée et sont donc sous ce rapport déjà en possession de la fin.
Cependant, les promesses des béatitudes
ne trouveront leur pleine réalisation que lors de l’entrée dans la vision de
Dieu qui sera la cause de la béatitude parfaite à la fois dans l’esprit, et par
répercussion dans la sensibilité et dans le corps.
Solutions :
1. Il est certain que ces
récompenses là seront parfaitement consommées dans la vie future. Mais en
attendant, même en cette vie, elles sont en quelque sorte commencées. Car le
royaume de Dieu peut s’entendre au dire de saint Augustin, du commencement de
la parfaite sagesse, selon lequel chez les parfaits l’esprit commence à régner.
Mais, dans la vie future, le royaume de Dieu sera possédé en plénitude à cause
de la possession par l’âme de l’essence même de Dieu ; consolés, les
bienheureux le seront par l’inhabitation totale du Saint Esprit, c’est à dire
du Consolateur, dans leur âme ; rassasiés, ils le seront par l’assouvissement
en Dieu de tous leurs désirs, car Dieu est le bien par essence ; ils seront
aussi rassasiés de justice car ils verront directement dans l’essence divine la
parfaite harmonie qui commande la distribution des peines et des récompenses ;
ils obtiendront la miséricorde de Dieu non seulement comme sur terre dans
l’obscurité de la foi mais face à face ; ils y seront purifiés par l’entière
conformité de leur volonté avec la volonté de Dieu qui est la règle de toute
pureté.
2. La possession de la terre
doit s’entendre en premier dans un sens spirituel. Il est en effet évident que,
même sur la terre, la possession des richesses n’est pas forcément un signe de
la bénédiction de Dieu. Les méchants coulent très souvent leurs jours dans le
bien-être, selon la parole de Job[478]. La possession de la terre
doit donc s’entendre en premier lieu de la possession des récompenses
spirituelles que les bons reçoivent dès cette vie selon saint Marc[479] : « vous recevrez le
centuple même dans ce siècle ». De même, les méchants, s’ils possèdent
parfois en ce monde les richesses matérielles, ne possèdent jamais les
richesses spirituelles, selon saint Augustin[480] : « tu as ordonné, Seigneur, et il en est ainsi, qu’une âme en
désordre soit à elle-même sa peine ».
Dans la Vision béatifique, les
bienheureux posséderont la terre en plénitude à la fois si on s’entend au sens
spirituel avant la résurrection et au sens matériel après la résurrection de
leur corps, puisque Dieu donnera aux hommes un univers renouvelé[481].
Objections :
1. Les fruits du Saint-Esprit
énumérés par l’apôtre[482] charité, joie, paix, longanimité,
serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi,
chasteté auxquels on peut rajouter la modestie et la mansuétude ne semblent pas
être des effets de la Vision béatifique puisqu’ils peuvent exister sans elle
comme on le voit chez les saints.
2. On voit mal à quoi pourrait
servir la chasteté, du moins avant la résurrection des corps puisqu’elle n’aura
pas de corps à réfréner dans ses penchants.
3. De même, la serviabilité est
un effet de la charité sur la terre. Les âmes au Ciel n’en auront nullement
besoin puisqu’elles n’auront aucun service à rendre.
Cependant :
Le livre de l’Apocalypse écrit : « Je vis le fleuve de vie qui jaillissait du trône de Dieu et
de l’agneau. Au milieu de la place, de part et d’autre du fleuve, il y a des
arbres de vie qui fructifient douze fois.
» [483] Les arbres de vie
symbolisent les fruits du Saint-Esprit. Ils sont donc bien un effet de la
Vision béatifique symbolisé par le fleuve de vie.
Conclusion :
Comme nous l’avons montré, les fruits du Saint-Esprit ne sont pas
autre chose que l’effet de la charité. En un premier sens, les fruits peuvent
être des actes car la charité pousse l’homme à agir. Selon cette acception, les
fruits du Saint-Esprit demeurent après l’entrée dans la vision béatifique de la
même façon que nous l’avons décrit pour les dons du Saint-Esprit. En un second
sens, les fruits peuvent désigner les récompenses des actes car tout acte porte
des fruits soit à l’extérieur, soit à l’intérieur de celui qui agit.
Saint Paul, dans le texte
cité, entend par fruit du Saint-Esprit cette délectation ultime et intérieure
que l’homme goûte en agissant dans la charité. En ce sens, il est évident que,
dans la Vision béatifique, l’homme recueillera en plénitude les fruits du
Saint-Esprit à cause du rejaillissement dans son âme de sa vie d’amour
réciproque avec Dieu.
Le premier fruit sera la
charité. Il ne s’agit pas de la charité en tant que vertu qui est à la base de
toute entrée dans la Vision béatifique. Il s’agit de la charité en tant qu’elle
sera rendue brûlante par la vision de l’essence de Dieu. La connaissance du
bien, en effet, rend l’amour de ce bien parfait.
Le second fruit sera la joie[484] et elle sera plénitude.
Celui qui aime se réjouit quand il est uni à ce qu’il aime. Or l’âme sera unie
d’une manière totale à Dieu par la vision, d’où sa béatitude.
Le troisième fruit sera une
paix totale et absolue. Une paix intérieure d’abord puisque tous les désirs et
toutes les affections de l’âme seront unis par le repos dans le Dieu unique ;
une paix avec tous les participants de la vision divine en second lieu puisque
chacun aimera le prochain comme Dieu lui-même l’aime et aura une volonté
conforme à la sienne. Il y aura donc parfaite identité des vouloirs.
Quant aux autres fruits, ils
seront de la même façon conséquences de la charité parfaite qui régnera dans le
monde nouveau.
Solutions :
1. Chez les saints, les fruits
du Saint-Esprit existent d’une manière limitée par l’exercice de la charité sur
la terre. Dans la Vision béatifique, la charité s’exerce dans la plénitude de
ses potentialités sans aucun des obstacles liés à notre condition passagère.
Elle portera donc des fruits en plénitude.
2. La chasteté comme fruit du
Saint-Esprit est une aisance intérieure qui ordonne les plaisirs vers la plus
grande gloire de Dieu. Mais les plaisirs ne sont pas seulement ceux du corps.
Ils sont aussi ceux de l’esprit. Dans la vie future, la chasteté ne s’exercera
plus par rapport aux plaisirs relatifs à la nourriture et aux choses sexuelles
puisque de tels plaisirs n’existeront plus à la manière d’ici-bas. Mais elle
restera dans ce qu’elle a de formel c’est-à-dire qu’elle ordonnera toutes les
affections de l’homme et les plaisirs ineffables de la béatitude dans la
louange de Dieu.
3. Les
âmes du Ciel peuvent exercer leur serviabilité pour ceux qui en ont besoin,
tant sur la terre qu’au purgatoire. Elles le font principalement par leurs
prières. À la fin du monde, lorsqu’il ne restera personne à aider, la
serviabilité restera un état permanent du monde des esprits, c’est-à-dire une
disposition intérieure qui rendra chacun attentif aux autres.
Objections :
1. Il semble que, dans la béatitude, la délectation soit plus
primordiale que la vision. Car, au dire d’Aristote, « la délectation est la perfection de l’activité. » Or ce qui perfectionne est supérieur
à ce qui est perfectionné. Donc la délectation est plus importante que l’activité
de la vision.
2. Ce qui rend une chose
désirable est supérieur à cette chose. Or les opérations sont désirées à cause
des délectations qu’elles procurent ; c’est pourquoi la nature, lorsqu’il
s’agit d’opérations nécessaires à la conservation de l’individu et de l’espèce,
y a attaché la délectation, afin que ces activités ne soient pas négligées par
les êtres animés.
3. La vision correspond à la foi, et la délectation ou fruition à la
charité. Or la charité est supérieure à la foi, dit l’Apôtre[486]. Donc la délectation ou
fruition est supérieure à la vision.
Cependant :
La cause est supérieure à l’effet. Mais la vision est la cause de
la délectation ; donc la vision est supérieure à la délectation.
Conclusion :
Cette question a été soulevée
par Aristote au livre X de son Ethique,
et il l’a laissée pendante. Mais si l’on y regarde de près, on reconnaîtra
nécessairement que l’activité de l’intellect, la vision, prévaut sur la
délectation. En effet, la délectation consiste en un certain repos de la
volonté. Or, si la volonté se repose en quelque chose, c’est uniquement parce
qu’elle trouve un bien dans l’objet de son repos. Donc, si la volonté trouve
son repos dans une activité, c’est à cause de la bonté de celle-ci. Et il ne
faut pas dire que la volonté cherche le bien en vue du repos ; car alors l’acte
même de la volonté serait sa fin, ce que nous avons déclaré impossible ; mais
la volonté cherche à se reposer dans cette activité parce que celle-ci est son
bien. Il est évident que le bien le plus primordial est ici l’opération dans
laquelle la volonté se repose, plutôt que le repos de la volonté dans ce bien.
Solutions :
1. Selon Aristote au même
endroit, la délectation parfait l’opération vitale à la manière dont la grâce
parfait la jeunesse, grâce qui est un effet de la jeunesse elle-même. Il en
découle que la délectation est une certaine perfection accompagnant la vision,
et non une perfection qui rende la vision parfaite dans son espèce.
2. La perception sensible
n’atteint pas à la raison générale du bien, mais à un bien particulier qui se
présente comme délectable. C’est pourquoi, en ce qui regarde l’appétit sensible
des animaux, les activités sont recherchées en vue de la délectation.
L’intellect, au contraire, saisit la raison universelle du bien, dont la
possession engendre la délectation. Pour cette raison, il se propose le bien à
titre premier, plutôt que la jouissance. De là vient aussi que l’intellect
divin, en instituant la nature, a attaché les délectations aux activités dans
l’intérêt de celles-ci. Or il ne convient pas de porter sur les choses une
appréciation décisive au niveau de l’appétit sensible, mais au niveau de
l’appétit intellectuel.
3. La charité ne recherche pas
le bien aimé en vue de la délectation. C’est par voie de conséquence qu’elle
se délecte dans la possession du bien qu’elle aime. Et ainsi ce n’est pas la
délectation qui correspond à la charité comme étant sa fin, mais plutôt la
vision, par laquelle d’abord cette fin lui est rendue présente.[487]
Objections :
1. Il semble que les saints qui
voient Dieu en son essence voient toutes les choses que Dieu connaît en
lui-même, car, comme dit Isidore : « Les
anges voient toutes choses dans le Verbe de Dieu, avant qu’elles
s’accomplissent ». Les saints
seront égaux aux anges de Dieu, selon saint Matthieu. En voyant Dieu, ils
verront donc toutes choses.
2. Saint Grégoire dit : « Puisque là-haut ils verront tous Dieu
en une même clarté, que pourraient-ils ignorer en connaissant celui qui sait
toutes choses ? » Il parle des
bienheureux qui voient Dieu par essence. Ceux qui le voient de cette manière
connaissent donc toutes choses.
3. Comme dit Aristote : « L’intelligence qui connaît les plus
grandes choses peut plus encore connaître les plus petites. » Mais le plus élevé des intelligibles est Dieu. La puissance de
l’intelligence est donc très augmentée en le connaissant. En le voyant elle
voit donc toutes choses.
4. L’intelligence n’est
empêchée de connaître quelque chose que parce que celle-ci la dépasse. Mais
aucune créature ne peut dépasser l’intelligence qui voit Dieu. En effet, saint
Grégoire dit : « Toute créature
devient minime pour l’âme qui voit le Créateur. » Ceux qui voient Dieu en son essence connaissent donc toutes
choses.
5. Toute puissance passive qui
ne passe pas à l’acte est imparfaite. L’intellect possible de l’âme humaine est
une puissance passive ordonnée à tout connaître, puisque « l’intellect possible est ce par quoi nous devenons toutes
choses », comme dit saint Grégoire.
Si donc dans la béatitude il ne connaissait pas toutes choses, il demeurerait
imparfait, ce qui est absurde.
6. Tout homme qui voit un
miroir voit tout ce que ce miroir reflète. Or toutes choses sont comme
reflétées dans le Verbe de Dieu, qui est la raison et l’image de tout. Les
saints qui voient le Verbe par essence, voient donc toutes les créatures.
7. Les Proverbes disent : « Les justes obtiendront l’objet de leur
désir. » Les saints désirent
connaître toutes choses. Puisque « tous
les hommes, par nature, désirent connaître
», et que la nature n’est point supprimée par la gloire. Dieu leur donnera
donc de tout connaître.
8. L’ignorance est une sorte de
châtiment de la vie présente. Or tout châtiment sera supprimé pour les saints,
dans la gloire. Donc aussi toute ignorance : ils connaîtront donc toutes
choses.
9. La béatitude des saints est
d’abord dans l’âme, puis dans le corps. Les corps des saints seront transformés
dans la gloire pour être assimilés au corps du Christ selon saint Paul aux
Éphésiens. Les âmes seront donc perfectionnées aussi par la similitude de l’âme
du Christ. Celle-ci voit toutes choses dans le Verbe. Toutes les âmes des
saints verront donc toutes choses dans le Verbe.
10. L’intelligence comme le sens
connaît tout ce dont elle reçoit en elle la similitude. Or l’essence divine
représente toutes choses plus exactement que toute autre similitude des autres
choses. Puisque, dans la vision bienheureuse, l’essence divine devient comme la
forme de notre intelligence, il semble que les saints verront tout en Dieu.
11. Aristote dit que « si l’intellect agent devenait la forme
de notre intellect possible, nous connaîtrions toutes choses. » Mais la divine essence contient la
représentation de toutes choses plus clairement que l’intellect agent.
L’intelligence, en voyant Dieu en son essence, connaît donc toutes choses.
12. Les
anges inférieurs, qui ne connaissent pas toutes choses, sont illuminés au sujet
de ce qu’ils ignorent, par les anges supérieurs. Mais après le jour du jugement
un ange n’en éclairera plus un autre, car alors toute prééminence cessera,
comme dit la Glose au sujet de l’Epître de saint Paul aux Corinthiens. Les
anges inférieurs connaîtront alors toutes choses, et pour le même motif, tous
les saints qui verront Dieu en son essence.
Cependant :
Comme dit Denys, « les anges supérieurs libèrent les inférieurs de leur ignorance ». Or les anges inférieurs volent l’essence
divine ; un ange qui voit cette essence peut donc quand même ignorer certaines
choses. Et l’âme ne voit pas Dieu plus parfaitement qu’un ange, il n’est donc
point nécessaire que les âmes qui voient Dieu connaissent toutes choses.
En outre, le Christ seul possède l’esprit sans mesure, comme dit
saint Jean. C’est en tant que tel qu’il connaît toutes choses dans le Verbe.
C’est pourquoi, nous voyons dans le même passage, que « le Père a mis toutes choses dans sa main. » Nul autre que le Christ n’a donc le
pouvoir de connaître toutes choses dans le Verbe.
De plus, plus un principe est connu
parfaitement, plus on connaît à travers lui ses nombreux effets. Mais certains
de ceux qui verront Dieu dans son essence le connaîtront plus parfaitement, lui
qui est le principe de toutes choses. Certains connaîtront donc plus de choses
que d’autres. Et tous ne sauront pas tout.
Conclusion :
Dieu, en connaissant son essence,
connaît tout ce qui est, sera, a été. Et ce mode de connaissance est appelé
connaissance de vision, parce qu’elle est semblable à la vision corporelle qui
connaît toutes les choses présentes. En voyant son essence, Dieu connaît en
outre tout ce qu’il est capable de faire, bien qu’il ne l’ait jamais réalisé et
ne le réalisera pas. Sinon il ne connaîtrait point parfaitement sa puissance,
car on ne connaît pas sa puissance si on en ignore les objets. C’est ce qu’on
appelle connaître de science ou connaissance de simple intelligence.
Il est impossible qu’une intelligence
créée, en voyant l’essence divine connaisse toutes les choses que Dieu peut
faire. Plus un principe est connu parfaitement, plus on connaît de choses à
travers lui, de même que dans un principe de démonstration, celui qui possède
un esprit plus perspicace découvre plus de conclusions que celui qui a un
esprit plus lent. Puisque le degré de la perfection divine correspond à ce dont
elle est capable, si une intelligence voyait dans l’essence divine tout ce que
Dieu est capable de faire, elle serait d’un degré de perfection égal, dans son
acte de connaissance, à la perfection de la puissance divine réalisant ses
effets : elle engloberait donc la puissance divine, ce qui est impossible pour
tout esprit créé. Par contre, les choses que Dieu connaît par science de vision
peuvent être connues dans le Verbe par un esprit créé, c’est-à-dire l’âme du
Christ. Au sujet de ceux qui, en dehors du Christ, voient l’essence divine, il
y a deux opinions différentes : Les uns disent que tous ceux qui voient Dieu en
son essence voient tout ce que Dieu voit par science de vision. Mais cela est
en désaccord avec les affirmations des saints, qui disent que les anges
ignorent certaines choses, bien qu’il soit de foi qu’ils voient tous Dieu en
son essence. Les autres disent que les autres que le Christ, bien qu’ils voient
Dieu en son essence, ne voient pas tout ce que Dieu voit, parce qu’ils ne
saisissent pas la plénitude de l’essence divine. Il n’est pas nécessaire que
celui qui connaît une cause en connaisse tous les effets, s’il connaît
intégralement la cause. Or cela n’est pas possible pour un esprit créé. C’est
pourquoi chacun de ceux qui voient Dieu en son essence voit d’autant plus de
choses en elle, qu’il la pénètre plus clairement : certains pourront donc en
éclairer d’autres. De cette manière, la science des anges et des saintes âmes
peut croître jusqu’au jour du jugement, comme les éléments qui appartiennent à
la récompense accidentelle. Mais ensuite cette science ne croîtra plus, car ce
sera le dernier état des choses, et dans cet état il est possible que tous
connaissent tout ce que Dieu connaît par sa science de vision.
Solutions :
1. Ce que dit Isidore : « Les anges savent dans le Verbe toutes
choses avant qu’elles s’accomplissent »,
ne peut se rapporter à ce que Dieu sait de science de simple intelligence
puisque ces choses ne se produiront jamais. Elles ne peuvent être rapportées
qu’à ce que Dieu connaît par science de vision. De ces choses, il ne dit pas
que tous les anges les connaissent toutes, mais peut-être quelques-unes. Et
ceux-là même qui les connaissent ne le font pas parfaitement. Dans une même
chose on peut en effet considérer de multiples raisons intelligibles, comme
diverses propriétés, et relations avec les autres choses : il est possible que
tandis que deux personnes connaissent la même chose, l’une perçoive plus de
raisons que l’autre et puisse les communiquer à l’autre. C’est pourquoi Denys
dit que "les anges inférieurs reçoivent des anges supérieurs les raisons
intelligibles des choses. Les anges qui connaissent toutes les créatures ne
perçoivent pas nécessairement tout ce qui est intelligible en elles.
2. De cette citation de saint
Grégoire, il ressort que dans la Vision béatifique nous est donné le pouvoir de
tout connaître, puisque l’intermédiaire de notre connaissance sera alors l’essence
divine elle-même, essence par laquelle Dieu connaît tout. Mais le fait que tout
ne sera pas compris est à mettre au compte des limites de notre intelligence
créée, qui ne peut comprendre l’essence divine.
3. L’intelligence créée ne voit
pas l’essence divine selon le mode d’être de cette essence mais selon son mode
propre, qui est limité. Il n’est donc pas exigé que sa pénétration de
connaissance en cette vision soit étendue infiniment jusqu’à la connaissance de
toutes choses.
4. Le défaut de connaissance ne
provient pas seulement d’un excès ou d’un défaut de ce qui est connaissable,
mais aussi de ce que la raison connaissable n’est pas unie entièrement à
l’intelligence : de même que la vue parfois ne voit pas une pierre, parce que
l’image de cette pierre ne l’atteint pas. Bien que l’esprit qui voit Dieu soit
uni à son essence divine, qui est le principe de toutes choses, il ne lui est
pas uni en tant qu’elle est la raison (ou source intelligible) de toutes les
choses, mais en tant qu’elle est la raison de quelques choses : et chacun
pénètre d’autant plus l’essence divine qu’il y voit la raison de plus de
choses.
5. Quand une puissance passive
peut être perfectionnée par plusieurs perfections ordonnées l’une à l’autre, si
elle est perfectionnée par la plus élevée de ces perfections, on ne dit pas
qu’elle est imparfaite parce quelques dispositions précédentes lui manquent.
Toute connaissance qui perfectionne l’intelligence créée est ordonnée, comme à
sa fin, à la connaissance de Dieu. Donc, en voyant Dieu en son essence même si
on ne voyait rien d’autre, l’intelligence serait parfaite. Et elle n’est pas
plus parfaite parce qu’elle connaît en même temps quelque autre chose, à moins
que cela augmente sa connaissance de Dieu. C’est pourquoi saint Augustin dit :
« Malheureux l’homme qui connaît toutes les choses créées et t’ignore.
Bienheureux celui qui te connaît, même s’il ignore le reste. Celui qui te
connaît, et aussi d’autres choses, n’en est pas plus heureux : il n’est
bienheureux qu’à cause de toi seul. »
6. Ce miroir est doué de
volonté, et de même qu’il se montre à qui il veut, ainsi il manifeste en
lui-même ce qu’il veut. Ce n’est point comme le miroir matériel qui n’a pas le
pouvoir de se faire voir ou non. On pourrait dire aussi que dans le miroir matériel,
les choses reflétées, comme le miroir lui-même, apparaissent sous leur propre
forme. Bien que ce miroir apparaisse grâce à la forme qu’il reçoit de la
réalité, tandis que la pierre réfléchie par lui, n’est vue que par sa propre
forme qui est réfléchie par autre chose qu’elle-même. Par la même raison on
connaît l’un et l’autre. Au contraire, dans le miroir incréé, on voit quelque
chose par la forme du miroir lui-même, comme un effet est vu à travers la
connaissance de sa cause, et vice versa. Il n’est donc pas nécessaire que qui
voit le miroir éternel voie tout ce qui s’y trouve contenu. En effet, quelqu’un
qui voit une cause ne voit pas nécessairement tous ses effets, à moins qu’il
n’ait une connaissance exhaustive de cette cause.
7. Le désir qu’ont les saints
de tout connaître est assouvi seulement par la vue de Dieu, de même que leur
désir de posséder tous les biens sera satisfait par la possession de Dieu. De
même que Dieu, bonté parfaite, comble tout amour de bien, et que sa possession
procure de quelque manière tous les biens, de même sa vue donne une
satisfaction totale à l’intelligence. Comme dit saint Jean : « Seigneur, montrez-nous le Père, et
cela nous suffit. »
8. L’ignorance proprement dite
marque une privation de quelque chose : comme telle, elle est une peine ; elle
est alors la privation de la connaissance de choses qui devraient être connues
ou qu’il est nécessaire de connaître. Dans la patrie céleste, les saints ne
seront privés d’aucune connaissance de ce genre. Mais parfois, on prend le mot
ignorance pour signifier n’importe quelle absence d’une connaissance. En ce
sens, les anges et les saints ignoreront certaines choses dans la patrie. C’est
pourquoi Denys dit que « les
anges sont libérés de l’ignorance. »
Ainsi comprise, l’ignorance n’est pas un châtiment, mais seulement une
déficience. Et il n’est point nécessaire que toute déficience de ce genre
disparaisse dans la gloire : dans le même sens, on pourrait dire que c’était un
défaut pour le Pape Lin de ne point parvenir à la gloire de saint Pierre.
9. Notre corps sera conforme à
celui du Christ dans la gloire en similitude mais non en égalité : il sera
lumineux comme le corps du Christ, mais non également. De même notre âme
possédera la gloire à la ressemblance de l’âme du Christ, mais non également.
Elle possédera donc la science comme l’âme du Christ, mais non autant. Elle ne
saura pas toutes choses comme l’âme du Christ.
10. Bien que l’essence divine
soit le principe de toutes les choses connaissables, ce n’est pas en tant que
principe de toutes choses qu’elle sera unie à l’intelligence créée. L’argument
proposé ne vaut donc pas.
11. L’intellect agent est la
forme proportionnée à l’intellect possible, de même que la puissance de la
matière est proportionnée à la puissance naturelle : de telle sorte que tout ce
qui est dans la puissance passive de la matière ou de l’intellect possible, se
trouve dans la puissance active de l’intellect agent ou de l’agent naturel.
C’est pourquoi, si l’intellect agent devient la forme de l’intellect possible,
celui-ci doit connaître tout ce à quoi s’étend la puissance de l’intellect
agent. Mais l’essence divine n’est pas une forme qui serait proportionnée de
cette manière à notre intelligence. La comparaison ne vaut donc pas.
12. Rien n’empêche de dire qu’après
le jour du jugement, quand la gloire des hommes et des anges sera totalement
achevée, tous les bienheureux sauront tout ce que Dieu connaît de science de
vision, bien que tous ne voient pas toutes choses dans l’essence divine. Mais
l’âme du Christ verra alors pleinement toutes choses, comme elle le voit déjà
maintenant. Les autres âmes verront alors plus ou moins de choses, selon le
degré de clarté de leur connaissance de Dieu : c’est ainsi que l’âme du Christ
illuminera les autres âmes au sujet de ce qu’elle voit mieux qu’elles dans le
Verbe. C’est pourquoi l’Apocalypse dit que « la
clarté de Dieu illuminera la cité de Jérusalem, et sa source de lumière est
l’Agneau. » De même les supérieurs
illumineront les inférieurs, non par une nouvelle illumination qui augmenterait
la science des inférieurs, mais par une sorte de prolongation d’illumination :
comme si on imagine que le soleil au repos illumine l’air. C’est pourquoi
Daniel dit que « ceux qui
enseignent à beaucoup la justice, brilleront comme les étoiles pour l’éternité. » La prééminence des divers ordres
cessera seulement quant aux choses qu’ils exercent actuellement à notre égard
par leurs ministères subordonnés l’un à l’autre, comme cela ressort de la Glose
de ce texte.
Objections :
1. Il semble que la Vision
béatifique peut se perdre : elle est une certaine perfection ; Or toute
perfection inhère à son sujet selon le mode de ce sujet, et puisque l’homme est
de nature changeante, il semble que la béatitude ne soit participée par lui que
selon le mode du changement, de telle sorte qu’il puisse la perdre.
2. La Vision béatifique est une
opération de l’intelligence et l’intelligence dépend de la volonté. Or la
volonté s’applique aux contraires ; donc elle peut se désister de l’opération
béatifiante et ainsi l’homme cessera de voir Dieu.
3. Au
surplus, lorsqu’il y a commencement, il y a fin. Or la vision que l’homme a de
Dieu a un commencement, puisque l’homme ne l’a pas toujours vu : il semble donc
qu’elle doive avoir une fin.
Cependant :
L’évangéliste[489] dit des justes « qu’ils iront dans la vie
éternelle », vie qui n’est autre,
comme nous l’avons dit, que la béatitude des saints. Or ce qui est éternel ne
fait jamais défaut : donc la vision de Dieu ne peut jamais être perdue.
Conclusion :
Origène pensait, entraîné par l’opinion de certains platoniciens,
que l’homme peut tomber dans le malheur après avoir acquis la dernière
béatitude. Mais cela apparaît manifestement faux de deux façons. Tout d’abord
si l’on considère ce qu’est la Vision béatifique. Nous avons montré que le
royaume de Dieu consiste dans la vision de l’essence divine. Or il est
impossible que celui qui voit l’essence divine veuille ne plus la voir ; Car
tout bien que l’on possède et dont on veut se défaire ou se présente comme
insuffisant, et l’on cherche à sa place un objet qui puisse suffire ou se
trouve conjoint à quelque déplaisir et c’est à cause de cela qu’on le prend en
dégoût. Mais la vision de l’essence divine remplit l’âme de tous les biens en
l’unissant à la source de toute bonté, ce qui fait dire au psalmiste XVI, 15 : « Je serai rassasié lorsque m’apparaîtra
ta gloire ». De même la vision
de l’essence divine n’entraîne aucun déplaisir car de la contemplation de la
Sagesse il est dit encore[490] : « sa société n’a pas d’amertume et son commerce n’a pas d’ennui. » On voit donc clairement par là que
les Bienheureux ne peuvent de leur propre volonté renoncer à la béatitude.
Dieu, de son côté ne peut la leur ravir
; car le retrait de la Vision béatifique étant une peine, il ne peut être
infligé par Dieu juste juge que pour une faute ; mais celui qui voit l’essence
de Dieu ne peut pas commettre de faute, puisque cette vision entraîne
nécessairement la rectitude de la volonté, comme nous l’avons fait voir.
Enfin, nul autre agent n’est capable de
soustraire à l’homme un tel bien ; car l’âme unie à Dieu se trouve élevée
au-dessus de toute créature, et par suite aucun agent ne peut l’arracher à une
pareille union. Il paraît donc de toute manière insoutenable que par je ne sais
quelles vicissitudes des temps l’homme passe de la béatitude à la misère et
réciproquement. Ces sortes de vicissitudes n’appartiennent qu’à ce qui est
soumis au temps et au mouvement.
Cependant, l’éternité peut être regardée
selon un autre sens. Au sens strict, il s’agit d’une notion que la théologie
attribue seulement à Dieu. Boèce en donne la définition suivante : l’éternité
est la possession à la fois immédiate, totale et parfaite de la vie qui ne
finira jamais[491].
Nous n’avons pas de termes qui puissent nous aider à comprendre cette notion,
même si nous admettons, par révélation et par raisonnement, que la communion et
l’amitié avec Dieu ne peuvent être qu’éternelles. L’analogie de l’instant, qui
est d’autant plus intense qu’il est rempli et comblé, peut nous en approcher.
L’éternité est moins une durée qu’une profondeur, coextension de la conscience
à la réalité. L’éternel en effet embrasse la totalité de l’être, et notre
conscience, en coïncidant d’une certaine manière avec la totalité de l’être,
pourra entrer dans l’éternité.
Solutions :
1. La vision de Dieu est une
certaine perfection, comme on le dit ; mais c’est une perfection consommée, qui
exclut tout défaut dans celui qui la possède, aussi elle est acquise par l’élu
hors de toute mutabilité, grâce à la vertu divine qui élève l’homme à la
participation de son éternité, au-dessus de toute vicissitude.
2. On observe que la volonté
peut se décider en des sens contraires, et c’est vrai en ce qui concerne nos
décisions en vue de notre fin ; mais quant à la fin dernière elle-même, la
volonté s’y dirige d’un mouvement de nécessité naturelle, et ce qui le prouve,
c’est que l’homme ne peut manquer de désirer être heureux.
3. Le
fait que la Vision béatifique a un commencement ne prouve pas non plus qu’elle
ait une fin. Car si elle a un commencement, c’est en raison de la condition de
l’homme qui la participe, et si elle ne doit pas avoir de fin, la raison en est
dans la condition du bien dont la participation rend heureux. Ainsi, c’est pour
une cause que la béatitude a un commencement et pour une autre qu’elle n’a pas
de fin.
A propos de ce sujet, cinq questions se
posent :
1° La lumière de gloire[492] est-elle nécessaire pour
voir Dieu ?
2° La lumière de gloire
est-elle une réalité créée ?
3° La lumière de gloire
est-elle un intermédiaire entre Dieu et l’âme ?
4° La lumière de gloire
est-elle la même chose que la grâce habituelle ?
5° La lumière de gloire
a-t-elle son siège dans l’intelligence ?
Objections :
1. Il ne semble pas. Comme nous
l’avons montré, Dieu se comporte dans la Vision béatifique comme le concept pour
l’intelligence. Il informe donc directement l’intelligence sans qu’aucune autre
lumière ait besoin d’être surajoutée.
2. Dieu
est lumière. Il est donc par lui-même éminemment intelligible. Il n’a donc pas
besoin d’être rendu intelligible par autre chose que lui-même.
Cependant :
Le concile de Vienne (1312) note : « L’âme a besoin d’une lumière de gloire qui l’élève pour voir Dieu
et jouir de lui dans la béatitude »[493].
Conclusion :
Dans toute connaissance, on peut distinguer deux termes : ce qui
connaît et ce qui est connu. Pour que la connaissance soit possible, il doit y
avoir une proportion entre l’objet connu et ce qui connaît. Ainsi l’œil ne peut
voir une lumière trop vive car elle dépasse en proportion ses capacités. Or
Dieu est pour l’intelligence humaine dans le même rapport que la lumière trop
vive pour l’œil. Pour qu’il puisse être vu dans son essence, il faut donc que
l’intelligence soit adaptée à sa lumière. Elle doit être élevée au-dessus
d’elle-même et c’est le rôle de la lumière de gloire. C’est pourquoi l’Écriture
Sainte affirme :[494] « par ta lumière nous voyons la Lumière ». Par la lumière de gloire qui surélève la capacité de
l’intelligence, nous voyons la lumière éternelle qui est l’essence divine.
Solutions :
1. Dieu informe directement
l’intelligence. Mais l’intelligence a besoin d’être préparée pour recevoir une
telle connaissance qui la dépasse, comme nous l’avons montré. La lumière de
gloire ne constitue pas un intermédiaire entre l’intelligence et l’essence de
Dieu mais une disposition préalable de l’intelligence.
2. La lumière de gloire n’est
pas nécessaire pour rendre Dieu intelligible en lui-même mais pour le rendre
intelligible par rapport à nous.
Objections :
1. Dieu vivifie l’âme, comme
l’âme vivifie le corps « il est
lui-même ta vie », dit le
Deutéronome[495]. Mais c’est sans
intermédiaire que l’âme vivifie le corps. De même par conséquent, rien ne
s’interpose entre Dieu et l’âme dans la Vision béatifique et la lumière de
gloire n’est autre que l’Esprit Saint lui-même.[496]
2. L’Apocalypse de saint Jean
écrit à propos de la lumière de gloire : «
La ville peut se passer de l’éclat du soleil et de la lune car la gloire de
Dieu l’a illuminée »[497]. Par la lumière du soleil,
on entend la connaissance donnée par l’humanité du Christ ; Par la lumière de
la lune, on entend la médiation de la vierge Marie et des saints par qui nous
est donné le Sauveur, de même que la lune reflète la lumière du soleil. Dans la
gloire, nous serons donc éclairés par Dieu lui-même et par une lumière créée.
Cependant :
Le prophète Baruch [498]écrit : « Dieu guidera Israël dans la joie, à la lumière de sa gloire, avec
la miséricorde et la justice qui viennent de lui ». Or ce qui vient de Dieu est un effet de Dieu en l’homme et
non Dieu lui-même. C’est donc une créature.
Conclusion :
Appliqué à Dieu, le mot lumière peut signifier deux choses. En un
premier sens, il peut désigner l’essence même de Dieu, en tant qu’elle est
éminemment intelligible. C’est pourquoi saint Jean écrit « Dieu est lumière »[499]. Pris en ce sens, la
lumière est une réalité incréée car elle est Dieu lui-même. En second sens, la
lumière peut désigner toutes les grâces données à l’homme qui illuminent son
esprit : « La parole de Dieu est
limpide, lumière pour les yeux »[500]. En ce sens, les grâces
données par Dieu peuvent être appelées lumières et ce sont des réalités créées.
Telle est la lumière de gloire qui surélève la capacité de l’âme pour la rendre
capable de voir Dieu face à face. Elle est une qualité de l’âme par laquelle
Dieu pourvoit à la nécessité de sa créature qu’il veut gratifier de la vision
surnaturelle de son essence. La lumière de gloire est une disposition active
appropriée à cet acte contemplatif. Par elle, la vision devient en un certain
sens connaturelle à l’intelligence dont l’acte devient aisé, sans
éblouissement.
Solutions :
1. Dieu est la vie de l’âme en
tant que cause efficiente première et extérieure alors que l’âme est cause de la
vie du corps en tant que cause efficiente interne et cause formelle. Or il est
vrai qu’entre la forme et la matière, il n’y a pas de place pour un
intermédiaire parce que c’est par elle-même que la forme affecte la matière.
Mais l’agent, lui, n’informe pas le sujet par sa propre substance, il ne le
fait que par une forme qu’il cause dans cette matière. Donc la lumière de
gloire est une forme surnaturelle mise en nous par Dieu, mais elle est
distincte de Dieu.
2. Ce
texte signifie que dans la gloire, nous ne verrons pas Dieu comme dans un
miroir. La contemplation terrestre ne peut se faire que par l’intermédiaire
d’une image de Dieu. Jésus est par excellence l’image de Dieu. La vierge Marie
et les saints sont, chacun à leur manière, images de Jésus qu’ils ont imité par
toute leur vie. C’est pourquoi l’Apocalypse les compare à la lumière de la
lune. Mais, dans la gloire, Dieu sera vu dans son essence, directement et non à
travers la vision d’une créature. La lumière de gloire est nécessaire pour
permettre cette vision directe comme nous le montrerons dans l’article suivant.
Quant à la communion des saints, sa lumière ne sera pas étouffée par celle de
Dieu mais elle constituera un surcroît de rayonnements diversifiés, de la même
manière que la lumière se diversifie et prend mille teintes en passant dans un
prisme.
Objections :
1. Il
semble que la lumière de gloire est intermédiaire entre Dieu et l’intelligence.
On l’a vu, l’intelligence est avec Dieu dans le même rapport que l’œil avec une
lumière trop vive. Or l’œil, pour voir une telle lumière a besoin d’un
intermédiaire qui tempère l’éclat de la lumière.
2.[501] Quand une intelligence
connaît en acte quelque chose, il faut toujours qu’elle soit informée par la
représentation en elle de cette chose, représentation imprimée en elle, qui est
le principe de l’opération qui s’achève dans l’objet, comme la chaleur est le
principe de l’échauffement. Si donc notre intelligence connaît Dieu, cela doit
se faire grâce à une similitude de lui qui informe notre intelligence. Ce ne
peut être l’essence divine elle-même puisque l’être de la forme et de ce
qu’elle informe est unique : or l’essence divine diffère de notre intelligence
selon son essence et selon son être. Ce ne peut être que cette lumière de
gloire qui est créée par Dieu et imprimée dans notre esprit. Donc la lumière de
gloire est intermédiaire entre Dieu et l’intelligence.
Cependant :
Denys écrit : « Si
quelqu’un voit quelque chose qui vient de Dieu, c’est qu’il ne voit pas Dieu
même dans son essence »[502]. Donc la lumière créée ne
peut être un intermédiaire entre l’essence divine et l’intelligence.
Conclusion :[503]
Dans la vision corporelle et dans la vision intellectuelle, on
peut considérer trois sortes d’intermédiaires. 1° D’abord, l’intermédiaire grâce auquel on voit : celui-là
perfectionne la vue pour toute vision en général, sans la déterminer à tel
objet spécial ; telle est la lumière corporelle pour la vue corporelle, et la
lumière de l’intellect agent pour l’intellect possible, en tant
qu’intermédiaire. 2° Puis il y a
l’intermédiaire par lequel on voit : et c’est la forme visible, par laquelle
chacune des deux puissances visuelles est déterminée à tel objet spécial ;
ainsi la forme de la pierre fait voir la pierre. 3° Enfin, il y a l’intermédiaire dans lequel on voit : c’est ce par
la vue de quoi le regard est conduit à voir autre chose : en regardant un
miroir nous sommes conduits à y voir ce qu’il réfléchit, et en voyant une image
nous sommes conduits à ce qu’elle représente ; de même l’intelligence, par sa
connaissance de l’effet, est conduite à sa cause inversement. Dans la Vision
béatifique, Il n’y aura pas ce troisième intermédiaire, c’est-à-dire que Dieu
serait connu par les images d’autre chose comme ici-bas : c’est pourquoi on dit
que nous voyons maintenant dans un miroir. Il n’y a pas non plus le second
intermédiaire parce que l’essence divine sera elle-même ce par quoi notre
intelligence verra Dieu. Nous aurons seulement le premier intermédiaire, qui
élèvera notre intelligence pour qu’elle puisse être unie à la substance
incréée, comme nous l’avons dit. Mais cet intermédiaire ne permet pas de dire
que la vision sera médiate : puisqu’il ne se place pas entre le connaissant et
la chose connue, mais il est ce qui donne à celui qui connaît la puissance de
connaître.
Solutions :
1. La lumière de gloire agira
en rendant notre intelligence "capable de voir la lumière trop vive"
et non en cachant cette lumière sous les voiles d’une créature.
2. Nous
avons montré que c’est l’essence divine qui informe directement l’intelligence
béatifiée à la manière du concept pour toute autre connaissance. La lumière de
gloire ne peut en aucune manière être un intermédiaire selon le troisième mode
car alors Dieu ne serait pas vu face à face.
Objections :
1. Cela n’est pas possible. La
lumière de gloire surélève l’intelligence pour la rendre capable de saisir l’essence
divine. Elle a donc son siège dans l’intelligence. La grâce habituelle au
contraire surélève l’âme tout entière pour la rendre capable d’une vie
surnaturelle. C’est pourquoi on l’appelle un habitus entitatif car elle a son
siège dans l’âme elle-même d’où elle rejaillit sur les puissances.
2. La
grâce habituelle surélève l’âme et la rend capable de recevoir la foi,
l’espérance, la charité et tous les autres dons infusés par Dieu dans l’ordre de
la vie surnaturelle. Or, dans la patrie, la foi est remplacée par la vision, la
charité est achevée dans l’union et l’espérance disparaît pour laisser place à
la possession de Dieu. Il faut donc quelque chose de plus grand que la grâce
habituelle car l’effet reçu est plus grand.
Cependant :
Par la grâce habituelle, l’âme est
rendue capable de recevoir la vie surnaturelle imparfaite d’ici-bas. Par la
lumière de gloire, l’âme est rendue capable de recevoir la vie surnaturelle parfaite
du Ciel. Or l’imparfait et le parfait sont dans le même genre. Donc la grâce
habituelle et la lumière de gloire sont la même chose.
Conclusion :
Entre l’état de la grâce et celui de la gloire, il y a continuité
selon l’ordre de la puissance à l’acte. L’édifice spirituel tout entier tel
qu’il est ici-bas trouve sa pleine et totale réalisation dans la gloire. Mais
l’état de gloire trouve son fondement dans la vision directe de l’essence
incréée, qui vient remplacer la connaissance partielle donnée par la foi. Son
premier effet est de faire disparaître toute espérance car on n’espère plus ce
qu’on sait posséder en plénitude. Quant à la charité elle s’épanouit dans
l’union effective qui est source de joie[504]. Après la résurrection,
cette gloire s’étendra jusque dans la sensibilité et dans le corps physique.
C’est donc l’être tout entier qui est glorifié. Or la lumière de gloire est
nécessaire pour « élever l’âme et lui permettre de voir Dieu et de jouir
de lui dans la béatitude », selon les paroles du Concile de Vienne[505], de même que la grâce
habituelle surélève l’âme dès cette terre pour lui permettre de recevoir la
foi, l’espérance et la charité. La grâce habituelle et la lumière de gloire ont
donc le même objet qui est l’élévation de l’âme au-dessus de sa nature en vue
de recevoir une participation à la vie divine. Elles sont donc une seule et
même chose mais la seconde réalise parfaitement ce que l’autre ne fait que
commencer.
Solutions :
1. On nomme souvent une réalité
par ce qu’il y a de plus important en elle. Or ce qu’il y a de principal dans
la gloire, c’est la vision de l’essence divine qui trouve son siège dans
l’intelligence. C’est par appropriation qu’on appelle la grâce habituelle de la
gloire une lumière. On exprime ainsi son rôle premier et principal, qui est de
rendre l’intelligence apte à voir Dieu. Mais le rôle de la lumière de gloire ne
s’arrête pas là. La volonté aussi se trouve surélevée et rendue capable de
jouir de la béatitude divine. De plus, après la résurrection, c’est le corps entier
qui sera glorifié et élevé au-dessus de son état actuel. La lumière de gloire
agit donc sur plusieurs facultés humaines. Étant donné qu’elle est antérieure
aux puissances de l’âme, il faut que son sujet soit antérieur aux puissances,
c’est-à-dire l’essence de l’âme. Dans la gloire, la grâce habituelle appelée
lumière de gloire agit sur l’essence de l’âme d’où son action découle sur les
puissances à commencer par l’intelligence.
2. Il
n’est pas besoin de poser une différence substantielle entre la grâce habituelle
d’ici-bas et la lumière de gloire parce que l’une a un effet moindre que
l’autre. La grâce habituelle infusée par Dieu dans notre âme dès cette terre ne
peut agir selon toutes ses potentialités non parce qu’elle serait imparfaite
(car les œuvres de Dieu sont toujours parfaites) mais à cause de l’état de
voyageur dans lequel est plongée notre nature humaine. Dès que cet état
disparaît, au moment où Dieu nous plonge dans l’éternité de sa vision, la grâce
habituelle surélève l’âme avec toute la puissance de sa potentialité, inondant
notre intelligence de la lumière de gloire qui émane d’elle à travers notre
âme.
Nous abordons enfin la question des conditions demandées par Dieu
à l’homme pour qu’il se donne à sa vision. Douze points nous paraissent
importants à traiter, de manière à ne laisser subsister aucune ambiguïté. Pour
voir Dieu, est-il préalablement nécessaire et suffisant :
1° d’être doté de libre
arbitre ?
2° de bonne volonté ?
3° de faire certaines actions
humaines ?
4° d’être humble ?
5° d’être dans un état de
kénose ?
6° de souffrir pour
entrer dans la gloire ?
7° d’avoir la grâce ?
8° la foi ?
9° de croire explicitement le
mystère du Christ et de la Trinité ?
10° d’avoir l’espérance
théologale ?
11° la charité ?
12° une charité parfaite ?
13° d’avoir reçu le baptême ?
14° enfin, la Vision béatifique
sera-t-elle donnée en proportion de la charité ?
Objections :
1. Les enfants baptisés entrent
dans la gloire sans l’exercice de leur libre arbitre, comme on le dit des Saints
Innocents massacrés par Hérode. Il semble donc que Dieu peut communiquer sa
gloire sans que l’exercice du libre arbitre soit exigé.
2. C’est la même cause qui
produit la glorification de l’âme et la conserve. Saint Augustin dit, en effet,
dans son commentaire de la Genèse, que « l’homme
doit se convertir à Dieu de telle sorte qu’il soit justifié par lui sans cesse. » Mais la conservation de la vision de
Dieu s’opère sans le concours du libre arbitre. Donc l’entrée dans la vision
peut être accordée elle aussi sans l’intervention du libre arbitre.
Cependant :
Nous lisons dans saint Jean : «
Quiconque a entendu l’enseignement du Père et s’y est instruit vient à moi »[507]. Mais on ne s’instruit pas
sans que le libre arbitre entre en action. Celui qui s’instruit acquiesce à
l’enseignement du maître. Donc personne n’entre dans la vision de Dieu sans
l’exercice de son libre arbitre. D’autre part, le Christ compare lui-même la
gloire à des noces. Or nul ne se marie validement sans échanger son
consentement. La lucidité et la liberté de ce consentement constitue
canoniquement la condition première de la validité du sacrement du mariage.
Conclusion :
Notre réponse est oui, sans aucun doute. L’entrée dans la gloire
provient de l’action de Dieu qui introduit l’âme dans son intimité car, selon
saint Jean, c’est Dieu lui-même qui donne la grâce et la gloire. Or Dieu meut
tous les êtres selon la nature particulière de chacun d’eux. Dans le monde
physique, à titre d’exemple, nous voyons qu’il meut différemment les corps lourds
et les corps légers parce que leur nature n’est pas la même. Pareillement, il
dirige les hommes vers la gloire de sa vision suivant la condition de la nature
humaine. Mais le propre de l’homme, c’est d’être doué de libre arbitre. D’où,
quand il s’agit d’une nature qui a l’usage du libre arbitre, l’impulsion que
Dieu lui donne pour l’amener à la justification de la grâce et à l’entrée dans
la gloire qu’elle mérite, ne va pas sans le libre arbitre. Dieu communique la
vision de son essence de telle sorte qu’il meut en même temps le libre arbitre
à désirer ce don. Saint Jean[508] décrit le cheminement de la
vie spirituelle comme un acte humain libre : « Quiconque a entendu l’enseignement du Père et s’y est instruit
vient à moi. »
Solutions :
1. On pourrait objecter à cela
le cas des petits enfants morts baptisés et que la tradition chrétienne dans
son ensemble considère comme sauvés. Tel est le cas des saints innocents
massacrés par Hérode. Il semble donc que Dieu peut communiquer sa gloire sans que
l’exercice du libre arbitre soit exigé. Cependant, même les petits enfants
morts avant d’avoir exercé leur libre arbitre n’entrent pas dans la vision de
l’essence divine sans que leur libre arbitre ne s’exerce. La raison en est que
l’entrée dans cette vision présuppose un acte de charité qui ne peut exister
sans liberté. Il est donc nécessaire que Dieu supplée à l’incapacité naturelle
de l’enfant. Pour cela, il infuse dans son intelligence les conditions qui sont
nécessaires à l’exercice plénier du libre arbitre, d’une façon différente
quoique analogue par certains aspects à ce qu’il le fit pour les anges à
l’instant de leur création. Nous traiterons de leur cas plus tard à la lumière
de l’apparition glorieuse du Christ et des saints à l’heure de la mort.[509]
2. Dans
le don de la gloire, il y a une transformation de l’âme, c’est pourquoi un
mouvement venant de l’âme humaine est requis afin que cette âme soit mue selon
sa nature. La conservation de cette vision béatifique, au contraire, se fait
sans transformation. Dès lors, un mouvement de la part de l’âme ne s’impose
pas, la seule continuation de l’influx divin suffit.
Objections :
1. Nous avons dit que la
béatitude consiste essentiellement dans une opération de l’intellect. Or la
perfection de l’intellect n’exige pas la rectitude de la volonté. Celle-ci fait
appeler les hommes purs ; or Augustin, dans ses Rétractations, écrit : « Je n’approuve pas ce que j’ai dit dans
une prière : O Dieu qui n’avez voulu faire connaître la vérité qu’aux âmes
pures. On peut en effet répondre que beaucoup, parmi ceux qui ne sont pas purs,
connaissent pourtant beaucoup de vérités.
» Donc la droiture de la volonté n’est pas requise pour la béatitude.
2. En outre, ce qui précède ne
dépend pas de ce qui suit. Or l’opération de l’intellect précède celle de la
volonté : donc la béatitude, opération parfaite de l’intellect, ne dépend pas
de la rectitude de la volonté.
3. Au
surplus, ce qui se rapporte à une chose comme à sa fin n’est plus nécessaire
après l’obtention de cette fin : ainsi le navire une fois qu’on est au port.
Mais la rectitude de la volonté, qui est le fait de la vertu, se rapporte à la
béatitude comme à sa fin : donc, la béatitude obtenue, la rectitude de la
volonté n’est plus nécessaire.
Cependant :
On lit dans l’Écriture : « Heureux
ceux qui ont le cœur pur, car ceux-là verront Dieu »[510] ; « Conservez la paix avec tous, et la sainteté, sans laquelle
personne ne verra le Seigneur. »
Conclusion :
Saint Thomas d’Aquin se pose
explicitement cette question. Il explique que la droiture de la volonté est
requise à titre d’antécédent et par concomitance.
A titre d’antécédent, car ce qui rend droite
la volonté, c’est son juste rapport avec la fin dernière. Ainsi, rien ne peut
atteindre une fin quelconque sans être dans un juste rapport avec elle. Cette
droiture est également requise par concomitance. Comme la béatitude consiste
dans la vision de Dieu et que Dieu est l’essence même du bien, il est évident
que la volonté de celui qui voit Dieu par essence aime tout ce qu’elle aime par
référence au bien général qu’elle connaît. Or c’est cela même qui rend une
volonté droite.
On le voit, saint Thomas d’Aquin entend
par volonté droite cette forme parfaite de droiture que donne l’orientation
explicite vers la vision de Dieu.
Cependant, et d’une manière plus actuelle, se pose la question de
cette autre forme de droiture, simplement humaine, que l’on constate chez tout
homme fidèle à ce que lui dicte sa conscience du bien et du mal. Cette bonne
volonté-là est-elle nécessaire ? Par exemple, l’homme qui avec une conscience
droite vit dans la recherche immédiate des plaisirs parce qu’il est sincèrement
persuadé que la vie terrestre se termine dans le néant, peut-il accéder au
salut ?[511] Il faut remarquer que la
conscience de cet homme n’est droite qu’en rapport avec son intelligence
préalablement déviée du vrai. Si cette intelligence n’est pas elle-même déviée par
une recherche égoïste présupposée, comme on le voit chez un homme qui choisit
d’être athée pour pouvoir jouir de sa liberté, alors il est certain que lorsque
l’intelligence sera remise dans la vérité, la volonté elle-même gardera sa
droiture et se tournera vers Dieu. La personne reconnaîtra simplement son
erreur et saura en tirer les conséquences par une sincère conversion. Dieu qui
lit dans les âmes connaît la droiture de cette volonté. Mais il sait aussi
qu’une vie menée par athéisme dans l’égoïsme produit elle-même des fruits
d’égoïsme. Pour éviter que par l’entraînement de l’habitude, l’homme ne se
complaise totalement dans ce danger, Dieu a façonné la nature humaine de telle
façon qu’elle produise des fruits amers, selon le livre de la Sagesse : « Mais Dieu a mis un piège devant les
pas de l’Impie. »
En conséquence, on doit dire que la droiture de la volonté est
certainement nécessaire pour entrer dans la gloire à titre de disposition car
l’homme qui agit ainsi ne peut agir autrement lorsqu’il se trouve confronté au
bien par essence qu’est Dieu. Sa fidélité à la recherche d’un bien participé le
dispose favorablement à reconnaître et rechercher le bien absolu lorsqu’il le
connaît. Cependant, cette bonne volonté nécessaire ne peut être suffisante puisqu’elle
ne proportionne pas directement l’homme dans une recherche du bien absolu qui
est Dieu.
Solutions :
1. Ce que dit saint Augustin ne
peut infirmer notre conclusion, car il parle en ce passage de la connaissance
d’une vérité qui n’est pas en même temps l’essence de la bonté.
2. On dit avec raison que tout
acte de volonté procède de quelque acte d’intelligence ; mais il ne s’ensuit
point que tel acte de volonté ne précède pas tel acte d’intelligence. C’est
ainsi que la volonté tend vers cet acte dernier de l’intelligence qui est la
béatitude même. D’où il suit que la rectitude de la volonté est préexigée à la
béatitude comme à la flèche une trajectoire correcte pour que le but soit
frappé.
3. On
prétend que la fin obtenue, cette condition n’est plus nécessaire. Mais tout ce
qui a rapport à une fin ne cesse pas d’exister en présence de cette fin ; cela
seulement disparaît qui a un caractère d’inachèvement et d’imperfection comme
le mouvement. C’est pourquoi, tout ce qui ne sert qu’au mouvement n’a plus de raison
d’être une fois qu’on est arrivé au terme (la foi par exemple, remplacée par la
vision) ; mais un juste rapport à l’égard de ce terme est toujours nécessaire.
Objections :
1. D’après Luther, la foi
seule, même si elle reste passive, sauve. C’est donc qu’aucune œuvre bonne
n’est nécessaire pour entrer dans la gloire.
2. Il semble superflu que des
actions humaines interviennent comme condition pour que la béatitude soit
conférée à l’homme par Dieu. En effet, Dieu étant un agent d’une puissance
infinie, il n’a pas besoin, pour son action, d’une matière préalable ou de
dispositions de cette matière ; il peut tout produire à la fois. Or, puisque
les œuvres de l’homme ne sont pas requises pour la béatitude au titre de causes
efficientes, ainsi que nous l’avons montré, elles n’y peuvent intervenir qu’à
titre de dispositions. Donc Dieu, qui n’a pas besoin de dispositions pour agir,
doit conférer la béatitude sans œuvres préalables.
3. Au surplus, Dieu produit
immédiatement la béatitude comme il a institué immédiatement la nature. Or dans
la première institution de la nature, Dieu a produit les créatures sans aucune
disposition antérieure, sans aucune action d’un agent créé, mais a posé
aussitôt chaque être parfait dans son espèce. II semble donc que de la même
manière Dieu confère à l’homme la béatitude sans aucune opération préalable.
4. N’est-ce pas ce qu’affirme l’Apôtre
quand il parle de la béatitude de l’homme[513] « à qui Dieu impute la justice indépendamment des œuvres » ?
Cependant :
On lit dans saint Jean : « Bienheureux
serez-vous si, sachant ces choses, vous les faites »[514]. C’est donc par l’action
que nous parvenons à la béatitude.
Conclusion :
Nous avons dit déjà que la droiture de la volonté est nécessaire à
la béatitude, n’étant autre chose qu’une juste disposition de la volonté
dirigée vers la fin dernière, disposition qui n’est pas moins nécessaire à cette
fin que la bonne disposition de la matière à la réception de la forme. À vrai
dire, il n’est pas prouvé par là qu’une certaine activité de l’homme doive
précéder sa béatitude ; Car Dieu pourrait créer du même coup une volonté
orientée vers sa fin et en possession de cette fin, comme il dispose parfois la
matière en même temps qu’il lui donne sa forme. Mais l’ordre de la divine
sagesse exige qu’il n’en soit pas ainsi. En effet, comme il est dit au Livre du
Ciel[515], « parmi les êtres qui sont aptes à posséder le bien parfait, il en
est qui l’ont sans aucun mouvement, d’autres d’un seul mouvement, d’autres au
moyen de plusieurs », et posséder le
bien parfait sans aucun mouvement appartient à celui qui le possède par nature.
Or posséder la béatitude naturellement est le fait de Dieu seul. À lui seul
donc il appartient de n’y être pas conduit par quelque opération antérieure. Au
contraire, la béatitude excédant toute nature créée, il n’est aucune pure
créature qui puisse convenablement recevoir la béatitude sans un mouvement
d’activité par lequel elle y tend. Seulement, l’ange étant par sa nature
supérieur à l’homme, il a, selon l’ordre de la sagesse divine, acquis le bien
suprême par un seul mouvement d’activité méritoire, comme on l’a exposé dans la
Première Partie. Les hommes l’obtiennent par de multiples mouvements d’activité
de charité qu’on appelle leurs mérites. Aussi, aux yeux du Philosophe lui-même,
la béatitude est-elle la récompense des actes vertueux.
Solutions :
1. De manière concrète,
l’entrée dans la béatitude et son acte lui-même ne se fait donc pas de manière
passive, comme le pensait Luther pour qui la liberté humaine avait été
totalement détruite par le péché originel. Au contraire, lorsque Dieu prend
l’initiative de proposer son amour et sa lumière à sa créature, il lui demande
de se tourner à son tour vers lui librement, telle une épouse. Il y a donc dans
l’acte de la grâce et de la gloire une donation active et réciproque. Dieu
prend l’initiative de donner la foi et de proposer l’amour. Mais c’est à
l’homme de répondre par l’amour à l’amour. À l’actif de Luther, on peut dire
qu’il refusait comme nécessité au salut certaines œuvres extérieures de piété,
comme des prières récitées et d’autres pratiques dévotes. S’il ne s’agit que de
ces œuvres-là, il est évident qu’elles ne sont pas nécessaires au salut. Elles
constituent des aides adaptées à la sensibilité de certains.
2. On invoque à tort la toute
puissance de Dieu pour suppléer à nos actes ; car si l’action de l’homme est
préexigée à l’acquisition de la béatitude, ce n’est point que le pouvoir
béatifiant manque à Dieu, c’est pour que l’ordre soit observé dans les choses.
3. Certes Dieu a produit les
premières créatures de chaque espèce aussitôt parfaites, c’est-à-dire qu’il a posé
les premiers individus des espèces, par où la nature spécifique passerait à
leurs descendants. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il ne prépare pas
l’émergence des espèces nouvelles par une disposition dans les espèces
précédentes. Tout indique qu’il le fait comme par exemple le fait que dans les
vivants supérieurs, on retrouve tout ou partie du chiffre biologique des
espèces inférieures.
Dieu agit comme[516] « un propriétaire qui
tire de son trésor du neuf et du vieux. »
Et de même, lorsque Dieu donne la vision de son essence, il la
donne parfaitement dès le départ ce qui ne veut pas dire que certains actes
humains n’y ont pas disposé. Il existe une seule exception, c’est celle de
l’humanité du Christ mais son cas est irréductible à celui des autres hommes
car le Christ est la personne du Verbe, c’est-à-dire Dieu. C’est pourquoi son
âme, dès le premier instant de sa conception et sans aucune œuvre méritoire
antérieure, a été bienheureuse. Mais cela n’appartient qu’à lui seul. Chez les
enfants même, quand on les baptise, les mérites du Christ concourent à l’octroi
de la grâce sanctifiante, mais s’ils meurent, ils n’entrent pas dans la Vision
sans un acte humain de coopération comme nous le verrons.
4. Quant
aux paroles de saint Paul, l’Apôtre y évoque la béatitude de l’espérance, qui
est communiquée au chrétien par la grâce qui le justifie. Que si cette grâce
n’est pas donnée en raison des œuvres qui précèdent, c’est qu’elle n’a pas le
caractère d’un terme de mouvement, comme la béatitude, mais est plutôt le
principe du mouvement par lequel on tend vers cette béatitude.
Objections :
1. Il ne semble pas. L’humilité
nous enseigne à ne pas désirer ce qui nous dépasse. Or la Vision béatifique
dépasse grandement notre capacité humaine. L’humilité risque donc de nous
pousser à nous détourner de l’espérance de la Vision béatifique. Elle doit donc
être rejetée.
2. L’humilité met l’homme
devant la grandeur de Dieu et lui manifeste au contraire sa petitesse. Si donc
l’humilité est nécessaire au salut, ceux qui ne connaissent pas Dieu ne peuvent
avoir cette vertu. Ils ne peuvent donc être sauvés.
3. Ce
n’est pas l’humilité qui est demandée à la créature pour entrer dans la Vision
béatifique mais quelque chose de plus absolu. En effet, la révélation semble
indiquer l’existence, dans la vie trinitaire du Dieu tout-puissant, d’une forme
d’effacement total des trois personnes, l’une devant l’autre. Sans cesse, le
Père, le Fils et le Saint-Esprit se donnent l’un à l’autre. Chacune des
personnes de la Trinité met l’autre en avant, s’efface devant la contemplation
et l’amour de sa grandeur. Dieu est ainsi et nul ne peut le changer. Révélée
par le Verbe fait chair, cette propriété intérieure de Dieu est appelée
"kénose". Ce n’est donc pas de l’humilité mais une forme
d’anéantissement personnel qui est exigé pour être conforme à Dieu et pour
entrer dans sa communion.
Cependant :
Dans les Écritures saintes, le Seigneur ne cesse de rappeler
l’importance que revêt à ses yeux la vertu d’humilité : il nous enseigne à
l’imiter sur cette voie. « Apprenez
de moi que je suis doux et humble de cœur »[517]. Il proclame : « heureux ceux qui ont une âme de
pauvre car le Royaume de Dieu est à eux »[518]. Saint Pierre confirme ces
paroles : « Revêtez-vous d’humilité
dans vos rapports mutuels car Dieu résiste aux orgueilleux »[519]. On pourrait multiplier les
citations et toutes aboutissent à cette conclusion : nul n’entre dans la gloire
s’il n’est humble.
Conclusion :
Il reste à savoir quel genre d’humilité
est nécessaire et suffisante. L’humilité est une disposition intérieure dont le
caractère est de situer l’homme à sa place devant l’autre quel qu’il soit. Elle
est une attitude liée à la vérité qui amène à se situer exactement dans l’axe
de ce que nous sommes, ni trop haut (ce serait l’orgueil), ni trop bas (le
complexe d’infériorité est la caricature de l’humilité). Cette vertu peut
naître de multiples manières, non seulement chez le chrétien mais dans tout
homme doté d’une volonté droite. Ainsi, dans son regard sur l’immensité de
l’univers, la complexité et l’ordre de la matière, le scientifique peut
acquérir une véritable humilité qui se transforme en admiration étonnée devant
ce qui le dépasse ; mais c’est aussi l’humilité qui lui fait découvrir que son
propre être vaut plus que l’univers entier. De même, le philosophe confronté à
l’être dont il perçoit quelques aspects de la vérité mais dont il discerne
aussi l’infinie supériorité sur sa pauvre connaissance, peut devenir un homme
humble ; encore faut-il qu’il soit un vrai philosophe, c’est-à-dire un homme
soumis au réel.
Autre niveau d’humilité : chaque homme
confronté à son frère peut découvrir à la fois sa propre grandeur et l’absolu
dépassement du mystère de l’autre. Lorsqu’apparaît l’amitié, l’homme est appelé
à découvrir une forme d’humilité qui n’est plus spéculative mais pratique. En
effet, l’amitié n’est possible que dans un don mutuel auquel s’oppose
radicalement toute volonté de dominer l’autre. L’orgueil est une faute mortelle
à l’amitié puisqu’il s’attaque directement à cette forme de dépendance qui
fonde l’amour de l’autre. De même, dans la contemplation philosophique qui
aboutit à la découverte de Dieu comme Créateur et grand horloger de l’univers,
il peut apparaître une nouvelle forme d’humilité contemplative et pratique
-l’acte d’adoration- sans commune mesure avec les formes jusqu’ici décrites.
Mais lorsque l’homme découvre que le Dieu infini et tout-puissant dont il sait
dans son humilité n’être qu’une créature limitée, propose son amitié à travers
le cœur à cœur de l’oraison et, pour après cette vie, la vision de son être, il
est évident qu’il peut apparaître une nouvelle humilité contemplative et
pratique, analogue à celle qu’on voit naître dans l’amitié humaine, mais
infiniment plus profonde tant est infiniment supérieure la grandeur du Dieu qui
se donne ainsi.
De toutes ces considérations, on peut conclure que toute forme
d’humilité est une disposition à l’entrée dans la gloire, non qu’elle la mérite
directement puisque seul l’amour réciproque de charité mérite un tel mariage,
mais parce qu’elle écarte un obstacle mortel à l’amour spirituel : l’orgueil
et, à sa source, l’amour égoïste de soi. C’est pourquoi le Christ recommande
particulièrement à ses disciples cette forme d’humilité suprême qui vient avec
la charité. C’est pourquoi aussi tout ce qui dans le monde provoque dans les
hommes, chrétiens ou non, un progrès de l’humilité dans ses autres formes est
voulu par Dieu : les diverses religions parce qu’elles adorent "un Autre
plus grand que l’homme" [520], les sciences soumises à la
recherche du vrai, les amitiés respectueuses de l’autre, les souffrances qui
montrent à l’homme sa vraie dimension et même la mort physique qui, depuis le
péché originel est un puissant vecteur de petitesse.
Solutions :
1. « Prétendre à quelque chose de grand en comptant sur ses propres
forces est contraire à l’humilité mais il en va tout autrement si l’on compte
sur le secours de Dieu qui exalte dans la mesure où l’on s’abaisse devant lui.
Autre chose, dit saint Augustin, est s’élever vers Dieu, et autre chose
s’élever contre Dieu »[521].
2. L’humilité trouve sa
perfection dans la comparaison que peut faire l’homme entre sa nature limitée
et la grandeur de Dieu. Ce rapport avec Dieu n’est pas essentiel à l’existence
de cette vertu, au moins dans son existence partielle. Elle peut s’appuyer sur
la simple connaissance de notre faiblesse, sans référence à autre chose qu’à
l’univers, nous-mêmes et aux autres. Elle peut donc exister même chez les
païens comme directrice et modératrice de certains actes de la volonté. Elle
peut donc constituer même chez ceux qui ne connaissent pas Dieu une disposition
à la communication future de la grâce puis de la gloire, disposition qui a Dieu
lui-même comme cause première ainsi que cela a été dit[522]. Cette réalité est
d’ailleurs essentielle pour comprendre la manière dont Dieu procède pour
disposer efficacement au salut les athées, les pécheurs, les païens ou les
infidèles. La vie terrestre est ainsi faite qu’il est difficile d’en sortir
sans avoir appris par quelque voie, un commencement d’humilité sur lequel
viendra se greffer la charité.
3. La vertu d’humilité, quoique
nécessaire, n’est pas suffisante. Comme le montrera l’article suivant, il
existe une nécessité d’annihilation de soi -de kénose- à la fois dans la nature
divine, et par conséquent, dans la créature qui s’unit à elle.
Objections :
1. Il ne semble pas. Dieu a créé l’homme pour qu’il agisse selon sa
nature, c’est-à-dire comme une personne libre. Un anéantissement intérieur du moi
(kénose) serait donc contraire à la nature humaine et constituerait une demande
non conforme à la sagesse de Dieu.
2. Si Dieu lui-même s’abaisse au dessous de sa condition et s’il
exige de l’homme le même genre d’abaissement, c’est que Dieu commande autre
chose que la vertu d’humilité, qui est, au sens biblique le fait d’être
soi-même. Or, commander un acte contraire à une vertu, c’est commander un vice.
Cependant :
« Mais, dit Dieu, tu ne peux pas voir ma face,
car l'homme ne peut me voir et vivre. » Exode 33, 20.
« En vérité, en vérité,
je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul
; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. » Jean 12, 24.
Conclusion :
La
nécessité de cette "kénose" de tout ce qui s’approche de la Vision de
Dieu vient de la nature propre de la vie trinitaire. Sans cesse, le Père, le
Fils et le Saint Esprit se donnent l’un à l’autre. Chacune des personnes de la
Trinité met l’autre en avant, s’efface devant la contemplation et l’amour de sa
grandeur. Cette vie trinitaire, ce don mutuel total, rayonne au point de
constituer l’Être même de Dieu. Dieu est ainsi et nul ne peut le changer.
Certains théologiens, tout
en admettant le mystère de cette kénose interne à la Trinité, nient que Dieu
puisse être, en conséquence, dans une attitude d’anéantissement de lui-même
devant les créatures, lui qui est le Tout-puissant. Mais la Révélation
évangélique montre qu’ils ont tort plus encore qu’ils ne le pensent. Dieu
s’abaisse jusqu’à "la folie" selon l’expression de saint Paul[524] et nul concept tiré des analogies naturelles ne peut exprimer
cette réalité. Au plan philosophique, le terme d’humilité ne peut convenir.
Elle est en effet une certaine vérité qui fait que chacun se situe à sa juste
place. Selon cette définition, Dieu étant l’infinie perfection de toutes les
vertus, il est humble lorsqu’il dit : « Les hommes sont néant devant
moi puisque leur être trouve leur cause en moi. » La théologie des
musulmans est, à cet égard, très juste et précise. Pourtant l’Évangile propose
une révélation complémentaire : Dieu, tout en reconnaissant sa supériorité de
nature, considère la personne de l’homme comme plus grande que sa propre
personne au point de s’abaisser non seulement à devenir homme mais à perdre
apparence humaine… Ce n’est plus de l’humilité, c’est de la "kénose"
et, selon saint Paul, la folie de la croix. Un texte le confirme, dans
l’évangile de Jean[525] : « Je suis le maître et le
Seigneur », dit Jésus à Pierre,
manifestant de l’humilité.
"Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous
aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple
que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait
pour vous." Ce jour-là, au grand scandale de Pierre, Jésus révéla aux
hommes l’autre mystère du cœur de Dieu, outre son amour, sa kénose. « Lui,
de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.
Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable
aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore,
obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! »[526]
Il est certain que cette
Révélation nouvelle ne concerne pas seulement l’humanité du Christ mais sa divinité
selon Jésus : « Qui m’a vu a vu le
Père. » En conséquence, Dieu
étant ce qu’il est, ce n’est pas une simple humilité qui est nécessaire à
l’ange ou à l’homme pour entrer dans la Vision de Dieu mais une forme absolue
de kénose, d’anéantissement de soi-même. Cette exigence, impossible à acquérir
de la part de l’homme selon ses propres forces, est possible à Dieu à travers
les purgatoires successifs, comme nous le verrons.
Solutions :
1. Puisque la Vision béatifique est le don ultime d’un amour
réciproque et choisi, elle présuppose de la part de Dieu comme de l’homme un
abaissement réciproque seul capable de fonder cet amour. De la part de Dieu
puisqu’il s’abaisse en s’unissant dans l’amour à un être de nature inférieure ;
de la part de l’homme puisqu’il doit voir un être dont la profonde petitesse ne
peut être saisie que par une vertu ressemblante. En effet, puisque Dieu est par
nature « kénose », il va de soi qu’un ange ou un homme
non conformés intérieurement à cette kénose ne peuvent rien saisir de l’essence
de Dieu.
2. Humilité et kénose peuvent coexister sans contrariété et
conjointement car leur raison formelle n’est pas identique. Ainsi, Dieu est
humble en tant qu’il est et se proclame infini et tout-puissant devant l’homme
; il est "kénose" en tant qu’il considère l’homme comme plus
important que lui-même.
A l’argument
« Cependant », il faut répondre qu’il existe une possibilité de
contresens dans cette parole de Dieu : « Nul
ne peut voir Dieu et vivre. » Sous le
terme vivre, il faut entendre ici le refus possible de cette kénose intérieure
et spirituelle dont nous parlons. En ce sens, en enfer, les damnés
« vivent. » Au contraire, dans la Vision béatifique, les saints sont
« morts à eux-mêmes. »
Objections :
1. « Par la croix, le salut est entré dans le monde », chante-t-on le vendredi Saint. La croix, c’est-à-dire la
souffrance, est nécessaire pour entrer dans la gloire.
2. La moindre humilité et le moindre amour de charité méritent la vie
éternelle puisque Dieu ne se refuse jamais à celui qui l’aime. Or l’humilité et
l’amour peuvent exister sans l’expérience de la souffrance.
3. La souffrance est un mal. Nul ne peut la désirer sans être
présomptueux. Lui donner une valeur quelconque, même éducative, n’est-ce pas en
faire un bien et faire tomber les croyants dans un risque de déviation morbide
?
Cependant :
Adam et Ève, qui avaient été
placés sur terre pour la durée d’une vie sans souffrance, avaient reçu la
promesse de la Vision béatifique. Donc la souffrance n’est pas nécessaire à
l’entrée au paradis.
Conclusion :
Peu de religions donnent une
explication de la souffrance. L’islam appelle à la confiance et promet l’explication
pour l’au-delà. L’hindouisme et le bouddhisme donnent une véritable
explication, mais de type philosophique et panthéiste. Quant au catholicisme et
à l’orthodoxie, à la différence des Églises protestantes, ils proposent au
niveau de leurs saints ou de son Magistère une théologie unifiée. Elle est une
conséquence ultime du fondement de la foi. La théologie catholique est une
"science" en ce sens qu’elle est logique. Elle tire de quelques
principes simples la totalité de sa compréhension. Pour comprendre (ce qui ne
signifie pas tout comprendre), il suffit donc de saisir ces principes. Autre
chose est de croire à ces principes.
La Bonne Nouvelle est, par
son contenu, le principe de toute la théologie chrétienne. « Dieu propose
à l’homme la vision de son Être éternel. Il ne peut se donner qu’à ceux qui
l’aiment car, par essence, deux qualités du cœur résument sa vie :
l’abaissement de soi et l’amour. Sans cesse, le Père exalte le Fils parce qu’il
l’aime. Cet abaissement et cet amour sont infinis dans toutes les directions
des relations trinitaires. »
Pour s’unir à Dieu, il y a
donc des conditions. On ne peut voir Dieu face à face que si on l’épouse
librement, comme dans un mariage d’amour. Et, pour l’épouser, il faut devenir
semblable à lui. Nul ne peut voir Dieu s’il ne devient, comme Dieu, mais à son
niveau de créature, tout abaissement et tout amour. « Nul ne peut voir
Dieu sans mourir à soi-même. » Il ne s’agit pas de n’importe quel
abaissement, ni de n’importe quel amour. La moindre trace d’orgueil ou
d’égoïsme rend impossible car contradictoire le mariage avec Dieu. Dans ces
conditions, il est impossible d’entrer dans la Vision. Elle serait vide de
toute compréhension.
Concrètement, il est
possible d’atteindre la kénose sans la souffrance. Une méditation profonde et
fréquente sur ce qu’est l’homme peut rendre un individu dans sa vraie
dimension. Il est aussi possible, à cause des conséquences du péché originel
(le foyer du péché), de découvrir sa propre misère : « Le juste pèche sept
fois par jour ». Mais la souffrance, lorsqu’elle vient arracher à l’homme
un bien où il repose sa volonté, possède un pouvoir unique, celui de faire
découvrir de manière expérimentale et totale son propre néant. La vieillesse,
la maladie et la mort, en particulier, ont ce pouvoir unique puisqu’elles
viennent briser l’unité de l’être, mais aussi la perte de ce qui détermine la
volonté selon cette parole de Jésus [527] : « Là où est ton
trésor, là aussi est ton cœur. »
En conséquence, on doit dire
que la souffrance n’est pas nécessaire de manière absolue pour entrer dans la
gloire. Mais, en tant qu’elle est capable de faire toucher de manière très
profonde à l’homme sa petitesse, elle a le pouvoir de produire de manière
unique cette disposition à la kénose qui s’appelle l’humilité.
Solutions :
1. Ce n’est pas la souffrance qui nous vaut la rédemption, mais
l’abaissement de soi et la charité qui sont la synthèse de toutes les vertus.
La souffrance n’a de valeur dans la rédemption qu’en fonction de la kénose et
de l’amour qu’elle produit. Elle a donc une grande valeur parce qu’elle a, la
plupart du temps, le pouvoir de produire (même avant l’arrivée de la grâce
sanctifiante) une humilité sans commune mesure avec toutes les autres formes
d’humilité. Ce pouvoir de la souffrance est démontré dans l’épître aux Hébreux,
même chez le Christ dont l’humilité et l’amour étaient déjà parfaits[528] : « Tout Fils qu’il
était, le Christ apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance ; après avoir été
rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut
éternel. »
2. Nous le verrons[529], la mesure de l’union à Dieu dans la Vision béatifique est
l’intensité du désir de Dieu. Ce désir est directement le fruit de la charité
et indirectement celui de l’humilité, puisque c’est dans l’humilité que l’amour
peut naître sans obstacles. Mais il est impossible sans la souffrance de
devenir tout humble (kénose) et tout amour, dans la mesure voulue par Dieu.
Cette mesure est décrite dans les évangiles à travers la vie et les actes de
Jésus. Qui peut se targuer d’être humble (kénose) et aimant au point d’être
capable de donner sa vie pour autrui, surtout s’il s’agit d’un ennemi ? Ceux
qui ont mis à mort le Christ et qui se moquent de lui, il les aime au point
qu’il les accueille à l’heure de leur mort et leur propose la vie éternelle.
Pour approfondir l’humilité
de l’homme, la méthode de Dieu consiste à le faire passer par la vie terrestre,
puis, si nécessaire, par les cinq autres purgatoires de l’autre monde[530]. Cette vie est, on le constate, obligatoirement marquée par la
souffrance puisqu’elle est fragile, dépendante des aléas du hasard et qu’elle
s’achève par la mort. De plus, l’existence de Dieu et d’une survie après la
mort peuvent y être mises en doute. Le silence de Dieu et du Ciel est une des
épreuves les plus étonnantes de la terre. Beaucoup d’ailleurs en concluent, non
sans un certain bon sens : « Dieu ne
peut exister et être amour. Le monde ne serait pas ainsi. »
Pourtant, si l’on étudie
avec attention les écrits de la plupart des théologiens canonisés par l’Église,
la vie terrestre et ses souffrances s’expliquent justement par le mystère de la
Trinité.
L’humanité entière peut être
comparée au Golgotha, c’est-à-dire à la colline du calvaire où fut crucifié
Jésus avec deux bandits. Une partie de nous (la partie orgueilleuse et égoïste)
est représentée par le mauvais larron. Il blasphème et insulte pour sa
souffrance. Il meurt comme les autres et, en mourant, il touche du doigt la
misère de ce qu’il est vraiment. Cette humiliation a des chances de créer en
lui un peu d’humilité, ce qui est déjà un premier pas vers le salut, tel que
nous l’avons exposé plus haut. Le bon larron représente ce qui est droit en
nous. En effet, il est déjà juste : « Je
paye pour ce que j’ai fait. C’est justice.
» Dans sa souffrance, il se tourne vers Dieu et appelle un salut, malgré
son péché. Il est humble. Il désire la vie. Il l’aura certainement juste après
sa mort, lui promet Jésus. Quant à Jésus, il représente les saints,
c’est-à-dire ceux qui savent qu’il n’y a qu’un seul commandement : « aimer Dieu et le prochain » et qui s’efforcent d’en vivre.
Eux s’efforcent de faire de leur vie un acte d’offrande pour cet amour.
3. La souffrance est un mal mais son effet peut être un bien, affirme
Jean-Paul II[531]. La souffrance, même quand elle n’est pas acceptée, a pour le
moins comme effet l’humiliation de l’orgueil. Elle peut creuser le cœur dans le
sens de l’humilité (kénose) (je ne suis rien) et du désir (désespéré parfois)
d’un amour qui sauve. Cette analyse permet de comprendre beaucoup
d’enseignements de Jésus :
« Les prostituées et les pécheurs devancent les prêtres dans le
Royaume de Dieu [532] ». C’est ainsi car les prostituées, humiliées dans leur féminité
par la vie et par leurs clients, sont plus disposées à développer l’humilité
(kénose) qu’un prêtre reconnu universellement comme un homme bien[533].
« Beaucoup de premiers seront derniers, et de derniers seront
premiers[534] » pour la même raison. Il est difficile, quand on reçoit la gloire
ici-bas, de comprendre qu’on n’est pas grand-chose.
« Il est plus difficile à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu
qu’à un chameau de passer dans le trou d’une aiguille »[535]. Aux yeux de Jésus, un riche se comprend comme un riche au point
de vue du cœur. La richesse matérielle, le pouvoir, dans la mesure où ils
rendent arrogants, sont un danger pour la vie éternelle. En fin de compte, un
enfant mort abandonné est mieux disposé à l’humilité (kénose) qu’un riche homme
d’affaire[536].
A l’objection citée en « cependant », il faut répondre : Trois niveaux d’humilité peuvent être
distingués : 1° « L’humilité en parole.
» Elle est présente chez celui qui, sans en vivre, a intellectuellement
compris qu’il faut être humble (kénose) pour être sauvé. Il s’agit d’une
humilité théorique mais non d’une humilité vécue. Elle est par exemple le lot
des enseignants de la parole de Dieu.
2° « L’humilité en
pensée. » Elle est présente chez
celui qui a intellectuellement compris qu’il n’était rien. Elle peut être
acquise à travers une vie de méditation scientifique, philosophique ou
religieuse. Elle ne nécessite pas d’avoir souffert.
3° « L’humilité
(kénose) en acte. » Elle est le fait
de celui qui n’est plus rien, en acte. Cette humilité ne peut être,
semble-t-il, acquise sans la souffrance, même pour la personne du Christ ou
pour la Vierge Immaculée, selon la parole de l’Epître aux Hébreux 5, 8. Seule
la deuxième forme d’humilité est nécessaire pour voir Dieu. Mais la troisième
est tellement plus profonde que l’Église chante dans sa liturgie de la Semaine
Sainte à propos de la faute d’Adam et Ève : «
Bienheureuse faute qui nous valut un tel salut. »
Objections :
1. L’homme mérite devant Dieu,
ainsi que nous l’avons dit, le bien pour lequel Dieu l’a fait. Mais par sa
nature l’homme est tourné vers la béatitude comme vers sa fin. C’est pourquoi,
même naturellement, il désire être bienheureux. Donc par ses moyens naturels et
sans la grâce il peut mériter la béatitude qui est la vie éternelle.
2. Moins une œuvre est due,
plus elle est méritoire. Or une bonne action accomplie par celui qui a été
moins favorisé est moins due. S’il en est ainsi, celui qui ne possède que les
biens naturels ayant été moins favorisé de Dieu que celui qui a reçu en plus
les dons gratuits, ses œuvres seront, semble-t-il, plus méritoires devant Dieu.
Si donc celui qui possède la grâce peut d’une certaine façon mériter la vie
éternelle, à bien plus forte raison, celui qui ne la possède pas.
3. La
miséricorde et la libéralité de Dieu dépassent infiniment la miséricorde et la
libéralité humaines. Or un homme peut mériter aux yeux d’un autre même quand il
n’a jamais eu auparavant ses bonnes grâces. II semble donc qu’à bien plus forte
raison on puisse sans la grâce mériter devant Dieu la vie éternelle.
Cependant :
L’Apôtre dit dans l’épître aux Romains[538] : « La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. »
Conclusion[539] :
L’homme sans la grâce, nous l’avons déjà noté, peut être considéré
selon deux états différents : l’état de nature intègre qui fut celui d’Adam
avant sa faute et l’état de nature corrompue qui est le nôtre avant la
restauration par la grâce. Si nous parlons de l’homme dans le premier de ces
états, la raison qui fait qu’il ne peut mériter la vie éternelle, lorsqu’il est
réduit à ses ressources naturelles et sans la grâce, c’est que le mérite de
l’homme dépend de l’ordre préalablement établi par Dieu. Et d’après cet ordre
établi par Dieu, l’acte d’un être ne tend jamais vers un objet sans proportion
avec la force active qui est le principe de cet acte. C’est une loi de la
divine Providence que rien n’agisse au delà de son pouvoir. Or la vie éternelle
est un bien sans proportion avec la portée de la nature créée ; puisque même, elle
dépasse sa pensée et son désir selon la parole de la première épître aux
Corinthiens : « Ni l’œil de l’homme
n’a vu, ni son oreille n’a entendu, ni il n’est entré dans son cœur. » De là vient qu’aucune nature créée n’est
le principe suffisant d’un acte qui mérite la vie éternelle, à moins qu’un don
surnaturel ne lui soit ajouté ; et ce don nous l’appelons la grâce. Si
maintenant c’est l’homme soumis au joug du péché que nous considérons, à cette
raison que nous venons de donner s’en ajoute une seconde : l’obstacle du péché.
En effet, le péché est une offense faite à Dieu, laquelle nous exclut de la vie
éternelle, comme il ressort de notre exposé à ce sujet. Dès lors, nul homme en
état de péché ne peut mériter la vie éternelle à moins qu’il ne soit réconcilié
avec Dieu et que son péché ne soit effacé ; or c’est la grâce qui produit ce
résultat. Ce qui est dû en effet au pécheur ce n’est pas la vie, mais la mort,
comme l’enseigne l’épître aux Romains[540] : « Le salaire du péché, c’est la mort. »
Solutions :
1. Sans doute Dieu a donné pour
fin à la nature humaine la vie éternelle. Il existe un désir naturel de voir
Dieu puisque l’intelligence se porte naturellement vers ce qu’elle sait être
cause de tout. Cependant, ce désir naturel tend vers l’inaccessible car la
Cause en question est sans commune mesure avec la nature limitée de l’esprit
créé. Pour l’obtenir, ce désir naturel doit donc être surélevé, non pas par ses
propres forces, mais avec le secours de la grâce. Et c’est de cette façon que
son acte peut mériter la vie éternelle.
2. L’homme sans la grâce ne
peut produire une œuvre égale à celle qui procède de la grâce, parce que plus
le principe de l’action est parfait, plus l’action elle-même est parfaite. Or
l’argument proposé n’aurait été admissible, que si nous nous étions trouvés en
présence d’œuvres égales de part et d’autre.
3. Si nous considérons
l’objection à la lumière de la première raison invoquée dans notre conclusion,
aucune assimilation n’est possible entre Dieu et l’homme. Car l’homme tient de
Dieu tout le pouvoir qu’il a de faire du bien ; tandis qu’il ne tient en rien
ce pouvoir d’un autre homme. C’est pourquoi l’homme ne peut avoir quelque
mérite auprès de Dieu qu’en vertu d’un don de Dieu ; l’Apôtre nous le fait
entendre expressément par ces mots : « Qui
donc a donné quelque chose à Dieu le premier pour attendre de Dieu une
rétribution ? » Au contraire, nous
pouvons acquérir quelque mérite auprès d’un de nos semblables avant d’en avoir
rien reçu, et cela, au moyen de ce que nous avons reçu de Dieu. Si, par contre,
nous considérons l’objection à la lumière de la seconde raison invoquée, celle
qui vient de l’obstacle du péché, cette fois la situation est la même qu’il
s’agisse de l’homme ou de Dieu ; car on ne peut pas non plus mériter auprès
d’un homme qu’on a offensé, à moins d’avoir satisfait et de s’être réconcilié
avec lui.
Objections :
1. Pour son salut et pour sa
perfection un être peut toujours se contenter, semble t-il, de ce qui convient
selon sa nature. Mais ce qui est de foi dépasse la raison naturelle de l’homme
: c’est ce qui ne se voit pas. Pour être sauvé, il ne semble pas être nécessaire
de croire.
2. Le salut de l’homme réside
en Dieu : « le salut des vôtres vient
du Seigneur », dit le psalmiste[541]. Mais « ce qu’il y a d’invisible en Dieu, depuis la création du
monde, se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres », comme le dit l’apôtre[542]. Ce qui se découvre à la
pensée, on n’a pas à le croire. Il n’est donc pas nécessaire au salut que l’on
croie des choses.
3. Nul n’est tenu à ce qui
n’est pas en son pouvoir. Mais croire n’est pas au pouvoir de l’homme puisque
la foi est un don de Dieu. Bien souvent, ce don est fait par l’intermédiaire
d’instruments humains comme les apôtres. « Mais
comment croiront-ils s’ils n’ont pas entendu prêcher ? », dit l’apôtre[543]. Ainsi, la foi ne peut être
nécessaire au salut sans quoi des millions d’hommes seraient damnés sans
responsabilité de leur part n’ayant pas eu la chance d’être visités par des
missionnaires. C’est d’ailleurs une position de Calvin rejetée par l’Église :
Dieu ne prédestine personne à l’enfer.
Cependant :
« Celui qui s’approche de Dieu doit croire »[544]. « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. Celui qui ne
croira pas sera condamné. » [545]
Conclusion :
Comme nous l’avons montré, le libre
arbitre est requis comme une disposition du côté de l’homme à l’entrée dans la
vision de Dieu. Dieu ne se donne qu’à celui qui l’aime et le désire. Mais il ne
peut y avoir véritablement libre arbitre si l’on ne connaît pas d’une certaine
manière ce vers quoi l’on est conduit. Ainsi, l’âme ne peut d’aucune manière
disposer son libre arbitre vers la communication de la béatitude éternelle si
elle n’en connaît pas l’existence. Dieu seul peut en révéler la possibilité.
C’est pourquoi il est requis que l’homme réponde par la foi à une telle
révélation. La foi est requise aussi à l’homme en tant qu’elle implique de sa
part une certaine confiance en Dieu car nul ne croit en la parole d’un autre
s’il n’a pas confiance en cet autre. De même nul ne peut être établi dans la
vision de Dieu s’il n’a pas une totale confiance en celui qui l’appelle à son
admirable lumière. Mais nous verrons plus amplement cela dans l’article
consacré à la nécessité de la charité.
Solutions :
1. Parce que notre salut
éternel est d’ordre surnaturel, il est nécessaire qu’il nous soit proposé par
une connaissance d’origine surnaturelle. D’où la nécessité de la foi.
2. Les attributs invisibles de
Dieu, la foi les perçoit d’une façon plus élevée et en plus grand nombre que ne
fait la raison naturelle lorsqu’elle remonte des créatures à Dieu. D’où cette parole
de l’ecclésiastique[546] : « On t’a montré beaucoup plus de choses que l’intelligence
humaine n’en peut comprendre. » La
connaissance obtenue par la raison naturelle sur Dieu ne peut suffire pour
rendre l’homme capable de se disposer librement à entrer dans la vision de son
essence. Elle peut constituer une disposition à la foi. Mais seule une
révélation venant de Dieu, à laquelle l’homme adhère, peut lui donner
connaissance de la nature, de la possibilité et des moyens du salut.
La nature de cette disposition est plus aisée à comprendre par
l’analogie du mariage. Savoir qu’il existe des jeunes filles à marier
correspond à la connaissance extérieure de la philosophie. Savoir que telle
jeune fille est digne d’être aimée, voici le contenu de la foi. Avoir confiance
qu’on l’aimera un jour, voici la foi elle-même. L’aimer dans un amour
réciproque, voici l’analogie de la charité.
3. Tout homme peut être amené à
croire avec le secours de la grâce. Et ce secours vient toujours selon cette
parole de l’Écriture : « Tous les
lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. »[547]Les lointains de la terre
symbolisent les hommes qui ne connaissent pas Dieu. Si Dieu donne à certains la
possibilité d’avoir la foi dès cette terre grâce à la prédication de ses
apôtres, c’est à cause de sa très grande miséricorde. Quant aux autres, Dieu
leur propose son salut à l’heure de leur mort, comme aux ouvriers de la onzième
heure. Mais l’essentiel dans tout cela, c’est qu’il dispose chacun en
enseignant l’humilité (kénose) et le désir, à entrer librement dans la
révélation de la charité, à son heure.
Objections :
1. L’apôtre dit seulement[548] : « il faut croire, quand on s’approche de Dieu, qu’il existe et
que pour ceux qui le cherchent, il est rémunérateur ». Mais on peut croire cela sans la foi en la Rédemption ou à
la Trinité. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir explicitement la foi en ces
deux mystères pour entrer dans la gloire.
2. Nous sommes tenus de croire
explicitement en Dieu qui est l’objet de la béatitude. Mais ce qui fait la
possibilité de la béatitude, c’est la souveraine bonté de Dieu. Or elle peut se
concevoir, en lui-même sans la distinction des personnes. Il n’est donc pas
nécessaire de croire explicitement en la Trinité et au Christ.
3. Très
peu d’hommes même parmi les chrétiens, soupçonnent l’intensité du mystère
présent sous les mots de Trinité et de Sauveur. On ne peut donc dire qu’ils
connaissent explicitement par la foi ces réalités. On voit mal comment tant de
gens pourraient être écartés du salut à cause d’une ignorance.
Cependant :
Saint Athanase affirme dans son symbole[549] : « Quiconque veut être sauvé doit, avant tout, tenir la foi
catholique : (...) nous vénérons un Dieu dans la Trinité et la Trinité dans
l’unité (...). Mais il est nécessaire au salut éternel de croire fidèlement
aussi à l’incarnation de Jésus Christ (...).
»
Conclusion :
La vie béatifique à laquelle l’homme est
appelé pour l’éternité à pour objet la contemplation du Mystère insondable de
la Trinité. D’autre part, c’est par Jésus-Christ, le seul médiateur qui soit
entre Dieu et l’homme, qu’est donné ce salut. Il est donc impensable qu’un
homme entre en possession de Dieu par Jésus-Christ s’il ne connaît ni Dieu ni
Jésus-Christ.
On peut expliquer comme suit ces affirmations : ce qui appartient
proprement et par soi à l’objet de foi, et par excellence à cette foi qui
précède l’entrée dans la Vision béatifique, c’est la nature de la béatitude
proposée et ce par quoi on obtient la béatitude. Or, pour les humains, le
chemin qui mène à la béatitude, c’est le mystère de l’Incarnation et de la
Rédemption du Christ[550]. Il est dit en effet au
livre des Actes 4, 12 : « Il n’y a
pas d’autre nom qui ait été donné aux hommes, par lequel nous devrions être
sauvés. » Jésus-Christ est d’autre
part l’image de Dieu, adaptée parfaitement au mode de la connaissance humaine.
Il révèle aux hommes par ce qu’il est le mystère de la vie trinitaire qui est
l’objet de la Vision béatifique.
Cette connaissance est donc nécessaire.
Elle n’a pas besoin d’être parfaite et totale sans quoi, puisque Jésus est
Dieu, on devrait dire que l’homme doit d’abord avoir vu l’essence de Dieu pour
choisir de la voir pour l’éternité. Cependant, cette connaissance doit être
suffisamment lumineuse et profonde pour permettre un choix parfaitement libre
et définitif. La foi d’ici-bas a rarement cette qualité même chez les saints.
Mais, au moment de la mort, elle est purifiée, illuminée et perfectionnée par
le ministère de Jésus-Christ et des anges.
Solutions :
1. Croire explicitement ces
deux choses mentionnées par l’apôtre, cela a été nécessaire en tout temps et
pour tous. Comme nous le verrons, la possibilité de croire est offerte à tout
homme durant sa vie terrestre, même si cela ne paraît pas expérimentalement
évident.
2. La souveraine bonté de Dieu,
dans la mesure où présentement nous la comprenons par ses effets, peut se
concevoir en dehors de la Trinité des personnes. Mais en tant qu’elle est
comprise en elle-même, elle ne peut se concevoir en dehors de la Trinité des
personnes. Or c’est là l’objet de la Vision béatifique. Donc ce mystère ne peut
être ignoré de l’homme s’il est amené à le choisir ou à le refuser un jour.
D’autre part, puisque ce sont les missions du Fils et du Saint Esprit qui nous
conduisent à ce salut, et que les moyens doivent nous être connus, nous
aboutissons à la même conclusion.
3. L’objection considère la foi
telle qu’elle est ici sur terre. Mais au moment de la mort, elle est rendue
parfaitement claire par le ministère de Jésus-Christ et des anges. Quant aux
païens qui n’ont jamais eu la possibilité de connaître l’existence des mystères
du salut parce qu’ils n’en ont pas reçu la prédication, ceux-ci leur seront
révélés, à tous sans exception, à l’instant de la mort, selon cette parole de
l’Écriture : « Il s’en alla même
prêcher aux esprits en prison »[551]. Cela ne veut pas dire que
tous croiront car Dieu n’oblige personne à répondre par une foi confiante à la
prédication, comme nous le verrons plus loin[552].
Objections :
1. La béatitude éternelle dépasse
toute aspiration de l’âme. L’apôtre dit en effet « qu’elle n’a pas été révélée à un cœur d’homme »[554]. Nul n’est donc tenu
d’espérer la béatitude pour y être introduit.
2. Nous avons montré que l’humilité
(kénose) était nécessaire pour entrer dans la gloire. Or l’espérance de la
vision s’oppose à l’humilité puisque l’homme désire un bien qui le transcende,
donc l’espérance de la Vision béatifique n’est pas nécessaire pour y entrer.
3. Celui
qui n’espère pas voir Dieu ne pèche pas. Cela peut venir d’une ignorance s’il
ne connaît pas l’existence de la béatitude. Or l’ignorance n’est pas coupable ;
cela peut venir aussi du sentiment de la grandeur de Dieu ou de l’horreur de
ses péchés personnels ce qui est un signe de grande pauvreté d’âme. Donc
l’espérance n’est pas nécessaire pour entrer dans la gloire.
Cependant :
L’espérance a pour objet la béatitude
éternelle. Or nul ne peut recevoir librement ce qu’il n’espère pas donc
l’espérance est nécessaire pour être introduit par Dieu dans la Vision
béatifique.
Conclusion :
L’homme est tenu d’avoir une espérance
théologale parfaite pour être introduit dans la Vision béatifique. En premier
lieu, cette espérance doit porter explicitement sur la vie éternelle
c’est-à-dire sur la vision et la jouissance de Dieu. La raison en est que le
moyen doit être proportionné à la fin. Or la fin de l’espérance c’est la
possession de Dieu. Nul ne peut être introduit dans la Vision béatifique s’il
ne l’espère car Dieu ne s’impose pas à la liberté de sa créature, comme nous
l’avons montré.
En outre, il est nécessaire que la
certitude de l’espérance s’appuie tout entière sur le secours divin. Dieu est
en effet un bien supérieur que nul ne peut atteindre par ses propres forces.
Espérer cela autrement serait de la présomption.
L’espérance parfaite ne peut exister sans une foi parfaite sur
laquelle elle s’appuie car la foi propose à l’espérance ses deux objets qui
sont la béatitude éternelle et le secours divin par lequel nous l’obtenons.[555]
Solutions :
1. En effet, la béatitude
éternelle n’est pas révélée d’une façon parfaite au cœur de l’homme, de telle
manière que l’homme puisse en connaître avant d’y être introduit, toute la
nature et la qualité. Mais, selon sa raison commune, celle du bien parfait,
l’homme peut en avoir une certaine connaissance. Et c’est sous cet aspect que
le mouvement de l’espérance s’élève vers elle. D’où est-ce par métaphore que
l’épître aux Hébreux[556] dit que l’espérance pénètre
« jusque de l’autre côté du voile », l’objet de notre espérance nous
étant encore pour l’instant voilé.
2. L’espérance théologale
désire obtenir un bien supérieur non en s’appuyant sur ses propres forces, mais
sur celles de celui qui peut le lui donner. Au contraire, l’orgueil qui s’oppose
à l’humilité cherche à obtenir la vision de Dieu sans l’aide de Dieu car il est
meilleur d’avoir un bien par soi-même que de le tenir d’un autre, selon saint
Grégoire. Donc l’espérance ne s’oppose pas à l’humilité. C’est la présomption
qui s’oppose à l’humilité.
3. Dans l’instant qui précède
l’entrée dans la vision de Dieu, l’ignorance n’existe plus comme nous le
montrerons plus loin[557] car le Sauveur révèle à
l’âme tout ce qu’il lui faut pour se porter librement vers sa fin. Si une telle
ignorance subsiste dans l’âme, elle ne peut être que coupable et volontaire.
Elle peut être causée par un péché contre le Saint Esprit par exemple un refus
de croire malgré l’évidence. De même, dans cet état particulier qui précède la
gloire, si la peur de Dieu ou l’horreur de ses péchés subsistent jusqu’à
conduire au refus d’espérer le salut, ce ne peut être par humilité. Car
l’humble soumet sa volonté à celle de Dieu quand elle lui est suffisamment
manifestée. Or Dieu donne à l’âme la possibilité de connaître la grandeur de sa
tendresse qui supprime toute peur et de son pardon qui efface tout péché. Il y
a donc nécessairement une racine d’orgueil dans un tel désespoir qui constitue
alors aussi un blasphème volontaire contre le Saint Esprit.[558]
Objections :
1. Il semble que la charité ne
soit pas nécessairement requise pour entrer dans la Vision béatifique. Dieu ne
demande pas à l’homme ce qui dépasse ses forces. Or la charité est une amitié
surnaturelle pour Dieu. Elle dépasse donc les forces de l’homme,
2. Avant la venue de Jésus,
Dieu conclut avec les hommes diverses alliances dans lesquelles il promettait
de leur donner un jour une terre où couleraient le lait et le miel[560], ce qui symbolise sa
gloire. Or Dieu demandait simplement aux hommes l’obéissance à sa volonté comme
nous le montre le Pentateuque. Donc la charité n’est pas nécessaire pour entrer
dans la Vision béatifique.
3. Que
penser enfin des hommes qui, même après la venue du Christ, refusent d’aimer
Dieu comme un ami, c’est à dire par amour de charité, à cause de leur sens de
la grandeur du Créateur devant qui l’homme ne peut que plier le genou.
Cependant :
Jésus dit[561] : « si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui
et nous ferons chez lui notre demeure ».
Donc la charité est nécessaire pour être introduit en Dieu.
Conclusion :
Nul ne peut être introduit dans la Vision béatifique s’il n’aime
Dieu. Il faut en effet considérer que la vie éternelle consiste dans la
jouissance de Dieu. Or le mouvement de l’âme humaine vers la jouissance du bien
divin, c’est l’acte propre de la charité et c’est par lui que tous les actes
des autres vertus se rapportent à cette fin puisque la charité commande les
autres vertus. Aussi est-ce premièrement à la charité qu’il appartient de
recevoir la vie éternelle car Dieu ne donne la jouissance de sa présence dans
l’âme que par amour libre et gratuit pour sa créature qui doit répondre en
retour par l’amour. Les autres choses que nous avons décrites n’ont de valeur
aux yeux de Dieu que parce que leurs actes conduisent à l’amour de charité.
L’assemblage des vertus peut se comparer à un édifice. L’humilité est première
et fondement de cet édifice en ce sens qu’elle enlève les obstacles qui peuvent
s’opposer à sa construction et en particulier l’orgueil. Elle rend l’homme
docile à l’action de Dieu. La foi est le commencement du bâti car elle révèle à
l’homme l’existence de la fin suprême ; l’espérance vient ensuite car elle fait
que l’âme désire avancer dans sa quête. La grâce habituelle peut alors
intervenir comme finition du temple puisqu’elle rend possible la charité par
laquelle Dieu vient l’habiter, invisiblement dès ici-bas, visiblement au Ciel ;
la charité en est le sommet car elle nous fait aimer Dieu de tout notre cœur,
de toute notre âme de toute nos forces et parce qu’elle nous fait aimer le
prochain à cause de Dieu comme nous nous aimons nous-même. Étant un amour de
Dieu, elle nous mérite de sa part la vie éternelle car Dieu, dans sa justice,
donne à celui qui l’aime ce qu’il a promis. « Si
quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous ferons
chez lui notre demeure ».[562]
Solutions :
1. Dieu donne à l’homme à un
moment ou à un autre la possibilité de le connaître de telle façon qu’il puisse
l’espérer et 1’aimer. La charité surnaturelle n’est pas hors de portée de
l’homme s’il s’appuie sur la grâce que Dieu ne lui refuse pas. Et cette vertu
est nécessaire car Dieu est amour et ne se donne qu’à ceux qui l’aiment.
2. Avant la venue du Christ,
quand la possibilité d’aimer Dieu par la charité n’avait pas encore été rendue
à l’homme à cause du péché originel qui le séparait de Dieu, les hommes n’entraient
pas dans la vision de l’essence divine. Il leur fallut attendre la mort du
Sauveur qui, en s’offrant comme victime pour les péchés, prit sur lui les
fautes de chacun. Auparavant, ils attendaient dans les enfers et le Christ vint
lui-même les délivrer selon cette parole de saint Pierre[563] : « Il s’en alla même prêcher aux esprits en prison. » Quant au fait que le Christ vint si
tard, il s’explique par la dureté du cœur de l’homme que Dieu dut relever par
étapes, se révélant à lui d’abord comme l’ami et même l’époux.
3. Les
musulmans, les Juifs et les fidèles des religions qui par humilité refusent
d’aimer Dieu dans l’amitié de la charité n’en sont pas moins disposés par leur
religion aux sentiments intérieurs qui écartent l’obstacle de l’orgueil car la
droiture de leur volonté les dispose directement à accepter la prédication que
le Sauveur leur adresse au moment de leur mort par la vision de son humanité
Sainte. Rien n’empêche donc qu’ils soient sauvés. Ils y sont au contraire
disposés par leur religion. Nul ne peut être damné que s’il refuse
explicitement cette charité lorsqu’elle est proposée de manière évidente. Il
s’agit alors d’un blasphème contre l’Esprit Saint.
Objections :
1. Cela ne semble pas possible.
Aimer Dieu parfaitement, c’est l’aimer tel qu’il s’aime lui-même. Or personne
ne peut aimer Dieu comme il s’aime. Donc une charité parfaite n’est pas
requise.
2. L’homme ne peut être
continuellement tourné vers Dieu, ce qu’exigerait pourtant une charité
parfaite. Or Dieu ne peut exiger ce qui dépasse les forces de l’homme. Donc une
charité parfaite n’est pas requise.
3. Le moindre acte de charité
trouve son origine en Dieu qui en rend l’homme capable par sa grâce. Or la
moindre grâce de Dieu est capable de nous mériter la béatitude. Donc une
charité parfaite n’est pas requise pour être sauvé.
4. Après
la mort, nul ne peut augmenter sa charité pour Dieu puisque nul ne peut mériter.
Or beaucoup meurent avec une charité imparfaite. Faut-il donc admettre qu’ils
seront séparés de Dieu ? Cela n’est pas possible. Donc la charité parfaite
n’est pas requise pour entrer dans la Vision béatifique.
Cependant :
Jésus dit : « celui
qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ».[564] Il dit aussi : « qui perdra sa vie à cause de moi et de
l’Évangile la sauvera ».[565] Or aimer Dieu plus que ses
proches et plus que sa propre vie c’est la charité parfaite selon ce que dit
saint Paul aux Philippiens (1, 23) : la charité atteint sa perfection quand
elle dit : « je désire mourir et être
avec le Christ ». Donc une charité parfaite est requise
pour entrer dans la Vision béatifique.
Conclusion :
Il est nécessaire que l’homme aime Dieu plus que tout pour entrer
dans la Vision béatifique. La raison en est que Dieu est par essence la source
de toute bonté. Il est plus aimable que tout bien participé. Il faut donc que
le cœur de l’homme soit disposé de telle façon qu’il désire voir Dieu plus que
toute autre chose. Un tel désir est seul proportionné à la réception du Bien
parfait. Il est un acte de la charité parfaite.
Solutions :
1. Par charité parfaite, nous n’entendons pas un amour qui aimerait Dieu
tel qu’il s’aime. Aucune créature n’en est capable car Dieu est aimable autant
qu’il est bon. Il est donc infiniment aimable puisque sa bonté est infinie. Or
aucune créature ne peut aimer Dieu infiniment puisque toute vertu créée est
limitée.
2. Il n’est pas nécessaire que
l’homme aime Dieu de telle façon qu’il se porte continuellement vers lui de
toute sa force. Une telle perfection de la charité est celle qui règnera dans
l’autre monde lorsque l’homme aura été délivré du mode provisoire du fonctionnement
de la chair. Il est seulement exigé que l’homme donne habituellement tout son
cœur à Dieu, de ne rien penser et de ne rien vouloir qui soit contraire à la
divine dilection. Dans l’instant qui précède l’entrée dans la gloire, cela se
réalise concrètement par le fait que l’âme vaque tout entière à Dieu et aux
choses divines, en laissant tout le reste. Une telle charité est vécue dans
certains cas dès ici-bas par ceux qui sont consacrés à Dieu dans la vie
contemplative. En ce sens, ils sont témoins de ce que vivent toutes les âmes
avant leur entrée dans la vision de Dieu.
3. Le moindre acte de charité
mérite à l’homme de recevoir la gloire de la vision divine. Cependant, tant que
cet acte est mélangé par des restes de péché, c’est-à-dire par des affections
qui sont autres que celle qui se portent vers Dieu et vers les biens divins, il
ne peut conduire immédiatement à la vision de Dieu. Il demande donc à être
purifié d’où l’existence après la mort d’un feu purificateur comme nous le
verrons ultérieurement.
4. La
charité, si on la considère en elle-même, est toujours parfaite puisqu’elle est
infusée par Dieu qui ne saurait faire œuvre imparfaite. Mais, relativement à
celui qui possède la charité, elle peut être imparfaite en ce sens qu’elle
trouve dans la volonté un obstacle à son parfait exercice. C’est cet obstacle
qui est supprimé par le purgatoire, sans que la charité ait besoin d’être
augmentée en elle-même[566].
Objections :
1. Le baptême est nécessaire
selon les paroles du Seigneur : « Celui
qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné ».[567] L’autorité de cette Parole
ne saurait être mise en doute.
2. Il semble que l’homme doit non
seulement recevoir le baptême pour être sauvé mais aussi le sacrement de
l’Eucharistie selon la parole de Jésus : «
Je suis le pain vivant descendu du Ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il
vivra à jamais ».[568] Si donc l’Eucharistie est
nécessaire au salut, a fortiori, le
sacrement du baptême qui y introduit est indispensable.
Cependant :
Jésus dit au bandit crucifié à sa droite : « Aujourd’hui, avec moi, tu
seras dans le paradis »[569]. Or cet homme n’avait pas
été baptisé, ni par le baptême d’eau, ni par celui du martyre puisqu’il n’est
pas mort pour le Christ. Donc il est possible d’être sauvé sans recevoir le
sacrement de baptême.
Conclusion :
Le baptême est un sacrement puisqu’il réalise
efficacement dans l’âme de celui qui le reçoit ce qu’il signifie. Il est
possible de distinguer en lui au delà du signe sensible qui est l’eau versée
accompagnée de la parole dite, une réalité efficacement reçue par le baptisé.
Cette réalité n’est autre que le pardon de tous les péchés commis
antérieurement, et la réception de la grâce comme d’une vie nouvelle. Ces deux
effets du baptême sont signifiés par l’eau qui lave et fait naître à la vie.
Ainsi, si l’on considère le baptême en tant qu’il donne le pardon et la grâce,
alors sa réception est indispensable au salut. Nous avons montré en effet que
nul ne peut rentrer au Ciel si ses péchés ne lui sont pardonnés et s’il n’a
reçu la grâce.[570]
Cependant, cette grâce du baptême peut être reçue par l’homme de
plusieurs manières : bien des humains la reçoivent avant même d’avoir été
baptisés sacramentellement. Ainsi, ceux qui tournent leur âme vers Dieu par une
sincère conversion, reçoivent dès cet instant de sa part les effets du baptême.
Sachant cela, l’Église n’hésite pas à différer chez les catéchumènes la
réception du baptême plusieurs années après qu’ils l’aient demandé. Elle sait
qu’elle ne met pas en danger leur salut. De même, les enfants morts sans
baptême sont considérés comme sauvés à cause du baptême de la prière de leurs
parents pour eux, ou des parents adoptifs du Ciel.
En conséquence, on doit dire que la grâce du baptême est
nécessaire au salut d’une manière absolue. Quant au sacrement du baptême, il
n’est pas nécessaire en soi mais relativement à cet effet dont il est la cause
la plus habituelle.
Solutions :
1. Les paroles du Seigneur
doivent s’entendre en premier lieu de l’effet du baptême qui est la conversion
du cœur vers la vie de la grâce. Cependant, en un second sens, on doit les
interpréter par une nécessité de recevoir le sacrement de baptême. En effet,
celui qui est véritablement introduit par l’Esprit Saint dans la vie de la
grâce ne peut que désirer la réception de ce bain d’eau instauré par le Christ.
S’il refuse obstinément, c’est que sa conversion n’est pas totale. En ce sens
là, on doit dire que le baptême sacramentel est nécessaire au salut.
2. Comme
nous l’avons montré, l’homme ne peut entrer dans la gloire s’il n’a pas une foi
ferme et profonde en Dieu, une espérance infaillible et une charité brûlante.
Or c’est le rôle du sacrement de confirmation de rendre la foi et l’espérance
adultes ; De même, l’eucharistie enflamme la charité puisque, en communiant,
l’homme s’unit amoureusement à Dieu en même temps qu’à son prochain. Il réalise
sensiblement dans sa vie les deux commandements donnés par le Seigneur.
Cependant, ces effets de la grâce peuvent naître dans l’homme par d’autres
moyens, comme on le voit chez certains saints qui furent longtemps privés par
la persécution de la réception des sacrements. Bien des hommes ne reçoivent ces
grâces qu’au moment de leur mort. Nous le montrerons ultérieurement.
En ce qui concerne l’argument en sens contraire, on doit répondre
ceci : le bandit crucifié à la droite de Jésus fut réellement baptisé, non d’un
baptême d’eau certes mais du baptême de l’Esprit Saint. En effet, il confessa
sa foi au Seigneur et une telle profession ne peut venir « de la chair mais seulement du Saint-Esprit »[571], comme le dit le Seigneur à
saint Pierre. On peut même affirmer que le bandit fut baptisé d’un baptême de
sang puisqu’il estima juste devant le Seigneur les souffrances qu’il endurait
pour son péché. Il est donc évident que cet homme était rempli de la grâce que
confère habituellement le baptême d’eau.
D’autres théologiens pensent que ce
bandit ne reçut pas sur sa croix la grâce sanctifiante dans ce qui la spécifie,
à savoir cette amitié cœur à cœur avec Dieu, mais seulement l’humilité et
l’espérance qui en étaient les dispositions. Dans cette hypothèse, il reçut la
grâce du baptême un peu plus tard, c’est-à-dire juste à l’heure de sa mort, par
la Révélation de l’Évangile du Royaume de Dieu. C’est ce qui se produisait
habituellement pour tous les hommes de l’Ancienne Alliance.
Objections :
l .On ne peut affirmer qu’un
homme pourra voir Dieu plus qu’un autre. Dieu ne se prête pas au plus et au
moins. Il est simple. Celui qui le voit le voit donc tout entier ou alors il ne
le voit pas dans son essence.
2. Cela ne se peut pas. Nous
avons montré[572] que la Vision béatifique
est une opération dont le siège est l’intelligence. Elle consiste en un acte de
contemplation. La charité quant à elle est un amour de la volonté. L’expérience
montre que l’intelligence d’un homme n’a pas de rapports proportionnels avec sa
bonté.
3. Dans
l’autre monde, nous serons semblables aux anges, selon l’affirmation de Jésus[573].
Or les anges reçoivent la Vision béatifique en proportion de leur capacité
naturelle. C’est ce qu’affirme Denys.
Cependant :
Saint Jean de la Croix affirme que « nous serons jugés sur l’amour. » Par le mot amour, il n’entend pas n’importe qu’elle dilection
mais bien la charité.
Conclusion :
La Vision béatifique sera donnée à l’homme en proportion du degré
de sa charité au moment de sa mort. C’est une vérité de foi qui ressort avec
évidence des enseignements de Jésus et que les saints n’ont cessé d’enseigner.
Ils manifestent la nécessité de se préparer dès cette terre à la réception de
la gloire. La notion de mérite ne signifie pas autre chose : Dieu sera vu par
nous en proportion de ce que désirera notre charité. La nécessité en tient à la
nature même de Dieu qui est infiniment lumineux et qui éclaire l’intelligence
dans la proportion même de son désir de le connaître, un peu comme un petit et
un grand vase sont qualifiés de totalement plein sans pourtant contenir la même
quantité d’eau. Il faut maintenant essayer de découvrir l’origine de ce lien de
proportionnalité entre la charité et la vision de Dieu. Certains théologiens
ont affirmé qu’il n’était autre qu’une règle établie souverainement par
l’auspice de Dieu, celui-ci se montrant volontairement à sa créature d’une
manière plus ou moins profonde, cachant une partie de son mystère à celui qui
l’aime moins. Mais cette raison ne convient pas car Dieu est simple et se livre
simplement et totalement à celui qui l’aime : « Il fait briller son soleil sur les bons comme sur les moins bons. » [574] Il faut donc chercher la
cause de cette différence ailleurs, dans la créature. Parmi les opérations
intellectuelles, il en est certaines qui se réalisent sans lien direct avec
l’affectivité. Le savant qui cherche à découvrir une loi physique ne la
découvrira qu’à force de sagacité intellectuelle et sa qualité morale
n’interfèrera pas avec sa recherche. C’est ainsi que fonctionnent les sciences
dont l’objet consiste dans des réalités inférieures à l’homme. Mais il existe
d’autres types de connaissance humaine qui ne trouvent pas toute la profondeur
de leur objet sans l’intervention de l’affectivité. Elles atteignent pourtant
leur objet d’une manière vraie. C’est d’elles dont parle le philosophe Aristote
quand il dit qu’il vaut mieux connaître les réalités inférieures et aimer les
réalités supérieures. Parmi ces réalités supérieures, on peut citer la personne
humaine, l’ange et Dieu. Il est évident par exemple que l’ami connaît mieux que
tout autre son ami. Il pénètre par son amitié des réalités de son âme que nulle
science ne peut atteindre. De même, dans l’ordre de la grâce celui qui aime
Dieu le connaît plus profondément que celui qui n’en a que la science. C’est
que la réalité 1a plus profonde en Dieu (celle qui a suscité son acte créateur
et l’incarnation du Verbe) est l’amour. Cette réalité est davantage accessible
à la connaissance issue de l’amour qu’à la connaissance rationnelle qui, quant
à elle, atteint d’une manière plus connaturelle ce qui est lié à la toute
puissance de Dieu, par réflexion sur la création. Dans l’ordre de la gloire qui
vient accomplir la vie de la grâce par la vision de Dieu, il en est de même :
plus un homme aime Dieu, plus son intelligence se trouve favorablement disposée
à son mystère. Orientée par la charité, elle se trouve en connaturalité avec le
tréfonds de Dieu qui consiste aussi dans l’amour. Lorsqu’elle entre dans la
vision, elle se trouve donc capable de comprendre davantage le mystère que ne
le peut celui qui aime moins.
En conclusion le chrétien doit tenir solidement deux points
essentiels à propos du sens de cette vie et de son rapport à l’au-delà : il
doit croire d’une part à la continuité fondamentale qui existe, par la vertu de
l’Esprit Saint, entre la vie présente dans le Christ et la vie future. En
effet, la charité est la loi du Royaume de Dieu et c’est la mesure de notre
charité ici-bas qui sera celle de notre participation à la gloire du Ciel ;
mais, d’autre part, le chrétien doit discerner la rupture radicale entre le
présent et l’avenir du fait que, au régime de la foi, se substitue celui de la
pleine lumière : nous serons avec le Christ et nous "verrons Dieu"[575] promesse et mystère inouïs
en quoi consiste essentiellement notre espérance. Si l’imagination ne peut y
arriver, le cœur y va d’instinct et fond.
Solutions :
1. Ce n’est pas du côté de Dieu
qu’il faut rechercher la cause des différences de vision chez les saints. Dieu
en ce qui le concerne se livre tout entier et sans mesure à sa créature. C’est
du côté de l’homme que réside du plus et du moins. Chacun au Ciel aimera Dieu
de toute la force de son cœur mais tous n’auront pas la même capacité à aimer.
Or c’est cette capacité à aimer, que l’homme est appelé à développer durant sa
vie terrestre, qui détermine le degré de vision en chacun.
2. Dans l’exercice de l’amour
spirituel, les deux facultés de l’esprit n’agissent pas l’une sans l’autre. Il
existe un double rapport entre elles : en premier lieu, l’intelligence donne à
la volonté son objet car nul ne peut aimer ce qu’il ne connaît en aucun cas. En
second lieu, l’amour en grandissant aiguise l’intelligence en lui donnant à la
fois le désir et la pénétration nécessaires pour connaître plus profondément le
bien aimé. Il en est ainsi aussi bien dans l’ordre de l’amour humain que de
l’amour divin, car la grâce et la gloire suivent la nature qu’elles surélèvent.
Ainsi, dans l’autre monde, celui qui aimera davantage Dieu lui sera davantage
semblable et, en conséquence, le comprendra davantage.
3. Les
anges sont de purs esprits. Leur nature est ainsi faite qu’ils se portent vers
leur fin tout entier et d’un seul coup. Après leur création, lorsque les anges
eurent à choisir entre la voie qui mène au paradis et celle qui mène à l’enfer,
ils s’y portèrent chacun selon leur choix et définitivement. En effet, lorsque
leur fut adressée la révélation divine concernant la gloire, chacun la comprit
en proportion de la puissance naturelle de son intelligence ; aidé par la grâce
de Dieu, chacun choisit ou au contraire refusa cette voie avec une
détermination volontaire proportionnelle à ce qu’il avait compris ; chacun
reçut alors ce qu’il méritait en proportion de la force de ce choix qui n’est
autre, pour les bons anges, que la charité. Voila pourquoi Denys peut affirmer
qu’en définitive les anges voient Dieu en proportion de leurs capacités
naturelles.
Mais il en est tout autrement pour
l’homme : de part son corps et sa sensibilité, il ne peut comme l’ange aimer
Dieu d’un seul coup et de toute l’intensité dont il est capable. L’expérience
montre qu’il apprend à aimer par étape et d’une manière faillible. Par contre,
à la différence de l’ange, l’homme peut aimer sans limite naturelle,
c’est-à-dire au delà de ce qu’il comprend de Dieu ou de son prochain. Il peut
se déposséder de lui-même jusqu’à renoncer à sa vie. Une telle charité peut lui
mériter une gloire supérieure à celle des chérubins.
Il nous faut maintenant considérer la résurrection des corps qui a
été promise à tous les hommes par le Sauveur : « l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront
la voix du Fils de l’homme et sortiront : ceux qui auront fait le bien pour une
résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal pour une résurrection de
jugement »[577]. Et cette résurrection se
produira dans le temps, à un instant que Dieu connaît[578]. Nous verrons donc
successivement :
I) Ce qui précède la
résurrection.
II) La résurrection elle-même et ses circonstances.
III) Ce qui la suit.
Concernant le premier point, nous
examinerons :
A) Le destin individuel de chaque homme
1° La mort et la condition des
âmes séparées de leur corps.
2° Le jugement particulier.
3° Les demeures des âmes après
la mort.
4° Les suffrages par lesquels
les vivants peuvent aider les défunts.
B) Le devenir du monde
De même que le corps de chaque homme en
particulier passe par la mort pour ensuite ressusciter, de même le monde dans
son ensemble[579]
doit avoir une fin qui précèdera l’apparition d’un monde nouveau, d’une
Jérusalem céleste selon l’Apocalypse[580].
À ce sujet, il nous faudra voir :
1° les signes précurseurs de
la fin de ce monde.
2° la conflagration de
l’univers à la fin des temps.
Au sujet de la mort qui est pour chacun
de nous le passage de ce monde à l’au-delà, quatorze interrogations nous
paraissent nécessaires :
Q. 8,
article 1 : L’âme humaine survit-elle à la mort du corps ?
Q. 8,
article 2 : Après la mort, l’homme conserve-t-il une vie sensible ?
Q. 8,
article 3 : La mort est-elle naturelle ?
Q. 8,
article 4 : La mort est-elle instantanée ?
Q. 8,
article 6 : Dans le moment de la mort, l’homme est-il délivré de la faiblesse
du corps ?
Q. 8,
article 7 : L’homme voit-il Dieu dans son essence au moment de la mort ?
Q. 8,
article 9 : L’homme peut-il voir des personnes décédées avant-elle ?
Q. 8,
article 10 : L’homme voit-il le démon à l’heure de la mort ?
Q. 8,
article 11 : L’homme peut-il voir des personnes encore vivantes sur terre ?
Q. 8,
article 12 : L’homme voit-il défiler sa vie, le bien et le mal commis ?
Q. 8,
article 13 : Peut-il y avoir repentir dans le moment de la mort ?
Q. 8,
article 15 : Le jugement dernier a-t-il lieu au moment de la mort ?
1° L’âme humaine survit-elle à
la destruction du corps ?
2° Après la mort, l’homme
conserve-t-il une vie sensible ?
3° La mort est-elle naturelle
?
4° La mort est-elle
instantanée ?
5° L’homme reçoit-il certaines
révélations de la part de Dieu dans la durée qu’on appelle l’heure de la mort ?
6° Dans le moment de la mort,
l’homme est-il délivré du foyer du péché ?
7° L’homme voit-il Dieu dans
son essence au moment de la mort ?
8° L’homme voit-il de manière
sensible l’humanité sainte du Christ au moment de la mort ?
9° L’homme peut-il voir des
personnes décédées avant lui ?
10° L’homme peut-il voir le
démon au moment de la mort ?
11° L’homme peut-il voir des
personnes encore vivantes sur la terre ?
12° L’homme voit-il défiler sa
vie, le bien et le mal commis ?
13° Peut-il y avoir repentir et
conversion dans le moment de la mort ?
14° Cette révélation de
l’Évangile fut-elle nécessaire au moment de la mort à tous les hommes de tous les
temps ?
15° Le jugement dernier a-t-il
lieu au moment de la mort ?
Cette question, nous en sommes
conscients, aborde un domaine d’étude jamais encore approfondi de cette manière
par la théologie. Pourtant, l’étude de la mort et des évènements qui l’accompagnent
est d’une importance extrême pour le reste du traité. La question de
l’apparition glorieuse du Christ donne l’intelligibilité du destin individuel
de chacun.
Objections :
1. Le mot "âme"
lui-même est piégé. Il porte les vestiges de certaines philosophies grecques
dualistes comme celle de Platon. Il n’est plus possible de l’employer
aujourd’hui, alors que nous savons que l’homme est un, substantiellement.
2. Il ne semble pas que la mort
soit la séparation de l’âme et du corps. Elle est plutôt la destruction de
l’âme. En effet, l’âme est la forme du corps. Or la forme ne peut plus
subsister quand la matière se corrompt.[583]
3. En parlant de séparation de
l’âme et du corps, on est amené à poser dans l’être humain deux parties
essentiellement différentes. Or l’expérience montre que l’homme est un seul
être.
4. Si l’âme pouvait subsister
après la disparition du corps, cela apparaîtrait par l’existence d’une activité
vitale indépendante du corps. Mais cela n’est pas vrai de l’acte intellectuel
pour lequel il faut toujours des images, phénomène d’origine corporelle.
5. Il semble que l’âme est
détruite après la mort d’après l’Écriture et l’Église. On redit en effet lors de
la liturgie des cendres la parole de Dieu au jardin d’Eden : « Tu es poussière et tu retourneras à la
poussière ».[584] Si l’âme devait subsister
après la mort, elle ne retournerait pas à la poussière.[585]
Cependant :
Luc 23, 43 : le "bon larron" sera
dès sa mort avec Jésus.
Luc 20, 38 : Jésus répond à ceux qui ne croyaient pas en la survie
actuelle des morts : « Dieu n’est pas
le Dieu des morts mais des vivants. »
Actes 1, 59 : Etienne demande au
Seigneur d’être accueilli dès sa mort au Ciel.
Ph 1, 21-26 : Paul est certain d’être
dès sa mort avec le Christ d’une façon définitive.
2 Co 12, 1-6 : Paul a été déjà au
paradis.
2 Tm. 4, 18 : la confiance de l’apôtre
d’entrer dès la mort dans le Royaume.
Ap. 6, 9 : les âmes des martyrs sont au
Ciel.
Ap. 14, 13 : « Heureux
dès à présent ceux qui sont morts dans le Seigneur. »
L’ecclésiaste 12, 7 : « La
poussière retourne à la terre comme elle en est venue et le souffle à Dieu qui
l’a donné. » Donc la mort implique la
survie de l’âme (autrement dit du « souffle ») après la destruction du corps.
Conclusion :
La mort est le passage de l’âme spirituelle de ce monde à
l’au-delà. Elle présuppose la séparation de l’âme et du corps et n’aboutit pas
à la destruction de l’âme. Pour mieux le comprendre, il faut considérer ce
qu’est l’âme. Par expérience, nous pouvons constater chez nous l’existence
d’actes vitaux d’espèces différentes tels que manger, imaginer, penser, aimer.
Ces actes permettent de remonter aux puissances vitales qui les causent à
savoir par exemple la puissance nutritive, l’imagination, l’intelligence, la
volonté. Parmi ces facultés, certaines ne peuvent exister sans un organe
biologique ce qui se manifeste clairement si on analyse leur objet et leur
exercice qui sont indissociables de la matière. Ce sont les facultés
corporelles. Elles peuvent être classées parmi les facultés de la vie
végétative en tant qu’on les retrouve dans la vie des plantes ou parmi les
facultés de la vie sensible en tant qu’elles nous sont communes avec les
animaux.
Certaines facultés au contraire n’ont
pas besoin d’un support biologique pour exister même si, dans l’état présent,
elles ne s’exercent pas sans le corps, comme cela a été montré dans la première
partie : L’intelligence et la volonté nous sont communes avec les anges. En ce
sens, on peut appeler le troisième degré de vie "la vie spirituelle".
Les trois degrés de vie sont unis
indissociablement pour former la nature humaine. Cette unité se réalise par une
cause efficiente vitale qu’on appelle l’âme car elle anime de l’intérieur la
personne tout entière. Non seulement l’âme réalise l’unité en un seul être de
deux natures différentes à savoir une nature corporelle et un esprit ; mais
elle est source de leur vie. On le constate avec évidence pour le corps qui ne
subsiste pas dans sa forme de corps humain mais se décompose dès qu’il n’est
plus animé. La mort survient lorsque le corps se trouve soustrait à l’influence
vivifiante de l’âme. Cela vient de la déficience du corps qui, à cause de la
maladie, d’un accident ou de l’usure de la vieillesse perd son adaptation à
l’âme.
C’est ici que commence la voie par laquelle Aristote entend
démontrer la non matérialité donc l’incorruptibilité de l’âme humaine et de ses
deux facultés spirituelles. Il analyse l’intelligence humaine et la volonté. Il
constate que, même si nous ne pouvons pas penser sans nous aider avec des
images (l’imagination nous est donc indispensable pour penser), nous pouvons
cependant penser à des objets qui ne sont pas des images.
Illustration : pour comprendre ce qu’est l’amour, nous pouvons
avoir en tête un exemple concret d’attraction entre deux personnes. Nous
pouvons en faire un dessin (un cœur blessé par exemple). Mais la notion
d’amour, ce que nous comprenons de l’amour, dépasse toute représentation. Il
s’agit d’un concept abstrait. Nous sommes incapables de représenter cette
pensée par une image. Cette pensée n’est pas matérielle. Elle la dépasse
totalement. Elle est d’un autre ordre, spirituel.
De même, notre volonté peut aimer une réalité (une personne par
exemple) uniquement parce que notre intelligence nous fait comprendre que cette
personne est digne d’amour. Cela dépasse ce que nous pouvons ressentir pour
elle (amour passion). Il s’agit d’un amour qui dépasse toute matière. Nous
sommes capables d’aimer de manière spirituelle un bien spirituel. Notre amour
volontaire n’est donc pas matériel. Il dépasse complètement les domaines du
sensible, du psychologique.
Si les deux facultés de l’esprit humain ont un objet immatériel,
c’est donc qu’elles-mêmes dépassent la matière. Elles ne peuvent avoir d’organe
matériel. Toute faculté liée à un organe matériel produit une action
matérielle. C’est parce que l’œil est fait de matière qu’il peut capter la
lumière matérielle. Principe de causalité :
toute cause (ici l’œil organique) produit un effet qui lui est proportionné
(ici la vision de la lumière qui est matérielle).
De même, puisque l’intelligence humaine peut comprendre des
réalités non matérielles, c’est donc qu’elle est elle-même immatérielle (donc
qu’elle n’a pas d’organe).
Aristote pose une autre conclusion nécessaire à son raisonnement :
l’âme spirituelle (l’âme humaine, l’intelligence et la volonté) ne peuvent
venir de l’action des parents lorsque, à travers l’acte sexuel, ils conçoivent
un enfant. La matière (spermatozoïde et ovule) ne produit que de la matière.
C’est donc que l’âme spirituelle vient "d’ailleurs" Aristote ne dit
rien de plus. Mais saint Thomas d’Aquin conclura le raisonnement d’Aristote : «L’âme spirituelle vient d’ailleurs,
c’est-à-dire qu’elle est créée immédiatement par Dieu, pour chaque enfant
individuellement, après la conception. Seul Dieu, en effet, qui est un être
spirituel et infini peut créer des réalités spirituelles. »
Ainsi lorsque le corps se soustrait, à
cause de sa potentialité, à l’influence de l’âme, celle-ci se sépare de lui.
Puisqu’elle n’est pas faite de cette matière que nous voyons se corrompre, mais
d’autre chose dont la nature est spirituelle, c’est qu’elle survit, de même que
les puissances spirituelles dont elle est source.
L’âme spirituelle subsiste après la mort. C’est pourquoi Jésus a
pu dire au bandit qui était crucifié à sa droite : « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le paradis. » Le fait que l’âme subsiste après la
mort est un article de foi selon l’enseignement du saint Concile du Latran[586]. « Nous condamnons et réprouvons tous ceux qui affirment que
l’âme intellective est mortelle. »
Mais c’est aussi une vérité que la raison naturelle peut arriver à découvrir
par ses propres forces.
Solutions :
1. À la différence de Platon,
Aristote n’est pas dualiste. Il n’oppose pas l’âme, principe de la pensée au
corps qui serait son fardeau et sa punition. Pour lui, l’être humain constitue
un seul être complet, corps, sensibilité et esprit inclus. Il possède trois niveaux
de vie qui s’exercent en harmonie :
-- Une vie végétative, commune avec les plantes. Elle est une vie
purement physique. Elle s’exerce de manière inconsciente à travers une série
d’organes. Ses facultés sont essentiellement celles de la nutrition, de la
respiration, de la croissance, de l’adaptation et de la reproduction.
-- Une vie psychologique, commune avec les animaux supérieurs.
Elle est le siège d’une certaine conscience sensible mais reste toujours liée à
des organes (le système nerveux et le cerveau). On peut citer, entre autre,
parmi ses facultés : les cinq sens, les passions (amours et haines sensibles
d’un bien sensible), l’imagination, la mémoire des images, l’estimative
(intelligence animale de l’utile et du nuisible).
-- Une vie spirituelle enfin, commune avec les anges, et qui est
le fait de deux facultés complémentaires : l’intelligence et la volonté (qui
n’est autre que la faculté d’aimer de l’intelligence). Ces deux facultés ne
sont pas autre chose que l’esprit.
Toute cette diversité appartient à un seul être, une personne
humaine complète et unifiée. Or, pour expliquer l’unité qui apparaît au delà de
la multiplicité des facultés, il faut bien accepter l’existence d’un principe
d’unité. Aristote l’appelle l’âme
(psyché en grec, anima en latin). Selon lui, même les animaux et les plantes
ont une âme puisqu’ils sont unifiés dans une grande diversité de matière et de
facultés vitales. Mais, chez l’homme, l’âme fait exister non seulement un corps
et un psychisme sensible, mais aussi un esprit. Son âme n’est donc pas seulement végétative ou animale mais spirituelle.
2. L’âme est la forme du corps.
Mais elle est une forme qui subsiste par elle-même. On peut le montrer par la
considération suivante : De même que l’intelligence humaine est séparée de la
matière et donc incorruptible de même sa cause est nécessairement immatérielle
et incorruptible car une cause ne peut produire un effet supérieur à elle.
Quant à l’immatérialité de l’intelligence, on peut la découvrir en regardant
son objet qui est, potentiellement, la connaissance de tout (du concret à
l’abstrait, de l’être matériel à Dieu). Son objet n’est pas restreint à tel ou
tel être particulier comme on le voit par exemple pour l’œil qui, étant un
organe matériel (donc corruptible), n’atteint que tel domaine du monde
matériel, à savoir le visible[587].
3. L’âme et le corps ne sont
pas deux parties essentiellement différentes, comme le pensait Platon. De même
que la forme de la statue est une avec sa matière pour former une seule œuvre d’art
de même pour l’âme et le corps. L’âme réalise l’unité substantielle de tout
l’homme en informant le corps. Mais elle est aussi une forme subsistante. Elle
peut donc continuer à exister lorsque l’intégrité humaine est brisée.
4. Le corps n’est pas requis
pour l’acte intellectuel à la manière d’un organe mais en raison de l’objet
qu’il fournit à savoir l’image qui est à l’intelligence ce que la couleur est à
la vue. Le fait d’avoir besoin du corps pour son exercice n’empêche pas
l’intelligence d’être subsistante. Dans l’au-delà, elle acquiert un nouveau
mode d’exercice comme nous le verrons[588].
5. Quand
Dieu dans le livre de la Genèse dit à l’homme qu’il est poussière et qu’il
retournera à la poussière, il ne veut pas lui dire que toutes les parties de son
être sont matérielles et donc corruptibles. En disant à l’homme qu’il est
poussière, il lui signifie qu’il n’est rien quand il se sépare de la source de
sa vie, Dieu. Par la mort l’homme sera conduit à expérimenter jusque dans la
destruction de sa chair le caractère insensé de sa révolte contre Dieu.
Objections :
1. L’argument d’Aristote pour
prouver philosophiquement la survie de l’esprit consiste à montrer que l’objet
de l’intelligence et de la volonté est immatériel. Les facultés le sont donc
aussi. Or l’objet de toutes les facultés psychologiques (sensations, passions,
imagination, mémoire sensible, estimative) est toujours lié à la matière.
L’organe de ses facultés est connu, c’est le cerveau. Il est donc impossible
qu’elles subsistent à la destruction du cerveau.
2. La phase de décorporation
ressemble beaucoup à certaines expériences décrites dans la toxicomanie. Elle
semble être l’effet d’une hallucination produite par le cerveau en détresse. Il
semble abusif d’en conclure qu’après la mort, l’homme conserve un corps
psychique.
3. La rencontre avec un être de
lumière, avec des proches décédés, tout cela fait penser à l’effet d’une
réaction anesthésique du cerveau dans le stress de la mort approchée. On ne
saurait fonder une doctrine sur une vision si critiquable.
4. On ne trouve trace nulle
part de cette expérience de la mort approchée, ni dans la foi de l’Église, ni
dans sa Tradition. Il est dangereux d’ajouter de telles expériences au domaine
de la révélation.
5. Enfin, cette expérience de
la mort approchée semble être dangereuse pour la foi. Là où est l’expérience,
la foi disparaît.
Cependant :
Dans son commentaire littéral du livre de la Genèse, 32, saint
Augustin se réfère souvent à l’expérience de la mort approchée, déjà bien
décrite à son époque : il reconnaît que ces personnes ravies hors de leurs sens
corps, ont conservé "une certaine ressemblance de leur corps"[589], par laquelle elles peuvent
être emportées vers des lieux corporels. « Je
ne vois pas, dit-il, comment il pourrait en être autrement : l’âme garde
quelque chose qui ressemble à un corps lorsque, le corps étant étendu privé de
sentiment, mais sans être mort, elle voit ce qu’une foule de personnes rendues
à la vie, après avoir éprouvé cette sorte de ravissement, ont raconté qu’elles
avaient vu ; je ne vois pas, dis-je, pourquoi elle ne l’aurait pas, une fois
que, par la mort corporelle, elle a complètement quitté son corps. »
Conclusion :
Le docteur Moody, psychologue américain, publia en 1978 son livre
: « La vie après la vie[590] ». Il s’agit d’une
étude faite auprès des américains ayant connu, à un moment, un état d’arrêt
cardiaque ou même de mort clinique. En dépit des différences présentes pour
chaque cas, écrit le docteur Moody, tant par les circonstances qui entraînent
les approches de la mort que les différents types humains qui les subissent, il
n’en reste pas moins que de frappantes similitudes se manifestent entre les
témoignages qui relatent l’expérience elle-même. En fait, ces similitudes sont
telles qu’il devient possible d’en dégager des traits communs, sans cesse
répétés.
Voici donc un homme qui meurt et, tandis
qu’il atteint le paroxysme de la détresse physique, il entend le médecin
constater son décès. Il commence alors à percevoir un bruit désagréable, comme
un fort timbre de sonnerie ou un bourdonnement et, dans le même temps, il se
retrouve hors de son corps physique immédiat. Il aperçoit son propre corps
physique à distance, comme en spectateur. Il observe de ce point de vue
privilégié les tentatives de réanimation dont son corps fait l’objet. Il se
trouve dans un état de forte tension émotionnelle. Au bout de quelques
instants, il se reprend et s’accoutume peu à peu à l’étrangeté de sa nouvelle
condition. Il s’aperçoit qu’il continue à posséder un "corps" mais ce
corps est d’une nature très particulière et jouit de facultés très différentes
de celles dont faisait preuve la dépouille qu’il vient d’abandonner. Après cela,
il se sent emporté avec une grande rapidité à travers un obscur et long tunnel.
Et soudain, une entité spirituelle d’une espèce inconnue, un esprit de chaude
tendresse, tout vibrant d’amour (un être de lumière) se montre à lui. Cet être
fait surgir en lui une interrogation, qui n’est pas verbalement prononcée, et
qui le porte à effectuer le bilan de sa vie passée. L’entité le seconde dans
cette tâche en lui donnant une vision panoramique, instantanée, de tous les
événements qui ont marqué son destin. Bientôt, d’autres événements se
produisent, d’autres êtres s’avancent à sa rencontre, paraissant vouloir lui
venir en aide. Il entrevoit des parents et des amis décédés avant lui. Le
moment vient ensuite où le défunt semble rencontrer devant lui une sorte de
barrière ou de frontière, symbolisant apparemment l’ultime limite entre la vie
terrestre et la vie à venir. Mais il constate alors qu’il faut revenir en
arrière, que le temps de mourir n’est pas encore venu pour lui. À cet instant,
il résiste car il est désormais subjugué par le flux des événements de l’après
vie, et ne souhaite pas ce retour. Il est envahi d’intenses sentiments de joie,
d’amour et de paix. En dépit de quoi il se retrouve uni à son corps physique.
Il renaît à la vie.
Par la suite, lorsqu’il tente d’expliquer à son entourage ce qu’il
a éprouvé entre temps, il se heurte à différents obstacles. En premier lieu, il
ne parvient pas à trouver des paroles humaines capables de décrire de façon
adéquate cet épisode supraterrestre. De plus, il voit bien que ceux qui
l’écoutent ne le prennent pas au sérieux, si bien qu’il renonce à se confier à
d’autres. Pourtant, cette expérience marque profondément sa vie et bouleverse
notamment toutes les idées qu’il s’était faites jusque-là à propos de la mort
et de ses rapports avec la vie.
On peut résumer ce tableau idéal en cinq grandes étapes[591] :
1° décorporation : la personne
se trouve comme suspendue au-dessus de son corps ; 2° tunnel noir ; 3°
vision de l’être de lumière ; 4°
vision de proches décédés précédemment ; 5°
le retour et ses conséquences psychologiques. L’ordre des étapes peut varier
puisque certaines personnes affirment avoir vu l’être de lumière avant le
passage dans le tunnel noir. D’autre part, certains témoignages s’arrêtent à la
première ou deuxième étape, la mort clinique n’ayant apparemment pas assez
duré.
Les propriétés du corps double ont pu être décrites d’une manière
assez précise : Il s’agit tout d’abord d’un corps matériel, même s’il n’est pas
composé de matière palpable. Il s’agit plutôt de matière sous forme d’énergie,
de flux ondulatoire. C’est une sorte de champ magnétique, organisé sur lui
même, un corps psychique. Il s’agit malgré tout d’un véritable corps humain,
double du corps physique, ayant toute une vie psychologique et spirituelle : Il
possède ses cinq sens, même si le toucher et le goût s’exercent différemment.
L’imagination est entièrement présente, avec la mémoire et leur exercice
cérébral. Des souvenirs disparus peuvent réapparaître intacts. Les émotions
passionnelles sont présentent mais elles sont beaucoup plus paisibles. La joie,
la paix, la peur et la tristesse s’exercent sans excès, comme si l’absence du
corps physique les rendait plus contrôlables.
La vie spirituelle est, quant à elle, intensément présente.
L’intelligence comprend ce qui leur arrive, la volonté se porte vers tel ou tel
choix. Mais le plus étonnant demeure sans doute l’apparition de propriétés
parapsychologiques nouvelles. Ce corps est fluide : il peut passer à travers
les murs les plus épais, obéissant aux désirs de la volonté. Une femme raconte
que, s’étant aperçu qu’elle mourrait, elle eut une pensée pour son mari et son
fils présents dans la salle d’attente. Elle se retrouva aussitôt auprès d’eux,
ayant traversé plusieurs pièces de l’hôpital à travers les murs. Elle décrivit
après son réveil des détails sur cette salle d’attente qui ne laissent aucun
doute de sa bonne foi.
Ce corps est agile : il peut se déplacer à volonté avec une
vitesse incroyable. Un homme se voyant quitter son corps physique pensa
intensément à son épouse qu’il avait laissée à l’étranger. Il se retrouva
auprès d’elle, ayant franchi en quelques instants des milliers de kilomètres.
Ce corps est léger : il ne présente aucun des inconvénients du
corps physique : fatigue, poids, inertie ; Étant entièrement soumis à la
volonté, il peut être appelé en ce sens "corps spirituel".
Ce corps est parfait : il ne présente aucun des handicaps du corps
physique. Une jeune fille, aveugle de naissance, pût décrire avec force détails
la couleur de ce qu’elle avait vu dans la pièce lors de son expérience. Un
ancien combattant, amputé des deux jambes, eut la surprise de se voir tel qu’il
était avant son accident.
Enfin, ce corps est doué de perceptions extrasensorielles
nouvelles et qui lui apparaissent comme naturelle. Les témoins prétendent non
seulement entendre les paroles proférées autour d’eux mais lire directement les
sentiments et les pensées de chacun. C’est une sorte de télépathie à sens
unique puisqu’ils sont, quant à eux, incapables d’attirer l’attention de qui
que ce soit.
Chaque personne, chaque objet, leur apparaît nimbé dans une
auréole de lumière aux couleurs vivantes ce qui rend leur perception de
l’univers presque féerique. Selon les pensées et les sentiments de ceux qui
sont dans la pièce, ces couleurs prennent des nuances différentes.
Solutions :
1. L’argument d’Aristote est
logique. Le cerveau étant détruit, il est rationnellement logique que les
facultés sensibles liées à cet organe soient détruites. Mais cela ne tient pas
devant l’expérience. Or c’est le propre du philosophe de soumettre son
raisonnement devant la réalité qui est maîtresse de sa science. Reste donc à
savoir si l’expérience de la mort approchée est sûre et non imaginaire. C’est
un problème d’ordre philosophique.
Face aux propriétés décrites du corps psychique, on est tenté de
le rejeter dans le domaine imaginatif. L’hypothèse d’un effet psychique
subjectif dû à la mort clinique a été émise. Il est vrai que les phases du
tunnel et celles qui la suivent ne sont pas vérifiables. Mais la première phase
(la décorporation) présente certaines propriétés qui excluent toute
interprétation purement toxicologique et subjective. En effet, le fait de voir
physiquement, à 10 ou 1000 kilomètres du lieu où se produit l’arrêt cardiaque,
ce que fait telle personne précise à tel moment précis, les vêtements qu’elle
porte, est objectivement vérifiable. Si un tel effet est produit par l’état de
détresse du cerveau, il n’en reste pas moins vrai qu’une "partie" de la
conscience s’est nécessairement transportée à 10 ou 1000 kilomètres (voir
solution 2).
Le problème n’est donc pas d’affirmer que ce n’est pas possible
mais plutôt de se demander comment cela est possible. Certains philosophes ont
donc essayé de se pencher sur l’historicité de la question. Il leur est apparu
que le phénomène de la décorporation n’est pas nouveau. La psychologie le
décrit comme propriété de certains hallucinogènes puissants. D’autre part, de
longs traités pluriséculaires, écrits dans les traditions philosophiques
chinoises, hindoues et tibétaines[592] en parlent. C’est
d’ailleurs là qu’on trouve les plus profondes explications philosophiques du
phénomène. Selon ces traditions, on peut discerner dans l’être humain trois
degrés de vie auxquels correspondent trois corps parfaitement adaptés l’un à
l’autre pour former une seule personne : le corps physique, le corps astral et
le corps mental.
1° Le corps physique est le
siège des facultés végétatives comme la nutrition, la reproduction, la
croissance. Il est aussi le siège d’un autre corps, appelé le corps astral.
2° C’est le corps physique qui
est source de l’existence du corps astral, au moins pour sa naissance. Selon
ces traditions, après la mort du corps physique, le corps astral s’en sépare et
subsiste d’où l’expérience de la décorporation. Le corps astral est, avec puis
sans l’organe du cerveau, siège des facultés psychiques comme les sensations,
les passions, l’imagination et la mémoire.
3° Le corps mental n’est autre
que ce que nous appelons l’esprit, siège de l’intelligence et de la volonté.
Ils ne lui donnent le nom de "corps" que par métaphore car, selon
eux, il dépasse cette notion pour être entièrement spirituel. Le corps mental
est immortel et indestructible. C’est lui qui, dans la sagesse hindouiste, se
réincarne à travers les âges.
Cette explication orientale traditionnelle, loin de s’opposer à la
philosophie occidentale, semble au contraire prendre la réalité selon un regard
complémentaire. Aristote distingue de la même façon trois degrés de vie mais
son analyse s’attache moins à la cause matérielle de la vie. Le mérite de la
philosophie orientale semble être ici de rendre intelligible un phénomène que
l’Occident ne fait que découvrir. Cela ne reste bien sûr encore qu’une
explication hypothétique, une piste de recherche qui devrait encourager la
science à s’intéresser au phénomène. En effet, si le corps astral existe et est
matériel, il doit y avoir moyen d’en mesurer la présence.
2. L’intérêt philosophique fut
très vif aux USA et l’on s’efforça de vérifier la véracité des récits. Seule la
décorporation peut-être objet d’une telle enquête scientifique. Pour les autres
phases, le témoignage des patients ne peut être confronté à aucun moyen de
mesure. Cette expérience de décorporation présente un intérêt unique. On ne
peut qu’être frappé par le récit des victimes qui semble concorder en tout
point avec la réalité. Or la victime est en état de mort clinique. Elle est
allongée sur une table, son cerveau est en état de mort clinique transitoire.
Elle ne peut, théoriquement, rien voir de ce qui l’entoure. Pourtant, on est
obligé d’admettre qu’elle voit ce qui se passe et qu’elle le voit d’un point
situé en dehors de son propre corps. Dans une salle de réanimation, un médecin
eut l’idée de pousser les vérifications en fixant sur la face supérieure des
armoires de petits autocollants, de telle façon qu’on ne puisse les voir que du
plafond. On eut la surprise de recueillir, dans le témoignage de ceux qui
prétendaient avoir connu une expérience proche de la mort, un certain nombre de
mentions de ces autocollants. Il ne s’agit donc pas d’un rêve puisque les
sensations éprouvées correspondent à la réalité sensible extérieure aux témoins
en état de mort clinique.
A cause du perfectionnement des méthodes de réanimation, cette
expérience se multiplie et met la science devant un nouveau phénomène
paranormal. On est obligé d’affirmer, à moins de faire mentir les multiples
vérifications effectuées, qu’il existe une décorporation. Ce phénomène reste
inexpliqué mais on peut en décrire les conditions.
3. Les phases 3 et 4 (vision de
l’être de lumière et de proches décédés) sont invérifiables par la science
positive. En effet, si on analyse avec précision le témoignage de ceux qui ont frôlé
la mort, ils n’affirment pas avoir vu avec leur seul œil matériel, de la même
manière qu’ils voyaient les infirmières s’agiter dans la pièce. Ils parlent
aussi, accompagnant cette vision physique de la lumière, d’une vision
intérieure, de l’intuition intellectuelle d’une présence. Elle leur semble
puissante et ils manquent de mots pour décrire. Nous semblons être au-delà du
monde sensible pour toucher à une dimension spirituelle, a priori plus subjective, peut-être même mystique, donc dépassant
totalement la mesure des sciences de la matière.
La philosophie et la psychologie ont par contre leur mot à dire.
Le docteur Moody, sans se prononcer définitivement, affirme son sentiment
d’être en présence d’un phénomène réel. Selon lui, les maladies psychiques de
type hallucinatoire ou hystérique, si elles produisent l’audition de voix et la
vision de fantômes imaginaires, ont après coup un effet destructeur sur la
personnalité. Les personnes s’enfoncent dans leurs névroses (angoisses,
obsession, désespoir) et parfois sombrent définitivement dans leurs psychoses
(paranoïa, schizophrénie). Bien au contraire, l’expérience de mort approchée
donne comme un souffle puissant de renouveau à leur vie. Pour nombre d’entre
eux, la valeur première devient l’amour, selon deux formes significatives :
l’amour de l’Être de lumière, qu’ils savent devoir rejoindre un jour (certains
l’appellent Dieu, d’autres Jésus, Bouddha selon leur culture), et l’amour de
leurs frères. En vue de ces deux amours, ils s’efforcent de progresser, d’éliminer
leurs défauts, de développer leur intelligence. Selon le docteur Moody, de tels
effets ne peuvent venir d’un état maladif d’hallucination mais d’une véritable
expérience mystique. Son raisonnement est valable, tout en maintenant qu’il ne
prouve pas mais suggère. Il apparaît comme un signe de la vérité du phénomène
car "d’un mauvais arbre ne sortent pas de bons fruits".
4. Il est faux de dire que la
tradition des théologiens ne parle jamais de l’expérience de mort approchée.
Saint Augustin en faisait un des thèmes de sa théologie des fins dernières.
Mais la précision logique de saint Thomas sur la nature des âmes séparées du
corps, à la suite d’Aristote, fit disparaître cette expérience du domaine de la
recherche.
L’Église, par la voix de son Magistère, ne s’est jamais prononcée
à propos de l’expérience proche de la mort. En général, les théologiens
reçoivent de sa part trois critères de discernement vis-à-vis des phénomènes
paranormaux :
1° Une vision peut-être
considérée comme valide si lorsque, entre autres choses, les effets qu’elle
produit sur le comportement humain sont positifs : par exemple, si elle les
porte à se rapprocher de Dieu ou encore à approfondir la connaissance de la
religion.
2° Il est indispensable qu’une
vision soit cohérente avec le message de la Bible, selon l’interprétation
authentique du Magistère Romain. Ces deux critères ne suffisent pas à prouver
aux yeux de l’Église qu’il y a bien eu vision. N’importe quel faussaire
pourrait singer une apparente conversion et une grande orthodoxie.
3° L’Église demande en outre,
avant de reconnaître une apparition, quelques miracles dont l’origine divine
est manifeste. En l’absence de ce troisième critère, elle ne se prononce pas
sur la N. D. E. C’est aux théologiens qu’il revient de rechercher si les
critères 1 et 2 sont conformes. Le premier critère est manifestement vérifié.
C’est justement dans le sens d’un retour au religieux que se sont senties
poussées les personnes marquées par cette expérience. On peut même affirmer que
la plupart d’entre elles, même si elles ne deviennent pas chrétiennes, se font
sans le savoir disciple de Jésus-Christ quand il disait : « Je vous donne deux commandements : tu aimeras ton Dieu de tout
ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et tu aimeras ton prochain comme
toi-même ».[593]
Quant au deuxième critère, l’expérience de mort approchée ne
présente aucune contradiction avec la foi. Le Magistère solennel de l’Église ne
dit rien de l’heure de la mort. Il laisse entièrement libre les théologiens et
les philosophes dans leurs recherches sur cette étape.
Reste la tradition profonde qui court dans l’âme des chrétiens. Il
n’est donc pas exclu que tout homme, au moment même de sa mort, qu’il soit
baptisé, juif, païen ou athée, se retrouve face à l’humanité sainte de Jésus.
La Bible affirme avec force : « toute chair se prosternera devant ta
face et devant la face de l’agneau. » Saint Thomas d’Aquin précise que cette
vision première qui suit la mort ne peut être aussitôt celle de Dieu tel qu’il
est. Dieu, par son irruption brutale dans l’âme, empêcherait tout jugement car
la liberté n’existerait plus. Il est si grand, si infini par sa bonté qu’il
happerait à jamais l’âme en son sein. Or Dieu ne veut forcer la liberté de
personne. Cette vision ne peut être que celle d’une image sensible de Dieu. La
tradition profonde qui court chez les fidèles semble nette pour affirmer que
tout cela se passe « au moment de la mort. » Mais elle n’a jamais
précisé ce qu’elle entendait par le moment de la mort. Certaines écoles
théologiques pensent qu’il s’agit de l’instant précis où l’âme se sépare du
corps. D’autres enseignent que ce moment peut durer plusieurs jours. La
liturgie chrétienne penche plutôt pour cette deuxième opinion, d’où la coutume
de veiller trois jours le corps des défunts. Marthe Robin pensait qu’il fallait
prier pour les morts longtemps et que cette phase pouvait durer plusieurs
jours.
Si l’on compare, maintenant, la théologie traditionnelle décrite
ici avec le récit de ceux qui ont approché la mort, on est obligé d’admettre
qu’il n’existe aucune opposition entre les deux. Bien au contraire, elle semble
trouver dans ces récits une confirmation.
5. L’expérience de la mort
approchée n’appartient pas au domaine de la foi mais de la philosophie. En ces
temps où la foi est rejetée comme une attitude indigne d’un adulte doué
d’esprit critique, Dieu semble avoir accepté de se mettre au niveau de l’homme.
Pour se révéler, il parle un langage nouveau de sa part : aux astrologues
Chaldéens, qui ne comprenaient que l’astrologie, il révéla sa naissance en
faisant apparaître une étoile ; aux bergers, prêts à croire le moindre miracle,
il envoya un ange. Une telle condescendance de la part de Dieu fut expérimentée
par saint Paul, apôtre des païens, qui vécut lui-même une expérience proche de
celle-ci[594] : « Je connais quelqu’un, confie-t-il à propos de lui-même, qui,
voici 14 ans (était-ce avec son corps ? Je ne sais ; Etait-ce hors de son corps
? Je ne sais ; Dieu le sait), cet homme là fut ravi jusqu’au troisième Ciel. Et
cet homme là (était-ce en son corps ? Je ne sais ; Dieu le sait). Je sais qu’il
fut ravi jusqu’au paradis et qu’il entendit des paroles ineffables, qu’il n’est
pas permis à un homme de redire ».
L’expérience de la mort approchée va plus loin puisqu’elle n’est
pas le fait d’un seul homme. Elle présente l’intérêt théologique de confirmer
le dogme du Concile Vatican I dans sa condamnation du fidéisme : « l’intelligence humaine peut, par ses
propres forces, atteindre l’existence d’une vie après la mort. »
Objections :
1. Cela paraît évident :
l’homme est composé d’éléments mixtes aussi divers que l’esprit et la matière.
De par son corps matériel, on peut même discerner en lui un programme génétique
commun avec celui des animaux et qui, en ralentissant la division cellulaire,
le conduit insensiblement et nécessairement vers la vieillesse. Si l’on objecte
que ce programme n’est pas partie essentielle de la nature humaine et peut être
modifié (voir les expériences déjà réalisées chez le rat)[595], on peut répondre que la
durée de la vie n’en est que prolongée, les cellules n’ayant de toute façon pas
la faculté de se régénérer à l’infini.
2. Dans l’Ancien Testament, la
mort est considérée comme le sort commun de tous les hommes, qui sont comparés
à l’herbe des champs[596] et qui retournera en
poussière[597]. Elle est le chemin par où
tout le monde s’en va[598]. Elle fait partie de la
condition humaine[599] et quel vivant pourrait lui
échapper ?[600] L’ecclésiastique devance
les existentialistes en méditant sur la vanité de toute chose puisque tout est
condamné à périr[601]. Donc la mort est naturelle
à l’homme comme elle l’est à la bête.
3. Platon manifeste l’état
naturel de l’âme lorsqu’elle est séparée de ce corps qui constitue pour elle
une prison l’empêchant de contempler les essences éternelles pour lesquelles
elle est faite. Saint Paul va dans son sens : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » [602] Il semble donc que la mort
nous permet d’échapper à notre condition terrestre passagère et limitée,
ordonnée à une mortification passagère de notre orgueil.
4. Si
la mort n’était pas naturelle et voulue par Dieu, n’aurait-elle pas été
détruite définitivement par le Christ lors de sa venue ? Or nous
constatons qu’il nous impose toujours de mourir.
Cependant :
Saint Paul écrit : « Voilà
pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde et par
le péché la mort, ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous
ont péché »[603]. Il fait allusion au récit de
la Genèse où Dieu commande à l’homme de ne pas manger de l’arbre de la
connaissance du bien et du mal sous peine de mort[604]. C’est donc que l’homme ne
devait pas mourir.
Conclusion :
Nous avons montré[605]
la réalité d’un projet concret de Dieu au commencement, par lequel l’homme
aurait été introduit corps et âme dans la Vision béatifique sans passer par la
mort. Nous avons montré qu’il ne s’agit pas là d’une simple hypothèse mais
d’une volonté initiale de Dieu (si tant est qu’on peut, par analogie, parler de
volonté initiale dans l’éternité) dont la réalisation matérielle est visible à
travers la vie et la dormition de la vierge Marie immaculée, dans les moments
qui précédèrent son assomption. Ceci étant posé, doit-on dire que l’assomption
de Marie, mystère proposé jadis aussi à Ève et Adam, est naturelle ? Au
contraire, est-ce la mort qui l’est ?
Pour répondre à cette question, il convient de regarder sous quel
aspect formel elle est posée. En effet, la mort est autre chose selon qu’on la
regarde du côté du corps, de l’âme c’est-à-dire de la personne tout entière ou
de Dieu. Prise du côté du corps, il est évident que la mort est naturelle. En
effet, la matière minérale n’est pas parfaitement adaptée à devenir un corps
vivant. Par nature, son état de stabilité n’est pas celui de l’édifice
biologique, mais celui de molécules stables unies par les forces de
l’interaction atomique. Ces forces sont faibles et absolument incapables par
elles-mêmes de structurer les molécules de la vie. C’est pourquoi, dès que le principe
vital (l’âme) a disparu, toute vie se désagrège. De même donc que, prise du
côté de la matière, la mort est naturelle à tout être biologique, de même
l’apparition à partir d’éléments minéraux de la vie n’est pas naturelle. Il
n’en était pas différemment pour Adam et Ève, pour Jésus et pour Marie : Leur
corps n’était pas différent du nôtre quant à son mode biologique de
fonctionnement. Il était donc par lui-même vulnérable, capable de mourir comme
on le voit pour Jésus à l’heure de sa passion. Ils n’étaient délivrés de la
mort que par une aide spéciale des anges qui les protégeaient de tout danger et
par l’action de Dieu qui fortifiait leur âme et serait venu les prendre dans sa
gloire avant que l’âme soit devenue, de par ses forces naturelles, incapable
d’assumer un corps devenu trop âgé.
Prise du côté de l’âme, on doit affirmer que la mort n’est pas
naturelle à la personne humaine. En effet, l’âme spirituelle est par nature
immortelle et elle donne vie à un être qui, au plus profond de son désir naturel,
veut vivre toujours. Avec le corps, elle constitue un être qui ne saurait être
brisé que par une violence substantielle. Ainsi, l’âme est par nature faite
pour conserver à l’être tout entier son unité d’être. Si elle ne le peut, ce
n’est pas de son fait mais à cause des limites de la matière vivante devenue
non assumable. Voilà pourquoi l’homme ressent la mort comme le dépouillement le
plus terrible. Il l’aborde d’une façon démunie et elle s’impose à lui comme un
signe ultime de sa nature fragile.
Prise du côté de Dieu, la mort est, depuis le péché originel,
voulue par lui pour le bien de l’homme. Elle est l’instrument ultime dont il
use en vue de le conduire à la vie éternelle. Confronté ainsi à sa petitesse,
l’homme est disposé à l’humilité et, par l’humilité à l’espérance d’un salut.
Lorsque le salut lui est proposé, il ne lui est alors possible de le rejeter
qu’à cause d’un orgueil plus fort que la mort. En conclusion, on peut dire que
la mort est biologiquement naturelle, métaphysiquement contre-nature et
théologiquement utile au salut depuis le péché originel.
Solutions :
1. La mort est naturelle au
mode biologique de fonctionnement du corps humain ; mais, nous le verrons, il
existe un autre mode de fonctionnement de la matière vivante, capable de se
rendre entièrement soumise à la vitalisation de l’âme et qui sera commune à
tous les vivants après la résurrection dans le monde nouveau.[606]
2. Dieu n’a pas révélé tout de
suite à l’homme son projet d’amour après qu’il en eût oublié la nature dans les
générations qui suivirent le péché originel. Il se tut durant de longs siècles,
comme le rapporte Jésus lui-même : « Nombreux sont les hommes qui auraient
voulu voir un seul de ces jours et ne l’ont pas vu »[607]. Mais cette ignorance qui
les laissait dans une détresse vive à l’heure de leur mort servait en
définitive à leur salut. Lorsqu’au terme d’une vie passée à poursuivre la
gloire, les terribles guerriers[608] de jadis entraient dans la
vieillesse, puis rendaient leur âme à Dieu, comme le plus humble de ses esclaves,
il ne restait souvent en eux que confusion et regret. Lorsqu’à ce moment,
s’attendant à rencontrer un juge terrible et dur, ils se retrouvaient face à
leur ange gardien, ange de miséricorde, image du Dieu vivant qu’il
représentait, accompagné souvent des êtres qu’ils avaient chéris durant leur
vie, lorsqu’ils entendaient révéler l’existence d’un Dieu unique au pardon
généreux, ils fondaient. Et lorsque la voix de leur ange leur annonçait, pour
bientôt, la venue d’un Sauveur qui les délivrerait de tous leurs péchés, ils
croyaient. Et ces pécheurs broyés par la vie s’écriaient : « Pardon Seigneur Dieu, car nous avons péché contre toi. Envoie ton
Sauveur. Qu’il vienne nous délivrer, car nous voulons voir son visage. » Accompagnés de leur ange, ils
considéraient l’état de leur âme, apprenaient à découvrir leur péché. Ils
acceptaient de toute la générosité de leur cœur éclairé par la grâce de Dieu,
de subir un purgatoire aussi longtemps qu’il le fallait. Ils se plongeaient,
eux-mêmes, sans récriminer, dans la solitude de ce purgatoire, pour que
disparaisse en eux toute trace d’égoïsme. Puis cette œuvre effectuée, ils s’en
allaient retrouver Adam et Ève dans les limbes où ils attendaient, dans
l’espérance, la venue du Sauveur promis. Cette attente n’était pas douloureuse
car Dieu, en prévision de la venue future du Sauveur, les comblait de la grâce
de sa présence invisible d’une manière bien plus forte encore que ce qu’avaient
expérimenté Adam et Ève en Eden. Jésus décrivant les limbes où les patriarches
attendaient sa venue, parle d’une eau pure qui comblait le pauvre Lazare[609]. Certes, Dieu ne se
montrait pas encore à eux face à face. Il attendait pour cela son heure,
l’heure où, face à Lucifer jusqu’ici triomphant, il ouvrirait les portes de la
Vision béatifique.
3. De même, les faiblesses de
notre corps qui, de par son état provisoire de vie biologique empêche l’âme
d’exercer toutes les potentialités qu’elle sent en elle, affaiblit la capacité
intellectuelle, limite la liberté, mortifie la volonté par diverses échardes
"plantées dans notre chair"[610] servent Dieu pour notre
salut. Elles peuvent parfois, à l’exemple de Platon, nous lasser et nous amener
à penser que ce corps est étranger à nous-mêmes. Il ne s’agit pourtant que
d’une impression psychologique bien éloignée de la vérité que nous
expérimentons chaque jour. Notre corps est notre être par mode de partie
intégrante, comme notre esprit. C’est pourquoi saint Paul, pour manifester
cette unité de notre être, écrit par ailleurs : « Nous ne voudrions pas mourir.
»[611]
4. Vitalini Sandro[612] résout ainsi l’objection : « L’homme est donc invité à accomplir le
geste du pauvre de Yahvé. En s’appuyant sur Jésus et en ayant foi en lui, il
entre en possession de la vie, de la vie éternelle.[613] Celui qui possède cette vie
triomphe de la mort. Mais étant donné que cette participation est progressive,
la victoire sur la mort s’accomplit aussi au fur et à mesure que cette
insertion progresse. La progression n’a donc rien d’automatique, car elle
relève de la conversion. Il faut mortifier le vieil homme assujetti à la mort
par des œuvres de mortification dont la dernière est la mort corporelle. La vie
chrétienne implique un renoncement suprême : le don de la vie. C’est justement
la force de la foi qui peut permettre l’oblation au lieu du désespoir. On
s’appuie sur le Seigneur, sûr que rien n’est à craindre lorsqu’on se met entre
ses mains. Nous relevons encore une fois le grand principe de la vie chrétienne
qui est insérée dans la Trinité et qui ne peut être que dynamique. On vit pour
mourir mais on meurt chaque jour pour vivre plus intensément. La mort
corporelle est donc pour le croyant l’heureux passage de la dernière
mortification à la vie éternelle qui sera plus plénière parce qu’elle rendra
toute la personne plus apte à scruter la beauté de Dieu. »
Objections :
1. Il semble que la mort soit
un processus instantané. En effet, elle est la séparation de l’âme et du corps.
Or, on peut dire que, à l’instant qui précédait cette séparation, l’âme était
encore unie au corps.
2. Le témoignage de ceux qui
ont été ranimés après être passés près de la mort, que ce soit à la suite d’un
arrêt cardiaque ou d’un accident semble confirmer ce fait. Elles ont perdu
conscience et se sont retrouvées instantanément en dehors de leur corps
qu’elles prétendaient voir allongé dans la position où elles l’avaient quitté.
Elles ne racontent pas s’être vues quitter progressivement ce corps. Donc la
séparation de l’âme et du corps est instantanée.
3. Les médecins définissent la
mort par son caractère irréversible. Or la mort est irréversible à partir du
moment où le cerveau est détruit. On peut donc dire avec certitude que l’instant
de la mort se situe à ce moment, puisque seul un miracle divin peut provoquer
un retour à la vie.
4. Il semble que la mort est
instantanée et qu’elle surprend l’homme comme un voleur selon la parole du
Seigneur[614] : « Je viendrai comme un voleur. Veillez et priez car vous ne savez
ni le jour ni l’heure. » Celui qui
soutient que la mort a une certaine durée ne peut comprendre de quelle manière
la venue du Seigneur surprend l’âme. Au contraire, il devrait dire que le Seigneur
vient en s’annonçant d’une manière progressive et non comme un voleur.
Cependant :
La mort est la séparation de l’âme et du
corps. Avant la mort, l’âme est présente au corps comme sa forme ; après la
mort, elle ne lui est plus présente. Le premier de ces deux termes, l’avant de
la séparation, est un processus qualitatif, c’est-à-dire un devenir qui est
nécessairement d’une certaine durée[615].
Conclusion :
Le mot mort est difficile à définir. Il prend plusieurs sens selon
la discipline qui l’étudie.
1° Au sens médical, le sens de
l’expression "mort clinique" n’a cessé d’évoluer. Les médecins
appellent mort clinique la destruction irréversible du corps. Elle est liée à
un aspect organique, à l’étude de la cause matérielle. Au fur et à mesure que
la médecine a progressé, elle a du en repousser plus loin les limites. Ainsi,
on déclarait jadis un malade cliniquement mort en s’appuyant sur le fait qu’il
ne respirait plus, puis par la constatation de l’arrêt de son cœur ou de
l’arrêt de toute activité électrique du cerveau. En dernier lieu, on a dit
qu’un malade pouvait être déclaré cliniquement mort lorsque son cerveau avait
manqué d’oxygène un temps assez long pour être irrémédiablement détruit. Sauf
exception, un cerveau humain resté plus de sept minutes sans oxygène, est
cliniquement détruit. Il est vrai que dans ce cas le retour à une vie normale
est impossible. Cependant, au plan philosophique, le fait que certains malades
morts cérébralement continuent à vivre d’une vie végétative manifeste la
présence du principe d’unité de leur vie, c’est-à-dire de leur âme[616].
2° Au sens philosophique, la
mort est la séparation définitive de l’âme et du corps. C’est l’aspect formel
de la mort. Dans l’expérience de la mort approchée, une certaine séparation se
fait mais elle n’est jamais définitive. C’est pourquoi, il ne faut pas dire que
ces gens sont morts mais qu’ils ont approché la mort.
3° Il existe une troisième
définition de la mort, théologique celle-là. Elle seule intéresse notre sujet.
Un homme est mort au moment où il entre dans l’autre monde. Avant, il se trouve
dans la mort, c’est-à-dire entre deux mondes. De nombreux témoins revenus d’une
N.D.E. affirment que le passage de la mort, d’un monde à l’autre, n’est pas le
simple franchissement d’une porte. Ce passage est un cheminement vivant,
accompagné d’apparitions et de révélations successives. Certains mystiques
comme Marthe Robin affirment que le mourant peut mettre plusieurs jours à le
franchir. Nous verrons (Question 16), que plus d’une tradition religieuse décrivent
ce passage, appelé "royaume de la mort" (shéol) comme une errance de
plusieurs siècles.
Solutions :
1. Même
si l’on prend la mort dans son sens philosophique, elle peut avoir deux sens,
on peut vouloir signifier le moment précis où l’âme se sépare du corps. En ce
sens, la mort est un phénomène instantané. Il est impossible de savoir
exactement à quel moment se produit une telle séparation car l’âme est par
nature immatérielle et donc non perceptible.
En un second sens, on peut vouloir parler du processus qui aboutit
à cette séparation. En ce sens, la mort a une certaine durée car, comme tout
mouvement, elle a un début, un devenir et une fin. Le terme final de ce
mouvement qualitatif constitue la mort telle que nous en avons parlé au premier
sens. Mais le commencement du processus, qui constitue « l’agonie » a une
certaine durée. Même s’il est impossible de dire avec précision le moment où se
produit la séparation entre l’âme et le corps, on peut tout de même essayer de
le conjecturer en s’appuyant sur des signes physiques. En effet, le fait que
l’âme n’est plus active doit être discernable par quelques effets dans le corps
qui ne vit que par elle.
2. L’expérience
vécue par ces personnes n’est pas la mort accomplie mais seulement une approche
de la mort. On peut le prouver facilement. Ces personnes sont revenues à elles
sans qu’il y ait de miracle mais simplement à travers le mécanisme médical d’un
réamorçage des fonctions végétatives du corps. Ces personnes n’étaient pas
réellement mortes[617],
au moins si l’on définit la mort comme un processus irréversible.
Si l’on insiste en disant qu’elles ont eu des contacts avec des
êtres de l’au-delà comme des proches décédés depuis longtemps ce qui semble
confirmer qu’elles étaient vraiment mortes, on peut répondre ceci : ces
contacts eux-mêmes semblent s’être produits dans un domaine qui précède
l’au-delà. Ces gens ne se disent pas morts mais disent plutôt qu’ils sont dans
la mort, c’est-à-dire dans le passage qui relie les deux mondes. Dans
l’expérience de la mort approchée, les témoins vivent la différence entre leur
expérience et la mort réelle à travers l’apparition d’une limite symbolique
mais pourtant réelle (rivière, porte, barrière) dont ils savent par intuition
que, s’ils la franchissent, leur retour sur terre sera impossible.
3. Cette objection parle de la
mort clinique[618]. Il s’agit d’une définition
qui considère l’aspect organique de la mort. Elle n’aide pas la théologie qui a
besoin de connaître le moment où l’âme entre dans l’autre monde, au-delà de ce
passage intermédiaire qu’on appelle la mort, le shéol.
4. Quand
Jésus dit qu’il vient comme un voleur, il ne veut pas signifier que l’âme
surprise par la mort reste figée pour l’éternité dans l’état où elle a été
trouvée de telle façon que celui qui aurait commis la veille avant de
s’endormir un péché mortel et aurait omis de s’en repentir sur le champ serait
irrémédiablement damné si la mort venait à le surprendre durant le sommeil. Il
veut dire que celui qui ne maintient pas habituellement son âme dans la charité
prête pour la mort, risque d’être surpris alors qu’il n’est pas prêt et que son
éternité se décide.
Objections :
1. Il ne semble pas. L’homme
qui meurt en état de péché mortel est immédiatement introduit en enfer selon
les paroles du pape Innocent IV[620]. Il est donc inutile
qu’elle reçoive une révélation puisqu’elle est déjà jugée.
2. Jésus dit à propos des
pécheurs "même si un mort ressuscitait, ils ne croiraient pas"[621]. Il est donc inutile qu’une
révélation soit donnée au moment de la mort puisque ceux qui n’ont pas cru sur
la terre ne croiront pas plus à cet instant.
3. Jésus dit : « celui croira et sera baptisé sera
sauvé »[622] ce qui signifie que celui
qui n’a pas reçu le baptême ne peut être sauvé. Inutile donc qu’il reçoive une
révélation au moment de la mort pour être sauvé.
4. On voit mal à quoi cela
sert. Il suffit pour réaliser son salut que l’âme reçoive ces révélations après
sa mort, c’est-à-dire après la séparation complète de l’âme et du corps.
Inutile donc de poser d’hypothétiques révélations dans les moments troubles de
la mort.
5. Cela paraît inutile au moins
pour ceux qui croient puisqu’ils n’ont pas besoin de recevoir la foi qu’ils ont
déjà.
6. Récemment, la discussion,
grâce aux conceptions de H-U von Balthasar (et donc d’A. von Speyr), a pris une
tournure différente. « Au
jugement, le bien d’une vie humaine n’est pas opposé quantitativement au mal.
Par ailleurs, la liberté humaine ne fait pas une sélection ponctuelle entre des
biens finis mais elle transcende la finitude et décide à partir d’une autonomie
absolue, qui la dépasse elle-même. C`est pourquoi la décision humaine, « le choix fondamental », doit être évalué qualitativement. » Ce choix fondamental ne se fait
cependant pas in abstracto, mais dans les différentes situations de vie qui se
succèdent, dans une série d’actes et d’attitudes qui ont tous une pente vers la
mort et qui nous révèlent aussi sans cesse la finitude de l’espace assigné à la
liberté de choix. Il est difficile d’éclaircir la relation avec le choix
fondamental, qui ne se laisse pas décomposer d’après les différentes situations
; il y va sans aucun doute, primordialement de la sentence objective
(c’est-à-dire le jugement de Dieu), d’une part, et, d’autre part, de son
incarnation nécessaire dans les décisions toujours exigées par les situations.
Et comme il ne s’agit pas d’une estimation qualitative mais de la qualité du choix
fondamental, se pose la question de savoir si un choix fondamental négatif,
même s’il s’agit du dernier dans le temps d’une vie, a pu s`exprimer sans
restriction dans toutes les situations d’une vie. Ici le juge cherchera
« si, dans la vie de celui qu’il a à juger, quelque chose peut se laisser
trouver qui a été saisi, peut se laisser saisir de son amour vivifiant, une
possibilité au moins potentielle de foi, si donc dans l’homme qu’il a à juger,
quelque chose est capable d’amour! D’un petit grain d’amour en réponse à tout
l’amour qui lui est offert par Dieu ».[623]
Cependant :
Il est écrit : « Tout homme verra le salut de notre Dieu »[624] et « l’Évangile sera prêché
à toutes les nations puis ce sera la fin »[625]. Il est donc annoncé que les
hommes reçoivent la révélation de l’Évangile avant leur jugement dernier,
surtout ceux qui n’ont aucunement entendu parler du Christ auparavant.
C’est ce que confirme saint Pierre (1 Pierre 4, 6) : « C'est
pour cela, en effet, que même aux morts a été annoncée la Bonne Nouvelle, afin
que, jugés selon les hommes dans la chair, ils vivent selon Dieu dans l'esprit.
»
C’est pourquoi sainte Faustine Kowalska, peut écrire[626] : « J’accompagne souvent les âmes agonisantes et je leur obtiens la
confiance en la miséricorde divine. Je supplie Dieu de leur donner toute la
grâce divine, qui est toujours victorieuse. La miséricorde divine atteint plus
d’une fois le pécheur au dernier moment, d’une manière étrange et mystérieuse.
À l’extérieur nous croyons que tout est perdu, mais il n’en est pas ainsi.
L’âme éclairée par un puissant rayon de la grâce suprême se tourne vers Dieu
avec une telle puissance d’amour, qu’en un instant elle reçoit de Dieu le
pardon de ses fautes et de leurs punitions. Elle ne nous donne à l’extérieur
aucun signe de repentir ou de contrition, car elle ne réagit plus aux choses
extérieures. Oh! Que la miséricorde divine est insondable.
Mais horreur ! Il y a aussi des âmes, qui volontairement et
consciemment rejettent cette grâce et la dédaignent. C’est déjà le moment même
de l’agonie mais Dieu, dans sa miséricorde donne à l’âme en son for intérieur
ce moment de clarté. Et si l’âme le veut, elle a la possibilité de revenir à
Dieu.
Mais parfois il y a des âmes d’une telle dureté de cœur, qu’elles
choisissent consciemment l’enfer. Elles font échouer non seulement toutes les
prières que d’autres âmes dirigent vers Dieu à leur intention, mais même aussi
les efforts divins. »
Conclusion :
En effet, on peut comparer l’entrée dans la vie éternelle à un
mariage d’amour entre deux époux. Dieu serait l’époux et l’âme la fiancée. Pour
que le mariage soit valide, il est évident qu’il faut que les époux échangent
leur consentement sans y être contraints mais avec une pleine liberté. Pour
cela, un certain nombre de conditions sont requises. Il faut que le futur
conjoint soit capable d’aimer en général, c’est-à-dire qu’il ne soit pas
complètement perverti par l’égoïsme. Cette disposition générale n’est autre que
la bonne volonté mais, cela est évident, il ne suffit pas que Pierre soit en
général un homme de bonne volonté pour qu’il épouse Marthe. Il faut en outre
qu’il connaisse l’existence de Marthe et quelque chose de son cœur (ce qui
correspond au plan surnaturel à la foi) ; il faut en plus que les deux
conjoints soient libres de tout autre lien donc qu’ils aient un certain espoir
vis-à-vis de la possibilité du mariage (ce qui correspond au plan surnaturel à
l’espérance). En outre, s’il est arrivé jadis que l’un ait offensé gravement
l’autre, il doit être prêt à en demander pardon (ce qui correspond au plan
surnaturel à la contrition signifiée par le baptême de Jean). Une dernière
disposition est requise : il faut que, chacun par devers soi, les futurs
conjoints soient attirés l’un vers l’autre. Je veux parler ici du premier amour
qui s’impose d’une manière non libre : lorsqu’un homme tombe amoureux d’une
femme, cet amour s’impose à lui dans un premier temps sans qu’il en ait cherché
la naissance ; (de même, au plan surnaturel, c’est toujours Dieu qui prend
l’initiative d’attirer à lui l’homme. C’est ce que le Concile de Trente[627] appelle la prémotion
divine).
Tous ces éléments, s’ils constituent une disposition très proche
au mariage, ne suffisent pourtant pas à le fonder. C’est pourquoi le Concile de
Trente[628] enseigne qu’il ne s’agit là
au plan surnaturel que de dispositions prochaines au salut mais que tous ces
éléments (bonne volonté, attraction divine, foi, espérance, contrition), s’ils
rendent juste un homme, ne le sanctifie pas. Ils ne méritent pas la vie éternelle.
Il est évident en effet, pour qu’un mariage d’amour puisse avoir lieu, qu’il
est nécessaire que chacun des conjoints se sachant aimé, ait choisi d’aimer
l’autre : Après un temps convenable de fiançailles qui leur permet de se
connaître mutuellement, il faut qu’ils choisissent de se donner l’un à l’autre
pour la vie entière, à cause de leur amour, pour le meilleur et pour le pire.
De même, pour ce mariage éternel qui fait entrer dans la vision de Dieu, il est
nécessaire que l’âme, connaissant suffisamment le cœur de Dieu par la
révélation qu’en donne Jésus-Christ, désire explicitement s’unir à lui, tel
qu’Il est, avec les conditions surprenante de l’humilité (kénose) et de
l’amour. Il s’agit d’un acte de charité, et même d’une charité parfaite puisque
nul n’entre dans la gloire sans elle, comme l’enseigne l’Église à propos du
purgatoire. Ainsi, c’est la charité et la charité seule qui nous mérite la vie
éternelle de même que c’est l’amour réciproque, libre et fervent qui conduit au
mariage. Cette charité implique tous les éléments dispositifs dont nous avons
parlé précédemment car nul ne peut aimer Dieu et désirer le voir face à face
pour l’éternité s’il ne croit pas, n’espère pas, ne se repend pas et n’est pas
attiré par sa présence.
De tout cela, nous pouvons tirer la
conclusion suivante :
1° Puisque l’Église nous
enseigne qu’ « aussitôt après la
mort », le choix de l’âme est fait au
point qu’elle est conduite en enfer ou au contraire promise à la gloire. [629]
2° Puisque d’autre part,
l’expérience nous montre que les conditions de ce choix lucide ne sont pas
données à tous les hommes durant ce que nous voyons de leur vie terrestre (les
païens non visités par les missionnaires, les chrétiens ignorants de leur foi
etc.).[630]
3° Puisque enfin nous savons
que Dieu veut proposer à tout homme cette vie, au point que nul ne peut se
damner pour l’éternité qu’à cause d’un blasphème parfaitement lucide contre
cette révélation, appelé par notre Seigneur le "blasphème contre l’Esprit
Saint".[631]
Nous pouvons conclure que,
nécessairement, tout homme reçoit la révélation du Salut de Dieu dans ce moment
que nous avons appelé « l’heure
la mort », « la onzième heure »,
moment ultime de la vie terrestre qui précède la mort. Par cette grâce donnée
par Dieu, chacun peut alors se porter vers Dieu ou le rejeter, en fonction de
ce qu’il s’est fait pendant sa vie terrestre[632].
Ces conditions impliquent un certain temps et c’est avec raison
que sainte Faustine parle des "efforts divins" pour nous
convaincre.
Car cette lucidité est celle d'un homme, pas d'un ange. L'ange qui
est un pur esprit comprend en un instant T1 puis décide à l'instant T2. Il ne
revient jamais en arrière. Il n’a pas de psychisme sensible (imagination,
mémoire des images sensible, estimative) pour interférer dans son jugement.
Au contraire, l'homme comprend à travers ses sens, même dans la
mort (le psychisme survit). Il voit donc de ses yeux le corps lumineux du
Christ et c'est son charme, sa lumière physique, qui lui révèle à travers
l’abstraction de l’intellect agent, l’amour et la vérité. L'homme doit donc
considérer une à une les choses. Il y a ensuite le même travail avec Lucifer
qui présente le côté positif de son projet égoïste. Il faut que Lucifer reçoive
contradiction par le Christ qui montre que tout cela est illusion, fausse
liberté. Enfin, il y a l'apport des proches, leur appel. Au moment où la
discussion est finie, la compréhension parfaite, le choix peut être posé par
l’homme. Et cela peut donc prendre du temps.
Autre chose : Si l'âme de certains pécheurs, prise par l'action,
n'est pas assez calme et disposée à entrer dans ce jugement, il se peut qu'il
soit différé et qu’elle erre un temps sur les lieux où il a péché. Ce temps de
limbes est souvent indispensable à l'homme, toujours à cause de ce psychisme
qu'il emmène avec lui et qui ne doit pas abîmer la liberté totale du choix à
venir (voir plus loin, le purgatoire).
Solutions :
1. Il est nécessaire d’affirmer
que l’homme reçoit de Dieu certaines révélations dans le moment de la mort,
c’est-à-dire dans le devenir immédiat qui précède l’entrée dans l’autre monde.
La raison en est que bien des hommes arrivent à la porte de l’autre monde en
état de mort spirituelle, sans aucun amour pour Dieu, mais sans qu’il y ait de
leur part une entière culpabilité. Parmi eux, certains enfants sont en état de
mort spirituelle sans aucune culpabilité personnelle, mais à cause du choix
posé pour eux jadis par Adam et Ève. La foi nous enseigne que tout homme qui
arrive de l’autre côté de la mort en état de péché mortel est damné pour
toujours. Dieu qui est juste, ne peut damner indistinctement tous ces humains
selon la parole même de Jésus[633] : « Tout péché et blasphème sera remis aux hommes, dans ce monde et dans
l’autre mais le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera pas remis, ni dans ce
monde ni dans l’autre. »
Pour mieux établir ce raisonnement, il faut procéder avec ordre.
En premier lieu, il faut définir les différentes raisons qui peuvent faire
qu’un homme ou un enfant vivent en état de mort spirituelle. En second lieu, il
faut rappeler la justice de Dieu qui sonde en vérité les raisons du péché
mortel. En troisième lieu, il faut montrer que, nécessairement, Dieu ne
condamne que celui qui s’obstine, malgré une série de révélations suffisantes,
dans son refus de la vie spirituelle (blasphème conscient volontaire et libre
contre l’Esprit Saint).
1° Qu’est ce que l’état de
mort spirituel (autrement dit, dans son sens le plus général, le péché mortel[634]) ? C’est une notion
analogique qui signifie simplement : « pas
de grâce sanctifiante, séparation d’avec la présence mystique de Dieu. » Un homme en état de mort spirituelle
peut l’être pour plusieurs raisons. Il y a trois sortes de péchés mortels :
Le premier est lié à une ignorance (c’est péché contre le Verbe à
qui on attribue dans la Trinité la Connaissance). Le péché originel est de cet
ordre. Il existe donc un péché mortel non volontaire, ce qui prouve l’extrême
largeur de cette notion théologique. Voilà pourquoi saint Augustin met dans une
séparation éternelle de Dieu les enfants morts en état de péché originel.
Certains adultes peuvent aussi commettre des péchés mortels à cause d’une
ignorance préalable : en effet s’ils avaient su parfaitement la gravité du
péché et de ses conséquences contre Dieu, contre le prochain et contre
eux-mêmes, ils n’auraient jamais péché. C’est ce que veut exprimer l’apôtre
quand il dit[635] : « Si le Christ n’est pas ressuscité, mangeons et buvons car demain
nous mourrons. » Le péché d’ignorance
peut être une faute mortelle en tant que l’homme met sa fin dernière dans les
créatures mais il est en partie excusable à cause de l’ignorance qui lui est
conjointe.
Le second est un péché lié à une faiblesse (péché contre le Père à
qui on attribue dans la Trinité la puissance). Certains commettent des péchés
mortels parce que leur volonté est détournée de sa fin par l’action des
puissances sensibles qui les entraînent vers leur fin particulière. Ils savent
qu’ils font le mal mais ils ne peuvent s’en empêcher. Ainsi, celui qui se livre
à la débauche à cause de son amour pour le plaisir peut savoir d’une manière
générale que Dieu ne consent pas à de tels actes et pourtant il y cède dans
certains cas particuliers à cause de l’entraînement de son désir sensible. Sa
volonté se détourne alors de Dieu pour mettre sa fin dernière en autre chose
que Dieu. Dans cette mesure, il s’agit d’un péché mortel, selon les paroles de
l’apôtre aux Romains[636] : « les passions perverses produisent en nos membres des fruits de
morts », même si ce péché mortel est
en partie excusable à cause de la faiblesse qui en est l’origine[637].
Enfin, le troisième est le péché contre l’Esprit Saint (lucide,
conscient, libre contre l’amour). Certains peuvent commettre des péchés mortels
avec une pleine connaissance qui exclut l’ignorance et une pleine maîtrise de
soi qui exclut la faiblesse. Leur acte est alors pleinement volontaire et c’est
avec pleine responsabilité qu’ils se détournent de Dieu. Un tel péché de malice
volontaire, quand il ne présuppose aucune ignorance et aucune faiblesse
déterminante est appelé par Jésus le péché contre l’Esprit Saint, car il
s’oppose à l’amour qui est attribué en Dieu par appropriation à l’Esprit Saint.
Seul le péché contre l’Esprit Saint épuise ce qui est contenu sous la notion de
péché mortel car l’homme porte alors son intention sur une fin en sachant et en
voulant que cette fin le détourne de Dieu. Ici-bas, un tel péché est rare car
peu d’hommes sont capables des deux conditions énoncées. Jésus en a accusé avec
justesse certains théologiens de son temps. Ils avaient décidé de le mettre à
mort, tout en sachant parfaitement que sa mission venait de Dieu. Aucun
théologien ne peut ignorer que Dieu seul et non Satan peut ressusciter un mort.
2° Dieu est juste. La question
qui pose débat est : tout homme qui meurt en état de péché mortel est-il damné
pour l’éternité ? C’est la conviction de la foi de l’Église, "Tout
homme qui meurt en état de péché mortel est conduit en enfer aussitôt après la
mort"[638]. C’est aussi celle de saint
Augustin et de saint Thomas. Saint Augustin en conclut : « Péché originel
: limbes éternelles, enfer sans souffrance ; païens dans l’ignorance de
l’évangile : damnation ; chrétiens faibles en état de péché contre le Père :
damnation car tout homme qui meurt en état de péché mortel est damné. »
Voilà où en est le débat.
Or, pour qu’il y ait un jugement juste,
certaines conditions sont requises en celui qui est jugé. En premier lieu, il
doit savoir de quoi il est accusé et pour quelles raisons. C’est pourquoi le
premier acte des juges dans les procès est d’énoncer le délit commis et de
préciser sur quel point du droit il s’oppose. Celui qui ignore complètement ce
dont on l’accuse et pourquoi on l’accuse ne peut bien évidemment pas être jugé
avec justice.
Jésus, à la différence de bien des hommes, juge en fonction des
intentions qui sont sources des actes, selon cette parole : « Dieu sonde les reins et tes cœurs. » Or l’homme, dans sa condition
terrestre, n’agit pas toujours en fonction d’intentions parfaitement éclairées
et pleinement libres. Comme cela a été montré[639], bien des péchés mortels
commis dans le monde n’ont pas leur source première dans la malice de la
volonté, mais dans la faiblesse de la chair et dans l’ignorance de
l’intelligence
3° Ainsi, dans le moment qui
précède la séparation définitive de l’âme et du corps, il convient que le juste
juge qui juge les intentions supprime toute ignorance préalable aux péchés. Il
faut donc qu’il révèle à l’homme certaines choses essentielles à son salut tel
que l’amour de Dieu, l’existence d’un Sauveur, la malice du péché. Si l’homme,
malgré cette révélation, maintient obstinément sa volonté dans le péché, il
peut être jugé pour des actes dont il est vraiment responsable. C’est pourquoi
Jésus dit, à propos du péché d’ignorance : « Si je n’étais pas venu et ne
leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais maintenant ils n’ont
pas d’excuse à leur péché ».[640]
De même, pour le péché de faiblesse[641], il convient que l’homme au
moment de sa mort et avant son jugement soit délivré des passions du corps qui
l’entraînaient à pécher. De la même façon, celui qui est délivré de sa
faiblesse au moment de sa mort, et qui maintient obstinément sa volonté dans le
péché, peut être jugé pour des actes dont il prend la pleine responsabilité. Ce
n’est donc pas n’importe quel péché mortel qui introduit l’homme immédiatement
après sa mort dans la damnation éternelle mais seulement le péché contre
l’Esprit Saint, c’est-à-dire le péché mortel "parfait" qui implique
pleine conscience, pleine volonté et liberté. C’est pourquoi le même pape
Innocent IV écrit : « Puisque la Vérité affirme dans l’Évangile que si
quelqu’un a blasphémé contre l’Esprit Saint, « il ne lui sera pas pardonné
ni dans ce monde ni dans le monde à venir »[642], elle nous fait comprendre
que certaines fautes sont déliées dans le siècle présent, mais d’autres dans le
siècle futur »[643]. Les péchés qui sont
pardonnés dans le siècle futur, c’est-à-dire au moment de la mort sont les
péchés contre le Fils (c’est-à-dire les péchés d’ignorance car on attribue en
Dieu au Fils par appropriation la science) et les péchés contre le Père
(c’est-à-dire les péchés de faiblesse puisque le Père est considéré comme la
puissance en Dieu par appropriation). Après la mort, les seuls péchés qui
subsistent sont les péchés véniels, c’est-à-dire les restes de l’attachement au
péché, et les fautes contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire l’obstination
orgueilleuse dans le péché. Les restes du péché sont purifiés par le purgatoire
; Les péchés mortels qui subsistent et qui, comme on l’a vu sont des blasphèmes
contre le Saint-Esprit, conduisent en enfer où il n’y a plus d’autre amour dans
l’intention du pécheur que l’amour de soi.
2. Il
existe deux manières d’être incroyant : en un premier sens, cela peut-être par
haine de la foi alors même qu’elle a été entendue et reçue dans le cœur. Il
convient que la foi soit prêchée à ces hommes là au moment de la mort afin que,
s’ils maintiennent avec obstination leur refus, ce soit en pleine conscience et
liberté. Il s’agit alors de la première espèce du péché contre l’Esprit Saint,
c’est-à-dire le refus de croire à la vérité suffisamment manifestée[644].
En un second sens, cela peut être par ignorance de la foi selon ce
que dit l’apôtre : « Comment peut-on
croire sans avoir entendu ? » [645] Une telle incroyance n’est
pas coupable. Elle est donc supprimée au moment de la mort, à cause de la bonté
et de la justice de Dieu qui veut sauver tous les hommes.
3. Jésus ne parle pas ici du baptême
au sens sacramentel mais d’abord de ce que signifie et réalise ce baptême, à
savoir l’entrée dans la grâce de Dieu qui est la communication de la grâce
sanctifiante. Or une telle entrée en grâce peut avoir lieu jusqu’au dernier
moment, c’est-à-dire jusqu’au moment de la mort accomplie.
4. Dans l’hypothèse
(semble-t-il erronée, voir article 2) où l’âme humaine perdrait après la mort
les facultés de sa vie psychique, elle serait moins bien disposée à poser un
acte pleinement humain qu’à l’heure de la mort. Après la séparation complète de
l’âme et du corps, la volonté humaine se comporterait d’une manière comparable
à celle des anges : elle se porterait tout entière vers son objet, suivant en
cela l’acte d’une intelligence devenue intuitive. Mais ce mode d’élection,
propre aux anges, est disproportionné par rapport à l’exercice normal de
l’intelligence humaine. Il implique une puissance intellectuelle que l’homme ne
possède pas. Le propre de l’homme est de connaître les réalités spirituelles
par l’instrument d’images sensibles dont l’intellect agent extrait
l’intelligibilité. Ainsi, une telle connaissance intuitive lui serait moins
claire car trop éblouissante. C’est pourquoi le choix doit être réalisé dans le
mode adapté à l’homme, c’est-à-dire par une intelligence unie à son psychisme.
C’est pourquoi, au moment de la mort, l’âme reçoit la grâce de l’apparition
visible de Jésus dont le corps glorieux devient pour elle source de la
plénitude de la révélation spirituelle de l’Évangile. Voilà pourquoi un choix
humain et libre est possible durant notre vie terrestre et, selon la foi
catholique, « aussitôt après la mort », l’âme est définitivement fixée sur
son destin éternellement choisi.
Nous insistons sur ce point : ce n’est donc pas l’âme mais l’homme
tout entier qui choisit, durant sa vie terrestre, son destin éternel.
5. Même
les croyants reçoivent la révélation de Jésus-Christ au moment de leur mort. En
effet, nul ne peut prétendre connaître sur terre la profondeur du mystère du
salut. Il reste bien souvent des préjugés et des erreurs qui doivent
disparaître avant le jugement dernier. La prédication opérée par Jésus purifie
la foi de toute ignorance essentielle.
Seule la vierge Marie, à cause de sa sainteté inégalable, aurait
pu être introduite directement dans la Vision de l’essence divine de son Fils.
Cependant, il est évident que celui-ci s’est montré à elle au jour de sa
dormition, dans son corps, son âme humaine. La foi de Marie, avant même de voir
la divinité ce son Fils, en a toujours vécue.
6. Cette hypothèse de Balthasar
concernant le salut présente certains avantages. Elle montre l’importance de la
vie terrestre dans son ensemble comme orientation vers le salut. Elle manifeste
d’autre part comment Dieu reconnaît et bénit tout acte bon, naturel ou surnaturel
dans sa créature. Mais elle présente des inconvénients par rapport à ce que
nous avons exposé de la foi de l’Église qui nous obligent à la considérer comme
insuffisante : 1° Le premier d’entre
eux (et le moins important sans doute puisqu’il suffirait de modifier la
position de Balthasar et de situer ce qu’il décrit à l’heure de la mort et non
après la mort) est la non concordance de sa position avec la constitution
"Benedictus Deus" du pape Benoît XII de l’an 1336. Il y est dit
: « Nous affirmons en plus : comme Dieu l’a ordonné communément, les
âmes de ceux qui sont morts chargés d’un péché effectivement grave descendent
immédiatement en enfer, où elles subissent des peines infernales. »[646] Nulle âme ne saurait être
conduite au Ciel à cause d’un acte ou même de toute une vie passée dans le
bien, qu’il soit humain ou surnaturel si, dans le moment ultime de sa vie, face
à Jésus qui se révèle, elle ne s’appuie pas sur ce passé pour poser un acte
actuel de charité envers lui. Ainsi, nous sommes d’accord avec Balthasar pour
reconnaître ce "petit grain d’amour" que Jésus manifeste à tout homme
dans sa vie passée, mais nous affirmons en plus que Jésus en attend un autre,
actuel, surnaturel et parfait, ayant la qualité du "oui" que se disent
mutuellement les époux le jour de leur mariage. Sans cet acte (c’est-à-dire
dans le cas où une créature refuserait obstinément de le poser), nul n’entre au
Ciel après la mort.
Objections :
1. Tant que l’âme n’est pas
séparée du corps, elle reste liée aux faiblesses du corps. Elle ne peut donc
être libérée de la faiblesse de la sensibilité avant que la mort soit
totalement accomplie.
2. Jésus met en garde l’homme
contre le péché en disant "veillez et priez car vous ne connaissez ni le
jour ni l’heure où le fils de l’homme viendra"[647]. Il veut signifier par là
qu’il faut se garder de tout péché, même des péchés de faiblesse car un seul
péché mortel, si nous sommes surpris par la mort, peut conduire en enfer.
3. Dieu
a imposé à l’homme sa faiblesse afin qu’il apprenne l’humilité[648].
Si donc cette faiblesse est supprimée au moment de la mort, l’homme risque de
s’enorgueillir à cause de la pleine maîtrise qu’il a de lui-même. Cela semble
contradictoire avec la sagesse de Dieu qui veut conduire tout homme à la vision
de son essence. Donc l’homme n’est pas délivré de la faiblesse au moment de la
mort.
Cependant :
Nul ne peut se porter d’une manière
absolument libre vers une fin s’il est entraîné par quelque passion du corps.
Conclusion :
De même que le péché lié à une ignorance
est supprimé au moment de la mort par une révélation concernant la nature du salut
préparé par Dieu, de même il est nécessaire que le péché de faiblesse qui est
très souvent mortel soit supprimé. Et cette nécessité vient de la fin du
jugement particulier auquel aboutit la mort. Ce jugement détermine le sort
éternel de l’âme par rapport à Dieu. Or une âme ne peut être damnée que pour
des actes dont elle est pleinement responsable ce qui n’est pas entièrement le
cas du péché de faiblesse à cause de l’entraînement de la passion subi par la
volonté. Ainsi, dans le moment qui précède la séparation de l’âme et du corps,
le corps est rendu par Dieu léger pour l’âme de telle manière que la volonté ne
peut plus subir l’entraînement du foyer de péché. Dans cette situation, si un
homme s’obstine à maintenir sa volonté fixée sur le péché, ce ne peut être qu’à
raison d’un péché contre l’Esprit Saint comme l’impénitence finale. Au
contraire, si l’homme se repent au moment de sa mort, il reçoit le pardon de
Dieu et peut être sauvé, même si c’est à travers un feu[649],
c’est à dire en passant par le purgatoire.
Solutions :
1. La mort, telle que nous
l’entendons dans cette question, est le devenir progressif qui aboutit à la
séparation de l’âme et du corps physique, mais non des facultés du psychisme.
Ce devenir implique une certaine durée au fur et à mesure de laquelle le lien
qui unit l’âme au corps physique devient de plus en plus ténu. Au point de
départ, l’intelligence ne peut s’exercer sans le concours des images données
par l’organe du cerveau et la volonté sans entraîner avec elle les appétits du
corps sensible. Au terme final, l’intelligence s’exerce d’une manière plus
aisée car les images lui sont apportées par des facultés sensibles bien réelles
s’exerçant pourtant de manière séparée de l’organe du cerveau. Pour
l’intelligence, l’exercice devient aisé, comme si le poids de la matière dont
se plaignait Platon n’était plus un obstacle mais au contraire une harmonie.
Pour la volonté, aucune entrave n’affaiblit sa capacité à se porter vers le
bien.
En fait, cette libération de la faiblesse a Dieu pour cause. De
même qu’après le péché d’Adam et Ève, il avait imposé à toute leur descendance
le fomes peccati (foyer de péché) qui diminuait sans la supprimer la liberté de
chacun, de même, il en libère chaque homme à l’heure du passage. La personne
expérimente alors un état de profond calme psychologique, comparable à celui
d’Adam et Ève en Eden. C’est un fruit de la rédemption. Le foyer du péché est
cette propension lourde de notre sensibilité à chercher son propre bien
(valorisation, autonomie, sécurité) en opposition avec les volontés de
l’esprit. Depuis le péché originel, ces instincts de notre sensibilité sont
devenus difficiles à contrôler. Ils entraînent souvent notre volonté, malgré
son désir profond.
2. Le péché mortel quel qu’il
soit, même s’il a des circonstances atténuantes dans l’ignorance ou la
faiblesse, peut conduire l’homme au péché contre l’Esprit Saint lorsque
l’ignorance et la faiblesse disparaissent. Rien ne prouve en effet que l’homme
se repente toujours de ses péchés au moment de la mort, à cause de
l’attachement à soi qui est présent dans tout péché et qui subsiste même après
la mort. Cet amour déréglé de soi peut conduire et conduit souvent à la révolte
définitive contre Dieu, car l’arbre à tendance à tomber du côté où il penche,
comme nous le verrons. [650]
3. Dieu
veut conduire tout homme à la vision de son essence mais pas à n’importe quel
prix. Comme nous l’avons montré, il convient que l’homme désire librement
entrer dans cette gloire. C’est pourquoi il est nécessaire que tout élément qui
conditionne de l’extérieur cette liberté disparaisse comme la violence, la
faiblesse, la peur. Dieu n’impose donc à l’homme l’état de faiblesse qui
aboutit à la mort que sur cette terre et en préparation du jugement dernier que
la mort inaugure.
Objections :
1. Il est nécessaire que
l’homme voie l’essence de Dieu au moment de la mort. Nous avons montré que la Vision
béatifique devait être précédée d’un choix libre. Or nul ne peut choisir ce
qu’il ne connaît pas, donc l’âme voit Dieu dans son essence au moment de la
mort.
2. Dieu
veut que tout homme soit sauvé. En montrant son essence sainte dès le moment de
la mort, il pourrait réaliser ce salut pour tous puisque nul ne peut plus
pécher en voyant Dieu. Il semble donc qu’il agit ainsi dans sa bonté.
Cependant :
Cette thèse condamnée au XIVème siècle en Angleterre par
l'archevêque de Cantorbéry, Simon Langham, dans une lettre adressée en 1368 au
chancelier de l'Université d'Oxford : « Toute
personne dans l'état de voie [c'est à dire tout personne sur terre, non encore
arrivée au terme de sa vie qui est soit l'enfer, le purgatoire ou le paradis],
tant adulte que non adulte, musulman, juif et païen, même mort dans le sein
maternel, aura une claire vision de Dieu avant sa mort, vision par laquelle il
aura le libre choix de se convertir à Dieu ou de s'en détourner ; et si alors
il choisit de se tourner vers Dieu, il sera sauvé, autrement, il sera
damné. »
Donc l’homme ne voit pas l’essence de Dieu dès le moment de la
mort.
Conclusion :
La béatitude qui consiste à voir Dieu
dans son essence ne peut être donnée avant le jugement personnel de l’âme. En
effet, voir l’essence de Dieu, c’est voir l’essence de la bonté. L’âme qui voit
Dieu se trouve donc réellement et totalement dans le bonheur absolu. Or
personne ne peut vouloir ou agir sinon en vue du bonheur. Il est en effet
impossible de se détourner du bien comme tel. Ainsi l’homme, s’il était uni dès
le moment de la mort au Bien Incréé ne pourrait plus pécher en ce sens qu’il ne
serait plus capable de liberté. Dans cette hypothèse parfaitement opposée à ce
qu’est Dieu, la liberté serait happée et figée comme peut l’être le papillon
dans la flamme d’une lampe. Il ne voudrait jamais s’en séparer, non par choix
libre mais par force ce qui, on le sait par les paroles de Jésus, n’est pas la
manière dont Dieu veut le salut de l’homme. Il veut s’unir à lui comme on le
fait dans un mariage[652]. L’homme serait confirmé et
stabilisé dans le bien dès le moment de la mort. Or il n’en est pas ainsi
puisque certains d’entre eux seront damnés selon cette parole du Seigneur :[653] « Allez loin de moi,
maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le Diable et ses
anges. »
Solutions :
1. Il n’est pas nécessaire,
pour se porter vers un bien de connaître d’expérience tout ce qui est impliqué
dans ce bien mais simplement de connaître la raison générale de sa bonté.
Ainsi, dans le mariage humain, il n’est pas nécessaire pour s’engager d’avoir
expérimenté la sexualité mais il est nécessaire de savoir qu’il y aura une vie
sexuelle. De même, il n’est pas nécessaire que l’homme voie l’essence de Dieu
pour se porter vers Dieu, il est seulement nécessaire qu’il comprenne qu’il
verra Dieu et que Dieu est à l’image de Jésus, à la fois le Tout-puissant et le
plus humble (kénose) et aimant, jusqu’au mépris de soi. On le voit sur terre
chez ceux qui aiment Dieu plus que tout, sans avoir vu son essence.
2. La
bonté de Dieu est aussi Sagesse. Or Dieu dans sa sagesse a créé l’homme avec un
libre arbitre. C’est donc selon le mode de la nature de sa créature qu’il se
donne à lui, c’est-à-dire après un acte de son libre arbitre, ce qui ne serait
pas possible si Dieu manifestait son essence dès le premier instant.
Objections :
1. Il semble que cela n’est pas
possible : Jésus est actuellement glorifié et son corps glorieux est invisible
à l’œil humain à cause de sa nature supérieure, qui est spirituelle.
2. Nul ne peut voir s’il n’a
les yeux ouverts. Or le corps, dans le moment qui précède la mort, est dans une
situation limite telle que ses fonctions sensitives ne fonctionnent plus. Il
n’est donc plus en mesure de voir quoique ce soit.
3. Aucun
texte de l’Écriture n’enseigne cela. On ne doit rien ajouter à la Révélation
sous peine de malédiction selon l’Apocalypse[655].
Cependant :
L’Écriture dit[656] : « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé. » De même dans l’Évangile, le Seigneur annonce : « les puissances des cieux seront
ébranlées et alors on verra le Fils de l’homme venant dans une nuée avec grande
puissance et grande gloire »[657], parole qui peut
s’appliquer à la fin générale du monde aussi bien qu’à la fin de ce petit monde
qu’est l’homme. Jésus le dit encore plus concrètement au Grand Prêtre qui
l'interrogeait, avant sa condamnation à mort : « Es-tu le Christ, le Fils du Béni ? » "Je le suis, répond Jésus, et vous verrez le Fils de
l'homme siégeant à la droite de la Puissance et venant avec les nuées du Ciel.
"[658]
Conclusion :
Nous avons montré qu’il est nécessaire que l’homme reçoive dans le
moment de la mort certaines révélations de la part de Dieu concernant son
salut. Or la parole de Dieu faite chair, c’est Jésus-Christ lui-même selon
saint Jean : « et le Verbe s’est fait
chair et il a demeurÉ parmi nous »[659]. Dans l’humanité du Christ,
Dieu a façonné une image de sa divinité, une image parfaitement adaptée au mode
de la connaissance humaine qui s’appuie sur ce qui est senti pour s’élever à ce
qui est compris par l’intelligence. Il convient donc que la révélation de la
gloire réalisée dans le moment de la mort le soit par le Christ Jésus. C’est
pourquoi l’Écriture dit[660] : « Il n’existe pas d’autre nom sous le Ciel que celui de Jésus par
lequel nous devons être sauvés. » Ce
n’est donc pas par des paroles mais par la rencontre bouleversante avec Jésus,
la Parole faite chair, que se fera l’ultime révélation précédant le jugement
dernier. Elle est donnée non seulement aux hommes qui ne connaissent pas Jésus,
c’est-à-dire aux païens, mais aussi aux croyants. Car nul chrétien, aussi
contemplatif soit-il sur terre ne soupçonne l’intensité de lumière et d’amour
qui rayonne de l’humanité Sainte de Jésus. On raconte de saint Thomas qu’il
cessa d’écrire sa somme théologique à la suite d’une apparition du Christ. Il
confia à son secrétaire qu’il n’écrirait plus car il avait compris en un
instant qu’il ne savait rien.
Quant aux modes de cette révélation, ils sont décrits
métaphoriquement par l’apôtre Jean dans ses visions[661] : « Je me retournais pour regarder la voix qui me parlait et, m’étant
retourné, je vis au milieu de sept candélabres comme un Fils d’homme, revêtu
d’une longue robe serrée à la taille par une ceinture d’or. Sa tête avec ses
cheveux blancs, est comme de la laine blanche, comme la neige, ses yeux comme
une flamme ardente, ses pieds pareils à l’airain précieux que l’on aurait
purifié au creuset, sa voix comme la voix des grandes eaux. Dans sa main, il y
a sept étoiles et de sa bouche sort une épée acérée, à double tranchant, et son
visage, c’est comme le soleil qui brille dans tout son éclat. À sa vue, je
tombais à ses pieds comme mort mais il posa sur moi sa main droite en disant,
ne crains pas. »
En parlant de Fils d’homme, saint Jean veut nous signifier que ce
n’est pas Jésus en tant qu’il est Dieu qu’il a vu ; Sa longue robe est la
plénitude de toutes les vertus que tient la plus grande d’entre elles : la
charité qui est comme une ceinture d’or ; les cheveux blancs symbolisent la
sagesse qu’on attribue d’habitude aux vieillards ; la blancheur rappelle la
pureté du cœur de Jésus ; ses yeux sont comme une flamme ardente car il émane
d’eux un amour qui enflamme celui qu’il regarde ; ses pieds sont pareils à
l’airain car Jésus est le rocher sur lequel tout homme peut et doit s’appuyer,
il nous l’a montré dans le creuset de sa crucifixion ; Sa voix est comme celle
des cascades car tout homme l’entendra. Dans sa main se trouvent sept étoiles,
c’est-à-dire la grâce qu’il peut donner si quelqu’un la demande ; quant à
l’épée acérée, elle est sa parole qui dévoile dans chaque âme le péché là où il
est, ne laissant rien de caché dans la conscience ; tout son être rayonne comme
le soleil car il éclaire de sa vive lumière tout homme qui arrive en sa
présence[662].
On peut résumer la révélation ainsi décrite de cette manière : à
sa mort, l’âme encore liée à son corps voit avec les yeux de sa chair
l’humanité Sainte de Jésus, selon le mode voulu par lui, de telle façon qu’elle
découvre comme dans un miroir la lumière de Dieu et l’amour de Dieu. Dans cette
lumière, l’homme découvre à quel point il est ténèbres et péché, « néant devant Dieu » selon les paroles de sainte Catherine
de Sienne. Il s’agit d’une révélation à la fois bouleversante car elle remet en
question notre connaissance limitée de Dieu[663], et effrayante car elle
fait toucher du doigt ce que nous sommes vraiment (Dies Irae)[664].
Solutions :
1. Le corps glorieux de Jésus
obéit parfaitement à sa volonté : il se rend donc visible au gré de sa volonté
et selon le mode qu’il veut. Il adapte la vision de son humanité en fonction du
bien de chaque homme à qui il se montre.
2. La vision du corps glorieux
du Christ se fait avec les facultés de la vie sensible. La raison en est que le
corps de Jésus est un corps physique et non un corps intelligible. Il existe
une autre personne dont le corps physique est présent dans l’autre monde. C’est
la vierge Marie. Le mystère de son assomption trouve ici son sens ultime car
Dieu, l’Etre aux qualités masculines (Toute-puissance, éternité, justice) et
féminines (humilité (kénose)[665], amour, miséricorde) peut
être révélé dans une plus grande plénitude par l’apparition de Jésus et Marie
unis. Il faut donc admettre que les facultés sensitives de l’homme peuvent
s’exercer un certain temps après l’arrêt de ses fonctions végétatives. Cela
correspond d’ailleurs au témoignage de ceux qui sont passés près de la mort.
D’après eux, la vie sensible demeure et s’exerce avec un mode supérieur au mode
habituel.
Quant au fait qu’il faut avoir des yeux ouverts pour voir, cela ne
prouve rien car Jésus peut imprimer directement dans l’œil et dans
l’imagination l’image de son humanité Sainte[666]. Une autre explication a
été apportée plus haut[667]. Nous la devons aux
philosophies de l’Extrême Orient. Les facultés psychiques survivraient par la
survie d’un corps fait d’une matière psychique que l’âme a le pouvoir de maintenir
vivant au-delà de la disparition du corps physique.
3. Dans le cas qui nous occupe,
des textes explicites existent, bien qu’ils puissent être appliqués aussi au
retour définitif de Jésus qui aura lieu à la fin du monde. Ce fait apparaît
clairement dans l’évangile selon saint Matthieu[668] : « Comme les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du Fils de
l’homme. En ces jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on
prenait femme et mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et les gens ne se
doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera
aussi l’avènement du Fils de l’homme. Alors deux hommes seront aux champs :
l’un est pris, l’autre laissé ; deux femmes en train de moudre : l’une est
prise, l’autre laissée. Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va
venir votre Maître. » Jésus parle de
son « avènement », ce qui semble signifier sa dernière
parousie, celle de la fin du monde. Or pour s’expliquer, il dit « qu’en ce jour-là, deux hommes
seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé. » Cela ne peut signifier que l’heure de la mort individuelle de
cet homme.
Un autre texte peut aller dans le sens de l’identification par
Jésus entre les mystères de la mort individuelle et ceux de la fin politique du
monde : « En vérité, je vous le dis,
cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé. Le Ciel et la
terre passeront mais mes paroles ne passeront pas ».[669] Ce texte et d’autres
analogues semble annoncer la fin du monde et la parousie générale en en fixant
la date à la génération de ceux qui ont connu Jésus. En apparence, cela ne
s’est pas réalisé car on pense ici à son retour universel lors de la fin des
fins. Or il existe une parousie au cours de l’histoire qui marque chaque
génération tout aussi réellement que la parousie définitive qui fera s’arrêter
le cycle des générations. En effet, moins de cent ans après que Jésus a
prononcé ses paroles prophétiques, toute la génération qui les avait entendues
avait réellement et historiquement connu la parousie. Cela ne s’était pas
réalisé d’un seul coup mais par la somme des parousies individuelles à la mort
de chacun.
La Révélation plénière ne se trouve pas tout entière dans la
lettre de l’Écriture, mais aussi dans la Tradition et la confirmation du Magistère.
Ainsi, poussée par l’Esprit Saint, l’Église fut contrainte de proclamer les
dogmes de l’Immaculée Conception de la vierge Marie et de son assomption alors
qu’ils ne sont pas présents d’une manière littérale dans la Bible. Avant même
cette proclamation, l’Esprit n’avait pas attendu pour en susciter la foi dans
le cœur de certains saints et dans le peuple de Dieu. De même, la tradition de
l’Église n’est pas totalement muette sur cette parousie à l’heure de la mort.
Outre sainte Faustine, nous trouvons le passage suivant chez saint Thomas
d’Aquin[670] : « À un homme qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison
naturelle pour chercher le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très certain
que Dieu révélerait par une inspiration intérieure les choses qu’il est
nécessaire de croire ou lui enverrait quelque prédicateur de la foi, comme
Pierre à Corneille. » De manière plus
récente, l’un des textes les plus beaux est à trouver chez Mgr d’Hulst sur le
salut des incroyants. [671] « Notre Sauveur est au-dessus de ses propres lois, et il ne
demande permission à personne pour sauver une âme qui l’a plutôt ignoré que
trahi. Dans ce dernier combat de l’agonie, (…) il y a certainement une
sollicitation suprême de la miséricorde ; il y a une apparition (je prends ce
mot dans le sens métaphysique et le plus large), une apparition de Jésus ; il y
a le souvenir, tout d’un coup ranimé, de ces fragments épars d’instruction
religieuse oubliés depuis l’enfance. (…) Et quand l’âme est droite, quand elle
a péché par ignorance, faiblesse ou entraînement, quand elle n’a pas commis et
multiplié ces grands crimes de trahison intérieure, de résistance à la voix de
Dieu entendue, de mauvaise foi dans la calomnie et le blasphème ; de guerre
impie faite à la croyance et à la vertu des autres ; alors se réalise pour elle
la personne de Jésus crucifié. » [672]
C’est ce qu’enseigne saint Jérôme "Le jour du Seigneur est
aussi bien la parousie lointaine que le jour de la mort".[673]
Objections :
1. Cela ne paraît pas possible.
Les personnes décédées n’ont plus de corps. Elles sont comme des anges et ne
peuvent être vues par l’œil matériel. Elles ne peuvent donc apparaître au
moment de la mort.
2. La vision de l’humanité
Sainte de Jésus suffit amplement pour révéler à l’âme la nature du bonheur
éternel et la manière de l’atteindre. Car Jésus est l’image parfaite de Dieu.
Il est donc superflu que des personnes décédées apparaissent avec lui.
3. Parmi
les proches décédés, il est possible que certains soient damnés. Il semble
inconvenant qu’ils soient rendus présents pour provoquer la conversion de l’âme.
Les damnés en effet voudraient que chacun le soit avec eux.
Cependant :
L’apôtre parle de "l’avènement du Seigneur Jésus avec tous
ses saints"[675]. C’est donc accompagné de
personnes déjà décédées que le Seigneur se montrera à la fin de notre vie. Le Concile
Vatican II appuie cette fonction essentielle des morts[676] : « Étant en effet plus intimement liés avec le Christ, les habitants
du Ciel contribuent à affermir plus solidement l’Église en sainteté. Ils
ajoutent à la grandeur du culte que l’Église rend à Dieu sur la terre et
l’aident de multiples façons à se construire plus largement[677]. Car admis dans la patrie
et présents au Seigneur[678] par Lui avec Lui et en Lui
ils ne cessent d’intercéder pour nous auprès du Père offrant les mérites qu’ils
ont acquis sur terre par l’unique Médiateur de Dieu et des hommes le Christ
Jésus[679] servant le Seigneur en
toutes choses et complétant en leur chair ce qui manque aux souffrances du
Christ en faveur de son corps qui est l’Église[680]. Ainsi leur sollicitude
éternelle est du plus grand secours pour notre infirmité. »
Conclusion :
La finalité de la révélation qui
accompagne la mort est d’amener l’homme à se tourner vers Dieu, s’il ne l’a
déjà fait et à le faire davantage s’il est déjà vivant de la vie de grâce
sanctifiante, de la même façon que toute prédication de l’Évangile. Dans ce
but, Jésus donne dès cette terre à ses apôtres des pouvoirs extraordinaires qui
manifestent extérieurement la vérité du message. Au moment de la mort, la
manifestation de la gloire du corps de Jésus est suffisante par elle-même car
elle manifeste en plénitude la vérité et la bonté de l’Évangile[681].
Elle n’a donc pas besoin d’être accompagnée d’autre chose qu’elle-même. L’homme
peut alors répondre par un acte de cette foi qui agit par la charité ou au
contraire se détourner du Christ et en mépriser l’apparition.
Mais la présence des personnes que l’agonisant a chéries dans sa
vie terrestre et qui l’ont précédé dans la mort peut constituer un surcroît de
délicatesse de la part de Jésus et manifester efficacement son immense amour.
C’est pourquoi il arrive qu’il les rende présents. Car l’amour se nourrit
d’actes de délicatesses qui le révèlent. Il peut s’agir de la présence des proches
décédés comme les parents ou les amis ; il peut aussi s’agir de la présence des
saints que la personne a particulièrement vénérés durant sa vie ; c’est
pourquoi la sainte Vierge s’engage dans ses apparitions à être présente lors de
la mort de celui qui la prie d’une manière particulière selon les paroles de
l’Ave Maria : « et à l’heure de notre
mort. » Le cas de la vierge Marie est
cependant particulier, comme nous l’avons suggéré plus haut. Elle a un rôle
unique dans le plan rédempteur de Dieu, à titre d’image féminine de Dieu et de
collaboratrice unique dont le oui, par opposition au non d’Ève, à fait entrer
la Vie dans le monde.
La finalité de la présence des saints ou des proches décédés étant
de manifester à l’homme avec délicatesse l’amour de Dieu, Jésus adapte ces
présences en fonction de la sensibilité de chacun. Il est donc probable que
certains protestants ne reçoivent à l’heure de leur mort ni la visite de la
vierge Marie ni celle des saints. Ils reçoivent la visite de Jésus seul qui
respecte leur sens de l’unique rédemption opérée par lui, même si ce sens
erroné se trouve très vite rectifié. [682]
Solutions :
1. Deux hypothèses : 1° Les morts n’ont plus aucun rapport
avec leur corps. Ils sont des esprits séparés. Dans ce cas, dit saint Thomas,
ils sont rendus visibles par le ministère des anges qui façonnent pour
l’occasion une image de leur corps. Quant à la sainte Vierge qui est déjà
glorifiée avec son corps, elle apparaît en exerçant sa propre puissance. 2° Les morts conservent la partie
psychique de leur corps (le corps astral des philosophies extrême orientales).
Dans ce cas, ils peuvent apparaître par leur propre force.
2. L’apparition des proches
décédés ou de la Vierge n’est pas une nécessité absolue puisque Jésus est à lui
seul image parfaite de Dieu. Mais elle convient comme un surcroît de
délicatesse divine, car c’est par la délicatesse manifestée que naît l’amour. [683]
3. Quant
aux personnes damnées, elles ne sont pas rendues présentes par le ministère des
anges bons qui ne sauraient utiliser la tromperie dans leurs actions. Il est
par contre possible qu’elles soient rendues présentes par l’action du démon qui
fait tout ce qu’il peut pour entraîner l’âme avec lui dans la perdition. Ainsi,
les proches qui sont en enfer peuvent accompagner le démon dans d’ultime
tentative d’entraîner après lui les âmes. Les âmes du purgatoire qui sont
saintes et déjà unies intentionnellement avec Dieu peuvent être visibles de la
même manière que les âmes du paradis. Mais, à la différence des élus du Ciel,
elles ne sont pas visibles immédiatement dès qu’elles en expriment le désir.
Elles sont en effet, pour leur bien et de leur propre volonté, séparées du
reste du monde[684].
Objections :
1. Cela ne paraît pas possible.
Le démon est l’ennemi de Dieu et cherche à entraîner l’âme à sa perdition
éternelle. Dieu ne peut donc permettre sa présence jusque dans le terme ultime
de la vie qui précède le jugement dernier.
2. Le règne du démon a été
vaincu par le Christ selon cette parole de l’Écriture : « Vous avez vaincu le Mauvais »[686]. Son pouvoir sur l’homme a
été détruit. Il paraît donc incroyable qu’il puisse se manifester à l’heure de
la mort.
3. Le démon est un ange déchu.
Il n’a pas de corps et ne peut donc pas être vu.
4. Sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus disait[687] : « Puisqu'on dit que toutes les âmes sont tentées par le démon au
moment de la mort, il faudra que j'y passe. Mais pourtant non, je suis trop
petite. Avec les tout petits, il ne peut pas. » C’est donc que le démon n’a pas l’autorisation d’approcher
toutes les âmes.
Cependant :
L’Apocalypse de Jean écrit : «
Le dragon se lança à la poursuite de la femme. Mais elle reçut les deux ailes
du grand aigle. Le serpent vomit alors un fleuve d’eau derrière la femme pour
s’entraîner dans ses flots. Mais la terre vint au secours de la femme ».[688] La femme peut représenter
selon un des sens possibles l’âme au moment de la mort. On voit que jusqu’au
bout, malgré l’aide de Dieu signifiée par les ailes et par la terre, le démon
poursuit l’homme, jusque dans le moment de la mort.
Conclusion :
Sans le vouloir, quoiqu’ils fassent, les démons servent le plan de
salut de Dieu sur les hommes et ce tout au long des étapes de notre
salut ; ils font cela de leur propre initiative à cause de leur malice qui
les fait haïr le dessein de Dieu. Mais ces attaques sont permises par Dieu et
sont utiles à notre salut car il sait se servir avec ordre des divers maux en
les orientant vers le bien. En effet, par ces épreuves qui découlent de ces
péchés, l’orgueil de l’homme est flagellé ; parfois même, il naît un peu
d’humilité et de désir d’un salut ; mieux encore, chez quelques-uns, tout cela
augmente l’amour en disposant la charité.
1° Au cours de sa vie
terrestre, alors que le destin individuel de chaque homme se prépare, les
attaques principales des démons sur l’homme consistent dans les tentations. Le diable vient en tant que
Satan -le serpent- c’est-à-dire qu’il se glisse puis se cache dans la
psychologie et nous attire vers les biens relatifs, les présentant comme des
fins en soi. Il tente l’homme par ces trois choses principales qui sont
poussière pour lui -plaisirs égoïstes, argent égoïste et vanités égoïstes-. Son
œuvre provisoire vise à nous habituer à vivre dans l’égoïsme, et cela constitue
une simple préparation à la perdition car la grande partie des hommes pèche
encore dans l’ignorance et par faiblesse.
2° Dans la deuxième étape, au
moment de la mort, alors que le destin individuel de chaque homme se décide, il
est absolument nécessaire (d’une nécessité morale) que le royaume de l’enfer
soit présenté à l’âme, cette fois en toute lucidité et sans faiblesse. Car l’homme
est amené à opter avec son libre arbitre entre deux royaumes, « le règne de l’amour de Dieu jusqu’au
mépris de soi ou le règne de l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu »
selon saint Augustin[689]. Il convient que le démon
qui est à la tête du règne du péché vienne en tant qu’il est Lucifer -le dragon
debout et digne, le Porteur de lumière- et soit l’ambassadeur de cette révolte
contre l’humilité et l’amour du Royaume de Dieu. A ce moment, Lucifer vient
selon deux modes : a) Il est d’abord présent comme séducteur, selon l’Écriture : « le séducteur du monde entier, fut jeté sur la terre...
frémissant de colère et sachant que ses jours sont comptés »[690].Son effort consiste alors à nous manifester clairement son projet,
dans toute sa beauté apparente, et en s’appuyant sur la complicité de nos
péchés passés qui nous attirent vers lui. Il essaie de convaincre de mille
façons : il montre sa lumière, il
argumente, il rappelle les plaisirs et gloires passés, il appelle à un faux
honneur du style : « Reste digne ! Tu n'as pensé qu'à toi. Tu ne vas pas
maintenant te repentir ? ». Il s’efforce de convaincre le mourant
que, en s’opposant au Dieu de l’humilité (kénose) et de l’amour, il peut
devenir maître du bien et du mal, c’est-à-dire, selon la Genèse, comme un dieu -selon lui- pleinement libre. Dans cette
présentation, il y a de la part de Lucifer une apparente exigence de vérité,
dont le Christ, lorsqu’il paraît, manifeste le mensonge. b) S’il ne convainc
pas le pécheur, Lucifer se fait ensuite présent comme accusateur selon l’Écriture : « Il est l’Accusateur de nos frères »[691], c’est-à-dire qu’il
rappelle à l’homme ses péchés passés en s’efforçant de le faire désespérer du
pardon de Dieu.
Solutions :
1. Dieu ne permet la présence
du démon que parce qu’il sait pouvoir s’en servir pour sa gloire ; et la gloire
de Dieu selon saint Augustin c’est le bien de l’homme. Mais cette présence
ultime du démon, démultipliée à cause du fait qu’elle est la dernière
possibilité qui lui est laissée, n’est tolérée par Dieu que dans la mesure où
cela est nécessaire au choix ultime de l’homme. Dieu ne permet pas que l’homme
soit tenté au-delà de ses forces. C’est pourquoi la moindre conversion du cœur
de l’homme vers Dieu provoque la manifestation du Christ et de ses saints qui
font cesser toute attaque de l’ennemi selon l’Apocalypse : « la terre vint au secours de la femme »[692]. Il faut remarquer enfin
que nous trouvons une annonce cachée de cette venue du démon dans l’Écriture
dans le texte suivant : « Quand on vous
emmènera pour vous livrer, ne vous préoccupez pas de ce que vous direz, mais
dites ce qui vous sera donné sur le moment : ce n’est pas vous qui parlerez,
mais l’Esprit Saint »[693]. Le démon se faisant
accusateur en évoquant toutes nos fautes passées et en appelant à son aide le
souvenir de la souffrance que nous avons causée pour nos frères sera vaincu par
notre plus petit regard d’amour pour Dieu.
2. Notre vie connaîtra trois
étapes : 1° Pour le moment,
durant notre vie terrestre, le règne du démon sur l’homme a été vaincu en tant
que la passion du Christ a préparé à l’homme un remède. Aidé par la grâce,
l’homme humble peut résister aux tentations du démon et, par là, mener jusqu’à
l’héroïsme son amour pour Dieu et pour ses frères. 2° À l’heure de la mort, cette victoire sur le démon se manifestera
glorieusement par l’apparition visible du Christ dont la lumière balayera la
tentation d’être entraîné infailliblement dans la mort éternelle. 3° Après le jugement individuel, que
nous soyons au purgatoire ou a fortiori
dans la Vision béatifique, le démon n’aura plus jamais aucun pouvoir sur nous
car Dieu nous aura définitivement stabilisé dans le salut selon ce texte[694] : « Le dernier ennemi qu’il détruira, c'est la Mort ; car Dieu a tout mis
sous les pieds du Christ. »
3. Le démon a gardé après son
péché les puissances naturelles que Dieu lui avait données lors de sa création.
Il lui est donc possible de se rendre visible quand il veut de manière
sensible, dans la mesure où Dieu le permet. S’il se rend visible ainsi, c’est parce
qu’il s’adapte au mode de la connaissance humaine à qui il est naturel de
connaître le spirituel par le sensible. Mais, à l’heure de la mort, cette
connaissance se fait de manière parfaite au point que, en voyant Lucifer, le
mourant comprend en un instant tout ce qu’il doit comprendre sur l’enfer.
4. Le
rôle du démon est essentiel à la liberté du choix même 1° pour les humbles (kénose) ou les enfants
morts prématurément comme nous le verrons. Mais le moindre retour vers Dieu le
fait fuir, selon cette parole de l’Ecriture[695] :
« Alors
l'Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa
bouche, l'anéantira par la manifestation de sa Venue »,
Dieu ne permettant pas qu’il tente un homme au-delà de ses forces. Ce dernier
point est une certitude confirmée par le dogme.
2° Pour
les orgueilleux, la venue de Lucifer possède, outre la liberté du choix,
une autre utilité que décrit ce texte[696] :
« Voilà
pourquoi Dieu leur envoie une influence qui les égare, qui les pousse à croire
le mensonge. »
En effet, devant la beauté du projet de Lucifer, nous serons tous très tentés
de le suivre et nous tomberons tous au point de nous damner si le Christ et les
saints ne venaient à notre aide, selon cette parole[697] : « Et si ces jours-là n'avaient
été abrégés, nul n'aurait eu la vie sauve; mais à cause des élus, ils seront
abrégés, ces jours-là. » Et ce sera pour l’orgueil qui est en nous
tous une profonde humiliation qui hâtera notre purification.
Objections :
1. On voit mal comment cela
serait possible. Si l’homme, au moment de sa mort, voit l’humanité sainte de
Jésus, il faut que ses facultés sensibles soient élevées par lui au-dessus de leur
capacité naturelle, comme on le voit chez ceux qui ont des apparitions et qui
sont en extase. Or l’homme ne peut être en même temps hors du monde sensible
habituel et dans ce monde. Il ne peut donc voir les personnes encore vivantes
sur terre.
2. Au moment de la mort, les
premières facultés qui cessent de fonctionner sont les facultés liées au
cerveau car, d’après les médecins, le cerveau est l’organe le plus sensible au
manque d’oxygène. Il y a une perte de la conscience telle qu’elle implique une
séparation par rapport à notre monde. Donc l’homme ne peut voir des personnes
encore vivantes sur terre.
3. Si
des personnes encore vivantes sont rendues visibles à celui qui est en train de
mourir, ce ne peut être qu’à leur insu. On voit mal le Seigneur agir ainsi.
Cependant :
Le Seigneur ne néglige rien de ce qui
peut être utile au salut de ceux qu’il appelle à son admirable lumière. Il peut
donc arriver que des personnes encore vivantes soient rendues visibles si le
bien l’exige.
Conclusion :
De même qu’il peut être bon pour le
salut de l’âme que Jésus soit accompagné par des défunts qui sont déjà sauvés,
de même il peut être convenable que soient rendues visibles des personnes
encore vivantes sur la terre. Cela arrive principalement quand ceux qui sont sur
la terre offrent des prières et des sacrifices à l’intention de celui qui est
mort. Ils sont alors rendus visibles et donc coopérants et efficaces à l’œuvre
de rédemption.
C’est ce qu’enseigne en un certain sens le Concile Vatican II[698], sans toutefois aller
jusqu’à parler de la possibilité du mode sensible de la communion entre les
saints du Ciel, ceux de la terre et ceux qui vivent l’heure de la mort : « Tous cependant [les trois
"états" de l’Église] à des degrés divers et sous des formes diverses,
nous communions dans la même charité envers Dieu et envers le prochain,
chantant à notre Dieu le même hymne de gloire. En effet, tous ceux qui sont du
Christ et possèdent son Esprit, constituent une seule Église et se tiennent
mutuellement comme un tout dans le Christ[699]. Donc, l’union de ceux qui
sont encore en chemin avec leurs frères qui se sont endormis dans la paix du
Christ ne connaît pas la moindre intermittence ; Au contraire, selon la foi
constante de l’Église, cette union est renforcée par l’union des biens
spirituels. »
Solutions :
1. Jésus a le pouvoir de rendre
visible en même temps que son corps glorifié certaines réalités du monde
présent comme on le voit d’ailleurs dans le récit de certaines apparitions
authentifiées par l’Église. [700]
2. Relativement à la puissance
naturelle de celui qui meurt, de telles visions sont impossibles mais pas si
l’on considère la puissance de Dieu et des anges qui réalisent cet effet.
3. C’est parce que ceux qui
sont sur terre se répandent en prières pour le défunt que le Seigneur manifeste
parfois cette prière à celui pour qui elle est adressée. Ce n’est donc pas
totalement à l’insu de la personne qui prie. Cette prière, venant visiblement
pour l’agonisant d’une personne qui est sur la terre plongée dans l’obscurité
totale de la foi bouleverse encore davantage que celle des saints du Ciel car
elle implique un amour et une foi dépourvus de l’appui de la Vision béatifique.
Il est donc certain qu’elle possède auprès du mourant une vertu démultipliée en
vue de sa conversion. On voit donc pourquoi il est si important de prier pour
ceux qui meurent. [701]
Objections :
1. Cela n’est pas possible : les
souvenirs du passé sont souvent irrémédiablement oubliés. Quant à ceux qui
demeurent dans la mémoire sensible, ils disparaissent immédiatement avec la
destruction du cerveau qui est leur siège.
2. Bien des péchés passés ont
été effacés par la pénitence. Il est donc inutile qu’ils soient ramenés à la
mémoire au moment de la mort.
3. Il serait ridicule qu’un
homme mûr revoie les fautes commises durant son enfance selon l’apôtre : « quand nous étions enfants, nous
agissions comme des enfants[702]. » Or ce qui est de l’enfant a disparu depuis longtemps.
Cependant :
Le récit de ceux qui sont passés près de la mort rapporte souvent
qu’ils voient défiler le film complet de leur vie.
Conclusion :
Nous avons montré qu’il est nécessaire que l’homme, au moment de
sa mort, reçoive de Dieu les révélations indispensables à son salut car
l’Évangile doit être prêché à tous. La parole de Dieu est donnée grâce à la
vision du Verbe fait chair c’est-à-dire Jésus-Christ. Or la vision de la
lumière du Verbe incarné a pour premier effet de manifester à l’homme la nuit
qui est en lui. À cela, nul esprit créé ne peut échapper selon cette parole de
Job :[703] « Il convainc même ses anges d’égarement. » L’homme est donc confronté à revivre sa vie à la lumière de
Jésus[704]. Chaque acte bon et chaque
acte mauvais est manifesté et rien de ce qui est caché dans la conscience ne le
demeure. La nécessité de cette relecture de la vie terrestre est manifeste pour
la raison suivante : c’est par les actes de la vie terrestre que l’homme
devient ce qu’il est au moment de sa mort. C’est donc en voyant sa vie que
l’homme peut connaître ce qu’il est vraiment aux yeux de Dieu. Il peut
connaître aussi ce que Dieu attendait de lui durant sa vie et, comme dans un
miroir, qui est Dieu. "Il faut que nous soyons mis à découvert devant le
tribunal du Christ, pour que chacun retrouve ce qu’il aura fait pendant qu’il
était dans son corps, soit en bien, soit en mal".[705]
Solutions :
1. On
peut donner deux explications possibles de la manière dont les souvenirs passés
reviennent à l’esprit et à la conscience au moment de la mort. Cela peut être à
cause d’une loi naturelle du psychisme humain qui, dans la situation qu’est la
mort, fait remonter à la surface les souvenirs enfouis dans la mémoire
sensible. Car la mémoire humaine garde la trace de toute action, même si de
tels souvenirs restent inconscients et ne peuvent ressurgir que dans certaines
situations. Il faut se souvenir qu’à l’heure de la mort, la faculté de la
mémoire sensible s’exerce d’une manière nouvelle, beaucoup plus efficace,
puisqu’elle semble subsister malgré la disparition de l’organe matériel qu’est
le cerveau.
Autre explication : cela peut être aussi un effet de la providence
divine ou du ministère des anges qui connaissent chacun selon son mode, les
méandres de notre vie.
2. Même les péchés mortels
passés qui ont été effacés par la pénitence sont ramenés à la mémoire non à
cause de la condamnation qu’ils auraient mérité s’ils n’avaient été pardonnés
mais à cause de la miséricorde de Dieu qui se dévoile dans le pardon.
3. Rien
de ce qui a été commis durant la vie humaine n’est indifférent au salut éternel
car la vie tout entière prépare le jugement dernier. Ainsi, les actions bonnes et
mauvaises commises dans l’enfance, de même qu’elles ont des conséquences sur la
vie d’adulte, en ont aussi par rapport à la vie éternelle.
A propos du jugement dernier, le cardinal Gouyon écrit un texte
qui peut aussi illustrer le moment de la mort[706]: « Alors tout apparaîtra : nos efforts comme nos lâchetés, mais
surtout notre amour et notre refus. La conclusion se tirera d’elle-même.
L’homme qui cherchait Dieu sera ébloui de la rencontre, mais sans doute
ressentira-t-il le regret de s’être trop souvent dérobé à un amour qui est ici
capable de le satisfaire. L’amertume de ces refus lui causera une souffrance
passagère qui permettra sa purification, sans lui enlever l’espérance. Nous
voyons ce que nous aurions dû faire et que nous n’avons pas fait[707]. Cela devrait suffire à ce
délai que nous appelons le purgatoire mais qui porte en lui-même la promesse de
cette possession de Dieu sans mesure et sans fin que sera le Ciel. »
Objections :
1. La foi de l’Église affirme
que toute personne qui meurt en état de péché mortel et sans avoir été lavée
par la pénitence est directement condamnée à la peine éternelle de l’enfer. Il
ne semble donc pas qu’il puisse y avoir de repentir au moment de la mort.
2. Si c’est le cas, il suffit
pour être sauvé de se convertir au dernier moment et il n’est nul besoin de
vivre une vie parfaite. Cette doctrine semble donc encourager le péché.
3. La foi catholique enseigne
de manière solennelle qu’il ne peut y avoir repentir que pendant la vie
terrestre, le temps de la mort étant celui de la récompense ou de la peine.
C’est ce qui apparaît clairement dans la Constitution dogmatique de Benoît XII
: « En outre, nous définissons que,
selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de
péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont
tourmentées de peines infernales. »
Donc il ne peut y avoir de repentir à l’heure de la mort.
4. La théologie présente le
choix de l'âme comme un choix intellectuel qui se ferait après une délibération
de l'esprit entre les points positifs et négatifs. N’est-ce pas une vision par
trop intellectuelle ?
Cependant :
À une mère qui demandait au curé d’Ars si sa fille était sauvée,
alors qu’elle s’était suicidée, celui-ci répondit : « entre le pont et l’eau, elle s’est convertie. » Ce qui signifie que jusqu’au dernier moment la conversion est
possible.
Conclusion :
Tant que l’âme se trouve dans cette vie,
le repentir est possible. La raison vient non de la nature de la connaissance
humaine mais des limites provisoires où Dieu l’a plongée. Le vouloir de l’homme
est en effet proportionné au mode de sa connaissance.
La nature de la connaissance de l’homme, ici-bas comme dans
l’au-delà, consiste à se porter vers l’intelligible en l’abstrayant du
sensible. Pour cela, elle utilise une capacité d’abstraction appelée « intellect agent. »
1° Ici-bas : or, ici-bas,
avant comme après le péché originel, le sensible est obscur. Il ne reflète que
difficilement l’essence de la réalité. L’intellect agent n’abstrait qu’avec
difficulté à partir des images leur signification. En conséquence, la volonté
de l’homme qui se porte vers ce que l’intelligence lui présente comme bien,
n’est pas immuable et inflexible. Demain l’objet lui apparaîtra sous des
aspects nouveaux et ce qui est désiré aujourd’hui sera repoussé avec la même
ardeur sous l’impulsion des raisons nouvelles que l’on vient de découvrir.
Beaucoup de gens séduisant sont pervers et inversement. La séduction du péché
empêche d’en voir pleinement les conséquences amères.
Après le péché originel, une deuxième
limite est venue perturber davantage la liberté des choix. Il s’agit de la révolte
des passions. La volonté de l’homme peut être amenée à se porter sur un objet
parce que le choix est perturbé par une orientation puissante et non contrôlée
des passions trompeuses. C’est pourquoi, lorsque la passion disparaît nous
changeons souvent nos vouloirs.
Pour ces deux raisons (difficulté à comprendre et faiblesse de la
sensibilité), nos choix terrestres sont fragiles. Il est donc toujours possible
de revenir en arrière lorsqu’apparaît une raison qu’on n’avait pas précédemment
discernée. C’était déjà en partie vrai pour Adam et Ève, au moins pour la
première raison, d’où la possibilité pour eux d’un salut.
2° Dans le passage de la mort,
la nature de la connaissance humaine ne change pas dans son essence
(abstraction à partir d’images) mais dans son mode. Le perfectionnement se fait
dans la connaissance, non seulement à cause de la puissance de l’intellect
agent qui est augmentée qu’à cause de la nature des objets sensibles. 1° L’intellect agent exerce son
abstraction d’une manière nouvelle à savoir sans aucune difficulté, de manière
pourtant humaine et non angélique. Les sensations elles-mêmes deviennent plus
puissantes. Ce nouveau mode de connaissance se met en œuvre à cause d’une
certaine séparation du psychisme vis-à-vis de l’organe matériel du cerveau. Les
images nécessaires au mode de la connaissance humaine sont apportées de manière
limpide par la faculté sensible qui s’exerce sans l’organe du cerveau, comme
nous l’avons montré (a. 2). La connaissance de l’heure de la mort devient
intuitive quoique appuyée sur le sensible. 2°
D’autre part, la réalité sensible est transfigurée. Une propriété, propre aux
corps glorieux, est donnée aux réalités sensibles. Il s’agit de la
"clarté". Elle signifie que le sensible devient, sans qu’il n’y ait
plus d’erreur possible, révélateur de l’essence des réalités.
3° Les faiblesses des
passions, le fomes peccati est
lui-même détruit. Les passions se soumettent à la volonté, les névroses et les
peurs disparaissent. Un état de paix psychologique, proche de l’état originel
revient. Ainsi, la volonté qui suit l’intelligence peut se porter vers ce qui
lui apparaît le bien sans aucune hésitation et sans qu’aucune raison nouvelle
ne puisse modifier son choix, dans un sens ou dans un autre.
En conséquence et pour ces trois raisons, le choix de l’heure de
la mort est parfaitement conscient, volontaire et libre. Qu’il se fasse dans un
sens ou dans l’autre, il est définitif et irréformable, non parce que l’homme
ne pourrait pas changer, mais parce qu’il ne le voudra jamais. L’image ne
constitue plus un obstacle à la signification intellectuelle qu’elle porte en
elle. Ainsi, en voyant le corps du Christ et des saints, l’intelligence peut
saisir de manière intuitive en un seul regard, l’intelligibilité du mystère de
l’Évangile. De même, l’image du démon est suffisante pour révéler les avantages
de l’enfer et de sa liberté, ainsi que le feu qui lui est associé. L’erreur
n’est plus possible face à la parousie, «
comme l’éclair traverse le Ciel de l’orient à l’occident », disait Jésus[708]. Voilà
pourquoi, lors de l'apparition du Christ, deux choses sont faites selon ce
texte[709]
: « Jésus leur répondit : "Allez rapporter à Jean ce que vous entendez
et voyez : 1° les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés
et les sourds entendent, les morts ressuscitent (ce qui signifie la
fin de tous nos handicaps et limites physiques et morales) et 2° la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (ce
qui signifie la fin de toute ignorance concernant le salut) ; et heureux celui qui ne trébuchera pas à
cause de moi ! (ce qui signifie que, en outre, face au Christ, on
peut, loin de se sauver, éprouver pour lui mépris et rejet tant il est
infiniment humble et doux, à en énerver l'orgueilleux.) »
En conclusion, il faut remarquer qu’on ne peut jamais présumer du
salut ou de la damnation de personne, même s’il semble que cette personne est
morte en état de péché mortel, selon cette parole de Jésus : « tout péché et blasphème seront remis
aux hommes mais quiconque aura parlé contre le Saint- Esprit, cela ne lui sera
pas remis ni en ce monde, ni dans l’autre »[710]. Quant au blasphème contre
l’Esprit Saint, il ne peut être remis car il est commis par un homme en dehors
de toute passion aveuglante et trompeuse. Celui qui le commet demeure donc
ferme et immuable dans ses résolutions, comme nous le verrons.[711]
Solutions :
1. Il peut y avoir repentir et
conversion car l’intelligence est, souvent pour la première fois, confrontée à
la totalité de l’enjeu. De nouveaux motifs de jugement apparaissent presque
nécessairement, sauf peut-être pour certains hommes (souvent théologiens de
haut niveau) qui, dès cette terre, sont capables de choisir en pleine
conscience le paradis ou l’enfer. La connaissance est surélevée à un mode
pleinement humain en ce sens que les inconvénients dénoncés par Platon à propos
du poids du corps disparaissent. Ainsi, cette conversion au bien et au mal est
pour la première fois si lucide qu’elle constitue un choix définitif, maintenu
après la mort pour l’éternité.
2. Celui qui pèche sa vie
durant en espérant se convertir au dernier moment fait un mauvais calcul. En
effet, tout péché est fondé comme sur une racine par l’amour désordonné de soi
qui engendre l’orgueil, le rejet des volontés de Dieu. Chaque acte de péché fortifie
et augmente cet amour déréglé de soi et rend de plus en plus difficile le
renoncement à un tel amour. Ainsi, arrivé au moment de la mort, il est fréquent
que l’homme ne puisse plus (c’est-à-dire ne veuille plus tant il est devenu un
être individualiste) se convertir, c’est-à-dire renoncer à l’amour désordonné
de soi, à cause de la trop grande force de cet amour. L’enfer correspond tout à
fait à son goût, malgré les inconvénients que nous décrirons plus loin. Cela
aboutit à la damnation non à cause de l’absence de miséricorde divine mais à
cause de l’orgueil de celui qui se damne. Il est donc gravement imprudent, sous
prétexte de la miséricorde de Dieu, de laisser le règne du péché envahir son
âme durant le temps de sa vie terrestre. [712]
3. Le
moment de la mort n’est pas la mort consommée mais l’introduction dans la mort.
Il fait encore partie de la vie terrestre, tout en constituant la porte ouverte
sur l’éternité. Il est intermédiaire entre les deux mondes. L’entrée dans
l’autre monde est d’ailleurs souvent décrite par ceux qui ont vécu une
expérience de mort approchée comme une barrière au-delà de laquelle il n’y a
plus de retour. Il n’y a donc pas d’opposition avec la foi catholique.
4. La
Bible ne présente pas ce choix comme une simple délibération intellectuelle.
Toute la vie y est engagée. C'est une bataille finale dans sa propre âme, la
« bataille d'Harmagedôn », où l'on se détermine en fonction de sa
vie, de ses péchés, de sa générosité : « Apocalypse 16, 16 : Ils les rassemblèrent au lieu dit, en hébreu,
Harmagedôn. Et le septième répandit sa coupe dans l'air ; alors, partant du
temple, une voix clama : "C'en est fait!" Et ce furent des éclairs et
des voix et des tonnerres (la force de l’apparition du Christ), avec un violent
tremblement de terre (qui bouleverse l’âme) ; non, depuis qu'il y a des hommes
sur la terre, jamais on n'avait vu pareil tremblement de terre (impossible
indifférence face à lui, qui provoque un rejet ou un amour total), aussi
violent ! La Grande Cité se scinda en trois parties (enfer, purgatoire,
paradis), et les cités des nations croulèrent ; et Babylone la Grande, Dieu
s'en souvint pour lui donner la coupe où bouillonne le vin de sa colère
(privation de la vision béatifique pour les hommes stabilisés dans le blasphème
contre l’Esprit). Alors, toute île prit la fuite, et les montagnes disparurent
(tout orgueil, toute fierté). »
Objections :
1. Dieu n’impose pas à l’homme
des exigences impossibles à réaliser. Or entre le péché originel et la
rédemption, il était impossible aux hommes de vivre durant leur vie terrestre
de la charité : la connaissance de Dieu avait été perdue et, comme le dit Jésus
lui-même, « l’Esprit Saint n’avait
pas encore été donné.[713] » Quelques particuliers le reçurent en prévision de la venue future
du Messie mais la grande masse du peuple mourut en ignorant tout de l’Évangile.
2. De même, à notre époque, des
millions meurent sans la charité, sans la foi et même dans le péché le plus
grave, estimant qu’ils peuvent vivre ainsi dans leur certitude sincère qu’il
n’y a rien après la mort. Dieu ne leur demandera donc pas la charité pour les
sauver. Il ne la demandera qu’aux seuls chrétiens.
3. Que dire des enfants morts
en bas âge et sans le baptême ?
4. Si
la charité est exigée depuis toujours par Dieu durant la vie terrestre, on ne
voit pas pourquoi les âmes de ceux qui moururent avant la venue du Christ
durent attendre dans les enfers l’accomplissement de la passion du Christ avant
d’entrer dans la gloire. On ne voit pas non plus pourquoi Jésus descendit aux
enfers s’il n’eût pas à leur révéler l’Évangile.
5. Si
cette Révélation était nécessaire pour tous les hommes de tous les temps, elle
ne pouvait être donnée que par le Christ lui-même. Or, pour les hommes de
l’Ancien Testament, le Christ comme Verbe incarné n’existait pas encore. Donc
cette révélation était impossible.
Cependant :
Le dogme catholique affirme :
Puisque l’amour de charité est nécessaire depuis
toujours pour être sauvé avant l’entrée dans l’autre monde et le jugement
dernier, au point que celui qui arrive dans l'autre monde sans la grâce est aussitôt
conduit en enfer[714] ;
Puisque nous devons tenir que Dieu
propose d'entrer dans ce salut à tout
homme en cette vie[715] ;
Puisque nous constatons que Dieu ne le
fait pas dans ce que nous voyons de cette
vie[716] chez
des millions d'hommes du passé, et aujourd’hui chez des millions de non
chrétiens et des millions de chrétiens sociologiques ;
Alors il faut en déduire que Dieu le
faisait depuis toujours dans ce que nous ne voyons pas de la vie terrestre, à
savoir à la onzième heure de cette vie, entre ce monde et l'autre "quand
tout extérieurement semble perdu" (sainte Faustine).
Conclusion :
Platon et Boros considérèrent l’union de
l’âme et du corps comme nuisible au choix de l’esprit car ils ne surent pas
distinguer le mode terrestre de la vie spirituelle et sa déviation due soit à
un état provisoire d’obscurité du sensible, soit aux conséquences du péché
originel. Il est clair que notre intelligence se trompe souvent dans sa
connaissance du réel et que notre volonté ne se porte ici-bas qu’avec
difficulté vers ce que l’intelligence lui propose comme bon, même lorsque cette
dernière ne se trompe pas. La faute n’en est pas à l’esprit lui-même mais à
l’obscurité du sensible d’une part, à l’imaginaire, aux passions et à la vie
sensible révoltée contre l’esprit d’autre part.
Cependant, lorsqu’il s’agit de
l’orientation dernière qui doit décider de notre éternité, il n’est pas
convenable qu’elle se fasse à travers un choix non pleinement humain. C’est
l’homme tout entier qui doit se porter vers le bien, dans un choix libre et
conscient. Il convient donc qu’il soit délivré de tout ce qui pourrait nuire à
la liberté de son choix. Le premier obstacle est l’obscurité du sensible. Dans
le passage de la mort, le sensible devient lumineux. Il révèle pleinement la
nature des choses. Le second obstacle est le foyer intérieur du péché. Nous
avons vu de quelle façon Dieu en libère l’homme avant sa mort (a. 5). Le
troisième est la peur extérieure ou la violence. Les anciens peuples soumis à
toutes sortes de terreur sur Dieu ou les dieux pouvaient en être délivrés
facilement par une simple révélation.
C’est pourquoi il convient que Dieu
libère l’homme de ces trois obstacles. Dieu est amour et fait tout en vue de
lui communiquer la Vision béatifique. Nous pouvons donc être très certains
qu’il a toujours agi ainsi, en tout temps, même avant la passion du Christ et
en prévision de cette passion. Il supprimait toute faiblesse et ignorance, il
rendait possible le choix des anciens à travers une prédication de l’Évangile
parfaite et adaptée au mode de notre connaissance. Ainsi, depuis toujours, tout
homme a toujours été sauvé par le Christ qui devait venir.
Solutions :
1. Selon l’opinion de
Balthasar, les âmes de ceux qui moururent avant la venue du Christ descendaient
toutes dans un état d’attente angoissante sans aucune connaissance de leur sort
futur si ce n’est une espérance très vague d’une rédemption à venir. Ils
attendirent comme des ombres durant les siècles qui précédèrent la descente de
Jésus aux enfers. Il est vrai qu’il existe dans l’Écriture des textes qui
décrivent ainsi le shéol. Job parle du « royaume
des ombres où il n’y a aucune joie. »
[717] L’existence de ces
"limbes" est attestée en plusieurs endroits dans l’Écriture. De
nombreuses religions primitives décrivaient aussi les morts à la manière
d’ombres hantant les lieux de leur ancienne vie. Cet état, nous le verrons[718], est encore attesté par de
nombreux saints après la venue du Christ. Mais il n’est jamais considéré par
eux comme un état permanent, mais plutôt comme une demeure provisoire, un
purgatoire particulier qui prolonge la vie terrestre de ceux qui meurent en
étant maladivement attachés à la terre. Ces âmes en peine peuvent en être
délivrées par la prière et les explications de ceux qui sont sur la terre.
Au cours des temps, l’Esprit Saint conduisit petit à petit les
Juifs dans une plus grande intelligence du mystère de la mort. Ils comprirent
que le triste et éphémère séjour des ombres ne disait pas tout du mystère. Ils
différencièrent dès l’Ancien Testament trois enfers distincts en fonction de
l’état de ceux qui y descendaient : un enfer des damnés pour les pervers, un
lieu de purification pour les justes morts sans être tout à fait nets de toute
souillure[719], et un lieu où régnait la
grâce appelée par Jésus "le sein d’Abraham"[720]. Pour signifier cette
grâce, Jésus parle dans le même texte d’une eau pure où le riche aurait bien
voulu se rafraîchir. Si la grâce régnait dans une demeure des enfers, c’est
donc que les âmes des morts avaient reçu la prédication de l’Évangile ; s’ils
vivaient de la charité, c’est donc qu’ils attendaient la venue future du
Messie, en connaissaient la nature, y croyaient et se tournaient vers Dieu en
reconnaissance joyeuse pour le salut à venir. Ils attendaient sa visite et
vivaient de Dieu dans le cœur à cœur de la charité par anticipation de la
Rédemption. De même, certains pouvaient rejeter par avance cette rédemption et
se plonger en enfer éternel.
En conséquence, on doit admettre qu’ils recevaient comme nous une
révélation à l’heure de leur mort, non par le Christ cependant, celui-ci
n’étant pas encore né, mais par un messager qui représentait efficacement Dieu
et leur révélait la bonne nouvelle du Salut futur. Si l’on suit les livres
anciens des morts tels qu’ils apparaissent dans les diverses religions
préchrétiennes, ce messager était un ange du Seigneur, mandaté par lui comme
Gabriel le fut à Marie[721]. Il se laissait voir à
travers une image de corps façonné pour l’occasion, de telle façon que l’homme
arrivé à l’heure de sa mort connaisse comme il convient à la nature humaine,
c’est-à-dire saisisse l’intelligence du salut à travers la gloire sensible de
l’apparition de l’ange. Aujourd’hui, cette révélation est faite par le Christ
lui-même. Mais, à cette époque, la gloire de l’ange de la mort suffisait à
rendre le choix final des hommes définitif vers l’enfer ou le paradis promis et
espéré.
2. Cette objection trouve sa
solution dans les articles précédents.
3. Comme tout être humain, les
enfants parviennent au salut par le choix libre de leur charité. Au moment de
leur mort, ils sont accueillis comme n’importe qui par la communion des saints.
À la prière de l’Église du Ciel et de la terre, ils sont libérés du péché
originel si cela n’a pas déjà été obtenu précédemment par le baptême. Cette
libération signifie que l’Esprit Saint propose son inhabitation à leur âme, par
l’instrument de l’apparition sensible d’un messager de Dieu, qu’il soit ange
avant la Rédemption ou Jésus-Christ après la Rédemption[722]. Cette vision à la foi
sensible et intelligible a le pouvoir, par sa gloire, d’éveiller suffisamment
leur intelligence pour rendre possible un choix libre. Ils se tournent
infailliblement vers l’amour car ils sont petits et incapables de retour sur
eux-mêmes.
4. Selon Balthasar à la suite
d’Adrienne von Speyr, Jésus est descendu aux enfers pour vivre jusqu’au bout la
condition de l’homme, y compris dans le mystère de son shéol. Selon lui, il a
éprouvé l’état de la damnation des réprouvés. Ce faisant, tout en l’homme était
sauvé. Nous ne le suivons pas jusqu’au bout dans sa contemplation des
abaissements du Christ : en effet, il nous paraît que si Jésus a pu
s’identifier au pécheur au point de devenir "péché" devant Dieu, il
n’a jamais pu éprouver l’état des damnés de l’enfer qui se caractérise par une
volonté consciente et métallique de rejeter Dieu : « il n’a pas commis le péché ».[723] Nous pensons de plus que
toutes les descriptions prophétiques laissées par Adrienne sur le désespoir du
Christ peuvent s’expliquer non par une descente dans la situation des damnés de
l’enfer mais par celle de ceux qui subissent les abandons de la vie terrestre
et du purgatoire. "Il s’est fait péché pour nous. [724]" Ainsi, à la suite du
pape Jean-Paul II nous préférons adhérer à l’opinion selon laquelle toute
rédemption fut accomplie au moment de la mort de Jésus, selon ses propres
Paroles. Sa descente aux enfers ne fut donc pas un moment de souffrance de
plus, tout en ayant souffert avant, mais celui du don glorieux aux âmes de la
Vision béatifique qu’ils espéraient de toute la force de leur charité depuis
qu’elle leur avait été promise à l’heure de leur mort. Quant à ces âmes
(excepté celles qui étaient errantes entre deux mondes dans le shéol), nous
estimons qu’elles avaient déjà été jugées individuellement : les damnés avaient
déjà rejeté par avance le Christ et son Salut, par un jugement lucide et
définitif posé à l’heure de leur mort devant l’Ange du Seigneur. De même, les
élus avaient déjà répondu par la charité à cette Révélation.
5. Comme nous l’avons montré,
n’importe quel amis de Dieu, comme l’ange de la mort, suffisait pour annoncer
par sa gloire l’Evangile et sa réalisation à venir.
Damien Saurel (2006) pense que c’est le Christ et non un ange qui
apparaissait aux anciens. Il s’appuie pour cela sur le bienheureux Dun Scot,
théologien du Moyen-âge, qui pensa le premier à la rétroactivité de la grâce.
Par là, il expliqua comment la Vierge avait pu naître sans la tache du péché
originel, alors que le Christ n'était pas encore venu dans la chair nous laver
de nos péchés ; il en conclut à la rétroactivité de la grâce christique
accordée à Marie.
De la même manière, on peut élargir cette notion : tous les dons
relevés dans l'Ancien Testament, sont le fait de grâces christiques rétroactives,
étant entendu que la grâce du Christ ne subit ni limitation temporelle ni
spatiale : elle transcende le temps.
On peut donc imaginer que par ce même pouvoir rétroactif, le
Christ a pu apparaître aux anciens et les enseigner, venant en quelque sorte du
futur. Ainsi le reconnurent-ils lors de sa descente au séjour des morts,
etc.
Cette apparition du Christ lui-même, à toutes les époques,
consolide considérablement ce propos, lui donnant encore plus d’unité et de
logique.
Objections :
1. C'est impossible comme le montre le pape Benoît XII[725] : "Aussitôt après la mort, toute âme qui est sans la grâce sanctifiante est aussitôt conduite en enfer". Il n'y a donc ni baptême, ni salut après la mort.
2. Dans sa pratique
liturgique, l'Eglise n'a jamais accepté qu'un prêtre baptise le corps sans vie
d'un enfant mort-né. Ceci semble indiquer qu'il n'y a pas de baptême après la
mort.
3. Dans sa remarque,
saint Paul semble indiquer une étrange pratique : un homme irait recevoir de
nouveau un baptême d'eau à l'intention d'un autre, en l'occurence un mort.
L'Eglise n'a pas conservé une telle pratique.
Cependant :
Saint Paul fait remarquer[726] : « Autrement, que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts ? Si les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux ? » Il semble donc indiquer une pratique dont l'usage a été perdu.
Conclusion :
L'Eglise a toujours cru que, après la mort, on ne pouvait plus baptiser personne car le choix est fait. Reste à définir ce qu'on entend par "après la mort".
Il semble que la mort, prise au sens
biblique, implique une durée, et que beaucoup sont baptisés par le Christ
lui-même lors de son apparition dans cette durée. La mort (shéol) étant un
passage, avant le jugement dernier, la conversion et donc le baptême semblent
possibles. C'est ce que disait Marthe Robin : « Vous savez, Père,
l’âme reçoit une grande lumière au moment de la mort. Et peu d’âmes disent non
à Dieu, surtout parmi les jeunes. »
Solutions :
1. Le dogme du pape Benoît XII vise la mort prise au sens théologique, c'est-à-dire la fin du processus qui aboutit au jugement dernier. Après ce jugement, aucun baptême et aucune conversion n'est possible car l'âme damnée, perfectionnée dans la liberté de son choix, ne veut plus jamais se changer et demeure obstinément et à jamais dans sa liberté solitaire.
2. Le baptême
sacramentel lié au signe de l'eau n'est plus d'actualité après la mort
biologique puisque le corps n'est plus le séjour de l'âme. Mais la pratique de
l'Eglise a toujours reconnu le droit aux parents de baptiser leur enfant à
travers le désir de leur prière pour lui.
3. Il faut prendre
cette pratique perdue comme une forme de dévotion ancienne. Elle consistait
pour les premiers chrétiens, en le faisant de manière sensible, à implorer Dieu
pour qu'il baptise lui-même une personne qui était morte sans être baptisée.
Et, comme on l'a montré, tant que le jugement dernier n'a pas eu lieu et que
l'âme est "à l'heure de la mort", le Christ apparaît systématiquement pour proposer la grâce du
baptême. Cette dévotion ancienne semble donc rejoindre, comme par intuition,
une réalité spirituelle.
Objections :
1. Il semble qu’on puisse pécher tranquillement. Du moins, c’est ce
que laisse penser cette croyance. On peut penser que l'on peut
toujours reporter à demain le jour de sa conversion, que l'on peut même
attendre la mort pour se convertir, puisque le Christ propose un repentir
jusque dans le passage de la mort.
2. Il semble de plus qu’il soit inutile d’annoncer l’évangile aux
non-croyants puisque le Christ s’en charge à l’heure de la mort.
Cependant :
Jésus avertit dans de nombreux passages
de se convertir sans attendre[727] : « Si le maître de maison avait su à quelle
heure le voleur devait venir, il n'aurait pas laissé percer le mur de sa
maison. Vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ne pensez
pas que le Fils de l'homme va venir. »
Il
dit d’autre part que celui qui est trouvé sans huile à sa lampe sera rejeté[728] :
« Les vierges sottes étaient parties
acheter de l’huile quand arriva l'époux. Finalement elles arrivèrent aussi et
dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous! Mais il répondit : En vérité je vous
le dis, je ne vous connais pas! Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni
l'heure. »
Cette
parabole montre non seulement que Jésus peut revenir à n'importe quel instant
mais que, si nous jouons avec le péché, nous ne trouverons pas assez d'amour
(l’huile) en nous pour l'aimer lorsqu'il apparaîtra. Nous risquons de vouloir
entrer dans la Vision béatifique (la salle des noces) sans amour (et juste pour
profiter des richesses qu'elle apporte), alors qu'il est impossible de s'unir à
Dieu sans l'aimer. Ce péché là est fréquent chez les damnés : il s'appelle la
présomption.
Conclusion :
Il
ne faut pas jouer avec les péchés mortels de faiblesse et d'ignorance durant sa
vie, même si toute faiblesse et ignorance sont enlevées par la venue du Christ
à l’heure de la mort en vue du choix éternel. En effet, si on s'y complaît, on
construit en son âme un goût pour l'égoïsme et l'orgueil qui nous attirera vers
la liberté solitaire, qui est justement l'annonce de Lucifer en enfer. Ce poids
du péché risque bien, face à la parousie du Christ, de nous faire mépriser sa
douceur et sa petitesse (qui sont sa gloire principale) et nous dirons :
« Ce n'est que ça le Christ ? »
Donc
nous devons fuir le péché, non par peur du Christ mais par peur de nous-mêmes.
Dieu est prêt à pardonner tout, « soixante-dix-sept fois sept fois »[729], si nous nous repentons. La peur doit
venir de nous. Car personne ne sait s'il ne sera pas déçu, lors de la venue du
Christ dans sa gloire, par tant d'humilité.
Solutions :
1. Il faut avoir un esprit qui n'est pas
fait pour comprendre ce qu'est la miséricorde de Dieu pour raisonner ainsi et
en abuser. Ce même raisonnement fallacieux fut pratiqué jadis dans un mauvais
usage des sacrements du salut, certains s’autorisant tous les péchés en pariant
sur le caractère suffisant d’une absolution finale. Et cet abus fut fréquent au
point que, dans son code de droit canonique de 1983, l’Eglise va jusqu’à
menacer d’une excommunication latae
sententiae le prêtre qui appliquerait un tel raisonnement, allant jusqu’à
user du sacrement de pénitence pour rassurer sa complice dans l’acte de
fornication. Mais c’est une illusion. Même muni des sacrements dans leur
matérialité, l’âme qui se complaît dans le péché risque bien de ne pas
reconnaître le Christ comme sien lors de sa venue, reconnaissant en Lucifer le
Messie qui correspond à la vraie nature de son cœur empli d’égoïsme.
Cependant,
il faut se souvenir que le péché qui met le plus en danger l’âme est peu
visible. On se souvient de cette anecdote. A la fin des apparitions de Lourdes,
on voulut protéger Bernadette dans un couvent de Nevers dirigé par une
religieuse d’un grand ascétisme. Sa supérieure s'attendait à voir en Bernadette
une grande mystique, pleine de transports. Or Bernadette était simple. Le
constatant, la Supérieure fit cette remarque : « Ce n'est que cela
Bernadette ? » Beaucoup d'entre nous, chrétiens fervents et
secrètement assez sûr de notre salut, nous n'avons pas le même choix que la
sainte Vierge qui, reine du Ciel, l’est parce qu’elle est la plus petite.
2. Il faut savoir que c'est la peur pour le salut
des pauvres païens qui a été le moteur le plus puissant de l'évangélisation. Le
second moteur, hélas auxiliaire, était la joie de faire connaître l'amour
de Dieu.
Au commencement de l’Eglise, afin de
stimuler le zèle des Apôtres, Dieu cacha donc dans sa Révélation cette vérité
qui y est explicitement enseignée dans ces textes comme celui-ci[730] : « sur ceux qui demeuraient
dans la région sombre de la mort, une lumière s'est levée. » Vers la fin du monde, lorsque la proximité de l’Antéchrist rendra la prédication plus difficile, il est
probable que l’Esprit Saint rendra l'Eglise consciente de cette vérité et elle
annoncera l’Evangile dans la joie, ne s’inquiétant plus et faisant confiance à
Dieu qui propose son salut à tout homme. C’est ce qu’annonce Jésus ici[731] : « Quand cela commencera d'arriver,
redressez-vous et relevez la tête, parce que votre délivrance est
proche. »
Solution à l’argument en sens contraire :
Le Christ dit qu’il vient comme
un voleur, non pour annoncer que si on en venait à mourir, après une vie de
service et juste après avoir commis un seul péché, on serait certainement
damné, mais pour avertir que si on a vécu dans le péché, on ne trouvera pas
dans son âme la ressource de choisir la voie du salut, qui est l’inverse du
péché et qui passe « par un amour de Dieu et du prochain poussé jusqu’au
mépris de soi »[732].
Objections :
1. Il semble que le jugement
dernier peut avoir lieu avant la mort et même dès cette terre, si l’on en croit
la parole du Seigneur : « Qui ne
croit pas est déjà jugé car il n’a pas cru au nom du Fils unique »[733].
2. L’homme qui est en état de
péché mortel s’est séparé volontairement de Dieu. Or la moindre faute mortelle
peut être jugée par Dieu par une sentence éternelle qui ratifie cette
séparation dont l’homme s’est rendu responsable. Donc le jugement dernier a
lieu au moment de la mort.
3. La durée d’une vie entière
est suffisante pour choisir le camp de Dieu ou celui du démon. Ce sont donc les
actes de notre vie qui nous jugent et nous valent le salut ou la réprobation
éternelle. Le jugement a donc bien lieu au moment de la mort.
4. Nous
avons montré que l’homme est rendu capable, à la lumière de l’apparition
glorieuse de Jésus, de discerner le bien et le mal dans son cœur et dans sa vie
passée. Or il s’agit bien là d’un jugement. Donc le jugement dernier a lieu au
moment de la mort.
Cependant :
Tant que l’âme n’est pas entrée dans
l’autre monde, elle est en état de voie. Le repentir est possible. La sentence
du juge ne peut donc être prononcée. Ainsi le jugement dernier ne peut avoir
lieu au moment de la mort mais seulement après la mort.
Conclusion :
Dans tout jugement, plusieurs éléments
sont nécessaires. Il faut d’abord, comme nous l’avons dit, qu’il y ait énoncé
par le juge de la faute dont est accusé le prévenu. Et cette faute ne peut être
connue par un simple soupçon mais elle doit être mise à la connaissance de
celui qui juge par des preuves sûres. Il faut en second lieu que le prévenu
puisse se défendre et se justifier. Il faut enfin que le juge délibère pour
déterminer la gravité de la faute et la sentence encourue.
Il en est de même dans le jugement
dernier. Mais aux yeux de Dieu qui regarde d’abord les intentions de l’homme,
une faute est définitivement considérée comme telle quand elle est pleinement
volontaire, c’est-à-dire quand elle est commise sans qu’aucune ignorance ou
faiblesse ne vienne en amoindrir la pleine responsabilité. Alors seulement, le
juste juge fixe la sentence éternelle. Mais dans le moment de la mort, il peut
demeurer une certaine hésitation dans l’âme selon ce que nous avons dit à
l’article précédent. Tant qu’il demeure une telle potentialité, la faute n’est
pas considérée par Dieu comme pleinement consommée. Elle n’est donc pas soumise
au jugement dernier mais seulement à un jugement provisoire qui manifeste à
l’âme ce qu’il y a de mauvais en elle. De même, la sentence définitive et
éternelle ne peut être prononcée qu’après la mort, c’est-à-dire lorsque l’âme a
choisi définitivement et éternellement sa fin dernière.
Solutions :
1. On peut donner plusieurs
interprétations à ces paroles : en un premier sens, elles peuvent être
adressées à l’intention des pharisiens et des chefs du peuple dont Jésus
connaissait déjà la perfidie. En effet ceux-ci ne crurent pas en Jésus non pour
un motif d’ignorance puisqu’ils reçurent de lui tous les signes annoncés par
les prophètes, ceux qui devaient confirmer sa mission divine. Sachant qu’il
venait de Dieu, il semble qu’ils voulurent l’éliminer pour préserver le pouvoir
qu’ils avaient peur de se voir enlever. En ce sens, on peut dire qu’ils
commirent un blasphème contre l’Esprit Saint, selon les paroles mêmes du
Seigneur. En ce sens, on peut dire que tout homme qui dès cette terre ou au
moment de la mort, rejette le Nom de Jésus alors même qu’il sait que ce Nom est
venu de Dieu est déjà jugé car il reste obstiné dans son péché. En un second
sens, les paroles de Jésus peuvent signifier un jugement provisoire et
terrestre : ceux qui ne croient pas sont, tant qu’ils ne croient pas, exclus de
la grâce et de la rédemption.
2. C’est à cause de sa très
grande miséricorde que Dieu repousse le plus loin possible l’énoncé de la
sentence éternelle que mérite toute faute mortelle. Dieu connaît trop ce qu’il
y a d’ignorance et de faiblesse dans le cœur de l’homme pour lui appliquer une
stricte justice distributive. S’il le faisait, nous serions tous, sauf la
Vierge Immaculée, damnés pour l’éternité.
3. Un seul acte de repentir,
jusqu’au dernier moment peut valoir à l’homme la grâce de sa justification.
C’est pourquoi Jésus nous a donné la parabole des ouvriers de la dernière heure
qui, malgré l’heure tardive de leur conversion aux œuvres de Dieu, reçoivent la
même récompense que ceux qui ont peiné toute la journée, à savoir la Vision
béatifique.
4. Le jugement de discernement
doit précéder cet autre jugement dont l’objet est de déclarer coupable ou innocent
le prévenu. Quant à la sentence énonçant la peine ou la récompense, elle ne
peut venir qu’en dernier lieu car elle découle des deux autres. Cependant, le
jugement de discernement qui a lieu au moment de la mort ne doit pas être
identifié avec celui qui constitue le jugement dernier, juste après la mort,
car l’homme est encore en état de convertir sa volonté vers le bien ou vers le
mal. Il ne fait que préparer l’âme au jugement ultime et définitif en la
portant à choisir, d’un choix libre et réfléchi, entre la charité et l’égoïsme.
Il s’agit maintenant de regarder l’état
des âmes après leur séparation complète avec le corps physique. À ce sujet on
se demandera :
1° Les puissances sensibles demeurent-elles
dans l’âme séparée ?
2° Les actes des puissances
sensibles demeurent-ils ?
3° Les connaissances et les
souvenirs de la vie passée demeurent-ils ?
4° Comment s’exerce l’acte de
l’intelligence dans l’âme séparée ?
5° Comment s’exerce l’acte de
la volonté ?
6° L’âme séparée peut-elle
entrer en contact avec une autre âme séparée ou avec un ange ?
7° L’âme séparée voit-elle les
hommes qui sont sur la terre ?
8° Les âmes séparées
peuvent-elles apparaître aux hommes ?
Objections :
1. « L’homme, dit saint Augustin,
est composé de deux substances : une âme et un corps, une âme avec sa raison,
un corps avec ses sens[735]. » Or, les puissances sensitives dépendent du corps. Donc, dans
l’âme séparée du corps, elles ne sont plus.
2. Aristote, parlant de la
séparation de l’âme d’avec le corps, s’exprime ainsi : « Il faut rechercher s’il y a, en dernière analyse, quelque chose
de permanent. Ce n’est pas impossible pour certains êtres, l’âme, par exemple,
sinon tout entière, du moins cette partie qui est l’entendement, car peut-être
l’âme tout entière ne peut avoir cette propriété »[736], c’est-à-dire que ses puissances
sensibles ou végétatives périssent avec le corps.
3. Parlant de l’intelligence ou entendement, Aristote dit qu’elle est
un autre genre d’âme "et le seul qui puisse être isolé du reste comme
l’éternel du périssable. Quant aux autres parties, il est manifeste qu’elles sont
inséparables du corps, à l’encontre de ce que prétendent certains
philosophes"[737], et, par conséquent,
qu’elles ne subsistent plus dans l’âme séparée.
4. Un tout n’est plus entier s’il lui manque quelque partie. Mais les
puissances de l’âme sont considérées comme des parties de l’âme. Si la mort lui
en enlevait quelques-unes, elle ne serait donc plus entière : ce qui est
inadmissible.
Cependant :
Saint Augustin dit : « L’âme se sépare du corps, emportant
tout avec elle : la sensibilité, l’imagination, la raison, l’intellection,
l’intelligence, l’appétit concupiscible et l’appétit irascible » [738] ; saint Augustin dit
encore : « Nous croyons que seul
l’homme possède une âme subsistante qui, séparée du corps, continue à vivre et
garde vivants ses sens et son intelligence ».[739]
Il appuyait ses dires sur des expériences de mort approchée, déjà
fréquentes à son époque. Les expériences de mort approchée se multipliant de
nos jours et étant de mieux en mieux étudiées, on est obligé d’admettre au plan
philosophique le fait d’une survie, non seulement des puissances de la vie
sensible mais de leurs actes.
Conclusion :
Cette question a reçu diverses réponses. Certains philosophes
niaient la survie de la sensibilité après la mort. La réponse la plus logique à
cet égard était soutenue par saint Thomas d’Aquin, à l’école d’Aristote. Selon
lui, il est évident que certaines opérations, qui ont les puissances de l’âme
pour principe, ne sont pas de l’âme seule, à proprement parler, mais du
composé humain, puisqu’elles s’accomplissent au moyen du corps, par exemple,
voir, entendre, etc. De ces puissances, le composé humain est donc le sujet,
l’âme en est le principe actif, de même que la forme est le principe des
propriétés de l’être composé de matière et de forme. Certaines opérations, au
contraire, sont accomplies par l’âme, indépendamment de l’organisme, par
exemple, comprendre, considérer, vouloir ; étant donc propres à l’âme, il
s’ensuit que les puissances d’où elles émanent ont l’âme non seulement pour
principe, mais encore pour sujet. Dès lors, puisque sujet et propriétés demeurent
ou disparaissent ensemble, il est nécessaire que l’âme séparée garde les
puissances dont l’action est indépendante de l’organisme, mais qu’elle perde
celles dont l’action en dépend, c’est-à-dire celles qui appartiennent à l’âme
sensitive et à l’âme végétative. Pour saint Thomas, les puissances sensibles et
les autres du même ordre, étant liées à un organe, demeurent dans l’âme
séparée, non pas formellement, mais radicalement, à la manière dont les effets
sont contenus dans leurs causes ; en d’autres termes, l’âme séparée conserve
l’énergie capable de produire à nouveau ces puissances, si elle retrouve son
corps. Mais tant que l’âme reste séparée du corps, elle est incapable d’exercer
les facultés sensibles.
Cette opinion semble la plus raisonnable à première vue. Mais elle
est battue en brèche par l’expérience suffisamment documentée de ceux qui ont
approché la mort. En effet, on constate toujours dans leur témoignage la
présence d’actes sensibles. De même, les âmes des connaissances et des amis
déjà décédés depuis longtemps qu’ils rencontrent au cours de leur expérience
sont dotées du même corps psychique qu’eux.
C’est pour cette raison que certains penseurs, du côté de l’Égypte
ancienne, de l’hindouisme, des anciennes traditions animistes, ont cherché une
autre explication. Ils ont distingué dans l’homme deux espèces de puissances
matérielles. Les unes sont les actes des organes physiques faits de matière
palpable (atomique). Elles dérivent de l’âme dans le corps physique et disparaissent
avec lui. Ce sont les facultés de la vie végétative. Mais les autres sont
l’acte d’une autre sorte de matière physique, appelée corps psychique ou
astral, ce sont les facultés de la vie sensible. Le corps psychique est
constitué de matière dont l’état est plus subtil que celui de la matière
atomique. C’est une forme d’énergie qui peut subsister après la disparition du
corps physique en s’appuyant sur l’âme qui possède le pouvoir de le faire durer[740]. Il est le siège des
facultés sensibles. Par lui, l’âme rend le corps sensible à la vision, à
l’audition, etc., même après la disparition du corps physique.
Cette distinction
entre deux corps faits de matière, s’emboîtant l’un dans l’autre à la manière
de poupées russes semble être seule capable de rendre raison de la survie hors
du corps physique décédé d’un double matériel, doté des facultés sensibles.
Solutions :
1. La science moderne n’a pour
le moment aucun moyen expérimental de visualiser l’existence et la survie de
l’âme dans son lien avec un corps psychique. Pourtant, rien ne s’oppose
scientifiquement à ce qu’un état de la matière, différent dans ses propriétés
de ce qui est connu, puisse exister. Il paraîtrait incroyable à un homme du
XVIIIème siècle qu’il puisse exister des ondes capables de porter le
signal de la radio. Il en est sans doute de même pour nous vis-à-vis du corps
astral.
L’objection soulevée par saint Augustin porte sur la possibilité
de survie de ce corps fait de matière psychique alors que son support physique,
le corps physique et le cerveau, a cessé d’exister. On peut expliquer cette
survie de la manière suivante. Il existe une grande distance entre les facultés
spirituelles (intelligence et volonté) et les corps physiques composés d’atome.
Mais rien n’empêche que la distance soit moindre entre ce même esprit et un
état subtil de la matière, à tel point que l’esprit, par ses propres forces,
ait le pouvoir de le garder vivant sans l’aide du corps physique.
2. Le domaine de la matière
psychique semble être digne de recherche au plan de la science physique. Il
ouvre des perspectives sur un nouvel état de la matière dont les propriétés ne
nous sont connues que par des accumulations de témoignages concordants et
certaines expériences sur les particules élémentaires. C’est tout le domaine du
cerveau, qu’il soit humain ou animal qui s’en trouvera probablement éclairé.
3. L’expérience montre
effectivement que l’organe du psychisme (sensations, imagination, mémoire,
passions et estimative) est le cerveau. Mais un autre genre d’expérience, tout
aussi crédible montre que, après l’arrêt complet de l’activité du cerveau, ces
facultés s’épanouissent dans un nouvel exercice plus performant. De nouvelles
sensations apparaissent (couleurs inconnues par exemple) et de nouvelles
facultés se manifestent (lecture directe des pensées de l’autre, etc.).
Certains pensent que ces témoignages relèvent du rêve, ce qui est contredit,
nous l’avons montré, par le fait que c’est la réalité elle-même, de manière objective,
qui informe le sens et non une série d’images immanentes au sujet. Le réel
étant le maître du philosophe, il est nécessaire de sortir de ce qui est
simplement logique pour expliquer ce qui est vrai.
4. En perdant son corps physique qui est une partie de lui-même,
l’âme humaine garde la racine des facultés végétatives mais perd totalement
leur exercice qui est purement physique. Par contre, elle garde ce qui est
essentiel dans l’organe des facultés psychiques à savoir la matière subtile qui
est leur support réel, le cerveau n’étant semble-t-il que le support dispositif
à leur naissance et à leur épanouissement.
Objections :
1. Ce qui exige l’union de
l’âme et du corps ne saurait demeurer dans l’âme séparée. Or, toutes les
opérations des puissances sensibles exigent cette union, puisque toutes
exercent leur activité par l’entremise d’un organe corporel. Cette activité
doit donc être refusée à l’âme séparée.
2. Aristote dit que "le
corps ayant disparu, l’âme n’a plus ni souvenir ni amour".[741] Et il en va de même pour
tous les actes des puissances sensibles.
3. Parmi les actes des facultés
sensibles, certains sont indissociables du corps physique comme les activités
liées à la reproduction et à la nutrition. Donc ces actes là au moins
disparaissent.
4. L’âme sent au moyen du corps
car cet acte est non celui de l’âme elle-même, mais du composé auquel elle
donne le pouvoir de sentir. C’est ainsi que l’on dit que la chaleur chauffe. En
l’absence du corps physique, l’âme ne peut donc plus avoir de sensation. Cela
paraît pour le moins évident pour le sens du toucher.
5. Si par l’amour, la joie, la
tristesse, etc. on entend des passions de la sensibilité, elles ne sont pas
dans l’âme séparée, puisque, par définition, elles supposent un mouvement du
cœur et de l’organisme. Si on l’entend des actes de la volonté, faculté
intellectuelle, elles sont dans l’âme séparée ; c’est ainsi que le plaisir qui,
en un sens, est une passion de la sensibilité, comporte un autre sens suivant
lequel Aristote l’attribue à Dieu qui, dit-il, « jouit toujours d’un plaisir unique et simple. »
6. Le mot mémoire peut désigner
deux choses : une puissance de la sensibilité, selon qu’elle a pour objet les
images sensibles du temps passé. Cette mémoire fait défaut à l’âme séparée.
C’est en ce sens qu’Aristote dit : « Le
corps disparu, l’âme n’a plus le souvenir ».[742] Il peut désigner encore
"une partie de l’image" des choses spirituelles dans la partie
intellectuelle de l’âme ; car elle fait abstraction de toute différence de
temps et a pour objet l’intelligible, au delà du présent et du futur aussi bien
que du passé. Cette mémoire persiste dans l’âme séparée.
Cependant :
Saint
Augustin, se référant à l’expérience de la mort approchée, reconnaît que ces
personnes ravies hors de leurs corps, possèdent "une certaine
ressemblance de leur corps », par
laquelle elles peuvent être emportées vers des lieux corporels et éprouver
quelque chose de semblable aux images des sens. Or, on ne peut comprendre que
l’âme ait « une ressemblance
de son corps », sinon parce qu’elle la voit.
Augustin affirme
encore : « L’âme séparée du corps jouit ou souffre, selon qu’elle l’a mérité, de ces
choses »[743], à savoir, l’imagination, l’appétit concupiscible et irascible,
qui sont des puissances sensibles. "Ce n’est pas le corps qui éprouve
la sensation, mais l’âme".[744] Il dit encore
un peu avant : « Il y a cependant certaines choses que l’âme ressent par elle-même,
indépendamment du corps, comme la crainte, etc. » Elle peut donc
aussi les ressentir, séparée du corps.
Conclusion :
La solution de cette question découle de la précédente. Si l’âme
séparée du corps physique garde un corps fait de matière psychique, siège de
toutes les facultés sensibles, il en garde aussi tout naturellement les actes.
Plusieurs différences sont cependant relevées dans les témoignages
entre les actes sensibles d’ici-bas et ceux de l’heure de la mort :
1° D’abord, il semble que
l’exercice des actes est beaucoup plus facile qu’ici-bas. La raison en est de
la subtilité et de la légèreté de la matière psychique, beaucoup plus aisément
soumise aux commandements de la volonté que la matière physique du cerveau.
C’est pourquoi aussi les handicaps n’existent plus. « Les aveugles voient et les boiteux marchent. » C’est que le corps physique a
disparu, laissant place à son double qui semble non vulnérable.
2° Ensuite, les facultés
semblent beaucoup plus riches et diversifiées : sensations nouvelles, capacité
à se déplacer à volonté et de manière immédiate dans divers lieux, télépathie,
etc. Libéré du poids de la matière physique, il semble que le psychisme a plus
de facilité à exprimer ses nombreuses potentialités cachées.
La raison de cette nouvelle liberté du psychisme est, nous l’avons
montré, ordonnée au choix qui accompagne l’heure de la mort. La disparition du
poids du corps physique dégradé par l’âge ou la maladie entraîne une parfaite
libération des facultés sensibles des conséquences du péché originel. La
connaissance et le choix de l’homme redeviennent donc parfaitement humains,
délivrés de tout ce qui en diminuait provisoirement la liberté, en attendant la
résurrection de la chair transfigurée qui, cette fois, ne pèsera plus pour
diminuer la liberté.
Solutions :
1. L’organe corporel des
facultés sensible demeure, nous l’avons montré. Le corps psychique, né du corps
physique, possède une vie propre qui s’appuie sur sa proximité avec l’esprit qui
le fait subsister après la mort.
2. Dieu qui a créé la matière a
su remédier à ce qui aurait constitué un inconvénient majeur pour l’homme et
son salut. En effet, si l’homme devait perdre tout ce qui a d’une certaine
manière un rapport avec son psychisme après la mort, il perdrait du même coup
toutes ces informations qui font la matière de la connaissance humaine et qui
le distingue des purs esprits que sont les anges. Il perdrait le souvenir des
visages, les émotions et, chose plus grave pour le choix de son éternité, les
souvenirs des circonstances sensibles de tous ses actes bons ou de tous ses
péchés. Cela constituerait une amputation certaine et même une rupture
dommageable au salut. Dieu permet donc que l’homme soit arraché à cette vie par
la perte d’une partie de lui-même (son corps physique) sans que cela n’affecte
l’essentiel de lui-même, à savoir l’exercice spirituel et sensible de son
esprit.
3. Nous concédons cette
objection. Parmi les actes sensibles, certains s’exercent au service de la vie de
l’esprit et d’autres au service de la vie du corps. La raison en est que la vie
sensible est intermédiaire et au service de la vie végétative et de la vie
spirituelle. Le corps physique ayant disparu, le désir sexuel et l’instinct de
nutrition qui sont essentiellement liés au corps biologique disparaissent dans
leur acte mais non dans leur racine, c’est-à-dire dans les potentialités de
l’âme.
4. Le sens du toucher ne peut
plus s’exercer sur la matière physique, le corps physique ayant disparu. Mais
rien n’empêche qu’il s’exerce sur la matière dont est composé le corps
psychique, à savoir sur cette "matière psychique" dont nous avons
déjà parlé. Cet état de la matière, encore scientifiquement inconnu, est
probablement présent partout, de même que partout où se trouve la matière
physique se trouve son rayonnement. C’est donc une nouvelle face du monde
qu’atteint l’âme dans sa séparation du corps physique.
5. En sens contraire, nous
pouvons affirmer que ce sont des vraies sensations et non une métaphore de sensations
qui demeurent après la mort.
6. La
mémoire sensible demeure dans l’âme séparée. L’intelligence n’est donc
aucunement privée des images acquises durant la vie terrestre. En vue du choix,
les souvenirs apparemment oubliés et cependant enfouis dans la mémoire peuvent
reparaître de manière entièrement limpide. Ils sont utilisés par les
révélations qui accompagnent la mort.
Objections :
1. Cela ne paraît pas possible.
Les souvenirs sont dans la mémoire sensible et peuvent disparaître dès cette
vie comme on le voit chez les personnes âgées. Il paraît donc évident qu’ils
disparaissent complètement avec la destruction totale de la mémoire.
2. Si
l’âme est en état de péché mortel, c’est qu’elle se considère elle-même comme
sa fin ultime. Au contraire, si elle a répondu à la grâce de Dieu proposée
jusque dans les derniers moments précédant la séparation d’avec le corps, elle
est justifiée et peut être sauvée. Il n’est donc pas nécessaire que soient
rappelées après la mort ou à l’heure du jugement dernier chacune des
circonstances de la vie humaine. Un tel rappel est par contre nécessaire dans
le moment de la mort et après la résurrection des corps, lors du jugement
général de l’humanité où chaque action sera révélée à tous.
Cependant :
On doit affirmer que tous les faits de la vie humaine dans leurs
moindres détails sensibles doivent subsister pour le jugement dernier. Car la
bonté ou la malice de nos actes peut être conditionnée ou même parfois
déterminée par de telles circonstances. Or un juge juste ne peut prononcer une
sentence que s’il connaît parfaitement l’acte qu’il a commis.
Conclusion :
De même que le jugement humain s’appuie sur le témoignage extérieur,
de même le jugement divin porte sur le témoignage de la conscience, selon ce
verset du livre des rois : « l’homme voit
les choses qui paraissent au dehors tandis que Dieu voit l’intérieur du cœur »[745]. Mais on ne peut porter un jugement
parfait sur quelqu’un que si les témoins ont déposé au sujet de tous les faits
qui doivent être jugés. Il faut donc, puisque le jugement personnel a lieu
après la séparation de l’âme et du corps physique, que la conscience de celui
qui est jugé garde mémoire de toutes les choses sur lesquelles il doit porter.
C’est pour cette raison que Dieu permet qu’aucun des souvenirs de la vie
terrestre ne puisse disparaître.
Au sujet de la connaissance et des
souvenirs, il faut considérer ce qui en eux dépend d’une faculté corporelle
comme la mémoire sensible et l’imagination et ce qui dépend de la seule
intelligence. Comme nous l’avons montré dans la première partie, les habitus
des sciences acquises durant la vie terrestre ont leur siège dans
l’intelligence ; mais le mode d’exercice de ces habitus se fait par le recours
aux images. C’est donc ces deux mémoires qui doivent subsister afin que la
science acquise demeure tout entière et non seulement dans ses principes
généraux.
Ainsi, après la mort, l’âme humaine
garde d’une manière naturelle ce qui est la substance même de la vie morale et
qui trouve son siège dans les facultés spirituelles : les volontés, les
intentions et les choix qui ont dirigé la vie humaine ainsi que la connaissance
des biens qui ont été poursuivis. De même, elle garde d’une manière plénière
les souvenirs des circonstances sensibles particulières de la vie terrestre,
qui étaient gardés dans la mémoire sensible et dans l’imagination comme par
exemple le souvenir des lieux géographiques, des formes de visages, des sons de
voix.
Solutions :
1. L’homme ne possède pas
seulement une mémoire spirituelle mais aussi une mémoire sensible dont le siège
est la sensibilité et qui coopère de manière essentielle à la connaissance humaine,
qu’elle soit spéculative ou pratique. Après la mort, les souvenirs de la
mémoire sensible demeurent donc comme on l’a dit, ainsi que la mémoire
spirituelle qui est essentielle à la subsistance de la personnalité morale. La
raison en est que le jugement dernier et la sentence définitive du juge portent
non seulement sur l’intention radicale qui finalise l’âme alors qu’elle entre
dans la mort, (à savoir l’amour égoïste ou l’amour de charité) mais aussi sur
les circonstances de ses actes qui ont participé à leur bonté ou à leur
perversion.
2. Il
est essentiel que la vie spirituelle de l’homme reste elle-même non seulement à
l’heure du choix (l’heure de la mort), mais aussi quand il vit de ce choix
(après la mort). Dieu respecte la liberté du choix définitif de ses créatures
en ne permettant pas que l’homme subisse une quelconque diminution. Ce n’était
pas le cas durant la vie terrestre dont la finalité était une préparation
progressive au choix par la croissance de la maturité et de l’humilité.
Objections :
1. Il semble que l’intelligence
séparée connaisse les réalités par simple intuition de leur essence et non de
la même manière qu’ici-bas, par abstraction à partir des images. En effet, le
mode de connaissance propre aux anges lui est nécessaire sous peine de ne
pouvoir connaître les réalités séparées des corps comme Dieu.
2. Les anges sont de purs
esprits, de nature supérieure à l’homme. Ils ne peuvent pas être vus à travers
une image sensible de leur essence. Dans cette hypothèse, la connaissance qui
en résulterait serait à la fois mensongère (puisque les anges n’ont pas de
corps) et insuffisante, puisque aucune image créée ne peut être adéquate à la
perfection spirituelle de leur nature.
3. Après la mort,
l’intelligence subsiste et a donc un mode d’exercice bien différent puisqu’elle
est appelée à voir, dans leur essence, les réalités immatérielles comme Dieu.
Il lui convient alors de connaître en se tournant vers ce qui est de soi
intelligible, de la même manière que les substances séparées. Dieu infuse à
l’âme des espèces de la même manière qu’il le fait pour les anges. L’âme y a
part quoique sous un mode moins élevé. Par l’intermédiaire de ces espèces, elle
connaît ce qui lui est nécessaire d’une manière intuitive et directe. Cette
connaissance dépasse en qualité et en sûreté ce qui existe sur terre tant à
cause de la supériorité de la lumière divine qu’à cause de l’absence de
possibilité d’erreur issue des phantasmes de l’imagination.
4. Ici-bas,
c’est parce que l’intellect agent extrait l’intelligibilité à partir des images
sensibles des choses que la connaissance est si fragile et soumise au risque
d’erreurs. En effet, les images sont trompeuses. La méchanceté n’est pas
inscrite sur les visages, de même que la quiddité n’apparaît pas de manière
évidente dans l’image des choses. Ce mode de connaissance paraît donc indigne
de l’autre monde.
Cependant :
Le propre de l’intelligence humaine est
de connaître les réalités spirituelles à partir de leur image sensible. Elle
n’est pas de la même nature que l’intelligence angélique, qui, n’étant pas
naturellement unie à un corps, connaît directement les essences des choses à
l’aide de formes intelligibles infusées au moment de leur création. Or Dieu
meut chaque nature selon son mode propre. Donc l’intelligence humaine connaîtra
toujours en s’appuyant sur les images.
Conclusion :
Nous avons montré qu’à l’heure de la
mort comme après la mort, l’âme conserve la partie sensible d’elle-même. L’acte
d’intelligence s’exerce donc en ayant recours aux images. Mais la connaissance
humaine peut se porter sur deux sortes d’objets. Certains lui sont par nature
inférieurs comme les réalités matérielles. D’autres lui sont supérieurs comme
les esprits, les anges et surtout Dieu.
1° En ce qui concerne la
connaissance des réalités matérielles, certains théologiens dont saint Thomas
d’Aquin, ont suggéré que l’intelligence humaine dans l’autre monde reçoit
directement de Dieu des espèces intelligibles de la même universalité que
celles qui sont données aux anges. Mais s’il en était ainsi, elle n’obtiendrait
pas par ce moyen une connaissance parfaite des réalités parce qu’elle n’a pas
autant de capacité intellectuelle que les anges. Sa connaissance serait
seulement générale et confuse. C’est ce qui se voit en quelque façon chez les
enfants : ceux en effet qui ont une intelligence plus faible, ne pénètrent
parfaitement les conceptions universelles des intelligences plus vigoureuses que
si on leur explique en détail. Or il est évident que, parmi les substances
individuelles, les âmes humaines sont, dans l’ordre de la nature au degré le
plus bas.
C’est pourquoi il faut parler autrement.
La limite de la connaissance humaine ici-bas vient à la fois du fonctionnement
pesant de l’organe du cerveau et de l’obscurité des images des choses, qui ne
sont qu’un pâle reflet de l’extérieur de la réalité. Dans l’autre monde, ces
deux limites disparaissent.
D’abord, l’intelligence acquiert une
nouvelle facilité d’exercice puisque les organes du psychisme, qui participent
à son exercice, tout en subsistant, sont rendus plus subtils et légers. Le
corps psychique a la particularité d’être entièrement soumis à l’âme qui le
fait subsister sans que le poids de la matière moléculaire du cerveau vienne en
ralentir l’exercice. D’autre part, les images des choses deviennent beaucoup
plus lumineuses, allant jusqu’à révéler la nature intime des réalités
matérielles. Le sens devient absolument adapté à la perception de la matière
selon toutes ses dimensions, au point de pénétrer sa structure intime. Ainsi,
la connaissance humaine est perfectionnée au point que, sans quitter son
exercice naturel, elle devient capable de pénétrer par elle-même l’essence des
réalités matérielles, avec simplicité et sans erreur.
2° En ce qui concerne la
connaissance des réalités spirituelles, il faut parler différemment selon que
l’on parle des créatures ou du Créateur.
Lorsqu’il s’agit des créatures, hommes
ou anges, les témoins d’une expérience de mort approchée décrivent dans le
détail une surélévation de la connaissance qui reste tout à fait semblable,
quant à son mode de fonctionnement, à celle d’ici-bas. Ils racontent que la
vision de l’être de lumière (le Christ, un ange ?) comme celle des proches
décédés se fait à travers une perception sensible. Ils voient avec leurs yeux
matériels un corps de lumière dans le premier cas et un corps psychique
semblable au leur dans le deuxième cas. Mais ces corps ont la particularité de
ne pas cacher l’intériorité spirituelle. Bien au contraire, à travers ce corps,
ils obtiennent de manière immédiate et intuitive la connaissance de la nature
et des pensées actuelles de l’être à qui ils sont confrontés. C’est ce que nous
avons appelé la vision du corps glorieux[746].
En effet, le corps sensible, tout en jouant son rôle habituel de médium pour la
connaissance de l’intelligible, n’est plus un obstacle mais un support parfait
d’où l’intellect agent peut extraire sans perte essentielle l’intelligibilité
spirituelle. Il permet d’entrer dans l’intimité de la personne à qui appartient
ce corps.
Par contre, lorsqu’on parle de la vision du Créateur, au moins de
cette vision directe et face à face que nous appelons Vision béatifique, on
doit reconnaître qu’aucune image sensible ne peut permettre à l’homme d’en
connaître l’intelligibilité. Dieu se fait donc, sans aucun intermédiaire créé,
l’objet de l’intelligence. Il s’agit d’un mode nouveau de connaissance où
l’intellect agent n’a pas de place, comme nous l’avons montré. [747]
Solutions :
1. Ce
qui rend cette question difficile, c’est d’abord la constatation des limites de
la forme de connaissance par abstraction des images, telle que nous
l’expérimentons ici-bas. Mais on doit répondre que ce n’est pas ce mode de
connaissance qui est limité. C’est son exercice tant à cause de la faiblesse de
notre intellect agent que de l’obscurité des images. Ces obstacles étant levés,
la connaissance humaine peut atteindre, selon la mesure de chacun, son objet, à
savoir une adéquation au réel délivrée de l’erreur à la réalité.
L’autre difficulté vient du fait qu’il n’existe pas que des
réalités unies à des corps. Dieu en particulier ne peut être connu de cette
manière. Cependant, nous avons montré qu’à l’heure de la mort, une image sensible
de Dieu communiquée à l’âme par l’intermédiaire de la parousie du Christ ou
d’un ange, suffit à fonder un choix qui engage l’éternité. Qu’un tel choix
définitif et sans erreur soit possible pour la volonté alors qu’elle s’appuie
sur une connaissance intellectuelle extraite par l’intellect agent de l’image
contemplée, montre le haut degré de perfection de cette connaissance. Quand il
s’agira de voir l’essence de Dieu face à face, il en sera tout autrement comme
nous l’avons dit.
2. Pour communiquer avec les
hommes, les anges disposent de deux moyens. Ils ont le pouvoir de façonner pour
nous une image rayonnante quoique sensible de leur nature spirituelle, si
parfaitement adaptée à notre nature sensible qu’elle permet à notre intellect
agent de connaître avec une grande perfection leur essence supérieure.
L’intellect agent de l’homme est capable d’en extraire la quiddité et ce mode
de connaissance lui est à la fois naturel et performant. D’autre part, les
anges ont le pouvoir de communiquer directement dans l’intellect passif de
l’homme des concepts, de la même manière qu’ils procèdent entre eux pour
communiquer. Mais ce deuxième type de connaissance, très supérieur à la
capacité naturelle de l’intelligence humaine, est pour nous source d’une
connaissance moins parfaite car elle est moins adaptée à notre nature. C’est de
ces deux manières, semble-t-il, que procède l’ange de la mort par la
manifestation d’un corps de lumière. Et elles sont suffisantes pour donner,
sans erreur, une connaissance de ce qui est utile au choix de l’âme.
3. Nous l’avons dit, ce mode de
connaissance par infusion directe des concepts dans l’intelligence est possible
mais insuffisant pour une connaissance parfaite adaptée à l’homme. C’est
pourquoi elle est portée et accompagnée par une connaissance sensible et
abstractive.
4. Sur
terre, les images sont trompeuses car Dieu a voulu que les corps ne livrent que
la partie superficielle de leur rayonnement sensible. Il a permis ce secret des
choses dans le but unique de soumettre l’homme à l’expérience de la faiblesse
de sa nature. C’est une première école dont le but est l’acquisition, si ce
n’est de l’amour, au moins de l’humilité. Dans l’autre monde, il n’en est plus
ainsi. L’heure du choix libre étant arrivée, le visage des méchants comme des
bons manifeste à nu l’état de leur âme. La vérité et la bonté ne sont plus
séparées de la beauté. Il est impossible de dissimuler. Les corps physiques
rayonnent de la structure de leur organisation. C’est pourquoi la connaissance
à partir des images ne laisse plus de place à l’erreur.
Objections :
1. Il ne semble pas qu’elle
s’exerce en restant immuablement fixée sur l’objet de son élection car le libre
arbitre est une propriété de la volonté qui ne peut disparaître de cette
manière après la mort.
2. On
prétend que la volonté reste fixée sur son objet à cause de l’infaillibilité de
l’intelligence qui lui présente le bien et le mal. Or l’intelligence, même
après la mort, peut se tromper puisqu’elle peut conduire l’âme à se séparer de
Dieu. Il doit donc être possible que, se rendant compte de son erreur, elle
revienne en arrière.
Cependant :
La volonté est l’appétit intellectuel.
Elle suit le mode d’exercice de l’intelligence. Si donc l’intelligence lui
présente d’une manière parfaite et limpide un bien, elle s’y porte d’un seul
coup et ne revient pas sur son choix.
Conclusion :
Après la mort, la volonté de l’homme se
porte vers son objet d’une manière entière et définitive. La cause de cette
stabilité, il faut la prendre dans la condition de l’état qui suit la
séparation d’avec le corps physique. L’intelligence appréhende infailliblement
son objet à la manière dont nous saisissons tout de suite les premiers
principes et en avons l’intuition. La connaissance est parfaitement adaptée à
l’homme. Elle devient limpide et dénuée d’erreur sur le bien et le mal. La
volonté, quant à elle, se comporte par rapport à l’intelligence qui la meut
comme le mobile par rapport au moteur. Elle suit donc l’intelligence et se
porte immuablement vers ce qu’elle lui présente comme un bien de la même façon
que celle-ci adhère immuablement au vrai. Si donc nous considérons l’âme
séparée avant son adhésion, elle peut librement se fixer sur tel objet ou son
contraire (sauf s’il s’agit d’objets voulus naturellement comme le bonheur).
Mais, après cette adhésion, elle se fixe définitivement sur l’objet de son choix.
De là vient que l’on a coutume de dire que le libre arbitre de l’homme, tant
qu’il est sur la terre, est capable de se porter sur des objets opposés aussi
bien avant l’élection qu’après ; tandis que le libre arbitre de l’homme après
sa mort est capable de se porter vers des objets opposés avant l’élection mais
pas après.
Solutions :
1. C’est en pleine liberté que
la volonté se porte sur son objet et ne varie plus. Elle ne veut plus revenir
sur son choix à cause de la parfaite connaissance du bien qui l’a orienté et
qui ne peut, à cause de sa perfection, varier au cours du temps. Si la volonté
humaine varie dans ses choix tant qu’elle est soumise aux conditions
terrestres, c’est à cause de la connaissance de notre intelligence liée aux
sens, qui est progressive et mobile ouverte vers les contraires.
2. Quand
l’âme choisit de se séparer de Dieu, elle le fait à cause d’un certain bien qui
lui paraît suffisamment absolu pour relativiser le mal des peines de l’enfer.
Ce bien est l’exaltation de soi. Une telle détermination de l’intelligence est
suffisamment lucide et sûre pour ne pas varier en enfer, d’où l’obstination des
damnés et l’éternité de l’enfer.
Objections :
1. L’homme est par nature un
être sensible. Il ne peut donc communiquer qu’à travers des signes sensibles
comme le langage articulé. Après la mort, il n’y aura plus de langage articulé
puisque le corps physique aura disparu. Donc il sera impossible de communiquer
avec les autres.
2. Il y a deux sortes de
langage : le langage intérieur par lequel on se parle à soi-même, et le langage
extérieur par lequel on parle à un autre. Mais le langage extérieur se fait au
moyen d’un signe sensible comme la parole, le geste ou à l’aide d’un membre
corporel comme la langue ou le doigt : toutes choses qui ne peuvent convenir à
une âme séparée.
3. L’ange
est d’une nature intellectuelle supérieure à l’âme séparée. Il conçoit des
pensées d’une intelligibilité supérieure que l’âme humaine ne peut saisir à
cause de sa faiblesse. On doit donc dire que les anges ne peuvent communiquer
avec les âmes séparées.
Cependant :
Le jugement individuel de l’âme a lieu
après la séparation de l’âme et du corps. Or ce sera un jugement public. Il est
nécessaire que l’âme puisse entrer en contact avec ses accusateurs, ses
défenseurs et ses juges. Donc une âme peut communiquer avec d’autres âmes.
Conclusion :
Après la séparation de l’âme et du corps
physique, l’intelligence humaine s’exerce dans son mode habituel mais avec une
nouvelle perfection grâce à l’extrême agilité et légèreté du corps psychique
qui lui reste uni. Elle trouve donc son exercice parfait et découvre à quel
point l’état terrestre était handicapant. C’est ce que pourrait signifier le
mythe de la caverne de Platon.
Or quand un homme ici-bas veut
communiquer avec un autre, il le fait selon le mode de son intelligence,
c’est-à-dire qu’il manifeste par les signes sensibles que sont les mots et le
langage articulé, le concept mental qu’il porte en lui. Il doit convertir sa
pensée sous forme d’une élocution et il appartient à l’autre de convertir à
nouveau cette élocution en un contenu conceptuel.
Dans l’au-delà, un tel langage sera
possible puisque l’intelligence sera liée à son corps psychique. Il ne sera
plus nécessaire puisque le langage pourra avoir un nouvel exercice bien
supérieur. Nous avons dit en effet que le corps psychique a la propriété d’être
lumineux en ce sens qu’il ne constitue plus un obstacle entre l’intériorité de
l’être et celui qui le voit. Il y aura donc un langage nouveau, propre à
l’homme transporté dans l’autre réalité et très original. Il suffira de
regarder le corps de l’autre pour comprendre son intériorité et la pensée qu’il
voudra communiquer. Si une âme, par sa volonté, ordonne son concept mental en
vue de le manifester à une autre âme, aussitôt cette dernière en prendra
connaissance en lisant le visage lumineux de l’autre : de cette manière, l’âme
pourra parler à une autre âme. Car parler à autrui, ce n’est pas autre chose
que lui manifester sa propre pensée. Le langage sera universel puisqu’il ne
passera pas comme ici-bas par des signes conventionnels ; d’autre part, il sera
parfait puisque les "mots" employés seront les concepts eux-mêmes.
Chacun pourra exprimer ses pensées sans être trahi par les mots.
Solutions :
1. Il convient que
l’intelligence humaine s’exprime par l’intermédiaire de signes venant du corps
à cause de l’opacité du corps ici-bas. Cependant, cet état de la matière n’est
que provisoire et lié à la "vallée de larmes" où l’homme est en
apprentissage. Cependant, par nature, le corps peut prendre d’autre mode de
fonctionnement comme on le voit à l’heure de la mort où seule sa partie psychique
demeure et à la résurrection où le corps physique palpable sera rendu.
2. Le langage extérieur qui se
fait par la voix ne nous est nécessaire qu’à cause de l’obstacle du corps non « lumineux ». C’est pourquoi il ne convient ni aux anges ni aux âmes séparées
qui ne connaissent que le langage intérieur. Or ce langage ne consiste pas
seulement à se parler à soi-même en formant un concept, mais aussi à ordonner,
par le moyen de la volonté pour les anges et de la sensibilité pour les hommes,
le concept en vue de le manifester à un autre. Ainsi, ce n’est que par
métaphore qu’on parle de la langue des purs esprits pour signifier la puissance
qu’ils ont de manifester leur pensée.
3. L’ange
a la capacité d’adapter les concepts intelligibles qu’il conçoit à la portée de
l’intelligence à qui il les communique, de la même manière que le professeur
dont la science est supérieure à celle de l’élève peut tout de même la lui
communiquer progressivement. L’ange a reçu de Dieu une faculté de produire des
images sensibles de ce qu’il veut communiquer aux hommes, comme on le voit dans
les nombreuses apparitions relatées par la Bible. Il lui est donc tout à fait
possible de communiquer avec les hommes.
Objections :
1. Cela semble possible. L’âme
humaine, lorsqu’elle est séparée du corps, devient comme un ange selon saint
Marc[748]. Or les anges ont la
capacité naturelle de savoir ce que font les hommes sur la terre, sans quoi ils
ne pourraient être envoyés en mission auprès d’eux. Il doit en être de même
pour les hommes.
2. L’intelligence est faite
pour connaître ce qui est. Si donc elle ne peut connaître ce qui se passe sur
la terre après la mort, c’est qu’elle est frustrée de son objet. Or une telle
frustration ne peut être naturelle car un être ne peut aspirer à une chose qui
est hors de sa portée. Donc l’intelligence humaine peut voir ce qui se passe
sur la terre.
3. Les âmes qui sont au paradis
voient les hommes puisqu’il est recommandé de leur adresser nos prières de
demandes. Si elles leur étaient inconnues, de telles prières seraient inutiles
ce qui est contraire à la foi.
Cependant :
Job écrit à propos des morts : «
Si ses fils sont honorés, il ne s’en rend pas compte ».[749] Donc l’âme séparée ne peut
voir les hommes qui sont sur terre.
Conclusion :
L’âme séparée du corps physique peut exercer l’acte des facultés
sensibles puisque ces facultés demeurent, comme nous l’avons montré[750]. Elle peut donc de manière
naturelle voir les hommes qui sont sur la terre, du moins si on entend par là
la vision corporelle qui se fait avec les yeux. De plus, les témoins d’une mort
approchée affirment que leurs sens s’exercent de manière plus performante. Ils
ont accès de manière directe aux images présentes dans la pensée des hommes qui
sont autour d’eux.
Cependant, une telle théorie semble contredire les diverses
autorités de l’Écriture comme les paroles de Job qui veulent décrire l’état des
âmes justes conduites dans les limbes des patriarches. Elle contredit aussi les
récits de ceux qui ont approché la mort et qui racontent passer dans une autre
dimension séparée de la nôtre et ouverte par le passage dans un tunnel noir. Il
semble donc qu’on doive affirmer que les âmes séparées ne peuvent voir les
actions des hommes qui sont sur la terre, non par nature mais à cause d’une
disposition de Dieu.
Pour le comprendre, il faut saisir la raison de la séparation
entre le monde des morts et celui des vivants. Elle correspond à une volonté
explicite de Dieu qui conduit par étape l’homme à la vision de sa lumière.
Avant la mort, l’homme vit une première étape de purification dont la finalité
commune pour tous est la découverte de sa propre misère. Pour se faire, le
gouvernement de Dieu consiste à laisser l’homme dans les propres lois de son
péché. Dieu se cache et ordonne à ceux qui sont avec lui de se cacher. Il
n’intervient que très rarement et par exception de manière directe (miracles,
apparitions, prophéties). La deuxième étape est la mort elle-même où Dieu révèle
sa lumière. Mais tant que l’homme est encore en chemin, qu’il n’est pas entré
dans la pleine lumière de la Vision, il lui est difficile de comprendre les
raisons de cette séparation. Sa tendance naturelle consisterait plutôt à se
montrer et à témoigner auprès des vivants de ce qu’il fait. En agissant ainsi,
il compromettrait le plan de Dieu et nuirait dangereusement à la préparation
spirituelle des hommes. C’est pourquoi le Seigneur interdit strictement la
pratique de l’évocation des morts selon le Deutéronome : « On ne trouvera chez toi personne qui fasse passer au feu son fils
ou sa fille, qui pratique divination, incantation, mantique ou magie, personne
qui use de charmes, qui interroge les spectres et devins, qui invoque les
morts. Car quiconque fait ces choses est en abomination à Yahvé ton Dieu, et
c’est à cause de ces abominations que Yahvé ton Dieu chasse ces nations devant
toi. »
Après l’entrée de l’âme dans la Vision, il en est tout autrement.
Non seulement les saints voient en voyant Dieu tout ce qu’ils désirent, mais
ils peuvent, à leur simple désir, se rendre sur terre auprès de chacun. Ils ont
entière liberté pour cela car leur volonté est totalement une avec Dieu. S’ils
prennent une quelconque initiative, elle ne peut qu’être celle de Dieu tant leur
volonté est une avec celle de Dieu.
Solutions :
1. La nature intellectuelle de
l’ange étant supérieure, elle peut recevoir de Dieu des espèces intelligibles
suffisamment lumineuses pour connaître les choses en leur nature universelle et
aussi en leur singularité. Il n’en est pas de même pour les âmes qui sont
incapables de saisir les singuliers à travers des formes universelles. Elles
doivent donc en recevoir la science à travers le sensible, ce qui leur est
possible dans la mesure où elles restent unies à leurs sens après la mort.
Etant séparées du monde des vivants, cette perception leur est interdite tant
qu’elles n’ont pas achevé le chemin de leur purification. Cependant, les âmes
des morts peuvent recevoir certaines nouvelles des vivants à travers des
révélations constantes des esprits supérieurs et à chaque fois qu’une âme les
rejoint en passant par la mort. Mais une telle connaissance est indirecte. Donc
les âmes qui ne sont pas dans la Vision béatifique ne peuvent voir ce que les hommes
font sur terre.
2. Une faculté peut être
empêchée d’atteindre son objet à cause d’un obstacle extérieur à elle-même.
Ainsi l’aveugle ne peut voir les couleurs non à cause de l’absence de la
faculté de voir qui existe réellement dans son âme mais à cause d’un obstacle
dans l’instrument de la vision qui est l’œil. De même, après la mort,
l’intelligence ne peut connaître ce qui se passe sur la terre à cause de la
séparation provisoire que lui impose Dieu, pour le bien de sa purification.
3. Les âmes glorifiées voient
nos actions de trois manières : 1° À
travers l’essence de Dieu qu’elles contemplent face à face et qui porte en elle
tout ce qui est connaissable dans le monde ; 2° D’autre part, elles reçoivent de la part des anges avec qui elles
sont unies par la charité des révélations intimes et intuitives concernant le
gouvernement de Dieu sur les habitants de la terre. 3° Enfin, elles peuvent se rendre elles-mêmes sur la terre et voir,
de leurs yeux sensibles et par les sens intérieurs nos actions. Elles le font
sans voyeurisme mais dans la même attitude intérieure que Dieu quand il nous
voit, à cause de leur union totale à la sainteté de Dieu.
Objections :
1. Cela semble confirmé par le
témoignage de nombreux hommes dignes de foi qui prétendent avoir vu apparaître
des âmes défuntes du purgatoire ou même des saints du Ciel, comme Jeanne d’Arc
pour sainte Catherine ou encore des âmes de l’enfer, comme les enfants de
Fatima.
2. Dans le livre de Samuel, on
voit le roi Saül évoquer l’esprit du prophète Samuel par le ministère d’une
nécromancienne[751] : « Elle vit un spectre qui monte de la terre, il ressemblait à un
vieillard drapé dans un manteau. » Ceci
semble prouver que les esprits des morts peuvent apparaître, au moins en
s’appuyant sur la médiation d’un médium.
3. Il serait inutile de prier
les saints pour soi-même ou pour les autres s’ils ne pouvaient en aucune
manière agir efficacement en retour. Or celui qui peut agir peut aussi
apparaître, donc les âmes séparées peuvent apparaître aux hommes.
4. Selon le Seigneur[752] : « Nous serons comme des anges.
» Or les anges peuvent agir sur les hommes et leur apparaître en se
façonnant un corps apparent. Donc les âmes séparées peuvent apparaître aux
hommes.
5. L’expérience montre que, en
invoquant les esprits des morts par des méthodes spirites, on obtient des
réponses par l’intermédiaire d’un langage codé ou encore d’apparitions
fantomatiques.
Cependant :
Le riche, plongé dans l’Hadès, supplie Abraham d’envoyer quelqu’un
auprès de ses cinq frères vivants sur terre. Il n’aurait pas parlé ainsi s’il
avait pu le faire lui-même. Donc les âmes séparées ne peuvent pas apparaître
aux hommes.
Conclusion :
L’âme humaine séparée du corps physique ne peut apparaître aux
hommes, du moins si elle s’appuie sur les seules forces de sa nature. La raison
en est qu’elle est, parmi les natures spirituelles, la moins parfaite de
toutes. Plus une nature spirituelle est parfaite, plus la connaissance qu’elle
a des réalités est universelle et simple. Et c’est un principe dans toute la
création que la capacité d’action suit l’universalité de la connaissance. Ainsi
Dieu qui est l’essence de la perfection connaît toutes choses à travers un seul
concept qui est sa propre essence. La puissance de son action est proportionnée
à la perfection de son esprit : ainsi Dieu peut-il tout faire de ce qui est
faisable. Les anges qui sont intermédiaires entre Dieu et les hommes
connaissent par l’intermédiaire de diverses espèces intelligibles. Plus ils
sont proches de Dieu par leur essence, plus leur connaissance naturelle se
simplifie et s’approfondit. Par leur seule puissance intellectuelle, et sans
nécessité de facultés de connaissances sensibles, ils sont capables de
connaître tous les singuliers matériels. Aussi sont-ils par nature capables de
mouvoir tous les corps matériels, par la seule puissance de leur esprit. Ils
peuvent apparaître aux hommes en se façonnant des corps provisoires, comme on
le voit dans le livre de Tobie à propos de l’ange Raphaël [753] : « Vous avez cru me voir manger ; ce n’était qu’une apparence. » De même, les anges peuvent influencer
les hommes soit en agissant sur l’organe de leur imagination, soit en mouvant
de l’extérieur leur faculté motrice ce qui peut être vu dans les cas de
possessions démoniaques.
L’homme enfin, qui est le plus faible des esprits ne connaît les
réalités que progressivement, à travers ses sensations dont il abstrait
l’intelligible. Sa connaissance part donc du singulier. De même, il est ordonné
par nature à ne mouvoir qu’un seul corps qui est le sien. Il lui est impossible
d’imprimer un mouvement à autre chose par la seule action de sa volonté. Tout
mouvement local imprimé à un autre corps passe par l’intermédiaire de son
propre corps. Cet instrument peut être la main ou, plus rarement, un magnétisme
émis par le psychisme comme on le voit chez ceux qui déplacent de minuscules
objets à distance. Il s’agit d’une faculté très faible et exceptionnelle qui
joue surtout dans le domaine des particules.
Après la mort, tout lien étant coupé avec son corps physique,
l’âme devient par les seules forces de sa nature incapable de provoquer une
action sur les corps physiques, sauf pour l’exception suivante : étant encore
unie à son corps psychique, elle garde semble-t-il tout de même un certain
pouvoir de réaliser par elle-même quelques signes faibles et fragiles de sa
présence. Elle ne peut donc se faire entendre ou apparaître par elle-même que
de manière débile et inefficace (apparitions fantomatiques, impressions de
froid). De même, étant incapable de savoir ce que font les hommes, comme on l’a
montré précédemment, elle se trouve plongée dans un autre monde, selon saint
Luc[754] : « Entre nous et vous, un grand abîme a été fixé, afin que ceux qui
voudraient passer d’ici chez vous ne le puissent, et qu’on ne traverse pas non
plus de là bas chez nous. »
Solutions :
1. Il peut arriver que des
défunts apparaissent aux hommes, mais ces apparitions ne sont pas dues aux
seules capacités de leur puissance naturelle. Elles sont provoquées par le
ministère des anges qui les ordonnent au bien de l’homme : ainsi, la misère des
âmes de l’enfer rappelle aux tièdes la gravité extrême du péché mortel ; la
détresse des âmes du purgatoire les invite à offrir leurs prières pour leur
salut définitif ; quant aux saints du paradis, ils peuvent apparaître à volonté
puisqu’ils sont surélevés par la puissance de Dieu qui les rend plus puissants
que les anges. Ils manifestent aux hommes la proximité de leur aide.
2. À propos de cette apparition
de Samuel, saint Augustin écrit[755] : « Il n’est pas déraisonnable de croire que, par une permission de
Dieu, et par un ordre secret qui échappait à la pythonisse et à Saül, l’âme
d’un juste, sans subir aucunement l’influence des artifices et de la puissance
magique, ait pu se montrer aux regards du roi, qu’il devait frapper du jugement
de Dieu. Ou bien, il faudrait penser que ce ne fut pas vraiment l’esprit de
Samuel, arraché à son repos, mais un fantôme et une illusion imaginative,
produite par les artifices diaboliques. La Sainte Écriture lui donnerait alors
le nom de Samuel en suivant le procédé commun, qui consiste à donner le nom des
choses aux images qu’elles représentent.
» La plupart du temps, lors des séances de spiritisme, ce ne sont pas les
morts qui apparaissent mais les démons qui trouvent par ce moyen un mode
efficace d’accès à l’intelligence de l’homme naïf. Lorsqu’il s’agit des morts
eux-mêmes, ce ne sont pas les âmes saintes du paradis qui réprouvent avec Dieu
ces pratiques, mais les esprits errants et peu évolués de morts qui s’appuient
sur le psychisme d’un médium ou du groupe. Dans ce cas, les messages sont à
leur image, très mondains.
3. Les âmes qui sont dans la
vision de Dieu sont en quelque sorte une seule chose avec Dieu puisque leur
volonté est parfaitement conforme à celle de Dieu. Elles ne veulent donc rien
d’autre que ce que Dieu veut. C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit d’apparaître aux
vivants, elles sont revêtues de la puissance divine qui les en rend capables.
Mais elles ne peuvent se rendre visibles sans cette aide de Dieu ou des anges,
à la différence du Christ et de la vierge Marie qui, étant unis à leur corps,
peuvent apparaître par eux-mêmes.
4. Dans l’au-delà, les âmes
seront comme les anges en ce sens que leur esprit s’exercera de manière
analogue en perfection et acuité à celle des anges mais non en ce qu’il aura la
même puissance que le leur. C’est pourquoi, le fait que les anges puissent
apparaître ne prouve pas que les hommes le puissent par eux-mêmes.
5. La pratique de l’évocation
des esprits est strictement interdite par le Seigneur[756] : « Celui qui s’adresse aux spectres et aux devins, se prostituant à
leur suite, je me tournerai vers cet homme là et je le retrancherai du milieu
de son peuple. » De même l’Église a
renouvelé sans cesse ces interdictions. La raison en est que celui qui s’adonne
à de telles pratiques en arrive immanquablement, à cause de la fascination que
provoque sur lui l’enseignement des esprits, à perdre la foi en Dieu pour se
tourner vers le culte des "dieux" de l’au-delà, ce que la Bible
appelle se prostituer. Et il est certain que les esprits qui se manifestent aux
spirites ne sont pas les bons anges puisque ces derniers suivent en tout les
volontés de Dieu exprimées par l’Écriture et l’Église et qui interdisent ces
pratiques. Ce ne peut être que très faiblement les esprits des morts puisqu’ils
sont pratiquement incapables par nature sans l’aide préalable de la puissance
des anges ou de Dieu de se manifester clairement aux vivants. La plupart du
temps, il s’agit donc de l’action des anges rebelles, c’est-à-dire des démons
qui n’hésitent pas à se déguiser en prenant l’apparence des esprits des morts
pour mieux nuire aux hommes. En effet, leur pouvoir sur nous est habituellement
limité à celui de la tentation qui consiste à incliner nos penchants sensibles
vers des actes mauvais. Dans le spiritisme, leur pouvoir atteint directement
l’intelligence de l’homme qu’ils peuvent enseigner à volonté.
Il nous faut maintenant regarder le jugement individuel.
A ce sujet, nous nous demanderons :
1° Y a-t-il un jugement
individuel qui suit immédiatement la mort ?
2° L’âme arrive-t-elle au
jugement dernier en état de mérite ou de démérite ?
3° Toutes les âmes
passent-elles en jugement ?
4° Est-ce l’âme qui se juge
elle-même ?
5° Est-ce Jésus sous la forme
de son humanité qui juge l’âme ?
6° Aussitôt arrivées dans l’autre
monde, les âmes reçoivent-elles leur récompense ou leur châtiment ?[758]
Objections :
1. Il ne semble pas que le
jugement individuel suive immédiatement la mort. Le terme de ce jugement est en
effet l’attribution d’une peine ou d’une récompense éternelle. Or saint
Augustin dit[759] : « Dans l’intervalle entre la mort et la résurrection générale, les
âmes habitent des demeures mystérieuses, suivant que chacune a mérité le repos
ou la peine. » Or ces demeures ne
sauraient signifier le Ciel ou l’enfer où les âmes seront avec leur corps après
la résurrection, car alors la distinction faite par le saint docteur entre le
temps qui précède la résurrection et celui qui la suit n’aurait plus de sens.
2. La gloire de l’âme est
supérieure à celle du corps. Or la gloire corporelle sera donnée à tous en même
temps, afin que la joie de chacun soit comme multipliée par la joie de tous,
comme le dit la glose. Donc, à plus forte raison, la gloire des âmes doit-elle
être différée jusqu’à la fin du monde où elle sera donnée à tous en même temps.
Ainsi, il semble que le jugement individuel n’aura lieu qu’à ce moment, en même
temps que le jugement général.
Cependant :
Saint Paul dit[760] : « Nous savons que si cette tente, notre demeure terrestre, vient à
être détruite, nous avons une maison qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure
éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, dans le Ciel. » Si cette demeure est éternelle, c’est
qu’elle ne doit jamais être changée. Donc les âmes sont jugées à l’instant qui
suit leur entrée dans l'autre monde[761]. Cette vérité est proclamée
avec évidence par les Écritures canoniques, les ouvrages des saints Pères et la
définition solennelle de Benoît XII. Sa négation doit donc être regardée comme
hérétique.
Conclusion :
De même que la gravité ou la légèreté porte les corps au lieu qui
est le terme de leur mouvement, de même le mérite ou le démérite conduit les
âmes à la récompense ou au châtiment qui sont le terme de leur activité. De
même donc que si rien n’y met obstacle, les corps obéissent à la gravitation et
atteignent le lieu qui leur convient, de même les âmes, après la rupture du
lien corporel qui les retenait ici-bas, reçoivent du juge souverain la sentence
de leur récompense ou de leur châtiment. Tel est le but du jugement individuel.
Il reste à comprendre de quelle manière on peut dire qu’il ne
reste plus d’obstacle à ce que l’âme reçoive la sentence de son destin éternel
juste après la mort. À l’heure de la mort, nous l’avons montré, l’homme a été
conduit par une série de révélations à poser un choix définitif qu’il ne pourra
ni ne voudra jamais changer. Il n’existe donc plus de motif de la part de Dieu
pour retarder l’obtention de ce choix. La vie terrestre ne permettait des
retours sur les choix qu’à raison de son rôle éducatif et provisoire. C’est
pourquoi, juste après la mort, l’âme est conduite en enfer et, dès qu’elle
s’est totalement purifiée des restes de son péché, au paradis. On doit donc
affirmer que le jugement individuel qui réalise l’attribution de ces peines ou
de ces récompenses suit immédiatement la mort.
Solutions :
1. Parmi les demeures
mystérieuses dont parle saint Augustin, il faut ranger le Ciel et l’enfer ou il
y a des âmes même avant la résurrection de la chair. Ce qui distingue le temps
qui précède celle-ci et le temps qui la suit, c’est l’absence où la présence du
corps physique, et aussi le fait que certaines demeures qui contiennent
aujourd’hui des âmes n’en contiendront plus après la résurrection, (le
purgatoire).
2. Le corps crée une espèce de
continuité entre tous les hommes. C’est par lui que se vérifie cette parole des
actes[762] : « D’un seul homme, Dieu a fait sortir tout le genre humain. » Au contraire « Dieu a créé chacune des âmes. » La glorification simultanée de toutes les âmes s’impose donc
moins que celle de tous les corps. De plus la gloire du corps est moins
essentielle que celle de l’âme. L’ajournement de celle-ci causerait donc aux saints
un préjudice d’autant plus grave, et que ne suffirait pas à compenser le
supplément de joie que chacun recevrait de la joie de tous. Donc il convient
que le jugement individuel de chaque âme ne soit pas différé après la mort.
Objections :
1. Il semble que certaines âmes
n’arrivent pas en état de mérite ou de démérite par rapport à la vie éternelle.
Car le mérite comme la justification impliquent le libre arbitre. Il semble
donc que les enfants morts prématurément ne méritent ni de déméritent puisque
leur esprit est incapable par nature de se porter vers un bien.
2. De même ceux qui n’ont
jamais entendu parler durant leur vie terrestre de la béatitude préparée par
Dieu, comme ceux qui ont vécu avant la venue du Christ ou ceux qui, après sa
venue, n’ont pas reçu la prédication évangélique, ne peuvent être en état de
mérite ou de démérite par rapport à ce qu’ils ne connaissent pas.
3. Une tradition attestée par
les Pères décrit un séjour des morts appelé « mort,
shéol. » Ces âmes errent entre deux
mondes, sans but. Elles ne sont donc ni en état de mérite, sinon elles seraient
dirigées vers le paradis, ni de démérite sinon elles se détermineraient vers
l’enfer. Donc…
Cependant :
Après sa mort, l’âme reçoit la sentence du juge qui la fixe dans
son avenir éternel. Or le jugement divin ne peut qu’être juste et attribuer à
chacun la récompense de ses œuvres. L’âme est donc nécessairement en état de
mérite ou de démérite par rapport à cette rémunération.
Conclusion :
Nous avons montré précédemment que tout homme recevait de la part
de Dieu durant sa vie terrestre la possibilité de vivre de la grâce et d’être
justifié. Si cette révélation n’est pas donnée durant la vie, elle est alors
reçue au moment de la mort. Elle se fait d’une façon suffisamment claire pour
chaque homme de manière que le libre arbitre s’ouvre à la gloire ou au
contraire la rejette d’une manière pleinement responsable[763]. L’âme est donc introduite
dans la mort de telle manière qu’elle est pleinement en état de mérite ou au
contraire de démérite par rapport à la vie éternelle. Or le mérite vient du
fait qu’on a établi son intention dans la recherche exclusive de Dieu et de sa
volonté comme fin dernière de sa vie, ce qui se réalise par la charité. Le
démérite au contraire est la conséquence d’une intention qui s’établit dans la
recherche de soi-même comme fin dernière de toutes ses activités. La première
de ces intentions étant fondée sur la grâce mérite de la part de Dieu qui en
est la cause première, l’introduction dans la gloire. La seconde mérite au
contraire la séparation définitive avec Dieu que l’homme rejette.
Solutions :
1. Le cas des enfants morts
prématurément est à considérer à part à cause de l’absence chez eux d’un libre
arbitre personnel. Comme tout être spirituel, ils sont appelés par Dieu à la
Vision béatifique mais ils ne peuvent y être introduits que de la manière qui
convient aux êtres spirituels : dans sa liberté souveraine, Dieu ne veut s’unir
à sa créature que si elle-même le désire dans un acte de charité. Pour ce
faire, deux conditions sont requises :
1° Il faut que l’enfant puisse
poser un acte libre. Dieu doit donc remédier à son incapacité naturelle. Nous
verrons qu’il le fait par une éducation qui vient réaliser dans leur esprit ce
qu’aurait dû accomplir l’apprentissage de la terre. Il le fait aussi par la
puissance sensible de l’apparition des saints et des anges dont l’image est
capable, de manière adaptée à la faiblesse de l’esprit enfantin, de faire
naître une vraie vie de connaissance et de volonté active.
2° Il faut en outre que
l’enfant puisse se tourner vers Dieu et le désirer. Cet acte de charité n’est
possible que par l’infusion de la grâce surnaturelle ce qui présuppose le
pardon du péché originel et la proposition explicite de la grâce. Parmi les
enfants, certains ont été baptisés soit par le baptême d’eau reçu de l’Église,
soit par le baptême que leurs parents ou leurs proches ont désiré pour eux sans
pouvoir leur administrer. D’autres, ayant été abandonnés ou oubliés par leurs
parents avant leur naissance, sont adoptés et baptisés à la demande des
habitants du paradis par le nouvel Adam et la nouvelle Ève, à savoir Jésus et
Marie. Grâce à ces diverses formes de baptême, tous les enfants ont en eux la
grâce sanctifiante. De ceci ressort que les enfants, après s’être tournés vers
Dieu dans l’innocence de leur âme, arrivent au jugement en état de mérite par
rapport à la vie éternelle.
2. Même avant la venue du
Christ, les âmes recevaient la prédication du salut qui allait être bientôt
réalisé par la naissance, la mort et la résurrection du Christ. Le contenu de
cette révélation n’était pas alors aussi riche et précis que celui reçu de nos
jours par les hommes à l’heure de leur mort mais il suffisait pour établir leur
âme dans l’espérance future du salut. Depuis toujours, pour pouvoir effectuer
son choix de manière lucide, l’homme devait simplement croire que Dieu est
lumière et amour et qu’il propose la Vision béatifique à celui qui l’aime. Il
devait aussi espérer la venue prochaine d’un Messie de cet Évangile.
Et cette espérance ou ce refus d’espérer leur valait déjà de
mériter ou de démériter par rapport à la vie éternelle que Jésus vint leur
révéler en plénitude après sa passion[764] : « Il s’en alla même prêcher aux esprits en prison. » En attendant cette révélation, les
âmes séjournèrent dans les limbes des patriarches, autrement dit l'un des "enfers" selon cette parole
de Jacob[765] : « S’il arrivait malheur à Benjamin, vous feriez descendre mes
cheveux blancs avec douleur dans les enfers.
» Si avant la venue du Christ, les âmes des justes ne furent pas
immédiatement introduites dans le repos éternel et parfait de la vision de
l’essence divine, c’est parce que l’obstacle du péché qui mérite en stricte
justice la séparation d’avec Dieu n’avait pas encore été enlevé par le Christ,
selon cette parole « il a pris
sur lui notre péché, le châtiment qui nous rend la paix est sur lui et dans ses
blessures nous trouvons la guérison »[766].
Quant aux enfers, il ne faut pas les confondre avec l’enfer tel
que nous en parlons aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de l’état des
réprouvés, mais du séjour des morts, qu’ils soient justes, en voie de
purification ou déjà saints. Toutes ces âmes avaient en commun d’être séparées
de la Vision béatifique de Dieu et en ce sens, il s’agit bien d’enfers,
c’est-à-dire de lieux inférieurs. 1°
Mais les unes étaient séparées de Dieu à cause d’un obstacle provisoire que le
Christ devait enlever. Leur séjour était l’enfer des justes, (appelé par
l’Écriture le sein d’Abraham car Abraham est le signe de ceux qui croient, le
grand exemple de la foi présenté par la Bible, puisqu’il se sépara de la
multitude incroyante et reçut le signe de l’Alliance avec Dieu). Il s’agissait
d’un état d’où la souffrance était exclue puisqu’il n’y avait pas de faute à
expier. Mais le repos dont jouissait l’âme des justes était imparfait car le
désir subsistait, la fin dernière restant encore à atteindre. 2° En outre, certaines âmes étaient
déjà, avant la venue du Christ, séparées de Dieu à cause de leur volonté
obstinée dans le mal. Ce sont les âmes de l’enfer des damnés qui se distingue
de l’enfer des justes car il est l’état définitif de ces âmes obstinément fixées
dans le blasphème contre le Saint Esprit de Dieu. 3° En troisième lieu, l’Écriture Sainte oblige à supposer
l’existence, dès avant la rédemption opérée par le Christ, d’un
"enfer" correspondant au purgatoire dont parle actuellement l’Église
et où les âmes saintes, ayant cependant quelque reste du péché, séjournaient
dans une attente douloureuse. C’est ce qu’enseigne avec netteté le livre des
Maccabées[767] : « Judas fit faire ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin
qu’ils fussent délivrés de leurs péchés.
» Il semble qu’il s’agit de la demeure où fut conduit l’homme riche dont
parle Jésus dans l’Évangile de saint Luc[768] : « Dans l’Hadès, en proie à des tortures, le riche lève les yeux et voit
de loin Lazare en son sein. Alors il s’écrit : père Abraham, aie pitié de moi
et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la
langue, car je suis tourmenté par cette flamme. » En tout état de cause, de ces trois enfers, seuls subsistent
aujourd’hui les deux derniers car les âmes des justes qui séjournaient dans le
sein d’Abraham furent toutes introduites dans la gloire du Ciel au soir du
vendredi saint, au moment où, symbolisant cet évènement, le rideau du temple se
déchirait.
Quant au jugement individuel qui aboutissait dès avant
l’incarnation du Verbe à la distinction des âmes, on peut supposer qu’il était
réalisé par l’apparition au moment de la mort d’un envoyé glorieux mandaté par
Dieu, capable de manifester avec puissance et clarté la certitude du Salut à
venir : sans doute s’agissait-il d’un archange se montrant sous une forme
adaptée pour le mourant.
3. Le shéol est un état
provisoire réservé à des personnes très rustres. Dieu permet que ces âmes
restent entre deux mondes parce qu’il espère, en retardant l’apparition du
Christ et le jugement dernier, affiner leur perception du bien et du mal. Il
n’y a ni mérite ni démérite définitif car, laissées dans l’ignorance des
révélations de la gloire qui accompagnent la parousie du Christ, elles sont
maintenues dans l’incapacité de choisir leur destin éternel. Comme les autres
âmes, après ce temps de prolongement de la vie terrestre, ces âmes seront
visitées et arriveront au jugement en état de mérite ou de démérite.
Objections :
1. Il semble que les saints ne
passent pas en jugement lors de leur mort. En effet, Jésus dit[770] : « En vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui
qui m’a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement mais il est passé
de la mort à la vie. »
2. Il semble que l’on doive
parler de la même manière pour ceux qui sont en état de péché mortel puisque
Jésus annonce à leur égard[771] : « Qui ne croit pas est déjà jugé car il n’a pas cru au nom du Fils
unique de Dieu. »
3. Les enfants morts après
avoir reçu le baptême n’ont pas besoin d’être jugés puisqu’ils n’ont commis
aucun péché personnel et qu’ils sont sauvés par la foi de leurs parents et de
l’Église qui les présente à Dieu.
4. La vierge Marie au moins, à
cause de son incomparable pureté, semble avoir échappé au jugement individuel
et être montée directement au Ciel.
Cependant :
D’après Benoît XII[772] : les âmes reçoivent après
leur mort leur récompense ou leur châtiment. Or c’est là justement ce qui
spécifie le jugement des individus. Donc tous les hommes passeront en jugement.
Conclusion :
Dans le domaine du bien et du mal, on peut employer le terme juger
selon plusieurs sens :
1° En un premier sens qui est
fondamental, juger signifie simplement énoncer le droit. Et cette détermination
exacte des choses justes se fait par rapport à une règle qui peut être écrite
(ainsi dit-on que la loi juge de ce qui est bon ou mauvais dans la cité) ou
vivante (et c’est le rôle du juge). Pris en ce sens, on doit affirmer que le
jugement individuel concerne tout homme, aussi bien les bons que les mauvais
car il est nécessaire que chacun puisse discerner ce qui est bon ou mauvais en
lui. Un tel jugement est inauguré dans le temps qui précède la séparation
totale de l’âme et du corps physique par l’apparition du Christ glorieux qui
est, à lui seul, la loi vivante de Dieu pour les hommes. La vision de son
humanité sainte, accompagnée des diverses révélations qui lui sont conjointes
manifeste d’une manière suffisante à l’âme l’état de ses mérites ou démérites
devant Dieu, au point qu’elle sera rendue capable de discerner en elle chaque
péché et chaque bonne action. C’est ce que signifie saint Bonaventure quand il
dit qu’on ouvrira le livre des consciences de chacun[773].
2° En un second sens, juger
peut signifier la condamnation d’un pécheur à cause de sa faute. Ainsi voit-on
les juges se prononcer sur la culpabilité de celui qui a commis un crime en le
déclarant coupable. De même, dans les évangiles, Jésus interdit aux hommes de
juger afin de ne pas être jugés eux-mêmes[774]. Il signifie par là qu’il
n’appartient qu’à Dieu de condamner un pécheur pour son péché car nul autre que
lui n’est réellement capable de discerner les intentions profondes de chacun : « Il sonde les reins et les cœurs. »[775] Pris en ce second sens,
seuls les méchants seront jugés, obtenant par là une juste réponse à leur
obstination perverse dans le péché. Quant aux saints, ceux qui auront été
trouvés avec la charité, ils échapperont à ce jugement. Ils s’entendront
signifier une bénédiction.
3° Enfin, juger peut signifier
l’énonciation d’une sentence. Ainsi celui qui a commis un crime reçoit-il une
juste peine de la part du juge. Pris en ce sens, on doit affirmer que tous les
hommes, les bons comme les mauvais passeront après leur mort en jugement car
les justes s’entendront déclarer par le Christ dignes de la vie éternelle
tandis que les pécheurs seront déclarés condamnés à l’enfer éternel, selon le
démérite de leur péché. C’est ce que signifie saint Bonaventure lorsqu’il
affirme qu’on ouvrira le livre de Vie qui manifestera la justice de Dieu[776] : « Entrez dans la joie de mon Père. »
Solutions :
1. Cette parole de Jésus
signifie que celui qui aime Dieu n’a pas à craindre un jugement de
condamnation, selon la deuxième acception du mot jugement. Par contre, Dieu
établira en lui un discernement de tous les restes du péché, selon cette parole
de l’épître aux Hébreux[777] : « Le Verbe de Dieu, comme un glaive à deux tranchants, pénètre
jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des
moelles, il peut juger des sentiments et des pensées du cœur. » Il s’agit de la première acception du
mot jugement. De même, selon la troisième acception, le juste s’entendra
déclarer digne du salut dès son jugement individuel : même s’il lui reste
quelque péché à effacer au purgatoire, la certitude d’être sauvé ne le quittera
jamais.
2. Le jugement de condamnation
qui est réservé aux méchants s’achève donc dans l’énonciation d’une sentence de
damnation dont l’origine vient du péché que le réprouvé s’obstine à garder.
L’origine étant le péché on peut dire avec l’Écriture que le réprouvé est jugé
par sa propre perversité plutôt que par le juste juge qui ne fait que ratifier[778].
3. Comme tout être spirituel,
l’enfant n’entre pas au Ciel sans un acte libre de sa volonté. Il reçoit donc
de la part de Dieu certains dons qui viennent remplacer ce qu’aurait du
normalement accomplir l’éducation et l’enseignement d’une vie terrestre. Ainsi,
son intelligence est rendue suffisamment forte pour pouvoir engager sa volonté
dans un choix concernant le bien et le mal. Simultanément, l’enfant reçoit du
Verbe fait chair la révélation explicite du contenu de la foi et de
l’espérance. L’enfant étant innocent, il ne subit aucun jugement de
discernement vis-à-vis du péché de sa vie passée. Il est simplement introduit
au Ciel, dès son premier acte volontaire de charité, par la sentence du juge
qui bénit la simplicité de son âme.
4. La vierge Marie n’a pas eu
besoin de se voir énoncer à nouveau les volontés divines lors de son passage
dans l’autre monde puisqu’elle en avait perçu pleinement les profondeurs des sa
vie terrestre ; de même, il n’y a en elle aucun discernement du péché
puisqu’elle était immaculée. Elle n’a donc connu le jugement individuel que
selon sa première et troisième acception ce qui signifie que le Christ redit
devant elle et le Ciel entier ce que l’ange Gabriel avait fait des années plus
tôt. Il l’a déclarée « pleine de
grâce. » Puis il a énoncé devant elle
la sentence de sa gloire incomparable. C’est ce que l’Église célèbre par la
fête de son couronnement. En effet, dans le même moment, la Vierge Immaculée a
été élevée par son Fils à la gloire de la Vision béatifique, et proclamée Reine
du Ciel et de la terre.
Objections :
1. Cela semble contradictoire avec
ce que nous venons de montrer, au moins en ce qui concerne les damnés. Jésus ne
peut à la fois être juge et se départir du jugement.
2. Le Christ ne semble pas
devoir nous juger sous la forme de son humanité parce que le jugement requiert
chez le juge l’autorité. Celle-ci est dans le Christ, à l’égard des vivants et
des morts, en tant qu’il est Dieu : comme tel, il est le Maître et le Créateur
de toutes choses. C’est donc sous cette forme divine qu’il jugera.
3. Le juge a besoin d’un pouvoir invincible. L’Ecclésiastique[779] : « Ne cherche pas à devenir juge, à moins que tu aies le pouvoir de
vaincre les iniquités. » Or c’est en
tant que Dieu que le Christ possède cette force invincible. Il jugera donc sous
la forme de sa divinité.
4. Matthieu 12, 41 : « Les hommes de Ninive se dresseront
lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se
repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas! La reine
du Midi se lèvera lors du Jugement avec cette génération et elle la condamnera,
car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et
il y a ici plus que Salomon! »
Matthieu 19, 28 : « Jésus
leur dit : En vérité je vous le dis, à vous qui m'avez suivi : dans la
régénération, quand le Fils de l'homme siégera sur son trône de gloire, vous
siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël. » Ce n’est donc pas le Christ seul qui
juge mais aussi les saints.
Cependant :
Dans l’Évangile de saint Jean, Jésus disait[780] : « le Père ne juge personne, il a donné au Fils le jugement tout
entier. » C’est donc à Jésus qu’il
appartient de juger aussi bien dans le jugement particulier de l’âme que dans
le jugement général de l’humanité qui suivra la résurrection. De même il est
écrit[781] : « Il lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est Fils de
l’homme. » C’est donc sous la forme
de son humanité que Jésus jugera.
Conclusion :
Il est nécessaire d’admettre l’existence d’un juge qui soit autre
que l’âme elle-même lors du jugement personnel comme lors du jugement général.
La raison en est qu’il faut, pour juger de la rectitude d’un acte, une mesure
déterminée du bien et du mal. Or cette mesure est la volonté de Dieu elle-même
et elle est exprimée à l’homme dans les commandements. La plus parfaite des
révélations est faite par la parole de Dieu faite homme, c’est-à-dire le Verbe
Incarné. C’est donc lui qui est la loi divine et la règle du jugement, de la
même façon que les juges de la terre représentent dans le tribunal la loi
humaine rendue vivante. Mais il convient que le Christ en tant qu’homme soit le
juge de l’homme parce qu’il a reçu l’autorité sur les hommes (nul ne peut juger
s’il n’a juridiction) pour deux raisons : 1° Il est notre maître non seulement en tant qu’il est notre Dieu
et notre Créateur mais aussi en tant qu’il est homme et que, par sa passion, il
nous a ouvert les portes du salut ; c’est ce que signifient ces paroles des
Actes : « Lui-même a été institué par
Dieu juge des vivants et des morts. »
2° Il faut que le juge puisse être
vu par tous ceux qui sont jugés. Or si le Christ apparaissait sous la forme de
sa divinité, il ne pourrait être vu par l’intelligence des pécheurs qui n’est
pas surélevée par la grâce. Comme le dit saint Bonaventure[782] : « Sans la déiformité de l’esprit et la fruition du cœur, la vision
de face est impossible. » Le juge
devra donc apparaître sous le visage d’une créature et non du Créateur. Et
comme il devra manifester avec puissance l’Évangile de Dieu, on doit admettre
qu’il n’apparaîtra pas sous les formes cachées de son humanité douloureuse, tel
que le virent ses disciples en Judée mais sous la forme lumineuse de son corps
glorieux. Mais nous traiterons plus amplement de cette question dans le
chapitre consacré au jugement général[783].
Solutions :
1. Pour les méchants, le Christ
est juge pour trois raisons : d’abord il manifeste par la clarté de sa lumière
la gravité de leur péché de même que la loi humaine manifeste ce qui est
illégal. Ensuite il lui revient de prononcer la sentence de culpabilité. Enfin,
il lui revient d’en notifier la peine qui ratifie le choix que l’âme maintient
librement dans sa volonté perverse.
2. Le Christ en vertu de sa
nature divine possède le pouvoir de dominer toutes les créatures par droit de
création. En sa nature humaine il possède le pouvoir de domination qu’il a
mérité par sa passion. C’est comme une autorité secondaire et acquise tandis
que la première est naturelle et éternelle.
3. Le Christ en tant qu’homme
ne possède pas un pouvoir irrésistible qui résulterait de la puissance de
l’espèce humaine. Pourtant par suite d’un don de sa divinité, il possède ce
pouvoir invincible jusqu’en sa nature humaine en tant que toutes choses lui
sont soumises comme dit saint Paul aux Corinthiens et aux Hébreux. C’est
pourquoi il jugera dans sa nature humaine mais par sa puissance divine.[784]
4. Voir un seul élu dans le
rayonnement de sa gloire, c’est comprendre l’Évangile de Dieu. Le plus petit
dans le Royaume de Dieu est prophète, prêtre et roi parce que, s’étant abaissé,
il a été élevé par son Créateur. Ainsi, l’apparition à l’heure de la mort d’un
seul de ces saints serait suffisante pour réaliser tout ce que nous avons dit
de l’apparition du Christ. En voyant les mérites passés des habitants de
Ninive, nous verrons nos manques ; en voyant leurs péchés pardonnés, nous
comprendrons la miséricorde de Dieu. Et ainsi de suite pour le reste. Ainsi, le
pouvoir de juge du Messie, loin de diminuer celui des autres saints, le fonde.
C’est pourquoi le Christ ne vient pas seul mais accompagné des saints et des
anges.
Objections :
1. Il ne convient pas que l’Eglise du Ciel juge selon cette parole[785] : « Tout jugement
appartient au Christ ».
2. S. Paul ajoute aussitôt :
« Nous comparaîtrons tous au tribunal du Christ. » Si le Christ est
juge et juge tous les hommes, alors nul autre que lui n’est juge.
Cependant : Jésus dit[786] : « Les hommes de Ninive se dresseront lors
du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se
repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas! La reine
du Midi se lèvera lors du Jugement avec cette génération et elle la condamnera,
car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et
il y a ici plus que Salomon! » Et
saint Paul confirme[787] :
« Ne savez-vous pas que c'est vous
qui jugerez les anges ! »
Conclusion : C’est à tous les points de vue que les saints et les
anges, c’est-à-dire l’Eglise du Ciel, jugeront.
Au jugement individuel
d’abord, ils jugeront du fait même de leur présence avec le Christ-juge car
leur apparition glorieuse manifestant les qualités de leur charité, ils
provoqueront par comparaison dans l’âme du pécheur une mesure. Cependant, ce
jugement des saints sera à l’image de celui du Christ, emprunt de vérité et
d’amour, c’est-à-dire miséricordieux. Il n’écrasera pas la mèche qui fume,
commente la Bible car ces hommes, excepté la vierge Marie, auront été eux-mêmes
pécheurs, auront eux-même souffert.
Au jugement général aussi,
les saints et les anges jugeront car tout sera montré à tous et tous verront
les mérites de chacun, admirant la gloire de Dieu qui se manifeste dans l’autre
et dans leur histoire. Ainsi, chacun sera la mesure de chacun et cette mesure
sera celle de la charité.
Solutions :
1. Il est vrai que le seul juge, source de tout le jugement, est le
Christ. en lui se trouve en effet la norme du bien et du vrai. Cependant, son
salut ne consiste pas à garder jalouseùment ce pouvoir mais à le déléguer à ses
amis. C’est en ce sens qu’on peut dire que les saints et les anges
jugeront : par délégation. C’est de la même manière que nous sommes et
serons « pères », bien que Jésus dise[788] : « N'appelez personne votre Père sur la
terre : car vous n'en avez qu'un, le Père céleste. »
2. Cela répond à l’objection 2.
Objections :
1. Cela n’est pas possible. On ne peut être à la fois juge et accusé,
comme on le voit dans les procès humains. Il faut donc qu’il y ait un juge
assigné par Dieu pour déterminer la culpabilité ou l’innocence du prévenu et
pour lui attribuer sa peine ou sa récompense.
2. Pour les bons, le jugement dernier aboutit à l’entrée dans la
gloire. Or nul ne peut se juger digne soi-même de recevoir une telle
récompense. Ce serait de la présomption. Il faut donc qu’il y ait un juge autre
que l’âme elle-même.
3. Comme nous venons de le montrer, il appartient au Christ de
manifester lors du jugement particulier la règle du droit, de déclarer coupable
le pécheur ou juste l’homme de bien ainsi que d’énoncer la peine ou la
récompense finale. Ce n’est donc pas l’âme qui se juge elle-même.
Cependant :
Jésus affirme en saint Jean[790] : « Si quelqu’un entend mes
paroles et ne les garde pas, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu pour
juger le monde, mais pour sauver le monde. Qui me rejette et n’accueille pas
mes paroles a son Juge : la parole que j’ai fait entendre, c’est elle qui le
jugera au dernier jour ». Or la parole que Jésus a fait entendre est
la cause du témoignage de la conscience donc l’âme n’est pas à elle-même son
propre juge.[791]
Conclusion :
Pour répondre à cette
question, il faut reprendre les distinctions établies à l’article précédent, comme
nous l’avons dit, sur le mot jugement :
En un premier sens, le plus
fondamental, il signifie le discernement du bien et du mal qui se trouvent dans
l’âme. Ce discernement est réalisé par l’apparition glorieuse du Christ et des
saints dont la présence à la fois lumineuse, forte et douce manifeste au pécheur l’état de son âme. En ce
premier sens, c’est Jésus dans l’unité de l’Église du Ciel qui est cause du
jugement puisque sa présence suffit pour en manifester la règle. Mais l’âme est
rendue capable, grâce à son apparition, de se juger elle-même, en toute vérité.
En se voyant en quelque sorte, à travers les yeux du Christ, l’âme est à ce
point rendue participante à son propre jugement qu’elle ne peut, quelle qu’en
soit la sentence, qu’en constater de l’intérieur la justice. En ce sens là, on
peut dire que l’âme ne se juge pas elle-même, mais plutôt qu’elle reçoit du
Christ-juge la capacité de se juger.
En un second sens, qui
découle du premier, on appelle jugement la sentence qui relaxe ou condamne le
prévenu. Et cette sentence peut être regardée de deux manières : 1° de par sa cause qui est le mérite ou
démérite de l’âme ; 2° en elle-même.
1° La cause de la sentence est
importante à considérer car c’est elle qui motive le salut de l’élu ou au
contraire la réprobation du damné. Cette cause doit être juste : il faut que
celui qui est damné le soit à cause d’une disposition de sa volonté qui le
sépare de Dieu, à savoir un péché mortel à la vie de la grâce. De même celui
qui est conduit au salut, doit avoir auparavant sa volonté disposée
favorablement par la grâce qui lui mérite l’entrée dans la gloire. Or ce n’est
pas de la même façon qu’un homme est pécheur et qu’il est juste. Celui qui est
pécheur l’est à cause de sa propre volonté qui lui fait se porter librement
vers un bien créé comme sur sa fin dernière. C’est donc par un libre choix
qu’en se portant vers la créature, il se sépare du Créateur. Et cette liberté
est totale au moment de la mort comme on l’a vu, puisque toute âme reçoit
suffisamment pour ne plus être trompée dans son choix par l’ignorance et
entraînée par la faiblesse de ses passions. En conséquence, on doit dire que,
pris du côté de la cause de son jugement, c’est le méchant lui-même qui est
source de sa réprobation, non en ce sens qu’il refuserait explicitement la
Vision béatifique, mais parce qu’il est prêt à perdre ce bien plutôt que de
renoncer à son péché. C’est ce que veut signifier l’Écriture quand elle dit : « C’est toi seul qui est cause de ta
perte, Israël. » Au contraire, pour
celui qui est juste, la cause première de sa justice ne vient pas de lui-même
car nul ne peut croire, désirer et aimer Dieu s’il n’a pas reçu auparavant de
lui la grâce qui l’en rend capable. Chez le juste, le libre arbitre n’est pas
cause première de la justification mais ne fait que donner son assentiment à
cette justification que Dieu réalise. Le juste mérite donc une récompense
éternelle à cause de Dieu. 2° La
sentence prise en elle-même, aboutissant à la condamnation du pécheur
impénitent ou au contraire à la bénédiction du juste ne peut en aucun cas venir
de l’âme elle-même, ni du côté du méchant ni du côté du juste. Car le méchant
est trop pervers en blasphémant contre le Saint Esprit de Dieu pour se
reconnaître coupable. Il proteste au contraire du bon droit de sa révolte et
s’oppose de toutes ses forces à la justice de Dieu qui condamne son orgueil.
Quant au juste, la conscience de l’imperfection de son cœur, confronté à la
bonté simple du cœur de Jésus, l’empêche de se déclarer lui-même digne du salut.
Il reçoit la sentence de sa justice dans l’obéissance : « Venez les bénis de mon père.
»
En un troisième sens, nous
avons montré que le jugement signifie l’énonciation de la peine ou de la
récompense qui découle de la condamnation ou de la justification. Là encore, on
doit affirmer que l’âme n’est pas pour elle-même son propre juge. Le réprouvé,
en effet, ne veut pas de la séparation d’avec Dieu pour elle-même. S’il pouvait
voir l’essence de Dieu qui est l’essence même du bonheur, sans pour autant
renoncer à son péché, il choisirait cette voie. Mais comme il rejette
obstinément les conditions requises pour entrer dans le cœur de Dieu à savoir
l’humilité (kénose) et la charité, il est nécessaire que lui soit notifiée par
le juste juge cette sentence, selon cette parole de l’Écriture : « Allez-vous en loin de moi,
maudits! » Quant à l’élu, à cause
même de sa grande humilité (kénose), il ne s’estime quant à lui jamais digne
d’entrer dans cette gloire que sa charité lui fait désirer. C’est donc Jésus
qui l’y introduit, au moment choisi par lui seul.
Solutions :
1. Le méchant est à lui-même son propre juge en ce sens que son
intention perverse manifeste sa culpabilité et mérite sa sentence d’une manière
suffisante. Le juge ne fait, en quelque sorte, que ratifier ce qui est déjà
réalisé dans l’âme de celui qui rejette Dieu. Le méchant est donc à lui seul
cause de sa réprobation. En ce sens, on peut dire qu’il est lui-même son propre
juge[792].
2. La grâce que les justes reçoivent de la part de Dieu leur mérite
en stricte justice l’entrée dans la gloire. Mais la cause première de ce mérite
n’est pas l’homme lui-même qui ne peut en effet réaliser par ses propres forces
une telle élévation surnaturelle. Elle est causée par Dieu lui-même qui achève
par la glorification ce qu’il avait commencé en justifiant l’âme de bonne
volonté. C’est donc Dieu qui juge l’âme des justes et les déclare dignes
d’entrer dans la gloire éternelle.
3. Selon toutes les acceptions du mot jugement, l’âme ne se juge
jamais elle-même mais elle reçoit du Verbe Incarné la règle de son jugement, la
sentence de sa condamnation ou de sa justification et la peine ou la récompense
qui en découle. Cependant, elle ne vit pas de l’extérieur son jugement
personnel car, selon la première signification du mot jugement, l’âme se voit
elle-même jusque dans ses retranchements les plus intimes ; de même, selon le
deuxième sens, elle sait que la cause de sa damnation vient d’elle seule, à
raison de son péché irrémissible. Elle est obligée, devant l’évidence de ce
fait, de reconnaître la justice de cette sentence qu’elle rejette malgré tout
de toute la force de son orgueil[793].
Objections :
1. Il ne convient pas que l’âme
reçoive aussitôt après la mort sa récompense ou son châtiment. En effet, c’est
l’homme tout entier qui a commis le péché ou mérite la gloire. De même, il convient
que l’homme tout entier soit puni ou récompensé. Donc il convient d’attendre la
résurrection finale des corps.
2. Certains obstacles peuvent
parfois s’opposer à la réception immédiate de la gloire comme par exemple
quelques restes d’attachement au péché. C’est pourquoi l’Église enseigne
l’existence d’un purgatoire après la mort. Donc certaines âmes ne reçoivent pas
aussitôt séparées du corps leur récompense.[795]
3. Avant la venue du Christ, les
saints n’étaient pas aussitôt introduits dans la vision de Dieu mais
attendaient dans un lieu de paix que l’Écriture appelle le sein d’Abraham. De
même, avant la résurrection finale des corps, le paradis promis aux saints
n’est pas la vision de Dieu mais seulement un lieu provisoire d’attente.[796]
4. Après le jugement dernier,
les saints reçoivent de la part de Jésus la sentence de leur salut. Ils sont
donc certains de recevoir à la fin du monde la récompense de la gloire. Et
cette espérance assurée constitue déjà un paradis. Il n’est pas besoin
d’affirmer qu’ils sont introduits immédiatement dans la vision de Dieu.[797]
5. Le châtiment et la
récompense qui dépendent du jugement ne doivent pas le précéder. Or le feu de
l’enfer ou le bonheur du paradis seront décernés à tous les hommes par la
sentence du souverain juge, au dernier jugement qui suivra la fin du monde.
Donc jusque là, les âmes doivent attendre dans les limbes et personne ne va au
Ciel ou en enfer.[798]
Cependant :
Qu’aussitôt après la mort les âmes reçoivent leur châtiment ou
leur récompense, s’il n’y a pas d’obstacle, les textes de l’Écriture
l’affirment. Il est dit des méchants au Livre de Job[799] : « Ils passent leurs jours dans le bonheur et en un instant ils
descendent aux enfers » ; et en saint
Luc[800] : « Le riche mourut et fut enseveli dans l’enfer », l’enfer étant le lieu où les âmes sont punies. Il en va
évidemment de même pour les bons. Le Seigneur, suspendu à la croix, dit au
larron[801] : « Dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis », étant entendu que le Paradis est la
récompense qui est promise aux bons, selon le mot de l’Apocalypse[802] : « Au vainqueur je ferai manger de l’arbre de vie placé dans le
paradis de mon Dieu. »[803]
Conclusion :
Les âmes humaines reçoivent aussitôt après la mort, selon leurs
mérites, leur châtiment ou leur récompense. C’est la finalité du jugement
individuel dont la sentence est aussitôt exécutée.
Pour le comprendre, on peut montrer comment tous les obstacles ont
disparu. Le premier d’entre eux est le péché originel. Le choix d’Adam et Ève
consista à rejeter Dieu au nom de toute l’humanité. Il provoqua un retard
vis-à-vis de l’entrée dans la gloire. Il fut effacé par l’acceptation inverse
du Christ et de la nouvelle Ève, Marie.
La seconde condition est celle de l’éducation du cœur de l’homme à
l’amour, à l’humilité et à la pureté. Pour cela, Dieu le mène à travers un
chemin de vie. Sa première étape est celle de la terre et du passage à travers
l’état d’un corps mortel. Tant que le corps mortel subsiste dans son état végétatif,
il est impossible à l’homme de voir Dieu. La complexion de cet état est trop
fragile pour supporter une telle puissance. Cette vie-ci est le temps du mérite
ou du démérite, d’où la comparaison avec le service militaire et les jours du
mercenaire, telle qu’elle est établie au Livre de Job[804] : « La vie de l’homme sur terre est un temps de service, ses jours
sont comme ceux d’un mercenaire. »
Après la mort, que les âmes puissent entrer dans la gloire, c’est évident,
après ce que nous avons dit : dès que l’âme est séparée du corps physique, elle
devient capable de voir Dieu.
La seconde étape de cette purification consiste dans la
manifestation de l’Évangile et de la possibilité de son refus. C’est réalisé
par la parousie du Christ et l’apparition du démon à l’heure de la mort. La
clarté de cette manifestation suffit à conduire l’âme à poser le choix de son
éternité. Ce choix ne variera jamais, comme nous l’avons dit. Dans cette
mesure, on ne voit pas pourquoi châtiment et récompense seraient différés, du moment
que l’âme est capable de l’un et de l’autre. Sitôt donc que l’âme est séparée
du corps, elle reçoit sa récompense ou son châtiment pour tout ce qu’elle a
fait pendant qu’elle était dans son corps.
En ce qui concerne l’entrée dans la vision de Dieu, il reste
malgré tout un troisième obstacle. Si l’apparition provoque un amour tel qu’il
est impossible de l’aimer davantage après la mort, elle ne provoque pas
nécessairement une purification totale de l’orgueil. S’il reste donc une
purification du cœur à effectuer, l’âme subit un certain retard avant l’entrée
dans la gloire. Alors, après le temps de service, après le travail du
mercenaire, vient la récompense ou le châtiment, dus à ceux qui ont bien ou mal
œuvré. Aussi est-il dit au Lévitique[805] : « Le salaire du mercenaire ne restera pas avec toi jusqu’au
lendemain. » Et encore, en Joël[806] : « Bien vite, je ferai retomber votre provocation sur vos têtes. »
Solutions :
1. Il est normal que l’ordre du
châtiment et de la récompense réponde à l’ordre de la faute et du mérite. Or
mérite et faute n’intéressent le corps que par l’intermédiaire de l’âme : rien
ne rentre dans l’ordre du mérite ou du démérite qui ne soit volontaire. On
convient donc que la récompense comme le châtiment atteignent le corps par le
biais de l’âme, non point l’âme par le biais du corps. Il n’y a donc aucune
raison d’attendre la résurrection des corps pour qu’ait lieu la récompense ou
la punition des âmes ; bien plutôt convient-il que les âmes en qui tout d’abord
se trouvent réalisées faute et mérite, soient tout d’abord aussi punies ou
récompensées.
2. Récompense et
châtiment sont dus aux créatures raisonnables en vertu de la même providence de
Dieu qui accorde aux réalités naturelles leurs perfections propres. Or il en va
ainsi des réalités naturelles que chacune d’elles reçoit à l’instant la
perfection dont elle est capable, à moins qu’il n’y ait un obstacle soit de la
part du sujet récepteur, soit de la part de l’agent. Puisque les âmes
deviennent capables de la gloire et du châtiment aussitôt que séparées du
corps, elles les recevront immédiatement, sans que la récompense des bons et le
châtiment des méchants soient différés jusqu’au temps où les âmes retrouveront
leur corps.
Il faut cependant bien voir que de la part des bons il peut y
avoir un certain obstacle à ce que l’âme déliée du corps reçoive immédiatement
cette récompense dernière qu’est la vision de Dieu. À cette vision, qui dépasse
absolument les facultés naturelles, la créature raisonnable ne peut être élevée
qu’une fois totalement purifiée. Il est dit de la Sagesse que[807] « rien de souillé ne peut pénétrer en elle » ; et en Isaïe, « qu’aucun
impur ne passera par là. » L’âme est
donc immédiatement introduite dans la Vision de l’essence divine, à moins
qu’elle n’ait comme on l’a dit, à être purifiée dans le purgatoire.
3. Certains prétendent, sans
doute, qu’il ne faut pas voir dans le paradis l’ultime récompense des cieux
dont il est parlé en saint Matthieu[808] : « Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera
grande dans les cieux. » Il ne
s’agirait que d’une récompense terrestre, le paradis semblant être en effet ce
lieu terrestre dont il est dit dans la Genèse[809] : « Dieu planta un paradis de délices et il y mit l’homme qu’il avait
modelé. » Mais si l’on étudie
correctement les paroles de la sainte Écriture, on verra que la rétribution
finale promise aux saints dans les cieux est accordée aussitôt après cette vie.
Dans la IIe Epître aux Corinthiens[810], l’Apôtre a commencé par
parler de la gloire finale en disant que « la
légère tribulation d’un moment nous prépare, bien au delà de toute mesure, une
messe éternelle de gloire. » Aussi
bien ne regardons-nous pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les
choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles,
parole qui s’applique clairement à la gloire finale, celle des cieux. Puis,
pour en montrer le temps et le mode, l’apôtre ajoute[811] : « Nous savons en effet que si cette tente -notre demeure terrestre-
vient à être détruite, nous avons une maison qui est l’œuvre de Dieu, une
demeure éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, et qui est dans les
cieux. » Par là Paul donne clairement
à entendre qu’une fois accomplie la séparation d’avec le corps, l’âme entre
dans l’éternelle demeure du Ciel, qui n’est rien d’autre que la jouissance de
Dieu, à l’image de celle des anges dans les cieux.
4. L’Apôtre, objectera-t-on
peut-être, n’a pas dit qu’aussitôt après la dissolution du corps nous prendrions
en fait possession de cette demeure éternelle des cieux. Il ne s’agit que
d’espérance, l’entrée en possession réelle étant réservée à l’avenir. Une telle
objection est évidemment à l’opposé de l’intention de l’Apôtre, c’est dès cette
vie en effet que nous est promise, selon la prédestination divine, cette
demeure du Ciel ; et déjà nous l’avons en espérance, selon cette parole de
l’Epître aux Romains[812] : « C’est en espérance que nous avons été sauvés. » C’est donc inutilement qu’il aurait ajouté : « si cette tente -notre demeure
terrestre- vient à être détruite… »
Il lui aurait suffi de dire : « Nous
savons que nous avons une maison qui est l’œuvre de Dieu, etc. » Ce qui suit le montre d’ailleurs plus
clairement encore[813] : « Sachant que demeurer dans ce corps, c’est vivre en exil loin du
Seigneur, car nous cheminons dans la foi et non dans la claire vision, nous
sommes donc pleins d’assurance et préférons quitter ce corps pour aller
demeurer auprès du Seigneur. » C’est
en vain que nous voudrions quitter ce corps, c’est-à-dire en être séparés, si
ce n’était pour nous trouver aussitôt dans la présence du Seigneur. Or nous ne
sommes en sa présence que dans la claire vision. Tant que nous marchons dans la
foi et non pas à vue nous vivons en exil loin du Seigneur. C’est donc aussitôt
après sa séparation d’avec le corps que l’âme sainte voit Dieu face à face, ce
qui est la béatitude suprême. C’est ce que prouvent aussi ces paroles de
l’Apôtre aux Philippiens : « J’ai le
désir de m’en aller et d’être avec le Christ. » Or le Christ est au Ciel. L’Apôtre espérait donc parvenir au
Ciel aussitôt que délié de son corps.
5. Saint Grégoire propose et
résout cette même objection : « Si
les âmes des saints sont dès aujourd’hui dans le Ciel, que recevront-il donc au
jour du jugement, comme prix de leur vertu ?
» et il répond : « Un merveilleux
accroissement : jusque là, leurs âmes seules goûtent le bonheur qui est leur
récompense, mais alors ils jouiront de la béatitude de leur corps, ils seront heureux
dans cette même chair dans laquelle ils ont enduré les douleurs et les
tourments pour le Seigneur. » La même
distinction s’applique aux damnés. Nous savons que le bonheur de l’âme sera non
seulement spirituel mais sensible puisque, grâce à son corps psychique, elle
verra de ses yeux et avec une grande sensibilité la beauté des élus. Après la
résurrection de la chair, ce bonheur s’étendra jusqu’au niveau du sens du
toucher de la matière palpable et du plaisir physique qui lui est conjoint.
Il nous faut maintenant voir les demeures des âmes après la mort
et avant la résurrection des corps. Au sujet de l’enfer, quatre questions sont
posées :
1° La cause de la réprobation
prise du côté de l’homme ; 2° Les
peines de l’enfer ; 3° La condition
des damnés quant à leur intelligence et à leur volonté ; 4° La miséricorde et la justice de Dieu par rapport aux damnés.
La réprobation est l’acte par lequel les méchants sont séparés
pour toujours de Dieu. Au sujet de sa cause, nous nous demanderons :
1° N’importe quel péché mortel
demeurant après la mort conduit-il à la réprobation ?
2° La racine de tout péché
conduisant à la damnation est-elle l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de
Dieu ?
3° Le refus obstiné de croire
à la vérité reconnue peut-il conduire à la damnation ?
4° La présomption peut-elle
conduire à la damnation ?
5° Le désespoir ?
6° L’envie des grâces
fraternelles ?
7° L’obstination ?
8° L’impénitence finale ?
Objections :
1. Cela n’est pas possible.
Beaucoup d’hommes commettent des actes contradictoires avec l’amour de Dieu à
cause de la faiblesse ou de l’ignorance de la nature humaine telle qu’elle est
sur la terre. Or de tels actes ne sont pas pleinement responsables. On ne voit
pas comment le Dieu miséricordieux pourrait les punir par la damnation
éternelle.
2. Il semble qu’il est
impossible que subsiste un seul péché mortel après la mort. L’action de Dieu
qui tend à détruire l’orgueil des méchants à travers les épreuves de la vie et
de la mort, l’apparition du Christ et des saints dans leur gloire suffisent à
changer le cœur de tous les hommes. Qui pourrait résister à la puissance de son
amour ?
Cependant [816] :
Le concile de Florence écrit[817] : « Pour les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel actuel,
elles descendent immédiatement en enfer où elles reçoivent des peines inégales. »
Conclusion :
N’importe quel péché mortel mérite de soi, en stricte justice, la
réprobation éternelle. La raison en est que l’homme, en péchant mortellement,
convertit son âme vers un bien créé de telle façon qu’il devient la fin
dernière de son activité volontaire. La grâce et l’amitié avec Dieu ne peuvent
subsister en même temps car nul ne peut avoir simultanément deux fins
dernières. Ainsi la conséquence immédiate du péché mortel, c’est la mort de la
vie de la grâce et la séparation avec Dieu qui mériterait, en stricte justice
de demeurer éternellement à cause de la dignité infinie de celui qui est
offensé. Cependant, Dieu accorde sa miséricorde parce qu’il est ainsi, à
condition toutefois que l’homme se repente de son péché.
Il faut maintenant considérer ceci : parmi les péchés mortels,
certains n’auraient jamais été commis si la personne avait eu pleinement
conscience de ce qu’elle fait selon la parole du Seigneur à la croix[818] : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » D’autres sont commis à cause d’un
entraînement préalable de la volonté par les passions du corps selon saint
Paul [819] : « Les passions pécheresses opèrent en nos membres des germes de
mort. » Aussi Dieu, dans sa
miséricorde, applique l’œuvre de rédemption opérée par son Fils jusqu’aux
dernières limites possibles. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu, il poursuit
l’âme jusqu’à l’heure de sa mort en lui proposant sa grâce. Ainsi, la
révélation donnée à l’heure de la mort supprime l’ignorance d’une manière telle
que si l’âme s’obstine dans son péché mortel, ce ne peut être qu’en
pleine connaissance. Ainsi s’exprime Jésus après avoir manifesté pleinement
sa mission divine aux chefs des Juifs[820] : « Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n’auraient
pas de péché. » Il signifiait par là
qu’aux yeux de Dieu, un péché mortel n’est vraiment tel selon toute la force du
terme[821] que s’il présuppose une
pleine connaissance de ce qu’on fait.
De même, la libération du foyer du péché (fomes peccati) au moment de la mort supprime l’entraînement des
passions à tel point que l’âme ne connaît plus la tentation permanente de la
chair que décrit la parole de saint Paul[822] : « La chair convoite contre l’esprit. » Ainsi, l’âme qui dans cet état se maintient dans le péché mortel
ne peut le faire qu’en pleine possession de son libre arbitre. En conséquence,
on doit dire que les seuls péchés qui subsistent après la mort sont les péchés
de malice volontaire dans toute leur perfection, c’est-à-dire les péchés contre
l’Esprit Saint. Car celui qui pèche contre l’Esprit Saint le fait en sachant
explicitement qu’il blasphème l’amour de Dieu et le fait avec pleine maîtrise
de soi. Un tel péché est rare sur la terre car il est rare qu’un homme ait
suffisamment de maîtrise de soi et de connaissance de Dieu pour pécher de cette
manière. Il est pourtant possible comme on le voit dans les récits de
l’Évangile. Cependant les péchés de malice volontaire commis contre les frères
sont des dispositions directes même chez les païens au péché de malice contre
Dieu[823] qui ne peut exister
qu’après qu’ils aient reçu la révélation du vrai Dieu.
En conclusion, on doit dire que tout homme qui après la mort est
en état de péché mortel l’est en pleine responsabilité et mérite de ce fait la
réprobation et la damnation éternelle[824].
Solutions :
1. Les péchés mortels qui
présupposent une certaine ignorance ou une faiblesse pourront être pardonnés
jusqu’au dernier moment. S’ils demeurent, c’est parce que la malice de l’âme
est suffisamment forte pour s’obstiner dans le péché malgré la disparition de
l’ignorance et de la faiblesse. Selon la parole de Jésus[825] : « Ils sont alors sans excuse à leur péché. » Ce n’est donc pas à cause d’un manque de miséricorde que Dieu
réprouve certains mais à cause de la dureté de leur cœur qui est capable de
résister à cette miséricorde et au pardon qu’elle propose. [826]
2. Les évêques de France
écrivent : « Nous espérons le salut
de tous. Mais nous savons que Dieu ne peut forcer à l’aimer celui qui s’y
refuserait définitivement. Un refus radical de l’amour, conduisant à une
tristesse indicible et sans issue, reste possible. Le Christ, si doux et humble
(kénose) de cœur qu’il ait été, a évoqué les pleurs et les grincements de
dents, et le feu qui ne s’éteint pas. Ces images ne peuvent être effacées de
son message. Elles évoquent la terrible réalité d’une rupture absolue, celle de
l’enfer. Elles nous avertissent du sérieux de nos choix ; elles nous rappellent
que nous sommes des êtres faillibles, exposés à la tentation. C’est le Christ
qui juge, c’est le Christ qui sauve. »[827] C’est de cette façon qu’il
faut, pensons-nous, comprendre la thèse de Balthasar sur la séparation du
pécheur et du péché, le péché étant seul en enfer.[828] Le blasphème contre
l’Esprit est le seul qui ne peut être séparé du pécheur puisqu’il est parfaitement
voulu[829]. Il l’entraîne donc en
enfer. Quant aux autres péchés, la vision glorieuse de la croix de Jésus les
fait disparaître dans le souffle de sa venue.
Objections :
1. L’amour de soi est bon
puisque le Seigneur le prend comme mesure de la charité fraternelle[830] : « Tu aimeras le prochain comme toi-même. » Or d’un bon arbre, il ne peut sortir un mauvais fruit. Donc
l’amour de soi n’est pas à la base de tout péché qui conduit à la réprobation.
2. L’amour de soi conduit à la
vie éternelle puisque celui qui aime Dieu s’aime lui-même d’une manière éminente.
L’amour de soi ne peut donc conduire à la réprobation.
3. Nul ne peut haïr Dieu car
Dieu est l’essence même de la bonté. On ne hait que ce qui possède en soi
quelque chose de haïssable. Donc la haine de Dieu ne peut être à la base de
tout péché qui conduit à la réprobation.
Cependant :
L’autorité de saint Augustin suffit[831].
Conclusion :
La notion d’amour
de soi est analogique. Elle peut en effet prendre plusieurs sens qui découlent
les uns des autres mais ne doivent pas être confondus.
1° L’amour de soi est
d’abord cet amour naturel à tout homme qui fait qu’il recherche de manière
nécessaire le bonheur, c’est-à-dire ce qu’il estime être le bien pour lui.
C’est donc l’amour de soi qui est universellement à la base des actes humains
car nul n’agirait s’il ne cherchait en quelque manière son bien. Fondée sur cet
amour non volontaire, l’intention de l’homme peut se mettre de diverses
manières à la recherche du bonheur.
2° L’égoïsme :
certains agissent d’une volonté directe et uniquement en vue de ce bonheur
individuel, faisant d’eux-mêmes par la même occasion la fin ultime de leur vie. Ainsi
celui qui se soucie de lui-même d’une manière telle que les autres deviennent
des moyens ou des obstacles à son propre épanouissement est appelé un égoïste. Il
s’octroie en priorité des biens qui lui paraissent capables de le rendre
heureux.
3° L’amour : d’autres
au contraire considèrent ce bonheur individuel comme un effet consécutif à la bonté de leurs
actes et non comme la fin directe de leurs actes. Ainsi, celui qui se soucie
des autres avant lui-même trouve le bonheur par surcroît selon cette parole du Seigneur[832] : « Celui qui perd se trouve. »
C’est de cette manière que Dieu veut que nous cherchions le bonheur. L’amour de
soi, quand il est réglé selon la volonté de Dieu sur nous, conduit l’homme à
s’oublier lui-même pour mettre l’amour de Dieu et du prochain comme la finalité
première de sa vie. Le Seigneur explique qu’il s’agit là du véritable amour de
soi car il aboutit réellement au bonheur[833] : « Celui qui quittera tout pour moi, récoltera le centuple dès
maintenant. » L’homme à la volonté
droite qui agit ainsi est prédisposé directement à recevoir la grâce de Dieu et
la gloire, comme nous l’avons montré précédemment.
Au contraire, celui qui vit selon un amour déréglé de soi
s’établit lui-même comme fin ultime de sa vie. Dans ce but, il recherche à
s’attribuer certains biens qu’il considère comme des moyens pour atteindre le
bonheur. Le premier fruit de l’amour de soi est donc la cupidité qui fait désirer
pour soi les plaisirs, les honneurs et les richesses. En cela il s’oppose à la
volonté de Dieu sur lui selon saint Jean[834] : « Tout ce qu’il y a dans le monde, la convoitise de la chair, la
convoitise des yeux, l’orgueil de la richesse vient non pas du Père mais du
monde. » Ainsi, la cupidité qui vient
de l’amour déréglé de soi conduit à l’orgueil c’est-à-dire au rejet des
volontés de Dieu pour sa propre volonté. Et si Dieu manifeste extérieurement à
l’homme sa volonté par sa parole ou par l’envoi de certaines peines,
l’orgueilleux est conduit à haïr Dieu dont il ne supporte pas les
interventions. C’est pour cette raison que tant de prophètes qui parlèrent au
nom de Dieu subirent la souffrance et la persécution de la part des méchants,
selon cette parole de Jésus[835] : « On vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux
païens, on vous traduira devant les rois et les gouverneurs à cause de mon nom,
et tout cela aboutira pour vous au martyre.
» De même, les peines que Dieu envoie à l’homme pour manifester le danger
de l’amour déréglé de soi provoque l’orgueilleux à la haine de Dieu selon
l’Apocalypse[836] : « Les hommes, loin de se repentir en rendant gloire à Dieu,
blasphémèrent le Nom du Dieu qui détenait en son pouvoir de tels fléaux. »
On le voit, égoïsme, cupidité et orgueil sont les trois attitudes
perverses d’un amour de soi qui ne conduit pas à la Vision béatifique. De tout
cela, il ressort que la racine de tout péché mortel conduisant à la damnation
est l’amour déréglé de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu.
Solutions :
1. L’amour de soi (dans le
premier sens) est naturel à l’homme et non libre. Il s’impose à la nature
humaine et il est nécessaire à toute action vitale. En cela, il vient de Dieu
et il est bon. Mais l’usage libre que l’homme fait de cet amour peut être
mauvais. L’homme a le pouvoir de faire sortir d’un bon arbre un mauvais fruit
comme on le voit par exemple chez ceux qui s’enorgueillissent de leur vertu.
2. Dans cette objection, on
entend l’amour de soi quand il est réglé dans le sens que Dieu veut.
3. Ce n’est pas en tant que
Dieu est l’essence même du bien qu’il est haï par les réprouvés mais en tant
qu’il peut exister certains effets de sa providence qui s’opposent à la volonté
orgueilleuse qui se veut seule maîtresse du bien et du mal. Le Cardinal
Ratzinger conclut ainsi son étude de l’enfer[837] : « Que reste-t-il de ces idées ? D’abord le fait que Dieu a un
respect absolu de la liberté de sa créature. L’amour peut lui être donné, et,
partant, la possibilité d’échapper à toute insuffisance qui est en elle-même.
L’homme n’a pas à "produire" le oui à un tel amour ; c’est l’amour
lui-même, par sa propre vertu, qui suscite ce oui. Mais la liberté de refuser
cet assentiment, de ne pas le prendre à son compte, demeure. C’est la différence
entre le beau rêve du Bodhisattva[838] et sa réalisation : le
véritable bodhisattva, le Christ, va en enfer et le vide en souffrant. Mais il
ne traite pas les hommes comme des êtres immatures, incapables en définitive
d’assumer la responsabilité de leur propre destin. Son Ciel, au contraire,
repose sur la liberté qui, même au damné, donne le droit de vouloir sa
damnation. Le trait distinctif du christianisme se manifeste ici dans sa
conviction de la grandeur de l’homme. La vie de l’homme est une affaire sérieuse.
L’artifice de la pensée ne saurait en définitive la réduire tout entière à
n’être qu’un pion sur l’échiquier de Dieu.
»
Objections :
1. Ce qui est reconnu comme
vrai ne peut qu’être cru ou su. Car la vérité pleinement démontrée s’impose à
l’intelligence et n’est pas objet de choix de la volonté. Donc un tel péché
n’existe pas.
2. Le refus de croire est une
certaine ignorance de l’intelligence. Or nous avons montré qu’il ne peut
subsister aucune ignorance dans le péché qui conduit à la réprobation, puisque
ce péché doit être absolument conscient et libre. Donc le refus de croire à la
vérité reconnue n’est pas un péché qui conduit à la damnation.
Cependant :
Le Cardinal Gouyon écrit[840] : « Rien n’est plus tenace que la révolte provoquée par l’orgueil.
Elle va jusqu’au refus de l’évidence[841]. C’est là, sans doute, le
mystérieux péché contre le Saint-Esprit dont parle l’Évangile[842] : « Tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème
contre le Saint-Esprit ne sera pas remis.
» Le contexte montre bien que ceux à qui s’adresse alors Jésus cherchaient
toutes les échappatoires plutôt que de reconnaître sa mission. La mort pour de
tels hommes risque d’être l’ultime raidissement contre la lumière, alors que
tout ce qui leur assurait un certain bonheur ici-bas a disparu. Celui-là se
trouve alors plongé dans la solitude la plus absolue face à un Dieu qui seul
pourrait lui donner la joie et qui voudrait la lui donner. Mais cet homme
continue de récuser ce don tout en souffrant de sa propre révolte. »
De plus le maître des sentences[843] cite l’opposition à la vérité reconnue parmi
les péchés contre l’Esprit Saint qui ne seront pas pardonnés. Donc un tel péché
peut conduire à la damnation.
Conclusion :
Une chose peut être pleinement reconnue par l’homme quand sa
vérité est manifestée d’une manière certaine. Cela peut se produire de
plusieurs manières : la plus parfaite est le témoignage de la vision. Celui
donc qui, étant maître de lui et en bonne santé, voit de ses propres yeux
quelque chose ne peut nier l’avoir vu sans porter un faux témoignage.
Pour les choses invisibles, la vérité peut être pleinement
reconnue à la suite d’une démonstration. C’est ainsi que les savants ont pu
démontrer l’existence de certaines planètes avant même de les avoir vues au
télescope, par induction à partir des effets constatés. Quand il s’agit de choses
concernant la foi, Dieu manifeste leur vérité par des actes que lui seul peut
faire comme des miracles qui échappent au pouvoir de toute créature (la
résurrection d’un mort par exemple) ou des prophéties portant sur les futurs
contingents, donc inconnaissables par les créatures. C’est pourquoi Jésus
disait aux Juifs [844] : « Si vous ne me croyez pas, croyez à cause de mes œuvres. » Mais, comme on l’a vu, il peut aussi
manifester aux hommes la vérité de sa mission au moment de leur mort en
apparaissant dans son corps de gloire, ce qui constitue le témoignage suprême
qu’il est impossible de mettre en doute sans mentir à sa propre conscience. Le
blasphème contre l’Esprit dont nous traitons ici consiste en cela. Cela n’est
possible dès cette terre que chez ceux qui ont suffisamment de théologie pour
être capables de reconnaître d’une manière indubitable le doigt de Dieu.
D’après le témoignage de l’Évangile, ce fut apparemment le cas de certains
théologiens juifs[845]. Jésus avait en effet
accompli quantité de miracles et il avait même ressuscité des morts au point
que le peuple reconnaissait en lui un envoyé de Dieu, selon le témoignage de
l’aveugle né[846] : « Jamais on n’a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un
aveugle si Dieu n’est pas avec lui. »
Malgré cela, les chefs des Juifs décidèrent de le faire mourir. Ils préférèrent
le faire disparaître à cause de leur amour du pouvoir religieux et des
honneurs. Ils refusèrent donc volontairement de croire en la mission divine de
Jésus, bien qu’elle ait été suffisamment reconnue. En cela, parce qu’ils
étaient des théologiens, ils commirent un péché contre le Saint-Esprit[847]. Face au Christ et aux
saints, au moment de la mort, il n’existe aucune raison qu’ils changent
d’option. Ils savaient déjà que le Christ venait de Dieu. De même, tout homme
qui à cette heure, ayant reçu de Dieu la révélation indubitable de son
existence et de sa miséricorde, refuse d’adhérer par la foi intérieure et la
confiance à cette vérité reconnue, commet un péché contre le Saint-Esprit. Comme
nous l’avons montré précédemment, la raison d’une telle attitude ne peut être
qu’un amour de soi poussé jusqu’à un orgueil extrême. Un tel péché ne peut être
pardonné car celui qui le commet refuse même de considérer la simple existence
de ce pardon. Il mérite donc la séparation d’avec Dieu.
Solutions :
1. Quand la vérité est
suffisamment manifeste, elle est reconnue par l’intelligence parce que celle-ci
ne peut faire autrement que croire à ce qui est dit, encore qu’elle ne soit pas
convaincue par l’évidence de la chose. Par exemple, si un prophète prédisait
dans un discours inspiré par le Seigneur un évènement futur et s’il produisait
un signe en ressuscitant un mort, par ce signe même le voyant recevrait dans
son intelligence une confirmation telle qu’il connaîtrait clairement que la
chose est dite par Dieu, lequel ne ment pas, et pourtant cet évènement, celui
qui est prédit, en soi ne serait pas évident, ce qui fait qu’il y aurait encore
place pour une vraie foi. Ainsi, jusqu’au moment de la mort, la vision de
l’apparition du Christ qui annonce au mourant la possibilité et les conditions
de la gloire peut permettre chez ce dernier une vraie foi, c’est-à-dire une
adhésion de l’intelligence que commande la volonté, à ce qui n’est ni vu ni su,
mais à ce qui est annoncé. C’est cette foi qui est refusée obstinément dans le
péché qui nous occupe. Quant à la foi au premier sens, les démons eux-mêmes
l’ont puisqu’ils y sont forcés par l’évidence des signes.
2. L’ignorance, lorsqu’elle
diminue l’acte volontaire, diminue la responsabilité de la faute. Or, dans le
cas qui nous occupe, il ne s’agit pas d’une telle ignorance mais d’une
ignorance voulue directement et par soi pour pécher plus librement. Pareille
ignorance accroît, semble t-il, ce qu’il y a de volontaire dans l’acte et par
là-même le péché : si quelqu’un en effet veut bien, pour se donner la liberté
de faire mal, subir le dommage de l’ignorance, cela vient de ce qu’il a une
volonté qui cherche à pécher.
Objections :
1. La présomption ne semble pas
être autre chose que le refus de croire à la vérité reconnue. Car la
présomption s’appuie sur une fausse connaissance de Dieu puisqu’il est faux de penser
que Dieu accordera son pardon à ceux qui persévèrent dans le péché et qu’il
dispense sa gloire à ceux qui cessent de faire le bien.
2. La présomption implique un
excès d’espérance. Or dans l’espérance qu’on a de Dieu, il ne peut y avoir
d’excès car la puissance et la miséricorde divines sont infinies. La
présomption ne semble pas conduire à la damnation.
3. Bien des hommes pèchent par
présomption en ce monde puisqu’ils décident de se maintenir dans une vie de
péché avec l’intention de se convertir au dernier moment. En cela, il semble
qu’ils présument de la miséricorde divine et cela ne semble pas être un péché
capable de conduire à la damnation éternelle puisqu’ils peuvent se repentir de
leurs péchés, obtenant ainsi le pardon.
4. Un homme présomptueux désire
tout de même voir Dieu. Et Dieu ne saurait mépriser son désir. Donc il le fera
entrer dans sa Vision.
Cependant :
La présomption s’oppose à la vertu d’espérance. Or nul ne peut
entrer dans la gloire sans l’espérer. Donc la présomption conduit à la
damnation.
Conclusion :
La présomption qui est un péché contre l’Esprit Saint
conduit à la damnation. Pour le comprendre, il faut considérer ceci : La Vision
béatifique, qui est le bien éternel promis par Dieu aux hommes, ne peut être
donnée que si l’homme espère la recevoir. Or un tel bien dépasse les forces
naturelles de toute créature. Aussi doit-il être espéré en s’appuyant sur la certitude
que Dieu nous donnera lui-même les moyens pour y accéder. Du côté de l’homme,
certaines dispositions intérieures sont nécessaires comme la bonne volonté,
l’humilité et, si des péchés ont été commis, la pénitence. Dans cette
mesure la grâce et la justification peuvent être données par Dieu. Alors, uni à
Dieu par la charité, l’âme peut le recevoir, telle
une épouse. Au contraire, lorsqu’un homme a l’audace de vouloir recevoir le
pardon de Dieu sans pénitence préalable ou la gloire sans les mérites
intérieurs qu’elle présuppose, il se comporte en présomptueux. Lorsque ce péché
est commis avec à la fois une pleine lucidité et une pleine maîtrise de soi,
porté par un orgueil qui refuse de s’abaisser devant la volonté de Dieu, il
constitue un péché contre l’Esprit Saint car il rejette et méprise l’aide du
Saint-Esprit. Celui qui arrive dans l’au-delà avec une telle présomption est
certainement repoussé. Il s’appuie en effet sur un amour de soi et un orgueil
si forts qu’il préfère ne rien avoir plutôt que de le recevoir d’un autre en
s’humiliant. Il le fait d’une manière suffisamment consciente et libre, comme
nous l’avons montré, pour rester définitivement fixé dans cette
attitude.
Solutions :
1. La présomption est autre
chose que le refus de croire à la vérité reconnue. Le présomptueux accepte de croire
en la révélation divine et en la promesse de la gloire. Cette gloire lui paraît
même être un bien excellent et désirable mais il en refuse les conditions
préalables qui consistent non seulement en une soumission de l’intelligence à
Dieu mais aussi une soumission de la volonté aux conditions données par Dieu et
qui sont pour synthétiser, l’humilité et la charité. Un tel péché implique un
grand sens de son excellence personnelle aussi on l’attribue à l’ange Lucifer
qui acceptait d’être introduit dans la gloire à condition de ne pas avoir à
s’abaisser dans le service de l’homme selon Jérémie.[848]
2. La présomption n’implique
pas un excès d’espérance du fait qu’on espère trop de Dieu, mais du fait qu’on
attend de Dieu ce qui ne convient pas à Dieu. Et c’est là aussi trop peu
espérer de lui, car c’est, dans une certaine mesure, diminuer sa puissance.
Pour comprendre la présomption, il faut se souvenir de la chute de l’ange
Lucifer. Actuellement, cet ange comme tous les démons, ne cesse de réclamer la
Vision béatifique à Dieu. Il s’estime digne de ce bonheur et le considère comme
dû à chacun en mesure de la noblesse de son intelligence. La présomption est
ici : vouloir posséder Dieu en refusant les conditions voulues par lui,
humilité (kénose) et charité. Ce péché est typiquement luciférien car il
implique un sens inné de sa propre grandeur. Il est pourtant possible chez
l’être humain, surtout au terme d’une vie emplie d’honneurs et de richesses.
Supposons qu’un homme arrive devant Jésus à l’heure de sa mort et exige le
paradis tout en excluant les conditions de petitesse proposées par le Sauveur ;
supposons qu’il maintienne fermement cette attitude, en pleine lucidité, prêt à
perdre la vie éternelle plutôt que d’aimer ce Dieu qui ne se donne qu’à
l’amour, alors il se condamne lui-même à l’enfer et ce pour l’éternité puisque,
éternellement, il criera à Dieu : « J’ai
raison. » Dieu rejette
activement cet homme-là car il a l’audace de vouloir forcer l’entrée dans la
Vision béatifique. D’où ces textes[849] : « Les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures.
Là seront les pleurs et les grincements de dents. »
3. Pécher avec le propos de
persévérer dans sa faute à cause de l’espérance du pardon, c’est formellement
de la présomption. Et cette circonstance ne diminue pas mais au contraire
augmente le péché. Mais pécher tout en gardant l’espérance de recevoir un jour
son pardon, en se proposant d’abandonner le péché et d’en faire pénitence, ce
n’est pas de la présomption, et une telle circonstance diminue le péché ; car
c’est manifester qu’on a une volonté moins décidée à pécher. Cependant, mettre
son salut éternel en dépendance totale de sa capacité à se repentir au dernier
moment, c’est présumer de ses propres forces car nul ne peut être certain de
pouvoir se repentir. Un tel homme, face à la présentation objective effectuée
par le démon du bien qu’on peut trouver en enfer risque de s’y porter tout
naturellement si l’amour de soi a pris suffisamment corps en lui.
4. Lucifer désire certes voir
Dieu car il convoite à partir de cette vision certaines richesses aptes à
augmenter sa perfection : connaissances, puissance. Mais il en refuse certaines
conditions voulues par Dieu, toutes les conditions impliquant un abaissement de
soi. Or, Dieu n’impose pas ces conditions pour écraser l’homme, mais en
fonction de sa nature même : Dieu est par essence, et l’analogie de la foi
étant sauve, humble et amour. L’humilité et l’amour ne signifient en lui aucune
faiblesse mais une vie trinitaire de dépendance totale : Le Père (la paternité)
n’existe pas par lui-même mais comme relation subsistante au Fils (la
filiation). Ainsi, quand bien même Dieu, par impossible, voudrait introduire un
orgueilleux dans la Vision de son essence, il y aurait impossibilité car
incompréhension de la part du présomptueux : l’orgueil ne comprend pas
l’humilité et l’égoïsme ne comprend pas l’amour. De même, dans le couple, il ne
peut y avoir communion sans amour. Mais il peut y avoir viol.
Objections :
1. Il ne semble pas que le
désespoir puisse conduire à la damnation s’il subsiste après la mort. Le
désespoir est une passion de la sensibilité qui a pour cause la perte définitive
d’un bien sensible important. C’est ainsi que bien des hommes, poussés par le
désespoir d’une vie qui leur apparaît insensée, se suicident. Il serait
aberrant de les estimer tous damnés.
2. Tout péché, d’après saint
Augustin, comporte une conversion à un bien périssable, avec une aversion pour
le bien immuable. Or le désespoir ne comporte pas de conversion à un bien
périssable. Ce n’est donc pas un péché. Il ne conduit pas à la damnation.
Cependant :
Il en est du désespoir comme de la présomption. Il s’oppose
directement à l’espérance. Donc il peut conduire à la damnation.
Conclusion :
Comme péché contre l’Esprit Saint, le désespoir (plus précisément
la désespérance) est nécessairement un acte parfait du libre arbitre,
c’est-à-dire qu’il implique pleine conscience et volonté maîtresse d’elle-même.
Il présuppose donc, quand il est appliqué à Dieu, que l’intelligence sache que
Dieu pardonne les péchés à qui se repend et donne la gloire à qui l’aime ; de
même, il présuppose que la volonté soit libérée de ce qui la porte de
l’extérieur au désespoir comme l’entraînement de la sensibilité. Nous avons vu
que Dieu donne à tout homme cette liberté dans le moment de la mort. Celui donc
qui, à cause de la racine orgueilleuse de son âme, s’obstine à refuser d’espérer
que Dieu donne son pardon ou qu’il retourne les pécheurs vers par la grâce qui
les justifie, détourne son âme d’une manière coupable. La conséquence d’un tel
refus volontaire d’espérer est que l’homme se plonge lui-même dans la
séparation d’avec Dieu. Nous en avons un exemple dans l’attitude de Judas,
celui qui livra Jésus malgré les multiples tentatives que le Seigneur avait
faites pour le ramener dans la fidélité. Le signe de la bouchée de pain[850] prouve l’amitié et la
confiance. En acceptant ce pain de communion, sans parler à Jésus de son
trouble, il s’enferra dans l’hypocrisie. Le démon n’eut plus qu’à lui suggérer
de livrer Jésus aux chefs des Juifs, en lui apportant de très bonnes raisons,
le danger politique de l’Évangile, la nécessité d’un jugement de discernement
de la part des Docteurs de la loi, et l’argent à gagner. Quand il eut livré
Jésus, il se retrouva seul et comprit la gravité de son geste que Jésus avait
depuis longtemps annoncé prophétiquement. Ayant connu la miséricorde du Seigneur,
il savait qu’il n’existe pas un péché qui ne puisse être pardonné. Mais il
n’espéra pas pour lui ce pardon et se suicida.
Ce suicide est le fruit d’un
désespoir devant la conscience d’un acte irréparable. Mais il ne constitue pas
encore, semble-t-il, un péché contre l’Esprit Saint. En effet, l’effroi d’une
condamnation sans rémission possible de la part de Dieu vient submerger la
pensée au point d’entraver le jugement. Elle est fausse et liée à un manque de
connaissance de Dieu. Elle doit donc être rectifiée par une preuve glorieuse de
la bonté de Dieu. Quant à sa faiblesse liée à la panique, l’attitude de Judas
la prouve : il court rendre l’argent, espérant peut-être d’une façon illusoire
libérer Jésus. Tout péché, aussi grave soit-il, lorsqu’il est empreint d’erreur
théologique ou de faiblesse, ne peut constituer un véritable blasphème contre
l’Esprit Saint. Le suicide de Judas révèle d’autre part en lui une capacité à
regretter la faute commise tout en n’imaginant pas le pardon possible.
A l’instant même de sa mort,
Jésus (ou un ange délégué par Jésus selon l’heure à laquelle il fit son geste)
se montra à lui. Sans erreur possible, la clarté de cette apparition manifesta
à Judas l’inimaginable : son péché pouvait être pardonné. Mais le démon
toujours présent à l’heure de la mort le séduisait : « Garde ta dignité. Ta faute est trop grave, assumes-en les
conséquences en refusant le pardon." Puis il l’accusait : « Faute impardonnable! Malheur à toi, tu
es perdu." Par cette parole, il le tentait non plus de désespoir mais de
désespérance. Il ne s’agissait plus pour lui de le pousser à un désespoir
psychologique en lui faisant croire faussement à l’impossibilité du pardon de
Dieu. Il s’agissait de lui rendre sa fierté pour qu’il dise, avec hauteur et
conscience de sa dignité, sans faiblesse : «
Mon péché est trop grand. Ta proposition de pardon est une offense à ma
dignité. » Quel fut le choix
définitif de Judas ? Il existe une parole terrible de Jésus à son égard : « Malheur à cet homme-là par qui le Fils
de l’homme est livré. Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître ».[851] Il faut ajouter comme
sous-entendu à ce texte : « sauf s’il
implore le pardon. »
La désespérance, comme blasphème contre l’Esprit Saint, est
concrètement un choix de l’intelligence et non une pulsion de la sensibilité.
Solutions :
1. Le désespoir psychologique
est une passion. Il se différencie donc du désespoir spirituel qui est un choix
de la volonté et qui est plutôt un refus d’espérer malgré l’évidence de la
possibilité du pardon octroyé par Dieu. On doit donc affirmer que celui qui se
suicide par désespoir psychologique, s’il commet bien un péché mortel puisque
sa volonté est égoïstement centrée sur lui, sans beaucoup de souci de ceux qui
restent sur terre dans les larmes ni du droit de Dieu sur la vie, le commet
malgré tout avec les circonstances atténuantes que sont l’ignorance et un état
de grande souffrance. On peut donc penser qu’ils sont la plupart du temps
sauvés, même s’ils doivent subir un temps de purification. C’est pourquoi le
Curé d’Ars disait à propos d’un suicide : «
entre le pont et la rivière, il a eu le temps de se repentir », signifiant par cette expression
le moment qui précède immédiatement la mort.
2. Dans tout péché mortel, il y
a aversion pour le bien immuable et conversion à un bien périssable, mais
diversement. En effet, c’est principalement en une aversion pour le bien
immuable que consistent les péchés opposés aux vertus théologales, comme la
haine de Dieu, le désespoir ou l’infidélité, parce que les vertus théologales
ont Dieu pour objet. C’est de par leur cause présupposée qu’ils impliquent une
conversion à un bien périssable, l’âme qui délaisse Dieu se tournant
nécessairement comme vers des biens périssables vers d’autres réalités. Les
autres péchés, par contre, consistent dans leur définition même en une
conversion à un bien périssable et ont pour conséquence une aversion au bien
immuable : celui qui pratique la fornication n’a pas en effet l’intention de
s’éloigner de Dieu, mais de jouir d’un plaisir de la chair, et la conséquence
est qu’il s’éloigne de Dieu.
Le désespoir dont nous parlons ici, s’il s’oppose directement à la
miséricorde infinie de Dieu, a pour cause l’attachement excessif au propre
jugement que le pécheur a de lui-même et de Dieu. Il dit : « Nul ne peut me pardonner. »
C’est une fausse humilité. C’est un vrai orgueil. Maintenu face à l’apparition
glorieuse du Christ qui, en vérité, pardonne les plus grands péchés, c’est un
blasphème contre l’Esprit.
Objections :
1. L’envie est une passion
incontrôlable. Elle ne peut donc subsister dans la mort puisque l’homme est
libéré du foyer de péché. Elle ne peut donc conduire à la damnation éternelle.
2. Un homme peut envier le bien
d’un autre parce que cet autre ne le mérite pas et c’est alors un sentiment de
la justice ou encore parce que ce bien lui manque et c’est alors l’émulation.
Il ne semble donc pas que l’envie des biens d’autrui soit un péché.
Cependant :
D’après le livre des sentences, l’envie des grâces d’autrui est un
péché contre l’Esprit Saint. Il ne trouve donc pas de pardon, ni en cette terre
ni dans l’autre monde. Il conduit à la damnation.
Conclusion :
Pour comprendre comment l’envie des grâces du prochain peut dans
certains cas devenir un blasphème contre l’Esprit et conduire immédiatement
après la mort, à la damnation, il faut considérer ceci : l’homme qui fait le
mal à son prochain se réjouit tant qu’il est sur terre car il obtient, grâce au
mal commis, une certaine domination sur l’autre. Or cette domination ne dure
pas avec la mort, selon cette parole d’Amos[852] : « Silence!, écoutez, vous qui écrasez le pauvre. » Car dans la mort, nul n’emporte le
triomphe qu’il a obtenu durant sa vie terrestre par le péché mais chacun se
retrouve égal devant Dieu.
Or, dans la révélation qui accompagne la mort, deux choses
apparaissent à la conscience du pécheur. En premier lieu, il découvre dans la
vision du Christ que chaque fois qu’un mal a été commis contre un innocent,
c’est d’une manière mystérieuse à Jésus qu’a été fait ce mal, selon cette
parole[853] : « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donne à mangez, j’ai eu soif
et vous ne m’avez pas donne à boire. »
Jésus aura donc en quelque sorte le visage de leurs victimes[854] : « ils verront celui qu’ils ont transpercé. »
En second lieu, ils comprendront que ceux qui étaient leurs victimes ont
souvent obtenu de Dieu une récompense éternelle qui fait d’eux des rois dans le
royaume de Dieu, gloire qu’ils savent ne pas mériter eux-mêmes avec la même
intensité puisqu’elle est donnée en proportion de la charité.
De ces deux révélations peut naître, à cause de l’orgueil auquel
sont habitués les méchants un désir envieux envers les grâces de Jésus et de
ceux qui sont sauvés. Une telle envie, si elle est maintenue obstinément au
moment de la mort, face à l’apparition du Messie et des saints, demeure
éternellement comme une orientation perverse de la volonté. Elle mérite donc de
soi la damnation éternelle car elle s’oppose directement à la charité[855].
Solutions :
1. Prise au sens propre,
l’envie est une passion qui nous fait haïr le bien d’autrui. Mais elle peut
signifier aussi un acte de la volonté qui refuse la grâce spirituelle chez celui
qui nous apparaît comme indigne d’un tel don. En ce sens, elle demeure après la
mort et elle existe même chez les démons. Elle demeure aussi dans la
sensibilité comme une passion puisque les âmes conservent la faculté d’éprouver
des sentiments, comme nous l’avons dit (question 8).
2. Il y a une autre façon de s’attrister du bien d’autrui ; lorsque
le prochain a plus de bien que nous, alors qu’il le mérite. Une telle envie, si
elle demeure après la mort est mauvaise et conduit l’âme à la révolte contre
Dieu et contre l’ordre qu’il établit. Nous prendrons l’exemple d’une personne
ayant vécu. Il ne s’agit pas, encore une fois, de se prononcer sur le choix
éternel de quiconque, mais seulement d’être illustratif. Lorsqu’Adolf Hitler
s’est suicidé, il a quitté ce monde en emportant la responsabilité directe de
dizaines de millions de vies humaines détruites dont, en particulier, quelques
millions de femmes, d’enfants coupables d’être nés accompagnés de son mépris. À
l’heure de sa mort, il les vit un à un pendant un de ces regards profonds que
peut offrir la puissance de Dieu au moment décisif. Toutes ces âmes réunies
proposaient[856] leur pardon, sans
arrière-pensée. Le démon aussi, avait droit à la parole, comme il convient en
cette occasion. Il n’est pas difficile, connaissant les obsessions d’Hitler
durant sa vie terrestre, d’en reconstituer la teneur : « Vois ces juifs, ces tziganes que tu as méprisés avec raison toute
ta vie. Regarde leur humiliante attitude de dépendance les uns vis-à-vis des
autres. Regarde la royauté qu’ils ont reçue de Dieu. Si tu te convertis
maintenant, n’oublie pas que toi, le Guide de millions d’hommes, tu seras plus
petit qu’eux pour l’éternité. De Maître que tu étais, tu deviendras inférieur
car chacun se fait serviteur de tous dans leur monde. Ne te convertis pas.
Reste fidèle à ton combat, sois Roi avec moi, loin de ces gens. »
Là se trouve la puissante tentation de l’envie des grâces
fraternelles. Elle concerne tout homme qui a été dominant vis-à-vis de son
prochain durant sa vie. Maintenue dans cette situation de lucide liberté,
l’envie des grâces fraternelles, deuxième péché contre l’Esprit Saint, est sans
rémission possible car, commis ainsi dans la lucidité de l’heure à la mort, il
est le fait d’une personne qui jamais plus ne reviendra en arrière.
Objections :
1. L’obstination ne semble pas
être un péché spécial mais la condition de tout péché qui conduit à la
damnation. Il ne semble donc pas qu’il faille la compter parmi les péchés
contre l’Esprit Saint qui conduisent à la damnation.
2. Celui qui s’obstine à
considérer le péché comme la source de la béatitude ne peut durer dans cette
conviction que parce qu’il subsiste en lui une certaine ignorance. Une telle
obstination ne peut en effet que disparaître avec l’expérience du malheur
terrible qui règne en enfer. Or nous avons montre que l’ignorance ne pouvait
subsister sur un point aussi essentiel au moment de la mort. Donc l’obstination
ne conduit pas à la damnation éternelle.
Cependant :
Le Siracide écrit[857] : « Le cœur obstiné finira dans le malheur. » Donc l’obstination est un péché qui peut conduire en enfer
éternel.
Conclusion :
L’obstination dans le péché, si elle demeure après la mort,
conduit à la damnation. Par l’obstination l’homme affermit sa résolution dans
l’attachement du péché. Il maintient donc son âme fixée dans une fin dernière
qui est un bien créé, malgré la découverte faite au moment de la mort de la
médiocrité et la brièveté de ce bien, selon cette parole de l’apôtre[858] : « quel fruit avez-vous eu dans ces péchés dont aujourd’hui vous
rougissez ? » Une telle obstination
est fondée sur un amour désordonné de soi assez puissant pour résister à trois
choses : 1° L’expérience terrestre
de l’effet d’amertume de ces biens ; 2°
La prédication de gloire du Christ et des saints ; 3° La perspective du malheur éternel de l’enfer. C’est pourquoi le
prophète Jérémie dit à propos de ceux qui s’obstinent dans le péché malgré la
manifestation du Seigneur : « Et
vous, vous avez agi plus mal que nos pères. Voici, chacun de vous se conduit
selon l’obstination de son cœur mauvais, sans m’écouter. Je vous jetterai donc
hors de ce pays, dans un pays inconnu de vous et de vos pères et vous servirez
d’autres dieux, jour et nuit, car je ne vous ferai plus grâce. » Il signifie par là la réprobation
éternelle que méritent ceux qui s’obstinent dans leur péché.
Solutions :
1. L’obstination dont nous parlons
ici n’est pas seulement celle qui accompagne tout péché contre l’Esprit Saint
sans quoi elle ne serait pas un péché spécial mais une circonstance des péchés.
Il s’agit plutôt ici d’un choix de la volonté qui fait du bien créé son objet
final, à cause d’une considération de l’intelligence qui y voit un bien plus
grand que le bien Incréé, c’est à dire la Vision de Dieu. Il y a donc dans
l’obstination une conversion vers le bonheur apparent donné par le péché et un
mépris de la béatitude proposée par Dieu. C’est pourquoi le prophète Osée peut
parler ainsi[859] : « Ils ont préféré l’ignominie à leur Grand Dieu. » L'exemple suivant peut éclairer :
après la prédication de Satan, un homme adonné toute sa vie à la recherche du
plaisir se rend compte qu'en enfer, il pourra librement livrer son corps à la
débauche. Il lui est révélé qu'il n'en obtiendra aucun plaisir. Mais il
s'obstine à considérer que le sexe n'a d'autre fonction que l'égoïsme,
méprisant la délicatesse du Ciel où tout est au service d'autrui. Face à
l'apparition glorieuse du Christ et des saints, une telle obstination implique
un tel orgueil qu'aucun repentir, à jamais, ne viendra.
2. L’obstination, quand elle
est un péché contre l’Esprit Saint, demeure même avec une science parfaite des
peines de l’enfer qui sont préparées. Mais pour l’obstiné, la solitude
éternelle le ver rongeur de la rancoeur ou même le feu de l’enfer ne paraissent
pas des peines assez considérables pour lui faire renoncer à l’amour désordonne
de soi et du péché. Une telle obstination demeure même après l’expérience de
l’enfer et ceci pour toujours car l’obstiné estime toujours avoir raison et
maintient fermement son choix.[860]
Objections :
1. L’impénitence finale est une
persistance dans le péché jusqu’à la mort. Elle n’est donc pas un péché spécial
mais une circonstance du péché. Elle ne doit pas être comptée parmi l’un des
six péchés contre l’Esprit Saint qui conduisent immédiatement à la damnation.
2. Tout homme en état de péché
mortel doit se repentir pour être rétabli dans la grâce de Dieu. Or la
conversion est un don de Dieu. Elle ne dépend donc pas du pécheur mais de Dieu
qui meut le pécheur à se convertir. Elle ne peut donc être un péché spécial
mais seulement un effet de la justice divine qui laisse l’homme dans l’état
qu’il a lui-même désiré dans sa volonté déréglée.
Cependant :
Saint Paul écrit[861] : « Par ton endurcissement et l’impénitence de ton cœur, tu amasses
contre toi un trésor de colère, au jour de la colère où se révèlera le juste
jugement de Dieu ».
Conclusion :
Dès cette terre, l’impénitence peut être parfois un péché contre
l’Esprit Saint, au moins chez ceux qui ont pleine connaissance de ce qu’est le
péché au regard de Dieu. Mais après la mort, l’impénitence qui demeure est
nécessairement un péché de cette nature et elle conduit donc à la réprobation
et à la damnation éternelle. La raison en est que l’âme a reçu jusque dans la
mort suffisamment de grâces de la part de Dieu pour connaître ce qu’est le
péché, sa gravité aussi bien par rapport à Dieu que par rapport au prochain et
à soi-même. En outre l’âme connaît la nécessité pour elle de se repentir de son
péché si elle veut être justifiée et introduite dans la gloire. Quant à la
volonté, elle est dans un état tel qu’elle n’est pas mue par autre chose que
par l’intelligence comme nous l’avons montré.
Celui-là donc ne peut refuser de reconnaître son péché en le
confessant à Dieu et d’en demander pardon par une contrition parfaite que s’il
est attaché à son orgueil au point de préférer garder son péché plutôt que
de s’humilier. Une telle volonté perverse, demeurant après la mort, mérite la
séparation éternelle avec Dieu. C’est pourquoi Jésus dit[862] : « Les hommes de Ninive se dresseront lors du jugement avec cette
génération et la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de
Jonas, et il y a plus ici que Jonas. »
Solutions :
1. L’impénitence finale n’est
pas prise ici dans le sens d’une persistance du péché jusqu’à la mort. Elle est
prise comme un péché spécial dont l’objet propre est la résolution de ne pas
faire pénitence, à cause d’un trop grand amour de sa propre excellence.
2. Il est vrai qu’en stricte justice, tout homme en état de péché mortel
mérite la damnation éternelle puisqu’il a manifesté suffisamment par un seul
acte de péché sa répulsion pour Dieu. Cependant Dieu, dans la justice de son
amour, poursuit le pécheur et l’invite à se repentir jusqu’au dernier moment.
Il donne donc largement toutes les grâces nécessaires qui peuvent commencer
dans l’âme du pécheur un mouvement de retour. Si ce retour n’a pas lieu, cela
vient de la seule initiative de la volonté perverse de l’homme qui préfère
rester séparée de Dieu que se repentir.
Nous nous demanderons :
1° La peine principale de
l’enfer est-elle la séparation d’avec Dieu ?
2° Outre la séparation d’avec
Dieu, y-a-t-il une peine du feu en enfer ?
3° Outre le feu spirituel de
l’âme, existe-t-il en enfer un feu matériel ?
4° Les damnés souffrent-ils du
ver rongeur de la rancoeur ?
5° Pleurent-ils ?
6° Sont-ils plongés dans les
ténèbres extérieures ?
7° Outre les peines précitées,
existe-t-il en enfer d’autres peines ?
8° Les démons exécuteront-ils la
sentence du juge à l’égard des damnés ?
Objection l :
Cela ne semble pas. En effet, les âmes du purgatoire sont séparées
de la vision de Dieu et elles souffrent de cette séparation. Or on ne dit pas
qu’elles sont en enfer. Donc cette peine n’est pas la principale en enfer.
2. Saint Paul disait[864] : « je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour
mes frères. » Or nul ne peut souhaiter
aller en enfer pour l’amour de ses frères. Donc la séparation d’avec Dieu n’est
pas l’enfer.
3. Avant la venue du Christ,
les hommes attendaient après leur mort dans les enfers. Ceux dont l’âme était
perverse souffraient déjà des peines dans leur âme comme du ver rongeur de la
rancoeur ou du feu. En cela, ils se distinguaient des âmes justes qui étaient
seulement séparées de Dieu sans subir aucune peine. Donc l’enfer se définit
plutôt par les peines qu’il implique que par la séparation d’avec Dieu.
4. Les damnés veulent être
séparés de Dieu puisqu’ils haïssent ses volontés qui s’opposent à leur orgueil.
Or ce qui est voulu ne peut constituer une peine. Donc l’enfer ne consiste pas
principalement dans la séparation d’avec Dieu.
Cependant :
Le Seigneur dira aux méchants, lors du jugement de leur âme[865] : « Allez loin de moi, maudits.
» C’est là la peine la plus importante dans l’enfer.
Conclusion :
Pour tout être, il ne peut y avoir de plus grand mal que la perte
définitive de sa fin. Ainsi dans la nature, lorsqu’il arrive qu’une espèce
animale ou végétale disparaisse, on considère habituellement un tel évènement
comme une catastrophe parce que chaque espèce, portée à travers la succession
des individus de même nature qui la représentent, n’a pas d’autre finalité que
de durer toujours.
En ce qui regarde l’homme dont la finalité personnelle ne consiste
pas seulement dans la communication de la vie mais essentiellement dans une
union spirituelle avec Dieu[866], la perte de cette fin
constitue de la même manière le plus grand des maux. Or, pour les êtres
spirituels, une telle séparation n’est parfaitement consommée que par le péché
dans ce qu’il a de plus absolu, c’est-à-dire dans l’acte conscient, volontaire
et libre de blasphème contre l’Esprit Saint. Un tel péché qui est, comme nous
l’avons montré[867], le principe premier
conduisant à la peine du dam, est considéré par Dieu comme le plus grand des
maux de l’âme humaine. Et pour éviter que l’homme ne soit trouvé au terme de sa
vie dans une telle disposition intérieure, Dieu ne néglige aucun moyen : il
envoie des prophètes, le Fils éternel se fait homme en Jésus-Christ, il
multiplie les signes et les miracles, il frappe les corps de maux qui
rappellent à l’esprit la vanité de tout ce qui est créé, il revient dans sa gloire
à l’heure de la mort. Lorsque, malgré cela, l’égoïsme, la cupidité et l’orgueil
conduisent un homme à rejeter volontairement Dieu, on doit considérer cette
séparation voulue comme la première et la plus grande des peines de l’enfer. En
effet, en se séparant de Dieu, l’homme perd sa fin et devient un être vain :
son intelligence faite pour atteindre la vérité, se condamne à l’obscurité de
l’ignorance puisqu’elle ne voit pas la Vérité première ; sa volonté, créée pour
tendre au bien se condamne à errer sans cesse à la recherche d’un bonheur qui
n’existe pas hors de Dieu, puisque Dieu est la Bonté. Origène écrit[868] : « Qu’on nous arrache un membre, nous éprouvons de vives
souffrances, mais l’âme, séparée de Dieu, à qui elle aurait dû être unie, souffrira
bien davantage de ce déchirement. Tiraillée en mille sens divers, elle sera
comme divisée d’avec elle-même, et en place de l’unité harmonieuse à laquelle
Dieu la destinait, elle offrira le spectacle du désordre et de la confusion. »
Solutions :
1. Ce n’est pas pour le même
motif que les âmes du purgatoire et celles de l’enfer n’ont pas la vision
béatifique : celles du purgatoire veulent une séparation provisoire à cause de
la conscience qu’elles ont de leur impureté et de la très grande pureté du Dieu
qu’elles désirent. Au contraire, les âmes de l’enfer veulent la séparation
d’avec Dieu à cause de ses volontés qui leur paraissent un mal qu’il faut fuir
puisqu’elles s’opposent au bien de leur orgueil. En conséquence, ces âmes se
séparent elles-mêmes de Dieu au moment de la mort. Par le fait même, elles
perdent la possibilité de s’unir au seul bien capable de les rendre heureuses
et elles errent éternellement à la recherche d’une béatitude qu’elles ne
peuvent jamais atteindre. Leur souffrance provient essentiellement de cette
absence de Dieu. L’enfer est l’état d’une âme qui s’est volontairement séparée
de Dieu.
2. Saint Paul ne souhaitait pas
être séparé de Dieu en tant qu’il est Dieu mais de Dieu en tant qu’il pouvait
béatifier son âme car son amour excessif pour ses frères lui faisait préférer
leur bien à son propre bonheur. Sa charité excessive est donc sans rapport avec
l’égoïsme excessif des damnés de l’enfer.
3. Comme nous le verrons, le
feu et le ver rongeur de la rancoeur sont des conséquences directes dans l’âme
des damnés de leur volonté pervertie qui se sépare de ce pourquoi elle a été
créée. Aussi on doit dire que l’enfer ne se définit pas essentiellement par ces
peines mais par cette séparation spécifique qui est causée, chez le damné, par
sa volonté. Quant aux âmes qui séjournaient dans l’enfer des patriarches, elles
ne souffraient certes pas, à moins que l’on qualifie de souffrance le désir
intense de voir celui dont la présence cachée les comblait de sa grâce
sanctifiante.
4. Une chose peut-être
volontaire de deux manières :
1° elle peut l’être par soi et
directement. Ainsi l’homme fuit-il le mal et recherche ce qui lui apparaît
bien.
2° elle peut l’être
indirectement à cause d’une condition présupposée. Ainsi, on ne dit pas que le
marin pris dans la tempête jette sa cargaison à l’eau pour le simple plaisir de
s’en débarrasser. Il la jette à cause d’un bien qui lui paraît supérieur
c’est-à-dire la survie du navire. Une telle distinction peut être appliquée aux
damnés pour comprendre de quelle manière ils se séparent volontairement de
Dieu. Comme nous l’avons dit, avant le jugement dernier qui détermine le destin
éternel des hommes, deux choses sont révélées : la possibilité de la vision
béatifique et les conditions requises pour entrer dans cette vision, comme la
nécessité de la pénitence, de l’humilité (kénose), de la charité.
Celui qui se damne ne peut refuser directement et par soi la
vision de l’essence divine puisqu’elle lui est suffisamment révélée selon ce qu’elle
est, à savoir le Bien parfait. Mais il peut la refuser à cause des conditions
préalables qui lui sont demandées et le motif de cette révolte est, comme nous
l’avons montré, l’amour désordonné de soi. Cette exaltation de soi pousse l’âme
à rejeter directement et par soi les volontés de Dieu concernant les conditions
de l’entrée dans la Vision béatifique car ces conditions lui paraissent être un
mal relativement au bien de son orgueil qui est place en absolu. En conclusion,
on peut dire que le damné ne désire directement ni la séparation d’avec Dieu,
ni l’enfer mais qu’il cherche sa propre liberté égoïste et, en conséquence
s’oppose à ce qui s’y oppose, les moyens du salut.
5. « Les autres peines de l’enfer
ne sont que la conséquence naturelle de l’absence de Dieu due au rejet de Dieu.
Mais en même temps, ayant refusé librement Dieu comme fin surnaturelle, il l’a
du même coup refusé librement comme fin naturelle. Il le déteste par un acte
libre où il est fixé, et il préfère à la vraie béatitude la fausse béatitude
qu’il a choisie, son orgueil. C’est là sa fin ultime voulue par-dessus tout,
même au prix de toute espèce de souffrance et de privation, être un dieu par sa
propre force, voilà sa béatitude. Il ne peut pas révoquer ce choix, parce que
celui-ci porte sur la fin ultime et a été accompli en pleine lumière
spirituelle, fixant la volonté en lui, en telle sorte que tous les actes
subséquents de vouloir ne seront effectués que dans la vertu de cet acte-là. Il
y a donc déchirement, mais non pas repentir, il ne demande aucun pardon, il
refuserait le pardon s’il lui était proposé, il veut continuer dans cet état.
Ainsi, l’éternelle justice doit être désignée, si nous cherchons des images
humaines, moins comme la mystérieuse colère que comme la mystérieuse patience
de Dieu, qui souffre que sa miséricorde soit finalement refusée, qu’une
créature soit pour toujours et par son choix libre son propre dieu. » (Réf.)
Objections :
1. Cela semble inutile. La
séparation d’avec Dieu semble une peine suffisante puisqu’elle est la perte de
la béatitude surnaturelle qui avait été proposée. Celui qui refuse les
conditions d’un bien supérieur par son obstination semble être suffisamment
puni par le fait qu’il est privé de ce bien.
2. Dieu crée l’homme par amour
dans le but de lui proposer la béatitude surnaturelle. Celui qui la refuse
librement ne doit donc pas être torturé par un feu mais simplement vivre d’un
bonheur naturel selon son désir.
3. Si la séparation d’avec Dieu
est source dans l’âme d’un feu spirituel qui la torture, tout être spirituel
devrait souffrir du feu de l’enfer dans la mesure où il est séparé de Dieu. Ce
n’est manifestement pas le cas pour les habitants de la terre.
Cependant :
Le psalmiste écrit[870] : « le feu et le souffre, et le souffle des tempêtes seront la part
de leur calice" et Job continue[871] : « de l’eau des neiges, il passe à l’extrême chaleur. » C’est pourquoi l’Église a défini par
la voix de Benoît XII le dogme suivant[872] : « Nous définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les
âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur
mort en enfer, où elles sont tourmentées des peines infernales. » Donc le feu de l’enfer existe
réellement.
Conclusion :
Que le feu de l’enfer et les autres peines rapportées par
l’Écriture existent, c’est un dogme de foi. Mais quand il s’agit de définir la
nature de ce feu, plusieurs opinions existent. Certains Pères pensent qu’il
s’agit d’une souffrance spirituelle appelée par métaphore feu. D’autres
pensent qu’on doit parler au sens propre d’un feu matériel, sensible, touchant
l’âme à la mesure de son attachement au péché. Nous étudierons cette seconde opinion
dans l’article suivant.
Quant à la première opinion, sa vérité apparaît avec évidence.
Aucun être, lorsqu’il est séparé de sa fin, n’est en repos tant qu’il n’a pas
rejoint cette fin. Or l’homme a été créé pour Dieu. Ainsi les âmes de l’enfer
en subissent nécessairement une souffrance.
Il reste à définir la nature du feu qui les torture. Pour la
comprendre, il faut considérer ceci : l’âme humaine a été créée par Dieu en vue
d’être élevée au Bien Eternel. On en voit le symptôme à travers chacune des facultés
de l’esprit. L’intelligence humaine se porte vers un objet universel qui est la
vérité et la volonté est faite pour aimer ce qui a raison de Bien en général.
L’âme possède donc par nature une orientation vers Dieu qui est par nature la
Vérité et la Bonté. Il s’agit d’un instinct spirituel dont l’exercice nous
porte dès cette terre vers ce qui nous dépasse et vers ce qui est sacré. Cet
instinct spirituel étend son effet jusque dans la sensibilité au point que
l’homme est attiré vers ce qui lui rappelle la transcendance de manière
sensible, à savoir le beau. C’est pour la même raison que l’homme est par
nature un être religieux même si, à cause du poids du corps et des occupations
multiples de la vie matérielle, il peut arriver à étouffer pour un temps son
appétit spirituel.
Comme cet instinct spirituel touche les facultés spirituelles dans
l’ensemble, c’est que le siège même de ces facultés en est la cause. C’est
pourquoi on peut dire que le désir de Dieu est un habitus entitatif
(c’est-à-dire une orientation non seulement liée à l’esprit mais à sa racine,
l’âme) qui, lorsque la fin désirée n’est pas unie d’une manière ou d’une autre,
est source d’un inconscient spirituel auquel Freud n’a pas pensé. Dès cette
terre, ses effets se font sentir chez les hommes qui ne vivent que dans le
sensible. C’est ce qu’on appelle l’angoisse.
Après la mort, lorsque l’âme se trouve libérée du corps,
l’instinct divin retrouve en plénitude son exercice et pousse l’âme à
s’orienter de toutes ses forces vers Dieu. Or, chez les damnés, cet amour
naturel, entitatif de l’âme est contrarié par l’intention perverse de leur
volonté qui les fait préférer l’amour d’eux-mêmes. Et c’est cet amour
désordonné de soi qui les plonge dans la séparation d’avec Dieu. Il y a donc
contradiction en eux entre le désir de leur nature et celui de leur volonté.
Cette contradiction est perpétuelle et très profonde puisqu’elle s’oppose au
désir le plus profond de la nature de leur être et est malgré cela voulue et
choisie dans une obstination lucide. L’instinct divin, étant pour l’éternité
séparé de son bien, se trouve en état de perpétuelle insatisfaction. Ce désir
de la nature qui trouve son origine dans l’âme elle-même, est source d’un feu
brûlant de l’âme, c’est-à-dire d’un profond mal être spirituel. Il ne cesse
jamais, de la même manière que la souffrance provoquée par l’instinct de la
nourriture chez les animaux ne cesse pas tant que la nourriture n’est pas
donnée.
Ce feu de l’enfer, qui brûle l’essence même de l’âme puisqu’il
trouve son origine dans un appétit entitatif de l’homme, contredit par la
chaleur intérieure qu’il provoque, la volonté perverse du damné. Il a donc
raison de peine et il est autre chose que la séparation d’avec Dieu.[873]
Solutions :
1. La séparation d’avec Dieu
étant voulue par l’âme des damnés à cause de leur volonté perverse, elle est
source en eux du feu de l’enfer de la manière que nous avons dite. Ce n’est pas
le cas chez les âmes des limbes car chez elles la volonté est droite et se
porterait, si elle le pouvait, vers la béatitude surnaturelle. Chez elles, le
désir de Dieu est réel mais il est source d’espérance et non de cette rage
désespérée de ceux qui, en enfer, s’obstinent dans le péché mortel actuel.
2. Celui qui refuse le don de
la Vision Béatifique ne le fait pas parce qu’il préfère rester dans un bonheur
naturel, comme celui que donne l’amitié ou la contemplation naturelle. Bien au
contraire ; de tels biens naturels disposent l’âme à désirer la Vision de
l’essence divine si elle est proposée par Dieu. Celui qui se damne ne se sépare
de Dieu qu’à cause d’une intention mauvaise, qui est l’amour de soi poussé
jusqu’au mépris des autres. C’est donc une volonté perverse qui se condamne
elle-même et mérite une peine proportionnée à sa perversité.
3. Toute âme séparée de la
vision de Dieu souffre d’une manière entitative d’un feu car le désir naturel
qui la fait tendre vers le bonheur absolu ne peut être comblé que par la
possession de Dieu. Cependant, ce désir de l’âme n’est pas ressenti de la même
manière chez tous. Ici-bas, chez ceux qui ne connaissent pas Dieu, il demeure
dans l’inconscient. C’est ce que montre saint Augustin dans les Confessions
en disant qu’il s’est rendu compte qu’il aimait Dieu sans le connaître le jour
où il l’a connu. Mais son effet est facilement repérable pour le psychologue
qui observe le comportement humain. Il se traduit en général chez le pécheur
par une fuite dans de multiples distractions ou occupations de la vie active,
une peur du silence, quelquefois même des névroses et des psychoses. Il est
aussi chez les jeunes et les personnes âgées l’origine principale des
angoisses, c’est-à-dire de ce sentiment de malaise sans cause connue.
Après la mort, cet instinct de l’âme se manifeste chez tous dans
toute sa force puisque le poids de la chair n’est plus là pour le cacher. Mais,
s’il est chez tous source de désir, il n’est pas source chez tous de
souffrance. Tout dépend de la proximité de Dieu. Chez l’âme glorifiée, unie à
l’objet de ce désir, cet habitus entitatif est source de la béatitude, c’est-à-dire
du bonheur sans autre désir. Chez les justes qui étaient retenus dans le
"sein d’Abraham », il
s’épanouissait dans le feu de la charité et l’exultation de l’espérance
certaine, grâce à la présence de la grâce sanctifiante. Il était source de joie
car ils étaient certains du salut à venir. Chez les âmes du purgatoire,
aimantes de Dieu mais séparées pour un temps de toute sa présence, il est
source d’un désir extrêmement douloureux. Elles souffrent de ce feu à cause de
l’absence de Dieu et des saints qu’elles ressentent comme totale et de la
connaissance qu’elles ont de déplaire au Ciel à cause de leurs imperfections.
Mais le péché véniel actuel qui demeure en elles étant accompagné d’une
fervente charité pour Dieu, elles éprouvent simultanément de par ce feu une
grande joie et paix. Quant aux âmes de l’enfer, enfin, elles n’éprouvent de par
le désir naturel de leur âme qui continue de tendre vers Dieu, que de la
souffrance puisque ce désir s’oppose directement à l’orientation de tout leur
être qui cherche le bonheur dans un bien opposé à savoir le péché. Et plus le
péché actuel du damné est intense, c’est-à-dire opposé au désir naturel de son
âme faite pour Dieu, plus il en subit les conséquences. L’intensité de cette
souffrance est incomparablement plus grande que celle qui peut exister sur la
terre à cause de la condition nouvelle de l’âme qu’aucune distraction
extérieure ne peut venir troubler la conscience de sa contrariété interne.
Objections :
1. Saint Augustin semble dire
que c’est impossible. Les choses par lesquelles sont affectées, en bien ou en
mal, les âmes sorties du corps, ne sont pas corporelles, mais ressemblent
seulement à des choses corporelles.
2. L’être qui agit sur un autre
lui est toujours supérieur. Or, aucun être corporel ne peut être supérieur à
l’âme séparée, donc agir sur elle.
3. Action et passion exigent
une matière commune à l’agent et au patient. Or il n’y en a pas pour l’âme
séparée qui est esprit et un feu corporel. C’est pourquoi il ne peut y avoir
non plus de transformation réciproque.
4. Si le feu corporel pouvait
agir sur l’âme séparée, celle-ci en recevrait donc quelque chose, qui serait
donc spirituel comme elle-même, et donc une perfection, au lieu d’une punition.
5. L’âme ne peut pas davantage
être punie par le feu[875], du fait qu’elle le voit
comme semble le dire saint Grégoire car cette vision, en l’absence de tout
organe, ne peut être qu’intellectuelle, et donc agréable, puisque, comme le dit
Aristote, il n’y pas de tristesse contraire au plaisir de la connaissance.
6. Un être corporel ne peut
agir à distance qu’en agissant sur les intermédiaires. Or, on ne voit pas
comment le feu de l’enfer aurait une telle puissance, ni surtout qu’il l’exerce
de fait, sur les âmes et sur les démons qui ne sont pas toujours dans l’enfer,
et dont cependant la peine doit être ininterrompue comme l’est aussi le bonheur
des élus.[876]
7. Il semble que le feu de
l’enfer qui tourmente l’âme des damnés n’est pas un feu matériel. Saint Jean
Damascène dit en effet : « Le diable
et les démons, et leur homme, c’est-à-dire l’Antéchrist, seront livrés avec les
impies et les pécheurs, au feu éternel, non pas matériel comme celui qui est
ici, parmi nous, mais tel que Dieu le connaît" Le feu de l’enfer ne sera
donc pas corporel.
8. Les âmes des damnés,
séparées de leur chair, sont jetées au feu de l’enfer. Mais saint Augustin dit[877] : « Je pense que le lieu où l’âme est envoyée après la mort est spirituel,
et non corporel. » Donc le feu de
l’enfer n’est pas un feu corporel.
9. Le feu physique, dans sa
manière d’agir brûle aussi bien les bons que les mauvais. Au contraire, la
peine du feu de l’enfer tourmentera les damnés en proportion de leurs fautes.
C’est pourquoi saint Grégoire dit[878] : « il n’y a qu’un feu de la géhenne, mais il ne tourmente pas tous
les pécheurs de la même manière : chacun subira une peine proportionnée à sa
faute. » Le feu n’est donc pas
physique.
Cependant :
Une décision de la Sacrée Pénitencerie (1890) interdit de donner
l’absolution à qui ne verrait dans le feu de l’enfer qu’une métaphore désignant
les peines intenses des damnés. Cette décision, de caractère disciplinaire, se
fonde sur l’enseignement commun des théologiens[879].
Conclusion :
Au sujet de l’existence d’un feu physique dans l’enfer dès avant
la résurrection de la chair, il n’y a pas de définition solennelle de la part
du Magistère de l’Église, mais seulement l’opinion commune de la plupart des
grands docteurs, Pères de l’Église et théologiens. Dans l’Écriture Sainte, il
est possible que, malgré leur nombre, les textes parlant au sens littéral d’un
feu matériel signifient par mode de métaphore une souffrance lancinante. Mais,
après la résurrection de la chair, selon l’opinion la plus commune, on doit
affirmer ceci : il ne fait pas de doute, les damnés souffriront d’un feu de
nature physique car la perversité de leur âme rejaillira par ses effets jusque
dans leur psychisme et dans leur corps, comme nous l’étudierons ultérieurement[880].
Parlons d’abord du feu de l’enfer avant cette résurrection finale.
Il faut se demander s’il est possible et comment il peut être possible qu’un
feu corporel tourmente l’âme incorporelle. Il existe deux sortes
d’argumentations, selon la nature que chacun attribue à l’âme.
1° Un premier groupe de
théologiens, dont saint Thomas d’Aquin à la suite d’Aristote, pense que l’âme
séparée du corps est un pur esprit, comparable aux anges. Son rapport à la
matière se résume à un désir, lié à la nature de l’âme faite pour être unie à
son corps, du retour des facultés du corps dont la sensibilité.
Cette première hypothèse étant posé, ces théologiens se sont demandé
comment une âme séparée pouvait souffrir d’un feu alors qu’elle n’a plus de sensibilité.
Une première opinion admet que l’âme peut souffrir en réalité d’un feu
corporel : « Nous pouvons conclure des récits évangéliques, dit saint
Grégoire, que l’âme souffre du feu non seulement en le voyant mais en
l’éprouvant. » Voici l’explication qu’on en donne. Le feu corporel de
l’enfer peut être considéré à un double point de vue : comme une chose
corporelle quelconque, et ainsi il est incapable d’agir sur l’âme ; comme
instrument de la justice divine qui exige, et c’est dans l’ordre, que l’âme
qui, par le péché, s’est faite l’esclave des choses corporelles pour jouir, le
soit aussi pour être punie. D’autre part, l’instrument agit non seulement par
sa vertu propre, mais encore par la vertu de celui qui l’emploie. Il n’est donc
pas déraisonnable d’admettre que ce feu vengeur, servant d’instrument à un être
spirituel, puisse agir sur des esprits comme l’âme et le démon. C’est ainsi que
s’explique la sanctification de l’âme par les sacrements.
Cette opinion prête à la critique. En effet, un instrument n’agit
pas seulement par la vertu que lui communique l’agent principal, mais encore
par sa vertu propre et naturelle ; bien plus, c’est l’usage de celle-ci qui
permet à la première de s’exercer : c’est parce que l’eau du baptême lave le
corps qu’elle peut sanctifier l’âme, c’est parce que la scie coupe le bois
qu’elle peut bâtir une maison. Il est donc nécessaire d’assigner au feu une
action sur l’âme, qui soit en rapport avec sa nature corporelle, pour qu’on
puisse en faire l’instrument de la justice divine sur l’âme pécheresse.
Une seconde opinion affirme que le damné est condamné par Dieu à
ne plus pouvoir considérer par son intelligence que l’essence même du feu
matériel, de telle façon qu’elle ne puisse plus connaître rien d’autre. Ce ne
peut être que de la même manière qu’il le fait pour les purs esprits que sont
les démons. Or nous avons vu que les purs esprits sont dits être en rapport
avec une réalité matérielle quand leur intelligence connaît par un jugement
actuel cette réalité ou quand ils y appliquent l’efficacité de leur action.
Ainsi, le démon est considéré comme présent dans le corps d’un homme quand il
prend possession par sa puissance des facultés de cet homme. Les anges ont par
nature la possibilité de porter leur jugement successivement sur diverses
réalités ou même d’y appliquer leur action. En ce sens on parle pour eux de
mouvement local. Mais cette liberté angélique par rapport au mouvement local
peut être entravée par une décision de la volonté divine : Dieu peut donc
empêcher un pur esprit de tourner son intelligence vers certaines réalités au
point qu’il ne puisse plus les connaître selon un jugement actuel. De même, il
peut leur interdire d’y porter leur action comme on le voit dans le livre de
Tobie[881] : « l’ange Raphaël poursuivit le démon, l’entraîna et le garrotta
sur-le-champ. »
Cette opinion présente un avantage : elle permet d’expliquer par
une raison plus pratique l’origine de la peine : Les démons et les âmes, étant
pris par l’obsession de cette idée fixe du feu, comme dans une prison, n’ont
plus la liberté de connaître ce que font les hommes sur la terre et donc de
leur nuire. Cependant elle présente aussi de graves inconvénients : comme nous
l’avons vu, la damnation étant le fruit d’un acte totalement libre de la part
de la créature, il serait inconvenant que Dieu détruise totalement la liberté
de pensée dont il a respecté l’orientation, en obscurcissant ainsi son
intelligence. L’intelligence du damné et du démon doit pouvoir se porter sur
autre chose que sur la considération de la nature du feu, et peut-être tout
particulièrement sur les raisons de son choix qu’elle maintient obstinément.
C’est pourquoi il existe une troisième opinion. Les damnés
souffriraient du feu à cause de l’obsession même de leur esprit centré sur la recherche
d’eux-mêmes. Ils passent leur temps à chercher leur bon plaisir sans jamais le
trouver. Dans leur aigreur, et leur repli sur la considération d’eux-mêmes, ils
sont comme enfermés dans un lieu (eux-mêmes) à l’exclusion des autres. En ce
sens on peut dire que l’enfer est une prison et qu’on y souffre un feu matériel
car localisé. C’est de cette manière que les démons de l’enfer peuvent être
torturés par une réalité en rapport avec le monde physique et le mouvement
local. Leur obsession égoïste entrave leur intelligence et leur puissance au
point qu’ils ne peuvent faire autre chose que de considérer actuellement les
réalités de l’enfer, à savoir l’état de leur propre nature rongée par les
conséquences de leur choix pervers et obstiné, et la compagnie des autres
damnés. Cela représente pour leur esprit une prison insupportable. Il est
naturel en effet sur cette terre à celui dont la conscience n’est pas en paix,
de fuir toute confrontation avec lui-même dans le silence. C’est la même raison
qui poussait les démons que Jésus exorcisait du corps d’un possédé à demander
de[882] « ne pas les envoyer dans l’abîme » car ils estimaient que c’était une peine terrible pour eux
de ne plus pouvoir s’occuper et de devoir appliquer passivement leur
intelligence à rien d’autre qu’à la considération du feu éternel en eux. Ils
préféraient tout à cela, même être envoyés dans un troupeau de porcs.
Cependant, même considéré de cette manière, il faut admettre que
cette prison de feu ne peut agir sur l’âme que d’une manière adaptée aux purs
esprits, c’est-à-dire d’une manière spirituelle. On voit la difficulté extrême
de conclure à une peine sensible si l’âme des morts n’a plus de sensibilité.
2° Un second groupe de
théologiens (saint Augustin avant ses rétractations, ceux qui de nos jours
s’intéressent à la N.D.E) pense que les âmes, en se séparant du corps physique,
conservent leur corps psychique et les facultés sensitives qui vont avec. Dans
cette hypothèse, il est aisé de comprendre comment une souffrance sensible peut
exister.
Plusieurs explications ont été apportées. Selon l’opinion
d’Avicenne, les âmes des méchants, avant la résurrection, sont punies non dans
leur corps, mais dans une sorte d’image du feu produite par leur imaginaire. De
même, dans les songes, à cause des similitudes des choses, qui se trouvent dans
l’imagination, il semble à l’homme qu’il soit torturé par des peines diverses.
Il semble que saint Augustin admette aussi ce mode de punition, dans son commentaire
de la Genèse. Cet obscurcissement de leur intelligence et de leurs sens
viendrait d’une punition de Dieu. L’argumentation habituelle de ces théologiens
consiste à dire que « cette peine est nécessaire pour cause de
justice car il est normal que celui qui pèche par ses sens reçoive une peine
sensible pour le mal commis. Ainsi voit-on sur la terre que les juges
appliquent aux coupables des peines proportionnelles à leur crime. » De
cette façon, ils tentent de rétablir l’ordre de la société qui a été de quelque
manière détruit et ils donnent un exemple qui sert d’avertissement pour ceux
qui seraient tentés de commettre le même crime. Il leur semblait en être ainsi
de la part de Dieu pour les peines en enfer.
Une telle argumentation, appuyée sur l’application par Dieu d’une
stricte justice pénale envers les damnés ne peut que susciter les plus vives
réserves pour trois raisons[883] :
-- Il n’est nul besoin d’ajouter pour l’exemplarité de la peine
l’existence d’un autre feu que le feu spirituel décrit à l’article précédent,
ce feu spirituel étant la souffrance la plus grande qui puisse exister.
-- Dieu n’agit jamais par raison de stricte justice. S’il l’avait
fait, nous serions tous damnés éternellement sans espoir de salut, à cause en
tout premier lieu, du choix libre de nos premiers parents, Adam et Ève,
lorsqu’ils se séparèrent de Dieu en leur nom et en notre nom. De plus, on voit
mal comment un damné dont la liberté et la maîtrise sont totales et respectées
par Dieu, pourrait être puni par un phantasme incontrôlable de son imagination.
-- L’exemplarité n’existe plus dans l’autre monde puisque le choix
de chacun est déterminé par la seule liberté, jamais par la peur.
Tout cela ne paraît pas convenir. C’est pourquoi, pour être
concluant, il semble qu’on doive parler autrement. Il existe réellement en
enfer, dès avant la résurrection de la chair, un feu sensible. Mais il n’est
pas besoin de voir en lui un quelconque ajout de la justice de Dieu. Il est la
conséquence normale, à l’intérieur de la vie psychique, de la contradiction
spirituelle entre le péché contre l’Esprit et le désir naturel de Dieu. Le feu
spirituel de l’angoisse laisse l’âme déchirée et étrangère à ce pourquoi elle
est faite. Les passions ne font que suivre en se développant anarchiquement.
Elles cherchent leur bien propre (plaisirs, honneurs et possessions). Elles ne
le trouvent jamais. Elles se révoltent de toutes les manières possibles.
L’enfer tel que l’a décrit Dante peut donner une idée qui n’est pas seulement
métaphorique du déchaînement[884] d’une sensibilité privée de
sa fin. L’âme se trouve alors prisonnière de la propre prison qu’elle s’est
créée.
Dieu n’ajoute aux damnés aucune autre peine que celles qui
découlent, par voie de conséquence naturelle de leur péché. Il ne met qu’une
seule limite à leur liberté. Il les empêche de venir nuire ou effrayer en toute
liberté les hommes qui sont encore sure terre. Mais cette décision ne vise pas
à punir les damnés. Loin d’être l’application d’une stricte justice pénale,
cette limite de leur liberté est rendue nécessaire au bien des hommes vivants
sur la terre, afin que la présence négative des esprits de l’enfer ne viennent
pas trop troubler la paix des vivants. Et s’il arrive que quelques démons ou
quelques âmes de l’enfer peuvent être laissés par Dieu sur la terre, c’est
parce qu’il peut en sortir un bien supérieur pour l’homme qui résiste
héroïquement à la tentation suscitée par eux.
Solutions :
1. Saint Augustin veut dire que
la cause prochaine de douleur ou d’affliction pour l’âme est spirituelle : elle
souffre par la connaissance qu’elle a d’être emprisonnée sur elle-même, sur la
perpétuelle considération de son âme révoltée contre Dieu et pourtant faite
pour Dieu. Cette prison étant un lieu de souffrance, on peut l’appeler par
métaphore un feu matériel. Cette souffrance spirituelle se répercutant dans la
sensibilité qui lui est liée, à travers toutes sortes de passions excessives et
négatives, on peut la qualifier au sens plus propre un feu sensible, même avant
la résurrection de la chair. Après cette résurrection, par somatisation,
l’absence voulue de Dieu et de l’amour ira jusqu’à provoquer des souffrances
physiques et des déformations de la chair.
2, 3, 4. La matérialité du feu de l’enfer est à prendre dans le sens que
nous avons dit, à savoir comme une souffrance sensible découlant naturellement de
la souffrance de l’âme[885]. Elle est aussi un lieu qui
emprisonne l’esprit puisque le damné est obsédé par la considération de
lui-même. En dernier lieu, après la résurrection de la chair, il se peut que
les damnés, pour éviter toute rencontre fortuite avec les saints qu'ils
haïssent, se terrent au plus profond des lieux déserts.
5. La vision intellectuelle ne
comporte aucune souffrance du fait que quelque chose est vu : car, à ce point
de vue précis, il ne peut y avoir de contrariété entre l’objet et la faculté.
Dans la vision sensible, il peut y avoir une contrariété indirectement : il
arrive que l’objet, par l’action qu’il exerce pour être vu, blesse l’organe
visuel. Cependant la vision intellectuelle elle-même peut être une cause de
souffrance, si ce que l’on voit est appréhende comme un mal, non pas par le
seul fait d’être vu, mais pour tout autre motif. C’est ainsi que la vision de
soi-même en feu fait souffrir l’âme.
6. Les esprits condamnés à
l’enfer n’en sortent jamais sans que Dieu le permette pour instruire ou exercer
les élus. Où qu’ils soient, ils voient toujours le feu de l’enfer puisqu’ils le
portent en eux, de même que des prisonniers, même hors de leur prison,
souffrent en quelque sorte de la prison à laquelle ils sont condamnés.
Cependant la peine des damnés en est alors diminuée car en exerçant des
activités extérieures à eux-mêmes, ils se peuvent distraire momentanément
d’eux-mêmes.
7. Cette parole de saint Jean
Damascène signifie que la peine du feu, pour les damnés et les démons, est
avant tout une souffrance spirituelle, puisqu’elle trouve son origine
essentiellement dans la tristesse qu’ils ont d’être séparés de leur fin, dont
ils possèdent le désir naturel. C’est ce que nous avons montré dans l’article
précédent. C’est la peine du dam.
Mais il existe, dès avant la résurrection des corps, une peine du
sens qui correspond au fait qu’elles se sont tournées vers les créatures d’une
manière défendue. L’âme est donc tourmentée par un emprisonnement, de même
qu’elle a péché en se tournant indûment vers l’exaltation d’une liberté
orgueilleuse. Mais dans les deux cas, lorsque l’on parle de peine du feu, on
doit l’entendre ainsi : Il brûlera en contraignant la volonté du pécheur par
l’esclavage dans lequel il se plonge lui-même. Ainsi, quand l’Écriture dit à
propos des damnés qu’ils brûleront dans le feu, qu’ils seront affligés par des
pesanteurs etc., elle entend (au moins avant la résurrection du corps) des
souffrances spirituelles et sensibles, c’est-à-dire diverses contrariétés pour
volonté orgueilleuses du pécheur et pour ses passions.
8. Comme nous l’avons dit,
l’enfer est d’abord un état d’âme : celui d’une volonté suffisamment perverse
pour rejeter tout autre amour que celui d’elle-même. Mais, en un second sens,
il est aussi un lieu où les damnés et les démons sont emprisonnés, en ce sens
que leur intelligence et leur capacité d’action ne peut se porter vers autre
chose que les réalités contenues dans ce lieu.
9. Avant la résurrection des
corps, le feu matériel de l’enfer agira à la manière d’une prison dans lequel
l’âme des damnés sera enfermée. Il sera donc d’autant plus source de
contrariété pour la volonté que celle-ci aura un plus grand orgueil. Car plus
un homme a le sens de sa propre suffisance, moins il supporte facilement les
contrariétés qui s’opposent à sa liberté. Donc ceux qui auront davantage péché
souffriront davantage du feu de l’enfer.
Objections :
1. Les damnés ne peuvent
éprouver de rancoeur pour leurs actes sans quoi ils seraient amenés à s’en
repentir. Celui qui en effet regrette un mal accompli est disposé à en demander
pardon à Dieu. Or on a vu que cela était exclu chez les damnés. Donc la
rancoeur n’existe pas.
2. C’est librement que les
damnés ont choisi de se séparer de Dieu. Ils l’ont fait lucidement à cause de
l’amour d’eux-mêmes. Ils n’en éprouvent donc aucune rancoeur, à la manière de
ceux qui sur terre peuvent pécher sans en éprouver aucun regret.
3. Si le ver rongeur de la
rancoeur existe, on voit mal comment on peut le distinguer de la peine du feu
qui est, comme lui, une peine spirituelle.
Cependant :
L’Écriture l’affirme[886] : « Dans la géhenne, leur ver ne meurt point. »
Conclusion :
La métaphore du ver rongeur signifie un état de l’âme semblable à
celui d’un fruit qui serait rongé de l’intérieur par un ver. Il est bien
évident que le ver des damnés ne doit pas être considéré comme corporel, même
après la résurrection des corps puisque le corps sera alors incorruptible. Il
s’agit plutôt de la rancoeur de la conscience qui ronge intérieurement les
damnés.
Pour comprendre comment, il faut considérer ce qui suit :
l’intelligence humaine possède par nature une orientation qui lui fait
discerner ce qui est bien et ce qui est mal. Il s’agit d’un habitus qui invite
au bien la volonté et proteste contre le mal lorsque l’homme se met, à l’aide
des premiers principes pratiques, à la recherche de ce qu’il faut faire. Cet
habitus naturel est appelé par les philosophes la syndérèse. Tant que
l’homme est sur la terre, la syndérèse peut être en partie étouffée par les
habitudes vicieuses. C’est ainsi que les méchants peuvent arriver à faire le
mal sans que la voix de leur conscience se fasse trop entendre. Cependant, la
syndérèse est toujours présente sous forme d’un habitus dont le siège est
l’intelligence et dont l’effet porte sur la volonté. Elle proteste contre le
péché. Son action, lorsqu’elle est refoulée par le vice, peut alors s’exercer
dans le sommeil par des songes comme le rapporte le livre de la sagesse[887] : « Alors que les méchants pensaient demeurer cachés avec leurs
péchés secrets, sous le sombre voile de l’oubli, ils furent effrayés par de
terribles frayeurs, épouvantés par des fantômes, car le réduit qui les abritait
ne les préservait pas de la peur ; des bruits effrayants retentissaient autours
d’eux et des spectres lugubres, au visage morne, leur apparaissaient. » Les cauchemars des impies sont
un effet de leur conscience morale naturelle, c’est-à-dire de la syndérèse
qu’ils ne peuvent jamais complètement détruire en eux. C’est pourquoi les
méchants ne trouvent jamais la paix dans leur cœur et sont sans cesse rongés
par le ver de la rancoeur.
Cette souffrance est ce que l’Écriture appelle le ver. Après la
mort, lorsque l’âme est séparée du corps, la syndérèse retrouve son exercice
parfait puisqu’elle n’est plus empêchée par une occupation extérieure. Elle
peut donc se manifester en plénitude par la tristesse de la rancoeur lorsque la
volonté d’un homme s’oriente dans une autre direction que celle du bien. Une
telle perversion de la volonté est ce qui caractérise l’état des damnés
puisqu’ils sont perpétuellement en état de péché mortel. Nous avons montré
d’autre part que leur péché mortel est parfait au point de constituer un
blasphème contre le Saint Esprit puisqu’il implique une parfaite lucidité et
maîtrise de soi. Il est donc évident que les damnés sont rongés par le ver de
la rancoeur, perpétuellement, selon la mesure de leur perversité.
Solutions :
1. La rancoeur des damnés est
une protestation naturelle de leur conscience profonde. Si les damnés le
pouvaient, ils s’efforceraient de faire disparaître ce ver rongeur comme on le
voit chez les méchants de la terre qui chassent les cauchemars de la rancoeur
en les noyant dans les activités extérieures et en fuyant la solitude. Bien
loin de conduire les damnés au repentir, la rancoeur qui les oppresse les
pousse à blasphémer davantage Dieu qui en est la cause première. Mais leur
volonté perverse préfère souffrir ainsi plutôt que de renier son choix
orgueilleux.
2. Il est vrai que les damnés
se sont séparés de Dieu en toute conscience. Mais c’est justement cette
parfaite conscience qui démultiplie en eux la protestation de l’instinct
naturel de leur conscience. Au moment du jugement dernier, la volonté perverse
des damnés est allée jusqu’à rejeter le pardon proposé par Dieu au travers de
l’apparition de l’humanité Sainte de Jésus. Selon la Bible, les damnés ont vu « celui qu’ils transperçaient »[888], ce qui signifie qu’ils se
sont séparés de Dieu en sachant qu’en le faisant, ils crucifiaient à nouveau
Jésus d’une manière mystérieuse.
Le souvenir du regard de Jésus crucifié, croisé au moment du
jugement, ne peut jamais quitter l’intelligence des damnés et reste constamment
à leur mémoire. Ce souvenir démultiplie donc en eux la conscience d’avoir mal
agi et le ver rongeur de la rancoeur. Mais loin de les conduire au repentir de
leur faute, il conduit au blasphème car leur seul regret est celui de devoir
souffrir. Car le repentir est la souffrance d’avoir blessé une personne aimée.
Leur rancoeur est la souffrance de ne pas avoir réussi leur projet de béatitude
sans repentir et amour.
3. Le feu de l’enfer a son
siège dans l’essence même de l’âme qui, étant faite naturellement pour l’union
à Dieu, reste éternellement insatisfaite. Le ver rongeur a son siège dans la
puissance intellectuelle, mais son effet dans la volonté qui, étant
naturellement portée au bien, souffre de l’orientation perverse choisie.
Objections :
1. Cela est impossible, au
moins avant la résurrection des corps puisque les damnés sont séparés de leur
chair. Ils sont donc incapables de pleurer ou de grincer des dents.
2. Celui qui pleure peut le
faire pour plusieurs causes : un amour contrarié, le regret d’une faute, par
exemple. Mais les larmes sont toujours un signe de faiblesse. Donc si les âmes de
l’enfer pleurent, c’est qu’elles ne sont pas parfaitement déterminées dans leur
péché. Ce n’est pas le cas en enfer. Donc il n’y a pas de place pour les
pleurs.
Cependant :
Jésus affirme sept fois dans les évangiles à propos de l’enfer[889] : « là seront les pleurs et les grincements de dents. » Cela semble donc être une vérité
irrévocable.
Conclusion :
Lorsqu’il s’agit de réalités spirituelles, l’Écriture a l’habitude
de s’exprimer par mode de métaphore. Ainsi, elle rend plus accessible aux
hommes des réalités qui par nature les dépassent. C’est ainsi que "le bras
de Dieu" ne signifie pas que Dieu ait un bras comme nous mais qu’il a la
puissance d’agir dans le monde. Il en est de même pour les pleurs ou les
grincements de dents. Ils expriment avant tout sous un mode sensible un état
permanent de l’esprit et du psychisme des damnés, même si, après la
résurrection des corps, ils prendront une vérité propre puisque les pensées et
la sensibilité des passions se répercuteront jusque dans les actes extérieurs du
corps.
Auparavant, on peut dire que les damnés pleurent et grincent des
dents d’une manière passionnelle. Par les pleurs, l’Écriture veut exprimer la
souffrance extrême provoquée par le feu de l’enfer et par la rancoeur car c’est
par les pleurs que s’exprime habituellement la souffrance. Par les grincements
de dents, elle veut exprimer l’état permanent de révolte et de rancœur contre
tout ce qui s’oppose à leur volonté perverse. Ils se révoltent en particulier
contre la peine du lieu matériel de l’enfer qui, en les empêchant de nuire aux
vivants, les empêche d’agir à leur guise dans le monde. Ils se révoltent aussi
contre les volontés de Dieu qu’ils savent être cause première de leur
emprisonnement.
Solutions :
1. Cela répond à la première
objection.
2. Les âmes de l’enfer sont,
quant à leur volonté, irrémédiablement décidées à se maintenir dans le péché,
au point qu’elles seraient prêtes à retourner au néant plutôt qu’à s’humilier
par la pénitence. Par contre, elles sont en état de faiblesse quant à leur
esprit qui est rongé de rancoeur et quant à leur liberté d’action qui est
entravée par leur emprisonnement dans l’enfer. Sous ce rapport, elles peuvent
donc pleurer. Mais ces pleurs ne méritent pas par rapport à Dieu. Ils sont des
pleurs de rage et non de contrition.
Objections :
1. Les damnés voient leur
châtiment et cela augmente leur peine. Leur intelligence est donc éclairée par
quelque lumière divine. Elle n’est donc pas dans les ténèbres.
2. Les damnés voient le bonheur
des élus, selon le témoignage de l’Écriture[890] : « Le riche vit Abraham et Lazare en son sein. » Donc ils ne sont pas plongés dans les ténèbres extérieures au
monde des bienheureux.
3. Le livre de Job raconte que[891] « le démon assiste au conseil divin, en présence des bons
anges. » Or le démon est en enfer.
S’il peut pénétrer en présence de Dieu, c’est qu’il n’est pas dans les ténèbres
extérieures. Il doit donc en être de même pour les âmes des hommes.
Cependant :
Saint Matthieu dit[892] : « après lui avoir lié les mains et les pieds, jetez le dans les
ténèbres extérieures. »
Conclusion :
Comme tout ce que dit l’Écriture à propos de l’enfer, les ténèbres
extérieures signifient avant tout une peine spirituelle, même si elles
prennent, après la résurrection de la chair, une signification corporelle.
Ainsi la lumière et les ténèbres se rapportent à un bien de
l’intelligence, à savoir à la connaissance qui est une lumière pour le
jugement. On doit donc dire que les damnés, après leur jugement, connaîtront
certaines choses et en ignoreront d’autres.
Ils connaîtront tout ce qui est nécessaire à la justice de leur sentence
éternelle. Ainsi, un condamné doit savoir pourquoi il est condamné et à quelle
peine il est condamné. Une telle science, les damnés la reçoivent avant même le
jugement dernier, comme nous l’avons montré et ils la reçoivent en plénitude
par apparition de l’humanité Sainte du Christ. Ils savent donc et n’oublient
jamais que Dieu existe, qu’il propose aux humbles la vision de son essence,
qu’il réprouve les orgueilleux et les punit avec les peines éternelles de
l’enfer. Ils expérimentent d’ailleurs ces peines dans leur âme à chaque
instant. Sous ce rapport, les damnés ne sont pas dans les ténèbres.
Cependant, après avoir été plongés dans la séparation d’avec Dieu,
les damnés ne peuvent plus rien connaître du monde extérieur à l’enfer, sauf si
une disposition particulière de la miséricorde ou de la justice divine en
décide provisoirement autrement. Même dans ce cas, on peut dire qu’ils sont
dans les ténèbres extérieures puisque, s’ils voient le bonheur des élus, ils
sont incapables d’en connaître la cause qui est Dieu. Cette vision est plutôt
source pour eux d’un surcroît de souffrance à cause de l’envie qui les dévore.
C’est pourquoi elle n’est donnée à tous sans exception qu’une fois, lors du
jugement général qui manifestera aux yeux de l’univers entier les secrets les
plus cachés, le bien et le mal du cœur de chacun. C’est donc par miséricorde
que Dieu sépare les damnés de la vision du festin éternel des élus, pour ne pas
multiplier inutilement les pleurs et les grincements de dents.
Solutions :
1. La vision de leur châtiment
est une lumière nécessaire à la justice. Mais les damnés sont dans les ténèbres
par rapport à tout ce qui est extérieur à l’enfer, c’est-à-dire par rapport au
monde terrestre et au paradis. Il est même improbable qu’ils puissent voir les
âmes du purgatoire, bien qu’elles soient séparées de Dieu. S’ils les voient,
c’est de toute façon sans comprendre ce qu’elles sont car la charité brûlante
de ces âmes leur échappe.
2. Les damnés, avant le jour du
jugement, verront parfois les bienheureux dans la gloire mais non de telle
sorte qu’ils comprennent quelle est leur gloire mais en sachant qu’ils sont
dans une gloire inestimable. Cela les trouble soit à cause de leur envie qui
les fera souffrir de voir leur félicité, soit parce qu’ils auront conscience
d’avoir perdu eux-mêmes cette gloire. C’est pourquoi la sagesse dit[893] : « À ce spectacle, ils seront troublés par une crainte horrible. » Mais, après le jour du jugement, les
damnés seront complètement privés de la vue des bienheureux. Cela ne diminuera
pas leur envie, car ils garderont le souvenir de la gloire des bienheureux,
qu’ils auront aperçue au jugement général ou parfois avant le jugement. Plus
tard, ils souffriront de voir qu’ils sont considérés comme indignes même de
voir la gloire méritée par les saints.
3. Tant qu’il reste des hommes sur
la terre, certains démons reçoivent de Dieu la permission de sortir de l’enfer.
La raison en est que, malgré leur désir de nuire aux hommes, ils peuvent
involontairement leur être utiles, car l’homme qui, résistant ou chutant dans
la tentation, en développe de l’humilité et de l’amour, s’approche de Dieu.
Cependant, même si les démons voient ce qui se passe sur la terre
et entrent en contact avec les élus, ils peuvent être considérés comme plongés dans
les ténèbres extérieures puisqu’ils ne participent en aucune manière à la joie
du paradis. Ils éprouvent au contraire de la colère et de l’envie à la vision
d’un tel bonheur qui leur est étranger. Après la fin du monde, Lucifer lui-même
sera définitivement séparé des élus puisqu’il n’y aura plus d’utilité à son
action. C’est pourquoi l’Apocalypse écrit[894] : « Le diable, leur séducteur, fut jeté dans l’étang de feu et de
souffre. » Il sera donc définitivement
dans l’ignorance de ce qui se passe au paradis. Il sera dans les ténèbres
extérieures.
Objections :
1. Il semble que toutes les peines
de l’enfer peuvent se ramener à celle du feu qui est la plus terrible. Les
autres noms ne sont que des manières différentes pour définir l’effet nuisible
de cette unique peine.
2. Dans l’âme des pécheurs, il
peut s’établir une complexité morale indéfinie car celui qui s’éloigne de Dieu
devient complexe. Il est donc plus simple de classer les peines de l’enfer sous
quelques symboles marquant comme le feu, le ver rongeur, les ténèbres ; Inutile
de chercher à aller plus loin.
Cependant :
L’Écriture parle du « soufre,
du sel, de la terre brûlée »[895] « des torrents qui se changent en poix ».[896] Bien d’autres noms peuvent
être appliqués à l’enfer. Donc il existe en enfer d’autres peines.
Conclusion :
Comme nous l’avons montré, toutes les peines de l’enfer, aussi
bien avant la résurrection des corps qu’après, découlent en droite ligne du
blasphème contre l’Esprit Saint qui amène le pécheur à rompre avec Dieu. Elles
peuvent toutes se comprendre par analogie à la mort pour le corps : quand le
principe vital, l’âme, est atteint, la corruption s’installe dans les autres
parties du corps. De même pour les damnés, la charité étant détruite par le
péché, laisse place à de multiples corruptions. C’est pourquoi la Bible appelle
la damnation "la seconde mort".[897]
Les souffrances et les peines des damnés peuvent être classées en
trois ordres : celles qui ont rapport avec Dieu, celles qui ont rapport avec
soi-même, celles qui ont rapport avec le prochain et avec l’univers entier.
1° En ce qui concerne Dieu,
qui est le principe de toute béatitude dans l’au-delà, la corruption qui trouve
sa racine dans l’amour désordonné de soi a comme première conséquence la
séparation définitive d’avec lui. De cette séparation naît immédiatement la
peine du feu spirituel qui est la souffrance naturelle d’une âme coupée de ce
pourquoi elle est faite ; En Dieu, il ne faut pas seulement considérer
l’essence de son être mais aussi les volontés qui émanent de lui. Par rapport à
ces volontés qui consistent essentiellement en une exigence de charité, d’humilité
et de pureté, l’âme répond par la révolte qui est symbolisée par les
grincements des dents ; c’est de Dieu que l’âme reçoit certaines peines comme
celle du feu matériel qui l’emprisonne comme dans un abîme : à cela, l’âme
répond par la douleur symbolisée par les larmes ; par la haine de Dieu, la
rancœur qui peuvent correspondre au soufre car la haine ronge le cœur à la
manière du soufre sur la peau ; Par la colère puisque l’âme a l’impression
d’être opprimée dans sa liberté et cela peut correspondre au souffle de la
tempête ; Par le regret de souffrir et même de vivre qui peut être représenté
par les eaux glaciales ; et par bien d’autres pensées négatives qui se nouent
au fur et à mesure.
2° Par rapport à elle-même, on
peut classer les peines de l’enfer selon qu’elles nuisent à leur essence, à
l’intelligence, à la volonté ou à la capacité d’action. Par rapport à son
essence, l’âme subit en conséquence de son péché la peine d’un feu
intérieur tel que nous l’avons décrit précédemment. Dans son intelligence, elle
s’emprisonne elle-même dans la considération d’elle-même. Cette pensée, sans
cesse présente à son jugement l’empêche de se porter librement vers les
considérations de son choix. Dans sa volonté, elle subit les atteintes d’une
rancoeur qui ne cesse pas. Quant à sa capacité d’action, elle est entravée par
la vue de son malheur qui se comporte à son égard à la manière d’une prison. À
ces peines principales s’ajoutent d’autres qui, telles les métastases d’un
cancer, s’étendent dans toutes les activités des damnés. Ainsi, l’âme éprouve
de la haine vis-à-vis d’elle-même puisqu’elle sait profondément être la cause
première de son malheur. Une telle haine peut être là encore symbolisée par le
soufre ; la conséquence de cette haine est que l’âme fuit la confrontation avec
elle-même et le silence car son cœur lui apparaît comme un désert sans eau ;
elle se fuit en se plongeant dans l’agitation extérieure à la manière du vent
de la tempête ou du vol des sauterelles n’ayant plus de finalité en dehors
d’elle-même à cause du désespoir qui est comparable aux ténèbres : l’âme
erre sans but. Elle est donc dans la solitude d’un Ciel sans étoiles.
De même que tous les maux spirituels liés au repli sur soi peuvent
exister en elle, ils prolongent leur corruption jusque dans la sensibilité par
les sentiments négatifs d’angoisse, de tristesse, de haine, d’envie, de
désespoir, de crainte. Après la résurrection, ces souffrances s’étendront
jusque dans le corps qui en sera déformé et appesanti.
3° Par rapport au prochain,
toute présence sera à l’âme un poids, selon cette parole d’un philosophe[898] "l’enfer, c’est
l’autre. » La vision des élus
provoquera l’envie par rapport à leur bonheur. Et cette envie est comparable à
la lèpre ; la colère par rapport au propre malheur du damné comparable à la
tempête. La vision des autres damnés chez qui n’existe que l’égoïsme sera
source d’amertume pesante car au aucune joie ne peut sortir de la complicité
dans le malheur.
En résumé, on peut dire, selon saint Basile qu’à la purification
finale du monde se produira une séparation des éléments : tout ce qui est pur
et noble demeurera en haut, pour la gloire des bienheureux, mais tout ce qui
est vil et corrompu sera précipité en enfer pour la peine des damnés : ainsi
toute créature sera, pour les bienheureux, matière à jouissance, et pour les
damnés augmentation de tourments, selon la Sagesse[899] : « l’univers combattra avec lui les insensés. » Cela se réalisera dès avant la résurrection pour les maux de
l’âme, et après la résurrection pour ceux du corps.
Saint François de Sales écrira que[900] « Les peines sont toutefois moindres de beaucoup que les
coulpes et crimes pour lesquels elles sont infligées. »
Solutions :
1. Parmi les peines, la peine
du feu est la plus fondamentale puisqu’elle trouve son origine immédiate dans
la séparation d’avec Dieu. Cependant, on doit admettre d’autres peines
surajoutées à ce désir naturel du bonheur comme celle qui est symbolisée sous
le froid glacial et qui peut signifier le désir de disparaître dans le néant à
cause du désespoir.
2. Il est vrai que le péché
provoque la complexité de l’âme puisqu’il la disperse dans la recherche
insatiable d’un bonheur qui n’existe qu’en Dieu. Cependant, on peut établir
quelques unes des caractéristiques de cette complexité qui a sa source dans
l’unique amour de soi, qui se concrétise à travers les six espèces du péché
contre l’Esprit Saint et qui s’achève dans la multiplicité des états d’âme
morbide par rapport à Dieu, à soi-même et au prochain.
Objections :
1. Il semble que non. Saint
Paul dit : « Alors, le Christ
expulsera toute principauté, les puissances et les vertus. » Il n’y aura donc plus de détenteurs d’autorité. Mais, exécuter
la sentence du juge dénote une certaine autorité ; les démons, après le jour du
jugement, ne seront donc plus les exécuteurs de la sentence du juge.
2. Les démons ont péché plus
gravement que les hommes. Il n’est pas juste que ceux-ci soient tourmentés par
eux.
3. Comme les démons ont poussé
les hommes au mal, les anges les ont portés au bien. Récompenser les bons n’est
pas la charge des bons anges : Dieu le fera sans intermédiaire. Punir les méchants
ne sera donc pas non plus la charge des démons.
Cependant :
Les pécheurs se sont soumis au démon en péchant. Il est juste
qu’ils lui soient soumis dans leurs châtiments, afin d’être punis par lui.
Conclusion :
Le Maître des Sentences signale à ce sujet deux opinions : l’une
et l’autre semblent compatibles avec la justice divine. La première part de ce
fait que quand l’homme pèche, il se soumet justement au démon ; En conséquence,
il serait juste qu’ils lui soient soumis dans leurs châtiments, afin d’être
punis par lui. Selon cette opinion, on s’attache plutôt à respecter la justice
divine au point de vue des hommes qui doivent être punis.
La seconde opinion argumente en sens contraire en disant que cette
domination du démon est une chose en soi injuste. L’ordre de la justice divine
qui demande la punition des démons, légitimerait cette opinion qui exclut que
les démons, après le jour du jugement, dominent encore les hommes en leur
appliquant leurs peines.
Impossible pour nous de discerner la plus vraie de ces opinions.
J’estime cependant plus vraisemblable que, en enfer, les démons envers les
hommes comme les hommes envers les démons seront sources de châtiment
réciproque. Il s’agira d’un monde peuplé d’égoïstes orgueilleux. Leur rencontre
ne sera source que de peine supplémentaire, aucune bonne volonté n’étant à
attendre de personne. Mais les démos étant d’une nature supérieure, l’influence
néfaste qu’ils exerceront sera plus tyrannique. De même qu’un certain ordre
sera gardé à l’égard des élus, en ce sens que certains seront illuminés et
perfectionnés par d’autres selon l’ordre de la charité, de même en enfer,
l’ordre des hiérarchies célestes demeurera perpétuellement. De la sorte, de
même que la vierge Marie transmettra aux bons anges et aux hommes des
illuminations divines, ainsi les démons transmettront aux hommes damnés les
effets de l’écrasante domination de leur intelligence. Cela ne réduit en rien
la peine des démons, car en tourmentant les autres, ils sont tourmentés
eux-mêmes : la société de ces malheureux ne diminue pas leurs malheurs, elle
l’augmente.
Solutions :
1. La supériorité que
le Christ supprimera est celle de ce monde : ici-bas, des hommes sont
supérieurs à d’autres hommes, et les anges aux hommes, et des anges à d’autres
anges, et les anges aux démons, et certains démons à d’autres, et des démons
aux hommes et cela sert à conduire ces derniers à leur destin ou à les en
détourner. Tout cela est la plupart du temps hiérarchisé selon l’ordre du
Prince de ce monde, Satan, c’est-à-dire à l’inverse de celui que confère
l’humilité (kénose) ou l’amour. Quand toutes choses seront parvenues à leur
fin, il n’y aura plus de supériorité pour éloigner de la fin ou pour y conduire
mais seulement pour conserver dans la fin, bonne ou mauvaise.
2. Bien que le mérite
des démons ne requière pas qu’ils dominent les hommes, parce que c’est
injustement qu’ils se les sont soumis, cela est demandé par le rapport entre
leur nature et celle des hommes. Denys dit : « Les biens naturels demeurent intègres chez eux. »
3. Il y a une
différence entre la hiérarchie de l’enfer qui est fondée sur l’ordre naturel de
l’intelligence et celle du paradis qui est fondée sur le désir de l’amour. Au
paradis, le mérite fait monter, tandis qu’en enfer, le péché accable. C’est pourquoi,
bien que la nature de l’ange soit plus élevée que celle de l’homme, certains
hommes, à cause de l’excellence de leurs mérites, sont tellement élevés par
Dieu qu’ils dépassent l’élévation de la nature et de la récompense méritée par
des anges : dès lors, il y aura des anges qui seront illuminés par des hommes.
Mais aucun pécheur ne parviendra, à cause de son degré de malice, à cette
élévation qui est due aux démons en vertu de leur nature.
Les plus grands
saints du Royaume de Dieu ne sont pas la cause efficiente de la récompense
principale des élus : ceux-ci la reçoivent directement de Dieu. Mais ils
sont la cause de certaines récompenses accidentelles, en tant que ceux que
l’humilité (kénose) et la charité ont rendus proches de Dieu, illuminent les autres
au sujet de certains secrets divins, qui n’appartiennent pas à la substance de
la béatitude. De même, la peine principale du damné lui viendra directement de
l’absence de Dieu. C’est l’exclusion perpétuelle de la vision de Dieu. Mais il
n’y a pas d’inconvénient à ce que d’autres peines sensibles lui soient
infligées par les démons.
Nous sommes amenés à étudier maintenant ce qui concerne
l’affectivité et l’intelligence des damnés. Onze questions se posent :
1° Les damnés se plongent-ils
eux-mêmes en enfer ?
2° Y a-t-il des hommes en
enfer ?
3° Tout vouloir des damnés
est-il mauvais ?
4° Les damnés se repentent-ils
parfois des fautes commises ?
5° Les damnés
préfèreraient-ils ne plus exister ?
6° Les damnés voudraient-ils
la damnation des autres ?
7° Les impies ont-ils de la
haine pour Dieu ?
8° Les damnés peuvent-ils
démériter ?
9° Les damnés peuvent-ils se
servir de la science acquise ici-bas ?
10° Les damnés pensent-ils
parfois à Dieu ?
11° Les damnés voient-ils la
gloire des bienheureux ?
Objections :
1. Il semble que non : l’enfer
est une peine puisque c’est une prison où il n’y a ni joie ni paix. Nul ne peut
vouloir ce qui est un mal. Donc les damnés ne veulent pas aller en enfer.
2. L’enfer est la séparation
d’avec Dieu. Mais Dieu est un bien. Il est même le Bien Absolu puisqu’il n’y a
en lui aucun mélange avec le mal. Nul ne peut donc vouloir la séparation d’avec
Dieu qui est l’enfer.
Cependant :
C’est l’homme seul qui est cause de son péché et non Dieu qui ne
veut absolument pas du péché. C’est donc l’homme qui est cause première de sa
damnation.
Conclusion :
Comme nous l’avons dit, une chose peut être voulue de deux
manières :
1° Directement et par soi ; 2°
indirectement et à cause d’autre chose. Nul ne peut vouloir un mal en tant
qu’il est un mal car la volonté ne se porte que vers ce qui a raison de bien. Par
contre, quelqu’un peut vouloir un certain mal à cause d’un bien plus grand qui
y est attaché. Ainsi, Dieu veut pour l’homme qui est sur la terre les peines
comme la souffrance et la mort, non directement mais à cause du bien de
l’humilité (kénose) et de la charité qui peut en sortir chez celui qui est bien
disposé. En ce qui concerne l’enfer, on doit parler de la même façon. Ce que
l’âme perverse veut directement et par soi, c’est s’aimer elle-même de telle
façon que rien d’autre qu’elle-même n’a de valeur à ses yeux. En conséquence,
elle rejette directement comme un mal l’obéissance aux volontés de Dieu car
cette obéissance s’oppose à l’exaltation de sa propre volonté. Si l’âme se
sépare de Dieu, ce n’est donc pas par une volonté directe puisque Dieu lui
apparaît comme un bien, mais relativement aux conditions présupposées à
l’obtention de la gloire. Ainsi, on doit dire que l’âme veut l’enfer, en tant
qu’il est la séparation d’avec Dieu, d’une manière indirecte à cause de son
orgueil. Par contre, on ne peut dire d’aucune manière qu’elle veut l’enfer en
tant qu’il est un lieu de souffrance et de peines parce qu’il n’y a aucun bien
à retirer du mal de peine. Mais l’âme est prête à supporter toutes les peines
de l’enfer pour l’éternité plutôt que de se convertir et de s’humilier pour son
péché.[902]
Solutions :
1. En tant qu’il est une peine,
l’enfer n’est en aucune façon voulu par l’âme comme nous l’avons montré.
2. La séparation d’avec Dieu
est voulue par l’âme non à cause de ce que Dieu est en lui-même, mais à cause
des exigences de conversion, d’humilité (kénose) et de charité qui sont
présupposées à l’entrée dans la gloire. C’est du moins de cette façon que l’âme
justifie sa révolte. De fait, c’est contre l’essence même de Dieu qu’il y a
révolte car Dieu est humilité (kénose) et Amour.
Objections :
1. Il semble qu’il n’y ait
personne en enfer. En effet, nul ne peut résister à la révélation de la miséricorde
de Dieu quand elle est plénière. Tout homme se convertit donc au moment de la
mort si ce c’est fait avant.
2. Jésus affirme que[903] « beaucoup sont appelés mais que peu sont élus. » Il semble donc qu’il y ait peu
d’homme au paradis de Dieu.
3. L’Écriture parle
explicitement de 144000 élus[904] ou, ailleurs, de deux tiers[905] des hommes sauvés. On doit
donc tenir l’un de ces chiffres pour la révélation exacte du nombre des élus.
4. Saint Thomas pense que la
majorité des hommes sont damnés, tandis que la majorité des anges seraient
sauvés[906]. Il s’appuie sur le
raisonnement suivant : pour l’ange, ce qui prévaut c’est sa nature
intellectuelle, faite pour adhérer à la vérité. Pour l’homme, au contraire,
c’est son penchant mauvais et sensuel qui l’emporte et qui le traîne en bas.
Dans la majorité des cas l’homme s’oriente donc vers le péché et l’enfer.
5. Historiquement -et la
critique concernant Balthasar le mentionne souvent- on connaît des récits de
réprouvés et des visions de l’enfer[907]. Donc il y a des hommes en
enfer.
Cependant :
Jésus dit : « Les fils
du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures. Là seront les pleurs et
les grincements de dents. » Donc
certaines âmes seront damnées, celles qui appartiennent au royaume du mal.
Conclusion :
Au sujet du nombre de ceux qui sont en enfer, plusieurs opinions
ont été émises et chacune d’elles s’appuie sur des arguments valables. Certains
pensent que peu d’hommes seront sauvés, s’appuyant en cela sur la parole du
Seigneur[908] : « Il est large en effet le chemin qui mène à la perdition et
beaucoup s’y engagent, mais elle est étroite la porte qui mène à la Vie et il
en est peu qui le trouvent. » Ils
étayent leur argumentation sur la constatation que bien peu d’hommes sur la
terre ont la volonté de mettre la charité au commencement et à la fin de leur
vie. Le philosophe Aristote disait[909] : « la plupart des hommes restent dans le sensible. » D’autres théologiens affirment qu’un
tiers des hommes seront damnés. Selon eux, ce chiffre est annoncé dans
l’Écriture et est à prendre au sens propre : « Le tiers des hommes fut exterminé. » D’autres préfèrent prendre au sens propre le passage de
l’Apocalypse des 144000 élus[910]. Selon une dernière opinion
enfin, certains affirment que le nombre des damnés sera très faible si ce n’est
nul à cause de la miséricorde de Dieu qui est infinie et à cause de son projet
de sauver tous les hommes qui ne saurait être un échec.
Pour essayer de discerner vrai dans tout cela, il faut se rappeler
ce que nous avons dit sur la cause de la réprobation : elle vient
principalement de l’homme et de sa volonté perverse qui se fixe immuablement
sur le péché, avec pleine connaissance et liberté. Il s’agit d’un péché contre
l’Esprit Saint, c’est-à-dire un péché de malice volontaire contre Dieu. Un tel
péché conduit immédiatement à la damnation après la mort. Il faut donc, pour
connaître d’une manière approximative le nombre de ceux qui seront damnés,
s’efforcer de savoir si le péché contre l’Esprit Saint est fréquent. Pour qu’il
y ait un véritable péché contre l’Esprit Saint, il est nécessaire que celui qui
le commette ait une parfaite connaissance de ce qu’il fait, ce qui ne peut
convenir qu’à celui qui connaît l’existence de Dieu et la rétribution future.
L’homme qui, en effet, ne connaît aucunement l’existence de Dieu ne peut pécher
contre Dieu. De même, le péché contre l’Esprit Saint présuppose une parfaite
maîtrise de sa sensibilité afin que la volonté qui commet le péché soit libre
et non causée par l’entraînement de la faiblesse. De telles conditions sont
rares sur la terre aussi on doit admettre que le péché contre l’Esprit Saint
est peu fréquent. Cependant, tout péché mortel commis sur la terre peut être
une disposition au péché contre l’Esprit Saint. Celui qui, en effet, met son
intention dans la recherche exclusive de son bien-être égoïste, crée en lui une
disposition stable, un vice, qui fait que l’âme se complait de plus en plus
dans son péché. Ainsi, arrivé au moment de la mort où la révélation l’enjoint à
faire un choix entre l’amour de Dieu ou l’amour de soi, elle est conditionnée
par sa vie entière à se porter plutôt vers le second choix. Mais il ne s’agit
que d’une disposition et non d’une détermination certaine. Parmi les hommes qui
vivent en état de péché mortel, la plupart le sont à cause d’une ignorance ou
d’une faiblesse présupposées. Mais ils ne resteraient certainement pas dans cet
état s’ils avaient l’occasion d’en connaître la gravité aux yeux de Dieu, comme
l’Écriture le montre pour la ville de Ninive qui se convertit après un seul
appel du prophète Jonas. C’est aussi la raison pour laquelle on constate que
les conversions sont fréquentes à l’approche d’un danger comme la guerre ou la
maladie. Ainsi, il est permis de penser que la masse de ceux qui ont commis
durant leur vie des péchés mortels par ignorance ou par faiblesse, seront
sauvés même s’ils doivent être auparavant purifiés par le feu du purgatoire.
Mais il existe aussi des hommes qui pèchent gravement sur cette terre contre
leur prochain par malice volontaire et cela même parmi les païens. Ceux-là se
mettent par leur péché dans une disposition directe au péché contre l’Esprit
Saint car il est presque certain qu’ils agiraient de même dans la plupart des cas
même s’ils connaissaient Dieu. Celui qui est capable froidement de faire le mal
à son prochain, est disposé par sa malice à rester dans le péché jusque dans la
mort.
De tout cela, on peut conclure qu’il semble que parmi les hommes,
- une petite partie va directement au Ciel soit parce que, étant
chrétiens ils ont vécu en plénitude de la charité dans une kénose totale de
leur esprit, soit parce que, sans connaître le Christ, ils furent disposés par
leur vie et leurs souffrances, à aimer Dieu dès qu’ils l’ont connu ;
- une petite partie est damnée parce qu’ils ont vécu froidement
dans le mal et ont maintenu jusque dans la mort leur volonté fixée dans le
péché. D’où cette parole de Jésus, touchant un de ses Apôtres sur douze[911] (donc une minorité) : « J'ai veillé et aucun d'eux ne s'est perdu, sauf le fils de perdition, afin
que l'Ecriture fût accomplie. »
- Quant à la masse des hommes, elle vit dans le sensible et suit
les impulsions de la chair ou du monde plus par ignorance et faiblesse que par
véritable malice. Ceux là sont sauvés mais « comme
à travers un feu » selon
l’apôtre[912], c'est-à-dire en passant
par les purgatoires qui suivent cette vie.
Solutions :
1. Au moment de la mort, l’âme ne voit pas directement l’essence
divine. S’il en était ainsi, nul ne pourrait se séparer de Dieu puisqu’il est
l’essence même de la bonté et qu’il n’a aucune espèce de mal en lui.
L’intelligence est confrontée avec l’humanité Sainte de Jésus. Il lui est
possible de résister à son amour. C’est ce que montre Balthasar [913] : « Que cela soit possible, cela nous est attesté de nombreuses fois
par l’Écriture, par Jésus lui-même. Il est possible de résister en face à
l’Esprit d’amour de Dieu, et alors il est évident qu’à quelqu’un qui résiste
ainsi, il ne puisse "être pardonné ni en ce monde ni dans le monde à
venir"[914]. Il est également possible
qu’un tel "non" ne se révèle comme déterminant pour une vie qu’au
moment où l’homme est placé devant la norme éternelle[915]. Avons-nous besoin de nous
représenter cette possibilité, voire de nous la dépeindre ? À coup sûr pour
nous-mêmes seulement ; on ne devrait faire de théories générales et neutres sur
l’enfer ni en théologie ni en pastorale. Mais on ne doit pas davantage répandre
des théories générales suivant lesquelles, à cause de la bonté de Dieu, il ne
peut pas exister un enfer dans lequel il y a quelqu’un. En le faisant, nous
empiéterions sur la souveraineté de notre Juge, qui décide avec justice de
notre salut et de notre perte, en fonction de nos choix. »
2. Cette parole de Jésus
signifie que peu d’hommes sont capables de rester tout au long de leur vie
terrestre, fidèles à la grâce reçue. La plupart ne pensent à Dieu que lorsque
le besoin s’en fait sentir, et non par véritable amour. Mais cette parole ne
veut pas dire que ceux qui aiment Dieu d’un amour utilitaire seront damnés.
Dieu a le temps et les moyens de faire progresser chacun, que ce soit à travers
les croix de la vie terrestre et de la mort, son apparition glorieuse ou le
purgatoire.
3. Il faut prendre ces chiffres
dans un sens symbolique comme presque toutes les images qui sont dans le livre
de l’Apocalypse. Le chiffre 144000, à savoir 12000 de chacune des douze tribus
d’Israël signifie que Dieu connaît le nombre des élus et que ce nombre sera
parfait, ce qui signifie que les hommes seront sauvés ou damnés selon l’ordre
de la justice divine. Quant au nombre d’un tiers, il manifeste que la part de
ceux qui seront damnés est connue et fixée par Dieu de toute éternité puisque
Dieu est au-delà du temps et connaît tout.
4. Mais, pour l’homme, ce
raisonnement peut être renversé. S’il est vrai que celui-ci est tellement
pauvre et misérable, il faudrait plutôt conclure que personne ne peut se
damner, car ce n’est pas par ignorance et simple faiblesse qu’il peut choisir
le refus éternel. En fait, l’erreur de saint Thomas en ces matières est venu
d’un excès de confiance dans la logique apparente des raisonnements : De même
qu’il ne découvrit pas l’immaculée conception de Marie parce qu’il était
nécessaire qu’elle ait été sauvée par le Christ (la logique ne peut déduire de
ces prémices que Marie peut être sauvée par le Christ, mais par
anticipation, avant même sa passion), de même il mettait logiquement en
enfer tous les hommes qu’il constatait mourir sans la charité, donc la plupart
d’entre les chrétiens, sans compter les païens). Il fut en cela fidèle au dogme
mais n’imagina pas que Dieu pouvait, étant au delà de ce qui se voit, réaliser
le dogme et leur proposer le salut jusque dans le passage de la mort (qui,
étant le terme de cette vie, n’est pas encore l’autre monde).
5. D’après Balthasar, il s’agit
cependant de menaces qui veulent susciter la conversion. Ce sont des images en
creux du salut, c’est-à-dire des prophéties, qui veulent précisément être
contre productives en voulant arracher à celui qui les écoute la décision de
s’orienter vers le salut par la description du mal. « Si les menaces de jugement et les images terribles de la
gravité des châtiments infligés aux pécheurs que nous trouvons dans l’Écriture
et la Tradition ont un sens, alors c’est certainement celui de me montrer, à
moi, la responsabilité qui m’incombe avec ma liberté ».[916]
D’après moi au contraire, ces images de l’enfer sont crédibles à
propos de la réalité du choix de certains hommes. Nous ne sommes pas assez
attentifs au bien réel, quoiqu’apparent et mensonger, que peut trouver l’homme
égoïste dans la proposition de l’enfer, telle qu’elle est vantée en toute
vérité par le démon à l’heure de la mort. L’amour de Dieu poussé jusqu’au
mépris de soi paraît bien peu tentant face à la liberté, cette autonomie
parfaite, cette capacité "divine"[917] à choisir soi-même ce qui
est bien et mal, et malgré la solitude et la souffrance naturelle qui en
découle. Ils existent car, lorsque le Christ apparaît, ce qui
saute aux yeux, c'est que sa gloire est humble. Les stigmates de sa passion
sont là. Son coeur apparaît encore brisé de ce qu'il a vécu. Les orgueilleux
s'esclaffent tout naturellement : "Ce n'est que ça, le Christ ! " En
comparaison, la gloire de Lucifer, faite de dignité et de puissance les
enthousiasme.
Nous pouvons malgré tout faire nôtre ce passage du Père Teilhard
de Chardin[918] : « Vous m’avez dit, mon Dieu, de croire à l’enfer. Mais vous m’avez
interdit de penser, avec absolue certitude, d’un seul homme, qu’il était damné.
Je ne chercherai donc pas ici à regarder les damnés ni même, en quelque manière
à savoir qu’il en existe. Mais acceptant, sur votre parole, l’enfer, comme un
élément structurel de l’univers, je prierai, je méditerai, jusqu’à ce que, dans
cette chose redoutable, apparaisse pour moi un complément fortifiant,
béatifiant même, aux vues que vous m’avez ouvertes sur votre Omniprésence ».
Objections :
1. Il semble que non, car comme
dit Denys, « les démons désirent le
bien et le meilleur, à savoir être, vivre et connaître. » Puisque les hommes damnés ne sont pas d’une condition pire que
les démons, il semble qu’ils puissent avoir eux-mêmes de bons vouloirs.
2. « Le mal, dit Denys, est tout
à fait involontaire. » Si donc les
damnés veulent quelque chose, ils le veulent en tant que bon ou comme un bien
apparent. Mais le vouloir qui est ordonné par soi au bien est bon. Les damnés
peuvent donc avoir de bons vouloirs.
3. Certains seront damnés, bien
que, se trouvant en ce monde, ils aient eu des dispositions vertueuses, comme
les païens, qui eurent des vertus civiques. Or, les dispositions vertueuses
engendrent un vouloir louable. Il pourra donc y avoir un vouloir louable chez
certains damnés.
Cependant :
Une volonté obstinée ne peut jamais être inclinée que vers le mal.
Mais les hommes damnés seront obstinés, comme les démons. Leur volonté ne
pourra donc jamais être bonne. En outre, la volonté des damnés est à l’égard du
mal comme celle des bienheureux à l’égard du bien. Mais les bienheureux n’ont
jamais de mauvais vouloir. Donc les damnés n’en ont jamais de bon.
Conclusion :
Chez les damnés nous pouvons distinguer deux volontés : la volonté
délibérative et la volonté naturelle. Cette dernière ne vient pas d’eux, mais
de l’Auteur de la nature, qui a mis en elle cette inclination qu’on nomme
volonté naturelle. Puisque la nature demeure en eux, il pourra y avoir en eux
cette bonne volonté naturelle. Mais la volonté délibérative vient d’eux-mêmes,
en tant qu’ils ont le pouvoir de s’incliner par sentiment vers ceci ou cela. Et
cette volonté est en eux seulement mauvaise. Ils sont en effet totalement
détournés de la fin ultime d’une volonté droite, et aucune volonté ne peut être
bonne que si elle est ordonnée à cette fin. Donc, même s’ils voulaient quelque
chose de bon, ils ne le voudraient pas bien, de manière qu’on puisse dire que
leur volonté est bonne.
Solutions :
1. Ce mot de Denys s’entend de
la volonté naturelle, qui est l’inclination de la nature vers quelque bien.
Mais cette inclination naturelle est corrompue par la malice des damnés, en
tant que ce bien qu’ils désirent naturellement est recherché par eux en de
mauvaises conditions.
2. Le mal ne meut pas la volonté
en tant que mal, mais en tant qu’on l’estime bon. Mais, à cause de leur malice,
les damnés estiment bon ce qui est mal. Leur volonté demeure donc mauvaise. Ils
font tout en fonction de leur intention première. Leur seule finalité est la
recherche égoïste d’eux-mêmes.
3. Les dispositions des vertus
civiques ne demeurent pas dans l’âme séparée, puisque ces vertus perfectionnent
l’homme dans sa vie civile seulement, et celle-ci n’existe plus après la vie
terrestre. Si elles demeuraient, elles n’aboutiraient jamais à un acte bon,
parce qu’elles seraient liées par l’obstination de l’esprit.
Objections :
1. Il semble qu’ils ne s’en
repentent jamais, car saint Bernard dit dans son commentaire des Cantiques
que « le damné veut toujours
l’iniquité qu’il a accomplie. » Il ne
se repent donc point du péché commis.
2. Vouloir n’avoir pas péché est
un bon vouloir. Les damnés n’en auront jamais. Ils ne voudront donc jamais
n’avoir pas péché.
3. Selon saint Jean Damascène, « la mort est pour les hommes ce que la
chute fut pour les anges. » Mais la
volonté de l’ange après sa chute devint inconvertible, en ce sens qu’il ne peut
revenir sur le choix par lequel il avait péché. Les damnés ne peuvent donc pas
se repentir des péchés qu’ils ont commis.
4. La perversité des damnés en
enfer est plus grande que celle des pécheurs en ce monde. Mais il y a des pécheurs,
ici-bas, qui ne se repentent pas des péchés commis, soit par aveuglement de
l’esprit, comme les hérétiques, soit par obstination, comme ceux dont les
Proverbes disent "qu’ils se réjouissent d’avoir mal fait et exultent dans
les pires choses. » Donc…
Cependant :
La Sagesse dit, des damnés, «
qu’ils se repentent intérieurement. »
En outre, Aristote dit que « les
êtres corrompus sont pleins de regret ; car ils sont bien vite attristés de ce
qui les réjouissait. » Les damnés, très
corrompus, ont donc beaucoup de regret.
Conclusion :
Se repentir du péché peut se réaliser de deux manières : en soi ou
par accident. En soi, quand quelqu’un s’en repent parce qu’il le déteste en
tant que péché. C’est alors la contrition ; par accident, quand il le repousse
à cause de quelque chose qui s’y ajoute, «
c’est-à-dire le châtiment ou quelque autre suite semblable. C’est alors la
rancoeur.
Les mauvais ne se repentiront pas de leur péché en soi, parce que
le vouloir de la malice du péché demeure en eux ; ils se repentiront par
accident, en tant qu’ils seront attristés de la peine subie à cause du péché.
Ce repentir n’est autre que la rancoeur dont nous avons déjà traité.
Solutions :
1. Les damnés veulent
l’iniquité, mais repoussent le châtiment : par là, ils se repentent, par
accident, de leur iniquité.
2. Vouloir n’avoir pas péché à
cause de la honte de l’iniquité, serait un bon vouloir ; mais il n’existe pas
chez les damnés.
3. II arrive que des damnés se
repentent de leurs péchés, sans aversion de la volonté à leur égard, car ils
regrettent, non pas ce qui les avait entraînés au péché, mais la peine qui a
suivi.
4. En ce monde, les hommes,
même les plus obstinés dans le mal se repentent parfois, par accident, de leurs
péchés, s’ils sont châtiés à cause d’eux, parce que, comme dit saint Augustin, « nous voyons même les bêtes les plus
féroces s’abstenir de plaisirs très attirants, à cause de la souffrance du
châtiment menaçant. »
Objections :
1. Il semble qu’ils ne le
puissent pas. Saint Augustin dit : « Mais
combien est bonne cette existence, qu’heureux et malheureux veulent également. » Il est en effet meilleur d’exister et
d’être malheureux que de ne pas être du tout.
2. Saint Augustin raisonne
ainsi : La pré-élection suppose un choix. Mais on ne peut choisir de ne pas
exister, car cela ne présente aucun aspect bon. Ne pas exister ne peut donc pas
être plus désirable pour les damnés que 1 existence.
3. Le mal majeur est le plus à
fuir. Mais le plus grand des maux est de ne pas exister, car cela supprime tout
bien, n’en laissant subsister aucun. L’inexistence est donc plus à fuir que la
souffrance.
4. Concrètement, ne pas vouloir
exister conduit au suicide. Or on imagine mal les damnés tentant de se
suicider.
Cependant :
Il est écrit dans l’Apocalypse : « En ces jours-là les hommes désireront la mort, et elle leur
échappera. » En outre, le malheur des
damnés dépasse tout malheur de ce monde. Mais pour échapper au malheur
d’ici-bas, certains désirent mourir. Il est dit dans l’Ecclésiastique : « O mort, ta sentence est bonne pour
l’homme malheureux et qui a perdu ses forces, pour l’homme use par l’âge et pour
celui qui est accablé de soucis pour celui à qui on ne croit plus et qui a
perdu la raison. » Il est donc bien
plus désirable encore de ne pas exister pour les damnés, avec délibération
raisonnable.
Conclusion :
Ne pas exister peut être considéré de deux façons : en soi et
ainsi ce n’est aucunement désirable, puisque cela ne contient aucun aspect de
bien, et n’est qu’une pure privation de bien- ou bien, en tant que c’est la
libération d’une vie de peine ou de malheur : et alors, ne pas être prend un aspect
de bonté. "Être exempt du mal est une sorte de bien », comme dit Aristote. Sous cet aspect, il est préférable pour les
damnés de ne pas être que d’être malheureux.
Il est dit en saint Matthieu : «
Il eût été mieux pour cet homme de n’être pas né », et à propos de Jérémie : «
Maudit soit le jour où je suis né. »
La Glose de saint Jérôme ajoute : « Il
vaut mieux n’être pas que d’être mal. »
Et ainsi, les damnés peuvent choisir délibérément de ne plus exister.
Solutions :
1. Ce mot de saint Augustin doit
s’entendre en ce sens que ne point exister n’est pas préférable en soi, mais
seulement par accident, en tant que c’est là le terme d’une souffrance. Dire
qu’exister et vivre sont désirés par soi, ne vaut pas pour la vie malheureuse
et corrompue, ni pour celle qui s’écoule au milieu des tristesses, comme dit
Aristote, mais seulement absolument parlant.
2. Ne pas être n’est point
préférable en soi, mais par accident, comme nous l’avons dit.
3. Ne pas exister est le pire
des maux. Cependant, la privation de l’existence est un grand bien, si elle
entraîne la privation du plus grand des maux : ainsi considérée, on peut la
préférer à l’existence.
4. Les damnés sont par rapport
au suicide dans une double attitude. En tant qu’ils sont portés par une
intention profonde, à savoir une volonté de vivre heureux et libres, il n’est
pas question pour eux de penser au suicide. Un tel aveu de faiblesse ne
convient pas à l’orgueil.
En tant qu’ils vivent sans but et dans un désespoir total, ils
souhaiteraient disparaître et ne plus souffrir. Ils savent cependant que ce
désir est vain puisque leur être est indestructible, tant à cause de la nature
de leur âme que de l’impassibilité de leur corps ressuscité.
Objections :
1. Il semble que les damnés, en
enfer, ne veulent pas la damnation de ceux qui ne sont point damnés. Luc 16, 25
dit en effet, du riche damné, qu’il priait pour ses frères, afin qu’ils ne
viennent pas en ce lieu de tourments. Les autres damnés ne voudraient donc pas,
pour le même motif, que, au moins leurs amis de la terre, soient condamnés à
l’enfer.
2. Les damnés gardent leurs
affections désordonnées. Mais quelques-uns ont aimé d’une manière désordonnée
quelques personnes qui ne sont pas damnées. Ils ne leur voudraient donc pas ce
mal que serait la damnation.
3. Les damnés ne désirent pas
l’augmentation de leur peine. Mais s’il y avait davantage de damnés, leur peine
croîtrait, de même que la multiplication des bienheureux augmente leur joie.
Les damnés ne voudraient donc pas la damnation des élus.
Cependant :
A propos d’Isaïe : « Ils
se levèrent de leurs sièges », la
Glose dit : « C’est un soulagement
pour les malheureux que d’avoir de nombreux compagnons de souffrances. »
En outre, chez les damnés, l’envie règne au maximum. Ils souffrent de la
félicité des bienheureux et désirent leur damnation.
Conclusion :
Chez les bienheureux dans la patrie règne la plus parfaite charité
: chez les damnés, c’est la plus parfaite haine. Comme les saints se
réjouissent de voir tous les bons, les impies en souffrent. La vue de la
félicité des saints les fait souffrir. C’est pourquoi Isaïe écrit : « Que les peuples envieux le voient et
soient confondus ; et que le feu dévore tes ennemis. » Les damnés voudraient que tous les bons soient damnés. On
observe cette contamination du mal dès ici-bas. Pour celui qui vit dans
l’égoïsme, la vue des justes est un tourment car ils rappellent, sans le vouloir,
à la conscience du méchant sa contradiction avec le bien. Le livre de la
Sagesse décrit avec précision, au chapitre 2, 12 cet état d’esprit : « Tendons des pièges au juste, puisqu'il
nous gêne et qu'il s'oppose à notre conduite (…). Il est devenu un blâme pour
nos pensées, sa vue même nous est à charge ; car son genre de vie ne ressemble
pas aux autres, et ses sentiers sont tout différents. »
Solutions :
1. Le riche de la parabole
n’est pas dans l’enfer des damnés mais seulement au purgatoire comme l’indique
le fait qu’il désire la grâce (l’eau dont s’abreuve le pauvre Lazare) et qu’il
veut le salut de ses frères. La charité n’existe pas en enfer.
L’envie des damnés sera telle qu’elle atteindra même la gloire de
leurs proches, tandis qu’ils se verront dans le plus grand malheur : cela se
produit même en cette vie, quand l’envie parvient à son comble. Pourtant, ils
auront moins d’envie à l’égard de leurs proches qu’à l’égard des autres. Ils
souffriraient davantage si tous leurs proches étaient damnés, tandis que les
autres seraient sauvés, que si quelques-uns des leurs étaient sauvés.
2. L’affection malhonnête se
brise facilement, surtout chez les hommes méchants, comme dit Aristote. Les
damnés ne conservent donc pas d’amitié pour ceux qu’ils ont aimés d’une manière
désordonnée. Mais leur volonté demeurera perverse en ceci, qu’ils s’attacheront
encore à la cause de leur affectivité coupable.
3. Bien que la souffrance de
chaque damné soit accrue par leur multitude, pourtant la haine et l’envie se développeront
chez eux à un tel point qu’ils préféreront souffrir davantage avec un plus
grand nombre que de souffrir moins, mais en étant seuls.
Objections :
1. Cela ne semble pas, car
Denys dit : « Il est objet d’amour
pour tous, ce beau et ce bon qui est la cause de toute bonté et de toute
beauté. » C’est Dieu. Il ne peut donc
être haï par personne.
2. Nul ne peut haïr la bonté
elle-même, comme nul ne peut vouloir sa propre malice. » Il est en effet tout à fait impossible de vouloir le mal en soi », comme dit Denys. Dieu est la Bonté
même. Donc personne ne peut le haïr.
Cependant :
Le Psalmiste dit : « L
orgueil de ceux qui te haïssent, augmente toujours. »
Conclusion :
L’affectivité est attirée par le bien ou le mal, en tant qu’ils
nous sont connus. Dieu peut être connu de deux manières : en lui-même, comme il
l’est par les bienheureux, qui le voient en son essence ou à travers ses
effets, comme il est vu par nous et par les damnés. En lui-même, puisqu’il est
par essence la Bonté, il ne peut déplaire à aucune volonté : quiconque le voit
en son essence ne peut le haïr. Mais certains de ses effets choquent la
volonté, parce qu’ils s’opposent à quelqu’un. Ainsi, un homme peut avoir de la
haine pour Dieu, non en lui-même, mais à cause des effets de son action. Les
damnés, qui voient Dieu à travers les effets de sa justice, c’est-à-dire dans
leur châtiment, le haïssent, comme ils haïssent leurs tourments.
Solutions :
1. Ce mot de Denys vaut pour
l’appétit naturel : lui-même est perverti chez les damnés, sous l’influence de
leur vouloir libre.
2. Cet argument vaudrait si les
damnés voyaient Dieu en lui-même en tant qu’il est bon par essence.
Objections :
1. Cela paraît, car ils ont une
volonté mauvaise, comme disent les Sentences. Or, c’est par leur volonté
mauvaise en cette vie qu’ils ont démérité. Si, là où ils sont, ils ne
déméritaient plus, ils tireraient avantage de leur damnation.
2. Les damnés sont dans la même
condition que les démons. Mais ceux-ci déméritent encore après leur chute,
puisque Dieu infligea une peine au serpent qui entraîna l’homme au péché, comme
il est dit dans la Genèse. Les damnés déméritent donc.
3. Un acte déréglé procédant du
libre arbitre est toujours déméritoire, même s’il est l’effet d’une sorte de
déterminisme, dont la personne qui pose l’acte est elle-même la cause. Ainsi
"l’homme ivre mérite un double châtiment" si à cause de son ivresse,
il commet un autre péché. Or, les damnés ont été la cause de leur propre
obstination, à cause de laquelle ils sont comme déterminés à pécher. Puisque
leur acte déréglé procède de leur libre arbitre, ils gardent son démérite.
Cependant :
Le châtiment se distingue de la faute. Mais la volonté perverse
procède chez les damnés de leur obstination, qui est leur châtiment. Cette
volonté perverse ne constitue donc pas une faute par laquelle ils
démériteraient.
En outre, après le terme ultime, il ne reste plus de mouvement ni
vers le bien, ni vers le mal. Mais les damnés, après le jour du jugement, sont
parvenus tout à fait au dernier terme de leur damnation, parce que "alors
les deux cités atteindront leur fin" comme dit saint Augustin. Après le
jour du jugement, les damnés ne démériteront donc plus ; sinon leur damnation
croîtrait encore.
Conclusion :
Au sujet des damnés, nous devons distinguer entre ce qui précède
et ce qui suit le jour du jugement. Tous les auteurs reconnaissent qu’après ce
jour, il n’y aura plus de mérite ni de démérite : ceux-ci sont en effet
ordonnés à l’acquisition de quelque bien ou quelque mal. Après le jour du
jugement, ce sera l’achèvement ultime des bons et des méchants, et il n’y aura
plus rien à ajouter au bien ou au mal. Chez les bienheureux, la volonté bonne
ne sera plus un mérite, mais une récompense ; chez les damnés, la volonté
mauvaise ne sera plus un démérite, mais seulement un châtiment. Les actes des
vertus sont surtout dans le bonheur, et leurs contraires surtout dans le
malheur, comme dit Aristote.
Certains disent qu’avant le jour du jugement les bienheureux
méritent et les damnés déméritent : mais cela ne peut pas être au sujet de la
récompense essentielle, ni de la peine principale, car sur ce point, ils sont
tous parvenus au terme. Leur choix a atteint la plénitude de sa détermination
dans l’égoïsme à l’heure de la mort, quand leur a été révélé l’Évangile et
l’enfer. Ils détestent de tout leur cœur, de toute leur âme, de toutes leurs
forces le royaume du Christ et ne peuvent le haïr davantage. Par contre, ce
peut être à l’égard d’une récompense accidentelle ou d’une peine secondaire,
qui peuvent augmenter jusqu’au jour du jugement. C’est surtout vrai pour les
démons ou les bons anges : ceux-ci entraînent les hommes vers leur salut ;
ainsi croît la joie des anges ; tandis que les peines des démons augmentent
parce qu’ils ont entraîné des hommes à la damnation.
Solutions :
1. C’est le plus grand
désavantage que de parvenir au comble du mal. C’est ainsi que les damnés ne
peuvent plus démériter : leur péché ne leur apporte donc rien.
2. Il n’appartient pas au rôle
des hommes damnés d’attirer les autres à la damnation comme cela appartient aux
démons, qui, par la, méritent une plus grande peine secondaire.
3. Les damnés ne sont pas mis
dans l’impossibilité de démériter parce qu’ils sont déterminés à pécher, mais
parce qu’ils sont parvenus au comble du mal. Cependant, la nécessité de pécher,
dont nous sommes nous-mêmes la cause, diminue la faute, en tant qu’elle
constitue un certain déterminisme, car tout péché doit être volontaire et libre
; mais il n’y a point réellement d’excuse, en tant que ce déterminisme provient
d’un vouloir libre précédent. Ainsi le démérite de la faute qui suit remonte à
la culpabilité de la première faute.
Objections :
1. Il semble que non. La considération
de sa science procure en effet une très grande satisfaction. Or il n’y a pas de
satisfaction chez les damnés. Ils ne peuvent donc pas se servir de la science
acquise auparavant pour la considérer.
2. Les peines des damnés sont
plus grandes que celles de ce monde. En ce monde, quand quelqu’un est plongé en
de grands tourments, il n’est plus capable de considérer des conclusions
intellectuelles, en se dégageant de ses souffrances. Donc, bien moins encore en
enfer.
3. Les damnés sont soumis au temps.
Mais "la longueur du temps est cause d’oubli" comme dit Aristote. Ils
oublieront donc les choses qu’ils ont sues.
Cependant :
Les espèces intelligibles et les souvenirs des images demeurent
dans l’âme séparée de la chair, comme nous l’avons dit plus haut. Si elles ne
pouvaient servir, elles seraient vaines.
Conclusion :
À cause de la parfaite béatitude des saints, il n’y aura rien en
eux qui ne soit matière à joie. De même, chez les damnés rien qui ne soit pour
eux matière et cause de tristesse, et il ne leur manquera rien de ce qui peut
contribuer à leur tristesse, afin que leur souffrance soit consommée. Or la
considération des choses connues apporte une certaine joie, soit à cause de ces
choses elles-mêmes, soit à cause de la connaissance qu’on en a, et qui est
agréable et parfaite. Il peut aussi y avoir de la tristesse, en cette
considération, soit à cause des choses connues, si elles sont de nature à
attrister, soit à cause de la connaissance qu’on en a, si elle apparaît
imparfaite : quand, par exemple, quelqu’un s’aperçoit qu’il n’a pas une pleine
connaissance d’une chose qu’il désirerait connaître parfaitement. Ainsi, chez
les damnés, il y aura une considération des choses connues auparavant, mais
comme source de tristesse et non de délectation. Ils considéreront les péchés
qu’ils ont commis, et pour lesquels ils sont damnés, ainsi que les biens
agréables qu’ils ont perdus ; et ces considérations les tourmenteront. De même,
ils souffriront de voir que la connaissance qu’ils ont eue des choses visibles
est imparfaite, et de voir qu’ils ont perdu cette grande perfection qu’ils
avaient la possibilité de réaliser.
Solutions :
1. Bien que la considération de
sa science soit en elle-même délectable, elle peut devenir source de tristesse
à cause d’une circonstance accidentelle, comme nous venons de le dire : et
c’est le cas des damnés.
2. En ce monde, l’âme est
unie-au corps corruptible : quand le corps souffre, le regard de l’âme est
paralysé. Mais dans l’au-delà l’âme ne sera point ainsi influencée par le
corps. Quelle que soit la souffrance du corps, l’âme considérera toujours très
clairement les choses qui pourront être pour elle cause de douleur.
3. C’est
accidentellement que le temps est cause d’oubli, en tant que le mouvement, dont
il est la mesure, est cause de changement et d'usure des organes
faits de chair corruptible comme le cerveau. Dans l'autre monde, après la
résurrection, l’oubli ne pourra plus résulter de la durée puisque la matière sera
délivrée de sa propriété de corruption. D’ailleurs, même
avant ce jour, l’âme séparée est liée à un corps
psychique dont la matière n’est plus transformée en ses dispositions
par l'usure des organes matériels.
Objections :
1. Il semble que les damnés
penseront parfois à Dieu, car on ne peut avoir un acte de haine que pour ce à
quoi on pense. Et les damnés haïssent Dieu, comme il est dit dans les
Sentences.
2. Les damnés souffriront de la
rancoeur de la conscience, et celle-ci a de la rancoeur des actes commis contre
Dieu : ils penseront donc parfois à Dieu.
Cependant :
La plus parfaite connaissance de l’homme est celle qu’il a de
Dieu. Mais les damnés sont dans le plus imparfait des états. Ils ne penseront
donc pas à Dieu.
Conclusion :
On peut considérer Dieu de deux manières : 1° ou bien en soi, et selon ce qui lui est propre, à savoir être le
principe de toute bonté : ainsi, il est impossible de penser à lui sans
jouissance et les damnés ne pourront aucunement penser à lui de la sorte. 2° ou bien, en quelque chose qui lui
est pour ainsi dire accidentel, c’est-à-dire les effets de son action comme de
punir ou d’autres choses semblables. Sous cet aspect, la pensée de Dieu peut
conduire à la tristesse : et c’est ainsi que les damnés penseront à Dieu.
Solutions :
1. Les damnés n’ont de haine
pour Dieu qu’à cause de sa punition et de son interdiction, qui correspondent à
leur volonté mauvaise : ils ne le considéreront donc que comme celui qui punit
et qui interdit.
2. La deuxième difficulté est
résolue par là, puisque la conscience n’a de la rancoeur du péché qu’en tant
qu’il est contraire au décret divin.
Objections :
1. Les damnés ne paraissent pas
voir la gloire des bienheureux, car elle est encore plus distante d’eux que les
événements de ce monde. Or, ils ne les voient pas. Saint Grégoire, au sujet de
Job : « Que leurs fils
soient nobles », dit : « De même que ceux qui vivent encore,
ignorent en quel lieu se trouvent les âmes des morts, ainsi les morts qui ont
vécu d’une manière charnelle, ignorent comment se passe la vie de ceux qui se
trouvent encore dans la vie de la chair.
» Donc, bien moins encore peuvent-ils voir la gloire des bienheureux.
2. Ce qui est accordé
aux saints en cette vie à titre de grand privilège, n’est jamais
accordé aux damnés. Mais c’est à titre de grand privilège que fut accordé à
saint Paul de voir la vie en laquelle les saints vivent éternellement avec
Dieu, comme il le dit aux Corinthiens. Les damnés ne verront donc pas la gloire des bienheureux.
Cependant, il est dit en Sagesse 5, 1 : « Alors le juste se tiendra debout, plein d’assurance, en présence
de ceux qui l’opprimaient. »
Conclusion :
Les damnés, avant le jour du jugement, verront les
bienheureux dans la gloire, mais non de telle sorte qu’ils comprennent quelle
est leur gloire, mais en sachant qu’ils sont dans une gloire inestimable. Cela les
troublera, soit à cause de leur envie qui les fera souffrir de voir leur
félicité, soit parce qu’ils auront conscience d’avoir perdu eux-mêmes cette
gloire. C’est pourquoi la Sagesse dit : «
À ce spectacle, ils seront troublés par une crainte horrible. » Cette vision leur sera
donnée pour deux raison : 1° en vue
de leur jugement particulier à l'heure de leur mort, afin qu'ils ne rejettent
cette gloire qu'à travers un acte parfaitement libre. 2° en vue du jugement général, à la fin du monde, afin que tout les
mystères du monde et des actes de Dieu leur soient connus, jusqu'au plus petit
détail de l'héroïsme, de l'humilité (kénose) et de l'amour des élus. Mais, après le jour
du jugement, les damnés seront laissés complètement libres de fuir la vue des bienheureux.
Ils s'enfuiront pour ne plus jamais être confronté à la vision du
bonheur des repentants jusque dans les lieux les plus déserts, dans l'obscurité
en feu du cœur des astres. Cela, loin de diminuer leur peine
l’augmentera, car ils garderont le souvenir de la gloire des bienheureux,
qu’ils auront aperçus au jugement ou avant le jugement. Plus tard ils
souffriront de voir qu’ils sont considérés comme indignes même de voir la
gloire méritée par les saints. La raison de cette privation ne viendra pourtant
pas de cette raison mais au contraire de la miséricorde des saints qui
comprendront à quel point leur proximité ne peut qu’augmenter la rage et la
rancœur des damnés.
Solutions :
1. Les événements de
cette vie n’affligeraient pas les damnés en enfer autant que la vue de la
gloire des saints. Cependant parmi les choses qui arrivent ici, leur sont
révélées celles-là seules qui peuvent les attrister.
2. Déjà repentant, Paul pût apercevoir la vie
dans laquelle se trouvent les saints avec Dieu en l’expérimentant et en
espérant la vivre plus tard plus parfaitement : ce n’est point le cas des
damnés : ils la regardent de l'extérieur, en en rejetant avec rage
l'humilité (kénose) et l'amour. Ce n’est donc point
la même chose.
Il nous reste à considérer la justice et la miséricorde de Dieu à
l’égard des damnés, c’est-à-dire l’enfer pris du côté de Dieu. Cinq questions
se posent :
1° Est-ce la justice divine qui
inflige aux pécheurs une peine éternelle ?
2° La miséricorde divine
mettra-t-elle fin à toute peine des hommes et des démons ?
3° Est-ce que, au moins, le
châtiment des hommes aura une fin ?
4° Au moins celui des
chrétiens ?
5° Et celui de ceux qui ont
accompli des œuvres de miséricorde ?
Objection l :
Il ne semble pas que la justice divine puisse infliger aux
pécheurs une peine éternelle : car la peine ne doit point dépasser la faute. Le
Deutéronome dit : « La modalité des
châtiments sera à la mesure de la faute.
» Mais celle-ci est temporelle. La peine ne doit donc pas être éternelle.
2. Si nous considérons deux
péchés mortels, l’un est plus grand que l’autre, et doit donc être puni par une
peine plus grande. Mais aucune peine n’est plus grande qu’une peine éternelle
car elle est infinie. Dès lors, celle-ci n’est pas due à tout péché mortel. Or
si elle n’est pas due à l’un d’eux, elle n’est due à aucun, puisqu’il n’y a pas
entre eux de distance infinie.
3. Un juge juste n’inflige de
peine que pour corriger. Aristote dit que « les
peines sont des médicaments. » Mais
la punition éternelle de l’impie ne sert pas à sa correction ni à celle
d’autres êtres, puisque, après le jugement, il n’y aura plus d’hommes qui
puissent être corrigés par cette vue. La justice divine n’inflige donc pas aux
péchés une peine éternelle.
4. Ce qui n’est point voulu en
soi ne peut l’être que pour quelque avantage. Mais Dieu ne veut pas les
châtiments pour eux-mêmes : il n’en tire aucune jouissance. Puisque Dieu ne
peut tirer aucun avantage de la perpétuité du châtiment. Il semble qu’il ne
doive pas imposer une punition perpétuelle pour le péché.
5. Rien de ce qui n’existe que
par accident n’est perpétuel, comme dit Aristote. Le châtiment fait partie des
choses qui existent par accident, en tant qu’il est contraire à la nature. Il
ne peut donc être perpétuel.
6. La justice de Dieu semble
exiger que les pécheurs soient réduits au néant : en effet, l’ingratitude mérite
la perte des bienfaits reçus. Or, parmi les bienfaits de Dieu. Il y a
l’existence même. Il semble donc juste que le pécheur, ingrat envers Dieu,
perde l’existence. Si les pécheurs sont réduits au néant, leur punition ne peut
être perpétuelle.
Cependant :
Il est écrit en saint Matthieu : « Ceux-ci, c’est-à-dire les pécheurs, iront au supplice éternel. »
Conclusion :
Le cardinal Journet répond[930] : « Il est clair que tout ce qu’il y a de richesses et de splendeurs
ontologiques en enfer, les natures incorruptibles des anges, les âmes
spirituelles des hommes et plus tard leurs corps ressuscités ; tout ce qu’il y
a en outre de positivité ontologique dans le désir naturel des réprouvés pour
le bonheur, et jusque dans leur incessante activité intelligente et libre :
tout cela a sa source suprême en Dieu, tout cela résulte du don premier et sans
repentance de sa miséricorde qui le pousse à créer toutes choses, le monde
matériel, les anges, l’homme, non pour les anéantir, mais pour les soutenir par
sa providence dans leur être et leur agir.
Il est clair d’autre part que tout ce qu’il y a en enfer de mal du
péché, de révolte, d’orgueil, de blasphème, ne peut être un élément structurel
de l’univers, ne peut remonter d’aucune manière à Dieu, ni directement ni indirectement.
Mais que penser du mal de la peine des réprouvés, du mal de la
souffrance, inséparable de leur révolte ? Dieu en est-il la cause ? Il en est
la cause en tant qu’il veut et ne peut pas ne pas vouloir ce à quoi se heurtent
par leur faute volontaire et permanente les réprouvés. Pour que cesse
l’insoluble conflit où les maintient leur rébellion et leur laisser le champ
libre, il faudrait que disparaisse le double obstacle contre lequel ils se
brisent, à savoir Dieu et l’ordre de la création ; il faudrait que Dieu d’une
part se renie en se détruisant lui-même, et d’autre part renie le décret par
lequel il a imposé un ordre dans l’univers. Quand on parle de la sainte Justice
de Dieu qui s’oppose au mal, on ne peut désigner -et il faudrait pourtant s’en
souvenir- que le double Amour, l’un, nécessaire, par lequel il ne peut pas ne
pas se vouloir lui-même, l’autre, libre, par lequel, ayant décrété le monde
dans sa sagesse, il ne lui est pas possible de se dédire. Ne pas punir le damné
serait pour Dieu accepter cette affirmation de soi contre Lui qui est le
péché-même.
Dieu est la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde[931] ; ne sont dans les ténèbres
que ceux qui lui ferment l’accès de leur cœur : à la manière dont l’homme qui ferme
ses volets se met dans l’obscurité. »
Tant que le pécheur maintient cette révolte contre Dieu, la
lumière ne peut rentrer. Mais, et c’est là que s’explique l’éternité de
l’enfer, jamais aucun pécheur en enfer ne revient sur sa révolte. Il le
pourrait. Il est parfaitement libre. Mais il ne le veut jamais car il sait et
il veut en perfection ce qu’il vit, dès le premier instant de sa révolte, dès
qu’à l’heure de la mort il a vu le Christ crucifié et glorifié et s’en est
moqué. Tout autre péché que le blasphème contre l’Esprit disparaît mais ce
péché là ne disparaît jamais, par définition.
On pourrait objecter à cela que Dieu pourrait finir par se donner
tout de même, par miséricorde pour le pécheur non repentant. C’est impossible,
non seulement de par sa volonté de se donner à l’amour, mais surtout parce que,
par essence, il est l’Humilité (kénose) et l’Amour. Le pécheur ne verrait rien
de Dieu selon cette parole [932] : « Nul ne peut voir Dieu sans mourir » à soi-même.
Solutions :
1. (De saint Thomas) On peut
dire, comme saint Grégoire, que bien que la faute soit temporelle en son acte,
elle est éternelle dans la volonté qui la commet.
2. Le degré de la peine, en
intensité, correspond au degré du péché. C’est pourquoi, pour des péchés
mortels inégaux, il y aura des peines inégales en intensité, mais non en durée.
3. Les châtiments infligés à
ceux qui ne sont pas complètement chassés de la société civile, sont ordonnés à
leur correction, mais non les peines qui constituent une expulsion totale de la
société. Celles-ci peuvent du moins servir à la correction et à la tranquillité
des autres citoyens qui demeurent dans la cité. De même, la damnation éternelle
des impies sert à la correction des membres actuels de l’Église : Car les
châtiments ne servent pas seulement à corriger quand ils sont appliqués, mais
aussi quand ils sont déterminés.
4. Les châtiments des impies,
qui dureront perpétuellement ne seront pas tout à fait inutiles, car ils
serviront à deux choses : d’abord à manifester la détermination des damnés,
prêts à subir cette vie insensée pour toujours plutôt que de renoncer à leur
liberté sans amour.
Secondement, ces peines sont utiles parce qu’elles procurent aux
justes la satisfaction de contempler la manifestation de la justice de Dieu,
qui ayant tout fait pour orienter ces êtres vers la vraie béatitude pour
laquelle ils étaient créés, respecte en fin de compte leur choix puisqu’il est
obstiné. Le Psalmiste dit : « Le
juste se réjouira de voir la vengeance »
et Isaïe : « Les impies seront la
satisfaction de la vue de toute chair »,
c’est-à-dire des saints, comme le précise la Glose. C’est ce qu’affirme saint
Grégoire : « Tous les réprouvés
envoyés au supplice éternel sont punis à cause de leur iniquité. Cependant,
leur supplice servira à autre chose : car tous les justes, en Dieu, ont
conscience des joies qu’ils goûtent et en même temps ils aperçoivent chez les
damnés les supplices auxquels eux-mêmes ont échappé. Ils comprendront ainsi
d’autant mieux ce qu’ils doivent éternellement à la grâce divine. »
5. Dieu a disposé son salut de
telle manière que chacun puisse, de manière libre, s’en détourner. Il se
propose à l’amour de la créature spirituelle mais ne s’impose pas. Certains
auteurs ont souhaité l’anéantissement des damnés car ils se représentaient l’enfer
à la manière d’un camp de torture infligé par Dieu pour punir les égoïstes et
les orgueilleux. La réalité est toute autre. L’enfer est choisi par les
pécheurs parce qu’ils y voient d’abord leur bien. Eternellement, ils
choisissent de rester en enfer. Ils s’y considèrent comme heureux car libres et
divins. De fait, ils savent qu’ils sont malheureux. Ils voient leur âme dépérir
du manque de Dieu, de sa lumière et de son amour. Ils voient leur psychisme se
maintenir dans toutes sortes de passions mauvaises. Plus tard, après la
résurrection de la chair, leur corps somatisera ce malheur. Ils comprennent que
ce malheur, excepté l’éloignement que leur impose Dieu vis-à-vis du monde des
habitants de la terre, n’est que la conséquence normale de leur nature coupée
de sa fin. Pourtant, ils restent en enfer. Ils ne se repentent pas. Si Dieu les
réduisait au néant, il se comporterait injustement avec eux puisqu’il ne
prendrait pas au sérieux le choix de ses créatures. C’est ce que dit Vitalini
Sandro[933] : « Dieu respecte jusqu’au bout la liberté qu’il a communiquée aux
anges en les créant comme des personnes. Que certains d’entre eux aient préféré
souffrir les peines de l’enfer plutôt que de se livrer aux exigences de la
charité, cela reste leur décision personnelle. Il ne convient pas de les faire
retourner au néant puisqu’ils manifestent par leur existence la magnanimité de
leur Créateur. »
Objections :
1. Il semble que la miséricorde
divine doive mettre un terme à tout châtiment des hommes aussi bien que des
démons. Car nous lisons dans la Sagesse : «
Tu as pitié de tous, Seigneur, car tu es tout-puissant. » Donc leur peine elle-même aura une fin.
2. Saint Paul dit aux Romains :
« Dieu a enfermé toutes choses dans
la désobéissance, pour faire à tous miséricorde. » Or, Dieu a enfermé les démons dans leur péché ou du moins permis
qu’ils soient enfermés. Il semble donc qu’il doive un jour leur faire
miséricorde.
3. Comme dit saint Anselme : « Il n’est pas juste que Dieu permette
qu’une créature qu’il a faite pour la béatitude périsse tout à fait. » Il semble donc que, puisque toute
créature raisonnable a été créée pour la béatitude, il ne soit pas juste que
Dieu permette qu’elle périsse totalement.
4. Il semble que la peine des
démons se terminera par leur retour au néant car, s’ils ne veulent revenir de
leur perversion, Dieu dans sa miséricorde ne pourra tolérer leur tourment
éternel et préfèrera détruire leur être.
Cependant :
Il est dit en saint Matthieu 18, 8 : « Eloignez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel, qui a été
préparé pour le diable et pour ses anges.
» Ils seront donc punis éternellement. En outre, comme les bons anges
furent rendus bienheureux par leur conversion vers Dieu, ainsi les mauvais
anges furent rendus malheureux par leur aversion à son égard. Si le malheur des
mauvais anges finissait un jour, la béatitude des bons anges devrait se
terminer aussi, ce qui ne convient pas.
Conclusion :
« Ce fut une erreur d’Origène, comme dit saint Augustin, de penser
que les démons seront un jour libérés de leurs peines par la miséricorde de
Dieu. » Cette erreur fut réprouvée
par l’Église pour deux motifs : d’abord, parce que cela est manifestement
contraire à l’autorité de la Sainte l’Écriture, qui dit dans l’Apocalypse : « Le diable qui les séduisait fut envoyé
dans un étang de feu et de soufre, où les gens abêtis et les pseudo-prophètes
seront torturés jour et nuit dans les siècles des siècles », formule qui signifie pour toujours ; ensuite, parce que d’une
part Origène étendait trop la miséricorde divine, et d’autre part il la
contraignait trop. Il semble en effet que le même motif exige que les bons
anges demeurent dans la béatitude éternelle, et que les mauvais anges soient
punis pour l’éternité. Ce motif, nous l’avons montré, est lié à une parfaite
détermination dans le bien ou dans le mal. C’est pourquoi, comme il affirmait
que les démons et les âmes des damnés seraient un jour libérés du châtiment,
ainsi, il affirmait que les anges et les âmes des bienheureux seraient
quelquefois déchus de leur béatitude dans les misères de cette vie.
Solutions :
1. Dieu, en lui-même, a
compassion de tous. Mais, parce que sa miséricorde est réglée par l’ordre de sa
sagesse, elle ne s’étend pas à certains, qui se sont rendus indignes de cette
miséricorde, comme les démons et les damnés, obstinés dans leur malice.
Cependant, on peut dire que même à leur égard la miséricorde intervient, en
tant qu’ils sont punis moins qu’ils le méritent, sans être totalement libérés
de leur peine.
2. Ici, l’universalité doit
s’entendre de toutes les espèces d’êtres, mais non de tous les membres de
chaque espèce. Cette citation doit être entendue des hommes dans leur état
terrestre, en ce sens que Dieu eût pitié des Juifs comme des Gentils, mais non
de tous les Gentils ni de tous les Juifs.
3. Saint Anselme estime que ce
ne serait point juste et ne conviendrait pas à la bonté divine ; mais il parle
de la créature selon son espèce. Il ne convient pas à la bonté divine que toute
une espèce de créatures manque la fin pour laquelle elle a été faite. Il ne
convient donc pas que tous les hommes ou tous les anges soient damnés. Mais
rien n’empêche que quelques-uns parmi les hommes ou les anges périssent
éternellement, puisque l’intention de la volonté divine se trouve réalisée en
ceux qui sont sauvés.
Objections :
1. Il semble que la miséricorde
divine ne supporte pas un châtiment éternel, du moins pour les hommes, car il
est dit dans la Genèse : « Mon esprit
ne demeurera pas contre l’homme éternellement, car il est chair. » Et ici, ce mot esprit signifie
"mon indignation », comme cela
ressort de la Glose. Puisque l’indignation de Dieu n’est pas autre chose que le
châtiment qu’il inflige, il ne punira pas éternellement.
2. La charité des saints, en
cette vie, les fait prier pour leurs ennemis. Là-haut, ils auront une charité
plus parfaite, et prieront donc pour leurs ennemis damnés. Leurs prières ne
pourront être inefficaces, puisqu’ils sont très agréés par Dieu. Donc, à cause
de ces prières des saints, la miséricorde divine libérera un jour les damnés de
leur punition.
3. La prédiction par Dieu, de
l’éternité du châtiment des damnés appartient aux prophéties de menace. Mais
une prophétie de menace ne s’accomplit pas toujours, comme cela apparaît dans
Jonas : il dit que Ninive serait détruite et elle ne le fut point comme il
l’avait prédit, et Jonas en fut attristé. Il semble donc que, bien plus encore,
la miséricorde divine changera la menace d’un châtiment éternel en une sentence
très douce, qui ne donnera à personne de la tristesse, mais procurera à tous de
la joie.
4. Le Psalmiste dit : « Dieu sera-t-il en colère pour
l’éternité ? » Or, la colère de
Dieu, c’est la punition des méchants. Donc…
5. À propos d’Isaïe « Tu as été projeté », la Glose interlinéaire dit : « Même si toutes les âmes trouvent un
jour le repos, toi tu ne l’auras jamais »,
en parlant du diable. Il semble donc que toutes les âmes humaines trouveront un
jour la cessation de leurs tourments.
6. Ce que Dieu peut faire, il
le fait si cela convient avec sa miséricorde. Or Dieu peut donner aux hommes
damnés la possibilité de sortir de leur perversion, par exemple en les
réincarnant sur la terre avec un autre corps, de telle manière qu’ils perdent
le souvenir même de leur orgueil passé. Il semble donc que Dieu donne une fin
au châtiment des damnés.[936]
7. Si Dieu ne peut supprimer la
volonté perverse de l’homme qui se sépare de lui, il peut au moins supprimer la
peine du feu et les autres peines qui viennent de sa justice en enfer. Donc la
miséricorde de Dieu ne tolère pas les peines éternellement en enfer.
8. On attribue à Origène la
théorie dite de l’apocatastase selon laquelle même les démons se convertiraient
finalement à la bonté divine. Dans cette ligne, se place l’Ambrosiaster et
saint Jérôme. Dans ce sens aussi, Grégoire de Nysse affirme : « Quand seront rétablis dans leur
condition primitive ceux qui sont maintenant plongés dans le vice, le concert
d’actions de grâces s’élèvera de toute créature. »
Cependant :
Il est dit en saint Matthieu 18, 8, à propos des élus et des
réprouvés : « Ceux-ci iront au
supplice éternel, mais les justes, à la vie éternelle. » Il ne convient pas de dire que la vie des justes cessera. Il ne
convient donc pas non plus de dire que le supplice des réprouvés se terminera.
En outre, saint Jean Damascène dit : « La mort est pour les hommes ce que la chute fut pour les anges. » Mais les anges, après la chute,
furent irréformables. Donc aussi les hommes après leur mort. Le supplice des
réprouvés ne cessera donc jamais.
Conclusion :
Comme le dit saint Augustin, certains suivirent sur ce point
l’erreur d’Origène, et affirmèrent que les démons seraient punis à jamais,
tandis que tous les hommes, même les infidèles, seraient un jour libérés de
leur châtiment. Mais cette position est tout à fait déraisonnable. Car, de même
que les démons doivent être punis perpétuellement à cause de leur obstination
dans le mal, ainsi également, les âmes des hommes qui sont morts sans la
charité, puisque la liberté de la mort est pour les hommes comme celle de la
chute pour les démons.
Solutions :
1. Cette citation doit être
entendue de l’homme selon qu’il est sur cette terre. Il peut arriver que Dieu
enlève la grâce de ses bienfaits matériels ou spirituels de manière provisoire,
jusqu’à ce qu’une génération touche le fond de sa misère et en vue d’un
renouveau de la génération suivante. Dieu se sert des lois de la sociologie.
Quand le peuple redevient réceptif à la grâce, l’indignation de Dieu s’éloigne
du genre humain, à cause de l’avènement du Christ. Mais ceux qui ne veulent pas
entrer ou demeurer dans cette réconciliation que le Christ a opérée, perpétuent
en eux-mêmes la colère divine, puisqu’il n’y a point pour nous d’autres
manières de réconciliation que celle qui se réalise à travers le Christ.
2. Comme disent saint Augustin
et saint Grégoire, « les saints, au
cours de cette vie, prient pour leurs ennemis afin qu’ils se convertissent à
Dieu, tant que cela est encore possible. Si nous savions qu’ils sont déterminés
de manière obstinée et libre à la mort spirituelle, nous ne prierions pas plus
pour eux que pour les démons. »
Mais puisque, après cette vie, ceux qui sont morts sans la grâce ne voudront
plus de conversion, aucune prière ne sera faite pour eux, ni par l’Église
militante, ni par l’Église triomphante. Pour eux, on ne peut rien comme dit
saint Paul, pour que Dieu « leur donne de faire pénitence, et qu’ils
sortent des lacets du diable. »
3. La prophétie de menace ne
change que si sont modifiés les mérites de celui contre qui est proférée la
menace. C’est pourquoi Jérémie dit : « Je
parlerai aussitôt contre cette nation, contre ce royaume, afin de le déraciner,
de le détruire et de le disperser. Si cette nation fait pénitence de son mal,
je ferai moi-même pénitence pour le mal que j’ai eu l’intention de lui faire. » Puisque les mérites des damnés ne
peuvent plus changer, la menace de leur châtiment s’accomplira toujours en eux.
Cependant, la prophétie de menace s`accomplira toujours en eux en un certain
sens, car, comme dit saint Augustin, « Ninive
a été bouleversée, puisqu’elle était mauvaise et est devenue bonne : ses
remparts et ses maisons sont demeurés, mais les mauvaises mœurs de la ville
furent détruites. »
4. Ce mot du psaume vaut pour
les vases de miséricorde qui ne se sont pas rendus indigne de la miséricorde ;
car, en cette vie, qui est comme une manifestation de la colère de Dieu à cause
des souffrances d’ici-bas, les vases de miséricorde sont transformés en mieux.
D’où ce mot du psaume : « Ce changement
est l’œuvre de la droite du Très-Haut. »
On peut dite aussi que ce passage doit être entendu de la miséricorde qui
produit un relâchement, mais sans libérer totalement, si on l’applique aux
damnés. C’est pourquoi il est écrit : non pas « il préservera de sa colère ses miséricordes », mais bien : « dans sa colère », parce
que la peine ne sera pas totalement supprimée, et tandis qu’elle demeure, la
miséricorde agira pour la diminuer.
5. Cette Glose ne peut pas être
prise absolument, mais dans une l’hypothèse impossible pour accroître la
grandeur du péché du diable lui-même ou de Nabuchodonosor.
6. Ce qui convient à la
miséricorde de Dieu ne convient pas forcement à sa sagesse. Or Dieu, dans
l’ordre de sa sagesse, a fait de l’homme une personne c’est-à-dire un être qui
se dirige lui-même en suivant le libre arbitre de son esprit. C’est pourquoi,
au terme d’une certaine croissance, l’homme obtient les conditions d’une
liberté parfaite. C’est donc librement que l’homme se damne. Il est
contradictoire avec la sagesse de Dieu qu’il détruise ce libre arbitre sous
prétexte que l’homme s’en est servi pour mal agir. C’est pour cela qu’il
n’efface jamais la personnalité de l’homme en le réincarnant dans un autre
corps et en effaçant ses souvenirs.
7. Les peines de l’enfer ne
sont que les conséquences naturelles dans la nature humaine de la perversité de
la volonté des damnés. Ainsi, le feu n’est autre que le désir naturel de Dieu
qui a été frustré et le ver de la rancoeur la révolte de la conscience
profonde. Ces peines là ne peuvent donc en aucun cas disparaître tant que la
volonté reste dans son obstination. Quant à l’emprisonnement de l’âme qui est
due au feu matériel, il est nécessaire pour que ces damnés ne puissent pas
venir effrayer les vivants ou ennuyer les élus.
8.[937] Le Magistère se situe dans le sillon de la Tradition, et Vatican
II encore nous rappelle la possibilité du refus de la vie qu’elle entraîne : « Ignorants du jour et de l’heure, il faut
que, suivant l’avertissement du Seigneur, nous restions constamment vigilants
pour mériter, quand s’achèvera le cours unique de notre vie terrestre,[938] d’être admis avec Dieu aux
noces et comptés parmi les bénis de Dieu[939] au lieu d’être, comme de
mauvais et paresseux serviteurs[940] écartés par l’ordre de Dieu
vers le feu éternel[941], vers ces ténèbres du
dehors où « seront les pleurs et
les grincements de dents ».[942]
Objections :
1. Il semble que, du moins pour
les chrétiens, la miséricorde divine mettra fin au châtiment, car nous lisons
en saint Marc : « Celui qui aura cru
et aura été baptise sera sauvé. »
C’est le cas de tous les chrétiens : ils seront donc finalement sauvés.
2. Il est dit en saint Jean : « Celui qui mange ma chair et boit mon
sang, possède la vie éternelle. »
C’est l’aliment et le breuvage communs des chrétiens. Tous ceux-ci seront donc
finalement sauvés.
3. Saint Paul écrit en 1
Corinthiens 3, 15 : « Si celui dont
l’œuvre est brûlée subit un dommage, lui-même sera pourtant sauvé, bien que
comme à travers le feu. » Il parle
ici de ceux qui ont possédé le fondement de la foi chrétienne. Donc, ceux-ci
seront tous sauvés finalement.
Cependant :
Saint Paul dit aux Corinthiens : « Les gens iniques ne posséderont pas le royaume de Dieu. » Mais il y a des chrétiens qui sont
iniques. Tous les chrétiens ne parviendront donc pas au Royaume, et certains
seront punis perpétuellement. En outre, il est dit en saint Pierre : « Il eût été mieux pour eux de ne point
connaître la voie de la justice, plutôt que, après l’avoir connue, de retourner
en arrière, loin du saint précepte qui leur avait été donné. » Ceux qui n’ont pas connu la voie de
la vérité seront punis éternellement ; donc aussi les chrétiens qui ont reculé
après l’avoir connue.
Conclusion :
Certains, à ce que dit saint Augustin, promirent l’absolution de
la peine éternelle, non à tous les hommes, mais aux seuls chrétiens, et ils
différèrent dans la précision de leur pensée. Les uns dirent que tous ceux qui
ont reçu les sacrements de la foi seront exempts de la peine éternelle. Mais
cela est contraire à la vérité, puisque certains reçoivent les sacrements de la
foi sans avoir la foi, « sans
laquelle il est impossible de plaire à Dieu.
» D’autres dirent que seuls seront exempts de la peine éternelle ceux qui
ont reçu les sacrements de la foi et ont possédé la foi catholique. Mais il
semble contraire à cette opinion que des hommes aient possédé la foi catholique
et s’en soient ensuite éloignés : ils sont donc dignes non pas d’un châtiment
moindre, mais plus grand. Car, « il
eut été mieux pour eux de ne pas connaître la voie de la justice que de
retourner en arrière après l’avoir connue.
» Il est clair que le péché des chefs religieux qui, abandonnant la foi,
fondent de nouvelles hérésies, est plus grand que celui de ceux qui par leur
naissance ont été élevés dans une hérésie. C’est pourquoi, d’autres ont dit que
seuls sont exempts de la peine éternelle ceux qui persévèrent jusqu’à la fin
dans la foi catholique quels que soient les crimes dans lesquels ils sont
impliqués. Mais cela est manifestement contraire à l’Écriture, car il est dit
en saint Jacques : « La foi sans les
œuvres est morte » et dans saint
Matthieu : « Ce ne sont pas tous ceux
qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux,
mais bien celui qui accomplit la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » Et en beaucoup d’autres passages,
l’Écriture menace les pécheurs de châtiments éternels. Donc, tous ceux qui
persistent jusqu’à la fin dans la foi ne seront exempts de la peine éternelle
que si, à la fin, ils sont libérés de tous les crimes.
Solutions :
1. Le Seigneur parle ici de la foi
formée, qui agit par amour : tout homme qui meurt avec cette foi sera sauvé. À
cette foi s’oppose, non seulement l’erreur de l’infidélité, mais tout péché
mortel.
2. Cette parole du Seigneur
doit être entendue non au sujet de ceux qui ne font que manger
sacramentellement l’Eucharistie, et dont certains parfois la mangent
indignement. Selon saint Paul aux Corinthiens, ils « mangent et boivent leur condamnation. » Le Maître parle de ceux qui mangent spirituellement, et qui sont
incorporés à lui par la charité : c’est ce qu’opère la manducation
sacramentelle, si quelqu’un s’en approche dignement. Donc, en vertu du
sacrement l’âme est introduite en la vie éternelle, bien que quelqu’un puisse
être privé de ce fruit par son péché, même après avoir reçu dignement ce
sacrement.
2. Le fondement dont parle
l’Apôtre est la foi formée. Celui qui a construit sur elle des péchés véniels
subira un dommage, puisqu’il sera puni par Dieu : mais lui-même sera finalement
sauvé, comme par le feu : Soit celui d’une épreuve temporelle, soit celui de la
peine du purgatoire après la mort.
Objections :
1. Il semble que oui, et que
seuls seront punis éternellement ceux qui ont négligé les œuvres de
miséricorde. Il est dit en effet dans saint Jacques : « Le jugement s’accomplira sans miséricorde pour ceux qui n’ont
point fait miséricorde », et dans
saint Matthieu : « Bienheureux
les miséricordieux, parce qu’ils jouiront eux-mêmes de la miséricorde. »
2. Saint Matthieu 25, 44 expose
la discussion judiciaire du Seigneur avec les reprouvés et les élus. Mais cela
ne porte que sur les œuvres de miséricorde. Donc certains seront punis
éternellement uniquement à cause de leur omission des œuvres de miséricorde.
Donc…
3. Il est dit en saint Matthieu
: « Remettez-nous nos dettes comme
nous les remettons à nos débiteurs »,
et plus loin : « Si vous pardonnez
aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos péchés. » Il semble donc que les miséricordieux
qui pardonnent aux autres leurs fautes, obtiendront eux-mêmes le pardon de
leurs péchés : ils ne seront donc pas punis éternellement.
4. Une glose de saint Ambroise,
au sujet de l’épître de saint Paul à Timothée : « la piété est utile à tout »,
dit : « Tout l’essentiel de la
discipline chrétienne consiste en la miséricorde et la piété : si quelqu’un les
pratique, mais subit les périls de la chair, il sera sûrement châtié, mais ne
périra pas. Mais si quelqu’un n’a pratiqué que la discipline corporelle, il
souffrira des peines éternelles. »
Dès lors, ceux qui se livrent aux œuvres de miséricorde tout en étant entraînés
par les péchés de la chair, ne seront point punis éternellement.
Cependant :
Saint Paul dit en 1 Corinthiens 6, 9 : « Ni les fornicateurs, ni les adultères, ne posséderont le royaume
de Dieu. » Or, parmi eux il y a
beaucoup de personnes qui s’adonnent aux œuvres de miséricorde. Les
miséricordieux ne parviendront donc pas tous au royaume éternel, et
quelques-uns d’entre eux seront damnés éternellement. En outre, il est dit en
saint Jacques : « Quiconque a observé
toute la loi, mais l’enfreint sur un point, est coupable de tout. » Donc celui qui garde la loi au sujet
des œuvres de miséricorde, mais néglige d’autres bonnes œuvres, est coupable de
transgression de la loi et sera puni éternellement.
Conclusion :
Comme dit saint Augustin, certains affirmèrent que ceux qui
possèdent la foi catholique ne seraient pas tous libérés de la peine éternelle,
mais seulement ceux qui se livrent aux œuvres de miséricorde, même s’ils sont
coupables d’autres crimes. Mais cela ne peut être, car sans la charité rien
n’est agréable à Dieu, et rien ne peut servir à mériter la vie éternelle,
puisque la vie éternelle consiste en une alliance d’amour de charité avec Dieu.
Or, il y a des personnes qui pratiquent la miséricorde sans avoir la charité.
Cependant, celui qui pour des raisons de réelle bonté humaine
s’est montré miséricordieux durant sa vie a le cœur disposé à se tourner vers
le Christ miséricordieux au jour où l’Evangile lui sera annoncé. C’est
pourquoi, les vertus humaines des hommes, si elles ne sauvent absolument pas en
elles-mêmes, préparent cependant l’homme au salut pour le jour de la venue du
christ dans sa gloire. D’où cette parole du Seigneur [944]: « Et le Roi leur fera cette réponse: En vérité je vous le dis, dans
la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à
moi que vous l'avez fait. »
Il est certaines personnes qui pratiquent la miséricorde pour des
motifs mauvais (comme l’obtention de gloire, ou d’un avantage en retour). Pour
elles, rien ne sert à obtenir la vie éternelle, ni à les libérer du châtiment
éternel, comme nous le voyons dans l’épître aux Corinthiens. Cela apparaît
surtout absurde à propos des voleurs, qui s’emparent de beaucoup de biens mais
font quelques dons par miséricorde ou, pire, pour paraître miséricordieux et
s’attirer une bonne réputation. On doit donc dire que tous ceux qui meurent en
état de péché mortel ne seront libérés du châtiment éternel, ni par leur foi,
ni par leurs œuvres de miséricorde, même après un très long espace de temps.
Solutions :
1. Ceux-là seuls sont dans la
miséricorde de Dieu, qui exercent la miséricorde d’une manière bien ordonnée,
c’est-à-dire pour un motif lié à la vertu théologale de charité. Ceux qui
exercent la miséricorde pour un motif liée à une volonté humaine droite sont
cependant préparés à reconnaître le Christ et sa charité lorsqu’il les
appellera au salut. Ce n’est point le cas de ceux qui, en faisant miséricorde
aux autres, ne pensent qu’à eux-mêmes, et s’attaquent à eux-mêmes en agissant
mal. Ceux-là ne recevront pas une miséricorde qui les absoudrait totalement,
même s’ils reçoivent des dons qui les soulagent de quelques peines.
2. Matthieu 25, 44 : « Alors ceux-ci lui demanderont à leur
tour: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé,
étranger ou nu, malade ou prisonnier, et de ne te point secourir ? Alors il
leur répondra: En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l'avez pas
fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait. » Cette discussion indique que ceux
qui, pourtant chrétiens, ne pratiquent pas la miséricorde, ne peuvent obtenir
le salut. Elle signifie aussi que ceux qui, non chrétiens, pratiquent la
miséricorde par un réel motif de bonté, ont le cœur disposé à vivre de la
charité dès que la foi leur est enseignée. Cependant, ce n’est pas leur
miséricorde qui par elle-même les sauve, bien qu’elle les prépare au salut.
3. Cette parole du Seigneur
s’adresse à ceux qui demandent la rémission de leur dette non à ceux qui
demeurent dans leur péché. Dès lors, ceux-là seuls qui font pénitence
obtiennent, par leurs œuvres de miséricorde le pardon qui les délivre
totalement. Et il est vrai que celui qui est miséricordieux avant de connaître
le Christ est disposé à le devenir par amour du Christ le jour de sa
Révélation.
4. La glose de saint Ambroise parle du péché véniel, dont quelqu’un,
après les peines purificatrices, qu’il appelle châtiment, sera absout à cause
de ses œuvres de miséricorde. Ou bien, s’il parle de péril du péché mortel, on
doit l’entendre en ce sens que, se trouvant encore en cette vie, ceux qui sont
tombés dans les péchés charnels par fragilité, seront disposés à la pénitence,
à cause de leurs œuvres de miséricorde. Un tel pécheur ne périra pas, parce que
grâce à ces œuvres il sera disposé de telle sorte qu’il ne périra pas.[945]
Successivement, nous traiterons de son existence, de sa
nature, de son effet sur les âmes.
A propos du purgatoire, nous nous demanderons :
1° Existe-t-il un purgatoire
après cette vie ?
2° Existe-il six degrés du
purgatoire ?
3° La vie terrestre est-elle le
premier purgatoire ?
4° Les purgatoires de
l’au-delà ont-ils un lieu ?
5° Certaines âmes se purifient-elles en se réincarnant sur terre ?
Objections :
1. La notion de purgatoire n’a
été définie par l’Église qu’au XVème siècle. Il semble que les Pères
n’y ont pas cru avant. Elle ne saurait donc être un dogme de foi mais seulement
un ajout à la foi.
2. L’Apocalypse semble le nier[947] : « heureux les morts qui meurent dans le Seigneur! Dès maintenant,
dit l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs travaux. » Ceux qui meurent dans le Seigneur n’ont donc pas à subir un
travail de purification après cette vie ; pas davantage ceux qui ne meurent pas
dans le Seigneur, puisqu’il n’y a pas, pour eux, de purification possible.
3. Le rapport est le même entre
la charité et la récompense éternelle, le péché mortel et le supplice éternel.
Or ceux qui meurent en état de péché mortel vont immédiatement au supplice
éternel. Donc ceux qui meurent en état de grâce vont tout droit au Ciel.
4. Dieu qui est souverainement
miséricordieux, est plus prompt à récompenser le bien qu’à punir le mal. Or de
même que ceux qui sont en état de grâce peuvent avoir commis certains péchés
qui ne méritent pas la peine éternelle, de même ceux qui sont en état de péché
mortel peuvent avoir fait quelque bien qui ne mérite pas la récompense
éternelle. Dès lors, puisque ce bien n’est pas récompensé dans l’autre vie, ces
péchés ne doivent pas être punis non plus (Selon Alexandre de Halès).
Cependant :
Le pape Clément VI écrit[948] : « Nous croyons que c’est au purgatoire que descendent les âmes de
ceux qui meurent en état de grâce et qui n’ont pas encore satisfait pour leur
péché par une entière pénitence. De même, nous croyons qu’elles y sont
tourmentées par un feu pour un temps et que, dès leur purification, avant même
le jour du jugement, elles parviennent à la véritable et éternelle béatitude
qui consiste à voir Dieu face à face et à l’aimer. »
Conclusion :
L’existence du purgatoire est un article de foi qui trouve son
fondement dans l’Écriture Sainte d’une manière explicite. Il est écrit au livre
des Macchabées[949] : « C’est une sainte et salutaire pensée que de prier pour les
défunts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés. » Or ceux qui sont au paradis n’ont pas besoin de prières
puisqu’ils ne manquent de rien ; ceux qui sont en enfer n’en ont que faire,
puisqu’ils ne veulent être délivrés de leurs péchés. Il y a donc dans l’autre
monde des âmes qui peuvent parvenir à la gloire par une purification. C’est ce
que veut dire saint Paul dans l’épître aux Corinthiens[950] : « Quant à l’homme qui aura bâti sa maison avec du bois, du foin, de
la paille, il sera sauvé, mais comme à travers un feu. »
Mais on peut établir d’une manière théologique la nécessité du
purgatoire pour certaines âmes. Le fondement de toute théologie catholique est
le suivant : « L’entrée dans la
vision de Dieu se fait à travers le consentement mutuel, comme dans le mariage entre
Dieu et de la créature élevée par la grâce. Mais la créature doit être adaptée
à la nature de son époux, à savoir devenir tout humble (kénose) et tout amour. » Au moment de la mort, face à la
parousie de l’image de Dieu que constitue le Christ glorieux accompagné des
saints et des anges, la contrition peut être parfaite et supprimer tout péché
mortel ; l’amour de charité s’enflamme alors tout entier au point que l’âme
aime Dieu de toute sa force. L’âme reçoit alors le pardon de toutes ses fautes
et est établie par la grâce en état de sanctification. Cependant, il peut
subsister certains restes du péché dans l’âme et ils sont de deux sortes :
1° Un manque d’humilité : il
s’agit d’un attachement habituel de l’âme à elle-même qui l’empêche de se
donner pleinement et totalement à l’amour de Dieu. Ce vice de l’âme fait
subsister des péchés véniels actuels qui rendent imparfaits l’acte de la
charité. À cause de ces restes des péchés passés, l’âme est comme entachée. Il
lui est donc impossible d’être immédiatement introduite dans la lumière de
Dieu, non à cause d’un défaut de cette lumière mais à cause de la tâche
elle-même qui empêche la lumière de pénétrer. Il est donc nécessaire que le
reste du péché soit détruit par une purification.
2° Une dette de pénitence : En
outre, il peut subsister des péchés passés et lavés par la contrition une
obligation à la peine. Chaque péché réalise en effet un désordre dans le monde
qui peut être rétabli d’une manière juste par la pénitence. Ainsi, celui qui
vole son prochain est tenu de restituer s’il veut rétablir pleinement le droit.
De même, la justice divine peut exiger de l’âme la satisfaction de la peine non
accomplie sur cette terre, dans l’autre vie. C’est ce que dit saint Luc[951] : « hâte-toi de te réconcilier avec ton adversaire tant que tu es en
chemin avec lui (…) Je te le dis, tu ne sortiras pas de prison que tu n’aies
rendu même jusqu’au dernier sou. »
C’est principalement par ce texte que l’Église admet la nécessité de réparer,
même au purgatoire, pour les désordres issus de nos péchés. Nous verrons
cependant que "l’indulgence" de Dieu qui peut nous en dispenser.
De ces deux considérations, il ressort la nécessité d’un
purgatoire après cette vie pour les âmes chez qui il subsiste la moindre
imperfection. L’essence divine est d’une si grande et incompréhensible pureté
qu’elle ne saurait être vue par une âme imparfaitement purifiée. Vatican Il
rappelle sobrement la doctrine des autres Conciles dans le chapitre sur le
caractère eschatologique de l’Église[952] : « Ainsi donc, en attendant que le Seigneur soit venu dans sa
majesté, accompagné de tous les anges, et que, la mort détruite, tout lui ait
été soumis, les uns parmi ses disciples continuent sur terre leur pèlerinage ;
d’autres, ayant achevé leur vie, se purifient encore ; d’autres enfin sont mis
dans la gloire contemplant dans la pleine lumière, tel qu’il est le Dieu en
trois Personnes. »
Solutions :
1. Au XVe siècle, l’Église n’a
pas inventé le purgatoire mais elle en a proclamé, au plan de son Magistère
romain, la définition solennelle. L’opposition de Luther à cette doctrine vient
moins de la proclamation tardive par l’Église de cette foi explicitement
contenue dans l’Écriture, que de la conception du salut qui domine dans les
confessions réformées. En effet, ils ne voient pas l’entrée dans la vie de Dieu
comme un consentement libre et mutuel lié à l’amour réciproque de charité. Pour
eux, même élevée par la grâce, la liberté humaine est définitivement détruite
quand il s’agit de ces sujets. L’homme est élevé à la Vision béatifique non
comme une épouse libre mais comme un enfant confiant et incapable d’une autre
coopération que cette confiance passive. En conséquence, admettre une
purification de la liberté avant comme après la mort leur est insupportable. Là
se trouve la racine de toute différence entre Réforme et foi catholique ou
orthodoxe.
2. Dans le purgatoire qui
subsiste après la parousie du Christ, les âmes sont saintes. En pleine liberté,
le choix de Dieu qu’elles ont fait est définitif. Elles savent, de science
certaine, qu’elles verront Dieu dès que leur humilité aura été perfectionnée et
leur dette payée. En ce sens, elles sont dans le repos, la joie et la paix.
3. Le mal n’est pas semblable
au bien. Il n’existe pas de mal sans quelque bien. En enfer, les damnés, malgré
la parfaite lucidité de leur rejet de Dieu, restent des créatures spirituelles
dont la nature est bonne. Au contraire, le bien parfait exigé par la Vision de
Dieu ne supporte aucun reste d’impureté. C’est pourquoi, même fixée dans
l’amour de Dieu, une âme sainte peut rester imparfaitement bonne et à purifier.
4. Pour entrer auprès de Dieu,
pour vivre du bonheur infini qui consiste à le voir et à l’aimer face à face,
il est absolument nécessaire de devenir semblable à lui, dans la proportion
adaptée à une faible créature, à savoir tout humble (kénose) et tout donné à
l’amour. Ici se trouve la clef de tout. « Nul
ne peut voir Dieu sans mourir à lui-même[953] », enseigne l’Ancien Testament. À cause de la pureté et de la
délicatesse de Dieu, n’importe quel amour, n’importe quelle humilité ne suffit
pas mais seulement un amour d’amitié total, dépouillé de toute recherche
intéressée. Le moindre orgueil, le moindre égoïsme, et l’entrée face à Dieu
devient impossible, comparable à un viol alors qu’elle devrait être un mariage.
Il ne s’agit pas d’une condition liée à une convenance de la part de Dieu mais
d’une nécessité de nature. Toute la vie de Jésus en est la révélation. L’image
de l’amour nécessaire est visible à travers la vie de Jésus. Ceux qui l’ont mis
à mort et qui se moquent de lui, il les aime au point qu’il les accueille à
l’heure de leur mort et leur propose, sous condition de repentir et de
conversion totale, la vie éternelle.
Concrètement, personne ne peut entrer dans la vie éternelle. Les
conditions exigées sont impossibles à l’homme. Il est impossible de devenir
humble (kénose) et aimant à ce niveau-là. Il suffit de considérer avec réalisme
notre mentalité humaine. Mais, explique Jésus après une question de ses
disciples sur ce thème[954], ce n’est pas impossible à
Dieu, d’où le purgatoire.
Pour résumer, il peut être plus simple de comprendre les choses
ainsi : Parce que Dieu est infinie délicatesse de l’humilité et de l’amour, nul
ne peut le voir et être heureux de son bonheur que s’il l’épouse. C’est un
mariage d’amour où il est exigé de la fiancée (nous-mêmes) d’être comme Dieu[955] : tout humble (kénose) et
tout amour[956]. Sans ces qualités du cœur,
nul ne peut épouser Dieu car nul ne peut alors comprendre quoique ce soit de
Dieu.
Objections :
1. Cela ne semble pas possible.
Si l’on distingue six degrés du purgatoire, c’est qu’il peut y avoir
perfectionnement de la charité. Or Martin Luther montre que la charité ne peut
croître.
2. L’existence d’un purgatoire
appelé shéol ou limbes situé après la mort et où le désir de Dieu pourrait
augmenter est contraire à la foi puisque aussitôt après la mort, les âmes
reçoivent leur récompense ou châtiment selon leur mérite ou démérite.
3. Dès l’entrée dans le
purgatoire, l’âme possède une charité parfaite, selon sainte Catherine de
Gênes. Aucun purgatoire ne semble donc nécessaire après l’apparition du Christ.
4. Si l’on admet trois degrés
de purification après la parousie du Christ, pourquoi ne pas admettre de
nombreux autres degrés intermédiaires par lesquels l’âme passe avant de
contempler Dieu face à face.
5. Dès cette terre, certains
hommes sont préoccupés uniquement par la recherche de Dieu et "désirent
mourir pour être avec le Christ" comme saint Paul. Il semble qu’il soit
inutile qu’ils passent par les degrés du purgatoire qui suivent la mort.
Cependant :
Dans tout mouvement, il y a un début, un progrès et une fin. Or la
purification de l’âme est un mouvement qui aboutit au détachement total de soi.
Donc on doit admettre qu’il peut y avoir plusieurs étapes dans cette
purification. C’est ce que confirme sainte Catherine de Gênes[958] : « la joie des âmes augmente en proportion qu’elles s’approchent de
Dieu, qu’elles s’occupent uniquement de lui.
»
Conclusion :
Si l’on considère l’homme dans la totalité de son histoire,
c’est-à-dire depuis sa conception par ses parents jusqu’à son entrée dans la
vision de Dieu, deux types de croissances peuvent être discernés : 1° une croissance humaine et naturelle.
2° une croissance surnaturelle liée
à la grâce.
Au terme, il convient que toute créature humaine soit capable 1° de poser un acte de choix libre et
conscient, volontaire et libre ; 2° de
refuser Dieu où au contraire de l’aimer sans aucune trace d’un quelconque amour
désordonné de soi (voir question 7).
En scrutant la tradition la plus lointaine de l’Église, on arrive
à discerner l’existence de six demeures du purgatoire. Il s’agit de six étapes
successives. L’homme n’est pas obligé de passer par toutes. L’essentiel est,
qu’au terme, l’amitié (Agape) pour Dieu et le prochain soit devenue tout humble
(kénose).
Les deux premiers purgatoires sont caractérisés par le fait que le
Ciel et ses habitants se cachent. Ce sont les purgatoires du « silence de
Dieu »[959], les purgatoires de
l’ombre.
1° La première demeure est la
vie terrestre. Elle est l’un des plus terribles purgatoires en ce sens que
l’homme n’est pas sûr autrement que par un acte de foi du projet de Dieu. Il
est laissé dans l’absence d’évidence. Il est possible à certains de comprendre
avec leur raison que Dieu existe et que l’âme survit après la mort pour un
jugement. Mais l’homme est laissé dans l’ignorance totale de la nature de ce jugement…
sauf s’il accepte de croire : « Heureux
celui qui croit sans avoir vu »[960]. Cette première étape est
très efficace pour disposer le cœur de l’homme, à travers une succession de
bonheur fragile et d’abandons, vers une soif de plus en plus intense d’un salut
: « Y a t il quelqu’un là-haut, qui
entend nos prières ?[961] »
2° La deuxième est le domaine
des âmes errantes. Ce purgatoire est décrit par saint Bernard dans sa vie de
saint Malachie. C’est un lieu que la Bible appelle « le territoire des ombres[962] » ou ailleurs le « shéol »[963]. Elle commence avec l’arrêt
du cœur et se termine lorsque le Christ et les saints paraissent. La
prolongation d’une errance dans le shéol n’est nécessaire qu’aux âmes
extrêmement rustres ou coupables d’un grand crime, quoique non obstinées dans
le mal, et pour qui un délai d’errance et de solitude entre ce monde et l’autre
aura l’effet positif de développer un minimum de sensibilité à l’amour. L’homme
constate que la mort ne conduit pas au néant. En ce sens, il n’a plus peur. Mais,
s’il se prolonge, ce temps de shéol peut constituer pour certains hommes
particuliers une grande souffrance et purification en vue du salut parce qu’il
erre sans but dans une solitude qui paraît ne jamais devoir s’arrêter. Il est
inquiet et tremble à l’idée que Dieu ou les dieux sont des forces hostiles dont
il ignore la nature.
Les quatre derniers purgatoires (à partir de l’apparition du
Messie glorieux), sont caractérisés par le fait qu’une connaissance totale de
la Révélation est donnée. Ce sont les purgatoires de lumière.
3° Le premier est vécu à
travers l’apparition glorieuse du Christ accompagné des saints et des anges
(voir question 8), telle que la décrit saint Faustine dans son Journal.
Il s’agit bien du "troisième ciel" où fut ravi saint Paul et qu’il
décrit en 2 Corinthiens 12, 2. Cette parousie se produit dans le passage du
shéol (dans la mort) la plupart du temps sans délai. La puissance de sa vision
provoque un tremblement dans l’âme, plus puissant que tout. À la lumière de la
pureté de l’humilité (kénose) et de l’amour du Messie, l’âme est choquée de ses
propres ténèbres. L’effet en est la violente purification du reste de ses
illusions « Dies irae ».
Dieu apparaît à tout homme sous les voiles de son humanité (étape 3) avant de
se donner sous la forme de sa divinité (7). Personne n’échappe à cette étape
qui permet un choix libre. C’est ce purgatoire là, qui provoque et accompagne
le jugement individuel, que le pape invite à contempler dans son encyclique Spe Salvi, n° 47 (2008) : « 47. Certains théologiens récents sont
de l'avis que le feu qui brûle et en même temps sauve est le Christ lui-même,
le Juge et Sauveur. La rencontre avec
Lui est l'acte décisif du Jugement. Devant son regard s'évanouit toute
fausseté. C'est la rencontre avec Lui qui, nous brûlant, nous transforme et
nous libère pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées
durant la vie peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et
s'écrouler. Mais dans la souffrance de cette
rencontre, où l'impur et le malsain de notre être nous apparaissent
évidents, se trouve le salut. Le regard du Christ, le battement de son cœur
nous guérissent grâce à une transformation certainement douloureuse, comme «
par le feu ».
4-5-6° Pour ceux qui choisissent
le projet de Dieu et en qui demeurent quelques restes du péché, s’ouvrent alors
les trois purgatoires mystiques décrits par sainte Catherine de Gênes dans son Traité
du purgatoire[964]. Les âmes, toutes
amoureuses de Dieu[965], passent de la volonté
d’être un jour dignes de lui à la certitude qu’elles ne le seront jamais. Elles
deviennent vraies, c’est-à-dire humbles. L’amour égoïste de soi ne subsiste
dans cet état qu’à travers des restes qui sont comme des tendances vicieuses de
la volonté encore attachée à elle-même. Celui donc qui, dans le purgatoire,
désire se purifier des restes du péché en étant principalement préoccupé par la
lutte contre la tâche qu’ils laissent en lui, peut être considéré comme un
débutant dans la purification et c’est le premier degré du purgatoire mystique.
Celui dont la préoccupation principale est d’établir de plus en plus la
totalité des tendances de sa volonté dans l’unique désir de Dieu, c’est-à-dire
de progresser dans la purification de son âme est dans le deuxième degré du
purgatoire mystique, c’est-à-dire le degré des progressants. Enfin, celui qui
ne se préoccupe plus du tout de la pureté de son âme mais ne désire qu’une
chose, à savoir l’union à Dieu, appartient au troisième degré du purgatoire
mystique qui est celui des parfaits et qui peut être appelé le parvis immédiat
du Ciel. Elle peut donc être immédiatement introduite dans la gloire de la
vision béatifique.
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7- Vision béatifique |
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6- Parvis du Ciel |
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5- Purgatoire de l’usure |
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4- Purgatoire des fiers |
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3- parousie du Christ (troisième ciel). |
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2- Limbes |
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1- Vie terrestre |
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Cette théologie frappa les Pères de l’Église au point qu’ils virent
les étapes successives qui conduisent à l’amitié parfaite pour Dieu sous
l’image de l’échelle de Jacob. Le livre de la Genèse raconte que le petit-fils
d’Abraham, Jacob eut un songe[966] : « Voilà qu’une échelle était dressée sur la terre et que son sommet
atteignait le Ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient! Voilà que
Yahvé se tenait devant lui et dit : « Je
suis Yahvé, le Dieu d’Abraham ton ancêtre et le Dieu d’Isaac. La terre sur
laquelle tu es couché, je la donne à toi et à ta descendance. » Il s’agissait là, selon eux, de la
vie humaine dans sa progression, pas après pas, vers la vision de Dieu.
Solutions :
1. Luther nie la possibilité
même de la charité, c’est-à-dire d’un amour d’amitié réciproque et libre entre
Dieu et l’âme. Sa théologie constitue une perte par rapport à l’Évangile mais
non une perte totale car il admet un amour passif d’abandon et de confiance.
Les degrés du purgatoire ne se prennent pas tous de l’augmentation de la
charité[967]. Avant l’apparition du
Christ glorieux, de désir de Dieu peut augmenter, donc la charité dès que cet
amour est proposé explicitement. Au moment de son apparition, l’amour s’embrase
tout entier. L’âme aime de tout son cœur. Après l’apparition du Christ, la
charité brûle avec la même force l’âme au début et à la fin de la purification.
Les trois purgatoires décrits par sainte Catherine de Gênes ne concernent donc
pas la charité mais l’humilité (kénose), c’est-à-dire les restes du péché. Au
commencement de ce purgatoire mystique lorsque la présence glorieuse du Christ
s’efface, l’âme prie en disant : « Je
t’aime et je deviendrais un jour digne de ton amour. » Son amour est total mais il lui manque de cette humilité qui est
adaptée à l’essence même de Dieu. Au terme du purgatoire, laminée par l’attente,
l’âme dit : « Je ne suis pas digne de
te recevoir. Mais dis seulement une parole et je serai guéri. » Sans qu’elle l’ait provoqué
elle-même, par la seule vertu du feu de l’absence, son amour est devenu humble.
2. Le shéol ne se situe pas après
la mort. Il est le passage même de la mort, c’est-à-dire qu’il n’est ni tout à
fait ce monde ni encore l’autre monde. Il est représenté dans l’Ecriture Sainte
par le désert où vécut le peuple Juif entre l’Egypte (ce monde) et la terre
promise. Le Christ glorieux descend visiter l’âme dans ce passage, sous forme
d’une colonne de feu dit le livre de l’Exode, de telle façon qu’à l’entrée dans
l’autre monde, c’est-à-dire après la mort (au sens théologique), l’âme soit
pour l’éternité en état de mérite et de démérite. Le fait que cette étape
puisse se prolonger pour certains ne constitue donc pas une opposition au
dogme, sauf si l’on se donne une autre définition de la mort (question 8,
article 4).
3. Après la venue du Christ
glorieux, que la charité soit parfaite, cela signifie que l’âme est
définitivement établie dans l’amour de Dieu au point qu’elle ne peut et ne veut
se tourner vers une autre fin que celle de la charité. Mais cela ne signifie
pas qu’il ne demeure aucun reste de l’attachement à soi aussi bien dans les tendances
de la volonté que dans les préoccupations de l’intelligence. Or celui qui
commence à se détacher du péché véniel est dans une autre disposition
intérieure que celui qui progresse ou que celui qui arrive au terme. Il y a
donc trois degrés dans le purgatoire mystique, après la parousie du Christ.
4. Toutes les distinctions
intermédiaires que l’on peut saisir dans la purification de l’âme se trouvent
comprises dans l’un ou l’autre des degrés dont on a parlé ; de même que toute
division pratiquée dans ce qui est continu est située, selon le philosophe dans
ces trois termes : le début, le milieu, la fin.
5. Ceux qui, dès cette vie
terrestre, ont déjà purifié leur âme de tout attachement à eux-mêmes ne passent
pas dans ou après la mort par le feu du purgatoire. Mais, au cours de
l’histoire humaine, en dehors du Verbe incarné, il ne s’est trouvé qu’un seul
humain pour vivre une telle perfection, à savoir la vierge Marie. Pour elle,
l’apparition du Messie glorieux n’a en aucune façon constitué une révélation de
sa misère. Elle se savait si misérable, que la parousie de son Fils ne fit que
confirmer les paroles de l’ange à l’annonciation : « Tu es pleine de grâce. »
Pour tous les autres hommes, même les plus grands saints, un purgatoire au
moins est vécu après celui de cette terre. Il s’agit du "jour du
Seigneur" selon l’Écriture [968] : « En ce jour-là - oracle de Yahvé - le cœur manquera au roi, il
manquera aux chefs ; les prêtres seront frappés de stupeur et les prophètes
d'effroi. Et je dis : « Ah! Seigneur Yahvé,
tu as vraiment trompé ce peuple et Jérusalem quand tu disais : Vous aurez la
paix alors que l'épée nous a frappés à mort!
»
Une autre exception peut être discernée : c’est le cas des petits
enfants ou des malades mentaux parvenus innocents dans la mort (Question 19).
Mais leur cas n’est pas comparable puisqu’ils n’ont pas été confrontés à la
lutte de la chair pendant la vie terrestre. Comme nous le verrons, les
innocents connaissent un temps dans les limbes (deuxième purgatoire) où ils
développent leur capacité de choisir en présence des saints et des anges, avant
la venue du Messie.
Ceux qui sont dans l’état de progressants dans la charité n’ont
pas besoin de passer par le purgatoire des débutants car il y a continuité
spirituelle entre le purgatoire de cette terre et celui de l’au-delà.
Objections :
1. Il semble qu’il ne convienne
pas de parler ainsi de la terre. Loin d’être un purgatoire, elle ressemble plutôt
à l’épreuve d’une tentation puisque bien des hommes, confrontés aux injustices,
loin de se tourner vers Dieu, le rejettent.
2. La terre est un scandale
selon saint Paul, et un scandale lié à la croix[969], c’est-à-dire à la
souffrance, d’autant plus incompréhensible qu’elle frappe coupables et
innocents ensembles. Elle n’est donc pas un purgatoire mais un scandale.
3. Il semble que les épreuves
de la terre, loin d'être purificatrices, sont plutôt la punition du péché selon
le Lévitique 26, 19 : « Je continuerai
à vous châtier au septuple pour vos péchés. Je briserai votre orgueilleuse
puissance, je vous ferai un Ciel de fer et une terre d'airain. »
Cependant :
L’Apocalypse 7, 13 affirme à propos des élus : « Ces gens vêtus de robes blanches, qui
sont-ils et d'où viennent-ils ? Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve
: ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau. » La grande épreuve est la vie
terrestre. Avec la grâce du Christ, elle a le pouvoir de laver les âmes. Donc
elle est un purgatoire.
Conclusion :
On ne peut entrer dans la vie éternelle
qu’à deux conditions :
1° A
titre de disposition, l’humilité poussée jusqu’à la mort intérieure (kénose).
2° A
titre de réalité, l’amour réciproque de charité avec Dieu.
Il est impossible à l’homme de devenir
par lui-même tout humble et tout amour, dans la mesure voulue par Dieu et
révélée par la vie de Jésus. Mais, explique Jésus après une question de ses
disciples sur ce thème, ce n’est pas impossible à Dieu[970].
C’est pourquoi, à travers une série d’étapes, Dieu va donc conduire les hommes
de bonne volonté à une conformité au Christ.
La première étape consiste en la vie
terrestre qui est marquée par plusieurs épreuves caractéristiques :
1° Le
silence de Dieu (Ap. 8, 1) : il se cache à la grande majorité des
hommes. Il cache ses volontés, laissant la plupart dans l’incertitude totale
sur le destin qui suit la mort. C’est l’épreuve la plus grande car celui qui ne
connaît pas le but ne sait rien d’essentiel.
2° Les
injustices (Ap. 8, 9) puisque le bon comme le mauvais sont frappés, à
égalité, de toutes sortes de maux.
3° Les
souffrances matérielles et spirituelles (Ap. 6, 1) –maladie, famine,
guerre, mort- au point que tout homme de ce monde finit tôt ou tard par être
vaincu. La vie est fragile, dépendante des aléas du hasard et elle s’achève par
la mort.
Ces épreuves sont, avec les nombreuses
joies de cette vie, des MOYENS utilisés par Dieu pour préparer l’homme au
salut, comme le montrent les sept mystères scellés de l’Apocalypse.
La FINALITE de toutes ces épreuves est
de donner à tout homme un cœur humble, de telle manière qu’il soit préparé à
accueillir favorablement l’Evangile du Messie, soit en cette vie, soit à la
onzième heure de cette vie. C’est ce qu’annonce le prophète Isaïe (Luc 3, 4) : « Tout ravin
sera comblé, et toute montagne ou colline sera abaissée; les passages tortueux
deviendront droits et les chemins raboteux seront nivelés. »
Pour quelques uns qui sont disciples du Messie
dès cette terre, ces épreuves font davantage que disposer au salut à venir
mais, puisqu’ils vivent déjà dans une relation de charité avec Dieu, elles
purifient les restes de l’orgueil.
Pour résumer : sauf orgueil
indéracinable, cette vie est le premier purgatoire et elle produit au minimum de
l’humiliation qui est une préparation à l’humilité. Pour d’autres hommes,
cette vie produit de l’humilité et le désir d’un salut. Dans les deux
cas, il s’agit d’une disposition au salut. Pour quelques uns enfin, qui ont eu
la chance de connaître par la foi la volonté de Dieu, cette vie produit par le
don de la grâce surnaturelle, un amour de charité tout humble, pour Dieu
et le prochain, ce qui est déjà le salut vécu dans une véritable union
affective. Dans le passage de la mort, l’union effective à Dieu est ensuite
proposée glorieusement à tout homme sans exception.
Solutions :
1. Rejeter Dieu parce qu’il
paraît injuste ou indifférent, loin d’être une preuve de damnation est plutôt
un signe de disposition au salut selon Matthieu 5, 6 : « Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront
rassasiés. » En effet, à l’heure de
la mort, dès que ces révoltés seront confrontés à la révélation des vrais
motifs de ces injustices provisoires, ils aimeront Dieu.
2. Dès qu’on applique au
concret du destin de chacun, la souffrance de la terre devient insupportable au
point que saint Paul parlait du "scandale de la croix" et que sainte
Thérèse d’Avila disait : « Pas
étonnant que Dieu ait si peu d’amis. »
Pourtant, même la question de la mort des enfants perd sa dimension
incompréhensible si on la regarde du point de vue de la vie éternelle : au
moment de leur mort, le Ciel tout entier vient les chercher. Ils voient Jésus,
accompagné des anges et des saints, de leurs proches déjà décédés. C’est un
accueil d’une beauté et d’une tendresse inouïe. Ils comprennent son projet, la
raison de leur mort et la raison de son silence. Un tel amour enflamme leur
cœur. Autant ils avaient subi l’abandon, autant ils se sont jettent avec force
dans les bras de Dieu. Leur amour est devenu intense comme celui de nul autre
car leur humilité et leur désir, provoqués par leur souffrance, s’étaient
considérablement creusés.
3. Pour
l’homme tant qu’il vit ici-bas, la purification par la croix est interprétée
comme un châtiment, de la même façon qu’un enfant fessé par son père n’y voit
pas d’amour. Ce n’est que plus tard, devenu adulte, qu’il comprend que la
punition était une pédagogie.
Objections :
1. Il semble qu’il ne convienne
pas de parler d’un lieu pour le purgatoire. Les âmes sont en effet séparées du
corps et ne peuvent être localisées puisqu’elles ne sont pas de nature
matérielle. Le purgatoire est donc plutôt un état intérieur de l’âme qu’un
lieu.
2. Même si l’on admet un lieu
pour le purgatoire, ce ne peut être que d’une manière métaphorique, à la
manière dont on parle d’un lieu pour les purs esprits. Mais ce ne peut être
d’une localisation telle qu’on en parle pour les hommes de la terre. C’est
pourtant de cette manière là que parlent ceux qui décrivent des apparitions de
fantômes et de revenants.
3. L’âme qui reste liée au
corps de telle manière qu’elle peut voir ce qui se passe dans le monde d’ici-bas
n’est pas vraiment passée par la mort qui est la séparation totale d’avec le
corps. Elle n’est donc pas au purgatoire qui suit le jugement dernier et la
mort. Donc on ne peut s’appuyer sur les témoignages des N.D.E. pour conclure
sur la question de la localisation des demeures du purgatoire.
Cependant :
Les expériences de mort approchée montrent que les âmes ont un
rapport avec le lieu.
Conclusion :
La localisation physique est une conséquence de ce que nous avons dit
de la nature des morts. Puisqu’ils conservent un corps psychique véritablement
fait de matière, ils en possèdent les propriétés à savoir une localisation. Le
lieu des deux premiers purgatoires est la terre comme nous venons de le dire.
Pour les quatre autres, le contenu de la révélation ne donne pas de précisions
décisives. Selon l’opinion commune des anciens théologiens, c’est un lieu
séparé des âmes de l’enfer, et des âmes du paradis. D’autres théologiens
anciens prétendaient au contraire que, selon la loi commune, le purgatoire est
situé au-dessous de nous et correspond ainsi à l’état de ces âmes qui sont à
mi-chemin entre le Ciel et la terre. Cette opinion est évidemment liée à une
cosmologie que la science actuelle rend caduque. Elle est sans doute liée à des
visions de type métaphorique, visant à faire comprendre des réalités autrement
plus profondes car spirituelles. Il vaut mieux dire que nous ne savons pas où
se trouve le purgatoire.
De même, la raison ne peut conclure d’une manière définitive. L’étude
des Near death Experience semble
indiquer l’existence d’une porte entre ce monde et l’autre, que beaucoup
décrivent comme un tunnel. Elle s’ouvre à l’arrêt du cœur ou dans d’autres
circonstances rares mais ne semble pas éloignée. Il semble que l’autre monde et
ses demeures est plutôt un monde parallèle et invisible qu’un univers situé à
l’autre extrémité de l’univers.
Solutions :
1. On peut regarder le
purgatoire selon deux approches : 1°
Si l’on considère le purgatoire sous son aspect formel qui est un cheminement
purificateur de l’âme, alors le purgatoire n’est pas un lieu. Il est plutôt un
état de l’âme, de la même façon que l’enfer est d’abord l’état de celui qui se
sépare de l’amour de la charité à cause de son orgueil. 2° Si l’on considère le purgatoire sous l’aspect plus matériel de
l’état corporel de celui qui subit la purification, il faut se souvenir que
l’âme séparée de la chair garde un corps psychique siège de ses facultés sensibles[971]. Elle est donc localisée
par elle-même et non seulement d’une manière métaphorique comme on le dit pour
les anges quand ils appliquent leur intelligence et leur action à un corps
déterminé. En ce sens, les âmes sont véritablement dans un lieu.
2. La nature du corps psychique
est peu connue. Les témoignages le présentent comme un double du corps physique
fait d’une matière non palpable. Son rapport avec le lieu semble identique à
celui du corps physique. Il occupe un espace déterminé. Mais son rapport au
mouvement local est différent. Privé de masse et d’inertie, il se déplace de
manière véloce et n’est pas arrêté par les murs.
3. Nous concédons le caractère
hypothétique de ces recherches, en insistant sur la valeur philosophique des
témoignages, au moins pour ce qui concerne l’objectivité de la première phase
de décorporation.
Objections :
1. Cela semble prouvé par le
témoignage de certains enfants qui parlent une langue étrangère sans l’avoir
apprise et qui se souviennent de lieux sans y être allés. On voit mal comment
cela serait possible s’ils n’avaient connu ces choses dans une vie antérieure.
2. La réincarnation semble
convenir au moins pour les enfants morts sans baptême. La bonté de Dieu qui
appelle tout homme à la vie éternelle ne peut tolérer pour eux qu’ils demeurent
éternellement handicapés dans leur capacité d’aimer, à cause d’un échec de leur
vie terrestre. Le moyen de la réincarnation qui leur donne une chance de passer
à nouveau par le pèlerinage terrestre semble donc adapté.
3. Dans l’Écriture Sainte, la
réincarnation est possible pour certains saints qui, de cette manière, peuvent
revenir sur terre et prêcher à nouveau. C’est ce que semble dire Jésus à propos
de Jean-Baptiste[972] : « Or Je vous le dis, Élie est déjà venu en Jean-Baptiste. » Si cela est possible pour les saints
qui n’en ont pas besoin, cela le semble a
fortiori pour ceux qui ont à se purifier.
4. La damnation éternelle où
l’âme se plonge à cause de la perversité de sa volonté est le mal absolu que
Dieu ne peut vouloir puisqu’il a créé tout esprit en vue de la béatitude. Il
est donc concevable qu’il donne à ces âmes la possibilité de revenir sur leur
choix par le moyen d’une réincarnation qui tire un trait sur la vie passée et
sa méchanceté. Il semble donc que les damnés se réincarnent.
5. Le purgatoire est finalisé
par la purification des peines du péché et par le paiement de la dette due par
le péché. Or la réincarnation semble pouvoir réaliser ces deux buts puisque,
d’après ceux qui y croient, le méchant paye ses dettes en se réincarnant dans
un corps handicapé ou malade. Il semble donc que la réincarnation peut être une
forme de purgatoire.
6. À la fin du monde, Dieu
ressuscitera nos corps et les transformera pour la vie éternelle. Or il n’est
pas plus difficile pour sa puissance de ressusciter un corps que de donner à
une âme un corps différent. Cela semble sage de sa part puisqu’il permet ainsi
le salut de l’âme. Donc la réincarnation peut être un moyen de purification en
vue de la gloire.
Cependant :
Les saints Conciles de l’Église ont formellement condamné la
doctrine de la réincarnation et de la transmigration des âmes qui était
enseignée par Origène[973] puis ils ont
continuellement renouvelé leur rejet jusqu’à aujourd’hui[974]. Donc la réincarnation
n’existe pas.
Conclusion :
La réincarnation n’existe pas. C’est un article de foi qu’il faut
tenir sous peine de sortir de la révélation apportée par notre Seigneur. Mais
c’est une vérité qu’on peut établir aussi par la raison naturelle. Comme nous
l’avons montré dans la première partie, l’âme ne se comporte pas à l’égard du
corps comme un moteur à l’égard d’un mobile. C’était l’opinion de Platon et
c’est la raison pour laquelle il croyait qu’une âme pouvait indifféremment
migrer d’un corps à un autre. Or nous avons montré que l’âme n’est pas
seulement cause efficiente du mouvement corporel. Elle est aussi forme du corps
c’est-à-dire qu’elle donne au corps d’être ce qu’il est. L’âme est donc
indissociablement adaptée à tel corps, d’une manière analogue à la forme d’une
œuvre d’art qui est avec la matière une seule réalité. Ce n’est que par une
distinction de la raison que l’homme est capable d’opposer dans une œuvre d’art
sa forme et sa matière qui, en fait, forment indissociablement une seule
réalité.
De tout cela, on doit conclure que l’âme est adaptée par nature à
son corps et à nul autre. Elle est incapable par ses propres forces de devenir
substance et forme d’un autre corps. Seul un miracle divin qui changerait la
nature de l’âme pour en faire le principe d’un autre corps pourrait réaliser
cela. Mais alors, ce ne serait pas la même âme. Ce ne serait donc pas la même
personne, ce qui s’oppose au fondement même de notre connaissance de Dieu qui
veut créer des personnes établies pour l’éternité.
On peut établir par des arguments théologiques qu’un tel miracle
ne convient pas à la Sagesse de Dieu. En effet, comme on l’a vu, le projet de Dieu
sur l’homme est de créer une personne individuelle de nature raisonnable pour
l’unir au bonheur de sa vie trinitaire. Il ne l’élève pas à sa gloire par mode
d’obligation mais comme il convient à une nature personnelle, c’est-à-dire à
travers l’acceptation consciente et volontaire du libre arbitre. Et la
condition primordiale à un tel projet, c’est que Dieu respecte parfaitement la
liberté humaine. Dans ce but, il commence par la former et c’est la finalité de
la vie terrestre qui fait de l’enfant un être responsable et capable de choix.
En second lieu, il propose au choix de l’homme la finalité surnaturelle et
c’est le but de la révélation et de la prédication de l’Évangile qui est
accordée à tout homme durant sa vie terrestre ou à son terme. Il est essentiel
à cette conduite divine que la personne humaine conserve au moment de son choix
et après ce choix ce qui fait d’elle une personne morale, c’est-à-dire les
connaissances et les intentions profondes de son intelligence et de sa volonté.
Or la réincarnation, telle qu’elle est comprise et enseignée, est
absolument contradictoire avec cela puisque ceux qui se réincarnent perdent non
seulement tout souvenir de ce qu’ils ont été, de leurs choix passés, mais aussi
changent de personnalité en recevant un corps et une sensibilité nouvelle. Il y
aurait dans ce cas, non respect de la part de Dieu de la personne de l’homme,
ce qui est contradictoire avec sa sagesse et avec sa bonté. Il est donc
aberrant pour un chrétien de croire que sa personne et la personne de ceux qui
l’entourent puisse être le fruit d’une quelconque réincarnation.
De même, concernant le purgatoire, il est contradictoire avec la
sagesse de Dieu qu’il puisse se faire sur la terre après une réincarnation. La
raison première en est l’absence de tout souvenir d’une quelconque vie
antérieure. Nul ne peut être puni pour ce qu’il n’a pas le souvenir d’avoir
commis car l’oubli supprime la responsabilité de la faute.[975]
Solutions :
1. Le fait que des jeunes
enfants aient des souvenirs qui semblent appartenir à une autre personne ne
prouve pas nécessairement la réincarnation car de tels phénomènes peuvent
trouver d’autres explications. On constate en effet dans la nature des
phénomènes analogues qui ont une cause différente : on peut par exemple, en
hypnotisant quelqu’un, introduire dans sa mémoire des souvenirs qu’il croira
être siens à son réveil. De même, les enfants qui par nature sont influençables
peuvent recevoir inconsciemment au moment de leur naissance ou plus tard des
influences extérieures. Cela peut être provoqué par l’action d’un homme qui est
en train de mourir et qui, étant dans un état de détresse, émet avec force des
ondes cérébrales qui peuvent être captées par celui qui y est sensible. C’est
ainsi qu’on raconte que certaines mères ont l’intuition de la mort de leur
enfant au moment où elle se produit et bien qu’elles soient très éloignées de
lui. Rien n’empêche que, par le même processus, des souvenirs portés par le
cerveau d’un autre soient communiqués à l’enfant. Le phénomène peut aussi trouver
une explication dans l’action des bons anges qui protègent la survie de
religions anciennes ou encore des esprits angéliques mauvais qui espèrent de
cette manière détourner l’homme de sa foi au Jugement dernier.
2. Les enfants reçoivent la
vision de Dieu à la mesure de tout leur amour pour Dieu, amour qu’ils peuvent
développer dans un temps d’éducation appelé les limbes, comme nous le verrons.
Au jour de leur choix, ils entrent donc dans la béatitude. Rien ne leur manque.
Il leur est inutile de se réincarner. Ils ne regrettent jamais leur mort
précoce. Ce sont plutôt les adultes, au moment où ils les rejoignent au Ciel,
qui sont plein de confusion s’ils ont provoqué un avortement volontaire.
3. Lorsque le Seigneur dit que
Jean-Baptiste est cet Élie qui devait revenir, il n’entend pas enseigner la
réincarnation de l’âme du prophète Élie dans le corps de Jean-Baptiste. Il veut
signifier que Jean-Baptiste est le prophète annoncé dans l’Écriture et qui
devait revenir avec la force et la spiritualité d’Élie. Et c’est bien ainsi que
cela s’est passé : de même qu’Élie fut intransigeant par rapport à la pureté de
la foi du peuple d’Israël, au point de faire mettre à mort les prophètes des
idoles, de même Jean-Baptiste fut intransigeant concernant la morale au point
d’en perdre la vie après avoir reproché à Hérode son mariage avec une femme
déjà engagée. Jean-Baptiste prêcha aussi la conversion au bord du Jourdain,
renouant avec la spiritualité d’Élie qui convertit le peuple en le privant de
pluie pendant trois ans. Ainsi, on peut dire en vérité que Jean-Baptiste a vécu
de la spiritualité d’Élie à un point tel qu’on aurait dit qu’Élie était revenu
sur terre. Mais ce retour n’est une réincarnation qu’au sens métaphorique.
4. C’est d’une manière
absolument libre que les âmes des damnés se séparent de Dieu pour l’éternité.
Il est vrai que Dieu ne veut absolument pas ce mal pour elles mais il le permet
à cause de son respect pour la liberté de l’homme qui est une créature
spirituelle. Dieu ne peut renier son œuvre car il se renierait lui-même. Il ne
peut donc s’opposer à la liberté de celui qui le rejette car ce serait
s’opposer à son projet de faire de l’homme une créature douée de liberté. C’est
pourquoi il n’est pas pensable qu’il impose aux damnés contre leur choix une
réincarnation qui effacerait les orientations profondes et définitives de leur
personne.
5. Jésus nie explicitement dans
l’évangile la théorie d’une réincarnation qui servirait à payer les dettes du
péché accumule dans sa vie terrestre : aux disciples qui lui demandent pourquoi
l’aveugle est né avec un tel handicap et si cela vient de lui, il répond[976] : « ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est pour que la gloire
se révèle en lui (qu’il est handicapé). »
Et la raison de l’impossibilité d’une telle manière de s’acquitter de ses
dettes vient de ce que nul ne peut payer que pour ce qu’il sait avoir commis.
C’est pourquoi celui qui ignore complètement pourquoi il est accusé ne peut
être condamné. Il est donc essentiel que le purgatoire soit vécu par l’âme en
pleine connaissance de cause ce qui n’est pas le cas sur la terre dans
l’hypothèse où la réincarnation servirait à cela. C’est pourquoi le purgatoire
a lieu avant la mort, dans la mort et après la mort.
6. C’est un plus grand miracle
pour Dieu que d’unir une âme à un corps pour lequel elle n’est pas faite que de
l’unir à son propre corps par la résurrection. En effet, dans le premier cas,
il faut non seulement qu’un corps soit façonné mais en plus il faut changer la
nature de l’âme pour qu’elle soit adaptée à ce nouveau corps dont elle devient
la forme. Or changer la nature de l’âme, c’est changer l’être tout entier
puisque l’âme est ce par quoi l’homme existe. Dans le cas où Dieu réaliserait
un tel miracle, ce ne serait pas le même homme qui se réincarnerait puisque ce
ne serait pas la même âme. Cela s’oppose d’une manière contradictoire au fait
que Dieu a fait de l’homme une personne individuelle et non une simple énergie
impersonnelle capable de migrer de corps en corps.[977]
A ce sujet, neuf questions :
1° Existe-t-il un purgatoire
dans le passage de la mort ?
2° La peine du purgatoire
est-elle voulue par Dieu ?
3° La peine principale du
shéol est-elle la solitude de l’errance ?
4° Les âmes de ce purgatoire
sont-elles tourmentées par les démons ?
5° Ce purgatoire est-il pire
qu’ici-bas ?
6° Les âmes de ce purgatoire
sont-elles saintes ?
7° Les âmes de ce purgatoire
peuvent-elles pécher ou au contraire mériter ?
8° Peuvent-elles prier pour
nous ?
9° Est-ce dans ce purgatoire
que le Christ glorieux paraît dans sa gloire ?
Objections :
1. Il semble qu’il ne convienne
pas de parler d’un tel purgatoire. La mort est la séparation de l’âme et du
corps, selon Aristote. Elle ne laisse donc aucune place pour un passage et
encore moins pour un séjour de longue durée.
2. On ne trouve pas, dans
l’Ecriture sainte, de passages clairs sur un tel séjour. C’est bien plutôt dans
les religions païennes et les cultes animistes que l’on parle de revenants et
de fantômes.
3. Même si l’on admet d’un tel
purgatoire, ce ne peut être que d’une manière métaphorique. On ne voit pas en
effet où il pourrait être situé si tant est qu’on puisse parler d’une
localisation pour l’âme d’un mort qui est un esprit. Mais ce ne peut être une
localisation telle qu’on en parle pour les hommes de la terre. Tout cela ne
relève-t-il pas davantage des contes et légendes que de la réalité ?
4. Il n’y a pas de trace de ce
purgatoire dans les textes officiels de l’Église.
5. L’âme qui reste liée au
corps de telle manière qu’elle puisse voir ce qui se passe dans le monde
d’ici-bas n’est pas vraiment passée par la mort qui est la séparation totale
d’avec ce monde et l’entrée dans l’autre monde. Elle n’est donc pas au
purgatoire.
6. Ce n’est pas conforme au
dogme : Il est dit dans l’Ecriture Sainte : « L’homme meurt une fois puis il reçoit sa récompense. » Or ce purgatoire prolonge la vie
terrestre dans un temps qui, comme sur terre, précède le jugement dernier.
7. Ce n’est pas conforme à
l’Ecriture qui dit en effet[978] : « Vous savez vous-mêmes parfaitement que le Jour du Seigneur arrive
comme un voleur en pleine nuit. Quand les hommes se diront: Paix et sécurité!
C’est alors que tout d'un coup fondra sur eux la perdition, comme les douleurs
sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. » Or, si la mort un long passage, voire un séjour, c’est qu’elle
vient progressivement et non brutalement, laissant l’homme dans l’état de
mérite ou de démérite où il a été surpris.
Cependant :
Saint Bernard raconte[979] : « Saint Malachie vit un jour sa sœur qui avait trépassé depuis
quelques temps. Elle faisait son purgatoire au cimetière : à cause de ses
vanités, des soins qu’elle avait eus de sa chevelure et de son corps, elle
avait été condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été ensevelie et à
assister à la dissolution de son cadavre. Le saint offrit pour elle le
sacrifice de la messe durant trente jours. Ce terme expiré, il revit à nouveau
sa sœur. Cette fois elle avait été condamnée à achever son purgatoire à la
porte de l’église, sans doute à cause de ses irrévérences pour le lieu saint,
peut être parce qu’elle avait détourné les fidèles de l’attention des Mystères
Sacrés. »
Conclusion :
L’Écriture Sainte donne une série de textes dont le sens littéral
parle d’un territoire des ombres sans joies, où justes et criminels, rois
et esclaves, pieux et impies se retrouvent après la dissolution de leur corps
pour y demeurer dans le silence et y redevenir poussière. La Bible
hébraïque nomme ce lieu shéol dès le livre de la Genèse : « l'homme
insensé ignore qu'il y a là des Ombres et que ses invités sont aux vallées du
shéol".[980] Plus tard, dans les livres
écrits en grecs, ce lieu est appelé l’Hadès ce qui se réfère au « séjour de la mort »[981] de la mythologie grecque : « Pour eux, durant cette nuit vraiment
impuissante, sortie des profondeurs de l'Hadès impuissant, endormis d'un même
sommeil, ils étaient tantôt poursuivis par des spectres monstrueux, tantôt
paralysés par la défaillance de leur âme; car une peur subite et inattendue les
avait envahis. »
Le Magistère de l’Église laisse sur ce point les théologiens sans
repères dogmatiques.
Cependant, il est possible d’avancer certains arguments en
s’appuyant sur des révélations privées qui paraissent dignes de crédibilité et
une longue tradition des saints, des docteurs et des théologiens dans l’Église.
De multiples autres témoignages d’apparitions et de révélations faites aux
saints[982] confirment ce genre de
récit. Donc certaines âmes font leur purgatoire sur terre.
L’existence d’un « passage » entre ce monde et l’autre est
d’ailleurs confirmée par les témoins des Near Death Experiences (EMI)
qui décrivent un temps relativement court où l’âme, déjà sortie de son corps de
chair, n’est pas encore entrée dans l’autre monde. Ils distinguent trois étapes
dont la première est une présence en ce monde ; la seconde est un passage
en forme de tunnel ; et la troisième un jardin magnifique où ils peuvent
s’avancer jusqu’à une certaine limite, symbolisée par une barrière, une rivière
ou tout autre limite.
Solutions :
1. C’est au sens théologique et
scripturaire que la mort a de tout temps été regardée comme un passage,
sens qui ne s’oppose pas à la définition philosophique d’Aristote mais regarde
les choses sous un autre rapport. Au plan théologique, est considéré comme
ayant franchit la mort celui qui est entré dans l’autre monde, soit pour son
salut, soit pour sa perte éternelle.
2. Il est clair que,
universellement dans le monde, la croyance au phénomène des âmes errantes est
attestée. Mais la tradition biblique scripturaire n’est pas étrangère à cela,
non seulement dans ses nombreuses attestations sur le shéol, mais aussi dans le
livre de l’Exode tout entier qui est reconnu par la tradition rabbinique comme
une métaphore exprimant le passage de cette vie (l’Egypte) à l’autre monde (la
terre promise) à travers la mort (le désert). Et on voit bien le livre de
l’Exode décrire ce passage comme une véritable purification qui, en
l’occurrence, alors qu’il devait durer quelques semaines, dura 40 ans par la
faute du peuple Hébreux.
3. La possibilité d’une telle
localisation pour l’âme d’un mort s’explique facilement si l’on considère ce
que nous avons montré sur la survivance dans les morts d’une vie non seulement
spirituelle mais d’un corps psychique. Des traités pluriséculaires, écrits dans
les traditions philosophiques égyptiennes (le kâ et le baï[983]), chinoises, hindoues et
tibétaines (corps astral), animistes (esprits) en parlent. C’est d’ailleurs là
qu’on trouve les plus profondes explications philosophiques du phénomène. Selon
ces traditions, on peut discerner dans l’être humain trois degrés de vie
auxquels correspondent trois « natures » unifiées en une personne et
parfaitement adaptés l’une à l’autre : le corps physique, le corps psychique et
l’esprit.
Dans l’hindouisme, le corps physique est le siège d’un autre
corps, appelé le corps astral. Le corps astral est, avec le corps physique, le
siège des facultés psychiques comme les sensations, les passions,
l’imagination, la mémoire, l’estimative. Mais, selon cette tradition, la survie
de ce dernier est indépendante de la mort du premier. Si l’on tue le corps
physique, son double subsiste. Cette propriété explique l’expérience de la
décorporation, aussi bien chez l’homme que chez l’animal.
4. Lorsque des prêtres sont
confrontés à ce phénomène de revenants, ils usent naturellement d’une procédure
liée aux âmes du purgatoire, comme on le voit dans le cas de saint Malachie
cité ci-dessus.
1° L’enquête est première.
Toutes les histoires d’âmes en peine ne doivent pas être prises à la lettre.
Une imagination effrayée peut inventer bien des fantasmes.
2° Si le cas est avéré, la
deuxième étape est la parole d’explication adressée à l’âme. Parce que la
connaissance précède l’amour et que ces âmes sont dans une grande ignorance de
ce qui leur est arrivé, les vivants, s’ils se rendent compte de leur présence,
ont le pouvoir de les aider en leur expliquant leur erreur et le chemin qui
leur est ouvert vers l’autre monde.
3° La troisième étape est la
prière : Face au phénomène, la réponse doit être la miséricorde et la prière
qui, offerts pour elles, ont une efficacité étonnante. L’âme en peine est
bouleversée, comme le serait le plus solitaire des prisonniers, qui, pour la
première fois, recevrait une lettre. Ce geste est souvent efficace, surtout
lorsque l’âme, après un long temps de solitude, est dans de bonnes dispositions
et a besoin de présence affective. Elle peut, devant un geste d’attention,
comprendre assez rapidement la grandeur de l’amour. Si on l’y invite et qu’elle
a dépassé son blocage intérieur, elle appelle le Sauveur. Elle passe alors dans
un autre purgatoire, celui de la parousie du Christ.
5. On peut répondre à cette
objection en disant que les apparitions de revenants sont dues à des âmes qui
sont dans la mort au sens théologique. Elle est un passage qui peut
durer plusieurs jours selon Marthe Robin, voire des années après la mort au
sens clinique du corps charnel, selon des récits dignes de crédibilité. La
partie psychique de son être subsistant, ces morts errent sur la terre ou dans
le parvis de l’autre monde sans avoir vécu la parousie du Christ, des saints et
des anges. Elles sont donc entre deux mondes et cet état n’est pas normal. Leur
nature aspire au contact avec les vivants des deux mondes et souffre de la
solitude.
6. L’homme ne meurt qu’une
fois. Il ne revient jamais pour se réincarner sur terre. Ce qui n’empêche pas
que la mort puisse être un passage purifiant, pouvant durer de longues années.
Ce n’est qu’après cette mort selon la lettre du dogme de Benoît XII[984], c’est-à-dire après ce
passage, et après la parousie du Christ glorieux que l’homme, définitivement
stabilisé en état de mérite ou de démérite, reçoit sa récompense s’il ne reste
rien à purifier en lui, ou son châtiment.
7. L’heure de la mort arrive
d’un coup, sauf bien sûr si une longue maladie ou la vieillesse extrême
prévient l’homme attentif. La mort arrache l’homme à cette terre et à ses
richesses matérielles. C’est justement lorsque l’homme, surpris par sa venue,
refuse de quitter ses attaches à cette terre, qu’il peut être laissé par le
Christ dans ce prolongement de temps. D’où l’intérêt du sacrement des malades
qui vise, à travers son rituel, à préparer les hommes à ce détachement. Ceci ne
veut pas dire que Dieu stériliserait par la mort toute liberté humaine, la
statufiant pour l’éternité dans l’état de grâce ou d’absence de grâce, comme le
crurent les anciens théologiens. Au contraire, d’une manière ou d’une autre,
comme l’enseigne le Concile Vatican II[985], il est certain que Dieu proposera
sa grâce à tout homme avant son entrée dans l’autre monde.
Objections :
1. Tout ce qui peut produire du
salut est voulu par Dieu. Or ce prolongement de la vie terrestre, en plongeant
l’âme dans la solitude et le malheur, produit souvent de l’humilité, au moins
chez les hommes de bonne volonté, donc une disposition au salut. Donc ce
purgatoire est voulu par Dieu.
Cependant :
Dans le chapitre 14 du livre des Nombres, on voit que c’est le
peuple Hébreux qui, de sa propre initiative, refuse de suivre les indications
de Moïse et d’entrer tout de suite dans la terre promise, effrayé à l’idée
d’affronter un autre monde et plein de nostalgie pour le pays d’Egypte[986] : « Alors toute la communauté éleva la voix; ils poussèrent des cris;
et cette nuit-là le peuple pleura. »
Ce n’est qu’en conséquence que Dieu transforme ce passage par le désert en un
véritable séjour, une errance de quarante années[987] : « et vos fils seront nomades dans le désert pendant 40 ans, portant
le poids de votre infidélité, jusqu'à ce que vos cadavres soient au complet
dans le désert. » Donc ce purgatoire
est d’abord une responsabilité de l’homme.
Conclusion :
Le projet de Dieu est le salut des hommes. Il n’impose donc pas à
l’homme une épreuve sans qu’elle ne soit utile, d’une manière ou d’une autre,
pour son salut. C’est pourquoi, en fonction de la mentalité de telle ou telle
âme, il peut être sage que Dieu lui laisse souffrir un temps de purgatoire dans
ce passage de la mort, et parfois sur les lieux même de sa vie terrestre. On
peut voir à cela deux raisons :
1° Le bien de l’âme elle-même.
Deux raisons peuvent expliquer qu’une âme ne soit pas prête à entrer dans
l’autre monde :
La première vient de ses attaches trop fortes à cette terre, comme
on le voit dans la parabole de l’homme des greniers[988] : « et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as quantité de biens en
réserve pour de nombreuses années; repose-toi, mange, bois, fais la fête. Mais
Dieu lui dit: Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. » Il est probable qu’un tel homme,
surpris par une mort brutal, reste attaché un long temps à ces greniers qui
faisaient le but de sa vie. C’est l’âme elle-même qui reste comme
"accrochée" au lieu où elle a vécu, incapable malgré la disparition
de la chair, de s’en détacher. Il s’agit donc d’une âme pathologiquement
attachée à quelque chose de terrestre au point qu’elle est incapable de
considérer la Lumière du Christ ou de son ange au moment de son apparition,
malgré sa beauté. Cette âme est certes en état de mort spirituelle, sans être
pourtant coupable d’un blasphème explicite contre l’Esprit. Elle peut donc être
sauvée. Pour que la parousie du Christ puisse produire son effet, à savoir le choix
lucide entre le Ciel ou l’enfer, il est nécessaire que la gangue qui l’enferme
soit quelque peu et progressivement dégrossie.
La deuxième peut venir du refus d’une âme mourante d’affronter
l’apparition lumineuse du Ciel, à cause de la conscience d’un important crime
passé non pardonné, comme dans ce texte[989] : « A
cette vue, Simon-Pierre se jeta aux genoux de Jésus, en disant: « Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je
suis un homme pécheur! » Ainsi,
sainte Faustine décrit le salut d’un grand pécheur de ce purgatoire à travers
un dialogue entre l’âme et Jésus[990] :
« - L'âme, comme éveillée : Est-il possible qu'il
y ait encore de la miséricorde pour moi ? demande-t-elle pleine d'effroi.
- Jésus : C'est justement toi, mon enfant, qui as un droit
exclusif à ma miséricorde. Permets à ma miséricorde d'agir en toi, dans ta
pauvre âme ; permets aux rayons de la grâce d'entrer dans ton âme, ils
apportent avec eux la lumière, la chaleur et la vie.
- L'âme : Pourtant la crainte m'envahit au seul souvenir de mes
péchés et cette terrible frayeur me pousse à douter de Ta bonté. »
Pour ces deux raisons, le Christ ou son ange peuvent retarder leur
parousie. L’âme qui s'accroche à cette terre reste dans le passage de la mort,
bloquée sur les lieux où elle a péché sans pouvoir se livrer au péché. Elle
touche du doigt d’une certaine façon la vanité du péché. De même, l’âme qui,
ayant commis un grand péché, fuit la rencontre de son juge, délaissée dans le
désespoir solitaire de ce second purgatoire, visitée au bout d’un long temps d’abandon
par les anges ou par la prière des vivants, peut apprendre à demander pardon.
2° La deuxième raison est
l’instruction des vivants lorsque, par exception, les âmes en peine de ce
purgatoire manifestent leur présence. À la vue de leurs souffrances, les
vivants sont amenés à convertir leurs mœurs pour éviter à leur tour de subir
cette errance qui suit la mort. En outre, les vivants sont ainsi conduits à
offrir leurs prières comme adoucissement aux peines des morts. Pour cela, Dieu
permet parfois que les âmes de ce purgatoire apparaissent ou se fassent
entendre des vivants. Il leur est difficile de le faire par elles-mêmes car le
corps psychique qu’elles gardent est peu adapté à ce genre de contact. C’est
pourquoi ceux qui parlent des phénomènes des revenants décrivent parfois la
vision d’un corps vaporeux, fait d’énergie physique. Il faut en tout cas tenir
que la subsistance de ce lien avec la matière est naturel, comme nous l’avons
dit précédemment, même si sa manifestation aux vivants n’est pas aisée pour
l’âme faite pour se rendre visible à travers son corps charnel.
La plupart du temps, l’apparition est produite à travers une aide
de Dieu et de ses anges. Le phénomène des revenants, quand il se produit, ne
doit pas effrayer. Qu’on se rappelle la réaction des disciples de Jésus quand
ils le virent s’approcher d’eux en marchant sur les eaux[991] : « Ils crurent que c’était un fantôme, et poussèrent des cris. »
Solutions :
1. Ce purgatoire n’est pas voulu
par Dieu directement et par soi mais comme un moyen, une dernière planche de
salut, adaptée à certaines âmes. Il peut y avoir dans cette expérience un réel
progrès spirituel de certains hommes matérialistes et encore rustres, peu
disposés à accueillir l’apparition lumineuse de l’ange de Dieu ou du Christ.
Cette prolongation de la vie terrestre, peut faire naître une plus grande
sensibilité au spirituel. Ce purgatoire devait être très fréquent dans les
temps anciens, à l’époque frustre des générations antiques, selon l’Écriture[992] : « Ce sont les héros du temps
jadis, ces hommes fameux. Yahvé voyait que la méchanceté de l'homme était
grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à
longueur de journée. » De nos jours, la sensibilité et la culture
s’étant affinées, il semble être moins universellement nécessaire. Cela
explique des récits tels que ceux rapportés par saint Bernard.
Objections :
Il ne semble pas qu’on puisse qualifier ce purgatoire par les
notions de solitude et d’errance. En effet, pour caractériser un
purgatoire, il faut quelque chose qui lui soit propre, comme la parousie du
Christ glorieux dans le troisième. Or la terre est elle aussi le plus souvent
un lieu de solitude, sans compter les purgatoires qui suivent la parousie du
Christ.
2. Dans cette comparaison,
Jésus dit à ses disciples[993] : « En vérité, je vous le dis, il sera difficile à un riche d'entrer
dans le Royaume des Cieux. Oui, je vous le répète, il est plus facile à un
chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume
des Cieux. » Il semble donc que ce
purgatoire, adapté aux âmes riches, se caractérise par le détachement de
soi-même et non par la solitude et l’errance.
Cependant :
Le psaume 116, 3 dit : «
Les lacets de la mort m'enserraient, les filets du shéol; l'angoisse et
l'affliction me tenaient, j'appelai le nom de Yahvé. De grâce, Yahvé, délivre
mon âme! » et le livre de la sagesse
17, 2 ajoute : « Alors que des
impies s'imaginaient tenir en leur pouvoir une nation sainte, devenus
prisonniers des ténèbres, dans les entraves d'une longue nuit, ils gisaient
enfermés sous leurs toits, bannis de la providence éternelle. Alors qu'ils
pensaient demeurer cachés avec leurs péchés secrets, sous le sombre voile de
l'oubli, ils furent dispersés, en proie à de terribles frayeurs, épouvantés par
des fantômes. Car le réduit qui les abritait ne les préservait pas de la peur;
des bruits effrayants retentissaient autour d'eux, et des spectres lugubres, au
visage morne, leur apparaissaient. »
Conclusion :
Dans le passage de la mort, le mourant n’est pas nécessairement
confronté d’un seul coup à toutes les étapes qui le conduiront au choix
éternel. Il arrive que ce ne soit que dans un second temps que le Christ
paraisse et que sa gloire libère l’âme de toute faiblesse et ignorance. Ainsi,
lorsque le Christ retarde son apparition, c’est pour mieux la disposer au
salut. Dans cette circonstance, le péché contre le Père, à savoir le péché
mortel de faiblesse et le péché contre le Fils, à savoir le péché du à
l’ignorance restent possibles. Sans pouvoir atteindre une finalité ni sur terre
ni au Ciel, l’âme erre entre deux mondes à la recherche d’un but. Privée pour
un temps de toute affection humaine et divine, elle se tourne vers les
créatures avec angoisse, ne parvenant plus à en obtenir de satisfaction. Ne
pouvant être vues par les hommes vivants (sauf cas exceptionnel) et étant
séparées de l’au-delà, leur solitude est totale. Si cette solitude dure
plusieurs années, plusieurs siècles, elle finit par produire un retournement.
La vanité des choses auxquelles elles sont attachées finit par s’imposer. Ils
comprennent que l’unique bien est l’Amour ou au contraire l’égoïsme. Comme un
feu contrariant la nature de son esprit et de sa sensibilité, l’effet
douloureux de cette errance affine l’âme et la dispose à recevoir en temps
voulu deux choses :
1° Un détachement de ses
anciennes affections terrestres.
2° Une soif ardente d’un
salut.
Solutions :
1. Chacun des purgatoires
participe, d’une manière ou d’une autre, à la transformation de l’esprit humain
dans l’humilité et l’amour en vue de l’union à Dieu. Pour les caractériser, on
regarde ce qui est universellement vécu dans chacun d’eux. Ainsi, pour le
premier purgatoire, celui de cette terre, qu’on peut aussi appeler « premier Ciel », la vie est liée au corps biologique. C’est pourquoi ce
premier ciel est physique et sa purification peut être caractérisée par la
dimension de fragilité charnelle, la nécessité de se nourrir et de mourir,
l’incertitude sur la survie après la mort.
Le deuxième ciel est le ciel psychique. L’âme est enserrée
dans les liens de sa propre psychologie pécheresse et elle est conduite à s’en
détacher par une confrontation à la solitude. Faite pour aimer, l’âme s’ennuie,
puis souffre, puis appelle.
Le troisième Ciel est mystique car il correspond à la
parousie du Christ accompagné des saints et des anges, qui délivre l’âme de ses
faiblesses et de ses ignorances, et lui communique, si elle l’accepte, la
plénitude de la grâce sanctifiante.
Quant au fait que certains vivent de cette grâce sanctifiante dès
le premier ciel, il n’implique pas qu’on doive caractériser la vie terrestre
par cette grâce qui est le fait d’un petit nombre.
2. Le détachement de soi-même
est une des dispositions du cœur nécessaire comme préparation à une bonne
réception de la grâce. En ce monde, ce détachement -qu’il soit matériel,
psychologique ou spirituel- est produit principalement par le silence de Dieu,
l’injustice, la famine, la maladie, la guerre et la mort, comme le montre le
livre de l’Apocalypse 6-8, à travers les sept mystères scellés. Mais parfois,
ces épreuves n’arrivent pas ou ne suffisent pas. C’est pourquoi, dans le
passage de la mort et avant la parousie du Christ, cet effet peut être
approfondi par la douloureuse expérience de la solitude, dans un séjour ou la
souffrance physique n’existe plus, mais où le psychisme humain reste fait pour
la compagnie de ses proches, tandis que son esprit reste en attente d’un sens à
la vie. C’est pourquoi, bien que le deuxième purgatoire vise à libérer l’âme de
ses richesses, il peut être caractérisé par son épreuve significative qui est
la solitude et l’errance.
Objections :
1. Il ne convient pas que les
anges révoltés viennent tourmenter et tenter les âmes de ce purgatoire. En
effet, les démons ont reçu un pouvoir provisoire en cette terre, par le choix
libre d’Adam et Eve lorsqu’ils vivaient dans leur chair. Or, dans la
mort, le corps de chair ayant disparu, le pouvoir donné par Adam et Eve
disparaît aussi.
Cependant :
Le chapitre 17 du livre de la Sagesse décrit le tourment qui en
sort : « Pour eux, impuissants durant
cette nuit des profondeurs de l'Hadès, ils étaient tantôt poursuivis par des
spectres monstrueux, tantôt paralysés par la défaillance de leur âme ; car une
peur subite et inattendue les envahissait. Celui qui tombait là, quel qu'il
fût, se trouvait emprisonné dans cette geôle sans verrous. » Tout ceci relève à la fois de la faiblesse d’une psychologie
malade et non délivrée du « foyer du
péché », et des tentations des
démons.
Conclusion :
Ce deuxième purgatoire est, rappelons-le, un prolongement
exceptionnel de la vie terrestre, adapté à certaines âmes. Il est donc logique
que certains des instruments de Dieu utilisés pour notre salut en cette vie
soient encore utilisés. Ainsi en est-il de l’ignorance, mais aussi de certaines
des faiblesses psychologiques de cette terre. Tel en est-il aussi du rôle de
Satan qui, pour ce qui est de lui, n’a pas pour but de sauver l’homme mais au
contraire de l’habituer à l’égoïsme.
Or il faut remarquer que les anges révoltés peuvent visiter
l’homme sous deux formes :
1° Ils se font serpent
(Satan) sur cette terre: Leur action consiste à se cacher dans la vie des
hommes pour les habituer à des égoïsmes matériels - plaisir égoïste, argent
égoïste, gloire égoïste -. Le but de Satan est de disposer la volonté humaine à
l'égoïsme.
2° Mais les démons se montrent
sous leur vrai jour d'Anges de lumière (Lucifer) au dernier moment de
notre vie, c’est-à-dire à l'heure de notre mort et à la fin du monde. Là, ils
nous révèlent la vraie raison de leur révolte à savoir la liberté, la dignité,
l’exigence d'un changement des plans de Dieu, le refus de l'humilité et de
l'amour. Ils espèrent que, habitués à l'égoïsme, nous les suivrons librement
dans leur révolte.
Dans ce deuxième purgatoire, c’est en tant que Satan que les anges
révoltés tourmentent les âmes. Ils prolongent leur œuvre de la terre en
appliquant à l’âme des tentations cependant moins charnelles, le corps ayant
disparu. Ils les tentent principalement par la convoitise frustrée, le
désespoir et la colère.
Ce n’est que lorsque arrive le troisième purgatoire, à savoir la
parousie du Christ, que les démons se montrent comme Lucifer, présentant à la
liberté de l’âme son projet de salut alternatif.
Solutions :
1. Comme on l’a dit, ce
purgatoire est un prolongement de cette vie et non une partie de l’autre monde.
Tant que le Christ n’est pas venu, lui qui détient les clefs de l’Hadès[994], certaines des lois de
cette vie fragile restent utiles pour le salut de l’âme. Ainsi en est-il de
l’Hadès que le Christ vient visiter lui-même, à l’heure qu’il estime la plus
adaptée au salut.
Objections :
Il ne semble pas car, sur un point au moins, ces âmes
expérimentent leur immortalité, chose dont beaucoup doutent dans l’angoisse sur
terre.
2. La vie terrestre laisse
l’homme dans un état proche de l’animal puisqu’il doit trouver chaque jour sa
nourriture et peut mourir d’un simple accident. Dans le passage de la mort,
l’âme est délivrée de tout cela. Donc ce purgatoire est moins douloureux et
plus stable que la vie terrestre.
3. Le livre de Job montre que
le shéol est souvent un séjour de paix par rapport à la misère de cette vie[995] : « Or mon espoir, c'est d'habiter le shéol, d'étendre ma couche dans
les ténèbres. »
Cependant :
L’Ecriture Sainte décrit le shéol comme un séjour sans joie[996] : « Les flots de la Hadès m'enveloppaient, les torrents de Bélial
m'épouvantaient; les filets du shéol me cernaient, les pièges de la mort
m'attendaient. »
Conclusion :
On peut regarder chaque purgatoire de deux façons :
1° D’abord selon les lois
générales qui le caractérisent. Le deuxième purgatoire a pour but de briser le
cœur endurci de ceux qui y transitent à travers l’expérience d’une longue et
désespérante solitude et errance. La personne étant seule et n’ayant plus son
corps de chair, mais seulement sa vie sensible, rien ne peut venir la distraire
de l’angoisse. En comparaison, les lois de la vie terrestre permettent de
grands moments de bonheur. Donc, selon ses lois générale, le shéol est plus
étranger à la nature humaine et beaucoup plus douloureux.
2° On peut regarder chaque
purgatoire selon la manière individuelle dont il a été vécu. Selon cette
approche, il arrive que le premier purgatoire, celui de cette terre soit pour
certains le plus terrible de tous. Je vise principalement les personnes qui,
n’ayant pu trouver de réconfort à l’angoisse dans des occupations extérieures
ou dans un endurcissement de leur âme, sont extrêmement sensibles à l’épreuve,
parfois jusqu’à mettre un terme à leur vie. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus,
ayant connu cette tentation du désespoir dès ici-bas dans les affres de sa
maladie et du silence de Dieu, écrivait qu’elle comprenait l’acte de ceux qui
désirent la mort. Pour ces personnes là, le plus terrible des purgatoires peut
être la terre.
Solutions :
1. Sous le point de vue de l’épreuve
de la mortalité, le purgatoire de la terre est effectivement le plus terrible
puisque les âmes du shéol expérimentent leur indestructibilité. Cependant, non
seulement l’homme ne pense pas sur terre à chaque instant à sa mort, mais il
peut soit par raisonnement philosophique soit par la foi, vivre dans la
certitude de la survie.
Cependant, on doit admettre que pour certains hommes, ceux qui
vivent dans l’angoisse de leur mortalité et de la vanité de toute chose, cette
épreuve peut être source de désespoir et être donc de la plus terrible des
souffrances qu’aucun autre purgatoire ne pourra dépasser.
2. « L’homme ne vit pas seulement
de pain… », dit Jésus. Celui qui a
souffert expérimente que plus la souffrance touche une dimension profonde de
son être, plus elle est douloureuse.
1° Ainsi les souffrances physiques
seules, sont moins douloureuses que 2°
les souffrances psychologiques à savoir que les passions négatives comme
la tristesse, la peur, le désespoir. L’incertitude, source de peurs et d’espoirs
alternés, de l’homme qui ne sait pas s’il sera torturé le fait plus sûrement
parler que les tortures physiques d’un homme qui, fort dans sa psychologie,
défie ses bourreaux. 3° De même les
souffrances spirituelles comme le fait d’avoir livrer ses amis à
l’ennemi pour éviter la torture physique sont plus douloureuses que la torture
elle-même. 4° Au dessus de tout, les
souffrances « mystiques », celles qui sont liées à la perte totale du
sens à sa vie, conduisent ceux qui les subissent à l’idée du suicide.
Ainsi, si la disparition du corps charnel dans le passage de la
mort délivre l’homme des douleurs physiques, elles exacerbent la sensibilité à
la douleur psychologique par l’incapacité de l’âme à atteindre les
plaisirs sensibles de jadis, spirituelle par l’absence de la compagnie
de sa famille et de ses amis, et mystique à cause du silence du Ciel
resté fermé. C’est ce que montre Moïse dans le désert de l’Exode, qui est le
symbole du shéol[997] : « Il t'a humilié, il t'a fait sentir la faim, il t'a donné à manger
la manne que ni toi ni tes pères n'aviez connue, pour te montrer que l'homme ne
vit pas seulement de pain, mais que l'homme vit de tout ce qui sort de la
bouche de Yahvé. »
3. Pour l’homme qui vit sur
terre un vrai désespoir, tout autre lieu que cette vie devenue insensée semble
meilleure. Pourtant, le suicide ne résout rien et celui qui le pratique doit,
comme tout homme, à un moment où à un autre, soit dans le passage de la mort ou
après la parousie du Christ, expérimenter cette mort à lui-même pour entrer
dans le septième Ciel de la Vision de Dieu. Voilà pourquoi le suicide est un
acte dommageable, quoique souvent pardonné puisque le plus souvent regretté, et
qui ne fait que retarder la purification de l’âme.
Objections :
1. Elles sont nécessairement
saintes, c’est-à-dire en état de mérite, sinon, selon le dogme solennel de
Benoît XII[998], elles sont damnées pour
l’éternité puisque ces âmes vivent après la mort. En effet, Benoît XII
écrit : « Selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui
meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer. »
2. Sainte Catherine de Gênes
note[999] : « L’ardent désir de Dieu est ressenti comme une peine qui est
proprement celle du purgatoire. » Or
un ardent désir de Dieu est la définition de la sainteté. Donc…
Cependant :
Loin d’être saints, les Hébreux excitèrent la colère de Dieu par
leur refus d’entrer dès leur sortie d’Egypte dans la Terre promise. C’est donc
à cause de leurs péchés que Dieu les condamna à errer puis à mourir au désert.
De même, les âmes ne restent dans le shéol jusqu’à leur mort à elles-mêmes par
le désespoir qu’à cause de leur péché grave et actuel.
Conclusion :
Les âmes de ce deuxième purgatoire sont nécessairement en état de
mort spirituelle. Comme nous l’avons montré, elles ne restent dans le passage
de la mort que pour deux causes :
1° Leur attachement extrême à
la terre.
2° Leur refus de rencontrer la
lumière du Christ, à cause d’un grand péché dont, ayant conscience, les
paralyse dans la peur.
Or ces deux causes sont deux péchés contraires à l’existence de la
charité. Un homme centré sur des biens créés ou effrayé par la venue du Messie
ou de son ange ne peut en même temps l’aimer dans une amitié réciproque.
Mais c’est parce que ces péchés mortels ne constituent pas un
blasphème contre l’Esprit Saint (pleine lucidité et maîtrise de soi) que ce
purgatoire à sa raison d’être. Ces âmes peuvent être sauvées et ce prolongement
de vie dans l’errance vise à les disposer à accueillir l’Evangile du Christ au
jour de sa venue.
Solutions
1. Comme nous l’avons montré,
ce purgatoire n’est pas « après la
mort. » Il est le passage de la mort
lui-même, dont la durée est prolongée exceptionnellement pour certaines âmes.
Les expressions bibliques « shéol » ou « Hadès » ne signifient
pas autre chose que « la mort. » Elle est un passage qui peut durer
plusieurs jours selon Marthe Robin, voire des années après la mort au sens clinique
du corps charnel, selon des récits dignes de crédibilité. La partie psychique
de son être subsistant, ces morts errent entre deux séjours, parfois sur la
terre ou dans les parvis de l’autre monde, sans avoir vécu la parousie du
Christ, des saints et des anges. Si, face à la venue du Christ qui se produit
dans ce passage, une âme du shéol s’obstine dans son péché mortel, c’est
qu’elle est dans un état de blasphème contre l’Esprit Saint. Elle est alors
damnée pour l’éternité car elle entre dans le monde qui suit la mort en
état de démérite parfaitement lucide, volontaire et libre.
2. Sainte Catherine de Gênes ne
parle pas ici de ce purgatoire mais des trois purgatoires mystiques où les âmes
saintes qui ont choisi d’aimer le Christ après sa parousie achèvent de se
purifier après la mort et le jugement dernier. Dans le shéol, il règne
cependant un ardent désir de Dieu, douloureusement ressenti. La grande
différence est que cette angoisse, les âmes du shéol n’en connaissent pas
toujours la cause alors que dans les purgatoires vus par sainte Catherine de
Gênes, les âmes sont paisiblement établies dans la charité et ont compris,
comme saint Augustin dans ses Confessions que leur cœur fait pour Dieu
aimait jadis Dieu sans le savoir et avant même de le connaître.
Objections :
1. Selon saint Thomas d’Aquin,
le temps de la vie terrestre est celui du mérite et du démérite. Après cette
vie terrestre, vient le temps de recevoir la récompense de son mérite ou
démérite. Or, si ces âmes sont en état de démérite, elles recevront
nécessairement l’enfer. Ce qui n’est pas toujours le cas. Donc ces âmes sont
saintes.
2. Sainte Catherine de Gênes
dans son Traité du purgatoire[1000] que les âmes du purgatoire
sont assurée de leur salut et en éprouvent une joie constante. Donc elles ne
peuvent se damner.
Cependant :
Sainte Brigitte de Suède rapporte ce dialogue entre Satan et la
vierge Marie, à l’occasion de la mort et du salut miraculeux de son fils[1001] :
« Le démon se mit alors à crier : « Écoutez, Juge tout-puissant. J'ai à me
plaindre de votre mère (…). Elle m'a injustement ravi l'âme qui comparaît devant
vous. Car, en bonne justice, j'avais le droit de m'en emparer au moment de
sa sortie du corps et de l'amener, avec mes compagnons, devant
votre tribunal. Or, ô juste Juge, l'âme n'était pas sortie pour ainsi dire du corps,
que cette femme, votre Mère, s'en est saisie, l'a couverte de sa puissante
protection, et vous l'a présentée. »
La sainte Vierge dit à Satan : "Tu vois, Satan,
dans quelles dispositions cet homme est mort. Que te semble-t-il donc ?
N'était-il pas juste que je prisse cette âme sous ma protection devant le
tribunal de Dieu, et pouvais-je la laisser tomber en tes mains pour partager
tes supplices?" Et Satan demanda de nouveau: "Pourquoi,
ô Reine, à l'heure de l'agonie de cette âme, nous avez-vous mis en fuite de
telle sorte qu'aucun de nous n'a pu ni la troubler ni l'effrayer?" »
Sainte Faustine rapporte en sens contraire le cas d’une possible
damnation dans le passage de la mort[1002] : « "Conversation de Dieu miséricordieux avec l'âme désespérée :
- Jésus : Ame
plongée dans les ténèbres, ne désespère pas, tout n'est pas encore perdu, entre
en conversation avec ton Dieu qui est amour et miséricorde même.
- Mais malheureusement l'âme demeure sourde à l'appel de Dieu et se plonge dans
des ténèbres plus grandes encore.
- Jésus l'appelle à nouveau : Ame, entends la voix de ton Père miséricordieux.
- Une réponse s'éveille en l'âme : Il n'y a plus pour moi de
miséricorde. Et elle tombe dans des ténèbres encore plus grandes, dans une
sorte de désespoir qui lui donne comme un avant-goût de l'enfer et la rend
complètement incapable de se rapprocher de Dieu.
- Pour la troisième fois, Jésus s'adresse à l'âme, mais l'âme est
sourde et aveugle et elle commence à s'affermir dans l'endurcissement et le
désespoir. Alors des entrailles de la miséricorde divine un dernier effort est
tenté et sans aucune coopération de l'âme, Dieu lui donne Sa dernière grâce. Si
elle la dédaigne, Dieu la laisse alors dans l'état où elle-même veut être pour
les siècles." » Donc, si on peut
être sauvé ou damné dans le passage de la mort.
Conclusion :
Ce purgatoire est situé
avant la mort accomplie, entre ce monde et l’autre, comme à la onzième heure de
cette vie. Il a lieu avant la parousie du Christ qui permettra le choix
définitif de l’âme. Donc l’âme n’a absolument pas reçu les conditions
nécessaires à l’acte parfaitement lucide, volontaire et libre qui lui
permettrait de se tourner vers la grâce ou au contraire de la rejeter. Comme
sur terre, l’âme n’est absolument pas assurée de son salut dont, bien souvent,
elle ignore la nature. Ce n’est que lorsque le Christ paraît à ces ouvriers de
la onzième heure[1003], qu’il les a appelés à la
vigne pour y travailler, qu’ils peuvent s’y rendre ou refuser. Ainsi en est-il
pour les âmes du shéol. Elles peuvent donc se damner.
Solutions :
1. Les ouvriers de la onzième
heure ne sont pas « après la mort » mais dans le passage de la mort comme
nous l’avons dit.
2. Sainte Catherine de Gênes
dans son Traité du purgatoire, ne décrit pas ce purgatoire là mais les purgatoires
qui se situent après le retour du Christ et après l’entrée dans l’autre monde.
Objections :
1. Saint Alphonse de Ligori
écrit[1004] : « On doit le croire pieusement, Dieu leur manifeste nos prières
afin que ces saintes âmes intercèdent pour nous et qu’ainsi entre elles et nous
soit conservé ce bel échange de charité ; Elles prient pour nous et nous prions
pour elles. »
Cependant :
D’après l’opinion de saint Thomas d’Aquin, les âmes du purgatoire
sont dans un tel état d’affliction qu’elles ne peuvent prier pour personne.
Elles sont entièrement occupées de leur purification.
Conclusion :
Nous avons montré que ces âmes ne font du passage de la mort un
séjour durable qu’à cause d’un attachement très fort aux choses de cette terre,
ou encore par un acte de leur conscience qui fuit la lumière du Christ qui
vient. Elles ne vivent donc pas de la charité et sont extrêmement centrées sur
elles-mêmes. Tout cela ne constitue pas une disposition favorable à la prière.
Par contre, il se produit pour celles pour qui ce purgatoire se
révèle profitable, non seulement un détachement vis-à-vis de la terre, mais un
progrès dans le repentir selon cette parole biblique[1005] : « Les flots de la Mort m'enveloppaient, les torrents de Bélial
m'épouvantaient; les filets du shéol me cernaient, les pièges de la mort
m'attendaient. Dans mon angoisse j'invoquai Yahvé et vers mon Dieu je lançai
mon cri; il entendit de son temple ma voix et mon cri parvint à ses oreilles. »
C’est pourquoi, lorsque l’âme arrive au terme de cette étape de
purification, on doit dire que non seulement elle prie Dieu mais qu’elle se met
à prier pour les hommes qu’elle voit puisque, comme on l’a dit, beaucoup font
ce purgatoire dans les lieux mêmes où elles ont vécues et qu’elles ne quittent
pas.
Solutions :
1. Saint Alphonse de Ligori
parle ici des purgatoires mystiques qui suivent la parousie du Christ ou encore
de l’état de certaines âmes du shéol, lorsqu’elles sont proches de leur
délivrance et s’ouvrent enfin à la grâce.
A l’objection en sens
contraire :
Il faut répondre que, comme sur terre, les dispositions
intérieures des âmes de ce shéol sont diverses et peuvent évoluer selon
qu’elles entrent dans une démarche de repentir ou au contraire se durcissent
dans l’obstination. Il arrive que, au début de ce long temps d’errance,
certaines sont entièrement prises par leurs attaches terrestres, tandis que
vers la fin, usée par le désespoir et pleines de bonnes dispositions, elles se
mettent à prier pour les hommes qu’elles voient dans les lieux où elles
résident et qui, souvent, les ont eux-mêmes aidés de leurs prières.
Objections :
1. Le Christ devrait apparaître
au tout début de l’entrée dans la mort et non au terme de ce passage.
2. D’après saint Paul, c’est
plutôt la venue du démon ou de l’Antéchrist qu’on doit attendre avant la fin de
cette vie[1006] : « Ne vous laissez pas trop vite mettre hors de sens ni alarmer par
des manifestations de l'Esprit, des paroles ou des lettres données comme venant
de nous, et qui vous feraient penser que le jour du Seigneur est déjà là. Que
personne ne vous abuse d'aucune manière. Auparavant doit venir l'apostasie et
se révéler l'Homme impie, l'Etre perdu, l'Adversaire, celui qui s'élève
au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant
jusqu'à s'asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant
lui-même comme Dieu. »
Cependant :
L’Apocalypse 1, 17 rapporte cette parole du Christ : « Ne crains pas, je suis le Premier et
le Dernier, le Vivant; je fus mort, et me voici vivant pour les siècles des
siècles, détenant la clef de la Mort et de l'Hadès. » Donc c’est le Christ qui met fin à l’Hadès en y apparaissant aux
mourants.
De plus, avant et après sa passion, le Christ dit et fait dire de
nombreuse fois à ses disciples par des anges[1007] : « Il est ressuscité d'entre les morts, et voilà qu'il vous précède
en Galilée; c'est là que vous le verrez.
» Or, la Galilée des nations est présentée par l’Ecriture comme le sombre
pays de la mort[1008] : « Galilée des nations ! Le peuple qui demeurait dans les
ténèbres a vu une grande lumière; sur ceux qui demeuraient dans la région
sombre de la mort, une lumière s'est levée.
» C’est donc dans ce passage de la mort que le Christ paraît dans sa gloire
à tous les hommes de toutes les nations.
Conclusion :
Universellement, pour tous les hommes de tout temps, il est
nécessaire que, avant l’entrée dans l’autre monde, la Bonne Nouvelle du salut
soit prêchée en pleine lumière et sans que la personne soit esclave de quelques
faiblesse ou peur. Cela se fait déjà en cette chair pour certains et dans le
passage de la mort pour tous, de telle manière que tout homme qui entre dans
l’autre monde soit en état de mérite ou de démérite de manière entièrement
libre.
C’est pourquoi, avant l’incarnation du Verbe, cette annonce de la
future rédemption était faite par un messager de Dieu, tandis que, après la
rédemption, elle est accomplie par le Christ lui-même accompagné des saints et
des anges, comme nous l’avons montré dans la question 8. C’est pourquoi le pape
Paul VI rappelle dans le Credo de 1968 : « Le Christ viendra de nouveau, en gloire cette fois, pour juger
les vivants et les morts : chacun selon ses mérites - ceux qui ont répondu à
l'amour et à la pitié de Dieu allant à la vie éternelle, ceux qui les ont
refusés jusqu'au bout allant au feu qui ne s'éteint pas. »
Solutions :
1. Dieu patiente, selon saint
Pierre[1009] : « Le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de ce qu'il a
promis, comme certains l'accusent de retard, mais il use de patience envers
vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir. Il
viendra, le Jour du Seigneur, comme un voleur ; en ce jour, les cieux se
dissiperont avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec
les œuvres qu'elle renferme sera consumée.
» Pour la même raison, pour le salut de quelques-uns, rien n’empêche que
cette patience de Dieu se prolonge dans la mort, le Christ retardant de
quelques jours ou quelques années son apparition, laissant l’âme découvrir la
stupidité de son attachement aux vanités de cette terre.
2. Il est vrai que, pour la liberté du choix, il
est nécessaire que Lucifer paraisse aussi avant l’entrée dans l’autre monde
Mais auparavant, l’âme doit être confrontée à la venue de Lucifer selon ce
texte de saint Paul[1010]. Lucifer présente à l’âme, comme séducteur puis
accusateur son projet fondé sur une liberté orgueilleuse. Mais saint Paul
ajoute, dans le même passage : « Alors
l'Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa
bouche, l'anéantira par la manifestation de sa venue. » ce qui signifie tout homme recevra toute l’aide qu’il lui faut
pour échapper à l’attraction de l’enfer. C’est pourquoi sainte Faustine conclut
sa vision du salut d’un grand pécheur dans le passage de la mort[1011] : « -
Jésus : Ame, sache bien que tous tes
péchés ne m'ont pas blessés aussi douloureusement le cœur, que ta méfiance
actuelle ; comment peux-tu demeurer incrédule devant ma bonté ?
- L'âme : O Seigneur, sauve-moi Toi-même, car je péris, sois pour
moi le Sauveur. O Seigneur, je ne suis pas en état d'exprimer le reste, mon
pauvre cœur est déchiré, mais Toi, Seigneur...
Jésus ne laissa pas l'âme terminer ces mots, mais l'enleva de
terre, de cet abîme de misère et en un moment la conduisit en la demeure de son
propre Cœur où tous ses péchés disparurent en un clin d'œil, le feu de l'amour
les détruisit. »
A ce sujet, quatorze questions :
1° La peine principale des
trois purgatoires de lumière est-elle la séparation d’avec Dieu ?
2° Le feu de ces trois
purgatoires est-il le désir de Dieu ?
3° Les âmes de ces trois
purgatoires sont-elles rongées par le ver de la rancoeur ?
4° Les âmes de ces trois
purgatoires sont-elles tourmentées par les démons ?
5° Le feu de ces trois
purgatoires est-il le même que celui de l’enfer ?
6° Les souffrances de trois
ces purgatoires surpassent-elles toutes celles d’ici-bas ?
7° La peine du purgatoire
est-elle voulue par Dieu ?
8° Les âmes de ces purgatoires
sont-elles saintes ?
9° Sont-elles soumises à la
volonté de Dieu ?
10° Veulent-elles d’une volonté
droite les souffrances du purgatoire ?
11° Peuvent-elles pécher ?
12° Peuvent-elles mériter ?
13° Les âmes du purgatoire
sont-elles dans la joie et la paix ?
14° Peuvent-elles prier pour
nous ?
Objections :
1. On parle ici des trois
purgatoires qui suivent l’apparition du Christ. Nous avons montré que la peine
de l’enfer était la séparation d’avec Dieu. Elle ne peut donc être celle du
purgatoire sans quoi le purgatoire et l’enfer seraient une seule et même chose.
2. Dans l’Écriture, la peine
principale du purgatoire est désignée sous le terme de "feu". Ce
n’est donc pas la séparation d’avec Dieu.
3. Durant notre vie terrestre,
nous sommes séparés de Dieu. Cela ne constitue pourtant pas pour nous une peine
plus terrible que celles que nous devons subir par la maladie, la souffrance et
la mort. Il en est de même au purgatoire qui n’est que l’achèvement de la
purification commencée en cette terre.
Cependant :
Sainte Catherine de Gênes écrit[1012] : « L’âme qui est au purgatoire aime Dieu au point que cela lui est
un tourment insupportable que d’être obligée de se séparer de lui un moment. »
Conclusion :
La peine principale du purgatoire est la séparation d’avec Dieu.
Pour le comprendre, il faut savoir que l’âme humaine possède par nature un
instinct divin qui la fait se porter vers Dieu comme vers la source unique de
tous ses désirs. Mais le péché originel et l’accumulation des péchés actuels a
fini par quelque peu obscurcir l’acte de cette inclination au point que
l’homme, sur cette terre, n’éprouve pas toujours l’angoisse du désir de Dieu et
se complaît souvent dans les biens créés. Après la mort, l’âme libérée du poids
psychologique des conséquences du péché originel retrouve l’acte de cet
instinct divin dont l’exercice se trouve démultiplié par la participation des
grâces infusées par Dieu. Ces grâces consistent principalement dans la
découverte actuelle de l’amour de Dieu, de sa miséricorde à l’égard d’une
créature aussi imparfaite et du soin qu’il apporte à l’élever jusqu’à lui.
L’âme se porte donc vers Dieu comme vers sa fin dernière avec une charité
incomparable dans son exercice à celle de la terre. En conséquence, la
séparation provisoire d’avec Dieu devient une peine qui est à la mesure de la charité
qui porte l’âme à Dieu. Cette peine est proprement celle du purgatoire.
Vitalini Sandro écrit[1013] : « L’homme se découvre isolé, incapable de communiquer aux autres.
Tandis qu’il coïncide avec son propre moi, il comprend que la seule valeur qui
a existé est celle de son don. La personne compare son amour à l’Amour, son
être à l’Être. Au désir d’une communion plénière avec l’Amour se joint l’effroi
jaillissant de la perception de sa propre indignité. L’amour qui est Dieu est
un feu dévorant ; sa présence enchante et épouvante à la fois, si l’on se
réfère aux théophanies de l’Écriture : la vision de Moïse et d’Élie, la
Transfiguration, les visions de l’Apocalypse. »
Solutions :
1. « L’Église, dans la fidélité
au Nouveau Testament et à la Tradition croit à la félicité des justes qui
seront un jour avec le Christ. Elle crut qu’une peine attend pour toujours le
pécheur qui sera privé de la vue de Dieu et à la répercussion de cette peine
dans tout son être. Elle croit enfin pour les élus à une éventuelle purification
préalable à la vision de Dieu, tout à fait étrangère cependant à la peine des
damnés. C’est ce que l’Église entend lorsqu’elle parle d’enfer et de purgatoire ».[1014] La séparation d’avec Dieu
est voulue par les âmes de l’enfer à cause de leur perversité qui les porte à
haïr les volontés de Dieu. Les âmes du purgatoire au contraire se séparent de
Dieu à cause de leur très grand amour pour lui et de leur désir de devenir
parfaites épouses pour lui, selon l’Apocalypse[1015] « son épouse pour lui s’est faite belle. » C’est pourquoi la séparation est éternelle pour les damnés mais
temporaire au purgatoire.
2. Le feu du purgatoire n’est
autre que le désir ardent que l’âme a de voir Dieu. Il est donc un effet de
l’intense charité qui ne peut supporter d’être séparée de Dieu.
3. L’exercice de la charité ne
peut être parfait sur la terre à cause des conséquences du péché, qu’il soit
originel ou actuel, qui obscurcissent dans l’âme l’instinct de Dieu. C’est
pourquoi nous ne souffrons pas trop de son absence. Cependant, une telle
souffrance peut exister consciemment chez ceux que la grâce a suffisamment
purifiés comme on le voit chez certains saints. C’est pourquoi le Cantique des
Cantiques chante[1016] : « J’ai cherché celui que mon cœur aime, Je l’ai cherche mais ne
l’ai pas trouvé. Si vous trouvez mon bien-aimé, dites-lui que je suis malade
d’amour. » Chez les autres, elle
existe réellement et se manifeste sous la forme de certaines angoisses
profondes, au point que l’augmentation des suicides des désespérés dans des
pays pourtant matériellement heureux est le signe, voire la preuve de cette
orientation naturelle de l’âme humaine vers le Bien absolu non connu.
Objections :
1. Il ne semble pas que le feu
du purgatoire soit le désir de Dieu mais un véritable feu matériel. Saint Paul
affirme en effet[1017] : « qu’elles seront sauvées mais comme à travers un feu. » De même, il dit que c’est le feu qui
éprouvera la qualité de l’œuvre de chacun. Ce feu semble donc être une réalité
qui purifie l’âme de l’extérieur et non de l’intérieur.
2. Saint Grégoire écrit : « Ainsi que dans le même feu l’or brille
et la paille fume, ainsi par le même feu le pécheur est brûlé en l’élu purifié. » Il semble donc que le feu de l’enfer
est le même feu que celui du purgatoire. Or le feu de l’enfer n’est pas sans
rapport avec la matière, comme nous l’avons vu. Donc le feu du purgatoire est
autre chose que le désir de Dieu.
Cependant :
Sainte Catherine de Gênes note : « L’ardent désir de Dieu est ressenti comme une peine qui est
proprement celle du purgatoire. » Or
ce qui est ardent est comme un feu. Donc le désir de Dieu est le feu du
purgatoire.
Conclusion :
Comme nous l’avons montré précédemment, la peine principale du
purgatoire est la séparation d’avec Dieu. Mais il s’agit d’une séparation
douloureuse puisque l’âme aime Dieu qu’elle a aperçu sous la forme de
l’humanité du Christ. Celui qui aime ne peut consentir sans tristesse à se
séparer du bien aimé. Or l’âme est libérée du poids des conséquences du péché
originel et divinement justifiée par la grâce à une charité envers Dieu dont
l’exercice est parfait puisqu’il n’est empêché par aucun obstacle venant du
corps. La tristesse d’être séparé de Dieu est donc à la mesure de cette charité
et le désir de le posséder peut être comparé à un feu tant son ardeur est
intense. C’est en ce sens qu’on peut dire que, au sens littéral, le feu du
purgatoire signifie le désir de Dieu.
Vitalini Sandro écrit : «
On a imaginé le purgatoire comme un châtiment infligé par Dieu au fils
désobéissant. Mais la souffrance dans cette rencontre ne vient pas de Celui qui
est Amour, mais de celui qui se voit avoir négligé l’empressement paternel. La
souffrance de l’enfant prodigue aurait été bien moins grande si le père lui
avait infligé quelques châtiments externes. Sa souffrance au contraire
s’accroît à l’infini parce qu’il voit que son père l’a toujours aimé et
continue de l’aimer d’une façon indéfectible. Le désir de conversion est alors
total, mais la souffrance nous apparaît aussi extrême. Loin d’imaginer un Dieu
qui se refuserait d’accueillir la personne avec ses limites, il faut dire que
c’est cette même personne qui se trouve effrayée par son indignité ».[1018]
Solutions :
1. En un second sens, on peut
cependant dire que le feu du purgatoire est une réalité matérielle dans la
mesure où une âme séparée du corps peut avoir quelque rapport avec la matière.
Comme nous l’avons vu concernant le feu de l’enfer, un feu matériel ne peut
directement brûler une âme séparée. Mais, puisque les morts gardent
perpétuellement leur psychisme, c’est-à-dire leur sensibilité, à travers un corps
invisible qui est de nature matérielle, ils peuvent être blessés par une
véritable souffrance sensible. L’intelligence de l’absence de Dieu se répercute
dans la douleur des passions de la sensibilité. On peut dire alors que l’âme
est prisonnière des flammes puisqu’elle vit d’une véritable et douloureuse
passion sensible. Elle accepte d’être prisonnière de cette séparation. Sa peine
n’est donc pas totalement étrangère à la notion de feu. Une telle
interprétation n’est pas contradictoire avec celle donnée plus haut à condition
que l’on maintienne que la peine principale dont souffre l’âme n’est pas cette
sensation mais sa cause, c’est-à-dire la séparation d’avec Dieu et le désir
brûlant de le voir.
2. Pris en un sens spirituel,
le feu du purgatoire ou celui de l’enfer est le même puisqu’il a son origine
première dans un désir naturel de la béatitude qui n’est pas satisfait puisque
la source de la béatitude éternelle Dieu, n’est pas présente. Mais ce feu est
différent si l’on considère sa cause et son effet : l’absence de Dieu est
causée chez les damnés par un refus volontaire et conscient de l’ordre de sa
sagesse que ne peut accepter l’orgueil ; chez les élus du purgatoire, par une
charité qui ne peut consentir à voir Dieu avant d’être totalement purifiée des
restes du péché. En conséquence, l’effet du feu chez les damnés est une
souffrance qui les fait blasphémer sans cesse Dieu ; chez les élus, il conduit
à la sanctification parfaite de l’âme.
Pris en un sens matériel, le feu de l’enfer et du purgatoire n’est
que l’instrument de Dieu qui par sa contradiction avec la volonté punit ou
purifie les âmes selon leurs dispositions intérieures. En ce sens, on peut dire
à la suite des Pères que le feu de l’enfer et celui du purgatoire sont une
seule réalité.
Objections :
1. Les âmes du purgatoire
regrettent leurs péchés et ce sont les restes de ces péchés qui les
maintiennent séparées de Dieu, donc elles éprouvent de la rancoeur.
2. La rancoeur est l’acte par
lequel une âme regrette une faute morale. Or les âmes du purgatoire sont en
état de péché véniel. Elles éprouvent donc la rancoeur pour ces péchés.
Cependant :
Le ver rongeur des damnés aboutit à la ruine. Au contraire, les
âmes du purgatoire s’élèvent vers la purification. Elles ne peuvent donc pas
être rongées par la rancoeur.
Conclusion :
La notion de rancoeur possède deux sens :
1° Elle est le regret qui suit
la conscience d’avoir mal agi. Il est donc naturel chez toute âme qui pèche.
L’âme a été en effet créée par Dieu droite. Elle possède par nature une
orientation vers le bien à laquelle s’oppose le péché. C’est pourquoi les âmes
de l’enfer qui sont irrémédiablement fixées dans le péché sont rongées par la
rancoeur puisque l’orientation de leur volonté perverse s’oppose à l’ordre de
leur nature et cette souffrance augmente en elles la haine de Dieu qui leur
paraît être la cause de leurs tourments. Les âmes du purgatoire, quant à elles,
ne sont aucunement en état de péché mortel. Elles ont entièrement été
pardonnées à la suite d’une contrition parfaite qui précède la mort. Elles ne
peuvent donc éprouver de rancoeur actuelle puisque leur âme est totalement
orientée dans la recherche du bien véritable. C’est la charité qui est cause en
elles d’un état permanent de contrition dont la chaleur achève de purifier leur
âme du péché véniel. Cette contrition n’est donc pas comparable au ver de la
rancoeur des damnés qui reste stérile et les fait se replier sur leur malheur.
Elle est plutôt comparable à la chaleur du feu qui purifie l’âme comme l’or qui
est passe au creuset. De même en effet que la chaleur est un effet du feu, de
même la contrition est un effet de la charité.
2° La rancoeur peut venir du regret
de s’être fait punir à la suite d’un péché. Il règne largement en enfer. De
même, selon cette acception du terme, il ne règne pas de rancoeur au purgatoire
puisque, de volonté droite, par amour de Dieu et en vue de devenir digne de la
voir, elles ont voulu elles-mêmes la peine du purgatoire.
Solutions :
1. Le regret des âmes du
purgatoire pour leur péché n’est pas la simple douleur naturelle éprouvée par
une âme corrompue. Elle est une douleur voulue et consentie à cause du très
grand amour qu’elles éprouvent pour Dieu. Elle est une perpétuelle confession
de leurs fautes au Dieu qu’elles attendent, et une joie à satisfaire par la
douleur pour ces offenses.
2. Le péché véniel n’est pas
une orientation de la volonté vers une fin mauvaise mais simplement un lien qui
empêche l’orientation vers le vrai bien de s’exercer avec facilité et aisance.
Il ne s’oppose pas directement à l’ordre naturel vers le bien que Dieu infuse à
l’âme à sa création. Il ne peut donc être source d’un véritabla rancoeur mais
simplement d’un certain état de regret.
Objections :
1. D’après le Maître des
Sentences, « les âmes ont pour bourreaux
dans l’autre monde ceux-là mêmes qui ont été ici-bas leurs mauvais conseillers », c’est-à-dire les démons qui poussent
au péché véniel qu’on expie en purgatoire, aussi bien qu’au péché mortel.
2. Les justes sont purifiés de
leurs péchés non seulement dans l’autre monde, mais dès cette vie. Or, ici-bas,
les démons sont les instruments de cette purification, comme nous le voyons par
l’exemple de Job ; Ils font donc de même en purgatoire.
Cependant :
Il serait injuste que celui qui a triomphé d’un ennemi lui soit
soumis après sa victoire. Mais les âmes du purgatoire ont quitté cette vie en
état de grâce, après avoir triomphé du démon. Celui-ci a donc perdu tout
pouvoir sur elles.
Conclusion :
L’éternel châtiment des damnés sera le feu allumé par leur propre
perversité si contradictoire à la nature bonne de leur âme. Les démons n’auront
qu’un rôle accidentel en ce sens que leur présence orgueilleuse sera source de
déplaisir pour tous les damnés. De même, au purgatoire, jusque-là, c’est
l’absence du Dieu désiré et elle seule, qui purifie les élus. Elle ne requiert
pour cela le ministère des démons qui ont été vaincus par eux. Par contre, il
est possible que les bons anges soient chargés d’appliquer certaines
dispositions particulières de cette purification, en vue d’hâter le travail de
la grâce. Ce sera par exemple leur rôle que de rendre visible à l’âme en peine
les mérites et indulgences offerts par ceux qui prient pour elle depuis la
terre. Le rôle de la vierge Marie et ses saints dans ces purgatoires est
évident : lorsque le découragement et le désespoir se font sentir, ils
peuvent visiter ces âmes concentrées sur leur propre perfection et hâter leur
purification par leur manifestation bouleversante, qui manifeste clairement le
peu d’utilité de tout ce qui n’est pas l’amour de Dieu et du prochain.
Par contre, en cette terre d’ici-bas, qui est un lieu de combat,
les hommes sont frappés par les mauvais anges, leurs ennemis, comme nous le
voyons par l’exemple de Job, et par les bons anges, comme Denys l’affirme en
propres termes, et comme nous le voyons en la personne de Jacob, dont l’ange
toucha et démit la hanche, au cours de la lutte qu’il soutint avec lui
Solutions :
Elles viennent d’être données.
Objections :
1. Sainte Catherine de Gênes
écrit[1020] : « Le feu du purgatoire est différent du feu de l’enfer car, dans le
purgatoire la volonté demeure toujours bonne et soumise à Dieu ; Au lieu que
dans l’enfer les damnés étant toujours plongés dans le péché et n’étant plus
capables que Dieu verse en eux les influences de sa bonté, ils demeurent dans
le désespoir et dans une volonté mauvaise qui sera éternellement opposée à
celle de Dieu. »
2. La peine des damnés est pour
toujours puisqu’ils « iront au
feu éternel »[1021] ; le feu du purgatoire ne
dure qu’un temps. Ce n’est donc pas le même feu.
3. Même conclusion négative, du
fait que le supplice de l’enfer reçoit différents noms dans l’Écriture par
exemple[1022] : « le feu, le soufre, le vent des tempêtes etc. », tandis que celui du purgatoire, c’est uniquement le feu.
4. Selon certains auteurs, le
feu de l’enfer est la haine lancinante que les âmes éprouvent pour la Justice
de Dieu qui s’oppose à leur liberté ; le feu du purgatoire est au contraire le
désir de Dieu issu de la ferveur de la charité. Donc le feu de l’enfer et celui
du purgatoire ne sont pas les mêmes.
Cependant :
Saint Grégoire écrit[1023] : « Ainsi que dans le même feu l’or brille et la paille fume, ainsi
par le même feu le pécheur est brûlé et l’élu purifié. »
Conclusion :
Comme nous l’avons vu, le feu de l’enfer et celui du purgatoire
peuvent être entendus selon deux acceptions. En un premier sens, qui est le principal,
il s’agit d’un feu spirituel et intérieur provoqué par la séparation d’avec
Dieu. La raison en est que toute âme après la mort, par la libération du corps
et la rencontre avec Jésus, voit s’actuer le désir naturel de Dieu qui est en
elle et qui avait été étouffé par le poids de la chair et le péché. La
séparation d’avec Dieu contrarie donc cet instinct naturel de la béatitude.
Cependant, elle n’est pas voulue de la même façon par les damnés et par les
âmes saintes du purgatoire. Dans le premier cas, elle trouve son origine dans
un amour déréglé de soi qui est établi en absolu et qui les conduit à préférer
se séparer de Dieu plutôt que de se repentir. Dans le second cas, elle est
voulue relativement à un obstacle temporaire qui doit être purifié dans l’âme.
Ainsi, la séparation des damnés est causée par l’orgueil, celle des âmes du
purgatoire par la charité.[1024]
De tout cela, on doit conclure que le feu a la même origine en
enfer et au purgatoire mais n’agit pas de la même façon sur les âmes selon les paroles
de saint Grégoire : « par le même feu
le pécheur est brûlé et l’élu purifié. »
Si l’on considère en un second sens le feu du purgatoire de la même
manière que certains théologiens à savoir comme feu sensible, on est amené à la
même conclusion. La séparation de Dieu provoque dans la sensibilité une absence
de paix, des passions douloureuses. Elles sont toutefois très différentes en
enfer où sont surtout haine, fuite, tristesse, désespoir, crainte, et au
purgatoire où elles s’appellent amour, désir, tristesse, espoir, audace.
Solutions :
1. Sainte Catherine de Gênes
regarde le feu dans sa cause prise du côté de la volonté de l’homme et non dans
sa nature qui est un désir naturel de Dieu.
2. Le feu du purgatoire est
éternel quant à sa substance puisqu’il dure autant que la personne dont la vie
n’a pas de fin. Mais l’action purificatrice qu’il opère ne dure qu’un temps,
jusqu’à ce que Dieu paraisse.
3. Les peines de l’enfer n’ont
aucune finalité. Elles sont un simple effet d’une âme séparée de sa fin. On
leur donne les noms de toutes les choses qui nous font souffrir. Celles du
purgatoire ont pour but principal d’effacer les restes du péché : on leur donne
le seul nom de feu, parce que le feu purifie et consume.
4. Les damnés ne haïssent pas
Dieu en lui-même mais à cause d’un effet de sa providence qui nuit à leur
volonté orgueilleuse. En détournant leur volonté du Bien Incréé, les damnés ont
laissé pour toujours insatisfait leur désir naturel du bonheur que seul Dieu
aurait pu combler. Ils en subissent les conséquences dans leur nature par le
feu. Cette insatisfaction perpétuelle de leur âme provoque en eux la haine, de
même qu’elle provoque le désir brûlant de la charité chez les élus. La haine et
le désir sont donc des effets du feu. Cependant, si l’on insiste pour dire que
ces états de l’âme sont le feu de l’enfer et du purgatoire alors on doit
admettre que ces feux sont différents, selon l’autorité de sainte Catherine de
Gênes.
Objections :
1. Plus un être est passif,
plus la souffrance est vive, s’il a le sentiment de son mal. Or, le corps est
plus passif que l’âme séparée : le feu lui est plus contraire et agit sur lui
plus fortement ; ses souffrances doivent donc aussi être plus grandes.
2. Les souffrances du
purgatoire ont pour objet direct les péchés véniels qui sont les péchés les
plus légers et doivent donc subir la peine la plus légère, s’il est vrai que le
nombre des coups doit être proportionné à la faute.
3. La dette, qui résulte de la
faute, ne peut s’intensifier qu’avec elle. Mais une faute pardonnée ne peut
plus augmenter. Donc, celui qui a reçu le pardon d’un péché mortel, pour lequel
il n’a pas pleinement satisfait, ne voit pas sa dette augmenter à la mort Or,
en cette vie il n’était pas passible de la peine la plus grave. Donc, la peine
qu’il subira dans l’autre vie ne sera pas supérieure à toutes les peines que
l’on peut endurer ici-bas.
Cependant :
1° « Le feu du purgatoire, dit saint Augustin, fait plus souffrir
que tout ce que nous pouvons éprouver, voir ou imaginer en ce monde. »
2° C’est quand la souffrance
atteint l’être tout entier qu’elle est la plus grande. Or, l’âme séparée étant
simple, est atteinte dans sa totalité ; il n’en va pas de même pour l’homme
tant qu’il est uni à sa chair révoltée. Donc la souffrance de l’âme séparée est
supérieure ainsi à toute souffrance du corps.
Conclusion :
Il y a deux peines en purgatoire : 1° la peine du dam, l’ajournement de la vue de Dieu ; 2° La peine du sens, la souffrance qui
en découle dans l’esprit comme dans la sensibilité. Les théologiens anciens
pensèrent que le moindre degré de l’une comme de l’autre surpassait la peine la
plus grande que l’on puisse endurer ici-bas. Car, disaient-ils de la peine du
dam, plus une chose est désirée, plus son absence cruelle. Or, au sortir de ce
monde, le souverain bien excite dans les âmes justes le désir le plus intense,
parce que le poids du corps ne l’étouffe plus et qu’elle a vu l’espace de
l’heure de la mort la Lumière. De même pour eux, la peine du sens était la plus
intense : ce n’est pas la blessure mais le sentiment que l’on en a qui
cause la souffrance, celle-ci est en proportion de la sensibilité : c’est pour
cette raison que les parties du corps les plus sensibles éprouvent les
souffrances les plus vives.
Cette opinion reste vraie pour la majorité des gens que l’on
observe sur terre et qui arrivent, d’une manière ou d’une autre, à distraire le
feu des angoisses et des désespoirs.
Mais, cette opinion ne peut plus être gardée lorsqu’il s’agit des
désespérés. On ne le voyait pas au Moyen-âge pour deux raisons :
1° La séparation d’avec Dieu (le
dam) était moins ressentie dans une époque ou la foi en la vie après la mort
allait de soi et motivait la vie des gens. Mais dans un monde où des foules
humaines croient sincèrement que la mort est le néant et que tout est
finalement vain, on voit clairement que, chez un petit nombre, le feu du dam
est des plus vifs, et est source d’un total désespoir, à l’image du Christ sur
la croix lorsqu’il crie : « Mon
Dieu ! Mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
2° De même, le sentiment de ce
vide peut se révéler pour certains à ce point douloureux qu’il ne peut y avoir
pire dans l’autre monde. C’est que, dans une époque de confort, où l’homme
n’est plus endurci par la dureté de la vie face aux souffrances, certains
deviennent extrêmement sensibles à l’impact de ce feu intérieur qu’est
l’angoisse. On le voit de manière claire chez ceux qui en viennent à vouloir
détruire leur vie plutôt que de la supporter. C’est aussi pour cette raison que
la dernière génération qui vivra cette terre, sous le règne brillant au plan
matériel du dernier Antéchrist, n’aura pas à passer par la mort physique, ayant
subi du fait de l’absence du vrai Dieu et de son extrême sensibilité à
l’angoisse le plus terrible et efficace des purgatoires, les laissant pour la
plupart brisés donc tout humbles.
Ceci n’empêche pas que l’opinion des théologiens anciens reste
vraie pour l’universalité des hommes, puisque aucun homme ne pourra plus, dans
les purgatoires de l’autre monde, contourner d’une façon ou d’une autre le feu
du purgatoire déjà présent sur terre.
Solutions :
1. L’âme est moins passive que
le corps, mais elle a un sentiment plus vif de ce qui la fait pâtir, et c’est
cela surtout qui cause la souffrance.
Solutions 2 et 3 :
L’acuité des peines du purgatoire vient moins de la quantité du
péché qui est puni que de la condition de celui qui est puni : ce qui fait que
la punition du même péché est plus ressentie pour la plupart dans l’autre vie ;
de même que le condamné dont la sensibilité est plus grande souffre plus qu’un
autre, sans cependant recevoir plus de coups, et cependant, sans manquer à la
justice, le juge infligera à tous deux le même nombre de coups pour les mêmes
fautes.[1026]
Réponse aux objections en
sens contraire :
Saint Augustin parle en général, la majorité des gens arrivant en
ce monde à rendre moins sensible le feu de l’absence de Dieu soit en se
distrayant, soit en endurcissant leur sensibilité. Mais, le purgatoire pouvant
de fait se résumer à l’expérience du désespoir sensible à l’image du Christ sur
la croix, on ne peut raisonner en parlant d’un plus ou moins grand désespoir,
que ce soit en ce monde ou dans l’autre. Le désespoir, par définition, atteint
l’être tout entier puisqu’il prive l’homme ou l’âme du sentiment d’avoir un
sens à sa vie. Et c’est lui seul qui, en fin de compte, crée en l’homme « un cœur tremblant, des yeux éteints,
un souffle court.[1027] », c'est-à-dire cette kénose
si nécessaire pour voir Dieu.
Objections :
1. La peine est un mal. Dieu
qui est la bonté même ne saurait vouloir un mal pour sa créature. Donc la peine
du purgatoire n’est pas voulue par Dieu.
2. La peine du purgatoire a
deux finalités : purifier l’âme des restes du péché et satisfaire par une
pénitence pour les péchés passés. On voit mal pourquoi Dieu exige une telle
satisfaction qui relève plus d’une stricte justice vindicative que de sa bonté.
Cependant :
Sainte Catherine de Gênes écrit[1028] : « les peines du purgatoire sont reçues par l’âme comme un témoignage
de la bonté de Dieu sur elle. » Or la
volonté des âmes du purgatoire est sainte et ne saurait qu’être conforme à la
volonté de Dieu. Donc les peines du purgatoire sont voulues par Dieu.
Conclusion :
La volonté première de Dieu sur l’homme, celle qui l’a poussé à le
créer, à l’élever à la grâce, à le rétablir dans cette grâce après le péché en
s’incarnant, c’est la communication de sa bonté. Une telle communication se
réalise et s’achève par la vision de son essence. On peut donc dire que Dieu ne
veut pas, d’une manière absolue, tout mal qui s’oppose directement à son
projet, à savoir le péché contre l’Esprit Saint par lequel l’homme ou l’ange
méprisent l’amour de Dieu pour l’éternité. Si donc certains hommes se damnent à
cause de leur orgueil, Dieu ne peut vouloir directement et par soi leur
damnation. Il la permet à cause de son respect de la liberté de la créature
spirituelle qui constitue, même chez les damnés, une manifestation de sa
gloire. On peut même dire, que relativement à cette gloire, Dieu veut que le
méchant soit damné.
Quant au mal de la peine qui, chez les élus, constitue un moyen de
purification, d’illumination et de sanctification, il peut être voulu par Dieu
comme un moyen au service du bien de l’âme elle-même, en tant qu’il la prépare
à la communication de la vie éternelle. Relativement à cette finalité, le mal
de peine constitue même un bien puisqu’il en est le moyen préparatoire à la
gloire. C’est pourquoi le prophète Osée peut écrire au nom de Dieu[1029] : « Je la rendrai pareille au désert, je la réduirai en terre aride,
Je la ferai mourir de soif…pour qu’elle écarte de sa face ses
prostitutions…puis je la fiancerai à moi pour toujours. »
Solutions :
1. Dieu veut la peine du
purgatoire, non en elle-même, mais relativement au bien de l’âme. De même, une
mère veut parfois une peine pour son enfant, non à cause de la peine elle-même,
mais à cause du bien que constitue l’éducation de l’enfant.
2. Tout péché produit dans
l’ordre de la création un désordre dont les conséquences dérèglent les rapports
de l’âme avec le corps, les rapports des hommes entre eux et de l’homme avec
Dieu. Il doit être réparé par quelque chose qui rétablisse de quelque manière
l’ordre. Il convient que l’excès d’amour de soi soit compensé par l’excès
d’amour pour Dieu. C’est ce que peut réaliser la peine satisfactoire du
purgatoire offerte par charité. Mais une telle peine peut être accomplie par
d’autres que l’âme, à cause de la charité qui unit les fidèles entre eux. Nous
le verrons dans la question consacrée aux suffrages pour les défunts.
Objections :
1. Les âmes du purgatoire sont
séparées de Dieu. Or nul ne peut l’être sans s’être d’abord détourné de lui selon
cette parole d’Isaïe[1030] : « Malheur! Ils ont abandonné le Seigneur, ils se sont détournés de
lui. » Or celui qui se détourne de
Dieu ne peut être saint.
2. À cause du péché véniel qui
demeure en elles, les âmes du purgatoire ne sont pas entièrement soumises à
Dieu. Elles ne peuvent donc être qualifiées de saintes puisqu’elles restent en
quelque manière attachées à elles-mêmes. Celui qui est saint, au contraire est
totalement séparé de lui-même pour Dieu et ses frères.
Cependant :
Sainte Catherine de Gênes écrit[1031] : « la disposition des âmes du purgatoire leur vient de la grâce dont
elles sont pleines. » Donc elles sont
saintes.
Conclusion :
Comme nous l’avons vu plus haut, les âmes de ces trois degrés du purgatoire
sont provisoirement séparées de Dieu à cause d’un reste du péché qui doit être
purifié et à cause d’une peine qui reste à accomplir. Mais, soit avant la mort
soit au moment de la mort, elles se sont repenties par une contrition parfaite
de leurs péchés mortels. Elles ont reçu de Dieu la grâce du pardon et de la
sanctification. À cause de leur état de séparation d’avec le corps, les âmes du
purgatoire voient s’épanouir en elles en plénitude les dons de la vie
surnaturelle, dans la mesure tout de même où cela est conciliable avec le fait
qu’elles sont séparées de Dieu. Ainsi, les effets de ces dons en tant qu’ils
sont source de plaisir n’existent pas, mais seulement en tant qu’ils sont
source de désir brûlant.
1° Elles ont la foi et une foi
parfaite quant à ses deux objets puisque l’exercice de cette vertu a été
purifié et illuminé par la révélation du Verbe fait chair au moment de la mort.
Elles ont connaissance de Dieu par la foi, sans erreur possible sur ce qu’il
est et ce qu’il propose ; elles croient en tant que c’est Dieu qui s’est révélé
et non à cause d’une parole humaine.
2° Elles espèrent avec
certitude être sauvées, sans aucune inquiétude à cause de la promesse du
Seigneur faite lors du jugement dernier et de leur absolue confiance en la fidélité
au Seigneur.
3° Elles aiment Dieu plus que
leur propre bien-être et pour lui-même par la vertu de la charité et elles
aiment le prochain à cause de Dieu. L’exercice de cette charité est propre à
leur état d’âme séparée de la chair puisqu’elles peuvent perpétuellement
maintenir en acte leur attention fixée en Dieu, par une prière continuelle qui
ne peut exister sur terre à cause des multiples occupations auxquelles nous
sommes tenus et à cause des exigences du corps. D’autre part, la ferveur de
cette prière est incomparable à celle de la terre, non parce que la charité est
plus grande mais parce qu’aucun obstacle ne peut en appesantir l’exercice.
4° Les dons du Saint-Esprit
qui disposent l’âme à être mue directement et avec facilité par les influx divins
sont présents.
Cependant, à cause des restes du péché, l’âme oppose une certaine
résistance à leur parfait exercice. Elle a tendance à ne pas suivre
immuablement l’instinct divin mais à se fier davantage à sa propre raison. Et
c’est par rapport à cet exercice parfait de la charité réalisé par les sept
dons du Saint Esprit qu’il est nécessaire que soit réalisée une purification.
Mais une telle imperfection ne s’oppose pas à la sainteté de l’âme puisqu’on la
voit chez les saints. Elle s’oppose à la sainteté parfaite qui est nécessaire[1032] pour être introduit dans la
gloire où Dieu prend entièrement possession de l’âme.
Solutions :
1. Les âmes du purgatoire ne
sont pas entièrement séparées de Dieu puisqu’elles lui sont unies par la
charité et les dons du Saint Esprit. Elles sont seulement séparées
provisoirement de la vision de son essence et de la possession de sa présence.
De même qu’on ne peut pas dire qu’un ami est séparé de celui qu’il aime parce
qu’ils sont provisoirement situés dans deux lieux différents, de même on ne
peut pas dire que les âmes du purgatoire sont totalement séparées de Dieu.
L’objection ne s’applique pas à ces âmes mais seulement aux damnés.
2. Un objet est qualifié de
saint lorsqu’il est député par une consécration au service exclusif de Dieu.
Cependant, il n’a pas besoin pour rester saint d’être actuellement et à chaque
instant en acte de service de Dieu. De même un homme sur la terre est qualifié
de saint parce que son intention est habituellement fixée sur Dieu, au point
qu’il ne fera jamais rien d’explicitement contraire à cette intention. Mais il
n’a pas besoin d’être à chaque instant dans la pensée de Dieu. Il lui suffit de
l’être habituellement. La sainteté des âmes du purgatoire est plus parfaite que
celle des hommes sur la terre puisqu’elles ne peuvent plus pécher et peuvent à
chaque instant demeurer dans la pensée de Dieu. Le fait qu’il leur demeure
quelque purification à apporter du côté de leur âme s’oppose seulement à la
sainteté absolue de la gloire et non à la sainteté en soi.
Objections :
1. Comme on vient de le
montrer, les âmes du purgatoire résistent à l’impulsion des dons du
Saint-Esprit, à cause des restes du péché qui les inclinent davantage à faire
confiance à leur propre raison qu’aux impulsions divines. Elles ne sont donc
pas soumises à la volonté de Dieu.
2. Les âmes du purgatoire ne
veulent pas de la souffrance du feu puisqu’elles demandent à en être délivrées.
Or Dieu veut pour elles cette peine comme nous l’avons montré. Elles ne sont
donc pas soumises à la volonté de Dieu.
Cependant :
Nul ne peut être saint si sa volonté n’est soumise à celle de
Dieu.
Conclusion :
Être soumis à la volonté de Dieu peut signifier deux choses :
1° vouloir ce que Dieu veut
d’une manière habituelle, c’est-à-dire être prêt par l’intention à ne rien
vouloir ni ne rien faire en dehors de ce que Dieu demande. Les âmes du
purgatoire, sous ce rapport sont soumises à la volonté de Dieu puisqu’elles ont
la charité qui est le résumé de tous les commandements de Dieu selon saint
Matthieu[1033].
2° Réaliser cette volonté de
Dieu jusqu’à devenir pour Dieu un instrument docile de sa volonté, parfaitement
apte à être mu par ses impulsions. Une telle soumission n’appartient pas aux
âmes du purgatoire à cause des restes du péché qui les attache encore à
elles-mêmes. Mais cette seconde soumission est acquise à travers les
purifications du feu.
Solutions :
1. Ce qui est essentiel à la
soumission d’un serviteur, c’est que sa volonté soit disposée à se modeler sur
la volonté de son maître. La rapidité avec laquelle il exécute l’ordre reçu
n’est que la perfection secondaire de la soumission.
2. Les âmes du purgatoire ne
veulent pas des souffrances en tant qu’elles sont des maux ; mais elles les
veulent relativement au bien qui se réalise par elles. En ce sens, elles sont
parfaitement en conformité avec la volonté de Dieu qui ne veut le mal de peine
qu’à cause d’un bien qui lui est attaché. Et leur volonté est à ce point
conforme à celle de Dieu qu’elles désirent elles-mêmes se plonger dans la
solitude du purgatoire en même temps que Dieu le fait lui-même.
Objections :
1. Les âmes du purgatoire ont
une volonté droite. Or, la rectitude de la volonté consiste dans sa conformité
à la volonté divine. Dès lors, puisque Dieu veut qu’elles soient punies, elles
le veulent donc pareillement.
2. Tout homme sage veut le
moyen nécessaire de parvenir à la fin qu’il veut. Or, les âmes du purgatoire
savent que leurs souffrances sont le chemin de la gloire ; Elles veulent donc
souffrir.
Cependant :
On ne demande pas à être délivré d’une peine que l’on subit
volontairement. Or, les âmes du purgatoire demandent leur délivrance, comme
saint Grégoire en cite de nombreux exemples. Leurs souffrances ne sont donc pas
volontaires.
Conclusion :
Une chose peut être dite volontaire de deux manières. 1° D’une volonté absolue ; ainsi,
aucune peine n’est volontaire, puisqu’il est de sa raison même qu’elle soit
contraire à la volonté. 2° D’une
volonté conditionnelle, ainsi une brûlure est volontaire en vue d’une plaie à
guérir. Ici deux cas se présentent. Dans le premier, la peine fait acquérir un
bien, et, à cause de cela, la volonté la recherche, comme dans la satisfaction
; ou encore, l’accepte volontiers et ne voudrait pas en être privée, comme dans
le martyre. Dans le second, la peine ne mérite pas un bien, mais elle est le
moyen d’y parvenir : ainsi en est-il de la mort. Cette peine, la volonté ne la
recherche pas, elle voudrait en être délivrée, mais elle la supporte, et, pour
autant, cette souffrance est dite volontaire. C’est en ce sens que les
souffrances du purgatoire sont volontaires.
Certains auteurs prétendent qu’elles ne le sont en aucune façon ;
car, disent-ils, les âmes du purgatoire sont tellement absorbées par elles
qu’elles ignorent qu’il s’agit d’une purification et se croient damnées. Cette
opinion est erronée ; car si ces âmes ne savaient pas qu’elles dussent être
délivrées, elles ne solliciteraient pas nos suffrages, comme il leur arrive
souvent de le faire.
Solutions :
1. Elles viennent d’être
données.
Objection l :
Les âmes du purgatoire peuvent au moins commettre des péchés
véniels puisqu’elles doivent s’en purifier.
2. Au purgatoire, les âmes ne
sont pas en présence de l’essence divine. Elles ne sont donc pas comme les âmes
du paradis qui ne peuvent se détourner de Dieu à cause du fait qu’il est
l’essence même de la bonté. Au contraire, les âmes du purgatoire sont dans
l’obscurité d’une prison et elles sont soumises aux pires tourments. Elles
peuvent, à cause de ces tourments qui s’opposent à leur volonté, se détourner
de Dieu qui en est la cause. Elles peuvent donc pécher.
3. C’est une condition de la liberté de pouvoir se détourner d’un bien
pour en poursuivre un autre. Or les âmes du purgatoire gardent leur libre
arbitre. Elles peuvent donc se séparer de Dieu.
Cependant :
Sainte Catherine de Gênes écrit[1035] : « les âmes du purgatoire ne peuvent plus pécher. » De même Léon X condamne formellement
la proposition suivante[1036] : « les âmes du purgatoire ne cessent de pécher aussi longtemps
qu’elles cherchent le repos et ont horreur de peine. »
Conclusion :
Que les âmes du purgatoire ne puissent plus pécher, c’est à cause
de l’état de leur nature qui est séparée de la fragilité des conséquences du
péché originel et de la perfection du choix de l’heure de leur mort, comme nous
l’avons vu. Que l’homme puisse tant qu’il est sur la terre se convertir sans
cesse vers des biens opposés, cela tient à la condition de son intelligence
qui, étant liée à une sensibilité blessée, ne saisit qu’avec peine et par étape
la bonté des réalités ; cela tient aussi à la condition de la volonté qui peut
se porter vers un bien relatif en se laissant entraîner par les désirs du corps
et cela malgré l’intelligence qui peut savoir qu’il y a là un péché. On le voit
chez les alcooliques qui boivent bien qu’ils sachent que l’alcool est un mal
pour eux. Mais une fois libérée de ces peines dues au péché originel, une fois
restaurée dans la plénitude de ses moyens, toute ignorance de l’intelligence et
toute faiblesse de la sensibilité disparaît. Aussi, celui qui se porte une fois
vers la fin éternelle ne peut s’en détourner car c’est en pleine possession de
lui qu’il a choisi ce bien pour sa fin ultime.
Solutions :
1. Les âmes du purgatoire ne
commettent aucun péché véniel volontaire puisqu’elles haïssent ces péchés qui
sont pour elles la cause de leur séparation provisoire du Dieu qu’elles aiment.
Mais elles commettent des péchés véniels involontaires à cause des restes du
péché passé qui maintiennent leur volonté vicieusement et involontairement
attachée à elle-même. Ainsi, elles aiment mal. Elles n’aiment pas de manière
humble (kénose) et n’arrivent pas à dire : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement
une parole et je serai guéri. » Le
temps seul peut, dans l’attente laminante de la venue de Jésus, les délivrer de
ce défaut.
2. Les tourments du purgatoire
sont eux-mêmes voulus et choisis par l’âme en tant qu’elle sait qu’ils la
conduiront à l’union à Dieu. Ils ne peuvent donc en aucune manière la détourner
de Dieu.
3. La liberté est une propriété
de l’esprit quand il se porte vers un bien en pleine connaissance et sans que
sa volonté y soit poussée de l’extérieur. C’est de cette façon là que l’âme du
purgatoire reste immuablement fixée en Dieu, de même que l’âme du damné reste
fixée en elle-même. Que nos intentions de la terre puissent se porter
successivement sur diverses fins contradictoires, cela tient aux limites de la
liberté conditionnée par l’erreur, le poids du corps, du monde et l’influence
du démon.
Objections :
1. Cela semble possible : le
mérite se prend de l’augmentation de la charité. Or l’âme, après la mort, peut
aimer davantage Dieu puisqu’elle progresse jusqu’à la disparition des péchés
véniels. Donc la charité peut augmenter au purgatoire.
2. Les âmes de ces purgatoires
souffrent et offrent à Dieu leur souffrance. Un tel acte est difficile et
mérite donc une récompense supplémentaire comme une augmentation de la charité.
3. Les âmes de ces purgatoires
passent leur temps à lutter contre les restes du péché qu’elles discernent en
elles. Tout combat mené par amour pour Dieu mérite de sa part une récompense,
c’est-à-dire une augmentation de la charité. Donc les âmes de ces purgatoires
peuvent mériter.
Cependant :
Jésus dit dans la parabole des talents[1037] : « Après un long temps, le maître de ces serviteurs arrive et il
règle ses comptes avec eux. » Or,
avant l’arrivée du maître, les serviteurs faisaient fructifier leurs talents.
Il en est de même pour le mérite. Après la venue du Seigneur, il n’est plus
temps de les augmenter mais seulement d’en recevoir la récompense.
Conclusion :
Comme on l’a vu dans la deuxième partie, le mérite est
proportionnel à la charité puisque Dieu veut qu’une âme reçoive la proportion
de gloire qui dépend de l’amour qu’elle a pour lui. Ainsi, plus la charité
augmente dans une âme, plus elle reçoit de Dieu une claire vison de son
essence.
Tant qu’il est sur la terre, un homme peut progresser dans la
charité comme on le voit chez les païens de bonne volonté dont l’intention est
de plus en plus désireuse d’aimer (il s’agit d’une disposition à entrer dans la
charité quand elle leur sera proposée) ou chez les chrétiens qui aiment de plus
en plus Dieu et le prochain. Cette augmentation se réalise en eux
essentiellement par le fait que la vertu de charité prend de plus en plus
possession de son sujet qui est la volonté et non parce que cette vertu
elle-même s’augmente par addition. Une telle augmentation est d’abord réalisée
par Dieu lui-même qui est l’auteur de l’infusion dans l’âme de cette vertu
surnaturelle. Du côté de l’homme sur la terre, il peut y avoir disposition à
l’accroissement de la charité en tant que, par un acte de charité, l’homme se
rend plus prompt à agir de nouveau sous l’inspiration de cette vertu ; puis la
facilité de renouveler cet acte venant à s’accentuer, l’homme voit la vertu
théologale prendre davantage possession de ces actes et lui permettre de
s’élancer vers un acte d’amour plus fervent. Cet acte plus fervent mérite à la
mort un don de gloire plus grand puisque chacun méritera d’être comblé en
proportion de sa charité.
Après la mort, l’homme n’est plus en état de progresser dans la
charité et cela pour deux raisons :
1° Principalement à cause de
son état nouveau. Le temps de la faiblesse de la chair et de l’ignorance de
l’intelligence se termine. L’apparition glorieuse du Messie fait que l’âme se
porte vers sa fin tout entière et d’un seul coup, de toute la capacité dont
elle est capable. Elle aime donc Dieu avec toute la potentialité de la vertu de
charité préparée à titre de disposition durant sa vie terrestre et souvent
reçue à ce moment. Elle se porte vers Dieu de toutes ses forces car il n’y a de
mesure à cet acte que la dimension de sa capacité à désirer.
2° À cause de la volonté de
Dieu qui a fixé que l’homme entrerait en possession de sa fin au terme de la
vie terrestre. C’est pourquoi il appartient à la charité de la terre, celle qui
est en état de voie vers l’obtention de la béatitude finale de mériter ; quant
à la charité du terme de la vie, il lui appartient d’entrer en possession de
cette fin aussi elle ne mérite plus mais reçoit sa récompense.
Solutions :
1. Le purgatoire ne permet pas
à l’âme d’augmenter sa charité en ce sens qu’elle aimerait davantage Dieu au
terme de la purification qu’au début. En effet, dès l’entrée dans la mort,
l’âme aime Dieu selon la mesure parfaite de la charité atteinte durant sa vie
terrestre (parousie incluse). La purification détruit certains obstacles qui
rendent peu aisé l’exercice de cette charité. Ces obstacles sont les restes du
péché déjà pardonné dont nous avons parlé plus haut.
2. Le fait que les âmes du
purgatoire offrent leurs souffrances à Dieu ne prouve pas qu’elles puissent
augmenter la charité en elles mais seulement qu’elles aiment Dieu plus que leur
propre bonheur. Sur la terre et dans le passage de la mort, une telle offrande
leur vaudrait de la part de Dieu une augmentation de la charité car les âmes
sont en état de voie. À cause de la nuit où vit l’intelligence, du silence de
Dieu, il est possible à l’homme d’aimer plus que de raison, d’aimer jusqu’à
donner sa vie et au delà de la compréhension. Ce n’est pas le cas des âmes du
purgatoire qui ont vu la lumière et aiment de toute la mesure de ce qu’elles en
ont compris et désiré. Leur charité est ordonnée à recevoir immédiatement la
gloire finale.
3. Il existe sur la terre deux
manières de travailler à la purification de son âme :
1° une manière active lorsque
l’on prend soi-même l’initiative de l’ascèse à travers des actes et des
exercices volontaires. Ainsi, l’homme qui s’astreint à la prière, à la
pénitence et à l’attention active à son prochain à cause de l’amour qu’il a
pour Dieu se dispose activement à la croissance de la charité.
2° une manière passive :
l’Esprit Saint prend lui-même l’initiative de nous purifier à travers les
multiples épreuves de notre vie. C’est uniquement de cette manière que l’âme du
purgatoire est purifiée. En effet, nous avons montré que pour ce qui est de son
activité propre, rien ne peut plus progresser en elle : elle aime Dieu de toute
la force de sa charité, à chaque instant et dès le premier moment de son entrée
au purgatoire. L’âme ne peut donc rien de plus que ce qu’elle a déjà pour hâter
sa purification. Celle-ci se réalise sans qu’elle n’y puisse rien, par l’action
de cette charité qui, dans la durée, s’insinue petit à petit et transforme
l’intelligence et la volonté. Il s’agit d’une purification passive.
Objections :
1. Nous avons montré que les
âmes du purgatoire sont dans une affliction extrême. Elles ne peuvent donc être
en même temps dans la joie, car la joie et la douleur sont opposées l’une à
l’autre.
2. La souffrance des âmes du
purgatoire dépasse ce qui existe sur terre. Or il peut exister sur terre des
souffrances sans aucun mélange de joie et de paix comme on le voit chez les
désespérés. Donc l’âme du purgatoire ne peut être dans la joie et la paix.
3. Aristote dit que la
tristesse violente empêche non seulement la délectation qui lui est directement
opposée, mais encore n’importe quelle délectation ; et réciproquement la joie
par rapport à la tristesse. Or la douleur des âmes du purgatoire est la plus
aiguë de toutes. Elles ne peuvent donc être en même temps dans la joie.
Cependant :
Sainte Catherine de Gênes écrit : « les âmes du purgatoire ont un plaisir et une satisfaction qui se
mêle parmi leur souffrance. »
Conclusion :
C’est par une même cause que les âmes du purgatoire sont dans la souffrance
et la joie. La cause en est la charité parfaite qui se trouve en elles : En
tant que leur volonté est conforme à celle de Dieu, elles sont dans la joie ;
en tant qu’il reste en elles un reste du péché, elles souffrent.
Le lien de la charité qui les unit à Dieu est source en elles de
paix car leurs affections sont unies dans la recherche d’un seul bien. Elle est
aussi source de joie puisqu’elles sont déjà unies à lui dans l’espérance.
Ainsi, se trouvant exemptes de tout péché et unies à Dieu par la conformité de
leur volonté à la sienne, elles le contemplent de loin, selon le degré de
connaissance qui leur est donné et elles comprennent de quelle importance est
la pleine et parfaite jouissance qui leur a été promise et qui leur sera donnée
au jour de leur entrée dans la gloire. Cette certitude de voir un jour
l’essence divine les plonge dans une stabilité totale et supprime toute
inquiétude par rapport à leur salut.
C’est aussi le lien de la charité qui est source en elles de
souffrance mais pour un autre motif, c’est-à-dire en tant que leur union
définitive à Dieu n’est pas encore réalisée.
Solutions :
1. La joie et la paix ne sont
pas directement contraires chez les âmes du purgatoire à la souffrance car
l’une et l’autre n’ont pas le même motif, même si elles procèdent du même amour
de charité. Rien n’empêche en effet que les contraires existent dans un même
être quand ils ne portent pas sur un même objet. Ainsi la joie et la paix
existent en tant que l’âme est déjà selon l’intention unie à Dieu par la
charité, et la douleur en tant qu’elle en est de fait séparée pour un temps et
e souffre par la charité.
2. La souffrance des désespérés
telle qu’on la voit sur terre est plus forte que celle des âmes du purgatoire,
car il y a plus de souffrance dans le fait de ne plus avoir de finalité que
dans celui d’en avoir une et d’en être séparé pour un temps. La souffrance de
ces désespérés n’est pourtant pas comparable à celle des âmes de l’enfer dont
la désespérance est volontaire, tandis que leur désespoir vient d’une ignorance
non volontaire des volontés de Dieu sur elles qui, par son silence, prépare
efficacement leur âme en vue du salut à venir.
3. Aristote regarde la
tristesse en tant qu’elle est une passion de la sensibilité. Une passion trop
forte peut supprimer tout autre acte de l’âme car elle attire à elle toutes les
énergies vitales. Au purgatoire, les passions n’existent pas de manière
incontrôlée comme sur terre puisque l’âme a été délivrée du foyer du péché. La
douleur du purgatoire est donc un acte de la volonté qui est séparée de son
bien. Rien n’empêche qu’elle s’accompagne de la joie et de la paix à condition
que ce soit sous un autre rapport saisi par l’intelligence.
Objections :
1. Cela ne semble pas possible.
Nous avons montré que les âmes de l’au-delà, avant leur entrée dans le Ciel,
sont incapables par nature de voir ce que nous faisons sur la terre[1038]. Elles ne peuvent donc
connaître nos désirs et nos soucis. En conséquence, elles ne peuvent prier pour
nous.
2. Selon l’opinion commune, la
souffrance des âmes du purgatoire est la plus intense qu’on puisse imaginer à
cause de leur intense désir de voir Dieu que frustre leur isolement absolu. Or
l’expérience montre que celui qui souffre trop est incapable de s’occuper
d’autre chose que sa souffrance. Donc les âmes du purgatoire sont dans
l’incapacité de prier pour nous
Cependant :
Les âmes du purgatoire sont emplies de charité. Or l’un des exercices
essentiel de la charité fraternelle consiste à prier pour ceux qui en ont
besoin. Donc les âmes du purgatoire peuvent prier pour nous. Nous en avons un
exemple dans l’histoire de l’homme riche rapportée par Jésus[1039] : dans le lieu de torture
où il séjourne, il supplie Abraham pour ses frères.
Conclusion :
Saint Alphonse de Ligori résout ainsi cette question[1040] : « On discute s’il est expédient de se recommander aux âmes du
purgatoire. D’aucuns soutiennent que les âmes en expiation ne peuvent prier
pour nous. Ils y sont amenés par l’autorité de saint Thomas d’Aquin qui
enseigne que ces âmes, étant là pour se purifier au sein des peines nous sont
inférieures et, pourtant, ne sont pas en situation de prier, mais plutôt de
bénéficier de nos prières. Mais de nombreux autres docteurs, comme saint
Bellarmin, Silvius, le cardinal Gotti, Lessius, Medina affirment avec beaucoup
plus de probabilité : on doit le croire pieusement, Dieu leur manifeste nos
prières afin que ces saintes âmes intercèdent pour nous et qu’ainsi entre elles
et nous soit conservé ce bel échange de charité ; Elles prient pour nous et
nous prions pour elles. »
Solutions :
1. Il est vrai
qu’ordinairement, les âmes du purgatoire ignorent nos prières. C’est pourquoi
l’Église n’a pas coutume de les invoquer et d’implorer leur intercession. Mais
on croit pieusement, comme nous avons dit, que Dieu leur manifeste souvent nos
prières et que cela hâte leur purification. Et alors elles, toutes remplies de
charité, ne négligent certainement pas de prier pour nous. Sainte Catherine de
Bologne désirait-elle quelque grâce, elle recourait aux âmes du purgatoire et,
vite, se voyait exaucée. Et même elle attestait que beaucoup de grâces obtenues
par l’intercession des saints, elles les avaient ensuite reçues par l’intermédiaire
des âmes du purgatoire.
2. Aux dires de Sylvius et de Gotti, l’allégation de saint Thomas
d’Aquin d’après laquelle les âmes en expiation ne sont pas en état de prier, ne
fait pas obstacle au fait qu’elles prient réellement pour nous. Car autre chose
est de ne pas se trouver en état de prier et autre chose de ne pas pouvoir
prier. C’est vrai, ces âmes saintes ne sont pas en état de prier parce que,
comme le dit saint Thomas, se trouvant là pour souffrir, elles nous sont
inférieures, ayant plutôt besoin de nos prières. Néanmoins, en une telle
situation, elles peuvent bien prier, étant des âmes amies de Dieu. Si un père,
malgré son tendre amour pour son fils, le tenait en prison, en punition d’être
tombé en quelque faute, le fils alors, ne serait certes pas en situation de
prier. Mais pourquoi serait-il incapable de prier pour les autres, avec
l’espoir d’obtenir ce qu’il demande, sachant l’affection que lui porte son père
? Les âmes du purgatoire étant ainsi très aimées de Dieu et confirmées en grâce,
il n’existe aucun empêchement leur interdisant de prier pour nous[1041].
A propos des effets du purgatoire, quatre questions sont posées
1° Le péché véniel comme péché
véniel est-il expié par souffrances du purgatoire ?
2° Est-ce
principalement l’humilité qui est purifiée au purgatoire jusqu’à devenir une
kénose ?
3° Les flammes du purgatoire
libèrent-elles de la peine due au péché ?
4° Les âmes du purgatoire sont-elles
délivrées plus vite les unes que les autres ?
5° Les demeures du « Château intérieur » de sainte Thérèse d’Avila
permettent-elles de comprendre ces trois purgatoires ?
Objections :
1. La Glose semble le nier : « Ce qui n’a pas été amendé en cette
vie, c’est en vain qu’on en demande le pardon après la mort. »
2. Tomber dans le péché et en
être délivré sont corrélatifs. Or, l’âme, après la mort, ne peut plus commettre
de péché véniel. Elle ne peut donc pas davantage en être absoute.
3. Saint Grégoire dit que l’âme
sera, au jugement, telle qu’elle est sortie du corps, car l’arbre demeure où il
est tombé. Si donc elle avait le péché véniel, au sortir de ce monde, elle
l’aura encore au jugement, et le purgatoire ne l’aura point expié.
4. Le péché actuel n’est effacé
que par la contrition. Mais, après cette vie, il n’y a plus de contrition, qui
est un acte méritoire, puisque alors on ne peut plus ni mériter ni démériter,
selon le principe posé par saint Damascène : « La mort est pour les hommes ce que fut la chute pour les anges. »
5. La cause du péché véniel,
c’est le foyer de convoitise ; aussi, dans l’état primitif, Adam n’aurait pu
pécher véniellement. Mais la convoitise, dont le foyer, justement appelé
"la loi de la chair », est
détruit par la mort, n’existe plus dans l’âme séparée. Le péché véniel n’y peut
donc plus être, ni non plus être expié par le feu du purgatoire.
6. D’après le Père Marie-Eugène
de l’enfant-Jésus[1042], le purgatoire est source
de deux effets : 1° une purification
morale qui amène la personne à se refuser à toute infidélité volontaire,
vénielle ou mortelle 2° un
retournement psychologique qui adapte les facultés aux emprises de plus en plus
aisées de la charité. Or ces deux effets ne concordent pas avec ceux énoncés
dans la réponse.
Cependant :
L’autorité de l’Église enseigne à travers le pape Innocent IV[1043] : « Les orthodoxes grecs eux-mêmes croient et affirment en toute
vérité et certitude que les âmes de ceux qui meurent après avoir reçu la
pénitence, mais sans l’avoir accomplie ou qui meurent exempts de péchés
mortels, mais avec des péchés véniels et minimes, sont purifiées après la mort
et peuvent être aidées par les prières de l’Église. » Donc les péchés véniels sont remis au purgatoire.
Conclusion :
Certains auteurs ont prétendu que, dans l’autre monde aucun péché,
comme péché, n’était remis. Nous avons montré que cette opinion ne peut
convenir selon la lettre des Écritures[1044] : « Tout péché et blasphème sera remis aux hommes (...) dans ce monde
et dans l’autre sauf le blasphème contre le Saint Esprit. » Elle ne convient pas non plus selon son esprit : il serait
aberrant d’affirmer que celui qui s’endort le soir en ayant omis de demander
pardon pour un péché serait damné sans rémission possible s’il venait à mourir
dans son sommeil. Dieu nous a manifesté suffisamment à la croix que son amour
n’est pas un piège.
Nous avons montré d’autre part qu’il est impossible qu’après la
mort, lorsque le pécheur repentant et sauvé s’est tourné vers Dieu, il subsiste
en lui un seul péché véniel volontaire. Le péché mortel a, quant à lui, disparu
complètement. C’est la conséquence première de toute conversion à la charité. L’âme
est en effet toute tournée vers Dieu et rien, aussi bien dans ses intentions
que dans ses actes intérieurs n’est fait en dehors de Dieu. Cette vie
spirituelle s’accomplit d’une manière nouvelle car, avec la dissolution du
corps, le foyer du péché conséquence du péché originel, a disparu. Il ne reste
donc plus dans l’âme que des vestiges de son ancienne vie de péché, à savoir
des orientations vicieuses de la volonté qui, ayant cherché pendant trop
longtemps son propre bien, a du mal à se livrer entièrement et simplement à
l’amour de Dieu et du prochain. Ces habitus vicieux de la volonté n’affectent
pas ses intentions mais seulement la qualité de l’exercice de ses actes. Il
s’agit d’un désordre involontaire dans l’âme. Celle-ci voudrait bien aimer
d’une façon totalement spontanée mais elle n’y peut rien changer. Seul le temps
du purgatoire pourra, lentement et dans le Saint Esprit, réaliser cette œuvre
divine. Il s’agit donc d’un péché véniel passif et non volontaire. C’est lui
qui, comme tel, est détruit par les souffrances du purgatoire.
Dans le purgatoire, une autre purification doit être réalisée avec
celle de la volonté : l’intelligence aussi, marqué par la vie le péché, peut
avoir du mal à comprendre d’une manière pratique les exigences d’une vie tout orientée
dans le sens de la charité. Nous avons montré que, dans le moment de la mort,
l’intelligence perçoit dans l’apparition glorieuse du Christ, tout ce qui lui
est nécessaire pour l’orientation définitive qu’elle aura à effectuer vers le
Bien ou vers le mal. Cette connaissance est spéculative au sens littéral du mot
(speculum) puisqu’elle est vue comme dans un miroir dans le Christ. Il se peut
cependant qu’elle n’ait pas converti entièrement l’intelligence pratique.
Celle-ci, peu familiarisée avec les exigences d’un amour absolu, peut avoir des
difficultés à en percevoir toutes les implications délicates. Seul
l’apprentissage réalisé dans le temps du purgatoire, peut arriver à la faire
progresser de demeures en demeures, jusqu’à la rendre totalement et aisément
obéissante à Dieu.[1045]
Solutions :
1. Cette glose est à prendre
avec prudence. Elle tend à montrer qu’en enfer les âmes demandent pardon à Dieu
mais que celui-ci se montre sourd à leurs appels. Nous avons montré qu’aucune âme
ne demande jamais pardon à Dieu en enfer. Si, par hypothèse impossible, cela se
produisait, Dieu comblerait aussitôt cette âme de la grâce de son amitié. Tout
le mystère de la croix signifie et révèle cette disposition de Dieu qui
pardonne tout péché dès qu’il est regretté.
2. Il faut distinguer le péché
véniel actif qui est volontaire (comme lorsque par exemple, voulant aimer Dieu
et le prier, on se complaît malgré tout dans des distractions à l’oraison) du
péché véniel passif qui n’est pas volontaire mais peut-être constitué par
n’importe quelle imperfection des actes moraux. Si le foyer du péché disparaît
avec la mort, les habitus vicieux de l’intelligence et de la volonté peuvent
demeurer, même après la conversion.
3. Après la mort et la manifestation
du Christ, l’âme demeure pour toujours semblable quant à l’orientation de son
intention comme nous l’avons suffisamment montré. La disparition des péchés
véniels ne change pas l’état de l’âme, car ils n’enlèvent ni ne diminuent la
charité qui est la mesure de sa valeur surnaturelle. Donc, qu’ils soient remis
ou non, l’âme demeure la même.
4. Après la mort, l’âme ne peut
plus mériter quant à la récompense essentielle. Mais tant que l’homme n’est pas
au terme, il peut mériter par rapport à quelque chose d’accidentel ; c’est
ainsi que, au purgatoire, il peut y avoir des actes qui méritent la rémission
du péché véniel.
5. Le péché véniel a son
principe dans le foyer de convoitise mais il a sa consommation dans l’esprit.
Il peut donc y demeurer, même après que le foyer a été détruit.
6. Il s’agit ici des effets de
la purification telle qu’elle est accomplie ici sur la terre dans les sommets
de la vie mystique (sixième demeure). En effet, arrivé à ce degré d’union à
Dieu, le chrétien n’éprouve plus d’attraits pour le péché. Sa volonté est
tournée tout entière vers l’unique recherche de l’amour de charité. C’est le
premier effet cité par le père Marie-Eugène de l’Enfant Jésus. Quant au
retournement psychologique, il correspond à une modification de l’action de
Dieu qui, compte tenu des purifications précédentes, peut s’exercer selon un
mode nouveau : Dieu, dans cet état, commence à infuser ses lumières à l’esprit
directement sans passer par les sens qui, habituellement nourrissent
l’intelligence par l’apport des images.
A l’heure de la mort et lorsque l’âme se tourne vers le bien, ces
deux purifications sont réalisées instantanément : 1° La conversion radicale qui accompagne la vision de la gloire du
Christ et de ses saints ne permet plus de croissance de l’amour tant l’esprit
se trouve aspiré selon toutes les forces dont il est capable et d’un seul coup
vers les biens éternels. C’est pourquoi il ne peut plus exister de péché
volontaire ni véniel ni mortel dans les trois purgatoires mystiques. 2° Quant au retournement psychologique,
il accompagne avec nécessité la mort du corps puisque l’âme se trouvant séparée
de son corps ne peut plus exercer ses activités spirituelles avec l’aide des
images qui ont disparues. Nous avons montré que l’intelligence s’exerce alors
selon le mode des anges. La seule purification possible ne concerne donc pas la
croissance de l’amour mais seulement la simplification de son élan.
Objections :
1. On ne peut pas dire que, parmi le péché véniel purifié dans ces
purgatoires est principalement l’humilité, qui est conduite à un degré qu’on
appelle une kénose. En effet, le fait d’être humble n’implique pas de
péché, même véniel. C’est au contraire une disposition positive de l’âme au
salut. Donc l’humilité n’a pas à être perfectionnée.
2. On prétend
que cette kénose est nécessaire à l’homme parce que Dieu est, dans sa vie
Trinitaire, kénose. Mais comment attribuer à la Trinité éternelle, dans sa
perfection infinie, une propriété immanente impliquant une "petitesse », à savoir une kénose intra
trinitaire ? C’est contradictoire.
3. Si
Adam et Eve n’avaient pas péché, ils seraient entrés dans la Vision béatifique
sans connaître de souffrance, et donc sans vivre le désespoir du Christ à la
croix : «
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Or ils seraient tout de même entrés dans la vision béatifique.
Donc la mort à soi-même n’est pas nécessaire à la béatitude et elle ne
nécessite pas un purgatoire spécial.
4. On
peut faire une objection semblable pour les anges, qui n’ont jamais connu de
kénose et ont vu Dieu.
5. Beaucoup
d’hommes sur terre connaissent le désespoir, même sans être chrétiens. Eux aussi
vivent donc une kénose, sans pourtant vivre de la charité. Or, s’ils n’entrent
pas dans la vie de charité à l’heure de leur mort, ils seront damnés. Donc
cette notion de kénose n’a pas de rapport avec le salut.
Cependant :
Le livre de l’Exode 33, 20
explique : « Tu ne peux pas voir
ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. » Dieu qui est Esprit évoque une mort spirituelle à soi-même, à
toutes ses richesses et attaches. Or nous avons montré[1046] que, au début de ces trois purgatoires, l’âme désire devenir
digne de Dieu par amour pour Dieu. A la fin de ces purgatoires, l’âme
découragée par la durée de ses efforts et par son impuissance, reconnaît
qu’elle ne sera jamais digne de recevoir un tel Sauveur[1047]. Or il s’agit là d’un progrès dans l’humilité. De plus, cette
conscience est vécue dans la douleur et l’attente jusqu’au désespoir,
c’est-à-dire jusqu’à la mort à soi-même. C’est donc bien une kénose que produit le dernier purgatoire avant
l’entrée dans la gloire.
Conclusion :
La kénose
est une notion de théologie chrétienne exprimée par un passage de l'épître de
saint Paul aux Philippiens[1048] : « Lui,
de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.
Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant
semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus
encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix! »
La kénose
désigne le mouvement d'abaissement par lequel Jésus Christ « se vida » de ses
attributs divins pour rejoindre notre humanité jusqu'à vivre l'obéissance de la
mort sur la croix. Ce mot théologique n'a pas d'usage dans le langage commun
car on n'observe pas habituellement, dans le comportement humain, un supérieur
qui s'abaisserait devant un inférieur de cette manière[1049] : « Jésus
se lève de table, dépose ses vêtements, et prenant un linge, il
s'en ceignit. Puis il met de l'eau dans un bassin et il commença à laver les
pieds des disciples. »
Si Jésus
fait un tel geste et l’achève à la croix, c’est non seulement pour nous indiquer
notre comportement, mais c’est aussi pour révéler quelque chose d’essentiel du
mystère de la vie trinitaire puisqu’il dit[1050] : « Qui
m’a vu a vu le Père. » Il révèle une propriété de sa divinité qui,
dans ses relations intra trinitaires, vit une "kénose" mutuelle et
éternelle, qui est jaillissement de connaissance et d'amour. Le Père n’existe
que par le Fils, de même qu’il n’y a jamais de père s’il n’a un fils. Dans la
Trinité, le Père n'est que relation subsistante au Fils (et réciproquement). Il
est dans une relation de don et d’oubli total de soi dans l’autre.
C'est
cette propriété immanente de la vie trinitaire qui explique pourquoi, pour voir
Dieu face à face, outre l'amour de charité, toute créature spirituelle doit
mourir à soi-même (kénose). C’est une condition sine qua non au point
que Jésus répond à Pierre qui, dans un premier temps, refuse de se faire laver
les pieds par lui : « Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part
avec moi. » C’est aussi la nécessité d’une identification par la
kénose au Mystère trinitaire qui explique le caractère rédempteur de la
souffrance dans presque toute vie humaine dès ici-bas. Il explique aussi
pourquoi, si l’homme ne connaît pas une kénose en cette vie, il doit la vivre
dans la mort ou après la mort.
Solutions :
1. L’humilité n’est certes pas un péché. Elle est au contraire une
vertu humaine qui consiste à se poser soi-même à l’exacte place où l’on se
situe par rapport à l’autre. Mais, lorsque l’autre est Dieu, l’homme s’il est dans
la vérité, doit se considérer comme étant en quelques sorte, du néant puisque
tout ce qu’il est, est reçu de Dieu et créé à partir de rien. L’homme comprend
cela dans son intelligence lorsque, à l’heure de sa mort, il voit le Cœur sacré
du Christ glorieux.
A cause du Mystère
trinitaire et en préparation à la Vision béatifique, encore faut-il qu’il le
vive jusqu’aux tréfonds de son âme, ce qui n’arrive que le jour où il se
considère comme n’étant rien, où il n’aspire à rien pour lui-même. Avant cela,
l’humilité de l’homme est entachée de péché véniel puisque, justement, c’est
son imperfection qui rend encore impossible l’entrée dans la vision de Dieu. Il
convient de remarquer que le bouddhisme, s’il recherche quelque chose qui
ressemble à cet anéantissement pour vivre, ne connaît pas encore la Personne
éternelle où conduit ce chemin dispositif. Cette sagesse est bonne mais ne fait
que disposer au salut qui, lorsque le Christ paraît à l’heure de la mort, donne
sens à leurs efforts, les sanctifie, et les perfectionne.
2. Dans la vie trinitaire, la kénose n’implique aucun abaissement
puisque, en étant extase vers l’autre Personne divine, la Personne engendre une
Personne qui lui est égale en essence, dignité et grandeur. Pourtant ceci fait
de chaque Personne divine une « relation
subsistante », ne vivant que par,
pour et en l’Autre. Ceci constitue un acte subsistant de perte de soi qui donne
vie. Nulle créature spirituelle ne peut voir la Trinité sans, à son niveau de
créature, l’imiter. C’est pourquoi Jésus dit, parlant de cette mort qui est
vie, en Dieu comme en l’homme[1051] : « En vérité, en
vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il
demeure seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. »
3. Avec
l’entrée de la souffrance dans le monde, Adam et Eve et leurs enfants après eux
purent être conduit par Dieu à la possibilité d’un niveau de kénose
incomparablement plus grand, et donc à une vision béatifique intensément plus
lumineuse. Cependant, même sans la faute, Adam et Eve vivaient une certaine
kénose, leur intelligence étant plongée par Dieu dans l’épreuve de la foi, et
dans une obéissance qu’ils finirent par prendre, sous l’influence du démon
révolté, comme infantilisante. C’est cette épreuve que, dans leur révolte, ils
refusèrent.
4. En
adhérant au projet de Dieu au commencement, les anges bons ont connus une
véritable kénose dans leur vie spirituelle puisque, alors qu’ils étaient
naturellement créés pour se hiérarchiser en fonction de leur degré
intellectuel, ils durent entrer dans une sagesse nouvelle où le plus petit est
le plus grand. Ceci dit, il est clair que la kénose de l’homme et de la femme
peut aller bien plus loin, jusqu’à l’impression d’anéantissement lorsqu’un
homme donne sa vie. C’est pourquoi, du point de vue surnaturel, l’homme et la
femme sont le chef d’œuvre de Dieu.
5. La
kénose n’est pas une expérience exclusivement chrétienne, même si le Christ
seul en a expliqué le sens, selon l’Apocalypse 5, 5 : « L'un
des Vieillards me dit alors: « Ne
pleure pas. Le lion de Judas ouvrira le livre aux sept sceaux. » Tout homme passant sur
terre peut connaître une perte brutale de ce qui constitue son trésor et où est
placé son cœur[1052].
Ceci provoque aussi chez les non chrétiens un état de désespoir psychologique
et spirituel (à ne pas confondre avec la désespérance, qui est un blasphème
contre l’esprit), dont l’effet est une vraie kénose, quoique non finalisée par
l’espérance et non vitalisée par la charité. C’est ce que révèle au Golgotha,
la présence des trois crucifiés symbolisant l’humanité entière, les pécheurs,
les justes et les saints. A l’heure de la Venue du Christ dans sa gloire,
l’homme qui arrive dans de telles dispositions possède en lui une préparation
immédiate à recevoir son salut, non seulement parce que la vue du Christ attire
puissamment spirituellement son esprit mort à lui-même, mais aussi parce qu’en
voyant le Christ ayant connue une kénose semblable à la croix, il voit en lui
un ami comprenant sa souffrance. Cette disposition, si elle est parfaite, une fois
vitalisée par la charité dispense de tout autre purgatoire. C’est pourquoi
Jésus dit à propos des prostituées et des publicains, qui symbolisent les
personnes ayant été humiliés par cette vie[1053] :
« Les
prostituées et les publicains vous précèdent dans le Royaume des Cieux. »
Objections :
1. On purifie ce qui est
souillé. Mais la pénitence n’est pas synonyme de souillure. Elle ne saurait
donc être effacée par le purgatoire.
2. Le contraire n’est purifié
que par son contraire. Comment la peine du purgatoire pourrait-elle donc
purifier de la peine due au péché ?
3. À propos du feu dont parle
saint Paul, et qui consume le bois, le foin, le chaume, symboles des péchés
véniels, la Glose dit : « Ce feu est
celui de l’épreuve et de la tribulation, dont il est écrit : La fournaise
éprouve les vases du potier. »
L’expiation consiste donc dans les peines de la vie, surtout dans la mort, la
plus grande de toutes, et non dans le feu du purgatoire.
4. Le fait de subir la peine
due à son péché ne semble pas obligatoire, à cause de la miséricorde de Dieu
qui peut la remettre en regard des souffrances du Christ qui ont amplement
satisfait pour le péché du monde entier. Donc les flammes du purgatoire ne sont
pas nécessaires pour délivrer de la peine due au péché.
5. L’homme qui a connu une
kénose en cette vie ou dans l’autre a souffert tout ce qu’il est possible de
souffrir. Il semble donc inutile d’ajouter une dette de peine pour ses péchés
passés.
Cependant :
Matthieu 5, 25 : « Hâte-toi
de t'accorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le
chemin, de peur que l'adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et
qu'on ne te jette en prison. En vérité, je te le dis : tu ne sortiras pas de
là, que tu n'aies rendu jusqu'au dernier sou. »
Conclusion :
Avoir fait le mal, s’être comporté égoïstement, avoir nui à Dieu
et au prochain, tels sont les motifs essentiels de la contrition qui règne en
purgatoire concernant la considération de la vie passée. Mais il existe une
circonstance particulière de la souffrance, pour celui qui s’est converti au
vrai Dieu. Il s’agit de l’orgueil. Il augmente la durée et la souffrance de
cette purification. Lorsqu’un grand pécheur qui s’imaginait parfait devant Dieu
et les autres durant sa vie terrestre, découvre le véritable état de son âme
dans la lumière de la parousie du Christ, il n’en reste pas moins structurellement
porté à la fierté. Malgré sa conversion à l’humilité et à l’amour, il a
tendance tant qu’il n’a pas atteint la kénose de son âme, à s’imposer avec
rigueur un purgatoire douloureux. Par amour et droiture de cœur, il s’applique
à lui-même la dureté qu’il appliquait aux autres selon cette parole de Jésus[1055] : « Ne jugez pas, afin de n'être pas jugés ; car, du jugement dont
vous jugez on vous jugera, et de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour
vous. Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la
poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas! »
C’est pourquoi, parmi tous les purgatoires, le plus rigoureux
n’est pas celui des luxurieux mais celui que s’imposent volontairement les
hommes qui ont manqué de miséricorde envers le prochain. Le paiement de la
dette de peine pour le péché se fait pour ces hommes jusqu’au dernier denier,
non à cause d’une rigueur divine, mais à cause de la rigueur que s’applique le
pécheur lui-même. Il ne comprend qu’avec difficulté que la miséricorde le
concerne aussi. Il trouve juste de s’appliquer à lui-même la dureté qu’il
appliquait aux autres jusqu’au jour où, usé d’attendre, il appelle sur lui-même
les indulgences du Messie.
Solutions :
1. La dette du péché ne
comporte pas de souillure par elle-même, mais par le péché qui en est la cause.
2. La peine n’est pas contraire
à la peine comme telle, mais comme dette, car, on reste débiteur tant qu’on n’a
pas subi la peine dont on est redevable.
3. Les mêmes expressions scripturaires
peuvent renfermer plusieurs sens. Le "feu" dont il s’agit ici peut
désigner les souffrances de ce monde ou celles de l’autre monde, qui, les unes
et les autres, purifient du péché véniel, tandis que la mort, comme simple
phénomène naturel, si elle n’est pas offerte comme une pénitence, peut tout de
même par le tremblement qu’elle inspire, conduire à plus d’humilité et disposer
l’âme au salut.
4. La peine due au péché peut
être remise par Dieu après la mort en ce sens que le défunt n’est pas obligé de
l’accomplir lui-même. Mais il est nécessaire, pour que l’homme n’abuse pas de
la miséricorde de Dieu, qu’elle le soit par un autre qui lui est uni dans la
charité et qui peut par ses sacrifices rétablir l’ordre qui a été brisé. Cet
autre peut être le Christ lui-même à cause des mérites de sa croix ou les
vivants par l’offrande de prières, d’aumônes ou de sacrifices. Le fait que Dieu
ne néglige pas cette dette tient à sa droiture qui ne néglige rien de la
vérité.[1056]
5. L’homme droit qui vit dans ce purgatoire tient, dans l’honneur et
par amour, à régler toutes ses dettes. Il en attend un état de vérité qui le
rendra digne de se présenter de nouveau devant le Christ et les saints. Cet
amour est donc motivé par un reste de fierté, ce qui constitue justement le
péché véniel. Mais l’homme au cœur brisé n’a plus ces idées là. Il connaît dans
les larmes son indignité à jamais. C’est pourquoi le passage par la kénose
absout toute dette et permet l’entrée immédiate au paradis.
Objections :
l. Plus grave est la faute et
grande la dette, plus la peine infligée en purgatoire est sévère. Et cette
proportion exige que pour une faute plus légère l’âme reçoive une peine moins
sévère. Il semble que, dans ce cas, l’âme subira moins intensément la douleur
due au feu. Et c’est cette différence d’intensité dans la souffrance qui
explique la diversité proportionnelle des peines du purgatoire. Donc les âmes
du purgatoire n’en sont pas délivrées plus tôt les unes que les autres.
2. Au Ciel et en enfer, tous
les mérites et tous les démérites ne sont pas égaux ; cependant la durée est la
même. Il doit donc en être ainsi au purgatoire.
3. Au purgatoire, il n’y aura
plus de temps puisque le corps aura disparu. Parler d’une durée de la
purification paraît donc illusoire. Alexandre VI a condamné la proposition
selon laquelle le purgatoire ne pouvait durer plus de dix ans[1058]. Nous connaissons la
relativité de la durée temporelle. Nous ne pouvons pas répondre par nos
catégories spatio-temporelles qui sont purement humaines. L’acte de la mort
échappe à toutes nos mesures ainsi que l’acte de purgation.
Cependant :
Saint Paul compare les péchés véniels « au bois, au foin et
au chaume ». Or il est évident que le premier met plus longtemps à se
consumer. Donc il y a des péchés véniels qui seront punis plus longtemps que
d’autres en purgatoire.
Conclusion :
Pour comprendre la durée du purgatoire, trois choses sont à
considérer :
1° la nature du péché véniel
qui reste à purifier ; 2°
l’intensité du feu qui purifie. 3°
La dette des péchés passés de la vie terrestre.
1° Pour le premier point, il
faut dire ceci : certains péchés véniels sont plus adhérents, selon que l’âme
s’y porte avec plus de penchant et s’y attache avec plus de force. Or ce qui
imprègne plus profondément exige aussi plus d’efforts pour être enlevé. C’est
pourquoi certaines âmes du purgatoire exigent de passer par une plus profonde
purification, dans la mesure où le péché véniel a pénétré davantage dans leurs
affections.
2° Pour le deuxième point, il
faut dire ce qui suit : l’intensité du feu qui purifie se mesure à l’intensité
de la charité qui porte l’âme à souffrir de l’absence provisoire de Dieu. Il
est donc évident que l’âme qui aura reçu de Dieu en cette vie et à l’heure de
la mort la charité à un degré de participation plus excellent souffrira
davantage de l’absence de Dieu et sera donc plus rapidement purifiée par le feu
de ses restes d’attachement à elle-même.
3° Pour le troisième point, il
faut dire ce qui suit : L’homme qui fut miséricordieux sur la terre a tendance
à demander miséricorde pour ces dettes et à l’obtenir des mérites de
Jésus-Christ et des saints. Au contraire, celui qui sur terre s’est montré dur
avec les autres à tendance à s’appliquer, dans le zèle nouveau de sa
conversion, la même rigueur qu’il appliquait aux autres. Sa purification est
donc plus longue parce que sa charité met plus de temps à devenir
miséricordieuse.
De tout cela on doit conclure qu’il est impossible de calculer la
durée du purgatoire. Trop de critères sont en jeu. "On voit que dans ce
contexte, tout le calcul fait sur une réduction de la durée n’a aucun sens. La
conversion est une réalité intérieure à la personne, et par conséquent, rien
d’extérieur à elle ne peut changer à sa situation".[1059]
La seule chose certaine est qu’au terme, la charité de tout homme
est devenue toute humble (kénose), à l’image de celle du Christ.
Quelques règles simples peuvent pourtant être établies. 1° Le purgatoire de ceux qui péchèrent
par orgueil et dureté est plus long que celui de tout autre péché. C’est
pourquoi Jésus fut dur avec les pharisiens et miséricordieux avec les
prostituées. L’homme qui sur la terre fut pécheur mais humble (kénose),
c’est-à-dire confessant de ses péchés passe certes par le purgatoire mais
celui-ci est rapide, à l’image de celui du bon larron. 2° À degré égal de purification, les âmes qui aimeront davantage
Dieu souffriront d’un purgatoire plus court mais plus douloureux que celles qui
l’aiment moins. 3° De même, à degré
égal de charité, les âmes qui seront davantage attachées par les restes du
péché souffriront plus longtemps que celles qui le sont moins.
Solutions :
1. La grandeur de la peine
correspond proprement à la grandeur de la faute mais sa durée correspond à la
profondeur de la pénétration de celle-ci dans l’âme. De même qu’il est plus
facile de brûler du foin que du bois, de même il est plus facile de purifier un
léger attachement à soi. La durée de la peine correspond aussi à l’intensité du
feu appliqué à l’âme, car un feu plus brûlant détruit plus vite les impuretés
qu’un feu de faible chaleur.
2. Le péché mortel qui mérite
l’enfer et la charité qui mérite le Ciel sont, après la mort, enracinés dans
l’âme à jamais. C’est donc pour tous les damnés et tous les élus la même durée
sans fin. Mais il en va autrement du péché véniel qui est nettoyé en purgatoire
d’une façon temporaire.
3. Il n’y aura plus de temps au
purgatoire en ce sens qu’il ne sera plus mesuré par le mouvement régulier des
corps célestes. Mais il demeurera un temps intérieur, mesuré par de la durée
des opérations vitales. La durée intérieure existe déjà sur terre, comme on le
voit chez ceux qui s’ennuient et qui considèrent quelques minutes comme si
c’était des heures. De même, au purgatoire, le temps paraîtra plus long à ceux
qui désireront davantage Dieu puisque leur désir de le voir les tourmentera
davantage. Et comme dans l’au-delà, la durée intérieure est ce qui est
essentiel, on doit dire que le temps extérieur de leur peine leur sera
indifférent ; pour un péché égal, que le purgatoire ait un temps terrestre qui
dure quelques minutes ou des années, il leur paraîtra avoir duré intérieurement
très longtemps, selon la mesure de ce qu’ils devaient souffrir. Un texte de
l’Évangile de saint Luc peut commenter la situation de la personne qui se
retrouve seule face à l’amour essentiel qui l’a passionnément recherchée[1060] : « Comme il était encore loin de son père il l’aperçut et fut pris
de pitié. Il courut se jeter à son cou et le couvrit de baiser ». (littéralement : pris aux
entrailles).
Objections :
1. Les sept
demeures de sainte Thérèse d’Avila ne peuvent éclairer la théologie des
purgatoires mystiques qui suivent la Parousie du Christ. En effet, les trois
premières demeures, loin d’être mystiques, manifestent un exercice ascétique de
la charité.
2. Sainte
Thérèse décrit les Demeures pour manifester le cheminement intérieur des
moniales contemplatives. Cela semble sans rapport avec le purgatoire.
3. Cette
description des étapes de purification semble artificielle. Certaines âmes même
fraîchement converties à l’heure de leur mort, on déjà tant souffert sur terre
qu’il leur est inutile de connaître la nuit de l’esprit.
Cependant :
La découverte de la survie de notre vie sensible
après la mort permet de comprendre comment la grâce continue de s'exercer de
manière humaine, c'est-à-dire à travers l'outil de nos sens et selon des étapes
de progressivité.
Conclusion :
L'existence de la vie sensible dans les âmes des
morts permet d'expliquer comment, après la mort et dans les trois purgatoires
mystiques qui suivent l'apparition du Christ, l'âme va progresser d'une manière
finalement très proche de ce que décrit sainte Thérèse dans « Le
château intérieur ».
Dans tout mouvement, y compris intérieur, on peut
distinguer trois étapes : 1° Un
commencement ; 2° une
progression ; et 3° une fin.
Ainsi en est-il pour l’état des âmes après la venue du Christ.
1° Au
commencement, l'apparition du Christ glorieux enflamme toutes les âmes sauvées
et les fait entrer directement dans les quatrièmes demeures (amour sensible et passionné du Christ).
Volontairement, ces âmes veulent se séparer du Christ pour un temps car,
pleines d’enthousiasme, elles veulent devenir dignes de tout cet amour et cette
humilité qui les a séduites. Ce premier état de leur âme se caractérise par le
plaisir de l’amour nouveau. C’est le « purgatoire des fiers », celui où les âmes disent, pleines d’entrain : « Je
serai un jour digne de toi ».
2° Dans ce lieu
du purgatoire, séparées du Christ et des saints, seules, ces âmes vont vivre
leur progression avec plus ou moins de vitesse et selon les lois naturelles de
leur psychologie individuelle et l’intensité de leur amour. En effet, ce qui
caractérise cette deuxième étape, c’est la longueur d’un temps qui, par
lui-même, va produire patiemment ses effets, d’où le nom de ce « purgatoire du temps ».
Cependant, au-delà de ce qui est propre à chacun, on peut distinguer des phases
habituelles. Après un temps psychologique plus ou moins long dans la pure joie
de se savoir sauver, le sentiment de plaisir psychologique va peu à peu
s’atténuer. Les beautés elles-mêmes du lieu vont devenir habituelles jusqu’à en
éprouver de l’ennui. L’âme va entrer dans une forme de « nuit des sens[1061] » qui sera
d’autant plus dure à vivre que l’intensité de la joie sensible fut grande.
Puis, comme pour toute douleur sensible, le temps finira par atténuer les
choses et l’âme relativisera les anciens plaisirs sensibles. Elle entrera alors
dans une quiétude que sainte Thérèse appelle les cinquièmes demeures. Le temps
se prolongeant loin du Christ, l’âme va commencer à éprouver du doute. Le temps
paraissant infini, et l’âme ne voyant en elle aucun progrès, elle finira par
ressentir du désespoir, selon cette parole de l’Ecriture[1062] : « J'ai ouvert à mon bien-aimé, mais
tournant le dos, il avait disparu ! Sa fuite m'a fait rendre l'âme. Je l'ai
cherché, mais ne l'ai point trouvé, je l'ai appelé, mais il n'a pas répondu ! ». Il s’agit d’une vraie « nuit
de l’esprit[1063] » que sainte
Thérèse décrit dans les sixièmes demeures.
3° Au terme de
la purification, usée par des souffrances inouïe, n’arrivant à rien, l’âme perd
toute illusion sur elle-même. Elle devient kénose et dit : « Je
ne serais jamais digne ». Elle
entre alors dans une paix profonde, n’espérant plus rien que de faire la
volonté de Dieu, quitte à rester à jamais dans ce lieu isolé. Ne pensant plus à
elle-même, elle tourne toute sa prière pour ses frères et sœurs encore en
chemin, selon cette parole de saint Paul[1064] : « Car je souhaiterais d'être moi-même
anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair. » Ce dernier purgatoire, appelé « parvis du Ciel »
correspond aux septièmes demeures de sainte Thérèse. Etant morte à elle-même,
tout obstacle ayant disparu, le Christ ne tarde pas à lui apparaître,
accompagné des saints et des anges, pour l’introduire dans la Vision
béatifique.
Solutions :
1. Les trois premières demeures
ne sont pas concernées ici puisque, lors de son apparition, la présence
glorieuse du Christ enflamme un amour passionnel de l’âme pour Dieu et la fait
entrer directement dans les quatrièmes demeures. Elles décrivent en effet une
relation d’amour de raison entre Dieu
et l’âme, comme on le voit ici-bas chez ceux qui, chrétiens de naissance et
portés par la foi et la charité, s’efforcent d’aimer Dieu depuis leur jeunesse
sans avoir reçu cette grâce spéciale qui enflamme l’âme par sa Présence
mystique. Dans cet état, les âmes qui veulent progresser dans l’amour
volontaire de Dieu, ne se contentent pas d’une sorte de quotidien terne à son
service (premières Demeures). Elles s’efforcent de faire effort vers Dieu par
toutes sortes d’exercices spirituels, de le connaître, d'apprendre à
l'apprécier (deuxièmes Demeures). Au terme de cet effort, remplies de
sécheresses mais aussi de consolations, ces âmes peuvent arriver à une
véritable unité paisible et quotidienne, comme on le voit dans certains mariage
de raison qui ont réussi (troisièmes Demeures).
2. La vie monastique
contemplative possède une dimension prophétique et eschatologique puisqu’elle
manifeste ici-bas l’entière consécration de l’âme à Dieu telle que les âmes la
vivent dans ces purgatoires. D’où l’intérêt d’observer le cheminement
psychologique et spirituel de ceux qui se consacrent à Dieu avec fidélité.
3. Nous accordons cette
objection. D’où la nécessité de ne pas prendre avec rigidité ce cheminement
général qui dépend de l’individu, de son passé, mais aussi de l’intensité de
son amour.
Il nous faut regarder la condition particulière des âmes de ceux
qui meurent en état de péché originel, c’est-à-dire essentiellement des enfants
et de ceux qui sont fous dès leur naissance, comme cela a été montré dans la
seconde partie[1065]. À ce sujet, nous nous
poserons quatre questions :
1° Les personnes mortes en état
de péché originel mériteraient-elles en stricte justice d’aller dans les limbes
éternels ?
2° Dieu donne-t-il aux
innocents la capacité de poser un acte libre ?
3° Dieu propose-t-il aux
innocents sa grâce et sa gloire ?
4° Certains enfants choisissent-ils l’enfer ou sont-ils tous sauvés
?
5° L’avortement volontaire
est-il source de graves inconvénients pour l’enfant ?
Objections :
1. Dieu a confié aux parents la
responsabilité de leurs enfants. Il leur appartient de demander et d’obtenir
pour eux le pardon du péché originel et la grâce. S’ils ne le font pas et que
l’enfant meurt avant de la demander lui-même, il est séparé de Dieu pour
toujours.
2. Ce n’est pas à cause d’une
faute personnelle que les enfants morts sans baptême méritent la damnation
éternelle mais à cause de l’engagement pris pour eux par leurs premiers
parents, Adam et Eve. Cet engagement frappe en premier lieu leur nature humaine
et demeure à cause de leur état personnel puisque, étant trop jeunes, ils ont
été incapables d’expier ce péché en se tournant personnellement vers Dieu. Donc
s’ils meurent sans la grâce du baptême, il est juste que Dieu respecte le choix
d’Adam et Eve et reste séparé d’eux pour toujours.
3. D’après saint Thomas
d’Aquin, la séparation éternelle d’avec Dieu n’est pas pour les âmes des limbes
source de souffrance puisqu’elles ne peuvent désirer une telle béatitude dont
elles ignorent l’existence, n’ayant pas reçu sur terre la révélation de la foi.
Elles obtiennent une forme de contemplation du bien parfait, Dieu. Cette
contemplation n’est pas la vision béatifique ; elle se fait comme dans un
miroir des effets de sa providence sur elles.
4. Le Magistère de l’Eglise a plusieurs fois défini la doctrine des
limbes. Or ce qui est défini ainsi est marqué du charisme de l’infaillibilité
doctrinale.
* « La peine du péché originel est la privation de la vision de
Dieu, mais la peine du péché actuel est le supplice de la géhenne éternelle. »
Innocent III, lettre « Maiores Ecclesiæ causas », Dz 780.
* « Pour les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel ou
avec le seul péché originel, elles descendent immédiatement en Enfer, où elles
reçoivent cependant des peines inégales. » Concile Œcuménique de Lyon II,
Profession de foi, Dz 858.
* « Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel ou avec
le seul péché originel descendent immédiatement en Enfer où elles reçoivent
cependant des peines différentes en des lieux différents. » Jean XXII, lettre «
Nequaquam sine dolore », Dz 926.
* « Quant aux âmes de ceux qui disparaissent en état effectif de
péché mortel ou seulement originel, elles descendent aussitôt en Enfer, pour y
être punies de peines cependant inégales. » Concile Œcuménique de Florence,
bulle « Lætentur cæli », Dz 1306.
* « La doctrine qui rejette comme étant une fable pélagienne ce
lieu des Enfers - que les théologiens appellent communément les Limbes des
enfants - dans lequel les âmes des enfants qui sont mort avec la seule faute
originelle sont punies de la peine du dam, sans la peine du feu, comme si ceux
qui écartent la peine du feu introduisaient par là ce lieu et cet état
intermédiaire, sans faute et sans peine, dont fabulaient les pélagiens, est
fausse, téméraire, injurieuse pour les écoles catholiques » Pie VI,
constitution « Auctorem fidei », Dz 2626.
4. Des récits nombreux et documentés attestent de la présence errante
d’âmes d’enfants non baptisés sur le lieu de leur mort. Ils sont donc dans les
limbes, sans que personne au ciel ne soit venu les baptiser.
Cependant :
Il y a certes l’autorité de saint Augustin et, à sa suite, de
saint Thomas d’Aquin. Mais face à eux, il existe aujourd’hui un dogme de la foi
qui montre que Dieu propose son salut à tout homme :
« Si quelqu’un dit que la grâce de la justification n’est accordée qu’aux
prédestinés à la vie et que tous les autres appelés, tout en étant appelés, ne
reçoivent pas cette grâce, parce que prédestinés au mal par la puissance
divine, qu’il soit anathème. »[1066]
« Puisque le Christ
est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement
unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous,
d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal.
»[1067]
Or si des enfants étaient damnés pour l’éternité sans faute de
leur part, c’est que le salut ne leur aurait pas été proposé, ce qui s’oppose à
ce dogme. Donc ces saints Docteurs ne peuvent être suivis sur ce thème.
Conclusion :
La notion de « limbes éternels » est une doctrine de
saint Augustin[1068]. Il l’a mise en place comme
une conséquence de deux données de foi et à travers un raisonnement théologique
qu’on peut établir en trois points :
1° Saint Augustin savait que
l’entrée dans la gloire n’est possible qu’à celui qui possède l’amour de
charité, donc à celui qui a reçu d’une manière ou d’une autre le baptême du
pardon du péché originel, de la foi et de la grâce. Car le péché originel ne
permet pas aux enfants d’avoir la charité. Pour le comprendre, il faut se
souvenir de ce que nous avons dit sur la nature du péché originel. Nos premiers
parents, Adam et Ève, ayant reçu leur rang de principe de l’humanité, furent
rendus responsables par Dieu de la nature humaine entière qu’ils devaient
communiquer à leur descendance. Par un seul péché d’orgueil, ils se révoltèrent
contre Dieu, engageant à leur suite l’humanité entière dont ils étaient
responsables. C’est pourquoi chaque enfant qui naît est, à cause de sa nature
humaine qui le fait fils d’Adam, séparé de l’amitié avec Dieu. Seul le baptême
qui applique à l’enfant la grâce du rachat opéré par le Christ peut rétablir
dans cette communion. Ainsi, si le baptême n’a été en aucune manière conféré,
l’enfant reste séparé de Dieu et mérite en stricte justice, selon la volonté
perverse d’Adam et Ève, d’en être séparé éternellement.
2° Cet amour de charité,
source de mérite, doit être reçu avant la mort. Benoît XII en fit un dogme
solennel en 1336[1069]. Mais cette vérité était
connue bien avant. Pour les enfants, cette charité ne vient pas par une réponse
active mais, à travers le désir de leurs parents, par la venue du Saint Esprit
qui les lave du péché originel et vient habiter en eux.
3° Ainsi, selon saint
Augustin, si un enfant n’a en aucune manière reçu le baptême, au moins du désir
de ses parents, il meurt en état de péché originel donc de séparation d’avec
Dieu. En stricte justice, il est logiquement séparé de Dieu à jamais, dans un
enfer. Ce n’est pas à cause d’une faute personnelle qu’ils méritent la
damnation éternelle mais à cause de l’engagement pris pour eux par leurs
premiers parents. Cet engagement frappe en premier lieu leur nature humaine et
demeure à cause de leur état personnel puisque, étant trop jeunes, ils ont été
incapables d’expier ce péché en se tournant personnellement vers Dieu. Ainsi,
la séparation éternelle d’avec Dieu n’est pas pour eux source de souffrance
puisqu’ils ne peuvent désirer une telle béatitude dont ils ignorent
l’existence, n’ayant pas reçu sur terre la révélation de la foi. Ils vivent
donc dans un bonheur naturel qu’ils obtiennent par la contemplation philosophique
du Bien parfait, Dieu. Cette contemplation n’est pas face à face puisqu’ils
ignorent la possibilité d’un tel don ; elle se fait comme dans un miroir des
effets de sa Providence sur elles.
Mais le raisonnement de saint Augustin est intenable et ce pour au
moins trois raisons décisives : 1-
Si Dieu appliquait une stricte justice, il est vrai que, selon le choix d’Adam
et Ève, tous les hommes morts en état de péché originel seraient damnés. Mais
alors, selon l’ordre de cette stricte justice, tout homme sans exception serait
damné. Il n’y aurait pas eu d’incarnation ni de rédemption. 2- L’opinion de saint Augustin néglige
une vérité essentielle de la foi, définie solennellement par l’Église (voir
l’argument Cependant) et que saint Paul enseigne explicitement[1070] : « Voilà ce qui est bon et ce
qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés
et parviennent à la connaissance de la vérité. Car Dieu est unique, unique
aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même
s’est livré en rançon pour tous. Tel est le témoignage rendu aux temps marqués. » 3-
Il ne considère pas la nature humaine des enfants qui, étant créée pour voir
Dieu, ne saurait le contempler de loin sans souffrir du feu de leur désir de le
voir face à face. Des limbes éternelles sans souffrance sont donc impossibles.
L’Église, confrontée
aux thèses de Calvin qui disait que certains étaient prédestinés à l’enfer,
s’est prononcée solennellement pour réaffirmer la vérité inverse. Le canon 17 du
décret sur la justification, condamne la thèse des prédestinés au mal. Puisque le salut est proposé à tout
homme avant sa mort, c’est donc que les enfants et les innocents aussi en
reçoivent la révélation, d’une manière inconnue de l’homme. Ainsi, il leur est
possible à un moment ou à un autre, par un moyen que Dieu connaît, de choisir
Dieu. Il est donc impossible qu’existent des limbes éternels pour les
innocents.
Solutions :
1. Il aurait été possible à
saint Augustin de déduire le moyen utilisé par Dieu pour communiquer le baptême
aux enfants morts en état de péché originel. L’Église a en effet toujours
considéré que le baptême pouvait être obtenu par l’adoption d’une autre
personne, en cas de défaillance des vrais parents. C’est ainsi que l’Église du
Ciel obtient l’adoption de tous les enfants qui meurent en état de péché
originel.
2. Les limbes furent une
demeure provisoire de toutes les âmes avant que Dieu, par le Christ, échange un
nouveau « oui », avec l’humanité
représentée par le « oui » de la Vierge Immaculée présente à la
croix. Ce « oui » est venu effacer le « non » de nos premiers parents.
Actuellement, la rédemption ayant été opérée, les limbes ne subsistent pas,
sauf pour l’âme qui s’y enferme volontairement, comme nous l’avons dit[1071]. Mais cette demeure est
toujours provisoire car l’absence de Dieu et des autres finit toujours par
peser sur la nature de l’âme humaine et par réveiller son désir. Quant aux
enfants et aux innocents, ils reçoivent tout simplement à l’heure de leur mort la
visite du Christ accompagné des anges et des saints, et, par ce moyen, la
proposition du salut.
3. Les enfants ont reçu avec
leur âme humaine tout ce qui lui est naturel. Or l’intelligence est faite par
nature pour voir Dieu et la volonté pour s’y reposer comme nous l’avons montré[1072]. L’absence de la vision
béatifique et la connaissance philosophique de l’existence de Dieu ne peuvent
coexister dans l’autre monde sans un désir intense qui n’est pas une souffrance
négligeable et qu’aucune occupation ne peut venir atténuer. Dieu est amour et
il a créé l’homme pour la vision béatifique. Il ne peut donc refuser la
proposition d’une telle béatitude aux petits enfants dont la seule faute vient
du péché d’un autre, de leur premier père.
4. La foi ne change jamais. La vérité se trouve dans le regard sur
tous les repères dogmatiques. Pour comprendre ce qui se passe pour les enfants,
il faut donc garder tous les repères dogmatiques. Lorsqu'ils entrent dans le
passage de la mort, il faut qu'ils reçoivent le baptême de la grâce. Cela se
passe de manière universelle, par la simple demande et l'adoption de parrains
(ou de parents du Ciel qui viennent les visiter s'ils sont complètement
abandonnés par leurs parents de la terre). Avant cette visite du Ciel, juste
après l'arrêt du cœur de l'enfant, et avant l’entrée dans l’autre monde, il y a
un temps, un intervalle qu'on appelle les Limbes, où l’enfant est en état de
péché originel, privé de la grâce.
5. Ces phénomènes d’appels venant d’enfants non-baptisés visent à
rappeler aux vivants leur responsabilité dans la demande et l’administration du
baptême de désir. Les habitants du Ciel ne viennent qu’à défaut et lorsque
notre action sur ces enfants est trop longtemps négligée.
Objections :
1. Cela ne paraît pas possible.
Les enfants développent leurs facultés dans l’ordre suivant : d’abord leur vie
végétative, puis leur vie sensitive, jusqu’à l’apparition progressive des premiers
actes proprement spirituels d’intelligence et de volonté vers l’âge de deux
ans. Les enfants morts en état de péché originel n’avaient parfois qu’un début
de vie végétative, comme on le voit pour les embryons en début de grossesse.
Ils ne sont pas capables d’acte libre.
2. Par nature, l’homme
développe par étape son esprit en se servant des sens. Or les enfants morts
prématurément ou les handicapés profonds après leur mort n’ont plus de sens. Il
leur est impossible de développer leur vie spirituelle et de poser un choix.
3. Pour rendre les enfants
capables de choix après leur mort, il peut exister deux moyens : le premier
pourrait consister à développer progressivement leur intelligence dans un temps
de limbes. Maintenus provisoirement dans un lieu particulier et élevés par leur
ange ou par les saints, ils pourraient être rendus progressivement capables de
choix. Mais cela ne paraît pas possible à cause de l’absence de leur corps et
donc du moyen normal de leur apprentissage, leurs sens. La seconde pourrait
être réalisée par un don direct de Dieu et infusé dans leur intelligence. Cette
hypothèse ne convient pas davantage à cause de la nature intellectuelle de
l’enfant qui est la plus faible qu’on puisse imaginer. Il leur est impossible
de comprendre quoi que ce soit sans la longue préparation venant des sens.
4. La meilleure solution pour
développer un esprit enfant semble être de lui permettre de se réincarner dans
un autre corps. Il peut alors, à travers une vie terrestre normale, se
développer et accéder à la capacité du choix.
Cependant :
Nul ne peut rentrer dans la grâce et dans la gloire ou même être
conduit en enfer sans un choix pleinement libre de son intelligence. Puisque
les enfants « voient le salut de Dieu »[1073], c’est qu’ils sont rendus
capables de le choisir ou de le refuser.
Conclusion :
Durant des siècles, suite à
l’opinion de saint Augustin et de saint Thomas d'Aquin précédemment citée, les
catholiques crurent que les enfants morts sans baptême n’allaient jamais au paradis.
Cette doctrine n'a jamais été confirmée par le dogme de l'Église. Elle n’a
jamais enseigné dans son Magistère l’éternité des limbes, se contentant de
parler sans plus de précision sur sa durée d’un "limbe vécue dans des
souffrances diverses" des enfants.
Comment se passe concrètement le salut des enfants ? Pour être
introduit dans le salut ou au contraire le rejeter, trois conditions sont
nécessaires.
1° La première est de posséder
la capacité naturelle de se porter vers lui lorsqu’il est proposé.
2° La seconde consiste en la
proposition même de cette grâce par la prédication de l’Évangile et le don du
Saint Esprit. Nous étudierons cette deuxième condition dans l’article suivant.
3° La troisième est la réponse
de l’âme qui accueille cette grâce et se porte vers Dieu et vers son prochain
dans un acte de charité.
Nous traitons ici de la
première condition. Quant à la condition de leur personne, les âmes des
enfants, qu’ils soient baptisés ou non, reçoivent de la part de Dieu des
connaissances qui remplacent ce que l’éducation et l’enseignement auraient du
accomplir durant la vie terrestre. La raison en est qu’il leur appartient de
recevoir la gloire comme des êtres libres, c’est-à-dire de la choisir.
Il s’agit de savoir comment
se réalise ce développement de leur esprit.
Il semble tout d’abord que
l’esprit des enfants est créé par Dieu très tôt après que l’acte sexuel des
parents ait abouti à une fécondation. La conception est achevée par un acte
créateur de Dieu. S’il est impossible d’être sûr du moment de cette création au
plan de l’expérience philosophique à cause de l’absence de l’exercice
spirituel, la foi au contraire nous permet de parler de manière certaine. En
effet, si la vierge Marie qui est de notre espèce, fut immaculée dans sa
conception, neuf mois avant sa naissance, c’est qu’elle avait reçu son âme très
tôt après le début de sa vie cellulaire. De même pour Jésus au lendemain de
l’annonciation et lors de sa rencontre avec Jean-Baptiste. C’est donc que tous
les enfants reçoivent de la même manière leur âme spirituelle très tôt.
Or il est aisé de constater
qu’au départ, l’esprit sommeille et n’est capable d’aucun exercice libre. La
raison en est de l’absence de développement du psychisme. Ce n’est que
provisoirement, en passant par des étapes de progrès que l’enfant pourra poser
son premier acte libre. Auparavant, il aura appris à se servir de sa vie
sensible, il touchera puis entendra, avant de s’éveiller à quelques désirs. Il
est naturel à l’esprit humain de s’éveiller par ce genre de cheminement
progressif. Ainsi, on doit dire que la vierge Marie vivait de la présence de
Dieu alors qu’elle était dans le ventre de sa mère, sans qu’il y ait de sa part
un choix libre. Elle était plutôt baignée dans cette présence bienfaisante, de
manière passive. Ce n’est qu’après sa naissance que, provisoirement, elle
apprit à le choisir et à l’aimer librement. De la même façon, quoique moins
intense, les enfants baptisés apprennent à vivre de la grâce. Ils le font
d’abord passivement, puis à l’âge où la raison s’éveille, ils s’y portent
librement.
Il semble qu’il en est de même pour tous les enfants morts
trop jeunes ou les innocents, qu’ils soient baptisés ou non. Avant de leur
proposer la gloire de sa vision, Dieu leur laisse le temps de développer leur
psychisme puis les actes de leur vie spirituelle, de telle manière qu’ils
puissent entrer dans la gloire dès leur premier acte libre.
Deux manières de procéder sont possibles : 1° La première, et la plus probable, consiste à parler d’une
éducation progressive des innocents par les habitants du Ciel. Nous l’avons
montré, les morts conservent la partie psychique de leur être. Les enfants
apprennent donc à la développer, en voyant et écoutant les saints et les anges
qui les ont adoptés et les entourent sous forme sensible. 2° L’autre façon est moins probable car plus adaptée aux anges
qu’aux hommes. Certains dont saint Thomas ont dit que leur éducation pouvait
être réalisée en une seule fois, pat une science infusée par Dieu.
Cependant, puisque leur vie sensible existe, on doit dire que la
beauté sensible de la gloire des saints du Ciel a un pouvoir d’éveil sur les
sens et l’esprit. Ensuite, rien n’empêche que Dieu, de manière semblable à
ce qu’il fit pour les anges à l’heure de leur création, infuse dans leur intelligence
les espèces intelligibles nécessaires pour qu’ils aient une connaissance
naturelle suffisante d’eux-mêmes, de l’univers et de leur Créateur.
Quelque soit le moyen utilisé par Dieu, cette première étape est
nécessaire à tout innocent, baptisé sur cette terre ou baptisé dans le passage
de la mort, en vue d’un choix qui précèdera leur entrée dans l’autre monde et
leur jugement individuel. En effet, nul homme, pas même un enfant, n’entre de
force dans la Vision de Dieu. Il n’y entre que librement.
Solutions :
1. Le psychisme se développe
normalement en s’appuyant sur le développement de l’organe du cerveau, et sur
les expériences sensibles. S’il survit à la mort du cerveau, comme nous sommes
obligés de l’affirmer à partir des expériences de mort approchée, cela ne
signifie pas qu’il est entré dans la plénitude de son développement. Mais, en
s’appuyant sur l’esprit qui le fait subsister, il est doté d’un nouveau mode
d’exercice plus léger et très efficace. Confronté à la présence glorifiée du
corps sensibles des saints et du corps que les anges se façonnent à destination
de l’enfant, ils sont rendus très vite capables d’un choix libre. Dès que les
progrès sont réalisés, baignés de la grâce, ils posent le choix de leur liberté
vers Dieu ou contre Dieu. Nous le montrerons dans l’article suivant.
2. Le développement de l’esprit
par l’intermédiaire des sens peut se faire après la dissolution du cerveau,
comme nous venons de le dire. Par contre, le corps psychique n’étant pas soumis
aux aléas de la fragilité du corps physique, à la souffrance et à la mort, les
âmes des enfants morts trop tôt échappent à un chemin très efficace dans le
développement de l’humilité (kénose) et de l’amour. Ils n’expérimentent pas
dans leur chair et jusqu’à la mort leur fragilité. Ils ne peuvent donner
physiquement leur vie pour leurs amis. C’est un inconvénient pour eux puisque
leur degré de charité en sera diminué. Donc la vie terrestre est très utile.
3. Nous avons dit que c’est par
ces deux moyens que l’Église du Ciel éduque et enseigne les enfants et les
innocents. Ils sont très efficaces au plan du développement de leur nature.
Mais ils ne peuvent remplacer entièrement l’étape du purgatoire de la terre
liée à la croix physique et au silence de Dieu
4. La réincarnation n’est pas
possible. L’être humain n’est pas une énergie indifférente au corps qui la
reçoit mais un être substantiellement réalisé autours de trois degrés de vie :
physique, psychique et spirituel. L’âme qui unifie ces facultés est faite pour
son propre corps, pas pour un autre. Elle est source de l’être d’une personne
unique et éternelle. La croyance en la réincarnation est le fait de
civilisations qui ne croient pas en l’existence des personnes mais de l’Univers
comme énergie universelle (panthéismes, hindouisme et bouddhisme). C’est
pourquoi l’Église croit au purgatoire des personnes et non en la réincarnation
des énergies.
Objections :
1. Cela semble s’opposer à la foi.
Dans Certains conciles œcuméniques, la doctrine sur la destinée des enfants
morts sans baptême a été reprise. On peut citer la profession de foi de Michel
Paléologue, au Concile de Lyon, en 1274. Il est confessé que[1074] « Les âmes de ceux qui meurent
avec le seul péché originel, descendent aussitôt en enfer, mais cependant pour
y être punies par des peines diverses. »
Cette même formulation est répétée au Concile de Florence[1075]. Le pape Pie VI[1076] affirme que ces enfants
sont privés de la vision de Dieu (peine du dam) sans pourtant être soumis à la
souffrance (peine du feu).
2. Les enfants n’ayant pas eu
l’usage de leur libre arbitre ni l’aptitude à la vie éternelle sont dans une
toute autre condition que ceux qui ont eu par le baptême l’aptitude à la vie
éternelle. Le Magistère ordinaire, durant des siècles, a confirmé cet
enseignement. En effet, l’insistance de l’Église sur le devoir des parents de
présenter le plus tôt possible leurs enfants au baptême, le fait que le
ministre extraordinaire du sacrement puisse être, en cas de nécessité un laïc,
et même un non baptisé, montre suffisamment la nécessité du baptême. C’est
pourquoi, c’est un dogme de foi, que dans le plan divin, tel qu’il nous est
révélé, le baptême est nécessaire au salut pour la rémission du péché originel.
Si le baptême d’eau ou de désir ne servait à rien, on ne comprendrait pas cette
insistance.
3. Le démérite d’Adam est pour
les non baptisés ce qu’est le mérite du Christ pour les baptisés, c’est-à-dire une
cause de souffrance d’avoir perdu la vie éternelle, au lieu d’être une cause de
joie de l’avoir obtenue. Être séparé d’un être aimé, c’est souffrir. Or, les
enfants ont une connaissance naturelle de Dieu qu’ils aiment par conséquent
d’un amour naturel. Comment pourraient-ils ne pas souffrir d’être séparés de
lui ? Ne pas avoir ce qu’on voudrait avoir ne va pas sans souffrance. Or, les
enfants voudraient voir Dieu, autrement leur volonté serait perverse, et ils ne
le peuvent pas.
4. Le péché originel ne peut
être pardonné chez les enfants qu’à raison du désir de leurs parents qui
s’engagent en leur nom dans l’amour de Dieu, effaçant la rupture originelle
d’Adam et Ève. Donc les enfants que leurs parents négligent et qui meurent sans
même le baptême de désir sont condamnés aux limbes éternels.
5. Tous les théologiens et les
Docteurs de l’Eglise depuis saint Augustin, en passant par saint Thomas d’Aquin
(et jusqu’à ce que sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus dise le contraire),
enseignaient la damnation éternelle pour les enfants morts sans baptême. Il
serait aberrant de croire qu’ils se sont tous trompés.
6. C’est l’Eglise de la terre,
en Adam et Eve, qui a voulu la séparation de ces enfants d’avec Dieu. Il est
donc nécessaire que ce soit un membre de l’Eglise de la terre qui annule ce
choix, à savoir le père ou la mère de l’enfant qui meurt. Il est donc vain de
croire que des parents adoptifs du ciel baptisent par leur prière les enfants
abandonnés dans le passage de la mort.
7. Le pape Benoît XII, dans sa
constitution « Benedictus
Deus » précise que tout homme qui arrive après la mort en état de mort
spirituelle est damné pour l’éternité. Or ces enfants sont morts. Il est donc
opposé à la foi de croire possible leur baptême après la mort.
Cependant :
Ce que peut l’Église de la terre, l’Église du Ciel le peut a
fortiori. Or n’importe quel homme, même non baptisé, peut obtenir la grâce
de Dieu pour un enfant en le baptisant. De même, n’importe quel saint du Ciel
le peut dans sa communion avec Dieu. Donc tous les enfants reçoivent la grâce
puis, lorsqu’ils y sont prêts, la proposition de la gloire[1077]. C’est ce que confirme sainte
Thérèse de l’Enfant Jésus dans une poésie[1078] :
« Oui, je veux augmenter la candide phalange des Innocents
Mes souffrances, mes joies, je les offre en échange d'âmes
d'Enfants.
Parmi ces Innocents, je réclame une place, Roi des Elus.
Comme eux, je veux au Ciel, baiser ta Douce Face, O mon
Jésus ! »
Conclusion :
La grâce de la présence de
Dieu se distingue de la grâce sanctifiante et de la gloire par la propriété
suivante : tout homme peut recevoir la grâce de cette présence active et
attirante. Elle peut exister, sans qu’il soit exigé de lui un acte libre. Elle
se comporte à la manière de l’amour non volontaire que peut éprouver un homme
pour une femme parce que cela s’impose à lui. Au contraire, nul n’entre dans la
vie de la charité ou dans la gloire sans un acte libre, de même qu’il est
impossible de se marier validement par surprise et sans un échange de
consentement lucide et volontaire. Dieu en a décidé ainsi, nul ne peut entrer
au Ciel qu'en aimant.
Il en est de même pour les petits enfants. La condition de leur
nature est d’être séparée de Dieu à cause du péché des premiers parents Adam et
Ève. À leur baptême, ils sont lavés du péché originel et reçoivent de manière
réelle mais non volontaire, la grâce de la présence de Dieu. Ils sont
sanctifiés de manière passive, sans volonté ni mérite de leur part, grâce au
désir de leurs parents.
De même que le péché originel qui marque la nature humaine peut
être pardonné par le baptême d’eau ou par le baptême désiré par les parents dès
l’heure de la conception ou quand ils s’aperçoivent que leur enfant est mort,
de même, il peut être remis par Dieu, à la demande de ses amis les saints du
ciel ou de la terre, au moment de la mort de l’enfant sans l’intervention des
parents. Dieu n’est pas esclave de la matérialité de ses sacrements et peut
réaliser, sans leur médiation, l’effet qu’on leur attribue, à savoir la
communication de la grâce. De même que Dieu remet aux parents la responsabilité
du salut de leur enfant, de même il peut la leur reprendre si, lorsque leur
enfant meurt, les parents manquent à leur devoir de prière. Il confiera
habituellement cette nouvelle responsabilité à la communion de saints, c’est-à-dire
à un père et une mère du Ciel.
Ces conditions étant
résolues, rien n’empêche que Dieu propose aux enfants ainsi disposés la
béatitude de la Vision de son essence, dès que l’obstacle lié à leur personne,
c’est-à-dire leur incapacité à choisir, disparaît.
Solutions :
1. La nature de cet enfer n’a
jamais été définie avec plus de précisions par le Magistère ordinaire ou
solennel de l’Église. De même, rien n’est dit sur sa durée de sorte que la
liberté du théologien existe pour en discuter l’éternité. Mon avis était jadis
que les enfants morts sans baptême ne demeuraient pas plus d’un instant séparés
de la présence de Dieu (ce qui correspond à ces limbes dont parle l’Église). Je
pensais que dès leur entrée dans le passage de la mort, après un temps bref,
ils étaient accueillis et baptisés par les habitants du Ciel avant d’entrer
dans un temps d’éducation de leur liberté par des parents célestes. Mon avis a
changé à cause de témoignages sûrs et concordants attestant de la présence
malheureuse et errante d’enfants entre ce monde et l’autre, des années après
leur mort, et dans l’attente du baptême. Et cette permission de Dieu, qui
retarde leur entrée dans l’autre monde trouve sa cohérence si l’on considère ce
qui suit : privés de la vie terrestre et des souffrances qui nous
préparent « un cœur brisé et un esprit humilié », il était évident
que Dieu trouverait une façon de ne pas priver ces enfants d’une telle grâce
qui prépare leur éternité.
Cette permission de Dieu, qui laisse ces enfants errer un temps,
semble liée à cette raison unique : Ces enfants souffrent et donc peuvent
développer un grand désir pour le salut et une grande humilité.
On peut donc interpréter les imprécisions des textes du Magistère
de la manière suivante. Les enfants non baptisés sont dans un premier temps de
limbes, privés de toute présence de Dieu le temps qu’ils soient adoptés et
baptisés. Leur psychisme s’y développe, probablement à l’aide de Présences
venant du Ciel. Puis, une fois baptisés, tous les enfants, quel que soit le mode
de leur baptême, sont conduits dans un « enfer (lieu
inférieur au paradis céleste) »
provisoire tout à fait comparable au "sein d’Abraham" dont parlaient
les anciens Juifs[1079]. Il y règne la grâce de la
présence de Dieu, symbolisée par "l’eau" dont vivait le pauvre
Lazare. Il s’agit bien d’un enfer puisque ces innocents ne voient pas Dieu face
à face. Les enfants y souffrent bien d’un dam, puisqu’ils ne voient pas la
gloire. Mais ils ne souffrent pas de la peine du "feu ou du sens" puisque
le désir naturel de leur esprit est étanché par une présence réelle, quoique
invisible de Dieu, et par une présence visible de ses saints. Dès que
l’obstacle provisoire de leur nature, à savoir leur incapacité naturelle à
choisir, disparaît, ils sont confrontés à la parousie du Christ et à la
présence du démon en vue du choix de leur éternité.
2. Les enfants baptisés avant
leur mort reçoivent dès cet instant le pardon du péché originel qui les tenait
séparés de la présence attirante de Dieu. Les enfants morts sans baptême et
abandonnés de leurs parents (comme les enfants volontairement avortés)
reçoivent la même grâce un peu plus tard par la volonté des parents du Ciel,
soit Jésus et Marie directement, soit n’importe quel parent adoptif du Ciel ou
de la terre. Mais leurs parents biologiques sont privés, à cause de leur
ignorance ou de leur insouciance, d’une grande grâce : celle de leur autorité
parentale. Ils sont déchus de leurs droits et l’enfant est adopté par une autre
personne qui sera auprès d’eux, pour l’éternité, dans une relation unique. Il
ne suffit pas en effet pour être parent de donner physiquement la vie. Encore
faut-il se montrer digne au plan de l’éducation. Il en est de même pour la
paternité et maternité spirituelle.
3. Quoique les enfants ne soient
pas unis à Dieu dans la gloire, ils ne sont pas totalement séparés de lui ou
très peu de temps avant leur adoption. Et ce temps n’est pas pour eux source de
souffrance à cause de l’état de leur esprit qui s’éveille peu à peu, et est
fait pour recevoir de l’amour. A partir de leur baptême, les enfants sont unis
à Dieu par tous les bienfaits qu’ils tiennent de lui (la compagnie des anges et
des saints dont la gloire illumine leur sens et leur intelligence, toutes les
sensations qui se présentent à leurs sens et les éveillent). Ils reçoivent
aussi de Dieu des biens surnaturels comme la grâce de sa présence invisible,
puis, dès qu’ils en sont capables, la charité active. Et ainsi, ils sont dans
la joie et dans l’absence de la souffrance du feu. Ils vivent cependant du feu
en tant qu’il est un désir puisque leur esprit ne se repose pas encore dans la
fin ultime (la vision béatifique) pour laquelle il a été créé.
4. Dieu n’est pas tenu de manière
mécanique par les lois qu’il a établies en vue du développement de l’amour. Il
pallie donc aux manques chaque fois qu’il est possible, de même que les
sociétés humaines remplacent par l’adoption les parents défaillants.
5. Les grands serviteurs de Jésus, théologiens et Docteurs ont
réalisé sans le savoir une prophétie de l’Ecriture [1080] : « On présentait à
Jésus des petits enfants pour qu'il les touchât, mais les disciples les
rabrouèrent. »
La suite de ce texte
précise : « Ce que voyant, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les petits
enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car c'est à leurs pareils
qu'appartient le Royaume de Dieu. En vérité je vous le dis : quiconque
n'accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, n'y entrera pas." Puis
il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains. »
6. La communion des saints n’est pas liée à ces considérations. La
charité du Christ et de ses saints emplit tout, de telle manière que si le
ministère ordinaire dévolu aux parents charnels a défailli, d’autres personnes
suppléent. C’est ce qui se passe dans l’adoption naturelle en cas d’abandon
d’un enfant. C’est ce qui se passe aussi au plan surnaturel. Cependant, le Ciel
semble préférer que ce soit nous, habitants de la terre, qui les baptisions. On
peut en donner plusieurs raisons :
1° Rendre conscient le monde
du crime qu'est l'avortement.
2° Intensifier notre sens de
l’importance du baptême.
7. Ces enfants sont baptisés dans le passage qu’est la mort et qui
peut se prolonger des années, comme il a été montré dans la question sur le
shéol. Après la mort, c’est-à-dire
après l’apparition du Christ et leur choix final, s’ils demeurent en état de
mort spirituelle, c’est alors à travers un blasphème contre l’Esprit Saint.Dans
ce cas, ils sont damnés pour l’éternité.
Objections :
1. Les enfants reçoivent à
travers l’éducation du Ciel une perfection naturelle et une harmonie
psychologique plus grande que les enfants éduqués sur terre. Il leur est donc
davantage possible de s’enorgueillir de leur beauté et de se tourner vers la
liberté de l’enfer. Donc certains innocents, étant orgueilleux, seront damnés.
2. Pour que le choix des
enfants soit libre, il convient que le démon et ses propositions de liberté et
d’amour de soi participe à l’éducation des enfants, comme il le fait sur terre
en se cachant sous les voiles de la tentation. C’est ce que dit sainte Thérèse
de l’Enfant-Jésus[1081] : « Puisqu'on dit que toutes les
âmes sont tentées par le démon au moment de la mort, il faudra que j'y passe.
Mais pourtant non, je suis trop petite. Avec les tout petits, il ne peut pas. »
Il est évident que son action ne peut être totalement inefficace
sans quoi il renoncerait.
3. Si l’on admet que Dieu
pardonne le péché originel au moment de la mort et propose même aux enfants
morts prématurément le salut éternel, on doit admettre que certains d’entre eux
peuvent le refuser et donc se damner. Or il paraît absurde qu’un petit enfant
aille en enfer.
Cependant :
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus écrit[1082] : « Un petit enfant, ça ne se
damne pas! »
Conclusion :
Comment les petits enfants accèdent-ils à la vision béatifique ?
Exactement de la même manière que nous. Ils n'y entrent qu’à travers un choix
libre. Puisqu’il manque aux enfants trois choses, à savoir la capacité de
choisir (ils sont trop petits), la proposition de choisir Dieu (ils n’ont pas
le baptême et la grâce), et le choix effectif (ils ne peuvent encore exercer volontairement
la charité comme amour réciproque et actif), Dieu leur fait les deux premiers
dons en vue du troisième qui est l’acte méritoire de la vision béatifique.
1° Lorsqu’ils meurent, ils
entrent dans le passage de la mort, entre ce monde et l’autre. Ils y sont
vivants et ils y disposent de leur psychisme. Ils y reçoivent des sensations et
des présences affectueuses adaptées à leur sensibilité pour éveiller l’exercice
naturel de leur vie spirituelle. Cela se fait probablement, comme il convient à
la nature humaine et à son développement progressif, à travers une série
d’étapes plus rapides que l’apprentissage d’ici-bas où les visions sensibles ne
dévoilent pas mais plutôt cachent la quiddité des choses.
2° Dans ce passage de la mort
(ces limbes), avant l’entrée dans l’autre monde, des parents adoptifs
terrestres ou, à défaut, les saints demandent pour eux et obtiennent la grâce
du baptême. Leurs parrains célestes, ou en cas d’enfants totalement abandonnés,
leurs parents adoptifs du Ciel vont alors commencer leur éducation naturelle et
surnaturelle. Ils leur révèlent progressivement, au fur et à mesure de la
croissance psychique et spirituelle, la nature de leur être, l’Évangile, le
mystère de la charité et la gloire qui leur sera proposée. Il s’agit d’une prédication
de l’Évangile qui, dans un premier temps, éclaire leur intelligence sans que
leur choix libre puisse parfaitement s’y porter. Ils se familiarisent avec
cette révélation.
3° Enfin, à un moment que Dieu
connaît, ils deviennent, à cause de cette éducation, capables de choisir le
bien ou le mal de manière parfaitement libre. C’est alors que se produit pour
eux la Parousie du Christ dans sa gloire. Lucifer est aussi présent de droit,
puisqu’il se doit de présenter ses propositions d’orgueil, rendant ainsi le
choix de l'enfant parfaitement lucide. La tentative du démon est sans effet. Il
n'y a pas d'orgueil ni de recherche de pouvoir dans un innocent. Ils se portent
tout simplement là où les conduit leur cœur à savoir vers le bien et la
lumière.
Dès cet instant, ils sont introduits dans la vision de Dieu. Aucun
délai n’est convenable puisque, dès son premier instant, à cause de leur état
séparé du corps charnel, ils se portent tout entiers et sans erreur vers
l’objet de leur choix, sans qu’une nouvelle croissance soit possible.
Cette description simple du
salut des enfants ne manque pas de fondements expérimentaux. Nombres de mères
peuvent témoigner, suite à une grave maladie survenue à un enfant, que celui-ci
se disait visité par des anges.
Solutions :
1. Il est probable que tous les
enfants seront introduits dans la gloire à cause du peu de propension qu’ils
ont à s’enorgueillir des dons reçus de Dieu. C’est ce que veut signifier la
fête des saints Innocents qui sont ces enfants tués par Hérode dans la ville de
Bethléem. De même le pape Innocent IV écrit à propos des enfants morts après le
bain du baptême[1083] : « Ils ne sont retenus par
aucun obstacle et passent immédiatement à la patrie éternelle. »
2. La présence du démon a peu d’effet sur les enfants pour quatre
raisons :
1° La première leur vient de leur nature. Parmi les créatures
spirituelles, ils restent les plus faibles en intelligence et en volonté
naturelle. Ils constatent leur petitesse avec évidence en se comparant aux
êtres spirituels qui les entourent. Ils ont peu de motif d’orgueil.
2° La seconde leur vient des temps de solitude et d’errance que
Dieu semble leur imposer dans ces limbes, afin de développer en eux, par cette
croix, le désir du salut.
3° La troisième vient de la présence autour d’eux des âmes
glorifiées et des anges qui rayonnent. Ils correspondent avec harmonie à leur
syndérèse, c’est-à-dire à l’orientation innée de leur volonté. Ils les suivent
tout naturellement et donc surnaturellement.
4° La quatrième leur vient du démon lui-même dont le motif de
révolte leur paraît, dans leur simplicité, peu attirant. Réclamer à Dieu une
hiérarchie des êtres fondée sur l’intelligence et la puissance naturelle leur
paraît moins bien que celle fondée sur l’humilité (kénose) et sur l’amour. De
tout cela, on peut dire qu’il n’y a pas d’innocent qui choisisse l’enfer.
3. Comme on l’a vu, le seul
péché qui conduit à la damnation éternelle sans que le pardon en soit possible
est le blasphème contre l’Esprit Saint. Un tel péché vient d’un amour de soi et
de sa propre excellence poussé jusqu’au mépris de Dieu. Il est peu probable
qu’il puisse exister chez un petit enfant. En effet, leur imperfection
naturelle les rend peu enclin à l’orgueil. Cependant, on doit admettre que, du
point de vue théorique, la possibilité d’un choix conduisant en enfer existe
sans quoi il n’y aurait pas de choix possible.
Objections
:
1.
« Un petit enfant, cela
ne se damne pas »[1084], dit sainte Thérèse de
l’Enfant Jésus. De plus, ils sont aussi parfaitement heureux que les adultes,
de même « qu’un petit vase est peut être complètement plein aussi bien
qu’un grand ».[1085] Donc la mort précoce des
enfants n’est pas, en ce qui concerne la vie éternelle, de grande conséquence.
2. Que les enfants morts
prématurément restent déficients dans leur perfection naturelle puisqu’ils
n’ont pu se développer normalement selon les conditions de leur intelligence,
cela est compensé par la communication d’une éducation au moment de leur mort.
Donc les enfants n’ont aucun inconvénient à leur mort précoce.
3. Nous avons vu que les
enfants ne se damnent pas. Certains d’entre eux, s’ils avaient vécu auraient
certainement choisi l’enfer. Il aurait mieux valu pour celui qui livre le fils
de l’homme qu’il ne naisse pas. Il est donc mieux pour eux qu’ils n’aient pas
vécu.
4. Jésus dit[1086] : « Laissez les petits enfants
venir à moi ; ne les empêchez pas, car c'est à leurs pareils qu'appartient le
Royaume de Dieu. En vérité je vous le dis : quiconque n'accueille pas le
Royaume de Dieu en petit enfant, n'y entrera pas. » C’est donc
qu’il est avantageux de mourir et de rencontrer Jésus en étant encore enfant.
Cependant :
La fonction du théologien dans l’Église est comparable à celui des
étoiles pour le marin. Elles indiquent la direction. Si les étoiles tombent du
Ciel sur la terre, comme le dit l’Apocalypse de saint Jean, que reste-t-il de
leur fonction ? Le code de droit Canonique de 1983 va jusqu’à faire de
l’encouragement à l’avortement (sauf si la survie de la mère est en jeu au plan
thérapeutique) un cas d’excommunication ipso facto. Le pape Jean-Paul II
qualifiait cet acte d’abominable[1087]. Il le comparait parfois
par sa masse aux grands génocides du XXe siècle. C’est une parole
forte. Il est évident qu’il ne s’agissait pas pour le Pape de comparer
l’intention des nazis à celle des mères en détresse. L’analogie porte sur un autre
point, à savoir le nombre des morts. Et c’est cet aspect oublié de manière
quasi systématique par la théologie, qu’il faut rappeler ici. Il s’agit d’un
domaine essentiel de la foi catholique, de la révélation d’en haut.
Conclusion :
Si l’Église catholique dans son Magistère[1088] s’oppose avec tant de force
à l’avortement, c’est qu’elle croit que cet être qu’on fait disparaître, bien
que doté en apparence d’une seule vie biologique, a déjà certainement reçu son
âme spirituelle. Cette âme, siège de l’intelligence et de l’amour, n’est autre
que ce qui survit à la mort. Abraham, Adam et Ève existent actuellement,
pensent et aiment parce qu’ils ont une âme spirituelle immortelle. Son
existence ne peut être mise en doute au plan de la Révélation. Le Christ en a
parlé explicitement plusieurs fois, en particulier en disant à l’homme crucifié
à sa droite : « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le paradis. » (Sous-entendu
: sans ton corps charnel).
Un doute subsiste cependant dans l’enseignement de l’Église :
Quand cette âme créée par Dieu est-elle donnée à l’enfant ? Au XIIéme
siècle, saint Thomas d’Aquin penchait pour le sixième mois après la conception.
N’était-ce pas le moment où Jean Baptiste visité par Marie avait tressailli
dans le ventre de sa mère ? S’il en était ainsi, l’avortement jusqu’au sixième
mois ne serait pas « un crime abominable. » Il ne serait pas un crime au sens strict, un homicide, mais un
simple péché contre la vie à venir et non encore venue. Saint Thomas n’avait
pas à son époque tous les instruments de la foi dont nous disposons
aujourd’hui.
Pourtant, il est étonnant de constater qu'il n'a pas vu ceci :
Marie reçoit l'annonce de l'ange. Elle dit « qu'il me soit fait selon ta
parole. » Le lendemain sans doute, elle se rend chez Elisabeth et,
lorsqu'elle la rencontre, il se produit une osmose, d'âme à âme, entre son
enfant (Jésus) et l'enfant d'Elisabeth (Jean) : « Mon fils a tressailli dans mon sein », témoigne Elisabeth. Tout ceci fait plus qu'indiquer, au plan
théologique, une très rapide animation de l'enfant Jésus, donc de nous-mêmes
car le Verbe suit en tout la nature humaine quand elle n'est pas liée au
péché...
Autre signe concordant : En 1854, le pape Pie IX proclamait comme
une certitude venant d’en haut l’Immaculée conception de la vierge Marie. Cette
révélation semble être sans rapport avec l’avortement. Il n’en est rien. Le
fait que Marie soit immaculée dans sa conception signifie qu’elle vivait, dès
sa conception, de la présence de Dieu, de la même manière qu’Ève en vivait au
jardin d’Eden. Si Dieu était là, c’est donc que Marie le recevait dans son âme.
Le fait, d’autre part, que la conception de Marie soit fêtée le 8 décembre,
soit neuf mois avant sa naissance, ne laisse aucun doute sur ce qu’il faut
entendre par conception. Marie est de la race humaine, comme tout enfant à
naître. Tout indique donc que, pour elle comme pour eux, âme est donnée par
Dieu très tôt après l’acte de procréation des parents.
Dans cette perspective, on comprend que pour le Magistère,
l’avortement quel qu’il soit, même celui de la pilule du lendemain, prend une
dimension vertigineuse. Ce n’est pas qu’un morceau de chair qui disparaît mais
un véritable être humain qui dormait encore, un petit enfant. Il n’y a aucune
différence de nature entre les saints innocents de l’Évangile (tués par Hérode)
et ces enfants-là. Et même si les mères qui pratiquent cet acte ne savent pas
qu’elles ont un vrai enfant en elles et sont donc non coupable d’homicide, de
fait, il s’agit d’un homicide objectif. Il n’y a pas de péché chez la mère si
elle ignore ce qu’elle fait, mais il y va de la mise à mort d’un homme.
Sainte Thérèse de Lisieux disait avec raison : « un
petit enfant, cela ne se damne pas »[1089]. Elle montrait que
l’hypothèse des limbes éternels émise par saint Augustin se méprend sur Dieu.
Dieu n’a pas besoin qu’un enfant soit baptisé avec de l’eau pour lui donner le
baptême de sa présence. Mais tout homme, quel qu’il soit (même un embryon),
entre dans le Royaume de Dieu à la mesure précise de son désir de Dieu. Plus le
cœur de l’homme aime Dieu et désire le voir, plus il le voit. Or, il existe une
voie dont l’utilité est de creuser le désir du cœur de l’homme, c’est celle de
la vie terrestre. Par l’absence de Dieu, par son silence, par les diverses
épreuves qui l’émaillent, le cœur de l’homme s’approfondit. Si la vie terrestre
est voulue par Dieu, c’est qu’elle est utile. Elle est ainsi faite qu’il est
difficile d’en sortir sans une conscience profonde de sa petitesse. La mort se
charge de la rappeler. De plus, l’apparition du Christ à l’heure de la mort,
après un si long temps d’exil enflamme le désir de voir Dieu de manière
incroyable.
Quant au petit enfant mort avant d’avoir
vécu sur cette terre, lorsqu’il est accueilli par le monde des saints, il ne
rejette certes pas Dieu. Mais il s’y porte avec un petit désir d’innocent, avec
un cœur qui n’a pas été préparé aussi efficacement que dans les errances de
cette terre. Son éternité s’en trouve directement modifiée. D’où la gravité,
pour un croyant de l’acte d’avortement volontaire.
Solutions :
1. Il ne faut pas déduire de
cela que l'avortement des enfants n’est pas une chose en définitive si grave.
La vie terrestre est faite pour les enfants. Nul n'a le droit de la leur
refuser car elle est un cheminement de maturité dans l'humilité (kénose) et
l'amour. La vision béatifique n'est donnée qu'à la mesure de la taille du cœur,
c’est-à-dire de son désir d’aimer. Morts sans avoir vécu, ils parviennent
certes quasi infailliblement au Ciel. Mais leur désir de Dieu n’ayant pas été approfondi
par les diverses souffrances et manques d’ici-bas, ils sont éternellement comme
sous-développés du point de vue de l’amour et de la kénose. Ils sont donc
réellement défavorisés pour l’éternité. Mais Dieu, heureusement, dispose pour
eux de moyens ignorés de nous pour faire grandir en eux ce désir unique, que
seule la souffrance peut creuser. Des témoignages riches et concordants
montrent que ces enfants sont souvent soumis à un vrai temps d’errance entre ce
monde et l’autre. Le but ne peut qu’être unique : l’acquisition de cette
« kénose » si fondamentale pour le salut.
2. Ce n’est pas au plan naturel
que leur mort prématurée est une perte mais au plan surnaturel en ce sens qu’il
seront privés à jamais de certains moyens en vue de l’humilité (kénose) et de
l’amour que permettent "la grande épreuve"[1090] de la vie terrestre. Ce
manque dans la formation de leur cœur n’est pas source de regret pour eux,
d’abord parce que Dieu pourvoie par d’autres moyens comme la solitude d’un
temps d’errance, ensuite parce que, une fois au paradis, ils sont comblés de
béatitude : « Bienheureux es-tu père, d’avoir caché cela aux sages et aux
intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits. » Elle est source
d’un grand regret pour leurs parents, en cas d’avortement volontaire, quand ils
sont présentés à leur enfant à l’heure de la mort, même s’il est évident que la
réconciliation entre eux sera totale au paradis.
3. Le choix de l’enfer se fait par un acte libre. Il implique un orgueil
vertigineux et peut être le fait de toute créature spirituelle créée libre, y
compris, en soi, par les enfants. Quand on les considère, il vaut mieux
raisonner en sens inverse. S’ils avaient vécu, ils seraient peut-être devenus
de grands saints.
4. Ce que Jésus exalte dans l’esprit d’enfance, ce n’est pas l’absence de
jugement et la puérilité mais c’est la confiance et l’écoute que manifestent
les enfants. Or la vie terrestre et ses épreuves est efficace pour à la fois
faire disparaître la puérilité et pour faire grandir un désir d’amour très
profond et une humilité très grande. Par leur mort précoce, les enfants ne
reçoivent pas cette chance. Reste à espérer que Dieu, par un moyen connu de
lui, leur fait expérimenter une vraie kénose.
Objections :
1. La maxime dogmatique des
Pères : « Hors l’Église, pas de salut » montre qu’il n’en est
rien.
2. Comment pourraient-ils être
sauvés ? Saint Paul l’affirme[1091] : « Quiconque invoquera le nom
du Seigneur sera sauvé. Mais comment l’invoquer sans d'abord croire en lui ? Et
comment croire sans d'abord l'entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ?
Et comment prêcher sans être d'abord envoyé ? » Donc les païens,
parce qu’ils n’ont pas entendu la parole, ne peuvent être sauvés.
3. Si Dieu retarde pour eux la
prédication de son salut jusqu’à la onzième heure de leur vie (le passage de la
mort), il prend des risques inconsidérés pour leur salut, puisqu’il les laisse
s’habituer à une vie de péché. Ce qui n’est pas convenable.
Cependant :
Après le Concile Vatican II,
la foi en ces domaines peut se résumer ainsi[1092] : « À toute époque et en toute nation Dieu a tenu pour agréable
quiconque le craint et pratique la justice (4122), (4892) ; Dans les hommes de
bonne volonté la grâce opère de manière invisible (4322) ; Le dessein de salut
englobe aussi ceux qui connaissent le Créateur, en particulier les musulmans
(4140) Dieu n’est pas loin non plus de ceux qui cherchent le Dieu inconnu dans
les ombres et sous des images (4140) ; Ceux qui, sans qu’il y ait de leur
faute, ne connaissent pas l’Évangile du Christ et son Église, mais cherchent
Dieu d’un cœur sincère et s’efforcent d’accomplir sa volonté, peuvent obtenir
le salut éternel (4140) ; La Providence divine ne refuse pas non plus les aides
nécessaires au salut à ceux qui de leur part ne sont pas encore parvenus à une
reconnaissance expresse de Dieu et qui travaillent, non sans l’aide divine, à
mener une vie droite (4140). » C’est
donc que les païens peuvent être sauvés.
Conclusion :
Des centaines de millions d’hommes vivent loin de l’Évangile sur
des continents non encore visités par les missionnaires. La faute n’en est pas seulement
aux péchés des chrétiens car la foi est d’abord un don que Dieu peut faire à
qui il veut et quand il veut. Il existe aussi une volonté mystérieuse de
l’Esprit. Pourquoi l’évangélisation des peuples fut-elle si difficile et
incomplète ? Les Actes des apôtres montrent que l'Esprit Saint ne voulut pas
que l'Évangile soit annoncé tout de suite partout[1093] : « Paul voulut aller en Asie mais l'Esprit
Saint l'en empêcha. » Cela
peut paraître scandaleux mais c’est un fait qui explique aussi pourquoi Jésus a
tant tardé après le péché originel à s’incarner. L’Esprit n’a jamais voulu que
le monde d’ici-bas soit totalement chrétien, tant l’unité complète, en cette terre, est source d’orgueil comme à
Babel. De même, il ne
voudra jamais qu’il soit entièrement musulman[1094]. Le Christ ne désire qu’une chose, que tous soient sauvés, à l’heure dite
et quand la moisson est mûre, par l'amour de son Fils. Et puisqu'un
christianisme fort au plan social contient des chrétiens fiers politiquement et
des clercs sûrs d'eux, à tous points de vue, il préférera un christianisme
faible, divisé, frappé d'hérésies mais plus conscient de sa pauvreté. Le salut des païens
ne peut que l’inquiéter et augmenter en elle prière et zèle pour Dieu.
Quant aux païens, s’ils ne sont pas encore dans la bergerie de
Jésus, c’est qu’ils ont leur propre chemin conduisant au salut qu’ils ignorent
encore. Si ces païens ne savent pas encore que Jésus est le Créateur fait
homme, ils l'apprennent au moment de leur mort, comme tout homme. Les chemins
de la pire des superstitions servent Dieu pour leur salut car lorsque des
peuples écrasés par la domination des sorciers dont la puissance vient du
démon, découvrent à l'heure de la mort la liberté de l’Évangile, ils se
convertissent en masse.
Il en sera de même à la fin
du monde lorsque, face à une humanité donnée au projet desséchant pour l’âme du
dernier Antéchrist. C’est pour le salut des hommes aussi, à cause de l’humilité
qui, par la souffrance, fonde le désir d’un salut, que Dieu laissera à
l’Antéchrist un grand pouvoir jusqu’à la fin du monde : Comme dit saint
Paul, en comparaison de la douceur du Christ à l’heure de sa Venue, le pouvoir
de l’Antéchrist sera anéanti de la plupart des cœurs[1095].
Solutions :
1. Le pape Pie IX donne la
manière dont doit être interprétée cette maxime dogmatique[1096] : « Il faut donc tenir, de foi, que personne ne peut être sauvé en
dehors de l’Eglise romaine apostolique, qu’elle est l’unique arche du salut
celui qui n’y est pas entré périra par le déluge ; mais cependant, il faut
tenir également pour certain que ceux qui souffrent de l’ignorance de la vraie
religion, ignorance invincible, n’en sont nullement rendus coupables aux yeux
du Seigneur. Qui serait assez présomptueux pour pouvoir marquer les limites de
cette ignorance, vu la nature et la variété des peuples, des régions, des
esprits et d’autres nombreux facteurs. Lorsque, dégagés des liens du corps,
nous verrons Dieu comme il est[1097], nous comprendrons le lien
serré et magnifique qui unit la miséricorde et la justice divines. Mais aussi
longtemps que nous sommes sur cette terre, accablés par cette masse mortelle
qui engourdit l’âme, tenons très fermement, d’après la doctrine catholique,
qu’il y a "un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême »[1098]. Il n’est pas permis à
notre recherche d’aller plus avant. »
Le Saint Office commente cette position de l’Église[1099] : « Par ces sages paroles, il
condamne à la fois ceux qui excluent du salut éternel tous les hommes qui ne
sont unis à l’Église que par un désir implicite et ceux qui affirment faussement
que les hommes peuvent également bien être sauvés dans toute religion. Il ne
faut pas penser non plus que n’importe quelle sorte de désir d’entrer dans
l’Église suffise pour être sauvé. Car il est nécessaire que le désir qui
ordonne quelqu’un à l’Église soit animé par la charité parfaite. Le désir
implicite ne peut avoir d’effet que si l’homme a la foi surnaturelle. Celui qui
vient à Dieu doit croire que Dieu existe et qu’il récompense ceux qui le
cherchent »[1100]. Le concile de Trente
déclare "La foi est le commencement du salut de l’homme, le fondement
et la racine de toute justification, sans laquelle il est impossible de plaire
à Dieu[1101] et de parvenir à partager
le sort de ses enfants. » Nous avons montré de quelle manière
se produit ce salut. À l’heure de leur mort, donc durant leur vie terrestre,
les païens reçoivent la révélation de l’Évangile. La droiture de leur volonté
les conduit à y adhérer sans retenue. Ils sont donc, comme le dit l’Église,
sauvés durant leur vie, par l’acte de leur charité, au sein de l’Église.
2. Il n’y a pas de salut sans charité, de charité sans foi et de foi
sans prédicateur de l’Évangile. Dieu confie cette prédication à son Église
militante. Mais il le fait dans sa sagesse pour lui permettre de participer au
salut des hommes. Il serait aberrant de croire que des hommes furent damnés
parce que l’Église militante a sans cesse failli à cette mission. Il prévient
les apôtres[1102] : « Quand vous aurez fait tout
cela, dites-vous que vous êtes des serviteurs inutiles », inutiles
c’est-à-dire remplaçables. C’est pourquoi, à l’heure de la mort, il accomplit
lui-même, avec l’Église glorieuse, la prédication parfaite. Les saints du Ciel
deviennent apôtres et prédicateurs, comme le disait sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus. Saint Thomas d’Aquin, confronté à cette certitude indique dans
un texte bref la manière dont ce salut pourrait être réalisé, sans aller plus
loin[1103] : « A un homme qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison
naturelle pour chercher le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très
certain que Dieu révélerait par une inspiration intérieure les choses qu’il est
nécessaire de croire ou lui enverrait quelque prédicateur de la foi, comme
Pierre à Corneille. » Il faut
corriger et élargir son opinion en disant que tout homme sans exception, digne
ou indigne, de bonne ou de mauvaise volonté, reçoit dans le passage de la mort
la proposition du salut.
3. Dieu a organisé les lois de ce purgatoire qu’est la terre, ainsi
que celles du passage de la mort de telle manière que tout homme expérimente sa
misère. Lorsqu’il laisse certains vivre des péchés mortels liés à leur
ignorance et à leurs passions, c’est pour qu’ils s’y épuisent. A l’heure de sa
Venue, il espère alors opérer un retournement d’autant plus puissant que les
hommes ont vécu dans une absence totale de la vie de la grâce, selon cette
réflexion[1104] : « A cause de cela, je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés,
lui sont remis parce qu'elle a montré beaucoup d'amour. Mais celui à qui on remet
peu montre peu d'amour." Saint Paul met cependant en garde les chrétiens
contre l’abus qu’ils pourraient être tentés de faire de cette pastorale du
Christ envers les païens[1105] : « Que dire alors? Qu'il nous faut rester dans le péché, pour que la
grâce se multiplie? Certes non! Si nous sommes morts au péché, comment
continuer de vivre en lui? »
Objections :
1. La pratique de l’Église a
été jusqu’au concile Vatican II de refuser les funérailles ecclésiastiques aux
suicidés et parfois leur enterrement en terre bénie. Cette réprobation de
l’Église semble être le signe de la réprobation de Dieu.
2. On se suicide par désespoir.
Or, nous l’avons dit[1106], le désespoir est un péché
contre l’Esprit Saint qui est impardonnable ni dans ce monde ni dans l’autre.
Donc les suicidés sont damnés.
3. Ceux qui se suicident à cause d’un désespoir commettent un péché
mortel au moins d’ignorance ou de faiblesse, directement contre l’amour. On le
constate facilement en regardant la souffrance et la culpabilité de ceux qu’ils
laissent sur terre. Or le Royaume de Dieu est donné à l’amour. Donc il n’y a
pas de salut pour eux.
Objection en sens contraire
:
Il semble que le suicide
conduit directement au paradis puisqu’il peut être l’acte ultime d’un amour
impossible.
Cependant :
À propos d’un suicidé, le
curé d’Ars disait : « Entre le pont et l’eau, elle s’est repentie.
» Donc il existe un salut pour les suicidés.
Conclusion :
De nos jours, nul ne se permet plus d’affirmer avec certitude la
damnation des suicidés. Cependant outre ce regard plus vrai sur leur personne,
il convient de parler de l’acte du suicide. On peut le considérer de deux
manières. 1° Objectivement,
c’est-à-dire en tant qu’il constitue un acte moral ; 2° Subjectivement, c’est-à-dire en fonction de l’intention de celui
qui se suicide.
1° Puisque Dieu existe,
puisque la vie terrestre est une préparation à la vie éternelle, on doit en
toute vérité affirmer que le suicide est un acte qui déplaît à Dieu. Commis par
désespoir, il est en soi, un péché mortel. Le temps des larmes, donc de la
terre, est utile pour appauvrir le cœur. Il n’est que passager et prépare le
temps où Dieu essuiera toutes les larmes. Les mystères douloureux sont suivis
par les mystères glorieux. L'homme qui supprime sa vie, même pour des motifs
bien excusables comme l’ignorance involontaire du projet de Dieu ou une trop
grande souffrance, regrette son acte dans l'autre monde. Il se rend compte
objectivement que son cœur aurait pu être davantage purifié, appauvri et rendu
miséricordieux. Au purgatoire du Ciel, il y a certaines choses qu’on ne peut
plus acquérir. Seul le purgatoire de la terre permet, par exemple,
d’approfondir la soif d’aimer et d’être aimé. Arrivé dans l’autre monde, face à
l’apparition du Christ, l’homme tourne vers lui tout l’amour dont il est
capable, d’où l’impossibilité de grandir dans l’amour après la mort. Or c'est
la mesure de ce désir qui nous vaudra de voir Dieu, et ce désir est lié
intimement à ce que l’homme a touché de lui-même sur la terre.
2° Au plan subjectif de la
culpabilité, le suicide est un péché qui doit être compris comme tous les
autres. Il est la plupart du temps le fruit d’une faiblesse et d’une ignorance
conjointes. Dans cette lumière, il est possible de dire ce qui suit : parce
qu’ils ont beaucoup souffert et, par là, ont touché plus que tout autre leur
petitesse, les désespérés choisissent la plupart du temps la grâce et les
conditions de la vision béatifique. De plus, ayant été creusés par une grande
souffrance, ils s’y portent avec un grand désir. Ils reconnaissent le Christ
qui leur apparaît le bien qu’ils avaient toujours cherché, même dans les
créatures.
Mais le suicide peut être parfois l’acte ultime et choisi d’une
perversion volontaire poussée jusqu’au bout. Ceux qui se suicident pour un
orgueil ou un égoïsme poussés jusqu’au bout, comme on le voit d’Hitler qui
voulait voir disparaître avec lui son peuple, il faut parler autrement. Si l’orgueil
est maintenu obstinément face à la parousie du Christ, il devient un blasphème
contre l’Esprit et conduit immédiatement en enfer. Est-ce le cas
d’Hitler ? Il est impossible de le savoir de manière absolue.
Ce qui est sûr et universel
c’est que, quelle que soit la cause du suicide, les personnes sont accueillies
dans le passage de la mort – soit tout de suite, soit après un temps de shéol-,
comme tout homme, par le Christ, les anges et les saints, avec la présence de
Lucifer. Elles reçoivent la révélation de l’Évangile, de l’Église du Ciel, des
conditions présupposées. Il demande comme conditions de leur salut la
contrition des péchés et l'amour de charité.
Solutions :
1. Jadis, la sépulture chrétienne était refusée aux suicidés. Mais il
s’agissait d’une pratique pastorale visant à éviter, surtout dans les périodes
de peur, par une autre peur, des épidémies de suicide. Elle était fondée sur
une théologie. Pour le croyant en effet, la vie appartient à Dieu. Il l’a donné
en cadeau. La refuser, y mettre volontairement fin est un acte contraire à la
logique de la foi.
Même si le fond de vérité théologique reste inchangé, les choix
pastoraux de l’Église se sont radicalement transformés. Les prêtres ne refusent
plus les prières aux suicidés – sauf dans le cas exceptionnel où une personne
en fait un acte revendiqué publiquement comme antichrétien- et, au contraire,
l’Église, soumise elle-même à des souffrances et à des pauvretés dans un monde
de plus en plus déchristianisé, a une meilleure compréhension de ce qui peut
mener à un tel acte. Par contre, au delà de ces deux pratiques, jamais l’Église
dans son Magistère officiel ne s’est prononcée sur le salut ou la damnation des
suicidés qu’elle considère comme le domaine du jugement de Dieu.
2. Il ne faut pas confondre le désespoir qui est une notion
psychologique et morale, avec le blasphème de désespérance contre l’Esprit qui
est une notion purement morale puisqu’il est une volonté consciente, lucide,
maîtresse d’elle-même face au Christ qui propose son pardon, de ne pas estimer
comme un acte digne cette proposition, vu la grandeur du péché. Au contraire,
la plupart de ceux qui se suicident le font parce qu’ils estiment que la vie
n’est plus un cadeau valable. Les limites qui les enserrent leur deviennent
insupportables. « On a beau dire, écrit une jeune suicidée, que ce
n’est pas si grave, que tout ira mieux demain, le bilan est aujourd’hui négatif
: plus moyen d’ouvrir un crédit à la vie ». Ce grand désespoir vient
toujours de l’absence de ce qui donne sens à la vie. « Là où est ton
trésor, là aussi est ton cœur », disait le Christ[1107]. Il peut s’agir d’une perte
de son bien ultime, parfois de manière brutale. Aussi divers que sont les biens
qui peuvent combler la vie d’un homme, qu’ils soient réels ou faussement séducteurs,
aussi divers sont les motifs du suicide. Il peut aussi s’agir de l’absence
chronique du sens de la vie, dans des sociétés sans espérance après la mort
puisque l’homme se nourrit de manière ultime de la certitude que Dieu existe et
que la vie a un sens.
Tout grand amour, même bon
au plan humain, même chrétien, mais devenu en apparence impossible, peut
conduire à la pensée du suicide. Qu’on se souvienne de sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus. Sincèrement donnée à Dieu, elle éprouva de sa part la même
épreuve que Jésus sur la croix, l’impression d’être abandonnée par lui. Elle
avoue elle-même, dans ses souffrances physiques sans consolations spirituelles,
avoir pensé souvent au suicide. Ainsi en est-il pour les athées, elle le
comprit pleinement, et ne put jamais plus les condamner. L’homme sans espérance
pour l’autre monde, qui donne toute son amitié à une autre personne et se
trouve séparé d’elle, sans espoir possible de retour, sans même croire qu’elle
peut survivre à la mort, peut être amené à se donner la mort. Son acte prend
souvent une dimension double : prouver à l’ami qu'il l'aimait et faire
disparaître la souffrance d'une vie devenue inutile. Le désespoir peut être
plus réfléchi et plus calme, lorsque le malheur arrive lentement et inexorablement
chez un homme préparé à le recevoir. Ainsi voit-on des personnes atteintes de
longues maladies ou par la vieillesse demander l’euthanasie pour supprimer,
après mûre réflexion, leur vie condamnée. L'acte est parfois posé non à cause
de la souffrance physique mais "parce qu'il vaut mieux éteindre au plus
vite ce qui, de toute façon, s’achèvera dans le néant." Le désespoir de la
non-croyance conduit à l’euthanasie et c’est fort compréhensible : Seul le
croyant peut imprégner de sens son agonie puisqu’il croit que son cœur est
préparé par ces souffrances ultimes à une autre vie.
Dans des cas exceptionnels,
le suicide trouve un autre motif que le désespoir. Certains disciples de Sartre
se donnèrent la mort dans une optique d’exaltation de soi. Ils y voyaient un
rêve de toute puissance au moment même où l’on se sent impuissant, le rêve de
Prométhée chez les grecs ou d’Adam et Ève dans la Bible : « Vous serez comme des dieux
», avec droit de vie et de mort. Ils ne résistèrent pas au désir de
poser ultimement leur liberté. Ils constituaient par là un acte de péché
spirituel plus grave et sans commune mesure avec le désespoir dont nous parlons
ici.
Mais, la plupart du temps, étant lié à une passion de désespoir et
à une ignorance de l’importance de vivre sa vie terrestre jusqu’au bout, le
suicide constitue un péché mortel certes, mais sans comparaison avec la mort du
blasphème contre l’Esprit. Il ne conduit donc pas en enfer.
3. Deux conditions morales sont
nécessaires pour entrer dans la gloire. 1°
À titre de fondement, l’humilité est requise puisqu’elle dispose
l’esprit à recevoir, donc à donner. Ceux qui se suicident le font presque tous
à cause d’une grande souffrance. De ce point de vue, ils sont disposés à
l’humilité parce que, ce qu’ils ont souffert constitue au minimum une
humiliation. 2° L’autre condition, à
titre de mérite immédiat est l’amour. Que certains se suicident à cause
du désir d’un amour réel ou, au contraire, à cause de l’égoïsme, cela apparaît
en pleine lumière devant l’apparition du Christ qui sépare l’or de la paille.
Les hommes de bonne volonté se tournent vers Dieu avec d’autant plus de force
qu’ils en désiraient, sans le savoir, la révélation. Les égoïstes se tournent
vers l’enfer. La plupart des suicidés sont sauvés, puisque leur acte vient d’une
trop grande soif de l’amour.
4. Il existe effectivement des
suicides héroïques. Pour ne pas livrer sous la torture les noms de leurs
camarades de combat, bien des hommes agirent ainsi. Leur suicide ne constitue
pas un péché, bien au contraire. Il ne faut pas confondre cet acte ultime avec
l’acte d’un chantage à l’amour. Se suicider pour faire souffrir l’aimé
considéré comme indigne n’est pas exempt d’un calcul égoïste. L’imperfection
dans l’humilité (kénose) est comme le foin, la paille et les poutres. Ils
seront purifiés au purgatoire.
Quinze demandes[1109] :
1° Les suffrages d’un
fidèle peuvent-ils être utiles à un autre ?
2° Les morts
peuvent-ils être aidés par les œuvres des vivants ?
3° Les suffrages des pécheurs
peuvent-ils être utiles aux défunts ?
4° Les suffrages pour les
défunts sont-ils utiles à leurs auteurs ?
5° Sont-ils utiles aux damnés
?
6° À ceux qui sont à l’heure
de leur mort ?
7° Aux âmes du purgatoire ?
8° Aux enfants morts sans
baptême ?
9° Aux bienheureux ?
10° Les prières de l’Église, le
saint sacrifice et l’aumône sont-ils utiles aux défunts ?
11° Les indulgences accordées
par l’Église ?
12° Les cérémonies des obsèques
?
13° Les suffrages spécialement
destinés à un défunt sont-ils plus utiles à lui qu’aux autres ?
14° Les suffrages destinés à
plusieurs sont-ils aussi utiles à chacun que s’ils lui étaient uniquement
destinés ?
15° Les suffrages communs
sont-ils aussi utiles à ceux qui n’en ont pas d’autres que le sont les
suffrages spéciaux et les suffrages communs à ceux qui bénéficient des uns et
des autres ?
Objections :
1. « Ce qu’on aura semé, dit
saint Paul, on le moissonnera. » Mais
profiter des suffrages d’un autre, c’est moissonner ce que l’on n’a pas semé.
La réponse semble donc négative.
2. La justice de Dieu a pour
fonction de rendre à chacun selon ses mérites. "Tu rends à chacun selon
ses œuvres », dit le psalmiste. Mais cette
justice est indéfectible et empêche donc qu’on puisse se prévaloir des œuvres
d’autrui.
3. Une œuvre est méritoire pour
la même raison qu’elle est louable, et qui est qu’elle soit volontaire. Or, une
œuvre étrangère ne nous attire aucune louange ; elle ne nous confère donc aussi
aucun mérite.
4. La justice divine récompense
le bien comme elle punit le mal. Or, personne n’est puni pour le mal commis par
un autre : « L’âme qui pèche, c’est
elle qui mourra. » Le bien n’est donc
pas davantage communicable.
Cependant :
1° Le Psalmiste dit : « J’ai part avec tous ceux qui te
craignent », etc.
2° Tous les fidèles unis par
la charité ne font qu’un seul corps, qui est l’Église. Mais, dans un même
corps, les membres s’aident les uns les autres.
Conclusion :
Nos actes peuvent avoir un double effet : l’acquisition d’un état,
par exemple la béatitude par les œuvres méritoires ; l’acquisition de quelque
chose d’accessoire à cet état, par exemple, une récompense accidentelle ou la
rémission d’une dette. De plus, nos actes peuvent obtenir ce double effet d’une
double manière : par mode de mérite, par mode de prière ; et ces deux modes
diffèrent en ce que le premier repose sur la justice, le second, sur la seule
libéralité de celui que l’on prie.
Il faut donc répondre que, s’il s’agit d’un état, personne ne peut
l’obtenir pour un autre par mode de mérite, en ce sens qu’il est impossible
que, par mes bonnes œuvres, un autre mérite la vie éternelle. En effet, l’état
de gloire est accordé à chacun selon sa capacité, selon les dispositions qui
proviennent de ses actes, de sa charité et non de celle d’autrui ; en notant
bien qu’il s’agit des dispositions qui rendent digne de la récompense.
Mais, par mode de prière, on le peut, tant que le terme n’est pas
atteint ; par exemple, on peut obtenir pour un autre la proposition de la
grâce. Puisque l’efficacité de la prière dépend de la libéralité de Dieu que
l’on prie, elle peut donc s’étendre à tout ce que la toute-puissance divine
peut réaliser, en harmonie avec l’ordre providentiel.
S’il s’agit de quelque chose d’accessoire à un état, on peut
l’obtenir pour un autre non seulement par mode de prière, mais encore par mode
de mérite ; et cela, de deux manières. 1°
En vertu d’une communication dans le principe radical de l’œuvre, qui est la
charité pour les œuvres méritoires. De là vient que chacun de ceux qui sont
unis ensemble par la charité bénéficie des bonnes œuvres de tous ; chacun
cependant, selon l’état où il est : c’est ainsi qu’au Ciel chacun des élus se
réjouit du bonheur de tous les autres. C’est ce qu’exprime l’article du Symbole
de la foi sur la communion des saints. 2° En vertu de l’intention de celui qui fait de bonnes œuvres, et
qui les fait spécialement dans le but qu’elles soient utiles à celui-ci ou à
celui-là. Dès lors, ces œuvres appartiennent en quelque sorte à ceux pour qui
elles ont été faites, par une espèce de donation. Elles peuvent donc leur
servir, soit pour satisfaire à la justice de Dieu, soit pour toute autre chose
qui les laisse dans l’état où ils sont.
Solutions :
1. La moisson dont il s’agit
ici, c’est la vie éternelle : « Le
moissonneur… recueille du fruit pour la vie éternelle. » Or, la vie éternelle n’est accordée qu’en récompense d’œuvres
personnelles. Si on l’obtient pour un autre, c’est toujours à la condition que
celui qui la reçoit la méritera –par sa propre charité- par ce qu’il fera
lui-même : les prières lui valent la grâce dont le bon usage, qui dépend de lui
seul, lui mérite la vie éternelle.
2. L’œuvre faite pour quelqu’un
lui appartient ; de même, l’œuvre faite par celui avec lequel je suis un, est
en quelque sorte mienne. Il n’est donc pas contraire à la justice de Dieu que
quelqu’un bénéficie des bonnes œuvres de ceux qui lui sont unis par la charité
ou des bonnes œuvres faites à son intention. La justice humaine elle-même
permet qu’un homme satisfasse à la place d’un autre.
3. La louange récompense la
manière d’agir : c’est cette relation de puissance à acte qu’elle vise. Or,
l’œuvre d’autrui ne met et ne montre en nous-mêmes aucune disposition à agir
bien ou mal : c’est pour cela qu’elle ne nous attire aucune louange, sinon
indirectement, dans la mesure où nous y avons contribué par nos conseils, notre
assistance, nos encouragements, etc. - Au contraire, une œuvre peut être
méritoire pour quelqu’un, non pas toujours en proportion de son état ou de ses
dispositions, mais par rapport à quelque chose d’accessoire.
4. Enlever à quelqu’un ce qui
lui est dû est directement contraire à la justice ; lui donner ce qui ne lui est
pas du n’est pas contraire, mais supérieur à la justice : c’est de la
libéralité. Or, nul ne peut être puni pour les fautes d’autrui qu`en perdant
quelque chose de son bien personnel, ce qui répugne tout autrement que de
gagner quelque chose par les bonnes œuvres d’autrui
Objections :
1. Saint Paul dit : « Nous tous, il nous faut comparaître
devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qu’il a mérité étant
dans son corps, selon ses œuvres. »
Il semble donc qu’aucune œuvre ne puisse être utile à l’âme séparée de son
corps par la mort.
2. Même conclusion négative suggérée par ce texte de l’Apocalypse : « Heureux les morts qui meurent dans le
Seigneur! Car leurs œuvres les suivent. »
3. Une œuvre ne peut aider à avancer que si l’on n’est pas encore au
terme. Or, les morts ont atteint le terme ; car, on peut mettre sur leurs
lèvres ces paroles de Job "Il m’a barré le chemin et je ne puis passer. »
4. La condition, pour aider quelqu’un, c’est d’être en communication
avec lui. Or, selon Aristote, toute communication est coupée entre les morts et
les vivants.
Cependant :
1° Dès l’Ancien Testament, la prière pour les morts est
attestée : « C’est une sainte et
salutaire pensée que de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de
leurs péchés ».[1110] Mais cette prière serait
inutile, si elle ne les aidait. Les suffrages des vivants sont donc utiles aux
morts.
2° « Le sentiment de l’Église universelle, dit saint Augustin, se
manifeste avec une grande autorité par la coutume qu’a le prêtre, lorsqu’il
offre ses prières à l’autel du Seigneur, de recommander les fidèles trépassés. » Cette coutume date des Apôtres qui,
dit saint Damascène, « établirent la
pratique de faire mémoire, au cours des redoutables et vivifiants mystères, de
ceux qui sont morts dans la foi. » De
son côté, Denys signale la prière pour les défunts comme un rite pratiqué dans
la primitive Église, et affirme que les suffrages des vivants sont utiles aux
morts. C’est donc une vérité qu’il faut croire sans la moindre hésitation.
Conclusion :
Le lien de la charité, qui unit entre eux les membres de l’Église,
n’embrasse pas seulement les vivants, mais aussi les morts qui ont quitté ce
monde en état de charité car celle-ci ne cesse pas avec la vie, puisque saint
Paul l’affirme : « La charité ne
passera jamais. » De plus, les morts
continuent de vivre dans le souvenir des vivants, qui peuvent ainsi leur
appliquer leurs intentions. Dès lors, les suffrages des vivants peuvent être
utiles aux fidèles trépassés aussi bien qu’à ceux qui sont encore en ce monde,
et d’après les mêmes principes : l’union de charité, la direction d’intention.
Il faut toutefois se garder de croire que les suffrages des
vivants sont capables de faire passer les défunts de l’état de damnation à
l’état de béatitude ou réciproquement. Ils peuvent seulement contribuer à deux
choses :
1° A l’heure de la mort, alors
que l’âme n’est pas encore déterminée dans son destin éternel, ils peuvent
peser dans le sens de leur choix du salut.
2° Après la mort, dans le
purgatoire, ils peuvent en raccourcir et diminuer la peine ou à quelque autre
chose d’analogue, c’est-à-dire d’accessoire à l’état, qui est définitif.
Solutions :
1. L’âme mérite, étant dans le
corps, que les suffrages lui soient utiles après la mort. L’aide qu’elle en
reçoit vient donc de ce qu’elle a fait, étant dans le corps.
On peut encore, avec saint Damascène, entendre cette parole de la
sentence qui sera rendue au jugement dernier, où l’âme sera condamnée ou
glorifiée à jamais, selon qu’elle l’aura mérité étant dans son corps. Jusque là
les suffrages des vivants peuvent être utiles aux morts
2. Il s’agit ici expressément
de la récompense éternelle, comme l’indiquent les premiers mots : « Bienheureux les morts », etc. - Sinon, on peut répondre que
les œuvres faites pour les défunts deviennent en quelque sorte leurs œuvres.
3. Avant la parousie du Christ
et dans le passage de la mort, les âmes ne sont pas encore au terme quant à
leur orientation définitive. La prière des vivants peut alors influencer leur
choix portant pour ou contre la charité.
Après la parousie du Christ, il est des âmes qui sont au terme,
sans cependant y être tout à fait. Ce sont celles qui n’ont pas encore atteint
la récompense définitive (la vision béatifique) et en qui reste quelque chose à
purifier. On peut dire que, absolument parlant, leur chemin est "barré », en ce sens qu’aucune œuvre ne peut
désormais modifier l’état de damnation ou de salut. Mais le chemin reste
ouvert, en ce sens qu’elles n’ont pas encore atteint la plénitude du salut ;
elles peuvent donc être aidées car, à ce point de vue, elles ne sont pas encore
au terme dernier.
4. Aristote parle des relations
de la vie civile, à laquelle les morts sont morts, et qui sont par là même
impossibles entre eux et les vivants. Mais les relations de la vie spirituelle
demeurent : celle-ci est fondée sur la charité, l’amour de Dieu, « pour qui sont vivantes les âmes des
fidèles trépassés. »
Objections :
1. « Dieu n’exauce point les
pécheurs. » Leurs prières ne sont
donc point utiles aux défunts, puisque, s’il en était autrement, Dieu les exaucerait.
2. «
Employer un intercesseur qui déplaît, dit saint Grégoire, c’est
redoubler la colère et la vengeance. »
Donc, puisque tout pécheur déplaît à Dieu, ses suffrages ne l’inclinent pas à
la miséricorde.
3. Une œuvre est plus utile à celui qui la fait qu’elle ne l’est à
d’autres. Or, le pécheur ne peut rien mériter pour lui-même. Donc, pour les
autres, moins encore.
4. Une œuvre, pour être méritoire, doit être vivante, c’est-à-dire, « informée par la charité. » Or, toutes les œuvres des pécheurs
sont mortes, et donc, dépourvues de tout mérite.
Cependant :
1° On ignore qui est en état de péché, et qui est en état de grâce.
Si donc étaient utiles les suffrages de ceux-là seulement qui sont en état de
grâce, on ne saurait à qui s’adresser en faveur des défunts, et les demandes de
suffrages seraient diminuées d’autant.
2° Saint Augustin dit que les
défunts sont aidés par les suffrages, selon qu’ils l’ont mérité de leur vivant.
La valeur des suffrages dépend donc de la condition du défunt, peu importe leur
provenance.
Conclusion :
Par rapport aux suffrages des pécheurs, il faut distinguer deux
choses : 1° L’œuvre qui est opérée,
par exemple, le sacrifice de la messe : or, les sacrements de la religion chrétienne
étant efficaces par eux-mêmes indépendamment de celui qui opère, il s’ensuit
que les suffrages de ce genre sont utiles aux défunts, même s’ils viennent d’un
pécheur ; 2° L’œuvre opérante,
c’est-à-dire l’opération d’où procède l’œuvre opérée, et ici il faut encore
distinguer.
Si le pécheur agit en son nom propre, son action ne peut être
méritoire ni pour lui-même ni pour autrui ; ses suffrages sont donc dénués de
toute valeur. Mais il peut agir au nom d’un autre, et cela, de deux manières. 1/ Il peut représenter l’Église
universelle, par exemple, lorsqu’il célèbre les cérémonies des obsèques. En ce
cas, comme c’est celui au nom ou à la plate duquel est faite une action qui est
censé la faire, il en résulte que les suffrages d’un prêtre, même s’il est un
pécheur, sont utiles aux défunts. 2/
Il peut remplir le rôle d’instrument, auquel l’œuvre appartient moins qu’elle
n’appartient à l’agent principal. C’est celui-ci qui peut donner à l’action
d’être méritoire, même s’il se sert d’un instrument incapable de mériter ;
ainsi qu’il arrive dans le cas d’un serviteur, qui est en état de péché, et qui
fait une œuvre de miséricorde sur l’ordre de son maître qui, lui, est en état
de grâce. Dès lors, si quelqu’un, mourant en état de grâce, demande des
suffrages ou si quelque autre, également en état de grâce, les demande pour
lui, ces suffrages sont utiles à ce défunt, même si ceux qui les acquittent
sont en état de péché. S’ils étaient en état de grâce, leurs suffrages n’en
vaudraient que mieux puisque la valeur en serait doublée
Solutions :
1. Le pécheur ne prie pas
toujours en son propre nom, mais au nom d’un autre, et ainsi, sa prière est
digne d’être exaucée. Les pécheurs eux-mêmes sont parfois exaucés, quand ils
demandent quelque chose d’agréable à Dieu. En effet, Dieu ne réserve pas sa
bonté pour les justes, mais il l’étend aux pécheurs ; non pas à cause de leurs
mérites, mais à cause de sa miséricorde. Aussi, la Glose dit que prétendre que
Dieu n’exauce pas les pécheurs, c’est parler « sans l’onction », et comme quelqu’un qui n’est pas
pleinement illuminé.
2. La prière du pécheur, en
tant que faite par lui, n’est pas agréable à Dieu, mais elle peut l’être, en
tant qu’inspirée par celui au nom ou par ordre de qui il prie.
3. Les suffrages du pécheur lui
sont inutiles parce qu’il y a en lui un empêchement ; mais ils peuvent être
utiles à d’autres qui ne sont pas dans le même mauvais cas.
4. L’œuvre du pécheur, morte en
tant qu’elle vient de lui, peut être vivante en tant qu’elle vient d’un autre.
Les deux arguments du
Cependant : semblent exagérer en sens contraire et demandent aussi une
réponse.
1° On ne peut connaître avec
certitude l’état spirituel d’une autre personne ; on peut cependant en juger
avec probabilité sur ses actes extérieurs et visibles, d’après la parole du
Maître : « On reconnaît l’arbre à ses
fruits. »
2° Pour être utile à un
défunt, le suffrage doit trouver en lui une capacité, et celle-ci est acquise
par les œuvres qu’il a faites en cette vie ; c’est ce que dit saint Augustin.
Cependant, il faut encore que l’œuvre elle-même ait une valeur, qui ne dépend
plus de celui pour qui elle est faite, mais de celui qui la fait ou qui la
prescrit.
Objections :
1. Payer les dettes d’autrui,
ce n’est pas payer les siennes : la justice humaine le dit. Il en va donc de
même pour les suffrages par lesquels on paye la dette contractée par les
défunts envers la justice divine.
2. Ce que l’on fait, on doit le faire le mieux possible. Or, aider
deux personnes à la fois vaut mieux que d’en aider une seule. Si donc les suffrages
payaient à la fois les dettes du défunt et celles du vivant, il semble que
chacun dût faire toutes les œuvres satisfactoires pour les défunts et aucune
pour lui-même.
3. Si les mêmes suffrages
suffisent à satisfaire pour deux, pourquoi pas pour trois, pour quatre pour
tous ? Ce qui est absurde.
Cependant :
1° Le Psalmiste dit : « Ma prière retournait sur mon sein. » C’est, par retour analogue, que les
suffrages pour les défunts sont utiles à leurs auteurs.
2° « De même, dit saint
Damascène, que celui qui veut oindre un malade avec les saintes huiles, y
touche le premier avant d’en toucher le patient ; de même, quiconque travaille
au salut du prochain, est utile à lui-même d’abord, et ensuite au prochain. »
Conclusion :
Dans l’œuvre de suffrage on peut considérer deux caractères :
1° Le caractère satisfactoire,
en tant que le suffrage expie la peine en offrant pour elle une espèce de
compensation. À ce point de vue, le suffrage devient la propriété du défunt
qui en bénéficie, et il sert à payer sa dette à lui, uniquement. En effet, il
s’agit ici de justice, et la justice exige l’égalité. Or, une œuvre satisfactoire
peut être suffisante à payer une dette et insuffisante à en payer une autre en
même temps, car il est clair que deux péchés exigent une satisfaction double.
2° Le caractère méritoire, par
rapport à la vie éternelle ; c’est la charité, son inspiratrice, qui le donne
au suffrage. Ainsi considéré, celui-ci est utile non seulement au défunt, mais
plus encore au vivant.
Solutions :
Elles viennent d’être données. Les trois premiers arguments
visaient le caractère satisfactoire du suffrage ; les deux autres, au
Contraire, son caractère méritoire.
Objections :
1. Il est raconté, au 2e
livre des Macchabées que "l’on trouva, sous les tuniques de chacun des morts,
des objets idolâtriques, que la loi interdit aux Juifs » ; et, nonobstant, « Judas
envoya à Jérusalem la somme de deux mille drachmes pour être employée à un
sacrifice expiatoire. » Or, ces juifs
avaient péché mortellement en transgressant la loi, ils étaient morts en cet
état, ils étaient damnés.
2. Saint Augustin dit que, « l’utilité des suffrages consiste soit
à obtenir pleine rémission pour les défunts, soit à rendre leur état de
damnation plus supportable. »
3. Si, dès cette vie, dit
Denys, les prières des justes ont une telle puissance, combien plus, après la
mort, pour ceux qui en sont dignes. »
D’où l’on peut conclure que les suffrages sont plus utiles aux morts qu’aux
vivants. Mais ils sont utiles à ces derniers, même en état de péché mortel,
puisque l’Église prie tous les jours pour la conversion des pécheurs. Pourquoi
ne le seraient-ils pas aux défunts qui sont dans le même état, c’est-à-dire aux
damnés ?
4. On lit, dans les Vies des
Pères, le fait suivant que raconte aussi saint Damascène. Saint Macaire
rencontra sur son chemin une tête, et, après avoir fait une prière, il lui
demanda à qui elle avait appartenu ; cette tête répondit : à un prêtre païen
qui était en enfer. Et elle ajouta que, cependant, ce prêtre et d’autres damnés
étaient assistés par les prières de Macaire.
5. Dans le même sermon, saint
Damascène raconte que saint Grégoire, priant pour l’âme de Trajan, entendit une
voix qui venait du Ciel : « J’ai
exaucé ta prière et j’accorde à Trajan son pardon. » « De ce fait, ajoute saint Damascène, tout l’Orient et tout
l’Occident peuvent témoigner. » Or,
Trajan était en enfer, « lui qui
avait infligé une mort cruelle à tant de martyrs. »
Cependant :
1° "Le souverain prêtre, dit
Denys, ne prie pas pour les immondes ; autrement, il s’écarterait de l’ordre
providentiel. » Un commentateur
ajoute : « Il ne demande pas la rémission
pour les pécheurs, car il ne serait pas exaucé. »
2° "C’est pour la même
raison, dit saint Grégoire que l’on ne priera pas alors (après le jugement)
pour les damnés, et que l’on ne prie pas aujourd’hui pour le démon et ses
anges. C’est encore pour cette raison qu’aujourd’hui les saints ne prient pas
pour ceux qui sont morts dans l’infidélité et l’impiété : c’est qu’ils ne
veulent pas que leur prière perde son mérite aux yeux du juge souverainement
juste. »
3° Saint Augustin dit de même
: « À ceux qui meurent sans la foi
qui opère par la charité, et sans ses sacrements, tous les devoirs religieux
que leur rendent leurs proches ne servent de rien. »
Conclusion :
Une certaine opinion prétendait qu’il faut faire à ce sujet deux
distinctions. L’une, par rapport au temps : après le jugement, aucun suffrage
ne sera plus utile à aucun damné ; avant, certains damnés peuvent être aidés
par les suffrages de l’Église. L’autre, par rapport aux personnes : il y a des
damnés tout à fait mauvais, qui sont morts sans la foi et sans les sacrements
de l’Église, à laquelle ils n’ont appartenu "ni en fait ni en droit » ; Il en est d’autres, moins mauvais,
qui ont été membres de l’Église, qui ont eu la foi, reçu les sacrements, fait
quelques bonnes œuvres aux premiers les suffrages de l’Église ne peuvent être
d’aucune utilité, tandis qu’ils peuvent être utiles aux seconds.
Ainsi Guillaume d’Auxerre expliqua que les suffrages sont utiles
aux damnés, dit-il, non pour diminuer ou interrompre leur peine, mais pour
leur donner la force de la supporter ; de même que baigner le visage d’un homme
chargé d’un lourd fardeau, ce n’est pas diminuer celui-ci, mais cependant le
rendre plus facile à porter.
Mais il ne saurait en être ainsi. Le tourment infligé par le feu
de l’enfer est en proportion de la culpabilité, dit saint Grégoire. De là vient
que les uns ou les autres sont tourmentés plus ou moins cruellement à la mesure
même de leur propre volonté qui se porte vers le péché de manière obstinée,
contre les inclinations de leur nature.
Cette opinion venait de l’ignorance de la nature du péché qui
conduit en enfer. La théologie n’avait pas encore pu prendre en compte la
parole du seigneur qui dit que ce n’est pas n’importe quel péché mortel qui
conduit l’âme dans l’enfer éternel mais seulement le blasphème contre l’Esprit
Saint, d’après Matthieu 12, 31. Or ce péché est un acte entièrement volontaire,
conscient et libre. À cette époque, négligeant la parousie et prédication du
Christ à l’heure de la mort, les théologiens admettaient une damnation venant
de Dieu lui-même pour tout homme vivant loin de lui, même à cause d’une
ignorance ou d’une faiblesse, ou du péché originel. Nous savons maintenant que
nul n’est en enfer qu’à cause de lui-même. Si les prières pour les damnés sont
inutiles, c’est parce que les damnés s’en moquent, comme ils ont méprisé la
supplication du Christ à l’heure de leur mort. Si cette prière leur était
présentée, elle serait même sans doute cause d’un surcroît de souffrance, à
cause de leur haine pour tout ce qui leur rappelle l’amour rejeté. Une certaine
jouissance perverse pourrait cependant en sortir, à cause de l’orgueil de voir
quelqu’un penser à eux.
Il est donc nécessaire de dire sans restriction que les suffrages
sont inutiles aux damnés, que l’Église les exclut de ses prières, comme le
déclarent les autorités que nous avons alléguées.
Solutions :
1. Rien ne prouve que les
soldats de Judas Macchabée fussent en enfer. Leur péché, constitue un manque de
foi et une idolâtrie. Mais ils purent s’en repentir, soit au cours des combats,
soit face à l’apparition de l’ange de la mort selon la parole du Psalmiste : « Quand Dieu les frappait de mort, ils
le cherchaient. » C’est en tout cas
l’opinion des frères Maccabées puisqu’ils offrirent un sacrifice à leur
intention. Il leur fut utile à la fois avant leur choix dans le passage de la
mort, au moment de leur choix face à l’ange de Dieu, puisque la prière des
vivants leur fut rendue visible et les toucha, et après la mort dans les
purgatoires mystiques pour la même raison.
2. Il s’agit ici de damnation
au sens large, synonyme de condamnation à n’importe quelle peine, donc, aussi
bien à celle du purgatoire, que les suffrages tantôt ne font que diminuer,
tantôt enlèvent tout à fait.
3. Les suffrages sont plus
utiles aux morts qu’aux vivants, parce que les premiers en ont un plus grand
besoin, étant incapables de s’aider eux-mêmes comme le peuvent les vivants ;
mais ceux-ci ont cet avantage de pouvoir passer de l’état de péché mortel à
l’état de grâce, ce qui est impossible après l’entrée dans l’autre monde. La
prière à l’intention des uns et des autres s’inspire donc de motifs différents.
4. On entend ici
"enfer" sous le sens de "purgatoire", comme l’Écriture le
fait pour le riche[1112]. Si l’on insiste pour dire
qu'il s’agit bien de l’enfer éternel des damnés, alors il faut dire que cette
assistance ne consistait pas en une diminution de peine, mais seulement, comme
le récit en fait foi, en ceci que la prière de saint Macaire obtenait qu’ils
pussent se voir, et cet accomplissement de leur désir leur causait une certaine
joie, plus imaginaire, que réelle. C’est ainsi que l’on dit que les démons se
réjouissent des péchés qu’ils font commettre, quoique cela ne diminue en rien
leur peine, pas plus que la joie des bons anges ne l’est par ce que nous
appelons leur compassion pour nos maux.
5. Le fait de Trajan prouve que
celui-ci n’était aucunement en enfer mais seulement au purgatoire. Il prouve
aussi qu’on ne doit jamais affirmer avec certitude la damnation de personne.
Dieu seul scrute le fond des âmes et sait qui se repend et qui ne se repend pas
au moment de la mort. Aussi doit-on prier pour le salut de tous, y compris pour
celui des pires tyrans.
Objections :
1. Il semble que cela soit inutile.
Les prières des vivants pour les morts ont principalement pour but la peine
satisfactoire due par les âmes du purgatoire pour leurs péchés passés. Or le
moment de la mort n’est pas le purgatoire.
2. La mort peut surprendre un
homme de telle manière qu’on n’ait pas le temps de prier pour lui. Il semble
donc plus sûr d’appliquer ses prières pour le cas où il en aurait besoin au
purgatoire.
3. Nul ne peut obtenir pour un
autre le repentir et la justification. En effet, c’est Dieu seul qui donne la
grâce et c’est l’âme seule qui est apte à répondre à cette grâce. Donc la
prière à l’heure de la mort est inutile.
4. Il arrive que l’heure de la
mort ne soit pas un passage durant quelques heures, mais un véritable séjour
d’errance qu’on appelle le shéol. Il semble inutile de prier pour ces âmes du
shéol puisque c’est leur état de mort spirituelle qui les fait fuir la parousie
du Christ ou s’attacher à cette terre. Elles sont damnées pour toujours.
Cependant :
La prière de l’Ave Maria, qui est la plus conseillée après celle
du Pater se termine ainsi "Priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et
à l’heure de notre mort. » Il est
donc particulièrement important de prier pour les défunts à l’heure de leur
mort[1114].
Conclusion :
Nous avons montré que le moment de la mort qui est le temps durant
lequel l’âme achève de se séparer de ce monde, est particulièrement important
pour le défunt puisque c’est l’heure où se détermine d’une façon ultime son
destin éternel : pour les pécheurs, après un temps entre ce monde et l’autre,
l’ultime planche du salut est donnée par la révélation glorieuse de l’humanité
sainte de Jésus venant accompagnée des saints et des anges et par la
possibilité d’un acte de conversion qui efface les péchés mortels. Au terme,
l’âme est fixée pour toujours dans l’amour de Dieu ou dans l’amour égoïste
d’elle-même. Il est donc particulièrement important de prier pour elle en cet
instant. Cette prière est rendue efficace auprès d’elle de trois manières :
1° Avant la parousie du
Christ, si l’âme est restée à demeure dans le shéol d’errance, la prière des
habitants de cette terre vient les visiter comme dans une prison et peut
produire parfois, selon le degré de leur évolution intérieure, une accélération
de la prise de conscience de leur état de mort spirituelle.
2° Au moment de la parousie du Christ, les grâces de lumière et de
tendresse données par Jésus peuvent être augmentées pour rendre l’invitation à
la conversion plus intense.
3° Les vivants qui prient
peuvent être rendus présents de manière visible et sensible au point de
participer avec Jésus et les saints du Ciel à la Révélation de la gloire de
Dieu et de sa tendresse.
Solutions :
1. Les suffrages des vivants
pour les défunts leur obtiennent par mode de mérite la remise des dettes de
peines dues pour les péchés accomplis durant la vie terrestre. Mais ils peuvent
obtenir pour eux bien d’autres choses, par mode de prière c’est-à-dire à cause
de la libéralité de Dieu qui s’étend au delà de la stricte justice. C’est de
cette façon là qu’il faut prier pour les défunts au moment de leur mort car
cette prière encourage leur âme à se tourner d’une manière définitive vers le
salut éternel. C’est pourquoi celui qui offre ses prières pour une âme avant
qu’elle ne soit jugée participe instrumentalement à sa glorification éternelle.
2. Dieu est au delà du temps.
Ce qui est accompli après la mort du défunt lui est présent à l’heure de cette
mort. Il peut donc se servir de cette prière malgré son caractère tardif. Il
arrive donc que, à l’heure de la mort, un grand-père puisse voir la prière
future de sa petite-fille non encore née.
3. Nul ne peut être cause
directe de la justification d’un autre. Cependant, il est possible d’en être
cause instrumentale aussi bien du côté de Dieu qui écoute la prière de ceux qui
l’aime que du coté de l’homme dont la volonté peut être favorablement disposée
au bien par l’exemple de la charité des disciples de Jésus.
4. Les âmes du shéol ne sont
pas en état de blasphème contre l’Esprit, à cause de l’ignorance et de la
grande faiblesse de leur condition qui prolonge cette terre. C’est pourquoi ce
temps a une utilité pour leur salut. Elles sont en quelque sorte en prison. La
prière des vivants constitue pour elles une visite qui est d’autant plus efficace
pour les tourner vers le salut, que leur souffrance est profonde et leur désir
éveillé.
Objections :
1. Le purgatoire fait partie de
l’enfer. Or, en enfer il n’y a pas de rédemption. Le Psalmiste dit aussi : « Seigneur, qui vous louera en enfer ? » Les suffrages sont donc inutiles aux
âmes du purgatoire.
2. La peine du purgatoire est limitée. Si les suffrages l’expient en
partie, il pourrait donc se faire que leur multiplication l’expiât en totalité.
Le péché resterait donc totalement impuni, ce qui semble contraire à la justice
divine.
3. Les âmes sont retenues en
purgatoire afin d’y être purifiées et d’entrer ensuite dans le Royaume. Mais la
purification doit porter sur la chose même qui a besoin d’être purifiée. De ce
chef encore, les suffrages sont donc inutiles.
4. Si les suffrages étaient utiles aux âmes du purgatoire, ils le
seraient surtout à celles qui, de leur vivant, ont donné des ordres à cet
effet. Or, cela n’arrive pas toujours. Supposons un défunt qui a demandé tels
et tels suffrages dont l’acquittement eût suffi à satisfaire pleinement pour
ses péchés. Supposons encore que ces suffrages soient différés jusqu’à ce qu’il
ait subi toute sa peine ces suffrages ne lui serviront de rien. On ne peut pas
admettre qu’ils lui ont servi avant d’être acquittés ; et, quand ils le sont
enfin, lui-même n’en a plus besoin. Les suffrages sont donc inutiles aux âmes
du purgatoire.
Cependant :
Saint Augustin déclare que les suffrages sont utiles à ceux qui ne
sont ni tout à fait bons, ni tout à fait mauvais. Telles sont bien les âmes du
purgatoire. Denys dit aussi que « le
prêtre de Dieu quand il prie pour les défunts, prie pour ceux qui ont vécu saintement,
mais auxquels la fragilité humaine a fait contracter quelques souillures. »
Conclusion :
Les peines du purgatoire ont deux buts : 1° faire disparaître les restes du péché qui sont des habitus
vicieux de l’âme encore fière et qui ralentissent le mouvement de la charité ; 2° payer la dette satisfactoire pour
les péchés qui ont été accomplis sur cette terre, selon cette parole de Jésus :
« Il ne sortira pas de prison avant
qu’il n’ait rendu jusqu’au dernier sou. »
En ce qui concerne le premier, nul ne peut satisfaire pour un
autre car il appartient à chacun de détacher son âme de tout reste
d’attachement à elle-même. Les prières satisfactoires ne peuvent avoir pour les
défunts qu’un rôle dispositif, en tant qu’elles leur manifestent en acte la
grandeur de la vertu de charité.
En ce qui concerne la dette qui doit être payée pour rétablir
l’ordre détruit par le péché, nous avons montré que les œuvres satisfactoires
des uns peuvent servir à d’autres, vivants ou morts à cause de la communion des
saints par la charité. Sans aucun doute, les suffrages des vivants peuvent être
utiles aux âmes du purgatoire à tel point qu’ils peuvent supprimer complètement
cette dette et hâter leur entrée au paradis.
Solutions :
1. Il est question ici de
l’enfer des damnés, où il n’y a "pas de rédemption" pour ceux qui y
sont envoyés définitivement.
On peut encore, comme le fait saint Damascène, entendre ces textes
par rapport aux causes secondes, c’est-à-dire, ici, par rapport à ce qu’ont
mérité ceux qui sont ainsi punis. Mais, si l’on regarde plus haut, la divine
miséricorde qui ne s’arrête pas à ce que les hommes ont mérité, peut
quelquefois en décider autrement, par égard pour les prières des justes. « Dieu, dit saint Grégoire, ne
modifie pas son dessein, mais il peut modifier sa sentence. » Saint Damascène en donne pour exemples les Ninivites, Achab et
Ezéchias, où l’on voit la sentence divine changée par la divine miséricorde.
2. On peut parfaitement
admettre que la multiplication des suffrages réduise à néant la peine du purgatoire
en tant qu’elle est satisfactoire pour les péchés antérieurement commis. Mais
il ne s’ensuit pas que le péché reste impuni, puisque les œuvres satisfactoires
faites à l’intention d’un défunt sont justement regardées comme faites par
lui-même. Cependant, il demeure à accomplir par le défunt lui-même la
purification des restes du péché dans son âme. Il lui faut donc passer par un
feu purificateur que nul autre ne peut prendre sur lui.
3. Le suffrage pour les âmes du
purgatoire porte sur le payement de la dette sans laquelle elles ne peuvent
entrer au Ciel. C’est ainsi que, si l’âme est par ailleurs déjà purifiée de ses
péchés véniels actuels et en état de kénose, elle peut, grâce aux œuvres
satisfactoires des vivants, entrer directement dans la gloire de Dieu.
4. Si quelqu’un n’exécutait pas
les prières et les œuvres selon les dernières volontés d’un mourant, il
pourrait lui faire tort. En effet, la dette de peine resterait à payer par le
défunt lui-même ce qui prolongerait son purgatoire. Il est donc nécessaire aux
vivants de veiller offrir les prières, les aumônes et les sacrifices pour les
âmes des défunts au temps voulu. Il faut cependant se rappeler que tout ce
domaine des satisfactions de la dette de peine n’est pas à prendre à la manière
rigoureuse d’une justice de comptabilité. Dieu est au delà de ces dettes dont
l’obligation est liée à l’éducation des pécheurs. Ainsi, le Christ a satisfait
amplement pour tous. De même les prières, même si elles sont offertes des
années après l’entrée au Ciel d’une âme, lui sont tout de même utiles puisque
Dieu qui est au delà du temps, lui en a appliqué le bénéfice au moment ou il en
avait besoin. Quant aux suffrages dont il n’avait pas besoin, ils sont offerts
par Dieu au bénéfice d’autres âmes, par exemple pour celles qui n’ont personne
sur terre qui prie pour elles.
Objections :
1. Les enfants morts sans baptême
sont dans un état qui les empêche d’entrer dans la gloire puisque, après cette
vie, le temps d’obtenir la grâce est passé. Il est donc inutile de prier pour
eux.
2. Saint Augustin déclare que
les suffrages sont inutiles à ceux « qui
ont quitté ce monde sans avoir la foi qui opère par la charité. » Or les enfants morts sans baptême
sont dans ce cas puisqu’ils n’ont pas été justifiés par le don de la grâce.
Donc les suffrages pour eux sont inutiles.
Cependant :
C’est une tradition de la part de l’Église d’admettre que les
enfants morts nés, qui n’ont pas reçu le baptême d’eau mais dont les parents
auraient désiré si cela avait été possible pour eux ce baptême, sont sauvés. Ce
qui est possible pour ces enfants-là, bien qu’ils n’aient pas été baptisés,
l’est pour tous. Donc il faut prier pour les enfants morts sans baptême.
Conclusion :
Nous avons montré que, en stricte justice, les enfants morts sans
baptême ne méritent pas d’être introduits dans la gloire du Ciel puisque Adam
et Ève ont pris sur eux la responsabilité de les séparer de Dieu. Cependant, ce
choix des premiers parents peut être annulé par le choix des parents terrestres
de l’enfant, qui s’engagent en son nom dans la foi qui opère par la charité.
Cela peut être réalisé par le baptême de l’eau ou par le baptême de désir.
Cependant, si les parents terrestres viennent à manquer à leur devoir par
négligence ou par ignorance, un autre peut y remédier à cause de la communion
de la charité qui fait que chacun peut être pour un autre "une mère, un
frère"[1116]. Il est donc nécessaire de
prier pour les enfants morts sans baptême en désirant pour eux le pardon du
péché originel, la communication de la grâce et de la vie surnaturelle[1117]. Celui qui agit ainsi pour
un enfant abandonné de tous, devient d’ailleurs et pour toujours, son père ou
sa mère selon l’esprit puisqu’il lui a obtenu, dans le passage de la mort, le
don de la vie surnaturelle.
Solutions :
1. Après cette vie, c’est-à-dire une fois
entré dans l’autre monde, le temps d’obtenir la grâce est passé puisque les
hommes ont vu le Christ glorieux et ont posé leur choix définitif. Ils arrivent
donc dans l’autre monde en état de péché mortel parfait, c’est-à-dire de
blasphème contre l’Esprit Saint ou en état de grâce.
Il en est de même pour les enfants pour qui la grâce du baptême
est communiquée, comme c’est le cas pour tous les hommes, en cette vie ou au
moment de la mort, comme nous l’avons dit.
La prière de leurs parents leur est donc particulièrement utile
car c’est elle qui, habituellement et de droit, leur obtient la vie
surnaturelle. S’il arrive que sa mère ou son père ne demandent pour lui le
baptême que bien longtemps après sa mort, leur prière est tout de même efficace
car Dieu, qui est au-delà du temps, peut appliquer ses grâces en vertu d’un
mérite à venir comme il l’a fait pour les hommes d’une façon habituelle avant
la venue du Christ lorsque l’ange les visitait, et pour la vierge Marie dans sa
conception immaculée.
2. Les enfants morts avec le baptême d’eau, comme les enfants morts
avec le baptême du désir des saints n’ont pas une foi qui est par elle-même
opérante puisque leur état d’enfance les empêche d’exercer par un acte
volontaire l’habitus de foi et de charité reçus avec le baptême. Leur foi n’est
donc opérante qu’à travers celle de leurs parents spirituels, c’est-à-dire dans
celle de ceux qui désirent pour eux le baptême. En conséquence, les enfants ont
à vivre un temps qui n’appartient ni tout à fait à ce monde, ni tout à fait à
l’autre et où ils sont progressivement éduqués par les saints jusqu’à ce qu’ils
soient capables d’un choix véritablement libre. Il y a donc pour tous les
enfants trois étapes : 1° celle de
l’absence de grâce entre leur conception et leur baptême ; 2° celle de la grâce sanctifiante
communiquée par le baptême ; 3°
puis celle du choix de la gloire proposée par la parousie du Christ.
Objections :
1. Nous lisons dans une oraison
de la messe de saint André : « De
même que les saints mystères servent à la gloire de vos saints, de même
puissent-ils servir à notre guérison. »
Or, le mystère de l’autel est le premier de tous les suffrages.
2. « Les sacrements réalisent ce
qu’ils symbolisent. » Or, la
troisième partie de l’hostie, qui est déposée dans le calice, symbolise les
âmes bienheureuses.
3. Les élus ne se réjouissent
pas seulement de leur propre bien, mais encore du bien des autres, ainsi qu’il
est dit dans saint Luc : « Il y a de
la joie aux anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence. » Les bonnes œuvres des vivants
procurent donc un accroissement de joie aux âmes qui sont au Ciel.
4. « Si les païens, dit saint Damascène,
brûlent avec les morts ce qui leur appartenait, combien plus, ô fidèle, dois-tu
faire suivre le fidèle défunt de ce qui était à lui, non pour réduire ces
objets en cendres mais pour les faire servir à une plus grande gloire : si
c’est un pécheur qui est mort, afin que la dette soit payée ; si c’est un
juste, afin que la récompense soit donnée.
»
Cependant :
1° Saint Augustin dit : « L’Église regarde comme une injustice
de prier pour un martyr, aux prières duquel nous devons nous recommander. »
2° On ne peut aider que celui
qui est dans le besoin. Mais les élus ne manquent absolument de rien. Les
suffrages de l’Église ne peuvent donc les aider.
Conclusion :
Par sa nature même, le suffrage est une assistance, qui ne
convient donc en aucune façon à qui ne manque de rien : seul, l’indigent peut
être assisté. Dès lors, puisque les saints du Ciel ne connaissent plus aucune
indigence, « enivrés qu’ils sont des
délices de la maison du Seigneur »,
ils n’ont que faire des suffrages.
Solutions :
1. Ces expressions ne doivent
pas s’entendre d’un profit que retireraient les saints de la célébration de
leurs fêtes : le profit est pour nous qui célébrons plus solennellement leur
gloire, tout de même que, du fait que nous connaissons et louons Dieu et que,
d’une certaine manière, sa gloire augmente en nous, Dieu n’y gagne rien, c’est
nous qui y gagnons.
2. Sans doute, les sacrements
« réalisent ce qu’ils symbolisent »
; cependant ils ne réalisent pas tout ce qu’ils symbolisent : autrement, comme
ils symbolisent le Christ, il faudrait donc dire qu’ils réalisent quelque chose
en lui, ce qui est absurde. Mais, par la vertu du Christ, ils réalisent ce
qu’ils signifient dans celui qui les reçoit. Ainsi, le sacrifice offert pour
les fidèles défunts n’est pas utile aux saints, mais, par le mérite des saints
qui sont commémorés ou signifiés dans la célébration, il est utile à ceux pour
qui il est offert.
3. Les saints du Ciel se
réjouissent de tous nos biens. Cependant, la multiplication de nos joies
n’augmente la leur que matériellement. En effet l’augmentation essentielle ou
formelle d’un sentiment dépend de la nature même de son objet. Or, l’objet
unique de la joie universelle des saints, c’est Dieu lui-même, et cette joie
est invariable : car, si elle ne l’était pas, leur récompense, dans ce qu’elle
a d’essentiel, varierait, puisqu’elle consiste en cette joie même. Dès lors, la
multiplication des biens, dont Dieu est pour eux l’unique raison de se réjouir,
ne leur donne pas nécessairement une joie plus intense, mais seulement plus
étendue. On ne peut donc pas dire non plus que nos bonnes œuvres les aident.
4. Les suffrages obtiennent que
la récompense soit donnée non pas au juste lui-même, mais à celui qui les fait.
À moins de dire qu’ils contribuent à la récompense d’un fidèle défunt dans la
mesure où, de son vivant, il a fait l’acte méritoire de les solliciter.
Objections :
1. Une peine doit s’expier par
une peine. Or, le jeûne est plus pénible que l’aumône ou la prière. Il est donc
aussi un suffrage plus efficace.
2. Ces trois suffrages énumérés
par saint Augustin semblent insuffisants puisque saint Grégoire y ajoute un
autre : « Les âmes des défunts,
dit-il, sont délivrées par les oblations des prêtres, les prières des saints,
les aumônes de leurs amis, le jeûne de leurs proches. »
3. Le baptême est le principal
des sacrements surtout par l’effet qu`il produit. Il devrait donc - et on en
peut dire autant des autres- être utile aux défunts autant ou même plus que le
sacrifice de l’autel.
4. La même conclusion, pour ce
qui est du baptême, n’est-elle pas suggérée par ce texte de Paul[1118] : « Si les morts ne ressuscitent en aucune manière, pourquoi y en
a-t-il qui se font baptiser pour eux ? »
5. Quelle que soit la messe,
c’est le même sacrifice. Si l’on compte parmi les suffrages le sacrifice et non
la messe, il semble que n’importe quelle messe, de la Sainte Vierge, du Saint
Esprit ou toute autre, soit également utile aux défunts, ce qui est contraire
aux décisions de l’Église qui a institué une messe spéciale à leur intention.
6. Saint Damascène enseigne que
« les cierges et l’huile », etc., sont offerts à l’intention des
défunts. Il faut donc ajouter ces oblations à celle du sacrifice de l’autel.
Conclusion :
La condition de l’utilité des suffrages, c’est l’union de charité
et la direction d’intention entre les vivants et les défunts. Les œuvres les
plus utiles sont donc celles qui contiennent davantage de l’une ou de l’autre.
À la charité se rapporte principalement le sacrement de l’Eucharistie, qui est
le sacrement de l’unité entre les membres de l’Église, puisqu’il contient celui
qui fait l’unité et la solidité de l’Église tout entière, c’est-à-dire le
Christ. L’eucharistie est donc comme la source ou le lien de la charité. Quant
aux effets de celle-ci, le principal, c’est l’aumône. Si donc on envisage les
suffrages au point de vue de la charité, les deux qui ont le plus de valeur,
c’est le sacrifice eucharistique et l’aumône. D’autre part, si l’on regarde
l’intention, la première place revient à la prière car, par sa nature même,
elle n’est pas seulement en relation avec celui qui la fait, mais, encore plus
directement que tout autre suffrage, avec celui pour qui elle est faite. C’est
pourquoi ces trois suffrages sont les trois principaux moyens d’assister les
défunts, sans dénier pour autant leur utilité propre à toutes les autres bonnes
œuvres faites, en état de grâce, à l’intention des âmes du purgatoire. Car,
rappelons-le, c’est la charité et non les œuvres dans leur matérialité qui est
source de vie.
Solutions :
1. Dans l’œuvre satisfactoire faite
pour un défunt, et qui ne lui est utile que si elle lui devient en quelque
sorte personnelle, ce qui effectue cette transmission a plus d’importance que
l’œuvre elle-même ; Encore que celle-ci, dans la mesure où elle est afflictive
et donc médicinale, puisse expier davantage les péchés de celui-là même qui la
fait. Les trois suffrages que nous avons dits sont donc utiles aux défunts plus
encore que le jeûne.
2. Le jeûne peut être utile aux
défunts par la charité et la direction d’intention ; mais ces deux conditions
lui sont, pour ainsi dire, extérieures. C’est la raison pour laquelle saint
Augustin ne l’a pas compté parmi les principaux suffrages quoique saint
Grégoire l’ait fait.
3. Le baptême est une
naissance, dans l’ordre spirituel. Or, de même que c’est le seul nouveau-né qui
vient au monde, de même, c’est au seul baptisé que le baptême est utile, par
l’œuvre opérée : quoique, par l’œuvre opérante de celui qui donne ou de celui
qui reçoit le baptême, celui-ci, comme toute œuvre méritoire, puisse être utile
à d’autres. Mais l’eucharistie est le symbole de l’union entre tous les membres
de l’Église. Aussi, en vertu de l’œuvre opérée elle-même, son efficacité est
communicable. Ce qui n’a pas lieu pour les autres sacrements.
4. La Glose donne deux interprétations
de ce texte de saint Paul. » Si les
morts ne doivent pas ressusciter, le Christ n’est pas non plus ressuscité.
Pourquoi donc se font-ils baptiser pour eux ? » c’est-à-dire pour leurs péchés, puisque ceux-ci ne sont pas
remis si le Christ n’est pas ressuscité.
» En effet, la résurrection du Christ opère en même temps que sa passion,
puisqu’elle est, en quelque manière, la cause de notre résurrection
spirituelle.
La seconde interprétation est celle-ci : « Il y eut des ignorants qui se faisaient baptiser pour ceux qui
étaient morts sans baptême, croyant que cela leur serait utile. » C’est simplement cette erreur que
mentionne l’Apôtre.
5. Dans la messe il n’y a pas
seulement le sacrifice, mais encore des prières, c’est-à-dire deux des trois
principaux suffrages énumérés par saint Augustin. Au point de vue du sacrifice,
qui est la partie principale de la messe, celle-ci, quelle qu’elle soit par
ailleurs, a toujours la même valeur pour les défunts. Mais, au point de vue des
prières, plus utile est la messe qui contient des prières spéciales pour les
défunts. Cependant, l’infériorité d’une messe qui n’est pas celle des morts
peut être compensée par la dévotion plus grande de celui qui la célèbre ou la
fait célébrer, comme aussi par l’intercession du saint dont les suffrages y
sont plus spécialement sollicités.
6. Cette oblation de cierges ou
d’huile peut servir aux défunts à titre d’aumône : elle est, en effet, destinée
au culte ou encore à l’usage des fidèles.
Objections :
1. L’affirmative n’est-elle pas
autorisée par la coutume de l’Église de faire prêcher la croisade et d’accorder
à celui qui prend la croix l’indulgence pour lui-même et deux ou trois et même
dix personnes, vivantes ou défuntes.
2. Le mérite de l’Église tout
entière a plus de valeur que celui d’un seul fidèle. Or, un acte personnel
méritoire, par exemple, une aumône peut être utile aux défunts. Donc, a fortiori, les indulgences, qui
représentent les actes méritoires de l’Église, doivent l’être.
Objections :
1. Les indulgences sont utiles
aux membres de l’Église. Or, les âmes du purgatoire appartiennent à l’Église ;
autrement, aucun suffrage ne leur servirait.
Cependant :
Une indulgence n’est efficace que si elle est accordée pour une
cause juste et spécialement pour une bonne œuvre utile à l’Église. Or, les
défunts ne peuvent plus rien faire et ne peuvent donc pas mériter d’indulgence.
2° La portée des indulgences
dépend de celui qui les accorde. Il pourrait donc, à supposer qu’elles soient
utiles aux défunts, accorder à un défunt une indulgence équivalente à une expiation
totale ; ce qui est absurde.
Conclusion :
Une indulgence peut être utile de deux manières : Principalement
et directement, à celui qui la reçoit, c’est-à-dire qui accomplit l’œuvre pour
laquelle elle est accordée, par exemple, un pèlerinage au tombeau d’un saint.
Cette manière est évidemment incompatible avec la condition des défunts.
Une indulgence peut être utile secondairement et indirectement à
celui en faveur duquel elle est gagnée par un fidèle qui accomplit l’œuvre
prescrite. Mais cette utilité dépend de la formule même de l’indulgence. Si la
formule est celle-ci : « Celui qui
fera telle ou telle chose gagnera tant d’indulgence », l’indulgence demeure strictement personnelle, car l’Église
seule a le droit d’attribuer les suffrages communs d’où les indulgences tirent
leur valeur. Si, au contraire, la formule est celle-ci : « Si quelqu’un fait telle ou telle chose, quelconque de sa famille,
détenu en purgatoire, recevra tant d’indulgence », l’indulgence n’est plus réservée aux vivants, mais applicable
aux défunts. En effet, puisque l’Église a le pouvoir de faire participer,
pendant leur vie, les fidèles aux mérites communs, source des indulgences, il
n’y a aucune raison de lui refuser celui de les y faire participer, après leur
mort. Il ne s’ensuit pourtant pas que le supérieur ecclésiastique puisse
délivrer à son gré les âmes du purgatoire, puisque les indulgences ne sont
efficaces que s’il existe une raison légitime de les accorder.
Objections :
1. Saint Athanase dit : « Quoique l’âme de celui qui est mort
pieusement se soit envolée, ne laisse pas de faire brûler de l’huile et des
cierges à son tombeau ; car ces pratiques, accompagnées de prières, sont
agréables à Dieu et grandement récompensées par lui. »
2. Saint Augustin dit aussi : « Une piété respectueuse rendait les
derniers devoirs aux justes d’autrefois, célébrait leurs obsèques, leur préparait
un tombeau ; eux-mêmes, de leur vivant, exprimaient à leurs fils leur volonté à
cet égard. » C’est donc que toutes
ces choses ont leur importance et leur utilité pour les défunts.
3. Quiconque reçoit une aumône
en profite. Mais ensevelir les morts est regardé comme une espèce d’aumône. » Au témoignage de l’ange Raphaël,
Tobie, en donnant la sépulture aux morts, se concilia la faveur divine. »
4. On ne saurait dire que la
dévotion des fidèles soit vaine. Or, par dévotion, certains désirent être
enterrés dans des lieux saints.
5. Dieu est plus porté à
pardonner qu’à punir. Or, « les
pécheurs, dit saint Grégoire, en se faisant ensevelir dans les églises,
ajoutent à leur condamnation au lieu de contribuer à leur délivrance. » Donc, au contraire et a fortiori, le lieu et les circonstances
de leur sépulture sont utiles aux justes.
Cependant :
Saint Augustin déclare que « tout
ce que l’on fait pour le corps des défunts ne leur sert de rien pour la vie
éternelle, mais n’est qu’un devoir d’humanité. »
2° Saint Grégoire parle dans
le même sens : « La célébration des
funérailles, la condition de la sépulture, la pompe des obsèques, sont une consolation
pour les vivants plutôt qu’un secours pour les défunts. »
3. « Ne craignez
pas, disait Jésus, ceux qui tuent le corps, et qui après cela ne peuvent rien
faire de plus. » Or, il arrive qu’ils
refusent la sépulture à leurs victimes, comme on le rapporte de certains
martyrs de l’Église de Lyon. L’absence de sépulture ne nuit donc pas aux
défunts, et les cérémonies de la sépulture ne leur servent pas davantage.
Conclusion :
La pratique d’ensevelir les morts a été motivée par une double utilité.
-L’une pour les vivants : quant au corps, pour qu’il ne soit ni offensé ni
incommodé par la vue et l’odeur des cadavres ; Quant à l’âme, pour affirmer et
confirmer la foi au dogme de la résurrection. -L’autre pour les défunts : en
même temps que l’on voit leurs tombeaux, on évoque leur souvenir et l’on prie
pour eux. C’est même de là que vient le nom de « monument »,
d’après saint Augustin : monere
avertir, mentem, l’esprit, faire
penser à quelqu’un ou à quelque chose. Les païens se trompaient en croyant que
la sépulture était nécessaire pour assurer aux âmes le repos qu’ils jugeaient
impossible pour elles, jusqu’à ce que leur corps ait été enseveli ; ce qui est
le comble du ridicule et de l’absurde.
La sépulture dans un lieu consacré à un saint peut être utile aux
défunts, non par l’œuvre opérée, mais par l’œuvre opérante, ce qui signifie que
l’utilité ne vient pas du fait même d’y être enseveli, mais du patronage et de
l’intercession du saint auquel les défunts, ensevelis chez lui, ont été comme confiés
ou encore des prières plus fréquentes et plus spéciales que les personnes,
chargées du soin de ce sanctuaire, font pour les âmes de ceux dont les corps y
reposent.
Ce qui contribue à la richesse et à l’éclat d’une sépulture est
utile aux vivants, comme une espèce de "consolation » ; mais peut encore être utile aux morts, du moins indirectement,
parce que les spectateurs sont excités à la compassion et à la prière ou encore
parce qu’une partie des frais est consacrée à soulager les pauvres à orner
l’église, la sépulture devenant ainsi une espèce d’aumône.
Solutions :
1. L’huile et les cierges
apportés aux tombeaux peuvent être utiles aux défunts indirectement, s’ils sont
donnés à l’église ou aux pauvres ; ou encore si on les fait brûler comme un
hommage à Dieu, et s’ils méritent ainsi le nom d’ "holocauste" qui
leur est donné.
2. Les Patriarches s’occupaient
de leur sépulture, afin de montrer "que la Providence veille sur les
corps des défunts : non parce qu’ils conservent la moindre conscience, mais pour
affirmer la foi à la résurrection »,
comme le dit saint Augustin. C’est aussi pourquoi ils voulurent être ensevelis
dans la Terre promise où ils croyaient que devait naître et mourir le Christ,
dont la résurrection est cause de la nôtre.
3. Le corps faisant partie de
la nature humaine, il est naturel à l’homme de l’aimer : « Jamais personne n’a haï sa propre chair. » Il lui est naturel aussi de s’inquiéter de ce que deviendra son
cadavre, et s’il prévoyait que celui-ci dût subir quelque indignité, il en
souffrirait. Ceux donc qui aiment quelqu’un, aiment aussi ce qu’il aime et
traitent son cadavre avec affection et respect. En effet, comme le dit saint
Augustin, « si le vêtement ou
l’anneau ou un objet quelconque dont s’est servi leur père est d’autant plus
cher à ses enfants que ceux-ci l’ont aimé lui-même davantage, il est donc
défendu de mépriser ce corps qui nous est plus étroitement uni que n’importe
quel vêtement. » Aussi, lorsque,
partageant les sentiments d’un défunt, on rend à son corps les derniers
devoirs, ce dont il est lui-même incapable, c’est vraiment une aumône qu’on lui
fait.
4. La dévotion qui pousse les
fidèles à faire ensevelir les corps de leurs chers défunts dans un sanctuaire
n’est point vaine, parce qu’elle procure à leurs âmes les suffrages du saint
auquel ce sanctuaire est dédié.
5. Etre enseveli dans un lieu
saint ne nuit à un défunt qui fut un impie que s’il a recherché par vaine
gloire cette sépulture dont il était indigne.
Objections :
1. On peut comparer les suffrages
à des lumières. Or, une lumière spirituelle est encore plus communicable qu’une
lumière corporelle ; et cependant celle-ci, un cierge, par exemple, quand elle
est allumée pour quelqu’un, éclaire également tous ceux qui sont avec lui,
quoiqu’elle n’ait pas été allumée pour eux.
2. Les suffrages « sont utiles aux défunts dans
autre vie, dit saint Augustin, autant qu’ils l’ont mérité, pendant qu’ils
étaient en cette vie. » Or, il y en a
qui l’ont mérité bien plus que ceux-là mêmes auxquels les suffrages sont
destinés. L’utilité des suffrages est donc aussi pour eux.
3. Il y a une grande
disproportion entre les riches et les pauvres, par rapport aux suffrages. Si
donc les nombreux suffrages assurés aux premiers n’étaient pas en même temps
utiles aux seconds, ceux-ci seraient dans une condition d’infériorité qui
semble incompatible avec la promesse évangélique : « Bienheureux vous
qui êtes pauvres, car le royaume des cieux est à vous! »
Cependant :
1° La justice humaine se
modèle sur la justice divine. Or, chez les hommes, celui qui paye la dette de
quelqu’un ne libère que lui. Donc, comme les suffrages sont en quelque sorte le
paiement d’une dette, ils sont utiles aux défunts auxquel ils sont destinés.
2° Les suffrages sont une
satisfaction applicable aux vivants aussi bien qu’aux défunts. Mais dans le
premier cas, celui à qui ils sont destinés est le seul à en bénéficier. Il en
va donc de même quand il s’agit des défunts.
Conclusion :
Cette question a reçu deux réponses. Les uns, parmi lesquels le
Prévôtin, ont dit que les suffrages destinés à un défunt ne lui sont pas plus utiles
à lui-même, mais à d’autres plus dignes. Et ils en donnaient deux exemples :
celui d’un cierge qu’on allume pour un riche, et qui n’éclaire pas moins ceux
qui sont avec lui, et même davantage ceux qui ont de meilleurs yeux ; celui
d’une lecture faite spécialement pour quelqu’un, et dont profitent tous les
auditeurs autant et même plus que lui, s’ils ont l’esprit plus ouvert. Et, si
on leur objectait la coutume approuvée par l’Église de prier spécialement pour
tel ou tel défunt, ils répondaient que cette manière d’agir avait pour but
d’exciter la dévotion des fidèles qui sont plus portés aux suffrages
particuliers qu’aux suffrages communs et prient avec plus de ferveur pour leurs
parents que pour des étrangers. – D’autres au contraire ont dit que les suffrages
sont plus utiles aux défunts pour qui ils sont destinés.
Chacune des deux propositions contient une part de vérité. En
effet, l’utilité des suffrages dépend de deux choses. D’abord de l’union de
charité qui fait que tous les biens sont communs à tous. À ce point de vue, les
suffrages destinés à un défunt sont cependant plus utiles à un défunt dont la
charité est plus grande. Ainsi considérée, l’utilité des suffrages consiste
moins en une diminution de la peine qu’en une certaine consolation intérieure,
qui vient de la joie causée à celui qui a la charité par les bonnes œuvres du
prochain. Après la mort, en effet, celles-ci malgré l’union de charité ne
peuvent plus comme en cette vie, nous obtenir la grâce ou l’augmenter en nous.
Elle dépend, en second lieu, de la direction d’intention, par
laquelle les œuvres satisfactoires passent d’un vivant à un défunt. À ce point
de vue, il est hors de doute que les suffrages destinés à un défunt lui sont
non seulement plus utiles qu’aux autres, mais ne le sont qu’à lui. La
satisfaction, en effet, a pour but direct et unique la remise de la peine.
Ainsi considérés les suffrages sont utiles à celui-là surtout auquel ils sont
destinés. Sur ce point, la seconde opinion est plus vraie que la première.
Solutions :
1. Les suffrages agissent à la façon de la lumière, lorsqu’ils
parviennent aux défunts pour leur apporter une certaine consolation d’autant
plus grande que leur charité l’est aussi. Mais, comme satisfaction transmise à
un défunt par l’intention d’un vivant, ce n’est plus à la lumière qu’il faut
comparer les suffrages, mais au payement d’une dette. Or, il n’y a aucune
raison, si l’on paye les dettes de quelqu’un, pour que celles d’autres
personnes soient payées du même coup.
2. Ce mérite personnel est en même temps conditionnel : ces défunts
ont mérité que les suffrages leur soient utiles, s’il en est qui leur soient
destinés ; et en d’autres termes, ils n’ont fait autre chose que de se disposer
à les recevoir. Il est donc clair qu’ils n’ont pas mérité directement d’être
secourus par des suffrages, mais ils se sont seulement, par les mérites acquis
de leur vivant, préparés à et en recevoir le fruit. Il ne s’ensuit donc pas que
ce mérite soit nul et de nul effet.
3. Rien n’empêche que les
riches soient plus favorisés que les pauvres, à un certain point de vue, par
exemple, celui de l’expiation. Mais cela n’est rien ou presque rien en
comparaison de la possession du royaume des Cieux, par rapport à laquelle les
pauvres sont les favoris, d’après le texte évangélique lui-même.
Objections :
1. Celui pour qui est faite une
lecture n’en perd rien si un autre en profite. Il en va de même pour les
suffrages ; et ainsi, s’ils sont destinés à plusieurs défunts, chacun en
bénéficie autant que s’ils lui étaient uniquement destinés.
2. Selon l’usage commun de
l’Église, nous voyons que, dans une messe célébrée à l’intention particulière
d’un défunt, on ajoute des prières pour d’autres défunts. Cette pratique
n’aurait pas lieu si elle devait tourner au détriment de celui pour lequel la
messe est célébrée. Il faut donc conclure comme ci-dessus.
3. La valeur des suffrages, des
prières surtout, dépend de la puissance divine. Mais le nombre de ceux par
lesquels il accorde son secours est indifférent à Dieu, aussi bien que le
nombre de ceux auxquels il l’accorde. Donc, chacun des défunts pour lesquels
une prière commune est faite en bénéficie tout autant que celui à l’intention
spéciale duquel la même prière serait faite.
Cependant :
1° Mieux vaut secourir
plusieurs personnes qu’une seule. Si donc le suffrage destiné à plusieurs
défunts était aussi utile à chacun que s’il lui était uniquement destiné, il
semble que l’Église n’aurait pas dû instituer des messes ou des prières à
l’intention spéciale d’un défunt, mais que les unes et les autres dussent
toujours être offertes pour tous les défunts, ce qui est évidemment faux.
2° L’efficacité d’un suffrage
est limitée. Divisé entre plusieurs défunts, il est donc moins utile à chacun
que s’il était attribué en entier à un seul.
Conclusion :
Si l’on considère dans les suffrages la valeur provenant de la
vertu de charité qui unit tous les membres de l’Église, la réponse est
affirmative : Les suffrages destinés à plusieurs défunts donnent à chacun
autant que s’ils étaient destinés à lui seul. Car la charité n’est pas
diminuée, mais plutôt augmentée, par la diffusion de ses bienfaits ; la joie, elle
aussi, s’accroît en se communiquant, comme le dit saint Augustin. Ainsi donc,
la bonne œuvre destinée à plusieurs défunts réjouit chacun d’eux tout autant
que si elle était faite pour lui seul.
Au contraire, si l’on considère le suffrage comme une satisfaction
dont la valeur est transmise aux défunts par l’intention des vivants, il faut
répondre que le suffrage destiné à un seul défunt lui est plus utile que s’il
lui était destiné et même temps qu’à d’autres : car, en ce cas, la justice
divine attribue à chacun une part seulement de la valeur satisfactoire totale.
On voit par là que cet article est un corollaire du précédent ; et
l’on voit aussi la raison des suffrages individuels dans l’Église.
Solutions :
1. Les suffrages, considérés
comme satisfaction, ne sont pas utiles en agissant, comme le serait un
enseignement dont l’efficacité, et il en est ainsi de toute action, est
proportionnée aux dispositions de celui qui le reçoit ; ils sont utiles en
acquittant une dette, comme on l’a expliqué. La comparaison est donc
défectueuse.
2. On a dit que les suffrages
destinés à un défunt sont, d’une certaine manière, utiles à d’autres ; rien
n’empêche donc d’ajouter à une messe célébrée pour un défunt certaines prières pour
d’autres défunts ; car on ne prétend point par là détourner à leur profit la
valeur satisfactoire du sacrifice, mais seulement les secourir par ces prières
faites à leur intention.
3. Il faut considérer dans la
prière celui qui prie et celui qui est prié : l’effet dépend de tous les deux.
Sans doute le Dieu tout-puissant peut aussi facilement pardonner à plusieurs
qu’à un seul ; mais celui qui prie n’est pas capable, par une même prière, de
satisfaire autant pour plusieurs que pour un seul.
Objections :
1. Dans l’autre monde, chacun
est traité selon ses mérites. Mais, celui à qui aucun suffrage spécial n’est
destiné peut avoir mérité d’être secouru, après sa mort, autant qu’un autre qui
bénéficie de pareils suffrages : donc les suffrages communs lui sont tout aussi
utiles.
2. De tous les suffrages de
l’Église, le principal, c’est l’Eucharistie. Mais celle-ci, du fait qu’elle
contient le Christ tout entier, a une efficacité en quelque sorte infinie. Une
seule oblation du sacrifice eucharistique, à l’intention de tous les défunts,
suffit donc à leur délivrance plénière, et au suffrage commun ne laisse à
désirer le secours d’aucun suffrage particulier.
Cependant :
Deux biens sont meilleurs qu’un seul. Les suffrages spéciaux
ajoutés aux suffrages communs sont donc plus utiles à un défunt que ces
derniers seuls.
Conclusion :
La réponse dépend de celle qui a été donnée à l’article 14. Si les
suffrages destinés à un défunt en particulier sont utiles à tous sans
distinction, tous les suffrages sont communs ; dès lors, un défunt privé de
tout suffrage spécial est secouru, s’il en est également digne, tout autant que
celui auquel des suffrages sont spécialement destinés. Au contraire, si la
valeur des suffrages n’est pas attribuée indifféremment à tous les défunts,
mais d’abord et surtout à ceux qui en sont les destinataires, il n’est pas
douteux que les suffrages spéciaux ajoutés aux suffrages communs ne soient plus
efficaces que ces derniers seulement.
C’est pourquoi le Maître des Sentences signalait deux opinions. La
première soutient que les suffrages communs omis pour le pauvre une valeur
égale à celle qu’ont pour le riche les suffrages communs et les suffrages
particuliers : ce dernier a des secours plus nombreux, mais qui ne sont pas
plus efficaces. -La seconde opinion admet que celui à qui sont destinés des
suffrages particuliers reçoit un pardon plus rapide, mais non pas plus entier,
puisque riche et pauvre seront, en fin de compte, entièrement délivrés.
Solutions :
1. Le secours apporté par les
suffrages ne dépend pas directement et absolument du seul mérite mais, pour
ainsi dire, conditionnellement, comme on l’a expliqué à la solution 2 de
l’article 13.
2. La puissance du Christ
contenu dans l’eucharistie est infinie, mais son efficacité est orientée vers
le défunt à l’intention duquel le saint sacrifice est offert. Il ne s’ensuit
donc pas nécessairement qu’une seule oblation eucharistique expie toute la
peine des âmes du purgatoire, pas plus qu’elle n’opère, pour un vivant, la
satisfaction totale pour les péchés qu’il a commis la preuve en est que
plusieurs messes sont parfois imposées en réparation d’un seul péché.
On peut croire cependant que, par un effet de la divine
miséricorde, le surplus des suffrages particuliers surabondants pour ceux
auxquels ils sont destinés, est appliqué à d’autres défunts qui sont privés de
tels suffrages et qui ont besoin de secours.
» Parce que Dieu est juste, dit saint Damascène, il n’exige de la faiblesse
que ce qu’elle peut donner ; parce qu’il est sage, il trouve le moyen de combler
les indigences » ; et ce moyen, c’est
de transférer ce que les uns ont de trop à d’autres qui n’ont pas assez.
Dès avant la résurrection des corps, les âmes en qui ne se trouve aucun
obstacle dû au péché sont introduites dans la vision de l’essence divine. Et
c’est cette vision qui est la substance même de la vie éternelle, selon saint
Jean : « La vie éternelle, c’est
qu’ils te connaissent, toi le véritable Dieu. » À propos du paradis, nous avons déjà étudié la Vision béatifique
(Questions 1 à 7). Il nous reste à étudier la condition des âmes glorifiées par
rapport à elles-mêmes et par rapport aux autres.
D’abord quelques noms attribués par l’Écriture au paradis :
Cinq questions se posent :
1° Le paradis céleste est-il la même chose que le paradis
terrestre d’Adam et Ève ?
2° Est-il le royaume de Dieu ?
3° La terre promise aux Hébreux ?
4° La Jérusalem céleste ?
5° Le festin des noces de l’agneau ?
6° Serons-nous prêtres ?
Objections :
1. Il semble que l’on doive
répondre par l’affirmative. Dans le paradis terrestre, l’homme voyait Dieu
selon cette parole de la Genèse[1123] : « Dieu se promenait dans le Jardin à la brise du jour. » Or il s’agit là de la récompense
essentielle du paradis céleste.
2. Après la résurrection des
corps et la glorification du monde, on doit, semble t-il affirmer que l’homme
retrouvera le paradis perdu par Adam et Ève. Isaïe décrit ainsi le monde
renouvelé[1124] : « le loup habitera avec l’agneau, la panthère se couchera avec le
chevreau, le nourrisson jouera sur le repère du serpent. » Or il en était ainsi dans le paradis terrestre. Donc le monde
renouvelé sera le paradis terrestre.
3. Genèse dit[1125] : « Dieu bannit l’homme et il posta devant le Jardin d’Eden les
chérubins et la flamme vive du glaive fulgurant pour garder l’arbre de vie. » Or dans le paradis céleste, l’homme
aura l’arbre de vie puisqu’il vivra éternellement. Il semble donc que l’Eden
n’est autre chose que le paradis céleste.
4. L’Apocalypse de saint Jean
semble l’enseigner puisqu’elle annonce le règne de mille ans du Christ sur la
terre.[1126]
Cependant :
Saint Paul écrit[1127] : « Nous vous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, tout ce que Dieu a
préparé pour ceux qui l’aiment. » Or
l’œil de l’homme a vu le jardin d’Eden. Donc le paradis est autre chose.
Conclusion :
Comme nous l’avons montré, ce qui est à considérer comme essentiel
dans le paradis céleste, c’est la vision de l’essence divine qui est
communiquée aux élus dès avant la résurrection de leur corps. C’est pourquoi,
pris sous ce point de vue, il n’y a pas de différence fondamentale entre le
paradis céleste avant et après la résurrection de la chair. Les textes de
l’Écriture qui le décrivent peuvent donc être appliqués aux deux états.
De même, pour distinguer le paradis terrestre de celui qui nous
est préparé par Dieu, il faut regarder en premier lieu le rapport de l’âme à
Dieu. Or, au paradis terrestre, l’homme ne voyait pas Dieu face à face comme le
prouve le fait qu’il a pu se détourner de lui par la suite. Il ne le
contemplait que de loin selon deux modes complémentaires : une contemplation
naturelle par laquelle, en regardant les créatures, il reconnaissait la sagesse
et la bonté du Créateur ; une contemplation mystique appuyée sur la supériorité
de la grâce originelle qui l’établissait dans une amitié très proche avec Dieu.
Sa béatitude naturelle était parfaite mais pas sa béatitude surnaturelle qui
restait à espérer. Il n’en est pas de même dans le paradis céleste où la
béatitude finale sera atteinte en plénitude. Donc le paradis céleste est tout
autre chose que le paradis terrestre de nos premiers parents.
Solutions :
1. La Genèse ne veut pas parler
ici de la vision de l’essence divine mais seulement de la permanence de sa
présence spirituelle et ressentie, à cause de la grâce mystique reçue par Adam et
Ève. Le bonheur du paradis terrestre était donc inférieur à celui de la vision
béatifique.
2. Ces textes et ceux qui leur
ressemblent sont des manières de parler pour exprimer la paix totale qui
règnera au paradis céleste. Et, même lorsque ces textes se réaliseront au sens
propre, il ne s’ensuit pas que le paradis céleste soit semblable au paradis
terrestre car, dans le jardin d’Eden, le loup mangeait l’agneau et le serpent
pouvait mordre. Seule une disposition divine protégeait l’homme en l’harmonisant
totalement avec la nature.
3. Dans le paradis terrestre,
l’homme était immortel en ce sens que Dieu aurait devancé la faiblesse de sa
nature et l’aurait pris dans sa gloire avec son corps, sans qu’il ait à passer par
la mort. Mais, à cause du péché originel, cette assomption ne put être réalisée
sauf dans la vierge Marie qui fut exempte par une grâce toute particulière de
cette tâche originelle. Dans le paradis céleste, après la résurrection du
corps, l’immortalité sera due au rejaillissement perpétuel de la vision
béatifique qui transfigurera notre corps mortel en corps de lumière.
4. Ce texte de l’Apocalypse,
interprété littéralement, a été l’objet d’une longue controverse théologique.
Pour finir, son interprétation authentique a été établie par le Magistère
romain de manière définitive dans sa condamnation du Millénarisme : il s’agit
de l’annonce prophétique d’une réalité de la grâce qui, quelles que soient les
épreuves rencontrées par un homme ou une Église, demeure toujours présente au
secours de la fidélité. Les mille années symbolisent la stabilité du Seigneur
qui n’abandonne jamais ses amis. Il n’y a pas à voir dans ces mille ans un sens
littéral.
Objections :
1. Cela ne semble pas. Jésus
dit en effet[1129] : « le Royaume de Dieu est au milieu de vous. » Or ses disciples n’étaient pas encore glorifiés. Donc le Royaume
des Cieux n’est pas le paradis.
2. Il ne semble pas que les
hommes règneront avec Dieu. "Le Christ remettra la royauté au Père"[1130]. Il n’y aura donc qu’un
seul roi qui sera Dieu lui-même.
3. Le Royaume de Dieu est
présent partout jusqu’en enfer puisque rien ne peut se faire dans le monde
contre la volonté de Dieu. Donc le paradis ne peut être appelé le Royaume de
Dieu plus que l’enfer.
4. Dieu n’habite pas plus dans
le Ciel que sur la terre puisqu’il est omniprésent. Le paradis ne doit donc pas
être appelé Royaume des Cieux.
Cependant :
Jésus appelle dans l’Évangile le paradis du nom de Royaume de
Dieu, Royaume des Cieux ou encore Royaume éternel.[1131]
Conclusion :
On dit qu’un homme règne sur un pays quand sa volonté est
maîtresse de l’ordre qui y est établi. De même, l’homme règne sur lui-même
quand il domine pleinement l’empire de ses sens et dirige ses actions par le
seul ordre imposé par son intelligence. De ces deux manières, on doit dire que
le paradis céleste sera le Royaume de Dieu puisque la volonté de tous les
hommes sera pleinement soumise à la sienne au point que nul n’aura de volonté
propre qu’en conformité à la sienne. En un autre sens, le paradis peut être
appelé Royaume en tant que chacun y sera roi :
1° N’ayant qu’une seule
volonté avec Dieu, l’homme sera par participation source de l’ordre de
l’univers. Il régnera donc avec Dieu, selon le livre de l’Apocalypse.[1132]
2° Chaque homme étant unifié
en Dieu, tous auront la même volonté que lui. Ainsi chacun sera dit régner sur
tous car tous feront la volonté d’un seul.
3° Après la résurrection,
l’homme sera pleinement maître de son corps au point que le corps glorieux est
appelé un corps spirituel. Il règnera donc sur lui-même. De tout cela, on peut
conclure que le paradis sera véritablement une communauté de rois.
Solutions :
1. Dans la mesure où l’homme
est uni à Dieu par la charité, il commence à entrer en possession de la
royauté. C’est en ce sens que l’on peut dire que le royaume de Dieu est déjà
commencé sur la terre. Cependant, Dieu ne règnera pleinement sur nos âmes que
lorsque tout péché aura été détruit en nous.
2. Toute royauté trouve son
origine première en Dieu, donc dans le Christ. Ce n’est que par participation
que l’homme peut régner sur le monde. C’est pourquoi le dogme solennel de la
foi catholique enseigne, dans le Credo du pape Paul VI (1968) : « Nous croyons que la multitude [des
âmes] qui sont rassemblées autour de Jésus et de Marie au paradis forme
l'Église du ciel, où elles sont, à des degrés divers, associées avec les
saints anges au gouvernement divin exercé par le Christ en gloire, en
intercédant pour nous et aidant notre faiblesse par leur sollicitude
fraternelle. »
3. Rien ne peut se faire dans
le monde qui aille contre l’ordre général de la Providence divine. Ainsi, même
le péché est en un sens voulu par Dieu de même que Dieu veut pour l’homme la
liberté de se séparer de lui. Cependant, ce n’est pas ainsi que Dieu règne au
Ciel mais par l’union de la charité.
4. C’est en un sens
métaphorique que le paradis est appelé Ciel. Le Ciel évoque en effet plusieurs
choses :
1° la clarté puisqu’il est libre
de l’opacité de l’atmosphère terrestre.
2° L’inaccessibilité puisque
nul ne peut y monter par ses propres forces. Il en est de même pour la vie
surnaturelle.
3° La stabilité puisque
l’ordre des astres semble immuable. De même, la vision de Dieu qui est
l’essence de la béatitude du Ciel est claire puisque Dieu est lumière,
inaccessible puisqu’il dépasse tout ce que l’homme peut concevoir, stable
puisque nul ne peut être déchu de la possession de la gloire.
Objections :
1. La terre promise n’est autre
que le pays de Canaan. Il fut montré à Abraham puis promis à Moïse qui envoya
des espions s’assurer que le peuple était capable de le conquérir. Il ne s’agit
en aucune façon du royaume des Cieux.
2. C’est avec une extrême
violence que les Hébreux prirent possession de la Terre promise, comme on le
voit dans le livre de Josué : après avoir franchi le Jourdain, ils commencèrent
par détruire la ville de Jéricho, ne laissant subsister en elle ni femme, ni
enfant, ni vieillards. Ils détruisirent ensuite une à une les places fortes du
pays. Au contraire, le royaume de Dieu appartient aux doux et aux humbles
(kénose). Il se conquiert par la charité.
3. La terre promise fut enlevée
aux Hébreux par le roi de Babylone, puis par le général romain Titus. Il ne
peut en être de même pour le paradis céleste puisque l’âme, une fois établie
dans la vision béatifique, ne peut la perdre. Donc la Terre promise ne
symbolise pas le paradis céleste.
Cependant :
L’épître aux Hébreux[1133] dit qu’ « Abraham vint séjourner dans la
terre promise par la foi. » Or c’est
par la foi que l’on rentre au paradis ; d’autre part, le Seigneur dit en saint
Matthieu[1134] : « heureux les doux, ils possèderont la terre » ; La Terre promise est donc bien la préfiguration du paradis
céleste.
Conclusion :
Le peuple Hébreu a été choisi par Dieu dès l’origine pour être
signe aux yeux de toutes les nations du projet de Dieu sur les hommes. C’est
pourquoi ce n’est pas seulement l’Écriture qui lui a été communiquée qui doit
être regardée, mais aussi toute l’histoire de cette nation. Cette histoire doit
être prise selon un sens spirituel. Ainsi, la Terre qui fut promise à Abraham,
à Moïse puis à toutes les générations juives par la suite et qui est
matériellement la Palestine, signifie en fait la promesse du paradis éternel où
coulent le lait et le miel, c’est-à-dire la plénitude de la béatitude divine.
De même, l’histoire de la conquête de cette terre a un sens moral qui expose la
lutte que l’homme doit mener contre le péché pour accéder à la gloire, selon
Matthieu[1135] : « le royaume des Cieux appartient aux violents et seuls les
violents l’emportent. »
Solutions :
1. Ce n’est pas au sens propre
mais au sens eschatologique que doit être compris dans le cadre de cet article
ce texte biblique.
2. Prise en un sens
eschatologique et moral, l’histoire de la conquête de la terre de Canaan
signifie le combat spirituel qui oppose l’homme à son péché en vue de la
croissance du Royaume de Dieu en lui. Ainsi, le peuple hébreu dût commencer par
vivre en Egypte où il s’installa tout en y vivant un dur esclavage. L’Egypte
est le symbole de la vie terrestre où l’homme s’installe souvent, bien qu’il y
soit dans une perpétuelle et aliénante course après sa nourriture et sa survie.
Puis le peuple hébreu dût traverser le désert. Ce passage, qui
aurait dû être rapide, dura 40 ans du fait de son impréparation. Il y découvrit
par une longue errance la vanité de son ancien attachement à l’Egypte. Ainsi en
est-il du passage de la mort, entre ce monde et l’autre, qui est initié par le
sacrement des malades, et dure normalement peu de temps. Il ne se transforme en
séjour, le shéol, que lorsque l’âme n’est pas assez détachée de ce monde ou
effrayée à l’idée d’entrer dans la lumière de l’autre monde.
Puis le peuple enfin purifié dût traverser le Jourdain, qui
symbolise l’entrée dans l’autre monde, la justification par la communication de
la grâce et le bain du baptême. Cela se produit au moment de l’apparition du
Christ glorieux lorsqu’il annonce son évangile.
Puis le peuple détruisit la ville de Jéricho, cette ville forte
entre toutes et plus ancienne que les autres. Elle symbolise la tentation
d’orgueil présentée par Lucifer lors de sa venue. Nous devons rejeter ce projet
en nous en premier lieu si nous voulons construire une vie spirituelle avec
Dieu. La manière dont Jéricho fut détruite, à savoir après en avoir fait sept
fois le tour et avoir soufflé dans les trompettes, symbolise que seule la grâce
de Dieu peut nous faire franchir cet obstacle indestructible pour nos forces
humaines. De même, l’anathème réalisé sur tout ce qui était dans la ville
signifie qu’il ne doit rien rester dans le cœur de l’homme qui se rattache à
l’amour désordonné de soi. La ville de Jéricho ne fut jamais reconstruite car
celui qui reconstruit ce qui est orgueilleux, après l’avoir détruit par la
conversion ne peut rester dans la terre promise. Une telle œuvre de destruction
du péché doit donc être faite avec intransigeance, ce que symbolise la violence
des conquêtes.
La lente conquête du pays de Canaan symbolise le long chemin qui
nous fait détruire en nous les restes du péché, dans les purgatoires mystiques,
jusqu’au jour où, l’homme étant complètement purifié, il voit la gloire de Dieu
emplir le Temple de son âme.
3. La terre promise ne
symbolise pas seulement la possession parfaite de la béatitude qui est réalisée
dans la vision de l’essence divine. Elle signifie aussi sa possession
imparfaite par la grâce, qui est possible dès cette terre mais qui peut être
perdue par n’importe quel péché mortel.
Objections :
1. Cela ne semble pas. L’Écriture
décrit Jérusalem comme le lieu de l’infidélité, qui met à mort les prophètes au
point que Jésus a pu dire[1136] : « Il ne convient pas qu’un prophète meurt hors de Jérusalem. »
2. Jésus fut crucifié hors de
Jérusalem. Si cette ville devait symboliser en premier lieu l’union à Dieu et
le paradis céleste, n’aurait-il pas fallu qu’il souffrît sa passion près du
temple qui est le lieu de la présence divine ?
3. Selon les prophéties de
Jésus[1137], « Jérusalem sera foulée par les païens. » Une telle peine infligée à la ville sainte semble évoquer
davantage l’enfer ou le purgatoire que le paradis céleste.
Cependant :
Le livre de l’Apocalypse dit à propos du paradis[1138] : « Je vis la Cité Sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du
Ciel, de chez Dieu. J’entendis une voix clamer du trône : Voici la demeure de
Dieu avec les hommes. » Donc le
paradis est la Jérusalem céleste.
Conclusion :
La ville de Jérusalem, regardée selon un sens spirituel, symbolise
en premier lieu le cœur de l’homme. Quand Jérusalem est sainte, le temple de
Dieu est placé au centre des honneurs et des attentions du peuple qui y offre
les différents sacrifices exigés par la loi. Quand Jérusalem oublie Dieu et
néglige le temple, elle tue les prophètes envoyés selon cette parole de
Jésus [1139] : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux
qui te sont envoyés. » Elle est alors
soumise à la ruine physique par des armées étrangères qui détruisent le temple
et massacrent son peuple comme on le vit quarante ans après la passion de
Jésus. De même, le cœur de l’homme, lorsqu’il est soumis à Dieu au point que la
charité est au centre de son intention, s’épanouit dans de multiples grâces
spirituelles. Au contraire, s’il se sépare de Dieu par le péché mortel, il
détruit l’édifice de la grâce et mérite de subir les peines qui le ramènent
dans la voie du salut, selon Osée[1140] : « Je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. » Ainsi, si l’on regarde l’histoire de
Jérusalem, on voit sous forme matérielle le récit des diverses joies et
épreuves liées à la vie de la grâce qui peuvent marquer la vie.
Après l’entrée au Ciel, l’âme des élus se trouve parfaitement
unifiée en Dieu au point que nul péché ne peut plus subsister. La vision de
l’essence divine est source de la vie de l’âme et l’établit dans une stabilité
et une béatitude parfaite. C’est pourquoi le livre de l’Apocalypse décrit le
paradis de la manière suivante[1141] : « la ville peut se passer de l’éclat du soleil car la gloire de
Dieu l’a illuminée et l’agneau lui tient lieu de flambeau ; elle est entourée
d’un rempart ; elle resplendit comme une pierre très précieuse. » Le paradis céleste est donc
comparable à Jérusalem quand elle est sainte.
En un second sens, la Jérusalem terrestre peut symboliser la
communauté des croyants à savoir l’Église dans son chemin terrestre puis
céleste. En cette terre, l’Eglise vit des succès et subira des épreuves de plus
en plus intenses de la part des Antéchrists, jusqu’à connaître une destruction extérieure,
une kénose purifiante à l’image de Jérusalem. Après le jugement dernier,
l’Église symbolisée par la Jérusalem céleste sera sans mélange d’aucune
corruption puisque la charité y sera parfaite sans défaut.[1142]
Solutions :
1. En tant que corrompue, Jérusalem
symbolise le cœur de l’homme lorsqu’il s’éloigne de Dieu et la communauté
ecclésiale lorsqu’elle oublie de fonder son culte sur la charité. Mais le
paradis est décrit à travers la ville de Jérusalem considérée dans sa sainteté.
2. Il convenait que Jésus meure
hors de Jérusalem qui est la Ville Sainte, puisqu’il s’était fait pour nous
péché, selon le prophète Isaïe. Comme le bouc émissaire, il a pris sur lui dans
sa passion le péché de tous les hommes et l’a effacé par sa mort en dehors de
la Ville Sainte.
3. Les épreuves provisoires
infligées à Jérusalem manifestent le gouvernement de Dieu sur l’homme qui est
frappé de peines temporaires pour son péché. Mais ces peines doivent conduire
l’homme à s’humilier et à réformer sa vie. En ce sens Jérusalem est le symbole
du purgatoire de cette vie ou de celui qui est imposé après la mort. Ainsi,
Jérusalem foulée par les païens symbolise ce temps où l’Alliance leur est
donnée et enlevée au peuple juif qui l’a rejetée. Jérusalem rendue aux juifs
signifie ces derniers moments du monde où les nations apostasieront et où les
Juifs reprendront dans leur foi l’Alliance du Christ.
Objections :
1. On ne peut comparer le
paradis céleste à des noces. Le mariage implique le corps ; la vision
béatifique est une joie spirituelle.
2. De même, le plaisir qui
accompagne le festin est lié à la nourriture et à la boisson. Or, au paradis
céleste, l’homme n’aura plus besoin de manger puisque son corps sera devenu
inaltérable.
3. Dans le paradis céleste,
Dieu sera vu face à face, dans son essence. Ce n’est donc pas en tant qu’il
s’est fait chair qu’il sera notre béatitude. On devrait donc parler plutôt des
noces de la Trinité avec notre âme.
4. Le jour des noces, s’il est
le plus émouvant, n’est pas toujours celui où l’amour des époux est le plus
fort puisqu’il n’est qu’un commencement. On aurait donc du comparer le paradis
au bonheur des époux qui sont restés fidèles et ont grandi dans l’amour toute
une vie.
5. Nous avons montré que la
substance du bonheur éternel serait la vision de Dieu. Or la vision est dans
l’intelligence. Elle ne doit pas être comparée à des noces dont la joie est
dans l’affectivité.
Cependant :
Jésus annonce à ses disciples à la cène[1143] : « Je ne boirai plus de ce vin jusqu’au jour où je boirai le vin
nouveau dans le Royaume de Dieu. » De
même, le livre de l’Apocalypse dit[1144] : « Heureux les gens invités au festin des noces de l’agneau. »
Conclusion :
Le paradis céleste est comparable à des noces éternelles dont
l’épouse serait l’âme et l’époux Dieu lui-même et ceci pour plusieurs raisons :
1° À cause de l’amour fervent
et englobant tous les degrés de la vie affective (mystique, spirituel, sensible
et physique) qui unit souvent les jeunes époux et qui est comparable à la
charité brûlante qui unira l’âme à Dieu pour l’éternité, s’épanouissant dans
une délectation spirituelle parfaite.
2° À cause de la possession
réciproque sur leur corps que se donnent les époux le jour de leur mariage.
Elle symbolise la possession réciproque que l’âme aura de son Dieu au Ciel.
3° À cause de la joie des
noces qui doit être sans nuages comme le montre Jésus à Cana en apportant du vin
nouveau avant que les époux s’aperçoivent qu’il n’y a plus de vin. De même, au
Ciel, la joie et la paix seront sans mélange puisque les fruits du Saint Esprit
seront donnés en plénitude.
On peut trouver une autre signification à ce mariage spirituel que
représente le paradis : l’épouse est la communauté des élus célébrant ses noces
éternelles avec Dieu. C’est pourquoi l’Église est souvent comparée par
l’Écriture à une épouse. Cette interprétation complète la première en
manifestant qu’au Ciel, les noces ne seront pas seulement entre l’âme et Dieu,
mais aussi, à cause de Dieu, celles de toutes les âmes entre elles. Ainsi
seront réalisés en plénitude les deux commandements qui n’en font qu’un : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur et tu
aimeras ton prochain comme toi-même. »
Remarque : Cette analogie des noces est la plus grande de toutes
celles qui sont utilisées dans l'Écriture car elle est celle qui parle le plus
directement de la cause de l'entrée dans la Vision de Dieu, à savoir l'amour de
charité.
Solutions :
1. Dans le mariage, il y a deux
choses à considérer :
1° Ce qui est essentiel et qui
donne au mariage d’exister, à savoir une union indissoluble des esprits, union
en vertu de laquelle les époux sont tenus de se garder une fidélité
inaltérable. En ce sens, la vision béatifique est comparable au mariage comme
une analogie propre puisqu’elle implique une charité dont la stabilité est
confirmée pour l’éternité. Toutes les perfections de l’amitié consommée sont
réalisées dans ces noces, par la vision, la délectation et la fruition comme
nous l’avons dit.
2° Ce qui est la perfection
seconde du mariage et qui permet à l’amour de prendre son extension jusque dans
le corps et dans une œuvre commune, à savoir l’union sexuelle des époux, le don
de la vie et l’éducation à des enfants. En ce sens, le mariage humain exprime
d’une manière métaphorique la joie et la fécondité spirituelle du Ciel.
Cependant après la résurrection des corps, le plaisir de la vision de Dieu
s’étendra jusque dans la chair puisque le corps participera à la gloire de
l’âme. Il y aura donc un réel plaisir physique. Dès maintenant, les élus étant
liés à leur vie psychique, ils vivent intensément dans leur sensibilité la joie
de leur union à Dieu.
2. De même que la nourriture
soutient la vie du corps, de même Dieu sera le seul soutien de la vie
spirituelle de l’âme ; de même que le vin rend joyeux et ivre, de même la
vision de Dieu réjouira l’âme au delà de tout ce que l’on peut imaginer sur
terre. Elle fera disparaître dans le bonheur tous les anciens soucis.
3. On peut parler au sens
propre des Noces de l’agneau puisque c’est le Verbe incarné qui nous a obtenus
d’entrer dans cette béatitude, à cause de la constance de son amour qui nous a
poursuivis pour nous unir à lui "alors que nous étions encore
pécheurs" selon saint Paul[1145]. Le Verbe s’est fait chair
"pour venir parler à notre cœur, nous qui étions dans le désert"[1146]. Mais, en tant qu’il
s’unira à nous comme un époux à son épouse, on doit parler des Noces de la
Sainte Trinité avec notre âme.
4. L’amour des jeunes époux
exprime mieux le bonheur du paradis céleste car il apparaît extérieurement
selon toute sa nouveauté et sa ferveur. De même, l’amour du Ciel aura
l’intensité perpétuelle d’éternelles fiançailles ; mais l’amour des époux au
terme d’une vie, quand il a su vaincre les épreuves du temps, peut mieux
exprimer la force indestructible de l’union des âmes avec Dieu au Ciel, selon
le cantique[1147] : « l’amour est fort comme la mort. »
5. Il est vrai que la
comparaison des noces exprime davantage la charité qui est au commencement de
la béatitude et qui y introduit, ainsi que celle qui est au terme et qui
s’épanouit dans la joie spirituelle, que la substance de la béatitude elle-même
qui est la vision de Dieu. Cependant, dans les noces humaines, l’amour des
époux est source pour eux d’une véritable connaissance puisqu’elle permet
d’atteindre ce qu’il y a de plus profond en l’autre. Et cette connaissance
affective peut exprimer d’une manière lointaine la connaissance contemplative
que nous aurons de Dieu dans la vision.
Objections :
1. Cela semble insensé : Le
sacerdoce naturel de la créature humaine adorante, le sacerdoce lévitique, le
sacerdoce ministériel catholique et le sacerdoce de la charité sont les quatre
formes de sacerdoce données par Dieu sur la terre. Or aucun d’entre eux ne
pourra subsister : 1° Le sacerdoce
naturel de Noé sera transfiguré dans le face à face de la vision. Il n’existera
plus comme ce qui est provisoire s’efface devant le définitif ; 2° Le sacerdoce lévitique est déjà
disparu, remplacé selon l’épître aux Hébreux, par l’unique sacerdoce du Christ
où l’on n’offre plus des animaux mais le Christ et son âme conjointement ; 3° Le sacerdoce ministériel n’aura plus
lieu de s’exercer puisque d’une part, Dieu sera vu face à face par tous ce qui
rendra inutile la consécration eucharistique et, d’autre part, les fidèles ne
pècheront plus ce qui rendra superficiel le sacrement de pénitence. De même,
les autres sacrements seront inutiles ; 4°
Enfin, le sacerdoce de la charité disparaîtra selon ses trois fonctions :
prophétique, puisque chacun sera instruit par Dieu directement ; royale,
puisque le Père sera le berger unique et sans intermédiaire de chacun ; et
sacerdotale, puisque nul n’aura plus à intercéder pour autrui, chacun étant
comblé de tous les biens en plénitude.
2. Le sacerdoce ordonné
disparaîtra nécessairement même dans son caractère : À l’heure de la mort, le
corps disparaît et enlève au prêtre la capacité de faire les gestes et de
prononcer les paroles sacramentelles.
Cependant :
Lorsqu’un prêtre est ordonné, on lui redit les paroles de l’épître
aux Hébreux[1149] : « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech. » D’autre part, l’Apocalypse de saint Jean
nous décrit le monde nouveau comme "un Royaume de prêtres pour Dieu le
Père"[1150]. Ailleurs[1151], ce livre dit que nous
serons "prêtre de Dieu et du Christ.
»
Conclusion :
Tout homme qui exerce un ministère d’intermédiaire entre
Dieu et un homme ou entre un homme et Dieu, exerce une forme de sacerdoce.
C’est même là la définition du prêtre : il porte devant Dieu les prières de
ceux pour qui il est mandaté et, réciproquement, il communique aux hommes les
réponses de Dieu. 1° Ce mandat peut lui
venir de la nature, comme on le voit pour les parents lorsqu’ils prient pour
leurs enfants ou leur enseignent le Créateur. Ce sacerdoce parental implique
éducation, (dimension prophétique), autorité (dimension royale) et intercession
(dimension sacerdotale). Il implique aussi des rites comme une forme de
bénédiction, une adoration en famille etc. C'est le sacerdoce naturel,
exercé jadis par Noé. 2° et 3° Ce mandat peut
venir d’une parole de Dieu suivie d’une reconnaissance du peuple comme on le
voit dans les sacerdoces lévitiques et chrétiens. 4° Enfin, il existe un
sacerdoce dont la source vient du contact intime avec Dieu par la charité : celui qui vit de son
baptême parle à Dieu dans un cœur à cœur qui le dispose surnaturellement à être
intercesseur entre Dieu et les hommes. Il prie pour eux
et, à l’occasion en paroles ou par le modèle de sa vie, il enseigne aux hommes
qui est Dieu. Ce sacerdoce est commun à tous les fidèles et il est le plus
grand de tous puisque tout les autres ne sont permis et voulus par Dieu que
pour conduire les hommes à la charité théologale.
Pour savoir
maintenant si ces sacerdoces demeureront dans le paradis, il suffit de se
demander si nous aurons encore, selon ses diverses formes, à exercer auprès de
nos frères un rôle d’intermédiaire avec Dieu. Au Ciel, nous le verrons face à
face et nous serons unis à lui comme une épouse dans l’amour de son époux ; De
plus, nous serons parfaitement comblés au point qu’il n’y aura plus ni péché ni
souffrance. Il est donc évident qu’il n’y aura plus la nécessité d’une
intercession. C’est ce qu’exprime l’Apocalypse [1152] : « Ils se passeront d’une lampe
pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière. » Il
est évident que les parents n’auront plus à éduquer leurs enfants devenus
adultes dans la Vision béatifique communiquée après leur vie terrestre ; De
même, il sera inutile d’offrir à Dieu en sacrifice des animaux, chaque âme
s’offrant elle-même à chaque instant. Enfin, la présence réelle dans les voiles
de l’eucharistie sera remplacée par la présence sans voiles. Il est donc
évident que les sacerdoces passagers que nous aurons connus sur terre seront
devenus inutiles et n’existeront plus.
Par contre, il restera une place pour le sacerdoce de la charité.
Comme nous l’avons montré, ce ne sera pas une place de nécessité comme sur la
terre où Dieu ne peut être connu qu’à travers des images humaines de sa
présence. Ce sera un sacerdoce de la gratuité du don mutuel. Etant unis à Dieu,
chacun parlera à Dieu et à son prochain. De même, chacun sera pour son prochain
une image unique de la beauté de Dieu, n’ajoutant que surabondance à l’unique
vision de face. Enfin, nous l’avons déjà montré, chacun obéira à son prochain,
réalisant ainsi dans sa perfection le vrai culte qu’attend le créateur. Ce sera
donc un Royaume d’intercesseurs, c’est-à-dire de prêtres, de rois et de
prophètes.
Solutions :
1. Nous l’avons montré, les
différents sacerdoces ministériels disparaîtront, n’ayant plus de matière où
s’exercer, sauf pour aider les créatures spirituelles en marche vers leur
salut, sur terre et au purgatoire. Par contre, le sacerdoce de la charité
subsistera dans son rôle spécifique d’intermédiaire entre Dieu et les hommes,
non par nécessité mais dans l’exercice perpétuel de la charité par la
délicatesse des intentions gratuites. Chacun au Ciel sera devenu comme Dieu
pour son prochain, étant uni à Dieu dans un amour exclusif.
2. Le sacerdoce ordonné est
reçu à travers un caractère sacramentel qui s’inscrit dans l’intelligence
pratique du prêtre : Celui-ci sait très concrètement qu’il a reçu mandat de
Dieu d’exercer certaines actions sanctificatrices. Dieu s’engage en réponse à
réaliser ce pour quoi le prêtre a été mandaté. Au Ciel, chaque prêtre saura
qu’il est prêtre et que, si Dieu le demandait, les paroles cultuelles prononcées
seraient efficaces. Chaque prêtre sera donc prêtre en la racine du sacerdoce
qui se situe dans son intelligence pratique mais non plus selon l’exercice de
ce ministère devenu inutile. De même, s’il arrive qu’il y ait un prêtre en
enfer, il se saura tel et le sera en effet. Cependant, s’il advenait qu’un
prêtre de l’enfer prononce les paroles consécratoires, elles ne seraient pas
suivies d’effet, Dieu ne répondant évidemment pas à une intention explicitement
et nécessairement blasphématoire. De plus, le temps de l’Église en voie étant
passé, ces paroles n’auront plus de la part du chef de l’Église, c’est-à-dire
du Christ, d’autorité sur l’Esprit Saint.
En conclusion, on doit dire que le sacerdoce ministériel est
éternel quant à son caractère mais non quant à son effet cultuel.
Au sujet de la condition des âmes glorifiées par rapport à
elles-mêmes, nous verrons :
1° La connaissance et l’amour
naturels demeurent-ils dans les âmes béatifiées ?
2° Peuvent-elles pécher ?
3° Peuvent-elles progresser en
béatitude ?
4° Souffrent-elles de
l’absence du corps ?
5° Le corps physique est-il
requis pour la béatitude ?
6° Les degrés de béatitude
doivent-ils être appelés demeures ?
7° Les demeures diverses se
distinguent-elles selon les degrés de charité ?
Objections :
1. Nous lisons dans la première
épître aux Corinthiens : « Quand
viendra ce qui est parfait, ce qui est imparfait disparaîtra. » Mais la connaissance et l’amour
naturels sont imparfaits par rapport à la connaissance et à l’amour des
bienheureux. Ils doivent donc disparaître dans la béatitude.
2. Là où une seule chose
suffit, le reste est superflu. Or la connaissance et la dilection de la gloire
suffisent aux âmes bienheureuses. Connaissance et amour naturels sont donc
superflus.
3. La même puissance ne peut
produire en même temps deux actes, pas plus qu’une ligne ne peut se terminer, à
l’une de ses extrémités, par deux points. Mais les anges au Ciel sont toujours
en acte de connaissance et d’amour béatifiques : Car la félicité n’est pas un
habitus, mais un acte. Il n’y a donc pas de possibilité pour eux de connaître
et d’aimer naturellement.
Cependant :
Tant que demeure une nature, demeure aussi son opération. Or la
béatitude ne détruit pas la nature dont elle est la perfection. Elle n’enlève
donc pas non plus la connaissance et l’amour naturels.
Conclusion :
Les rapports qui existent entre les principes d’opération, se
retrouvent dans les opérations elles-mêmes. Or il est manifeste que la nature
est première par rapport à la béatitude qui est seconde : car la béatitude
ajoute à la nature. D’autre part ce qui est premier doit toujours être sauf
dans ce qui est second. Il faut donc que la nature soit sauvegardée dans la
béatitude. Et il en est de même de l’acte naturel par rapport à l’acte
béatifique.
Solutions :
1. La perfection que l’on acquiert
enlève l’imperfection qui lui est opposée. Mais l’imperfection de la nature
n’est pas opposée à la perfection de la béatitude ; elle lui est seulement
sous-jacente. Ainsi l’imperfection de la puissance est sous-jacente à la
perfection de la forme : en sorte que ce n’est pas la puissance qui est enlevée
par la forme, mais la privation, laquelle s’oppose à la forme. Semblablement
l’imperfection de la connaissance naturelle ne s’oppose pas à la perfection de
la connaissance de la gloire : rien n’empêche en effet de connaître quelque
chose par divers moyens de connaissance, les uns démonstratifs, les autres
simplement probables. Ainsi l’âme peut connaître Dieu par l’essence divine, ce
qui relève de la connaissance de la gloire ; et connaître Dieu par sa propre
connaissance qui appartient à sa connaissance naturelle.
2. Les conditions de la
béatitude se suffisent à elles-mêmes, mais, pour être, il leur faut les
conditions naturelles, car aucune béatitude ne subsiste par elle-même si ce
n’est la béatitude incréée.
3. Deux opérations d’une même
puissance ne peuvent exister en même temps qu’à la condition d’être ordonnées
l’une à l’autre. Or connaissance et amour naturels sont ordonnés à la
connaissance et à la dilection de la gloire.
Objections :
1. La béatitude n’enlève pas la
nature, on vient de le dire. Or il est de l’essence de la nature créée d’être
déficiente. L’âme bienheureuse peut donc pécher.
2. Les facultés rationnelles
sont capables de se porter sur des objets opposés l’un à l’autre. Or la volonté
de l’âme ne cesse pas d’être une faculté rationnelle. Elle peut donc se porter
sur le mal comme sur le bien.
3. Choisir entre le bien et le
mal relève du libre arbitre lequel n’est pas diminué dans l’âme du fait de la
béatitude. L’âme bienheureuse peut donc pécher.
Cependant :
D’après saint Augustin, c’est dans les saints du Ciel que se
trouve cette nature qui ne peut pécher.
Conclusion :
La béatitude consiste à voir Dieu dans son essence. Or l’essence
de Dieu, c’est l’essence même de la bonté. L’âme qui voit Dieu se trouve donc
par rapport à Dieu comme celui qui ne le voit pas par rapport à l’idée du bien
comme tel. Or personne ne peut vouloir ou agir qu’en vue du bien, et il lui est
impossible de se détourner du bien comme tel. L’âme bienheureuse ne peut donc
vouloir ou agir qu’en se référant à Dieu, et par le fait même ne peut pécher
d’aucune manière.
Solutions :
1. Toute nature bonne créée,
considérée en elle-même, est déficiente. Mais, unie indéfectiblement au bien
incréé, comme il arrive dans la béatitude, elle ne peut plus pécher, comme nous
venons de le dire.
2. Les facultés rationnelles
peuvent se porter vers des objets opposés quand elles ne sont pas ordonnées
naturellement à ces objets ; si leur ordre aux objets est naturel, ceux-ci ne
peuvent s’opposer. L’intelligence en effet ne peut pas ne pas assentir aux
principes naturellement connus ; et de même la volonté ne peut pas ne pas
adhérer au bien en tant que tel, car elle est naturellement ordonnée au bien
comme à son objet propre. La volonté de l’ange peut donc se porter en beaucoup
de cas vers des déterminations opposées, faire ou ne pas faire ceci ou cela.
Mais pour ce qui est de Dieu, vu comme l’essence même de la bonté, il n’y a pas
d’alternative possible : Quelles que soient les déterminations opposées
auxquelles l’âme se résout. Elle les choisit toujours selon Dieu ; et par le
fait même, il ne pèche pas.
3. Le libre arbitre se trouve,
en regard des moyens qui mènent à la fin, dans le même rapport que
l’intelligence en regard des conclusions. Or l’intelligence peut, selon les
principes donnés, déduire diverses conclusions ; mais elle commet une faute
lorsque, pour parvenir à une conclusion, elle ne tient pas compte de l’ordre
imposé par les principes. De même le libre arbitre peut choisir divers moyens,
du moment qu’ils sont ordonnés à la fin ; et cela relève de la perfection de sa
liberté ; mais s’il opère un choix sans tenir compte de l’ordre de la fin, il
pèche et cela représente pour sa liberté un défaut. C’est pourquoi la liberté
des âmes qui ne peuvent pas pécher, est supérieure à la nôtre parce que nous,
nous sommes susceptibles de pécher.
Objections :
1. La charité est principe de mérite. Mais, dans les âmes, la charité
est parfaite. Les âmes bienheureuses peuvent donc mériter, et à mesure que
croît leur mérite, leur béatitude qui en est la récompense grandit. Ils peuvent
donc progresser en béatitude.
2. D’après saint Augustin, « Dieu
se sert de nous à la fois pour notre utilité et aux fins de sa bonté. » Ainsi en est-il des âmes qu’il emploie
dans divers ministères spirituels. Elles prient pour nous et peuvent parfois
utiliser la puissance divine dont elle dispose pour nous aider. Or ces prières,
n’auraient aucune utilité pour elles si elles n’en retiraient du mérite et ne
progressaient en béatitude.
3. C’est une imperfection pour celui qui n’est pas au sommet, de ne
pouvoir progresser. Or les âmes ne sont pas au sommet de la béatitude. Il y
aurait donc pour eux une imperfection à ne pouvoir progresser en béatitude.
Cependant :
A l’heure de la mort,
lorsque le Christ paraît dans sa gloire, l’âme ne peut que l’aimer de tout son
cœur, de toute son âme, de toute sa force, ou au contraire le rejeter de la
même façon. Or ce qui est plénier ne peut progresser. Donc les âmes, au sortir
de ce monde et après la parousie sortent de l’état de voie. Elles ne peuvent
donc ni mériter par un plus grand amour, ni progresser en béatitude.
Conclusion :
Dans tout mouvement, l’intention
de l’agent moteur est de conduire le mobile à un point déterminé. L’intention
se porte en effet sur une fin et l’indéfini lui répugne. D’autre part, comme la
créature rationnelle ne peut atteindre par ses propres forces sa béatitude qui
consiste en la vision de Dieu, elle a besoin d’y être mue par Dieu lui-même. Il
faut donc que soit fixé un terme vers lequel elle se trouve conduite comme vers
sa fin ultime.
Ce terme de la vision divine ne peut être pris de l’objet lui-même
qui est vu, car la souveraine vérité est appréhendée par tous les bienheureux
selon les degrés divers. Il doit donc être pris du mode de vision et fixé
diversement d’après l’intention de celui qui conduit le bienheureux à sa fin.
Il n’est pas possible en effet qu’en étant élevée à la vision de la suprême
essence, la créature rationnelle parvienne au mode suprême de vision qui est la
compréhension. Ce mode ne peut appartenir qu’à Dieu, nous le savons. Mais,
puisqu’il faut une puissance d’une efficacité infinie pour comprendre Dieu et
que la créature ne dispose que d’une efficacité finie, il s’ensuit qu’il y aura
des degrés en nombre illimité entre un degré quelconque de vision et l’infinie
compréhension divine. La créature rationnelle peut donc saisir Dieu plus ou
moins clairement et selon des modes sans nombre. Et de même que la béatitude
consiste dans la vision, ainsi le degré de béatitude représente un certain mode
déterminé de vision.
En définitive, toute créature rationnelle est conduite par Dieu à
sa fin bienheureuse et reçoit un degré de béatitude déterminé par la
prédestination divine.
Solutions :
1. C’est à celui qui est mû
vers la fin, qu’il appartient de mériter. Or la créature rationnelle n’est pas
mue vers la fin seulement d’une façon passive, elle l’est aussi en son
activité. Quand donc la fin se trouve à sa portée, c’est l’opération de la créature
rationnelle qui conquiert la fin : ainsi l’homme, par la méditation, acquiert
la science.
Quand la fin n’est pas en son pouvoir, mais doit être obtenue d’un
autre, l’opération est alors méritoire de la fin. De plus, quand on est parvenu
au terme ultime, il n’y a plus mouvement, le changement est acquis. C’est
pourquoi il appartient à la charité imparfaite, qui est celle de l’état de
voie, de mériter. Quant à la charité parfaite elle ne mérite plus, elle jouit
de la récompense. Ainsi en va-t-il des habitus acquis : l’activité qui les
précède nous les fait acquérir ; une fois possédés, ils nous font agir avec
perfection et joie. Semblablement l’acte de la charité parfaite n’a pas raison
de mérite, il relève plutôt de la récompense et de son accomplissement.
2. Une chose peut être utile de
deux manières : d’abord comme un moyen pour parvenir à une fin ; c’est en ce
sens que le mérite de la béatitude nous est utile. Ensuite, comme une partie
est utile au tout, le mur à la maison : sous ce rapport la prière des âmes
bienheureuses leur sont utiles, car elles font d’une certaine manière partie de
leur béatitude : diffuser sa perfection sur autrui appartient en effet à l’être
parfait en tant qu’il est parfait.
3. Bien qu’absolument parlant
l’âme bienheureuse n’atteigne pas le degré suprême de la béatitude, cependant,
pour ce qui est d’elle et compte tenu de la prédestination divine, elle est
parvenue au terme ultime et au sommet de son bonheur. Néanmoins, peut croître
chez les âmes, la joie qu’elles éprouvent du salut de ceux pour qui elles
prient particulièrement, selon cette parole de l’Évangile : « Il y a de la joie parmi les anges de
Dieu pour un seul pécheur qui se repent.
» Mais cette joie appartient à la récompense accidentelle, et elle peut
augmenter jusqu’au jour du jugement. D’où l’opinion de certains qui admettent
qu’au sujet de cette récompense les âmes peuvent mériter. Pourtant il vaut
mieux reconnaître que d’aucune façon un bienheureux ne peut mériter, à moins
d’être à la fois dans l’état de voie et dans l’état de béatitude, ce qui était
le cas du Christ sur la terre. La joie dont nous parlons en effet, les âmes
l’obtiennent en vertu de leur état bienheureux plutôt qu’ils ne la méritent.
Objections :
1. Il semble que le corps
physique soit requis nécessairement pour la béatitude de l’homme. En effet, la
perfection de la vertu et de la grâce présuppose la perfection de la nature. Et
c’est la béatitude qui est la perfection de la vertu et de la grâce. Mais une
âme sans corps ne possède point la perfection de sa nature, vu qu’elle est
naturellement une partie de la nature humaine, et qu’une partie hors de son
tout est imparfaite. Donc l’âme sans le corps ne peut pas être heureuse.
2. D’autre part, la béatitude
est une opération parfaite, ainsi que nous l’avons dit. Or l’opération parfaite
suit à l’être parfait, car rien n’opère que pour autant qu’il est un être en
acte. Ainsi donc, l’âme séparée du corps n’ayant pas son être parfait, non plus
que toute partie séparée de son tout, il semble qu’elle ne puisse ainsi être
heureuse.
3. D’autre part encore, la
béatitude est la perfection de l’homme. Or l’âme sans le corps, ce n’est pas
l’homme.
4. En outre, selon le
philosophe, l’opération de la félicité, en quoi consiste la béatitude, n’a pas
d’empêchement. Or l’opération de l’âme séparée a un empêchement ; car, ainsi
que le dit Augustin, « l’âme a comme
un appétit naturel de régir le corps, et par cet appétit elle est arrêtée en
quelque sorte dans son élan vers le Ciel suprême », c’est-à-dire vers la vision de la divine essence. Donc l’âme
sans le corps ne saurait avoir la béatitude.
5. Au surplus, la béatitude est
un bien qui se suffit à lui-même et apaise tous les désirs. Or cela ne convient
pas à l’âme séparée, car elle désire toujours s’unir à son corps, comme
Augustin le rappelle.
6. Enfin, du fait de la
béatitude, l’homme est l’égal des anges : or, selon Augustin, l’âme séparée
n’est pas l’égale des anges : donc elle n’a pas la béatitude.
7. À propos de cela, on s’est
demandé[1156] si on peut l’admettre,
étant donné que l’Écriture parle d’une résurrection finale ; d’autre part
l’Écriture ne conçoit pas la vie d’une âme séparée. On émet donc l’hypothèse
(toujours le P. Benoît) que l’homme qui meurt participe à la vie du Corps
ressuscité du Christ. Cette hypothèse du Père Benoît est profonde et tend à
coïncider avec l’affirmation de la résurrection immédiate. En effet, ce qui
subsiste dans l’éternité c’est la plénitude du Corps du Christ unifié par
l’Esprit du Père. Dès que l’homme communie à ce Corps, il vit par l’Esprit ;
dès qu’il entre, par sa mort, en communion plus plénière avec ce Corps, on peut
dire qu’il est vraiment ressuscité, participant de la vie pascale de Jésus.
Dans cette perspective, le dogme de l’assomption assume une signification
typologique exceptionnelle : la vierge Marie est le type de tous ceux qui se
sont endormis dans le Christ pour vivre aussitôt après dans la plénitude de sa
vie[1157].
8. Le corps physique est le
siège des facultés de la vie végétative, respiration, nutrition, reproduction.
Il est pesant et sa disparition ne constitue pas un inconvénient pour notre
mode naturel de connaissance puisque, nous l’avons vu, les facultés sensibles
subsistent après la mort dans un corps psychique. Donc le corps physique et sa
résurrection ne sont pas requis pour la béatitude plénière de l’homme.
Cependant :
On lit dans l’Apocalypse : «
Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur. » Donc ceux qui sont dans une totale charité purifiée sont heureux
sans attendre, avant la résurrection de la chair.
Conclusion :
Il y a deux sortes de béatitudes : L’une imparfaite et telle que
nous pouvons l’avoir dans la vie présente, l’autre parfaite et qui consiste
dans la vision de Dieu. Il est bien manifeste que pour la béatitude de cette
vie, le corps est nécessaire. En effet, la béatitude de la vie présente est une
opération de l’intellect soit spéculatif, soit pratique. Or l’opération de
l’intellect, en cette vie, ne peut avoir lieu sans images, lesquelles ne
naissent qu’en un organe corporel, comme nous l’avons montré. Et ainsi la
béatitude possible en cette vie dépend en quelque manière du corps.
Quant à la béatitude parfaite, qui consiste dans la vision de Dieu,
quelques-uns ont pensé qu’elle ne peut non plus être accordée à l’âme en dehors
de sa jonction avec le corps, et ils disent que les âmes des saints, étant
séparées de leurs corps, ne peuvent parvenir à la béatitude avant le jour du
jugement, jour où leurs corps physique leur feront retour.
Mais cela est faux du point de vue de l’autorité comme du point de
vue de la raison. Au point de vue de l’autorité ; car l’Apôtre écrit : « Aussi longtemps que nous habitons dans
ce corps, nous sommes loin du Seigneur »,
et voulant montrer de quelle nature est cet éloignement, il ajoute : « car nous marchons par la foi et non
par la vue. » D’où il appert qu’aussi
longtemps que quelqu’un marche par la foi et non par la vue, n’ayant pas la
vision de l’essence divine, il n’est pas encore en la présence plénière de
Dieu. Or les âmes des saints qui sont séparées de leurs corps sont présentes à
Dieu, ce qui fait que l’Apôtre ajoute : «
Dans cette assurance, nous aimons mieux déloger de ce corps et habiter
auprès du Seigneur. » Il est donc
évident que les âmes des saints séparées de leurs corps "marchent par la
vue », c’est-à-dire voient l’essence
de Dieu, ce qui constitue la vraie béatitude.
Par raison aussi, notre conclusion s’impose car notre intellect
n’a besoin du corps pour son opération qu’en raison des images sensibles, en
lesquelles il voit, en même temps que ces images, la vérité intelligible
qu’elles lui représentent. Or il est évident que l’essence divine ne peut pas
être contemplée au moyen d’images, ainsi que nous l’avons démontré dans la
première partie de cet ouvrage. Donc, puisque la parfaite béatitude de l’homme
consiste dans la vision de l’essence divine, cette béatitude ne peut dépendre
du corps, et ainsi, même sans corps, l’âme peut être bienheureuse.
Toutefois, il faut savoir qu’une chose peut appartenir à la
perfection d’une autre de deux manières : D’abord pour constituer son essence
même : ainsi l’âme est nécessaire à la pleine constitution de l’homme. Ou,
d’une autre façon, pour concourir à son meilleur être : ainsi la beauté
corporelle ou la promptitude d’esprit appartiennent à la perfection de l’homme.
Dans le premier sens, nous avons dit que le corps n’est pas nécessaire à la
perfection de la béatitude humaine ; mais il l’est dans le second. En effet,
comme l’opération d’un être est dans la dépendance de sa nature, plus la nature
de l’âme sera parfaite, plus parfaite sera aussi sa propre opération, en
laquelle consiste sa béatitude. C’est pourquoi saint Augustin s’étant demandé
si les âmes des morts peuvent sans leurs corps acquérir la suprême béatitude,
il répond : « Elles ne peuvent voir
la substance immuable de la même manière que les saints anges la voient, soit
pour une raison plus cachée, soit parce qu’il y a en elles un désir de posséder
et de régir leur corps. »
Solutions :
1. On veut que la nature de
l’âme soit parfaite, afin que sa béatitude soit aussi parfaite. Mais la
béatitude est la perfection de l’âme quant à l’intellect, par où l’âme s’élève
au-dessus des organes corporels, et non pas selon que l’âme est la forme
naturelle du corps. Il s’ensuit que l’âme séparée garde la perfection de nature
selon laquelle lui est due la béatitude, bien qu’elle n’ait plus sa perfection
de nature en tant que forme du corps.
2. En ce qui concerne la
perfection de l’être, il faut savoir que l’âme n’est pas à cet égard dans le
cas d’une partie quelconque. Dans les cas ordinaires, l’être du tout
n’appartient à aucune de ses parties de là vient qu’à la destruction du tout,
la partie cesse d’être, comme les parties qui composent la plante à la
destruction de la plante ; ou, si les parties demeurent, elles ont un être
actuel différent : ainsi une partie de ligne a un être différent de celui de la
ligne entière.
Mais l’âme humaine, après la destruction du corps, conserve l’être
même du composé, et cela parce qu’il n’y a qu’un seul être de la matière et de
la forme et que cet être est celui du composé : or l’âme subsiste en raison de
son être propre, ainsi que nous l’avons démontré. Il reste donc qu’après sa
séparation d’avec le corps l’âme garde son être parfait, et qu’elle peut ainsi
avoir une opération parfaite, bien qu’elle n’ait plus la perfection de sa
nature spécifique.
3. On insiste en disant que la
béatitude appartient à l’homme en son unité. Mais la béatitude appartient à
l’homme quant à son intelligence ; c’est pourquoi, tant que son intelligence
demeure, il est capable de béatitude, tout comme les dents de l’Ethiopien,
selon lesquelles il est appelé blanc, peuvent continuer d’être blanches même
quand on les arrache.
4. On craint que l’âme ne soit
empêchée de jouir de sa béatitude par l’absence du corps. Mais une chose peut
être empêchée par une autre de deux manières. D’abord par manière de
contrariété, comme le froid empêche l’action de la chaleur et un tel
empêchement répugne à la béatitude. En second lieu, du fait d’un certain
manque, en ce sens que la chose empêchée n’aura pas ce qui peut conférer à sa
pleine et entière perfection et un empêchement de ce genre ne répugne pas à la
béatitude, mais seulement à sa perfection pleine et entière. C’est ainsi que
l’âme est dite retardée dans le plein élan qui l’emporte vers la vision de la
divine essence. En effet, elle désire jouir de Dieu de telle manière, que sa
jouissance dérive par une sorte de reflux vers le corps lui-même, selon qu’il
en est capable : C’est pourquoi, tant qu’elle jouit de Dieu sans son corps, son
appétit se repose en Dieu de telle sorte qu’elle désire toujours voir son corps
parvenir lui aussi à la participation de ce bien.
5. Il ne résulte pas de là,
comme on le croit, que l’âme reste dans l’inquiétude et dans la recherche. Le
désir de l’âme séparée est totalement en repos en ce qui concerne l’objet
désiré. Elle a ce qui lui suffit. Mais elle n’est pas pleinement en repos en ce
qui la concerne elle-même ; car elle ne possède pas son bien de toutes les
manières dont elle voudrait le posséder. C’est pourquoi, son corps repris, sa
béatitude croît, non pas en intensité, mais en extension.
6. Quand donc Augustin dit que
les âmes des morts ne voient pas Dieu de la même manière que les anges, il ne
faut pas l’entendre dans le sens d’une inégalité quantitative ; car même
maintenant certaines âmes bienheureuses sont élevées aux ordres supérieurs du
monde angélique et voient donc Dieu plus clairement que les anges inférieurs.
Il faut comprendre qu’il y a ici une inégalité de proportion, en ce sens que
les anges, même inférieurs, ont toute la perfection de béatitude qu’ils
doivent avoir à jamais, ce qui n’est pas vrai des âmes des saints séparées de
leur corps.
7. Cette thèse peut être
interprétée en deux sens : Elle peut s’entendre d’une participation au corps du
Christ par mode mystique, c’est-à-dire à travers l’intense relation de charité
qui unit les élus au Christ. Dans ce cas, il est évident que plus cette charité
est intense, plus l’absence du corps est chose secondaire pour l’âme dont les
énergies sont happées en dehors d’elle-même. Ainsi, dans la vision béatifique,
l’absence du corps est si peu sensible que l’âme est parfaitement et
définitivement bienheureuse ; Ceci ne signifie pas que la résurrection du corps
sera inutile mais qu’elle constituera un cadeau de surabondance d’un amour déjà
comblé. Cependant cette thèse peut être soutenue dans un sens ontologique,
comme si le corps du Christ devenait notre propre corps. Cette interprétation
n’est pas raisonnable et profondément en désaccord avec la foi. Elle
s’opposerait à l’unité ontologique de la personne humaine, à l’attente de
l’évènement futur et historique de notre résurrection. Mais nous avons
suffisamment démontré que la vie de l’âme séparée est naturelle et que
l’Écriture, loin de le nier, nous invite à le croire. Cette thèse provient
d’une phobie excessive du dualisme platonicien âme-corps.
8. Le corps physique est
substantiellement partie de l’homme. L’âme est par nature faite pour s’unir non
seulement à un psychisme mais à un corps palpable doté du sens du toucher.
C’est pourquoi, à la résurrection, pour que l’homme redevienne lui-même, il
sera rendu charnellement à chacun, selon un mode de vie transfiguré car
entièrement soumis aux impulsions de l’esprit.
Objections :
1. Il semble que l’âme
glorifiée souffre de l’absence du corps. En effet le lien avec le corps est
naturel. Car l’âme possède un habitus entitatif[1158] à être unie à son corps.
Etant séparée, elle se trouve dans un état qui va contre sa nature donc elle
souffre.
2. Si les âmes glorifiées ne
souffrent pas de l’absence du corps, on doit admettre que la résurrection
finale est inutile. Elle n’apporte rien de nouveau. Or ce n’est pas là la foi
enseignée par notre Seigneur. Donc l’âme souffre de l’absence du corps.
Cependant :
Le paradis est le lieu où Dieu essuiera toutes les larmes[1159]. Il ne peut donc y avoir de
souffrance dans la béatitude parfaite. Donc les âmes glorifiées ne souffriront
pas de l’absence du corps.
Conclusion :
La source de la béatitude essentielle du paradis est la vision de l’essence
divine. Elle béatifie l’âme en plénitude selon saint Augustin dans ses
confessions : « Te posséder,
c’est être riche de toutes les richesses.
» Il ne peut donc y avoir place pour aucune souffrance chez les élus, même avant
la résurrection de leur corps qui permettra à cette béatitude de prendre son
extension dans tout leur être.
Cependant on doit admettre que l’âme séparée du corps n’est pas
dans un état qui lui est naturel puisqu’elle est faite par nature pour lui être
uni.
Les disciples de Platon qui
affirment le contraire niaient la nécessité de la résurrection. La foi
catholique affirme qu’il demeure dans l’âme séparée un désir naturel qui
appelle retour du corps. Chez les élus, ce désir n’est pas source de souffrance
car la béatitude essentielle les comble totalement. S’il ne fait pas souffrir,
ce désir demeure sous la forme d’un habitus entitatif de l’âme dont l’acte est
empêché par une disposition de la providence divine. Les élus ne souffrent donc
pas de l’absence du corps.
Solutions :
1. L’habitus naturel qui pousse
l’âme à désirer son corps demeure puisqu’il fait partie essentiellement de la
nature humaine. Cependant le désir qu’il suscite peut être empêché. Dans le cas
des âmes glorifiées, la vision de l’essence divine aspire à elle les énergies
de l’âme au point de rendre inopérant tout autre appétit naturel.
2. La résurrection finale des corps qui précédera le jugement dernier
n’apportera pas aux élus un bonheur essentiellement nouveau. Le bonheur
essentiel qui provient de la vision de Dieu pourra seulement s’étendre jusque
dans la chair et les plaisirs physiques du toucher et du goût qui en seront
transfigurés. Il est juste en effet que le corps physique participe à la
gloire, de la même manière qu’il a participé aux souffrances lors de la vie
terrestre. Quant aux plaisirs de la sensibilité, ils ne sont aucunement enlevés
par la mort comme nous l’avons montré[1160]. Dès avant la résurrection, ils
s’exercent dans les âmes séparées de la chair d’une manière sublime et détachée
des limites terrestres.
L’esprit est dans l’homme si totalement un avec le corps qu’on
peut lui appliquer de plein droit le terme de « forme ». Et
inversement : la forme de ce corps est telle qu’elle est esprit et fait donc de
l’homme une personne. Le cardinal Ratzinger écrit : « L’âme n’est pas une substance qui serait, en outre, forme du
corps, mais elle est substance en tant que forme d’un corps et elle est
forme du corps en tant que substance. »
« Une séparation de l’âme d’avec
le corps est contre sa nature et réduit sa similitude avec Dieu créateur. Le
fait d’être dans le corps n’est pas une activité, mais la perfection même de
l’âme. Le corps est ce qui rend l’âme visible car la réalité du corps c’est
l’âme. » On touche là à l’apparence
d’une impossibilité philosophique, et les exigences, apparemment tout à fait
contradictoires, de la doctrine de la création, d’une part, et de la foi au
schéol dans son adaptation chrétienne, d’autre part, sont satisfaisantes :
l’âme fait partie du corps en tant que « forme », mais ce qui est « forme » du
corps est esprit et fait de l’homme une personne en lui ouvrant ainsi accès à
l’immortalité ».[1161]
Objections :
1. Il semble que non. Car la
béatitude contient l’idée de récompense, et la demeure ne signifie rien qui ait
trait à une récompense.
2. La demeure semble signifier
un lieu. Mais le lieu dans lequel les saints sont heureux n’est point corporel,
mais spirituel : c’est Dieu, indivisible. Il n’y a donc en lui qu’une demeure.
Les divers degrés de béatitude ne doivent donc pas être appelés demeures.
3. De même que dans le Ciel il
y aura des hommes de mérites inégaux, de même il en est ainsi actuellement dans
le purgatoire, et il en fut ainsi dans les limbes des Pères.
Cependant :
Nous lisons en saint Jean : «
Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures. » Et saint Augustin l’explique par les
divers degrés de récompense.
En outre, dans toute
cité organisée, il y a des différences de demeures. Mais la patrie céleste est
comparée à une cité, comme on le voit dans l’Apocalypse. On doit donc y
distinguer diverses demeures selon les divers degrés de béatitude.
Conclusion :
Le mouvement local est le premier de tous les mouvements. C’est
pourquoi, selon Aristote, les noms de mouvement, de distance et des autres
choses connexes sont dérivés du mouvement local pour tous les autres
mouvements. La fin du mouvement local est le lieu dans lequel la chose une fois
parvenue demeure en repos et s’y conserve. C’est pourquoi, à propos de tout
mouvement, le repos auquel a abouti finalement le mouvement se nomme situation
ou demeure. Et puisque le nom de mouvement est appliqué même aux actes de
l’appétit sensible et de la volonté, le fait d’atteindre la fin de ces
mouvements s’appelle demeure ou situation dans la fin. On donne donc le nom de
diverses demeures aux diverses manières d’atteindre sa fin ultime. L’unité de
la demeure correspond à l’unité de la béatitude considérée en son objet, et la
pluralité des demeures correspond aux différences qui se trouvent dans la
béatitude, considérée dans les bienheureux. Nous voyons aussi dans les choses
naturelles que le lieu élevé vers lequel tendent les corps légers est le même
pour tous, mais chacun d’entre eux en approche plus ou moins selon son degré de
légèreté : ils ont donc des demeures différentes selon leur différence de
légèreté.
Solutions :
1. La demeure inclut la notion
de fin et par conséquent celle de récompense qui est la fin du mérite.
2. Bien qu’il n’y ait qu’un
seul lieu spirituel, il y a divers degrés de rapprochement à son égard : cela
constitue les diverses demeures.
3. Ceux qui étaient dans les limbes ou sont maintenant dans le
purgatoire ne sont point parvenus à leur fin : il n’y a donc pas de demeures
mais plutôt un « passage » dans le purgatoire ou les limbes. Les
demeures sont seulement dans le paradis et l’enfer, où se trouve la fin
stabilisée (définitive) des bons et des méchants.
Solution de l’argument cependant :
Les demeures du paradis ne sont pas à prendre dans un sens
matériel, comme si les élus étaient séparés et vivaient dans plusieurs lieux.
L’expression « demeure » a une signification spirituelle et
indique un degré de vision béatifique.
Objections :
1. Il semble que non, puisque
nous lisons en saint Matthieu : « Il
a donné à chacun selon sa propre vertu. »
Or la vertu de chaque chose est sa puissance naturelle. Les dons de la grâce et
de la gloire sont donc distribués selon les divers degrés de vertu naturelle.
2. Le Psalmiste dit : « Tu rendras à chacun selon ses œuvres. » Mais ce que Dieu rendra est la mesure
de la béatitude. Les degrés de celle-ci sont donc distingués selon la diversité
des œuvres, et non selon celle de la charité.
3. La récompense est due aux
actes et non aux dispositions : c’est pourquoi "ce ne sont pas les plus forts
qui sont couronnés, mais ceux qui luttent
», comme dit Aristote dans les Ethiques, et saint Paul à Timothée[1164] : « Seul sera couronné celui qui aura combattu selon les règles. » La béatitude est une récompense. Ses
divers degrés correspondent donc à ceux des œuvres et non à ceux de la charité.
4. Si la récompense se prend du
degré de charité, certains seront plus heureux que d’autres ce qui n’est pas
possible puisque tous sont dans la béatitude, c’est-à-dire, heureux sans
partage avec du regret.
Cependant :
Plus quelqu’un sera uni à Dieu, plus il le verra. Mais la manière
d’adhérer à Dieu dépendra du degré de charité. La diversité de la béatitude
correspondra donc à la différence de charité.
En outre, « le simple suit le simple et le plus suit le plus. » Posséder simplement la béatitude suit
la simple possession de la charité ; donc la possession d’une plus grande
béatitude suit celle d’une plus grande charité.
Conclusion :
Il y a deux principes qui distinguent les demeures ou degrés de béatitude
: l’un proche, l’autre éloigné. Le proche est la disposition différente des
bienheureux, selon laquelle s’établit en eux une diversité de perfection dans
l’opération de la béatitude ; tandis que le principe éloigné est le mérite
grâce auquel ils ont obtenu cette béatitude.
Selon la première manière, on distingue des demeures d’après la
charité dans le Ciel, qui plus elle est parfaite, plus elle rendra le bienheureux
capable de recevoir la divine clarté, dont l’augmentation accroît la perfection
de la vision de Dieu. Selon la seconde manière, on distingue des demeures
d’après la charité de la vie sur terre. Notre acte en effet n’est pas méritoire
dans sa substance même, mais à cause de la disposition de vertu qui le pénètre.
Or la puissance du mérite dans toutes les vertus provient de la charité qui a
pour objet notre fin même. C’est pourquoi la diversité de mérite revient tout
entière à la diversité de charité. Et ainsi notre charité d’ici-bas distingue
les demeures à la manière du mérite.
Solutions :
1. La vertu ne doit pas être
prise ici seulement en tant que capacité naturelle, mais en tant que capacité
naturelle à laquelle s’ajoute l’effort pour recevoir la grâce. Alors la vertu
devient comme une disposition matérielle à la mesure de la grâce et de la
gloire future. Mais la charité constitue formellement la mesure de la gloire.
C’est pourquoi la distinction du degré de gloire vient du degré de charité
plutôt que de celui de la vertu naturelle.
2. Les œuvres ne méritent une
récompense de gloire qu’en tant qu’elles sont pénétrées par la charité. Les
divers degrés de gloire correspondent donc à ceux de la charité.
3. Bien que la disposition de
la charité ou de toute vertu ne constitue pas le mérite auquel est due la
récompense, elle est cependant le principe et toute la raison du mérite de
l’acte. Les récompenses se distinguent donc selon sa diversité, bien que l’on
puisse attribuer un certain degré de mérite d’après le genre même de l’acte,
non pas pour la récompense essentielle, qui est la jouissance de Dieu, mais
pour une certaine récompense accidentelle.
4. Pauline, la sœur de sainte
Thérèse de l’Enfant Jésus répond à cette objection[1165] : « Une fois je m'étonnais de ce que le Bon Dieu ne donne pas une
gloire égale dans le Ciel à tous les élus, et j'avais peur que tous ne soient
pas heureux, alors Pauline me dit d'aller chercher le grand verre à Papa et de
le mettre à côté de mon tout petit dé, puis de les remplir d'eau, ensuite elle
me demanda lequel était le plus plein. Je lui dis qu'ils étaient aussi pleins
l'un que l'autre et qu'il était impossible de mettre plus d'eau qu'ils n'en
pouvaient contenir. Ma Mère chérie me fit alors comprendre qu'au Ciel le Bon
Dieu donnerait à ses élus autant de gloire qu'ils en pourraient contenir et
qu'ainsi le dernier n'aurait rien à envier au premier. »
Considérons maintenant les dots des bienheureux. Cinq questions
se posent à leur sujet :
1° Doit-on attribuer des dots
aux bienheureux ?
2° La dot diffère-t-elle de la
béatitude ?
3° Appartenait-il au Christ
d’avoir des dots ?
4° Et aux anges ?
5° Convient-il d’assigner
trois dots à l’âme ?
Objections :
1. Il semble que non. La dot,
selon le droit, est donnée à l’époux pour supporter les charges du mariage.
Mais les saints ne font pas figure d’époux, mais plutôt d’épouses, en tant
qu’ils sont membres de l’Église : ils ne doivent donc pas recevoir de dot.
2. Les dots, selon le droit, ne
sont point données par le père de l’époux, mais par celui de l’épouse. Or tous
les dons de la béatitude sont remis aux bienheureux par le père de l’Epoux,
c’est-à-dire du Christ. Nous voyons en saint Jacques : « Tout don excellent et tout don parfait vient d’en-haut,
descendant du Pète des lumières. »
Ces dons faits aux bienheureux ne doivent donc pas être appelés des dots.
3. Dans le mariage charnel, on
donne des dots pour faciliter les charges du mariage. Dans le mariage
spirituel, il n’y a point de charges, surtout dans l’Église triomphante. Il n’y
a donc pas à donner de dots.
4. Les dots ne sont données qu’à cause du mariage. Mais le mariage
spirituel est contracté avec le Christ par la foi, dans l’état de l’Église
militante. Si donc à cause de ce mariage des dots doivent être données aux
bienheureux, elles devraient l’être aussi tandis qu’ils sont sur terre. Mais
cela ne leur convient pas ; donc pas non plus aux bienheureux.
5. Les dots font partie de ces biens
extérieurs qu’on nomme biens de la fortune. Mais les récompenses des
bienheureux sont des biens d’ordre intérieur. On ne doit donc pas les appeler
dots.
Cependant :
Saint Paul dit aux Ephésiens : «
Ce sacrement est grand ; je vous le dis dans le Christ et dans l’Église. » Cela montre que le mariage spirituel
est évoqué par le mariage charnel. Mais dans le mariage charnel, l’épouse est
dotée pour entrer dans la maison de l’époux. Donc, quand les saints pénètrent
dans la maison du Christ pour entrer dans la béatitude, il semble qu’ils
soient dotés de divers dons.
En outre, les dots dans le mariage corporel, sont données comme
agrément du mariage. Le mariage spirituel est plus délectable que le mariage
corporel. On doit donc lui joindre des agréments forts grands.
De plus, les parures des épouses font partie de la dot. Mais les
saints sont ornés pour entrer dans la gloire, comme dit Isaïe "Il m’a
revêtu des vêtements du salut, comme l’épouse ornée par ses servantes. » Les saints auront donc des dots dans
la patrie céleste.
Conclusion :
Il n’est pas douteux que les bienheureux, quand ils entrent dans
la gloire, reçoivent de Dieu des dons pour leur ornementation, et ces dons
honorifiques sont appelés dots par les maîtres spirituels. C’est pourquoi on
définit ainsi la dot dont nous parlons ici : « La dot est un ornement perpétuel de l’âme et du corps, s’ajoutant
à leur vie, et persévérant sans interruption dans la béatitude éternelle. » Et cette description est comparée à
la dot corporelle qui orne l’épouse et apporte au mari de quoi pouvoir nourrir
l’épouse et les enfants ; cependant la dot de l’épouse est conservée sans
pouvoir disparaître, afin que si le mariage fût dissous, elle revienne à
l’épouse. Mais dans l’interprétation de ce nom, nous trouvons diverses
opinions.
Certains pensent que la dot ne doit pas être considérée en
comparaison avec le mariage corporel, mais que c’est là une manière de parler
par laquelle on désigne toute perfection ou ornement de n’importe quel homme
comme on dit de quelqu’un qu’il est doté de science parce qu’il brille par sa
science. Ovide s’est servi ainsi du mot dot, quand il dit : « Efforce-toi de plaire par toute dot
qui peut plaire. » Mais cela ne
semble aucunement convenir, car quand un nom est créé pour désigner principalement
une chose, il n’est pas d’usage de l’appliquer à autre chose qui n’a pas avec
elle quelque ressemblance. Puisque, dans son acception première la dot est
liée au mariage charnel, il est nécessaire que dans toutes ses autres
acceptions il y ait une ressemblance avec la première signification.
D’autres disent que cette similitude consiste en ce que la dot
signifie proprement le don qui, dans le mariage corporel, est donné à l’épouse
par l’époux quand elle pénètre en sa maison, don qui contribue à la parure de
l’épouse cela ressort de ce que Sichem dit à Jacob et à ses fils : « Augmentez la dot et demandez des
présents » et « Si quelqu’un a séduit une vierge
et a dormi avec elle, qu’il la dote, et la prenne comme épouse. » C’est pourquoi l’ornement que le
Christ donne à ses saints en les introduisant dans la demeure de gloire est
appelé dot. Cependant, cela est manifestement contraire à ce que disent les
juristes, auxquels il appartient de traiter ces choses. Ils déclarent que la
dot est, à proprement parler, « une
donation faite de la part de la femme à ceux qui sont du côté de l’homme, à
cause de la charge du mariage que l’homme doit supporter », tandis que ce que l’époux donne à l’épouse est appelé
"donation pour les noces. » C’est
dans ce sens qu’il est parlé de dot au livre des Rois, quand il est dit
"Pharaon, roi d’Égypte, prit Gazer et la donna en dot à sa fille, épouse
de Salomon. » Les auteurs cités ne
s’opposent pas à cela. Car bien qu’il soit d’usage que des dots soient données
par les parents de la fille, cependant il arrive parfois que l’époux ou son
père donne des dots à la place du père de la fille. Cela se produit de deux
manières soit à cause d’un grand amour pour l’épouse, comme cela eût lieu pour
Hamor, père de Sichem, qui voulut donner la dot, qu’il aurait dû recevoir, à
cause de l’amour ardent de son fils pour la jeune fille ; Ou bien cela a lieu
comme une réparation de l’époux pour assigner une dot à la vierge violée par
lui, tandis que le père de cette vierge aurait dû la donner. Et c’est de cela
que parle Moïse dans le texte cité.
C’est pourquoi, selon une autre opinion, on doit dire que la dot
est proprement, dans le mariage corporel, ce qui est donné par ceux qui sont du
côté de la femme à ceux qui sont du côté de l’homme, pour supporter les charges
du mariage, comme nous l’avons dit. Mais alors il reste la difficulté d’adopter
cette signification au cas présent, puisque les ornements de la béatitude sont
donnés à l’épouse spirituelle par le père de l’époux. Cela sera éclairé par la
solution des objections.
Solutions :
1. Bien que des dots soient
remises à l’époux, dans le mariage charnel, pour son usage, cependant la
propriété et le domaine en demeurent à l’épouse, comme cela ressort du fait
que, en cas de dissolution du mariage, la dot demeure à l’épouse, selon le
droit. Ainsi aussi dans le mariage spirituel. Les ornements eux-mêmes qui sont
donnés à l’épouse spirituelle, à savoir l’Église dans ses membres, appartient à
l’époux en tant qu’ils tendent à sa gloire et à son honneur, et à l’épouse en
tant qu’ils la parent.
2. Le père de l’époux,
Jésus-Christ, est la personne même du Père. Or le père de l’épouse est toute la
Trinité, les effets produits dans les créatures remontent en effet à toute la
Trinité. C’est pourquoi les dots, dans le mariage spirituel, sont données à
proprement parler plus par le père de l’épouse que par celui de l’époux.
Pourtant cette attribution, bien que faite par les trois personnes, peut être
appropriée à chacune d’elles de quelque manière à la personne du Père, en tant
qu’il donne, puisqu’en lui est l’autorité la paternité lui est appropriée à
l’égard des créatures de telle sorte qu’il est à la fois père de l’épouse et de
l’époux ; elle est attribuée à la personne du Fils, en tant qu’elle est donnée
à cause de lui et par lui ; elle est attribuée au Saint-Esprit, en tant qu’elle
est donnée en lui et selon lui, car l’amour est la source de toute donation.
3. Ce qui est accompli par les
dots, c’est-à-dire l’allégement donné au poids du mariage, convient par soi aux
dots, tandis que lui convient seulement par accident ce qui est écarté par
elles, c’est-à-dire la charge du mariage qu’elles réduisent ; de même qu’il
convient par soi à la grâce de faire un être juste, tandis que c’est par accident
qu’elle transforme un impie en juste. Donc, bien que dans le mariage spirituel
il n’y ait point de charges, cependant il s’y trouve une grande jouissance. Et
les dots sont données à l’épouse pour perfectionner cette jouissance, afin que
par elles, elle soit unie plus agréablement à l’époux.
4. Les dots n’étaient pas
données à l’épouse à ses épousailles, mais quand elle était amenée à la maison
de l’époux pour y demeurer présente. Comme dit saint Paul : « Tant que nous sommes en cette vie,
nous sommes en marche vers le Seigneur. »
Les dons qui sont conférés aux saints en cette vie ne s’appellent donc pas des
dots, mais seulement ceux qui leur sont conférés quand ils entrent dans la
gloire où ils jouissent de la présence de l’époux.
5. Dans le mariage spirituel,
c’est l’ornement intérieur qui est requis. Le Psalmiste dit : « La gloire de la fille du roi est
au-dedans. » Mais dans le mariage
corporel, c’est l’ornement extérieur qui est requis. Il n’est donc pas
nécessaire que ces dots extérieures soient données dans le mariage spirituel
comme dans le mariage corporel.
Objections :
1. Il semble que ce soit la
même chose. La définition de la dot est, avons-nous vu, « un ornement du corps et de l’esprit qui persévère sans
interruption dans la béatitude éternelle. »
Mais la béatitude de l’âme est déjà son ornement : elle constitue donc
elle-même la dot.
2. La dot est quelque chose par
quoi l’épouse est unie à l’époux d’une manière agréable. Dans le mariage
spirituel la béatitude joue ce rôle : elle est donc elle-même une dot.
3. « La vision, selon saint Augustin, c’est la substance de la
béatitude. » Mais la vision est
une des dots. La béatitude est donc une dot.
4. La fruition rend heureux.
Elle est une des dots. La dot rend donc heureux : la béatitude est donc une
dot.
5. Selon Boèce, « la béatitude est un état rendu parfait
par l’accumulation de tous les biens. »
Mais l’état des bienheureux est perfectionné par les dots : celles-ci sont donc
une partie de la béatitude.
Cependant :
La dot se donne sans être méritée. La béatitude n’est pas donnée,
mais elle est accordée aux mérites. Elle n’est donc pas une dot.
En outre, il n’y a qu’une béatitude, tandis qu’il y a plusieurs
dots. Ce n’est donc pas la même chose.
De plus, la béatitude se trouve dans l’homme en ce qu’il y a de
meilleur en lui, comme dit Aristote. Mais la dot se trouve aussi dans le corps.
Ce n’est donc pas la même chose.
Conclusion :
À ce sujet deux opinions sont émises : certains disent que la
béatitude et la dot sont la même chose en fait, mais diffèrent en leur notion,
car la dot regarde le mariage spirituel entre le Christ et l’âme, mais non la
béatitude. Mais cela n’est pas possible, car la béatitude consiste en une
opération, tandis que la dot n’est pas une opération mais plutôt une qualité ou
une disposition. C’est pourquoi d’autres disent que la béatitude et la dot
diffèrent même dans la réalité : la béatitude est l’opération parfaite grâce à
laquelle l’âme bienheureuse est unie à Dieu, tandis que les dots sont des
manières d’être, des dispositions ou d’autres qualités qui sont ordonnées à la
perfection de cette opération. De la sorte, les dots sont ordonnées à la
béatitude, plutôt qu’elles n’en sont des parties.
Solutions :
1. La béatitude proprement dite
n’est pas un ornement de l’âme, mais quelque chose qui provient de l’ornement
de l’âme, puisqu’elle est une opération, tandis que l’ornement est un
embellissement du bienheureux lui-même.
2. La béatitude n’est pas
ordonnée à l’union de l’âme avec le Christ : Elle est cette union elle-même qui
consiste en une opération, tandis que les dots sont des dons qui disposent à
cette union.
3. La vision peut être prise en
deux sens. Comme acte, c’est l’acte même de la vision, et ainsi elle n’est pas
une dot, mais la béatitude elle-même. Comme manière d’être, c’est-à-dire comme
disposition qui contribue à cette opération ou comme clarté de gloire par
laquelle l’âme est éclairée par Dieu pour le voir : ainsi elle est une dot, et
le principe de la béatitude, mais non la béatitude elle-même.
4. Cela vaut aussi pour la
fruition.
5. La béatitude rassemble tous
les biens non comme parties de son essence, mais comme ordonnés de quelque
manière à la béatitude, comme il est dit plus haut.
Objections :
1. Il semble que cela
convienne. En effet, les saints dans la gloire sont conformes au Christ. Saint
Paul dit aux Philippiens : « Il restaurera
notre corps de faiblesse en le rendant conforme à son corps de lumière. » Le Christ a donc aussi des dots.
2. Dans le mariage spirituel,
des dots sont données par ressemblance avec le mariage corporel. Dans le
Christ, nous trouvons une sorte de mariage spirituel d’un type unique,
c’est-à-dire l’union des deux natures en une personne, de sorte qu’on dit qu’en
lui la nature humaine est épousée par le Verbe. Cela résulte de la Glose au
sujet du Psaume 18 : « Il a posé sa
tente dans le soleil », et de
l’Apocalypse : « Voici que la tente
de Dieu est parmi les hommes. » Il
convient donc que le Christ ait des dots.
3. Saint Augustin dit : « Le Christ, selon la règle de Ticonius,
à cause de l’unité du corps mystique entre la tête et les membres, se nomme parfois
époux et non seulement épouse »,
comme cela se voit dans Isaïe : « Comme
l’époux, orné d’une couronne, et comme l’épouse parée par ses servantes. » Puisqu’on doit des dots à
l’épouse, il faut en donner au Christ.
4. Une dot est due à tous les
membres de l’Église, puisqu’elle est épouse. Or le Christ est membre de
l’Église, selon saint Paul aux Corinthiens : « Vous êtes le corps du Christ, membre de ce membre. » La Glose interlinéaire ajoute : « du Christ. » Des dots sont donc dues au Christ.
5. Le Christ possède la vision
parfaite, la fruition et la délectation : or ce sont là des dots.
Cependant :
Entre l’époux et l’épouse il y a nécessairement distinction de
personnes. Mais dans le Christ, il n’y a pas de distinction de personnes avec
le Fils de Dieu, qui est époux, comme cela se voit dans saint Jean : « Celui qui possède l’épouse est
l’époux. » Donc, puisque les dots
sont données à l’épouse ou pour elle, il semble qu’il n’appartienne pas au
Christ d’avoir des dots. En outre, la même personne ne peut avoir des dots et
en recevoir. Mais le Christ est le donateur des dots spirituelles. Il ne lui
convient donc pas d’en avoir.
Conclusion :
Deux opinions se manifestent à ce sujet. Certains disent que dans
le Christ il y a une triple union : une, qui est appelée consentie, qui l’unit
à Dieu par un lien d’amour ; Une autre, de dignité, par laquelle la nature
humaine est unie à la nature divine ; La troisième par laquelle le Christ
lui-même est uni à l’Église. Ils disent que, selon les deux premières unions,
il convient que le Christ ait des dots, à titre de dot ; mais selon la
troisième union il lui convient d’avoir une dot tout à fait excellente, mais
pas à titre de dot : car dans cette union, le Christ est comme l’époux, et
l’Église comme épouse. Or, la dot est donnée à l’épouse en tant que propriété
et possession. Dans l’union par laquelle le Christ est uni au Père par
consentement d’amour, mais en tant que Dieu, on ne peut dire qu’il y ait
mariage, car il n’y a pas là cette soumission qui doit exister entre l’épouse
et l’époux. De même : dans l’union de la nature humaine avec la nature divine,
en union personnelle ou même par conformité de volonté, il ne peut pas y avoir
une raison de dot. Pour trois motifs : d’abord parce qu’il doit y avoir
conformité de nature entre l’époux et l’épouse pour le mariage dans lequel sont
données des dots ; et cela n’est pas réalisé dans l’union de la nature humaine
avec la nature divine ;-secondement, parce que la distinction des personnes est
exigée, et que la nature humaine n’est pas personnellement distincte du Verbe ;
- troisièmement, parce que la dot est donnée quand l’épouse entre pour la
première fois dans la maison de l’époux, et ainsi elle est attribuée à
l’épouse, qui n’étant pas auparavant conjointe, le devient : mais la nature
humaine qui est assumée par le Verbe dans l’unité de la personne, n’a jamais
existé avant de lui être parfaitement unie. C’est pourquoi, selon d’autres, on
doit dire ou bien que la notion de dot ne convient nullement au Christ ou bien
qu’elle ne lui convient pas à proprement parler comme elle convient aux saints
; mais ce qu’on appelle dots lui convient à un degré éminent.
Solutions :
1. Cette conformité doit être
entendue d’après ce qui est la dot, et non d’après la notion même de dot qui serait
dans le Christ. Il n’est pas nécessaire que ce qui est dans le Christ, et à
quoi nous serons rendus conformes, soit de la même manière dans le Christ et en
nous.
2. La nature humaine n’est pas
appelée épouse dans cette union par laquelle elle est unie au Verbe, puisqu’il
n’y a point là cette distinction de personnes qui est requise entre l’époux et
l’épouse. Mais on dit parfois que la nature humaine est épousée par le Verbe
auquel elle est unie, dans ce sens qu’il y a en elle quelque chose qui rappelle
l’épouse puisqu’elle est unie inséparablement, et que dans cette union elle est
inférieure au Verbe, et est régie par lui, comme l’épouse par l’époux.
3. Si le Christ est parfois
appelé épouse ce n’est pas qu’il soit lui-même vraiment épouse, mais en tant
qu’il assume la personne de son épouse, l’Église, qui lui est spirituellement
unie. C’est pourquoi rien n’empêche qu’en cette manière de parler on dise qu’il
a des dots, bien qu’il ne les ait pas lui-même, mais parce que l’Église les a.
4. Le nom d’Église peut être
pris en deux sens : Quelquefois, il désigne seulement le corps, auquel le
Christ est uni comme tête, et alors l’Église réalise la notion d’épouse. Ainsi
le Christ n’est pas membre de l’Église, mais il est la tète qui exerce son
influence sur tous les membres de l’Église. En un autre sens, on considère
l’Église en tant qu’elle désigne avec la tête, les autres membres qui lui sont
unis. Et ainsi le Christ est dit membre de l’Église, en tant qu’il exerce ce
rôle distinct, à savoir de faire descendre la vie dans tous les membres.
Cependant, ce n’est pas très exact de l’appeler membre, parce que le membre
signifie une partie seulement, tandis que dans le Christ le bien spirituel
n’est pas seulement partiellement, mais se trouve tout entier intégralement. Il
est lui-même tout le bien contenu dans l’Église, et les membres qui s’y
ajoutent ne le rendent pas meilleur que quand il est seul. En parlant de
l’Église en ce sens, on ne doit pas l’appeler épouse, mais époux en tant que
l’union spirituelle des membres ne produit qu’un seul effet. C’est pourquoi, si
le Christ peut être dit de quelque manière membre de l’Église, on ne peut
aucunement le dire membre de l’épouse : et ainsi la notion de dot ne lui
convient pas.
5. Dans cet argument, il y a
une fausseté de présentation, car ces trois opérations du Christ ne lui
conviennent pas à titre de dot.
Objections :
1. Ils semblent en avoir,
puisque, au sujet du Cantique des Cantiques : « Une seule est ma colombe »,
la Glose dit : « Il n’y a qu’une
Église pour les hommes et les anges. »
Mais l’Église est épouse ; il convient donc que ses membres aient des dots, y
compris les anges.
2. À propos de saint Luc : « Et vous êtes semblables à des hommes
qui attendent que leur maître reviennent des noces », la Glose ordinaire dit : «
Le Seigneur est allé aux noces quand, après la résurrection, homme nouveau,
il s’est uni à la multitude des anges. »
Cette multitude est donc épouse du Christ, et, ainsi, il convient que les anges
aient des dots.
3. Le mariage spirituel
consiste en une union spirituelle. Mais celle-ci n’est pas inférieure entre les
anges et Dieu à ce qu’elle est entre les hommes bienheureux et Dieu. Donc,
puisque les dots sont assignées en raison du mariage spirituel, il semble
qu’elles conviennent aux anges.
4. Le mariage spirituel
requiert un époux spirituel et une épouse spirituelle. Mais les anges sont par
nature plus conformes au Christ, esprit suprême, que les hommes. Le mariage
spirituel est donc davantage possible entre les anges et le Christ qu’entre les
hommes et lui.
5. Une plus grande connexion
est exigée entre la tête et les membres qu’entre l’époux et l’épouse. Mais la
conformité qui existe entre le Christ et les anges suffit pour qu’on dise que
le Christ est la tête des anges. Elle suffit donc plus encore pour qu’on
l’appelle leur époux.
Cependant :
Origène, commentant le Cantique des Cantiques, au début du
prologue distingue quatre personnes, à savoir : « l’époux et l’épouse, et les adolescentes et les compagnons de
l’époux », et il dit que "les
anges sont les compagnons de l’époux. »
Puisque les dots ne sont dues qu’à l’épouse, il semble que les anges n’en
doivent pas avoir.
En outre, le Christ a
épousé l’Église par l’incarnation et la passion. C’est à lui qu’il est fait
allusion dans l’Exode : « Tu es pour
moi un époux sanglant. » Mais
dans son incarnation et sa passion, il ne fut pas uni aux anges autrement qu’il
ne l’était. Ceux-ci n’appartiennent donc pas à l’Église en tant qu’épouse. Les
dots ne leur conviennent donc pas.
Conclusion :
Il n’est pas douteux que ce qui compose les dots de l’âme convient
aux anges comme aux hommes ; mais non en tant que dot, parce que la notion
d’épouse n’appartient pas aux anges comme aux hommes. Entre l’époux et
l’épouse, il doit y avoir conformité de nature, en tant qu’ils appartiennent à
la même espèce. À ce titre, les hommes sont en harmonie avec le Christ en tant
qu’il a assumé la nature humaine, et est par là devenu conforme à la nature de
l’espèce humaine, comme elle se trouve en tous les hommes. Il n’est pas
conforme aux anges selon l’unité de l’espèce, ni en sa nature divine, ni dans
la nature humaine. C’est pourquoi la notion de dot ne convient pas proprement
aux anges comme aux hommes.
Cependant, dans les choses dites métaphoriquement, on n’exige pas
une similitude sur tous les points : on ne peut donc pas, à cause d’une
dissemblance, conclure qu’il n’est pas possible d’attribuer métaphoriquement
une chose à une autre. On ne peut donc pas dire, absolument, que les dots ne
conviennent pas aux anges, mais seulement qu’elles ne leur conviennent pas à
proprement parler comme aux hommes, à cause de la différence dite plus haut.
Solutions :
1. Bien que les anges
appartiennent à l’unité de l’Église, ils n’en sont pas les membres en tant que
l’Église est dite épouse par conformité de nature. Ainsi il ne leur convient
pas à proprement parler d’avoir des dots.
2. Ces épousailles sont prises
largement dans le sens d’une union qui ne renferme pas la conformité de nature
en espèce. Rien n’empêche donc, en prenant au sens large le mot dot, d’en
attribuer aux anges.
3. Bien que dans le mariage
spirituel il n’y ait qu’une union spirituelle, il convient que ceux qui sont
unis selon la notion parfaite du mariage appartiennent à la même espèce de
nature.
4. Cette ressemblance par
laquelle les anges sont conformes au Christ en tant que Dieu n’est pas
suffisante pour réaliser la notion parfaite de manage : Car il n’y a pas de
conformité d’espèce, mais il demeure plutôt une infinie distance.
5. Le Christ ne peut être dit
tête des anges en tant que la tête exige une conformité de nature avec le
membre. Pourtant, on doit savoir que bien que la tête et les autres membres
soient les parties d’un individu d’une seule espèce, cependant, si on les
considère en eux-mêmes, ils ne sont pas de la même espèce, puisque la main est
une autre espèce de partie que la tête. Donc en parlant des membres en
eux-mêmes, on ne requiert qu’une convenance de proportion, de telle sorte
qu’ils reçoivent quelque chose l’un de l’autre et se servent l’un l’autre.
Ainsi la convenance qu’il y a entre Dieu et les anges suffit davantage pour
réaliser la notion de tête que pour celle d’époux.
Objections :
1. Il ne semble pas qu’on doive
attribuer à l’âme les trois dots, qui seraient la vision, la délectation et la
fruition. Car l’âme est unie à Dieu selon son esprit, qui est l’image de la
Trinité, en tant qu’il est mémoire, intelligence et volonté. La délectation
appartient à la volonté et la vision à l’intelligence. On doit donc désigner
quelque autre chose qui appartienne à la mémoire. Or la fruition n’appartient
pas à la mémoire, mais à la volonté.
2. Les dots de la béatitude
correspondent aux vertus de la marche terrestre, par lesquelles nous sommes
unis à Dieu : ce sont la foi, l’espérance et la charité, qui ont Dieu lui-même
pour objet. La dilection correspond à la charité et la vision à la foi. Il doit
donc y avoir autre chose qui correspond à l’espérance. Au contraire, la
fruition correspond à la charité.
3. Nous ne jouissons de Dieu
que par la dilection et la vision, comme dit saint Augustin : « On dit que nous jouissons des choses
que nous aimons pour elles-mêmes. »
La fruition ne doit donc pas être présentée comme une autre dot que la
dilection.
4. Pour la perfection de la
béatitude, la prise de possession est requise. Saint Paul dit aux Corinthiens :
« Courez de telle sorte que vous
prenez possession du but. » On doit
donc admettre une quatrième dot.
5. Saint Anselme dit que la
béatitude contient : « la sagesse,
l’amitié, la concorde, le pouvoir l’honneur, la sérénité, la joie. » Il semble donc qu’on doive substituer
ces dots aux autres.
6. Saint Augustin dit que « Dieu dans la béatitude sera vu
sans fin, aimé sans lassitude, loué sans fatigue. » On doit donc ajouter la louange aux dots citées.
7. Boèce dit que cinq choses
concourent à la béatitude : la suffisance, qu’assurent les richesses, le
plaisir, qu’assure la volupté, la célébrité, qu’assure la renommée, la
sécurité, qu’assure le pouvoir, la vénération, qu’assure la renommée, la
sécurité, qu’assure le pouvoir ; la vénération, qu’assure la dignité. Il semble
donc que ce sont plutôt ces choses qui devraient être données comme dots.
Conclusion :
Tous s’accordent à accorder à l’âme trois dots, mais diversement.
Certains disent que ces trois dots de l’âme sont la vision, la dilection et la fruition.
D’autres disent que ce sont la vision, la prise de possession et la fruition.
D’autres que ce sont la vision, la délectation et la prise de possession. Mais
tous réduisent en fait ces dots à la même chose, et en donnent le même nombre.
Nous avons vu plus haut que la dot est quelque chose qui est inhérent à l’âme,
et qui l’ordonne à cette opération en laquelle consiste la béatitude. Dans
cette opération, deux choses sont requises : la substance elle-même de
l’opération qui est la vision, et sa perfection, qui est la délectation. Car la
béatitude doit être une opération parfaite. La vision est délectable de deux
manières : de la part de l’objet, en tant que ce qui est vu est délectable, et
de la part de la vision, en tant qu’il est délectable de voir cet objet : comme
nous nous réjouissons de connaître les maux, bien que ceux-ci ne nous
réjouissent pas. Puisque l’opération en laquelle consiste la béatitude ultime
doit être tout à fait parfaite, il faut qu’elle soit délectable sous ces deux
aspects. Pour que cette vision soit délectable de la part de la vision, elle
doit devenir connaturelle à celui qui voit, grâce à quelque disposition. Mais
pour qu’elle soit délectable de la part de l’objet visible, il faut deux
conditions : d’une part que cet objet visible convienne, et d’autre part qu’il
soit en fait en contact avec celui qui voit. Donc, pour que la vision soit
délectable en elle-même, il faut une disposition qui la rende telle ; et c’est
la première dot que tous appellent vision. Mais de la part de l’objet visible,
deux conditions sont requises dans la vision : qu’elle convienne, et cela
regarde l’affectivité ; et c’est pour cela que certains appellent cette dot
dilection. Tandis que d’autres l’appellent fruition, parce que la fruition a
trait à l’affectivité, car ce que nous aimons le plus nous apparaît très digne
d’estime. De la part de l’objet visible, le contact est requis et c’est
pourquoi certains donnent comme dot la prise de possession, qui n’est pas autre
chose que de prendre conscience de la présence de Dieu et de le garder en soi.
Mais selon d’autres, il y a une fruition qui est non dans l’espérance, comme
dans la marche terrestre, mais déjà dans la possession comme dans la patrie. Et
ainsi, les trois dots répondraient aux trois vertus théologales. À la foi
correspond la vision ; à l’espérance, la prise de possession ou la fruition,
selon une manière de la concevoir ; à la charité, la fruition ou la
délectation, selon une autre conception. La fruition parfaite, comme elle sera
dans la patrie, inclut la délectation et la compréhension. C’est pourquoi
certains la confondent avec l’une, et d’autres avec l’autre.
Certains, par contre, attribuent ces trois dots aux trois forces
de l’âme, c’est-à-dire la vision à la force rationnelle, la délectation au
concupiscible, et la fruition à l’irascible, en tant qu’elle est le fruit d’une
certaine victoire. Mais cela ne peut être admis à proprement parler, car
l’irascible et le concupiscible ne sont pas dans la partie intellective, mais
dans la partie sensitive, tandis que les dots de l’âme sont dans l’esprit
lui-même.
Solutions :
1. La mémoire et l’intelligence
n’ont qu’une seule opération soit parce que l’intelligence est l’opération de
la mémoire soit, si on dit que l’intelligence est une puissance, parce que la
mémoire n’entre en action que par l’intelligence, puisque la mémoire ne fait
que garder la connaissance acquise. C’est pourquoi il n’y a qu’une seule
disposition de la mémoire et de l’intelligence, à savoir la connaissance. À
chacune de ces facultés correspond une seule dot, la vision.
2. La fruition correspond à
l’espérance en tant qu’elle inclut la prise de possession qui succède à
l’espérance. Or ce qu’on espère, on ne le possède pas encore ; donc l’espérance
est de quelque manière source de souffrance, à cause de la distance de ce qu’on
aime. Elle ne demeurera donc pas dans la patrie céleste, mais sera remplacée
par la prise de possession.
3. La fruition, en tant qu’elle
inclut la prise de possession, se distingue de la vision et de la dilection
mais pas comme la dilection se distingue de la vision. La dilection et la
vision désignent des dispositions différentes, dont l’une appartient à
l’intelligence, l’autre à l’affectivité. Mais la prise de possession ou la
fruition entendue dans le sens de la prise de possession n’inclut pas d’autre
disposition que celle-là, mais elle comporte l’éloignement des obstacles qui
empêchaient l’esprit d’être uni à Dieu présent. Et cela se réalise parce que la
disposition de la gloire libère l’âme de tout défaut. Elle rend aussi l’âme
capable de connaître sans images, et de maîtriser le corps, et d’accomplir
d’autres choses semblables, qui écartent les obstacles qui font que maintenant
nous sommes seulement en marche vers le Seigneur.
4. La réponse résulte de ce que
nous avons dit dans la conclusion.
5. Les dots sont proprement les
principes immédiats de cette opération en laquelle consiste la béatitude
parfaite, par laquelle l’âme est unie au Christ. Les choses que saint Anselme
énumère ne sont point de cette sorte, mais sont seulement des éléments qui
accompagnent ou suivent la béatitude, non seulement par comparaison avec
l’époux, auquel seule appartient la sagesse, parmi les choses énumérées par
lui, mais par comparaison avec diverses autres choses. Ce sont des éléments
égaux, auxquels appartient l’amitié quant à l’union des sentiments, et la
concorde quant au consentement dans les actes ; ou bien des éléments
inférieurs, auxquels appartiennent le pouvoir, en tant que les choses
inférieures sont disposées par les choses supérieures, et l’honneur, en tant
qu’il est rendu aux supérieurs par les inférieurs ; ou bien ce sont des
éléments de comparaison avec soi-même, comme la sécurité par l’éloignement du
mal, et la joie par l’acquisition du bien.
6. La louange, que saint
Augustin donne comme le troisième des éléments qui seront dans la patrie, n’est
pas une disposition à la béatitude, mais plutôt une conséquence de la béatitude
par le fait même que l’âme est unie à Dieu en qui consiste la béatitude, il
suit qu’elle s’épanouit en louange. Celle-ci n’est donc pas une dot.
7. Ces cinq choses énumérées
par Boèce sont des conditions de béatitude, non des dispositions à la béatitude
ou à l’acte de béatitude, puisque celle-ci, à cause de sa perfection, possède
elle-même, et elle seule, tout ce que l’homme peut chercher dans les diverses
choses, comme dit Aristote. Boèce montre que ces cinq choses se trouvent dans
la vraie béatitude, parce que ce sont elles que les hommes cherchent pour leur
bonheur temporel elles appartiennent soit à l’exclusion de tout mal, comme la
sécurité, soit à l’acquisition du bien convenable, comme la joie ou du bien
parfait, comme la suffisance, soit à la manifestation du bien, comme la
célébrité, en tant que le bien de l’un est connu par beaucoup, et la révérence,
en tant que quelque signe manifeste cette connaissance, et ce bien de la
révérence consiste en effet à rendre honneur, ce qui est un témoignage de
vertu. Il est donc clair que ces cinq choses ne doivent pas être appelées dots,
mais conditions de béatitude.
Pour étudier les auréoles, nous poserons douze questions :
1° L’auréole diffère-t-elle de
la récompense essentielle ?
2° Diffère-t-elle du fruit ?
3° Le fruit est-il dû à la
seule vertu de continence ?
4° Convient-il d’assigner
trois fruits aux trois parties de la continence ?
5° Une auréole est-elle due
aux vierges ?
6° Et aux martyrs ?
7° Et aux docteurs ?
8° Une auréole est-elle due au
Christ ?
9° Et aux anges ?
10° Convient-il de distinguer trois auréoles ?
11° L’auréole des vierges est-elle la plus appréciable ?
12° Un bienheureux possède-t-il la même auréole plus intensément
qu’un autre ?
Objections :
1. Il semble que non. La
récompense essentielle est la béatitude elle-même. Mais la béatitude, selon
Boèce, « est un état rendu parfait
par l’union de tous les biens. » La
récompense essentielle inclut donc tous les biens que nous aurons dans la
patrie. L’auréole est donc comprise dans la couronne d’or.
2. Le plus et le moins ne
modifient pas l’espèce des choses. Ceux qui gardent les conseils et les
préceptes, sont davantage récompensés que ceux qui gardent seulement les
préceptes. Et leur récompense ne semble pas différer sauf parce que l’une est
plus grande que l’autre. Puisque l’auréole désigne une récompense qui est due
aux œuvres de perfection, il semble qu’elle ne signifie rien de distinct de la
couronne d’or.
3. La récompense répond au
mérite. Mais la source de tout mérite est la charité. Puisque la couronne d’or
correspond à la charité, il semble que dans la patrie il n’y aura pas de
récompense distincte de la couronne d’or.
4. « Tous les hommes bienheureux
seront analogues aux ordres des anges »,
comme dit saint Grégoire. Mais chez les anges « bien que certaines choses soient données davantage à
certains, cependant, rien n’est possédé seulement par certains ; toutes choses
se retrouvent chez tous, non certes également, parce que certains possèdent
d’une manière plus sublime ce que tous possèdent. » Chez les bienheureux, il n’y aura donc que des récompenses communes.
L’auréole n’est donc point distincte de la couronne d’or.
5. Une récompense supérieure
est due au mérite supérieur. Si donc la couronne d’or est due aux œuvres qui
sont de précepte, et l’auréole à celles qui sont de conseil, l’auréole est plus
parfaite que la couronne (en latin aurea),
et alors on ne devrait pas la désigner par un diminutif. Il semble donc que
l’auréole ne soit pas une récompense distincte de la couronne d’or.
Cependant :
À propos de l’Exode "Tu feras une autre couronne, qui soit
une auréole" la Glose dit : « À cette
couronne appartient le cantique nouveau, que seules les vierges chantent devant
l’Agneau" Il en résulte que l’auréole est une couronne donnée, non à tous,
mais spécialement à certains. La couronne d’or est donnée à tous les
bienheureux. L’auréole est donc autre chose que la couronne d’or.
En outre, la couronne est due au combat
suivi de la victoire. Saint Paul dit à Timothée : « Il ne sera pas couronné
s’il n’a pas lutté selon les règles. » Donc, là où il y a une nature
spéciale de combat, il doit y avoir une couronne spéciale. Mais, dans certaines
œuvres, il y a une espèce particulière de combat. Elles doivent donc recevoir
une couronne spéciale. Et c’est ce que nous appelons l’auréole.
De plus, l’Église militante est la partie inférieure de l’Église triomphante,
comme cela ressort de l’Apocalypse : « J’ai
vu la cité sainte, etc. » Mais dans
l’Église militante, des récompenses spéciales, comme la couronne des
vainqueurs, le prix des coureurs, sont accordées à ceux qui ont accompli
certaines œuvres. Il doit donc en être de même de l’Église triomphante.
Conclusion :
La récompense essentielle de l’homme, qui est sa béatitude,
consiste dans une parfaite union de l’âme avec Dieu, en tant qu’elle jouit
parfaitement de lui, vu et aimé à la perfection. Cette récompense est appelée
métaphoriquement couronne ou couronne d’or, soit par considération du mérite
qui est acquis par une sorte de combat, puisque la vie de l’homme sur la terre
est une bataille, soit par considération de la récompense par laquelle l’homme
devient de quelque manière participant de la divinité, et donc du pouvoir royal
; l’Apocalypse dit : « Vous nous avez
faits rois pour notre Dieu. » La
couronne est le signe propre du pouvoir royal ; et pour ce motif, la récompense
accidentelle, ajoutée à l’essentielle, prend aussi une forme de couronne. La
couronne signifie aussi une certaine perfection, à cause de sa forme de cercle,
et à ce titre convient à la perfection des bienheureux. Mais comme on ne peut
rien ajouter à la récompense essentielle, qui ne lui soit inférieur, cette
récompense ajoutée est appelée : auréole.
A cette récompense essentielle, qu’on appelle couronne d’or (= aurea) une chose peut être ajoutée de
deux manières.
1° D’une première manière : à
cause de la condition de la nature de celui qui est récompensé : ainsi la
gloire du corps s’ajoute à la béatitude de l’âme ; cette gloire du corps est
quelquefois nommée auréole. Au sujet de l’Exode : « Tu feras une autre couronne, l’auréole », la Glose dit : « À la
fin, l’auréole est surajoutée, puisque l’Écriture dit qu’ils recevront une
gloire plus élevée lors de la reprise des corps. » Mais en ce moment, il ne s’agit pas de cette auréole.
2° D’une seconde manière : à
cause d’une œuvre méritoire ; et ce mérite peut provenir de deux causes, qui
sont aussi sources de bonté : c’est-à-dire de la racine de la charité, par
laquelle l’acte se rapporte à la fin ultime ; et ainsi lui est due la récompense
essentielle, à savoir d’atteindre sa fin, ce qui est la couronne d’or - ou bien
d’un genre spécial de l’action bonne elle-même, qui est particulièrement digne
de louange à cause des circonstances ou d’une disposition dont elle émane ou de
sa fin prochaine, et ainsi cette action mérite quelque récompense accidentelle,
qu’on appelle auréole. Et c’est de cette auréole-là que nous parlons
présentement.
Ainsi, on doit dire que l’auréole est quelque chose d’ajouté à la
couronne, c’est-à-dire une sorte de joie au sujet des œuvres accomplies qui
incluent une victoire plus grande ; et c’est là une autre joie que celle dont
jouit quelqu’un à cause de son union avec Dieu, et qui est appelée la couronne
d’or.
Cependant, certains disent que la récompense commune elle-même,
qu’on nomme la couronne, prend le nom d’auréole si elle est attribuée aux
vierges, aux martyrs ou aux docteurs, de même que le denier prend le nom de
dette du fait qu’il est dû à quelqu’un, bien que ce soit tout à fait la même
chose qu’on appelle dette et denier. La récompense essentielle ne serait pas
plus grande quand on la nomme auréole, mais elle correspondrait à un acte
meilleur non selon l’intensité du mérite, mais selon la manière de mériter. De
la sorte, bien qu’en deux bienheureux il y ait la même limpidité de vision de
Dieu, cependant dans l’un on l’appellerait auréole, parce que cela correspondrait
à un mérite supérieur dans la manière d’agir. Mais cela semble contraire à
l’intention de la Glose du texte de l’Exode. Si la couronne et l’auréole sont
la même chose, on ne peut dire que l’auréole est surajoutée à la couronne. En
outre, puisque la récompense correspond au mérite, il faut qu’à un mérite
meilleur provenant de la manière d’agir corresponde une supériorité de la
récompense. Et c’est cette supériorité que nous appelons auréole. Celle-ci doit
donc différer de la couronne.
Solutions :
1. La béatitude renferme tous
les biens nécessaires pour la vie parfaite de l’homme, qui consiste en son
opération parfaite. Mais des choses peuvent lui être ajoutées, qui ne sont
point nécessaires pour cette opération parfaite à ce point qu’elle ne pourrait
pas exister sans elles, mais qui, par leur addition, rendent la béatitude plus
éclatante ; elles appartiennent donc à une meilleure réalisation de la
béatitude, et à une sorte de décor de celle-ci ; de même que la félicité d’un
gouvernant reçoit un ornement de sa noblesse et de la beauté de son corps, et
d’autres facteurs analogues, sans lesquels elle existe quand même. L’auréole
joue un rôle analogue par rapport à la béatitude céleste.
2. Celui qui observe les
conseils et les préceptes mérite toujours plus que celui qui n’observe que les
préceptes, si nous considérons le motif du mérite dans les œuvres, selon leur
espèce, mais non selon le degré de charité. Quelquefois, quelqu’un observe
seulement les préceptes, mais avec une plus grande charité que celui qui
observe à la fois les préceptes et les conseils. Mais le plus souvent, c’est le
contraire qui se produit, parce que « la
preuve de l’amour se manifeste dans les œuvres » comme dit saint Grégoire. Ce n’est donc pas la récompense
essentielle plus intense qui est appelée auréole, mais ce qui lui est ajouté,
d’une manière indifférente à l’égard du fait que quelqu’un mérite davantage de
récompense essentielle ou moins ou également.
3. La charité est le premier
principe du mérite, mais notre action est comme l’instrument par lequel nous
méritons. Pour obtenir un effet, il ne suffit pas qu’il y ait la disposition
requise chez le premier moteur, mais aussi une juste disposition de
l’instrument. C’est pourquoi, dans l’effet produit, il y a quelque chose qui
provient du premier principe, et c’est le principal, et quelque chose qui
provient de l’instrument, et qui est secondaire. C’est pourquoi, dans la
récompense, il y a quelque chose qui vient de la charité : c’est la couronne,
et quelque chose qui vient de la nature de l’opération : c’est l’auréole.
4. Les anges ont tous mérité
leur béatitude par le même genre d’acte, c’est-à-dire par leur conversion vers
Dieu. Il n’y a donc pas en eux une récompense individuelle qui serait chez l’un
sans être de quelque manière chez l’autre. Les hommes ont mérité leur béatitude
par des actes d’espèces différentes : ce n’est donc point la même chose.
Cependant, ce que l’un des hommes semble posséder individuellement, appartient
de quelque manière en commun à tous, en tant que par la charité parfaite chacun
considère comme sien le bien d’autrui. Mais cette joie par laquelle l’un se
réjouit du bonheur de l’autre ne peut être appelée auréole : Car elle n’est pas
donnée comme récompense d’une victoire propre, mais plutôt de la victoire d’un
autre. La couronne est décernée aux Victorieux eux-mêmes, non à ceux qui se
réjouissent de leur victoire.
5. L’excellence du mérite qui
découle de la charité est plus grande que celle qui vient du genre d’acte accompli,
de même que la fin de la charité est plus élevée que les choses ordonnées à
cette fin, comme sont nos actes. C’est pourquoi la récompense qui répond au
mérite acquis par la charité, si petite soit-elle est plus grande que toute
récompense qui correspond à un acte à cause de sa nature. L’auréole est donc
désignée par un diminutif de la couronne d’or.
Objections :
1. L’auréole ne paraît pas différente
du fruit. Il ne convient pas de donner plusieurs récompenses pour le même
mérite. Mais l’auréole et le fruit au centuple correspondent au même mérite,
c’est-à-dire la virginité, comme cela ressort de ce que dit la Glose au sujet
de saint Matthieu. L’auréole est donc la même chose que le fruit.
2. Saint Augustin dit que « le fruit au centuple est dû aux
martyrs et aux vierges. » Le fruit
est donc une récompense commune aux vierges et aux martyrs. Mais l’auréole leur
est due aussi à tous deux : c’est donc la même chose que le fruit.
3. Dans la béatitude on ne
trouve que deux récompenses : l’essentielle, et l’accidentelle qui lui est
surajoutée. Mais cette récompense surajoutée se nomme auréole, comme cela se
voit dans l’Exode, où l’on dit que l’auréole est placée au-dessus de la
couronne d’or. Le fruit n’est pas la récompense essentielle, sinon il serait dû
à tous les bienheureux. Il est donc la même chose que l’auréole.
Cependant :
Les choses qui ne se divisent pas de la même manière ne sont pas de
la même nature. Mais le fruit et l’auréole ne se divisent pas de la même
manière, car l’auréole se divise en celle des vierges, des martyrs et des
docteurs, tandis que le fruit se divise en fruit des époux, des veuves et des
vierges. Ce n’est donc pas la même chose.
En outre, si le fruit et l’auréole étaient la même chose, ceux à
qui est dû le fruit devraient aussi avoir l’auréole. Mais cela est faux,
puisque le fruit est dû au veuvage, mais non l’auréole.
Conclusion :
Les choses dites métaphoriquement peuvent être prises de diverses
façons, selon les considérations des diverses propriétés de ce à quoi on les
compare. Puisque le fruit est, au sens propre, ce qui se trouve dans les choses
corporelles nées de la terre, on peut parler des fruits spirituels selon les
diverses conditions que nous trouvons dans les fruits corporels. Le fruit
corporel possède la douceur, par laquelle il nous restaure quand il est à
l’usage de l’homme. C’est aussi le dernier effet auquel parvient l’œuvre de la
nature. C’est encore ce que nous espérons grâce à l’agriculture, par
l’ensemencement et tous les autres travaux. Le fruit spirituel est donc lui
aussi parfois considéré comme ce qui nous restaure totalement, comme fin
ultime. Dans ce sens, on dit que nous puisons notre fruit en Dieu, parfaitement
dans le Ciel, et imparfaitement sur terre. C’est dans ce sens qu’on prend la
fruition, qui est une dot. Mais ici nous ne parlons pas de fruits en ce
sens-là. D’autres fois, on désigne comme fruit spirituel ce qui nous restaure,
sans être notre fin dernière et ainsi on dit des vertus du fruit « qu’elles refont l’esprit par une
vraie douceur », comme dit saint
Ambroise. C’est dans ce sens que saint Paul dit aux Galates : « Les fruits de l’esprit sont la
charité, la joie, etc. » Nous ne parlons
pas ici de fruits dans ce sens ; nous en avons parlé ailleurs. On peut prendre
en un autre sens le fruit spirituel, par comparaison avec le corps, en tant que
le fruit corporel est quelque chose d’utile que l’on attend du travail
d’agriculture : alors le fruit est la récompense que l’homme obtient par le
travail accompli en cette vie ; et ainsi toute récompense que nous aurons dans
la vie future grâce à nos efforts, est appelée fruit. Et saint Paul parle en ce
sens aux Romains : « Vous possédez
votre fruit dans la sanctification, mais votre fin dans la vie éternelle. » Ce n’est pas non plus dans ce sens
que nous parlons maintenant de fruits, mais en tant que le fruit est ce qui
naît de la semence. Dans saint Matthieu, c’est ainsi que le Maître parle du
fruit, qu’il divise en trente pour un ou soixante pour un ou en centuple. Le
fruit ne peut sortir de la semence que parce que la force de la semence est
efficace pour transformer en sa nature les humeurs de la terre ; et, plus
cette force est efficace et la terre bien préparée, plus le fruit est abondant.
La semence spirituelle semée en nous est la parole de Dieu ; et plus quelqu’un
est converti en spiritualité par la libération de la chair, plus le fruit de
cette parole est abondant. Le fruit de la parole de Dieu diffère de la couronne
et de l’auréole, parce que la couronne consiste en la joie que quelqu’un a de
posséder Dieu, l’auréole en la joie qu’il a de la perfection de ses œuvres,
tandis que le fruit consiste dans la joie qu’il a de sa disposition à accomplir
ces œuvres selon son degré de spiritualité, grâce auquel il a fait valoir la
semence de la parole de Dieu.
Certains distinguent entre l’auréole et le fruit en disant que
l’auréole est due au lutteur, selon ce mot de saint Paul à Timothée : « Il ne sera pas couronné s’il n’a pas
lutté selon les règles », tandis que
le fruit est dû au travailleur, selon la Sagesse : « Le fruit des bons travaux est glorieux. » Mais d’autres disent que la couronne concerne la conversion vers
Dieu, tandis que l’auréole et le fruit consistent dans les choses qui sont
ordonnées à cette fin : Le fruit regarderait surtout la volonté, et l’auréole
surtout le corps. Mais comme le travail et la lutte sont dans le même homme et
selon la même chose, et que la récompense du corps dépend de celle de l’âme,
selon l’opinion citée, il n’y aurait qu’une différence de raison entre le
fruit, la couronne et l’auréole. Cela n’est pas possible, car le fruit est
assigné à certains, à qui n’est pas assignée l’auréole.
Solutions :
1. Il n’y a pas d’inconvénient
à ce qu’on attribue diverses récompenses au même mérite, selon des éléments
divers qui sont en lui. Ainsi la couronne est donnée à la virginité en tant
qu’elle est gardée à cause de Dieu, par suite d’un vouloir de charité. Tandis que
l’auréole lui est ajoutée en tant qu’elle est une œuvre de perfection qui comporte
une forme de victoire supérieure, et que le fruit lui est accordé parce que par
la virginité l’homme se dégage du charnel et passe à un certain état spirituel.
2. Le fruit, en son acception
propre, comme nous en parlons ici, n’est pas une récompense commune au martyre
et à la virginité, mais qui correspond aux trois degrés de continence. Cette
Glose qui affirme que le fruit au centuple convient aux martyrs, prend ce mot au
sens large, en tant que toute rémunération est appelée fruit. De la sorte, le
fruit au centuple désigne la rémunération due à n’importe quelle œuvre de
perfection.
3. Bien que l’auréole soit une
récompense accidentelle s’ajoutant à l’essentielle, cependant toute récompense
accidentelle n’est, pas une auréole, mais seulement la récompense d’œuvres de
perfection par lesquelles l’homme est tout à fait conforme au Christ grâce à
une victoire parfaite. Il n’y a donc pas d’inconvénient à ce que quelque
récompense accidentelle, appelée fruit, soit accordée à la libération de la vie
charnelle.
Objections :
1. Il semble que non, car au sujet
de saint Paul écrivant aux Corinthiens : «
Autre est l’éclat du soleil », la
Glose dit que : « On compare à la
clarté du soleil la dignité de ceux qui reçoivent du fruit au centuple, à celle
de la lune ceux qui reçoivent soixante pour un, à celle des étoiles ceux qui
reçoivent trente pour un. » Mais
cette diversité de clarté, dans l’intention de l’Apôtre, correspond à toute
différence de béatitude. Les divers fruits ne doivent donc pas correspondre à
la seule vertu de continence.
2. Les fruits sont ainsi nommes
à cause de la fruition. Mais celle-ci est liée à la récompense essentielle, qui
correspond à toutes les vertus. Donc…
3. Le fruit est dû au travail,
selon la Sagesse : « Le fruit des
bons travaux est glorieux. » Mais
dans le travail, le rôle de la force est plus grand que celui de la tempérance
ou de la continence. Le fruit ne correspond donc pas à la seule continence.
4. Il est plus difficile de ne
pas dépasser la mesure dans les aliments, nécessaires à la vie, que dans les
plaisirs sexuels, sans lesquels on peut conserver la vie. L’effort pour garder
la tempérance est donc plus grand que pour la continence. Le fruit correspond
donc plus à la tempérance qu’à la continence.
5. Le fruit apporte une
restauration. Mais celle-ci existe surtout dans la fin. Comme les vertus
théologales ont comme objet la fin, c’est-à-dire Dieu, il semble que le fruit
leur corresponde davantage.
Cependant :
Dans la Glose au sujet de saint Matthieu, on assigne les fruits à
la virginité, au veuvage et à la continence conjugale, qui sont les parties de
la continence.
Conclusion :
Le fruit est une récompense due à l’homme parce qu’il est passé de
la vie charnelle à la vie spirituelle. Il correspond donc surtout à la vertu
qui libère l’homme de la domination de la chair. C’est ce qu’opère la
continence, parce que c’est surtout par les plaisirs sexuels que l’âme est
soumise à la chair. C’est à ce point que, selon saint Jérôme, dans l’acte
charnel l’esprit de prophétie ne touche plus le cœur des prophètes, et que,
selon Aristote, « dans ce plaisir il
n’est pas possible à l’intelligence de connaître. » Le fruit correspond donc mieux à la continence qu’à une autre
vertu.
Solutions :
1. Cette glose prend le fruit
au sens large, selon lequel toute rémunération est appelée fruit.
2. La fruition ne tire pas son
origine du mot fruit dans le sens dans lequel nous parlons de fruit, comme cela
est évident.
3. Le fruit, dans le sens où
nous en parlons ici, ne correspond pas au travail à cause de la fatigue, mais
en tant que c’est par le travail que les semences donnent leur fruit. C’est
pourquoi les moissons elles-mêmes sont appelées travaux, parce que c’est à
cause d’elles qu’on travaille ou parce que c’est par le travail qu’on les
acquiert. La comparaison avec le fruit, en tant qu’il vient de la semence, est
plus proche de la continence que de la force, parce que l’homme n’est pas
soumis à la chair par les passions qui sont l’objet de la force comme par
celles auxquelles s’oppose la continence.
4. Bien que les plaisirs des
aliments soient plus nécessaires que ceux qui viennent des choses sexuelles,
ils ne sont pourtant pas aussi véhéments ; ils ne soumettent donc pas autant
l’âme à la chair.
5. Le fruit n’est pas pris ici
pour signifier le fruit que reçoit celui qui est restauré par la fin, mais dans
un autre sens. L’argument ne porte donc pas.
Objections :
1. Cela ne semble pas convenir,
car saint Paul s’adressant aux Galates énumère douze fruits de l’Esprit : la
charité, la joie, la paix, etc. Il semble donc qu’on ne doive pas les réduire à
trois.
2. Le fruit indique une
récompense spéciale. Mais la récompense accordée aux vierges, aux veufs et aux
époux, n’est point spéciale, puisque tous les hommes sauvés appartiennent à
l’une de ces trois catégories. En effet, nul n’est sauvé s’il ne garde la
continence ; et celle-ci est divisée en ces trois catégories. Il ne convient
donc pas d’assigner les trois fruits à ces trois groupes.
3. De même que le veuvage
dépasse la continence conjugale, ainsi la virginité l’emporte sur le veuvage.
Mais le soixante pour un ne dépasse pas le trente pour un de la même manière
que le centuple dépasse le soixante pour un - ni selon la proportion
arithmétique, puisque soixante dépasse trente de trente, et cent dépasse
soixante de quarante - ni selon la proportion géométrique, puisque soixante est
le double de trente, tandis que cent est dépassé par le double de soixante,
puisqu’il le contient une fois entier, plus ses deux tiers. Il ne convient donc
pas d’attribuer les fruits aux trois degrés de continence.
4. Les choses dites par
l’Écriture sont immuables. Saint Luc dit : «
Le Ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. » Par contre, les choses d’institution
humaine peuvent changer chaque jour. On ne peut donc pas interpréter les choses
de l’Écriture Sainte d’après ce qui est d’institution humaine. Il ne convient
donc pas d’accepter le motif qu’apporte Bède pour assigner les trois fruits,
quand il dit : « Le fruit à trente
pour un, convient aux époux, parce que dans la représentation des chiffres que
l’on fait au jeu, trente est signifié par le contact entre le pouce et l’index
à leur sommet, de telle sorte qu’ils semblent s’embrasser, et ainsi le chiffre
trente évoque les baisers des époux. Soixante est signifié par le contact de
l’index avec le milieu de l’articulation du pouce, et de la sorte, comme
l’index repose sur le pouce et le domine, il signifie l’oppression que les veuves
supportent dans le monde. Quand on parvient au nombre cent, on passe de la main
gauche à la main droite donc la centaine désigne la virginité, qui possède en
partie la dignité des anges, qui sont à droite, c’est-à-dire dans la gloire,
tandis que nous sommes à gauche, à cause de l’imperfection de la vie présente.
Conclusion :
La continence, à laquelle correspond le fruit, introduit l’homme
dans une sorte de spiritualisation, en rejetant la vie charnelle. On distingue donc
les divers fruits selon les divers modes de spiritualisation que la continence
constitue. Il y a une spiritualité indispensable et une autre qui est une
surabondance. La spiritualité indispensable consiste en ce que la droiture de
l’esprit ne soit point pervertie par la délectation chamelle : cela se produit
quand quelqu’un jouit des plaisirs de la chair dans la conformité à l’ordre de
la raison telle est la spiritualité des époux. La spiritualité surabondante
consiste pour l’homme à se détacher totalement des délectations charnelles qui
oppriment l’esprit. Cela peut s’accomplir de deux manières : Soit à l’égard de
tout temps, passé, présent et futur : et c’est la spiritualité des vierges,
soit pour un temps limité : Et c’est la spiritualité des veufs. À ceux qui
gardent la continence conjugale est donné le fruit à trente pour un. À ceux qui
gardent la continence des veufs est donné soixante pour un, à ceux qui gardent
la continence virginale est donné le centuple ; selon le motif assigné plus
haut par Bède.
Cependant, on pourrait donner à ces divisions un autre motif,
selon la nature des nombres. Le nombre trente vient de la multiplication de dix
par trois ; trois est le chiffre de toutes choses, comme dit Aristote, et il
contient en soi la perfection commune à tout : le commencement, le milieu et
la fin. Il convient donc que le nombre trente soit assigné aux époux chez eux,
à l’observation du Décalogue, qui est désigné par dix, ne s’ajoute que la
perfection commune sans laquelle n’y a pas de salut.
Le nombre six, dont la multiplication par dix fait soixante,
possède la perfection en vertu de ses parties, puisqu’il résulte du groupement
de toutes ses parties : il convient donc qu’il corresponde au veuvage, dans
lequel se trouve le parfait éloignement des plaisirs charnels, dans toutes les
circonstances, qui sont comme les parties de l’acte vertueux : En effet, le
veuf n’use des plaisirs charnels avec personne, en aucun lieu et dans aucune
circonstance, chose qui n’existait pas dans la continence conjugale. Le
centuple correspond parfaitement à la virginité, parce que le nombre dix, dont
la multiplication par lui-même donne cent, est la limite des nombres. De même,
la virginité atteint la limite de la spiritualisation, puisqu’on ne peut rien
lui ajouter quant à la spiritualité. Le nombre cent, en tant que nombre carré,
possède la perfection en vertu de sa figure, en effet, la figure carrée est
parfaite parce qu’elle possède l’égalité de toutes ses parties, ayant des côtés
égaux : elle convient donc à la virginité, dans laquelle l’incorruptibilité est
gardée en tous les temps passé, présent et futur.
Solutions :
1. En cette difficulté, le mot
fruit n’est pas pris dans le sens où nous le prenons ici.
2. Rien n’oblige à tenir que le
fruit soit une récompense qui n’est pas donnée à tous ceux qui seront sauvés.
La récompense essentielle n’est pas seule commune à tous les hommes. Mais aussi
des choses accidentelles, comme la joie des œuvres accomplies, sans lesquelles
on ne serait pas sauvé. On peut dire cependant que les fruits ne conviennent
pas à tous ceux qui seront sauvés, comme cela est manifeste chez ceux qui se
convertissent à la fin de la vie, et n’ont pas vécu dans la continence : ils
ont droit à la récompense essentielle, mais non aux fruits.
3. La distinction des fruits
est prise davantage selon les espèces et les figures des nombres que selon les
quantités désignées. Cependant, on peut donner une justification même au sujet
de la quantité. L’homme marié s’abstient seulement de celle qui n’est pas sa
femme, tandis que la veuve s’abstient de son mari et de celui qui ne l’est pas.
Et ainsi ou trouve cette explication : comme soixante est le double de trente,
cent ajoute à soixante le nombre quarante, qui vient de la multiplication de
dix par quatre. Le nombre quatre est le premier nombre entier et cubique. Il
convient donc à la virginité, dans laquelle, à la perfection du veuvage
s’ajoute l’incorruption perpétuelle.
4. Bien que cette désignation
des chiffres pour le jeu soit d’institution humaine, cependant elle est fondée
de quelque manière sur la nature des choses, en tant que les chiffres sont
désignés graduellement selon l’ordre des articulations et des contacts des
doigts.
Objections :
1. Il semble que non. Une plus
grande récompense est due quand une œuvre présente plus de difficulté. Mais les
veuves souffrent plus que les vierges de s’abstenir des jouissances charnelles.
Saint Jérôme dit eau effet que plus grande est la difficulté que certains
rencontrent pour s’abstenir des voluptés défendues, plus grande est leur récompense.
Il dit cela en faisant l’éloge des veuves. Aristote dit aussi que « les jeunes filles ayant perdu
leur virginité désirent davantage l’acte charnel, à cause du souvenir de leur
jouissance. » L’auréole, qui est la
plus grande récompense, est donc due davantage aux veuves qu’aux vierges.
2. Si l’auréole était due à la
virginité, elle devrait se trouver là où se rencontre la plus parfaite virginité.
Mais dans la Bienheureuse Vierge se trouve la plus parfaite virginité, d’où son
appellation de Vierge des vierges. Et pourtant l’auréole ne lui est pas due,
parce qu’elle n’a subi aucune lutte pour garder la continence, puisqu’elle ne
fut pas atteinte par les passions de la corruption. L’auréole n’est donc pas
due à la virginité.
3. On ne doit pas accorder une
récompense très élevée à ce qui n’est pas louable en tout temps. Mais il
n’aurait pas été louable de garder la virginité dans l’état d’innocence,
puisque alors il avait été prescrit : « Croissez
et multipliez-vous, et remplissez la terre
», ni même dans le temps de la loi mosaïque, puisque les stériles étaient
maudites. Une auréole n’est donc point due à la virginité.
4. On ne doit pas donner la même
récompense à la virginité gardée et à la virginité perdue. Mais l’auréole est
due parfois à la virginité perdue, si par exemple une femme est violée malgré
elle par un tyran parce quelle confesse la foi au Christ. L’auréole n’est donc
point due à la virginité.
5. Une récompense élevée ne
doit pas être attribuée à ce qui est en nous naturellement. Mais la virginité
appartient de naissance, à tout homme, bon et mauvais. L’auréole ne lui est
donc pas due.
6. De même que le veuvage, dans
la continence, reçoit un fruit de soixante pour un, ainsi la virginité reçoit
le centuple et l’auréole. Mais ce fruit n’est pas dû à toute veuve, mais
seulement à celle qui demeure vouée au veuvage, comme on dit. Il semble donc
que l’auréole ne soit pas due à toute virginité, mais seulement à celle à
laquelle on s’est voué.
7. On ne donne pas de
récompense à ce qui existe nécessairement, puisque tout mérite consiste en un
acte de la volonté. Or, il y a des vierges qui le sont par nécessité, comme les
frigides et les eunuques. L’auréole n’est donc pas toujours due à la virginité.
Cependant :
Dans l’Exode nous lisons : «
Tu feras une autre couronne, l’auréole.
» Et la Glose ajoute : « À cette
couronne-là appartient le cantique nouveau, que les vierges chantent devant l’Agneau,
ceux qui suivent l’Agneau partout où il ira.
» La récompense due à la virginité se nomme donc auréole.
En outre, Isaïe dit : « Le
Seigneur Dieu dit ceci aux eunuques : je leur donnerai le meilleur nom parmi
les fils et les filles. » Et la Glose
ajoute : « Cela signifie une gloire
spéciale et élevée. » Or, par les
eunuques "qui se sont mutilés pour le royaume des cieux », on désigne les vierges. La virginité
a donc droit à une récompense supérieure, qui est l’auréole.
Conclusion :
Là où est obtenue une forme supérieure de victoire, on a droit à
une couronne spéciale. Quand quelqu’un, en gardant la virginité, obtient une
victoire exceptionnelle sur la chair, contre laquelle il mène une lutte
incessante, comme dit saint Paul aux Galates : « L’esprit lutte contre la chair
», il a droit à une couronne spéciale, qui est appelée auréole. Tous
l’affirment communément ; mais ils ne sont pas d’accord pour préciser à quelle
virginité est due cette auréole. Les uns disent qu’elle est due à un acte :
elle sera donc donnée à celle qui garde, en acte, la virginité, si elle est du
nombre de ceux qui seront sauvés. Mais cela ne semble pas convenir, car alors
celles qui ont la volonté de se marier, mais meurent auparavant, posséderaient
l’auréole. D’autres disent que l’auréole est due à un état et non à un acte :
seules mériteraient l’auréole celles qui se sont mises par un vœu dans l’état
de virginité perpétuelle. Mais cela non plus ne semble pas convenir, car
quelqu’un peut garder la virginité sans l’avoir vouée, avec une volonté égale à
celle d’un autre qui en a fait le vœu. C’est pourquoi on peut dire, autrement,
que le mérite est dû à tout acte de vertu impéré par la charité. La virginité
est de l’ordre de la vertu, en tant que l’incorruption perpétuelle de l’esprit
et du corps est l’effet d’un choix, comme cela découle de ce que nous avons
dit. L’auréole n’est donc due à proprement parler qu’à ceux qui ont décidé de
garder la virginité perpétuelle, qu’ils aient exprimé ou non cette décision. Et
je dis cela en tant que l’auréole est prise, à proprement parler, comme une
récompense donnée au mérite, bien que cette résolution ait été quelquefois
interrompue, tout en gardant l’intégrité de la chair : pourvu que celle-ci
persévère jusqu’à la fin de la vie, car la virginité de l’esprit peut être
réparée, mais non celle de la chair. Mais si nous prenons l’auréole au sens
large, pour toute joie qui s’ajoute dans le Ciel à la joie essentielle, alors
l’auréole est donnée à ceux qui sont demeurés incorrompus dans leur chair, même
s’ils n’ont pas eu la volonté de garder perpétuellement la virginité. Il n’est
pas douteux en effet qu’ils jouissent de l’incorruption du corps, commue les
innocents qui sont demeurés exempts du péché, bien qu’ils n’aient pas eu la
possibilité de pécher, comme les enfants baptisés. Ce n’est point l’acception
propre de l’auréole, mais elle est très commune.
Solutions :
1. Dans la garde de la continence,
une lutte plus forte est soutenue, à un certain point de vue, par les vierges, à
un autre point de vue, par les veuves. Les vierges sont enflammées par la
concupiscence et par le désir d’expérimenter, qui provient d’une certaine
curiosité, en vertu de laquelle l’homme voit plus volontiers ce qu’il n’a pas
encore vu. Et parfois cette concupiscence augmente l’appréciation du plaisir
au-delà de ce qu’il est dans la réalité. Il y a aussi une absence de
considération des inconvénients qui sont liés à un plaisir de ce genre. À ce
point de vue, les veuves obtiennent une lutte moindre, tandis que celle-ci est
accrue, au contraire, par le souvenir du plaisir éprouvé. Et en ces diverses
choses, les hommes diffèrent en leur jugement, selon leurs diverses conditions
et dispositions, car certains sont davantage mus par un point de vue, et les autres
par un autre. Quoi qu’il en soit de l’intensité de la lutte, il est certain que
la victoire des vierges est plus parfaite que celle des veuves : car c’est une
victoire plus parfaite et plus belle, de n’avoir jamais cédé à l’ennemi. La
couronne n’est pas due à la lutte, mais à la victoire dans la lutte.
2. À ce sujet, deux opinions
sont émises. Certains disent que la Bienheureuse Vierge ne reçoit pas l’auréole
comme récompense de la virginité, si l’auréole est considérée comme
récompensant la lutte, mais qu’elle reçoit quelque chose de plus grand que
l’auréole, à cause de sa décision parfaite de garder la virginité. D’autres
disent qu’elle possède l’auréole, et même très supérieure, sous la raison
propre d’auréole : car, bien qu’elle n’ait pas éprouvé le combat, elle a quand
même connu une certaine lutte de la chair. Mais, à cause de la puissance de sa
vertu, sa chair était tellement soumise, que cette lutte la laissait
insensible. Pourtant, cela ne semble point convenir, car on croit que la
Bienheureuse Vierge fut tout à fait préservée de l’inclination sensuelle, à
cause de sa parfaite sanctification. Il n’est point respectueux de dire qu’il y
eût en elle quelque lutte de la chair, car celle-ci ne vient que d’une
inclination dépravée. La tentation qui vient de la chair ne peut pas exister
sans le péché, comme dit la Glose, à propos de saint Paul aux Corinthiens : « J’ai reçu le stimulant de ma chair. » La Vierge doit donc posséder à
proprement parler l’auréole, pour que, en cela, elle soit conforme aux autres
membres de l’Église, qui possèdent la virginité. Bien qu’elle ne connût pas la
tentation qui vient de la chair, elle connut la lutte qui vient de la tentation
opérée par l’ennemi, qui n’a même pas respecté le Christ lui-même, comme nous
le voyons en saint Matthieu.
3. L’auréole n’est due à la
virginité qu’en tant qu’elle ajoute une certaine supériorité aux autres degrés
de la continence. Si Adam n’avait pas péché, la virginité ne posséderait pas
une perfection supérieure à la continence conjugale, car il y aurait eu alors
des noces honorables, et une union nuptiale immaculée, la perversion de la
concupiscence n’existant pas. La virginité n’aurait pas alors été gardée, et
n’aurait pas droit à une auréole. Mais la condition de la nature humaine étant
changée, la virginité revêt une beauté spéciale et mérite donc une récompense
particulière. Au temps de la Loi de Moïse, quand le culte de Dieu devait être
propagé par l’acte charnel, il n’était pas tout à fait louable de s’abstenir de
l’acte de la chair : on ne donnait donc pas une récompense spéciale à cette
décision, sauf si elle venait d’une inspiration divine : comme on le croit pour
Jérémie et Élie, dont on ne lit pas qu’ils aient été mariés.
4. Si une vierge a été violée
par contrainte, elle ne perd pas pour autant son auréole, dès lors qu’elle
garde inviolablement sa volonté de défendre à jamais sa virginité, en ne consentant
nullement à l’acte subi elle ne perd pas pour cela sa virginité ; et cela vaut
si elle a été violée à cause de sa foi, pour n’importe quelle autre cause. Mais
si elle souffre cela pour la foi, cela augmentera son mérite, et lui donnera le
mérite du martyre. C’est pourquoi sainte Lucie dit : « Si tu me fais violer contre ma volonté, ma couronne de chasteté
sera doublée ». Non qu’elle ait
deux auréoles de virginité, mais parce qu’elle recevra une double récompense,
une pour la garde de la virginité, l’autre à cause de l’injustice subie. En
supposant même qu’une vierge ainsi violentée conçoive, elle ne perd pas pour
autant le mérite de la virginité. Elle n’égalera cependant pas la Mère du
Christ, qui garda, avec l’intégrité de l’esprit, celle de la chair.
5. La virginité nous est donnée
par la nature quant à ce qui est physique en elle, mais la résolution de garder
une incorruption perpétuelle, qui donne le mérite de la virginité, n’est pas
innée ; elle vient d’un don de la grâce.
6. Le fruit de soixante pour un
n’est pas dû à toute veuve, mais seulement à celle qui a résolu de garder le
veuvage, même si elle n’en a pas fait le vœu, comme nous l’avons dit pour la
virginité.
7. Si les frigides et les
eunuques sont résolus à garder une incorruption perpétuelle, même s’ils
recevaient la possibilité d’accomplir l’acte de la chair, ils doivent être
appelés vierges, et méritent l’auréole : ils font en effet de nécessité vertu.
Mais s’ils sont décidés à se marier s’ils en deviennent capables, ils ne
méritent pas l’auréole. C’est pourquoi saint Augustin dit : « Pour ceux dont l’organe viril est
malade, de sorte qu’ils ne peuvent pas engendrer, comme sont les eunuques,
s’ils deviennent chrétiens et gardent les préceptes de Dieu, mais avec
l’intention de se marier s’ils le pouvaient, il suffit de les considérer comme
semblables aux époux croyants. »
Objections :
1. Il semble que non, car
l’auréole est une récompense attribuée aux œuvres surérogatoires. Bède dit à
propos de l’Exode : « Tu feras une
autre couronne », « Cette récompense vaut pour ceux qui
dépassent les préceptes généraux, par un choix spontané d’une vie plus
parfaite. » Or, mourir pour la
confession de sa foi est quelquefois obligatoire et non surérogatoire comme
nous le voyons dans l’épître aux Romains : «
Par le cœur nous croyons à la justice, mais par la bouche nous confessons
ce qui est requis pour le salut. »
L’auréole n’est donc pas toujours due au martyre.
2. Selon saint Grégoire et
saint Augustin, « plus les services
sont libres, plus ils sont dignes de récompense. » Mais le martyre n’est aucunement libre, puisqu’il est une peine
imposée avec violence par un autre. L’auréole n’est donc pas due au martyre,
parce qu’elle correspond à un mérite supérieur.
3. Le martyre ne consiste pas
seulement dans la souffrance de la mort, mais aussi dans la volonté intime.
C’est pourquoi saint Bernard distingue trois espèces de martyrs : par la
volonté et sans meurtre, comme saint Jean, par la volonté et le meurtre, comme
saint Etienne, par le meurtre sans la volonté, comme les Saints Innocents. Si
donc l’auréole était due au martyre, elle serait due davantage au martyre de la
volonté qu’au martyre extérieur, puisque le mérite procède de la volonté. Or,
ce n’est point ce que l’on dit. L’auréole n’est donc pas due au martyre.
4. La souffrance du corps est
moindre que celle de l’esprit provenant de douleurs intimes et des passions de
l’âme. La souffrance intérieure est une sorte de martyre ; saint Jérôme dans
son sermon sur l’assomption : « Je
dirai à bon droit que la Vierge Mère de Dieu fut aussi martyre, bien que sa vie
se soit achevée dans la paix. C’est pourquoi il est dit qu’un glaive
transpercera ton âme », à savoir « la douleur de la mort de son
Fils. » Puisqu’il n’y a pas d’auréole
pour la douleur intérieure, il ne doit pas y en avoir pour la douleur
extérieure.
5. La mortification elle-même
est une sorte de martyre ; Saint Grégoire dit : « Même sans avoir l’occasion d’être persécutés, notre vie
paisible connaît son martyre : car bien que nous n’inclinions pas sous le fer
notre cou de chair, nous exterminons en esprit les désirs de la chair, avec le
glaive spirituel. » L’auréole n’est
point due à cette pénitence, qui consiste en des œuvres extérieures. Elle n’est
donc pas due non plus au martyre extérieur.
6. L’auréole n’est pas due à
une œuvre défendue. Or il est interdit de se faire violence à soi-même, comme
dit saint Augustin, et cependant l’Église célèbre le martyre de certains qui
se sont fait violence pour échapper à la rage des tyrans, comme cela se voit
dans l’Histoire d’Eusèbe, à propos de certaines femmes d’Antioche. L’auréole
n’est donc pas toujours due au martyre.
7. Il arrive parfois que
quelqu’un soit blessé à cause de sa foi, et survit cependant quelque temps. Il
est manifestement martyr. Et pourtant l’auréole ne lui est pas due, parce qu’il
n’a pas souffert jusqu’à la mort. L’auréole n’est donc pas toujours due au
martyre.
8. Certains souffrent plus de
la perte des biens temporels que de la souffrance de leur propre corps : comme
on le voit puisqu’ils se donnent tant de mal pour acquérir des richesses. Si
donc on leur enlève, à cause du Christ, leurs biens temporels, il semble qu’ils
soient des martyrs. Et cependant on dit que l’auréole ne leur est pas due.
Donc...
9. Il semble que le martyr soit
seulement celui qui est mis à mort pour la foi. C’est pourquoi Isidore dit : « On les appelle martyrs, selon le terme
grec, témoins en latin, parce qu’ils ont supporté leurs souffrances pour
apporter au Christ leur témoignage, et ont lutté jusqu’à la mort pour la
vérité. » Mais il y a des vertus
supérieures à la foi, comme la justice, la charité, etc., qui ne peuvent
exister sans la grâce ; et cependant l’auréole ne leur est point due. Il semble
donc qu’elle ne le soit pas non plus au martyre.
10. De même que les vérités de
foi, toute autre vérité vient de Dieu, comme dit saint Ambroise, parce que
"toute vérité, quel que soit celui qui l’exprime, vient du Saint-Esprit. » Si donc on doit l’auréole à celui qui
supporte la mort pour la vérité de foi, on la devrait aussi pour ceux qui
supportent la mort pour toute autre vérité : et cela n’est évidemment pas
exact.
11. Le bien commun l’emporte sur
le bien particulier. Si quelqu’un meurt, dans une guerre juste pour la défense
de l’Etat, on ne lui doit pas l’auréole. Donc pas non plus s’il est tué pour la
conservation en lui-même de la foi.
12. Tout mérite procède du libre
arbitre. Mais l’Église célèbre le martyre que certains qui n’eurent pas l’usage
du libre arbitre. Ils n’ont donc pas mérité l’auréole, et dès lors, celle-ci
n’est pas due à tous les martyrs.
Cependant :
Saint Augustin dit : « Personne,
je pense, n’a osé mettre la virginité au-dessus du martyre. » Mais la virginité a droit à une auréole. Donc aussi le martyre.
En outre, la couronne est due au lutteur. Dans le martyre, il y a
une difficulté spéciale dans le combat. On lui doit donc une auréole spéciale.
Conclusion :
De même que l’esprit lutte contre les concupiscences intérieures,
ainsi l’homme lutte contre les passions qui viennent du dehors. De même que la victoire
la plus parfaite par laquelle l’homme triomphe des concupiscences de la chair,
c’est-à-dire la virginité, a droit à une couronne spéciale qui s’appelle
auréole, de même celui qui a remporté la plus parfaite victoire qui se
conquiert dans la lutte extérieure, a droit à une auréole. La victoire la plus
parfaite contre les passions extérieures peut être considérée sous deux aspects
: d’abord selon la grandeur de la passion vaincue ; parmi toutes les passions
provoquées du dehors, la peur de la mort tient le premier rang, de même que
dans les passions intérieures les principales sont les concupiscences
sexuelles. C’est pourquoi, quand quelqu’un parvient à la victoire sur la mort
et contre ce qui lui est rattaché, il est parfaitement vainqueur. La grandeur
de la victoire sur les passions peut aussi être considérée d’après la cause de
la lutte, quand par exemple on combat pour une cause très honorable, qui est le
Christ lui-même. Or ces deux choses sont contenues dans le martyre, qui est
l’acceptation de la mort à cause du Christ.
» Ce qui constitue le martyre, ce n’est pas la souffrance, mais sa
cause" dit saint Augustin. L’auréole est donc due au martyre comme à la
virginité.
Solutions :
1. Supporter la mort à cause du Christ est en soi une œuvre surérogatoire.
Car tous ne sont pas mis dans l’obligation de confesser leur foi devant un
persécuteur. Mais en certaines occasions cela est obligatoire pour se sauver :
ainsi quand quelqu’un arrêté par un persécuteur est interrogé sur sa foi, il
est obligé de la confesser. Mais il ne s’ensuit pas qu’il ne mérite pas
l’auréole. Celle-ci en effet n’est pas due à l’œuvre surérogatoire en tant que
telle, mais en tant qu’elle contient une certaine perfection. Donc, si cette
perfection demeure, même sans qu’il y ait surérogation, on mérite l’auréole.
2. La récompense est due au martyre non en tant qu’il est infligé du
dehors, mais en tant qu’il est supporté volontairement, car nous ne méritons
que par les choses qui sont en nous. Plus ce que quelqu’un supporte volontairement
est difficile et de nature à répugner à la volonté, plus cette volonté qui le
supporte à cause du Christ, se montre fermement fixée dans le Christ. On lui
doit donc une récompense supérieure.
3. Il y a des actes qui
possèdent en eux-mêmes une grande intensité de jouissance ou de difficulté.
Dans ces actes le fait de les accomplir augmente toujours le mérite ou le
démérite, car en les accomplissant la volonté, à cause de cette intensité, a dû
modifier profondément l’état dans lequel elle se trouvait auparavant. C’est
pourquoi, toutes choses restant les mêmes, celui qui accomplit un acte de
luxure pèche plus que celui qui ne fait que consentir à l’acte, parce qu’en
accomplissant l’acte, la volonté est intensifiée. De même, puisque l’acte du
martyre comporte une très grande difficulté, le vouloir du martyre n’atteint
pas le mérite qui est dû à l’acte même du martyre, à cause de cette difficulté.
Cependant cette volonté du martyre peut parvenir à une plus haute récompense,
en raison de son mérite, parce que quelqu’un peut vouloir supporter le martyre,
sans le subir, avec une plus grande charité que celui qui le subit en fait.
C’est pourquoi le martyr volontaire peut mériter, par sa volonté seule, une
récompense essentielle égale ou plus grande que celle qui est due au martyr
réel. Mais puisque l’auréole est due à la difficulté qui se rencontre dans la
lutte même du martyre, elle n’est pas due à ceux qui ne sont martyrs que dans
leur vouloir, mais non en fait.
4. De même que les plaisirs du
toucher, auxquels est ordonnée la tempérance, tiennent la première place parmi
les plaisirs intérieurs et extérieurs, de même les douleurs du toucher sont
au-dessus de toutes les autres douleurs. C’est pourquoi une auréole est due
davantage à la difficulté qui se manifeste dans le support des douleurs du
toucher par exemple celles des coups et autres choses semblables, qu’elle n’est
due à la difficulté de supporter les douleurs intérieures, à cause desquelles
quelqu’un n’est pas appelé à proprement parler martyr, sauf par comparaison ;
Et c’est dans ce sens que parle saint Jérôme.
5. Les souffrances de la
mortification ne sont pas à proprement parler un martyre, parce qu’elles ne
consistent pas en des choses ordonnées à causer la mort, mais seulement
destinées à dominer la chair. Si quelqu’un dépasse cette mesure, sa pénitence
devient une faute. Cependant, on peut, par comparaison, appeler la
mortification un martyre, parce qu’elle peut l’emporter en durée sur le
martyre, tandis que celui-ci l’emporte en intensité.
6. Selon saint Augustin, nul ne
peut attenter à sa vie pour aucune cause, à moins qu’il ne le fasse sous
l’action d’une inspiration divine, pour donner un exemple de courage en méprisant
la mort. On croit que ceux dont il est parlé dans cette difficulté se sont donné
la mort sous une inspiration divine : C’est pourquoi l’Église célèbre leur
martyre.
7. Si quelqu’un reçoit à cause
de sa foi une blessure mortelle, mais ne meurt pas aussitôt, il n’est point
douteux qu’il mérite l’auréole, comme cela est évident pour la bienheureuse
Cécile, qui a survécu trois jours, et pour de nombreux martyrs morts en prison.
Même si quelqu’un reçoit une blessure qui n’est pas mortelle, et qui est
cependant suivie de mort, on croit qu’il mérite l’auréole, bien que certains
disent que celui qui aboutit à la mort à cause de son insouciance ou de sa
négligence, ne mérite pas l’auréole. Cependant, cette négligence ne l’aurait
pas conduit à la mort sans la blessure antérieure, reçue pour la foi : Celle-ci
est donc la première occasion de sa mort ; il semble dès lors qu’il ne perde
pas l’auréole, à moins que sa négligence soit telle qu’elle comporte une faute
mortelle, qui lui enlève la couronne et l’auréole. Mais si quelqu’un ne meurt
pas après avoir reçu une blessure mortelle, à cause de quelque circonstance
fortuite ou s’il n’a pas reçu de blessure mortelle, mais qu’ensuite, étant en
prison, il meurt, il mérite encore l’auréole. C’est pourquoi l’Église célèbre
de saints martyrs qui sont morts en prison, longtemps après avoir subi des blessures,
comme le pape Marcel. Donc, toute souffrance infligée pour le Christ et
s’achevant dans la mort, que celle-ci suive immédiatement ou non, suffit à
constituer le martyre et à mériter l’auréole. Si elle ne va pas jusqu’à la
mort, on ne considère pas cet homme comme martyr : comme c’est le cas du
bienheureux Sylvestre, que l’Église ne fête pas comme martyr, parce qu’il a
achevé sa vie dans la paix, après avoir subi auparavant bien des tourments.
8. De même que la tempérance ne
regarde pas les plaisirs de l’argent ou des honneurs, mais seulement les
jouissances du toucher, parce qu’elles sont les principales, de même la force
ne regarde que les menaces de mort, parce qu’elles sont les plus graves, comme
dit Aristote. C’est pourquoi l’auréole n’est due qu’aux attaques qui menacent
le propre corps, capables d’engendrer la mort. Si donc quelqu’un, à cause du
Christ, perd les biens temporels ou sa réputation ou toute autre chose de ce
genre, il n’est pas martyr pour autant, et ne mérite pas l’auréole. On ne peut
aimer d’une manière normale les choses extérieures plus que le propre corps. Un
attachement déréglé ne peut concourir à faire mériter une auréole. La douleur
de la perte des biens matériels ne peut égaler celle de la mort du corps, ni
d’autres souffrances semblables.
9. La cause suffisante pour
constituer le martyre n’est pas seulement le fait de confesser la foi, mais
aussi toute autre vertu, non pas humaine, mais surnaturelle, qui a le Christ
comme fin. Par tout acte de vertu, on peut devenir témoin du Christ, en tant
que les œuvres qu’il opère en nous sont un témoignage de sa bonté. C’est ainsi
que des vierges furent tuées à cause de leur virginité qu’elles voulaient
garder, comme la bienheureuse Agnès et quelques autres, dont le martyre est
célébré par l’Église.
10. La vérité de foi a le Christ
comme fin et comme objet : c’est pourquoi sa confession mérite l’auréole, si
une peine lui est infligée, non seulement à cause de la fin poursuivie, mais
aussi à cause de cette souffrance. Mais la confession de toute autre vérité
n’est pas une cause suffisante pour constituer un martyre en raison d’une
semblable souffrance : elle ne le serait qu’à cause de la fin, si par exemple
quelqu’un préférait être mis à mort pour le Christ, plutôt que de dire
n’importe quel mensonge qui est un péché contre lui.
11. Le Bien incréé dépasse tout
bien créé. Dès lors, toute fin créée, qu’elle soit le bien commun ou un bien
privé, ne peut conférer à une action autant de bonté que le Bien incréé le fait
quand quelque chose est accompli à cause de Dieu. Donc, si quelqu’un subit la
mort à cause du bien commun, sans référence au Christ, il ne mérite pas
l’auréole. Mais s’il rapporte cela au Christ, il la mérite, et il est martyr
s’il défend l’État contre les attaques des ennemis qui veulent corrompre la foi
au Christ, et qu’il meurt dans cette lutte de défense.
12. Certains disent que chez les
Innocents morts pour le Christ l’usage de la raison fut anticipé par un miracle
divin, comme chez saint Jean Baptiste quand il était dans le sein maternel. Par
là, ils furent de vrais martyrs, en acte et en volonté ; Et ils possèdent
l’auréole. Mais d’autres disent qu’ils furent martyrs seulement en acte, mais
non en volonté : telle semble être la pensée de saint Bernard dans sa division
des trois sortes de martyrs. D’après cela, les Innocents, qui ne réalisèrent
pas la notion parfaite du martyre, mais y participèrent de quelque manière en
souffrant pour le Christ, ont aussi l’auréole, non dans sa parfaite définition,
mais en une certaine participation, en tant qu’ils se réjouissent d’avoir été
tués au service du Christ, comme nous l’avons vu au sujet des enfants baptisés
qui jouissent de leur innocence et de l’intégrité de leur chair.
Objections :
1. Cela ne semble pas. Toute
récompense dans l’au-delà correspond à un acte de vertu. Prêcher ou enseigner
n’en est pas un. On ne doit donc point l’auréole à la prédication ou à
l’enseignement.
2. Enseigner et prêcher sont le
fruit de l’étude et de l’enrichissement doctrinal. Les choses qui sont
récompensées dans l’au-delà ne s’acquièrent point par l’effort humain, car nous
ne méritons pas par les choses naturelles et acquises. Aucune auréole n’est
donc promise pour l’au-delà à l’enseignement et à la prédication.
3. L’exaltation dans le Ciel
correspond à l’humiliation ici-bas, car « celui
qui s’humilie sera exalté. »
Enseigner et prêcher n’humilient pas : ce sont plutôt des occasions d’orgueil.
La Glose dit, au sujet de saint Matthieu, que « le diable trompe beaucoup d’hommes enflés par les honneurs
du magistère ». Il semble donc
que la prédication et l’enseignement n’aient pas droit à l’auréole.
Cependant :
À propos de saint Paul aux Ephésiens : « Pour que vous sachiez quelle est l’éminence... », la Glose dit : « Les saints docteurs recevront une
augmentation de gloire supérieure à celle que tous auront communément. »
En outre, la Glose ordinaire, commentant le Cantique des
Cantiques, « Ma vigne est devant moi », dit : « Il montre quelle récompense particulière il prépare pour ses
docteurs. » Ils auront donc une
récompense spéciale, et c’est ce que nous nommons auréole.
Conclusion :
Par le martyre et la virginité, l’homme remporte une très parfaite
victoire contre la chair et le monde. De même, il remporte une très parfaite
victoire contre le diable quand, non content de résister à ses assauts, il le
chasse non seulement de lui-même, mais aussi des autres. C’est ce qui se fait
par la prédication et l’enseignement. C’est pourquoi on leur doit une auréole,
comme à la virginité et au martyre. Qu’on ne dise pas, comme certains le font,
qu’elle est due seulement aux prélats, à qui il appartient, en vertu de leur
charge, de prêcher et d’enseigner : elle appartient à tous ceux qui exercent
licitement cette mission. Elle n’est due aux prélats, bien qu’ils aient la
charge de prêcher, que s’ils le font en fait, car la couronne n’est pas due à
une disposition, mais à une lutte en acte, selon ce mot de saint Paul à
Timothée : « Il ne sera pas couronné
s’il n’a pas lutté selon les règles. »
Solutions :
1. Prêcher et enseigner sont
les actes d’une vertu : la miséricorde. On doit donc les ranger parmi les
aumônes spirituelles.
2. Bien que la faculté de
prêcher et d’enseigner vienne de l’étude, le fait d’enseigner vient de la
volonté, qui est enrichie par la charité infusée par Dieu. Son exercice peut
donc être méritoire.
3. L’exaltation en cette vie ne
diminue la récompense de l’autre vie que si quelqu’un cherche, à travers cette
exaltation, sa propre gloire. Mais celui qui transforme cette exaltation en
bénéfice pour les autres, mérite une récompense. Quand on dit que
l’enseignement a droit à l’auréole, on doit l’entendre de l’enseignement des
choses du salut, qui chasse le diable du cœur des hommes, comme une arme
spirituelle. Saint Paul dit aux Corinthiens : « Les armes de notre armée ne sont pas charnelles, mais
spirituelles. »
Objections :
1. Il semble que oui. Une
auréole est due à la virginité, au martyre et à l’enseignement. Ces trois
choses existèrent excellemment dans le Christ. L’auréole lui convient donc
excellemment.
2. Tout ce qui est très parfait
dans les choses humaines, doit être attribué, à un degré supérieur, au Christ.
La récompense de l’auréole est due aux mérites les plus élevés. Elle est donc
due au Christ.
3. Saint Cyprien dit que la
virginité porte l’image de Dieu à son type idéal. La virginité est donc en
Dieu. Il semble donc que l’auréole convienne au Christ même en tant qu’il est
Dieu.
Cependant :
L’auréole, avons-nous dit, est la joie de se sentir conforme au
Christ. Nul ne se conforme ni ne devient semblable à soi-même, comme dit
Aristote. L’auréole n’est donc pas due au Christ.
En outre, la récompense du Christ n’augmente jamais. Or il ne
posséda pas l’auréole dès l’instant de sa conception, car alors il n’avait
encore jamais lutté. Il ne l’eût donc pas davantage ensuite.
Conclusion :
Deux opinions se présentent à ce sujet. Certains auteurs disent
que dans le Christ il y a eu à proprement parler une auréole, parce qu’il a
connu la lutte et la victoire, et donc mérité la couronne proprement dite. Mais
en y regardant de près, s’il possède la couronne en sa notion propre, il ne
possède pas celle de l’auréole. Celle-ci en effet, par cela même qu’elle est un
diminutif, indique quelque chose qui est possédé seulement en participation et
non en sa plénitude. Elle ne convient donc qu’à ceux chez qui il n’y a qu’une
participation à la victoire parfaite, dans l’imitation de celui qui réalise
pleinement la notion de victoire parfaite. Dans le Christ au contraire nous
trouvons une réalisation parfaite de la notion de pleine victoire, tous les
autres vainqueurs ne font qu’y participer, comme nous le voyons en saint Jean « Ayez confiance, j’ai vaincu le
monde », et dans l’Apocalypse « Voici qu’a vaincu le lion de la
tribu de Juda. » Il ne convient donc pas
qu’il possède l’auréole, mais plutôt une chose de laquelle jailliront toutes
les auréoles. C’est pourquoi l’Apocalypse dit : « Je ferai asseoir sur mon trône celui qui aura vaincu, de même que
j’ai vaincu et je siège sur le trône de mon Père. » Aussi, d’autres estiment qu’on doit dire ceci : bien que ce
qui se trouve dans le Christ ne soit pas précisément une auréole, c’est mieux
que toute auréole.
Solutions :
1. Le Christ fut très véritablement
vierge, martyr et docteur. Mais en lui, la récompense accidentelle
correspondant à ces titres est très faible en comparaison de la grandeur de sa
récompense essentielle. Il ne possède donc pas l’auréole en sa notion précise.
2. Bien que l’auréole soit due
à une œuvre très parfaite, pourtant, en tant qu’elle est désignée par un
diminutif, elle signifie une participation seulement à la perfection qui se
trouve pleinement réalisée dans un autre. Par là, elle marque une certaine
infériorité. Elle ne se trouve donc pas dans le Christ, en qui toute perfection
existe en sa plénitude.
3. Bien que la virginité ait de
quelque manière son modèle parfait en Dieu, cependant ce modèle idéal n’est pas
de la même nature que chez l’homme. L’incorruption de Dieu, qu’imite la
virginité, n’est pas de même nature en Dieu et dans un homme vierge. Elle est
pour eux de nécessité de salut, puisque pour eux aucune réparation ne peut
suivre la déchéance. Les actes par lesquels les anges nous instruisent
appartiennent à leur gloire et à leur état commun, ils ne méritent donc pas
l’auréole pour cela.
Objections :
1. Il semble que oui, d’après
ce que dit saint Jérôme au sujet de la virginité : « Vivre dans la chair en en étant dégagé, c’est plutôt une vie
angélique qu’une vie humaine », et la
Glose, à propos d’un passage de saint Paul, aux Corinthiens, dit que « la virginité est une part
angélique. » Puisque la virginité
reçoit l’auréole, elle semble due aux anges.
2. L’incorruption de l’esprit
est supérieure à celle de la chair. Dans les anges nous trouvons l’incorruption
de l’esprit, car ils n’ont jamais péché. L’auréole leur est donc due plus
qu’aux hommes qui seraient incorrompus dans leur chair, mais qui ont parfois
péché.
3. L’auréole est due à ceux qui
enseignent. Les anges nous instruisent en nous purifiant, nous illuminant et
nous perfectionnant, comme dit Denys. Ils doivent donc avoir au moins l’auréole
des docteurs.
Cependant :
Saint Paul dit à Timothée : « Il ne sera pas couronné, s’il n’a pas combattu selon les
règles. » Dans les anges, pas de
combat, donc pas d’auréole.
En outre, l’auréole n’est pas due à un acte qui ne s’accomplit pas
avec coopération du corps. Pour ceux qui ont l’amour de la virginité, du
martyre et de l’enseignement, l’auréole ne leur sera pas donnée s’ils ne
réalisent pas ces choses extérieurement. Les anges étant incorporels, n’ont
pas d’auréole.
Conclusion :
L’auréole n’est pas due aux anges, car elle correspond à une forme
supérieure de perfection dans le mérite. Les choses qui chez l’homme
contribuent à la perfection de son mérite sont naturelles pour les anges ou
appartiennent à leur état commun ou font partie de leur récompense essentielle.
Le motif même pour lequel l’auréole est due aux hommes, fait que les anges n’en
ont pas.
Solutions :
1. La virginité est appelée vie
angélique parce que les vierges imitent, par l’effet de la grâce, ce que les
anges possèdent par nature. Pour ceux-ci, ce n’est point de la vertu que de
s’abstenir complètement des plaisirs de la chair, puisque ceux-ci ne pourraient
pas exister chez eux.
2. L’incorruption perpétuelle
de l’esprit mérite aux anges leur récompense essentielle ; elle est pour eux
essentielle au salut, puisque pour eux aucune réparation ne peut suivre la
déchéance.
3. Les actes par lesquels les
anges nous instruisent appartiennent à leur gloire et à leur état commun : ils
ne méritent donc pas l’auréole pour cela.
Objections :
1. Il ne semble pas qu’on ne
doive distinguer que trois auréoles, pour les vierges, les martyrs et les
prédicateurs. Car l’auréole des martyrs correspond à la vertu de force, celle
des vierges à la vertu de tempérance et celle des docteurs à la vertu de
prudence. Il semble donc qu’il doit y avoir une quatrième auréole correspondant
à la vertu de justice.
2. À propos de l’Exode, la
Glose dit que « la couronne est
donnée quand l’Évangile promet la vie éternelle à ceux qui gardent les commandements », et à propos de saint Matthieu : « Si tu veux entrer dans la vie, garde
les commandements », la Glose dit
"L’auréole lui est ajoutée quand il est dit : si tu veux être parfait, va,
vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres. » L’auréole est donc due à la pauvreté.
3. Par le vœu d’obéissance,
l’homme se soumet totalement à Dieu : c’est donc en ce vœu que consiste la plus
grande perfection ; dès lors, il semble que l’auréole lui soit due.
4. Il y a beaucoup d’autres œuvres
surérogatoires, à cause desquelles l’homme dans la vie future aura une joie
spéciale. Il n’y a donc beaucoup d’auréoles outre les trois citées plus haut.
5. De même que l’Apôtre répand
la foi en prêchant et en enseignant, de même il le fait en copiant des écrits.
Une quatrième auréole lui est donc due.
Conclusion :
L’auréole est une récompense privilégiée correspondant à une
victoire exceptionnelle. C’est pourquoi on désigne trois auréoles en considérant
les victoires exceptionnelles dans les trois luttes qui menacent tout homme.
Dans la lutte contre la chair, celui qui remporte la plus grande victoire est
celui qui s’abstient tout à fait des délectations charnelles, qui sont les
principales en ce domaine : c’est l’homme vierge. Une auréole est donc due à la
virginité. Dans la lutte contre le monde, la victoire principale consiste à
soutenir la persécution du monde jusqu’à la mort : la seconde auréole est donc
due aux martyrs, qui remportent la victoire dans cette lutte. Dans la lutte
contre le diable, la principale victoire consiste à chasser le démon non
seulement de soi-même, mais même du cœur des autres : Ce qui s’opère par
l’enseignement et la prédication : La troisième auréole est donc due aux
docteurs et aux prédicateurs.
Cependant, certains distinguent trois auréoles selon les trois
puissances de l’âme : les trois auréoles correspondraient aux actes les meilleurs
de ces trois puissances. L’acte le meilleur de la puissance rationnelle est de
diffuser la vérité de foi chez les autres : à cet acte est due l’auréole des
docteurs. L’acte le meilleur de l’irascible est de supporter même la mort pour
le Christ : et cet acte a droit à l’auréole des martyrs. L’acte le meilleur du
concupiscible est de s’abstenir complètement des plus grandes délectations de
la chair : et cela donne droit à l’auréole de la virginité.
D’autres distinguent trois auréoles selon les choses par
lesquelles nous sommes rendus conformes au Christ de la manière la plus élevée.
Il fut médiateur entre le Père et le monde : il fut donc docteur, en tant qu’il
a manifesté au monde la vérité qu’il avait reçue du Père. Il fut martyr, en
supportant la persécution du monde. Il fut vierge, en gardant en lui-même la
pureté. Donc, les docteurs, les martyrs et les vierges lui sont très
parfaitement conformes : ils méritent donc l’auréole.
Solutions :
1. Dans l’acte de la justice,
il n’y a point de lutte comme dans les actes des autres vertus. Il n’est point
vrai qu’enseigner soit un acte de prudence : C’est plutôt un acte de charité
ou de miséricorde, car c’est par ces vertus que nous sommes portés à l’exercice
de l’enseignement ou encore, c’est un acte de sagesse, en tant qu’on dirige les
autres. On pourrait dire, selon d’autres, que la justice englobe toutes les
vertus : On ne lui doit donc pas une auréole particulière.
2. Bien que la pauvreté soit
une œuvre de perfection, elle n’occupe pas la première place dans une lutte
spirituelle, car l’amour des biens temporels est moins agressif que la
concupiscence de la chair ou la persécution infligée à son propre corps. On ne
doit donc pas donner l’auréole à la pauvreté, mais le pouvoir judiciaire, à
cause de l’humiliation qui l’accompagne. La Glose citée prend l’auréole au
sens large, pour toute récompense accordée à un mérite supérieur.
De même pour la troisième et la quatrième difficulté.
3. Une auréole est due à ceux
qui écrivent la doctrine sacrée, mais elle ne se distingue pas de celle des
docteurs, car rédiger un écrit est une manière d’enseignement.
Objections :
1. Il semble que oui, car
l’Apocalypse dit des vierges qu’ « elles
suivent l’Agneau partout où il ira »
et que « personne d’autre ne
pouvait chanter le cantique qu’elles chantaient. » Elles n’auront donc pas une auréole supérieure.
2. Saint Cyprien, dans un Traité Des vierges, dit qu’elles sont « la plus illustre portion du
troupeau du Christ. » Elles ont donc
droit à une auréole plus élevée.
3. Il semble que l’auréole la
plus élevée soit celle des martyrs, car, à propos de l’Apocalypse : « et personne ne pouvait dire le cantique », Haymon dit que "tous les
vierges ne précèdent pas les personnes mariées, mais spécialement les vierges
qui dans le tourment de leur passion sont rendus égaux aux martyrs mariés, en
ayant gardé leur virginité. » Le
martyre donne donc à la virginité la prééminence sur tous les états. L’auréole
serait donc plutôt due au martyre.
4. Il semble que l’auréole la
plus élevée soit due aux docteurs, car l’Église militante modèle l’Église
triomphante. Dans l’Église militante, le plus grand honneur est dû aux
docteurs. Saint Paul dit à Timothée : « Les
prêtres qui gouvernent bien sont dignes d’un double honneur, surtout ceux qui
s’appliquent à la parole et à l’enseignement. » Donc, dans l’Église triomphante, c’est à eux qu’est due
davantage l’auréole.
Conclusion :
La supériorité d’une auréole à l’égard d’une autre peut être
appréciée de deux manières. D’abord en considérant la lutte : l’auréole plus
élevée est due à la lutte la plus forte ; à ce point de vue, l’auréole des
martyrs l’emporte de quelque manière sur les autres, et celle de la virginité
l’emporte d’une autre manière. La lutte des martyrs est plus forte en
elle-même, et afflige plus violemment ; mais la lutte contre la chair est plus
dangereuse, parce qu’elle est plus durable et nous menace de plus près.
Secondement, en considérant les choses sur lesquelles porte la lutte :
l’auréole des docteurs l’emporte sur toutes, parce que leur lutte porte sur les
biens intellectuels, tandis que les autres luttes portent sur les passions
sensibles. Mais cette supériorité qui est considérée dans la lutte est plus
essentielle à l’auréole, puisque celle-ci regarde essentiellement la victoire
et la lutte. La difficulté de la lutte considérée en elle-même est supérieure
à celle qui est considérée en nous, en tant qu’elle est plus intime à nous.
C’est pourquoi, à parler absolument, l’auréole des martyrs est supérieure à toutes.
Il nous est dit sur saint Matthieu, dans la Glose ordinaire, que "dans la
huitième béatitude, qui concerne les martyrs, toutes les autres béatitudes se
perfectionnent. » C’est pour cela que
l’Église, quand elle énumère les saints, fait passer les martyrs avant les
docteurs et les vierges. Mais à certains points de vue, rien n’empêche que les
autres auréoles soient plus parfaites.
D’où la solution des difficultés.
Objections :
1. Il ne semble pas qu’un
bienheureux possède plus qu’un autre l’auréole de la virginité ou du martyre ou
des docteurs car les choses parvenues à leur achèvement ne connaissent plus d’augmentation
ni de diminution. Or l’auréole est due aux œuvres qui sont dans l’achèvement
de la perfection. L’auréole ne comporte donc pas de plus ou de moins.
2. La virginité ne connaît pas de
plus ou de moins, puisqu’elle est une privation : les privations ne peuvent
augmenter ni diminuer. Donc la récompense de la virginité, l’auréole des
vierges, ne peut augmenter ni diminuer.
Cependant :
L’auréole s’ajoute à la couronne, et celle-ci est plus riche pour
l’un que pour l’autre. Donc aussi l’auréole.
Conclusion :
Puisque le mérite est de quelque manière la cause de la
récompense, celle-ci doit varier selon les degrés du mérite. Une chose augmente
ou diminue selon l’augmentation ou la diminution de sa cause. Le mérite de
l’auréole peut être plus ou moins grand. Cependant, on doit savoir que le
mérite d’une auréole peut être considéré de deux manières : d’une part en
sa racine, d’autre part dans l’œuvre accomplie. On peut rencontrer deux hommes
dont l’un supporte le tourment du martyre avec moins de charité ou se livre
davantage à la prédication ou s’écarte davantage des délectations de la chair.
L’augmentation du mérite qui vient de sa racine n’entraîne pas une
augmentation de l’auréole, mais de la couronne, tandis que l’augmentation du
mérite qui vient de la nature de l’acte entraîne l’augmentation de l’auréole.
Il peut donc arriver que quelqu’un qui mérite moins dans le martyre à l’égard
de la récompense essentielle, possède une auréole plus grande à cause de la
nature de son martyre.
Solutions :
1. Les mérites qui comportent
le droit à l’auréole ne parviennent pas d’une manière absolue à l’achèvement de
la perfection, mais seulement selon leur nature, comme le feu est par nature le
plus subtil des corps. Rien n’empêche qu’une auréole soit plus élevée qu’une
autre, comme un feu peut être plus subtil qu’un autre.
2. Une virginité peut être plus
grande qu’une autre, par un plus grand éloignement de ce qui lui est contraire
: comme on dit que la virginité de quelqu’un est plus grande parce qu’il évite
davantage les occasions de corruption. On peut dire qu’une privation est plus
totale qu’une autre, par exemple si un homme est plus aveugle parce qu’il est
davantage privé de la vue.
A ce sujet, dix questions :
1° Peuvent-elles voir les
corps glorieux de Jésus et Marie ?
2° Peuvent-elles en contact
avec les autres âmes glorifiées ?
3° Voient-elles les hommes qui
sont sur la terre ?
4° Connaissent-elles les
prières que nous leur adressons ?
5° Devons nous demander aux
saints de prier pour nous ?
6° Les prières des saints en
notre faveur sont-elles toujours exaucées ?
7° Les élus souffrent-ils en
voyant les péchés des hommes sur la terre ?
8° Voient-ils la souffrance
des damnés ?
9° Ont-ils de la compassion
pour la souffrance des damnés ?
10° Se réjouissent-ils des
peines des impies ?
Objections :
1. Les corps de Jésus et de
Marie restent des corps matériels. Ils ne peuvent donc être vus que par un œil
matériel. Donc les âmes glorifiées séparées de leur corps ne verront pas les
corps de Jésus et de Marie, du moins avant leur résurrection corporelle.
2. Jésus dit en saint Jean : « Nul ne vient au Père que par moi. » Il est donc nécessaire que Dieu soit
vu par l’âme à travers l’humanité sainte de Jésus. Donc l’âme glorifiée voit le
corps glorieux du Christ.
Cependant :
Il semble qu’elles doivent pouvoir les voir. En effet, les âmes
voient l’humanité sainte de Jésus et de Marie lors de leur jugement individuel,
alors qu’elles sont déjà séparées de leur corps. Elles doivent donc en être
encore plus capables après leur glorification
Conclusion :
La vision peut s’entendre de deux manières : ou bien il s’agit de
la vision corporelle qui passe par l’intermédiaire d’un organe ou bien il s’agit
de la vision intellectuelle qui pénètre l’essence des réalités.
Si l’on veut parler de la vision corporelle, alors on doit admettre que
les âmes glorifiées verront les corps glorieux de Jésus et de Marie, comme
d’ailleurs tous les corps, y compris les corps psychiques des autres morts.
Elles pourront aussi voir le corps de ceux qui sont encore sur la terre. La
raison en est que, si elles n’ont plus de corps physique et donc plus d’organe
charnel capable de saisir la lumière matérielle, elles conservent ce qui est le
principal dans l’exercice de la vie sensible, à savoir l’organisme psychique
qui est le siège de toutes ses facultés. Nous l’avons montré[1182], contre toute logique et à cause des témoignages
contrôlables de ceux qui ont approché la mort, on peut prouver qu’il existe un
corps psychique que les hindouistes appellent le corps astral et que les
Égyptiens anciens qualifiaient de « baï. » L’exercice de ces sensations sera plus performant puisqu’il ne
s’arrêtera plus à la perception de ce qui est palpable dans la matière, mais
aussi de manière directe, il pourra voir ce qui est impalpable et qui est le
domaine du psychisme des hommes, des animaux et des morts. La raison de cette
nouvelle capacité tient à la fois de la disparition du poids invalidant, compte
tenu du péché originel, du corps physique, que de la nature du corps psychique
qui, étant fait de cette matière psychique, perçoit tout ce qui a rapport avec
elle.
Si l’on veut parler de la vision intellectuelle, alors les âmes
glorifiées comprendront l’humanité Sainte de Jésus et de Marie ainsi que tout
ce qui est matériel dans le monde. Elles les comprendront de deux manières :
1° Pour toutes les âmes, d’une manière naturelle grâce à l’exercice
nouveau de leur intelligence séparée de la chair et de ses
lourdeurs qui, par la médiation des
images des corps glorifiés, pénètrera d’une manière intuitive l’essence des
réalités.
2° Pour les âmes en état de
béatitude, en Dieu, c’est-à-dire à travers la vision de l’essence divine qui
porte en elle d’une manière simple la connaissance de tout ce qui existe.
Solutions :
1. Cela répond à la première
objection.
2. Dans le paradis, Dieu ne
sera pas vu à travers une quelconque créature, même si c’est de l’humanité
sainte de Jésus que l’on parle. Dieu sera vu face à face, dans son essence. Ce
sera plutôt l’humanité sainte de Jésus qui sera rendue intelligible par la
vision de l’essence divine. Malgré cela, les âmes garderont la possibilité
naturelle de voir sensiblement les corps glorifiés. Ce surcroît de perfection
ne s’opposera pas mais viendra accomplir jusqu’aux sensations la vision
béatifiante de Dieu.
Objections :
1. Cela ne semble pas possible.
La vision de l’essence divine sera à ce point béatifiante qu’elle absorbera en
Dieu toutes les activités de l’âme sans laisser aucune place à une vie en
dehors du Verbe. Il n’y aura donc pas de contact avec les autres âmes
glorifiées, ni avec rien en dehors de Dieu.
2. Lorsqu’une intelligence
porte son activité à la connaissance d’une chose, elle ne peut en même temps
penser à une autre chose. Si donc l’intelligence humaine contemple l’essence
divine, elle ne peut en même temps communiquer avec quelqu’un d’autre, sans
quoi on devrait admettre qu’elle sort de la vision de Dieu ce qui est absurde.
3. La communication des âmes
glorifiées entre elles semble inutile puisqu’elles sauront à l’avance toute chose
dans la vision de la Vérité éternelle.
Cependant :
L’Écriture affirme[1184] : « ceux qui ont triomphé de la Bête chantent le Cantique de
l’Agneau, s’accompagnant sur les harpes de Dieu. » Or il est impossible à une communauté d’offrir à Dieu une
véritable liturgie s’il n’y a pas de contact entre les membres de l’assemblée.
Donc les âmes glorifiées peuvent entrer en contact les une avec les autres.
Conclusion :
Comme nous l’avons vu, les âmes séparées possèdent par nature la
capacité de communiquer entre elles, en échangeant directement les concepts
dont elles veulent faire part aux autres. Elles se servent pour cela de l’image
de leur corps psychique qui, de par ses qualités intrinsèques n’est plus un
obstacle à la communication mais un parfait instrument dévoilant les sentiments
et les images accompagnant les pensées. L’intellect agent du récepteur de ces
images étant lui-même libéré dans son exercice de toute contrainte, il lui est
possible d’extraire sans difficulté de ces images la connaissance de la pensée
de l’autre. Ceci est non seulement vrai pour les damnés ou les âmes du
purgatoire, mais d’autant plus pour les âmes glorifiées dont l’intelligence est
surélevée par la puissance de Dieu jusqu’à la contemplation de l’essence
infinie. Vitalini Sandro écrit[1185] : « La perfection de l’homme est atteinte dans la mesure où il se
donne aux autres. Loin de fermer l’individu dans un petit monde où il serait
simplement en contact privé avec Dieu, la vision l’associe à l’élan même de la
vie trinitaire. Et le bonheur ne résultera justement que du fait que l’homme
sera don-agapè pour les autres. »
Solutions :
1. Chez nous, une opération extérieure trouble la pureté de notre
contemplation, parce que nous nous livrons à cette action avec nos forces
sensibles dont les actes, lorsque nous y prêtons attention, paralysent les
actes de notre puissance intellectuelle. Mais l’âme séparée dirige ses
opérations sensibles sans difficulté pour le service de son opération
intellectuelle. En outre, chez les âmes glorifiées, chaque action sera réglée
et causée par la contemplation de l’essence divine. Si une action est la règle
et la raison de l’autre, celle-ci n’empêche pas la première, mais elle l’aide à
se réaliser.
2. Comme nous venons de le dire, l’âme glorifiée ne fera rien qui ne
soit immédiatement réglé et finalisé par la contemplation de l’essence divine.
Ainsi, les actes qu’elle posera à l’extérieur ne feront qu’un avec sa
contemplation intérieure. En communiquant avec les autres âmes ou avec les
autres anges, elle ne sera donc pas privée des joies de la contemplation
intime. C’est ce qu’on voit déjà chez les anges qui, étant envoyés en mission
auprès des hommes, n’en restent pas moins dans le face à face avec Dieu,
puisqu’ils ne font rien qui ne soit en lien direct avec la volonté de Dieu.
3. Dans la vision béatifique,
la communication sera inutile s’il s’agit d’apprendre quelque chose sur Dieu
puisque chacun sera immédiatement enseigné par Dieu. Cependant, elle pourra
être utile pour apprendre de l’âme elle-même certains détails de la vie passée
qui n’auront pas encore été manifestés par le jugement général, ou quelque
circonstance du présent. En définitive tout sera rapporté à la louange de Dieu
dont la gloire resplendira à travers chaque chose. C’est pourquoi les âmes, par
les échanges fraternels qu’elles auront, célèbreront éternellement un culte de
louange à Dieu.
Objections :
1. On a vu que les âmes
séparées étaient capables par nature de voir les hommes qui sont sur la terre.
Mais on a vu aussi que Dieu, dans sa sagesse, a séparé totalement notre monde
du leur. Son but est de maintenir provisoirement les hommes face à la solitude
de leurs actes. Donc les âmes glorifiées n’ont pas la possibilité de voir ce
que font les hommes sur terre.
2. Si les âmes glorifiées sont
rendues capables par la grâce de Dieu de voir ce que font les hommes sur la
terre, on ne voit pas pourquoi il n’en serait pas de même pour toutes les âmes
qui sont en état de grâce après la mort comme les âmes du purgatoire.
Cependant :
L’Église recommande d’adresser nos prières aux saints. Ce serait
vain s’ils ne pouvaient en aucune manière nous entendre. Donc les âmes
glorifiées voient ce que les hommes font sur terre.
Conclusion :
Comme on l’a vu, on peut parler de la vision en deux sens :
1° Il peut s’agir de la
faculté sensible. Dans ce cas, l’âme glorifiée est capable de voir ce que les
hommes font sur terre puisqu’elle est unie à son corps psychique, siège de
toutes ses facultés de vie sensible[1186]. Mais elle ne peut le faire
que si elle se rend sur le lieu où nous sommes, c’est-à-dire si elle confronte
directement ses sens à notre image. Or elle vit dans un autre monde, séparé du
nôtre. Il reste donc à étudier s’il lui est possible de se rendre sur terre.
D’après la majorité des Églises réformées, cela est impossible. Jésus étant le
seul médiateur entre Dieu et les hommes, cela ne leur paraît pas non plus
convenable. L’abîme que signale Jésus entre les diverses demeures du Ciel doit
être aussi appliqué entre le Ciel et la terre. Mais cette théologie n’est pas
celle de l’Église catholique. À ses yeux en effet, le Christ est bien le seul
médiateur mais sa médiation[1187], loin de nous rendre
passif, fonde l’acte de notre charité qu’il veut agissante et coopérante. Il
nous invite donc aux œuvres de la foi qu’informe la charité. Déjà ici-bas, il
aime nous confier des missions de médiation. À fortiori au Ciel, les
âmes qui lui sont parfaitement unies ont la liberté de s’occuper de nous. Leur
volonté étant une avec Dieu, il leur laisse une totale liberté de venir nous
voir ou même d’agir ou plutôt de faire agir les anges ou Dieu lui-même pour
nous.
Si les âmes glorifiées qui nous entourent semblent agir rarement de
manière visible, c’est qu’elles sont en parfaite harmonie avec le désir de Dieu
qui veut cette distance provisoire. Bien qu’elles cachent leur action jusqu’à
l’heure de notre mort, il est par contre essentiel à notre vie de charité de
les prier. Le Concile Vatican II[1188] rappelle à nouveau que la
fréquentation des habitants du Ciel (nostram cum caelitibus conversationem)
« si elle est conçue selon la
pleine lumière de la foi, bien loin de diminuer le culte d’adoration rendu à Dieu
le Père par le Christ dans l’Esprit l’enrichit au contraire. »
2° Il peut s’agir de la vision
intellectuelle et dans ce cas, on doit dire que les âmes glorifiées voient ce
que font les hommes sur la terre et ceci d’une double manière : En premier lieu,
étant sans cesse en acte de vision de l’essence divine, elles voient en Dieu
tout ce qui les concerne, de la même manière que Dieu lui-même les voit. Et
cette science est simple à cause du médium de la connaissance qui est Dieu
lui-même. Elle est profonde à cause de la pénétration de la connaissance
divine.
En second lieu, elles peuvent voir par elles-mêmes ce que les
hommes font sur terre. En effet, les âmes glorifiées étant surélevées par Dieu
jusqu’à la vision de l’Eternelle gloire, la puissance de leur intelligence s’en
trouve augmentée. Elle peut donc se porter par elle-même à la connaissance des
singuliers, d’une manière analogue aux anges pour qui cependant cette capacité
est naturelle et n’a pas besoin d’une aide surajoutée de la grâce de Dieu. L’intelligence
humaine, quand elle est fortifiée par la lumière de gloire, est rendue capable
de recevoir des espèces intelligibles suffisamment lumineuses pour connaître
les choses en leur nature universelle et aussi dans leur singularité.
Solutions :
1. Les âmes de l’autre monde ne doivent pas intervenir de manière visible
sur la terre, au moins dans les cas généraux. Cela, les âmes non encore
glorifiées donc purifiées dans leur regard sur le projet de Dieu ne le
comprennent pas. C’est pourquoi Dieu établit avec puissance une séparation
entre leur monde et le nôtre pour qu’elles ne se manifestent pas. Les âmes
glorifiées ne sont pas dans un état d’imperfection par rapport aux volontés de
Dieu. Elles font un avec lui. Dieu leur obéit parce qu’elles lui obéissent.
Aussi, il n’y a aucune raison pour qu’elles soient éloignées de ce monde où
elles viennent selon leur désir. Elles voient ce que font les hommes, non
seulement corporellement mais aussi, par la puissance naturelle de leur
psychisme, psychologiquement. Etant dans la vision de Dieu, elles contemplent
simultanément l’avancée de la grâce ou du péché en nous, avec la même intention
que Dieu, à savoir notre salut éternel.
2. Quant aux âmes du purgatoire, leur état n’est pas assimilable à
celui des âmes glorifiées. Si elles sont en état de grâce, cette grâce
surnaturelle est empêchée de réaliser son plein effet dans l’intelligence et la
volonté à cause des restes du péché. Seule la parfaite union à Dieu permet une
totale liberté d’action sur terre. Ainsi, tant qu’elles ne sont pas glorifiées,
les âmes du purgatoire n’ont pas la liberté de voir quand elles veulent ce que
font les hommes sur terre
Objections :
1. « Seigneur, vous êtes notre
père, dit Isaïe, car Abraham nous ignore et Israël ne nous connaît pas. » Ce qui fait dire à saint Augustin que
"les saints qui sont morts ignorent ce que font les vivants, ce que font
même leurs enfants. » Et il ajoute : « Si de tels Patriarches n’ont pas su ce
que faisait le peuple sorti d’eux, comment croire que les morts sont en
relation avec les vivants de façon à savoir ce qui leur arrive, ce qu’ils font,
et à les assister ? "Les saints ne peuvent donc connaître nos prières.
2. Dieu fit dire au roi
Josias : « Parce que
tu as pleuré devant moi, voici que je te recueillerai auprès de tes pères, et
tes yeux ne verront pas tous les malheurs que je ferai venir sur ce lieu. » Mais la mort n’eût pas épargné à
Josias ce douloureux spectacle, s’il en avait eu la connaissance posthume. Les
saints, après leur mort, ignorent donc et nos actes et nos prières.
3. Plus la charité est
parfaite, plus elle s’empresse au secours du prochain. C’est ce que nous voyons
que font les saints, lorsqu’ils sont sur la terre. Mais, après leur mort, leur
charité est encore plus grande et, s’ils connaissaient ce qui se passe ici-bas,
plus grand aussi serait leur empressement à secourir ceux qui leur sont chers.
Or, c’est ce que nous ne voyons pas. C’est donc qu’ils ignorent et nos actes et
nos prières.
4. Les saints du Ciel
contemplent le Verbe, ainsi que les anges dont il est écrit "qu’ils voient
sans cesse la face de mon Père. » Or,
cette vision ne fait pas tout connaître aux anges, puisque l’une des fonctions
des anges supérieurs est d’apprendre aux anges inférieurs ce qu’ils ignorent.
Les saints voient donc le Verbe, mais ils ne voient en lui ni nos vies ni nos
prières.
5. Dieu seul « voit les cœurs. » Mais c’est dans le cœur surtout
qu’est la prière. Dieu est donc seul capable de la voir.
Cependant :
1° Ces paroles de Job : « Que ses enfants soient honorés,
il n’en sait rien ; qu’ils soient dans l’abaissement, il l’ignore », sont ainsi commentées par saint
Grégoire : « Il ne faut pas attribuer
cette ignorance aux âmes des saints. Elles dont la vue plonge dans les
profondeurs lumineuses du Dieu tout puissant, il ne faut absolument pas croire
que rien de ce qui est en dehors leur échappe. » Nos prières leur sont donc connues.
2° « Toute créature se rapetisse devant l’âme qui voit le
Créateur. À la lumière du Créateur, tout le créé lui apparaît court. » Or, c’est la distance qui semble
devoir empêcher les saints de connaître nos prières et nos vies. Mais cette
distance n’est rien pour eux : saint Grégoire vient de le dire. Elle n’est donc
pas un obstacle.
3° Si les saints ne
connaissaient pas ce qui se passe ici-bas, ils ne prieraient pas pour nous,
puisqu’ils ignoreraient nos besoins. Or, c’est là l’erreur de Vigilantius, comme
l’explique saint Jérôme dans la lettre qu’il écrivit contre lui.
Conclusion :
L’essence divine est un moyen suffisant pour connaître toute chose
; la preuve en est que Dieu voit tout en se voyant lui-même. Il ne s’ensuit
cependant pas que quiconque voit l’essence divine y voit tout. Il faudrait pour
cela la comprendre, la voir dans sa totalité ; de même qu’il faut saisir toute
la virtualité d’un principe pour en apercevoir toutes les conséquences. Dès
lors, comme les âmes des saints n’épuisent pas la compréhension de l’essence
divine, il ne faut donc pas dire qu’ils connaissent tout ce qu’elle contient.
C’est pour la même raison que les anges inférieurs ignorent certaines choses
dont les instruisent les anges supérieurs, quoique tous jouissent de la vision
de Dieu. Mais il est nécessaire que chaque bienheureux voie en Dieu les choses
de ce monde dans la mesure requise à la parfaite béatitude. Or, celle-ci exige
de savoir tout ce que l’on veut, sans rien vouloir d’une volonté déréglée. Mais
il est d’une volonté bien réglée que chacun veuille connaître ce qui le
concerne. Les saints, dont la rectitude est parfaite, le veulent donc, et il
faut donc qu’ils le voient dans le Verbe. Or, c’est un élément de leur gloire
que de prêter leur assistance à ceux qui en ont besoin pour être sauvés ; ainsi
deviennent-ils « les coopérateurs
de Dieu, la plus divine chose qui soit »,
selon l’expression de Denys. Il est donc évident que les saints connaissent ce
qui est exigé pour cet office ; évident, par conséquent, qu’ils voient soit
dans le Verbe, soit par eux-mêmes les vœux, les prières, les pratiques pieuses
des humains qui implorent leur secours. Ils le voient aussi par eux-mêmes, en
se déplaçant sur la terre.[1190]
Solutions :
1. Saint Augustin parle ici de
la connaissance des âmes séparées telles qu’elles étaient avant la venue du
Christ. Il semble qu’à cette époque les limbes d’Abraham étaient un lieu
davantage séparé de la terre. Il ne parle donc pas de la connaissance et de la
possibilité de présence sur terre résultant de la glorification dans la vision
du Verbe, connaissance qu’Abraham, à l’époque où Isaïe parlait ainsi de lui, ne
pouvait avoir, puisque, avant la Rédemption, personne ne fut admis à voir Dieu.
2. Quoique les saints
connaissent les choses d’ici-bas et les épreuves de ceux qui leur furent chers,
il ne faut cependant pas croire qu’ils en souffrent, car la joie de la
béatitude les remplit tellement qu’elle les rend incapables de toute
souffrance. Ils savent d’autre part à quel point ces épreuves permises ou
voulues par Dieu servent au salut des hommes qui les rejoindront bientôt. Donc,
même s’ils connaissent ces épreuves survenues après leur mort, la mort
elle-même, qui les a devancés, a servi de remède à leur douleur. Mais il se
pourrait que les âmes non glorifiées fussent affligées de ces épreuves, si
elles les connaissaient, l’âme de Josias, par exemple, qui était dans le Limbe
des Patriarches. C’est pour cette raison que saint Augustin s’efforce de
prouver que les âmes des saints ignorent ce qui se passe chez les vivants.
3. Les saints ont une volonté
totalement conforme à celle de Dieu, même quant à l’objet voulu par Dieu. Dès
lors, tout en gardant leur affection pour leurs proches, ils ne veulent cependant
pas leur porter secours autrement que la justice divine n’en a disposé. Il faut
croire néanmoins que leur intercession auprès de Dieu est d’un grand secours
pour ceux auxquels ils s’intéressent.
4. Quoique ceux qui voient le
Verbe ne voient pas nécessairement toute chose en lui, ils y voient cependant
tout ce qu’exige la perfection de leur béatitude, ainsi qu’on l’a dit.
5. Dieu seul connaît par
lui-même les pensées des cœurs ; mais d’autres peuvent les connaître dans la
mesure où elles leur sont révélées, soit par la vision du Verbe, soit de toute
autre manière.
Objections :
1. On s’adresse aux amis de
quelqu’un pour une faveur parce qu’on croit l’obtenir plus facilement qu’en
s’adressant à lui-même. Mais Dieu est infiniment plus miséricordieux que
n’importe lequel de ses saints. Il semble donc superflu de les prendre pour
intermédiaires entre Dieu et nous.
2. Nous demandons aux saints de
prier pour nous parce que nous savons leur prière agréable à Dieu. Mais plus
ils sont près de Dieu, plus leur prière lui est agréable. Il faudrait donc
toujours prier les plus grands saints et jamais les autres.
3. Le Christ, même en tant
qu’homme, est appelé « le Saint
des saints », et son humanité lui
permet la prière. Néanmoins, nous ne lui demandons jamais de prier pour nous.
Il ne faut donc pas plus le demander aux autres saints.
4. En prenant les saints pour
intermédiaires auprès de Dieu, nous les chargeons de lui présenter nos
requêtes. Mais à quoi bon ? puisque toutes choses sont présentes à Dieu.
5. Il est inutile d’employer un
moyen pour atteindre une fin qui en est indépendante. Or, que nous les priions
ou non, les saints prieront ou ne prieront pas pour nous, selon que nous sommes
dignes ou indignes de leurs prières.
Cependant :
« Appelle donc! Y aura-t-il quelqu’un qui te réponde ? Vers lequel
des saints te tourneras-tu ? » "Notre
appel, dit saint Grégoire, c’est notre humble prière adressée à Dieu. » Quand donc nous voulons prier Dieu,
nous devons nous tourner vers les saints et leur demander de prier pour nous.
2° Les saints ont plus de
crédit auprès de Dieu après leur mort que pendant leur vie. Mais, de leur
vivant, nous devons les constituer nos intercesseurs, à l’exemple de saint
Paul : « Je vous exhorte, mes frères,
par Notre Seigneur Jésus-Christ et par la charité du Saint-Esprit, de m’aider
par vos prières auprès de Dieu. » À
plus forte raison devons-nous demander aux saints du Ciel le secours de leurs
prières.
3° C’est une coutume générale
dans l’Église, dès l’époque apostolique, que d’implorer les saints en récitant
leurs litanies.
Conclusion :
Au Ciel, Dieu crée une Eglise, c’est-à-dire une communauté d’amis
qui collaborent et à qui il fait toute confiance, au point de leur confier la
gestion de grands biens. C’est une loi établie par Dieu que les êtres les plus
éloignés de lui soient ramenés à lui par les plus proches. Or, les saints du
Ciel sont toujours près de Dieu ; nous, au contraire, « aussi longtemps que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin
du Seigneur » ; ils doivent donc nous
servir d’intermédiaires. Ils le sont, lorsque la divine bonté se répand sur
nous par eux ; et notre réponse doit suivre le même chemin. Ainsi donc, de même
que c’est par les suffrages des saints que les bienfaits de Dieu descendent sur
nous, de même, c’est par eux que nous devons remonter à Dieu pour en recevoir
de nouveaux bienfaits. C’est pour cette raison que nous constituons les saints
nos intercesseurs auprès de Dieu et comme nos médiateurs, lorsque nous leur
demandons de prier pour nous.
Solutions :
1. Ce n’est point par
impuissance que Dieu se sert des causes secondes, mais pour une plus grande
perfection de l’univers et une communication plus variée du bien divin, du fait
que certains êtres reçoivent de Dieu non seulement d’être bons en eux-mêmes,
mais d’être cause que d’autres le soient. De même, le recours aux prières des
saints ne suppose point en Dieu un défaut de miséricorde ; c’est simplement une
application particulière de la loi universelle.
2. Les plus grands saints -
ceux qui aiment dans le plus grand oubli d’eux-mêmes - ont, auprès de Dieu,
plus de crédit que les autres ; il n’est cependant pas inutile de prier
également ceux-ci pour cinq raisons que cite saint Thomas d’Aquin : 1°
Pour prier avec la ferveur plus grande qu’excitent en nous certains saints
moins hauts placés, et un succès correspondant à cette ferveur. 2° Pour remédier au dégoût qu’engendre
la monotonie ; s’adresser à différents saints, c’est comme un moyen de
renouveler la ferveur. 3° Pour
obtenir les secours particuliers dont certains saints semblent avoir le
monopole ; par exemple, la guérison de la maladie qu’on appelle « le feu infernal », en s’adressant à saint Antoine ; 4° Pour qu’aucun saint ne soit frustré
de l’honneur qui lui est dû. 5° Pour
que nos prières soient plus sûrement exaucées, étant recommandées par de plus
nombreux intercesseurs.
3. La prière est un certain
acte, qui, comme tous les actes, appartient au suppôt, à l’individu. Dès lors,
si nous disions : « Christ, priez
pour nous », sans addition ni
explication, nous semblerions attribuer cette prière à la personne du Christ,
ce qui sentirait le nestorianisme, qui distingue dans le Christ une personne
humaine à côté de la personne divine ou l’arianisme, qui déclare la personne du
Fils inférieure à celle du Père. Pour éviter ces erreurs, l’Église ne dit donc
pas : « Christ, priez pour nous », mais « Christ, écoutez-nous »
ou « ayez pitié de nous. »
4. Les saints ne présentent pas
à Dieu nos prières comme pour lui manifester ce qu’il ignore, mais pour lui
demander de les exaucer ; ou encore, pour les confronter avec la vérité qui est
en Dieu et les décrets de la Providence.
5. On se rend digne de la
prière d’un saint par le fait de recourir à lui, en cas de besoin, avec pureté
d’intention. Ce recours n’est donc pas inutile.
Objections :
1. S’il en était ainsi, les
prières qu’ils adressent à Dieu pour eux-mêmes seraient, à plus forte raison
toujours exaucées. Or, elles ne le sont pas toujours ; d’après l’Apocalypse, aux
martyrs qui crient vengeance, il est répondu de se tenir en repos encore un peu
de temps jusqu’à ce que soit complet le nombre de leurs frères.
2. Même réponse négative
suggérée par ce texte de Jérémie : «
Quand même Moïse et Samuel se tiendraient devant moi, mon âme ne se tournerait
pas vers ce peuple », dit le
Seigneur.
3. Les saints sont "comme
les anges de Dieu dans le Ciel. »
Mais la prière des anges n’est pas toujours exaucée. L’ange dit à
Daniel : « Je suis
venu à cause de tes paroles, mais le chef du royaume des Perses s’est opposé à
moi pendant vingt et un jours »,
c’est-à-dire à l’effet de ma prière.
4. Obtenir quelque chose par la
prière, c’est en quelque façon le mériter. Or, dans le Ciel, les saints ne sont
plus en état de mériter.
5. La volonté des saints est en
parfaite conformité avec celle de Dieu. Ils ne veulent donc que ce qu’ils
savent voulu par Dieu et ils ne demandent donc que ce qu’ils veulent eux-mêmes
et qui est aussi ce qu’ils savent que Dieu veut. Mais ce que Dieu veut s’accomplirait
tout aussi bien sans leurs prières. Celles-ci sont donc de nul effet.
6. Les prières de toute la cour
céleste, si elles sont efficaces, le sont plus que tous les suffrages de
l’Église de la terre. Mais ceux-ci peuvent s’accroître jusqu’à la délivrance
totale d’une âme du purgatoire. Or, les saints prient non seulement pour les
vivants, mais encore pour les défunts et, si leurs prières étaient efficaces
pour nous, elles le seraient aussi pour les âmes du purgatoire, qu’elles
délivreraient donc en totalité, ce qui est faux, car, s’il en était ainsi, les
suffrages de l’Église pour les défunts seraient inutiles.
Cependant : [1193]
1° Il est écrit au livre des
Macchabées : « Celui-ci est
l’ami de ses frères, qui prie beaucoup pour le peuple et pour la ville sainte,
Jérémie, le prophète de Dieu. » Et
les paroles suivantes montrent l’efficacité de sa prière. « Jérémie, étendant la main droite, donna à Judas une épée
d’or, en disant Prends cette épée, c’est un don de Dieu, etc. »
2° Saint Jérôme interpelle
ainsi Vigilantius : « Tu prétends,
dans ton méchant petit livre, que c’est pendant notre vie que nous pouvons
prier les uns pour les autres. » Et
il le réfute en disant : « Si
les Apôtres et les martyrs peuvent prier pour les autres, quand ils sont encore
mortels, quand ils ont encore le souci, le prier pour eux-mêmes, combien plus
le peuvent-ils après leurs couronnes, leurs victoires, leurs triomphes ? »
3° C’est la coutume de
l’Église de se recommander fréquemment aux prières des Saints.
Conclusion :
On peut dire que les saints prient pour nous de deux manières par
des prières proprement dites, des désirs qu’ils expriment à Dieu eu notre
faveur ; par leurs mérites que l’on peut regarder comme des prières et qui,
devant Dieu, ne sont pas seulement une gloire pour eux-mêmes, mais deviennent
des suffrages et comme des prières pour nous ; c’est en ce sens que le sang du
Christ est dit implorer notre pardon. Les prières des saints, en l’un et
l’autre sens et à les considérer en elles-mêmes, ont le pouvoir d’obtenir ce
qu’elles demandent. Mais, s’il s’agit des prières que sont leurs mérites, il
peut y avoir en nous-mêmes un empêchement à recevoir les grâces qu’elles
obtiennent. S’il s’agit de leurs prières proprement dites, elles sont toujours
exaucées, car les saints ne demandent que ce qu’ils veulent et ils ne veulent
que ce que Dieu veut. Or, ce que Dieu veut absolument s’accomplit toujours ; à
moins qu’il ne s’agisse de cette volonté que nous appelons antécédente, selon
laquelle, par exemple, « il veut le salut
de tous les hommes », et qui ne
s’accomplit pas toujours. Il n’est donc pas étonnant que ce que les saints
veulent de cette même espèce de volonté ne s’accomplisse pas non plus toujours
Solutions :
1. Cette prière des martyrs,
comme le dit la Glose, n’est pas autre chose que leur désir de voir leur corps
glorifié, de jouir de la société des futurs élus, et leur acquiescement à la
justice divine qui punira les méchants.
2. Dieu parle ici de Moïse et
de Samuel tels qu’ils étaient de leur vivant, « alors que, par leurs prières, ils détournèrent de leur peuple la
colère de Dieu. » S’ils avaient vécu
au temps de Jérémie, la malice des Juifs aurait réduit leurs prières à
l’impuissance. Tel est le sens littéral du texte.
3. Ce combat entre les bons
anges ne vient pas de ce qu’ils adressent à Dieu des prières opposées, mais de
ce qu’ils soumettent les mérites opposés des deux parties au jugement de Dieu
dont ils attendent la sentence. C’est le sens donné par saint Grégoire à ce
texte de Daniel : « Les
esprits angéliques préposés aux nations ne combattent jamais pour l’injustice,
mais examinent et apprécient les actes conformément à la justice. Quand une
nation est présentée au tribunal suprême comme ayant agi bien ou mal, c’est
alors que l’ange qui en est le chef est dit avoir gagné ou perdu la bataille.
Mais la volonté suprême du Créateur remporte toujours la victoire sur eux tous
; car ils la contemplent toujours et ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent pas
obtenir. » Ils ne le demandent jamais
non plus ; c’est pourquoi leurs prières sont toujours exaucées.
4. Les saints, lorsqu’ils sont
au Ciel, ne peuvent plus mériter pour eux-mêmes, mais ils le peuvent pour les
autres ou plutôt ils peuvent les aider par le mérite qu’ils ont acquis pendant
leur vie, à savoir, que leurs prières seraient agréées de Dieu après leur mort.
On pourrait dire encore que ce n’est point un seul et même principe qui donne à
la prière son mérite et son efficacité. Le mérite consiste en une certaine
proportion entre un acte et la fin qui lui correspond et qui en est comme le
salaire. L’efficacité de la prière dépend de la libéralité de celui à qui elle
est adressée et qui veut bien accorder parfois ce que l’on n’a pas mérité.
Ainsi, les saints peuvent n’être pas en état de mériter, mais être cependant en
état d’obtenir.
5. Les saints et les anges ne
veulent que ce qu’ils voient conforme à la volonté de Dieu, et ils ne demandent
jamais que cela. Il ne s’ensuit pas que leur prière soit inutile ; car, comme
le remarque saint Augustin, Dieu peut avoir décrété que les prédestinés lui
devront leur salut par les prières des saints, ceux-ci sachant clairement que
ce salut des prédestinés était voulu de Dieu.
6. Les suffrages de l’Église
consistent en certaines satisfactions accomplies par les vivants au nom et à
la place des défunts dont la dette est ainsi, en tout ou en partie, payée par
d’autres que par eux-mêmes. Mais les saints du Ciel ne sont plus en état de
satisfaire. On ne saurait donc mettre en parallèle leurs prières et les
suffrages de l’Église
Objections :
1. D’après le Seigneur[1194] : « il y a plus de joie au Ciel pour un seul pécheur qui se repend
que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentir. » Or, s’il y a de la joie, il peut
aussi y avoir de la tristesse. Donc les élus souffrent en voyant les péchés et
les malheurs des hommes qui sont sur la terre.
2. Saint Augustin dit que la
tristesse naît « des choses qui
arrivent contre notre volonté »[1195]. Or la perte de l’homme
arrive contre la volonté des élus, à cause de la charité fraternelle qui est en
eux. Ils s’attristent donc de la perte des hommes par le péché.
3. Dieu ne peut se réjouir du
péché contre l’Esprit Saint mortel qui est le mal absolu puisqu’il conduit au
choix lucide de la damnation éternelle. C’est pourquoi on dit qu’il ne veut pas
du péché mais seulement le permet. Donc...
4. Dans ses apparitions, la
Vierge apparaît en larmes, parfois en larmes de sang. Il y a donc en elle de la
souffrance face à nos péchés.
5. La peine des damnés, plus
terrible que tout ce qu’on peut voir ici-bas, ne sert en rien à leur guérison
puisqu’ils sont obstinés. De cela, les saints ne peuvent se réjouir.
Cependant :
Il n’y a point de bonheur parfait là où l’on trouve de la
tristesse et de la douleur. L’Apocalypse[1196] dit du Ciel : « Il n’y aura plus de mort, ni
d’affliction, ni d’appels, ni de douleurs.
» Les âmes glorifiées, qui sont parfaitement bienheureuses ne souffrent
donc plus de rien.
Conclusion :
Les âmes glorifiées ne souffrent pas des péchés ni des peines des
hommes. Car la tristesse et la douleur, selon saint Augustin, ne proviennent
que de ce qui est contraire à la volonté des bienheureux ; or leur volonté
adhère pleinement à l’ordination de la justice divine et rien ne se produit
dans le monde qui ne soit accompli ou permis par la justice divine. Donc,
absolument parlant, rien n’arrive dans le monde contre la volonté des
bienheureux. Selon Aristote, on dit d’une chose qu’elle est volontaire "simpliciter" en ce sens que
quelqu’un la veut dans un cas particulier, telle qu’elle se présente alors, en
considérant toutes les circonstances, bien que, considérée en elle-même d’une
manière générale, il ne la voudrait pas : Par exemple, le navigateur ne veut
pas, s’il considère la chose en soi et d’une manière générale, jeter ses
marchandises à la mer ; mais sous la menace d’un danger de se perdre, il le
veut. Ce geste est donc plutôt volontaire qu’involontaire. Ainsi donc les élus
en parlant d’une manière générale et absolue ne veulent pas les péchés et les
peines des hommes. Mais ils veulent qu’à ce sujet soit observé l’ordre de la
justice divine, selon laquelle certains peuvent subir des peines et peuvent
pécher. Ainsi que la mère est émerveillée par tout le bien qu’elle découvre
chez son enfant, de même la pénétration opérée par la charité fait vraiment
découvrir l’action de Dieu dans chaque individu ; le concert de la bonté et du
bien est moins bruyant que celui du mal, mais il s’étend bien au-delà de
celui-ci.[1197]
Solutions :
1. Aussi bien dans la pénitence
des hommes que dans leur péché, il demeure pour les élus un motif de joie, à
savoir l’accomplissement de l’ordre de la divine providence. En effet, le fait
qu’un homme puisse pécher manifeste la libéralité de Dieu qui accepte que
chacun se détourne de lui ; le fait qu’un homme puisse souffrir sur terre
manifeste la charité de Dieu qui s’efforce de ramener vers le salut éternel
tous les hommes ; le fait qu’un homme puisse choisir la damnation
éternelle en se révoltant lucidement contre Dieu manifeste qu’il a créé des
personnes libres.
2. Cette difficulté est résolue par ce que nous avons dit dans la
conclusion.
3. Le péché contre l’Esprit
Saint, comme tel n’est pas cause de joie chez les élus puisqu’il est un mal.
Mais, regardé avec la lumière de Dieu, il est cause de joie puisqu’il témoigne
de la grandeur de l’œuvre créatrice qui a donné à l’homme d’agir selon les choix
de son libre arbitre. C’est pourquoi le choix ultime qui conduit à l’enfer est
regardé dans la paix par les élus du Ciel.
4. Les habitants du Ciel, pour
se faire comprendre de ceux de la terre, sont obligés d’adapter leur langage au
mode de la connaissance humaine. En vérité, au Ciel, l’exercice de la vie avec
Dieu se fait sans aucun mélange de peine. Il s’agit de la béatitude de Dieu et
des saints. Pourtant, la Bible ne cesse de parler de la colère, du repentir, de
la douleur et de toutes sortes de passions en Dieu. Elle ne le fait pas pour
dire que Dieu souffre ou pleure mais pour signifier cette charité parfaite et
infinie qui le pousse à vouloir le salut des hommes. De même pour les saints,
il ne faut pas opposer ce langage analogique avec la paix et la joie qui
règnent en vérité dans le Ciel. Paix et joie réelles et langage terrestre de
larmes et douleur sont une seule réalité qui font comprendre la source de tout
: l’amour intense de Dieu et des saints.
5. Les damnés en se coupant de
Dieu, en connaissent parfaitement les conséquences spirituelles et
psychologiques et sont déterminés à chaque instant à maintenir leur choix. Les
élus du Ciel respectent leur volonté et n’ont aucune velléité de prosélytisme
face à ces adultes stabilisés dans un mode de vie qu’ils respectent.
Objections :
1. Il semble qu’ils ne les
verront pas. La distance entre les damnés et les bienheureux est plus grande
que celle qui sépare ceux-ci des hommes de la terre. Mais les bienheureux ne
voient pas les événements des hommes de la terre, puisque, à propos d’Isaïe : « Abraham nous a ignorés », la Glose dit : « Les morts, même saints, ignorent ce que font les vivants, fussent-ils
leurs propres fils. » Ils voient donc
moins encore les souffrances des damnés.
2. La perfection de la vision
dépend de l’objet à voir. Aristote dit que « la
plus parfaite opération du sens de la vue est celle de ce sens quand il est le
mieux disposé à voir le plus bel objet visible. » Donc, au contraire, la laideur de l’objet à voir produit une
imperfection dans la vision. Il n’y aura aucune imperfection chez les
bienheureux : ils ne verront donc pas les misères des damnés, dans lesquelles
il y a une extrême laideur.
3. La vue des saints et des
autres damnés sera pénible aux damnés. En effet, la clarté du corps glorifié
des saints les horripilera en leur rappelant la vérité de ce qu’ils
perdent ; l’aspect repoussant des autres damnés ne leur apportera que des
inconvénients. Si bien que, pour fuir, ils s’éloigneront dans les endroits les
plus déserts. Donc les élus ne pourront les voir.
Cependant :
Isaïe dit : « Ils
sortiront et verront les cadavres des hommes qui se sont révoltés contre moi. » Et la Glose ajoute : « Les élus sortiront par leur
intelligence ou par une vision directe, pour être davantage enthousiasmés dans
la louange de Dieu. »
Conclusion :
Le choix des damnés est libre et obstiné. Le livre de Job le montre
de manière claire lorsqu’il présente Satan, digne dans son option, se
présentant au conseil de Dieu[1199]. Les bienheureux respectent
leur choix et le prennent comme ce qu’il est : une glorification du Créateur
qui a fait les hommes et les anges libres. Rien ne doit être enlevé aux
bienheureux de ce qui appartient à leur béatitude. L’expérience visible du
respect de Dieu devant le choix des damnés en fait partie. C’est pourquoi, il
leur est donné de voir parfaitement à la fois le choix et les conséquences de
ce choix dans les impies.
Solutions :
1. La Glose parle ici des
saints qui habitent encore dans le shéol ou dans les divers purgatoires, selon
leur possibilité naturelle. Par celle-ci, il n’est en effet pas nécessaire
qu’ils parviennent à la connaissance de tout ce qui se passe chez les vivants.
Mais les saints qui sont dans la vision béatifique connaissent clairement tout
ce qui arrive chez les hommes de la terre, dans les purgatoires et chez les
damnés. C’est pourquoi saint Grégoire dit : «
À propos des âmes des saints, on ne peut point penser ce que dit Job, à
savoir : « que ses fils soient nobles
ou misérables, il ne connaîtra pas »,
parce que pour ceux qui possèdent la clarté de Dieu, on ne peut en aucune
manière croire qu’il y ait en dehors de Dieu quoi que ce soit qu’ils ignorent. »
2. Bien que la beauté de
l’objet vu contribue à la perfection de la vue, cependant la laideur de l’objet
peut ne pas entraîner d’imperfection de la vision. Les représentations des
choses, par lesquelles on connaît les contraires, ne sont pas contraires dans
l’âme. C’est pourquoi Dieu, qui a la plus parfaite des connaissances, voit
toutes les choses, belles comme laides.
3. Il est vrai que, après le
jugement général, les saints éviteront de fréquenter les mêmes lieux que les
damnés, par respect pour leur choix de solitude. Mais, s’il arrive que le
gouvernement du monde exige une rencontre, elle se fera comme on le voit avec
Satan au début du livre de job.
Objections :
1. Cela semble. La compassion
procède de la charité. Les bienheureux auront une très parfaite charité. Ils
compatiront donc pleinement aux souffrances des damnés.
2. Les bienheureux ne seront
jamais aussi éloignés de la compassion que Dieu peut l’être. Mais Dieu a de
quelque manière de la compassion pour nos misères (d’où son titre de miséricordieux),
et aussi les anges. Les bienheureux ont donc de la compassion pour les
souffrances des damnés.
Cependant :
Toute personne qui compatit devient de quelque manière
participante à la souffrance d’autrui. Mais les bienheureux ne peuvent point
participer à aucune souffrance. Ils n’ont donc point de compassion pour les
souffrances des damnés.
Conclusion :
La miséricorde ou compassion peut se trouver en quelqu’un de deux
manières, soit par passion, soit par un acte de choix de la volonté. Chez les
bienheureux il n’y aura pas de passions dans la partie inférieure de leur nature,
sauf à la suite d’un choix de la raison. Il n’y aura donc chez eux de
compassion ou de miséricorde qu’à la suite d’un tel choix de la raison. Une
telle élection de la raison ne peut faire naître la miséricorde ou la
compassion que si quelqu’un veut que le mal d’autrui soit écarté. Tant que les
pécheurs sont en ce monde, ils se trouvent dans un tel état qu’ils peuvent être
libérés de leur misère et de leur péché sans préjudice pour la justice divine,
et être introduits dans la béatitude. La compassion est donc possible envers
eux, par choix de la volonté (comme Dieu, les anges et les saints compatissent
en voulant leur salut) ou par passion, comme les hommes bons compatissent aux
pécheurs qui sont encore dans la vie terrestre. Nous avons montré que cette compassion,
fruit de la charité, s’exerce sans aucune douleur au Ciel. Mais dans l’au-delà,
les pécheurs ne voudront plus, lucidement, sortir de leur misère. Il n’y aura
donc plus de possibilité d’une compassion, voulue avec rectitude, à l’égard de
leurs souffrances qui, rappelons le, procéderont toutes d’une seule racine, à
savoir leur blasphème actif et à chaque instant rechoisi, contre l’Esprit
Saint. Les bienheureux qui seront dans la gloire n’auront donc aucune
compassion pour les damnés.
Solutions :
1. La charité est source de
compassion quand nous pouvons à cause d’elle vouloir l’éloignement de la
souffrance d’autrui. Mais les saints ne peuvent pas vouloir cela par charité à
l’égard des damnés, puisque ce serait contraire à la justice divine.
2. Dieu est miséricordieux en
tant qu’Il va au secours de ceux qui, selon l’ordre de sa sagesse et de sa
justice, peuvent être libérés légitimement. Il ne peut pas avoir pitié des
damnés, sauf en permettant qu’ils ressentent moins qu’ils ne le devraient, les
souffrances de la viduité de leur vie.
Objections :
1. Cela ne semble pas : se réjouir
du mal d’autrui se rattache à la haine. Dans les bienheureux, il n’y en aura
pas. Ils ne se réjouiront donc pas des souffrances des damnés.
2. Les bienheureux au Ciel
seront tout à fait conformes à Dieu. Mais « Dieu
ne se réjouit pas de nos peines. »
Donc pas davantage les bienheureux.
3. Ce qui est réprouvable chez
l’homme de la terre ne peut aucunement se trouver en celui du Ciel. Mais
ici-bas il est tout à fait condamnable de se réjouir des peines d’autrui, et
très louable de s’en affliger. Donc, les bienheureux ne se réjouiront
aucunement des peines des damnés.
Cependant :
Le Psalmiste dit : « Le
juste se réjouira en voyant la vengeance.
»
En outre, Isaïe dit que les cadavres des révoltés « donneront une vision de satiété à
toute chair. » Mais la satiété
signifie l’assouvissement de l’esprit. Les bienheureux jouiront donc des
peines des impies.
Conclusion :
Une chose peut être occasion de joie de deux manières : ou bien,
par soi, quand on se réjouit d’une chose pour elle-même ; et de cette manière
les saints ne se réjouiront pas des peines des impies. Ou bien par accident,
c’est-à-dire à cause de quelque chose qui s’y ajoute ; et ainsi les saints se
réjouiront des peines des impies en considérant l’ordonnance de la divine
justice pour ceux-ci, et leur libération personnelle, source de joie. Ainsi la
justice divine et la libération des bienheureux seront par elles-mêmes cause de
joie, tandis que la peine des damnés ne le sera que par accident.[1201]
Solutions :
1. Se réjouir du mal d’autrui
en soi, appartient à la haine, mais non pas se réjouir de ce mal à cause d’une
autre circonstance qui s’y rattache. De cette manière, il arrive même que
quelqu’un se réjouisse de son propre mal si, par exemple, quelqu’un se réjouit
de ses propres souffrances en tant qu’elles lui procurent du mérite pour
le Ciel. Saint Jacques dit : « Frères,
quand vous tombez en diverses tentations, considérez-le comme une joie. »
2. Bien que Dieu ne se
réjouisse pas des peines en tant que telles, il s’en réjouit en tant qu’elles sont
ordonnées à sa justice.
3. Chez les élus du Ciel comme
chez les hommes qui vivent de la charité sur la terre, il n’est pas louable de
se réjouir des peines des autres en tant qu’elles font souffrir. Mais cela
devient louable s’il s’en réjouit en tant qu’elles sont liées à quelque bien.
On le voit aussi dans l’amour parental. On se réjouit d’une épreuve subie par
un enfant, non parce qu’elle l’a fait souffrir mais parce qu’elle l’a fait
mûrir. Ainsi, au Ciel, on se réjouit de la souffrance des damnés non parce
qu’elle les torture mais parce qu’elle est le signe de la liberté de leur choix
et du respect de Dieu pour ceux qui, pourtant créés pour l’amour, préfèrent
subir le feu de leur nature coupée de sa fin que de se repentir de l’orgueil.
Cependant, il y a cette différence entre l’homme de la terre et celui du Ciel :
en celui de la terre, les passions naissent fréquemment sans jugement de sa
raison ; et pourtant, elles sont parfois louables en tant qu’elles indiquent
une bonne disposition de l’esprit, comme les mouvements de la honte ou de
miséricorde ou de regret du mal. Chez les hommes du Ciel, il ne peut y avoir de
passion qui ne suive pas un mouvement de la raison.
Après avoir vu le destin individuel de chaque homme avant la
résurrection et le jugement individuel de l’homme, il nous faut voir le destin
de l’humanité dans son ensemble. Un certain nombre d’évènements doivent
précéder la fin du monde et conduire, en vue du salut, les communautés humaines
à l’humilité (kénose) puis à la charité. Nous verrons donc : 1° Le retour du Christ ; 2° les signes précurseurs de la fin du
monde ; 3° La fin du monde ; 4° la conflagration de l’univers.
À partir de la question 27, nous allons essayer de comprendre, en
suivant les prophéties de l’Écriture Sainte, ce que Dieu a réservé à ses
enfants lorsqu’approchera la fin de ce monde terrestre (Question 34). Il
prépare pour la dernière manifestation de son amour un spectacle où son projet
secret (nous donner la vision béatifique) sera manifesté non plus à travers la
douleur de la crucifixion mais à travers la lumière douce et forte de son
retour glorieux (Question 27). Après avoir multiplié les signes pour que
l’homme se convertisse (Question 28 à 34), il permettra une victoire temporaire
de l’esprit de l’égoïsme. Les hommes se sépareront en grande majorité de lui
et, à la suite de l’Antéchrist, ne l’attendront plus. Quelques-uns seulement
garderont la foi, à l’image de Marie au pied de la croix. C’est alors qu’il
apparaîtra, accompagnant sa venue de la proposition de son pardon. Ce sera la
dernière manifestation de son amour, la preuve tangible qu’il nous aime
puisqu’il se manifestera à des hommes indifférents et centrés sur eux.[1203]
A propos du retour du Christ tel qu’il se produira à la fin du
monde pour la dernière génération de l’humanité, nous nous poserons cinq
questions :
1° Le Christ doit-il revenir
dans la gloire à la fin du monde ?
2° Prépare-t-il pour sa venue
un spectacle qui manifestera glorieusement à tous l’amour de Dieu ?
3° Pourquoi Dieu
permettra-t-il des maux dans l’humanité avant le retour du Christ ?
4° Reviendra-t-il comme un
voleur alors que le monde sera en paix ?
5° La date du retour du Christ
est-elle inconnue ?
Objections :
1. Cela semble inutile. La
manifestation de la croix glorieuse[1204] semble suffire puisqu’elle
provoquera la terreur des hommes pervertis et la conversion de ceux qui sont
bien disposés.
2. La gloire du Christ est une
vision insoutenable pour l’homme. C’est ce que montre l’Apocalypse quand elle
dit que Jean tomba comme mort à la vision du fils de l’homme[1205]. Il est donc improbable que
le Christ apparaisse dans sa gloire.
3. D’après les anges qui
parlèrent aux disciples au jour de l’Ascension du Seigneur[1206] : « Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela de
la même manière dont vous l’avez vu monte au Ciel. » Or il n’est pas dit que le Christ est monté au Ciel avec son
corps transfiguré. Donc il semble que, à la fin du monde, le Christ reviendra
en descendant du Ciel au-dessus de Jérusalem, dans son aspect habituel et non
selon son aspect glorieux.
4. La parousie est moins le
fait du retour du Christ vers nous, que notre découverte de ce qu’il est en
vérité. Le retour du Christ en gloire n’est donc pas une apparition sensible
mais plutôt une découverte par l’intelligence de son mystère.
5. Le Christ revient pour
chaque individu à l’heure de sa mort. C’est ainsi que Jésus peut annoncer son
retour à la génération qui l’a connu, alors qu’il n’est pas revenu pour tous en
même temps mais pour tous après la mort de chacun. C’est donc ainsi qu’il faut
entendre le retour du Christ et non comme un événement historique datable.
Cependant :
Le Credo de la foi
catholique enseigne que Jésus reviendra "dans la gloire pour juger les
vivants et les morts".[1207]
Conclusion :
Le retour du Christ dans la gloire à la fin du monde est contenu
dans la foi catholique comme un élément essentiel. En effet, le fait que la
rédemption opérée par le Seigneur sur la croix a efficacement détruit le péché
originel et ses conséquences n’est pas évident car la résurrection du Seigneur
par laquelle "il a vaincu la mort" n’a pas été constatée par tous les
hommes mais seulement par quelques témoins. Dieu a retardé cette manifestation
pour qu’à travers ce délai, plusieurs générations de croyants puissent
sanctifier leur âme en vivant dans l’obscurité de la foi la certitude
intérieure de ce salut déjà réalisé. Cependant, il est nécessaire qu’au temps
voulu, la rédemption s’applique efficacement à chaque homme. Par sa venue, le
Christ manifestera donc puissamment sa victoire sur le péché.
Et ce retour glorieux se
réalise au sens littéral de trois manières, qui toutes forment un seul mystère.
1-
Lors
de la mort des individus[1208].
2-
A la fin de chaque
génération humaine (la fin d’un
monde).
3-
A
la fin du monde, (les évènements de la dernière génération qui vivra sur
terre).
On trouve une preuve de ces
trois sens dans un texte de l’évangile de Matthieu 24, 37-42. Il s’agit d’un
passage où Jésus parle de son retour dans la gloire, mystère habituellement réservé
à la fin du monde. Or il y décrit aussi dans le même passage, sans qu’il y ait
rupture du texte, la mort individuelle d’un homme, puis d’une femme : « Comme les jours de Noé, ainsi sera
l'avènement du Fils de l'homme. En ces jours qui précédèrent le déluge, on
mangeait et on buvait, on prenait femme et mari, jusqu'au jour où Noé entra
dans l'arche, et les gens ne se doutèrent de rien jusqu'à l'arrivée du déluge,
qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme. Alors deux
hommes seront aux champs : l'un est pris, l'autre laissé ; deux femmes en train
de moudre : l'une est prise, l'autre laissée. »
Il faut donc veiller à ne jamais interpréter les textes eschatologiques
comme s’ils annonçaient exclusivement
la fin des fins. C’est ce sens qui fascine le plus les croyants et théologiens
débutants, sans doute à cause de sa dimension sensationnelle, à la fois
politique et théologique. Or il existe deux autres sens concrets et éducatifs :
« Prépare-toi
à la venue de ton Juge. Ta mort est proche. » « Ne mets pas trop ton
espoir dans ton système politique. Elle passe, la figure de ton monde. »
Le retour du Christ dans la gloire, qui s’accomplit pour chaque
homme individuellement au moment de la mort, doit de la même manière sanctifier
chaque génération, lorsque son dernier membre meurt. Enfin, elle se produira
d’un seul coup pour la dernière génération humaine à la fin du monde. C’est
pourquoi tout ce que nous avons dit précédemment[1209] sur la mort de l’homme et
sur la vision du Seigneur accompagné des saints, des anges, des proches et du
démon accusateur est valable pour ce qui concerne la venue glorieuse dont nous
parlons maintenant. En conséquence, on peut dire que la fin du monde verra se
réaliser pour la dernière génération de l’humanité ce qui s’accomplit déjà
aujourd’hui pour chaque homme individuellement à sa mort.
Solutions :
1. L’apparition de la croix
glorieuse, c’est-à-dire du signe du Fils de l’homme selon Matthieu, doit
d’abord être comprise dans son sens spirituel, qui n’exclut pas d’ailleurs une
certaine réalisation littérale à la fin du monde. Le mot « croix »
signifie en théologie toute souffrance, celle que chaque homme – pervers, juste
ou saint- subit malgré lui durant la vie terrestre. Il en ignore souvent le
sens et c’est pourquoi la croix, en cette vie, n’est pas glorieuse. La croix
est vécue pour lui sans gloire. C’est
le Christ, lors de sa parousie, qui explique le sens de la souffrance. Elle
prend alors son sens glorieux. Il en sera
ainsi à la fin du monde. Avant la venue du Christ, les hommes vivront de
grandes souffrances qu’ils ne comprendront pas et qui auront pour finalité de
préparer leur cœur dans l’humiliation et l’humilité. Au moment de la Venue du
Christ, d’un seul coup, le sens de ces souffrances sera expliqué de manière
lumineuse et cette gloire aura pour but de provoquer la conversion de
l’humanité au Bien éternel, ou au contraire son rejet éternel de ce bien. C’est
pourquoi on dit que la croix glorieuse, le signe du Fils de l’homme apparaîtra
dans le ciel au moment du retour du Christ.
2. Comme nous l’avons montré à
propos de la révélation qui accompagne la mort de chaque homme, le Christ qui
veut que tout homme soit sauvé adapte la vision qu’il donne de son corps glorieux
à la sensibilité de chaque homme. Chacun reçoit cette vision accompagnée d’une
parole intérieure qui manifeste suffisamment l’amour et la vérité de Dieu pour
que toute ignorance disparaisse de l’intelligence. De même, les hommes qui
vivront le retour du Christ tomberont dans une sorte d’extase de leur sens de
telle manière qu’ils se sentiront libérés du poids de leur corps. Toute
faiblesse aura donc disparu, leur permettant un choix entièrement libre
concernant leur destin éternel.
3. Le Seigneur répond lui-même
à cette objection[1210] : « Si donc on vous dit : "le voici au désert", n’y allez pas ;
"le voici dans les retraites", n’en croyez rien. Comme l’éclair en
effet, part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera t-il à
l’avènement du fils de l’homme. » Il est donc évident que le Christ
n’apparaîtra pas selon son aspect terrestre mais avec son corps transfiguré et
glorieux. Or, à cause de ses propriétés liées à la puissance de Dieu, le corps
glorieux du Christ peut apparaître en plusieurs endroits à la fois. Ainsi
chaque homme individuellement le verra, comme si le Christ revenait pour lui
seul. Et cette apparition sera accompagnée d’une telle grâce de lumière que
chacun saura avec certitude qu’il s’agit du Dieu fait homme. En conséquence, on
doit affirmer que si un homme arrivait à descendre du Ciel aux yeux de tous
comme s’il volait, de la même manière que le fit, dit-on, Siméon le magicien[1211], ce ne peut être le Christ
mais seulement un faux prophète. Car les imitations de ce retour ne sont rien
en comparaison de la vision du Verbe fait chair devant qui tout genou fléchira.
4. Cette interprétation des
Écritures est vraie à condition que son niveau de sens portant sur le contenu
de révélation intellectuelle de toute venue du Christ ne soit pas enseigné par
opposition au sens, littéral celui-là, et qui annonce avec certitude
l’événement futur et historique du retour physique,
visible, sensible, glorieux, du Christ à la fin du monde. Il vaut mieux
d’ailleurs, pour éviter de réduire le retour en gloire à la venue quotidienne
du Christ par la grâce, illustrer la grâce par les textes nombreux qui en
parlent au sens littéral : « Si deux
hommes sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. » De même, ce
retour final pour tous à la fois doit être distingué de celui dont nous avons
parlé à l’heure de la mort, selon l’Église[1212] : « L’Église, conformément à l’Écriture, attend la manifestation
glorieuse de Notre Seigneur Jésus-Christ et différée par rapport à la situation
qui est celle des hommes immédiatement après leur mort ».[1213]
5. Dans son discours
eschatologique, Jésus mêle volontairement quatre réalités : la destruction du
temple de Jérusalem, la mort individuelle, la fin de sa génération et son
retour visible et "politique" à la fin du monde. C’est que ces quatre
réalités forment un même mystère, la première étant le signe des trois autres,
au plan de l’individu, d’une génération et du monde entier. Il ne doit jamais y
avoir d’opposition[1214] entre ces diverses
interprétations mais contemplation commune de ce qui n’est que l’application de
la kénose (la passion) du Christ à toutes les réalités de cette terre.
Objections :
1. Pour prouver d’une manière
définitive et grandiose l’amour de Dieu, il semble que le meilleur scénario
possible consiste à multiplier à l’envie les miracles dans le temps qui précède
le retour du Christ : rien ne peut, semble-t-il, conduire davantage les hommes
à reconnaître la puissance suprême de Dieu et donc à se tourner vers lui qu’un
impressionnant spectacle céleste. C’est d’ailleurs ce qu’annonce l’Écriture
sainte[1215] : « Aussitôt après la tribulation, le soleil s’obscurcira, la lune ne
donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du Ciel et les puissances des
cieux seront ébranlées. Et alors apparaîtra dans le Ciel le signe du fils de
l’homme ; et alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine ; et
l’on verra le Fils de l’homme venant sur les nuées avec puissance et grande
gloire. »
2. En saint Matthieu[1216], nous lisons : « L’Évangile sera proclamé dans le monde
entier en témoignage à la face des nations, puis viendra la fin. » Il semble donc que le Christ fera
précéder son retour par une victoire universelle et mondiale de l’Évangile :
L’Église catholique qui en garde le message en plénitude sera donc établie à la
tête des nations. La Royauté sociale du Christ étant partout reconnue, son
retour sera le couronnement de cette victoire mondiale.[1217]
3. Le meilleur scénario
préparatoire du retour du Christ semble être le suivant : Lorsque le monde aura
atteint un haut niveau de paix et de justice sociale, bannissant toute guerre
et toute pauvreté par l’attention au prochain, alors l’humanité sera prête à
accueillir le Christ à son retour : « À
ceci on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, dit Jésus, si vous vous aimez
les uns les autres ».[1218]
4. Au contraire, si l’on suit
la lettre des Écritures saintes, il semble que Dieu préparera le retour du
Christ de la manière suivante : il laissera les hommes vivre dans leur péché et
ceux-ci, loin de produire la concorde, seront une source de multiplication des
guerres et des malheurs. Matthieu rapporte ainsi les paroles du Christ[1219] : « Il y aura une grande tribulation telle qu’il n’y en a pas eu depuis le
commencement du monde. » Ces
catastrophes matérielles, en humiliant l’orgueil insensé des hommes, les
disposera à la conversion lors du retour du Christ et de la manifestation de
son pardon offert. [1220]
5. Comme l’annonce l’Apocalypse
2, le Christ préparera sa venue en suscitant des apôtres brûlants de charité,
semblables à ceux des premiers temps de l’Église. Il leur donnera de grands
charismes comme ceux de faire des miracles capables de stupéfier le cœur des
hommes et de les disposer à recevoir l’Évangile. Ainsi, en quelques années, la
bonne nouvelle sera reçue par tous. Le Christ reviendra alors très vite pour ne
pas laisser cette sainteté universelle se corrompre.[1221]
Cependant :
Le Catéchisme de l’Église Catholique[1222] rappelle l’enseignement
constant des Écritures à ce sujet[1223] dans un paragraphe intitulé
L’Épreuve ultime de l’Église : « Avant
l’avènement du Christ, l’Église doit passer par une épreuve finale qui
ébranlera la foi de nombreux croyants. La persécution qui accompagne son
pèlerinage sur la terre dévoilera le "mystère d’iniquité" sous la
forme d’une imposture religieuse apportant aux hommes une solution apparente à
leurs problèmes au prix de l’apostasie de la vérité. L’imposture religieuse
suprême est celle de l’Antéchrist, c’est-à-dire celle d’un pseudo-messianisme
où l’homme se glorifie lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans
la chair. Cette imposture Antéchristique se dessine déjà dans le monde chaque
fois que l’on prétend accomplir dans l’histoire l’espérance messianique qui ne
peut s’achever qu’au-delà d’elle à travers le jugement eschatologique même sous
sa forme mitigée, l’Église a rejeté cette falsification du Royaume à venir sous
le nom de millénarisme, surtout sous la forme politique d’un messianisme
sécularisé, « intrinsèquement perverse. »
« L’Église n’entrera dans la gloire du Royaume qu’à travers
cette ultime Pâque où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa Résurrection.
Le Royaume ne s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Église
selon un progrès ascendant mais, par une victoire de Dieu sur le
déchaînement ultime du mal qui fera descendre du Ciel son Epouse. Le
triomphe de Dieu sur la révolte du mal prendra la forme du Jugement dernier
après l’ultime ébranlement cosmique de ce monde qui passe. »
Conclusion :
Nous l’avons montré au long de la première question, Dieu a créé
les êtres spirituels en vue de communiquer à ceux qui l’aiment la vision de son
essence. Ceci ne peut se réaliser qu’à travers des épousailles spirituelles,
selon le choix mutuel d’une charité qui, plus elle est fervente, permet
d’entrer avec plus de profondeur dans la contemplation béatifique. Or la
charité naît avec puissance dans les cœurs lorsqu’ils sont bien disposés, selon
cette parole des anges[1224] : « Paix sur la terre aux hommes de volonté droite. » Et la plus proche préparation
dispositive à la charité est l’humilité, comme l’humus est une disposition à la
vie pour une plante. Toute l’ampleur du gouvernement de Dieu sur les hommes
doit se comprendre à cette lumière du Magnificat de Marie : Il rend humble les
orgueilleux à travers les diverses épreuves de cette vie terrestre. Il est
difficile de rester orgueilleux face aux humiliations de la souffrance et de la
mort. Il rend assoiffés d’un salut futur les humbles à travers ces mêmes
épreuves car celui qui tel Job souffre injustement durant sa vie voit son désir
d’une réponse salvifique s’approfondir. Enfin, par cette même croix, il permet
à ceux qui l’aiment déjà d’approfondir leur charité à travers l’offrande de
leur vie. Ainsi disposés, il est certain que la majorité des hommes accueillent
à l’heure de leur mort la venue de Jésus et la vision de son Évangile car il
faut un orgueil et un égoïsme puissants pour résister à une telle Théophanie.
Ce qui est vrai pour les hommes individuels n’est pas différent
pour chaque génération puis pour la dernière génération. En effet, la vie
éternelle n’est pas seulement l’union d’individus avec la Trinité mais aussi
l’union d’une communauté de saints, d’une "Eglise" avec la Trinité.
C’est pourquoi, de même que Dieu dispose les individus au salut, il dispose les
communautés et les générations humaines à ce même salut. Il le fera jusqu’à la
dernière génération, à la différence cependant que ce qui se voyait à travers
l’histoire individuelle et l’histoire de chaque génération prendra de plus en
plus une dimension universelle jusqu’à devenir à la fin un spectacle mondial.
Ainsi, vers la fin du monde[1225], l’Esprit de Dieu qui
conduisait Jésus à travers sa vie terrestre conduira l’humanité, à travers les
forces de ses propres lois, sur le chemin de la Rédemption. Dans l’enfantement
qui précèdera le retour du Christ, il y aura dans l’humanité, comme jamais au
cours de l’histoire, un spectacle comparable à celui de la croix de Jésus.
Extérieurement, l’orgueil de l’Homme semblera vainqueur, à l’image de ces gens
qui ricanaient en disant au Christ [1226] : « Toi qui détruis le Sanctuaire et en trois jours le rebâtis,
sauve-toi toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends de la croix! » C’est ce que rappelle saint Paul en
parlant dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens de la réussite
quasi-universelle d’un antéchrist qui ne sera même pas nécessairement violent
puisqu’il établira "une fausse paix selon le monde"[1227]. En même temps, l’humanité
connaîtra au plan intérieur une détresse et une angoisse comme jamais, à
l’image de ce qui est rapporté à la croix [1228] : « A la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis
d'une grande frayeur et dirent : Vraiment celui-ci était fils de Dieu! » L’union entre une victoire extérieure
puissante de l’orgueil et le mal-être intérieur des peuples sera une nouvelle
forme de l’universelle éducation de Dieu. Dans ce drame, Dieu donnera à son
Église chrétienne et à tout ce qui porte le nom de Dieu[1229] (à savoir les religions et,
parmi elles, de manière particulière, le judaïsme et l’islam, comme nous le
montrerons) un rôle analogue à celui du Christ lorsqu’il nous sauva. Il mènera
les religions et particulièrement son alliance sainte, l’Eglise[1230], étape par étape jusqu’à la
passion.
En résumé, pour la fin du monde, Dieu annonce en préparation du
retour du Christ une humanité confrontée à un nouveau Golgotha. Il sera cette
fois de nature politique et mondiale. Il est annoncé pour son peuple saint un
scénario de souffrance extérieure et d’humilité intérieure. Pour les autres, la
disposition au salut se fera à travers l’expérience d’une réussite mondaine
brillante et extérieure accompagnée d’une vraie famine intérieure. Il est clair
que ce succès extérieur et provisoire de ce qui s’oppose au Christ sera permis
par Dieu et entrera au centre même de son projet grandiose. S’il avait voulu
autre chose, il lui aurait suffit d’agir, lui qui « peut faire naître à partir des pierres des fils à Abraham »[1231]. Tout cela ressemblera à
s’y méprendre à la croix de Jésus. Pour nous prouver son amour, il est mort
pour nous alors que nous ne l’aimions pas encore. À la fin du monde, il nous
prouvera son amour en revenant glorieux et disposé à nous pardonner alors que
l’immense majorité des hommes ne l’aimera plus. Il y aura certes un petit reste
de croyants selon saint Matthieu 24, 22 : «
si ces jours-là (ceux de l’Antéchrist) n’avaient été abrégés, nul n’aurait
eu la vie (la foi) sauve. » Mais la
majorité des hommes auront, d’après les Écritures, suivi la voie de l’oubli de
Dieu.
Solutions :
1. Le sens de ces textes est 1°
spirituel car "la venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas voir de
l’extérieur" [1232] ; 2° littéral et même
matériel car Dieu réalisera à la lettre tout ce qui est écrit.
1° Il est vrai qu’un tel
spectacle, pris au sens littéral, supprimerait l’athéisme mais qu’en serait-il
de la charité, la seule réalité importante avec l’humilité (kénose) pour la vie
éternelle ? Jésus, dans l’évangile de saint Jean[1233], nous montre les effets
ambigus des miracles sur les hommes. Il multiplie à l’intention d’une foule des
pains ; les gens croient et applaudissent puis décident de le couronner roi
d’Israël pour qu’il chasse les Romains. Jésus est obligé d’aller se cacher dans
la montagne. C’est pourquoi on doit affirmer que le sens premier et certain de
ces textes des évangiles comme de tous les textes apocalyptiques est spirituel,
le soleil obscure signifiant l’absence de Dieu et de toute sagesse du sens
ultime de la vie, la lune symbolisant la disparition de ce qui reflète la
lumière de Dieu pour les hommes sur la terre (l’humanité de Jésus, Marie et les
saints, l’Église et les religions qui portent le nom de Dieu et de la vie
éternelle). De même, le signe du Fils de l’homme n’est pas à prendre en premier
lieu comme une croix matérielle dans le Ciel mais comme un temps de crucifixion
et de sépulcre de l’Église. 2° Un
deuxième sens matériel n’est cependant pas à exclure, au contraire, car Dieu ne
négligera rien de ce qui a été écrit. Il donnera ses signes même aux hommes
charnels. Lorsque tous les évènements spirituels auront été accomplis, il est
certain que Dieu mettra fin au monde et que le Christ reviendra à travers un
spectacle cosmique comparable en grand à celui du Golgotha [1234] : « Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut
en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s'ouvrirent
et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent : ils sortirent des
tombeaux après sa résurrection, entrèrent dans la Ville sainte et se firent
voir à bien des gens. » De même,
juste avant le retour du Christ, la dernière génération verra de grands et
effrayants signes dans la météorologie et dans la cosmologie, puis une
profusion de miracles.
2. Le fait que l’Évangile sera
proclamé devant toutes les nations ne signifie pas qu’il sera reçu. C’est ce
que nous montre toute l’histoire de l’Église, même dans ses périodes de succès.
L’idée d’une Royauté sociale du Christ sur le monde par l’intermédiaire de
l’Église pose en effet un seul problème de taille : S’est-il trouvé une seule
période de l’histoire où l’on ait vu une religion à la fois puissante
politiquement et humble dans son cœur ? Dieu a permis que toutes les périodes
de gloire humaine de l’Église se terminent tragiquement. Cette gloire terrestre
doit en effet être très vite flagellée par les anges de Dieu, de peur que les
chrétiens devenus fiers ne se perdent.
3. Cette idée de concorde mondiale
n’est pas sans poser d’autres problèmes du côté de la charité cette fois :
l’homme manifeste à travers toute son histoire une immense capacité à
s’installer douillettement sur la terre dès que vient la prospérité matérielle.
Il en vient à oublier Dieu et la vie éternelle, se trouvant bien dans une
routine quotidienne. L’histoire de la tour de Babel[1235] est significative d’une
humanité devenue préoccupée de ses seuls conforts et réussites. On peut souvent
reprocher au catholicisme social d’être tourné vers les hommes au point d’en
oublier le cœur à cœur de la vie avec Dieu, jugé comme une perte de temps pour
l’action. L’Ecriture sainte donne la paix politique comme une marque de l’homme
sans Dieu si elle est fondée sur une concorde des égoïsmes fondés sur la
recherche des plaisirs et non sur la charité.
4. Nous accordons cette
objection, avec cette nuance cependant : il n’est pas du tout sûr que,
vers la fin du monde et dans les années qui précèderont le retour du Christ, il
y ait encore des guerres et de grands malheurs matériels. En effet, le Seigneur présente sa venue comme suit : « lorsqu’on dira paix et sécurité »[1236]. Le règne de l’Antéchrist
sera, comme nous le verrons, une réussite mondiale grâce aux bienfaits
matériels qu’il accomplira. Par une gestion prudente, par les apports de la
science et de la politique mondialisée, il n’y aura plus de guerre, plus de
famines, plus d’épidémies et la mort viendra au terme d’une très longue vie.
Vers la fin du monde, il est probable que la guerre et les tremblements de
terre seront avant tout dans les cœurs, c’est-à-dire à travers les angoisses et
les désespoirs d’hommes vivants loin de Dieu qui seul donne un sens à la vie.
5. Dieu ne manquera pas
d’utiliser tous les moyens cités ici. Cependant, vers la fin, la prédication
des apôtres évoluera de la même manière que celle du Christ durant sa vie
apostolique. De glorieuse et puissante en signes jusqu’à sa triomphale entrée à
Jérusalem, elle deviendra, face aux luttes, plus brève mais intense, voire
silencieuse et réservée à l’amour intense de quelques uns, aux rires des
autres, comme le furent les sept paroles du Christ crucifié.
Objections :
1. Les prophéties concernant
l’apostasie généralisée de l’humanité, le règne de l’Antéchrist, le martyre de
l’Église et la disparition de ce qui porte le nom de Dieu sur la Terre semblent
contradictoires avec la Sagesse et l’Amour de Dieu. Comment parler autrement si
l’on considère l’histoire du monde, du peuple hébreu et de l’Église : Dieu n’a
jamais laissé à l’iniquité une telle victoire de peur que beaucoup, se
complaisant dans leur péché, ne se séparent de lui totalement et à jamais.
2. Un tel enseignement ne peut
que conduire au désespoir, à quoi bon évangéliser s’il est prévu à l’avance que
les efforts n’aboutiront à rien ? À quoi bon ordonner des prêtres si l’on sait
que l’Église sera détruite ?
3. Le fait que quelques
contemplatifs pourront vivre de l’intérieur les mystères de la fin de l’Église
est de bien peu de consolation si le reste du peuple se perd pour l’éternité.
Cependant :
« Dieu peut, s’il le veut, faire de ces pierres des enfants à
Abraham »[1237]. Par la puissance de ses
miracles, il pourrait convaincre de l’Évangile tout homme dont la volonté n’est
pas totalement pervertie par le blasphème contre le Saint Esprit. S’il ne le
fait pas, c’est qu’il aura ses raisons. Or Dieu ne fait rien ou ne permet rien
sur la terre qu’en raison de son amour débordant qui veut sauver, si possible,
tous les hommes. C’est donc son amour qui permettra ces mystères douloureux de
la fin du monde.[1238]
Conclusion :
Pour Dieu, la vie terrestre consiste en un purgatoire bien adapté au
salut du plus grand nombre des hommes. Toutes les créatures passagères qu’on y
rencontre, - les personnes, les biens matériels, les bonheurs et les malheurs,
les péchés et les bonnes actions, la vie et la mort -, y sont utilisées par
Dieu en vue de la croissance de l’humilité qui dispose à la naissance de la
charité. A son terme, cette vie atteint d’autant plus son but que, confronté à
l’apparition glorieuse du Messie, l’homme se tourne vers lui avec force. Or
parmi tous les hommes, il en est d’après Jésus deux catégories qui se tournent
avec intensité vers le salut lorsqu’il leur est présenté : 1° Les pécheurs comme Marie-Madeleine[1239] parce qu’ « ils ont montré beaucoup d'amour,
leurs nombreux péchés leur ayant été remis. Mais celui à qui on remet peu montre
peu d'amour. » 2° Les saints comme la vierge Marie parce qu’ils suivent le Christ
dans son humilité (kénose) et amour jusqu’à sa passion.
Ce qui est vrai pour les individus est vrai au plan des
communautés politiques. Toute génération humaine peut être divisée en plusieurs
sphères d’influence auxquelles les personnes sont plus ou moins soumises au
long de leur existence : 1° Une
partie mondaine, souvent dominante, faite des sages et des intelligents de
l’époque. Sa sagesse est celle du monde à savoir celle d’une gestion
intelligente des plaisirs, richesses et honneurs. 2° Une partie sainte et toujours persécutée puisqu’elle vit
essentiellement de la Sagesse d’en haut qui, puisqu’elle porte sur
l’abaissement de soi et la vie de l’esprit, n’est jamais le fait du grand
nombre. 3° La masse des hommes qui,
tout en suivant l’idée dominante du temps, est tantôt sensible à sa partie
mondaine, tantôt à sa partie spirituelle selon qu’elle est plus ou moins proche
du malheur. Souvent, cette masse rejette Dieu quand tout va bien et revient
vers lui quand le malheur approche car elle ne l’aime qu’en vue de biens
qu’elle en attend. Cette distinction est valable pour toutes les époques, même
celles où la religion domine car la victoire extérieure de l’Eglise comme sa défaite
ne signifient que peu de chose quant à l’état intérieur des âmes. Lorsque ces
générations humaines sont confrontées, à travers la mort successive des
individus, à la parousie du Christ, elles vivent en toute vérité des paroles
prophétiques de Jésus. 1° La partie
dominante et mondaine se trouve confrontée, face à la lumière glorieuse du
Christ, à sa vraie nature [1240] : « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui bâtissez
les sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes, tout en disant
: Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à
eux pour verser le sang des prophètes. Ainsi, vous en témoignez contre
vous-mêmes, vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes! Eh
bien! Vous, comblez la mesure de vos pères! Serpents, engeance de vipères!
Comment pourrez-vous échapper à la condamnation de la géhenne ? » 2°
Les saints, toujours peu nombreux, entrent rapidement dans la Vision
béatifique. 3° Quant à la majorité
du peuple, elle se reconnaît dans cette autre parole prophétique : « Celui qui aura rougi de moi et de mes
paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi
rougira de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints
anges. » La vérité de ce jugement est
d’autant plus tranchante qu’elle vient de la norme du Christ qui est celle de
l’amour et du pardon proposés. En conséquence, l’apparition glorieuse du Christ
provoque dans le grand nombre des pécheurs un grand repentir, donc un grand
amour à la mesure de l’immensité du pardon proposé. Elle provoque aussi chez
les vrais pervers un rejet définitif du pardon et une damnation éternelle.
Mais, au plan de la génération entière, la parousie du Christ provoque une
véritable entrée dans l’humilité (kénose) tant elle vit avec larmes, elle qui
se croyait sage, l’expérience de sa folie, selon saint Paul [1241] : « Je détruirai la sagesse des sages, et l'intelligence des
intelligents je la rejetterai. Où est-il, le sage ? Où est-il, l'homme cultivé
? Où est-il, le raisonneur de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la
sagesse du monde ? »
A la fin du monde, cette division de l’humanité en trois sphères
d’influence sera réalisée de manière ultime, mondiale et explicitement en rejet
du mystère du salut. Dieu saura utiliser la victoire de l’Antéchrist et la
souffrance de ses saints de telle manière qu’il en sorte des fruits de salut
pour la majorité du "troupeau sans berger"[1242]. En effet, à cette époque,
Dieu s’étant pourtant efforcé de ramener l’humanité à lui, multipliant la venue
d’apôtres, le don de miracles et de signes avertisseurs, permettra que
l’iniquité s’installe, jusqu’à laisser l’Antéchrist vaincre extérieurement les
religions qui portent extérieurement le nom de Dieu. 1° la partie mondaine et dominante sera représentée par la
puissance et l’idéologie d’un Antéchrist inouï dont le combat mondial portera
sur une nouvelle conception du salut éternel fondé sur la liberté et l’amour de
soi, par opposition à l’humilité (kénose) et à l’amour. L’Eglise, les saints et
toutes les religions auront vécu une telle tribulation que leur parole paraîtra
éteinte. De fait, jamais la sainteté cachée n’aura été aussi grande, sauf à la
croix en Marie. 3° La masse des
hommes, confrontée à ce monde de l’Antéchrist vivra à la fois d’un bien-être
matériel unique et d’une détresse spirituelle totale.
Cette permission ne sera pas vaine car Dieu saura, au moment
choisi, en tirer un bien supérieur qui tournera à la gloire pour la plupart et
à la confusion pour les artisans de ce mal. En effet, lors de son ultime
révélation, de même qu’à la croix il avait prouvé[1243] « qu’il nous aime, en mourant pour nous alors que nous étions
pécheurs », de même lors de sa
parousie, il prouvera qu’il nous aime en revenant alors que la majorité de l’humanité
ne l’attendra plus. En définitive, les circonstances tragiques de la fin du
monde démultiplieront la manifestation de l’amour de Dieu. Ce jour-là, « il dépouillera les Principautés et les
Puissances et les donnera en spectacle à la face du monde, en les traînant dans
son cortège triomphal ».[1244] Ce sera la dernière
manifestation de ce qui a été commencé à la croix.
Il réalisera cela au moment connu de lui seul, lorsque la prière
des saints des derniers temps sera devenue si pressente par sa charité qu’il ne
pourra plus que l’exaucer sans retard. C’est donc le martyre de l’Église, vécu
avec une charité intense par le reste de ses membres, qui provoquera le retour
du Christ.
Solutions :
1. Au contraire, la Bible nous
apprend que bien des hommes moururent alors qu’ils étaient encore profondément
plongés dans leur iniquité : Ainsi, le déluge détruisit l’humanité pervertie ;
Sodome et Gomorrhe furent ravagées par le feu en un jour ; Le peuple hébreu
conduit par Moïse mourut tout entier au désert sans entrer dans la terre
promise. De même, Dieu attendit avant de laisser les armées de Josué envahir la
Palestine "que la mesure de leurs iniquités soit comble".[1245] Quelle est la raison de ces
actes de Dieu ? Faut-il affirmer que ces pécheurs furent tous damnés ? Bien au
contraire, par cette mort, Dieu les sauvait en masse de la mort éternelle. Car
la mort violente, en les frappant, leur manifestait la misère de leur condition
et la vanité de leur péché. Frappés, ils criaient de toute leur âme vers un
Sauveur. Ainsi, de l’humiliation naissait en eux l’humilité. L’apparition de
l’ange de Dieu qui les accueillait dans le passage entre ce monde et l’autre
monde en leur révélant la miséricorde infinie les amenait à la conversion avec
d’autant plus de force qu’ils avaient reçu davantage en pardon. Quant aux
obstinés, aux orgueilleux inconvertissables, ils se séparaient définitivement
de Dieu librement. En tout cela, l’amour de Dieu resplendit puissamment
puisqu’il n’aura rien négligé pour éviter à l’homme la mort éternelle.
A la fin du monde, Dieu n’agira pas différemment hormis le fait
qu’il délivrera la dernière génération de la souffrance de la mort, la gravité
de la douleur spirituelle chez les hommes en sera augmentée tant l’apparition
de la douceur de Dieu manifestée en Jésus sera bouleversante. Chacun, voyant la
gravité de son péché et la grandeur de la miséricorde se frappera la poitrine.
2. Il faut distinguer l’espoir
humain de l’espérance qui est une vertu théologale. L’espoir est finalisé par
un bien de cette terre ; l’espérance ne désire que les biens éternels et elle
les attend avec certitude du seul secours divin. Ainsi, prises au plan de
l’espoir, ces révélations sur la fin du monde sont totalement désespérantes.
Celui qui attend un royaume de Dieu sur la terre, une Église triomphante ne
peut qu’être scandalisé, de la même manière que les Juifs à qui Jésus annonçait
la ruine du temple de Jérusalem. Cela paraît même blasphématoire puisque ce
temple, étant voulu par Dieu, semble nécessairement indestructible. Trop
d’apôtres, vivant d’espoir humain et déçus par le peu de résultat de leur
moisson, se sont découragés : c’est oublier que Dieu lui-même dirige toute
chose en vue du salut du monde, selon Luc 3, 8.
L’espérance théologale attend quant à elle le Royaume de Dieu tel
que Dieu le veut et quand Dieu le veut. Elle sait que la glorification de
l’Église se fera dans l’autre monde et que Dieu, selon des voies mystérieuses
mais pleinement efficaces, conduira le plus grand nombre possible à la Vie, de
telle façon que ne seront damnés que ceux qui, résistant à tous ses moyens,
l’auront voulu. Fondé sur une telle certitude, l’effort apostolique, loin de se
taire, doit reprendre avec une totale liberté de cœur. L’apôtre, tel un
serviteur quelconque, continue son effort sans se soucier d’autre chose que
Dieu seul, sûr de la victoire finale de l’amour.
3. « Elle est certes large la
voie qui mène à la perdition et beaucoup s’y engagent », selon les paroles du Seigneur lui-même[1246]. Cependant il ne faut pas
conclure que tous ceux qui y sont engagés se perdent en définitive : Lorsqu’un
peuple est adonné au péché, il ne faut pas croire que tous le sont avec pleine
conscience, volonté et liberté. De même, lorsqu’une nation se dit chrétienne,
cela ne signifie pas que chacun de ses membres aime Dieu pour le seul motif
qu’il est Dieu. Bien d’autres motivations moins spirituelles animent beaucoup :
conformisme, peur de la mort, peur de l’enfer. Aristote manifeste cette vérité
ainsi : « la plupart demeurent dans
le sensible » ; Jésus regardait avec
miséricorde les foules égarées de son temps, « comme un troupeau sans berger »
[1247] ; Mais de toute cette
ivraie que Dieu laisse pousser, il sait au moment de la récolte retirer le bon
grain. Chaque génération a pu en faire l’expérience au moment de la mort ; il
en sera de même à la dernière génération. Cependant, la sainteté de ceux qui
auront vécu chrétiennement, donc de l’intérieur ces mystères sera la plus
grande qu’ait connue l’humanité, la plus proche de celle de Marie tant la foi
nécessaire pour rester fidèle devra être confiante.
Objections :
1. Nous avons montré que le
sépulcre subi par l’Église constituera un signe absolument certain de la
proximité de la venue du Christ. Donc le Christ ne viendra pas comme un voleur.
2. Le monde avant le retour du
Christ ne pourra être en paix puisqu’il sera dominé par la tyrannie matérielle
et idéologique de l’Antéchrist.
3. Que le Christ revienne comme
un voleur, cela paraît incompatible avec sa dignité et inconciliable avec la
gloire qu’il manifestera.
Cependant :
Saint Paul dit[1248] : « quand les hommes se diront paix et sécurité, c’est alors que tout
d’un coup fondra sur eux la perdition, comme les douleurs de la femme enceinte
et ils ne pourront y échapper. »
Conclusion :
Comme nous l’avons dit, la venue du Christ à la fin du monde est
en tout semblable à celle qui accompagne la mort individuelle de chaque homme.
C’est pourquoi, dans les prophéties du Seigneur, ces deux venues sont regardées
comme une seule et même chose. Dieu qui est au-dessus du temps, voit en un seul
retard le retour du Christ qui s’accomplit pour chacun au moment de la fin de
sa vie terrestre. C’est pourquoi en parlant de la fin du monde, le Seigneur dit[1249] : « Alors deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre
sera laissé. »
Comme pour la mort individuelle est pour la plupart des hommes
précédées de signes annonciateurs, de même, à la fin du monde, le retour du Christ
sera précédé de nombreuses alertes venant de catastrophes naturelles, de
paroles prophétiques proclamées par des témoins et d’autres signes suffisamment
clairs pour ceux qui seront attentifs. Il en sera donc de même pour le monde
que pour un homme dont la mort prochaine est annoncée par des malaises
successifs et par les diagnostics de médecins. Cependant, l’immense majorité de
l’humanité aveuglée par ses intérêts matériels et par le bonheur illusoire
établi par le règne de l’Antéchrist ne prendra pas garde à ces signes. Elle
sera donc surprise par la venue du Messie de la même manière qu’un homme l’est
par la mort. C’est ce qui ressort des nombreuses prophéties concernant au sens
littéral cette fin du monde[1250] : « Comme les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du fils de
l’homme. En ces jours précédant le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait
femme et mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et les gens ne se
doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge qui les emporta tous. »
Solutions :
1. Très peu d’hommes seront
capables de vivre d’une manière contemplative et prophétique le sépulcre où
sera plongé l’Église à la fin du monde, la plupart considérant ce fait comme la
preuve définitive du caractère purement humain de la religion chrétienne, de
même qu’à la croix les hommes crurent avoir la preuve de la présomption de
Jésus Christ par le fait qu’il ne pouvait se sauver lui-même. Mais pour les
hommes qui vivront de l’esprit de foi de la vierge Marie, qui attendait avec
certitude la résurrection du Christ, comme il l’avait annoncé, il n’y aura pas
de surprise. Ils feront partie de ceux qui auront veillé. Selon cette parole du
Seigneur "là où sera le cadavre, là seront les aigles"[1251], c’est à dire les
contemplatifs.
2. Il s’agira d’une fausse
paix, de cette paix que donne le monde et qui est fondée sur l’équilibre des
lois du commerce et des plaisirs. C’est pourquoi le retour du Christ qui
marquera le caractère illusoire des richesses matérielles sera l’objet de
lamentation chez les hommes adonnés à la matière, selon l’Apocalypse[1252] : « Ils pleurent et se désolent sur elle, les trafiquants de la terre
; les cargaisons de leurs navires, nul désormais ne les achète! »
3. Le Christ ne reviendra pas
comme un voleur en ce sens qu’il s’introduira dans le monde par la ruse mais en
ce sens qu’il viendra au moment où le monde ne l’attendra plus.
Objections :
1. Cela ne paraît pas. De même
que les Pères saints attendaient le premier avènement du Christ, ainsi nous
attendons le second. Or ces Pères connurent la date du premier avènement ;
ainsi que nous le voyons grâce au nombre de semaines annoncé par Daniel. C’est
à cause de cela que le Christ reproche aux Juifs de n’avoir pas reconnu le
temps de sa venue : « Hypocrites,
vous voulez sonder le Ciel et la Terre ; comment n’avez-vous pas recherché le
temps de l’avènement du Messie ? » Il
semble donc que le temps du second avènement par lequel Dieu viendra juger nous
sera aussi indiqué.
2. À travers les signes, nous
parvenons à la connaissance de ce qu’ils signifient. L’Écriture nous propose de
nombreux signes de l’approche du jugement futur. Nous pouvons donc parvenir à
la connaissance de sa date.
3. Saint Paul dit : « C’est pour nous que viendra la
fin des siècles. » Et saint
Jean : « Mes petits
enfants, c’est la dernière heure. »
Puisqu’un long espace de temps s’est écoulé depuis lors, il semble que nous
pouvons maintenant savoir que le dernier jugement est proche.
4. Le temps du jugement ne doit
être caché que pour que chacun s’y prépare avec sollicitude, puisqu’il en
ignore la date fixe. Mais cette sollicitude demeurerait même si on connaissait
cette date, parce que pour chaque homme la date de sa mort personnelle est
incertaine, « date, comme dit saint
Augustin, à laquelle chacun vit son dernier jour, qui est en fait pour lui le
dernier jour de ce monde. » Il n’est
donc pas nécessaire que la date du jugement soit cachée.
Cependant :
Il est dit en saint Marc : « Ce jour où cette heure nul ne le sait, ni les anges dans le
Ciel, ni le Fils, sauf le Père. » Le
Christ ne le sait pas en ce sens qu’il ne nous le fait pas savoir.
En outre, saint Paul dit aux Thessaloniciens : « Le jour du Seigneur viendra comme le
voleur vient la nuit. » Il semble
donc que, comme la venue du voleur la nuit est tout à fait incertaine, ainsi le
jour du jugement dernier soit tout à fait incertain.[1253]
Conclusion :
La fin du monde est un évènement futur. Comme tel, elle est
comparable à la mort individuelle d’un homme. Or, lorsqu’on veut connaître la
date de la mort d’un homme, on peut considérer deux choses :
1° La mort est annoncée par
des signes précurseurs. Ainsi, lorsqu’une tumeur maligne et incurable est
décelée, un médecin peut donner une approximation de la date de la mort de son
patient. De même, la vieillesse annonce la proximité de la mort. 2° Mais la mort peut aussi survenir
n’importe quand, de manière imprévisible. Certaines de ses causes sont
absolument contingentes et connues de Dieu seul pour qui le futur est présent.
Ainsi, nul ne peut prévoir que, en sortant du cabinet de son médecin, tel
malade sera renversé et tué par une voiture.
Il en est de même pour la fin du monde : 1° Il existe des éléments permettant de se faire une idée
approximative du temps. Certaines prophéties ont été données par les Ecritures.
Elles devront être accomplies avant le retour du Christ. Elles constituent des
signes annonciateurs de la fin. Elles permettent de savoir avec certitude que,
tant qu’elles ne seront pas toutes réalisées, la fin du monde ne pourra
arriver, selon ce que dit saint Paul à des chrétiens qui ne se mariaient plus[1254] : « Nous vous le demandons, frères, à propos de la venue de notre
Seigneur Jésus Christ, ne vous laissez pas trop vite mettre hors de sens ni
alarmer par des manifestations qui vous feraient penser que le jour du Seigneur
est déjà là. Auparavant doit venir l'apostasie et l’homme impie (...) » 2°
Mais, lorsque tous ces signes seront réalisés, il ne faut pas en inférer que
les hommes qui vivront sur terre à cette époque pourront donner des dates
précises. En effet, la fin du monde deviendra un évènement dépendant de la
seule décision de Dieu si bien que, même à cette époque, il sera impossible de
savoir avec précision l’heure exacte de la fin. Dieu accomplit en effet
certaines choses sans aucune coopération de créatures, et il connaît aussi
certaines choses qu’il ne communique à aucune pure créature. Telle est la fin du
monde, avec le jour du jugement. Le monde en effet finira sans l’action
d’aucune cause créée, de même qu’il a été commencé par l’action immédiate de
Dieu. Il convient donc que la connaissance de la fin du monde soit réservée à
Dieu seul. C’est cette raison que le Seigneur lui-même semble apporter quand il
dit : "il ne vous appartient pas de connaître les temps et les
moments que le Père a placés en son pouvoir" comme pour signifier qu’ils
sont réservés à son seul pouvoir.
Solutions :
1. En son premier avènement, le
Christ vint caché, selon ce mot d’Isaïe : «
Tu es vraiment un Dieu caché, Dieu sauveur d’Israël. » Dans le second avènement, il viendra manifestement. Dans les
deux cas, Dieu voudra être attendu et reconnu par quelques-uns de ses amis, selon
cette parole de la Genèse[1255] : « Yahvé s'était dit: "Vais-je cacher
à Abraham ce que je vais faire, alors qu'Abraham deviendra une nation grande et
puissante et que par lui se béniront toutes les nations de la terre? » Ainsi, dans les deux avènements, il y
eut et il y aura quelques personnes lucides pour voir les signes des temps.
Tels furent jadis les prêtres Juifs qui lisaient avec assiduité les textes de
Daniel. Tels seront, à la fin du monde, les quelques fidèles qui auront gardé
les prophéties et les auront méditées. Dans le premier avènement, il y eut deux
personnes pour recevoir la révélation du moment précis de l’incarnation :
ce furent Marie, puis Joseph. Dans le second avènement, juste avant le Jour du
Seigneur, l’esprit contemplatif de la Vierge reviendra probablement sur
quelques rares amis de Dieu, dans le secret de leur dialogue avec Dieu.
2. On peut distinguer trois
sortes de signes des temps. 1° Parmi
les signes que Jésus énumère, certains concernent chaque époque depuis toujours
comme les tremblements de terre, les guerres, les persécutions, les faux
prophètes. Saint Augustin dit : « Les
signes précurseurs indiqués dans l’Évangile n’ont pas tous trait à la seconde
venue qui aura lieu à la fin du monde. Certains nombreux, ont trait à la venue
quotidienne du Christ dans l’Église, qu’il visite spirituellement en habitant
en nous par la foi et l’amour. Les signes qui sont dans les Evangiles,
concernant la dernière venue, ne suffisent pas pour permettre de reconnaître
d’une manière précise le temps du jugement. Les malheurs qui sont prédits comme
annonçant le proche avènement du Christ ont existé dès l’époque de l’Église
primitive, tantôt plus, tantôt moins. C’est pourquoi les jours des apôtres
furent déjà appelés les derniers jours, comme nous le voyons dans les Actes, là
où saint Pierre expose, en l’appliquant à son temps, le mot de Joël : Il y
aura dans les derniers temps. » Ces signes là sont donc tout à fait
inutiles pour discerner la fin des fins mais seulement pour rappeler le
caractère passager de chaque génération.
2° D’autres concernent
directement la fin des fins. Il s’agit de certains détails sur le dernier
Antéchrist (mondial), sur le destin d’Israël - destruction du Temple,
dispersion, retour en Palestine, destin de Jérusalem, conversion des Juifs au
Messie -, sur l’Eglise et sa passion finale. Saint Augustin en parle : « Certains signes se rapportent à l’époque
de la destruction de Jérusalem, qui a déjà eu lieu. Depuis lors, beaucoup de temps s’est écoulé, et d’autres signes se sont
réalisés. » En ce qui concerne le calcul de la date de la fin du monde,
deux choses doivent être affirmées : - Tant que tous les signes annoncés ne
seront pas réalisés, on peut être sûr que la fin des fins n’est pas proche
selon ce que nous avons rappelé de saint Paul[1256]. - Même quand ces signes
seront tous réalisés, il sera impossible de conclure de manière certaine sur la
date précise car aucune révélation explicite, confirmée par le Magistère, ne
donne une indication sur la durée de son règne. On peut conjecturer que ce
règne sera court. Mais l’expérience montre que le "bientôt" de Dieu,
s’il dure au maximum 120 ans quand il s’agit d’un individu, peut durer un
nombre indéterminé de mois, d’années, de centaines ou de milliers d’années
quand il s’agit d’un évènement mondial, comme dit saint Augustin.
3. On ne peut pas tirer une
période déterminée de temps à partir d’expressions comme "Le dernier jour
est venu" ou d’autres semblables, qu’on lit dans l’Écriture. Elles n’ont
point pour but de signifier une période brève, mais d’indiquer la dernière
phase du monde, qui sera comme un âge nouveau. On ne précise pas la durée de
cet espace de temps, de même que la vieillesse, dernier âge de l’homme, n’est
pas une période nettement marquée, puisque parfois elle dure autant que tous
les âges précédents, et même plus, comme dit saint Augustin. C’est pourquoi,
saint Paul écarte cette idée fausse que quelques-uns ont tirée de ses paroles,
croyant que « le jour du
Seigneur était déjà tout proche. »
4. Même en reconnaissant
l’incertitude de la date de notre mort, l’incertitude de celle du jugement nous
incite doublement à la vigilance : d’abord parce que nous ne savons pas s’il
tardera jusqu’au delà de la fin de notre vie d’où une deuxième raison d’être
vigilants. Ensuite parce que l’homme n’a pas seulement le souci de sa personne,
mais aussi de sa famille, de sa cité, de son pays et de toute l’Église, qui
durent au-delà de la limite d’une vie humaine. Or il faut disposer chacune de
ces collectivités de sorte que le jour du Seigneur ne la trouve pas mal
préparée.
La fin du monde sera immédiatement précédée du retour du Christ
dans sa gloire. Et cette venue sera elle-même, semble-t-il, annoncée par des
signes.
A cet égard quatre questions se posent :
1° Y aura-t-il des signes
précurseurs de l’avènement du souverain Juge ?
2° Ces signes seront-ils
donnés à tous les hommes ou seulement aux croyants ?
3° Quels sont ces signes ?
4° Peut-on discerner un ordre
chronologique dans l’apparition de ces signes ?
Objections :
1. La réponse négative semble
imposée par cette parole de saint Paul : «
quand les hommes diront paix et sécurité! C’est alors qu’une ruine soudaine
fondra sur eux ».[1258] En effet cette paix et
cette sécurité n’existeraient pas, si des signes avant-coureurs venaient semer
l’inquiétude.
2. Des signes sont nécessaires quand
une chose doit être rendue manifeste. Mais l’avènement du Seigneur doit être
caché : "le jour du Seigneur vient ainsi qu’un voleur dans la
nuit".[1259]
3. Le premier avènement du
Seigneur fut connu à l’avance par les prophètes, et cependant il ne fut précédé
d’aucun signe. À plus forte raison, ainsi en sera-t-il du second que personne
ne connaît.
Cependant :
Il est dit en saint Luc[1260] : « Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et les étoiles. » D’autre part, le Seigneur dit à
propos de sa venue[1261] : « Du figuier apprenez cette parabole. Dès que sa ramure devient
flexible et que ses feuilles poussent, vous comprenez que l’été est proche.
Ainsi, lorsque vous verrez tout cela, comprenez que le fils de l’homme est aux
portes. » Donc il y aura des signes
précédant la fin du monde.
Conclusion :
Quand le Christ viendra juger tous les hommes, il apparaîtra dans
sa gloire, comme il convient à la dignité de sa fonction. Mais ceci doit être
précédé par certains évènements qui viseront à deux finalités 1° Ils
disposeront le cœur du grand nombre à l’humilité. En effet, Dieu n’a pas
d’autre visée que le salut du plus grand nombre. Avant sa venue, le Christ
s’efforcera donc de préparer les hommes à humilité, au repentir de telle façon
que son apparition provoque dans le plus possible un bon effet, à savoir une
puissante inflammation de la charité et l’entrée dans la béatitude. C’est ce
qu’annonce Isaïe, la montagne symbolisant l’orgueil[1262] : « Une
voix crie : "Dans le désert, frayez le chemin de Yahvé ; dans la steppe,
aplanissez une route pour notre Dieu. Que toute vallée soit comblée, toute
montagne et toute colline abaissées. »
2° Ils avertiront ceux qui
vivent de la charité. Ils permettront au petit nombre des saints de vivre
de l’intérieur et consciemment les évènements au nom du reste de l’humanité car
le projet de Dieu, loin d’être imposé de l’extérieur, est une alliance de deux
charités, celle de Dieu et la réponse de l’homme. Ils convient donc que, comme
à la croix de Jésus, certains comprennent et vivent du Mystère en train de
s’accomplir.
L’avènement du Sauveur sera donc précédé de signes multiples
annoncés avec force par l’Écriture. Cependant, on doit reconnaître qu’on ne
peut préciser avec trop de détails de quelle manière ils se produiront à la fin
du monde et ce pour la raison suivante : Le Christ a volontairement donné à ces
signes plusieurs niveaux de signification afin qu’ils concernent tous les
hommes de tous les temps. La plupart d’entre eux, qu’ils soient rapportés par
le livre de l’Apocalypse et les autres prophéties, ont sous la lettre d’un sens
littéral, plusieurs significations symboliques adaptées à la mort individuelle
de chacun, à la fin des générations et à la fin du monde. Par exemple, les
combats, les épouvantes etc. mentionnés dans l’évangile se rencontrent tout au
long de l’histoire, mais aussi dans nos vies personnelles et se multiplieront
de manière spirituelle au temps du dernier Antéchrist. Cette ambigüité n’est
pas toujours enlevée par le Magistère de manière aussi précise que pour la condamnation
du millénarisme[1263]. Cette imprécision est
voulue par le Seigneur afin que nous soyons chaque jour vigilants.
De tout ceci, on doit
retenir la nécessité d’une grande prudence dans l’interprétation des signes de
l’avènement du Sauveur. Un principe doit être retenu. Plus on s’approche du
concret, plus l’erreur est possible. Plus on reste dans des généralités,
abordant par exemple les questions du projet de Dieu, de la croix qu’il
maintient dans l’histoire pour sauver l’humanité, moins on est faillible.
Il est à noter cependant que le Christ a voulu laisser une série
de signe dont le sens ne porte pas cette ambigüité et est littéral et
historique. Ils concernent le peuple Juif qui restera, jusqu’à la fin du monde
et dans son histoire politique, signe extérieur et visible de la Venue du
Messie.
Solutions :
1. Il existe deux sortes de
paix : d’abord la paix extérieure
que donne le monde et qui implique une stabilité et un confort matériels. Ses
conditions sont politiques et sociales : prospérité, absence de guerre,
civilité des rapports humains. Il est annoncé que le gouvernement du dernier
Antéchrist, appuyé sur sa profonde connaissance des millénaires de l’histoire
humaine, réussira cela de manière mondiale. L’autre
paix est intérieure et elle porte sur le tréfonds de l’âme faite pour le
vrai Dieu. Elle aspire à vivre de sa présence qui lui correspond plus
profondément encore que l’homme est fait pour aimer la femme. Sous ce rapport,
le monde du dernier Antéchrist sera le pire que l’humanité ait jamais connu
selon Amos[1264] : « On
ira titubant d'une mer à l'autre mer, du nord au levant, on errera pour
chercher la parole de Yahvé et on ne la trouvera pas! » Saint Augustin[1265] dit que, à la fin des
temps, les méchants persécuteront les bons ; ceux-ci craindront donc, tandis
que ceux là seront tranquilles. Ce sont donc les méchants qui diront "paix
et sûreté" parce qu’ils négligeront les signes annonciateurs du jugement.
Tandis que "les bons sècheront de frayeur etc." comme en parle saint
Luc. On peut dire encore que ces signes avant-coureurs sont compris dans le
temps et le jour du jugement. Avant leur apparition, les impies se croiront en
paix et sécurité, le monde étant plongé dans une tranquillité extérieure
rassurante.
2. Le jour du Seigneur viendra
"comme un voleur" parce que la date précise en est inconnue, les
signes précurseurs étant insuffisants à le manifester chez le grand nombre.
Seule une petite Eglise, inconnue du monde, imitatrice de la Vierge à la croix,
comprendra. Quant aux signes indubitables qui précèderont immédiatement le
jugement, on peut dire qu’ils font partie de ce jour même.
3. Quoique les prophètes
connaissent d’avance le premier avènement du Christ, cet avènement eut lieu en
secret. Il ne devait donc pas être annoncé par des signes grandioses, à la
différence du second, dont la date reste mystérieuse, mais où le Christ viendra
dans sa gloire. Il sera donc immédiatement précédé par des signes terrifiants.
Mais bien avant ce jour, il y aura d’autres signes plus mystérieux que seuls
quelques-uns sauront discerner[1266].
Objections :
1. Il semble que seuls les croyants
recevront de tels signes En effet, seuls les croyants pourront en découvrir la
signification prophétique. Il est inutile que les autres les reçoivent selon
cette parole du Seigneur "même si un mort ressuscitait, ils ne croiraient
pas".[1267]
2. Si tous les hommes reçoivent
des signes suffisamment explicites pour le retour du Christ, celui-ci ne
surprendra personne par sa venue ce qui semble contradictoire avec l’Écriture.
3. Il semble que seuls les
païens recevront des signes de la fin du monde. Les croyants n’en ont en effet
pas besoin puisque, par l’espérance et la charité, ils sont constamment dans
l’attente du retour du Christ.
Cependant :
Il y aura des grands signes dans le soleil, dans la lune et les
étoiles, selon saint Luc[1268]. Or de tels signes pourront
être vus par tous. Donc ils seront donnés non seulement aux croyants mais aussi
aux païens.
Conclusion :
La finalité des signes donnés avant la fin est de frapper la
connaissance des hommes de telle façon qu’amenés à réfléchir, ils changent leur
cœur avant qu’il ne soit trop tard. Or il est certain que Dieu désire proposer
le salut à tous les hommes sans exception, de telle manière que ne soit damné
que celui qui obstinément sera resté dans le péché. Nous avons suffisamment
montré cela précédemment. Nous pouvons en déduire qu’il donnera ses signes non
seulement aux croyants mais aussi à tous les hommes, non seulement pour les
individus mais aussi aux nations, avant comme après la première venue du
Christ. Dans ce but, il convient que Dieu adapte ses signes à la capacité de
chacun. Le propre de la connaissance humaine est de partir du sensible pour
remonter à l’intelligible. Dieu s’adapte à la manière humaine de connaître.
Nous le voyons dans les Écritures Saintes où Dieu révèle son mystère à travers
des mots humains, et davantage encore dans l’Incarnation du Verbe. De même, les
signes annonçant la fin seront fondamentalement sensibles, au point que tout
homme pourra les voir dans leur matérialité.
Cependant, le signe ne consiste pas seulement dans un évènement
matériel. Par définition, il symbolise et révèle une réalité d’ordre
intelligible. Or il est évident que tous les hommes n’ont pas la même la
capacité à comprendre les choses spirituelles : tous n’ont pas une égale
perspicacité intellectuelle ni même une égale illumination du Saint Esprit. Les
hommes charnels comprennent de façon charnelle ; les hommes spirituels savent
remonter, à partir des signes sensibles à leur signification spirituelle. Il en
est ainsi pour les signes donnés par Dieu concernant la fin, quelque soit le
sens où l’on entend ce mot :
1° Il peut s’agir, même dans
la pensée de Jésus[1269] de la fin de chaque homme à
l’heure de sa mort. Les signes qui précèdent et annoncent notre propre mort
sont nombreux : Mort d’un proche, atteinte de la maladie, vieillesse. Les
hommes excessivement adonnés aux choses de ce monde réagiront en s’efforçant de
ne pas y penser ou encore par la peur ; les hommes de bonne volonté
s’interrogeront ; ceux qui espèrent en Dieu penseront à la proximité de leur rencontre
avec le Christ et se "redresseront, plein de joie car leur délivrance est
proche".[1270]
2° Il peut s’agir de la
proximité de la fin de chaque génération humaine, selon cette parole de Jésus[1271] : « En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera pas que
tout ne soit arrivé. » Ainsi les
guerres, les tremblements de terre, les famines, tout ce qui rappelle à chaque
époque la précarité de tout sont des signes de la fin. De la même manière,
chacun les interprète selon le degré d’intelligence et de foi qui est le sien ;
mais nul ne peut y rester totalement indifférent.
3° Il en sera de même à la fin
du monde telle que nous la regardons dans ce traité. Dieu donnera des signes
multiples qui pourront être vus par tous car ils se réaliseront dans les
réalités visibles de cette époque : certains seront visibles dans le monde
physique (dans les astres par exemple), d’autres dans les réalités sociales
(apostasie, gouvernement de l’Antéchrist). Mais peu d’hommes comprendront dans
toute son intensité la signification spirituelle de ces signes. Il en
ressortira cependant du bien pour tous : les mauvais, saisis d’inquiétude, se
rappelleront la temporalité de leur vie selon la parole employée le mercredi
des Cendres : « Souviens-toi que tu
es poussière et que tu retourneras à la poussière. » S’ils ne sont pas totalement obstinés dans leur péché, à
l’inverse de ces gens que décrit l’Apocalypse[1272], ils seront quelque peu
disposés au salut, leur orgueil se trouvant humilié par la peur. De même, les
hommes de bonne volonté, ceux qui ne connaissent pas le Christ, seront amenés à
l’exemple de Job à s’interroger sur le sens de leur vie. Ils progresseront en
humilité. Lors du retour du Christ ils s’écrieront[1273] : « Je ne te connaissais que de loin, mais maintenant mes yeux ont
vu. » Quant aux saints, ils ne
cesseront de grandir dans la charité, à cause de leur espérance sans cesse plus
sûre de la proximité de la fin.
Solutions :
1. Même les païens peuvent être
amenés par des signes à penser au retour du Christ. Mais, chez eux, cette pensée
ne peut être explicite puisqu’ils n’ont pas entendu parler de ce retour. Elle
est suggérée de loin, par la pensée de la mort. Chaque homme est averti qu’il
mourra, soit en observant la mort des autres, soit en subissant les signes
avant-coureurs de sa propre mort, comme la maladie ou la vieillesse. Et cela
est valable universellement à chaque époque. Mais à la fin du monde, les signes
extérieurs de la vanité de ce monde se multiplieront de manière de plus en plus
spirituelle, tels les épidémies d’angoisse, les tremblements de terre (dans les
vies) et les guerres à l’intérieur des âmes. Par ces moyens, Dieu s’efforcera
de convertir tous les cœurs avant qu’il ne soit trop tard.
2. Le propre du signe n’est pas
de démontrer la vérité d’une chose mais de la suggérer de telle façon que
l’intelligence soit conduite à s’interroger. Il ne peut en être autrement quand
il s’agit des choses de Dieu sans quoi la foi disparaîtrait pour faire place à
la science. C’est pourquoi les plus grands signes et miracles n’obligent à la
conversion que ceux dont la volonté est disposée favorablement en vue du bien.
Quant aux autres ils s’aveuglent eux-mêmes par leur volonté de ne pas changer
leur vie.
3. Il convient que même les
croyants reçoivent des signes du retour du Christ. En effet, par la grâce
qu’ils ont reçue, ils sont collaborateurs de l’œuvre divine. Il convient donc
qu’ils associent leurs prières et leurs sacrifices au grand mystère de
l’enfantement que connaîtra le monde lors de sa fin.
Objections :
1. Il semble qu’on ne doive pas
distinguer des signes valables pour toutes les époques d’un côté et des signes
valables une seule fois de l’autre. En effet, tous les signes qui précèderont
le retour du Christ seront nécessairement valables pour toutes les générations,
puisque le propre du signe est de manifester sous un sens symbolique plusieurs
niveaux de réalisation.
2. Certains signes
annonciateurs sont déjà réalisés, comme par exemple la destruction du Temple de
Jérusalem. Ils ne doivent donc pas être comptés parmi les signes de la fin du
monde.
3. Certains signes qui
apparaissent au sens propre comme matériels semblent devoir plutôt être
interprétés dans un sens spirituel. Ainsi, on sait qu’il est impossible que de
vraies étoiles tombent sur la terre. Il doit donc plutôt s’agir d’un symbole.
4. L’Antéchrist, quand il
viendra, apparaîtra comme un homme bien réel et prendra le pouvoir sur un grand
empire. Mais beaucoup d’Antéchrists ont déjà fait cela comme Hitler. On ne doit
donc pas le classer parmi les signes de la fin des fins mais plutôt parmi les
signes concernant toutes les générations.
Conclusion :
L’Écriture décrit une
multitude de signes qu’elle présente comme annonciateurs du retour du Christ.
En y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’il est difficile de les classer
de manière satisfaisante. En effet, Dieu a voulu que leur sens soit multiple,
littéral ou métaphorique. On en a un exemple dans l’Ancien Testament [1275] : « Voici que la vierge est enceinte. Elle donne naissance à un fils. » Les théologiens juifs ne se
trompèrent pas en annonçant, au sens premier et littéral, la grossesse future
de la mère du Messie. Mais ils ne se trompaient pas non plus en parlant de la grossesse
symbolique d’Israël, de l’humanité, de l’Univers selon saint Paul : « La création toute entière attend la
révélation des fils de Dieu. »
Malgré cela, et sans se départir d’une certaine prudence, il est
possible de classer en deux catégories les signes donnés par Jésus :
1° Les prophéties valables pour plusieurs générations. Le propre de ce
type de prophéties est qu’elles décrivent les épreuves vécues par toutes les
générations de tous les temps. Elles parlent non seulement de la fin du monde,
mais de la fin de chaque génération, de chaque humain individuel, de la fin des
cités, des entreprises humaines etc. Inutile donc de vouloir appliquer les
passages qui la composent à tel ou tel événement historiquement daté à
l’exclusion des autres.
- Leurs sens multiples sont
parfois donnés sous le langage d’analogies métaphoriques. Exemple : « Une Bête apparut. Elle avait sept
têtes et dix cornes »[1276]. La Bête signifie aussi
bien l’Empereur romain Néron, qu’Hitler, que l’idéologie marxiste, que nos
propres péchés capitaux etc. A travers l’Ecriture, l’utilisation de tels
symboles est si fréquente qu’il est difficile d’en faire la liste.
- D’autres sont écrites sous
le langage d’analogies propres. Exemple : «
Il y aura des guerres et des bruits de guerres. » Les guerres furent réelles au sens militaire du terme. Mais ces
textes ont plusieurs autres sens comme la guerre entre individus, contre
soi-même etc.
La liste de ces prophéties est longue. Il s’agit essentiellement
de l’annonce générale de fléaux comme les tremblements de terre[1277], de guerres[1278], de fausses paix[1279], de famines[1280], de maladies[1281], de persécutions, de
meurtres d’innocents, de faux prophètes[1282], d’hérésies, d’Antéchrists,
de passions mauvaises, de vices, de matérialisme[1283], de mort et de signes
cosmiques : « Le soleil s’obscurcira,
la lune deviendra comme du sang, les étoiles tomberont du Ciel"[1284].
2° Les prophéties valables pour une seule époque[1285]. Pourtant, parmi tout ce
qui est annoncé, on doit maintenir que certains signes ont un sens premièrement
littéral et historique. Ils ne se réaliseront qu’une fois, en vue du scénario
qui aboutira à la fin des fins (ce qui n’exclut pas leur interprétation
métaphorique). Exemple : « De ce
temple, il ne restera pas pierre sur pierre. »[1286] Le Temple de Jérusalem fut
physiquement détruit en 70 après Jésus-Christ comme Jésus l’avait annoncé.
C’est le premier sens. Pourtant, ce sens historique n’exclut pas l’autre, Jésus
lui-même en informe ses disciples. "Le vrai temple était son corps qui
devait mourir et, trois jours plus tard, ressusciter"[1287]. Toutes les prophéties de
Jésus concernant le peuple juif sont de cette catégorie.
La liste de ces prophéties peut être réalisée comme suit [1288] :
1° Avant la venue du Christ,
il y aura une apostasie générale[1289] dans l’humanité. Dieu sera
rejeté des cœurs.
2° Puis viendra un Antéchrist
qui établira son règne mondial contre la sagesse de Dieu. Il instaurera la paix
et la sécurité, imposant une religion de l’homme et se proclamant lui-même
Dieu.
3° Il mettra fin aux religions
qui portent le nom de Dieu.
4° Une dernière prédication
leur sera accordée, sous la forme mystérieuse de deux témoins[1290]. La Vierge Marie qui aura
un rôle particulier[1291].
5° L’Eglise suivra le Messie
dans son anéantissement. Pierre subira le martyre[1292] tandis que Jean, l’Eglise
priante, subsistera jusqu’au retour du Messie[1293]. Ce martyre sera un acte de
sainteté et le signe de Jonas sera de nouveau donné à l’humanité[1294].
6° Le peuple juif perdra son
Temple[1295], sera dispersé[1296], massacré[1297]. Puis il reviendra dans sa terre,
reprendra possession de Jérusalem[1298], retrouvera l’Arche
d’Alliance[1299], rebâtira son Temple[1300] et, enfin, juste avant la
fin ou conjointement à la fin, reconnaîtra publiquement le Christ comme Messie[1301].
7° La fin du monde sera
provoquée par le retour glorieux du Christ[1302]. Il viendra accompagné des
saints et des anges.
Solutions :
1. Tous les signes ont
effectivement un sens allégorique valable pour chaque génération. Mais certains
d’entre eux, selon la lettre, annoncent un évènement précis qui ne peut se réaliser
qu’une fois comme la destruction du Temple de Jérusalem que Jésus annonça pour
l’époque de sa génération. Ceci n’empêche pas une signification plus profonde,
allégorique celle-là qui n’est comprise que par des hommes spirituels.
2. Si la destruction du Temple
de Jérusalem est déjà réalisée dans sa matérialité, elle n’en reste pas moins,
en soi, un signe puissant de la fin du monde. En effet, elle introduit une
série de sept prophéties concernant le peuple juif qui doivent se réaliser à la
lettre. Ceci n’empêche pas un autre niveau de sens, allégorique celui-là, comme
une autre destruction qui aura lieu à la fin des temps, à savoir celle du
nouveau temple qui est l’Église, comme la mort individuel de chaque corps
humain, vrai temple de Dieu.
3. La chute des étoiles sur la
terre a d’abord un sens spirituel puisqu’elle annonce la perversion de ceux qui
sont les étoiles pour le monde puisqu’ils l’éclairent de leur intelligence.
Ainsi, à la fin des temps, il semble que beaucoup d’intellectuels et de théologiens
ne seront plus pour les autres sources de vérité mais les entraîneront dans
l’erreur. Il n’en reste pas moins que, pour les gens plus simples, de réelles
chutes d’étoiles filantes pourront se produire avant l’avènement du Christ, ce
qui sera pour eux un signe adapté.
4. Il y aura un dernier
Antéchrist qui réalisera en plénitude l’iniquité déjà amorcée par les autres.
Il sera réellement un homme mais son mystère ne sera compris que par ceux
qu’éclairera l’Esprit Saint puisqu’il s’opposera à la charité du Christ, en
trouvant son inspiration auprès de Lucifer et présentant à l’humanité de la fin
le même mystère d’iniquité qu’il présenta au début, à Adam et Eve. Il sera donc
un signe spirituel.
Objections :
1. Il semble difficile sinon
impossible de discerner un ordre dans les signes qui précèderont la fin du
monde. En effet, la grande destruction subie par Jérusalem au temps du général
Romain Titus qui brûla le Temple et construisit à sa place un temple aux idoles
a eu lieu au tout début de l’Église. Or elle est présentée dans le discours
eschatologique comme un signe qui précèdera de peu la fin.
2. De tout temps, il y a eu des
martyrs et il y en aura toujours. Il semble donc inadapté de mettre le martyr
comme signe du début des douleurs de l’enfantement.
3. Le livre de l’Apocalypse
donne un ordre très différent concernant le déroulement de l’histoire du monde,
jusqu’à la venue glorieuse du Christ et le jugement des nations. Il est presque
impossible de faire concorder cet ordre avec celui du discours eschatologique
donc…
4. S’il existe un ordre
chronologique dans l’apparition des signes annoncés, on devrait déjà le
discerner à travers le cours de l’histoire, depuis 2000 ans que dure l’Église.
Cependant :
Le Seigneur compare la fin du monde à un enfantement[1303]. Or, dans un enfantement,
on peut discerner un ordre chronologique dans les signes qui l’annonce :
d’abord les douleurs des premières contractions, puis la douleur maximale qui
précède la naissance, et la naissance elle-même. Il doit en être de même pour
l’humanité.
Conclusion :
Dans son discours eschatologique[1304], le Seigneur propose un
ordre génétique par rapport aux signes de la fin du monde. Ces signes
s’amplifient avec la proximité de la fin. Et ceci est convenable pour plusieurs
raisons.
-- À cause de la haine du démon qui, sentant son temps compté,
multipliera ses attaques contre l’humanité, sa perversion allant jusqu’à
espérer la séparer complètement de Dieu par l’action de son serviteur,
l’Antéchrist.
-- À cause de la sagesse de Dieu qui gouverne l’homme de telle
manière qu’il soit disposé au mieux à l’obtention de la béatitude éternelle. Il
convient donc qu’il multiplie les signes de sa venue à mesure que le temps
disponible pour se convertir diminue.
-- À cause de la condition de l’homme qui ne peut remonter à
l’intelligible qu’en s’appuyant sur le sensible. Il a donc besoin de recevoir
des signes plus explicites à mesure que la conscience de sa fin prochaine
demande à être amplifiée. Il en est ainsi dans l’ordre habituel de la vie
humaine : l’enfant qui a la vie devant lui ne pense pas à la mort car rien
n’est là pour la lui rappeler. Mais le vieillard dont le temps est compté reçoit
dans sa chair des stigmates qui la lui rappelle à chaque moment.
Dans le discours eschatologique, on peut discerner quatre temps.
1° Le Seigneur parle d’abord
du commencement des douleurs
caractérisé par la venue de nombreux faux prophètes qui produiront des hérésies
; par des guerres et des rumeurs de guerre, de famines et des tremblements de
terre. En cette époque, il y aura beaucoup de persécutions contre l’Église et
de nombreux martyrs[1305], ce qui n’empêchera pas
l’évangile d’être proclamé par toute la terre.[1306] On peut comparer cela, dans
l’accouchement, aux premières contractions.
2° Dans un second temps, le
Seigneur annonce un chemin qui conduira l’humanité vers l’apostasie. Il dit que la charité se refroidira chez le grand
nombre. On peut comparer cela, dans l’accouchement qui se prolonge, aux phases
de découragement de la femme.
3° Dans un troisième temps,
viendront les signes de la fin[1307]. Le Seigneur dit que « l’abomination de la désolation
sera dans le lieu saint. » Ceci
semble se rapporter à une grande tribulation que devra subir l’Église
puisqu’elle est le Temple de Dieu, à la manière dont le Temple de Jérusalem
devint le Temple des idoles au temps du roi Antiochus[1308]. Le temps de la fin sera
donc celui de l’Antéchrist et de la lutte ultime contre les saints. Il y aura
des signes dans le soleil qui s’obscurcira, dans la lune qui ne donnera plus sa
lumière, dans les étoiles et les puissances des cieux. Ceci signifie un temps
d’absence de lumière céleste, l’humanité semblant adonnée dans sa totalité visible
à une finalité mondaine. On peut comparer cela, dans l’accouchement s’il dure
trop, à la phase de désespoir.
4° En dernier lieu viendra la fin elle-même[1309]. Ce sera au temps du
dernier Antéchrist. Alors seulement apparaîtra le signe du fils de l’homme qui provoquera
la terreur des méchants et sera suivi immédiatement par la glorieuse apparition
du Messie, sur les nuées du Ciel. "Quant à l’Antéchrist, le Seigneur le
fera disparaître par le souffle de sa venue".[1310] Alors la fin du monde sera
consommée et le jugement général de l’humanité aura lieu[1311]. On peut comparer cela,
dans l’accouchement, à l’apparition de l’enfant dont la joie efface le souvenir
de tout le reste.
Solutions :
1. La destruction du Temple de Jérusalem
n’est elle-même que la préfiguration de la destruction du vrai Temple de Dieu
qui est l’Église et qui sera tentée à la fin du monde par l’Antéchrist. Cette
lutte du démon contre les saints de Dieu, si elle est commencée depuis la
naissance de l’Église, prendra une proportion inimaginable en ces jours là,
selon le Seigneur, « si ces jours
n’avaient pas été abrégés, nul n’aurait eu la vie sauve »[1312].
2. Les signes liés à la
première phase ne disparaîtront pas dans les suivantes mais au contraire s’amplifieront,
de la même manière que dans l’enfantement où les premières contractions ne
disparaissent pas tant que la naissance n’est pas complètement accomplie. Il en
sera de même pour les tremblements de terre, les épidémies, les famines.
3. Quant au livre de
l’Apocalypse, il ne donne pas en premier lieu aux hommes un regard
chronologique sur l’histoire du monde. Son but est de révéler les intentions et
les modes d’action de Dieu par rapport à la conduite qu’il exerce sur
l’humanité[1313]. Il manifeste que Dieu est
cause de tout ce qui arrive ici-bas : « Du
trône partent des éclairs, des voix et des tonnerres » [1314], que le Christ peut seul
rendre le monde intelligible à l’homme : «
L’agneau ouvrira les sept sceaux »[1315] ; que l’univers entier
jusque dans la souffrance qu’il cause à l’homme est utilisé par Dieu : « les sept trompettes »[1316] ; que le démon lui même est
utile, sans qu’il le veuille, au bien de l’homme selon son âme "le Dragon
et la bête" [1317] ; Et qu’en définitive tout
se terminera par « le triomphe
de l’agneau », de la charité et la
réprobation de l’orgueil[1318]. S’il existe des prophéties
applicables à l’histoire dans ce livre, elles ne sont utilisables qu’en dernier
recours, dans la lumière du discours eschatologique de Jésus.
4. L’histoire de l’humanité est
sainte, dirigée de l’intérieur par Dieu. Son but unique et simple est,
rappelons-le, de rendre chaque âme tout humble (kénose) pour qu’elle puisse
aimer et entrer dans la salle des noces avec l’époux. Il dirige chaque personne
individuellement par le travail de son ange gardien. Mais il dirige aussi
l’humanité dans son ensemble à travers l’histoire des groupes humains. Pour
cela, il dispose d’une communauté d’anges appelés "Princes" qui
connaissent parfaitement ce qu’il faut faire pour diminuer l’orgueil des peuples.
Cette histoire se déroule en sept temps, «
sept étapes » que l’Ecriture
appelle « sept jours. »
Après la chute d’Adam et Ève et avant la venue du Christ,
l’humanité a connu trois premiers temps :
1° Le temps où Dieu se
taisait, d’Adam à Abraham.
2° Le temps où, à partir
d’Abraham, il promit à quelques-uns un sauveur (d’Abraham à Jésus).
3° Celui enfin où il se fit
chair et annonça l’Évangile à ses disciples (de l’Annonciation à la Pentecôte).
Chacune de ces périodes était bonne et disposait les cœurs au salut. Mais,
Jésus le reconnaît, parmi les hommes qui vécurent les deux premières et ceux
qui aujourd’hui ignorent toujours le Christ, ils furent des milliers à désirer
voir un seul de ses jours et ne le virent pas.
Jésus annonce à quatre nouveaux temps, quatre étapes de l’Histoire
durant lesquelles il préparera les nations à la Vision de Dieu. On peut les
discerner à la lecture de son discours eschatologique[1319] et des multiples prophéties
dispersées ici et là dans les lettres des apôtres. Ils peuvent être en partie
datés, tout autant que ceux qui précédèrent son incarnation.
4° Le premier de ces temps est
celui de l’extension de l’Evangile dans le monde. C’est une période accompagnée
de luttes et de souffrances nombreuses. Il se caractérise non seulement par
l’extension de la chrétienté à travers le monde mais aussi par des luttes que
le Seigneur appelle "des guerres et des rumeurs de guerre"[1320]. Ce temps commence avec le
jour de la Pentecôte et dure jusqu’à aujourd’hui.
5° Le second est celui du
rejet de l’évangile par le monde. Ce temps trouve ces racines dans des idées de
la fin du Moyen-âge et du siècle des Lumières. Mais il commence au plan
politique avec les soubresauts antichrétiens de la Révolution française. Il
continue à s’étendre jusqu’à aujourd’hui.
6° Le troisième est le temps
de sa disparition quasi complète du monde. Jésus conduit son Église de la même
façon qu’il le fit pour sa vie apostolique de trois années. D’abord écouté, il
fut ensuite rejeté puis mis à mort. Il s’agit du temps du règne mondial d’un
antéchrist, de la disparition politique de tout ce qui porte le nom de Dieu[1321]. En ce début de millénaire,
ce temps n’est pas encore commencé : L’Antéchrist n’est pas là même si divers
courants antichrétiens œuvrent.
7° Enfin, à la fin de ce troisième
temps, alors que l’Antéchrist sera au sommet de son règne et aura établi sur le
monde une paix extérieure, le Messie reviendra, faisant disparaître cette
fausse paix "par le souffle de sa venue"[1322]. Ainsi, la fin du dernier
des temps, c’est-à-dire la fin du temps de l’Antéchrist, coïncidera avec la fin
du monde : les morts ressusciteront et le monde nouveau sera formé par Dieu.
Ces quatre temps ainsi que le règne de l’Antéchrist ne sont pas
des évènements symboliques. Chaque prophétie de Jésus a un sens symbolique[1323], c’est certain, mais aussi
un sens historique : « le Ciel et la
Terre passeront mais mes paroles ne passeront pas ».[1324]
A propos de ces signes de la fin du monde, nous devons nous demander
:
1° Y aura-t-il des signes dans
le soleil, la lune et les étoiles ?
2° Y aura-t-il des signes sur
la terre, tels des tremblements de terre et des catastrophes naturelles
(maladie, famine) ?
3° Y aura-t-il des guerres et
de fausses paix ?
4° Y aura-t-il de faux
prophètes ?
5° Y aura-t-il une grande
apostasie ?
6° Le monde sombrera-t-il dans
le péché ?
Objections :
1. Il semble qu’on ne puisse
l’admettre sans quoi la science des astrologues pourrait prévoir le retour du
Christ ce qui est contradictoire avec l’Écriture qui affirme que le Christ
viendra comme un voleur.
2. Il est impossible que le
soleil perde de son éclat sans quoi la vie serait immédiatement détruite sur la
terre par le froid.
3. Selon Apocalypse 6, 12, la
lune deviendra rouge comme du sang. Cela ne semble pas un signe convenable, ni
au sens propre ni au sens spirituel.
4. Selon l’Apocalypse, un tiers
du soleil s’obscurcira, un tiers de la lune s’éteindra et un tiers des étoiles
tomberont sur la terre. Le chiffre paraît hors de proportion.[1325]
5. D’après Isaïe[1326] : « Ce jour là, le Seigneur interviendra : là haut contre l’armée
d’en haut et sur terre contre les rois de la terre. Ils seront entassés,
captifs, dans la fosse. La lune sera humiliée, le soleil sera confondu. Oui, le
Seigneur, le tout-puissant, est roi. »
Or ce texte semble suggérer un sens symbolique aux signes du Ciel qui
précèderont le retour du Christ.
Cependant :
L’Écriture affirme que "Le soleil s’obscurcira, la lune ne
donnera plus son éclat, les étoiles tomberont du Ciel et les puissances des
Cieux seront ébranlées".[1327]
Conclusion :
Dans l’Écriture Sainte, Dieu utilise réellement les réalités
sensibles de telle façon qu’il ne s’arrête pas à leur matérialité mais leur
assigne un sens spirituel qu’il est nécessaire de découvrir. Ainsi, par
exemple, quand il demande aux Hébreux de manger un agneau et de mettre le sang
sur les piliers de la maison pour se protéger la mort, il le leur fait faire
réellement mais il veut surtout annoncer et préfigurer la véritable rédemption
qui doit être accomplie par son Fils, l’Agneau de Dieu, à la croix. Il en est
de même pour les signes qui précèderont la fin du monde. Ils ont d’abord une
signification spirituelle qui doit être perçue par l’inspiration du Saint
Esprit. Ainsi, le soleil symbolise la lumière éternelle de Dieu, que nul ne
peut regarder en face, la lune symbolise l’humanité Sainte de Jésus et la
vierge Marie qui reflètent pour nous l’image de Dieu au point de nous le rendre
connaissable ; les étoiles du ciel symbolisent les apôtres et les docteurs car
il appartient à leur ministère d’indiquer aux hommes la route qui mène vers la
vérité. Ainsi, que le soleil s’obscurcisse, que la lune cesse de briller, que
les étoiles tombent du Ciel, cela signifie en premier lieu, que, vers la fin
des temps, les hommes seront à ce point plongés dans le péché, que leur
intelligence ne percevra plus rien du Mystère divin. Les apôtres eux-mêmes, au
lieu d’élever l’Homme vers le Ciel, le conduiront à la terre, incapables de se
souvenir qu’ils sont la lumière du monde.
Cette signification spirituelle ne signifie pourtant pas qu’il
faille exclure une réalisation matérielle de ces prophéties. Les symboles de
Dieu ont ceci en propre que, très souvent, ils se réalisent à la lettre. Un
paléontologue faisait remarquer que la parole de l’Ecriture adressée à
Lucifer : "Tu ramperas sur ton ventre tous les jours de ta vie"[1328], et dont la signification
est évidement purement spirituelle puisqu’elle s’adresse à un ange dépourvu de
corps, s’était aussi réalisée de manière matérielle, comme dans une image
préfiguratrice puisque, sans qu’on n’en trouve aucune raison, seuls les
reptiles rampants (symboles de Satan) avaient survécu à l’extinction du
crétacé, éliminant les dinosaures que la Bible considère comme l’image de
Lucifer (le dragon). De même, il est possible que la signification symbolique
des étoiles qui tombent sur la terre soit accompagnée à la fin du monde par la
réalisation matérielle de ces signes de telle manière que chacun comprenne la
gravité de sa perversion spirituelle. Peut-être la pollution produite par
l’activité démesurée de l’homme obscurcira-t-elle à ce point l’atmosphère
qu’elle diminuera la lumière du soleil et de la lune. Quant aux étoiles qui
tomberont du Ciel, rien n’empêche, par exemple, qu’elles soient produites par
une quantité impressionnante de météores qui s’abattront sur la terre, son
orbite passant en ces jours là dans un important champ de poussières cosmiques.
Solutions :
1. De tels phénomènes liés aux
astres et qui précèderont le retour du Christ ne seront pas prévisibles. Il est
donc impossible de prévoir à l’avance la date du retour du Christ. Ce retour
échappant aux lois de ce monde, il ne sera pas provoqué par l’ordre des astres,
de la même façon que la première venue de Jésus qui dut être rendue visible aux
astrologues par la création d’une nouvelle étoile qui se déplaçait dans le Ciel
et indiquait l’endroit où se tenait l’enfant Jésus.
2. Ce n’est pas le soleil
lui-même qui perdra son éclat mais c’est l’homme qui par les effets de son
péché ou de son imprudence, empêchera sa lumière de passer. Et cela convient
même au sens spirituel que devra signifier cette catastrophe extérieure car
Dieu ne cesse de briller pour l’âme des hommes mais c’est à cause de leur
méchanceté qu’ils ne reçoivent plus sa lumière.
3. Pris au sens spirituel, le
fait que la lune deviendra rouge comme le sang signifie que les méchants, à la
fin du monde seront incapables à cause de leur péché, de contempler les
mystères de Jésus et de Marie comme des lumières qui éclairent leur nuit, mais
plutôt comme quelque chose de nuisible qu’ils rejetteront. Rappelons que la
lune symbolise l’humanité de Jésus et la présence de tous les saints comme
Marie, car ils reflètent et tamisent la Lumière de Dieu comme la lune le fait
pour le soleil. Les bons, au contraire, vivront ces temps de la fin en
s’unissant par leurs souffrances au sang de Jésus versé pour eux sur la croix.
Nous en avons l’image dès maintenant, de manière cependant individuelle, alors
qu’à cette époque, il s’agira d’un phénomène mondial. Pour ceux qui aiment leur
liberté et le plaisir de jouir de leur vie plus que l’amour d’autrui, le
message évangélique devient insupportable. Pour ne pas avouer son propre
égoïsme, on le qualifie lui-même d’insupportable car liberticide.
4. Pris au sens spirituel, le
chiffre d’un tiers signifie que l’épreuve des derniers temps sera mesurée selon
l’ordre de la sagesse de Dieu "à cause des élus, qui auront la vie
sauve".[1329] Mais le peuple Juif, qui
est prophète dans sa chair, a subi par trois fois, pour servir de signe face au
monde entier un génocide qui tua un tiers de ses membres – Nabuchodonosor,
Titus et Hitler –.
5. Si l’on suit le texte
d’Isaïe, le symbolisme présent dans le soleil et la lune ne concerne pas Dieu
et le Christ mais plutôt l’orgueil de l’homme qui s’exalte comme le soleil et à
ses œuvres qui reflètent cet orgueil comme leur manifestation. Et cela n’est
pas étonnant car les symboles de l’Écriture peuvent toujours être pris selon un
double sens. Ainsi, l’eau signifie à la fois la vie comme on le voit dans le
baptême et la mort dans le déluge. Mais ce sens symbolique ne s’oppose pas au
fait que le soleil et la lune perdront réellement leur éclat à la fin du monde.
Objections :
1. De tels phénomènes naturels ont
toujours existés et existeront toujours. Ils ne doivent donc pas être
considérés comme des signes de la fin du monde.
2. De tels malheurs, s’ils ont
lieu, frapperont indifféremment les méchants et les bons ce qui paraît
inconvenant à la sagesse de Dieu.
3. Certaines catastrophes
naturelles concernent parfois un seul individu, comme par exemple la maladie et
la mort de chacun. Elles ne doivent donc pas être regardées comme un signe de
la fin du monde en général.
4. La famine n’est pas toujours
une catastrophe d’origine naturelle. Elle peut parfois avoir son origine dans
l’incapacité des hommes à gérer les terres et à distribuer équitablement les
productions. Elle ne doit donc pas être regardée comme un signe de la fin du
monde, mais plutôt comme un effet du péché de l’homme.
5. Il semble que ces signes
matériels ne concernent pas la dernière génération qui vivra sur terre puisque,
au temps de l’Antéchrist, on dira : « Paix
et sécurité. »
Cependant :
Le Seigneur affirme en saint Matthieu[1330] : « Il y aura par endroit des famines et des tremblements de terre.
Et tout cela ne fera que commencer les douleurs de l’enfantement. »
Conclusion :
La fin du monde sera précédée par des catastrophes naturelles. Les
hommes subiront diverses peines dont l’origine sera dans le désordre de la
nature ou de la société. Et cela est nécessaire pour mieux les disposer à la
rencontre qui aura lieu avec le Christ lors de son retour glorieux. Or,
certaines conditions sont présupposées pour cette fin dans la volonté, à savoir
la pénitence qui fait rejeter le mal et adhérer au bien, l’humilité qui dispose
l’âme à l’action de Dieu et la charité qui lui fait désirer Dieu. Les peines
temporelles seront donc infligées par Dieu à l’homme de telle manière que son
âme soit ainsi disposée « afin
que le plus possible soient sauvés. »
Elles seront utiles aux méchants, dont l’intention est finalisée par les biens
de ce monde. Par les peines naturelles, ils découvriront la vanité de ce qui
est passager selon la parole du Seigneur[1331] : (Le riche qui n’emporte
rien dans la tombe). « Insensé,
cette nuit même on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l’aura
? » Ils seront ainsi disposés à la
conversion vers le bien éternel qui demeure.
Elles seront utiles aux hommes de bonne volonté qui en les
subissant, grandiront dans l’humilité selon cette parole de Job[1332] : « Tu es tout puissant, Seigneur. Maintenant mes yeux t’ont vu,
aussi je m’afflige sur la poussière et sur la cendre. »
Enfin elles seront utiles aux saints dont elles purifieront la
charité selon saint Pierre[1333] : « Il vous faut être quelque temps affligés par diverses épreuves,
afin que, bien éprouvée, votre foi, plus précieuse que l’or périssable,
devienne un sujet de louange, lors de la révélation de Jésus Christ. »
Quant à ceux qui ne sont pas inscrits sur le livre de vie, la
perversité de leur cœur sera dévoilée par le feu de la souffrance selon
l’Apocalypse[1334] : « Ils blasphémèrent Dieu, à cause de cette grêle désastreuse. » En résumé, les catastrophes
naturelles des derniers temps seront l’introduction au jugement dernier, quand
les anges sépareront les mauvais des bons, et ce pour chaque génération. [1335]
Dans de très belles pages, où il a résumé pour le grand public ses
travaux de géologue, Pierre Termier présente l’univers comme un magnifique
ensemble de ruines géologiques. Ce qu’il y a de plus stable ici-bas, ce qui
nous semble presque éternel est rongé par le temps. Les chaînes de montagnes
les plus orgueilleuses, celles qui survivent aux civilisations sont lentement
minées par l’érosion ; ici, une pierre se détache, là, une paroi s’effrite. Ces
blessures multiples finissent par ravager la face de la terre. Le temps
destructeur finit par avoir raison des entreprises les plus audacieuses. "Praeterit figura hujus mundi"[1336]. La souffrance et la mort
prennent du même coup un visage nouveau. Elles ne cessent pas d’être pour nous
un châtiment, mais elles deviennent aussi un instrument de rédemption, un moyen
de divinisation. L’univers tout entier est ainsi tendu vers la glorification
des fils de Dieu, attendant lui aussi d’être arraché à sa misère congénitale.
"La création, dit saint Paul, gémit dans l’attente de sa rédemption"[1337].
La mort indéfiniment répétée de millions d’êtres vivants dont
Aristote disait qu’ils se sacrifient à la perpétuité de l’espèce, prennent pour
le chrétien une valeur de symbole et de préfiguration. Elles sont comme
l’aurore tragique de la souffrance humaine, une image de la peine des hommes du
martyre des saints, et finalement elles culminent dans la passion et dans la
mort du Fils de Dieu. L’univers apparaît ainsi, non comme un universel
massacre, mais comme un sacrifice immense, une liturgie cosmique dont le sens
nous est révélé par la mort d’un Dieu".[1338]
Solutions :
1. Les malheurs dont nous
parlons s’appliquent aux trois niveaux de l’eschatologie. 1° Ils frappent effectivement les individus tous les temps et
lieux. Depuis le péché originel, tout homme est frappé dans sa chair par des
peines naturelles telles la maladie, la vieillesse, la fatigue, la mort. Mais
ces peines imposées par Dieu au corps de l’homme sont finalisées par le bien de
son âme selon le Seigneur[1339] : « Mieux vaut entrer manchot dans le Royaume des Cieux que d’être
précipité avec tout son corps dans la géhenne. » 2° Ils frappent aussi
les communautés humaines, toutes sans exception, même le peuple de Dieu. 3° A la fin du monde, de même que pour
la plupart des individus de tels phénomènes se multiplient dans le temps qui
précède la mort, de même ils se feront plus nombreux. Ils sont donc pour tous
les temps signes de la proximité de la fin du monde puisqu’ils sont là pour la
préparer.
2. Par la souffrance, les bons
sont conduits à devenir meilleurs et les méchants pires puisque chacun fortifie
sa détermination dans la souffrance. Mais la majorité des hommes, ni tout à
fait bons ou mauvais, y apprend simplement l’humilité. Ce qui est vrai pour les
individus l’est aussi pour les communautés comme nous l’avons dit. Voici
quelques exemples historiques du tremblement de terre qui frappe l’orgueil des
générations :
Exemple 1 : A Babel[1340], l’humanité unie disait : « Allons! Bâtissons-nous une ville et
une tour dont le sommet pénètre les cieux! Faisons-nous un nom et devenons
comme un dieu! » Alors Dieu confondit
le langage des hommes pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres. Il
les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la
ville. » Dieu ne renverse pas les
systèmes politiques à chaque génération. Il ne le fait qu’à chaque fois que les
limites de l’orgueil mettent le salut en danger.
Exemple 2 : « Salomon[1341] devenu vieux s’enorgueillit
tant qu’il prit 700 épouses de rang princier et 300 concubines. Salomon adora
d’autres dieux que Dieu. Yahvé s'irrita contre lui parce, dans sa gloire, son
cœur s'était détourné du Dieu qui lui était apparu deux fois. Alors Yahvé dit à
Salomon : « parce que tu t'es
comporté ainsi et que tu n'as pas observé mon alliance, je vais sûrement
t'arracher le royaume et le donner à l'un de tes serviteurs. Yahvé suscita un
adversaire à Salomon : l'Edomite Hadad, de la race royale d'Edom. » Cette façon d’agir de Dieu n’est
nullement périmée avec la venue du Messie. Lorsque Dieu rencontre l’orgueil, il
continue de le frapper.
Exemple 3 : Au VIIème siècle, en Afrique du Nord et en Asie, le
christianisme était devenu la religion d’Etat. On discutait religion comme on
discute politique et la puissance des clercs était telle qu’il arrivait souvent
qu’on assassine pour une thèse théologique. Alors Dieu divisa la puissance de
la sainte Eglise, sans pourtant lui arracher tout. A Mohamed, il donna en
quarante ans la moitié du royaume chrétien d’Orient, puis l’islam s’étant
lui-même exalté d’orgueil, Dieu fit cesser son extension. Dès le début du
christianisme, saint Jean Chrysostome affirmait : « Donnez-moi deux attelages pour une course de chars. Que les chevaux
du premier s’appellent Vérité (christianisme) et Orgueil, ceux du second
s’appellent Hérésie et Humilité. Et bien vous verrez le second attelage
remporter la victoire, non à cause de l’erreur mais à cause de la force du
cheval Humilité. » Concrètement, il importe moins pour Dieu qu’un
homme soit chrétien si, parallèlement, il se conduit comme un égoïste ou avec
la morgue d’un pharisien. C’est, semble-t-il, l’explication de la bénédiction
de l’islam par Dieu.
La même sagesse prévalut en Occident avec la Réforme protestante
face à la puissance de la catholicité romaine. Plus récemment, on peut citer
l’orgueil de la génération de la grande guerre (1914) qui apprit l’humilité
dans le sang des tranchées, puis dans la révolte de ses petits-enfants de mai
68. Il n’en sera pas autrement pour l’orgueil de mai 68. Certaine d’avoir
trouvé plus que ses pères la vérité, à travers la liberté et la luxure, cette
génération sera disposée au salut en comprenant son échec, avant de passer dans
l’autre monde.
3. La maladie d’un individu est
pour lui d’une manière personnelle, signe de la proximité de sa propre fin qui
est d’une certaine manière la fin du monde ; mais elle l’est aussi pour tous
puisque qu’elle rappelle à l’humanité qu’elle est elle-même passagère.[1342]
4. La famine peut être
spirituelle chez ceux qui oublient Dieu ou matérielle chez ceux qui sont dans
la misère. En tant qu’elle trouve son origine dans le péché de l’homme, elle
est signe du désordre qui règne dans le monde ; En elle-même, elle manifeste à
l’homme la fragilité de sa vie terrestre et annonce sa fin prochaine et la
venue du jugement dernier.
5. La dernière génération,
efféminée par le confort, vivra ces catastrophes de manière psychologique et
spirituelle, la famine –par exemple- concernant la recherche du sens à sa vie.
Or la souffrance psychologique et spirituelle est beaucoup plus douloureuse que
la famine matérielle accompagnée d’espérance. C’est pourquoi le cœur de ces
gens sera souvent errant et douloureux. Les drogues et le suicide, qui
permettent de fuir un présent insensé, seront l’une des marques du temps de la
fin.
Objections :
1. Il semble qu’on ne doit pas
compter les guerres parmi les signes de la fin du monde mais plutôt parmi ceux
qui manifestent la dureté du cœur de l’homme dont elles sont l’effet.
2. La paix civile est un fruit
de la concorde des volontés. Elle est donc un bien tant par sa cause que par
ses effets puisqu’elle permet à chacun de vivre harmonieusement. Il n’est donc
pas juste de parler de fausse paix.
3. Une fausse paix ne doit pas
être considérée comme le signe du retour du Christ. Comme on l’a vu, les signes
seront donnés à l’homme principalement pour qu’il s’amende avant qu’il ne soit
trop tard. Or la paix du monde fait oublier aux hommes l’existence de Dieu,
puisqu’ils peuvent vivre heureux sur la terre en se passant de son aide.
Cependant :
Le Seigneur dit en saint Matthieu[1343] : « Vous aurez aussi à entendre parler de guerres et de rumeurs de
guerres : voyez, ne vous alarmez pas, il faut que cela arrive, mais ce n’est
pas encore la fin ».[1344]
Et ailleurs[1345] : « Lorsque l’on dira paix et sécurité, c’est alors que fondra sur
eux tout d’un coup la perdition, comme les douleurs de la femme enceinte, et
ils ne pourront y échapper. » Donc...
Conclusion :
Le mot guerre peut prendre deux significations, selon qu’elle est
extérieure ou invisible.
1° Si l’on parle des guerres
extérieures, on peut dire ceci. Il y a toujours eu des guerres et il y en aura
toujours puisqu’elles trouvent leur origine dans la convoitise du cœur de
l’homme par rapport aux biens de ce monde[1346]. Dans l’histoire de
l’humanité, il y eut un seul moment d’accalmie provisoire, lors de la naissance
du Christ ; grâce à une paix imposée par la force des armes. Mais cette paix ne
fut qu’apparente et fondée sur la puissance de l’Empire romain. Si l’on en croit
les prophéties, la guerre ira en empirant jusqu’à la fin du monde, au point de
devenir mondiale, selon l’Apocalypse[1347] : « Des esprits démoniaques, des faiseurs de prodiges iront
rassembler les rois du monde entier pour la guerre. » Il y aura, vers la fin du monde, une dernière guerre plus
terrible que les autres. Elle sera terrible par son ampleur puisqu’il semble
qu’elle doive opposer le monde séparé en deux camps[1348]. Elle le sera aussi par ses
motifs puisque celui qui la déclenchera ne visera pas seulement à imposer au
monde une suprématie politique, mais aussi une suprématie idéologique. Ce sera
donc la guerre de l’Antéchrist, comme nous le verrons plus loin.[1349] Il semble que cette
dernière lutte orchestrée par le démon et dirigée par l’Antéchrist, réussira provisoirement,
au point de faire régner sur le monde un ordre nouveau où Dieu sera absent[1350] : « Par ses manœuvres, tous, petits et grands se feront marquer sur
la main droite et sur le front, et nul ne pourra rien acheter ni vendre s’il
n’est marqué au nom de la Bête ou au chiffre de son nom. » Il y aura donc une fausse paix, fondée sur l’ordre des intérêts
communs et non sur l’ordre de la charité. Alors le Christ reviendra dans sa
gloire, surprenant les hommes qui l’auront oublié.
2° C’est pourquoi, il faut
parler vers la fin du monde d’une absence de guerre extérieure et d’une fausse
paix qui sera en fait une autre guerre. L’Antéchrist, pour imposer son monde
parfait d’où Dieu sera absent, fera une guerre "politique" efficace à
ce qui porte le nom de Dieu. Il devra pour cela commencer par étouffer
l’instinct de Dieu qui subsiste dans tous les cœurs. Dans un monde en apparence
paisible, il règnera donc la pire des guerres puisqu’elle sera déclarée contre
Dieu et l’âme humaine.
Solutions :
1. La guerre extérieure
manifeste par soi la proximité de la fin du monde, non seulement à chaque
individu qui est amené à penser à sa propre mort[1351] mais aussi pour les nations
dont le destin dépend du sort des armes. Mais la dernière de toutes les
guerres, celle qui sera conduite par l’Antéchrist sera signe de la fin du monde
jusque dans le péché qui en sera la cause puisqu’il désirera faire disparaître
de la terre entière les religions qui adorent Dieu, pour les remplacer par le
culte de la puissance de l’homme, de la matière et du démon[1352] : « On lui donna de mener campagne contre les Saints et de les
vaincre. On lui donna pouvoir sur toute race, peuple ou nation. Et ils
l’adoreront, tous les habitants de la terre.
» Il n’est cependant absolument pas évident, à cause des paroles mêmes de
Jésus, qu’il faille interpréter cette dernière guerre comme une guerre
extérieure et armée. En cela, les témoins de Jéhovah et les protestants
fondamentalistes oublient que les paroles de Dieu, même si elles prennent la
plupart du temps un sens matériel, sont d’abord des paroles qui concernent la
lutte de la damnation et du salut.[1353]
2. La paix civile n’est pas
toujours la paix selon Dieu. Au plan politique, elle peut être une vraie paix
comme on le vit à Babel où les hommes s’entendaient, tout en constituant un
danger au plan du salut éternel. C’est le cas lorsque les hommes, se trouvant
invulnérables grâce à la paix, se mettent à se croire quelque chose. Dans ce
cas, une certaine concorde des volontés peut exister et conduire à une paix
civile, sans pour autant mener à la vraie paix qui est fondée sur la charité.
Il en sera ainsi, grâce à des accords mondiaux, vers la fin du monde. Mais une
telle paix est fausse aux yeux de Dieu si elle conduit une génération à sa
perte.
3. La fausse paix peut conduire
l’homme à oublier provisoirement l’existence de Dieu, puisque, grâce à la
prospérité matérielle qu’elle amène, elle lui permet de se passer du secours de
la Providence en ce qui concerne son être charnel. Cependant, selon qu’il est
un être spirituel, l’abondance des biens de ce monde ne peut le rassasier. Il
peut donc être amené par le vide spirituel qu’il ressent en lui, à chercher
Dieu. Cependant, une telle recherche de Dieu dans la prospérité étant
exceptionnelle, à cause de la nature sensible de l’homme, la paix extérieure
n’est jamais de longue durée. Il en sera de même pour la dernière paix, celle
qui précèdera immédiatement la venue glorieuse du Christ. Elle sera brisée par
l’apparition de signes célestes puis du signe du Fils de l’homme, qui provoqueront
l’effroi chez beaucoup et les amèneront à se convertir de leurs péchés ou, au
contraire, à s’obstiner dans leur orgueil.
Objections :
1. Selon saint Jean[1354] : « Beaucoup de faux prophètes sont venus dans le monde. À ceci
reconnaissez l’Esprit de Dieu : Tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans
la chair est de Dieu et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de
Dieu, c’est là l’esprit de l’Antéchrist.
» Il y a toujours eu des faux prophètes. On ne doit donc pas les considérer
comme un signe de la fin du monde.
2. Il semble que seul
l’Antéchrist sera signe de la fin du monde à cause de la passion qu’il fera
subir à l’Église de Dieu. On ne doit pas en dire autant des autres faux
prophètes.
Cependant :
Le Seigneur dit[1355] : « Il surgira des faux Christ et des faux prophètes qui produiront
de grands signes et des prodiges, au point d’abuser, s’il était possible même
les élus. »
Conclusion :
Tout au long de l’histoire, le Seigneur donne la possibilité à de
nombreux faux prophètes de venir. Ils reçoivent un temps et un espace limité,
sauf à la fin du monde où le dernier convaincra presque tout l’espace de la
terre, pour un certain temps.
Cette possibilité vient de Dieu selon cet enseignement de Jésus[1356] : « Tu
n'aurais aucun pouvoir sur moi, si cela ne t'avait été donné d'en haut. » Et ceci est bon pour le salut
des hommes.
1° Pour les pervers, le fait de vivre dans
l’erreur est source de beaucoup d’autres erreurs et de souffrances qui rongent
leur vie et, par la même occasion, leur orgueil : « Voilà pourquoi, dit saint
Paul[1357], Dieu leur envoie une influence qui les
égare, qui les pousse à croire le mensonge, en sorte que soient condamnés tous
ceux qui auront refusé de croire la vérité et pris parti pour le mal. »
2° Les justes, quant à eux, en suivant
sans intention de faire le mal ces fausses doctrines, voient grandir dans leur
cœur, de façon encore inconsciente, le désir du vrai salut. Voilà pourquoi
Jésus dit[1358] : « En vérité je vous le dis,
beaucoup de prophètes et de justes ont souhaité voir ce que vous voyez et ne
l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu! »
3° Quant aux saints, c’est-à-dire à ceux
qui aiment Dieu, les faux prophètes sont nécessaires
pour approfondir la qualité de leur foi. Par les enseignements qu’ils donnent,
les faux prophètes obligent l’Église à préciser le contenu du message dont le
dépôt a été confié par le Seigneur ; par la séduction qu’ils opèrent sur les
esprits, ils manifestent la fidélité de ceux qui sont prêts à tout plutôt que
d’adhérer à un autre évangile que celui du Seigneur, selon saint Paul[1359] : « Si un ange venu du Ciel vous annonçait un évangile différent de
celui que nous avons prêché, qu’il soit anathème. »
C’est encore pour le salut éternel du plus grand nombre que, vers
la fin du monde, Dieu laissera les hérésies se multiplier. Cela sera possible à
cause de l’action cachée du démon qui aura auparavant refroidi la charité chez
le grand nombre, selon saint Matthieu[1360]. Par ce moyen, Dieu fera
grandir dans l’âme des hommes un vide spirituel que rien ne pourra combler,
sauf la Parousie du vrai Sauveur. Quant aux prodiges qui accompagneront la
prédication des faux prophètes, ils auront leur origine dans la technique
humaine ou encore dans la puissance des démons et non dans l’action de Dieu. Il
sera donc possible, à ceux qui auront la foi, d’en déjouer la séduction.
Solutions :
1. Il peut exister deux
manières de ne pas confesser Jésus venu dans la chair :
1° Par simple ignorance, parce
qu’on n’en a pas reçu la prédication ou qu’on ne l’a pas comprise et alors on
n’est coupable de rien.
2° Par un refus de la volonté,
alors même que le message du Christ a été parfaitement manifesté, comme on le
voit chez certains prêtres du Sanhédrin qui avaient vu la résurrection de
Lazare. Alors il s’agit bien de l’esprit de l’Antéchrist, c’est à dire de celui
qui s’oppose lucidement et volontairement au Christ et à la charité. Un tel
faux prophète est signe de la fin du monde car il manifeste l’imminence du
combat final opéré par le Christ lorsqu’il séparera le méchant des bons.
2. Le dernier Antéchrist
réunira par sa doctrine l’essence de toutes les hérésies. En ce sens, il sera
le plus grand des faux prophètes. Comme les autres faux prophètes, il sera
signe de la fin du monde puisqu’il manifestera à ceux qui croient la présence
cachée mais agissante du démon qui, sentant son temps compté, s’efforce de
détourner les hommes du salut par tous les moyens.
Objections :
1. L’apostasie peut atteindre
divers degrés de gravité : On peut se retirer de Dieu en perdant la charité
mais en gardant la foi ; on peut se retirer de lui en perdant à la fois la
charité et la foi ce qui semble être la pire des apostasies puisqu’il ne reste
rien de l’union à Dieu. Il ne peut donc y avoir d’apostasie plus grande que
celle là.
2. Il semble qu’une apostasie
générale à la fin du monde est peu probable, Le Seigneur annonce en effet qu’au
même moment l’évangile sera prêché à toutes les nations.
3. L’apostasie consiste, alors
qu’on a adhéré à Dieu, à le rejeter. Elle ne semble donc pas être un signe du
retour du Christ qui devrait revenir au contraire au moment où tous les hommes
seront prêts à le recevoir.
Cependant :
L’apôtre écrit dans l’épître à Timothée[1361] : « L’Esprit dit expressément que, dans les derniers temps, certains
renieront la foi pour s’attacher à des esprits trompeurs et à des doctrines diaboliques,
séduits par des menteurs hypocrites marqués au fer rouge dans leur conscience. »
Conclusion :
La charité est le lien qui maintient solidement l’édifice de la
vie chrétienne. Or, elle est une vertu théologale dont l’exercice s’entretient
par la ferveur de la prière qui unit à Dieu et de l’attention aux frères qui
unit au prochain. Lorsque la charité est forte dans le peuple, la foi est
inébranlable. Mais lorsque la charité s’attiédit, c’est l’Église tout entière
qui devient vulnérable.
Or, d’après le Seigneur, la charité se refroidira chez le grand
nombre vers la fin du monde. La perte du sens de Dieu et du prochain aimé comme
enfant de Dieu amènera donc la perte du sens de la foi et les faux prophètes en
profiteront pour introduire leurs doctrines nouvelles. Cependant, dans la
première Epître à Timothée, l’apôtre parle de doctrines diaboliques. On peut
donc penser qu’il ne s’agira pas seulement de nouvelles hérésies concernant la
foi mais aussi des doctrines de l’Antéchrist qui s’opposeront directement à la
vie de la grâce puisqu’elles proposeront à l’homme comme unique finalité le
culte de soi-même. L’histoire de l’Église nous montre que cela s’est réellement
passé ainsi, jusqu’à la disparition de certaines chrétientés. Le premier travail
du démon pour détruire une chrétienté consiste à remplacer la prééminence des
deux commandements de la charité par autre chose : Le zèle de la vérité, la
vertu, l’obéissance, le social, la mystique etc. tout sauf ces deux
commandements qui en font un.
Solutions :
1. L’apostasie qui consiste à
rejeter de son esprit toute union à Dieu, à la fois par la charité et la foi,
est la pire qui puisse exister. Cependant, une telle apostasie ne vient jamais
seule. Elle est motivée par un amour des biens de la terre qui mène d’abord à
la négligence par rapport aux devoirs de la prière, puis à la perte du goût de
Dieu et de ses commandements. Elle ne vient pas non plus d’un coup. Dans les
chrétientés, la dégradation commence toujours par un zèle de Dieu faussé de la
manière suivante : la charité des deux commandements, insensiblement, n’est
plus la fin première de la vie. On la remplace par quelque chose qui lui
ressemble. On oppose par exemple, les deux commandements, en donnant plus de
place à l’un et en négligeant l’autre. On assiste en général, au balancement
d’hésitation entre la recherche de l’ordre et celle de la liberté. Dans les
deux cas, ce n’est plus l’Évangile qui est servi, mais sa caricature à travers
des valeurs évangéliques certes, mais dont la vie venait de la charité
théologale. Alors la voie est ouverte à d’autres décadences bien plus graves
et, surtout, au rejet opposé par les générations suivantes, des excès faits
dans un sens. Au terme de cette évolution qui peut prendre plusieurs siècles,
lorsque la conversion aux biens de la Terre est parfaite, l’apostasie trouve
son achèvement dans le mépris volontaire de Dieu.
2. L’histoire de l’Église
montre que lorsque l’Évangile devient religion officielle d’un État, la qualité
de la charité a du mal à ne pas en être affectée. La raison en est que la
plupart des hommes vivent dans le sensible. En conséquence, le sel de
l’évangile s’affadit. L’apostasie des élites peut conduire rapidement à
l’apostasie des masses, surtout si le visage de la religion apparaît déformé à
cause de la tiédeur de ceux qui la pratiquent. Dans cette situation, la
prédication des apôtres porte peu de fruits, les gens étant comme immunisés à
la nouveauté du message. Nous en avons l’exemple dans l’Évangile[1362] : « En ce lieu, Jésus ne pouvait faire aucun miracle. »
3. Il convient que le Christ
revienne à un moment où l’humanité l’aura en grande partie oublié. De cette
façon, la grandeur de la miséricorde de Dieu sera manifestée avec puissance
puisqu’il réalise ses promesses alors que l’homme ne le mérite pas. Dieu est
fidèle à son Alliance car il aime l’homme, selon saint Paul : « La preuve que Dieu nous aime, c’est
que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. » De même, alors que l’homme sera
retombé dans son péché, il reviendra et se révèlera à lui.
Objections :
1. Il ne semble pas que
l’humanité à la fin du monde sombrera dans le péché. Au contraire, il est dit
que l’Évangile sera prêché à toutes les nations.
2. Que l’homme puisse oublier
sa foi jusqu’à apostasier est une chose mais qu’il aille jusqu’à diriger son
intention vers le péché est pire et paraît improbable pour un peuple que le
levain chrétien a longuement mûri.
3. L’Église mûrit l’humanité au
point de l’amener à une morale de vie qui est surnaturelle. Si donc le monde
doit sombrer dans le péché, cela ne viendra pas des nations chrétiennes mais
d’ailleurs.
Cependant :
Saint Paul affirme dans la seconde épître à Timothée[1363] : « Les hommes seront égoïstes, cupides, vantards, orgueilleux,
diffamateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, sacrilèges, sans cœur, sans
pitié, médisants, intempérants, intraitables, ennemis du bien, délateurs,
effrontés, aveuglés par l’orgueil, plus amis de la volupté que de Dieu, ayant
les apparences de la piété mais reniant ce qui en est la face ».[1364]
Conclusion :
Si l’on en croit les prophéties, la fin du monde sera précédée par
des moments difficiles. L’humanité, entraînée par l’esprit de l’Antéchrist, sombrera
dans le péché. Or, auparavant, l’histoire nous enseigne que l’humanité a connu
un état de perfection spirituelle[1365]. Aucune communauté humaine
passe d’un état où la charité est le tien social à l’état inverse, cela ne peut
se faire que progressivement. Selon Origène[1366] : « Celui qui atteint un état de perfection de la charité ne va pas
abandonner et tomber subitement ; mais il est nécessaire qu’il descende peu à
peu et graduellement. » On peut
distinguer quatre étapes, dont trois sont déjà réalisées :
1° Ce qui est atteint en
premier lieu dans une telle dégradation, c’est le lien qui donne cohésion au
tout, c’est-à-dire la charité. C’est ce que veut dire le Seigneur quand il
annonce que la charité du grand nombre se refroidira.
Cela peut venir d’un excès de soucis pour les plaisirs et les
activités du monde qui amènent la communauté à négliger la prière et la
pratique des sacrements. C’est ce que la Bible rapporte du peuple d’Israël qui,
lorsqu’il était dans la prospérité, était amené insensiblement à négliger le
Temple. Et la somme de ces négligences qui sont des péchés véniels en arrive à
atteindre la ferveur de l’espérance car l’homme espère moins posséder ce qu’il
aime moins. Ainsi, celui qui est tout à fait heureux oublie l’au-delà puisque
la béatitude du Ciel ne lui paraît pas désirable comparée à celle qu’il a déjà.
En troisième lieu, c’est la foi qui se trouve fragilisée puisque celui qui
néglige de fréquenter Dieu par la prière perd la confiance absolue en celui
qu’il aime moins. Ainsi, le doute peut s’introduire et par le doute, la voix
des faux prophètes peut progressivement achever l’œuvre de destruction ainsi
commencée.
Mais cela peut venir aussi de l’orgueil et de la soif du pouvoir.
On met son zèle mauvais pour Dieu, mais on ne sert en fait que soi-même. La
religion devient le prétexte pour s’imposer aux nations ou au prochain. Dans ce
cas, loin de produire des fruits de paix, l’image de la charité devient celle
d’un amour pervers et la méfiance des peuples à l’égard de la religion devient
naturelle[1367].
2° C`est ainsi que, parvenus à
cette étape, l’humanité se trouve préparée à subir des attaques plus directes
de la part de l’Esprit de l’Antéchrist. De même que, chez un individu, la somme
des péchés véniels dispose au péché mortel, de même, pour une société humaine,
le démon s’efforce de totalement couper ses liens qui la maintiennent unie aux
restes de la morale et de la foi enseignée par Dieu. C’est ainsi que le démon
qui inspire les faux prophètes, s’efforçant, en premier lieu de rendre insupportables
les jougs de Dieu : la charité est présentée sous l’image de ses caricatures
comme un lien insupportable pour la vie humaine ou sous sa vraie image comme
antihumaine puisqu’elle exige de chacun qu’il soit disposé à donner sa vie pour
son prochain ; de même, la foi est rejetée puisqu’elle est présentée comme
s’imposant de l’extérieur à l’intelligence sans qu’elle soit capable par
elle-même d’en démontrer le contenu. Quant à l’espérance, elle est présentée
comme un moyen habile de faire oublier à l’homme sa misère d’ici-bas par la
présentation d’un hypothétique mirage de l’au-delà. Quand les paroles des faux
prophètes sont écoutées et acceptées par les élites, le grand nombre suit et
c’est l’apostasie généralisée.
3° Dans cet état, l’humanité
est immédiatement disposée pour entendre la prédication de divers
antichristianismes, c’est-à-dire de nouveaux évangiles qui puissent remplacer
l’ancien. Plusieurs recettes du bonheur peuvent être proposées au plan
politique, selon l’état des sociétés. Que ce soit l’argent (capitalisme,
marxisme), la gloire (nationalismes, nazisme), le plaisir (hédonisme de la
consommation ou du sexe), le point commun à tous ces Évangiles est que l’amour
de soi est présenté comme le bien qui conduit au salut de l’homme[1368]. Il s’agit du message
opposé à celui du Christ qui disait[1369] : « qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera. » Car en définitive l’œuvre du démon
dans sa destruction de l’humanité consiste à créer un monde où l’amour de soi
est exalté jusqu’au mépris de Dieu. C’est ce que veut dire l’Apôtre quand il
affirme que les hommes seront égoïstes. Leurs tentatives finissent par aboutir
à une meilleure compréhension de ce qu’il convient de faire pour réussir. Un
tel monde est montré par l’Écriture d’une manière préfigurative avec la tour de
Babel[1370], qui est la construction de
l’homme qui se fait Dieu. Cependant, un tel monde fondé sur l’équilibre des
individualismes ne peut connaître qu’une fausse paix. En effet, chacun cherchant
son bien propre, s’oppose à la propre recherche individualiste des autres.
Comme nous l’avons montré, les biens de la terre sont principalement les
plaisirs, les richesses et les honneurs. C’est ce que veut signifier l’apôtre à
propos de la fin du monde lorsqu’il dit que les hommes seront amis de la
volupté, cupides, vantards et orgueilleux. Tous les autres péchés décrits par
l’apôtre ne sont que les conséquences de ces péchés principaux, car celui qui
recherche un bien d’une manière égoïste est conduit insensiblement à utiliser
des moyens mauvais comme la diffamation, la rébellion à l’autorité des parents,
l’ingratitude, le sacrilège, la dureté du cœur, le mensonge, etc.
4° Enfin, les générations
passant, si l’on en suit l’Apôtre, une dernière étape peut venir, ultime
celle-là, révélant de manière explicite dans l’humanité devenue incapable de
résister, le Mystère de l’iniquité, c’est-à-dire la présence et le motif de la
révolte de Lucifer lors de la fondation du monde. Saint Paul semble affirmer que
Dieu permettra, à la fin du monde, la prédication d’un nouvel Evangile, celui
de Lucifer, à travers un ultime Antéchrist[1371] : « Avant la venue du Christ doit venir l'apostasie et se révéler
l'Homme impie, l'Etre perdu, l'Adversaire, celui qui s'élève au-dessus de tout
ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu'à s'asseoir en
personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. Et vous
savez ce qui le retient maintenant, de façon qu'il ne se révèle qu'à son
moment. Alors l'Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le
souffle de sa bouche, l'anéantira par la manifestation de sa venue. »
Solutions :
1. Que l’Évangile doive être
prêché à toutes les nations ne veut pas dire qu’il sera accepté. De même, s’il
est accepté cela ne signifie pas qu’il sera universellement gardé. C’est ce
qu’enseigne le Seigneur par la parabole du semeur[1372] : « La semence qui est tombée dans les épines, ce sont ceux qui ont
entendu, mais en cours de route les soucis, la richesse et les plaisirs de la
vie les étouffent et ils n’arrivent pas à maturité. » Mais cette parole peut signifier que, pour en manifester la
vérité, Dieu permettra vers la fin du monde que tout homme ait physiquement
entendu prêcher l’Évangile, grâce au travail d’un ou plusieurs apôtres
médiatiques.
2. Il est vrai que la foi et la
morale chrétienne mûrissent l’humanité à cause de leur perfection. Mais elles
ne peuvent être vécues que si la charité les vivifie de l’intérieur. Quand la charité
disparaît, et avec elle la grâce efficace de Dieu, l’homme ne peut plus vivre
des exigences du Christ. C’est ce qu’on voit lorsque les États chrétiens sont
conduits par une nécessité populaire à adopter des lois qui sont moins
évangéliques mais plus adaptées à la faiblesse humaine, comme la possibilité de
divorcer, de se remarier et d’autres choses du même genre. Cependant,
l’individualisme progressant, les États peuvent être conduits à sombrer dans
une morale qui n’est plus simplement humaine, mais proprement païenne : ainsi
voit-on parfois des nations légaliser à nouveau des pratiques depuis longtemps
disparues, poussée par la nécessité populaire (élimination, par exemple, des
individus gênants comme les enfants non désirés, les handicapés, les improductifs).
Mais une telle évolution se fait progressivement. Il faut en effet une lente
préparation des esprits pour passer d’une morale chrétienne fondée sur la
charité à une morale humaine réglée par les exigences de l’amitié ou de la
justice et enfin tomber dans les excès de l’individualisme païen. Ainsi,
concernant les enfants, la pratique de l’avortement précède celle de
"l’exposition" car il faut une plus grande insensibilité pour être
capable de supprimer un être qui est déjà né.
3. La maturation apportée par
l’Évangile n’est jamais achevée tant que l’homme est sur la terre. Elle a
toujours à lutter contre quelque reste du péché. Et c’est cette maturité
elle-même qui conduit l’homme à pécher plus gravement lorsqu’il détourne son
cœur des exigences de la charité. Il le fait en effet avec plus d’intelligence
et de maîtrise de soi. C’est pourquoi saint Jean écrit à propos des antéchrists[1373] : « Ils sont sortis de chez nous.
» On doit conclure de tout cela que la perversion qui conduira le monde au
péché viendra en premier lieu des nations chrétiennes.[1374]
Il nous faut maintenant voir en détail les signes de la fin des
fins, c’est-à-dire ceux annoncent non seulement la fin de chaque génération
mais la fin de la dernière génération. Ils concernent d’abord les diverses
religions et en particulier le judaïsme ; ils concernent aussi l’Église
catholique et les Églises chrétiennes séparées ; ils concernent enfin la vierge
Marie, l’Antéchrist et le signe du fils de l’homme.
A propos des différentes religions, nous verrons neuf questions :
1° Les autres religions
sont-elles bonnes ?
2° Viennent-elles de Dieu ?
3° À la fin du monde, y
aura-t-il d’autres religions que celle du Christ ?
4° Y aura-t-il des signes dans
les diverses religions ?
5° La religion islamique
vient-elle de Dieu ?
6° Y aura-t-il des signes
concernant l’islam ?
7° Fallait-il que le judaïsme
subsiste après la venue au Christ ?
8° À la fin du monde, y
aura-t-il des signes concernant le judaïsme ?
9° Peut-on savoir de quelle
manière Israël se convertira au Christ ?
Objections :
1. Cela ne semble pas d’après
la sagesse[1375], « les idolâtres vont jusqu’à adorer les bêtes les plus odieuses. » C’est pourquoi ils sont qualifiés
d’insensés. Or il ne peut y avoir aucun bien dans une religion qui adore du bois,
de la pierre ou même des démons.
2. Le Seigneur dit que celui
qui ne croira pas sera condamné[1376]. Or celui qui ne croit pas
au Christ peut appartenir à une autre religion. Il ne sera donc pas sauvé. Donc
une religion qui ne mène pas au salut ne peut être bonne.
3. Les religions comme
l’Hindouisme ne peuvent être bonnes puisqu’elles adorent de multiples dieux et
non le Dieu unique. D’autre part, elles enseignent de multiples hérésies comme
la réincarnation et la loi du Karma qui plongent les hommes dans un fatalisme
et empêchent les efforts contre la misère.
4. Les religions qui prétendent
remonter à Dieu par le seul effort de l’homme ne peuvent être bonnes puisqu’il
appartient à Dieu de se révéler à qui il veut, par le don de sa grâce et de sa
gloire. Elles conduisent l’homme à la présomption puisqu’il croit pouvoir
atteindre par lui-même ce qui est hors de sa portée.
5. Etablir une hiérarchie des
religions paraît bien présomptueux et loin du jugement de Jésus lui-même qui,
face aux Docteurs arrogants montrait une femme païenne en disant[1377] : « En vérité, je vous le dis, chez personne je n'ai trouvé une telle
foi en Israël. »
6. L’athéisme est parfois comme
une forme de religion. Des gens croient, comme mus par une foi, que Dieu ne
peut exister puisqu’il est caché et que la mort triomphe en fin de compte. Or
ces gens sont conduits soit à vivre au jour le jour dans un bonheur immédiat,
soit à être rongés d’angoisses sur leur sort final. Donc cette forme de
religion là est mauvaise.
7. Le dernier Antéchrist
établira sur terre le culte lucide de Lucifer, comme Dieu de la liberté et de
la fierté solitaire. C’est la religion de l’enfer. Quel bien peut-il y avoir en
elle puisqu’elle conduit en enfer ?
Cependant :
Le Seigneur dit en saint Jean[1378] : « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas dans cet enclos. » Il sous-entend donc qu’il existe d’autres
enclos où ses brebis sont gardées en attendant sa venue. Donc les autres
religions ont quelque chose de bon.
Conclusion :
D’après le concile Vatican II[1379], il existe une bonté réelle
dans les autres religions puisque les hommes « en attendent la réponse aux énigmes cachées de la condition
humaine, qui, hier comme aujourd’hui troublent leur cœur. » On peut établir d’une certaine manière une hiérarchie entre les
religions en fonction de ce qu’elles enseignent du mystère de Dieu, et de la
proximité qu’elles permettent avec Dieu. Ce sont ces deux critères, en effet,
qui rendent, en soi, une religion supérieure à une autre. Il convient de
remarquer que ce critère ne signifie pas que les membres de cette religion
supérieure en soi sont plus grands aux yeux de Dieu parce qu’ils appartiennent
à cette religion. Dieu juge le cœur des hommes et un païen humble est plus
grand à ses yeux qu’un chrétien pervers.
1° Le degré le plus bas des
religions se trouve dans les sectes, c’est-à-dire dans ces religions dont le
chef se fait Dieu, allant jusqu’à confisquer le libre arbitre de ses fidèles.
Toutes les religions, et même les sectes, ont en commun le sens de l’existence
de quelque chose qui dépasse l’homme et peut le sauver de la mort. En ce sens,
toutes ont un fondement qui est bon puisqu’il répond à la soif naturelle de
l’homme vers l’éternité.
2° Ce sens du sacré qui
demeure à travers toutes les religions peut être perverti et conduire à
l’adoration de réalités qui ne sont pas Dieu comme on le voit dans l’idolâtrie
ou dans le culte des esprits. Les anciennes religions liées à la sorcellerie et
les sectes rendent l’homme esclave. Mais elles gardent au plan du salut deux
vestiges du bien : En maintenant l’homme en esclavage, elles le disposent à se
tourner avec joie vers la liberté de l’Esprit quand elle sera révélée. D’autre
part, elles lui apprennent à se garder de l’orgueil face à la puissance de
forces qui les dépassent. C’est ainsi que Dieu permet l’existence provisoire de
certaines sectes idolâtres.
3° Bien au-dessus de ces
idolâtries, on peut classer les panthéismes. Le sens religieux de l’homme peut
le conduire à une recherche plus affinée, exprimée à travers un langage plus
élaboré. Certaines religions, sans comprendre l’existence d’un Dieu personnel,
n’en ont pas moins deviné la grandeur du transcendant. Ainsi, « dans
l’Hindouisme, les hommes scrutent le "mystère" et l’expriment par la
fécondité inépuisable des mythes et par les efforts pénétrants de la
philosophie ; ils cherchent la libération des angoisses de notre condition,
soit par les formes de la vie ascétique, soit par la méditation profane, soit
par le refuge en Dieu avec confiance et amour. Dans le Bouddhisme, selon ses
formes variées, l’insuffisance radicale de ce monde changeant est reconnue et
on enseigne une voie par laquelle les hommes, avec un cœur dévot et confiant,
pourront acquérir l’état de libération parfaite ou encore atteindre
l’illumination suprême par leurs propres efforts ou par un secours venu d’en
haut".[1380] Ces religions sont grandes
et protégées par Dieu car elles disposent leurs fidèles au salut en leur
apprenant une humilité et une droiture volontaire.
4° Elles ont le défaut de ne
pas connaître l’existence du Créateur et son salut. C’est pourquoi, leur est
supérieure la religion naturelle qui trouve son origine dans la découverte
personnelle, à partir de l’ordre étonnant de l’univers, de l’existence d’un
Créateur. Ainsi les philosophes Platon, Aristote, et même Albert Einstein
furent-ils conduits à contempler l’Être Premier dans sa simplicité, sa
perfection et sa bonté.
5° Au-dessus, on trouve des
religions qui, ne s’appuyant pas sur la seule raison, dépassent certaines
obscurités inaccessibles. Elles cherchent et proposent quelque explication aux
mystères comme la souffrance et le silence de Dieu. Toutes ne sont pas
révélées, beaucoup sont un mixe d’inspirations divine et d’inventions
imaginaires. La religion de l’Égypte antique, par exemple, au moins dans sa
conception sacerdotale et avant sa décadence en superstition, allait jusqu’à comprendre
l’existence d’une rétribution après la mort pour les actes commis (paradis et
enfer), d’un jugement dernier à la mesure de la droiture du cœur (Maât). Parmi ses dieux multiples,
l’imitation d’Osiris et d’Isis à travers leur amour, la passion et la
résurrection d’Osiris, n’était pas sans rappeler certains aspects du mystère du
Christ et de la Vierge. Elle n’est pas la seule.
6° Au-dessus, enfin, on trouve
les trois religions issues d’Abraham, l’homme qui eut la première Révélation
sur le mystère de Dieu. Elles sont essentiellement le judaïsme qui adore Dieu
comme celui qui est, le Dieu transcendant et unique qui s’engage à conduire
l’humanité vers un salut éternel, grâce à la promesse d’un Messie ; l’islam qui
adore le Dieu unique et miséricordieux qui a parlé en dictant son message à un
prophète. Le Dieu d’Abraham est adoré comme le créateur et aimé comme le
miséricordieux. Mais aucune de ces deux religions n’ose parler de la
possibilité de devenir l’ami
De manière personnelle et à travers sa fréquentation familière
(Agape) de Dieu. Elles arrêtent leur amour, par respect pour la transcendance,
à la vénération que peut avoir le serviteur devant son maître.
7° C’est pourquoi, au sommet de
toutes les religions de cette terre, le catholicisme et l’orthodoxie, et
probablement la Réforme telle que la pensa Luther[1381] confessent la possibilité
d’un amour réciproque, celui d’une créature libre et active qui peut répondre
d’égalité à l’amitié du Créateur, dans une intimité due à la communion de la
grâce. Catholicisme et orthodoxie ont gardé intact la finalité du salut, qui est l’amitié – au sens actif et concret- non
seulement avec Dieu, mais avec l’Eglise des saints du Ciel. Le catholicisme n’a
de supérieur aux autres chrétientés que le maintient de la totalité des moyens passagers du salut : 1° les sept aides sacramentelles, 2° le Magistère infaillible de Pierre
dans le domaine de la doctrine du salut, 3°
l’aide concrète et active des saints du Ciel, inaugurée à la croix par le « oui » de la vierge Marie – co-rédemption-, qui scella l’alliance
nouvelle.
On doit donc s’efforcer de reconnaître ce qui est vrai et saint
dans les religions, même si les manières d’agir et de vivre, les règles et les
doctrines diffèrent beaucoup de ce que l’Église enseigne et propose. Cependant,
malgré ces rayons de la vérité qui sont présents dans les religions, l’Église
croit avec raison et est tenue d’annoncer sans cesse que c’est le Christ seul
qui est "le chemin, la vérité et la vie".[1382]
Solutions :
1. Les idolâtres font de
statues de pierre ou de bois, fabriquées par leurs soins, leurs dieux. Les
adorateurs du démon subissent la tyrannie des esprits mauvais qui les
maintiennent sous l’esclavage des superstitions. Ces religions sont donc
mauvaises puisqu’elles soumettent l’homme à quelque chose qui lui est
inférieur. On doit donc s’efforcer d’en libérer leurs adeptes par un
enseignement qui manifeste la vanité de ces dieux et par la prédication de la
religion du vrai Dieu. Cependant en tant qu’il demeure par elles une certaine
sensibilité à cette force cachée qui est présente au cours des choses et aux
événements de la vie humaine, il existe dans le paganisme une certaine bonté
qui est un vestige du Verbe éternel illuminant tous les hommes.
2. Les religions ne peuvent en
elles-mêmes apporter le salut aux hommes puisque seul Dieu fait homme peut
introduire dans la vie éternelle. Cependant, par la bonté qui est en elles,
elles peuvent disposer favorablement
le cœur de l’homme à recevoir la prédication de l’Évangile du Christ, soit par
la parole des apôtres missionnaires, soit par Jésus lui-même au moment de la
mort. C’est de la même façon que le judaïsme, sans introduire dans le salut,
disposait les hommes à le recevoir. Quant aux hommes dont parle l’objection, ce
sont ceux qui méprisent la parole de Jésus alors même qu’ils savent qu’elle
vient de Dieu, ce qui est le péché contre le Saint Esprit dont nous avons
parlé.
3. À travers les multiples
dieux des polythéismes peut demeurer quelque chose de l’essence de l’unique
Dieu et de ses attributs principaux. De même les erreurs théologiques présentes
dans l’hindouisme disposent malgré tout au développement d’un sens de
l’humilité (kénose) de la condition humaine pécheresse, ce qui est essentiel
comme disposition au salut éternel.
4. Le désir qui fait chercher
Dieu vient lui-même de Dieu. Ainsi l’effort du philosophe qui établit
l’existence d’un Être Premier et celui de l’ascète qui essaie de s’unir à lui,
est bon. La présomption est autre chose : Elle consiste à mépriser toute aide
surajoutée par Dieu, même quand elle est proposée durant la vie ou à l’heure de
la mort. Au contraire, Dieu aime la bonne volonté des volontaristes. Il la
taille en la laissant s’user dans la faiblesse des résultats, jusqu’au jour où,
quand il se révèle, il sait être accueilli avec soulagement par le chercheur.
5. Une religion peut être
regardée de deux manières : en soi et à travers ses membres. En soi, une
religion est d’autant plus grande qu’elle s’approche du vrai Dieu, de son
humilité (kénose) et de son amour d’amitié (Agape). Selon ses membres, une
religion sera d’autant plus grande aux yeux de Dieu que ses membres seront
humbles et assoiffés d’amour. Face à la parousie du Messie, c’est cet ordre là
qui plaît à Dieu. Dans sa vie apostolique, Jésus ne cessait de distinguer ces
deux niveaux puisqu’il disait à la Samaritaine[1383] : « Le salut vient des Juifs »,
montrant la supériorité du judaïsme, tout en disant à ses disciples[1384] : « Méfiez-vous du levain des pharisiens », manifestant l’infériorité personnelle de beaucoup des docteurs
du judaïsme de cette époque.
6. L’athéisme est en lui-même
un mal puisqu’il prive totalement l’homme de la connaissance de la cause et du
Principe qui pourrait donner sens à sa vie. Cependant et par accident, il n’est
permis voire voulu par Dieu que parce qu’il peut produire un bien plus grand :
en coupant l’homme de ses racines et de sa fin, il produit un feu, qui comme
dans un purgatoire de silence, creuse le désir inconscient d’un salut. Saint
Augustin exprime l’effet de cet amour de Dieu non encore conscient de lui-même
dans ses Confessions : « Avant de te connaître, je t’ai aimé. » Cet
amour vient de l’essence de l’âme humaine qui est, par nature, faite pour
recevoir la grâce sanctifiante puis la gloire. Lorsque le Seigneur paraît, le
manque spirituel trouve donc son explication lucide et ceux qui sont de bonne
volonté se mettent à aimer, tel des ouvriers de la onzième heure, Celui qu’ils
attendaient sans le deviner.
7. On peut raisonner de la même
manière pour la religion du dernier Antéchrist. Elle est mauvaise dans la
proposition du faux Dieu qu’elle donne. Mais elle ne pourra apparaître qu’à
cause d’une racine bonne dans l’âme humaine -la soif pour un salut-. Elle sera
permise par Dieu car elle produira accidentellement un effet positif : ne
comblant pas l’esprit humain qui est fait, par sa nature et l’orientation de la
syndérèse, pour le vrai Dieu, elle n’en manifestera que davantage la grandeur
de l’apparition glorieuse du Messie.
Objections :
1. Cela ne semble pas. La
sagesse montre en effet comment naît le paganisme[1385]. « Voici un bûcheron : il prend un bois tordu et tout en nœuds.
Il le prend et le sculpte avec l’application des heures de loisir, il lui donne
figure humaine. Puis il lui fait une habitation convenable, le place dans un
mur et l’assure avec du fer pour qu’il ne tombe pas. Puis, s’il veut prier pour
ses biens, son mariage, ses enfants, il ne rougit pas d’adresser la parole à
cet objet sans vie. » Donc
l’idolâtrie vient des hommes.
2. Après le péché originel,
l’homme a été livré au pouvoir du démon. C’est pourquoi certains se sont mis à adorer
des idoles qui leur répondaient par l’action cachée des démons. Il semble donc
que les diverses religions viennent du démon.
3. D’après le philosophe
Feuerbach le désir naturel présent au fond du cœur de l’homme le pousse à
inventer l’existence d’un Dieu infini et immortel sur lequel il projette ses
idéaux inconscients. Or ce Dieu n’est autre que le Dieu des chrétiens. En
effet, que désire plus l’homme que l’idéal d’un paradis de Lumière et d’amour
avec sa famille ? Donc on ne doit pas dire que la religion du Christ vient de
Dieu.
4. L’Écriture Sainte rapporte
que bien des révélations furent données par les bons anges aux nations
païennes. Ainsi le pharaon reçut-il l’annonce de la grande sécheresse qu’allait
subir pendant sept ans son pays[1386]. De même on rapporte que la
Pythie de Delphes reçut de nombreux oracles sur la venue prochaine du Christ.
Donc les diverses religions viennent des bons anges.
5. Le Seigneur dit à propos des
brebis qui ne sont pas dans l’enclos de l’Église[1387] et qui sont donc dans d’autres
religions : « Celles-là aussi il faut
que je les mène et elles écouteront ma voix, et il y aura un seul troupeau un
seul pasteur. » Le Seigneur ne veut
donc pas qu’il y ait d’autres religions que la sienne. Donc les autres
religions ne viennent pas de Dieu.
Cependant :
Dieu est cause première des désirs de l’homme. Or l’homme est par
nature un être religieux. Donc les religions ont leur origine première en Dieu.
Conclusion :
Pour discerner l’origine des multiples religions du monde, il faut
considérer deux choses :
1° Ce qu’elles ont de commun,
et qui est une recherche de ce qui est au-dessus de l’homme.
2° Ce qui les différencie et
qui est la forme particulière de chacune d’elles.
Si l’on regarde ce qu’elles ont de commun, alors on doit dire que
toutes les religions ont leur origine première en Dieu. En effet, c’est Dieu
qui a créé l’homme et est cause première du désir naturel de son âme qui le
pousse à le rechercher. Et ce désir naturel de Dieu qui est fondé dans un
habitus entitatif de l’âme, fait que l’homme est par nature un animal
religieux. Il ne trouve de repos quant à son esprit que lorsque son
intelligence connaît la Vérité éternelle et lorsque sa volonté adhère au Bien
absolu.
Si l’on regarde maintenant les diverses manières par lesquelles l’homme
s’efforce de satisfaire son appétit religieux, alors on doit parler autrement.
Si l’on en croit les Écritures, l’homme et la femme reçurent au jour de leur
création, la révélation du Dieu unique dont ils connurent d’une manière
contemplative les attributs principaux. Cependant, après le péché originel, le
sens de la présence de Dieu disparut peu à peu, étouffé par les soucis du monde
et par les péchés actuels. L’humanité éprouva donc les tiraillements du désir
spirituel. L’intelligence des hommes ne trouva plus de réponses aux questions
fondamentales : - Qu’est ce que l’homme ? - Quel est le sens et le but de sa
vie ? - Qu’est ce que le bien, qu’est ce que le péché ? - Quels sont l’origine
et le but de la souffrance ? - Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur
? - Qu’est ce que la mort et ce qui la suit ? L’intelligence de l’homme n’étant
plus éclairée, l’existence humaine fut soumise à l’angoisse qu’est la peur d’un
mal possible et futur dont on ne connaît pas la nature et qui s’incarne en premier
lieu dans la peur de la mort. C’est pourquoi, étant à la recherche d’un certain
repos, et pour se rassurer, l’homme se donna à lui-même divers dieux
immédiatement adaptés à sa sensibilité. C’est ce qui est signifié dans le livre
de l’exode[1388] : « Aaron fit fondre l’or dans un moule et en fit une statue de veau.
Alors ils dirent : Voici ton Dieu, Israël, celui qui t’a fait sortir du pays
d’Égypte. »
Dans un second temps, parce qu’il s’affinait et se cultivait,
l’homme ne put plus se contenter de réponses aussi grossières. Cherchant une
réponse plus satisfaisante aux questions de l’existence, il fit des puissances
de la nature -comme les astres du ciel et les esprits angéliques- ses dieux, à
cause de l’efficacité qu’ils manifestaient sur sa vie.
Dans un troisième temps, et pour expliquer l’origine de
l’existence de ces divers dieux qu’il s’était donné, l’homme construisit des
explications en se servant de son imagination ou encore des enseignements des
esprits. C’est ainsi qu’apparurent le foisonnement des mythologies, où les
dieux sont présentés et adorés comme des hommes supérieurs. Il y eut même
quelques hommes pour inventer l’existence d’un Dieu unique, créateur des autres
dieux.
De ce qui précède, on doit conclure que les religions qui adorent
des idoles, des puissances de la nature ou des dieux mythiques, ont leur
origine dans l’homme, à cause de son désir religieux naturel ou encore dans les
démons qui s’appuient sur ce désir pour se faire adorer eux-mêmes comme Dieu.
D’autres hommes cependant, s’efforcèrent de chercher s’il existait
réellement un absolu capable de donner sens à la vie humaine, sans se laisser
emporter par les aveuglements de la passion. Par le raisonnement, ils
remontèrent progressivement à l’existence d’un Dieu unique, Créateur du Ciel et
de la terre et source de l’immortalité de l’âme. C’est ainsi qu’apparurent les
religions philosophiques. De telles religions ont leur origine à la fois dans
l’homme dont l’intelligence a la capacité naturelle de découvrir l’existence de
Dieu selon les paroles du Concile Vatican I, et de Dieu qui éclaire de sa
lumière toute recherche sincère.
Enfin, il existe certaines religions dont l’origine est en Dieu
seul, en tant qu’il prend l’initiative de se révéler à l’homme. Telle est la
religion d’Abraham qui se soumit à la parole d’un Dieu encore inconnu ; Telle
est aussi la religion juive fondée sur la parole communiquée à Moïse et la
religion chrétienne révélée par Dieu en tant qu’il s’est fait homme.
Solutions :
1. Comme on l’a dit,
l’idolâtrie a son origine dans le désir de l’homme qui fuit le mal de la peur.
Elle est une perversion d’un désir religieux naturel qui vient de Dieu.
2. Il est vrai que le démon
profita de la faiblesse de l’homme pour lui révéler diverses religions dont il
se faisait lui-même Dieu, espérant ainsi conduire plus efficacement le plus
grand nombre à la perte. C’est ce que montre l’Écriture quand elle décrit les
cultes dépravés offerts par les Syriens aux dieux Baal ou Astarté. Cependant,
on doit admettre que cette faiblesse trouvait son origine première dans
l’absence du vrai Dieu qui, à l’époque, cachait sa présence et laissait vide le
cœur de l’homme.
3. L’homme n’étant pas cause de
lui-même, il est impossible que le désir naturel qui le pousse vers le Dieu
unique et transcendant vienne de lui. Il vient donc de celui qui est cause de
sa nature et de l’existence de l’humanité tout entière, c’est-à-dire Dieu.
Quant à l’argument de Feuerbach, on peut le retourner de cette manière : comme
l’existence d’un appétit naturel n’est jamais vaine, on peut dire que le désir
naturel de Dieu est signe de l’existence de Dieu.
4. Parmi les mythes
innombrables des religions antiques, certains ont des fondements historiques.
C’est ainsi que presque toutes les traditions parlent du terrible déluge subi
par l’humanité dans le passé ; D’autres annoncent ou préfigurent les mystères
divins. Ceux-là peuvent être considérés comme en partie inspirés par les anges
du Seigneur. Cependant, il est difficile de les séparer des ajouts de
l’imagination humaine.
5. Les autres religions, y
compris le judaïsme, ne sont que des dispositions qui doivent conduire les
hommes à recevoir ce qu’elles espèrent, c’est-à-dire le Salut de Dieu.
La religion du Christ, bien qu’elle soit la seule à permettre dès
cette terre un cœur à cœur avec Dieu (ce qui est déjà le salut) disparaîtra
aussi sous sa forme passagère. Cela se produira en deux étapes : 1- d’abord, à
l’heure de la mort, parce que Dieu se montrera dans son humanité glorieuse. A
cette heure-là, il n’y aura plus qu’une seule religion, celle du Christ
glorieux, parce que chaque homme recevra ou rejettera son apparition dans les
Nuées du Ciel ; 2- Enfin, lorsque Dieu se montrera sans voile sous la forme de
sa divinité. Alors il y aura un seul troupeau, un seul pasteur.
Objections :
1. Il semble que toutes les
religions auront disparues pour laisser place à l’unique religion du Christ,
selon Jean[1389] : « Il y aura un seul troupeau un seul pasteur. »
2. Selon l’Apocalypse[1390] : « On donna à la Bête le pouvoir de mener campagne contre les
saints et de les vaincre ; on lui donna pouvoir sur toute race, peuple, langue
ou nation. » Il semble donc, que vers
la fin des temps, le démon et l’Antéchrist s’attaqueront à tout ce qu’il y a de
saint dans les religions du monde et réussira. Donc il ne subsistera pas de
religion en dehors de celle du Christ qui résistera selon le Seigneur « les portes de l’enfer ne
l’emporteront pas contre elle »[1391].
3. Lorsque le Christ viendra
dans sa gloire, l’Évangile aura été prêché à toutes les nations, selon ce qui
est écrit[1392]. Il n’y aura donc pas
d’autres religions que celle du Christ.
Cependant :
Le Seigneur a dit à ses apôtres[1393] : « En vérité, je vous le dis, vous n’achèverez pas le tour des
villes d’Israël avant que le Fils de l’Homme ne vienne. » Il semble donc qu’il restera encore des hommes qui pratiqueront
d’autres religions.
Conclusion :
Lorsque le Christ reviendra, il semble qu’il subsistera encore
d’autres religions que celle qu’il révéla aux hommes. Et on peut en donner
plusieurs arguments, bien qu’il soit impossible de conclure d’une manière
définitive en ces matières qui relèvent essentiellement de l’ordination de
Dieu.
1° La première raison est le
cœur de l’homme qui, tant qu’il vit sur terre, est incessamment tenté par
l’orgueil. Ainsi, un succès universel du catholicisme sur terre provoquerait
très vite un orgueil civilisationnel total chez les catholiques, avec toutes les
conséquences qu’on connaît : arrogance, violence, persécution de ceux qui
pensent autrement. C’est pourquoi le Seigneur ne promet le succès universel de
son message que dans l’autre monde, lorsque le cœur de l’homme aura été rendu
humble de manière stable.
2° Seconde raison :
ici-bas, de même que le levain de l’évangile ne finit jamais de transformer le
cœur d’un homme, mais garde toujours quelque chose à convertir en nous, de même
il ne peut jamais exister une communauté humaine pleinement gagnée au Christ.
C’est ce que montre le livre de l’Apocalypse, dans la lettre aux sept églises[1394] : Le Seigneur trouve à
chacune un reproche ou une recommandation. Et il est nécessaire qu’il en soit
ainsi car l’amour de la charité ne doit jamais s’arrêter dans sa lutte contre
les restes du péché sans quoi il court le risque de s’attiédir. De même, il est
convenable que le zèle apostolique des chrétiens soit sans cesse excité par
l’existence des non-chrétiens car l’Église, quand elle oublie les exigences
missionnaires données par le Seigneur, s’affadit dans son élan vers le Royaume
des cieux. Il demeurera donc toujours des religions différentes de celle du
Christ.
3° Enfin, comme nous l’avons
montré, il y aura vers la fin du monde un attiédissement de la charité chez le
grand nombre, suivi d’une grande apostasie et d’un retour des péchés des
nations antiques. Or l’expérience montre que lorsque l’homme oublie le Dieu
unique, il cherche à combler son désir religieux naturel en se façonnant
d’autres dieux. Ainsi le peuple Hébreu retournait-il sans cesse "à ses
prostitutions avec les idoles" selon Ezéchiel[1395]. On peut donc penser que,
vers la fin du monde, les hommes ne se contenteront pas du monde individualiste
et matérialiste mais que l’Antéchrist leur proposera une nouvelle religion apte
à combler leur soif de survie après la mort, selon l’Apocalypse[1396] : « Les hommes ne renoncèrent même pas aux œuvres de leurs mains :
ils ne cessèrent d’adorer les démons. Ces idoles d’or et d’argent, de bronze et
de bois. » Il se pourrait, si l’on
suit saint Paul[1397], que l’Antéchrist propose
la vie éternelle à travers la religion de Lucifer, l’ange qui exaltait la
dignité et la liberté plutôt que l’amour et l’humilité (kénose).
Solutions :
1. À la fin du monde, lorsque
le Christ reviendra dans sa gloire, il illuminera les hommes de la révélation
de son salut et tous les élus seront réunis dans la Cité Sainte, que la gloire
de Dieu illuminera et où tous les peuples marcheront à sa lumière. Ainsi, il
n’y aura plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur. Mais, auparavant, il
convient qu’il demeure diverses religions comme on l’a montré.
2. La puissance de l’Antéchrist
et de ses armées peut vaincre les religions selon leurs institutions
extérieures. Mais il ne peut arracher totalement du cœur le désir intérieur
infusé par Dieu et qui pousse à adorer en secret ce qu’on ne peut adorer
ouvertement. Et si l’on objecte qu’il peut arriver par ses séductions à
utiliser ce désir naturel en faisant que l’homme adore les biens de ce monde ou
encore les démons, on doit répondre qu’un tel culte, à cause de son caractère
insatisfaisant, ne peut séduire tout le monde, selon Ezéchiel[1398] : « Ainsi parle le Seigneur Yahvé : bien que j’envoie mes quatre
fléaux terribles, épée, famine, bêtes féroces et peste, vers Jérusalem pour en
retrancher bêtes et gens, voici qu’il s’y trouve un petit reste de survivants. »
3. Selon le Seigneur[1399]: « Les apôtres seront haïs de toutes les nations à cause de son
nom et beaucoup succomberont. » Il
semble donc que, si l’évangile doit être prêché partout, il ne sera pas accepté
partout.
Objections :
1. Cela semble improbable : ceux
qui ignorent complètement l’existence du Christ ne peuvent en aucune façon
recevoir des signes de son retour. Il ne convient donc pas qu’il y ait des
signes dans les religions païennes.
2. Le signe principal de la
venue du Christ sera apporté par les apôtres de l’Église qui prêcheront dans
toutes les nations. Il semble donc qu’il est inutile qu’il y ait des signes à
l’intérieur même des diverses traditions religieuses du monde.
Cependant :
Ninive la païenne fut avertie de se convertir à la voix du prophète
Jonas. Il semble qu’il en sera de même pour toutes les races de la terre à la
fin du monde.
Conclusion :
Comme on l’a dit, il convient que tous les hommes soient avertis
d’une manière ou d’une autre de leur fin prochaine et de la nécessité qui leur incombe
de se convertir. Ainsi Dieu adapte-t-il ses signes à la façon de penser de
chacun. Aussi donna-t-il aux mages de Chaldée qui étaient habitués à scruter
les étoiles, un signe astral par la création d’une nouvelle étoile qui se
déplaçait pour les conduire vers le Messie.
De même à la fin des temps, les adeptes des diverses religions
seront avertis par la réalisation de certaines prophéties contenues dans leurs
traditions. Ces prophéties et ces signes leur auront été préalablement donnés
par l’intermédiaire du ministère des anges dont le rôle est de veiller sur
toutes les nations de la terre.
Il existe des exemples modernes de ce genre de prophéties. Ils se
multiplieront au temps de la fin. Les Incas du XVIème siècle
reçurent semble-t-il jadis une prophétie à la fois proche de la réalité et
trompeuse[1400] : « Des dieux portant la barbe, montés sur de grands cerfs viendront
de l’Orient et apporteront le salut. »
Lorsqu’une armée de 200 espagnols apparut, il semble qu’ils crurent un temps
être face à la réalisation de ce texte. Les Indiens d’Amérique du sud sont
heureux d’avoir reçu le christianisme. Ils ont été délivrés à la fois des
sacrifices humains et du culte des démons. Mais le dieu de Pissarro était l’or.
Caché dans ce sillage de sang, le Christ se donna aux indiens. La prophétie se
réalisa spirituellement à la lettre mais, politiquement, elle aboutit à la
ruine d’une nation, donc à son humiliation en vue de son salut.
Solutions :
1. Ce qui est commun à toutes
les religions, c’est selon l’épître aux Hébreux[1401] « que Dieu existe et qu’il se fait rémunérateur de ceux qui le
cherchent. » Et cela peut être
considéré comme une foi implicite, dans ce sens que, lorsque la révélation leur
sera donnée par le Christ, ils y adhéreront explicitement. Il peut donc y avoir
dans les religions païennes des signes donnés par Dieu ou les anges, de la fin
du monde et du jugement.[1402]
2. La prédication des apôtres
constituera un grand signe pour les nations du monde entier. Cependant, elle ne
sera pas suffisante pour ceux qui ne recevront pas leurs paroles comme une
parole de Dieu. Il convient donc qu’ils soient avertis par des moyens
adaptés à leur sensibilité.
Objections :
1. Cela n’est pas possible.
L’islam enseigne en effet des hérésies concernant en particulier le mystère de
Jésus-Christ dont la divinité est niée explicitement. Or Dieu qui ne trompe
personne, ne peut avoir dicté dans le Coran quelque chose de faux.
2. L’islam s’est implanté dans
des nations qui avaient été originellement gagnées au Christ, supprimant les
Églises patriarcales en convertissant ses fidèles. Dieu ne peut avoir béni un
tel désastre pour son Évangile.
3. D’après saint Jean[1403], « le voilà l’Antéchrist : il nie le Père et le Fils. Quiconque nie
le Fils ne possède pas non plus le Père.
» Or l’islam nie que Dieu ait un Fils donc il vient de l’Antéchrist.
4. L’islam prêche la guerre
sainte qui lui permet d’implanter ses croyances par la force. Or Dieu ne
convertit personne par la force. C’est plutôt la méthode du démon selon
l’Apocalypse[1404] : « Nul ne pourra rien acheter ni vendre s’il n’est marqué du nom de
la Bête. »
5. L’histoire de l’Église
montre qu’il y a toujours eu des rivalités et des luttes entre les chrétiens et
les musulmans. Ainsi les papes durent-ils lever de nombreuses croisades. Ce qui
n’aurait pas eu lieu si l’islam venait de Dieu.
6. Les musulmans refusent le
mystère de la charité qui fait de l’homme un ami et même un époux de Dieu. Or,
celui qui n’aime pas Dieu ne peut entrer dans la gloire. Donc l’islam est une
religion mauvaise.
Cependant :
Le docteur de la loi Gamaliel, qui était un sage, disait aux membres
du Sanhédrin à propos de l’Église qui venait de naître : « Ne vous occupez pas de ces gens-là, laissez-les. Car si leur
propos ou leur œuvre vient des hommes, il se détruira de lui-même. Mais si
vraiment il vient de Dieu, vous n’arriverez pas à le détruire. Ne risquez pas
de vous trouver en guerre contre Dieu. »
Attention donc, dans ce débat théologique, aux passions
politiques. Ce dont nous parlons ici, c'est du salut éternel.
Conclusion :
À propos de
l’origine de l’islam, on serait, en tant que chrétien, tenté de répondre de manière simple
et définitive : « non. Il n’a pas de
rapport avec Dieu. » Comment Dieu
pourrait-il enseigner quelque chose de faux ? Dieu pourrait-il livrer des pans
entiers de la chrétienté à une telle chute de civilisation ? Cependant, nous
allons le voir, une réponse plus nuancée semble s'imposer. Comme dit saint Paul
(Romains 11, 33) : « Dieu est un abîme de
richesse et nul n'a saisi la profondeur de ses voies." Car
son seul but n'est pas la victoire, ici-bas, mais le salut très concret, dans
l'éternité, du plus grand nombre de ses enfants bien-aimés, quelque soit le
troupeau provisoire où il vit ici-bas.
Pour répondre à la
question de l’origine de l’islam, il est très difficile d’être absolument
concluant car l’Écriture Sainte et le Magistère de l’Église ne donnent pas
d’enseignements définitifs sur ce point. Cependant, depuis le concile Vatican
II, l’Église a reconnu la riche valeur de la foi et de la morale musulmane.
Donc, il convient d’avoir une attitude d’écoute humble et d’ouverture.
Il faut donc s’efforcer de
voir s’il existe des prophéties bibliques à propos de cette religion et si
l’islam se reconnaît dans ces prophéties. Or il est remarquable de constater
que la référence première des musulmans est le patriarche Abraham, et ils
désirent se soumettre à Dieu comme lui-même s’est soumis. Ils se disent Fils
d’Abraham en Ismaël. C’est donc du côté des promesses faites à
Abraham qu’il faut chercher.
L’Écriture Sainte nous rapporte qu’Abraham a eu deux fils et c’est
par ces deux fils que fut réalisée la promesse faite par Dieu de multiplier à
l’extrême sa descendance, au point de la rendre nombreuse comme les étoiles du
Ciel[1405]. Le premier fut appelé
Ismaël et fut conçu sans que Dieu en prenne l’initiative, mais par la volonté
d’Abraham et de Sara qui pensaient ainsi faire sa volonté. Il fut donné à
Abraham par l’intermédiaire d’une servante égyptienne nommée Agar. Le second
fils, appelé Isaac, fut annoncé par Dieu lors de son apparition au chêne de
Mambré sous la forme de trois personnes. Il fut conçu par la femme libre
d’Abraham, c’est-à-dire par Sara. Et Dieu dit à propos d’Isaac et d’Ismaël[1406] : « C’est par Isaac qu’une descendance perpétuera ton nom mais du
fils de la servante je ferai aussi une grande nation car il est de ta race. » Il y a là une allégorie qui concerne
les deux religions issues du Judaïsme, à savoir l’islam et le christianisme. En
effet, le christianisme fut créé immédiatement par Dieu et reçut la révélation
au Mystère de la Trinité symbolisé au chêne de Mambré par les trois personnes
qui étaient un seul Dieu. Les chrétiens sont appelés enfants de Dieu puisqu’ils
sont issus d’Abraham à travers son épouse sans passer par la servante. Quant à
l’islam, si on en croit cette prophétie il vient de l’initiative des hommes
mais Dieu le bénit après coup et le rendit extrêmement fécond à cause de la foi
que professait sa théologie, suivant en cela la conviction d’Abraham. Les
musulmans se nomment les serviteurs de Dieu, ce qui est symbolisé par leur mère
qui est l’esclave égyptienne Agar. Donc, d’après cette prophétie biblique,
l’islam, même s’il vient d’une initiative humaine, est béni après coup par
Dieu.
Solutions :
1. Il est vrai que l’islam
enseigne des choses parfois insuffisantes et souvent fausses sur le mystère du
Christ, de la Trinité et de la charité. On peut dire avec certitude que cette
religion n’a pu être directement dictée par Dieu, quoiqu’en dise Mohamed.
Cependant, les musulmans vénèrent Jésus comme prophète purement humain et ils
pensent qu’il est le Messie annoncé par Dieu. Ils honorent sa mère virginale,
Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le retour
du Christ et le jour du jugement où Dieu rétribuera tous les hommes
ressuscités. Ils sont donc disposés à accueillir favorablement la plénitude de
la révélation chrétienne, lorsqu’elle leur apparaîtra à fin du monde, leur
proposant de ne plus être de simples serviteurs, mais des amis.
Et le fait que l’islam n’a pas son origine première en Dieu ne
signifie pas qu’il n’a pu être béni par la suite. Au contraire, comme le montre
l’histoire d’Ismaël, il est convenable de penser que cette religion a été bénie
à cause d’Abraham, c’est-à-dire à cause de sa foi très pure dans le Dieu un,
vivant et subsistant, miséricordieux et tout puissent, créateur du Ciel et de
la terre, qui a parlé aux hommes.
2. Dieu peut parfois bénir ce
qui apparaît à un regard superficiel comme un désastre, à cause d’un bien plus
profond qu’il en fait sortir et qui a rapport avec le salut éternel des hommes.
Or, comme le rapporte l’histoire, l’Église chrétienne, au moment de la
naissance de l’Islam, dans sa partie située en Orient, s’enlisait dans des
discussions théologiques sans fin qui avaient abouti à l’apparition de
multiples hérésies et schismes. De plus, étant la religion officielle de l’Empire
Romain, elle attiédissait le feu de la charité par un souci trop grand des
choses de la politique. L’islam eut donc peu de peine à amener à elle les
foules, à cause de la ferveur de sa jeunesse. Le monde fut donc divisé en deux
religions qui, si elles voulaient subsister, devaient sans cesse réformer leurs
mœurs et convertir leurs regards vers Dieu. C’est de cette façon là que la
division peut être parfois voulue par Dieu, comme on le voit pour la nation
d’Israël après la mort de Salomon. Quant à la genèse de l’Islam elle est la
réalisation de la prophétie faite par Dieu à propos d’Ismaël[1407] : « Il s’établira à la face de tous ses frères. »
3. L’islam nie que Dieu ait un
fils, non par haine de Dieu mais à cause de leur zèle de Dieu : la raison en
est qu’ils n’ont pas compris l’essence du dogme de la Trinité. Selon eux, les
chrétiens croient en trois Dieux, dont le Fils est un fruit des amours entre le
Père et une femme, ce qui s’oppose à la foi au Dieu unique révélée en Abraham.
Cependant, on doit admettre avec saint Jean que puisqu’ils n’ont
pas compris le mystère du Fils de Dieu fait homme, ils ne connaissent pas non
plus le Père dont il est l’image. Ils adorent donc un Dieu qu’ils ne
connaissent pas, de la même manière que les Juifs selon la parole de Jésus.
4. Selon le Coran, la guerre
Sainte est d’abord une guerre militaire[1408]. Mais comme les musulmans
n’ont pas de Magistère unifié, il semble difficile d’être totalement définitif sur
son interprétation et ses conditions. Le Djihad au sens strict du mot tend à
proscrire toute autre adoration que celle de Dieu, l’unique, à se dresser
contre la violence et le mal, à sauvegarder la vie, les biens et l’équité, à
généraliser le bien et à répandre la vertu. Dieu dit : « Combattez-les afin que plus aucun croyant ne soit tenté d’abjurer
et que le culte tout entier soit rendu à Dieu.[1409] »
Mais cette guerre ne se pratique pas n’importe comment. Le djihad
est soumis à des règles venant de Dieu. 1°
En premier lieu, aucune guerre sainte n’est légitime si elle n’est pas
commandée par l’autorité du calife légitime. 2° Ensuite, le combat ne se fait pas n’importe comment. Il ne
ressemble en rien aux guerres barbares et sans limites qui caractérisent la
colère humaine. Il est précédé par un avertissement chevaleresque : 1- Avant
l’engagement, il faut convier l’ennemi à la conversion à l’islam. Cette
première étape se fait par la discussion, l’exposition de la foi musulmane. 2-
S’il refuse, on lui propose une seconde solution : il lui est possible de se
soumettre aux codes des lois civiles musulmanes et de payer un tribut, sans
qu’il ait besoin de devenir musulman. 3- S’il le refuse encore, on recourt
alors aux armes. On lui impose par la force les lois civiles et morales justes,
tout en le laissant libre de garder sa propre conviction religieuse. 3° Enfin, et c’est le plus important,
le but du djihad n’est pas de convertir de force à la religion. La foi ne
s’impose jamais. Elle est affaire de conscience et de don de Dieu. Il ne s’agit
pas d’abord de s’enrichir ou de capturer des esclaves. Il s’agit de tout autre
chose. Deux buts sont visés : 1- Proposer la vérité de la révélation de
Mohamed. 2- Répandre et imposer la droiture et la justice morales et civiles
dans des nations soumises à la perversion, à l’injustice, au meurtre.
Historiquement, s’est très souvent ainsi que l’islam s’est répandu
à travers le monde. Ils réalisent aussi les prophéties données par Dieu sur
Ismaël[1410] : « Il portera un arc »,
c’est-à-dire qu’elle sera une religion des armes. » Il sera comme un âne sauvage et indomptable, sa main contre
tous, la main de tous contre lui »,
c’est-à-dire qu’elle aura partout tendance, dès qu’elle est en position de
force, à s’imposer et à réduire les autres religions en soumission
(dhimmitude).
5. Certaines croisades furent
rendues nécessaires à cause du massacre des chrétiens d’Orient perpétré par des
extrémistes islamiques et surtout par ce perpétuel danger militaire qu’a
constitué l’islam face au christianisme. Sans défense armée, il est certain que
la civilisation chrétienne aurait disparu tout entière. Cependant, comme dans
toute guerre, il y eut de nombreux excès du côté des nations chrétiennes
elles-mêmes. C’est ce qu’exprime le concile Vatican II[1411] : « Si au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés
se sont manifestées entre chrétiens et musulmans, le concile les exhorte tous à
oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle. »
6. Ce n’est pas par haine de
Dieu que les musulmans refusent le mystère de la charité. C’est à cause de leur
sens de la grandeur et de la transcendance de Dieu et il leur semble
blasphématoire de la part de l’homme qu’il prétende parler à Dieu comme à
quelqu’un qui lui est égal. Selon eux, l’homme doit toujours approcher Dieu en
l’adorant ce qu’exprime leur façon de prier prosternés sur le sol.[1412]
Cependant, les musulmans ne se contentent pas de se dire
serviteurs de Dieu mais ils mettent en lui leur confiance, ce qui constitue
déjà pour eux une disposition à l’entrée dans la gloire. Selon Notre Seigneur[1413] : « En vérité, je vous le dis, quiconque n’accueille pas le Royaume
de Dieu en petit enfant n’y entrera pas.
»
Objections :
1. On ne voit pas quels signes
pourraient être donnés puisqu’il n’existe rien dans la révélation chrétienne à
ce sujet.
2. Les musulmans sont par
rapport aux chrétiens comme les frères d’un même père, puisque les deux
religions trouvent leur origine commune dans le judaïsme. Il semble donc que
les signes qui seront donnés aux chrétiens seront donnés aussi aux adeptes de
l’islam.
3. Pour savoir comment sera
attaqué l’islam, le plus simple consiste à regarder ses propres prophéties. Dieu
ne peut manquer d’avoir donné aux musulmans quelque révélation sur leur avenir,
à cause d’Abraham leur modèle et père.
Cependant :
Les musulmans, qui sont fils d’Abraham attendent comme les
chrétiens le retour du Messie qui est Jésus Christ. De même que cette espérance
ne sera pas déçue, de même elle sera précédée de signes qui leur seront
adaptés.
Conclusion :
L’Écriture Sainte des juifs et des Chrétiens ne donne rien de
significatif à propos des signes qui seront visibles dans l’islam. On peut savoir
cependant que cette religion subira au cours de son histoire les attaques du
démon. Vers la fin du monde, l’Antéchrist la détruira puisqu’il s’attaquera
avec succès, dit l’Écriture[1414], « à tout ce qui porte le nom de Dieu. »
Quant à savoir comment il s’y prendra, on peut dire la chose
suivante. Le démon s’en prend toujours aux êtres et aux communautés par ce qui
constitue leur faiblesse. Par exemple, le christianisme étant une religion
d’amour et de liberté, il trouve dans sa force première sa première faiblesse.
Il s’efforce de caricaturer ce qui est le plus noble en ces deux valeurs. Il
s’attaque à l’amour. Sa plus grande réussite consiste à faire appeler
"amour" par les fidèles, ce qui n’est en fait que « l’amour de soi. » Le jansénisme disait qu’aimer son
prochain consistait à être vertueux ; le progressisme dit qu’aimer son prochain
consiste d’abord et exclusivement dans son bien être matériel et psychologique.
De même, il pousse les chrétiens à abuser de la liberté qui leur est laissée
jusqu’à la revendiquer en elle-même, par opposition aux exigences de l’amour
qui se sacrifie pour le prochain.
On peut faire le même type de raisonnement pour l’islam. D’après
le livre de la Genèse, Ismaël qui symbolise l’islam est caractérisé de la
manière suivante : « Il vit dans les
déserts. Il est tireur d’arc. Il est un homme indomptable. Sa main est contre
tous et la main de tous contre lui ».[1415] L’observation de l’islam
confirme ces prophéties. Né dans les déserts d’Arabie d’un peuple sémitique
primitif, l’islam s’est structuré de manière militaire. Dès qu’il s’est senti
suffisamment fort pour le faire, il s’est imposé par la guerre face aux nations
qu’il a conquises. Les musulmans sont intransigeants sur leur foi. L’apostat
est mis à mort. Pour résumer, l’islam se structure autour de deux valeurs : la
foi intransigeante et le service efficace de Dieu. C’est grâce à ces propriétés
que l’islam s’est imposé. C’est sur ses propriétés qu’il sera attaqué vers la
fin du monde par le démon et son homme, l’Antéchrist. 1° La première tentation de l’islam lui viendra de l’orgueil (dû à
sa puissance) et du pouvoir. Cette religion diffère du christianisme par le
fait que des éléments politiques sont intimement et indissociablement mêlés à
l’aspect religieux. Née dans les tribus arabes du désert, son histoire est
emprunte des restes de sa mentalité sémitique, à des traditions antiques de la
guerre liées aux razzias, à l’esclavage telles qu’on les voit décrites dans la
Bible. De plus, à cause de ses conquêtes militaires, de son intransigeance,
toute l’histoire de l’islam est tâchée par des fautes contre la liberté humaine
et la paix. Certains crimes contre l’humanité ont été commis, particulièrement
en Inde où cette religion s’est fait un devoir d’exterminer les idolâtres en
même temps que les idoles. Vers la fin du monde, elle aura à subir directement
les attaques de l’esprit de l’Antéchrist particulièrement sur ce qui constitue
ses fautes[1416]. Ainsi, parce que des
musulmans parmi les plus zélés confondent religion et politique de conquête,
ils saliront de manière définitive et beaucoup plus forte encore que ne l’ont
fait les zélateurs chrétiens l’image de la religion. Ce reproche, qui fit la
force de l’islam, sera sa perte au temps de l’Antéchrist. Il lui sera reproché
ses crimes. Ces attaques lui viendront aussi bien de l’extérieur que de
l’intérieur, par ses propres fidèles. Ayant pris l’épée, il est probable que
selon la parole de Jésus[1417], l’islam périra par l’épée.
Exaspérant le monde par ses attaques et son intransigeance, il finira par être
attaqué et écrasé par des forces militaires supérieures. 2° L’islam étant une religion du service de Dieu, il sera aussi
attaqué par ses fidèles et par l’esprit de l’Antéchrist sur le point de son
manque de sens de la liberté par ses fidèles, lorsque le désir de vivre dans
l’instant les plaisirs de la vie terrestre sera plus fort. L’islam connaîtra un
refroidissement du zèle pour le service de Dieu. Cette dégradation ne peut
venir que d’un autre zèle qui la dominera et qui sera, comme toujours, lié aux
trois convoitises de l’homme : l’orgueil, le pouvoir et les plaisirs.
Fondé sur ces deux attaques fondamentales, les autres prendront
davantage de force. Il y aura des attaques directes contre la foi et la morale
musulmanes. La croyance dans le fait que le Coran est dicté directement par
Dieu sera la première à subir les assauts puisqu’elle fonde toute cette
religion. Cette croyance sera facilement mise à mal par l’analyse des couches
rédactionnelles du Coran ; Puis les exigences morales du Coran et politiques de
la loi seront jugées insupportables et archaïques. Enfin, viendra la lutte
finale qui précédera le retour du Christ et qui sera menée par les armées de
l’Antéchrist lui-même.
Solutions :
1. Le Seigneur nous demande
d’être attentifs aux signes des temps afin que notre espérance portant sur le
retour du Christ ne diminue pas. C’est pourquoi, l’Église par le Concile
Vatican II, invite les chrétiens à être attentifs aux traditions musulmanes et
à en scruter la richesse. Les signes de la fin du monde que les musulmans
attendent doivent donc être objet d’un intérêt particulier. Ils sont au nombre
de dix. Ils présentent un intérêt particulier car ils semblent avoir exaspéré
Mohamed, comme s’ils contrariaient sa sensibilité, tout en s’imposant à lui :
1° Le soleil se levant à l’Ouest[1418]. "Le jour où Nous
plierons le ciel comme on plie le rouleau des livres." Prise en son sens
profond, cette prophétie signifie probablement que, lors de ces événements, la
puissance mondiale appartiendra, à tous les plans, à l’Occident.
2° Un phénomène sismique
en Occident, un autre en Orient, un troisième en Arabie[1419]. La terre sera secouée par
un grand séisme, le ciel se fendra, les planètes se disperseront, les mers
seront projetées, les sépulcres bouleversés, les montagnes voleront comme des
flocons de laine cardée. Cette prophétie signifie probablement de grands
bouleversements dans les mentalités des peuples, des changements jamais vus
jusqu’ici.
3° L’apparition de la
fumée qui restera 40 jours sur terre[1420]. Le Coran en parle (sourate
44, La Fumée) et raconte comment elle va s’étendre sur Terre. Selon certains
exégètes dont Abi Massoud, ce serait un temps terrible de faim, de misère
–spirituelle- semblable à ce qui est arrivé à la tribu de Quoraïch au temps de
Mohamed.
4° La venue du Mahdi, le dernier grand imam (Docteur et
chef politique) de l’islam. Le temps de la fin
commencera par la venue d’un grand imam dont la mission consistera à préparer
le peuple musulman à l’épreuve. Au sens étymologique, le Mahdi signifie « celui qui est bien guidé.
» Le prophète Mohamed s'est servi de ce mot dans son sens littéral quand il
dit : « je vous recommande ma tradition
et la tradition de mes califes orthodoxes et bien guidés après moi. »
5° La venue de Dajjal, l’Antéchrist : C’est l’étape
suivante, terrible. Un Hadith,
rapporté par de nombreux traditionalistes, nous informe que, avant la grande
bataille de Gog et Magog et le retour de Jésus, viendra le Dajjal, l’Antéchrist. Le Prophète s’en préservait par un signe
quand il en parlait. Il disait : « Il se
comparera à Dieu. Dans son mensonge, il prétendra être Dieu. » Selon
Mohamed, le Dajjal sera d’origine
juive. Il sera borgne. Il sera à l’image de Abd Al Ozza Ibnou Ouatane, un grand
ennemi de l’islam.
6° La sortie de la Bête
qui écrira "croyant" entre les yeux des croyants et
"infidèle" entre les yeux des infidèles[1421]. C’est une bête de taille
gigantesque, ayant une ressemblance avec beaucoup d’animaux, douée de parole,
qui surgira de la terre et s’adressera aux gens pour les blâmer d’être
mécréants. Pour les Musulmans, elle est décrite non comme une bête réelle mais
comme l’image d’une monstrueuse idéologie, d’une tyrannie politique, celle de
l’Antéchrist.
7° La grande guerre contre
l’islam, Gog et Magog. Il s’agit de la grande guerre de la fin du monde,
prophétisée par Ezéchiel. Anas-ben-Mâlik rapporte que le Prophète a dit : « l’Antéchrist viendra et ira dans le
voisinage de Médine. La ville éprouvera trois secousses et, après cela, les
infidèles et les hypocrites iront trouver l’Antéchrist." Hadith 92, 26 (Point 2). Il viendra de
la région du Khorassan, en Asie, et 70000 juifs armés le suivront. Les diables
que le Prophète Soulaïman a enchaînés dans les mers le suivront. Il attirera
beaucoup de monde à lui car il donnera à boire et à manger. Les
musulmans seront tentés de le suivre et d’apostasier leur foi. Mais, selon le
Prophète, les Musulmans fidèles mangeront (seront nourri) par le dikrh, le Rappel d’Allah, la prière
récitée cinq fois par jour. (Soubhannallah
! Hamdoulillah ! Allahouakbar !).
Le monde entier, accompagné des démons, se liguera contre le
peuple musulman, mené par l’Antéchrist. Le passage coranique parlant de la
guerre se réfère à un épisode biblique, lié à une prophétie d’Ezéchiel[1422]. L’Apocalypse 20, 7-9 en
fait le symbole de la guerre finale : «
Les mille ans écoulés, Satan, relâché de sa prison, s'en ira séduire les
nations des quatre coins de la terre, Gog et Magog, et les rassembler pour la
guerre, aussi nombreux que le sable de la mer ; ils montèrent sur toute l'étendue
du pays, puis ils investirent le camp des saints, la Cité bien-aimée. Mais un
feu descendit du ciel et les dévora. Selon certains théologiens musulmans,
dont Acha’Raoui, ce malheur viendra du fait de la provocation d’une communauté
de musulmans malfaisants.
8° Un feu naissant à Aden
(au Yémen), qui chassera les habitants puis la destruction de la Kaaba par les Abyssins. Il s’agit
de la destruction physique de tous les lieux saints de l’islam, prophétie
étonnante et pourtant explicitement enseignée par Mohamed. Cette destruction
finale de l’islam visible par les armées du Dajjal
fait explicitement partie de la
foi eschatologique des Musulmans.
9° L’apostasie
: Après ces événements graves, le Coran sera enlevé des lèvres et
des cœurs, l’incroyance deviendra générale. Bismilahi Rahmani
Rahimi l’explique : « Retenez
chères sœurs et frères, que quatre femmes qui fréquentaient le Messager d’Allah
nous rapportent qu’il a dit : « Malheur
aux arabes[1423] ! » Les compagnons questionnèrent alors : « Dieu nous détruira-t-il, alors que parmi nous il y aura des
bienfaisants ? » - Oui, c’est parce qu’en vous se multiplieront les péchés
(fornication et autres)". » Une dernière prophétie, tirée des Hadith, est importante à citer. Elle
semble donner la clef des autres : «
L’islam a commencé étranger et finira étranger.” Le sens en paraît évident
: il s’agit de l’annonce explicite d’une diminution de puissance, d’un
cheminement de la religion islamique vers la pauvreté, la petitesse et la
faiblesse. Cette prophétie ressemble fort à celle qui s’applique au
christianisme.
10° La descente de Issa
(Jésus, fils de Marie). Un Hadith de Muslim rapporte que malgré ces épreuves, il
subsistera toujours, jusqu’à la fin du monde un petit reste de croyants. Ils
seront de fidèles Musulmans comme au temps béni de Médine. "Il y aura toujours une partie de ma communauté qui combattra
ouvertement dans la voie de la vérité jusqu’à la fin des temps. Issa le fils
Maryama (Jésus) descendra et le Commandeur de ses croyants lui dira : vient
diriger notre prière et Issa répondra : non continue à diriger la prière car
vous êtes de la communauté de Mohamed chacun peut présider la prière de l’autre. »
Ces prophéties annoncent visiblement une fin douloureuse de
l’islam, puis une victoire définitive sur les forces du mal, grâce à la
sainteté des cœurs et par le retour du Christ. Mais il convient de remarquer
qu’une partie des docteurs musulmans, comme les wahhabites d’Arabie, en lisent
le dénouement d’une façon toute autre : Selon eux, il n’y a rien de mystique
dans les annonces de Mohamed. Pour eux, alors que tout semblera perdu, Dieu
donnera la victoire militaire totale à la Communauté Sainte. Allah va livrer ses ennemis à l’islam, dans
un dernier combat. Les Juifs et leurs allés impies seront exterminés de la
surface de la terre. On mettra sept mois à enterrer leurs cadavres[1424]. Allah remportera cette grande victoire par toutes sortes de
fléaux : la guerre, la peste, la grêle etc. La Palestine redeviendra la terre
bénie de l’islam. Le monde deviendra un seul Califat, soumis à la sainte loi
d’Allah. Ceux qui refuseront de se convertir disparaîtront. Alors Jésus
reviendra et balayera le reste des Chrétiens. Le monde entier sera, sous son
commandement, musulman. L’Antéchrist, qui est né en Occident, sera vaincu et la
gloire d’Allah sera exaltée pour toujours.
Les islamistes Wahhabites appuient leur vision apocalyptique sur
un texte du prophète Ezéchiel qui est considéré comme un prophète d’Allah. Il
parle de ce combat de Gog et Magog contre le peuple saint. Il est étonnant de
constater cette ironie de l’histoire qui peut-être, se reproduira. C’est
exactement le même texte qui nourrissait l’endurance incroyable des zélotes
Juifs, en 70 ap. JC, les poussant à combattre jusqu’à la mort, alors que tout semblait perdu. Résultat
: La guerre des Juifs contre les Romains, fit un million cent mille morts, un
tiers des Juifs de l’époque, et aboutit à la ruine du Temple, à la dispersion
du peuple et à un judaïsme devenu humble (kénose), modeste et béni de Dieu. Il
est possible que la partie intransigeante et fanatique de l’islam provoque vers
la fin du monde, à partir des mêmes causes, les mêmes effets.
2. Les musulmans ne sont pas
aussi bien préparés par leur foi à comprendre les signes liés à
l’anéantissement en vue de l’humilité (kénose). Les chrétiens eux-mêmes, malgré
le mystère de la souffrance et de la mort du Christ, ont beaucoup de mal à
comprendre que cela sera appliqué à eux-mêmes et à l’Eglise. Pour les
musulmans, le mystère de la mort qui conduit à la résurrection est très
étranger. Leur psychologie est plutôt orientée vers la gloire militaire, du
moins depuis la révélation à Médine des versets de la guerre. Vers la fin du
monde, il leur faut donc des signes très forts où l’expérience du malheur les laissera
dans l’incompréhension totale des volontés de Dieu. Cela peut venir de la
vierge Marie qui est pour eux une des femmes saintes qu’ils vénèrent beaucoup.
Peut-être aura-t-elle la mission de les préparer à cela. Cela peut venir aussi
de leur patriarche principal, à savoir d’Ismaël le fils d’Abraham. En effet, un
point prophétique important doit être ici souligné. Il s’agit d’une ‘erreur’
apparente du Coran dont la signification est sans doute très profonde. Les
Juifs riaient souvent de Mohamed en lui disant : « Tu te trompes. Le livre de la Genèse est net sur ce point. Ce n’est
pas Ismaël qui faillit être immolé par Abraham à Yahvé. C’est Isaac. »
Alors le Prophète se mettait en colère. Il disait[1425] qu’Abraham avait des fils,
dont le plus connu était Ismaël, « l’égorgé », le fils aîné d’Abraham, qu’il eut de
Agar l’égyptienne copte. Mohamed
précise : « Qui dit que l’égorgé était
Isaac, doit avoir reçu cette prétention des fils d’Israël, qui ont altéré et
faussé la Torah et l’Evangile, et intentionnellement changé les informations
qu’ils possédaient. Car Abraham avait reçu l’ordre d’égorger son fils
aîné. »
Dieu dit : « Nous annonçâmes
à Abraham qu’il aurait un fils d’une grande douceur de caractère. Lorsque son fils
fut en âge de se diriger, Abraham lui dit : "O mon fils, j’ai rêvé que je
t’immolais en sacrifice. Qu’en penses-tu ?" "O mon père, lui
dit son fils, exécute ce qui t’est ordonné. Je serai courageux s’il plaît à
Dieu[1426]. » Il accepta l’ordre donné à son père et lui promit de se résigner.
Le couteau du père allait s’abattre mais Dieu retint son bras. Alors Ismaël fut
sauvé. La descendance d’Abraham ne périt pas. Les musulmans fêtent depuis ce
jour le salut d’Ismaël dans la grande fête du Sacrifice. Dieu dit : « Mentionne Ismaël dans le Livre. Il
respectait la foi jurée. Ce fut un Prophète. Il recommandait la prière et la
charité aux siens. Il était l’élu de son Seigneur[1427]. »
En quoi cette erreur coranique peut-elle avoir une quelconque importance
? C’est que dans cette histoire, rien n’est laissé au hasard. Nous avons
affaire à des allégories inspirées par Dieu. Chaque détail est important car il
signifie quelque chose de l’avenir. Les Chrétiens pensent avec les Juifs que
c’est Isaac qui faillit être sacrifié[1428] par Abraham. Au dernier
moment, Dieu refusa qu’Abraham aille jusqu’au bout de son geste. L’enfant fut
sauvé et remplacé par un bélier[1429]. Ils y voient une allégorie
portant sur leur eschatologie[1430]. La conséquence est que les
Chrétiens croient que, vers la fin du monde, leur destin ressemblera à celui
d’Isaac. Ils subiront de la part d’un antéchrist un abaissement et un martyre.
L’islam a reçu la même prophétie sous les traits d’Ismaël, son archétype
biblique. Ce fait semble indiquer que le
destin de cette religion est identique. Il semble qu’un musulman sincère
peut donc trouver dans sa propre révélation une compréhension de ce mystère.
Quant à la souffrance elle-même, qui les frappera avant le retour du Christ,
elle leur fera comprendre que l’humilité (kénose) et l’amour étaient plus
grands que l’islamisation du monde entier.
3. Mohamed n’aimait pas
certaines des prophéties indiquant une ruine finale de l’islam au plan
politique. C’est un signe que leur origine n’est pas son intelligence humaine
mais d’une Cause invisible et soucieuse de façonner dans l’humilité le cœur des
musulmans.
Objections :
1. La religion juive n’avait de
sens que parce qu’elle préparait et annonçait la venue du Messie. Elle aurait
donc dû disparaître après sa venue, les prophéties n’ayant plus de raison
d’être.
2. De même que le rideau du
temple se déchira en deux de bout en bout à l’heure de la mort du Christ, de
même que le temple fut détruit quelques années plus tard signifiant ainsi la
fin de l’ancienne alliance, de même le judaïsme dispersé à travers le monde
aurait dû disparaître et s’assimiler aux autres religions.
3. Que les Juifs se soient
obstinés jusqu’à maintenant à ne pas croire en Jésus, cela vient de leur
certitude d’être le peuple élu et cette certitude semble être liée à un grand
orgueil selon l’Exode[1431] : « Ce peuple à la nuque raide.
» Mais cela ne peut venir d’une volonté de Dieu.
4. Dieu a promis de donner à
Israël un Messie. Si donc Dieu est responsable de l’endurcissement du cœur
d’Israël, c’est que sa parole a failli sur ce point, ce qui est inacceptable.
5. Israël en rejetant le
Messie, a trahi son alliance avec Dieu. Il a donc été rejeté et maudit, d’où
les persécutions et massacres subis de la part des chrétiens comme des
musulmans.
Cependant :
Saint Paul écrit dans l’épître aux Romains[1432] : « Dieu fait miséricorde à qui
il veut et il endurcit qui il veut. » Il veut signifier par là que
l’aveuglement intellectuel d’Israël qui refuse la foi au Christ est voulu par
Dieu, à cause d’un plus grand bien qui doit en sortir. Il dit aussi en parlant
d’Israël qu’il est un[1433] : « abîme de la richesse, de la
sagesse et de la science de Dieu! Que ses décrets sont insondables et ses voies
incompréhensibles! » C’est donc qu’en Israël, sous la forme
politique d’un peuple, se trouve symbolisée la totalité du mystère du
gouvernement de Dieu sur les hommes.
Conclusion :
D’après l’enseignement de saint Paul aux Romains, le fait que le
Peuple d’Israël n’ait pas reçu le Messie qui lui avait été envoyé, malgré les
nombreuses prophéties qu’il avait reçues à ce sujet, tient à deux choses :
1° A la responsabilité des
chefs du peuple qui dirigeaient ses destinées à cette époque. Et la raison en
est, selon lui, qu’ils avaient un zèle mal éclairé pour Dieu. Car ils
désiraient servir Dieu selon la manière qui leur paraissait juste, selon leur
compréhension de la Loi, c’est-à-dire à travers la soumission aux préceptes
matériels, comme l’observation du sabbat et d’autres choses du même genre. Mais
ils refusèrent de servir Dieu selon la manière voulue par Jésus, c’est-à-dire à
travers la justice du cœur[1434] donnée par la foi,
l’espérance et la charité. Et ils préférèrent tuer le Messie malgré les signes
évidents de son identité, plutôt que de réformer leur cœur. Selon, Jésus, un
autre motif plus caché motiva leur action : l’amour du pouvoir. Cependant,
après la résurrection du Seigneur, une partie du peuple reconnut Jésus pour le Messie
et c’est eux qui devinrent le nouvel Israël de Dieu qui prêcha l’Évangile par
le monde entier, car les apôtres, fondement et colonnes de l’Église furent tous
Juifs. Ainsi furent réalisées dès cette époque les prophéties qui annonçaient
qu’un Messie douloureux serait donné à Israël et règnerait sur les nations du
monde entier.
2° Cela relève aussi et
surtout, selon saint Paul, d’une volonté mystérieuse de Dieu, selon l’Écriture
sainte[1435] : « Dieu leur a donné un esprit de
torpeur : ils n’ont pas d’yeux pour voir, pas d’oreilles pour entendre jusqu’à
ce jour. » Or Dieu ne peut vouloir directement et par soi un mal de
peine tel que celui-ci. Il est donc évident qu’il n’a pas voulu
l’endurcissement de ce peuple par vengeance à cause de la mort du Messie mais à
cause d’un bien plus grand qui devait en sortir par la suite. Et on ne peut en
donner que quelques-uns uns des motifs cachés : 1- Un motif pratique : Par son endurcissement, le peuple juif a
permis que l’Évangile soit prêché à toutes les nations, selon saint Paul[1436] : « Leur faux pas a fait la
richesse du monde. » En effet, les Juifs ayant refusé l’enseignement
des apôtres, ceux-ci furent conduits dès le début à adresser leur prédication
aux nations païennes. C’est ce qui est rapporté par les actes des apôtres. Et
il est probable que si les Juifs dans leur ensemble s’étaient convertis au
Seigneur, ils auraient été tentés de garder pour eux cette nouvelle alliance à
cause de leur sens trop aigu de leur préséance. De même, il semble que vers la
fin du monde, l’apostasie des nations permettra le retour de l’alliance
chrétienne en Israël.2- Un motif de
témoignage : il convenait qu’une partie du peuple d’Israël reste endurci dans
l’Ancienne Alliance afin de demeurer aux yeux du monde un témoignage vivant de
la lente maturation à la venue du Christ qui avait été commencée en Abraham et
continuée à travers Moïse et les prophètes de ce peuple. Et ils témoignèrent de
cette Ancienne Alliance sur la terre entière après leur dispersion opérée par
les Romains. Ils furent pour les chrétiens et les musulmans les témoins vivants
de l’Ancienne Alliance. 3- Une
mission allégorique : Israël devait demeurer pour les nations un signe
important du mode d’action de Dieu sur tous les hommes et toutes les nations.
Par toute son histoire faite d’exil, de dispersion et d’errance, cette nation
constituait une image du sort de chaque homme sur terre, qui erre loin de sa
patrie jusqu’à l’entrée dans la vie éternelle. Sans cesse attaquée par Satan,
jusqu’à l’extrémité, son âme est en danger perpétuel. Tel est en particulier le
signe d’Auschwitz.[1437] 4- Une mission de révélateur : Ce petit peuple, peu nombreux et
dispersé dans le monde entier fut placé par Dieu devant les nations comme un
révélateur de l’orgueil. Il en fit une pierre d’achoppement pour les arrogants.
En effet, à chaque fois qu’une nation, une religion, un groupe humain fut saisi
par la certitude d’être la meilleure, elle persécuta infailliblement les Juifs.
Sans doute l’orgueil ne supporte-il pas celui qui, peu nombreux et faible dans
son sein, est différent. Infailliblement aussi, le peuple en question fut
frappé par la suite par le destin et ramené à plus d’humilité. 5- Une mission eschatologique : Enfin
et surtout, Israël est un signe grandiose gardé jusqu’à la fin pour annoncer le
retour du Christ et la fin du monde. C’est ce que veut signifier l’apôtre quand
il dit que "la conversion d’Israël sera une résurrection d’entre les morts".[1438] On peut même dire que le
peuple d’Israël sera l’un des signes les plus importants à la fin du monde,
lorsque la proximité du retour du Christ sera annoncée. En effet, les signes
concernant Israël sont explicitement annoncés dans l’Écriture et se réaliseront
de manière visible dans l’histoire[1439], et non seulement de manière
spirituelle pour les contemplatifs. Israël reste le peuple élu pour annoncer la
terre promise.
Solutions :
1. Les prophéties contenues
dans le Testament juif n’ont plus de raison d’être en tant qu’elles annoncent
la venue prochaine du Messie puisqu’elles sont réalisées. Il convient cependant
qu’elles demeurent vécues par un peuple qui sert aux autres de mémorial de
l’état ancien de l’humanité. Cependant, certaines prophéties de l’Ancien
Testament demeurent partiellement inaccomplies comme celles qui annoncent la
venue du Messie glorieux qui manifestera sa lumière à toutes les nations, selon
Isaïe[1440]. "Alors la gloire
de Yahvé se révélera et toute chair, d’un coup, la verra, car la bouche de
Yahvé a parlé. » Cette prophétie
doit se réaliser dans la seconde venue du Christ, glorieuse cette fois.
2. Le judaïsme devait être
dispersé à la face des nations, jusqu’à la fin des temps, pour témoigner de la
promesse de Dieu faite à Abraham et dont toutes les nations bénéficiaient grâce
à Jésus Christ d’un côté, et à l’islam de l’autre. Mais cette dispersion
cessera vers la fin au monde pour que ce peuple témoigne du retour prochain du
Messie, comme nous le verrons.
3. Il est vrai que le peuple
d’Israël est un peuple entêté. Pourtant, cette force qui le caractérise
n’aurait pas suffi pour résister à plusieurs siècles d’exode parmi d’autres
nations qui, sans cesse, l’ont persécuté à cause de sa religion jusqu’à le
massacrer. C’est ce qu’on peut déduire du fait que certaines tribus d’Israël
disparurent complètement, en quelques siècles, en s’assimilant au peuple
babylonien chez qui ils s’étaient exilés avant la venue du Christ. Seules les
tribus de Judas, de Benjamin et de Lévi subsistent encore aujourd’hui. Cela ne
peut s’expliquer sans un secours de Dieu.
4. Saint Paul écrit aux Romains[1441] : « La parole de Dieu n’a point
failli. Car tous les descendants d’Israël ne sont pas Israël. » Les
véritables fils d’Abraham sont ceux qui ont la foi comme lui et non ceux qui
descendent de lui selon la chair. C’est pourquoi on peut dire que le nouvel
Israël de Dieu est l’Église.
5. La révélation chrétienne
tout entière n’a qu’un but ultime : montrer que Dieu, lui, ne trahit jamais une
Alliance conclue. Affirmer qu’Israël aurait été rejeté par Dieu des suites de
la passion du Christ est donc la plus parfaite contradiction qu’on puisse
imaginer avec le contenu de la foi chrétienne. De même, les persécutions et
massacres subis sont loin d’être un signe de malédiction de la part de celui
qui a dit [1442] : « Venez à moi, vous tous qui peinez
et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai, car je suis doux et
humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. » Il
est donc essentiel de chercher ailleurs le sens des malheurs d’Israël.
Objections :
1. Il semble qu’il n’y aura pas
de signes concernant le Judaïsme à la fin des temps. En effet, en tuant le
Christ, les chefs de cette religion se sont séparés de Dieu. Ils sont rejetés
pour toujours de l’Alliance, selon cette parole de Jésus[1444] : « Ils t’écraseront sur le sol,
toi et tes enfants au milieu de toi. Ils ne laisseront pas en toi pierre sur
pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visité. »
2. Le peuple d’Israël servit,
avant la venue du Christ, de signe pour les nations du monde entier auxquelles
devait être révélé le Messie douloureux et crucifié. Il convient que ce soit
l’Église qui soit, après sa venue, le nouvel Israël qui serve de signe pour le
retour glorieux du Christ.
3. La destruction du Temple de
Jérusalem ne peut être considérée comme un signe du retour du Christ
puisqu’elle a eu lieu il y a bien longtemps, sans que rien ne se soit passé.
4. De même, la dispersion est
plus signe de la punition du péché d’Israël que de la proximité de la venue du
Christ. C’est ce qu’affirme le Deutéronome[1445] : « Puisque tu n’auras pas obéi
à la voix de Yahvé ton Dieu, vous serez arrachés à la terre où tu vas entrer
pour en prendre possession. Yahvé te dispersera dans toutes peuples, d’un bout
du monde à l’autre. »
5. De même, les persécutions
doivent être considérées comme des peines justifiées par le grave péché commis
contre Jésus.
6. Le retour au peuple juif
dans sa terre ne peut être considéré comme un signe donné par Dieu. En effet,
il ne fut pas produit en 1948 par la foi mais par la nécessité d’en finir avec
les persécutions et il fut conduit par des hommes qui ne croyaient pas en Dieu.
Il fut d’ailleurs porté par des idéologies politiques discutables comme le
marxisme et le sionisme.
7. N'y a-t-il pas une huitième prophétie de Jésus sur le peuple juif
?[1446] : « Je
suis venu au nom de mon Père, et vous ne m'avez pas reçu ; un autre viendra en
son nom et vous le recevrez. » Autrement dit : Jésus
prophétise que les Juifs acclameront l'Antéchrist comme leur Messie...
Cependant :
L’Apocalypse écrit[1447] : « Un signe grandiose apparut
au Ciel : une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et
douze étoiles couronnent sa tête. Elle est enceinte et crie dons les douleurs
et le travail de l’enfantement. » Or Israël est semblable à une
femme puisqu’elle est l’épouse de Dieu qui est comme le soleil et qui
l’entoure. Et les douze étoiles sont les douze fils de Jacob qui l’ont fondé.
Donc il y aura des signes concernant le judaïsme à la fin du monde.[1448]
Conclusion :
À cause de la mission unique qui fait du peuple d’Israël le peuple
élu, celui qui annonce et prépare la venue du Messie, on doit admettre qu’il
sera pour le monde entier un signe important de la venue du Christ à la fin du
monde. Ce qui est particulier dans ce peuple, c’est que Dieu a fait des
évènements profanes de son histoire politique une parabole du salut, quelles
que soient ses fidélités ou infidélités. Et le Seigneur, dans l’Ancien
Testament, les évangiles ou dans l’épître de saint Paul aux Romains, donne sept
prophéties concernant l’avenir de ce peuple et le retour du Christ :
1° Il annonce que le Temple de
Jérusalem sera détruit[1449] : « En vérité, je vous le dis,
il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit jetée bas. » Et
le temple sera remplacé par un temple consacré aux idoles[1450] : « Vous verrez l’abomination de
la désolation installée dans le lieu saint. »
2° En second lieu, le Seigneur
annonce que le peuple juif sera déporté parmi toutes les nations[1451] : « Il y aura grande détresse
sur la terre et colère contre ce peuple. Ils tomberont sur le tranchant du
glaive et ils seront emmenés captifs dans toutes les nations. »
3° En troisième lieu, il y aura
des malheurs et des massacres perpétrés contre ce peuple[1452] : « Filles de Jérusalem, ne
pleurez pas sur moi! Pleurez plutôt sur vous-même et sur vos enfants! Car voici
venir des jours où l’on dira : heureuses les femmes stériles, les entrailles
qui n’ont pas enfanté, et les seins qui n’ont pas nourri! Alors, on se mettra à
dire aux montagnes : Tombez sur nous! Et vous, collines, couvrez-nous. »
4° En quatrième lieu, ce peuple
reviendra dans la terre d’Israël et prendra à nouveau possession de la ville
sainte[1453] : « Jérusalem sera foulée par
les païens jusqu’à ce que soient accompli le temps des païens. » Le
retour d’Israël marquera donc la fin du temps accordé aux païens pour inaugurer
un temps de grâces accordées à Israël[1454].
5- En cinquième lieu, l’arche d’alliance construite par Moïse
sera retrouvée[1455] :
« Ce
lieu où est caché l’arche sera inconnu, jusqu'à ce que Dieu ait opéré le
rassemblement de son peuple et lui ait fait miséricorde. »
6- En sixième lieu, le Temple de Jérusalem rebâti [1456]: « Alors le Seigneur manifestera de nouveau ces
objets, la gloire du Seigneur apparaîtra ainsi que la Nuée, comme elle se
montra au temps de Moïse et quand Salomon pria pour que le saint lieu fût
glorieusement consacré. »
7° Enfin Saint Paul annonce un
dernier signe qui précèdera immédiatement le retour du Christ dans sa gloire :
Israël se convertira et reconnaîtra Jésus comme étant le Messie[1457] : « leur mise à l’écart de
l’Alliance fut une réconciliation pour le monde, que sera leur admission, sinon
une résurrection d’entre les morts. » De même Jésus annonce[1458] : « Vous ne verrez plus jusqu’à
ce qu’arrive le jour où vous direz : Béni soit celui qui vient au nom du
Seigneur. » Ce qui signifie que, le jour où ils accepteront le
Messie, celui-ci se montrera a eux à nouveau.
Ces sept prophéties seront d’une façon grandiose signe du retour
du retour du Christ car elles ne se réaliseront pas seulement d’une manière
perpétuelle comme on l’a dit pour les guerres et les tremblements de terre.
Elles se réaliseront d’une manière matérielle, à une date fixée par Dieu, de la
même manière que les premières qui sont déjà réalisées. 1° Ainsi, vit-on en 70 après Jésus Christ, le général romain Titus
raser complètement le Temple de Jérusalem. 2°
Puis en 135, à la suite d’une dernière révolte juive, le reste de la
population d’Israël fut déporté ; L’empereur Adrien fonda une nouvelle ville à
la place des ruines de Jérusalem : « Helia Capitolina. » Sur le lieu
du temple, un temple dédié à Jupiter est construit. Pour les Juifs, « l’abomination
de la désolation » dont parle le prophète Daniel 9, 27, est
dans le lieu saint. 3° Les malheurs
et les persécutions ne cessèrent de s’abattre sur les communautés juives
dispersées jusqu’à la persécution la plus récente et les massacres de millions
de juifs à Auschwitz[1459]. 4° Enfin en 1948, la création du nouvel Etat d’Israël en Palestine
marque une nouvelle étape, non encore pleinement réalisée puisque Jérusalem
n’est pas entièrement redevenue une ville juive. Les prophéties se réalisant
ici matériellement, on peut savoir avec certitude que lorsque Jérusalem
deviendra la capitale du seul Etat juif, c’est que, de manière concomitante, le
temps des nations sera terminé pour laisser place à une autre organisation du
monde, mondialiste.
Ces prophéties politiques, adaptées à la vision de tous les
hommes, y compris des hommes charnels, n’ont rien de superficiel. C’est toute
l’économie du salut qui est signifiée ici, avec la même force qu’elle l’était
dans l’histoire sainte de l’Ancien Testament.
Solutions :
1. Il est faux et gravement
hérétique à cause des conséquences qu’une telle affirmation a historiquement
eues, d’affirmer que le peuple d’Israël est maudit, car Dieu ne fait pas payer
aux enfants la faute de leur père. Saint Paul affirme en effet[1460] : « Dieu aurait-il rejeté son
peuple ? Certes non. » Et selon lui, le gouvernement de Dieu sur
Israël est l’un des « abîmes de richesse, de la sagesse et de la
science de Dieu ».[1461] Il veut signifier qu’il
s’agit d’un mystère que l’homme ne peut qu’approcher et dont l’explication
finale sera donnée en plénitude après la venue du Christ, lors du jugement
général de l’humanité[1462].
2. Dieu ne se repent pas de ses
choix. Israël reste donc, même après la première venue du Christ, signe des
temps pour les nations. De même qu’actuellement l’Église révèle au monde le
Messie douloureux mort pour le salut de tous, de même Israël, coopère avec
l’Église pour révéler au monde l’espérance d’un Messie glorieux qui viendra
régner sur le monde et sauver son peuple des holocaustes successifs qu’il a
subis. Et dans cette espérance, le judaïsme rejoint le christianisme et
l’islam, avec des nuances cependant : Pour l’islam, le Messie Jésus n’est qu’un
homme saint, pour les chrétiens, il est le Verbe fait homme, pour les Juifs,
son identité est ignorée.
3. La destruction du Temple
d’Israël marque l’entrée dans un nouveau temps qui est celui de la nouvelle
Alliance, où Dieu ne sera plus adoré sur une montagne, mais au fond des cœurs,
en esprit et en vérité. Et ce temps est le dernier qui sera accordé à
l’humanité sur cette terre car il n’y aura pas d’autre alliance avant celle de
la vision béatifique. Cependant, prise en un sens symbolique, cette destruction
préfigure celle que devra subir le nouveau temple qui est l’Église dans un
holocauste final qui précèdera la glorification du monde.
Il faut ajouter que le
sixième signe, celui du Temple de Jérusalem rebâti, se réalisera matériellement
avant la fin du monde puisque, comme nous l’avons dit, le peuple Juif est à
part : sa chair elle-même (c'est-à-dire son histoire politique mais aussi son
Temple de pierre) est signe de Dieu, signe matériel du vrai Temple qui est
spirituel. Au cours de son histoire, ce peuple a eu deux Temples : 1° Le premier, qui était très petit et
très peu élaboré fut construit par le roi Salomon. Il serait décevant pour un
regard contemporain. Il symbolisait l'état préparatoire des âmes du néolithique
jusqu'à l'âge du fer. 2° Le second,
bâti par Hérode le Grand, était magnifique et impressionnant, mais fait de
pierres obscures et lourdes. Même aujourd'hui, si nous le voyions, nous
l'admirerions car il était imposant comme les temples Égyptiens de l'antiquité.
Il symbolise l'état des âmes mûries sur cette terre par la civilisation et par
le Christianisme. Les hommes restent terrestres et pécheurs mais le levain du
Christ mûrit profondément l’âme. 3°
Mais il y aura un troisième Temple sur cette terre, dit le livre d'Ézéchiel. Il
sera plus grandiose encore, une source d’eau vive jaillissant en son centre. Et
ce prophète en donne le plan[1463]. Ce troisième temple sera
construit vers la fin du monde. On le verra un jour et on peut imaginer qu'il
sera fait en matériaux modernes, légers et transparents. Il symbolisera le
dernier état de l'humanité, celle qu'elle aura à l’heure de la mort et à la fin
du monde, lors de l’apparition du Christ glorieux, quand les corps seront comme
lumineux, laissant transparaître sans obstacle les pensées de l'âme et la
présence de Dieu. 4° Enfin, le livre
de l’Apocalypse donne le plan du Temple définitif, entouré d’une ville en
pierres précieuses si grandes qu’on n’en trouve pas sur cette terre[1464] : « De
temple, je n'en vis point en elle; c'est que le Seigneur, le Dieu
Maître-de-tout, est son temple, ainsi que l'Agneau. » Cette cité ne sera jamais
construite sur terre. Elle symbolise l’état définitif et éternel de l’humanité,
dans la vision béatifique, qui sera donnée face à face, sans l’intermédiaire
créé de l’humanité du Christ.
4. La dispersion du peuple
d’Israël ne doit pas être considérée comme une punition pour l’acte commis par
ceux qui ont tué Jésus car ce péché leur a été imputé personnellement lors de
leur jugement particulier. Cette dispersion est donnée aux nations comme un
signe prophétique qui manifeste les conséquences auxquelles aboutit tout péché.
C’est donc un signe apocalyptique de la dispersion que connaîtront les pécheurs
à la fin du monde lorsqu’ils passeront en jugement. En subissant une telle
épreuve, le peuple d’Israël réalise pour Dieu son rôle de peuple de prophètes
donnés à toute la terre.
5. Le Christ n’a pas été tué
par les seuls Juifs ou par quelques soldats romains. Il l’a été par chacun de
nous, dans la mesure où il est mort pour le péché de nous tous. Aussi il serait
vain d’affirmer que les persécutions que subissent les Juifs sont des punitions
du meurtre de Jésus. Il faut plutôt affirmer qu’Israël est donné aux nations
comme un témoignage prophétique des conséquences terribles auxquelles
aboutissent les péchés puisqu’ils tuent la vie de l’âme, d’une manière analogue
à la barbarie des persécuteurs lorsqu’ils massacrent un peuple innocent. Le
peuple d’Israël persécuté est donc signe de la fin du monde où se manifestera
la haine implacable du démon contre les enfants de Dieu.[1465]
6. Le peuple juif n’est pas signe des temps par sa volonté propre
mais par la volonté de Dieu qui fait de son histoire une histoire sainte dont
le sens symbolique témoigne des mystères présents dans toute l’humanité et dans
l’âme de chacun. C’est pourquoi, le retour dans la terre d’Israël doit être
considéré comme un signe des temps en soi, même si les circonstances politiques
sont humaines.
Il en est de même pour les sept prophéties rappelées dans la
conclusion. Leur signification spirituelle apparaît avec évidence à celui qui
est habitué à lire de l’intérieur le reste de l’Histoire Sainte rapporté par la
Bible : On y voit symboliquement manifestées une multitude de choses
spirituelles, depuis le sens de la mort jusqu’à la parousie du Christ à cette heure.
Toute l’histoire du Salut y est inscrite à travers des allégories proches de
celles du livre de l’exode. Comme aux temps anciens, ce peuple est et demeure
un signe grandiose établi par Dieu à la face des nations.[1466]
7. Dans ce texte, Jésus s'adresse non au peuple juif dans son
ensemble mais au deuxième sens de ce mot dans les évangiles : à savoir aux
autorités Juives (pharisien, lévites etc.) qui le rejetaient. Le peuple Juif
dans son ensemble est à l'image de tous les peuples. Jamais il ne trahit entièrement.
Certains Juifs choisissent les Antéchrists de chaque époque, d'autres les
refusent. Et l'antisémitisme est juste la généralisation que font les
non-juifs, dans un mécanisme de bouc émissaire décrit par René Girard : chacun
est tenté d'identifier le tempérament ou l'action de tel Juif qu'il n'aime pas,
à la totalité des Juifs. C'est une attitude liée à l’orgueil.
Pour en revenir à cette prophétie, elle s'est donc réalisée une
première fois en 70 ap. JC : Un tiers du peuple juif a suivi la folle révolte
militaire des prêtres et des zélotes, précipitant la nation entière dans la
ruine. Ils ont suivi « un autre. » Au cours des temps,
de même, des parties du peuple Juif ont suivi divers Antéchrist (capitalisme
pur, puis Marx, Lénine, etc.) A la fin du monde, il est certain qu'une partie
du peuple Juif, imitant le monde entier, suivra avec enthousiasme le dernier
Antéchrist. Mais attention : Les autorités Juives d’Israël, à cette époque là,
se comporteront héroïquement et pour le vrai Dieu, comme le firent les frères
de Joseph lors de la terrible épreuve de la coupe volée (livre de la Genèse).
Comment cela se réalisera-t-il dans les détails ? On l'ignore. Mais c'est une
certitude théologique rapportée par saint Paul.
Objections :
1. Il semble difficile
d’affirmer que l’histoire de Joseph, rapportée par la genèse 37, est une
allégorie annonçant la manière dont le Christ se révélera aux Juifs à la fin du
monde. En effet l’Écriture rapporte que Joseph mit ses frères à l’épreuve avant
de leur manifester son identité. Il fit accuser le plus jeune frère Benjamin
d’un vol qu’il n’avait pas commis. On ne voit pas à quoi peut correspondre une
telle épreuve si elle doit être appliquée au peuple Juif à la fin du monde.
2. L’histoire d’Israël montre
que les conversions qui eurent lieu furent provoquées par la vision de miracles
incontestables tels ceux opérés par saint Vincent Ferrier ou par des
apparitions comme celle que reçu le Père Ratisbonne. Il semble donc qu’il en
sera de même à la fin du monde.
3. Lorsque le Christ apparaîtra
dans le Ciel, entouré de lumière et de gloire, les Juifs reconnaîtront le
Messie douloureux. En effet, ils le refusent à cause de sa douleur et ne
veulent espérer qu’un Messie glorieux. Ils seront donc convaincus par un
miracle de ce genre et non par autre chose. C’est d’ailleurs de cette manière
que les Juifs reconnaissent le Messie à l’heure de leur mort depuis la
résurrection du Christ.
4. Il semble qu’on doive plutôt
admettre que le peuple d’Israël, à force de lire les prophéties explicites de
la Bible, parlant du serviteur douloureux seront convaincus de la réalité de la
mission messianique de Jésus crucifié.
Cependant :
Au sens littéral, l’Écriture ne dit rien sur la manière dont
Israël sera réintégré dans l’Alliance divine. On ne peut rien affirmer de
définitivement concluant en ce domaine mais il est possible, de plusieurs
manières, connaissant la manière divine d’agir, d’inférer les grandes lignes de
cette histoire.
Conclusion :
À propos de la manière dont Israël découvrira le Christ,
il n’y a rien de pleinement certain si ce n’est ceci : la conversion d’Israël
en tant que peuple aura lieu. Elle sera un signe de la résurrection des morts.
Elle sera opérée par Dieu, à l’heure de sa sagesse, puisqu’il est seul
capable d’ouvrir le cœur par sa grâce[1468].
Quant au mode de ce changement, rien n’est pleinement certain car on ne
peut fonder une théologie que sur des textes de l’Écriture ou du Magistère qui
parlent d’une manière littérale de ces choses.
Lorsqu’on
se trouve devant une telle question, il faut chercher s’il n’existe pas une
allégorie biblique où Dieu manifeste comment il se réconcilie un ancien ami[1469].
Or il en existe deux au moins dont le récit peut éclairer ce mystère[1470].
Le premier est une parabole de Jésus racontant l’histoire d'un homme qui avait
deux fils[1471].
Le deuxième concerne ce chapitre puisqu’il raconte la manière dont Dieu peut
préparer longtemps à l’avance une réconciliation. Il s’agit de l'histoire de
Joseph[1472]
et chacune des péripéties de cette histoire semble constituer une annonce du
Christ face à ses frères Juifs. Il était le fils préféré de son père Jacob car
il était le seul enfant de l’épouse qu’il aimait, Rachel. Pour le lui prouver,
il lui avait fait faire une tunique bariolée, signe extérieur de sa préférence.
Or ses dix frères se mirent à le jalouser. Ils ne cessaient de l'importuner, se
moquant des rêves prémonitoires qu’il faisait et leur racontait. Un jour, son
père l’envoya porter de la nourriture aux champs pour ses frères qui y
gardaient les troupeaux. Ceux-ci le virent venir de loin et décidèrent de le
tuer. Ils se saisirent de lui, le jetèrent dans un puits et, avisant une
caravane de marchands qui passait, le vendirent pour la somme de 20 pièces
d'argent. Ils égorgèrent un agneau, mirent le sang sur sa tunique, et la
montrèrent au père en disant : « certainement, un fauve l'aura dévoré”. Jacob
fut inconsolable. Il reporta son affection sur un second fils de Rachel, né
pendant sa vieillesse. Benjamin naquit et sa mère mourut en le mettant au
monde. Joseph fut vendu comme esclave en Égypte. Le roi du pays remarqua ses
talents. Il l’éleva et en fit le premier de ses serviteurs. Il lui confia la
responsabilité de nourrir le pays tout entier.
Cette
histoire, pourtant réelle, est aussi une allégorie. Joseph vendu par ses frères
puis établi comme maître du pain de toute la terre d'Égypte n’est autre que la figure
de Jésus qui, après sa mort douloureuse, put donner le pain du Ciel à toutes
les nations païennes. Rachel sa mère, préférée de Jacob et morte en mettant au
monde le petit Benjamin symbolise et annonce Marie, la mère de Jésus, morte
dans son cœur de mère au pied de la croix en mettant au monde l'Église. Il
suffit de lire le texte pour s'apercevoir des correspondances étonnantes.
En
gardant la même méthode et en remplaçant le personnage de Joseph par Jésus,
celui de Pharaon par Dieu, de l’Égypte par les nations chrétiennes, de Rachel
par Marie, de Benjamin par l’Église, des dix frères pécheurs par le peuple
juif, on assiste comme dans une prophétie à la suite des temps. En effet, le
récit raconte ensuite comment Joseph, devenu maître du pays d'Égypte, se
réconcilia avec ses dix frères criminels. "Puis il advint une grande
famine sur toute la terre. L'Égypte (symbole des peuples chrétiens), gardée par
l'intelligence de Joseph, ne manquait de rien. Jacob et ses fils (Israël)
n’eurent bientôt plus rien et, apprenant que l'Égypte vivait dans l'abondance,
ils décidèrent de s’y rendre et d'acheter à prix d'or du pain. Mais Jacob ne
voulut pas que son fils Benjamin accompagne les dix autres frères, redoutant
quelque chose pour sa vie. Arrivés en Égypte, ils furent reçus par Joseph qui
les reconnut. Mais eux ne le reconnurent pas car il était vêtu en Égyptien.
Alors, volontairement, Joseph leur parla mal et dit les soupçonner d'être des
espions venus observer la faiblesse du pays. Eux nièrent et se proclamèrent onze
frères fils d'un même père et poussés par la famine vers l'Égypte pour y
acheter du pain. Joseph fit semblant de ne pas les croire. Il garda Siméon en
otage exigeant d'eux qu’ils reviennent avec leur plus jeune frère Benjamin pour
prouver leur bonne foi. Ils partirent donc, inquiets et mortifiés, se demandant
si Dieu ne leur faisait pas ainsi payer leurs crimes envers Joseph. Arrivés
devant Jacob, il leur raconta les exigences du maître de l'Égypte mais lui ne
voulut pas laisser partir Benjamin, effrayé pour sa vie. La famine se fit plus
dure sur le pays. Il fallut, sous peine de mort, retourner en Égypte. Alors
Jacob (que Dieu appelle aussi Israël) laissa partir son fils Benjamin avec eux.
Les fils d’Israël arrivèrent donc devant Joseph qui les reçut bien, fit libérer
Siméon et les invita à sa table. Ils ne le reconnurent toujours pas. Alors
qu'ils s’apprêtaient à partir, Joseph dit à son intendant : « Tu
cacheras la coupe en argent, celle dont je me sers pour lire l’avenir, dans le
sac du plus jeune. » Les fils d’Israël étaient partis depuis peu,
lorsque Joseph dit à son intendant : « Rattrape-les, reproche-leur le vol. » L'intendant
le fit. Mais eux nièrent en disant : « fouille nos sacs. Celui chez qui on trouvera
la coupe, mourra et nous, nous serons tes esclaves. » « Soit,
répondit l'intendant, celui chez qui on trouvera la coupe sera mon esclave et
les autres seront libres de partir. » On fouilla les sacs et on
trouva la coupe chez Benjamin. Alors les fils d’Israël déchirèrent leurs
vêtements et revinrent vers la ville. Ils entrèrent dans la maison de Joseph et
Judas, celui-là même qui avait pris la décision de le vendre aux marchands[1473]
lui dit en substance : « Benjamin est le seul fils qui reste à notre père
depuis que Joseph a disparu. S'il ne revient pas, notre père mourra et je
porterai la culpabilité de sa mort. Alors laissez partir l’enfant et prends-moi
comme esclave à sa place. » Devant cette attitude de ses frères,
Joseph ne put se contenir plus longtemps. Il fit sortir tous les Égyptiens
présents et éclata en sanglots. Il leur dit : « Je suis Joseph, mon père
vit-il encore ? » et ses frères ne purent lui répondre car ils
étaient bouleversés de le voir. Alors Joseph dit à ses frères : «
approchez-vous de moi. Ne soyez pas triste de m’avoir vendu ici en Égypte car
c’est pour préserver vos vies que Dieu m’a envoyé devant vous. »
Tel
est le résumé des épreuves que Joseph imposa à ses frères avant de se révéler à
eux. Il voulut voir de ses yeux s'ils avaient changé, s'ils se comporteraient
avec Benjamin comme ils s’étaient comportés avec lui. Or ils ne voulurent pas
le livrer. Au contraire, Judas le plus coupable de tous se proposa pour être
esclave à sa place.
Il
s’agit aussi d'une allégorie nous racontant la manière dont Jésus procédera
probablement vers la fin du monde avec le peuple juif. Elle indique de quelle
manière Jésus mettra à l’épreuve ses frères juifs. Benjamin semble symboliser
l'Église, du moins ses restes à la fin du monde. Sera-t-elle protégée un temps
par les chefs du peuple d’Israël ? Prendront-ils la décision d'empêcher sa
destruction totale par les forces de l’Antéchrist ? Il semble en tout cas, si
l’on suit cette allégorie prophétique, qu’ils ne se comporteront plus de la
même manière qu’au temps de Jésus. Certains théologiens de jadis affirmèrent
que le dernier pape reviendrait mourir à Jérusalem : « Il ne convient pas qu’un prophète meure en dehors de Jérusalem », disait
Jésus[1474].
Dieu se plaît en effet à réaliser de manière historique ce qu’il veut signifier
au sens le plus spirituel. Alors, bouleversé par le changement des Juifs, Jésus
se révélera à eux dans toute sa gloire de Roi de la Terre. Ainsi se réalisera
la parole donnée au Sanhédrin par le Christ douloureux : « Vous verrez le Fils de
l’homme siégeant à la droite de la puissance et venant avec les nuées du
Ciel ».[1475]
Solutions
:
1. D’après certains auteurs[1476], Benjamin symbolise
l’Église. En effet, de même que Rachel a eu deux fils, Joseph et Benjamin et
qu’elle est morte en mettant au monde Benjamin, de même la vierge Marie a deux
fils, Jésus et l’Église. Elle mit au monde l’Église à la croix en mourant dans
son cœur avec son fils aîné. Selon eux, l’allégorie de Joseph doit donc être
interprétée comme il suit : Vers la fin du monde, Dieu permettra que l’Église
soit persécutée de telle façon que son petit reste sera obligée de s’exiler
vers Jérusalem. Sa survie sera donc dépendante du peuple juif qui acceptera de
la protéger, effaçant du même coup l’acte par lequel ses ancêtres avaient
éliminé le Christ qui venait les sauver. Alors la grâce de la conversion leur
sera accordée par Dieu.[1477]
2. Il dépend de Dieu seul de
convertir les cœurs. Il peut le faire en disposant l’âme à la réception de la
grâce par les signes ou par des miracles ou encore par l’infusion sensible du
Saint Esprit. Il peut aussi le faire par la seule prédication de ses apôtres,
qu’il rend efficace avec les charismes. C’est ce que veut exprimer cette parole
du Seigneur : « Dieu peut de ces pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham.
» Seules les âmes définitivement perverties dans le péché peuvent
résister à la manifestation du seigneur et à la conversion. Ainsi, s’il ne le
fait pas, c’est qu’il ne le veut pas. C’est pourquoi on doit dire que Dieu se réserve
la conversion d’Israël pour la fin du monde.
3. Il est vrai que l’apparition
glorieuse du Messie à la fin du monde réalisera la conversion de la totalité
d’Israël, parce qu’elle prouvera à toutes les intelligences la vérité de sa
mission. Cependant, on peut se demander si cette conversion se fera juste avant
cette parousie ou en même temps qu’elle. Les deux opinions sont soutenables car
toutes deux auront un sens très profond. Je penche pour ma part pour la
première opinion pour la raison suivante : c’est en ce monde, dans la nuit de
l’errance et non dans la pleine lumière que la totalité des Écritures sera
accomplie.
4. L’expérience montre que la
lecture des Écritures ne suffit pas à convaincre les Juifs de la nature de
Jésus Christ si elle n’est pas accompagnée de la grâce de Dieu qui seule peut
ouvrir le sens caché des Écritures selon Luc[1478]. De tout cela, on doit
conclure que la conversion d’Israël est repoussée jusqu’à la fin du monde à
cause de la volonté de Dieu qui veut inscrire son salut jusque dans l’aventure
de l’histoire des nations.
A propos de l’Église, nous nous poserons huit questions :
1° Y aura-t-il des martyrs ?
2° L’évangile doit-il être
prêché à toutes les nations ?
3° L’Église doit-elle subir un
martyre vers la fin du monde ?
4° Peut-on savoir comment se
produira ce martyre ?
5° L’heure de l’Église
sera-t-elle annoncée par la papauté ?
6° Sera-t-elle annoncée par la
liturgie ?
7° L’Abomination de la
désolation doit-elle s’installer dans le siège Apostolique ?
8° Le Christ, lorsqu’il
viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?
9° Pourquoi Dieu
permettra-t-il ce mal avant le retour du Christ ?
Objections :
1. Il ne convient pas qu’il y
ait des martyrs sanglants. En effet, le Seigneur a donné à ses apôtres le
pouvoir de chasser les démons, d’accomplir des miracles. Ils doivent donc
pouvoir se défendre, selon ce texte de l’Apocalypse[1479] : « Si l’on s’avisait de les
malmener, un feu sortirait de leur bouche pour dévorer leurs ennemis. »
2. Le Christ a donné par son
martyr un témoignage suffisant aux nations. Il paraît donc inutile que d’autres
donnent leur vie à sa suite.
Cependant :
« Avant tout cela, on
portera la main sur vous, on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues
et aux prisons, on vous traduira devant des rois et des gouverneurs à cause de
mon Nom, et cela aboutira pour vous ou martyre ».[1480]
Conclusion :
Les martyrs sont pour le monde signes de sa fin prochaine
puisqu’ils manifestent par le don de leur vie le peu de prix qu’ils accordent
aux choses de la terre en comparaison de la gloire spirituelle qui est préparée
aux hommes pour l’au-delà. C’est pourquoi il convient que chaque génération ait
des martyrs. Vers la fin du monde, les martyrs seront plus nombreux à cause de
la persécution du démon qui, sentant son temps compté, suscitera un homme
perverti qui luttera contre les saints. C’est pourquoi les martyrs des derniers
temps seront encore plus immédiatement signes de la fin du monde.
Il se peut cependant qu’ils ne soient pas tous des martyres
sanglants. Les méthodes de l’Antéchrist seront plus efficaces et plus subtiles.
L’Apocalypse en donne une idée[1481] : « Nul ne pouvait plus ni acheter
ni vendre s’il n’était marqué du signe de la Bête. » Ce martyr, s’il
ne va pas jusqu’au don de la vie, peut nécessiter une plus grande force car il
est donné goutte à goutte, jour après jour. L’ennemi est plus difficile à
identifier et s’insinue plus dangereusement dans les pensées qu’un tyran bien
repéré. S’il en est ainsi, l’Église réalisera à la fin de son histoire l’image
première de son martyre : Jésus fut crucifié et Marie, reine des martyres, ne
le fut que dans son âme.
Solutions :
1. Le pouvoir donné par le
Seigneur à ses apôtres et à son Église tout entière, rend invincible face aux
attaques de ceux qui veulent contredire la parole de Dieu, selon le Seigneur[1482] : « Mettez-vous dans
l’esprit que vous n’aurez pas à préparer d’avance votre défense : Car moi je
vous donnerai un langage et une sagesse, à quoi nul de vos adversaires ne
pourra résister ni contredire. » Et le martyr sanglant lui-même
parachève cette victoire. C’est pourquoi le Seigneur disait à sainte Jeanne
d’Arc, pour lui annoncer son martyr : « Tu seras délivrée de tes agresseurs par
grande victoire. »
2. Par leur martyr, les saints
rendent visible à travers la durée de tous les temps l’unique martyr accompli
par le Christ. D’autre part, ils appliquent à leur génération d’une manière
efficace les grâces obtenues par la passion du Seigneur. En ce sens, ils
peuvent être nommés co-rédempteurs. C’est ce que veut exprimer saint Paul[1483] : « Je complète dans ma chair
par les souffrances que j’endure pour vous ce qui manque aux épreuves du Christ.
» Par son efficacité, le sang des martyrs est semence de chrétiens.
Objections :
1. Il semble que l’Évangile ne
sera pas prêché à toutes les nations puisque le Seigneur dit à ses apôtres[1484] : « qu’ils n’achèveront pas le
tour des villes d’Israël avant que ne vienne le fils de l’homme. »
2. Le Seigneur lui-même ne
semble pas vouloir que toutes les nations entendent l’annonce de l’Évangile,
selon les Actes des apôtres[1485] : « Le Saint Esprit les empêcha
d’annoncer la Parole en Asie. Ils tentèrent d’entrer en Bithynie, mois l’Esprit
de Jésus, ne le leur permis pas. »
3. Il semble que la prédication
de l’Évangile à toutes les nations ne soit pas un signe de la fin du monde. En
effet, dès les temps apostoliques, cette prophétie fut réalisée selon saint
Paul[1486] : « l’Évangile que vous avez
entendu a été prêché à toutes les créatures sous le Ciel. »
4. La réflexion théologique a
désormais donné à ce signe sa vraie dimension : on admet en effet que l’annonce
du Christ intéresse chaque individu qui est appelé à s’ouvrir à lui, même si
c’est seulement d’une manière implicite. Depuis toujours, le drame de l’accueil
ou du refus de la Vérité est universel, et ce signe, loin d’être interprété
d’une façon purement géographique, doit être conçu comme l’affirmation que tout
homme, lors de la venue du Christ, sera jugé selon ses œuvres d’adhésion ou de
rejet de la vérité ; il n’y a pas de possibilité de rester neutre.[1487]
Cependant :
Le Seigneur annonce[1488] : « Il faut d’abord que
l’Évangile soit proclamé à toutes les nations. »
Conclusion :
Il est nécessaire que la bonne nouvelle du salut proposé par Dieu
soit prêchée à toutes les créatures spirituelles. En effet, comme on l’a vu, Dieu
a créé les anges et les hommes en vue de communiquer sa gloire à ceux qui
l’aiment. Or nul ne peut être introduit dans la gloire s’il ne la veut et nul
ne peut la vouloir comme sa fin dernière s’il n’en connaît l’existence. C’est
pourquoi, tous les hommes de tous les temps, les anges eux-mêmes et, s’il
existe d’autres formes de vie spirituelle, tous ces êtres reçoivent l’annonce
de l’Évangile, chacun cependant selon le mode de sa nature.
C’est pourquoi les anges reçurent au jour de leur création la prédication
de l’Évangile, selon le mode qui leur est connaturel, c’est-à-dire par
l’infusion dans leur âme du contenu intelligible de cette parole de Dieu.
Quant à l’homme, pour la même raison, il reçoit depuis toujours
la prédication explicite de la venue du Messie de la charité pendant sa vie
terrestre. Nous avons montré que cette prédication était la plupart du
temps réalisée à l’heure de la mort soit par l’ange soit par le Seigneur
lui-même. Mais il existe bien d’autres modes, selon l’époque où il vit.
Les premiers humains reçurent la prédication de l’Évangile à
travers le premier père et la première mère Adam et Ève, qui le
tenaient eux-mêmes de la grâce originelle. Ceux-ci devaient transmettre
l’amour du salut éternel à leurs enfants. Mais, par leur péché, ils se
révoltèrent contre l’humilité de leur condition et séparèrent de l’évangile
l’humanité qui devait sortir d’eux. Ainsi, le contenu de l’Évangile fût-il
perdu par l’homme. Il n’en demeura plus qu’un vestige à travers la promesse du
Seigneur d’une rédemption future, selon la Genèse[1489] : « Ta descendance écrasera la
tête du serpent. » Et, jusqu’à la venue du Christ, les hommes furent
disposés à recevoir le salut par la foi en la promesse d’une rédemption future.
Une telle promesse qu’ils recevaient dès cette terre ou au moment de la mort ne
pouvait, si elle était reçue par une âme favorablement disposée, les introduire
immédiatement dans la gloire éternelle. Les morts devaient attendre dans les
limbes la venue du Nouvel Adam et de la nouvelle Ève qui annuleraient la
révolte des premiers parents et effacerait la dette des péchés commis par le
monde entier. C’est ce qui fut accompli à l’heure de la mort du Christ. C’est
pourquoi le rideau du Temple se déchira et le cœur du Christ fut ouvert, ce qui
symbolise que désormais, l’entrée dans la vision béatifique qui est le Saint
des saints était possible à tout homme aimant Dieu. Selon saint Pierre, durant
les trois jours du sépulcre, le Christ descendit aux enfers[1490] : « Il s’en alla prêcher aux
esprits en prison, à ceux qui jadis avaient refusé de croire lorsque
temporisait la longanimité de Dieu, aux jours où Noé construisait l’Arche. » C’est
donc à cette heure que l’humanité qui avait vécu avant le Christ reçut la
plénitude de la révélation. Déjà ces générations avaient été jugées et les
méchants ne firent que s’obstiner dans leur perversité, recevant la
confirmation de leur condamnation à l’enfer éternel. Les âmes de bonne volonté
adhérèrent à la personne du Christ enfin présente devant eux. Ils furent
introduits dans la vision béatifique.
Quant aux hommes qui vivent encore sur la Terre après la passion
du Christ, ils continuent de recevoir tous sans exception la prédication de
l’Évangile. Pour tous, la prédication est donnée par le Christ lui-même,
accompagné des saints et des anges lors de son apparition au moment de la mort.
Et cette prédication est par elle-même signe invisible pour nous mais réel du
retour du Christ et de la fin de ce monde puisque son objet propre est
d’annoncer la vie éternelle.
C’est pourquoi, on doit dire que cette prophétie de Jésus sur
l’annonce de l’Évangile à toutes les nations s’est toujours réalisée. Mais,
pour le signifier de manière visible, Dieu n’hésite pas à la rendre visible à
travers le monde politique et médiatique. Ainsi, les douze apôtres allèrent dès
les premiers temps de l’Église prêcher par toute le terre, depuis l’Inde
jusqu’à l’Égypte, aidés des divers charismes divins qui rendaient leur parole
efficace. Vers la fin du monde, il en sera de même. La parole du Christ sera de
nouveau matériellement réalisée par une prédication visible à chacun des
pays de la terre[1491]. Ce signe médiatique sera
donné pour les hommes et ceux qui savent lire les signes des temps comprendront
sa signification apocalyptique. Cela ne veut pas dire que l’Évangile sera
accepté par toutes les nations.
Solutions :
1. Il est vrai que les apôtres
envoyés par Dieu à chaque génération n’ont jamais eu le temps de faire entendre
leur parole à tous les hommes sans exception. Cependant, ils ont pu annoncer
l’Évangile à toutes les nations du monde connu. De cette manière, ils ont
réalisé symboliquement le commandement du Seigneur leur enjoignant d’aller par
toutes les nations. Ils ont donné à l’humanité un signe suffisant de
l’imminence du retour du Christ.
2. Saint Paul montre que la
conduite de l’Esprit Saint sur l’humanité dépasse les pensées limitées des
hommes. Ainsi, que Jésus lui-même empêche ses apôtres d’évangéliser certaines
nations, ce ne peut être qu’à cause d’un bien supérieur, en rapport avec le salut
éternel de toute l’humanité. C’est de cette façon que l’on doit expliquer les
échecs successifs des apôtres pour évangéliser la Chine. Selon le Psaume[1492] : « Si le Seigneur ne bâtit la
maison, en vain peinent les maçons. » Selon certains, de tels échecs
s’expliquent par le péché des nations à convertir ou encore par celui des
apôtres. Mais de tels arguments ne suffisent pas car l’évangile est fait pour
les pécheurs. On doit donc parler autrement : 1° Il convient que certaines nations restent païennes afin que le
zèle de l’Église à les convertir ne s’arrête jamais et qu’elle ne soit pas
tentée de s’assoupir dans son attente du retour du Sauveur. 2° Les nations païennes témoignent pour
celles qui sont chrétiennes de l’état de l’homme quand il ne reçoit pas la liberté
de l’Évangile.
3. Nous avons suffisamment
répondu à cette objection dans la conclusion.
4. L’accueil implicite du
Christ par la bonne volonté des actes humains réalisés au quotidien par les
païens ne saurait en aucun cas être identifié au signe dont nous parlons ici.
L’Écriture sainte et l’Église ont suffisamment manifesté la place de ces actes
bons[1493] : Ils disposent au salut,
c’est-à-dire à l’accueil amoureux de la vie surnaturelle mais ils ne sont pas
le salut. Jésus lui-même, face à Nicodème venu le voir[1494] avec toute la volonté
droite, la foi et l’espérance d’Israël lui signale qu’il ne peut entrer dans le
Royaume « sans renaître d’en
haut »[1495]. Cette naissance est
réalisée par la venue du Saint Esprit dans le cœur à cœur explicite que permet
la grâce sanctifiante. La présence d’une grâce actuelle dans tout acte bon même
chez les païens est sans comparaison avec cette amitié. C’est pourquoi on doit
affirmer que l’Évangile sera réellement prêché à toutes les nations,
c’est-à-dire à chaque homme avant la fin. Ce signe se réalise de trois manières
principales : 1° Au cours de
l’histoire par les apôtres et les autres moyens de l’Église terrestre ; 2° À l’heure de la mort par le Christ
glorieux ; 3° À la fin du monde pour
la dernière génération face au Christ glorieux.
Objections :
1. L’Église ne doit pas être
détruite à la fin du monde. Notre Seigneur affirme en effet : « que
les portes de l’enfer ne l’emporteront pas sur elle"[1497].
2. Le Seigneur dit à Pierre à
propos de Jean[1498] : « S’il me plaît qu’il demeure
sur la terre jusqu’à ce que je vienne, que t’importe. » Or Jean
symbolise les disciples que Jésus aime particulièrement à cause de la pureté de
leur foi. Donc l’Église subsistera au moins dans ces disciples lors au retour
du Christ.
3. L’Église est appelée par
l’Apocalypse[1499] « l’épouse du Christ. » Or
le Christ est mort pour son épouse, afin de la rendre immaculée. Il est donc inconvenant
que cette épouse subisse à son tour la mort.
4. On a montré précédemment
qu’Isaac était un symbole de l’Église. Or le sacrifice d’Isaac ne fut pas
consommé jusqu’au bout. Un ange arrêta le bras sacrificateur. Il doit donc en
être de même à la fin du monde pour l’Église.
Cependant :
L’Apocalypse affirme[1500] : « On donna à la Bête de mener
campagne contre les saints et de les vaincre » ; De même, le
Seigneur regardant la beauté du Temple de Jérusalem annonce sa destruction et
en fait un signe de la fin du monde. Or le véritable temple, c’était son corps
qui devait être broyé sur la croix et ressusciter trois jours plus tard. C’est
aussi l’Église qui est le corps mystique du Christ.
Conclusion :
L’Église qui est née après la mort de Jésus sur la croix et le don
du Saint Esprit, n’a d’autre mission que de rendre présent pour tous les lieux
et tous les temps la rédemption des péchés opérée par Jésus Christ, sa parole
et l’espérance de la gloire promise. Elle a donc la même mission que Jésus
lui-même.
D’autre part, c’est par le même Esprit Saint qu’elle est conduite
invisiblement à travers les temps pour accomplir cette fin. Ainsi, ce que fit
le Christ poussé par l’Esprit, c’est ce que fera l’Église poussée par le même
Esprit. Ce principe doit être constamment à l’esprit pour comprendre les
évènements de la fin du monde. Les évangiles montrent que Jésus fut conduit par
l’Esprit Saint durant sa vie terrestre de telle façon que sa mission ne
s’arrête pas par la seule prédication mais aille jusqu’au don personnel et
volontaire de sa vie sur la croix. De même, l’Église qui est le Christ continué
sur la terre, après avoir prêché l’Évangile à toutes les nations, sera conduite
de l’intérieur pour se préparer à un martyre sanglant, à un temps de sépulcre
puis à une résurrection qui sera appliquée glorieusement à tous les hommes
selon cette parole de Jésus[1501] : « Si le grain tombé en terre
accepte de mourir, il porte beaucoup de fruits. »
C’est ce qu’exprime le Magistère ordinaire et sûr du Catéchisme de
l’Église catholique[1502] : « Avant l`avènement du Christ,
L’Église doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux
croyants. La persécution qui accompagne son pèlerinage sur la terre dévoilera
le "mystère d’iniquité" sous la forme d’une imposture religieuse
apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au prix de
l’apostasie de la vérité. L’imposture religieuse suprême est celle de
l’Anti-Christ, c’est-à-dire celle d’un pseudo messianisme où l’homme se
glorifie lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans la chair.
L’Église n’entrera dans la gloire du Royaume qu’à travers cette ultime Pâque où
elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa Résurrection. Le Royaume ne
s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Église selon un progrès
ascendant mais par une victoire de Dieu sur le déchaînement ultime du mal, qui
fera descendre du Ciel son Epouse. Le triomphe de Dieu sur la révolte du mal
prendra la forme du jugement dernier, après l’ultime ébranlement cosmique de ce
monde qui passe. »
Solutions :
1. Il faut se garder d’interpréter de telles paroles de Jésus de
manière extérieure et politique. Elles sont avant tout spirituelles et
concernent la victoire de la vie éternelle. Il ne faut pas se tromper sur le
sens réel des paroles de Dieu. Qu’on se souvienne du trouble analogue qui saisit la réflexion juive de
l’Ancien Testament dans la tension d’une foi enseignant sans ambiguïté que
"Dieu comble de biens les hommes
droits et renvoie les riches les mains vides" et la constatation quotidienne de
l’inverse. Cette dramatique expérience fut source d’une mutation spirituelle
majeure depuis le livre de Job vers celui de la Sagesse, en préparation de la
venue de Jésus. Au temps de leur gloire, les Juifs tuaient comme hérétiques les
prophètes qui osaient annoncer, chose impossible en raison de la présence
réelle de Dieu, la destruction du Temple. Il fallut plusieurs ruines et
déportations d’Israël pour que certains comprennent que ce qui importait à
Dieu, c’était le temple spirituel du cœur de chaque homme. Il est à remarquer
que Dieu se plaît dans d’apparentes contradictions. Nous en sommes frappés à
l’évocation des nombreux exemples qui jalonnent l’Écriture ou la vie des saints
: Jeanne d’Arc, demandant à ses voix si elle serait sauvée s’entendit répondre
: « Oui, par grande victoire!
» Deux jours plus tard, elle était brûlée vive. Pour le théologien,
l’opposition apparente entre foi et réalité, loin d’être une torture, constitue
le lieu théologique par excellence, le lieu des découvertes. Deux vérités
apparemment contradictoires, dont l’une procède de la foi (les portes de l’enfer ne l’emporteront pas sur l’Église) et l’autre
de l’expérience (l’Église disparaîtra de
façon visible de la surface du monde) et qui sont comparables à deux silex
durs qu’on frotte : la lumière en jaillit. Quand nous voyons horreur, martyre
sanglant ou échec politique, Dieu voit victoire, règne éternel et gloire. Pour
lui, la victoire réelle est celle qui se termine en Vie éternelle (donc, encore
et toujours humilité (kénose) et charité). Elles le seront de fait car le pape
et le clergé de cette époque seront disposés à faire de leur sacerdoce et de
leur vie une offrande d'amour, une dernière messe unie à la Messe éternelle de
Jésus. Le Ciel entier sera ébranlé devant leur sainteté et le retour du Christ
ne sera plus lointain.
Ainsi, de même que, à la croix, les portes de l’enfer n’ont pas
vaincu Jésus malgré ce qui apparaissait extérieurement, mais ont au contraire
été détruites par le Messie, de même, à la fin du monde, le martyre sanglant et
volontaire de l’Église à travers ses saints marquera la victoire définitive et
sera suivi, après un temps que Dieu connaît, par le retour du Christ et la
résurrection des morts.
2. Par une partie d’elle-même,
qui sera la partie visible symbolisée par Pierre[1503], l’Église imitera la
passion du Christ jusque dans le sacrifice total. Cependant, par une autre
partie symbolisée par Jean, l’Église imitera la compassion vécue par la vierge
Marie au pied de la croix. C’est pourquoi, vers la fin des temps, la vierge
Marie préparera elle-même une partie de l’Église en vue de la rendre capable
d’assister au martyre de l’Église hiérarchique et visible sans perdre la foi ou
sombrer dans le désespoir.[1504]
3. Même l’analogie de l’épouse
quand elle est appliquée à l’Église peut permettre de comprendre les
convenances de ce martyre annoncé par Dieu pour la fin des temps. En effet, une
épouse, lorsque l’amour de son époux a pleinement pris sa vie suit son époux
partout où il va. S’il est condamné à mort, elle est prête à l’assister dans
son martyr et à s’unir à lui par la volonté ce qui est la compassion. Mais
si elle est condamnée à mort avec son époux, elle le suit et l’imite jusque
dans sa passion. C’est ainsi que, à la fin des temps, l’Église dans sa partie
visible s’offrira elle-même pour le salut du monde, unie par la charité de
façon unique et jamais vue au sacrifice du Messie. Ce sera la dernière Messe
d’une rédemption et de la coopération de l’humanité.
4. À la fin du monde, une
partie de l’Église subira réellement le martyre sanglant et en particulier sa
partie visible qui est essentiellement représentée par la hiérarchie. C’est ce
qu’annonce Jésus à Pierre qui symbolise cette Église hiérarchique[1505] : « Il signifiait, en parlant
ainsi, par quel genre de mort Pierre devait glorifier Dieu. » Cependant,
le sacrifice de l’Église ne sera pas consommé au point de faire disparaître du
monde tous les chrétiens. C’est ce que le Seigneur annonce en saint Matthieu[1506] : « Il y aura alors une grande
tribulation, telle qu’il n’y en a pas eu depuis le commencement du monde
jusqu’à ce jour, et qu’il n’y en aura jamais plus. Et si ces jours là n’avaient
pas été abrégés, nul n’aurait eu la vie sauve. Mais à cause des élus, ils
seront abrégés ces jours-là. »
Objections :
1. Il semble que la passion de
Jésus ne doive pas être considérée comme une allégorie préfigurant la manière
dont l’Église sera conduite au martyre. En effet, le Christ est mort crucifié.
Il est impossible que les chrétiens le soient à la fin du monde.
2. Ce qui est exprimé par mode
d’allégorie ne peut suffire à fonder une véritable théologie. Mais seuls les
textes qui expriment au sens littéral les mystères divins peuvent faire
autorité. Si l’on sort de cette règle, on risque de sombrer dans l’imaginaire.
Donc on ne peut savoir comment se fera le martyre de l’Église.
3. Dans les Actes des apôtres,
le Seigneur dit[1507] : « Il ne vous appartient pas de
connaître les temps et les moments que le Père a fixé de sa propre autorité. » De
même, ne doit-on pas dire qu’il n’appartient pas à l’homme de connaître comment
se produira la fin.
4. La destruction du Temple de
Jérusalem ne peut être une allégorie de celle de l’Eglise à la fin du monde. Le
Temple fut détruit car périmé. L’Église le sera comme martyre sainte, à l’image
du Christ.
Cependant :
Le Seigneur ne fait rien sans en parler d’abord à ses prophètes.
En outre, il a laissé à l’Église certaines prophéties contenues dans les
évangiles, les épîtres et l’Apocalypse. Il est donc possible de savoir comment
se fera le martyre de l’Église.
Conclusion :
Comme on l’a dit, l’Église devra subir le martyre à la fin des
temps parce qu’elle est une avec le Christ. Cependant, s’il s’agit de savoir
comment se produira ce martyre, il faut reconnaître qu’on ne peut rien dire de
définitif. En effet, les prophéties de l’Écriture à ce propos s’appliquent
aussi à d’autres événements comme la ruine de Jérusalem et la destruction du
temple. De même l’Apocalypse révélée à saint Jean a une signification
universellement valable à toutes les époques du monde puisqu’elle explique à la
fois la conduite de Dieu sur notre âme, sur l’humanité et sur l’Église.
Il reste cependant des textes dont la signification allégorique ne
fait pas de doute par rapport à la fin de l’Église. Ils peuvent donner une
certaine idée des événements qui se produiront :
1° Et le premier d’entre eux
est le récit de la passion rapporté par les évangiles. Comme nous l’avons
montré, l’Église est invisiblement menée dans son pèlerinage terrestre par le
même Esprit que celui de Jésus. La vie de Jésus est donc l’image préfiguratrice
de celle de l’Église en tant qu’elle est sainte. C’est ce que Jésus veut
signifier à saint Pierre quand il lui dit : «
Suis-moi », après lui avoir
annoncé la manière dont il mourrait[1508]. La fin de l’évangile de
Jean est à cet égard, le texte allégorique le plus explicite sur le rapport
entre la passion de Jésus, celle de Pierre et celle de Jean imitant la vierge
Marie qui lui avait été donnée pour mère à la croix.
2° En second lieu, l’annonce de la ruine du temple
de Jérusalem signifie prophétiquement celle du nouveau temple qu’est l’Église.
Il faut remarquer que les récits concernant Jérusalem sont présents non
seulement dans le discours eschatologique de Jésus[1509] mais aussi dans le livre du
prophète Daniel qui reçut la révélation des événements tragiques qui se
préparaient.[1510]
3° En troisième lieu, le livre
de l’Apocalypse peut être éclairant puisqu’il révèle ce qui est caché dans
cette lutte à savoir la présence du démon qui, tel un dragon, poursuit la femme
et sa descendance sur la terre, et la présence de Dieu qui conduit par ces
épreuves les hommes vers la Jérusalem céleste.
Solutions :
1. La passion du Christ ne doit pas être vécue par l’Église d’une
manière matérielle. Mais elle est une analogie dont le sens allégorique annonce
et préfigure dans quel esprit se fera cette passion. Ainsi, la mort sur la
croix ne sera pas appliquée matériellement à l’Église comme si les clercs
devaient être crucifiés à la fin du monde. Mais elle le sera réellement d’une
manière que Dieu connaît puisque l’Antéchrist fera disparaître dans l’infamie
d’une mise à mort méprisante les serviteurs de Dieu. C’est ce qu’exprime
symboliquement l’Apocalypse[1511] : « Quand ils auront fini leur
témoignage, la Bête qui surgit de l’abîme viendra guerroyer contre eux, les
vaincre et les tuer. Et leurs cadavres, sur la place de la grande cité, Sodome
ou Égypte comme on l’appelle symboliquement, Leurs cadavres demeurent exposés
au regard des peuples, sans qu’il soit permis de les mettre au tombeau. Les
habitants de la terre s’en réjouissent et s’en félicitent. » C’est
ce que semble aussi annoncer le troisième secret de Fatima qu’il convient de
citer et de regarder avec attention. Car ce genre de révélation privée, dont
Dieu manifeste l’authenticité à l’Eglise par des miracles indubitables, si elle
n’apporte rien de nouveau au contenu du dogme de la foi, est importante pour ce
qui est de l’espérance théologale puisqu’elle donne à chaque génération des
indications importantes concernant le mode de réalisation de cette foi et la
proximité du retour du Christ : « Et nous vîmes, dans une lumière immense qui
est Dieu quelque chose de semblable à la manière dont se voient les personnes
dans un miroir, un évêque vêtu de blanc, nous avons eu le pressentiment
que c’était le Saint-Père. Nous vîmes divers autres évêques, prêtres, religieux
et religieuses monter sur une montagne escarpée, au sommet de laquelle il y
avait une grande croix en troncs bruts, comme s’ils étaient en chêne liège avec
leur écorce. Avant d’y arriver, le Saint-Père traversa une grande ville à
moitié en ruine et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de
souffrance et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur
son chemin. Parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la
grande croix, il fut tué par un groupe de soldats qui tirèrent plusieurs coups
avec une arme à feu et des flèches. Et de la même manière moururent les uns
après les autres les évêques, les prêtres, les religieux et religieuses et divers
laïcs, hommes et femmes de classe et de catégories sociales différentes. Sous
les deux bras de la croix, il y avait deux anges, chacun avec un arrosoir de
cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des martyrs et avec
lequel ils irriguaient les âmes qui s’approchaient de Dieu. »
2. Il convient que les mystères
du futur soient en partie cachés sous les voiles de l’allégorie. En effet, si
les hommes connaissaient avec certitude tous les détails accompagnant la fin au
monde, ils risqueraient de s’appesantir dans leur espérance, se tenant l’un à
l’autre ce langage : « la fin du
monde n’est pas pour notre temps. »
Par contre, il est essentiel que certains hommes connaissent d’une manière
générale les raisons et les causes de la tribulation qu’ils vivent : de cette
manière, ils peuvent s’unir spirituellement au mystère dont ils pénètrent en
partie l’essence. C’est pourquoi le livre de l’Apocalypse, dont le style est
allégorique, a été donné aux hommes. Il permet de fonder une théologie de l’espérance
puisqu’il annonce la fin du monde et la Jérusalem céleste. D’autre part, il
invite l’homme à scruter les signes des temps qui annoncent le retour du
Christ. Cependant, on doit admettre que les textes symboliques de l’Apocalypse
doivent être éclairés par d’autres textes tirés des évangiles, des épîtres, de
la Tradition sainte et de la confirmation du Magistère.
3. Et cela répond à la
troisième objection. Mais on doit admettre que nul ne peut connaître l’heure de
l’Église, c’est-à-dire le moment où son martyre sera consommé. Il est possible,
avec beaucoup de prudence, d’en donner un scénario général. L’Antéchrist final
installera dans les cœurs humains et sur les nations son royaume de l’homme
sans Dieu par des méthodes qui ne laisseront place à aucune ambiguïté. Au
contraire, le vrai pape et la vraie Église de cette époque auront à subir un
martyre, très souvent annoncé par l'Écriture. "Quand tu étais jeune, dit Jésus au pape Pierre[1512], tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais ; quand tu seras
devenu vieux, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te mènera où tu
ne voudras pas. Il indiquait ainsi, commente saint Jean, par quel genre de mort Pierre devait glorifier Dieu. Ayant dit cela,
il lui dit : « suis-moi. » Se retournant, Pierre aperçoit, marchant à leur
suite, le disciple que Jésus aimait, celui-là même qui, durant le repas,
s’était penché sur sa poitrine et avait dit : « Seigneur, qui est-ce qui te
livre ? Le voyant donc, Pierre dit à Jésus : Seigneur, et lui ? Jésus lui dit :
« S'il me plaît qu’il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t’importe ? Toi,
suis-moi. » Le bruit se répandit parmi les frères que ce disciple ne mourrait
pas. Or Jésus avait dit à Pierre : « Si Je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je
vienne. » Et non : il ne mourra pas. »
Ce texte est bien évidemment adressé non seulement à Pierre et à
Jean individuellement mais à toutes les Églises de tous les temps. Il s’agit
d'un exemple typique du style des prophéties de Jésus : Pierre est vraiment
mort martyrisé et Jean de vieillesse, le jour où le Seigneur est venu le
chercher par son apparition à l'heure de sa mort. Mais il s’agit aussi d'une
allégorie racontant la fin de l'Église. Ainsi, le texte de saint Jean nous
apprend comment se produira le martyre final de l’Église. Appuyé sur ses succès
antérieurs, l’Antéchrist rendra illégales dans le monde entier les religions.
Il fera adopter par toutes les nations une interdiction définitive de prêcher
ou de rendre un culte public à Dieu ou à n’importe quelle divinité inventée par
le passé. Chacun sera invité à consacrer son temps à la construction du monde
d’ici-bas, au-delà des superstitions que la peur suscite. Le culte du
vrai Dieu ne sera autorisé qu’au fond de sa conscience individuelle, domaine
incontrôlable par définition aux autorités politiques. L'Écriture est nette sur
ce point[1513] : « La corne (la puissance de l’Antéchrist) grandit et s'étendit en direction du pays de la Splendeur (le pays où l’on adore Dieu, à savoir
les religions et en premier celle du Christ). Elle grandit jusqu’aux
armées du Ciel (ceux qui servent Dieu), précipita
à terre des armées (les apôtres qui luttent pour l’Évangile) et des étoiles (des docteurs qui
enseignent la bonne direction à suivre)
et les foula aux pieds. Elle s’exalta même contre le Prince de l'armée (le
Christ), elle abolit le sacrifice
perpétuel (pour les Juifs, il s’agit de l’holocauste du Temple et, pour les
chrétiens, la messe et tous les sacrements de l’Église), et renversa le fondement de son autel (le pape, pierre sur qui
l'Église est bâtie) et l'armée. Sur le
sacrifice elle posa l'iniquité (c’est-à-dire qu’elle déclara mauvais tout
culte divin) et renversa à terre la
vérité ; Elle agit et elle réussit. » Ce texte comme tous les autres du
même sujet ne laisse aucun doute sur l'ampleur de la destruction opérée par
l’Antéchrist. Hormis les anciens bâtiments que l’Apocalypse nomme « leur cadavres », il ne laissera rien subsister de l'Église visible, surtout
pas le sacerdoce. Rien ne nous permet d'être définitif sur les méthodes qu'il
emploiera. Beaucoup de théologiens du passé affirmèrent à partir de ces textes
et de la vie de saint Pierre qu’il s’agirait d'un martyre sanglant : une mise à
mort physique des quelques milliers d’hommes que sont dans le monde le pape,
les évêques et les prêtres. C'est une chose en définitive assez facile à
réaliser dans un monde confiant devant sa liberté. Mais ce sens littéral du
martyre n'est pas une certitude. Pour faire disparaître le sacerdoce de la vie
des peuples, il suffit, après l’avoir vu s’affaiblir durant des siècles, de
l’empêcher de s’exercer : surveillance, emprisonnement, déportation, toutes
méthodes policières dans un monde où rien n’est laissé au hasard[1514]. Nous ne pouvons affirmer
qu’une chose de manière certaine : vers la fin du monde, de par l'action de
l’Antéchrist, le dernier pape vivra un sacrifice total dans son ministère
désormais banni de la terre. Il sera crucifié comme saint Pierre dans son âme
de pasteur (et peut-être aussi dans son corps). Afin que le caractère qui fait
le prêtre ne subsiste en personne, il est possible que son martyre s’accompagne
de celui des prêtres.
4. Il n’y a pas à opposer le Temple de Jérusalem et l’Eglise mais au
contraire à les comparer. Ainsi, il est vrai que le Temple était périmé ; de
même, à la fin du monde, l’Eglise sous sa forme terrestre devra disparaître
pour être glorifiée. Il est vrai que le Temple fut détruit à cause des nombreux
péchés qui y furent commis ; de même l’Eglise, faite d’hommes pécheurs, sera
martyrisée en vue de la correction de ses péchés. De plus, vers la fin du
monde, il semble que le Temple sera rebâti par les Juifs à sa place ancienne ;
de même, l’Eglise ressuscitera sainte et définitive, ici-bas lors du retour du
Christ et pour l’éternité dans l’autre monde.
Objections :
1. L’heure de l’Église ne
pourra pas être annoncée par le pape puisqu’il ne la connaîtra pas lui-même : « Il
ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments », dit
le Seigneur à ses apôtres.
2. Il semble incroyable que la
papauté elle-même puisse subir le martyre jusqu’à disparaître. Le Seigneur dit
en effet : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Et les portes
de l’Hadès ne l’emporteront pas sur elle ».[1515]
3. La papauté ne peut
disparaître définitivement sans présupposer la disparition de l’Église
hiérarchique toute entière sans quoi les prêtres survivants n’auraient qu’à
élire un autre pape.
4. D’après l’évangile, la papauté
ne peut être atteinte par le démon dans sa fidélité à la foi apostolique selon
cette parole de Jésus : « J’ai prié pour que ta foi ne défaille pas. »
Donc, il est impossible qu’elle soit vaincue par le démon dans
l’essence même de son ministère.
Cependant :
Il appartient au pape de conduire l’Église dans son pèlerinage
terrestre selon cette parole du Seigneur à Pierre : « Sois le berger de mes
brebis »[1516]. Il lui appartient donc en
premier lieu d’annoncer prophétiquement l’approche de l’heure de l’Église.
Conclusion :
C’est sur Pierre et ses successeurs qu’a été fondée l’Église
terrestre du Christ. Et le Seigneur a remis au pape la responsabilité du
ministère prophétique, royal et sacerdotal. À cause de la charge prophétique qui lui incombe, le successeur
de Pierre reçoit personnellement un charisme d’infaillibilité qu’il exerce
d’une manière habituelle lorsqu’il exprime de sa chaire apostolique les
doctrines universelles concernant ce qu’on doit croire et la manière dont on
doit vivre, c’est-à-dire la foi et la morale[1517]. De par sa charge sacerdotale, le pape reçoit la
responsabilité de veiller au sacrifice de la messe et aux autres sacrements qui
lui sont ordonnés, ainsi qu’à la liturgie qui entoure ces sacrements. Enfin, la
charge royale fait du pape celui qui
veille sur l’Église toute entière et la mène vers son destin éternel qui est
l’entrée dans la béatitude éternelle.
A propos du martyre de l’Église, on doit donc dire trois choses :
1° Le fait que l’Église doive subir un martyre relève en tant qu’il
s’agit d’une doctrine théologique, du ministère prophétique et du charisme de
l’enseignement de la foi. Il est donc probable que vers la fin des temps, les
papes annonceront ce martyre futur ou sa possibilité, de la même façon que
Jésus l’a annoncé plusieurs fois à ses disciples. L’Eglise fit d’ailleurs cette
annonce pour la première fois dans son magistère, par la voix de Jean-Paul II
en 2002 dans le Catéchisme de l’Eglise
Catholique n° 675-676.
Cependant, il faut remarquer qu’une telle annonce est
difficilement compréhensible pour ceux qui n’ont pas le sens de la manière dont
Dieu conduit ses fidèles. Elle provoque le scandale et aucun de ceux qui
suivaient Jésus quand il parlait ainsi ne compris vraiment, excepté bien sûr la
vierge Marie. De la même façon, vers la fin des temps, il est probable que
seules quelques âmes contemplatives, vivant de l’esprit de la Vierge Immaculée,
comprendront le contenu prophétique des avertissements des papes.
2° Le martyre de l’Église, en
tant qu’il sera un événement historique, et qu’il se réalisera à une heure
voulue par Dieu, concerne plutôt le ministère royal du pape, c’est-à-dire celui
par lequel il conduit le troupeau de Dieu vers son sacrifice et sa
glorification. Si l’on suit les Écritures, il semble que la papauté sera signe
de la proximité de cette heure sans le vouloir et qu’elle essayera d’y
échapper. C’est ce que signifie ce texte de l’évangile qui exprime
allégoriquement les dernières heures du pape : « En vérité, en vérité je te
le dis. Quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où
tu voulais ; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains et un autre te
ceindra et te mènera où tu ne voudras pas ».[1518] Il signifiait en parlant
ainsi, Le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu. Et nous avons
dans l’histoire de la papauté une illustration de ce texte. Il est clair que
pendant des siècles, la papauté fut maîtresse du monde au point de pouvoir
déposer les rois. Elle allait donc où elle voulait. Puis, depuis quelques
siècles, son pouvoir fut contesté et diminué sans qu’elle puisse s’y opposer,
étant conduite malgré elle jusqu’au dépouillement des Etats pontificaux. Les
papes se firent alors prisonniers volontaires au Vatican, refusant ce qui leur
paraissait être une injustice. Saint Jean Bosco n’était pas entendu, lui qui
avertissait en disant : « Ceci
vient de Dieu. » Cette histoire
préfigure un autre dépouillement qui ira jusqu’à la mort. Mais ce dépouillement
final sera difficilement accepté par le pape. On peut en avoir un signe de
cette réticence au martyre dans le document qui accompagne la publication de la
troisième prophétie de Fatima citée plus haut : « ce texte est déjà réalisé dans l’attentat de 1981 contre
Jean-Paul II », dit le Cardinal
Ratzinger.
3° Le martyre de l’Église, en
tant qu’il influencera la liturgie de l’Eglise sera certainement annoncée par
le pape en tant que prêtre suprême. Comme nous le verrons[1519], de même que la liturgie
qui entourait le Christ changea depuis celle de la crèche jusqu’à celle de son
sépulcre puis de sa résurrection, de même l’Eglise modifiera sa liturgie qui
deviendra de plus en plus humble, jusqu’à son entrée dans la pleine gloire.
Solutions :
1. Il peut arriver qu’un homme
soit prophète sans le vouloir. Ainsi Caïphe qui était alors grand prêtre dit-il
à ses confrères : « Vous ne voyez même pas qu’il est de votre
intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas
tout entière ».[1520] Et l’évangéliste commente
cette parole en disant : « il ne dit pas ceci de lui-même mais, étant
grand prêtre cette année là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la
nation. » De même, à la fin des temps, la papauté sera conduite par
le Saint Esprit à prononcer des paroles et à subir des événements qui seront
signe de la fin prochaine. Et qu’elle le veuille ou non, elle imitera Jésus qui
eut un comportement significatif vers sa dernière heure : Il accepta de parler
aux grecs, alors qu’il réservait jusqu’ici son ministère aux seuls Juifs[1521] ; il fut acclamé une
dernière fois par les foules enthousiastes lors de son entrée à Jérusalem[1522], il s’humilia jusqu’à laver
les pieds de ses disciples[1523] et fit bien d’autres choses
surprenantes pour ses disciples. De même, vers la fin de l’Église, la
hiérarchie ecclésiale aura un comportement qui tranchera avec ce qui se faisait
précédemment ou point d’en scandaliser quelques-uns uns qui imiteront en cela
le comportement généreux mais mal éclairé de Pierre lorsqu’il refusa de se
faire laver les pieds par le maître[1524].
2. Comme nous l’avons montré,
de telles paroles de Jésus ont d’abord une signification spirituelle : elles
montrent que jamais le démon ne pourra faire dériver la foi du Magistère de
Pierre ou faire que les papes dirigent l’Église vers une autre fin que l’unique
possession de Dieu. Elles ne signifient pas que la papauté ne puisse pécher ou
subir des échecs extérieurs et des persécutions. L’histoire montre que bien des
papes sont morts martyrs. Et qu’à la fin du monde la papauté soit attaquée par
l’Antéchrist au point de disparaître, ce ne sera pas un échec mais la victoire
définitive qui précèdera le retour du Christ.
3. La fin de l’Église vécue par
la papauté sera comparable à celle du Christ qu’elle doit imiter et achever. Or
on voit que parmi les disciples, la plupart eurent peur et s’enfuirent tandis
que quelques uns trahirent comme Judas ou renièrent comme Pierre. Dans la
dernière lutte de l’Église, l’Antéchrist fera régner une telle terreur qu’il en
sera ainsi parmi les prêtres. Ceux qui seront fidèles seront mis à mort, les
autres abandonneront leur sacerdoce. C’est pourquoi Daniel prophétise[1525] : « Des forces viendront de
sa part profaner le sanctuaire-citadelle, ils aboliront le sacrifice-perpétuel,
et y mettront l’Abomination de la désolation. » Ce sera pour
l’Église, à travers les générations qui vivront cela, une époque de sépulcre et
pour les chrétiens un moment de tentation spirituelle intense que seules une
foi et une espérance comparables à celles de la Vierge au samedi saint pourra
vaincre.
4. Le successeur de saint
Pierre reçoit de la part de l’Esprit Saint un charisme personnel
d’infaillibilité lorsqu’il enseigne, en tant que Prince des apôtres, une
doctrine concernant la foi ou la morale. Il est donc impossible, à cause de la
puissance du Saint Esprit, que le pape soit vaincu sous ce rapport. C’est
pourquoi toutes les pseudo-prophéties qui annoncent que l’Antéchrist sera un
successeur de Pierre ne viennent pas de Dieu.
Objections :
1. On ne voit pas comment la
liturgie sacramentelle pourrait être signe de la proximité du martyre de
l’Église et du retour du Christ puisqu’elle demeure inchangeable, étant
instituée par le Christ.
2. Lorsque les papes changent
la manière dont est célébré le rite préparatoire au sacrement, ils ne veulent
pas annoncer le retour du Christ mais seulement adapter à la sensibilité du
peuple la manière de célébrer Dieu.
3. Le peuple des fidèles par la
manière dont il préfère vivre la liturgie ne peut être considéré comme un signe
des temps. Car la sensibilité dépend plus de la culture ambiante et de la mode
que de l’Esprit Saint.
Cependant :
L’Apocalypse écrit[1526] : « La femme criait dans les
douleurs de l’enfantement. » Or cette femme symbolise l’Église dans
son cheminement vers la gloire. Et le cri de l’Église, c’est la liturgie. Donc
il y aura des signes dans la liturgie.
Conclusion :
La liturgie est la prière par laquelle l’Église rend un culte à
Dieu.
1° Or parmi les actes
liturgiques, il en est qui sont institués par le Seigneur lui-même. Ceux-là ne
peuvent en aucune façon évoluer ou être changés puisqu’ils dépendent de la
volonté de Dieu et non de celle de l’Église. Par exemple, les paroles et les
gestes consécratoires de l’eucharistie sont essentiels au sacrement au point
qu’ils ne peuvent être changés.
2° D’autres actes liturgiques
sont entièrement dépendants de la volonté de l’Église puisque le Seigneur n’a
rien fixé les concernant. Il dépend donc du pape et des évêques unis au pape
d’en déterminer les règles. Ainsi, la forme des vêtements liturgiques, les
prières préparatoires à la consécration eucharistique, la forme de l’autel ou
de la table du sacrifice et d’autres choses du même genre fixées par les rituels.
3° Enfin, certains aspects de
la liturgie sont laissés à la libre initiative des prêtres et des fidèles : la
manière de chanter et le contenu des psaumes de libre louange, les offrandes
données à l’Église lors de l’offertoire.
Et, selon ces trois aspects, la liturgie est signe de la fin au
monde.
1° Ce qui est institué par le
Seigneur est par essence signe du retour du Christ puisque, à chaque fois qu’un
sacrement est conféré, le Christ vient dans l’âme et préfigure par là sa venue définitive
accomplie à la mort de chacun.
2° Ce qui dépend de l’Église et
de la papauté peut être plus particulièrement encore signe de la proximité du
retour du Christ tel qu’il se produira à la fin au monde. En effet à chaque
fois qu’un pape change la liturgie de l’Église, il est mu invisiblement par le
Saint Esprit qui donne à sa réforme une signification prophétique. De la même
manière que le Christ a été honoré diversement par les hommes selon qu’il était
plus ou moins proche de l’heure de sa passion, de même l’Église offrira à Dieu
le sacrifice eucharistique selon des modes différents jusqu’à la fin.
3° Ce qui dans la liturgie
dépend du peuple de Dieu peut aussi être signe des temps car les fidèles sont
invisiblement mus par un sens prophétique qui vient du Saint Esprit.
Solutions :
1. On a vu de quelle manière la
liturgie sacramentelle, en tant qu’elle est instituée par le Christ, est pour
chaque homme signe de la fin du monde. Cependant, vers la fin du monde, cette
liturgie sera plus particulièrement encore signe de son retour selon Daniel[1527] : « Ils aboliront le sacrifice
perpétuel. » Il est en effet probable que les armées de l’Antéchrist
feront disparaître la célébration de l’eucharistie. Et cette terreur qui
semblera marquer la victoire définitive du démon sera pour l’Église un temps de
sépulcre qui précédera une résurrection glorieuse et définitive dans la gloire
du retour du Christ.
2. De même que le peuple
d’Israël était un signe prophétique à travers chacun des événements de son
histoire, de même l’Église qui est le nouvel Israël. On doit donc apprendre à
lire avec le regard de l’Esprit Saint l’histoire de l’Église selon sa
signification eschatologique. Et cette histoire peut être comparée à celle de
Jésus lors de son pèlerinage terrestre. Ainsi, on peut lire dans les évangiles
que Jésus fut honoré diversement au cours de sa vie apostolique : il y eut un
moment plus caché lorsque les Juifs commencèrent à entendre parler de lui, il y
eut ensuite un moment de gloire extrême où il fut honoré par la majorité du
peuple ; il y eut enfin un moment douloureux, accompagné de luttes qui
aboutirent à la dernière liturgie, celle au sépulcre, accomplie par des laïcs
qui n’étaient même pas ses compagnons de route. De même, la liturgie de
l’Église connut des phases analogues depuis les premières maisons de prière
dans l’Empire romain. Elle ne cessera d’être signe des temps jusqu’à la
dernière liturgie. Lorsque le sacerdoce sera effacé de la terre, alors viendra la liturgie
du silence, jusqu’au retour du Christ.
3. Les fidèles sont mus
intérieurement par l’Esprit Saint qui oriente leur cœur en y inspirant ses
volontés. Et plus les fidèles sont proches de Dieu, plus cette motion est
accomplie facilement, selon le livre des Proverbes[1528] : « Le cœur du roi est aux
mains du Seigneur comme l’eau courante qu‘on oriente partout à son gré. » Ainsi,
on doit être attentif à la spiritualité des fidèles, selon ce qu’il y a de
saint en eux. L'art a de tout temps été signe de la mentalité des époques.
Ainsi, le XIIIème siècle, époque de la civilisation chrétienne où
tout s'unifie autour du Christ, brille par l'harmonie des cathédrales gothiques
qui ressemblent à des vaisseaux en marche vers la lumière. La Renaissance qui
est le siècle de la redécouverte de valeurs humaines autonomes du christianisme
et trop oubliées se caractérise par ses œuvres profanes aux lignes classiques ;
l'époque moderne et contemporaine qui se caractérise par l’oubli progressif de
Dieu a été source d'un art de plus en plus profane et aujourd’hui torturé, non figuratif
et parfois même sans vie apparente, marqué du même désespoir que le monde qui
ne croit plus devoir espérer un salut après la mort. L’art est donc un signe
philosophique de chaque époque. Il en est de même au plan théologique mais
l’art s’appelle liturgie, et le temps
se déroule vers le retour du Christ. Durant sa vie terrestre, Jésus reçut de la
part de ceux qui l’entouraient des marques qui étaient des signes de leur
attachement à son égard. Il fut honoré diversement au cours de sa vie
apostolique. Il y eut un temps plus caché au moment où les Juifs commencèrent à
entendre parler de lui. De même, l'Église à ses débuts dans l'Empire romain,
encore soupçonnée et objet de méfiance, se réunissait dans des maisons
individuelles et, comme aux noces de Cana, ne donnait qu'en privé le vin de la
Parole. Au cours de sa vie, Jésus connut ensuite un moment de gloire
extérieure. Les gens venaient de tout Israël pour écouter sa parole et voir ses
miracles. On voulait le toucher, le faire roi. De même, l'Église connut une
époque de gloire. Elle dominait le monde, pouvant excommunier les rois et leur
enlever leur trône. Sa liturgie réformée par le pape Grégoire, devint
somptueuse, riche et solennelle, à l'image du pouvoir spirituel (et matériel)
qu’elle possédait. Dans une troisième phase de sa vie apostolique, Jésus connut
la lutte et les abandons. On vint moins l'écouter. Il fut souvent seul. Il en
est de même pour l'Église depuis le siècle des Lumières et de plus en plus
actuellement. Alors, poussée par l'Esprit saint, elle changea de liturgie.
Après le Concile Vatican II, elle l'appauvrit, la rendit plus familiale en
insistant davantage durant la Messe sur l'aspect "repas intime" de la
Cène de Jésus et moins sur la gloire du Sacrifice universel de la croix.
L'Église avait bien sûr le droit d'agir ainsi, puisant dans l'immense richesse
des trésors de l'Évangile. Mais elle fut contestée. Pourtant, elle donnait aux
chrétiens l'un des plus grands signes des temps de la fin. Nous pouvons être
sûrs que d'autres signes seront donnés par la liturgie dans le futur, à mesure
que s’approchera l'Heure de l'Église. Les chrétiens de ces époques futures
devront y être attentifs et, chaque fois que les signes de petitesse
s'approfondiront, se réjouir « et
redresser la tête car leur Rédemption s'approche »[1529]. Cette liturgie de pauvreté
sera poussée très loin, à l'image de Jésus. Sa dernière liturgie, celle de son
sépulcre, fut accomplie par des laïcs qui n’étaient même pas ses compagnons de
route mais de simples admirateurs[1530]. Il en sera donc de même
pour l’Église.
Objections :
1. Judas trahit Jésus par convoitise.
L’attitude de cet apôtre ne peut être le type du comportement de certains
clercs vers la fin du monde. En effet, s’il s’agit de s’enrichir, les hommes
n’ont pas intérêt à entrer dans les ordres.
2. De
même, l’attitude de Pierre fut toute de générosité proclamée puis de lâcheté devant
la réalité. Il s’agit d’une psychologie très particulière et non le prototype
d’une tendance ecclésiale vers la fin du monde.
3. Jean
fut le seul apôtre au pied de la croix. Mais il fut présent plus par amitié
humaine que par foi puisque l’Écriture nous dit qu’il crut quand il vit le
tombeau vide, ce qui sous-entend qu’il ne croyait plus avant.
4. La
plupart des autres apôtres s’enfuirent, dont certains "tout nus"[1531].
Il est inimaginable que, face aux évènements de la fin, il y ait une telle
lâcheté. L’Esprit de force n’a-t-il pas été donné ?
Cependant :
La
vie et la mort de Jésus sont l’archétype de la vie et la mort de l’Église. Les
tentations connues par ses apôtres se retrouveront à la fin de l’Église chez
les clercs.
Conclusion :
En
contemplant la vie de Jésus, on s’aperçoit que, plus encore que des luttes
extérieures, il eut à souffrir d'oppositions sourdes à l'intérieur du cercle de
ses amis. La plus terrible d'entre elle fut le fait de son apôtre Judas. Sa
révolte éclate en saint Jean, après qu'une femme pleurant ses péchés et pleine
de reconnaissance pour la douceur de Jésus à son égard eût versé sur ses pieds
un parfum de grand prix[1532] :
« Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été
vendu trois cents deniers qu’on aurait donnés à des pauvres ? Jésus lui
répondit : Laissez-la : c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait
garder ce parfum. Les pauvres en effet, vous les aurez toujours avec vous ;
mais moi, vous ne m'aurez pas toujours. » L'attitude de Judas est
compréhensible : trois cents deniers représentent un salaire ouvrier d'une
année. Le geste d'amour gratuit de la femme lui parut une perte considérable
par rapport à l'annonce de l’Évangile, qui est un message d'attention aux plus
pauvres et par rapport à sa propre bourse puisqu’il "volait"[1533]. Il
oppose donc de fait l'amour de Jésus et l'amour des pauvres, deux commandements
pourtant unis par Dieu en un seul. Il s’agit là sans aucun doute d'un signe des
temps qui apparaîtra dans l'Église vers la fin du monde. Nous montrerons que le
dernier antichristianisme séduira le monde entier en raison des riches valeurs
d’humanisme sans le vrai Dieu qu'il intégrera. S'il y eut jadis des chrétiens
généreux mais peu clairvoyants pour se laisser séduire au nom de l'amour de
Dieu, par le fanatisme religieux ou encore par le nationalisme et le marxisme,
comment pourrait-il en être autrement de l'Humanisme qui ressemble beaucoup
plus à l’Évangile du Christ ? L'humanisme fait même partie du christianisme
mais celui-ci sait le consacrer au Dieu aimé.
Solutions :
1. De
nos jours, nous avons vu apparaître dans l'Église un courant de pensée très
puissant qui réduit l’Évangile à la lutte pour le bien social. Ses membres sont
familièrement qualifiés sous l’étiquette de progressistes
parce qu’ils semblent en harmonie avec le progrès du monde. Ils se
caractérisent par une sourde opposition aux décisions des papes jugées en
décalage par rapport à notre temps. Ils critiquent en particulier ses positions
en matière de comportement sexuel. La liberté, telle est sans doute aux yeux de
ce courant le qualificatif le mieux choisi pour résumer l’Évangile. « Il est l’Évangile de la liberté ».Il est surprenant comme une
petite variation d’interprétation peut avoir de conséquences. Nous disions
précédemment que l’Évangile se spécifie d’abord dans l’amour de Dieu et du
prochain... L’amour de Dieu et du prochain est premier, la liberté conséquence.
Ainsi, pour le courant progressiste, l’encouragement de l’Église pour la vie
consacrée à la prière paraît être une perte de temps et d'énergie pour l'action
sociale. L'amour gratuit de Jésus servi comme un époux au jour le jour paraît
n’être le fruit que d'une fuite du monde. Ce courant de pensée ne se séparera
jamais de l'Église par un schisme bien qu'il le soit par le cœur. Ne
constitue-t-il pas un signe des temps très significatif car analogue à ce qu'on
voit dans la vie de Jésus ? Vers la fin du monde, il est probable que le
progressisme humaniste ira en s'approfondissant. Il supportera de moins en
moins l'infaillible fidélité des papes à l'Évangile. À l’image de Judas au
moment de sa tentation, il aura sans doute un rôle de coopération dans l’œuvre
qui aboutira à la fin de l'Église visible.
2. Un
autre signe des temps, tout aussi significatif, mérite d'être rapporté.
Quelques jours avant sa mort, Jésus voulut se comporter avec eux comme s'il
était leur esclave. Il se mit à laver les pieds de ceux qui étaient à table.
Mais Pierre ne voulut pas se laisser faire : « Seigneur toi, me laver les pieds ? Jésus lui répondit : Ce que je
fais, tu ne le sais pas à présent ; par la suite tu comprendras. Pierre lui dit
: Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais! Jésus lui répondit : Si je ne te
lave pas, tu n'as pas de part avec moi »[1534].
Pierre n'agit ainsi qu'à cause de son amour pour Jésus, du sens de sa dignité
de Maître et Seigneur. Son cœur était généreux mais absolument incapable de
pensées divines. Pour lui, un Messie est fait pour devenir un roi triomphant.
Un maître de vérité est fait pour avoir raison. Mais pour Jésus, un Messie est
fait pour être le serviteur de tous jusqu'à en mourir. Là encore il convient
d'être attentif car l'Église, conduite sur le même chemin d'abaissement que
Jésus, connaîtra nécessairement de la part de certains de ses membres la même
réaction. Il existe d'ailleurs depuis le Concile Vatican II un courant de
pensée qui ressemble à s'y méprendre à saint Pierre le jour du lavement des
pieds. Familièrement, il est qualifié de mouvement intégriste car il rêve de voir l'Église avec l’intégrité des
traditions qui firent sa force au temps passé. Ils rêvent d'une Église sûre de
sa Vérité, ne s’abaissant pas à s'adresser aux autres religions en courant le
risque qu'ils considèrent comme actuel, d'être mis au même niveau qu'elles. Ils
voudraient une liturgie de gloire, comme au temps des fastes, et non celle
instaurée par les papes après le Concile. La défense de la liberté religieuse,
selon la conscience de chacun, leur paraît s'opposer aux décrets faisant du
christianisme la religion des Etats du temps où ceux-ci étaient catholiques. Alors,
tel saint Pierre devant Jésus ceint d'un tablier, ils ne reconnaissent plus
leur Église en tenue de servante. Ils vont jusqu'à enseigner : « Les papes depuis Jean XXIII et le
Concile sont peut-être des antipapes. L'abomination
de la désolation[1535]
est dans le Temple Saint, c'est-à-dire aux sommets de l'Église atteints par
l'apostasie. » Ils oublient qu'il est
impossible que ce texte des Evangiles se réalise de cette manière à cause de la
promesse solennelle de Jésus faite aux papes : « J'ai prié pour que ta foi ne défaille pas. » Ils interprètent mal
des textes qu'ils savent pourtant adressés à tous les papes légitimement élus.
Cette contradiction torture leur esprit. Mais, si l’on compare leurs
agissements au comportement de saint Pierre qui les prophétise, on ne peut nier
que leur révolte soit liée à leur bonne volonté et à leur amour (mal éclairé)
du Seigneur. Saint Pierre se laissa finalement laver les pieds mais sa foi, sa
confiance ne fut pas assez forte pour tenir face à la croix. Il en sera de même
à la fin du monde pour ceux parmi les chrétiens qui rêveront encore d'une
Église intègre et glorieuse. Ils ne tiendront pas. Ils s’enfuiront à la vue de
la destruction spirituelle à venir. Ils n'auront pas comme ceux parmi les
chrétiens qui se seront laissés formés par Marie, la capacité d'avoir part à la
victoire finale de l'Église enfin devenue grande aux yeux de Dieu. Ils se
diront plutôt, relisant fiévreusement les promesses de Jésus : « les portes de l’enfer ne l'emporteront pas
sur elle! »[1536]
que tout cela n’était peut-être que vanité... Ils passeront par les mêmes
doutes que Pierre après l'arrestation et la mort de Jésus, doutes qui
l'amenèrent à renier trois fois. Il y aura dans leur souffrance un signe des
temps important.
3. Au pied de la croix, seule Marie croyait et vivait de l'intérieur,
debout, la mort de Dieu. Elle ne douta pas un seul instant que Dieu
transformerait cela en salut pour toutes les nations. Cette confiance unique ne
se retrouve pas chez saint Jean pourtant présent à la croix et appelé « le disciple que Jésus aimait. » Il en sera de même à la fin
du monde lorsque l’Antéchrist triomphera : l'Église sera petite, réduite aux
seuls domaines des cœurs et sans vie extérieure et politique. On la croira morte
pour toujours, en reprenant la promesse visiblement manquée de Jésus. Qui
pourra songer qu'au moment même où les portes de l’enfer sembleront avoir
extérieurement tout détruit, comme à trois heures le jour de la mort de Jésus,
que c'est absolument l'inverse aux yeux de Dieu, que tout est accompli et que
le retour glorieux du Christ sera aussi rapide que les trois jours de son
sépulcre. Personne ne pourra imaginer cela sauf ceux qui auront la même foi que
Marie. Seule une foi invincible, digne de la mère de Dieu, tiendra en ces
heures dernières. Tous les autres faibliront aussi sûrement que Jean face à ce
qu'il ne comprit pas.
4. L’espérance théologale ne
doit pas être confondue avec l’espoir qui attend un bien terrestre d’une puissance
terrestre. À la fin du monde, seule l’espérance qui attend avec certitude la
victoire de Dieu, qui est un bien de la vie éternelle, de la puissance divine,
pourra vivre dans la joie les évènements selon cette parole[1537] : « Quand vous verrez tout cela,
redressez-vous et relevez la tête car votre rédemption est proche. »
Objections :
1. Cela semble impossible. À la
différence du Temple de Jérusalem qui était un lieu précis et pouvait
facilement être transformé en temple de la violence (ainsi devint-il juste
avant sa destruction, de la faute des zélotes en 70 après JC) ou des idoles, le
Siège apostolique peut changer de lieu puisqu’il est là où est le Pape. C’est
ce que nous apprend l’histoire : le Siège apostolique fut souvent déplacé en
Avignon.
2. Le Siège Apostolique est un
lieu matériel. Il ne peut donc être profané puisque le culte du Nouveau
Testament est spirituel, selon cette parole du Seigneur[1538] : « L’heure vient où ce n’est ni
sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. »
3. Ce texte doit, semble-t-il,
être interprété de toute autre façon : l’abomination de la désolation dans le
temple saint signifiait et annonçait la venue d’un grand prêtre perverti qui
collaborerait avec les Grecs pour installer une autre religion que celle du
Dieu unique. Il s’agit du grand prêtre Jason[1539] et de ses successeurs. De
même, à la fin du monde, il semble que l’on assistera à la venue d’un antipape
sur le siège de Pierre. Il prêchera un antichristianisme et entraînera un grand
nombre à sa suite.[1540]
Cependant :
Le Seigneur annonce en saint Matthieu[1541] : « Lors donc que vous verrez
l’Abomination de la désolation dont a parlé le prophète Daniel installée dans
le Saint lieu (que le lecteur comprenne) alors que ceux qui seront en Judée
s’enfuient dans les montagnes que celui qui sera sur la terrasse ne descende
pas dans sa maison pour prendre ses affaires, et que celui qui sera aux champs ne
retourne Pas en arrière Pour prendre son manteau! Malheur à celles qui seront
enceintes et à celles qui allaiteront en ce jour là. »
Conclusion :
Comme on l’a montré, la ruine de Jérusalem et la destruction du
temple perpétrée par les Romains sont des signes prophétiques de ce que subira
le nouveau temple qui est l’Église à la fin des temps. Or d’après le Seigneur
le signe symbolisé par "l’abomination de la désolation dans le lieu
saint" sera ensuite donné. Historiquement, il s’agit d’une prophétie
du prophète Daniel. Elle fut réalisée une première fois par le roi Antiochos
Epiphane qui enjoint aux Juifs des pratiques païennes. La fidélité à la loi de
Moïse devint un acte de rébellion politique. Et ce roi alla jusqu’à construire
l’autel du Baal Shamem ou Zeus Olympien sur le grand autel des
holocaustes au Temple de Jérusalem. Elle fut réalisée une deuxième fois par les
Romains qui incendièrent le Temple et construisirent à la place un Temple
consacré à leur Panthéon. La résistance juive qui se dressa alors ne réussit
pas et fut définitivement anéantie en 135 après J. C.
De même, vers la fin du monde, l’Église subira une grande
tribulation menée par l’Antéchrist. Elle aboutira, comme on l’a vu, à la
destruction de l’Église visible et à l’arrêt du sacrifice eucharistique et il
est certain que l’Antéchrist, pour manifester en plénitude sa victoire sur le
culte divin, établira une nouvelle Église consacrée au culte du Dieu de la
liberté égoïste, Lucifer et à l’exaltation de l’homme. Tout au long de
l’histoire, nous avons eu des préfigurations de ces antichristianismes. Mais le
dernier aura la particularité d’être mondial et pacifiant au point de "séduire
les saints eux-mêmes".[1542]
Quant à l’hypothèse de l’installation du Siège de cette nouvelle
Église antichrétienne sur le lieu même où gouvernait auparavant l’Église
romaine, c’est-à-dire dans la cité du Vatican où fut crucifié Pierre, il est
possible qu’elle se réalise matériellement. Cependant d’autres estiment que le
siège de l’Antéchrist sera la Ville Sainte, c’est-à-dire Jérusalem puisque
l’Église de la fin des temps avant son martyre, aura un rapport avec le peuple
d’Israël. Il est impossible d’être définitif sur de tels signes, au moins en ce
qui concerne la matérialité de leur réalisation puisque leur signification est
d’abord celle de la réalité spirituelle.
Solutions :
1. Le symbolisme du Temple a
plusieurs sens dont le profond se rapporte au corps de l’homme, temple de son
esprit que Dieu veut habiter. Comme on l’a montré, vers la fin du monde, la
papauté sera détruite par l’Antéchrist. Celui-ci établira pour le monde entier
un culte qu’il qualifiera d’universel, c’est-à-dire de catholique et il se
proclamera seul sauveur du monde. Beaucoup d’hommes adhèreront à cette nouvelle
religion, séduits par cette perspective d’unité mondiale à travers un seul
culte. En ce sens, on peut dire que l’Antéchrist établira son temple au fond
des cœurs qui sont le véritable temple de Dieu.
En un second sens, la présence de l’abomination dans le Temple
saint peut signifier matériellement que les églises, les mosquées et tous les
lieux où l’on adore le Dieu unique seront transformés en temple du démon. De
même il est permis de penser que le lieu antique et matériel du Siège
Apostolique, Rome, deviendra celui du nouveau culte. La limite du dogme permet
de bannir une seule hypothèse : celle d’un pape antichrétien. En effet,
jamais un successeur légitimement élu de Pierre ne sera l’Antéchrist, parce que
Jésus a prié pour que la foi de Pierre ne défaille jamais.
2. Comme tous les lieux saints,
le Siège apostolique est consacré à Dieu et rien de profane ne peut s y
installer sans que cette consécration en soit souillée. C’est pourquoi, on
avait l’habitude de purifier les églises où un crime avait été commis. De même,
Judas Maccabées fit purifier le Temple de Jérusalem après sa profanation par
les idoles grecques[1543]. De ce fait, l’installation
de l’abomination du culte des idoles dans le lieu matériel du Siège Apostolique
constituera, s’il a lieu, un suprême blasphème et un défi à Dieu. Et il y aura
grande désolation et douleur chez les croyants à cette époque.
3. Quoiqu’il arrive dans le
futur, il est impossible qu’un pape légitimement élu se mette à
enseigner en tant qu’il est pape autre chose que l’Évangile de Jésus. Toute
l’histoire de l’Église le montre : nous avons eu des papes assassins, adultères
ou polygames mais jamais de pape hérétique. La seule exception à ce fait,
Honorius I qui enseigna un temps le monothélisme (Jésus n’aurait eu qu’une
volonté divine, pas de volonté humaine) n’est pas significative puisque son
affirmation dont il se rétracta par la suite, relève du domaine privé de ses
opinions. La raison de ce fait est simple : en tant qu’homme, les papes ne sont
pas impeccable (incapables de péchés) ni infaillible (incapables d’enseigner
une erreur théologique) mais en tant que successeurs de Pierre, ils sont
infaillibles au plan doctrinal non de leur propre force mais parce que Jésus a
promis[1544] : « J’ai prié pour que ta foi ne
défaille pas. » Il est donc certain que, quelles que soient les
décisions des papes du futur, non seulement en tant qu’ils exercent leur
fonction de Magistère mais aussi, à un autre degré, en tant qu’ils sont Pasteur
suprême, elles seront de Dieu. Pour illustrer ce fait, saint Jean Bosco fit un
rêve concernant les épreuves de la fin du monde : Il voyait l’Église comme un
navire secoué par la tempête. Mais seuls survivaient au naufrage ceux qui
s’appuyaient sur trois blancheurs : la vierge Marie pour son espérance inébranlable
à la croix, Jésus pour son eucharistie et son inhabitation dans l’oraison, le
pape enfin pour sa foi toujours vraie. Ceci dit, nous avons vu (article 5) en quel sens la papauté sera signe de
la fin du monde.
Objections :
1. Cela semble impossible. Jésus a institué l’eucharistie jusqu’à son
retour afin de ne pas nous laisser orphelin selon saint Luc[1545] : « faites
cela en mémoire de moi. »
2. Les anciens missionnaires disaient qu’il ne peut y avoir Église
sans la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie. Or nous avons montré que,
jusqu’à la fin du monde, il restera un petit nombre de croyants. Donc il y aura
toujours pour eux l’eucharistie.
3. La vie spirituelle se nourrit de l’eucharistie, présence réelle du
Seigneur sur terre. Or nous avons dit que, à l’époque de l’Antéchrist, des
saints comme jamais l’histoire de l’Eglise n’en aura connu depuis l’époque apostolique
vivront sur terre. Donc ils seront nourris de l’eucharistie.
Cependant :
Le Seigneur fait référence
en saint Matthieu[1546] au prophète Daniel[1547] qui annonce par trois fois la fin du sacrifice perpétuel sous
l’action de l’Antéchrist : « Sa
puissance s'exalta même contre le Prince de
l'armée, abolit le sacrifice perpétuel et renversa le fondement de son
sanctuaire et l'armée; sur le sacrifice elle posa l'iniquité et renversa à
terre la vérité ; elle agit et réussit. » Daniel
parlait au sens littéral de la fin du sacrifice Juif, au Temple de Jérusalem.
Mais cet évènement passé est l’image, sous forme charnelle, du sacrifice
perpétuel de l’eucharistie. De même l’eucharistie disparaîtra avant la fin du
monde.
Conclusion :
Vers la fin du monde, des
événements semblables à ceux vécus par l’Église russe au temps des soviétiques
se produiront. Privés de prêtres et de messe, les fidèles apprendront à vivre
du Christ comme Marie au temps du sépulcre, par la seule prière du cœur à cœur,
et dans la privation de tout support concret, le Magistère et les prêtres ayant
eux aussi disparu. Des trois blancheurs, il ne restera plus que la Vierge et
son exemple intérieur. Et, en cette époque, l’Église catholique sera bien
vivante, plus que jamais, mais de telle manière que le monde ne le verra pas
selon cette parole du Seigneur[1548] : « La
venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas observer, et l'on ne dira pas: Voici
: il est ici ! Ou bien: il est là ! Car voici que le Royaume de Dieu est au-dedans
de vous. »
Solutions :
1. Le Seigneur ne laissera pas orphelin la dernière génération des
chrétiens séparée par violence de l’eucharistie. Pour le comprendre, on doit
intégrer que la présence du Christ, Verbe fait chair, à savoir métaphysique,
selon l'être, a essentiellement cinq modes dont le troisième ne disparaît
jamais :
1° Dans sa chair, durant les 33 ans de sa présence sur terre. Marie
en fut privée brutalement le vendredi saint. Son cœur en fut transpercé mais,
sous l’impact de cette souffrance, sa charité déjà parfaite et pure ne cessa de
grandir de perfections en perfections. Cette croissance de la charité est la
raison et le but de cette privation.
2° Dans son eucharistie : il y est réellement présent tant que les
espèces du pain et du vin sont là. Mais dès qu'elles disparaissent, si le
chrétien vit de la grâce, une autre présence demeure, mystique. Marie vécut
environ douze année de l’eucharistie avant sa mort et son assomption et cette
présence cachée, sans combler sa soif de le revoir en face, la plongea dans ce
qui est le but de l’eucharistie : l’oraison du cœur, et une soif sans
cesse grandissante.
3° Dans sa présence mystique : Elle est dans le cœur et chez ceux
qui prient ou se réunissent pour prier selon cette parole[1549] : « Si
quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons
vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. » et celle-là[1550] : « Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je
suis là au milieu d'eux. ». Sur
cette terre, cette présence là est le but de toute la vie sacramentelle ou de
son absence, puisque c’est de cette présence que sont invités à vivre les
divorcés remariés en se rendant assidument à la messe alors qu’ils ne peuvent
plus recevoir la communion eucharistique.
4° Dans sa présence de gloire : lors de sa transfiguration, et
certaines des apparitions qui ont suivi sa résurrection. Il s'est montré de
cette manière à saint Paul sur le chemin de Damas, à Etienne juste avant sa
mort. C'est ainsi qu'il se rend présent à l'heure de notre mort. Il viendra
ainsi aussi à la fin du monde. Et c’est dans le but d’intensifier le désir de
sa venue dans la gloire que Dieu permettra, vers la fin du monde, la
disparition de l’eucharistie. On peut même dire que c’est le désir intense de
cette dernière génération de chrétiens qui provoquera le retour du Christ,
celui-ci ne pouvant résister plus longtemps à l’appel de cette prière.
5° Enfin, il y aura sa présence dans la Vision béatifique. Mais, à
ce moment là, l'humanité du Verbe Incarné ne sera plus un intermédiaire
nécessaire pour connaître sa divinité[1551] : « Nous serons
semblables à lui car nous le verrons tel qu'il est ».
2. La liturgie du samedi saint en est le signe ; Les églises
sont vides, les tabernacles béants et l’Eglise subsiste, jusqu’au matin de
Pâque où l’eucharistie est de nouveau consacrée. De même, le moment le plus
vivant de l’histoire de l’Eglise fut le samedi saint même si la totalité de la
charité était concentrée dans le cœur de la vierge Marie et de ses compagnes.
L’expérience montre d’autre part que la soif de Jésus, si elle se traduit par
le désir intense de sa venue dans l’eucharistie ou de toute autre manière, dans
sa gloire par exemple, augmente la présence réelle –mystique- de Jésus dans le
cœur.
3. Depuis le Concile de Trente et l’amélioration de la formation des
prêtres dans l’Église catholique, la spiritualité sacerdotale a eu tendance à
identifier le chemin de la grâce de Dieu à la seule pratique des sacrements,
dont le principal d’entre eux, l’eucharistie. Cette spiritualité est excellente
pour les prêtres qui, par vocation, ont pour fonction principale de donner la
vie sacramentelle. Mais le fait qu’elle ait souvent remplacé auprès des fidèles
les grandes
théologies mystiques canonisées par l’Église fut une erreur. Les
Docteurs mystiques comme sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, saint
Thomas d’Aquin montrent que l’eucharistie est le mode le plus inouï, le plus
extraordinaire, par lequel Dieu a inventé de se donner en vue de la fréquentation de la Trinité dans le cœur à cœur de
l’oraison. Jésus s’y fait donc moyen
de la grâce, en vue d’une finalité
qui dépasse largement le mode sacramentel, et qui est son inhabitation
perpétuelle dans l’âme. Marthe Robin disait à propos de l’Eucharistie : « Dans
la communion eucharistique, Dieu se donne dans un acte extérieur qui est en
lui-même un plaisir, une consolation, une joie pour l’âme... La communion ne
suppose pas toujours la vertu. On peut communier et se rendre coupable du corps
et du sang du Christ. Quelqu’un a dit : ‘on trouve des chrétiens qui
communient tous les jours et sont en état de péché mortel... Mais, on ne
trouvera jamais une âme qui fasse oraison tous les jours et demeure dans le
péché’. Si on me proposait de choisir la rencontre avec le Christ dans
l’eucharistie ou dans l’oraison, je choisirais sans hésiter l’oraison car c’est
elle qui donne tout son sens à la communion. L’adoration est le but de la
communion et c’est elle qui lui donne sa valeur. »
[1552] Une ermite commentait : « Jésus
eucharistie ne vient sous les espèces du pain que dans le but de nous mendier
quelques secondes de présence et de les transformer, dès que nous le
comprenons, en une perpétuelle présence que nous ne quittons jamais, qui
demeure indépendamment des espèces du pain et du vin et que nous pouvons
retrouver à chaque moment, à volonté, en nous tournant vers notre intériorité. »[1553] C’est ainsi que, vers la fin du monde, malgré la disparition de
l’eucharistie et soutenue par le désir de voir Jésus, la vie mystique de la
dernière génération des croyants pourra être profonde et riche de manière
inouie.
Objections :
1. Le Christ ne trouvera pas la
foi sur terre. En effet, l’Écriture affirme que la Bête aura le pouvoir de
vaincre les saints. Or sa victoire ne serait pas totale s’il restait la foi sur
la terre.
2. À la mort de Jésus, qui est la
préfiguration de celle de l’Église à la fin du monde, il ne resta personne pour
croire excepté la vierge Marie. Or la vierge Marie était immaculée dans sa
conception ce qui la rend différente du reste de l’humanité. Donc à la fin du
monde, il n’y aura personne pour croire alors que tout semblera perdu.
3. Une foi comme celle de Marie
est réservée aux contemplatifs mais ne peut appartenir à la masse des
chrétiens. Or, les ordres contemplatifs seront détruits Par l’Antéchrist à la
fin des temps. Donc la foi ne subsistera pas sur la Terre.
Cependant :
Le Seigneur dit à propos de saint Jean[1554] : « S’il me plaît qu’il demeure
jusqu’à ce que je vienne ? » Et l’évangéliste commente ainsi cette
parole mystérieuse : « le bruit se répandit alors chez les frères que
ce disciple ne mourrait pas. » Or Jésus n’avait pas dit à Pierre : « Il
ne mourra pas » mais : « si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je
vienne. » Donc, lors du retour du Christ, il restera sur la terre
des croyants dont la foi est symbolisée d’une manière allégorique par celle de
saint Jean, le disciple bien-aimé.
Conclusion :
De même qu’à la croix subie par Jésus, il est resté quelques
personnes (surtout des femmes) qui ont cru et n’ont jamais douté, de même lors
de la passion que subira l’Église, et pendant le temps de sépulcre qui s’en
suivra et qui précèdera immédiatement le retour du Christ, la foi demeurera sur
la terre.
Or il est remarquable de voir que la seule personne à avoir
infailliblement cru, d’une foi divine appuyée sur la seule confiance en la
parole de Dieu, est la vierge Marie. En effet, l’apôtre saint Jean lui-même fut
davantage présent à la croix par amitié envers Jésus que par véritable foi
divine comme le prouve le fait qu’il retrouva une foi plus assurée en voyant le
sépulcre vide et le linceul posé à sa place[1555]. Quant à Marie-Madeleine,
sa fidélité n’était pas exempte d’un motif humain comme l’indique la passion
qu’elle éprouvait pour Jésus ; Joseph d’Arimathie et Nicodème exprimèrent leur
respect à un homme qu’ils admirèrent et non à un Dieu.
De même, à la fin du monde, seuls les croyants ayant une foi à
l’image de celle de Marie pourront rester fidèlement dans l’attente de la
résurrection finale. Et si l’on en croit les paroles de Jésus, une telle foi
existera. C’est ce qu’il indique dans le texte cité à propos de saint Jean : ce
disciple en effet, symbolise celui qui croit comme la vierge Marie puisqu’il la
prit chez lui à l’heure de la passion[1556]. Mais il existera d’autres
hommes à pleurer le grand malheur subi par l’Église, à l’image de Joseph
d’Arimathie. Ceux-là, bien que non chrétiens, mais par leur simple regard sur
la grandeur immense d’une civilisation unique qui passe, auront le courage
d’exprimer face à l’Antéchrist leur tristesse.
Solutions :
1. Cette victoire de l’Antéchrist
ne sera pas totale puisque les temps de se lutte seront limités "à
cause des élus qui devront avoir la vie sauve".[1557] Quant à la victoire de
l’Antéchrist, elle ne sera qu’apparente. Par ses manœuvres et la séduction
appuyée sur l’efficacité des résultats dont il pourra se valoir, il fera
disparaître toute apparence de culte extérieur et les remplacera par le culte
d’un nouveau Dieu, prêchant un nouvel Evangile de la liberté et de la fierté.
Mais il ne pourra jamais arracher de la nature humaine son orientation faite
pour le vrai Dieu de la toute-humilité (kénose) et de l’amour, ni la foi et la
charité de ceux qui prient dans le secret. Le monde qu’il créera sera donc en
apparence en paix sans Dieu et en réalité en état d’inanition spirituelle. Nous
en avons une image dans le martyre subi par l’Église de Russie sous la violence
de Staline.
2. La vierge Marie n’était pas
seule à croire. D’autres femmes restèrent fidèles, en s’appuyant sur elle. Mais
la pureté de la foi de Marie, pour laquelle elle fut proclamée bienheureuse[1558], fut unique. Elle n’est pas
hors de portée du reste des chrétiens. Cependant, elle ne peut être acquise que
par une patiente éducation réalisée par la mère de Dieu. C’est pourquoi Jésus a
confié sa mère à son disciple bien-aimé, invitant par la même occasion les
autres à l’imiter. De même, la prière du Rosaire qui est une contemplation
accompagnée de Marie de la vie de Jésus est une pratique essentielle pour
l’acquisition de l’esprit de Marie[1559]. C’est pourquoi aussi, nous
le verrons, Marie recevra de Jésus vers la fin du monde une concrète mission
apostolique pour l’Eglise de la terre.
3. La vie contemplative n’est
pas réservée aux ordres contemplatifs mais elle est donnée à tous les chrétiens
selon cette parole du Christ : « Tu as caché cela aux sages et aux savants
mais tu l’as révélé aux tout-petits ».[1560] Vers la fin du monde, la
Vierge aura d’après saint Louis-Marie Grignon de Montfort[1561] un rôle particulier
puisqu’elle préparera en vue du martyre de l’Église une Église qui lui sera
consacrée et qui sera rendue prête à vivre du mystère de sa compassion.
A propos de la vierge Marie, qui est appelée Reine de l’Église,
nous nous demanderons :
1° La Vierge doit-elle avoir un
rôle, particulier à la fin du monde ?
2° Apparaîtra-t-elle aux hommes
?
3° Y aura-t-il des apparitions
d’anges ?
4° Deux témoins doivent-ils
venir vers la fin du monde ?
Objections :
1. Le culte de la vierge Marie
ne peut être particulier à la fin du monde au point de devenir indispensable
pour garder la foi. En effet, la foi des chrétiens s’appuie en premier lieu sur
le Seigneur Jésus, qui est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes.
2. La vierge Marie s’est
toujours effacée derrière le Seigneur Jésus. On ne voit pas pourquoi elle
devrait agir autrement à la fin du monde.
Cependant :
Saint Bernard écrit : « De même que le Christ nous a été donné par
la vierge Marie une première fois, de même à la fin du monde il nous sera donné
par elle une deuxième fois. » Donc la vierge Marie aura un rôle
particulier à la fin du monde.
Conclusion :
D’après saint Louis-Marie Grignon, la Vierge prendra une
importance de plus en plus essentielle vers la fin du monde[1562]. Et il est facile d’en
trouver la raison d’après ce que nous avons dit : lorsque l’Esprit de
l’Antéchrist commencera à répandre sa séduction sur le monde, il deviendra très
difficile de rester fidèle à son baptême car les attaques du démon porteront
sur la légitimité même de la foi en Dieu qui est le fondement de tout l’édifice
chrétien. Viendra donc un temps où seule une foi fondée sur le Roc qui est
Jésus Christ lui-même pourra tenir. Et une telle foi n’est autre que celle de
Marie. Il est donc probable que vers la fin des temps, elle sera expressément
et de plus en plus recommandée aux chrétiens comme le modèle et l’éducatrice
indispensable. Elle sera recommandée à la fin par la papauté dont le rôle est
d’orienter la piété des fidèles, et par les saints qui seront intimement mus
par l’Esprit Saint à proclamer l’urgence d’une telle dévotion.
Lorsque viendra l’Antéchrist, il détruira la papauté et empêchera
la célébration de l’eucharistie. Alors la Vierge restera le seul support
intérieur des fidèles dans leur désir de rester fidèles au Seigneur Jésus. Elle
aura donc un rôle indispensable dans ces moments difficiles. C’est ce
qu’exprime le verso de la médaille donnée par la Vierge à sainte Catherine
Labouré lors de son apparition à la rue du Bac (1830) : Elle représente une
croix qui est portée par un M symbolisant que vers la fin du monde, la foi dans
la rédemption de la croix ne tiendra que chez ceux qui auront la Vierge au
centre de leur vie de prière.
Solutions :
1. Une chose peut être
indispensable de deux manières : 1. D’une manière absolue au point qu’on ne
peut rester croyant sans l’avoir. En ce sens, la vierge Marie ne sera pas
indispensable à la fin du monde mais seulement l’esprit intérieur dont elle a
vécu jusque dans l’attente du sépulcre où tout semblait perdu. 2. D’une manière
relative, en tant qu’elle permet de mieux réaliser la fin désirée. De cette
manière, on peut dire que des ailes sont utiles pour monter vite. Pris en ce
sens, la vierge Marie sera indispensable puisqu’elle enseignera aux chrétiens à
vivre de cet esprit de foi dont elle a elle-même vécu. Elle représentera un
moyen surajouté par la miséricorde de Jésus pour ceux qu’il a choisis pour vivre
dans la compassion ces dernières heures du monde.
2. Vers la fin du monde,
lorsque le temps sera compté, le Seigneur demandera à la Vierge de préparer une
Église sainte et immaculée à son image. Quant à la Vierge, elle ne recevra pas
un culte de dulie finalisé par elle-même mais elle n’aura pas d’autre but que
de conduire les hommes vers Jésus. C’est ce qu’exprime saint Louis-Marie : « Lorsque l’on crie Marie, elle répond
Jésus ».[1563]
Objections :
1. Cela ne semble pas. Si elle
apparaît aux hommes, elle supprimera la foi puisque tous auront vu la vérité du
message évangélique. Or la vertu de foi est nécessaire au salut à cause de
l’humilité qu’elle entretient dans le cœur de l’homme.
2. Le signe donné par
l’Apocalypse au chapitre 12 doit être pris au sens symbolique puisqu’il peut
signifier plusieurs choses comme l’Église, Israël, et l’âme des saints. Donc il
ne signifie pas que la Vierge apparaîtra réellement.
3. D’après l’Apocalypse, la
femme est enceinte et crie dans les douleurs de l’enfantement. Or la vierge
Marie est déjà glorifiée. Elle ne peut donc souffrir, donc cette parole de
l’Apocalypse ne parle pas d’elle.
Cependant :
L’Apocalypse 12 annonce : « un signe grandiose apparut dans le Ciel :
une femme! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles
couronnent sa tête. Elle est enceinte et crie dans les douleurs de
l’enfantement. » Et d’après les saints, ce signe est celui de
l’Église, d’Israël et de la vierge Marie. Donc la Vierge se rendra visible à la
fin du monde.[1564]
Conclusion :
La Vierge a reçu au pied de la croix Jean pour fils. Et cette
nouvelle maternité signifie qu’elle est rendue responsable de mener le disciple
bien aimé par un enseignement intérieur vers le Christ et son apparition
glorieuse. Saint Luc confirme cette profondeur de la Vierge puisqu’elle "gardait
tous les enseignements de son fils dans son cœur".[1565] C’est pourquoi on doit
affirmer que la mission de Marie est d’abord intérieure.
Cependant, les attaques du démon sur la foi surabondant, les
grâces de Dieu surabonderont de la même façon. Et comme l’homme est un être
sensible, il convient qu’il reçoive par des signes sensibles extérieurs,
certaines révélations selon l’urgence des temps qu’il vit. C’est pourquoi il
convient que la Vierge apparaisse vers la fin du monde, attirant ainsi
l’attention des hommes vers la nécessité d’une conversion avant qu’il ne soit
trop tard et que l’Antéchrist paraisse.
Cependant le signe de la femme revêtue du soleil, c’est-à-dire de
l’amour de Dieu, quant à la lune sous ses pieds (ce qui signifie la pureté de
son âme immaculée) et douze étoiles (ce qui signifie sa maternité sur
l’Église), ne sera donné d’une façon glorieuse qu’au moment du retour du Christ
dont il accompagnera l’apparition.
Solutions :
1. Dans les temps qui
précéderont la fin du monde, la Vierge n’apparaîtra pas à tous les hommes mais
seulement à quelques-uns qui recevront la mission de proclamer au monde le contenu
de ses paroles. Et elle accompagnera ses apparitions de certains signes et
miracles suffisants pour manifester aux fidèles et à la hiérarchie ecclésiale
la vérité de sa venue. Cependant, même chez ceux qui l’auront vue, la foi ne
disparaîtra pas tout à fait puisqu’elles n’auront pas en même temps la vision
de l’Essence divine qui seule peut supprimer toute obscurité dans
l’intelligence.
2. Il est vrai que les signes
annoncés par l’Apocalypse ont un sens symbolique. Cependant, rien n’empêche que
Dieu les donne matériellement aux hommes vers la fin du monde afin de marquer
leur imagination et de mieux les convaincre de la proximité de l’épreuve. C’est
ce qu’on voit dans l’apparition de la rue du Bac à sainte Catherine en 1830 et
où la Vierge donna sur une médaille le signe annoncé par l’Apocalypse.
3. Les douleurs de
l’enfantement ne signifient pas que la Vierge souffre mais qu’elle a reçu
mission de conduire l’Église dans l’enfantement qui l’introduira tout entière
dans la gloire de l’autre monde.
Objections :
1. L’ange de l’Apocalypse est
présenté comme "debout sur le soleil"[1566] ou encore "avec le
pied droit sur la mer, le gauche sur la terre".[1567] Et il est évident que ces textes
ont un sens symbolique. Ils veulent simplement montrer que les décisions
viennent de Dieu qui est comme le soleil et qu’elles concernent le monde entier
symbolisé par la terre et la mer. Donc il n’y aura donc pas d’apparitions
d’anges.
2. L’ange est une créature
spirituelle. S’il apparaît, ce ne peut être qu’en se façonnant une apparence de
corps. Or ce qui est une apparence n’est pas la vérité. Il ne convient donc pas
que des anges apparaissent à la fin du monde.
Cependant :
L’Apocalypse annonce[1568] : « L’ange que j’avais vu,
debout sur la mer et sur la terre, leva la main droite au Ciel et jura par
celui qui vit dans les siècles des siècles » « Plus de délai! Mais
aux jours où l’on entendra le septième ange, quand il sonnera de la trompette alors
sera consommé le mystère de Dieu. » Donc il y aura des apparitions
d’anges.
Conclusion :
Si l’on regarde attentivement les textes de l’Apocalypse, on doit
admettre que leur sens est d’abord symbolique. Ils signifient sous un mode
allégorique l’ordre des décisions de Dieu concernant l’humanité. Cependant,
comme on l’a vu, Dieu rend parfois visible d’une façon matérielle de telles
décisions. Ainsi il n’est pas impossible qu’avant la fin du monde il y ait de
réelles apparitions d’anges. Car ces anges, dont le nom signifie
"missionnaires" peuvent signifier l’envoi de prophètes humains dont
la parole puissante rappellera à l’humanité la proximité de la fin du monde,
puisque, au sens étymologique, le mot ange signifie envoyé de Dieu.[1569]
Solutions :
1. Et cela répond à la première
objection. Cependant on doit dire que l’ange de l’Apocalypse est déjà venu sur
la terre et a parlé par la bouche d’un grand prophète du XV° siècle canonisé
par l’Église, saint Vincent Ferrier. Ce dernier annonça qu’il était cet ange
que saint Jean vit voler par le milieu du Ciel, criant à haute voix "peuples,
craignez le Seigneur et rendez-lui gloire, parce que le jour du jugement
approche. » Et ce saint confirma la vérité de ses paroles en ressuscitant
un mort et en faisant bien d’autres miracles. C’est pourquoi l’Église en le
canonisant, lui a donné le titre d’ « ange
de Dieu. » Saint Vincent Ferrier
annonça la venue après lui d’autres envoyés qui parleront de la fin du monde.
2. Lorsque les anges se rendent
visibles, ils ne veulent pas faire croire aux hommes qu’ils ont un corps qui
leur est personnel mais ils veulent adapter leur langage à l’homme en
manifestant par des signes sensibles le contenu de leur message. C’est pourquoi
l’Écriture montre de nombreuses apparitions d’anges. Ainsi le deuxième livre
des Macchabées[1570] raconte qu’au cours d’un
combat « les ennemis virent apparaître cinq hommes magnifiques qui se mirent à
la tête des Juifs et les adversaires, bouleversés par l’éblouissement se
dispersèrent dans le plus grand désordre. » De même, avant la fin du
monde, il pourra y avoir des signes semblables. Mais de tels miracles, s’ils
ont lieu, ne suffiront pas à retourner le cœur des incrédules qui sauront
trouver des explications naturelles au phénomène. Par contre, si l’on regarde
l’apparition des anges selon le premier sens que prennent tous les textes
eschatologiques, c’est-à-dire l’heure de la mort individuelle, alors on doit
dire que tous les hommes auront une apparition d’ange. En effet, dans la mort,
le Christ est précédé ou suivi par l’ange de l’heure de la mort comme nous
l’avons montré (question 8).
Objections :
1. Il semble difficile
d’affirmer que deux témoins viendront à la fin du monde. En effet, le texte de
l’Apocalypse dont on parle est allégorique. On doit donc dire qu’il s’agit
d’une image représentant un témoignage spirituel de l’Église.
2. Les deux témoins ne peuvent signifier
le christianisme et l’islam puisque ces deux religions sont par essence en
opposition à cause de leur foi différente sur le mystère du Christ.
3. Les deux témoins semblent
être l’Église et Israël et non l’Église et l’islam. C’est ce que suggère le
texte de saint Paul qui parle de l’olivier franc et de l’olivier sauvage[1572].
4. Les deux oliviers, les deux
témoins dont parle l'Apocalypse, il semble qu’il s'agit plutôt du Christianisme
et du Judaïsme comme le dit Saint Paul ci-dessous :
Saint Paul dans Romains chapitre 11 a écrit: |
24 Si toi, tu as été coupé de l’olivier naturellement sauvage, et enté
contrairement à ta nature sur l’olivier
franc, à plus forte raison eux seront-ils entés selon leur nature sur
leur propre olivier. Car je ne veux
pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne vous regardiez
point comme sages, c’est qu’une partie d’Israël est tombée dans
l’endurcissement, jusqu’à ce que la totalité des païens soit entrée. Et ainsi
tout Israël sera sauvé, selon qu’il est écrit: Le libérateur viendra de Sion,
Et il détournera de Jacob les impiétés; Et ce sera mon alliance avec
eux, Lorsque j’ôterai leurs péchés. |
Cependant :
L’Apocalypse[1573] annonce la venue de deux
témoins qui prophétiseront avant d’être mis à mort puis de ressusciter. La
tradition les considère comme étant les deux personnes qui ne moururent pas
selon l’Ecriture, à savoir Énoch et Élie.
Conclusion :
Traditionnellement, on considère que les deux témoins qui doivent
venir à la fin des temps sont Énoch et Élie, les deux hommes justes dont
l’Écriture raconte qu’ils ne moururent pas mais furent enlevés au Ciel. Énoch
fut le septième patriarche après Adam[1574] : « Énoch marcha avec Dieu,
puis il disparut car Dieu l’enleva. » Quant à Élie, il disparut
dans un char de feu sous les yeux du prophète Elisée[1575]. Certains théologiens juifs
et chrétiens pensèrent donc que ces deux prophètes attendaient dans le paradis
terrestre et devaient revenir à la fin du monde annoncer la venue ou le retour
du Christ. Cependant, si l’on regarde les Écritures, on doit parler autrement.
En effet, le Seigneur affirme que le prophète Élie qui devait revenir n’était
autre que Jean-Baptiste, le fils d’Élisabeth[1576] : « Jésus répondit : "Oui, Elie doit
venir et tout remettre en ordre; or, je vous le dis, Elie est déjà venu, et ils
ne l'ont pas reconnu, mais l'ont traité à leur guise. De même le Fils de
l'homme aura lui aussi à souffrir d'eux." Alors les disciples comprirent
que ses paroles visaient Jean le Baptiste. » Il ne peut donc s’agir matériellement
de cet Élie qui a vécu au temps de la reine Jézabel, mais il s’agit plutôt d’un
homme revêtu de l’esprit d’Élie, c’est-à-dire de sa spiritualité.
Il en sera donc de même à la fin du monde. Et pour connaître ce que
peuvent représenter les spiritualités d’Énoch et d’Élie, il suffit de regarder
leur vie. Ainsi Énoch représente la fidélité intérieure puisqu’il marcha avec
Dieu. Il est l’esprit de l’amour de Dieu.
Quant à Élie, il est remarquable par le zèle qui le brûlait à l’égard du
Seigneur. Il n’hésita pas à faire cesser toute pluie durant son ministère pour
conduire les hommes à la conversion. De même, il leur prouva la vanité du Dieu
Baal en ridiculisant ses prophètes par un défi où le vrai Dieu devait répondre.
Il fit mettre à mort les serviteurs de Baal. L’esprit d’Élie est donc celui de l’intransigeance de la foi, celui de la
fidélité intérieure et extérieure au Seigneur. Et Jean-Baptiste, qui n’hésita
pas à reprocher au roi Hérode son péché avec la femme de son frère jusqu’à en
perdre la vie fut réellement rempli de ce zèle de l’honneur de Dieu.[1577]
Il reste à chercher comment se réaliseront la venue d’Énoch et
d’Élie vers la fin du monde. Comme toujours et pour toutes les prophéties de ce
genre, deux sens se réaliseront conjointement ou successivement.
1° D’abord, cette prophétie a
un sens spirituel. Ainsi, les deux témoins qui doivent venir à la fin du monde
pour témoigner de Dieu peuvent représenter la vie contemplative qui est
l’esprit d’Énoch et la vie apostolique qui vit du zèle d’Élie. Jésus, dans
l’Écriture distingue explicitement ces deux esprits sous la figure de Marthe et
de sa sœur Marie[1578] : « Mais le Seigneur lui répondit:
"Marthe, Marthe, tu te soucies et t'agites pour beaucoup de choses; pourtant
il en faut peu, une seule même. C'est Marie qui a choisi la meilleure part;
elle ne lui sera pas enlevée. » Pris en ce
sens, Énoch et Élie doivent être considérés comme présents à chaque époque à
travers les moines contemplatifs et les apôtres.
2° Ensuite, cette prophétie se
réalisera en un sens historique et matériel. Selon cette autre interprétation,
si l’on suit le texte de l’Apocalypse, ils sont d’abord les deux oliviers,
c’est-à-dire selon saint Paul, ce qui est sorti de la descendance du peuple
juif (Israël est pour saint Paul[1579] l’olivier sauvage, source
de toutes les religions du Dieu unique). Il s’agit donc, on le voit
aujourd’hui, des deux religions sorties d’Abraham à savoir le christianisme
d’un côté, qui vit explicitement de l’esprit d’Énoch, et de l’islam de l’autre,
dont le tempérament et les pratiques ressemblent trait pour trait à celui
d’Élie. Ainsi, vers la fin du monde, l’Église du Christ sera aux yeux du monde
témoin de l’amour de Dieu tandis que l’islam proclamera avec l’intransigeance
de sa foi le Dieu unique et leur témoignage uni sera pour le monde
insupportable. C’est pourquoi l’Apocalypse parle de la guerre que leur fera le
démon, jusqu’à les détruire.
Une autre réalisation historique et visible est à attendre : Celle
qui pense que les deux témoins seront deux prophètes suscités par Dieu à la fin
du monde et dont l’efficacité apostolique sera immense à cause des nombreux
charismes dont ils seront revêtus. Ces deux personnes, revêtues avec puissance
de la confiance d’Énoch et du zèle d’Élie, ramèneront à Dieu de nombreux hommes[1580]. Cette interprétation est
confirmée par sa réalisation en Jean-Baptiste lors de la première venue du
Seigneur.
Solutions :
1. Le texte de l’Apocalypse
n’est effectivement pas d’abord à prendre au sens matériel. Ainsi, que
la mission des deux témoins doive durer 1260 jours, c’est-à-dire trois ans et
demi, cela signifie qu’ils auront la même mission que le Christ dont la
prédication a duré trois ans et demi ; De même, que leurs cadavres doivent
rester sans vie trois jours et demi signifie qu’ils vivront la même passion que
le Christ puis ressusciteront comme lui. Cependant, le sens spirituel de ces
textes n’exclut pas une certaine littéralité. Il est donc possible que
les deux témoins représentent l’Église et Israël ou encore l’Église et l’islam
qui subiront comme nous l’avons dit, les attaques de l’Antéchrist à la fin au
monde. Ils peuvent aussi représenter deux hommes aussi réels que Jean Baptiste
lors de la première venue du Christ. Et la raison de cette multiplicité des
sens de ces textes vient de Dieu qui veut manifester aux hommes le même mystère
de ces multiples manières.
2. Vers la fin du monde,
lorsque l’Antéchrist commencera ses attaques contre Dieu, et que les fidèles
apostasieront de toute part, les divisions et les oppositions entre le
christianisme et l’islam paraîtront moins importantes devant la gravité du
danger et la souffrance de voir les jeunes se désintéresser de Dieu. Aussi, il
est probable qu’il y aura un rapprochement entre tous les adorateurs de Dieu
qui donneront ainsi un témoignage complémentaire.
3. En un certain sens, les deux
témoins peuvent représenter l’Église et Israël[1581]. C’est ainsi que durant des
siècles, dans les nations chrétiennes où habitait une partie du peuple d’Israël
en exil, Dieu fut adoré par ces deux religions. Cependant, vers la fin du
monde, lorsqu’Israël adhérera à la foi au Christ, il ne fera
qu’un avec l’Église. Le monde n’aura donc plus que deux religions issues
d’Abraham et ces deux religions témoigneront devant l’Antéchrist.
4. Cette interprétation est
très vraie. Mais sous ces symboles se cachent plus encore que cela : sous ce
symbole se cache la perpétuelle complémentarité que Dieu a voulu dans
l'humanité et qui est à son image, unissant force et douceur, vérité et amour.
Qui témoigne en effet de Dieu ?
1° D'abord l'homme et la femme que Dieu dès le début de la Genèse
fait à son image et, parmi les hommes et les femmes, au dessus de tout, les
deux témoins sont Jésus et Marie qui ont pleinement réalisé dans leurs personnes
unies, l'image du Dieu unique.
2° Ensuite et, comme par glissement, ces deux témoins sont Elie et
son zèle farouche pour Dieu et Henoch qui aima Dieu.
3° Ainsi, à l'époque de saint Paul, c'étaient une religion de type
masculin (Judaïsme) et la religion de type féminin (christianisme), avec ses
valeurs de douceur, d'amour.
4° Tout au long de l'histoire de l'Eglise, ces deux témoins ont
été la vie apostolique et la vie contemplative.
5° Et vers la fin du monde, cette prophétie se réalisera de manière
forte par les deux religions sorties du judaïsme (islam « masculin »
et christianisme « féminin »).
Selon saint Paul, il faut tenir comme une certitude que le retour
du Christ sera précédé par la venue de l’Antéchrist[1582] : « Je vous en supplie, mes
frères, que personne ne se laisse troubler comme si le jour du Seigneur était
près d’arriver. Car le Fils de Dieu ne descendra pas une seconde fois qu’on
n’ait vu paraître l’Homme de péché, le fils de perdition, celui qui doit se déclarer
l’adversaire, s’élever au-dessus de tout ce qui est appeler Dieu ou qui est
adoré, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, s’y montrant comme s’il était
Dieu. »
A propos de l’Antéchrist, il faut étudier :
1 : Pourquoi Dieu permettra-t-il ce mal avant le retour
du Christ ?
2 : Qu’est-ce que l’esprit de l’Antéchrist dont parle saint Jean ?
3 : L’Antéchrist sera-t-il un homme ou un démon fait homme ?
4 : Qu’est ce que le chiffre de la Bête ?
5 : Peut-on savoir quelle sera l’idéologie de l’Antéchrist ?
6 : Peut-on savoir quelle sera
l’œuvre de l’Antéchrist ?
Voir la Question 27, article 3
Objections :
1. Il semble que l’esprit de
l’Antéchrist n’est pas l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu. En effet,
saint Jean montre qu’il est un esprit qui s’oppose à la foi dans l’incarnation
du Christ[1583].
2. D’après saint Jean,
l’Antéchrist est un homme qui doit venir[1584]. Il semble qu’il sera animé
par un démon qui inspirera tous ses actes. Donc l’esprit de l’Antéchrist est
Lucifer lui-même.
3. Dans l’ordre, la hiérarchie
des valeurs morales du christianisme sont 1°
la charité (α et Ω de la loi), 2° l’humilité
(kénose) (préparation et effet de la charité), 3° la vertu (observation des commandements). Donc, au sens moral,
l’esprit de l’Antéchrist n’est pas réductible à l’amour de soi poussé jusqu’au mépris
de Dieu.
Cependant :
Saint Jean écrit : « À ceci reconnaissez l’esprit de Dieu : tout
esprit qui confesse Jésus-Christ venu dans la chair est de Dieu et tout esprit
qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu. C’est là l’esprit de l’Antéchrist.
»
Conclusion :
Comme son nom l’indique, l’esprit de l’Antéchrist est l’inverse de
l’esprit du Christ. Comme le Christ est l’image de la sagesse de Dieu, on peut
déduire que l’esprit de l’Antéchrist s’oppose directement à la sagesse de Dieu
dans ce qu’elle a d’essentiel.
Il faut donc chercher quelle est la valeur première de la sagesse
de Dieu. Comme nous l’avons montré, Dieu a créé les êtres spirituels en vue de
les introduire dans la vision de son essence. Mais cette béatitude suprême ne
peut être communiquée qu’à ceux qui l’aiment. Parce que Dieu est amour, sans
aucun mélange d’égoïsme, il désire créer un monde où, unis à lui par l’amour
d’amitié, tous les hommes s’aiment au point de former une communion de saints.
C’est pourquoi la sagesse de Dieu considère la charité et ses deux
commandements, comme la plus haute vertu. C’est ce qu’exprime saint
Augustin lorsqu’il dit qu’être dans la cité de Dieu, c’est aimer Dieu jusqu’au
mépris de soi.
En conséquence, on peut dire que l’esprit de l’Antéchrist consiste
dans l’opposé de cet amour oblatif : c’est "l’amour de soi poussé
jusqu’au mépris de Dieu et du prochain".[1585] Il s’agit de l’égoïsme.
Comme il produit une révolte contre l’ordre de Dieu, son premier effet
s’appelle l’orgueil (l’exaltation de sa propre volonté comme source du bien et
du mal) de même que la disposition comme le premier effet de la charité est son
contraire, l’humilité (kénose). Cet esprit de révolte s’est manifesté dès le
commencement de la création, quand une partie des esprits angéliques se détourna
de Dieu, refusant de servir comme le Seigneur le leur avait demandé, et
s’exaltant en eux-mêmes à cause de l’amour excessif de leur dignité. C’est
pourquoi l’on peut dire que l’esprit de l’Antéchrist trouve son origine
première dans l’égoïsme (amour volontaire de soi) et son effet premier dans
l’orgueil luciférien, symbolisé dans l’Apocalypse par le dragon[1586].
Dans l’humanité, l’esprit de l’Antéchrist qui s’oppose à la
charité est symbolisé la première fois par l’arbre de la connaissance du bien
et du mal parce qu’Adam et Ève, à cause d’un amour désordonné d’eux-mêmes,
refusèrent de se soumettre aux commandements de Dieu mais se donnèrent à
eux-mêmes une morale d’où la charité était exclue. L’orgueil humain est
symbolisé dans l’Apocalypse[1587] par la bête de la mer
avec sept têtes et dix cornes. L’une des têtes, blessée à mort, et qui avait
été guérie, symbolise cet orgueil qui est vaincu sans cesse par la
faiblesse de la condition humaine mais renaît malgré tout sans cesse. Les
autres têtes sont les six autres péchés capitaux par lesquelles les hommes
cherchent leur bien individuel : la gourmandise (au sens d’une convoitise pour
sa survie individuelle), l’avarice, la luxure, l’envie, la paresse, la colère.
Ainsi, on peut dire que l’esprit de l’Antéchrist qui est l’amour égoïste de soi
est source de tous les péchés intérieurs qui sont dans le monde (les sept
têtes), et de tous les actes extérieurs mauvais (les dix cornes).
Solutions :
1. Puisque l’esprit de
l’Antéchrist est l’opposé de la charité, il lutte contre tout ce qui conduit à
la charité et il essaye de construire tout ce qui va dans le sens de l’amour de
soi et de l’orgueil. C’est pourquoi les orgueilleux rejettent le Christ et sont
prêts à nier sa mission, même si elle leur est démontrée par les miracles les
plus éclatants. Lors du jugement dernier, l’esprit de l’Antéchrist sera donc
manifesté à tous par ce péché dont parle saint Jean ou par tout autre blasphème
contre le Saint Esprit.
2. Au sens moral, on peut dire
que l’esprit de l’Antéchrist est Lucifer. En effet, comme nous l’avons montré,
l’Ange révolté est celui qui inspire à tout homme la révolte contre Dieu et
l’amour de soi. Cependant, au sens ontologique, Lucifer ne peut être l’esprit
de l’Antéchrist puisque il est, quant à son être, créé car Dieu et bon. Seul
son choix a fait de lui un ange révolté. Il est donc plus correct de parler de
la spiritualité de l’Antéchrist. En ce sens, elle vient de Lucifer et lui est
commune avec les hommes pervertis.[1588]
3. Ces trois valeurs morales
sont résumées dans une seule : la charité. De même, l’esprit de l’Antéchrist
qui au cours des temps s’est incarné dans des milliers de nuances, depuis les
simples convoitises aux idéologies les plus sophistiquées comme celle de Freud,
Sartre, etc. peut se résumer en son fondement selon Augustin : l’amour de soi
poussé jusqu’au mépris de Dieu et des autres.
A l’argument Cependant :
On peut répondre : le vrai Dieu, celui de Jésus Christ est, au
plan de ses attributs intérieurs, amour, humilité (kénose) et perfection. Celui
donc qui rejette Jésus Christ, en sachant pleinement cela, ne peut le
faire qu’à cause d’une contradiction interne qu’il trouve en lui. Mais
attention : le rejet de Jésus Christ connu superficiellement ou à travers les
péchés des chrétiens peut être un signe que la personne est disposée à vivre du
véritable esprit du Christ. On raconte qu’avant d’être exécuté, l’empereur inca
Atahualpa se vit proposer le baptême par l’aumônier. Il le refusa en disant que
si le paradis était dirigé par Jésus Christ, dieu de ces guerriers adorateurs
de l’or, il préférait aller en enfer avec ses idoles[1589]. Donc, au moins avant
l’apparition glorieuse du Christ qui supprimera l’erreur, ce texte doit être
interprété non selon la lettre mais selon l’esprit.
Objections :
1. Il semble que l’Antéchrist
sera plutôt un homme qu’un démon. La Vierge annonce dans son apparition de la
Salette qu’il naîtra de l’union d’une fausse religieuse juive et d’un évêque.
2. Saint Jean affirme[1590] : « C’est que beaucoup de
séducteurs se sont rependus dans le monde, qui ne confessent pas Jésus venu
dans la chair. Voilà bien le séducteur, l’Antéchrist. » Il semble
que l’Antéchrist sera une secte et non un homme.
3. Les textes qui parlent de
l’Antéchrist semblent être des mythes signifiant par allégorie l’universalité
des tyrans et des persécuteurs qui viendront dans le monde. Il s’agit donc non
d’un homme mais de l’image collective de tous les impies et les hérésiarques
qui combattent Dieu. [1591]
Cependant :
Saint Paul écrit aux Thessaloniciens[1592] : « Auparavant doit venir
l’apostasie et se révéler l’homme impie, l’Être perdu, l’Adversaire, celui qui
s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte,
allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant
lui-même comme Dieu. »
Conclusion :
En suivant les textes prophétiques de l’Écriture sur l’Antéchrist,
on doit admettre qu’il ne s’agit pas seulement d’une spiritualité, ni de l’Ange
révolté lui-même bien que l’apôtre montre que l’impiété est déjà à l’œuvre ; il
ne s’agit pas seulement des nombreux faux prophètes qui sont venus[1593] ; il s’agit en définitive
d’un homme qui viendra à la fin du monde et résumera en lui avec perfection
tout le mystère du péché : il prêchera une idéologie bien adaptée à l’orgueil
humain dont l’inspiration viendra du démon et séduira des foules de ses
serviteurs.
1° Quant à son intelligence, il
adoptera l’esprit de l’opposition au Christ d’une manière parfaite et il saura
enseigner cette doctrine avec logique et persuasion. Il s’opposera par son
enseignement à tout ce qui est respectable et sacré[1594]. « Il s’exaltera avec
audace contre le Dieu des dieux et réputera comme néant le Dieu de ses pères. »
2° Quant à l’efficacité, il
recevra en don de la part du démon le pouvoir d’accomplir toute sorte de
prodiges séducteurs qui sembleront confirmer la vérité de ses dires. Certains
Pères, s’appuyant sur le livre de l’Apocalypse au chapitre 13 n’hésitent pas à
affirmer qu’il ira jusqu’à s’élever dans les airs comme Siméon le Magicien et
qu’il opérera une résurrection apparente. Il sera donc pour le monde d’une
grande séduction, plus que tous les autres antéchrists venus précédemment.
Saint Thomas affirme que, de même que la plénitude de la divinité habite
corporellement dans le Verbe Incarné, ainsi la plénitude de tout mal habitera
dans l’Antéchrist dont la mission et les œuvres seront une copie inversée de la
mission et des œuvres de Jésus Christ.
La raison qui explique l’humanité charnelle de l’Antéchrist tient
à ceci : la connaissance et l’action de l’homme étant liées au corps, il ne
convient pas que ce qui le conduit à la connaissance et à l’action reste
purement spirituel ou abstrait. C’est pourquoi le Verbe éternel de Dieu,
voulant s’adresser parfaitement aux hommes, s’est fait chair. C’est pourquoi, à
l’heure de la mort, la parole de Dieu et celle du démon seront données à
travers des apparitions sensibles. C’est pourquoi aussi les antichristianismes,
lorsqu’ils réussissent, s’incarnent toujours dans la personne d’un leader
politique qui les prêche. Aussi en fut-il pour le racisme avec Hitler, le
meurtre des riches pour Staline, Pol Pot.
Ceux qui tiennent l’opinion selon laquelle l’Antéchrist sera un
démon fait homme ne doivent pas être suivis. En effet, Le démon n’a pas le
pouvoir d’assumer une nature humaine au point de former un seul être avec elle,
tel que le fit le Verbe de Dieu dans l’humanité du Christ. En effet, la
puissance naturelle du démon n’est autre que celle de la nature angélique. Elle
est donc limitée à certains effets secondaires mais ne peut atteindre la
substance des réalités. Un tel pouvoir sur l’être des choses appartient par
essence à Dieu qui est cause de l’être. En conséquence, le démon ne peut s’unir
à un homme que de deux manières : 1- En assumant son corps à la manière d’un
moteur extérieur, comme on le voit dans certaines possessions démoniaques. Mais
dans ce cas, ce n’est pas vraiment l’homme qui agit. C’est le démon qui agit
par l’intermédiaire des actes corporels du possédé. Il ne semble pas que cela
puisse correspondre à l’Antéchrist qui agira de lui-même puisqu’il sera l’homme
impie, selon saint Paul. 2- En coopérant avec l’homme par une union morale en
vue d’une œuvre commune. Et une telle unité qui est celle que l’on trouve dans
les contrats de sorcellerie semble davantage convenir à la perversité de
l’Antéchrist. Il semble donc qu’il sera un sorcier.
Solutions :
1. Cette parole de l’apparition
de la Salette peut être prise en divers sens selon que l’on regarde
l’Antéchrist comme une spiritualité ou comme un homme : en tant que
spiritualité, l’esprit de l’Antéchrist naîtra du judéo-christianisme. C’est ce
que saint Jean signifie[1595] : « il est sorti de chez nous. »
Et la raison en est que la foi et la charité, qui mûrissent à
l’extrême l’intelligence et le cœur de l’homme jusqu’à l’absolu du don de soi
et de la vraie liberté adulte, s’ils sont rejetés, conduisent à l’inverse qui
est l’absolu de l’amour de soi choisi librement. Et nous avons une image de
cela dans le fait que tous les prophètes des athéismes contemporains étaient
soit chrétiens soit juifs d’origine et étaient tous de culture occidentale
judéo-chrétienne.
Cependant, si l’on regarde l’Antéchrist en tant qu’il sera un homme,
on peut présumer qu’il singera jusque dans son origine la naissance du Christ
qui a eu pour mère la Vierge immaculée. Ainsi on peut supposer par analogie que
son adversaire déclaré, suscité par le démon, naîtra d’une union impure et sera
le fruit d’une femme d’impudicité. « Il
sera fils de la fornication »,
dit saint Jean Damascène[1596].
2. Comme nous l’avons montré,
il viendra avant le dernier Antéchrist, d’autres antéchrists qui en seront les
préfigurations. Mais, au fur et à mesure que l’humanité progresse, on constate
que leur influence sur les hommes se fait de plus en plus profonde. Au
commencement, tous les antéchrists ne visaient qu’une convoitise matérielle :
plaisirs, conquêtes et richesses. Ils imposaient leur pouvoir aux corps
; puis ils devinrent des messianismes politiques c’est-à-dire que leur conquête
visait à imposer le bonheur par une idéologie et une transformation de la
nature humaine. Ils prétendaient s’imposer aux intelligences (voir les
sept confessions politiques successivement mises en place à l’époque moderne).
Vers la fin du monde, le dernier Antéchrist sera une religion, c’est-à-dire
qu’il imposera jusqu’au fond des consciences l’adoration d’un nouveau
dieu et d’une nouvelle espérance après la mort.
3. Il est permis de lire dans
un sens allégorique les textes concernant l’Antéchrist puisqu’ils sont
universellement donnés pour les hommes de tous les temps qui auront à subir la
violence injuste des tyrans. Cependant, le sens allégorique ne s’oppose pas à
une lecture littérale du texte.[1597]
Objections :
1. Dans diverses langues, les
chiffres peuvent se traduire en caractères alphabétiques, et réciproquement les
lettres alphabétiques en caractères chiffrés. Il semble donc que le chiffre 666
signifie le nom de l’Antéchrist, dans une langue inconnue qu’on ne pourra
discerner qu’au jour de sa venue.
Objections :
1. On a pu calculer que ce
chiffre se rapporte au nom de l’empéreur romain de l’époque où fut écrit
l’Apocalypse. Donc 666 signifie Néron qui est le symbole des persécuteurs
impies.
Cependant :
L’Apocalypse écrit[1598] : « Tous, petits et grands, se
feront marquer sur la main droite et sur le front du nom de la Bête ou au
chiffre de son nom. C’est ici qu’il faut avoir de la finesse! Que l’homme doué
d’esprit calcule le chiffre de la Bête, c’est un chiffre d’homme : son chiffre,
c’est 666. »
Conclusion :
La parole de Dieu est donnée à tous les hommes, de telle façon que
son sens n’échappe pas complètement à ceux qui la lisent et s’en imprègnent. Il
est donc impossible que son premier sens appartienne aux savants calculateurs.
Il doit exister une signification plus simple et plus proche du commun des
fidèles.
Dans l’Écriture, on voit que certains chiffres sont donnés avec
une signification symbolique qui revient toujours. Ainsi, le chiffre trois
signifie la plénitude de la divinité puisque Dieu est en trois personnes ; de
même, le chiffre sept signifie la perfection de la création puisque le monde
fut achevé le septième jour par le repos de Dieu qui dit que tout était très
bon. C’est de cette manière qu’il faut regarder le chiffre de la Bête. Et
plusieurs interprétations peuvent être données qui se rejoignent en une seule :
1° Dans l’Écriture Sainte, Dieu
affirme sans cesse à l’homme qu’il lui a donné six jours pour travailler[1599] : « Pendant six jours tu
travailleras et feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est un sabbat
pour Yahvé ton Dieu. »
Ainsi, si l’homme oublie le septième jour qui est consacré à Dieu, il se marque
lui-même de la marque du chiffre six qui signifie qu’il vit sans Dieu.
2° Dans la loi[1600], Dieu commande aux maîtres
qui s’achètent la main d’œuvre d’un esclave Hébreu, de le garder six années puis
de le laisser aller libre la septième année sans qu’il doive rien payer. Si le
maître n’agit pas ainsi la septième année, n’obéissant pas à la loi de Dieu, il
se marque lui-même du chiffre six qui signifie l’homme sans Dieu.
3° Selon le philosophe Aristote,
il existe sept axes par lesquels l’homme peut être étudié selon tout ce qu’il
est. En effet, on peut connaître l’homme en tant 1- qu’il existe, par la
métaphysique ; 2- qu’il possède une nature humaine et c’est la philosophie de
la nature et de la vie ; 3- qu’il est capable de transformer l’univers et c’est
la philosophie du travail ; 4- qu’il est capable de connaître ce qui existe et
c’est la philosophie critique ; 5- qu’il peut être en rapport avec un autre
homme et c’est la philosophie morale ; 6- qu’il vit en communauté et c’est la
philosophie politique ; 7- qu’il dépend de l’Être Premier et c’est la théologie
naturelle. Ainsi, celui qui supprime de la connaissance humaine le rapport avec
Dieu, ne voulant étudier l’homme qu’en tant qu’il se possède lui-même, se
marque du chiffre de la Bête qui est six.
4° Autre exemple
philosophique, plus complexe : Les philosophes trouvent six
transcendantaux, c’est-à-dire six notions très générales qui dépassent toutes
les catégories descriptives, qui expriment une propriété commune à tout ce qui
est, et qui se convertissent entre elles. Ainsi, tout ce qui est un être est 1°
une « réalité individuelle » (res),
est 2° « un » (unum), est
3° une chose différente des autres (aliquid),
est 4° vrai, c’est-à-dire capable d’illuminer l’intelligence (verum), 5° est « bon »,
c’est-à-dire capable d’attirer (bonum),
et est 6° « beau, c’est-à-dire splendide dans sa forme (pulchrum).
Or, tous ces transcendantaux sont identiques à l’Essence même de
Dieu. Ainsi, celui qui supprime le Dieu unique de sa contemplation du réel, ne
voulant étudier que les réalités limitées, se marque du chiffre de la Bête qui
est six.
En conclusion, on peut dire que le chiffre de la Bête signifie
l’acte par lequel l’homme s’exalte contre Dieu. C’est pourquoi l’Apocalypse
l’appelle un chiffre d’homme. Et si le chiffre six est répété trois fois pour
ce qui concerne le dernier Antéchrist avant la fin du monde, c’est parce qu’il
réalisera un monde où l’homme vivra parfaitement, quoique séparé de Dieu. Il pensera
avoir établi un ordre divin dans une humanité coupée du vrai Dieu. Adolf
Hitler ou Staline ne réalisèrent qu’un antéchristianisme primitif, tuant les
corps. Le dernier Antéchrist au contraire, réalisera le monde le plus parfait
possible au plan des corps (paix et sécurité) mais beaucoup plus dangereux que
tout ce qui aura existé avant au plan du risque pour les âmes : il
présentera au monde le projet de Lucifer, celui d’une vie éternelle en ce monde
puis dans l’autre, selon les règles de liberté d’un dieu opposé à la dépendance
de l’amour humble.
Solutions :
1. Cette interprétation
n’exclut pas d’autres lectures plus savantes du chiffre de la Bête. Il n’est
donc pas exclu que la Bible qui est l’œuvre parfaite de la révélation de Dieu
renferme d’une manière codée le nom des tyrans qui opprimeront le monde et
principalement du dernier d’entre eux qui détruira provisoirement sur la terre
le règne de Dieu.
2. L’Empereur Néron est une
image prophétique quoique imparfaite de l’Antéchrist qui viendra à la fin du
monde. Il n’est donc pas exclu que son nom soit présent sous le chiffre de la
Bête, de la même façon que la Bible a coutume de symboliser le monde en tant
qu’il dépend du péché par des noms de lieux comme Babylone ou l’Égypte.
Solution à l’argument en sens
contraire :
Beaucoup de chrétiens ont cru que matériellement, cette prophétie
du chiffre 666 serait réalisée par une marque sur le front ou sur la main. Or
les règles d’interprétation de l’Apocalypse doivent être ici rappelées encore
une fois. Ces paroles sont d’abord esprit et, seulement en second lieu,
réalisation matérielle. Ainsi, un homme est marqué de la marque de la bête
lorsqu’il adhère par sa volonté et son action, à l’idéologie antichristique du
temps. Le pape Benoît XVI, par exemple, s’il fut forcé de porter la croix
gammée au bras comme tout adolescent allemand, n’adhéra jamais à l’idéologie
Nazie. Il ne fut donc pas marqué de la marque de la Bête de son temps. De même,
si, à la fin du monde, nul ne peut vendre ou acheter sans porter une puce
informatique venant du gouvernement du dernier Antéchrist, rien n’empêchera la
conscience intérieure de chacun de se garder unie au vrai Dieu et d’échapper
ainsi à la marque de la bête.
Objections :
1. Il ne se peut pas que
l’Antéchrist conduise l’humanité non seulement à une apostasie des religions
révélées mais aussi à un culte explicite de Lucifer. Aussitôt l’Eglise et les
religions dénonceraient cette grossière falsification.
2. Il n’est pas possible que
l’Antéchrist réussisse dans ses œuvres et consacre le monde à l’Ange révolté,
selon la signification de son chiffre. En effet, un tel monde est impossible à cause
du cœur de l’homme qui est fait pour le vrai Dieu.
3. Il est hors de sens
d’imaginer, vers la fin du monde, une humanité unifiée autour du culte
religieux de Lucifer. Le texte de saint Paul parle de l’esprit caché sous le
dernier antichristianisme et non d’une adoration explicite. Ce serait un
blasphème contre l’Esprit, et Dieu ne pourrait tolérer qu’une génération
entière se damne.
Cependant :
Les Écritures donnent certaines prophéties générales suffisantes
pour avoir une idée de l’idéologie de l’Antéchrist. Saint Paul écrit aux
Thessaloniciens[1602] : « Il s’élève au-dessus de tout
ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en
personne sur le trône de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. »
Conclusion :
Si l’on suit l’Écriture, on doit affirmer que le dernier
Antéchrist, à la fin du monde établira sur terre le projet insensé que Lucifer
avait posé au début de sa révolte et que Jésus appelle « Le mystère de l’iniquité ».
Son idéologie sera donc une religion et non un athéisme. Pour le comprendre, on
doit considérer deux choses :
1° la finalité que visent
Lucifer et ses anges, à savoir la damnation du plus grand nombre d’hommes. ; 2° la manière dont ils s’efforceront
d’atteindre ce but à la fin du monde (voir article suivant).
Dès l’origine, la révolte des démons consista dans le rejet du
projet que Dieu avait fondé sur l’humilité et l’amour : « nul ne peut voir Dieu face à face
sans devenir tout humble et sans aimer. Le plus petit d’entre vous sera le plus
grand. ». Les anges révoltés prétendirent mériter voir Dieu face à
face du seul fait de leur nature, parce qu’ils sont intelligents donc faits
pour cela. Dieu ne pouvant se donner qu’aux humbles, ils se révoltèrent, estimèrent
pouvoir le faire changer d’idée, et voulurent dès lors organiser un monde selon
leur idée, où le premier est le plus intelligent de tous, à savoir Lucifer. Ils
furent menteurs dès l’origine puisqu’ils prétendirent n’agir ainsi que pour
l’honneur du Créateur et pour éviter son abaissement.
C’est en comprenant cette cause originelle que l’on peut
comprendre ce que sera l’idéologie du dernier Antéchrist, celui qui réalisera
sur terre ce grand projet des démons. Concrètement, le dernier
antichristianisme sera une religion, avec un dieu et une promesse de vie
éternelle. Il instaurera sur terre le « mystère
de l’iniquité », c’est-à-dire le
motif premier et initial de la révolte de Lucifer. On peut, en suivant les
textes, décrire la prédication mensongère du dernier Antéchrist ainsi : « Arrivée
à la plénitude du savoir et de l’expérience, l’heure est venue pour l’humanité
d’adhérer à la sagesse qui peut la combler tout entière. Après des siècles
d’errance, le monde est mûr pour se donner à la vraie religion, l’Évangile
éternel voulu par le Créateur, celui qui libère l’homme de toutes ses peurs.
L’humanisme sans Dieu disait que la vie
s’arrête avec la mort, plongeant l’humanité dans l’exclusive recherche du
bonheur immédiat et dans la désespérance. Les faux Évangiles affirmaient que
l’homme devait être un serviteur, humble et soumis aux autres. Le vrai affirme
qu’il a été créé pour être un dieu. Il a été fait pour la liberté et la
puissance, pas pour la dépendance. Il le peut dès ici-bas.
Cette vie n’est qu’un commencement.
Après la mort, l’homme vit[1603]. De l’autre côté du voile, il lui est
proposé, pour l’éternité, liberté et dignité. Cela se réalise très concrètement
par l’apparition du dieu suprême, « celui qui porte toute vraie lumière »,
Lucifer[1604]. L’homme qui choisit la liberté, qui
refuse librement la dépendance que lui propose le faux dieu[1605], prolongera sa puissance dans l’autre
monde pour l’éternité, dans la communion intellectuelle avec le projet
grandiose de l’Ange de Lumière.
Ainsi pacifiée et maîtresse d’elle-même,
l’humanité va enfin s’appartenir. Elle va se mettre debout. Libérée de
l’angoisse du néant, en contact spirite avec l’autre monde, elle va connaître
la pleine possession d’elle-même[1606]. Rien ne lui sera plus impossible.
L’humanité deviendra maîtresse de son destin, décidant elle-même ce qui est
bien ou mal. »
Ce
discours ressemble superficiellement à l’Évangile du Christ. On y parle même
d’un Dieu, d’une vie après la mort. Il n’y a plus d’athéisme. Il est aisé de se
laisser abuser, même en étant chrétien. Pourtant, le vrai créateur est humble
(kénose) et aimant, jusqu’à la mort et la mort sur une croix.
Il semble que c’est par des discours semblables que parlera le
dernier Antéchrist à la fin du monde, conduisant l’humanité à certains
comportements ultimes et limites. Ces événements, terribles au plan spirituel,
ressembleront fortement au blasphème contre l’Esprit Saint tel que nous l’avons
défini. Pourtant, il ne faut pas confondre. Une apparence de blasphème contre
l’Esprit n’est pas nécessairement sa réalité. Il peut arriver qu’un groupe
d’homme se mette à rejeter Dieu tout en sachant qu’il existe, mais sans savoir
ce qu’il fait vraiment, à cause de l’entraînement d’une folie collective [1607] : « Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », disait
Jésus à propos de ce peuple qui avait vu ses miracles, l’acclamait quelques
jours plus tôt avant de rire devant sa mort. C’est pourquoi, même lorsque ces
événements arriveront, il ne faudra pas douter de la puissance de Dieu qui ne
permet le mal que pour un bien supérieur, lié au salut éternel du plus grand
nombre.
Il convient de remarquer que c’est aussi de cette manière que, à
l’heure de sa mort individuelle, chaque homme reçoit de manière objective et
face à sa liberté, la prédication par Lucifer du bien qu’il prétend se trouver
en enfer[1608]. C’est qu’il s’agit du même
mystère, Dieu ne permettant cette approche ultime de l’ange révolté que pour
que la liberté de l’homme soit parfaite.
Solutions :
1. La lettre des Ecritures
oblige à affirmer que Dieu permettra cela. Il est bien évident que cela ne
pourra arriver qu’à une époque où les religions, à commencer par la sainte
alliance du Christ, auront disparu du monde visible. C’est pourquoi saint Paul
dit dans sa deuxième épître au Thessaloniciens[1609] : « Et
vous savez ce qui le retient maintenant, de façon qu'il ne se révèle qu'à son
moment. Dès maintenant, oui, le mystère de l'impiété est à l'œuvre. Mais que
seulement celui qui le retient soit d'abord écarté. Alors l'Impie se révélera. » C’est pourquoi on doit affirmer
que ce dernier Antéchrist n’arrivera pas tant que les religions qui portent le
nom de Dieu, c’est-à-dire qui enseignent d’une manière ou d’une autre la valeur
de l’humilité et du don de soi, subsisteront.
2. Un tel monde, celui que
connaîtra la génération du dernier Antéchrist, sera brillant et paisible au
plan extérieur puisque tous les fléaux auront été vaincus. Mais, au plan
intérieur, ce monde sera marqué par l’angoisse, qui est ce feu mystérieux vécu
par toute âme coupée du vraie Dieu, celui qui seul peut combler le cœur de
l’homme. Ainsi, le dernier Antéchrist réussira tout, sauf l’essentiel. Il est
probable que son monde sera en conséquence marqué de deux fléaux
étranges : la drogue et le suicide qui permettent de fuir artificiellement
ce qui n’a pas de sens. Mais Dieu ne permettra cela que parce qu’il saura en
faire sortir un salut plus grand et pour le plus grand nombre.
Selon saint Paul[1610], la persécution ultime
perpétrée par l’Antéchrist sera permise par Dieu "parce que les hommes
n’ont pas reçu l’amour de la vérité pour être sauvés. En punition, Dieu leur
enverra un esprit qui donnera l’efficacité à l’erreur, en sorte qu’ils croiront
à l’erreur, afin que tous ceux qui n’ont pas cru à la vérité, mais qui se sont
plus dans l’injustice, soient condamnés. » Ce texte doit être interprété
comme suit : « en punition », c’est-à-dire par mode d’éducation. « Il leur enverra un esprit de sorte qu’ils croiront à l’erreur », en
ce sens qu’ils vivront jusqu’à l’absurde de la logique de leur péché, collés au
temps présent, incapables de discerner la destruction à long terme qui sort
toujours de l’amour égoïste. Ils recevront dès cette terre le salaire de leur
péché sous la forme des diverses angoisses qui en sont le salaire naturel. Ils
vivront l’absence de Dieu dans les misères spirituelles, jusqu’au le retour du
Christ qui révélera sa vérité et son amour et leur proposera son pardon. Alors
beaucoup se tourneront vers lui, dans la confusion, mais avec beaucoup d’amour
puisqu’ils auront été beaucoup pardonnés.
En outre ce dernier Antéchrist est destiné à faire ressortir et à
manifester avec éclat la fidélité et la constance de ceux dont les noms sont
écrits dans le livre de vie et que toutes ses violences et ses artifices
n’auront pu parvenir à ébranler. En tout cela, l’homme ne sera pas tenté plus
qu’il ne peut en supporter car la grâce de Dieu sera donnée en abondance à
cette époque. On doit aussi affirmer que tout cela aboutira en une victoire
finale, jusque dans la politique, de Dieu grâce à la parousie du Christ.
3. Tout cela ne peut se faire
que par étape, au fur et à mesure du renouvellement des générations. L’histoire
moderne révèle d’ailleurs sans cesse de nouveaux antichristianismes que la
génération précédente ne pouvait pas imaginer. Ainsi, les soldats de la grande
guerre de 1914 auraient-ils imaginé que leurs petits enfants avorteraient, au
nom du bonheur adulte, un enfant à naître sur quatre ? En y regardant de plus
près, on remarque que l’histoire des antichristianismes, commencée avec
l’orgueil de la chrétienté du XIIIème siècle, suit une certaine
logique de progressivité. Ils ont d’abord corrompu la place de la charité et de
l’humilité (kénose) comme fondement de la vie chrétienne (hérésies rigoristes
ou piétistes, culte de la puissance des Eglises etc.). Une fois le vrai
évangile dénaturé ou discrédité par ses guerres, les antichristianismes
devinrent des évangiles politiques (capitalisme, marxisme, nationalisme,
nazisme, consumérisme, hédonisme, société des loisirs). Rien n’empêche donc que
dans les générations à venir, « ce qui le retient ayant été enlevé [1611] », la place laissée vide par
les anciennes religions laisse un vide que viendra remplir la religion de
l’Antéchrist.
Objections :
1. Au cours de l’histoire, les
divers antéchrists ont eu en commun de manifester un grand mépris pour la vie humaine.
Ils tuèrent des hommes par tous les moyens possibles, depuis la guerre
jusqu’aux actes qualifiés de libératoires de la souffrance comme l’avortement,
l’euthanasie ou le suicide. Il semble donc que l’Antéchrist final, pour montrer
à Dieu le peu de valeur de l’humanité, la conduira à s’autodétruire dans une
dernière guerre mondiale.
2. Jésus dit, à propos du
diable : « Il est homicide
dès l’origine ». Son action sur
les hommes se réalisera donc perpétuellement à travers des meurtres matériels
et de la barbarie et non à travers un monde pacifié sans Dieu.
3. L’étape essentielle et
préparatoire à la venue du dernier Antéchrist semble être la disparition des
religions prônant le bien – l’humilité et le don de soi –. Mais cela semble
être impossible tant elles sont inscrites dans le cœur de l’homme.
4. L’athéisme semble être le
sommet de ce que l’Ange révolté peut établir sur terre. Ne dit-on pas que sa
plus grande ruse est de faire croire qu’il n’existe pas ?
Cependant :
L’Antéchrist réussira en faisant
mûrir peu à peu l’humanité vers un mal de plus en plus lucide et volontaire,
étape après étape. Pour comprendre son œuvre, Jésus invite à se référer aux
prophéties de Daniel[1612] qui effectivement, se
réalisent sur de nombreuses générations. Voici les trois principales :
« Quatre royaumes viendront qui n'auront pas la force du
précédent. Et, au terme de leur règne, au temps de la plénitude de leurs
péchés, se lèvera un roi au visage fier, sachant pénétrer les énigmes. Sa
puissance croîtra en force (non en raison de sa propre puissance), il tramera
des choses inouïes, il prospérera dans ses entreprises, il détruira des
puissants et le peuple des saints. Et, par son intelligence, la trahison
réussira entre ses mains. Il s'exaltera en son cœur et détruira un grand nombre
par surprise. Il s'opposera au Prince des princes (le Christ) mais, sans acte
de main, il sera brisé. Elle est vraie la vision qui a été dite. »[1613]
« (...). Et après
soixante-deux semaines, un messie sera supprimé, et il n’y a plus pour lui (de
place). La ville et le sanctuaire seront détruits par un prince qui viendra. Sa
fin sera dans le cataclysme et, jusqu'à la fin, la guerre et les désastres
décrétés. Et il consolidera une alliance avec un grand nombre. Le temps d'une
semaine ; Et le temps d'une demi-semaine, il fera cesser le sacrifice perpétuel
et l'oblation et sur l'aile du temple sera l'abomination de la désolation
jusqu’à la fin, jusqu’au terme assigné pour le désolateur. »[1614]
« Je regardais, moi Daniel, et voici : deux anges se tenaient
debout, de part et d'autre du fleuve. L'un dit à l’homme vêtu de lin (le
Christ) qui était en amont du fleuve : quand se produiront ces choses inouïes ?
J'entendis l'homme vêtu de lin, qui se tenait en amont du fleuve : il leva la
main droite et la main gauche vers le Ciel et attesta par l'Eternel Vivant : «
pour un temps, des temps et un demi-temps, et toutes ces choses s'achèveront
quand sera achevé l’écrasement de la force du Peuple Saint." J'écoutais
sans comprendre ; puis je dis : Mon Seigneur, quel sera cet achèvement ? Il dit
: Va, Daniel ; ces paroles sont écrites et scellées jusqu'au temps de la Fin ;
Beaucoup seront lavés, blanchis et purifiés ; les méchants feront le mal, les
méchants ne comprendront point ; les savants comprendront. À compter du moment
où sera aboli le sacrifice perpétuel et posée l'abomination de la désolation :
1290 jours. Heureux qui tiendra et atteindra 1335 jours. Pour toi, va, prend
ton repos ; et tu lèveras pour ta part à la fin des jours. »[1615]
Donc le dernier Antéchrist viendra
après une longue préparation et maturation de l’humanité.
Conclusion :
Les textes de l’Écriture révèlent que l’Antéchrist, par des
manœuvres diverses, sera efficace. À la fin du monde, il établira son projet
insensé d’humanité séparée du vrai Dieu humble (kénose) et amour et debout
face au faux dieu libre et orgueilleux. Il pourra être reconnu comme le
dernier Antéchrist par le fait qu’il réalisera de manière mondiale ce
projet désiré par nombres d’hommes avant lui.
Voulant établir la puissance de l’égoïsme et de l’orgueil, ces
deux valeurs essentielles dans le service de la révolte du démon caché sous
cette lutte, il saura agir pour proposer aux hommes la réalisation concrète
d’une l’humanité libre et individualiste. Pour comprendre son œuvre, il faut se
demander jusqu’où il est possible de réaliser un monde sans le vrai Dieu et
sans véritable amour, de telle manière que les hommes s’y complaisent au moins
dans la partie sensible de leur être.
En regardant l’histoire de l’humanité, on peut discerner diverses
étapes dans la réalisation de l’œuvre des antéchrists. De même que l’égoïsme et
l’orgueil d’un enfant ne sont pas les mêmes que celui d’un homme libre arrivé à
la plénitude de la maîtrise de soi, de même l’antichristianisme du début
portant sur les plaisirs charnels et les guerres de domination paraîtra
enfantin par rapport à celui de l’humanité lorsqu’elle aura mûri. Quand on
regarde l’histoire de l’humanité, on constate que les antichristianismes ont
empiré par étapes, de manière analogue à ce qui est visible dans la vie d’un
individu quand il mûrit dans le péché. Ainsi, les péchés peuvent, chez celui
qui se damne, empirer en trois étapes selon que l’égoïsme est dû à la faiblesse
de leur chair, à l’ignorance de l’amour de Dieu ou au contraire à la lucidité
d’une volonté obstinée dans le mal. De même, on peut discerner trois étapes du
péché dans l’histoire de l’humanité :
1° Le péché contre le Père
(faiblesse) : Les tyrans du commencement de l’humanité sont, à l’image de
Néron, des hommes exaltés dans leur pouvoir ou par leur plaisir. Ils suivent
leurs convoitises. Ils sont souvent les esclaves de leurs passions qu’ils
appliquent à la politique, pour le malheur de leur peuple. Leur motivation
n’est pas l’ignorance de l’existence de Dieu mais le plus souvent, le péché
contre le Père, c’est-à-dire une certaine faiblesse due à l’emprise des trois
convoitises (plaisirs, argent, pouvoir). Puisque c’est au Père éternel qu’on
attribue la force, ces antéchrists s’opposent au Père. C’est aussi à ce genre
de péché que se rendirent coupable bien des chrétiens lors des guerres de
religion, salissant l’Église d’une tâche définitive.
2° Le péché contre le Fils
(ignorance) : Après la révolution
française, l’humanité entra dans une nouvelle étape puisqu’il ne s’agit plus
seulement de convoitise mais, pour la première fois, de la conviction que le
christianisme et les religions révélées ne sont que des inventions de la
superstition. Il y eut chez ces hommes, à partir de cette époque, une véritable
ignorance de l’existence de Dieu. On l’appelle péché contre le Verbe puisque
c’est au Verbe qu’est attribué par appropriation, la connaissance en Dieu pour
le bien des hommes. Les antichristianismes de cette époque s’efforcèrent donc
de construire un système nouveau, une idéologie capable de donner à l’humanité
le bonheur "sans référence à Dieu. »
On tâtonna tragiquement. Mais les diverses tentatives d’humanisme sans Dieu,
-le nationalisme (exaltation du pouvoir), le capitalisme et son opposé le
marxisme (exaltation de l’argent), l’hédonisme (exaltation des plaisirs)-, ont
tous en commun la croyance, souvent sincère, que Dieu n’existe pas et qu’une
nouvelle humanité doit naître. Le XXème siècle est à cet égard
significatif de la manipulation du démon caché sous l’histoire puisqu’il
inspira à l’homme des idéologies effrayantes aboutissant aux massacres de
masse, d’Auschwitz à l’avortement[1616].
3° Le péché contre l’Esprit Saint (lucidité,
maîtrise de soi, face à Dieu) : Arrivé à ce point, il y aura une dernière étape
pour que la plénitude du mystère de l’iniquité soit révélée. Il est déjà venu
beaucoup d’Antéchrist, mais ils n’ont jamais été que des préfigurations du
dernier puisqu’ils n’ont jamais osé ou pu proclamer de manière explicite sur la
terre la grandeur du blasphème contre l’Esprit Saint. Cela leur était
impossible car, tant que subsistaient des religions prônant le bien, l’humanité
ne l’aurait pas reçu. Mais, vers la fin du monde, une troisième étape doit être
franchie, si l’on en croit la lettre des Écritures. L’existence
de Dieu étant reconnue, il est probable qu’on verra l’humanité lutter
explicitement contre lui et se donner au faux dieu de la liberté égoïste,
Lucifer. Il semble donc que les
hommes se révolteront contre un Dieu dont
ils connaissent l’existence.
Solutions :
1. Au cours de l’histoire de
l’humanité, le démon qui est un être intelligent adapte son action au niveau de
maturité qu’il y trouve. Ainsi, dans les âges barbares, il inspire aux hommes
de tuer les corps parce que l’homicide est l’un des péchés les plus mortels
pour l’amour. Mais il ne le fait que dans un seul but : qu’à l’heure de sa mort
le criminel choisisse dans sa perversion de le suivre dans la révolte de
l’enfer. C’est pourquoi, plutôt que de tuer les corps, profondément, il cherche
en fait à tuer les âmes selon la parole de Jésus[1617] : « Je vous le dis à vous, mes amis : Ne
craignez rien de ceux qui tuent le corps et après cela ne peuvent rien faire de
plus. Je vais vous montrer qui vous devez craindre: craignez Celui qui, après
avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne; oui, je vous le dis,
Celui-là, craignez-le. » C’est pourquoi, à la fin du
monde, Lucifer réussira à établir son vrai projet sur terre et ne cherchera
plus à détruire l’humanité matériellement mais à la convaincre de se révolter
contre Dieu lucidement dans un blasphème contre le Saint Esprit.
2. Le meurtre matériel n’est
pour le démon, agissant sous la forme de Satan, qu’une action dispositive à son
vrai projet, qu’il révèle en apparaissant à la fin sous sa forme réelle d’Ange
de lumière – Lucifer - et qui vise à ce que des hommes libres choisissent en
toute lucidité l’enfer, qu’il revendique comme le paradis de l’homme libre
selon cette parole[1618] : « Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu
sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme
des dieux, qui connaissent le bien et le mal. » C’est pourquoi, dans la vie
individuelle comme dans l’histoire humaine, le démon adapte son action pour
qu’elle ne se révèle qu’en son temps. Il est dit dans le livre de la Genèse[1619] que Satan "rampe
sur son ventre" en ce sens qu’il passe aujourd’hui son temps, aidé de
l’armée des anges déchus, à tenter l’homme et la femme sur des péchés
matériels. C’est un travail étrange pour des créatures purement spirituelles.
Mais c’est aussi une œuvre très intelligente car très adaptée à l’homme. Il
éduque l’homme par où il est le plus accessible à l’apprentissage de l’amour
égoïste de soi. Il s’efforce de l’entraîner là où il peut le mieux le saisir.
Mais tout cela ne constitue qu’une première étape. Il espère qu’à l’heure de la
mort et à la fin du monde, devenu individualiste, chaque homme le suivra dans
le péché qui motive son action et qui n’a plus de rapport avec la chair, si ce
n’est sa racine d’égoïsme et d‘orgueil exalté. La vraie révolte de Lucifer
n’est pas le péché de la chair, la convoitise de l’argent ou de la vanité. Elle
est un refus total, face à la parole de Dieu suffisamment manifestée, de son
projet d’établir l’univers selon l’ordre de l’amour et de l’humilité (kénose).
Lucifer désire un autre ordre, celui que donnent l’intelligence et la puissance
naturelle.
3. L’observation de l’Europe
occidentale au XX° siècle et de sa marche vers l’apostasie montre qu’il n’est
pas impossible de retirer du cœur de l’homme la religion du vrai Dieu. Il
suffit d’allier une habile propagande rendant responsables de tous les malheurs
de l’histoire la religion en insistant sur ses erreurs historiques
(inquisition, atteintes aux libertés etc.) et en réduisant son histoire à
ces erreurs ; L’augmentation du niveau de vie, des loisirs, peuvent ensuite
efficacement et durant la plus grande partie de la vie, étouffer la soif du
sens de la vie chez le grand nombre, au point que, de l’extérieur, un monde
équilibré sans religion semble possible. Ce sera vrai bien avant la venue du
dernier Antéchrist.
1° Dans une étape qui précèdera
la naissance de l’Antéchrist, il apparaître une génération qui rejettera violemment
toute référence à toute religion. Les péchés passés des religions (peut-être la
grande guerre annoncée dans l’islam) et le confort matériel provoqueront ce
rejet. Les générations suivantes, privées de toute religion, vivront donc dans
un grand vide spirituel (le soleil
s'obscurcira etc.). Peu d’hommes penseront encore à la possibilité d'une
vie après la mort. Le monde dans son ensemble, c’est-à-dire la très grande
majorité des hommes, se retrouvera sur une terre habitable et correctement
gérée. On n'y manquera de rien au plan matériel mais il n’y aura plus de
nourriture pour les âmes. Ainsi, simultanément, il y aura une grande paix
extérieure et sociale (quand on dira paix
et sécurité) ainsi qu’une grande souffrance intérieure à cause de la disparition
de l’espérance (les nations de la terre
seront dans l'angoisse).
2° Comme "l’homme ne vit pas seulement de pain mais de
toute parole qui sort de la bouche de Dieu”[1620],
à l’époque du dernier Antéchrist, il y aura sa nouvelle religion. Pourtant, rien n’y fera, elle
n’aura pas le pouvoir de supprimer le feu dans le cœur de l’homme. Fait pour le
vrai Dieu qui est amour, le cœur de l’homme ne peut se satisfaire, même dans
l’espoir de vivre éternellement, d’un dieu de l’égoïsme. Devant cette soif, la
majorité des hommes ne comprendront pas que c’est l'absence du vrai Dieu qui
les consume. Comment pourra-t-il en être autrement puisque nul prophète ne sera
là pour le leur révéler. Il y aura en ce temps une multiplication des
angoisses, des névroses et des suicides. On cherchera la lumière mais on ne la
trouvera pas car, ajoute saint Matthieu[1621] : « Aussitôt après la tribulation, le soleil s’obscurcira, la lune ne
donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du Ciel et les puissances des
cieux seront ébranlées."
3. L’humanisme athée n’est
qu’une étape qui ne saurait suffire à Lucifer. En effet, la négation de
l’existence du Créateur présente à ses yeux plusieurs inconvénients :
D’abord, c’est une philosophie insensée tant il est évident que l’immense
complexité de l’univers et de la vie ne peut venir du hasard. Ainsi, une telle
métaphysique ne résiste guère aux progrès des sciences. Ensuite l’athéisme,
loin de rendre l’homme libre dans son choix de l’enfer, le plonge dans
l’angoisse sur le sens de sa vie. Or, nous l’avons montré, le projet ultime du
démon n’est pas que l’homme vive dans la barbarie comme aux époques antiques,
ou dans le mensonge comme dans les périodes athées. Son but est que le plus
grand nombre le choisisse lui et son projet, en toute lucidité, et en sachant
que le Créateur existe, afin que la création entière exige et obtienne du
Créateur qu’il renonce à son Evangile d’amour et de kénose au profit d’un
évangile de liberté et de dignité.
Il s’agit de regarder maintenant non plus l’esprit de
l’Antéchrist, mais les œuvres de puissance qu’il réalisera.
Objections :
1. Il ne semble pas qu’il fera disparaître
les guerres, les famines et les maladies. Le livre de l’Apocalypse montre que
ces fléaux sont envoyés par Dieu pour éviter à l’homme un mal pire : l’orgueil
et sa conséquence, la damnation éternelle. Dieu qui veut le salut de tous ne
pourra permettre que de tels remèdes disparaissent.
2. De même, il ne pourra
réaliser l’unification de l’humanité, la disparition des nations, des langues.
Cette division vient de Dieu et date du début de l’humanité, à la tour de Babel[1622] : « Allons! Descendons et confondons
leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. » Il
empêcha ainsi que l’humanité ne se prenne pour Dieu, dans sa puissance.
Puisqu’il s’agit du salut éternel, Dieu divisera de nouveau les hommes et ne
laissera pas l’Antéchrist réussir.
3. Dieu ne permettra pas qu’il
fasse disparaître toutes les religions.
4. C’est a fortiori vrai
pour la maîtrise de l’arbre de vie : « Dieu posta devant le jardin d’Eden les
chérubins et la flamme de leur glaive fulgurant pour garder le chemin de l’arbre
de vie. » Si l’homme trouvait le moyen de rendre éternelle sa vie
sur la terre, loin de Dieu, une telle permission de Dieu dépasserait
l’entendement théologique car elle conduirait les masses à la damnation.
5. Il n’est pas crédible qu’à
la fin, le dernier Antéchrist révèle de manière explicite l‘existence de
Lucifer et le projet de révolte universelle de l’humanité à sa suite contre
Dieu et le mystère de la charité. Il sera un homme intelligent. Il comprendra
que les hommes, une fois éclairés, rejetteront une telle révolte comme
suicidaire.
6. Selon l’Apocalypse[1623], l’Antéchrist ne réussira
pas dans ses œuvres : « Les rois de la terre se mettront tous
d’accord pour remettre à la Bête leur puissance et leur pouvoir. Ils mèneront
campagne contre l’Agneau mais l’Agneau les vaincra. »
7. Il ne semble pas que
l’Antéchrist sera détruit par le retour du Christ. En effet, l’Apocalypse parle
d’un temps de mille années pendant lequel l’humanité vivra en paix avec Dieu
tandis que le démon sera provisoirement enchaîné en enfer, au point qu’il ne
pourra plus fourvoyer les nations[1624]. Le retour du Christ aura
donc lieu ultérieurement, après ces milles années et non au temps de
l’Antéchrist.
8. L’Ecriture annonce d’autres
signes mineurs du temps de l’Antéchrist comme celui-ci[1625] : « On
lui donna même d'animer l'image de la Bête pour la faire parler, et de faire en
sorte que fussent mis à mort tous ceux qui n'adoreraient pas l'image de la
Bête. » On ne voit pas de quoi
il peut s’agir.
Cependant :
Le texte de saint Paul aux Théssaloniciens[1626] manifeste avec d’autres la
réussite de l’Antéchrist, mais sa réussite éphémère : « Alors l’Impie se révèlera.
Le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa bouche, l’anéantira par la
manifestation de sa venue. Sa venue à lui, l’Impie, aura été marquée par
l’influence de Satan, de toute espèce d’œuvres de puissances, de signes et de
prodiges mensongers, comme de toutes les tromperies du mal. »
Conclusion :
On peut distinguer dans l’œuvre de
l’Antéchrist son but et ses moyens.
1° A
propos de son but : Nous avons vu qu’il sera d’établir sur terre l’enfer,
ce mot n’ayant pour lui aucune connotation autre que l’exaltation d’une
humanité lucidement libre et séparée du Dieu de l’humilité et de l’amour.
S’agira-t-il d’un péché contre l’Esprit Saint, devenu la manière de vivre de
l’humanité entière ? Nous avons vu dans la première partie qu’un individu peut aller
très loin dans le péché. Il peut aller jusqu’au refus libre et conscient de
tout amour oblatif, quitte à se séparer pour l’éternité de Dieu en enfer. Il
n’existe pas de plus grand péché. Mais l’humanité dans son ensemble ne peut aller jusque là parce que le blasphème
contre l’Esprit Saint est le fait d’un individu libre et non d’une communauté
dont la plupart des membres, selon Aristote, vivent plutôt dans le sensible que
dans le spirituel. Chaque être humain est unique et il n’existe pas sur terre
d’unanimité totale ni pour le mal ni pour le bien. Il est inimaginable que
l’humanité choisisse comme un seul homme de lutter contre Dieu de manière libre
et consciente, c’est-à-dire en sachant qu’il existe et ce qu’il veut.
Il est cependant possible à l’humanité de commettre un tel péché,
en tant que ses autorités politiques la structurent autour de lui. L’humanité dans son ensemble constitue une
structure où chaque individu peut être conditionné et entraîné vers des actions
qu’il ne ferait pas seul. Dans certaines conditions, une communauté, ses
dirigeants et ses médias peuvent prendre un tel ascendant sur les individus,
qu’ils semblent unanimement d’accord avec la direction de l’ensemble. Jean-Paul
II appelait ce mécanisme « une
structure du péché. » Il
employait cette expression dans l’analyse sociologique du nazisme en Allemagne.
Chaque allemand, pris individuellement se serait sans doute révolté à l’idée de
l’extermination par la guerre de millions d’hommes innocents. Pourtant, le
peuple tout entier, entraîné dans un enthousiasme communicatif (désir de
revanche nationale, misère matérielle et morale, charisme de son guide),
applaudit l’idée d’une guerre. Il en sera ainsi à la fin du monde. Mais, de
même que le nazisme des allemands pris individuellement ne résista pas à la
manifestation de sa vraie nature, de même, il ne faut pas croire que chacun de
ceux qui soutiendra avec enthousiasme l’Antéchrist à la fin du monde se damnera
à l’heure de la fin, quand le Christ dévoilera la vérité.
La victoire de l’Antéchrist sera de courte durée. D’après
l’Apocalypse[1627], elle durera trois jours et
demi, c’est-à-dire le temps d’un sépulcre, le temps que les fidèles qui
resteront en vie à cette époque puissent être l’image de la vierge Marie après
la mort de son Fils, vivre de l’attente de la résurrection finale de l’Église.
Selon saint Paul, l’Impie sera anéanti d’un seul coup par la manifestation de
la venue du Seigneur, par le souffle de sa bouche[1628].
2° A propos des moyens utilisés : L’Antéchrist réussira à créer
le monde le plus réussi qu’il soit possible sans le vrai Dieu. On peut les
distinguer en quatre groupes selon qu’ils combleront le corps, les désirs
psychologiques, la vie morale ou les aspirations mystiques.
- Au plan du corps, le dernier Antéchrist et les générations qui
précéderont sa venue réaliseront tout ce qu’il est possible. Les maladies, les
guerres, les famines etc. seront vaincues par les progrès de la science et une
organisation politique et policière habile. Une chose seulement ne pourra
jamais être vaincue, compte tenu de la nature biologique du corps humain :
il s’agit de la nécessité de mourir tôt ou tard, après des siècles peut-être,
mais de mourir tout de même.
- Au plan psychologique, l’expérience du passé et l’analyse de ses
erreurs permettra de donner aux enfants de solides bases humaines à travers
l’usage équilibré et complémentaire, dès la petite enfance, de l’amour doux, de
l’amour d’autorité et d’un sain et intelligent enseignement de l’ordre des
valeurs.
- Au plan moral, ces valeurs seront humanistes, l’homme étant le
plus important, l’argent, la gloire et les plaisirs étant situés à leur juste
place, comme des moyens.
- Au plan mystique enfin, le dernier Antéchrist essayera de donner
un sens profond à cette vie, promettant et démontrant l’existence d’une vie
éternelle après la mort. Mais il ne réussira pas à combler le tréfonds de l’âme
humaine, celle-ci étant par essence faite pour s’unir au vrai Dieu, dans ses
qualités d’amour et d’humilité.
Solutions :
1. La victoire de l’Antéchrist
final sera extérieure, c’est-à-dire médiatique et politique. Mais elle ne
pourra jamais atteindre le fond même de la nature humaine, faite par essence
pour l’infini du vrai Dieu. C’est pourquoi, s’il lui est possible avec un
minimum d’organisation et d’intelligence politique de faire disparaître les
fléaux cités en ce qui concerne leur signification matérielle, il lui est
impossible de le faire au plan de leur signification spirituelle, et donc par
somatisation, psychologiques. C’est pourquoi, malgré tous ses efforts, il ne
réussira pas à supprimer les fléaux intérieurs, voulus par Dieu et qui
continueront à façonner l’humilité (kénose) de l’humanité.
2. En sens contraire, la lettre de l’Ecriture dit que l’Antéchrist
réussira à créer une paix mondiale. De fait, il est probable que l’Antéchrist
ne triomphera que par des armes intellectuelles, celles de ses idées, de sa
connaissance de la nature humaine, de son habileté politique[1629]. L’une d’elle sera la
création d’un gouvernement mondial qui se réalisera au moment où les Juifs
referont de Jérusalem leur ville selon ce texte[1630] : « Jérusalem
sera foulée aux pieds par des nations jusqu'à ce que soient accomplis les temps
des nations. » C'est ainsi : plus l’humanité approchera de son terme et se
spiritualisera, plus ses guerres seront celles de l'Homme sans Dieu contre
l'Homme au service du vrai Dieu. Ce sont deux conceptions du monde opposées et
qui l'emportent plus par la parole que par les armes. L’Antéchrist l'aura
compris, lui qui connaît l'Histoire.
Très vite, porté par l'enthousiasme des nations devant son projet
politique et religieux, l’Antéchrist étendra son pouvoir sur le monde entier : « Il consolidera une alliance avec le grand
nombre »[1631]. Intelligemment et avec
respect des différentes mentalités humaines, il centralisera le gouvernement du
monde et saura mettre les sciences et les techniques au service de tous. Il
supprimera définitivement la famine. De même, la médecine fera reculer la
maladie dans les nations les plus reculées. Il multipliera les lois de ce genre
et il réussira. Il établira pour la première fois dans toute l'histoire de
l'humanité une paix universelle. Chacun pourra le constater. À cause des forces
armées intelligemment utilisées au service de la paix, il saura séparer et
pacifier les ennemis d'hier. « Quand
les hommes diront paix et sécurité (...) », commente saint Paul[1632].
3. L’Antéchrist saura
discerner le risque considérable que représentent les restes des religions pour
la durée de son œuvre. Il sera intelligent et ne négligera pas la puissance des
idées. A l’image du philosophe Feuerbach, il connaîtra la faille de son système
d'humanité sans Dieu : cette soif insatiable du cœur de l'homme vers l'absolu,
le tout-autre, l’Amour, la Lumière, en un mot vers le vrai Dieu. Sans doute ce
danger lui paraîtra-t-il d’autant plus réel que l’Église, dans un dernier
sursaut, aura su prêcher avec un certain succès les failles présentes dans
l’humanisme sans Dieu puis dans la nouvelle religion fondée sur l’adoration du
Dieu de la liberté et de l’amour de soi. C’est ce que l’Ecriture semble
annoncer sous la prophétie des deux témoins[1633].
L’Antéchrist entreprendra donc une lutte contre le peuple de Dieu et réussira.
Il le fera de deux manières :
1° pour
ceux qui ne seront pas assez fixés sur le Christ, il séduira. Plus encore que les autres,
une partie des chrétiens de cette époque se mettra au service de ce grand
projet. Leur sens de l'amour du prochain les poussera à cela. « C’est l'Évangile de Jésus », les entendra-t-on proclamer partout.
Le texte de Daniel décrit cette séduction exercée sur le peuple de Dieu en ces
termes : « Il détruira des puissants et
le peuple des saints. Et, par son intelligence, la trahison réussira entre ses
mains »[1634]. Sûr de sa force, « l’Antéchrist
s'exaltera dans son cœur et détruira un grand nombre par surprise »[1635].
2° Pour
ceux qui seront lucides et distingueront bien le vrai Dieu de l’humilité
(kénose) et de l’amour du faux Dieu de la liberté et de l’égoïsme, l’Antéchrist
interdira ou détruira. C'est même, si l'on suit saint Paul et Daniel, le signe
majeur qui devra précéder le retour du Christ : « Toutes ces choses s'achèveront quand sera achevé l’écrasement du
Peuple Saint »[1636].
Pourtant, nous l’avons dit, il subsistera toujours, en secret, des fidèles de
toutes les religions et ce jusqu’au retour du Christ. Ils seront même devant
Dieu d’une telle qualité qu’on n’aura rien vu de tel, sauf en Marie à la croix.
4. Le jardin d’Eden et l’arbre de vie sont le symbole du rêve ultime
de l’homme. Puisqu’il désire vivre éternellement, dans la maîtrise de sa
liberté, il ne cesse d’en rechercher le moyen. Ainsi vit-on l’empereur chinois
Chin, avant Jésus Christ et Staline plus récemment expérimenter des recettes de
vie éternelle. On voit des hommes faire congeler leur corps dans l’espoir
d’être ramenés à la vie un jour. Vers la fin du monde, l’homme percera certains
secrets génétiques de la programmation de la vie humaine à ne jamais dépasser
120 ans, selon la lettre de la Genèse[1637] : « Puisque l’homme n’est que
chair, sa vie ne sera que de 120 ans. » Il ne résistera pas à la
tentation de modifier cela.
Si l’on suit la lettre du livre de la Genèse, avant cette décision
divine due à l’abus du péché, les hommes vivaient sept cent, huit cents ans[1638]. Il n’est pas aberrant de
croire que ces chiffres ont une valeur réelle. Vers la fin du monde, il est
probable que l’Antéchrist réalisera cela, revenant ainsi aux sources de
l’humanité. L’Apocalypse rejoindra la Genèse, de même que le péché premier
d’Adam et Ève[1639] : « Vous serez comme des dieux,
maître du bien et du mal », sera celui de la fin de manière
explicite. Mais cette œuvre butera sur une limite infranchissable : celle de la
mortalité de toute chair. Il sera impossible à l’Antéchrist, malgré toute sa
science, de rendre immortels les individus. Il ne pourra que les faire paraître
immortels en allongeant leur vie. En effet, si Dieu ne réalise pas l’assomption
de l’homme dans l’éternité, son corps est finalement toujours détruit car
l’état de sa matière n’est pas entièrement soumis à son esprit.
5. Nous l’avons montré dans l’article précédent, l’humanité ne se
comprend pas seulement comme la somme des libertés individuelles. Elle est
aussi une structure sociologique parce que la plupart des hommes suivent le
courant qui domine. En ce sens, il peut y avoir un acte politique et mondial de
défi à Dieu, qui est le fait de la grande majorité, quoique très peu en
saisissent la profondeur. Lors de la passion de Jésus, le peuple entier,
c’est-à-dire sa partie bruyante, visible dans la rue, réclama sa mort, allant
jusqu’à dire[1640] : « Son sang, qu’il retombe sur
nous et sur nos enfants. » De même, à la fin du monde, il y aura une
révolte explicite, politique et médiatique contre Dieu qui ressemblera,
extérieurement, à un blasphème contre l’Esprit. Mais, intérieurement, il ne
sera que médiatisation et phénomène sociologique.
En agissant ainsi, l’Antéchrist
réalisera en plénitude les nombreuses prophéties de l’Écriture : « Il s’élève au-dessus de tout ce qui porte
le nom de Dieu, il s'assoit en personne dans le sanctuaire de Dieu, il se
produit lui-même comme Dieu »[1641]
puisqu'il se juge digne d'établir sur l'univers les lois décidant de toutes
choses, le bien et le mal, l’origine de la vie, son but et la manière de la
vivre. Lorsque l'Écriture affirme qu’il établira son siège dans le sanctuaire
de Dieu, elle ne veut pas signifier autre chose. Il se produira comme le
Maître suprême de la vérité (Magister),
comme le berger de tous (Pastor Oves)
et même comme l’organisateur de toutes les fêtes et réjouissance de l'humanité
nouvelle (Pontifex maximus). Ces
trois titres, attribués traditionnellement aux papes de l'Église catholique,
sont une délégation des titres de Dieu. En ce sens là, l’Antéchrist sera l’Antivicaire du Christ. On voit que celui
qui, à cette époque, vivra profondément de sa foi chrétienne n'aura aucun
risque de le confondre avec le vrai pape, successeur de Pierre, et dont la foi
aura été fidèle jusqu’à la fin de son ministère. C'est aussi en ce sens qu’il
faut interpréter les prophéties de Jésus annonçant "l'Abomination de la désolation dans le temple saint".[1642]
6. La victoire de l’Antéchrist
ne sera qu’apparente et provisoire (un temps dont, nous le verrons, il est
impossible de calculer la durée réelle). Elle sera anéantie en un instant par
la Vérité glorieuse de l’apparition du Christ que saint Paul appelle le souffle
de la bouche du Seigneur. Cela se passera soit par la mort individuelle des
hommes soit, plus probablement, par le retour définitif et final du Messie, la
fin des fins. Et cette victoire finale sera inaugurée par divers signes
cosmiques effrayant, peut-être même par l’apparition visible dans le Ciel du
signe de la croix sur lequel l’Agneau fut immolé[1643]. Les hommes auront soif,
ils brûleront sans aucune possibilité d’identifier qu’il s’agit de l’absence du
vrai Dieu.
7. Selon saint Augustin, les
mille années ont un sens symbolique et ne doivent pas être prises au sens
matériel comme un temps qui suivrait la venue de l’Antéchrist. Elles signifient
que, quoiqu’il arrive dans le monde par la faute du démon, il s’agit avant tout
d’une volonté de Dieu qui prépare ainsi dans l’épreuve la charité des fidèles,
en vue de leur bonheur éternel. Cela est important pour l’espérance des fidèles
qui vivront ces moments difficiles. Comme la vierge Marie, ils devront vivre de
l’espérance certaine de la résurrection finale.
8. Jésus avertit[1644] : « Car
je vous le dis, en vérité: avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i,
pas un point sur l'i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé. » Chacune des prophéties sera donc
réalisée, d’abord dans un sens spirituel, mais aussi, afin que les hommes
charnels y trouvent un signe avertisseur, de matière matérielle. Ainsi, le
retour de l’image de la Bête fait-elle référence au retour avant la fin du
monde de la parole explicite de Lucifer, avec le même message qu’il s’adressa à
Adam et Eve. Mais, de manière matérielle, ce signe sera probablement réalisé
lorsque des dinosaures, ces reptiles dressés dont la Bible fait l’image de
Lucifer[1645], seront génétiquement réintroduits sur
terre. Un des principes de la connaissance eschatologique des signes de la fin
du monde est que ce qui était dans les douze premiers chapitres de la Genèse
revient vers la fin. Ainsi, on verra probablement apparaître des signes mineurs
mais étonnants comme le refus de la consommation des animaux[1646], la construction de tours gigantesques[1647], mais aussi la recherche de la vie
éternelle sur terre[1648] et, par défaut, l’augmentation de la
durée de la vie humaine[1649], etc.
A l’argument du
cependant :
Il faut répondre : la réussite de l’Antéchrist sera certes éphémère.
Mais il faut se garder d’être trop affirmatif pour l’interprétation de ce mot.
Certains disent que (et je l’ai enseigné aussi longtemps), lorsque le dernier
antichristianisme mondial paraîtra, alors le retour du Christ sera
nécessairement réalisé dans les quelques années qui suivront, puisque toutes
les prophéties auront été réalisées. Mais tout cela n’est pas certain, au moins
si l’on parle de ce retour dans le sens de la fin des fins (fin des
générations, fin de cette terre). De même, Jésus annonça son retour "avant
que cette génération ne passe".[1650] Les chrétiens crurent
interpréter à bon droit sa parole comme l’annonce du retour visible et général,
avant la mort du dernier de ceux qui l’avaient connu. Or il revint effectivement
avec puissance pendant cette génération. Mais cela se produisit de manière
invisible pour les habitants de la terre, à la mort de chacun et non pour tous
en même temps. De même, il se peut que Dieu laisse l’humanité vivre des siècles
ou des millénaires dans son antichristianisme. Dans cette hypothèse, il
laissera l’homme construire dans sa liberté le monde qu’il souhaite et sauvera
le plus grand nombre en réalisant la Parousie du vrai Messie, Jésus le Christ,
à l’heure de la mort individuelle de chacun. Il reste que, si on suit la lettre
de l’Ecriture, cette interprétation de la durée du monde de l’Antéchrist est
moins probable que celle qui affirme son caractère éphémère, sa venue étant le
signe de la dernière génération.
Dans l’hypothèse inverse, tout ce que permet l’état périssable de
la matière sera alors réalisable par l’Antéchrist et ses successeurs, au plan
des réussites techniques de l’humanité, aussi bien dans le domaine de la
maîtrise de la vie et de sa transformation que de la colonisation de l’univers,
selon cette parole de la Genèse[1651] : « Maintenant, aucun dessein ne
leur sera impossible. »
Une seule limite restera par décret divin infranchissable : celle de
l’immortalité car améliorer la longévité humaine ne signifie pas le rendre
immortel. Il y aura une grande gloire matérielle et une grande misère
spirituelle qui préparera efficacement la venue du Messie.
Quatre questions :
1 : Le signe du fils de l’homme est-il le signe de la croix ?
2 : Est-il le signe de Jonas ?
3 : La croix apparaîtra-t-elle réellement dans le ciel à la fin du
monde ?
4 : Les hommes seront-ils terrorisés par l’apparition du signe du
Fils de l’homme ?
Objections :
1. Il ne semble pas : Lorsque
Jean demande à Jésus s’il est le Messie attendu, celui-ci lui fait répondre[1652] : « Allez rapporter à Jean ce
que vous avez vu et entendu : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les
lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne
nouvelle est annoncée aux pauvres. » Il semble donc que le signe du
Fils de l’homme consiste avant tout en la puissance des miracles opérés par
Dieu.
2. Lors de sa passion, le
Christ donna des signes de sa mission : la terre trembla, les rochers se
fendirent, des morts ressuscitèrent et se montrèrent à beaucoup de gens. Il
semble donc que le signe du fils de l’homme ne consiste pas dans la croix mais
dans des phénomènes effrayants comme ceux-là.
3. Au début de l’Église, les
chrétiens se donnaient comme signe de reconnaissance de leur foi un poisson. Il
semble qu’il s’agit donc ici du signe du fils de l’homme.
Cependant :
Le Seigneur dit[1653] : « Lorsque vous aurez élevé le
fils de l’homme, alors vous saurez que Je Suis. » Or le Christ qui
est Dieu fut élevé sur la Croix. Donc la croix est le signe de l’homme fait
Dieu ; de même, à la fin du monde, il convient que le signe qui manifestera la
prochaine élévation de l’homme à la vision de Dieu soit la croix.
Conclusion :
La mission du Christ sur la terre consiste essentiellement dans la
manifestation de l’amour qui se communique en profusion à ceux qui l’aiment.
C’est en mourant pour nous que Jésus a manifesté avec puissance son amour pour
les hommes. Il a montré que pour accéder à la vie éternelle et aux qualités
intérieures qui lui sont présupposées, il n’y a pas de meilleur moyen que la
souffrance de la vie terrestre. Et cet amour est l’article de foi le plus
important, selon la parole de saint Jean : «
Et nous, nous avons reconnu l’amour
que Dieu a pour nous et nous y avons cru »[1654]. C’est pourquoi les
chrétiens se sont donnés pour signe de reconnaissance la croix dont ils tracent
le signe sur leur corps, manifestant ainsi leur foi dans le salut opéré par le
Christ à la croix. C’est pourquoi l’Église chante à Pâques : « Bénie
sois-tu, Croix! C’est par toi que le salut est entré dans le monde. » Le
terme ultime de la croix, c’est-à-dire de l’humilité (kénose) du Christ fut son
séjour au tombeau. C’est pourquoi le Christ dit aux Lévites qui demandent un
signe de sa puissance[1655] : « Vous n’aurez pas d’autre
signe que celui de Jonas. De même que Jonas est resté dans le ventre du poisson
pendant trois jours, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre
durant trois jours et trois nuits. »
C’est pourquoi on doit dire que, avant le retour glorieux du
Christ, aussi bien à l’heure de la mort qu’à la fin du monde, les hommes voient
apparaître, au sens spirituel du terme, le signe de la croix dans le ciel (de
leur intelligence), ce qui signifie en clair qu’ils prennent conscience qu’ils
sont en train d’approcher la mort. Au plan individuel, cela se caractérise soit
par les signes de la vieillesse ou de la maladie, soit si on est mort
brutalement, par le fait de se retrouver hors de son corps, entre ce monde et
l’autre, dans le passage de la mort. A la fin du monde, juste avant le retour
du Christ, la dernière génération sera témoin de phénomènes célestes si
effrayants qu’elle sera persuadée de ne pas y survivre. Ceci la plongera dans
de grandes souffrances et un grand désespoir et achèvera d’affiner son âme dans
l’humilité, en préparation de cette rencontre lumineuse qu’elle n’attendra
plus.
Si ce signe est appelé par Jésus « le signe du fils de l’homme », c’est parce que la condition mortelle est la
caractéristique universelle et égalitaire de tous les hommes, sans aucune
exception.
Solutions :
1. Les miracles et la
prédication de l’Évangile ne seront pas le signe qui précèdera la venue du Christ dans sa gloire. Ce sont plutôt des
signes qui seront donnés en même temps
que son apparition lorsqu’il effacera toutes les terreurs et témoignera aux yeux
des hommes de la mission divine. Ainsi dans la mort individuelle : l’homme
meurt d’abord, comme abandonné de Dieu et souvent dans une grande détresse. Ce
n’est qu’ensuite que le Christ lui apparaît dans sa gloire accompagné des
saints et des anges.
2. Les phénomènes effrayants
précéderont l’apparition du Messie. Ils seront très efficaces pour façonner
dans les hommes un cœur brisé car ils bouleverseront une génération peu
habituée à souffrir, vivant dans un monde matériellement en paix et
confortable. Par contre, les phénomènes glorieux, les miracles, les
résurrections des morts accompagneront la Parousie du Christ elle-même,
lorsqu’il essuiera toutes larmes des yeux.
3. Le signe du poisson
permettait aux chrétiens de se reconnaître entre eux alors que les persécutions
sévissaient. En effet, ils ne pouvaient arborer extérieurement le signe de la
croix qui les aurait trop facilement fait repérer par les persécuteurs romains.
Quant au signe du poisson, il convenait car son orthographe grecque (ICHTUS) donne
en grec les initiales du nom de Jésus-Christ, fils de Dieu. Un tel signe
disparut de la tradition chrétienne à la fin des persécutions. Il ne s’agit
donc pas là du signe du fils de l’homme mais simplement d’un signe provisoire
adopté par les chrétiens à une certaine époque de leur histoire.
Objections :
1. Le propre d’un signe est de
manifester ce qui est signifié. Or le signe de Jonas, qui est le sépulcre,
manifeste plutôt l’échec de la condition humaine que la victoire du ressuscité.
Donc il ne peut être le signe du Fils de l’homme.
Cependant :
Le Seigneur dit aux Juifs incrédules[1656] : « Cette génération réclame un
signe, et de signe il ne lui sera donné que celui de Jonas. De même en effet
que Jonas fut dans le ventre du monstre marin trois fours et trois nuits, de
même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et
trois nuits. » Le signe de Jonas signifie donc le mystère du sépulcre.
Conclusion :
Le signe de Jonas symbolise et annonce dans l’Évangile la future
passion du Seigneur : Il a pris sa croix en vérité, subissant jusqu’à la mort
les souffrances. La baleine qui engloutit Jonas signifie la mort que le Christ
a endurée ; le salut de Jonas qui fut rejeté sur le rivage vivant signifie la
résurrection du Sauveur. Le signe de Jonas rappelle donc aux croyants la
prophétie d’Isaïe sur le Christ[1657] : « Homme de douleur, familier
de la souffrance, comme quelqu’un devant qui on se voile la face, méprisé, nous
n’en faisions aucun cas. Or ce sont nos souffrances qu’il portait et nos
douleurs dont il était chargé. » Le sépulcre est avec la croix le
plus grand signe de l’amour de Dieu. Il peut être considéré avec elle comme le
signe du Fils de l’homme. Il marque tout ce qui est fait ici-bas par les fils
des hommes puisque la finalité de la vie terrestre, loin d’être en elle-même,
consiste à s’achever dans la mort. L’homme doit découvrir alors sa limite et sa
misère et, par là même, se tourner vers Dieu et son salut.
Solutions :
1. Le sépulcre vécu par le
Christ n’était pas la fin de sa mission puisqu’il est ressuscité d’entre les
morts. Mais ce temps de sépulcre manifeste aux hommes l’intensité de son amour
qui, pour nous sauver, ne nous impose pas d’en haut une vie de purification,
mais la vit lui-même alors qu’il n’en a pas besoin.
Pendant que son corps reposait au tombeau, son âme descendait dans
le séjour des morts. Comme l’enseigne Urs von Balthazar[1658], il est certain que le
Christ accepta de vivre pendant ce séjour dans l’Hadès notre condition humaine.
Il sauva tout l’homme en vivant tout de la vie de l’homme excepté le péché.
Nous comprenons ainsi que le signe de Jonas, c’est-à-dire le sépulcre,
manifeste conjointement à la croix l’amour excessif de Dieu.
Objections :
1. Il semble que la croix
n’apparaîtra pas comme un signe glorieux du retour du Christ à la fin du monde.
En effet, une telle apparition supprimerait le mérite de la foi ce qui ne
convient pas à la sagesse de Dieu.
2. On voit mal pourquoi la
croix devrait apparaître avant celui qui fut crucifié. En effet, elle est le
signe du supplice et n’a de valeur qu’à cause de la charité du Sauveur.
3. La croix ne signifie pas
pour tous les hommes le salut : pour les musulmans par exemple, il est plutôt
signifié par le croissant. Or on a dit que le Seigneur adapte ses signes à la
sensibilité de chacun. Donc elle ne doit pas apparaître à la fin du monde.
4. La fin du monde est
semblable, comme nous l’avons montré, à la fin de chaque individu en
particulier. Or la croix glorieuse n’apparaît pas à la mort de chacun.
Cependant :
Matthieu écrit [1659] :
« Et alors apparaîtra dans le Ciel le signe du Fils de l’homme ; et alors
toutes les races de la terre se frapperont la poitrine et l’on verra le Fils de
l’homme venant sur les nuées du Ciel avec puissance et grande gloire. »
Conclusion :
L’apparition du signe du Fils de l’homme, à la fin des temps peut
être prise en deux sens.
1° Le premier sens est le plus
certain car il touche l’aspect spirituel, quoique réel du mystère. Il s’agit de
la passion et du sépulcre que devra subir l’Église à l’image de son Seigneur, l’Oumma
(l’islam) à l’image du sacrifice d’Ismaël, et toutes les religions. Dans ce
sens, le signe du Fils de l’homme est la croix douloureuse ou encore le signe
de Jonas. L’Église, en vivant du même mystère que le Christ manifestera
profondément aux yeux du monde le mystère de la charité quand elle pousse
l’homme à donner sa vie pour son frère. Seuls quelques-uns comprendront en ces
heures douloureuses le signe de Jonas ainsi donné, à l’image de la vierge Marie
durant les trois jours du sépulcre. Et ce signe de Jonas sera pour les croyants
qui resteront le signe certain et définitif sur lequel ils pourront fonder leur
foi en l’imminence du retour du Christ[1660] : « Relevez-vous et redressez la
tête car votre Rédemption est proche. » Tout sera accompli.
2° En un second sens qui
complète et manifeste sensiblement le premier pour les hommes plus charnels, il
s’agit de l’apparition de la croix glorieuse qui précédera le retour du Christ
et marquera la fin du sépulcre de l’Église. Cette apparition manifestera au monde
entier la victoire du Christ et celle de l’Église à sa suite. Devant la lumière
de la croix, l’humanité sera obligée de reconnaître la valeur salvatrice de la
passion du Christ et de l’Église à sa suite, d’une manière analogue au
centurion romain à la croix[1661] : « Vraiment, celui-ci était le
fils de Dieu. »
Solutions :
1. Comme nous l’avons dit,
l’apparition de la croix glorieuse, ni même celle du Christ ne suppriment
totalement la foi. Certes les hommes seront obligés de reconnaître l’existence
de Dieu et de son Messie, à cause de l’évidence de ces signes. Cependant, ils
seront amenés à adhérer par la foi en la possibilité de la gloire qui est la
vision de l’essence divine. Et il est probable que certains, à cause de la
perversité de leur cœur, refuseront volontairement de croire à cette promesse,
se plongeant ainsi dans la damnation éternelle. D’autres se contenteront de
noter le phénomène, sans en tirer les conséquences, mais comme on prend un
miracle quand on ne s’attache qu’à son caractère merveilleux. Ainsi furent dans
le passé les réactions humaines face au miracle de Fatima (1917). Seuls
quelques-uns ressentiront en profondeur la gravité des événements de cette
époque et le drame profond qu’aura été l’éradication des religions et de
l’Église.
2. Il convient que la croix
apparaisse dans la lumière véritable de son mystère. En effet, c’est par elle
que le Sauveur a effacé la cédule de notre péché et a ouvert pour nous la porte
du Ciel. De même, c’est par elle que l’Église unie à la passion du Christ a mérité
pour l’humanité tout entière la manifestation glorieuse et définitive de ce
salut ; enfin, c’est par elle que tout homme est introduit dans la gloire
puisque tous doivent mourir à eux-mêmes pour renaître à la vie éternelle.
3. Comme nous l’avons dit, à la
fin du monde, l’Évangile aura jadis été prêché partout, de telle façon que nul
n’ignorera complètement, au moins dans un fond culturel lointain, la
signification de la croix. Cependant, même si certains l’oublient complètement,
ils comprendront à ce moment sa signification puisque l’apparition de la croix
glorieuse sera accompagnée par une intuition intérieure infusée par Dieu qui
enlèvera dans l’intelligence de chacun l’ignorance quant à ce mystère. C’est
pourquoi « toutes les races de la terre se frapperont la poitrine. »
4. Chaque individu, à l’heure
de sa mort, s’il ne voit pas sensiblement apparaître la croix glorieuse, n’est
pas moins conduit de deux manières à vivre de ce signe : 1° Physiquement puisqu’il meurt ; 2° Intérieurement par la grâce du Seigneur puisqu’il reçoit la
révélation de l’amour qui est allé jusqu’à s’offrir en sacrifice pour le
sauver. D’autre part, il comprend qu’il lui faut lui-même renoncer à l’amour
égoïste de soi-même, à la manière du grain de blé qui meurt, s’il veut entrer
dans la béatitude éternelle.
Objections :
1. On ne peut craindre ce qui
est un bien. Or la venue du Seigneur sera un bien puisqu’elle manifestera la
victoire sur le péché et sur la mort qui sont les deux maux principaux.
2. Le Seigneur dit que tous les
hommes se frapperont la poitrine. Un tel geste semble figurer davantage le
repentir que la peur. Donc les hommes ne seront pas terrorisés par l’apparition
du signe du signe du Fils de l’homme.
3. Le signe de la croix
précèdera de peu l’apparition glorieuse de Christ lui-même. Or nul ne peut
avoir peur du Christ qui est l’essence même de la bonté.
Cependant :
Isaïe, en parlant de la manifestation de Dieu dit aux hommes[1662] : « Va dans le rocher, terre-toi
dans la poussière devant la terreur de Dieu, devant l’éclat de sa majesté,
quand il se lèvera pour faire trembler la terre. L’orgueil humain baissera les
yeux. »
Conclusion :
La crainte est une passion qui a pour objet un mal que l’homme
fuit. Or, que la venue du Christ manifestée par la croix puisse être vécue par
l’homme comme un certain mal, cela ne peut tenir à la personne du Christ
lui-même puisque, étant l’image de Dieu, il n’y aura rien en lui qui ne soit
bonté. Or nul ne peut haïr la bonté en tant que telle. Il la fuit à cause
d’autre chose qui l’accompagne. Ainsi, les pécheurs dont l’intention de vie se
porte vers les biens de ce monde, seront terrorisés à l’idée de perdre leurs richesses.
Et cette crainte mondaine les conduira à rejeter la venue du Christ comme un
mal. C’est ce qu’on voit très concrètement à la mort des mondains. L’apparition
pour eux de la proximité de cet événement est source des plus grandes terreurs.
Ceux qui serviront Dieu sans toutefois l’aimer avec l’amour de
charité éprouveront devant la croix du Seigneur de la peur à cause des peines
qu’ils sauront devoir subir pour leurs fautes. Il s’agit d’une crainte servile.
Ainsi, certains hommes se convertissent-ils vers Dieu à l’approche de leur fin
par peur du jugement.
Ceux enfin qui aimeront Dieu éprouveront lors de sa venue de la
crainte à cause des péchés qui resteront en eux. Leur amour du Seigneur
provoquera la crainte de ne pas paraître purs en sa présence. Il s’agit d’une
crainte filiale ou encore, pour ceux dont la charité sera parfaite, d’une
crainte chaste semblable à celle qu’éprouvent les époux entre eux lorsque leur
amour réciproque atteint une grande délicatesse dans sa forme.
Ainsi, on doit dire que tous les hommes éprouveront une grande
crainte lors de la manifestation glorieuse du Seigneur par la croix, même si la
crainte des bons sera d’une autre nature que celle qu’éprouveront les méchants.
Solutions :
1. La victoire sur le péché n’est
pas un bien pour ceux qui vivent dans le péché. Elle représente plutôt la ruine
de leurs espérances puisque personne n’emporte dans l’au-delà le fruit de ses
rapines. De même, en tant qu’il reste dans le cœur de tout homme vivant sur la
terre des restes du péché, les saints eux-mêmes craindront la venue du
Seigneur. Toutefois, cette crainte ne portera pas sur la victoire du Christ
elle-même mais plutôt sur le fait que cette victoire n’a pas encore tout pris
dans leur âme.
2. Le geste qui consiste à se
frapper la poitrine représente simplement le regret. Or il est possible que
l’homme regrette plusieurs choses : la perte de ses biens, l’obligation de
subir une peine ou encore le fait de ne pas avoir assez aimé.
3. L’apparition du Christ qui
suivra celle de la croix manifestera pleinement la bonté de Dieu qui est
miséricordieux et lent à la colère. Elle fera disparaître toute crainte servile
chez les bons puisqu’ils aimeront Dieu et désireront subir les peines du
purgatoire avec joie pour se rendre conforme à leur Sauveur. Cependant, cette
apparition glorieuse ne supprimera en rien la crainte mondaine chez ceux qui
seront donnés au péché et perdront tout. De même elle ne supprimera pas la
crainte filiale mais aura tendance à la transformer en une crainte chaste à
cause de la grandeur de l’amour que les saints éprouveront pour Dieu.
La fin du monde sera provoquée par l’apparition du Christ
glorieux. Nous avons déjà étudié le mystère du retour du Christ à propos de la mort
individuelle (Question 8). Comme nous l’avons dit au début de cette section, ce
sera le même mystère sauf que tous les hommes le verront en même temps. Il nous
reste à étudier la fin du monde qui suivra immédiatement le retour du Christ,
nous nous poserons six questions :
1° Dieu mettra-t-il fin au
monde tel qu’il est ici-bas ?
2° La fin des temps se
distingue-t-elle de la fin du monde ?
3° Peut-on distinguer sept
temps dans l’histoire de l’humanité ?
4° Connaît-on la date de la fin
du monde ?
5° Peut-on dire au moins que
nous sommes dans les derniers temps ?
6° La fin du monde
consiste-t-elle dans le retour glorieux du Christ ?
7° Tous les hommes mourront-ils
?
8° La fin du monde sera-t-elle
une destruction ou une transformation dans un autre monde ?
Objections :
1. Cela ne semble pas. Dans le
livre de la Genèse, après avoir détruit le monde par le déluge, Dieu dit [1663] : « plus jamais je ne frapperai
tous les vivants comme je l’ai fait. Tant que durera la terre, semailles et
moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus. » Donc
Dieu ne mettra pas fin à l’ordre du monde tel qu’il est ici-bas.
2. Dieu fait tout avec ordre,
poids et mesure. Il a donc créé l’univers parfait. Il n’y a donc pas de raison
à ce qu’il lui donne un terme.
3. Par la faculté de
génération, les espèces vivantes sont ordonnées par Dieu à durer sans fin,
puisque les parents engendrent un être semblable à eux-mêmes, que lui-même
donne la vie à un semblable. Or ce que Dieu a ordonné à la durée ne peut
manquer à sa finalité. Donc l’ordre du monde ne cessera jamais.
4. Le monde matériel a été créé
par Dieu pour que l’homme se prépare à entrer en possession de la gloire
éternelle. Une telle œuvre divine a son origine dans son infinie bonté qui veut
se communiquer. Or il ne convient pas que cette bonté trouve une limite en
s’arrêtant à un nombre fini d’élus. Il convient donc que la terre dure toujours
pour que, éternellement, des hommes nouvellement créés se préparent à entrer
dans la gloire.
Cependant :
Le Seigneur annonce en saint Matthieu[1664] : « Ainsi en sera-t-il à la fin
du monde : Les anges se présenteront et sépareront les méchants d’avec les
justes. » Or actuellement, la méchanceté est unie à la justice donc
l’ordre du monde tel qu’il est ici-bas ne durera pas toujours.
Conclusion :
Le monde d’ici-bas doit avoir une fin. Et cela peut être prouvé
aussi bien par la raison naturelle que par la foi.
1° Par la raison naturelle,
l’homme peut se rendre compte que les éléments du monde courent à leur
destruction. C’est ce que démontrent les scientifiques à propos de toutes les
réalités matérielles, depuis les atomes, les astres, jusqu’aux vivants
individuels et aux espèces. Tout est soumis à la loi de l’entropie. Tout se
dégrade. Ainsi, le soleil qui est un corps d’énergie limitée, doit cesser son
rayonnement par épuisement de sa capacité réactive ; de même le mouvement
atomique des éléments qui composent la matière tend à se dégrader
insensiblement. En conséquence, on doit dire que l’univers matériel qui est
notre milieu vital finira nécessairement, s’il reste soumis aux seules lois
naturelles qui le dirigent, par devenir impropre à la vie. Seul Dieu est capable
de le rendre éternel, à condition qu’il lui infuse à partir de sa propre
puissance, une énergie capable de renouveler son activité. Saint Paul le
confirme[1665] : « Elle passe la figure de ce
monde. »
2° Par la foi, il est évident
que l’ordre du monde tel qu’il est ici-bas ne durera pas, puisque la terre
n’est pour l’homme qu’un séjour temporaire où il subit l’épreuve et est éduqué
en vue d’entrer en possession de la béatitude éternelle qui consiste en la
vision de Dieu. Ainsi, lorsque tous les hommes dont Dieu a décidé la naissance,
auront terminé leur vie terrestre, le monde tel qu’il est ici-bas n’aura plus
aucune utilité. C’est ainsi que, dès maintenant, la mort de chaque individu est
comparable pour lui à la fin du monde puisqu’il entre dans une autre dimension
de l’univers créé par Dieu. Le Christ reviendra et son apparition, comme
l’éclair de l’Orient à l’Occident, mettra fin au cycle des générations et à la
nécessité du purgatoire de cette terre.
Le cardinal Ratzinger commente[1666] : « Le monde qu’elles observent est caractérisé par un antagonisme
qui lui est propre : d’une part, c’est un monde qui s’use, en vertu du principe
de l’entropie, qui par conséquent est engagé dans un mouvement vers un néant
insipide ; d’autre part, c’est un monde qui apparaît emporté dans un devenir
vers des unités de plus en plus complexes et donc dans un mouvement
ascensionnel. La question de savoir où s’achèvera ce mouvement, pris au dilemme
du déclin et de l’épanouissement, ne reçoit pas de réponse évidente, même si
elle penche davantage dans le sens du déclin que de l’épanouissement. Seul un
principe qui viendrait de l’extérieur peut permettre ici une affirmation
nouvelle. Le message chrétien attend à la fois l’un et l’autre : le déclin par
le déroulement du cours normal du monde, et l’épanouissement par cette
puissance nouvelle, venue de l’extérieur, qui s’appelle le Christ. D`ailleurs,
la foi ne voit pas dans le Christ une réalité vraiment extérieure, mais le
point de départ véritable de tout l’être créé qui, par suite, venant de
l’extérieur, peut épanouir ce qu’il y a de plus intime dans le cosmos. »
Solutions :
1. Dans ce passage de la
Genèse, Dieu s’engage à ne plus soumettre le monde à une destruction massive comme
celle qui frappa les hommes lors du déluge. Mais il ne prétend pas que le monde
n’aura pas de fin. Cette fin est au contraire suggérée par le texte : « Tant
que durera la terre. » C’est donc que la fin du monde ne sera pas
provoquée par une catastrophe de la nature mais par la venue glorieuse de Dieu
qui mettra un terme au cycle des générations.
2. L’univers a été crée
parfait, selon le livre de la Genèse. Cela était « très bon. »
Cependant, lorsque ce texte est appliqué au monde d’ici-bas, qui n’est qu’une
partie du tout, il s’agit d’une perfection relative et provisoire et non de la
perfection plénière de la fin qui sera atteinte lorsque l’univers sera
glorifié. Ainsi, on dit qu’un enfant est parfait relativement à son âge et non
selon la perfection essentielle de la nature humaine qui n’est atteinte qu’à
l’âge adulte.
3. Tout ce qui est dans cet
univers, les astres et la matière atomique eux-mêmes est soumis à une loi de
corruption, une forme d’entropie. Les espèces vivantes ne durent en moyenne que
4 millions d’années et, même si elles portent en elles-mêmes par la génération
une apparente capacité de durer toujours, cela ne signifie pas qu’il doit en
être ainsi. Soumises aux lois de la génération, elles perdent la détermination
de leur richesse génétique. Elles finissent par se dégrader et disparaître. Une
telle corruptibilité de ce monde est voulue par Dieu comme un moyen en vue du
bien de l’homme qui trouve dans la constatation de sa propre corruptibilité un
motif de ne pas s’enorgueillir. Dans l’au-delà aucun homme, élu ou damné n’aura
plus besoin de l’expérience de la vanité des choses puisque chacun sera à
jamais déterminé. La corruptibilité des choses telles qu’elles sont ici-bas
sera donc inutile.
4. Le nombre des hommes a été
fixé par Dieu et c’est un nombre fini. La raison en est qu’une société dont les
membres seraient infinis en nombre ne peut être ordonnée et est ingouvernable.
Or l’univers recréé pour les élus proclamera la gloire de Dieu par l’ordre qui
y règnera selon la hiérarchie de la charité. C’est pourquoi l’Écriture affirme[1667] : « le temps viendra où seront
au complet leurs compagnons de service. »
Objections :
1. Il semble que ce soit la
même chose. Le prophète Daniel[1669] parle « du temps de la
fin » ce qui paraît être synonyme de la « fin des temps. »
2. Quand les temps seront
accomplis, il n’y aura plus de délai avant la venue du Christ ; Il en a été
déjà ainsi lors de sa première venue selon Jean-Baptiste[1670] :
« le temps est accompli et le royaume des cieux est proche : repentez vous
et croyez à l’Évangile ». Il est donc inutile de
distinguer la fin des temps et la fin du monde.
Cependant :
Dans l’Évangile, Jésus parle de la fin du temps des nations. Mais
il ne dit pas que la fin du monde viendra immédiatement, donc il y a une
différence entre les deux.
Conclusion :
Chaque individu, chaque communauté humaine ainsi que le monde dans
son ensemble, a reçu de la part de Dieu un certain délai de vie, et une série
de périodes pour accomplir son pèlerinage terrestre. Toute chose est mortelle.
Et c’est la comparaison entre la vie de l’individu humain et la vie de
l’humanité dans son ensemble qui permet de comprendre de la manière la plus
simple les expressions derniers temps, temps de la fin, fin des temps, fin
du monde.
1° Ainsi, pour chaque individu,
la mort représente la fin du monde. Mais auparavant, Dieu dans sa
providence, assigne à l’homme une durée de vie faite de plusieurs étapes, plusieurs
temps, selon la parole de Qohelet[1671] : « Il y a un temps pour toutes
choses sur la terre : un temps pour enfanter et un temps pour arracher le
plant. » Le premier de ces temps est vécu par chacun dans le sein de
sa mère puisqu’il suit la conception. Il est suivi normalement par le temps de
l’enfance (temps du commencement), puis par d’autres périodes comme
l’adolescence, l’âge adulte. Pour ceux qui y parviennent, la vieillesse
représente toujours le dernier temps, qu’on peut appeler le temps de
la fin. La vieillesse dure souvent très longtemps. Certains y entrent à 60
ans et en sortent par la mort à 90 ans. Les quelques mois qui précèdent la mort
pourraient être qualifiés de fin des temps puisqu’ils précèdent la mort,
la fin des fins.
2° Ce qui est vrai des
individus l’est aussi pour les diverses sociétés humaines. Chaque civilisation
reçoit un temps pour durer avant de sombrer dans la décadence. Ainsi, la
civilisation romaine vécut le premier temps de sa petite enfance avec Romulus
et Remus ; le temps de sa vie adulte avec ses conquêtes ; elle entra dans le
temps de la fin quand ses citoyens furent plus adonnés aux plaisirs qu’au
sens civique ; la fin des fins, la fin du monde fut accomplie en
Occident par la mort du dernier empereur, Romulus Augustule.
3° De même, l’humanité dans son
ensemble connaîtra un jour un terme définitif dans son pèlerinage terrestre.
Mais auparavant, Dieu lui accorde des temps : A un certain moment, après
l’épisode court de la grâce originelle, aucun homme (sauf les exceptions
d’Énoch, Abraham, Moïse et Élie) ne s’approchait intimement de Dieu. Cette
première période est le temps du silence de Dieu. Puis vint, à partir de
la Pentecôte, la dernière, le temps de la grâce. Il correspond à
l’entrée dans la vieillesse puisque, nous le savons avec certitude dans la foi,
il n’y aura pas d’autre Alliance de Dieu avec l’homme avant la fin du monde. Il
dure pourtant depuis de nombreux siècles, de la même manière que la vieillesse
d’un homme peut durer de longues années. Jésus divise ce dernier temps en trois
distincts : le temps de l’annonce de l’Evangile, suivi du temps de sa
contestation, suivi du temps de son rejet définitif (l’apostasie généralisée).
Ainsi, depuis la résurrection du Christ, nous sommes dans le dernier temps.
Lorsque certains signes précis annoncés par Jésus seront accomplis, nous
saurons que la fin de cette période sera arrivée. Ce sera donc la fin du
monde ou la fin des fins puisqu’il n’y aura pas d’autre période de
délai terrestre. La fin du monde est donc le "terminus ad quem" du
dernier temps. Le Christ reviendra dans sa Gloire suivi immédiatement par la
destruction du cosmos et par sa transfiguration.
Solutions :
1. Immédiatement avant la fin du
monde, il y aura un temps particulièrement difficile pour l’humanité puisqu’il
sera lié à des guerres "entre le roi du nord et du midi" selon
Daniel[1672], à des tremblements de
terre et à beaucoup d’autres malheurs. Ce temps de la fin précèdera de peu la
fin du monde mais n’est pas identifiable à la fin du monde elle-même, de même
que la dernière phase d’un mouvement n’est pas identifiable à son terme final.
2. Si l’on regarde la fin des
temps comme le moment où les prophéties de l’Écriture seront toutes accomplies,
alors nous pouvons dire que nous sommes déjà dans la fin des temps, de la même
manière que saint Paul[1673] : « Nous touchons à la fin des
temps. » En effet, le Christ a accompli l’Écriture en plénitude par
sa venue, sa prédication, sa mort et sa résurrection. Toutes les prophéties
furent réalisées d’une manière ou d’une autre puisque les premiers apôtres,
après avoir prêché dans le mode connu de leur époque, furent mis à mort.
Cependant, l’expérience nous montre qu’après la venue du Christ qui était le
dernier des temps de l’humanité, Dieu a laissé à l’humanité un autre temps pour
se convertir. C’est pourquoi la fin des temps ne doit pas être confondue avec
la fin du monde, même si elle annonce l’imminence de cette fin ultime, selon
l’Apocalypse[1674] : « Il n’y aura plus de délai! »
« Jérusalem sera foulée par les nations
jusqu’à ce que soit terminé le temps des nations. »[1675] La fin du temps des nations a deux sens possibles :
1° La fin du temps où les non-juifs porteront le flambeau de
la foi au Christ selon ce texte des Actes des Apôtres[1676] : « S'enhardissant alors, Paul et Barnabé
déclarèrent : « C'était à vous les Juifs d'abord qu'il fallait annoncer la
parole de Dieu. Puisque vous la repoussez et ne vous jugez pas dignes de la vie
éternelle, eh bien! Nous nous tournons vers les païens. Car ainsi nous l'a
ordonné le Seigneur : Je t'ai établi lumière des nations, pour que tu portes le
salut jusqu'aux extrémités de la terre. » Il est donc probable que,
vers la fin du monde, les non-juifs ayant rejeté le Christianisme, le flambeau
serait pris par les Juifs.
2° Mais il signifie aussi un sens plus politique : la fin
du temps des nations est la fin du temps des gouvernements nationaux (France,
Allemagne) et le début d’un gouvernement mondial. Ce deuxième sens est tout à
fait complémentaire. En effet, habituellement, toutes les prophéties concernant
Israël sont charnelles. En effet, tout ce que vit ce peuple dans sa vie
politique est établi par Dieu signe des choses spirituelles. Il leur est promis
par exemple une terre (une vraie terre, la Palestine), et c’est pour signifier
le paradis céleste...
Ainsi, il est
probable que, avant la fin du monde, seront donnés quatre signes : - apostasie
des païens ; fin des gouvernements nationaux ; Jérusalem Juive ; reprise du
flambeau de la foi par les Juifs. Ils seront concomitants, à savoir sur deux ou
trois générations.
Objections :
1. Le chiffre sept semble
davantage lié à une volonté de concorder avec les sept jours de la création
qu’à une véritable nécessité liée à la révélation. On aurait pu diviser tout
autrement les phases de l’histoire, comme on le voit chez Joachim de Flore.
2. Pour parler de sept temps,
il faut pouvoir dater. C’est possible pour les trois premières phases. Mais la
phase d’évangélisation, celle du rejet de l’Évangile et de l’apostasie sont des
phases vécues en permanence dans l’Église et non des événements datables comme
la révélation faite à Moïse ou l’incarnation du Verbe.
3. Il ne semble pas qu’on doive
compter sept "jours" après la venue du Christ. En effet, encore
aujourd’hui, chacune de ces sept phases est vécue par une ou plusieurs parties
de l’humanité. Ainsi, certaines tribus reculées vivent séparées de toute
révélation comme au temps du silence de Dieu. Elles adorent encore des idoles
et des démons ; les juifs, quant à eux, vivent de la deuxième phase puisqu’ils
attendent le Messie ; certaines chrétientés ont déjà apostasié et bien des
antéchrists sont déjà venus. D’autre part, des civilisations entières ont déjà
vécu le retour du Christ puisque tous leurs membres sont morts.
Cependant :
Jésus parle dans le discours eschatologique[1677] de trois temps qui sont comparables
aux trois phases de l’accouchement.
Conclusion :
L’histoire de l’humanité peut être regardée selon plusieurs points
de vue. Les paléontologues l’observent à travers les vestiges matériels comme
les tombes, l’art et les outils. Ils distinguent sous ce rapport divers temps
qu’ils divisent habituellement en deux périodes selon l’existence ou non de
documents écrits. La préhistoire leur paraît divisible en quatre temps comme
l’âge de la pierre taillée (paléolithique), l’âge de la pierre polie (néolithique),
l’âge du bronze, l’âge du fer. Mais lorsqu’il s’agit de l’histoire documentée,
la division des périodes est beaucoup plus complexe et discutée tant les
critères possibles sont divers : armes, taille des cités, structures
sociologiques etc. On constate que, ici où là sur terre, quels que soient les
critères retenus, tous les âges de l’humanité subsistent de quelque manière. On
trouve encore des tribus vivant comme au néolithique.
Dans le domaine de la théologie, les divisions se prennent du
rapport de l’humanité avec la grâce. En effet, il n’a pas toujours été possible
à la foule des hommes d’approcher Dieu. En fonction de ce critère, on peut
discerner sept étapes de l’histoire sainte, sept temps de l’humanité qui
subsistent encore ici ou là dans certaines parties de l’humanité :
Les trois premiers temps de l’humanité qui suivirent
la chute d'Adam et Ève.
1° Le temps où Dieu se taisait,
2° le temps où il promit à
quelques-uns un sauveur,
3° celui enfin où il se fit
chair et annonça l'Évangile. Chacune de ces périodes dispose les cœurs au
salut. Ces trois temps, commencés après le péché originel, sont toujours
d’actualité. Ils sont vécus de nos jours par des milliers d’hommes qui n’ont
jamais entendu parler du Christ.
Après son ascension, Jésus annonce de nouveau trois temps, trois
étapes de l'histoire durant lesquelles il préparera les nations à son retour
glorieux. On peut les discerner à la lecture de son discours eschatologique[1678] et des multiples prophéties
dispersées ici et là dans les lettres des apôtres.
4°
Le premier de ces temps est
celui de l'extension de l'Évangile dans le monde. C'est une période
accompagnée de luttes et de souffrances nombreuses.
5° Le second est celui du rejet de l'Évangile par le monde.
6° Le troisième est le temps de sa disparition quasi complète du
monde. C’est le temps de l’Antéchrist.
7° Enfin,
le septième temps est le retour du Christ lui-même.
Solutions :
1.
Nous accordons cette objection. On pourrait par exemple mettre
l’époque qui précède le péché originel sous un jour et unifier le temps qui
précède la venue du Christ en un seul puisque l’annonce d’un salut fut donnée
dès le départ, quoique de manière imprécise[1679] : « Ta descendance écrasera la
tête du serpent. » De même, les temps qui suivent la venue du Christ
pourraient être divisés autrement, par exemple comme le fait Jésus quand il les
décrit à la manière d’un accouchement avec ses premiers signes, les douleurs et
l’accouchement lui-même.
2. Ces trois temps ainsi que le
règne de l’Antéchrist ne sont pas uniquement des événements symboliques ou
spirituels. Leur réalisation est aussi certaine que l'étaient pour les Juifs
les prophéties de l'Ancien Testament. Quand un prophète annonçait qu'une jeune
fille vierge serait enceinte, les Juifs n'y voyaient pas seulement un symbole,
une image d'Israël en attente de la manifestation de Dieu. Il en est de même
pour les événements de la fin du monde. Chaque prophétie de Jésus a un sens
symbolique, c'est certain, mais aussi un sens historique : « Le Ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas. »[1680]. La raison en est que
l’homme n’est pas fait que d’esprit, mais que ce qui est spirituel en lui se
réalise toujours de quelque manière dans son corps, sa psychologie et dans le
monde qui l’entoure. C’est ce que l'Esprit saint veut, et cela sera.
Toute la difficulté consiste à démêler leur écheveau. Les trois temps qui
précéderont le retour du Christ peuvent déjà être en partie datés. Le premier,
celui de l'annonce de l’Évangile, commence avec le jour de la Pentecôte et dure
jusqu’à aujourd'hui. Il se caractérise par l'extension de la chrétienté à
travers le monde et par des luttes que le Seigneur appelle « des guerres et des rumeurs de guerre »[1681]. Le second, le temps de l'apostasie
qui se généralise, trouve des racines dans les idées de la fin du Moyen Age et
de l’excès de la domination du pouvoir chrétien (guerres de religion en
particulier) et de son rejet au siècle des Lumières. En effet, nul ne peut
apostasier ce qu’il n’a d’abord reçu[1682]. Mais il commence au plan
politique avec les soubresauts antichrétiens de la Révolution française. Il
continue à s'étendre jusqu'à aujourd'hui. Quant au troisième temps, celui du
règne mondial d'un antéchrist, de la disparition politique de tout ce qui porte
le nom de Dieu[1683], il n'est pas encore
commencé. Nous pouvons l'affirmer avec certitude en ce début de millénaire.
L’Antéchrist n’est pas là même si divers courants antichrétiens œuvrent
puissamment, même si de nombreux antéchrist sont déjà venus. On constate la
proximité de sa réalisation à travers les courants humanistes qui rêvent de
plus en plus, depuis les deux guerres mondiales, d’un monde unifié en une seule
nation et langue. Pour saint Paul, c'est la preuve que le retour glorieux du
Christ n'est pas imminent[1684]. Il ne reviendra pas se
montrer à l’humanité tant que les dernières prophéties n'auront pas été
réalisées.
3. La signification historique de ces trois temps ne s’oppose pas aux
autres sens. Il faut se rappeler que les paroles prophétiques de Dieu ne
parlent jamais en premier lieu de l’histoire ou de la politique mais d’abord de
ce qui concerne le salut des âmes dans leur rapport personnel avec Dieu.
Cependant, appliquées à l’histoire, les trois temps qui précéderont le retour
du Christ peuvent être datés comme nous l’avons vu. Dieu maintient à chaque
époque un témoignage vivant de ces phases afin que chacun comprenne que chacune
lui sert pour le salut. Le règne de l’Antéchrist, quoique maintenant les hommes
séparés de Dieu, n’en disposera pas moins au salut que la phase primitive où
l’humanité vivait de sauvagerie. En effet, par la souffrance et la mort qui de
toute façon révèlent à l’homme ce qu’il est, chacun est éduqué dans la voie de
l’humilité (kénose) et de l’appel du salut. C’est ce que signifie cette parole
de l’Opéra Starmania : « Y
a-t-il quelqu’un dans l’univers, qui puisse entendre nos appels ? »
Objections :
1[1685]. Si le commencement d’une chose est connu avec précision, sa fin
peut l’être aussi, « puisque toute
chose a sa mesure temporelle. » Or,
il en est ainsi du commencement de l’univers, il en sera de même par conséquent
de sa fin, de la résurrection et du jugement qui doivent l’accompagner.
2. Il est dit, dans
l’Apocalypse, de « la femme », symbole de l’Église, que « Dieu lui avait préparé une
retraite, afin qu’elle y fût nourrie pendant 1260 jours. » Daniel, lui aussi, assigne un nombre déterminé de jours qui
semblent bien être des années, comme dans Ezéchiel : « Je t’ai compté un jour pour un an. » L’Écriture nous fait donc connaître exactement l’époque de la
fin du monde et de la résurrection.
3. L’Ancien Testament est la
figure du Nouveau, et nous en connaissons exactement la durée. Nous connaissons
donc, par là même, celle du Nouveau Testament et, de même pour l’époque de la
fin du monde et de la résurrection, puisqu’il doit durer jusque-là : « Voici,
je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. »
4. L’Écriture affirme que Dieu
ne fait rien sans en parler à ses serviteurs les prophètes. Il semble donc que
certains connaissent la date de la fin du monde, au moins les prophètes.
5. Il en est de la date de la
fin du monde comme de celle de la mort de chaque homme en particulier, puisque
les prophéties de l’Écriture unissent dans un seul regard ces deux évènements.
Or il peut arriver qu’un homme connaisse l’heure de sa mort, soit parce que
Dieu lui a dit, comme on le voit pour certains saints, soit parce qu’il la
conjecture avec l’art médical ; soit qu’il la provoque par le suicide. Donc il
doit être possible de connaître la date de la fin du monde.
6. Il semble que le Christ au
moins connaisse la date de la fin du monde puisque tout jugement lui a été
remis[1686].
7. Que la fin du monde doive avoir
lieu, c’est une certitude de foi puisque c’est une prophétie de prédestination.
Il doit en être de même pour la date de cet évènement. Elle doit donc être
connaissable par certains et annoncée d’une manière cachée par les Écritures.
8. Il semble que la fin du
monde ne se produira pas aussitôt après le retour du Christ mais après 1000
années de règne qu’il aura passé en paix sur la terre d’après le livre de
l’Apocalypse 20.
Cependant :
Jésus affirme[1687] : « Quant à la date de ce jour,
et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le fils,
personne que le Père seul. » C’est pourquoi tout prophète qui
prétend annoncer une date ou une année fait œuvre de présomption et ne doit pas
être suivi. Il ne peut dire qu’une chose, c’est que la fin est pour « bientôt
»[1688], puisque, chacun le sait, la
mort individuelle ne tarde jamais à arriver, et toujours moins d’un siècle
après le moment où un adulte parle.
Conclusion :
Si la fin du monde n’a pas eu lieu juste après la première venue du
Christ, c’est que des enfants sont nés
depuis 2000 ans et ces enfants existeront pour toujours dans l’autre monde.
Dieu voulait qu’ils existent. Autre raison importante : Dieu a
décidé de laisser un temps à l’homme pour qu’il puisse se convertir, selon saint
Pierre[1689] : « Le Seigneur ne retarde pas
l’accomplissement de ce qu’il a promis, comme certains l’accusent de retard,
mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que
tous arrivent au repentir. » Il en sera peut-être de même lorsque
l’Antéchrist sera là et que les derniers chrétiens observeront un nouveau
retard. C’est pour cette raison que la date de la fin du monde est absolument
inconnaissable par personne. Dieu peut la retarder comme il le veut, dans sa
sagesse qui prévoit le salut du plus grand nombre. Pour mieux le comprendre, il
faut se souvenir qu’il existe deux sortes de prophéties :
1° Les prophéties de
prédestinations qui sont données lorsque Dieu annonce un événement qui est fixé
d’une façon immuable par sa providence. Ainsi, qu’une Vierge doive enfanter,
que le Messie doive souffrir, que la fin du monde doive avoir lieu précédée par
la venue d’un dernier Antéchrist, voici des prophéties qui se réalisent
infailliblement, selon cette parole de Jésus[1690] : « Pas un iota de la loi ne
sera enlevée sans qu’elle soit accomplie. »
2° Les prophéties de menaces ou
de promesses. Elles ne se réalisent que sous condition. Ainsi, lorsque le
prophète Jonas annonçait la destruction de la ville de Ninive, il était
sous-entendu qu’elle n’aurait lieu que si le peuple restait dans son péché. La
ville s’étant convertie, la destruction n’eut pas lieu. Il en est de même de la
date de la fin du monde : étant dépendante d’une condition à savoir le temps
que Dieu laisse à l’homme pour se convertir, elle peut être reculée ou avancée
selon sa miséricorde et à la prière de ceux qui sont proches de lui par la
charité. Ainsi, nul ne peut connaître à l’avance une telle date car elle est,
en ce qui concerne l’homme inconnaissable. On le voit parfois dans la vie des
saints pour la fin des individus. Ainsi, le Padre Pio provoqua à sa prière de
nombreuses fois la mort de ses pénitents juste après leur confession.
Solutions :
1. Pour connaître la fin des
choses dont nous connaissons le commencement, il est nécessaire d’en connaître
aussi la mesure. C’est pourquoi, si nous connaissons le commencement d’une
chose dont la durée est mesurée par le mouvement du ciel, nous pouvons en
connaître la fin, parce que le mouvement du ciel nous est connu. La durée
physique du mouvement du ciel est connaissable par la science positive à
travers de simples calculs. On sait que le soleil aura brûlé la totalité de son
énergie dans quatre à cinq milliards d’années. Par contre, la durée théologique
de ce monde a pour unique mesure la volonté divine qui nous est cachée. Dès
lors, nous avons beau connaître le commencement, il nous est impossible d’en
connaître la fin.
2. Les 1260 jours dont parle
l’Apocalypse représentent la vie de l’Église dans sa totalité plutôt qu’un
nombre déterminé d’années. La raison en est que la prédication du Christ, sur
laquelle est fondée l’Église, a duré trois ans et demi, c’est-à-dire, un nombre
de jours sensiblement égal au précédent. Le nombre cité par Daniel ne se
rapporte pas aux années qui doivent s’écouler jusqu’à la fin du monde ou à la
prédication de l’Antéchrist, mais à la durée de sa prédication même et de sa
persécution.
3. L’Ancien Testament est la
figure du Nouveau, d’une manière générale et sans correspondance nécessaire des
détails, d’autant plus que le Christ en a réalisé tous les symboles. C’est
pourquoi saint Augustin répond à ceux qui voulaient compter les persécutions de
l’Église en se basant sur les plaies d’Égypte : « À mon avis, ce qui se passe en Égypte ne figurait point
prophétiquement ces persécutions. Il est vrai que les partisans de cette
opinion font à ce sujet des rapprochements d’une ingénieuse habileté, mais ils
ne sont point appuyés sur l’esprit prophétique, et, si l’esprit de l’homme parvient
quelquefois à la vérité, quelquefois aussi il se trompe. » Ce mélange de vérités et d’erreurs se retrouve dans les
prophéties de l’abbé Joachim. Nul ne connaîtra la date de la venue du Christ.
C’est pourquoi le Seigneur met en garde contre les faux prophètes, à la fin des
temps[1691] : « Prenez garde de vous laisser
abuser, car il en viendra beaucoup sous mon nom qui diront "c’est
moi" et "le temps est tout proche" N’allez pas à leur suite. » À
la fin du monde, certains pourront cependant conjecturer la proximité du retour
du Christ s’appuyant sur la réalisation des signes annoncés par l’Écriture
sainte. Il reste que très peu seront capables de les interpréter selon leur
vrai sens qui est d’abord esprit.
4. S’il arrive que certains
saints reçoivent avec joie la révélation de la date de leur mort, comme sainte
Thérèse de l’Enfant Jésus lors de son premier crachat de sang, c’est parce
qu’ils espèrent voir Dieu et le rapprochement du temps excite leur désir d’être
bientôt en présence de la Sainte Trinité. Dieu sait, à travers une telle
révélation, augmenter leur charité. Pour d’autres, la peur de la mort est
utilisée pour l’augmentation de leur humilité et pour les inciter à se repentir
de leurs péchés. Dans tous les cas, ces révélations ont pour finalité le salut
éternel de chacun. Une telle révélation les concerne donc personnellement. Il
n’en est pas de même pour la fin de l’humanité en général dont la date précise
ne concerne que Dieu seul, et dont l’approche en tant qu’elle est un événement
général valable à chaque époque de l’univers suffit à effrayer les méchants et
à provoquer l’espérance des saints.
5. Par contre, il est vrai qu’à
la fin des temps, certaines personnes éclairées par le Saint Esprit
conjectureront la proximité de l’évènement, en s’appuyant sur des signes
décrits par l’Écriture. Mais là encore, leur raisonnement pourra être mis en
défaut par Dieu s’il estime nécessaire de laisser un délai au monde de
l’Antéchrist afin qu’il aille jusqu’au bout de sa perversité et de
l’apprentissage spirituel des âmes privées de l’espérance. Quant au suicide,
qui permet à l’homme de décider lui-même de la date de sa mort, il ne peut être
comparé à la fin du monde dont l’initiative viendra de Dieu. Il est probable
que le dernier Antéchrist n’aura pas intérêt à provoquer l’autodestruction de
l’humanité puisque la durée de cet enfer sur terre servira les intérêts de son
maître, Lucifer, détruisant les vie spirituelle selon ce texte[1692] : « Par son intelligence
l’Antéchrist réussira dans la trahison. Il s’exaltera dans son cœur et détruira
un grand nombre par surprise. Il s’opposera au Prince des Princes, mais, sans
acte de main, il sera détruit. »
6. Saint Grégoire le
Grand écrit, en réponse à une question d’Euloge d’Alexandrie sur le passage de l’Écriture selon
lequel « ni le Fils ni les anges ne connaissent le jour et l’heure »[1693] : « Votre Sainteté pense très
justement qu’il n’est pas à rapporter au Fils, considère comme tel, mais
considéré comme corps, ce que nous sommes. Augustin dit aussi qu’on peut l’entendre
du Fils en personne, parce que le Dieu tout-puissant parle parfois comme un
homme, par exemple lorsqu’il dit à Abraham : « Maintenant, je sais que tu
crains Dieu »[1694]. Non que Dieu ait alors
appris qu’il était craint, mais parce que, par lui Abraham a reconnu alors
qu’il craignait Dieu comme nous parlons d’un jour heureux, non parce que le
jour lui-même est heureux, mais parce qu’il nous rend heureux, de même le Fils
tout-puissant dit qu’il ignore le jour que lui-même fait ignorer, non qu’il
l’ignore, mais parce qu’il ne permet absolument pas qu’on le connaisse. »
7. Il peut y avoir des
évènements qui, pour une part sont annoncés par une prophétie de prédestination
et pour une autre par une prophétie conditionnelle. Ainsi, le fait qu’une
Vierge devait enfanter était connu par la foi juive d’une façon certaine à
cause de la parole de Dieu en Isaïe[1695]. Mais la date de cet
évènement n’était connue de personne sinon Dieu puisqu’elle était liée à
certaines conditions. Il en est de même pour la fin du monde qui aura lieu avec
certitude mais à une date que Dieu seul connaît. Quant à ceux qui s’efforcent
de la calculer en s’appuyant sur des savantes combinaisons des Écritures, ils
font fausse route. Dieu peut en effet avancer ou reculer la date de la fin du
monde en fonction de la prière des saints, de l’humilité (kénose) des
religions.
8. Le IVe Livre
d’Esdras[1696] imaginait que les élus de
la dernière génération mèneraient sur terre avec le Messie une vie bienheureuse
de quatre cents ans. Cette idée était dans l’air, seule la durée du règne
messianique variait selon les fantaisies de l’imagination. Elle subsistera
longtemps dans la pensée juive. Le Millénarisme chrétien se rattache à une
interprétation littérale du chapitre 20 de l’Apocalypse. Il a revêtu plusieurs
formes. Cérinthe, que le disciple bien-aimé avait en particulière horreur,
promettait aux justes des derniers temps des jouissances toutes charnelles.
Chez Papias, dont Bossuet a dit qu’il fut un très vieil auteur mais un très
petit esprit, le rêve millénaire s’exprime avec une naïveté déconcertante.
Rapportant les dires des presbytres, il imagine une terre nouvelle où l’on
verra des vignes porter dix mille ceps, chaque cep ayant dix mille sarments,
chaque sarment dix mille rameaux, chaque rameau dix mille grappes, chaque
grappe dix mille grains de raisin dont chacun se disputera l’honneur de devenir
la nourriture d’un élu. De nos jours, les Témoins de Jéhovah sont les plus
célèbres des Millénaristes. Les textes cités de l’Apocalypse doivent être
confrontés à tous les autres annonçant le retour du Christ. De cette
confrontation, il ressort que sa signification n’est pas celle d’un texte de
type historique mais symbolique. De fait, il annonce la possibilité pour
l’homme ou l’Église fidèle d’un règne de paix permanent au fond de l’âme par la
présence fidèle du Messie quelles que soient les épreuves vécues
extérieurement. C’est ce qu’expérimentait Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui,
soumise à l’agonie d’une maladie incurable disait[1697] : « Je ne regrette pas de m’être
livré à l’amour. »
Objections :
1. Si l’homme ne peut en aucune
manière connaître la date de la fin du monde, il semble présomptueux de sa part
de dire que les derniers temps sont arrivés.
2. Saint Paul met en garde les
fidèles contre ceux qui les effraient par l’annonce de l’imminence du retour du
Christ et qui les poussent à tout vendre et à ne plus se marier pour être bien
prêts selon cette parole du Seigneur[1698] : « Malheur à celle qui sera
enceinte ce jour-là. »
3. Il semble que nul ne puisse
dire si nous sommes dans les derniers temps selon cette parole du Seigneur[1699] : « comprenez-le bien : si le maître
de la maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur devait venir, il
aurait veillé et n’aurait pas permis qu’on perçât le mur de sa demeure. Ainsi
donc, vous aussi, tenez-vous prêt car c’est à l’heure que vous ne pensez pas
que le fils de l’homme va venir. »
4. Saint Paul lui-même, ainsi
que saint Jean se sont trompés sur la date du retour du Christ puisqu’ils
écrivent qu’« il revient bientôt »[1700]. Or, voici des siècles que
nous attendons. Donc nul ne doit dire que nous sommes dans les derniers temps.
Cependant :
L’épître aux Hébreux dit[1701] : « Encore un peu, bien peu de
temps et celui qui vient arrivera et il ne tardera pas. » De même,
le livre de l’Apocalypse[1702] : « Ne tiens pas secrète les
paroles prophétiques de ce livre car le temps est proche. » Donc
nous sommes dans les derniers temps.
Conclusion :
Comme nous l’avons montré précédemment, dire que nous sommes dans
les derniers temps avant la fin du monde peut avoir plusieurs sens.
1° En un premier sens,
l’Écriture peut entendre la dernière phase de l’humanité dans son pèlerinage
terrestre avant le jugement général du monde. En ce sens, nous pouvons dire que
nous sommes dans le dernier temps depuis que le Christ est mort et ressuscité
pour nous. En effet, le temps de la grâce sanctifiante est le dernier de la
terre puisqu’il ne peut être suivi, selon le critère du rapport à Dieu, que par
des états supérieurs qui ne sont pas de ce monde, comme la gloire.
2° En un second sens, l’Écriture
peut entendre par derniers temps les derniers moments de cette quatrième phase
de l’humanité, ceux que vivra la génération qui connaîtra le retour du Christ
dans sa gloire. Là encore, deux interprétations sont possibles. La première
consiste à dire que chaque génération de l’humanité est dans ce moment ultime
puisque chaque homme de cette génération connaît à l’heure de sa mort le retour
du Christ dans sa gloire. C’est pourquoi Jésus pouvait dire en vérité aux Juifs
de sa génération[1703] : « En vérité, en vérité, je
vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé. » De
même, saint Vincent Ferrier et d’autres saints pouvaient en vérité proclamer le
retour du Christ dans sa gloire comme imminent.
La seconde interprétation consiste à regarder le retour du Christ
glorieux que connaîtra la dernière génération de la terre au sens universel du
terme, quand selon Saint Paul[1704] : « la trompette finale
sonnera et que ceux qui sont encore en vie sur la terre seront transformés sans
passer par la mort. » En ce sens, on peut dire avec certitude que
nous serons à la fin des temps quand tous les signes donnés de manière
explicite par l’Écriture, confirmés par la Tradition et le Magistère
de l’Église seront réalisés. Or ceux qui concernent Israël dans son histoire
visible, jusqu’à sa conversion au Christ, ceux qui concernent l’Église et son
martyre finale, la politique et le gouvernement mondial de l’Antéchrist[1705] ne sont pas accomplis.
Donc, au moment où j’écris, nous ne sommes pas dans la fin des fins mais
seulement dans le dernier temps.
De plus, quand l’Écriture sera entièrement accomplie, il restera
encore une incertitude : celle du délai que Dieu laissera à l’Antéchrist avant
de le faire disparaître par le souffle de sa venue. De ce délai, nous ne savons
rien. Il peut durer trois ans et demi ou trois millénaires, comme nous l’avons
dit.
Solutions :
1. Comme nous l’avons montré,
il est impossible de dire avec certitude que nous sommes dans les derniers
temps selon la dernière interprétation. Mais selon les deux premières, cela
peut être proclamé sans qu’il y ait de présomption.
2. Les faux prophètes dont
parle saint Paul accompagnaient leurs annonces de dates précises, comme on le
voit encore aujourd’hui dans certaines sectes religieuses. En cela, ils
faisaient œuvre de présomption. Ils poussaient leurs fidèles à attendre le
retour du Christ d’une manière fiévreuse en leur faisant davantage vivre du
merveilleux de l’évènement que de la charité et de l’espérance qui lui donnent
sens. De plus, ils parlaient ainsi dans leur orgueil mégalomaniaque de se faire
passer pour des intimes de Dieu. C’est ce à quoi voulait s’opposer saint Louis
de France quand on lui demandait « ce
qu’il ferait si on lui annonçait pendant la messe que le Christ était en train
d’apparaître dehors. » Il répondait :
« Je resterais à prier, là où je
suis. » Saint Vincent Ferrier est
cependant à mettre à part. Il annonça certes la fin du monde pour sa génération
au XV° siècle. Mais il faut entendre sa prédication, qu’il accompagna et prouva
par des miracles venant de Dieu, comme celle du Christ lorsqu’il dit[1706] que « cette génération ne passera pas
que tout ne soit accompli ». En
effet, on peut annoncer sans se tromper la fin du monde à chaque instant en ce sens
que, moins de 100 ans après sa proclamation, tous ceux qui l’ont entendue, ont
vu le retour du Christ à l’heure de leur mort individuelle.
Quant aux femmes enceintes, elles seront malheureuses au jour du
retour du Christ non à cause de leur état mais à cause de l’attachement aux
biens de la terre que symbolise ici la grossesse. De même, ceux qui possèdent
quelque bien et s’y attachent en souffriront puisqu’ils n’emporteront rien dans
l’autre monde.
3. De même que la mort peut
frapper chaque individu n’importe quand, à la manière d’un voleur dans la nuit,
de même le retour du Christ se fera sans prévenir.
4. Quand le Christ annonce
qu’il revient bientôt ou quand les saints proclament la même chose, ils ne se
trompent pas puisque chaque homme ne dispose que de quelques années avant la
mort qui correspond pour lui au retour du Christ dont l’apparition le surprend
à ce moment.
Mais si l’on entend ces prophéties par rapport au retour ultime de
Jésus, selon le troisième sens alors il faut répondre comme saint Pierre[1707] : « Devant le Seigneur, un jour
est comme mille ans et mille ans sont comme un jour. » Le bientôt de
Dieu n’est donc pas comme notre bientôt.
Enfin lorsque le Seigneur annonce à ses disciples[1708] : « En vérité je vous le dis, il
en est ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le fils de
l’homme venant avec son royaume », il ne parle visiblement pas de sa
venue définitive mais à la fois des signes glorieux de sa
venue (comme le don de l’Esprit Saint fait à la Pentecôte, la prédication opérée
par les apôtres jusque dans la capitale du monde qui était Rome et la ruine de
Jérusalem qui scelle la fin de l’Ancienne Alliance) et à
l’apparition glorieuse qu’il a effectivement donnés à tous lorsqu’ils sont
morts.
Objections :
1. La fin du monde ne
peut consister dans le retour du Christ. Selon les témoins de Jéhovah, qui
lisent l’Écriture Sainte dans sa lettre : c’est par la guerre, les
catastrophes de toutes sortes que se terminera le monde.
2. Le retour du Christ
pourra être daté à partir du moment où l’Antéchrist paraîtra avec son
gouvernement mondial humaniste et adonné à l’ange révolté. En effet, le délai
entre la réalisation de ces deux prophéties sera de trois ans et demi, d’après
Daniel. Ceci semble confirmé par saint Matthieu[1710] : « si ces jours-là (ceux
de l’Antéchrist) n’avaient été abrégés, nul n’aurait eu la vie (la foi)
sauve. »
Cependant
:
« Alors,
le Christ reviendra dans sa gloire accompagné des saints et des anges. Et il
enverra ses anges avec une trompette sonore, pour rassembler ses élus des
quatre vents, des extrémités des cieux à leur extrémité. »[1711] La preuve suprême que Dieu
nous aime sera donnée puisque le Christ reviendra alors que nous ne
l’attendrons plus.
Conclusion :
Après le retour du Christ, le temps sera comme suspendu dans une
autre dimension, liée à la vie psychologique, qu’on appelle « la durée intérieure ». Ceux qui auront choisi de
l’aimer vivront ces heures en sa présence dans une extase perpétuelle qui leur
semblera courte. Ils ne pourront détacher leur âme de sa vue. Ils ne verront
pas seulement sa beauté physique mais aussi celle de son cœur : tous les
symboles utilisés jadis par le Seigneur auprès de sainte Marguerite-Marie
prendront sens. Au même moment, ceux parmi les sauvés qui auront à purifier
quelque chose seront éloignés pendant un moment de sa vue. Ce purgatoire,
mesuré en temps cosmique, ne durera peut-être que quelques instants mais, en
tant que durée intérieure, il pourra leur paraître des heures tant ils aimeront
et ne supporteront pas son absence. Le purgatoire est fait ainsi : sa durée
intérieure peut sembler aussi longue que des siècles[1712] : « Avez vous vu mon Bien-aimé ?
», son but étant de créer
dans l’homme un cœur brisé en vue de son entrée dans la gloire. Ceux qui
auront refusé le Christ seront aussi sur la terre en ces instants mais ils
fuiront. Ils ne se sauveront pas dans d’autres lieux, le Christ étant présent
partout à la fois. Ils fuiront en eux-mêmes, essayant de détourner leurs
pensées de son regard insupportable. Ils crieront : « Va-t-en! Ne vois tu pas que nous ne voulons pas de toi ni d’aucun
de ceux qui sont avec toi. Pourquoi restes-tu ainsi à nous regarder. Veux-tu
donc nous torturer ? » Leur choix de
solitude sera, on le voit à travers ces mots, définitif.
Lorsque la dernière âme du purgatoire sera sortie de sa solitude
entrant avec tous les autres élus dans la vision de la Splendeur, alors tout
sera accompli sur la terre et la fin du monde d’ici-bas sera proclamée, ainsi
que la fin des autres purgatoires. La terre telle qu’elle est n’aura plus de
sens ni d’utilité, les hommes ayant tous sans exception fait leur choix pour l’éternité.
Solutions :
1. Les malheurs
précéderont la fin du monde mais ne seront pas par eux-mêmes la cause de la
fin. Ils seront plutôt une préparation de l’esprit des hommes pour qu’ils
désirent la venue du Sauveur. D’autre part, l’interprétation des malheurs est
trop littérale chez les témoins de Jéhovah comme chez beaucoup de confessions
millénaristes. Le sens des textes de l’Apocalypse est symbolique, ce qui ne
veut pas dire qu’il n’ait pas une réalisation littérale, mais que sa
signification est bien plus universelle et multiple. Le premier des sens est
spirituel. Cela signifie que Dieu peut très signifier par le symbolisme des
monstres grouillants un temps de paix civile et de concorde sociale, accompagné
de l’individualisme, donc du danger le plus grave pour le salut des âmes.
2. Trois ans et demi
ne symbolisent pas autre chose que le temps de la prédication du Christ. Cela
signifie que l’Antéchrist singera le Messie pour réaliser, comme lui, la
prédication et la réalisation d’une humanité renouvelée.
Quant à l’interprétation de la durée réelle de ce temps,
il est impossible de la faire. Si telle est la volonté de Dieu, le monde de
l’Antéchrist durera des siècles. Ceci est peu probable à cause de la nature
humaine dont la fragilité est telle que, séparée de Dieu, elle finit par se
détruire elle-même. Mais ce n’est pas impossible tant l’intelligence politique
de l’Antéchrist et de ses successeurs peut réussir à structurer dans un
équilibre fragile entre loi et liberté, une vie où la recherche du bonheur
individuel est l’unique valeur. Un tel monde, spirituellement vide, pourra tout
de même disposer les hommes au salut. En effet, les souffrances spirituelles et
psychologiques seront telles que jamais on aura vu un désir plus grand d’un
salut.
La foi demeurera, même si ce n’est que
d’une manière privée et chez un petit nombre dispersé. En effet, l’Antéchrist
n’aura pas accès au domaine secret de la conscience où l’appel de Dieu seul
peut entrer.
Objections :
1. Il semble que tous les
hommes doivent mourir après la venue du Christ et avant de sa résurrection. En
effet la justice de Dieu a condamné la nature humaine toute entière, en punition
du péché d’Adam dont tous les descendants contractent la souillure du péché
originel. Or la punition du péché originel, c’est la mort.
2. La sainte Écriture enseigne
la résurrection universelle. Or ressusciter ne se dit proprement que d’un corps
tombé en dissolution, comme le déclare saint Damascène.
3. Les lois naturelles montrent
que les choses viciées et corrompues ne peuvent être régénérées qu’en passant
par la mort : le vinaigre ne peut devenir vin qu’en cessant d’être pour se
retrouver liqueur de la vigne. Dès lors, puisque la nature humaine a subi une
altération entraînant la nécessité de mourir, la mort est pour elle le moyen
nécessaire pour parvenir à l’immortalité.
4. « Nul ne peut voir Dieu sans connaître la mort », dit le livre de l’Exode[1713]. Donc la dernière
génération passera par la mort.
Cependant :
Le texte du credo dit
que le Seigneur viendra juger « les
vivants et les morts ». Donc il y aura des hommes encore vivants lors
de son retour. En outre, saint Paul[1714] dit explicitement : « Je
vais vous dire un mystère : nous ne mourrons pas tous mais nous serons tous
transformés, au son de la trompette finale, car elle sonnera la trompette, et
les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. » Donc
ceux qui seront encore vivants lors du retour du Christ ne mourront pas.
Conclusion :
Les Pères se sont partagés sur cette question. Mais l’opinion la
plus sûre, si l’on s’en tient à l’Écriture selon son texte grec, c’est que les
hommes de la dernière génération, ceux qui verront le retour du Seigneur ne
mourront pas. Ils seront « revêtus d’immortalité comme d’un vêtement
surajouté » et cela est conforme à la sagesse de Dieu :
1° par sa passion, le Christ a
opéré une rédemption totale du péché originel. Il a pris sur lui le péché des
hommes, se faisant péché pour nous. Il a payé dans sa chair la totalité de la
dette de peine due pour ce péché. Il a donc libéré l’homme de la mort selon
cette parole du Seigneur[1715] : « Celui qui vit et croit en
moi ne mourra jamais. » Et s’il s’avère qu’après la rédemption
opérée par le Christ, les hommes régénérés par le baptême meurent tout de même,
c’est à cause d’un bien supérieur qui en sort. Il s’agit d’un bien de l’âme
puisque celui qui meurt découvre l’humilité de sa condition et peut offrir sa
mort en union de charité avec celle du Christ. À la fin du monde, lorsque la
puissance de la rédemption opérée par le Seigneur sera manifestée en plénitude,
il convient que la peine de la mort disparaisse aussi. C’est pourquoi la
dernière génération ne mourra pas.
2° Et on peut donner une
deuxième raison à cela ; un désir naturel et universel doit être réalisé en
quelques individus. Or ce que nous voulons tous, « c’est de n’être pas
dépouillés mais revêtus. » Quelques hommes au moins seront donc
revêtus de l’immortalité, sans que la mort les ait dépouillés de leur corps, à
l’image de la vierge Marie.
Solutions :
1. Les quatre dernières
demandes de l’oraison dominicale se rapportent à la vie présente et, par l’une
d’elle, l’Église demande pour cette vie la remise de toutes les dettes. Cette
prière ne saurait être vaine[1716] : « tout ce que vous demanderez
au Père en mon non, il vous l’accordera. » Or une de ces dettes,
contractée par le péché d’Adam, c’est de naître avec le péché originel. Dieu a
remis cette dette à la vierge Marie en prévision de sa maternité divine ; de
même il remettra la mort qui est la peine du péché originel à quelques-uns à la
fin du monde.
2. Lorsque Jésus dit que[1717] « tous ceux qui sont dans
les tombeaux entendront la voix du fils de Dieu et ressusciteront », il
ne l’entend pas que tous les hommes sans exception seront dans les tombeaux. Il
exclut en particulier Enoch et Elie qui n’ont pas connu la mort, le Christ et
la vierge Marie qui ne sont pas restés au tombeau et la dernière génération
humaine lors de la fin du monde.
3. La résurrection ne suit pas
les lois naturelles. Elle est une œuvre de la puissance divine qui peut
réaliser la même chose à partir de plusieurs points de départ. Ainsi, les morts
ressusciteront à partir d’une matière décomposée ; les vivants seront
transformés dans leur corps, qui sera revêtu d’un nouveau mode d’être.
4. Ce texte vise la mort
intérieure, qui correspond à la toute humilité. La mort biologique, quoique
utile à l’acquisition de ce cœur brisé, n’est cependant que l’un des moyens. La
dernière génération vivra cette kénose à travers les angoisses de sa vie sans
Dieu, et les dernières frayeurs dues aux signes de la fin.
Objections :
1. Il en est de la
glorification du monde dans son ensemble comme de celle du corps de l’homme
pris en particulier. Or Dieu utilisera deux manières pour élever le corps à la
gloire : en le transfigurant immédiatement dans une forme supérieure, comme on
le voit pour le corps de Marie ; en le détruisant par la mort puis en le
ressuscitant, comme c’est le cas pour le reste de l’humanité soumise au péché
originel. Or le monde matériel n’a pas commis le péché originel puisqu’il en
est incapable. Il est donc inutile qu’il soit d’abord détruit par le feu.
2. Dieu dit à Noé[1718] : « Plus jamais je ne frapperai
les vivants comme je l’ai fait. » Si donc Dieu détruit le monde avant
de le transformer, il fera mentir sa parole.
3. Certaines parties de
l’univers matériel sont trop éloignées de la terre pour avoir pu être rendues
impures par le péché de l’homme. Il semble que celles-là au moins seront
glorifiées dans un autre monde sans passer par la destruction.
Cependant :
Saint Pierre écrit[1719] : « Il viendra le jour du
Seigneur, comme un voleur ; en ce jour-là, les cieux se dissiperont avec
fracas, les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec les œuvres qu’elle
renferme seront consumées. Ce sont des nouveaux cieux et une terre nouvelle que
nous attendons selon sa promesse, où la justice habitera. »
Conclusion :
Pour répondre à cette question, il faut considérer la fin du monde
à la manière d’un mouvement. Dans tout mouvement, il y a un terme de départ, un
terme final et, entre les deux, un devenir. À la fin du monde, le point de
départ sera le monde terrestre tel qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un monde
adapté à l’état de l’homme, corruptible et soumis au changement ; le terme
final sera un monde nouveau adapté au corps de l’homme après sa résurrection,
c’est-à-dire un monde glorifié, incorruptible et immuable. Il y aura donc entre
ces deux mondes une différence radicale de nature. La matière devra être
transformée par Dieu au point d’assumer une nouvelle forme sans commune mesure
avec l’ancienne, selon saint Paul[1720]: « Ce qui est corruptible
revêtira l’incorruptibilité », afin de devenir un monde adapté au
nouvel état de l’homme.
Or, qu’une matière assume une autre forme, cela peut se faire de
deux manières :
1° par destruction de la forme
antérieure. Ainsi, l’artiste qui veut à partir du jade d’une statue faire une
autre statue différente est obligé de resculpter la première et donc d’en
détruire la forme.
2° En surélevant la forme
antérieure à une autre forme supérieure. Ainsi l’artiste qui intègre un
processus pour éclairer de l’intérieur sa statue de jade modifie la forme sans
la détruire. Il la revêt de lumière
En ce qui concerne la fin de notre univers corruptible, elle se
produira selon ces deux manières :
1° De la première manière pour
les parties de l’univers physique qui auront été souillées par les péchés de
l’homme. C’est ce que nous enseigne saint Pierre. Et cela est convenable à
cause du désordre lié au péché dont la marque est visible sur la terre entière.
De même que, après le péché originel, le corps de l’homme est soumis à la mort,
de même il convient que notre monde soit détruit par le feu avant d’être
renouvelé. Le feu purificateur doit effacer toute trace des œuvres de péché,
aussi bien dans l’univers que, analogiquement, dans le corps humain par la mort
et dans son âme que purifie le feu du purgatoire. C’est donc à partir d’une
matière revenue à son état virginal que Dieu façonnera un monde nouveau.
2° De la seconde manière pour
les parties de l’univers qui, étant trop éloignées de l’homme, n’ont pas subi
les influences négatives de sa présence. Cette partie du monde sera simplement
revêtue d’incorruptibilité, sans subir auparavant la nécessité d’une
purification par le feu. Ce sera le cas des astres que nous pouvons observer,
bien qu’ils soient situés à des distances considérables.
Solutions :
1. Le monde doit être
transfiguré pour deux raisons :
1° La première, et la plus
fondamentale est qu’il a été créé dans une structure d’entropie. La loi de
dégradation de la matière n’a pas pour cause le péché originel mais quelque
chose de plus radical : c’était un séjour provisoire pour Adam et Ève et leurs
enfants, péché ou non. Cette corruptibilité n’aura plus d’utilité dans
l’éternité.
2° La seconde raison concerne
non l’univers dans son ensemble mais notre terre. Ce monde matériel n’a pas
commis le péché originel mais a été marqué par ses conséquences. Ce monde avait
en effet été créé pour l’homme et en dépendance harmonieuse de sa sainteté. Par
le péché originel, cet ordre a été détruit et les éléments se sont désorganisés
: le vice a corrompu les choses bonnes et, partout où est passé l’homme, il
reste les vestiges de quelques cadavres de son impureté. Même les plus belles
œuvres de l’homme, parfois faites pour Dieu comme le Temple de Jérusalem et les
cathédrales, ne sont pas exemptes de ce nouvel ordre fondé sur les vanités. Il
convient donc que ces œuvres soient détruites par un feu, de la même manière
que la mort détruit le corps des pécheurs.
2. Cette destruction du monde
et son renouvellement auront lieu après le retour glorieux du Christ sur la
terre, lorsque tous les hommes auront été jugés et de manière concomitante à la
résurrection ou à la transfiguration de leur corps. Ce n’était pas le cas pour
le déluge. Pour chaque homme, la fin du monde aura donc déjà eu lieu.
3. Comme on l’a montré, le feu
ne purifiera la terre et les lieux touchés par l’homme qu’à cause de
l’influence de son péché qui doit être purifié. Il n’est donc pas nécessaire
que le reste de l’univers soit détruit avant d’être transformé.
Nous avons à considérer maintenant la résurrection et les
circonstances qui doivent l’accompagner. Il nous faudra étudier la résurrection
du corps des hommes et la transformation de l’univers qui l’accompagne pour
aboutir à un monde matériel nouveau.
A partir de cette question 36, nous abordons les grâces
supplémentaires que Dieu nous a préparées en plus de l’unique grâce, celle qui
seule nous rendra heureux, la vision béatifique. Dieu (question 37) a préparé
pour nous des bienfaits inimaginables, jusque dans notre sensibilité et notre
corps, jusque dans le monde physique qu’il transformera (questions 49, 50) pour
que nous puissions l’admirer éternellement dans sa richesse et sa beauté. Quant
à ceux qui auront choisi de se séparer de Dieu, Dieu qui respecte leur liberté
leur rendra aussi l’intégrité de leur corps. Pourtant, la perversité de leur
choix égoïste ne sera pas sans conséquences, par somatisation, au point que
tous les textes de l’Ecriture décrivant leurs souffrances seront réalisés
(question 48).
A propos de la résurrection du corps de l’homme, il nous faut voir
son fait, sa cause, son temps et sa manière, son point de départ et l’état des
ressuscités[1721].
La première question suggère les demandes suivantes :
1° La résurrection des corps
doit-elle avoir lieu ?
2° Sera-t-elle universelle ?
3° Sera-t-elle naturelle ou miraculeuse ?
Objections :
1. Elle est inutile. Nous avons
vu que les morts gardent la partie essentielle de leur corps, à savoir leur psychisme.
La chair en elle-même ne peut apporter qu’un poids supplémentaire, donc un
moins, à l’âme. Donc il n’y aura pas de résurrection de la chair.
2. Job déclare : « L’homme
se couche et ne se réveillera pas tant que subsistera le ciel. » Mais
le ciel subsistera toujours puisque la terre elle-même, au dire de
l’Ecclésiaste, « subsiste toujours. » Il n’y a donc pas de résurrection après
la mort.
3. Notre Seigneur prouve la
résurrection par ces paroles de Dieu même : «
Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac
et le Dieu de Jacob », et ajoute : « Or Dieu n’est pas le Dieu
des morts, mais des vivants. » Mais, lorsqu’il parlait ainsi
Abraham, Isaac et Jacob ne vivaient plus que par leurs âmes. Ce ne sont donc
pas les corps, qui ressusciteront, mais seulement les âmes.
4. Saint Paul semble prouver la
résurrection par la récompense due aux saints pour leurs labeurs d’ici-bas : « Si
nous n’avons d’espérance que pour cette vie seulement, nous sommes les plus
malheureux de tous les hommes. » Mais une récompense accordée à
l’âme seule peut suffire, le corps n’est que son instrument, et l’instrument ne
doit pas être récompensé comme celui qui s’en est servi. La preuve en est que
l’âme seule est punie en purgatoire où pourtant chacune reçoit « ce
qu’elle a mérité étant dans son corps. » Il n’est donc pas nécessaire
d’admettre une résurrection des corps, mais seulement des âmes ce qui veut dire
leur passage de la mort du péché et de la souffrance à la vie de la grâce et de
la gloire.
5. Le terme dernier d’un être
marque son apogée ; c’est alors qu’il atteint sa fin. Mais l’état le plus
parfait pour l’âme, c’est d’être séparée du corps : elle est plus semblable à
Dieu et aux anges ; plus pure aussi, étant dégagée de tout ce qui n’est pas
elle-même. L’état de séparation d’avec le corps est donc dernier pour l’âme.
Elle ne reprendra donc pas son corps, pas plus que l’homme fait ne redevient
enfant.
6. La mort corporelle est le
châtiment du péché originel, de même que la mort spirituelle, séparation de
l’âme d’avec Dieu, est le châtiment du péché contre l’Esprit Saint. Mais, après
la sentence de damnation, le retour à la vie spirituelle est impossible. Il n’y
a donc pas non plus de retour à la vie corporelle, de résurrection.
7. L’apôtre écrit[1723] : « Le corps semé animal ressuscitera
spirituel. » Puis il dit : « La chair et le sang n’entreront pas en
possession du royaume de cieux. » Donc il semble que la matière
n’aura aucun rôle dans la résurrection.
Cependant :
1° L’Ecriture : « Je
sais, dit Job[1724], que mon Rédempteur est vivant
et qu’au dernier jour, je me relèverai de la terre et de nouveau je serai
recouvert de ma peau. » En 2 Tm 2, 8, on lit : « [Les faux docteurs] se sont
écartés de la vérité en prétendant que la résurrection avait déjà eu lieu,
renversant ainsi la foi de plusieurs ». Il y aura donc une
résurrection des corps.
2° Ce que l’Église enseigne par
son Magistère[1725] : « Il faut d’abord que tous ceux qui ont à enseigner discernent bien
ce que l’Église considère comme appartenant à l’essence de sa foi, la recherche
théologique ne peut avoir d’autres vues que de l’approfondir et de le
développer. Cette sainte Congrégation, qui a la responsabilité de promouvoir et
de protéger la doctrine de la foi, veut ici rappeler l’enseignement que donne
l’Église au nom du Christ, spécialement sur ce qui advient entre la mort du
chrétien et la résurrection générale. »
1° L’Église croit (cf. Credo) à une résurrection des morts.
2° L’Église entend cette
résurrection de l’homme tout entier ; celle-ci n’est pour les élus rien d’autre
que l’extension aux hommes de la résurrection même du Christ.
3° L’Église affirme la
survivance et la subsistance après la mort d’un élément spirituel qui est doué
de conscience et de volonté en sorte que le "moi" humain subsiste.
Pour désigner cet élément, l’Église emploie le mot « âme », consacré
par l’usage de l’Écriture et de la Tradition. Sans ignorer que ce terme prend
dans la Bible plusieurs sens, elle estime néanmoins qu’il n’existe aucune
raison sérieuse de le rejeter et considère même qu’un outil verbal est
absolument indispensable pour soutenir la foi des chrétiens.
4° L’Église exclut toute forme
de pensée ou d’expression qui rendrait absurdes ou inintelligibles sa prière,
ses rites funèbres, son culte des morts, lesquels constituent, dans leur substance,
des lieux théologiques.
Conclusion[1726] :
On affirme ou l’on nie la résurrection selon que l’on définit
différemment la fin dernière de l’homme. Cette fin dernière, que tous désirent
naturellement, c’est le bonheur parfait (la béatitude). Certains ont pensé
qu’il était possible d’en jouir en cette vie ; dès lors, point n’était besoin
pour eux d’en admettre une autre dans laquelle l’homme atteindrait sa
perfection dernière ils niaient donc la résurrection.
Mais cette opinion ne tient guère devant la variété des conditions
humaines, la fragilité de notre organisme, l’imperfection et l’instabilité de
la science et de la vertu... toutes choses qui empêchent le bonheur d’être
parfait, comme saint Augustin le
développe aux derniers chapitres de la
Cité de Dieu.
Une seconde opinion admet donc une survie, mais pour l’âme seule,
ce qui semble suffisant à satisfaire le désir du bonheur naturel à l’homme.
Saint Augustin cite cette parole de Porphyre : « L’âme ne peut être heureuse qu’en fuyant toute espèce de
corps. » Donc il n’y aura pas de
résurrection. Cette opinion n’était pas, chez tous ses tenants, conclusion des
mêmes principes. Certains hérétiques prétendaient que tous les êtres corporels
venaient d’un principe mauvais, tous les êtres spirituels, d’un principe bon.
Le seul moyen, pour l’âme, d’atteindre sa perfection suprême, c’était donc de
quitter définitivement son corps, afin de pouvoir s’unir à son principe et y
trouver sa béatitude. C’est pourquoi toutes les sectes manichéennes qui
professent que c’est le diable qui a créé ou formé les êtres corporels nient la
résurrection des corps. La fausseté de cette doctrine des deux principes a été
établie au commencement du second livre
des Sentences. D’autres ont prétendu que l’âme, elle seule, constitue toute
la nature humaine, et qu’elle se sert du corps comme d’un instrument ou qu’elle
est en lui comme le pilote dans le navire. Ainsi du moment que l’âme seule est
béatifiée, le désir du bonheur, naturel à l'homme, est satisfait, sans qu’il
soit besoin d’admettre la résurrection des corps. Aristote a suffisamment
réfuté cette théorie de Platon en démontrant que l’âme est unie au corps comme
la forme l’est à la matière. L’âme, privée de son corps charnel, est en état
d’imperfection naturelle. Sa puissance vitale aspire à retrouver la perfection
de l’être. Il est donc de toute évidence que, puisque l’homme ne peut trouver
le bonheur en cette vie, il est nécessaire d’affirmer la résurrection de sa
chair.
Solutions :
1. Saint Thomas
d’Aquin pensait que l’âme subsistait en se séparant de tout ce qui a un rapport
quelconque avec la matière. Mais le fait que le mort
conserve son psychisme à travers un corps subtil dont nous avons établi
l’existence[1727], ne change rien à la
question de la résurrection de la chair. Nous en avons la preuve dans les
évangiles. En voyant Jésus ressuscité, les disciples crurent voir un fantôme[1728], c’est-à-dire justement un
corps psychique séparé de sa chair. Pour démentir, Jésus se fit toucher d’eux
et mangea avec eux du poisson, ce que ne peut pas faire un fantôme. Quant au
fait de retrouver son corps physique, il est loin d’être inutile pour l’homme
ressuscité, tant au plan de sa perfection naturelle que surnaturelle. Il lui
rend la plénitude de son être et le sens du toucher et du goût adapté aux choses
matérielles faites d’atomes et de molécules. Il permet donc que les élus
reçoivent des joies et des plaisirs jusque dans leur chair. Il leur permet un
contact avec les différents niveaux de l’univers, y compris celui qui est
composé de matière atomique. Pour les damnés, il leur rend la liberté de jouir
physiquement de leur choix, bien que cette liberté ne puisse pas produire en
eux de vrais plaisirs physiques, leur âme et leur esprit étant perpétuellement
dans le malheur.
2. Le ciel ne cessera jamais de
subsister quant à sa substance. Il cessera seulement d’exister quant à sa forme
et aux lois de la corruption qui s’exercent sur les transformations des êtres
terrestres ; c’est ce sens qu’il faut donner à la parole de saint Paul : « La figure de ce monde passe. »
3. À proprement parler, l’âme
spirituelle d’Abraham, même unie à son psychisme mais privée de sa chair n’est
pas Abraham, mais seulement une partie de lui-même ; et ainsi des autres. La
vie de son âme ne suffirait donc pas pour qu’Abraham soit vivant en perfection
ou pour que le Dieu d’Abraham soit le Dieu d’un vivant parfait, c’est-à-dire
pleinement lui-même ; il y faut la vie du composé tout entier, de l’âme et du
corps. Cette vie n’existait pas, à l’état de réalisation, au moment où Jésus
prononçait ces paroles ; elle existait cependant potentiellement dans la
réunion à venir de l’âme et du corps par la résurrection. Ces paroles de Notre
Seigneur sont donc un argument très ingénieux, non moins qu’efficace en faveur
de la résurrection.
4. L’âme est unie au corps, non
seulement comme l’agent à l’instrument, mais comme la forme à la matière ;
c’est pourquoi l’opération est du composé, et non de l’âme seule. Or, comme la
récompense de l’œuvre est due à l’ouvrier, c’est l’homme lui-même, composé
d’âme et de corps, qui doit recevoir la récompense de ce qu’il a fait. Les
péchés véniels sont appelés péchés, moins parce qu’ils ont absolument la nature
du péché que parce qu’ils y prédisposent ; de même, les peines du purgatoire sont
moins une punition qu’une purification ; le corps et l’âme sont purifiés
séparément le corps par la mort et la dissolution, l’âme par le feu, l’esprit
par l’absence de Dieu, le psychisme par le désir et la tristesse.
5. Toutes choses égales d’ailleurs,
l’état de l’âme unie au corps est plus parfait, parce qu’elle est une partie
d’un tout et qu’une partie intégrale est faite pour le tout. Ce qui ne
l’empêche pas d’être plus semblable à Dieu, à un certain point de vue. En
effet, absolument parlant, un être ressemble le plus à Dieu, quand il a tout ce
qu’exige sa nature, parce qu’alors il reflète le mieux la divine perfection.
L’organe, qu’on appelle le cœur, est plus semblable à Dieu, qui est immuable,
quand il est en mouvement que lorsqu’il s’arrête, car son mouvement, c’est sa
perfection, son arrêt, c’est sa mort.
6. La mort corporelle est la
conséquence du péché d’Adam qui fut effacé par la mort du Christ elle doit donc
disparaître, elle aussi ; tandis que la mort spirituelle est la conséquence
d’un péché dont on ne s’est pas repenti, et dont on ne pourra plus jamais se
repentir, elle est donc éternelle.
7. Il est parfaitement
impossible de supposer que le corps se transformera en esprit. Il n’y a de
passage réciproque qu’entre des êtres qui sont unis dans la matière. Or il ne
peut y avoir participation commune à la matière entre êtres spirituels et êtres
corporels, les substances spirituelles étant totalement immatérielles. Il est
donc impossible que le corps se transforme en substance spirituelle.
Et la fausseté de ces opinions est évidente. Notre résurrection
est en effet semblable à la résurrection du Christ, comme l’écrit Paul[1729] : « Il restaurera notre corps
misérable à la ressemblance de son corps glorieux. » Mais le Christ
après sa résurrection a eu un corps qu’on pouvait toucher, fait de chair et
d’os. Au témoignage de saint Luc[1730], il dit à ses disciples,
après sa résurrection : « Touchez et voyez, un esprit n’a ni chair ni
os comme vous voyez que j’en ai. » Les autres hommes, quand ils ressusciteront,
auront donc des corps que l’on pourra toucher faits de chairs et d’os. L’âme
est unie au corps comme la forme à la matière. Or toute forme possède une
matière déterminée ; il doit y avoir proportion en effet entre l’acte et la
puissance. Mais l’âme étant spécifiquement identique, il semble qu’elle doive y
avoir une matière spécifiquement identique. Le corps sera donc après la
résurrection spécifiquement le même qu’avant. Il devra donc être fait de
chairs, d’os et d’autres éléments semblables.
Objections :
1. La résurrection n’aura lieu
qu’à l’heure du jugement. Mais il est dit dans les Psaumes : « Les impies ne ressusciteront pas au jugement. » Tous les
hommes ne ressusciteront donc pas.
2. La même conclusion négative
semble ressortir de ce texte de Daniel qui contient une certaine
restriction : « Beaucoup de ceux qui dorment dans la
poussière se réveilleront. »
3. La résurrection rendra les
hommes semblables au Christ ressuscité ; c’est pourquoi l’Apôtre conclut que,
puisque le Christ est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons. Mais ceux-là
seulement doivent devenir semblables au Christ ressuscité, qui ont porté son
image, c’est-à-dire les bons.
4. La remise de la peine exige
la disparition de la faute. Or, la mort corporelle est la peine du péché
originel, qui n’est pas effacé chez tous les hommes. Tous ne ressusciteront
donc pas.
5. C’est par la grâce du Christ
que nous renaissons, et par elle aussi que nous ressusciterons. Mais les
enfants qui meurent dans le sein maternel sont incapables de renaître, donc de
ressusciter.
Cependant :
1° Saint Jean écrit : « Tous ceux qui sont dans le tombeau entendront la voix du Fils de Dieu,
et ceux qui l’auront entendue vivront. »
2° De même, saint Paul : « Nous
ressusciterons tous, etc. »
3° La résurrection est nécessaire pour que
les ressuscités reçoivent la peine ou la récompense qu’ils ont méritée. Or tous
en sont là. Tous doivent donc ressusciter.
Conclusion :
Ce qui a sa raison d’être dans la nature même d’une espèce doit se
retrouver également en tous ceux qui en font partie. Telle est la raison d’être
de la résurrection, c’est que l’âme séparée du corps est incapable de réaliser
la perfection dernière de l’espèce humaine. Aucune âme ne restera donc
éternellement séparée de son corps. Il est donc nécessaire que tous les hommes
ressuscitent, aussi bien qu’un seul.
Solutions :
1. Il s’agit ici de la résurrection
spirituelle, qui ne sera pas le partage des impies, lorsque les consciences
seront examinées au jugement. On pourrait dire encore qu’il s’agit des impies
tout à fait infidèles, qui ne ressusciteront pas pour être jugés, puisqu’ « ils sont déjà jugés. »
2. « Beaucoup, c’est-à-dire, tous », comme l’explique saint
Augustin. Cette manière de parler se rencontre souvent dans l’Écriture.
3. En cette vie, les méchants
comme les bons sont conformes au Christ par l’humanité, mais non par la grâce.
Tous aussi lui seront conformés par la vie naturelle qui sera rendue à tous.
Mais les bons seuls lui ressembleront par la gloire.
4. Ceux qui sont morts avec le
péché originel en ont subi la peine en mourant. Quant à ce péché
lui-même, il leur est remis par la miséricorde de Dieu et à la prière
d’adoption des parents du Ciel qui les accueille. Leur cas n’est donc pas
différent des autres hommes.
5. Nous renaissons par la grâce
du Christ qui nous est donnée ; nous ressuscitons par la grâce qui lui a fait
prendre notre nature et notre ressemblance. Ceux qui meurent dans le sein
maternel, quoique la grâce du Christ ne leur ait pas infusé la vie
surnaturelle, du moins en ce monde, peuvent la recevoir au moment de leur
entrée dans l’autre. Et, puisqu’ils ont la même nature humaine que le Christ,
du fait qu’ils possèdent tous les éléments essentiels de cette nature, ils
ressuscitent comme lui.
Objections :
1. « L’universalité, dit saint Damascène,
est le caractère de ce qui est naturel dans les individus qui ont la même
nature. » Or, la résurrection doit
être universelle ; elle est donc naturelle.
2. « Ceux qui ne veulent pas
croire docilement à la résurrection, dit saint Grégoire, devraient en être
convaincus par leur raison. L’univers ne nous montre-t-il pas partout et tous
les jours des images de notre résurrection ?
» Et il cite la lumière, dont la disparition est comme l’impie mort, et le
retour, comme une résurrection ; les arbres, qui ne perdent leur verdure que
pour la voir renaître ; les graines qui pourrissent et meurent, mais ensuite
germent et revivent. Or, la raison ne peut apprendre des phénomènes naturels
rien que de naturel. La résurrection l’est donc aussi.
3. Ce qui n’est pas naturel est
l’effet d’une certaine violence, et ne dure pas. Or, ce que la résurrection
aura refait durera éternellement. Elle est donc naturelle.
4. L’unique fin à laquelle tend
la nature est ce qu’il y a de plus naturel. Mais cette fin, c’est la
résurrection et la glorification des saints, comme le dit saint Paul.
5. La résurrection est un
mouvement dont le terme est la perpétuelle union de l’âme et du corps, et un
mouvement est naturel, quand son terme l’est aussi. Or, la perpétuelle union de
l’âme et du corps est naturelle : l’âme étant faite pour le corps, il est
naturel à celui-ci (l’être toujours vivant par l’âme, comme à l’âme de vivre
toujours en lui). La résurrection sera donc naturelle.
Cependant :
« De la privation à la possession, il n’y a pas de retour naturel. » Or, la mort est la privation de la
vie. Donc, la résurrection ou retour à la vie, n’est pas naturelle. D’autre
part, le mode naturel à l’homme, c’est d’être engendré par un autre homme. La
résurrection ne sera donc point naturelle, puisque le procédé sera tout
différent.
Conclusion :
On peut considérer trois espèces de mouvement ou action dans un
être par rapport à sa nature. 1° Le
mouvement ou action dont la nature n’est ni le principe ni le terme, et qui
peut provenir soit d’un principe surnaturel, comme dans la glorification du
corps, soit d’un principe quelconque, comme dans la pierre lancée en l’air par
un mouvement violent et ayant pour terme un repos qui ne l’est pas moins. 2° Le mouvement dont le principe et le
terme sont tous les deux naturels, telle la pierre qui descend de son propre
poids. 3° Le mouvement, dont le
terme est naturel, quoique le principe ne le soit pas ; ce principe est tantôt
supérieur à la nature : par exemple, dans la vue miraculeusement recouvrée, le
terme est naturel, mais le miracle ne l’est pas ; tantôt simplement extérieur,
comme dans le forçage des fleurs et des fruits. En aucun cas, le principe ne
saurait être naturel sans que le terme le soit aussi, parce que les principes
naturels sont déterminés à certains effets, au delà desquels ils sont
inopérants.
- Le mouvement ou action de la première espèce ne peut en aucune
façon être dit naturel, mais miraculeux ou violent. - Celui de la seconde est
absolument naturel. - Celui de la troisième ne l’est que relativement au terme
naturel auquel il aboutit ; par ailleurs, il est miraculeux, artificiel ou
violent. Est « naturel », à proprement parler que "ce qui
est selon la nature », c’est-à-dire
ce qui possède cette nature et les propriétés qui en découlent. Donc, à moins
d’une restriction, un mouvement ne peut être dit naturel, s’il n’a pas la
nature pour principe.
Quoique le terme de la résurrection soit naturel, il est
impossible que son principe le soit. La nature, en effet, est « principe
de mouvement dans l’être où elle est » ; principe actif, comme dans le
déplacement des corps lourds ou légers, les changements naturels des corps
vivants ; principe passif, comme dans la génération des corps simples. Le
principe passif d’une génération naturelle est une puissance passive naturelle,
à laquelle correspond toujours une puissance active naturelle aussi, peu
importe d’ailleurs, quant à la question présente, que ce principe actif ait
pour objet la perfection dernière, ou seulement une prédisposition nécessaire,
comme pour l’âme humaine, selon la doctrine catholique ou même pour toutes les
formes, selon l’opinion de Platon et d’Averroès.
Or, il n’existe aucun principe actif naturel de la résurrection,
ni pour unir le corps et l’âme, ni pour préparer cette union, puisque la seule
prédisposition qui soit naturelle, c’est l’évolution du germe humain. Donc,
même en admettant qu’il y ait dans le corps une certaine puissance passive, une
inclination quelconque à sa réunion avec l’âme, elle serait hors de toute
proportion avec ce qu’exige un mouvement pour être naturel. Dès lors,
absolument parlant, la résurrection est un miracle ; on ne peut l’appeler
naturelle que relativement à son terme, ainsi qu’on l’a expliqué.
Solutions :
1. Saint Damascène parle des
caractères communs à tous les individus et qui ont leur nature pour principe.
En effet, si, par miracle, tous les hommes devenaient blancs ou se trouvaient
réunis dans le même lieu comme au temps du déluge, cela ne ferait ni de la
blancheur, ni de cette localisation, des caractères naturels de l’homme
2. Les phénomènes naturels ne
peuvent aller jusqu’à démontrer ce qui n’est pas naturel, mais ils peuvent
servir à en persuader ; car la nature est comme un symbole du surnaturel, par
exemple, l’union du corps avec l’âme représente l’union de l’âme béatifiée avec
Dieu. De même, les exemples allégués par saint Paul et saint Grégoire servent à
nous persuader de la résurrection qui est un article de foi.
3. Il s’agit ici d’un mouvement
dont le terme est contraire à la nature. Or, il n’en sera point ainsi dans la
résurrection. L’argument ne porte donc pas.
4. L’action de la nature tout
entière est subordonnée à celle de Dieu. Or, de même qu’un art inférieur tend toujours
à une fin que peut seul réaliser l’art supérieur qui achève l’œuvre ou se sert
de l’œuvre déjà achevée, de même, la nature, à elle seule, est impuissante à
réaliser la fin dernière à laquelle elle aspire. La réalisation de cette fin ne
peut donc pas être naturelle.
5. S’il ne peut y avoir de
mouvement naturel qui ait pour terme un repos violent, il peut cependant y
avoir un mouvement qui ne soit pas naturel et qui ait pour terme un repos
naturel.
Trois demandes[1733] :
1° La résurrection du Christ
est-elle la cause de la nôtre ?
2° La voix de la trompette ?
3° Les anges ?
Objections :
1. « Poser la cause, c’est poser l’effet. » Mais la résurrection du Christ n’a pas été aussitôt suivie de
celle des autres hommes. Elle n’est donc pas la cause de notre résurrection.
2. Un effet exige la
préexistence de sa cause. Or, la résurrection aurait eu lieu même si le Christ
n’était pas ressuscité, car Dieu aurait pu sauver les hommes d’une autre
manière. La résurrection du Christ n’est donc pas la cause de la nôtre.
3. Un même phénomène, commun à
tous les êtres d’une même espèce, a une seule et même cause. Or, la
résurrection est commune à tous les hommes. Donc, comme celle du Christ n’est
pas la cause d’elle-même, elle ne l’est pas non plus de la résurrection des
autres hommes.
4. L’effet doit avoir une
certaine ressemblance avec sa cause. Mais la résurrection des méchants ne
ressemblera en rien à celle du Christ. Elle ne l’aura donc point pour cause.
Cependant :
1° « Dans un genre quelconque, ce
qui est premier est cause de tout le reste.
» Or, la résurrection corporelle du Christ le fait appeler « les prémices
de ceux qui dorment » ; « le
premier-né d’entre les morts. » Sa
résurrection sera donc la cause de celle des autres hommes.
2° La résurrection du Christ a plus de rapport avec notre
résurrection corporelle qu’avec notre résurrection spirituelle ou
justification. Or, la résurrection du Christ est la cause de celle-ci. « Il est ressuscité pour notre justification. » Donc elle est
la cause de celle-là.
Conclusion :
Le Christ est appelé le Médiateur entre Dieu et les hommes, en vertu
de sa nature humaine ; aussi est-ce par l’entremise de celle-ci que les dons de
Dieu parviennent aux hommes. L’unique remède à la mort spirituelle, c’est la
grâce donnée par Dieu ; l’unique remède à la mort corporelle, c’est la
résurrection opérée par Dieu. Ainsi, de même que le Christ a reçu de Dieu les
prémices de la grâce, et que sa grâce est cause de la nôtre : « C’est
de sa plénitude que nous avons tous reçu, et grâce sur grâce » ; de
même, le Christ est le premier ressuscité et sa résurrection est cause de la
nôtre. Comme Dieu, il en est la cause, pour ainsi dire, équivoque ; comme
Dieu-homme ressuscité, il en est la cause prochaine et, en quelque sorte,
univoque.
La cause efficiente univoque produit un
effet dont la forme est semblable à la sienne. Mais il faut distinguer. En
certains cas, la forme même, par laquelle l’effet ressemble à sa cause, est le
principe direct de l’action productrice de l’effet telle la chaleur du feu. En
d’autres, ce n’est pas cette forme elle-même, mais les principes dont elle est
issue : par exemple, si un homme blanc engendre un homme blanc, la blancheur
n’est pas le principe actif, mais on peut dire néanmoins qu’elle est la cause
de ce caractère, parce que c’est en vertu des principes par lesquels il est
blanc que le père engendre un fils qui l’est aussi.
C’est de cette manière que la résurrection du Christ est cause de
la nôtre. Ce qui a ressuscité le Christ, cause efficiente univoque de notre
résurrection, nous ressuscitera également, et c’est la puissance divine qu’il
partage avec son Père : « Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre
les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels. »
La résurrection même du Christ, Homme-Dieu,
est pour ainsi dire, la cause instrumentale de la nôtre. En effet, le Christ
agissait divinement en usant de son corps comme d’un instrument : saint
Damascène en donne comme exemple le lépreux que Jésus guérit en le touchant.
Solutions :
1. Une cause suffisante produit aussitôt son effet direct et immédiat
; mais il en va autrement de l’effet dont un intermédiaire la sépare : par
exemple, la chaleur, si intense soit-elle, ne se communique pas tout d’un coup,
mais peu à peu, en faisant passer l’objet du froid au chaud, parce que son
moyen d’action, c’est le mouvement. La résurrection du Christ ne cause pas la
nôtre directement, mais moyennant le principe qui l’a causée elle-même,
c’est-à-dire, la puissance divine, qui nous ressuscitera comme elle a
ressuscité le Christ. La puissance divine elle-même agit toujours par le moyen
de la volonté divine, qui est en rapport immédiat avec l’effet à produire. La
résurrection des hommes ne devait donc pas suivre sans délai celle du Christ,
mais elle la suivra à l’heure marquée par la volonté de Dieu
2. La puissance divine ne
dépend pas de telles ou telles causes secondes au point de ne pouvoir produire
leurs effets sans elles ou au moyen d’autres causes. Elle pourrait, par
exemple, entretenir la vie sur la terre indépendamment des influences célestes,
qui, cependant, selon l’ordre providentiel, en sont la cause normale. De même,
la divine Providence a voulu que, dans le plan choisi par elle pour l’humanité,
la résurrection du Christ fût la cause de la nôtre. Elle aurait pu choisir un
autre plan, et alors, la cause de notre résurrection eût été celle que Dieu lui
aurait assignée.
3. Cet argument suppose des
êtres de même espèce, ayant tous le même rapport avec la cause première de tel
effet auquel l’espèce tout entière doit participer. Il n’en est pas de même
ici. L’humanité du Christ est plus proche que la nôtre de la divinité dont la
puissance est la cause première de la vie. La résurrection du Christ a donc
pour cause immédiate la divinité, qui n’est cause de la nôtre que par
l’intermédiaire du Christ ressuscité.
4. La résurrection de tous les
hommes aura une certaine ressemblance avec celle du Christ par la vie
naturelle, que tous partagèrent avec lui et que tous retrouveront pour ne plus
la perdre. Mais les saints, qui ressemblèrent au Christ par la grâce, lui
ressembleront aussi par la gloire
Objections :
1. « Croyez, dit saint Damascène,
que la résurrection aura pour causes la volonté, la puissance, l’intelligence
divines. » Ces causes étant
suffisantes, il n’y a pas lieu d’en ajouter une autre.
2. À quoi bon la voix de la
trompette, puisque les morts sont incapables de l’entendre ?
3. Si une voix est cause de la résurrection,
cela ne peut être qu’en raison d’une puissance qu’elle a reçue de Dieu : « Il
donnera à sa voix la puissance », dit le Psaume ; et la Glose ajoute
: « de ressusciter les morts. » Mais lorsqu’une puissance est
donnée à un être, même par miracle, l’acte qui s’ensuit n’en est pas moins
naturel ; par exemple, la vision de l’aveugle-né est naturelle, quoiqu’il ait
recouvré la vue par un miracle. La résurrection serait donc naturelle ; ce qui
est faux.
Cependant :
1° « Au son de la trompette divine, écrit saint Paul, le
Seigneur lui-même descendra du Ciel, et ceux qui sont morts clans le Christ
ressusciteront d’abord. »
2° « Ceux qui sont dans les tombeaux, dit saint Jean,
entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront. » Or,
cette voix, le Maître des Sentences l’appelle une trompette.
Conclusion :
La cause doit être, d’une manière ou d’une autre, jointe à son
effet : le moteur et le mobile, l’ouvrier et l’œuvre, sont ensemble, dit
Aristote. Or, le Christ ressuscité est la cause univoque de notre résurrection.
Il faut donc qu’il l’opère par quelque signe sensible.
Certains disent que ce signe sera la voix même du Christ
commandant la résurrection, comme « il commanda à la mer et calma la tempête. »
D’autres disent que ce sera l’apparition du Fils de Dieu dans le
monde : « Comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi en
sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme. » Ils s’appuient sur
l’autorité de saint Grégoire, d’après lequel le son de la trompette signifie
simplement la manifestation du Fils de Dieu comme juge. Cette apparition est
appelée sa "voix" en tant qu’elle aura la puissance d’un commandement
; car aussitôt la nature entière s’empressera de refaire les corps des hommes.
Aussi l’Apôtre, quand il décrit l’avènement du Christ, parle-t-il d’un « ordre donné. »
Cette voix, quelle qu’elle soit d’ailleurs, est appelée parfois « un cri », comme celui du héraut qui cite à comparaître. - Ailleurs elle
est appelée le son de « la
trompette », soit à cause de son
éclat, soit par comparaison avec ce qui se passait sous l’Ancien Testament : la
trompette annonçait l’assemblée, excitait au combat, conviait aux fêtes ; de
même, les réssuscités seront convoqués au grand conseil du jugement, au combat
que "l’univers livrera aux insensés
», à la célébration de la fête éternelle.
Solutions :
1. Saint Damascène mentionne
trois choses : la volonté divine qui commande, la puissance qui exécute, la
facilité de l’exécution qu’il exprime par le mot « signe », par une comparaison
empruntée aux actions humaines. Une chose semble facile, quand une parole
suffit pour qu’elle soit faite ; mais, combien plus, lorsque, sans même ouvrir
la bouche, au premier signe de notre volonté, celle-ci est exécutée par ceux
qui eu sont chargés. Le signe fait par nous est cause de l’exécution, parce que
c’est l’expression de notre volonté. Le signe fait par Dieu, dont l’exécution
sera la résurrection, sera le signal donné par lui, auquel toute la nature
obéira eu réssuscitant les morts. Ce signal est identique à « la voix de
la trompette », comme on le voit par ce qui a été dit.
2. Il en sera de cette voix,
quelle qu’elle soit, comme des paroles qui sont la forme des sacrements et qui
ont le pouvoir de sanctifier, non parce qu’elles sont entendues, mais parce
qu’elles sont proférées ; De même encore, la voix réveille le dormeur par le
mouvement de l’air dont elle frappe son oreille et non par la connaissance
qu’il en a, puisque celle-ci suit le réveil et n’en est donc pas la cause.
3. Cet argument porterait si la
puissance donnée à cette voix était venait de son propre être achevé, car alors
ce qui viendrait d’elle aurait pour principe une puissance devenue naturelle.
Mais il n’en sera pas ainsi, et la puissance qu’elle aura sera semblable à
celle des paroles sacramentelles.
Objections :
1. La résurrection est l’œuvre
d’une puissance plus grande que la génération. Or, en celle-ci, l’âme est unie au
corps sans le ministère des anges. Il en sera donc de même pour la
résurrection.
2. Si certains anges devaient
y coopérer, ce seraient les Vertus, qui ont pour fonction d’opérer les
miracles. Or, mention est faite des Archanges. C’est donc qu’aucune coopération
ne sera requise.
Cependant :
« Le Seigneur descendra du
Ciel à la voix de l’Archange, et les morts ressusciteront. »
Conclusion :
« De même, dit saint Augustin, que les corps plus grossiers et
inférieurs sont régis, d’après certaines lois, par ceux qui sont plus subtils
et plus puissants, de même Dieu gouverne tous les corps par les esprits cloués
de la vie raisonnable. » Saint
Grégoire dit aussi quelque chose de semblable. D’où il suit que Dieu se sert du
ministère des anges pour tout ce qui regarde le monde matériel. Or, la résurrection
comporte quelque chose de matériel, à savoir, la préparation de la matière
destinée à la reconstruction des corps humains. Dieu en chargera ses anges.
Mais c’est sans leur ministère qu’il réunira à leurs corps les âmes que lui
seul aussi a créées, et qu’il glorifiera les corps comme lui seul glorifie les
âmes. C’est à ce ministère angélique que certains appliquent le mot « voix », d’après le Maître des Sentences.
Solutions :
1. Elle vient d’être donnée.
2. C’est surtout l’archange saint Michel qui remplira ce ministère,
lui qui est le prince de l’Église ; après l’avoir été de la synagogue, comme le
dit Daniel. Mais il agira sous l’influence des Vertus et des Ordres angéliques
supérieurs. De même, les anges gardiens coopéreront à la résurrection de ceux
qui leur étaient confiés. Cette voix peut donc être dite celle d’un ange ou de
plusieurs.
Il s’agit maintenant du temps et du mode de la résurrection.
Trois demandes[1734] :
1° La résurrection doit-elle
être différée jusqu’à la fin du monde ?
2° Doit-elle avoir lieu
immédiatement après le retour du Christ ?
3° En un instant ?
Objections :
1. Il y a une plus grande
harmonie entre la cause et les effets qu’entre les effets eux-mêmes, comme
aussi entre la tête et les membres qu’entre les membres eux-mêmes. Or, le
Christ, tête de l’humanité, n’a pas différé sa résurrection jusqu’à la fin du
monde. Donc les saints qui meurent avant cette date doivent faire de même.
2. La résurrection du Christ
est la cause de la nôtre. Or, certains membres, plus unis au chef, sont
ressuscités sans délai ; on croit que ce privilège fut accordé à la Sainte
Vierge. On peut donc croire aussi que la promptitude de la résurrection dépend
de la conformité au Christ par la grâce et le mérite.
3. L’état du Nouveau Testament
est plus parfait, représente mieux l’image du Christ, que celui de l’Ancien
Testament. Or, plusieurs saints, morts avant le Christ, sont ressuscités en
même temps que lui : « Plusieurs saints, qui dormaient dans leurs
tombeaux, ressuscitèrent. » À
plus forte raison, les saints du Nouveau Testament doivent donc
ressusciter sans attendre la fin du monde.
4. Après la fin du monde, il
n’y aura plus d’années. Mais il doit y en avoir un grand nombre entre la
résurrection des premiers ressuscités et celle des autres : « Je
vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus
et de la parole de Dieu... Ils eurent la vie et régnèrent avec le Christ
pendant mille ans ; mais les autres morts n’eurent point la vie, jusqu’à ce que
les mille ans furent écoulés. » Tous les morts n’attendront donc pas
la fin du monde pour ressusciter ensemble.
5. « À propos de cette
résurrection immédiate on s’est demandé[1735] si on peut l’admettre,
étant donné que l’Écriture parle d’une résurrection finale ; d’autre part
l’Écriture ne conçoit pas la vie d’une âme séparée. On émet donc l’hypothèse
que l’homme qui meurt participe à la vie du corps ressuscité du Christ. Cette
hypothèse du Père Benoît est profonde et tend à coïncider avec l’affirmation de
la résurrection immédiate. En effet, ce qui subsiste dans l’éternité c’est la
plénitude du corps du Christ unifié par l’Esprit du Père. Dès que l’homme
communie à ce corps, il vit par l’Esprit ; dès qu’il entre, par sa mort, en
communion plus plénière avec ce corps, on peut dire qu’il est vraiment
ressuscité, participant de la vie pascale de Jésus. Dans cette perspective, le
dogme de l’assomption assume une signification typologique exceptionnelle : la
vierge Marie est le type de tous ceux qui se sont endormis dans le Christ pour
vivre aussitôt après dans la plénitude de sa vie. L’attente ne se porterait
donc pas sur la résurrection du corps, mais sur le renouvellement cosmique,
achèvement de l’œuvre du Père par son Fils dans l’Esprit. Mais si cette thèse,
que l’on reprendra à propos de la résurrection de la chair (c. 7), reste au
niveau de la recherche, elle peut néanmoins corriger ce qui est trop humain
dans la position qu’affirme l’immortalité naturelle. Dans celle-ci, la créature
paraît atteindre la vie d’une façon presque autonome. Il faudra alors rappeler
que même l’immortalité n’est qu’un don purement gratuit de la part de Dieu. Si
Dieu nous a voulus capables de vaincre la mort, c’est justement parce qu’il
nous a crées pour nous associer a sa vie à jamais. »[1736]
Cependant :
1° « L’homme, dit
Job, ne se réveillera pas tant que subsistera le Ciel, on ne le fera pas
sortir de son sommeil. » Or, le Ciel doit subsister
jusqu’à la fin du monde.
2° « Tous les saints que leur foi a rendus recommandables
n’ont pas obtenu l’objet de la promesse », c’est-à-dire, la béatitude complète de
l’âme et du corps, « parce que Dieu nous a fait une condition
meilleure pour qu’ils n’obtinssent pas sans nous la perfection du bonheur », qui
consistera, ajoute la Glose, « dans
l’accroissement de la joie de chacun des élus par celle de tous les autres. » Mais la glorification du corps aura
lieu en même temps que leur résurrection : c’est alors que « le Christ
transformera notre corps si misérable, en le rendant semblable à son corps glorieux
» ; c’est alors que « les fils de la résurrection seront comme les
anges de Dieu dans le Ciel. » Tous les hommes doivent donc
ressusciter ensemble, à la fin du monde.
Conclusion :
Lors de sa passion, le Christ a sauvé l’homme tout entier, selon
qu’il est corps et âme. Et l’on peut distinguer deux manières dont cette
rédemption est appliquée à l’homme :
1° Selon qu’il participe à la
nature humaine, en le libérant de la faute originelle et de ses conséquences
comme la maladie et la mort.
2° Selon qu’il est une personne
individuellement appelée au salut, en ouvrant à chacun les portes du Ciel.
Il convenait sous ces deux aspects que la pleine réalisation de ce
salut soit différée et ne soit pas communiquée à l’homme aussitôt après la
résurrection du Christ. En ce qui concerne chaque personne humaine prise en
particulier, la vision de l’essence divine n’est communiquée qu’au terme d’une
vie terrestre éprouvante et d’un purgatoire dont la finalité est de libérer
l’âme de ses péchés. Et ce gouvernement de Dieu sur l’homme est convenable
puisqu’il permet à beaucoup d’être sauvés. En ce qui concerne la nature humaine
le péché originel a été effacé dès l’achèvement de la passion du Christ dont
les fruits sont communiqués à chacun par le bain du baptême mais les
conséquences de ce péché ne devaient pas disparaître avant la fin du monde. Ces
conséquences sont principalement le désordre qui règne dans la nature humaine
et dans l’univers matériel qui, originellement, étaient parfaitement en
harmonie. Ce désordre qui manifeste à l’homme son impuissance et sa condition
de créature, évite à beaucoup le péché de l’orgueil et dispose à l’humilité et
au désir de Dieu.
Il convient que la dernière conséquence du péché originel, à
savoir la mort, soit détruite d’un seul coup, au dernier jour, lorsque Dieu
ressuscitera nos corps et transformera l’univers en un monde nouveau et cela
pour trois raisons :
1° Parce que le monde passager
et son désordre n’auront plus aucune utilité au bien de l’homme après le retour
du Christ.
2° Parce que la gloire de Dieu
et son salut en seront manifestés d’une façon digne du rédempteur qui sera
exalté dans la mesure même ou il a été abaissé lors de sa passion. Selon Isaïe[1737] : « Les lieux accidentés se
changent en plaine et les escarpements en large vallée. Alors la gloire de
Yahvé se révèlera et toute chair, d’un coup, la verra, car la bouche de Yahvé a
parlé. » Selon saint Augustin, la gloire de Dieu consiste dans le
salut de l’homme.
3° Parce que la puissance du
démon sur la nature humaine sera elle-même devenue inutile. Dieu la permettait
pour le bien de l’âme dont la droiture en était éprouvée dans le temps de la
vie terrestre. En conséquence cette puissance du mal, devra être détruite
complètement selon Isaïe[1738] : « Comment a fini le tyran, a
fini son arrogance lui qui frappait de coups les peuples avec emportement et
sans relâche ? Il s’est couché, on ne monte plus pour nous abattre. »
Solutions :
1. Entre la tête et les
membres, une plus grande harmonie qu’entre les membres eux-mêmes est nécessaire
pour qu’elle agisse sur eux, par contre, la causalité quelle exerce sur les
membres, qui ne l’exercent pas les uns sur les autres, rend ceux-ci différents
de la tête et ressemblants entre eux ; d’où il suit que la résurrection du
Christ, et on ne peut le dire d’aucune autre, est comme le type de notre
résurrection ; Et la foi au Christ ressuscité nous donne l’espoir de
ressusciter nous-mêmes. Sa résurrection devait donc précéder celle des autres
hommes, qui ressusciteront ensemble à la fin du monde.
2. Certains membres du Christ
peuvent être plus dignes, plus conformes à celui qui est la tête, mais sans
partager ni son titre ni son influence. Leur conformité au Christ ne leur donne
donc aucun droit à une résurrection anticipée et typique. Si ce privilège a été
accordé à quelques-uns, c’est seulement par une grâce toute spéciale.
3. Saint Jérôme hésite, à ce
sujet, entre une résurrection temporaire, comme celle de Lazare destinée simplement
à leur permettre de rendre témoignage au Christ ressuscité, et une résurrection
définitive, suivie d’une « ascension
en corps et en âme à la suite du Christ montant aux cieux. » Cette seconde alternative paraît plus probable. Une vraie
résurrection semble mieux en harmonie avec un vrai témoignage au Christ
vraiment ressuscité. D’ailleurs, ce n’est point à cause d’eux-mêmes que leur
résurrection fut aussi prompte, mais afin de témoigner de celle du Christ et
fonder ainsi la foi du Nouveau Testament. Il convenait donc mieux aussi que ces
ressuscités fussent des justes de l’Ancien Testament. Il faut ajouter que si
l’Évangile mentionne leur résurrection avant celle du Christ, c’est par une
anticipation dont les historiens sont coutumiers. De fait, personne n’est
définitivement ressuscité avant le Christ, «
prémices de ceux qui dorment du
dernier sommeil » ; quoiqu’il y ait eu des résurrections temporaires
comme celle de Lazare.
4. Comme saint Augustin le
rapporte, certains hérétiques prirent occasion de ces paroles pour admettre que
certains doivent ressusciter avant les autres et régner mille ans sur la terre
avec le Christ : de là, leur nom de Chiliastes ou de Millénaristes. Il montre
donc qu’il faut les interpréter autrement et les entendre de la résurrection
spirituelle par laquelle les pécheurs recouvrent la vie de la grâce. La seconde
résurrection sera celle des corps. « Le
royaume du Christ », c’est l’Église,
dans laquelle règnent avec lui non seulement les martyrs, mais tous les élus, « une partie étant prise ici pour le
tout. » - Ou encore, s’il s’agit du
royaume glorieux du Christ, les martyrs sont spécialement nommés, « parce que ceux-là surtout règnent
après leur mort qui ont combattu jusqu’a la mort pour la vérité. » Le mot "millénaire" ne signifie
point un nombre déterminé, mais désigne tout le temps qui s’écoule maintenant,
et pendant lequel, maintenant, les saints règnent avec le Christ. Le nombre
mille désigne l’universalité mieux que le nombre cent : cent, c’est le carré de
dix ; mais mille, c’est un nombre achevé, le produit de dix multiplié deux fois
par lui-même, dix fois dix dizaines. Les Psaumes emploient ce mot dans le même
sens : « La parole que Dieu a affirmée pour mille générations », c’est-à-dire,
pour toutes.
5. Cette hypothèse méconnaît la
différence entre l’être et l’amour. Notre union au Christ après notre mort sera
une union d’amour. Dès cette terre, pour signifier ce que réalise la charité,
le Christ nous compare à son corps dont nous ne faisons, par analogie avec
l’unité vitale qui est celle du corps, partie à titre de membres. Mais cette
analogie ne prétend pas dire autre chose que cette profondeur mystique de la
grâce. Nous expérimentons qu’au plan de notre être, nous sommes créés par Dieu
de telle façon que nous continuons d’exister avec ou sans la charité. Notre
existence est naturelle, même si elle est déjà un don gratuit de Dieu. De même,
après la mort, la survie et l’exercice des activités spirituelles de notre âme
seront naturels. Il est inutile de poser une quelconque intervention
supplémentaire du Christ pour expliquer la survie des âmes, voulue par Dieu de
par la nature de sa création. Les objections modernes à cette survie viennent
d’une phobie du risque de dualisme âme-corps, phobie démontée largement par le
Cardinal Ratzinger[1739]. C’est pourquoi les âmes de
l’enfer, pourtant séparées tant au plan de l’amour que de la présence du corps
physique du Christ, survivent et choisissent à chaque instant leur destin sans
amour.
Cette hypothèse n’est pas raisonnable au plan métaphysique
puisqu’elle donne au corps du Christ un rôle qui n’est pas le sien, à travers
une compénétration des essences très opposée à l’autonomie ontologique voulue
par Dieu pour chacune de ses créatures spirituelles ; D’autre part, elle rend
inutile la résurrection finale et son caractère très concret, démontré par
Jésus lors de ses apparitions au lac de Tibériade. Elle en arrive en fait à
confondre fusion (donc au plan de l’être) et union (d’amour). Par contre, si
elle est réinterprétée pour les âmes des élus comme une participation d’ordre
amoureuse comparable à l’unité harmonieuse du corps et de ses membres, elle
retrouve un sens acceptable : acceptable seulement car ce n’est pas au corps du
Christ que nous participerons mais à la Trinité tout entière, Père, Verbe fait
chair et Saint Esprit.
Objections :
1. Cela ne semble pas. Après le
retour du Christ certains seront encore au purgatoire où ils n’auront pas fini
leur temps. Il est nécessaire que la résurrection soit différée jusqu’à ce
qu’ils soient complètement purifiés.
2. Ce qui est ignoré des anges
l’est aussi, et à plus forte raison, des hommes ; car ce que ceux-ci peuvent
découvrir par leur raison, les anges en ont une connaissance naturelle beaucoup
plus nette et certaine. D’autre part, s’il s’agit de révélations, elles sont
faites aux hommes par le ministère des anges. Or, « quant au jour et à l’heure,
nul ne les connaît, pas même les anges du Ciel. »
3. Plus que tous les autres,
les apôtres furent mis dans les secrets de Dieu, eux qui, selon saint Paul, « eurent
les prémices de l’Esprit », c’est-à-dire, explique la Glose, qu’ils
l’eurent « avant les autres et
en plus grande abondance. » Cependant
à leur question Jésus fit cette réponse : «
Ce n’est pas à vous de connaître les
temps et les moments que le l’ère a fixés de sa propre autorité. »
4. Si déjà la philosophie et la
médecine nous montrent la difficulté d’admettre que l’activité de l’âme puisse
se poursuivre après la mort sans le corps physique, nous ne voyons pas de
raison pour penser, d’un point de vue théologique, à un retard jusqu’à la fin
de ce monde, avant que la personne puisse se réaliser dans la vie du Christ.
Rien n’empêche la Toute Puissance divine d’opérer la résurrection au moment
même de la mort. Nous arrivons alors à cette analogie : de même que le
Christ-Tête ressuscite pleinement dans sa personne, ainsi l’âme de chaque
individu au moment de sa mort communie à la Tête, recevant d’elle sa
corporéité, se relie comme membre d’une façon nouvelle à l’humanité de Jésus,
médiation irremplaçable pour le contact plénier avec Dieu ; cette insertion
implique donc la reconstitution immédiate de la corporéité personnelle qui met
à la personne d’épanouir sa vie dans le pneuma du Ressuscité.[1740]
Cependant :
Saint Paul dit[1741] : « Le Seigneur descendra du
Ciel et les morts qui sont dans le Christ ressusciteront en premier lieu ; après
quoi nous les vivants, nous qui serons encore là, nous serons réunis à eux et
emportés sur des nuées pour rencontrer le Seigneur dans les airs. » Donc
la résurrection suivra immédiatement le retour du Christ.
Conclusion :
Comme nous l’avons montré, la résurrection des corps est différée
chez les élus comme chez les damnés pour que la gloire de Dieu soit manifestée
d’un seul coup dans l’humanité à la fin du monde. Or cette fin du monde
terrestre sera inaugurée par le retour du Christ. Après cette venue, quand tous
les hommes auront été jugés individuellement, il n’y aura plus à attendre aucun
évènement dans le monde terrestre qui sera devenu inutile. Tous les hommes dont
Dieu avait prévu la naissance seront arrivés au terme de leur épreuve. Il n’y
aura donc plus aucun obstacle à ce que la résurrection soit réalisée
immédiatement. En conséquence, on doit dire que cet évènement suivra
immédiatement le retour du Christ.
Solutions :
1. Le purgatoire n’est pas un
temps extérieur comparable à celui de la terre. Il est plutôt une souffrance
dont la durée intérieure, subjective, est liée à une impression de longueur,
jusqu’au désespoir. Ce temps paraît à l’âme d’autant plus long qu’elle désire
Dieu. Dieu peut donc faire subir à une âme toute sa purification en quelques
instants terrestres, qui paraîtront avoir duré à l’âme plusieurs siècles tant
elle aura souffert de l’absence de Dieu.
2. Cette objection s’applique à
la date du retour du Christ que personne ne connaît. En effet, selon saint
Augustin : « Le dernier âge de
l’humanité qui s’étend de l’avènement du Seigneur jusqu’à la fin du monde,
comprendra un nombre de générations qu’on ne saurait déterminer » ; de même que le dernier âge de
l’homme, la vieillesse, n’a point de limites aussi fixes que les autres, mais
parfois, à lui seul, « dure autant
que tous les autres ensemble. » Il
n’y a, en effet, que deux moyens de connaître l’avenir : la raison ou la
Révélation. Or, la raison est impuissante à supputer le temps qui doit
s’écouler jusqu’à la résurrection, celle-ci devant coïncider avec l’arrêt du
mouvement du ciel par l’action volontaire de Dieu. C’est par le mouvement que
la raison peut calculer et aussi prévoir, pour un temps déterminé, ce qui doit
arriver. Or, le mouvement du ciel, pris en lui-même, ne permet pas d’en
connaître le terme, qui dépend de Dieu seul ; car ce mouvement est circulaire,
et donc de telle nature qu’il puisse durer plusieurs milliards d’années. Tandis
que l’action de Dieu vise le bien de l’homme et est libre.
D’autre part, aucune révélation n’est faite à ce sujet, afin que
tous les hommes se tiennent toujours prêts à paraître devant le Souverain Juge.
Aux apôtres qui l’interrogeaient Jésus répondit : « Ce n’est pas à vous de
connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. »
« Par cette parole, dit saint Augustin, il coupe, pour ainsi
dire, les doigts à tous 1es calculateurs et leur ordonne de se tenir
tranquilles. Ce qu’il a refusé de
révéler à ses apôtres qui le lui demandaient, il ne le révélera à personne. »
C’est pourquoi tous ceux qui jusqu’ici ont voulu calculer se sont
trompés. « Les uns, dit saint Augustin, parlent de quatre cents, d’autres
de cinq cents, et même de mille ans, à partir de l’ascension du Seigneur
jusqu’à son dernier avènement. » Leur
erreur est flagrante, telle sera toujours celle de leurs imitateurs.
Mais, si l’on ne connaît pas la date de la fin du monde qui sera
marquée par le retour du Christ, on sait par contre que cette venue sera suivie
immédiatement par deux évènements : 1° La
résurrection des corps et la transformation du monde ; 2° le jugement général de l’humanité.
3. Lorsque le Christ sera
revenu dans sa gloire accompagné des saints et des anges, chacun saura avec
certitude que la résurrection est imminente. Ainsi, ce ne seront pas seulement
les apôtres qui seront dans le secret de Dieu mais tous les hommes.
4. Nous avons déjà répondu à
cette hypothèse[1742]. Rappelons seulement que
l’humanité du Christ est médiatrice irremplaçable pour le cœur à cœur avec Dieu
tel que nous pouvons le réaliser ici-bas.
En effet, il n’existe pas d’autre Médiateur de la grâce si ce n’est à travers
lui. Cependant, dans la vision béatifique,
nous verrons cette fois sa divinité face à face, sans l’intermédiaire de son
humanité qui nous sera plutôt rendue visible par sa divinité[1743]. C’est pourquoi, dit saint
Paul, le Christ remettra toute Royauté à son Père, c’est-à-dire à la Sainte
Trinité tout entière. Cette objection confond donc la vie surnaturelle du
cheminement d’ici-bas avec celle du Ciel.
Objections :
1. Le
prophète Ezéchiel la décrit ainsi : « Les os se rapprochèrent les uns des autres ;
et je vis : voici que des muscles et de la chair avaient crû au-dessus d’eux,
et qu’une peau les recouvrait, mais il n’y avait point d’esprit en eux. » La
résurrection ne sera donc point instantanée, puisque les corps devront être
refaits avant que les âmes leur soient réunies.
2. Ce qui exige plusieurs
actions successives ne peut être instantané. Or, la résurrection en exige trois
: la collection de la matière, la reconstruction du corps, l’infusion de
l’âme.
3. Le son est toujours mesuré
par le temps. Or, le son de la trompette sera cause de la résurrection.
4. Aucun mouvement local n’est instantané. La préparation de la
matière ne peut donc pas l’être, et pas davantage la résurrection :
Cependant :
1° « Nous ressusciterons tous, écrit saint Paul,
en un instant, en un clin d’œil. »
2° L’action
d’une puissance infinie est instantanée. Or, « croyez, dit saint Damascène, que la résurrection sera l’œuvre
de la puissance divine », qui est
infinie.
Conclusion :
Dans la résurrection,
certaines choses –la réunion matérielle des éléments du corps charnel- seront
confiées au ministère des anges ; d’autres –la résurrection elle-même- seront
réservées à la toute-puissance divine. Les premières ne seront pas faites en un
instant, au sens philosophique du mot, à savoir en un temps indivisible, mais
en un temps imperceptible. La seconde
chose –c’est-à-dire la réunion entre l’âme et son corps- sera instantanée. Cela
signifie qu’elle sera accomplie par Dieu à l’instant même où les anges auront
achevé leur œuvre préparatoire. L’activité inférieure reçoit, en effet, de
l’activité supérieure sa dernière perfection.
Solutions :
1. Ezéchiel s’adressait à un
peuple grossier ; aussi a-t-il décrit l’une après l’autre les phases de la
résurrection, quoique tout doive être fait en un temps imperceptible. C’est la
même façon de parler que Moïse qui, pour se rendre intelligible au même peuple,
avait divisé en six jours la création du monde, alors qu’il a de fait été fait
en plusieurs ères géologiques.
2. Ces opérations sont
successives, si l’on regarde leur nature, mais elles ne le sont pas au point de
vue du temps soit qu’elles aient lieu au même instant, soit que, à l’instant
même où l’une s’achève, l’autre soit faite.
3. Il en est ici comme des
paroles sacramentelles : c’est au dernier instant que l’effet se produit.
4. La collection de la matière qui exige le mouvement local, sera
faite par les anges, mais en un temps imperceptible, à cause de la facilité
d’action qui est leur privilège.
Deux demandes[1745] :
1° Certains hommes n’auront-ils
pas à ressusciter parce qu’ils ne mourront pas ?
2° L’homme doit-il
nécessairement ressusciter à partir de ses cendres ou n’importe quelle autre matière
peut-elle convenir ?
Objections :
1. C’est contre tous ceux qui
naissent avec le péché originel qu’a été portée la sentence : « Tu
es poussière et tu retourneras en poussière. » Or, tous ceux qui
doivent ressusciter au dernier jour, sont nés, nés vivants ou mort-nés, avec le
péché originel. Tous doivent donc ressusciter après être morts.
2. Le corps humain contient de
nombreux éléments étrangers à la vraie nature humaine. Or, tous ces éléments
doivent disparaître. Il faudra donc que tous les corps soient réduits en
cendres.
3. La sainte Écriture, qui
enseigne la résurrection des corps, enseigne aussi « leur reformation. » Or, de même que tous les hommes
doivent mourir afin de pouvoir vraiment ressusciter, de même tous les corps
doivent être dissous afin de pouvoir être refaits. De plus, la justice divine
n’a pas seulement infligé à l’homme la peine de mort, mais encore la dissolution
de son corps : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière. » De son
coté, l’ordre naturel exige non seulement la séparation de l’âme et du corps
mais encore la dissociation des éléments dont celui-ci est composé : le
vinaigre ne peut redevenir vin qu’après une décomposition radicale.
Cependant :
À la fin du monde, certains seront trouvés vivants et ne mourront
pas d’après saint Paul[1746] : « Nous ne mourrons pas tous. »
Donc ceux là ne ressusciteront pas de leurs cendres.
Conclusion :
Les mêmes raisons qui démontrent que certains hommes ne doivent
pas mourir avant de ressusciter, démontrent aussi que certains ne
ressusciteront pas mais seront simplement transformés dans leur manière d’être.
Cependant, pour ceux qui seront morts lors du retour du Christ, on doit
affirmer qu’ils ressusciteront à partir de la matière de la terre.
Solutions :
1. Par exception, la dernière
génération de l’humanité échappera à la mort, manifestant par là la victoire
totale réalisée par le Christ à la croix et qui a détruit non seulement le
péché mais aussi ses conséquences.
2. Un effet peut être obtenu
par des actions différentes. Ainsi peut-on aller à Rome en passant par
plusieurs routes. De même, la transformation du corps de l’homme en un corps
impassible peut provenir de la résurrection des corps à partir d’une matière
minérale, pourquoi pas à partir des cendres du cadavre comme semble l’indiquer
la tradition antique du culte des reliques ou de la transformation qualitative
pour ceux qui seront trouvés en vie.
3. En stricte justice, l’homme
qui naît en état de péché originel mérite non seulement la mort pour son corps
mais aussi la séparation éternelle d’avec Dieu puisqu’il s’en est sépare en
Adam. Mais la justice de Dieu est finalisée par un plus grand salut pour tous.
C’est pourquoi il libère chaque homme du péché originel par le baptême issu de
la rédemption de son fils. De même, il libérera certains hommes de l’exigence
de la mort, à la fin du monde, en l’honneur de la victoire opérée par le Christ
et manifestée par son retour.
Objections :
1. La pratique liturgique de l’Église
a été, dès les temps apostoliques, de conserver pieusement les reliques en vue
de leur résurrection future. Si ces restes du corps des saints ne devaient pas
ressusciter, ce serait toute la tradition la plus profonde de l’Église qui
aurait failli.
2. Si Dieu n’utilise pas les
cendres du corps décomposé, l’homme ne retrouvera pas à la résurrection son
propre corps, mais un autre, ce qui s’oppose à la foi.
3. Le Christ est le modèle de notre
résurrection. Or c’est la matière de son cadavre qui a été utilisée pour
ressusciter. Donc il en sera de même pour nous.
Cependant :
Il est facile, à partir d’arguments de la simple raison, de
prouver que Dieu n’utilise pas nécessairement les cendres du cadavre.
1° Au cours de sa vie, le corps
humain renouvelle sans cesse sa matière. Si toute cette matière devait
ressusciter, les corps pèseraient plusieurs tonnes.
2° Le corps humain peut être
décomposé en ses éléments ou devenir la chair d’autres animaux. Or les éléments
sont homogènes. La chair du lion ou de tout autre animal l’est aussi. Puisque,
ni dans celle-ci, ni dans ceux-là, il n’y a d’inclination naturelle à une âme
déterminée, il n’y en a donc pas non plus dans le corps après sa dissolution.
3° À toute inclination
naturelle correspond un agent naturel, autrement, « la nature ferait défaut dans une chose nécessaire. » Or, il n’existe aucune puissance
naturelle capable de réunir des cendres à l’âme qui les animait. Donc il n’y a
pas en elles d’inclination naturelle pour cette âme.
Conclusion :
Le terme de cendres est employé dans la tradition chrétienne en
référence à des pratiques plus anciennes. On donne le nom de cendres à tout ce
qui reste du corps humain après sa dissolution pour deux raisons :
1° C’était une coutume
générale, chez certains peuples de l’Antiquité, de brûler les cadavres et d’en
conserver les cendres. D’où l’emploi de ce mot pour désigner les restes des
mortels.
2° Ce qui rend nécessaire cette
dissolution, c’est le foyer
de convoitise dont le corps humain est infecté tout entier et qui exige une
purification non moins radicale, puisque celle-ci est due à un foyer, le nom de
cendres convient donc bien à son résidu, à ce qui reste du corps humain après
sa décomposition.
Les anciens des diverses civilisations ont eu trois opinions au
sujet du rapport entre l’âme et les cendres de la décomposition de son cadavre.
1° Pour les Égyptiens anciens,
le corps humain ne devait jamais être réduit à ses premiers éléments car il
restait toujours dans les momies une certaine force de cohésion qui leur
donnait non seulement une inclination naturelle pour l’âme qui fut la leur –ils
croyaient comme les chrétiens à la résurrection de la chair-, mais qui en outre
permettait par sa force à l’âme de ne pas se décomposer elle-même. De là venait
leur volonté de conserver intacte la forme des cadavres et la pire des
vengeances consistait à détruire une momie. Cette opinion, comme d’ailleurs
celle des témoins de Jéhovah qui disent que l’âme est le sang de l’homme, est
facilement battue en brèche par la simple étude philosophique de la nature de
l’âme humaine. L’âme ne peut dépendre dans sa survie de l’état du corps car
elle est d’une nature différente. « Etant
douée d’actes qui dépassent la matière, elle est nécessairement au delà de
toute matière », dit Aristote. De
même, si l’on objecte que c’est la partie psychique –le Kâ des anciens
égyptiens- que l’âme spirituelle emmène avec elle qui ne peut subsister qu’en
s’appuyant sur la matière du corps, il faut répondre que c’est impossible. Si
le psychisme est capable de survivre et de s’exercer avec une nouvelle
plénitude dans les heures qui suivent la mort alors que l’organe du cerveau est
déjà irrémédiablement détruit, c’est qu’il trouve sa force ailleurs, c’est-à-dire
dans l’âme elle-même.
2° La seconde opinion prétend
que les éléments résultant de la décomposition du corps humain, ayant été unis
à une âme humaine, en gardent plus d’énergie et, par conséquent une certaine
inclination à lui être réunis. C’est une opinion de nouveau mise à la mode dans
les courants du Nouvel Age. On en retrouve les principes dans l’homéopathie qui
attribue à la matière minérale une "mémoire" de son passé. Cette
théorie est loin d’être démontrée. En tout état de cause, si une telle
inclination existe, elle ne peut être que très faible. Elle ne peut pas
justifier la nécessité pour Dieu d’utiliser pour la résurrection exclusivement
les cendres du cadavre. On peut le découvrir à la simple observation de la
puissance de l’âme humaine telle que nous l’observons ici-bas. Au cours de la
vie, elle est capable d’unir dans un seul être une matière, puis une autre et
de renouveler sans cesse sa matière.
3° La troisième opinion
n’admet dans les cendres humaines, aucune inclination naturelle à ressusciter,
mais seulement une loi providentielle en vertu de laquelle elles seront réunies
à l’âme de préférence aux autres éléments. C’est cette opinion qui est la
vraie. C’est pourquoi on doit dire qu’à la résurrection, Dieu utilisera
indifféremment telle ou telle matière pour rendre à l’homme son vrai corps, car
ce qui fait que tel corps est le sien, ce n’est pas l’identité des atomes, mais
leur organisation vitale par l’âme.
Solutions :
1. Il est convenable que
certains restes qui ont été matière du corps humain soient plus
particulièrement utilisés par Dieu lors de la résurrection. C’est en effet
cette matière qui a été instrumentalement utilisée pour la vie humaine
terrestre. Elle a été utile à l’homme dans l’épreuve. Il convient qu’elle lui
soit utile dans l’obtention de sa fin. C’est pourquoi la coutume générale de
l’Église vénère les reliques des saints qu’elle considère comme des signes de
leur future résurrection. Mais il ne s’agit pas d’une nécessité venant de la
matière elle-même, mais d’un acte volontaire de Dieu qui, parfois, se plaît à
honorer matériellement la chair de ses amis. Ainsi permet-il aussi de manière
exceptionnelle, à titre de témoignage d’une particulière pureté du corps, la
conservation miraculeuse du cadavre de certains saints.
2. De même que le corps enfant
et le corps devenu adulte sont parfaitement le corps de tel homme alors qu’ils
ne possèdent parfois plus un seul atome en commun, de même pour la
résurrection. En effet, l’identité du corps vient de deux choses : 1° De l’âme qui est sa forme et qui lui
donne d’être ; 2° Du chiffre
biologique transmis par les parents et qui détermine la matière. Ainsi, pour
ressusciter identique, le corps n’a pas besoin d’assumer les atomes lui ayant
un jour appartenu, ce qui serait impossible vu la quantité de matière que nous
assimilons au cours d’une vie et ce qui élimine définitivement toute question
comme celle du cannibalisme etc.
3. Le Christ est ressuscité de
son propre cadavre. Cela n’était pas nécessaire pour qu’il soit vraiment ressuscité
mais pour que nous croyions en sa résurrection.
A l’argument cependant :
Dieu ne se sert pas nécessairement des cendres. Cela ne signifie
pas qu’il les méprises toutes. Ce n’est pas par nécessité mais par respect pour
le corps que Dieu utilise une certaine partie de la matière qui, jadis, a
composé le corps.
Il s’agit maintenant de l’état des ressuscités : tous les hommes ressusciteront,
qu’ils soient bons ou mauvais. Tous les caractères corporels seront communs aux
bons et aux mauvais, à commencer par l’identité, l’intégrité, la qualité. C’est
ce que nous considérerons dans un premier temps.
Mais certains caractères s’exerceront de manière différente dans
le corps des élus : l’impassibilité, la subtilité, l’agilité et la clarté. Nous
les verrons dans un deuxième temps, comparant leur exercice dans le corps
ressuscité des élus et dans celui des damnés.
Au sujet du premier, on demande[1748] :
1° L’âme reprendra-t-elle le
même corps ?
2° L’homme ressuscité sera t-il
le même avant et après la résurrection ?
Objections :
1. Saint Paul semble nier cette
identité dans la comparaison qu’il emploie à ce sujet : « Ce que tu sèmes, ce n’est
pas le corps qui sera un jour, c’est un simple grain. »
2. Toute forme exige une
matière, et tout agent, un instrument, en harmonie avec leur commune condition
; le corps est, par rapport à l’âme, matière et instrument. Or, après la
résurrection, l’âme ne sera plus la même, mais ou toute céleste ou toute
animale, selon la vie qu’elle aura menée ici-bas. Elle devra donc reprendre un
corps, qui, comme elle, ne soit plus le même.
3. La mort résout le corps
humain en ses éléments, qui, dès lors, n’ont plus rien de commun avec lui que
leur caractère de matière première, caractère qu’ils partagent avec tous les
autres principes matériels. Le corps humain refait avec les éléments qui lui
ont appartenu n’est donc pas plus identique à lui-même que s’il était refait
avec des éléments quelconques.
4. Il est impossible qu’une
chose soit la même quand ses parties essentielles ne sont plus les mêmes. Or,
la forme du composé humain ne peut pas se retrouver la même. Donc le corps
humain ne sera plus le même. –La mineure se prouve ainsi : Ce qui tombe dans le
néant ne peut en sortir identique à lui-même ; en effet, il en va de
l’existence, qui est l’acte de l’être, comme de tout autre acte : s’il est
interrompu, c’est un acte nouveau et différent qui lui succède. Or la forme du
composé humain, étant corporelle, est réduite à néant par la mort, comme aussi
les qualités contraires qui entrent en composition. La forme qui réparait n’est
donc pas identique à la première.
5. L’opinion du Cardinal Gouyon
est la suivante[1750] : « Le comment de cette résurrection que l’Église a dès les premiers
temps intégré à son Credo reste un mystère. On peut penser toutefois à
en approcher. Au cours de notre vie, ce qui fait le caractère personnel de
notre corps, ce ne sont ni ses tissus ni ses cellules qui sont en perpétuel
renouvellement, mais sa relation à son histoire et ses relations au monde
inscrites au plus profond de la partie spirituelle de notre être. Notre corps
ressuscité devra se trouver ajusté à ces empreintes en même temps qu’au monde
des hommes et des choses que nous retrouverons lui-même transformé. » Donc pour ressusciter semblable, il
suffit de retrouver ses souvenirs et relations, pas l’identité de sa chair.
Cependant :
1° « Dans ma chair je verrai Dieu, mon Sauveur. »
Ainsi s’exprime Job[1751] ; et il parle de la vision
qui suivra la résurrection[1752] : « Au dernier jour, je me
relèverai de terre. » C’est donc bien le même corps qui
ressuscitera.
2° « La résurrection, c’est le
relèvement de ce qui est tombé »
dit saint Damascène. Or, ce qui tombe par la mort, c’est le corps que nous
avons maintenant. C’est donc bien lui aussi, le même, qui ressuscitera.
Conclusion :
Certains philosophes admettaient la réunion de l’âme et du corps,
mais ils commettaient deux erreurs. La première portait sur le mode de réunion
qui, d’après quelques-uns, n’était autre que la voie ordinaire de génération.
La seconde portait sur le corps repris par l’âme qu’ils prétendaient n’être pas
le même, mais un autre : soit d’une espèce différente (hindouisme), corps de
l’animal, chien, lion, etc., auquel l’âme avait ressemblé par ses mœurs
bestiales ; soit de la même espèce (bouddhisme), un corps humain auquel, après
avoir vécu moralement ici-bas et après des siècles de félicité posthume, l’âme
désirerait être réunie et le serait.
Cette opinion suppose deux principes également faux. 1° Dans ces hypothèses, l’âme n’est pas
unie au corps essentiellement, comme la forme l’est à la matière, mais
accidentellement comme le moteur l’est au mobile ou l’homme au vêtement Dès
lors, on peut regarder l’âme comme préexistant au corps, avant que la
génération ait rendu possible son union avec lui ; comme capable aussi de
s’unir à différents corps. 2° Dans
ces hypothèses, il n’y a entre l’intelligence et la sensibilité qu’une
différence de degré : le privilège de l’intelligence attribué à l’homme
signifie simplement une sensibilité plus excellente résultant d’un organisme
parfait. Une âme humaine pourrait donc passer dans le corps d’un animal,
surtout si elle en a vécu la vie (opinion évolutionniste moderne). - Mais
Aristote, dans son Traité de l’âme, a
montré la fausseté de ces deux principes, et, par conséquent, de l’opinion qui
repose sur eux.
Certains hérétiques ont partagé les mêmes erreurs philosophiques
et sont donc réfutés, eux aussi. -D’autres, parmi lesquels un évêque de
Constantinople cité par saint Grégoire, ont prétendu que les âmes seraient
unies à des corps célestes ou à des corps subtils comme l’air. - D’ailleurs,
toutes les affirmations de ces hérétiques sont erronées parce qu’elles sont
incompatibles avec une vraie résurrection telle que l’Écriture l’enseigne. Il
ne peut y avoir résurrection que si l’âme reprend le même corps : ressusciter,
c’est se relever ; c’est celui-là même qui est tombé qui doit se relever. La
résurrection concerne donc le corps qui tombe par la mort plutôt que l’âme qui
continue de vivre. Dès lors, si l’âme ne reprend pas le même corps, il ne
s’agit plus de résurrection, mais de son union avec un nouveau corps.
Solutions :
1. Une comparaison est toujours
imparfaite. Le grain qui sort de terre n’est pas le même que celui qui y fut
jeté : il ne lui est pas non plus semblable, puisqu'il a des feuilles que l’autre
n’avait point. Le corps ressuscité sera bien le même corps, mais transformé ;
non plus mortel, mais devenu immortel.
2. Après la résurrection, l’âme
ne sera pas essentiellement différente de ce qu’elle était ici-bas ; elle sera
glorieuse ou malheureuse, ce qui ne constitue qu’une différence accidentelle.
Il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit unie à un corps nouveau ; il suffit
qu’elle soit réunie au même corps, mais transformé, de façon qu’il s’harmonise
avec l’âme.
3. Ce qui est essentiel pour que
le corps de l’homme soit le même après la résurrection, ce n’est pas que la
matière qui le compose soit matériellement la même. Cela est d’ailleurs
impossible car, au cours de la vie humaine, la matière qui compose le corps
humain se renouvelle sans cesse, au point que si le corps glorieux devait
assumer tous les éléments matériels qui ont à un moment donné fait partie du
corps humain, ses dimensions seraient énormes. Ainsi, l’identité du corps
humain se prend non de la matière mais de la forme. Et cette forme est
substantiellement l’âme elle-même ; en second lieu elle est la forme du corps,
c’est-à-dire l’organisation intime que l’âme assume au moment de la conception
par les parents. Cette forme organique ne subsiste dans son organisation que
par la vertu de l’âme. À la mort, elle se décompose avec le corps.
Ceci posé, pour comprendre de quelle manière la résurrection
permet à l’âme d’assumer le vrai corps de l’homme, il suffit d’affirmer deux
choses : 1° Il faut que la forme
substantielle soit la même. Il faut donc que ce soit la même âme. D’ailleurs,
l’âme ne peut en aucune manière assumer un autre corps que le sien puisqu’elle
est créée par Dieu en vue de tel corps préparé par les parents dans l’acte de
génération. 2° Il faut en outre que
l’âme soit unie au même corps. C’est pourquoi, puisque ce qui commande au plan
physique tout l’ordre de cette structure organique est le programme génétique,
c’est que celui-ci est reconstitué par Dieu et ses serviteurs les anges.
Celle-ci est source de la même structure organique : deux bras, deux jambes
etc.
4. De même que la qualité
simple n’est pas la forme substantielle de l’élément ou corps simple, mais sa
propriété et la disposition qui rend la matière apte à telle forme, de même la
forme qui résulte de l’équilibre des qualités simples n’est pas la forme
substantielle du corps composé, mais une propriété et une disposition à la
forme substantielle. Celle-ci, pour le corps humain, est l’âme raisonnable
elle-même. En effet, si l’on admettait une forme substantielle préalable, elle
donnerait au corps humain son être substantiel, en ferait une substance ; et
l’âme ne jouerait plus vis-à-vis de lui que le rôle d’une forme artificielle et
son union avec lui ne serait plus qu’accidentelle, ce qui est l`erreur des
anciens philosophes réfutée par Aristote, dans son Traité de l’âme. Il s’ensuivrait aussi que les termes qui désignent
le corps et ses divers organes pendant et après leur union avec l’âme, ne
seraient plus de purs homonymes, comme le dit cependant Aristote. Donc, du
moment que l’âme raisonnable subsiste, aucune forme substantielle du corps
humain ne tombe dans le néant. Quant aux formes accidentelles, elles peuvent
varier dans une certaine mesure sans compromettre l’identité foncière. Ainsi,
s’il est nécessaire pour que le corps ressuscité soit le même, que sa racine
qui est son organisation biologique profonde soit la même, il n’est pas
nécessaire qu’il existe sous le mode biologique actuel.
5. Notre âme, notre esprit et
les acquis de notre histoire qui sont gardés dans notre mémoire sensible font
notre personne dans sa partie la plus essentielle puisqu’elle choisit notre
destin éternel. C’est pourquoi, tout cela est conservé et non détruit avec la
mort. Nous avons montré que Dieu a créé l’âme de telle manière qu’elle permette
la survie non seulement de l’esprit mais de la vie sensible, malgré la mort du
corps et de l’organe du cerveau. C’est pourquoi il n’y a pas de résurrection du
psychisme mais seulement de la chair[1753], c’est-à-dire de la partie
végétative de notre être, qui cependant ne gardera plus dans l’autre monde un
mode de vie végétative. C’est donc le corps, dans son identité et non dans son
mode d’exercice qui doit ressusciter. L’identité de notre corps vient de l’âme,
mais d’une manière cependant insuffisante : il existe un support fondamental
qui demeure toujours, depuis notre conception à notre mort et dont certains
éléments essentiels constituent notre individualité. C’est pourquoi, selon mon
opinion, ce qui dans notre chiffre biologique est essentiel à notre individuel
ressuscitera, doté cependant d’un nouveau mode de stabilité qui ne sera plus
biologique mais porté par l’âme spirituelle.
Objections :
1. « Dans une nature
incorruptible sujette au changement, ce n’est jamais le même individu qui
reparaît », dit Aristote. Or, telle
est la condition présente de l’homme. Donc, après le changement apporté par la
mort, ce n’est pas le même homme qui revivra.
2. Avec deux humanités
différentes, il est impossible d’avoir le même homme. Socrate et Platon ne sont
pas un seul et même homme mais deux hommes, parce que leur humanité est
différente. Or, l’humanité de l’homme vivant et celle de l’homme ressuscité
sont différentes. Donc ce n’est pas le même homme. - Deux arguments prouvent la
mineure. 1° l’humanité, forme du
composé humain, n’est pas, comme l’âme, une forme substantielle ; elle tombe
donc dans le néant, et c’est une autre qui lui succédera. 2° L’humanité résulte de l’union des parties qui composent l’homme.
Or, cette union sera nouvelle, ce sera une seconde union, donc pas la même, ni
la même humanité, ni le même homme.
3. Pour que l’homme soit le
même, il faut que l’animal, en lui, soit le même, et, pour cela, il faut que la
sensibilité soit la même, puisque l’animal se définit par la sensibilité
tactile. Or, les sens ne demeurant pas dans l’âme séparée, ce ne sera donc pas
la même sensibilité qui reparaîtra ni le même animal, ni le même homme.
4. La matière de la statue est
plus importante dans la statue que celle de l’homme dans l’homme puisque les
êtres artificiels sont substance par leur matière, tandis que les êtres
naturels le sont par leur forme. Mais, si une statue est refaite avec le même
airain, ce n’est plus la même statue. Donc, à plus forte raison, même si
l’homme est refait avec les mêmes cendres, ce ne sera plus le même homme.
Cependant :
1° Job, parlant de la vision
qui suivra la résurrection, dit[1755]: « Moi-même je le verrai, moi-même et non un autre. » L’homme
ressuscité sera donc bien le même.
2° « Ressusciter, dit saint
Augustin, ce n’est pas autre chose que revivre. » Mais, si ce n’était pas le même homme qui était mort et qui
revient à la vie, on ne pourrait pas dire qu’il revit. Il n’y aurait donc pas
de résurrection : ce qui est contraire à la foi.
Conclusion :
La résurrection est nécessaire pour que l’homme atteigne sa fin
dernière, qu’il ne peut atteindre ni en cette vie ni par la survivance de
l’âme et du psychisme seuls. En effet, l’homme aurait été créé avec un corps
charnel en vain, s’il lui était impossible d’atteindre la fin pour laquelle il
a été créé. La même raison exige que ce soit le même homme qui atteigne la fin
pour laquelle il a été fait. Il faut donc que l’homme ressuscité soit le même,
et il sera le même par la réunion de la même âme au même corps. Il n’y aurait
pas vraiment résurrection, si l’homme qui revit n’était pas le même. Nier cette
identité est donc hérétique, parce que contraire à la vérité de l’Écriture qui
enseigne la résurrection.
Solutions :
1. Aristote parle de
la réapparition causée par un mouvement ou changement naturel. En effet, il
montre la différence qui existe entre le mouvement de translation qui ramène le
ciel, identique à son point de départ, et le mouvement de génération qui, dans
les êtres corruptibles, ramène la même espèce, mais dans des individus différents
l’homme, par exemple, engendre un homme, mais différent de lui-même ; ou
encore, le feu engendre l’air, qui devient eau, qui devient terre, qui devient
feu, mais un feu différent du premier. Cet argument est donc étranger à la
question.
On pourrait dire encore que, parmi toutes les formes des
êtres corruptibles, l’âme raisonnable seule subsiste par soi : l’être qu’elle
avait inauguré dans le corps charnel, elle le conserve après sa séparation
d’avec le corps charnel, et y fera participer le corps charnel à la
résurrection ; puisque, dans l’homme, l’âme et le corps n’ont qu’un seul être,
autrement, leur union serait accidentelle. L’être substantiel de l’homme ne
subit donc jamais cette interruption qui empêcherait l’identité humaine avant
et après elle ; tandis que l’interruption de l’être est complète dans les
autres choses, dont la forme est abolie et dont la matière passe à un autre
être.
Ajoutons que la génération humaine ne saurait aboutir à
l’identité numérique. Le père, en effet, contribue seulement à former un
nouveau corps, qui possède sa matière à lui, son âme à lui, et constitue donc un
autre homme.
2. Au sujet de
l’humanité, forme du composé humain, et de toute forme d’un composé quelconque,
il y a deux opinions. Les uns disent que la même réalité est forme de la
partie, en achevant sa matière, et forme du tout, en lui donnant sa nature
spécifique. D’après cette opinion, la réalité qui correspond à l’humanité,
c’est l’âme raisonnable elle-même ; et comme l’homme ressuscité aura la même
âme, il aura donc aussi la même humanité. - L’opinion d’Avicenne est différente
et semble plus vraie. D’après lui, la forme du composé ne peut être ni celle
d’une seule partie, ni une forme qui ne soit pas celle d’une partie ; mais
c’est un tout, résultant de l’union de la forme avec la matière et comprenant
l’une et l’autre. Dès lors, puisque le ressuscité aura la même âme et le même
corps, il aura donc la même humanité. - L’argument supposait que l’humanité
était une forme nouvelle, surajoutée à la forme et à la matière : ce qui est
faux.
La seconde preuve de la mineure n’est pas plus
concluante. L’union (de l’âme et du corps) désigne une action ou passion ; mais
le fait que celle-ci n’est pas la même n’empêche pas que l’humanité ne le soit.
En effet, cette action ou passion ne fait pas partie de l’essence de l’humanité
qui résulte d’elle. La génération et la résurrection ne sont évidemment pas un
seul et même mouvement, ce qui n’empêche pas le ressuscité d’être le même.
Verra-t-on dans l’union la relation même entre le corps et l’âme ? Mais cette
relation ne constitue pas l’humanité, elle l’accompagne. L’humanité, en effet,
n’est pas la forme d’un être artificiel, qui consiste simplement dans
l’assemblage et l’ordonnance, lesquels, en se renouvelant, font un être
nouveau, par exemple, une nouvelle maison.
3. Nous avons vu que
les puissances et les actes des puissances sensibles demeurent dans l’âme
séparée. Mais même s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait pas de difficulté
pour dire que l’homme ressuscité serait le même. En effet, dans l’homme, l’âme
sensitive et l’âme raisonnable ne sont pas deux âmes distinctes mais deux
effets de la seule âme. Après la mort, l’âme sensitive humaine demeure
substantiellement, comme l’âme raisonnable elle-même. Certains n’admettent pas
que les puissances sensitives demeurent. Mais, puisqu’elles ne sont que des propriétés
accidentelles, leur défaut d’identité ne porte aucun préjudice à l’identité de
l’animal considéré dans son ensemble ni même à celle de ses parties organiques
les puissances, en effet, ne sont des perfections ou actes des organes que
comme principes d’action, comme la chaleur dans le feu.
4. Tout au long de la
vie terrestre, la matière qui compose le corps de l’homme ne cesse de changer
et d’être remplacée par une autre matière assimilée par nutrition. Or c’est le
même homme qui vit lorsqu’il a cinq ans ou lorsqu’il a trente ans. Ceci
manifeste que même si, lors de la résurrection, Dieu utilise une autre matière
que les cendres issues de la décomposition, il peut donner à l’homme un corps
substantiellement identique. C’est pourquoi l’on doit concéder avec
l’objection, que les êtres naturels sont substantiellement les mêmes par leur
forme.
L’identité du corps se prend davantage de la forme que de la
matière. Il n’est pas requis pour que le corps soit le même, qu’il reprenne
exactement les mêmes éléments matériels qui ont jadis servi. Si Dieu se sert de
certains éléments recueillis parmi les cendres du corps décomposé, c’est
uniquement pour une raison de convenance afin que l’identité du corps
ressuscité soit clairement manifestée à tous. Par contre, l’utilisation d’une
matière préexistante pour façonner le corps ressuscité est absolument
nécessaire puisqu’il s’agit d’un corps matériel et non d’un corps spirituel ou
même psychique comme le pensaient certains qui interprétaient mal les écrits de
saint Paul. C’est pour nous éviter cette erreur que Jésus s’est non seulement
laissé voir par ses disciples mais aussi toucher par Thomas ; il a mangé avec
eux pour leur montrer que son corps quoique doué de nouvelles propriétés
mystérieuses était un véritable corps matériel.
Nous avons à étudier maintenant l’intégrité du corps
ressuscité. On se demande[1757] :
1° Tous les membres du
corps humain ressusciteront-ils ?
2° Tout ce qui, dans le corps
de l’homme fut vraiment humain ressuscitera-t-il ?
Objections :
1. La disparition de
la fin entraîne celle du moyen. Or, la fin des membres, c’est leur acte. Dès lors, certains actes
n’ayant plus à être produits, les membres qui leur correspondent ne
ressusciteront donc pas, puisque la providence ne fait rien d’inutile. Ainsi
doit-il en être des organes de la vie végétative, reproduction et nutrition.
2. Le corps doit ressusciter
afin d’être récompensé ou puni pour le bien ou le mal que l’âme accomplit par
lui. Mais, la main coupée à un voleur, repentant ensuite et sauvé, ne peut être
ni récompensée du bien auquel elle n’a pas coopéré, ni punie du mal qu’elle a
fait et dont la punition atteindrait l’homme lui-même. Tous les membres ne
ressusciteront donc pas.
Cependant :
« Les œuvres de Dieu sont
parfaites. » Or la résurrection sera l’œuvre de Dieu. L’homme en sortira donc
parfait en tous ses membres.
Conclusion :
L’âme dans ses relations avec le corps, n’est pas seulement cause
formelle et finale, mais encore cause efficiente. Il y a donc entre elle et lui
les mêmes rapports qu’entre l’art et l’œuvre d’art : tout ce que celle-ci
manifeste et développe, celui-là le contient en germe et en est le principe. De
même, tout ce qui se révèle dans les parties du corps a son origine dans l’âme,
qui le possède, pour ainsi dire, implicitement. L’œuvre d’art serait
imparfaite, s’il lui manquait quelque détail que l’art avait prévu ; L’homme,
lui aussi ne saurait être parfait si toute la virtualité de l’âme ne
s’épanouissait pas dans le corps, s’il n’y avait pas pleine correspondance
entre l’un et l’autre. Dès lors, comme la résurrection doit établir ce parfait
accord, le corps ne devant ressusciter que parce qu’il est fait pour l’âme
raisonnable, il faut donc que rien ne manque à l’homme ressuscité et qui
ressuscite pour atteindre sa perfection suprême ; il faut donc que tous les
membres qu’il possède actuellement ressuscitent avec lui.
Solutions :
1. Les membres peuvent être
considérés comme la matière dont l’âme est la forme ou comme l’instrument dont
elle se sert ; la comparaison est, en effet, la même entre le corps tout entier
et l’âme tout entière qu’entre les parties de l’un et celles de l’autre.
Considéré comme matière, la fin d’un membre n’est pas l’opération, mais plutôt
la perfection spécifique, que la résurrection doit respecter. Considéré comme
instrument, sa fin, c’est l’opération. Mais, même alors, quand l’opération
cesse, il ne s’ensuit pas que l’instrument perde toute utilité, car il peut
servir à manifester, sinon l’activité, du moins la puissance d’agir. Ainsi, les
puissances de l’âme dont l’énergie, sinon l’activité, se manifestera par les
organes corporels, comme une louange à la Sagesse du Créateur.
2. À proprement parler, les
actes méritoires n’appartiennent ni à la main ni au pied mais à l’homme tout
entier ; de même que l’œuvre d’art n’est pas attribuée à la scie mais à
l’ouvrier, comme à son principe. C’est donc l’homme tout entier qui ressuscite,
tel qu’il est dans sa nature spirituelle, psychique et corporelle.
Objections :
1. Les aliments, par
l’assimilation, deviennent quelque chose de vraiment humain. Or, la chair du
bœuf sert d’alimentation. Elle devrait donc ressusciter.
2. Les mêmes éléments peuvent
avoir vraiment appartenu à différents corps humains, par exemple, dans le cas
d’anthropophagie. Il est cependant impossible qu’ils se retrouvent en chacun
d’eux, après la résurrection.
3. Comment résoudre les deux
cas vraiment étranges, et d’ailleurs purement hypothétiques, de l’enfant dont
le père se serait nourri exclusivement de chair humaine ou, qui pis est
d’embryons humains ?
4. Le corps humain n’est pas le
fruit de son seul patrimoine génétique. Il est aussi le fruit d’une histoire,
d’une éducation et d’actes libres posés au cours d’une vie. C’est pourquoi des
jumeaux homozygotes peuvent devenir physiquement très différents.
Cependant :
S’il manquait au corps quelque chose, qui, en lui, appartient
vraiment à la nature humaine, il serait imparfait. Or, la résurrection doit, au
contraire, remédier à toutes les imperfections, surtout dans les élus : « Pas
un cheveu de votre tête ne se perdra », dit Jésus.
Conclusion :
Toute chose est vraie dans la mesure où elle est être. En effet,
une chose est vraie quand elle est en elle-même, en acte, telle qu’elle est en
celui qui la connaît. Ce qui fait dire à Avicenne : « La vérité de toute chose est une propriété de son être, tel qu’il
lui a été fixé. » Dès lors, une chose
est vraiment humaine, appartient à la vérité de la nature humaine, quand elle
appartient proprement à l’être de la nature humaine, quand elle participe à la
forme de la nature humaine : de l’or vrai, c’est celui qui possède la vraie
forme de l’or, qui lui donne de posséder l’être propre à l’or.
La question reste de savoir ce qui appartient vraiment à la nature
du corps humain. La science montre que dès le premier instant de la conception,
tout ce qui appartient vraiment et essentiellement au corps de l’enfant est
communiqué par les parents. Ainsi, le chiffre biologique du nouvel homme conçu,
porté dans ses gènes, contient en germe tout ce que sera son corps par la
suite. Ce principe matériel se multiplie par lui-même, par division cellulaire
pour aboutir, par étapes, à l’être humain adulte. En conséquence, la matière
apportée par la nutrition et qui sert à la croissance et à la conservation du
corps ajoute quelque chose qui n’est pas premièrement humain, (et qui consiste
dans le chiffre biologique de chacun) mais quelque chose de secondairement
humain. Cette matière surajoutée ne demeure pas identique à elle-même durant
toute la vie mais elle est soumise à un flux constant quant à ce qu’elle a de
matériel. En conséquence, on doit dire ceci à propos de la résurrection qui
doit rétablir le corps humain selon ce qu’il est substantiellement :
1° Il est essentiel que le
principe constitutif de l’individu corporel, communiqué par les parents et
qui amène par multiplication le corps à sa perfection, ressuscite. C’est
pourquoi on doit affirmer que l’homme retrouvera son corps selon son chiffre
biologique individuel. Il faut cependant remarquer que tout, dans le domaine
génétique n’a pas le même rapport à l’essence du corps humain réalisée dans un
être individuel. On doit trouver une distinction dans les gènes.
Certains gènes déterminent des fonctions essentielles, communes à
tous les hommes, donc liés à la définition même de l’homme, comme par exemple
le développement d’un organe ou d’un membre. Ces gènes là demeurent.
D’autres sont communs à tous les hommes mais uniquement de manière
provisoire, compte tenu de l’étape terrestre de la purification. Ainsi, la
nécessité de mourir est programmée d’après l’Écriture à 120 ans. Le
renouvellement des cellules est déterminé à se ralentir en proportion de l’âge.
De tels gènes ne seront plus actifs. Leur utilité ne sera plus.
D’autres gènes déterminent la qualité propre à tel individu, ce
qui le distingue des autres hommes qui portent la même nature. Par exemple, la
couleur des yeux, la forme du visage, les racines de son tempérament et toutes
ces qualités accidentelles qui font une personne unique. Ceux-là aussi doivent
être refaçonnés puisqu’ils appartiennent en propre à l’individu.
D’autres enfin sont liés à des erreurs et des dégradations de la
nature humaine au cours des générations. Il s’agit des mutations génétiques
dues au hasard de la division cellulaire et qui affectent le patrimoine
héréditaire transmis aux enfants. Elles ne demeureront pas. Il leur sera
apporté remède par Dieu lors de la résurrection de telle façon qu’il ne
subsiste dans l’au-delà aucune tare génétique. Tous les handicaps génétiques
disparaîtront.
2° Le corps humain se développe
et se renouvelle grâce à la nutrition qui lui apporte chaque jour une certaine
quantité de matière. Ces éléments qu’il doit à la nutrition ne ressusciteront
pas en totalité, étant secondaires, mais dans la mesure nécessaire à la
quantité qu’il doit avoir. Ils ressusciteront pour former toutes les parties de
l’individu, la chair, les os et tous les autres tissus propres au corps humain,
dont le Seigneur a clairement montré la présence à ses disciples après sa
propre résurrection. Car la chair et les os appartiennent vraiment et également
à la nature humaine, quant à leur forme spécifique, car, à ce point de vue,
elles demeurent, mais non quant à leur matière, car, à ce point de vue, elles
sont soumises au changement. Il en est du corps humain comme d’une cité.
Certains citoyens, enlevés par la mort, sont remplacés par d’autres, de telle
sorte que les individus changent individuellement, mais demeurent
formellement, en ce sens que les mêmes fonctions et les mêmes places, laissées
vides par les uns, sont occupées par d’autres, et la société conserve son unité
et son identité. De même, des parties semblables se substituent à d’autres dans
le corps humain. Les éléments matériels changent, mais la forme spécifique
demeure et l’on a donc toujours identiquement le même homme.
Solutions :
1. Les êtres sont ce qu’ils
sont par leur forme et non par leur matière. Quand les éléments matériels, qui
furent d’abord dans le bœuf et ensuite dans l’homme, ressusciteront en
celui-ci, ce ne sera pas de la chair bovine mais de la chair humaine qui
ressuscitera. On pourrait tout aussi bien conclure à la résurrection du limon,
c’est-à-dire sans doute de la nature animal préexistante, dont fut formé le
corps d’Adam.
2. La matérialité de l’élément
n’est pas essentielle pour que ressuscite le vrai corps de chacun. Ce qui est
essentiel, c’est que la forme génétique de chacun soit rendue dans ses aspects fondamentaux.
La question est donc sans objet.
3. Le premier et deuxième cas
ont été résolus par ce qui a été dit. Quant au cas de l’enfant atteint de
mongolisme ou de toute autre tare génétique aussi grave, il semble que l’on
doive dire ceci : ou bien le chromosome supplémentaire ne fait pas partie
essentiellement de sa nature corporelle et dans ce cas il ne ressuscitera pas.
Ou bien -et cela paraît théologiquement plus probable- il en fait partie et,
dans ce cas, il ressuscitera ; Mais ce caractère anormal ne nuira en aucune
manière à son bonheur puisque la vision de Dieu est donnée à l’âme et non au
corps. Quant à la présence au Ciel de ces êtres qui si souvent ont été méprisés
et rejetés sur la terre, elle manifestera à quel point est vraie cette parole de
l’Écriture[1759] : « Béni sois-tu, Père, Seigneur
du Ciel et de la terre, d’avoir caché ceci aux sages et aux savants et de
l’avoir révélé aux tout-petits. »
C’est ce que Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus exprimait par ces
mots[1760] : « Longtemps, je me suis demandé
pourquoi le Bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne
recevaient pas un égal degré de grâce. Je m’étonnais en le voyant prodiguer des
faveurs extraordinaires aux saints qui l’avaient offensé comme saint Paul,
saint Augustin (…) Je me demandais pourquoi les pauvres sauvages, par exemple,
mouraient en grand nombre avant d’avoir même entendu prononcer le nom de Dieu.
Jésus a daigné m’instruire de ce mystère. Il a mis devant mes yeux le livre de
la nature et j’ai compris que toute les fleurs qu’il a créées sont belles, que
l’éclat de la rose et la blancheur du lys n’enlèvent pas le parfum de la petite
violette ; (…) J’ai compris que l’amour de Notre Seigneur se révèle aussi bien
dans l’âme la plus simple qui ne résiste en rien à sa grâce que dans l’âme la
plus sublime. En descendant ainsi, le Seigneur montre sa grandeur infinie. »
4. Nous traitons dans cette
question du retour de la chair, c’est-à-dire de la partie végétative de
l’homme, celle qui a subi la mort. Les autres choses citées façonnent certes
l’individualité du corps humain. Mais ils n’ont pas à ressusciter puisqu’ils
sont conservés intacts après la mort par l’âme. Nous avons montré que l’esprit
et le corps psychique ne disparaissaient pas avec le corps charnel[1761]. À la résurrection, ils
assumeront naturellement le corps rendu parfait et lui donneront cette
individualité dont parle l’objection. C’est ainsi que, dans l’hypothèse, de
deux jumeaux homozygotes, dont l’un aurait choisi l’enfer et l’autre la vision
de Dieu, le corps prendra une individualité très différente. Il sera rendu
aussi parfait à l’un qu’à l’autre. Mais chez le premier, il sera immédiatement
contaminé par la lourdeur et la difformité de l’âme, par un phénomène de
somatisation venant des passions mauvaises. Chez le second, il sera assumé par
l’âme glorifiée et transfiguré jusqu’à des propriétés qui dépasseront sa
nature.
Nous avons à considérer maintenant les qualités naturelles des
corps après la résurrection, qualités qui seront communes aux damnés comme aux
élus.
On se demande[1762] :
1° Les ressuscités seront-ils
immortels ?
2° Le corps ressuscité aura
t-il besoin de se nourrir ?
3° Le corps des ressuscités
sera t-il sexué ?
4° Les ressuscités auront-ils
entre eux des actes sexuels ?
5° Tous les ressuscités
auront-ils le même âge, celui de la pleine jeunesse ?
Objections :
1. Cela ne semble pas. Le corps
humain est par nature mortel puisqu’il porte en lui, dans son chiffre
biologique, sa durée, selon la parole de la Genèse[1763] : « L’homme n’est que chair, sa
vie ne sera que de 120 ans. » Or c’est le même corps qui doit
ressusciter. Donc il portera aussi en lui la capacité de mourir.
2. Dans le paradis terrestre,
l’immortalité du corps venait d’une grâce de Dieu qu’on appelle grâce
originelle et surtout de la promesse d’une assomption. Or les damnés ne
participeront à aucune grâce divine. Il semble que ceux là au moins doivent
mourir.
3. La fin de la génération,
telle que l’expose le Philosophe est de faire participer les êtres au divin. Si
l’immortalité est une propriété de l’espèce, il n’est pas nécessaire que les
individus de cette espèce ressuscitent et demeurent éternellement.
Cependant[1764] :
L’effet prend la ressemblance de sa cause. Or la résurrection du
Christ est cause de la résurrection à venir. Si donc le Christ est ressuscité
de telle manière qu’il ne doit plus mourir, -le Christ ressuscité des morts
ne meurt plus[1765]-, les hommes ressusciteront
tels qu’ils ne mourront plus.
Conclusion :
À la résurrection, les hommes ressusciteront tels qu’ils n’auront
plus de nouveau à mourir. La nécessité de mourir est une déficience qui affecte
la nature humaine comme conséquence du péché. Or le Christ, par le mérite de sa
passion a réparé les déficiences que cette nature avait contractées en fonction
du péché. C’est ce que dit l’Apôtre dans l’épître aux Romains : « Il
n’en va pas du don comme de la faute ; si par la faute d’un seul, beaucoup sont
morts, bien plus la grâce de Dieu, dans la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ,
a-t-elle abondé en beaucoup. » Autrement dit, le mérite du Christ
peut abolir plus efficacement la mort que le péché d’Adam ne pouvait y
entraîner. Ceux donc qui par le mérite du Christ ressusciteront libérés de la
mort, n’en seront jamais plus victimes.
En outre, ce qui doit durer pour toujours n’est pas sujet à
destruction. Si donc les hommes en ressuscitant avaient encore à mourir, de telle
sorte que la mort durerait toujours, celle-ci ne serait aucunement détruite par
la mort du Christ. Or elle a été détruite, dans sa cause au moins pour le
moment, selon la parole du Seigneur rapportée par Osée : « O mort, je serai ta mort. » Détruite,
elle le sera finalement en fait, selon cette autre parole de la première Epître
aux Corinthiens : « En dernier lieu, la mort sera détruite. » Il
faut donc tenir, avec la foi de l’Église, que les ressuscités ne mourront plus.
Quant à la cause de cette immortalité des corps ressuscités, qui
sera commune aux élus comme aux damnés, elle viendra en premier lieu de Dieu
puisque Dieu seul peut communiquer aux êtres la perpétuité. Et son action
rendra l’âme humaine apte à assumer le corps en plénitude de telle manière
qu’elle lui communique un nouveau mode d’exercice. Surélevée par Dieu dans sa
puissance naturelle, l’âme deviendra forme parfaite du corps et elle assumera
toutes les virtualités de la matière à tel point qu’aucune corruption ne pourra
s’introduire dans l’ordre de sa constitution. En ce sens, on peut dire que le
corps des ressuscités est absolument impassible.
L’âme deviendra parfaitement acte du corps de telle manière qu’il
ne sera plus nécessaire que celui-ci reçoive un complément de nourriture extérieure
pour se maintenir dans sa vitalité. Toute cause de corruption ou d’usure sera
supprimée par l’âme, à cause de sa seule vitalité. Le corps participera à
l’immortalité de l’âme qui est source de sa vie. L’homme ressuscité ne sera
donc pas immortel pour la raison qu’il aura repris un autre corps
incorruptible, mais parce que ce corps, qui est maintenant corruptible,
deviendra incorruptible. Quant à la convenance de cette immortalité, chez les
bons comme chez les mauvais, on peut en donner trois raisons :
1° La première vient de la fin
même de la résurrection. Les bons comme les mauvais ressusciteront pour
recevoir dans leur propre corps la récompense ou le châtiment de ce qu’ils
auront fait durant leur vie terrestre. La récompense des bons, la béatitude, sera
éternelle ; éternelle également la peine due au péché mortel. Il faut donc que
les corps des uns et des autres soient incorruptibles.
2° Une deuxième raison peut se
tirer de la cause formelle de la résurrection. On l’a dit déjà, c’est pour ne
point demeurer éternellement séparée que l’âme reprendra un corps à la
résurrection. Aussi bien, puisque c’est en vue de la perfection de l’âme que
celle-ci recouvre un corps, convient-il que ce corps connaisse la condition qui
est propre à l’âme. Or l’âme est incorruptible. On doit en conclure qu’il lui
sera rendu un corps incorruptible.
3° La troisième raison est à
prendre du côté de la cause efficiente. Dieu qui restaurera pour la vie les
corps déjà corrompus, pourra à plus forte raison donner à ces corps de conserver
pour toujours la vie qui leur sera rendue. C’est ainsi, à titre de figure,
qu’il a conservé intacts, quand il l’a voulu, des corps pourtant corruptibles,
tels ceux des trois enfants dans la fournaise[1766].
Solutions :
1. Ici bas, le corps humain est
disposé de l’intérieur par Dieu pour qu’il devienne au terme d’un certain
nombre d’année inadapté à l’action de l’âme qui l’informe. Ainsi voit-on la
division cellulaire se ralentir avec l’âge jusqu’à devenir incapable de
rétablir ce qui est usé dans le corps. Mais une telle déficience ne fait pas
partie de la substance du corps humain. Elle est une condition de son mode
d’exercice qui est temporaire et ne demeurera pas après la résurrection. Dans
l’au-delà, le corps subsistera semblable à lui-même et échappera au devenir
permanent lié aux divisions cellulaires et à la nutrition. Il trouvera sa
vitalité dans l’âme seule. Ce sera pourtant le même corps qu’ici-bas, selon ce
qui lui est essentiel. Mais on devine la radicale différence de l’exercice de
la vie végétative.
2. Certaines grâces divines ont
pour objet direct la vie surnaturelle : telles la grâce habituelle, la grâce
actuelle ou, dans l’au-delà, la lumière de gloire. Les damnés n’auront aucune
part à ce type de grâces puisqu’ils les rejetteront éternellement. D’autres
grâces divines sont données pour le maintien de la vie naturelle. Elles le sont
à tout homme, les bons comme les mauvais selon cette parole[1767] : « Dieu fait briller son soleil
pour tous, les bons comme les méchants. » La grâce de l’immortalité
qui accompagnera les corps ressuscités sera de celles là.
3. La résurrection n’a pas pour
fin la perpétuité de l’espèce. Celle-ci peut-être assurée par la génération. Il
faut donc qu’elle ait pour fin la perpétuité de l’individu, perpétuité qui
n’est pas à concevoir du côté de l’âme, puisque l’âme l’avait déjà avant la
résurrection, perpétuité qui est donc à concevoir du côté du composé. L’homme
ressuscité vivra donc perpétuellement.
Objections :
1. Adam, qui était en
possession d’une vie immortelle avant son péché, eut, en cet état, besoin de se
nourrir et d’entretenir des rapports charnels ; c’est avant le péché qu’il lui
a été dit : Croissez et multipliez-vous, et encore : Mangez de tout
arbre qui est dans le jardin.
2. Le Christ lui-même a mangé
et bu après sa résurrection. Lorsqu’il eut mangé, devant ses disciples, nous
dit saint Luc, « prenant ce qui restait, il le leur donna. » Saint Pierre dit
également, dans les Actes : « Ce Jésus Dieu l’a ressuscité le troisième
jour et lui a donné de se faire voir, non à tout le peuple mais aux témoins
choisis d’avance par Dieu, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa
résurrection d’entre les morts. »
3. Il existe encore certains
textes qui semblent promettre à l’homme, pour cet état futur, l’usage des
aliments. « Le Seigneur des armées, lit-on en Isaïe, préparera pour
tous les peuples sur la montagne un festin de viandes grasses et de vin pris
sur la lie. » Qu’il faille entendre ce passage de l’état des ressuscités,
la suite le montre clairement : « Il détruira la mort pour toujours et le
Seigneur essuiera toutes les larmes de tous les visages. » On lit
encore en Isaïe : « Voici que mes serviteurs mangeront et vous, vous
aurez faim ; voici que mes serviteurs boiront et vous, vous aurez soif. » Que
ceci se rapporte à l’état de la vie future, ce qui suit le montre clairement
: « Voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle. » Le
Seigneur dira aussi, au chapitre 24 de saint Matthieu : « Je ne boirai plus désormais
de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans
le royaume de mon Père » ; et encore, en saint Luc : « Et
moi, je vous prépare un royaume, comme mon Père me l’a préparé, afin que vous
mangiez et buviez à ma table dans mon royaume. » L’Apocalypse nous
dit encore que de chaque coté du fleuve, dans la cité des Bienheureux, il y
aura des arbres de vie qui donneront douze fois leurs fruits et aussi : « Je
vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus ;
ils eurent la vie et régnèrent avec le Christ pendant mille ans. Les autres
morts n’eurent point la vie, jusqu’à ce que les mille ans fussent écoulés. » Tout
ceci semble bien confirmer l’opinion dont nous avons parlé.
4. L’homme ressuscitera avec
tous ses organes : il exercera donc les fonctions auxquelles ils sont destinés.
5. L’homme tout entier doit
être béatifié, dans son âme et dans son corps. Or, la béatitude consiste en une
action parfaite. Chez les bienheureux, les puissances de l’âme et les organes
du corps ne seront donc pas inactifs.
6. La béatitude est un état
rendu parfait par la somme totale de tous les biens ; Parfait, c’est-à-dire que
« rien n’y manque. » Les plaisirs du corps n’y feront donc
pas défaut.
Cependant :
Les fonctions végétatives de la nutrition et de la respiration ont
pour but la conservation de l’individu. Or, après la résurrection, l’âme sera
par sa propre puissance cause de la conservation du corps. Donc ces fonctions
seront inutiles.
Conclusion :
Ce qu’on vient de dire montre comment les ressuscités n’auront
plus besoin de se nourrir et de respirer, c’est-à-dire d’assimiler un élément
extérieur qui vient remédier à la perte d’énergie de tout corps tel qu’il
fonctionne ici-bas. La vie corruptible évacuée, ce qui est au service de cette
vie devra être nécessairement évacué. Or il est évident que l’usage de la
nourriture et de l’air sont au service de la vie corruptible ; si nous prenons
de la nourriture en effet, c’est pour éviter la corruption que pourrait
entraîner l’épuisement et pour assurer la croissance ; ce qui n’aura plus de
raison d’être, après la résurrection, puisque tous les hommes ressusciteront
avec la quantité qui leur est due.
Solutions :
1. La première objection, à
propos d’Adam, n’a aucune portée. Adam en effet a joui d’une certaine
perfection personnelle. Mais la nature humaine n’était pas arrivée à une totale
perfection, le genre humain ne s’étant pas encore multiplié. Adam fut donc
établi dans le degré de perfection qui convenait au chef du genre humain. Aussi
bien fallait-il, pour la multiplication du genre humain, qu’il engendrât, et
pour cela qu’il se nourrît. La perfection des ressuscités, elle, ne sera
acquise qu’une fois la nature humaine parvenue à sa totale perfection, le
nombre des élus étant désormais complet. Aussi il n’y aura place ni pour la
génération, ni pour l’usage d’aliments. C’est pourquoi l’immortalité et
l’incorruptibilité des ressuscités seront telles qu’ils ne pourront plus mourir
et que rien ne pourra plus se désagréger de leur corps. Adam, lui, était
immortel de telle manière qu’il pouvait ne pas mourir s’il ne péchait pas,
qu’il pouvait au contraire mourir s’il péchait. Son immortalité était capable
de se conserver, non point en ce sens que rien ne se désagrégerait de son
corps, mais en ce sens qu’il pouvait compenser la décomposition de l’humeur
naturelle par l’absorption de nourriture, et qu’ainsi son corps ne put se
corrompre peu à peu.
2. Quant au Christ, il faut
dire qu’après sa résurrection il mangea non point par nécessité, mais pour
prouver la vérité de cette résurrection. La nourriture ne fut pas alors
convertie en sa chair, mais réduite en la matière préjacente. La résurrection
commune ne connaîtra pas cette raison de manger.
3. Les textes de l’Écriture qui
paraissent promettre l’usage des aliments après la résurrection doivent être
interprétés dans un sens spirituel. La Sainte Écriture nous propose en effet
les réalités intelligibles sous des comparaisons sensibles pour que notre
esprit, selon le mot de saint Grégoire le Grand, apprenne à aimer ce qu’il ne
connaît pas à partir de ce qu’il connaît. De cette manière, la joie que donne
la contemplation de la sagesse, et l’assimilation de la vérité par notre
intelligence sont d’ordinaire décrites par la sainte Écriture sous le
symbolisme de la nourriture. Au Livre des Proverbes, il est dit de la Sagesse :
« Elle
a mêlé son vin et dressé la table. Elle a dit à ceux qui sont dépourvus de sens
: venez, mangez de mon pain et buvez du vin que j’ai mêlé pour vous. » Il
est dit aussi dans l’Ecclésiastique : « Elle le nourrira du pain de la vie et de
l’intelligence, elle l’abreuvera de l’eau de la sagesse salutaire. » De cette même sagesse, les Proverbes
nous disent encore : « Elle est un arbre de vie pour ceux qui
l’auront saisie ; qui s’y sera attaché, est heureux. » Les textes
allégués n’obligent donc pas à dire que les ressuscités auront à se nourrir.
Les paroles du Seigneur, citées au chapitre 24 de saint Matthieu
peuvent aussi s’entendre autrement, en référence au repas pris par le Christ
avec ses disciples après la résurrection : le Christ boit le vin nouveau,
c’est-à-dire d’une nouvelle manière, non point par nécessité, mais comme preuve
de sa résurrection. Et il dit : « Dans le royaume de mon Père », parce
qu’à la résurrection du Christ, le royaume de l’immortalité a commencé de se
manifester.
Quant aux paroles de l’Apocalypse sur les mille ans et sur la
première résurrection des martyrs, il faut comprendre cette résurrection de la
résurrection des âmes ressuscitées du péché. C’est le sens de la parole de
saint Paul aux Ephésiens : « Lève-toi d’entre les morts et le Christ
t’illuminera. » Les mille
ans signifient le temps de l’Église, au cours duquel les martyrs, ainsi que les
autres saints, règnent avec le Christ, tant dans l’Église d’ici-bas, appelée le
royaume de Dieu, que dans la patrie céleste en ce qui concerne les âmes. Le
nombre de mille a le sens de perfection parce que c’est un nombre cubique, et
que le nombre dix, qui en est la racine, est également, d’ordinaire, symbole de
perfection. C’est donc une évidence que les ressuscités ne s’adonneront ni à la
nourriture et à la boisson, ni aux activités charnelles.
4. Il ne faut pas considérer
seulement les fonctions auxquelles sont destinés les organes, mais encore
l’élément de perfection que leur variété apporte à la nature humaine, tant
spécifique qu’individuelle.
5. Cette activité n’est pas
humaine au sens propre et distinctif de ce mot. Ce n’est donc point par elle
que le corps sera béatifié ; il le sera par son union à l’âme bienheureuse à
laquelle il sera parfaitement soumis.
6. L’état de vie meilleure
étant une perfection immuable, il n’y aura plus besoin de la nutrition. Si ces
fonctions demeureront en puissance dans le corps des ressuscités, leur exercice
deviendra inutile. La vie des ressuscités ne sera pas moins ordonnée que la vie
présente : elle le sera même davantage, puisqu’à l’une l’homme parvient par la
seule action de Dieu et qu’il acquiert l’autre avec la collaboration de la
nature. Quant aux élus, ils n’auront plus besoin du plaisir lié à la nutrition,
qui ici-bas constitue un sain remède à la tristesse selon le philosophe.
L’attrait de ces plaisirs disparaîtra pour eux dans l’intensité des joies de
l’esprit, selon la parole du Christ[1769] : « Ils seront comme des anges
dans le Ciel. »
Objections :
1. D’après le Seigneur : « les
élus dans le Ciel seront comme des anges. »[1770] Or les anges n’ont pas de
sexe. Donc il en sera de même pour les corps ressuscités.
2. Dans l’autre monde, « il n’y aura plus de supériorité », dit la glose ; La femme ne sera donc
plus soumise à l’homme, et n’aura donc plus le sexe qui rend la soumission
naturelle.
3. L’existence d’organes
sexuels n’a de sens que s’ils peuvent s’exercer. Or, dans l’au-delà, il n’y
aura plus de vie sexuelle. Donc il n’y aura pas non plus de sexe.
4. L’apôtre dit[1771] : « Nous constituerons cet homme
parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ. » Donc
tous les êtres humains ressusciteront avec le sexe masculin.
Cependant :
Après la résurrection, le Christ est resté un homme : de même,
après son assomption la vierge Marie est demeurée une femme. Et leur état
nouveau est le modèle de ce que nous serons nous-mêmes à la fin du monde. Donc
on doit admettre que le corps ressuscité sera sexué.
Conclusion :
Les sexes féminin et masculin font partis du corps humain et ils
donnent une qualité essentielle à la personnalité profonde. Il ne s’agit pas
d’un accident provisoire comme le fait que ce même corps est corruptible.
L’humanité est créée homme et femme de manière complémentaire, de telle façon
qu’elle révèle en deux sujets les deux pôles de l’amour : sa force et sa
douceur. C’est dans l’union de ces deux orientations de l’amour que peut naître
la vie, l’éducation des enfants et l’équilibre humain tout entier. Dieu
lui-même se structure dans l’harmonie de ces deux puissances complémentaires.
Si donc le corps ressuscité doit être essentiellement le même dans l’au-delà,
il est nécessaire qu’il soit sexué de la même façon qu’il l’a été sur la terre.
Solutions :
1. Les anges n’ont pas de sexe
parce qu’ils n’ont pas de corps. Le fait d’être asexué est donc essentiel à
leur nature spirituelle. Cela ne veut pas dire qu’ils soient incapables de
vivre des valeurs féminines et masculines. Mais ils agissent avec force ou avec
douceur de leur propre intelligence et non dans la confrontation avec un autre
ange complémentaire. Lorsque le Seigneur dit que les hommes seront comme des
anges dans le Ciel, il ne veut pas entendre que la nature de leur être sera
changée au point qu’ils deviennent ontologiquement des anges. Il veut
manifester que la vie des élus sera semblable à celle des anges puisqu’elle
sera contemplative. Ils n’auront plus besoin d’exercer entre eux une vie
sexuelle puisque Dieu sera l’objet de toute leur joie.
2. La femme n’est pas
inférieure à l’homme par nature mais à cause du péché originel qui a développé
dans le sexe masculin un instinct de domination, selon la Genèse[1772] : « ton mari dominera sur toi »,
et chez la femme un besoin excessif de sécurité et de tendresse : « Ton
désir se portera sur ton mari. » Au commencement, il n’en était pas
ainsi. La femme et l’homme furent créés complémentaires. La femme fut
symboliquement faite de la côte d’Adam ce qui signifie qu’elle devait lui
apporter un achèvement pour son cœur qui est situé tout contre les côtes.
Le Christ par sa grâce, a supprimé l’infériorité de la femme[1773] : « Il n’y a plus ni homme ni
femme » sans pourtant faire disparaître leur complémentarité naturelle
que saint Paul exprime en donnant à l’homme l’autorité par rapport à tout ce
qui concerne la direction générale du couple et à la femme une vocation de
vitalisation intérieure du foyer.
Après la résurrection, cette complémentarité des hommes et des
femmes n’aura plus d’utilité en ce qui concerne la vie pratique ou sexuelle des
couples puisqu’il n’y aura plus de mariage. Mais elle demeurera dans l’ordre
général du monde nouveau dont les différences constitueront une perfection.
3. L’existence d’un sexe
féminin et masculin n’est pas seulement ordonnée chez l’être humain à la
reproduction, mais est finalisée aussi par la vie de l’esprit dont l’exercice
est modifié par la psychologie différente des hommes et des femmes. De même,
après la résurrection, même s’il n’existe plus d’exercice végétatif de la
sexualité, les hommes et les femmes exerceront leur activité spirituelle selon
les nuances psychologiques de leur féminité ou de leur masculinité.
4. Quant à la parole de
l’apôtre dans l’Epître aux Ephésiens[1774] : « jusqu’à ce que nous
parvenions tous à ne plus faire qu’un dans la foi et dans la connaissance du
fils de Dieu, et à constituer cet homme parfait, dans la force de l’âge, qui
réalisera la plénitude du Christ », elle n’oblige pas davantage à conclure dans ce sens. Elle ne
veut pas dire que tous les ressuscités qui s’en iront à la rencontre du Christ
dans les airs possèderont le sexe viril ; elle veut indiquer la perfection et
la puissance de l’Église, c’est-à-dire de l’humanité renouvelée. C’est l’Église
tout entière qui sera comme un homme parfait, allant à la rencontre du Christ,
ainsi qu’il ressort du contexte.
Objections :
1. Les relations sexuelles sont
source de plaisir. Or il ne doit rien manquer au bonheur des élus, que ce soit
pour leur corps ou pour leur âme. Donc il semble que les élus au moins pourront
avoir des relations sexuelles.
2. Le mariage n’est pas
seulement ordonné à la génération et à l’éducation des enfants mais aussi au
bien des époux et à la croissance de leur amour. De même, les relations
sexuelles manifestent avec force dans les corps l’union des âmes réalisée par
l’amour. Or, dans le Ciel, les élus s’aimeront. Il semble donc qu’ils pourront
exprimer leur amour par des relations sexuelles.
3. Même chez les damnés, il
semble qu’on doit admettre la possibilité de relations charnelles. En effet,
ils ressusciteront avec ces organes comme nous l’avons montré et ils seront
séparés de Dieu à cause de l’amour excessif d’eux-mêmes, qui peut être incarné
dans un amour désordonné du plaisir sexuel. Donc, il semble qu’ils
rechercheront en enfer ce plaisir sexuel.
4. La gloire de Dieu se
manifeste par l’apparition de nouveaux êtres humains. Or la sexualité est
ordonnée à la génération. Il semble donc que, dans l’au-delà, les hommes
continueront à exercer la sexualité qui permettra l’apparition de nouveaux
enfants pour Dieu.
Cependant :
Le Seigneur dit[1775] : « Vous êtes dans l’erreur, en
ne connaissant ni l’Écriture, ni la puissance de Dieu. À la résurrection, il
n’y aura plus ni mari ni femme. On est comme les anges dans le Ciel. »
Conclusion :
Le fait que le corps ressuscité sera sexué n’implique pas qu’il
doive exercer une sexualité active. Et l’on peut comprendre cela à la fois chez
les élus et les damnés, à cause de l’état nouveau du corps ressuscité.
La sexualité sur la terre possède deux finalités qui se réunissent
dans le plaisir.
1° D’abord, elle exprime
l’amour des époux. L’union charnelle est comme un sacrement, c’est-à-dire comme
le signe sensible extérieur qui symbolise et peut même aider à réaliser l’amour
intérieur. 2° Ensuite, il est source
de vie. Cette seconde finalité est naturellement faite pour être le fruit de la
première. L’homme possède la liberté de dévoyer le plaisir des deux finalités
auquel il est ordonné. Devenu égoïste, il peut aller jusqu’à rechercher le
plaisir de manière indépendante de tout amour ou de toute ouverture à la vie
qui se communique.
Pour savoir si les relations sexuelles demeurent au Ciel, il faut
se demander si cette forme d’expression de l’amour sera encore utile. Or, nous
l’avons montré, les élus du Ciel possèdent un corps glorifié dont l’une des
propriétés les plus importantes, la « lumière », est de ne plus
constituer un obstacle avec l’esprit. Au contraire, par ce corps, les pensées
intérieures sont parfaitement exprimées, sans erreur possible, bien qu’elles
soient perçues par l’autre à travers l’organe de ses sens. En conséquence,
l’amour de l’un peut être exprimé et communiqué, avec un plaisir plénier
(spirituel, psychologique et même, tout à la fois, physique), sans autre
effort. Ce sera un mode inouï de communication amoureuse, d’où l’aspect sexué
ne sera pas sans importance, puisque, nous l’avons dit, les hommes et les
femmes garderont la grâce spirituelle et psychologique, ainsi que la beauté
physique liée à leur sexe. Mais ce qui sera premier et essentiel dans cette
communication d’amour, ce sera d’abord la vision de Dieu qui transfigurera
tout. Face à ce degré suprême de communication de l’amour, il est certain que
le mode sexuel paraîtra très terne et périmé. C’est pourquoi, sous ce rapport,
il n’y aura plus d’actes sexuels tels que nous les voyons sur terre.
Il reste maintenant l’autre finalité de la sexualité qui est la
communication de la vie. Sous ce rapport non plus, elle sera devenue inutile
puisque tous les hommes voulus par Dieu seront nés. La droiture de la volonté
des élus communiera entièrement à cette volonté de Dieu, et trouvera à exercer
la maternité et paternité spirituelles ailleurs, surtout si, comme c’est
probable, Dieu continue la préparation d’autres créatures spirituelles à son
don.
Du côté des damnés, il faut parler autrement. Certains d’entre eux
chercheront sans doute leur plaisir dans des activités sexuelles. Mais ce sera
toujours à travers des actes de luxure, c’est-à-dire dans une recherche de la
seule jouissance égoïste, à l’exclusion de l’amour et de la communication de la
vie. Mais il leur sera impossible de trouver le plaisir. Séparé de la fin pour
laquelle il est fait, leur être tout entier est en feu, c’est-à-dire qu’il
brûle de toute sorte de volontés et de passions mauvaises (vengeance, envie,
haine, tristesse etc.). Il en sera de même chez le partenaire sexuel, lui aussi
damné, dont le corps « lumineux » rayonnera sans obstacle une âme
répugnante par ses vices. En conséquence, s’ils recherchent le plaisir, ils ne
le trouveront pas. L’exotisme et la nouveauté qui parfois sur terre donnent un printemps
provisoire à la luxure ne peuvent exister dans l’enfer de personnes totalement
et froidement égoïstes et dont tout contact physique est source de répulsion.
Solutions[1776] :
1. Si l’on prétend que les
ressuscités auront encore à entretenir des relations charnelles, non point en
vue d’exprimer l’amour ou pour assurer la conservation de l’espèce ou la
multiplication des hommes, mais pour le seul plaisir qui réside en ces actes,
et pour qu’il ne manque aucun plaisir à la récompense dernière, l’inconvenance
d’une telle affirmation éclate de bien des manières.
En premier lieu, la vie des ressuscités, nous l’avons vu, sera
plus harmonieusement ordonnée que la vie d’ici-bas. Or en cette vie, il est contraire
à l’ordre, il est vicieux que l’homme entretienne des rapports charnels pour le
seul plaisir, et non point pour une autre finalité qui est soit charnelle
(comme le fait d’engendrer une descendance) ou spirituelle (comme le fait
d’exprimer son amour et son unité avec celle qu’il a épousé). La raison le veut
ainsi ; les plaisirs qui résident dans les actions dont nous venons de parler
ne sont pas en effet la fin de ces actes. Bien au contraire, la fin de ces
plaisirs naturels, c’est que les êtres animés ne s’abstiennent pas, par
fatigue, d’actes qui sont nécessaires à la nature, ce qui se produirait s’ils
n’y étaient attirés par le plaisir. C’est donc renverser indûment l’ordre que
d’accomplir ces actes pour le seul plaisir. Ce qui ne peut d’aucune manière
être le fait des élus dont la vie, par hypothèse, sera la mieux ordonnée qui
soit.
En second lieu, les actes des vertus sont ordonnés à la béatitude
comme à leur fin. Si donc dans l’état de la béatitude à venir, ces plaisirs de
la nourriture et de la chair constituaient pour ainsi dire des éléments de la
béatitude, il en résulte que ceux qui agissent vertueusement auraient en vue,
d’une certaine manière, ces plaisirs dont on vient de parler. C’est nier l’idée
même de tempérance. Il est en effet contraire à l’idée de tempérance que
quelqu’un s’abstienne de certains plaisirs pour pouvoir en jouir davantage par
la suite. Toute chasteté deviendrait ainsi impudique, et toute abstinence
gourmande. Si donc ces plaisirs existent (dans la vie ressuscitée), ils
n’existeront pas comme élément de béatitude, de telle manière que ceux qui
agissent vertueusement les aient en vue.
Ainsi, se trouve réfutée l’erreur de certains musulmans qui
veulent que les hommes, à la résurrection, aient encore, comme maintenant, à se
nourrir et à entretenir des rapports charnels. Certains chrétiens hérétiques
ont même emboîté le pas en annonçant un règne terrestre du Christ d’une durée
de mille ans pendant lesquels, disaient-ils, les ressuscités d’alors
s’adonneraient sans mesure à des banquets charnels où il y aurait tant de
vivres et de boissons que non seulement aucune pudeur ne serait plus gardée
mais que les mœurs des païens eux-mêmes seraient dépassées. À croire de
telles choses, il n’y a que des êtres charnels que les chrétiens spirituels
appellent « millénaristes », ainsi que l’écrit saint Augustin au
XXème livre de la cité de Dieu.
2. Les élus dans le Ciel
s’aimeront. Mais ils n’auront plus le désir d’exprimer leur amour par des
relations charnelles et ceci pour plusieurs raisons :
1° L’union des corps ne sera
plus un symbole de l’union des âmes puisque les corps glorifiés seront lumineux
de la lumière même de l’âme. Ainsi, l’amour sera exprimé par le seul échange
des regards et en plénitude.
2° Le plaisir qui sortira de
cette parfaite communion fraternelle comblera tous les désirs de l’âme et du
corps, avec une délicatesse et une intensité qui dépassera la jouissance
sexuelle telle qu’elle est ici-bas.
3° Les élus ne feront rien qui
ne soit immédiatement spécifié par leur contemplation de Dieu. Tous les actes
de leur vie, y compris les relations qu’ils auront entre eux, auront un mode
contemplatif. Aussi est-il dit de Marie en contemplation « qu’elle a choisi la
meilleure part qui ne lui sera pas enlevée. » C’est encore la raison
qui fait dire, au Livre de Job : « Celui qui descend aux enfers n’en remontera
plus ; il ne retournera plus dans sa maison et le lieu qu’il habitait ne le
reconnaîtra plus. » Par ces paroles, Job refusait cette résurrection
proposée par certains selon qui, après la résurrection, l’homme retournerait à
des occupations semblables à celles qu’il a maintenant, comme la construction
de maisons et l’exercice d’autres métiers de ce genre.
C’est pourquoi l’expression charnelle de leur âme n’aura plus lieu
d’exister.
3. Les damnés rechercheront le
plaisir charnel mais ils ne le trouveront jamais. Et pour s’en rendre compte,
on peut considérer par analogie ce qui apparaît déjà sur cette terre, chez ceux
qui n’attendent de la vie que la seule jouissance égoïste du plaisir.
Lorsqu’ils finalisent leur intention de vie par cette seule recherche, ils ne
sont jamais satisfaits. Ils recherchent sans cesse de nouvelles expériences ;
d’autre part la jouissance devient pour eux à long terme source d’amertume
puisqu’elle est incapable de combler en plénitude les désirs de leur âme. En
enfer, ce qui apparaît en germe chez ceux dont l’âme est pervertie sur cette
terre, se réalisera en plénitude. Les corps des damnés, animés par une âme
entièrement centrée sur l’amour égoïste d’elle-même, sera incapable d’éprouver
du plaisir. Et leur désir d’un plaisir inaccessible causera en eux
l’augmentation d’une amertume qui les rongera intérieurement.
4. De même l’union charnelle de
l’homme et de la femme est au service de la vie corruptible ordonnée qu’elle
est à la génération, celle-ci sauvegardant du moins au plan de l’espèce la vie
qui ne peut se conserver pour toujours au plan des individus. Or la vie des
ressuscités, nous l’avons vu, sera incorruptible. Les ressuscités n’auront plus
à exercer des relations charnelles. En outre, dans l’autre monde, le nombre des
élus sera parfait. La gloire de Dieu sera manifestée par un monde définitif qui
manifestera extérieurement l’immutabilité divine. Il n’y aura donc plus à
engendrer d’autres enfants.
Objections :
1. Dieu n’enlèvera aux
ressuscités, surtout aux élus, aucun élément de la perfection humaine. Or,
telle est la vieillesse, qui rend l’homme vénérable.
2. L’âge se mesure au temps
passé. Or, il est impossible que le temps passé ne le soit pas. Il est donc
impossible que ceux qui ont atteint un âge avancé redeviennent jeunes.
3. La nature humaine semble
avoir toute son activité dans l’enfant, tandis qu’elle se débilite avec l’âge,
comme le vin étendu d’eau. Si donc tous les ressuscités doivent avoir le même
âge, ils seront tous des enfants.
Cependant :
Saint Paul écrit : « Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à
l’état d’homme fait à la mesure de l’âge parfait du Christ. » Or le
Christ est ressuscité en pleine jeunesse, qui commence, dit saint Augustin,
vers la trentième année. Mais l’Apocalypse le représente avec des cheveux
blancs[1778], ce qui symbolise la
maturité de la vieillesse. C’est donc que jeunesse et vieillesse prendront un
autre sens dans l’Au-delà.
Conclusion :
Jeunesse et vieillesse peuvent se prendre en deux sens :
1° Au sens physique, comme on en parle
habituellement sur terre. La nature doit ressusciter sans défaut : telle Dieu
l’a faite, telle Dieu la refera. Or, la nature est sujette à un double défaut :
soit qu’elle n’a pas encore atteint son plus haut degré de perfection comme
chez les enfants, soit qu’elle l’ait dépassé, comme chez les vieillards. La
résurrection ramènera donc tous les hommes à la pleine jeunesse, à l’âge où la
maîtrise des potentialités physiques est la plus grande, quand se termine la
croissance et où le déclin n’est pas encore commencé.
2° Au sens spirituel qui est le plus important
dans l’autre monde puisque le corps est entièrement soumis à l’esprit, d’où son
nom de "corps spirituel" d’après saint Paul[1779]. Au Ciel, le corps aura
d’abord l’apparence de l’âme, puisque, nous le montrerons, il sera entièrement
lumineux et soumis à son influence. Les corps ressuscités étant soutenus dans
leur incorruptibilité par l’âme, ils apparaîtront extérieurement lumineux de la
clarté même de l’âme. Il ne s’agit pas seulement d'une clarté extérieure comme
celle du corps de Moïse après sa rencontre avec Dieu. Il s’agit d'une clarté
qui vient de l'intérieur de l'âme, rayonne sur la sensibilité et donne au corps
la jeunesse de sa sainteté. Il reste à savoir si les élus du Ciel paraîtront
vieux ou jeunes. Ces deux âges de la vie présentent des avantages : l’enfant symbolise
la vie sans souci. L’âge avancé symbolise la plénitude de l’expérience, le
détachement de ce qui est secondaire. Pris en ce sens, jeunesse et vieillesse
ont une signification spirituelle. Les élus auront donc l’"âge" de
l’âme ce qui signifie que plus une âme sera unie à Dieu, plus son corps
paraîtra resplendissant de jeunesse et, en même temps, profondément mûre comme
une personne avancée en âge.
Solutions :
1. Ce qui rend la vieillesse digne
de respect, ce n’est pas l’état du corps, qui a perdu sa perfection mais la
sagesse de l’âme, qui est sensée grandir avec les ans. Les élus auront droit à
ce respect à cause de la sagesse divine dont ils seront pleins, mais sans qu’il
y ait en eux rien de sénile.
2. L’âge de l’au-delà ne
signifiera pas le nombre des années, mais l’intensité de l’humilité (kénose) et
de l’amour. C’est ainsi que la vierge Marie, partie de la terre à plus de
soixante ans d’après saint Polycarpe, paraît incomparablement plus jeune que
tous les autres et en même temps plus mûre. Au contraire, les damnés paraîtront
vieux et immatures à la fois.
3. La nature humaine peut être dite plus parfaite dans l’enfant,
parce qu’elle possède en lui une plus grande puissance d’assimilation mais,
dans l’homme jeune, elle a atteint son plein épanouissement. Ainsi, si la
jeunesse sera l’état des ressuscités, au plan de la perfection physique du
corps, tel élu pourra paraître dans la plénitude de l’enfance à cause de
certaines qualités particulières de son âme, tel que nous les avons décrites
dans la question traitant des couronnes d’or. Ainsi, plus une âme sera unie à
Dieu, plus elle nous paraîtra jeune et belle. Tout le monde, certes, aura la
pleine vitalité de la jeunesse, mais avec ce je ne sais quoi qui peut rendre un
vieillard plus jeune qu’un adolescent. Au sommet de tout, conjointement à
Jésus, le corps glorieux de Marie attirera tous les regards. « Sa beauté inégalée ne rivalisera pas
avec les beautés uniques de ses enfants », dit sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus. Chacun de nos frères constituera un temple du Dieu unique, mais
non bâti de main d’homme où la Trinité séjournera sans jamais s’en aller. Un
seul élu contemplé ici-bas surpassera tout ce qui a été fait de beau par les
artistes depuis que le monde existe. Contemplée une vie entière, la beauté et
la gloire du plus petit dans le Royaume de Dieu ne lassera pas.
A partir de cette question, nous allons étudier de manière plus
détaillée et à la suite de saint Thomas d’Aquin, la manière d’être des corps ressuscités. Rappelons qu’il ne s’agit
que de spéculations dont la valeur est relative à ce que nous connaissons actuellement
de la matière. Or la matière, nous pouvons le pressentir à travers les avancées
des sciences positives, a une ouverture sur des potentialités immenses.
La foi nous enseigne (voir les questions précédentes) que les
corps des ressuscités seront immortels, intègres et qu’ils seront le véritable
corps de chacun. Cependant, nous savons qu’il y aura une manière d’être très
différente à ce que nous voyons ici-bas. Grâce aux apparitions de Jésus, nous
pouvons supposer quelques-unes de ces propriétés, sans toutefois être
absolument certain de la manière dont chacune d’elle se manifestera. En effet,
Jésus n’apparut à ses apôtres que sous une forme adaptée à leurs capacités
terrestre et non dans toute la gloire de sa splendeur. Il est pourtant notre
seule source de connaissance des corps glorifiés.
Il reste donc une méthode pour les connaître. Elle
consiste à étudier les limites de la matière telle que nous la connaissons
actuellement. Par exemple, nous connaissons mieux son rapport avec la lumière,
sa vitesse et le temps.
Mais même cela reste hypothétique. Que le lecteur se
réfère au Supplément de saint Thomas
d’Aquin dans sa Somme de Théologie.
Il y découvrira à quel point tout cela est aléatoire. Il faut donc lire les
questions suivantes avec un esprit sainement critique, et faire progresser les
réponses au fur et à mesure des progrès de la science.
Les théologiens modernes, devant l’ampleur de ces
interrogations en suspend, préfèrent avouer loyalement leur ignorance et s’en
tenir à la connaissance des "pourquoi" (les "comment"
appartiennent à Dieu). Saint Thomas est plus audacieux. Il va même trop loin
dans le détail sur les ongles, les dents etc. Nous essaierons de prendre une
attitude intermédiaire.
Nous avons à étudier maintenant la qualité des corps des élus dans
ce qui le distingue du corps des damnés. Nous nous demanderons[1780] :
1° L’état du corps des élus
diffère-t-il de celui des damnés ?
2° Le corps ressuscité est-il
la même chose que le corps astral dont parle la philosophie orientale
?
Objections :
1. Il semble que l’état des
damnés ne diffère pas essentiellement de celui des élus. Nous avons montré que
leur corps était doté d’incorruptibilité. Or ce qui est incorruptible ne peut
pâtir d’une agression extérieure. Donc, un tel corps est impassible ce qui est
une propriété commune avec le corps glorifié.
2. Il semble que les damnés ne
retrouveront pas leur intégrité physique mais que Dieu, qui est juste, leur
fera payer leur péché par quelque infirmité.
3. Il est impossible que les
corps des méchants soient sujets à la souffrance sans l’être à la corruption,
puisque toute passion trop forte altère la substance. Nous voyons en effet qu’un
corps, s’il demeure longtemps dans le feu, finit par se consumer, qu’une
douleur trop intense va jusqu’à séparer l’âme du corps.
4. De même que le corps des
élus sera lumineux en ce sens qu’il manifestera extérieurement la pureté de
leur âme ; de même celui des damnés manifestera leur perversion. Il n’y a pas
de différence essentielle à formuler entre la lumière des corps glorieux et
l’opacité des corps damnés car les contraires sont dans le même genre.
5. Le corps des damnés aura une
perfection naturelle absolue puisque Dieu les ressuscitera incorruptibles. Or
il est naturel au corps humain en bonne santé d’être agile. Donc cette
propriété ne doit pas être distinguée chez les élus.
Conclusion :
On peut distinguer deux sources de la vitalité du corps dans
l’autre monde. 1° La première est naturelle et elle vient de l’énergie que
l’âme imprime au corps ressuscité, l’âme humaine étant la forme du corps et lui
donnant la vie. Sous ce rapport, tous les ressuscités, qu’ils soient élus ou
damnés, seront revêtus de perfection car Dieu respectera le choix de vie de
chacun, n’exerçant aucune vengeance sur ceux qui auront choisi de mépriser son
Evangile. Ainsi, par la résurrection, Dieu supprimera d’une façon générale,
chez tous, bons et mauvais, tant le défaut de nature que les limites liées à la
matière d’ici-bas. Mais les mauvais ne bénéficieront que de l’ordre de leur
nature. 2° La seconde source de
vitalité est d’origine surnaturelle
et ne concerne que les saints car elle vient de la répercussion jusque dans leur
corps de la vision béatifique et la grâce créée qui l’accompagne et surélève
leur âme –la Lumière de gloire-. Et c’est sous ce rapport qu’il y aura une
différence entre les bons et les mauvais, Dieu faisant bénéficier ses amis de
potentialités absolument impossibles à la nature seule. Ainsi, le corps des
amis de Dieu, porté par la puissance de Dieu, pourra exercer à volonté des
choses dépassant largement toute possibilité de la nature corporelle :
être en plusieurs lieux à la fois, se déplacer instantanément et d’autres
choses du même genre.
Solutions :
1. Incorruptibilité : Nous accordons cette
objection. Le corps des damnés comme celui des élus sera doté d’une
incorruptibilité parfaite, puisque leur vie ne s’arrêtera jamais. C’est
pourquoi l’Apôtre dans la première épître aux Corinthiens, écrit des morts
qu’ils « ressusciteront incorruptibles » ce qui doit s’entendre
de tous, bons et mauvais, comme le veut le contexte. Il en ira donc, en
général, du corps de tous selon qu’il convient à l’âme forme incorruptible,
celle-ci donnera au corps d’être incorruptible, au dessus de la composition des
contraires, la matière du corps de l’homme étant en cela, de par la puissance
de l’âme, totalement indestructible. Mais de la lumière et de la force de l’âme
élevée à la vision de Dieu, le corps qui lui sera uni recevra quelque chose de
plus. Il sera totalement soumis à l’âme, de par la puissance divine, non
seulement quant à l’être, mais aussi quant aux actions et passions, mouvements
et qualités corporelles.
2. Intégrité : Les corps des damnés comme
celui des élus, en ce qui regarde la nature, retrouveront leur intégrité : ils ressusciteront
à l’âge parfait, sans aucune atrophie des membres, sans ces défauts ou ces
infirmités qu’a pu provoquer une erreur de la nature. Car Dieu donnera à chacun
sa perfection pour qu’il vive sa vie selon son orientation, dans les fruits de
l’égoïsme pour les damnés, et dans ceux du Saint Esprit pour les sauvés.
Cependant, il y a un rapport d’unité substantielle entre l’esprit et le corps.
Ainsi, il est naturel que les choix de l’esprit aient des conséquences jusque
dans l’état du corps. C’est ce que les médecins appellent le psycho-somatisme.
Ainsi voit-on parfois des hommes dont le handicap physique n’a pas d’autre
cause que le péché qui a pris, en eux, des proportions excessives. De même, en
enfer, les damnés dont l’âme sera pervertie, en subiront les conséquences dans
leur corps qui s’en trouvera profondément transformé.
3. Impassibilité : Il peut exister deux
manières d’être passible : 1° l’une
d’elle aboutit à une corruption du corps. Ainsi lorsque l’œil est aveuglé par
une lumière trop vive, il peut être brûlé au point qu’il s’en retrouve détruit.
Le corps des damnés sera incapable de subir une telle destruction à cause de
son incorruptibilité. 2° L’autre
signifie le fait de souffrir d’une impression sensible, sans en être pourtant
altéré dans sa substance. Ainsi, lorsqu’un homme perçoit une odeur désagréable.
Les damnés subiront une telle passibilité puisque leur âme n’aura pas atteint
la béatitude de la vision de l’essence divine qui seule libère des désirs
intérieurs et extérieurs. Ils demeureront sujets à la souffrance, comme
maintenant, et plus encore que maintenant, de telle manière cependant qu’ils
éprouveront du côté des réalités sensibles douleur mais non corruption, de même
que l’âme sera torturée par la totale frustration du désir naturel qu’elle a de
la béatitude.
Les élus, quant à eux, ne pourront souffrir d’aucune manière
possible. De même que l’âme qui jouit de Dieu verra son désir comblé en ce qui
concerne l’obtention de tout bien, de même verra-t-elle son désir comblé en ce
qui regarde à l’éloignement de tout mal : il n’y a pas de place pour le mal
dans la compagnie du souverain bien. Le corps amené par l’âme à son point de
perfection, et proportionnellement à l’âme, sera immunisé contre tout mal,
aussi bien en acte qu’en puissance, en acte d’abord, puisqu’il n’y aura dans
les corps ressuscités ni corruption ni difformité ni défaut quelconque ; en
puissance aussi, car ils ne pourront souffrir rien qui leur soit dommageable.
Aussi bien seront-ils impassibles,
sans pourtant que cette impassibilité leur enlève rien de la passion qui fait
partie de la nature sensible : ils useront en effet de leurs sens pour leur
plaisir, en tout ce qui est compatible avec l’état d’incorruption. C’est pour
exprimer cette impassibilité des corps ressuscités que l’Apôtre dit : « Semé
dans la corruption, il ressuscitera dans l’incorruption. »
4. Clarté : Il est vrai que le corps
des damnés comme celui des élus aura la propriété de révéler l’orientation
profonde de leur âme, ce qui relève de la même propriété, celle de la clarté.
Ainsi, le corps des damnés ne cachera rien de l’intention de leur volonté qui
est la cause de leur damnation. Et il apparaîtra clairement à tous ceux qui les
verront que leur âme privée de la lumière de la connaissance de Dieu, est
ténèbres.
Cependant, il faut ajouter que la clarté des élus aura quelque
chose de plus que celle des damnés. Ces deux apparences extérieures n’ayant pas
la même cause, elles doivent être distinguées. En effet, elle ne laissera pas
seulement transfigurer leur beauté spirituelle naturelle, mais aussi la présence surnaturelle de Dieu qui habitera leur esprit par la vision
béatifique. Elle est donc un effet de la grâce et non de la nature. C’est le
sens de la parole de l’Apôtre : « Tous ressusciteront, mais tous ne seront pas
changés ». Seuls les bons seront transformés pour la gloire ; les
corps des méchants ressusciteront privés de gloire mais "lumineux" de
leurs ténèbres intérieures naturels. De même donc que l’âme qui jouit de la
vision de Dieu sera inondée d’une certaine lumière spirituelle, de même par
rejaillissement de l’âme sur le corps celui-ci, à sa manière, sera revêtu de la
lumière de gloire. D’où la parole de l’Apôtre dans la première épître aux
Corinthiens : « Semé dans l’ignominie, le corps ressuscitera dans la gloire. » Notre
corps, maintenant opaque, sera alors lumineux
comme dit saint Matthieu : « Les justes resplendiront comme le soleil,
dans le royaume de leur Père. »
5. Agilité : Les hommes damnés seront certes dotés d’agilité, de manière incomptable au poids de cette
terre. Mais ils ne seront mus que par la puissance naturelle de leur âme, sans l’aide surajoutée de la puissance infinie
de Dieu. Si bien que, vu la taille immense de l’univers nouveau, lorsqu’ils
voudront changer de lieu, ils paraîtront lourds et pesants, ne dépassant pas
les propriétés de la lumière matérielle. Au contraire, uni à sa fin suprême,
l’homme qui jouira de la vision de Dieu, verra tous ses désirs comblés. Et
parce que c’est le désir de l’âme qui meut le corps, il en résultera que, comme
porté sur les ailes de Dieu, le corps obéira totalement à l’empire de l’esprit
et pourra se déplacer instantanément d’un bout à l’autre du monde. Les corps
des bienheureux seront donc doués d’une agilité
surnaturelle, pouvant se déplacer à volonté bien au-delà de ce qui est possible
à la nature corporelle seule. C’est bien ce que dit l’Apôtre au même
endroit : « Il est semé dans la faiblesse, il ressuscitera dans la force. » Voilà
pourquoi la Sagesse dit des justes qu’ils courront comme des étincelles à
travers le chaume ; non pas que le mouvement ait en eux pour fin de
répondre à quelque nécessité, -ceux qui possèdent Dieu n’ont besoin de rien-,
il sera simplement une preuve de force.
Objections :
1. Il semble que le
corps des ressuscités, aussi bien au Ciel qu’en enfer, est la même chose que le
corps astral. D’après la philosophie chinoise le corps astral possède le
pouvoir de traverser les murs, ce qui semble être lié à la subtilité. Il peut
se déplacer à grande vitesse dans l’espace ce qui est l’agilité. Il est libéré
de tout défaut physique ce qui se rapporte à 1’intégrité etc. Or toutes ces propriétés
sont caractéristiques du corps des ressuscités.
2. Le corps astral est
affranchi de toute vie végétative : il n’a pas besoin de se nourrir ou de
respirer. Il est le siège d’une vie sensible dont l’exercice est très aisé
lorsqu’il est séparé du corps physique. Or tout cela semble commun avec les
propriétés du corps des ressuscités.
3. Si l’on admet que
le corps astral n’est pas autre chose que le corps des ressuscités, on peut
être amené à comprendre d’une manière nouvelle et intéressante le mystère de la
résurrection. Celle-ci ne serait que la reprise par l’âme d’un corps psychique
(qui n’est autre que le corps astral) où l’absence de vie végétative s’explique
par l’absence du corps physique et de son inertie matérielle.
Cependant :
À la résurrection, les hommes retrouveront leur corps au
complet. C’est pourquoi ce corps renouvelé sera composé de chair et d’os. Au
contraire le corps astral est un corps vaporeux et impalpable et il se
distingue du corps physique. Donc, il ne peut y avoir identité entre le corps
glorieux et le corps astral.
Conclusion :
Selon certaines traditions philosophiques chinoises et indiennes,
on peut discerner dans l’être humain trois degrés de vie auxquels correspondent
trois corps parfaitement adaptés l’un à l’autre pour former une seule
personne : le corps physique, le
corps astral et le corps mental.
Le corps physique
est le siège des facultés végétatives comme la nutrition, la reproduction, la
croissance. Il est aussi le siège d’un autre corps appelé corps astral.
C’est le corps physique qui est source de l’existence du corps astral. Mais,
après la mort du corps physique, le corps astral s’en sépare et subsiste en se
nourrissant de l’énergie de l’âme elle-même. Ainsi, les morts emportent avec
eux leur psychisme, d’où l’expérience de la décorporation que rapportent de
nombreuses personnes passées près de la mort. Le corps astral est, avec le
corps physique, siège des facultés psychiques comme les sensations, les
passions, l’imagination et la mémoire. Le corps
mental n’est autre que ce que nous appelons l’esprit, siège de
l’intelligence et de la volonté. Ils ne lui donnent le nom de corps que par
métaphore car, selon eux, il dépasse cette notion pour être entièrement
spirituel. Le corps mental est immortel et indestructible. C’est lui qui, dans
la sagesse hindouiste, se réincarne à travers les âges.
Aristote distingue de la même façon trois degrés de vie
mais son analyse s’attache moins à la cause matérielle, pour regarder la cause
efficiente.
Ceci posé et dans l’hypothèse où le corps astral n’est
pas une fiction, on doit admettre qu’il ne peut être identique au corps ressuscité
tel que nous l’avons décrit et tel que la foi catholique en parle. En effet, ce
qui ressuscite, ce n’est pas une partie du corps mais le corps humain tout
entier avec sa chair et ses os. C’est ce que voulait signifier Jésus lorsque
ses disciples le prirent pour un fantôme[1783], c’est à dire pour
une apparition vaporeuse semblable au corps astral. Il leur fit toucher son
corps et Thomas mit la main dans son côté. Au contraire si Jésus était
ressuscité en ce sens qu’il aurait retrouvé son seul corps psychique ou astral,
il aurait ressemblé à un spectre impalpable et son corps serait resté au
tombeau.
Solutions :
1. Il est vrai que les
récits rapportant des expériences de décorporation manifestent que les
handicaps du corps physique ne sont pas présents dans le corps astral. Celui-ci
est décrit comme un double du corps physique composé d’une matière qui n’est
pas corpusculaire. On pourrait appeler une telle matière une « matière
psychique ». Cependant, l’intégrité de ce corps double n’est pas totale
puisqu’il lui manque le corps physique qui fait essentiellement partie de la
nature humaine. Il n’est donc pas identique au corps ressuscité.
Quant aux propriétés telles que l’agilité et la subtilité
qui semblent appartenir au corps astral, elles sont une première participation
de celles qui appartiendront au corps des élus lorsque la gloire de Dieu les
aura transformés.
2. Que les propriétés
du corps astral soient communes avec celles du corps des ressuscités, cela ne
prouve pas qu’il lui soit identique. Il lui manque en effet la capacité de se
rendre visible et palpable à volonté, tel que le Christ le pouvait. De même, il
lui est impossible de toucher la matière atomique, de la goûter. Au contraire,
le Christ manifesta à ses disciples qu’il pouvait manger puisqu’il prit du pain
et du poisson avec eux. De fait, les morts avant leur résurrection ne sont pas
en possession de la troisième partie du microcosme humain, à savoir le corps
physique palpable. Le corps astral n’est pas le corps humain mais seulement une
partie de ce corps. Il n’est donc pas identique au corps des ressuscités qui
sera parfait.
3. La résurrection du
Christ est modèle de la nôtre. Or, on doit admettre, avec la foi catholique,
qu’il est vraiment mort et que son âme s’est séparée complètement de son corps.
Lorsqu’il est ressuscité, il a retrouvé ce corps dans toute son intégrité. Il a
pris de nouveau possession de sa chair qui reposait au tombeau et non seulement
de son corps psychique ou corps astral. L’hypothèse contenue dans l’objection
doit donc être rejetée comme opposée à la foi catholique. En premier lieu, elle
méconnaît la perfection supérieure du corps des ressuscités en les réduisant à
des corps fantomatiques. En second lieu, elle aboutit à réduire la résurrection
du Christ et celle qui aura lieu à la fin des temps à un simple symbole. La
raison de cette méfiance vis-à-vis du corps physique vient principalement de
l’expérience terrestre de sa misère. Elle confond un mode provisoire lié à une
purification avec la gloire que Dieu prépare pour ceux qui l’aiment.
Douze
demandes :
1° Y aura-t-il de nouvelles sensations ?
2° La subtilité permet-elle au corps
glorieux d’être dans un lieu déjà occupé par un corps non glorieux ?
3° La subtilité permet-elle à deux corps
glorieux peuvent-ils occuper le même lieu ?
4° La subtilité rend-elle impalpable le
corps glorieux ?
5° Le corps des élus est-il doué d’agilité
?
6° Les élus feront-ils usage de leur
agilité ?
7° Leur mouvement sera-t-il instantané ?
8° La clarté sera-t-elle une prérogative
du corps des élus ?
9° Le corps aussi a-t-il droit à une
auréole ?
10° La clarté du corps glorieux peut-elle
être vue par un œil non glorifié ?
11° Le corps glorieux est-il nécessairement
vu par un œil non glorifié ?
12° Le corps glorieux peut-il se trouver
dans plusieurs lieux à la fois ?
Objections :
1. Cela semble nécessaire : la beauté
des corps glorieux ne peut être vue par un œil non glorifié puisqu’il
resplendit de couleurs et de lumières autres que celles d’ici-bas. On doit
admettre que l’œil des saints au Ciel, puisqu’il verra le corps glorifiés des
autres saints, aura de nouvelles sensations.
2. Saint Paul écrit[1785] : « Nous vous annonçons ce que
l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu. » Or, s’il
existe des choses que nul œil n’a vues et nulle oreille entendues, ce ne peut être
que des réalités appartenant à un domaine sensible nouveau. Il faudra donc de
nouvelles facultés sensibles pour les saisir.
3. Adam et Ève, dans le paradis
terrestre, possédaient des dons préternaturels par lesquels ils pouvaient
percevoir des réalités de l’univers qui actuellement nous échappent. Dans le
paradis céleste, qui est supérieur au paradis terrestre, l’homme aura donc de
nouvelles facultés qui n’existent pas aujourd’hui.
Cependant :
L’homme ressuscitera avec son propre corps et non avec un corps
substantiellement différent. Il n’y aura donc pas de faculté nouvelle, mais
seulement l’exercice total des facultés déjà présentes mais que la lourdeur de
l’état du corps physique entrave.
Conclusion :
Par la résurrection, Dieu rendra aux élus le même corps
qu’ici-bas. Il est donc impossible qu’il puisse exister dans ce corps nouveau
d’autres facultés sensibles que celles qui sont déjà présentes en lui sans
quoi, on devrait admettre que le corps ressuscité est essentiellement
différent.
Cependant, chez les élus, l’âme prendra possession de son corps de
telle façon que celui-ci pourra exercer ses facultés en plénitude. Nous savons
que le corps possède des capacités inutilisées. Le témoignage de ceux qui
approchent la mort et qui connaissent une expérience de décorporation de leur
corps psychique, confirme l’existence d’une acuité nouvelle du sens de la vue.
Il se caractérise par la vision de couleurs jusqu’ici invisibles, par la
capacité à voir les très petites choses ou les très lointaines. De même, ceux
qui sont aveugles retrouvent en plénitude la faculté de voir. S’il existe
actuellement des facultés naturelles dont l’exercice est empêché à cause d’un
obstacle lié à la chair terrestre, on doit admettre qu’elles s’exerceront dans
la gloire. C’est ce que certains rapportent des facultés sensibles comme la
télépathie qui consiste à capter certaines ondes émises par le cerveau d’un
autre homme. De même, le phénomène du sourcier qui peut sentir la présence de
l’eau s’expliquerait d’une manière analogue par une capacité de saisir des
ondes émises par les corps physiques. De telles facultés, étant naturelles dans
leur origine, s’exerceront chez les ressuscités.
Solutions :
1. L’œil non glorifié ne peut
percevoir que certaines qualités de couleur, celles qui sont contenues entre
l’infrarouge et l’ultraviolet. Le fait qu’après la résurrection l’œil puisse
saisir un éventail beaucoup plus large de couleurs n’implique pas qu’il faille
poser dans le corps humain une nouvelle faculté sensible car l’objet d’une telle
vision renouvelée reste la couleur et la lumière. Il faut donc dire que l’œil
glorifié s’exercera avec une plus grande plénitude qualitative, sans pourtant
changer de nature.
2. Ce texte de saint Paul
signifie en premier lieu la vision intellectuelle de l’essence divine qui
dépasse par sa hauteur tout ce que l’intelligence peut concevoir. Cependant,
pris au sens propre, il annonce l’apparition de nouvelles réalités sensibles,
dont la beauté est inimaginable, comme le corps glorieux du Christ, celui de Marie
et des saints, le monde nouveau que Dieu créera à la fin.
Cependant, l’existence de nouvelles réalités sensibles communes
aux facultés de l’homme n’oblige pas à poser l’apparition d’une nouvelle espèce
de sensation ; il suffit d’admettre, comme nous l’avons dit, que les cinq sens
prendront après la glorification du corps une plénitude d’exercice capable de
rendre présent la totalité du domaine sensible qui est leur objet propre.
Ainsi, si l’oreille ne peut pas actuellement capter certains sons à cause de la
faiblesse de l’organe, elle le pourra dans la gloire ; Et l’on doit dire la
même chose pour l’œil par rapport au large éventail des ondes lumineuses qui
existe dans la nature ; Pour le toucher qui pourra saisir des qualités tactiles
nouvelles, comme celles qui actuellement lui sont inadaptées à cause de leur
trop grande chaleur ou de leur trop grand froid.
3. Les dons préternaturels
d’Adam et Ève étaient des facultés de leur nature qui ne pouvaient s’exercer
sans l’aide de la grâce originelle qui les unissait à Dieu. Ces dons
permettaient à leur esprit de vivre dans une harmonie totale avec leur corps
qui lui était soumis en plénitude et avec l’univers entier. Après le péché
originel, l’exercice de ces dons fut en partie empêché ce qui explique la lutte
actuelle de la volonté humaine et des facultés sensibles du corps et la
disharmonie de l’homme avec la nature. Cependant, ces facultés demeurent à
l’état de puissance dans la nature humaine. Après la résurrection, elles
s’exerceront à nouveau en plénitude. Il n’est donc pas nécessaire de poser
l’apparition de nouvelles facultés puisqu’elles n’ont jamais disparu.
Objections :
1. Le fait qu’un corps solide
ne puisse occuper un lieu en même temps qu’un autre corps tient à sa
corpulence. Or la subtilité ne fera pas disparaître la corpulence des corps
glorieux qui sera un corps sensible, et même palpable ; ni la matière ni la
forme ni les accidents naturels, le chaud, le froid, etc. ne lui feront donc
défaut. Sa subtilité ne l’empêchera donc pas d’occuper un lieu car, ce serait
folie d’affirmer que le lieu occupé par un corps glorieux est vide.
2. Ce qui fait que deux corps
doivent chacun avoir leur lieu, c’est la nature de la quantité étendue, qui se
définit précisément par la propriété d’occuper un lieu. Ce n’est pas une
qualité mais la nature même de la matière corpusculaire. Or le corps glorieux
sera fait de matière corpusculaire et non d’ondes comme certains l’ont prétendu
puisqu’il sera palpable donc il ne pourra être dans un lieu déjà occupé.
3. Ce qui dépasse les lois de
la nature ne peut exister sans un miracle de la puissance divine qui est au-dessus
de toute nature créée. Ainsi, qu’un corps occupe le lieu d’un autre peut être
un privilège divin pour le surcroît de gloire des élus, de même que Dieu
accorde à saint Pierre le privilège de guérir les malades par sa seule
présence, en confirmation de la foi au Christ. Mais cela ne peut être une
propriété naturelle du corps glorieux.
4. Si cette propriété existe,
alors deux élus pourront occuper le même lieu, ce qui est inconvenant.
Cependant :
1. Le Christ transformera
notre corps misérable en le rendant semblable à son corps glorieux. Or le corps
du Christ fut dans un lieu occupé déjà par un corps ordinaire lorsque, les
portes étant fermées, il entra dans l’appartement où les disciples étaient
réunis.
2° Ce que peuvent les rayons
solaires, être dans un lieu déjà occupé par un autre corps comme le verre, les
corps glorieux, dont l’excellence est suprême, le pourront aussi.
Conclusion :
Ce qui empêche aujourd’hui le corps humain de traverser un autre
corps solide, c’est la cohésion des molécules qui le composent et que la
volonté n’a aucun pouvoir de modifier. Aussi qu’un corps étranger vienne à
pénétrer le corps humain, cela ne peut être que par violence et conduire à une
destruction, à une blessure de sa cohésion organique. Cependant, le corps glorifié
sera, comme on l’a montré, soumis en plénitude à la volonté de l’âme au point
qu’il lui obéira dans chacune de ses parties. Il ne pourra donc subir aucune
atteinte de par un corps extérieur. Il sera invulnérable.
Il reste maintenant à se demander s’il est possible qu’un corps
glorifié se trouve dans le même lieu qu’un autre corps physique cohérent. Pour
répondre à cette question, il est nécessaire de connaître la nature des
réalités matérielles. Lorsqu’on l’étudie au niveau microscopique, on s’aperçoit
que la matière n’est pas une réalité continue. Elle est composée de
l’agencement de multiples atomes qui laissent entre eux des espaces vides
immenses en comparaison de ce qui est réellement occupé par les corpuscules
élémentaires qu’on appelle protons, électrons et neutrons. Le niveau
microscopique est comparable d’une certaine manière au niveau macroscopique
c’est-à-dire aux étoiles autours desquelles gravitent les planètes, laissant
d’immenses espaces vides. Ainsi, lorsqu’on dit qu’un corps en traverse un
autre, on n’est pas obligé d’admettre qu’il se trouve obligatoirement dans le
même lieu qu’un autre corps. Il peut emprunter les vides inter-atomiques. C’est
de cette manière que la lumière et les ondes électromagnétiques, qui sont des
réalités matérielles peuvent passer à travers certains corps comme le verre ou
l’eau. De même, le corps glorieux, à cause de sa très grande soumission à
l’âme, peut adapter la cohésion de ses parties microscopiques de telle manière
qu’elles puissent passer à travers la matière. C’est la meilleure explication
qu’on puisse donner pour le moment pour rendre fait que le corps de Jésus qui
était palpable, a pu entrer dans une pièce alors que toutes les portes étaient
fermées. De cette manière, il est possible d’éviter de faire appel à la
puissance miraculeuse de Dieu pour rendre compte de certaines propriétés
surprenantes du corps glorieux. Il ne s’agit bien sûr que d’hypothèses adaptées
à notre connaissance actuelle et limitée des propriétés de la matière.
Solutions :
1. Les corps glorieux garderont
leur corpulence mais cette corpulence sera soumise à la puissance de l’âme au
point qu’elle pourra être rendue à volonté impalpable à celui qui s’approche.
Cette propriété tient à la puissance de l’âme qui informera chaque partie du
corps jusque dans ses aspects microscopiques. De même que l’âme de l’élu sera
entièrement soumise à Dieu, de même le corps lui sera soumis en plénitude.
2. La matière palpable paraît
continue à un regard extérieur. Mais si on analyse sa structure au plan
microscopique, on s’aperçoit que ce n’est pas qu’une apparence. Il existe en
effet davantage de parties vides que de parties pleines. C’est pourquoi les
astronomes enseignent que si l’on arrivait à contracter la terre de telle
manière que les vides interatomiques disparaissent, elle tiendrait dans le lieu
occupé par une orange.
3. Nous avons montré qu’il
n’est pas nécessaire de poser l’existence d’un miracle divin pour expliquer la
subtilité des corps glorieux puisque, en traversant la matière, ils n’en occupent
pas réellement le même lieu.
4. Loin d’être inconvenant,
cette propriété des corps glorieux permettra peut-être une forme de communion
inconnue sur terre des esprits et des corps.
Objections :
1. L’ordre normal des êtres
matériels exige qu’ils se distinguent par leur lieu. Si deux corps glorieux
peuvent occuper un même lieu, on ne pourra plus les distinguer et il semblera
qu’on a affaire à un seul homme. Cela est incroyable.
2. Le lieu est une propriété
essentielle du corps quantifié. Il permet l’individuation des êtres. Si deux
corps glorieux occupent un seul lieu, non seulement on ne les distinguera plus dans
leur individualité mais ils risquent de perdre leur spécification individuelle
en mélangeant la matière qui les compose.
Cependant :
Si un corps peut se trouver dans le même lieu qu’un corps non
glorieux, ce qui permet de traverser les murs, il peut à plus forte raison
occuper le même lieu qu’un autre corps glorieux dont la subtilité est
supérieure.
Conclusion :
Qu’un corps glorieux puisse occuper avec un autre corps le même lieu,
cela est possible pour les mêmes raisons que celles qui ont été évoquées dans
l’article précédent. Cependant, cela ne peut se réaliser sans que les deux
volontés liées aux deux corps soient consentantes. En effet, de même qu’un élu
peut contrôler la matière de son corps au point de la rendre subtile et de lui
faire traverser la matière de même il peut à volonté la rendre impénétrable.
Solutions :
1. Rien ne se fera au Ciel qui
ne soit dans l’ordre de la volonté divine. Aussi qu’un élu s’unisse à un autre
au point de paraître faire un seul corps, cela ne peut venir d’une volonté
ordonnée, à moins qu’on admette qu’il pourra exister par là une forme de
manifestation de la charité qui unira les élus entre eux. Il est impossible
d’entrer avec certitude dans de telles spéculations.
2. La matière de chaque corps
glorieux est soumise à son âme d’une manière parfaite. Elle ne risque pas de
perdre son individualité en traversant un autre corps.
Objections :
1. « Ce qui est palpable est
nécessairement corruptible », dit
saint Grégoire. Or, le corps glorieux est incorruptible.
2. Être palpable, c’est opposer
une certaine résistance qui semble faire défaut au corps glorieux, puisque
celui-ci peut être avec un autre corps dans le même lieu.
3. Être palpable, c’est être
tangible, ce qui suppose des qualités capables d’impressionner le sens du
toucher, donc en excès par rapport à lui. Or, dans le corps glorieux, toutes
les qualités seront ramenées à la plus parfaite égalité.
Cependant :
1° Le corps du Christ
ressuscité était glorieux et en même temps palpable, comme il le disait à ses
disciples, pour les convaincre qu’il n’était pas « un fantôme qui n’a ni
chair ni os. »
2° Eutychès, évêque de
Constantinople, se rendit coupable d’hérésie en affirmant, comme le rapporte
saint Grégoire, que, « après la
résurrection, le corps des élus sera impalpable. »
Conclusion :
Tout corps palpable est tangible ; mais la réciproque n’est pas
vraie. Un corps tangible est celui qui possède des qualités capables
d’impressionner le sens du toucher, tels l’air, le feu, etc. Un corps palpable
est celui qui résiste au toucher : l’air, qui n’oppose aucune résistance, mais
se laisse traverser avec la plus grande facilité, est tangible mais non
palpable. Pour être palpable, un corps doit donc réunir ces deux conditions :
qualités sensibles et résistance. Les premières, le chaud, le froid, etc. ne se
rencontrent que dans les corps lourds et légers, contraires les uns aux autres,
et donc corruptibles ; Le corps glorieux est naturellement doué des qualités
propres à impressionner le toucher ; mais, parfaitement soumis à l’âme, il
peut, au gré de celle-ci, agir ou ne pas agir sur ce sens. Il possède encore,
et naturellement, la faculté de résister au corps qui voudrait le traverser, et
donc de ne pas occuper le même lieu ; comme aussi, il peut n’offrir aucune
résistance et donc occuper le même lieu. Il est donc tout à la fois palpable
par nature et impalpable par volonté. »
Le Seigneur, dit saint Grégoire, se fit toucher par ses disciples lorsqu’il fut
au milieu d’eux, les portes étant fermées, afin de leur montrer que, après sa
résurrection, son corps était le même par la nature mais autre par la gloire.
Solutions :
1. L’incorruptibilité du corps
glorieux venait de la nature de ses éléments, il serait corruptible du fait
qu’il est palpable ; mais elle vient d’ailleurs.
2. Le corps glorieux peut
occuper le même lieu qu’un autre corps ; mais il peut aussi lui résister, au
gré de la volonté.
3. Les qualités tangibles, dans
le corps glorieux, ne seront pas réduites à une moyenne matérielle mais
proportionnelle, c’est-à-dire, à la plus grande perfection convenable à chaque
partie ; ce qui rendra ce corps très agréable au toucher qui, comme toute
puissance, éprouve du plaisir en ce qui lui est exactement proportionné, tandis
que tout excès lui cause une souffrance.
Objections :
1. S’il en était
ainsi, les corps glorifiés n’auraient pas besoin « d’être portés sur les
nuées à la rencontre du Seigneur », dit saint Paul ; et portés « par les anges », ajoute la Glose.
2. L’agilité exclut l’effort. Mais l’âme imprimera au corps glorieux des
mouvements contraires à celui qui lui est naturel, donc des mouvements qui
exigeront un certain effort.
3. La sensibilité est
plus noble et plus voisine de l’âme que le mouvement ; cependant, on n’attribue
au corps glorieux aucune propriété spéciale destinée à la rendre plus parfaite.
4. Dieu, par la nature
ou par lui-même, donne à chaque être les organes adaptés à son mouvement, lent
ou rapide. Or, les membres du corps glorieux seront semblables à ce qu’ils sont
aujourd’hui. Son agilité sera donc aussi la même.
Cependant :
1° Saint Paul dit du
corps des élus : « Semé dans la faiblesse, il ressuscite plein
de force » ; ce que la Glose interprète « plein d’agilité et de vitalité. »
2° La lenteur est tout
à fait opposée à la "spiritualité" que saint Paul attribue au corps
glorieux.
Conclusion :
Le corps glorieux sera absolument soumis à l’âme
glorifiée, non seulement en ce sens qu’il n’opposera aucune résistance à sa
volonté, car Adam innocent jouissait de ce privilège, mais parce que l’âme lui
communiquera une certaine perfection ou « prérogative », qui le rendra capable de cette
soumission totale. Or, l’âme est unie au corps pour lui donner l’être et le
mouvement. À ce double point de vue, le corps glorieux lui sera parfaitement
soumis. Par la subtilité, il le sera comme à la forme dont il reçoit son être
spécifique ; par l’agilité, comme au principe de son mouvement par lequel il
obéira docilement et promptement à toutes les impulsions et actions de l’âme.
Solutions :
1. S’il en est ainsi,
ce ne sera pas par impuissance, mais comme un témoignage de respect rendu au
corps des élus par les anges et toutes les créatures.
2. Plus l’âme est
maîtresse du corps, moins elle a de peine à lui imprimer un mouvement contraire
à sa nature. C’est un fait d’expérience chez ceux dont la vigueur est plus
grande ou le corps plus exercé. Ces deux conditions, d’âme et de corps, seront
réalisées au plus haut degré chez les élus : le mouvement ne leur coûtera donc
aucun effort ; c’est ce qu’on appelle l’agilité.
3. Cette prérogative
ne rend pas le corps apte seulement à se mouvoir, mais à sentir et, en général
à servir parfaitement l’âme dans toutes ses opérations.
4. De même que la
nature donne à certains animaux des organes adaptés à un mouvement plus rapide
; de même, Dieu donnera au corps des élus non pas d’autres organes de
locomotion, mais cette prérogative qui s’appelle l’agilité, au sens que nous
avons dit.
Objections :
1. Le mouvement,
qu’Aristote définit : « l’acte d’un
être imparfait », ne convient donc
pas à la perfection du corps glorieux.
2. Le mouvement ou
recherche d’une fin, suppose donc une certaine indigence. Mais le Ciel, dit
saint Augustin, « c’est la présence de
tous les biens et l’absence de tous les maux. »
3. Il est plus
excellent de participer à la perfection divine sans mouvement qu’avec mouvement.
4. « L’âme affermie en
Dieu, dit saint Augustin, affermira par là même son propre corps. » Or, l’âme sera affermie en Dieu
jusqu’à l’immobilité absolue.
5. L’excellence du
lieu correspondra à celle du corps glorieux. Le Christ « a été élevé au-dessus
des cieux », dit saint Paul : il est le premier "par le rang et
par la dignité », ajoute la Glose. De
même, chacun des élus occupera la place dont il est digne et qui sera un des
éléments de sa gloire. Donc puisque, après la résurrection, les élus auront
atteint le terme et que leur gloire demeurera invariable, chacun gardera, sans
changement, la place qu’il aura méritée.
Cependant :
« Ils
courront, dit Isaïe, et ne se fatigueront point ;
ils marcheront et ne se lasseront point. » Ils seront, dit la Sagesse, « comme
des étincelles qui courent à travers le chaume. »
Conclusion :
Il faut nécessairement un certain mouvement dans le corps
glorieux. Celui du Christ est monté au Ciel ; ceux des élus y monteront aussi
après la résurrection. Mais, alors qu’ils y seront, il est vraisemblable qu’ils
se mouvront au gré de la volonté, aussi bien pour glorifier Dieu par l’exercice
des facultés qu’ils posséderont, que pour charmer leurs regards par les
magnificences de la création, miroir éclatant des perfections divines : les
sens, en effet, même chez les élus, exigent la présence de leur objet.
Cependant, ce mouvement ne diminuera en rien leur béatitude qui consiste dans
la vision de Dieu, dont ils jouiront partout où ils seront ; il en sera d’eux
comme des anges dont saint Grégoire dit : «
Où qu’ils soient envoyés, c’est en Dieu qu’ils courent. » Quant à la beauté de créatures diverses, ils seront comme la
nourriture pour la vue des êtres glorifiés. Il les conduira à admirer la
sagesse divine.
Solutions :
1. Le mouvement local
ne comporte qu’un changement extérieur, mais n’affecte en rien la constitution
même d’un être. Celui-ci peut donc être parfait en lui-même ; il n’est imparfait
que par rapport au lieu ; en ce sens que, étant dans un lieu, il est en
puissance à un autre, puisqu’il ne peut être en plusieurs lieux à la fois,
privilège réservé à Dieu. Ce défaut ne répugne donc pas à l’état de gloire, pas
plus que d’être une créature tirée du néant.
2. Il y a deux espèces
d’indigence, une indigence absolue et une indigence relative. La première a
pour objet ce sans quoi l’on ne peut conserver son être ou sa perfection ; elle
ne s’applique donc pas au mouvement du corps glorieux ; la béatitude lui
suffit. La seconde a pour objet ce sans quoi l’on ne peut atteindre une fin
aussi bien ou de la manière que l’on veut ; elle s’applique au mouvement du
corps glorieux dont les élus ont évidemment besoin pour manifester au dehors la
force motrice qui est en eux. Il n’y a aucune difficulté à admettre de
pareilles indigences dans le corps glorieux.
3. L’objection
porterait si le mouvement était nécessaire au corps glorieux à cause d’une
indigence absolue, comme s’ils avaient besoin de se déplacer pour être heureux.
Nous avons montré que cette opinion est fausse. Le mouvement sert aux élus
comme un surcroît de vie et de plaisir donné par Dieu jusque dans leur corps.
4. Le mouvement local,
étant extérieur à l’être, ne diminue en rien la stabilité de l’âme établie en
Dieu.
5. Le lieu plus ou
moins élevé assigné aux élus est une récompense accidentelle. Cette récompense
ne consiste pas à occuper ce lieu, qui n’exerce sur eux aucune influence mais à
en être dignes. Ils peuvent donc le quitter sans perdre pour cela leur bonheur.
Objections :
1. Le mouvement de la
volonté est instantané. Or, saint Augustin dit : « L’âme n’aura qu’à vouloir être quelque part, et aussitôt le corps
y sera. »
2. D’après Aristote,
si un mouvement se produisait dans le vide, il serait instantané, puisqu’il
n’éprouverait aucune résistance. Or, ainsi que nous l’avons dit, le corps
glorieux n’en éprouvera aucune ; son mouvement sera donc instantané.
3. L’énergie de l’âme
glorifiée dépassera infiniment, peut-on dire, celle de l’âme non glorifiée. Le
mouvement qu’elle imprimera à son corps devra donc échapper au temps et être
instantané.
4. Le mouvement qui
parcourt avec la même célérité, une petite ou une grande distance, est
instantané. Or, tel sera celui du corps glorieux, au dire de saint Augustin,
qui compare sa vélocité à celle du rayon lumineux.
5. Après la
résurrection, « il n’y aura plus de
temps. » Le mouvement du corps
glorieux ne sera donc plus dans le temps, mais instantané.
Cependant :
1° Dans le mouvement
local, l’espace, le mouvement et le temps ont la même divisibilité. Or,
l’espace parcouru par le corps glorieux est divisible ; donc, son mouvement
l’est aussi et se mesure par un certain temps. Il ne peut donc pas être
instantané, puisque l’instant est indivisible.
2° Il est impossible qu’une
chose soit, en même temps, tout entière dans un lieu et partiellement dans un
lieu et dans un autre ; car il s’ensuivrait que l’une de ses parties occupe
deux lieux à la fois, ce qui est impossible. Or, une chose qui se meut est
partiellement au point de départ et partiellement au point d’arrivée, où elle
est tout entière, quand le mouvement est achevé. Elle ne saurait donc être à la
fois en train de se mouvoir et au terme de son mouvement. Mais il en serait
ainsi, dans l’hypothèse du mouvement instantané, qu’il faut donc refuser au
corps glorieux.
Conclusion :
Le mouvement local du corps des élus doit être considéré
sous deux aspects : 1° Selon qu’il
est naturel, c'est-à-dire causé par la seule puissance de l’âme. 2° Selon qu’il vient de Dieu qui est
cause de la gloire.
1° Selon qu’elle est naturelle, l’agilité des
élus ressemble à celle des damnés qui participent à toutes les perfections
naturelles du corps ressuscité. Peut-il y avoir mouvement instantané ? Ce
problème a reçu diverses solutions. Certains prétendent que, semblable à la
volonté, le corps glorieux passe d’un lieu à un autre sans franchir le milieu
qui les sépare ; son mouvement est donc instantané comme celui de la volonté. -
C’est impossible. Le corps glorieux sera toujours un corps, sans jamais
acquérir une nature purement spirituelle. De plus, c’est métaphoriquement que
la volonté est dite se transporter d’un lieu à un autre, puisqu’elle n’y est
pas contenue elle-même ; cela signifie simplement que son intention se porte
vers un lieu après s’être portée vers un autre.
D’autres admettent bien que le corps glorieux, parce
qu’il est corps, doit franchir le milieu et se mouvoir dans le temps : mais,
ajoutent-ils, parce qu’il est glorieux, il peut s’en dispenser et se
transporter instantanément. - Cette opinion ne saurait être admise, parce
qu’elle implique contradiction. Supposons un corps qui se meut de A à B. Quand
il est tout entier en A, le mouvement n’est pas commencé ; tout entier en B, le
mouvement est terminé. Quand il se meut, puisqu’il faut bien qu’il soit quelque
part, il est ou tout entier dans un lieu intermédiaire ou partiellement dans ce
lieu et l’un ou l’autre des deux extrêmes. A étant distant de B, ce corps ne
peut être en partie dans A et en partie dans B, sans être dans le milieu, ce
qui détruirait la continuité entre les deux parties de lui-même.
Il faut donc, s’il se meut entre A et B
distants l’un de l’autre, qu’il soit successivement dans tous les lieux qui
séparent A de B. Autrement, il faudrait admettre qu’il est passé de A à B sans
se mouvoir, ce qui implique contradiction, puisque le mouvement local, c’est
précisément le passage par tous les lieux qui séparent deux termes. Telle est
la loi pour tout mouvement entre deux termes positifs. Il en va autrement, si
l’un des termes est une simple privation, parce que, entre une affirmation et
une négation, il n’y a pas de distance déterminée, mais celle-ci peut être plus
ou moins grande selon ce qui prépare ou cause le changement ; c’est pourquoi,
même en ce cas, une action exercée précède le mouvement réalisé. Quant au
mouvement des anges, il est étranger à la question car ce n’est pas de la même
manière qu’un ange et un corps sont dits être dans un lieu. En définitive, il
faut conclure qu’il est absolument impossible qu’un corps se transporte d’un
lieu dans un autre sans passer par tous les intermédiaires. Cette conclusion
est admise par d’autres qui n’en maintiennent pas moins le mouvement instantané
du corps glorieux. Ils voient bien la difficulté, à savoir, que ce corps serait
dans le même instant en plusieurs lieux, celui d’arrivée et tous les
intermédiaires ; mais ils croient pouvoir greffer sur l’identité réelle de
l’instant une distinction de raison, comme pour le même point qui termine
plusieurs lignes. - Cette distinction est factice. L’instant est la mesure
réelle, et non logique, de son contenu. Une distinction logique ou de pure
raison, ne peut donc en faire la commune mesure de plusieurs choses qui ne sont
pas simultanées ; pas plus que, appliquée au point, elle ne peut y réduire des
éléments éloignés les uns des autres.
L’opinion la plus probable, c’est donc que le corps
glorieux se meut dans le temps. Et la rapidité de son mouvement est dépendante
de l’énergie de l’âme et des capacités naturelles de la matière. Du côté de
l’âme, l’énergie ne peut être que finie puisqu’elle est une réalité créée ; du
côté du corps, la vitesse ne peut devenir infinie, comme le montrent les lois
de la relativité. Le monde physique est ainsi fait que la vitesse de la lumière
est toujours constante, aussi bien en avant qu’en arrière, quelle que soit la
vitesse du mobile. Les corps glorieux seront soumis à cette loi de la matière
car ils resteront de réels corps matériels. Si un élu veut donc se déplacer
d’un point à l’autre de l’univers à grande vitesse au point d’approcher celle
de la lumière, il expérimentera les propriétés décrites par Albert Einstein à
propos de l’espace-temps : les distances, relativement à sa grande vitesse
raccourciront pour lui ; le temps s’allongera. Il ne s’agira pas d’une simple
impression subjective mais d’un véritable phénomène physique. L’âme n’en sera
bien sûr pas affectée, étant perpétuellement plongée dans l’éternité de Dieu
2° Selon qu’elle sera causée par Dieu, à travers sa
puissance infinie qui crée et dépasse les lois de la nature, donc surnaturelle,
l’agilité des élus sera parfaite. Leur corps, revêtu de la puissance de Dieu,
peut se déplacer instantanément d’un lieu à un autre et même être en deux lieux
à la fois, comme on le voit dans le miracle de la bilocation. Tout cela se fera
à volonté puisque Dieu qui fait un au plan de l’union de l’intelligence et
volonté avec les élus, obéira au moindre de leurs désirs selon le psaume 139, 9 : « Je prends les ailes de l'aurore,
je me loge au plus loin de la mer, même là, ta main me conduit, ta droite me
saisit. » Mais, comme nous l’avons dit, cette
propriété ne sera donnée qu’aux saints dans la vision béatifique, les damnés
étant volontairement indépendants de Dieu.
Solutions :
1. « Quand il manque un
rien, c’est comme si rien ne manquait »,
dit Aristote. Nous disons : « Je le fais tout de suite », de ce que nous faisons avec un délai
minime. C’est ce sens qu’il faut donner au texte de saint Augustin.
2. Cette assertion d’Aristote
est fausse. La vitesse n’est pas seulement proportionnée à la résistance
extérieure rencontrée dans l’espace mais aussi à l’inertie du mobile. Et cette
résistance du mobile à l’accélération est d’autant plus grande qu’on approche
de la vitesse de la lumière. Mais alors, les propriétés relatives du temps
apparaissent ce qui donne une voie intéressante à la compréhension de la
vitesse possible au corps glorifié lorsqu’il est mu sans résistance par
l’énergie de son âme. Cependant, l’agilité des corps glorieux reste celle de
corps physiques.
3. Quoique l’énergie
de l’âme glorifiée soit incomparablement supérieure à celle de l’âme non
glorifiée, elle n’est cependant pas infinie et ne saurait donc causer un
mouvement instantané. Elle ne le pourrait pas non plus, alors même que son
énergie serait infinie, à moins de supprimer radicalement toute résistance
opposée par le mobile, ce qui est impossible. Car il existe une résistance qui
vient de l’espace il faudrait soustraire le mobile corporel à la nécessité
d’occuper un lieu et une position déterminés. En effet, de même que le blanc
résiste au noir, et d’autant plus qu’il en est plus éloigné, de même, le corps
résiste à un lieu du fait qu’il occupe un lieu opposé, et sa résistance est en
proportion de la distance. Or, il est impossible de soustraire un corps à la
nécessité d’occuper un lieu ou une position déterminée, à moins de lui enlever
sa nature corporelle dont elle est la conséquence. Donc, aussi longtemps qu’il
garde cette nature, son mouvement ne peut pas être instantané, quelle que soit
l’énergie de son moteur ; conclusion qui s’applique au corps glorieux,
puisqu’il ne cessera jamais d’être un corps.
4. Saint Augustin
parle d’une égale célérité, parce que la différence sera imperceptible,
comme le temps même nécessaire à ce mouvement.
5. Après la
résurrection, il n’y aura plus le temps qui est le nombre du mouvement sidéral
; Mais il y aura toujours celui qui est le nombre de la succession essentielle
à tout mouvement.
Objections :
1. « Tout corps lumineux
est composé de parties transparentes »,
dit Avicenne. Or, beaucoup de parties du corps glorieux, la chair, les os,
etc., ne sont pas transparentes, ni, par conséquent, lumineuses.
2. Un corps lumineux
fait écran un astre en éclipse un autre ; la flamme empêche de voir ce qui est
derrière elle. Or, saint Grégoire dit que, «
au Ciel, l’épaisseur corporelle ne fera pas obstacle aux regards des élus
ils pourront voir de leurs yeux la merveilleuse harmonie intérieure du corps
humain. »
3. Selon Aristote, « la lumière est dans le diaphane
indéterminé, tandis que la couleur est à la limite des corps. » Or, « la beauté, dont la proportion et le coloris sont les éléments », dit saint Augustin, ne saurait faire
défaut au corps glorieux, qui ne peut donc pas être lumineux.
4. La clarté devrait
être égale dans toutes les parties du corps glorieux, de même que toutes sont
également impassibles, subtiles et agiles. Mais il semble bien que, au
contraire, certaines devraient être plus éclatantes que d’autres les yeux plus
que les mains, les humeurs plus que la chair et les tendons.
Cependant :
1. « Les justes resplendiront comme le soleil dans
le royaume de leur Père. » – « Ils brilleront, et, semblables à des étincelles,
etc. »
2° Le corps des élus,
« semé dans l’ignominie, ressuscitera glorieux », dit saint Paul ; ce qui
signifie la clarté, puisqu’il vient de parler de celle des étoiles.
Conclusion :
Il faut attribuer cette prérogative au corps des élus,
puisque l’Écriture l’affirme, ainsi que nous venons de le dire. On peut
l’expliquer de la manière suivante : de même qu’à l’heure de la mort, le corps psychique
devient transparent en ce sens qu’il ne constitue plus un obstacle aux pensées,
de même, après l’entrée dans la vision de Dieu transparaît dans le corps
ressuscité. Ainsi, la clarté aura pour cause le rejaillissement de la gloire
de l’âme sur le corps. Ce qu’un être reçoit, il le reçoit selon sa nature à
lui, et non pas selon la nature de l’être qui le lui communique. La clarté,
spirituelle dans l’âme, sera donc corporelle dans le corps, et, en lui comme en
elle, proportionnée au mérite. La clarté du corps manifestera donc la gloire de
l’âme, comme un vase de cristal reflète la couleur de l’objet qu’il renferme,
dit saint Grégoire.
Solutions :
1. Avicenne parle du
corps dont la clarté dépend des éléments dont il est formé. Celle du corps
glorieux dépend du mérite et de la vertu. Il ne faut donc pas confondre la
clarté du corps glorieux avec une simple luminescence. Ici, la lumière physique
qui éclate a la propriété de révéler la présence de Dieu qui est vu.
2. Saint Grégoire,
commentant Job, compare le corps glorieux à l’or, à cause de son éclat, et au
cristal, à cause de sa transparence. Il semble donc bien qu’il aura ces deux
qualités à la fois. C’est la densité des éléments qui fait que leur éclat
s’oppose à la transparence. Mais la clarté du corps glorieux n’aura pas sa
cause en lui-même : il pourra donc, comme le cristal, posséder tout ensemble
densité et transparence. Certains veulent qu’il y ait ici une simple
comparaison le corps glorieux laisse voir la gloire de l’âme, comme un vase de
cristal laisse voir l’objet qu’il renferme. Mais la première explication
convient mieux à la dignité du corps glorieux, et elle est plus conforme à ce
que dit saint Grégoire.
3. La gloire du corps
ne détruira pas sa nature, mais la perfectionnera. La couleur qui lui est
naturelle demeurera donc, mais la gloire de l’âme y ajoutera un nouvel éclat ;
de même qu’on voit ici-bas la splendeur du soleil ou toute autre cause interne
ou externe, faire briller davantage les objets naturellement colorés.
4. La gloire de l’âme
rejaillira sur chaque partie du corps de la manière convenable à celle-ci. Il
est donc raisonnable d’admettre que chacune aura une clarté plus ou moins
grande selon ses prédispositions naturelles. Il n’en va pas de même pour les
autres prérogatives, car les différentes parties du corps s’y prêtent
également.
Objections :
1. Cela semble, car la
récompense essentielle l’emporte sur l’accidentelle. Mais la dot, qui appartient
à la récompense essentielle, n’est point seulement dans l’âme, elle est aussi
dans le corps. Donc également l’auréole, qui appartient à la récompense
accidentelle.
2. Le péché accompli
avec le corps reçoit un châtiment dans l’âme et dans le corps. Donc, l’acte
méritoire accompli avec le corps mérite une récompense dans l’âme et dans le
corps. Or, les actes qui méritent l’auréole s’accomplissent avec le corps.
Celle-ci lui est donc due aussi.
3. Dans les corps des
martyrs, on verra, à travers leurs cicatrices, une sorte de rayonnement de la
plénitude de leur vertu, saint Augustin dit : « Je ne sais comment nous sommes pénétrés par l’amour des
bienheureux martyrs, au point de vouloir voir, au royaume des cieux, jusque
dans leurs corps, les cicatrices des blessures qu’ils ont supportées pour le
nom du Christ. Peut-être les verrons-nous ce ne sera pas chez eux une
difformité, mais une sorte d’honneur ; une splendeur brillera en eux, qui, bien
qu’elle soit dans leur corps, ne sera pas du corps, mais de leur vertu. » Il semble donc que l’auréole des
martyrs sera même dans leur corps, ainsi que les autres auréoles, pour le même
motif.
Cependant :
Les âmes qui sont maintenant au paradis ont des auréoles,
sans avoir de corps physique. Le sujet propre de l’auréole n’est donc pas le
corps, mais l’âme.
En outre, tout mérite vient de l’âme : toute la
récompense doit donc être en elle.
Conclusion :
L’auréole est à proprement parler dans l’esprit car elle
est la joie d’avoir accompli les œuvres auxquelles est due l’auréole. Mais de
même que de la joie de la récompense essentielle, qui est la couronne,
rejaillit une sorte de beauté dans le corps, qui le glorifie, de même, de la
joie de l’auréole rejaillit une certaine beauté du corps ; de sorte que
l’auréole est principalement dans l’esprit, mais qu’elle resplendit aussi dans
le corps par une sorte de reflet.
Solutions :
1. De là découlent les
réponses aux difficultés. Pourtant, on doit savoir que l’ornement des
cicatrices, qui apparaîtront dans le corps des martyrs, ne peut s’appeler
auréole. Car certains martyrs auront l’auréole sans avoir de cicatrices, parce
qu’ils ont été noyés ou sont morts de faim ou des suites des tourments de leur
prison.
Objections :
1. Il faut une
proportion entre le sens de la vue et son objet. Or, il n’y en a pas entre
l’œil humain non glorifié et la clarté de la gloire qui est d’une autre espèce
que celle de la nature.
2. Le corps glorieux
sera plus brillant que le soleil, qui brillera lui-même encore d’avantage
qu’aujourd’hui. Or, l’œil humain n’est pas capable de contempler le soleil dans
tout son éclat.
3. Un objet visible,
placé devant un œil sain, est nécessairement vu par lui. Or, les disciples
virent le corps du Sauveur ressuscité sans en voir la clarté. C’est donc que la
clarté du corps glorieux n’est pas visible pour l’œil humain.
Cependant :
1° « Le Sauveur transformera notre corps
misérable en le rendant semblable à son corps glorieux », dit saint Paul ; et
la Glose ajoute : « Nous aurons une
clarté semblable à celle qu’il eut lui-même lors de sa transfiguration, clarté
que ses disciples purent voir de leurs yeux.
»
2° Au jugement, les impies
seront torturés en voyant la gloire des justes, dont la clarté est un élément.
Conclusion :
Certains ont nié la possibilité de cette vision à moins
d’un miracle. Mais, pour admettre cette opinion, il faudrait, quand on parle du
corps glorieux, donner au mot clarté un sens tout différent de celui
auquel nous sommes habitués. En effet, la lumière est par elle-même, de nature
à impressionner la vue, comme la vue est, par elle-même, de nature à percevoir
la lumière ; les mêmes rapports existent aussi entre le vrai et l’intelligence,
le bien et la volonté. Pour dire que la vue est absolument incapable de
percevoir la lumière, il faudrait donc prendre le mot "vue" ou le mot
lumière dans un sens tout nouveau. Il ne saurait en être ainsi quant à la
question présente ; car alors, nous dire que la clarté est une prérogative du
corps glorieux ne nous apprendrait rien, pas plus que si l’on disait qu’il y a
un chien dans le Ciel, (en désignant la constellation ainsi nommée), à
quelqu’un qui ne connaîtrait que le chien animal. Il faut donc conclure que la
clarté du corps glorieux peut être vue par un œil non glorifié.
Solutions :
1. La clarté de la
gloire a une autre cause que celle de la nature, mais elle n’est pas d’une
autre espèce, ni donc sans proportion avec la vue.
2. Le corps glorieux
ne peut agir ou pâtir que sous l’influence de l’âme. Une clarté intense qui
émane de l’âme n’offense pas la vue, mais la délecte ; au contraire, celle qui
provient d’une cause naturelle brûle et désagrège l’organe visuel. Ainsi, la
clarté du corps glorieux, quoiqu’elle dépasse celle du soleil, n’est donc pas
de nature à blesser le regard, mais plutôt à le réjouir. C’est pourquoi
l’Apocalypse la compare à l’éclat du jaspe.
3. C’est la volonté
qui a mérité la clarté du corps. Celle-ci lui sera donc soumise, visible ou
invisible à son gré : le corps glorieux pourra donc ou manifester ou dissimuler
son éclat. Telle est l’opinion du Prévôtin.
Objections :
1. Le corps glorieux
sera lumineux. Or, il est de la nature de la lumière d’être vue et de faire
voir.
2. Un corps qui
empêche de voir ce qui est derrière lui est vu nécessairement et par le fait
même. Or, il en est ainsi du corps glorieux, puisqu’il est coloré.
3. Comme la quantité,
la visibilité est inhérente au corps. Donc celle-ci, pas plus que celle-là, ne
dépend de la volonté.
Cependant :
1° Le corps des élus
ressemblera à celui du Christ ressuscité, qui n’était pas nécessairement vu,
puisque tout d’un coup, les disciples d’Emmaüs ne le virent plus.
2° Le corps glorieux
obéira parfaitement à l’âme : il sera donc visible ou invisible au gré de
celle-ci.
Conclusion :
Un objet visible est vu par l’action qu’il exerce sur la
vue. Mais cette action sur quelque chose d’extérieur à lui ne le change pas
lui-même. Donc, sans perdre aucun des éléments de sa perfection, le corps
glorieux peut être vu ou ne l’être pas. Donc, l’âme glorifiée a le pouvoir de
rendre son corps visible ou invisible : cette action, comme les autres, dépend
d’elle. Autrement, le corps glorieux ne serait pas, vis-à-vis d’elle,
l’instrument tout à fait obéissant qu’il doit être.
Solutions :
1. Le corps glorieux
sera maître de manifester ou dissimuler sa clarté.
2. La couleur d’un
corps n’empêche sa transparence que si elle agit sur la vue, qui peut
difficilement être impressionnée par deux couleurs à la fois de façon à voir
parfaitement l’une et l’autre. Mais la couleur du corps glorieux agira ou
n’agira pas sur la vue, ait gré de l’âme, et pourra donc de même être opaque ou
transparente
3. La quantité est inhérente au
corps glorieux, de telle sorte qu’elle ne puisse varier au gré de l’âme, sans
un changement intrinsèque qui serait en contradiction avec l’impassibilité de
ce corps. Il n’en va pas de même pour la visibilité. Sans doute, il ne dépend
pas de l’âme que la qualité, qui en est le principe, soit ou ne soit pas ; mais
l’action de cette qualité, et donc le fait d’être visible ou de ne l’être pas,
dépend de l’âme.
Objections :
1. Le phénomène de bilocation
est attesté chez des saints comme Martin de Porres. Mais les théologiens l’ont toujours regardé
comme un charisme miraculeux venant de Dieu. Donc, si les saints peuvent
occuper plusieurs lieux à la fois, ce sera par miracle et non à travers une
propriété naturelle du corps glorieux.
2. Si le corps des élus peut se déplacer instantanément et
occuper plusieurs lieux à la fois, c’est qu’il n’est plus un corps mais un pur
esprit. En effet, ces propriétés sont contradictoires avec la nature des corps
mais exercées par les anges. Or, nous avons montré que le corps des élus sera
un vrai corps. Donc il ne pourra occuper plusieurs lieux à la fois.
Cependant :
Le Christ et la
Vierge Marie, au Ciel, ne cessent d’accueillir les mourants à l’heure de leur
passage de ce monde à l’autre. Or des milliers d’hommes meurent chaque seconde.
Donc Jésus et Marie, peuvent être dans plusieurs lieux à la foi et ce
habituellement, depuis près de 2000 ans. Il en sera donc de même pour tous les
saints, avant comme après la résurrection de la chair.
Conclusion :
Une propriété
exercée par un corps glorifié peut avoir deux causes : 1° Parfois, elle est naturelle quand elle n’est pas
contradictoire avec les propriétés de la matière mais nécessite simplement une
énergie supérieure. Ainsi en sera-t-il du mouvement extrêmement rapide des élus
comme des damnés. 2° Parfois,
lorsqu’elle dépasse toute la capacité de la matière, elle est d’origine divine à travers un charisme
surajouté. Ainsi en sera-t-il du mouvement instantané que seuls les saints du
Ciel pratiqueront, portés par la puissance surnaturelle de Dieu. La bilocation
et la multilocation font partie de cette deuxième catégorie de phénomènes. En
effet, un corps ne peut en aucune façon occuper deux lieux à la fois. Dieu
revêtira donc les élus de cette capacité afin qu’ils puissent, à volonté comme
il convient à des amis libres, exercer les apostolats et ministères qu’il leur
confiera dans l’éternité.
Solutions :
1. Cette objection est vraie. Il faut ajouter que ce
charisme sera fréquemment exercé au Ciel, les saints exerçant un apostolat dans
les purgatoires mais aussi une communauté de vie entre eux, malgré l’immensité
du monde nouveau, beaucoup plus riches qu’ici-bas.
2. Le corps du ressuscité sera spirituel, selon la parole de
l’Apôtre[1791] : « Semé animal, il ressuscitera corps spirituel. », non qu’il
sera esprit comme certains l’entendent abusivement, -qu’on entende esprit au
sens de substance spirituelle ou qu’on l’entende au sens d’air ou de vent- ;
mais pour deux raisons : 1° parce
qu’il sera totalement soumis à l’esprit. Ainsi maintenant est-il appelé corps
animal, non qu’il soit âme, mais parce qu’il est soumis aux passions de l’âme
et qu’il a besoin d’être nourri. 2°
Parce que Dieu revêtira miraculeusement ses amis de propriétés qui relèvent
habituellement des purs esprits, comme le mouvement instantané, à la vitesse de
la pensée, et la multilocation.
Il s’agit maintenant de l’état corporel des damnés. On
demande[1792] :
1° Ressusciteront-ils
avec leurs difformités corporelles ?
2° Leur corps
sera-t-il corruptible ?
3° Sera-t-il
impassible ?
Objections :
1. La peine du péché
ne peut cesser qu’avec sa rémission. Or, la mutilation est parfois un châtiment
du péché, et on pourrait en dire autant de toutes les difformités corporelles.
La résurrection ne les fera donc pas disparaître du corps des damnés, dont les
péchés ne seront jamais remis.
2. De même que les
élus auront tout ce qui peut rendre leur félicité parfaite ; de même les damnés
devront avoir tout ce qui peut porter leur malheur à son comble.
3. La résurrection ne
remédiera pas au défaut d’agilité chez les damnés ; donc, pas davantage, à
leurs difformités.
Cependant :
« Les
morts ressusciteront incorruptibles », dit saint Paul ; et
la Glose ajoute « tous les morts
sans distinction, même les pécheurs, ressusciteront avec leurs membres au
complet. »
Conclusion :
On peut distinguer deux espèces de difformités
corporelles. 1° L’une résulte de
l’absence d’un membre, d’une mutilation, qui détruit l’harmonie et la beauté du
corps. Tout le monde affirme que le corps des damnés ne sera pas difforme de
cette manière, puisque le corps humain, chez les méchants comme chez les bons,
doit ressusciter tout entier. 2° L’autre
résulte d’un désordre, ayant pour objet la quantité, la qualité, la
disposition des membres et, en tout cas, nuisible à l’équilibre et à l’harmonie
du corps tout entier. Sur cette espèce de difformités, comme les infirmités,
fièvres, maladies, etc., qui en sont parfois la cause, saint Augustin n’a pas
voulu se prononcer.
Certains ont été plus hardis et ont déclaré que les damnés
ressusciteront avec elles, pour que rien ne manque au malheur suprême qu’ils
ont mérité. Cette opinion ne semble pas raisonnable. La réparation du corps
humain vise sa perfection naturelle plus encore que son état antérieur ; c’est
pourquoi les enfants ressusciteront à l’âge de la pleine jeunesse. Dès lors,
tout défaut corporel et toute difformité conséquente devraient disparaître à la
résurrection, à moins, prétend-on, que le péché ne s’y oppose et en impose la
réviviscence comme un châtiment. Mais « la
peine doit correspondre à la faute »
; et il pourrait donc arriver qu’un pécheur moins coupable souffrît de ces
infirmités dont un autre plus coupable serait exempt dès lors la mesure de son
châtiment serait disproportionnée à celle de sa faute, et il semblerait plutôt
qu’il fût puni pour des peines qu’il a déjà endurées en cette vie, ce qui est
absurde.
Il est donc plus raisonnable de dire que le Créateur de
la nature humaine la refera dans son intégrité. C’est-à-dire tous les défauts
et difformités corporels, fièvre, mal d’yeux, etc., ayant pour principe une
corruption ou une débilité de la nature ou des principes naturels, seront
éliminés par la résurrection ; par contre, les imperfections inhérentes au
corps humain de par sa nature même, pesanteur, passibilité, etc., dont l’état de
gloire délivrera le corps des élus, se retrouveront dans le corps des damnés.
Solutions :
1. Un tribunal ne peut
infliger une peine que dans les limites de sa juridiction ; c’est pourquoi les
peines infligées au péché en cette vie sont temporelles comme elle et finissent
avec elle. Ainsi donc, quoique le péché des damnés ne soit pas remis, il ne
s’ensuit point qu’ils doivent subir les mêmes peines qu’ici-bas. D’autres
sortes de peines corporelles viendront, par un effet de somatisation de leur
esprit perpétuellement en révolte.
2. Il n’y a point
parité entre les bons et les méchants ; car quelque chose peut être absolument
bon, mais rien ne peut être absolument mauvais. Le bonheur des élus exige
l’absence de tout mal ; mais le malheur des damnés se saurait exiger celle de
tout bien, car « le mal, s’il
n’était que mal, se détruirait lui-même »,
comme le dit Aristote. Le malheur des damnés exige donc la présence d’un
certain bien naturel, à savoir, la nature humaine, œuvre du Créateur parfait,
qui la leur rendra dans toute sa perfection spécifique.
3. L’absence d’agilité
est une imperfection naturelle au corps humain ; il n’en est pas ainsi d’une
difformité.
Objections :
1. C’est impossible,
puisqu’il sera composé d’éléments contraires, comme aujourd’hui ; autrement, il
ne serait plus le même, ni comme espèce, ni comme individu.
2. Son
incorruptibilité viendrait ou de la nature ou de la grâce et de la gloire. Mais
la première sera et en eux la même qu’aujourd’hui, et les deux autres leur
feront défaut.
3. Il ne semble pas
raisonnable de soustraire ceux qui ont mérité le malheur suprême à la mort,
qui est le plus grand des châtiments.
Cependant :
1° Il est dit dans
l’Apocalypse : « En ces jours-là, les hommes chercheront la mort et ils ne la trouveront
pas ; ils souhaiteront la mort, et la mort fuira loin d’eux. »
2° Et dans saint
Matthieu : « Ceux-ci iront au supplice éternel » ; ce qui suppose l’incorruptibilité
corporelle de ceux qui y sont condamnés.
Conclusion :
Comme tout mouvement exige une cause, un mouvement ou
changement peut être supprimé si la cause fait défaut ou si quelque chose met
obstacle à son action. Or, la corruption est une espèce de changement, et peut
donc aussi être empêchée des deux manières qui viennent d’être dites. 1° En supprimant totalement sa cause ;
c’est ainsi que le corps des damnés sera incorruptible. Dieu supprimera toute
cause extérieure de corruption comme les maladies, les blessures etc. Après la
résurrection, le corps humain ne subira donc plus aucune influence capable de
l’altérer et finalement de le corrompre. Cette incorruptibilité corporelle des
damnés servira l’amour de Dieu qui respecte le choix éternel des damnés. 2° En mettant obstacle à son action.
C’est ainsi que le corps d’Adam était incorruptible la grâce d’innocence
empêchait eu lui la lutte des éléments contraires et la dissolution qui en
aurait été la conséquence. C’est ainsi que le sera, et mieux encore, le corps
des élus, pleinement soumis à leur âme, et dans lequel se trouveront donc à la
fois les deux modes d’incorruptibilité.
Solutions :
1. Les éléments
contraires dont le corps humain est formé conduisent à la destruction de la vie
biologique pour deux raisons : 1° Une
cause interne au corps qui porte en lui-même la nécessité de mourir puisqu’il
est programmé génétiquement de telle manière qu’il perde sa vitalité avec
l’âge. Le corps ne se renouvelant pas assez rapidement, l’usure des organes cause
la vieillesse et le rend de moins en moins apte à être informé par l’âme.
Lorsqu’un homme meurt de vieillesse, c’est parce que son âme est devenue
incapable d’assumer un corps trop usé. 2°
Une cause externe peut venir apporter la destruction du corps : il s’agit
des diverses maladies dont l’origine peut être d’ailleurs très diverse :
parfois physique (blessure, microbes, refroidissements, empoisonnements),
parfois psychologique (à cause d’un excès de tristesse ou d’angoisse), parfois
spirituelle (état de péché), parfois paranormale (influence du monde
angélique). De telles maladies peuvent aboutir à la mort puisque l’âme n’a ni
une puissance infinie sur le corps ni une assistance divine infaillible pour le
maintient de la vie biologique.
Après la résurrection, les causes internes de la
destruction du corps disparaîtront puisqu’il sera éternellement renouvelé par
la gloire de Dieu. D’autre part, l’âme, à cause de l’aide divine, exercera en
plénitude sa puissance vitalisante au point que nulle maladie ne pourra en
aucune manière frapper l’homme.
2. L’incorruptibilité
des damnés vient de leur nature. Leur corps sera fait de la même matière
qu’ici-bas mais celle-ci aura été surélevée par le Créateur à un état nouveau
délivré de l’entropie.
3. Dieu ne saurait
punir celui qui le refuse en le privant de son être puisque, justement, c’est
Dieu qui a voulu qu’ultimement, au terme d’un temps de formation, un homme
puisse refuser librement son amour.
Objections :
1. « Toute passion
(modification) qui s’accentue tend à détruire la nature », dit Aristote. De plus, « une
destruction partielle, mais continue, d’un être fini, aboutit à sa totale
corruption. » Or, on vient de prouver
que le corps des damnés est incorruptible ; il doit donc aussi être impassible.
2. Même conclusion
tirée de la loi d’après laquelle l’agent tend à s’assimiler le patient. Si le
feu fait pâtir le corps des damnés, il finira par le consumer.
3. Le corps des damnés
était passible, leurs souffrances surpasseraient toutes celles d’ici- bas, de
même que la félicité des élus est incomparable. Mais nous voyons l’intensité
de la douleur causer parfois la mort. À plus forte raison, le corps des damnés
ne peut pas être à la fois passible et incorruptible.
Cependant :
1° À ces paroles, de
saint Paul : « Nous serons transformés », la Glose ajoute :
« Nous seuls, les bons, serons transformés par la gloire et deviendrons
immuables et impassibles. »
2° Le corps est l’auxiliaire
de l’âme pour le mal comme pour le bien. Or, le corps partagera la récompense
de l’âme ; il doit donc partager aussi son châtiment, et, pour cela, être
passible.
Conclusion :
Pâtir signifie une modification éprouvée par le patient ce
qui peut avoir lieu de deux manières. 1°
Le patient peut recevoir de l’agent une forme, selon l’être matériel de
celle-ci telle, la chaleur que l’air reçoit du feu on appelle cette manière
passion naturelle. 2° Il peut la
recevoir immatériellement, selon son être intentionnel : telle une couleur, la
blancheur, par exemple, reçue dans l’air et dans l’œil ; c’est de cette manière
que l’âme reçoit les similitudes des réalités, aussi l’appelle-t-on passion de
l’âme. -Après la résurrection, il n’y aura plus d’altération ni donc de passion
naturelle, et, en ce sens, le corps des damnés sera impassible aussi bien
qu’incorruptible. Mais l’autre mode de passion demeurera : l’air sera illuminé
par le soleil, et, par lui, la vue recevra l’impression des objets colorés. Le
corps des damnés sera passible de cette manière : leur sensibilité s’exercera
donc ressentira la souffrance, sans pourtant que l’état naturel de leur corps
soit modifié. Quant au corps des élus, quoiqu’il soit passif, en un certain
sens, puisque leur sensibilité s’exercera, on ne doit cependant pas le dire
passible, parce que jamais leur sensibilité n’aura pour objet quelque chose qui
puisse les affliger ou les faire souffrir.
Les damnés pourront souffrir physiquement car, n’étant
pas unis à Dieu par la charité, ils ne recevront pas la grâce qui seule aurait
pu les établir dans la béatitude. Leur corps étant celui d’une âme
malheureuse, il participera à ce malheur.
Solutions :
1. Aristote parle ici
de la passion qui modifie l’état naturel du patient ; le corps des damnés en
sera indemne.
2. Le feu,
c’est-à-dire la souffrance physique qui consumera le corps des damnés aura sa
source dans leur propre péché comme nous l’avons montré. En tant qu’elle s’est
détournée de Dieu, leur âme répandra son amertume jusque dans leur corps ;
cependant, en tant qu’elle est source de leur vie, elle recevra de Dieu la
puissance de les maintenir toujours en vie. Dieu dans sa justice respectera
ainsi leur liberté, puisque c’est ainsi que veulent vivre les damnés, loin de
celui qui aurait pu les rendre heureux.
3. La douleur ne
sépare pas l’âme du corps, tant qu’elle reste dans la puissance de l’âme qui en
est le sujet, mais seulement lorsqu’elle se communique au corps pour le
modifier, comme nous voyons la colère l’échauffer ou la peur le glacer. Mais,
après la résurrection, le corps ne sera plus soumis à des modifications de ce
genre ; et ainsi, quelque grande que soit la douleur, jamais elle ne séparera
l’âme de son corps.
Il nous faut maintenant étudier la transformation du monde qui
accompagnera la résurrection des corps. Elle sera précédée par une purification
des éléments qui s’accomplira par le feu. A propos de la conflagration du
monde, nous nous poserons huit questions :
1° Le monde doit-il être
purifié ?
2° Cette purification se
fera-t-elle par le feu ?
3° Ce feu purifiera-t-il les
cieux supérieurs ou seulement la terre ?
4° Tous les éléments seront-ils
purifiés par le feu ?
5° La dernière conflagration du
monde précédera-t-elle la résurrection des corps ?
6° La dernière conflagration
suivra-t-elle le jugement ?
7° Le feu produira-t-il sur les
choses les effets indiqués par le maître des Sentences ?
8° Ce feu engloutira-t-il les réprouvés
?
Objections :
1. Seul ce qui est
impur a besoin d’être purifié. Mais les créatures de Dieu ne le sont point[1794] : « Ce
que Dieu a déclaré pur, ne le déclare pas impur. »
2. La purification
opérée par la justice divine a pour objet le péché, par exemple, en purgatoire.
Mais il ne saurait rien y avoir de pareil dans les éléments de l’univers.
3. Purifier une chose,
c’est séparer d’elle ce qui lui est étranger et la diminue. Lui enlever ce qui
l’ennoblit, ce n’est plus la purifier, mais l’amoindrir. Or leur combinaison
rend les éléments cosmiques plus parfaits et plus nobles, puisque la forme du
corps composé est supérieure à celle du corps simple. La purification de l’univers
semble donc inadmissible.
Cependant :
1° Tout renouvellement exige
une certaine purification. Or, les éléments seront renouvelés[1795] : « Je vis un nouveau Ciel et
une nouvelle terre, car le premier ciel et la première terre avaient disparu. »
2° « La figure de ce monde
passe », dit saint Paul[1796] et la Glose ajoute : « La beauté de ce monde périra dans la
conflagration universelle. »
Conclusion :
Dieu commencera l’œuvre de
renouvellement du monde en détruisant. Saint Pierre nous décrit son action[1797] :
« Il viendra, le jour du Seigneur, comme
un voleur. En ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments
embrasés se dissoudront, la terre avec les œuvres qu'elle renferme sera
consumée ». Comme tous les textes apocalyptiques, ce texte parle en premier
lieu de notre mort individuelle. La glorification du corps
humain exige la disparition des trois choses qui, à savoir, 1° la corruptibilité naturelle liées
aux propriétés provisoires de toute la matière de ce monde ; 2° La souillure du péché : « La
corruption ne possédera point l’incorruptibilité », tous les
immondes seront "exclus" de la cité glorieuse ; 3° Ce qui étant saint mais provisoire, sera périmé. Mais ce texte décrit aussi la fin de notre
planète. Il y aura aussi trois motifs :
1° La corruptibilité naturelle des choses : Ainsi faut-il que les
éléments cosmiques soient débarrassés des dispositions contraires à
l’incorruptibilité (l’entropie) avant d’être renouvelés et glorifiés. Puisque
le monde a été fait à certains égards pour l’homme, il faut que lorsque l’homme
sera glorifié dans son corps, les autres êtres corporels soient améliorés, afin
que l’univers devienne un séjour à la fois plus convenable et plus agréable.
2° Les vestiges des péchés : Dans les parties où
l’homme a vécu, il faut aussi que disparaissent les vestiges archéologiques
marqués par son péché. Sans doute, le péché ne peut pas, à proprement parler,
souiller les choses corporelles. Il met cependant en elles une espèce de
répugnance à un enrichissement spirituel. Les lieux profanés par certains
crimes sont jugés impropres aux cérémonies religieuses, tant qu’ils n’ont pas
été purifiés. D’après ce principe, la partie de l’univers où vivent les hommes
a contracté, à cause de leurs péchés, une certaine inaptitude à être glorifiée,
et donc un besoin de purification. De même, les éléments de la partie
intermédiaire, de par leur contact avec les nôtres, subissent des influences :
corruption, génération, altération, qui les dégradent et exigent qu’ils soient
purifiés, eux aussi, avant d’être renouvelés et glorifiés.
3° Ce qui, pourtant saint, sera périmé : Personne ne regrettera les cathédrales gothiques, où l’on priait si mal
au temps où Dieu se cachait dans son eucharistie, puisque le même Dieu sera vu
face à face dans le temple nouveau de l’univers. Personne ne voudra garder les
immenses bibliothèques puisqu’on lira les sciences à livre ouvert sur le visage
de Dieu. Il ne devra rien subsister du monde ancien, pas pierre sur pierre, car
le monde nouveau le remplacera. Même les œuvres faites par Dieu pour cette
terre disparaîtront. Les textes des Evangiles seront brûlés par le feu dont
parle saint Pierre[1798] :
nous aurons le Christ lui-même qui est l’Évangile incarné, présent devant nos
yeux.
Après la destruction de la terre, Dieu
commencera à façonner un nouvel univers. Il s’agira d'un univers physique, tout
autant que notre corps, mais adapté à sa nouvelle vie. Il sera donc comme lui
éternel, délivré de toute corruption et génération, dispensé de cette loi de
désagrégation (l'entropie) qui nous tient actuellement. C'est Dieu lui-même
qui, en le soutenant comme il soutiendra notre corps et le dispensera de se
nourrir, le rendra incorruptible.
Solutions :
1. Quand on dit que toute
créature de Dieu est pure, il faut entendre que sa substance ne contient aucun
mélange de mal, au sens des Manichéens qui prétendaient que le bien et le mal
sont deux substances, tantôt séparées, tantôt mêlées. Mais cela n’exclut pas la
possibilité d’un alliage par lequel une chose, bonne en elle-même, déprécie cependant
celle à laquelle elle s’allie. Cela n’exclut pas non plus la possibilité du mal
pour une créature, mais toujours comme un accident, et jamais comme une partie
essentielle.
2. Quoique les éléments corporels
ne puissent être le sujet du péché, celui-ci leur fait cependant contracter une
certaine inaptitude à recevoir leur glorification.
3. Le fait que les corps soient
composés d’une structure complexe ne les rend corruptibles qu’ici-bas, non à
cause de cette complexité elle-même mais à cause de la faiblesse de leur cause
d’unité (physis pour les corps minéraux et psyche pour les
vivants) trop faible à les garder incorrompus. Dans l’au-delà, les corps
composés seront revêtus de la force incorruptible de leur cause d’unité
transfigurée par Dieu. Ils resteront donc composés mais ils seront, grâce à
cette puissance venant de Dieu, l’Acte pur, débarrassés pour toujours des
effets de la loi de l’entropie.
Objections :
1. Le feu, étant une partie de
l’univers, a besoin, autant que les autres, d’être purifié ; mais il ne peut
pas l’être par lui-même.
2. Aussi bien que le feu, l’eau
sert à purifier, et certaines purifications lui étaient réservées dans
l’ancienne Loi. La purification de l’univers, du moins dans sa totalité, ne se
fera donc pas par le feu mais par l’eau.
3. Elle semble devoir consister
à désagréger les parties qui composent l’univers afin de les rendre plus pures.
Mais « cette œuvre de
distinction », à l’origine du monde,
eut pour cause la seule puissance divine ; Anaxagore dit qu’elle est un acte de
l’intelligence qui meut toutes choses. La purification finale sera donc faite
par Dieu lui-même, et non par le feu.
Cependant :
1° La réponse affirmative est
suggérée par un texte des Psaumes qui parle en ces termes de la fin du monde et
du jugement[1800]. « Devant lui est un feu
dévorant, autour de lui se déchaîne la tempête. Il appelle les cieux en haut, et
la terre, pour juger son peuple. »
2° Saint Pierre dit aussi[1801] : « Les cieux enflammés se
dissoudront, et les éléments embrasés se fondront. »
Conclusion :
La purification de l’univers est destinée non seulement à enlever
la souillure résultant du péché, l’impureté consécutive au mélange des
éléments, mais aussi à préparer l’état glorieux. Le feu convient très
parfaitement à ce triple effet : 1° Il
est le plus noble des éléments, celui dont les propriétés naturelles, par
exemple et surtout la lumière, ressemblent le plus à celles de la gloire. 2° L’énergie de son activité rend un
alliage avec lui plus difficile qu’avec tout autre élément. 3° La sphère ignée est éloignée du
globe terrestre, demeure des hommes, et ceux-ci emploient le feu moins communément
que la terre, l’eau ou l’air ; il est donc par là même moins contaminé. Pour
ces motifs, il possède une grande efficacité pour purifier et diviser jusqu’aux
parties les plus subtiles.
Cependant, la science moderne permet peut-être d’aller plus loin
dans la recherche de la nature de ce feu. Puisqu’il renouvellera de manière
fondamentale l’état de la matière atomique, l’entropie n’étant pas supprimée en
elle-même (sans quoi la matière ne serait plus de la matière) mais empêchée
d’agir par une action de Dieu, on peut penser que ce feu agira au moins au
niveau atomique si ce n’est plus profondément, au niveau des particules qui
forment les atomes ou encore au niveau plus radical de la lumière première qui
compose l’univers.
Solutions :
1. C’est uni à une matière
étrangère que le feu est employé par l’homme ; mais, considéré comme l’énergie
matérielle fondamentale, il n’est pas susceptible d’être souillé par l’homme et
c’est en cet état de pureté originelle qu’il pourra purifier et comme raffiner
le feu que nous employons.
2. Le déluge purifia le monde
de la souillure du péché, et surtout du péché de convoitise auquel l’eau
convenait bien comme élément purificateur. La purification finale ayant pour
objet et la souillure du péché et la corruptibilité du monde, le feu paraît lui
convenir mieux que l’eau. Celle-ci est plus apte à amalgamer qu’à désagréger,
et donc moins capable de séparer les éléments pour les purifier. D’autre part,
à la fin du monde, devenu vieux, pour ainsi dire, le grand péché, ce sera la
tiédeur[1802] : « La charité d’un grand nombre se refroidira. » Il convient
donc qu’il soit purifié par le feu. Il n’y a rien qui ne puisse être purifié
par le feu. Cependant, certaines choses ne peuvent l’être sans être consumées,
par exemple, les linges, les ustensiles en bois, etc., dont l’ancienne Loi
ordonnait la purification par l’eau. Mais, à la fin du monde, toutes ces choses
doivent être détruites par le feu.
3. Par l’œuvre de distinction,
les choses ont reçu à l’origine les formes diverses qui les distinguent les
unes des autres. Cette action fut opérée par Dieu comme cause première et,
comme cause seconde, par l’action des anges sur les lois de la matière. Dieu ne
fut à l’origine, par sa Toute-puissance, que de l’œuvre de la création à partir
de rien (la matière première et les esprits). La purification finale doit
ramener les choses à la pureté de leur création ; et, en cela, une créature
peut servir d’instrument au Créateur. Il est plus facile en effet de détruire
que de construire.
Objections :
1. Les cieux supérieurs sont
les parties du cosmos qui ne font pas partie de l’environnement immédiat de la
terre. Ils font partie de la création : Le psalmiste dit[1803] : « les cieux sont l’ouvrage de
tes mains. Ils périront, mais toi, tu demeures. » Ils doivent donc
être atteints par la conflagration universelle.
2. « Les cieux enflammés se dissoudront et les
éléments embrasés se fondront », dit saint Pierre[1804]. Donc l’univers entier et
les galaxies seront purifiés par le feu.
3. Le feu doit purifier chez
les êtres corporels tout obstacle à leur glorification. Or, dans le ciel
supérieur se rencontre un double obstacle : l’un vient du péché, puisque c’est
là que le démon a péché. L’autre vient de leur nature-même ; ces paroles de
saint Paul[1805] : « Nous savons que, jusqu’à ce
jour, la création tout entière gémit et souffre dans les douleurs de
l’enfantement », sont ainsi commentées par la glose : « Tous les éléments remplissent leur
fonction avec effort ; ce n’est pas sans effort que le soleil et la lune
agissent dans les espaces qui leur sont assignés. » Leur purification s’impose donc.
Cependant :
« Ce qui est pur n’a pas
besoin d’être purifié », dit le Seigneur[1806]. Or le cosmos est resté
vierge de toute influence du au péché de l’homme. Donc il ne sera pas purifié
par le feu.
Conclusion :
La purification finale doit éliminer des êtres corporels ce qui y
est contraire à l’état glorieux, qui sera comme l’apothéose de l’univers. Or,
seules les traces laissées par le péché de l’homme constituent une réelle
souillure. En effet, la matière en elle-même, n’est pas capable de péché. Elle
ne peut être en rapport avec le péché que dans la mesure où elle en a été par
quelque manière l’instrument. Il en est ainsi pour notre corps qui ne se
structure pas seulement dans l’influence des actes bons mais aussi par
l’influence de toutes les pensées, de tous les actes mauvais. Il en est de même
pour la terre qui est marquée par les œuvres de l’homme. Ainsi convient-il que
l’or dans lequel l’homme a mis son cœur, les maisons dans lesquelles il a
péché, la terre où le sang des innocents a été versé soient purifiés par le feu
et réduits à leurs éléments avant d’être transformés en un monde nouveau. Mais
les cieux supérieurs que l’homme ne peut atteindre ne peuvent en aucune manière
avoir été souillés par son péché. Ils seront donc transformés, sans passer par
la dissolution, d’une façon analogue au corps immaculé de la Vierge qui fut transfiguré
sans passer par la mort.
Solutions :
1. Saint Augustin remarque
qu’il s’agit ici des cieux aériens, c’est-à-dire de l’atmosphère de la terre
qui sera purifiée à cause des pollutions opérées par le péché de l’homme. Si on
veut appliquer ce texte aux cieux supérieurs c’est-à-dire au cosmos où sont les
étoiles, il faut répondre qu’ils auraient péri par arrêt de leur mouvement et
par extinction finale de leur rayonnement si Dieu n’était intervenu pour
renouveler leur énergie limitée.
2. Saint Pierre parle comme il
s’en explique lui-même[1807] « des cieux et de la
terre qui furent atteints par le déluge, et que la même parole de Dieu tient en
réserve et garde pour le feu, au jour du jugement. » Il s’agit donc
seulement de l’atmosphère terrestre, c’est à dire des cieux aériens.
3. Cet effort, cette
contrainte, que saint Ambroise attribue aux corps célestes, n’est autre chose
que leur inertie naturelle qui les conduit insensiblement à ralentir leur
mouvement. Quant au péché des mauvais anges, ce n’est que par métaphore qu’on
le dit avoir lieu dans les cieux. Ils n’ont pas de corps donc pas de lieu.
Objections :
1. Certaines parties de la terre
n’ont pas été atteintes par le péché de l’homme comme les profondeurs des
abîmes marins ou le centre de la planète qui est déjà un feu.
2. Certaines œuvres de l’homme
sont le fruit de la charité : telles par exemple les cathédrales et les hauts
lieux consacrés au culte de Dieu. D’autres manifestaient la profondeur du cœur
humain comme les œuvres d’art ; d’autres enfin contiennent ce que
l’intelligence à découvert à force de recherche, comme les livres. Il semble
donc qu’ils ne doivent pas être purifiés par le feu, c’est-à-dire détruits.
3. Les animaux, les plantes
furent crées par Dieu qui les fit bons. Il ne convient donc pas que ces
merveilles de la nature soient détruites par le feu.
4. La matière minérale est
organisée selon des structures simples qui sont les atomes. Il semble que ceux
là au moins ne doivent pas être détruits par le feu.
Cependant :
Saint Pierre dit[1808] : « Les éléments embrasés se
dissoudront. »
Conclusion :
La terre, dans son ensemble, est le lieu où les hommes ont vécu.
Elle a donc été atteinte par son activité selon tout ce qu’elle est. Et cela
peut être démontré en comparant l’état du monde actuel avec celui que nous
décrit l’Écriture Sainte avant le péché originel. Dans cet état, l’homme vivait
en harmonie totale avec la nature. Les animaux venaient librement vers l’homme,
sachant intuitivement qu’ils n’avaient rien à en craindre. Il convient donc que
la planète dans son ensemble soit purifiée par le feu.
Cependant, tout ce qui est bon et beau renaîtra dans l’autre
monde : la matière minérale par sa transfiguration, la vie animale et
végétale par résurrection, les œuvres d’art par la survie et l’activité de
leurs auteurs humains.
Solutions :
1. Le désordre de l’âme de
l’homme a une influence mystérieuse sur l’ordre même du monde minéral. Et on en
a des signes dans le comportement craintif –à juste raison- des animaux
vis-à-vis de l’homme. Ce désordre est certes naturel. Mais le silence et la
passivité de Dieu et des anges qui ne protègent pas l’humanité des catastrophes
qui les frappent tient au fait que l’homme a voulu après le péché originel en
faire un lieu définitif, quitte à se séparer de Dieu. L’harmonie du matériel
provisoire vers le spirituel a été détruite par le péché originel. L’univers et
ses colères sont devenus un signe pour l’homme de son erreur.
2. Il n’est pas d’œuvre humaine
où le péché n’ait, par quelque manière, mis sa tâche. Ainsi, la construction
des cathédrales s’accompagna bien souvent de calculs financiers indignes de
Dieu, de vanité dans le travail et de tous les péchés de l’homme. C’est
pourquoi le Seigneur, montrant la beauté du temple de Jérusalem qui était la
huitième merveille du monde, affirma qu’il n’en resterait pas pierre sur
pierre. En outre, on doit dire que les cathédrales chrétiennes sont des lieux
de culte provisoires puisque, dans la gloire, il y aura un temple nouveau, non
construit de main d’homme et qui sera l’esprit de chacun où Dieu habitera. De
même, la connaissance humaine limitée ne servira plus et sera remplacée par la
science même de Dieu.
3. Au cours des générations,
les vivants ont connu dans leur structure essentielle, c’est-à-dire dans leur
patrimoine génétique, des déviations et des corruptions qui aboutirent à la
dégradation des espèces. L’homme lui-même n’hésite pas à intervenir directement
sur le chiffre des vivants. Ces dégradations doivent disparaître. C’est
pourquoi le feu fera disparaître toute vie à la fin du monde.
4. En temps qu’il purifie les
traces physiques du péché passé, le feu a pour effet de réduire les corps composés
à leurs éléments atomiques. Il n’est pas nécessaire que la purification aille
plus loin. Ainsi, lorsque l’on veut faire disparaître un objet de culte
profane, se contente-t-on de le réduire en poussière. Mais en tant qu’il
prépare un nouvel état de la structure de la matière, il se peut qu’il soit
plus radical et qu’il touche à la matière première.
Objections :
1. Le monde nouveau sera créé
par Dieu afin que les élus puissent contempler avec leurs yeux de chair
l’éclatante merveille de la sagesse de Dieu qui transparaîtra dans la création
renouvelée. Il est donc convenable que cette transformation du monde se produise
au même moment que la résurrection. Donc le feu purificateur doit intervenir
auparavant.
2. Si la résurrection des corps
doit avoir lieu avant la transformation de l’univers, les élus n’auront pas de
lieu convenable où vivre avant que cette œuvre soit réalisée. Cela paraît
inconvenant.
Cependant :
Lors du retour du Christ, certains hommes seront trouvés encore
vivants et ne mourront pas. Il n’est donc pas possible que le feu intervienne
avant leur transformation sans quoi ils seraient réduits en cendre par le feu.
Conclusion :
La conflagration du monde qui précédera sa transformation dans un
monde nouveau est comparable à la mort qui aboutit à la destruction du corps et
précède la résurrection. Ainsi, de la même façon que la mort précède la
résurrection, la conflagration du monde précèdera sa transformation. Concernant
l’ordre entre la conflagration du monde et la résurrection des corps, il y a
plusieurs opinions. Certains, pensant que tous les hommes mourraient, y compris
ceux de la dernière génération, affirmèrent que le feu précéderait la
résurrection puisque ce serait lui qui conduirait à la mort les derniers
hommes. Mais on a vu que cette opinion s’oppose à l’autorité de saint Paul[1809]. Aussi il vaut mieux parler
autrement : Après le retour du Christ, tous les morts ressusciteront, tous les
vivants seront transformés et seront rendus impassibles. Ensuite se produira la
destruction de la terre et la création à partir de la matière préexistante du
monde nouveau. Il semble donc que l’humanité entière assistera au spectacle de
cette transformation qui manifestera avec puissance la gloire de Dieu.
Solutions :
1. Les élus pourront
éternellement louer Dieu dans leur corps dont les sens seront comblés par les
bienfaits préparés à travers tout l’univers. Et cette joie commencera dès
l’heure de la résurrection par le spectacle grandiose de la métamorphose de
l’univers.
2. Le corps glorifié des élus
peut vivre indifféremment dans n’importe quel lieu puisqu’il est impassible et
non soumis aux conditions habituelles de la vie terrestre. Ainsi, dès
aujourd’hui, les corps de Jésus et Marie peuvent être présents partout où leur
volonté le désire. Il en sera ainsi après la résurrection.
Objections :
1. Saint Augustin le dit : « Quels sont les signes qui doivent
arriver à ce jugement ou non loin de là ? Les voici : l’arrivée d’Élie de
Thesbé, la conversion des Juifs, la persécution de l’Antéchrist, le jugement du
Christ, la résurrection des morts, la séparation des bons et des méchants,
l’embrasement du monde et son renouvellement. »
2. Il le répète : « Après que les impies auront été jugés
et jetés au feu éternel, alors la figure de ce monde périra dans une
conflagration universelle. »
3. Quand le Seigneur viendra
pour juger, il y aura encore des vivants, auquel saint Paul fait dire[1811] : « Alors, nous, laissés pour
l’avènement du Seigneur, etc. » Mais cela suppose que le feu n’a pas
encore passé, car tous auraient péri.
Cependant :
1° Le Psalmiste a dit[1812] : « Le feu le précèdera. »
2° « Tout l’œil
verra » le Christ-Juge[1813]. La résurrection doit donc
précéder le jugement. Mais elle-même doit être précédée par le feu. En effet, après
la résurrection, les corps des saints seront spirituels et impassibles,
incapables donc d’être purifiés par le feu, qui cependant, saint Augustin le
dit, doit purifier tout ce qui doit l’être.
Conclusion :
La conflagration du monde quant à son premier effet, précédera
certainement le jugement. La résurrection doit elle-même le précéder, puisque
même[1814] « les fidèles qui
sont morts seront emportés sur les nuées, à la rencontre du Seigneur, dans les
airs. » Or, c’est en même temps que tous les hommes ressusciteront, que les
saints seront glorifiés dans leur corps[1815] « semé dans l’ignominie
et qui ressuscite glorieux », et que la création tout entière sera
renouvelée, « affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la
liberté glorieuse des enfants de Dieu. » La conflagration, qui doit
préparer cette rénovation aura donc son premier effet, la purification de
l’univers, avant le jugement. C’est ensuite seulement qu’elle aura son second
effet, l’engloutissement des méchants dans l’enfer.
Solutions :
1. Saint Augustin ne prétend
donner ici que son opinion personnelle. Il ajoute, en effet : « Croyons que tout cela doit arriver ;
mais comment ? Dans quel ordre ? C’est ce qu’apprendra l’expérience mieux que
la raison humaine, je pense cependant que tous ces événements arriveront dans
l’ordre que j’ai exposé. »
2. Même réponse.
3. Tous les hommes mourront et
ressusciteront. Saint Paul appelle vivants ceux qui le seront à l’époque de la
dernière conflagration.
Objections :
1. D’après le Maître des
sentences, le feu consumera les méchants, purifiera les imparfaits, épargnera
les parfaits. Cela ne semble pas juste. En effet, après le retour du Christ,
nul ne mourra mais tous seront transformés et revêtus d’immortalité. Donc le
corps des méchants ne doit pas être consumé.
2. La souillure du péché
imprègne les éléments qui font partie du corps humain, même chez les bons, héritiers
comme les autres, du péché originel. Il convient donc que les bons eux-mêmes
soient consumés.
3. Tant que dure cette vie, les
éléments agissent indifféremment sur les hommes, qu’ils soient bons ou
méchants. Donc, la fin du monde, le feu agira sur tous les vivants, sans
distinction.
4. Cette conflagration sera
l’œuvre d’un instant. Il semble que beaucoup d’hommes auront besoin de passer
par un purgatoire prolongé.
Conclusion :
Nous avons montré que le feu qui viendra détruire la terre vise à
préparer sa transformation conjointement au reste de l’univers, en un monde
grandiose pour tous les hommes, quel que soit leur destin éternel. Il s’agira
d’un spectacle à la dimension de la puissance de Dieu et tous les bons anges
s’activeront pour coopérer à cette œuvre.
Or il convient que tous les hommes ressuscités, les bons comme les
mauvais, assistent à ce spectacle qui manifestera, dans la ligne des évènements
qui l’auront précédé, la victoire totale de l’amour de Dieu. Chacun verra avec
ses yeux de chair la gloire de Dieu s’étendre visiblement sur le monde sensible
d’où jaillira quantité de merveilles. Il est clair que chacun réagira alors
selon les dispositions de son cœur. C’est ce que veut signifier le maître des
Sentences sous la lettre de son langage symbolique. Les damnés, obstinément
attachés à leur volonté propre, se consumeront de rage en voyant disparaître la
totalité des œuvres humaines terrestres auxquelles ils sont attachés. Ce sera
ressenti par eux comme un échec d’autant plus terrible qu’ils seront davantage
révoltés contre Dieu. Quant aux élus, cette vue ne provoquera aucune tristesse
mais au contraire une grande allégresse qu’on ne peut imaginer. C’est ce que
veut signifier Pierre Lombard en disant que le feu les épargnera. Le cas des
âmes du purgatoire est à mettre à traiter à part car il semble qu’à ce moment,
il n’y aura plus personne dans cet état. Le feu spirituel qui les aura purifiés
aura déjà agi. Ce ne sera donc pas le feu matériel de la transfiguration du
monde.
Solutions :
1. Il ne faut pas prendre dans
un sens premièrement matériel à ces paroles du Maître des Sentences. Certes, le
feu qui détruira la terre sera un feu matériel puisqu’il devra agir sur un
monde matériel. Cependant il faut absolument exclure l’idée que Dieu pourrait, pour
une imaginaire raison de vengeance brûler physiquement le corps des damnés.
Cela ne convient pas à sa sagesse ; c’est en outre inutile à sa justice car la
souffrance physique torturera réellement les damnés non à cause d’une action de
Dieu mais comme une conséquence logique de la perversion de leur âme jusque
dans leur corps. En effet, en assistant au spectacle de la destruction des
œuvres terrestres, les damnés seront frappés au cœur même de leur intention
mauvaise. Ils comprendront la victoire totale de l’amour de Dieu et l’échec de
la révolte. Leur volonté étant contredite, cela se répercutera nécessairement
dans le reste de leur être, à commencer par leur sensibilité envahie de
passions négatives incontrôlables : haine, tristesse, peur et surtout désespoir
puisqu’ils auront mis tout leur espoir dans ces biens qu’ils verront
disparaître devant eux. Ces passions ne seront pas sans effet sur leur corps,
d’une façon analogue à ce qu’on voit sur la terre chez les gens profondément
marqués par trop de pensées négatives : pleurs et grincements de dents,
tremblement de rage, difformités du visage et du corps. En ce sens-là, on peut
parler pour les damnés d’un feu matériel. Ce feu est d’ailleurs le plus
terrible qu’on puisse imaginer car il vient de l’intérieur du pécheur, de sa
seule responsabilité.
2. Le corps des bons sera
purifié sans passer par la mort, mais par une transformation qui les revêtira
d’immortalité, comme nous l’avons dit.
3. Le feu purificateur
n’interviendra qu’après la résurrection, comme on l’a montré. Le corps humain
n’aura donc pas par rapport au feu la même passibilité qu’ici-bas. Il ne pourra
plus être consumé chez les méchants comme chez les bons. Cependant, chez les
premiers, la puissance de la gloire de Dieu n’aura pas supprimé la capacité de
souffrir puisqu’ils sont séparés de la vision de l’essence divine.
4. Il y a plusieurs raisons
pour lesquelles les hommes que le feu trouvera vivants pourront être purifiés
en un instant. 1° La dernière génération
sera affinée par l’accumulation de la culture accumulée dans l’histoire de
l’humanité et efféminée par la paix qui règnera. Son orgueil sera donc plus
facilement purifiable par la moindre souffrance ou peur. 2° Les terreurs et les persécutions des derniers temps auront
effacé déjà en grande partie leurs souillures. 3° Face à l’apparition glorieuse du Christ, convertis, ils subiront
leur peine volontairement en ce monde où la douleur acceptée est beaucoup plus
efficace que les châtiments d’outre-tombe. Comme saint Augustin le dit des
martyrs[1816], chez qui « le
tranchant de leur supplices a enlevé ce qu’il y avait à émonder. » 4°
Enfin cette souffrance gagnera en intensité ce qu’il perdra en durée.
Objections :
1. La Glose dit : « Il est écrit qu’il y aura deux feux :
l’un qui purifiera les élus et précédera le jugement ; l’autre qui tourmentera
les réprouvés. » Le premier, le feu
de la conflagration universelle, n’est donc pas le même que le second, qui est
celui de l’enfer, et ce n’est pas lui qui engloutira les réprouvés.
2. Ce feu sera l’instrument de
Dieu pour purifier le monde. Il doit donc avoir part à la même récompense que les
autres éléments, d’autant plus qu’il est le plus excellent de tous et ne pas
être enfoui dans l’enfer pour y faire souffrir les damnés.
3. Le feu qui doit engloutir
les méchants, c’est le feu de l’enfer. Mais ce feu leur a été préparé dès
l’origine du monde[1817] : « Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable. » Ces
paroles d’Isaïe : « Dès hier, Tophet a été préparé, préparé par
le Roi », sont ainsi interprétées par la Glose : Dès hier,
c’est-à-dire, depuis le commencement ; Tophet, c’est-à-dire, la vallée
de la Géhenne. Au contraire le feu de la dernière conflagration s’allumera par
le concours de tous les feux de l’univers. Ce n’est donc pas le même.
Cependant[1818] :
1° Il est écrit au livre des
Psaumes[1819] : « Le feu s’avance devant lui,
et il dévore à l’entour ses adversaires. »
2° À ces paroles de Daniel[1820] : « Un fleuve de feu coulait, sortait de devant lui », la Glose
ajoute : « afin d’engloutir les
pécheurs dans l’enfer. »
Il s’agit bien du feu dont nous parlons, car il doit « purifier les bons et punir les
méchants. »
Conclusion :
Dans tout ce que dit l’Écriture Sainte concernant les peines des
damnés, il faut rechercher en premier lieu la signification spirituelle car
Dieu répond avant tout par une punition spirituelle à un péché spirituel. En
second lieu et comme une conséquence dérivée de la première, il faut s’attacher
à chercher quelle sera la répercussion de cette peine après la résurrection des
corps. Trois questions se posent : 1° La
souffrance corporelle est-elle une suite naturelle par dérivation
psychosomatique ? 2° Y aura-t-il,
ajouté à cette souffrance une autre peine liée au corps et pour quelle raison ?
3° Une prison physique ?
Lorsque viendra le feu dont nous parlons, il y aura une
augmentation de peine pour les démons, l’Antéchrist et les hommes orgueilleux.
En effet, avant le retour du Christ, ils garderont un espoir qui soutiendra
d’une certaine manière leur activité : ils croiront pouvoir imposer à Dieu leur
conception du monde en détournant de lui le plus grand nombre qu’il leur sera
possible. Ils espéreront établir un monde hiérarchisé en fonction de la
noblesse spirituelle et la puissance plutôt que sur l’amour et la dépendance.
Lorsque viendra le feu et surtout ce qui le suivra à savoir un monde nouveau inimaginable
en beauté, immensité et perfection, ils sauront avec évidence à quel point est
totale la victoire du Christ. Rien ne restera de leur empire à la la fois dans les
âmes de bonne volonté conquises par le retour du Christ et dans l’univers
matériel remis tout entier au pouvoir de Dieu. Cela suscitera en eux un
désespoir définitif qui, telle une fournaise, les engloutira.
2° Ce désespoir
spirituel aura des effets jusque dans la sensibilité et le corps. Il sera
source d’une souffrance physique d’autant plus intense qu’elle aura sa cause
dans une souffrance spirituelle sans remède. Cette peine, on le voit, n’a pas
sa source première en Dieu mais dans la propre faute du réprouvé. Mais il en
existera une autre imposée par Dieu, comme nous l’avons déjà montré[1821]. En effet, pour
que la présence négative des damnés ressuscités ne vienne pas troubler l’ordre
du monde nouveau, il leur imposera un lieu dont ils ne pourront sortir, et où
ils seront laissés ensemble pour l’éternité.
3° De plus, il est
probable que les damnés vaincus, anges et hommes, plutôt que de risquer dans
cet univers la rencontre avec un saint de Dieu, préfèreront se réfugier dans
les lieux les plus isolés. Le cœur des astres, à la fois sombre et brûlant,
sera peut-être réellement leur refuge, comme l’affirmaient les anciens Pères.
Solutions :
1. Nous avons montré
qu’on peut parler en deux sens d’un feu de l’enfer avant la résurrection des
corps : En un premier sens, il s’agit du feu spirituel de l’âme qui, malgré son
ordination naturelle pour Dieu, s’obstine dans sa révolte contre sa volonté. En
un second sens, il s’agit de la prison spirituelle qu’impose Dieu aux damnés
pour qu’ils ne viennent pas nuire aux vivants. Après la résurrection, ces deux
acceptions du feu demeureront mais s’étendront par extension jusque dans le
corps : souffrance physique par répercussion du péché de l’âme ; emprisonnement
dans un lieu limité qui, bloquant leur désir naturel de liberté, sera source
d’un surcroît de blasphème. Quant à savoir si ce lieu sera matériellement
"un étang de feu", il est difficile de se prononcer.
2. Le feu matériel
dont nous parlons n’est pas autre chose que la matière sous sa forme
énergétique. Il n’a donc pas â être distingué comme s’il ne faisait pas partie
du monde
3. Les progrès de la
science solutionnent cette objection ; le monde physique tout entier est
homogène. Les corps célestes n’ont pas des propriétés différentes des corps
terrestres, quoiqu’en ait pensé la cosmologie du Moyen-âge.
A propos du monde transformé, nous tous poserons six questions :
1° La béatitude des élus
exige-t-elle quelques biens extérieurs ?
2° Une société d’amis est-elle
nécessaire à la béatitude ?
3° Le monde sera-t-il renouvelé
?
4° La clarté des corps célestes
sera-t-elle augmentée en cette rénovation ?
5° Les éléments seront-ils
renouvelés par la réception d’une clarté ?
6° Y aura-t-il des plantes et
des animaux dans le monde nouveau ?
7° Les œuvres artistiques
précédemment détruites reparaîtront-elles dans le monde nouveau ?
Objections :
1. Ce qui est promis en
récompense aux élus appartient sans doute à la béatitude. Or on promet aux
saints des biens extérieurs, comme la nourriture et la boisson, la richesse et
le règne. N’est-il pas dit en saint Luc[1824] : « Pour que vous mangiez et
buviez à ma table, dans mon Royaume », et en saint Matthieu[1825] : « Amassez-vous des trésors
dans le Ciel », et encore[1826] : « Venez, les bénis de mon
Père, prenez possession du royaume. »
2. Au surplus, selon Boèce, la
béatitude est « l’état que rend parfait le cumul de tous les Biens. » Or les choses extérieures comptent
parmi les biens de l’homme, quoiqu’elles en soient les moindres, ainsi que
l’observe saint Augustin.
3. Et puis enfin le Seigneur ne
dit-il pas en saint Matthieu[1827] : « Votre récompense est grande
dans les cieux » ? Ce qui veut dire qu’on est alors dans un
lieu : à tout le moins, un lieu extérieur est donc requis à la béatitude.
4. Aristote définit la
béatitude dans deux finalités : la contemplation et l’amitié. Il semble
donc que, dans l’autre monde, la vision béatifique ne soit pas suffisante mais
aussi la présence de ses frères.
Cependant :
On lit dans le psaume 72 : «
Qu’y a-t-il pour moi dans le Ciel, et
qu’ai-je voulu sur la terre ? » comme s’il disait : « Je ne veux rien, si ce n’est ce qui
suit : pour moi, adhérer à Dieu, voilà mon bien. » Donc aucun autre bien que Dieu n’est requis pour la béatitude.
Conclusion :
Pour la béatitude imparfaite, telle qu’on peut la posséder dans la
vie présente, des biens extérieurs sont requis, non comme faisant partie de
l’essence de la béatitude, mais comme des instruments au service de cette
béatitude, qui consiste dans l’opération de la vertu, selon la doctrine du
Philosophe. En effet, l’homme, en cette vie, a besoin de ce qui est nécessaire
au corps, tant pour l’opération de la vertu contemplative que pour celle de la
vertu active, laquelle, d’ailleurs, exige encore plusieurs autres choses, qui
serviront à ses opérations.
Pour la béatitude parfaite, au contraire, celle qui consiste dans
la vision de Dieu, les biens de cette nature ne sont nullement requis. La
raison en est que tous ces biens ne servent qu’à la sustentation de la vie
animale ou à certaines opérations convenant à la vie humaine et s’exerçant par
le moyen du corps. Mais la parfaite béatitude, qui consiste dans la vision de
Dieu ou bien est le fait d’une âme unie à un corps non plus animal, mais
psychique avant la résurrection, ou bien d’une âme unie à sa chair glorifiée
après la résurrection : d’où il suit que les biens extérieurs, ne sont en
aucune façon requis pour cette béatitude qui est une vision béatifiante
purement spirituelle. Et comme, dans le cours même de la vie terrestre, le
bonheur de la contemplation a plus de ressemblance que celui de l’action avec
cette béatitude parfaite, étant aussi plus semblable à Dieu, ainsi qu’on le
conclut de ce qui a été dit, pour cette raison la vie contemplative a besoin
moins que toute autre de ces sortes de biens, ainsi que le relève le
Philosophe.
Solutions :
1. Toutes les promesses de
biens corporels renfermées dans les saintes Écritures doivent d’abord être
entendues d’une manière métaphorique, l’Écriture ayant coutume de nous
représenter les choses spirituelles sous l’image des corporelles, afin, comme
le dit saint Grégoire qu’ « au
moyen de ce qui nous est connu, nous nous élevions au désir de ce qui nous est
inconnu. » Ainsi, par la nourriture
et la boisson, il faut entendre la délectation qui accompagne la béatitude ;
par les richesses, la surabondance où vit l’homme à qui Dieu suffit ; par le
règne, l’exaltation de l’homme jusqu’au commerce de la Divinité. Mais dans un
second sens, ces biens matériels doivent être pris au sens littéral. Leur
présence dans le monde nouveau ne sera pas liée à une nécessité mais à un
surplus selon cette parole de l’Écriture adressée à Salomon[1828] : « Parce que tu as demandé la
Sagesse, parce que tu n'as pas demandé pour toi de longs jours, ni la richesse,
ni la vie de tes ennemis, je te le donne aussi tout : une richesse et une
gloire comme à personne parmi les rois. » Dieu donnera
réellement aux élus tous les biens sensibles et corporels, en profusion, de
manière sensible avant la résurrection et physique après.
2. On ne nie pas que les objets extérieurs soient des biens ; mais
ces biens-là, qui servent à la vie animale, ne sont pas donnés à la vie
spirituelle, dans laquelle consiste la béatitude parfaite de manière nécessaire
mais pas de manière surajoutée. En effet, dans cette même béatitude se trouve
la réunion de tous les biens : car tout ce qui en eux se trouve de bon sera
possédé dans la source suprême de tous les biens.
3. Quant au lieu de la béatitude, saint Augustin observe que
« la récompense des saints n’est
pas dite située dans des cieux corporels, mais que par les cieux il faut
entendre l’élévation des biens spirituels.
» Toutefois, un lieu corporel, à savoir l’univers glorifié, sera le séjour
des bienheureux et la prison des damnés, non que ce lieu soit nécessaire à la
béatitude ou au malheur, mais par un simple rapport de convenance et de beauté.
4. saint Augustin
répond[1829] : « Te posséder
c’est être riche de tous les biens, toi le seul Seigneur. Mais avoir tout et ne
pas t’avoir, c’est être indigent. » Dans la Vision béatifique, l’Essence
de dieu est vue face à face. Or, elle contient en elle tous les biens, à tel
point que, à elle seule, elle comble tous les désirs. Cependant, c’est parce
que Dieu est tel qu’il est que, dans la gloire, il fera de la compagnie des
saints une Église, une communion, et non un simple bien surajouté, bien que
Dieu suffise en lui-même au bonheur.
Objections :
1. Il semble bien que
des amis soient requis de nécessité pour la béatitude. En effet, le bonheur est
souvent représenté par les Écritures sous le nom de gloire. Or la gloire
consiste en ce que le bien de l’homme arrive à la connaissance de beaucoup, ce
qui ne se peut en dehors d’une société d’amis.
2. Boèce ne dit-il pas
que la possession d’un bien est sans joie, si elle n’est partagée ? Or nous
avons reconnu que la délectation est nécessaire à la béatitude donc aussi la
société de nos amis.
3. Et puis, la
charité, qui trouve sa perfection dans la béatitude, embrasse l’amour de Dieu
et celui du prochain il nous faut donc un prochain amical dans la béatitude.
Cependant :
On lit au livre de la Sagesse 7, 11 : « Tous
les biens à la fois me sont venus avec elle », c’est-à-dire avec la
divine sagesse qui consiste en la contemplation divine. Et ainsi, rien d’autre
n’est requis pour la béatitude.
Conclusion :
S’il s’agit de la félicité dans la vie présente, il faut
dire avec le Philosophe que « l’homme heureux a besoin d’amis », non pour son utilité, car il se
suffit à lui-même ; ni pour sa délectation, puisqu’il possède en soi, du fait
de l’opération vertueuse, la délectation parfaite ; mais pour le bien de son
action, c’est-à-dire pour avoir la possibilité de leur faire du bien, pour
trouver du plaisir dans le bien qu’ils accomplissent et un concours dans le
bien que lui-même accomplit. L’homme en effet a besoin, pour agir vertueusement
du concours des amis, tant dans les œuvres de la vie active que dans celles de
la vie contemplative.
Mais si nous parlons de la parfaite béatitude que nous
devons posséder dans la patrie, la société des amis n’y est pas nécessairement
requise ; car l’homme trouve en Dieu seul la plénitude de sa perfection.
Toutefois, cette société amicale n’est pas aussi secondaire que les biens
sensibles dont nous parlions précédemment. En effet, si Dieu suffit en lui-même
à combler tous les désirs, parce qu’il est par nature amour, c’est par une
conséquence directe de sa nature qu’il unifie les deux commandements de la
charité, celui de Dieu et celui du prochain. Ainsi, la présence d’amis fait
plus que concourir de manière surajoutée à l’heureux épanouissement de la
béatitude. Tout en n’en étant pas l’essence, elle lui est conjointe, ce qui
fait dire à saint Augustin : « La
créature spirituelle ne trouve intérieurement de secours que dans l’éternité,
la vérité et la charité de son Dieu. »
Mais ce n’est pas par accident que les élus, formant une seule Église, tous
époux du même Dieu, se voient les uns les autres et se réjouissent de leur
commune société.
Solutions :
1. La béatitude est en
effet une gloire ; mais nous savons que la gloire essentielle à la béatitude
n’est pas celle dont jouit l’homme auprès de l’homme, mais celle qu’il trouve
auprès de Dieu.
2. La parole qu’on
nous cite doit s’entendre des biens qui n’ont pas en eux-mêmes une pleine suffisance,
ce qui ne s’applique point à l’objet présent, puisque l’homme trouve en Dieu
l’abondance de tous les biens.
3. Quant à la
perfection de la charité, elle est essentielle à la béatitude en ce qui
concerne l’amour de Dieu, non quant à l’amour du prochain. De sorte que, n’y
eût-il qu’une seule âme jouissant de la possession de Dieu, elle serait encore
heureuse, bien qu’elle n’eût pas de prochain à aimer. Mais le prochain supposé,
l’amour qu’on lui porte découle du parfait amour qui s’adresse à Dieu. Ainsi,
c’est par une sorte de concomitance que l’amitié intervient dans le parfait
bonheur.
Objections :
1. Nous avons montré que
l’homme n’a besoin d’aucun bien extérieur pour sa béatitude parfaite. Or Dieu
ne fait rien d’inutile donc il n’y aura pas de monde matériel glorifié.
2. Il semble qu’il ne
le sera jamais. Rien n’arrivera que ce qui a déjà existé de quelque manière
dans la même espèce de choses. L’Ecclésiaste dit[1831] : « Qu’est-ce qui a été ? Sinon ce qui arrivera. » Or le monde
n’a jamais eu d’autre état que celui dans lequel il est, quant à ses parties
essentielles, ses genres et ses espèces. Il ne sera donc jamais renouvelé.
3. Une innovation est
une altération. Mais l’univers ne peut être altéré car tout ce qui est altéré
l’est en vertu d’une cause qui l’altère sans se modifier elle-même, tout en
ayant un mouvement local ; or on ne peut poser un tel être en dehors de l’univers.
Il n’est donc pas possible que le monde soit renouvelé.
4. La Genèse[1832] dit que « Dieu
se reposa le septième jour de toute l’œuvre qu’il avait accomplie » et
de saints auteurs commentent « qu’il
se reposa de la production de nouvelles créatures. » Mais dans cette première manière d’être les choses ne reçurent
pas d’autre disposition que celle dans laquelle elles se trouvent maintenant en
leur ordre naturel. Elles n’en auront donc jamais d’autre.
5. La disposition dans
laquelle se trouvent maintenant les choses est naturelle. Si donc elles étaient
changées en une autre, cette autre disposition ne leur serait pas naturelle. Or
ce qui n’est pas naturel et est accidentel ne peut durer perpétuellement. La
disposition nouvelle supposée devrait donc être ensuite enlevée au monde il y
aurait une sorte d’évolution circulaire du monde, comme Empédocle et Origène le
disaient ; après ce monde, il y en aurait un autre, et puis de nouveau un
autre.
6. La rénovation dans
la gloire est la récompense donnée à la créature raisonnable. Là où il n’y a
point de mérite, il ne peut y avoir de récompense. Les créatures insensibles
n’ayant rien mérité, il semble qu’elles ne seront pas renouvelées.
Cependant :
Isaïe dit[1833] : « Voici
que je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre, et on ne se souviendra
plus des précédents. » Et l’Apocalypse[1834] : « J’ai vu un nouveau Ciel et une nouvelle terre le premier ciel et la
première terre avaient disparu. » En outre, l’habitation doit
convenir à l’habitant. Le monde a été fait pour être l’habitation de l’homme.
Il doit donc lui convenir. L’homme étant renouvelé, le monde doit l’être aussi.
De plus, « tout
animal aime le semblable à lui-même »,
il en ressort que la similitude est la raison de l’amour. L’homme a une
certaine similitude avec l’univers : on dit qu’il est le monde en petit. Il
aime donc naturellement le monde entier, et désire son bien. Pour satisfaire
ce désir de l’homme, l’univers doit être amélioré.
Conclusion :
On pense généralement que toutes les créatures
corporelles ont été faites pour l’homme. C’est pourquoi on dit que toutes lui
sont soumises. Il y a deux manières de servir l’homme d’une part en soutenant
sa vie corporelle, d’autre part en facilitant son progrès dans la connaissance
de Dieu, en tant que l’homme « à travers les choses créées découvre les
choses invisibles de Dieu », comme dit saint Paul aux Romains[1835]. L’homme glorifié
n’aura plus aucun besoin d’être servi de la première manière par les créatures
puisque son corps sera tout à fait incorruptible, grâce à la puissance divine,
qui opérera cela à travers l’âme, glorifiée immédiatement par Dieu. L’homme
n’aura pas besoin d’être servi de la deuxième manière, dans sa connaissance
intellectuelle, car les saints verront Dieu immédiatement dans son essence. Mais
l’œil de chair ne pourra point parvenir à cette vision de l’essence divine.
Pour lui accorder une récompense juste dans la vision de la divinité, cet œil
pourra la considérer dans ses effets corporels, dans lesquels apparaîtront des
signes manifestes de la majesté divine, surtout dans la chair du Christ, puis
dans le corps des bienheureux, et enfin dans tous les autres corps. C’est
pourquoi il faudra que même ces corps reçoivent une plus grande communication
de la bonté divine que maintenant ; celle-ci ne changera pas leur espèce, mais
leur ajoutera une perfection glorieuse telle sera la rénovation du monde. Donc,
en même temps, le monde sera renouvelé, et l’homme glorifié.
Solutions :
1. La glorification du
monde ne servira pas aux élus comme un bien essentiel à l’essence de leur
bonheur éternel qui trouvera sa source en Dieu seul. Cependant, il concourra
par surcroît à la récompense des élus puisqu’il réjouira les facultés sensibles
de leur corps. Ainsi, en glorifiant le monde, Dieu ne fera pas une œuvre
inutile.
2. Salomon parle ici
du cours naturel des choses, comme cela ressort de ce qui suit[1836] : « Rien de nouveau sous le soleil. » Puisque le soleil se meut
en cercle, les choses qui sont soumises à sa puissance doivent subir une sorte
d’évolution circulaire, qui consiste en ce que les choses qui ont été
auparavant reviennent de nouveau « dans
la même espèce, mais en nombre différent
», comme dit Aristote. Mais ce qui appartient à l’état de gloire ne dépend
plus du soleil.
3. Cet argument est
tiré de l’altération naturelle qui vient d’un agent naturel, qui agit par
nécessité de nature. Cet agent en effet ne peut produire une disposition
différente sans se comporter lui-même de telle ou telle manière. Mais les
choses qui s’accomplissent par l’action de Dieu procèdent de la liberté de sa
volonté c’est pourquoi sans changement de la volonté de Dieu, il peut exister
dans l’univers telle, puis telle autre disposition venant de lui. Ainsi ce
renouvellement ne remonte pas à un principe mû, mais au principe immobile, qui
est Dieu.
4. On dit que Dieu a
cessé le septième jour de produire de nouvelles créatures, parce que rien n’a
été produit ensuite, qui n’ait pas préexisté auparavant de quelque manière dans
son genre ou son espèce ou au moins dans son principe séminal ou dans une
puissance obédientielle. La nouveauté future du monde a précédé dans les
œuvres des six jours, dans une similitude éloignée, à savoir la gloire et la
grâce des anges ; elle a précédé aussi dans la puissance obédientielle, qui fut
alors déposée dans la créature, pour qu’elle puisse recevoir plus tard de Dieu
cette nouvelle manière d’être.
5. Cette disposition
qui renouvellera les choses ne sera ni naturelle, ni contre nature elle sera
au-dessus de la nature (comme la grâce et la gloire sont au-dessus de la nature
de l’âme), et elle sera l’œuvre de cet agent perpétuel qui la conservera à
jamais.
6. Les corps
insensibles ne mériteront pas à proprement parler cette gloire. Mais l’homme
aura mérité que cette gloire soit conférée à tout l’univers, parce qu’elle
tendra à l’augmentation de la gloire de l’homme : de même qu’un homme mérite
d’être revêtu de plus riches vêtements, sans que cette richesse soit aucunement
méritée par le vêtement lui-même.
Objections :
1. Cela ne semble pas.
Cette rénovation s’accomplira dans les corps inférieurs par la purification du feu.
Mais le feu purifiant n’atteint pas les astres du ciel. Ils ne seront donc pas
renouvelés par la réception d’une plus grande clarté.
2. Les corps célestes
sont par leur lumière des signes pour les fêtes et pour le devenir des jours et
des années selon la Genèse[1838]. Or, dans la vie
éternelle, il n’y aura plus de temps ni de fêtes successives puisque les noces
de l’agneau seront éternelles. Donc la lumière des astres cessera de briller
plutôt que d’être intensifiée.
3. La clarté des corps
célestes a pour but de servir les hommes, ainsi que les autres créatures. Mais,
après la résurrection, la clarté du soleil ne servira plus aux hommes. Isaïe
dit[1839] : « Tu
n’auras plus de soleil pour briller le jour, ni la splendeur de la lune pour
t’illuminer. » Et l’Apocalypse[1840] : « Cette
cité n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer »
leur clarté ne sera donc pas accrue.
4. Il ne serait pas
sage pour un artisan de fabriquer de très grands instruments pour construire un
petit objet fabriqué. L’homme est très petit en face des corps célestes qui par
leur énorme grandeur dépassent incomparablement ses dimensions. Bien plus,
toute la masse de la terre est, en face du système solaire, comme un point par
rapport à une sphère. Dieu qui est infiniment sage, ne semble pas avoir assigné
à l’homme comme fin de la création du Ciel. Il ne semble donc pas qu’à cause de
son péché le Ciel doivent être détérioré, ni qu’à cause de sa gloire il soit
amélioré.
Cependant :
Isaïe affirme[1841] : « La lumière de la lune sera
comme celle du soleil et la lumière du soleil sera septuplée. » En
outre, le monde entier sera transformé en mieux. Cela ne peut être qu’en
resplendissant d’une nouvelle clarté.
Conclusion :
La rénovation du monde a pour but de nous donner des signes
manifestes grâce auxquels l’homme verra Dieu pour ainsi dire sensiblement. La
créature conduit à la connaissance de Dieu surtout par sa beauté et son ordre,
qui manifestent la sagesse de celui qui la fait et la gouverne. La sagesse dit[1842] : « Le Créateur pourra être vu
grâce à la grandeur de la beauté de sa créature. » Cette
connaissance sensible sera donnée à l’homme comme une récompense surajoutée au
bonheur de son âme car il convient que son corps participe à travers l’exercice
de ses facultés à la béatitude, de même qu’il a participé durant la vie
terrestre à l’acquisition de la grâce.
La beauté des corps célestes réside surtout en leur lumière.
L’ecclésiastique dit[1843] : « La
splendeur du ciel, c’est la gloire des étoiles, le Seigneur illuminant le monde
dans les hauteurs. » Les corps célestes seront donc surtout améliorés par
leur clarté. Quant au sens qu’on doit donner à cette augmentation de clarté, il
peut être pris selon deux aspects :
1° une augmentation de clarté
pour l’intelligence humaine, ce qui peut signifier que la matière perdra son
opacité naturelle. La complexité et l’ordre de sa structure ne seront plus
cachés mais pleinement révélés à l’intelligence.
2° Une augmentation de clarté
pour le sens de la vue. Comme nous l’avons montré, les sensations du corps
glorieux seront augmentées en ce sens qu’elles seront aptes à saisir des
rayonnements dont la beauté est actuellement invisible à l’œil humain. Ainsi,
les corps glorifiés auront de nouvelles sensations qui provoqueront
l’admiration quand elles se porteront vers les astres.
3° Une augmentation de
l’intensité du rayonnement des astres en eux-mêmes puisque leur lumière sera
augmentée par leur transformation.
Solutions :
1. Le feu purificateur
réalisera à la fois une rénovation de la forme des choses et une purification
de la corruption du péché et de la pénétration des impuretés. Sous le premier
rapport, elle atteindra aussi les corps célestes. Ceux-ci n’ont pas besoin
d’être purifiés par le feu ; mais ils doivent être rénovés divinement.
2. La lumière contribue à la
perfection du corps lumineux, même considéré en sa substance. En outre, elle
manifeste jusque dans les sensations humaines la lumière éternelle de Dieu que
seule l’intelligence peut connaître. Il convient donc que dans la gloire, le
monde des astres rayonne d’une beauté parfaite qui signifiera pour le corps, la
perfection de Dieu.
3. Une chose peut être mise au
service de l’homme de deux manières : d’une première manière, parce qu’elle lui
serait absolument nécessaire pour sa survie. Après la résurrection aucune
créature ne sera plus nécessaire de cette manière à l’usage de l’homme, parce
que son corps aura été rendu autonome aussi bien pour les damnés que pour les
élus. L’Apocalypse[1844] le signifie en disant que « cette cité n’a besoin ni de soleil ni de lune. » D’une autre
manière, une chose peut être utile à l’homme pour sa plus grande perfection :
et ainsi l’homme se servira d’autres créatures non en tant que nécessaires pour
parvenir à sa fin, mais comme une surabondance de gloire.
4. Cet argument vient de Rabbi
Moïse, qui s’efforce de rejeter tout à fait la thèse que le monde a été créé
pour l’homme. Il déclare donc que ce qui est dit dans l’Ancien Testament de la
rénovation du monde, par exemple dans les textes d’Isaïe, n’est qu’une
métaphore. Selon lui, quand il est dit à une personne que le soleil
s’obscurcit, cela signifie qu’elle tombe dans une grande tristesse et ne sait
plus que faire (selon une manière de parler fréquente dans l’Écriture) tandis
que si on dit au contraire que le soleil brille davantage pour une personne et
que tout le monde se renouvelle, c’est parce que cette personne passe de l’état
de tristesse à une très grande joie. Mais cela est en désaccord avec les textes
faisant autorité et les exposés des saints. On doit donc répondre à ce
raisonnement que, bien que les corps célestes soient très au-dessus du corps
humain, cependant l’âme raisonnable dépasse beaucoup plus les corps célestes
que ceux-ci ne dépassent le corps humain. Il n’y a donc pas de difficulté à
admettre que les corps célestes ont été créés pour l’homme, mais non comme fin
principale, puisque la fin principale de toute chose est Dieu.
Objections :
1. Il semble qu’on doive le
nier. La qualité propre des éléments n’est pas la lumière mais plutôt le chaud
et le froid, l’humidité et le sec. De même que les astres du Ciel seront
renouvelés par une augmentation de clarté, ainsi les éléments de la planète et
des autres planètes doivent l’être par l’accroissement des qualités actives et
passives.
2. La clarté des corps
matériels vient de leur chaleur. Ainsi le fer devient rouge si on le chauffe
puis blanc si on augmente cette chaleur. Il en est de même pour tous les autres
éléments. Ainsi, l’addition d’une clarté ne peut être faite que par un
réchauffement extrême du monde ce qui paraît improbable.
3. Les damnés seront dans les
ténèbres intérieures. Mais il semble qu’ils seront aussi dans les ténèbres
extérieures selon saint Luc. Il ne convient donc pas que leur lieu soit doté de
clarté.
4. Le bien de l’univers, qui
consiste dans l’ordre et l’harmonie de ses parties, est plus appréciable que le
bien d’une nature particulière. Si une créature devenait meilleure, le bien de
l’univers disparaîtrait puisque son harmonie serait troublée. Si donc les
éléments matériels qui, selon leur état naturel dans l’univers doivent être
privés de clarté, recevaient de la clarté, la perfection de l’univers périrait
plutôt que d’en être accrue.
Cependant :
L’Apocalypse dit[1846] : « J’ai vu un nouveau Ciel et
une nouvelle terre. » Le Ciel sera renouvelé par une plus grande clarté
; donc aussi la terre et les éléments opaques de la matière.
Conclusion :
Puisque la créature corporelle a été faite pour les créatures
spirituelles, la disposition des choses corporelles doit être adaptée au bien
des êtres spirituels. À la fin du monde, les esprits inférieurs recevront les
propriétés des esprits supérieurs : les hommes seront comme les anges du Ciel,
selon saint Matthieu[1847]. L’esprit humain parviendra
à la plus haute perfection par laquelle il sera élevé aux rangs angéliques. De même,
il faut que les corps matériels soient surélevés d’une manière analogue pour
recevoir des propriétés nouvelles adaptées à l’état nouveau des créatures
spirituelles. Et la propriété des corps matériels, quand ils sont adaptés à
l’esprit, c’est leur lumière qui les rend à la fois intelligibles et beaux. En
conséquence, on doit affirmer que tous les éléments revêtiront une sorte de
clarté, mais chacun à sa manière.
Solutions :
1. Nous l’avons vu, la
rénovation du monde tend à ce que l’homme puisse voir la divinité, même
sensiblement, à travers les corps, par des signes manifestes. Parmi nos sens,
le plus spirituel et le plus subtil est la vue. C’est donc surtout par leurs
qualités visuelles, dont le principe est la lumière, que les corps opaques
seront améliorés. Mais les qualités élémentaires seront soumises au toucher,
qui est le plus matériel des sens. L’excès de ses sensations est plus pénible
que délectable. Par contre l’excès de la lumière sera délectable, parce qu’elle
n’est pénible qu’à cause de la débilité de l’organe visuel, laquelle n’existera
plus dans la vie nouvelle.
2. Il peut y avoir clarté sans
chaleur excessive comme on le voit dans les corps phosphorescents dont la
lumière vient de l’intérieur. C’est d’une façon analogue que le corps des élus
sera lumineux de l’intérieur, ne laissant pas cachée la bonté de leur âme.
3. Pour les damnés dont l’âme
est pervertie par le péché, tous les biens de la création seront source de
souffrance intérieure puisqu’ils les regarderont comme des obstacles à leur
volonté. Ils ne pourront rien posséder selon leur désir, ni en jouir puisque,
plutôt que de rencontrer les élus objet de leur envie, ils se seront
emprisonnés dans un lieu sans pouvoir aller où ils veulent.
4. L’ordre de l’univers ne sera
pas supprimé pas l’amélioration des éléments, puisque toutes les autres parties
de l’univers seront elles-mêmes améliorées : la même harmonie demeurera donc.
Objections :
1. Il ne semble pas.
Les animaux et les plantes ont été créés pour soutenir la vie animale de
l’homme. La Genèse dit[1849] : « Je
vous donne toute chair en nourriture. » Avec la cessation de la vie
animale de l’homme, les animaux et les plantes doivent donc cesser d’exister,
ce qui sera le cas après la résurrection.
2. Les plantes et les
animaux servent sur la terre à connaître comme dans un miroir les perfections
de Dieu dont ils sortent des vestiges. Or, après la résurrection, Dieu sera
connu face à face. Donc le monde animal et végétal sera devenu inutile.
3. La vie végétale et
animale est liée à la corruptibilité ; Il est en effet essentiel pour cette vie
d’assimiler des éléments extérieurs pour qu’elle cuisse se maintenir et de
rejeter ce qui est inutile. Or, dans le monde renouvelé, il n’y aura plus de
place à la corruption selon saint Paul[1850] : « Il
faut que ce corps corruptible revêtu d’incorruptibilité et que ce corps mortel
revêtu d’immortalité. »
4. Si les plantes et
les animaux demeurent, cela vaudra pour tous ou seulement pour quelques-uns. Si
c’est pour tous, il faut que les animaux privés de raison, morts avant la fin
du monde, ressuscitent comme les hommes. Cela ne peut être car leur forme
disparaît à leur mort et ne peut être ressuscitée la même individuellement. Si
ce n’est pas pour tous mais seulement quelques-uns, on ne voit pas le motif
pour que l’un demeure plutôt que l’autre. Il semble donc qu’aucun ne demeurera
perpétuellement.
5. S’il doit exister des
animaux glorifiés, c’est qu’ils verront l’essence divine qui seule peut rendre
glorieux. Or les animaux sont incapables par nature de la vision béatifique.
Donc ils n’ont pas de place dans le monde nouveau.
Cependant :
Dieu dit à Noé[1851] : « Voici
que j’établis mon Alliance avec vous et avec vos descendants après vous et avec
tous les êtres animés qui sont avec vous oiseaux, bestiaux, toutes bêtes
sauvages avec vous, bref tout ce qui est sorti de l’arche, tous les animaux de
la terre. » Or l’Arche de Noé symbolise l’efficacité de la
rédemption opérée par le Christ. Donc, les êtres animés ne seront pas exclus du
monde nouveau.
Conclusion :
Il n’y a pas d’arguments définitifs sur ce point.
Cependant, l’opinion la plus traditionnelle des Pères consistait à affirmer
qu’il n’y aurait ni animaux, ni plantes dans le monde nouveau. Leurs arguments
consistaient à montrer que ne demeureraient que les êtres possédant en eux un
élément d’incorruptibilité tels leur paraissaient être les corps célestes que
la cosmologie ancienne croyait incorruptibles car d’une nature supérieure, les
hommes à cause de leur âme immortelle, et les éléments minéraux puisqu’on ne
pouvait jamais les réduire au néant. Au contraire, les animaux et les plantes
qu’on peut tuer, les corps mixtes comme les molécules qu’on peut détruire
étaient considérées comme n’ayant aucune disposition à l’incorruptibilité. Ils
ne devaient donc pas subsister dans le monde nouveau.
Mais on ne peut plus parler ainsi. On sait aujourd’hui
que tous les éléments matériels du monde y compris les corps célestes sont de
même nature et corruptibles. Ainsi, les astres courent insensiblement à leur
extinction et les atomes se dégradent dans leur structure. Pourtant, il est
certain qu’ils demeureront dans l’au-delà puisque Dieu préparera en eux un
monde adapté à la nouvelle manière d’être des hommes.
De même, il convient que les créatures matérielles comme
les animaux et les plantes demeurent afin qu’il ne manque rien à la perfection de
l’au-delà. En effet, ce monde nouveau verra chaque chose atteindre sa fin qui
est Dieu, selon une hiérarchie adaptée au mode de chacun. L’ordre sera fondé
sur la charité. Dieu, qui est l’essence de la charité incréée, est au sommet.
Puis viennent les créatures spirituelles qui participent à la charité,
c’est-à-dire les élus. Et le plus élevé d’entre eux, dans cette hiérarchie
nouvelle de la Jérusalem céleste, c’est Jésus qui dans son humanité ne fait
qu’un avec Dieu. Vient ensuite la vierge Marie dont l’amour de charité et
l’abaissement par amour dépasse celui des anges. Elle a donc reçu une plus
grande participation à la gloire. L’ordre des créatures spirituelles,
c’est-à-dire des anges et des hommes s’en suit et n’est pas mesuré par la
perfection naturelle de chacun mais par sa perfection surnaturelle.
Viennent ensuite les êtres qui ne participent pas à la
vision de l’essence divine. Certains en sont exclus par nature, comme les
animaux, les plantes et le monde minéral puisque ces réalités sont dépourvues
de facultés spirituelles. Ces êtres peuvent faire partie du monde nouveau deux
causes : 1° Leur propre bien qui
aspire, soit par nature, soit par sensibilité à durer toujours selon saint Paul[1852] : « La
création toute entière gémit dans l’attente de la révélation des fils de Dieu.
» La vie végétale et animale fait partie de la création, d’une
manière intermédiaire entre les minéraux et les hommes. Donc ils seront
présents dans le monde nouveau. 2° Pour
le bien de l’homme qui peut par ses sensations contempler leur beauté et leur
ordre qui témoigne de Dieu comme dans un miroir.
D’autres réalités sont exclues de la vision béatifique à
cause d’un choix de leur volonté. Les damnés constituent les êtres les plus
bas, non à cause de leur nature qui dépasse celle du monde matériel mais à
cause de leur choix qui les rend inférieurs aux biens qu’ils choisissent. Ainsi
voit-on déjà sur la terre des hommes pervertis se comporter d’une manière
inférieure aux animaux. Et, par leur existence, ils proclament comme le reste de
la création la gloire de Dieu qui laisse chacun libre de se séparer de lui. En
conséquence, dans le monde nouveau, aucun des éléments essentiels à sa
perfection générale ne manquera.
Solutions :
1. Dans le monde de
l’au-delà, il n’y aura plus de nutrition puisque chacun sera revêtu d’une
immortalité qui fera disparaître toute possibilité de corruption. Aussi, les
animaux et les plantes ne subsisteront pas pour que l’homme s’en nourrisse.
2. La contemplation de
la beauté du monde nouveau ne sera pas pour l’homme l’essence de sa
connaissance de Dieu mais une connaissance surajoutée et pour ainsi dire
accidentelle. Elle sera ordonnée au bien de son corps qui doit participer selon
qu’il en est capable à la béatitude. Or la vie sensible est incapable par nature
de contempler l’essence divine qui est d’ordre spirituel. Elle trouvera dans la
beauté du monde nouveau et dans la vision de son ornement végétal et animal une
participation sensible à cette contemplation[1853].
3. De même que le
monde minéral qui est pourtant lié à des formes moins nobles que le monde des
vivants, peut être revêtu par la puissance divine d’incorruptibilité et de
clarté, de même la vie animale et végétale peut être élevée à un mode
d’exercice qui exclut toute corruptibilité. Ainsi qu’un animal soit glorifié
signifie que son corps est revêtu d’incorruptibilité et de clarté par la
puissance divine. En conséquence, la recherche de la nourriture est supprimée
ce qui exclut du monde nouveau les lois naturelles où le plus fort mange le
plus faible. De même, la génération n’est plus possible. Les animaux et les
plantes seront donc présents à cause de leur beauté et vivront une vie commune
paisible. Selon la capacité de chacun, ils vivront d’une certaine béatitude
sensible puisque leur appétit naturel sera comblé. Ainsi se réalisera
matériellement ce texte[1854] : « Le
loup habitera avec l'agneau, la panthère se couchera avec le chevreau. Le veau,
le lionceau et la bête grasse iront ensemble, conduits par un petit garçon. La vache
et l'ourse paîtront, ensemble se coucheront leurs petits. »
4. Il ne convient pas
qu’un appétit naturel soit frustré. Selon leur appétit naturel, les animaux et
les plantes désirent exister perpétuellement, sinon comme individus, du moins
en tant qu’espèce. C’est à cela qu’est ordonnée leur génération naturelle,
comme dit Aristote. Et c’est aussi à cela que sera ordonnée la restauration des
espèces à la résurrection.
Quant à savoir si chaque animal individuellement ressuscitera,
plusieurs opinions existent. Selon certains, il suffit que les animaux
reviennent selon leurs espèces, car, de cette manière, l’aspiration générale
qui est en eux et qui porte avant tout sur la survie de l’espèce, est
satisfaite. Selon d’autres, il convient que Dieu crée à nouveau chaque individu
qui doit être récompensé du service accompli pour nous par son passage sur la
terre, et en compensation des multiples souffrances sensibles subies. Une telle
restauration est bien évidement possible à la puissance de Dieu pour qui[1855] « pas un passereau ne tombe au sol à son
insu ! » Cela semble mieux convenir à
la bonté de Dieu. Là encore, nous pouvons en avoir un signe philosophique dans
l’expérience de ceux qui approchent la mort et qui témoignent que le corps
psychique n’est pas seulement conservé pour les individus humains mais qu’il
subsiste aussi chez les animaux, individuellement, dans l’autre monde.
Mon opinion est qu’il faut distinguer avec le récit de la Genèse
deux sortes d’animaux. Certains « grouillent »[1856] et sont plus proches des
plantes ; d’autres sont cités par le texte le sixième jour[1857]. Ce sont les animaux
supérieurs. Il se pourrait que les premiers soient présents dans le monde
nouveau selon leur espèce, tandis que les seconds, ayant davantage une
individualité, pourrait être présent en tant qu’individus. Quant à distinguer
précisément la limite de ces deux groupes, c’est très difficile. Quoiqu’il en
soit, la quantité gigantesque des animaux ayant transité par cette terre donne
une idée de l’immensité du monde nouveau préparé par Dieu.
En ce qui concerne les plantes, les témoins des Near Death experiences témoignent de la
présence à la frontière de l’autre monde d’espèces magnifiques et inconnues,
aux couleurs sublimes. Ces témoignages sont importants.
5. Les animaux sont
incapables d’être glorifiés en ce sens qu’ils puissent voir l’essence divine
car les facultés de connaissance qui sont en eux sont d’ordre sensible ce qui
exclut une quelconque possibilité d’élévation à un objet spirituel. Cependant,
ils peuvent être rendus immortels dans leur être par Dieu et obtenir une
béatitude qui leur est adaptée. Elle consiste essentiellement dans un état
permanent de joie et de paix sensible, adapté selon leurs espèces, au degré du
psychisme qui leur est attribué par nature. Et ce bonheur sensible leur sera
communiqué par la fréquentation des hommes glorifiés dont la joie et la paix
spirituelles rejaillira jusque dans la sensibilité animale d’une façon analogue
mais bien supérieure à l’harmonie primitive qui existait dans le paradis terrestre
entre Adam et la nature entière[1858].
Objections :
1. Il ne semble pas. Les
œuvres ont été détruites car leur création artistique n’était jamais exempte de
péché, comme tout ce que fait l’homme ici-bas. Elles ne doivent pas reparaître
sans quoi on ne voit pas à quoi sert leur destruction.
2. Les plus belles œuvres de la terre sont ternes en
comparaison de ce qui paraîtra dans le monde nouveau, transfiguré par une
lumière nouvelle. Elles n’y auront pas leur place.
3. Isaïe 65, 17 affirme : « Voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle,
on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l'esprit. » Si les œuvres anciennes doivent reparaître, ce texte sera
contredit.
4. Les œuvres utilitaires comme les maisons, les moyens de transport
etc. ne reparaîtront pas puisque le corps humain, libéré de toute contrainte
n’en aura plus l’usage.
Cependant :
Le prophète Osée écrit[1859] : « C'est pourquoi je parlerai à son cœur. Là, je lui rendrai ses
vignobles, et je ferai du val d'Akor une porte d'espérance. Là, elle répondra
comme aux jours de sa jeunesse, comme au jour où elle montait du pays d'Egypte.
» C’est donc que les richesses et les œuvres des hommes leur seront
rendues par la résurrection, après leur avoir été enlevées par la mort.
Conclusion :
Dans l’œuvre artistique, on
peut distinguer 1° ce qui est matériel
et individué. Il s’agit de l’œuvre elle-même, statue, musique, livre écrit ou
cathédrale. 2° Ce qui est formel. Il
s’agit du projet porté par l’artiste. La forme (l’idea) de l’œuvre naît
dans l’esprit et l’imagination. Ce n’est qu’après, porté par cette inspiration,
qu’il l’incarne par son travail et l’imprime à la matière.
Cette distinction permet de
comprendre ce qui se passera après la fin du monde. 1° La matérialité de toutes les œuvres humaines sera détruite dans la
dernière conflagration, comme on l’a dit. 2°
Mais ce qui est formel dans l’œuvre n’est jamais détruit, non seulement
parce l’intelligence humaine avec ses souvenirs subsistent mais aussi parce que
les facultés du psychisme (imagination, sensations, mémoire des images etc.)
dont le rôle est partie intégrante de l’idea, loin d’être détruites par
la mort, sont au contraire libérées du poids de l’exercice organique. Ainsi,
c’est l’artiste qui survit à la mort et avec lui, dans sa mémoire, toutes ses
œuvres du passé. Comme il est la cause de l’œuvre, on peut dire qu’en lui
subsiste ce qui est indestructible dans l’œuvre.
Il reste à considérer si les
hommes ressuscités exerceront des activités artistiques. La réponse est oui,
absolument. Dieu ne rend à l’homme la plénitude de ses facultés que pour qu’il
les exerce. Or, tout ce qui est nécessaire à la réalisation de l’œuvre est
présent dans l’au-delà, l’intelligence et le psychisme dès avant la
résurrection, puis après la résurrection, le corps de chair et l’univers
matériel dans son immensité. L’homme exercera un art incomparablement plus beau
qu’ici-bas pour trois raisons :
1° Ses facultés seront délivrées du poids de la chair dans son mode
biologique. Elles s’exerceront avec une parfaite facilité. L’inspiration sera
donc plus riche et lumineuse.
2° La matière transfigurée obéira pour ainsi dire au travail de
l’homme, sans résistance. Sa lumière la rendra beaucoup plus capable d’exprimer
l’idea sans la rendre terne, comme ici-bas. C’est une propriété de la lumière
de la matière. Il est probable que l’homme pourra y imprimer la mémoire de son idea de telle manière qu’en contemplant
l’œuvre, il soit possible aux autres de remonter sans effort à l’inspiration
même de son auteur.
3° Les élus voyant Dieu face à face, ils n’auront plus à exprimer
l’inconnu. Ici-bas, les plus grands artistes sont souvent les plus
déséquilibrés des hommes car ils expriment sans le savoir ce qu’ils souffrent
de ne pas posséder. D’où le caractère transcendant des beaux arts. Dans la Vision
de Dieu, ils exprimeront au contraire en pleine lumière les merveilles
innombrables de Celui qui sera vu par eux face à face. L’art n’aura donc plus
cette obscurité d’ici-bas.
Enfin, le plaisir de la
beauté étant la vibration entre une subjectivité et une réalité splendide, de
ces deux points de vue, les élus éprouveront de la contemplation des œuvres de
Dieu et de leurs frères un plaisir incomparable à celui d’ici-bas.
Solutions :
1. La matérialité des œuvres humaines sera détruite, sans qu’il subsiste
rien. Mais leur forme se trouvera simplement purifiée dans les facultés des
élus, de telle manière que rien ne sera en définitive perdu de ce qui fut beau
ici-bas.
2. Il est vrai que la terne matérialité de l’art d’ici-bas n’aura pas
sa place dans le monde des élus car tous les arts, toutes les beautés de la
terre sembleront fades en comparaison de la beauté de l’Au-delà. Puisque la
beauté est la rencontre vibrante d’un objet et d’une intelligence sensible,
puisque tout sera plus lumineux et que la sensibilité sera elle-même surélevée,
les musiques du paradis rendront grises toutes les anciennes musiques de la
terre. Que sera donc l’art des plus grands musiciens ressuscités ? Impossible
d’en imaginer la qualité, même en écoutant la musique terrestre. Mais la
musique sera bien là.
3. Ce texte parle de ce qui était déficient dans l’art d’ici-bas, à
savoir des ténèbres de l’absence de Dieu, de l’opacité de la matière, de la
lourdeur du psychisme humain et du péché qui contaminait toute réalisation.
Tout cela ne s’applique qu’au monde des élus. Au contraire, en enfer, la
disparition de la lourdeur du psychisme et de la matière ne suffiront pas à
compenser les deux autres inconvénients. Leur expression extérieure sera faite
de laideur.
4. Nous accordons cette objection. L’impassibilité, la subtilité,
l’agilité, la mobilité, l’immortalité des corps ressuscités rend inutile tout
autre art que le beau. Sa lumière rend inutile l’intimité des demeures privées.
La soumission de la matière à l’homme supprime tout autre travail que celui qui
s’accompagne de plaisir.
A l’argument cependant :
Il faut répondre que tout
sera rendu mais transfiguré. Ainsi en sera-t-il pour l’art du service de Dieu.
L’eucharistie, œuvre de Dieu, disparaîtra au profit de la présence physique et
amoureuse du Christ glorieux homme et Dieu. Le livre des évangiles aura disparu
au profit de la vision face à face de l’Evangile subsistant, Dieu. Les
cathédrales seront remplacées par un Temple infini en taille et en splendeur,
l’univers recréé et transformé par les élus. Mais ce seront aussi des beautés
profanes qui, transfigurées, seront mis au service de la Famille éternelle.
Il nous faut maintenant considérer ce qui suit la résurrection. Il
nous faudra voir deux choses :
1° Le jugement général.
2° L’état du monde après le
jugement général.
Lorsque tout aura été achevé, lorsque chacun aura été établi dans
la demeure éternelle auprès de Dieu ou dans l’enfer de son choix, le Christ
remettra au Père toute chose.
Mais auparavant, il faudra que soit manifesté à tous la justice de
ce jugement.
Le jugement général sera la palpable démonstration aux yeux de
tous de l’amour de Dieu ayant agi dans l’Histoire Sainte de chaque individu, de
chaque groupe humain, de l’humanité entière. Alors se réalisera la prophétie[1860] : « Heureux les assoiffés de
justice, ils seront rassasiés. »
Considérons le jugement général, en posant trois questions :
1° Doit-il avoir lieu ?
2° Aura-t-il lieu oralement ?
3° Aura-t-il lieu dans la
vallée de Josaphat ?
Objections :
1. Il semble que non. Nahum[1862] déclare, selon la version
des Septante : « Dieu ne jugera pas deux fois la même chose. » Or, Dieu juge
chacune des actions des hommes, et aussitôt après la mort il attribue à chacun
des châtiments ou des récompenses selon ses mérites ; même en cette vie, il
récompense ou punit certains hommes selon leurs œuvres bonnes ou mauvaises. Il
semble donc qu’il ne doive plus y avoir d’autre jugement.
2. Aucun jugement n’est précédé
de l’exécution de sa sentence. Or la sentence du jugement divin au sujet des
hommes, c’est l’admission dans le Royaume ou l’exclusion, comme dit saint
Matthieu. Donc, puisque dès maintenant il y a des hommes qui entrent dans le
royaume éternel tandis que d’autres en sont exclus pour toujours, il ne semble
pas qu’il y aura un autre jugement.
3. La raison d’être d’un
jugement c’est le doute au sujet de ce qui doit y être décidé. Mais la sentence
de damnation pour les pécheurs ou de béatitude pour les saints est fixée avant
la fin du monde.
Cependant :
Nous lisons en saint Matthieu[1863] : « Les hommes de Ninive se
dresseront au jour du jugement contre cette génération, et la condamneront. » Il
y aura donc un jugement après la résurrection.
Conclusion :
De même que l’opération se rattache au principe des choses qui
leur donne l’existence, de même le jugement se rattache au terme, par lequel
les choses atteignent leur fin. Or on distingue deux sortes d’opérations de
Dieu : la création, par laquelle Dieu a structuré l’univers comme un tout
harmonieux où tout influence tout. Après cette opération, on dit que Dieu se
reposa. Il est une autre opération de Dieu par laquelle il gouverne chacune des
créatures individuellement pour les mener à leur fin. Jésus dit en saint Jean[1864] : « Mon Père a travaillé jusqu’à
maintenant et moi aussi, je travaille. »
De même, on peut aussi distinguer deux jugements de Dieu, mais
dans un ordre inverse. Le premier concerne d’abord les individus, le second
l’univers dans son ensemble. 1° Le
jugement particulier correspond à l’œuvre du gouvernement des individus. Chacun
y reçoit individuellement, en conséquence de ses actes, la sentence de son
destin éternel. Mais cela concerne chacun selon ses œuvres, et seulement selon
ce point de vue propre. Ce jugement ne s’étend pas à la connaissance de tous
les méandres de l’œuvre de Dieu. 2° Le
jugement général concerne la relation du salut ou de la damnation de chacun
avec l’univers dans son ensemble. Il faut que les méandres et les influences de
toutes les réalités soient révélés à la conscience de tous sous le rapport
particulier du salut ou de la damnation. Parmi ces influences, la plus
importante est la conscience de chacun. Comme le dit l’épître aux Hébreux, la
raison de la récompense ou du châtiment de tous apparaîtra en pleine lumière à
tous les autres.
On le voit, ce deuxième jugement n’a pas le même objet que le
premier. Le premier aboutit à un choix, lui-même sanctionné par une sentence ;
le second est une simple mise en lumière de ce choix et de cette sentence,
universellement à tous. Afin que toute justice soit manifestée, il est donc
nécessaire qu’il y ait ce deuxième jugement.
Tous, élus et damnés verront en acte ce qui n’était pas évident
sur terre : la justice de Dieu. Lors de la fondation du monde, toutes les
créatures procédèrent immédiatement de Dieu ; au jour du jugement général,
l’achèvement suprême du monde s’accomplira quand chacun posera son jugement sur
tout. C’est pourquoi au jugement général, la justice divine apparaîtra
manifestement au sujet de toutes les choses qui actuellement sont cachées : car
parfois Dieu dispose maintenant d’un homme pour l’utilité des autres d’une
manière qui diffère de ce que sembleraient exiger les œuvres que nous le voyons
accomplir.
Solutions :
1. Tout homme est à la fois un
individu et une partie de tout le genre humain : il doit donc être l’objet de
deux jugements. L’un, individuel, a lieu après la mort, quand on est traité
selon ce qu’on a fait en sa vie corporelle et face à l’apparition du Christ
glorieux. L’autre porte sur l’homme en tant qu’il fait partie de tout le genre
humain. Le jugement universel de tout le genre humain ne séparera pas les bons
et les méchants car cela aura été fait lors du jugement particulier. Mais il
révèlera à tous la raison de cette séparation ou de ce salut. Il révèlera tous
les secrets de l’univers à tous : les secrets des consciences, les secrets des
apparents abandons de Dieu durant les divers purgatoires, les raisons du
scandale de la croix, l’influence des lois matérielles sur l’homme, la place du
démon et des anges, la mort des innocents etc. Rien ne sera caché dans ce
jugement de discernement. Chacun pourra comprendre la parole du Messie en Matthieu[1865] :
« Heureux
les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés. »
2. La conséquence ultime du
jugement général sera de ruiner tout espoir dans les méchants et d’exalter la victoire
des humbles. Il y aura un accroissement de la peine des damnés puisque, ce
jour-là, tout l’espoir qu’ils avaient d’imposer à Dieu leur présomption
s’écroulera. Si Lucifer agit contre l’homme, c’est qu’il garde un certain
espoir de vaincre le projet de Dieu. Dans le jugement général, il perdra tout
espoir. Il constatera la victoire des humbles et verra avec rage que lui-même,
par son action, ne fit que contribuer bien involontairement à cette victoire.
Or, l’espoir de manifester à Dieu l’inanité de son projet d’amour étant
l’ultime stimulation des damnés, leur désespoir les plongera dans un dernier et
éternel abattement. De même, le bonheur des élus sera augmenté, au moins
accidentellement puisqu’ils verront d’expérience ce qu’ils savaient déjà en voyant
Dieu.
3. Le jugement universel
regarde plus directement la totalité des hommes que chacun de ceux qui sont
jugés. Avant ce jugement, chaque homme aura individuellement et pour ce qui le concerne
une connaissance parfaite de ce qui a rapport avec sa propre damnation ou de sa
récompense. Il connaîtra aussi le salut ou la damnation des autres. Cependant,
il ne connaîtra pas les circonstances précises et les interactions de tous ces
destins individuels, les détails de leur rapport à l’action de Dieu, aux anges
etc. Le jugement universel, qui est plus un jugement de discernement qu’un
jugement judiciaire est donc nécessaire.
Objections :
1. Il semble que les
révélations du jugement général doivent être faites par oral, puisque saint
Augustin dit : « Combien durera ce
jugement, c’est chose incertaine. »
Ce ne serait pas incertain si les choses qui doivent être dites en ce jugement
l’étaient seulement mentalement. C’est donc que ce jugement aura lieu oralement
et non seulement mentalement.
2. Saint Grégoire dit : « Ceux-là entendront les paroles du
juge, qui auront gardé foi en sa parole.
» Il ne peut pas s’agir là de paroles intérieures, car au jugement tous
entendront les paroles du juge, puisque les actes accomplis seront connus de
tous, bons et mauvais. Il semble donc que ce jugement aura lieu oralement.
3. Le Christ jugera sous la
forme humaine, pour qu’il puisse être vu corporellement par tous. Il semble
donc qu’il parlera par la voix du corps, afin d’être entendu de tous.
Cependant :
Saint Paul dit aux Romains[1866] : « Leur conscience leur rendra
témoignage, et leurs pensées s’accuseront et se défendront l’une l’autre, en ce
jour où Dieu jugera les actions secrètes des hommes. » Il semble
donc que la sentence et tout le jugement s’accompliront seulement mentalement.
Conclusion :
On est certain que ce jugement de discernement tout entier sera
seulement mental. Si chacun des faits devait être narré oralement, cela
exigerait une durée inestimable. Saint Augustin dit aussi : « Si on conçoit comme matériel le livre
selon lequel tous seront jugés, qui pourrait en imaginer la hauteur ou la
longueur ou dire en combien de temps on pourrait lire un livre dans lequel
seraient inscrites toutes les vies de tous.
» Or il faudrait autant de temps pour raconter verbalement les faits de
chacun que pour les lire s’ils étaient matériellement inscrits dans un livre.
Il est donc sûr que ce dont parle saint Matthieu s’accomplira, non pas
oralement, mais mentalement.
Saint Augustin dit à propos du livre de Vie dont parle
l’Apocalypse[1867] : « Ce sera une certaine force divine qui fera que chacun retrouvera
en sa mémoire toutes ses œuvres bonnes et mauvaises, et les verra par une
intuition rapide de l’esprit de sorte que cette connaissance, révélée à tous
les autres, accusera ou excusera la conscience de chacun : c’est ainsi que tous
et chacun seront jugés ensemble. »
Solutions :
1. Si saint Augustin dit « qu’on ignore combien de jours durera
ce jugement », c’est parce qu’il ne
sait pas s’il aura lieu mentalement ou oralement. En ce cas en effet, il
exigerait un temps prolongé. Mentalement, il pourrait se faire en un instant.
2. Même si le jugement est
seulement mental, ce texte de saint Grégoire peut se défendre. En supposant que
tous connaissent leurs propres actions et celles d’autrui, grâce à une action
divine, que l’Évangile nomme « parole ». Cependant, ceux qui auront
eu la foi, conformément aux paroles de Dieu, seront jugés selon ces paroles.
Car saint Paul dit aux Romains[1868] : « Quiconque a péché sous la
loi, sera jugé selon la loi. » En effet, ce jugement se fera en
toute vérité. Puisqu’un homme n’agit qu’en fonction de ce qu’il a reçu, chacun
jugera différemment les actes passés selon que la personne était croyante ou
incroyante, forte ou faible, etc.
3. Le Christ apparaîtra dans
son corps afin d’être reconnu par tous comme juge corporellement : cela peut se
faire en un instant. Au contraire, la parole, qui est mesurée par le temps,
exigerait une immense durée de temps si le jugement avait lieu oralement.
Objections :
1. Il ne semble pas que le
jugement doive avoir lieu dans la, vallée de Josaphat ou dans ses environs :
toute la Terre promise ne pourrait pas contenir la multitude de ceux qui
doivent être jugés. Le futur jugement ne pourra donc pas avoir lieu dans cette
vallée
2. Le Christ en tant qu’homme
jugera dans la justice, lui qui a été injustement condamné dans le prétoire de
Pilate, et qui a été victime de cette sentence sur le Golgotha. Ce sont donc
ces lieux-là qui devraient être désignés pour le jugement.
3. Les nuées proviennent de la
condensation des vapeurs. Mais à la fin du monde il n’y aura plus d’évaporation
ou de condensation. Il ne sera donc pas possible que[1869] « les justes soient enlevés sur les nuées au devant du Christ
dans l’air. » Bons et mauvais devront
donc être sur terre, ce qui requiert un lieu beaucoup plus étendu que cette
vallée.
Cependant :
Joël dit[1870] : « Je rassemblerai toutes les
nations, et je les conduirai dans vallée de Josaphat : là, je discuterai avec
elles. »
En outre, les Actes[1871] disent : « Comme
vous l’avez vu monter au Ciel, vous l’en verrez descendre. » Or le
Christ s’est élevé vers les cieux à partir du Mont des Oliviers, qui domine la
vallée de Josaphat. C’est donc près de ces lieux qu’il viendra juger.
Conclusion :
On ne peut pas savoir grand-chose de certain au sujet des
modalités du jugement et de la façon dont les hommes s’assembleront. Il est
pourtant probable que le lieu désigné par la vallée de Josaphat a d’abord un
sens symbolique. En effet, le nom de Josaphat signifie : « Yahvé juge. » C’est
pourquoi le livre de Joël appelle le lieu où se tiendra le jugement général la « vallée
de la décision »[1872]. Si on suit le texte, cette
vallée est située près de Jérusalem[1873] : « Yahvé fait entendre sa voix de
Jérusalem ; les cieux et la terre tremblent. » Cela signifie que le
jugement des nations concernera le bien et le péché puisque Jérusalem symbolise
la sainteté de ceux qui cherchent Dieu.
Ce sens est le premier et le plus important. Ces textes ont pourtant
un sens littéral. Il y aura en effet un lieu matériel et un temps pour le
jugement général puisque celui-ci arrivera après la résurrection des corps
charnels.
Plusieurs possibilités ont été soutenues depuis les plus
terrestres au plus spirituelles. Certains ont dit que l’humanité entière serait
rassemblée en un seul lieu. Pour eux, d’après les Écritures, que le Christ
descendra près du Mont des Oliviers, comme il s’est élevé, afin de montrer que
c’est lui-même qui est descendu après être monté.
D’autres pensent, et c’est mon opinion, que le jugement général
aura lieu toute l’éternité partout où les hommes seront car la durée des temps
ne suffira pas pour révéler à chacun la plénitude de toute l’action de Dieu et
des anges, d’autant plus que l’on découvrira que la création des hommes et des
anges ne dit pas tout de ce que Dieu a fait dans l’immensité de l’univers. Ce
dernier sens n’est pas contradictoire avec le précédent. Il est très conforme à
ce qu’est la vie éternelle et la damnation éternelle.
Solutions :
1. Une grande multitude peut
être contenue en un lieu restreint : il suffit d’occuper autour de ce lieu
autant d’espace qu’il en faut pour recevoir la multitude de ceux qui doivent
être jugés. En un autre sens, plus probable, il faut dire que chacun voyant le
Christ d’où il est, verra en lui et dans la vision de son prochain qu’il ne
cessera de rencontrer dans l’univers la totalité de ce qu’il lui faut connaître
pour juger de toutes choses.
2. Bien que le Christ, ayant
été condamné injustement, mérite le pouvoir judiciaire, il ne l’exercera
cependant pas sous son apparence de faiblesse, en laquelle il fut jugé, mais
sous la forme glorieuse dans laquelle il est monté vers le Père, de la même
façon que nous l’avons décrit à l’heure de la mort. En effet, sa vision devra
révéler sans voile son mystère, ce qui n’était pas le cas quand il est venu sur
terre sous le voile qui cache l’âme et le mystère de tous les fils d’homme.
C’est pourquoi le lieu de l’Ascension convient mieux pour le jugement que celui
de sa condamnation.
3. Les nuées dont on parle ici
sont l’intense lumière qui resplendit des corps glorieux des saints, et non des
évaporations dégagées de la terre et de l’eau. Leur gloire révèlera à tous leur
vie et leurs actions, ainsi que l’action de Dieu sur eux, de même que les
ténèbres physiques des damnés. On pourrait dire aussi que ces nuées seront
engendrées par le nouvel état du corps de l’homme et montrera une certaine
conformité avec le corps du Christ. Ainsi rien ne sera caché, d’où le nom de jugement
général. Celui qui est monté sur la nuée revient pour juger sur la nuée. Les
nuées, à cause de leur fraîcheur peuvent indiquer aussi la miséricorde du juge.
Trois questions :
1° Chaque homme connaîtra-t-il,
au jugement, tous ses péchés ?
2° Chacun pourra-t-il lire dans
la conscience d’autrui tout ce qu’elle renferme ?
3° Chacun pourra-t-il voir d’un
seul regard tous les mérites et démérites ?
Objections :
1. Il semble que, après la
résurrection, personne ne se souviendra de tous les péchés qu’il aura commis. Car
tout ce que nous connaissons est soit appréhendé nouvellement par un sens, soit
provient du trésor de la mémoire. Mais les hommes, après la résurrection, ne
pourront plus percevoir sensiblement leurs péchés, puisque ceux-ci seront du
passé, alors que le sens ne saisit que le présent. D’autre part, beaucoup de
péchés auront disparu de la mémoire du pécheur. Le ressuscité n’aura donc pas
la connaissance de tous ses péchés.
2. Il est dit dans les
Sentences : « Il y a des livres de la
conscience dans lesquels on lit les mérites de chacun. » Mais on ne peut lire une chose dans un livre que si elle y est
inscrite. Or il y a des inscriptions de péché dans la conscience qui semblent
consister seulement dans une culpabilité ou une tache, comme cela ressort d’un
texte d’Origène sur ce passage de l’épître aux Romains : « Le témoignage étant rendu. »
Puisque la tache et la culpabilité de beaucoup de péchés auront été
effacées par la grâce, il ne semble pas que quelqu’un puisse lire dans sa
conscience tous les péchés qu’il a accomplis.
3. « L’effet croit avec sa cause. » La cause de la douleur des péchés
dont le souvenir nous revient, c’est la charité. Puisque les saints qui
ressuscitent possèdent une charité parfaite, ils devraient avoir une très vive
douleur de leurs péchés s’ils s’en souvenaient : or cela ne peut être,
puisqu’ils ne connaîtront plus ni douleur ni gémissement. Ils ne retrouveront
donc plus le souvenir de leurs propres péchés.
4. Les ressuscités bienheureux
se comporteront à l’égard des péchés commis autrefois comme les ressuscités
damnés à l’égard du bien qu’ils auront fait. Or les ressuscités damnés ne
semblent pas devoir connaître le bien qu’ils ont accompli autrefois, car cela
allégerait beaucoup leur peine. Donc les bienheureux ne connaîtront pas non
plus les péchés qu’ils auront commis.
Cependant :
Saint Augustin dit qu’ « une force divine interviendra, qui
rappellera à la mémoire tous les péchés.
»
En outre, de même que le jugement humain s’appuie sur le
témoignage extérieur, de même le jugement divin porte sur le témoignage de la
conscience, selon ce verset du premier livre de Samuel[1874] : « L’homme voit les choses qui
paraissent au dehors, tandis que Dieu voit l’intérieur du cœur. » Mais
on ne peut porter un jugement parfait sur quelqu’un que si les témoins ont
déposé au sujet de tous les faits qui doivent être jugés. Dès lors, puisque le
jugement divin est absolument parfait, il faut que la conscience garde toutes
les choses sur lesquelles il doit porter. Ce jugement doit s’étendre à toutes
les œuvres, bonnes et mauvaises. »
Saint Paul déclare[1875] : « Nous devons tous apparaître
devant le tribunal du Christ, afin que chacun apporte toutes ses actions de la
vis corporelle, bonnes ou mauvaises. » Il est donc indispensable que
la conscience de chacun garde toutes les œuvres qu’il a accomplies, bonnes ou
mauvaises.
Conclusion :
Saint Paul dit[1876] : « Au jour du jugement du
Seigneur, la conscience de chacun lui rendra témoignage : ses pensées l’accuseront
et le défendront. » Cette parole s’applique à la fois au jugement
particulier où le témoignage de la conscience provoque le choix éternel qu’au
jugement général où ce même témoignage est manifesté à tous. Ainsi, dans ce
jugement commun où seront appréciées toutes les œuvres des hommes, la
conscience de chacun sera comme un livre contenant tous ses actes, desquels
résultera le jugement, de même que dans les jugements humains nous nous servons
de registres. Tels sont les livres dont parle l’Apocalypse[1877] : « Les livres furent ouverts,
ainsi qu’un autre livre, le Livre de Vie : et les morts furent jugés selon ce
qui était écrit dans les livres conformément à leurs actes. » Par
les livres ainsi ouverts, on désigne la norme de tout bien, à savoir la
sainteté du Christ auprès de qui tout sera étalonné. On désigne aussi la
sainteté des saints qui, étant proportionnée à celle du Christ, participe à sa
puissance normative. Le livre de Vie est, par contre, la conscience de chacun,
livre unique puisque la force divine fait que les actions de chacun sont
rappelées à sa mémoire. On pourrait dire aussi que les premiers livres dont
parle l’Apocalypse sont les consciences, tandis que le second serait la
sentence du juge décrétée en sa sagesse.
Solutions :
1. Bien que les mérites et
démérites s’effacent de la mémoire consciente telle que nous l’expérimentons
ici-bas, ils restent cependant tous conservés dans une mémoire plus profonde
qui reparaît dans sa force à l’heure de la mort quand l’organe charnel du
cerveau disparaît. C’est alors que, délivré du poids de l’usure du corps, les
deux mémoires réapparaissent - celle de
l’esprit qui garde les intentions spirituelles et celle de la sensibilité qui garde les circonstances sensibles des
choses et qui est liée au corps psychique -. La personne reste donc
éternellement dans la pleine possession de tous ses souvenirs. Ils peuvent être
rendus visibles à tous, sans qu’une aide de Dieu ait à s’ajouter, quoiqu’en
pensait saint Augustin.
2. Les souvenirs demeurent
inscrits dans la conscience de chacun au sujet des actions accomplies. Il
n’importe pas que ces souvenirs soient seulement ceux des actions coupables,
comme nous l’avons dit plus haut. De même, les souvenirs des péchés pardonnés
soit par le sacrement de pénitence, soit par l’action directe de Dieu
reviendront car pardonner ne signifie pas oublier.
3. Bien que la charité soit
ici-bas une cause de regret du péché, cependant les saints dans la patrie
seront tellement pénétrés de joie que la douleur n’aura plus de place en eux. Leurs
péchés passés, loin d’être source de douleur, les feront se réjouir de la
miséricorde divine qui les a pardonnés. Ils n’auront aucune honte à paraître
devant l’univers entier dans la nudité de leur conscience car leur humilité
(kénose), c’est-à-dire la vérité par rapport à eux-mêmes sera totale.
4. Les méchants connaîtront
tout le bien qu’ils ont fait. Mais loin d’atténuer leur douleur, cela
l’augmentera plutôt, car on souffre d’autant plus qu’on a perdu plus de biens.
Boèce dit que « la pire des infortunes
est d’avoir été heureux. »
Objections :
1. Cela ne semble pas. La
connaissance des ressuscités ne sera pas plus complète que celle des anges
qu’il leur est promis d’égaler. Mais les anges ne peuvent pas découvrir dans
l’esprit l’un de l’autre ce qui dépend du libre arbitre : ils ne le connaissent
que par une communication verbale entre eux. Les ressuscités ne pourront donc
pas apercevoir ce qui est contenu dans la conscience des autres.
2. Tout ce qui est connu l’est
en soi ou en sa cause ou en ses effets. Les mérites ou démérites contenus dans
la conscience de quelqu’un ne peuvent être connus : ni en eux-mêmes parce que
Dieu seul pénètre les cœurs et aperçoit leurs secrets ; ni en leur cause, parce
que tous ne verront pas Dieu qui seul peut agir sur le cœur, duquel procèdent
les actes méritoires ou déméritoires ; ni dans leurs effets, parce qu’il y a
beaucoup de fautes dont ne demeurera aucun effet, ceux-ci étant supprimés par
la pénitence. Donc tout ce qui est contenu dans la conscience de quelqu’un ne
pourra pas être connu par un autre.
3. Saint Jean Chrysostome dit :
« Maintenant tu te souviens de tes
péchés et les rappelles souvent en face de Dieu et pries à cause d’eux, ils
seront vite effacés. Mais si tu les oublies, alors tu t’en souviendras malgré
toi quand ils seront rendus publics et révélés en présence de tous, amis,
ennemis et saints anges. » Il en
résulte que cette publication est le châtiment de la négligence par laquelle
l’homme omet de se confesser. C’est donc que les péchés confessés ne seront pas
publiés.
4. C’est un réconfort pour un
pécheur que de savoir qu’il a beaucoup de semblables dans son péché, et il en a
moins de honte. Si donc chacun connaissait les péchés des autres, la honte de
chaque pécheur en serait très diminuée, ce qui ne convient pas. Tous les hommes
ne connaissent donc pas les péchés de tous les autres.
Cependant :
Au sujet de l’épître aux Corinthiens, la Glose dit : « Les choses accomplies et les pensées
bonnes et mauvaises seront alors révélées à tous et connues. »
En outre, les péchés passés de tous les justes seront effacés
également pour tous. Or nous connaîtrons les péchés de certains saints, de
Marie-Madeleine, de Pierre et de David. Nous devons donc connaître également
les péchés des autres élus et plus encore des damnés.
Conclusion :
Au jugement dernier et universel, la justice divine doit apparaît
à tous avec évidence, tandis que maintenant elle échappe à beaucoup. Or, la
sentence qui condamne ou récompense ne peut paraître juste que si elle est
portée selon les mérites ou les fautes. Dès lors, de même que le juge et son
assesseur doivent connaître les mérites de la personne jugée pour pouvoir
prononcer une juste sentence, de même pour qu’une sentence se montre juste, il
faut que les mérites de la personne jugée apparaissent à tous ceux qui
connaissent la sentence. C’est pourquoi, puisque la récompense ou la condamnation
est connue de chacun et aussi de tous les autres, il est nécessaire que celui
qui est jugé ne retrouve pas seulement le souvenir de ses mérites et démérites,
mais qu’il connaisse aussi ceux des autres.
Telle est l’opinion plus probable et la plus commune. Pourtant le
Maître des Sentences pense le contraire. C’est-à-dire que les péchés effacés
par la pénitence n’apparaîtront pas aux autres hommes lors du jugement. Mais il
en résulterait que les autres ne connaîtraient pas parfaitement la réparation
accomplie pour ces péchés : et cela réduirait beaucoup la gloire des saints, et
la louange de Dieu qui a si miséricordieusement libéré les saints.
Solutions :
1. Tous les mérites et
démérites de la vie terrestre composent une certaine somme pour la gloire ou
l’humiliation de l’homme qui ressuscite. C’est pourquoi, en apercevant le corps
ressuscité des élus comme des damnés, il sera possible de découvrir comme dans
un miroir la totalité de sa conscience passée et présente. Cela sera possible
grâce à l’action de la puissance divine, de telle sorte que la sentence du juge
se révélera juste pour tous.
2. Les mérites ou démérites
pourront être manifestés aux autres grâce à la clarté ou à l’obscurité des
corps des ressuscités, comme nous l’avons vu ou aussi en eux-mêmes grâce à leur
éternelle subsistance dans la mémoire.
3. La publication des péchés
pour l’humiliation du pécheur est l’effet de la négligence commise par
l’omission de leur confession. Mais la révélation des péchés des saints ne
pourra pas être pour eux une source d’humiliation ou de honte : ce n’est pas
pour Marie-Madeleine une source de confusion que de voir ses péchés racontés
publiquement à l’Église, car la honte est « la
crainte de la diminution de sa renommée »,
chose qui, comme dit saint Jean Damascène, est impossible pour les bienheureux.
Cette publication augmentera la gloire des élus à cause de la pénitence qu’ils
ont faite pour leurs péchés : c’est ainsi que le confesseur approuve celui qui
confesse avec courage les grands crimes qu’il a accomplis. On dit que les
péchés sont effacés en ce sens que Dieu ne les regarde plus pour les punir.
4. Quand le pécheur considérera
les péchés des autres, cela ne diminuera en rien sa confusion, mais l’accroîtra
plutôt, car il aura encore plus de honte de ses péchés en voyant la honte que
les autres en ont. Si ici-bas la vue des péchés des autres diminue notre honte,
c’est parce que nous les considérons selon le jugement des autres, que
l’habitude rend plus large. Dans l’au-delà au contraire nous aurons la
confusion de voir le jugement porté par Dieu, pleinement vrai pour tout péché,
de nous ou de beaucoup d’autres.
Objections :
1. Il semble que non. Les
particuliers étant multiples ne peuvent être vus en un seul regard. Or les
damnés considéreront leurs péchés un à un et les pleureront : la Sagesse leur
fait dire par exemple[1878] : « À quoi nous a servi notre orgueil ? » Ils ne verront donc
pas tous leurs péchés d’un seul regard.
2. Aristote dit : « Il n’est pas possible de saisir par
l’intelligence plusieurs choses en même temps. » Or c’est par l’intelligence que nous connaîtrons les mérites et
démérites de nous-mêmes et d’autrui. On ne pourra donc pas les connaître tous
ensemble.
3. L’intelligence des damnés ne
sera pas, après la résurrection, plus puissante que celle que possèdent
maintenant les bienheureux et les anges, selon le mode naturel par lequel ils
connaissent les choses par des espèces intelligibles innées. Mais dans cette
connaissance, les anges ne voient pas plusieurs choses en même temps. Les
damnés ne pourront donc pas, après la résurrection, voir en même temps toutes
les actions passées.
Cependant :
À propos de ce texte de Job[1879] : « Ils seront couverts de
confusion », la glose dit : « En
apercevant le juge, tous leurs péchés apparaîtront au regard de leur esprit. » Or, le juge, ils le verront en un
instant. Ils verront donc de même tous les péchés qu’ils ont commis, ainsi que
toutes les autres actions accomplies.
En outre, saint Augustin montre l’inconvénient qu’il y aurait à ce
que, lors du jugement général, on doive lire un livre matériel dans lequel
seraient inscrites les actions de chacun : nul ne pourrait concevoir la
grandeur d’un pareil livre, ni le temps qu’il faudrait pour le lire. De même il
serait impossible d’évaluer le temps requis pour qu’un homme considère tous ses
mérites et démérites, ainsi que ceux des autres, s’il devait les voir successivement.
On doit donc dire que chacun voit toutes
ces choses en même temps.
Conclusion :
À ce sujet, nous nous trouvons en face de deux opinions : certains
disent que tous les mérites et démérites, personnels et d’autrui, seront vus par
chacun en un seul instant. Pour les bienheureux, il est facile de l’admettre
puisqu’ils verront tout dans le Verbe : de cette manière, il n’y a pas de
difficulté à ce que plusieurs choses soient vues en même temps. Par contre,
cela est plus difficile pour les damnés, puisque leur intelligence n’est pas
élevée au point de pouvoir voir Dieu, et toutes choses en Lui.
C’est pourquoi, d’autres disent que les méchants verront en même
temps, d’une manière globale, tous leurs péchés et ceux des autres. Et cela suffit
pour constituer l’accusation nécessaire pour la condamnation ou l’absolution.
Mais ils ne verront pas tous ces péchés en même temps d’une manière
individuelle. Pourtant cela ne semble pas conforme à la pensée de saint
Augustin, qui dit que toutes les actions seront énumérées dans un seul regard
de l’esprit : ce qui est connu globalement n’est pas énuméré.
On peut donc adopter une solution intermédiaire : chacune des
actions sera vue, non pas en un seul instant, mais en un temps fort bref, grâce
à l’action divine. C’est ce que dit saint Augustin : « Elles seront vues avec une étonnante rapidité. » Cela n’est pas impossible, car dans
le plus petit espace de temps il y a une infinité d’instants possibles. C’est
d’ailleurs confirmé, pour ce qui concerne le jugement individuel, par les
témoins d’une Expérience de Mort
Imminente (N.D.E.). Il faut ajouter que ce jugement général de tous sur
tout ne cessera jamais.
Cela résout les objections posées.
Traitons maintenant de ceux qui jugeront et de ceux qui seront
jugés au jugement général :
1° Y aura-t-il des hommes qui
jugeront avec le Christ ?
2° Le pouvoir judiciaire
correspond-il à la pauvreté volontaire ?
3° Les anges jugeront-ils ?
4° Tous les hommes comparaîtront-ils
au jugement ?
5° Y a-t-il des hommes bons qui
seront jugés ?
6° Et des hommes mauvais ?
7° Les anges seront-ils aussi
jugés ?
Objections :
1. Il semble qu’il n’y en ait
aucun. Dans saint Jean, nous lisons[1882] : « Le Père a donné tout
jugement au Fils, afin que tous l’honorent. » Cet honneur n’est dû à
aucun autre que le Christ.
2. Celui qui juge a autorité
sur ce qu’il juge. Or l’objet du jugement final, c’est-à-dire les mérites et
démérites des hommes, n’est soumis qu’à l’autorité divine. Il n’appartient donc
à personne de juger de ces choses.
3. Ce jugement n’aura pas lieu oralement,
mais mentalement, selon l’opinion plus probable. Mais la révélation faite aux
cœurs des hommes, de leurs mérites et démérites, constituera en quelque sorte
l’accusation ou la recommandation ou même l’attribution de la peine ou de la
récompense, ce qui équivaut à l’énoncé de la sentence. Or cela ne peut être
accompli que par la puissance divine. Nul ne jugera donc que le Christ qui est
Dieu.
Cependant :
Nous lisons en saint Matthieu[1883] : « Vous siégerez vous aussi sur
douze sièges, jugeant les douze tribus d’Israël. »
En outre, nous voyons dans Isaïe[1884] : « Dieu viendra juger avec les anciens de son peuple. » Il semble
donc que d’autres jugeront avec le Christ.
Conclusion :
Juger peut s’entendre de diverses manières : 1° D’abord causalement : on dit qu’une chose juge quand elle
montre que quelqu’un doit être jugé de telle manière. C’est ainsi qu’on dit que
certains sont jugés par une comparaison, en tant que par comparaison avec les
autres, on voit comment ils doivent être jugés. Dans Matthieu, nous lisons[1885] : « Les hommes de Ninive se
dresseront en jugement contre cette génération et la condamneront. » Cette
manière de juger vaut aussi bien pour les bons que pour les méchants.
2° On juge aussi
interprétativement : nous considérons comme faisant une chose ceux qui
consentent à ce qu’elle se fasse. Ainsi ceux qui acceptent le jugement du
Christ en approuvant sa sentence sont regardés comme jugeant avec lui. Ce sera
le cas de tous les élus. C’est pourquoi la Sagesse dit[1886] : « Les justes jugeront les nations.
» Ce ne sera pas le cas des damnés qui refuseront de toute leur
volonté la règle de ce jugement, à savoir l’amour et l’humilité (kénose) du
Christ.
3° En un troisième sens, on dit
que quelqu’un juge en tant qu’assesseur : parce qu’il a un comportement
semblable à celui du juge, par exemple en siégeant en un lieu élevé comme lui ;
c’est ainsi qu’on dit que les assesseurs jugent. Selon cette manière de parler,
ce ne seront pas seulement les grands saints mais tous les élus du Ciel,
jusqu’au plus petit, qui jugeront puisque tous auront été élevés par Dieu à la
dignité d’ami de Dieu.
4° « La
loi juge. » Il est un autre mode de jugement qui convient aux saints. En
effet, s’étant conformés au Christ, ils possèdent en eux les décrets de la
justice divine, en vertu desquels les hommes seront jugés. Chaque élu est en
quelque sorte une loi vivante qui révèle la règle du jugement. L’Apocalypse dit[1887] : « Le jugement débute et les
livres sont ouverts. » C’est de cette manière que Richard de
Saint-Victor explique le jugement : « Ceux
qui prennent part à la contemplation divine, qui lisent chaque jour dans le
livre de la sagesse, écrivent pour ainsi dire dans les volumes de leur cœur
tout ce qu’ils saisissent par leur pénétrante intelligence de la vérité. » Il ajoute : « Que sont les cœurs de ceux qui jugent, instruits divinement de
toute vérité, sinon les décrets des canons ? »
5° Juger peut s’entendre par
porter une sentence au sujet d’un autre. Cela peut s’accomplir de deux
manières. D’une part en vertu de sa propre autorité, et cela appartient à celui
qui jouit d’une autorité et d’un pouvoir sur les autres qui lui sont soumis :
il possède le droit de les juger ; Dieu seul possède ce droit. D’autre part,
juger peut consister à rendre publique une sentence portée par une autre
autorité c’est seulement l’énonciation d’une sentence déjà fixée. De cette
manière les hommes justes jugeront parce qu’ils révéleront aux autres la
sentence de la justice divine, afin qu’ils sachent ce qui est dû en justice à
leurs mérites. Cette divulgation de la justice peut s’appeler jugement. C’est
pourquoi Richard de Saint-Victor dit : « Les
juges ouvrent les livres de leurs décrets devant ceux qui sont jugés, ils
admettent les inférieurs à inspecter leur propre cœur, en leur révélant leur
manière d’apprécier les choses soumises au jugement. »
Solutions :
1. Cette objection vaut pour le
jugement d’autorité qui n’appartient qu’au Christ seul.
2. Celle-ci aussi.
3. Il n’est pas exclu que certains
saints révèlent des choses aux autres, soit par manière d’illumination, comme
les anges supérieurs éclairent les inférieurs, soit par manière de
conversation, comme les inférieurs parlent aux supérieurs.
Objections :
1. Il semble que non. Le
pouvoir de juger appartient à celui qui plaît à Dieu. Or, plutôt que
l’humilité, c’est la charité qui résume la loi. Donc le pouvoir de juger appartiendra
à la charité.
2. Le pouvoir de juger est
promis seulement aux douze apôtres[1889] : « Vous siégerez sur douze sièges, en jugeant. » Puisqu’il y a des
pauvres volontaires en dehors des apôtres, il semble que le pouvoir judiciaire
ne leur soit pas accordé à tous.
3. Il est plus grand de
sacrifier à Dieu son propre corps que les biens matériels. Or les martyrs et
les vierges offrent à Dieu le sacrifice de leur propre corps, tandis que les
pauvres volontaires ne sacrifient que les biens matériels. Le privilège du
pouvoir judiciaire semble donc convenir davantage aux martyrs et aux vierges.
4. À ce texte de saint Jean[1890] : « Moïse en qui vous espérez
vous accuse », la Glose ajoute : «
parce que vous n’avez pas cru à sa voix.
» Saint Jean dit plus loin[1891] : « Le discours que je vous ai
fait jugera l’homme au dernier jour. » C’est donc que celui qui
expose la loi ou exhorte en vue d’une instruction morale jugera ceux qui les
méprisent. Or cette mission est celle des docteurs. Il convient donc qu’ils
jugent plutôt que les pauvres volontaires.
5. Le Christ, parce qu’il a été
jugé injustement en tant qu’homme, a mérité d’être juge de tous les hommes dans
sa nature humaine. Saint Jean[1892] : « Dieu lui a donné le pouvoir
de juger parce qu’il est le Fils de l’homme. » Ceux qui souffrent
persécution pour la justice sont, eux aussi, jugés injustement. Le pouvoir
judiciaire leur convient donc mieux qu’aux pauvres.
6. Le supérieur n’est pas jugé
par l’inférieur. Mais beaucoup de ceux qui usent licitement des richesses
auront plus de mérites que bien des pauvres volontaires. Ceux-ci ne les
jugeront donc pas.
Cependant :
Nous lisons dans Job[1893] : « Il ne sauve pas les impies,
et donne aux pauvres le pouvoir de juger. » Juger appartient donc
aux pauvres.
En outre, à propos de saint Matthieu[1894] : « Vous qui avez tout
quitté, etc. », la Glose dit « Ceux
qui auront tout quitté et auront suivi Dieu seront juges ; ceux qui auront bien
usé des biens légitimement possédés, seront juges. »
Conclusion :
La question peut être formulée de la manière suivante : Lors du
jugement général, qui sera le plus apte à éclairer le jugement sur tout ?
Sera-ce le plus intelligent comme le souhaite Lucifer ? Sera-ce le plus
humble ? Pour répondre, il faut discerner la vertu qui plaît à Dieu.
La pauvreté volontaire n’est pas la simple pauvreté matérielle.
C’est plutôt la pauvreté du cœur, autrement dit l’humilité (kénose). Nous avons
vu qu’elle est dans l’édifice spirituel, le fondement où vient s’enraciner la
charité. En effet, l’homme humble s’oublie et devient capable d’aimer en
vérité, c’est-à-dire d’aimer sans motif égoïste.
Le pouvoir judiciaire est donc du spécialement à cette pauvreté,
c’est-à-dire aux humbles (kénose), pour trois motifs :
1° Premièrement, par raison de
convenance, car la pauvreté volontaire est la vertu de ceux qui, méprisant
toutes les choses du monde, adhèrent au Christ seul. Il n’y a rien en eux qui
fasse dévier de la justice leur propre jugement. Ils sont donc pour tous les
autres une norme supérieure de jugement puisqu’ils approchent davantage la
vraie justice.
2° Secondairement, par raison
de mérite. Car l’humilité (kénose) appelle l’exaltation des mérites selon les
paroles de Marie[1895] : « Il a renversé les potentats
de leurs trônes et élevé les humbles. » Or, parmi les choses qui
ici-bas provoquent le mépris des hommes, la principale est la pauvreté.
L’excellence du pouvoir judiciaire est donc promise aux pauvres, pour que celui
qui s’est humilié pour le Christ soit exalté.
3° Troisièmement, parce que la
pauvreté dispose à juger dans la vérité. On dit en effet d’un saint qu’il juge,
dans le sens que nous avons dit, parce que leur cœur est rempli de la vérité
divine : il sera donc capable de la manifester aux autres, sans arrogance d’une
manière proche de celle du Christ.
Dans la marche progressive vers la perfection, la première chose
qu’on doit abandonner, ce sont les vanités intérieures : car ce sont les
premiers obstacles à l’amour. C’est pourquoi parmi les béatitudes qui nous font
progresser vers la perfection, la pauvreté est placée la première. De la sorte
la pauvreté correspond au pouvoir judiciaire en tant qu’elle est la première
disposition pour la perfection. Ce pouvoir est promis à tous les humbles qui,
ayant tout quitté, suivent le Christ dans son total anéantissement. C’est le
cas de tous les saints du Ciel, même de ceux qui n’ont suivi le Christ qu’à la
onzième heure c’est-à-dire face à sa révélation de l’heure de la mort.
Solutions :
1. La pauvreté ne suffit pas, à
elle seule, à mériter le pouvoir judiciaire. C’est parce qu’elle a permis la
naissance de la charité qu’elle le mérite. C’est en effet dans le cœur des
humbles que la charité s’enflamme avec le plus de force. En fin de compte, on
peut dire que le pouvoir judiciaire appartient à ceux qui ont le plus aimé.
2. Saint Augustin écrit : « Nous ne devons pas penser, parce qu’il
est dit que les juges siégeront sur douze sièges, qu’ils ne seront pas plus de
douze. Sinon, puisque nous lisons que Matthias fut nommé apôtre à la place de
Judas le traître, nous devrions croire que Paul qui a travaillé plus que les
autres, ne siégerait pas pour juger. »
« Ce nombre de douze signifie toute la multitude des juges, car les deux
parties du chiffre sept, c’est-à-dire trois et quatre, si nous les multiplions
font douze. Or, douze est un nombre parfait puisqu’il consiste en l’addition de
deux six, qui est un nombre parfait. »
On peut dire aussi que littéralement le Christ donne le chiffre
des douze apôtres en désignant par eux tous leurs successeurs.
3. La virginité et le martyre
ne disposent pas autant que l’humilité (kénose) à la sainteté que donne la
charité. En effet, les vanités intérieures, par le lien qu’elles imposent,
étouffent plus que tout autre chose la parole de Dieu et la croissance de la
charité, comme il est dit en saint Luc.
Les autres vertus comme une virginité totale du cœur (à savoir
l’absence de mélange avec le péché mortel) et le martyre (la constance à
souffrir pour l’amour), et toutes les œuvres de perfection, brilleront d’une
spéciale auréole lors du jugement général et seront motifs de jugement pour les
autres. Elles ne seront pourtant pas aussi importantes que la pauvreté parce
que le début d’une chose en est la partie principale.
4. Celui qui a enseigné la loi
ou exhorté au bien jugera, causalement, en ce sens que les autres seront jugés
en se comparant aux paroles qu’il a exposées. C’est pourquoi le pouvoir
judiciaire ne vient pas de la prédication ou de l’enseignement. On peut aussi
dire, selon certains, que le pouvoir judiciaire requiert trois choses :
d’abord, le dépouillement de soi pour que l’esprit ne soit pas empêché de
recevoir la sagesse ; ensuite l’amour de charité qui consiste à connaître et à
observer la justice divine ; enfin le fait d’avoir enseigné aux autres cette
justice. Ainsi l’enseignement est une perfection qui achève de mériter le
pouvoir judiciaire.
5. Le Christ, en tant que jugé
injustement, s’est humilié lui-même. « Il a été offert, parce qu’il l’a voulu. » Cette
humilité (kénose) mérite l’élévation au titre de juge, par lequel tout lui est
soumis, comme dit saint Paul. C’est pourquoi le pouvoir judiciaire est
davantage dû à ceux qui s’humilient volontairement, en rejetant les vanités de
ce monde, à cause desquels les hommes sont honorés par les mondains, qu’à ceux
qui ne sont humiliés que par les autres.
6. Un inférieur ne peut pas
juger son supérieur en vertu de son autorité propre, mais il le peut en vertu
de l’autorité d’un être supérieur à tous deux, comme nous le voyons chez les
juges délégués. Il n’y a donc pas d’inconvénients, si les pauvres reçoivent
cette récompense, en quelque sorte accidentelle, à ce qu’ils jugent ceux-là
mêmes qui possèdent un mérite supérieur à l’égard de la récompense essentielle.
Objections :
1. Il semble que oui : Matthieu
dit[1897] : « Quand le Fils de l’homme
viendra en sa majesté, avec tous les anges. » Or, il s’agit là de la
venue pour le jugement. Les anges aussi jugeront donc.
2. Les ordres des anges tirent
leur nom de la charge qu’ils remplissent. Parmi eux se trouve l’ordre des
Trônes, qui semble se rapporter au pouvoir judiciaire. Le trône est en effet le
siège du juge, le fauteuil du roi, la chaire du docteur. Il y aura donc des
anges qui jugeront.
3. Il est promis aux saints
qu’après cette vie ils seront égaux aux anges. S’il y a même des hommes qui
auront le pouvoir de juger, à plus forte raison les anges l’auront-ils aussi.
Cependant :
Saint Jean dit[1898] : « Dieu a donné au Christ le
pouvoir de juger parce qu’il est le Fils de l’homme. » Or les anges
ne participent pas à la nature humaine. Donc pas non plus au pouvoir
judiciaire.
En outre, le juge et son ministre sont deux êtres distincts. Les anges,
lors du jugement seront les ministres du juge, selon saint Matthieu[1899] : « Le Fils de l’homme enverra
ses anges, et ils recueilleront dans son royaume tous les scandales. » Ils
ne jugeront donc pas.
Conclusion :
Les anges seront jugés, comme toutes les réalités de l’univers qui
ont eu à choisir Dieu ou qui ont participé à titre de moyen à ce choix. Le
jugement général est d’abord un discernement universel sur l’ordre total du
monde. Il manifeste principalement ce qui concerne l’entrée dans la gloire ou
le refus de la gloire. Or les anges ont leur place dans ce discernement puisque
certains ont choisi Dieu ; d’autres l’ont rejeté. Certains ont aidé les hommes
à entrer dans la gloire, d’autres ont participé à leur damnation. Sous le
rapport de ce jugement de discernement, les anges jugeront et seront jugés.
Chacun comprendra le rôle de Lucifer et de ses anges dans le mystère de
l’iniquité et le malheur du monde. Chacun verra la place importante des bons
anges dans l’économie du salut.
Mais les anges ne jugeront pas les hommes sous un autre rapport.
Le jugement général porte aussi sur les mérites respectifs de ceux qui, dans la
chair, se sont comportés avec plus ou moins de courage et dignité. Sous ce
rapport, les anges ne jugeront pas les hommes. Ils n’ont pas connu les
tribulations de la chair. Le droit de juger est attribué en premier à Jésus, le
Fils de l’homme, qui plus que tout autre a aimé dans sa chair. Il sera la norme
du bien et du mal pour les hommes. Il apparaîtra en sa nature humaine aux bons comme
aux méchants. Pour la même raison, ses assesseurs seront les autres hommes,
bons et mauvais. Il n’appartient donc pas aux anges de juger les hommes sous ce
rapport, bien qu’on puisse dire que de quelque manière ils jugent aussi, en
tant qu’ils approuvent la sentence. Mais les anges jugeront les autres anges.
Solutions :
1. La Glose ordinaire dit que
les anges viendront avec le Christ lors du jugement, non comme juges, mais « pour être les témoins des actes
humains, que les hommes ont accomplis, bons ou mauvais, tandis qu’ils étaient
sous leur garde. »
2. Le nom de Trônes est
attribué aux anges en raison de ce jugement que Dieu ne cesse d’exercer en
gouvernant toutes les créatures avec une parfaite justice : les anges sont de
quelque manière les exécuteurs et les promulgateurs de ce jugement. Par contre,
le jugement que le Christ en tant qu’homme tiendra au sujet des hommes,
requiert des assesseurs qui soient hommes.
3. L’égalité avec les anges est
promise aux hommes quant à la récompense essentielle. Rien n’empêche par contre
que les hommes puissent recevoir une récompense accidentelle qui ne sera pas
donnée aux anges, par exemple l’auréole des vierges et des martyrs : de même
pour le pouvoir judiciaire.
Objections :
1. Il semble que les hommes ne
comparaîtront pas tous en jugement. Nous lisons en effet dans saint Luc[1901] : « Vous siègerez sur douze sièges pour juger les douze tribus d’Israël. » Tous
les hommes n’appartiennent pas à ces douze tribus. Il semble qu’ils ne
viendront pas tous en jugement.
2. Le Psalmiste dit[1902] : « Les impies ne ressusciteront
pas pour le jugement. » Or, il y en a beaucoup. Tous les hommes ne
comparaîtront donc pas.
3. Si quelqu’un est amené au
jugement, c’est pour qu’on discute ses mérites. Mais il y a des hommes qui
n’ont eu aucun mérite, par exemple les enfants morts en bas âge. Il ne sera
donc pas un jugement universel.
Cependant :
Les Actes[1903] disent que « le Christ a été institué par Dieu juge des vivants et des morts. » Ces
deux catégories englobent tous les hommes, quelle que soit la manière
de distinguer les morts des vivants. Tons les hommes viendront donc au
jugement.
En outre, nous lisons dans l’Apocalypse[1904] : « Voici qu’il vient sur les nuées, et tout œil le verra. » Ce
qui ne serait pas si tous n’étaient pas présents.
Conclusion :
Dans ce jugement de discernement, il est certain que tout
ce qui a eu un rapport avec le salut paraîtra au jugement. 1° En premier lieu, le Christ sera jugé et il deviendra pour tous
la norme du jugement. Chacun verra une nouvelle fois que le pouvoir judiciaire
lui a été conféré en tant qu’homme en récompense de l’humilité (kénose)
manifestée dans sa passion. Il y a répandu son sang d’une manière suffisante
pour tous les hommes, bien qu’il n’ait pas réalisé en tous le salut, à cause
des obstacles trouvés en certains. Il convient donc que tous les hommes soient
assemblés face à lui, afin de contempler son exaltation dans sa nature humaine,
en laquelle il a été constitué par Dieu juge des vivants et des morts. 2° Puis, à sa lumière, tous les hommes
et tous les anges seront jugés. Chacun comprendra le choix et les circonstances
qui ont conduit au salut ou à la damnation. Dans le même acte, les hommes
deviendront juges pour tous les autres de telle manière que chacun se jugera en
fonction des mérites ou démérite des autres. 3° Mais aussi, non à titre de prévenu mais à titre de pièce à
conviction, les créatures non spirituelles seront jugées puisque tout, dans
l’univers aura participé d’une manière ou d’une autre au chemin qui mène à
Dieu. Les créatures seront rappelées à la mémoire de tous, comme les évènements
du passé afin que rien ne soit caché.
Solutions :
1. Nous devons dire
avec saint Augustin : « Ce n’est point parce qu’il est dit jugeant
les douze tribus d’Israël, que la tribu de Lévi, qui est la treizième, ne
devrait pas être jugée ou que le Maître jugerait seulement ce peuple et non pas
les autres nations. » Par cette expression
les douze tribus, toutes les nations sont désignées, parce qu’elles ont été
appelées par le Christ au même sort que les douze tribus.
2. Cette
proposition : « Les impies ne ressusciteront pas pour le
jugement », si on l’applique à tous les pécheurs, doit être prise en
ce sens qu’ils ne ressusciteront pas en vue d’être jugés digne de la gloire. Si
on l’applique aux infidèles, elle signifie qu’ils ne ressusciteront pas pour
être jugés en tant qu’infidèles puisqu’ils ne le seront plus, mais en tant qu’ancien
infidèle ayant été sauvé ou damné.
3. Même les enfants
morts avant l’âge du discernement paraîtront au jugement pour être jugés aussi,
puisqu’ils n’entreront pas dans la vision de Dieu sans un choix d’amour.
Objections :
1. Il semble qu’aucun
des hommes bons ne sera jugé, car il est dit en saint Jean[1906] : « Celui qui croit en moi n’est pas jugé », et tous les bons
croient au Christ.
2. Point de bonheur pour
ceux qui sont incertains de leur béatitude. Saint Augustin prouve par là que
les démons n’ont jamais été bienheureux. Or tous les saints sont
bienheureux ; ils ont donc la certitude de leur béatitude. Puisqu’on ne
juge pas ce qui est déjà certain, les bons ne seront pas jugés.
3. La crainte est
incompatible avec la béatitude. Le jugement dernier, qui est dit très
redoutable, ne pourrait avoir lieu sans provoquer la crainte de ceux qui
doivent être jugés.
4. Saint Grégoire dit,
à propos de ce texte de Job[1907] : « Quand
il aura été enlevé, les anges craindront » : « Pensons au
trouble de la conscience des méchants, alors que même la vie des bons sera
bouleversée. » Les bienheureux ne
seront donc pas jugés.
Cependant :
Il semble que tous les bons seront jugés, car saint Paul
dit aux Corinthiens[1908] : « Il
faut que nous soyons tous présentés au tribunal du Christ, pour que chacun
rapporte ce qu’il a fait de son propre corps, en bien et en mal. » Il
s’agit bien là du jugement tous les bons seront donc jugés.
En outre, qui dit universel, dit toutes choses. Or ce dernier
jugement s’appelle universel. Donc tous seront donc jugés.
Conclusion :
Dans un jugement de discernement, il y a deux éléments :
les débats sur les mérites, et l’attribution des récompenses ou des sanctions.
Sous ces deux rapports, les bons comme les méchants seront jugés. Pour l’attribution
des récompenses ou des sanctions, tous seront jugés, même les bons, puisque
chacun devra comprendre la sentence divine qui attribua lors du jugement
particulier le prix correspondant à son mérite. En ce qui concerne les débats
sur les mérites, pour la même raison, ils auront lieu pour tous, même pour le
Christ et la vierge Marie en qui on ne trouvera aucun péché. Il faut en effet
que le détail de l’héroïsme intérieur et extérieur de leur vie soit connu de
tous. De même pour les autres en qui on discernera un passé fait d’un mélange
de bonnes et de mauvaises actions, rien ne devra être ignoré de ce qui fut bâti
avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, en se livrant totalement
au service de Dieu, et de ce qui fut bâti sur la base de la foi, mais avec du
bois, du foin et de la paille, c’est-à-dire de ce qui en nous jadis aimait
encore les choses du siècle, et se livrent à des affaires terrestres, tout en
ne faisant rien lasser avant le Christ, et en s’efforçant de réparer leurs
péchés par des aumônes. De même pour les damnés.
En résumé, on doit dire que tout sera porté au jugement
de discernement de tous.
Solutions :
1. La punition est
l’effet de la justice, tandis que la récompense est celui de la miséricorde.
C’est pourquoi on attache de préférence l’idée de punition au jugement, qui est
un acte de justice; on en vient donc à parler de jugement pour dire
condamnation. C’est en ce sens qu’on doit prendre le texte cité. Du reste la
Glose le montre bien.
2. La discussion au
sujet des mérites des élus n’est point pour enlever de leur cœur la certitude
de la béatitude. Elle montre à tous d’une manière évidente la prééminence de
leurs bonnes œuvres sur leurs fautes ; la justice divine en est mieux
démontrée.
3. Le jugement général
n’aura lui rien de terrible pour les élus car l’amour n’a rien à craindre. La
lumière du Christ ne les écrasera pas comme au jour du jugement individuel
avant que le purgatoire ait achevé de les purifier. En effet, devenus conforme
à lui, son humilité (kénose) les élèvera plutôt. Les damnés, par contre,
subiront l’obligation du jugement général comme la pire des épreuves et, ce
jour-là, se réalisera de manière ultime et visible la parole de la Genèse
parlant de l’orgueil de Lucifer[1909] : « Je mettrai une hostilité
entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t'écrasera la tête et
tu l'atteindras au talon. »
4.
Saint Grégoire parle des justes qui sont encore dans leur
chair mortelle. Il avait dit plus haut : « Ceux qui auront été surpris dans leurs corps (par la fin du
monde), bien que déjà forts et parfaits, cependant, parce qu’ils sont encore
dans leurs corps, ne pourront pas, au milieu d’une telle vague de terreur, éviter
toute épouvante. » Il est clair que
cette terreur se rapporte au temps qui précédera immédiatement le jugement. Il
sera absolument terrible pour les méchants, mais non pour les bons, qui ne se
sentiront pas soupçonnés de mal.
Objections :
1. Aucun des méchants,
semble-t-il, ne sera jugé. La damnation est certaine pour ceux qui meurent dans
le péché mortel, comme pour ceux qui refusent de croire. Or nous voyons, en
saint Jean[1911], que, à cause de
cette certitude de damnation, « celui qui ne croit pas est déjà jugé. » Pour
ce même motif, aucun pécheur ne sera jugé.
2. La voix du juge est
terrible pour ceux qu’il condamne. Mais nous lisons dans les Sentences, d’après
saint Grégoire : « La parole du juge
ne s’adressera pas aux incrédules. »
Si donc elle s’adresse au contraire aux croyants condamnés, les incrédules
tireraient avantage de leur incrédulité c’est absurde.
Cependant :
Tous les méchants doivent être jugés, parce que le châtiment
est infligé à chaque faute selon sa gravité : cela n’est pas possible sans la
détermination du jugement. Tous les méchants seront donc jugés.
Conclusion :
Le jugement en tant que détermination des peines pour les
péchés concerne tous les méchants. En tant qu’appréciation des mérites, il
concerne seulement les élus. Pour ce qui concerne les damnés, ange ou homme, il
ne faut pas croire que tout dans leur être et dans les actes qui précédèrent
leur libre orientation vers l’amour d’eux-mêmes fut mauvais. Lucifer fut un
ange de Dieu avant de se révolter contre son projet d’humilité (kénose). De
même, chez les humains damnés, leur vie passée ne fut pas qu’une somme d’actes
mauvais. Ils firent parfois du bien pour un motif humain ou même surnaturel pour
ceux qui eurent la foi et la charité. Mais tous, confrontés à la révélation du
projet de Dieu, aboutirent pour une raison ou une autre à se déterminer en
opposition définitive. Afin que la justice et les circonstances de la damnation
soient connues de tous, il y aura donc nécessairement pour eux un jugement
général et nul ne devra rien ignorer des circonstances de leur réprobation.
Solutions :
1. Ceux qui meurent en
état de péché mortel contre l’Esprit Saint, doivent manifestement être damnés.
Mais ils ont peut-être commis des actions secondaires auxquelles serait attaché
un certain mérite. Pour manifester la justice divine, il faut qu’une
délibération ait lieu au sujet de leurs mérites, afin de montrer qu’ils sont
justement exclus de la cité des saints, dont ils paraissent extérieurement être
du nombre des citoyens.
2. Le discours du juge
sera vrai. Or, celui qui durant sa vie reçut la grâce d’avoir la foi et malgré
tout se livra aux mêmes péchés que celui à qui fut refusée cette lumière est
plus coupable. Face à la lumière du Christ, cette circonstance sera donc
manifestée à tous selon la parole de Jésus[1912] : « La reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec cette génération
et elle la condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la
sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon ! » Mais, alors que la vérité de
ce jugement fut ressentie comme dure par les repentants au moment du
jugement particulier au point qu’ils se mirent eux-mêmes au purgatoire, le jugement ne sera pas
ressenti comme tel au jugement général. Car, à ce moment, il n’y aura plus en
eux aucun reste de fierté. Ils prendront donc la manifestation de cette vérité
à l’univers entier de manière simple et ils s’en réjouiront même, comme on se
réjouit quand on aime Dieu de la manifestation de sa miséricorde.
Objections :
1. Nahum[1914] déclare, selon la version
des Septante : « Dieu ne juge pas deux fois le même objet. » Les mauvais anges
ont déjà été jugés, selon ce mot de saint Jean[1915] : « Le prince de ce monde a déjà été jugé. » Les anges ne seront
donc plus jugés.
2. En outre, la bonté
ou la malice des anges est plus parfaite que celle des hommes sur la terre.
Mais certains hommes, bons et mauvais, ne seront pas jugés, comme il est dit
dans les Sentences. Les anges bons et mauvais ne seront donc pas jugés.
Cependant :
Tout sera révélé à tous. Donc les anges seront jugés.
Saint Paul aux Corinthiens le confirme[1916] : « Ignorez-vous
que nous jugerons les anges ? » Saint Pierre le confirme[1917] : « Dieu
n’a pas pardonné aux anges qui péchaient. Il les a réservés pour être jugés et
livrés aux êtres hurlants de l’enfer et tourmentés dans le Tartare. » Dans
Job[1918], nous voyons au sujet
de Béhémoth ou Léviathan, c’est-à-dire du diable : « Il sera précipité à la vue
de tous » ; et dans saint Marc[1919], le démon
interpelle le Christ : « Pourquoi es-tu venu nous perdre avant le
temps ? » Et la Glose d’ajouter : « Les démons apercevant le Seigneur sur la terre, croyaient qu’ils
seraient aussitôt jugés. »
Conclusion :
En tant qu’il est un discernement, le jugement général
aura lieu pour les anges, mais il sera différent de celui des hommes car ils
n’ont pas la même nature. Chacun verra que leur choix, effectué lors de la
fondation du monde fut un acte simple et sans mélange car on ne pourrait
trouver rien de mal chez les bons ni de bon dans l’intention les mauvais. De
plus, leur rôle dans le drame du salut des hommes ayant été essentiel, il sera
manifesté.
Si nous parlons du jugement en tant que rétribution, nous
devons distinguer deux sortes de rétributions : 1° L’une répond aux mérites personnels des anges. Elle fut
accomplie dès le début, quand les uns furent élevés jusqu’à la béatitude, et
les autres noyés dans la misère. Les anges ne seront donc pas principalement
jugés sous ce rapport au jugement général. 2°
Il y a une autre rétribution qui correspond aux œuvres bonnes ou mauvaises
accomplies grâce à l’intervention des anges. Celle-là aura lieu au jugement
dernier : les bons anges se réjouiront davantage du salut de ceux qu’ils auront
portés aux actions méritoires, tandis que les mauvais anges seront
incomparablement plus tourmentés. Le salut des bons, la victoire de Dieu leur
enlèvera tout espoir d’une victoire selon la lettre des Écritures[1920] : « Il a dépouillé les
Principautés et les Puissances et les a données en spectacle à la face du
monde, en les traînant dans son cortège triomphal. » D’autre part, ils seront davantage tourmentés
par la chute des hommes méchants, qu’ils auront poussés au mal.
Solutions :
1. Le jugement général
n’a pas comme but, comme le jugement particulier d’émettre et d’appliquer la sentence
de damnation ou d’élection. Il a pour but d’en révéler la cause et la
circonstance à tous.
2. Les anges bons ou
mauvais se sont tournés vers Dieu ou l’ont rejeté à travers un seul acte
parfait de leur esprit. Ils ne seront pas jugés en ce sens qu’il faudrait pour
comprendre leur acte, considérer la durée et les circonstances de longues
hésitations. Leur jugement sera donc simple comme l’est leur nature spirituelle
dépourvue de corps. Il est possible que certains hommes particulièrement
déterminés au mal leur ressemblent, n’ayant jamais au cours de leur vie dévié
du seul amour d’eux-mêmes.
Recherchons sous quelle forme le juge viendra juger :
1° Le Christ nous
jugera-t-il sous la forme de son humanité ?
2° Apparaîtra-t-il
dans son humanité glorieuse ?
3° Peut-on voir la
divinité sans en être réjoui ?
Objections :
1. En saint Jean, il
est dit[1923] : « Le
Père a donné au Fils tout jugement, afin que tous honorent le Fils comme ils
honorent le Père. » Mais un honneur égal à celui du Père n’est pas
dû au Fils selon sa nature humaine. Il ne jugera donc pas sous la forme
humaine.
2. En Daniel, nous voyons
ceci[1924] : « Je
regardais jusqu’à ce que les sièges fussent disposés et que l’Ancien siégeât. »
Les trônes désignent le pouvoir judiciaire. L’ancienneté est
attribuée à Dieu, à cause de son éternité, selon Denys. Juger convient donc au
Fils en tant qu’éternel, non en tant qu’homme.
3. Saint Augustin
affirme : « Par le Verbe Fils de Dieu
s’accomplit la résurrection des âmes. Par le Verbe devenu dans l’incarnation
Fils de l’homme, se fera la résurrection des corps. » Le jugement final concerne plutôt l’âme que la chair. Il
convient donc mieux au Christ de juger en tant que Dieu qu’en tant qu’homme.
Cependant :
Saint Jean dit[1925] : « Il
lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est le fils de l’homme. »
En outre, nous voyons dans Job : « Ta cause a été jugée comme celle d’un impie. » La Glose
ajoute : « par Pilate ; c’est pourquoi tu recevras le jugement et la
cause. » Et la Glose reprend : « pour juger justement. » Mais le Christ a été jugé par Pilate
selon sa nature humaine : c’est donc en elle qu’il jugera.
De même, juger appartient à qui a le droit de poser des
lois. Or, c’est en apparaissant dans sa nature humaine que le Christ nous a
donné la loi de l’Évangile. C’est donc en elle qu’il jugera.
Conclusion :
Pour juger, on doit avoir autorité. Saint Paul dit aux
Romains[1926]: « Qui
es-tu donc pour juger le serviteur d’un autre ? » Le Christ a le
pouvoir de juger en tant qu’il possède autorité sur les hommes, au sujet
desquels aura lieu principalement le jugement final. Il est notre maître, non
seulement en vertu de la création, parce que « le Seigneur lui-même est Dieu, lui-même nous a faits ; Nous
ne nous sommes pas faits nous-mêmes »,
mais aussi en vertu de la rédemption qu’il a réalisée en sa nature humaine.
Saint Paul dit aux Romains[1927] : « Le
Christ est mort et est ressuscité pour dominer les morts et les vivants. » Pour
obtenir la récompense de la vie éternelle, les biens de la création ne nous
suffiraient pas sans le bienfait de la rédemption, à cause de l’empêchement que
le péché de nos premiers parents a inséré dans notre nature. C’est pourquoi,
puisque le jugement final a pour but d’admettre certains hommes dans le
royaume, tandis que d’autres en sont exclus, il convient que ce soit le Christ
lui-même en sa nature humaine, grâce à laquelle l’homme est admis dans le
royaume, qui préside ce jugement. C’est ce que signifient les Actes[1928] : « Lui-même
a été institué par Dieu juge des vivants et des morts. »
En outre, grâce à la rédemption du genre humain, il n’a
pas restauré seulement l’humanité, mais par cette restauration de l’homme, il
a amélioré aussi toute la créature, universellement. Saint Paul dit aux
Colossiens[1929] : « Pacifiant
par son sang répandu sur la croix, tout ce qui est sur terre et dans les cieux.
» C’est pourquoi, par sa passion, le Christ a mérité la domination
et le pouvoir judiciaire, non seulement sur les hommes, mais sur toute
créature. Saint Matthieu[1930] : « Tout
pouvoir m’a été donné dans le Ciel et sur la terre. »
Solutions :
1. Le Christ n’aurait pas suffi à racheter le genre humain
s’il avait été seulement homme. S’il a pu racheter le genre humain selon sa
nature humaine et obtenir par là le pouvoir judiciaire, cela manifeste qu’il
est Dieu lui-même et doit être honoré autant que le Père, non pas comme homme,
mais comme Dieu.
2. Dans cette vision
de Daniel, il s’agit manifestement de la plénitude de l’ordre du pouvoir
judiciaire. Elle réside d’abord, comme en sa source première, en Dieu lui-même,
et plus spécialement dans le Père, qui est le principe de toute déité. C’est
pour cela que le texte dit d’abord : «
L’Ancien siège. » Mais le pouvoir judiciaire a été transmis par le Père au
Fils, non seulement éternellement en vertu de sa nature divine, mais même dans
le temps, selon sa nature humaine, qui l’a méritée. C’est pourquoi la vision
prophétique se poursuit[1931] : « Et
voici que sur les nuées du Ciel il semblait que le Fils de l’homme venait, et
parvenait jusqu’à l’Ancien, qui lui donna pouvoir, honneur et royaume. »
3. Saint Augustin parle en vertu d’une certaine
appropriation : il ramène les effets que le Christ a opérés dans la nature
humaine, à des causes qui sont semblables de quelque manière. Par notre âme,
nous sommes faits à l’image et la similitude de Dieu, tandis que par notre
chair nous sommes de la même espèce que le Christ homme. C’est pourquoi il
attribue à la divinité ce que le Christ a fait dans nos âmes, tandis qu’il
attribue à sa chair ce qu’il a fait ou fera dans notre chair. Cependant sa
chair, en tant qu’organe de sa divinité, selon l’expression de saint Damascène,
produit aussi des effets dans nos âmes comme dit saint Paul aux Hébreux : « Son
sang a purifié nos consciences de nos œuvres de mort. » Ainsi le
Verbe fait chair est cause de la résurrection de nos âmes. Dès lors, même en sa
nature humaine, il convient que le Christ soit le juge, non seulement des
valeurs corporelles mais des valeurs spirituelles.
Objections :
1. Au jugement, il ne
semble pas que le Christ apparaîtra sous la forme de son humanité glorieuse. À
propos de saint Jean[1933] : « Ils
verront celui qu’ils ont transpercé », la Glose dit : « Car il viendra en cette même chair dans
laquelle il fut crucifié. » Or il a
été crucifié en une forme de faiblesse corporelle. C’est donc dans cette forme
qu’il apparaîtra non sous une forme glorieuse.
2. Saint Matthieu dit[1934] : « Le
signe du Fils de l’homme apparaîtra dans le ciel » : il s’agit
du signe de la croix. Saint Jean Chrysostome ajoute : « Le Christ viendra juger en montrant non seulement les cicatrices
de ses blessures, mais même la forme très ignominieuse de sa mort. » Il ne sera donc pas sous une forme
glorieuse.
3. Le Christ se présentera
au jugement sous une forme qui puisse être vue par tous. Sous la forme de son
humanité glorieuse, il ne pourrait pas être vu par tous, bons et méchants, car
l’œil non glorifié ne semble pas être adapté pour voir l’éclat d’un corps
glorieux. Il ne se présentera donc pas sous cette forme.
4. Ce qui est promis
aux justes à titre de récompense ne peut pas être accordé à ceux qui ne sont
pas justes. Voir la gloire de l’humanité du Christ est promis aux justes comme
récompense, selon saint Jean[1935] : « Il entrera et sortira et trouvera des
pâturages. » Saint Augustin
l’interprète : « Ce sera la communion
à la Divinité et à l’humanité. » Et
Isaïe dit[1936] : « Ils
verront le Roi dans sa splendeur. » Tous ne pourront donc pas voir au
jugement la forme glorieuse du Christ.
5. Le Christ jugera
dans la forme où il a été jugé. À propos de saint Jean[1937] : « Ainsi
le Fils vivifie qui il veut », la Glose dit : « Dans la forme où il a été jugé injustement, il jugera justement,
pour pouvoir être vu par les impies. Puisqu’il a été jugé sous sa forme de
faiblesse, c’est en celle-là qu’il apparaîtra au jugement.
Cependant :
Nous lisons en saint Matthieu[1938] : « Ils
verront le Fils de l’homme venir sur les nuées, avec grande puissance et
majesté. » Majesté et puissance appartiennent à la gloire. C’est
donc en sa forme glorieuse qu’il apparaîtra.
En outre, le juge doit manifester en plénitude la norme du droit
divin qui est l’humilité (kénose) et l’amour. Cela, son humanité glorieuse,
marquée des stigmates de sa passion, peut le faire plus parfaitement que son
humanité douloureuse.
De plus, être jugé est un signe de faiblesse tandis que
juger marque l’autorité et la gloire. En son premier avènement, quand le Christ
est venu pour être jugé, il apparut sous une forme de faiblesse. Au second
avènement, quand il viendra pour juger, il apparaîtra sous sa forme glorieuse.
Conclusion :
Le Christ est appelé « médiateur
de Dieu et des hommes »[1939], parce qu’il répare pour les hommes et
implore le Père, tandis qu’il communique aux hommes ce qui tient du Père :
Saint Jean[1940] dit : « Je
leur ai donné la lumière que tu m’as donnée. » Il lui convient donc
de communiquer avec chacun des termes qu’il unit : communiquant avec les
hommes, il représente les hommes auprès du Père ; communiquant avec le Père, il
transmet ses dons aux hommes. Dans le premier avènement, il était venu pour
réparer pour nous auprès du Père. Il apparaissait donc sous notre forme
d’infirmité. Dans le second avènement, il viendra pour accomplir la justice du
Père parmi les hommes. Il devra alors manifester la gloire qui lui vient de la
communion avec le Père ; il se montrera donc sous la forme glorieuse.
Solutions :
1. Il se montrera dans
la même chair, mais dans une autre manière d’être.
2. Le signe de la
croix apparaîtra au jugement pour manifester une infirmité passée, mais non
plus actuelle. Par là il montrera la justice de la condamnation de ceux qui ont
repoussé tant de miséricorde, et surtout de ceux qui ont injustement persécuté
le Christ. Les cicatrices qui apparaîtront sur son corps ne seront pas un signe
d’infirmité : elles seront les marques de la très grande force par laquelle le
Christ dans sa passion et sa souffrance a triomphé de ses ennemis. Il
manifestera aussi sa mort très humiliante, non pas en la présentant aux
regards comme s’il la subissait maintenant, mais en portant les hommes à se
souvenir de cette mort passée, par la présentation des traces de cette passion
d’autrefois.
3. Le corps glorieux
possède le pouvoir de se manifester ou non comme tel à un œil non glorifié,
comme nous l’avons vu. C’est pourquoi le Christ pourra être vu par tous en sa
forme glorieuse.
4. La gloire d’un ami
nous réjouit. Par contre la gloire et la puissance de celui que l’ont hait est
une grande source de tristesse. C’est pourquoi, tandis que la vision de la
gloire de l’humanité du Christ sera une récompense pour les justes, elle sera
un supplice pour ses ennemis. Isaïe[1941] : « Qu’ils
le voient et soient confondus les dirigeants du peuple, et que le feu (c’est-à-dire
l’envie) dévore tes ennemis. »
5. La forme signifie ici la nature humaine, en
laquelle le Christ a été jugé et jugera. Elle ne vise pas la qualité de cette
nature, qui ne sera pas infirme dans le juge comme elle l’était quand il fut
jugé.
Objections :
1. Il semble que la
divinité puisse être vue par les méchants sans en éprouver de joie. Il est un
effet certain que les impies savent manifestement que le Christ est Dieu. Ils
verront donc sa divinité. Et pourtant ils n’en jouiront pas. Il pourra donc
être vu sans joie.
2. La volonté perverse
des impies n’est pas plus contraire à l’humanité du Christ qu’à sa divinité.
Mais le fait de voir la gloire de son humanité sera pour eux une peine. À bien
plus forte raison, s’ils voyaient sa divinité, ils en seraient plus attristés
que réjouis.
3. L’affectivité ne
suit pas nécessairement l’intelligence. Saint Augustin dit : « L’intelligence précède, et le
sentiment suit plus tard ou pas du tout.
» La vision appartient à l’intelligence et la joie à l’affectivité. Il
pourra donc y avoir vision de la divinité sans joie.
4. « Tout ce qui est reçu
en quelqu’un est reçu selon le mode de celui qui reçoit, et non selon le mode
de ce qui est reçu. » Tout ce qui est
vu est reçu de quelque manière dans celui qui le voit. C’est pourquoi bien que
la divinité soit elle-même source de très grande joie, cependant, si elle est
vue par ceux qui sont accablés de tristesse, elle ne les réjouira pas, mais les
contristera davantage.
5. L’intelligence est
à l’égard de l’intelligible comme le sens à l’égard du sensible. Nous voyons
dans l’ordre sensible que « pour un
palais malade le pain devient désagréable, alors qu’il est agréable pour un
palais sain. » Comme dit saint Augustin, il en va de même pour nos autres
sens. Dès lors, puisque les damnés ont l’intelligence désordonnée, il semble
que la vision de la lumière incréée leur apportera plus de souffrance que de
joie.
Cependant :
Nous lisons en saint Jean[1943] : « La
vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le vrai Dieu. » L’essence
de la béatitude consiste donc en la vision de Dieu. Mais la notion même de béatitude
inclut la joie. On ne peut donc voir la divinité sans en jouir.
En outre, l’essence même de la divinité est l’essence même de la
vérité. Voir le vrai est pour tous une source de délectation ; « Tous par nature désirent savoir », comme dit Aristote dans les Métaphysiques. La divinité ne peut
donc pas être vue sans joie.
De plus, si une vision n’était pas toujours source de
joie, ce serait que parfois elle engendre la tristesse. Mais la vision
intellectuelle n’est jamais attristante. Parce que, comme dit Aristote, il n’y
a pas de tristesse opposée à la délectation que l’on a en comprenant. Puisque
la divinité ne peut être vue que par l’intelligence, il semble qu’elle ne
puisse pas être vue sans joie.
Conclusion :
En toute chose désirable ou délectable, on peut
considérer deux aspects : 1° ce qui
est désirable ou délectable. Les choses qui sont délectables seulement par
participation à une bonté qui est la raison pour laquelle elles sont désirables
et délectables, peuvent, si on les perçoit, ne pas apporter de jouissance ;
mais ce qui est bon en vertu de sa propre nature, il est impossible qu’en
percevant son essence on n’en jouisse pas. Dès lors, puisque Dieu est
essentiellement la Bonté en elle-même, il n’est pas possible de voir la
divinité sans en jouir.
2° Ce qui est le motif
de ce désir et de cette délectation. Boèce dit : « Ce qui est, peut contenir quelque chose d’autre que son être ;
mais le fait d’être ne peut rien contenir d’autre que lui-même. » De même, ce qui est désirable ou
délectable peut contenir quelque chose qui ne soit ni délectable ni désirable ;
mais ce qui est le motif même de cette détectabilité ne peut rien contenir, en
soi-même, à cause de quoi il ne serait ni délectable ni désirable. Ainsi en
est-il de Dieu : délectable et désirable en lui-même, il peut être haï à cause
des conditions qu’il met à l’entrée dans sa Vision. Il s’agit essentiellement
de l’humilité (kénose) et de l’amour que les damnés refusent obstinément.
Solutions :
1. Les impies sauront
manifestement que le Christ est Dieu, non en voyant sa divinité, mais grâce à
des signes très manifestes de sa divinité.
2. On ne peut pas
davantage avoir de la haine pour la divinité telle qu’elle est en elle-même,
qu’on ne pourrait haïr la bonté elle-même ; mais la divinité peut devenir objet
de haine pour certains à cause d’effets particuliers qu’elle produit, parce
qu’elle agit ou qu’elle ordonne contrairement à leur propre volonté. Il est
donc impossible que la vision de la divinité ne soit pas délectable pour
quelqu’un.
3. Ce texte de saint
Augustin doit s’appliquer quand ce que l’intelligence perçoit est bon par
participation seulement, et non par essence, comme sont toutes les créatures :
en elles il peut y avoir quelque chose qui n’émeut point l’affectivité.
Ici-bas, Dieu même n’est connu que par ses œuvres, et l’intelligence ne
parvient pas à la connaissance de l’essence elle-même de sa bonté.
L’affectivité ne suit donc pas nécessairement la connaissance, comme elle le
devrait si celle-ci pénétrait l’essence de Dieu, qui est la bonté même.
4. La tristesse n’est
pas une disposition, mais plutôt une passion. Toute passion est supprimée par
une cause plus puissante qui survient ; elle ne peut chasser cette cause. C’est
pourquoi, la tristesse des damnés disparaîtrait, si, par impossible, ils
voyaient Dieu en son essence.
5. Si un organe est
indisposé, sa conformité naturelle avec l’objet qui devrait normalement le
faire jouir, disparaît, et la jouissance est empêchée. Mais la mauvaise
disposition des damnés ne peut supprimer la disposition naturelle foncière qui
les orientait vers la bonté divine, dont l’image demeure toujours en eux. Le
cas est donc différent.
A cet égard, cinq questions se posent :
1° Après le jugement général,
doit-on compter deux demeures des hommes et pas une de plus ?
2° Ces demeures seront-elles
localisées ?
3° La béatitude des saints
sera-t-elle plus grande ?
4° Le châtiment des damnés
s’étendra t-il jusque dans leur corps ?
5° Le monde durera-t-il ainsi
éternellement ?
Objections :
1. Il semble qu’on ne doive pas
compter deux demeures seulement, à savoir l’enfer et le paradis. Les enfants
morts sans baptême seront éternellement dans les limbes puisqu’ils sont
entachés du péché originel qui les sépare de Dieu.
2. Après le jugement général,
certaines âmes n’auront pas achevé de satisfaire pour les peines du purgatoire.
Il y aura donc une troisième demeure.
3. Le Seigneur dit[1945] : « Dans la maison de mon Père,
il y a de nombreuses demeures. » Il semble qu’on doive compter plus
de deux demeures au paradis.
4. Il faut aussi compter parmi les
demeures le shéol, encore appelé sein d’Abraham, où étaient conduites les âmes
de ceux qui sont morts avant la venue du Christ. Il s’agit d’un état où la
vision de Dieu n’est pas possible. C’est la demeure des ombres, c’est-à-dire
des âmes errantes. Les âmes sont parfois punies au lieu même où elles ont
péché, c’est-à-dire ici bas, ce qui fait encore une demeure d’autant plus que
les pécheurs sont parfois punis dès cette vie en ce monde.
5. Il faudrait distinguer
d’autres demeures encore, par exemple, l’air ténébreux qui est représenté comme
la prison des démons.
6. Ou encore, le paradis
terrestre dans lequel Énoch et Élie ont été transportés.
7. L’âme qui sort de ce monde
avec le péché originel et n’ayant commis que des péchés véniels doit avoir une
demeure à part. En effet, elle ne peut aller ni au Ciel, puisqu’elle n’a pas la
grâce, ni en enfer puisque seul le péché mortel y condamne.
8. Aux âmes en état de grâce
mais avec des fautes vénielles à expier, est assignée une demeure spéciale, le
purgatoire. Aux âmes en état de péché mortel, mais ayant fait quelques bonnes
œuvres, devrait donc être assigné une demeure spéciale, distincte de l’enfer.
9. Rien n'empêche que Dieu,
dont la puissance et l'amour sont sans limites, crée une autre humanité en état
de voie ailleurs, ou même des mondes différents peuplés d’autres genres de
créatures rationnelles pour les conduire à la vision béatifique. Donc il peut
apparaître d'autres demeures après le jugement général.
Cependant :
Lors du jugement général, le Seigneur triera les brebis et les
boucs en disant[1946] : « Venez les bénis de mon
Père » aux élus et « allez-vous en loin de moi,
maudits » aux damnés. Il n’y aura donc que deux demeures après le
jugement général.
Conclusion :
Des demeures distinctes sont assignées aux âmes selon leurs divers
états ou conditions. L’âme unie au corps est ici-bas en état de mériter ; face
à l’apparition du Messie et séparée du foyer de péché qui, provisoirement la
maintenait en liberté diminuée, elle est devenue en état de choisir son destin
de manière définitive. Elle reçoit en conséquence la récompense du bien qu’elle
a fait et c’est le paradis ; la punition du péché actuel et mortel qu’elle
maintient et c’est l’enfer des damnés.
Quant aux empêchements provisoires qui peuvent différer
l’obtention immédiate de la gloire, ils sont supprimés. S’il est un empêchement
qui vient de la personne, il est enlevé par le purgatoire dans lequel les âmes
sont retenues jusqu’à expiation du péché commis. S’il est un empêchement de la
nature, à savoir le péché originel, il est enlevé par le Christ et ses saints
qui désirent et obtienne pour lui le baptême à l’heure de la mort, à cause des
mérites de sa rédemption accomplie sur la croix. Donc, lors du jugement général,
il ne restera que deux demeures : l’enfer et le paradis.
Solutions :
1. Les limbes des
enfants ne sont pas une demeure éternelle mais seulement provisoire car
eux-mêmes doivent recevoir la prédication du Seigneur, dans le passage de la
mort selon cette parole du Seigneur[1947] : « Tout
homme verra le salut de Dieu et devant lui tout genoux fléchira. » Si
tout homme doit voir le salut de Dieu, c’est qu’il doit être proposé à tous, ce
qui ne peut se faire que par la remise du péché originel. En fin de compte,
tout genou fléchira devant Dieu, ceux des méchants par peur, ceux des bons par
amour. Il n’y a donc que deux demeures éternelles, l’enfer et le paradis.
2. La providence
divine permettra que toute âme ait achevé son purgatoire lorsque viendra le jugement
dernier, même les plus grands pécheurs selon cette parole de Marie à
Fatima à propos d’une jeune fille décédée : « Elle est en purgatoire jusqu’à la fin du monde. » Ce sera possible même pour ceux qui
seront encore vivants lors du retour du Christ sur la terre. Il faut en effet
se souvenir que la souffrance purificatrice n’est pas mesurable selon le temps
extérieur mais seulement selon la durée intérieure de celui qui souffre
quelques minutes et qui peuvent paraître des années. Ainsi chaque âme paraîtra
lors du jugement général de l’humanité selon la bonté ou la perversité qui doit
être sienne pour l’éternité.
3. Comme nous l’avons
montré, les demeures dont le Seigneur parle ici sont les divers degrés et les
divers modes de béatitude des âmes. Les degrés se prennent de l’intensité de la
charité ; les modes de la grâce particulière dont chaque âme a vécu durant son
pèlerinage terrestre et qui sont signifiés par les auréoles. Il s’agit donc
plutôt de divers états que de diverses demeures[1948].
4. Comme les limbes
des enfants, les limbes des âmes errantes appelés par l’Écriture "Shéol"[1949] ou "Hadès"[1950] sont une demeure
provisoire des âmes trop attachées à la terre pour accepter de passer dans
l’autre monde où les attend l’annonciateur du salut, à savoir le Christ ou son
Messager. Dieu permet cette errance comme une prolongation de la vie terrestre
en vue de leur salut puisque, isolées dans leur névrose pendant des années,
elles finissent par comprendre la vanité de leur attachement. Elles appellent
le Messie qui les fait passer dans l’autre monde. À la fin du monde, il n’y
aura plus d’âmes dans cet état à cause de la souffrance qui purifiera les
derniers habitants de la terre au point de leur faire désirer le salut et grâce
au retour du Christ. Le démon perdra ce jour-là son pouvoir sur les morts,
selon saint Paul[1951] : « Le
Christ a supprimé la cédule de notre dette en la clouant sur la croix. Il a
dépouillé les Principautés et les Puissances et les a données en spectacle à
la face du monde, en les traînant dans son cortège triomphal. »
5. L’air ténébreux
n’est pas le lieu où les démons reçoivent leur punition, mais celui qui semble
leur convenir dans la guerre qu’ils font aux hommes. Lors du jugement général,
il n’y aura plus d’homme à tenter sur la terre. Leur demeure sera donc l’enfer.
6. Saint Augustin
écrit : « Le paradis terrestre se
rapporte à la vie présente et non à la vie future. Énoch et Élie y furent
conduits avec leur corps provisoirement afin qu’ils puissent revenir prêcher à
la fin des temps sur la terre mais cette demeure est exceptionnelle et elle
disparaîtra avec la glorification du corps de ces saints. » Mais nous avons montré que cette tradition est à interpréter
dans un sens métaphorique[1952].
7. C’est là une
hypothèse impossible. L’enfant sans libre arbitre ne peut pécher mortellement ;
à plus forte raison il ne peut pécher véniellement. À l’éveil de la raison, il
choisira absolument le bien ou le mal c’est-à-dire ou bien il fera un acte de
charité qui le justifiera ou bien il commettra un acte mauvais qui le mettra en
inimitié personnelle avec Dieu.
8. Les lieux
terrestres où il arrive que des âmes séparées expient leurs fautes, ne sont
cependant pas le vrai lieu de leur punition. L’apparition de certaines âmes de
l’enfer est permise par Dieu pour instruire les hommes et leur inspirer une
crainte salutaire du péché. Mais, à la fin du monde une telle pédagogie sera
devenue inutile puisqu’il n’y aura plus d’hommes en état de voie sur la terre.
Le lieu de la damnation sera donc l’enfer.
8. Le mal ne se présente jamais
à l’état pur et sans mélange de bien, de la façon dont le souverain bien existe
sans mélange de mal. C’est pourquoi pour atteindre la béatitude, qui est le
souverain bien, il faut être purifié de tout mal, soit avant de quitter ce
monde, soit après, dans un lieu spécial qui est le purgatoire. Mais, en enfer,
il ne saurait y avoir une absolue privation de bien. Les deux cas sont donc
dissemblables, même si les bonnes œuvres qu’ils ont faites sur la terre peuvent
valoir aux damnés un certain adoucissement de leur punition.
9. C'est vrai. Mais ce ne
seront pas des Fils d'Adam. Et, une fois leur chemin accompli, ces créatures là
seront aussi introduites dans la vision de Dieu (paradis), ou dans l’enfer.
Objections :
1. Il semble que le lieu de
l’enfer et celui du paradis sera le même. En effet, l’Écriture montre que les
démons peuvent entrer en contact avec les bons anges[1953] : « Le jour où les anges
venaient se présenter devant Yahvé, le Satan s’avançait parmi eux ». Or
les élus sont avec les damnés dans le même rapport que les saints anges avec
les démons. Donc ils ne seront pas séparés à la fin du monde.
2. Il ne semble pas que le feu
de l’enfer soit sous terre car Job, parlant de l’homme damné, dit : « Et
Dieu l’enlèvera du monde. » Le feu qui châtiera les damnés n’est
donc pas sous terre, mais hors du monde.
3. La Sagesse dit : « Chacun est torturé par les choses par
lesquelles il a péché ». Mais les méchants ont péché à la surface de la
terre. Le feu qui les punit ne doit donc pas être au-dessous de la terre.
4. Le lieu du paradis semble
être la terre et non l’univers entier. En effet, les hommes sauvés formeront
une société. Il ne convient donc pas qu’ils soient dispersés dans les lieux
immenses.
Cependant :
Isaïe dit[1954] : « L’enfer souterrain a été à l’approche de ton avènement ». De
même, l’Apocalypse[1955] : « La bête fut capturée avec le
faux prophète. On les jeta tous deux, vivants, dans l’étang de feu, de soufre
embrasé. » Donc l’enfer est un lieu. De même, à propos du paradis,
l’Apocalypse dit qu’il s’agit d’un lieu où habitent les hommes ressuscités.
Conclusion :
1° Dès avant la résurrection
des corps, l’enfer et le paradis ne doivent pas être appelés des lieux au
sens métaphorique puisque, nous l’avons vu, les âmes humaines ne sont jamais de
purs esprits. Elles sont donc toujours localisées, même si le corps qui leur
reste est fait de matière psychique. Certes, enfer et paradis sont en premier
lieu un état de l’âme selon qu’elle voit Dieu ou le rejette. Cependant, en
conséquence, elles se réunissent entre elles en deux lieux bien séparés,
puisque les âmes de l’enfer ne supportent pas la présence et la vue de ceux qui
sont saints.
Nous avons vu que les âmes de l’enfer sont emprisonnées par
elles-mêmes, par l’obsession de la recherche de leur propre bonheur et par le
feu que cela produit en elles. Quant à savoir où elles cachent leur misère, il
est difficile de se prononcer. Certains pensent, et c’est probable, qu’elles
s’isolent dans l’immensité de l’univers, d’où ce texte de Job[1956] : « Les rois et les grands ministres de la
terre ont bâti leurs demeures dans des lieux désolés. » D’autres, pensent qu’elles
se réunissent parfois entre elles autour de leur commun projet de révolte
contre Dieu et ses saints. De toute façon, ce n’est que par exception que les
humains damnés sont autorisés par Dieu à troubler de leur présence les hommes
qui vivent sur la terre. En ce qui concerne les hommes damnés, l’emprisonnement
est réalisé dès avant la résurrection, juste après leur jugement individuel,
car ils ne peuvent être d’aucune utilité pour le bien des hommes qui sont sur
la terre, n’ayant pas la capacité naturelle d’intervenir par eux-mêmes dans le
monde visible, comme le font les démons.
Quant aux âmes du paradis, dès avant la résurrection, il semble
d’après le témoignage de ceux qui ont approché la mort suite à un accident non
volontaire, qu’elles vivent dans des lieux paradisiaques, situés dans une
dimension parallèle, celle du monde composé de cette matière psychique qui
compose leur corps. Il ne s’agit pas d’un monde de l’imaginaire mais d’un autre
état de la matière qui permet la réalisation de réalités invisibles pour nous.
2° Après la résurrection, les hommes ressuscités
étant de nouveau unis à leur corps charnel, ils seront par nature a fortiori
localisés. Il est donc convenable que, selon la récompense ou la punition
qu’ils méritent, ils soient introduits dans un lieu proportionné. Ce lieu n’est
pas seulement une métaphore mais une réalité. En conséquence, les élus étant
glorifiés dans leur âme et dans leur corps, à cause du mérite de leur grande
charité, ils vivront éternellement dans un monde d’harmonie et de beauté que
les saints appellent le paradis par analogie avec le jardin que Dieu avait
originellement préparé pour Adam et Ève. L’Écriture l’appelle aussi « le plus haut des cieux »[1957], par analogie avec l’incorruptibilité de leur vie qui ressemblera par
sa stabilité à celle des astres du ciel. Le monde nouveau préparé par Dieu sera
beaucoup plus vaste que la terre qui n’était qu’un lieu provisoire d’épreuve.
Les élus pourront exercer l’agilité de leur corps, sans jamais quitter la
contemplation de l’essence divine, à travers un univers de beauté et
d’harmonie. Le retour du Christ, la
résurrection des morts et la transformation des vivants, sont déjà une œuvre
gigantesque, à la mesure de la puissance de Dieu. Mais si l’on ajoute à cela,
immédiatement après, la transformation du monde, nous pouvons nous faire une
idée de l’énergie qu’il déploiera pour nous combler. Dieu ressemblera à un
fiancé enfin réuni à sa bien-aimée. Il ne sait que faire pour la combler. Il se
donne à elle et cela suffit. Pourtant, il ajoute toutes les folies que l'amour
peut imaginer : des parures somptueuses, des royaumes, des amis, des fleurs,
des animaux... Dieu se comportera de la même façon, comme un prince, à la
mesure de sa toute puissance. Il créera un univers grandiose de telle façon que
l’éternité ne nous suffira pas pour le visiter. À vie éternelle de bonheur,
Dieu fait correspondre un univers immense de beautés. Nous comprendrons à
cette heure l’utilité des milliards de mondes dont nous apercevons la lumière.
En ce qui concerne les damnés, on doit parler autrement.
Respectant leur choix, Dieu ne leur imposera pas d’autre punition directe que
la privation de la vision de son essence. Il leur donnera ensuite les
conditions du bonheur de leur choix, à savoir un corps ressuscité et immortel,
et le même séjour paradisiaque que les élus. Ils pourront donc théoriquement
profiter de ce nouvel univers, à leur convenance. Mais, à cause de la
méchanceté de leur cœur, ils se sépareront du monde des élus et s’enfermeront
dans un lieu où ils ne souhaiteront ne jamais rencontrer personne. Après le
jugement général, aucun damné, démon ou homme ne voudra rencontrer de sa propre
initiative les élus pour plusieurs raisons. Dieu le permettra par miséricorde
pour eux, afin que la joie des élus et la gloire du Christ ne soient pas
perpétuellement devant leurs yeux.
Il est très probable que
Dieu n’aura pas à instaurer une prison autre que celle qu’ils se créent
eux-mêmes. Partout où ils sentiront la présence d’un élu, ils fuiront son
humilité (kénose) et son amour, source pour eux de la rage la plus forte, au
point qu’on ne les rencontrera jamais[1958]. Le seul souvenir de ce
bonheur qu’ils ont méprisé par orgueil et qu’ils jalousent sera suffisamment
douloureux pour eux. Il est donc probable que leur refuge sera matériellement
les lieux les plus hostiles de l’univers, peut-être même le cœur sombre et
brûlant des astres. Si c’est le cas, la lettre même des Écritures, jusqu’au
plus petit détail sera réalisée[1959] : « Mais la Bête fut capturée, avec le faux
prophète. On les jeta tous deux, vivants, dans l'étang de feu, de soufre
embrasé. »
Solutions :
1. Tant qu’il restera des
hommes sur la terre, les démons ne seront pas tous enfermés dans l’abîme. Ils
profiteront de la permission de Dieu qui les autorise à tenter les hommes. Tant
qu’il y a un homme sur terre, ils s’y trouvent car ils y trouvent un double
avantage : ils agissent dans le sens de leur conviction et ils s’occupent ce
qui les soulage de l’obsédante pensée de leur malheur. Après le jugement général,
Lucifer et ses anges n’auront plus aucune utilité : ils seront donc
définitivement enfermés dans le feu de l’enfer, selon l’autorité de
l’Apocalypse. Cependant, n’étant pas unis naturellement à un corps, ils seront
localisés à la manière des purs esprits ce que signifie que l’exercice de leur
jugement et de leur puissance sera à tel point centré sur eux-mêmes qu’ils
seront localisés en eux-mêmes, dans le propre feu de leur être. Fuyant comme
avec la plus grande répulsion la victoire de l’humilité (kénose) chez les élus,
n’ayant plus aucun motif de venir auprès de Dieu réclamer un homme ou une âme,
ils ne voudront plus rien savoir de ce qui se passe dans le monde des élus.
2. Ce mot de Job : « Dieu
l’enlèvera du globe », doit s’entendre du globe de la terre,
c’est-à-dire de ce monde. Saint Grégoire l’explique ainsi : « Quelqu’un est enlevé de ce monde,
quand à l’apparition du juge d’en haut, il est ôté de ce monde dans lequel il
est injustement glorifié. » Le globe
n’est point ici celui de l’univers, comme si le lieu des peines se trouvait en
dehors de tout l’univers.
3. L’affirmation « chacun est torturé par ce par quoi il a péché », ne vaut que pour les
principaux instruments du péché : puisque l’homme pèche par l’âme et par le corps,
il sera puni en chacun d’eux. Mais il n’est pas exigé que l’homme soit puni en
chaque lieu où il a péché, car le lieu de la vie terrestre est autre que celui
des damnés. On peut dire ainsi que cette affirmation vaut pour les peines par
lesquelles l’homme est puni dès cette vie, en tant que chaque faute entraîne sa
peine, car tout esprit qui est sorti de l’ordre est son propre bourreau.
4. Le centre du paradis céleste
ne sera ni la terre ni une quelconque planète mais le corps du Christ qui, par
sa beauté supérieure et sa personnalité divine attirera tous les regards. C’est
pourquoi saint Luc écrit[1960] : « Là où sera le corps, là
seront les aigles », c’est-à-dire les contemplatifs. Quant au
reste de l’univers, dont la beauté et la variété réjouiront le regard des
saints, il sera à la taille de leur vie éternelle, c’est-à-dire qu’il sera
grandiose. Et sa taille immense ne supprimera pas la vie commune des élus
puisqu’ils seront à chaque instant présents aux autres à travers leur
contemplation de Dieu.
Objections :
1. Il semble que non. Plus une
chose parvient à la ressemblance avec Dieu plus elle participe parfaitement à
sa béatitude. L’âme séparée du corps est plus semblable à Dieu que quand elle
est unie au corps. La béatitude est donc plus grande avant qu’elle reprenne son
corps physique.
2. Une force unifiée est plus
puissante que si elle est divisée. Mais l’âme hors du corps est plus unifiée
que dans le corps. Sa puissance d’action est donc plus grande, et ainsi elle
participe plus parfaitement à la béatitude qui consiste en un acte.
3. La béatitude consiste en un
acte de l’intelligence spéculative. Mais l’intelligence dans son acte
n’implique pas un organe corporel. La reprise du corps ne donnera donc pas à
l’âme la possibilité de comprendre plus parfaitement. La béatitude de l’âme ne
sera donc pas plus grande après sa résurrection.
4. Rien de plus grand que
l’infini : un être fini ajouté à l’infini ne le grandit pas. Mais l’âme
bienheureuse avant la résurrection du corps charnel possède la béatitude
puisqu’elle jouit d’un bien infini, Dieu. Après la résurrection du corps, elle
ne jouira pas d’autre chose, sauf peut-être de la gloire de la chair, des
plaisirs du toucher, qui sont des biens finis. La joie qui suivra la reprise du
corps ne sera donc pas plus grande qu’auparavant.
Cependant :
À propos de l’Apocalypse 6, 9, la Glose ordinaire dit : « Actuellement, les âmes des saints se
trouvent sous les autels, c’est-à-dire dans une moindre dignité que plus tard. » Leur béatitude sera donc plus grande
après la résurrection qu’après leur mort.
En outre, la béatitude est accordée aux bons comme récompense, comme
la souffrance est infligée aux méchants. Mais la souffrance des méchants sera
plus grande après la reprise de leur corps, car ils seront punis non seulement
dans l’âme et le psychisme mais dans la chair. La béatitude des saints sera
donc plus grande après la résurrection des corps.
Conclusion :
La béatitude peut être augmentée de deux manière : en
intensité et en extension. 1° Il est
manifeste que la béatitude des saints ne sera pas augmentée en intensité –Dieu, qui est la cause de sa
béatitude essentielle, étant déjà vu face à face avant la résurrection et le
jugement général-, 2° mais le sera en extension après la résurrection, car
elle ne sera plus seulement de l’esprit et dans la sensibilité, mais aussi du
corps de chair et dans ses facultés. La béatitude de l’esprit elle-même sera
accrue en extension puisqu’elle ne jouira pas seulement de son propre bien,
mais aussi du bien du corps.
On peut cependant dire que la béatitude de l’esprit sera accrue en intensité sous un certain rapport, à
cause de cette plus grande extension. Le corps de l’homme peut, en effet être
considéré de deux manières : d’une part, en tant qu’il peut être perfectionné
par l’âme ; d’autre part, selon qu’il y a en lui quelque chose qui gène l’âme
dans ses opérations, parce qu’elle ne parvient pas à le perfectionner
totalement. Selon la première manière de considérer le corps, son union avec
l’esprit ajoute à celle-ci quelque perfection, puisque toute partie est
imparfaite et se complète dans son tout : le tout se comporte à l’égard de la
partie comme la forme à l’égard de la matière. L’esprit est donc plus parfait
dans son existence naturelle quand elle est dans le tout, c’est-à-dire dans
l’homme composé de l’esprit et du corps, que quand elle est une partie séparée.
Mais l’union avec le corps, dans la seconde manière de considérer,
empêche la perfection de l’âme : c’est pourquoi la Sagesse dit[1962] que « le corps qui se corrompt, appesantit l’âme. » Si donc on
enlève du corps tout ce par quoi il résiste à l’action de l’esprit, celle-ci
sera absolument parlant plus parfaite dans ce corps que séparée de lui. Plus
une chose est parfaite en son être, plus elle peut agir parfaitement.
L’opération de l’âme spirituelle unie à un tel corps sera donc plus parfaite
que celle de l’âme séparée. Tel sera le corps glorieux, entièrement soumis à
l’esprit. Puisque la béatitude consiste en une opération, celle de l’âme sera
plus parfaite après la reprise du corps qu’auparavant. Tout être imparfait tend
à sa perfection. L’âme séparée tend naturellement vers son union avec le corps
; et à cause de cette tendance, qui vient d’une imperfection, l’opération par
laquelle elle tend vers Dieu est moins intense. C’est ce que dit saint Augustin
: « Par le désir du corps, l’âme est
retardée dans sa tendance totale vers ce bien suprême. »
Solutions :
1. L’âme unie au corps glorieux
est plus semblable à Dieu que quand elle en est séparée, parce que, en lui
étant unie, elle possède plus parfaitement l’existence. En effet, plus une
chose existe parfaitement, plus elle est semblable à Dieu : ainsi le cœur, dont
la perfection vitale consiste dans le mouvement, est plus semblable à Dieu
quand il se meut que quand il se repose, bien que Dieu ne se meuve jamais.
2. La puissance qui par nature
doit être dans la matière est plus puissante quand elle se trouve dans la
matière que quand elle en est séparée, bien que, absolument parlant, la
puissance soit supérieure quand elle est séparée de la matière.
3. Bien que l’esprit ne se
serve pas du psychisme et des images qu’il apporte dans l’acte de connaissance
qu’est la vision béatifique, il s’en sert pour toutes les autres opérations
comme celles de ses rapports aux autres âmes, aux anges et à l’univers. C’est
pourquoi l’âme doit garder son psychisme après la mort. Le retour du corps
charnel a une autre finalité. Faisant partie de l’être de l’homme, la présence
du corps contribue de quelque manière à la perfection de l’être tout entier.
L’homme, par l’union avec son corps glorieux, sera plus parfait en sa nature, et
donc plus efficace dans son opération. C’est pourquoi le bien du corps lui-même
coopérera, pour ainsi dire instrumentalement, à l’opération en laquelle
consiste la béatitude. Aristote dit que les biens extérieurs coopèrent
instrumentalement à la félicité de la vie.
4. Bien que le fini ajouté à
l’infini ne le grandisse pas, il lui ajoute quand même quelque chose, parce que
fini et infini sont deux choses, tandis que l’infini en lui-même n’en est
qu’une. L’extension de la joie ne la rend pas plus grande mais plus intense.
C’est pourquoi la joie augmente en étendue quand elle porte sur Dieu et sur la
gloire du corps, et non seulement sur Dieu. La gloire du corps coopérera à
l’intensification de la joie au sujet de Dieu, en tant qu’elle perfectionnera
l’opération par laquelle l’âme adhère à Dieu. En effet, plus une opération est
parfaite, plus la puissance est grande, comme cela ressort de ce que nous avons
dit.
Objections :
1. Cela ne semble pas. La
miséricorde de Dieu ne saurait appliquer une peine physique extérieure aux
damnés. Ils seront suffisamment punis par leur séparation d’avec Dieu et par la
solitude de leur âme.
2. Il ne peut exister de pleurs
chez les damnés puisque les pleurs impliquent l’écoulement des larmes ce qui
est une certaine sécrétion et donc une corruption. Or le corps des damnés sera
par nature incorruptible.
3. Un feu qui ne consume pas le
corps, qui est ténébreux et dont l’effet est proportionnel à la faute de chacun
ne peut être un feu réel mais seulement une métaphore qui symbolise la douleur
physique qui rejaillit d’une manière naturelle de l’âme sur le corps des
damnés. C’est pourquoi saint Jean Damascène écrit[1963] : « Le diable et les démons et leur homme, l’Antéchrist, seront
livrés avec les impies et les pécheurs au feu éternel, non pas matériel comme
celui qui est ici, parmi nous, mais tel que Dieu connaît. »
4. Les damnés passeront d’une
chaleur très ardente à un froid très violent sans que cela les rafraîchisse[1964]. Or la chaleur du feu ne
peut exister en même temps que le froid. Donc le feu de l’enfer n’est pas
extérieur, il signifie une passion intérieure de l’âme rejaillissant dans le
corps.
5. Le ver rongeur de la
rancoeur ne peut être un ver matériel, une sorte de cancer qui ronge de
l’intérieur le corps des damnés puisque ce corps sera absolument incorruptible.
Cependant :
L’Apocalypse parle « d’un
étang de feu »[1965]. Or la nature du feu, c’est
de faire souffrir ce qui ne lui est pas adapté. Le corps des damnés sera fait
de chair. Il ne sera pas adapte au feu. Il y aura donc une peine physique en
enfer. En outre, dit le Psalmiste[1966] : « le feu et le soufre, et le souffle
des tempêtes seront la part de leur calice. » Job écrit[1967] : « De l’eau des neiges, ils
passent à l’extrême chaleur. »
Conclusion :
À propos des peines physiques dues pour le péché on voit qu’il en
existe de deux sortes sur la terre :
1° Certaines ont pour origine
directe des lois internes à la nature humaine : les souffrances de l’âme
rejaillissent nécessairement sur la sensibilité et, par conséquent, sur le
corps puisque le corps est dépendant du psychisme. Ainsi, celui dont l’âme est
séparée de Dieu par le péché, n’ayant plus de finalité spirituelle, ressent des
angoisses psychologiques, ce qui signifie que ses passions et son imagination
ne connaissent plus de paix. Lorsque ces angoisses sont très fortes, elles
peuvent avoir des effets jusque dans la vie végétative, comme on le voit chez
ceux qui souffrent d’ulcères de l’estomac ou de dépressions nerveuses.
Avant la résurrection de la chair, les âmes séparées de Dieu
subiront déjà les passions mauvaises dans leur psychisme. Ainsi, la rancoeur de
leur volonté rejaillira dans leur imagination à travers des cauchemars, dans
leurs passions par un perpétuel état d’insatisfaction, d’angoisse, de désespoir
et de tristesse.
Après la résurrection des corps, les damnés subiront dans leur
corps de chair des souffrances physiques : un feu intérieur les brûlera
organiquement, ayant son origine dans le feu de leur âme tel que nous l’avons
décrit précédemment. Ils vivront dans leur corps une agitation incessante, un
inconfort physique et des difformités. Cependant, ces défauts ne toucheront pas
la substance de leur corps qui sera par nature parfait et incorruptible.
D’après le Seigneur, il y aura des pleurs et des grincements de dents. Après la
résurrection, il n’est plus possible de prendre métaphoriquement de telles
réalités car celui qui possède son corps manifeste extérieurement les passions
de son âme par des actions de son corps. Les damnés éprouveront du regret, non
à cause de leur péché mais à cause de leur solitude et de leur malheur. Ils
pleureront donc ; d’autre part, ils éprouveront de la haine pour la justice de
Dieu qui les punit ainsi et de la jalousie pour le bonheur des élus. Leur
colère intérieure se manifestera extérieurement par des blasphèmes proférés et
des grincements de dents.
2° Certaines peines physiques
qui frappent les hommes sur la terre ont directement Dieu pour origine. C’est
pourquoi le Deutéronome annonce[1968] : « puisque tu n’auras pas servi
Yahvé ton Dieu dans la joie et le bonheur, Yahvé enverra contre toi la faim, la
soif, la nudité, privation totale. » Lorsque Dieu envoie activement
de telles peines sur l’homme qui est sur terre, ce peut être dans un but
pédagogique, afin qu’il s’amende de son péché, s’humilie et revienne dans la
voie du salut éternel. Ce peut être aussi dans le but d’un rétablissement de la
justice afin que le méchant reçoive le salaire de sa méchanceté. Mais dans tous
les cas, ces peines visent le salut de ceux qui les reçoivent.
Après la résurrection, les damnés seront irrémédiablement fixés
dans leur péché. Dieu ne leur enverra pas de peine dans un but pédagogique
puisqu’il n’y aura plus chez eux d’espoir de conversion. Restera-t-il donc un
motif de justice ? Il convient dit saint Bonaventure que « ceux qui ont
péché par la matière soient punis par la matière. » Selon l’opinion de certains théologiens, il faut donc poser
l’existence d’un réel feu matériel surajouté par Dieu comme un bourreau ajoute
une souffrance au criminel. En y réfléchissant, il paraît que ce feu surajouté
est bien inutile puisqu’il ne peut provoquer aucune conversion des damnés et
pire, non conforme au respect de Dieu pour leur choix. Ainsi, s’il existe un
feu matériel surajouté pour les damnés, il ne viendra pas de Dieu comme cause
directe mais il sera un effet logique de plus, de la perversion des damnés.
Quant à la nature de cette prison de feu, il est aisé de la préciser. Les
exorcismes pratiqués sur terre manifestent avec suffisamment de force l’horreur
qu’ont les démons pour tout ce qui est humble et aimant. La simple évocation du
nom de la sainte Vierge est pour eux source de torture. Il est certain que,
après la résurrection, ils préfèreront se cacher au plus profond des ténèbres
plutôt que de se risquer à la confrontation avec le plus petit des habitants du
Royaume de Dieu. S’ils se réfugient au cœur de la matière, le feu aura sur leur
corps un pouvoir de souffrance mais pas de destruction, puisque leur corps sera
incorruptible.
Plusieurs opinions existent : certains pensent qu’il s’agit
seulement d’un emprisonnement matériel, s’appuyant sur la parole du Seigneur
qui dit[1969] : « Après lui avoir lié les
mains et les pieds, jetez le dans les ténèbres extérieures. » Il est
vrai que ce qui est ténébreux n’est pas un feu puisque la nature du feu est
d’éclairer. D’après eux, le feu de l’enfer serait donc cette souffrance
intérieure du corps due à la perversité de l’âme et que nous avons décrit plus
haut. Il leur paraît inutile de poser l’existence d’un feu extérieur surajouté
par Dieu et qui ressemblerait à une prison capable d’isoler les pécheurs des
justes qu’ils ne doivent aucunement venir troubler. Un tel emprisonnement leur
paraît être une peine suffisante pour que justice soit faite. Car l’orgueil des
damnés ne supportera pas d’être ainsi enfermé.
Solutions :
1. Il convient que celui qui a
péché soit puni par où il a péché. La sagesse dit[1970] : « Chacun sera torturé par ce
en quoi il pèche. » Les hommes pèchent par les choses sensibles de
ce monde. Il est donc juste qu’ils soient punis par elles. Ce sera le rôle du
feu matériel. Mais cette justice ne sera pas causée par une volonté de Dieu, si
ce n’est comme cause première puisque c’est lui qui a créé la nature qui fait
des damnés des hommes. Ce feu emprisonnera le corps des damnés en ce sens
qu’ils ne voudront pas en sortir. En cela, il sera une punition contre le péché
d’orgueil car les damnés seront extérieurement contrariés de ne plus pouvoir
aller librement où ils veulent.
2. Dans les pleurs corporels,
nous distinguons deux choses : d’abord l’écoulement des larmes ; et quant à
cela les pleurs corporels ne peuvent se trouver chez les damnés car, après le
jour du jugement, il n’y aura plus de génération, ni de corruption, ni
d’altération corporelle. Dans l’écoulement des larmes, il doit y avoir
sécrétion du liquide qui passe dans les larmes. À ce point de vue, il ne pourra
pas y avoir de pleurs corporels chez les damnés. Mais dans les pleurs
corporels, il y a aussi une certaine commotion et un certain trouble de la tête
et des yeux : Sous cet aspect, les pleurs pourront exister chez les damnés après
la résurrection de la chair : les corps des damnés, en effet, ne sont pas
seulement affligés de l’extérieur mais même de l’intérieur, en tant que le
corps est poussé par la passion de l’âme vers un état bon ou mauvais. À ce
point de vue, les pleurs prouvent la résurrection de la chair.
3. Saint Damascène ne nie pas
absolument que ce feu soit matériel, mais il affirme qu’il ne l’est pas à la
manière d’un feu terrestre, comme un feu de cheminée. Il agit d’une manière
subjective c’est-à-dire en fonction de celui qu’il éprouve. Il semble donc
qu’il s’agit là une fois de plus de cette souffrance physique qui atteint de
l’intérieur le corps par répercussion de la perversité de l’âme. Quant au lieu
où demeureront les damnés, il est inutile de l’imaginer comme le plus laid des
endroits, quoique la présence des mauvais enlaidira ce lieu, comme on le voit
dans les quartiers où s’établissent le vice et la délinquance. Ils rendront
laid ce qu’ils côtoieront.
4. Comme nous l’avons montré,
la plus grande souffrance des damnés ne sera pas due au feu extérieur qui les
emprisonnera mais au feu intérieur de leur âme malheureuse. Ainsi voit-on sur
terre qu’il est plus douloureux d’être plongé dans un total désespoir que de
souffrir d’une douleur physique. Ainsi, le froid dont parle l’objection
signifie la conscience effrayante que les damnés auront de l’éternité de leur
malheur.
5. Le ver qui sera infligé aux
damnés ne doit pas être considéré comme corporel, mais comme spirituel : c’est
la rancoeur de la conscience qui est ainsi appelée, parce qu’il naît de la
pourriture du péché, et fait souffrir l’âme, comme le ver corporel, né de la
pourriture, fait souffrir en mordant. On pourrait dire aussi que la chair est
torturée par le ver spirituel, parce que les souffrances de l’âme rejaillissent
sur le corps, ici-bas et dans l’au-delà.
Objections :
1. Dieu qui est infiniment bon,
se communique à des créatures sans qu’il puisse y avoir de limites. Or, si les
œuvres de Dieu s’arrêtent après le jugement général, le nombre de ceux qui
jouiront de son bonheur sera limité. Il convient donc que Dieu crée à nouveau
d’autres mondes et ceci pour l’éternité, afin que le nombre des élus soit
infini.
2. Un nombre où une partie de
ses membres sont dans le malheur ne saurait durer éternellement semblable à
lui-même. Or, il y aura des anges et des hommes emprisonnés en enfer. Il semble
donc que Dieu les délivrera un jour.
3. De même que les anges après
leur création et leur glorification ont eu une mission auprès d’autres
créatures, de même il convient que les hommes glorifiés puissent exercer une
providence envers d’autres. Donc Dieu créera d’autres mondes.
4. L’univers est immense. Il
est à la taille de Dieu. Il est donc improbable que Dieu ait résumé sa création
aux seuls anges et aux hommes qui ont vécu sur la planète Terre. Il y aura donc
d’autres mondes à conduire à leur fin dernière après le jugement dernier des
hommes.
Cependant :
Saint Pierre écrit[1972] : « La fin de toutes choses est
proche. » De même, la Genèse dit[1973] que « Dieu se repose le
septième jour » ce qui signifie qu’il y a un terme aux œuvres
de Dieu. Donc, après le jugement dernier, le monde sera stabilisé pour
l’éternité.
Conclusion :
Après le jugement dernier, la nature humaine, en son entier
c’est-à-dire à travers tous ses membres, sera fixée dans sa fin. Et comme tous
les êtres corporels sont d’une certaine manière ordonnés à l’homme, c’est la
condition de toute la création corporelle qui sera, à juste titre, transformée
et adaptée à l’état de l’homme d’alors. Parce que les hommes seront alors dans
un état d’incorruptibilité, la création corporelle qui fut leur univers, n’aura
plus lieu d’être maintenue dans l’état de génération et de corruption. C’est ce
que dit l’apôtre dans l’Epître aux Romains[1974] : « La création elle-même sera
libérée de la servitude de la corruption, pour entrer dans la liberté de la
gloire des enfants de Dieu. »
Et parce que la condition de la création corporelle sera mise
finalement en accord avec l’état de l’homme, et que les hommes ne seront pas
seulement libérés de la corruption mais encore revêtus de la gloire, la
création corporelle devra elle aussi avoir part, à sa manière, à cette gloire
lumineuse. Telle est la raison de cette parole de l’Apocalypse[1975] : « Je vis un Ciel nouveau et
une terre nouvelle. » Le monde sera donc rendu participant par sa
stabilité éternelle de l’immuabilité du Dieu qui révéla à Moïse son nom [1976] : « Je suis celui qui est. »
Il reste à savoir maintenant si, par l’expression « monde », ce livre entend l’immensité de l’univers tout entier ou
simplement notre monde à nous. La réponse à cette question dépend de la
suivante : Existe-t-il ailleurs d’autres planètes où se préparent d’autres
créatures faites d’esprit et de corps à la vision béatifique ? Deux hypothèses
sont soutenues, avec des arguments très convaincants de chaque côté.
Certains pensent que l’existence de cette vie extraterrestre est
théologiquement improbable pour plusieurs raisons :
1° à cause de la hiérarchie des
créatures. Dieu a créé le monde de telle manière qu’il existe toute sorte de
créatures : les esprits supérieurs comme les Chérubins, les Séraphins et les Trônes
; les esprits inférieurs comme les archanges et les anges ; les esprits
inférieurs liés à la matière, comme les hommes ; les vivants matériels avec
leurs degrés de perfection comme les animaux et les plantes et les corps
minéraux. Il ne manque donc rien à cette création, dans son ensemble
hiérarchisée et ordonnée au spirituel et à Dieu.
2° À cause de la rédemption
opérée par le Christ pour les hommes. On voit mal comment Dieu pourrait subir
en divers lieux plusieurs passions.
En tout état de cause, s’il existe dans l’univers d’autres
créatures spirituelles, elles seront conduites par Dieu à la vision de son
essence. Et la vie errante loin de Dieu s’achèvera selon cette parole d’Isaïe[1977] : « Car voici que je vais créer des cieux
nouveaux et une terre nouvelle, on ne se souviendra plus du passé, il ne
reviendra plus à l'esprit. »
D’autres pensent l’inverse :
1° L’amour de Dieu est folie
puisqu’il a inventé l’Incarnation et la croix. Il ne saurait être réduit à la
béatitude des anges, des esprits liés à un psychisme et des hommes.
2° L’univers est immense. Le
nombre des galaxies et des planètes incalculable. Une telle profusion ne
saurait être réduite à n’être qu’un parc de loisir pour l’éternité des élus.
Il est impossible de trancher entre ces deux opinions parce qu’il
n’a pas été donné à l’homme par Dieu de le faire : « Dieu est le plus mystérieux. »
Solutions :
1. Pour ce qui concerne le
nombre des anges et des hommes, on doit dire ceci : les œuvres de Dieu ont un
ordre, une mesure et un poids. Or pour qu’il y ait un ordre, il faut une limite
car une foule infinie ne peut être ordonnée. C’est pourquoi l’Apocalypse parle
d’un nombre de 144000 élus, ce qui symbolise que la création des hommes et des
anges sera limitée en nombre. Quant à l’infini de l’amour de Dieu, il est
suffisamment communiqué aux créatures par la vision béatifique.
2. Les damnés se sont séparés
de Dieu librement et ont préféré subir les peines de l’enfer dont ils avaient
reçu la révélation plutôt que de convertir leur cœur. Ils ne seront jamais
délivrés car ils ne voudront jamais se séparer du péché.
3. Les anges ont exercé leur
providence sur les hommes en les protégeant et en les induisant à bien agir ;
de même les hommes ont pu faire en éduquant d’autres hommes, grâce à leur
paternité et à leur maternité physique ou spirituelle. Après le jugement
général, le temps de la recherche de Dieu sera terminé pour toutes les
créatures spirituelles. Le temps de la possession de sa fin sera arrivé.
Cependant, rien n’empêche que Dieu donne une nouvelle paternité et maternité
aux habitants du Ciel et prolonge son œuvre de création.
4. L’Écriture ne nous donne
aucun élément capable de résoudre l’hypothèse de l’existence de mondes
extraterrestres sur d’autres planètes de l’univers. De même, la foi catholique
laisse chacun libre de croire ce qu’il veut sur ce sujet. Nous l’avons montré,
les arguments dans les deux sens se tiennent. Pour ma part, je penche plutôt
pour l’hypothèse d’autres mondes habités car l’amour de Dieu qui amena son
Verbe à la passion, ne peut être contraint dans aucune limite. Les modes et les
chemins qu’il peut imaginer pour conduire à la Vision béatifique peuvent être
infinis.
Et l’argument le plus grand vers cette thèse, tient dans la
considération de l’Alpha de la création, la Trinité. La mesure de sa création
passée fut son amour qui se diffuse. Si l’homme relit cette phrase
de l’Evangile : « Mon Père et moi sommes toujours à l'œuvre », s’il centre son regard sur la Trinité, il
voit autrement les choses. Il est certain que ces merveilles que sont la
création des anges, la rédemption de l'humanité et de ses milliards d'êtres, le
Christ Verbe fait chair, et la Vierge immaculée, n’épuisent pas l'immense potentialité de manifestation
et de diffusion de l'amour et donc de création de la Trinité, qui vit et règne
pour les siècles des siècles. Amen.
Voici,
Je vais créer des cieux
nouveaux et une terre nouvelle
Et on ne se souviendra plus
du passé qui ne montera plus au cœur :
Qu’on soit dans la
jubilation et qu’on se réjouisse pour l’éternité!
Amen
* *
*
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IX, 4, p. 34-36 ; IX, 5, p. 7, 41, 44-45 ; X, 1, p. 27, 50-51 ; X, 3, p.
99-100 ; X, 4, p. 56 ; X, 5°6, p.
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1, p. 405) ; Walter Kasper, « L’espérance
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est ressuscité" (VII, 1°. B. Articles : Paul Toinet, « Résurrection et immortalité de
l’âme » (I, 2, p. 22-23) ; Gustave Martelet, « La certitude de la foi devant l’improbabilité de la résurrection »
(V, 6 p. 42-49) ; Jean-Yves Lacoste, «
L’altération : une autre histoire » (VII, 4, p. 83-95). C.
Passages : I 1 p. 36, 38, 65-I, 2, p. 93, I, 8, p. 7, II, 1, p. 4, 68 ; II, 2,
p. 90 ; II, 6 p. 15-19, 26-27 ; III, 4, p. 3 • III, 5, p. 89-90 ; III 6 p.
38-39 ; IV, 3, p. 6 ; IV, 5, p. 19-21, 64-65, IV, 6 p. 22-23, 71-72 ; V, 4, p.
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2°3, 82 ; IX, 1, p. 16-17, 34-36, 42-43, 61-62, IX, 5, p. 59 ; X, 1, p. 78 ; X,
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Adam et Ève :
Alliance :
Âme :
Amour naturel :
antéchrist :
Apocalypse :
Apostasie :
Apparition :
Baptême :
Béatitude :
Blasphème contre l’Esprit :
Charité :
Communion des saints :
Conversion :
Corps astral - corps psychique :
Corps glorieux :
Corps :
Création :
Critique des systèmes théologiques :
Damnés :
Démon :
Démonstration théologique :
Dualisme :
Église :
Égoïsme-Orgueil :
Enfants (salut des) :
Enfer :
Espérance :
Éternité :
Eucharistie, sacrements :
Faiblesse :
Feu :
Fin du monde :
Foi :
Foyer du péché :
Grâce :
Humilité (kénose) :
Ignorance :
Incarnation :
Infaillibilité :
Intelligence, connaissance :
Islam :
Judaïsme :
Jugement individuel :
Justification :
Liberté :
Limbes :
Lumière de gloire :
Mariage, Noces :
Mérite :
Mort :
Nature (actes naturels) :
Near Death Expérience :
Obéissance :
Obstination :
Papauté :
parousie :
Péché mortel :
Péché originel :
Péché véniel :
Prédication de l’Évangile :
Présomption :
purgatoire :
Rédemption :
Résurrection :
Révélation (origine) :
Révélation du salut avant la venue du
Christ :
Satan : (voir démon).
Shéol :
Signes de la fin :
Souffrance :
Temps intermédiaire :
Trinité :
Vie terrestre (utilité) :
vierge Marie :
Vision béatifique :
Volonté :
Le mystère suprême de notre vie terrestre,
c’est celui de la souffrance et de la mort. Le christianisme est, avec
l’hindouisme et le bouddhisme, une des religions qui donnent une explication
théologique à la souffrance : « la vie terrestre est marquée par la croix en
vue de préparer, comme à travers un feu, le cœur de l’homme à l’entrée dans la
vision de Dieu. Nul ne peut s’unir à Dieu sans devenir semblable à Lui dans
l’humilité (kénose) et l’amour. Dieu conduit chaque homme à toucher ses limites
dès cette vie. Son but est, in fine, l’amour. La vie terrestre est une étape
préparatoire. »
Mais cette explication s’est trouvée
confrontée à une contradiction interne, celle de deux dogmes que l’Église a
solennellement confirmés :
- « Nul ne peut voir Dieu s’il ne l’aime pas
explicitement d’un amour de charité. Par charité, on n’entend pas un amour
implicite. Elle est une amitié réciproque. Elle présuppose la foi qui est une
connaissance et une confiance en la parole de Dieu. »
- « Après la mort, il n’est plus
temps d’aimer mais de recevoir ce qui est du à l’amour. Celui qui, après la
mort, n’aime pas Dieu de charité est conduit dans l’enfer éternel. » Appuyé sur cela et sur la constatation
que peu d’hommes aiment Dieu de cet amour-là, les anciens (saint Augustin,
saint Thomas d’Aquin), ne pouvaient que conclure à la damnation des masses
humaines, des pécheurs, des infidèles et même des enfants morts sans baptême.
Un troisième dogme vint mettre à mal
une partie de leurs positions, en particulier pour les infidèles et les enfants
: « Dieu qui veut le salut de tous, propose à tous son salut. » Nul
ne peut donc être damné parce qu’il ne savait pas qu’il y avait ce salut.
C’est ainsi que des théologiens
modernes purent donner une nouvelle explication du salut des hommes de bonne volonté.
Malheureusement, toutes les théories trouvées jusqu’ici mettent à mal l’une ou
l’autre des vérités dogmatiques. Ladislas Boros parle d’un salut « après la mort » ; Le cardinal Journet parle d’une charité implicite
qui permet aux païens d’être sauvés bien qu’ils n’aient pas la foi.
Or, il est important en théologie
catholique de garder chacune des pierres données par Dieu à travers Pierre (le
Magistère de l’Eglise). C’est de leur confrontation, malgré l’apparente
contradiction, que sort toujours la vérité. Nous pensons que c’est possible.
Tel est le but de cette thèse.
Nous pensons que Dieu propose à Dieu
son salut, que ce salut est bien lié à une charité qui n’a rien d’implicite,
que cela se passe en cette vie. Nous essayons d’établir que tout cela se passe,
pour ceux qui n’ont pas pu aimer ici-bas, à la « 11ème
heure » de la vie, c’est-à-dire à l’heure de la mort. Le Christ vient se
montrer dans sa gloire, accompagné des saints et des anges. Il est possible
alors de le rejeter et de mourir sans la charité. Mais il n’y a pas d’autre
manière que cette liberté préparée par la vie terrestre pour se perdre en
enfer!
Nous pensons que cette explication
rend simple les questions les plus difficiles de la théologie, comme celle de
la vie terrestre et de son utilité, celle du silence de Dieu qui laisse chacun
mourir et le monde sombrer dans l’apostasie. Nous pensons pouvoir expliquer
cette parole de Jésus quand il prophétise ces catastrophes : « Quand
vous verrez tout cela, redressez-vous et relevez la tête parce
que votre Rédemption est proche. »
[1]
1 Corinthiens 15, 32 ;
[2]
Le mot vient du Livre de la Sagesse, 2 ;
[3]
DELOOZ P. Qui croit à l’au-delà ?, in
mort et présence, Bruxelles, 1971,
17-38, 38.
[4]
POHIER J. M. Un cas de foi
post-freudienne, en Concilium,
105, 1975, 115-130, 128.
[5]
Romains 10, 15 ;
[6] Lettre 164 à Evodius, n° 8, in Œuvres complètes de Saint Augustin, t. v, Paris, 1870, p.438.
[7] “Puisque le Christ est
mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à
savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu seul connaît, la
possibilité d'être associé au mystère pascal” (GS n° 22,5 / trad. officielle).
“Dieu,
selon des voies connues de lui, peut
conduire à la foi sans laquelle on ne peut être agréable à Dieu, des hommes
qui, sans faute de leur part, ne connaissent pas l'Evangile” (AM = Ad
Gentes, n°7 / trad. officielle).
[8]
SANDRO Vitalini Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg, 1980, p. 6 ;
[9]
Mathieu 5, 47 ;
[10]
Luc 7, 9 ;
[11]
Jean 3, 5 ;
[12]
Théologies de type catholiques et orthodoxes.
[13]
Théologies marquées par la Réforme de Luther.
[14]
Théologies de type libéral.
[15]
Voir Prolégomènes ;
[16]
Métaphysique 1 ;
[17]
Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà,
Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 6 ;
[18] Somme de théologie, Saint Thomas
d’Aquin, Somme théologique, IIIa
pars, la purification de Marie ;
[19]
Ce sera l’objet de notre troisième partie.
[20]
Ce que j’ai dit auparavant sur ma méthode théologique me caractérise assez bien
aux yeux du lecteur. Je ne peux être taxé de relativisme vis-à-vis de
l’Écriture Sainte, des écrits des saints ou du Magistère. Or ils n’ont pris
dans leur ensemble un sens harmonieux pour ma foi qu’à la lumière de cette
conclusion. Ils ont perdu tout aspect scandaleux, surtout en ce qui concerne
les vérités « noires » comme l’enfer et la souffrance. A mes yeux, cette
harmonie est le critère le plus important de la probable vérité de la parousie
de l’heure de la mort. De plus, certains aspects théologiques nouveaux
s’ouvrent, fondés sur cette parousie. N’a-t-on pas ici le signe de la
probabilité la plus grande du vrai en théologie ? « Tout ce qui vient de Dieu est, dit saint Paul, paix, joie dans le Saint Esprit. » Romains 14, 17 ;
[21] Pour consulter les références des textes dogmatiques, voir la
première partie.
[22] BOROS Ladislas Mysterium Mortis, der Mensch in der letzen Entscheidung,
Olten-Fribourg, 1971, 9 ème édition.
[23]
Avec Mgr Glorieux, Ladislas BOROS est particulièrement intéressant car il
développe une thèse sur le choix à l’heure de la mort très proche de la nôtre à
cette nuance près qu’il situe cet événement après
la séparation de l’âme et du corps. Mais l’homme est-il encore homme quand
il agit comme une âme séparée ?
[24] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia Question 1,
article 4, ad primum ;
[25]
Nous entendrons par expérience mystique tout au long de ce travail la rencontre
personnelle avec la vie de la grâce ou de la gloire.
[26]
Des prolégomènes ne constituent pas le cœur d’une oeuvre écrite mais une
préparation du lecteur en vue d’aiguiser son intérêt.
[27] Profession de foi d’un vicaire savoyard,
Jean-Jacques ROUSSEAU, La pléiade, 1985, p. 207 ;
[28]
Voir l’étude plus approfondie de la notion de charité en 1-1 ;
[29]
La foi est différente de la charité, 2-1 ;
[30]
Pour la théologie du Concile de Trente, la liberté humaine est seulement
blessée. Ayant reçu la grâce de la foi, l’homme est rendu capable par Dieu de
se tourner vers lui librement, de l’aimer activement dans une réciprocité que
Dieu lui reconnaît comme mérite.
[31]
Hébreux 11, 6 ;
[32]
Certes l’attitude d’un enfant confiant vis-à-vis de son père est un amour. Mais
est-ce une amitié si cet enfant s’estime incapable de toute réponse autre
qu’une confiance totale et passive. Ainsi, en théorie, Luther nie la
possibilité de la charité agissante (les œuvres). En pratique, les réformés
fervents osent aimer Dieu dans une relation d’amitié.
[33]
Jean 15, 15 ;
[34]
…Statut que la foi musulmane revendique. Les musulmans mettent aussi leur
confiance en Dieu mais ils rejettent, à cause de leur très grand sens de sa
transcendance, la possibilité d’être « enfants de Dieu. »
[35]
Luther, Commentaire de l’épître aux Romains 1, 17 ;
[36]
Concile de Trente, sixième session ;
[37]
La bonne volonté, 3-1 ;
[38] Mathieu
5, 47 ;
[39]
Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae, la grâce ; Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, foi, charité ;
[40]
Dans le cadre de ces prolégomènes, nous aurions pu choisir de présenter les
théologies du salut d’une autre manière que par cette classification. Nous
aurions pu par exemple présenter selon un ordre chronologique saint Augustin,
saint Thomas d’Aquin, Luther, Calvin, Glorieux, Boros, Balthasar, Ratzinger et
d’autres. Cependant, l’exposé en eût été d’autant alourdi et la suite de notre
recherche eût été rendue moins claire. Aristote disait que le propre du sage
est d’ordonner. Nous avons choisi délibérément cet ordre là qui, s’il n’est pas
historique, est conforme au contenu doctrinal des luttes historiques des tenants
de la grâce et de la nature, la foi ayant été successivement attribuée à la
grâce et à la nature selon qu’elle était vive ou morte.
[41]
SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme théologique,
Revue des jeunes, traduction ;
[42] Balthasar H. U. L’amour seul est digne de foi,
Paris, Aubier, 1966.
JOURNET
C. Entretiens sur la grâce, Saint
Augustin-Saint Maurice, 1985, 10-35.
Père
MARIE-EUGENE DE L’ENFANT-JESUS Je veux
Voir Dieu, Carmel, 1957.
[43]
Voir bibliographie générale ;
[44]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae, Question 109, article 1 ;
[45]
Références multiples ;
[46]
Donc s’il est en « état de grâce » ;
[47]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 27.
[48]
Dès que cette amitié se trouve parfaitement purifiée, ajoutera le dogme
catholique, c’est-à-dire séparée des reste d’égoïsme et d’orgueil qui la
motive.
[49]
1 Jean 3, 2
[50]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 23, article 1.
[51]
Jean 3, 3 ;
[52]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 77, article 8 ; Question 70 bis, article 2 ;
[53]
BENOIT XII Constitution apostolique «
Benedictus Deus », 29 janvier 1336, Dumeige 511.
[54]
Il s’agit donc d’une notion qui n’est pas morale mais plus profonde,
religieuse, spécifiquement juive et chrétienne. Elle est liée à la notion même
du plan mystérieux de Dieu dans son œuvre de salut, à l’histoire du péché
originel auquel les descendants d’Adam furent liés sans volonté de leur part.
[55]
Le Concile Vatican II, pour éviter les confusions de sens dans une chrétienté
moins bien formée, a redéfini le péché mortel. Il l’a identifié au seul péché
contre l’Esprit Saint (péché parfaitement libre, conscient et volontaire), afin
de montrer que la damnation éternelle ne frappe que ceux qui le veulent.
[56]
Nous montrerons dans le traité des fins dernières », que ce feu n’est pas
l’enfer éternel. Le blasphème contre l’Esprit Saint n’est pas l’attitude d’âme
de ce riche. Or seul un tel rejet conscient de Dieu est passible de la
damnation éternelle.
[57]
GLORIEUX P. In hora mortis, en Mélanges de sciences religieuses, Lille,
1946, 10 ; Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 77, article 8 ; Question 70 bis, article 2.
[58]
GLORIEUX P. In hora mortis, en Mélanges de sciences religieuses, Lille,
1946, 185-216.
[59]
Romains 9, 18.
[60]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 76, 77, 78.
[61]
SAINT THOMAS D’AQUIN, De Veritate,
14, 11, article 1.
[62]
JOURNET C. Entretiens sur la grâce,
Op. cit. 150-153.
[63]
Hébreux 11, 6 ;
[64] Op. cit. 159-160.
[65]
Mathieu 25,34
[66]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae, Question 102
[67]
GLORIEUX p. In hora Mortis, Op. cit. 187.
[68]
On peut se référer, en annexe 3, au texte complet de sa recherche. Il
s’intitule : Endurcissement final et
grâces dernières. Il est tiré de la Nouvelle Revue Théologique, 1932, Tome
59, n°10, p. 865 et ss.
[69] Ibidem p. 866 ;
[70] Ibidem p. 871 ;
[71] Ibidem p. 871 ;
[72] Op. cit. 199.
[73] BOROS Ladislas Mysterium Mortis, Op. cit. 203.
[74] Le
texte complet de cette recherche de Boros est rapporté dans l’annexe 3. Il est
tiré de son ouvrage intitulé : A nous
l’avenir, méditations sur l’espérance.[74]
[75]
Actes 23, 6 ;
[76]
Mathieu 25, 31 ss ;
[77]
RATZINGER J. La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, 215.
[78]
Op. cit. 215.
[79]
Voir la Confession d’Augsbourg, en annexe 2 ;
[80] Cf. Jean 2, 19 ;
[81] Hébreux 11, 1 ;
[82] AUGUSTIN, Tract. In Éphésiens Joh. ad
Parth. 10, 2 (dans MIGNE, Patrol. lat. 34, 2055)
[83] Somme théologique, IIa IIae Question 2,
article 2
[84]
Hébreux 11, 6 ;
[85]
Jacques 2, 19 ;
[86]
Genèse 15, 6 ;
[87] Somme théologique, IIa IIae Question 4,
article 4 ;
[88]
Jacques 2, 20 ;
[89]
Galates 5, 22 ;
[90]
1 Corinthiens 12, 8 ;
[91]
Romains 1, 17 ;
[92]
C’est d’ailleurs dans l’explication des conséquences du péché originel que tout
cela trouve son explication ultime. Pour Luther, à la suite du péché originel, la
liberté humaine a été totalement détruite au point que l’homme est
incapable à jamais de poser un seul acte bon pour son salut. Il ne le peut ni à
titre de disposition (les actes humains bons ne valent rien, ils ne disposent
en rien au salut), ni avec l’aide de la grâce de Dieu. L’homme a été réduit à
l’état d’un enfant et sa seule participation au salut consiste à se laisser
emmener au ciel en abandonnant le poids mort de son âme, avec confiance, dans
les mains de Dieu qui le prend. Pour les catholiques et les orthodoxes, la
liberté est seulement blessée. Certes, la grâce est première. C’est Dieu qui
vient en premier chercher l’homme. Mais, en lui communiquant sa grâce, Dieu
remet l’homme debout. Il lui demande de répondre activement par un acte de charité
en retour.
[93]
Romains 1, 17 ;
[94]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae, q. 114, 1 ;
[95]
Voir Jacques 2, 19 ;
[96]
Jean 15, 5 ;
[97]
LUTHER Commentaire de l’épitre aux
Galates 3, 6 ème
édition de Weimar, XL, 358-372.
[98]
CALVIN Institutions chrétiennes,
édition Budé, 3, 57, 62, 73. CALVIN Traité
des scandales, édition Budé, 212 s Question
[99]
CONCILE VATICAN II, décret sur les religions non chrétiennes.
[100]
Lettre à Démétriade 6 ;
[101] Philémon 2, 13 ;
[102] L’orthodoxie seule semble bien
résister. Le fort courant libéral qu’elle constate dans le catholicisme est
sans doute pour elle le plus grand obstacle à l’unité, la question du pape
étant mise au second plan devant la constatation de sa force de fidélité à la
foi commune aux deux Eglises.
[103] Saint Thomas More par exemple.
[104] VANDEVELDE G. Op. cit. 120.
[105] Op. cit. 120-121.
[106] Mathieu 25, 31-45.
[107]
Mathieu 25, 37 et ss. ;
[108] Mathieu 5, 47 ;
[109]Saint
Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, Question 1, 1 ;
[110]
Sic, jeudi 16 novembre 1995 ;
[111]
jeudi 25 janvier 1996 ;
[112]
Voir TOINET p. Le problème de la vérité
dogmatique, Orthodoxie et hétérodoxie, Paris, Téqui, 1975.
[113]
Elle est même devenue depuis 1998 canonique : Voir le document « Ad Tuendam
Fidem » du 30 juin 1998. Mais cette mise dans le droit canon n’est qu’une
conséquence de Vatican II.
[114]
Voir le traité de « L’analogie de la foi chez saint Thomas d’Aquin, Somme e
théologie, Ia pars.
[115]
Jean 14, 16 ;
[116]
Jean 4, 22 ;
[117]
I Pierre 1, 9 ;
[118]
CONCILE VATICAN 2, Lumen Gentium, 21-25.
[119]
TOINET p. Le problème de la vérité dogmatique,
Orthodoxie et hétérodoxie, Paris, Téqui, 1975.
[120] Cf. Luc 22, 32 ;
[121] Lumen Gentium. 25 ;
[122] BENOIT XII Op. cit. Dumeige 961.
[123] 24 novembre 1995 ;
[124]
Remarque : Lorsque la vérité révélée est par ailleurs objet de la science philosophique,
des problèmes d’harmonisation ne doivent théoriquement
jamais se poser car il ne saurait y avoir contradiction dans la vérité, toute
la réalité (qu’elle soit objet de foi ou d’expérience) étant créée par le même
Dieu. S’il existe parfois des contradictions (l’affaire Galilée par exemple),
la faute en est à l’homme qui connaît parfois mal la révélation ou fait
d’autres fois une mauvaise philosophie. Cette remarque nous sera utile lorsque
nous serons amenés à confronter deux faits apparemment contradictoires,
l’assentiment de foi dans le fait que
Dieu propose son salut sur la terre à tous les hommes et la constatation expérimentale, apparente, de l’inverse.
[125]
Jean-Paul II, Discours à la Congrégation de la Doctrine de la foi, 24 nov. 1995
;
[126] Lettre sur quelques questions concernant
l’eschatologie, Congrégation de la doctrine de la foi, 17 mai 1979 ;
[127] Voir numéros I-2-1 à I-2-5.
[128]
Saint Jean, 17, 3 ;
[129]
CONCILE DE TRENTE sixième session, 13 janvier 1347, décret sur la justification, chapitres 4-7,
[130] Dumeige
p. 347-349 ; Texte complet : Ch. 1 :
Impuissance de la nature et de la Loi pour justifier les hommes
En premier lieu, le
saint concile déclare que, pour avoir de la doctrine de la justification une
intelligence exacte et authentique, il faut que chacun reconnaisse et confesse
que, tous les hommes ayant perdu l’innocence dans la prévarication d’Adam [Ro
5,12 ; 1 Co 15, 22] [PC 271], « devenus impurs » [Is. 64, 6] et, comme dit
l’Apôtre, « enfants de colère par nature » [Ep 2, 3], selon l’exposé du décret
sur le péché originel, ils étaient à ce point « esclaves du péché » [Ro 6, 20],
assujettis au diable et à la mort, que non seulement les païens par les forces
de la nature [FC 583], mais encore les juifs eux-mêmes par la lettre de la Loi
mosaïque ne pouvaient se libérer ou se relever de cet état, bien que le libre
arbitre ne fût nullement éteint en eux [PC 587] mais seulement affaibli et
dévié en sa force.
Ainsi arriva-t-il que
le Père céleste, le Père des miséricordes et Dieu de toute consolation » [2 Co
1, 3], après l’avoir annoncé et promis, avant la Loi et du temps de la Loi, à
beaucoup de saints Pères [Gn. 49, 10. 18], envoya aux hommes, quand vint la
bienheureuse « plénitude des temps » [Ep 1, 10 Ca 4,4], le Christ Jésus, son
Fils, pour racheter les Juifs sujets de la Loi, pour « faire aussi atteindre la
justice aux païens qui ne la cherchaient pas » [Ro 9, 30] et pour que tous «
reçussent la qualité de fils adoptifs » [Ga 4, 5]. C’est lui que « Dieu a
établi victime propitiatoire en son sang, moyennant la foi, pour nos péchés »
[Ro 3, 25], « non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier »
(I Jn 2, 2].
Ch. 3 Ceux qui sont
justifiés par le Christ
Mais, bien que lui
« soit mort pour tous » [2 Co 5, 15] tous cependant n’éprouvent pas le bienfait
de sa mort mais ceux-là seulement auxquels le mérite de sa Passion est
communiqué. Car de même que les hommes ne naîtraient pas dans l’injustice s’ils
ne naissaient de la descendance corporelle d’Adam, descendance qui leur fait
contracter, par lui, lorsqu’ils sont conçus, l’injustice personnelle, de môme
ils ne seraient jamais justifiés s’ils ne naissaient pas dans le Christ d’une
naissance nouvelle [FC 584, 592] où leur est accordée, par le mérite de sa
Passion, la grâce qui les fait justes. Pour ce bienfait l’Apôtre nous exhorte à
« rendre grâces continuellement au Père qui nous a rendus dignes d’avoir part à
l’héritage des saints dans la lumière » [Col 1, 12] et « qui nous a arrachés à
la puissance des ténèbres et transférés dans le royaume de son Fils bien-aimé,
et « qui nous avons la rédemption et la rémission des péchés » [Col 1, 13-14].
Ch. 4 Esquisse d’une description de la
justification de l’impie. Son mode dans l’état de grâce
Ces mots esquissent une description de la justification de l’impie, comme
un transfert de l’état dans lequel l’homme naît fils du premier Adam, à l’état
de grâce et « d’adoption des fils>) de Dieu [Ro 8,15], par le second Adam, Jésus-Christ
notre Sauveur. Ce transfert, depuis la promulgation de l’Évangile, ne peut
s’accomplir sans le bain de la régénération ni sans le désir de le recevoir,
suivant ce qui est écrit « Nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne
renaît de l’eau et de l’Esprit Saint » [Jn 3, 5].
Le
concile déclare en outre que le commencement de la justification chez les
adultes doit être cherché dans la grâce prévenante de Dieu par Jésus Christ [FC
585], c’est-à-dire par un appel de lui, qui leur est adressé sans aucun mérite
préalable en eux. De la sorte, ceux que leurs péchés avaient détournés de Dieu
se disposent, poussés et aidés par sa grâce, à se tourner vers leur justification,
en acquiesçant et en coopérant librement à cette grâce [FC 586-587]. Ainsi Dieu
touche le cœur de l’homme par l’illumination du Saint Esprit, mais l’homme
lui-même n’est nullement inactif en recevant cette inspiration, qu’il pourrait
tout aussi bien rejeter, et cependant, sans la grâce divine, il demeure
incapable de se porter par sa libre volonté vers cet état de justice devant
Dieu [FC 585]. C’est pourquoi, quand il est dit dans la sainte Écriture : « Tournez-vous
vers moi et, moi, je me tournerai vers vous » [Za 1, 3], notre liberté nous
est rappelée ; quand nous répondons : « Tournez-nous vers vous, Seigneur, et
nous nous convertirons » [Lm 5,21], nous confessons que la grâce de Dieu
nous prévient.
Les hommes sont disposés
à la justice elle-même [FC 589, 591]
quand, poussés et aidés par la grâce divine, la foi « qu’ils entendent prêcher
» se formant en eux (Ro 10, 17], ils se tournent librement vers Dieu, croyant à
la vérité de la révélation et des promesses divines [FC 594-596], à celle-ci
notamment, que Dieu justifie l’impie par sa grâce, « au moyen de la rédemption
qui est dans le Christ Jésus » [Ro 3, 24] ; quand, comprenant qu’ils sont
pécheurs, en passant de la crainte de la justice divine, qui les ébranle salutairement
[FC 590], à la considération de la miséricorde de Dieu, ils s’élèvent à
l’espérance, confiants que Dieu, à cause du Christ, leur sera favorable, quand
ils commencent à l’aimer comme la source de toute justice et, pour cette
raison, se retournent contre leurs péchés dans une sorte de haine et de
détestation [PC 591], c’est-à-dire par cette pénitence que l’on doit faire
avant le baptême [Ac 2,38] ; quand, enfin, ils se proposent de recevoir le
baptême, de commencer une vie nouvelle et d’observer les commandements divins.
De cette préparation il est écrit : « Celui qui approche de Dieu doit croire
qu’il est et qu’il récompense ceux qui le cherchent » [He 1l, 6), et : « Aie
confiance, mon fils, tes péchés te sont remis » [Mt 9,2 ; Mc 2, 5] et : « La crainte du Seigneur chasse les péchés
» [Si 1, 27], et « Faits pénitence et que chacun de vous soit baptisé au
nom de Jésus-Christ, pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez le don
de l’Esprit Saint » [Ac 2, 38], et : « Allez donc, enseignez toutes les
nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur
apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé » [Mt 28, 19 sv], et : «
Préparez vos cœurs pour le Seigneur » [1 Sm 7, 3].
Cette disposition
ou préparation est suivie de la justification elle-même qui n’est pas simple
rémission des péchés [FC 5931, mais aussi sanctification et rénovation de
l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons. Par là,
l’homme d’injuste devient juste, d’ennemi ami, pour être « héritier, en
espérance, de la vie éternelle » [Tt 3,7]. De cette justification, voici les
causes : cause finale, la gloire de Dieu et du Christ, et la vie éternelle ;
cause efficiente, Dieu, qui, dans sa miséricorde, purifie et sanctifie
gratuitement [I Co 6, Il] par le sceau et l’onction de l’Esprit Saint promis,
qui est le gage de notre héritage [cf. Ep 1, 13 sv.] cause méritoire, le Fils
unique bien-aimé de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ, qui, « alors que nous
étions ennemis » [Ro 5, 10], à cause de l’extrême amour dont il nous a aimés
[Ep 2,4], a mérité notre justification [FC 592] par sa très sainte Passion sur
le bois de la Croix et a satisfait pour nous à Dieu son Père cause
instrumentale, le sacrement de baptême, le « sacrement de la foi »‘, sans
laquelle il n’est jamais arrivé à personne d’être justifié. Enfin, l’unique
cause formelle est la justice de Dieu, « non celle par laquelle il est juste
lui-même, mais celle par laquelle il nous fait justes [FC 592-593], celle reçue
de lui en don qui nous renouvelle au plus intime de l’âme, par qui non
seulement nous sommes réputés justes, mais vraiment justes et nommés tels,
recevant en nous la justice, dans la mesure où « l’Esprit Saint distribue à
chacun à son gré » [I Co 12,11] et selon la disposition et la coopération
personnelles de chacun. En effet, bien que personne ne puisse être juste que
par la communication des mérites de la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ,
cette communication s’accomplit dans la justification de l’impie, quand, par le
mérite de cette Passion très sainte, la charité de Dieu est répandue par le
Saint Esprit dans les cœurs de ceux qui sont justifiés [cf. Ro 5, 5] et y
demeure inhérente [PC 593]. Aussi, dans la justification même, avec la
rémission des péchés l’homme reçoit-il à la fois, par Jésus-Christ en qui il
est inséré, tous ces dons infus : la foi, l’espérance et la charité. Car si
l’espérance et la charité ne se joignent pas à la foi, la foi n’unit pas
parfaitement au Christ et ne rend pas membre vivant de son corps.
C’est la raison pour laquelle il est dit en toute vérité que «
la foi sans les oeuvres est morte » [Jc 2, 17 sv.] et inutile [FC 601], et «
Dans le Christ Jésus ni la circoncision ni l’incirconcision n’ont de valeur,
mais la foi qui opère par la charité » [cf 5, 6 ; 6, 15]. C’est elle que, selon
la tradition - des Apôtres, les catéchumènes demandent à l’Église avant le
sacrement du baptême, quand ils demandent « la foi qui procure la vie éternelle
» que, sans l’espérance et la charité, la foi ne saurait procurer. Aussi entendent-ils
immédiatement la parole du Christ : « Si tu veux entrer dans la vie, observe
les commandements » [Mt 19, 17] [FC 600-602] C’est pourquoi, en recevant la
justice chrétienne véritable, cette première robe [cf. Le 15, 22] qui leur est
donnée par Jésus-Christ à la place de oeil qu’Adam perdit, pour lui et pour
nous, par sa désobéissance, ils se voient ordonner, dès leur renaissance, de la
conserver blanche et sans tache pour l’apporter devant le tribunal de notre
Seigneur Jésus-Christ et avoir la vie éternelle.
Quand donc l’Apôtre
dit que l’homme est justifié « par la foi » [FC 59] et « gratuitement » [Ro 3,
22.24], ces mots sont à prendre dans le sens que l’Église catholique a toujours
et unanimement tenu et exprimé, à savoir que nous sommes dits justifiés par la
foi parce que « la foi est le commencement du salut de l’homme »‘, le fondement
et la racine de toute justification, « sans laquelle il est impossible de
plaire à Dieu » [He 1l, 6] et de parvenir à partager le sort de ses enfants
nous sommes dits justifiés gratuitement parce que rien de ce qui précède la
justification, foi ou oeuvres, ne mérite cette grâce de la justification. «
Car, si c’est une grâce, elle ne
vient pas des oeuvres ; autrement (comme le dit le même Apôtre) la grâce ne
serait plus la grâce » [Ro 11, 6].
[131]
Jean 3, 5 ;
[132]
CONCILE D’ORANGE 3 juillet 529, canon 4, Dumeige 340.
Dumeige
347-349.
[133]
Romains 10, 14-15 ;
[134]
Romains 3, 24 ;
[135]
Jean 15, 15.
[136]
Jean 3.
[137]
CONCILE VATICAN II Les religions non
chrétiennes.
[138]
Cf. Romains 5, 5 ;
[139]
Jacques 2, 17 ;
[140]
Galates 5, 6 ; 6, 15 ;
[141]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 23, 1.
[142]
Ce qui est une valeur réelle. Le juste est disposé au salut. Il l’acceptera
sûrement lorsqu’il lui sera proposé.
[143]
Traité des fins dernières, Question 7 ;
[144]
Concile de trente, sixième session, Canons sur la justification, n° 1 ;
[145]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 110, article 1.
[146]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 110, article 1.
[147]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 110, article 2.
[148]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 114.
[149]
DUMOUCH A. Traité des fins dernières,
édition auteur, 1991, Le feu de l’enfer, Question 12, 1.
[150]
Concile de Trente, sixième session sur la justification, canon 12 ;
[151]
CONCILE DE TRENTE, sixième session, chap. 8, Dumeige 349.
[152] Romains 3, 22, 24 ;
[153] Hébreux 11, 6 ;
[154]
Mathieu 8, 10 ;
[155]
Luc 7, 28 ;
[156]
HUGUET M. T. Israël et son destin, en
Nova et Vetera, 1985/2, 109.
[157] Galates 4, 4 ;
[158] Luc 23, 42 ;
[159] Dumeige p. 343 ;
[160] 1 Timothée 2, 1 ;
[161] Dumeige p. 343 ;
[162] Galates 5, 6 ;
[163]
Luc 3, 1 ;
[164] Romains
14, 11 ;
[165]
1 Timothée 2, 3-4 ;
[166]
CONCILE DE TRENTE, Op. cit. Dumeige 358.
[167]
CONCILE DU QUIERZY Erreur !
Signet non défini.853, Dumeige 358.
[168] 1 Timothée 2, 4 ;
[169]
Concile de Trente, Dumeige p. 358 ;
[170]
SAINT THOMAS D’AQUIN, De Veritate, 14,
11, 1.
[171]
Mathieu 12, 32 ;
[172]
INNOCENT IV Lettre à l’évêque de Tusculum,
6 mars 1254, Dumeige 513.
[173]
Mathieu 12, 31 ;
[174]
1 Corinthiens 3, 13-15 ;
[175]
Constitution Benedictus Deus du 29
janvier 1336 ; Dumeige p. 510.
[176]
BENOIT XII Constitution apostolique « Benedictus Deus », Op. cit. Dumeige 510.
[177] BOROS L. Mysterium Mortis. Der Mensch in der letzen Enscheidung, 9 Aufl.
Olten-Freiburg 1962, 19/1.
[178] GLORIEUX P. Mysterium Mortis, Ibidem 9.
[179] Balthasar H. U. Theodramatick 4, 268-270.
[180]Voir
notre thèse, II. 2. 1. ;
[181] 53- OTT L. Grundriss der Katholischen Dogmatik, Freiburg, Herder, 1981 : « les
âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel vont en enfer » De fide.
[182]
Voir Romains 10, 15 ;
[183]
Mathieu 24, 14 ;
[184]
Mathieu 24, 29-31 ;
[185]
Luc 17, 22 ;
[186] Proverbe
16, 32 ;
[187]
Galates 5, 17 ;
[188]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 87, article 3, article 11.
[189]
Apocalypse 8, 1 ;
[190]
Romains 10, 14 ;
[191]
Métaphysique 1 ;
[192]
Mathieu 7, 13 ;
[193]
Luc 3, 8 ;
[194]
Jean 12, 40 ;
[195]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 76, 77, 78.
[196]
Marc 3, 29 ;
[197]
Père MARIE EUGENE DE L’ENFANT-JESUS, Je
veux Voir Dieu, Op. cit.
[198] NICOLAS J. H. Synthèse dogmatique,
Fribourg, Suisse, 602.
[199]
RATZINGER J. La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, 215.
[200]
Voir « fondements empiriques », II-3 ;
[201]Voir
Fondements empiriques, II-3-2 ;
[202]
Question 8, Articles 1 et 2
[203]
Aristote, Physique 1
[204]
Genève, Labor et Fides, 1975
[205]
ARISTOTE De l’âme, la vie sensible.
[206]
Cette question ne peut que surprendre un esprit teinté de protestantisme.
Comment est-il possible de se demander si une autre personne que le Christ peut
se substituer à lui pour accomplir une prédication de l’Evangile total à
l’heure de la mort. La théologie catholique de la communion des saints n’exclut
pourtant pas une telle question. Les amis de Dieu n’y sont jamais opposés au
Christ. Ils font avec lui une seule Eglise céleste. Ceux qui voient Dieu sont
aussi image de Dieu. Ainsi, nous le verrons, il est probable qu ‘avant
l’incarnation du Verbe, les mourants recevaient déjà l’annonce de l’Evangile.
Cela ne se faisait pas par le Christ… mais cela se faisait si parfaitement que
certains déjà se damnaient.
[207] 1 Corinthiens 2, 9 ;
[208] Pas
seulement la Vierge Marie, comme une certaine tradition populaire tend de plus
en plus à le dire, s’appuyant sur une méditation du verso de la médaille de la
rue du Bac, mais aussi tous les saints, tous ceux qui aiment Dieu ici-bas ou au
purgatoire et ceux qui le voient face à face dans l’autre monde.
[209] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa, Question 1
[210]
1 Timothée 2, 5 ;
[211]
Jean 15, 13 ;
[212]
Genèse 2, 23
[213]
DUMOUCH A. Traité des fins dernières,
Op. cit. 24, 6.
[214]
Jean 8, 53
[215]
Remarque : La prédication de l’Évangile à l’heure de la mort pourrait-elle être
réalisée par Dieu lui-même, à travers la révélation directe de la vision
béatifique ? Non car celui qui voit Dieu, étant en face de l’essence incréée du
bonheur, ne peut qu’être happé par sa présence. Nul ne peut refuser le bonheur.
La liberté de choix, dans cette hypothèse, serait détruite et l’homme serait
introduit dans la gloire non à la suite d’un choix libre de son amour mais à
cause d’une nécessité substantielle de sa nature faite pour la béatitude.
[216] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia
Question 89.
[217]
Jean 14, 9
[218]
Voir le Supplementum de la Somme de saint Thomas d’Aquin
[219] Quant
au contenu des NDE, l’approche
analytique avait permis de fonder une image de la mort comme passage et rencontre.
Il semble même – les auteurs en évoquaient l’hypothèse – que
"l’au-delà" vienne à la rencontre du mourant et s’adapte à lui en
quelque sorte, en se laissant reconnaître doucement, quelquefois par
l’intermédiaires de proches décédés, et en prenant celui-ci tel qu’il est à ce
moment précis de son cheminement psychologique et spirituel. C’est ainsi que la
confrontation avec la lumière prend parfois le clair visage de Jésus... ou même
parfois moins clair. Voici le curieux témoignage d’un ingénieur dans la
cinquantaine, rapporté par son médecin : “Il vit un “ homme barbu ”
qui se tenait à l’entrée d’un couloir doré. Il hochait la tête et lui faisait
signe de retourner d’où il venait. Il disait : “ Pas maintenant, plus
tard !. » L’expérience rendit le patient très heureux. Il me déclara qu’il
n’avait plus besoin de médicaments : “ On ne veut pas de moi là-haut. » Il
avait raison car, après son hallucination, son état de santé s’est rapidement
amélioré”[219].
Ce récit, théologiquement vexant, paraît authentique a priori : on se serait
attendu à lire autre chose. Et l’on se demande pourquoi l’identification est
restée aussi vague (par méconnaissance totale du Christ, inhibition, ou
enfouissement dans le subconscient ?). Il
faut évoquer ici une des conclusions du Dr Maurice S. Rawlings, qui rappelle opportunément au
théologien que le passage de la mort n’est pas simplement une rencontre ; il
est tout autant un "jugement" : “Les malades qui font l’expérience de
l’au-delà ne voient pas le paradis ou
l’enfer tels qu’ils les avaient imaginés jusque là. En général, ce qu’ils
découvrent les surprend”[219].
Ce sera sa tâche à lui de voir comment les deux dimensions de
"rencontre" et de "jugement" se compénètrent, et quel est
leur rapport avec le "Purgatoire" et "l’Enfer".
[220]
Concile Vatican II, Dei Verbum, 1, 4
[221]
Voir Ratzinger et J. M. Nicolas déjà cités
[222]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 82.
[223] Romains 7, 22 ;
[224]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 91 article 6.
[225]
Actes 9, 1-12.
[226]
2 Corinthiens 12, 1-9.
[227]
SAINT CESAIRE D’ARLES, Commentaire de
l’Apocalypse, Les Pères dans la foi, Desclée de Brouwer 1980 ;
[228]
Voir par exemple Mathieu 24 ;
[229] Le jugement dernier dans l’évangile de
Mathieu, Le monde de la Bible n°6, p. 522 ;
[230] Arnaud DUMOUCH, Traité des fins
dernières, 1991, 26 et ss. ;
[231]
Mathieu 24, 42-51 ;
[232] 2 Théssaloniciens 2
;
[233]
2 Pierre 3, 3-4 ;
[234] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia Question 1 article
9-10.
[235] Actes 20, 9
[236]
1Pierre 1, 5 ;
[237] Remarque
de Jean-Yves Tarrade, octobre 2006,
http://docteurangelique.forumactif.com/viewtopic.forum ?p=70497#70497
[239]
Source : Les évangiles apocryphes,
Textes choisis et présentés par Pierre CREPON, Ed Retz Poche (1989).
[240] Œuvres complètes
de saint Augustin, volume 22.
Le Livre
de l'esprit et de l'âme (à l'attribution incertaine) commence page 412, et
les deux extraits ci-dessous sont à la page 427, au chapitre 15.
[241] Grégoire de Tours, Histoire des Francs, Livre VII, Chapitre I
[242] BEDE LE VENERABLE A history of the english Chuch and people, traduction anglaise Leo
Sherley-Price, Harmondsworth, MOODY R. Lumières nouvelles sur la vie après la vie,
Paris, Laffont, 1978. Erreur !
Signet non défini.
Voir
aussi ROCHCAU V. Essai d’une lecture
chrétienne de « la vie après la vie », en Nova et Vetera, 1980/2, 134-153.
England, Penguin books, 289-293.
[243] Vie de saint Malachie.
[244] Voir l’’ami du clergé, 1932, page 133.
[245] Thomas de Celano (v. 1190-v. 1260), biographe de St François et de Ste
Claire. Vie de sainte Claire, §25-28 (trad. Vorreux, Documents, Éds.
Franciscaines 1983, p. 615 rev.)
[246]
Actes 10 ;
[247] Faciendi
quod est in se, Deus non denegat gratiam ;
[248]
SAINT THOMAS D’AQUIN, De Veritate,
14, 11, 1.
[249]
In De Veritate, Ia IIae, qu. sur la
Grâce et le libre-arbitre.
[250]
2 Corinthiens 12, 3.
[251] Lecture de l'évangile de Matthieu,
st Thomas d'Aquin, chapitre 24, traduction Jacques Ménard, éditions du Cerf
2005, Paris.
[252] Saint Thomas d'Aquin (1225-1274), théologien dominicain, docteur de l'Église, Commentaire sur Jean, tome II § 2134 p.276 (Ed. du Cerf, trad. sous la direction du Père Philippe ; rev.)
[253] Recueil d'apparitions
de JESUS aux Saints et aux mystiques. Livre édité en 1882 sous le titre : « Divines Paroles ou ce que le Seigneur
a dit à ses disciples dans le cours des siècles chrétiens ».
[254]
Bienheureux Jan van Ruusbroec (1293-1381), chanoine régulier, Les Noces
spirituelles, 1 (trad. Louf, Bellefontaine 1993, p. 49).
[255] Recueil d'apparitions de
JESUS aux Saints et aux mystiques. Livre édité en 1882 sous le titre : « Divines Paroles ou ce que le Seigneur
a dit à ses disciples dans le cours des siècles chrétiens ».
[256] LES DIALOGUES DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE, CHAPITRE VII, 37 De
la seconde accusation, où l'homme est convaincu d'injustice et de faux
jugement, en général et en particulier.
[257] D'après
St Alphonse de Liguori - Les Gloires de Marie - St Paul 1997 - p.60. St Jean de
Dieu, dans "Revue du Rosaire", mars 1981.
[259] Jovanovic Pierre, Enquête sur l'existence des anges gardiens, Paris, Filipacchi, 1993,
p.116 ; cas tiré des témoignages rapportés par le Dr William Serdahely dans le Journal of Near Death Studies, 10/3, Human Sciences Press, London
/New York, spring 1992, p.171-182
[260] Recueil d'apparitions
de JESUS aux Saints et aux mystiques. Livre édité en 1882 sous le titre : « Divines Paroles ou ce que le Seigneur
a dit à ses disciples dans le cours des siècles chrétiens ».
[261] Recueil d'apparitions
de JESUS aux Saints et aux mystiques. Livre édité en 1882 sous le titre : « Divines Paroles ou ce que le Seigneur
a dit à ses disciples dans le cours des siècles chrétiens ».
[262]
SAINTE FAUSTINE Journal de soeur Faustine,
édition J. Hovine, 1992, 542.
[263]
Petit Journal de Soeur Faustine, Éditions Hovine, 1985, pages 5 à 7, Préface.
[264] Journal
de sainte Faustine, suite.
[265] ADRIENNE
VON SPEYR (1902-1967), La vie et l’œuvre, Aperçus divers, 10. Dictionnaire
amoureux, page 58 https://www.dropbox.com/s/f12hg5taxb61al3/10.%20Dictionnaire.pdf?dl=0
[266]
Mgr D’HULST Lettres de direction,
Paris, 1906, 40-41.
[267]
Ibidem 41.
[268]
Ibidem 51-52.
[269]
Référence non retrouvée ;
[270] Père F.-W. FABER, Extrait ''LE MYSTÈRE
DE L'AMOUR CRÉATEUR'', ÉTABLISSEMENTS CASTERMAN, S. A., ÉDITEURS PONTIFICAUX,
PARIS (VIe) - TOURNAI 1923.
[271] DURWELL F. X. Le Christ, l’homme et la mort,
Médiapaul, 1991, 3ème édition en 1993.
DURWELL F. X. Regards chrétiens sur l’au-delà, Médiapaul,
1994. Voir aussi les articles : Le Père,
Dieu en son mystère, Paris, Cerf, 1987, 238-249.
Une réflexion sur la mort chrétienne,
en Vie Thérésienne, 1976, nème 64,
252-258.
Le mystère pascal source de l’apostolat,
Paris, édition ouvrières, 1970, chap. 13 : Le dernier apostolat, 297-320.
La résurrection de Jésus, mystère du salut,
1ème édition 1950, Cerf, Paris,
248-250.
La
mort vécue, Der Mensch in seinem Tod, Theologie der Gegenwart, 27, 1984, 170-175.
[272]
Lettre du 7 septembre 1994.
[273]
"Doctrine et vie chrétiennes", de Jean Daujat, Téqui, Paris, 2003, p
512.
[275] Les trois
sagesses, Ed. Aletheia / Sarment
editions du Jubilé, 1994, p. 281, Nihil
obstat.
[276]
RATZINGER J, La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard 1994.
[277] Lumière du monde ; le pape, l'Eglise et les signes
des temps, Entretien Avec Peter Seewald, Bayard,
26/11/2010, Page 238.
[278] http://www.ktotv.com/videos-chretiennes/emissions/nouveautes/ceremonie-a-rome-intervention-de-benoit-xvi-a-la-television-italienne/00059302
Intervention de Benoit XVI à la télévision
italienne, Diffusé le 22/04/2011 / Durée 26 mn
[279] http://lemessieetsonprophete.com/annexes/theologie%20de%20l%27histoire%20et%20augustinisme.pdf
[280] Maria Simma, Dernières révélations extraordinaire sur les âmes du purgatoire.
[281] https://www.youtube.com/watch?v=F9mOzgq2vzo, 6
minutes 56.
[283] Proclus, Commentaire sur La République de Platon, XVIe dissertation, 114, trad. A.-J. Festugière, Vrin, Vrin, 1970, t. III, p. 58-59
[284] C. G. Jung, « Ma vie », pages 331 à 337.
[285] https://www.vaticannews.va/fr/pape-francois/messe-sainte-marthe/2020-05/pape-francois-messe-sainte-marthe-croix-croissant-rouge.html?fbclid=IwAR2gc77gyv0UWPXm_3fvnzcmjxXMZhH1RwNqZnApPFXA1aGv1Ku09ntklmE
[286]
MOODY R. La vie après la vie, Paris,
Laffont 1977.
[287] Pommaret
Françoise, Les revenants de l'au-delà
dans le monde tibétain. Sources littéraires et tradition vivante, Paris,
Editions du CNRS, 1998.
[288] Pommaret
Françoise, Les revenants de l'au-delà
dans le monde tibétain. Sources littéraires et tradition vivante, Paris,
Editions du CNRS, 1998.
[289]
HAJA FDAL La mort selon les enseignements
de l’Islam, Rayane édition, Paris 1991, 63.
[290]
Coran 4, 159 ;
[291]
HUGO Victor Les contemplations,
Paris, Nelson éditeurs, 1856. p. 412.
[292] NICOLAS J. H. Synthèse dogmatique, Op. cit. 600-602.
[293] MOODY R. La vie après la vie, Paris, Laffont, 1977.
[294]
« Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 120 ;
[295]
« Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 161
[296]
CHATILLON R. Bulletin de la société de
Thanatologie, Paris, nème41, 1978, 36.
[297]
« La vie après la vie » p. 62 et seq.
;
[298]
« Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 51-59 ;
[299]
« Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 81-82 ;
[300] «
Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 73 ;
[301]
« Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 75-76 ;
[302] « La
vie après la vie » p. 78-79 ;
[303]
« La vie après la vie » pp. 122 à 127
;
[304]
« La vie après la vie » pp. 8O à 82,
94 et 113 ;
[305]
« La vie après la vie » p. 87 ;
[306]
« La vie après la vie » p. 83 ;
[307] La vie après la vie, Reportage, Antenne
2, 12 octobre 1988 ;
[308] Op. cit. 750-751 ;
[310], Corinthiens 12, 1-7 ;
[311]
RUSSO F. La décorporation, journal La
Vie, nème1798, 23.
[312]
Marc 5, 39 ;
[313] Jean
11, 4 et 11 ;
[314]
Actes 20, 10 ;
[315]
« La vie après la vie », Reportage,
Antenne 2, 12 octobre 1988 ;
[316]
Timothée 3, 13 ;
[317]
Thèse III-3-2, l’heure de la mort, Question 8, article 7 ;
[318] Saint Thomas d’Aquin, somme de Théologie
Ia, Question 1, article 1 ;
[319] Voir
MARITAIN J, La philosophie bergsonienne, Paris, Téqui, 1948 ;
[320]
Voir BENOIT 14 De servorum Dei
beatificatione et canonisatione, Prati, 1840 ;
[321]
Documentation Catholique, novembre 1995 ;
[322]
Voir le Cardinal Journet, Qui est membre
de l’Église ? Nova et Vetera 36,
193-203. Repris et amélioré dans l’Église
du Verbe incarné, tome 2, 2ème édition, 1304-1314 ;
[323]
Jérémie 31, 34-35 ;
[324]
Jean 20, 29 ;
[325]
Voir par exemples les développements magistraux sur ce thème du Père
Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Je veux
Voir Dieu, édition du carmel.
[326]
« Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 94-95 ;
[327]
« La vie après la vie » p. 110 ;
[328]
« La vie après la vie » p. 113 ;
[329]
« Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 60 ;
[330] «
Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 73 ;
[331] « Lumières Nouvelles dur la vie après
la vie », pp. 132-133 ;
[332] « Lumières Nouvelles dur la vie après
la vie », p. 133 ;
[333] « Lumières Nouvelles dur la vie après
la vie », pp. 45-46 ;
[334] « La
vie après la vie » p. 113 ;
[335] « La
vie après la vie » p. 106 ;
[336]
SAINTE THERESE DE L’ENFANT-JESUS, Derniers
entretien, Desclée de Brouwer, 11.
[337]
Lumières Nouvelles sur la vie après la vie, « réflexions ».
[338]
« La vie après la vie » p. 81 ;
[339]
« La vie après la vie » p. 110 ;
[340]
« Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 70 ;
[341]
« Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 73 ;
[342]
Édition du Scoutisme, Paris, 1946.
[343]
« La vie après la vie » p. 87.
[344]
« Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 137-138.
[345] Mort et résurrection aux approches de l’an
2000, Revue de l’Université Catholique de Louvain, novembre 95, n°63, p.
31.
[346]https://www.facebook.com/messages/1130266895
[347] Les trois sens de l'expression « le
jour du Seigneur » chez saint Thomas d'Aquin, commentaire de I
Corinthiens III, 15 : « Mais on appelle
jour du Seigneur le temps où la volonté du Seigneur s’accomplira à l’égard des
hommes, qui seront alors, selon les règles de la justice de Dieu, récompensés
ou punis, suivant cette parole du Psalmiste (LXXIV, 3) : « Quand le temps
sera venu, je jugerai les justices. Donc, comme il y a un triple jugement
de Dieu, on peut distinguer un triple jour du Seigneur. a) En effet, il y aura
un jugement général pour tous (Matthieu XII, 41) : « Les hommes de Ninive
s’élèveront au jour du jugement ;" dans ce sens, le jour du Seigneur
est le dernier jour du jugement, dont S. Paul dit (II Thess., II, 2) : « Ne
vous laissez pas effrayer, comme si le jour du Seigneur était près
d’arriver. » Ainsi entendues, ces paroles : « Le jour du Seigneur
le fera con naître, » s’expliquent de cette manière : au jour du
jugement sera manifestée la différence des mérites humains (Rom., II, 16) : « En
ce jour où Dieu jugera ce qui est caché dans le coeur des hommes. » b)
Il y a un autre jugement particulier qui a lieu pour chacun au moment de la
mort. Luc dit de ce jugement (X, 22) : « Le riche mourut, et il fut enseveli
dans les enfers ; le pauvre mourut aussi, et il fut porté par les anges dans le
sein d’Abraham." Dans ce sens, on peut entendre par "jour du
Seigneur" le jour de la mort, selon cette parole de la première épître
aux Thessaloniciens (V, 2) : « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur
au milieu de la nuit." Ainsi donc, « Le jour du Seigneur le fera connaître,"
parce que c’est à la mort que sont manifestés les mérites de chacun. C’est de
là qu’il est dit (Prov., XI, 17) : « la mort du méchant, il ne restera plus
d’espérance ;" et au même livre (XIV, 32) : « Mais le juste espère
même dans la mort. » c) Enfin il y a pendant la vie un troisième
jugement : il a lieu quand Dieu éprouve les hommes par les tribulations de la
vie. C’est ainsi qu’on lit (ci-après, XI, 32) : « Lorsque nous sommes jugés,
c’est le Seigneur qui nous reprend, afin que nous ne soyons pas condamnés avec
le monde. » Dans ce sens, on appelle jour du Seigneur le jour passager
de la tribulation, dont il est dit (Soph., I, 14) : « Voix amère du jour du
Seigneur, tribulation pour les forts. » – "Le jour du Seigneur le
fera donc connaître, » parce que le coeur de l’homme est éprouvé dans
le temps de la tribulation (Ecclésiastique XXVI, 6) : « La fournaise éprouve
les vases du potier, et la tribulation les hommes justes. »
[350]
Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 3, art. 8 objection 1.
[351]
Exode 33, 20.
[352]
Job 34, 26.
[353]
1 Jean 3, 2.
[354]
Constitution « Benedictus Deus » (29 janvier 1336) « La foi catholique », page 511.
Le
discours après la Cène nous éclaire sur la nature de cette vie. « La vie
éternelle c’est qu’ils te connaissent toi. Le seul véritable Dieu et ton
envoyé, Jésus-Christ. » (Jean 17, 3). Qu’ils te connaissent. Le sens biblique
de ~ connaître « est beaucoup plus fort que celui du langage courant. II ne
s’agit plus d’une simple connaissance intellectuelle, il s’agit d’une
connaissance par expérience de vie et de vie commune.
[355]
Livre de l’exode 34, 18
[356]
Psaume 79 verset 20.
[357]
Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae q. 3 article 8.
[358] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Q3 article 8.
[359]
Isaïe, chapitre 56, verset 7
[360]
Urs von Balthazar montre que la personne humaine n’a de sens au plan
théologique que par sa mission qui n’est pas naturelle mais surnaturelle,
marqué par ce qui l’oriente vers la vision de Dieu. Dramatique, 2, 2. C’est
l’objet de la totalité de ce livre.
[361]
Voir notre traité, Question 11.
[362]
Colossiens I, 16.
[363]
Jean 17, 24.
[364]
Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia q. 8, Q. 1, Article 3.
[365]
Luc 18, 17.
[366]
Luc 2, 52.
[367]
Psaume 91, 11, 12. Ia q 44 article 4.
[368]Saint
Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia
pars q 62 article 5.
[369]
Matthieu 18, 10.
[370]
Voir aussi CH. JOURNET « L’aventure des anges », p. 127 NOVA ET VETERA s 58 / 2.
[371]
Judith 16, 14.
[372]
La théologie du Père Teillard de Chardin veut expliquer le sens de la création
par l’ordre et l’harmonie évolutifs qui y règnent et qui trouvent leur
achèvement dans l’homme devenu Dieu, le Verbe Incarné. Le principe d’une telle
théologie, si on la regarde d’une manière abstraite des éléments scientifiques
discutables qu’elle assume, est valable mais insuffisant. L’ordre de la
création trouve sa pleine justification dans la tension vers l’amour et la
contemplation de Dieu.
[373] Romains
8, 19.
[374]
Romains 5, 12.
[375]
Cet argument est de saint Thomas lui-même.
[376]
Voir la pars Question 90 à 102 : les origines de l’homme.
I
Constitution apostolique « Munificentis Deus », Pie XII, 1950. 1. Voir
aussi « Mortalité ou immortalité du premier homme créé par Dieu ? » Nouvelle
Revue Théologique 1 p. 1043ss.
[378]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
IIIa Question l00 article 2, Respondeo.
[379]
Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, IIa pars Question 1 article 3.
[380] Voir
« L’oeuvre des six jours », Ia pars Question 73 art 2.
[381]
Genèse 6 et 7.
[382]
Voir par exemple Josué 7.
[383] Voir ce traité, Question 7.
[384] Job 38, 12.
[385] article 7
[386]
Osée 2, 16.
[387]
Exode 19, 21.
[388]
Voir ce traité, Question 8.
[389]
Gérard CHOLVY : Du Dieu terrible au Dieu
d’amour : une évolution de la mentalité religieuse, Communio, tome XI
3-mai-juin l986.
[390]
Traité du Verbe incarné, saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa pars Question 1 article 4.
[391]
Épître aux Colossiens I, 15.
[392]
1 Jean 3, 1.
[393]
Traité de la Trinité chapitre 13.
[394]
Sermons sur la nativité du Seigneur n° 371.
[395]
Rudiments de Catéchisme, Chap. 4.
[396]
Véritable, c’est-à-dire pleinement conforme à son objet.
[397] Actes 3, 1
[398] Concile Vatican II, Lumen Gentium, 485.
[399] QUEL AVENIR POUR L’HOMME ? Lettre
pastorale du cardinal Gouyon à l’occasion de la Toussaint.
[400]
Saint Jean 14, 9.
[401]
Éphésiens I, 4.
[402]
Éphésiens I, 7. Et, dans la liturgie de Pâques : « bienheureuse faute qui nous
valut un tel Sauveur. »
[403]
Genèse. 2, 8.
[404]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Traité des Anges, Ia Question s 54 et 55.
[405]
Jacques 4, 6.
[406]
Matthieu 11, 29.
[407]
Saint Paul.
[408]
Jean 15, 13.
[409]
Paris, 1972.
[410]
Voir aussi de MADELEINE DELBREL • Dieu
est mort Vive la mort, p. 226.
[411] Vision
? Amour ? Union amoureuse dans la vision ? Il sera donné ultérieurement
explication à notre utilisation du mot « vision » plutôt que celui d’amour.
(Question 5, article 10). A propos du terme « Vision », certains lecteurs
pourraient être provisoirement choqués en pensant que le paradis consiste à «
aimer » Dieu plutôt qu’à le voir. Nous verrons que cette remarque est sans
fondement (Question 5, article 105. Balthasar résout cette controverse ainsi :
« En fait, la béatitude éternelle ne peut consister que dans la vision aimante
de l’amour, car qu’y aurait il d’autre à Voir en Dieu, et comment l’amour
pourrait-il être contemplé autrement que dans la communion d’amour ? » (L’amour
seul est digne de foi », Aubier-fontaigne 1966, p. 178).
[412]
Jean I, 18.
[413]
Homélie 14 sur saint Jean.
[414]
Matthieu 22 30.
[415]
Théologie Mystique, Chap. 1.
[416]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Voir Supplementum de la Somme,
Question 92, article 1.
[417] Psaume 35, 10.
[418]
1 Corinthiens 13, 12.
[419]
Constitution dogmatique « Benedictus Deus », La foi Catholique, G.
Dumeige, p. 511.
[420]
La contemplation philosophique ou théologique peut au contraire subsister sans
la présence de cette grâce d’amour comme on le voit chez certains savants
spéculatifs mais éloignés de l’oraison.
[421]
Psaume 34, 89.
[422]
La contemplation mystique est pourtant déjà une grâce entièrement surnaturelle.
Comparée à la vision béatifique elle est comme une pâle lueur dans la nuit,
sans commune mesure avec l’éclat du plein soleil.
[423]
1 Corinthiens 2, 9.
[424]
Voir l’article 5.
[425]
Jean 14, 6.
[426]
Jean 14, 8.
[427]
Jean 3, 35.
[428]
Colossiens I, 16.
[429]
Constitution dogmatique « Benedictus Deus », La foi Catholique, G.
Dumeige, p. 511.
[430]
Apocalypse 4. Ou, d’après Saint Thomas, celle qu’eût Saint Paul sur le chemin
de Damas. Il vit des choses qu’il n’est pas donné à l’homme de connaître.
[431] 2 Corinthiens 12, 4.
[432] 1 Corinthiens 15, 24-28.
[433] Apocalypse 12, 23.
[434] Job 19, 26.
[435] Jean I, 17.
[436]
Voir l’essence de Dieu face à face : voici un abîme qui n’a pas manqué
d’enflammer la conscience des grands théologiens chrétiens. Le Fini peut-il
Voir l’infini ? Ce même paradoxe se reflète, au cours de l’histoire de la
théologie, dans les positions contraires de Grégoire Palamas et du Pape Benoît
XII. D’un côté, chez Palamas, la distinction entre l’essence (ousia) divine,
inconnaissable en soi, et ses rayonnements incréés (energiai) apportera une
solution au problème. Il écrira que « l’illumination ainsi que la grâce divine
et déifiante ne sont pas l’essence, mais seulement l’énergie de Dieu » et que «
Dieu n’est pas appelé lumière d’après son essence, mais d’après son énergie »
Palanas s’appuie sur une longue préhistoire, qui débute avec la violente
réaction des Cappadociens et de Jean Chrysost. contre le rationalisme vulgaire
d’Eunome, affirmant que nous connaissons Dieu aussi bien qu’il se connaît
lui-même, et se poursuit dans les formules de la théologie négative de Diadoque
de Photicé, Denys et Maxime le Confesseur. De l’autre côté, il y a, à la suite
aussi d’une longue préhistoire (d’Origène à Jean XXII en passant par saint
Bernard) du rejet de l’idée de la vision béatifique avant la résurrection à la
fin de monde, la position affinée par la définition de Benoît XII (DS 1000)
d’après laquelle, depuis l’Ascension du Christ, les âmes des justes (une fois
accomplie la purification éventuellement nécessaire) « voient l’essence
(essentia) divine dans une vision intuitive et face à face.
[437]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Supplementum, Question 92, article 1.
[438]
Epitre à Dorothée.
[439]
Constitution dogmatique « Benedictus Deus », La foi Catholique, G.
Dumeige, p. 511.
[440]
Cette conclusion est reprise en grande partie de la question 92, article 1.
[441]
On peut consulter avec fruit pour cette question Balthasar H. U., La dramatique divine IV « le dénouement
» Culture et Vérité, Namur, 1993p. 389 à 428. « Il ne suffit donc pas de
décrire la vie de grâce sous forme de « présence » et « habitation »
particulière des Personnes du Fils et de l’Esprit envoyés par le Père dans les
âmes des justes ; cette habitation a pour but de faire participer l’homme aux
relations des Personnes et l’on sait que celles-ci n’existent qu’en tant que
relations subsistantes. »
CHEVALIER
I., Saint Augustin et la pensée grecque.
Les relations trinitaires, Fribourg, 1940.
RUELLO
F « Une source probable de la théologie trinitaire de saint Thomas » RSR 43
(1955), 104-128.
[442]
« Il ne s’agit pas d’une plénitude arrêtée, mais d’une plénitude qui progresse
à l’infini dans l’inépuisable merveille de l’Être qui est Dieu et qui se révèle
dans toute créature devenue transparente au Créateur. Comme celui qui a acquis
l’habitus d’une science déterminée peut toujours élargir les horizons de son
savoir grâce à cet habitus, ainsi la Lumière de la gloire, nous permettant de
connaître comme Dieu connaît, nous ouvre progressivement à l’infini. Si déjà la
connaissance des créatures se révèle dès maintenant inépuisable, tels les
mystères du monde infra-atomique ou de l’espace incommensurable, combien plus
la vision plénière des créatures dans le Créateur sera nouvelle et surprenante
dans toute l’éternité. » Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg,
Suisse, 1980, p. 50.
[443]
Aristote, De Anima, 3.
[444] Apocalypse 22 5.
[445] 1 Jean 3, 2.
[446] 1 Corinthiens 2, 9.
[447]
Q. 1, Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae, Question 5 article 6.
[448]
Q. 1, Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae, Question 5 article 7.
[449]
Jean I, 17.
[450]
Psaume 83, 12.
[451] De la foi orthodoxe, livre 3, chapitre
19.
[452]
Q. 1, Article de saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae, Question 3 article 4.
[453]
Q. 1, Article de saint Thomas, Somme
théologique, Supplementum,
Question 92, article 2, avec quelques ajouts.
[454]
Notre traité, Question 8, l’heure de la mort.
[455] Pour
que ce traité soit complet et parfaitement structuré, nous reproduisons,
parfois in extenso, des questions et des articles que saint Thomas a pu traiter
de manière mature avant sa mort. Ici, il s’agit de la question 67 de la Somme
de Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae.
[456] Ecclésiaste 1, 2.
[457] Luc 6, 38.
[458] Matthieu 22, 30.
[459] Sagesse 1, 15.
[460] 1 Corinthiens 13, 8. 9.
[461] Luc 16, 25.
[462] 1 Corinthiens 3, 11.
[463] 2 Corinthiens 5, 6.
[464] Hébreux 11, 1.
[465] Ecclésiastique 24, 21.
[466] 1 Pierre 1, 12.
[467] Romains 8, 24.
[468] Proverbes 1, 33 Vg.
[469] Éphésiens 1, 18.
[470] Psaume 36, 10.
[471] 1 Corinthiens 13, 10.
[472] 1 Corinthiens 13, 8.
[473] Q. 1, Article de saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 68,
article 6.
[474]
Isaïe 11, 9.
[475]
1 Corinthiens 15, 28.
[476]
Jérémie 31, 34.
[477]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
IIa Question 69 article 2.
[478]
Apocalypse 12, 3
[479]
Marc 10, 30.
[480]
Confession 12,
[481]
Voir Question 50.
[482]
Saint Paul aux Galates 5, 22.
[483]
Apocalypse 22, 1 et 2.
[484] Non
seulement l’homme aspire au bonheur infini, mais encore il communie
actuellement à une joie qui s’accroît indéfiniment en proportion de son amour.
La joie est une valeur qui dépasse les limites de la matière, de l’espace et du
temps. Le chrétien est justement appelé à se rendre compte de ce jaillissement
qui est déjà annonce de la vie éternelle. « Le chrétien devra fouiller
tout son être et ses expériences accumulées pour y trouver la présence du Ciel.
ce doit être là l’exercice principal de toute vie spirituelle. » Ladislas
BOROS, le paradoxe Chrétien, O. C. p.
148.
[485]
Q. 1, Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae, Question 4, article 2.
[486]
1 Corinthiens 13, 13.
[487]
Voir à ce sujet, BALTHASAR H. U., « L’amour
seul est digne de foi », Aubier-Montaigne 1966, p. 178 : « Ainsi
s’apaise tout simplement la controverse autour de la question suivante : la
béatitude consiste-t-elle dans la vision ou dans l’amour. En fait, elle ne peut
consister que dans la « vision aimante de l’amour, car qu’y aurait-il d’autre à
voir en Dieu, et comment l’amour pourrait il être contemplé autrement que dans
la communion d’amour ? »
[488]
Saint Paul dira que cette participation à la vie divine est purement et
simplement le « mystère » C’est une « sagesse cachée » « qu’aucun des princes
de ce monde n’a connue. » elle est « ce que l’œil n’a point vu, ce que
l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme mais que
Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment », c’est-à-dire le don de cet Esprit «
qui scrute tout jusqu’aux profondeurs divines », parce qu’il « vient de Dieu »
Et la prédication de Paul est elle-même, en que telle « un langage enseigné par
l’Esprit, exprimant en termes d’esprit des réalités d’esprit. » Balthasar
H. U., La dramatique divine 4, p.
387.
[489]
Matthieu 25, 46.
[490]
Sagesse 8, 16.
[491] interminabilis vitae tota et simul et
perfecta possessio, De consolatione philosophiae, 5, 6.
[492]
A propos de la lumière de gloire, consulter Balthasar H. U., La dramatique divine, 4, « le dénouement
», Culture et Vérité, Namur 1993, p. 361 :
«
Mais, cette transparence divine étant celle de l’Être infini qui se trouve
être aussi une liberté infinie, on ne saurait la concevoir autrement que comme
l’ouverture d’espaces sans limites. Parler ici de « visio Dei », alors que Dieu
n’est jamais un objet saisissable en sa plénitude, c’est, en toute hypothèse,
une description insuffisante et unilatérale. Si l’on veut garder cette
catégorie de « vision », on doit alors parler dialectiquement de présence
suprême de ce qui dépasse toute compréhension. On conclura donc que, même si
Dieu se donne à contempler par sa propre species dans le « lumen gioriae » en
tant que « medium deducens », il ne peut, même au Ciel, être contemplé
pleinement et en saisie totale, c’est-à-dire comprehensive. Les Pères grecs
insistaient volontiers sur cette impossibilité de connaître l’essence divine
même au Ciel, et la position de Scot Érigène, selon laquelle Dieu ne peut être
vu qu’à travers des théophanies est une exception dans la scolastique qui,
depuis Augustin, admettait une vision immédiate et totale. C’est saint Albert
le Grand qui trouva, dans une « géniale interprétation », la synthèse de
l’Orient et de l’Occident en faisant de la théophanie grecque la lumière de foi
entendue dans le sens d’un « medium confortans videntem »
[493]
Voir aussi : « Dieu lui-même sera notre joie. Dans sa lumière inaccessible, il
nous donnera accès à la vue de sa gloire. Alors, nous boirons la Vie à sa
source même, dans la Trinité, auprès du Père, par le Fils, dans l’Esprit-Saint.
» Proposition de foi des évêques de
France, 1978, Documentation Catholique n° 1073.
[494]
Psaume 35, 10.
[495]
Deutéronome 30, 20
[496]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae Question 110, article 1 objection
2.
[497]
Apocalypse 12, 23.
[498] Baruch 5, 9
[499] 1 Jean I, 5.
[500]
Psaume 19, 9.
[501]
Saint Thomas, Somme théologique, Supplementum Question 92 article 1
objection 8.
[502]
Théologie Mystique, I.
[503]
Saint Thomas, Somme théologique, Supplementum Question 92 article 1
objection 15.
[504]…
et non seulement une union affective et lointaine comme ici-bas.
[505]
Concile de Vienne Constitution « Ad nostri qui » du 06/05/1312.
[506]
Voir Ia IIae, Question 113, a. 3.
[507]
Jean 6, 45.
[508]
Jean 6, 45.
[509]
Voir la question 18 qui leur est entièrement consacrée.
[510]
Matthieu 5, 8.
[511]
Voir dans le livre de la Sagesse au chapitre 2.
[512]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae, Question 5, a. 7.
[513]
Romains 4, 6.
[514]
Jean 13, 7.
[515] De Caelo 12, 3 (292 a22).
[516]
Matthieu 13, 52.
[517]
Matthieu 11, 29.
[518] Matthieu
5, 3.
[519]
1 Pierre 5, 5.
[520]
Concile Vatican II, les religions non
chrétiennes.
[521]
Livre de la pénitence.
[522]
Voir dans la Somme théologique,
humilité, IIa IIae, Question 161, 1.
[523] Tout au long de ce traité, il faudra
distinguer l’humilité-vérité sur soi-même et les autres, de
l’humilité-anéantissement de soi, kénose.
[524] 1 Corinthiens 1, 25.
[525] Jean 13, 15.
[526]
Philippiens 2, 6.
[527]
Matthieu 6, 21.
[528]
Hébreux 5, 8.
[529]
Dernier article de cette question.
[530] Le
purgatoire des âmes errantes (rarement), le purgatoire du jour du Seigneur (la
parousie du Christ), les trois purgatoires mystiques décrits par sainte
Catherine de Gênes. Tous sont marqués par une propriété commune : la
souffrance.
[531] Méditation sur la souffrance, 11 février
1984. Seul le pape Jean-Paul II, suite aux souffrances terribles après
l’attentat de 1981, s’estima en droit d’en parler.
[532]
Matthieu 21, 31.
[533]
Cela ne veut pas dire qu’il faut devenir prostituée !
[534]
Matthieu 19, 30.
[535]
Matthieu 19, 24.
[536]
Au XIXème siècle, au nom de cette théologie, certains patrons se
servaient de ce genre de propos pour justifier la mise en esclavage des
ouvriers. On voit à quel point le message évangélique porte en lui du scandale
pour la sagesse naturelle de chacun.
[537]
Voir dans la Somme théologique,
humilité, IIa IIae, Question 114, 2.
[538]
Romains 4, 23.
[539]
Tel est l’intitulé de saint Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique pour cette question très discutée dans l’histoire
de l’Église. Sa réponse est non, l’argumentation étant appuyée sur un texte de
l’épître aux Romains 6, 23 : « La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. » La
réponse ne fait que développer cet enseignement : Pour obtenir un bien, il faut
être proportionné à ce bien. Or le bien de la vie éternelle étant surnaturel,
seule une grâce d’ordre surnaturel peut la mériter. Ceci est valable pour toute
créature spirituelle, ange ou homme, d’une nécessité de nature. Saint Thomas
d’Aquin précise dans d’autres parties de sa Somme (Ia IIae Question 109ss) ce qu’il
entend par grâce surnaturelle : il s’agit selon lui de la grâce sanctifiante
qui surélève l’âme pour la rendre capable des actes de foi, d’espérance et de
charité.
[540]
Romains. 6, 23.
[541] Psaume XXXVI, 39.
[542]
Romains 1, 20.
[543]
Romains 10, 14 et 15.
[544] Hébreux
11, 6.
[545]
Marc 14, 16.
[546]
Ecclésiastique 3, 25.
[547]
Psaume 98, 3b.
[548]
Hébreux 11, 6.
[549]
Voir « La foi Catholique », G. Dumeige, pages 9 et 10 ; Il est aisé de deviner
où peut conduire une interprétation rigide d’un tel texte qui fait pourtant
partie du Magistère de l’Église par reconnaissance unanime des Pères. Faut-il
admettre la damnation de tous les incroyants et de tous les mal-croyants ?
Avant de se pencher sur ce problème, il convient de montrer pourquoi une telle
foi explicite est, de fait, nécessaire au salut.
[550]
« Je suis le chemin, la vérité, la vie », Jean 14, 6.
[551]
1 Pierre 3, 19.
[552]
Le péché contre l’Esprit Saint : le refus de croire malgré l’évidence.
[553] Bibliographie pour cet article : Somme théologique, Crainte. De la crainte
considérée en elle-même : Ia IIae Question 41. L’objet de la crainte : Ia IIae
Question 42 De sa cause : Ia IIae Question 45 ; De ses effets. Ia IIae
Question 44 ; Du don de crainte qui répond a l’espérance. IIa IIae Question 19
; Du vice de la crainte IIa IIae L’espérance : De l’espérance considérée en
elle-même : IIa IIae Question 17 ; Du sujet de l’espérance : IIa IIae Question
18 ; De l’espérance et du désespoir considérés comme des passions de
l’irascible : Ia IIae Question 40 ; Toutes les formes de l’espérance chrétienne
sont longuement étudiées et non seulement comme ici, l’espérance théologale
informe.
BALTHASAR
H. U. La dramatique divine 4, le
dénouement, Culture et Vérité 1993, p. 122-159.
[554]
1 Corinthiens 2, 9.
[555]
Le caractère proprement théologal de l’espérance apparaît pleinement à la
considération de sa dimension subjective. On doit parler de la folie de
l’espérance, au sens où Paul parle de la folie du message (cf. I Corinthiens I,
22). Car espérer, au sens chrétien, c’est attendre Dieu de Dieu. Celui qui
espère, espère pour soi la béatitude parce qu’il s’appuie sur l’aide de Dieu.
Car ce qui permet la folle audace de l’espérance : compter participer à la
fruition de Dieu lui-même, c’est la certitude de l’appui de Dieu Tout-Puissant.
Georges COTTIER, o. p. Communio,
ni. 9, 4, juillet-août 198, page 4 : « J’attends la résurrection des morts et
la vie du monde à venir.
[556]
Hébreux 6, 19 ;
[557]
Voir dans ce traité la Question 8.
[558]
Voir la question 11 a. 5 du présent traité.
[559]
Voir à cet égard le livre très important de Hans Urs von Balthasar : « L’amour
seul est digne de foi », Aubier-Montaigne 1966, en particulier le chap. 7 :
l’amour comme justification. Tout l’esprit de notre propre étude se trouve
résumé dans ce livre.
Bibliographie
: relire à ce sujet l’entretien avec Nicodème N. R. T, 195fi n°4, p. 13ss.
Voir
dans la Somme théologique :
Charité.
IIa IIae Question 25 à 51.
Grâce.
Ia IIae Question 109 ss.
La
justification. Ia IIae Question 114-115.
Dans
la revue Communio :
JUSTIFICATION.
Articles : André Manaranche « Justification divine et justice politique » (III
2 p 13-30). Carlo Cattarra, Distinguer pour justifier). (VI 2 p. 26-34) ;
Georges Chantereine : La femme privée do l’Esprit : un aspect de la pensée de
Luther (VII 4 p. 45-46). Passages : 1, 5, p. 19 ; 1, 6, p. 20 ; 3, 2 p. 29 ; 3,
3 p. 43, 44-46 ; 3, 4 p. 13 ; 5, 3 p. 27 ; 9, 2 p. 105-108 ; 10, 2 p. 23-24.
[560]
Exode 3, 8 ;
[561]
Jean 14, 23.
[562]
Jean 14, 23.
[563]
1 Pierre 3, 19.
[564]
Matthieu 10, 35.
[565]
Luc 9, 24.
[566] Voir,
dans ce traité, les questions sur le purgatoire.
[567]
Marc 15, 16.
[568]
Jean 7, 51.
[569]
Luc 22, 43.
[570]
Voir l’article de Charles Journet « Hors l’Église, pas de salut » Nova et
Vetera, 1949/1, p. 63. On y trouvera une bibliographie
Voir
aussi « Lettre du Saint Office à Mgr Cushing, Archevêque de Boston, 8 août 1949
: Hors l’Église, pas de salut »
Dans
la Somme théologique, le baptême :
Du
baptême du Christ, Du sacrement de Baptême, Supplementum-
Sacrements.
En quoi consistent les Sacrements, Supplementum,
De leur nécessité-De leur effet principal-De leur caractère.
[571]
Matthieu 14, 17.
[572]
Question 4.
[573] Luc 20, 36.
[574]
Matthieu 5, 45.
[575]
cf. I Jean 3, 2.
[576]
Cette deuxième partie a pour but d’établir le plus précisément possible ce que
nous vivrons au terme de notre pèlerinage sur la terre. La mort (1) qui vient
séparer notre âme de notre corps, nous laisse démunis et fragiles. C’est le
moment que choisit le Christ pour nous montrer sa gloire. Nous voyons son Sacré
Cœur (2), nous comprenons son amour et le pourquoi de notre vie terrestre. Nous
sommes invités alors à choisir de l’aimer en retour et de renoncer pour
toujours à toute forme d’égoïsme. Notre choix est libre et Jésus le respectera
toujours (3). Celui qui choisit, dans la logique de sa vie passée, de rejeter
son Dieu (4), s’établit lui-même (5) en enfer (6) ; celui qui se tourne vers
son Sauveur reçoit la promesse d’entrer dans la Vision béatifique (7). S’il lui
reste quelque attachement à lui-même, in s’en libèrera par l’amour assoiffé qui
règne au purgatoire(8).
(1)
question 8 ; (2) question 8 ; (3) question 10 ; (4) question 11 ; (5) question
13 (6) Question 12 (7) questions 1 et ss ; 20, 2I, 22, 23, 24. (8) questions
15, 16, 17.
[577]
Jean 5, 29.
[578]
Voir les questions sur la fin du monde, à la fin de ce traité.
[579]
Le Nouveau Testament laisse une place importante à une eschatologie politique
mais nul ne peut la comprendre qu’en discernant qu’elle est entièrement
assumée, portée, finalisée par l’eschatologie de chaque personne. Notre plan
montre que nous maintenons un passé, présent et futur dépendant du Christ déjà
venu, qui se racontent comme un gigantesque drame centré sur l’évènement
glorieux final qui révèlera à tous le sens du premier avènement douloureux.
[580]
Apocalypse 3, 12.
[581] Le mot «
âme », en tant que porteur d’un aspect fondamental de l’espérance chrétienne,
est donc considéré comme faisant partie du langage fondamental de la foi, ancré
dans la prière de l’Église, et indispensable à une vraie communion dans la
réalité de cette foi. Aussi les théologiens ne peuvent-ils pas en disposer à
leur gré.
[582]
Dans la Somme théologique, voir :
âme. De l’âme en général. Ia Question 87 à 90.
[583]
Voir Ecclésiastique, 3, 16-22. 10, 4-10.
[584]
Genèse 3, 19.
[585]
Voir aussi Job 14, 1-22.
[586]
Bulle « Apostolici Reginimus » de Léon X, 1513.
[587]
Voir Somme théologique, Ia Question
75, a. 2.
[588]
Voir notre traité, Question 9 article 4.
[589]
Commentaire littéral du livre de la Genèse, Chap. 32.
[590] La vie après la vie, docteur Moody,
Robert Laffont, 1977 page 35.
[591] Voir docteur Kenneth King.
[592]
Voir l’étude du bouddhisme tibétain.
[593]
Luc 10, 27.
[594]
2 Corinthiens 12, 1-4.
[595] La Recherche, juin 1989, n° 21, p.
800-802.
[596]
Psaume 103.
[597]
Genèse 3, 19.
[598]
Josué 23, 14.
[599]
Psaume 48, 7-15.
[600]
Psaume 88, 49.
[601]
Qohélet 1, 2 et 6, 6.
[602]
Romains 7, 24.
[603]
Romains 5, 12.
[604]
Genèse 2, 17.
[605]Question
1, article 6.
[606]
Questions 39, 40.
[607]
Luc 17, 22.
[608]
Genèse 4, 22.
[609]
Luc 16, 24
[610]
2 Corinthiens 12, 7.
[611]
1 Corinthiens 15, 51.
[612] Théologie de l’au-delà, Fribourg Université,
Suisse, 1980, p. 13.
[613]
Jean 11, 25.
[614]
Luc 12, 39.
[615]
Du même coup, le problème de la mort apparente et de la mort réelle s’est posé.
[616]
Bien que celle-ci ne puisse plus manifester l’exercice de ses capacités spirituelles
au moyen du corps. Il faut aussi distinguer le cas de ces personnes avec
d’autres dont on peut maintenir indéfiniment une apparence de vie qui, en fait,
n’est plus qu’un fonctionnement mécanique des organes alimentés en oxygène et
nourris par transfusion. Ils ne présentent plus d’unité vitale mais une simple
juxtaposition de fonctions végétatives plus ou moins concordantes. Ce signe
indique l’absence du principe vital unificateur.
[617]
Voir Docteur Raymond MOODY, La vie après
la vie, Paris, 1980. Voir aussi les études du Docteur Kübler-Ross sur les
expériences de mort approchée (N. D. E. Near Death Experience).
Ces
considérations peuvent nous paraître assez étranges dans une analyse
théologique, mais il n’est pas superflu d’en tirer une conclusion importante
pour notre étude : le processus qui amène à la situation irréversible de la
mort ne semble pas s’opérer instantanément. Son déroulement complexe et en
partie mystérieux semble s’étendre sur une longueur de temps considérable, même
s’il n’est plus mesurable selon nos catégories.
Si
l’on veut concevoir la mort comme la situation qui se détermine là où la vie se
retire de l’organisme humain, on devra admettre que cela se fait, normalement,
avec une certaine lenteur. Ces cas de réanimation, et peut-être un jour les cas
des hibernés réveillés, montrent que celui qui revient à la vie a parcouru
seulement une partie du tunnel qui est le processus de la mort, une partie qui
paraît déjà coïncider avec la mort, mais qui n’est pas la mort, puisque l’on peut
justement en revenir. Ceci nous montre la complexité du phénomène et le mystère
qui l’entoure encore et qui ne sera pas dévoilé sur terre d’un point de vue
médical, car on ne peut pas avoir une expérience scientifique d’une situation
dont on ne revient pas.
[618]
En 1966, l’Académie de Médecine a donné une nouvelle définition des signes de
la mort certaine : si la trace électro-encéphalographique est rectiligne, ce
qui manifeste la disparition de tout courant électrique, dans l’état actuel de
la science, on peut affirmer au bout de 48 heures que le sujet est mort.
[619]
Nous employons l’expression « l’homme » et non « l’âme » pour signifier que la
séparation d’avec le corps n’est pas faite. C’est l’homme tout entier-corps et
âme-qui vit ces évènements.
Dans
une série d’études très remarquées et très discutées sur cette question, le
cardinal Billot a donné au passage un très bel exposé de la théologie thomiste
de l’Enfer. Prenant son point d’appui sur cette étude, Mgr Glorieux a soulevé
un autre problème. Lorsqu’un pécheur paraît obstiné, si loin de Dieu qu’il
semble comme virtuellement damné, ne doit-on pas penser qu’il y a encore pour
lui la possibilité d’accueillir certaines grâces au moment de la mort ? Du même
coup, le problème de la mort apparente et de la mort réelle s’est posé.
L’influence de la philosophie existentialiste a fait mieux comprendre comment
l’homme, qui est esprit, se construit lui-même en ce sens que les options
particulières qui jalonnent sa vie donne à celle-ci une orientation sans que pour
autant celle-ci, surtout dans le mal, soit définitive. Finalement, le problème
de l’éternité des peines a conduit à cet autre : peut-on être damné pour un
péché mortel ? La théologie du péché, la distinction entre les péchés, la
purification du péché en cette vie ou dans l’autre vie sont aujourd’hui un
problème théologique plus actuel que celui du feu de l’enfer ou de l’éternité
des peines. L’homme, image de Dieu, est paru à la découverte de son âme, et de
sa relation avec le créateur par la médiation de Jésus-Christ et de l’Église.
L’eschatologie n’est pas un domaine séparé, on ne peut en traiter sans toucher
à mille autres choses.
[620] Lettre à l’évêque de Tuscullum, 06 mars
1254 ;
[621] Luc 16, 31.
[622] Marc 16, 16.
[623] H-U von Balthasar, Théodramatik 4, ibid. 268-270. Les citations de ce texte
sont tirées du commentaire de la première lettre de saint Jean par Adrienne von
Speyr, alors que la note en bas de la page fait référence à Mechtilde de
Magdehourg. La mystique du Moyen Age y décrit comment le Père céleste
s`approche d’une âme chargée de péchés et lui dit : « Ai-je seulement trouvé
quelque chose de bien en toi ? »
[624]
Isaïe 52, 10.
[625]
Matthieu 24, 14.
[626] Journal de sœur Faustine, édition J.
Hovine, p. 542.
[627] Concile de Trente, Décret sur La
justification, Ch. 5.
[628]
Idem Chapitre 6, « La foi catholique
», p. 347.
[629]
Voir par exemple : la constitution Benedictus Deus de Benoît XII, FC
page 511
[630] Voir ce qu’en dit saint Paul aux Romains.
[631]
Voir la lettre d’Innocent IV à l’évêque de Tusculum (6 mars 1254), « La foi catholique » page 608. La
solution de saint Augustin qui consiste à admettre la damnation éternelle des
païens qui, sans faute de leur part, meurent sans la grâce, des enfants morts
sans baptême etc. ne peut être retenue car, tout en tenant compte de 1 et 2,
elle ne tient pas compte de 3. De même, la solution de Luther qui prétend que
la foi seule suffit pour le salut ne peut être retenue car elle ne tient pas
compte de la solution 6. Quant à la thèse de Calvin qui enseigne que Dieu
prédestine certains à l’enfer, elle est indigne.
[632] L’OPTION AU
MOMENT DE LA MORT. Diverses thèses concernant l’heure de la mort et
l’orientation qui l’accompagne vers l’enfer ou le paradis ont été soutenues.
Lorsqu’on parlera du jugement particulier, on reviendra sur la thèse de
l’option définitive dans la mort qui a été émise par plusieurs théologiens
(Glorieux, Boros). Nous situons dans ce tableau les différentes possibilités
que présentent les thèses suivantes à la question de l’option avant et après la
mort :
LA THESE CLASSIQUE
Elle
affirme que l’homme peut opter et toujours changer d’orientation pendant sa vie
terrestre car ses choix restent toujours imparfaits, vu son inaptitude à saisir
la plénitude du bien. Lorsque par la mort l’âme se sépare du corps, celle-ci reste
fixée dans le dernier choix accompli pendant la vie terrestre et ne peut plus
s’en séparer.
Difficultés de cette thèse
: la doctrine classique peut nous laisser déconcertés lorsqu’elle affirme que
l’âme est fixée dans le dernier choix accompli par l’homme pendant sa vie. Ce
choix entraîne en effet des conséquences éternelles ; il devrait donc être
parfaitement lucide, ce qui n’est pas le cas sur terre. L’âme subirait donc un
choix qu’elle n’aurait pas pleinement voulu ? Cette thèse s’oppose aussi à la foi
qui dit que le salut est explicitement proposé à tout homme durant sa vie.
LA THESE DE BOROS
Elle tâche donc d’éliminer cette contradiction en
affirmant que le choix de l’homme, pour entraîner des conséquences éternelles, doit
être parfaitement lucide, comme celui de l’ange.
On
cite saint Jean Damascène : « La mort est pour les hommes ce que la chute est
pour les anges » (De Fide orthodoxa, 2, 4). Selon Boros, c’est seulement dans
la mort que l’âme humaine, délivrée de tout attachement secondaire et de toute
distraction, peut accomplir l’option plénière pour ou contre l’Être et la
Vérité. Cette thèse a été critiquée dans ce sens qu’elle réduirait l’importance
des options terrestres pour privilégier une option dans la mort, dont
l’Ecriture ne parle pas.
Difficultés de cette thèse
: négation de l’utilité de la vie terrestre, du corps ; contradiction avec la
foi qui enseigne que le choix est définitif avant la mort.
THESE DE VITALINI
Elle veut à la fois tenir compte de la contradiction
qui apparaît dans la thèse classique (choix imparfait pour une fixation
éternelle) et des critiques contre la thèse plus moderne (minimisation des
choix terrestres) pour soutenir que la personne humaine, c’est-à-dire son moi
essentiel, débouchant par la mort sur l’Être qui est l’amour, ne se trouve pas
par cette rencontre paralysée, mais qu’elle est encore en mesure de ratifier
librement ses choix terrestres. Ceux-ci gardent donc tout leur sérieux et vont
orienter la personne dans cette suprême ratification qui implique l’accueil ou
le refus de l’amour.
Difficultés de cette thèse
: contradiction avec la foi qui enseigne que le choix est définitif avant la
mort.
NOTRE THESE
Elle
affirme que Dieu, après une phase de la vie terrestre ou le choix est imparfait
tant à cause du manque de connaissance plénière que de l’état de faiblesse de
la volonté, rend l’homme tout entier (et non seulement l’âme après la mort)
capable d’une option libre absolument par la manifestation de l’Evangile et la
libération du foyer du péché (Fomes
peccati) au moment de la mort. Dans ce moment, l’homme est encore lié à son
corps, il est donc capable de connaissance et de choix selon le mode humain lié
au sensible, la connaissance de l’Evangile étant à la fois sensible et spirituelle
dans la vision du Christ glorieux. D’autre part, l’homme opte librement et non
nécessairement dans le sens des options de sa vie terrestre. Ceux-ci jouent le
rôle d’un conditionnement de la liberté d’où le sérieux du rôle du passé dans
l’orientation de la vie éternelle.
Difficultés de cette thèse :
aucune contradiction avec la foi mais un grave problème philosophique : comment
un choix aussi lucide est-il possible à l’heure de la mort, c’est-à-dire alors
que le coma réduit le cerveau à l’impuissance ?
[633] Matthieu 12. 31.
[634]
Attention, il s’agit ici de la définition de l’école thomiste, telle qu’elle
était utilisée par l’Église jusqu’au Concile de Vatican II. Actuellement,
l’Église préfère appeler péché mortel le seul péché contre le Saint-Esprit. Il
faut donc toujours vérifier son vocabulaire dans les discussions.
[635]
1 Corinthiens 15, 32.
[636]
Romains 7, 5.
[637]Saint
Thomas, Somme théologique, IIa IIae,
Question 14, 1.
[638]
Benoît XII, Constitution « Benedictus Deus » (29 janvier 1336) « La foi catholique », page 511.
[639]
Saint Thomas, Somme théologique, Ia
IIae Question 76, 77 et 78.
[640]
Jean 15, 22.
[641]
Voir article suivant.
[642] Matthieu 12, 31.
[643] op. cit. Innocent IV.
[644]
Voir question 11, article 4.
[645] Romains 10, 14,
[646] Dentzinger-Schönmetzer, 1002.
[647] Luc
21, 36.
[648]
De telles épreuves, comme toutes les souffrances de la vie terrestre ont pour
unique finalité de disposer le cœur de l’homme à l’humilité de sa condition et,
ce faisant, de l’orienter au désir d’un salut qu’il reçoit en la personne de
Jésus- Christ. Une méditation de Pascal sur l’agonie nous manifeste cette
disposition que la mort vécue dans la lumière du sacrement des malades peut
réaliser. Ces souffrances dispositrices de l’agonie n’étant plus utiles
lorsqu’il s’agit de choisir pour l’éternité, elles disparaissent aussitôt que
la mort commence son œuvre de séparation de l’âme et du corps.
«
Oui, au moment de la mort, je serai seul! Les vanités ne m’accompagneront pas,
ni l’argent, ni les souvenirs qui me seront inutiles, sauf pour me convaincre
de mes péchés et me combler de remords. J’aurai vécu seul mais je ne sentirai
ma solitude que devant le problème du posthume. J’aurai passé ma vie à
interroger les livres, les prêtres, je n’aurai rencontré que Dieu, Jésus. Voici
donc la vérité, je suis seul avec Dieu. Dès lors, aujourd’hui, il n’y a que
Dieu qui compte, Dieu, c’est-à-dire ma conscience, l’opinion que j’ai de
moi-même, la route de mon devoir. II ne s’agit pas de ce que l’on pense de moi,
mais de ce que Dieu pense. » Je mourrai
seul, Blaise PASCAL
[649]
I Corinthiens 3, 15.
[650]Voir
dans ce traité, Question 11.
[651]
Cette question est d’une extrême importance face à l’imprécision de certains
traité de théologiens (par exemple le Docteur Chevrier au XIX° s. cité par
l’Ami du Clergé, 1932, p. 133) qui parlent abusivement de vision de face à face
avec Dieu pour des gens qui sont confrontés à une apparition de Jésus dans son
humanité. Jésus est Dieu mais on ne voit pas l’essence de Dieu face à face
quand on voit son humanité.
[652]
« Le don de cette vision suppose une préparation pour laquelle personne ne peut
être contraint » Vitalini Sandro, Théologie
de l’au-delà ; Université de Fribourg-Suisse, 1980, p. 27.
[653]
Matthieu, 25, 41.
[654] «
Conformément à l’Ecriture, l’Église attend la manifestation glorieuse de notre
Seigneur Jésus Christ (Dei Verbum 1, 4), considérée cependant comme distincte
et différée par rapport à la situation qui est celle des hommes immédiatement
après leur mort. » Congrégation pour la doctrine de la foi, Lettre sur quelques questions concernant
l’eschatologie, 17 mai 1979 ; En effet, à la fin du monde, le retour du
Christ en gloire sera manifesté à toute la dernière génération, d’un seul coup.
(Voir Question 25).
[655]
Apocalypse 22, 18.
[656]
Zacharie 12, 10.
[657]
Luc 21, 27.
[658]
Marc 14, 62.
[659] Jean I, 14.
[660] Actes 4, 17.
[661] Apocalypse I, 12-17.
[662]
« Pour condamner purement et simplement, il faudrait que le Juge divin ne
rencontre pas le moindre élément positif capable de relativiser le refus du
pécheur. Ce serait, dans le « conditionnel » johannique (« si quelqu’un ne
demeure pas en moi »), le côté négatif réalisé de manière radicale. Une simple
remise extrinsèque du péché, sans effet intérieur sur le coupable, ne suffirait
pas pour une absolution. Pareil acquittement ne pourrait le béatifier
intérieurement ; ce serait pour lui une contradiction insurmontable, une
humiliation permanente, et même une incitation à la révolte contre une
contrainte extérieure ; « Le pardon, pour être total, n’est pas seulement à
offrir, il doit se recevoir » (E. saint Lewis) Voilà ce qu’il est permis de
dire avec assurance si l’on maintient comme vérité chrétienne que celui qui
nous juge est le même qui est venu non pour juger, mais pour sauver (Jn 12,
47). Aussi cherchera-t-il tous les détours possibles pour ramener à lui un
homme égaré dont il a porté la faute ; et s’il n’y arrive pas, son dernier
geste ne sera quand même pas le rejet (qu’on se rappelle les protestations de
Nédoncelle, Martelet, Ratzinger rapportées ci-dessus). II ne pourra agir que
passivement en abandonnant le coupable à sa volonté aveuglée. Une fois de plus,
dans cette éventualité, vient à l’esprit l’idée de tragédie, non seulement pour
l’homme mais pour Dieu lui-même.
Serait-il
possible de s’avancer encore plus loin ? Non pas en posant des principes, mais,
au meilleur cas, en formulant des hypothèses ? On le peut, car la question de
l’enfer, replacée dans la perspective de « l’auto-jugement », n’est
envisageable sérieusement que comme question personnelle et existentielle. »
Garder une conception naïve de la double issue de l’histoire de l’humanité,
tout autant que s’ériger en contradicteur absolu de cette représentation,
exposent au danger de penser l’eschatologie à partir du spectateur externe et
non pas selon l’angle de vue de l’individu concerné... L’appréciation de
l’endurcissement effectif d’un homme, sa résistance au Christ n’entre pas, en
dépit de tous les signes extérieurs contraires, dans nos attributions, elle
dépasse notre compétence
.
BALTHASAR H. U, La dramatique divine
4, « le dénouement », Culture et Vérité Namur, 1993, p. 272-273 ;
[663]
Revoir à ce sujet la question 7, article 7.
[664]
Voir question 7, article 10 ; Voir Balthasar « L’amour seul est digne de foi », Aubier 1966, chap. 6 « l’amour comme révélation dans le Christ »
[665] « Je suis le maître et le Seigneur, dit
Jésus à Pierre (Jean 13, 15). Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le
Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux
autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous
aussi, comme moi j’ai fait pour vous. » Ce jour-là, au grand scandale de
Pierre, Jésus révéla aux hommes l’autre mystère scandaleux du cœur de Dieu,
outre son amour infini, son humilité. « Lui, de condition divine, ne retint
pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même,
prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté
comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la
mort sur une croix! » Philippiens 2, 6.
[666]
Voir à cet égard dans la Somme
théologique : « Intellect. De la manière dont notre intellect comprend les
choses corporelles » Ia. q. 89.
[667]
Q. 1, Article 2.
[668]
Matthieu 24, 37 à 41.
[669]
Matthieu 24, 34-35.
[670]
SAINT THOMAS D’AQUIN, De Veritate,
14, 11, article 1.
[671]
Mgr d’Hulst, Lettres de direction,
1906, p. 40-41.
[672]
Voir aussi, Ibidem p. 51-52
[673]
« Jérôme In Joelem, c. II ; p. L. p. 965 B. La formule est très remarquable
pour cette époque.
[674] Commençons par un simple constat : le nombre des
chrétiens vivant actuellement sur terre est incomparablement plus faible que le
nombre de ceux qui, dans le Christ, ont quitté cette vie. Si être un membre
vivant de l’Église consiste à appartenir au Christ, la mort, qui n’est certes
pas la fin de la communauté dans le Christ, ne peut pas non plus briser la
communauté de l’Église. D’où il suit que la partie de loin la plus grande de
l’Église vit par-delà le seuil de la mort terrestre. Ce fait incontestable est-il
aussi une évidence pour la conscience ecclésiale d’aujourd’hui ?
SCHONBORN,
(C) op : l’état de pèlerin, de purification et de gloire (La communion des
saints selon Vatican II) Communio n° XIII 1 ; janvier-février 1988, p. 7 ;
[675] I Thessaloniciens 3, 13.
[676] Lumen Gentium 49
[677] I Corinthiens 12, 12-27
[678] 2 Corinthiens 5, 8.
[679] cf I Timothée II, 5.
[680] cf. Colossiens I, 24.
[681]
« Tout homme qui porte son regard sur la norme absolue, sur le Fils de l’Homme transpercé
qui est présent en vérité à l’état caché dans tous ses frères, sur « l’agneau
égorgé », « sans défaut et sans tâche », « prédestiné avant la fondation
du monde » (1 Pierre I, 19-20, Apocalypse 13, 8), sera tellement accablé par la
grandeur de l’Unique et par sa propre bassesse méprisable qu’il n’aura
aucunement le temps de réfléchir à la situation d’autres hommes. Le simple
aspect de cette nonne lui dit qu’il n’y correspond et ne subsiste en aucune
manière, et qu’il reste définitivement au-dessous du seuil de ce qui est exigé.
» BALTHASAR H. U, Jugement, Communio, 1980, n°3, p. 27.
[682]
« En ce qui concerne les objections de type protestant contre le culte des
saints et le commerce avec eux, il faut d’abord dire que l’amputation
chirurgicale d’une partie aussi essentielle de l’organisme spirituellement
vivant de l’humanité chrétienne signifie une mutilation et une atrophie tout à
fait déplorables de cet organisme. Mais c’est aussi le plus parfait malentendu
que de comprendre le culte des saints comme une sorte de déviation du rapport
immédiat à Dieu. En effet de même que l’amour du prochain n’est pas une
déviation de l’amour de Dieu, de même le culte des saints qui sont bien nos
prochains n’est pas non plus une déviation. C’est à cela que l’on croit lorsque
l’on fait appel à l’amour du prochain d’un homme défunt. Car les saints ne sont
pas des dieux mais des hommes d’un grand amour plus fort que la mort et qui
leur donne donc le pouvoir d’agir ici même de là-bas. » Lazarus,
komm heraus, quatre écrits de Valentin TOMBERG, avec une introduction de Robert
Spaemann, Bâle, 1985, p. 65 s. Voir aussi « La Vierge Marie dans la communion
des saints », G. CHANTEREINE, Communio 1989/t, p. 28.
[683]
On pourrait introduire ici une foule de témoignages patristiques, théologiques,
liturgiques et hagiographiques. Qu’on se rappelle seulement les promesses d’un
saint Dominique, disant qu’il serait plus utile à ses frères au Ciel que sur la
terre ou bien d’une sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : « Je passerai mon
Ciel à faire du bien sur la terre. » Saint Cyprien peut être cité comme
représentant d’une « nuée de témoins » : « Nous considérons le paradis comme
notre patrie (…) : Pourquoi alors ne pas nous hâter de courir Voir notre patrie
(…) ? Un grand nombre d’êtres chers nous attend là-bas une foule imposante de
parents de frères et sœurs d’enfants se languit de nous, et déjà délivrée du
souci de son propre rachat ne se préoccupe plus que de notre salut. Nous hâter
sous leurs yeux et nous jeter dans leurs bras quelle grande joie pour eux et
pour nous à la fois! » (De Mort. 26. PL 4, 601).
[684]
Voir Question 9, a. 8.
[685]
Voir à ce sujet RIVIERE J. « Le rôle du
démon au jugement particulier chez les Pères » Rev SR, t. 4, 1924, p. 43-64
; DICTIONNAIRE DE THÉOLOGIE CATHOLIQUE,
t. 8, col. 1788-1789 et 1803 ; Nous ne parlons pas ici du jugement
particulier mais l’analogie est à remarquer.
[686]
I Jean, II, 13.
[687] Derniers
entretiens, 18 août, éditions du
Cerf, Paris.
[688]
Apocalypse 12, 13.
[689] « Les deux
cités »
[690]
Apocalypse 12, 9.
[691] Apocalypse
12, 10.
[692]
Voir la révélation de Jésus à sainte Faustina Kowalska : « Je promets que
l’âme qui vénérera ma miséricorde ne périra pas. Je lui promets également la
victoire sur ses ennemis, particulièrement à l’heure de sa mort. Je la
défendrai moi-même comme ma gloire. » (22 février 1932).
[693]
Marc 13, 11
[694] 1 Corinthiens 15, 26.
[695] 2 Théssaloniciens 2, 8.
[696] 2 Théssaloniciens 2, 11.
[697] Matthieu 24, 22
[698] Vatican II, Lumen Gentium 49.
[699] Ephésiens 4, 16
[700]
Par exemple à Pontmain où les enfants, tout en voyant la Vierge leur apparaître
dans le Ciel, ne perdaient pas contact avec les personnes qui les entouraient.
[701]
SCHONBORN (C) op. : « L’état de pèlerin de purification et de gloire » (La communion
des saints selon Vatican II), Communio, n° 13, 1, janvier-février 1988.
[702] I Corinthiens 13, 11.
[703] Job 4, 18.
[704]
« C’est donc l’homme finalement qui se juge lui-même : le Christ ne prononce
aucune condamnation, seul l’homme peut mettre une limite au salut. Il faut
enfin nous rappeler que le Christ n’est pas là tout seul : tout le sens de sa
vie terrestre a été de se construire un corps, de se créer sa plénitude :
« Son corps, c’est lui. C’est pourquoi la rencontre avec le Christ s’opère dans
la rencontre avec les siens, dans la rencontre avec son corps. » RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard
1994, p. 214.
[705]
2 Corinthiens 5, 10.
[706] Quel avenir pour le monde ? Lettre
pastorale du cardinal Gouyon à l’occasion de la Toussaint D. C n° 1706, octobre
1996.
[707]
Martelet, op. cité, p. 4I.
[708]
Matthieu 24, 27.
[709] Matthieu 11, 5
[710]
Matthieu 12, 32.
[711]
Question 11. Pour illustrer la possibilité de cette conversion au moment de la mort,
nous pouvons citer ce texte saisissant de la mystique allemande Adrienne von
Speyr. Dans une vision prophétique, elle voit des âmes hésitantes, entre
conversion et damnation. Elle décrit par mode symbolique l’état de leur choix ;
Communio, n°VII, 1 – Janvier-février 1981 « L’expérience du samedi saint »
[712]
Cet État d’opposition lucide, même s’il peut paraître rare, reste en tout cas
possible et se prolonge, par un choix définitif et libre, après la mort : Comme
l’affirme Boros : « Quiconque, au jour le jour, toute une vie durant, fait
l’expérience de sa vanité, peut se dire qu’il pourrait bien aboutir à l’enfer.
J’aboutirai là quand je suffoquerai de ma médiocrité personnelle, quand je me
serai totalement identifié à mon néant essentiel. C’est alors que je serai
perdu. » BOROS, L. : De l’esprit propre à inspirer une nouvelle définition
des fins dernières, en Concilium, 32, 1968, 67-76, 75.
[713]
Jean 7, 39.
[714] Voir Symbole Quicumque
sur l’obligation de croire explicitement au Christ pour être sauvé, la Constitution Benedictus Deus pour
l’obligation d’avoir la grâce avant la mort, 6° session du Concile de Trente qui montre que la charité seule justifie l’impie,
bonne volonté et foi n’étant que des préparations.
[715] Gaudium et Spes 22, 5.
[716]
Quelques hommes furent cependant amis de Dieu, dit l’Ecriture (Abraham, Moïse).
Même le roi David qui voulut aimer Dieu comme un ami (charité) se vit refuser
cette grâce : « 2 Samuel 6, 5
David et toute la maison d'Israël dansaient devant Yahvé de toutes leurs
forces. Comme on arrivait à l'aire de Nakôn, Uzza étendit la main vers l'arche
de Dieu et la retint, car les boeufs la faisaient verser. Alors la colère de
Yahvé s'enflamma contre Uzza : sur place, Dieu le frappa pour cette faute, et
il mourut, là, à côté de l'arche de Dieu. Ce jour-là, David eut peur de Yahvé
et dit : "Comment l'arche de Yahvé entrerait-elle chez moi?"
[717]
Job 10, 21.
[718]
Question 17, article 5.
[719]
Voir 2 Macchabées 12, 46.
[720]
Luc 16, 23.
[721] L’Anubis
des Egyptiens antiques, le messager de la mort des bouddhistes. On pourrait
citer dans toute l’ancienne religion le nom du messager chargé d’accueillir les
morts dans l’au-delà.
[722]
Voir notre traité, Question 18, article 5.
[723]
2 Corinthiens 5, 21.
[724]
2 Corinthiens 5, 21.
[725] Constitution « Benedictus
Deus ».
[726] 1 Corinthiens 15, 29.
[727]
Luc 12, 39.
[728]
Matthieu 25, 10.
[729]
Matthieu 18, 22.
[730]
Matthieu 4, 16.
[731]
Luc 21, 28.
[732]
Saint Augustin, « les deux cités »
[733]
Jean 13, 18.
[734] Rappel de la polémique moderne sur la notion
d’âme :
L’idée
que parler de l’âme n’est pas conforme à la Bible s’est imposée à tel point que
le nouveau Missale romanum de 1970
lui-même bannit de la liturgie des morts le mot « anima », qui a également
disparu du rituel des funérailles.
Qu’est-ce
qui a bien pu ruiner aussi rapidement une tradition aussi solidement implantée
depuis l’époque de l’Église primitive et toujours tenue pour capitale ?
L’apparente évidence des textes bibliques, à elle seule, n’y aurait
certainement pas suffi. La force d’impact des nouvelles réflexions vint
sûrement, pour une bonne part, de ce que la conception dite biblique d’une
absolue indivisibilité de l’homme rejoignait l’anthropologie moderne, de
caractère scientifique, qui situe l’homme tout entier dans son corps et ne peut
rien savoir d’une âme qui pourrait en être séparée.
Fort
heureusement, le Magistère de l’Église n’a pas manqué de rappeler l’absolue
valeur du concept d’âme séparée, survivant après la mort. Le Cardinal Ratzinger
écrit par exemple : « En ce qui concerne l’état intermédiaire entre la mort
et la résurrection, ce qui est important, c’est que l’Église maintienne
fermement la continuité et l’existence autonome de l’élément spirituel dans
l’homme, après sa mort, élément doué de conscience et de volonté, de telle
sorte que le « moi » de l’homme continue à exister. Pour désigner cet élément,
l’Église se sert du terme « âme. » Les rédacteurs du texte romain savent bien
que ce mot « âme » se rencontre dans la Bible avec des sens multiples, mais ils
constatent qu’ « il n’y a pas de raison sérieuse de rejeter ce terme et y
voient même l’outil linguistique nécessaire au maintien de la foi de l’Église »
Cardinal Ratzinger, Communio, mai 1980, p. 5.
«
La notion de l’âme telle que l’ont utilisée la liturgie et la théologie jusqu’à
Vatican II n’a pas plus à voir avec l’Antiquité que l’idée de résurrection.
C’est une notion strictement chrétienne ; elle n’a donc pu être formulée que
sur la base de la foi chrétienne dont elle exprime, en anthropologie, la
conception de Dieu, du monde et de l’homme. C’est pourquoi le concile de Vienne
en sa troisième session, le 6 mai 1312, a du défendre à juste titre cette
définition de l’âme considérée comme une notion adéquate à la foi : « De plus
nous réprouvons [...] comme erronée [...] toute doctrine qui met en doute
inconsidérément que la substance de l’âme raisonnable [...] soit en vérité et
par elle-même la forme du corps humain » ! La bulle Benedictus Deus (DS 109)
citée plus haut, suppose cette explication anthropologique dans sa doctrine de
la vision définitive de Dieu. » RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 156.
[735]
Commentaire de Qohelet, chap. 19.
[736] Métaphysique, chap. 3 n° 5.
[737] De anima, chap. 2.
[738] De l’esprit et de l’âme, Chap. 15.
[739] Commentaire du livre de Qohelet, Chap.
16.
[740] Pour les anciens Egyptiens, la survie du
Bâ (esprit) et du Kha (corps double psychique) est dépendante de la survie de
la momie du corps physique.
[741]
De anima, Chap. 4.
[742] De anima, chap. 4.
[743] De l’esprit et de l’âme, Chap. 15.
[744] Commentaire de la Genèse, Chap. 24.
[745]
1 Romains 16, 7.
[746]
Voir la question précédente, article 8 où la parousie du corps glorieux du
Christ est décrite.
[747]
Question 2, article 1.
[748]
Marc 12, 25.
[749]
Job 14, 21.
[750]
Question 8, a. 2.
[751] I Samuel 28, 27.
[752]
Luc 20, 36.
[753]
Tobie 12, 19.
[754]
Luc 16, 26 ; Ce texte de saint Luc s’applique en fait à décrire la distance qui
existe entre deux demeures de l’au-delà.
On peut cependant en étendre la portée jusqu’à la terre où le riche aurait bien
aimé se rendre pour alerter ses frères.
[755]
Question s diverses, Livre II, chapitre 3.
[756]
Lévitique 20, 6.
[757]
Du point de vue œcuménique, l’expression peut susciter quelques difficultés car
le jugement dont parle l’Ecriture est unique, à la fin du monde. Il serait donc
souhaitable de trouver un terme nouveau pour spécifier cette autre réalité
qu’est le jugement particulier. Mais en vérité, les deux jugements ne font
qu’un ou mieux encore, le second n’est que la somme et la manifestation de tous
les jugements particuliers. Ceux-ci gardent par conséquent une importance
capitale dans l’étude de l’eschatologie, parce que c’est l’homme qui se juge
lui-même dans la rencontre qu’il fait avec l’Être transcendant. Deux questions
surgissent à ce propos. Quand a lieu le jugement particulier ? Comment ce
jugement est-il rendu ?
[758]
BALTHASAR H. U, La dramatique divine,
4, le dénouement, Culture et Vérité, Namur 1993, p. 174-182 ;
Dans
la Somme théologique voir : Jugement.
Du jugement considéré comme l’acte de la justice humaine. Ia IIae, q. 60 ;-Du
jugement général ; en quel temps et en quel lieu il se fera ; sup. q. 88.-De la
forme du juge qui doit venir pour le jugement. sup. q. 90.
[759] Enchiridion 109, « Abditis receptaculis
»
[760]
2 Corinthiens 5, 1.
[761]
Les païens eux-mêmes crurent souvent, poussés par la nécessité d’une justice,
au jugement individuel après la mort. Voir, par exemple, La religion de
l’Egypte antique ; Platon, Gorgias, 522 c-527 e, Traduction d’Alfred Croiset,
Les Belles lettres, Paris, 1923. Chez les Pères de l’Église, cette vérité est
universellement enseignée. Voir saint Augustin, Sur le psaume 37, n°3 ; p. L,
36, 394. Newman montre l’urgence de se préparer en veillant et priant à ce
jugement. (Parochial and Plain Sermons, n°22, Paris, Lethielleux, 1906, p.
133-152)
[762]
Actes 17.
[763]
Ainsi, des trois cités dont parle Charles Journet sur la terre, il ne reste plus
dans l’autre monde que les deux cités de saint Augustin. Charles JOURNET. Les
trois cités : celle de Dieu, celle de l’homme, celle du diable : La pensée de
saint Augustin-La définition des trois cités-Les sens du mot « monde », Nova et
Vetera, 1958, 1, p. 25.
[764]
I Pierre 3, 19.
[765]
Genèse 42, 38.
[766]
Isaïe 53, 5.
[767]
2 Macchabées 12, 45.
[768]
Luc 16.
[769]
Le fait que toutes les âmes passent au jugement pourrait amener à identifier
totalement jugement particulier et jugement général. Nous montrerons qu’il existe
à la fois une différence et un lien intime (Question 52). Citons Balthasar : «
De l’ensemble du donné biblique, on retiendra comme le plus important le fait
suivant : l’unique jugement, sur tous et sur chacun, ne peut s’instaurer « qu’à
la fin. » Telle est, après des déclarations primitivement vagues sur le moment
du « Jour du Seigneur », la manière de parler, déjà au tournant de l’Ancien
Testament, et expressément dans le Nouveau. Mais s’agit-il de la fin de
l’individu ou de la fin de l’histoire ? Cette question n’est pas examinée ; ce
qui compte davantage et reste tout à fait essentiel, c’est que le contenu du
jugement sur chaque individu (le jugement appelé particulier ou mieux
personnel) s’inscrit dans l’acte du jugement général.
BALTHASAR
H. U, La dramatique divine 4, le
dénouement, Culture et Vérité, p. 349.
[770]
Jean 5, 24.
[771]
Jean 3, 18.
[772] Op. Cit. Constitution Benedictus
Deus.
[773]
Breviloquium n°7, le jugement dernier chapitre 1.
[774] Luc 6, 37.
[775]
Apocalypse 2, 23.
[776]
Matthieu 25, 21.
[777] Hébreux
4, 12.
[778]
Hans-Urs von BALTHASAR, Traduit de l’allemand par Robert Givord titre original
: « Die gottlichen Gechichte in der Apocalypse » Communio, n° X,
I-janvier-février 1985 / p. 13-14 : « On ne doit pas, concernant les pécheurs,
perdre l’espoir, comme de nombreux passages de Paul et de Jean l’autorisent et
même le recommandent. Ce n’est pas pour les Puissances du Mal que le Christ est
mort mais bien pour tous les hommes. Mais il n’appartient à personne de bâtir
des théories quant aux décisions que prendra le Souverain Juge à l’égard des
vivants et des morts, de tous et de chacun en particulier. Lorsque le Ciel et
la terre (auront disparu), l’Agneau ouvrira les livres tandis que « tous les
morts, grands et petits, se tiendront debout devant le trône et qu’ils seront
jugés, chacun selon ses œuvres » (20, 13). »
[779]
Sir. 7, 6.
[780]
Jean 5, 22.
[781]
Jean 5, 22.
[782]
Saint Bonaventure : Breviloquium, livre 7, 1.
[783]
Voir Question 51.
[784]
Les textes de l’Ecriture annonçant « le jour du Seigneur », c’est-à-dire le
jugement général de l’humanité, celui qui aura lieu à la fin du monde, sont
applicables au jugement particulier de l’individu dont nous traitons à présent.
Pour approfondir le sujet, on peut donc se reporter aux articles consacrés à la
forme sous laquelle le juge viendra (questions 50 et 51). Pour les objections 2
et 3, Voir Supplementum, quest. 90,
art. 1.
[785] Jean 5, 22.
[786] Matthieu 12, 41.
[787] 1 Corinthiens 6, 3.
[788] Matthieu 23, 9.
[789] Le
jugement « Tout comme le retour du Christ, le jugement échappe à nos efforts
d’imagination. L’essentiel de ce que veut dire ce mot apparaît au mieux quand
nous nous demandons qui est sujet du jugement selon la tradition biblique. Au
premier regard, la réponse semble incohérente. C’est Dieu d’abord qui est
qualifié de juge (2 Thessaloniciens 1, 5 ; 1 Corinthiens 5, 13 ; Romains 2, 3
sq. ; 3, 6 ; 14, 10 ; cf. aussi Matthieu 10, 28 et par ; Matthieu 6, 4-6-15-18)
; puis vient le Christ (Matthieu 25, 31-46 ; 7, 22 sq. ; 13, 36-43 ; Luc 13,
25-27 ; 1 Thessaloniciens 4, 6 ; 1 Corinthiens4, 4 sq. ; 11, 32 ; 2 Corinthiens
5, 10) ; enfin, en Matthieu 19, 28, il est dit aux Douze que lorsque le monde
sera « restauré », ce sont eux qui siégeront sur douze trônes et jugeront les
douze tribus d’Israël. Cette formule est encore étendue en 1 Corinthiens 6, 2
sq. : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde ? [1 Ne
savez-vous pas que nous jugerons les anges ? A plus forte raison, les affaires
de cette vie! « (Voir en outre Daniel 7, 22 ; Sg 3, 8 ; Apocalypse 3, 21).
Chez Jean, enfin, le jugement est ramené au présent de cette vie, de notre
histoire présente ; la décision intervient dès maintenant entre foi et
incroyance (3, 17 sq. ; 9, 39 ; 12, 47 sq.). Certes, le jugement final n’est
pas pour autant supprimé, mais un nouveau rapport s’établit entre jugement et
christologie. Du Christ, il est dit que « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans
le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (3,
17). « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver «
(12, 47). « Qui me méprise et n’accepte pas mes paroles a son juge ; la
parole que j’ai dite le jugera au dernier jour » (12, 48). La
distinction faite entre l’action personnelle du Christ et l’effet de sa parole
autorise ici une ultime purification de la christologie et de la notion de
Dieu. Le Christ ne condamne personne ; il est, lui, pur salut, et celui qui se
tient à son côté se trouve dans le lieu du salut. La damnation ne dépend pas du
Christ ; mais elle est le fait de l’homme resté loin de lui ; elle consiste en
ce que l’homme s’isole en lui-même. La parole du Christ, en tant qu’offre de
salut, devient alors manifeste : l’homme qui va à sa perte a lui-même tracé la
ligne de séparation et s’est retranché du salut.
Par-delà
la diversité apparente des représentations, un examen patient reconnaît très
bien l’unité de l’idée fondamentale. En mourant, l’homme s’en va vers la
réalité et la vérité sans voile. Il prend dès lors la place qui lui revient
selon la vérité. RATZINGER J, La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 212
[790]
Jean 12, 47 ;
[791]
« Dieu en Jésus ne juge pas, mais c’est l’homme qui se juge lui-même quand il
refuse le pur salut apparu en Jésus et ne devient pas clairvoyant par sa
lumière, mais prétend être capable de voir et de juger d’après sa propre
lumière. Un tel jugement de soi-même n’était déjà pas inconnu à l’Ancienne
Alliance et s’y manifestait : la justice immanente prenait soin que dans la
mauvaise action se trouve déjà sa propre punition. Là où le coupable pensait
tenir son méfait en son pouvoir, c’est le méfait qui entraîne le malfaiteur
dans le domaine de son pouvoir. Paul dit brièvement « Ce que l’homme sème,
il le récoltera » (Galates 6, 7).
Hans-Urs
von BALTHASAR jugement, Communio, 1980, n°3 p. 29 (traduit de l’allemand par
Jacques Keller).
[792]
On peut donc affirmer que l’enfer n’est pas une création de Dieu. C’est l’homme
qui se châtie lui-même et ainsi c’est lui qui se fait l’enfer, cette
anti-création qui vient du non-amour.
cf. RUIZ DE LA PENA, J. L. La otra
dimensión, escatología cristiana, o. c. 280.
BALTHASAR
H. U, La dramatique divine 4, « le
dénouement », Culture et Vérité, Namur, 1993, p. 265ss.
[793]
Hans-Urs von BALTHASAR : communio, n° x, I-janvier-février 1985.
On
pourrait (en jetant un premier coup d’œil pour scruter le sens de l’Apocalypse)
en donner l’interprétation suivante : celui qui me rejette (moi qui suis le
Verbe mais qui ne veux pas juger) refuse d’être jugé par moi, le Sauveur ; il
se juge lui-même. Jésus, le Sauveur Verbe de Dieu, est un glaive à deux
tranchants (cf. Apocalypse 1, 16) qui dans l’homme met « tout à nu et à
découvert » (Hébreux V 4, 12 s) et qui de cette façon dévoile si quelqu’un
veut ou ne veut pas être sauvé, autrement dit : s’il veut épouser ou non les
vues de Celui qui sauve et pardonne. De cette manière nous avons une clé non
seulement pour l’ensemble de l’Apocalypse mais pour le Nouveau Testament dans
sa totalité.
[794]
Cet article est repris dans le « Contre gentiles », saint Thomas d’Aquin, Livre
4, chap. 91 (respondeo et objections 1 à 4).
[795]
Justin, Dialogue avec Tryphon, LXXX, 3-5 éd. Archambault, t. II, p. 32-34.
[796]
AMBROISE, saint : De bono mortis, 10, 47.
[797]
pape Jean XXII.
[798]
Justin, Dialogue, V. 3. XLV,
4, Ed. Archambault t. I p. 30 et t. II p. 202.
[799] Job 36, 2.
[800] Luc 16, 22.
[801] Luc 23, 43.
[802]
Apocalypse 2, 7.
[803]
Un texte de l’Apocalypse déjà signalé semblait prouver qu’en attendant la résurrection,
les âmes dépouillées du corps et promises à la béatitude étaient gardées « sous
l’autel », avec le Christ. Or, au début du XIVe siècle, en Avignon, prêchant un
jour de Toussaint, le pape Jean XXII se mit à développer la thèse bernardine.
Vigoureusement, il expliqua qu’en attendant la résurrection, les âmes des
justes n’étaient pas encore au terme, mais « sous l’autel », au-dessous de
l’humanité du Christ, attendant le retour du Sauveur pour entrer avec lui dans
la gloire définitive. En 1331, cette thèse était certainement un anachronisme ;
elle était même en recul sur la théologie admise par le cardinal Jacques Duèse
avant son élévation au Pontificat. D’autre part, le Pape avait des ennemis,
princes temporels ou religieux (spirituels) condamnés précédemment. On
n’attendait qu’un faux pas pour s’en prendre à sa doctrine. Le sermon de la
Toussaint fit scandale. Mais le Pape s’obstina sans engager d’ailleurs son
magistère comme tel. Après s’être réclamé de saint Bernard, il cita des textes
d’Augustin encore plus anachroniques. L’université de Paris intervint alors,
les princes s’en mêlèrent et finalement, Jean XXII dut céder. A son lit de
mort, dans une déclaration qui honore ce vieillard nonagénaire, il fit lire une
profession de foi affirmant que les âmes purifiées, séparées de leur corps,
sont au Ciel dans le royaume des cieux, dans le paradis, qu’elles sont réunies
au Christ dans la société des anges et qu’en vertu d’une commune loi elles
voient Dieu et la divine essence, face à face et clairement, autant que s’y
prêtent l’état et la condition d’une âme séparée.
Comprenant
la gravité du problème et désirant mettre un terme à une agitation qui n’avait
pas uniquement pour cause des motifs théologiques, le successeur de Jean XXII,
Benoît XII, ex-cardinal Fournier, étudia personnellement la question ; il la
fit discuter par des théologiens compétents et enfin, le 29 janvier 1336,
promulgua la célèbre constitution qui porte son nom. Cette définition, dont on
trouvera le texte plus loin, tranchait une question fondamentale, mais laissait
encore en suspens d’autres problèmes. Désormais pour être catholique, il
faudrait tenir ce qui suit :
1° Depuis la mort et
l’Ascension de Jésus-Christ Notre Seigneur, les âmes des justes n’attendent pas
la résurrection et le jugement général pour voir Dieu face à face.
2° Cette vision de Dieu
constitue pour elles la béatitude, la vie et le repos éternels.
3° II n’y a donc plus lieu
pour elles de faire des actes de foi et d’espérance.
4° Cette vision ne
disparaîtra pas à la fin des temps pour faire place à une vision supérieure.
5° Quant aux damnés, ils
vont en enfer sans attendre le jugement dernier et ils subissent les tourments
de l’enfer proprement dit.
[804] Job 7, 1.
[805] Lévitique 19, 13.
[806] Joël 4, 4.
[807] Sagesse, 7, 25.
[808] Matthieu 5, 12.
[809]
Genèse 2, 8.
[810]
2 Corinthiens 4, 17.
[811]
2 Corinthiens 5, 1.
[812]
Romains 8, 24.
[813]
Romains 7, 24.
[814]
« Mon Dieu, parmi tous les mystères auxquels nous devons croire, il n’en est
sans doute pas un seul qui heurte davantage nos vues humaines que celui de la
damnation. Et, plus nous devenons hommes, c’est-à-dire conscients des trésors
cachés dans le moindre des êtres et de la valeur que représente le plus humble
atome pour l’unité finale, plus nous nous sentons perdus à l’idée de l’enfer. »
TEILHARD DE CHARDIN : Le milieu divin, seuil, 1957, 187 ;
[815]
A la fin de ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, Ernest Renan écrit : « Je
reçois plusieurs fois par an une lettre anonyme, contenant ces mots toujours de
la même écriture : si pourtant il y avait un enfer ! Sûrement la personne
pieuse qui m’écrit cela veut le salut de mon âme, et je la remercie ; mais
l’enfer est une hypothèse bien peu conforme à ce que nous savons par ailleurs
de la bonté divine. » Et il continue sur le même ton amusé : « l’infinie
bonté que j’ai rencontrée en ce monde m’inspire la conviction que l’éternité
est remplie par une bonté non moindre, en qui j’ai une confiance
absolue. »
[816]
La masse des textes qui nous parlent de la perdition peut nous aider à saisir
l’importance capitale de cette notion : Tb 13, 2 ; Ps 91, 8 ; Es 66, 24 ; Jr 7,
15 ; 29, 16-19 ; Lm 4, 16 ; Matthieu 8, 12, 10, 28 ; 10, 39 ; 12, J2 ; 25, 30.
45s ; Marc 3, 29 ; Luc 12, 5 ; 12, 10 ; 13, 28 ; 15, 4 ; 19, 10 ; Jean 5, 29 ;
6, 39 ; 8, 21 ; 18, 9 ; 3, 16 ; 10, 28 ; Romains 2, 12 ; 1 Corinthiens 1, 18 ;
15, 17s ; 2 Corinthiens 2, 15 ; 4, 3 ; Sagesse 5, 5 ; 2 Théssaloniciens 2, 10 ;
Hébreux 6, 6, 1 Jean 3, 14-15 ; Jude 5 ; Apocalypse 22, 15.
THOMAS
D’AQUIN : Voir dans la Somme théologique
les multiples références où saint Thomas aborde la question de l’enfer ; elles
seraient trop longues à citer ici.
[817]
Bulle « Laetensus Caeli », Eugène 4, 6 juillet 1439 ;
[818]
Luc 23, 34.
[819]
Romains 7, 5. Rappelons que nous traitons ici de la notion thomiste du péché mortel,
péchés contre le Père, le Fils et le Saint Esprit.
[820]
Jean 15, 22.
[821]
C’est-à-dire qu’il aboutit à la damnation éternelle.
[822]
Galates 5, 17.
[823]
S’ils ont maltraité les fils des hommes, ne maltraiteront-ils pas de la même
façon le Fils de l’Homme ?
[824]
Nous n’insistons pas sur l’éternité de l’enfer dont la réalité est suffisamment
prouvée par la nature du blasphème contre le Saint Esprit.
[825]
Jean 15, 22.
[826]
L’homme ne va pas en enfer : il y reste. Pour cette raison, on comprend
l’affirmation des scolastiques selon lesquels l’enfer est aussi un indice de
l’amour de Dieu. La bienveillance divine tolère que sa créature se refuse, même
définitivement, à son amour. Personne
n’est forcé d’accepter les dons de Dieu et chacun est libre de les refuser ;
dans cette extrême garantie de la liberté se trouve le signe de la patience, du
respect et de l’amour du Créateur pour sa créature. Vitalini Sandro, Théologie
de l’au-delà, Université de Fribourg,
Suisse. 1980.
[827] Proposition de foi des évêques de France,
1978, Documentation catholique, n° 1073.
[828]
(Balthasar H. U, La dramatique divine
4, Culture et vérité, Namur 1993, p. 293 :
[829] L’enfer est choisi par
le damné pour un « bien » qu’il y trouve : « Peut on assumer les horreurs de certains pouvoirs ?
Même en Enfer, régner est digne d’ambition :
mieux vaut régner en Enfer que servir au Paradis
L'esprit est à lui-même sa propre demeure
:
il peut faire en lui d'un Ciel un Enfer
et d'un Enfer un Ciel. (livre I p 7))
Règne dans l'Enfer si tu veux, c'est ton
royaume ;
mais laisse moi servir dans le Ciel et obéir
au commandement qui mérite le plus d’être
obéi.
Dans l’Enfer, attends non des royaumes, mais
des chaînes.(livre VI, p 106)
Les honteuses idolâtries ajoutées à la somme
des iniquités irritent nos sensibilités (livre XII, p 231). »
(John
Milton, Le paradis perdu ; traduction Chateaubriand, classiques
Garnier)
[830]
Marc 1é, 31.
[831]
C’est tout l’objet de son ouvrage : « Les deux cités. »
[832]
Matthieu 10, 39.
[833]
Marc 10, 30.
[834]
1 Jean 2, 16.
[835]
Luc 21, 12.
[836]
Apocalypse 16, 9.
[837] La mort et l’au-delà, Communio-Fayard,
1994, p. 22.
[838] « La Foi Catholique », chap. VI, p.
195.
[839]
Nous abordons maintenant les six péchés contre l’Esprit, c’est-à-dire les six
manières dont vont se concrétiser à l’heure de la mort les égoïsmes dont nous
parlions. Le blasphème contre la personne de l’Esprit Saint ou son attribution
chez saint Thomas d’Aquin. On trouve son étude dans Ia IIa IIae, Question s 14.
15, 40, 41, 44,
[840] Quel
avenir pour l’homme ? Lettre pastorale du cardinal Gouyon à l’occasion de la
Toussaint, Documentation catholique. n°1706, Octobre 1976.
[841] cf. Luc 16, 31.
[842] Matthieu 12. 31.
[843]
II Sentences, distinction 43, Q. 1, Article 3.
[844]
Jean 4, 11.
[845]
Plusieurs textes semblent manifester la gravité extrême du péché de ces prêtres
: Matthieu 12, 32, Jean 11, 45-53 ; On retrouve ce même genre de péché lié au
désir du pouvoir dans l’évêque Mgr. Cauchon face à Jeanne d’Arc.
[846]
Jean 9, 32.
[847]
Il va de soi que, si les paroles parfois extrêmement dures et prophétiques de
Jésus sur ces hommes peuvent nous suggérer une telle conclusion, nous n’avons
pas à juger nous-mêmes les cœurs que seul Dieu sonde. En conséquence, il est
impossible d’affirmer avec certitude qu’ils se sont damnés.
[848]
Jérémie 2, 20 ; La possibilité du blasphème contre le Saint-Esprit est prise
très au sérieux par Balthasar : « Parler d’une « sorte de salut global et
vague est en tout cas exclu » ; « ce ne serait pas une manière de traiter le pécheur
selon la dignité humaine » « Si nous interdisons au Christ de nous relever,
nous restons dans notre péché, et la dissociation (entre nous et nos fautes)
qui ne s’accomplit qu’en lui, demeure impossible » Il est du pouvoir de l’homme
de se retrancher du Ciel et, jusque « dans la mort, il peut tourner le dos à la
lumière de la vie éternelle. » Ici encore joue la dynamique du refus toujours
plus obstiné : « plus l’intimité d’un homme avec le Seigneur est grande, plus
grandit aussi le risque de s’en éloigner » Mais quiconque se soustrait au
jugement d’amour du Fils forcera alors « le Père à substituer à l’amour le
jugement et la condamnation. Or malheureusement, nous pensons toujours à « un
jugement, une rétribution », plutôt que de tendre à l’amour! « Nous préférons
être jugés, comme nous voulons juger les autres. »
Il
serait bon que l’homme considère alors son refus à la lumière du Seigneur. Mais
« s’il se contentait de se tourner vers lui en masquant son péché, le Seigneur
ne serait d’aucun secours pour lui. »
Dans
cette hypothèse, le Sauveur, le bon pasteur, se trouve alors lui-même dans une
impasse, « car les brebis sont toujours libres de le suivre ou non .»
Insatisfaites du don que le berger fait de sa vie, « elles attendent de lui
qu’il les sauve malgré qu’elles s’en défendent. A la croix, le Seigneur s’est
vidé de tout son amour, mais voilà que les hommes pèchent en dépit de tout :
c’est comme si on lui faisait grief de ne pas les avoir sauvés complètement. » BALTHASAR
H. U, La dramatique divine 4, le
dénouement, Culture et Vérité, Namur 1993, p. 263-264.
[849]
Matthieu 8, 12.
[850]
Jean 13, 26.
[851]
Matthieu 26, 24.
[852] Amos 8, 4.
[853] Matthieu 26, 42.
[854]
Jean 19, 37.
[855]
Ce péché contre l’Esprit fut sans doute la plus grande tentation d’Hitler à
l’heure de sa mort, lorsque, accueilli par les Juifs qui étaient prêts à lui
offrir leur pardon, il comprit qu’il pouvait être au paradis avec eux mais plus
petit qu’eux, chacun servant tout le monde.
[856]
Ce terme est précis. Le pardon est proposé. Il n’est pas donné car il est
aberrant de pardonner tant que la contrition n’est pas là. L’amour n’est pas
une vertu molle mais emplie de la droiture de la vérité.
[857]
Siracide 3, 26.
[858]
Romains 6, 29.
[859]
Osée 4, 18.
[860]
BALTHASAR H. U, La dramatique divine,
4, « le dénouement », culture et Vérité, Namur 1993, p-262ss. « Il s’agit du
cas très sérieux de l’homme qui résiste en se dressant contre la grâce de la
nouvelle Alliance, achetée « à grand prix » par la Croix et « s’obstine
toujours plus dans le refus. » Or Jésus « ne veut pas accomplir son œuvre sans
la participation des croyants. Ceux-ci ne bénéficient pas de la rédemption
contre leur gré. » « Car la décision de croire n’est pas seulement un don de
Dieu, elle est en outre un acte personnel » qui doit être constamment renouvelé
; Il arrive peut-être que l’on soit frustré de son mérite (Colossiens 2, 18).
Mais, en dernière analyse, « l’individu est responsable de son oui ou de son
non. » Il lui est possible de « s’endurcir dans sa liberté, jusqu’à suivre sans
s’arrêter le chemin qu’il a choisi et qui le sépare de Dieu sans esprit de
retour » Le jugement, dit l’épître de Jacques (2, 13), n’exerce pour nous
aucune miséricorde si nous sommes nous-mêmes sans miséricorde, « parce que la
justice, afin de s’exercer, doit rencontrer la miséricorde. Dans le jugement,
le Seigneur cherche ce qu’il a mis en nous, et s’il ne rencontre pas la
miséricorde dont il nous a gratifiés, il ne lui reste plus alors que de laisser
fondre sur nous un jugement de justice stricte, tel que nous-mêmes nous
l’exigeons. »
[861]
Romains 2, 15.
[862]
Luc 11, 32.
[863]
Voir aussi : Les peines de l’enfer, Nouv. Rev. Théol », 1940, p. 397.
R.
Bernard, Enfer, Dictionnaire de Théologie
Catholique, t. IV, col. I00.
Catharin,
De bonorum praemio et supplicio aeterno malorum, 1542.
Sur
l’auteur, cf. M, M. Gorce, Politi, Dictionnaire
de Théologie Catholique, t. XII 2418-2434.
[864]
Romains 9, 3.
[865]
Matthieu 25, 41.
[866]
Voir Traité de la vision béatifique, question 1, a. 1.
[867] Les
damnés fuient par toutes les activités extérieures qu’ils peuvent trouver, le
silence qui les obligeraient à méditer sur leur malheur.
Charles
Journet commente (Nova et Vetera, 1968/l, p. 282) : « Une perpétuelle
agitation, une prodigieuse activité, une formidable dépense d’énergie, telle
est la condition des damnés. Ni les démons ne perdent la richesse et les
ressources originelles de leur nature angélique, ni les réprouvés la dignité de
leur âme immortelle créée à l’image de Dieu. En même temps que leur nature,
l’élan premier qui les porte à désirer et à chercher le bonheur ne saurait ni
leur être ôté ni péricliter en eux. Ce sont des dons irrévocables et
indestructibles de la Bonté créatrice. Ils peuvent en abuser, ils ne peuvent,
sans se nier eux-mêmes, les récuser.
Sans
doute, leur volonté est fixée immuablement dans le mal, comme celle des élus
dans le bien. Mais sous la décision fatale qui les rive à leur propre gloire
comme à leur fin dernière, leur libre arbitre demeure intact car le libre arbitre
concerne l’élection et porte sur le choix des moyens en vue d’une fin. Il va de
soi que si la fin ultimement visée est mauvaise, toute l’activité qu’elle
commande sera déviée.
Saint
Thomas distingue donc chez les damnés une volonté de nature et une volonté
délibérative. La volonté de nature, qui persiste en eux, vient de Dieu même
elle est bonne et tend à l’être et au bonheur. Mais la volonté délibérative, en
vertu de laquelle ils se sont détournés définitivement de Dieu, est en eux
irrémédiablement pervertie en sorte que le bien qu’ils peuvent vouloir, ils ne
le veulent pas de la bonne manière et pour les borines raisons, et que, même
alors, leur volonté n’est pas bonne
De
qu’elle nature peut être l’extraordinaire explosion d’activité dans laquelle
sont engagés les damnés ? Comment ne serait-elle pas anarchique, puisque chacun
d’eux cherche, en dernière instance, à tourner toutes choses à sa propre gloire
? Une seule fin sera capable de la coordonner : la haine commune qu’ils ont
contre Dieu et contre l’ordre universel de la création. Elle échoue sans cesse,
mais renaît sans cesse. Elle leur est nécessaire : elle trompe leur désespoir
foncier par des tentatives toujours différentes. L’espérance théologale brisée
à jamais en eux, cèderont effet la place à une pullulation de vains espoirs.
Plutôt qu’au Sisyphe de l’Odyssée, qui recommence le même effort de pousser son
rocher jusqu’au faîte d’une montagne et défaille au dernier instant, il
faudrait penser à une activité intelligente, inventive, fertile en trouvailles,
en initiatives, en imprévus, et s’exerçant dans des conditions et d’une manière
chaque fois renouvelées ; songeons à ces entreprises insensées dont Milton
voudrait nous donner l’idée quand, au début de son Paradis perdu il essaie,
sans guère y réussir, de nous décrire le complot des anges rebelles. L’enfer
est une « histoire », non un recommencement cyclique des mêmes événements. Le
mythe antique de l’éternel retour, qui enivre le Nietzsche de Zarathousstra, et d’après lequel le
nombre des échanges possibles entre les êtres étant épuisé, tout recommencerait
identiquement, est une absurdité. Des agents libres introduisent, en effet,
continuellement de nouveaux effets dans la trame de la durée, on sorte que
jamais les circonstances ne se reproduiront inchangées. L’activité de l’enfer
n’est pas comparable au fonctionnement d’une machine : c’est une histoire qui
s’invente et se déroule. »
[868]
Origène, Des principes, II, 10, 4-5.
[869]
« Se perdre, comprend-on la force de ce mot ? Se perdre, sans s’échapper à
soi-même. Etre dans l’Etre, avoir son centre hors de soi, sentir que toutes les
puissances de l’homme, se retournant contre l’homme, lui deviennent hostiles
sans lui être étrangères, n’est-ce point la conséquence et la peine de
l’orgueil, leur suffisance d’une volonté solitaire qui a place son tout là où
il n’y a rien pour la combler ? C’est une juste nécessite que l’homme dont
l’égoïsme a rompu avec la vie universelle et avec son principe soit arraché du
tronc commun. Et, jusqu’aux racines de sa substance, il périra sans fin, parce
que tout ce qu’il avait aimé sera en quelque sorte dévoré et anéanti par la
grandeur de son désir. Qui a voulu le néant l’aura ; mais qui l’a voulu ne sera
pas détruit pour cela. Et pourquoi pas l’anéantissement total de ceux qui se
sont séparés de la vie ? Mais non. Ils ont vu la lumière de la raison, ils
gardent leur volonté indélébile, ils ne sont l’homme qu’en étant
inexterminables. Ils ont circulé dans la vie et agi dans l’être. C’est à
jamais! Rien, en leur état, qui résulte d’une contrainte extérieure, ils
persévèrent dans la volonté propre qui est à la fois crime et châtiment. Ils ne
sont pas changés. Ils sont morts, et ce qu’ils ont d’être est éternel. Comme un
vivant lié des deux bras à un cadavre, qu’ils restent Leur idole morte!
Refuser
son concours, livrer nos cœurs et nos œuvres à l’embrassement des faux biens,
c’est un adultère. Cette union qui nous constitue, ce lien que nous voulons de
nous à lui, comme il l’a voulu de lui à nous, nous pouvons le violer sans le
briser jamais. Grandeur redoutable de l’homme. II veut que Dieu ne soit plus
pour lui, et Dieu n’est plus pour lui. Mais gardant toujours en son fond la
volonté créatrice, il y adhère si fermement qu’elle devient toute sienne. Son
être reste dans l’Etre. Et quand Dieu ratifie cette volonté solitaire, c’est le
dam.
M. Blondel, l’action, 1893, p. 372-373
[870] Psaume 10, 7.
[871] Job 24, 19.
[872]
Constitution « Benedictus Deus. »
[873] JEAN
DE LA CROIX : Les avis, sentences et maximes, textes présentes par Dom
Chevallier, DdB, Paris, 1933, 206-208 (150).
Nous
trouvons dans le prophète Isaïe que chaque pécheur a son propre feu qui le
châtie : « Marchez, dit-il, à la lumière de la flamme que vous vous êtes
allumée vous-mêmes » (Isaïe 50, 11). Ces paroles semblent indiquer que chaque
pécheur allume pour lui-même la flamme de son propre feu, et qu’il n’est pas
plongé dans quelque feu qui aurait été auparavant allumé par un autre et qui
aurait existé avant lui. De ce feu, l’aliment ce sont nos péchés. Origène, des
Principes II, 10, 4-5.
[874]
A une époque où nombre de points restaient obscurs, Origène, génialement du
reste, avait parlé du feu de l’Enfer. Pour lui, ce feu désignait le tourment
intérieur d’une âme devenue pleinement consciente de son péché Sauf quelques
rares exceptions, la tradition ne l’avait pas suivi, insistant sur la réalité,
voire sur la matérialité du feu de l’enfer. Au XVIe siècle, un dominicain, qui
en prenait souvent à son aise avec les traditions théologiques de son ordre,
prétendit revenir purement et simplement à Origène. Dans un petit livre sur la
récompense des bons et le châtiment éternel des méchants, Catharin entend
prendre position dans une question libre et invite ses lecteurs à ne pas le
traiter immédiatement d’hérétique. Dans la récompense des élus, dit-il,
l’essentiel est la vision de Dieu, le reste même le rejaillissement de la
béatitude sur les corps glorifiés « dans le Ciel empyrée » est accidentel. De
même, quelles que soient la multitude et l’ampleur des tourments des damnés,
l’essentiel de leur châtiment est la privation de la vision de Dieu, privation
qui aura ses degrés comme au Ciel la gloire des élus. Mais qu’en est-il du feu
? Ceux qui croient à un feu matériel invoquent l’Ecriture, mais ils s’engagent
dans des difficultés inextricables. Comment un feu matériel peut-il tourmenter
des esprits ? On dira qu’ils portent ce feu partout avec eux, mais a-t-on songé
aux cas de possession ? Le Seigneur, certes, a parlé du feu, mais il a parlé
aussi d’un ver rongeur ; dans la parabole du mauvais riche, le sens
métaphorique s’impose pour la plupart des détails. Compte tenu de la difficulté
de répondre aux objections de la raison, notre théologien conclut : Le feu de
l’enfer est un feu métaphorique. Catharin fut aussitôt combattu, mais comme
toujours, la réaction dépassa la mesure.
[875]
Dialogue 29.
[876]
Ces objections (1 à 8) sont tirées de saint Thomas d’Aquin, Supplementum Question 70, article 3.
[877] Commentaire de la Genèse 33.
[878] Dialogue 4, 43.
[879]
A. Michel, le feu de l’enfer, Dictionnaire
de Théologie Catholique Tome 4, Colossiens. 2218.
[880]
Question 52, a. 4.
[881]
Tobie, 8, 3.
[882]
Luc 8.
[883]
L’enfer a été parfois présenté comme un immense camp de concentration où les
tortures les plus raffinées sont appliquées aux damnés selon la loi du talion.
Il y aurait alors bien plus de souffrances, de tortures et de mal dans l’au-delà que sur n’est certes pas une
perspective encourageante sur la création de Dieu et sa bonté. Il est dans ce
cas bien évident que des gens se révoltent, ne pouvant concilier la bonté
divine à la cruauté de ces souffrances éternelles.
Vitalini
Sandro, Théologie de l’au-delà,
Université de Fribourg-Suisse, 1980, p. 7.
[884] «
En ce qui concerne les conditions de l’homme après la mort, le danger de
représentations imaginatives et arbitraires est particulièrement à redouter,
car leurs excès entrent pour une grande part dans les difficultés que rencontre
souvent la foi chrétienne. Les images employées dans l’Ecriture méritent
cependant le respect. II faut en saisir le sens profond, en évitant le risque
de trop les atténuer, ce qui équivaut souvent à vider de leur substance les
réalités qu’elles désignent. » Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre sur quelques questions concernant
l’eschatologie
[885]
La volonté du damné est divisée, déchirée. Il souffre une peine afflictive
qu’il ne veut pas, dont il a horreur : en effet, il tend naturellement à Dieu
en vertu de la structure de son être ; et du fait même qu’il a été ordonné à la
vision surnaturelle de Dieu ; du fait même que la vie éternelle qu’il refuse
lui a été offerte ; bref, du fait même qu’un bonheur qui comble à l’infini sa
capacité de désir lui a été montré possible dans l’instant même qu’il le
refuse, et a éveillé la faim de tout son être, la béatitude surnaturelle est
devenue pour lui l’unique terme dans lequel son ordination naturelle peut être
satisfaite ; elle est devenue pour lui un bien réclamé par son être, un bien
dont l’absence est une privation et la pire de toutes.
Jacques
Maritain, « neuf leçons sur les notions premières de la philosophie morale »,
Paris, Téqui, 1951, pp. 189-190.
[886]
Marc 9, 48.
[887]
Sagesse 17, 4.
[888]
Jean 19, 37.
[889]
Six fois en Matthieu, une fois en Luc ; ex : Matthieu 8, 12.
[890] Luc 16, 23.
[891] Job 1, 6.
[892] Matthieu 22, 13.
[893]
Sagesse 5, 2.
[894]
Apocalypse 19, 10.
[895]
Deutéronome 29, 12.
[896]
Isaïe 34, 9.
[897]
Apocalypse 2, 11.
[898]
Jean-Paul Sartre.
[899]
Sagesse 5, 21.
[900]
FRANCOIS DE SALES, saint : Traité de
l’amour de Dieu, 9, 1.
[901]
Cet article est celui de saint Thomas, Supplementum
Question 89, a. 1.
[902]
« Nous venons de lire que le réprouvé continue de vouloir la révolte qui fait son
malheur. Est-il possible qu’on veuille le malheur ? Non ; c’est toujours un
bien que cherche la créature libre ; mais ce bien peut être lié à quelque grand
désordre qui fera son malheur. Saint Thomas cite l’exemple d’un homme
emprisonné, qui pour assouvir sa vengeance ne songe qu’à tuer son ennemi, et se
repaît de la haine même qui le ravage et le désespère. A la forme commune et
banale du désespoir, celle de l’homme qui ne veut pas être lui-même et fuit
dans les compensations du rêve, Kierkegaard oppose une forme suprême du
désespoir, qu’il appelle démoniaque, où l’homme, au contraire, se dresse contre
tout ce qui n’est pas lui, où il veut être lui-même contre tout l’univers et
jusque contre Dieu, cherchant à s’enfoncer comme une écharde dans le cœur de
Dieu ; ou, selon une autre comparaison, s’efforçant d’être dans l’œuvre divine
comme la coquille fatale, cent fois corrigée par l’auteur, mais obstinée à
renaître afin de détruire tout le sens d’un beau poème »
[903]
Matthieu 22, 14.
[904]
Apocalypse 7, 4.
[905]
Apocalypse 9, 18.
[906]
cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia 63, 9, ad l.
[907]
Par exemple pendant les apparitions de la Vierge à Fatima.
[908]
Matthieu 8, 12.
[909]
Métaphysique 1.
[910]
C’est le cas des témoins de Jéhovah.
[911] Jean 17, 12.
[912] 1
Corinthiens 3, 15.
[913]
Hans-Urs von BALTHASAR, Jugement Communio (traduit de l’allemand par Jacques
Keller).
[914] Matthieu 12, 32.
[915] ibidem 25, 42 s.
[916] „Kleine
Diskur. »
[917] Genèse, 3, 5.
[918]
Le milieu divin, Paris, édit. Le Seuil, 1957, p. 189.
[919]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 98, a. 1.
[920]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 98, a. 2.
[921]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 98, a. 3.
[922]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 98, a. 4.
[923]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 98, a. 5.
[924]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 98, a. 6.
[925]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 98, a. 7.
[926]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 98, a. 8.
[927]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 98, a. 9.
[928]
Depuis les Pères jusqu’à l’âge moderne (Péguy, Papini et même Barth), on a
voulu mitiger cette vérité en imaginant soit une réduction progressive des
peines, soit leur fin. Mais ces théories se heurtent à l’affirmation de la Foi
Catholique qu’il n’y a repentir là où le choix a été parfaitement lucide et
définitif. Dans leur refus, l’ange et l’homme ont voulu, ils l’ont obtenu : ils
ont affirmé leur personnalité en opposition à Dieu. Ce n’est pas Dieu qui ne
veut pas pardonner, c’est le pécheur qui ne veut pas l’être.
Pour
Origène, les peines de l’enfer ne sont pas éternelles, à moins qu’on n’admette
que la succession indéfinie des mondes ne soit comme la transposition chrétienne
du mythe de Sisyphe, les damnés impuissants recommençant perpétuellement leur
existence manquée. Mais on interprète habituellement ici la pensée origénienne
en la qualifiant de restitutionnisme intégral. » Quelles qu’aient été leurs
aventures, leur histoire, toutes les créatures raisonnables seront finalement
sauvées et jouiront de la béatitude éternelle. Toutes, même le démon, la
logique l’exige, puisque au départ il n’y a pas de différence de nature entre
les esprits également intelligents et libres. »
[929]
Les objections viennent de saint Thomas, Supplementum,
Question 99, a. 2.
[930] Le mystère de l’enfer, Nova et Vetera,
265 ; Charles JOURNET. Dieu est-il responsable du péché ? p. 206-Nova et Vetera, 1959, 3.
[931] Jean, 1, 9.
[933] VITALINI, Sandro : La predicazione del mistero dell’inferno, en La Scola, Catholica,
1971, 3, 194-209.
[934]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 99, a. 2.
[935]
Voir Supplementum, Question 99, a ; 3
; Traités par saint Thomas dans sa jeunesse, ces articles revêtent parfois une
marque littéraire farouche comme l’Ancien Testament. Rappelons-le : Nous avons
vu que ce n’est pas pour n’importe quel péché mortel que l’homme est damné mais
seulement pour celui qui est pleinement conscient et volontaire, à savoir le
péché contre l’Esprit Saint. Dieu n’applique donc pas à l’homme une stricte
justice et sa miséricorde est toujours prête à pardonner. La cause première de
la damnation éternelle n’est pas en Dieu mais en l’âme elle-même. Elle tient en
deux choses :
1)
à la nature du péché commis qui est par soi irrémissible selon la parole du
Seigneur : « Celui qui blasphème contre le Saint Esprit ne sera pardonne ni
en ce monde ni dans l’autre » La raison en est que celui qui commet un tel
péché le fait de telle manière qu’il n’a que faire du pardon de Dieu et se
complet librement et obstinément dans sa perversion.
2)
à l’état de la nature humaine après la mort qui ne peut en aucune manière
revenir sur ses actes ni dans le sens du bien ni dans le sens du mal :
l’intelligence libérée du conditionnement des sens connaît d’une manière
intuitive la nature des réalités et ne peut plus errer. La volonté qui suit
l’intelligence demeure donc irrémédiablement fixée sur ce qui lui apparaît une
fois pour tout le bien absolu. Ainsi, la justice divine, en appliquant à l’âme
la peine de l’éternelle damnation ne fait que lui attribuer ce qu’elle mérite
elle-même. C’est en premier lieu l’homme et non Dieu qui est cause de l’éternité
de l’enfer.
[936]
GREGOIRE DE NYSSE, saint : Or. Cath.
26, 7-9 ; 35, 14-15.
[937] Concile Vatican II, Lumen Gentium 48.
[938] Hébreux 9, 27.
[939] cf. Matthieu 25, 31-46.
[940] cf. Matthieu 25, 41.
[941]
cf. Matthieu 25, 41.
[942]
Matthieu 22, 13 et 25, 30.
[943]
Voir dans la Somme théologique, Supplementum Question 99, a. 5.
[944]
Matthieu 25, 40.
[945]
Pour conclure cette question 14, citons Urs von Balthasar[945] : « Si l’on admet
que rien dans le monde n’est créé sans le Verbe-Parole ni en dehors de lui[945], alors « l’essence la
plus intime » du monde repose « sur le Verbe de Dieu et n’est intelligible que
par lui. De ce point de vue, même la tentative faite par un homme de s’exclure
de la vie trinitaire de rédemption du monde dans le Christ et de créer en soi
l’enfer, demeure inscrite dans la mouvance du Christ ; à ce titre, elle est
déterminée par son essence et sa direction, qui consiste à communiquer au monde
la liberté du bien absolu. Seule la liberté du Christ est assez puissante pour
briser nos esclavages et réduire leur désordre à une unité ordonnée. Il est
vrai que cette union nous conduit, au terme, à un jugement où toute la
diversité de notre vie et de notre action se trouve condensée en une parole
unique, celle-là même que nous avons toujours perçu, dès le début de notre
entrée dans la foi, et dans laquelle toute parole et tout acte de notre part se
trouve inscrit. Ce qui, vu du dehors, apparaît comme soumission terrestre au
Christ, est, considéré de l’intérieur, libération pour l’éternel. Le concept de
liberté lui-même subit, dans la soumission au Christ, un tel élargissement que
toutes les libertés terrestres en apparaissent limitées et insignifiantes, du
fait qu’elles se heurtent toujours à des frontières. Au contraire, l’espace
ouvert par le Christ est traversé « par le souffle de l’Esprit qui procède du
Père et du Fils », il est trinitaire. La soumission au Christ, et elle seule,
introduit dans « la loi parfaite de liberté », de même que la soumission
suprême de Jésus à la Croix signifie tout autant l’actualisation suprême de sa
liberté. Notre soumission représente donc la confirmation de notre liberté.
C’est à l’intérieur de l’obéissance que Dieu accorde la liberté. Plus un homme
se décide pour Dieu et s’attache à lui, plus sa liberté se constitue en
liberté. »
[946]La
Tradition chrétienne parle encore du feu du purgatoire, de l’endroit où il
serait situé, et de la durée des peines que les âmes justes y endurent. Rien
cependant n’a été défini par l’Église à propos de ces divers points. Bien plus,
on peut affirmer que ces termes, selon le sentiment commun des théologiens, ne
doivent pas être entendus ici comme désignant ce qui y correspond dans notre
expérience humaine actuelle. Le Concile
de Trente, d’ailleurs, a condamné avec une particulière rigueur toute
curiosité indiscrète concernant ces questions difficiles. La prudence demande
donc qu’en matières on n’accepte qu’avec réserves des récits ou des
spéculations où l’imagination aurait plus de part que la raison, et qui,
peut-être, seraient inspirés par des préoccupations peu conformes à l’esprit
chrétien.
L’intention
de l’Église cependant n’est pas d’interdire aux théologiens de scruter par la
raison certains aspects de ce point de notre foi. C’est ce que nous voudrions
faire dans cette note à propos de la durée des peines du purgatoire, et de son
rapport aux suffrages offerts par les fidèles pour le soulagement des âmes qui
y souffrent. RATZINGER J, La mort et l’au-delà, p. 228.
Voir
dans la Somme théologique :
Satisfaction. En quoi consiste la satisfaction. sup. q. 12.-De sa possibilité.
sup. q. 13.-De sa qualité. sup. q. 14.-Des choses par lesquelles on satisfait.
sup. q. 15-Des suffrages. Des suffrages des morts. sup. q. 74, purgatoire. Les
âmes des fidèles qui n’ont pas été purifiées ici-bas sont purifiées par le feu
du purgatoire. sup. q. 69, 2. c. et 7. c. et q. 100. 1, c et ad 2.-Si le feu du
purgatoire est localement séparé de celui de l’enfer. sup. q. 100. 5. La
moindre peine du feu du purgatoire surpasse toutes les peines de cette vie.
Sup. q. 100, 5. o.-Les âmes supportent les peines du feu du purgatoire d’une
volonté conditionnelle selon qu’elles n’arriveront pas à la béatitude sans
passer par ces souffrances. sup. q.-100. 4. o ;-La justice divine purifie les
âmes des fidèles par le seul feu du purgatoire sans le ministère des démons.
[947]
Apocalypse 14, 13.
[948] Lettre à Mekhitar d’Arménie, 29
septembre 1351 (DS 854), Voir aussi DS 1304, DS 1820.
Concile de Trente,
Session 25, D. B, Enchiridion, 983,
Trad. A. Michel, purgatoire, Dictionnaire
de Théologie Catholique 1278-1279.
[949] 2 Macchabées. 12, 46.
[950] 1 Corinthiens 3, 15.
[951] Luc 12, 59.
[952] Lumen Gentium, 49.
[953]
1 Rois 19, 13.
[954]
Matthieu 19, 25 : « Entendant cela, les disciples restèrent tout interdits :
Qui donc peut être sauvé ? Disaient-ils. Fixant son regard, Jésus leur dit : «
Pour les hommes c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible. »
[955]
Autant que faire se peut pour une créature limitée
[956]
Ce que l’Écriture appelle « le baptême d’eau et d’esprit. » Jean 3, 5
Jésus répondit : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître
d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. » De même,
l’eau et le sang qui sortit du côté du Christ symbolisaient ces deux qualités.
Il s’agit donc d’un mystère central de la Révélation.
[957]
Voir principalement le célèbre Traité du
purgatoire de sainte Catherine de Gênes. A propos des trois degrés du
purgatoire, dont on peut aussi en extraire la doctrine des traités de théologie
mystique (Voir par exemple la structure générale du château intérieur de sainte Thérèse d’Avila.
[958] Traité du purgatoire.
[959]
Voir Apocalypse 8, 1 : « Il se fit un silence dans le Ciel, environ une
demi-heure. », c’est-à-dire le temps d’une vie terrestre.
[960]
Jean 20, 29. Parfois, en vue de l’humiliation et de l’humilité, la possibilité
de croire lui est refusée par Dieu. La foi étant un don de Dieu, Dieu peut,
provisoirement, ne pas en proposer la possibilité à un homme en vue d’une plus
grande préparation de son esprit à cette proposition à l’heure de la mort.
[961] Extrait de Starmania, Michel Berger. Cette sagesse de Dieu sur
les hommes de bonne volonté n’a pas disparu aujourd’hui. Il existe des justes
au sens biblique du terme, des hommes droits qui n’ont pas reçu la grâce de la
foi.
[962]
Job 26, 5 : « Les Ombres tremblent sous terre, les eaux et leurs habitants
sont dans l’effroi. »
[963]
Voir par exemple Genèse 42, 38 : « S’il
lui arrivait malheur dans le voyage que vous allez entreprendre, vous feriez
descendre dans l’affliction mes cheveux blancs au shéol. »
[964]
… qui est une sainte canonisée. Elle a en outre été reconnue par l’Église comme
une réelle autorité théologique concernant le purgatoire d’un degré bien sûr
inférieur à celui de l’Écriture Sainte ou du Magistère de l’Église (voir en fin
d’ouvrage).
[965]
La pensée de saint François de Sales sur le purgatoire :
« Son opinion, dit Jean-Pierre Camus, évêque de Belley, était que de la
pensée du purgatoire nous pouvions tirer plus de consolation que
d’appréhension.
La
plupart de ceux, disait-il, qui craignent tant le purgatoire, le font en
vue de leur intérêt et de l’amour qu’ils ont pour eux-mêmes, plus que pour
l’intérêt de Dieu. Et cela vient de ce que ceux qui en parlent dans les
chaires ne représentent ordinairement que les peines de ce lieu, et non
les félicités de la paix qu’y goûtent les âmes qui y sont. »
« Il
est vrai que les tourments en sont si grands que les plus extrêmes douleurs de
cette vie n’y peuvent être comparées : mais aussi les satisfactions
intérieures y sont telles qu’il n’y a point de prospérité ni de contentement
sur la terre qui les puissent égaler. »
« 1.
Les âmes v sont dans une continuelle union avec Dieu. »
« 2.
Elles y sont parfaitement soumises à sa volonté, ou pour mieux dire, leur
volonté est tellement transformée en celle de Dieu, qu’elles ne peuvent vouloir
que ce que Dieu veut, en sorte que si le paradis leur était ouvert, elles se
précipiteraient plutôt en enfer que de paraître devant Dieu avec les souillures
qu’elles voient encore en elles. »
« 3.
Elles s’y purifient volontairement et amoureusement, parce que tel est le bon
plaisir divin. »
« 4.
Elles veulent y être en la façon qu’il plaît à Dieu, et pour autant de temps
qu’il lui plaira. »
« 5.
Elles sont impeccables,(ne commettent plus de péchés) et ne peuvent avoir le
moindre mouvement d’impatience, ni commettre la moindre imperfection. »
« 6.
Elles aiment Dieu plus qu’elles-mêmes et que toute chose, d’un amour accompli,
pur et désintéressé. »
« 7.
Elles y sont consolées par les anges. »
« 8.
Elles y sont assurées de leur salut, dans une espérance qui ne peut être
confondue dans son attente. »
« 9.
Leur amertume très amère est dans une paix très profonde. »
« 10.
Si c’est une espèce d’enfer quant à la douleur, c’est un paradis quant à la
douceur que répand la charité dans leur cœur ; charité plus forte que la
mort et plus puissante que l’enfer, de qui les lampes sont de feu et de
flammes. »
« 11.
Heureux état, plus désirable que redoutable : puisque ces flammes (flammes
qui causent la peine du dam) sont flammes d’amour et de charité ! »
« 12.
Redoutables néanmoins (flammes qui causent la peine du sens), puisqu’elles
retardent la fin de toute consommation, qui consiste à voir Dieu et à l’aimer,
et par cette vue et cet amour le louer et le glorifier dans toute l’étendue de
l’éternité. »
[966]
Genèse 28, 11.
[967]
Mgr d’Hulst, dans ses Lettres de
direction, (1906, p. 154-156), décrit de la façon suivante les trois degrés
du purgatoire. Nous ne pouvons malheureusement souscrire à ce texte puisqu’il y
voit l’augmentation de l’amour. Il s’agit plutôt d’une description de la
manière dont pourrait s’effectuer une purification active ici-bas : « Je
voudrais vous dire comment j’ai vu cette année le purgatoire. Au sortir de
cette vie, beaucoup d’âmes, sauvées par miséricorde, sont par rapport au Ciel
de véritables étrangères, elles n’en savent pas la langue, elles ne sont pas
vêtues comme il faut pour y entrer ; elles ne sauraient pas y trouver leur
place. Alors, la miséricorde les envoie se purifier. Cette purification a trois
phases.
La
première, c’est l’humiliation. Dieu leur envoie sa lumière et elles se voient
telles qu’elles sont ; la confusion qui naît de là est une agonie comparable à
celle de Jésus au jardin, quand il s’est vu couvert des péchés du monde. Sur la
terre, ces pauvres âmes buvaient le péché comme de l’eau ; maintenant elles en
ont horreur et s’en voient chargées. Ce tourment dure longtemps à moins qu’il
ne soit abrégé par les prières et les sacrifices qui montent de la terre.
Quand
ces âmes ont acquis, à leurs dépens, la vraie notion et la haine du péché,
Dieu, par une seconde illumination, se montre à elles de loin dans sa beauté,
et enflamme des désirs qu’elles ne se connaissaient pas. Alors elles se
souviennent du temps où Dieu était tout près, où il frappait à leur porte, et
où elles ne l’ouvraient pas, aimant mieux un plaisir, un hochet, un écu.
Maintenant elles brûlent du désir d’aller à Lui, et c’est Lui qui s’éloigne.
Ces désirs sont un supplice, mais un supplice qui purifie et prépare à l’amour.
Quand
la seconde œuvre est faite, l’amour entre en scène, il pénètre ces âmes et les
fait fondre sous son feu. Alors, elles se souviennent de leurs mépris, (les
rebuts qu’elles lui ont infligés) et la contrition parfaite, celle des grands
pénitents, celle dont elles étaient incapables à l’heure du pardon reçu
ici-bas, cette contrition d’amour les envahit, les purifie et les introduit au
Ciel.
Voilà
le purgatoire avec ses trois heures d’agonie. Qui nous empêche de l’anticiper,
de commencer par l’humiliation, de continuer par le désir ; de finir par
l’amour ? »
[968]
Jérémie 4, 10. Presque la totalité des textes de l’Ecriture, ancien et nouveau
Testament, qui parlent de « ce jour-là » ou du « jour du Seigneur » expriment
sous forme métaphorique la parousie du Christ et ses effets.
[969]
Galates 5, 11.
[970]
Luc 18, 26.
[971]
Voir Question 8, article 2.
[972]
Matthieu 17, 12.
[973]
Origène semble bien avoir accepté l’idée d’une succession indéfinie des mondes.
L’univers serait alors un chantier d’âmes, mais où l’on reprendrait sans cesse
des constructions jamais achevées. G. Bardy [Origène, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. 11, 1549-1550] suit ici la
reconstruction de Denis, qui cherche à concilier la succession indéfinie des
mondes avec l’idée de finalité.
[974]
L’allusion à l’unicité de la vie terrestre a été introduite dans Lumen Gentium 48 à la demande de
nombreux évêques brésiliens pour s’opposer à l’idée de réincarnation
[975]
Ici aussi vaut le principe selon lequel l’amour franchit le seuil de la mort.
Le sensus fidei a vécu dès le début dans la certitude que nous pouvons
aider de notre prière nos frères et sœurs trépassés, même lorsque leur « unique
vie terrestre » est terminée car la communauté de l’amour ne cesse pas,
allusion au caractère unique de notre vie terrestre.
[976]
Jean 9, 3.
[977] «
Il nous faut jeter, ne serait-ce qu’un rapide coup d’œil, sur les motifs
historiques des stratégies actuelles de l’espérance. Car l’attente d’un monde
tout à fait juste n’est pas le fruit d’une pensée technologique, mais elle a
ses racines dans la mentalité judéo-chrétienne L’idée d’un cycle éternel ou
d’une libération par l’entrée au nirvana a armé d’autres cultures contre le
désespoir que devrait déclencher à toutes les époques le simple présent avec
son cortège de souffrances et d’injustices. L’idée d’un salut définitif à venir
n’est sans doute pas exclusive au monde judéo-chrétien, mais c’est clans ce
milieu qu’elle a été formulée avec le plus de vigueur et d’insistance Le poids
des inclinations terrestres héritées de l’Ancien Testament a entraîné la
chrétienté primitive à compléter l’espérance transcendante du royaume de Dieu
par l’idée d’un règne millénaire du Christ sur terre avec les premiers
ressuscités. » RATZINGER J, La mort
et l’au-delà, Communio-Fayard,
1994, p. 218
[978]
1 Théssaloniciens 5, 2
[979] Vie de saint Malachie.
[980]
Proverbes 9, 17. De nombreux textes de l’Ancien testament à propos du shéol
pourraient être interprétés dans le sens de Job 26, 20 : « Les Ombres
tremblent sous terre, les eaux et leurs habitants sont dans l'effroi. Devant
lui, le Shéol est à nu, la Perdition à découvert. »
[981]
Sagesse 17, 14.
[982]
Quelques témoignages actuels : Clémence Ledoux, fondatrice de la Fraternité de
Marie-Reine Immaculée et ses visions lors d’une visite du château de
Versailles, vit nettement des âmes habillées en costume de l’époque du Grand
siècle.
[983] Dans
l’Egypte pharaonique, on parle du corps physique, du Kâ (le double) et du Baï
représenté sous la forme d’un oiseau portant la tête du mort (l’esprit). Le
grand et ultime voyage commence par la séparation du Kâ spirituel du corps matériel. Le Kâ est le corps double du défunt, qui sort de son cadavre. Avec
lui, le Baï, âme de l’homme, est
détaché de la vie terrestre et tourne désorienté autour du cadavre. La
compatissante Isis (épouse aimante du dieu de la mort Osiris) l’accueille sous
ses grandes ailes affectueuses et le confie au savant dieu Anubis (représenté
avec une tête de chacal) afin qu’il le réconforte et lui serve de guide et de
soutien jusqu’au jugement divin. Sous forme imagée, il s’agit de la même
réalité.
[984] Constitution dogmatique « Benedictus
Deus. »
[985] Gaudium et Spes 22, 5.
[986]
Nombres 14, 1.
[987]
Nombres 14, 33.
[988]
Luc 12, 19.
[989]
Luc 5, 8.
[990]
Sainte Faustine, Petit journal, (no. 1486)
[991] Marc 6, 49.
[992] Genèse
6, 5.
[993]
Matthieu 19, 23.
[994]
Apocalypse 1, 18
[995] Job 17, 13.
[996]
2 Samuel 22, 5.
[997]
Deutéronome 8, 3.
[998]
BENOIT XII Constitution apostolique «
Benedictus Deus », 29 janvier 1336, Dumeige 511.
[999] Sainte
Catherine de Gènes, Traité du purgatoire
chapitre III.
[1000]
… qui est une sainte canonisée. Elle a en outre été reconnue par l’Église comme
une réelle autorité théologique concernant le purgatoire d’un degré bien sûr
inférieur à celui de l’Écriture Sainte ou du Magistère de l’Église (voir en fin
d’ouvrage).
[1001]
Vie de Sainte Brigitte, tome II ch XXXI.
[1002]
Sainte Faustine, Petit journal, (no. 1486)
[1003]
Matthieu 20, 6.
[1004]
Saint Alphonse de Ligori : le grand moyen
de la prière.
[1005] 2 Samuel 22, 5.
[1006] 2
Théssaloniciens 2, 2-5.
[1007]
Matthieu 28, 7.
[1008]
Matthieu 4, 15.
[1009]
2 Pierre 3, 9.
[1010]
2 Théssaloniciens 2, 8.
[1011]
Sainte Faustine, Petit journal, (no. 1486)
[1012] Traité du purgatoire III.
[1013] Théologie de l’au-delà, Université de
Fribourg, Suisse, 1980, p. 34-35.
[1014]
Sacré Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre sur quelques notions d’eschatologie, 17 mai 1979.
[1015]
Apocalypse 19, 7.
[1016]
Cantique des cantiques 5, 6-7.
[1017]
1 Corinthiens 3, 15.
[1018]
Vitalini Sandro, Traité de l’au-delà,
Université de Fribourg-Suisse, 1980, p. 35.
[1019]
Cet article est de saint Thomas d’Aquin, Supplementum
Question 70 ter, article 5.
[1020]
Sainte Catherine de Gènes, Traité du
purgatoire chapitre III.
[1021]
Matthieu 25, 46.
[1022]
Psaume 10, 7.
[1023] Dialogue livre 4, 43.
[1024] Seule
sa grâce peut nous purifier, à présent dans la mort et au-delà même de la mort,
si en cette vie nous acceptons au moins de ne pas nous fermer à sa pitié. Morts
dans le Seigneur, les défunts sont en sa main, et là, au terme de leur route
terrestre, ils connaissent sa joie, sa vie pour nous mystérieuse. Le Seigneur
parfait son œuvre et marque de l’empreinte définitive de sa beauté l’ouvrage de
ses mains.
Proposition de foi des évêques français,
1978, Documentation catholique, n°1073.
[1025] Saint
Thomas d’Aquin, Supplementum Question
70, article 3.
[1026]
Le cardinal Joseph Ratzinger écrit : La
mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 226 : « Ainsi, dans
l’histoire des saints, surtout de ces derniers siècles, chez Jean de la Croix,
dans la spiritualité du Carmel et avant tout chez Thérèse de Lisieux, le mot «
enfer » a pris une signification toute nouvelle et une toute nouvelle forme.
Pour eux, l’enfer est moins une menace qu’ils brandissent contre les autres,
qu’un appel à souffrir dans la nuit obscure de la foi la communion avec le
Christ en tant que communion aux ténèbres de sa descente dans la nuit ; à
approcher la lumière du Seigneur parce qu’ils partagent ses ténèbres et servent
le salut du monde en oubliant leur propre salut au profit des autres. Dans une
telle spiritualité, rien n’est édulcoré de la terrible réalité de l’enfer ; il
est si réel qu’il pénètre dans leur propre existence. Une espérance ne peut lui
être opposée que si l’on partage la souffrance et la nuit de Celui qui est venu
transformer toute notre nuit par ses souffrances. L’espérance ne naît pas de la
froide logique d’un système, de l’appauvrissement de l’homme, mais du sacrifice
de l’innocent et de l’affrontement de la réalité au côté de Jésus-Christ. Une
telle espérance ne devient pas affirmation arbitraire ; elle remet sa supplique
dans les mains du Seigneur et l’y abandonne. Le dogme trouve sa vraie dimension
; l’idée de la miséricorde qui, sous une forme ou sous une autre, l’a
accompagné tout au long de l’histoire ne devient pas théorie, mais prière d’une
foi qui souffre et qui espère. »
[1027]
Deutéronome 28, 65.
[1028] Traité du purgatoire, chapitre VIII.
[1029]
Osée II ;
[1030]
Isaïe 1, 4 ;
[1031] Traité du purgatoire VIII.
[1032]
Voir Question 7 article 9.
[1033]
Matthieu 22, 40.
[1034]
Voir saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum,
question 70, article 4.
[1035]
Sainte Catherine de Gènes, Traité du
purgatoire, III.
[1036]
Bulle « Exurge domine », 5 juin 1520.
[1037]
Matthieu 25.
[1038]
Voir ce traité, question 9, article 7.
[1039]
Luc 16, 27.
[1040]
Saint Alphonse de Ligori : Le grand moyen
de la prière.
[1041]
Ibidem.
[1042] « Je veux voir Dieu ».
[1043] Lettre à l’évêque de Tusculum, 6 mars
1254, p. 509.
[1044]
Matthieu 12, 32.
[1045]
L’interprétation chrétienne du purgatoire s’est donc clarifiée à nos yeux en ce
qu’elle a d’essentiel. Ce n’est pas une sorte de camp de concentration dans l’au-delà (comme chez Tertullien°, où
l’homme devrait subir des châtiments qui lui seraient imposés d’une manière
plus ou moins positiviste. C’est plutôt le processus interne et nécessaire de
transformation de l’homme, par lequel ce dernier devient capable du Christ,
capable de Dieu et par suite capable de s’unir à toute la communio
sanctorum. Celui-là seul, qui considère l’homme de faon en quelque manière
réaliste, comprendra la nécessité de cette opération qui, loin de substituer
les œuvres à la grâce, assure au contraire la totale victoire de cette
dernière. L’assentiment capital de la foi sauve, mais cette décision
essentielle est chez la plupart d’entre nous recouverte très réellement de beaucoup
de foin, de bois et de paille. Ce n’est qu`à grand peine qu’elle perce le
treillis de l’égoïsme dont l’homme n’a pu se débarrasser. Il bénéficie de la
miséricorde, mais il doit être transformé. La rencontre avec le Seigneur
constitue cette transformation, ce feu qui, en brûlant, le métamorphose en cet
être sans scorie qui peut devenir le vaisseau d’une joie éternelle. Une telle
conception ne serait en opposition avec la doctrine de la grâce que si la
pénitence était opposée à la grâce, alors qu’elle en est la forme : possibilité
offerte qui naît de cette grâce. Ce qui est important dans l’équivalence faite
par Cyprien et Clément entre le purgatoire et la pénitence ecclésiale, c’est
que la doctrine chrétienne du purgatoire, qui tient sa dimension propre de la
christologie, a son fondement dans la grâce christologique de la pénitence et
qu’elle est une conséquence intrinsèquement nécessaire de l’idée de pénitence,
c’est-à-dire de cette idée que le pardon dispose à la conversion.
RATZINGER
J, La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard 1994, p. 239.
[1046] Question 15, article 2.
[1047]
Matthieu 8, 8.
[1048] Philippiens 2,7.
[1049] Jean
13, 4-16.
[1050]
Jean 14, 9.
[1051]
Jean 12, 24.
[1052]
Luc 12, 34.
[1053]
Matthieu 21, 31.
[1054]
Voir chez saint Thomas d’Aquin, Supplementum
Question 70 ter, article 7.
[1055]
Matthieu 7, 1.
[1056]
Le cardinal Ratzinger écrit à propos de la dette de peine : « Mais, une fois
de plus, se pose ici une question d’importance. Comme nous l’avons vu, la
prière pour les défunts, sous ses multiples formes, appartient aux tous
premiers temps de la tradition judéo-chrétienne. Or cette prière ne
présuppose-t-elle pas que le purgatoire est une sorte de châtiment externe dont
on serait exempté en empruntant la voie de la grâce ou que d’autres pourraient
subir par une sorte de substitution spirituelle ? Quelqu’un peut-il donc entrer
autrement dans le processus hautement personnel de rencontre avec le Christ, de
transformation de son moi par le feu de son approche ? N’est-ce pas un
événement propre à tel homme, qui ne laisse place à aucune substitution, à
aucun remplacement ? Toute la spiritualité des « pauvres âmes » ne
repose-t-elle pas sur le fait que la souffrance de ces âmes est traitée à la
manière d’un « avoir «, tandis que, d’après ce qu’on vient de dire, il s’agit
de leur « être », de quelque chose d’irremplaçable ? Il faut à cela objecter
que l’être de l’homme n’est pas, lui non plus, une monade close, mais, par
l’amour et par la haine, il est relié aux autres en qui il est présent. L’être
personnel est présent dans les autres comme faute et comme grâce. L’homme n’est
jamais uniquement lui-même ou plus exactement il est lui-même dans les autres,
avec les autres, par les autres. Que les autres le maudissent ou le bénissent,
qu’ils lui pardonnent et transforment sa faute par amour, c’est une part de son
propre destin. Que les saints « jugent », cela veut dire que rencontrer le
Christ, c’est être mis en présence de tout son corps, de ma faute contre les
membres souffrants de ce corps et de son amour pardonnant qui émane du Christ.
» L’intercession des saints auprès du juge n’est pas [...] une prière purement
externe, dont la portée reste douteuse selon l’insondable volonté du juge ;
Elle est avant tout un poids interne qui, placé sur le plateau de la balance,
peut la faire pencher. » Cette intercession est le seul aspect fondamental de
leur « jugement » ; c’est même justement par leur jugement et leur prière
salvatrice qu’ils ont place dans la doctrine du purgatoire et dans la vie
chrétienne correspondante. » J’espère en toi pour moi, RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard
1994, p. 240
[1057]
RATZINCER J, La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard 1994, p. 190 : « L’homme n’a pas seulement un temps
physique, mais aussi un temps anthropologique. Nous référant à Augustin,
appelons « temps mémoire » ce « temps humain. » Ajoutons que ce
temps-mémoire est caractérisé par la relation de l’homme au monde corporel,
sans être complètement lié à ce monde et sans non plus qu’on puisse totalement
l’en détacher. Ce qui veut dire que lorsque l’homme sort du monde biologique,
le temps-mémoire se dissocie du temps physique et subsiste comme temps-mémoire
pur, sans pour autant devenir « éternité ». Là se trouve la raison du
caractère définitif de ce qui s’est accompli en cette vie et de la possibilité
d’une purification comme d’un ultime destin à courir dans une nouvelle relation
à la matière. C’est la seule explication qui permette de considérer la
résurrection comme une possibilité nouvelle offerte à l’homme, voire comme une
nécessité à laquelle il lui faut s’attendre ».
[1058]
D. S. 2063.
[1059]
Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà,
Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 38.
[1060]
Luc 15, 20.
[1061]
Voir saint Jean de la Croix.
[1062]
Cantique 5, 6.
[1063]
Voir saint Jean de la Croix.
[1064]
Romains 9, 3.
[1065]Saint
Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia
IIae question 89 article 6.
[1066] CONCILE DE TRENTE, Op. cit. Dumeige
358.
[1067]
Vatican II, Gaudium et Spes n° 22, 5,
trad. Officielle.
[1068]
Voir l’article « Misère des enfants et
péché originel d’après saint Augustin », F. Refoule, Revue Thomiste,
juillet 1963, p. 341.
[1069]
Constitution Benedictus Deus, Dumeige p. 510.
[1070]
1 Timothée 2, 3-4.
[1071]
Voir dans ce traité, Question 16.
[1072]
Voir dans ce traité, Question 1, article 2 ; Question 1 bis.
[1073]
Luc 3, 1.
[1074] Denzinger
Schön. 858. C. JOURNET, La volonté divine
salvifique sur les petits enfants.
[1075]
Ibidem 1306 (1438-1445). Le Décret Pro jacobitis du même concile
précise qu’il n’est possible de venir en aide aux petits enfants « par un
autre remède que le sacrement de baptême », Ibidem 1349.
[1076]
Décret sur le baptême, Denzinger, 2626.
[1077]
La thèse que nous proposons doit bien sûr subir la critique des théologiens.
Mais elle a l’avantage de s’inscrire dans le cadre d’une doctrine
traditionnelle, celle du baptême de désir. On pourrait nous objecter cette
Déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Tirée de
l’instruction sur le baptême des petits enfants (DC, 1997, n° 1980, p.
1109) : « Par sa doctrine et sa pratique, l’Église a montré qu`elle ne
connaît pas d’autre moyen que le baptême pour assurer aux petits enfants
l’entrée dans la béatitude éternelle. C’est pourquoi, elle se garde de négliger
la mission qu’elle a reçu de baptiser les petits enfants. Quant aux petits
enfants décédés sans avoir reçu le baptême, l’Église ne peut que les confier à
la miséricorde de Dieu comme elle le fait dans le rite des funérailles qu’elle
a créé pour eux. »
[1078] « A mes Petits Frères du Ciel, les innocents. »
[1079]
Luc 16, 22.
[1080]
Marc 10, 13.
[1081] Derniers
entretiens, 16 août 1897,
éditions du Cerf, Paris.
[1082]
« J’entre dans la vie », Cerf-Desclée
de Brouwer, 1977, p. 66. Parole relevée le 10 juillet 1897 (83 jours avant sa
mort) sur le petit carnet jaune par mère Agnès de Jésus (Agnès Martin) sous le titre
: « Paroles recueillies les derniers mois de notre Thérèse. »
[1083] Lettre d’Innocent IV à l’évêque de Tusculum
(06/03/1224)
[1084] « J’entre dans la vie », cerf-Desclée de
Brouwer, 1977, p. 66. Parole relevée par le 10 juillet 1897 (83 jours avant sa
mort) sur le petit carnet jaune par mère Agnès de Jésus (Agnès Martin) sous le
titre : « Paroles recueillies les derniers mois de notre Thérèse. »
[1085] Manuscrits
autobiographiques de sainte Thérèse de Lisieux, l’enfance.
[1086]
Marc 10, 13.
[1087] 4 octobre 1997.
[1088]
Voir la lettre apostolique Ad Tuendam Fidem, 30 juin 1999, et le
commentaire du Cardinal préfet de la Congrégation pour la foi qui montre que la
condamnation de l’avortement relève bien du Magistère solennel.
[1089] « J’entre dans la vie », cerf-Desclée de
Brouwer, 1977, p. 66. Parole relevée par le 10 juillet 1897 (83 jours avant sa
mort) sur le petit carnet jaune par mère Agnès de Jésus (Agnès Martin) sous le
titre : « Paroles recueillies les derniers mois de notre Thérèse"
[1090] Apocalypse 7, 13.
[1091]
Romains 10, 14.
[1092]
Voir chacune des références dans le Dentzinger, Cerf, Paris, 1997.
[1093]
Actes 16, 6.
[1094]
S'il l'avait voulu, ce serait fait depuis longtemps en raison de la puissance
de l'Esprit et seuls résisteraient aujourd’hui ceux qui en auraient fait
lucidement ce choix.
[1095]
2 Théssaloniciens 2, 8.
[1096]
Allocution SINGULARI QUADAM de Pie IX (9 décembre 1854).
[1097]
1 Jn 3, 2.
[1098]
Ep 4, 51.
[1099] Lettre du Saint Office à Mgr Cushing,
Archevêque de Boston, 8 août 1949.
[1100] Hébreux 11, 6.
[1101] Hébreux 11, 6.
[1102] Luc 17, 10.
[1103] De Veritate, 14, 11, 1.
[1104]
Luc 7, 47.
[1105]
Romains 6, 1.
[1106]
Voir notre traité, question 11, article 5.
[1107]
Luc 12, 34.
[1108]
La question 71 du Supplementum à la
Somme de théologie de saint Thomas d’Aquin est ici reprise, avec des
modifications.
[1109] «
Reconnaissant dès l’abord cette communion qui existe à l’intérieur de tout le
corps mystique de Jésus Christ, l’Église en ses membres qui cheminent sur terre
a entouré de beaucoup de piété la mémoire des défunts dès les premiers temps du
christianisme en offrant aussi pour eux ses suffrages, car « la pensée de
prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés, est une
pensée sainte et pieuse. »
2
Macchabées 12, 45 (Lumen Gentium 50).
[1110] 2 Macchabées 12, 45.
[1111]
L’article du Supplementum de la Somme théologique n’est plus utilisable
dans l’état ou le jeune saint Thomas l’avait écrit.
[1112]
Luc 16.
[1113]
Cet article est, en conséquence de la thèse sur la venue du Christ à l’heure de
la mort, rajouté à la question de saint Thomas d’Aquin.
[1114]
Affirmer la communion des saints, c’est déjà, d’une manière très générale,
prendre le contre-pied d’une certaine compréhension de la vie chrétienne :
celle qui la voit comme une grandeur isolée comme si, plus l’unique
(Kierkegaard) était isolé et solitaire dans sa recherche de Dieu, plus il était
un chrétien authentique, existentiel. Pour la Bible celui qui croit ne peut que
« demeurer dans la communauté de ceux qui rompent le pain » (Actes 2, 42),
qu’être appelé dans la « communauté du Fils (de Dieu) » I Corinthiens 1, 9), et
ce par la « communion au sang du Christ » bu à la même coupe, et par la
communion à son corps mangé dans le même pain (10, 16). Tout ceci se replaçant
dans la « communion de l’Esprit Saint » (2 Corinthiens 13, 13), qui est
communion avec le Christ et communion les uns avec les autres par lui (cf.
Philippiens, 2, 1). Mais la communion dans le Christ représente en même temps
une garantie de « communion dans la consolation » par Dieu (2 Corinthiens 1,
7), et même une « communion dans la gloire à venir » (I Pierre 5, 1). Toute la
doctrine de Paul sur l’Église comme corps du Christ, dans laquelle les croyants
existent comme membres, pour le bien de l’ensemble, mais aussi pour celui des
autres membres, marque du sceau du définitif la signification centrale de
l’idée chrétienne de communion.
Christoph
SCHÖNBORN, o p : L’état de pèlerin, de
purification et de gloire (La communion des saints selon Vatican II).
[1115] La
discipline pénitentielle primitive connaissait de longues et laborieuses
satisfactions pour les péchés. Les évêques, cependant, tel saint Cyprien,
prirent la coutume de diminuer le poids de ces satisfactions. Les tarifs
pénitentiels des pénitents publics furent de plus en plus réduits et remplacés
par d’autres pratiques ; ainsi on pouvait faire un pèlerinage au lieu d’un jeune
de sept ans ; on recevait donc une indulgence de sept ans. On accepta aussi que
la pratique réduisant la peine pouvait être accomplie par un ami du pécheur et
même par un vivant à la place d’un défunt. En 1457, pour la première fois dans
un document pontifical, Callixte III concéda des indulgences applicables aux
âmes du purgatoire.
Cette doctrine doit
être revue aujourd’hui. Elle avait été présentée au Concile, mais les Pères
furent empêchés de l’approfondir. La Constitution apostolique Indulgentiarum
Doctrina du 1er janvier 1967 a déjà simplifié la discipline des
indulgences et montré l’universalité du trésor de l’Amour que le Christ nous a
mérité. Tout ce qui nous associe à la charité du Christ, qui incarne l’initiative
salvifique de Dieu, nous fait coopérer au salut du monde.
[1116]
Saint Luc 8, 21.
[1117]
C’est ce que réalisent sacramentellement toutes ces infirmières qui n’hésitent
pas à baptiser les nouveau-nés en danger de mort.
[1118]
1 Corinthiens 15, 29.
[1119] Supplementum à la Somme théologique, Question 71 ; L’Église exclut toute forme de
pensée ou d’expression qui rendrait absurdes ou inintelligibles sa prière, ses
rites funèbres, son culte des morts, lesquels constituent, dans leur substance,
des lieux théologiques. Congrégation pour la doctrine de la foi, Lettre
sur quelques questions concernant l’eschatologie, 17 mai 1979.
[1120] Supplementum à la Somme théologique, Question 71.
[1121] Supplementum à la Somme théologique, Question 71.
[1122] Supplementum à la Somme théologique, Question 71.
[1123]
Genèse 3, 8.
[1124]
Isaïe 11, 6.
[1125]
Genèse 3, 24.
[1126]
Apocalypse 20.
[1127]
1 Corinthiens 2, 9.
[1128]
L’expression « royaume de Dieu » ou « royaume des cieux » (basileia tou
théou, basileia ton ouranon°, dans les textes du Nouveau Testament, nous
apparaît comme le véritable mot clé de la prédication de Jésus. Sur ce point,
les statistiques sont nettes : sur 122 occurrences de cette expression dans le
Nouveau Testament, 99 se trouvent dans les synoptiques, dont 90 dans les propos
attribués à Jésus. Il est donc évident que cette expression revêt dans la
tradition sur Jésus une importance majeure.
[1129]
Luc 17, 21.
[1130]
1 Corinthiens 15, 24.
[1131] «
Quel sera donc le Ciel ? La possession de Dieu, la joie d’une merveilleuse découverte
de sa beauté, de sa grandeur, de sa vérité, de son amour infiniment prévenant
et miséricordieux. En présence de l’être aimé, on ne s’aperçoit pas que le
temps passe. Il n’est alors plus question de compter le temps. L’éternité ?
Instant unique sans doute, exceptionnel, extraordinaire, qui ne fait pas nombre
avec les années. Puisque plus rien ne nous séparera de Dieu. » QUEL AVENIR POUR L’HOMME ? Lettre
pastorale du cardinal Gouyon à l’occasion de ta Toussaint, Documentation
Catholique, n° 1706, octobre 1976.
[1132]
Apocalypse 22, 15.
[1133]
Hébreux 11, 9.
[1134]
Matthieu 5, 4.
[1135]
Matthieu 11, 12.
[1136] Luc 13, 33.
[1137] Luc 21, 14.
[1138]
Apocalypse 21, 3.
[1139]
Luc 13, 33.
[1140]
Osée 2, 16.
[1141]
Apocalypse 21, 9 à 27.
[1142]« Nous
entendrons une dernière fois l’appel familier : « Heureux les invités au repas
du Seigneur! » Dans la jubilation, nous saurons que l’heure du banquet a sonné.
Nous verrons la Jérusalem céleste, belle comme une mariée descendre du Ciel, et
tous les invités accourir des quatre coins de l’horizon. Nous les reconnaîtrons
sans peine : nous-mêmes, parmi les pauvres, les estropiés, les aveugles, les
boiteux. Tous, pressés d’entrer dans l’Église éternelle, emportés vers leur
Seigneur avec la fougue d’un amour impétueux, s’élançant comme le torrent qui
bondit sur les pentes de la montagne de Dieu. » (Proposition de foi des évêques de France, 1978,
Documentation catholique. n° l073).
[1143]
Marc 24, 25.
[1144]
Apocalypse 19, 9.
[1145]
Romains 5, 8.
[1146]
Osée 2, 16.
[1147]
Cantique des Cantiques 8, 6.
[1148] Voir
dans la Somme théologique, le
sacerdoce du Christ, IIIa, Question 22 ; Question 82 ; Supplementum Question 34-40 ; Ia IIae Question 102-105 ; et bien
d’autres lieux théologiques.
[1149] Hébreux 5, 6 ; 7, 17.
[1150] Apocalypse 1, 6.
[1151] Apocalypse 20, 6.
[1152] Apocalypse 22, 15.
[1153] Il
s’agit de l’article de saint Thomas, Ia pars, Question 62, a. 7.
[1154]
Il s’agit de l’article de saint Thomas, Ia pars, Question 62, a. 8.
[1155]
Cet article, tiré de la Somme théologique,
Ia IIae, Question 4, article 5, reste valable malgré notre thèse de la subsistance
du corps psychique. Le corps physique, siège des facultés végétatives a bien
disparu et c’est une partie de notre être qui nous manque. Il nous sera rendu
lors de la résurrection de la chair.
[1156]
« La Foi Catholique », conférence du p. Pierre Benoît à Fribourg.
[1157]
Cf. FLANAGAN D, L’eschatologie et
l’Assomption, en Concilium, 41, 1969, 121-130, 129.
[1158]
L’âme est par nature la forme du corps qui lui est uni. Elle possède une
orientation radicale qui l’oriente à désirer ce corps lorsqu’elle en a été
séparée par la mort. C’est ce qu’on appelle un habitus « de l’être. »
[1159]
Apocalypse 7, 1.
[1160]
Notre traité, Question 8, article 2.
[1161]
RATZINGER J, La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, p. 156.
[1162]
Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplementum
Question 93, article 2.
[1163]
Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplementum
Question 93, article 3.
[1164] 2 Timothée 2, 5.
[1165]
Manuscrit autobiographique, manuscrit A, p. 13.
[1166]
Toute cette question est reprise sans modification dans le Supplementum de la Somme
théologique, Question 95.
[1167]
BALTHASAR H. U, La dramatique divine,
4, le dénouement, Culture et Vérité, Namur 1993, p. 373 ss.
[1168] Cette
question, comme la précédente mériterait d’être récrite en élargissant ces lumières
de l’âme à toutes les formes de la vie humaine. Nous les reproduisons telles
qu’elles sont dans la Somme, en laissant au lecteur le soin de le faire. Voir
dans la Somme :
Auréole.
L’auréole des martyrs est absolument supérieure aux autres, celle des vierges
a eu plus de durée, celle des confesseurs plus de périls. IIa IIae q. 452. 5. — C’est une récompense accidentelle qui est due en, raison
d’une œuvre méritoire. Sup. q. 79. 4. o. — Elle consiste dans la joie de la perfection
des œuvres, et elle n’est pas la même chose que le fruit. Sup. q. 76 ;
BALTHASAR H. U, La dramatique divine,
4, dénouement, Culture et vérité, Namur 1993, p. 377-379.
[1169] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 1.
[1170] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 2.
[1171] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 3.
[1172] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 4.
[1173] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 5.
[1174] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 6.
[1175] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 7.
[1176] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 8.
[1177] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 9.
[1178] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 10.
[1179] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 11.
[1180] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 12.
[1181] Une
formule d’Abélard est caractéristique : la communion des saints est « cette
communion par laquelle les saints deviennent des saints et sont consumés dans
leur sainteté par la participation au sacrement divin... Mais nous pouvons
aussi comprendre sanctorum comme un neutre à savoir comme le sacrement
de l’autel du pain et du vin consacrés. » Thomas d’Aquin semble avoir associé les
deux significations de l’intérieur, quand il dit dans son explication du Credo
: « Puisque tous les croyants forment un seul corps, le bien des uns est
communiqué aux autres. Il faut de la sorte croire qu’il existe une communion
des biens (ou des gens de bien° (bonorum) dans l’Église. Mais le membre
le plus important est le Christ puisqu’il est la tête. Ainsi le bien du Christ
est communiqué à tous les membres et cette communication se fait par les
sacrements de l’Église dans lesquels la puissance de la passion du Christ agit
efficacement. » « Bonorum » peut aussi être masculin, ce qui convient mieux à
la comparaison du corps, qui précède immédiatement.
[1182]
Notre traité, Question 8, article 2.
[1183] JACQUES
MARITAIN. A propos de l’Église du Ciel.
Nova et Vetera, 1964, 4.
[1184]
Apocalypse 15, 3.
[1185] Théologie de l’au-delà, Université de
Fribourg-Suisse, 1980, p. 51.
[1186]
Voir notre traité, Question 8, article 2.
[1187] Saint
François de Sales conçoit le sens du culte des saints : « C’est pourquoi
nous reconnaissons les saints non pas proprement pour médiateurs au sens où ils
se tiendraient entre Dieu et nous, comme le Christ qui est vraiment le centre
puisqu’il possède les deux natures divine et humaine étant donné qu’il est
aussi bien le Fils de Dieu que le fils d’un être humain. Mais nous faisons
appel aux saints pour qu’ils nous accompagnent dans notre prière à travers
l’unique Seigneur Jésus-Christ » Controverses II.
[1188] Lumen Gentium 51.
[1189]
Nous reproduisons, avec quelques modifications l’article de saint Thomas, Supplementum Question 72, article 1.
[1190] «
Rassemblés dans l’éternel présent de sa charité, nous pressentons qu’il y a,
entre les hommes, une solidarité plus forte que la mort. La « communion des
saints « permet à ceux qui se sont aimés sur terre dans le Christ, même sans le
reconnaître, de se rencontrer mystérieusement encore par-dessus l’abîme de la
mort, en se rejoignant dans le cœur de Dieu, par la médiation du Christ.
Toujours vivant, il intercède sans relâche en notre faveur. Et nous aussi nous
intercédons avec lui. » Proposition
de foi des évêques de France, 1978, Documentation catholique, n° 1073.
[1191] Il
s’agit de l’article de saint Thomas, Supplementum
Question 72, article 2 ; On ne peut pas retracer ici en détail
l’approfondissement progressif de l’idée de communion, qui n’est plus seulement
une existence avec les autres dans l’amour réciproque, mais un engagement actif
pour les autres, et donc « à la place » des autres. On se contentera pour finir de deux noms : Dietrich Bonhoeffer,
qui fit sa thèse de doctorat sur l’idée de communion des saints (s), et Georges
Bernanos, dont l’œuvre a pour centre l’interprétation catholique de la
communion des saints, par exemple dans Le dialogue des carmélites.
[1192] Il
s’agit de l’article de saint Thomas, Supplementum
Question 72, article 3 ; Le Concile Vatican II, Lumen Gentium 49, écrit : « parce qu’ils sont intimement unis au
Christ, les saints du Ciel affermissent plus solidement l’Église dans la
sainteté (…) et l’aident de multiple façon à se construire plus largement. »
[1193] Nulle
part cela ne devient aussi clair que dans l’action de Marie, Mère de Jésus, en
laquelle l’Église peut se considérer elle-même comme en un miroir. Deux
sections du chapitre VIII de Lumen
Gentium (60) éclairent particulièrement la question de la communio
sanctorum « La mission maternelle de Marie à l’égard des hommes
n’offusque en rien cette unique médiation du Christ, mais elle en montre au
contraire la puissance. Toute influence salutaire (salutaris influxus) de la
Bienheureuse Vierge sur les hommes ne vient donc pas d’une quelconque nécessité
factuelle, mais d’une disposition gratuite de Dieu et procède de la
surabondance des mérites du Christ, s’appuie sur sa médiation, dépend en tout
(omnino) d’elle et en lire toute sa vertu (totam virtutem). L’union immédiate
(unionem immediatam) des croyants au christ, n’est toutefois aucunement
empêchée par là, elle est au contraire favorisée. » Si une telle médiation
dans le Christ n’était pas possible, l’Église elle-même serait un empêchement,
un obstacle entre le Christ et les hommes.
[1194]
Luc 15, 47.
[1195]
La cité de Dieu, Livre 14, 15.
[1196]
Apocalypse 21, 4.
[1197] cf. 1
Rois 2, 18 ; Actes1, 10.
[1198]
Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplementum
Question 94, article 1.
[1199]
Job 1.
[1200]
BALTHASAR H. U, La dramatique divine,
culture et Vérité, Namur 1993, p. 252-253.
[1201] Les
saints ont eu parfois sur le mystère de l’enfer des mots qui donnent le
vertige. Reprenant l’invocation des Litanies : « Par tes saints jugements,
délivre-moi, Seigneur », Angèle de Foligno disait : « Je ne vois pas
plus la Bonté de Dieu dans un homme bon et saint, et dans plusieurs hommes bons
et saints, que dans un damné ou dans la multitude des damnés. Cette profondeur
ne m’a été montrée qu’une fois, mais jamais je n’en perds le souvenir ni la
joie. Et si tout ce qui tient à la foi venait à me manquer, il me resterait
encore pourtant cette unique certitude au sujet de Dieu, celle de ses
jugements, de la justice de ses jugements. Mais, oh! Quelle grande profondeur
est ici! Mais tout ceci va à l’utilité des bons : car toute âme qui aurait ou
qui aura la connaissance de ces jugements et de cet abîme, tirera fruit de
tout, par cette connaissance du nom de Dieu. » Livre de sainte Angèle de Foligno, fin de la 1ère partie, vers le milieu
du 7ème passage.
[1202]
Paul VI, Audience générale du 8 septembre 1974, Documentation catholique, n° 1594. « Comment répondre à ceux qui
disent que le christianisme concerne le présent et non l’avenir : « Nous savons donc comment répondre à ceux qui,
dans l’interprétation qu’ils donnent des écrits du Nouveau Testament où il est
question des événements eschatologiques, soutiennent que ceux-ci ont déjà été
réalisés avec la venue du Messie et qu’il n’y aurait donc rien d’autre à attendre.
Le christianisme, disent-ils, concerne le présent et non l’avenir. Pour nous,
nous nous en tenons aux paroles du Seigneur qui nous assurent qu’avec sa venue
dans le monde, déjà « le Royaume de Dieu est parmi nous (cf. Luc 17, 21) ; dans
I’Église animée par l’Esprit Saint, nous possédons dès maintenant d’immenses
richesses de vie nouvelle mais de plus, avec un souffle prophétique qui
imprègne tout l’Evangile, le Christ nous avertit que sa venue historique, telle
que nous la connaissons par l’Evangile, n’est pas la dernière. La dernière, la
venue eschatologique, à laquelle on donne un nom spécial la « parousie »
(qui veut dire présence, avènement, apparition), sera « le jour du Seigneur
(cf. Isaïe 2, 12 ; 13, 6. etc.), où le Christ reviendra « pour juger les
vivants et les morts et pour inaugurer la théophanie finale, la vision
béatifique de l’éternité. »
REMARQUE SUR L’HISTOIRE DES PEURS DE LA FIN DU
MONDE :
Périodiquement
d’ailleurs, la pensée de la fin du monde et du jugement dernier hantait les
esprits. Dès l’âge patristique, le problème s’était déjà posé. Au IVe siècle,
les invasions barbares, et très particulièrement la prise de Rome, avaient
effrayé les âmes. Saint Jérôme lui-même en était épouvanté, encore qu’il ait
cédé à la tentation de faire de la littérature. Plus détaché et plus lucide,
Augustin tirait de ces catastrophes des leçons de vie spirituelle. Pourquoi
s’étonner, disait-il, que périssent des royaumes périssables ? Les malheurs de
Rome, que les païens imputaient à la religion nouvelle, furent l’occasion d’un
grand ouvrage qui allait fournir aux siècles à venir une théologie chrétienne
de l’histoire. En 418, le saint évêque répondit à un évêque dalmate, Héchius,
qui, ayant scruté les l’Ecritures pour y trouver les signes précurseurs de la
fin du monde, croyait percevoir que ceux-ci étaient actuellement manifestes.
Augustin calma ses angoisses par une lettre qui est un véritable petit traité
sur la question. Il serait intéressant de Voir dans quelle mesure cette mise en
ordre a influencé la théologie scolastique. Au VIe siècle, saint
Grégoire, comparant la Rome de son temps à un vieil aigle déplumé, voyait aussi
l’humanité vieillie, proche de la mort, et soulignait les cataclysmes naturels
de son époque. Au VIIIe siècle, dans l’Espagne envahie par l’Islam, Beatus
compose son commentaire de l’Apocalypse. Les terreurs de l’an mille, qu’on a
beaucoup exagérées, sont une expression de cette crise cyclique qui secoua les
populations chrétiennes. Notre Dies irae, évocation du jour de la colère, fut
composé en Italie vers le XIIe ou le XIIIe siècle. Au
milieu du XIIe siècle, Joachim de Flore oriente la pensée apocalyptique dans
une autre direction, annonçant un Evangile éternel qui sera comme un nouvel âge
de l’Église, le règne de l’Esprit succédant alors à celui du Fils, qui avait
pris lui-même la suite du règne du Père. Ces rêveries auront un écho dans le
mouvement des spirituels condamnés en 1311 au Concile de Vienne et cet écho se
prolongera longtemps, certains ordres nouveaux estimant qu’ils accomplissent
les « prophéties » de l’abbé calabrais. Mais la crainte du jugement dernier,
l’angoisse à la pensée de la fin des temps, a la vie encore plus dure. Au XIVe
siècle, saint Bernardin de Sienne note que, dans son enfance, on estimait déjà
que l’Antéchrist était né ; le saint dut combattre cette erreur chez un certain
Manfred qui en tirait des conclusions absurdes, invitant les époux à se séparer
pour vaquer à la prière.
Pendant
ce temps, la théologie continue à s’intéresser à la fin du monde, mais celle-ci
est devenue pour elle un objet de spéculation, non un problème vital. On
s’efforce de mettre en ordre les indications de l’Écriture et de cataloguer les
signes précurseurs de la fin du monde. La Glose ordinaire, dans laquelle
puisaient les théologiens du XIIIe siècle, en distinguait quinze. Les
théologiens de l’âge postérieur furent plus modérés, et leurs épigones les
ramèneront à six l’Évangile enfin universellement prêché, la venue de
l’Antéchrist, la grande apostasie prédite par l’Apocalypse, la conversion des
juifs annoncée par saint Paul, le retour d’Énoch et d’Elie, les deux « témoins
« de l’Apocalypse, enfin des signes et des prodiges de caractères divers.
La
Révolution française ne manqua pas d’impressionner certains esprits. Détenu en
prison sous le consulat et l’empire, le p. de Clorivière occupa ses loisirs à
commenter l’Apocalypse. En sens inverse, tourné vers un avenir que, malgré les
persécutions, il estimait radieux, le p. Ramière écrivit un livre sur « les
Espérances de l’Église » ouvrage légèrement teinté de millénarisme. La guerre
mondiale de 1914, puis celle de 1939 furent un terrain favorable à l’éclosion
ou au réveil de vieilles « prophéties. » Au XXe siècle, qui succédait au
rationalisme philosophique et théologique de l’âge précédent, la question de la
fin des temps entra dans une phase nouvelle. A la théologie scolastique, qui
avait juxtaposé les textes bibliques, succéda une théologie biblique qui,
appuyée sur une meilleure connaissance de la mentalité orientale, et sur la
théorie des genres littéraires, se mît à étudier séparément, mais dans leur
contexte immédiat et lointain, les affirmations des livres du Nouveau
Testament. Les discours eschatologiques de Jésus, où il est difficile de
démêler ce qui concerne la fin du monde, la ruine de Jérusalem et d’autres
aspects de l’eschatologie individuelle et collective, furent étudiés par de
nombreux chercheurs. Des travaux authentiquement catholiques révisèrent ce
qu’on disait communément de l’Antéchrist, et finirent par conclure que cette
personnification désigne moins un individu déterminé que tous ceux qui ont
lutté au cours de l’histoire contre l’avènement du Fils de Dieu et la vie de
son Église. Bellarmin et Suarez avaient donné comme de foi la venue finale
d’Énoch et Élie enlevés au Ciel avec leur corps de chair. Mais jamais l’Église
ne s’était prononcée sur ce point particulier ; on aurait dû depuis longtemps
comprendre que, selon Notre-Seigneur lui-même (Matthieu, 2, 14), Jean-Baptiste
avait été cet Élie prédit par les Prophètes, mais saint Augustin et d’autres
Pères avaient paralysé la recherche en affirmant que, bien qu’Élie ait pu
revivre symboliquement dans le Précurseur, il n’était pas moins vrai qu’il
reviendrait au dernier jour. Le contact de l’exégèse avec les sciences multiples
qui peuvent l’éclairer a obligé à réviser soigneusement les assertions
courantes d’une théologie pour laquelle les problèmes de la fin des temps
n’étaient plus qu’un exercice d’école.
Mais
en même temps, d’autres théologiens continuaient à s‘intéresser à ces problèmes
pour eux-mêmes ils regardaient du côté des sciences de la nature. La révolution
de Copernic avait eu ses répercussions sur la théologie des fins dernières.
Elle eut encore d’autres effets le feu du jugement, dont la place était si
grande dans l’Ancien Testament, la conflagration finale dont avait parlé
l’Épître de Pierre, devinrent l’occasion d’une vision d’avenir. Les savants
imaginaient que la terre finirait dans l’embrasement effroyable d’une
rencontre avec quelque planète détournée de son orbite. Le concordisme qui
avait marqué la seconde moitié du XIXe siècle trouva là sa pâture,
et un théologien aussi grave que le cardinal Billot n’hésita pas à citer dans
son traité de Novissimis, cependant assez bref, de larges tranches d’un
pseudo-savant philosophe. Outre-Rhin, des théologiens sérieux l’imitaient en se
référant à d’autres auteurs. Au XXe siècle, le p. Teilhard de Chardin, dans une
synthèse grandiose, entrevoit la fin du monde et de l’histoire d’une tout autre
façon. L’humanité grandie, vieillie et cependant restée jeune, sera mise un
jour en face d’une option qui engagera son éternité. Avant qu’on puisse
envisager une rencontre catastrophique de la planète avec une planète rivale
ou avant que la terre meure par suite du refroidissement inéluctable du soleil,
elle sera comme engloutie spirituellement par un libre engagement de ses
habitants mis en demeure de choisir entre le Ciel et l’enfer. Il est curieux de
constater qu’on retrouve au XXe siècle, mais rejetée à la fin des
temps, l’option que les scolastiques avaient mise au paradis terrestre.
[1203]
Ce traité sera vu selon une méthode théologique, c’est-à-dire à l’écoute de la
foi de l’Église : Voir pour comprendre notre perspective les remarques de la
Congrégation de la Doctrine de la foi, Lettre
sur quelques questions concernant l’eschatologie. (1979)
[1204]
Matthieu 24, 30.
[1205]
Apocalypse 1, 17.
[1206] Actes 1, 9.
[1207]
L’islam aussi professe le retour du Christ à la fin du monde. C’est la même
théologie, sauf que Jésus n’y est qu’un homme et prêche l’islam. Eux aussi
voient ce retour non seulement à la fin du monde mais aussi sur le lit de mort
de chacun. Voir : « La mort et le jugement dernier selon les enseignements de
l’islam », Rayhane éditions, Paris 1991, Fdal HAJA, p. 62ss.
«
Les musulmans, du nord au sud de la terre, croient que Jésus, fils de Marie,
est un messager et un serviteur de Dieu. Sa naissance et son Ascension sont des
signes célestes, destinés aux serviteurs de Dieu. Parmi ces derniers il y a
ceux qui se sont réaffirmés et qui ont reconnu la vérité, il y a aussi ceux qui
se sont écartés et qui se sont perdus. Le Saint Coran, révélé à Muhammad, nous
a enseigné que les Juifs n’ont pas tué l’Envoyé de Dieu, Jésus fils de Marie,
même s’ils ont prétendu l’avoir fait, et que les chrétiens les ont crus. La
vérité est qu’ils ne l’ont jamais tué. Dieu dit : « Pour avoir affirmé. » Nous avons tué Jésus, le Messie, fils de Marie,
le messager de Dieu ». Ils ne l’ont pas tué, ils ne l’ont pas crucifié, mais
l’illusion les en a possédés. Ceux qui là-dessus controversent ne font qu’en
douter, sans avoir en la matière d’autre science que de suivre la conjecture.
Ils ne l’ont certainement pas tué. Mais Dieu l’a élevé vers lui. Et Dieu est
tout puissant, sage » (4 :157-158). Dieu dit encore : « Lorsque Dieu dit : Jésus! Je vais t’achever et t’élever vers Moi, et
te purifier de ceux qui ont mécrus, et mettre ceux qui t’ont suivi au-dessus de
ceux qui t’ont renié, et cela jusqu’au Jour de la Résurrection. Après quoi vers
Moi est votre retour et je trancherai entre vous l’objet de votre différent »
(3 :55).
Jésus
apparaîtra au moment où l’Antéchrist tourmentera les hommes. Il est dit qu’il
sera en Syrie. Il est écrit dans « al-Jarali as-Saghir » qu’il apparaîtra au
Nord de Damas. Seul Dieu le sait. L’Imam Ibn Kahtir a souligné à propos de
l’exégèse de la sourate an-Nisa (les femmes, verset 159) et des hadiths du
prophète concernant l’apparition de Jésus : « Ce sont des dires fréquents de
l’Envoyé de Dieu qui indiquent la façon et le lieu de son apparition, qui sera
en Syrie, à Damas et plus précisément à la borne Nord, au moment de la prière
de l’aube. Il tuera le cochon, brisera la croix... Il n’acceptera que l’islam
(comme religion), et alors les doutes des chrétiens se dissiperont. Ils
embrasseront l’islam, suivant en cela Jésus »
Dieu
dit : « Il n’est est pas un seul parmi les gens du Livre à ne pas croire à lui
avant sa mort, et le Jour de la Résurrection Jésus sera témoin contre eux » (4
:159). II est dit dans ce verset que tout homme verra la vérité dévoilée sur
son lit de mort, et pas un seul être humain ne mourra sans avoir reconnu
auparavant le vrai du faux. C’est ainsi que les gens du Livre sauront toute la
vérité sur Jésus. La foi n’a de valeur que si on l’accorde à l’inconnu, car une
fois qu’on a vu les preuves de ses propres yeux, on n’a plus aucun mérite d’y
croire. Alors la religion deviendra une, la religion d’Abraham, le musulman, le
fervent. Jésus tuera l’Antéchrist sur ordre de Dieu. Dieu ressuscitera Ya’jouj
et Ma’jouj qu’Il anéantira en réponse aux invocations de Jésus ainsi qu’à
celles des Compagnons.
D’après
Abu Hurayra (Que Dieu soit satisfait de lui), l’Envoyé de Dieu a dit : «
Comment serez-vous, quand apparaîtra parmi vous le fils de Marie alors que
votre imam (guide) est l’un des vôtres ? » (Rapporté par al-Bukhari et Muslim).
Jabir
Ibn’Abdallah (Que Dieu soit satisfait de lui) a entendu l’Envoyé de Dieu dire :
« Un groupe de ma communauté combattra ostensiblement pour la vérité jusqu’au
Jour de la Résurrection. » Il a ajouté : « Alors Jésus fils de Marie (Salut sur
lui) apparaîtra et leur chef lui dira : « Venez! Priez pour nous. » Il répondra
: « Non! Car vous êtes les princes les uns des autres, témoignage d’honneur
accordé par Dieu à cette communauté » (Rapporté par Muslim).
Parmi
ses caractéristiques mentionnées dans les sunan d’Abu Dawud, Abu Hurayra
(Que Dieu soit satisfait de lui) a rapporté que l’Envoyé de dieu a dit : « Il
n’y a pas entre moi et lui de prophète (intermédiaire). Il apparaîtra
(certainement). Quand vous le verrez, reconnaissez-le : (c’est) un homme de,
taille moyenne, (d’une teinte) qui n’est ni rougeâtre, ni blanchâtre, (il
portera) deux tissus jaunâtres. Des gouttes couleront de sa tête alors qu’elle
n’a pas été mouillée. Il combattra pour l’islam, brisera la croix, proscrira la
consommation du porc, abolira la jizia. A son époque Dieu annulera
toutes les religions sauf l’islam. II anéantira l’Antéchrist. Il restera sur
terre quarante ans, il mourra, et les musulmans prieront pour lui » (Rapporté
par Muslim, livre Al Iman).
Dans
un autre hadith, il est dit quarante sans préciser si c’est quarante jours,
mois ou années. Abu Hurayra (Que Dieu soit satisfait de lui) a rapporté que
l’Envoyé de Dieu a dit : « Je jure par Celui qui détient mon âme entre Ses
mains, qu’il (Jésus) est sur le point d’apparaître parmi vous, Jésus fils de
Marie, le dirigeant juste qui brisera la croix, interdira la consommation du
porc, mettra fin à la guerre. L’argent sera en abondance à tel point qu’on le
refusera ; et, qu’une seule prosternation sera préférable à ce monde et à tout
ce qu’il contient. »
[1208] Voir Question 15, L’heure de la mort.
[1209]
Voir notre traité, la question 8 sur la mort.
[1210]
Matthieu 24, 26.
[1211]
Actes 8, 9.
[1212]
Concile Vatican II, Dei Verbum 1, 4.
[1213]
Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre sur quelques questions concernant l’eschatologie, 17 mai
1979.
[1214] L’opposition entre le sens
historique réalisé lors de la destruction de Jérusalem en 70 et les trois sens
que ce fait ancien illustrait consitue l’erreur des « Préteristes ».
L'approche "Préteriste" croit que la plupart, voire la totalité des
prophéties, et en particulier celle de l'Apocalypse, se sont déjà réalisées
depuis 70 et n’avait pas d’autre sens que la guerre des Juifs contre les
Romains.
[1215]
Matthieu 24, 29-30.
[1216]
Matthieu 24, 14.
[1217]
L. Beirnaert, Pour un christianisme de
choc, « construire », III° série, (« Etudes, 1943).
[1218]
« Les doctrines évolutionnistes, christianisées, ne font-elles pas augurer que
l’Orient et l’Occident, dont Kipling disait qu’ils ne se rencontreront jamais,
sont en train de revenir à leurs lointaines origines pour se lancer en avant,
dans une rivalité qui pourrait être sanglante, mais qui peut être aussi une
profitable émulation ? Dans les dernières pages du Phénomène humain, par
une de ces extrapolations qu’on ne saurait reprocher à un savant philosophe, le
p. Teilhard voit les peuples en marche, tels des phylums qui se séparent et
restent cependant unis et qui vivent une commune angoisse, envers d’une
espérance commune qui, consciemment ou non, les dirige vers le fameux point
Oméga, c’est-à-dire vers Dieu, et vers Jésus-Christ. » p. Teilhard de Chardin,
Le phénomène humain, Œuvres, I, 1955, p. 232-235.
[1219]
Matthieu 24, 21.
[1220]
Cf. La lettre de Paul Rivet, fondateur du Musée de l’homme, publiée dans «
Esprit », juin 1955.
[1221]
Daniel-Rops, « Un monde sans âme. » On peut lire aussi à cet égard les prophéties
de saint Louis-Marie Grignon de Montfort sur les apôtres des derniers temps,
Traité de la vraie dévotion à la Vierge Marie, Chap. 5 et 9.
[1222] Catéchisme de l’Eglise Catholique, Mame,
1992, n° 675-676.
[1223]
2 Théssaloniciens 2 ; l ; Timothée 4, 1 ; 2 Timothée 3, 1-5 ; Matthieu. 24,
12-15 ; Daniel 8, 22-26 ; Daniel 9, 26-27 ; 12, 5-13 ;...
[1224]
Luc 2, 14 Vulg.
[1225] Le premier théologien à avoir eu
l’intuition de ce parallèle entre la vie du Christ et la vie de l’Eglise est,
au début du XX° siècle, Mgr Robert Hugh Benson (évêque catholique venant de
l’Anglicanisme). Il écrit en 1926 : « Ce
que j’ai écrit jusqu’ici sur ce sujet n’a été pour moi qu’une préparation à le
traiter à fond. Les Pères de l’Église respirent et vivent dans la pensée que
l’Église est la continuelle présence du Christ. Mon idée, qui est celle des
apôtres et des premiers chrétiens, est que Jésus-Christ n’est pas mort, n’a pas
quitté la terre. Il a un corps grâce auquel il poursuit sa vie ici-bas et la
poursuivra jusqu’à la fin des temps. L’Église est un corps, non un système, sa
voix est la voix du Christ, sa puissance la puissance du Christ. C’est pourquoi
elle pardonne aux pécheurs, guérit les malades et accomplit toutes les actions
du Christ.
«
C’est aussi pourquoi l’histoire de l’Église est identique ou, tout au moins,
parallèle à l’histoire du Christ. Elle a eu son adoration des bergers et des
rois mages, son massacre des Innocents, ses calmes et heureux jours à Nazareth.
Elle a eu sa période de prédication quand elle s’est répandue à travers
l’Europe et a annoncé la bonne nouvelle jusqu’à l’Ultima Thule. Elle a eu son
entrée à Jérusalem, et, immédiatement après, le coup de poing dans la figure,
les persécutions, la dérision sur elle, le couronnement d’épines.
Maintenant nous atteignons à la dernière période de la Passion, peut-être que
la mort et l’enterrement de l’Église sont prochaines, et il y a encore
du temps jusqu’au matin de la Résurrection, jusqu’au royaume millénaire de
quarante jours et à la grande fête de la Pentecôte où le bruit du vent et les
langues de feu descendront de nouveau des profondeurs de l’Éternité... » Or ce qu'il écrit là est une idée rare. Jusqu'ici, je ne l'avais
entendue que chez le Père Marie-Dominique Philippe op. Peut-être celui-ci la tient-il de Benson? Le passage qui fait le
parallèle entre la vie du Christ / la vie de l'Eglise est central dans
l'eschatologie générale. Ce qui est intéressant, c'est que Mgr Benson aussi
croyait l'Eglise rendue à l'heure de sa passion il y a un siècle. Or c'était
faux. C'est que les choses se passent sur plusieurs siècles. Ainsi,
l'eschatologie de la fin des fins et la passion de l'Eglise mettra encore
quelques temps à venir. L'Eglise est forte (sauf en Europe), et il y aura sans
doute encore d'autres mouvements d'évangélisation (la Chine ?).
[1226]
Matthieu 27, 40.
[1227]
Voir 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1228]
Matthieu 27, 54.
[1229]
Voir 2 Théssaloniciens 2, 2 ss.
[1230]
Genèse 17, 21. Isaac, figure du christianisme et Ismaël de l’islam.
[1231]
Luc 3, 3.
[1232]
Luc 17, 20.
[1233] Jean
6, 15.
[1234]
Matthieu 27, 51.
[1235]
Genèse 11.
[1236]
1 Théssaloniciens 5, 3.
[1237]
Luc 3, 8.
[1238]
« Et je vis, et voici qu’au milieu du trône et des quatre animaux et au milieu
des vieillards se tenait un agneau comme égorgé. » Les trônes, les animaux, les
vieillards, c’est l’Église : L’agneau comme égorgé, c’est l’Église avec sa
tête, qui meurt pour le Christ afin de vivre avec lui. Saint Césaire d’Arles, Commentaire de l’apocalypse, Desclée de
Brouwer p. 58.
[1239]
Luc 7, 47.
[1240]
Matthieu 23, 29.
[1241]
1 Corinthiens 1, 19.
[1242]
Luc 12, 32.
[1243]
Romains 5, 8.
[1244] Colossiens. 2, 15.
[1245] Genèse 15, 16.
[1246] Matthieu 7, 13.
[1247] Marc 6, 34.
[1248]
1 Théssaloniciens 5, 3.
[1249]
Matthieu 24, 40.
[1250]
Matthieu 24, 37.
[1251]
Matthieu 24, 28.
[1252]
Apocalypse 18, 11.
[1253] La
théologie musulmane s’accorde avec la théologie chrétienne pour reconnaître que
la date de la fin du monde est inconnue mais sera annoncée par certains signes
dont on ne peut faire autrement que remarquer la proximité de ceux indiqués
dans les évangiles : (La mort et le jugement dernier dans la théologie
musulmane, Rayhane éditions, Paris 1991, Fdal HAJA, p. 54-55) : « Ils t’interrogeront sur l’Heure (en disant) :
Quand sonnera-t-elle ? Réponds-leur “Mon
Seigneur sait cela! Lui seul en dévoilera le terme. (Sa connaissance) pèse aux
habitants des cieux et de la terre. Elle vous surprendra â l’improviste”. Ils
t’interrogeront ô son sujet, comme si tu en étais informé! Réponds “Seul Dieu
en a connaissance! » Mais la plupart
des hommes ne savent pas » (7 :187).
L’Ange
Gabriel a demandé à l’Envoyé de Dieu : « Informe-moi au sujet de l’Heure. » Le
Prophète répondit « L’interrogé n’en sait pas plus que celui qui l’interroge. »
(Extrait d’un long Hadith rapporté par al-Bukhari, Muslim et Abu Dawud).
L’Ange
Gabriel qui est proche de Dieu et ne sait pas lui-même quand sera l’Heure. Il
en est de même du Prophète Muhamhad qu’Il a honoré lors de son voyage nocturne
(à Jérusalem et aux cieux). Dieu leur a conseillé de ne pas se focaliser sur sa
réalisation et son terme, mais plutôt de s’intéresser à sa nature, à sa réalité
et à la terrible sensation de terreur et de gravité qu’elle provoquera. Par sa
surprise, elle sera insupportable aussi bien pour les êtres vivants que pour
les cieux et la terre.
[1254]
2 Théssaloniciens 2, 1.
[1255] Genèse 18, 17.
[1256]
2 Théssaloniciens 2, 1.
[1257] L’opinion du Cardinal Ratzinger concernant des
signes du retour du Christ. : (La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, p. 202) ; « La question du rapport entre la
venue du Christ et notre temps se reflète dans la question des signes de la fin
du monde, qui, née des interrogations analogues de l’apocalyptique juive, ne
cesse de ressurgir dans la chrétienté depuis l’époque des disciples de Jésus.
Une première lecture du Nouveau Testament donne forcément l’impression que des
positions différentes s’y affrontent. D’un côté, on refuse catégoriquement de
poser la question des signes : la venue du Christ est tout à fait incompatible
avec le temps de l’histoire, avec les lois de sa durée, on ne peut donc jamais
la calculer en fonction de l’histoire de quelques manières que ce soit. Toutes
les fois qu’il se livre à un tel calcul, l’homme exerce la logique propre de
l’histoire, et son opération passe donc justement à côté du Christ qui n’est
pas le produit de l’évolution ni un moment dialectique dans le processus de la
raison, mais l’Autre, celui qui, de l’extérieur ouvre les portes du temps et
de la mort ; en elle-même, sa parousie ne peut donc pas être datée. La seule
réponse à la question des « signes « et à toute tentative pour décrire la venue
du Christ ne peut donc consister qu’à refuser cette question et à lui
substituer l’appel suivant : « Ce que je vous dis, je le dis à tous Veillez! »
(Marc 13, 37). Le correspondant humain au rapport particulier du Ressuscité
avec le temps du monde n’est ni la philosophie ni la théologie de l’histoire,
mais « vigilance. »
A
cette position semble pourtant s’opposer, de l’autre côté, un assez vaste courant
de la tradition qui lui, parle des signes avant-coureurs de la venue du Christ.
Dans cette position, Jean Daniélou voit la permanence de deux espérances
différentes de l’Ancien Testament, qui, d’une part, regarde vers un Messie
humain, et, de l’autre, connaît l’attente d’un bouleversement de l’histoire par
l’intervention directe et personnelle de Dieu. Seul le mystère humano-divin du
Christ Jésus, tel que l’a cerné le concile de Chalcédoine, permettrait de
comprendre l’unité intrinsèque de ces deux courants et de justifier pleinement
chacun d’eux. En Jésus-Christ, Dieu agit comme Dieu, divinement, sans
intermédiaire, et, en lui, Dieu agit comme homme par la médiation de
l’histoire. C’est pourquoi le Christ serait en même temps Telos et Peras de l’histoire,
comme dit Daniélou, usant de termes grecs dont il est bien difficile de rendre
exactement en français ce qui les différencie réellement. Il veut dire que le
Christ est aussi bien l’accomplissement
(telos) de tout le réel-accomplissement incompatible avec le cours temporel
du monde et de l’histoire-que la fin chronologique
(peras) de ce temps.
[1258]
l Théssaloniciens 5, 3.
[1259]
1 Théssaloniciens 5, 2.
[1260]
Luc 21, 27.
[1261]
Matthieu 24, 32.
[1262] Isaïe 40, 3.
[1263] Comme
si le Christ devait régner physiquement 1000 ans sur terre. L’Église a sans
cesse rappelé que ces 1000 ans (Ap. 20,
2) étaient le symbole de sa
présence cachée jusqu’au cœur des plus grands malheurs.
[1264] Amos 8, 12.
[1265]
Livre des prédictions d’Esychus, chap. 11.
[1266] Pour
comprendre avec précision la portée des textes de l’Apocalypse de saint Jean,
on peut se reporter aux excellentes études du cardinal Balthasar, La dramatique divine, 3, Culture et
vérité, Namur 1992, p. 19 ss). Pour les discours eschatologiques, Voir surtout La dramatique divine 4, p. 36 ss (Le
dénouement).
[1267]
Luc 16, 31.
[1268]
Luc 21, 25.
[1269]
Voir par exemple Matthieu 24, 40 : « L’un sera pris, l’autre laissé. »
[1270] Luc 21, 28.
[1271] Luc 21, 32.
[1272] Apocalypse 16, 11.
[1273]
Job 42, 5.
[1274]
A propos de ces signes et de leur nombre, il existe une importante
bibliographie. Voir Saint Thomas, Suppl, q. 73, art. 1.
[1275]
Isaïe 7, 14.
[1276]
Apocalypse 13, 1.
[1277]
Luc 21, 11.
[1278] Luc 21, 9.
[1279]
1 Théssaloniciens 5, 3.
[1280]
Apocalypse 6, 5.
[1281]
Apocalypse 16.
[1282]
Matthieu. 24, 24.
[1283]
2 Timothée 3, 1.
[1284] Matthieu. 24, 29 ; Act. 2, 20.
[1285]
De type « Témoin de Jéhovah », car leur sens fondamental est effectivement
littéral.
[1286]
Matthieu 24, 2.
[1287]
Jean 2, 19.
[1288]
La théologie musulmane s’accorde avec la théologie chrétienne pour reconnaître qu’il
y aura des signes précurseurs de la fin du monde. Mais leur liste en est
différente : (La mort et le jugement dernier dans la théologie musulmane,
Rayhane éditions, Paris 1991, Fdal HAJA, p. 54-55)
Hudayfa
Ibn Asyada a rapporté : « Nous avons été surpris par la visite du Prophète
alors qu’on était en pleine discussion sur (les signes) de l’Heure. Il nous a
demandé : “De quoi discutez-vous ?” On lui a répondu : « On évoque l’Heure. »
Il a dit : “Elle ne sera effective qu’une fois que vous aurez vu les dix
signes. » Il a évoqué la fumée, l’imposteur, la bête, le lever du soleil du
côté de l’occident, le Mahdi, la descente de Jésus fils de Marie, Gog et Magog
et trois phénomènes sismiques : Le premier au Machrek (orient), le second au
Maghreb et le dernier dans la péninsule arabique. En dernier lieu, un feu
surgira du Yémen et chassera les gens vers le lieu de la résurrection”
(Rapporté par Muslim, T 8, p. 198 et Ahmad T4, p716).
‘Ah
Ibn Abi Talib a rapporté que le Mohamed a dit : “Quand quinze penchants se
concrétiseront dans le comportement de ma communauté, le malheur l’atteindra. »
On a demandé : “Lesquels, O Envoyé de Dieu ? » Il répondit : “Quand l’état
vivra du butin, quand les objets confiés en dépôt seront confisqués et la zakat (aumône légale) imposée comme
impôt. Quand l’homme obéira à sa femme et désobéira à sa mère, qu’il sera bon
avec son ami et rejettera sou père. Quand les voix s’élèveront au sein des
mosquées ; quand le plus vil des hommes deviendra leur chef. Quand on honorera
l’homme pour sa méchanceté. Quand on boira de l’alcool, qu’on portera des
habits de soie, qu’on fera des femmes des musiciennes et des chanteuses. Quand
les derniers de cette communauté maudiront leurs ancêtres. Alors, qu’ils
s’attendent à un vent rouge, un séisme et une défiguration” (Rapporté par
at-tirmidhi).
Dieu
dit : “Oui, sans aucun doute l’Heure
approche, mais la plupart des hommes sont incrédules” (40 :59).
Le
Compagnon du Prophète, Sahl lbn Sa’d as-Sa’idi a rapporté que l’Envoyé de Dieu
a dit : “J’ai été envoyé moi et l’Heure comme ceci”, et il a joint l’index et
le majeur (Rapporté par al-Bukhari).
Dieu
a gardé l’Heure secrète pour que l’humanité, toute entière et en tout temps,
cherche à en savoir un maximum sur sa nature, la craigne et se prépare avec
acharnement à sa rencontre, ceci dans le cas des croyants. Quand aux
incrédules, elle les surprendra sans qu’ils s’en rendent compte. Dieu dit : “L’Heure est proche, en vérité, et je tiens
(son arrivée) absolument secrète, afin que chaque âme puisse être rétribuée
selon ses œuvres. Que celui qui ne croit pas (à son arrivée) et qui suit sa
passion ne te détourne pas (de cette certitude), sinon ru périras » (20
:15-16).
“Que
l’Heure viendra -nul doute à cet égard- et que Dieu ressuscitera ceux qui sont
dans les tombes” (22 :7).
[1289]
1 Timothée 4, 1.
[1290] Apocalypse 11, 3.
[1291] Apocalypse 12, 1.
[1292] Jean 21, 19.
[1293] Jean 21, 22.
[1294] Matthieu 24, 30.
[1295] Matthieu 24, 15.
[1296] Luc 21, 24.
[1297] Luc 23, 28.
[1298] Luc 21, 24.
[1299] 2 Maccabées 2, 4-7.
[1300] 2 Maccabées 2, 8.
[1301] Romains 11, 15.
[1302] Luc 13, 35.
[1303]
Matthieu 24, 8.
[1304]
Matthieu 24, 25.
[1305]
L’histoire nous montre que ce temps est commencé depuis le jour de la
Pentecôte. En effet, depuis 2000 ans, le Seigneur ne cesse d’enfanter chaque
génération chrétienne à la Vie par la croix.
[1306] On
ne peut manquer de penser au monde contemporain, façonné par l’athéisme et la
sécularisation depuis plus de deux siècles. C’est pourtant le siècle par
excellence des missions.
[1307]
Matthieu. 24, 14.
[1308]
1 Macchabées 1, 54.
[1309]
Matthieu 24, 29.
[1310]
1 Théssaloniciens 2, 8.
[1311]
Matthieu. 25, 31.
[1312]
Matthieu 24, 22.
[1313]
Saint Césaire d’Arles, D. D. B. Paris, 1989, p. 15, commente : « Au sujet des
révélations de l’Apocalypse de saint Jean, quelques-uns des anciens Pères ont
pensé qu’elles se rapportaient en totalité ou au moins en très grande partie au
jour du jugement et à l’avènement de I Antéchrist. En revanche, ceux qui ont
attentivement analysé ce livre ont estimé que les révélations qui y sont
contenues ont commencé à s’accomplir aussitôt après la passion de notre
Seigneur et sauveur et doivent continuer à s’accomplir jusqu’au jour du
jugement… »
[1314] Apocalypse 4, 5.
[1315] Apocalypse 5, 5.
[1316] Apocalypse 8, 9.
[1317] Apocalypse 12, 13.
[1318] Apocalypse 21.
[1319]
Matthieu 24 et 25 et les parallèles en Marc et Luc.
[1320] Matthieu
24, 4-11.
[1321]
2 Théssaloniciens 2.
[1322]
2 Théssaloniciens 2, 8.
[1323]
Voir à ce sujet les magistrales fresques historiques dans les œuvres de
Balthasar. Ex : « L’amour seul est digne de foi », Aubier p. 11ss.
[1324]
Matthieu 24, 34.
[1325] Apocalypse 8, 12.
[1326] Isaïe 24, 20.
[1327]
Matthieu 24, 29.
[1328] Genèse 3, 15.
[1329]
Matthieu 24, 22.
[1330]
Matthieu 24, 7.
[1331]
Luc 12, 20.
[1332]
Job 42, 5 et 6.
[1333]
1 Pierre 1, 7.
[1334]
Apocalypse 16, 21.
[1335]
Le cardinal Ratzinger écrit (La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 206) « Un texte de l’Evangile de Luc,
de ton très archaïsant, s’exprime de même : « Et comme il advint aux jours
de Noé, ainsi en sera-t-il aux jours du Fils de l’Homme. On mangeait, on
buvait, on prenait femme ou mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; et
vint le déluge qui les fit tous périr. Il en sera tout comme aux jours de Lot :
on mangeait, on buvait, on achetait, on vendait, on plantait, on bâtissait ;
mais ce jour où Lot sortit de Sodome, Dieu fit pleuvoir du Ciel du feu et du
souffre, et il les fit tous périr. De même en sera-t-il le jour où le Fils de
l’Homme doit se révéler. » (Luc
17, 26-30 ; cf. Matthieu 24, 37-39). Ces signes, du moins dans
la mesure où nous avons pu le constater jusqu’à présent, ne permettent pas de
pronostiquer la date de la fin. Ils la mettent évidemment en relation avec
l’histoire, mais de telle manière qu’ils obligent toute époque à la vigilance.
Grâce à eux justement, c’est toujours le temps de la fin, le monde est toujours
au contact du « Tout-Autre » qui y mettra fin un jour, et totalement, en tant
que « temps chronologique. »
[1336]
« Elle passe la figure de ce monde », 1 Corinthiens 7, 31.
[1337]
Romains. 8, 22.
[1338]
Job 42, 5 et 6 ; Voir à ce sujet Pascal, Pensées, éd. Brunschwicg, Paris, n° 194.
[1339] Matthieu 18, 8.
[1340] Genèse 11, 4.
[1341]
1 Rois 11, 6.
[1342]
Voir à ce sujet Psaume 49, 13-20. Psaume 73, 3-5 ; 15-24.
[1343]
Matthieu 24, 6.
[1344]
Grégoire le Grand (Homélie sur l’Evangile, p. PL. 76, p. 1078) a pu parler d’un
monde vieillissant, « car, que s’élève peuple contre peuple, et que leur calamité
s’étende sur le pays, cela nous le constatons dans notre époque plus que nous
ne le lisons dans les livres. Vous savez aussi combien de fois nous avons ouï
dire, que, dans d’autres parties du monde, des tremblements de terre ont
dévasté d’innombrables cités. Sans cesse nous souffrons de pestes. Et si nous
ne constatons pas encore visiblement des signes dans le soleil, la lune et les
étoiles, nous pouvons du moins conjecturer qu’ils ne sont pas éloignés,
puisque déjà le climat subit des modifications sensibles « C’est pourquoi on
peut dire inversement « Quand les hommes se disent « Paix et sécurité », c’est
alors que tout d’un coup fondra sur eux la perdition comme les douleurs sur la
femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. » (1 Théssaloniciens 5, 3).
[1345]
1 Théssaloniciens 5, 3.
[1346]
L’opinion du Cardinal Ratzinger : « D’abord, ce n’est pas quelque suprême
maturation de l’histoire qui prépare le passage à la fin ; au contraire, c’est
justement la déliquescence interne de l’histoire, son incapacité en face du
divin, son opposition, qui, paradoxalement, renvoient à l’assentiment de Dieu.
Deuxièmement, un coup d’œil même superficiel montre, dans la réalité de tous
les siècles, que ces « signes « renvoient à la constante disposition de ce
monde ; car ce monde a été continuellement déchiré par des guerres et des catastrophes,
et rien ne laisse espérer que quelque « effort de paix « pourrait modifier
radicalement cette signature de tout ce qui est humain. »
RATZINGER
J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 205.
[1347]
Apocalypse 16, 14.
[1348]
Daniel 11, 11 ; Puisque nous parlons de guerres extérieures, il est à espérer
qu’il s’agit des guerres mondiales de la première moitié du XXème siècle.
[1349]
Question 32, l’Antéchrist.
[1350]
Apocalypse 13, 16 ;
[1351]
La religion enseignée aux fidèles, particulièrement entre 1800 et 1840 met
l’accent sur un Dieu terrible aux méchants, le vengeur de tous les crimes.
Livres de prière, cantiques, prédication, entretiennent dans une religion
sévère qui détourne de la fréquentation des sacrements. Lors des missions-ou
des campagnes d’évangélisation chez les protestants-le prédicateur veut attirer
la foule à l’église ou au temple et utilise pour cela des moyens qui
s’apparentent à la provocation. Il faut commencer par frapper de grands coups
en annonçant des « vérités terribles » Sur les 25 à 30 sermons d’une mission de
trois semaines, une moitié leur est consacrée. Puis viennent les « vérités
consolantes » et les « devoirs du chrétien. » Le Salut, le péché, la mort,
l’existence de l’enfer, le petit nombre des élus, le jugement dernier, des
prédicateurs, tels Jean-Marie Vianney, en font leurs armes de prédilection.
Mais en cela, rien d’original. Si les consciences sont bousculées, c’est
davantage par la conviction qui anime le missionnaire que par l’originalité des
propos. C’est la tradition des siècles précédents qui est reprise. Celle de
Vincent de Paul « Je n’avais partout qu’une seule prédication que je tournais
en mille manières c’était la crainte de Dieu » Du Dieu terrible au Dieu
d’amour, Gérard CHOUVY, Communio, n° 11, 3, mai-juin 1986, p. 119.
[1352]
Apocalypse 13, 8.
[1353]
Les textes de l’Ecriture, pris dans leur sens littéral, ont signifié la réalité
de toutes les époques jusqu’ici. Mais, vers la fin du monde, la guerre prendra
un sens tout à fait particulier.
[1354]
1 Jean 4, 1.
[1355]
Matthieu 24, 24.
[1356] Jean 19, 11.
[1357] 2 Théssaloniciens 2, 11.
[1358] Matthieu 13, 17.
[1359]
Galates 1, 8.
[1360]
Matthieu 24, 12.
[1361] 1
Timothée 4, 1.
[1362] Marc 6, 5.
[1363]
2 Timothée 3, 1.
[1364] L’islam
parle de la même façon et annonce pour la fin du monde certains
signes parmi lesquels on trouve « la perte des objets confiés en dépôt,
la rivalité dans la direction des mosquées, la multiplication des constructions
plus hautes les unes que les autres (signe d’orgueil), la fréquence de la
fornication, la consommation de l’alcool, prendre des filles comme chanteuses
et danseuses dans les réunions et les fêtes, le bâtard qui devient maître et
gouverneur, accorder des responsabilités à ceux qui ne le méritent pas, la
multiplication des nouveautés blâmables, le manque de pudeur des femmes qui
découvrent les parties intimes de leur corps, le juge qui n’applique pas la
justice, la rareté des savants qui dénoncent les nouveautés blâmables, la
décadence morale et d’autres actes illicites encore. »
[1365]
Dans la chrétienté d’occident, il s’agit des XII et XIIIèmes
siècles.
[1366] 1 Périarchion, Chap. 3.
[1367] Au
nom de l’amour de Dieu, l’Église d’Espagne du XVIème siècle est à cet égard
significative. Durcie dans sa guerre contre l’islam, elle appliqua la force à
son propre peuple et aux peuples conquis d’Amérique du Sud.
[1368]
L’histoire de l’Occident chrétien est là encore intéressante. Son apostasie en
marche l’amena tour à tour des guerres sauvages au nom de la nation et du
sacrifice à son idéal, aux meurtres de l’avortement et de l’euthanasie au nom
du plaisir et de la liberté individuelle.
[1369]
Matthieu 10, 39.
[1370]
Genèse 11.
[1371] 2 Théssaloniciens 2.
[1372]
Luc 8, 14.
[1373]
1 Jean 2, 19.
[1374]
Ou même du judéo-christianisme. Qui peut aujourd’hui faire autre chose que le
constater. Marx, Freud, Sartre, Nietzsche etc. pour les théoriciens, Hitler,
Staline et même en un certain sens Mao pour les praticiens ont tous tiré leur
enseignement d’un judéo-christianisme dénaturé.
[1375]
Sagesse 15, 18.
[1376]
Marc 16, 16.
[1377]
Matthieu 8, 10.
[1378]
Jean 10, 16.
[1379]
Concile Vatican II, Décret sur les
diverses religions.
[1380]
Ibidem.
[1381]
La Réforme, en ne croyant pas à cette dignité de la nature humaine, va moins
loin. Pour elle, la confiance en Dieu suffit. La foi seule sauve, et non la
charité et sa coopération active de réciprocité. Pour elle, l’homme détruit par
le péché originel est bien incapable d’une telle audace. Cependant, une fois la
grâce reçue, le Protestantisme croit possible la charité ce qui, en définitive
relativise beaucoup ce qui sépare les chrétiens entre eux.
[1382]
Jean 14, 6.
[1383]
Jean 4, 22.
[1384]
Matthieu 16, 6.
[1385]
Sagesse 13, 11.
[1386]
Genèse 41.
[1387]
Jean 10, 16.
[1388]
Exode 32, 4.
[1389]
Jean 10, 16.
[1390] Apocalypse 13, 7.
[1391] Matthieu 16, 18.
[1392] Luc 24, 46.
[1393] Matthieu 10, 23.
[1394] Apocalypse 2.
[1395] Ezéchiel 16, 22.
[1396] Apocalypse 9, 20.
[1397] 2 Thess 2.
[1398] Ezéchiel 14, 21.
[1399] Matthieu 24 9.
[1400] «
Trompeuse » ou plutôt ambiguë car lorsque Dieu parle de « gloire, de victoire, de salut », il entend souvent « vie
éternelle, donc humilité et son chemin, crucifixion et humiliation. » Mais
l’homme y voit ce qui lui plaît à savoir « succès mondain, gloire terrestre. »
[1401] Hébreux 11, 6.
[1402]
Une étude sérieuse des religions et de leurs prophéties eschatologiques devra
être faite.
[1403]
1 Jean 2, 22.
[1404]
Apocalypse 13, 17.
[1405] Genèse 15, 5.
[1406]
Genèse 21, 11.
[1407]
Genèse 16, 12.
[1408]
Certains musulmans mystiques, peu nombreux affirment que le « grand jihad » est
celle que l’homme doit mener contre le péché qui est en lui. La lettre des
textes du Coran et des Hadiths dit l’inverse.
[1409]
Coran 8, Le Butin 39.
[1410] Genèse 16, 12.
[1411]
L’Église et les religions non Chrétiennes.
[1412]
Voir à cet égard dans la revue Thomiste avril-juin 1957, l’excellent article de
L. Gardet sur les fins dernières selon la
théologie musulmane.
[1413]
Luc 18, 17.
[1414]
2 Théssaloniciens 2, 4.
[1415]
Genèse 21, 20.
[1416]
Il en sera de même pour la chrétienté qui subira un martyre, comme nous le
montrerons.
[1417]
Matthieu 26, 52.
[1418]
Sourate 21, Les Prophètes, verset 104.
[1419]
Coran 99, 1-2. Coran 82, 1-4 ; 81, 1-14 ; 56, 1-6 ; 101, 5.
[1420]
Sourate 44, La Fumée ; Sourate 41, verset 11.
[1421]
cf. Apocalypse de saint Jean 7, 3-4.
[1422]
Ezéchiel 39, 9-11. Il s’agit de l’annonce d’une grande guerre qui verra la
défaite des impies.
[1423]
Il s’agit des habitants musulmans de l’Arabie vers la fin du monde.
[1424] Ezéchiel 39, 12 : « On les enterrera afin de purifier le pays
pendant sept mois. »
[1425] Extrait de l’ouvrage Les histoires des
prophètes, par l’Imam Aboul-Fida Ismaël Ben Kathir, Editions Dar el Hker,
Beyrouth, Liban, p.262.
[1426]
Coran, Sourate des rangs, versets 101-102.
[1427]
Coran, Sourate de Marie, versets 54-55.
[1428]
Genèse 22, 2 et ss.
[1429] «
Le vrai bélier sera Jésus Christ, Fils de Dieu car, quand Dieu veut qu’on lui
sacrifie un enfant, c’est le sien qu’il donne. » Saint Vincent de Paul.
[1430]
La connaissance de la fin du christianisme.
[1431]
Exode 33, 5.
[1432]
Romains. 5, 18.
[1433]
Romains 11, 33.
[1434]
Romains. 10, 2.
[1435]
Isaïe 29, 10.
[1436]
Romains. 11, 12.
[1437]
Pour Pie XI, dans l’encyclique antinazie, « Mit brennender Sorge » du 14
mars 1937, AAS 29 (1937) 150-151, les livres sacrés de l’Ancien Testament sont
entièrement Parole de Dieu et forment une partie substantielle de la Révélation
confirmée par la Parole unique qu’est le Christ, cette Parole
vétéro-testamentaire de Dieu, pourrait-on ajouter, est toujours adressée par
Dieu à l’humanité entière Pie XII précise : « Pour les yeux qui ne se sont
pas aveuglés par le préjugé ou par la passion, resplendit la lumière divine du
plan sauveur qui triomphe finalement de toutes les fautes et de tous les
péchés. »
Après
Auschwitz, cette déclaration prend un sens nouveau : la pédagogie divine,
manifestée notamment dans le Serviteur souffrant triomphe du crime collectif
qui y a été accompli et de toutes les révoltes individuelles qu’il a
occasionnées. Pie XI ajoute : « Sur ce fond souvent obscur ressort dans de
plus frappantes perspectives la pédagogie de salut de l’Eternel, tour à tour,
avertissant admonestant, frappant, relevant et béatifiant ses élus. »
C’est
à cette pédagogie de salut que rendaient héroïquement hommage toutes les
victimes d’Auschwitz en chantant, au seuil de la mort, le Shema Israël.
Elles croyaient que les coups mortels des hommes étaient au service, malgré
eux, de la volonté salvifique et béatifiante du Père tout-puissant et
miséricordieux.
Pie
XI était ainsi amené à dire : « seuls l’aveuglement et l’orgueil peuvent
fermer les yeux devant les trésors d’enseignement salvateur de l’Ancien
Testament »
On
souhaiterait qu’à l’avenir, plus que dans le passé, la catéchèse chrétienne
déverse ces trésors en proposant aux hommes l’intégrale Révélation post-exilique
de l’unique Alliance éternelle, toujours ancienne et toujours nouvelle.
[1438]
Romains 11, 15.
[1439]
Voir l’article suivant.
[1440]
Isaïe 40, 5.
[1441]
Romains 9, 6.
[1442]
Matthieu 11, 28.
[1443]
Voir JEAN-PAUL II, Discours aux juifs des
États-Unis à Miami DC, 1987, 938.
[1444] Luc 19, 24.
[1445]
Deutéronome 28, 63.
[1446]
Jean 5, 43
[1447]
Apocalypse 12.
[1448]
Nous verrons que ce texte possède d’autres sens symboliques (l’Église, Marie,
l’âme etc.).
[1449] Matthieu 24, 2.
[1450] Matthieu 24, 15.
[1451] Luc 21, 24.
[1452] Luc 23, 28.
[1453] Luc 21, 24.
[1454]
Romains 11, 25.
[1455]
2 Maccabées 2, 4-7.
[1456]
2 Maccabées 2, 8.
[1457]
Romains 11, 15.
[1458]
Luc 16, 35.
[1459]
En effet, observait en 1989 le cardinal J.-M. Lustiger au cours d’un entretien
télévisé avec E. Wiesel. « Le juif est le témoin d’un au-delà de l’homme : à
travers le juif, Hitler a voulu tuer Dieu, ce Dieu qui, en choisissant Israël,
manifestait son intention de sauver le monde : « Par toi (Abraham) se
béniront tous les clans de la terre » Genèse 18, 18. 22, 18. 26, 4).
[1460]
Romains 11, 1.
[1461]
Romains 11, 33.
[1462]
c. f. André Neher dans un livre au titre significatif : « L’exil de la Parole,
du silence biblique au silence d’Auschwitz » Paris, 1970.
[1463]
Ezéchiel 40 à 48.
[1464]
Apocalypse 21, 22.
[1465]
JEAN-PAUL II : Lettre du 8 août 1987 à Mgr J. May, président de la conférence
des évêques des États-Unis. Doc. Cath. 84, (1987) 890.
[1466]
Au delà de ces interprétations traditionnelles, il est possible de découvrir en
Israël, de par la méditation constante de son histoire tourmentée à la lumière
du Serviteur souffrant et sous l’influence du christianisme, une interprétation
étonnamment mystique de l’histoire : Voici, au travers de quelques textes et
témoignages, quelques aspects de cette spiritualité quasi-chrétienne : Voir
Eliezer Berkovits comprend ainsi la portée permanente du sacrifice d’Isaac dans
l’histoire du judaïsme, Nova et Vetera, 1973, 123-125.
[1467]
Quant à l’époque de cette conversion, les opinions divergent : Le cardinal
Journet (Nova et Vetera, 1989/2, p. 149) et Lagrange pensent qu’elle
interviendra avant la fin du monde, sera suivie par une prédication efficace
des juifs libérés ainsi de leur messianisme temporel, provoquant une grande
croissance de l’Église, qu’elle sera suivie par l’apostasie généralisée puis
par le retour du Christ. Cela est soutenable. Mais une autre opinion est tout
aussi vraisemblable. Elle présente l’inconvénient d’être moins visible au plan
de l’histoire. L’apostasie généralisée est déjà en marche et la conversion
d’Israël serait réservée pour le jour même du retour du Christ, dans la
confrontation de son apparition. Mais, auparavant, ils auront mérité par une
épreuve particulière cette manifestation finale.
[1468]
Voir la fin de l’épître aux Romains.
[1469] Il ne convient pas de parler du peuple juif comme de
« l'ennemi de Dieu. » Ce serait négliger l'Alliance. Mais, au plan du symbole
néo-testamentaire, l'Israël séparé du Christ représente tout ce qui dans
l'homme doit retrouver le chemin perdu de Dieu.
[1470]
Charles Journet, durant les années les plus sombres de la seconde guerre
mondiale, a vécu intensément le drame du peuple juif. Destinées d’Israël,
écrit à l’occasion du cinquantième anniversaire de la parution, en 1892, du
Salut par les Juifs de Léon Bloy, est un livre bouleversant y vibre la
charité intense d’un cœur catholique qui, au nom de ce qu’il a de plus cher, sa
foi, entend rendre hommage à Israël « au temps de ses outrages. » Protester de
toute sa force était la raison première de l’ouvrage. Mais en l’écrivant, le
théologien ressentait l’attrait grandissant d’une « séduction », car les
destinées d’Israël lui « apparaissaient étroitement et éternellement enlacées
aux destinées de l’Église. » Une « indéniable parenté » et une « dure antinomie
» caractérisaient ce lien. S’efforcer de scruter les signes des temps-et
certains de ces signes manifestent le mystère d’iniquité-entre dans la tâche du
théologien.
[1471] Luc 11, 32.
[1472] Genèse 37, 45.
[1473] Genèse 37, 26.
[1474] Luc 13, 33.
[1475]
Marc 14, 62.
[1476]
Marie Dominique Philippe op., commentaire de la Genèse, Rimont, 1984.
[1477]
Marie-Thérèse HUGUET, Nova et Vetera, 1985/2 : « Comment oser écrire cela après
vingt siècles d’égarements de tant de fils de l’Église à l’encontre des fils de
la Maison d’Israël, alors que le peuple juif était confié à l’amour de
l`Église, égarements tels qu’on a peine à les croire possibles, tant sur le
plan de l’enseignement que sur le plan des actes (cf. F. Lovsky, Antisémitisme
et mystère d’Israël, Albin Michel, 1955 ; L’antisémitisme chrétien, Cerf, 1970
; Let déchirure de l’absence, Calmann-Lévy, 1971). La première démarche qui
nous incombe est bien celle de l’humble confession de ces péchés qui atteignent
Dieu lui-même dans son dessein de salut, confession inséparable de toute la
réparation possible. Mais que depuis vingt siècles cette tâche de consolation
ait été non perçue ou défigurée en prosélytisme, que loin de l’honorer nous
l’ayons trahie en en prenant le contre-pied, cela ne change rien au fait que
nous l’ayons reçue (et cela aggrave nos torts d’autant). Et l’appel du prophète
Isaïe : « consolez mon peuple » ne devrait-il pas s’opérer également par
la reconnaissance (au sens de reconnaissance d’identité et au sens de
gratitude), la solidarité, le partage de l’espérance, l’humble témoignage, sans
parler de la prière. Ce serait aimer la maison d’Israël en vérité. Ce serait
l’aimer de la tendresse que le Père porte à celui qui, à l’image de l’Unique,
est le « premier-né » de son amour (Si 36, 11).
[1478] Luc 24, 31.
[1479] Apocalypse 11, 5.
[1480] Luc 21, 12.
[1481] Apocalypse 13, 17.
[1482] Luc 21, 14.
[1483]
Colossiens. 1, 24.
[1484]
Matthieu 10, 23.
[1485]
Actes 16, 6.
[1486]
Colossiens 1, 23.
[1487]
Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà,
Université de Fribourg, 1980, p. 76.
[1488]
Marc 13, 10.
[1489]
Genèse 3, 15.
[1490]
1 Pierre 3, 19.
[1491]
Jean-Paul II est-t-il celui qui a réalisé cette prophétie ?
[1492]
Psaume 127, 1.
[1493]
Voir Question 8, article 3.
[1494]
Jean 3.
[1495] Jean 3, 7.
[1496]
Voir Y. Congar, Le mystère du temple, Cerf, 1957, 1ère Partie,
Paris.
[1497]
Matthieu 16, 18.
[1498]
Jean 21.
[1499]
Apocalypse 19, 7.
[1500]
Apocalypse 13, 7.
[1501]
Jean 12, 24.
[1502] Catéchisme
de l’Eglise Catholique, 1997, 675 à 677.
[1503]
Jean 21, 18 à 23.
[1504]
Voir article 4.
[1505]
Jean 21, 19.
[1506]
Matthieu 24, 21.
[1507]
Actes 1, 7.
[1508]
Jean 21, 19.
[1509]
Matthieu 24.
[1510] Daniel 9.
[1511]
Apocalypse 11, 7.
[1512]
Jean 21, 18-23.
[1513] Voir Daniel 8, 9.
[1514] Voir L’Anneau
du Pécheur de Jean Raspail, qui raconte la manière dont disparut du monde
visible la papauté d’Avignon.
[1515]
Matthieu 16, 18.
[1516]
Jean 21, 17.
[1517]
Voir « Ad tuendan Fidem », lettre apostolique sur le Magistère de l’Église,
Documentation Catholique 1998, n°2186.
[1518]
Jean 21, 18.
[1519]
Q. 1, Article suivant.
[1520]
Jean 11, 49.
[1521]
Jean 12, 20.
[1522]
Luc 19, 28.
[1523]
Jean 13.
[1524] Depuis Vatican II, l’Eglise semble
réaliser ce chemin de kénose à la lettre.
[1525]
Daniel 1, 31.
[1526] Apocalypse 12, 8.
[1527] Daniel 11, 31.
[1528] Proverbes 21, 1.
[1529] Luc 21, 28.
[1530] Jean 19.
[1531]
Marc 14, 52.
[1532]
Jean 12, 4.
[1533]
Jean 12, 6.
[1534] Jean 13, 6.
[1535] Matthieu
24, 15.
[1536] Matthieu
16, 18.
[1537] Luc 21, 28.
[1538]
Jean 4, 21.
[1539]
2 Macchabées 4, 5.
[1540] Donatienne
de Lacheisserie, objection, Bois-le-Roi, septembre 1994.
[1541]
Matthieu 24, 15.
[1542]
Apocalypse 20, 8.
[1543]
2 Macchabées 10.
[1544]
Luc 22, 32.
[1545]. Luc 22, 19.
[1546]
Matthieu 24, 15.
[1547]
Daniel 8, 12 ; Daniel 11, 31 et Daniel 12, 11.
[1548]
Luc 17, 20.
[1549] Jean
14, 23.
[1550] Matthieu 18, 20.
[1551]
1 Jean 3, 2.
[1552]. … qui n’est pas encore
une sainte canonisée. Ses écrits sont cités à titre de témoignage. Ce texte a
été composé par elle le 4 avril 1931.
[1553]. À cause de cette
réduction de la vie chrétienne à la spiritualité eucharistique, les divorcés
remariés, qui n’ont plus accès à la communion eucharistique, ne pouvaient plus
comprendre ce que leur demandait l'Église. Il sont appelés à la spiritualité du
publicain décrite en Luc 10, 18 : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier.
L’un était Pharisien et l’autre publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi
en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme
le reste des hommes. Je suis un homme vertueux.’ Le publicain, se tenant à
distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la
poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis
!’ Je vous le dis, ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non.
Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera
élevé. » Tout est dit ici
de la communion de celui qui ne peut plus communier.
[1554]
Jean 21, 23.
[1555]
Jean 20, 28.
[1556]
Jean 19, 26.
[1557]
Matthieu 24, 22.
[1558]
Luc 1, 45.
[1559]
L’Église a fait de saint Louis-Marie Grignon de Montfort un Docteur de l’Église
pour ses deux écrits sur Marie : « Le
secret de Marie », « Le traité de la
vraie dévotion à la sainte Vierge. »
[1560]
Luc 10, 21.
[1561]
Op. cit.
[1562] Traité de la vraie dévotion à la sainte
Vierge, éd. Du seuil, Paris, 1966, p. 55.
[1563] Citation
de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus.
[1564]
A. Feuillet, La femme vêtue du soleil
(Apocalypse 12), et la glorification de l’épouse du Cantique des cantiques (6,
10), Nova et Vetera, 1984, 1.
[1565]
Luc 2, 51.
[1566]
Apocalypse 19, 17.
[1567]
Apocalypse 10, 2.
[1568] Apocalypse
10, 6.
[1569]
Dans son Traité de la vraie dévotion à
Marie, (lire plus loin), saint
Louis-Marie Grignon de Montfort annonce explicitement la venue de tels témoins.
Cette interprétation là est même, si l'on considère la façon dont Dieu nous
sauve, aussi certaine que les autres. Dieu ne peut laisser les hommes affronter
l'époque de l’Antéchrist sans proposer à ceux qui seront attentifs, toutes les
armes de la survie spirituelle. S'il envoie sa mère dans de nombreuses
apparitions, c’est qu’elle est la plus capable de former des âmes
contemplatives. Mais il lui adjoint de nombreux témoins afin que toutes les
sensibilités entendent le message. Certains sont déjà venus et, unique parmi
tous les autres, sainte Thérèse brille au cœur de l'apostasie en marche. Son
témoignage est le même que celui d’Énoch : « Elle marcha avec Dieu, puis elle disparut car Dieu l’enleva! ”
A la fin du monde, lorsque l'Antéchrist viendra, les hommes croyants n’auront
qu’à l'imiter : marcher avec Dieu dans le secret de la charité. Alors Jésus
reviendra et les enlèvera.
Vers
la fin du monde, avant que le règne de l’Antéchrist ne rende toute prédication
impossible, il est probable que le Seigneur suscitera des nouveaux Elie qui
prêcheront dans le monde entier l’Evangile. C'est ce que Jésus semble annoncer
(« semble » car ces textes ont plusieurs niveaux de sens) : « Cette bonne nouvelle sera annoncée dans le
monde entier, en témoignage à la face de toutes les nations. Et alors viendra
la fin.” (Matthieu 24, 14). Saint Louis-Marie Grignon de Montfort décrit
les apôtres des derniers temps de la façon suivante (Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, édition du seuil,
Paris, 1966, 49ss) :
“ Ces grandes âmes, pleines de grâce et
de zèle, seront choisies pour s'opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de
tous côtés, et elles seront singulièrement dévotes à la Très Sainte Vierge,
éclairés par sa lumière, nourries de son lait, conduites par son esprit,
soutenues par son bras et gardées sous sa protection, en sorte qu'elles
combattront d'une main et édifieront de l’autre. D'une main, elles combattront,
renverseront, écraseront les hérétiques avec leurs hérésies, les schismatiques
et leurs schismes, les idolâtres avec leur idolâtrie, et les pécheurs avec
leurs impiétés et, de l’autre main, elles édifieront le temple du vrai Salomon
et la mystique cité de Dieu. ” “ Mais qui seront ces serviteurs, esclaves
et enfants de Marie ? Ce seront un feu brûlant, ministres du Seigneur qui
mettront le feu de l'amour divin partout. Ce seront comme des flèches dans la
main du puissant (ps. 126, 4), dans la main de la puissante Marie pour percer
ses ennemis. Ce seront des enfants de Lévi, bien purifiés par le feu de grandes
tribulations et bien collés à Dieu, qui porteront l’or de l’amour dans le cœur,
l'encens de l'oraison dans l’esprit et la myrrhe de la mortification dans le
corps, et qui seront partout la bonne odeur de Jésus-christ aux pauvres et aux
petits, tandis qu'ils seront une odeur de mort aux grands, aux riches et aux
orgueilleux mondains.
Ce seront des nues tonnantes et volantes par
les airs au moindre souffle de l’Esprit saint, qui, sans s’attacher à rien ni
s’étonner de rien, ni se mettre en peine de rien, répandront la pluie de la
parole de Dieu et de la vie éternelle. Ils tonneront contre le péché, ils
gronderont contre le monde, ils frapperont le diable et ses suppôts, et ils
perceront d'outre en outre, pour la vie ou pour la mort, avec leur glaive à
deux tranchants de la parole de Dieu, tous ceux auxquels ils seront envoyés de
la part du Très-Haut.
Ce seront des apôtres véritables des derniers
temps, à qui le Seigneur des vertus donnera la parole et la force pour opérer
des merveilles et remporter des dépouilles glorieuses sur ses ennemis ; ils
dormiront sans or ni argent et, qui plus est, sans soin, au milieu des autres
prêtres, et ecclésiastiques et clercs ; et cependant ils auront les ailes
argentées de la colombe, pour aller avec la pure intention de la gloire de Dieu
et du salut des âmes, où le Saint-Esprit les appellera, et ils ne laisseront
après eux, dans les lieux où ils auront prêché, que l’or de la charité qui est
l’accomplissement de toute la loi.
Enfin, nous savons que ce seront de vrais
disciples de Jésus-Christ, qui marcheront sur les traces de sa pauvreté,
humilité, mépris du monde et charité, enseignant la voie droite de Dieu dans la
pure vérité, selon le saint Evangile, et non selon les maximes du monde, sans
se mettre en peine ni faire acception de personne, sans épargner, écouter ni
craindre aucun mortel, quelque puissant qu'il soit. Ils auront dans leur bouche
le glaive à deux tranchants de la parole de Dieu ; Ils porteront sur leurs
épaules l'étendard ensanglanté de la Croix, le crucifix dans la main droite, le
chapelet dans la gauche, les sacrés noms de Jésus et de Marie sur leur cœur, et
la modestie et mortification de Jésus-Christ dans toute leur conduite. Voilà de grands hommes qui viendront, mais
que Marie fera par ordre du Très-Haut pour étendre son empire sur celui des
impies, idolâtres et Mahométans. Mais quand cela sera-t-il ? Dieu seul le sait
: c’est à nous de nous taire, de prier, soupirer et attendre : Expectans
expectavi. ”
[1570]
2 Macchabées 10, 29.
[1571]
Les anciens juifs croyaient en la venue d’Énoch et d’Elie eux-mêmes, à partir d’un
paradis terrestre où ils attendaient vivants leur heure. Nous ne nous
attarderons pas sur cette vision dont l’Evangile manifeste suffisamment le
caractère mythologique. Cf Marc 9, 12-13). Consulter aussi :
-
Bellarmin, Apologia, Opera, éd. Vives, t. 12, p. 171-176.
-
Grail, Jean-Baptiste et Elie, « Vie spirituelle », juin 1949, 8-106.
- Augustin, In Joan, 4, 5-6, P. L, 35, 1408.
[1572] Romains 11, 16.
[1573]
Apocalypse 3, 13.
[1574]
Genèse 5, 22.
[1575]
2 Romains 2, 11.
[1576]
Matthieu 17, 12.
[1577]
Grail, Jean-Baptiste et Élie, « Vie
spirituelle », juin 1949.
[1578]
Luc 10, 41.
[1579]
Romains 11, 24.
[1580] L’islam
développe une théologie analogue concernant les signes de la fin du monde et la
venue de témoins précurseurs. Il s’agit du "Mahdi".[1580]
Le Mahdi est évoqué dans des hadiths authentiques. Le Prophète a annoncé
l’apparition d’un homme parmi sa communauté. Le Mahdi (le bien guidé)
répandra la justice sur toute la terre qu’il trouvera dominée par le despotisme
et l’injustice. Pour Mohamed c’est le Mahdi qui sera l’imam (guide de la
prière). Il vivra à l’époque où descendra Jésus, tous deux s’activeront pour
réparer ce qui a été détruit et remettre cette communauté, qui s’est éloignée
des prescriptions islamiques, sur le droit chemin.
[1581]
Saint Césaire d’Arles commente ce texte de l’Apocalypse (Collection les Pères dans la foi, Desclée de
Brower, p. 88) « Et je donnerai à mes deux témoins c’est-à-dire aux deux
Testaments, de prophétiser et ils prophétiseront pendant mille deux cent
soixante jours. » Il a dit le nombre de la dernière persécution, de la paix
future et de tout le temps qui s’écoule à partir de la passion tu Seigneur :
parce que l’un et l’autre temps ont le même nombre de jours, ce que l’on dira
en son lieu. « Couverts de sacs » c’est-à-dire de cilices, du fait
qu’ils sont établis dans les rangs des pénitents, c’est-à-dire de ceux qui
confessent leurs péchés, car il les dit couverts de sacs par esprit d’humilité.
«
Et lorsqu’ils auront achevé leur témoignage la bête qui monte de l’abîme leur
fera la guerre. » Il montre ouvertement que ces choses arriveront avant la
dernière persécution, quand il dit : « Lorsqu’ils auront achevé leur
témoignage. »
«
Et si quelqu’un veut leur nuire ou les tuer un feu sort de leur bouche et
dévore leurs ennemis » c’est-à-dire si quelqu’un nuit ou a voulu
nuire à l’Église, à la prière de sa bouche il sera consumé par le feu divin
soit dans le présent pour sa correction, soit dans le siècle à venir pour sa
damnation.
«
Sur les places de la grande ville », c’est-à-dire au milieu de l’Église. » Et
les peuples de divers peuples, tribus et langues, verront leur corps pendant
trois jours et la moitié d’un jour » c’est-à-dire trois années et six mois ; En
effet il mêle les temps, tantôt le présent, tantôt le futur, comme le Seigneur
dit : « Une heure viendra où tout homme qui vous aura tué, estimera qu’il a
rendu honneur à Dieu. »
[1582]
2 Théssaloniciens 3, 4-5.
[1583]
1 Jean 2, 18.
[1584]
1 Jean 4, 3.
[1585]
Saint Augustin, les deux cités.
[1586]
Apocalypse 12, 3.
[1587]
Apocalypse 13, 1.
[1588]
L’opinion du Cardinal Ratzinger (La
mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 204) : « Dans les autres
écrits du Nouveau Testament, quelques-uns de ces signes sont présentés de façon
plus concrète. Ainsi, la figure de l’Antéchrist passe désormais au premier
plan, surtout (bien que le terme n’y soit pas encore) en 2 Théssaloniciens 2,
3-10. Pour comprendre cette figure apocalyptique de l’ » Impie » (2, 8 ; cf. 2,
3), il faut noter que Paul le caractérise en citant substantiellement deux
textes de l’Ancien Testament : Daniel 11, 36, et Ezéchiel 28, 2 Le premier de
ces deux textes dépeint le grand persécuteur de la foi juive à l’époque
hellénistique : Antiochus épiphane. Le second dépeint le prince mythique de
Tyr, prince hybride et donc voué à l’échec. Que l`Antéchrist à venir soit décrit
sous des traits qui, à l’origine, étaient ceux de deux autres personnages
depuis longtemps passés à l‘histoire lui ôte quelque chose de son caractère
strictement singulier, et range l’Antéchrist de la fin des temps dans une
longue série de précurseurs déjà fondamentalement doté de ce qu’on trouvera
chez lui au suprême degré. La même tendance s’inscrit encore plus fortement
dans 1 Jean 2, 18-20, où apparaît le thème de l’Antéchrist. Dans ces deux
derniers textes, les actuels fauteurs d’erreur en matière de christologie sont
qualifiés d’ » Antéchrist » Il s’ensuit que c’est maintenant la « dernière
heure «, mais qui précisément parce qu’elle est la dernière perd toute valeur
chronologique et exprime finalement une certaine disposition d’esprit, une
certaine proximité intérieure par rapport à la fin. Ce courant se poursuit dans
les visions parallèles de l’Apocalypse : le vrai pendant de l’ » Antéchrist «,
ce sont les deux animaux qui montent de la mer et de la terre (13, 1-18). Dans
ce texte aussi, l’Antéchrist est considéré très concrètement du point de vue de
l’histoire temporelle, et l’équivalence est établie entre lui et l’Etat romain
divinisé tel qu’il se présente, d’une part, dans ses empereurs-dieux, et, d
autre part, dans leurs prêtres.
Avec
cette conception de l’Antéchrist va de pair une insistance plus marquée sur
l’idée de persécution qui, dan l’Apocalypse, atteint son paroxysme. Le thème de
la prédication évangélique et de l’universelle efficacité du salut qui vient du
Christ a encore connu un ultime approfondissement dans le combat de Paul sur le
thème d’Israël consécutif au plein épanouissement de l’Église des païens.
L’histoire de l’exégèse de Romains 9-11 en a conclu que la première étape vers
la fin des temps serait forcément la conversion historique d’Israël au Christ.
[1589]
Il finit par accepter le baptême afin de mourir garrotté plutôt que brûlé vif.
[1590] 2 Jean 8 ;
[1591] D. Buzy, Antéchrist, D. B, Suppl, I,
1928, p. 305.
[1592] 2 Théssaloniciens 2,
4.
[1593]
1 Jean 2, 18.
[1594]
Daniel 11, 31.
[1595]
1 Jean 2, 19.
[1596] Œuvres,
Livre L, chap. 27.
[1597]
Aussi Gerhoch de Reichersberg (1093/1094-1169) voit-il juste, quand il
considère l’Antéchrist comme une sorte de principe de l’histoire de l’Église, «
qui ne se concrétise pas en une personne, mais sous mille figures. Il fait table
rase de l’image traditionnelle : il faut n’y Voir qu’un être allégorique, et
non historique. L’Antéchrist doit s’entendre littéralement de tout homme qui
est Christo Filio Dei contrarius mérite ce nom. En d’autres termes,
chacun est Antéchrist qui détruit l’ordo et fomente la confusio.
» Quoi qu’il en soit des généralisations outrancières que le prévôt pessimiste
en ait tirées concernant le but, le fond de sa pensée est pourtant juste, à
savoir que l’Antéchrist n’est un que dans la multitude de ses manifestations
historiques, dont chaque époque, à sa manière, est menacée.
[1598]
Apocalypse 13, 17 et 18.
[1599]
Exode 20, 9.
[1600]
Exode 21, 1.
[1601]
L’Apocalypse, Césaire d’Arles, Collection les Pères dans la foi, Desclée de
Brower, p. 65 : « Lorsqu’il ouvrit le sixième sceau, il y eut un grand
tremblement de terre », c’est-à-dire la dernière persécution. « Et le
soleil devint noir comme un sac de crin et la lune devint tout entière comme du
sang et les étoiles tombèrent sur la terre. » Ce que sont le soleil et la
lune, les étoiles le sont aussi, c’est-à-dire l’Église, mais la partie est à
comprendre du tout. Ce n’est pas en effet toute l’Église qui tombe du Ciel.
Mais il dit tout parce que la dernière persécution s’étendra à tout l’univers.
Et alors ceux qui auront été justes, demeureront dans l’Église comme dans le
Ciel : Mais les cupides, les hommes injustes et adultères accepteront de
sacrifier au diable. Et alors ceux qui se disaient chrétiens seulement en
paroles, telles les étoiles, tombent du Ciel qui est l’Église. « Comme un
figuier agité par un grand vent laisse tomber des figues vertes. »
[1602]
2 Théssaloniciens 2, 4.
[1603]
La vie proposée par Lucifer n’a rien à voir avec celle de Dieu. Sa dignité
n’est pas celle de l’amour poussé jusqu’au mépris de soi… Elle est liée au
culte de sa grandeur individuelle.
[1604]
En latin, Lucis ferro, Lucifer. Il
parlera donc en vérité de son projet de paradis fondé sur la noblesse des
intelligences.
[1605]
Sous-entendu Jésus-Christ et son message d’humilité et d’amour.
[1606]
Voir Genèse 11, 9 : Dieu divisa l’humanité à Babel pour l’empêcher de s’unir et
de se croire toute puissante. Son but n’était bien sûr pas la préservation
égoïste de sa primauté mais le salut éternel de l’homme.
[1607]
Luc 23, 34.
[1608] Voir Question 8, article
10 — L’homme voit-il Lucifer à l’heure de la mort ?
[1609] 2 Théssaloniciens 2,
6-7.
[1610]
2 Théssaloniciens 2, 10 à 12.
[1611]
2 Théssaloniciens 2, 7.
[1612]
Matthieu 24, 15.
[1613]
Daniel 8, 22-26.
[1614]
Daniel 9, 26-27.
[1615]
Daniel 12, 5-13.
[1616]
A la fin du XXème siècle, abreuvée de souffrance, l’humanité finit par rédiger
la charte d’un monde nouveau qu’elle s’efforça de réaliser à l’aide des
instances internationales.
Son but : Que chacun puisse profiter des plaisirs et
des joies de la vie car ils sont ce qu'il y a de plus précieux sur la terre.
Ses moyens : Il convient de donner à tous les hommes
la possibilité d’obtenir ces plaisirs et ces joies. En premier lieu, il faut
mettre au ban de la société toutes les idéologies qui, au cours des siècles
passés se sont rendues coupables de fanatismes et de violences. Toute guerre
doit être définitivement bannie puisqu’elle est source de malheur.
En second lieu, il convient de montrer aux peuples
que le bonheur décrit a pour condition la
liberté et le respect de la liberté d'autrui.
Ses lois : Etablir des lois civiles favorisant la liberté dans le respect d'autrui.
Liberté d'aimer celui qui veut bien de cet amour (l'amour n’étant pas seulement
la pulsion sexuelle mais aussi le sentiment) ; Liberté de penser et de
s'exprimer (dans la mesure où les idées soutenues respectent le principe de
l'article 1 et les conditions de l'article 2 ; Liberté de donner la vie au
moment choisi, à condition que le nouveau-né soit un enfant normal, doté de
toutes les facultés pour trouver dans les meilleures conditions le bonheur
proposé et qu’il ne soit pas surnuméraire par rapport aux possibilités de la
planète ; Liberté d'arrêter une grossesse non désirée, tant que l'embryon n'est
pas un être humain (=doté de liberté) ; Liberté de choisir l’heure de sa mort,
surtout lorsque celle-ci approche et supprime la possibilité du bonheur proposé
dans l'article 1 ; Bref, toute liberté apte à favoriser le bonheur dans le
respect de la liberté d'autrui.
4) Etablir des lois civiles favorisant le respect d'autrui dans la liberté :
Respect de celui qui n'éprouve plus de sentiment et veut quitter son conjoint
(possibilité de divorce) ; respect de toutes les opinions d'autrui ; Tolérance
de ses actions dans la mesure où elles ne détruisent pas la liberté d'autrui ;
Respect du droit des enfants qui, n’étant pas des êtres totalement éduqués dans
la liberté, ont besoin de l'amour de leurs parents ; Respect de ceux qui
veulent quitter ce monde et terminer leur existence dans un choix digne de
l'être humain (euthanasie) ; Bref tout ce qui favorise le respect de la liberté
d'autrui, en vue du bonheur personnel.
5) Etablir une justice et des peines adaptées contre
ceux qui commettent des délits et des crimes contre autrui, selon qu’il a été
défini libre et digne de respect aux articles 3 et 4.
6) Favoriser les sciences et les techniques capables
d'aider aux conditions matérielles du bonheur du plus grand nombre. Nourriture
pour tous, santé, richesse, temps pour les loisirs, protection de la nature,
prolongation de la durée de vie, accès à la culture etc.
7) Adapter avec souplesse ces lois en fonction de
l’évolution des mentalités, pour que chacun se sente libre et respecté et même
aimé dans un monde où règne la concorde entre tous. Favoriser l'attention aux
autres, à condition qu’elle n’aille pas jusqu’à établir des liens étouffants
pour la liberté. C’est de cette attention que naîtra l’équilibre psychologique
d’une société vouée aux angoisses de sa condition mortelle. ”
Un tel projet de société n’est certes pas parfait.
Il reconnaît avec réalisme son défaut structurel : la nécessité pour l’homme de
mourir alors qu'il désirerait vivre toujours. Mais reconnaissons-le avec
honnêteté : Si Dieu n'existait pas, ne serions nous pas les premiers à y
adhérer et à y travailler ? Existe-t-il meilleure façon de vivre sur la terre
les quelques années où le hasard de l’évolution nous a placé ? Ce projet est si
bon (le moins mauvais qu'on puisse imaginer compte tenu de ce que nous sommes),
qu’il est difficile d'en inventer un meilleur. L’acceptation du divorce et du
vagabondage des amitiés est logique. Pourquoi s'imposer à vie le joug d'une vie
commune alors que l'amitié se vit beaucoup plus facilement dans la liberté et
la spontanéité ? N'y a-t-il pas plus de joie à se revoir qu'à se supporter ?
Rien n’empêche bien sûr à ceux qui veulent se marier de le faire, s'ils y
trouvent le bonheur. Il en est de même pour l’acceptation de l'avortement.
L'embryon n’ayant ni âme immortelle ni liberté, pourquoi s'imposer à le garder
s’il ne vient pas au bon moment ? De même, pourquoi vivre dans la maladie et la
vieillesse puisque tout se termine dans le néant ?
On
le voit, cette conception du monde ressemble à s’y méprendre à celle du
christianisme. Beaucoup de chrétiens les identifient d’ailleurs de nos jours.
Elles ont des éléments communs : sens du respect d’autrui, recherche du bonheur
de l’autre. Pourtant, en y regardant de plus près, il est possible de discerner
qu’elles sont absolument différentes, à tous points de vue. Puisque celle-là
exalte l‘amour de soi, de son propre équilibre et bonheur individuels. Il
s’agit bien d’un antichristianisme.
[1617] Luc 12, 4.
[1618] Genèse 3, 4.
[1619]
Genèse 3, 14.
[1620] Matthieu 4, 4.
[1621]
Matthieu 24, 22.
[1622]
Genèse 11, 7.
[1623]
Apocalypse 17, 14.
[1624]
Apocalypse 20, 1.
[1625]
Apocalypse 13, 15.
[1626]
2 Théssaloniciens 2, 5.
[1627]
Apocalypse 11, 9.
[1628]
2 Théssaloniciens 2, 8.
[1629] Daniel 8, 25.
[1630]
Luc 21, 24.
[1631] Daniel 9, 26.
[1632]
1 Théssaloniciens 5, 3.
[1633]Apocalypse 11, 3.
[1634] Daniel 8, 24.
[1635] Daniel 8, 25.
[1636] Daniel 12, 7.
[1637]
Genèse 6, 3.
[1638] Voir
par exemple Genèse 5, 6. 6, 3 etc.
[1639]
Genèse 3, 5.
[1640]
Matthieu 27, 25.
[1641] 2 Théssaloniciens 2, 4.
[1642] Matthieu 24, 15.
[1643]
Matthieu 24, 30.
[1644]
Matthieu 5, 18.
[1645]
Apocalypse 12, 3.
[1646]
Genèse 1, 29 et Genèse 9, 3.
[1647]
Genèse 11, 4.
[1648]
Genèse 3, 24.
[1649]
Genèse 5, 5 et Genèse 6, 3.
[1650] Luc 21, 32.
[1651] Genèse 11, 6.
[1652]
Luc 7, 22.
[1653]
Jean 8, 28.
[1654]
1 Jean 4, 16.
[1655] Matthieu 12, 40.
[1656] Matthieu 12, 39.
[1657]
Isaïe 53.
[1658]
En disant cela, le Cardinal Balthazar se sépare radicalement de la position
thomiste traditionnelle. Saint Thomas affirmait en effet que le Christ avait
conservé durant toute sa passion la vision béatifique dans son intelligence. En
conséquence, il ne pouvait souffrir dans son esprit qui était bienheureux. Le
mystère du sépulcre devenait mystère glorieux de prédication aux âmes des
défunts. La foi Catholique n’oblige pas à tenir cette opinion : Si elle affirme
avec netteté que le Christ a eu la vision béatifique dès le premier instant de
sa conception (il n’a pas eu à prendre conscience qu’il était Dieu!), elle
regarde comme une hypothèse possible qu’il ait pu accepter de suspendre
l’exercice de cette vision au moment de sa passion. On devine les perspectives
bouleversantes qu’ouvre cette recherche inaugurée avec l’encouragement des
papes Paul VI et Jean-Paul II par Balthazar.
[1659]
Matthieu 24, 30.
[1660]
Luc 21, 28.
[1661]
Marc 15, 39.
[1662]
Isaïe 2, 10.
[1663]
Genèse 8, 21.
[1664]
Matthieu 13, 49.
[1665]
1 Corinthiens 7, 31.
[1666]
RATZINGER J, La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, p. 200.
[1667]
Apocalypse 6, 11.
[1668] Péguy
aimait distinguer dans l’histoire les « périodes » et les « époques. » Dans les
périodes, rien de grand n’arrive, la vie de l’humanité suit son cours sans
aventures extraordinaires. Comme un fleuve tranquille et paresseux, les nations
et les civilisations se hâtent lentement vers une fin qui ne les préoccupe qu’à
demi. Dans les époques au contraire, le fleuve s’agite et tourbillonne, les
remous succèdent aux remous, les digues se rompent et ce sont alors les grandes
catastrophes. Mais c’est aussi l’heure des héros.
Depuis
1914 et 1939, nous sommes entrés dans une époque de l’histoire. Il est
difficile d’en douter. Certains s’en désolent. Si l’on songe aux ruines
accumulées par deux guerres mondiales et on ne sait combien de guerres « en
chaîne », on est tenté de les suivre. Mais le chrétien fait confiance à la
Providence rédemptrice qui ne permet le mal qu’en vue d’un plus grand bien.
[1669] Daniel 11, 35.
[1670] Marc 1, 15.
[1671] Qohelet 3.
[1672] Daniel 11, 40.
[1673] I Corinthiens 10, 11.
[1674] Apocalypse 10, 6.
[1675]
Luc 21, 24
[1676]
Actes 13, 46
[1677]
Matthieu 24, 8 « Et tout cela ne fera que commencer les douleurs de
l'enfantement. »
[1678]
Matthieu 24 et 25 et les parallèles en Marc et Luc.
[1679]
Genèse 3, 15.
[1680]
Matthieu 24, 34.
[1681]
Matthieu 24, 4-11.
[1682]
Les chrétientés soumises par l’islam ont-elles déjà réalisée cette prophétie
portant sur l’apostasie (Afrique du Nord, Turquie) ? Sans doute. Mais la
prophétie prendra sa plénitude quand elle concernera non une Eglise
particulière mais l’universalité des chrétientés. La disparition de la papauté
en sera le signe politique le plus visible.
[1683]
2 Théssaloniciens 2, 4.
[1684]
2 Théssaloniciens 2, 1-3.
[1685]
Objection 1 à 3 de saint Thomas dans le Supplementum
de sa Somme théologique.
[1686]
Jean 5, 22.
[1687]
Matthieu 24, 36.
[1688]
Apocalypse 1, 1.
[1689]
2 Pierre 3, 9.
[1691] Matthieu 24, 4.
[1692] Daniel 8, 25.
[1693] Marc 13, 32.
[1694]
Genèse 22, 12.
[1695]
Isaïe 7, 14.
[1696]
Esdras 7, 28.
[1697]
Manuscrits autobiographiques, « Derniers entretiens ».
[1698]
Luc 21, 23.
[1699]
Matthieu 24, 43.
[1700]
Apocalypse 2, 12.
[1701]
Hébreux 10, 37.
[1702] Apocalypse
22, 10.
[1703] Marc 13, 30.
[1704]
1 Corinthiens 15, 41.
[1705]
Ces oscillations nouvelles ne sont plus désormais qu’un aspect d’une question
plus vaste, celle du sens de l’histoire. Notre époque a résolu ce problème en
termes optimistes ou pessimistes selon le tempérament ou la manière d’envisager
les multiples cataclysmes d’une époque fertile en bouleversements cosmiques et
sociaux. D’Augustin à Hegel, la théologie de l’histoire s’est laïcisée, elle a
fait également l’objet de nombreux travaux de vulgarisation. Nous n’en
retiendrons qu’un exemple caractéristique de la pensée religieuse de notre
époque. Dans une série d’ouvrages qui ne manquent pas d’intérêt, M. du Plessis
retrace le cheminement de ce qu’il appelle « la caravane humaine. » C’est une
espèce de discours sur l’histoire universelle, envisagée à la manière de
Bossuet et de saint Augustin : les empires succèdent aux empires, mais notre
histoire est d’abord une histoire religieuse. On contemple alors comme d’une
tour élevée, la manière dont, se relayant les uns les autres, certains peuples
sont appelés à prendre la tête du cortège, mais bientôt l’Église, nouvel
Israël, entre dans cette histoire et c’est alors l’affrontement de deux cités,
du peuple de Dieu et du prince de ce monde. J. du Plessis, La caravane humaine,
1942
[1706]
Matthieu 24, 34.
[1707]
2 Pierre 3, 8.
[1708]
Matthieu 16, 28.
[1709]
Voir pour cet article la question 8. En effet, comme nous l’avons montré, il
n’existe pas de différence essentielle entre le retour du Christ à l’heure de
la mort et celui de la fin du monde. La différence est accidentelle en tant
qu’elle se fait pour tous en un seul acte à la dernière génération.
[1710]
Matthieu 24, 22.
[1711] Matthieu 24, 30.
[1712]
Cantique 5, 6 ss.
[1713]
Exode 33, 20.
[1714]
1 Corinthiens 15, 51.
[1715]
Jean 11, 26.
[1716]
Jean 11, 22.
[1717]
Jean 5, 28-29.
[1718]
Genèse 8, 21.
[1719]
2 Pierre 3, 12.
[1720]
1 Corinthiens 15, 53.
[1721]
Dans toute cette question, les principes généraux posés par saint Thomas
d’Aquin dans ses œuvres de jeunesse restent valables : La résurrection du corps
sera un évènement réel, réalisé par Dieu après le retour du Christ et qui
aboutira pour les âmes séparées à la réunification de leur être à travers leur
« vrai corps fait de chair. » Cette position de la foi exclut à l’avance
certaines positions qui voyaient dans la résurrection la simple glorification
de l’âme après la mort ou son union avec un corps psychique, avec le corps
ressuscité du Christ ou toute autre hypothèse s’opposant à l’identité et à la
nature physique du corps ressuscité.
D’autre
part, pour saint Thomas, ce corps identique au corps mortel d’ici-bas vit selon
un mode nouveau, libéré pourrions-nous dire en langage moderne, de toute loi
d’entropie. C’est un corps soumis à l’esprit, spirituel en se sens, libéré de
toute corruption, de la mort et doté de plus pour les élus des propriétés de la
gloire. Dès que nous abordons la question des « comment », nous touchons aux
limites de Saint Thomas. Nous nous sommes donc efforcés, compte tenu des
progrès de la science moderne, de donner un rajeunissement à ces questions.
Nous estimons que certaines d’entre elles valent la peine d’être posées, contre
l’avis de la majorité des théologiens actuels car nous affirmons que ce corps
aura bien un mode matériel de fonctionnement. Cependant, la science de la matière
étant bien loin d’avoir cerné les possibilités d’organisation de cette
dernière, nous sommes conscients du caractère inadéquat de nos essais de
réponses
Quelques
positions modernes inacceptables :
-
La première consiste à se refuser a priori à toute interrogation
théologique sur la nature et le mode du corps ressuscité sous prétexte que ce
mode nous dépasse nécessairement. Il est clair que le corps de Jésus présente
des propriétés étonnantes et inexplicables (Il entre dans une pièce close!).
Cependant, bloquer ainsi la soif naturelle de l’intelligence au service de la
foi est contre nature. Reste que le théologien doit garder à l’esprit que, dans
ces domaines, la vérité ne se révèlera qu’au Ciel.
-
Un certain nombre d’interprétations récentes et spiritualisantes de la
résurrection ou encore d’autres attendant une recréation de l’homme tout entier
à la fin du monde, après un temps de néant, ont pour cause le refus obsédant de
la distinction âme-corps. Avoir peur du dualisme platonicien est une chose, nier
la distinction en est une autre.
[1722]
Voir dans la Sommes de Saint Thomas, Supplementum
Question 75, Q. 1, Article 1 ; Un texte du Concile de Vatican II éclaire cette
partie du traité (Gaudium et Spes,
39).
«
Nous ignorons le temps de l’achèvement de la terre et de l’humanité, nous ne
connaissons pas le mode de transformation du cosmos. Elle passe, certes, la
figure de ce monde déformée par le péché ; mais, nous l’avons appris, Dieu
prépare une nouvelle demeure et une nouvelle terre où règnera la justice et dont
la béatitude comblera et dépassera tous les désirs de paix qui montent au cœur
de l’homme. Alors, la mort vaincue, les fils de Dieu ressusciteront dans le
Christ, et ce qui fut semé dans la faiblesse et la corruption revêtira
l’incorruptibilité. La charité et ses œuvres demeureront et toute cette
création que Dieu a faite pour l’homme sera délivrée de l’esclavage de la
vanité.
«
Certes, nous savons bien qu’il ne sert à rien à l’homme de gagner l’univers
s’il vient à se perdre lui-même, mais l’attente de la nouvelle terre, loin
d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller
: Le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque
ébauche du siècle à venir. C’est pourquoi, s’il faut soigneusement distinguer
le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a
cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il
peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine.
«
Car ces valeurs de la dignité, de la communion fraternelle et de la liberté,
tous ces fruits excellents de notre nature et de notre industrie, que nous
aurons propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son esprit,
nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés,
transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père « un royaume éternel et
universel : royaume de vérité et de vie, royaume de sainteté et de grâce,
royaume de justice, d’amour et de paix » Mystérieusement, le royaume est déjà
présent sur cette terre ; il atteindra sa perfection quand le Seigneur
reviendra. »
[1723]
1 Corinthiens 15, 44.
[1724]
Job 19, 26.
[1725]
Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, lettre sur quelques questions d’eschatologie, 17 mai 1979.
[1726] Dans cette question et dans
plusieurs autres, beaucoup vient de saint Thomas d’Aquin, sans modifiocation.
[1727]
Question 8, article 2.
[1728]
Luc 24, 39.
[1729]
Philippiens 3, 21.
[1730]
Luc 24, 40.
[1731]
Cet article est repris chez saint Thomas d’Aquin, Supplementum.
[1732]
Ici l’article de saint Thomas est présenté sans modification, Supplementum Question 75, article 3.
[1733]
Voir saint Thomas d’Aquin, Supplementum,
Question 76, articles 1, 2, et 3.
[1734]
Voir saint Thomas d’Aquin, Supplementum,
Question 77, articles 1, 2, 3, et 4, avec des modifications.
[1735] « La Foi Catholique », conférence du p.
Pierre Benoît à Fribourg.
[1736]
VITALINI Sandro : Théologie de l’au-delà,
Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 23.
[1737]
Isaïe 40, 4.
[1738]
Isaïe 14, 4.
[1739] AUER J, RATZINGER J. ESCHATOLOGIA, Morte e vita eterna ; cittadella, 1979.
[1740]
Vitalini Sandro Théologie de l’au-delà,
Université de Fribourg-Suisse, 1980. p. 86.
[1741]
1 Théssaloniciens 4, 16.
[1742]
cf. article précédent, solution 5.
[1743]
Voir Question 2, Q. 1, Article 3.
[1744] Grâce
aux progrès modernes de la connaissance de la matière, la question du mode de
la résurrection est complètement transformé par rapport à la façon dont il
était envisagé au Moyen-âge. Certaines questions du traité de la résurrection
ne sont plus posées depuis l’époque moderne.
[1745]
Voir saint Thomas d’Aquin, Supplementum,
Question 78, articles 1 et 2, complètement modifiée.
[1746]
1 Corinthiens 15, 51.
[1747]
« Pour cette question, on se reporte nécessairement à 1 Corinthiens 15, 35-53 :
« Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts : on est semé dans la
corruption, on ressuscite dans l'incorruptibilité ; on est semé dans
l'ignominie, on ressuscite dans la gloire ; on est semé dans la faiblesse, on
ressuscite dans la force ; on est semé corps psychique, on ressuscite corps
spirituel. S'il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel. C'est
ainsi qu'il est écrit : Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante ; le
dernier Adam, esprit vivifiant. » Paul y affronte une opinion tente de
faire passer l’idée de résurrection pour absurde en lui objectant la question
suivante : « Comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps
reviennent-ils ? » (v. 35). Contre cette attitude, Paul traite le problème de
la dimension corporelle de la résurrection, et cela en transportant
l’expérience du corps nouveau du Seigneur ressuscité à la compréhension de la
résurrection des morts en général. Cela veut dire que Paul s’oppose
délibérément à la conception juive dominante, qui considère le corps ressuscité
comme parfaitement identique au corps terrestre et le monde de la résurrection
comme la simple continuation du monde terrestre. Sa rencontre avec le
Ressuscité, qui en qualité de « Tout-Autre » a refusé de se laisser Voir et
reconnaître sur terre, n’a pas été soumise aux lois de la matière, mais elle
est devenue visible comme dans une épiphanie-apparition hors de l’univers de
Dieu. Cette rencontre avait irrévocablement ruiné ses conceptions juives. » Je
l’affirme, frères, la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu,
ni la corruption hériter de l’incorruptibilité » (v. 50). Cela coupe court à toute idée naturaliste et physiciste
de la résurrection. RATZINGER J, La mort
et l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 175.
[1748]
Voir saint Thomas d’Aquin, Supplementum,
Question 79, articles 1 et 2, complètement modifiée.
[1749]
Voir Supplementum, Question 71,
article 1.
[1750] QUEL AVENIR POUR L’HOMME ? Lettre
pastorale du cardinal Gouyon à l’occasion de la Toussaint, Documentation
Catholique 1708, octobre 1976.
[1751]
Job 19, 26.
[1752]
Job 19, 26.
[1753]
On retrouve une hypothèse analogue chez Jean Guitton. Etudiant les problèmes
exégétiques et philosophiques posés par la résurrection de Jésus, M. Jean
Guitton a été amené à formuler quelques hypothèses sur la nature de la
résurrection corporelle. Il en vint ainsi à distinguer dans le corps deux
éléments dont l’un est corruptible et dont l’autre échappe à la corruption, une
partie proprement matérielle qui peut se définir avec des concepts tirés de la
biologie, de la chimie et une manière d’être un corps ou d’avoir un corps qui
n’est pas proprement l’âme, mais qui est nécessaire à l’âme pour son insertion
dans le corps ou plutôt pour cette composition qui fait qu’elle est avec son
corps un seul et même être. Jean Guitton, Le
problème de Jésus, Divinité et résurrection, la pensée moderne du
catholicisme, 7, Paris, 1953, p. 123 à 128.
[1754]
Voir saint Thomas, Supplementum
Question 79, article 2.
[1755]
Job 19, 26.
[1756]
Le Cardinal RATZINGER J, La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 199, s’oppose à toute recherche sur le
mode d’être des corps glorieux. Nous pensons qu’il a en partie raison en ce
sens que l’intensité de ce mode nous est inimaginable. Mais nous pensons que
saint Thomas d’Aquin a tout aussi raison de développer certaines de ses
propriétés puisqu’elles ont été révélées dans l’Ecriture. Il reste que notre
regard sur ces question est très pauvre selon saint Paul (2 Corinthiens 4, 17)
: « car une légère tribulation nous prépare, jusqu’à l’excès, une masse
de gloire ! »
«
Le « dernier jour », la « fin du monde », la « résurrection de la chair »
seraient donc des indices de l’achèvement de ce processus, qui, encore une
fois, ne peut se réaliser que de l’extérieur, grâce à une réalité
qualitativement neuve et différente, et qui, en cela même, correspond à la «
dérive » la plus intime de l’être cosmique. Cela voudrait dire que, dans sa
quête d’unité, l’être en devenir parvient à ce but qu’il ne peut atteindre de
lui-même et vers lequel cependant il tend sans cesse, à cette inclusion de tout
en tout par quoi chacun devient totalement lui-même, justement parce qu’il est
tout entier dans l’autre. Une telle inclusion signifierait que la matière
deviendra, d’une manière tout à fait nouvelle et définitive, le bien propre de
l’esprit et celui-ci totalement un avec la matière. Cet « être-pan-cosmique » à
quoi la mort donne accès conduirait alors à un échange universel, à une
ouverture universelle, et donc au dépassement de toute aliénation. Dieu ne sera
tout en tout (I Corinthiens 15, 28) que lorsque sera réalisée cette unité de la
création. Cela veut dire que des précisions, quelles qu’elles soient, sur le
monde de la résurrection sont inconcevables. A de telles tentatives s’opposent
aussi bien I Corinthiens 15, 50 que Jn 6, 63, et, dans la mesure où Greshake s’élève
contre de tels jeux d’esprit « physicistes «, il faut lui donner pleinement
raison. Nous ne pouvons nous faire aucune idée de ce monde, et ce n’est
d’ailleurs pas nécessaire ; il faut renoncer définitivement à de telles
tentatives. Mais, par delà toutes les images et indépendamment d’elles, il
reste qu’une juxtaposition éternelle, sans relation et donc statique, du monde
matériel et du monde spirituel est contraire à la signification essentielle de
l’histoire, à la création de Dieu et à la parole de la Bible. C’est pourquoi,
sans diminuer le moins du monde le mérite du livre de Greshake, il faut
contredire sa proposition : « La matière en soi [...] est imperfectible. »
Malgré toutes les assurances contraires, cela impliquerait un partage de la
recréation et donc finalement un dualisme selon lequel tout le domaine de la
matière serait exclu de la finalité de la création et deviendrait une réalité
de second rang. »
[1757]
Voir saint Thomas d’Aquin, Supplementum,
Question 80, complètement modifiée.
[1758] Dans
cet article, les apports d’une biologie dont saint Thomas aurait aimé disposer
nous permettent de préciser ses conclusions, parfois de les modifier. Mais
cette connaissance plus profonde du corps permet de mieux comprendre le
mystère de la résurrection, dans toute sa simplicité en échappant à toutes les
questions secondaires, comme celle par exemple du cannibalisme qui ont tant
intrigué les théologiens du Moyen-âge. En effet, le corps des ressuscités peut
être le même sans être forcement toujours composé de la même matière
qu’ici-bas.
[1759]
Luc 10, 21.
[1760] Histoire d’une âme, feuille n°2, verso.
[1761]
Question 8, article 2.
[1762]
Voir saint Thomas d’Aquin, Supplementum,
Question 81, complètement modifiée.
[1763]
Genèse 6, 3.
[1764]
Voir le Contra Gentiles de saint Thomas d’Aquin.
[1765]
Romains 6, 9.
[1766]
Daniel 3, 25.
[1767]
Matthieu 5, 45.
[1768]
Saint Thomas d’Aquin, Contra Gentiles,
Livre 4.
[1769]
Matthieu 22, 30.
[1770]
Matthieu 22, 30.
[1771]
Ephésiens 4, 13.
[1772]
Genèse 3, 16.
[1773]
Galates 3, 28.
[1774]
Voir pour cette solution le Contra
Gentiles.
[1775]
Matthieu 22, 30.
[1776]
Cette solution est de saint Thomas dans le Contra gentiles.
[1777] Q. 1,
Article inspiré et modifié, Supplementum,
question 81, article 1 ; L’opinion de Balthasar nous paraît insuffisante. Elle ne
tient pas assez compte du nouveau sens que prendra le mot « jeunesse » dans
l’autre monde : « Cela signifie en premier lieu que c’est l’histoire du monde
en son déroulement qui doit entrer dans la vie éternelle. Autant sont vaines
les spéculations sur l’âge auquel les hommes ressusciteront-la seule réponse
est : à tout âge-autant il serait absurde de penser que l’histoire n’entre de
droit dans l’éternité que dans son dernier stade, qui sera peut-être le plus
désolé. En fait, ce qui dans l’histoire, à n’importe quel stade de son
développement, a acquis quelque chose de positif méritera de prendre part à la
vie éternellement neuve de Dieu. On s’apercevra que ce qui était apparemment
primitif et non évolué, contenait peut-être plus de virtualités cachées que les
périodes de haute culture qui, du point de vue naturel, peuvent ne porter que
peu de fruits. On se rappellera ici comment Jésus fait l’éloge de l’enfant,
parce qu’il est plus réceptif et plus disposé à recevoir que l’adulte. Ce qui
est vrai de l’histoire dans son ensemble. » BALTHASAR H. U, La dramatique divine 4, « le dénouement
», Culture et Vérité ; Namur, 1993, p. 381.
[1778]
Apocalypse 1, 14.
[1779]
1 Corinthiens 15, 44.
[1780]
Voir saint Thomas d’Aquin, Supplementum,
Question 82, complètement modifiée.
[1781]
Voir Contra Gentiles, 4ème Livre.
[1782]
Nous avons estimé nécessaire de rajouter à la fin du traité des corps glorieux
un article le comparant avec « le corps astral » : L’arrivée en Occident des
philosophies orientales risque d’aboutir à une confusion entre deux conceptions
bien différentes.
[1783] Luc 24, 38.
[1784] Saint
thomas d’Aquin, Supplementum :
« De même que l’âme humaine sera élevée à la gloire des esprits célestes
jusqu’à voir l’essence de Dieu, de même le corps de l’homme sera magnifié
jusqu’à posséder les propriétés des corps célestes : lumineux, impassible qu’il
sera, doué d’une agilité qui ne connaîtra ni difficulté ni effort, amené par sa
forme à la perfection la plus achevée. Voilà pourquoi l’Apôtre dit des corps
ressuscités qu’ils seront célestes, non par leur nature, mais par leur gloire.
Aussi, après avoir dit qu’il y a des corps célestes et qu’il y a des corps
terrestres, ajoute-t-il : « autre est la
gloire des corps célestes », autre la gloire des corps terrestres. De même
que la gloire à laquelle est élevée l’âme de l’homme dépasse l’excellence
naturelle des esprits célestes, de même la gloire des corps ressuscités
dépasse-t-elle la perfection naturelle des corps célestes, par clarté unie au
spirituel, par une impassibilité totale, sans qu’aucune usure ne puisse se
produire, par une liberté de mouvement et une plus haute dignité de
nature. »
[1785]
1 Corinthiens 2, 9.
[1786] Cet
article est l’un des deux exemples de ce traité où nous nous sommes vu obligés
de changer les conclusions de saint Thomas, La position du grand théologien
consiste à affirmer que le corps glorieux ne peut traverser la matière, sauf
par miracle de Dieu. Mais une telle conclusion se fonde sur la physique de son
époque, qui considérait les corps comme des réalités continues. La science physique
moderne permet d’aller plus loin dans la compréhension de ce que fit Jésus
après sa résurrection : « Il se tint dans la pièce, alors que toutes les
portes étaient closes. » La position de saint Thomas est exposée dans le
corps de l’article.
[1787]
Voir Supplementum Question 84,
article 1.
[1788]
Ibidem, article 2.
[1789]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Supplementum, Question 85, article 1.
[1790]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Supplementum Question 97, article 10.
[1791]
1 Corinthiens 15, 44.
[1792] Voirsaint
Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplementum, question 86. Cette
question est laissée telle qu’elle était, excepté les solutions de l’article 2.
[1793]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Supplementum, Question 74, article 1.
[1794]
Actes 10, 15.
[1795]
Apocalypse 21, 1.
[1796]
Corinthiens 7, 31
[1797]
2 Pierre 3, 10.
[1798] 2 Pierre 2, 7.
[1799]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Supplementum, Question 74, article 2.
[1800]
Psaume 50, 3.
[1801]
2 Pierre 3, 12.
[1802]
Matthieu 24, 12.
[1803]
Psaume 101, 26.
[1804]
2 Pierre 3, 12.
[1805] Romains.
8, 22.
[1806]
Jean 13, 10.
[1807]
2 Pierre 3, 7.
[1808]
2 Pierre 3, 10.
[1809]
1 Corinthiens 15, 51.
[1810]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Supplementum, Question 74, article 5.
[1811]
1 Théssaloniciens 4, 15.
[1812]
Psaume 101, 26.
[1813]
Apocalypse 1, 7.
[1814]
1 Théssaloniciens 4, 17.
[1815]
1 Corinthiens 15, 42.
[1816] Saint
Augustin, De l’unique baptême,
chapitre XIII.
[1817] Matthieu 25, 41.
[1818]
Pour les trois objections et le cependant, voir le Supplementum de la Somme
théologique Question 74, article 9.
[1819]
Psaume 97, 3.
[1820]
Daniel 7, 10.
[1821]
Question 12, articles 2 et 3.
[1822] Le monde nouveau : l’opinion de Balthasar : « Il est évident que le Nouveau
Testament ne considère pas comme de son rôle de faire des déclarations sur «
l’avenir du cosmos. » En effet, la dimension théologique « Ciel-terre » n’a
rien à Voir avec une vue scientifique du monde. Il n’en est pas moins vrai
toutefois que le tournant annoncé avec la résurrection du Christ, la mutation
dont les chrétiens et, avec eux, « toute la création » aspirent à voir
l’accomplissement, est un événement qui présente pour l’évangile un intérêt
capital. Saint Paul à vrai dire ne parle de la « nouvelle création » qu’au
présent (Ga 6, 15 ; 2 Corinthiens 5, 17). Dans le grand texte sur « la
création en attente, aspirant à la révélation des fils de Dieu » (Romains
8, 19 et tout le contexte), c’est la glorification définitive de ces enfants
de Dieu qui se trouve au centre de l’attention, et non pas le statut de la
création « libérée de la servitude de la corruption », elle qui « fut
assujettie, sans l’avoir voulu, à la vanité. » Étant donné le mouvement de
toute l’épître, cette accentuation est parfaitement compréhensible ; mais elle
n’empêche pas que le monde créé eu son ensemble quitte son état de contrainte,
pour entrer avec les élus dans le destin de l’homme racheté. On sera d’accord
avec A. Vögtle pour reconnaître que sur la forme finale du monde -quand la
terre passera sous le patronage du Ciel-, nous ne pouvons nous faire de représentation valable, et
cela est d’ailleurs inutile. Mais il est sûr que cette forme dernière sera
marquée christologiquement. C’est ce que nous affirme l’épître aux Colossiens
(1, 15-20), encore que son interprétation ne soit pas très aisée à déterminer.
La difficulté est, en effet, la suivante : comment un inonde, dont on dit qu’il
est créé dans le Christ, afin d’être
par lui et pour lui l’image du Dieu invisible, peut-il avoir encore besoin de «
réconciliation » ? BALTHASAR H. U, La
dramatique divine, 4, « le dénouement », Culture et Vérité, Namur 1993, p.
382-385.
[1823] Voir
Saint Thomas d’Aquin, Ia IIae, Question 4, article 7 ; Dans la Somme théologique, voir :
Béatitude. Béatitude de Dieu. Ia, q. 26.-En quoi consiste la
béatitude de l’homme.-Ce que c’est et ce qu’elle exige Ia IIae. q. 2 et q. 5 et
q. 4. - Des béatitudes elles-mêmes. Ia IIae. q 69. -Béatitude des saints et
leurs demeures. sup. q. 95. - Qualités des bienheureux. sup. q. 95. - Etat des
bienheureux après la résurrection. sup. q. 82.
[1824] Luc 22, 30.
[1825] Matthieu 6, 20.
[1826]
Matthieu 25, 34.
[1827] Matthieu
5, 12.
[1828]
1 Rois 3, 11.
[1829]
Saint augustin, « Les Confessions »,
citation libre.
[1830]
« Exégètes et théologiens discutent, depuis saint Irénée, pour savoir si
notre univers sera simplement transformé, changé en mieux ou s’il s’agit d’une
recréation absolument nouvelle. Ce qui est sûr, c’est que le nouveau cosmos,
adapté à la condition spirituelle des élus… ne se caractérisera pas par de
plus grands biens temporels ou la prospérité, comme l’enseigne le Talmud et
l’Islam, mais par la justice la plus stable et la plus totale, celle qui
résulte du règne intégral de Dieu, donc l’opposé du péché, du désordre, de la
corruption, de la vanité. » Voir SPICQ, C., « Les Epîtres de saint Pierre », Gabalda, 1966, 260 ; VIARD, A, Expectatio creaturae, Revue Biblique,
1952, 337-354.
[1831] Ecclésiaste 1, 9.
[1832] Genèse 2, 2.
[1833] Isaïe 65, 17.
[1834]Apocalypse 21, 1.
[1835] Romains 1, 20.
[1836] Ecclésiaste 1, 9.
[1837]
Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum, Question 91, article 3.
[1838] Genèse 1, 14.
[1839] Isaïe 60, 19.
[1840] Apocalypse 21, 23.
[1841] Isaïe 30, 26.
[1842] Sagesse 13, 5.
[1843] Ecclésiastique 50, 6.
[1844]
Apocalypse 21, 23.
[1845]
Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum, Question 91, article 4.
[1846]
Apocalypse 21, 1.
[1847]
Matthieu 22, 30.
[1848] Dans cet article, nous avons estimé nécessaire de changer complètement la
position originelle de saint Thomas Somme
théologique, Supplementum, Question
91, article 5. Le grand Docteur affirme que les vivants autres
que l’homme n’auront pas de place dans le monde nouveau à cause de leur nature
corruptible. Or, à partir de ce même principe, on peut aboutir à des
conclusions théologiques très différentes. La position de saint Thomas est
exposée dans le corps de l’article.
L’opinion de Balthasar : « De ce point de vue-pour le dire en passant-la
perspective médiévale sur l’état final du monde est un non-sens. Selon saint
Thomas, dans le monde de la résurrection entrent seuls les corps des hommes et
le monde minéral ; le monde végétal et animal, parce qu’il est soumis au motus
cœli désormais suspendu, et parce que la vision de Dieu ne le concerne pas,
tombe tout simplement dans le néant. Ce verdict cruel contredit la sensibilité
vétéro testamentaire en faveur du cosmos animé, solidaire du cosmos humain (cf.
Ps 8 ; Ps 104 ; Gn 1, etc.), ainsi que les représentations des prophètes et du
judaïsme proposant le salut selon l’imagerie de la paix régnant entre tous les
animaux (Is 11, 6-9 ; 65, 25). Il contredit aussi cette profonde sensibilité
chrétienne dont Joseph Bernhart a donné une expression émouvante dans son livre
Heilige und Tiere. Finalement, avec un auteur tel que Wolfram von den Steinen,
on mettra en évidence le rôle des figures animales dans le Ciel biblique -l’agneau,
la colombe, les êtres vivants à figure animale devant le trône de Dieu-ainsi
que leur utilisation constante dans l’art chrétien. L’Apocalypse
est ici particulièrement expressive, car elle intègre la « préhistoire » de la
communauté chrétienne jusqu’à lui donner valeur identique d’expression en ce
qui concerne l’imagerie. Du même coup, elle fournit l’argument pour que, dans
le monde définitif du salut, le soubassement cosmique de l’homme entre dans la
gloire en même temps que lui ; la création de Dieu, malgré sa diversité, est
unique. » BALTHASAR H. U, La
dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité, Namur 1993, p.
383-384.
[1849]
Genèse 9, 3.
[1850]
1 Corinthiens 15, 53.
[1851]
Genèse 9, 9.
[1852]
Romains. 8, 22.
[1853] La résurrection des animaux dans l’Islam : Voir : La mort et le jugement
dernier dans les enseignements de l’islam, Fdal HAJA, Rayhane éditions,
Paris 1991, p. 78-79). Dieu dit : « Lorsque les animaux sauvages seront
rassemblés » (81 :5). « Pas de bête sur terre, ni d’oiseau volant de
ses deux ailes qui ne constitue des nations semblable à vous : dans le Livre
Nous n’avons absolument pas omis la moindre chose » (6 :38). « Parmi Ses
signes il y a la création du Ciel et de la terre et de ce qu’il a propagés
d’animaux dans les deux, gardant le pouvoir de les rassembler quand il le
voudra » (42 :29). Ibn Taymiyya écrit à ce sujet : « Quant aux
animaux sauvages, Dieu, qu’Il soit loué, les rassemblera et les ressuscitera
comme il est indiqué dans le Livre et la Tradition (sunna). » Abu Hurayra (Que
Dieu soit satisfait de lui) note : « Dieu ressuscitera toutes les
créatures le Jour du Jugement : les animaux sauvages, les oiseaux, les montures
et autres. La justice de Dieu atteindra un tel degré de perfection qu’Il rendra
la justice à une bote sans corne contre celle qui en a, en lui disant :
« Soit poussière », comme il le dit des impies.... » Le mécréant dira :
« Ah! Si je n’étais que poussière 1 » (78 :40). An-Nawawi a
expliqué dans son commentaire de Sahih Muslim, ce qui suit : « Cela est
une affirmation de la Résurrection des bêtes sauvages le Jour du Jugement et
leur retour à ce qu’ils étaient ici-bas, comme le sont les êtres humains
responsables, les enfants et les fous, ainsi que celui qui n’a pas reçu de
message. C’est ce que démontrent les preuves (citées) dans le Coran et la
sunna. Dieu dit : « Lorsque les animaux sauvages seront rassemblées » (81
:5). Quand au jugement en faveur de la bête sans corne contre celle qui en
aura, ce n’est pas un Jugement de responsables puisque les animaux ne le sont
pas, mais c’est un jugement de confrontation. »
[1854] Isaïe 11, 6.
[1855] Matthieu 10, 30.
[1856] Genèse 1, 20.
[1857] Genèse 1, 24.
[1858] «
Dressons le bilan : on ne peut se représenter le monde nouveau. Il n’y a pas non
plus de formulation concrète, satisfaisante pour l’esprit, sur la nature de la
relation de l’homme à la matière dans le monde nouveau ni sur le « corps
ressuscité. » En revanche, il est certain que la dynamique du cosmos le conduit
vers un but, vers une situation dans laquelle matière et esprit seront l’un et
l’autre nouveaux et définitivement voués l’un à l’autre. Cette certitude reste
la substance réelle de la confession de foi en la résurrection de la chair,
aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais. » RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio, Fayard,
1994, p. 201.
[1859] Osée 2, 16.
[1860]
Matthieu 5, 6.
[1861] Pour
Balthasar, le jugement général est éternel et il commence dès maintenant. Avec
lui, nous pensons que le jugement général est la somme des jugements
particuliers. Nous le distinguons cependant du jugement particulier en ce sens
que tout sera alors révélé à tous. Citons Balthasar : « Bref, si ]a Bible ne
connaît qu’un seul jugement, il n’en reste pas moins que le jugement général
(cf. « toutes les nations seront rassemblées devant lui », Matthieu 25,
32) sera en même temps un jugement absolument personnel et particulier. La
tension entre les deux aspects pourra bien être ressentie avec le besoin de
trouver des compromis-par exemple sous la forme d’une attente des bons comme
des mauvais dans des « demeures » et des états séparés jusqu’au jugement futur.
Mais on n’abandonne pas pour autant l’idée de l’unité du jugement. Aussi toute
théologie qui se veut proche de la révélation biblique refusera de parler de
deux jugements différents. En fin de compte, « tout l’accent est placé sur le
jugement particulier » de chaque homme après sa mort, et « le jugement dernier
n’en est, à proprement parler, que la confirmation publique devant le monde
entier »-. Les deux aspects « sont en tout cas étroitement proches l’un de
l’autre ; ils sont, d’une certaine manière, deux degrés d’un seul et même
événement d’ensemble »-. Origène aurait donc raison lorsque, s’appuyant sur le
mot de Luc (la venue du Fils de l’homme sera « comme l’éclair qui jaillit
d’un point du Ciel et resplendit jusqu’à l’autre », Luc 17, 24), il décrit
la parousie comme « une révélation si éclatante de sa divinité que non
seulement aucun des justes, mais aussi aucun pécheur ne pourra méconnaître la véritable
nature du Christ » Laissons dans l’indéterminé le lieu de cette révélation.
Mais si dans la foi une telle illumination est déjà, comme on l’admet, présente
inchoativement, combien plus sera-t-elle parfaite quand le Christ se « révélera
à tous, bons et mauvais, croyants et incroyants, non seulement par la médiation
de la foi et la recherche à tâtons, mais par le dévoilement de sa divinité.
Venant dans sa gloire, il remplira tout et se tiendra en tout lieu devant les
yeux de chacun, car tous seront partout devant sa face » D’autres Pères, y
compris Augustin, ont pu, comme nous l’avons déjà constaté, s’exprimer de la
même manière. BALTHASAR H. U, La
dramatique divine, 4, Le dénouement, Culture et vérité, Namur, 1993, p.
318.
[1862] Nahum 1, 9.
[1863] Matthieu
12, 41.
[1864]
Jean 5, 17.
[1865]
Matthieu 5, 6.
[1866]
Romains 2, 15.
[1867]
Apocalypse 3, 5.
[1868]
Romains 2, 12.
[1869]
1 Théssaloniciens 4, 17.
[1870]
Joël 4, 2.
[1871]
Actes 1, 11.
[1872]
Joël 4, 14.
[1873]
Joël 4, 16.
[1874]
1 Samuel 13, 17.
[1875]
2 Corinthiens 5, 10.
[1876]
Romains 2, 15.
[1877] Apocalypse
3, 5.
[1878]
Sagesse 5, 8.
[1879]
Job 8, 22.
[1880]
Cette question a déjà été traitée à l’occasion de l’étude de l’heure de la mort
(Question 8, article 9). Elle est ici rapportée telle que saint Thomas la
traitait dans la Somme théologique, Supplementum, Question 89, en
l’appliquant au seul jugement général.
[1881]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 89, article 1.
[1882]
Jean 5, 22.
[1883]
Matthieu 19, 28.
[1884]
Isaïe 3, 14.
[1885]
Matthieu 12, 41.
[1886]
Sagesse 3, 8.
[1887]
Apocalypse 20, 12.
[1888]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 89, article 2,
avec modifications.
[1889]
Matthieu 19, 28.
[1890]
Jean 5, 45.
[1891]
Jean 12, 48.
[1892]
Jean 5, 27.
[1893]Job.
[1894]
Matthieu 19, 28.
[1895]
Luc 1, 52.
[1896]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 89, article 3.
[1897]
Matthieu 25, 31.
[1898] Jean
5, 27.
[1899]
Matthieu 13, 41.
[1900]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 89, article 5.
[1901]
Luc 22, 30.
[1902]
Psaume 1, 5.
[1903]
Actes 10, 42.
[1904]
Apocalypse 1, 7.
[1905]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 89, article 6.
[1906]
Jean 5, 24.
[1907]
Job 4, 18.
[1908]
2 Corinthiens 5, 10.
[1909]
Genèse 3, 15.
[1910]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 89, article 7.
[1911]
Jean 3, 18.
[1912]
Matthieu 12, 42.
[1913]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 89, article 8.
[1914] Nahum 1, 9.
[1915]
Jean 16, 11.
[1916]
1 Corinthiens 6, 3.
[1917] 2
Pierre 2, 4.
[1918]
Job 40, 25.
[1919]
Marc 1, 24.
[1920]
Colossiens 2, 15.
[1921]
Cette question a déjà été traitée à l’occasion de l’étude de l’heure de la mort
(Question 8, article 9). Elle est ici rapportée telle que saint Thomas la
traitait dans la Somme théologique, Supplementum, Question 90, en
l’appliquant au seul jugement général.
[1922]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 90, article 1.
[1923]
Jean 5, 22.
[1924]
Daniel 7, 9.
[1925]
Jean 5, 27.
[1926]
Romains 14, 4.
[1927]
Romains 14, 9.
[1928]
Actes 10, 42.
[1929]
Colossiens 1, 20.
[1930]
Matthieu 28, 18.
[1931]
Daniel 7, 13.
[1932]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 90, article 2.
[1933]
Jean 19, 37.
[1934]
Matthieu 24, 30.
[1935]
Jean 5, 27.
[1936]
Isaïe 33, 17.
[1937]
Jean 10, 28.
[1938]
Matthieu 24, 30.
[1939]
1 Timothée 2, 5.
[1940]
Jean 17, 8.
[1941]
Isaïe 26, 11.
[1942]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 90, article 3.
[1943] Jean 17, 3.
[1944]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 91, entièrement
repensée, la vision de saint Thomas étant problématique sur plusieurs points importants
dont l’éternité des limbes des enfants morts sans baptême, théorie impossible
puisque « Dieu proposera son salut à
tout homme » (dogme, Concile Vatican II, Gaudium et spes 22, 5).
[1945] Jean 14, 2.
[1946] Luc 21, 25.
[1947] Luc 3, 6. Isaïe 45, 23.
[1948] Voir Saint
Ambroise, De bono mortis, n. 44-49 ; p. L, 14, 560-562.
[1949]
Exemple : Genèse 37, 35.
[1950] Exemple : Esther 3,
13-g.
[1951]
Colossiens 2, 14.
[1952]
Voir Question 30, article 4.
[1953] Job 1, 6.
[1954] Isaïe 14, 9.
[1955] Apocalypse 19, 20.
[1956] Job 3, 14.
[1957] Job 22, 12.
[1958] Comme
dit saint Augustin : « J’estime que nul ne sait en quelle partie du monde se
trouve l’enfer, sauf celui à qui l’Esprit Saint l’a révélé. » Saint Grégoire,
interrogé sur ce point, répond : « Je n’ose rien préciser témérairement à ce
sujet. Certains en effet pensèrent que l’enfer était en quelque partie de la
terre. D’autres estiment qu’il est sous terre. » Et il montre que cette
dernière opinion est plus probable, pour deux motifs. D’abord en raison du nom
même de l’enfer. » Si nous l’appelons enfer (infernum) parce qu’il se
trouve au-dessous (inferius) l’enfer doit être sous la terre comme la
terre est sous le Ciel. » Ensuite, à cause de ce que dit l’Apocalypse : «
Personne ne pouvait ouvrir le livre, ni dans le Ciel, ni sur terre, ni sous la
terre « : ceux qui sont dans le Ciel, ce sont les anges ; sur terre, ce sont
les hommes vivants encore dans leur corps ; sous terre, ce sont les âmes gui se
trouvent en enfer. Saint Augustin semble trouver deux motifs pour lesquels il
convient que l’enfer soit sous terre. Premièrement : « Puisque les âmes des
défunts ont péché par amour de la chair, on leur donne ce qu’on donne
habituellement à la chair morte, c’est-à-dire qu’elles |soient ensevelies sous
la terre. » Secondement : la tristesse est dans les esprits comme la pesanteur
est dans les corps, tandis que la joie apparaît comme la légèreté de l’esprit.
Dès lors, « de même que pour les corps, s’ils suivent l’ordre de leur
pesanteur, les plus lourds sont les plus bas, de même pour les esprits, les
plus bas sont les plus tristes « Ainsi, de même que le lieu le plus adapté pour
la joie des élus est le Ciel, de même pour la tristesse des damnés, le lieu le
plus adapté est le plus bas de la terre. On ne doit pas objecter que saint
Augustin écrit : « On dit ou on croit que les enfers sont sous les
terres », parce que dans le livre des Rétractations, il l’a corrigé en
écrivant : « Il me semble que j’aurais dû dire que les enfers sont sous les
terres, plutôt que d’apporter la raison pour laquelle on pense ou on croit qu’ils
le sont. » Cependant, certains philosophes ont affirmé que le lieu de l’enter
était sous le globe terrestre, mais à la surface de la terre en la partie qui
nous est opposée. » Il semble qu’Isidore le pense, quand il dit que « le soleil
et la lune se tiendront dans l’ordre dans lequel ils ont été créés, afin que
les impies livrés à leurs tourments ne jouissent pas de leur lumière. » Cela ne
vaudrait aucunement si l’enfer était au-dessous de la terre.
Nous avons vu plus
haut comment on peut interpréter ces paroles. Pythagore place le lieu des
tourments dans une sphère de feu, qu’il dit se trouver au milieu de tout
l’univers. Il appela cette région prison de Jupiter, comme nous le voyons dans
Aristote. Mais il est plus conforme à l’Ecriture de dire qu’il est sous terre.
[1959] Apocalypse 19, 20.
[1960]
Luc 17, 34 ;
[1961]
Voir Somme théologique, Supplementum, Question 93, article 1.
[1962]
Sagesse 9, 15.
[1963]
Jean Damascène, « De la foi orthodoxe
», livre 4.
[1964] Job 24, 19.
[1965] Apocalypse 19, 20.
[1966] Psaume 10, 7.
[1967] Job 24, 19.
[1968] Deutéronome 28, 47.
[1969] Matthieu 22, 13.
[1970]
Sagesse 11, 17.
[1971]
Les évêques français écrivaient en 1978, Documentation catholique, n° 1073 : « Quand
la gloire sera révélée en nous, nous comprendrons que les souffrances du temps
présent étaient sans commune mesure avec ce qui nous attendait. La création
tout entière aura fini de gémir dans les douleurs de l’enfantement : Nous
verrons Dieu tel qu’il est, nous le connaîtrons tel que nous sommes connus de
lui. Dieu sera tout en nous, il y aura un seul Christ en plénitude, à la
dimension de l’humanité rachetée, s’aimant d’un amour parfait en des milliards
de cœurs battant d’un même rythme. »
[1972]
1 Pierre 4, 7.
[1973]
Genèse 2, 2.
[1974]
Romains 8, 19.
[1975]
Apocalypse 21, 1.
[1976]
Exode 3, 14.
[1977]
Isaïe 65, 17.