Thomas d’Aquin

Commentaire du traité de l’âme d’Aristote

Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr; https://docteurangelique.free.fr

 

© et traduction par le professeur Serge Pronovost 2022[1]

 

Introduction, par le professeur Serge Pronovost, 2023_ 3

L’existence de l’âme. 3

Le mode commun. 4

Les difficultés. 6

Le mode propre en philosophie de la nature. 6

La définition commune de l’âme par voie de division. 7

L’âme et ses puissances. 8

L’âme intellective. 8

L’intellect possible. 9

L’intellect agent. 9

L’âme intellective et l’immortalité. 11

Conclusion. 11

Commentaire du traité de l’âme d’Aristote_ 11

LIVRE PREMIER_ 12

Leçon  1_ 11

Leçon  2_ 20

Leçon  3_ 28

Leçon  4_ 36

Leçon  5_ 42

Leçon  6_ 51

Leçon  7_ 59

Leçon  8_ 67

Leçon  9_ 79

Leçon  10_ 85

Leçon  11_ 95

Leçon  12_ 101

Leçon  13_ 108

Leçon  14_ 111

LIVRE SECOND_ 117

Leçon  2_ 128

Leçon  3_ 133

Leçon  4_ 141

Leçon  5_ 149

Leçon  6_ 157

Leçon  7_ 163

Leçon  8_ 170

Leçon  9_ 175

Leçon  10_ 184

Leçon  11_ 188

Leçon  12_ 195

Leçon  13_ 201

Leçon  14_ 207

Leçon  15_ 218

Leçon  16_ 223

Leçon  17_ 230

Leçon  18_ 237

Leçon  19_ 242

Leçon  20_ 247

Leçon  21_ 252

Leçon  22_ 258

Leçon  23_ 265

Leçon  24_ 273

LIVRE TROISIÈME_ 280

Leçon  2_ 288

Leçon  3_ 296

Leçon  4_ 303

Leçon  5_ 312

Leçon  6_ 319

Leçon  7_ 324

Leçon  8_ 336

Leçon  9_ 345

Leçon  10_ 348

Leçon  11_ 355

Leçon  12_ 363

Leçon  13_ 374

Leçon  14_ 377

Leçon  15_ 386

Leçon  16_ 394

Leçon  17_ 399

Leçon  18_ 408

 

 

 Introduction, par le professeur Serge Pronovost, 2023

 

Ces considérations prépareront le lecteur, je l'espère, à cheminer dans cette traduction du Commentaire de Saint-Thomas d’Aquin sur le traité de l’Âme d’Aristote[2]. En effet, ce n’est pas sans raison que Saint-Thomas, dans son proème, prend la peine de prévenir le lecteur des difficultés impliquées dans l’exposé d’un tel traité. Les différents points soulignés dans cette introduction présentent certaines de ces difficultés et tentent d’apporter quelque lumière pour tenter d’en faciliter l’abord. La lecture de ce traité peut se comparer à l’ascension d’une haute montagne. Du pied de la montagne, nous ne pouvons avoir qu’un aperçu sommaire et confus de cette montagne dans son ensemble. C’est la résolution des difficultés cachées dans chacune des étapes de l’ascension qui permet d’en arriver à une connaissance distincte de cette même montagne.

 

L’existence de l’âme.

Aristote, dans son traité intitulé De l’Âme[3], suivi par Saint-Thomas dans son commentaire sur ce même traité, considère la connaissance de l’existence de l’âme comme étant une évidence qui relève de l’expérience commune. En effet, tous peuvent voir que les êtres naturels se distinguent en non-vivants (les minéraux par exemple) et en vivants ou animés (les plantes et les animaux) que nul n’oserait confondre puisqu’il saute aux yeux que les derniers sont doués d’opérations vitales dont les premiers sont manifestement privés : qu’il suffise de nommer la nutrition, la respiration, la croissance et la reproduction. Or, ces opérations doivent bien procéder d’un principe qui permet de les poser, qui doit être présent dans le vivant tant qu’il les pose, et dont l’absence est suivie de l’incapacité de les poser. La mort est bien perçue comme la disparition chez les vivants du principe qui leur permettait de poser les opérations vitales, et c’est ce principe qu’on appelle l’âme. C’est bien cela qu’Aristote, suivi en cela par Saint-Thomas et de nombreux philosophes, entend par le terme ¨âme¨.

Mais Saint-Thomas va plus loin lorsqu’il parle de l’âme humaine en particulier (L. 1, l. 1, n. 6) puisque c’est à ce moment, dès le début de son commentaire, qu’il affirme que nous pouvons être certains de l’existence de l’âme, même si plus loin (L. 1, l. 1, n. 9), il prévient le lecteur qu’il sera difficile de déterminer sa nature. Il n’y a rien d’étonnant à admettre à la fois qu’il est certain que certaines choses existent et en même temps que ces mêmes choses sont difficiles à définir : en effet, il est certain qu’il existe du mouvement et pourtant combien en connaissent et comprennent la définition? Il en va de même pour la beauté, la santé, le bien, etc. Alors, comment pouvons-nous être certains de l’existence de l’âme, que l’âme est un être réel et non un mirage?

Saint-Thomas affirme que c’est par une expérience interne commune à tous les humains : nous pouvons être certains de l’existence de l’âme parce que, dit-il (L. 1, l. 1, n. 6): ¨ hoc enim quilibet experitur in seipso, quod scilicet habeat animam et quod anima vivificet ¨. L’âme existe bel et bien puisque chacun fait l’expérience en lui-même de posséder une âme qui le vivifie. Cela est une évidence. Il reste, à partir de cette évidence, à découvrir la nature de cette réalité. La plupart des choses dont nous faisons l’expérience dans la réalité ne nous sont pas aussitôt intelligibles en acte. L’intelligence, pour parvenir à connaître leur nature, doit parcourir un chemin, suivre une méthode, en partant de ce que les sens peuvent percevoir de ces choses et de ce que l’intelligence peut tirer de ces perceptions. C’est ce qu’Aristote cherche à faire au sujet de l’âme en s’appuyant sur la certitude de son existence.

 

Le mode commun.

Dès les premières lignes (L. 1, l. 1, n. 1) de son Commentaire au traité de l’Âme d’Aristote, Thomas d’Aquin insiste sur la manière dont il faut procéder dans l’exposition d’une science, dans ¨l’ordo doctrinae¨, y compris la science de l’âme, ¨ : ¨ En tout genre de choses, il est nécessaire de considérer en premier lieu et séparément les caractéristiques communes appartenant à tous les êtres appartenant à ce genre, et ensuite seulement les caractéristiques qui appartiennent à chacun de ces êtres. ¨ Il est d’autant plus difficile au lecteur de ne pas remarquer cette insistance, que Saint-Thomas rappelle cette préoccupation d’Aristote non seulement plus loin dans le même commentaire (L. 2, l. 1, n. 21) mais aussi dans l’exposition de plusieurs autres ouvrages dont les objets diffèrent par le genre. Ainsi, le Stagirite commence à traiter, dans sa Métaphysique, des caractéristiques communes de l’être en tant qu’être, dans sa Physique, de celles qui appartiennent à tous les êtres mobiles en tant que tels, dans son traité De l’Âme, de ce qui se dit de tous les vivants.

Même dans son traité intitulé Les Parties des Animaux[4], Aristote soutient qu’il faut commencer par l’étude de qui appartient en commun à tous les animaux, où il s’exprime ainsi : ¨ Je veux parler de la question de savoir s’il faut s’occuper à part de chaque être et le définir isolément…ou bien s’il faut d’abord procéder à une étude générale des traits communs à tous ces animauxen sorte que si l’on traite de leurs caractéristiques essentielles en prenant chaque animal à part, on sera astreint à de fréquentes redites…¨ Il y a évidemment un principe d’économie qui incite à commencer par l’étude, en un genre donné de choses, des caractéristiques communes à ce genre; mais il y a aussi un principe d’ordre : la connaissance du commun permet de mieux voir par la suite les différences, le propre, et de discerner dans quel ordre les particuliers se rangent dans l’universel. Ce discernement présente des avantages indéniables pour en arriver au propos de ces sciences : définir les espèces qui constituent les objets de ces sciences. Or, toute définition essentielle se fait par le genre et les différences, par le commun et le propre, et toute démonstration s’appuie sur une définition.

Ainsi, après avoir présenté les opinions de ceux qui l’ont précédé au sujet de l’âme, Aristote, au deuxième livre du traité qui nous occupe, s’applique à définir l’âme : non pas telle âme en particulier, l’âme de l’homme par exemple, mais toute âme en général; et cette définition pourra s’appliquer à tous les vivants, car tous les vivants sont des êtres animés par un principe qu’on appelle l’âme. C’est par la suite qu’Aristote examine chaque espèce d’âme en particulier pour examiner ce qui la définit en propre et qui se trouve à confirmer et à notifier plus distinctement encore la définition commune établie précédemment. Ce mode commun, Saint-Thomas l’explique et le justifie au tout début (L. 1, l. 1, nn. 5-10) de son Commentaire sur la Physique d’Aristote[5]. Il montre donc que parmi les principes, il faut d’abord traiter des plus universels. Et il le fait premièrement au moyen d’un raisonnement, deuxièmement au moyen de signes.

Il présente d’abord le raisonnement suivant (n.6): il nous est naturel de procéder, dans toute connaissance, en partant de ce qui est plus connu de nous pour aller vers ce qui est plus connu par nature; mais ce qui est plus connu de  nous ou quant à nous est connu ¨confusément¨, et tels sont les universels; il nous faut donc procéder, dans notre connaissance intellectuelle, de l’universel au particulier. Mais pour manifester la première proposition, la majeure, il affirme que ce qui est plus connu de nous diffère de ce qui est connu par nature, car ce qui est plus connu par nature est aussi ce qui est le moins connu quant à nous. Or, pour en arriver à connaître ce qui est inconnu de nous il faut nécessairement partir de ce qui est connu de nous : c’est là un mode ou un ordre qui nous est naturel dans l’acquisition des connaissances. En conséquence, il nous est nécessaire de partir de ce qui est plus connu de nous pour parvenir à saisir ce qui est plus connu par nature.

Il faut cependant noter que ce qui est  plus connu par nature, Aristote l’appelle aussi plus connu absolument. Or, ce qui est plus connu absolument, c’est ce qui est plus connu de soi. Mais ce qui est le plus connu de soi, c’est ce qui possède le plus d’être, car toute chose est connaissable dans la mesure où elle a de l’être. Or, ce qui possède le plus d’être, c’est ce qui est le plus en acte : tel est ce qui est le plus connaissable par nature. Cependant, pour nous, les choses se passent selon un ordre inverse du fait que notre connaissance intellectuelle procède de la puissance à l’acte, et que le principe de notre connaissance intellectuelle réside dans les choses sensibles, lesquelles sont matérielles et intelligibles en puissance, et c’est pourquoi elles sont connues de nous avant les substances séparées qui sont de purs intelligibles, lesquelles sont plus connues par nature.

Donc, lorsqu’il parle de ce qui est plus connu par nature, Aristote ne veut pas dire que cela est connu par la nature, mais seulement que cela est connu de soi et quant à sa nature propre par l’intelligence, contrairement aux choses sensibles ou aux images qui ne sont pas intelligibles de soi en raison de leur nature matérielle, mais seulement intelligibles en puissance. Ce qui est connu par les sens est plus connu quant à nous que ce qui est connu par l’intelligence, laquelle peut arriver à tirer des choses sensibles, par son travail, ce qui tient à leur nature. Mais cette distinction entre ce qui est plus connu quant à nous et ce qui est connu par nature ne s’applique pas seulement à la connaissance sensible et à la connaissance intellectuelle, mais elle vaut aussi à l’intérieur même de la connaissance intellectuelle dans son rapport avec la science.

C’est pourquoi, en vue d’examiner cette distinction sur le plan purement intellectuel, Saint-Thomas poursuit l’examen du raisonnement qui précède avec un commentaire sur sa mineure, à savoir : ce qui est plus connu quant à nous est aussi ce qui est confus, c’est-à-dire ce qui est universel. Il faut savoir que Saint-Thomas entend ici par ¨confus¨ ce qui contient en soi quelque chose en puissance et comme indistinctement. Et parce que connaître quelque chose indistinctement est une étape intermédiaire entre une pure puissance et un acte parfait, celui de la science acquise, et puisque notre intelligence procède de la puissance à l’acte, il est naturel à notre intelligence de connaître confusément avant de connaître distinctement.

Or, si l’on considère que les universels contiennent en eux leurs espèces en puissance et que connaître quelque chose dans l’universel revient à le connaître indistinctement, confusément, il est clair que les universels sont d’abord connus confusément. Mais lorsque chacun des éléments contenus en puissance dans l’universel est connu en acte, alors la connaissance de l’universel devient distincte : par exemple, qui connaît ¨animal¨ ne connait pas ¨rationnel¨, si ce n’est en puissance. Or, la connaissance d’une chose en puissance est naturellement antérieure à la connaissance de cette même chose en acte : donc, conformément à cet ordre naturel de connaître, celui par lequel nous procédons de la puissance à l’acte, la connaissance de ¨animal¨ est antérieure, quant à nous, confusément, à la connaissance de ¨homme¨.

Il faut noter que lorsqu’Aristote dit que dans notre connaissance il faut procéder de l’universel au ¨singulier¨ il n’entend pas ici singulier dans le sens d’individu, mais dans le sens de ¨espèce¨, laquelle est plus connue par nature, parce qu’elle possède une existence plus parfaite et une connaissance distincte : en effet, une espèce comprend un genre et une ou des différences alors qu’un genre possède certes une extension plus vaste, plus riche, mais une compréhension bien plus pauvre; c’est pourquoi les genres, contrairement aux espèces, possédant une connaissance en puissance et confuse, sont plus connus quant à nous. Les substances séparées sont de purs esprits, de pures lumières : ils appréhendent immédiatement l’intelligible alors que nous le découvrons progressivement et comme de loin, en procédant du confus au distinct, comme quelque chose qui, venant de loin, est vu d’abord comme un corps, puis comme un animal, ensuite comme un homme et enfin comme Socrate.

Il présente un autre signe au sujet du tout intégral intelligible. Le défini se rapporte en effet aux éléments de la définition à la manière d’un tout intégral pour autant que ces éléments sont présents en acte dans le défini; cependant, celui qui appréhende un nom, par exemple ¨homme¨ ou ¨cercle¨, ne distingue pas du même coup les éléments de la définition; par conséquent le nom est comme un certain tout indistinct, alors que la définition se trouve à le diviser en ses éléments singuliers en présentant distinctement les principes du défini.

Or, cela semble être contraire à ce qui a été dit plus haut, car les éléments qui définissent semblent être plus universels, lesquels il affirmait précédemment être plus connus quant à nous. En effet, un défini est, essentiellement, ce qui a besoin d’être défini parce qu’il présente de l’inconnu; la définition, essentiellement, est ce qui fait connaître un défini : elle doit donc être plus connue que le défini. En outre, si le défini était plus connu quant à nous que les éléments de la définition, celle-ci ne pourrait pas nous faire connaître un défini déjà connu. 

Pour résoudre cette difficulté, il faut dire que pour faire connaître la nature d’un défini (homme) les éléments de la définition doivent par eux-mêmes, quant à leur nature, être plus connus de nous que le défini, mais ce dernier est connu de nous confusément avant qu’on sache que tels sont les éléments qui le définissent; par exemple, il faut d’abord savoir ce qu’est ¨animal¨ et ¨rationnel¨, leur nature, avant de savoir ce qu’est ¨homme¨, sa nature; cependant, il faut d’abord savoir ce qu’est un ¨homme¨ confusément avant de savoir que ¨animal¨ et ¨rationnel¨ sont les éléments qui le définissent sa nature, et par conséquent avant de la connaître en acte distinctement.

 

Les difficultés.

Dans son proème, après avoir montré l’ordre du traité en disant qu’il commencera par examiner l’essence de l’âme puis ses propriétés, Saint-Thomas attire l’attention du lecteur sur les difficultés (L. 1, l. 1, n. 9) soulevées par l’étude de l’âme : les unes sont relatives à la connaissance de l’essence de l’âme, les autres relatives à celle de ses propriétés et de ses accidents. Au sujet des premières, il se demande d’abord de quelle manière il faudra procéder pour définir l’âme (par démonstration, par division ou par composition) et ce qu’il faudra faire entrer comme éléments dans cette définition, par exemple quel sera le genre de l’âme, celui de la substance ou un autre genre, une substance simple ou une substance composée, est-ce que toutes les âmes sont de même espèce ou non, et si la réponse est non, faut-il donner une définition générique de l’âme, comme le faisaient les Platoniciens, ou seulement des définitions spécifiques, comme le faisaient les naturalistes?  Aristote va chercher à découvrir les deux sortes de définitions, mais en partant de la définition commune pour en arriver à établir les définitions spécifiques.

Mais quant aux accidents et aux propriétés de l’âme qui découlent de son essence, une autre difficulté surgit : est-ce que les opérations qui appartiennent en propre aux vivants (la respiration, la croissance, la reproduction etc.) et qui ont pour principe l’âme, appartiennent proprement à l’âme sans communication avec le corps ou bien, au contraire, procèdent-t-elles toutes du composé de l’âme et du corps? Nombreuses en effet sont les opérations du vivant qui procèdent du composé, comme les passions de l’âme (colère, crainte, etc.) et les perceptions sensibles qui procèdent de l’âme au moyen d’un organe corporel, comme la vision qui dépend de l’œil à titre d’instrument. Et bien qu’il semble qu’il en soit ainsi universellement, Aristote ajoute que s’il existe une opération qui ne dépend pas d’un organe à titre d’instrument, c’est bien celle de l’intelligence, et s’il en est ainsi, alors l’intelligence humaine pourra exister séparément.

 

Le mode propre en philosophie de la nature.

En outre, puisque les opérations et les affections de l’âme sont aussi, au moins pour la plupart, les opérations et les affections du corps, il devrait s’ensuivre qu’il appartient au ¨ physicien ¨ dans son étude de l’âme, de considérer le corps. En effet, les sciences se distinguent d’après leur manière de définir leur objet. Or, la manière de définir proprement son objet pour une science dépend de la relation que cet objet entretient avec la matière quant à son existence. Or, les êtres vivants, objet de ce traité, ainsi que leurs opérations et leurs affections, existent dans une matière sensible : s’ils étaient définis sans référence à la matière sensible, leur définition ne serait que formelle ou dialectique, comme si l’on disait de la colère qu’elle est un désir de vengeance, ou du camus qu’il est une courbe; il faudra donc que leurs définitions contiennent la matière sensible dans laquelle ces formes existent, leur sujet : par exemple, lorsqu’on dit que la colère est un désir de vengeance qui s’accompagne d’un mouvement du sang vers le cœur ou que le camus est la courbe du nez. Or, c’est au physicien qu’il appartient de définir ainsi, c’est-à-dire en exprimant dans ses définitions non seulement la forme, mais la matière ou le sujet de ces opérations ainsi que leur fin. L’étude de l’âme relève donc du ¨ physicien ¨.

Il n’entre rien, dans la définition de la substance composée, qui soit étranger à cette substance puisque cette dernière possède une existence complète. Au contraire, l’accident possède une existence qui dépend de la substance et c’est pourquoi sa définition, contrairement à celle de la substance, doit contenir un élément qui est étranger à l’essence du défini, à savoir son sujet ou la substance dans laquelle il existe. Il en va de même pour toutes les formes qui existent dans une matière, dont l’âme.

 

La définition commune de l’âme par voie de division.

C’est pourquoi, dans son Commentaire au traité De l'Âme d'Aristote, Saint-Thomas présente deux divisions (L. 2, l. 1, nn. 214-219), dont la première est nécessaire pour rechercher ce qui entre dans la définition de l’âme pour exprimer son essence, et la deuxième pour exprimer son sujet. La première série de divisions commence par diviser l’être en dix catégories, dont la substance; puis par diviser la substance elle-même en matière ou être en puissance, en forme ou acte et en composé ou être en acte composé de matière et de forme, lequel est le seul, dans les réalités matérielles, à posséder une existence et une espèce complètes et donc à recevoir l’attribution du terme substance dans le sens le plus parfait du terme; enfin, l’acte lui-même se dit soit dans le sens d’un habitus, acte premier, par exemple l’art de la musique, soit dans le sens de l’exercice consécutif à un habitus, acte second, comme le fait celui qui, possédant déjà l’art de la musique, compose une pièce musicale.

La deuxième série de divisions, relative au sujet qui doit entrer dans la définition de l’âme, commence par partager les substances en corporelles et incorporelles; puis, à diviser les substances corporelles en substances artificielles et naturelles, lesquelles on davantage raison de substances, étant les principes des substances artificielles; enfin, à distinguer les substances naturelles en vivantes, à savoir celles qui sont aptes à se mouvoir par elles-mêmes, et en non-vivantes.

De ces divisions, Saint-Thomas tire les parties de la définition de l’âme qui appartiennent à son essence : l’âme est un acte, et un acte premier. Précisons. Les corps naturels ou physiques étant des substances et les corps vivants étant des corps naturels, ils sont nécessairement des substances; et puisqu’ils sont des êtres en acte, ils sont des substances composées. Or, l’âme étant comprise comme étant ce par quoi le vivant vit, elle soit s’entendre aussi comme étant ce qui existe dans un sujet. Par ailleurs, cette partie du corps qui possède la vie et qu’on appelle corps ne peut être l’âme puisqu’il doit se concevoir davantage comme étant un sujet ou une matière qui reçoit que comme quelque chose qui existe dans un sujet. L’âme n’est donc pas le corps qui est en puissance à recevoir la vie. Elle n’est pas non plus le composé, c’est-à-dire le corps qui a la vie. Elle est donc substance en tant que forme substantielle ou acte premier  du corps vivant.

Saint-Thomas présente aussi cette partie de la définition de l’âme qui appartient à son sujet : le corps physique ayant la vie en puissance. Or, ce corps ne peut être simple. En effet, un tel corps doit servir d’instrument pour accomplir les différentes opérations dont l’âme est capable. Il doit donc posséder différents organes pour accomplir ces différentes opérations : ce corps doit donc être organisé, même chez les plantes.

De toutes ces considérations se tire ainsi une définition commune de l’âme : l’âme est l’acte premier ou la forme substantielle du corps physique organisé. Et tout comme c’est par l’âme que le corps vivant existe, de même, parce que l’âme est la forme de ce corps, il lui est uni immédiatement. Cette définition se présente comme la conclusion d’une démonstration et elle doit donc être démontrée de la manière qui convient en science de la nature, c’est-à-dire par l’effet car en ce domaine, la plupart du temps, les effets nous sont plus connus que leurs causes. Voici donc cette démonstration (L. 2, l. 3, n. 253), dont Saint-Thomas nous manifeste les principes par la suite :

Tout ce qui tient lieu de premier principe de vie est l’acte premier et la forme des corps vivants.

Or, l’âme est le premier principe de vie chez les êtres vivants.

L’âme est donc l’acte premier et la forme des corps vivants.

 

L’âme et ses puissances.

Nous venons de voir que l’âme est un acte premier, une forme, et une forme substantielle, car elle est essentiellement ce par quoi le vivant est ce qu’il est, c’est-à-dire vivant. Il est clair par ailleurs qu’à chaque espèce d’âme correspondent des capacités ou des puissances qui lui sont propres, comme à l’âme végétative correspond la capacité chez la plante de se nourrir et de croître et comme à l’âme sensitive correspond chez l’animal la puissance de sentir. Or, les puissances ne sont rien d’autre que des principes d’opérations ou d’actions, en tant qu’elle sont ce par quoi l’agent agit, comme l’intelligence est ce par quoi l’homme pense et réfléchit. La question est de savoir si l’âme elle-même, en tant que forme substantielle, s’identifie à ses puissances et est le principe immédiat de ses opérations.

Pour répondre à cette question, il faut savoir que toute chose agit ou fait ce qu’elle fait en tant qu’elle est en acte. Par exemple, le feu réchauffe en tant qu’il est chaud en acte et non en tant qu’il brille en acte. C’est pourquoi un agent produit un effet qui lui est semblable. C’est donc à partir de ce qui est fait ou de l’action posée qu’il faudra juger du principe par lequel un agent agit. Or, ce que fait un être n’appartient pas à l’être substantiel même de la chose; autrement dit, ce que fait une chose ne dit pas immédiatement ce qu’elle est, son essence. Donc, le principe par lequel elle agit, sa puissance, ne fait pas partie de son essence : il en est plutôt consécutif, il en découle, comme rouler ne dit pas ce qu’est la roue mais est plutôt une propriété qui découle d’une capacité que possède la roue en vertu de sa forme. Or, ce qui découle d’une essence, on l’appelle accident. Les opérations des choses, consécutives à leurs essences, sont donc des accidents, et les puissances d’où elles procèdent immédiatement sont donc elles aussi des accidents, plus précisément des formes accidentelles.

Cette forme accidentelle qu’est la puissance est donc le principe immédiat de l’opération correspondante, mais elle agit, à titre d’instrument, en vertu de la forme substantielle d’où elle procède. Pour dire la chose autrement, l’âme est la forme substantielle, en tant qu’acte premier de l’être vivant, est la cause première des opérations du vivant et elle se sert de ses puissances, formes accidentelles, à titre d’instruments, comme causes secondes de ces mêmes opérations. Il est donc vrai de dire que tout agent agit à la fois par son âme, sa forme substantielle, et par ses puissances, formes accidentelles, mais en des sens différents. En conséquence, l’âme, qui fait partie de l’essence même du vivant, de ce qu’il est, ne s’identifie pas à ses puissances, mais elle agit par leur intermédiaire.

En outre, toute puissance se dit relativement à un acte. Or, les opérations d’une seule et même âme sont à ce point diverses qu’elles diffèrent par le genre. Or l’âme, de par sa nature même, en tant que forme substantielle, est un principe unique. Elle ne peut donc être le principe immédiat de toutes ces opérations si diverses : elle doit posséder des puissances diverses correspondant à la diversité de ses opérations.

 

L’âme intellective.

C’est au chapitre trois du livre trois qu’Aristote, après avoir examiné ces âmes spécifiques que sont l’âme végétative et l’âme sensitive, considère l’âme intellective, cette forme bien spéciale, qui va doter l’homme de capacités ou de puissances permettant de le distinguer de tous les autres vivants.  L’âme intellective peut être considérée sous le rapport d’une forme substantielle, comme l’acte premier d’un corps ayant la vie en puissance, en particulier la vie intellectuelle. Or, toute forme substantielle est le principe de facultés ordonnées à des opérations, à des actions. Cette forme, parce qu’elle est supérieures aux autres formes du vivant, possède aussi les facultés des formes inférieures avec en plus des capacités ou facultés qui lui sont propres. C’est pourquoi l’âme intellective pourra aussi être considérée comme une puissance d’opérations  et en particulier des opérations qui lui sont propres. Les puissances sont des êtres réels ou de nature et non des êtres de  raison comme le sont les définitions, les prédicables, etc. En effet, la puissance de rire, chez l’homme, existe bien réellement chez lui, même lorsqu’elle ne s’exerce pas, et non chez la pierre. C’est pourquoi il sera possible de parler d’acte premier, au sujet de l’âme intellective,  non seulement en tant qu’elle est, elle aussi, la forme substantielle d’un corps organisé, mais aussi en tant qu’elle est prise comme une faculté, un principe d’opération, car toute forme substantielle est aussi un principe d’actes ou d’opérations. Si c’est par sa matière qu’un être pâtit, c’est par sa forme qu’il est apte, par ses facultés ou puissances, d’agir ou de poser ses opérations. C’est pourquoi Aristote, considérant l’âme intellective, commence à parler de l’intellect possible comme d’une faculté qui, bien qu’elle ne connaisse rien encore actuellement chez le nouveau-né, est cette capacité réelle de tout connaître.

 

L’intellect possible.

À ce stade, l’intellect possible (L. 3, l. 7, n. 677…) doit s’entendre comme une pure puissance. Mais avec les années, si par exemple l’homme acquiert la science de la physique par l’enseignement et la découverte, cette science qui est en lui est une actualisation de cette puissance, comme le serait l’acquisition de l’art de la musique. Cette science ou cet art qui est en lui, Aristote lui attribue aussi le nom d’acte premier. Cette science ou cet acte premier est conservée dans l’intellect possible même s’il n’exerce pas cet acte, dans son sommeil par exemple. Mozart demeure musicien même lorsqu’il dort, autrement il devrait tout réapprendre à nouveau à son réveil. Cet acte premier est donc lui aussi, tout comme la puissance pure, quelque chose de bien réel, mais il demeure encore en puissance par rapport à l’exercice de cet acte : c’est pourquoi Aristote appelle acte second l’exercice d’un habitus acquis, ce dernier étant l’actualisation première d’une puissance pure.

C’est toujours la même faculté, à savoir l’intellect, qui est tantôt en puissance, tantôt en acte; mais on l’appelle possible, en acte ou même en opération pour désigner les différents états dans lesquels elle peut se trouver. La question à laquelle nous allons chercher à répondre est la suivante : comment l’intellect peut-il en arriver à actualiser ses potentialités, ses puissances, à connaître actuellement ce que tantôt il ignorait? La réponse passe par la saisie de la notion d’intelligibilité : c’est là le moyen terme qui permettra de parvenir à notre conclusion, d’avoir l’évidence de la réponse à venir. Par exemple, si je définis l’homme comme un animal ayant la raison, chacun des termes de ma définition, et même le défini, à savoir ¨homme¨, sont des intelligibles parce qu’ils sont universels.

Pour le comprendre, il faut savoir que pour Aristote, contrairement à Platon, ce que l’intelligence cherche à connaître, c’est ce que sont les choses, leurs quiddités, et non des espèces intelligibles qui existeraient séparément dans un monde idéal. Or ces quiddités, dans notre monde réel, existent toutes dans une matière, dans des choses perceptibles par les sens, et on peut bien percevoir un homme par la vue sans pouvoir définir ce qu’est l’homme, sans pouvoir le saisir par l’intelligence, percevoir de bonnes actions et être impuissant à définir le bien, apprécier autour de soi de belles choses sans arriver à définir la beauté. Cela ne signifie pas que notre monde matériel n’est pas du tout intelligible, mais simplement qu’il n’est pas nécessairement intelligible en acte, immédiatement et de lui-même. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne lui soit pas possible de l’être. Si j’en demeure exclusivement au niveau de la perception sensible, je ne peux en garder que des images, celle de tel ou de tel autre homme; je ne peux accéder à l’intelligible que si je cherche à découvrir ce qu’il y a de commun intellectuellement à tous les hommes, malgré leurs différences, pour parvenir, par exemple, à la définition de l’homme donnée ci-dessus.

Nous en revenons donc à la distinction énoncée précédemment : les choses matérielles, telles qu’elles existent autour de nous, ne sont intelligibles qu’en puissance. L’image, par définition, se rapporte à telle ou telle autre chose : elle est de nature sensible. Elle n’est pas en elle-même absolument inintelligible, autrement je ne pourrais pas en tirer un intelligible : elle est intelligible, mais en puissance seulement; pour que j’en arrive à l’intelligible en acte, il faut me faut passer à un autre niveau. L’intelligible en acte n’est pas la somme des images. J’aurais beau avoir toutes les images de tous les hommes de la terre, cela ne me donne pas pour autant la définition de l’homme. Alors, comment parvient-on à obtenir les intelligibles, à tirer, de la réalité matérielle et des images qu’on en perçoit et qui sont intelligibles en puissance, des intelligibles en acte? C’est là l’œuvre d’une âme spécifique, l’âme intellective qu’Aristote nomme plus précisément, en tant que faculté, l’intellect agent.

 

L’intellect agent.

Nous voici donc en présence de trois appellations : l’intellect possible, l’intellect en acte et l’intellect agent. Il ne s’agit pas de trois réalités distinctes, mais bien plutôt de trois états d’une seule et même réalité : l’âme intellective ou rationnelle, cette forme qui est au principe de trois puissances : celle de recevoir, celle de produire ou d’actualiser les intelligibles, celle de les considérer en acte. Ces trois états de l’intellect ne sont pas exclusifs mais complémentaires. L’intellect en acte (l’acte de considérer) repose nécessairement sur l’intellect possible, la faculté, et l’intellect agent est nécessairement l’acte par lequel l’intellect possible devient intellect en acte : autrement dit, celui qui exerce (acte second) un habitus (acte premier) continue nécessairement de posséder cet habitus (acte premier) ainsi que la pure puissance réelle, la faculté, qui lui permettait d’acquérir cet habitus. L’intellect en acte, en effet, ce n’est rien d’autre que l’opération même de l’intellect, ou l’exercice d’un habitus, c’est-à-dire l’intellection elle-même.

Mais alors, qu’en est-il de ce mystérieux intellect agent? Pour le saisir un tant soit peu, il faut revenir à ce raisonnement présenté par Saint-Thomas au livre trois (leçon dix, n. 728) et par Aristote au même livre trois (chapitre cinq) du traité de l’Âme : ¨ En toute nature qui est tantôt en puissance et tantôt en acte, il faut distinguer en tout genre d’une part ce qui tient lieu de matière et qui est en puissance à l’égard de tout ce qui est contenu dans ce genre, d’autre part ce qui tient lieu d’agent ou de cause productrice pour actualiser toutes les choses qui n’existaient qu’en puissance dans cette matière, rôle que tient l’art par rapport aux matériaux qu’elle prend comme points de départ. Or, l’âme est justement tantôt en puissance, tantôt en acte. On doit donc retrouver en elle ces différences : un intellect possible qui est en puissance tous les intelligibles, mais aussi un intellect agent pour permettre à l’intellect possible de devenir tous les intelligibles en acte ¨. C’est par l’action de l’intellect agent que l’intellect possible devient intellect en acte.

Mais, plus précisément, comment cela peut-il se faire? L’intellect possible est apte à recevoir tous les intelligibles, mais, parce qu’il tient lieu de matière ou de pure puissance, il ne peut se les donner à lui-même, tout comme la pierre ne peut se donner à elle-même la forme de Socrate. Ce qui n’est que puissance ne peut de lui-même passer à l’acte : c’est par un acte qu’une puissance passe à l’acte, comme c’est par un maître qu’un élève, savant en puissance, devient savant en acte, tout comme c’est par la lumière que la couleur, visible en puissance, devient visible en acte. L’intellect agent est cette lumière par laquelle l’intellect, de possible, devient en acte. Précisons encore. Nous avons vu que l’objet de l’intellect, c’est ce que sont les choses, leur quiddité. Mais cette quiddité est comme cachée dans la matière. Il est alors nécessaire de recourir à une puissance active de l’intellect, qu’on appelle l’intellect agent, pour tirer des choses matérielles les intelligibles qui entrent dans leur quiddité : il est la lumière active qui fait apparaître les intelligibles enfouis dans l’épaisseur, pour ainsi dire, de la matière. Une fois l’intelligible dégagé de la matière, l’intellect possible le reçoit et le conserve, et l’ayant reçu, le considère et devient du même coup intellect en acte.

L’intellect agent est donc essentiellement un acte : s’il l’est essentiellement, sa nature exclut toute potentialité et il est pure entéléchie. Il est acte  non pas dans le sens où il serait l’intellect en acte, mais dans le sens où il est l’acte par lequel l’intellect possible s’actualise, devient intellect en acte, tout comme la lumière est l’acte par lequel la couleur, de visible en puissance, devient visible en acte. Et même si l’intellect agent n’est pas toujours actuellement en train de former des concepts ou des espèces intelligibles à partir des images, néanmoins il est toujours en acte en ce sens où il est toujours en train de veiller à le faire, comme une braise toujours vivante attendant une nouvelle matière d’où dégager une flamme universelle. Mais c’est au sujet de l’âme intellective en sa totalité, qui comprend l’intellect possible et l’intellect agent, que Saint-Thomas (L. 3, l. 10, nn. 742-743) et Aristote (L. 3, ch. 5 fin) affirment que de tout ce qui est dans l’homme, c’est ¨cela seul qui est immortel et éternel¨, pour cette raison (L. 3, l. 7, n. 688)  que pour le premier comme pour le second, l’opération propre est ¨séparée¨ de la matière à titre d’instrument, c’est-à-dire ne dépend pas d’un organe corporel.

Cet intellect agent qu’Aristote (De l’Âme, L. 3, ch. 5) lui-même compare à une lumière, Saint-Thomas dit à son sujet qu’il participe de la lumière des substances séparées, lesquelles participent à leur tour de la lumière divine. Ces dires concordent avec ce que nous dit La Genèse (Ch 1, v. 26-27) au sujet de la création de l’homme que Dieu a fait à son image. Or, Dieu est Lumière. Il était donc naturel que dans toute la création, Dieu soit la cause d’un être ayant une lumière procédant de Lui, celle de l’intellect, plus précisément celle de l’intellect agent : l’homme. Il était naturel que Dieu crée un être capable, en raison de la présence en lui de cette lumière, de reconnaître l’ordre et la beauté de son œuvre, l’Univers, et de remonter ainsi jusqu’à Lui comme cause première de tout ce qui existe, y compris lui-même, l’homme, et par conséquent capable de lui en rendre grâce.

 

L’âme intellective et l’immortalité.

C’est là une question délicate et bien qu’Aristote n’y réponde complètement qu’au troisième livre de ce traité, Saint-Thomas y apporte déjà une lumière suite à son proème (L. 1, l. 2, nn. 19-20). En un sens, dit-il, l’intellection est propre à l’âme, en un sens elle appartient au composé. Il faut savoir en effet que certaines opérations de l’âme ont besoin du corps à la fois comme instrument et comme objet. Par exemple, la vue a besoin d’un corps comme objet parce que la couleur, qui est son objet, n’existe que dans un corps. Mais elle a aussi besoin d’un corps comme instrument parce que la vue, pour exercer l’opération de voir, a besoin de cet organe corporel qu’est l’oeil. Par conséquent, l’opération de la vue n’appartient pas qu’à l’âme, mais plutôt au composé de l’âme et du corps.

Ainsi, on pourrait croire qu’il en va de l’opération de l’intelligence comme il en va de l’opération de la vue. En effet, l’intelligence ne peut poser son opération sans les images qui ne peuvent exister sans les corps dont elles sont les images. Mais la nécessité pour l’intelligence de recourir aux images signifie-t-elle que l’opération de cette dernière dépend d’un organe corporel ou bien signifie-t-elle plutôt que ces mêmes images sont à l’intelligence ce que les couleurs sont à la vue, c’est-à-dire un objet à partir duquel elle peut poser son opération? En effet, tout comme la vue tire des couleurs des images visuelles, de même l’intelligence tirerait des images quelque chose de tout autre, ce qu’on appelle des concepts, des intelligibles. 

En outre, si l’intelligence possédait un organe matériel dont dépendrait son opération, ne serait-il pas raisonnable de penser que ce qu’elle connaîtrait par lui se limiterait à des objets d’un genre déterminé comme le sont les couleurs pour la vue, les sons pour l’ouïe, les odeurs pour l’odorat, etc. Or, ce que l’intelligence peut connaître, son objet, se limite-t-il à un genre déterminé d’objets? N’a-t-elle pas plutôt accès à un champ de recherche beaucoup plus étendu, c’est-à-dire aux essences universelles de toutes les choses sensibles? Et si l’opération de l’intelligence ne dépendait pas d’un organe corporel, ne serait-il pas raisonnable de penser qu’elle pourrait aussi exister, après sa séparation du corps, indépendamment du corps?

 

Conclusion.

Ce bref regard sur l’âme intellective permet de voir que sa définition est cohérente avec la définition commune de l’âme donnée au tout début du traité de l’Âme. L’âme intellective, elle aussi, en tant que forme substantielle d’un corps organisé, celui de l’homme, est l’acte premier de ce corps; mais elle est aussi acte premier en un autre sens, en tant que la puissance intellective, forme accidentelle actualisée par la lumière de l’intellect agent, a reçu et conservé les intelligibles et possède du même coup le pouvoir de les considérer à volonté, et que l’intellect, de pure puissance, est devenu un ¨habitus¨ ou un acte premier pouvant passer immédiatement à cet acte second qu’est la considération des intelligibles.

À la toute fin de la leçon X, entièrement consacrée à l’étude de l’intellect agent, lorsque Saint-Thomas parle de l’intellect passif, qui est corruptible, il veut signifier l’âme sensitive, productrice des images, qui dépend d’un organe corporel et qu’on appelle intellect, non pas parce qu’il est intellect par essence mais par participation, parce qu’il participe de l’intellect, parce qu’il ¨peut obéir à la raison et suivre son mouvement¨ (n. 745) et qu’il ne faut pas confondre avec l’intellect possible qui lui est impassible et incorruptible.

 

 

Commentaire du traité de l’âme d’Aristote

 

 

Sancti Thomae de Aquino, Sentencia libri De anima, Reportatio Reginaldi de Piperno

Traité de l’âme, traduction par Serge Pronovost 2022

 

 

liber I

LIVRE PREMIER

LECTIO 1

[86461] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 1Sicut docet philosophus in undecimo de animalibus, in quolibet genere rerum necesse est prius considerare communia et seorsum, et postea propria unicuique illius generis: quem quidem modum Aristoteles servat in philosophia prima. In metaphysicae enim primo tractat et considerat communia entis inquantum ens, postea vero considerat propria unicuique enti. Cuius ratio est, quia nisi hoc fieret, idem diceretur frequenter. Rerum autem animatarum omnium quoddam genus est; et ideo in consideratione rerum animatarum oportet prius considerare ea quae sunt communia omnibus animatis, postmodum vero illa quae sunt propria cuilibet rei animatae. Commune autem omnibus rebus animatis est anima: in hoc enim omnia animata conveniunt. Ad tradendum igitur de rebus animatis scientiam, necessarium fuit primo tradere scientiam de anima tamquam communem eis. Aristoteles ergo volens tradere scientiam de ipsis rebus animatis, primo tradit scientiam de anima, postmodum vero determinat de propriis singulis animatis in sequentibus libris.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86462] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 2In tractatu autem de anima, quem habemus prae manibus, primo ponit prooemium, in quo facit tria quae necessaria sunt in quolibet prooemio. Qui enim facit prooemium tria intendit. Primo enim ut auditorem reddat benevolum. Secundo ut reddat docilem. Tertio ut reddat attentum. Benevolum quidem reddit, ostendendo utilitatem scientiae: docilem, praemittendo ordinem et distinctionem tractatus: attentum attestando difficultatem tractatus. Quae quidem tria Aristoteles facit in prooemio huius tractatus. Primo enim ostendit dignitatem huius scientiae. Secundo vero ordinem huius tractatus, quis sit, scilicet, et qualiter sit tractandum de anima, ibi, inquirimus autem. Tertio vero ostendit difficultatem huius scientiae, ibi, omnino autem et penitus, et difficillimorum et cetera. Circa primum duo facit. Primo enim ostendit dignitatem huius scientiae. Secundo utilitatem eius, ibi, videtur autem et ad veritatem, et cetera.

 

 

 

 

[86463] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 3Circa primum sciendum est, quod omnis scientia bona est: et non solum bona, verum etiam honorabilis. Nihilominus tamen una scientia in hoc superexcellit aliam. Quod autem omnis scientia sit bona, patet; quia bonum rei est illud, secundum quod res habet esse perfectum: hoc enim unaquaeque res quaerit et desiderat. Cum igitur scientia sit perfectio hominis, inquantum homo, scientia est bonum hominis. Inter bona autem quaedam sunt laudabilia, illa scilicet quae sunt utilia in ordine ad finem aliquem: laudamus enim bonum equum, quia bene currit; quaedam vero sunt etiam honorabilia, illa scilicet quae sunt propter seipsa; honoramus enim fines. In scientiis autem quaedam sunt practicae, et quaedam speculativae: et hae differunt, quia practicae sunt propter opus, speculativae autem propter seipsas. Et ideo scientiarum, speculativae, et bonae sunt et honorabiles, practicae vero laudabiles tantum. Omnis ergo scientia speculativa bona est et honorabilis.

 

 

 

 

 

[86464] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 4Sed et in ipsis scientiis speculativis invenitur gradus quantum ad bonitatem et honorabilitatem. Scientia namque omnis ex actu laudatur: omnis autem actus laudatur ex duobus: ex obiecto et qualitate seu modo: sicut aedificare est melius quam facere lectum, quia obiectum aedificationis est melius lecto. In eodem autem, respectu eiusdem rei, ipsa qualitas gradum quemdam facit; quia quanto modus aedificii est melior, tanto melius est aedificium. Sic ergo, si consideretur scientia, seu actus eius, ex obiecto, patet, quod illa scientia est nobilior, quae est meliorum et honorabiliorum. Si vero consideretur ex qualitate seu modo, sic scientia illa est nobilior, quae est certior. Sic ergo dicitur una scientia magis nobilis altera, aut quia est meliorum et honorabiliorum, aut quia est magis certa.

 

 

 

 

 

[86465] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 5Sed hoc est in quibusdam scientiis diversum: quia aliquae sunt magis certae aliis, et tamen sunt de rebus minus honorabilibus: aliae vero sunt de rebus magis honorabilibus et melioribus, et tamen sunt minus certae. Nihilominus tamen illa est melior quae de rebus melioribus et honorabilioribus est. Cuius ratio est, quia sicut dicit philosophus in Lib. undecimo de animalibus, magis concupiscimus scire modicum de rebus honorabilibus et altissimis, etiam si topice et probabiliter illud sciamus, quam scire multum, et per certitudinem, de rebus minus nobilibus. Hoc enim habet nobilitatem ex se et ex sua substantia, illud vero ex modo et ex qualitate.

 

 

 

[86466] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 6Haec autem scientia, scilicet de anima, utrumque habet: quia et certa est, hoc enim quilibet experitur in seipso, quod scilicet habeat animam, et quod anima vivificet. Et quia est nobilior: anima enim est nobilior inter inferiores creaturas. Et hoc est quod dicit, nos opinantes notitiam, idest scientiam speculativam omnium esse bonorum, id est de numero bonorum, et honorabilium. Sed altera scientia est magis bona et honorabilis altera dupliciter. Aut quia est magis certa, ut dictum est: unde dicit secundum certitudinem, aut ex eo quod meliorum, illorum scilicet quae sunt in sua natura bona, et mirabiliorum, idest illorum quorum causa ignoratur, propter utraque, idest propter haec duo animae historiam. Et dicit historiam, quia in quadam summa tractat de anima, non perveniendo ad finalem inquisitionem omnium quae pertinent ad ipsam animam, in hoc tractatu. Hoc enim est de ratione historiae. In primis hoc si accipiatur quantum ad totam scientiam naturalem, non dicit ordinem, sed dignitatem. Si vero ad scientiam de rebus animatis tantum, sic in primis dicit ordinem.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86467] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 7Consequenter cum dicit videtur autem reddit auditorem benevolum ex utilitate huius scientiae: dicens, quod cognitio de anima videtur multum proficere ad omnem veritatem, quae traditur in aliis scientiis. Ad omnes enim partes philosophiae insignes dat occasiones. Quia si ad philosophiam primam attendamus, non possumus devenire in cognitionem divinarum et altissimarum causarum, nisi per ea quae ex virtute intellectus possibilis acquirimus. Si enim natura intellectus possibilis esset nobis ignota, non possemus scire ordinem substantiarum separatarum, sicut dicit Commentator super undecimo metaphysicae. Si vero attendatur quantum ad moralem, non possumus perfecte ad scientiam moralem pervenire, nisi sciamus potentias animae. Et inde est, quod philosophus in Ethicis attribuit quaslibet virtutes diversis potentiis animae. Ad naturalem vero utilis est, quia magna pars naturalium est habens animam, et ipsa anima est fons et principium omnis motus in rebus animatis. Est enim anima tamquam principium animalium. Ly tamquam non ponitur similitudinarie, sed expressive.

 

 

 

 

 

 

[86468] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 8Consequenter cum dicit inquirimus autem ostendit ordinem huius tractatus: dicens, quod intendimus considerare per signa scilicet, et cognoscere per demonstrationem scilicet, quid sit anima, seu naturam ipsius et substantiam, et postea quaecumque accidunt circa ipsam, idest passiones eius. Et in hoc est quaedam diversitas: quia quaedam videntur passiones animae tantum, sicut intelligentia et speculatio: quaedam vero per ipsam animam inesse videntur communiter animalibus, sicut delectatio et tristitia, sensus et phantasia.

 

[86469] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 9Consequenter cum dicit omnino autem ostendit difficultatem huius tractatus. Et hoc quantum ad duo. Primo quantum ad cognoscendum substantiam animae. Secundo quantum ad cognoscendum accidentia, seu proprias passiones, ibi, dubitationem autem, et cetera. Quantum autem ad primum, ostendit duplicem difficultatem. Et primo quantum ad modum definiendi ipsam. Secundo quantum ad ea quae intrant definitionem, ibi, primum autem fortassis, et cetera. Dicit ergo: quamvis sit utilis scientia de anima, tamen difficile est scire de anima quid est: et haec est difficultas in qualibet re, cum sit una communis quaestio animae et multis aliis, circa substantiam eorum, et circa quod quid est. Est ergo prima difficultas, quia nos nescimus per quam viam procedendum sit ad definitionem: quia quidam dicunt, quod demonstrando: quidam, quod dividendo: quidam vero, quod componendo. Aristoteles autem voluit, quod componendo.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86470] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 10Secunda difficultas est de his quae ponuntur in definitione. Definitio enim notificat essentiam rei, quae non potest sciri nisi sciantur principia: sed diversorum sunt diversa principia: et ideo difficile est scire, ex quibus sumantur principia. Illa ergo quae ingerunt difficultatem ponentibus et inquirentibus definitionem, reducuntur ad tria, quorum primum est circa substantiam animae; secundum circa partes eius; tertium circa adiutorium, quod necessarium est in definitionibus ex accidentibus animae.

 

 

[86471] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 11Circa substantiam est dubitatio de genere. Hoc enim primo quaerimus in definitione cuiuslibet rei, ut scilicet sciamus genus. Et ideo quaerendum est in quo genere sit ponenda anima; utrum scilicet in genere substantiae, vel in quanto, vel in quali. Et non solum est accipere genus supremum, sed propinquum. Neque enim quando hominem definimus, substantiam accipimus, sed animal. Et si anima invenitur in genere substantiae, adhuc, cum unumquodque genus dicatur dupliciter, hoc quidem potentia, hoc autem actu, quaerendum erit utrum sit potentia, vel actus. Item quia substantiarum quaedam sunt compositae, quaedam simplices, quaerendum erit, utrum anima sit composita, aut simplex; et utrum partibilis vel impartibilis. Est etiam quaestio utrum sit unius speciei omnis anima ad omnem animam, aut non. Et si non sit unius speciei, adhuc est quaestio utrum differant etiam genere, vel non. Item adhuc dubitatio est circa ea quae participant definitione. Quaedam enim definiuntur ut genus, quaedam vero ut species. Et ideo videtur esse quaestio, utrum definitio animae sit sicut generis, aut sicut speciei specialissimae.

 

 

 

 

 

 

 

[86472] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 12Nam aliqui quaerentes de anima videntur intendere solum de anima humana. Et quia apud antiquos philosophos erat duplex opinio de anima. Platonici enim, qui ponebant universalia separata, scilicet quod essent formae et ideae, et erant causae rebus particularibus cognitionis et esse, volebant quod esset quaedam anima separata per se, quae esset causa et idea animabus particularibus; et quod quicquid invenitur in eis, derivetur ab illa. Naturales autem philosophi volebant, quod non essent substantiae universales nisi particulares tantum, et quod universalia nihil sint in rerum natura. Et propter hoc est quaestio, utrum sit quaerenda solum una communis ratio animae, sicut dicebant Platonici: vel huius vel illius animae, sicut dicebant naturales, scilicet ut animae equi, vel hominis, aut Dei. Et dicit Dei quia credebant corpora caelestia esse deos, et dicebant ea esse animata.

 

 

 

 

 

 

 

[86473] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 13Aristoteles autem vult quod quaeratur ratio utriusque: et communis animae, et cuiuslibet speciei. Quod autem circa hoc dicit animal autem universale, aut nihil est, aut posterius: sciendum est, quod de animali universali possumus loqui dupliciter: quia aut secundum quod est universale, quod scilicet est unum in multis aut de multis: aut secundum quod est animal: et hoc, vel secundum quod in rerum natura, vel secundum quod est in intellectu. Secundum autem quod est in rerum natura, Plato voluit animal universale aliquid esse, et esse prius particulari; quia, ut dictum est, posuit universalia separata et ideas. Aristoteles autem vult quod ut sic, nihil est in rerum natura. Et si aliquid est, dixit illud esse posterius. Si autem accipiamus naturam animalis non secundum quod subiacet intentioni universalitatis, sic aliquid est, et prius, sicut quod est in potentia, prius est, quam id quod est actu.

 

 

 

 

 

[86474] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 14Consequenter cum dicit amplius autem tangit difficultates, quae emergunt circa potentias animae. In anima enim sunt partes potentiales, scilicet intellectivum, sensitivum et vegetativum. Est ergo quaestio, utrum hae sint diversae animae, sicut Platonici volebant, et etiam ponebant: an sint partes potentiales animae. Et si sint partes potentiales animae, quaeritur etiam, utrum primo debeamus quaerere potentias ipsas quam actus, aut primo actus quam potentias, ut intelligere ante intellectum, et sentire, quod est actus, ante sensitivum quod est potentia, et similiter in aliis potentiis et actibus. Et si primo debemus quaerere actus quam potentias, adhuc erit quaestio utrum sint prius quaerenda obiecta horum actuum quam potentiae, ut puta prius debeat quaeri sensibile quam sensitivum, aut intelligibile quam intellectivum.

 

 

 

 

 

 

 

[86475] Sentencia De anima, lib. 1 l. 1 n. 15Consequenter etiam cum dicit videtur autem ponit difficultates, quae emergunt quantum ad illa quae sunt in adiutorium definitionis animae. Quia in definitione oportet non solum cognoscere principia essentialia, sed etiam accidentalia. Si enim recte definirentur et possent cognosci principia essentialia, definitio non indigeret accidentibus. Sed quia principia essentialia rerum sunt nobis ignota, ideo oportet quod utamur differentiis accidentalibus in designatione essentialium: bipes enim non est essentiale, sed ponitur in designatione essentialis. Et per eas, scilicet per differentias accidentales, devenimus in cognitionem essentialium. Et ideo difficile est, quia oportet nos prius cognoscere quod quid est animae, ad cognoscendum facilius accidentia animae: sicut in mathematicis valde utile est praeaccipere quodquid erat esse recti et curvi et plani ad cognoscendum quod rectis trianguli anguli sint aequales. E converso etiam accidentia, si praeaccipiantur, multum conferunt ad cognoscendum quod quid erat esse, ut dictum est. Si quis ergo assignet definitionem, per quam non deveniatur in cognitionem accidentium rei definitae, illa definitio non est realis, sed remota et dialectica. Sed illa definitio per quam devenitur in cognitionem accidentium, est realis, et ex propriis, et essentialibus rei.

Leçon  1

Le Philosophe manifeste ici la dignité, l’utilité, l’ordre et la difficulté de cette science par rapport aux autres sciences.

 1. Comme l'enseigne le Philosophe [Les Parties des Animaux, L. 1, ch. 1], en tout genre de choses il est nécessaire de considérer d’abord et séparément les caractéristiques communes à toutes les choses contenues dans ce genre, puis celles qui sont propres à chacune d’elles. Il est à noter qu’Aristote observe cette manière de procéder en philosophe première. En effet, dans sa Métaphysique, il traite et considère premièrement ce qui est commun à l’être en tant qu’être, après quoi il considère ce qui est propre à chaque sorte d’être en particulier. La raison en est que si l’on ne procédait pas ainsi, on en serait réduit à de nombreuses répétitions. Or, il existe comme un genre qui regroupe toutes les choses animées et c’est pourquoi, lorsqu’on en vient à les considérer, il faut d’abord considérer ce qu’elles ont en commun et par la suite ce qui est propre à chacune des espèces contenues dans ce genre. Or, l’âme est justement ce qui est commun à toutes les choses animées et c’est en cela qu’elles se ressemblent. Donc, pour traiter de la science qui a pour objet les choses animées, il était nécessaire de présenter en premier la science qui traite de l’âme qui leur est commune. C’est pourquoi Aristote, voulant exposer la science qui a pour objets les choses animées, présente premièrement la science qui a pour objet l’âme et détermine seulement après, dans les livres qui suivent, les caractéristiques qui sont propres à chacune de leurs espèces.

2. Aussi, dans son traité sur l’âme, que nous avons en main, il présente d’abord un proème dans lequel il fait trois choses qu’il est nécessaire de faire dans tout proème. En effet, celui qui fait un proème poursuit trois fins. Premièrement, il cherche à rendre l’auditeur bienveillant; deuxièmement, à le rendre docile; troisièmement, à le rendre attentif. Et d’abord, il le rend bienveillant en lui manifestant l’utilité de la science; puis, il le rend docile en lui présentant à l’avance l’ordre et la distinction du traité; enfin, il le rend attentif en le sensibilisant à la difficulté du traité. Et Aristote réalise certes ces trois fins dans le proème de ce traité. En premier lieu en effet il montre la dignité de cette science; deuxièmement, il manifeste quel est l’ordre de ce traité et de quelle manière il faut traiter de l’âme, là où il dit : « or, nous cherchons à connaître…»; troisièmement, il montre la difficulté de cette science là où il dit : « Mais c’est tout à fait et profondément une chose des plus difficiles…» Concernant le premier point, il montre la dignité de cette science et deuxièmement son utilité, là où il dit : « Il semble bien qu’elle contribue à la connaissance de la vérité tout entière…»

3. Au sujet du premier point, il faut savoir que toute science est bonne et non seulement bonne, mais en vérité admirable; néanmoins, sous ce rapport, une science est préférable à une autre. Or, il est évident qu’une science soit bonne car le bien d’une chose est ce qui donne la perfection à son existence, ce que toute chose recherche et désire. Donc, puisque la science est la perfection de l’homme en tant qu’homme, la science est le bien de l’homme. Mais parmi les biens, certains sont louables, c’est-à-dire qu’ils sont utiles par rapport à une certaine fin : nous louons en effet un bon cheval parce qu’il court bien ; mais nous disons de certains biens qu’ils sont honorables parce que nous les recherchons pour eux-mêmes, puisque ce sont les fins que nous honorons. Or, parmi les sciences, certaines sont pratiques et d’autres spéculatives et ces deux sortes de sciences diffèrent en ceci que celles qui sont pratiques sont recherchées en vue de la réalisation d’une œuvre alors que celles qui sont spéculatives sont recherchées pour elles-mêmes. Et c’est pourquoi, parmi les sciences, celles qui sont spéculatives sont à la fois bonnes et honorables alors que celles qui sont pratiques sont louables seulement. Donc, toute science spéculative est à la fois bonne et honorable.

4. Mais parmi les sciences spéculatives elles-mêmes, on retrouve des degrés quant à leur bonté et à leur honorabilité. En effet, toute science est louée en fonction de son opération ; or, toute opération est louée d’après deux facteurs : son objet et sa qualité ou son mode : par exemple, la construction d’une maison est préférable à la fabrication d’un lit parce que l’objet de la construction, la maison, est préférable au lit. Mais dans le même art, par rapport à la même chose, la qualité elle-même joue un certain rôle quant au degré parce que plus le mode de construction de l’artiste sera parfait, plus la maison sera parfaite. En conséquence, si on considère la science ou son opération à partir de son objet, il est clair que la science la plus noble est celle dont l’objet est le meilleur et le plus honorable. Mais si on la considère à partir de sa qualité ou de son mode, la science la plus noble sera celle qui est la plus certaine. Ainsi donc, on dit d’une science qu’elle est plus noble qu’une autre soit parce que son objet est meilleur et plus honorable, soit parce qu’elle est plus certaine.

5. Mais cela se présente diversement dans différentes sciences car certaines comportent plus de certitude que d’autres mais portent cependant sur des choses moins honorables, alors que certaines autres portent sur des objets meilleurs et plus honorables tout en présentant cependant moins de certitude. Cependant, à parler absolument, la science la meilleure est celle dont l’objet est le meilleur et le plus honorable. La raison en est, comme le dit le Philosophe [Les Parties des Animaux, L. 1, ch. 5] que nous préférons une connaissance limitée des choses les plus honorables et les plus élevées, même si nous ne les connaissons que par des lieux communs et des probabilités, à une connaissance abondante et certaine des choses les moins nobles. La première tient sa noblesse d’elle-même et de sa substance, la dernière de son mode et de sa qualité.

6. Or cette science, à savoir celle de l’âme, tient sa noblesse de ces deux aspects : parce qu’elle est certaine du fait que chacun expérimente en lui-même à la fois qu’il possède une âme et que c’est par l’âme qu’il vit ; et parce qu’elle est plus noble en elle-même, puisque l’âme est en elle-même la plus noble de toutes les créatures inférieures. Et c’est justement ce que le Philosophe dit : Nous croyons que la connaissance, c’est-à-dire la science spéculative, est de tous les biens, c’est-à-dire qu’elle fait partie des biens, et même de ceux qui sont les plus honorables. Mais une science est meilleure et plus honorable qu’une autre pour deux raisons : soit parce qu’elle est plus certaine, comme nous l’avons dit et c’est pourquoi il dit selon la certitude, soit parce qu’elle fait partie des choses les meilleures, c’est-à-dire de celles qui de par leur nature même sont bonnes et admirables parce qu’on en ignore la cause. Et c’est pour ces deux raisons que l’étude de l’âme est la meilleure et doit être placée au premier rang. Et il dit l’étude, car dans ce traité, il traite de l’âme comme d’une manière sommaire, sans parvenir à une recherche finale de tout ce qui appartient à l’âme elle-même. C’est cela en effet qui entre dans la définition de l’étude. Et lorsqu’il attribue à cette science le premier rang, si on prend cette expression par rapport à toute la science de la nature, elle ne signifie pas l’ordre mais la dignité, mais si on la prend seulement par rapport à la science des êtres vivants, alors elle signifie l’ordre.

7. Il semble donc par la suite qu’il cherche par son discours à rendre l’auditeur bienveillant en lui manifestant l’utilité de cette science en disant que la connaissance de l’âme semble contribuer de plusieurs manières à l’acquisition de toutes les vérités enseignées dans les autres sciences. En effet, elle facilite l’accès à toutes les parties de la philosophie. Si nous considérons par exemple la philosophie première, nous voyons que nous ne pouvons parvenir à la connaissance des causes divines et les plus élevées que par la connaissance des choses que nous acquérons par la puissance de l’intellect possible. En effet, si la nature de l’intellect possible nous était inconnue, nous ne pourrions connaître l’ordre des substances séparées comme le dit le Commentateur lorsqu’il examine le onzième libre de la Métaphysique. Mais si nous considérons la science morale, nous voyons que nous ne pouvons parvenir à la connaître parfaitement si nous ne connaissons pas les puissances de l’âme. C’est pour cette raison que le Philosophe, dans son Éthique à Nicomaque, attribue toutes les vertus à différentes puissances de l’âme. En outre, elle est forcément utile à l’étude de la science de la nature, car une grande partie des êtres naturels possède l’âme, et l’âme elle-même est la source et le principe de tout mouvement chez les êtres animés. Et lorsqu’il dit que l’âme est en effet comme le principe des animaux, le terme comme n’est pas donné par analogie, mais au sens propre.

8. Ensuite, lorsqu’il dit : « Nous allons chercher à…», il manifeste l’ordre de ce traité en disant que nous allons chercher à considérer, c’est-à-dire par des signes, et à connaître, c’est-à-dire par démonstration, ce qu’est l’âme, ou sa nature et sa substance « et par la suite tout ce qui s’y rattache », c’est-à-dire ses propriétés. Mais parmi ces propriétés, il y a une certaine diversité, car les unes apparaissent comme appartenant à l’âme seulement, comme l’intelligence et la contemplation, alors que d’autres semblent appartenir en commun, au moyen de l’âme, à tous les animaux, comme le plaisir et la tristesse, le sens et l’imagination.

9. Et lorsqu’il ajoute ensuite : « Il est tout à fait difficile…», il montre la difficulté de ce traité, et il le fait sous deux rapports. Il le fait premièrement sous le rapport de l’essence de l’âme. Deuxièmement, sous le rapport de la connaissance des accidents ou des déterminations propres de l’âme, là où il dit : « Mais il reste encore une incertitude etc. ». Quant au premier point, il manifeste une double difficulté : premièrement quant à la manière de définir l’âme ; deuxièmement, quant aux éléments qui doivent entrer dans sa définition, là où il dit : « Sans doute il est d’abord nécessaire, etc. » Aristote dit donc ceci : bien que la science de l’âme soit utile, il est cependant difficile de savoir ce qu’est l’âme, c’est-à-dire son essence : on retrouve la même difficulté dans l’examen de toute chose, car la question par laquelle on se demande ce qu’est une chose ou quelle est son essence, cette question est commune à l’âme et de nombreuses autres choses. Notre première difficulté réside donc dans le fait que nous ignorons la méthode selon laquelle nous devons procéder pour définir l’âme : en effet, certains affirment que pour cela il est nécessaire de procéder par voie de démonstration, d’autres par voie de division, d’autres enfin par voie de composition. Aristote, quant à lui, a voulu procéder par voie de composition.

10. La deuxième difficulté porte sur les éléments qui doivent entrer dans la définition de l’âme. La définition fait connaître en effet l’essence de la chose, laquelle ne peut être connue que si on en connaît les principes : or, pour des choses différentes, les principes diffèrent, et c’est pourquoi il est difficile de savoir d’où les principes doivent se tirer. Donc, tous les obstacles qui présentent des difficultés à ceux qui établissent ou cherchent à établir une définition se ramènent à trois : le premier touche à l’essence de l’âme, le deuxième à ses parties, le troisième au complément qu’il est nécessaire de découvrir dans les définitions qui se tirent des accidents de l’âme.

11. En ce qui concerne l’essence de l’âme, la question est de savoir quel est son genre. En effet, c’est le genre que nous cherchons à connaître en premier dans la définition de toute chose. C’est pourquoi nous devons rechercher le genre dans lequel l’âme est contenue : est-ce dans le genre de la substance, de la quantité, de la qualité, ou encore dans une autre catégorie ? Et il est nécessaire de trouver non seulement le genre suprême, mais aussi le genre prochain. En effet, lorsque nous définissons l’homme, nous ne nous contentons pas de trouver qu’il est dans le genre substance, mais nous précisons qu’il est dans le genre animal. En outre, si l’âme se trouve dans le genre substance, puisque tout genre se dit en deux sens, soit en puissance, soit en acte, il faudra se demander si l’âme est un être en puissance ou un être en acte. De plus, puisque parmi les substances certaines sont composées et d’autres simples, il faudra se demander si l’âme est composée ou si elle est simple, et si elle est divisible en parties ou si elle est sans parties. Il faut aussi se demander si toutes les âmes sont ou non de même espèce. Et si elles ne sont pas toutes de même espèce, il faut encore se  demander si elles diffèrent aussi par le genre. Par ailleurs, notre attention doit aussi se porter sur ce qui participe de la définition. En effet, certaines choses sont définies en tant que genres, d’autres en tant qu’espèces. C’est pourquoi il faut se demander si l’âme est définie en tant que genre ou en tant qu’espèce la plus déterminée.

12. En effet, certains des recherches qui ont pour objet l’âme ne semblent s’intéresser qu’à l’âme humaine. Or, il existait deux opinions sur l’âme chez les anciens philosophes. Les Platoniciens soutenaient l’existence d’universels séparés, c’est-à-dire de formes ou d’idées séparées, qui étaient les causes à la fois de la connaissance et de l’existence des choses particulières ; ils pensaient en outre qu’il existe une âme séparée par soi, cause et idée des âmes particulières et que tout ce qui se retrouve en ces dernières procède de cette âme séparée. Mais les Naturalistes soutenaient qu’il n’existe pas de substances universelles mais seulement des substances particulières et que les universels n’ont aucune existence dans la nature des choses. Et c’est pour cette raison qu’il faut se demander si nous devons rechercher seulement une seule définition de l’âme qui serait commune à tous les vivants, comme le disaient les Platoniciens, ou si nous ne devons pas plutôt rechercher des définitions de l’âme qui sont propres à telle ou telle autre espèce, comme celle du cheval, celle de l’homme et celle de Dieu, comme le croyaient les Naturalistes. Et Aristote dit : « de Dieu » parce que les anciens Naturalistes croyaient que les corps célestes étaient des Dieux et soutenaient qu’ils étaient des êtres animés.

13. Or, Aristote veut qu’on recherche les deux sortes de définition, à savoir celle qui est commune à tous les vivants, et celle qui est propre à chacune des espèces. Et à ce sujet, lorsqu’il dit : « l’animal universel, ou bien n’est rien, ou bien est postérieur », il faut savoir qu’il est possible de parler de l’animal universel de deux manières: soit en tant qu’il est universel, à savoir en tant qu’il est un, existant en plusieurs ou attribué à plusieurs ; soit en tant qu’il est animal et si c’est le cas, soit en tant qu’il existe dans la nature des choses, soit en tant qu’il existe dans l’intelligence. En tant qu’il existe dans la nature des choses, Platon soutenait que l’animal universel existe en réalité et qu’il est même antérieur à l’animal particulier car, comme nous l’avons déjà dit (n. 12), il affirmait l’existence des universels séparés et des Idées. Aristote pense au contraire que l’universel n’est rien dans la nature des choses, et s’il est quelque chose, il affirme qu’il est postérieur au particulier. Mais si nous ne prenons pas la nature de l’animal en tant qu’elle dépend de la notion d’universalité, alors elle est quelque chose en réalité et elle est même antérieure, tout comme ce qui existe en puissance est antérieur à ce qui existe en acte.

14. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais en outre…», il considère des difficultés qui surgissent au sujet des puissances de l’âme. Il y a en effet dans l’âme des parties qui sont des puissances, à savoir les puissances intellectuelle, sensitive et végétative. Il s’agit donc de savoir si ces puissances sont des âmes différentes, comme le voulaient et le soutenaient les Platoniciens, ou bien si elles ne sont pas plutôt des parties potentielles de l’âme. Et si elles ne sont que des parties potentielles de l’âme, il faut encore se demander si nous ne devons pas examiner en premier les puissances elles-mêmes plutôt que les actes ou si nous ne devons pas plutôt commencer par l’examen des actes : par exemple, devons-nous considérer l’intellection avant l’intelligence et la sensation, laquelle est aussi un acte, avant le sensitif qui est une puissance, et faire de même pour les autres puissances et les autres actes ? Et si nous devons orienter notre recherche sur les actes avant de considérer les puissances, il y aura encore à se demander s’il faut considérer les objets de ces actes avant leurs puissances. Par exemple, doit-on considérer le sensible avant la puissance sensitive et l’intelligible avant la puissance intellectuelle ?

15. Enfin, lorsqu’il ajoute : « Et il semble bien etc. », il présente les difficultés qui surgissent à l’occasion de ces éléments qui tiennent lieu de compléments dans la définition de l’âme. La raison en est que dans la définition il faut connaître non seulement les principes essentiels, mais aussi ceux qui sont accidentels. En effet, si les principes essentiels étaient définis et pouvaient être connus correctement, il ne serait pas nécessaire que la définition contienne les accidents. Mais parce que les principes essentiels des choses nous sont inconnus, c’est pourquoi nous devons nous servir des différences accidentelles pour désigner les différences essentielles : c’est ainsi que bipède n’est pas une différence essentielle, mais on la place dans la définition pour désigner une différence essentielle. Et c’est au moyen de ces différences, à savoir celles qui sont accidentelles, que nous en venons à connaître celles qui sont essentielles. Mais cela présente une difficulté parce qu’il faut que nous connaissions en premier l’essence de l’âme pour en arriver à connaître plus facilement ses accidents, tout comme en mathématiques il est très utile de connaître à l’avance ce qu’est le droit, la courbe, la ligne et la surface pour connaître que la somme des angles intérieurs d’un triangle est égale à deux droits. Mais aussi, à l’inverse, le fait de connaître à l’avance les accidents contribue considérablement à la connaissance de l’essence, ainsi que nous l’avons déjà dit. En effet, si quelqu’un donnait une définition qui ne conduirait pas à connaître les accidents de la chose définie, cette définition ne serait pas réelle, mais demeurerait éloignée et dialectique. Au contraire, c’est cette définition par laquelle nous en venons à la connaissance des accidents de la chose qui est réelle parce qu’elle procède de ce qui appartient proprement et essentiellement à la chose.

LECTIO 2

[86476] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 1Postquam philosophus ostendit difficultatem, quae est in scientia de anima ex parte substantiae, et quod quid est animae: hic consequenter ostendit difficultatem, quae est ex parte passionum et accidentium animae. Et circa hoc duo facit. Primo movet dubitationem circa passiones animae, et solvit eam. Secundo ex huiusmodi solutione ostendit, quod cognitio de anima pertinet ad philosophum naturalem, seu ad physicum, ibi, et propter hoc igitur iam physici, et cetera. Dicit ergo primo, quod dubitatio est circa passiones animae, et operationes, utrum scilicet essent animae propriae sine communicatione corporis, ut Platoni videbatur: vel nulla sit propria animae, sed omnes sint communes corporis et compositi.

 

 

[86477] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 2Deinde cum dicit hoc enim circa hoc duo facit. Primo enim ostendit difficultatem huiusmodi quaestionis. Secundo vero necessitatem, ibi, si quidem igitur est aliquid. Dicit ergo primo, quod accipere hoc, scilicet utrum passiones et operationes animae sint communes vel propriae, est necessarium, et non est leve, sed valde difficile. Et quod sit difficile, ostendit dicens: quod causa difficultatis est, quia in apparenti videtur, quod multae passiones sint communes, et non sit pati sine corpore, ut puta irasci et sentire et huiusmodi, quorum nihil patitur anima sine corpore. Sed si aliqua operatio esset propria animae, appareret hoc de operatione intellectus. Intelligere enim, quae est operatio intellectus, maxime videtur proprium esse animae.

 

 

 

 

[86478] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 3Si quis tamen recte consideret, non videtur proprium animae intelligere. Cum enim intelligere, vel sit phantasia, ut Platonici ponebant, aut non sit sine phantasia: (fuerunt enim quidam sicut antiqui naturales qui dicebant, quod intellectus non differebat a sensu, et si hoc esset, tunc intellectus in nullo differret a phantasia; et ideo Platonici moti sunt ad ponendum intellectum esse phantasiam). Cum ergo phantasia indigeat corpore, dicebant quod intelligere non est proprium animae, sed commune animae et corpori. Si autem detur, quod intellectus non sit phantasia, nihilominus tamen non est intelligere sine phantasia. Restat igitur quod intelligere non est proprium animae, cum phantasia indigeat corpore. Non ergo contingit hoc, scilicet intelligere, esse sine corpore.

 

 

 

 

[86479] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 4Quamvis autem hoc Aristoteles scilicet aperte manifestet in tertio huius, nihilominus tamen quantum ad hoc aliquid exponemus. Nam intelligere quodammodo est proprium animae, quodammodo est coniuncti. Sciendum est igitur, quod aliqua operatio animae aut passio est, quae indiget corpore sicut instrumento et sicut obiecto. Sicut videre indiget corpore, sicut obiecto, quia color, qui est obiectum visus, est in corpore. Item sicut instrumento; quia visio, etsi sit ab anima, non est tamen nisi per organum visus, scilicet pupillam, quae est ut instrumentum; et sic videre non est animae tantum, sed est organi. Aliqua autem operatio est, quae indiget corpore, non tamen sicut instrumento, sed sicut obiecto tantum. Intelligere enim non est per organum corporale, sed indiget obiecto corporali. Sicut enim philosophus dicit in tertio huius, hoc modo phantasmata se habent ad intellectum, sicut colores ad visum. Colores autem se habent ad visum, sicut obiecta: phantasmata ergo se habent ad intellectum sicut obiecta. Cum autem phantasmata non sint sine corpore, videtur quod intelligere non est sine corpore: ita tamen quod sit sicut obiectum et non sicut instrumentum.

 

 

 

 

 

 

 

[86480] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 5Ex hoc duo sequuntur. Unum est, quod intelligere est propria operatio animae, et non indiget corpore nisi ut obiecto tantum, ut dictum est: videre autem et aliae operationes et passiones non sunt animae tantum, sed coniuncti. Aliud est, quod illud, quod habet operationem per se, habet etiam esse et subsistentiam per se; et illud, quod non habet operationem per se, non habet esse per se. Et ideo intellectus est forma subsistens, aliae potentiae sunt formae in materia. Et in hoc erat difficultas huiusmodi quaestionis, quia scilicet omnes passiones animae secundum apparentiam videntur esse coniuncti.

 

 

 

[86481] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 6Consequenter cum dicit si quidem assignat causam necessitatis huius quaestionis, quia scilicet ex hoc habetur unum quod omnes maxime scire desiderant circa animam, utrum scilicet contingat animam separari: dicens, quod si contingat aliquam propriam operationem aut passionem animae esse, utique continget ipsam animam separari a corpore; quia, ut dictum est, quod habet operationem per se, habet etiam esse et subsistentiam per se. Si vero non esset aliqua propria operatio seu passio animae, eadem ratione non contingeret ipsam animam separari a corpore, sed erit de anima sicut de recto. Licet enim multa accidant recto inquantum rectum, scilicet tangere aeneam sphaeram secundum punctum, non tamen accidit ei nisi in materia: non enim tangit rectum in puncto aeneam sphaeram nisi in materia. Sic erit de anima, si non habet propriam operationem, quod licet ei multa accidant, non tamen accidunt ei nisi in materia.

 

 

 

 

 

 

[86482] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 7Consequenter cum dicit videntur autem manifestat illud quod supra supposuerat, quod scilicet quaedam passiones animae sunt coniuncti, et non animae tantum. Manifestat autem hoc ex uno, quod consistit ex duobus. Cuius ratio talis est. Omne ad quod operatur complexio corporis non est animae tantum, sed etiam corporis: sed complexio corporis operatur ad omnes passiones animae, ut puta ad iram, mansuetudinem, timorem, confidentiam, misericordiam et huiusmodi: videntur ergo animae passiones omnes esse cum corpore. Et quod ad huiusmodi passiones operetur complexio corporis, probat dupliciter. Primo sic. Quia nos videmus quod aliquando superveniunt durae et manifestae passiones, et homo non provocatur, neque timet; sed si accendatur ex furore, seu ex complexione, corpus a valde parvis et debilibus movetur, et sic se habet sicut cum irascitur. Secundo probat dicens adhuc fit magis manifestum quod ad huiusmodi passiones operetur complexio corporis. Videmus enim quod etiam si nullum immineat periculum, fiunt in aliquibus passiones similes his passionibus quae sunt circa animam, ut puta melancholicis frequenter, si nullum periculum immineat, ex ipsa complexione inordinata fiunt timentes. Ergo, quia sic se habet, scilicet quod complexio operetur ad passiones huiusmodi, manifestum est quod huiusmodi passiones sunt rationes in materia, idest habentes esse in materia. Et propter hoc termini tales, idest definitiones harum passionum, non assignantur sine materia: sicut si definiatur ira, dicetur quod est motus talis corporis sive cordis, aut partis, aut potentiae: et hoc dicit quantum ad substantiam seu causam materialem: ab hoc quantum ad causam efficientem: gratia huius quantum ad causam finalem.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86483] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 8Consequenter cum dicit et propter concludit ex his, quae dicta sunt, quod consideratio de anima pertinet ad naturalem. Et hoc ex modo definiendi concludit. Et ideo hic duo facit. Primo probat propositum. Secundo insistit circa definitiones, ibi, differenter autem definiet et cetera. Probat autem propositum hoc modo. Operationes animae et passiones sunt operationes corporis et passiones, ut ostensum est. Omnis autem passio, cum definitur, oportet quod habeat in sui definitione illud cuius est passio; nam subiectum semper cadit in definitione passionis. Si ergo passiones huiusmodi non sunt tantum animae, sed etiam corporis; de necessitate oportet quod in definitione ipsarum ponatur corpus: sed omne, in quo est corpus, seu materia, pertinet ad naturalem: ergo et passiones huiusmodi pertinent ad naturalem. Sed cuius est considerare passiones, eius est considerare subiectum ipsarum. Et ideo iam physici est considerare de anima aut omni simpliciter aut huiusmodi scilicet de ea quae est affixa corpori. Et hoc dicit, quia reliquerat sub dubio utrum intellectus sit potentia affixa corpori.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86484] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 9Consequenter cum dicit differenter autem insistit circa definitiones. Quia enim ostendit, quod in definitionibus passionum animae, aliquae sunt, in quibus ponitur materia et corpus, aliquae vero in quibus non ponitur materia, sed forma tantum, ostendit quod huiusmodi definitiones sunt insufficientes. Et circa hoc investigat differentiam, quae invenitur in istis definitionibus. Aliquando enim datur aliqua definitio, in qua nihil est ex parte corporis, sicut quod ira est appetitus vindictae; aliquando assignatur aliqua definitio, in qua est aliquid ex parte corporis seu materiae, sicut quod ira est accensio sanguinis circa cor. Prima est dialectica. Secunda vero est physica, cum ponatur ibi aliquid ex parte materiae; et ideo pertinet ad naturalem. Hic enim, scilicet physicus, assignat materiam, cum dicit, quod est accensio sanguinis circa cor. Alius vero, scilicet dialecticus, ponit speciem et rationem. Hoc enim, scilicet appetitus vindictae, est ratio irae.

 

 

 

[86485] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 10Quod autem definitio prima sit insufficiens, manifeste apparet. Nam omnis forma, quae est in materia determinata, nisi in sua definitione ponatur materia, illa definitio est insufficiens: sed haec forma, scilicet appetitus vindictae est forma in materia determinata: unde cum non ponatur in eius definitione materia, constat quod ipsa definitio est insufficiens. Et ideo necesse est ad definitionem, quod in definitione ponatur hoc, scilicet forma, esse in materia huiusmodi, scilicet determinata.

 

 

[86486] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 11Et sic habemus tres definitiones, quia una assignat speciem et speciei rationem, et est formalis tantum, sicut si definiatur domus quod sit operimentum prohibens a ventis et imbribus et caumatibus. Alia autem assignat materiam, sicut si dicatur quod domus est operimentum quoddam ex lapidibus, lateribus et lignis. Alia vero assignat idest in definitione ponit utrumque, materiam scilicet et formam; dicens, quod domus est operimentum tale constans ex talibus, et propter talia, scilicet ut prohibeat ventos etc. et ideo dicit quod alia definitio scilicet, tria ponitin his scilicet lignis lapidibus quae sunt ex parte materiae speciem idest formam propter ista scilicet ut prohibeat ventos. Et sic complectitur materiam cum dicit in his et formam cum dicitspeciem et causam finalem cum dicit propter ista: quae tria requiruntur ad perfectam definitionem.

 

 

 

 

 

[86487] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 12Sed si quaeratur quae istarum definitionum sit naturalis, et quae non: dicendum, quod illa, quae considerat formam tantum, non est naturalis, sed logica. Illa autem, quae est circa materiam, ignorat autem formam, nullius est nisi naturalis. Nullus enim habet considerare materiam nisi naturalis. Nihilominus tamen illa quae ex utrisque est, scilicet ex materia et forma, est magis naturalis. Et duae harum definitionum pertinent ad naturalem: sed una est imperfecta, scilicet illa quae ponit materiam tantum: alia vero perfecta, scilicet illa quae est ex utrisque. Non enim est aliquis qui consideret passiones materiae non separabiles, nisi physicus.

 

 

[86488] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 13Sed quia sunt aliqui, qui aliter considerant passiones materiae, ideo ostendit qui sint, et qualiter considerent: et dicit quod sunt tres. Unum genus est quod differt a naturali quantum ad principium, licet consideret passiones prout sunt in materia; sicut artifex, qui considerat formam in materia, sed differunt, quia huiusmodi principium est ars, physici vero principium est natura. Aliud genus est quod quidem considerat ea quae habent esse in materia sensibili, sed non recipit in definitione materiam sensibilem; sicut curvum, rectum et huiusmodi, licet habeant esse in materia, et sint de numero non separabilium, quantum ad esse, tamen mathematicus non determinat sibi materiam sensibilem. Cuius ratio est, quia res aliquae sunt sensibiles per qualitatem, quantitates autem praeexistunt qualitatibus, unde mathematicus concernit solum id quod quantitatis est absolute, non determinans hanc vel illam materiam. Aliud genus est quod quidem considerat illa quorum esse vel non est in materia omnino, vel quorum esse potest esse sine materia; et hic est philosophus primus.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86489] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 14Et notandum quod tota ratio divisionis philosophiae sumitur secundum definitionem et modum definiendi. Cuius ratio est, quia definitio est principium demonstrationis rerum, res autem definiuntur per essentialia. Unde diversae definitiones rerum diversa principia essentialia demonstrant, ex quibus una scientia differt ab alia.

 

[86490] Sentencia De anima, lib. 1 l. 2 n. 15Consequenter cum dicit sed redeundum quia videbatur fecisse quasdam digressiones ex hoc quod institit ad inquisitionem definitionum, reducit se ad materiam propriam, dicens quod redeundum est ad materiam propriam, unde est sermo habitus, scilicet quod passiones animae, ut amor, timor et huiusmodi, non sunt separabiles a physica materia animalium, inquantum tales existunt, scilicet inquantum passiones quae non sunt sine corpore, et non sunt sicut linea et planum, idest superficies, quae ratione possunt separari a materia naturali. Si ergo ita est, ad naturalem spectat consideratio earum, et etiam animae, sicut supra dictum est. De qua, scilicet anima, intendentes ad praesens necesse est accipere opiniones antiquorum, quicumque sint qui aliquid enunciaverunt de ipsa. Et hoc quidem ad duo erit utile. Primo, quia illud quod bene dictum est ab eis, accipiemus in adiutorium nostrum. Secundo quia illud, quod male enunciatum est, cavebimus.

Leçon  2

16. Après avoir manifesté la difficulté que comporte l’étude de l’âme du côté de l’essence et de la quiddité de l’âme, il montre par la suite la difficulté que cette étude comporte du côté des affections et des accidents de l’âme. Et à ce sujet, il fait deux choses. Premièrement, il soulève la difficulté au sujet des affections de l’âme et il la résout. Deuxièmement, à partir de cette solution, il montre que la science de l’âme relève du philosophe de la nature ou du physicien, là où il dit : « C’est donc pour cette raison que déjà les physiciens etc. ». Il dit donc en premier lieu que la difficulté, au sujet des affections de l’âme et de ses opérations, est de savoir si elles sont propres à l’âme, sans communication avec le corps, comme le croyaient les Platoniciens, ou si, au contraire, aucune n’est propre à l’âme et sont toutes communes à l’âme et au corps, c’est-à-dire au composé.

17. Ensuite, lorsqu’il ajoute : « Cela en effet, etc. ». Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il montre la difficulté de cette question. Deuxièmement il en montre la nécessité, là où il dit : « Donc, s’il existe quelque chose de l’âme, etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’il est nécessaire de répondre déterminément à cette question, à savoir si les affections et les opérations de l’âme sont toutes communes au composé ou si l’une d’elles est propre à l’âme, et que cela n’est pas facile mais très difficile. Et que cela soit difficile, il le montre en disant que la cause de la difficulté est qu’il semble, en apparence, que de nombreuses affections sont communes au composé et ne puissent être subies ou exercées sans le corps, comme la colère, la sensation et les autres opérations de cette sorte, que l’âme ne peut exercer sans le corps. Mais si une opération est propre à l’âme, il semble que ce soit celle de l’intelligence. L’acte de penser, en effet, lequel est l’opération de l’intelligence, semble être propre à l’âme.

18. Mais si l’on considère attentivement ce point, il semble que même cet acte ne soit pas propre à l’âme. En effet, cet acte est ou bien une sorte d’imagination, comme le croyaient les Platoniciens, ou bien ne peut s’exercer sans l’imagination (certains en effet, comme les anciens Naturalistes, disaient que l’intelligence ne diffère pas du sens et que, s’il en est ainsi, l’intelligence ne diffère aucunement de l’imagination : c’est pourquoi les Platoniciens furent poussés à affirmer que l’intelligence est une sorte d’imagination). Aussi, puisque l’imagination a besoin du corps pour s’exercer, ils disaient que l’acte d’intellection n’est pas propre à l’âme, mais commun à l’âme et au corps. Cependant, si l’on accorde que l’intelligence n’est pas l’imagination, il faut concéder néanmoins qu’il n’y a pas intellection sans imagination. Il en résulte donc que l’intellection n’est pas propre à l’âme puisque l’imagination a besoin d’un corps pour son opération. Il n’est donc pas possible que l’intellection puisse s’exercer sans le corps.

19. Bien qu’Aristote réponde clairement à cette question au troisième livre de ce traité, néanmoins nous allons expliquer ici quelque chose à ce sujet. Il faut dire qu’en un sens l’intellection est propre à l’âme et qu’en un autre sens elle appartient au composé de l’âme et du corps. Il faut donc savoir qu’il existe une opération ou une affection de l’âme qui a besoin d’un corps à la fois en tant qu’instrument et en tant qu’objet. Par exemple, l’acte de voir a besoin d’un corps en tant qu’objet car la couleur, qui est l’objet de la vue, n’existe que dans un corps. En outre, cet acte a besoin d’un corps en tant qu’instrument car la vision, bien qu’elle procède de l’âme, ne s’exerce qu’au moyen de l’organe de la vue, à savoir de la pupille, laquelle est comme l’instrument de cet acte ; en conséquence, l’acte de voir n’appartient pas seulement à l’âme, mais aussi à l’organe. Mais il existe une autre sorte d’opération qui a besoin d’un corps non pas en tant qu’instrument, mais en tant qu’objet seulement. En effet, l’intellection ou l’acte de penser ne s’exerce pas au moyen d’un organe corporel, mais a besoin d’un objet corporel. En effet, comme le Philosophe le dit au troisième livre de ce traité (ch. 7, 8, 12), les images sont à l’intelligence ce que les couleurs sont à la vue. Or, comme les couleurs sont les objets de la vue, les images sont donc les objets de l’intelligence. Or, puisque les images ne peuvent exister sans le corps, il semble qu’il ne puisse y avoir intellection sans le corps, de telle manière cependant que le corps s’entende ici en tant qu’objet et non en tant qu’instrument.

20. Deux conséquences découlent de cette distinction. La première est que l’intellection est une opération qui est propre à l’âme et qui n’a besoin du corps qu’en tant qu’objet seulement, comme nous venons de le dire, alors que la vision et les autres opérations et affections de ce genre n’appartiennent pas à l’âme seulement, mais au composé. La deuxième est que ce qui possède par soi une opération possède aussi par soi l’existence et la subsistance et que ce qui ne possède pas par soi une opération ne possède pas non plus par soi l’existence. C’est pourquoi l’intelligence est une forme subsistante alors que les autres puissances sont des formes existant dans la matière. Telle était la difficulté rattachée à cette question car toutes les affections de l’âme, en apparence, semblent appartenir au composé.

21. Ensuite, lorsqu’il dit : « Donc, s’il y a etc. », il dit pourquoi il est nécessaire de soulever cette question, à savoir parce que c’est à partir de cette question qu’on peut établir ce que tous désirent au plus haut point savoir au sujet de l’âme : est-ce que l’âme peut continuer à exister une fois séparée du corps ? Et il dit, en vue d’y répondre, que s’il est possible qu’une opération ou une propriété appartienne en propre à l’âme, il sera possible du même coup que l’âme puisse exister une fois séparée du corps : en effet, comme nous l’avons dit, que qui possède par soi une opération possède par soi l’existence et la subsistance. Au contraire, s’il n’existe aucune opération ou aucune affection qui appartienne en propre à l’âme, pour la même raison il ne lui sera pas possible d’exister séparément du corps et il en sera de l’âme comme du droit. En effet, bien que le droit en tant que droit possède de nombreux attributs, comme d’être tangent en un point à une sphère d’airain, cela ne lui est cependant possible que s’il existe dans une matière : le droit ne touche en effet une sphère d’airain en un point que s’il existe dans une matière. Il en sera de même de l’âme si elle ne possède pas une opération qui lui est propre et si tous ses attributs, bien que nombreux, sont tous liés à la matière.

22. Et lorsqu’il ajoute : « Or, elles semblent toutes etc. », il manifeste ce qu’il avait supposé précédemment, à savoir que certaines affections de l’âme appartiennent au composé et non à l’âme seulement. Or, il manifeste cela à partir d’un argument qui comporte deux volets. Voici son raisonnement. Aucune des opérations auxquelles participe la complexion du corps n’appartient à l’âme seulement : ces opérations doivent aussi être attribuées au corps ; or, la complexion du corps participe à toutes les affections de l’âme, par exemple à la colère, la douceur, la crainte, l’audace, la pitié, ainsi qu’aux autres affections de ce genre : il semble donc que toutes les affections de l’âme semblent s’exercer avec la participation du corps. Et que la complexion du corps participe à l’exercice de ces passions, il le prouve de deux manières. Premièrement, en disant que nous observons parfois que surviennent de fortes et vives occasions d’affections sans que l’homme en soit irrité ou en éprouve de la crainte, alors que parfois de très petits et faibles stimuli suffisent à l’émouvoir, comme c’est le cas lorsque le corps, déjà enflammé par la colère ou par sa propre complexion, se trouve dans un état comparable à la colère. Ensuite, lorsqu’il dit : « Cela est plus manifeste encore etc. », il prouve d’une deuxième manière que la complexion du corps participe à l’exercice de ces affections. Nous voyons en effet que même lorsqu’aucun danger n’est imminent, certains éprouvent des affections semblables à celles que l’âme éprouve, comme cela se produit fréquemment chez les mélancoliques qui, même si aucun danger ne les menace, de par leur seule complexion désordonnée, éprouvent de la crainte. Donc, puisqu’il en est ainsi, à savoir que la complexion corporelle participe à l’exercice de ces affections, il est manifeste que de telles affections sont des « formes engagées dans la matière », c’est-à-dire des formes qui existent dans la matière. Et c’est pour cette raison que « ces termes », c’est-à-dire les définitions de ces affections, ne sont pas données sans la matière : par exemple, si l’on définit la colère, l’on dira qu’elle est le mouvement « de tel corps », c’est-à-dire du cœur, « ou de telle partie ou puissance », et il dit cela pour signifier la substance ou la cause matérielle ; et il ajoute « par telle cause », pour signifier la cause efficiente ; et enfin « en vue de cela », pour signifier la cause finale.

23. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi, etc. », il tire une conclusion de ce qu’il vient de dire, à savoir que la considération de l’âme relève du philosophe de la nature. Et il conclut cela à partir de la manière même de définir. Et c’est pourquoi il fait ici deux choses. Premièrement, il prouve son propos. Deuxièmement, il s’arrête sur les définitions, là où il dit : « Cependant, l’on définira différemment, etc. » Et voici comment il prouve son propos. Les opérations et les affections de l’âme sont aussi les opérations et les affections du corps, comme nous l’avons montré. Or toute affection, lorsqu’elle est définie, doit contenir dans sa définition ce dont elle est l’affection, car le sujet tombe toujours dans la définition de l’affection, laquelle est un accident. Donc, si de telles affections n’appartiennent pas seulement à l’âme mais aussi au corps, il faudra nécessairement placer le corps dans leur définition. Mais l’étude de tout ce en quoi on retrouve un corps ou de la matière relève du philosophe de la nature ; donc, de telles affections sont l’objet de l’étude du philosophe de la nature. Or, c’est à celui à qui il appartient de considérer les affections qu’il appartient aussi de considérer le sujet de ces affections. C’est pourquoi il appartient au physicien de considérer l’âme, soit l’âme « tout entière », c’est-à-dire l’âme prise absolument, soit « l’âme telle que nous l’entendons », c’est-à-dire celle qui est rattachée à un corps. Et il dit cela parce qu’il restait à savoir si l’intelligence est une puissance rattachée à un corps.

24. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est cependant d’une manière différente etc. », il s’arrête à la considération des définitions. En effet, parce qu’il montre que parmi les définitions des affections de l’âme, certaines contiennent un élément matériel ou corporel tandis que d’autres ne contiennent qu’un élément formel, il montre que ces dernières définitions sont insuffisantes. Et à ce sujet, il cherche la différence qui se trouve dans ces définitions. Parfois en effet la définition qui est donnée ne contient aucun élément matériel, comme lorsqu’on dit de la colère qu’elle est un désir de vengeance ; mais parfois la définition qu’on présente contient un élément matériel ou corporel, comme lorsqu’on dit de la colère qu’elle est un échauffement du sang vers le cœur. La première de ces définitions est dialectique et la deuxième est physique, puisqu’elle contient un élément matériel, et c’est pourquoi elle relève du naturaliste. Ce dernier en effet, c’est-à-dire le physicien, désigne une matière lorsqu’il dit que la colère est un échauffement du sang vers le cœur. Mais l’autre, le dialecticien, ne présente que la forme ou la raison de la chose. En effet, le désir de vengeance est la raison de la colère.

25. Il est clair que la première définition est insuffisante car pour une chose dont la forme existe dans une matière déterminée, si sa définition ne contient pas la matière, cette définition est insuffisante. Or cette forme, à savoir ¨le désir de vengeance¨, est une forme qui existe dans une matière déterminée : c’est pourquoi, puisque la matière n’est pas contenue dans cette définition de la colère, il est clair que cette définition est insuffisante. C’est pourquoi il est nécessaire, pour définir ce genre de choses, de poser dans leur définition que cela, à savoir la forme, existe dans telle matière, c’est-à-dire dans une matière déterminée.

26. En conséquence, nous avons sous les yeux trois sortes de définition. La première donne la forme et la raison de la forme et elle est formelle seulement, comme si on disait de la maison qu’elle est un abri qui protère contre les vents, les pluies et les chaleurs. La deuxième présenterait la matière, comme si on disait qu’elle est faite de pierres, de briques et de bois. La dernière placerait dans la définition « les deux », à savoir la matière et la forme, si elle disait que la maison est un abri composé de ces choses et en vue de cela, c’est-à-dire en vue de protéger des vents etc. Et c’est pourquoi il dit que l’autre définition, c’est-à-dire la dernière, contient en fait trois parties, lorsqu’elle dit que la maison est faite « de ces choses », à savoir de pierres et de bois, qui sont les éléments matériels ; elle présente aussi « l’espèce », c’est-à-dire la forme ; elle donne enfin la raison lorsqu’elle dit « en vue de cela », c’est-à-dire en vue de protéger des vents. En conséquence, elle exprime la matière lorsqu’elle dit « de ces choses », la forme lorsqu’elle dit « l’espèce » et la cause finale lorsqu’elle dit « en vue de cela », et ce sont ces trois composantes qui constituent une définition parfaite.

27. Mais si l’on se demande laquelle de ces définitions est celle que doit présenter le physicien, il faut dire que ce n’est pas celle qui considère la forme seulement, laquelle peut être qualifiée de logique. Mais la définition qui présente la matière seulement et qui ignore la forme ne peut être que celle du physicien. Il n’y a en effet que le physicien qui doit considérer la matière. Cependant, la définition qui considère les deux, à savoir la matière et la forme, est davantage la définition du physicien. Mais deux de ces définitions relèvent du physicien : l’une est imparfaite, à savoir celle qui considère la matière seulement tandis que l’autre, celle qui considère la matière et la forme, est parfaite. Il n’y a en effet que le physicien ou le naturaliste qui doive considérer les affections qui ne sont pas séparables de la matière.

28. Mais parce qu’il existe certains scientifiques qui considèrent autrement les affections de la matière, c’est pourquoi il montre qui ils sont, ainsi que la manière selon laquelle ils considèrent ces affections. Et il dit qu’ils se divisent en trois genres. Le premier diffère du physicien quant au principe, bien qu’il considère les affections en tant qu’elles existent dans la matière, comme l’artisan qui considère la forme en tant qu’elle existe dans une matière, mais différemment du physicien, car son principe est l’art, alors que celui du physicien est la nature. Le deuxième est celui qui considère les déterminations qui existent dans la matière sensible, mais sans faire entrer la matière sensible dans leur définition, comme lorsqu’il définit le courbe, le droit, et les autres notions de la sorte qui, bien qu’elles existent dans la matière et font partie des déterminations qui ne sont pas séparables de la matière quant à leur existence, néanmoins le mathématicien ne fait pas entrer la matière sensible dans leur définition. La raison en est que parce que certaines déterminations sont sensibles par la qualité et que les quantités sont présupposées aux qualités, c’est pourquoi le mathématicien porte son attention exclusivement sur ce qui concerne la quantité absolument, en faisant abstraction de telle ou telle autre matière sensible. Enfin, le dernier est celui qui considère les formes du réel dont l’existence est, ou bien totalement séparée de la matière, ou bien peut être séparée de la matière, et c’est celui qu’on appelle métaphysicien.

29. Il faut remarquer ici que la raison qui fonde la division de toute la philosophie se tire de la définition et de la manière de définir. La raison en est que la définition est le principe de la démonstration des choses, et que les choses se définissent par leurs principes essentiels. C’est pourquoi la diversité qu’on retrouve dans les définitions des choses démontre une diversité de principes essentiels d’où procède la diversité des sciences.

30. Ensuite lorsqu’il dit : « Reprenons notre discours etc. ». Parce qu’il semblait avoir fait certaines digressions en insistant sur l’examen des définitions, il revient au sujet qu’il se propose d’examiner dans ce traité en disant qu’il faut revenir à la matière qui est propre à notre discours, à savoir que les affections de l’âme, comme l’amour, la crainte et les passions de ce genre, ne sont pas séparables de la matière physique des animaux quant à leur existence en tant que telle, c’est-à-dire en tant que les affections de la sorte n’existent pas sans un corps et ne sont pas comme la ligne et le plan, c’est-à-dire la surface, qui peuvent être séparés de la matière naturelle par la raison. Donc, s’il en est bien ainsi, c’est au philosophe de la nature ou au physicien que doit se rapporter la considération de ces affections et de l’âme elle-même, comme nous l’avons dit précédemment (n. 23). Et « Au sujet de laquelle », c’est-à-dire au sujet de l’âme, cherchant à en connaître la nature, il est nécessaire à présent d’accueillir les opinions des anciens en examinant ce que chacun d’eux aura pu dire au sujet de l’âme. Cet examen sera utile sous deux rapports : premièrement nous tirerons des lumières de ce qu’ils auront dit de juste ; deuxièmement, cela nous permettra d’éviter les erreurs dans lesquelles ils sont tombés.

 

 

 

LECTIO 3

[86491] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 1Supra posuit philosophus prooemium, in quo intentionem suam, quid agendum, et difficultatem huius operis ostendit: hic vero prosequitur tractatum secundum ordinem promissum. Dividitur autem tractatus iste in duas partes. Primo enim tractat de natura animae secundum opinionem aliorum philosophorum. Secundo vero secundum veritatem; et hoc in secundo libro. Prima pars dividitur in duas partes. Primo enim narrat opiniones aliorum philosophorum de anima. Secundo vero inquirit de opinionibus illis, ibi, considerandum est autem et cetera. Prima pars dividitur in duas. Primo enim ostendit ex quibus philosophi habuerunt viam ad investigandum de anima. Secundo vero ostendit quomodo diversi devenerunt in diversas opiniones de anima, ibi, dicunt enim.

 

 

[86492] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 2Dicit ergo primo, quod principium nostrae quaestionis, idest inquisitionis, est apponere omnia quae secundum naturam videntur inesse animae. Circa quod sciendum est, quod quando invenimus aliqua differre secundum aliquid manifestum, et secundum aliud immanifestum, certum est quod per id quod est manifestum, venimus in notitiam illius quod est immanifestum. Et hunc modum tenuerunt philosophi ad inveniendum naturam de anima. Animata enim ab inanimatis differunt, per hoc quod animata habent animam, inanimata vero non. Sed quia natura animae erat immanifesta, et non poterat investigari nisi per aliqua manifesta, in quibus differunt animata ab inanimatis, invenerunt illa, et secundum illa conati sunt devenire in cognitionem naturae animae. Illa autem manifesta in quibus animata differunt ab inanimatis, sunt duo, scilicet sentire et moveri. Nam animata videntur differre ab inanimatis maxime motu, ut scilicet moveant seipsa, et sensu seu cognitione. Unde credebant quod quando scirent principia istorum duorum, scirent quid est anima. Unde laboraverunt causam motus et sensus scire, ut per hoc scirent naturam animae: et credebant quod id quod est causa motus et sensus, esset anima: et in hoc omnes antiqui philosophi conveniebant. Sed ex hoc antiqui in diversas opiniones divisi sunt. Nam aliqui conati sunt devenire in cognitionem animae per motum, aliqui vero per sensum.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86493] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 3Et ideo cum dicit dicunt enim ostendit horum diversitatem. Et primo de illis, qui inquirebant naturam animae a motu. Secundo de illis, qui inquirebant eam a cognitione seu sensu, ibi, quicumque autem ad cognoscere et sentire. Tertio eorum qui inquirebant naturam eius ex utroque, ibi, quoniam autem et motivum. Circa primum sciendum est, quod illis, qui inquisierunt animae naturam a motu, erat unum commune, scilicet quod si moventur animata, quod anima sit movens et mota. Et huius ratio est, quia existimabant quod id quod non movetur, non contingit movere alterum, idest quod nihil movet nisi moveatur. Si ergo anima movet animata, et nihil movet alterum nisi moveatur ipsum, manifestum est, quod anima maxime movetur. Et hoc est, propter quod antiqui naturales arbitrati sunt animam esse eorum, quae moventur. Sed ex hoc etiam diversae opiniones provenerunt.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86494] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 4Et ideo cum dicit unde Democritus ponit primo opinionem Democriti, de anima, dicens, unde Democritus, quidam scilicet antiquus philosophus, qui excogitans illud, quod maxime movetur, esse naturam animae: et quia illud quod maxime movetur, videtur esse de natura ignis: ideo dicit ipsam animam esse ignem quemdam aut calorem. Et opinio sua fuit talis. Ipse enim nihil ponebat esse in rerum natura nisi sensibile et corporale: et volebat quod principia omnium rerum sint corpora indivisibilia, et infinita, quae vocabat atomos. Quae quidem dixit esse unius naturae, sed differre ab invicem figura, positione, et ordine: licet hic tantum ponat de figura, quia haec sola differentia, quae est secundum figuram, necessaria est. Et ista differentia, quae est secundum figuram, est quod quaedam erant rotunda, quaedam quadrata, quaedam pyramidalia et huiusmodi. Ponebat etiam haec esse mobilia, et nunquam quiescentia, et ex concursu ipsorum atomorum casu esse mundum factum aiebat. Et quod haec indivisibilia corpora sint mobilia, dabat exemplum de decisionibus, quae moventur in aere, etiam si nulla tempestas sit, sicut apparet per portas in radiis solis. Unde, cum ista sint multo minora, quia sunt indivisibilia, illae vero quae apparent in radiis decisiones, sunt divisibiles, manifeste apparet, quod sint maxime mobilia. Et quia inter alias figuras, figura rotunda est magis apta ad motum, cum non habeat angulos, quibus impediatur a motu; et quia credebant animam maxime moveri, ex eo, quod arbitrati sunt animam efficere motum animalibus, ideo inter ista infinita corpora, illa quae erant inter illa rotunda corpora, dicebat esse animam.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86495] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 5Huius etiam opinionis fuit Leucippus, qui fuit socius eius. Et ad hoc habebat unum signum: quia voluit Democritus terminum vitae, idest rationem consistere in respiratione, licet insufficienter, quia non omnia viva respirant: quae quidem respiratio necessaria erat secundum eum, quia corpora rotunda implent corpus, cum sint causa motus in corpore animalis secundum eum, et sunt in continuo motu, et eo quod continet, idest corpora nostra aere constringente, et extrudente idest exterius mittente illas, quae sunt de numero figurarum, quae sunt praebentes animalibus motum, ex eo quod nullo modo quiescunt; ne forte eis omnino expulsis a corporibus nostris deficerent corpora, ideo necessaria est respiratio, per quam et intromittantur alia corpora, et ea quae sunt intus ab istis, quae per respirationem intrant, impediantur ab exitu. Et tamdiu dixit vivere animalia, quamdiu possunt hoc facere, scilicet respirare. Et vis huiusmodi signi est, quia cum respiratio ex hoc dicatur esse ratio vitae, quod continet ipsa corpora rotunda in corporibus animalium, et immittit etiam ea intus, ne propter exeuntia corpora, quae continue moventur, deficiat corpus animalis; manifestum est, quod ipsa corpora sint anima: quae quidem corpora voluit Democritus esse de natura ignis, et ex eis causari calorem.

 

 

 

 

 

 

 

[86496] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 6Secundo cum dicit videtur autem ponit opinionem quorumdam Pythagoricorum, quae similis erat opinioni Democriti: nam illud quod Pythagorici dicunt de anima, eamdem habet intelligentiam cum eo quod dicit ipse Democritus, licet Pythagorici in eamdem sententiam non conveniant. Nam quidam ipsorum convenientes cum Democrito dixerunt animam esse decisiones, quae sunt in aere, idest corpora indivisibilia et infinita, sicut Democritus dicebat. Alii vero ex ipsis philosophis non dixerunt ipsa corpora indivisibilia, et mobilia esse animam, sed illam virtutem quae movet ea corpora, animam dicebant. Et huius opinionis fuit quidam Archelaus philosophus magister Socratis, ut Augustinus narrat in libro de civitate Dei. Et ratio horum, scilicet quare dicebant huiusmodi corpora esse animam, dicta est: quia sicut iam patet, volebant quod illud quod maxime movetur est anima: unde propter hoc quod haec corpora continue moveri videbantur, sicut apparet in aere, in quo moventur, etiam si sit tranquillitas, dicebant ista corpora esse animam.

 

 

 

[86497] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 7Consequenter cum dicit in idem reducit in quamdam summam opinionem plurium philosophorum de anima ad has opiniones; dicens, quod omnes illi, qui definientes animam a motu, dixerunt ipsam esse illud quod seipsum movet, feruntur in idem id est in eamdem intelligentiam cum praedictis. Omnes enim concordant in hoc et conveniunt, quod videntur existimasse motum maxime et praecipue esse proprium animae, et quicquid movetur, movetur ab anima, ipsam vero animam moveri a seipsa. Et ratio horum, sicut iam tactum est, erat, quia communiter opinati sunt quod nihil movet alterum nisi moveatur et ipsum. Unde, cum anima moveat alia, credebant animam maxime et praecipue moveri.

 

 

 

 

[86498] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 8Tertio cum dicit similiter autem ponit opinionem Anaxagorae de natura animae. Et primo ponit in quo Anaxagoras concordabat cum superioribus, dicens, quod Anaxagoras et quicumque alius dixit quod intellectus movet omnia, dicit animam esse moventem omnia, sicut et illi dicunt. Sed in hoc differt, quia noluit quod omne quod movet alterum, moveatur et ipsum: immo dixit esse unum intellectum separatum et immixtum qui alia moveat, eo non moto: et de natura huiusmodi dicit esse animam. Unde ex hoc insurrexit error quorumdam, qui dicerent animam esse de natura divina. Sic ergo patet in quo concordabat cum superioribus, in hoc scilicet quod dixit animam esse moventem. Sed differebat in hoc, quod dixit animam non moveri, cuius contrarium illi dicebant. Differebat etiam a Democrito in acceptione intellectus.

 

 

 

[86499] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 9Et ideo cum dicit ille quidem ponit hanc differentiam. Et primo opinionem Democriti: dicens, quod ille scilicet Democritus dixit simpliciter idest ubique et universaliter intellectum et animam esse idem. Cuius ratio est, quia Democritus credebat quod nihil esset in mundo nisi sensibilia: et sicut nihil erat in mundo nisi sensibilia, ita dicebat, quod nulla vis apprehensiva erat in anima, nisi sensitiva. Unde fuit huius opinionis, quod nulla veritas determinate haberetur de rebus, et quod nihil determinate cognoscitur, sed quicquid apparet, verum esset; et non magis illud quod cogitat unus de re aliqua, quam illud quod cogitat alius de eadem re, eodem tempore, verum esse: et ex hoc sequebatur, quod poneret contradictoria simul esse vera. Cuius ratio est, quia ipse, ut dictum est, non utebatur intellectu, qui est circa veritatem, idest virtute intellectiva, per quam anima intelligit intelligibilia, sed solum vi sensitiva; et quod nihil cognosceretur nisi sensibile, cum nihil poneret in rerum natura nisi sensibile. Unde, cum sensibilia sint in continuo motu et fluxu, opinatus est nullam veritatem determinatam esse in rebus. Et quia non pervenit ad hoc quod cognosceret intellectum esse potentiam quamdam quae est circa veritatem idest cuius obiectum est verum, et excedit omnes alias potentias animae, sed accepit tantum potentias animae sensitivas; ideo communiter et indifferenter idem dicit animam et intellectum, quem quidem intellectum dicit transmutari secundum hominis transmutationem. Et propter hoc commendat Homerum, qui dixit, quod Hector iacet aliud sapiens idest quod secundum sui mutationem, mutatus est intellectus eius, dum aliud saperet victus, et aliud invictus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86500] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 10Secundo cum dicit Anaxagoras autem ostendit in quo differebat Anaxagoras a Democrito. Et circa hoc duo facit. Primo ponit opinionem Anaxagorae. Secundo reprobat eam, ibi, non videtur autem et cetera. Dicit ergo primo, quod Anaxagoras loquitur de anima magis dubie, et minus certificat de ipsa. Nam ipse Anaxagoras multoties dicit in intellectu esse causam eius, quod est bonum operari, idest bonae operationis. Alibi vero, idest in aliis locis, dicit hunc intellectum, scilicet qui est causa bonae operationis, et animam esse idem; et hoc apparet, quia constat quod anima inest omnibus animalibus tam vilibus quam honorabilibus, et tam magnis quam parvis. Unde, cum in omnibus his dicat intellectum esse, manifestum est, quod idem dicit animam et intellectum.

 

 

[86501] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 11Secundo cum dicit non videtur ostendit contrarietatem esse in huiusmodi acceptione intellectus secundum Anaxagoram, scilicet aliquando hoc, quod dicit intellectum non esse idem cum anima, aliquando vero dicit ipsum et animam esse idem: quae sunt contradictoria, et non possunt simul stare. Et hoc probat tali ratione. Constat quod bene operari est proprium intellectus secundum prudentiam perfecti, quia bene operari pertinet ad prudentiam. Si ergo idem esset intellectus, qui est causa bonae operationis, cum anima, sequeretur quod intellectus prudens idem esset cum anima. Sed hoc est falsum, quia anima inest omnibus animalibus. Intellectus autem secundum prudentiam dictus, non videtur inesse, non solum omnibus animalibus, sed nec omnibus hominibus: ergo non est idem quod anima.

 

 

 

[86502] Sentencia De anima, lib. 1 l. 3 n. 12Deinde cum dicit quicumque quidem ostendit, quod omnes illi, qui consideraverunt animata secundum motum, idest secundum id quod est moveri a seipsis, opinati sunt animam esse illud quod maxime est motivum, sicut patet in opinionibus iam dictis.

Leçon  3

31. Après avoir présenté son proème dans lequel il montre l’intention qu’il vise, ce dont il doit traiter et la difficulté de cet ouvrage, le Philosophe poursuit ici son traité conformément à l’ordre qu’il avait annoncé. Or, il divise ce traité en deux parties. En premier lieu il traite de la nature de l’âme d’après les opinions des autres philosophes. Deuxièmement, dans le deuxième livre de cet ouvrage, il en traite selon la vérité. La première partie se divise en deux. Premièrement il rapporte les opinions des autres philosophes au sujet de l’âme. Deuxièmement il examine ces opinions là où il dit : « Mais il faut considérer etc. ». La première partie se divise elle-même en deux. En effet, il montre premièrement sur quels principes ces philosophes se sont appuyés pour guider leur recherche sur l’âme. Deuxièmement il montre de quelle manière différents philosophes en sont venus à soutenir des opinions différentes sur l’âme, là où il dit : « Ils disent en effet etc. ».

32. Il dit donc en premier lieu que le point de départ de notre question, c’est-à-dire de notre recherche, est de présenter tous les caractères qui semblent appartenir à l’âme quant à sa nature. Et à ce sujet il faut savoir que lorsque nous rencontrons des points dont certains aspects sont évidents et d’autres qui ne le sont pas, il est certain que c’est au moyen de ce qui est manifeste que nous en venons à la connaissance de ce qui ne l’est pas. C’est cette méthode que les philosophes ont retenue pour mener leur recherche sur la nature ou l’essence de l’âme. En effet, les êtres animés diffèrent des êtres inanimés en ceci que les premiers possèdent une âme par opposition aux derniers. Mais parce que la nature de l’âme n’était pas manifeste et ne pouvait faire l’objet d’une recherche qu’au moyen de caractères manifestes par lesquels les êtres vivants diffèrent de ceux qui ne le sont pas, ayant découvert ces caractères, c’est à partir de là qu’ils s’efforcèrent d’en venir à la connaissance de la nature de l’âme. Or, il existe deux caractères manifestes par lesquels les vivants diffèrent des non-vivants : la sensation et le mouvement. En effet, les êtres animés semblent différer des êtres inanimés surtout par le mouvement, puisqu’ils se meuvent par eux-mêmes, et par la sensation qui les rend capables de connaître. C’est ce qui a conduit les anciens philosophes à croire que s’ils parvenaient à connaître les principes de ces deux opérations, ils en viendraient du même coup à connaître la nature de l’âme. C’est pourquoi ils travaillèrent à connaître la cause du mouvement et de la sensation pour en venir à connaître, par ce moyen, la nature de l’âme, pensant ainsi que la cause du mouvement et de la sensation est identique à l’âme. Sur ce point, tous les philosophes anciens étaient d’accord, mais à partir de là ils prirent des chemins qui les conduisirent à des opinions différentes, car certains s’efforcèrent de connaître la nature de l’âme au moyen du mouvement, d’autres au moyen de la sensation.

33. C’est pourquoi, lorsqu’il dit : « Ils disent en effet etc. », il montre en quoi ils diffèrent. Et premièrement, il parle de ceux qui recherchaient la nature de l’âme par l’examen du mouvement. Deuxièmement, il parle de ceux qui la recherchaient par l’examen de la connaissance ou de la sensation, là où il dit : « Tous ceux qui se sont tournés vers la connaissance et la sensation ». Troisièmement, il parle de ceux qui ont recherché la nature de l’âme par la considération de ces deux caractères, là où il dit : « Et comme il leur semblait que l’âme est aussi bien motrice que etc. » Au sujet du premier point, il faut savoir que chez ceux qui recherchaient la nature de l’âme par l’examen du mouvement, il y avait consensus sur un énoncé commun, à savoir que si les êtres animés se meuvent, l’âme est un moteur et elle est mue. La raison qui les poussait à affirmer cela, c’est qu’ils croyaient que ce qui n’est pas mû ne peut en mouvoir un autre, ce qui revient à penser que rien ne meut s’il n’est pas lui-même mû. Donc, si l’âme meut les êtres animés et que rien ne peut mouvoir un autre s’il n’est lui-même mû, il s’ensuit manifestement que l’âme est mue. C’est là la raison pour laquelle les anciens naturalistes croyaient que l’âme fait partie des réalités qui sont mues. C’est aussi de ce principe que sont nées différentes opinions.

34. Et c’est pourquoi, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi Démocrite etc. », il présente en premier lieu l’opinion de Démocrite au sujet de l’âme en disant que c’est pourquoi Démocrite, c’est-à-dire un certain philosophe ancien qui, s’imaginant que ce qui est le plus en mouvement s’identifie à la nature de l’âme, et parce que ce qui est le plus en mouvement semble être de la nature du feu, en tira cette conclusion que l’âme elle-même est « un certain feu ou une certaine chaleur ». Telle fut son opinion. Lui-même en effet soutenait qu’il n’existe rien d’autre que du sensible et du corporel dans la nature des choses, et il voulait que les principes de toutes les choses soient des corps indivisibles et infinis qu’il appelait atomes. Et il disait que ces atomes sont tous d’une seule et même nature mais qu’ils diffèrent entre eux par la figure, la position et l’ordre, bien qu’il ne parle ici que de la figure car c’est cette seule différence, à savoir celle qui se fait par la figure, qui est nécessaire. En effet, c’est cette différence qui fait que certaines choses sont rondes, d’autres carrées, d’autres pyramidales, etc. Il affirmait encore que ces atomes sont en mouvement et jamais en repos, et ajoutait que c’est par la rencontre fortuite de ces atomes que le monde a été fait. Pour montrer que ces corps indivisibles sont en mouvement, il donnait l’exemple des poussières qui sont en mouvement dans l’air même lorsqu’aucun vent ne survient, comme on le voit dans les rayons solaires à travers les fenêtres. C’est pourquoi, puisque ces atomes sont bien plus petits, étant indivisibles, alors que les poussières qui apparaissent dans les rayons solaires sont divisibles, il s’ensuit manifestement que ces atomes doivent être mobiles au plus haut point. Et parce que parmi toutes les figures que ces atomes peuvent emprunter, celle qui est spérique est la plus apte au mouvement puisqu’elle ne possède aucun angle qui pourrait faire obstacle au mouvement, et parce qu’il croyait que l’âme est ce qui est le plus en mouvement du fait qu’il estimait que c’est l’âme qui produit le mouvement chez les animaux, c’est pourquoi il concluait que parmi tous ces corps infinis, ceux qui sont de forme spérique sont l’âme.

35. Leucippe, qui était un compagnon de Démocrite, partgeait cette opinion. Et pour penser ainsi, Démocrite s’appuyait sur un signe : en effet, ce dernier voulait que le caractère essentiel ou la nature de la vie consiste dans la respiration, bien que d’une manière insuffisante, car ce ne sont pas tous les vivants qui respirent : et la respiration est nécessaire à la vie selon lui parce que les corps qui sont de forme spérique qui remplissent le corps, étant la cause du mouvement dans le corps de l’animal selon lui parce qu’ils sont toujours en mouvement, et « du fait qu’il contient », c’est-à-dire du fait que l’air extérieur comprime nos corps, et « chasse », c’est-à-dire pousse au-dehors ces atomes qui sont du nombre des figures qui fournissent le mouvement aux animaux du fait qu’ils ne sont jamais en repos, afin que ces figures ne soient pas complètement expulsées de nos corps, la respiration est nécessaire pour introduire en nous d’autres corps par lesquels ceux qui sont déjà en nous sont empêchés par eux, qui repoussent ce qui comprime et condense, de s’échapper. Et il dit que les animaux vivent tant et aussi longtemps qu’ils peuvent faire cela, c’est-à-dire respirer. Et toute la force de ce signe tient à ce que la respiration, étant dite essentielle à la vie du fait qu’elle contribue à contenir ces corps de forme spérique dans les corps des animaux, et qu’elle y en envoie même de nouveaux pour compenser la perte de ceux qui sortent et qui sont toujours en mouvement, afin que le corps de l’animal ne périsse pas, il s’ensuit manifestement selon eux que ces corps eux-mêmes sont l’âme : et Démocrite voulait que ces corps soient de la nature du feu d’où procède la chaleur.

36. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais il semble etc. », il présente l’opinion de certains Pythagoriciens, opinion qui était semblable à celle de Démocrite : en effet, ce que les Pythagoriciens disent de l’âme signifie la même chose que ce que Démocrite lui-même dit, bien qu’ils ne tiennent pas tous le même discours. En effet, certains d’entre eux s’accordent avec Démocrite pour dire que l’âme s’identifie à ces poussières qui sont dans l’air, c’est-à-dire ces corps indivisibles et infinis, comme Démocrite le disait. Cependant, d’autres Pythagoriciens, au lieu d’affirmer que ce sont ces corps indivisibles et mobiles qui sont l’âme, disaient plutôt que l’âme est la puissance même qui meut ces corps. Telle fut l’opinion du philosophe Archélaus, maître de Socrate, comme le rapporte Saint-Augustin dans un de ses livres [La Cité de Dieu, L. 8, ch. 2]. Et nous avons déjà dit la raison sur laquelle s’appuyait cette opinion, à savoir celle qui soutenait que ces corps sont l’âme : en effet, comme nous l’avons déjà vu, ils voulaient que l’âme soit ce qui est le plus en mouvement : c’est pourquoi ils concluaient, puisque ces corps semblaient être continuellement en mouvement, comme cela semble être le cas lorsqu’on les voit dans l’air dans lequel ils sont en mouvement même lorsqu’il y a un calme complet, que ces corps sont l’âme elle-même.

37. Ensuite, lorsqu’il dit : « À la même opinion etc. », il ramène à une même opinion essentielle toutes ces opinions sur l’âme provenant de nombreux philosophes en disant que tous ceux qui, définissant l’âme à partir du mouvement, ont dit à son sujet qu’elle est ce qui se meut soi-même, « en viennent au même point », c’est-à-dire à une conception de l’âme qui est identique à celle de ceux qui les ont précédés. En effet, tous s’accordent et se ressemblent en ceci qu’ils semblent avoir estimé que le mouvement est au plus haut point et principalement le propre de l’âme et que tout ce qui est mû est mû par l’âme, et que l’âme elle-même est mue par elle-même. Et leur raison, comme nous l’avons déjà indiqué, était, conformément à l’opinion communément répandue, qu’il n’y a rien qui puisse mouvoir quelque chose d’autre sans être mû soi-même. En conséquence, puisque l’âme meut les autres choses, ils croyaient que l’âme est surtout ce qui est mû ou ce qui est en mouvement au plus haut point.

 38. Troisièmement, lorsqu’il dit : « De même encore etc. », il présente l’opinion d’Anaxagore au sujet de l’âme. Et il dit en premier lieu en quoi Anaxagore était d’accord avec ceux dont nous venons de parler, en disant qu’Anaxagore, comme tout autre philosophe qui a dit que l’intelligence meut toute chose, affirme, comme les autres philosophes, que l’âme est la cause motrice de tout. Il diffère cependant des autres sur ce point qu’il ne croyait pas que tout ce qui meut un autre soit lui-même mû : il dit plutôt qu’il existe une intelligence séparée et qui, sans être mélangée au reste, meut tout le reste sans elle-même être mue. Et il ajoute que l’âme est de la nature de cette intelligence. De cette opinion est née une erreur chez certains qui ont soutenu que l’âme est de nature divine. Il est donc clair en quoi Anaxagore s’accorde avec ceux dont nous venons de parler, c’est-à-dire en ceci qu’il disait que l’âme meut ou est un moteur. Mais il se distinguait d’eux en ceci qu’il disait, contrairement à eux, que l’âme n’est pas mue. Il différait aussi de Démocrite sur la signification du terme ¨intelligence¨.

39. Et c’est pourquoi, lorsqu’il dit : « Celui-ci, en effet, etc. », il présente cette différence. Et en premier lieu il présente l’opinion de Démocrite lorsqu’il dit que celui-ci a dit que l’intellect et l’âme sont « absolument », c’est-à-dire en tout point ou totalement identiques. La raison en est que Démocrite croyait qu’il n’existe dans le monde que des réalités sensibles : et tout comme il disait qu’il n’y a dans le monde que des réalités sensibles, de même il affirmait qu’il n’existe pas d’autres puissances cognitives dans l’âme que celles qui sont sensibles. C’est à partir de là qu’il fut conduit à croire qu’il n’est pas possible de parvenir à posséder déterminément la vérité concernant les choses et que rien ne peut être connu avec certitude, et que la vérité se réduit aux apparences ; il s’ensuivait que ce qu’un homme pense de telle chose n’est pas davantage vrai que ce qu’un autre homme pense de la même chose au même moment, d’où il résultait qu’il soutenait que les contradictoires sont vraies simultanément. La raison en est que lui-même, comme nous venons de le dire, ne faisait pas usage de l’intelligence dont l’objet est la vérité, c’est-à-dire de la puissance intellectuelle par laquelle l’âme saisit les intelligibles, mais seulement de la puissance sensitive ; et s’il affirmait que seul le sensible pouvait être connu, c’est qu’il soutenait qu’il n’existe que du sensible dans la nature des choses. C’est pourquoi, puisque les réalités sensibles sont dans un mouvement et un flux continuels, on croyait qu’aucune vérité déterminée n’existe dans les choses. Et parce qu’il n’était pas parvenu à connaître l’intelligence en tant que faculté « capable de connaître la vérité », c’est-à-dire dont l’objet est le vrai et qui transcende toutes les autres puissances de l’âme, et qu’il n’admettait que les puissances sensitives de l’âme, c’est pourquoi il disait « que l’âme et l’intelligence sont purement et simplement identiques », et ajoutait que l’intelligence elle-même subit des modifications consécutives à celles que l’homme subit. Et c’est pour cette raison qu’il approuve Homère lorsque ce dernier dit : « Hector était étendu, la raison égarée », signifiant ainsi que sa raison avait subi des modifications suite aux modifications qu’il avait subies, car autre est le jugement du vaincu, autre celui du vainqueur.

40. Deuxièmement, lorsqu’il dit : « Quant à Anaxagore », il montre en quoi l’opinion d’Anaxagore diffère de celle de Démocrite. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu, il présente la position d’Anaxagore. Deuxièmement, il la rejette, là où il dit : « Or, il ne semble cependant pas etc. » Il dit donc en premier lieu qu’Anaxagore parle de l’âme d’une manière plus douteuse et avec moins de clarté. En effet, Anaxagore dit à plusieurs occasions que l’intelligence est la cause du beau et du bien qu’on trouve dans les opérations ; mais à d’autres occasions, il dit que cette intelligence, celle qui est la cause des bonnes opérations, est identique à l’âme. On le voit à ceci qu’il observe que l’âme appartient à tous les animaux, aux supérieurs comme aux inférieurs, aux grands comme aux petits, et qu’il dit que l’intelligence se trouve dans tous ces animaux ; il est donc manifeste qu’il dit que l’intelligence et l’âme sont identiques.

41. En deuxième lieu, lorsqu’il dit : « Il ne semble cependant pas etc. », il montre que la conception qu’Anaxagore se fait de l’intelligence présente une contradiction, c’est-à-dire lorsqu’il dit d’une part que l’intelligence n’est pas identique à l’âme, et lorsqu’il dit d’autre part qu’elle lui est identique, puisque ces deux énoncés sont contradictoires et ne peuvent être vrais simultanément. Et il le prouve par le raisonnement qui suit. Il est clair que la bonne action est le propre de l’intelligence entendue dans le sens de prudence appartenant à celui qui est vertueux, car il appartient au prudent de bien agir. Donc, si l’intelligence, cause permettant de bien agir, est identitque à l’âme, il s’ensuivrait que l’intelligence entendue comme prudence serait identique à l’âme. Mais cela est faux puisque l’âme appartient à tous les animaux alors que l’intelligence prise comme prudence ne semble appartenir ni à tous les animaux, ni même à tous les hommes. L’intelligence prise en ce dernier sens n’est donc pas identique à l’âme.

42. Ensuite, lorsqu’il dit : « Ainsi, tous ceux qui etc. », il montre que tous ceux qui ont considéré les êtres vivants à partir du mouvement, c’est-à-dire en tant qu’ils se meuvent par eux-mêmes, ont pensé que l’âme est le moteur par excellence, comme cela se voit dans les opinions que nous avons présentées.

 

 

LECTIO 4

[86503] Sentencia De anima, lib. 1 l. 4 n. 1Superius ostendit philosophus quomodo aliqui venerunt in cognitionem animae per motum: hic vero ostendit quomodo aliqui venerunt in cognitionem animae per sensum, seu cognitionem. Et circa hoc duo facit. Primo enim ostendit, in quo convenerunt philosophi, qui consideraverunt animam ex sensu. Secundo vero in quo differunt, ibi, sicut Empedocles quidem, et cetera. Dicit ergo primo, quod omnes quicumque venerunt in cognitionem animae quantum ad cognoscere et sentire, idest per cognitionem et sensum, in hoc conveniebant, quia dicebant animam esse ex principiis: quae quidem principia alii faciebant, idest ponebant, esse plura, alii vero unum tantum. Ad ponendum autem animam esse ex principiis constitutam movebantur, quia ipsi antiqui philosophi quasi ab ipsa veritate coacti, somniabant quodammodo veritatem. Veritas autem est, quod cognitio fit per similitudinem rei cognitae in cognoscente: oportet enim quod res cognita aliquo modo sit in cognoscente. Antiqui vero philosophi arbitrati sunt, quod oportet similitudinem rei cognitae esse in cognoscente secundum esse naturale, hoc est secundum idem esse quod habet in seipsa: dicebant enim quod oportebat simile simili cognosci; unde si anima cognoscat omnia, oportet, quod habeat similitudinem omnium in se secundum esse naturale, sicut ipsi ponebant. Nescierunt enim distinguere illum modum, quo res est in intellectu, seu in oculo, vel imaginatione, et quo res est in seipsa: unde quia illa, quae sunt de essentia rei, sunt principia illius rei, et qui cognoscit principia huiusmodi cognoscit ipsam rem, posuerunt quod ex quo anima cognoscit omnia, esset ex principiis rerum. Et hoc erat omnibus commune.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86504] Sentencia De anima, lib. 1 l. 4 n. 2Sed diversificati sunt secundum quod differebant in principiis quae ponebant. Non enim omnes ponebant eadem principia, sed unus plura, alius unum, unus hoc, alius illud: et secundum hoc differunt in ponendo principia, ex quibus principiis anima constituatur.

 

 

 

[86505] Sentencia De anima, lib. 1 l. 4 n. 3Et ideo consequenter cum dicit sicut Empedocles ponit quomodo differunt. Et primo ponit opinionem Empedoclis, dicens quod antiqui philosophi, qui per sensum consideraverunt animam, dicunt ipsam constare ex elementis. Et illi quidem, qui unum faciunt principium, illud unum dicunt esse animam. Et qui plura, ex illis eam componi: sicut Empedocles dicit animam esse ex omnibus elementis, et unumquodque horum dicit animam. Circa quod sciendum est, quod Empedocles posuit sex principia: quatuor materialia, scilicet terram, aquam, aerem et ignem: et duo activa et passiva, scilicet litem et amicitiam. Et ideo, ex quo ponebat animam omnia cognoscere, dixit animam esse ex huiusmodi principiis, quae ponebat. Secundum enim quod ex terra, terram cognoscimus; et secundum quod ex aethere, idest ex aere aerem, et ex aqua aquam: sed et ignem ex igne manifestum esse: et per concordiam cognoscimus concordiam: et ex tristi discordia cognoscimus discordiam: et ponit ibi, tristi quia Empedocles metrice composuit libros suos.

 

 

 

 

 

[86506] Sentencia De anima, lib. 1 l. 4 n. 4Secundo cum dicit eodem autem ponit opinionem Platonis, dicens quod Plato etiam facit animam ex elementis, idest dicit animam ex principiis constitutam esse. Et quod hoc sit verum, scilicet quod Plato dicat animam compositam ex principiis rerum, probat per triplex dictum Platonis. Primum est, quod ipse dicit in Timaeo. Ibi enim dicit duo esse elementa seu principia rerum, scilicet idem et diversum. Quaedam enim natura est, quae semper eodem modo se habet, et est simplex, sicut sunt immaterialia; et hanc naturam vocat idem. Quaedam vero natura est, quae non semper eodem modo se habet, sed transmutationem suscipit et divisionem, sicut sunt materialia, et hanc vocat diversum. Et ex istis duobus, scilicet ex eodem et diverso, animam dicit esse compositam: non quod sint ista duo in anima ut partes, sed quod sunt quasi media, et quod natura rationalis animae superioribus et omnino immaterialibus sit inferior et deterior, et materialibus et inferioribus sit nobilior et superior.

 

 

 

 

 

[86507] Sentencia De anima, lib. 1 l. 4 n. 5Et ratio huius erat, sicut dictum est, simile cognoscitur simili: unde si anima cognosceret omnia, et idem et diversum sunt principia, ponebat animam esse ex istis duobus compositam eo modo quo dictum est, ut inquantum habet de natura identitatis, cognosceret ea quae ponit idem; inquantum vero de natura eorum quae vocat diversum, cognosceret diversum, scilicet materialia. Unde et hac cognitione utitur. Nam quando colligit genera et species, tunc dicit eam repraesentare idem, seu identitatem. Quando vero differentias et accidentia assumit, alteritatem adinvenit. Sic ergo patet quomodo Plato in Timaeo dicit animam ex principio componi.

 

 

 

 

[86508] Sentencia De anima, lib. 1 l. 4 n. 6Secundum dictum Platonis, per quod ostenditur, quod dixit animam ex principiis esse, ponitur cum dicit similiter autem ubi ostendit animam esse ex principiis similiter. Circa quod sciendum est quod Plato posuit, quod intelligibilia essent per se substantia et separata, et essent semper in actu, et essent causa cognitionis et esse rebus sensibilibus. Quod Aristoteles tamquam inconveniens volens evitare, coactus est ponere intellectum agentem. Unde sequebatur ex positione Platonis, quod secundum quod aliqua sunt abstracta per intellectum, sic essent aliqua, quae essent per se subsistentia et in actu. Habemus autem duplicem modum abstractionis per intellectum: unum qui est a particularibus ad universalia; alium per quem abstrahimus mathematica a sensibilibus. Et sic cogebatur ex hoc ponere tria subsistentia, scilicet sensibilia, mathematica et universalia, quae essent causa, ex quorum participatione, res etiam sensibiles et mathematicae essent.

 

 

 

 

 

 

[86509] Sentencia De anima, lib. 1 l. 4 n. 7Item ponebat Plato numeros esse causam rerum: et hoc faciebat, quia nescivit distinguere inter unum quod convertitur cum ente, et unum quod est principium numeri, prout est species quantitatis. Ex quo sequebatur, quod cum universale separatum poneret causam rerum, et numeros esse substantiam rerum, quod huiusmodi universalia essent ex numeris. Dicebat enim quod principia omnium entium essent species et numerus specificus, quem vocabat specificum tamquam compositum ex speciebus. Nam et ipsum numerum reducebat, tamquam in principia et elementa, in unum et dualitatem. Nam cum ex uno nihil procederet, ideo necessaria fuit ipsi uni aliqua subiecta natura, a qua multitudo produceretur: et hanc vocavit dualitatem.

 

[86510] Sentencia De anima, lib. 1 l. 4 n. 8Et secundum ordinem materialitatis ordinabat illa tria. Quia enim sensibilia sunt magis materialia quam mathematica, et universalia immaterialiora mathematicis: ideo primo posuit sensibilia, supra quae posuit mathematica, et supra haec, universalia separata et ideas: quae differunt a mathematicis: quia in mathematicis in una specie sunt aliqua quae differunt secundum numerum, sed in ideis et substantiis separatis non inveniuntur aliqua unius speciei quae differant numero: unius enim speciei unam posuit ideam. Quas ideas dicit esse ex numeris, et secundum numeros in eis esse rationes rerum sensibilium, quae quidem constant ex longitudine, latitudine et profunditate. Et ideo dixit ideam longitudinis esse primam dualitatem, longitudo enim est ab uno ad unum, scilicet de puncto ad punctum. Latitudinis autem primam Trinitatem, nam figura triangularis est prima superficialium figurarum. Profunditatis autem quae continet longitudinem et latitudinem, ideam dixit esse primam quaternitatem: prima enim figura corporum est pyramis, quae quatuor angulis consistit: unde, cum Plato poneret animam sensibilem, posuit animam separatam, quae esset causa eius; et hanc, sicut alia separata et ideas, dixit esse ex numeris, scilicet ex unitate et dualitate quae ponebat principia rerum.

 

 

 

 

 

 

[86511] Sentencia De anima, lib. 1 l. 4 n. 9Tertio cum dicit adhuc autem ponit tertium dictum Platonis, per quod apparet quod ipse dixerat animam compositam ex principiis. Plato enim posuit numeros, sicut dictum est, species et principia rerum: unde, cum loqueretur de anima, posuit eam secundum hoc venire in cognitionem entium, quod erat composita ex principiis, scilicet ex numeris, et omnes operationes eius ab eis procedere. Invenimus enim in anima diversas potentias ad apprehensionem entium; scilicet intellectum, scientiam, opinionem et sensum. Dicit ergo animam habere intellectum et eius operationem ex idea unius, quia scilicet est in una natura unitatis; intellectus enim una apprehensione apprehendit unum. Item scientiam ex prima dualitate; scientia enim est ab uno ad unum, scilicet de principiis ad conclusionem. Opinionem vero ex prima Trinitate: opinio enim est de uno ad duo, est enim de principiis ad conclusionem cum formidine alterius; et sic sunt ibi tria; principium, et duae conclusiones, una conclusa et alia formidata. Sensum autem habet anima a prima quaternitate: est enim quaternitas prima, idea corporis, quod consistit ex quatuor angulis, ut dictum est: sensus autem corporum est. Cum ergo res omnes cognoscantur istis quatuor, scilicet intellectu, scientia, opinione et sensu, et has potentias dicit habere animam secundum quod participat naturam unitatis, dualitatis, ternarii et quaternarii, manifestum est, quod dixit animam separatam, quam posuit ideam huius animae, compositam ex numeris, qui sunt principia et elementa rerum. Et sic patet, quod Plato dixit animam esse compositam ex principiis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86512] Sentencia De anima, lib. 1 l. 4 n. 10Consequenter cum dicit quoniam autem ponit quod quidam philosophi definierunt et venerunt in cognitionem animae ex motu et sensu simul, seu cognitione, dicens: quia anima videbatur eis esse motiva per se et cognoscitiva, complexi sunt ista duo, et definierunt animam ex utrisque, scilicet motu et cognitione, dicentes, quod anima est numerus movens seipsum. Per numerum quidem insinuantes potentiam cognoscitivam, quia secundum quod suprapositum est, ex hoc dicebant habere animam vim cognoscitivam rerum, quod participabat naturam numeri specifici, quod erat de opinione Platonis: per movere autem seipsam, insinuantes potentiam motivam in anima.

Leçon  4

43. Le Philosophe vient de montrer comment certains philosophes en sont venus à la connaissance de l’âme à partir du mouvement ; mais ici il montre comment certains en sont venus à la connaissance de l’âme à partir du sens ou de la connaissance sensible. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il montre sur quel point ces philosophes, ceux qui ont considéré l’âme à partir du sens, s’accordaient. Deuxièmement il montre sur quels points ils s’opposaient, là où il dit : « C’est ainsi qu’Empédocle, etc. ». Il dit donc en premier lieu que tous ceux qui en sont venus à la connaissance de l’âme en s’appuyant sur les actes de connaître et de sentir, c’est-à-dire sur la connaissance sensible, s’accordaient pour dire que l’âme consiste en des principes : certains cependant soutenaient que ces principes sont multiples, d’autres qu’il n’y en a qu’un seul. Mais les anciens philosophes ont été comme poussés à affirmer que l’âme est constituée de principes, car, contraints en quelque sorte par la vérité elle-même, ils ont perçu la vérité comme dans un songe. Or, il est vrai que la connaissance se réalise par une similitude de la chose connue dans celui qui connaît : il faut en effet que la chose connue existe de quelque manière dans celui qui connaît. Mais les anciens philosophes jugeaient qu’il est nécessaire que la similitude de la chose connue existe dans celui qui connaît selon son existence naturelle à elle, c’est-à-dire selon la même existence qu’elle possède en elle-même : ils affirmaient en effet qu’il est nécessaire que le semblable soit connu par le semblable ; c’est pourquoi, comme ils le disaient eux-mêmes, si l’âme connaît toutes les choses, il faut qu’elle possède en elle une similitude de toutes les choses selon leur existence naturelle. En effet, ils n’étaient pas arrivés à distinguer le mode selon lequel une chose existe dans l’intelligence, dans l’œil ou dans l’imagination, de celui selon lequel la chose existe en elle-même. C’est pourquoi, puisque les caractères qui font partie de l’essence d’une chose sont les principes de cette chose, et que celui qui connaît ces principes connaît aussi la chose elle-même, ils affirmèrent que puisque l’âme connaît toutes les choses, elle devait aussi être composée des principes de toutes les choses. Et cette position était commune à tous ces philosophes.

44. Ils se distinguaient cependant quant aux principes mêmes qu’ils posaient dans l’âme. En effet, ces philosophes ne tenaient pas tous une même position à l’égard de ces principes, car l’un disait qu’il y en a plusieurs, un autre qu’il n’y en a qu’un seul, l’un que ce principe est ceci, l’autre qu’il s’identifie à cela. C’est sous ce rapport qu’ils diffèrent, c’est-à-dire quant aux principes qu’ils posent et qui sont censés constituer l’âme.

45. Et c’est pourquoi, lorsqu’il dit par la suite : « C’est ainsi qu’Empédocle etc. », il montre en quoi ils diffèrent en présentant premièrement l’opinion d’Empédocle, lorsqu’il dit que les anciens philosophes, considérant l’âme en s’appuyant sur la sensation, dirent qu’elle est constituée d’éléments. Et ceux qui croyaient qu’il n’existe qu’un seul principe affirmaient que c’est ce principe unique qui est l’âme. Ceux qui croyaient qu’il existe plusieurs principes affirmaient que l’âme est composée de ces principes, comme Empédocle qui affirmait que l’âme est composée de tous les éléments, et que chacun d’eux était aussi une âme. À ce sujet, il faut savoir qu’Empédocle posa six principes, dont quatre sont des principes matériels, à savoir la terre, l’eau, l’air et le feu, et deux sont des principes actifs et passifs, à savoir l’amour et la haine. Et c’est pourquoi, ayant affirmé que l’âme connaît tout, il disait que l’âme est composée de ces principes qu’il mettait de l’avant. En effet, selon lui, c’est par la terre que nous connaissons la terre, par l’air que nous connaissons l’air, par l’eau que nous connaissons l’eau, par le feu que nous connaissons le feu, par l’amour que nous connaissons l’amour, et par la triste haine que nous connaissons la haine. Et si Empédocle place ici le mot triste, c’est qu’il composait ses livres en vers.

46. Deuxièmement, lorsqu’il dit : « De la même manière, etc. », il présente l’opinion de Platon, en disant que Platon aussi fait de l’âme un composé d’éléments, c’est-à-dire qu’il dit qu’elle est constituée de principes. Et que cela soit vrai, à savoir que Platon soutient que l’âme est composée des principes des choses, Aristote le prouve au moyen de trois énoncés de Platon. Le premier est celui que Platon exprime dans le Timée, où il dit en effet qu’il existe deux éléments ou deux principes des choses qui sont le même et le divers. Il existe en effet selon lui une nature qui est toujours la même et qui est simple comme le sont les êtres immatériels, et c’est cette nature qu’il appelle le même. Mais il existe une autre nature qui n’est pas toujours la même et qui reçoit des changements et des divisions, comme on le voit dans les réalités matérielles, et c’est cette nature qu’il appelle l’autre. Et il dit que c’est de ces deux principes, à savoir le même et l’autre, que l’âme est composée : non pas que ces deux principes soient dans l’âme en tant que parties, mais plutôt en tant qu’ils tiennent lieu d’intermédiaires, car la nature de l’âme rationnelle est inférieure et moins noble que les réalités supérieures qui sont purement immatérielles, mais supérieure à celles qui sont matérielles et inférieures.

47. Et la raison de cela, selon lui, c’est que le semblable étant connu par le semblable, si l’âme connaît tout et que le même et le l’autre sont les principes, il s’ensuivait selon lui que l’âme est composée de ces deux principes de la manière que nous avons dite, de telle manière que dans la mesure où elle a en elle la nature du même, elle connaît les choses qu’elle affirme être les mêmes et dans la mesure où elle a en elle la nature des choses qu’elle appelle autres, elle connaît l’autre, c’est-à-dire les réalités matérielles. Et l’âme se sert de cette connaissance, car lorsqu’elle recueille les genres et les espèces, alors il affirme qu’elle se représente le même, c’est-à-dire l’identité, tandis que lorsqu’elle tire les différences et les accidents, elle découvre l’altérité. Nous voyons donc clairement de quelle manière Platon affirme dans le Timée que l’âme est composée de principes.

48. Le deuxième énoncé de Platon par lequel nous voyons qu’il affirme que l’âme est constituée de principes se trouve à être exprimé par Aristote lorsqu’il dit : « De même encore, etc. ».

C’est là qu’il montre de la même manière que l’âme est composée de principes. Mais il faut savoir à ce sujet que Platon affirmait que les intelligibles sont des substances séparées subsistant par elles-mêmes, existant toujours en acte, et qu’elles sont causes de la connaissance des choses sensibles et de leur existence. C’est pour éviter cette position problématique qu’Aristote a posé l’existence d’un intellect agent. Il découlait en effet de la position de Platon que ce qui est abstrait ou séparé par l’intelligence doit aussi exister de manière à subsister par soi, séparément, et en acte. Or, il existe en nous deux manières d’abstraire au moyen de l’intelligence : la première par laquelle elle abstrait l’universel des cas particuliers ; la deuxième par laquelle elle tire les entités mathématiques des réalités sensibles. À partir de là, il fut comme contraint de poser l’existence de trois sortes d’êtres subsistants : les réalités sensibles, les entités mathématiques et enfin les universels, lesquels étaient la cause d’où procédait par participation l’existence des réalités sensibles et mathématiques.

49. Platon soutenait en outre que les nombres sont la cause des choses parce qu’il ignorait la différence qui existe entre l’un qui se convertit avec l’être et l’un qui, en tant qu’espèce de la quantité, est le principe du nombre. D’où il s’ensuivait, puisqu’il affirmait que l’universel séparé est la cause des choses et que les nombres sont la substance des choses, que ces universels eux-mêmes sont composés des nombres. Il disait en effet que les principes de tous les êtres sont l’espèce et le nombre spécifique qu’il appelait spécifique comme s’il était composé des espèces. Car il réduisait le nombre, en tant que présent dans les principes et les éléments, à l’un et à la dualité. En effet, puisque rien ne pouvait procéder de l’un, c’est pourquoi il était nécessaire de lui soumettre une nature par laquelle la multiplicité pouvait être produite. C’est cette nature qu’il appela dualité.

50. Ces trois sortes de substance, Platon les ordonnait suivant le degré de matérialité. En effet, les réalités sensibles sont plus matérielles que les entités mathématiques, et ces dernières sont moins immatérielles que les universels, et c’est pourquoi il présente en premier les réalités sensibles au-dessus desquelles il place les entités mathématiques, et au-dessus de ces dernières il place les universels séparés et les idées qui diffèrent vraiment des entités mathématiques car ces dernières diffèrent par le nombre à l’intérieur d’une même espèce, ce qui n’est pas le cas pour les idées et les substances séparées : Platon soutenait en effet qu’il n’existe qu’une seule idée à l’intérieur d’une même espèce. Il disait que ces idées sont constituées de nombres et que c’est d’après eux qu’on retrouve en elles les raisons des choses sensibles qui consistent en longueurs, largeurs et profondeurs. C’est pourquoi il dit que l’idée de longueur est la première dualité, la longueur étant un espace qui va de l’un à l’un, c’est-à-dire d’un point à un autre point. Il dit aussi que la largeur est la première trinité, car la figure triangulaire est la première des figures planes. Il ajoute que l’idée de profondeur, qui contient la longueur et la largeur, est la première forme à exister en quatre dimensions. En effet, la première figure d’un corps est la pyramide qui est constituée de quatre angles. C’est pourquoi, lorsque Platon faisait mention de l’âme sensible, il affirmait l’existence de l’âme séparée qui en est la cause ; et il disait que cette âme séparée, tout comme les autres universels séparés et les idées, est constituée de nombres, c’est-à-dire de l’unité et de la dualité dont il disait qu’elles sont les principes des choses.

51. Troisièmement, lorsqu’il dit : « Mais en outre, etc. », il présente le troisième énoncé par lequel il est possible de voir que Platon disait de l’âme qu’elle est composée de principes. Platon affirmait en effet, comme nous l’avons dit, que les nombres sont les espèces et les principes des choses. C’est pourquoi, lorsqu’il parlait de l’âme, il affirmait que l’âme en vient à connaître les choses parce qu’elle est composée de ces principes, c’est-à-dire des nombres d’où procèdent toutes ses opérations. Nous retrouvons en effet dans l’âme différentes puissances ordonnées à la connaissance des êtres, comme l’intelligence, la science, l’opinion et le sens. Il dit donc que l’âme tient l’intelligence et son opération de l’idée de l’un, c’est-à-dire parce qu’il y a en elle cette nature de l’unité : en effet, l’intelligence, dans une seule et même appréhension, n’appréhende qu’une seule chose. En outre, l’âme tient la science de la première dualité, car la science procède de l’un à un autre un, c’est-à-dire des principes aux conclusions. De plus, elle tient l’opinion de la première trinité car elle procède d’une chose à deux autres choses, puisqu’elle procède des principes à la conclusion, mais avec crainte que la conclusion opposée soit vraie ; par conséquent, il y a là trois éléments : les principes et les deux conclusions, celle qui est conclue et l’autre dont on craint qu’elle soit vraie. Enfin, l’âme tient le sens de la première existence à quatre dimensions, qui se ramène à l’idée du corps, lequel se définit comme ayant quatre angles, comme nous l’avons dit : or, le sens se rapporte aux corps. En conséquence, puisque toutes les choses sont connues suivant ces quatre modalités, à savoir selon l’intelligence, la science, l’opinion et le sens, et qu’il dit que l’âme possède ces puissances en tant qu’elle participe de la nature de l’unité, de la dualité, de la trinité et de l’existence à quatre dimensions, il est manifeste qu’il dit du même coup que l’âme séparée, dont il dit qu’elle est l’idée de telle âme particulière, est composée des nombres, lesquels sont les principes et les éléments des choses. En conséquence, il est clair que Platon soutenait que l’âme est composée des principes.

52. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, comme etc. », il affirme que certains philosophes en sont venus à connaître et à définir l’âme à la fois par le mouvement et par le sens, c’est-à-dire par la connaissance sensible, et il en donne la raison en disant que parce que l’âme leur semblait être aussi bien motrice par elle-même que cognitive, ils unirent ces deux éléments, à savoir le mouvement et la connaissance, et les firent entrer dans la définition de l’âme en disant que l’âme est un nombre qui se meut lui-même. Par le terme nombre, ils faisaient allusion à la puissance cognitive car, ainsi que nous l’avons dit plus haut (nn. 48-50), ils disaient que l’âme a la puissance de connaître les choses parce qu’elle participe de la nature du nombre spécifique, selon l’opinion de Platon, alors qu’en disant qui se meut lui-même, ils parlaient de la puissance motrice présente dans l’âme.

 

 

LECTIO 5

[86513] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 1In praecedentibus ostendit in quo antiqui philosophi conveniebant quantum ad considerationem de anima; in hoc scilicet, quod anima est principium motus et cognitionis. In parte autem ista ostendit qualiter dicti philosophi diversificati sunt circa hoc commune. Dividitur autem pars ista in partes tres. Primo enim ponit radicem diversitatis philosophorum quantum ad considerationem de anima. Secundo vero illam diversitatem specialiter enumerat, ibi, unde quibusdam, et cetera. Tertio colligit et epilogat ea, quae circa huiusmodi diversitates consideranda sunt, ibi, definiunt autem omnes et cetera. Radix autem diversitatis philosophorum in consideratione de anima est, quia ipsi attribuebant animam principiis, sicut dictum est: et ideo secundum differentiam dictorum philosophorum circa considerationem principiorum, est etiam differentia ipsorum in consideratione de anima. Dicti vero philosophi, licet omnes ponant animam componi ex principiis, non tamen conveniunt quod ponant animam componi ex eisdem principiis: sed sicut differunt de principiis, ita etiam differunt de consideratione animae.

 

 

 

 

 

 

 

[86514] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 2Differunt autem de principiis quantum ad duo. Primo quantum ad substantiam principiorum, quae scilicet sint, et quantum ad numerum, quot scilicet sint. Quantum autem ad substantiam quidem, quia quidam ponebant principia corporalia: illi scilicet qui posuerunt ignem, aut aquam aut aerem: quidam vero incorporalia et immaterialia, sicut qui posuerunt numeros et ideas: quidam vero miscentes utraque, sicut Platonici, qui posuerunt principia sensibilia et separata. Circa numerum vero, seu multitudinem differunt: quia quidam posuerunt tantum unum primum principium, sicut Heraclitus, qui posuit aerem, et alius ignem; quidam vero dicunt plura prima principia, sicut Empedocles qui posuit quatuor elementa. Et secundum has suppositiones de principiis consequenter assignant animam his principiis; quia qui ponebant principia materialia, dixerunt animam ex ipsis componi, sicut Empedocles; et similiter hi, qui ponebant immaterialia: sicut Plato. Omnes autem existimaverunt animam esse id quod maxime motivum est.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86515] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 3Consequenter cum dicit unde quibusdam enumerat diversitatem philosophorum in speciali. Sciendum autem est, quod inter illos qui ponebant unum corporum esse principium rerum, nullus dignatus est ponere solam terram; sed alii posuerunt ignem primum principium: alii aerem, alii aquam, terram vero nullus posuit nisi qui posuit omnia elementa quatuor esse primum principium. Et ratio huius est, quia terra propter suam grossitiem, magis videbatur esse composita ex principiis, quam ipsa esset principium. Et ideo circa hanc partem tria facit. Primo enim ponit opiniones illorum, qui posuerunt primum principium et animam esse ignem. Secundo vero ponit opinionem illorum, qui posuerunt primum principium et animam esse aerem, ibi, Diogenes autem et cetera. Tertio vero ponit opinionem illorum qui posuerunt aquam esse primum principium et animam, ibi, magis autem rudium.

 

 

[86516] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 4Circa primum sciendum est, quod propter hoc quod animae attribuitur motivum et cognoscitivum, visum est quibusdam animam esse illud quod est maxime motivum et cognoscitivum; et quia illud quod est maxime subtile videbatur eis esse maxime motivum et cognoscitivum, ideo dixerunt animam esse ignem, qui est inter corpora magis subtilis et activus. Et licet plures essent huius opinionis, et sic opinarentur animam esse ignem, Democritus tamen subtilius et rationabilius dixit hoc enuncians propter quid utrumque eorum idest rationem motus et cognitionis magis expressit. Volebat enim, sicut dictum est, quod omnia essent composita ex atomis. Et licet secundum eum huiusmodi atomi essent principium omnium rerum, nihilominus tamen volebat, quod atomi, qui sunt figurae rotundae, essent de natura ignis: et ideo dicebat animam componi ex illis, qui sunt figurae sphaericae. Et haec, inquantum sunt prima principia, dicebant habere rationem cognoscendi; inquantum vero rotunda, rationem movendi; et ideo inquantum anima erat composita ex huiusmodi corporibus indivisibilibus rotundis, dicebat eam cognoscere et movere omnia. Unde ponens illa corpora rotunda de natura ignis, concordabat cum istis quod omnia essent de natura ignis.

 

 

 

 

 

[86517] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 5Consequenter cum dicit Anaxagoras autem ponit Anaxagorae opinionem: qui in hoc concordabat cum praecedentibus, quod eidem, scilicet animae, attribuit rationem cognoscendi et movendi. Hic autem aliquando videtur alterum dicere esse animam et intellectum, sicut dictum est superius sed aliquando utitur utrisque, scilicet anima et intellectu, sicut una natura. Ipse enim dicebat animam esse motivam et cognoscitivam: unde, cum ipse poneret intellectum moventem omnia et cognoscentem, pro eodem accipiebat animam et intellectum. Sed in hoc differebat ab aliis: quia Democritus ponebat animam esse naturae corporeae, utpote ex materialibus principiis compositam: Anaxagoras vero dicit intellectum esse simplicem ut excludat diversitatem in essentia,immixtum ut excludat componi cum alio, et purum ut excludat additionem ab alio. Sed movere et cognoscere assignat eidem principio, scilicet intellectui: nam intellectus ex natura sua habet quod sit cognoscens: motum autem habet, quia ipse, sicut dictum est, dicit intellectum omnia movere.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86518] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 6Consequenter cum dicit videtur autem ponit opinionem cuiusdam philosophi, scilicet Thaletis; qui in hoc solum concordat cum superioribus, quia illud dicit esse animam, quod habet virtutem motivam. Hic enim, scilicet Thales, fuit unus de septem sapientibus. Et cum omnes alii studerent circa moralia, hic solus dedit se inquisitioni rerum naturalium, et est primus naturalis philosophus. Et ideo dicit, ex quibus reminiscuntur, scilicet qui volunt quod aqua esset principium omnium rerum. Hic enim secundum considerationem principii in rebus animatis opinabatur esse principium omnium rerum. Unde, cum principia seu semina omnium animatorum sint humida, voluit quod illud esset principium omnium rerum quod est maxime humidum; et quia huiusmodi est aqua, dixit aquam esse principium omnium rerum. Sed tamen non consequitur opinionem suam in hoc quod diceret animam esse aquam; sed illud dixit animam, quod habet virtutem motivam. Unde, cum lapis quidam, scilicet magnes, moveat ferrum, dixit illum habere animam. Ponantur ergo Anaxagoras et Thales cum istis; non quod dicant animam esse ignem; sed quia dicunt illud esse animam, quod habet rationem sensus et cognitionis, sicut dixit Anaxagoras: seu motus, sicut dixit Thales.

 

 

 

 

 

[86519] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 7Deinde cum dicit Diogenes autem ponit opiniones illorum, qui dicunt aerem esse primum principium et animam. Et ii quidem sunt tres. Primo ponit opinionem Diogenis, qui volebat quod aer esset principium omnium, et esset subtilissimum omnium corporum. Unde et animam dixit esse aerem, et ex hoc habere virtutem cognoscendi et movendi. Virtutem quidem cognoscendi habet, quia aer, secundum eum, est principium omnium. Cum enim cognitio fiat per simile, sicut dictum est, oportebat quod si anima cognosceret omnia, esset composita ex principiis omnium rerum. Virtutem vero movendi habet, quia aer est subtilissimum omnium corporum, et ideo maxime mobilis.

 

 

 

[86520] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 8Secundo cum dicit Heraclitus autem ponit opinionem Heracliti; qui non dicebat simpliciter aerem esse principium rerum, sed aliquod coniunctum aeri, scilicet vaporem, qui est medius inter aerem et aquam. Hic enim non posuit aquam, seu ignem vel aerem principium rerum, sed aliud medium, quia non posuit nisi materialia tantum: unde illud voluit esse principium rerum, quod esset magis remotum a contrarietate. Et hoc videbatur ei quod esset vapor: et ideo secundum hoc voluit, quod anima esset vapor, quia ex hoc dicebat animam maxime cognoscitivam et motivam esse. Ipse enim fuit huius opinionis, quod omnia essent in continuo fluxu, et quod nihil vel ad horam quiesceret, nec poterat aliqua oratio determinate dici. Unde cum vapor esset inter alia maxime fluxibilis, dixit illum esse omnium rerum principium. Et hunc dicit esse animam. Et dixit quod naturam cognoscitivam habet ex hoc quod est principium: motivam vero ex hoc quod est incorporalissimum et fluxibile.

 

 

 

 

 

 

 

[86521] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 9Tertio vero cum dicit similiter autem ponit opinionem Alchmaeonis, qui concordabat cum istis quantum ad motum tantum, qui dicebat animam esse quid mobilissimum. Unde quia semper movetur, assimilatur immortalibus, scilicet corporibus caelestibus: et ideo dicit eam immortalem, sicut corpora caelestia, et sic esse de natura caelesti et divina, quae semper movetur, ut luna, et sol, et huiusmodi, quae semper moventur et immortalia sunt. Nam secundum eum, sicut motus causat in eis immortalitatem, ita et in anima quae naturae mobilissimae est.

 

 

 

 

[86522] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 10Deinde cum dicit magis autem hic ponit opinionem illorum qui posuerunt aquam primum principium omnium rerum. Fuerunt enim quidam rudes discipuli, et sequaces Thaletis, qui, sicut dictum est, voluerunt comparare principium unius rei ad principium totius naturae: et isti videbant, quod principium omnium viventium sit humidum: unde opinabantur, quod eodem modo principium omnium rerum sit humidum. Cum igitur aqua sit humidius elementum inter cetera, dixerunt ipsam esse principium omnium rerum: et usque ad hoc secuti sunt magistrum suum, scilicet Thaletem. Sed in hoc differunt: quia Thales, licet poneret aquam esse omnium principium, non tamen dixit animam esse aquam, sed virtutem moventem, sicut dictum est. Isti vero de numero rudium dixerunt animam esse aquam, ut Hippo. Hic namque arguebat quosdam qui dicebant, animam esse sanguinem, ex hoc quod sanguis non est genitura seu semen rerum animatarum, quam dicebant esse primam animam: et hoc attribuebant aquae propter humiditatem.

 

 

 

 

 

[86523] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 11Consequenter cum dicit alii autem ponit opinionem cuiusdam philosophi, qui magis considerans animam quantum ad cognitionem, adhuc grossius locutus est de ipsa: dicens ipsam esse sanguinem. Cuius ratio est, quia in animali non est sensus sine sanguine; et ideo, cum anima sit principium cognoscendi, dixit ipsam esse sanguinem, sine quo non est sensus animali: exanguia enim, puta ossa, et ungues, et dentes, sine sensu sunt, licet nervi sine sanguine existentes maxime sensitivi sint. Et hoc dixit Critias.

 

 

 

[86524] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 12Quia vero posset quaeri, quare in consideratione de anima non facit mentionem de terra sicut de aliis elementis, ideo excusat se cum dicit omnia enim dicens quod secundum hoc opinati sunt de anima, sicut de principiis. Unde terra nullum iudicem accepit, idest nullus iudicavit eam esse principium, et per consequens nullus dixit animam esse terram, nisi forte aliquis dixerit animam componi ex omnibus principiis, sicut Empedocles, aut omnia principia, sicut Democritus.

 

 

 

[86525] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 13Deinde cum dicit definiunt autem epilogat et colligit ex his omnibus, quae dixit, suam intentionem. Et primo quantum ad ipsa principia. Secundo vero quantum ad contrarietates, quae sunt in ipsis principiis, ibi, quicumque autem contrarietates et cetera. Quantum vero ad ipsa principia: quia ipsi tria attribuebant animae: scilicet quod sit quid subtilissimum, quod sit quid cognoscitivum, et quod sit quid motivum: et haec tria, scilicet sensus, motus et incorporeum, reducuntur in principium. Illud enim dicunt esse principium, quod est simplex. Item principium ex se habet, quod sit cognoscitivum, quia sicut dictum est, simile simili cognoscitur: unde et dicebant animam componi ex elementis, aut esse elementa, quia dicebant, quod simile simili cognoscitur, praeter Anaxagoram qui ponebat intellectum immixtum. Item, quia principium est subtilissimum, dicebant illud maxime motivum; et quia anima cognoscit omnia, dicunt ipsam componi ex omnibus principiis. Et hoc dicunt omnes: quia secundum quod ponunt principia, ita ponunt animam. Unde quicumque ponunt unam aliquam causam seu principium et elementum unum, isti dicunt animam esse illud unum, sicut iam patet: ut ignem, aut aerem, seu aquam. Item illi, qui dicunt plura principia esse, isti similiter aiunt animam esse plura illa, sive ex his componi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86526] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 14Et quia dixerat, quod omnes conveniunt in hoc, quod dicunt animam componi ex principiis, quia oportet cognosci simile simili: praeter unum, scilicet Anaxagoram: ideo cum dicit: Anaxagoras autem solus ostendit qualiter differt ab eis: dicens quod Anaxagoras solus dixit intellectum esse impassibilem, nec habere aliquid commune alicui, idest nulli eorum quae cognoscit similem. Sed qualiter cognoscit intellectus, neque Anaxagoras dixit, neque est manifestum ex his quae dicta sunt.

 

 

 

[86527] Sentencia De anima, lib. 1 l. 5 n. 15Consequenter etiam cum dicit quicumque autem colligit intentionem suam quantum ad contrarietates, quae in ipsis principiis sunt: dicens, quod quidam ponunt principia rerum contraria; et ii constituunt animam ex principiis contrariis, sicut Empedocles. Dans enim elementis caliditatem, frigiditatem, humiditatem et siccitatem, dat et animae inesse contrarietates has. Dixit enim, quod terra terram intuemur, aquam autem aqua, et cetera. Quidam vero posuerunt principium omnium esse unum elementorum, et illius qualitatem apposuerunt animae: ii quidem ignis caliditatem, qui dixerunt principium omnium esse ignem: illi vero qui dicunt primum principium aquam, apponunt animae frigiditatem. Unde secundum qualitates principiorum, quae ponunt, dicunt similiter esse animam, ut de natura caloris, aut frigoris, et huiusmodi. Et hoc etiam ostendunt ex nominibus, quibus nominant ipsam animam; quia illi, qui dicebant animam esse de natura caloris, denominabant eam a zaein vel zooein, idest vivere, quod denominatum est a zeein, quod est fervere. Illi vero, qui dicebant animam de natura frigoris, nominabant eam psychron, quod est frigidum, unde et ab hoc venit Psychi, idest anima propter refrigerationem, quae salvat animal ex respiratione. Sic ergo patet, quod alii nominabant animam a vita, scilicet illi qui dicebant ipsam de natura caloris. Alii autem respirationem, scilicet illi qui dicebant, quod erat de natura frigoris. Ex his omnibus concludit dicens, quod haec sunt, quae tradita sunt de anima, et propter quas causas sic dicunt de ipsa.

Leçon  5

53. Jusqu’à maintenant, Aristote a montré ce qu’il y a de commun entre les opinions des anciens philosophes au sujet de l’âme, à savoir qu’ils pensaient tous que l’âme est le principe du mouvement et de la connaissance. Mais dans la partie du traité que nous allons aborder, il montre de quelle manière les dires de ces philosophes diffèrent à partir de ce fond commun. La section que nous allons aborder se divise donc en trois parties. Premièrement, il présente le fondement de la diversité de ces opinions sur la considération de l’âme. Deuxièmement, il énumère cette diversité dans le particulier là où il dit : « À partir de là certains ont cru etc. » Troisièmement il rassemble et résume les choses qui doivent être considérées au sujet de ces diversités, là où il dit : « Or, tous définissent etc. ». Or, le fondement de la diversité des opinions philosophiques touchant l’âme est qu’eux-mêmes attribuaient l’âme aux principes, comme nous l’avons dit (nn. 43-44) : c’est pourquoi l’examen des différences entre les dires des philosophes dans leur considération des principes revient aussi à examiner les différences qu’il y a entre leurs dires dans leur considération de l’âme. En effet, bien que tous les philosophes conviennent que l’âme est composée de principes, leur accord n’est pas tel que leurs énoncés expriment les mêmes principes : au contraire, tout comme leurs dires diffèrent dans la considération des principes, de la même manière ils diffèrent dans leur considération de l’âme.  

54. Or, les dires des philosophes diffèrent sous deux rapports au sujet des principes. Premièrement quant à la substance des principes, c’est-à-dire quant à leur nature, et quant à leur nombre pour déterminer « combien » ils sont. Ils diffèrent quant à leur substance, parce que certains ont soutenu que les principes sont corporels, c’est-à-dire ceux qui affirmaient que les principes sont le feu, l’eau, l’air etc. ; d’autres ont dit que les principes sont incorporels et immatériels, comme ceux qui les identifièrent aux nombres et aux idées ; d’autres enfin identifièrent les principes à un mélange des deux, comme les Platoniciens qui affirmèrent qu’il y a des principes sensibles et des principes séparés. Mais leurs dires diffèrent aussi quant au nombre ou à la multiplicité des principes, car certains affirmèrent qu’il n’existe qu’un seul principe premier, comme Héraclite qui affirma que le principe est l’air alors qu’un autre dit que le principe est le feu ; mais d’autres affirmèrent qu’il existe plusieurs principes premiers, comme Empédocle qui les identifia comme étant les quatre éléments. Et conformément à ce qu’ils supposaient être les principes, ils assignaient par conséquent l’âme à ces principes : ainsi, ceux qui soutenaient que les principes sont matériels disaient, comme Empédocle, que l’âme est composée de ces principes ; de même, ceux qui soutenaient que les principes sont immatériels  disaient, comme Platon, que l’âme est composée des principes immatériels. Mais tous estimèrent que l’âme est surtout ce qui meut.

55. Ensuite, lorsqu’il dit : « À partir de là, certains etc. », il énumère dans le détail la diversité des opinions des philosophes sur l’âme. Or, il faut savoir que parmi ceux qui ont soutenu qu’un seul des corps est le principe des choses, aucun n’a regardé la terre comme étant ce seul principe ; en effet, certains ont affirmé que le feu est le seul principe, d’autres l’air, d’autres l’eau, mais aucun n’a présenté la terre, sauf celui qui a dit que les quatre éléments ensemble sont le premier principe. La raison en est que la terre, à cause de sa grossièreté, semblait davantage être composée des principes qu’être elle-même un principe. Et c’est pourquoi dans cette partie il fait trois choses. Premièrement, il présente en effet les opinions de ceux qui ont soutenu que le premier principe et l’âme sont le feu. Deuxièmement, l’opinion de ceux qui ont affirmé que le premier principe et l’âme sont l’air, là où il dit : « Diogène en effet etc. ». Troisièmement, il présente l’opinion de ceux qui ont dit que c’est l’eau qui est le premier principe et l’âme, là où il dit : « Mais plus superficiellement, etc. ».

56. Au sujet du premier point, il faut savoir que puisqu’on attribuait à l’âme le pouvoir de mouvoir et de connaître, il apparaissait à certains que l’âme est ce qui est le plus capable de mouvoir et de connaître ; et parce que ce qui est le plus subtil leur semblait aussi posséder davantage ces deux capacités, c’est pourquoi ils en vinrent à dire que l’âme est le feu, lequel est le plus subtil et le plus actif de tous les corps. Et bien que plusieurs partageaient cette opinion et croyaient par conséquent que l’âme est le feu, néanmoins Démocrite, s’exprimant d’une manière plus ingénieuse et plus subtile, voulut « énoncer la raison pour laquelle le feu exprime davantage ces deux capacités », à savoir les notions de mouvement et de connaissance. Il voulait en effet, comme nous l’avons déjà dit, que toutes les choses soient composées d’atomes. Et bien que selon lui les atomes étaient les principes de toutes les choses, néanmoins il voulait que les atomes qui ont une figure spérique soient de la nature du feu : c’est pourquoi il disait que l’âme est composée de ces atomes qui ont une figure spérique. Et il ajoutait que ces atomes, en tant qu’ils sont les premiers principes, ont raison de connaissance ; et en tant qu’ils ont une figure spérique, ils ont raison de mouvement. Et c’est pourquoi il disait que l’âme, en tant qu’elle était composée de ces corps indivisibles et de figure spérique, avait les pouvoirs de tout connaître et de tout mouvoir. Il en résultait que Démocrite, en affirmant que ces corps de figure spérique sont de la nature du feu, s’accordait avec ceux qui soutenaient que toutes les choses sont de la nature du feu.

57. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais Anaxagore, etc. », il présente l’opinion d’Anaxagore, lequel s’accorde avec ceux qui l’ont précédé pour dire que c’est au même principe, à savoir à l’âme, qu’il faut attribuer ces deux puissances, à savoir celle de connaître et celle de mouvoir. Or, il semble parfois dire que l’âme est une réalité distincte de l’intelligence, comme nous l’avons dit plus haut, mais parfois il parle des deux, à savoir de l’âme et de l’intelligence, comme s’il s’agissait d’une seule et même nature. Lui-même en effet, ayant dit que l’âme est principe de mouvement et de connaissance, lorsqu’il affirmait ensuite que l’intelligence est ce qui meut et connaît toute chose, se trouvait à prendre l’une pour l’autre. L’opinion d’Anaxagore se distinguait pourtant de toutes les autres car tandis que Démocrite affirmait que l’âme est de nature corporelle en tant qu’elle est composée de principes matériels, Anaxagore soutenait au contraire que l’intelligence est « simple », de telle manière que son essence exclut toute diversité, « sans mélange », c’est-à-dire qu’elle exclut toute composition avec autre chose, « et pure », c’est-à-dire qu’elle exclut tout ajout d’autre chose. Or, c’est au même principe, c’est-à-dire à l’intelligence, qu’il attribue les pouvoirs de mouvoir et de connaître : en effet, c’est en raison de sa nature même que l’intelligence possède le pouvoir de connaître ; et elle possède le pouvoir de mouvoir car, comme nous l’avons déjà vu (n. 38), Anaxagore lui-même soutenait que l’intelligence a le pouvoir de mouvoir toute chose.

58. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or il semble etc. », il présente l’opinion d’un philosophe du nom de Thalès qui s’accordait avec les précédents sur ce seul point que l’âme est ce qui possède le pouvoir de mouvoir. Ce dernier, à savoir Thalès, était considéré comme l’un des sept sages. Et alors que tous les autres faisaient porter leurs considérations sur les choses morales, lui seul se consacra à l’étude des choses naturelles, et c’est ainsi qu’il devint le premier philosophe de la nature. Et c’est pourquoi, « d’après ce qu’on rapporte », qu’il fut de ceux qui croyaient que l’eau est le principe de toutes les choses. Ce dernier en effet jugeait du principe de toutes les choses d’après sa considération du principe dans les choses animées. C’est pourquoi, puisque les principes ou les semences des êtres animés sont humides, il pensa que le principe de toutes les choses devait être ce qui est le plus humide, et parce que ce principe est l’eau, il en inféra que le principe de toutes les choses est l’eau. Cependant, il ne suivit pas sa pensée jusqu’à dire que l’âme est l’eau ; au contraire, il dit plutôt que l’âme est ce qui a le pouvoir de mouvoir. C’est pourquoi, puisqu’une pierre, à savoir l’aimant, met le fer en mouvement, il dit que cette pierre possède une âme. En conséquence, Anaxagore et Thalès se rangent avec ceux qui précèdent, non pas parce qu’ils disent que l’âme est le feu, mais plutôt parce qu’ils disent que l’âme est ce qui a raison de sens et de connaissance, comme le dit Anaxagore, ou de mouvement, comme le dit Thalès.

59. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais Diogène etc. », il présente l’opinion de ceux qui ont dit que c’est l’air qui est le premier principe et l’âme. Ceux qui pensaient ainsi étaient au nombre de trois. Aristote présente premièrement l’opinion de Diogène qui voulait que l’air, le plus subtil de tous les corps à ses yeux, soit le principe de toutes les choses. C’est pourquoi il affirma que l’âme est l’air et que pour cette raison elle a le pouvoir de connaître et de mouvoir. L’âme possède certes la puissance de connaître parce que l’air, selon lui, est le principe de tous les êtres. En effet, puisque la connaissance est produite par le semblable, comme nous l’avons dit, il était nécessaire, pour que l’âme connaisse toute chose, qu’elle soit composée des principes de toutes les choses. En outre, elle possède le pouvoir de mouvoir parce que l’air, étant le plus subtil de tous les corps, est par conséquent ce qu’il y a de plus mobile.

60. Deuxièmement, lorsqu’il dit : « Et Héraclite etc. », il présente l’opinion d’Héraclite qui ne disait pas purement et simplement que l’air est le principe des choses, mais plutôt que ce principe est quelque chose qui est uni à l’air, à savoir la vapeur d’eau, qui est comme un intermédiaire entre l’air et l’eau. Celui-ci n’affirma pas que c’est l’eau, le feu ou l’air qui est le principe des choses, mais un autre médium, car il ne présenta pas seulement des principes matériels : c’est pourquoi il voulut que le principe des choses soit ce qui est le plus éloigné de la contrariété. Et il lui apparut que ce principe devait être la vapeur d’eau et c’est pourquoi, par conséquent, il voulut que l’âme soit la vapeur d’eau car c’est là-dessus qu’il s’appuyait pour dire que l’âme est au plus haut point une puissance cognitive et motrice. Lui-même avait en effet adopté cette opinion que toutes les choses sont dans un flux continuel, que rien n’est au repos dans une même heure, et qu’il n’est pas possible de prononcer un discours déterminé sur la moindre chose. C’est pourquoi, puisque la vapeur d’eau est le plus fluide de tous les corps, il affirma qu’elle est le principe de toutes les choses et qu’elle est l’âme. Il soutint que l’âme tient sa nature cognitive du fait qu’elle est principe et sa nature motrice du fait qu’elle est la nature la plus incorporelle et la plus fluide.

61. Troisièmement, lorsqu’il dit : « De la même manière encore etc. », il présente l’opinion d’Alcméon sur l’âme, lequel s’accordait avec ceux qui précèdent quant au mouvement seulement, car il disait que l’âme est ce qu’il y a de plus mobile. C’est pourquoi, puisqu’elle est continuellement en mouvement, elle est assimilée aux réalités immortelles, c’est-à-dire aux corps célestes : c’est la raison pour laquelle il dit que l’âme est immortelle, tout comme les corps célestes, et qu’elle est ainsi d’une nature céleste et divine, toujours en mouvement, à l’exemple de la lune et du soleil qui sont toujours en mouvement et immortels. En effet, selon lui, tout comme le mouvement continuel est la cause de l’immortalité des corps célestes, de même la nature extrêmement mobile de l’âme est la cause de son immortalité.

62. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais chez ceux dont la pensée est plus etc. », il présente ici l’opinion de ceux qui ont soutenu que le principe de toutes les choses est l’eau. Il y eut en effet certains disciples plus superficiels de Thalès qui, comme ce dernier, ont voulu faire du principe d’une seule catégorie de choses le principe de toute la nature, comme nous l’avons dit précédemment (n. 58) : en effet, voyant que le principe de tous les vivants est humide, ils ont cru à partir de là que le principe de toutes les choses, de la même manière, devait être humide. Donc, puisque l’eau est le plus humide de tous les éléments, ils en inférèrent que l’eau est le principe de toutes les choses, et c’est ainsi qu’ils suivirent sur ce point leur maître, Thalès. Ils s’en dissocièrent cependant quant à ce qui suit. En effet, Thalès, bien qu’il affirmait que l’eau est le principe de toutes les choses, n’allait pas jusqu’à dire que l’âme est l’eau, mais plutôt une puissance motrice, comme nous l’avons dit précédemment (n. 58). Mais ces penseurs plus superficiels, comme Hippon, ont affirmé au contraire que l’âme est l’eau. Quant à ce dernier, il réfuta ceux qui affirmaient que l’âme est le sang en disant que le sang n’est pas la semence des êtres animés et que c’est cette semence qui est la première âme. Et ceux-là ont dit de l’eau qu’elle est l’âme en raison de son caractère humide.

63. Ensuite, ajoutant : « Mais d’autres, etc. », il présente l’opinion d’un philosophe qui, considérant davantage l’âme sous le rapport de la connaissance, s’exprima à son sujet d’une manière encore plus superficielle en disant qu’elle est le sang. La raison qu’il en donnait c’est que chez les animaux on ne retrouve pas le sens sans qu’il y ait présence de sang ; c’est pourquoi, puisque l’âme est le principe de la connaissance, il dit à son sujet qu’elle est le sang sans lequel il ne peut y avoir de sensation chez l’animal : en effet, les parties du corps qui sont privées de sang, comme les os, les ongles et les dents, sont incapables de sensation, même si les nerfs, dépourvus de sang, sont très sensibles. C’est ainsi que s’exprima Critias.

64. Mais parce qu’on pourrait se demander pourquoi dans sa considération de l’âme Aristote ne fait pas mention de la terre comme principe alors qu’il parle des autres éléments, il se justifie en disant : « Tous en effet, etc. ». Et il dit à ce sujet que tous ont parlé de l’âme comme ils ont parlé des principes. C’est pourquoi la terre « ne reçut aucune opinion favorablbe », c’est-à-dire qu’aucun philosophe ne jugea que la terre est un principe, et par conséquent personne ne dit que l’âme est la terre, sauf peut-être celui qui a dit que l’âme est composée de tous les principes incluant la terre, comme le fit Empédocle, ou qu’elle est tous les principes, comme le dit Démocrite.

65. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, ils définissent etc. », il résume ce qu’il vient de dire et précise son propos à partir de tout ce qui vient d’être dit. Et il le fait premièrement par rapport aux principes eux-mêmes, deuxièmement par rapport aux contrariétés qui sont dans les principes eux-mêmes, là où il dit : « Tous ceux qui introduisent des contrariétés etc. ». Et par rapport aux principes eux-mêmes, il dit que tous ces philosophes ont attribué trois caractères à l’âme, à savoir qu’elle est ce qu’il y a de plus subtil, qu’elle possède un pouvoir de connaître et qu’elle est un principe de mouvement, et chacun de ces caractères, à savoir le sens, le mouvement et l’incorporéité, se ramène à un principe. On appelle en effet principe ce qui est simple. En outre, il est dans la nature du principe d’être cognitif car, comme nous l’avons dit, le semblable est connu par le semblable : c’est pourquoi ces philosophes disaient soit que l’âme est composée des éléments, soit qu’elle est ces éléments car ils supposaient que le semblable est connu par le semblable, à l’exception d’Anaxagore qui soutenait que l’intellect est sans mélange. En outre, parce que le principe est de la nature la plus subtile, ils affirmaient qu’il est au plus haut point une puissance motrice ; et parce que l’âme connaît toutes les choses, ils disaient qu’elle est composée de tous les principes. Et tous les philosophes s’accordaient là-dessus, car le discours qu’ils tiennent sur l’âme est consécutif de celui qu’ils tiennent sur les principes. C’est ce qui explique que tous ceux qui soutiennent qu’il n’existe qu’une seule cause, un seul principe ou un seul élément, soutiennent aussi du même coup que l’âme est ce seul et unique principe, comme nous l’avons déjà vu, à savoir soit le feu, soit l’air, soit l’eau. En outre, ceux qui soutiennent qu’il existe plusieurs principes soutiennent également soit que l’âme est elle-même ces principes, soit qu’elle en est composée.

66. Et parce qu’il avait dit que tous les philosophes s’accordent, à l’exception d’un seul, à savoir Anaxagore, pour dire que l’âme est composée de principes, car il faut que le semblable soit connu par le semblable, c’est pourquoi il montre, après avoir dit : « Cependant, seul Anaxagore etc. », de quelle manière l’opinion d’Anaxagore diffère des autres opinions. Et il le montre en disant qu’Anaxagore fut le seul à dire que l’âme est impassible et n’a rien en commun avec autre chose, c’est-à-dire qu’elle n’est semblable à rien de ce qu’elle connaît. Mais Anaxagore n’a rien dit sur la manière dont l’âme connaît, et rien de ce qu’il a dit ne le manifeste.

67. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais tous ceux qui etc. », il précise son intention quant aux contrariétés qui sont dans les principes, en disant que certains ont soutenu que les principes des choses sont les contraires et ceux-là affirment, comme Empédocle, que l’âme est constituée de principes contraires. En effet, attribuant aux éléments la chaleur et la froideur, l’humidité et la sécheresse, il admet du même coup que ces contrariétés appartiennent à l’âme. Il dit en effet que c’est par la terre que nous considérons la terre, par l’eau que nous considérons l’eau, etc. Mais certains n’admirent qu’un seul élément comme principe de toutes les choses et appliquèrent à l’âme la qualité de cet élément : ceux qui dirent que le feu est le principe de tout attribuèrent à l’âme la chaleur du feu ; ceux qui dirent que le premier principe est l’eau attribuèrent à l’âme la froideur. C’est pourquoi ils se trouvent à réduire la nature de l’âme à la qualité contraire du principe qu’ils ont admis, en disant que l’âme est soit de la nature de la chaleur, soit de celle de la froideur, etc. Et cela se voit par les noms mêmes qu’ils ont donnés à l’âme : en effet, ceux qui disaient que l’âme est de la nature de la chaleur lui donnaient le nom de zaein ou de zooein, qui signifie vivre et qui vient du terme zeein qui signifie brûlant ou ardent ; mais ceux qui disaient que l’âme est de la nature de la froideur l’appelaient psychron, qui veut dire froid, et c’est de là que vient le terme psychi, c’est-à-dire âme, à cause du refroidissement qui conserve l’animal par la respiration. Ainsi donc il est clair que certains ont dénommé l’âme à partir de la vie, c’est-à-dire ceux qui disaient qu’elle est de la nature de la chaleur, alors que d’autres l’ont appelée respiration, c’est-à-dire ceux qui ont dit qu’elle est de la nature du froid. Il conclut de tout cela que telles sont les opinions qui nous ont été transmises au sujet de l’âme ainsi que les raisons sur lesquelles elles se sont fondées.

 

 

LECTIO 6

 

 

 

[86528] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 1Supra posuit philosophus opiniones aliorum philosophorum de anima: hic consequenter disputat contra eas. Sunt autem tria, quae dicti philosophi attribuebant animae: scilicet quod sit principium motus, quod sit principium cognitionis, et quod sit incorporalissimum. Inter quae duo ex eis, quae sunt quasi principalia, quae primo et per se animae attribuebant; scilicet quod sit principium motus, et quod sit principium cognitionis. Tertium autem, quod attribuebant animae, scilicet quod sit subtilissimum quantum ad aliquid bene dicitur, quantum ad aliquid male. Si enim subtilissimum accipiatur simpliciter dictum de anima, sic bene dicitur, quia sine dubio anima incorporalissima et subtilissima est. Si autem non accipiatur simpliciter, sed cum corpore, ut dicatur anima subtilissimum corpus, sic male dicitur. Et ideo philosophus non utitur nisi duobus tantum, scilicet motu et cognitione.

 

 

 

 

[86529] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 2Dividitur autem pars ista in tres partes. Primo enim inquirit de anima contra opiniones philosophorum secundum quas dixerunt ipsam animam esse principium motus. Secundo contra opiniones eorum qui dixerunt ipsam esse principium cognitionis, ibi, tribus autem modis traditis, et cetera. Tertio vero movet quamdam quaestionem, utrum scilicet movere, sentire et cognoscere attribuantur animae sicut uni principio, vel sicut diversis, ibi, quoniam autem cognoscere animae est. Prima pars dividitur in duas. In prima disputat contra ea quae dicuntur de anima secundum quod est principium motus, ex eo quod ponunt ipsam principium motus. Secundo contra quamdam opinionem, quia supra hoc quod dixerant animam esse principium motus, quidam attribuunt ipsi animae aliquid aliud, scilicet quod sit numerus movens seipsum, ibi, multo autem his quae dicta sunt irrationabilius. Prima pars dividitur in duas. Primo enim disputat contra opiniones illorum, qui attribuebant motum animae, secundum quod ipsi attribuunt animae motum. Secundo inquirit, utrum per aliquam aliam viam, motus animae attribui possit, ibi, rationabilius autem dubitabit et cetera. Pars prima dividitur in duas. Primo enim disputat in communi contra illos, qui dicunt animam principium motus. Secundo vero descendit ad quasdam quaestiones in speciali, ibi, quidam autem et movere, et cetera. Prima pars dividitur in duas. Primo enim manifestat suam intentionem. Secundo ponit rationes ad propositum ostendendum, ibi, quatuor autem motus cum sint et cetera.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86530] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 3Dicit ergo primo, quod sicut ex superioribus habetur, philosophi ex duobus venerunt in cognitionem animae, scilicet motu et sensu. Et inter haec primo considerandum est de motu. Omnes autem philosophi, qui venerunt in cognitionem animae ex motu, hoc principium habebant commune, scilicet quod omne quod movet, movetur: unde quia naturale est animae quod moveret, credebant quod ei sit connaturale quod moveretur; et hoc habere animam ex substantia sua: unde et ponebant in eius definitione motum, dicentes animam esse quid movens seipsum.

 

 

 

[86531] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 4Est ergo hic contra duo disputandum: scilicet contra rationem positionis, et contra ipsam positionem. Utrumque enim est falsum. Nam et ratio positionis istorum falsa erat, et eorum positio. Hoc enim quod supponebant tamquam per se verum, scilicet quod omne quod movet movetur, falsum est, sicut satis probatur in octavo physicorum: ubi ostenditur, quod est quoddam movens immobile. Et quantum ad hoc pertinet, breviter potest ostendi, quod si aliquid movet, non oportet quod moveatur. Constat enim quod secundum quod movet, est in actu, secundum quod movetur, est in potentia; et sic idem et secundum idem esset in actu et potentia: quod est inconveniens.

 

 

 

[86532] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 5Sed hoc praetermisso, disputemus ad positionem eorum, utrum scilicet anima moveatur. Dicebant autem isti, duo: scilicet quod anima movetur, et quod motus esset de substantia animae. Aristoteles autem utrumque negat, dicens, quod fortassis. Hoc dicit, quia nondum probaverat hoc quod dicit, non solum falsum est, quod motus sit de substantia animae, secundum quod dicunt definientes ipsam, dicentes animam esse quod est seipsum movens, aut possibile movere; sed totaliter impossibile est ipsi animae convenire, quod moveatur.

 

 

[86533] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 6Et hoc prius dictum est, scilicet in octavo physicorum, videlicet quod non sit necesse omne movens moveri. In movente etiam seipsum duo sunt: unum movens, et aliud motum: et impossibile est, quod illud quod est movens, moveatur per se. In animalibus autem licet non moveatur per se pars movens, movetur tamen per accidens. Omne enim quod movetur, movetur dupliciter: quia vel secundum se, vel secundum alterum, seu per accidens. Secundum se, quando res ipsa movetur, ut navis: per accidens, vel secundum alterum, quando non movetur ipsum, sed illud in quo est: sicut nauta in navi movetur, non quia ipse moveatur, sed quia navis movetur. Unde haec est vera, scilicet navis movetur secundum se, nauta vero secundum accidens. Et quod non movetur nauta per se, patet: quia quando aliquis movetur per se, movetur secundum partes suas; sicut in ambulatione prius est pedum ambulatio, et hoc, cum est nauta in navi, non inest ei. Sic ergo patet, quod moveri dicitur dupliciter: secundum se et secundum accidens. Sed isti attribuebant animae moveri secundum se. Et ideo praetermisso ad praesens utrum anima moveatur per accidens, intendamus de anima si movetur secundum se et participat motu, sicut isti dicebant.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86534] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 7Et quod non movetur per se, probat Aristoteles sex rationibus. Circa quas rationes considerandum est, quod licet rationes Aristotelis parum videantur valere, nihilominus sunt efficaces, quia sunt ad positionem: aliter enim argumentandum est ad eum qui simpliciter intendit veritatem, quia ex veris oportet procedere: sed qui arguit ad positionem, procedit ex datis: et ideo frequenter Aristoteles, et quando argumentatur ad positiones, videtur quod inducat rationes parum efficaces, quia procedit ex datis ad interimendum positionem.

 

 

 

[86535] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 8Sic ergo primam rationem ponit ibi quatuor autem quae talis est. Si anima movetur, aut movetur per se, aut per accidens. Si per accidens, tunc motus non erit substantia animae: quod est contra eos; sed movetur sicut album et tricubitum, quae moventur secundum accidens, et ideo non exigitur ad hoc locus ipsis. Si vero movetur per se, ergo movetur aliqua specie motus. Species autem motus sunt quatuor: scilicet secundum locum, augmenti et decrementi, et alterationis. Generatio enim et corruptio non sunt proprie motus, sed mutationes; quia motus sunt successivi, sed generatio et corruptio sunt mutationes instantaneae. Ergo anima movebitur aliqua specie istorum motuum: vel secundum locum, vel secundum augmentum, vel secundum decrementum, vel secundum alterationem. Si ergo movetur aliquo istorum, et omnes hi motus sunt in loco: ergo anima erit in loco.

 

 

 

 

 

 

 

[86536] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 9In hac autem ratione videntur esse duo dubia. Unum de hoc, quod quidem de locali et de motu augmenti et decrementi manifestum est: sed de alteratione videtur difficile. Quod quidem sic intelligitur ab aliquibus: quia enim omne quod alteratur est corpus, et corpus est in loco, ideo alteratio dicitur fieri in loco. Sed hoc non salvat literam Aristotelis; quia Aristoteles dicit quod huiusmodi motus sunt in loco et non sunt secundum locum. Et ideo dicendum quod sine dubio alteratio est in loco. Aliud enim est motus in loco, et aliud motum esse secundum locum. Alteratio non est secundum locum, sed in loco. Nam in alteratione oportet quod sit appropinquatio alterantis ad alteratum, et sine hoc nihil alteratur. Unde cum appropinquatio fiat per motum localem, oportet quod sit ibi motus localis ut causa.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86537] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 10Secundum dubium est, quia secundum istos non erit inconveniens si anima esset in loco, cum ponerent eam moveri per se; et ideo non videtur valere sua ratio. Ad hoc autem potest responderi dupliciter. Uno modo, quod istud inconveniens deducitur per sequentes rationes. Alio modo, quia propter hoc est inconveniens, quia si anima esset in loco, oporteret quod assignaretur sibi locus proprius in corpore separatus, et sic non esset forma totius corporis.

 

 

[86538] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 11Secundam rationem ponit cum dicit amplius autem quae talis est. Si anima movetur per se secundum locum, movetur naturaliter: omne autem quod movetur naturaliter, movetur violenter: sed si movetur naturaliter quiescit naturaliter, et si quiescit naturaliter quiescit violenter; ergo anima movetur violenter, et quiescit violenter. Sed hoc est impossibile, scilicet quod moveatur violenter et quiescat violenter, quia motus animae et quies sunt voluntarii.

 

 

[86539] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 12In hac autem ratione videtur dubium esse: scilicet quod id quod movetur naturaliter, non tamen violenter. Ad hoc dicendum est, quod illa propositio secundum veritatem falsa est, sed secundum positionem vera; quia isti nullum corpus ponebant naturaliter motum, nisi quatuor elementa, in quibus videmus motus et quietes naturaliter et violenter fieri; et secundum hoc procedit ratio.

 

 

 

[86540] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 13Tertiam rationem ponit cum dicit amplius si quidem quae talis est. Illi dicunt quod anima movetur, et ex hoc movet corpus: et hunc motum dicunt habere ab aliquo elementorum: aut ergo sequitur motum ignis, aut terrae, aut aliorum elementorum. Si ergo participat motum ignis, movebitur solum sursum: si terrae, deorsum. Sed hoc est falsum, quia anima movet ad omnem partem. Et haec ratio procedit ex suppositione.

 

 

 

[86541] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 14Quartam rationem ponit cum dicit quoniam autem quae talis est. Vos dicitis animam ex hoc moveri, quod movet corpus; ergo rationabile est dicere, quod illis motibus movet corpus, quibus ipsa movetur: et e converso, verum erit dicere, quod illis motibus movetur, quibus movet corpus. Sed corpus movetur secundum loci mutationem: ergo anima movetur secundum locum. Sed si moveri animam secundum locum est mutare corpus, contingit ipsam animam exeuntem iterum intrare corpus. Et quia animam ingredi corpus est vivificare corpus: sequitur ad hoc, mortua de numero animalium, secundum naturam resurgere, quod est impossibile.

 

 

[86542] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 15Contra hanc rationem aliqui obiiciunt, dicentes, quod hoc scilicet quod anima moveat eisdem motibus quibus movetur, non est verum, quia anima non movetur nisi secundum appetitum et voluntatem, movet autem corpus aliis motibus. Ad quod dicendum, quod appetere, et velle, et huiusmodi, non sunt motus animae, sed operationes. Motus autem et operatio differunt, quia motus est actus imperfecti, operatio vero est actus perfecti. Nihilominus tamen vera est illa propositio secundum positionem; quia illi dicebant animam non aliter mobilem, nisi secundum quod movet corpus.

[86543] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 16Sed numquid sequitur illud inconveniens, quod resurgant corpora animalium, si anima movetur secundum locum? Dicendum, quod quidam dixerunt quod anima est commixta toti corpori, et unita secundum quamdam proportionem, et quod non separatur nisi solvatur illa proportio: unde quantum ad istos non sequitur. Sed quantum ad illos qui dicunt animam esse in corpore ut in loco seu in vase, et intrare et egredi aliquando, sequitur illud inconveniens Aristotelis.

[86544] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 17Quintam rationem ponit cum dicit movet autem quae talis est. Constat, quod illud quod secundum se inest alicui rei, non est necesse quod insit ei secundum aliud, nisi forte per accidens. Si ergo inest animae quod moveatur secundum se et secundum naturam suam, necessarium est quod anima sit mobilis secundum se; ergo non indiget quod moveatur per aliud et ab alio. Sed nos videmus, quod movetur a sensibilibus in sentiendo, et ab appetibilibus in appetendo; non ergo anima per se movetur.

 

 

 

[86545] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 18Ad hoc obviant Platonici, dicentes, quod anima non movetur a sensibilibus, sed occurrunt motui animae, inquantum anima discurrit per ea. Sed hoc est falsum; quia sicut Aristoteles probat, intellectus possibilis reducitur per ipsa, scilicet per species rerum sensibilium, in actum; et ideo oportet quod moveatur ab eis hoc modo.

 

 

 

[86546] Sentencia De anima, lib. 1 l. 6 n. 19Sextam rationem ponit cum dicit at vero quae talis est. Si anima movet seipsam, constat quod ipsa movebitur secundum suam substantiam: sed omne quod movetur, distat vel exit ab eo a quo et secundum quod movetur; sicut si aliquid movetur a quantitate, exit et distat ab ipsa quantitate qua movetur. Si ergo anima movetur a substantia sua et a seipsa, sicut illi dicunt; et distabit et exibit a substantia sua; et sic motus erit sibi causa corruptionis: quod est contrarium illis, qui dicebant animam propter motum ipsum assimilari divinis et immortalem esse, ut superius patet. Et haec ratio procedit quantum ad eos, qui non distinguebant inter operationem et motum. Operatio enim non facit distare, sed perficit operantem: sed in motu oportet quod sit exitus.

Leçon  6

Aristote s’oppose ici par de nombreux raisonnements à ceux qui soutenaient que l’âme, en tant que substance, est en mouvement.

68. Après avoir présenté les opinions des autres philosophes sur l’âme, il argumente ici contre ces mêmes opinions. Or, il y a trois caractères que ces opinions attribuaient à l’âme : à savoir qu’elle est principe de mouvement, principe de connaissance et qu’elle est la réalité la plus incorporelle ; et parmi eux, il y en a deux qui sont comme principaux, à savoir ceux qu’ils attribuaient premièrement et essentiellement à l’âme, à savoir qu’elle est principe de mouvement et de connaissance. Quant au troisième caractère qu’ils attribuaient à l’âme, son extrême subtilité, ce qu’ils ont dit à ce sujet est en partie correct, en partie incorrect. Si en effet le terme subtil, attribué à l’âme, est pris absolument, alors ce qui est dit est correct car sans aucun doute l’âme est la réalité la plus incorporelle et la plus subtile. Mais si ce terme n’est pas pris en son sens absolu mais se trouve à être associé à la notion de corps, dans le sens où l’on dirait que l’âme est le plus subtil de tous les corps, alors ce qui est dit n’est pas correct. Et c’est pourquoi le Philosophe, dans son argumentation, ne se sert que de deux caractères, à savoir ceux de mouvement et de connaissance.

69. Cette section se divise donc en trois parties. Sa recherche sur l’âme s’adresse premièrement aux opinions philosophiques selon lesquelles l’âme est un principe de mouvement. Deuxièmement, elle s’adresse aux opinions de ceux qui ont affirmé qu’elle est un principe de connaissance, là où il dit : « Tels sont les trois modes traditionnels par lesquels etc. ». Troisièmement il soulève une question : est-ce que le mouvement, la sensation et la connaissance sont attribués à l’âme comme à un seul principe ou comme à différents principes ?, là où il dit : « Mais puisqu’il appartient à l’âme de connaître etc. ». Quant à la première partie, elle se divise elle-même en deux autres. Dans la première il argumente contre ce qui est dit au sujet de l’âme en tant que principe de mouvement, puisque ces opinions disent de l’âme elle-même qu’elle est le principe du mouvement. Dans la deuxième, il argumente plus précisément contre une certaine opinion qui, en plus de dire que l’âme est un principe de mouvement, attribuait à l’âme quelque chose d’autre, à savoir qu’elle est un nombre qui se meut lui-même, là où il dit : « Il est encore plus déraisonnable que ce qui a déjà été dit etc. » La première partie se divise elle-même en deux autres parties. Premièrement il argumente en effet contre les opinions de ceux qui attribuaient le mouvement à l’âme en tant qu’eux-mêmes attribuaient le mouvement à l’âme. Deuxièmement, il se demande si le mouvement ne pourrait pas être attribué à l’âme d’une autre manière, là où il dit : « Mais il sera plus raisonnable de se demander etc. ». La première de ces deux parties se divise à son tour en deux parties. Dans la première il argumente en général contre ceux qui soutiennent que l’âme est principe de mouvement. Deuxièment il descend dans le particulier à des questions plus spécifiques, là où il dit : « Or, certains disent que l’âme meut le corps etc. » Et la première partie se divise en deux autres. Dans la première il manifeste son propos. Dans la deuxième il présente les raisons sur lesquelles il s’appuie pour manifester son propos, là où il dit : « Or, il existe quatre sortes de mouvements etc. ».

70. Il dit donc en premier lieu, ainsi que cela a été établi précédemment (n. 32), que les philosophes en sont venus à la connaissance de l’âme en empruntant deux voies, à savoir le mouvement et le sens. Et parmi ces voies, il faut d’abord considérer le mouvement. Or, tous les philosophes qui en sont venus à la connaissance de l’âme à partir du mouvement s’appuyaient sur ce même principe qui leur était commun, à savoir que tout ce qui meut est mû : en conséquence, puisqu’il est naturel à l’âme de mouvoir, ils croyaient du même coup qu’il lui est également naturel d’être mue, ce que l’âme tenait de sa substance même. C’est pourquoi ils plaçaient le mouvement dans la définition de l’âme en disant qu’elle est ce qui se meut soi-même.

71. L’argumentation doit donc se faire ici sous deux rapports : elle doit porter sur la raison sur laquelle se fonde cette opinion, puis sur l’opinion elle-même, car les deux sont fausses. En effet, la raison sur laquelle se fonde leur opinion, tout comme leur opinion elle-même, était fausse. En effet, ce qu’ils supposaient être vrai de soi, à savoir que tout ce qui meut est mû, est faux, ainsi que le Philosophe l’a suffisamment prouvé [Physique, L. 8, ch. 5] en montrant qu’il existe un moteur qui est immobile. Sous ce rapport, il convient de montrer brièvement qu’il n’est pas nécessaire qu’un être, s’il meut, soit mû. Il est clair en effet qu’un être, en tant qu’il meut, est en acte, et qu’en tant qu’il est mû, il est en puissance. En conséquence, il est impossible à un même être d’être à la fois en acte et en puissance sous le même rapport.

72. Mais, mettant cela de côté pour l’instant, nous allons argumenter contre leur position qui affirme que l’âme est mue. Ils formulaient en effet ces deux énoncés, à savoir que l’âme est mue, et que le mouvement fait partie de l’essence même de l’âme. Or, Aristote nie les deux énoncés lorsqu’il dit : « Probablement etc. ». Et il dit cela, à savoir « probablement »,  parce qu’il n’avait pas encore prouvé ce qu’il dit, à savoir non seulement qu’il est faux de dire que le mouvement fait partie de la substance de l’âme comme le font ceux qui la définissent en disant que l’âme est ce qui se meut soi-même ou qui peut se mouvoir soi-même, mais qu’il est également absolument impossible qu’il convienne à l’âme elle-même d’être mue.

73. Et au moyen de ce qui a été dit antérieurement, c’est-à-dire au huitième livre de la Physique, il est clair qu’il n’est pas nécessaire que tout moteur soit mû. Dans ce qui se meut soi-même il y a deux choses à considérer : la première, c’est le moteur ; la deuxième, c’est ce qui est mû. Et il est impossible que ce qui meut soit mû par soi. Or chez les animaux, bien que la partie qui meut ne soit pas mue par soi, elle est cependant mue par accident. En effet, tout ce qui est mû, est mû de deux manières : ou bien par elle-même, ou bien par autre chose ou par accident. En effet, la chose est mue par elle-même lorsque c’est la chose elle-même qui est mue, comme le navire ; par accident ou par un autre, lorsque ce n’est pas la chose elle-même qui est mue, mais ce dans quoi elle se trouve : par exemple lorsque le matelot est mû dans le navire non pas parce que lui-même se meut, mais parce que le navire se meut. C’est pourquoi la proposition suivante est vraie, à savoir que le navire est mû par lui-même, alors que le matelot est mû par accident. Et il est évident que le matelot n’est pas mû par lui-même parce que lorsqu’un être est mû par soi, il est mû selon ses parties : ainsi, s’il y a marche, elle se vérifiera d’abord des pieds, ce qu’on n’observe pas chez le matelot lorsqu’il se trouve dans le navire. Il est donc clair qu’il existe deux manières pour une chose d’être mue : par elle-même et par accident. Or, ces philosophes disaient de l’âme qu’elle est mue par elle-même. C’est pourquoi, mettant pour l’instant de côté la question de savoir si l’âme est mue par accident, nous chercherons à savoir si l’âme est mue et si elle participe du mouvement par elle-même, comme ces mêmes philosophes le soutenaient.

74. Et Aristote prouve, au moyen de six raisonnements, que l’âme n’est pas ce qui est mû par soi-même. Et au sujet de ces raisonnements, il faut considérer que bien que ces raisonnements d’Aristote semblent être de peu de valeur, ils sont néanmoins efficaces puisqu’ils s’adressent à une position ; mais pour celui qui recherche la vérité absolument, il faut argumenter autrement, et il faut alors procéder en partant de ce qui est vrai, tandis que celui qui argumente en cherchant à réfuter une position procède à partir de ce qui est donné ou de ce qui est accordé. C’est pourquoi Aristote, lorsqu’il argumente contre une position, semble souvent présenter des raisonnements peu efficaces parce que, pour détruire cette position, il procède à partir de ce qui est concédé.

75. Il présente donc son premier raisonnement là où il dit : « Or, il y a quatre sortes etc. ».

Voici ce raisonnement. Si l’âme est mue, ou bien elle est mue par elle-même, ou bien par accident. Si elle est mue par accident, alors le mouvement ne fera pas partie de sa substance, contrairement à ce que soutient la position ; mais elle sera mue comme le blanc ou la longueur de trois coudées, qui sont mus par accident, et qui par eux-mêmes n’ont pas un lieu naturel. Mais si l’âme est mue par elle-même, elle sera donc mue d’après une des espèces de mouvement. Or, il existe quatre espèces de mouvement, à savoir le mouvement selon le lieu, et les mouvements de croisssance, de décroissance et d’altération. En effet, la génération et la corruption ne sont pas à proprement parler des mouvements mais plutôt des transformations car tout mouvement est successif alors que la génération et la corruption sont des transformations instantanées. Donc, si l’âme est mue par elle-même, elle sera mue suivant l’une de ces espèces de mouvement : soit selon le lieu, soit selon la croissance, soit selon la décroissance, soit selon l’altération. Donc, si l’âme est mue d’après l’un de ces mouvements, puisque ces mouvements sont dans le lieu, l’âme sera elle aussi dans un lieu.

76. Mais ce raisonnement semble présenter deux difficultés : la première se résout manifestement au sujet du mouvement local et des mouvements de croissance et de décroissance, mais plus difficilement au sujet du mouvement d’altération. Et voici comment certains l’entendent : en effet, puisque tout ce qui subit une altération est un corps et que tout corps est dans un lieu, toute altération se produit dans un lieu. Mais cela ne respecte pas intégralement la lettre d’Aristote car ce dernier dit bien que cette sorte de mouvement se produit bien dans un lieu mais que ce n’est pas un mouvement selon le lieu. C’est pourquoi il faut admettre sans aucun doute que cette sorte de mouvement, l’altération, est bien dans un lieu. En effet, c’est autre chose pour un mouvement d’être dans un lieu et d’être selon le lieu ; et l’altération est certes un mouvement qui est dans un lieu, mais elle n’est pas un mouvement selon le lieu ou un mouvement local. En effet, pour qu’il y ait altération, il faut qu’il y ait rapprochement entre ce qui altère et ce qui est altéré, autrement rien n’est altéré. C’est pourquoi, puisque tout rapprochement s’effectue au moyen d’un mouvement local, il faut que ce rapprochement ait pour cause un mouvement local.

77. La deuxième difficulté naît de ce que, selon ceux qui soutiennent cette position, il n’y a aucun inconvénient à dire que l’âme est dans un lieu, puisqu’ils affirment qu’elle est mue par elle-même, et c’est pourquoi le raisonnement d’Aristote semble ne pas être valide. Mais à cela on peut répondre de deux manières. Premièrement en disant que cet inconvénient se trouve à être manifesté dans les raisonnements suivants. Deuxièmement en disant qu’il y a inconvénient pour cette raison que si l’âme était dans un lieu, il faudrait lui assigner un lieu propre et séparé dans le corps, et par conséquent l’âme ne serait plus la forme de tout le corps.

78. Il présente le deuxième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais en outre etc. ». Voici ce raisonnement. Si l’âme était mue par elle-même selon le lieu, son mouvement serait naturel : or, tout ce qui est mû naturellement peut aussi être mû par violence ; mais si un être est mû naturellement, il pourra aussi être en repos naturellement, et s’il est en repos naturellement, il pourra aussi être en repos par violence ; l’âme est donc mue par violence et en repos par violence. Mais cela est impossible, à savoir qu’elle soit mue par violence et qu’elle soit en repos par violence, car le mouvement et le repos de l’âme sont volontaires.

79. Mais il semble y avoir un problème dans ce raisonnement : en effet, ce qui est mû naturellement n’est pas mû par violence. Il faut répondre à cela que cette proposition est fausse si on la prend selon la vérité des choses, mais elle est vraie si elle est prise par rapport à la position examinée car ceux qui soutenaiet cette position n’attribuaient le mouvement naturel qu’aux quatre éléments dans lesquels le mouvement et le repos se produisent naturellement et par violence. Et c’est par rapport à cette position que le raisonnement est valide.

80. Il présente le troisième raisonnement lorsqu’il dit : « De plus, si etc. ». Ceux qui soutiennent cette position disent que l’âme est mue, et que c’est à partir de là qu’elle meut le corps : et ils affirment que l’âme tient son mouvement de l’un des éléments : donc, elle tiendra son mouvement soit du feu, soit de la terre, soit d’un autre élément. En conséquence, si l’âme participe du mouvement du feu, elle sera mue seulement vers le haut ; si elle le tient de la terre, elle sera mue seulement vers le bas. Mais cela est faux car l’âme meut dans toutes les directions. Et ce raisonnement procède lui aussi de ce qui était supposé.

81. Il présente le quatrième raisonnement où il dit : « Mais puisque etc. », lequel se présente comme suit : vous dites que l’âme est mue du fait qu’elle meut le corps : il est donc raisonnable de dire qu’elle meut le corps par les mêmes mouvements par lesquels elle est elle-même mue : et inversement, il sera vrai de dire qu’elle est mue par ces mêmes mouvements par lesquels elle meut le corps. Mais le corps est mû selon un changement de lieu : donc l’âme est mue selon un changement de lieu. Mais si le mouvement de l’âme selon le lieu revient à changer de corps, il sera possible à l’âme de sortir du corps et d’y entrer à nouveau. Et parce que l’entrée de l’âme dans le corps revient à le vivifier, il suit de là qu’il serait naturel à ceux des animaux qui sont morts de ressusciter, ce qui est impossible.

82. Certains s’opposent à ce raisonnement en disant qu’il n’est pas vrai de dire que l’âme meut par les mêmes mouvements par lesquels elle est mue, car, disent-ils, l’âme n’est mue que selon l’appétit et la volonté alors qu’elle meut le corps par d’autres mouvements. Il faut répondre à cela que désirer et vouloir ne sont pas des mouvements de l’âme, mais plutôt ses opérations. Or, le mouvement diffère de l’opération, car le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait, tandis que l’opération est l’acte de ce qui est parfait. Cependant, cette proposition est vraie si on considère la position elle-même, car ceux-là soutenaient que l’âme n’est mobile qu’en tant qu’elle meut le corps.

83. Mais si l’âme est mue selon le lieu, s’ensuit-il toujours cet inconvénient  que les corps des animaux ressuscitent ? Il faut dire que certains ont cru que l’âme est mêlée à tout le corps et qu’elle lui est unie selon une certaine proportion et qu’elle ne s’en sépare que lorsque cette proportion est détruite : c’est pourquoi, selon eux, cet inconvénient ne s’ensuit pas. Mais pour ceux qui soutiennent que l’âme est dans le corps comme dans un lieu ou dans un vase, et qu’il lui arrive d’y entrer et d’en sortir, cet inconvénient, souligné par Aristote, s’ensuit.

84. Il présente le cinquième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais un mouvement etc. ». Et voici comment se présente ce raisonnement. Il est clair qu’il n’est pas nécessaire que ce qui appartient à une chose par elle-même ou essentiellement lui appartienne par un autre, si ce n’est peut-être par accident. Donc, si c’est essentiellement et selon sa nature qu’il appartient à l’âme d’être mue, il est nécessaire que l’âme soit mobile par elle-même et qu’elle n’ait donc pas besoin d’être mue au moyen et par autre chose. Or, nous voyons qu’elle est mue par les qualités sensibles dans la connaissance sensible et par ce qui est désirable dans l’appétit sensible. L’âme n’est donc pas mue par elle-même.

85. Les Platoniciens s’opposent à cela en disant que l’âme n’est pas mue par les qualités sensibles mais que ces dernière se trouvent à rencontrer le mouvement de l’âme dans la mesure où c’est au moyen d’elles que l’âme procède dans le cheminement de sa pensée. Mais cela est impossible car, ainsi qu’Aristote le prouve, c’est par elles, c’est-à-dire par les espèces des choses sensibles, que l’intellect possible passe à l’acte : c’est pourquoi il est nécessaire que l’âme soit mue par elles de cette manière.

86. Aristote présente son sixième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais en outre etc. ». Et il dit que si l’âme se meut elle-même, il est clair qu’elle-même sera mue selon sa substance : mais tout ce qui est mû s’éloigne ou sort de ce par quoi et selon quoi il est mû ; par exemple, si quelque chose est mû par une quantité, il s’éloigne ou sort de cette quantité par laquelle il est mû. Si donc l’âme est mue par sa substance et par elle-même, comme ceux-là le disent, elle s’éloignera et sortira de sa substance et par conséquent son mouvement sera pour elle cause de corruption ; or cette conséquence se trouve à contredire ceux qui soutenaient que l’âme, en raison de son mouvement, se compare aux réalités divines et est immortelle, comme nous l’avons vu plus haut (n. 61). Et ce raisonnement est valide dans la mesure où il réfute ceux qui ne faisaient aucune distinction entre le mouvement et l’opération. En effet, l’opération, contrairement au mouvement dans lequel il faut qu’il y ait un éloignement par rapport à celui qui meut, n’entraîne pas un éloignement par rapport à celui qui opère mais contribue à sa perfection.

 

 

LECTIO 7

[86547] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 1Supra posuit philosophus rationes in communi contra eos qui posuerunt animam secundum se moveri: hic vero ponit rationes in speciali contra quosdam qui aliquid specialis difficultatis videntur dixisse circa opinionem eorum de motu animae. Et circa hoc tria facit. Primo enim ponit rationes ad opinionem Democriti. Secundo vero ad opinionem Platonis, ibi, eodem autem modo et cetera. Tertio vero ad quamdam aliam opinionem, ibi, alia autem quaedam opinio, et cetera. Circa primum duo facit. Primo enim ponit opinionem Democriti de motu animae, et exponit eam. Secundo vero obiicit in contrarium, ibi, nos autem interrogabimus.

 

 

 

 

 

 

[86548] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 2Circa primum sciendum est quod in praecedentibus ponitur in una ratione, scilicet in quarta Aristotelis contra illos, qui ponunt animam moveri secundum se et ex hoc movet corpus. Quod si anima movet corpus, necesse est, quod illis motibus moveat, quibus ipsa movetur. Et hoc concedebant quidam, qui dicunt animam movere corpus in quo est, sicut ipsa movetur, idest illis motibus movere, quibus ipsa movetur. Et hic fuit Democritus. Et inducebat ad hoc similitudinem: quia erat quidam magister comoediarum nomine Philippus. Hic recitavit in libris suis, quod quidam nomine Daedalus fecit statuam ligneam deae Veneris, et haec statua erat mobilis ex eo, quod erat intus argentum fusile, idest vivum, et movebatur motu ipsius argenti vivi. Simile ergo huic dicit Democritus in opinione sua de motu animae. Dicit enim quod anima est composita ex indivisibilibus sphaeris, ut superius patet. Et quia huiusmodi indivisibiles sphaerae, idest atomi, sunt figurae rotundae, continue moventur, et ex eo quod numquam quiescunt, contrahunt et movent totum corpus secundum quod ipsae moventur.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86549] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 3Deinde cum dicit nos autem obiicit Aristoteles contra hanc opinionem Democriti, duabus rationibus. Prima ratio talis est. Constat, quod anima non solum est causa motus in animali, sed quietis. Sed secundum opinionem Democriti, anima non est causa quietis, licet sit causa motus in animali: quia difficile aut impossibile est dicere, quod illa corpora sphaerica indivisibilia quiescant, cum nunquam immota permaneant, ut dictum est.

 

 

[86550] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 4Secundam rationem ponit cum dicit omnino autem quae talis est. Constat quod motus, quem argentum vivum causat in statua, non est motus voluntarius, sed violentus. Sed motus animae non est violentus, sed voluntarius, quia movet per voluntatem et intellectum, et ideo nulla, ut videtur est positio Democriti.

 

 

[86551] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 5Deinde cum dicit eodem autem ponit opinionem Platonis. Et circa hoc duo facit. Primo enim ponit opinionem Platonis. Secundo reprobat eam, ibi, primum quidem igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit similitudinem opinionis Platonicae ad opinionem Democriti. Secundo explicat opinionem Platonis de anima, ibi, constitutam autem ex elementis et cetera. Dicit ergo primo, quod sicut Democritus posuit corpus moveri ab anima inquantum anima coniuncta ipsi movetur, ita et Timaeus qui introducitur a Platone loquens, assignat rationem qualiter anima movet corpus. Dicit enim, quod anima movet corpus inquantum ipsa movetur, propter hoc quod anima coniuncta est corpori per modum cuiusdam colligationis.

 

 

[86552] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 6Deinde cum dicit constitutam autem explicat opinionem Platonis. Et primo exprimit constitutionem substantiae ipsius. Secundo exponit quomodo ex ea procedit motus, ibi, aspectum rectum in circulum reflexit. Circa primum sciendum est, quod Plato haec verba, quae hic ponuntur, in Timaeo prosequitur loquens de anima mundi, quam imitantur, secundum ipsum, inferiores animae. Et ideo per hoc quod hic tangitur de natura animae mundi, tangitur quodammodo natura omnis animae. Sciendum est igitur, quod sicut supra dictum est, Plato posuit substantiam omnium rerum esse numerum, ratione superius dicta. Elementa autem numeri ponebat unum quasi formale, et duo quasi materiale. Ex uno enim et duobus omnes numeri constituuntur. Et quia impar numerus quodammodo retinet aliquid de indivisione unitatis, posuit duo elementa numeri, par et impar; et impari attribuit identitatem et finitatem, pari autem attribuit alteritatem et infinitatem.

 

 

 

 

 

 

[86553] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 7Cuius signum tangitur in tertio physicorum; quia si supra unitatem impares numeri per ordinem adduntur, semper producitur eadem figura numeralis. Puta, si supra unum addantur tria, qui est primus impar consurgunt ipsum quatuor, qui est numerus quadratus: quibus rursus si addatur secundus impar, scilicet quinarius, consurgit novenarius, qui item est numerus quadratus, et sic semper in infinitum. Sed in numeris paribus semper surgit alia et alia figura. Si enim unitati addatur binarius, qui est primus par, consurgit ternarius, qui est numerus triangularis; quibus si rursus addatur quaternarius, qui est secundus par, consurgit septenarius, qui est septangulae figurae, et sic in infinitum. Sic ergo Plato ponebat idem et diversum esse elementa omnium rerum, quorum unum attribuebat numero impari, aliud vero numero pari.

 

[86554] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 8Quia vero substantiam animae ponebat mediam inter substantias superiores, quae semper eodem modo se habent, et substantias corporeas in quibus alteritas et motus invenitur: posuit animam constare ex his elementis, scilicet ex eodem et diverso, et ex numeris paribus et imparibus. Medium enim debet esse affine utrique extremorum. Et ideo dicit, quod posuit eamconstitutam ex elementis.

 

 

[86555] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 9Item sciendum est, quod in numeris sunt diversae proportiones, et infinitae; quarum aliquae sunt harmonicae, idest consonantiarum causa. Nam dupla proportio est causa consonantiae, quae dicitur diapason; sesquialtera proportio causat consonantiam, quae dicitur Diatessaron; sesquioctava proportio causat tonum; et aliae consonantiae, quibusdam aliis proportionibus causantur. Puta, ea quae est composita ex diapason et diapente, causatur ex tripla: ea quae sub diapason causatur ex quadrupla, quam quidem Pythagoras deprehendit, ut Boetius refert in musica, ex percussione quatuor malleorum, qui consonantes sonos reddebant secundum praedictas proportiones. Puta si unus martellus ponderaret duodecim uncias, alius novem, alius octo, alius sex, ille qui esset duodecim haberet duplam proportionem ad eum qui sex, et redderetur cum eo consonantia diapason. Ille autem qui est duodecim ad eum qui octo sub sesquialtera proportione, et consonat secundum diapente; et similiter qui novem ad eum qui sex. Item qui duodecim ad eum qui novem est in sesquitertia proportione, et consonat cum eo Diatessaron; et similiter qui octo ad eum qui sex. Qui autem novem ad eum qui octo, cum sit in sesquioctava proportione, consonat secundum totum.

 

 

 

 

 

 

[86556] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 10Licet autem Plato posuerit res omnes ex numeris constitui, non tamen ex numeris habentibus proportiones harmonicas: sed animam posuit esse constitutam secundum numeros habentes huiusmodi proportiones. Et ideo dicit, quod posuit eam dispartitam, idest quasi dispensatam, secundum harmonicos numeros, idest secundum numeros proportionatos adinvicem secundum musicam proportionem. Posuit enim ex his numeris animam constitutam, scilicet ex uno, duobus, tribus, quatuor, octo, novem, vigintiseptem, in quibus huiusmodi proportiones inveniuntur.

 

 

[86557] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 11Duplici autem ex causa animam posuit constitutam ex numeris harmonicis. Una est, quia unumquodque delectatur in eo quod est sibi simile et connaturale. Videmus autem quod anima delectatur in omnibus harmonizatis, et offenditur ex his quae sunt praeter debitam harmoniam, tam in sonis quam in coloribus, quam etiam in quibuscumque sensibilibus: unde videtur harmonia de natura animae esse. Et hoc est quod dicit anima habet sensum, idest cognitionem connaturalem harmoniae.

 

 

[86558] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 12Alia ratio est, quia Pythagorici et Platonici posuerunt ex motibus caelorum provenire sonos optime harmonizatos; et quia motus caelestes ponebant esse ab anima mundi, posuerunt animam esse ex numeris harmonicis, ut posset causare motus harmonizatos. Et hoc est quod dicit: et ut omne, idest universum feratur secundum consonantes motus.

 

[86559] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 13Deinde cum dicit aspectum rectum docet quomodo ex anima procedat motus caelestis. Ubi considerandum est, quod omnes numeri secundum naturalem ordinem accepti, linealiter dispositi sunt secundum rectitudinem, prout unus addit super alterum. Sed ex naturali serie numerorum potest aliquis accipere plures series: puta si accipiat homo quasi in una rectitudine totam seriem duplorum, et in alia totam seriem triplorum, et in alia totam seriem quadruplorum, et sic de aliis. Quia igitur homo sua cognitione potest circa numeros operari: hoc et Deus facit constituendo substantias rerum ex numeris. Unde in constituendo substantiam animae ex numeris supradictis, qui omnes naturali ordine sunt in una rectitudine, quasi duas lineas divisit: unam duplorum, et alteram triplorum; hae enim proportiones omnes harmonicas continent. Nam dupla proportio dividitur in sesquialteram et sesquitertiam. Et tripla in duplam et sesquialteram. Igitur in praedictis numeris accipitur series duplorum usque ad numerum cubicum: ut puta unum, duo, quatuor, octo; et alia series triplorum eodem modo, ut puta unum, tria, novem, vigintiseptem: quae quidem duae series in unitate coniunguntur ac si essent duae lineae rectae angulum continentes.

 

 

 

 

 

 

[86560] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 14Rursus, si unitati coniungantur quae sunt in linea triplorum, resultabunt numeri qui sunt in linea duplorum: puta si unitati addatur trinarius, fient quatuor; et e converso, si unitati addatur binarius fient tria. Et sic constituentur quasi duae lineae sese invicem intersecantes, secundum modum literae Graecae quae vocatur XI.

 

[86561] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 15Si autem procedatur ulterius, redibitur ad eosdem numeros. Nam a quatuor proceditur ad octo, et a tribus redibitur ad vigintiseptem, et sic utrobique concluditur: quasi quidam circulus.

[86562] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 16Sciendum autem est, quod Plato ea quae inveniebantur in natura magis composita, dicebat provenire ex proprietate naturae magis simplicis, sicut consonantias sonorum ex proportionibus numerorum. Substantiam autem animae ponebat mediam inter numeros, qui sunt maxime abstracti, et inter substantiam sensibilem; et ideo proprietates animae deducebat ex proprietatibus praedictis numerorum. Nam in anima est considerare primo aspectum rectum, secundum quod aspicit directe ad suum obiectum; et postea reditur in circulum inquantum intellectus reflectit se supra seipsum. Invenitur etiam in anima intellectiva quasi circulus parium et imparium, inquantum cognoscit ea quae sunt eiusdem, et quae sunt diversae naturae; et hoc ulterius protenditur usque ad substantiam sensibilem caeli, quam anima movet.

 

 

[86563] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 17Nam in caelo consideratur duplex motus circularis: unus simplex et uniformis, secundum quem caelum movetur seu revolvitur motu diurno ab oriente in occidentem, qui quidem fit secundum circulum aequinoctialem. Alius autem motus est planetarum, qui est ab occidente in orientem secundum circulum zodiacum, qui intersecat aequinoctialem in duobus solstitialibus punctis, scilicet in principio cancri, et Capricorni.

[86564] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 18Et quia motus primus est uniformis, ideo non dividitur in plures motus, et assimilatur circulo imparium, et propter hoc etiam circulus primus maior est. Nam impares numeri superius positi maiores sunt.

[86565] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 19Secundus autem motus facit multam diversitatem; et ideo videtur pertinere ad circulum parium; et dividitur in septem circulos secundum sex interstitia duplorum et triplorum numerorum, ut dicitur in Timaeo. Ubi enim sunt sex divisiones, necesse est esse septem divisa. Unde et isti circuli minores sunt, et continentur a supremo circulo qui est imparium. Sic ergo legenda est litera:ut omne, idest universum, feratur secundum consonantes motus, idest ut ex harmonia animae deriventur motus caelestes harmonizati aspectum rectum. Deus reflexit in circulum eo modo quo est expositum, et secundum proprietatem numeri, et secundum proprietatem animae, et dividens ex uno, propter unam naturalem seriem numeri, et unam vim intellectivam animae, in duos circulos, scilicet parium et imparium quantum ad numeros, intelligentiam mobilium et immobilium quantum ad animam, motum secundum aequinoctialem et zodiacum quantum ad caelum.

 

 

[86566] Sentencia De anima, lib. 1 l. 7 n. 20Addit autem dupliciter coordinatos, quia duo circuli se intersecantes tangunt se in duobus punctis. Iterum unum, scilicet inferiorem, divisit in septem circulos quasi planetarum, tamquam caeli motus essent animae motus, idest ac si caelum moveretur per motum animae.

Leçon  7

87. Après avoir présenté en général ses raisonnements dirigés contre ceux qui ont soutenu que l’âme est mue par elle-même, ici il présente des raisonnements qui sont s’adressent spécialement à certains qui semblent avoir dit quelque chose comportant une difficulté spéciale dans leur opinion sur le mouvement de l’âme. Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il présente les raisonnements dirigés contre l’opinion de Démocrite. En deuxième lieu, ceux qui sont dirigés contre l’opinion de Platon, lorsqu’il dit : « Mais c’est de la même manière, etc. ». En troisième lieu, il présente les raisonnements dirigés contre une autre opinion, là où il dit : « Or, il y a une autre opinion, etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement en effet il présente l’opinion de Démocrite au sujet du mouvement de l’âme, et il l’explique. Deuxièmement, il présente des objections à l’encontre de cette opinion, là où il dit : « Mais nous demanderons etc. ».

88. Au sujet du premier point, il faut savoir que nous avons affirmé précédemment, dans un raisonnement, c’est-à-dire dans le quatrième argument d’Aristote dirigé contre ceux qui soutiennent que l’âme est mue par elle-même et que c’est à partir de là qu’elle meut le corps, que si l’âme meut le corps, il est nécessaire qu’elle le mette en mouvement par ces mêmes mouvements par lesquels elle-même est mue. Et c’est justement ce que certains, comme Démocrite, concédaient, c’est-à-dire ceux qui disent que l’âme meut le corps dans lequel elle se trouve de la même manière qu’elle-même est mue, c’est-à-dire qu’elle le meut par ces mouvements par lesquels elle-même est mue. Et pour le manifester, Aristote présente une similitude : il existait en effet un maître en pièces de théâtre dénommé Philippe, qui rapporta dans ses livres qu’un certain Dédale fit une statue de bois de la déesse Vénus, et que cette statue était mobile du seul fait que du vif-argent y avait été versé, et qu’elle était en mouvement par le mouvement du vif-argent lui-même. C’est donc d’une manière semblable que s’exprime Démocrite dans son opinion sur le mouvement de l’âme. Ce dernier dit en effet que l’âme est composée de sphères indivisibles, comme nous l’avons vu précédemment (n. 34 ; 56). Et parce que ces sphères indivisibles, c’est-à-dire les atomes, sont de figure sphérique, elles sont continuellement en mouvement, et du fait qu’elles ne sont jamais en repos, elles contraignent la totalité du corps à se mouvoir de la même manière qu’elles-mêmes sont mues.

89. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais nous demanderons etc. », Aristote s’oppose à cette opinion de Démocrite au moyen de deux raisonnements dont voici le premier. Il est clair que l’âme, chez l’animal, n’est pas seulement cause de mouvement mais aussi de repos. Or, selon l’opinion de Démocrite, l’âme n’est pas cause de repos, bien qu’elle soit cause de mouvement, parce qu’il est difficile ou même impossible de voir comment ces corps indivisibles et sphériques pourraient se reposer puisqu’ils ne demeurent jamais immobiles, comme nous l’avons dit.

90. Il présente le deuxième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais il est absolument etc. » Et voici ce raisonnement. Il est clair que le mouvement que le vif-argent cause dans la statue n’est pas un mouvement volontaire et qu’il est violent. Mais le mouvement de l’âme n’est pas violent mais volontaire, car il meut par la volonté et l’intelligence, et c’est pourquoi il semble  bien que la position de Démocrite soit nulle.

91. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais c’est de la même etc. », il présente l’opinion de Platon. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il présente l’opinion de Platon. Deuxièmement, il la rejette, là où il dit : « Mais d’abord, etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il présente la ressemblance qu’il y a entre la position de Platon et celle de Démocrite. Deuxièmement, il explique la position de Platon au sujet de l’âme, là où il dit : « Car, ayant été constituée à partir des éléments, etc. ». Il dit donc en premier lieu que tout comme Démocrite soutenait que le corps est mû par l’âme dans la mesure où l’âme qui lui est unie est elle-même mue, de même Timée, parlant par la bouche de Platon, donne la raison pour laquelle l’âme meut le corps : il dit en effet que l’âme meut le corps parce qu’elle-même est mue pour cette raison que l’âme est jointe au corps par mode d’entrelacement.

92. Ensuite, lorsqu’il dit : « Car, ayant été constituée etc. », il explique l’opinion de Platon, et il le fait d’abord en exprimant la constitution de la substance de l’âme selon Platon. Deuxièmement, il explique comment le mouvement procède de cette constitution, là où il dit : « Il courba en cercle la dimension rectiligne etc. ». Au sujet du premier point, il faut savoir que Platon, au moyen des paroles qui sont présentées ici dans Le Timée, continue de parler de l’âme du monde que se trouvent à imiter, selon lui, les âmes inférieures. Et c’est pourquoi, en traitant ici de la nature de l’âme du monde, il se trouve aussi à traiter en quelque sorte de la nature de toute âme. Il faut donc savoir, comme nous l’avons dit précédemment (n. 46-51), que Platon soutenait que la substance de toutes les choses est le nombre, pour la raison que nous avons dite plus haut. Mais parmi les éléments du nombre, il affirmait que le nombre un est l’élément formel alors que le nombre deux est l’élément matériel. En effet, tous les nombres sont constitués de un et de deux. Et parce que le nombre impair retient en quelque sorte quelque chose de l’indivision de l’unité, il posa deux éléments du nombre, à savoir le pair et l’impair ; et il attribua à l’impair l’identité et la finitude, alors qu’il attribua au pair l’altérité et l’infinité.

93. Aristote [Physique, L. 3, ch. 4] en donne un signe car si des nombres impairs sont ajoutés dans l’ordre à l’unité, cela entraîne toujours l’apparition d’une même figure numérale. Par exemple, si on ajoute trois, qui est le premier nombre impair, à un, on obtient quatre qui est un nombre carré ; et si on ajoute à quatre le deuxième nombre impair, à savoir cinq, on obtient neuf qui est aussi un nombre carré, et il en est toujours ainsi à l’infini. Mais pour les nombres pairs, c’est toujours une autre figure qui est obtenue. Par exemple, si on ajoute deux, qui est le premier nombre pair, à l’unité, on obtient trois qui est un nombre triangulaire ; et si on ajoute à trois le nombre quatre, qui est le deuxième nombre pair, on obtient sept qui est de figure septangulaire, et il en est toujours de même à l’infini. Ainsi donc, Platon soutenait que le même et l’autre sont les éléments de toutes les choses, et il attribuait le premier au nombre impair, le second au nombre pair.

94. Mais parce qu’il soutenait que la substance de l’âme est comme intermédiaire entre les substances supérieures, qui sont toujours les mêmes, et les substances corporelles, dans lesquelles on retrouve l’altérité et le mouvement, Platon affirma que l’âme consiste en ces éléments, à savoir le même et l’autre, et en les nombres pairs et impairs. En effet, l’intermédiaire doit participer des deux extrêmes. Et c’est pourquoi Aristote dit que Platon affirma que l’âme est constituée de ces éléments.

95. Il faut en outre savoir que dans les nombres il y a des proportions diverses et infinies, dont certaines sont harmoniques, c’est-à-dire causes d’harmonie. Car la proportion du double est cause de l’harmonie qu’on appelle l’octave ; la proportion sesquialtère est cause de l’harmonie qu’on appelle la quarte ; la proportion sesquioctave cause de l’harmonie qu’on appelle le ton, et les autres harmonies sont causées par d’autres proportions. Par exemple, celle qui est composée de l’octave et de la quinte est causée par la proportion du triple ; la double-octave est causée par la proportion du quadruple, laquelle fut trouvée par Pythagore à partir de la percussion de quatre marteaux qui rendaient des sons harmonieux conformément aux proportions que nous venons de dire, ainsi que le rapporte Boèce [La Musique, L. 1, ch. 10]. Par exemple, si un marteau pesait douze onces, un autre neuf, un autre huit, un autre six, celui qui pesait douze onces était dans la proportion du double à l’égard de celui qui en pesait six et rendait avec lui l’harmonie de l’octave. Mais celui qui pesait douze onces, à l’égard de celui qui en pesait huit, étant dans la proportion sesquialtère avec lui, produit avec lui la proportion de la quinte, et il en allait de même pour celui qui en pesait neuf à l’égard de celui qui en pesait six. En outre, celui qui pèse douze onces, à l’égard de celui qui en pèse neuf, est dans la proportion sesquitierce et est avec lui dans l’harmonie de la quarte, et il en va de même pour la proportion de huit à six. Mais pour ce qui est de la proportion de neuf à huit, puisqu’il s’agit de la proportion de la sesquioctave, elle produit l’harmonie du ton.

96. Cependant, bien que Platon soutenait que toutes les choses sont constituées de nombres, il n’allait pas jusqu’à dire qu’elles étaient toutes constituées de nombres possédant des proportions harmoniques. Il soutenait cependant que l’âme est constituée de nombres possédant de telles proportions. C’est pourquoi Aristote dit de Platon qu’il affirma que l’âme est « répartie », c’est-à-dire comme partagée « selon des nombres harmoniques », c’est-à-dire selon des nombres qui étaient proportionnés entre eux selon une proportion musicale. Il soutenait en effet que l’âme est constituée de ces nombres, à savoir un, deux, trois, quatre, huit, neuf, vingt-sept, entre lesquels on retrouve de telles proportions.

97. C’est pour deux raisons en effet qu’il affirma que l’âme est constituée de nombres harmoniques. La première, c’est que toute chose trouve du plaisir dans ce qui lui est semblable et connaturel. Or, nous voyons que l’âme se délecte dans tout ce qui est harmonieux et souffre de tout ce qui est contraire à l’harmonie attendue, aussi bien dans les sons que dans les couleurs, mais aussi dans tout ce qu’il perçoit par ses sens : c’est pourquoi il semble que l’harmonie fasse partie de la nature de l’âme. Et c’est bien cette pensée que Platon exprime lorsqu’il dit que « l’âme possède le sens », c’est-à-dire une connaissance « innée de l’harmonie ».

98. La deuxième raison est que les Pythagoriciens et les Platoniciens soutenaient que les sons les plus harmonieux provenaient des mouvements des corps célestes ; et parce qu’ils disaient que les mouvements célestes procédaient de l’âme du monde, ils affirmèrent que l’âme est composée des nombres harmoniques de manière à pouvoir causer des mouvements harmonisés. Et c’est ce que Platon dit : « et afin que tout », c’est-à-dire l’univers, « accomplisse des mouvements harmonisés ».

99. Et ensuite, lorsqu’il dit : « la dimension rectiligne », il enseigne comment le mouvement céleste procède de l’âme. Il faut considérer ici que tous les nombres, pris selon leur ordre naturel, sont disposés linéairement, selon une ligne droite, pour autant que l’un ajoute à l’autre. Mais à partir d’une série naturelle de nombres, on peut en tirer plusieurs autres. Par exemple, si un homme prend comme sur une ligne droite toute la série des doubles et sur une autre toute la série des triples, et sur une autre toute la série des quadruples, et fait de même pour les autres séries. Donc, parce que l’homme peut opérer sur les nombres par la connaissance qu’il en a, c’est ce que Dieu fait aussi en constituant les substances des choses à partir des nombres. En conséquence, en constituant la substance de l’âme à partir des nombres dont on vient de parler, qui par un ordre naturel sont tous sur une même ligne droite, il se trouve comme à séparer deux lignes : l’une est celle des doubles, l’autre celle des triples ; ce sont ces proportions qui contiennent en effet toutes les harmonies car la proportion du double se divise en celle du sesquialtère et en celle du sesquitierce, tandis que la proportion du triple se divise en celle du double et en celle du sesquialtère. Donc, dans les nombres dont on vient de parler on prend la série des doubles jusqu’au nombre cube, par exemple : un, deux, quatre et huit ; et on prend la série des triples de la même manière, comme par exemple : un, trois, neuf, vingt-sept. Et ces deux lignes sont certes réunies dans l’unité comme si elles étaient deux lignes droites contenant un angle.

100. De plus, si les nombres qui sont dans la ligne des triples sont joints à l’unité, il en résultera les nombres qui sont dans la ligne des doubles ; par exemple, si on ajoute le nombre trois à l’unité, il en résulte quatre ; et à l’inverse, si on ajoute deux à l’unité, il en résultera trois. Et par conséquent, on voit se constituer deux lignes qui s’entrecoupent réciproquement à la manière de la lettre grecque qu’on appelle chi.

101. Mais si on s’avance plus loin, on en revient aux mêmes nombres, car à partir de quatre on s’avance vers huit, et de trois on en arrive à vingt-sept, et ainsi c’est comme un cercle qui se referme à partir de ces deux lignes.  

102. Il faut cependant savoir que Platon disait que les choses qui se trouvent à être d’une nature plus composée dans la nature proviennent de la propriété d’une nature plus simple, comme les harmonies des sons proviennent des proportions des nombres. Or, il affirmait que la substance de l’âme est intermédiaire entre les nombres, lesquels sont très abstraits, et la substance sensible ; et c’est pourquoi il faisait dériver les propriétés de l’âme des propriétés dont nous avons parlé au sujet des nombres. Car dans l’âme il faut considérer d’abord la dimension rectiligne selon laquelle elle examine directement son objet ; puis l’âme revient à une dimension circulaire dans la mesure où l’intelligence réfléchit sur elle-même. On retrouve aussi dans l’âme intellectuelle comme un cercle des nombres pairs et impairs dans la mesure où elle connaît les choses qui sont de même nature et celles qui sont de nature différente. Et cela s’étend jusqu’à la substance sensible du ciel que l’âme meut.

103. Car dans le ciel il y a deux sortes de mouvements circulaires à considérer : le premier qui est simple et uniforme selon lequel le ciel est mû ou tourne d’un mouvement diurne de l’orient à l’occident, lequel se produit certes selon le cercle de l’équinoxe ; le deuxième est celui des planètes et qui s’effectue de l’occident à l’orient selon le cercle du zodiaque qui entrecoupe le cercle de l’équinoxe en deux points du solstice, c’est-à-dire au début du Cancer et du Capricorne.

104. Et parce que le premier mouvement est uniforme, c’est pourquoi il ne se divise pas en plusieurs autres mouvements et est assimilé au cercle des impairs et c’est pour cela aussi que le premier cercle est plus grand car les nombres impairs présentés plus haut sont plus grands.

105. Mais le deuxième mouvement présente une grande diversité et c’est pourquoi il semble appartenir au cercle des pairs ; et il se divise en sept cercles selon six interstices des nombres doubles et triples ainsi qu’on le dit dans le Timée. En effet, là où il y a six divisions, il est nécessaire qu’il y ait sept éléments divisés. Il en résulte que ces cercles sont plus petits et contenus dans un cercle suprême constitué de nombres impairs. Ainsi donc, il faut lire le texte de la manière suivante : « afin que tout », c’est-à-dire l’univers, « accomplisse des mouvements harmonieux », c’est-à-dire afin que les mouvements célestes harmonieux dérivent de l’harmonie de l’âme. Ensuite, on y lit que Dieu « a courbé en cercle la dimension rectiligne », de la manière qui a été expliquée, à la fois selon la propriété du nombre et selon la propriété de l’âme, « en la divisant à partir de l’un », c’est-à-dire à cause de l’unique série naturelle du nombre et de l’unique puissance intellectuelle de l’âme, « en deux cercles », c’est-à-dire celui des pairs et des impairs quant aux nombres, l’intelligence des mobiles et des immobiles quant à l’âme et le mouvement selon l’équinoxe et le zodiaque quant au ciel.

106. Mais il ajoute : « rattachés en deux points », parce que deux cercles qui s’entrecoupent se touchent en deux points. « En outre il a divisé l’un d’eux », c’est-à-dire le cercle inférieur, « en sept cercles », ceux des planètes, « comme si les mouvements du ciel étaient les mouvements mêmes de l’âme », c’est-à-dire comme si le ciel était mû par le mouvement de l’âme.

 

 

 

 

LECTIO 8

 

 

 

 

[86567] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 1Posita opinione Platonis, hic Aristoteles reprobat eam. Ubi notandum est, quod plerumque quando reprobat opiniones Platonis, non reprobat eas quantum ad intentionem Platonis, sed quantum ad sonum verborum eius. Quod ideo facit, quia Plato habuit malum modum docendi. Omnia enim figurate dicit, et per symbola docet: intendens aliud per verba, quam sonent ipsa verba; sicut quod dixit animam esse circulum. Et ideo ne aliquis propter ipsa verba incidat in errorem, Aristoteles disputat contra eum quantum ad id quod verba eius sonant.

 

 

 

 

 

[86568] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 2Ponit autem Aristoteles rationes decem ad destruendum suprapositam opinionem: quarum quaedam sunt contra eum, et quaedam contra verba eius. Non enim Plato voluit, quod secundum veritatem intellectus esset magnitudo quantitativa, seu circulus, et motus circularis; sed metaphorice hoc attribuit intellectui. Nihilominus tamen Aristoteles, ne aliquis ex hoc erret, disputat contra eum secundum quod verba sonant.

 

 

[86569] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 3Primo ergo Aristoteles circa primam rationem, manifestat de qua anima Plato intellexit, scilicet de anima universi. Et hanc scilicet animam, quae est omnis, idest universi, vult esse intellectivam tantum. Non enim est vegetabilis, quia non indiget nutrimento: nec est sensibilis, quia caret organo: nec est desiderativa, quia desiderativa consequitur sensitivam. Et dixit ideo animam universi non esse sensibilem neque desiderativam, quia ipse voluit quod motus animae universi esset circularis. Unde cum motus harum, scilicet sensibilis et desiderativae, non sit circularis (non enim sensus reflectitur super seipsum, intellectus vero reflectitur super seipsum, homo enim intelligit se intelligere); ideo dicit illam animam intellectivam tantum esse; et ideo dicit intellectum esse magnitudinem quamdam et circulum.

 

 

 

 

 

 

[86570] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 4Et hoc Aristoteles reprobat dicens, quod Plato non bene dixit animam esse magnitudinem. Et quod locutus est de ea sicut de magnitudine circulari, dividens eam in duos circulos, male fecit.

[86571] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 5Et quod male fecerit ostendit. In natura enim animae hoc est, ut iudicium de aliqua potentia animae sumatur ex actu seu operatione ipsius potentiae, iudicium vero operationis ex obiecto: potentiae enim cognoscuntur per actus, actus vero per obiecta: et inde est, quod in definitione potentiae ponitur eius actus et in definitione actus ponitur obiectum. Constat autem quod res ab eo a quo habet esse et speciem, ab eo etiam habet unitatem. Si ergo intellectus sit et sortiatur speciem ab intelligibili, cum sit eius obiectum (dico intellectum in actu, cum nihil sit ante intelligere), manifestum est, quod si sit unus et continuus sicut Plato posuit, quod eodem modo intellectus erit unus et continuus, quo intelligibilia sunt unum et continuum; intellectus enim non est unus nisi sicut intelligentia, idest operatio eius quae est intelligere, nec actus est unus nisi sicut obiectum eius est unum, quia actus distinguuntur penes obiecta. Unde, cum obiectum intellectus sint intelligibilia, haec autem, scilicet intelligibilia, non sunt unum ut magnitudo seu continuum, sed sicut numerus, eo quod consequenter se habeant, manifestum est, quod intellectus non est magnitudo, sicut Plato dicebat. Sed aut est impartibilis, sicut se habet ratio primorum terminorum, aut non est continuus sicut aliqua magnitudo, sed sicut numerus, inquantum unum post aliud intelligimus, et saepe plures terminantur in unum, sicut in syllogismis terminantur proportiones in conclusionem.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86572] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 6Secundam rationem ponit ibi qualiter autem quae talis est. Posset aliquis dicere, quod Plato non posuit magnitudinem in intellectu propter multa intelligibilia; sed oportet quod sit in intellectu magnitudo etiam propter unumquodque intelligibilium.

 

[86573] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 7Contra. Hoc non potest esse. Plato enim ponit, et opinatus est, quod intelligere non fiat per acceptionem specierum in intellectu, sed quod intellectus intelligat per quemdam contactum, inquantum scilicet occurrit et obviat speciebus intelligibilibus; et istum contactum attribuit circulo, sicut supra dictum est. Quaero ergo a te, si intellectus est magnitudo, et intelligit secundum contactum, qualiter intelligat. Aut enim hoc quod intelligit, tangit secundum totum, aut secundum partem eius: si secundum totum contingens intelligit totum, tunc partes non erunt necessariae, sed erunt frustra; et sic non est necesse, quod sit intellectus magnitudo et circulus. Si vero secundum partes contingens, intelligit partes, aut hoc erit secundum plures partes, aut secundum unam tantum: si secundum unam tantum, sic idem quod prius, quia aliae erunt superfluae, et sic non erit necessarium ponere intellectum habere partes. Si vero contingens secundum omnes partes, intelliget, aut hoc erit secundum partes punctales, aut secundum partes quantitativas: si secundum partes punctales, tunc, cum in qualibet magnitudine sint infinita puncta, oportet quod infinities tangat antequam intelligat; et sic nunquam intelliget, cum non sit infinita pertransire.

 

 

 

 

 

 

 

[86574] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 8Dicit autem partes punctuales, non quod velit magnitudinem in partes punctales dividi, sed disputat ad rationem Platonis, qui fuit huius opinionis, quod corpus componeretur ex superficiebus, et superficies ex lineis, et linea ex punctis. Quod ipse improbat in sexto (in principio) physicorum, ubi ostendit quod punctum additum puncto nihil addit.

 

[86575] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 9Si vero intelligit contingens secundum partes quantitativas, tunc, cum quaelibet pars dividatur in multas partes, sequitur, quod multoties intelligat, idem. Item cum omnis quantitas sit divisibilis in infinitum secundum eamdem proportionem, et non secundum eamdem quantitatem, sequitur quod infinities intelligat, quod est inconveniens. Videtur ergo quod non contingat nisi semel; et sic nullo modo debet attribui intellectui magnitudo, neque quantum ad multa intelligibilia, neque quantum ad unum.

 

[86576] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 10Et notandum, quod hic Aristoteles occulte ostendit, quod intellectus de natura sua non est partibilis, sed quid impartibile. Intelligibile enim in unaquaque re est quidditas, et natura rei est tota in qualibet parte, sicut natura speciei est tota in quolibet individuo: tota enim natura hominis est in quolibet individuo, et hoc est indivisibile: unde illud quod est intelligibile in qualibet re, est indivisibile, et per consequens intellectus.

[86577] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 11Tertiam rationem ponit cum dicit amplius quomodo quae talis est. Constat quod si nos ponimus intellectum impartibilem, de facili patebit ratio, quomodo intelligat impartibile et partibile: quia impartibile intelliget secundum proprietatem suae naturae, eo quod impartibilis est, ut dictum est; partibile vero intelliget abstrahendo a partibili. Sed si intellectus ponatur partibilis secundum quod Plato vult, impossibile erit invenire rationem quomodo intelligit impartibile. Et sic videtur, quod inconvenienter Plato ponat intellectum esse magnitudinem seu partibilem.

 

 

 

 

 

[86578] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 12Quartam rationem ponit cum dicit necessarium autem quae talis est. Tu dicis intellectum esse circulum, et dicis intellectum moveri: sed motus circuli est circulatio, motus vero intellectus est intelligentia, hoc est intelligere: ergo si intellectus est circulus, de necessitate intelligentia erit circulatio. Sed hoc est falsum; quia cum in circulatione non sit invenire actu principium neque finem, ut probatur in octavo physicorum, sequitur etiam quod intelligentia seu operatio ipsius intellectus, quae est intelligere, nunquam terminatur. Sed hoc est falsum: quia intelligentia habet actu et principium et finem: ergo intelligentia et circulatio non sunt idem, et per consequens nec intellectus est circulus.

 

 

 

 

 

[86579] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 13Quod autem intelligentia habeat principium et finem actu, probatur: quia omnis intelligentia aut est practica, aut speculativa: sed constat quod practicarum intelligentiarum termini sunt, idest fines. Nam omnes sunt alterius causa, scilicet operis, et ad opus terminantur. Speculativae etiam intelligentiae finem habent, scilicet rationes, omnes enim terminantur ad aliquas rationes: quae quidem rationes, aut sunt definitio, scilicet in simplici intelligentia, aut demonstratio, scilicet cum componit et dividit. Sed demonstrationes primae ex principiis certis sunt, et habent quodammodo finem syllogismum aut conclusionem.

 

 

[86580] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 14Et si dicatur, quod ex una conclusione sequitur alia, et sic non terminatur; nihilominus tamen potest dici, quod conclusiones non sunt circulares, quia non est circulo demonstrare, ut probatur in primo posteriorum, sed tendunt in rectum; et impossibile est in rectum invenire motum infinitum seu processum.

 

[86581] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 15Definitiones etiam habent principium et finem, quia non est ascendere in infinitum in generibus, sed accipitur quasi primum genus generalissimum: nec etiam est descendere in infinitum in speciebus, sed est stare in specie specialissima. Unde genus generalissimum est principium, species vero specialissima sicut terminus seu finis in definitionibus. Et sic patet, quod omnis intelligentia principium habet et finem actu.

 

 

[86582] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 16Quintam rationem ponit cum dicit amplius autem quae pendet quodammodo ex praecedenti, et est quasi quoddam membrum eius. Supra enim probatum est, quod si intellectus est circulus, sicut Plato posuit, intelligentia erit circulatio; et probavit superiori ratione, quod intelligentia non est circulatio: et hoc idem probat hic tali ratione. Videmus quod haec differentia est inter circulationem et alios motus, quia impossibile est in aliis motibus, unum et eumdem motum reiterari super eamdem quantitatem multoties. Et hoc apparet deducendo per singulas species motus. In alteratione enim impossibile est eumdem motum super idem reiterari: non enim idem secundum idem de albo fit nigrum, et de nigro album. In motu etiam augmenti impossibile est unum et idem secundum idem augmentari et diminui. In motu etiam locali impossibile est eumdem motum secundum idem reiterari, quia in motu locali secundum rectum semper sunt duo termini, scilicet actu. Unde si reiteraretur, oportet termino ad quem uti bis, quia ut fine et principio, et de necessitate interveniret ibi quies, et sic non esset idem motus numero. In circulatione vero solum hoc contingit, quod unus et idem motus secundum eamdem quantitatem multoties reiteraretur. Cuius ratio est, quia in circulatione non sunt aliqui termini actu; et ideo, quantumcumque reiteretur, non intervenit quies, nec variatur motus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86583] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 17Ex hoc ergo sic arguit: tu dicis, quod intellectus est circulus: ergo et intelligentia sic circulatio est: sed hoc est inconveniens, scilicet quod intelligentia sit circulatio: ergo et primum.

 

 

[86584] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 18Quod sit inconveniens ostendit. Constat quod eadem circulatio secundum unum et idem multoties est, idest reiteratur: ergo si intelligentia est circulatio, sicut dicis, intelligentia multoties secundum unum et eumdem motum, et super idem multoties reiterabitur, et sic multoties intelliget idem: intellectus enim movendo se tangit, et tangendo intelligit, sicut ipsi dicunt, et circulariter multoties tangit idem, et sic multoties intelliget idem, quod est inconveniens.

 

 

 

 

 

[86585] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 19Sextam rationem ponit cum dicit adhuc autem quae talis est. Si intelligentia circulatio est, ut tu dicis, debet assimilari motui: sed nos videmus totum contrarium, quia intelligentia magis assimilatur quieti, quam motui: ergo intelligentia non est circulatio. Quod autem magis assimiletur quieti quam motui, patet, quia, sicut ipse dicit in septimo physicorum, non potest fieri aliquis sapiens, quando motus eius non resident nec quiescunt. Unde in pueris, et in omnibus in quibus motus non quiescunt, non de facili invenitur sapientia. Sed tunc aliquis sapientiam acquirit, quando quiescit: unde dicit, quod in quiescendo et sedendo, anima fit sapiens et prudens.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86586] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 20Sed quia posset dici, quod hoc verum est de simplici intelligentia, sed non de syllogismo, ideo Aristoteles dicit quod eodem modo et syllogismus assimilatur magis quieti quam motui. Et hoc patet. Ante enim quam sit syllogizatum de aliqua re, intellectus et mens hominis fluctuat ad unam et ad aliam partem, et non quiescit in aliqua. Sed quando iam est syllogizatum, determinate inhaeret uni parti, et quiescit in illa.

[86587] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 21Septimam rationem ponit cum dicit at vero quae talis est. Constat quod beatitudo animae est in intelligendo: sed beatitudo non potest esse in eo quod est violentum et praeter naturam, cum sit perfectio et finis ultimus animae: ergo, cum motus non sit secundum naturam et secundum substantiam animae, sed praeter naturam eius, impossibile est quod intelligere, quod est operatio animae et in quo est beatitudo animae, sit motus, ut Plato dicebat. Quod autem motus sit praeter naturam animae, patet ex positione Platonis. Ipse enim dixit animam componi ex numeris, et postea dixit eam dispartitam in duos circulos, et reflexit in septimo: et ex hoc sequitur motus: ex quo apparet, quod motus non inest ei naturaliter, sed per accidens.

 

 

 

 

 

[86588] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 22Octavam rationem ponit cum dicit laboriosum autem quae talis est: videtur quod secundum opinionem Platonis, anima de sua natura non sit unita corpori. Nam ipse posuit eam primo compositam ex elementis, et postea complexam et adunatam corpori, et inde non posse recedere cum vult. Inde sic. Quandocumque est aliquid unitum contra naturam suam alicui, et non potest inde cum vult recedere, ei est poenale: et quandocumque aliquid in unione ad aliud deterioratur, est fugiendum et nocivum. Sed anima unitur corpori contra naturam suam, ut dictum est, nec potest inde recedere cum vult, nec non et deterioratur in unione ad corpus, sicut consuetum est dici a Platonicis et multis ex eis. Videtur ergo quod animae poenale est et fugiendum, esse cum corpore. Non ergo conveniens est dictum Platonis, scilicet quod anima composita ex elementis, primo commisceatur corpori.

 

 

 

 

 

[86589] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 23Nonam rationem ponit cum dicit immanifesta autem quae talis est. Plato loquitur de anima universi, et dicit eam moveri circulariter: sed secundum opinionem suam causa quare caelum movetur circulariter est immanifesta, idest non assignatur. Si enim caelum movetur circulariter, aut ergo hoc erit propter principia naturaliter, aut propter finem. Si dicatur quod naturaliter propter principia, aut erit propter naturam animae, aut propter naturam corporis caelestis. Sed non est propter naturam animae, quia moveri circulariter non inest animae secundum substantiam suam, sed per accidens, quia, ut dictum est, anima movetur per se et secundum suam substantiam motu recto, et deinde aspectum rectum reflexit in circulos. Nec etiam propter naturam ipsius corporis caelestis, quia corpus non est causa motus animae, sed anima est magis corpori causa quod moveatur. Si autem dicatur quod propter finem, non potest assignari aliquis finis determinatus secundum eum, cum quaeritur quare sic movetur, et non alio motu, nisi quod sic Deus voluerit eum moveri. Sed Deus propter aliquam causam dignatus est caelum potius moveri quam manere, et moveri sic, idest circulariter, quam alio motu, quam causam Plato non assignat. Sed quia hanc assignare est magis proprium aliis rationibus, idest in alio tractatu, scilicet in libro de caelo, ideo dimittamus ipsam ad praesens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86590] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 24Decimam rationem ponit cum dicit illud autem quae non solum est contra Platonem, sed etiam contra multos alios; et ducens est ad inconvenientia, et ostendens eorum positiones deficientes. Quae talis est. Constat quod inter movens et motum est aliqua proportio, et inter agens et patiens, et inter formam et materiam. Non similiter enim quaelibet forma cuilibet corpori convenit et unitur, neque omne agens agit in omne patiens. Neque quodlibet movens movet quodlibet motum, sed oportet quod sit inter ea aliqua communicatio et proportio, ex qua hoc sit aptum natum movere, illud vero moveri. Patet autem quod isti philosophi posuerunt animam esse in corpore, et movere corpus: cum ergo loquantur de ipsa natura animae, videtur etiam necessarium, quod aliquid dixissent de natura corporis, propter quam causam uniatur corpori, et quomodo se habeat corpus ad eam, et quomodo comparatur corpus ad animam. Non ergo sufficienter determinant de anima dum conantur dicere solum quale quid sit anima, et negligunt ostendere quale quid sit corpus suscipiens ipsam.

 

 

 

 

 

 

 

[86591] Sentencia De anima, lib. 1 l. 8 n. 25Ex quo convenit eis illud quod in fabulis Pythagoricis habetur, quod quaelibet anima in quodlibet corpus ingrediatur, puta si casu contingat in corpus elephantis intrare animam muscae. Quamvis hoc non possit esse, cum unumquodque corporum, et maxime animalium, habeat propriam formam et propriam speciem, et proprium movens et proprium motum, et multum differat corpus vermis a corpore canis, et corpus elephantis a corpore culicis. Hoc tamen dicentes, scilicet quod quaelibet anima quodlibet corpus ingreditur, dicunt simile, ac si quis dicat artem textrinam ingredi in fistulas, et aerariam in telariam. Et tamen si ipsis artibus inesset natura ingrediendi corpora, seu organa ex seipsis, non quaelibet in quodlibet ingrederetur, sed fistulativa ingrederetur in fistulas, non in lyras, cytharativa autem in cytharas, et non in fistulas: eodem igitur modo si animae cuilibet sit corpus, unaquaeque anima non quodlibet corpus ingreditur, immo ipsa anima idoneum format sibi corpus, et non assumit paratum. Sic ergo Plato et alii philosophi loquentes tantum de animae natura, insufficienter dixerunt, non determinantes quod sit corpus conveniens cuilibet animae, et qualiter et quale existens uniatur sibi.

Leçon  8

Aristote s’oppose par différents raisonnements à l’opinion de Platon, au moyen desquels il prouve que l’âme ne peut avoir aucune grandeur.

107. Ayant présenté l’opinion de Platon, Aristote la réfute. Il faut cependant noter ici qu’en plusieurs endroits, lorsqu’il réfute les positions de Platon, Aristote ne s’attaque pas à l’intention même de Platon, mais plutôt à la manière dont il s’exprime, et il le fait parce que Platon usait d’une manière d’enseigner inappropriée. En effet, tout ce que Platon disait s’exprimait par des d’images et tout son enseignement se présentait sous la forme de symboles, alors qu’il cherchait à signifier, par les termes dont il usait, autre chose que ce que ces mêmes termes signifiaient : par exemple, lorsqu’il disait que l’âme est un cercle. C’est pourquoi, afin d’éviter que quelqu’un ne tombe dans l’erreur à cause de la manière dont Platon s’exprime, Aristote argumente contre lui en considérant la signification propre des termes dont il fait usage. 

108. Aristote présente donc ici dix raisonnements pour détruire l’opinion de Platon qui vient d’être présentée et parmi eux, dont certains s’adressent à son propos, d’autres à la manière dont il s’exprime. En effet, Platon ne se proposait pas de montrer que l’intellect, en réalité, est une grandeur quantitative, un cercle ou un mouvement circulaire ; c’est plutôt par métaphore qu’il attribuait cela à l’intellect. Néanmoins, afin que personne ne fût induit en erreur par cette manière de parler, Aristote argumente contre Platon quant à ce que les mots utilisés par lui signifient proprement.

109. Donc, dans son premier raisonnement, il manifeste premièrement ce qu’entend Platon lorsqu’il parle de l’âme, c’est-à-dire de l’âme de l’univers, « qui est celle de tout », c’est-à-dire celle de l’univers, et au sujet de laquelle il veut qu’elle soit intellectuelle seulement. En effet, cette âme ne peut être une âme végétative puisqu’elle n’a pas besoin d’aliments. Elle ne peut être non plus sensitive puisqu’elle ne possède pas d’organes ; elle ne peut davantage être appétitive puisque l’appétitif est consécutif à l’âme sensitive. Et c’est pourquoi il dit que l’âme du monde ne peut être ni sensitive ni appétitive, puisque Platon lui-même voulait que le mouvement de l’âme de l’univers soit circulaire. En conséquence, puisque le mouvement de ces âmes, à savoir de l’âme sensitive et de l’âme appétitive, n’est pas circulaire (en effet, le sens ne revient pas sur lui-même alors que l’intelligence revient sur elle-même du fait que l’homme, par son intelligence, sait qu’il sait), c’est pourquoi Aristote dit que cette âme de l’univers, selon Platon, est intellectuelle seulement, et c’est pourquoi aussi il dit que selon Platon l’intelligence est une certaine grandeur et un cercle.

110. Et Aristote rejette cette opinion en disant que Platon n’a pas bien parlé lorsqu’il a dit que l’âme est une grandeur et qu’il a eu tort d’en parler comme d’une grandeur circulaire en la divisant en deux cercles.

111. Et Aristote montre en quoi Platon a eu tort. En effet, il est dans la nature de l’âme que le jugement sur une puissance de l’âme se tire de l’acte ou de l’opération de cette même puissance, alors qu’on juge d’une opération en s’appuyant sur son objet : les puissances sont en effet connues par leurs actes et les actes par leurs objets : il en résute que l’acte est placé dans la définition de la puissance et que l’objet est placé dans celle de l’acte. Or, il est clair qu’une chose tient son unité de cela même d’où elle tient son existence et son espèce. Donc, si l’intelligence tire son existence et son espèce de l’intelligible, puisqu’il est son objet (je parle de l’intelligence en acte car l’intelligible n’est rien avant l’intellection), il est clair que si l’intelligence est une et continue comme le dit Platon, l’intelligence sera une et continue de la manière même selon laquelle les intelligibles sont uns et continus. Or, l’intelligence n’est une que de la manière selon laquelle la pensée, c’est-à-dire son opération qui est l’intellection, est une ; et son acte ou son opération n’est une que de la manière dont son objet est un, car les actes ne se distinguent que par leurs objets. Il en résulte, puisque l’objet de l’intelligence est l’intelligible et que ce dernier, à savoir l’intelligible ou le concept, n’est pas un à la manière d’une grandeur ou de ce qui est continu, mais plutôt à la manière d’un nombre, du fait qu’ils se suivent les uns les autres, il est manifeste que l’intelligence, contrairement à ce que disait Platon, n’est pas une grandeur. Mais ou bien l’intelligence n’est pas partageable, comme c’est le cas pour la définition des premiers termes, ou bien elle n’est pas continue à la manière d’une grandeur mais à la manière d’un nombre, dans la mesure où un intelligible est saisi après un autre et où une pluralité se termine souvent en une unité, comme dans les syllogismes où plusieurs propositions se terminent en une seule conclusion.

112. Aristote présente son deuxième raisonnement lorsqu’il dit : « Comment, en effet etc. ». Et voici ce raisonnement. Quelqu’un pourrait dire que Platon n’a pas affirmé qu’il y a une grandeur dans l’intelligence à cause des nombreux intelligibles, mais qu’il faut qu’il y ait une grandeur dans l’intelligence même à cause de chacun des intelligibles.

 

113. Mais cela n’est pas possible. En effet, Platon soutenait et croyait que l’intellection ne résulte pas de la réception des espèces intelligibles dans l’intelligence, mais plutôt que l’intelligence connaît par un certain contact, dans la mesure où elle rencontre ou fait face aux espèces intelligibles ; et il attribuait ce contact au cercle, comme nous l’avons dit plus haut. Je te demande donc, à toi Platon, ceci : si l’intelligence est une grandeur, et qu’elle connaît par mode de contact, de quelle manière connaît-elle ? En effet, ce qu’elle connaît, le touchera-t-elle toute entière ou selon l’une de ses parties ? Si elle connaît un tout en le touchant toute entière, alors ses parties ne seront plus nécessaires, mais inutiles, et par conséquent il ne sera pas nécessaire que l’intelligence soit une grandeur et un cercle. Mais si c’est en touchant avec ses parties qu’elle connaît les parties d’un tout, cela se fera soit par plusieurs de ses parties à elle, soit par une seule : si c’est par une seulement, alors on revient au même problème, car alors les autres parties deviendront inutiles, et par conséquent il ne sera plus nécessaire de soutenir que l’intelligence a des parties. Mais si c’est en les touchant par toutes ses parties que l’intelligence connaît les parties d’un tout, cela se produira soit par des parties ponctuelles ou par des parties quantitatives : si c’est par des parties ponctuelles, alors, puisqu’il existe une infinité de points dans toute grandeur, il faudra que l’intelligence touche une infinité de fois avant de connaître et par conséquent elle ne connaîtra rien puisqu’il est impossible de parcourir l’infini.

114. Mais lorsqu’Aristote parle de parties ponctuelles, ce n’est pas qu’il veuille que la grandeur soit divisée en parties ponctuelles, mais c’est parce qu’il argumente contre le raisonnement de Platon qui croyait que les corps sont composés de surfaces, les surfaces de lignes, et les lignes de points. En effet, Aristote lui-même [Physique, L. 6, ch. 1] réfute cette position en montrant qu’un point ajouté à un autre point n’ajoute rien.

115. Mais s’il arrivait à l’intelligence de connaître en touchant par des parties quantitatives, alors, puisque toute partie se divise en une multiplicité de parties, il s’ensuivrait que l’intelligence connaîtrait la même chose une multiplicité de fois. En outre, puisque toute quantité est divisible à l’infini selon la même proportion et non selon la même quantité, il s’ensuit qu’elle la connaîtrait une infinité de fois, ce qui est impossible. Il semble donc qu’elle ne puisse le faire qu’une seule fois et que la grandeur ne puisse être attribuée à l’intelligence en aucune manière, ni par rapport à plusieurs intelligibles, ni par rapport à un seul.

116. Et il faut noter ici qu’Aristote montre, d’une manière voilée, que l’intelligence n’est pas divisible par nature, mais est plutôt quelque chose d’indivisible. En toute chose en effet l’intelligible est la quiddité, et la nature d’une chose est en totalité en chacune des parties, tout comme la nature de l’espèce est en totalité en chaque individu, ce qui fait qu’elle est indivisible : en conséquence, ce qui est intelligible en toute chose est indivisible et par conséquent l’intelligence aussi est indivisible.

117. Il présente le troisième raisonnement lorsqu’il dit : « En outre, comment etc. ». Et voici ce raisonnement. Il est clair que si nous posons que l’intelligence est impartageable, nous verrons facilement la raison qui explique comment l’intelligence connaît l’impartageable et le partageable : en effet, elle connaîtra l’impartageable ou l’indivisible par la propriété de sa nature, du fait qu’elle est elle-même impartageable, comme nous l’avons dit (n. 116) ; et elle connaîtra le partageable ou le divisible en le tirant du partageable. Au contraire, si on affirme que l’intelligence est partageable, comme le voulait Platon, il sera impossible de trouver une raison pour expliquer comment l’intelligence peut connaître l’impartageable. Il semble donc que c’est à tort que Platon soutenait que l’intelligence est une grandeur ou qu’elle est partageable.

118. Il présente le quatrième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais il est nécessaire etc. ». Voici ce raisonnement. Tu dis que l’intelligence est un cercle et qu’elle est mue : mais le mouvement du cercle est un mouvement circulaire alors que le mouvement de l’intelligence est la pensée, c’est-à-dire l’acte d’intellection ; donc, si l’intelligence est un cercle, nécessairement la pensée sera un mouvement circulaire. Mais cela est faux : en effet, puisque dans le mouvement circulaire on ne peut trouver un commencement et une fin en acte, comme le prouve le Philosophe [Physique, L. 8, ch. 8], il s’ensuit que la pensée ou l’opération de l’intelligence elle-même, à savoir l’intellection, ne peut jamais en arriver à un terme. Mais cela aussi est faux, car la pensée ou la connaissance intellectuelle possède en acte un commencement et une fin : donc, la pensée et le mouvement circulaire ne sont pas identiques, et par conséquent l’intelligence n’est pas non plus identique au cercle.

119. Et il prouve que la pensée ou l’acte de l’intelligence a un commencement et une fin en acte : en  effet, toute connaissance intellectuelle est soit pratique, soit spéculative ; mais il est clair qu’il existe des termes, c’est-à-dire des fins, dans les connaissances pratiques, puisqu’elles sont la cause de quelque chose d’autre, c’est-à-dire d’une œuvre à réaliser, et que c’est cette même œuvre qui est leur terme. Même les connaissances spéculatives ont une fin, à savoir des oeuvres de raison, et elles ont toutes pour terme ces êtres de raison qui sont soit « la définition » dans l’intelligence simple, soit « la démonstration » dans l’intelligence qui compose et divise. Mais les démonstrations premières procèdent de principes certains et ont en quelque sorte pour terme le syllogisme ou la conclusion.

120. Mais si on dit qu’une conclusion est toujours suivie d’une autre et qu’il en est ainsi sans fin, on peut cependant dire que les conclusions ne sont pas circulaires car les démonstrations ne doivent pas revenir sur elles-mêmes en direction du principe, comme le prouve le Philosophe [Seconds Analytiques, L. 1, ch. 3] mais elles procèdent en ligne droite et il est impossible de se mouvoir à l’infini lorsqu’on procède ainsi.

121. Les définitions aussi ont un commencement et une fin, car on ne doit pas remonter à l’infini dans les genres car il faut admettre comme un premier genre très général ; et on ne peut pas non plus descendre à l’infini dans les espèces mais il faut s’arrêter à l’espèce ultime ou dernière. C’est pourquoi le genre le plus général est comme le commencement de la définition alors que l’espèce ultime en est comme le terme ou la fin. Par conséquent, il est clair que toute connaissance intellectuelle possède un commencement et une fin en acte.

122. Il présente le cinquième raisonnement lorsqu’il dit : « Et en outre etc. ». Ce raisonnement dépend en quelque sorte du raisonnement qui précède et en est comme une partie. En effet, nous venons juste de prouver que si l’intelligence est un cercle, comme le croyait Platon, la connaissance intellectuelle  aura un mouvement circulaire. En outre, Aristote a prouvé dans le raisonnement précédent que la connaissance intellectuelle n’est pas un mouvement circulaire : or, il prouve ici cette même conclusion au moyen du raisonnement suivant. Nous voyons qu’entre le mouvement circulaire et les autres mouvements, il y a cette différence que dans les autres mouvements, il est impossible que le même mouvement revienne plusieurs fois sur lui-même à l’égard d’une même grandeur. Et cela devient évident en examinant chacune des espèces de mouvement. Dans l’altération en effet il est impossible que le même mouvement revienne sur lui-même pour une même chose : en effet, ce n’est pas sous le même rapport qu’une même chose de blanche devient noire et de noire devient blanche. De même, dans le mouvement de croissance, il est impossible à une même chose de croître et de décroître sous le même rapport. Enfin, dans le mouvement local, il est impossible à un même mouvement de revenir sur lui-même sous le même rapport, car dans le mouvement local en ligne droite il y a toujours deux termes en acte. En effet, si ce mouvement revenait sur lui-même, il faudrait se servir deux fois du terme final, c’est-à-dire en tant que fin et en tant que commencement et nécessairement il y aurait entre les deux un repos, et par conséquent ce ne serait plus, numériquement parlant, le même mouvement. Mais c’est seulement dans le mouvement circulaire qu’il est possible qu’un même mouvement revienne plusieurs fois sur lui-même pour une même quantité. La raison en est qu’il n’y a pas de terme en acte dans le mouvement circulaire et c’est pourquoi, quel que soit le nombre de fois où il revient sur lui-même, il ne s’y glisse aucun repos ni aucun changement de mouvement.

123. Ceci étant dit, voici comment Aristote argumente : tu dis que l’intelligence est un cercle ; donc, la connaissance intellectuelle est un mouvement circulaire ; or, il est impossible que la connaissance intellectuelle soit un mouvement circulaire ; donc, il est impossible que l’intelligence soit un cercle.

124. Aristote manifeste ici la mineure du raisonnement précédent, à savoir qu’il est impossible que la connaissance intellectuelle soit un mouvement circulaire. Il est clair qu’il y a plusieurs fois répétition d’un même mouvement circulaire sur une même étendue ; en conséquence, si la connaissance intellectuelle est un mouvement circulaire, comme tu l’affirmes, la connaissance intellectuelle, selon un seul et même mouvement, reviendra plusieurs fois sur un même objet, et par conséquent elle connaîtra plusieurs fois le même objet : en effet, l’intelligence, par son mouvement, se touche, et c’est en touchant qu’elle connaît, comme ils le disent eux-mêmes, et elle touche circulairement plusieurs fois le même objet et par conséquent connaît plusieurs fois le même objet, ce qui est impossible.

125. Il présente le sixième raisonnement losrqu’il dit : « Mais en outre etc. ». Et voici ce raisonnement. Si la connaissance intellectuelle est un mouvement circulaire, comme tu le dis, elle doit forcément être assimilée au mouvement : mais c’est tout le contraire que nous voyons, car la connaissance intellectuelle semble davantage comparable au repos qu’au mouvement ; donc, la connaissance intellectuelle n’est pas un mouvement circulaire. Et il est évident que la connaissance intellectuelle est davantage comparable à un repos qu’à un mouvement car, comme Aristote [Physique, L. 7, ch. 3] le dit lui-même, quelqu’un ne peut devenir sage s’il n’arrête ses mouvements et ne parvient à une certaine tranquillité. C’est pourquoi on ne trouve pas facilement de la sagesse chez les enfants et chez tous ceux qui ne parviennent pas à cesser d’être en mouvement. C’est plutôt par le repos que quelqu’un acquiert de la sagesse : et c’est pourquoi le Philosophe dit que c’est par le repos et en s’arrêtant que l’âme devient sage et prudente.

126. Mais parce qu’on pourrait répliquer que cela est vrai de l’intelligence simple mais non du syllogisme, c’est pourquoi Aristote dit qu’il en va de même du syllogisme, c’est-à-dire qu’il se compare davantage au repos qu’au mouvement. Et cela est évident car avant de syllogiser sur un objet, l’intelligence ou l’esprit de l’homme penche d’un côté ou d’un autre sans s’arrêter sur aucun d’eux. Mais une fois qu’elle a syllogizé, l’intelligence adhère déterminément à un coté et s’y repose.

127. Aristote présente le septième raisonnement lorsqu’il dit : « Et d’autre part etc. ». Et voici ce raisonnement. Il est clair que la béatitude de l’âme réside dans la connaissance intellectuelle. Or, la béatitude ne peut résider dans ce qui est violent et contraire à la nature, puisqu’elle est la perfection et la fin ultime de l’âme. Donc, puisque le mouvement n’est pas conforme à la nature et à l’essence de l’âme, et qu’il est contraire à sa nature, il est impossible que la connaissance intellectuelle, qui est l’opération de l’âme dans laquelle elle trouve sa béatitude, soit un mouvement comme le soutenait Platon. Et que le mouvement soit contraire à la nature de l’âme, cela est clair à partir de la position même de Platon (nn. 46-51 ; 92-98). Lui-même en effet disait de l’âme qu’elle est composée de nombres, et par la suite qu’elle est répartie en deux cercles et revient dans un septième et que c’est à partir de là que s’ensuit le mouvement ; mais cela montre que ce n’est pas par nature, mais par accident que le mouvement appartient à l’âme.

128. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, il est pénible etc. », il présente le huitième raisonnement que voici. On voit que selon Platon il n’est pas naturel à l’âme d’être unie au corps, puisque lui-même affirmait qu’elle est d’abord composée des éléments et que c’est par la suite qu’elle est contenue par un corps et unie à lui, et par conséquent qu’elle ne peut plus s’en retirer quand elle veut. D’où il résulte ceci. À chaque fois qu’une chose est unie à une autre contrairement à sa nature et ne peut par la suite s’en retirer comme elle veut, cela lui est pénible ; et à chaque fois que l’union d’une chose à une autre entraîne sa détérioration, cette union est nuisible et doit être évitée. Mais, comme nous venons de le dire, c’est contre sa nature que l’âme est unie au corps et qu’après cela elle ne peut plus s’en retirer comme elle veut, et qu’il lui est préférable de ne pas être unie à un corps, comme ont coutume de le dire les Platoniciens et beaucoup d’autres à leur suite. Il semble donc qu’il soit pénible à l’âme d’exister dans un corps et qu’elle doive éviter de lui être unie. Donc, ce que dit Platon, à savoir que l’âme est d’abord composée des éléments, pour se mêler seulement ensuite à un corps, n’est pas juste.

129. Il présente le neuvième raisonnement lorsqu’il dit : « En outre, n’est pas manifeste etc. ».

Voici comment se présente ce raisonnement. Platon parle de l’âme de l’univers, et il dit qu’elle est mue par un mouvement circulaire. Mais si on considère son opinion, la raison pour laquelle le ciel se meut ainsi n’est pas manifeste, c’est-à-dire qu’elle n’est pas désignée. Si en effet le ciel se meut en cercle, ou bien cela sera à cause de principes naturels, ou bien à cause de la fin. Si on dit que le ciel se meut naturellement, à cause de principes, cela sera dû soit à la nature de l’âme, soit à la nature du corps céleste. Mais cela ne peut être dû à la  nature de l’âme, car ce n’est pas par son essence mais par accident qu’il arrive à l’âme d’être mue en cercle, puisque nous avons dit plus haut (118-121) que l’âme, essentiellement et par elle-même, est mue selon un mouvement rectiligne, et que c’est seulement ensuite que la dimension rectiligne se courbe en cercles. Mais cela ne peut être davantage dû à la nature du corps céleste, car ce n’est pas le corps qui est la cause du mouvement de l’âme, mais c’est plutôt l’âme qui est la cause du mouvement du corps. Mais si on dit que c’est à cause de la fin que le ciel se meut en cercle, on ne peut désigner d’après lui aucune fin déterminée, lorsqu’on demande pourquoi le ciel se meut ainsi et non par un autre mouvement, si ce n’est parce que Dieu a voulu que le ciel soit mû ainsi. Mais la raison pour laquelle Dieu a jugé qu’il était préférable pour le ciel d’être mû que de rester en repos, ou d’être mû ainsi, c’est-à-dire en cercle, plutôt que selon un autre mouvement, Platon ne l’a pas identifiée. Mais parce qu’il appartient proprement à « d’autres discours », c’est-à-dire à d’autres traités [Du Ciel, L. 11, ch. 5] d’assigner cette cause ou cette raison, c’est pourquoi nous remettons ce problème à plus tard.

130. Aristote présente son dixième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais voici encore etc. », qui se trouve à réfuter non seulement Platon, mais encore plusieurs autres philosophes et qui, en conduisant leur position à l’absurde, montre la faiblesse de cette position. Voici ce raisonnement. Il est clair qu’entre un moteur et un mobile, il doit y avoir une certaine proportion, tout comme il doit aussi y en avoir une entre un agent et son patient, entre la forme et la matière. En effet, ce n’est pas n’importe quelle forme qui convient et s’unit à n’importe quel corps, ni n’importe quel agent qui agit sur n’importe quel patient, ni n’importe quel moteur qui meut n’importe quel mobile ; au contraire, il faut qu’il y ait une certaine communauté et une certaine proportion entre les deux termes de la relation grâce auxquelles l’un est apte par nature à mouvoir et l’autre à être mû. Or, il est clair que ces philosophes ont affirmé que l’âme existe dans un corps et qu’elle le meut : donc, lorsqu’ils parlent de la nature même de l’âme, on devrait nécessairement s’attendre à ce qu’ils disent aussi quelque chose sur la nature du corps, sur la raison pour laquelle l’âme est unie au corps, sur la manière dont le corps se comporte à l’égard de l’âme et sur les différents rapports du corps à l’âme. Donc, ils ne se trouvent pas à traiter de l’âme d’une manière satisfaisante lorsqu’ils s’efforcent de dire seulement ce qu’est l’âme et négligent de manifester quelle doit être la nature du corps qui doit la recevoir.

131. À partir de là, on peut leur attribuer ce qu’on laisse entendre dans les mythes pythagoriciens, à savoir que n’importe quelle âme peut entrer dans n’importe quel corps, comme si par hasard l’âme d’une mouche pouvait entrer dans le corps d’un éléphant, bien que cela ne soit pas possible ; nous voyons que tout corps, et surtout celui des animaux, possède une forme et une espèce qui lui est propre, un moteur qui lui est propre et un mobile qui lui est propre : il y a une grande différence entre le corps d’un vers et celui d’un chien, entre celui d’un éléphant et celui d’une puce. Cependant, lorsqu’ils disent cela, à savoir que n’importe quelle âme entre en n’importe quel corps, ces philosophes se trouvent à dire quelque chose de semblable à celui qui dirait que l’art du charpentier peut descendre dans des flûtes, et que l’art du forgeron descend dans les vêtements. Cependant, si ces arts possédaient par eux-mêmes le pouvoir d’entrer dans des corps ou dans des instruments, ils n’entreraient pas en n’importe quel corps, mais l’art de faire des flûtes entrerait dans des flûtes et non dans des lyres, et celui de faire des cythares entrerait dans des cythares et non dans des flûtes. De la même manière, si un corps convient à toute âme, toute âme n’entre pas en n’importe quel corps mais plutôt l’âme elle-même forme pour elle-même un corps qui lui est propre et ne prend pas un corps déjà préparé à l’avance. Ainsi donc, Platon et d’autres philosphes, en parlant seulement de la nature de l’âme, ont tenu un discours insuffisant en ne disant pas déterminément quel est le corps qui convient à chaque âme et de quelle manière il lui  est uni.

 

 

 

LECTIO 9

[86592] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 1Postquam philosophus reprobavit opinionem Platonis, hic consequenter reprobat quamdam aliam opinionem conformem opinioni Platonis quantum ad aliquid. Fuerunt enim quidam, qui dixerunt quod anima erat harmonia: et isti concordaverunt cum Platone in hoc, quod Plato dixit quod anima erat composita ex numeris harmonicis, hi vero quod erat harmonia. Sed differebant in hoc, quod Plato dixit quod anima erat harmonia numerorum, hi vero dixerunt, quod harmonia tam compositorum quam mixtorum, vel contrariorum, erat anima. Circa hoc autem tria facit. Primo enim ponit opinionem istorum et rationem opinionis. Secundo disputat contra dictam opinionem, ibi, et quidem harmonia, et cetera. Tertio ostendit quomodo haec opinio est multum probabilis, ibi, si vero alterum anima est, et cetera.

 

 

 

[86593] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 2Circa primum duo facit. Primo enim ponit dictam opinionem de anima; dicens, quod quaedam opinio tradita est ab antiquis de anima, quae videbatur habere rectas rationes, et non solum in speciali de anima, sed etiam quantum ad id quod commune est ad omnia principia. Et dicit quantum ad id quod commune est, quia antiqui philosophi nihil tractaverunt de causa formali, sed tantum de materiali. Et inter omnes, illi qui magis visi sunt appropinquare ad causam formalem fuerunt Democritus et Empedocles: qui, scilicet Empedocles, dixit quod omnia constabant ex sex principiis: quorum quatuor posuit materialia, scilicet quatuor elementa: et duo formalia partim activa, et partim materialia, scilicet amicitiam et litem. Et dicebant quod haec principia materialia habebant inter se quamdam proportionem, quae resultabat ex eis, ita quod conveniebant in aliquo uno, quia sine hoc non possent esse simul. Et hanc dicebant formam rerum et harmoniam quamdam esse. Unde sicut de aliis formis, sic dicebant de anima, quod erat harmonia quaedam.

 

 

 

[86594] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 3Secundo cum dicit etenim harmoniam ponit rationem huiusmodi opinionis; dicens, quod harmonia est complexio et proportio et temperamentum contrariorum in compositis et mixtis. Et haec proportio, quae est inter ista contraria, dicitur harmonia, et forma illius compositi. Unde, cum anima sit quaedam forma, dicebant ipsam esse harmoniam. Dicitur autem haec opinio fuisse cuiusdam Dynarchi et Simiatis et Empedoclis.

 

[86595] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 4Consequenter cum dicit et quidem disputat contra opinionem praedictam. Et circa hoc duo facit. Primo enim disputat generaliter ad positionem dictorum philosophorum. Secundo vero in speciali ad ponentem, scilicet contra Empedoclem, ibi, investigabit autem hoc et cetera. Ad positionem autem obiicit quatuor rationibus: quarum prima talis est. Constat quod harmonia proprie dicta est consonantia in sonis: sed isti transumpserunt istud nomen ad omnem debitam proportionem, tam in rebus compositis ex diversis partibus quam in commixtis ex contrariis. Secundum hoc ergo harmonia duo potest dicere: quia vel ipsam compositionem aut commixtionem, vel proportionem illius compositionis seu commixtionis. Sed constat quod neutrum istorum est anima; ergo anima non est harmonia. Quod autem anima non sit compositio sive proportio compositionis, patet. Isti enim accipiunt animam, ut substantiam quamdam; sed illa duo sunt accidentia; non ergo idem sunt.

 

 

 

 

 

[86596] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 5Secundam rationem ponit cum dicit amplius autem quae talis est. Constat quod omnes philosophi dicunt quod anima movet: sed harmonia non movet, immo relinquitur ex movente, et sequitur: sicut ex motu chordarum, qui est per musicam, relinquitur harmonia quaedam in sono. Et ex applicatione et contemperatione partium a componente relinquitur proportio quaedam in composito. Ergo si anima est harmonia, et haec relinquitur ex harmonizatore, oportebit ponere aliam animam, quae harmonizet.

 

 

 

[86597] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 6Tertiam rationem ponit cum dicit congruit autem quae talis est. Philosophus dicit in quarto physicorum. Quicumque assignat definitionem seu naturam rei, oportet quod illa assignatio, si sufficiens est, conveniat operationibus et passionibus illius rei: tunc enim definitur optime quid est res, quoniam non solum cognoscimus substantiam et naturam ipsius rei, sed etiam passiones et accidentia eius. Si ergo anima est harmonia quaedam, oportet quod per cognitionem harmoniae deveniamus in cognitionem et operationum, et accidentium animae. Sed hoc est valde difficile, ut puta si velimus operationes animae in harmoniam referre. Cuius enim harmoniae erit sentire, et cuius amare aut odire, et intelligere? Sed per cognitionem harmoniae magis congruit venire in cognitionem accidentium corporum; ut si velimus cognoscere sanitatem, dicemus quod est complexio adaequata et contemperata humorum et qualitatum in corpore: et sic de aliis corporeis virtutibus. Et sic harmonia magis esse attribuenda corpori quam animae.

 

 

 

 

[86598] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 7Quartam rationem ponit cum dicit amplius autem quae talis est. Harmonia invenitur aliquando in compositis et habentibus compositionem et motum; quia quando haec sic invicem simul ponuntur et ordinantur, ut nullum congeneum praetermittatur idest ut nullus defectus eiusdem generis ibi sit, tunc illae partes dicuntur bene harmonizatae, et compositio ipsarum vocatur harmonia, sicut ligna et lapides, et alia corpora naturalia. Sic etiam et chordae, quando bene ordinatae sunt, vel fistulae, ut ex inde consonantia sonorum resultet, dicuntur bene harmonizatae; et huius consonantia dicitur harmonia, et hoc modo proprie dicitur harmonia. Aliquando invenitur in corporibus mixtis ex contrariis. Quando enim aliqua contraria sunt complexa et commixta in aliquo, ita ut nulla repugnantia seu excessus alicuius contrarii sit ibi, utputa calidi aut frigidi, aut humidi aut sicci, tunc illa dicuntur bene harmonizata, et horum ratio idest proportio dicitur harmonia. Si ergo anima est harmonia, secundum aliquem istorum modorum diceretur. Sed constat quod neutro istorum modorum rationabile est animam dici harmoniam; ergo male dicunt animam harmoniam esse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86599] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 8Et quod neutro istorum modorum anima dicatur harmonia, patet. Non enim anima potest dici harmonia, secundum quod invenitur in rebus compositis et habentibus compositionem; quod patet. Nam ordo partium compositarum in corpore est valde manifestus: facile enim est scire ordinem ossium ad ossa, et nervorum ad nervos, et brachii ad manum, et carnis ad ossa. Sed ratio ordinis partium animae est nobis immanifesta. Non enim per hoc possumus scire ordinem qui est inter intellectum et sensum et appetitum et huiusmodi.

 

 

 

 

[86600] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 9Nec etiam potest dici harmonia secundum proportionem corporum commixtorum ex contrariis. Et hoc duplici ratione. Una ratio est, quia diversa proportio invenitur in diversis partibus corporis: nam commixtio elementorum non habet eamdem rationem, idest proportionem, secundum quam est caro, et secundum quam est os: ergo in diversis partibus erunt diversae animae secundum diversam proportionem et multiplicationem partium animalis. Alia ratio est, quia omnia corpora sunt commixta ex elementis et contrariis: si ergo proportio commixtionis in quolibet corpore est harmonia, et harmonia est anima; ergo in quolibet corpore erit anima: quod est inconveniens. Et sic patet, quod inconvenienter dicunt animam esse harmoniam.

 

 

[86601] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 10Consequenter cum dicit investigabit autem disputat contra Empedoclem: et ponit contra eum tres rationes quas non deducit. Quarum prima talis est: ipsi ponunt quodlibet corpus consistereratione, idest proportione quadam, quam dicunt harmoniam, et hanc dicunt animam: quaero ergo, utrum anima sit ipsa ratio, idest proportio commixtionis, aut aliquid aliud a proportione? Si tu dicis quod est ipsa proportio, tunc, cum in uno corpore sint diversae proportiones secundum diversas partes, sequuntur duo inconvenientia: scilicet quod multae animae sunt in uno corpore secundum diversas partes, et quod in quolibet mixto sit anima. Si dicas quod est aliud quam proportio, tunc, cum proportio sit harmonia, anima non erit harmonia.

 

 

 

[86602] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 11Secundam rationem ponit cum dicit amplius autem quae talis est. Empedocles ponebat quod amicitia esset causa congregationis in rebus, et lis causa disgregationis: sed in congregatione fit aliqua proportio: quaero ergo, utrum amicitia sit causa cuiuslibet congregationis, aut tantum congregationis harmonizatae? Si tu dicas, quod amicitia est causa cuiuslibet congregationis, tunc oportebit ponere aliquid aliud ab amicitia, quod causet huiusmodi proportionem et harmoniam in congregationibus harmonizatis: vel erit dicere, quod huiusmodi harmonizatio est a casu. Si tu dicas, quod est causa solum congregationis harmonizatae, tunc amicitia non erit causa omnis congregationis: quod est contra eum.

[86603] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 12Tertiam rationem ponit cum dicit et hoc utrum quae talis est. Empedocles dicit quod amicitia est quae facit congregationem in rebus. Quaero ergo utrum amicitia sit idem cum ipsa congregatione harmonizata, aut non? Si dicatur quod est idem, tunc, cum nihil sit causa suiipsius, amicitia non erit causa illius congregationis, sicut Empedocles dicebat. Si vero dicatur quod non est idem, contra. Congregatio harmonizata nihil aliud est, quam convenientia quaedam: amicitia vero videtur esse quaedam convenientia: ergo est idem: et sic idem quod prius.

[86604] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 13Consequenter cum dicit si vero ostendit quomodo haec opinio est multum probabilis; dicens, quod ideo videtur haec opinio probabilis, quia posito uno ponitur aliud, et remoto uno removetur alterum; nam recedente ab aliquo corpore harmonia, recedit anima, et permanente harmonia permanet anima. Sed hoc non sequitur; quia proportio huiusmodi non est forma, sicut ipsi credebant, sed est dispositio materiae ad formam. Et si accipiatur proprie harmonia compositionis pro dispositione, bene sequitur, quod manente dispositione materiae ad formam manet forma, et destructa dispositione, removetur forma. Non tamen quod harmonia sit forma, sed dispositio materiae ad formam.

 

 

 

[86605] Sentencia De anima, lib. 1 l. 9 n. 14Secundo cum dicit quod quidem concludit et epilogat, quod anima non movetur circulariter, sicut Plato dixit. Nec est harmonia, sicut Empedocles asseruit. Movetur autem secundum accidens, sicut diximus supra, et movet seipsam. Et quod moveatur secundum accidens, patet; quia movetur inquantum movetur corpus in quo est, corpus autem movetur ab anima. Alio modo non est moveri ipsam secundum locum nisi per accidens.

Leçon  9

132. Après avoir rejeté l’opinion de Platon, Aristote rejette ici une autre opinion conforme sur un point à l’opinion de Platon. En effet, certains ont dit que l’âme est une harmonie, lesquels s’accordaient avec Platon en ceci que ce dernier disait que l’âme était composée de nombres harmoniques alors que ceux-ci soutenaient qu’elle est une harmonie. Mais ces opinions différaient en ceci que Platon soutenait que l’âme est l’harmonie des nombres alors que les autres disaient que l’âme est l’harmonie aussi bien des êtres composés que de ceux qui sont mixtes ou composés de contraires. Et à ce sujet le Philosophe fait trois choses. En premier lieu il présente l’opinion de ces philosophes ainsi que les raisons sur lesquelles ils fondent leur opinion. Deuxièmement, il argumente contre cette opinion, là où il dit : « Et l’harmonie est certes etc. ». Troisièmement il montre comment cette opinion est très probable, là où il dit : « Mais si l’harmonie est quelque chose d’autre etc. ».

133. Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente l’opinion dont il vient de parler au sujet de l’âme, en disant que les anciens ont transmis sur l’âme une opinion qui semble s’appuyer sur de bonnes raisons non seulement en ce qui concerne l’âme en particulier mais aussi quant à ce qui est commun à tout principe. Et il dit « quant à ce qui est commun » parce que les anciens philosophes n’ont aucunement traité de la cause formelle, limitant leurs considérations à la cause matérielle. Parmi tous ces philosophes, ceux qui se sont le plus approchés de la cause formelle furent Démocrite et Empédocle ; ce dernier dit en effet que toutes les choses sont constituées de six principes, dont quatre étaient matériels, à savoir les quatre éléments, et deux étaient formels et étaient en partie actifs et en partie passifs, à savoir l’amitié et la haine. Et ils disaient que ces principes matériels avaient entre eux une certaine proportion qui résultait de leur nature de telle manière qu’ils s’accordaient pour former une unité car sans cette proportion ils n’auraient pu exister ensemble. Et ils disaient de cette proportion qu’elle est la forme des choses et qu’elle est une certaine harmonie. C’est pourquoi ils disaient de l’âme, comme des autres formes, qu’elle est une certaine harmonie.

134. En deuxième lieu, lorsqu’il dit : « Car ils disaient que l’harmonie etc. », il donne la raison sur laquelle s’appuyait cette opinion en disant que l’harmonie est une fusion, une proportion et un mélange des contraires dans les êtres composés et mixtes. Et c’est cette proportion existant entre ces contraires qu’il appelait harmonie et forme de cet être composé. C’est pourquoi, puisque l’âme est une sorte de forme, ils disaient à son sujet qu’elle est une harmonie. On disait que cette opinion était celle de Dynarche, de Simiatis et d’Empédocle.

135. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et pourtant l’harmonie etc. », il argumente contre l’opinion qui précède et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il discute comme en général de la position de ces philosophes. En deuxième lieu il discute en particulier de la position de l’un d’eux, à savoir de celle d’Empédocle, lorsqu’il dit : « On pourrait aussi demander etc. » Il oppose donc à cette position quatre raisonnements dont voici le premier. Il est clair que l’harmonie proprement dite est une proportion dans les sons ; mais ces philosophes ont transporté ce nom à toute proportion attendue, aussi bien dans les choses composées de parties diverses que dans celles qui sont mélangées de contraires. Partant de là, l’harmonie peut signifier deux choses : soit la composition ou le mélange lui-même, soit la proportion qui existe dans cette composition ou ce mélange. Mais il est clair que l’âme n’est ni l’une ni l’autre : l’âme n’est donc pas une harmonie. Mais que l’âme ne soit ni la composition elle-même ni la proportion présente dans cette composition, cela est évident. En effet, ces philosophes eux-mêmes admettent que l’âme est une certaine substance alors que la composition et la proportion sont des accidents ; l’âme ne peut donc s’identifier ni à l’une, ni à l’autre.

136. Il présente son deuxième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais en outre etc. ». Et voici ce raisonnement. Tous les philosophes s’entendent pour dire que l’âme meut ; or, l’harmonie ne meut pas mais elle est plutôt ce qui reste suite au mouvement : par exemple, suite au mouvement des cordes lors de l’exécution d’une pièce musicale, il résulte une certaine harmonie dans les sons. Et c’est suite au rattachement et au mélange des parties par celui qui les compose qu’il en résulte une certaine proportion dans la composition. Donc, si l’âme est une harmonie, comme cette dernière est le résultat de la cause de l’harmonie, il faudra affirmer l’existence d’une autre âme, à savoir de celle qui est cause de l’harmonie.

137. Aristote présente son troisième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais il appartient etc. ». Voici ce raisonnement. Le Philosophe [Physique, L. 4, ch. 4] dit que quiconque attribue une définition ou une nature à une chose, cette attribution, si elle est satisfaisante, s’appliquera aussi aux opérations et aux propriétés de cette chose. En effet, nous définissons parfaitement une chose lorsque nous connaissons non seulement l’essence ou la nature de la chose, mais aussi ses propriétés et ses accidents. Donc, si l’âme est une certaine harmonie, il faudra que la connaissance de l’harmonie nous conduise à la connaissance des opérations et des accidents de l’âme. Mais il est très difficile de voir comment on pourrait attribuer à l’harmonie les opérations de l’âme. En effet, comment la sensation, l’amour, la haine et l’intellection pourraient-ils appartenir à l’harmonie ? Au contraire, il semble bien davantage convenir à la connaissance de l’harmonie de conduire à la connaissance des accidents du corps : par exemple, si nous voulons connaître la santé, nous dirons qu’elle est l’union adéquate et équilibrée des humeurs et des qualités dans le corps, et il en ira de même pour les autres vertus corporelles. Par conséquent, il semble que l’harmonie doive davantage être attribuée au corps qu’à l’âme.

138. Lorsqu’il dit : « Mais en outre etc. », Aristote présente son quatrième raisonnement que voici. L’harmonie se retrouve parfois dans les êtres composés dans lesquels il y a composition et mouvement ; en effet, lorsque ces êtres sont placés ensemble et disposés « de telle manière qu’aucun élément homogène ne soit omis », c’est-à-dire de telle manière que rien de ce qui appartient au même genre ne fasse défaut, c’est alors qu’on dit de ces parties qu’elle sont bien harmonisées et de leur composition qu’elle est une harmonie, comme c’est le cas pour les pièces de bois, les pierres et les autres corps naturels. Et il en va aussi de même pour les cordes d’un instrument de musique lorsqu’elles sont bien disposées, ou pour les trous d’une flûte qui sont disposés de manière à ce qu’il en résulte un accord dans les sons : nous dirons alors de ces instruments qu’ils sont bien harmonizés. Et les accords de cette sorte sont appelés harmonies et c’est de cette manière qu’ils sont appelés proprement harmonies. Parfois on retrouve l’harmonie dans des corps où il y a mélange de contraires. En effet, lorsque des contraires sont composés et mélangés dans un être de telle manière qu’on y retrouve aucune opposition ou aucun excès de l’un des contraires, par exemple de chaud ou de froid, d’humide ou de sec, alors on dit de ces contraires qu’ils sont bien harmonizés et de leur rapport ou de leur proportion qu’elle est une harmonie. Donc, si l’âme est une harmonie elle sera dite telle suivant l’une de ces modalités. Mais il est clair qu’il n’est pas raisonnable de dire de l’âme qu’elle est une harmonie d’après l’une ou l’autre de ces modalités. Ces philosophes ont donc tort de dire de l’âme qu’elle est une harmonie.

139. Et il est clair que l’âme ne peut être appelée harmonie en aucun de ces deux sens. En effet, l’âme ne peut être appelée harmonie en tant qu’elle se retrouve dans les choses composées ayant une composition de parties. En effet, l’ordre qu’il y a entre les parties qui composent le corps est sans doute manifeste : il est facile de connaître l’ordre qu’il y a entre les os les uns par rapport aux autres, celui qui existe entre les nerfs, ainsi que l’ordre qu’il y a entre le bras et la main, tout comme celui qu’il y a entre la chair et les os. Mais la nature de l’ordre qui existe entre les parties de l’âme ne nous est pas manifeste. En effet, l’ordre des parties du corps ne nous fait pas connaître l’ordre qu’il y a entre l’intelligence, le sens, l’appétit sensible et les autres parties de l’âme.

140. L’âme ne peut non plus être appelée harmonie selon la proportion qui existe dans les corps mélangés de contraires, et cela pour deux raisons. Premièrement, parce qu’on retrouve différentes proportions dans les différentes parties du corps : en effet, le mélange des éléments ne garde pas le même rapport, c’est-à-dire la même proportion selon qu’il est dans la chair ou selon qu’il est dans les os ; en conséquence, on aura affaire à différentes âmes dans les différentes parties, suite à des proportions et des multiplications différentes dans les parties des animaux. Deuxièmement, parce que tous les corps sont un mélange des éléments et des contraires : donc, si en tout corps la proportion du mélange est l’harmonie et que l’harmonie est l’âme, il s’ensuit qu’on retrouvera une âme en tout corps, ce qui est inadmissible. En conséquence, il est clair que c’est à tort que ces philosophes disent de l’âme qu’elle est une harmonie.

141. Ensuite, lorsqu’il dit : « En outre, on demandera etc. », Aristote argumente contre Empédocle et présente contre lui trois raisons qu’il ne fonde pas, dont voici la première : ces philosophes affirment que tout corps consiste « en un rapport », c’est-à-dire en une certaine proportion qu’ils appellent harmonie et affirment que c’est elle qui est l’âme. Je demande donc si l’âme est le rapport lui-même, c’est-à-dire la proportion du mélange, ou bien quelque chose d’autre que cette proportion. Si tu dis que l’âme est la proportion elle-même, alors, puisque dans un même corps il existe diverses proportions selon ses diverses parties, deux inconvénients s’en suivront : d’abord, il y aura plusieurs âmes dans un même corps selon ses diverses parties ; puis, il y aura une âme en tout corps mixte. Mais si tu dis que l’âme est autre chose que la proportion elle-même, alors, puisque la proportion est l’harmonie, l’âme elle-même ne sera pas l’harmonie.

142. Aristote présente sa deuxième raison lorsqu’il dit : « Mais en outre etc. ». Empédocle soutenait en effet que l’amitié est cause d’union dans les choses et que la haine est cause de division. Or, une proportion apparaît en toute union : je te demande donc, Empédocle, si l’amitié est cause de toute union ou seulement des unions qui sont harmonisées. Si tu dis que l’amitié est cause de toute union, alors il faudra affirmer que quelque chose d’autre que l’amitié est cause de cette proportion et de cette harmonie qu’on trouve dans les unions harmonisées, ou bien il faudra dire qu’une telle harmonisation procède du hasard. Mais si tu dis que l’amitié est cause seulement des unions harmonisées, alors l’amitié ne sera plus cause de toute union, contrairement à ce que tu disais.

143. Il présente sa troisième raison là où il dit : « Et si cela etc. ». Empédocle dit que l’amitié est ce qui produit l’union dans les choses. Je te demande donc si l’amitié est identique ou non à l’union harmonisée. Si tu dis qu’elle lui est identique, alors, puisque rien n’est cause de soi-même, alors l’amitié ne sera pas cause de cette union, comme le disait Empédocle. Mais si tu dis qu’elle ne lui est pas identique, voici mon objection : l’union harmonisée n’est rien d’autre qu’une certaine convenance, et l’amitié elle-même semble n’être rien d’autre qu’une certaine convenance ; elles sont donc identiques et on en revient ainsi à la même conclusion.

144. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais si etc. », il montre comment cette opinion est hautement probable. Et il dit que cette opinion est probable parce que si l’on pose l’un, on pose l’autre, et si l’on enlève l’un, on enlève l’autre. En effet, si on retire l’harmonie d’un corps, on en retire aussi l’âme et si l’harmonie demeure, l’âme aussi demeure. Mais les conséquents ne s’ensuivent pas nécessairement car une telle proportion n’est pas la forme, comme ces philosophes le croyaient, mais elle est plutôt une disposition de la matière en vue de la forme. Mais si l’harmonie de la composition est prise proprement pour une disposition, il s’ensuit bien que si demeure la disposition de la matière en vue de la forme, la forme aussi demeure et que si cette disposition est détruite, la forme aussi disparaît. Néanmoins, l’harmonie n’est pas la forme, mais une disposition de la matière en vue de la forme.

145. Deuxièmement, lorsqu’il dit : « Mais que l’âme etc. », il conclut et résume ce qu’il vient de dire, en disant que l’âme ne se meut pas circulairement, comme le disait Platon, et qu’elle n’est pas une harmonie, ainsi que le soutenait Empédocle. Mais elle peut être mue par accident, comme nous l’avons dit plus haut (nn. 75-86), et elle peut aussi se mouvoir elle-même. Et il est clair qu’elle est mue par accident, car elle est mue dans la mesure où est mû le corps dans lequel elle se trouve et qui est mû par l’âme. L’âme ne peut se mouvoir selon le lieu d’une autre façon, si ce n’est par accident.

 

 

LECTIO 10

[86606] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 1Postquam philosophus posuit rationes illorum qui dixerunt animam moveri ex eo quod ipsa movet corpus, et disputavit contra eos, hic consequenter vult ostendere, quod evidentior ratio, quod anima moveatur, potest sumi ex ipsis operationibus animae. Et circa hoc duo facit. Primo enim movet dubitationem illorum, qui dixerunt animam moveri ex operibus animae. Secundo vero solvit dubitationem huiusmodi quantum ad propositum pertinet, ibi, hoc autem non est necesse et cetera. Dicit ergo primo, quod licet praedicti philosophi dubitaverint utrum anima moveretur ex eo quod movet corpus, tamen rationabilius, idest probabilius dubitabit aliquis de anima, quod moveatur considerans in huiusmodi quae dicentur, idest in operationibus animae. Ex his enim poterit probabiliter ostendi, quod anima movetur. Nos enim dicimus animam tristari, gaudere, confidere, idest audere et timere. Amplius autem dicimus ipsam irasci, sentire et intelligere. Cum ergo haec omnia sint operationes animae, et sint motus quidam, videtur quod anima moveatur. Haec autem dubitatio videtur magis probabilis quam superior. Nam illa considerat motum animae ex motu corporis. Dicebat enim quod nihil movet, nisi moveatur. Unde, cum anima moveat corpus, manifestum est, quod ipsa movetur. Haec vero opinio considerat motum ipsius animae ex propriis operationibus animae.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86607] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 2Consequenter cum dicit hoc autem solvit dubitationem. Circa quod sciendum est, quod quando Aristoteles inquirit veritatem aliquam solvendo et obiiciendo, aliquando obiicit et solvit post determinatam veritatem, et tunc obiicit et solvit secundum suam opinionem: aliquando vero ante determinatam veritatem, et tunc obiicit et solvit supponendo opiniones aliorum, et non secundum suam opinionem et veritatem, quam ipse opinatur. Et huius exemplum habemus in tertio physicorum, ubi philosophus disputat contra ponentes infinitum, et utitur contra eos multis rationibus, quae secundum se sunt falsae, licet secundum illos reputentur verae; puta quod omne corpus habet levitatem et gravitatem. Cuius ratio est, quia hoc, scilicet utrum corpus habet levitatem et gravitatem, nondum determinaverat, quod postea determinavit in libro de caelo: et ideo reiteravit ibi quaestionem de infinito. Hunc autem modum obiiciendi et solvendi servat hic Aristoteles; unde et procedit contra eos supponendo illorum opiniones.

 

 

 

 

[86608] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 3Illi enim, et maxime Platonici, opinati sunt, quod tristari, gaudere, irasci, sentire, et intelligere, et huiusmodi quae dicta sunt, sint motus animae. Et quod quodlibet illorum, etiam intelligere, fiat per organum determinatum, et quantum ad hoc non sit differentia inter sensitivam et intellectivam, et quod omnis anima, non solum intellectiva, sit incorruptibilis. Aristoteles vero omnia ista concedit. Ipse enim supponit quod huiusmodi operationes fiant per determinata organa, etiam intelligere. Et quod omnis anima sit incorruptibilis. Hoc tantum negat, scilicet quod huius operationes, scilicet sentire, gaudere, et huiusmodi, sint motus animae, sed motus coniuncti; et quantum ad hoc disputat contra eos.

 

 

 

 

 

[86609] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 4Et circa hoc duo facit. Primo enim ostendit, quod huiusmodi operationes non sunt motus animae. Secundo vero probat hoc quodam medio, ibi, intellectus autem et cetera. Dicit ergo, quod isti dicunt duo. Et primo, quod gaudere et tristari et huiusmodi, sunt motus. Secundo, quod haec attribuuntur animae, scilicet quod irascatur, gaudeat, sentiat et huiusmodi; et sic videtur quod anima moveatur. Sed hoc non est necesse; immo utrumque istorum est falsum: scilicet quia neque huiusmodi operationes sunt motus, et neque attribuuntur animae, scilicet quod irascatur, gaudeat, sentiat, et huiusmodi. Sed dato quod sint motus, et loquamur de eis secundum quod sunt motus, nihilominus tamen falsum est quod attribuantur animae, et per consequens quod secundum huiusmodi operationes moveatur. Quod sic patet.

 

 

 

 

[86610] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 5Constat enim quod si huiusmodi operationes sunt motus et attribuantur animae, quod non attribuuntur sibi nisi secundum aliquas determinatas partes corporis; sicut sentire non attribuitur animae, nisi in aliqua parte corporis, ut in oculo, sensus qui est per visum, et irasci in corde, et sic de aliis. Similiter manifeste apparet, quod non sunt animae tantum motus, sed coniuncti. Sunt tamen ab anima, ut puta in hoc quod est irasci. Anima enim iudicat aliquid esse dignum ira, cor autem animalis ex hoc movetur, et fervet circa ipsum sanguis. Sic autem se habet ad timores. Nam aliqua particula corporis contrahitur ad terribile et alteratur, et similiter de aliis. Et sic anima non movetur, sed est moveri ab ea in eo quod aliquid, ut cor, quodammodo movet. Et quia ipse determinabit inferius quod intelligere est quaedam operatio animae, in qua non communicat cum corpore, et non est coniuncti; ideo dicit, quod intelligere forsitan est aliquid alterum ab operationibus coniuncti et dicit forsitan, quia non loquitur definiendo, sed supponendo. Quia vero dixit quod huiusmodi motus non sunt animae, sed coniuncti, sunt tamen ab anima.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86611] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 6Ideo cum dicit horum autem vult ostendere quod huiusmodi motus corporis sunt ab anima secundum loci mutationes. Sicut patet in ira, quae fit in anima motis quibusdam particulis ipsius corporis, scilicet moto corde. Ex ira enim sanguis exit ad partes exteriores, motus a fervore cordis. Alia vero est secundum alterationem, sicut patet in timore. Nam cor ad terribile contrahitur et infrigidatur, et alteratur homo et pallescit. Quales autem passiones sint, et quomodo moveantur, alterius rationis est dicere. Sic igitur patet quod huiusmodi motus non sunt animae, sed corporis ab anima, ut dictum est.

 

 

 

 

 

 

[86612] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 7Sicut ergo animal habet operationes corporales, et huiusmodi non sunt animae, sed corporis, seu coniuncti, ita et huiusmodi operationes, scilicet sentire et gaudere, et huiusmodi, non debent referri ad animam, sed ad coniunctum. Nam si aliquis dicat animam irasci, et secundum huiusmodi operationes moveri, simile est ac si dicat ipsam animam texere vel aedificare, aut cytharizare. Nam et anima est causa horum motuum. Habitus enim aedificativus et textivus, et cytharizandi est in ipsa anima, et huiusmodi ab anima sunt. Sed sicut melius est dicere quod aedificator aedificat, non ars, licet aedificator aedificet per aedificativam artem, sic fortassis melius est dicere quod anima non miseretur neque addiscit, neque intelligit, sed homo per animam. Dicit fortassis intelligere quia loquitur supponendo, ut dictum est.

 

 

 

 

 

[86613] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 8Quia vero per hoc, quod dicit quod non movetur anima, sed homo per animam, posset intelligi quod motus existeret in anima sicut in subiecto; ideo removet hoc, dicens, quod cum dico hominem moveri ab anima, non sic dico quod motus in illa, scilicet in anima, existat, sed quasi ab illa.

 

 

[86614] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 9Cum enim dico, hoc movetur per hoc, istud potest dupliciter intelligi. Vel quia aliquando ipsa res, qua aliquid movetur, motum sustinet: ut cum dico hominem moveri pede, quia ipse pes movetur. Vel quia ipsa aliquando res non sustinet motum, sed impellit aliquid ad motum. Et hoc modo homo dicitur moveri per animam.

 

 

 

[86615] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 10Et in hoc est duplex motus. Quia aliquando anima est ut terminus motus, quando scilicet motus est ad illam, scilicet ad animam, sicut in apprehensione sensibilium. Nam quando anima apprehendit exteriora sensibilia, tunc virtus sensitiva, quae est in organo, nititur et movetur ad remittendum et reducendum species et intentiones rerum sensibilium usque ad illam, scilicet ad animam. Aliquando vero est ut principium motus, quando scilicet motus operationis initiatus est ab illa, scilicet ab anima, ut est in reminiscentia, a qua intentiones et phantasmata rerum occultata et recondita educuntur ad intelligendum res sensibiles. Sive autem motus aut quietes dicat aliquis, phantasmata huiusmodi sint derelicta interius, non refert quantum ad praesentem materiam.

 

 

 

 

 

[86616] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 11Patet igitur quod huiusmodi motus non attribuuntur animae, sed sunt coniuncti, ab ipsa anima tamen, et non sicut motu existente in ipsa anima.

[86617] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 12Notandum tamen quod haec solutio praedictae dubitationis non est distinctiva et definitiva veritatis, sed obviativa. Sciendum enim, quod motus attribuuntur operationibus animae, a diversis diversimode. Nam tripliciter invenitur motus in operationibus animae. In quibusdam enim invenitur motus proprie, in quibusdam minus proprie, in quibusdam vero minime proprie.

 

 

 

[86618] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 13Proprie enim invenitur motus in operationibus animae vegetabilis, et in appetitu sensitivo. In operatione quidem animae vegetabilis, est proprie motus, quando movetur in esse naturae per nutrimentum, et hic est motus augmenti; et secundum hoc anima vegetabilis se habet ut agens, corpus vero ut patiens. In appetitu vero sensitivo proprie invenitur motus, et secundum alterationem et secundum motum localem. Nam ad appetitum alicuius rei, homo statim movetur et alteratur, vel ad iram, sicut in appetitu vindictae, vel ad gaudium sicut in appetitu delectabilis. Item ex hoc movetur etiam sanguis, qui est circa cor, ad partes exteriores, et etiam homo de loco ad locum ad consequendum id quod appetit.

 

 

 

 

[86619] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 14Minus vero proprie invenitur motus in operationibus animae sensitivae. In his enim non est motus secundum esse naturae, sed solum secundum esse spirituale, sicut patet in visu cuius operatio non est ad esse naturale, sed spirituale: quia est per species sensibiles secundum esse spirituale receptas in oculo. Sed tamen habet aliquid de mutabilitate, inquantum scilicet subiectum virtutis visivae est corpus. Et secundum hoc habet rationem motus, licet minus propriam. Non enim dicitur motus in operationibus proprie, nisi cum operatio illa est ad esse naturae.

 

 

 

 

 

[86620] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 15Minimum autem de proprietate motus, et nihil nisi metaphorice, invenitur in intellectu. Nam in operatione intellectus non est mutatio secundum esse naturale, sicut est in vegetabili, nec subiectum spirituale quod immutetur, sicut est in sensibili. Sed est ibi ipsa operatio, quae quodammodo dicitur motus, inquantum de intelligente in potentia fit intelligens in actu. Differt tamen a motu eius operatio, quia eius operatio est actus perfecti, motus vero est actus imperfecti.

 

 

 

 

[86621] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 16Et ideo patet quomodo operationes animae vegetabilis et sensitivae, non sunt motus animae, sed coniuncti. Operationes autem intellectus non dicuntur motus nisi metaphorice, et sunt solum animae intellectivae absque aliquo determinato organo.

 

[86622] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 17Sciendum etiam, quod sicut in sensu invenitur vis appetitiva et apprehensiva, ita et intellectu invenitur vis appetitiva et apprehensiva. Et ideo haec: amor, odium, gaudium et huiusmodi, possunt intelligi, et prout sunt in appetitu sensitivo, et sic habent motum corporalem coniunctum; et prout sunt in intellectu et voluntate tantum absque omni affectione sensitiva, et sic non possunt dici motus, quia non habent motum corporalem coniunctum. Et inveniuntur etiam in substantiis separatis, secundum quod in sequentibus melius patebit.

 

 

[86623] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 18Consequenter cum dicit intellectus autem vult probare quae ostendit, scilicet quod huiusmodi operationes, etiam si sint motus, sicut ipsi dicebant, non attribuuntur animae, sed corpori et coniuncto. Et hoc probat per quamdam opinionem illorum, quae erat famosa tempore suo, scilicet, quod omnis anima est incorruptibilis; et hoc secundum eos erat de intellectu et de omni anima. Dicit ergo, quod videtur praedictis philosophis quod intellectus sit quaedam substantia, quae est in fieri et nondum completa, et quod non corrumpitur. Cuius ratio est, quia nos videmus quod omnes debilitationes quae fiunt circa intellectum et sensum, non attingunt ad ipsam animam secundum se, sed proveniunt ex debilitate organi. Unde videtur quod intellectus et omnis anima sit incorruptibilis, et quod debilitatio in eius operationibus non sit ex eo quod ipsa corrumpatur, sed ex eo quod debilitantur organa.

 

 

[86624] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 19Si enim corrumperetur anima, maxime corrumperetur a debilitate quae est in senectute, sicut accidit in organis sensitivis, quae debilitantur ex senectute: tamen anima non debilitatur ex hoc; quia si senex accipiat oculum iuvenis, videbit ut iuvenis. Quare senectus debilitat, non quidem quod ipsa anima patiatur seu virtus sensitiva, sed id in quo est. Sicut in aegritudinibus et in ebrietatibus non debilitatur anima, sed corpus. Sic ergo intelligere, idest simplex apprehensio et considerare, idest operatio intellectus quae est in componendo et dividendo, marcescunt, non quidem quod intellectus corrumpatur et patiatur, sed corrupto quodam alio interius, idest corrupto aliquo, quod est organum intellectus. Ipsum autem intelligere est impassibile.

 

 

 

 

 

[86625] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 20Hoc autem dicit Aristoteles non quod sit huius opinionis, quod credat intellectum habere determinatum organum corporale; sed sicut dictum est, ipse hic loquitur supponendo opiniones istorum philosophorum, qui, sicut dictum est, erant huius opinionis, quod omnes operationes animae, et etiam ipse intellectus, haberent organa determinata. Et ideo secundum hoc assignat quare intelligere marcescat; quia huiusmodi operationes, quae sunt intelligere, amare et odire, sunt passiones illius, scilicet animae (supponendo loquitur), sed huius habentis, scilicet coniuncti seu organi corporalis. Organi dico habentis illud, scilicet intelligere et huiusmodi secundum quod illud habet. Unde corrupto hoc scilicet determinato organo huiusmodi operationis, quae est amare seu intelligere, non rememoratur neque amat, scilicet anima. Cuius ratio est, quia huiusmodi passiones non erant animae tantum sed communis scilicet coniuncti: quod est iam destructum et corruptum. Si ergo omnes huiusmodi motus et operationes debilitantur non propter animam, sed propter debilitatem corporis seu organi, ut dictum est: manifestum est, quod non sunt animae tantum, sed coniuncti; et per consequens, quod anima non movetur, sed coniunctum, licet anima.

 

 

 

 

 

[86626] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 21Quia vero Aristoteles locutus est hic de intellectu, supponendo opiniones aliorum, sicut iam patet; ne credatur quod ipse opinetur intellectum sic esse ut supposuit, ideo removet hoc, dicens, quod fortassis intellectus est aliquid divinius et impassibile, idest aliquid altius et aliqua maior potentia, et per consequens operatio ipsius animae, quam dicatur hic. Dicit autem fortassis quia nondum hoc determinaverat, sed postea hoc in tertio ostendit. Unde patet quod supponendo loquitur.

 

 

 

[86627] Sentencia De anima, lib. 1 l. 10 n. 22Consequenter concludit ex omnibus dicens, quod manifestum est ex omnibus his, quae dicta sunt, quod non est possibile animam moveri. Quod si non movetur aliquo modo, manifestum est quod non movetur a seipsa huiusmodi motibus, sicut isti ponebant.

Leçon  10

146. Après avoir présenté les raisons sur lesquelles s’appuient ceux qui disent que l’âme est mue du fait qu’elle-même meut un corps, et après avoir argumenté contre ces raisons, le Philosophe veut ici montrer qu’une raison plus évidente encore peut être tirée des opérations mêmes de l’âme pour montrer que l’âme est mue. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu en effet il soulève la difficulté de ceux qui ont dit, en s’appuyant sur les opérations de l’âme, que l’âme est mue. En deuxième lieu, il résout ce doute dans la mesure où cela convient au propos, là où il dit : « Cela n’est cependant pas nécessaire etc. ». Il dit donc en premier lieu que bien que les philosophes qui précèdent ont hésité à conclure que l’âme est mue du fait qu’elle meut le corps, il est cependant plus raisonnable, c’est-à-dire plus probable, de demeurer dans le doute au sujet du mouvement de l’âme en considérant les choses dont nous allons parler, à savoir les opérations de l’âme. À partir de ces dernières, en effet, on pourrait montrer avec probabilité que l’âme est mue. « Nous disons en effet de l’âme qu’elle est triste ou joyeuse, confiante », c’est-à-dire audacieuse, « et craintive ». Mais en outre nous disons d’elle qu’elle est irascible, sensitive et intellective. Donc, puisque tous ces traits sont des opérations de l’âme et une sorte de mouvement, il semble que l’âme elle-même soit mue. Or ce doute semble plus probable que celui présenté plus haut, lequel considérait le mouvement de l’âme en partant du mouvement du corps puisqu’il disait en effet que rien ne meut s’il n’est pas lui-même mû : d’où il s’ensuivait que puisque l’âme meut le corps, il devenait manifeste que l’âme elle-même est mue. Au contraire, l’opinion que nous venons de présenter considère le mouvement de l’âme en partant des opérations mêmes de l’âme.

147. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais cela etc. », il résout le doute ou la difficulté. À ce sujet, il faut savoir que lorsque qu’Aristote recherche la vérité en soulevant et en résolvant des objections, il procède ainsi parfois après avoir déterminé la vérité et alors il le fait d’après son opinion ; mais il le fait parfois avant d’avoir déterminé la vérité et alors il objecte et résout les difficultés en partant des opinions mêmes de ceux qu’il réfute et non en s’appuyant sur son opinion ou sur ce qu’il considère être la vérité. Nous en voyons un exemple [Physique, L. ch. 4-8] là où le Philosophe argumente contre ceux qui posent l’existence de l’infini et où il se sert contre eux de nombreuses raisons, qui en elles-mêmes sont fausses, bien qu’elles étaient admises comme vraies par eux, comme celle qui suppose que tout corps possède légèreté et lourdeur. La raison en est qu’Aristote n’avait pas encore établi la vérité sur la question de savoir si tout corps possède à la fois légèreté et lourdeur. C’est par la suite qu’il répondit déterminément à cette question sur l’infini et c’est pourquoi il la reprend plus tard dans un autre livre [Du Ciel, L. 1, ch. 3]. C’est cette dernière manière de procéder qu’observe ici Aristote, et c’est pourquoi il procède contre eux en partant de leurs opinions.

148. Ces philosophes en effet, et surtout les Platoniciens, croyaient que toutes ces opérations, comme la tristesse, la joie, la colère, la sensation, l’intellection etc., et toutes les autres dont nous avons parlé, sont des mouvements de l’âme, qu’elles s’effectuent toutes, même l’intellection, au moyen d’un organe corporel déterminé, que sous ce rapport il n’y a pas de différence entre l’âme sensitive et l’âme intellectuelle, et que toute âme, et non seulement l’âme intellectuelle, est incorruptible. Or, Aristote, pour les besoins de l’argumentation, concède ici tous ces énoncés. Lui-même en effet suppose que ces opérations, même l’intellection, se produisent au moyen d’organes déterminés, tout comme il concède encore que toute âme est incorruptible. Il nie seulement que toutes ces opérations, comme la sensation, la joie etc., soient des mouvements de l’âme ; il affirme plutôt que ce sont des mouvements du composé et c’est sous ce rapport qu’il argumente contre eux.

149. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il montre en effet que ces opérations ne sont pas des mouvements de l’âme. Deuxièmement il le prouve par ce moyen terme lorsqu’il dit : « Quant à l’intellect etc. ». Il dit donc que ces philosophes se trouvent à dire deux choses : premièrement que se réjouir, s’attrister, etc., sont des mouvements ; deuxièmement que ces mouvements, à savoir la colère, la joie, la sensation, etc. s’attribuent à l’âme, et par conséquent que l’âme est mue. Mais cette conséquence ne s’ensuit pas nécessairement ; au contraire, ces deux énoncés sont faux : en effet, ces opérations ne sont pas des mouvements et il est faux de prétendre que ces opérations, comme la colère, la joie, la sensation, etc., s’attribuent à l’âme. Mais même si l’on concédait qu’elles sont des mouvements et qu’on en parlait en les prenant comme des mouvements, néanmoins il serait faux de les attribuer à l’âme et par conséquent de conclure que l’âme est mue selon ces opérations. Il est possible de le voir de la manière qui suit.

150. Il est clair en effet, si de telles opérations sont des mouvements et s’attribuent à l’âme, elles ne s’attribuent à l’âme que selon des parties déterminées du corps : par exemple, la sensation ne s’attribue à l’âme que selon une partie du corps, comme le sens de la vue qui est dans l’œil, la colère dans le cœur, et il en va de même pour les autres opérations. De la même manière, il apparaît clairement que ce ne sont pas des mouvements qui appartiennent à l’âme seulement, mais plutôt au composé. Ils procèdent cependant de l’âme, comme on le voit dans le cas de la colère. En effet, l’âme ayant jugé que quelque chose mérite la colère, à partir de là le cœur de l’animal s’en trouve agité et le sang bouillonne en lui. Quant à la crainte, voici comment les choses se passent : à la vue de ce qui est terrible, une partie du corps se contracte et subit des modifications. Il en va de même pour les autres opérations. Par conséquent, ce n’est pas l’âme qui est mue, mais le mouvement se retrouve plutôt dans ce qui est mû en quelque sorte par elle, par exemple dans le cœur. Et parce qu’Aristote établira plus loin que l’intellection est une certaine opération de l’âme dans laquelle il n’y a pas communication avec le corps et qui n’appartient pas au composé, c’est pourquoi il dit que l’intellection est peut-être quelque chose d’autre que les opérations du composé ; et il dit peut-être parce qu’il ne parle pas d’une manière définitive et catégorique, mais par supposition. Et parce qu’il avait dit que les mouvements de cette sorte n’appartiennent pas à l’âme, il ajoute néanmoins qu’ils procèdent de l’âme.

151. C’est pourquoi, lorsqu’il dit : « Or, de ces mouvements etc. », il veut montrer que ces mouvements du corps viennent de l’âme selon des changements de lieu. C’est ce qu’on observe dans la colère qui se produit dans l’âme par une partie du corps mise en mouvement, c’est-à-dire par le mouvement du cœur. C’est la colère en effet qui fait sortir le sang, mis en branle par l’agitation du cœur, vers l’extérieur. Mais il y a un autre changement, celui qui s’effectue selon l’altération, ainsi qu’on le voit dans la crainte. Car le cœur, à la vue de ce qui est terrifiant, se contracte et se refroidit, et l’homme en est altéré au point que son visage pâlit. Mais quant à préciser quelles sont ces passions et de quelle manière elles sont mues, il appartient à un autre discours d’en traiter. Ainsi donc, il est clair que de tels mouvements n’appartiennent pas à l’âme seulement, mais plutôt au corps en procédant de l’âme, comme nous l’avons dit (n. 150).

152. Donc, tout comme l’animal possède des opérations corporelles, et que ces dernières n’appartiennent pas à l’âme mais au corps ou au composé, de même ces opérations, à savoir la joie, la sensation etc., ne doivent pas être attribuées à l’âme mais au composé. En effet, si quelqu’un disait que l’âme est en colère et que c’est d’après des opérations de la sorte qu’elle est mue, c’est comme s’il disait que c’est l’âme elle-même qui tisse, qui construit ou qui joue de la cythare. Car l’âme est la cause de ces mouvements. En effet, les habitus du constructeur, du tisserand et du joueur de cythare sont dans l’âme elle-même et ils viennent d’elle. Mais tout comme il est préférable de dire que c’est le constructeur qui construit et non l’art de la construction, bien que le constructeur construise au moyen de l’art de la construction, de même il est peut-être préférable de dire que ce n’est pas l’âme qui a pitié, qui apprend et qui intellige, mais plutôt que c’est l’homme qui pose ces opérations au moyen de l’âme. Et il dit « peut-être intelliger » parce qu’il parle ici en supposant, comme nous l’avons déjà dit (n. 150).

153. Mais parce que, ayant dit que ce n’est pas l’âme qui est mue, mais plutôt l’homme par l’âme, on pourrait entendre ces paroles dans le sens où elles signifieraient que le mouvement existe dans l’âme comme dans un sujet, c’est pourquoi il rejette cette interprétation en disant : lorsque je dis que l’homme est mû par l’âme, je ne dis pas que le mouvement existe en elle, c’est-à-dire dans l’âme, mais plutôt que le mouvement vient d’elle.

154. En effet, lorsque je dis que ceci est mû par cela, cet énoncé peut s’entendre de deux manières. Soit en ce sens que parfois la chose elle-même, par laquelle une autre chose est mue, subit le mouvement, comme lorsque je dis que l’homme se meut à pied, car le pied lui-même est en mouvement. Soit en ce sens que parfois la chose elle-même ne subit pas le mouvement mais pousse une chose à se mouvoir. Et c’est en ce sens qu’on dit de l’homme qu’il est mû par l’âme.

155. Et en cela il y a un double mouvement : en effet, l’âme est parfois comme le terme du mouvement, c’est-à-dire lorsque le mouvement est ordonnée à elle, c’est-à-dire à l’âme, comme on le voit dans la perception des choses sensibles : lorsque l’âme appréhende les qualités sensibles extérieures, alors la puissance sensitive qui est dans l’organe est portée et est mue à renvoyer et à ramener les espèces et les intentions des choses sensibles jusqu’à elle, c’est-à-dire jusqu’à l’âme ; mais parfois l’âme est comme le principe d’où le mouvement commence, c’est-à-dire lorsque le mouvement de l’opération est initié par elle, c’est-à-dire par l’âme, telle qu’on la trouve dans la réminiscence, d’où les intentions et les représentations cachées et enfouies des choses sont tirées pour comprendre les choses sensibles. Quant à dire que de telles images laissées en nous suite à la sensation sont des mouvements ou des repos,   cela ne se rapporte pas à la matière que nous examinons présentement.

156. Il est donc clair que de tels mouvements ne s’attribuent pas à l’âme, mais au composé, et qu’ils procèdent néanmoins de l’âme, mais non comme d’un mouvement qui existerait dans l’âme.

157. Il faut cependant noter que cette solution de la difficulté précédente ne parvient pas à distinguer définitivement la vérité, mais elle vise seulement à combattre cette erreur en particulier. Il faut savoir en effet que si les mouvements sont attribués aux opérations de l’âme, ils leur sont attribués diversement par les différents auteurs, car c’est de trois manières différentes que  le mouvement se retrouve dans les opérations de l’âme. En certaines en effet il se retrouve proprement, dans d’autres moins proprement et dans d’autres enfin pas du tout proprement.

158. Le mouvement se retrouve en effet proprement dans les opérations de l’âme végétative et dans l’appétit sensible. Le mouvement existe certes proprement dans l’opération de l’âme végétative lorsque l’être vivant est mû vers son existence naturelle par la prise des aliments, et c’est là le mouvement de croissance ; et selon ce mouvement, l’âme végétative se présente comme un agent, le corps comme un patient. Quant à l’appétit sensible, le mouvement s’y retrouve proprement à la fois selon l’altération et selon le mouvement local, car aussitôt que naît en l’homme un appétit à l’égard d’une chose, comme la colère dans l’appétit de vengeance ou la joie dans l’appétit du délectable, aussitôt l’homme est mû et est altéré. En outre, à partir de là, le sang, qui est autour du cœur, est poussé vers les parties extérieures du corps et l’homme se meut en outre d’un lieu à un autre à la poursuite de l’objet de son appétit.

159. Mais le mouvement se retrouve moins proprement dans les opérations de l’âme sensitive. Dans ces dernières en effet le mouvement ne se retrouve pas selon une existence de nature mais seulement selon une existence spirituelle, comme on le voit pour la vue dont l’opération n’aboutit pas à une existence naturelle mais à une existence spirituelle, car elle s’accomplit au moyen des espèces sensibles reçues dans l’œil selon leur existence spirituelle. Ces opérations gardent cependant quelque chose de la nature du mouvement en tant que le sujet de la puissance visuelle est le corps, et sous ce rapport elles ont raison de mouvement bien que moins proprement. Dans les opérations en effet, le mouvement ne se dit au sens propre que lorsque cette opération est ordonnée à une existence de nature.

160. Quant à l’intellect, le mouvement ne s’y retrouve pas du tout proprement et ne s’attribue à lui en rien, sauf par métaphore. En effet, dans l’opération de l’intellect il n’y a pas de changement selon une existence naturelle, comme c’est le cas pour les végétaux, et il n’y a pas de sujet d’une puissance intellectuelle qui serait un corps sujet au changement comme on le voit dans l’âme sensible. Mais si on dit que l’opération de l’intellect est en quelque sorte un mouvement, c’est seulement en tant que l’intellect passe de la puissance à l’acte. Mais son opération diffère d’un mouvement car son opération est l’acte de ce qui est parfait alors que le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait.

161. C’est pourquoi nous voyons clairement comment les opérations de l’âme végétative et de l’âme sensitive ne sont pas des opérations de l’âme, mais plutôt du composé. Mais le mouvement ne se dit des opérations de l’intellect que par métaphore, lesquelles n’appartiennent qu’à l’âme intellectuelle sans dépendre d’un organe déterminé.

162. Il faut aussi savoir que dans l’intellect, tout comme dans le sens, on retrouve une puissance appétitive et une puissance appréhensive. C’est pourquoi ces passions, telles l’amour, la haine, la joie, etc., peuvent s’entendre à la fois en tant qu’elles existent dans l’appétit sensitif et par conséquent comme étant unies à un mouvement corporel, et en tant qu’elles existent dans l’intellect et la volonté seulement, sans aucun mouvement de l’appétit sensible, et ne peuvent par conséquent pas être appelées mouvement parce qu’elles ne sont pas unies à un mouvement corporel. Et ces passions, prises en ce dernier sens, se retrouvent aussi chez les substances séparées, ainsi que nous le verrons mieux par la suite.

163. Par conséquent, lorsqu’il dit : « Mais l’intellect etc. », il cherche à prouver ce qu’il indique, à savoir que de telles opérations, même si elles étaient des mouvements, comme ces philosophes le prétendent, ne s’attribuent pas à l’âme mais au corps et au composé. Et il le prouve au moyen d’une de leurs opinions qui était fort répandue à cette époque, à savoir que toute âme est incorruptible, car selon eux l’incorruptibilité s’attribuait à l’intelligence et à toute âme. Aristote dit donc qu’il semble bien qu’aux yeux de ces philosophes l’intellect soit une certaine substance qui est en devenir et non encore achevée, et qui n’est pas sujette à la corruption. La raison en est que nous observons que tous les affaiblissements relatifs à l’intellect et au sens n’atteignent pas l’âme en elle-même mais proviennent d’un affaiblissement d’un organe. C’est pourquoi il semble que l’intellect, comme toute âme, soit incorruptible, et que l’affaiblissement de ses opérations ne procède pas d’une corruption qui se produirait en lui-même, mais plutôt d’un affaiblissement des organes eux-mêmes.

164. Si en effet l’âme subissait en elle-même une corruption, elle se corromprait surtout par un affaiblissement qui apparaît avec la vieillesse, comme cela se produit dans les organes sensitifs qui s’affaiblissent avec l’âge. Cependant, l’âme n’est pas affaiblie par cela pour autant : en effet, si le vieillard recevait l’œil d’un jeune, il verrait comme un jeune. Donc, la raison pour laquelle le vieillard s’affaiblit, ce n’est pas parce que l’âme elle-même ou la puissance visuelle est affectée, mais plutôt parce que le sujet dans lequel elle se trouve pâtit, tout comme dans les maladies et les ivresses ce n’est pas l’âme qui est affaiblie, mais le corps. Ainsi donc, « l’intellection », c’est-à-dire la simple appréhension, « et la considération », c’est-à-dire l’opération de l’intellect par laquelle il compose et divise, s’affablissent non pas parce que l’intellect lui-même se corrompt ou pâtit, mais « parce que quelque chose d’autre à l’intérieur se corrompt », c’est-à-dire parce que quelque chose est détruit, c’est-à-dire l’organe de l’intellect. Mais « l’intellect en lui-même est impassible. ».

165. Mais Aristote dit cela non pas parce qu’il partage cette opinion qui consiste à croire que l’intellect possède un organe corporel déterminé, mais, comme nous l’avons dit (n. 150), il parle ici en supposant les opinions de ces philosophes qui, comme nous l’avons dit, étaient de cette opinion que toutes les opérations de l’âme, et même celle de l’intellect, dépendent directement d’organes déterminés. Et c’est pourquoi, par conséquent, il assigne la raison pour laquelle l’intellection s’affaiblit : c’est-à-dire parce que ces opérations qui sont l’intellection, l’amour, la haine, sont des affections non pas de l’intellect, à savoir de l’âme, (parlant ici en supposant), mais « de cela », à savoir « de ce qui les possède », c’est-à-dire du composé ou de l’organe corporel. Et je dis « de l’organe qui les possède », c’est-à-dire l’intellection et les opérations de la sorte, « en tant qu’il les possède ». C’est pourquoi, « cela étant corrompu », c’est-à-dire l’organe déterminé de cette opération qui est l’amour ou l’intellection, cela, c’est-à-dire l’âme, ne se souvient plus et n’aime plus. La raison en est que de telles affections n’appartenaient pas à l’âme seulement mais à « ce qui est commun », c’est-à-dire au composé qui est déjà détruit et corrompu. Donc, si tous ces mouvements et ces opérations s’affaiblissent non pas à cause de l’âme mais à cause de l’affaiblissement du corps ou de l’organe, comme nous l’avons dit (n. 163-164), il est manifeste qu’ils n’appartiennent pas à l’âme seulement mais au composé et par conséquent que ce n’est pas l’âme qui est mue mais le composé.

166. Mais parce que le discours  d’Aristote sur l’intellect procédait ici en supposant les opinions des autres philosophes, comme nous l’avons vu, afin qu’on ne croit pas que lui-même voyait l’intellect comme étant tel qu’il était présenté dans ses suppositions, c’est pourquoi il écarte cette interprétation en disant que « peut-être l’intellect est quelque chose de plus divin et d’impassible », c’est-à-dire quelque chose de plus élevé et une puissance supérieure, dont l’opération, dont nous avons parlé ici, est par conséquent celle de l’âme elle-même. Et il dit « peut-être » parce qu’il n’a pas encore prouvé cela, mais il le montre plus loin au troisième livre de ce traité (L. 3, ch. 4).

167. Et il conclut par la suite en disant qu’il est manifeste suite à tout ceci, c’est-à-dire après tout ce qui a été dit, qu’il n’est pas possible que l’âme soit mue. Et s’il elle n’est absolument pas mue, il est manifeste qu’elle n’est pas mue par elle-même, comme ces philosophes le croyaient.

 

 

LECTIO 11

[86628] Sentencia De anima, lib. 1 l. 11 n. 1Postquam philosophus improbavit opinionem illorum, qui dixerunt simpliciter animam moveri, hic consequenter arguit contra opinionem Xenocratis, qui supra motum addidit aliquid aliud, scilicet quod anima esset numerus movens seipsum. Et haec opinio est multum irrationabilior opinionibus aliorum philosophorum, quae dictae sunt. Nam his qui dicunt animam esse numerum moventem seipsum, multa impossibilia insunt. Et primo quidem ea quae accidunt eo quod est moveri, id est ex motu, quae etiam accidunt omnibus dicentibus animam moveri; accidunt etiam sic dicentibus, et inconvenientia propria, ex hoc scilicet quod dicunt animam esse numerum. Et propter hoc philosophus improbat definitionem hanc Xenocratis de anima, et non tantum est disputans ad nomen, sed ad ipsam intentionem definientis. Circa hoc autem duo facit. Primo ostendit hanc definitionem esse inconvenientem, quantum ad ipsam animam vel substantiam animae. Secundo vero quantum ad eius accidentia, ibi, complectentibus igitur in unum et cetera. Circa primum duo facit. Primo enim destruit definitionem praedictam de anima per rationes. Secundo vero ostendit quod ad hanc definitionem sequuntur omnia inconvenientia quae sequuntur ad opiniones aliorum philosophorum, ibi, accidit autem sicut diximus et cetera.

 

 

 

 

[86629] Sentencia De anima, lib. 1 l. 11 n. 2Quod autem praedicta definitio sit incongrua, probat sex rationibus. Quarum prima talis est. Tu dicis, animam esse numerum moventem seipsum: numerus autem constat ex unitatibus: ergo dicis animam esse unitates. Si tu dicis animam esse numerum moventem seipsum, ergo et animam unitates moventes seipsas: sed omne movens seipsum habet duas partes, ut probat in octavo physicorum; quarum una est movens et alia mota: ergo oportebit dicere quod unitas seu punctum dividetur in duas partes, quarum una sit movens, et altera mota. Hoc autem est impossibile, ergo impossibile est quod anima sit numerus movens seipsum. Quod autem sit impossibile unitatem habere unam partem moventem et aliam motam, probat: quia nullo modo illud quod est omnino impartibile et indifferens, potest intelligi quod moveatur per se, ita quod habeat partem moventem unam, et aliam motam. Nam in nullo possunt haec duo, scilicet vis motiva vel movens, et mobilis vel mota esse, nisi differant. Cum ergo unitas sit impartibilis et indifferens, non potest huiusmodi partes habere, et sic nec moveri. Ergo anima non est numerus movens seipsum.

 

 

 

 

 

 

[86630] Sentencia De anima, lib. 1 l. 11 n. 3Secundam rationem ponit cum dicit amplius quoniam quae talis est. Tu dicis animam esse numerum: ergo et unitates, ut dictum est. Inter unitatem autem et punctum nulla differentia est, nisi quod punctus habet positionem; est enim punctum unitas positionem habens. Sed si anima est numerus, oportet quod alicubi sit huiusmodi numerus animae, et positionem habens: ergo anima erit unitas positionem habens. Huiusmodi autem sunt puncta: ergo anima erit puncta. Sed secundum quod dicunt Platonici, motus puncti facit lineam, linea autem mota facit superficiem, superficies vero corpus. Sed est anima numerus movens seipsum, ergo eodem modo et unitas; et per consequens est punctum movens seipsum: punctum autem motum non facit nisi lineam: ergo motus animae non facit nisi lineam. Et sic anima motu suo non causat vitam, sed lineam, quod est falsum. Non est igitur anima numerus movens seipsum.

 

 

 

[86631] Sentencia De anima, lib. 1 l. 11 n. 4Tertiam rationem ponit cum dicit amplius autem quae talis est. Si anima est numerus, ut tu dicis, oportet quod consequatur passiones et naturam numeri: sed constat quod si aliquis auferat a numero unitatem aliquam, seu addat, mutat speciem. Nam si huic numero, scilicet ternario, addas unitatem, mutat speciem. Alia enim species est huius numeri quatuor, et alia eius quod est tria. Si vero ab eodem auferas unitatem, efficitur duo et mutat similiter speciem. Constat autem quod animalia sumunt speciem ab anima, cum unumquodque consequatur per formam speciem suam. Ergo si anima est numerus, ex subtractione vel additione alicuius ab anima, relinquitur alia anima specie: et hoc est falsum. Videmus enim in decisionibus plantarum et animalium annulosorum, quod divisa seu decisa vivunt, et eamdem speciem habent. Non ergo anima est numerus movens seipsum.

 

 

[86632] Sentencia De anima, lib. 1 l. 11 n. 5Quartam rationem ponit cum dicit videbitur autem quae talis est. Tu dicis animam esse numerum: et sicut dictum est; sequitur quod anima sit unitates positionem habentes, et per consequens quod sit puncta. Secundum hoc autem si recte consideremus, videbitur utique quod nihil differt dicere, quod anima sit corpora parva et indivisibilia, sicut dixit Democritus, aut dicere quod sit unitates positionem habentes. Unum enim positionem habens, quantitas est et indivisibilis. Ex hoc ergo sic arguo: anima, secundum positionem tuam, est numerus movens seipsum, et per consequens unitates et puncta moventia seipsa. Ponamus autem quod corpora indivisibilia, quae posuit Democritus, sint puncta, quia non differt, sicut dictum est, et sint quanta, quod necesse est, quia proprie non movetur nisi quantum. Huiusmodi autem puncta movent seipsa, quia anima est numerus seipsum movens. Sed in movente seipso, sicut dictum est, duo sunt: ergo erit in ipso puncto, unum quod est movens, et aliud quod est motum. Nec est curandum utrum sint magna seu parva, dummodo sit quanta; quia in quolibet continuo movente seipsum hoc accidit, scilicet, quod sint duo ibi, unum ut movens, et aliud ut motum. Et sic necesse est quod sit aliquid motivum unitatum. In animali autem, illud quod movet animal, est anima; ergo et in numero, illud quod movet numerum erit anima; ergo anima non est id quod movetur, sed illud quod movet. Et sic mala est definitio animae, quod sit numerus movens seipsum; sed potius quod sit numerus movens numerum motum.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86633] Sentencia De anima, lib. 1 l. 11 n. 6Quintam rationem ponit cum dicit contingit autem quae talis est. Secundum opinionem Xenocratis contingit hanc, scilicet animam, esse unitatem: sed ex hoc contingit ipsam esse puncta; quia si anima est unitas, oportet quod differat ab aliis unitatibus. Non poterit autem differre ab eis nisi per positionem. Quae enim est differentia puncti solitarii id est unitatis intellectae, nisi positio? Nulla unitas autem nisi positionem habens, est punctum: ergo anima non est unitas sed puncta. Sed anima est in corpore, et quodlibet corpus habet puncta sua per se. Quaero ergo, utrum puncta, quae sunt anima, sint eadem cum punctis corporis, aut alia. Si quidem sunt altera, ergo in qualibet parte corporis erunt puncta animae, et sic erunt duo puncta animae in eodem loco simul. Et si duo, propter quid non plura, aut etiam infinita? Nam illa, quorum locus est indivisibilis, et ipsa indivisibilia sunt, unde non indigent ampliori loco. Unde si ponantur duo esse in loco indivisibili, per consequens possunt in eodem loco esse infinita. Si vero dicas, quod sunt eadem puncta quae sunt in corpore cum his punctis, quae sunt anima, sequitur quod cum omne corpus habeat puncta, quod omne corpus habeat animam: sed hoc est falsum: non ergo anima est numerus movens seipsum.

 

 

 

 

 

 

[86634] Sentencia De anima, lib. 1 l. 11 n. 7Sextam rationem ponit cum dicit amplius autem et sumitur ex praecedenti. Quae talis est: sicut dictum est, sequitur ex positione Xenocratis, quod anima sit puncta: sed nos videmus quod puncta non separantur, nec absolvuntur a corporibus. Nam lineae non dividuntur a superficiebus, nec puncta a lineis. Anima vero separatur et absolvitur a corpore: ergo non est puncta, neque numerus. Patet ergo quod definitio Xenocratis de anima est incongrua quantum ad ea quae in definitione ponuntur.

[86635] Sentencia De anima, lib. 1 l. 11 n. 8Consequenter cum dicit accidit autem dicit definitionem praedictam esse incongruam, quantum ad inconvenientia. Nam ex huiusmodi definitione de anima sequuntur omnia inconvenientia, quae sequuntur ex opinionibus omnium philosophorum de anima. Quidam enim erraverunt circa animam, et dixerunt ipsam esse corpus subtilissimarum partium. Ex quo sequebatur, quod cum anima sit ubicumque est sensus in corpore, et sensus sit ubique per corpus, quod si anima est corpus, quod duo corpora sint simul. Et hoc idem sequetur si anima est puncta, sicut dictum est, scilicet quod duo sint simul et etiam infinita; et hoc si puncta animae sint alia a punctis corporis. Sed si non fiat differens numerus punctorum animae, id est si non differant puncta animae a punctis quae sunt in corpore, sequitur quod in quolibet corpore sit anima. In quolibet enim corpore est invenire puncta.

 

 

[86636] Sentencia De anima, lib. 1 l. 11 n. 9Quidam vero, sicut Democritus, erravit dicens animam moveri, et corpus ex motu animae; et cum ipse diceret componi animam ex indivisibilibus sphaeris, et ex motu ipsarum moveri corpus, sequebatur, quod corpus moveretur ex corporibus indivisibilibus. Et hoc idem inconveniens sequitur ex definitione istorum, scilicet animal moveri ex numero, et per consequens a punctis: et non est differentia, dicere sphaeras parvas, et unitates magnas, aut quascumque unitates moveri. Nam utrobique id est in sphaericis corporibus et unitatibus, necesse est quod anima moveatur, eo quod ipsa, scilicet corpora sphaerica, et puncta seu unitates moventur.

 

 

[86637] Sentencia De anima, lib. 1 l. 11 n. 10Consequenter cum dicit complectentibus igitur ostendit insufficientiam praedictae definitionis ex parte accidentium. Dicit ergo quod, quandocumque definitio sufficienter assignatur, non solum debet ducere in cognitionem substantiae rei definitae, sed etiam accidentium. Sed si complicemus in unum ista duo, quae posita sunt in definitione animae, scilicet numerum et motum, non solum accidunt nobis inconvenientia quae dicta sunt circa substantiam ipsius animae, sed etiam multa alia; quia haec duo non solum est impossibile esse definitionem, idest substantiam animae, verum etiam est impossibile quod ipsa, scilicet numerus et motus, sint accidentia animae, seu ducant in cognitionem accidentium. Non igitur est congrua definitio, cum non ducat, in cognitionem accidentium. Et quod non ducat in cognitionem accidentium animae, manifestum est si quis ex huiusmodi definitione conabitur passiones et operationes animae assignare, puta ratiocinationes, delectationem, tristitiam, et huiusmodi. Ex ipsis enim, scilicet ex numero et motu, non solum non erit facile devenire in cognitionem accidentium et operationum animae, sed nec divinare poterimus ex eis aliquid de ipsis passionibus et operationibus animae.

Leçon  11

168. Après avoir réfuté l’opinion de ceux qui soutiennent que l’âme est mue absolument, Aristote argumente ici contre l’opinion de Xénocrate qui, en plus d’attribuer le mouvement à l’âme, lui attribue en outre quelque chose d’autre, à savoir qu’elle est un nombre qui se meut soi-même. Et cette opinion, selon lui, est beaucoup plus déraisonnable que les opinions des autres philosophes dont nous avons parlé. En effet, de nombreuses impossibilités résultent de cette opinion selon laquelle l’âme est un nombre qui se meut soi-même. Il y a d’abord les impossibilités qui résultent « de ce que l’âme est mue », c’est-à-dire de ce que, dans cette opinion, l’âme est un mouvement, lesquelles impossibilités résultent aussi de tous ceux qui affirment que l’âme se meut, puis il y a aussi celles qui sont propres à ceux qui disent que l’âme est un nombre. Et c’est pour cette raison que le Philosophe réfute cette définition de l’âme de Xénocrate en faisant porter le débat non seulement sur les mots, mais sur l’intention même de celui qui définit. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il montre que cette définition ne convient pas à l’âme prise en elle-même ou quant à son essence. Deuxièmement il montre qu’elle ne convient pas à l’âme quant à ses accidents, là où il dit : « À ceux qui embrassent donc dans une seule définition etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il détruit par des raisonnements cette définition de l’âme ; deuxièmement, il montre que de cette définition découlent de nombreuses impossibilités par rapport aux opinions des autres philosophes, là où il dit : « Or il arrive, comme nous l’avons dit etc. ».

169. Or, il prouve par six raisonnements que la définition de Xénocrate ne convient pas. Voici le premier raisonnement. Tu dis que l’âme est un nombre qui se meut par soi-même : or, le nombre est composé d’unités : tu dis donc que l’âme est composée d’unités. Et comme tu dis que l’âme est un nombre qui se meut par soi-même, tu dis donc que l’âme consiste en des unités qui se meuvent par elles-mêmes. Mais en tout ce qui se meut soi-même il y a deux parties, comme le prouve le Philosophe [Physique, L. 8, ch. 5], à savoir une partie qui meut et l’autre qui est mue. Il faudra donc dire que l’unité ou le point se divise en deux parties, l’une qui meut et l’autre qui est mue. Or, cela est impossible. Il est donc impossible que l’âme soit un nombre qui se meut par soi-même. Mais il prouve qu’il est impossible que l’unité possède une partie qui est motrice et une autre qui est mue : en effet, ce qui est absolument sans partie et indifférencié ne peut en aucune manière être conçu comme étant en mouvement par lui-même de telle manière qu’il ait en lui une partie motrice et une autre qui est mue. En effet, en aucun être on ne peut retrouver ces deux choses, c’est-à-dire une puissance motrice ou un moteur d’une part, et un mobile ou une partie mue d’autre part, sans qu’il y ait une différence entre les deux. Donc, puisque l’unité est impartageable et indifférenciée, elle ne peut contenir en elle des parties de la sorte ni par conséquent être mue. L’âme n’est donc pas un nombre qui se meut par soi-même.

170. Il présente son deuxième raisonnement lorsqu’il dit : « En outre, puisque etc. ».

Et voici ce raisonnement. Tu dis que l’âme est un nombre ; donc, l’âme, c’est les unités, comme nous venons tout juste de le dire. Or, il n’y a aucune différence entre l’unité et le point, si ce n’est que le point occupe une position : en effet, le point est une unité occupant une position. Mais si l’âme est un nombre, il faut que, partout où il y a un tel nombre de l’âme, il occupe une position : l’âme sera donc une unité occupant une position. Or, telle est justement la définition du point. L’âme sera donc un point. Mais d’après ce qu’en disent les Platoniciens, le mouvement du point fait la ligne, la ligne en mouvement fait la surface et la surface en mouvement fait le corps. Mais l’âme est un nombre qui se meut par lui-même ; il en ira donc de même de l’unité. L’âme est donc un point qui se meut par lui-même ; or le point qui est mû ne fait que la ligne ; donc le mouvement de l’âme ne fait que la ligne. Par conséquent, l’âme par son mouvement ne cause pas la vie mais la ligne : ce qui est faux. L’âme n’est donc pas un nombre qui se meut par lui-même.

171. Il présente son troisième raisonnement lorsqu’il dit : « En outre, etc. ».

Voici ce raisonnement. Si l’âme est un nombre, comme tu le dis, il faut qu’elle manifeste les propriétés et la nature du nombre : or, il est clair que si on ajoute ou retranche une unité à un nombre, on en modifie l’espèce. En effet, si tu ajoutes une unité à ce nombre, trois, tu changes l’espèce du nombre. L’espèce du nombre quatre est autre que celle du nombre trois. Et si tu enlèves une unité à ce même nombre, tu obtiens deux et tu changes également l’espèce du nombre. Or, il est clair que les animaux tirent leur espèce de l’âme puisque chacun d’eux parvient à son espèce par la forme. Donc, si l’âme est un nombre, si l’on ajoute ou retranche quelque chose de l’âme, le résultat sera une autre espèce d’âme, ce qui est faux. Nous voyons en effet que pour les divisions faites dans les plantes et les animaux annulaires, ces êtres vivants continuent de vivre et de conserver la même espèce. L’âme n’est donc pas un nombre qui se meut par soi-même.

172. Il présente son quatrième raisonnement lorsqu’il dit : « Il peut sembler d’ailleurs etc. », lequel se présente ainsi. Tu dis que l’âme est un nombre, et, comme nous l’avons dit (n. 170), il en découle que l’âme s’identifie à des unités ayant une position, c’est-à-dire à des points. Mais d’après cela, si nous considérons les choses comme il se doit, il semblera assurément qu’il importe peu de dire que l’âme se ramène à des petits corpuscules indivisibles, comme le disait Démocrite, ou de dire qu’elle s’identifie à des unités ayant une position. En effet, l’un qui possède une position est une quantité et il est indivisible. Donc, à partir de cela, j’argumente ainsi : l’âme, selon ton opinion, est un nombre qui se meut par soi-même et elle s’identifie par conséquent à des unités et à des points qui se meuvent par eux-mêmes. Or, posons que ces corps indivisibles supposés par Démocrite sont des points, car cela ne change rien comme nous l’avons vu (n. 169), et qu’ils sont des quantités, ce qui est nécessaire, car, à proprement parler, il n’y a qu’une quantité qui puisse être mue. Alors, puisque l’âme est un nombre qui se meut par soi-même, ces points seront mûs par eux-mêmes. Mais dans celui qui se meut par soi-même, ainsi que nous l’avons dit (n. 169), il y a deux parties : donc, dans le point lui-même il y aura une partie qui meut et une autre qui est mue. Et il importe peu que ces points soient grands ou petits, pourvu qu’ils demeurent des quantités, car dans toute quantité continue qui se meut par soi-même on retrouve deux parties : l’une qui tient lieu de moteur, l’autre qui tient lieu de mobile. Par conséquent, il est nécessaire qu’il y ait quelque chose qui joue le rôle de moteur à l’égard des unités. Or dans l’animal, ce qui meut l’animal est l’âme ; donc, dans le nombre, ce qui meut le nombre sera l’âme. Ainsi, l’âme n’est pas ce qui est mû mais plutôt ce qui meut. Par conséquent cette définition, celle qui dit que l’âme est un nombre qui se meut par soi-même, est une mauvaise définition : il aurait plutôt fallu dire que l’âme est le nombre qui meut le nombre qui est mû.

173. Il présente son cinquième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais comment est-il possible etc. ». Voici ce raisonnement. Selon l’opinion de Xénocrate, il est possible que celle-ci, à savoir l’âme, soit une unité : il est donc possible à partir de là qu’elle soit un point, car si l’âme est une unité, il faut qu’elle diffère des autres unités et elle ne pourra en différer que par la position. En effet, quelle est la différence du « point arithmétique », c’est-à-dire de l’unité connue par l’intelligence, si ce n’est la position ? Seul le point est une unité ayant une position. Donc, l’âme n’est pas une unité mais un point. Mais l’âme est dans un corps et tout corps possède de lui-même ses points. Je te demande donc si les points qui sont l’âme sont les mêmes que les points du corps ou s’ils sont autres. S’ils sont autres, il y aura en toute partie du corps des points de l’âme et par conséquent il y aura deux points de l’âme dans un seul et même lieu simultanément. Et s’il y en a deux, pourquoi ne pourrait-il pas y en avoir davantage et même une infinité ? Car les choses dont le lieu est indivisible sont elles-mêmes indivisibles, et c’est pourquoi elles n’ont pas besoin d’un lieu plus vaste. C’est pourquoi, si on admet qu’il y a deux points dans un lieu indivisible, il faut aussi admettre qu’il puisse y en avoir une infinité dans un même lieu. Mais si tu dis que ces points qui sont dans le corps sont identiques à ceux qui sont l’âme, il s’ensuit que puisque tout corps possède des points, tout corps possédera une âme : mais cela est faux. Par conséquent, l’âme n’est pas un nombre qui se meut par soi-même.

174. Il présente son sixième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais en outre etc. », que voici et qui se tire du raisonnement précédent. Comme nous l’avons dit (n. 169), il découle de l’opinion de Xénocrate que l’âme soit un point. Mais nous observons que les points ne sont ni séparés ni détachés des corps. En effet, les lignes ne sont pas à part des surfaces, ni les points à part des lignes. Or, l’âme se sépare et se détache du corps : elle n’est donc ni un point ni un nombre. Il est donc clair que la définition de Xénocrate ne convient pas si on regarde ce qu’il place dans sa définition.

175. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, il arrive etc. », il dit que la définition qui précède est incongrue à cause des difficultés qu’elle soulève. En effet, cette définition de l’âme entraîne toutes les difficultés qui découlent des opinions de tous les philosophes sur l’âme. Certains en effet se sont trompés sur l’âme en disant qu’elle est le corps composé des parties les plus subtiles (n. 68). Il découlait de là, puisque l’âme est partout où il y a des sens dans le corps et que le sens est dans un lieu par le corps, que si l’âme est un corps, il y aura deux corps dans un même lieu simultanément. Et il s’ensuivra aussi la même chose si l’âme est un point, comme nous l’avons dit (n. 173), c’est-à-dire qu’il y aura simultanément plusieurs points, et même une infinité, dans un seul et même point, si les points de l’âme sont autres que les points du corps. Mais si le nombre des points de l’âme « n’est pas un nombre différent », c’est-à-dire si les points de l’âme ne diffèrent pas des points qui sont dans le corps, il s’ensuit qu’il y aura une âme en tout corps. En effet, c’est en tout corps que l’on retrouve des points.

176. Mais d’autres, comme Démocrite, se sont trompés en disant que l’âme est mue, tout comme le corps à partir du mouvement de l’âme ; et comme lui-même disait que l’âme est composée de sphères indivisibles, et que le corps était mû par le mouvement de ces sphères, il s’ensuivait que le corps était mû par des corps indivisibles. Et le même inconvénient découle de leur définition, à savoir que l’animal est mû par le nombre, et par conséquent par les points : il n’y a pas de différence, en effet, entre parler de petites sphères, de grandes unités ou d’unités en mouvement. Car « de toute manière », c’est-à-dire dans les corps sphériques comme dans les unités, il est nécessaire que l’âme soit mue de la même manière qu’ils le sont, c’est-à-dire de la manière dont les corps sphériques, les points ou les unités, sont mûs.

177. Ensuite, lorsqu’il dit : « Donc, ceux qui combinent etc. », il montre l’insuffisance de la définition qui précède du côté des accidents. Il dit donc qu’à chaque fois qu’une définition est donnée comme il se doit, elle doit conduire non seulement à la connaissance de l’essence de la chose définie mais aussi à celle de ses accidents. Mais si nous combinons dans la même définition ces deux éléments qui ont été placés dans la définition de l’âme, à savoir le nombre et le mouvement, non seulement il se présente à nous ces difficultés que nous avons dites en rapport avec l’essence de l’âme, mais il en surgit de nombreuses autres. En effet, non seulement il est impossible que ces deux éléments soient la définition de l’âme quant à son essence, mais il est aussi vrai qu’il est impossible qu’eux-mêmes, à savoir le nombre et le mouvement, soient les accidents de l’âme ou qu’ils conduisent à la connaissance des accidents de l’âme. Cette définition de l’âme ne convient donc pas puisqu’elle ne conduit pas à la connaissance des accidents de l’âme. Et qu’elle ne conduise pas à la connaissance des accidents de l’âme, cela est manifeste si l’on entreprend, à partir d’une telle définition, de désigner les propriétés et les opérations de l’âme, par exemple les raisonnements, les joies, les tristesses, etc. En effet, à partir d’eux, à savoir le nombre et le mouvement, non seulement il ne sera pas facile d’en venir à la connaissance des accidents et des opérations de l’âme, mais il ne sera pas même possible de conjecturer, à partir d’eux, la moindre chose au sujet de ces propriétés et de ces opérations de l’âme.

 

 

LECTIO 12

[86638] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 1Postquam philosophus ostendit supra, quomodo antiqui naturales in cognitionem animae venerunt per tria, scilicet per motum et cognitionem, et per esse incorporalissimum, et disputavit contra illos qui venerunt in cognitionem animae per motum, et contra illos qui dixerunt animam esse quid incorporalissimum et maxime simplex, hic consequenter disputat contra illos qui dicebant animam omnia cognoscere, quia composita erat ex omnibus.

[86639] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 2Quorum positio fuit quod anima cognosceret res omnes, quia cognitio fit per assimilationem, quasi hoc a longe divinantes, dicebant animam, ad hoc quod omnia cognosceret, esse compositam ex omnibus; et quod similitudo rerum omnium esset in anima secundum proprium modum essendi, scilicet corporalem. Unde, cum res constent ex elementis, dicebant, quod anima erat composita ex omnibus elementis, ut sentiat et cognoscat omnia quae sunt. Et quia principalis in hac positione fuit Empedocles, cum poneret animam compositam ex pluribus elementis quam aliquis aliorum, ideo philosophus principaliter hic reprobat opinionem suam, et disputat contra eam. Et circa hoc duo facit. Primo enim improbat opinionem Empedoclis. Secundo vero quamdam aliam, ibi, in toto autem quidem ipsam et cetera.

 

 

 

 

 

[86640] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 3Improbat autem opinionem Empedoclis decem rationibus: quarum prima talis est. Empedocles dicit, quod quia cognitio fit per similitudinem, cum anima cognoscat omnia, oportet animam compositam esse ex omnibus. Sed patet quod huic rationi est necessarium accidere multa inconvenientia et impossibilia. Constat enim, quod in qualibet re non sunt haec sola, scilicet elementa, sed multa alia ab elementis, sicut est proportio commixtionis et ratio uniuscuiusque, et forte sunt infinita numero, quae accidunt rebus compositis ex his, scilicet elementis, sicut patet in osse. Nam non solum oportet cognoscere illa ex quibus componitur os, sed etiam proportionem, quae est inter illa ex quibus componitur et rationem ossis: quia omnia quae sunt composita, non consistunt, quocumque modo se habeant elementa, sed quadam ratione et compositione, scilicet ut sint proportionata adinvicem. Nam os, cum habeat octo partes, secundum quod dicit Empedocles, unumquodque compositum os haberet octo partes quae non aequaliter attribuuntur omnibus elementis, sed terra habet ibi duas partes. Aer habet ibi unam, aqua similiter unam, sed ignis quatuor: et ideo ex maiori participatione ignis dicit ossa esse facta alba, et ex terra sicca. Sic ergo in rebus compositis non solum sunt ipsa elementa, sed proportio et ratio uniuscuiusque. Inde sic. Aut ergo istae proportiones sunt in anima cum elementis, aut non. Si sunt in anima; ergo in anima sunt ossa, et carnes, et huiusmodi, et per consequens homo et lapis, et corpora, et contraria: unde nullus dubitat quod haec non sunt in anima. Si vero dicas, quod non sunt ibi huiusmodi proportiones et rationes, sed solum elementa, tunc anima non cognoscet proportionem rerum, nec ipsa composita: quomodo enim poterit cognoscere Deum, scilicet totum caelum, aut hominem, aut lapidem seu os? Nullo modo cognoscet, sed elementa tantum.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86641] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 4Secundam rationem ponit cum dicit amplius autem quae talis est. Tu dicis, quod anima est composita ex principiis: sed diversorum generum diversa sunt principia: cum ergo id quod est, dicatur multipliciter, idest secundum diversa genera, sicut substantiae, qualitatis, quantitatis, et aliorum praedicamentorum: ergo erunt diversa principia. Quaero ergo, utrum anima sit composita tantum ex principiis substantiae, aut ex principiis omnium generum. Si tantum ex principiis substantiae, tunc anima non cognoscet nisi substantias, et ipsi ponunt eam cognoscere omnia. Si vero componitur ex principiis omnium generum, tunc, cum quicquid est ex principiis substantiae sit substantia, et ex principiis quantitatis sit quantitas, et sic de singulis, anima erit substantia, quantitas, qualitas, relatio, et huiusmodi.

 

 

 

 

 

 

[86642] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 5Posset autem responderi contra hanc rationem Aristotelis quod principia substantiae sunt etiam quantitatis et qualitatis, et aliorum, cum omnia fundentur supra substantiam; et ideo non oportet quod sint in anima aliqua alia principia quam principia substantiae, et nihilominus cognoscet omnia. Ad hoc dicendum, quod quaelibet res habet principia proxima et remota, et cognitio oportet quod sit per principia proxima. Principia autem substantiae, licet sint principia aliorum, sunt tamen remota et non proxima, et ideo per ea non potest haberi cognitio nisi de substantia.

 

 

 

 

[86643] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 6Tertiam rationem ponit cum dicit inconveniens autem quae talis est. Ratio quare anima sit composita ex omnibus elementis, est, quia anima cognoscit omnia, et cognitio est per similitudinem. Contra. Constat enim quod sentire et cognoscere est pati aliquid. Sed inconveniens est dicere quod simile patiatur a simili, sed a contrario; ergo et inconveniens est dicere quod sentire seu cognoscere sit simile simili.

 

 

 

[86644] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 7Quartam rationem ponit cum dicit multas autem quae talis est. Ex hoc quod dictum est superius, testatur quod dictum Empedoclis, scilicet quod simile simili cognoscatur, habet multas dubitationes et difficultates. Sed adhuc etiam magis apparet difficile et improprie dictum. Nam si anima cognosceret simile simili, sicut Empedocles dicit, tunc sequitur quod elementum aeris cognoscat aera, et sic de aliis. Sed nos videmus quod multae partes terrae sunt in animali, quae nihil sentiunt, sicut pili, et ossa, et nervi: et tamen conveniret quod sentirent secundum positionem eorum; ergo non cognoscitur simile simili, vel etiam non est composita ex omnibus elementis.

 

 

 

 

 

[86645] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 8Quintam rationem ponit cum dicit amplius autem quae talis est. Adhuc ex positione Empedoclis, quod simile cognoscatur simili, sequitur aliud inconveniens, scilicet quod principium habet plus de ignorantia quam de intelligentia. Si enim cognitio est per simile tantum, et principium quodlibet sit simplex et non habet alicuius similitudinem in se nisi suam, non cognosceret nisi seipsum, et ignorabit multa, omnia scilicet quae sunt alia ab eo.

 

[86646] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 9Sextam rationem ponit cum dicit accidet autem quae talis est. Adhuc etiam ex dicta positione, scilicet quod simile cognoscatur simili, accidet aliud inconveniens Empedocli: hoc videlicet, quod Deus sit insipientissimus omnium animalium. Quod ex hoc sequitur. Sciendum enim quod sicut dictum est, Empedocles posuit ista omnia inferiora composita esse ex quatuor elementis, et ex lite et amicitia; et quod generatio et corruptio provenit in rebus ex istis duobus, scilicet lite et amicitia. Caelum vero dixit esse Deum, et dixit quod erat compositus ex quatuor elementis, et amicitia, sed non ex lite, et ideo est incorruptibile. Si ergo simile cognoscitur simili, cum Deus non sit compositus ex lite, non cognoscet litem, et sic erit simpliciter insipientior ceteris animalibus quae cognoscunt litem cum sint composita ex ea.

 

 

 

 

 

[86647] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 10Septimam rationem ponit cum dicit omnino autem quae talis est. Si anima est composita ex omnibus elementis, sequitur quod omnia quae sunt habent animam: omne enim quod est, aut est ex omnibus elementis, aut ex aliquibus: sed omne quod est compositum ex elementis, aut ex elementis, est corpus: ergo omnia corpora habent animam et omnia quae sunt, quod falsum est.

[86648] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 11Octavam rationem ponit cum dicit dubitabit autem quae talis est. Elementa sunt plura et contraria. Ubicumque autem aliqua contraria conveniunt et componuntur, oportet quod sit aliquid aliud quod contineat et faciat ipsa unum. Si ergo anima est composita ex omnibus elementis, oportet quod sit aliquid aliud continens illa. Sed hoc est valde dubium quid sit, quia sic esset nobilius et prius anima, quod est impossibile, et ad minus de intellectu; quia valde rationabile est quod intellectus sit nobilissimus omnium et divinus secundum naturam. Item sequeretur quod illud esset prius quam elementa: quod est falsum: quia Empedocles et alii dicunt elementa esse prima inter omnia entia. Non est ergo anima composita ex elementis.

 

 

 

 

 

[86649] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 12Nonam rationem ponit cum dicit omnes autem et ostendit defectum et insufficientiam positionis Empedoclis et aliorum omnium qui considerant animam ex motu seu sensu. Quae talis est. Apparet etiam quod omnes et quicumque dixerunt animam esse aliquid motivum secundum locum, insufficienter dixerint. Nam multa animata sunt quae non moventur secundum locum, sed manent, sicut plantae et alia huiusmodi. Similiter autem et illi qui dixerunt animam esse quid intellectivum et sensitivum, insufficienter dixerunt. Nam multa sunt animata quae neque sentiunt neque intelligunt. Si vero aliquis hoc segregaverit, scilicet intellectivum, sensitivum, et motivum, et dicat intellectivum unam partem animae et similiter sensitivum, non tamen propter hoc dicet de omni anima, cum non omnes animae sint intellectivae. Neque de tota, cum intellectivum et sensitivum sunt partes animae. Neque de una, quia sic non diceret omnes proprietates animae cuiuscumque, cum in anima sint aliae proprietates, quam sint intelligere et sentire.

 

 

 

 

 

 

[86650] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 13Et quia quidam philosophus qui vocatus est Orpheus, defective etiam de anima locutus est quasi in similem defectum incidit: ideo hic adiungit eius defectum. Sciendum est quod Orpheus iste fuit unus de primis philosophis qui erant quasi poetae theologi, loquentes metrice de philosophia et de Deo, et fuerunt tantum tres, Samius, Orpheus, et quidam alius. Et iste Orpheus primo induxit homines ad habitandum simul et fuit pulcherrimus concionator, ita quod homines bestiales et solitarios reduceret ad civilitatem. Et propter hoc dicitur de eo, quod fuit optimus cytharaedus, in tantum quod fecit vel faceret lapides saltare, id est, ita fuit pulchre concionator, quod homines lapideos emollivit. Post hos vero tres, fuerunt septem sapientes, quorum unus fuit Thales. Hic ergo Orpheus volebat quod totus aer animatus esset et anima quaedam; et quod anima corporum viventium nihil aliud esset, nisi illud quod attrahit animal de aere animato per respirationem; et hoc dicebat metrice. Et ideo dicit philosophus quod ratio Orphei quae est in metricis carminibus de anima, sustinuit eumdem defectum quem sustinuerunt rationes praecedentium, quia, sicut dictum est, ipse voluit quod illud esset anima, quod attrahitur per respirationem animalium. Sed hoc insufficienter dictum est: quia multa animalium sunt quae non respirant: hoc autem, scilicet quod animalia multa non respirant, latuit illos qui fuerunt praedictae opinionis. Et sic patet quod isti reprehenduntur de insufficientia.

 

 

 

[86651] Sentencia De anima, lib. 1 l. 12 n. 14Decimam rationem ponit cum dicit si vero et arguit eos de superfluitate: quae talis est. Dicunt enim isti quod ad hoc quod anima cognoscat, oportet quod sit composita ex elementis. Sed cum nos videamus quod cognitio omnis rei possit haberi per pauciora; ergo etsi concedatur animam componi ex elementis, non tamen debet dici composita ex elementis omnibus, sed ad plus, ex duobus. Et quod cognitio habeatur per pauciora, patet; quia cum compositum constet ex aliquo perfecto et imperfecto, ratio cognoscendi imperfectum, est perfectum; et cum contraria reducantur in privationem et habitum, sufficiens est altera pars, scilicet illa quae se habet per modum habitus et perfecti, ad cognoscendum seipsam et alteram partem, quae est per modum privationis et imperfecti. Nam per rectum diiudicamus et cognoscimus ipsum rectum, et etiam obliquum. Canon enim idest regula est illud per quod habetur iudicium de utroque. Per obliquum vero nec ipsum cognoscimus, nec rectum. Non ergo fuit necesse animam facere, idest eam componere ex omnibus elementis, sed ex duobus tantum, scilicet ex igne et terra, et per hoc cognosceret et seipsam et contraria; sicut per ignem cognosceret calida et frigida, et per terram, sicca et humida.

Leçon  12

178. Après avoir montré plus haut comment les anciens naturalistes en sont venus à la connaissance de l’âme en partant de ces trois données, à savoir le mouvement, la connaissance et l’existence la plus subtile, et après avoir argumenté contre ceux qui en sont venus à la connaissance de l’âme en partant du mouvement et contre ceux qui disaient que l’âme est quelque chose de très subtil et d’extrêmement simple, il argumente ici contre ceux qui disaient que l’âme connaît tout parce qu’elle est composée de toutes les choses.

179. Leur position consistait à dire que l’âme connaît toutes les choses parce que la connaissance s’accomplit par assimilation, et, conjecturant cela de loin, ils disaient que l’âme connaît toutes les choses parce qu’elle est composée de toutes ces choses et que la similitude de toutes les choses est dans l’âme conformément à la manière d’exister qui leur est propre, à savoir d’une manière corporelle. C’est pourquoi, puisque les choses sont constituées d’éléments, ils disaient que l’âme est composée de tous les éléments de manière à pouvoir percevoir et connaître tout ce qui existe. Et parce qu’Empédocle était le principal philosophe  à soutenir cette position, puisqu’il affirmait, comparativement aux autres philosophes, que l’âme est composée d’un plus grand nombre d’éléments, c’est pourquoi le Philosophe réfute surtout son opinion et argumente contre elle. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il réfute l’opinion d’Empédocle. En deuxième lieu, il réfute une autre opinion là où il dit : « Certains disent que l’âme elle-même est mélangée à tout l’univers etc. »

180. Il réfute donc l’opinion d’Empédocle au moyen de dix raisonnements, dont voici le premier. Empédocle dit, puisque la connaissance s’accomplit par mode de similitude, et puisque l’âme connaît toutes les choses, qu’il faut que l’âme soit composée de toutes les choses. Mais il est clair que de nombreuses difficultés et de nombreuses impossibilités résultent nécessairement de ce raisonnement. Nous voyons en effet qu’en toutes les choses il n’y a pas seulement eux, à savoir les éléments, mais beaucoup de choses autres que les éléments, comme la proportion qu’il y a dans le mélange de ces éléments et la raison de chacune de ces proportions, et peut-être y a-t-il un nombre infini de propriétés qu’on retrouve dans les choses qui sont composées de ces éléments, comme on le voit dans le cas de l’os. En effet, non seulement faut-il connaître les éléments dont les os sont composés, mais aussi la proportion qui existe entre ces éléments dont les os sont composés, et en outre la raison de cette proportion : car toutes les choses qui sont composées ne consistent pas en les éléments assemblés n’importte comment, mais dans la composition elle-même et dans  la raison de la composition, c’est-à-dire de manière à ce qu’il y ait une proportion entre eux. Car l’os, puisqu’il possède huit parties selon ce qu’en dit Empédocle, chaque os, en tant que composé, posséderait huit parties qui ne sont pas attribuées également à tous les éléments : en effet, la terre n’en possède ici que deux, l’air une seule, tout comme l’eau, alors que le feu en possède quatre. C’est pourquoi Empédocle dit que l’os a été fait blanc et de terre sèche parce qu’il participe davantage de la nature du feu. Donc, s’il n’y a pas que les éléments eux-mêmes dans les choses composés, mais en outre la proportion et la raison même de chacune d’elles, voici ce qui en résulte. Ou bien ces proportions sont dans l’âme avec les éléments ou bien elles n’y sont pas. Si elles y sont, il y aura donc dans l’âme des os, des chairs, des parties de la sorte, et par conséquent un homme, une pierre, des corps ainsi que les contraires : et nul ne doute que ces choses ne soient pas dans l’âme. Mais si tu dis que ces proportions et ces raisons ne sont pas dans l’âme et que seuls les éléments s’y trouvent, alors l’âme ne connaîtrait pas la proportion des choses ni les composés eux-mêmes : comment en effet pourrait-elle connaître Dieu, ou la totalité de l’univers, ou l’homme, ou la pierre, ou l’os ? Elle ne pourrait absolument rien connaître d’autre que les éléments.

181. Il présente son deuxième raisonnement lorsqu’il dit : « Et en outre etc. ». Voici ce raisonnement. Tu dis que l’âme est composée de principes : mais à des genres différents correspondent des principes différents. Donc, puisque ce qui existe se dit en plusieurs sens, c’est-à-dire d’après des genres différents, comme celui de la substance, de la qualité, de la quantité et des autres prédicaments, il y aura, pour ces choses de genres différents, des principes différents. Je te demande donc si l’âme est composée seulement des principes de la substance ou si elle est composée des principes de tous les genres. Si elle est composée seulement des principes de la substance, alors l’âme ne connaîtra que les substances, et pourtant ces philosophes disent que l’âme connaît tout. Mais si l’âme est composée des principes de tous les genres, alors, puisque tout ce qui est composé des principes de la substance est une substance, que tout ce qui vient des principes de la quantité est une quantité et qu’il en va de même pour les principes de chacun des genres, l’âme sera tantôt une substance, tantôt une quantité, tantôt une qualité, tantôt une relation, etc.

182. Mais on pourrait objecter à ce raisonnement d’Aristote que les principes de la substance sont aussi ceux de la quantité, de la qualité et des autres catégories, puisque ces dernières se fondent toutes sur la substance et par conséquent qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait dans l’âme d’autres principes que ceux de la substance pour que l’âme connaisse néanmoins toute chose. Mais il faut répondre à cela que toute chose possède des principes prochains et des principes éloignés, et que la connaissance doit s’accomplir par des principes prochains. Or, les principes de la substance, bien qu’ils soient les principes des autres prédicaments, n’en demeurent pas moins des principes éloignés et non des principes prochains, et c’est pourquoi ils ne peuvent conduire qu’à la connaissance de la substance.

183. Voici le troisième raisonnement qu’Aristote présente lorsqu’il dit : « Or, il est absurde etc. ». La raison qu’ils avancent pour dire que l’âme est composée de tous les éléments, c’est que l’âme connaît toutes les choses et que la connaissance s’accomplit par une similitude. Cependant, il est clair que sentir et connaître, c’est être affecté par quelque chose. Or, il est absurde de dire que le semblable soit affecté par le semblable, car c’est plutôt par le contraire qu’il est affecté ; donc, il est tout aussi absurde de dire que la sensation et la connaissance s’opèrent du semblable au semblable.

184. Aristote, en disant : « Or, il y a beaucoup de difficultés à dire etc. », présente son quatrième raisonnement que voici. Ce que nous venons de dire (n. 178-183), témoigne que ce que dit Empédocle, à savoir que le semblable est connu par le semblable, conduit à de nombreux problèmes et à de nombreuses difficultés. En outre, son discours semble difficile et ne pas s’exprimer proprement. En effet, si l’âme connaissait le semblable par le semblable, comme le dit Empédocle, alors il s’ensuit que l’élément de l’air connaît l’air et il en irait de même des autres éléments. Or, nous voyons qu’il y a dans l’animal de nombreuses parties du corps uniquement formées de terre et qui ne sentent rien, comme les poils, les os et les nerfs et cependant, il conviendrait qu’ils sentent, selon ce qu’en disent ces penseurs. Donc, le semblable n’est pas connu par le semblable ou bien encore l’âme n’est pas composée de tous les éléments.

185. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et en outre etc. », il présente son cinquième raisonnement que voici. En outre, une autre difficulté découle de la position d’Empédocle suivant laquelle le semblable est connu par le semblable : c’est que le principe possédera plus d’ignorance que de science. Si en effet la connaissance ne s’opère que par le semblable, et que tout principe est simple et ne possède en lui que la seule similitude de lui-même, il s’ensuit qu’il ne connaîtra que lui-même et il ignorera beaucoup de choses, c’est-à-dire tout ce qui est autre que lui-même.

186. Ensuite, lorsqu’Aristote dit : « Et il en résultera même etc. », il présente son sixième raisonnement que voici. En outre, de la position que nous venons de dire, à savoir que le semblable est connu par le semblable, il s’ensuit cette autre difficulté chez Empédocle : à savoir que Dieu est le plus ignorant de tous les êtres. Et cette conséquence découle de cette position. Il faut savoir en effet, comme nous l’avons dit (n. 45 ; 133), qu’Empédocle soutenait que tous les êtres inférieurs sont composés des quatre éléments et en outre de la haine et de l’amour, et que la génération et la corruption dans les choses provenait de ces deux principes que sont la haine et l’amour. Mais il disait que le Ciel est de nature divine et qu’il est composé des quatre éléments et de l’amour mais non pas de la haine, et c’est pourquoi il est incorruptible. Donc, si le semblable est connu par le semblable, puisque la haine n’entre pas dans la composition de Dieu, il s’ensuit que ce dernier ne connaîtra pas la haine et qu’il sera par conséquent plus ignorant que tous les autres vivants qui connaissent la haine puisque cette dernière entre dans leur composition. 

187. Ensuite, lorsqu’Aristote dit : « Mais en général etc. », il présente son septième raisonnement que voici. En effet, si l’âme est composée de tous les éléments, il s’ensuit que tout ce qui existe possède une âme, car tout ce qui existe est composé ou bien de tous les éléments, ou bien de certains d’entre eux. Mais tout ce qui est composé d’éléments est un corps. Donc, tous les corps possèdent une âme, et tout ce qui existe possède une âme, ce qui est faux.

188. Aristote présente son huitième raisonnement là où il dit : « En outre, on pourra se demander etc. ». Les éléments sont multiples et contraires. Or, partout où des contraires sont rassemblés et mis ensemble, il faut qu’il y ait quelque chose d’autre pour les contenir et en faire une unité. Si donc l’âme est composée de tous les éléments, il faudra qu’il y ait en elle quelque chose d’autre pour contenir tous ces éléments. Mais il est très difficile de voir quel peut bien être ce principe unificateur, car il serait alors supérieur à l’âme et antérieur à elle : or, cela est impossible, du moins en ce qui concerne l’intellect car il est sans doute raisonnable de penser que l’intellect est le principe le plus élevé de tous et qu’il est divin par nature. Il s’ensuivrait en outre que ce principe serait antérieur aux éléments eux-mêmes, ce qui est impossible puisqu’Empédocle et les autres philosophes disent que les éléments sont les premiers de tous les êtres. En conséquence, l’âme n’est pas composée d’éléments.

189. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais tous ces philosophes etc. », il présente son neuvième raisonnement que voici. Il montre le défaut et l’insuffisance de la position d’Empédocle et de tous les autres philosophes qui considèrent l’âme à partir du mouvement ou de la sensation. Il apparaît aussi que tous ceux qui ont dit que l’âme est quelque chose qui meut selon le lieu ont tenu un discours insuffisant. En effet, de nombreux êtres vivants ne se meuvent pas selon le lieu mais demeurent immobiles dans le lieu, comme les plantes et d’autres vivants de la sorte. De même encore, ceux qui ont dit que l’âme est un principe intellectuel ou sensitif  ont parlé d’une manière insuffisante car parmi les animaux, plusieurs sont privés de la sensation et de l’intelligence. Et même si on séparait l’âme en diverses puissances, à savoir l’intellectuelle, la sensitive et la motrice, et qu’on disait de la puissance intellectuelle qu’elle est une partie de l’âme et qu’il en est de même de la puissance sensitive, on ne parlerait pas de toute âme pour autant puisque ce ne sont pas toutes les âmes qui sont intellectuelles. Et en outre on ne parlerait pas de toute l’âme puisque les puissances intellectuelle et sensitive ne sont que des parties de l’âme. On ne parlerait pas même d’une seule âme en sa totalité car on ne parlerait pas ainsi de toutes les propriétés de toute âme puisque dans l’âme il y a d’autres propriétés que l’intellection et la sensation.

190. Et parce qu’un certain philosophe dénommé Orphée, ayant aussi parlé imparfaitement de l’âme, tomba dans une erreur semblable, et c’est pourquoi Aristote ajoute ici cette erreur. Il faut savoir qu’Orphée fut un des premiers philosophes qui étaient comme des poètes théologiens, et dont la doctrine sur la philosophie et sur Dieu était transmise en vers : tels étaient Muse, Orphée et un certain Linus. Cet Orphée amena d’abord les hommes à habiter ensemble et il fut le plus bel orateur, de telle manière qu’il ramenait à la civilité même les hommes brutaux et solitaires. Et c’est pour cette raison qu’on dit de lui qu’il fut le plus grand joueur de cythare, à ce point qu’il faisait danser les pierres, et en outre qu’il fut un si magnifique orateur qu’il attendrissait les hommes de pierre. Suite à ces trois poètes-théologiens, il y eut les sept sages, et l’un d’eux s’appelait Thalès. Ici donc Orphée voulait que la totalité de l’air était animée et qu’elle était une âme, et que l’âme des corps vivants n’ést rien d’autre que ce que l’animal attire de l’air animé par la respiration, et cela, Orphée le disait en vers. Et c’est pourquoi le Philosophe dit que la raison présentée par Orphée au sujet de l’âme, dans des chants en vers, souffre du même défaut que les raisons présentées par les philosophes précédents. En effet, comme nous venons de le dire, il voulait que l’âme soit ce qui est attiré intérieurement par la respiration des animaux. Mais cela aussi est insuffisant, car il y a de nombreux animaux qui ne respirent pas : « mais cela », à savoir que de nombreux animaux ne respirent pas, était inconnu de ceux qui partageaient cette opinion. Il est clair par conséquent qu’on devait leur reprocher leur insuffisance.

191. Aristote présente son dixième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais si etc. ». Et il les accuse de superfluité. Voici son raisonnement. Ces philosophes disent en effet que pour que l’âme connaisse, il faut qu’elle soit composée des éléments. Mais nous voyons que la connaissance de toute chose peut s’obtenir au moyen de peu de notions ; donc, même si on concédait que l’âme est composée des éléments, il n’est cependant pas nécessaire de dire qu’elle est composée de tous les éléments, mais tout au plus de deux. Et il est clair que la connaissance puisse s’obtenir au moyen de peu de notions car puisqu’un composé consiste en un élément parfait et en un élément imparfait, que la cause qui fait connaître l’imparfait est le parfait, et puisque les contraires se ramènent à la privation et à l’habitus, l’un des deux termes de la contratiété suffit, c’est-à-dire celui qui se présente par mode d’habitus et de perfection, pour connaître à la fois lui-même et l’autre terme qui se présente à la manière d'une imperfection et d’une privation. Ainsi, c’est par le droit que nous connaissons et que nous jugeons à la fois du droit lui-même et du courbe. « En effet, le canon », c’est-à-dire la règle, est ce par quoi s’obtient le jugement sur les deux contraires. Mais par l’oblique on ne peut connaître ni l’oblique lui-même ni le droit. Il n’était donc pas nécessaire de chercher à faire en sorte que l’âme soit telle, c’est-à-dire composée de tous les éléments, mais seulement de deux, à savoir du feu et de la terre, et au moyen de cela l’âme connaîtrait à la fois elle-même et les contraires, tout comme par le feu elle connaît à la fois le chaud et le froid, et par la terre à la fois le sec et l’humide.

 

 

LECTIO 13

[86652] Sentencia De anima, lib. 1 l. 13 n. 1Postquam philosophus posuit opiniones ponentium animam esse ex elementis, et rationes ipsorum, et improbavit eas, hic ex incidenti ponit opinionem quorumdam dicentium animam esse in elementis. Et circa hoc duo facit. Primo enim ponit opinionem. Secundo vero rationem opinionis, ibi opinari autem. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionem. Secundo improbat eam, ibi, hoc autem et cetera. Dicit ergo quod sunt quidam, qui dicunt animam misceri in toto universo, ponentes eam tam in elementis quam in elementatis. Unde quidam philosophus nomine Thales, fortassis motus ab hac opinione, opinatus est omnia plena esse diis. Volebat enim quod totum universum esset animatum, et eius anima esset Deus. Unde, sicut anima est in qualibet parte animalis, et tota, ita volebat quod in qualibet parte universi esset Deus, et sic omnia essent plena diis: et forte ex hoc provenit idolatria.

 

 

 

 

 

 

 

 

[86653] Sentencia De anima, lib. 1 l. 13 n. 2Consequenter cum dicit hoc autem improbat hanc opinionem; dicens, quod hoc, scilicet quod anima sit in elementis et in elementatis, habet quasdam dubitationes et oppositiones: quarum una est, quia si anima est in aere et in igne, in istis enim duobus dicebant maxime eam esse, difficile erit eis dicere propter quam causam anima in eis non facit animal, id est quare ista non sunt animalia: cum in mixtis anima facit animal, id est mixta animata sunt animalia; praecipue, cum putandum sit quod haec, scilicet anima, sit melior in elementis simplicibus, quam in elementatis.

 

 

 

 

Alia dubitatio est, quia quaeret aliquis ex his utique motus, quare anima quae secundum ipsos est in elementis, est melior et immortalior quam anima quae est in elementatis, cum haec quae est in elementatis, constituat animal et cognoscens et sentiens: illa vero quae est in elementis, non constituat.

 

 

[86654] Sentencia De anima, lib. 1 l. 13 n. 3Ex his autem dubitationibus quaecumque ponatur, accidit inconveniens et irrationabile; quia dicere quod ignis sive aer sit animal, ut primo dubitatur, est maxime inconveniens, et ad sensum apparet falsum, et est dictum non habentium rationem. Et non dicere ea in quibus est anima, esse animalia, valde inconveniens est. Nam secundum hoc in nullo differt, inter esse animam in aliquo corpore, et non esse.

 

 

[86655] Sentencia De anima, lib. 1 l. 13 n. 4Consequenter cum dicit opinari autem ponit rationem praemissae opinionis; et circa hoc duo facit. Primo ponit rationem, et improbat eam. Secundo concludit quid manifestum sit ex omnibus quae dicta sunt, ibi, manifestum igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo enim ponit rationem opinionis; dicens, quod ratio quare dicti philosophi opinari videntur animam esse in his, id est in omnibus elementis, est quia ipsi volebant quod totum et partes in elementis, cum sint simplicia, quod essent similis speciei. Unde, cum viderent et opinarentur quod pars continentis, id est aeris, intercepta in corporibus animalium per inspirationem et respirationem, sit causa quare animalia fiant animata, et sit anima, necesse erat eis dicere animam esse similis speciei partibus, id est totum continens esse animatum.

 

 

 

 

[86656] Sentencia De anima, lib. 1 l. 13 n. 5Secundo vero cum dicit si autem improbat dictam rationem; dicens, quod quia aer discerptus et attractus est similis speciei toti aeri, sequetur quod anima animalis sit similis partis animae totius aeris. Sed constat quod anima animalis cuiuslibet est dissimilis partis animae aeris, quia una ipsius, scilicet anima aeris existet, id est immortalis est secundum eos, utpote quae semper vivificat et semper vivificavit omnia viva: aliud autem, scilicet anima huius vel illius animalis non existet, idest, est mortalis secundum eos. Necesse est ergo alterum duorum inconvenientium sequi ex hoc; videlicet quod si aer sit similis partis, scilicet ille qui est intra, et ille qui est extra, et anima etiam: quod improbatum est. Aut si ipsa anima est dissimilis partis, et aer similium, tunc sequitur quod anima non sit in qualibet parte omnis idest totius aeris: quod est contra eos qui totum aerem animatum ponebant.

 

 

 

 

 

[86657] Sentencia De anima, lib. 1 l. 13 n. 6Consequenter cum dicit manifestum igitur concludit ex omnibus quae dicta sunt de opinionibus antiquorum, quod neutrum illorum quod ipsi attribuebant animae, sit verum, nec bene dictum, eo modo quo ipsi dixerunt, scilicet quod neque cognoscere inest animae ex eo quod ex elementis, sicut ipsi ponebant, neque etiam motus seu moveri inest ei, ex hoc quod ex dictis elementis constabat secundum eos: et hoc satis aperte et clare patet inspicienti ad supradicta.

Leçon  13

 192. Après avoir présenté les opinions de ceux qui soutiennent que l’âme est composée des éléments, ainsi que les raisons sur lesquelles ils se fondent, et après les avoir réfutées, Aristote présente ici, comme en passant, l’opinion de ceux qui soutiennent que l’âme est dans les éléments. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il présente cette opinion. En deuxième lieu, il présente la raison sur laquelle cette opinion se fonde, là où il dit : « Or, croire…». Et au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu, il présente l’opinion. En deuxième lieu, il la réfute, là où il dit : « Mais cette opinion, etc. ». Il dit donc qu’il se trouve certains philosophes pour affirmer que l’âme est mélangée à tout l’univers, et ils la placent aussi bien dans les éléments que dans les êtres composés de ces éléments. C’est pourquoi un certain philosophe, dénommé Thalès, probablement poussé par cette opinion, a pensé que tout l’univers est plein de dieux. Thalès voulait en effet que tout l’univers forme un unique être vivant et que son âme soit Dieu. C’est pourquoi, tout comme l’âme est présente en sa totalité dans chacune des parties de l’animal, de même il voulait que Dieu soit présent dans chacune des parties de l’univers, et par conséquent que toutes les choses soient pleines de dieux : et c’est peut-être de là que provient l’idolâtrie.

193. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais cette opinion etc. », il réfute cette opinion en disant que cette opinion, suivant laquelle l’âme est dans les éléments et dans les composés d’éléments, comporte certaines difficultés et contrariétés : et la première de ces difficultés est que si l’âme est dans l’air et dans le feu, étant donné qu’il disait en effet que l’âme est surtout dans ces deux éléments, il leur sera difficile de dire pour quelle raison l’âme ne forme pas en eux l’animal, c’est-à-dire pourquoi ces éléments ne sont pas des animaux, comme elle le fait lorsque l’âme est dans les composés, alors que les animaux sont des êtres animés composés ; cette question se pose d’autant plus si l’on doit penser, comme ils le font, que l’âme est meilleure dans les éléments simples que dans les composés d’éléments.

194. Une autre difficulté surgit car à partir de là, quelqu’un pourrait être poussé pour la même raison à se demander pourquoi l’âme, qui selon eux est dans les éléments, est meilleure et plus immortelle dans les éléments que dans les composés d’éléments, puisque celle qui est dans les composés d’éléments constitue l’animal qui connaît et qui sent, alors que celle qui est dans les éléments ne le constitue pas.

195. Quelle que soit la réponse qu’on donne à ces difficultés, il s’ensuit des absurdités et des paralogismes : en effet, dire que le feu ou l’air est un animal, comme on le faisait dans la première difficulté, est tout à fait absurde, manifestement contraire à la perception sensible, et procède d’êtres dénués de raison. Et ne pas admettre que les êtres dans lesquels une âme se trouve sont des animaux, cela constitue une extrême absurdité. Car, selon cette opinion, il ne diffère en rien pour un corps d’avoir ou non une âme.   

196. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, croire etc. », il présente la raison sur laquelle se fonde cette opinion et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il présente cette raison et la réfute. En deuxième lieu il conclut ce qui résulte manifestement de tout ce qui a été dit, là où il dit : « Il est donc manifeste etc. ». Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu en effet il présente la raison sur laquelle se fonde cette opinion en disant que la raison pour laquelle ces philosophes ont cru que l’âme est en eux, c’est-à-dire dans tous les éléments, semble être qu’eux-mêmes voulaient que le tout et les parties dans les éléments, puisque ces derniers sont simples, soient spécifiquement semblables. C’est pourquoi, puisqu’ils voyaient et croyaient qu’une partie du milieu ambiant, c’est-à-dire de l’air, interceptée dans les corps des animaux par l’inspiration et la respiration, est la cause pour laquelle les animaux deviennent animés, et que cette partie est l’âme, il leur était nécessaire de dire que « l’âme était spécifiquement semblable à ces parties », c’est-à-dire que la totalité de l’air embiant est animé.

197. En deuxième lieu, lorsqu’il dit : « Mais si etc. », il réfute la raison qui vient d’être dite en disant que parce que l’air intercepté et aspiré est semblable par l’espèce à la totalité de l’air, il s’ensuit que l’âme du vivant soit semblable à la partie de l’âme de la totalité de l’air. Mais il est clair que l’âme de tout animal n’est pas semblable à la partie de l’âme de l’air, car l’une d’elles, c’est-à-dire l’âme de l’air « existe », c’est-à-dire est immortelle selon eux, vu qu’elle vivifie toujours et a toujours vivifié tous les vivants, « alors que l’autre », c’est-à-dire l’âme de tel ou tel autre animal « n’existe pas », c’est-à-dire qu’elle est mortelle selon eux. Il est donc nécessaire que l’une des deux difficultés suivantes résulte de cela : à savoir que si les portions de l’air sont spécifiquement identiques, à savoir celles qui sont à l’intérieur et celles qui sont à l’extérieur, il en ira de même pour l’âme, ce qui a été réfuté. Mais si l’âme elle-même a des parties dissemblables et que celles de l’air aspiré sont spécifiquement semblables, alors il s’ensuit que l’âme ne serait pas en toute partie « de la totalité », c’est-à-dire de tout l’air, ce qui contredit ceux qui soutenaient que la totalité de l’air est animé.

198. Ensuite, lorsqu’Aristote dit : « Il est donc manifeste etc. », il conclut, à partir de tout ce qui a été dit au sujet des opinions des anciens philosophes, que rien de ce qu’ils ont attribué à l’âme n’est vrai, et qu’ils se sont mal exprimés en parlant de la manière dont ils ont parlé : en effet, il n’est pas vrai de dire que la connaissance s’attribue à l’âme parce qu’elle est composée des éléments, contrairement à ce qu’eux-mêmes soutenaient, tout comme il n’est pas vrai de dire que le mouvement s’attribue à elle du fait qu’elle est constituée de ces éléments selon eux. Cela est suffisamment clair et évident pour celui qui examine attentivement ce qui vient d’être dit.

 

 

LECTIO 14

[86658] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 1Positis opinionibus antiquorum de anima et improbatis, consequenter philosophus movet quasdam dubitationes. Et circa hoc duo facit. Primo enim movet ipsas quaestiones. Secundo vero solvit eas, ibi, dicunt itaque et cetera. Sciendum est autem, quod operationes animae scilicet sentire, intelligere, appetere, moveri secundum locum, et augeri, possunt dupliciter accipi: quia vel secundum modum operandi, et sic sunt tres potentiae animae, et his attribuuntur huiusmodi actiones; potentiae videlicet vegetabili, sensibili et intellectuali.

 

 

 

[86659] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 2Quae quidem differunt. Nam nutritiva sive vegetabilis agit mediantibus qualitatibus activis et passivis, ut calidum, frigidum et huiusmodi. Sensitiva vero seu sensus, licet non indigeat qualitatibus sensibilibus ad sentiendum, indiget tamen organo corporali. Intellectus vero neutro istorum indiget, quia nec qualitatibus, nec per organum corporale aliquid intelligit, sed perficitur in operatione sua absque aliquo organo.

 

[86660] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 3Si autem accipiamus huiusmodi actiones secundum genera actionum, sic sunt quinque potentiae; scilicet nutritivum, sensitivum, motivum secundum locum, appetitivum, et intellectivum; et actiones horum sunt sentire, nutrire, movere, et appetere et intelligere.

[86661] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 4Et ideo cum philosophus de anima secundum suam totalitatem secundum opiniones antiquorum supra tractasset, et reprobasset eas, hic inquirit de partibus et operationibus ipsarum partium, et movet duas quaestiones. Quarum prima talis est: utrum operationes animae, quae sunt cognoscere et sentire quantum ad sensum, et opinari quantum ad intellectum, adhuc concupiscere quantum ad concupiscibilem, deliberare quantum ad rationalem, et etiam appetitus, quod est in plus, quia concludit cum his duobus irascibilem, et moveri secundum locum, et augeri, et stare, et diminui, conveniant toti animae, ut scilicet unumquodque eorum sit in omni parte animae, id est secundum quamlibet partem animae intelligamus, sentiamus, moveamur, appetamus et nutriamur. Aut singulum istorum habeat singulam partem animae determinatam, ut scilicet alio intelligamus et alio sentiamus, et sic de aliis.

 

 

 

 

 

 

 

[86662] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 5Secunda quaestio est, quia dato quod quaelibet operatio animae habeat specialem partem, item erit quaestio, utrum hoc, quod est vivere, conveniat alicui partium, ita quod sit in aliquo uno, aut in pluribus partibus, aut in omnibus. Et si non in his, utrum sit in aliquo alio.

[86663] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 6Consequenter cum dicit dicunt itaque respondet ad quaestiones positas. Et primo ad primam. Secundo vero ad secundam, ibi, videtur autem et quae et cetera. Respondens autem primae quaestioni, primo ponit opinionem quorumdam philosophorum ad hoc. Secundo improbat eam, ibi, quid igitur continetur et cetera. Quidam enim dicunt quod huiusmodi operationes non conveniunt toti animae, sed partibus. Dicunt enim animam esse partibilem, et quod alio intelligit, et alio concupiscit; sicut qui ponebant sensitivam in cerebro, vivificativam in corde, et huiusmodi.

 

 

 

 

 

[86664] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 7Sed huiusmodi opinio est quodammodo vera, et quodammodo falsa: quia si in anima intelligas diversas partes potentiales, sic est verum quod anima habet diversas partes et vires, et alia intelligit, et alia sentit. Anima enim est quoddam totum potentiale, et pars accipitur ibi potentialis respectu totius potestativi. Si vero intelligatur quod anima sit quaedam magnitudo, seu quantitas, et dividatur in diversas partes quantitativas, sic est falsa. Isti vero philosophi intelligebant animam esse partibilem secundum hunc modum. Et addebant plus, quod huiusmodi potentiae animae erant diversae animae.

 

 

 

[86665] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 8Consequenter cum dicit quid igitur improbat philosophus opinionem praedictam per tres rationes: quarum prima talis est. Diversa non possunt uni convenire, nisi ab aliquo uniantur: si igitur sunt diversae animae in corpore, oportet quod ab aliquo contineantur et uniantur: sed nihil est quod uniat eas et contineat: ergo non sunt diversae. Et quod nihil sit continens et uniens animam, sic patet. Quia aut est corpus in quo est, aut aliquid aliud sed corpus non unit eam et continet, immo magis anima continet corpus. Videmus enim quod egrediente anima a corpore, corpus deficit et marcescit. Si autem aliquid aliud continet eam, tunc illud erit maxime anima, quia animae est continere et regere. Et si illud erit anima, tunc iterum oportebit quaerere utrum sit una, aut multipartium. Et si dicatur quod multipartium est, iterum erit quaestio quid uniat illud, et sic in infinitum. Si vero dicatur quod est unum, quare non dicunt mox id est ab ipso principio, quod anima sit unum? Non igitur anima est divisibilis in partes quantitativas, sicut ipsi dicunt.

 

 

 

 

 

 

 

[86666] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 9Secundam rationem ponit cum dicit dubitabit autem quia si diversae partes animae sunt in diversis partibus corporis, sequitur quod cuilibet operationi animae sit determinata pars corporis, seu organum corporale. Sed hoc est impossibile, quia intellectus non habet determinatam partem seu organum in corpore. Non igitur anima habet diversas partes, sicut ipsi dicunt.

 

[86667] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 10Tertiam rationem ponit cum dicit dicuntur autem quia si diversae operationes animae sunt in diversis partibus, tunc non erit invenire partem in qua sint plures operationes simul, nec erunt partes animalis similis speciei: sed nos invenimus partes aliquorum animatorum, quae habent plures operationes, et quorum anima est eiusdem speciei in toto et in partibus; sicut est in plantis et in quibusdam animalibus, quae decisa vivunt, sicut est in animalibus anulosis, quorum quaelibet pars decisa sentit et movetur in quoddam tempus. Et si dicatur quod non diu vivunt, non refert; quia non habent instrumenta, quibus salvent suam ipsorum naturam: nihilominus tamen existunt in partibus diversis plures operationes animae, et sunt similis speciei adinvicem, et etiam toti. Non ergo sunt diversae partes animae in diversis partibus corporis. Ratio autem, quare decisa vivunt, est, quia quanto anima est perfectior, tanto exercet plures perfectas operationes et diversas. Et ideo ad exercendum huiusmodi operationes, necessaria sunt ei plura et diversa organa vel instrumenta corporalia in corpore in quo est. Quia vero anima rationalis, quanto nobilior et perfectior est, tanto exigit maiorem diversitatem organorum; anima autem quae est in animalibus anulosis et in plantis, quia parum habet de perfectione, nec exercet diversas operationes, ideo requirit corpus magis simile et uniforme, et salvatur in qualibet parte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[86668] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 11Consequenter cum dicit videtur autem solvit secundam quaestionem. Circa quod sciendum est quod vivere proprie est eorum quae habent motum et operationem ex seipsis, sine hoc quod moveantur ab aliis. Unde et vivere dupliciter accipitur. Uno modo accipitur vivere, quod est esse viventis, sicut dicit philosophus, quod vivere est esse viventibus. Alio modo vivere est operatio.

 

 

[86669] Sentencia De anima, lib. 1 l. 14 n. 12Dicendum ergo quod anima quae est in plantis, scilicet vegetabilis, videtur esse quasi quoddam principium, quod manifestat vitam in rebus inferioribus, quia sine hac nihil vivit, et in hac sola communicant omnia quae vivunt, in aliis autem non omnia. Animalia enim et plantae in vegetabili conveniunt solummodo. Item vegetabile potest esse sine sensibili et intelligibili, sed haec non possunt esse sine vegetabili. Nullum enim animal habet sensum seu intellectum sine hoc scilicet vegetabili. Ergo sic vivere attribuitur isti principio, scilicet vegetabili, sicut sentire tactui. Non tamen quod animal per solam vegetabilem vivat, sed quia est primum principium in quo manifestatur vita.

Leçon  14

 199. Ayant présenté et réfuté les opinions des anciens au sujet de l’âme, le Philosophe soulève ici certaines questions. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il soulève les questions. En deuxième lieu, il y répond là où il dit : « C’est ainsi que certains philosophes disent etc. ». Or, il faut cependant savoir que les opérations de l’âme, à savoir la sensation, l’intellection, l’appétit, le mouvement selon le lieu et la croissance, peuvent s’entendre de deux manières : premièrement selon le mode d’opérer, et alors il existe trois puissances de l’âme et c’est à ces puissances, c’est-à-dire aux puissances végétative, sensitive et intellectuelle, que sont attribuées les opérations que nous venons d’énumérer.

200. Et ces trois puissances sont réellement différentes car la puissance nutritive ou végétative opère au moyen de qualités actives et passives, comme le chaud, le froid, etc. De son côté, la puissance sensitive ou sensible, bien qu’elle n’ait pas besoin des qualités sensibles pour sentir, a cependant besoin d’un organe corporel. Mais l’intellect n’a besoin d’aucune de ces conditions car il n’a besoin ni des qualités sensibles ni d’un organe corporel pour connaître, mais plutôt il conduit son opération à sa perfection sans aucun organe corporel.

201. Mais si on entend ces opérations en un deuxième sens qui est le genre auquel elles appartiennent, alors il existe cinq puissances : végétative, sensitive, motrice, appétitive et intellectuelle.

 

 

202. Et c’est pourquoi, après avoir traité de l’âme en totalité selon les opinions des anciens et les avoir réfutées (n. 68-198), le Philosophe s’interrroge ici sur les parties de l’âme et les opérations de ces parties, et il soulève deux questions. Et voici la première de ces questions : au sujet de toutes les opérations de l’âme qui suivent, à savoir la connaissance et la sensation pour le sens, et l’opinion pour l’intelligence, en outre le désir pour le concupiscible, la délibération pour la raison, et même l’appétit qui est autre, -car il rattache à ces deux dernières parties l’irascible-, le mouvement local, la croissance, la maturité, la décroissance, je demande si toutes ces opérations de l’âme doivent être attribuées à l’âme entière, c’est-à-dire de telle manière que chacune de ces opérations soit en toutes les parties de l’âme ; autrement dit, est-ce selon n’importe quelle partie de l’âme que nous conceptualisons, que nous sentons, que nous nous mouvons, que nous désirons et que nous nous nourrissons ? Au contraire, est-ce qu’une partie spécifique et déterminée de l’âme correspond à chacune de ces opérations, de telle manière que ce serait par l’une de ces parties que nous conceptualiserions, et par une autre que nous connaîtrions par les sens, et qu’il en irait de même pour les autres opérations ?

203. Mais il soulève une deuxième question : en effet, même si on concède que chaque opération de l’âme est assignée à une partie spécifique de l’âme, il faudra en outre se demander si cela, à savoir la vie elle-même, occupe une partie déterminée, ou plusieurs, ou même toutes les parties. Et si elle n’est en aucune, réside-t-elle en quelque chose d’autre ?

204. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est ainsi que certains philosophes disent etc. », il répond aux questions soulevées. Et en premier lieu il répond à la première, en deuxième lieu à la seconde, là où il dit : « Or, nous voyons aussi que les plantes etc. ». Pour répondre à la première question, il présente premièrement l’opinion de certains philosophes relative à cette question. Deuxièmement, il réfute cette opinion là où il dit : « Qu’est-ce qui assumera la continuité de l’âme etc. » Certains philosophes disent en effet que ces opérations n’appartiennent pas à toute l’âme mais à des parties spécifiques de l’âme. Ils disent en effet que l’âme est partageable et que c’est par une partie qu’elle pense et par une autre qu’elle désire, comme ceux qui plaçaient les opérations sensitives dans le cerveau, les opérations vivificatives dans le cœur, etc.

205. Mais une telle opinion est en un sens vraie, en un autre sens, fausse. Car si tu entends les différentes parties de l’âme comme des parties potentielles, alors il est vrai que l’âme possède différentes parties ou facultés, et que c’est par l’une d’elle qu’elle conceptualise et par une autre qu’elle perçoit par les sens. En effet, l’âme est un certain tout potentiel, et le terme partie se prend ici en un sens potentiel par rapport à ce tout potentiel qu’est l’âme. Mais si on prend l’âme comme une certaine grandeur ou une certaine quantité qui se divise en différentes parties quantitatives, alors la même proposition est fausse. Mais c’est en ce dernier sens que ces philosophes prenaient l’âme lorsqu’ils disaient qu’elle est partageable. Et ils ajoutaient en outre que de telles puissances de l’âme étaient des âmes différentes.

206. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais qu’est-ce donc qui assurera etc. », il réfute cette opinion au moyen de trois raisonnements, dont voici le premier. Des choses diverses ne peuvent se rencontrer dans l’unité que grâce à un principe unificateur : donc, s’il y a diverses âmes dans le corps, il faut qu’elles soient contenues et unies par quelque chose d’autre ; mais il n’y a rien qui puisse les unir et les contenir ; il n’y a donc pas diverses âmes. Et qu’il n’y ait rien qui puisse contenir et unir l’âme, cela est évident au moyen de ce qui suit. En effet, ou bien ce qui contient l’âme est le corps dans lequel elle se trouve, ou bien quelque chose d’autre. Mais ce n’est pas le corps qui unit l’âme et la contient, mais c’est plutôt l’âme qui contient le corps. Nous voyons en effet que lorsque l’âme sort du corps, ce dernier s’anéantit et se putréfie. Mais si c’est quelque chose d’autre qui contient l’âme, alors cette autre chose sera encore bien davantage une âme, car il appartient à l’âme de contenir et de gouverner. Et si cette autre chose est bien une âme, alors il faudra encore se demander si ce principe est un ou multipartite. Et si on dit qu’il est multipartite, il faudra encore se demander ce qui en assure l’unité, et l’on procédera ainsi à l'infini. Mais si l’on dit qu’il est un, alors « pourquoi ne lui attribuent-ils pas immédiatement l’unité », c’est-à-dire à ce principe qui est l’âme elle-même ? L’âme n’est donc pas divisible en parties quantitatives, comme ces philosophes le croyaient.

207. Il présente son deuxième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais on se demandera etc. ».

En effet, si les différentes parties de l’âme sont en différentes parties du corps, il s’ensuit qu’à chaque opération de l’âme correspond une partie déterminée du corps ou un organe corporel déterminé. Mais cela est impossible car l’intellect n’est pas relié à  une partie ou à un organe déterminé du corps. L’âme ne possède donc pas des parties diverses, comme ils le disent.

208. Aristote présente son troisième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais nous voyons bien etc. ». En effet, si diverses opérations de l’âme sont en diverses parties du corps, alors il n’y aura pas à chercher une partie dans laquelle on retrouvera plusieurs opérations simultanément, ni des parties de l’animal qui seront de même espèce. Mais nous voyons des parties de certains vivants qui possèdent plusieurs opérations et dont l’âme est de même espèce à la fois dans le tout et dans les parties : c’est ce que nous observons chez les plantes et chez certains animaux qui, une fois coupés, continuent de vivre, comme les animaux constitués d’anneaux, dont chaque partie coupée continue de sentir et de se mouvoir pendant un certain temps. Et si on réplique qu’ils ne vivent pas longtemps, cela importe peu car ils ne possèdent pas les organes par lesquels ils pourraient conserver leur nature : néanmoins, il n’en est pas moins vrai que de nombreuses opérations de l’âme existent dans chacune des diverses parties segmentées, et que les âmes des segments sont spécifiquement identiques entre elles et à l’âme toute entière. Il n’y a donc pas diverses parties de l’âme en diverses parties du corps. Mais la raison pour laquelle les parties segmentées vivent, c’est que plus une âme est parfaite, plus elle exerce des opérations parfaites et diverses. C’est pourquoi, pour exercer de telles opérations, il lui est nécessaire que de nombreux et divers organes ou instruments corporels soient présents dans le corps où elle se trouve. Mais l’âme rationnelle, parce qu’elle est plus noble et plus parfaite, exige une plus grande diversité d’organes ; mais l’âme qui est présente dans les animaux constitués de segments et dans les plantes, parce qu’elle possède peu de perfection et n’exerce pas une grande diversité d’opérations, exige seulement un corps dont les parties sont semblables et uniformes, et se conserve dans chacune de ses parties.

209. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il semble que etc. », il répond à la deuxième question. Et à ce sujet il faut savoir que la vie appartient proprement aux êtres qui possèdent par eux-mêmes le mouvement et l’opération sans avoir à être mus par d’autres. C’est ce qui explique que la vie se prend en deux sens. En un premier sens, la vie s’entend comme étant l’être du vivant, comme l’entend le Philosophe lorsqu’il dit que la vie est l’être qui appartient aux vivants. En un deuxième sens, on peut entendre la vie en tant qu’elle est une opération.

210. Il faut donc dire que l’âme qui est dans les plantes, à savoir l’âme végétative, semble être comme un certain principe qui manifeste la vie dans les réalités inférieures, car sans elle rien ne vit, et c’est elle seule qui est commune à tous les êtres vivants alors que les autres âmes ne sont pas communes à tous les vivants. En effet, les animaux et les végétaux n’ont en commun que l’âme végétative. De plus, l’âme végétative peut se rencontrer sans l’âme sensitive et sans l’âme intellective, mais ces dernières ne peuvent exister sans l’âme végétative. En effet, aucun animal ne possède soit le sens, soit l’intelligence, « sans cela », c’est-à-dire sans l’âme végétative. Par conséquent, la vie s’attribue à ce principe, à savoir à l’âme végétative, de la même manière que la sensation s’attribue au toucher. Ce n’est pas parce que l’animal vit seulement par l’âme végétative, mais parce que cette dernière est le premier principe dans lequel la vie se manifeste.

 

 

LIBER 2

LIVRE SECOND

LECTIO 1

[80494] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 1Postquam Aristoteles posuit opinionem aliorum de anima in primo libro, in secundo accedit ad determinandum de anima secundum propriam opinionem et veritatem. Et circa hoc duo facit. Primo dicit de quo est intentio sua, continuans se ad praecedentia. Secundo prosequitur suam intentionem, ibi, dicimus itaque quoddam et cetera. Dicit ergo primo, quod in primo libro dicta sunt ea quae tradita sunt a prioribus de anima. Sed oportet iterum quasi redeundo a principio determinare veritatem. Quod quidem propter suam difficultatem magis oportet tentare, quam securitatem de veritate invenienda praesumere. Et cum supra in prooemio quaesitum fuerit, utrum prius de anima ipsa determinandum sit, aut de partibus eius, quasi hanc quaestionem determinans, dicit, quod in principio dicendum est, quid est anima, in quo notificatur ipsa animae essentia. Postea autem determinabitur de partibus sive potentiis ipsius. Et quasi huiusmodi rationem assignans, subiungit, et quae utique erit communissima ratio ipsius. Cum enim ostenditur quid est anima, traditur id quod est commune. Cum autem determinatur de unaquaque partium aut potentiarum ipsius, traditur id quod est speciale circa animam. Hic est autem ordo doctrinae, ut a communibus ad minus communia procedatur, sicut ostendit philosophus in principio physicorum.

 

 

 

 

 

 

[80495] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 2Deinde cum dicit dicimus itaque prosequitur suam intentionem quam proposuerat. Et dividitur in partes duas. In prima ostendit quid est anima. In secunda determinat de partibus sive potentiis eius, ibi, potentiarum autem animae et cetera. Prima dividitur in duas. In prima ponit definitionem animae, quae est quasi demonstrationis conclusio. In secunda ponit definitionem animae quae est quasi demonstrationis principium, ibi, quoniam autem ex incertis quidem et cetera. Sciendum est enim quod, sicut dicitur in primo posteriorum, omnis definitio aut est conclusio demonstrationis, sicut haec, tonitruum est continuus sonus in nubibus, aut est demonstrationis principium, sicut haec, tonitruum est extinctio ignis in nube, aut est demonstratio positione, idest ordine differens: sicut haec, tonitruum est continuus sonus in nubibus, propter extinctionem ignis in nube. In hac enim ponitur et demonstrationis conclusio, et principium, etsi non secundum ordinem syllogismi. Prima autem pars dividitur in duas. In prima ponit definitionem primam animae. In secunda manifestat eam, ibi universaliter igitur dictum et cetera. Prima dividitur in duas. In prima praemittit quasdam divisiones, ex quibus habetur via ad investigandum definitionem animae. In secunda investigat animae definitionem, ibi, quare omne corpus et cetera.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80496] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 3Sciendum autem est, quod sicut docet philosophus in septimo metaphysicae, haec est differentia inter definitionem substantiae et accidentis, quod in definitione substantiae nihil ponitur quod sit extra substantiam definiti: definitur enim unaquaeque substantia per sua principia materialia vel formalia. In definitione autem accidentis ponitur aliquid quod est extra essentiam definiti, scilicet subiectum; oportet enim subiectum poni in definitione accidentis. Sicut cum dicitur simitas est curvitas nasi. Et hoc ideo est, quia definitio significat quod quid est res; substantia autem est quid completum in suo esse et in sua specie; accidens autem non habet esse completum, sed dependens a substantia. Similiter etiam nulla forma est quid completum in specie, sed complementum speciei competit substantiae compositae. Unde substantia composita sic definitur, quod in eius definitione non ponitur aliquid quod sit extra essentiam eius. In omni autem definitione formae ponitur aliquid, quod est extra essentiam formae, scilicet proprium subiectum eius sive materia. Unde, cum anima sit forma, oportet quod in definitione eius ponatur materia sive subiectum eius.

 

 

 

 

[80497] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 4Et ideo in prima parte ponit duas divisiones; quarum prima necessaria est ad investigandum id quod in definitione animae ponitur ad exprimendam essentiam eius. Alia quae est necessaria ad investigandum id quod ponitur in definitione animae ad exprimendum subiectum ipsius, ibi, substantiae autem maxime et cetera. Circa primum innuit tres divisiones: quarum prima est secundum quod ens dividitur in decem praedicamenta. Et hanc innuit per hoc quod dicit, quod substantia dicitur esse unum genus entium.

[80498] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 5Secunda divisio est secundum quod substantia dividitur in materiam et formam et compositum. Materia quidem est, quae secundum se non est hoc aliquid, sed in potentia tantum ut sit hoc aliquid. Forma autem est, secundum quam iam est hoc aliquid in actu. Substantia vero composita est, quae est hoc aliquid. Dicitur enim esse hoc aliquid, id est aliquid demonstratum quod est completum in esse et specie; et hoc convenit soli substantiae compositae in rebus materialibus. Nam substantiae separatae, quamvis non sint compositae ex materia et forma, sunt tamen hoc aliquid, cum sint subsistens in actu et completae in natura sua. Anima autem rationalis, quantum ad aliquid potest dici hoc aliquid, secundum hoc quod potest esse per se subsistens. Sed quia non habet speciem completam, sed magis est pars speciei, non omnino convenit ei quod sit hoc aliquid. Est ergo differentia inter materiam et formam, quod materia est ens in potentia, forma autem est endelechia, id est actus, quo scilicet materia fit actu, unde ipsum compositum est ens actu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80499] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 6Tertia divisio est quod actus dicitur dupliciter. Uno modo sicut scientia est actus. Alio modo sicut considerare est actus. Et differentia horum actuum ex potentiis perpendi potest. Dicitur enim aliquis in potentia grammaticus, antequam acquirat habitum grammaticae, discendo vel inveniendo: quae quidem potentia in actum reducitur, quando iam aliquis habet habitum scientiae. Sed tunc est iterum in potentia ad usum habitus, cum non considerat in actu; et haec potentia in actum reducitur cum actu considerat. Sic igitur et scientia est actus, et consideratio est actus.

 

 

 

 

[80500] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 7Deinde cum dicit substantiae autem ponit divisiones, ex quibus investigatur id quod ponitur in definitione animae, pertinens ad eius subiectum. Et innuit tres divisiones. Quarum prima est, quod substantiarum quaedam sunt corpora, quaedam non sunt corpora. Inter quas substantias maxime sunt manifestae corporales substantiae. Nam substantiae incorporeae, quaecumque sint, immanifestae sunt, eo quod sunt a sensibus remotae et sola ratione investigabiles. Hoc est ergo quod dicit, quod corpora maxime videntur esse substantiae.

 

 

[80501] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 8Secunda divisio est, quod corporum, quaedam sunt corpora physica, id est naturalia; quaedam non naturalia, sed artificialia. Homo enim et lignum et lapis sunt naturalia corpora, domus et securis sunt artificialia. Magis autem videntur substantiae corpora naturalia quam artificialia, quia corpora naturalia sunt principia artificialium. Ars enim operatur ex materia quam natura ministrat; forma autem quae per artem inducitur, est forma accidentalis, sicut figura vel aliquid huiusmodi. Unde corpora artificialia non sunt in genere substantiae per suam formam, sed solum per suam materiam, quae est naturalis. Habent ergo a corporibus naturalibus quod sint substantiae. Unde corpora naturalia sunt magis substantiae quam corpora artificialia: sunt enim substantiae non solum ex parte materiae, sed etiam ex parte formae.

 

 

 

 

[80502] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 9Tertia divisio est, quod corporum naturalium, quaedam habent vitam, et quaedam non habent. Illud autem dicitur habere vitam, quod per seipsum habet alimentum, augmentum et decrementum. Sciendum autem est, quod haec explanatio magis est per modum exempli, quam per modum definitionis. Non enim ex hoc solo quod aliquid habet augmentum et decrementum, vivit, sed etiam ex hoc quod sentit et intelligit, et alia opera vitae exercere potest. Unde in substantiis separatis est vita ex hoc quod habent intellectum et voluntatem, ut patet in undecimo metaphysicae, licet non sit in eis augmentum et alimentum. Sed quia in istis generabilibus et corruptibilibus anima, quae est in plantis, ad quam pertinent alimentum et augmentum, ut in fine primi dictum est, principium est vitae, ideo hic quasi exemplariter exposuit habens vitam, id quod habet alimentum et augmentum. Propria autem ratio vitae est ex hoc, quod aliquid est natum movere seipsum, large accipiendo motum, prout etiam intellectualis operatio motus quidam dicitur. Ea enim sine vita esse dicimus, quae ab exteriori tantum principio moveri possunt.

 

 

 

 

 

 

 

[80503] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 10Deinde cum dicit quare omne investigat animae definitionem, suppositis praemissis divisionibus. Et circa hoc tria facit. Primo investigat partes definitionis. Secundo ponit definitionem, ibi, si autem aliquod commune et cetera. Tertio ex definitione data, excludit quamdam dubitationem, ibi, unde non oportet quaerere et cetera. Circa primum duo facit. Primo investigat particulas definitionis, quae pertinent ad essentiam animae. Secundo ea quae pertinent ad essentiam subiecti. Tale autem quodcumque organicum. Circa primum duo facit. Primo investigat hanc particulam, quod anima est actus. Secundo hanc, quod est actus primus, ibi, hic autem dicitur dupliciter. Concludit ergo primo ex praedictis, quod cum corpora physica maxime videantur esse substantiae, et omne corpus habens vitam, sit corpus physicum, necesse est dicere quod omne corpus habens vitam sit substantia. Et cum sit ens actu, necesse est quod sit substantia composita. Quia vero, cum dico, corpus habens vitam, duo dico, scilicet quod est corpus et quod est huiusmodi corpus, scilicet habens vitam, non potest dici quod illa pars corporis habentis vitam, quae dicitur corpus, sit anima. Per animam enim intelligimus id, quo habens vitam vivit: unde oportet quod intelligatur sicut aliquid in subiecto existens; ut accipiatur hic large subiectum, non solum prout subiectum dicitur aliquid ens actu, per quem modum accidens dicitur esse in subiecto; sed etiam secundum quod materia prima, quae est ens in potentia, dicitur subiectum. Corpus autem, quod recipit vitam, magis est sicut subiectum et materia quam sicut aliquid in subiecto existens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80504] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 11Sic igitur, cum sit triplex substantia, scilicet compositum, materia, et forma, et anima non est ipsum compositum, quod est corpus habens vitam: neque est materia, quae est corpus subiectum vitae: relinquitur, per locum a divisione, quod anima sit substantia, sicut forma vel species talis corporis, scilicet corporis physici habentis in potentia vitam.

[80505] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 12Dixit autem habentis vitam potentia et non simpliciter habentis vitam. Nam corpus habens vitam intelligitur substantia composita vivens. Compositum autem non ponitur in definitione formae. Materia autem corporis vivi est id quod comparatur ad vitam sicut potentia ad actum: et hoc est anima, actus, secundum quem corpus vivit. Sicut si dicerem quod figura est actus, non quidem corporis figurati in actu, hoc enim est compositum ex figura et corpore, sed corporis quod est subiectum figurae, quod comparatur ad figuram sicut potentia ad actum.

 

 

[80506] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 13Et ne aliquis crederet quod anima sic esset actus sicut aliqua forma accidentalis actus est, ad hoc removendum, subdit quod anima est sic actus, sicut substantia est actus, id est sicut forma. Et quia omnis forma est in determinata materia, sequitur quod sit forma talis corporis, quale dictum est.

 

 

[80507] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 14Sciendum autem est quod haec est differentia formae substantialis ad formam accidentalem, quod forma accidentalis non facit ens actu simpliciter, sed ens actu tale vel tantum, utputa magnum vel album vel aliquid aliud huiusmodi. Forma autem substantialis facit esse actu simpliciter. Unde forma accidentalis advenit subiecto iam praeexistenti actu. Forma autem substantialis non advenit subiecto iam praeexistenti in actu, sed existenti in potentia tantum, scilicet materiae primae. Ex quo patet, quod impossibile est unius rei esse plures formas substantiales; quia prima faceret ens actu simpliciter, et omnes aliae advenirent subiecto iam existenti in actu, unde accidentaliter advenirent subiecto iam existenti in actu, non enim facerent ens actu simpliciter sed secundum quid.

 

 

 

 

 

 

[80508] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 15Per quod tollitur positio Avicebron in libro fontis vitae, qui posuit quod secundum ordinem generum et specierum est ordo plurium formarum substantialium in una et eadem re; ut puta quod in hoc individuo hominis est una forma, per quam est substantia: et alia, per quam est corpus: et tertia, per quam est animatum corpus, et sic de aliis. Oportet enim secundum praemissa dicere, quod una et eadem forma substantialis sit, per quam hoc individuum est hoc aliquid, sive substantia, et per quam est corpus et animatum corpus, et sic de aliis. Forma enim perfectior dat materiae hoc quod dat forma minus perfecta, et adhuc amplius. Unde anima non solum facit esse substantiam et corpus, quod etiam facit forma lapidis, sed etiam facit esse animatum corpus. Non ergo sic est intelligendum quod anima sit actus corporis, et quod corpus sit eius materia et subiectum, quasi corpus sit constitutum per unam formam, quae faciat ipsum esse corpus, et superveniat ei anima faciens ipsum esse corpus vivum; sed quia ab anima est, et quod sit, et quod sit corpus vivum. Sed hoc quod est esse corpus, quod est imperfectius, est quid materiale respectu vitae.

 

 

 

 

 

 

[80509] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 16Et inde est quod recedente anima, non remanet idem corpus specie; nam oculus et caro in mortuo non dicuntur nisi aequivoce, ut patet per philosophum in septimo metaphysicorum. Recedente enim anima, succedit alia forma substantialis quae dat aliud esse specificum, cum corruptio unius non sit sine generatione alterius.

 

 

[80510] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 17Deinde cum dicit hic autem venatur secundam particulam definitionis: et dicit quod actus dicitur dupliciter: alius, sicut scientia, et alius sicut considerare, ut supra expositum est. Et manifestum est, quod anima est actus sicut scientia, quia in hoc quod anima inest animali et somnus et vigilia. Et vigilia quidem assimilatur considerationi; quia sicut consideratio est usus scientiae, ita vigilia est usus sensuum; sed somnus assimilatur habitui scientiae, quando aliquis secundum ipsum non operatur, in somno enim quiescunt virtutes animales.

 

 

 

[80511] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 18Horum autem duorum actuum, scientia est prior generatione, in eodem. Comparatur enim consideratio ad scientiam, sicut actus ad potentiam. Actus autem, ut habetur in nono metaphysicae, natura est prior potentia. Est enim finis et complementum potentiae. Sed ordine generationis et temporis, universaliter loquendo actus est prior potentia. Nam id quod est in potentia, reducitur in actum per aliquid ens actu. Sed in uno et eodem potentia est prior actu. Nam aliquid est primo in potentia, et postea actus fit. Et propter hoc dicit quod scientia est prior generatione, in eodem, quam consideratio.

 

 

 

 

[80512] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 19Unde concludit quod cum anima sit actus sicut scientia, quod sit actus primus corporis physici potentia vitam habentis. Sciendum autem quod philosophus dicit animam esse actum primum, non solum ut distinguat animam ab actu qui est operatio, sed etiam ut distinguat eam a formis elementorum, quae semper habent suam actionem, nisi impediantur.

 

 

[80513] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 20Deinde cum dicit tale autem venatur particulam, quae est ex parte subiecti: et quia dixerat, quod anima est actus corporis physici habentis vitam in potentia, etiam dicit, quod tale est omne corpus organicum. Et dicitur corpus organicum, quod habet diversitatem organorum. Diversitas autem organorum necessaria est in corpore suscipiente vitam propter diversas operationes animae. Anima enim, cum sit forma perfectissima inter formas rerum corporalium, est principium diversarum operationum; et ideo requirit diversitatem organorum in suo perfectibili. Formae vero rerum inanimatarum, propter sui imperfectionem sunt principia paucarum operationum: unde non exigunt diversitatem organorum in suis perfectionibus.

 

 

 

[80514] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 21Inter animas autem anima plantarum imperfectior invenitur: unde in plantis minor est diversitas organorum quam in animalibus. Et ideo ad ostendendum, quod omne corpus suscipiens vitam est organicum, accipit argumentum ex plantis in quibus est minor diversitas organorum. Et hoc est quod dicit, quod etiam plantarum partes sunt diversa organa. Sed partes plantarum suntpenitus simplices, idest consimiles; non enim est in eis tanta diversitas, sicut in partibus animalium. Pes enim animalis ex diversis partibus compositus est, scilicet carne, nervo, osse, et huiusmodi. Sed partes organicae plantarum non habent talem diversitatem partium, ex quibus componantur.

 

 

 

 

[80515] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 22Et quod partes plantarum sint organicae, manifestat per hoc, quod diversae partes sunt ad diversas operationes. Sicut folium est ad cooperimentum corticis vel fructiferi, id est illius partis in qua fructus nascitur. Cortex autem vel fructiferum, ad cooperimentum fructus. Radices autem in plantis sunt proportionabiles ori animalium, quia utraque attrahunt alimentum, scilicet radix in plantis, et os in animalibus.

 

[80516] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 23Deinde cum dicit si autem colligit ex omnibus praedictis definitionem animae; et dicit, quod si aliqua definitio communis debeat assignari, quae conveniat omni animae, erit haec, anima est actus primus corporis physici organici. Non autem oportet addere, potentia vitam habentis. Loco enim huius ponitur organicum, ut ex dictis patet.

 

 

 

[80517] Sentencia De anima, lib. 2 l. 1 n. 24Deinde cum dicit unde non ex definitione data, solvit quamdam dubitationem. Fuit enim a multis dubitatum, quomodo ex anima et corpore fieret unum. Et quidam ponebant aliqua media esse, quibus anima corpori uniretur, et quodammodo colligaretur. Sed haec dubitatio iam locum non habet, cum ostensum sit, quod anima sit forma corporis. Et hoc est quod dicit quod non oportet quaerere si ex anima et corpore fit unum, sicut nec dubitatur circa ceram et figuram, neque omnino circa aliquam materiam et formam, cuius est materia. Ostensum est enim in octavo metaphysicae quod forma per se unitur materiae, sicut actus eius; et idem est materiam uniri formae, quod materiam esse in actu. Et hoc est etiam quod hic dicit, quod cum unum et ens multipliciter dicatur, scilicet de ente in potentia, et de ente in actu, id quod proprie est ens et unum est actus. Nam sicut ens in potentia non est ens simpliciter, sed secundum quid, ita non est unum simpliciter sed secundum quid: sic enim dicitur aliquid unum sicut et ens. Et ideo sicut corpus habet esse per animam, sicut per formam, ita et unitur animae immediate, inquantum anima est forma corporis. Sed inquantum est motor, nihil prohibet aliquid esse medium, prout una pars movetur ab anima, mediante alia.

Chapitre 1

211. Après avoir présenté, dans le premier livre de ce traité, les opinions des autres philosophes au sujet de l’âme, dans ce deuxième livre il en vient à traiter de l’âme d’après son opinion propre et selon la vérité. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu, faisant suite à ce qui précède, il dit quelle est son intention. En deuxième lieu, il poursuit son intention, là où il dit : « Nous disons donc que l’un des genres etc. ». Il dit donc en premier lieu que dans le premier livre ont été présentées les doctrines sur l’âme transmises par ses prédécesseurs, mais qu’il faut maintenant, comme en revenant au point de départ, déterminer la vérité. Et à cause de la difficulté de cette question, il nous faut davantage tenter d’y arriver que de présumer par négligence de la vérité à découvrir. Et comme dans le proème présenté plus haut on s’était demandé s’il faut déterminer de l’âme elle-même avant de traiter de ses parties, il dit, comme pour répondre à cette question, qu’au début il faut déterminer ce qu’est l’âme, ou la définition qui fait connaître l’essence même de l’âme. Ce n’est que par la suite qu’il faudra déterminer les parties ou les puissances de l’âme. Et comme pour préciser la raison de cet ordre, il ajoute : « et quelle sera la définition la plus générale de l’âme. » En effet, lorsque l’on veut montrer ce qu’est l’âme, on présente ce qui est commun. Au contraire, lorsque l’on détermine de chacune des parties ou des puissances de l’âme, on présente ce qui est spécifique dans l’âme. Tel est l’ordre que nous suivons dans cet enseignement et qui consiste à procéder du commun au moins commun, comme l’enseigne le Philosophe [Physique, L. 1, ch. 1].

212. Ensuite, lorsqu’il dit : « Nous disons donc que l’un etc. », il poursuit l’intention qu’il avait présentée et cette section se divise en deux parties. Dans la première il montre ce qu’est l’âme. Dans la deuxième il détermine des parties ou des puissances de l’âme là où il dit : « Mais parmi les puissances de l’âme etc. ». La première partie se divise en deux. Dans la première il présente la définition de l’âme qui est comme la conclusion de la démonstration. Dans la deuxième il présente la définition de l’âme qui est comme le principe de la démonstration, là où il dit : « Or, puisque c’est à partir de données en elles-mêmes peu solides etc. ». Il faut en effet savoir, comme le Philosophe [Seconds Analytiques, L. 1, ch. 8] l’a déjà dit, que toute définition est ou bien la conclusion d’une démonstration, comme celle-ci : « le tonnerre est un son continu dans les nuages » ; ou bien elle est le principe d’une démonstration, comme la suivante : « le tonnerre est l’extinction du feu dans les nuages » ; ou bien encore elle est une démonstration par la disposition, c’est-à-dire dans laquelle se distingue l’ordre des parties, comme celle-ci : « le tonnerre est un son continu dans les nuages à cause de l’extinction du feu dans les nuages ». Dans cette dernière définition en effet sont contenus à la fois la conclusion et le principe de la démonstration, bien que les deux n’y soient pas présentés selon l’ordre du syllogisme. La première partie indiquée plus haut se divise en deux. Dans la première il présente la première définition de l’âme. Dans la deuxième, il la manifeste, là où il dit : « Nous avons donc dit ce qu’est l’âme en général etc. ». La première se divise encore en deux autres parties. Dans la première il fait précéder certaines divisions qui préparent la voie pour la recherche de la définition de l’âme. Dans la deuxième il recherche la définition de l’âme, là où il dit : « C’est pourquoi tout corps physique etc. ».

213. Il faut cependant savoir, comme l’enseigne le Philosophe [Métaphysique, L. 6, ch. 1], que la définition de la substance diffère de celle de l’accident en ce que, dans la définition de la substance, on ne place rien qui soit en dehors de l’essence du défini : en effet, toute substance se définit par ses principes matériels et formels ; au contraire, dans la définition de l’accident, on place quelque chose qui est en dehors de l’essence du défini, à savoir le sujet : il faut en effet que le sujet soit placé dans la définition de l’accident, comme lorsque nous disons que « le camus est un nez courbé ». Et il en est ainsi parce que la définition signifie ce qu’est la chose ; or, la substance est quelque chose d’achevé quant à son être et à son espèce alors que l’accident ne possède pas un être achevé, mais dépend plutôt de la substance quant à son être. De la même manière, aucune forme n’est quelque chose d’achevé quant à l’espèce, mais l’achèvement ou la perfection de l’espèce appartient à la substance composée. C’est pour cette raison que la définition de la substance composée ne contient rien qui soit en dehors de son essence. Au contraire, dans toute définition d’une forme on place quelque chose qui est en dehors de l’essence de la forme, à savoir soit le sujet qui lui est propre, soit sa matière. Il résulte de tout ceci, puisque l’âme est une forme, que sa définition devra contenir sa matière ou son sujet.

214. Et c’est pourquoi il présente deux divisions dans la première partie, dont la première est nécessaire à la recherche de ce qui doit être placé dans la définition de l’âme pour exprimer son essence, alors que l’autre est nécessaire à la recherche de ce qui doit être placé dans la définition de l’âme pour exprimer son sujet, là où il dit : « Mais les substances semblent surtout être etc. ». Au sujet du premier point il indique trois divisions : la première étant celle selon laquelle l’être se divise en dix prédicaments ; et il indique cette division lorsqu’il affirme qu’on dit de la substance qu’elle est l’un des genres de l’être.

215. La deuxième division est celle selon laquelle la substance se divise en matière, en forme et en composé de forme et de matière. Or, la matière est ce qui n’est pas en soi telle chose déterminée, mais est seulement en puissance à être telle chose déterminée. La forme, se son côté, est ce principe par lequel, dès lors, telle chose déterminée existe en acte. Enfin, la substance composée est ce qui est de soi telle chose déterminée. On appelle en effet telle chose déterminée ce qu’on peut montrer parce qu’elle est un être achevé quant à l’être et quant à l’espèce, ce qui, dans les choses matérielles, appartient uniquement aux substances composées. Mais en ce qui concerne les substances séparées, bien qu’elles ne soient pas composées de matière et de forme, elles sont cependant tels êtres déterminés, puisqu’elles sont subsistantes en acte et achevées quant à leur nature. Pour ce qui est de l’âme rationnelle, on peut dire à son sujet qu’elle est telle chose déterminée seulement sous un rapport particulier, c’est-à-dire en ce sens qu’elle peut être subsistante par elle-même ; mais parce qu’elle ne possède pas une espèce complète et qu’elle est plutôt une partie d’une espèce, il ne lui convient pas, à parler absolument, d’être telle chose déterminée. Il y a donc cette différence entre la matière et la forme, à savoir que la matière est de l’être en puissance alors que la forme est une entéléchie, c’est-à-dire un acte par lequel la matière vient à exister en acte, d’où résulte que le composé lui-même est de l’être en acte.

216. La troisième division est celle selon laquelle l’acte se dit de deux manières. Premièrement en ce sens que la science est un acte ; deuxièmement en ce sens que l’exercice de la science est un acte. La différence qu’il y a entre ces actes peut s’apprécier à partir de leurs puissances. On dit en effet de quelqu’un qu’il est grammairien en puissance avant qu’il acquière l’habitus de la grammaire par l’apprentissage et la découverte : cette puissance est passée à l’acte lorsqu’un individu possède l’habitus de la science. Mais alors, il demeure encore  en puissance à l’égard de l’usage de l’habitus lorsqu’il n’exerce pas en acte cet habitus : et cette puissance passe à l’acte lorsque l’individu exerce en acte cet habitus. Ainsi donc, la science est un acte et l’exercice de la science est lui aussi un acte.

217. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, les substances etc. », il présente des divisions à partir desquelles est recherché ce qui entre dans la définition de l’âme et qui a rapport à son sujet. Et il présente trois divisions, dont voici la première. Parmi les substances, certaines sont des corps, certaines ne sont pas des corps. Et parmi les substances, celles qui sont corporelles sont les plus connues de nous. En effet, les substances incorporelles, quelles qu’elles soient, ne nous sont pas manifestes du fait qu’elles ne sont pas accessibles aux sens et qu’elles ne peuvent faire l’objet d’une recherche que par la raison. Et c’est justement ce que dit Aristote, à savoir que « ce sont surtout les corps qui sont reconnus comme étant des substances ».

218. Il présente la deuxième division, à savoir que parmi les corps, certains sont des corps physiques, c’est-à-dire naturels, alors que d’autres ne sont pas naturels mais artificiels. En effet, l’homme, le bois et la pierre sont des corps naturels alors que la maison et la hache sont des corps artificiels. Or, les corps naturels, plus que les corps artificiels, sont reconnus comme étant des substances car les corps naturels sont les principes des corps artificiels. En effet, l’art opère à partir d’une matière fournie par la nature, et la forme qui est introduite par l’art dans la matière est une forme accidentelle, comme la figure ou d’autres accidents de la sorte. C’est pourquoi les corps artificiels ne sont pas rangés dans le genre de la substance en raison de leur forme, mais en raison de leur matière qui est naturelle. C’est donc aux corps naturels qu’ils doivent d’être appelés substances. Il en résulte que les corps naturels sont, plus que les corps artificiels, des substances puisqu’ils sont des substances non seulement en raison de leur matière, mais aussi à cause de leur forme.

219. Il présente la troisième division, à savoir que parmi les corps naturels, certains ont la vie, certains ne l’ont pas. Mais on appelle vivants les êtres naturels qui se nourrissent, croissent et décroissent par eux-mêmes. Il faut cependant savoir que cette expression se présente davantage par mode l’exemple que par mode de définition. En effet, ce n’est pas du seul fait qu’un être croît et décroît qu’il vit, mais aussi du fait qu’il sent, qu’il pense et peut accomplir d’autres opérations vitales. C’est ce qui explique que la vie est présente dans les substances séparées du fait qu’elles possèdent l’intellect et la volonté, comme nous le montre le Philosophe [Métaphysique, L. 11, ch. 5, 7], bien qu’on ne retrouve pas en elles la nutrition et la croissance. Mais parce qu’ici-bas, dans les êtres  qui sont sujets à la génération et à la corruption, l’âme qui est dans les plantes, responsable de la croissance et de la nutrition comme nous l’avons dit (n. 210) à la fin du premier livre, est le principe de la vie, c’est pourquoi il explique comme par mode d’exemple ce que c’est que d’avoir la vie lorsqu’il dit que c’est ce qui possède l’alimentation et la croissance. Mais la définition propre de la vie se tire de ce qu’un être est apte par nature à se mouvoir soi-même, en prenant ici le terme mouvement en son sens large, pour autant que l’on dise aussi de l’opération intellectuelle qu’elle est un certain mouvement. Au contraire, on appelle inanimés les êtres qui ne peuvent être mûs que par un principe extérieur.

220. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi tout etc. », ayant supposé les divisions qui précèdent, il recherche la définition de l’âme. Et à ce sujet il fait trois choses. Premièrement il recherche les parties de la définition ; deuxièmement, il présente la définition, là où il dit : « Si cependant quelque chose de commun etc. » ; troisièmement, à partir de cette définition, il écarte une difficulté là où il dit : « C’est pourquoi il n’y a pas à rechercher etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il recherche les parties de la définition qui se rapportent à l’essence de l’âme ; deuxièmement il recherche les parties de la définition qui se rapportent à l’essence du sujet de l’âme lorsqu’il dit : « C’est-à-dire d’un corps qui est tel qu’il soit organisé ». Au sujet du premier point il fait deux choses. Premièrement il porte son attention sur cette partie de la définition, à savoir que l’âme est un acte ; deuxièmement sur celle qui dit que l’âme est un acte premier, là où il dit : « Mais l’entéléchie se prend en deux sens etc. ». Il conclut donc en premier lieu de ce qui vient d’être dit (nn. 212-219) que puisque ce sont surtout les corps physiques qui semblent être des substances et que tout corps ayant la vie est un corps physique, il est nécessaire de dire que tout corps ayant la vie est une substance. Et puisque tout corps ayant la vie est un être en acte, il est nécessaire qu’il soit une substance composée. Mais parce que lorsque je parle d’un corps ayant la vie, je dis deux choses, à savoir qu’il est un corps et qu’il est un corps de telle sorte, c’est-à-dire un corps qui a la vie, on ne peut dire de cette partie contenue dans « corps qui a la vie » et qu’on appelle corps, qu’elle soit l’âme. Par le terme âme nous entendons en effet ce par quoi vit ce qui possède la vie : c’est pourquoi l’âme doit s’entendre ici comme quelque chose qui existe dans un sujet, de telle manière cependant que le terme sujet se prenne ici en un sens large, c’est-à-dire non seulement en tant que sujet se dit d’un être en acte, à la manière dont on dit d’un accident qu’il existe dans un sujet, mais aussi en ce sens qu’on dit de la matière première, qui est un être en puissance, qu’elle est un sujet. Mais le corps qui reçoit la vie se présente davantage comme un sujet et une matière que comme quelque chose qui existe dans un sujet.

221. Ainsi donc, puisqu’il y a trois sortes de substances, à savoir le composé, la matière et la forme, et que l’âme n’est pas le composé lui-même, à savoir le corps ayant la vie, ni la matière qui est le corps en tant que sujet de la vie, il reste, par voie de division, que l’âme est une substance à la manière de la forme ou de l’espèce de tel corps, c’est-à-dire du corps physique ayant la vie en puissance.

222. Mais il dit « du corps qui a la vie en puissance », et non pas purement et simplement « de celui qui a la vie », car le corps qui a la vie doit s’entendre comme une substance composée vivante. Or, le composé n’entre pas dans la définition de la forme. C’est plutôt la matière du corps vivant qui se compare à la vie comme la puissance se compare à l’acte ; et cet acte, selon lequel le corps vit, c’est l’âme. C’est comme si l’on disait que la figure est l’acte, non pas certes du corps ayant une figure en acte, car c’est là le composé d’une figure et d’un corps, mais du corps qui est le sujet de la figure et qui se compare à la figure comme la puissance se compare à l’acte.

223. Et afin que personne ne pense que l’âme serait un acte à la manière dont une forme accidentelle est un acte, c’est pourquoi, afin d’écarter cette interprétation, il ajoute que l’âme est un acte à la manière dont une substance est un acte, c’est-à-dire à la manière d’une forme. Et parce que toute forme est dans une matière déterminée, il s’ensuit que l’âme est la forme de tel corps, à savoir de celui qui est tel que nous l’avons dit.

224. Il faut cependant savoir que la différence entre la forme substantielle et la forme accidentelle est telle que la forme accidentelle ne produit pas un être en acte purement et simplement, mais plutôt un être en acte de telle qualité ou de telle quantité, par exemple un être en acte qui est grand, blanc, etc. C’est la forme substantielle qui est responsable de la production d’un être en acte purement et simplement, par exemple d’un homme ou d’un cheval. C’est pourquoi la forme accidentelle survient à un sujet qui préexiste en acte, alors que la forme substantielle ne survient pas à un sujet préexistant en acte, mais à un sujet qui existe en puissance seulement et qui est la matière première. Il est clair à partir de là qu’il est impossible à une même chose de posséder plusieurs formes substantielles, car la première la ferait exister en acte purement et simplement, alors que toutes les autres adviendraient à un sujet qui existerait déjà en acte et par conséquent elles lui adviendraient à titre d’accidents puisqu’elles ne le feraient pas exister purement et simplement, mais seulement sous un rapport particulier.

225. Cette explication se trouve à détruire la position d’Avicébron contenue dans son livre, La Source de Vie, où il affirme qu’il existe dans une seule et même chose une pluralité de formes substantielles dont l’ordre est conforme à celui des genres et des espèces : par exemple, dans tel homme individuel, il y aurait une première forme par laquelle il est une substance, une deuxième par laquelle il est un corps, une troisième par laquelle il est un corps animé, et ainsi de suite. Il faut dire en effet, d’après ce qui précède, qu’il n’y a qu’une seule et même forme substantielle par laquelle tel individu est telle chose déterminée, à savoir une substance, et que c’est par cette même forme qu’il est aussi un corps, un corps animé, et ainsi de suite. La raison en est que la forme plus parfaite donne à la matière ce que lui donne la forme moins parfaite, avec quelque chose en plus. C’est pourquoi l’âme ne fait pas seulement que l’être en question soit une substance et un corps, ce que fait aussi la forme de la pierre, mais aussi qu’il soit un corps animé. Donc, que l’âme soit l’acte d’un corps, cela ne doit pas s’entendre en ce sens que le corps serait sa matière et son sujet, comme si le corps était déjà constitué par une forme qui ferait qu’il soit un corps, et que l’âme lui surviendrait ensuite pour en faire un corps vivant ; au contraire, c’est à une seule et même âme qu’un même individu doit d’exister et d’exister comme un corps vivant. En effet, pour ce qui est d’être un corps seulement, ce qui est plus imparfait, cela tient lieu de matière par rapport à la vie.

226. D’où il résulte que si l’âme se retire, le corps ne demeure plus le même spécifiquement ; en effet, on ne parle plus d’œil et de chair relativement à un mort, si ce n’est par pure homonymie, comme nous le montre le Philosophe [Métaphysique, L. 6, ch. 10]. En effet, lorsque l’âme se retire, une autre forme substantielle lui succède pour donner une autre existence spécifique, puisqu’il n’y a pas corruption d’une chose sans qu’il y ait génération d’autre chose.

227. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais l’entéléchie se dit en deux sens etc. », il en vient à la deuxième partie de la définition et il dit que l’acte se dit en deux sens : à la manière de la science, et à la manière de la considération ou de l’exercice de la science, comme nous l’avons expliqué plus haut (n. 216). Et il est manifeste que l’âme est un acte à la manière dont la science est un acte, puisqu’elle appartient à l’animal à la fois dans le sommeil et la veille. Et la veille se compare certes à la considération car tout comme la considération est l’usage de la science, de même la veille est l’usage des sens ; mais le sommeil se compare à l’habitus de la science lorsque quelqu’un n’exerce pas l’habitus car dans le sommeil les puissances animales sont au repos.

228. Or, parmi ces deux actes, l’antériorité, dans l’ordre de la génération, dans un même individu, revient à la science, puisque la considération se compare à la science comme l’acte se compare à la puissance. Or l’acte, comme l’établit le Philosophe [Métaphysique, L. 8, ch. 8], est par nature antérieur à la puissance, puisqu’il est la fin et l’achèvement de la puissance. Mais dans l’ordre de la génération et du temps, l’acte, à parler absolument, est antérieur à la puissance, car c’est par un être en acte que ce qui est en puissance passe à l’acte, alors que dans un même individu la puissance est antérieure à l’acte. Car un même être est d’abord en puissance et devient par la suite en acte. Et c’est pour cette raison qu’Aristote dit que « dans l’ordre de génération, et dans un même sujet, la science est antérieure à la considération ».

229. C’est pourquoi Aristote conclut que puisque l’âme est un acte à la manière de la science, elle est l’acte premier du corps physique ayant la vie en puissance. Il faut cependant savoir que le Philosophe, en disant que l’âme est un acte premier, se trouve à distinguer l’âme non seulement de cet acte qui est l’opération, mais il se trouve aussi à la distinguer des formes des éléments dont les opérations sont toujours en acte, à moins que ces dernières soient empêchées par des obstacles extérieurs.

230. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais tel qu’il soit organisé etc. », il en vient à la partie de la définition qui se tient du côté du sujet : et parce qu’il avait dit que l’âme est l’acte du corps physique ayant la vie en puissance, il dit aussi que ce corps doit être tel que le sont tous les corps organisés. Et il appelle corps organisés ceux qui possèdent une diversité d’organes. Or la diversité des organes est nécessaire dans un corps qui reçoit la vie en raison de la diversité des opérations de l’âme. En effet, puisque l’âme est la forme la plus parfaite parmi les formes des réalités corporelles, elle est principe d’opérations diverses et c’est pourquoi elle a besoin d’une grande diversité d’organes pour atteindre sa perfection ; les formes des choses inanimées, au contraire, en raison de leur imperfection, sont le principe d’un petit nombre d’opérations et c’est pourquoi elles n’ont pas besoin d’une diversité d’organes pour atteindre leur perfection.

231. Parmi les âmes, celle des plantes se trouve à être plus imparfaite : c’est pourquoi, chez les plantes, la diversité des organes est moindre que chez les animaux. C’est pourquoi, pour montrer que tout corps recevant la vie est organisé, il construit son argument en s’appuyant sur les plantes dans lesquelles la diversité des organes est moindre. Et c'est ce qu’il dit, à savoir que même les parties des plantes sont des organes diversifiés. Mais les parties des plantes sont tout à fait simples, c’est-à-dire très semblables les unes aux autres ; en effet, on ne retrouve pas parmi elles une diversité comparable à celle qu’on rencontre dans les parties des animaux. En effet, le pied de l’animal est composé de diverses parties comme la chair, les os, les nerfs, et d’autres parties de la sorte, alors que les parties organisées dont les plantes sont composées ne présentent pas une aussi grande diversité que celle qu’on rencontre dans les parties organisées des animaux.

232. Et il manifeste que les parties des plantes sont organisées en disant que ces parties sont ordonnées à diverses opérations : par exemple, la feuille est ordonnée à la protection du péricarpe ou de ce qui porte le fruit, c’est-à-dire de cette partie d’où naît le fruit. Et le péricarpe, ou la partie qui porte le fruit, est ordonné à la protection du fruit. Quant aux racines chez les plantes, elles sont l’analogue de la bouche chez les animaux car les deux, à savoir les racines chez les plantes et la bouche chez les animaux, sont ordonnées à l’absorption des aliments.

233. Ensuite, lorsqu’il dit : « Donc, s’il y a etc. », il assemble une définition de l’âme à partir de tout ce qui a été dit, et il dit que si une définition commune doit être assignée à l’âme en ce sens qu’elle convienne à toute espèce d’âme, elle sera telle : « L’âme est l’acte premier du corps physique organisé ». Et il n’est pas nécessaire d’ajouter dans cette définition ayant la vie en puissance, puisqu’il a remplacé cette expression par le terme organisé qui en tient lieu de synonyme, comme nous l’avons vu dans ce qui précède.

234. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi il n’est pas nécessaire etc. », la définition de l’âme ayant été donnée, il résout une difficulté. En effet, de nombreux philosophes se sont demandé comment une unité pouvait procéder de l’âme et du corps. Certains ont prétendu qu’il existe des intermédiaires par lesquels l’âme est unie au corps et lui est en quelque sorte reliée. Mais cette difficulté n’a plus lieu d’être soulevée ici puisque nous avons montré (220-226) que l’âme est la forme du corps. Et c’est justement ce que dit Aristote, à savoir qu’il n’y a pas à se demander si l’âme et le corps constituent une unité, tout comme il n’y a pas lieu de se le demander au sujet de la cire et de son empreinte, et en général au sujet de la matière et de la forme dont il y a matière. En effet, le Philosophe [Métaphysique, L. 7, ch. 6] a montré que c’est par elle-même que la forme, en tant qu’elle est son acte, est unie à la matière, tout comme il appartient par soi à la matière d’être unie à une forme pour exister en acte. Et c’est encore ce que dit ici le Philosophe, à savoir que puisque l’un et l’être se disent en plusieurs sens, c’est-à-dire de l’être en puissance et de l’être en acte,  ce qui est proprement de l’être et ce qui est proprement un, c’est l’acte. Car tout comme l’être en puissance n’est pas de l’être purement et simplement, mais seulement sous un certain rapport, de même l’être en puissance n’est pas un purement et simplement, mais seulement sous un certain rapport : en effet on dit d’une chose qu’elle est une de la même manière qu’on dit d’elle qu’elle est un être. C’est pourquoi, tout comme le corps tient son être de l’âme comme d’une forme, de même aussi il lui est uni immédiatement du fait que l’âme est la forme du corps. Mais si on prend l’âme en tant que moteur ou cause de mouvement, alors rien n’empêche qu’il y ait un intermédiaire, pour autant que l’âme meut une partie du corps par l’intermédiaire d’une autre.

 

 

 

 

 

LECTIO 2

[80518] Sentencia De anima, lib. 2 l. 2 n. 1Posita definitione animae, philosophus hic eam manifestat. Et circa hoc duo facit. Primo manifestat definitionem praemissam. Secundo ex definitione manifestata, quamdam veritatem concludit, ibi, quod quidem igitur non sit anima et cetera. Circa primum duo facit. Primo manifestat definitionem animae, quantum ad id quod in definitione praedicta ponitur ex parte ipsius animae. Secundo quantum ad id quod ibi ponitur ex parte subiecti, ibi, est autem non abiiciens animam et cetera. Circa primum duo facit. Primo manifestat definitionem animae ex similitudine rerum artificialium. Secundo ex partibus eius, ibi, considerare autem in partibus oportet et cetera. Quia enim formae artificiales accidentia sunt, quae sunt magis nota, quoad nos, quam formae substantiales, utpote sensui propinquiora: ideo convenienter rationem animae, quae est forma substantialis, per comparationem ad formas accidentales manifestat. Similiter etiam partes animae sive potentiae eius manifestiores sunt quoad nos, quam ipsa anima: procedimus enim in cognitione animae, ab obiectis in actus, ab actibus in potentias, per quas anima ipsa nobis innotescit; unde convenienter etiam per partes ratio manifestatur.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80519] Sentencia De anima, lib. 2 l. 2 n. 2Dicit ergo primo, quod dictum est in universali quid sit anima, cum praedicta definitio omni animae conveniat. Dictum est enim quod anima est substantia, quae est forma, a qua accipitur ratio rei. Est autem differentia inter formam quae est substantia, et formam quae non est substantia. Nam forma accidentalis, quae non est in genere substantiae, non pertinet ad essentiam sive quidditatem subiecti: non enim albedo est de essentia corporis albi. Sed forma substantialis est de essentia, sive de quidditate subiecti. Sic igitur anima dicitur forma substantialis, quia est de essentia sive de quidditate corporis animati. Et hoc est quod subdit, haec autem, scilicet substantia quae est secundum rationem est quod quid erat esse huic corpori, id est corpori constituto in specie per talem formam. Ipsa enim forma pertinet ad essentiam rei, quae significatur per definitionem significantem de re quid est.

 

 

 

[80520] Sentencia De anima, lib. 2 l. 2 n. 3Et quia formae substantiales, cuiusmodi sunt formae corporum naturalium, sunt latentes, manifestat hoc per formas artificiales, quae sunt accidentales. Et hoc est quod subdit: sicut si aliquid organorum, id est artificialium instrumentorum, ut puta dolabra esset corpus physicum, idest naturale, forma sua hoc modo se haberet ad ipsum sicut dictum est. Et ideo subdit. Erat quidem dolabrae esse substantia ipsis, idest forma dolabrae, secundum quam accipitur ratio dolabrae: quam quidem rationem nominat esse dolabrae, eo quod secundum eam dolabra dicitur esse dolabra, haec inquam forma est substantia dolabrae. Et hoc ideo dicit, quia formae corporum naturalium sunt in genere substantiae. Et ulterius si dolabra non esset solum corpus physicum, sed etiam corpus animatum, forma dolabrae esset anima, et ea separata, non esset amplius dolabra nisi aequivoce, sicut separata anima, non est caro nec oculus, nisi aequivoce. Nunc autem, quia dolabra non est corpus naturale, nec eius forma est quod quid erat esse tali corpori, remota forma dolabrae adhuc est dolabra, id est substantia dolabrae. Substantia enim corporum artificialium est materia eorum, quae remanet sublata forma artificiali, licet non remaneat ipsum corpus artificiale in actu.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80521] Sentencia De anima, lib. 2 l. 2 n. 4Et quia dixerat quod aliter nunc est in dolabra, et aliter esset si esset corpus physicum animatum, assignat rationem huius, dicens, quod hoc ideo est, quia anima non est quod quid est esse et ratio, id est forma huiusmodi corporis, scilicet artificialis sed corporis physici huiuscemodi scilicet habentis vitam. Et ut manifestet quid sit esse physicum corpus, subiungit habentis in seipso principium motus et status. Naturalia enim sunt, quae in seipsis principium motus et status habent. Huiusmodi enim principium, natura dicitur, uti habes in libro physicorum secundo.

 

 

 

 

[80522] Sentencia De anima, lib. 2 l. 2 n. 5Deinde cum dicit considerare autem manifestat definitionem animae ex partibus, dicens, quod id quod dictum est de tota anima et de toto corpore vivente, oportet considerare in partibus utriusque; quia, si oculus esset animal, oporteret quod visus esset anima eius, quia visus est substantialis forma oculi, et oculus est materia visus, sicut corpus organicum materia animae. Deficiente autem visu, non remanet oculus nisi aequivoce, sicut oculus lapideus aut depictus aequivoce dicitur oculus. Et hoc ideo est, quia aequivoca sunt, quorum nomen solum commune est et ratio substantiae diversa: et ideo sublata forma a qua est ratio substantiae oculi, non remanet nisi nomen oculi aequivoce dictum. Quod ergo invenitur in parte viventis corporis, oportet accipere in toto vivente corpore, scilicet quod sicut visus est forma substantialis oculi, et eo remoto non remanet oculus nisi aequivoce, ita anima est forma substantialis viventis corporis, et ea remota non remanet corpus vivum nisi aequivoce. Sicut enim se habet una pars animae sensitivae ad unam partem corporis sensitivi, sic se habet totus sensus ad totum corpus sensitivum inquantum huiusmodi.

 

 

 

 

 

[80523] Sentencia De anima, lib. 2 l. 2 n. 6Deinde cum dicit est autem exponit praemissam definitionem de anima quantum ad hoc quod dixerat, quod est actus corporis habentis vitam in potentia. Dicitur enim aliquid esse in potentia dupliciter. Uno modo, cum non habet principium operationis. Alio modo cum habet quidem, sed non operatur secundum ipsum. Corpus autem, cuius actus est anima, est habens vitam in potentia, non quidem primo modo, sed secundo. Et hoc est quod dicit corpus potentia ens ut vivat, id est habens vitam in potentia, cuius est actus anima, non sic dicitur esse in potentia ad vitam, quod sit abiiciens animam, id est carens principio vitae, quod est anima, sed quod est habens huiusmodi principium. Sed verum est quod semen et fructus, in quo conservatur semen plantae, est in potentia ad huiusmodi corpus vivum, quod habet animam: nondum enim semen habet animam. Unde sic est in potentia, sicut abiiciens animam.

 

 

 

 

 

 

[80524] Sentencia De anima, lib. 2 l. 2 n. 7Et ut ostendat quomodo est in potentia ad vitam corpus cuius actus est anima, subiungit quod ita vigilantia est actus animae sensitivae, sicut incisio est actus cultelli, et visio est actus oculi. Quodlibet enim istorum est operatio et usus principii habiti. Sed anima est actus primus, sicut visus et quaecumque potentia organi; quodlibet enim horum est principium operationis. Sed corpus quod est perfectum per animam, est potentia habens quidem actum primum, sed aliquando carens actu secundo. Sed sicut oculus est aliquid compositum ex pupilla sicut materia, et visu sicut forma, ita animal est compositum ex anima sicut forma et ex corpore sicut materia.

 

 

[80525] Sentencia De anima, lib. 2 l. 2 n. 8Deinde cum dicit quod quidem concludit quamdam veritatem ex praemissis: quia enim ostensum est quod anima est actus totius corporis, et partes sunt actus partium, actus autem et forma non separantur ab eo cuius est actus vel forma: manifestum est quod anima non potest separari a corpore, vel ipsa tota, vel aliquae partes eius, si nata est aliquo modo habere partes. Manifestum est enim quod aliquae partes animae sunt actus aliquarum partium corporis, sicut dictum est quod visus est actus oculi. Sed secundum quasdam partes nihil prohibet animam separari, quia quaedam partes animae nullius corporis actus sunt, sicut infra probabitur de his quae sunt circa intellectum.

 

 

 

 

[80526] Sentencia De anima, lib. 2 l. 2 n. 9Et quia Plato ponebat quod anima est actus corporis non sicut forma, sed sicut motor, subiungit quod hoc nondum est manifestum, si anima sic sit actus corporis sicut nauta est actus navis, scilicet ut motor tantum.

 

[80527] Sentencia De anima, lib. 2 l. 2 n. 10Deinde epilogando colligit quae dicta sunt; et dicit quod secundum praedicta determinatum est de anima, et posita est animae descriptio figuraliter quasi extrinsece et superficialiter et incomplete. Complebitur enim determinatio de anima quando pertinget usque ad intima ut determinetur natura uniuscuiusque partis ipsius animae.

Leçon  2

235. Après avoir établi la définition de l'âme, le Philosophe la manifeste. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il manifeste la définition qui précède. En deuxième lieu, ayant manifesté cette définition, il en tire une vérité, là où il dit : « Donc, que l’âme ne soit pas etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il manifeste la définition de l’âme quant à ce qui, dans cette définition, concerne l’âme elle-même, et deuxièmement, quant à ce qui concerne son sujet, là où il dit : « D’autre part, ce n’est pas le corps séparé de son âme etc. ». Dans la première partie, il fait deux choses. Premièrement il manifeste la définition de l’âme par une similitude tirée des choses artificielles. Deuxièmement il manifeste cette même définition en s’appuyant sur les parties de l’âme, là où il dit : « Ce qui a été dit, il faut maintenant le considérer dans les parties de l’âme etc. ». En effet, puisque les formes artificielles sont des accidents, et que ces dernières sont plus connues de nous que les formes substantielles parce qu’elles sont plus proches des sens, c’est pourquoi il convenait à Aristote de manifester la définition de l’âme, laquelle est une forme substantielle, en la comparant à des formes accidentelles. De même encore, les parties de l’âme ou ses puissances sont plus connues quant à nous que l’âme elle-même. Nous progressons en effet dans la connaissance de l'âme en procédant des objets aux actes et des actes aux puissances par lesquelles l’âme elle-même nous devient connue. C’est pourquoi il convenait aussi de manifester la définition de l’âme au moyen des parties de l’âme. 

236. Il dit donc en premier lieu que la définition qui a été dite (n. 233) sur l’âme est universelle, puisqu’elle s’applique à toute âme. Nous avons dit en effet (nn. 220-224) que l’âme est une substance en tant que forme, de laquelle se tire la définition de la chose. Il y a en effet une différence entre la forme qui est une substance et la forme qui n’est pas une substance : la forme accidentelle, qui n’est pas dans le genre de la substance, n’appartient pas à l’essence ou à la quiddité du sujet : la blancheur ne fait pas partie de l’essence du corps blanc. La forme substantielle, au contraire, fait partie de l’essence ou de la quiddité du sujet. Ainsi donc, on dit de l’âme qu’elle est une forme substantielle, parce qu’elle fait partie de l’essence ou de la quiddité du corps animé. Et c’est justement ce qu’ajoute Aristote : « C’est-à-dire celle etc. », c’est-à-dire la substance qui, en tant que forme « est ce qui fait que ce corps est tel », c’est-à-dire qui appartient au corps constitué dans telle espèce par telle forme. La forme elle-même appartient en effet à l’essence de la chose, laquelle est signifiée par la définition signifiant ce qu’est la chose.

237. Et parce que les formes substantielles, dont font partie les formes des corps naturels, ne nous sont pas manifestes, c’est pourquoi il les manifeste au moyen des formes artificielles qui sont accidentelles. Et c’est bien ce qu’il dit lorsqu’il ajoute : « Supposons, par exemple qu’un instrument etc. », c’est-à-dire un des instruments artificiels, par exemple une hache, « soit un corps physique », c’est-à-dire un corps naturel ; sa forme serait alors pour lui de la manière que nous avons dite (n. 218), c’est-à-dire sa substance. Et c’est pourquoi il ajoute : « La quiddité de la hache serait sa substance », c’est-à-dire la forme de la hache « selon laquelle se prend la définition de la hache » : il appelle cette définition « l’être de la hache », du fait que c’est d’après elle qu’on dit de la hache qu’elle est une hache, et cette forme, dit-il, est la substance de la hache. Et il dit cela parce que les formes des corps naturels sont dans le genre de la substance. En outre, si la hache n’était pas seulement un corps physique mais aussi un corps vivant, la forme de la hache serait son âme ; et si cette dernière venait à être séparée de la hache, il n’y aurait plus de hache, si ce n’est par pure homonymie, tout comme lorsque l’âme est séparée du corps, il n’y a plus ni chair, ni œil, si ce n’est par homonymie. Cependant, puisque la hache n’est pas un corps naturel, et que sa forme n’est pas la quiddité de tel corps, une fois disparue la forme de la hache il y a encore une hache, c’est-à-dire la substance de la hache. En effet, la substance des corps artificiels est leur matière, laquelle demeure une fois disparue la forme artificielle, bien que le corps artificiel lui-même ne demeure pas en acte.    

238. Et parce qu’il avait dit qu’il en va maintenant autrement de la hache, et qu’il en irait autrement si elle était un corps naturel animé, il en donne la raison en disant qu'il en est ainsi parce que l’âme n’est pas la quiddité et la définition, c’est-à-dire la forme  d’un corps de la sorte, c’est-à-dire d’un corps artificiel, mais plutôt « d’un corps naturel de la sorte », c’est-à-dire d’un corps ayant la vie. Et pour manifester ce que c'est que d'être un corps naturel, il ajoute que « c’est celui qui possède en lui-même un principe de mouvement et de repos ». En effet, les corps naturels sont ceux qui ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement et de leur repos. En effet, c’est pour les corps qui possèdent en eux un tel principe qu’on parle de nature, comme on le voit chez le Philosophe [Physique, L. 2, ch. 1].   

239. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il nous faut maintenant considérer etc. », il manifeste la définition de l’âme en s’appuyant sur ses parties en disant que ce que nous avons dit de toute l’âme et de tout le corps vivant, il faut l’examiner dans les parties de l’une et de l’autre : en effet, si l’œil était un animal, il faudrait que la vue soit son âme, car la vue est la forme substantielle de l’œil, et l’œil est la matière de la vue, tout comme le corps organisé est celle de l’âme. Et la vue venant à disparaître, il ne reste plus d’œil, si ce n’est par homonymie, tout comme on dit d’un  œil de pierre ou d’un œil peint qu’ils sont des yeux.      Et il en est ainsi parce qu’il y a homonymie là où le nom seul est commun et où la définition de la substance diffère : c’est pourquoi, une fois supprimée la forme d’où se tire la définition de la substance de l’œil, il ne reste plus que le nom œil attribué par homonymie. Donc, ce que l’on voit dans une partie du corps vivant, il faut l’attribuer aussi à tout le corps vivant, à savoir que tout comme la vue est la forme substantielle de l’œil et qu’une fois la vue supprimée il ne reste plus d’œil si ce n’est par homonymie,  de même aussi l’âme est la forme substantielle du corps vivant et une fois l’âme supprimée, il ne reste plus de corps vivant, si ce n’est par homonymie. En effet, ce qu’une partie de l’âme sensitive est à une partie du corps sensitif, tout le sens l’est à tout le corps sensitif en tant que tel.   

240. Ensuite, lorsqu’il dit : « Ce n’est cependant pas etc. », il explique la définition précédente de l'âme quant à ce qu'il y avait dit, à savoir qu'elle est l'acte d'un corps ayant la vie en puissance. C’est en deux sens en effet qu’on dit d’une chose qu’elle est en puissance. En un premier sens, quant elle ne possède pas le principe d’opération. En un deuxième sens, lorsqu’elle possède le principe d’opération, mais sans opérer d’après ce principe. Or ce n’est pas dans le premier sens mais dans le deuxième que ce corps, dont l’acte est l’âme, possède la vie en puissance. Et telle est la position d’Aristote lorsqu’il dit que le corps « qui est en puissance à vivre », c’est-à-dire celui qui a la vie en puissance et dont l’acte est l’âme, on ne dit pas de lui qu’il est en puissance à l’égard de la vie de telle manière « qu’il serait séparé de son âme », c’est-à-dire privé du principe de vie qui est l’âme, mais plutôt en ce sens qu’il la possède. Mais il est vrai que la semence, et le fruit, dans lequel est conservée la semence de la plante, est en puissance à un tel corps vivant possédant une âme : cependant, la semence ne possède pas encore une âme. Il en résulte par conséquent que c’est dans le premier sens qu’elle est en puissance à la vie, c’est-à-dire en tant qu’elle est encore séparée de l’âme.  

241. Et pour montrer comment ce corps dont l’acte est l’âme est en puissance à la vie, le Philosophe ajoute que la veille est l'acte de l'âme sensitive à la manière dont l'incision est l'acte du couteau et la vision est l'acte de l'œil. En effet, chacun de ces actes est l’opération et l’usage d’un principe déjà possédé. Mais l’âme, au contraire, est un acte premier, comme la vue et toute puissance d'un organe; en effet, chacune des puissances est un principe d'opération. De son côté, le corps qui est parfait par l'âme est une puissance possédant certes son acte premier mais parfois privé de son acte second. Mais tout comme l’œil est quelque chose de composé d’une pupille comme de sa matière, et de la vue comme de sa forme, de même l’animal est composé d’une âme, en tant que forme, et d’un corps en tant que matière.   

242. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais que l’âme ne soit certes pas etc. », il tire une vérité de ce qui précède : en effet, parce qu’il a été montré que l’âme est l’acte de tout le corps, et que les parties de l’âme sont les actes des parties du corps, et que l’acte et la forme ne sont pas séparés de ce dont ils sont l’acte et la forme, il s’ensuit manifestement que l'âme ne peut se séparer du corps, ni en totalité, ni selon certaines de ses parties, si elle est de nature à avoir des parties de quelque manière. Il est manifeste en effet que certaines parties de l'âme sont les actes de certaines parties du corps, comme lorsque nous avons dit (n. 233) que la vue est l'acte de l'œil. Cependant, rien n'empêche que l'âme soit séparée quant à certaines de ses parties, parce que certaines parties de l'âme ne sont les actes d'aucun corps, comme nous le prouverons plus loin (nn. 671-699) au sujet de ces opérations qui se rapportent à l'intelligence.

243. Et parce que Platon soutenait que l'âme est l'acte d'un corps non pas à la manière d’une forme, mais à la manière d’un moteur, il ajoute qu’il n’est pas encore manifeste si l'âme est l'acte d'un corps à la manière dont le marin est l'acte d'un navire, à savoir seulement en tant que moteur d’un corps.

244. Ensuite, sous forme de résumé, il recueille ce qui a été dit et il dit que dans ce qui précède on a traité de l’âme et on a présenté la description de l'âme comme sous forme de schéma et d’esquisse, c’est-à-dire d’une manière superficielle et incomplète. Notre examen de l’âme sera complet lorsqu’il ira plus en profondeur, de manière à déterminer la nature de chacune des parties de l’âme elle-même.

  

 

 

LECTIO 3

[80528] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 1Postquam philosophus posuit definitionem animae, hic intendit demonstrare ipsam. Et primo dicit de quo est intentio. Secundo prosequitur intentum, ibi, dicamus igitur principium et cetera. Circa primum duo facit. Primo determinat modum demonstrationis, quo uti intendit in demonstrando. Secundo manifestat quomodo quaedam definitiones sunt demonstrabiles, ibi, non enim solum quodque et cetera. Circa primum sciendum est, quod cum ex notis oporteat in cognitionem ignotorum devenire: omnis autem demonstratio adducitur causa notificandi aliud, necesse est, quod omnis demonstratio procedat ex notioribus quo ad nos, quibus per demonstrationem fit aliquid notum. In quibusdam autem eadem sunt notiora quo ad nos et secundum naturam, sicut in mathematicis, quae sunt a materia abstracta; et in his demonstratio procedit ex notioribus simpliciter et notioribus secundum naturam, scilicet ex causis in effectus: unde dicitur demonstratio propter quid. In quibusdam vero non sunt eadem magis nota simpliciter et quo ad nos, scilicet in naturalibus, in quibus plerumque effectus sensibiles sunt magis noti suis causis; et ideo in naturalibus, ut in pluribus proceditur ab his quae sunt minus nota secundum naturam et magis nota quo ad nos, ut dicitur in primo physicorum.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80529] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 2Et hoc modo demonstrationis intendit hic uti. Et hoc est quod dicit, quod quia illud quod est certum secundum naturam, et quod est secundum rationem notius, fit certius quo ad nos ex his quae sunt incerta secundum naturam, certiora autem quo ad nos, per istum modum tentandum est iterum aggredi de anima, demonstrando definitionem eius supra positam.

[80530] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 3Deinde cum dicit non enim assignat rationem praedictae intentionis; ostendendo quod aliquae definitiones sunt demonstrabiles. Et hoc est quod dicit, quod ideo oportet iterum aggredi de anima, quia oportet quod ratio definitiva non solum dicat hoc quod est quia, sicut plures terminorum idest definitionum dicunt; sed oportet etiam quod in definitione tangatur causa, et quod per definitionem dicentem propter quid, demonstretur definitio quae dicit solum quia. Inveniuntur autem multae rationes terminorum, idest definitiones, quae sunt sicut conclusiones. Et ponit exemplum in geometricalibus.

 

 

[80531] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 4Ad cuius intelligentiam sciendum est, quod figurarum quadrilaterarum, quaedam habent omnes angulos rectos, et vocantur orthogonia, idest superficies rectorum angulorum; quaedam autem non habent angulos rectos, et vocantur rhomboydes. Sciendum est autem, quod orthogoniorum quoddam consistit ex omnibus lateribus aequalibus, et vocatur quadratum sive tetragonismus; quoddam autem non habet omnia latera aequalia, in quo tamen quaelibet duo latera sibi opposita sunt aequalia: et vocatur huiusmodi orthogonium altera parte longius, sicut patet in sequentibus figuris. (Figura).

[80532] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 5Item sciendum est, quod in qualibet superficie rectorum angulorum duae rectae lineae, quae angulum rectum concludunt, dicuntur totam superficiem continere, quia cum alia duo latera sint aequalia eis, unumquodque suo opposito, necesse est, quod una praedictarum linearum rectum angulum concludentium mensuret longitudinem superficiei rectangulae; et alia latitudinem; unde tota superficies rectangula consurgit ex ductu unius in aliam. Unde si imaginaremur, quod una earum moveretur per aliam, consurgeret talis superficies.

 

[80533] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 6Item sciendum est, quod cum in orthogonio quod est altera parte longius, duae lineae continentes ipsum, sint inaequales, si accipiatur inter eas linea media in proportione, et ducatur in seipsam, fiet quadratum aequale altera parte longiori. Et quia haec demonstrationibus geometricis diffusum esset ostendere, sufficiat hoc ad praesens manifestare in numeris. Sit igitur orthogonium altera parte longius, cuius maius latus sit novem palmorum, minus vero quatuor. Accipiatur autem linea media in proportione inter ea, quae scilicet sunt sex palmorum. Quia sicut se habent sex ad novem, ita quatuor ad sex. Quadratum autem huius lineae erit aequale praedicto orthogonio altera parte longiori. Quod etiam in numeris patet. Nam quater novem sunt triginta sex. Similiter etiam sexies sex sunt triginta sex.

 

 

 

[80534] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 7Hoc est ergo quod dicit, quod si quaeratur quid est tetragonismus, idest quadratum, quod est aequale altera parte longiori, assignabitur talis definitio, ut dicatur esse orthogonium, idest superficies rectorum angulorum aequilaterale, idest habens omnia latera aequalia, et cetera. Talis autem terminus, idest talis definitio est ratio conclusionis, idest per demonstrationem conclusa. Si autem aliquis sic definiat, dicens quod quadratum est inventio mediae, scilicet lineae mediae in proportione inter duo latera inaequalia orthogonii altera parte longioris, idest orthogonium constitutum ex tali linea inventa, qui inquam sic definit dicit causam rei.

 

 

 

[80535] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 8Attendendum est autem, quod hoc exemplum quod hic inducitur, est simile ei quod intendit circa animam, quantum ad aliquid, scilicet quantum ad hoc quod demonstretur definitio animae, non autem quantum ad hoc quod demonstretur demonstratione dicente propter quid.

[80536] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 9Deinde cum dicit dicamus igitur incipit demonstrare definitionem animae superius positam, modo praedicto, scilicet per effectum. Et utitur tali demonstratione. Illud quod est primum principium vivendi est viventium corporum actus et forma: sed anima est primum principium vivendi his quae vivunt: ergo est corporis viventis actus et forma. Manifestum est autem, quod haec demonstratio est ex posteriori. Ex eo enim quod anima est forma corporis viventis, est principium operum vitae, et non e converso. Circa hoc ergo duo facit. Primo ostendit, quod anima est principium vivendi. Secundo, quod primum principium vivendi est forma corporis viventis, ibi, quoniam autem quo vivimus et sentimus. Circa primum tria facit. Primo distinguit modos viventium. Secundo ostendit, quod anima est vivendi principium, ibi, unde et vegetabilia omnia, et cetera. Tertio manifestat quomodo se habeant partes animae, abinvicem, secundum quas est principium operum vitae, ibi, utrum autem unumquodque horum.

 

 

 

 

[80537] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 10Dicit ergo primo, quod ad prosequendum nostram intentionem, qua intendimus demonstrare definitionem animae, oportet hoc quasi principium accipere, quod animatum distinguitur ab inanimato in vivendo. Animata enim vivunt, sed inanimata non vivunt. Sed cum multiplex sit modus vivendi, si unus tantum eorum insit alicui, dicitur illud vivens et animatum.

[80538] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 11Ponit autem quatuor modos vivendi: quorum unus est per intellectum, secundus per sensum, tertius per motum et statum localem, quartus per motum alimenti, et decrementi et augmenti. Ideo autem quatuor tantum modos ponit vivendi, cum supra quinque genera operationum animae posuerit, quia hic intendit distinguere modos vivendi, secundum gradus viventium; qui distinguuntur secundum haec quatuor. In quibusdam enim viventium inveniuntur tantum alimentum, augmentum et decrementum, scilicet in plantis. In quibusdam autem, cum his invenitur sensus sine motu locali, sicut in animalibus imperfectis, sicut sunt ostreae. In quibusdam autem, ulterius invenitur motus secundum locum, sicut in animalibus perfectis, quae moventur motu progressivo, ut bos et equus. In quibusdam autem, cum his ulterius invenitur intellectus, scilicet in hominibus. Appetitivum autem, quod est quintum praeter haec quatuor, non facit aliquam diversitatem in gradibus viventium. Nam ubicumque est sensus, ibi est et appetitus.

 

 

 

 

 

 

[80539] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 12Deinde cum dicit unde et vegetabilia manifestat, quod anima est principium vivendi secundum omnes modos praedictos. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit, quomodo anima est principium vivendi in plantis. Secundo in animalibus, ibi, animal autem propter sensum, et cetera. Tertio ostendit quid dictum sit, et quid restat dicendum, ibi, propter unam autem causam, et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod anima est principium vivendi in plantis; et dicit, quod cum dictum sit, quod quibuscumque inest unum quatuor praedictorum modorum viventium, dicuntur vivere, sequitur quod omnia vegetabilia vivant. Omnia enim in seipsis habent potentiam quamdam, et principium, quo suscipiunt motum augmenti et decrementi.

 

 

 

 

[80540] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 13Et quod hoc principium non sit natura sed anima, manifestum est. Nam natura non movet ad contraria loca: motus autem augmenti et decrementi est secundum contraria loca. Augentur enim vegetabilia omnia, non solum sursum et deorsum, sed utroque modo. Manifestum est ergo, quod principium horum motuum non est natura sed anima. Nec solum vegetabilia vivunt, dum augentur et decrescunt, sed quaecumque nutriuntur tamdiu vivunt, quamdiu possunt accipere nutrimentum per quod fit augmentum.

 

 

[80541] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 14Secundo ibi separari autem ostendit quod praedictum vivendi principium, est primum et separabile ab aliis. Et dicit quod hoc, scilicet principium augmenti et alimenti, potest separari ab aliis principiis vivendi, sed alia non possunt separari ab eo in rebus mortalibus. Quod ideo dicit, quia in rebus immortalibus, sicut sunt substantiae separatae, et corpora caelestia, si tamen sunt animata, invenitur intellectivum sine nutritivo. Quod autem hoc principium sit separabile ab aliis, manifestum est in his quae vegetantur, idest, in plantis, in quibus nulla alia potentia animae inest, nisi huiusmodi. Ex quo manifestum est, quod illud propter quod primum invenitur vita in rebus mortalibus, est principium augmenti et alimenti, quod vocatur anima vegetabilis.

 

 

 

 

[80542] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 15Deinde cum dicit animal autem manifestat quomodo anima est principium vivendi in animalibus. Et circa hoc duo facit. Primo dicit, quod primum dicitur aliquid esse animal propter sensum, licet animalia quaedam et sentiant et moveantur. Ea enim dicimus esse animalia, et non solum vivere, quae licet non mutent locum, tamen habent sensum. Sunt enim multa animalium talia, quae naturaliter manent in eodem loco, et tamen habent sensum, sicut ostreae, quae non moventur motu progressivo.

 

 

 

[80543] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 16Secundo ibi sensuum autem ostendit quod inter alios sensus primo inest tactus animalibus. Quod probat ex hoc, quod sicut vegetativum potest separari a tactu et ab omni sensu, sic tactus potest separari ab aliis sensibus. Multa enim sunt animalia, quae solum sensum tactus habent, sicut animalia imperfecta. Omnia autem animalia habent sensum tactus. Vegetativum autem principium dicimus illam partem animae, qua etiam vegetabilia, idest plantae, participant. Sic igitur ex praedictis patent tres gradus viventium. Primus est plantarum. Secundus animalium imperfectorum immobilium, quae habent solum sensum tactus. Tertius est animalium perfectorum, quae moventur motu progressivo, quae etiam habent alios sensus. Manifestum est autem, quod quartus gradus est eorum, quae habent cum his etiam intellectum.

 

 

 

 

 

 

 

[80544] Sentencia De anima, lib. 2 l. 3 n. 17Deinde cum dicit propter quam ostendit quid dictum sit, et quid restat dicendum. Et dicit, quod posterius dicendum est, propter quam causam utrumque horum accidat, scilicet quod vegetativum potest esse sine sensu, et quod tactus sine aliis sensibus. Hoc enim dicet in fine libri. Nunc autem sufficiet intantum dictum esse, quod anima est principium vivendi secundum praedictos modos, et quod distincta est istis quatuor, scilicet vegetativo, quod est in plantis et in omnibus viventibus, et sensitivo, quod est in omnibus animalibus, et intellectivo, quod est in omnibus hominibus, et motu progressivo, qui est in omnibus animalibus perfectis sensu vel intellectu.

Leçon  3

245. Après avoir donné la définition de l’âme, le Philosophe cherche ici à la démontrer. Et en premier lieu, il dit ce qu’il se propose de faire. Deuxièmement, il poursuit son propos, là où il dit : « Nous disons donc que le point de départ etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il détermine le mode de démonstration dont il veut se servir pour la démontrer. Deuxièmement, il montre comment certaines définitions sont démontrables, là où il dit : « En effet, non seulement le discours etc. ». Au sujet du premier point, il faut savoir que puisqu’il faut en venir à la connaissance de ce qu’on ignore en partant de ce qui nous est connu, et puisque toute démonstration doit apporter la cause qui fait connaître autre chose, il est nécessaire que toute démonstration procède de ce qui est plus connu de nous, et à partir de quoi quelque chose d’autre nous devient connu au moyen de la démonstration. Or, dans certaines disciplines, ce qui est plus connu de nous s’identifie à ce qui est plus connu selon la nature, comme en mathématiques où l’on fait abstraction de la matière. Dans ce cas, la démonstration procède de ce qui est le plus connu absolument ou de ce qui est le plus connu selon la nature, c’est-à-dire des causes aux effets : ces démonstrations sont alors appelées démonstrations ¨propter quid¨, c’est-à-dire démonstrations par la cause. Mais dans certaines autres disciplines, ce qui est plus connu absolument n’est pas ce qui est le plus connu de nous, par exemple dans la science de la nature, dans laquelle il arrive la plupart du temps que les effets sensibles soient plus connus que leurs causes ; et c’est pourquoi, en science de la nature, on procède la plupart du temps en prenant comme point de départ ce qui est moins connu selon la nature et plus connu de nous, comme le dit le Philosophe [Physique, L. 1, ch. 1].

246. Et c’est de ce mode de démonstration dont il veut se servir ici. Et c’est ce qu’il dit en affirmant que parce que ce qui est certain selon la nature et le plus connu selon la raison devient plus connu de nous à partir de ce qui est incertain selon la nature mais plus certain quant à nous, c’est pourquoi nous devons chercher à aborder l’étude de l’âme en faisant usage de ce mode pour démontrer sa définition présentée plus haut (n. 233).

247. Ensuite, lorsqu’il dit : « Ce n’est pas seulement ce qui est en fait etc. », il donne la raison qui justifie ce propos en montrant que certaines définitions sont démontrables. Et c’est ce qu’il dit en affirmant c’est dans cette vue qu’il faut aborder l’étude de l’âme puisqu’il faut que le discours qui exprime la définition ne dise pas seulement ce qui est en fait comme le font la plupart des délimitations ou des définitions, mais il faut en outre qu’il détermine la cause et qu’au moyen de la définition qui exprime la cause, il démontre la définition qui dit seulement ce qui est en fait. Il se trouve en effet ne nombreux énoncés de termes, c’est-à-dire de nombreuses définitions, qui sont comme des conclusions. Et il présente un exemple tiré de la géométrie.

248. Pour mieux saisir ce que nous venons de dire, il faut savoir que parmi les figures à quatre côtés, certaines ont tous leurs angles droits et sont appelées rectangles à angles droits, c’est-à-dire surfaces à angles droits ; mais certaines n’ont pas leurs angles droits et sont appelées rhomboïdes. Et il faut de plus savoir que parmi les rectangles à angles droits, certains ont tous leurs côtés égaux et sont appelés carrés ou quadratures, alors que d’autres n’ont pas tous leurs côtés égaux, dans lesquels cependant les deux côtés opposés sont égaux et qu’on appelle pour cette raison rectangles dont l’un des côtés est plus long que l’autre, comme on le voit dans les figures qui suivent.

249. Il faut en outre savoir que pour toute surface à angle droit, on dit des deux lignes droites qui se trouvent à enfermer l’angle droit qu’elles contiennent toute la surface parce que puisque les deux autres côtés qui leur sont opposés leur sont aussi égaux, il est nécessaire que l’une des lignes droites qui contient l’angle droit mesure la longueur de la surface rectangulaire et que l’autre en mesure la largeur ; c’est pourquoi toute la surface rectangulaire résulte de la conduite d’une ligne vers une autre. C’est pourquoi, si l’on imaginait que l’une des lignes est mue par l’autre, on verrait apparaître une telle surface.

250. Il faut ajouter à cela que puisque dans le rectangle oblong les lignes qui contiennent l’angle droit sont inégales, si l’on prend une ligne qui est proportionnellement moyenne entre ces lignes et qu’on la conduise sur elle-même, on obtiendra un carré égal au rectangle oblong donné. Et parce qu’il serait long de montrer cela par des démonstrations géométriques, il suffit pour l’instant de le manifester par des nombres. Supposons donc un rectangle oblong dont le plus long côté est de neuf palmes et le plus petit de quatre palmes. On prend alors la ligne qui est proportionnellement moyenne entre elles, c’est-à-dire la ligne de six palmes, car la proportion de six à neuf est identique à la proportion de quatre à six. À partir de cette ligne de six palmes on obtiendra donc un carré dont la surface sera égale à celle du rectangle oblong d’où on était parti. Et cela se vérifie aussi dans les nombres, car quatre fois neuf égale trente-six, tout comme six fois six donne trente-six.

251. Et c’est justement ce que dit Aristote, à savoir si l’on se demande ce qu’est la quadrature, c’est-à-dire le carré qui est égal au rectangle oblong, on donnera la définition suivante qui dit que « c’est le rectangle », c’est-à-dire la surface à angles droits « équilatéral », c’est-à-dire ayant tous ses côtés égaux, etc. « Or, un tel énoncé », c’est-à-dire une telle définition, est « l’énoncé de la conclusion », c’est-à-dire celui qui est conclu par la démonstration. Au contraire, si on définit de manière à dire que « la quadrature est la découverte de la moyenne », c’est-à-dire de la ligne qui est proportionnellement moyenne entre les deux côtés inégaux du rectangle oblong, et que la quadrature est finalement le carré constitué de cette ligne moyenne découverte, alors je dis que cette définition « dit la cause de la chose définie ».

252. Il faut cependant remarquer que l’exemple qui est présenté ici s’applique seulement sous un rapport à ce qu’il cherche à montrer au sujet de l’âme, à savoir que sa définition est démontrable, mais non qu’elle est démontrable par une démonstration qui dit la cause.

 

 

253. Ensuite, lorsqu’il dit : « Disons donc, etc. », il commence à démontrer, selon le mode dont il vient de parler, c’est-à-dire à partir de l’effet, la définition de l’âme présentée plus haut. Et il le fait au moyen de la démonstration qui suit. Ce qui tient lieu de premier principe de vie est l’acte et la forme des corps vivants ; or, l’âme est le premier principe de vie chez les êtres qui vivent ; l’âme est donc l’acte et la forme du corps vivant. Il est évident que cette démonstration en est une « à postériori ». En effet, c’est parce que l’âme est la forme du corps vivant qu’elle est principe des opérations vitales, et non l’inverse. À ce sujet, il fait donc deux choses. Premièrement il montre que l’âme est principe de vie. Deuxièmement, il manifeste la majeure, à savoir que le premier principe de vie est la forme du corps vivant, là où il dit : « Mais puisque ce par quoi nous vivons et sentons etc. ». Au sujet du premier point, il fait trois choses. Premièrement il distingue les sortes de vivants. Deuxièmement, il montre que l’âme est principe de vie, là où il dit : « C’est pourquoi tous les végétaux etc. ». Troisièmement il manifeste le rapport qu’il y a entre les parties de l’âme selon lesquelles l’âme est principe des opérations vitales, là où il dit : « Est-ce que chacune d’elles est etc. ».

254. Il dit donc en premier lieu que pour poursuivre notre propos par lequel nous cherchons à démontrer la définition de l’âme, il faut prendre comme point de départ que l’animé se distingue de l’inanimé par la vie. Nous voyons en effet que les êtres animés vivent alors que ceux qui sont inanimés ne vivent pas. Mais il y a de nombreuses formes de vie, et si une seule de ces formes appartient à un être, on dira de cet être qu’il est vivant et animé.

255. Aristote présente donc quatre formes de vie dont la première est l’intellect, la deuxième le sens, la troisième le mouvement et le repos selon le lieu et la quatrième est le mouvement de nutrition, de croissance et de décroissance. Et la raison pour laquelle il ne présente ici que quatre formes de vie alors qu’il avait divisé plus haut (n. 201) les opérations de l’âme en cinq genres, c’est qu’il cherche ici à distinguer les formes de vie d’après les degrés selon lesquels se rangent les vivants, lesquels se distinguent selon ces quatre degrés. Chez certains vivants en effet, à savoir chez les plantes, on ne retrouve que la nutrition, la croissance et la décroissance. Chez d’autres vivants, en plus de ces opérations, on retrouve le sens sans le mouvement local, comme c’est le cas chez les animaux imparfaits, par exemple chez les huîtres. Chez d’autres vivants, outre ces opérations, on retrouve en plus le mouvement local comme c’est le cas chez les animaux parfaits qui se déplacent progressivement d’un lieu à un autre, comme le font le bœuf et le cheval. Chez d’autres enfin, à savoir chez l’homme, on retrouve, en plus de toutes ces opérations, l’intellect. Quant à l’appétit, qui est comme un cinquième genre d’opération vitale distinct des quatre que nous venons d’énumérer, il ne change rien aux degrés selon lesquels se rangent les vivants car partout où le sens est présent, l’appétit y est aussi.

256. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi les végétaux etc. », il manifeste que l’âme est principe de vie selon tous les degrés des vivants dont nous venons de parler. Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il montre comment l’âme est principe de vie chez les plantes. Deuxièmement, il montre comment elle l’est chez les animaux, là où il dit : « Quant à l’animal, c’est à cause du sens etc. ». Troisièmement, il montre ce qui a été dit et ce qu’il reste à dire, là où il dit : « Mais pour cette seule cause etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il montre que l’âme est principe de vie chez les plantes et il dit que puisqu’il a été établi qu’on doit appeler vivant chaque être à qui appartient une seule des quatre formes de la vie dont nous avons parlé, il s’ensuit que tous les végétaux sont vivants. En effet, tous les végétaux ont en eux-mêmes une certaine puissance et un principe par lequel ils reçoivent les mouvements de croissance et de décroissance.

257. Et que ce principe ne soit pas la nature mais l’âme, cela est manifeste, car la nature ne meut pas vers des lieux contraires alors que les mouvements de croissance et de décroissance meuvent vers des lieux contraires. En effet, tous les végétaux croissent non seulement vers le haut à l’exclusion du mouvement vers le bas, mais dans les deux directions. Il est donc manifeste que le principe de ces mouvements n’est pas la nature mais l’âme. Et ce ne sont pas seulement aussi longtemps qu’ils croissent et décroissent que les végétaux vivent, mais ils vivent aussi longtemps qu’ils se nourrissent et qu’ils peuvent recevoir la nourriture par laquelle s’accomplit la croissance.

258. Deuxièmement, lorsqu’il dit : « Mais cette faculté peut être séparée etc. », il montre que le principe de vie dont il vient de parler est premier et séparable des autres. Et il dit que cela, à savoir le principe de la croissance et de la nutrition, peut être séparé des autres principes de vie, alors que les autres ne peuvent être séparés de lui, du moins chez les êtres mortels. Et la raison pour laquelle il dit cela, c’est que chez les êtres immortels comme les substances séparées et les corps célestes, si du moins ces derniers sont animés, on retrouve le principe intellectuel sans le principe nutritif. Mais que ce principe, celui de la croissance et de la nutrition, soit séparable des autres, cela est manifeste chez les végétaux, c’est-à-dire chez les plantes auxquelles aucune autre puissance de l’âme n’appartient, sauf cette sorte de puissance. D’où il est manifeste que cela même à cause de quoi on retrouve en premier la vie chez les êtres mortels est le principe de croissance et de nutrition qu’on appelle l’âme végétative.

259. Ensuite, lorsqu’il dit : « Quant à l’animal, etc. », il manifeste comment l’âme est principe de vie chez les animaux. Et à ce sujet, il fait deux choses. Premièrement, il dit que c’est d’abord à cause du sens qu’un être est appelé animal, bien qu’on retrouve chez certains animaux à la fois le sens et le mouvement. En effet, nous appelons animaux et non seulement vivants les êtres qui possèdent le sens même s’ils ne possèdent pas le mouvement selon le lieu. Il existe en effet de nombreux animaux qui sont tels qu’ils demeurent toujours naturellement dans le même lieu, mais possèdent néanmoins le sens, comme c’est le cas pour les huîtres qui ne se déplacent pas progressivement d’un lieu à un autre.

260. Deuxièmement, lorsqu’il dit : « Maintenant, parmi les sens etc. », il montre que parmi tous les sens, le toucher est le premier à appartenir aux animaux. Et il le prouve en disant que tout comme l’âme végétative peut se retrouver sans le toucher et sans aucun sens, de même le toucher peut se retrouver sans les autres sens. Il existe en effet de nombreux animaux qui ne possèdent que le sens du toucher, comme on le voit chez les animaux imparfaits. Néanmoins, tous les animaux possèdent le sens du toucher. Or, nous appelons principe végétatif cette partie de l’âme par laquelle même les végétaux, c’est-à-dire les plantes, participent de la vie. Ainsi donc, de ce qui précède, il est clair qu’il existe trois degrés chez les vivants. Le premier est celui des plantes ; le deuxième est celui des animaux imparfaits et immobiles qui possèdent seulement le sens du toucher ; le troisième est celui des animaux parfaits qui se déplacent progressivement d’un lieu à un autre et qui, en plus du toucher, possèdent les autres sens. Il est cependant manifeste qu’il est possible de tirer de ces derniers un quatrième degré, à savoir celui des animaux parfaits qui, en plus de ce qui précède, possède en outre l’intellect.

261. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais pour quelle raison etc. », il montre ce qui a été dit et ce qu’il reste à dire. Et il dit que c’est plus tard qu’il faudra dire pour quelle raison ces deux choses sont possibles, c’est-à-dire pourquoi la puissance végétative peut exister sans le sens et pourquoi le toucher peut exister sans les autres sens. C’est en effet à la fin de ce traité qu’il répondra à cette question. Pour l’instant, ce qui a été dit suffit, à savoir que l’âme est le principe de vie d’après les modalités que nous avons dites et qu’elle se distingue par ces quatre facultés, à savoir par la puissance végétative présente dans les plantes et dans tous les vivants, par la puissance sensitive qu’on retrouve chez tous les animaux, par la puissance intellective présente chez tous les hommes, et par le mouvement progressif qu’on observe chez tous les animaux parfaits doués du sens ou de l’intelligence.

 

 

LECTIO 4

[80545] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 1Ostendit superius philosophus, quod anima est principium vivendi, secundum diversa genera vitae. Et ideo nunc inquirit, qualiter principia vivendi secundum diversa genera vitae se habent ad animam et adinvicem. Et circa hoc duo facit. Primo movet quaestiones duas. Quarum prima est. Cum anima, quae est principium vivendi, sit determinata vegetativo, sensitivo, motivo secundum locum, et intellectivo, utrum quodlibet eorum sit anima per se, aut sit pars animae. Et manifestum est, quod in his quae tantum augentur et nutriuntur, sicut in plantis, vegetativum est anima. In his autem quae vegetantur et sentiunt, est pars animae, et similiter est de aliis. Secunda quaestio est. Si unumquodque praedictorum est pars animae, puta cum omnia inveniantur in una anima sicut in humana, utrum hoc modo sint partes, quod separentur adinvicem solum secundum rationem, ut scilicet sint diversae potentiae, aut etiam separentur loco et subiecto, utpote quod in una parte corporis sit sensitivum, in alia appetitivum, in alia motivum, et sic de aliis, sicut quibusdam visum fuit.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80546] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 2Secundo cum dicit de quibusdam solvit propositas quaestiones. Et primo secundam. Secundo primam, ibi, ad haec quibusdam animalium. Circa primum duo facit. Primo solvit secundam quaestionem quantum ad secundam partem, ostendens, utrum partes animae sint separabiles loco. Secundo, quantum ad primam, utrum scilicet sint separabiles ratione, ibi, ratione autem, quod alterae et cetera. Dicit ergo primo, quod de quibusdam partibus animae, non est difficile videre utrum sint separabiles loco, idest subiecto; sed de quibusdam dubium est.

 

 

 

 

 

 

[80547] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 3Et ad ostendendum quod in quibusdam hoc facile est videre, praemittit similitudinem de plantis, ibi, sicut enim in plantis: dicens quod quaedam partes divisae ab eis, et separatae ab aliis partibus, videntur vivere. Et hoc manifestatur per hoc, quod ramusculi abscissi inseruntur vel plantantur, et coalescunt; quod non esset nisi remaneret in eis vita, et per consequens anima, quae est principium vivendi: quod contingit tamquam in unaquaque planta, anima sit una in actu, et multiplex in potentia. Sicut enim accidere videtur in formis corporum naturalium inanimatorum, ita in eis quae propter sui imperfectionem non requirunt diversitatem in partibus, quod in aliquo uno toto anima est in actu una et plures in potentia, sicut et ipsum corpus est unum in actu, et plura in potentia. Potest enim dividi unumquodque eorum in diversas partes similes specie, sicut patet in aere, aqua et in corporibus mineralibus. Unde oportet, quod si partes sunt similes specie adinvicem et toti, quod forma specifica post divisionem sit in utraque partium. Et eadem ratione, quia anima plantae imperfecta est in ordine animarum, non requirit magnam diversitatem in partibus, unde anima totius potius potest salvari in aliqua partium.

 

 

 

 

 

 

 

[80548] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 4Et sic etiam videmus in aliis differentiis animae, sicut in entomis decisis, idest in animalibus quae decisa vivunt, quia utraque partium habet sensum. Quod patet ex hoc, quod retrahit se, si pungitur. Et etiam habet motum secundum locum, ut ad sensum apparet. Sic ergo in una et eadem parte apparet et sensitivum et motivum principium. Et si est ibi sensus, necesse est, quod sit ibi phantasia. Phantasia autem nihil aliud est, quam motus factus a sensu secundum actum, ut infra dicetur. Et similiter si habeat sensum pars decisa, necesse est, quod habeat appetitum; ad sensum enim de necessitate sequitur laetitia et tristitia, sive delectatio et dolor. Necesse est enim, si sensibile perceptum est conveniens, quod sit delectabile: si autem est nocivum, quod sit dolorosum. Ubi autem est dolor et delectatio, oportet quod sit desiderium et appetitus; unde necesse est, quod si pars decisa sentit, quod etiam habeat appetitum.

 

 

 

 

 

[80549] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 5Sic ergo manifestum est, quod vegetativum, sensitivum, appetitivum et motivum inveniuntur in una parte decisa: ex quo patet, quod non distinguuntur loco in corpore animalis. Sed de quibusdam potentiis particularibus, manifestum est quod distinguuntur loco. Visus enim manifeste non est nisi in oculo, auditus in aure, olfactus in naribus, gustus in lingua et palato. Sed primus sensus qui est tactus, et necessarius animali, est in toto.

 

[80550] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 6Sed quod dicit quod phantasia est in parte decisa, videtur esse dubium. Nam a quibusdam phantasiae attribuitur determinatum organum in corpore. Sed sciendum est, quod phantasia invenitur indeterminata in animalibus imperfectis, in animalibus vero perfectis determinata, sicut infra in tertio dicetur. Organum ergo aliquod determinatum phantasiae attribuitur, ad maiorem perfectionem et determinationem sui actus, sine quo phantasiae actus nullo modo esse posset, sicut actus visus nullo modo potest esse sine oculo. Sic igitur manifestavit quod in quibusdam potentiis animae, non est difficile videre utrum sunt separabiles loco.

 

 

 

 

[80551] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 7Deinde cum dicit de intellectu ostendit in qua parte animae circa hoc possit esse dubium. Et dicit, quod de intellectu, quocumque nomine vocetur perspectiva potentia, idest speculativa, nihil est adhuc manifestum. Nondum enim per ea quae dicta sunt, apparet utrum habeat aliquod organum in corpore distinctum loco ab aliis organis, vel non distinctum. Sed tamen quantum in superficie apparet, videtur quod sit alterum genus animae ab aliis partibus animae, idest alterius naturae, et alio modo se habens; et quod hoc solum genus animae possit separari ab aliis partibus animae, vel etiam quod sit separatum ab organo corporeo, sicut perpetuum a corruptibili. Sed quod reliquae partes animae non sint separabiles loco adinvicem, manifestum est ex praedictis.

 

 

 

 

 

80552] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 8Deinde cum dicit ratione autem ostendit quod sint separabiles ratione. Cuiuslibet enim potentiae ratio est secundum ordinem ad actum: unde necesse est, si actus sint diversi secundum speciem, quod potentiae habeant diversam rationem speciei. Et hoc est quod dicit, quod alterum est esse sensitivo et opinativo, id est intellectivo: idest altera est ratio utriusque potentiae, si sentire est alterum ab opinari: et similiter est de praedictis aliis potentiis.

 

 

 

 

[80553] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 9Deinde cum dicit ad haec quibusdam solvit primam quaestionem: et dicit, quod hic facit differentiam in animalibus, quod quibusdam animalium insunt omnia praedicta, quibusdam vero quaedam horum, aliis vero unum solum. Quibuscumque autem inest unum solum praedictorum, oportet quod illud sit anima. In quibus vero insunt plura, quodlibet est pars animae; sed illa anima denominatur a principaliori, vel sensitiva, vel intellectiva. Quare autem hoc sit, quod quaedam habent unum, quaedam plura, quaedam omnia, posterius dicetur. Et sicut accidit circa potentias animae, ita accidit circa sensus. Quaedam enim habent omnes sensus, sicut animalia perfecta: quaedam vero habent quosdam sensus, sed non omnes, ut talpa: quaedam vero habent unum maxime necessarium, scilicet tactum, ut animalia imperfecta. Potest autem et haec particula ad alium sensum referri, ut dicatur quod quia superius ostenderat philosophus, quod partes animae non sunt separabiles abinvicem loco, vel subiecto, in animali in quo sunt, quod propter hoc etiam non separentur in diversis animalibus, sed cuicumque inest unum, inessent omnia. Et ideo removet hoc in hac particula.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80554] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 10Deinde cum dicit quoniam autem ostenso quod anima est primum vivendi principium, concludit ex hoc definitionem prius assignatam. Et circa hoc duo facit. Primo demonstrat propositum. Secundo ex veritate demonstrata, quasdam conclusiones ulterius inducit, ibi, propter hoc bene opinantur et cetera. Circa primum ponit talem demonstrationem. Duorum, quorum utroque dicimur esse aliquid aut operari, unum, scilicet quod primum est, est quasi forma, et aliud quasi materia. Sed anima est primum quo vivimus, cum tamen vivamus anima et corpore: ergo anima est forma corporis viventis. Et haec est definitio superius de anima posita, quod anima est actus primus physici corporis potentia vitam habentis. Manifestum est autem, quod medium huius demonstrationis est quaedam definitio animae, scilicet anima est quo vivimus primum.

 

 

 

 

 

[80555] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 11Circa hanc autem demonstrationem quatuor facit. Primo ponit maiorem; dicens, quod quo vivimus et sentimus dicitur dupliciter: scilicet altero, sicut forma, et altero sicut materia. Sicut et quo scimus dicitur dupliciter. Duobus enim dicimur scire: quorum unum est scientia, et aliud est anima. Et similiter quo sanamur dicitur de duobus: quorum unum est sanitas, et aliud est aliqua pars corporis, vel etiam totum corpus. Utrobique autem unum est quasi forma, et aliud quasi materia. Nam scientia et sanitas sunt formae et quasi actus susceptivorum: scientia quidem forma scientifici, idest partis animae, in qua est scientia; sanitas vero est forma corporis sanabilis. Ideo autem dicit sanabile et scientificum, ut ostendat aptitudinem in subiecto ad tales formas. Semper enim activorum actus, idest formae, quae inducuntur ab agentibus in materia, videntur esse in patiente et disposito, idest in eo quod est natum pati actiones agentis a tali agente, et quod est dispositum ad consequendum finem passionis, scilicet formam ad quam patiendo perducitur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80556] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 12Secundo ibi, anima autem hoc, ponit minorem propositionem: et dicit, quod anima est primum quo et vivimus, et sentimus, et movemur, et intelligimus. Et referuntur haec quatuor ad quatuor genera vitae de quibus superius fecerat mentionem. Vivere enim refert ad principium vegetativum, quia superius dixerat, quod vivere propter hoc principium inest omnibus viventibus. Sciendum est autem, quod quamvis sanitate et corpore dicamur esse sani, tamen sanitas est primum quo sani dicimur esse. Non enim dicimur esse sani corpore nisi inquantum habet sanitatem. Et similiter scientia est primum quo dicimur esse scientes, quia anima non dicimur esse scientes nisi inquantum habet scientiam. Similiter etiam et corpore non dicimur esse viventes, nisi inquantum habet animam: et propter hoc, hic dicitur, quod anima est primum quo vivimus, sentimus, et cetera.

 

 

 

 

 

[80557] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 13Tertio ibi, quare ratio quaedam, ponit conclusionem, et pendet hucusque constructio ab illo loco quoniam autem quo vivimus et cetera. Concludit ergo ex praedictis, quod anima se habet ut ratio et species, et non sicut materia et subiectum.

 

[80558] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 14Quarto ibi, tripliciter enim dicta substantia, etc., ostendit conclusionem sequi ex praemissis. Non enim videbatur magis sequi de anima, quod sit forma, quam de corpore, cum utroque vivere dicamur: unde ad perfectionem dictae demonstrationis, subiungit, quod cum substantia dicatur tripliciter, ut supra dictum est, scilicet de materia, forma, et composito ex utrisque, quorum materia est potentia, et species sive forma est actus, et compositum ex utrisque est animatum, manifestum est, quod corpus non est actus animae, sed magis anima est actus corporis alicuius: corpus enim est in potentia respectu animae. Et ideo cum consequatur ex praedicta demonstratione, quod vel corpus vel anima sit species: et corpus, ut dictum est, non sit species animae, sequitur quod anima sit species corporis.

 

 

 

 

 

[80559] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 15Deinde cum dicit et propter hoc bene inducit quasdam conclusiones ex praemissis: quarum prima est, quod bene opinati sunt, quibus visum est, quod anima non sit sine corpore, neque sit corpus. Non enim est corpus, quia non est materia; sed est aliquid corporis, quia est actus corporis. Et quia omnis actus est in eo cuius est actus, infert consequenter ibi et propter hoc, in corpore.

 

 

[80560] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 16Secundam conclusionem, scilicet quod anima est in corpore, et tali corpore, scilicet physico, organico, et hoc non est per modum quo priores physici loquebantur de anima et unione eius ad corpus, nihil determinantes in quo vel quali corpore esset. Et vere hoc est, sicut nunc dicimus, quod anima est in determinato corpore, cum non videatur anima accipere quodcumque corpus contingat, sed determinatum. Et hoc rationabiliter accidit; quia unusquisque actus natus est fieri in propria et determinata materia: unde et anima oportet, quod in determinato corpore recipiatur.

 

 

[80561] Sentencia De anima, lib. 2 l. 4 n. 17Ultimo autem epilogando concludit, quod anima est actus quidam et ratio habentis esse huiusmodi, scilicet potentia viventis.

Leçon  4

262. Le philosophe a montré plus haut que l’âme est principe de vie selon les divers genres de vie. C’est pourquoi il cherche maintenant à savoir de quelle manière les principes de vie d’après les divers genres de vie se rapportent à l’âme et quelles relations il y a entre eux. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il soulève deux questions, dont voici la première : puisque l’âme, qui est principe de vie, s’applique déterminément aux puissances végétatives, sensitives, motrices selon le lieu et intellectives, est-ce que chacune de ces facultés est une âme en soi ou seulement une partie de l’âme ? Et il est manifeste que chez les êtres qui se nourrissent et croissent seulement, comme chez les plantes, la puissance végétative est l’âme. Mais chez les êtres qui croissent et qui sentent, la faculté végétative est une partie de l’âme, et il en va de même pour les autres. La deuxième question est la suivante : si chacune des facultés que nous avons dites est une partie de l’âme, si nous supposons qu’elles se retrouvent toutes dans une seule et même âme, comme c’est le cas dans l’âme humaine, est-ce que ces parties sont séparables de manière à être séparées les unes des autres seulement par la raison, c’est-à-dire de manière à être des puissances diverses, ou si elles sont séparables aussi par le lieu et le sujet, c’est-à-dire de telle manière que le sensitif se retrouve dans une partie du corps, l’appétitif dans une autre, la puissance motrice dans une autre encore, et qu’il en irait de même pour les autres puissances, comme certains le croyaient ?

263. En deuxième lieu, lorsqu’il dit : « Pour certaines d’entre elles etc. », il résout les questions qu’il vient de présenter. Et premièrement il résout la deuxième. Deuxièmement, il résout la première, là où il dit : « Toutes ces facultés sont possédées par certains des animaux etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il résout la deuxième question quant à sa seconde partie en montrant si les parties de l’âme sont séparables selon le lieu. Deuxièmement, il résout cette même question quant à sa première partie, c’est-à-dire en montrant si les parties de l’âme sont séparables par la raison, là où il dit : « Quant aux autres parties de l’âme, c’est par la raison etc. ». Il dit donc en premier lieu que pour certaines parties de l’âme, il n’est pas difficile de voir si elles sont séparables selon le lieu, c’est-à-dire par le sujet, mais que pour d’autres, il y a difficulté.

264. Et pour montrer que pour certaines parties de l’âme, il n’est pas difficile de voir si elles sont séparables selon le lieu, il fait précéder une similitude tirée des plantes, là où il dit : « Comme on le voit en effet chez les plantes etc. », dont il dit que certaines parties, une fois divisées et séparées des autres parties, continuent manifestement de vivre. Et il manifeste cela en montrant que les petites branches coupées sont greffées ou plantées et croissent : or, cela ne serait pas possible si la vie, et par conséquent l’âme qui est principe de vie, ne demeuraient pas en elles; et cela n’est possible en chaque plante que parce que l’âme y est une en acte et multiple en puissance. En effet, tout comme on voit, pour les formes des corps naturels inanimés, que le corps est un en acte et multiple en puissance, de même chez les plantes, parce que leur imperfection ne requiert pas de diversité dans leurs parties, on obserbe que dans un seul et même tout l’âme est une en acte et multiple en puissance. En effet, chacun de ces corps naturels inanimés pourrait être divisé en parties spécifiquement semblables, comme c’est le cas pour l’air, l’eau et les corps minéraux. C’est pourquoi il faut, si les parties sont spécifiquement semblables entre elles et au tout, que la forme spécifique soit présente dans chacune des deux parties suite à la division. Et pour la même raison, parce que l’âme de la plante, dans l’ordre des êtres animés, est imparfaite, elle ne requiert pas une grande diversité entre ses parties, et c’est pourquoi l’âme du tout peut davantage être conservée dans chacune de ses parties.

265. Et ce que nous voyons se produire chez les plantes, nous le voyons aussi chez les autres différences de l’âme, comme chez les insectes segmentés, c’est-à-dire chez les animaux qui ont été coupés et qui continuent à vivre parce que chacune de leurs parties possède le sens : on le voit à ceci qu’une telle partie segmentée se retire si elle est piquée. Et chacune d’elles, ainsi qu’on le perçoit sensiblement, continue de se mouvoir selon le lieu. Ainsi donc, dans une seule et même partie, la sensation et le principe de mouvement sont manifestes. Et si le sens y est présent, il est nécessaire que l’imagination y soit aussi présente. Or, l’imagination n’est rien d’autre qu’un mouvement produit par le sens en acte, comme nous le dirons plus loin. De la même manière, si la partie segmentée possède le sens, il est nécessaire qu’elle possède aussi l’appétit, car la joie et la tristesse, tout comme le plaisir et la douleur, sont nécessairement consécutifs au sens. En effet, si l’objet perçu est convenable, il est nécessaire qu’il soit délectable, et s’il est nuisible, il est nécessaire qu’il soit douloureux. Or, là où il y a douleur et plaisir, il est nécessaire qu’il y ait aussi désir et appétit. Il en résulte, si une partie segmentée possède le sens, qu’elle possède aussi l’appétit.

266. Il est donc manifeste que les puissances végétatives, sensitives et motrices se retrouvent dans une même partie segmentée : d’où il est clair qu’elles ne se distinguent pas par le lieu dans le corps de l’animal. Mais pour certaines puissances particulières, il est clair qu’elles se distinguent par le lieu. En effet, la vue ne se retrouve manifestement que dans l’œil, l’ouïe dans l’oreille, l’odorat dans les narines et le goûter dans la langue et le palais. Mais le toucher, qui est le premier des sens et le plus nécessaire à l’animal, se trouve dans tout l’animal.

267. Mais ce qu’il dit au sujet de l’imagination, à savoir qu’elle est présente dans une partie segmentée, cela semble douteux. En effet, certains attribuent à l’imagination un organe déterminé dans le corps. Il faut cependant savoir que chez les animaux imparfaits l’imagination se trouve à ne pas avoir un lieu déterminé, et qu’elle n’est déterminée dans le lieu que chez les animaux parfaits, comme on le verra au troisième livre de ce traité [De l’Âme, L. 3, ch. 3, 10]. Donc, un organe déterminé n’est attribué à l’imagination que pour une plus grande perfection et détermination de son acte, sans lequel l’acte de l’imagination ne pourrait absolument pas exister, comme l’acte de la vue ne pourrait absolument pas exister sans l’œil. C’est ainsi qu’Aristote a manifesté que pour certaines puissances de l’âme, il n’est pas difficile de voir si elles sont séparables selon le lieu.

268. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais en ce qui concerne l’intellect etc. », il montre pour quelle puissance de l’âme il est difficile de voir si elle est séparable selon le lieu. Et il dit qu’au sujet de l’intellect, ou de la puissance qu’on appelle contemplative ou spéculative, rien n’est encore manifeste à ce sujet. En effet, ce que nous avons dit jusqu’à date ne nous permet pas de voir si l’intellect possède ou non un organe dans le corps, lequel organe serait distinct par le lieu des autres organes. Cependant, au premier regard, il semble bien que l’intellect appartienne à un genre de l’âme tout à fait différent des autres puissances de l’âme, qu’il en diffère par nature, qu’il soit quelque chose d’autre, et qu’il soit le seul genre d’âme à pouvoir être séparé des autres puissances de l’âme, et même le seul à pouvoir être séparé d’un organe corporel, à la manière dont l’éternel est séparé ou distinct du corruptible. Mais que les autres puissances de l’âme ne soient pas séparables les unes des autres selon le lieu, cela est manifeste suite à ce que nous avons dit.  

269. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais selon la raison etc. », il montre que les puissances de l’âme sont séparables selon la raison. En effet, la quiddité de toute puissance se détermine d’après son acte. D’où il résulte nécessairement, là où les actes sont divers par l’espèce ou la quiddité, que les puissances soient diverses par l’espèce, la quiddité ou la raison. Et c’est là ce que le Philosophe dit, à savoir que la quiddité de la puissance sensitive est autre que celle de la puissance opinante ou intellectuelle : c’est-à-dire que si l’acte de sentir est autre que celui d’opiner, les puissances correspondant à ces actes seront autres par la quiddité ou par la raison. Et il en va de même pour les autres puissances dont nous avons parlé.

270. Ensuite, lorsqu’il dit : « En outre, toutes ces puissances etc. », il résout la première question, en disant qu’en ce qui concerne les puissances, il y a une différence parmi les animaux en ce sens que toutes ces puissances appartiennent à certains animaux, alors que certains animaux en possèdent certaines seulement et d’autres, enfin, une seule. Mais chez ces animaux qui ne possèdent qu’une seule de ces puissances, il faut que cette puissance soit leur âme. Chez ceux qui en possèdent plusieurs, il faut que chacune d’elles soit une partie de l’âme, mais que celle qui est dénommée âme soit celle qui est la partie principale, soit la puissance sensitive, soit la puissance intellective. Mais pour quelle raison il en est ainsi, à savoir pourquoi certains animaux ne possèdent qu’une seule puissance, certains quelques-unes, d’autre enfin toutes, nous le dirons plus loin. Et il en va pour les sens comme il en va pour les puissances de l’âme. En effet, certains animaux possèdent tous les sens, comme c’est le cas pour les animaux parfaits, certains en possèdent quelques-uns, mais non pas tous, comme la taupe, et enfin certains n’en possèdent qu’un seul, le plus nécessaire, à savoir le toucher, comme on le voit chez les animaux imparfaits. Et parce que ce passage aurait pu être interprété en un autre sens, de manière à dire, parce que le Philosophe avait précédemment (n. 266) montré que les puissances de l’âme ne sont pas séparables les unes des autres selon le lieu ou le sujet dans l’animal dans lequel elles se trouvent, que pour cette raison elles ne sont pas davantage séparables dans les différentes sortes d’animaux et que partout où on retrouve une, on les retrouve toutes, c’est pour cette raison qu’il écarte cette interprétation dans ce passage.

271. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisque etc. », ayant montré que l’âme est le premier principe de vie, il conclut à partir de là la définition donnée  précédemment. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il démontre le propos. En deuxième lieu, à partir de la vérité démontrée, il tire par la suite certaines conclusions là où il dit : « À cause de cela, c’est avec  raison que certains ont pensé etc. ». Au sujet du premier point, il présente cette démonstration. De deux choses dont nous disons qu’elles sont toutes les deux quelque chose ou qu’elles posent une opération, l’une, c’est-à-dire ce qui est premier, est comme la forme, et l’autre comme la matière. Or l’âme est le premier principe par lequel nous vivons, bien que nous vivions cependant par l’âme et par le corps. Donc l’âme est la forme du corps vivant. Et cette définition est celle que nous avons donnée plus haut au sujet de l’âme, lorsque nous avons dit que l’âme est l’acte premier du corps physique ayant la vie en puissance. Or, il est manifeste que le moyen terme de cette démonstration est une certaine définition de l’âme, à savoir que l’âme est ce par quoi nous vivons en premier.

272. Et il fait quatre choses relativement à cette démonstration. Premièrement il présente la majeure en disant que « ce par quoi nous vivons et sentons » se prend en deux sens : dans le premier, comme une forme ; dans l’autre, comme une matière. C’est comme l’expression « ce par quoi nous savons », qui s’entend en deux sens. C’est par deux choses en effet que nous disons savoir quelque chose, dont la première en effet est la science, et la seconde l’âme. De même, ce par quoi nous guérissons se dit en deux sens, dont le premier signifie la santé et le second une certaine partie du corps ou même le corps tout entier. Dans les deux exemples présentés, l’un des termes se présente comme la forme et l’autre comme la matière. En effet, la science et la santé sont les formes et comme les actes de ceux qui les reçoivent : la science est certes la forme de celui qui est capable de savoir, c’est-à-dire de cette partie de l’âme dans laquelle se trouve la science, alors que la santé est la forme du corps capable de guérir. C’est pourquoi Aristote dit « capable de guérir et capable de savoir », c’est-à-dire pour montrer la présence dans le sujet d’une aptitude à de telles formes. En effet, les actes des agents, c’est-à-dire les formes qui sont introduites par les agents dans la matière, semblent toujours être dans le patient et dans celui qui subit la disposition, c’est-à-dire dans celui qui est naturellement apte à subir les actes de l’agent par un agent de la sorte, et qui se trouve ainsi à être disposé à parvenir à la fin de la passion, c’est-à-dire à la forme à laquelle il est conduit en subissant cette action de l’agent.

273. Deuixièmement, là où il dit : « Or, l’âme est ce par quoi etc. », il présente la proposition mineure en disant que l’âme est ce premier principe par lequel nous vivons, sentons, nous mouvons et pensons. Et ces quatre opérations se rapportent aux quatre genres de vie dont nous avons fait mention plus haut (n. 255, 260). Le terme vivre se rapporte en effet au principe végétatif, car Aristote avait dit plus haut (n. 257, 261) que c’est à cause de ce principe que la vie appartient à tous les vivants. Il faut cependant savoir, bien que nous disions que nous sommes sains par le corps et la santé, que c’est premièrement à cause de la santé que nous disons que nous sommes sains. En effet, nous ne disons avoir un corps sain que pour autant que ce corps possède la santé. De même, la science est le premier principe par lequel nous disons être savants, car nous ne disons être savants par l’âme ou avoir une âme savante que si cette âme possède la science. De même encore nous ne disons être vivants par le corps que pour autant que ce corps possède une âme : et c’est pour cette raison qu’Aristote dit ici que « l’âme est le premier principe par lequel nous vivons, sentons, etc. ».

274. Troisièmement, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi elle sera une certaine notion et forme etc. », il présente la conclusion dont la construction dépend jusque là de ce passage : « Or, puisque ce par quoi nous vivons etc. ». Il conclut donc, à partir de ce qui précède, que l’âme se présente comme une notion et une forme et non comme une matière et un sujet.

275. Quatrièmement, lorsqu’il dit : « La substance se dit en effet en trois sens etc. », il montre que la conclusion découle bien des prémisses. En effet, il ne semblait pas que la notion de forme devait davantage procéder de l’âme que du corps, puisque que nous disons que c’est par les deux qu’un être vit. C’est pourquoi, ayant en vue la perfection de cette démonstration, il ajoute que puisque la substance se dit en trois sens, comme nous l’avons dit plus haut (n. 220), c’est-à-dire en tant que matière, forme et composé des deux, et dont la matière est la puissance, la forme est l’acte, et le composé des deux est l’être animé, il s’ensuit manifestement de là que le corps n’est pas l’acte de l’âme, mais que c’est plutôt l’âme qui est l’acte d’un certain corps : le corps en effet est en puissance par rapport à l’âme. Et c’est pourquoi, puisqu’il découle de la démonstration qui précède que la forme est ou bien le corps, ou bien l’âme, et que le corps, comme il a été dit (220), n’est pas la forme de l’âme, il s’ensuit que c’est l’âme qui est la forme du corps.

276. Ensuite, lorsqu’il dit : « À cause de cela, c’est avec raison etc. », il tire certaines conclusions de ce qui précède, dont voici la première : ils avaient raison, ceux qui ont estimé que l’âme n’est pas sans corps et qu’elle n’est pas un corps. L’âme en effet n’est pas un corps parce qu’elle n’est pas matière, mais elle est quelque chose du corps parce qu’elle l’acte d’un corps. Et parce que tout acte est présent dans celui dont elle est l’acte, il conclut ici au sujet de l’âme : « et c’est à cause de cela qu’elle est dans un corps ».

277. Il tire la deuxième conclusion, et il dit que l’âme est dans le corps, et dans telle sorte de corps, à savoir un corps physique et organisé, et non pas à la manière dont les premiers physiciens parlaient de l’âme et de son union au corps, sans rien préciser sur la nature et la qualité du corps dans lequel elle devait être. Et ce que nous disons maintenant est vrai, à savoir que l’âme est dans un corps déterminé, puisqu’il ne semble pas possible que l’âme puisse admettre n’importe quel corps, mais plutôt un corps déterminé. Et il est raisonnable qu’il en soit ainsi, car il est naturel à tout acte de se réaliser dans une matière déterminée qui lui est propre : c’est pourquoi il est nécessaire que l’âme soit reçue dans un corps déterminé.

278. Pour résumer ce chapitre, il conclut en disant que l’âme est comme l’acte et la forme de ce qui possède cette sorte d’existence, c’est-à-dire du corps qui possède la vie en puissance.

 

 

LECTIO 5

[80562] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 1Postquam Aristoteles definivit animam in communi, nunc accedit ad determinandum de partibus eius. Non autem habet aliter anima partes, nisi, secundum quod eius potentiae partes eius dicuntur, prout alicuius potentis multa, partes dici possunt potestates ad singulas. Unde determinare de partibus eius est determinare de singulis potentiis eius. Dividitur autem haec pars in duas. In prima determinat de potentiis animae in communi, distinguendo eas abinvicem. In secunda determinat de singulis earum, ibi, quare primum de alimento et generatione et cetera. Prima autem pars dividitur in duas. In prima distinguit potentias animae abinvicem. In secunda ostendit quid de potentiis animae, et quomodo, et quo ordine determinandum sit, ibi, quare et secundum unumquodque quaerendum, et cetera. Circa primum duo facit. Primo distinguit potentias animae abinvicem. Secundo ostendit quomodo ratio communis animae se habet ad partes praedictas, ibi manifestum igitur est quoniam eodem et cetera. Circa primum duo facit. Primo enumerat potentias animae. Secundo ostendit quomodo seinvicem consequantur, ibi, inest autem plantis, et cetera. Dicit ergo primo, quod de potentiis animae, quae supra nominatae sunt, quibusdam insunt omnes, sicut hominibus, quibusdam quaedam harum, sicut aliis animalibus: quibusdam una tantum, sicut plantis. Et quia superius non nominaverat eas potentias, sed partes animae; ideo manifestat, quod per potentias idem intelligit, quod supra per partes. Quarum quidem sunt quinque genera; scilicet vegetativum, sensitivum, appetitivum, motivum secundum locum, intellectivum.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80563] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 2Oportet autem haec duo videre. Primo quidem quare ponuntur hic quinque genera potentiarum animae; praecipue cum consuetum sit dici triplicem esse animam, vegetabilem, sensibilem et rationalem. Secundo considerare oportet quare hic ponit quinque cum superius posuerit tantum quatuor.

 

[80564] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 3Sciendum autem circa primum, quod cum omnis potentia dicatur ad actum proprium, potentia operativa dicitur ad actum qui est operatio. Potentiae autem animae sunt operativae, talis enim est potentia formae; unde necesse est secundum diversas operationes animae, accipi diversitatem potentiarum. Operatio autem animae, est operatio rei viventis. Cum igitur unicuique rei competat propria operatio, secundum quod habet esse, eo quod unumquodque operatur inquantum est ens: oportet operationes animae considerare, secundum quod invenitur in viventibus.

 

 

[80565] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 4Huiusmodi autem viventia inferiora, quorum actus est anima, de qua nunc agitur, habent duplex esse. Unum quidem materiale, in quo conveniunt cum aliis rebus materialibus. Aliud autem immateriale, in quo communicant cum substantiis superioribus aliqualiter.

[80566] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 5Est autem differentia inter utrumque esse: quia secundum esse materiale, quod est per materiam contractum, unaquaeque res est hoc solum quod est, sicut hic lapis, non est aliud quam hic lapis: secundum vero esse immateriale, quod est amplum, et quodammodo infinitum, inquantum non est per materiam terminatum, res non solum est id quod est, sed etiam est quodammodo alia. Unde in substantiis superioribus immaterialibus sunt quodammodo omnia, sicut in universalibus causis.

 

[80567] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 6Huiusmodi autem immateriale esse, habet duos gradus in istis inferioribus. Nam quoddam est penitus immateriale, scilicet esse intelligibile. In intellectu enim res habent esse, et sine materia, et sine conditionibus materialibus individuantibus, et etiam absque organo corporali. Esse autem sensibile est medium inter utrumque. Nam in sensu res habet esse sine materia, non tamen absque conditionibus materialibus individuantibus, neque absque organo corporali. Est enim sensus particularium, intellectus vero universalium. Et quantum ad hoc duplex esse, dicit philosophus in tertio huius, quod anima est quodammodo omnia.

 

 

[80568] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 7Operationes igitur, quae competunt viventi secundum esse materiale, sunt operationes quae attribuuntur animae vegetabili: quae tamen licet ad id ordinentur, ad quod etiam ordinantur actiones in rebus inanimatis, scilicet ad consequendum esse et conservandum, tamen in viventibus hoc fit per altiorem et nobiliorem modum. Corpora enim inanimata generantur et conservantur in esse a principio motivo extrinseco; animata vero generantur a principio intrinseco, quod est in semine, conservantur vero a principio nutritivo intrinseco. Hoc enim videtur esse viventium proprium, quod operentur tamquam ex seipsis mota. Operationes autem, quae attribuuntur rebus viventibus secundum esse penitus immateriale, pertinent ad partem animae intellectivam; quae vero attribuuntur eis secundum esse medium, pertinent ad partem animae sensitivam. Et secundum hoc triplex esse distinguitur communiter triplex anima: scilicet vegetabilis, sensibilis et rationalis.

 

 

 

[80569] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 8Sed quia omne esse est secundum aliquam formam, oportet, quod esse sensibile sit secundum formam sensibilem, et esse intelligibile secundum formam intelligibilem. Ex unaquaque autem forma sequitur aliqua inclinatio, et ex inclinatione operatio; sicut ex forma naturali ignis, sequitur inclinatio ad locum qui est sursum, secundum quam ignis dicitur levis; et ex hac inclinatione sequitur operatio, scilicet motus qui est sursum. Ad formam igitur tam sensibilem quam intelligibilem sequitur inclinatio quaedam quae dicitur appetitus sensibilis vel intellectualis; sicut inclinatio consequens formam naturalem, dicitur appetitus naturalis. Ex appetitu autem sequitur operatio, quae est motus localis. Haec igitur est ratio, quare oportet esse quinque genera potentiarum animae, quod primo quaerebatur.

[80570] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 9Circa secundum sciendum est, quod supra Aristoteles intendens ostendere quod anima est principium vivendi in omnibus viventibus, distinxit ipsum vivere secundum gradus viventium, et non secundum operationes vitae secundum quas distinguuntur haec genera potentiarum. Appetitivum autem non constituit aliquem diversum gradum in viventibus; quia omnia quae habent sensum, habent appetitum; et sic remanent tantum quatuor gradus viventium, ut supra ostensum est.

 

 

[80571] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 10Deinde cum dicit inest autem ostendit, quomodo praedictae potentiae consequuntur se invicem: manifestans quod supra dixerat, quod potentiarum quibusdam insunt omnes, quibusdam quaedam, quibusdam una sola. Ubi considerandum est, quod ad hoc quod universum sit perfectum, nullus gradus perfectionis in rebus intermittitur, sed paulatim natura de imperfectis ad perfecta procedit. Propter quod etiam Aristoteles, in octavo metaphysicae, assimilat species rerum numeris, qui paulatim in augmentum proficiunt. Unde in viventibus quaedam habent unum tantum praedictorum, scilicet plantae, in quibus est solum vegetativum, quod necesse est in omnibus viventibus materialibus esse, quia huic potentiae attribuuntur operationes pertinentes ad esse materiale. Aliis autem, scilicet animalibus, inest vegetativum et sensitivum. Si autem est ibi sensitivum, oportet quod adsit tertium, scilicet appetitivum. Quod quidem dividitur in tria: scilicet desiderium, quod est secundum vim concupiscibilem; et iram, quae est secundum vim irascibilem: qui duo appetitus pertinent ad partem sensitivam: sequuntur enim apprehensionem sensus. Tertium autem est voluntas, quod est appetitus intellectivus, consequens scilicet apprehensionem intellectus.

 

 

 

 

 

 

 

[80572] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 11Quod autem appetitivum insit omnibus animalibus, probat duplici ratione. Quarum prima est, quod omnia animalia habent ad minus unum sensum, scilicet tactum; quibus autem inest sensus, inest laetitia et tristitia, delectatio et dolor. Laetitia enim et tristitia magis videntur sequi apprehensionem interiorem. Sed delectatio et dolor consequuntur apprehensionem sensus, et praecipue sensus tactus. Et si est laetitia et tristitia, necesse est quod sit aliquid triste et dulce, idest delectabile et dolorosum; oportet enim, omne quod sentitur secundum tactum, esse, vel conveniens, et sic est delectabile: vel nocivum, et sic est dolorosum. Quibuscumque autem inest aliquid delectabile et triste, his inest et concupiscentia, quae est appetitus delectabilis; ergo de primo ad ultimum omnibus animalibus, quibus inest sensus tactus, inest appetitus.

 

 

 

[80573] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 12Secundam rationem ad idem ostendendum ponit ibi adhuc autem quae talis est. Omnia animalia habent sensum, quo cognoscunt suum alimentum; scilicet sensum tactus, qui est sensus alimenti. Et quia necessarium est omnibus animalibus uti alimento, ut dictum est; ideo necessarium est, quod habeant sensum tactus quo percipiant alimentum sibi conveniens. Quod autem tactus sit sensus alimenti, manifestum est: sicuti enim corpora viventia constant ex calidis, et humidis, et frigidis, et siccis, ita ex his nutriuntur: tactus autem est sensus discretivus horum.Sed aliis sensibilibus, idest aliis sensibilibus non nutriuntur viventia nisi secundum accidens, inquantum videlicet coniunguntur tangibilibus. Sonus enim et odor et color nihil conferunt in alimentum inquantum huiusmodi, sed solum inquantum contingit colorata et odorata et sonantia esse calida vel frigida, humida vel sicca: humor autem, idest sapor, est quoddam de numero tangibilium qualitatum, sicut et gustus est quidam tactus. Sic igitur patet, quod omnia animalia habent sensum alimenti.

 

 

 

 

 

[80574] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 13Quibuscumque autem inest sensus alimenti, his inest esuries et sitis: quorum utrumque est concupiscentia alimenti: esuries quidem est concupiscentia calidi et sicci, quod habet rationem cibi: sitis autem frigidi et humidi, quod habet rationem potus. Sapor autem est quoddam horum delectamentum: sapor enim delectabilis indicat convenientem proportionem calidi et frigidi, humidi et sicci in alimento. Unde magis pertinet ad delectationem alimenti, quam ad necessitatem. Sic igitur ubicumque est sensus tactus, est etiam appetitus.

 

[80575] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 14Quomodo autem phantasia se habet ad appetitivum et sensitivum, posterius dicetur.

[80576] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 15Quibusdam autem animalibus, supra haec tria, scilicet vegetativum, sensitivum et appetitivum, inest etiam motivum secundum locum. Aliis vero supra haec quatuor inest etiam intellectivum et intellectus ipse, scilicet hominibus, et si aliquod aliud genus rerum est simile hominibus, aut etiam honorabilius hominibus. Invenitur autem aliquid honorabilius hominibus, quibus inest intellectus; est enim in substantiis separatis, et in corporibus caelestibus, si tamen sunt animata: licet in viventibus mortalibus non est aliquod genus viventium habentium intellectivum, nisi in specie humana.

 

 

 

 [80577] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 16Cum enim intellectus non habeat organum corporale, non possunt diversificari habentia intellectum secundum diversam complexionem organorum, sicut diversificantur species sensitivorum secundum diversas complexiones, quibus diversimode se habent ad operationes sensus.

[80578] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 17Deinde cum dicit manifestum igitur ostendit qualiter se habet praedicta definitio animae ad partes enumeratas. Et ad huius intellectum, sciendum est, quod Plato posuit universalia esse separata secundum esse; tamen in illis, quae se habent consequenter, non posuit unam ideam communem, sicut in numeris et figuris: non enim posuit unam ideam numeri praeter omnes numeros, sicut posuit unam ideam hominis praeter omnes homines, eo quod numerorum species naturali ordine consequenter se habent. Et sic prima earum, scilicet dualitas, est causa omnium consequentium. Unde non oportet ponere aliquam ideam communem numeris, ad causandum speciem numerorum. Et similis ratio est de figuris. Nam eius species consequenter se habent, sicut et species numerorum: trigonum enim est ante tetragonum, et tetragonum ante pentagonum.

 

 

 

 

 

 

[80579] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 18Dicit ergo manifestum esse, quod eodem modo una est ratio animae, sicut una est ratio figurae. Sicuti enim inter figuras non est aliqua figura quae sit praeter triangulum et alias species consequentes, utpote quae sit communis omnium figurarum, ita nec in proposito est aliqua anima, quasi separata existens praeter omnes praedictas partes.

 

 

[80580] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 19Sed quamvis non sit una figura separata in esse praeter omnes figuras, etiam secundum Platonicos, qui ponunt species communes separatas; tamen invenitur una ratio communis, quae convenit omnibus figuris, et non est propria alicuius earum; ita est et in animalibus. Et ideo ridiculum est, quod homo quaerat unam rationem communem, tam in animalibus, quam in aliis rebus, quae non conveniat alicui animarum quae sunt in rerum natura particulariter. Neque etiam est conveniens, quod homo quaerat definitionem animae, secundum unamquamque speciem animae, et dimittat definitionem communem omnibus. Ergo neque definitio communis animae praetermittenda fuit; neque sic est assignanda definitio communis animae quod non conveniat singulis animabus.

 

 

[80581] Sentencia De anima, lib. 2 l. 5 n. 20Et quia dixerat, quod eodem modo se habet ratio animae sicut ratio figurae, ostendit convenientiam inter utrumque: et dicit quod similiter se habent figurae et animae adinvicem: in utrisque enim illud quod est prius, est in potentia in eo quod est consequenter. Manifestum est enim in figuris, quod trigonum, quod est prius, est potentia in tetragono. Potest enim tetragonum dividi in duos trigonos. Et similiter in anima sensitiva, vegetativa est quasi quaedam potentia eius, et quasi anima per se. Et similiter est de aliis figuris, et aliis partibus animae.

Leçon  5

279. Après avoir défini l’âme en général, Aristote en vient maintenant à définir ses parties. Cependant, l’âme ne possède pas d’autres sortes de parties que celles que nous appelons ses puissances, car pour ce qui a le pouvoir de faire beaucoup de choses, ses parties peuvent être appelées puissances par rapport à chacune de ces choses. C’est pourquoi traiter des différentes parties de l’âme revient à traiter de chacune de ses puissances. Cette section se divise donc en deux parties. Dans la première il détermine des puissances de l’âme en général, en les distinguant les unes des autres. Dans la deuxième il détermine de chacune d’elles, là où il dit : « C’est pourquoi il faut d’abord traiter de la nutrition et de la génération etc. ». La première partie se divise en deux. Dans la première il distingue les unes des autres les puissances de l’âme. Dans la deuxième il montre ce qu’il faut dire des puissances de l’âme, comment il faut le dire et dans quel ordre, là où il dit : « C’est pourquoi, pour chacune des catégories, il faut rechercher etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il distingue les unes des autres les puissances de l’âme. Deuxièmement il montre comment la définition commune de l’âme se rapporte à ces parties de l’âme lorsqu’il dit : « Il est donc évident que c’est de la même manière etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il énumère les puissances de l’âme. Deuxièmement il montre comment elles se suivent les unes les autres lorsqu’il dit : « Mais n’appartient aux plantes etc. ». Il dit donc en premier, au sujet des puissances de l’âme qui ont été nommées (n. 255, 260), qu’elles appartiennent toutes à certains vivants, à savoir aux hommes, que certaines d’entre elles appartiennent à certains vivants, comme celles qui appartiennent aux autres animaux, alors que certains vivants, comme les plantes, n’en possèdent qu’une seule. Et parce que précédemment (n. 255, 260, 263) il ne les avait pas nommées puissances mais parties de l’âme, c’est pourquoi il manifeste que par le terme puissance, il entend la même chose ce que qu’il entendait alors par le terme partie. Et il dit que toutes les puissances se rangent en cinq genres, à savoir les puissances végétative, sensitive, appétitive, locomotrice et intellective.

280. Il faut cependant considérer deux choses. Premièrement, pourquoi présenter cinq genres de puissance de l’âme, surtout si on a coutume de dire qu’il existe trois sortes d’âme : l’âme végétative, l’âme sensitive et l’âme rationnelle. Deuxièmement il faut se demander pourquoi Aristote présente ici cinq genres de puissances de l’âme alors qu’il n’en avait présenté plus haut (n. 255, 260, 263) que quatre.

281. Quant à la première question, il faut cependant savoir que toute puissance se nomme d’après son acte propre, et que toute puissance d’opération se nomme d’après cet acte qui est son opération. Or, les puissances de l’âme sont opératives, car telle doit être la puissance d’une forme. C’est pourquoi il est nécessaire que la diversité des puissances de l’âme se prenne selon la diversité des opérations de l’âme. Or, l’opération de l’âme est l’opération d’une chose vivante. Donc, puisqu’à chaque chose convient une opération propre en tant qu’elle possède l’être, du fait que toute chose pose une opération en tant qu’elle est ou existe, il s’ensuit qu’il faut considérer les opérations de l’âme en tant qu’elles se retrouvent chez les êtres vivants.

282. Or ces êtres vivants inférieurs dont l’acte est l’âme, et dont nous parlons maintenant, possèdent deux sortes d’être ou d’existence. La première est certes matérielle, qu’ils possèdent en commun avec tous les autres êtres matériels. L’autre est immatérielle, qu’ils partagent en quelque sorte avec les substances supérieures.

283. Or, il y a une différence entre ces deux formes d’être ou d’existence. En effet, selon l’existence matérielle qui est limitée par la matière, chaque chose est seulement cela même qu’elle est, tout comme cette pierre n’est rien d’autre que cette pierre. Mais selon l’existence immatérielle qui est vaste et en quelque sorte infinie, dans la mesure où elle n’est pas limitée par la matière, la chose n’est pas seulement ce qu’elle est, mais elle est aussi, en quelque sorte, les autres choses. C’est pourquoi, dans les substances supérieures immatérielles, il y a en quelque sorte tous les êtres, comme c’est le cas aussi dans les causes universelles.

284. Or, une existence immatérielle de la sorte comporte deux degrés dans les êtres inférieurs dont nous parlons. L’un d’eux est tout à fait immatériel, à savoir l’être intelligible. En effet, les choses possèdent dans l’intelligence une existence qui est sans matière et sans les conditions matérielles individuelles, et même sans aucun organe corporel. Quant à l’existence sensible, elle est intermédiaire entre les deux : la chose possède en effet dans le sens une existence sans la matière, mais non sans les conditions matérielles individuelles, ni sans la présence d’un organe corporel. En effet, le sens a pour objet le particulier et l’intelligence, l’universel. Et c’est par rapport à ces deux formes d’existence que le Philosophe [De l’Âme, L. 3, ch. 8] dit de l’âme qu’elle est en quelque sorte toute chose.

285. Donc, les opérations qui appartiennent aux vivants selon leur existence matérielle sont des opérations qui sont attribuées à l’âme végétative : et ces opérations, bien qu’elles soient ordonnées à l’atteinte et à la conservation de l’être, comme le sont aussi les opérations dans les choses inanimées, cependant chez les vivants cela s’accomplit d’une manière supérieure et plus parfaite. En effet, les corps inanimés sont engendrés et conservés dans l’être par un principe moteur extérieur, alors que les êtres animés sont engendrés par un principe intérieur présent dans la semence, et sont conservés dans l’être par un principe nutritif intrinsèque. En effet, il semble être propre aux vivants d’opérer comme s’ils étaient mûs par eux-mêmes. Or, les opérations qui sont attribuées aux choses vivantes selon une existence absolument immatérielle appartiennent à la partie intellectuelle de l’âme ; mais celles qui leur sont attribuées selon leur existence intermédiaire appartiennent à la partie sensitive de l’âme. Et c’est d’après ces trois formes d’existence qu’on distingue généralement trois sortes d’âme : l’âme végétative, l’âme sensitive et l’âme rationnelle.

286. Mais parce que toute existence est consécutive à une forme, il faut que l’existence sensible soit consécutive à la forme sensible, et l’existence intelligible à la forme intelligible. Or, de toute forme découle une inclination, et de l’inclination une opération ; par exemple, de la forme naturelle du feu découle une inclination à un lieu élevé, d’après laquelle on dit du feu qu’il est léger ; et cette inclination est suivie d’une opération, à savoir un mouvement vers le haut. Or, d’une forme donnée, soit sensible soit intelligible, découle une certaine inclination qu’on appelle soit appétit sensible, soit appétit intellectuel, tout comme l’inclination qui suit une forme naturelle est appelée appétit naturel. Mais de l’appétit découle une opération qu’on appelle le mouvement local. Telle est donc la raison pour laquelle il faut qu’il y ait cinq genres de puissance de l’âme, ce qu’on cherchait à savoir  en premier.

287. Mais deuxièmement, pour répondre aussi à la deuxième difficulté, il faut savoir qu’Aristote, cherchant plus haut (n. 253-260) à montrer que l’âme est principe de vie chez tous les vivants, a distingué la vie elle-même d’après les degrés des vivants et non pas d’après les opérations vitales selon lesquelles se distinguent ces genres de puissance. Or, la puissance appétitive ne constitue pas en elle-même un degré distinct chez les vivants ; en effet, tous les êtres qui possèdent le sens possèdent aussi l’appétit ; par conséquent, il ne demeure que quatre degrés de vivants, comme nous l’avons montré plus haut (n. 255, 260).

288. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais les plantes ne possèdent que etc. », il montre comment ces puissances se suivent dans les différents degrés des vivants en manifestant ce qu’il avait dit plus haut (n. 270, 279), à savoir que toutes ces puissances, certains vivants les possèdent toutes, certains quelques-unes et d’autres une seule. Il faut considérer ici qu’afin que l’univers soit parfait, aucun degré de perfection ne doit être omis dans les choses, et que la nature procède peu à peu des êtres imparfaits à ceux qui sont parfaits. C’est pour cette raison qu’Aristote [Métaphysique, L. 7, ch. 3] compare les espèces des choses naturelles aux nombres dont la croissance progresse graduellement. C’est pourquoi, parmi les vivants, certains, à savoir les plantes, ne possèdent qu’une seule de ces puissances, c’est-à-dire la puissance végétative, qui doit nécessairement se retrouver dans tous les êtres vivants matériels, car c’est à cette puissance que s’attribuent les opérations se rapportant à l’existence matérielle. Mais à certains autres vivants, c’est-à-dire aux animaux, appartiennent les puissances végétative et sensitive. Cependant, là où on retrouve la puissance sensitive, il faut qu’y soit présente une troisième puissance, à savoir la puissance appétitive, laquelle se divise en trois espèces : le désir qui est dans la partie concupiscible et la colère qui est dans la partie irascible, lesquels sont tous deux contenus dans la puissance sensitive puisqu’ils sont consécutifs à l’appréhension sensible ; enfin, la troisième partie de la puissance appétitive est la volonté, qu’on appelle aussi appétit intellectuel puisqu’elle est consécutive à l’appréhension de l’intelligence.

289. Et Aristote prouve au moyen de deux raisonnements que la puissance appétitive appartient à tous les animaux. Dans le premier, il affirme que tous les animaux possèdent au moins un sens, à savoir le toucher. Mais dans tous les vivants où l’on retrouve le sens, on retrouve aussi la joie et la tristesse, le plaisir et la douleur. Pour la joie et la tristesse, ils semblent davantage devoir être consécutives à une appréhension intérieure, alors que le plaisir et la douleur sont consécutifs à l’appréhension du sens et principalement du sens du toucher. Et s’il y a joie et tristesse, il est nécessaire qu’il y ait quelque chose de triste et de doux, c’est-à-dire quelque chose de délectable et de douloureux ; en effet, il faut que tout objet perçu par le toucher soit ou bien convenable, et alors il est délectable, ou bien nuisible et alors il est douloureux. Or, tous les êtres qui sont les sujets de ces états possèdent aussi la concupiscence qui est l’appétit du délectable. En conséquence, tous les animaux qui possèdent le sens du toucher, du premier au dernier, possèdent aussi l’appétit.

290. Ensuite, lorsqu’il dit : « En outre, tous les animaux etc. », il présente le deuxième raisonnement. Tous les animaux possèdent le sens par lequel ils connaissent leurs aliments, c’est-à-dire le toucher qui est le sens de l’aliment. Et parce qu’il est nécessaire à tous les animaux de prendre des aliments, comme nous l’avons dit (nn. 257-258), c’est pourquoi il leur est nécessaire de posséder le sens du toucher par lequel ils perçoivent l’aliment qui leur convient. Or, il est manifeste que le toucher est le sens de l’aliment : en effet, tout comme les corps vivants sont constitués de parties chaudes et humides, froides et sèches, de même ils se nourrissent de choses ayant ces qualités : or, le toucher est le sens capable de discerner ces qualités. « Mais des autres sensibles », c’est-à-dire que des autres qualités sensibles ne se nourrissent pas les animaux, si ce n’est par accident, c’est-à-dire dans la mesure où elles se trouvent à être unies aux qualités tactiles. En effet, le son, l’odeur et la couleur ne contribuent en rien à l’aliment en tant que tel, mais seulement dans la mesure où il arrive à la couleur, à l’odeur et au son d’être chaud ou froid, sec ou humide, etc. Quant à l’humide, c’est-à-dire la saveur, elle fait partie en quelque sorte des qualités tactiles, tout comme le goùter est un certain toucher. Il est donc clair que tous les animaux possèdent le sens de l’aliment.

291. Or, tous les vivants qui possèdent le sens de l’aliment sont aussi les sujets de la faim et de la soif, et l’un et l’autre sont des appétits de l’aliment, la faim étant certes un appétit du chaud et du sec qui ont raison de nourriture, la soif du froid et de l’humide qui ont raison de boisson. Or, la saveur est une certaine délectation de ces qualités : la saveur délectable indique en effet une proportion convenable de chaud et de froid, de sec et d’humide dans l’aliment. C’est pourquoi le sens du goûter est davantage destiné à la délectation qu’on trouve dans la prise de l’aliment qu’à sa nécessité. En conséquence, partout où on trouve le sens du toucher, on trouve aussi l’appétit.

292. Quant à savoir de quelle manière se rapporte l’imagination à l’appétit et à la puissance sensitive, nous le dirons plus loin. 

293. Or, à certains animaux, en plus de ces trois puissances, à savoir les puissances végétatives, sensitives et appétitives, appartient aussi la puissance motrice selon le lieu. À d’autres, c’est-à-dire aux hommes, en plus de ces quatre puissances, appartient aussi la puissance intellectuelle, à savoir l’intellect lui-même. Et s’il existe un autre genre d’êtres semblable à celui des hommes ou même supérieur à lui, l’intellect lui appartiendra aussi. Or, il existe des êtres supérieurs aux hommes qui possèdent eux aussi l’intellect : il s’agit en effet des substances séparées et des corps célestes, si toutefois ces derniers sont des êtres vivants. Mais parmi les êtres vivants mortels qu’on rencontre ici-bas, il n’existe pas, en dehors de l’espèce humaine, un autre genre de vivants possédant la puissance intellectuelle.

294. En effet, puisque l’intellect ne possède aucun organe corporel, les êtres possédant l’intellect ne peuvent se distinguer d’après des complexions diverses des organes, à la manière dont les espèces des puissances sensitives se distinguent d’après des complexions diverses par lesquelles elles sont diversement ordonnées aux opérations des sens.

295. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il est donc manifeste etc. », il montre de quelle manière la définition commune présentée plus haut se rapporte aux parties ou puissances qu’il vient d’énumérer. Et pour le comprendre, il faut savoir que Platon a soutenu que les universels possèdent par eux-mêmes une existence séparée. Cependant, parmi ces universels, qui se présentent pourtant dans une suite ordonnée, il n’a pas affirmé l’existence d’une idée commune, comme dans les nombres et les figures : en effet, il n’a pas affirmé l’existence d’une idée du nombre en dehors de tous les nombres comme il avait affirmé l’existence d’une idée de l’homme en dehors de tous les hommes, du fait que les espèces de nombres se suivent selon un ordre naturel. Ainsi, la première espèce de nombres, à savoir la dualité, est la cause de toutes les autres qui suivent. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire d’affirmer l’existence d’une idée commune du nombre pour causer les espèces de nombres. Et la même raison est aussi valable pour les figures car les espèces de figures se suivent, tout comme les espèces de nombres. En effet, le triangle est antérieur au rectangle, et le rectangle au pentagone.

296. Il dit donc qu’il est manifeste qu’il n’y a qu’une seule définition de l’âme de la même manière qu’il n’y a qu’une seule définition de la figure. En effet, tout comme parmi les figures il n’existe pas une autre figure qui existerait en dehors du triangle et des autres figures qui s’ensuivent et qui serait comme commune à toutes les figures, de même, quant à ce que nous nous proposons de montrer, il n’existe pas une âme séparée en dehors de toutes les puissances dont nous avons parlé.

297. Mais bien qu’il n’existe pas une figure qui possède une existence séparée en dehors de toutes les figures, même selon les Platoniciens qui pourtant posent des espèces communes séparées, cependant il se trouve une définition commune qui convient à toutes les figures et qui ne convient proprement à aucune d’elles. Et il en va de même pour les âmes. C’est pourquoi il est ridicule à l’homme de rechercher une définition commune, aussi bien pour les animaux que pour les autres choses, qui ne conviendrait à aucune des âmes qui existent en particulier dans la réalité. Et il n’est pas davantage convenable que l’homme recherche une définition de l’âme conforme à chacune des espèces d’âme et omette la définition de l’âme qui est commune à toutes les âmes. Par conséquent, la définition commune de l’âme ne devait pas être omise, tout comme elle ne devait pas être assignée de manière à ne pas convenir à chacune des espèces d’âmes.

298. Et parce qu’il avait dit (n. 296) que la définition de l’âme se présente de la même manière que la définition de la figure, il montre la ressemblance entre les deux. Et il dit que les âmes et les figures sont semblables en ceci que dans les deux cas, ce qui est premier existe en puissance dans ce qui est second. Il est manifeste en effet, si l’on considère les figures, que le triangle, qui est premier, existe en puissance dans le carré puisque le carré peut être divisé en deux triangles. De même, dans l’âme sensitive, le végétatif est comme une certaine puissance et non une âme par elle-même. Et il en va de même pour les autres figures et les autres parties de l’âme.

 

 

LECTIO 6

[80582] Sentencia De anima, lib. 2 l. 6 n. 1Postquam philosophus enumeravit genera potentiarum animae, et quomodo se habet definitio communis animae supra posita ad partes eius, hic ostendit quid aliud modo determinandum sit, et quo ordine. Et dividitur in partes duas. In prima ostendit quid determinandum restat de anima. Secundo ostendit quo ordine determinare oporteat, ibi, necessarium autem est debentem. Circa primum ostendit duo restare ad determinandum: quorum unum concludit ex praedictis. Dictum est supra, quod sicut non est quaerenda talis definitio communis animae, quae nulli animae partium conveniat, ita non debemus esse contenti definitione communi, sed oportet propriam definitionem cuiuslibet partis animae inquirere. Et ex hoc concludit, quod hoc, secundum unumquodque animatum quaerendum est, quae sit uniuscuiusque anima; ut scilicet sciatur quid est anima plantae, et quid anima hominis, et quid anima bestiae: et hoc est scire de unaquaque parte animae, quid sit.

 

 

 

 

 

80583] Sentencia De anima, lib. 2 l. 6 n. 2Secundo ibi propter quam ponit aliud, quod restat ad determinandum. Dictum est enim supra, quod partes animae consequenter se habent adinvicem, sicut species figurae. Sed considerandum est propter quam causam partes animae hoc modo se habeant consequenter. Huiusmodi enim causam in fine libri assignabit. Exponit autem qualiter se habeant consequenter: quia sensitivum non potest esse sine vegetativo, sed vegetativum separatur a sensitivo in plantis. Nec est mirum; quia supradictum est; quod opera vegetativi ordinantur ad adipiscendum et conservandum esse, quod subiacet quasi fundamentum. Iterum etiam consequentia quaedam invenitur in ipsis sensibus; quia sine sensu tactus, nullus aliorum sensuum esse potest; tactus autem invenitur sine aliis sensibus. Multa enim animalium, neque visum habent, neque auditum, neque sensum odoratus, sed solum tactum. Et hoc etiam rationabiliter accidit. Nam tactus est sensus perceptivus eorum quae pertinent ad consistentiam animalis, ex quibus scilicet animal constat et nutritur. Alia vero sensibilia non conferunt ad hoc nisi per accidens. Unde alii sensus non sunt de necessitate animalis, et propter hoc non inveniuntur in omnibus animalibus, sed in perfectis.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80584] Sentencia De anima, lib. 2 l. 6 n. 3Est etiam consideranda consequentia sensitivi et motivi. Nam motivum non potest esse sine sensitivo: sensitivum autem potest esse sine motivo: aliqua enim habentium sensum, habent etiam motum secundum locum, sed aliqua non habent. Sed intelligendum est de motu progressivo animalium secundum quod animalia moventur de loco ad locum. Hic enim motus non inest omnibus animalibus. Sed quae carent hoc motu, habent aliquem motum localem, scilicet dilatationis et constrictionis, sicut apparet in ostreis. Illud autem, quod est ultimum inter omnes partes animae et minimum, quia non dividitur in diversa secundum speciem, est, quod habet rationem et intellectum, quia quibuscumque de numero corruptibilium inest ratio, his insunt et omnia alia praedicta. Hoc autem dicit, ut praeservet se a substantiis separatis, et a corporibus caelestibus si sunt animata: quia cum sint sine generatione et corruptione, non indigent vegetativo. Iterum, eorum intellectus per se speculatur ea quae sunt secundum se intelligibilia: unde non indigent sensibus ad cognitionem intellectivam consequendam. Sed in mortalibus habentibus intellectum, necesse est omnia alia praeexistere, sicut quaedam instrumenta, et praeparatoria ad intellectum, qui est ultima perfectio intenta in operatione naturae. Non autem omnibus quibus inest aliquod praedictorum, inest et ratio. Et quia imaginatio videtur habere quamdam affinitatem ad intellectum, cum supra dictum sit, quod intellectus, vel est phantasia quaedam, vel non sine phantasia; addit de imaginatione; et dicit quod quibusdam animalibus non solum non inest intellectus, sed non etiam imaginatio.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80585] Sentencia De anima, lib. 2 l. 6 n. 4Videtur tamen hoc esse contrarium ei quod supra dixerat: quia si pars decisa habet sensum et appetitum, habet etiam phantasiam; si tamen phantasia est idem cum imaginatione, ut videtur. Dicendum est igitur, quod animalia imperfecta, ut in tertio dicetur, habent quidem phantasiam, sed indeterminatam, quia scilicet motus phantasiae non remanet in eis post apprehensionem sensus: in animalibus autem perfectis remanet motus phantasiae, etiam abeuntibus sensibilibus. Et secundum hoc, dicitur hic quod imaginatio non est eadem omnibus animalibus. Sed quaedam animalia sunt, quae hac sola vivunt, carentia scilicet intellectu, et directa in suis operationibus per imaginationem, sicut nos dirigimur per intellectum. Et licet non omnibus animalibus insit imaginatio, sicut nec intellectus, tamen de intellectu speculativo est alia ratio quam de imaginatione. Differunt enim adinvicem, ut infra patebit. Manifestum est igitur quod de unaquaque parte animae propriissime dicitur haec definitio, quae assignata est de anima.

 

 

 

 

 

 

 

[80586] Sentencia De anima, lib. 2 l. 6 n. 5Deinde cum dicit necessarium autem ostendit quo ordine determinandum sit de partibus animae. Et assignat ordinem, quantum ad duo. Primo quantum ad hoc, quod ille qui debet de partibus animae perscrutari, primo debet accipere unumquodque horum, quid est: et postea debet considerare de habitis, idest consequentibus partibus, et de aliis quae sunt consideranda circa partes animae et circa ipsa animata, sicut de organis, et de aliis huiusmodi. Et iste ordo necessarius est; quia si simul de omnibus determinaretur, esset confusa doctrina.

 

[80587] Sentencia De anima, lib. 2 l. 6 n. 6Secundum tangit ibi si autem dicens, quod si oportet de aliqua parte animae dicere quid est, scilicet quid est intellectivum, aut sensitivum, aut vegetativum, prius oportet dicere de actibus, scilicet quid sit intelligere, et quid sentire. Et hoc ideo, quia secundum rationem definitivam, actus et operationes sunt priores potentiis. Potentia enim, secundum hoc ipsum quod est, importat habitudinem quamdam ad actum: est enim principium quoddam agendi vel patiendi: unde oportet, quod actus ponantur in definitionibus potentiarum. Et si ita se habet circa ordinem actus et potentiae, et actibus adhuc sunt priora opposita, idest obiecta.

 

 

 

 

 

 

[80588] Sentencia De anima, lib. 2 l. 6 n. 7Species enim actuum et operationum sumuntur secundum ordinem ad obiecta. Omnis enim animae operatio, vel est actus potentiae activae, vel passivae. Obiecta quidem potentiarum passivarum comparantur ad operationes earum ut activa, quia reducunt potentias in actum, sicut visibile visum, et omne sensibile sensum. Obiecta vero potentiarum activarum comparantur ad operationes ipsarum ut fines. Obiecta enim potentiarum activarum, sunt operata ipsarum. Manifestum est autem, quod in quibuscumque praeter operationes sunt aliqua operata, quod operata sunt fines operationum, ut dicitur in primo Ethic.: sicut domus quae aedificatur, est finis aedificationis. Manifestum est igitur, quod omne obiectum comparatur ad operationem animae, vel ut activum, vel ut finis. Ex utroque autem specificatur operatio. Manifestum est enim, quod diversa activa secundum speciem, habent operationes specie differentes, sicut calefactio est a calore, et infrigidatio a frigore. Similiter etiam ex termino et fine specificatur operatio; sicut sanatio et aegrotatio differunt specie, secundum differentiam sanitatis et aegritudinis. Sic igitur obiecta sunt priora operationibus animae in via definiendi.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80589] Sentencia De anima, lib. 2 l. 6 n. 8Unde et prius oportebit determinare de obiectis quam de actibus, propter eamdem causam, propter quam et de actibus prius determinatur quam de potentiis. Obiecta autem sunt sicut alimentum respectu vegetativi, et sensibile respectu sensus, et intelligibile respectu intellectus.

[80590] Sentencia De anima, lib. 2 l. 6 n. 9Sed sciendum est, quod ex obiectis diversis non diversificantur actus et potentiae animae, nisi quando fuerit differentia obiectorum inquantum sunt obiecta, id est secundum rationem formalem obiecti, sicut visibile ab audibili. Si autem servetur eadem ratio obiecti, quaecumque alia diversitas non inducit diversitatem actuum secundum speciem et potentiae. Eiusdem enim potentiae est videre hominem coloratum et lapidem coloratum; quia haec diversitas per accidens se habet in obiecto inquantum est obiectum.

 

[80591] Sentencia De anima, lib. 2 l. 6 n. 10Sciendum est etiam, quod intellectus noster possibilis est in potentia tantum in ordine intelligibilium: fit autem actu per formam a phantasmatibus abstractam. Nihil autem cognoscitur nisi secundum quod est actu: unde intellectus possibilis noster cognoscit seipsum per speciem intelligibilem, ut in tertio habetur, non autem intuendo essentiam suam directe. Et ideo oportet, quod in cognitionem animae procedamus ab his quae sunt magis extrinseca, a quibus abstrahuntur species intelligibiles, per quas intellectus intelligit seipsum; ut scilicet per obiecta cognoscamus actus, et per actus potentias, et per potentias essentiam animae. Si autem directe essentiam suam cognosceret anima per seipsam, esset contrarius ordo servandus in animae cognitione; quia quanto aliquid esset propinquius essentiae animae, tanto prius cognosceretur ab ea.

Leçon  6

299. Après avoir énuméré les genres de puissances de l’âme et montré le rapport qu’il y a entre la définition commune de l’âme présentée plus haut (n. 233) et les parties de l’âme, il montre maintenant quoi d’autre doit être déterminé ici et dans quel ordre il faut le faire. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il montre ce qu’il reste à déterminer de l’âme. Deuxièmement il montre dans quel ordre il faut le déterminer, là où il dit : « Il est nécessaire que celui qui doit etc. » Au sujet du premier point, il montre qu’il reste deux choses à déterminer, dont la première se tire de ce qui précède. En effet, il a été dit plus haut (n. 297) que tout comme il n’y a pas à rechercher une définition commune de l’âme qui serait telle qu’elle ne conviendrait à aucune des parties de l’âme, de même nous ne devons pas nous contenter d’une définition commune, mais il faut rechercher la définition propre de chaque partie de l’âme. C’est de là qu’il tire la conclusion suivante : pour chaque espèce de vi vant, il faut rechercher cela, à savoir quelle espèce d’âme elle possède, c’est-à-dire de manière à connaître, par exemple, quelle est l’âme de la plante, quelle est celle de l’homme et quelle est celle de la bête : connaître cela revient à connaître, pour chaque partie de l’âme, ce qu’elle est.

300. Deuxièmement, lorsqu’il dit : « Mais pour quelle raison etc. », il présente la deuxième chose qu’il reste à déterminer. Il a été dit en effet plus haut (nn. 295-298) que les parties de l’âme s’enchaînent ou sont consécutives les unes par rapport aux autres, tout comme le sont les espèces de la figure. Mais il faut examiner pour quelle raison les parties de l’âme sont consécutives de la sorte. Cette cause, Aristote la déterminera plus loin, à la fin de ce traité (L. 3, ch. X11). Il explique cependant ici de quelle manière elles sont consécutives : en effet, le sensitif ne peut exister sans le végétatif, mais chez les plantes le végétatif existe sans le sensitif. Et cela n’est pas étonnant, car il a été dit plus haut (n. 285) que les opérations de la partie végétative sont ordonnées à l’acquisition et à la conservation de l’être, lesquelles tiennent une position de base à la manière d’une fondation. En outre, on trouve aussi une certaine consécution dans les sens eux-mêmes : en effet, sans le sens du toucher, aucun des autres sens ne peut exister, mais le sens du toucher peut se retrouver sans les autres sens, puisqu’il existe de nombreux animaux qui ne possèdent ni la vue, ni l’ouïe, ni le sens de l’odorat, mais seulement le toucher. Et là aussi il est raisonnable qu’il en soit ainsi car le toucher est le sens qui perçoit les qualités qui se rapportent à la constitution de l’animal, c’est-à-dire ces qualités par lesquelles l’animal existe et est nourri. Nous avons vu en effet que les autres qualités sensibles ne contribuent en rien à cette dimension, sauf par accident. Il en résulte que les autres sens n’appartiennent pas avec nécessité à l’animal, et c’est pourquoi on ne les retrouve pas chez tous les animaux, mais seulement chez ceux qui sont parfaits.

301. Il y a aussi à considérer la consécution de la puissance motrice à la puissance sensitive. En effet, la puissance motrice ne peut exister sans la puissance sensitive, mais cette dernière peut exister sans la première : en effet, certains de ceux qui possède la sensation possèdent aussi la faculté de locomotion, alors que d’autres ne la possèdent pas. Mais la locomotion chez les animaux doit s’entendre en ce sens que ces derniers peuvent se mouvoir d’un lieu à un autre. Ce mouvement, en effet, n’appartient pas à tous les animaux. Cependant, ceux qui sont privés de ce mouvement possèdent néanmoins une certaine forme de mouvement local, à savoir le mouvement de dilatation et de contraction, comme on le voit chez les huîtres. Mais en dernier lieu, parmi toutes les parties de l’âme, celle qu’on ne retrouve que chez un petit nombre de vivants, parce qu’elle ne se divise plus en une diversité d’espèces, à savoir chez ceux qui possèdent la raison et l’intellect, manifeste elle aussi une consécution puisque tous ceux des êtres corruptibles qui possèdent la raison possèdent aussi toutes les autres parties de l’âme dont nous avons parlé. Et il dit cela pour bien montrer qu’il ne parle pas ici des substances séparées et des corps célestes, si toutefois ces derniers sont animés : en effet, puisque ces êtres ne sont pas sujets à la génération et à la corruption, ils n’ont pas besoin de la partie végétative. En outre, leur intellect considère par lui-même ce qui est intelligible de soi : c’est pourquoi ils n’ont pas besoin de recourir aux sens pour parvenir à la connaissance intellectuelle. Au contraire, chez les mortels qui possèdent un intellect, il est nécessaire que préexistent toutes les autres parties de l’âme qui sont comme des instruments et des préparatifs pour l’intellect, lequel est la perfection ultime poursuivie par la nature dans son opération. En effet, ce ne sont pas tous les êtres, auxquels appartient une des autres parties de l’âme, qui possèdent aussi la raison. Et parce que l’imagination semble avoir une certaine affinité avec la raison, comme nous l’avons souligné plus haut (n. 18), il s’ensuit que l’intellect est ou bien une certaine imagination, ou bien il n’existe pas sans l’imagination ; et il ajoute au sujet de l’imagination que non seulement certains animaux ne possèdent pas l’intellect, mais ils ne possèdent pas même l’imagination.

302. Mais cela semble contredire ce qu’il avait dit précédemment (n. 265) : en effet, si une partie segmentée possède le sens et l’appétit, elle est aussi capable d’images ; et dans ce cas, la faculté de former des images semble s’identifier à la faculté de l’imagination. Il faut donc dire que les animaux imparfaits, comme nous le dirons plus loint (nn. 644, 839), possèdent certes une certaine représentation par image, mais elle reste indéterminée parce que la formation de la représentation ne demeure pas en eux après l’appréhension du sens tamdis que chez les animax parfaits, au contraire, la formation de la représentation demeure même après la disparition des qualités sensibles. Et c’est pour cette raison qu’il est dit ici que l’imagination n’est pas la même chez tous les animaux. En effet, il existe des animaux, ceux qui sont privés de l’intellect, qui ne vivent que par elle, et dont les opérations sont dirigées par l’imagination, tout comme les nôtres sont dirigées par l’intellect. Et bien que l’imagination, tout comme l’intellect, n’appartienne pas à tous les animaux, cependant la nature de l’intellect spéculatif est autre que celle de l’imagination. En effet, ces deux facultés diffèrent l’une de l’autre, ainsi que nous le verrons plus loin (n. 793). Il est donc manifeste que cette définition qui est donnée le plus proprement de l’âme est celle qui se dit de chacune des parties de l’âme.    

303. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, il est nécessaire etc. », il montre dans quel ordre il faut déterminer des parties de l’âme. Et il détermine cet ordre selon deux critères. Premièrement quant à ceci que celui qui doit examiner les parties de l’âme doit d’abord rechercher, pour chacune d’elles, ce qu’elle est, son essence, et seulement après considérer ses habitus, c’est-à-dire les propriétés qui en découlent, et les autres choses relatives aux parties de l’âme et aux vivants eux-mêmes, comme leurs organes et les autres parties de la sorte. Et cet ordre est nécessaire ; autrement, si on cherche à traiter de tout simultanément, on en traitera dans la confusion.

304. Et là où il dit : « Mais s’il faut etc. », il présente le deuxième critère en disant que s’il faut dire de chacune des parties de l’âme ce qu’elle est, son essence, par exemple ce qu’est l’âme intellectuelle, l’âme sensitive ou l’âme végétative, il faudra d’abord dire pour chacune d’elles quel est son acte, c’est-à-dire qu’est-ce que l’intellection, la sensation, etc. Et il doit en être ainsi parce que selon l’ordre rationnel de la définition, les actes et les opérations sont antérieurs aux puissances. La puissance en effet, selon son essence même, implique un certain rapport à l’acte puisque par définition elle est un certain principe d’action ou de passion et c’est ce qui explique que l’acte doive être placé dans la définition de la puissance. Et s’il en est ainsi du rapport ou de l’ordre de l’acte à la puissance, il en va en outre de même pour le rapport des opposés aux actes, car les opposés, c’est-à-dire les objets des actes, sont forcément antérieurs aux actes dont ils sont les objets.

305. En effet, les espèces des actes et des opérations se tirent de leur rapport à leur objet. En effet, toute opération de l’âme est ou bien l’acte d’une puissance active, ou bien celui d’une puissance passive. Or, les objets des puissances passives sont comme des agents par rapport aux opérations de ces puissances car ils font passer les puissances à l’acte, comme ce qui est visible à ce qui est vu, et comme tout ce qui est sensible à ce qui est senti. Au contraire, les objets des puissances actives sont comme des fins par rapports aux opérations de ces puissances. En effet, les objets des puissances actives sont leurs œuvres. Il est manifeste cependant que partout où il y a des œuvres en dehors des opérations, les œuvres elles-mêmes sont les fins des opérations comme le dit le Philosophe [Éthique, L. 1, ch. 7] : par exemple, la maison qui est construite est la fin de la construction. Il est donc manifeste que tout objet se rapporte à une opération de l’âme soit en tant qu’agent, soit en tant que fin. C’est de ces deux termes que l’opération tient son espèce. Il est manifeste en effet qu’à des agents qui diffèrent par l’espèce correspondent des opérations qui diffèrent par l’espèce, comme le réchauffement vient de la chaleur et le refroidissement de la froideur. De même aussi c’est de son terme ou de sa fin que l’opération tire son espèce ; par exemple, la guérison et le processus contraire qui conduit à la maladie diffèrent par l’espèce parce leur fin respective, à savoir la santé et la maladie, diffèrent par l’espèce. Par conséquent, les objets sont antérieurs aux opérations de l’âme dans la découverte de la définition.

306. Il nous faudra donc déterminer des objets avant de le faire pour les actes pour la même raison qu’il faut déterminer des opérations avant de déterminer des puissances. Or, les objets sont comme l’aliment par rapport à l’âme végétative, comme le sensible par rapport à l’âme sensitive, et comme l’intelligible par rapport à l’âme intellectuelle.

307. Il faut cependant savoir que la diversité d’objets n’entraîne une diversité d’actes et de puissances que lorsqu’il y a une diversité d’objets en tant qu’objets, c’est-à-dire selon la raison formelle d’objets, comme celle qu’on retrouve entre le visible et l’audible. Mais tant qu’on conserve la même raison formelle d’objet, toute autre diversité ne conduit pas à une diversité spécifique des actes et des puissances. En effet, il appartient à la même puissance de voir un homme coloré et une pierre colorée car cette diversité est accidentelle à l’égard de cet objet en tant qu’objet qu’est le visible.  

308. Il faut aussi savoir que notre intellect possible est seulement en puissance à l’égard des intelligibles, et devient en acte au moyen de la forme qui est abstraite des images. Or, rien n’est connu s’il n’existe pas en acte : c’est pourquoi notre intellect possible se connaît lui-même au moyen de l’espèce intelligible, comme nous l’établirons au troisième livre de ce traité (n. 724-726), et non pas en contemplant directement son essence. Et c’est pourquoi il faut, pour la connaissance que nous cherchons à obtenir au sujet de l’âme, que nous procédions à partir de ce qui est plus extérieur, d’où se tirent les espèces intelligibles au moyen desquelles l’intellect se saisit lui-même, c’est-à-dire de telle manière que les actes soient connus par leurs objets, les puissances par leurs actes, et enfin l’essence de l’âme au moyen de ses puissances. Mais si l’âme connaissait directement par elle-même son essence, c’est un ordre opposé qu’il faudrait observer pour la connaissance de l’âme car dans ce cas, plus quelque chose serait proche de l’essence de l’âme, plus il serait connu immédiatement par elle.

 

 

LECTIO 7

[80592] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 1Postquam philosophus distinxit potentias animae abinvicem, et ostendit quid et quo ordine de eis tractandum sit, hic secundum praetaxatum ordinem de eis determinat. Et dividitur in partes duas. In prima determinat de singulis partibus animae, quid sit unaquaeque. In secunda assignat causam, quare talem consequentiam habent adinvicem, ibi, vegetabilem igitur habent animam etc., in penultimo capitulo libri. Prima dividitur in partes quatuor. In prima determinat de vegetativo. In secunda de sensitivo, ibi, determinatis autem his, dicamus communiter de omni sensu, et cetera. In tertia de intellectivo, ibi, de parte autem animae, qua cognoscit, et cetera. In quarta de motivo secundum locum, ibi, de movente autem, quod forte animae sit, et cetera. De appetitivo autem non facit specialem tractatum, quia appetitivum non constituit aliquem specialem gradum viventium, et quia simul cum motivo de eo determinatur in tertia. Prima autem pars dividitur in duas. In prima praemittit quaedam, quae sunt necessaria ad cognitionem partis vegetativae. In secunda determinat de parte vegetativa, ibi, quoniam autem eadem potentia animae vegetativae et generativae, et cetera. Prima dividitur in duas. In prima dicit de quo est intentio. In secunda manifestat quaedam, quae praeexiguntur ad cognitionem partis vegetativae, ibi, naturalissimum enim operum et cetera.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80593] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 2Concludit ergo primo ex praedictis, quod cum dicendum sit primo de obiectis et actibus, quam de potentiis: et primo de prima potentia, quam de consequentibus; sequitur quod primo dicendum est de alimento, quod est obiectum animae vegetativae, et de generatione, quae est actus eius. Ideo primo dicendum est de obiecto et actu huiusmodi partis, quam aliarum: quia ista pars est prima inter alias partes animae in subiectis in quibus invenitur cum aliis: est enim quasi fundamentum aliarum, sicut esse naturale ad quod pertinent operationes eius, est fundamentum esse sensibilis et intelligibilis. Et alia ratio est, quare prius de ea dicendum est; quia ipsa est communis omnibus viventibus: ipsa enim separatur ab aliis, sed aliae non separantur ab ea, et de communibus prius est agendum. Huiusmodi autem partis opera sunt: generare, et alimento uti; et ideo de istis primo agendum est.

 

 

 

 

 

 

[80594] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 3Deinde cum dicit naturalissimum enim determinat quaedam quae praeexiguntur ad cognitionem partis vegetativae. Et dividitur in duas partes. In prima ostendit, quod generare pertinet ad partem vegetativam: quod ideo necessarium fuit quia supra huic parti non attribuit generationem, sed solum augmentum et decrementum. In secunda ostendit, quod opera potentiae vegetativae sint ab anima: quod ideo necessarium fuit, quia cum his operibus deserviant qualitates activae vel passivae, posset alicui videri, quod essent a natura, et non ab anima; et praecipue quia in plantis est vita occulta et latens, et hoc ibi, est autem anima viventis corporis, et cetera.

 

 

 

[80595] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 4Primum ostendit tali ratione. Omnis operatio, quae naturaliter invenitur in omnibus viventibus, pertinet ad potentiam vegetativam, secundum quam primo vivere inest omnibus, ut dictum est: sed generare naturaliter inest omnibus viventibus: ergo pertinet ad potentiam vegetativam. Dicit ergo, quod ideo generare est opus animae vegetativae, quia inter alia opera est magis naturale omnibus viventibus. Et dicitur naturalissimum, quia in hoc convenit etiam cum aliis rebus inanimatis, quae generationem habent, licet alio modo: habent enim inanimata generationem ab extrinseco generante; sed viventia a principio intrinseco, inquantum generantur ex semine, quod proficit in rem vivam.

 

 

 

 

[80596] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 5Sed ab ista generalitate viventium excipiuntur tria, quibus hoc opus non competit. Primo illa quae sunt imperfecta, sicut pueri non generant. Quod enim potest alterum facere tale quale ipsum est, in unoquoque genere, perfectum est. Secundo excipit illa quae patiuntur aliquem defectum alicuius principii naturalis, sicut sunt spadones et frigidi. Tertio animalia et plantae quae generantur sine semine ex putrefactione. In his enim, propter sui imperfectionem sufficit ad eorum productionem agens universale, scilicet virtus corporis caelestis, et materia disposita. In animalibus autem perfectis plura requiruntur principia; non enim agens universale sufficit, sed requiritur agens proprium univocum.

 

 

 

 

 

 

[80597] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 6Dicit ergo, quod viventia possunt facere alterum quale ipsa sunt quaecumque sunt perfecta ad excludendum pueros: et non orbata: ad excludendum eunuchos, et habentes similes defectus:aut quaecumque non habent generationem spontaneam: ad excludendum ea quae generantur ex putrefactione, quae dicuntur quasi sponte nasci, quia producuntur ex terra sine semine, per illam similitudinem, qua dicitur aliquis sponte facere illud, ad quod extrinseco non inducitur. Sic autem intelligitur, quod res viva facit alterum quale ipsum est, quia animal facit animal, et planta plantam. Et ulterius secundum speciem tale animal facit tale animal, ut homo generat hominem, et oliva olivam. Ideo autem est naturale viventibus facere alterum tale quale ipsum est, ut semper participent, secundum quod possunt, divino et immortali, id est ut assimilentur ei secundum posse.

 

 

 

 

 

[80598] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 7Considerandum est enim, quod sicut sunt diversi gradus perfectionis in aliquo uno et eodem, quod exit de potentia in actum, ita etiam sunt diversi gradus perfectionis in diversis entibus: unde quanto aliquid fuerit magis perfectum, tanto perfectioribus magis assimilatur. Sicut igitur unumquodque quando fuerit exiens de potentia in actum, cum fuerit in potentia, ordinatur ad actum, et appetit ipsum naturaliter, et cum fuerit in actu minus perfecte desiderat actum perfectiorem: ita unumquodque, quod est in inferiori gradu rerum, desiderat assimilari superioribus, quantum potest. Et hoc est quod subiungit, quod omnia appetunt illud, scilicet assimilari divino et immortali, et illius causa agunt, quaecumque naturaliter agunt.

 

[80599] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 8Sed intelligendum est, quod id cuius causa agitur, dicitur dupliciter. Uno modo id cuius causa agitur directe, sicut sanitatis causa agit medicus: alio modo sicut quo. Quod potest intelligi dupliciter. Uno modo, ut intelligamus, quod finis dicitur, et subiectum habens id cuius causa agitur, ut si dicamus, quod finis medicinae est, non tantum sanitas, sed etiam corpus habens sanitatem; alio modo ut dicamus, quod finis est, non tantum principale intentum, sed etiam illud quo illud adipiscimur, ut si dicamus, quod finis medicinae est calefacere corpus, quia a calore habetur aequalitas complexionis, quae est sanitas. Sic igitur et hoc potest dici, quod ipsum esse perpetuum est cuius causa agitur, vel res habens perpetuitatem, cui naturalia intendunt assimilari per generationem, in quo scilicet est perpetuitas, vel etiam ipsa generatio, qua perpetuitatem adipiscuntur.

 

 

 

 

 

 

[80600] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 9Quia igitur non possunt communicare inferiora viventia ipsi esse sempiterno et divino, per modum continuationis, idest ut maneant eadem numero, propter hoc quod nihil corruptibilium contingit unum et idem numero permanere semper, et cum necessitas corruptionis sit necessitas absoluta, utpote proveniens ex ipsa materia, non ex fine, sequitur, quod unumquodque communicet perpetuitate secundum quod potest: hoc quidem magis, quod est diuturnius: illud vero minus, quod est minus diuturnum, et tamen permanet semper per generationem, non idem simpliciter, sed ut idem, id est in simili secundum speciem. Unde exponens quod dixerat, subdit quod non permanet unum numero, quod est esse unum simpliciter; sed permanet idem specie, quia unumquodque generat sibi simile secundum speciem.

 

 

 

 

 

[80601] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 10Deinde cum dicit est autem ostendit quod opera, quae attribuuntur potentiae vegetativae, sunt ab anima. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit veritatem. Secundo excludit errorem, ibi, Empedocles autem non bene dixit, et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit: et dicit, quod anima est principium et causa viventis corporis. Et cum principium et causa dicatur multipliciter, anima dicitur tribus modis principium et causa viventis corporis. Uno modo, sicut unde est principium motus. Alio modo, sicut cuius causa, idest finis. Tertio, sicut substantia, id est forma corporum animatorum.

 

 

 

[80602] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 11Secundo ibi quod igitur probat quod supposuerat. Et primo, quod anima sit causa viventis corporis, ut forma: et hoc duplici ratione: quarum prima talis est. Illud est causa alicuius ut substantia, idest, ut forma, quod est causa essendi. Nam per formam unumquodque est actu. Sed anima viventibus est causa essendi; per animam enim vivunt, et ipsum vivere est esse eorum: ergo anima est causa viventis corporis, ut forma.

 

 

 

[80603] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 12Secundam rationem ponit ibi amplius autem quae talis est. Id quod est actus alicuius, est ratio et forma eius quod est in potentia: sed anima est actus corporis viventis, ut ex superioribus patet: ergo anima est ratio et forma viventis corporis.

 

[80604] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 13Secundo ibi manifestum autem ostendit quod anima est causa, ut finis. Et quod sit causa, ut finis, viventium corporum, sic ostendit. Sicut enim intellectus operatur propter finem, ita et natura, ut probatur in secundo physicorum. Sed intellectus in his quae fiunt per artem, materiam ordinat et disponit propter formam: ergo et natura. Cum igitur anima sit forma viventis corporis, sequitur quod sit finis eius.

 

 

[80605] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 14Et ulterius non solum anima est finis viventium corporum, sed etiam omnium naturalium corporum in istis inferioribus: quod sic probat. Videmus enim quod omnia naturalia corpora sunt quasi instrumenta animae, non solum in animalibus, sed etiam in plantis. Videmus enim quod homines utuntur ad sui utilitatem animalibus, et rebus inanimatis: animalia vero plantis et rebus inanimatis; plantae autem rebus inanimatis, inquantum scilicet alimentum et iuvamentum ab eis accipiunt. Secundum autem, quod agitur unumquodque in rerum natura, ita natum est agi. Unde videtur quod omnia corpora inanimata, sint instrumenta animatorum, et sint propter ipsa. Et etiam animata minus perfecta, sint propter animata magis perfecta. Et consequenter distinguit id cuius causa est, sicut et supra.

 

 

 

 

 

[80606] Sentencia De anima, lib. 2 l. 7 n. 15Tertio ibi at vero ostendit quod anima est principium moventis corporis, sicut unde motus: et utitur quasi tali ratione. Omnis forma corporis naturalis est principium motus proprii illius corporis, sicut forma ignis est principium motus eius. Sed quidam motus sunt proprii rebus viventibus: scilicet motus localis, quo animalia movent seipsa motu processivo secundum locum, licet hoc non insit omnibus viventibus: et similiter sentire est alteratio quaedam: et hoc non inest nisi habentibus animam. Item motus augmenti et decrementi non inest nisi illis quae aluntur, et nihil alitur nisi habens animam: ergo oportet, quod anima sit principium omnium istorum motuum.

Leçon  7

309. Après les avoir distinguées les unes des autres, et montré ce qu’il faut dire et dans quel ordre il faut traiter des puissances de l’âme, Aristote en traite ici selon l’ordre déjà fixé. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il détermine de chacune des parties de l’âme en disant ce qu’elle est. Dans la deuxième, il assigne la cause pour laquelle il y a une telle consécution entre elles, là où il dit : « Il est donc nécessaire que tout ce qui vit possède l’âme végétative etc. », à l’avant dernier chapître de ce livre [De l’Âme, L. 3, ch. 12]. La première partie se divise elle-même en quatre parties. Dans la première il traite de l’âme végétative. Dans la deuxième il traite de l’âme sensitive, là où il dit : « Ayant défini ces points, parlons de tous les sens en général etc. ». Dans la troisième, il traite de l’âme intellectuelle, là où il dit : « Mais au sujet de cette partie de l’âme par laquelle il connaît etc. ». Dans la quatrième, il traite de la puissance motrice selon le lieu, là où il dit : « Mais au sujet de la puissance motrice qui appartient à l’âme etc. ». Mais Aristote n’a pas écrit un chapître spécial sur la puissance appétitive, parce que l’appétit ne constitue pas en soi un degré spécial de vivants et parce qu’il en traitera (nn. 795-846) en même temps qu’il traitera de la puissance motrice. Or, la première de ces parties se divise elle-même en deux parties. Dans la première, il fait précéder certaines notions qui sont nécessaires à la connaissance de la partie végétative. Dans la deuxième il traite de la partie végétative, là où il dit : « Mais puisque c’est la même puissance de l’âme qui est à la fois végétative et génératrice etc. ». La première partie se divise à son tour en deux autres parties. Dans la première il dit quel est son propos. Dans la deuxième il manifeste certaines distinctions qui sont prérequises à la connaissance de la partie végétative, là où il dit : « En effet, la plus naturelle des fonctions etc. ».

310. Donc, en premier lieu, il conclut à partir de ce qui précède que qu’il faut parler des objets et des actes avant de traiter des puissances, et qu’il faudra traiter de la toute première puissance avant de considérer celles qui suivent ; par conséquent, il faudra parler d’abord de l’aliment qui est l’objet de l’âme végétative, puis de la génération qui est son acte. C’est pourquoi il faut premièrement parler de l’objet et de l’acte de cette partie, avant de parler des autres parties : en effet, cette partie de l’âme est la première de toutes les parties de l’âme dans les sujets dans lesquels elle se trouve avec d’autres parties : elle est alors comme le fondement des autres parties, tout comme l’être naturel auquel ses opérations appartiennent est le fondement de l’être sensible et de l’être intelligible. Et il y a une autre raison pour laquelle nous devons parler de cette partie en premier, et c’est parce qu’elle est commune à tous les vivants : en effet, elle-même est séparable des autres parties, alors que les autres parties n’en sont pas séparables, et parce qu’il faut d’abord traiter de ce qui est commun. Or, les opérations de cette partie sont la génération et l’usage de l’aliment, et c’est pourquoi il faut d’abord traiter de ces opérations.

311. Ensuite, lorsqu’il dit : « Car la fonction la plus naturelle etc. », il établit certaines distinctions qui sont prérequises à la connaissance de la partie végétative. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il montre que la génération appartient à la partie végétative : et il était nécessaire de faire cela car précédemment il n’avait pas attribué la génération à la partie végétative, mais seulement la croissance et la décroissance. Dans la deuxième il montre que les opérations de la puissance végétative procèdent de l’âme là où il dit : « Or, l’âme est la cause et le principe du corps vivant. » ; et il était nécessaire de faire cela, car puisque les qualités actives et passives sont au service de ces opérations, il aurait pu sembler que ces opérations procèdent de la nature et non de l’âme, surtout que chez les plantes la vie est comme cachée et latente.

312. Il manifeste le premier point par le raisonnement suivant. Toute opération qui se retrouve naturellement chez tous les vivants appartient à la puissance végétative selon laquelle la vie appartient premièrement à tous les vivants, comme nous l’avons dit (n. 288) : or, la génération appartient naturellement à tous les vivants ; elle appartient donc à la puissance végétative. Il dit donc que la génération est l’opération de l’âme végétative pour cette raison qu’elle est la plus naturelle des opérations appartenant à tous les vivants. Et il dit la plus naturelle, parce que cette opération se retrouve aussi chez les êtres inanimés qui sont eux aussi sujets de la génération, bien que cela se vérifie selon d’autres modalités : en effet, les êtres inanimés tiennent leur génération d’un agent extérieur, alors que les vivants la tiennent d’un principe intérieur en tant qu’ils sont engendrés à partir d’une semence qui se développe dans l’être vivant.

313. Mais il présente trois cas qui font exception à l’universalité de ce principe qui dit que la génération appartient naturellement à tous les vivants. Et il présente premièrement celui des êtres imparfaits, comme les enfants qui ne peuvent engendrer. En effet, l’être qui peut engendrer un être semblable à lui-même, quel que soit le genre dans lequel il se trouve, est un être parfait. Deuxièmement, il exclut de ce principe ceux qui souffrent du défaut d’un principe naturel, comme les eunuques et ceux qui sont frigides. Troisièmement, il en exclut aussi les animaux et les plantes qui ne sont pas engendrés à partir d’une semence, mais par putréfaction. En effet, en raison de leur imperfection, l’action d’un agent universel, comme la puissance du corps céleste, ainsi qu’une matière bien disposée, suffisent à la production de ces êtres. Chez les animaux parfaits, au contraire, leur génération exige de nombreux principes et l’intervention d’un agent universel ne suffit pas ; il faut en outre qu’intervienne un agent propre et univoque.

314. Il dit donc que ces vivants qui peuvent faire un autre vivant semblable à eux-mêmes sont « tous ceux qui sont parfaits » pour en exclure les enfants, « tous ceux qui ne sont pas infirmes », pour en exclure les eunuques ou ceux qui ont de semblables défauts, « et tous ceux qui n’ont pas une génération spontanée », pour en exclure ceux qui sont engendrés par putréfaction et au sujet desquels on dit qu’ils naissent comme spontanément parce qu’ils sont produits à partir de la terre sans semence, à la manière de celui dont on dit qu’il fait spontanément cette chose sans y être poussé par quelque chose d’extérieur. Qu’une chose vivante en fasse une autre semblable à elle-même, cela doit s’entendre en ce sens qu’un animal fait un animal ou qu’une plante fait une plante, et en outre que tel animal engendre tel animal selon la même espèce, comme l’homme engendre un homme et l’olive une olive. Et il est naturel aux vivants de faire d’autres êtres vivants semblables à eux-mêmes afin de participer éternellement, dans la mesure du possible, du divin et de l’immortel auxquels les vivants cherchent à s’assimiler jusqu’à un certain point.

315. Il faut considérer en effet que tout comme il existe différents degrés de perfection dans un seul et même être, de même encore il existe différents degrés de perfection entre des êtres divers : c’est pourquoi, plus un être sera parfait, plus il cherchera à être assimilé à des êtres plus parfaits. Donc, tout comme lorsqu’un être passe de la puissance à l’acte, tant qu’il est en puissance, il est ordonné à cet acte et le désire naturellement, et lorsqu’il est dans un acte moins parfait, il désire naturellement un acte plus parfait ; de même tout être qui se range dans un degré inférieur d’être désire être assimilé à des êtres de degrés supérieurs, dans la mesure du possible, et c’est justement ce qu’Aristote ajoute, à savoir que « tous les êtres désirent cela », c’est-à-dire être assimilé au divin et à l’immortel, « et telle est la raison d’être de leurs activités naturelles ».

316. Mais il faut bien comprendre que la fin ou la raison d’être de toute activité peut se dire en deux sens. Premièrement en celui où la fin se dit en un sens direct ou immédiat, tout comme la fin immédiate de l’activité du médecin est la santé. Deuxièmement, en celui où la fin se dit dans le sens de « ce par quoi », ou de moyen. Et cela peut s’entendre de deux manières. Premièrement en ce sens que la fin se dit aussi du sujet qui possède ce en vue de quoi on agit, par exemple lorsqu’on dit que la fin de la médecine est non seulement la santé, mais aussi le corps qui possède la santé. Deuxièmement en ce sens que la fin est prise non seulement en tant qu’intention principale, mais aussi comme ce par quoi ou au moyen de quoi cette intention est réalisée, comme lorsqu’on dit que la fin de la médecine est de réchauffer le corps, parce que c’est au moyen de la chaleur que se réalise l’égalité de complexion en laquelle consiste la santé. En conséquence, l’éternel lui-même dont l’activité est la fin peut désigner soit l’être même qui possède l’éternité, dans lequel réside l’éternité et auquel les êtres naturels cherchent à être assimilés par la génération, soit aussi la génération elle-même par laquelle l’éternité est atteinte.

317. Donc, parce que les vivants inférieurs ne peuvent communiquer directement avec l’éternel et le divin lui-même d’une manière continue, c’est-à-dire de manière à demeurer les mêmes numériquement parlant, pour cette raison qu’il n’est possible à aucun être corruptible de demeurer toujours le même numériquement, et puisque la nécessité de la corruption est une nécessité absolue en tant qu’elle procède de la matière elle-même et non de la fin, il s’ensuit que chacun des êtres vivants naturels communique à l’éternité dans la mesure où il le peut : un tel davantage, qui dure plus longtemps, tel autre moins, qui dure moins longtemps ; et cependant il demeure toujours le même par la génération, non pas le même absolument, mais « semblable à lui-même », c’est-à-dire par une ressemblance selon l’espèce. C’est pourquoi, pour expliquer ce qu’il avait dit, Aristote ajoute que le vivant ne demeure pas le même numériquement, ce qui reviendrait à demeurer le même absolument, mais il demeure le même spécifiquement, parce que tout vivant engendre un être qui lui est semblable selon l’espèce.

318. Ensuite, lorsqu’il dit « Or, l’âme est la cause etc. », il montre que les opérations qui sont attribuées à la puissance végétative procèdent de l’âme. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il manifeste cette vérité. Deuxièmement il écarte une erreur, là où il dit : « Mais Empédocle n’a pas bien parlé etc. » Au sujet du premier point il fait deux choses. Premièrement il présente son propos, en disant que l’âme est le principe et la cause du corps vivant. Et puisque les termes principe et cause se disent en plusieurs sens, c’est en trois sens qu’on dit de l’âme qu’elle est principe et cause du corps vivant. Premièrement comme ce d’où commence le mouvement. Deuxièmement, comme la raison d’être ou la fin. Troisièmement, comme la substance, c’est-à-dire la forme des corps animés.

319. Deuxièmement, lorsqu’il dit : « Donc, que l’âme soit etc. », il prouve son propos. Et premièrement que l’âme est cause du corps vivant en tant que forme, et il le prouve par deux raisonnements, dont voici le premier. Ce qui est cause de quelque chose en tant que substance, c’est-à-dire en tant que forme, c’est ce qui donne l’être ou l’existence à cette chose. Car c’est par sa forme que tout être existe en acte. Or l’âme, chez les vivants, est cause d’existence, puisque c’est par l’âme que les vivants vivent et que la vie est la forme d’existence qu’ils possèdent : l’âme est donc cause du corps vivant en tant que forme.

320. Il présente son deuxième raisonnement là où il dit : « Mais en outre etc. ». Et voici ce raisonnement. Ce qui tient lieu d’acte pour un être est la quiddité et la forme de ce qui est en puissance : or, l’âme est l’acte du corps vivant, comme nous l’avons vu plus haut (nn. 233 ; 241 ; 253 ; 271). Donc, l’âme est la quiddité et la forme du corps vivant.

321. Deuxièmement, lorsqu’il dit : « Or, il est manifeste etc. », il montre que l’âme est aussi cause du corps vivant en tant que fin. Et c’est de la manière qui suit qu’Aristote montre que l’âme est aussi cause du corps vivant en tant que fin. En effet, la nature, tout comme l’intelligence, opère en vue d’une fin, comme le prouve le Philosophe [Physique, L. 2, ch. 8]. Or l’intelligence, dans les choses qui sont produites par l’art, ordonne et dispose la matière en vue d’une forme : la nature fait donc de même. Donc, puisque l’âme est la forme du corps vivant, il s’ensuit qu’elle en est la fin.

322. Et en outre, l’âme est non seulement la fin de tous les corps vivants, mais même de tous les corps naturels qui existent en ce monde. Et il le prouve de la manière suivante. Nous voyons en effet que tous les corps naturels sont comme les instruments de l’âme, non seulement chez les animaux, mais aussi chez les plantes. Nous voyons en effet que les hommes se servent des animaux et des choses inanimées pour leurs besoins, que les animaux se servent des plantes et des choses inanimées et que les plantes se servent des choses inanimées, c’est-à-dire dans la mesure où elles reçoivent d’elles leur nourriture et leur aide. Or, tout être est naturellement apte à agir de la manière dont il agit dans la réalité des choses. C’est pourquoi il est clair que tous les corps inanimés sont les instruments des corps animés et qu’ils existent pour eux. Il est même permis de dire que les corps animés moins parfaits existent en vue des corps animés plus parfaits. En conséquence, Aristote se trouve à avoir distingué l’âme en tant que fin des corps animés comme il l’avait annoncé plus haut (n. 316).

323. Troisièmement, lorsqu’il dit : « Mais en outre, etc. », il montre que l’âme est le principe du corps qui se meut, tout comme elle est le principe d’où procède le mouvement. Et il le fait en usant de ce raisonnement. Toute forme d’un corps naturel est le principe du mouvement propre de ce corps, tout comme la forme du feu est le principe du mouvement du feu. Mais certains mouvements sont propres aux êtres vivants, comme le mouvement local par lequel les animaux se meuvent eux-mêmes par un mouvement successif selon le lieu, bien que ce mouvement n’appartienne pas à tous les vivants : de même, la sensation est une certaine altération, et cela n’appartient qu’à des êtres qui ont une âme. De même encore, les mouvements de croissance et de décroissance n’appartiennent qu’à des êtres qui grandissent, et rien ne peut grandir s’il n’a pas une âme : il faut donc que l’âme soit le principe de tous ces mouvements.

 

 

LECTIO 8

[80607] Sentencia De anima, lib. 2 l. 8 n. 1Superius ostendit philosophus, quod opera quae attribuuntur potentiae vegetativae, sunt ab anima. Nunc excludit quosdam errores, contra determinatam veritatem. Et dividitur in partes duas, secundum duos errores, quos removet. Secunda pars incipit, ibi, videtur autem quibusdam. Circa primum duo facit. Primo ponit errorem. Secundo improbat ipsum, ibi, neque enim sursum et deorsum. Sciendum est igitur circa primum, quod sicut Empedocles alias utilitates, quae in rebus viventibus proveniunt, non dixit procedere ex intentione naturae, sed ex necessitate materiae, puta quod pedes animalium sic sunt dispositi, non ut sint utiles ad gressum, sed quia sic contingit materiam dispositam fuisse circa pedes; ita etiam et augmentum viventium non attribuit animae, sed motui gravium et levium. Videbat enim quod viventia augentur in diversas partes, puta sursum et deorsum; quod apparet manifeste in plantis, quae radices in deorsum mittunt, et rami in sursum elevantur. Dicebat igitur, quod augmentum plantarum in deorsum, causatur ex motu terrae, quae est in compositione plantae, et naturaliter deorsum fertur, propter sui gravitatem. Augmentum autem in sursum causatur ex motu ignis, qui propter sui levitatem naturaliter sursum fertur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80608] Sentencia De anima, lib. 2 l. 8 n. 2Deinde cum dicit neque enim reprobat praedictam opinionem dupliciter. Et primo quidem per hoc quod non bene accipit sursum et deorsum. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sursum et deorsum, et aliae positionum differentiae, scilicet ante et retro, dextrum et sinistrum, in quibusdam quidem distinguuntur secundum naturam, in quibusdam vero solum positione quoad nos. In quibus enim sunt determinatae partes, quae sunt naturaliter principia aliquorum motuum, in his distinguuntur praedictae positionum differentiae secundum naturam; sicut in universo, ad cuius medium naturaliter feruntur gravia, ad circumferentiam feruntur naturaliter levia. Unde in universo sursum et deorsum naturaliter distinguuntur. Et sursum dicitur locus ad quem feruntur levia: et deorsum sive medium, ad quem feruntur naturaliter gravia. In viventibus etiam et mortalibus, secundum motum augmenti et decrementi, determinantur sursum et deorsum. Nam sursum dicitur illa pars, unde viventia alimentum accipiunt; deorsum autem pars opposita, unde superfluitates emittuntur.

 

 

 

 

 

 

 

[80609] Sentencia De anima, lib. 2 l. 8 n. 3Ante vero et retro determinatur in quibusdam animalibus vel viventibus secundum sensum: dextrum et sinistrum secundum motum localem. In his vero in quibus non est aliqua determinata pars, principium aut terminus alicuius motus, in eis non determinantur positionum differentiae secundum naturam, sed solum positione quoad nos, sicut in rebus inanimatis. Unde eadem columna dicitur sinistra et dextra, secundum quod est homini dextra vel sinistra. In quibusdam autem viventium, in quibus determinatur sursum et deorsum secundum naturam, eodem modo determinantur sicut in universo; ut in homine, cuius superior pars, idest caput, est versus sursum universi, inferior autem est versus deorsum ipsius. In plantis autem est e converso; nam radices plantarum sunt proportionabiles capiti; ad eumdem enim actum ordinantur: nam sicut animalia cibum accipiunt ore, quod est in capite, ita plantae radicibus. Instrumenta autem dicuntur eadem et altera, sive similia et dissimilia, ex operibus, quae sunt fines eorum; unde radices plantarum sunt similes capitibus animalium, et tamen sunt versus deorsum. Unde modo contrario se habet sursum et deorsum in plantis, et in universo. In brutis autem animalibus non eodem modo se habet; quia eorum capita non se habent versus sursum universi, neque deorsum ipsius. Hoc est ergo quod dicit, quod sursum et deorsum non est idem omnibus, scilicet viventibus, et omni, idest universo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80610] Sentencia De anima, lib. 2 l. 8 n. 4Sed Empedocles sic accipit sursum et deorsum, ac si eodem modo esset in omnibus viventibus et in universo. Si enim motus augmenti, secundum quem determinatur sursum et deorsum in viventibus, sit secundum motum gravium et levium secundum quem determinatur sursum et deorsum in universo, sequetur quod eodem modo sit sursum et deorsum in omnibus viventibus et in universo. Et ideo etiam ipse in plantis augmentum radicum dicit esse deorsum.

 

 

[80611] Sentencia De anima, lib. 2 l. 8 n. 5Secundo ibi adhuc autem reprobat praedictam positionem alio modo. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum elementa non sint actu in mixto, sed in virtute, non habet in eo quodlibet elementum seorsum proprium motum, sed totum mixtum movetur motu elementi praedominantis in ipso. Si autem quodlibet elementum haberet proprium motum, ut Empedocles ponere videbatur; cum naturalis motus elementorum sit ad contraria loca, sequeretur, quod totaliter abinvicem separarentur, nisi esset aliquid continens elementa, quod non sineret totaliter abscedere elementa abinvicem. Illud autem quod continet elementa, ne totaliter abinvicem segregentur, maxime videtur esse causa augmenti. Sed augmentum secundum diversas partes contingit ex diversis motibus elementorum. Non enim posset imaginari, qualiter esset augmentum, elementis in contraria motis, nisi per hoc quod manent adinvicem coniuncta; quia si totaliter separarentur, esset divisio, non augmentum. Illud igitur principaliter est causa augmenti, quod continet elementa, ne totaliter abinvicem separentur: hoc autem est anima in rebus viventibus: anima igitur est principium augmenti.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80612] Sentencia De anima, lib. 2 l. 8 n. 6Deinde cum dicit videtur autem ponit aliam positionem. Et circa hoc duo facit. Primo ponit eam. Secundo improbat, ibi, hoc autem concausa, et cetera. Sciendum est autem, quod haec opinio differt in hoc a prima, quod prima attribuebat causam augmenti et alimenti diversis elementis, scilicet igni et terrae: haec autem attribuit eorum causam igni tantum.

 

 

 

[80613] Sentencia De anima, lib. 2 l. 8 n. 7Et movebantur ad hoc hac ratione. Quia illud videtur esse principium alicuius passionis vel motus in aliquo, secundum quod se habet illam passionem vel motum: sicut ignis, qui secundum se calidus est, est causa caloris in rebus mixtis; et terra, quae secundum se est gravis, est causa gravitatis in eis. Inter autem elementa videtur solus ignis nutriri et augeri, si superficialiter de nutrimento et augmento loquamur. Solus igitur ignis videtur esse faciens augmentum et alimentum in plantis et animalibus. Utrum vero ignis nutriatur et augeatur, inferius erit manifestum.

 

 

 

 

[80614] Sentencia De anima, lib. 2 l. 8 n. 8Deinde cum dicit hoc autem improbat praedictam positionem. Sciendum tamen est, quod praedicta positio aliquid habet veritatis. Necesse est enim omne alimentum decoqui: quod quidem fit per ignem: unde ignis aliquo modo operatur ad alimentum, et per consequens ad augmentum: non quidem sicut agens principale, hoc enim est animae; sed sicut agens secundarium et instrumentale. Et ideo dicere, quod ignis quodammodo concausa est augmenti et alimenti, sicut instrumentum concausa est principalis agentis, verum est; non tamen est principaliter causa ut principale agens, sed hoc modo causa est anima: quod sic probat.

 

 

 

[80615] Sentencia De anima, lib. 2 l. 8 n. 9Illud est principale in qualibet actione a quo imponitur terminus et ratio ei quod fit; sicut patet in artificialibus, quod terminus vel ratio arcae vel domui non imponitur ab instrumentis, sed ab ipsa arte. Nam instrumenta se habent differenter ut cooperentur ad hanc formam vel quantitatem, vel aliam. Serra enim quantum est de se, apta est ad secandum lignum, secundum quod competit et ostio, et scamno, et domui, et in quacumque quantitate; sed quod sic secetur lignum, quod sit aptum ad talem formam et ad talem quantitatem, est ex virtute artis. Manifestum est autem, quod in omnibus quae sunt secundum naturam, est certus terminus, et determinata ratio magnitudinis et augmenti: sicut enim cuilibet speciei debentur aliqua accidentia propria, ita et propria quantitas, licet cum aliqua latitudine propter diversitatem materiae, et alias causas individuales; non enim omnes homines sunt unius quantitatis. Sed tamen est aliqua quantitas tam magna, ultra quam species humana non porrigitur; et alia quantitas tam parva, ultra quam homo non invenitur. Illud igitur quod est causa determinationis magnitudinis et augmenti est principalis causa augmenti. Hoc autem non est ignis. Manifestum est enim, quod ignis augmentum non est usque ad determinatam quantitatem, sed in infinitum extenditur, si in infinitum materia combustibilis inveniatur. Manifestum est igitur, quod ignis non est principale agens in augmento et alimento, sed magis anima. Et hoc rationabiliter accidit; quia determinatio quantitatis in rebus naturalibus est ex forma, quae est principium speciei, magis quam ex materia. Anima autem comparatur ad elementa, quae sunt in corpore vivente, sicut forma ad materiam. Magis igitur terminus et ratio magnitudinis et augmenti est ab anima, quam ab igne.

Leçon  8

324. Après avoir montré précédemment (nn. 318-324) que les opérations qui sont attribuées à la puissance végétative procèdent de l’âme, le Philosophe écarte ici certaines erreurs qui vont à l’encontre de la vérité qui vient d’être établie. Et cette section se divise en deux parties correspondant à chacune de ces erreurs qu’il réfute. La deuxième partie commence là où il dit : « Or, certains philosophes pensent etc. ». Et au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il présente une erreur. Deuxièmement il la réfute, là où il dit : « En effet, il n’entend ni le haut ni le bas etc. ». Il faut donc savoir au sujet du premier point que tout comme Empédocle n’a pas soutenu que les autres utilités qui proviennent des choses vivantes procèdent d’une intention de la nature mais d’une nécessité de la matière, par exemple que les pattes des animaux sont ainsi disposés non pas pour être utiles à la marche, mais parce que c’est ainsi que la matière était disposée de manière à donner un pied ; de même ce n’est pas à l’âme qu’il a attribué la croissance des vivants, mais plutôt au mouvement des choses lourdes et légères. Il voyait en effet que les vivants croissent en des directions diverses, par exemple vers le haut et vers le bas, ce qui s’observe manifestement chez les plantes dont les racines se dirigent vers le bas alors que les branches s’élèvent vers le haut. Il disait donc que la croissance des plantes vers le bas est causée par le mouvement de la terre qui, entrant dans la composition de la plante, se porte naturellement vers le bas en raison de sa lourdeur ; il ajoutait que la croissance des branches vers le haut est causée par le mouvement du feu qui se porte naturellement vers le haut en raison de sa légèreté.

325. Ensuite, lorsqu’il dit : « En effet, Empédocle n’a pas etc. », il rejette cette opinion de deux manières. Et il le fait premièrement en disant qu’Empédocle n’a pas bien entendu ce qu’est le haut et le bas. Et pour le manifester, il faut savoir que le haut et le bas, ainsi que les autres différences qu’on trouve parmi les positions, comme l’avant et l’arrière, la droite et la gauche, se distinguent par nature chez certains êtres alors que chez d’autres elles se distinguent seulement par une position relative à nous. Chez certains vivants en effet il existe des parties déterminées qui sont par nature les principes de certains mouvements déterminés et chez ces vivants les différences de position dont nous venons de parler se distinguent selon la nature. En effet, tout comme dans l’univers les corps lourds sont naturellement portés vers le centre de l’univers  alors que ceux qui sont légers sont naturellement portés vers sa circonférence, c’est pourquoi, dans l’univers, le haut et le bas se distinguent naturellement puisqu’on appelle alors le haut le lieu vers lequel se portent naturellement les corps légers, et le bas ou le centre le lieu vers lequel se portent naturellement les corps lourds. De même, chez les vivants et les êtres mortels, le haut et le bas se déterminent suivant le mouvement de croissance et de décroissance, car on appelle le haut cette partie de l’animal par laquelle il reçoit l’aliment et le bas cette partie opposée par laquelle il rejette les déchets résultant de l’alimentation.

326. Mais chez certains animaux l’avant et l’arrière se déterminent d’après le sens, la gauche et la droite d’après le mouvement local. Mais chez les animaux dans lesquels ne se trouve pas une partie déterminée qui serait le principe ou le terme d’un mouvement, les différences de position ne se déterminent pas en eux selon la nature mais seulement par une position relative à nous, comme c’est le cas pour les choses inanimées. C’est pourquoi nous disons d’une même colonne qu’elle est à la droite et à la gauche selon qu’elle est à la droite ou à la gauche de l’homme. Mais chez certains vivants pour lesquels le haut et le bas se déterminent d’après la nature, le haut et le bas se déterminent comme dans l’univers ; par exemple, chez l’homme, la partie supérieure, à savoir la tête, est tournée vers le haut de l’univers, alors que sa partie inférieure est tournée vers le bas de celui-ci. Or, chez les plantes, c’est tout le contraire, car les racines des plantes sont l’analogue de la tête et sont ordonnées à la même opération : en effet, tout comme les animaux reçoivent leur nourriture par la bouche qui fait partie de la tête, les plantes font de même par leurs racines. Or c’est à partir des opérations, qui sont leurs fins, qu’on dit des instruments qu’ils sont les mêmes ou qu’ils sont autres, qu’ils ont semblables ou dissemblables : il en résulte que les racines des plantes sont l’analogue de la tête chez l’animal, même si elles sont tournées vers le bas. Il résulte de là que le haut et le bas, selon qu’on les considère chez les plantes et dans l’univers, se présentent suivant des modalités contraires. Mais chez les brutes animales, le haut et le bas ne se présentent pas suivant la même modalité, car leur tête n’est tournée ni vers le haut, ni vers le bas de l’univers. Et c’est justement ce que dit Aristote, à savoir que le haut et le bas ne sont pas les mêmes pour chaque être, c’est-à-dire pour tous les vivants, et dans l’ensemble, c’est-à-dire pour l’univers.

327. Mais Empédocle entend le haut et le bas comme s’ils se présentaient de la même manière chez tous les vivants et dans l’ensemble de l’univers. En effet, si le mouvement de croissance, selon lequel se déterminent le haut et le bas chez les vivants, était consécutif au mouvement des corps lourds et légers selon lequel se déterminent le haut et le bas dans l’univers, il s’ensuivrait que le haut et le bas se présenteraient de la même manière chez tous les vivants et dans l’ensemble de l’univers. Et c’est pourquoi il dit lui-même encore que chez les plantes la croissance des racines s’effectue vers le bas.

328. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais en outre etc. », il rejette l’opinion d’Empédocle d’une autre manière. Pour le manifester, il faut savoir que puisque les éléments ne sont pas présents en acte mais seulement en puissance dans le composé, ce n’est pas tout élément qui possède en lui son mouvement propre vers le haut, mais tout le corps composé se meut conformément au mouvement de l’élément prédominant qui est en lui. Or, si tout élément possédait son mouvement propre, comme Empédocle semblait le soutenir, puisque le mouvement naturel des éléments tend vers des lieux contraires, il s’ensuivrait qu’ils se sépareraient totalement les uns des autres, sauf s’il existait quelque chose qui contiendrait les éléments et ne permettrait pas que les éléments s’éloignent les uns des autres. Or, ce qui contient les éléments, afin qu’ils ne s’éloignent pas totalement les uns des autres, semble principalement être la cause de la croissance. Mais la croissance selon les diverses parties de l’animal n’est possible que par des mouvements divers des éléments. En effet, on ne peut imaginer de quelle manière s’effectuerait la croissance, si les mouvements des éléments s’effectuaient en des directions contraires, sauf en admettant que ces mêmes éléments demeurent unis ensemble. En effet, si les éléments se séraraient totalement, cela entraînerait une division entre eux, et non une croissance. En conséquence, ce qui cause principalement la croissance et qui contient les éléments, afin qu’ils ne se séparent pas totalement les uns des autres, n’est rien d’autre que l’âme présente dans les choses vivantes : l’âme est donc le principe de la croissance.

329. Ensuite, lorsqu’Aristote dit : « Certains philosophes pensent etc. », il présente une autre opinion, et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il la présente. Deuxièmement, il la réfute, là où il dit : « Mais si cela est une cause adjuvante etc. ». Or, il faut savoir que cette dernière opinion diffère de la première en ceci que la première attribuait la cause de la croissance et de la décroissance à divers éléments, c’est-à-dire au feu et à la terre, alors que la dernière en attribue la cause au feu seulement.

330. Et ces philosophes étaient poussés à adopter cette position pour la raison suivante. Une chose semble être le principe d’une passion ou d’un mouvement dans un être, en tant qu’elle-même possède en elle cette passion ou ce mouvement : par exemple, le feu est cause de chaleur dans les choses mixtes en tant qu’il est lui-même chaud, tout comme la terre est cause de lourdeur dans les choses en tant qu’elle est elle-même lourde. Or, parmi les éléments, seul le feu semble se nourrir et croître, si toutefois on entend la nutrition et la croissance en un sens large et même superficiel. Donc, selon eux, seul le feu semble pouvoir produire la croissance et la nutrition chez les plantes et les animaux. Mais pour ce qui est de savoir si le feu se nourrit et croît véritablement, nous le manifesterons plus loin (nn. 341-342).

331. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais si cela est une cause adjuvante etc. », il réfute cette opinion. Il faut cependant savoir que cette opinion est vraie en partie. Il est nécessaire en effet que tout élément soit digéré, ce qui se réalise certes au moyen du feu : c’est pourquoi le feu opère en quelque sorte sur l’aliment et contribue par conséquent à la croissance, non pas en tant qu’agent  principal, ce qui revient à l’âme, mais en tant qu’agent secondaire et instrumental. Et c’est pourquoi il est vrai de dire que le feu est en quelque sorte la cause adjuvante de la croissance et de la nutrition, en tant qu’il est l’instrument ou la cause adjuvante de l’agent principal ; il n’en est cependant pas la cause principale, en tant qu’agent premier, car c’est à l’âme qu’il revient d’être cause de cette manière. Et Aristote le prouve au moyen de ce qui suit.

332. En toute opération, l’agent principal est celui qui détermine le terme et la fin de ce qui est produit, comme on le voit dans les choses artificielles où le terme et la fin de l’armoire ou de la maison ne sont pas déterminés par les instruments, mais par l’art lui-même. En effet, les instruments se présentent différemment dans leur coopération visant à réaliser telle ou telle autre forme, telle ou telle autre quantité. Par exemple, la scie, en elle-même, est apte à couper du bois, en tant que cela convient à la porte, à l’escabeau et à la maison, et pour toutes les quantités ; mais que le bois soit coupé de telle manière qu’il soit apte à recevoir telle forme et telle quantité plutôt qu’une autre, cela relève du pouvoir de l’art. Or, il est manifeste que pour toutes les choses qui procèdent de la nature, il existe un terme certain et une fin déterminée de la grandeur et de la croissance : en effet, tout comme certains accidents propres doivent être attribués à chaque espèce, de même une quantité propre lui est attribuée, bien que ce soit à l’intérieur d’une certaine étendue en raison de la diversité de la matière et en raison d’autres causes individuelles ; ce ne sont pas tous les hommes en effet qui ont la même quantité. Il existe cependant une quantité maximale au-delà de laquelle l’espèce humaine ne peut plus se développer et une autre, minimale, au-delà de laquelle elle ne peut se trouver. Donc, ce qui est cause de la détermination de la grandeur et de la croissance est la cause principale de la croissance. Et cela n’est pas le feu. Il est manifeste en effet que la croissance du feu ne s’arrête pas à une quantité déterminée mais qu’elle s’étendrait à l’infini si on trouvait une matière combustible disponible à l’infini. Il est donc manifeste que ce n’est pas le feu, mais plutôt l’âme, qui est l’agent principal de la croissance et de la nutrition. Et il est rationnel qu’il en soit ainsi, car la détermination de la quantité chez les choses naturelles vient de la forme, qui est le principe de l’espèce, plus que de la matière. Or, l’âme se compare aux éléments qui sont dans le corps vivant comme la forme se compare à la matière. Donc, le terme et la fin de la grandeur et de la croissance vient bien davantage de l’âme que du feu.

 

 

LECTIO 9

[80616] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 1Postquam philosophus ostendit, quod anima est principium operationum quae attribuuntur potentiae vegetativae, hic intendit de his determinare. Et circa hoc tria facit. Primo determinat de obiecto secundum se, scilicet de alimento. Secundo determinat de eo secundum quod congruit operationibus animae vegetativae, ibi, quoniam autem non alitur. Tertio potentias definit, quae sunt principia harum operationum, ibi, quare huiusmodi animae, et cetera. Circa primum tria facit. Primo dicit de quo est intentio. Secundo proponit id quod primo aspectu apparet de alimento, ibi, videtur autem esse alimentum, et cetera. Tertio movet circa hoc dubitationem, ibi, dubitationem autem habet. Dicit ergo primo, quod cum vegetativa et generativa ab eadem communi potentia animae contineatur, licet vegetativa, idest nutritiva sit quaedam specialis potentia distincta a generativa, oportet primum determinare de alimento, quod est obiectum generativae, sive nutritivae. Hoc enim opere, scilicet nutritione, distinguitur haec pars animae ab aliis, scilicet intellectivo, sensitivo, et cetera. Nam aliae operationes huius partis, idest animae, hanc praesupponunt.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80617] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 2Deinde cum dicit videtur autem proponit illud, quod primo aspectu de alimento apparet; et proponit tria: quorum primum est, quod alimentum videtur esse contrarium ei quod alitur; et hoc ideo, quia nutrimentum convertitur in id quod nutritur: generationes autem fiunt ex contrariis. Secundum autem est quod non videtur quodcumque contrarium sufficere ad rationem alimenti, sed oportet quod sit de illis contrariis, quae habent generationem ex se invicem. Nutrimentum enim convertitur in substantiam nutriti; unde quaecumque contraria insunt in substantia, secundum quae fiunt alterationes adinvicem, et non generationes, non pertinent ad rationem alimenti. Non enim dicimus quod infirmum sit nutrimentum sani, vel album nigri, aut aliquid huiusmodi. Quomodo autem in substantiis sit aliqua contrarietas, alia quaestio est.

 

 

 

[80618] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 3Tertio oportet, quod sit de illis contrariis, quae augmentum suscipiunt ex invicem, quia alimentum videtur sequi augmentum. Unde licet ex igne generetur aqua, sicut e converso, non tamen dicitur quod ex igne nutriatur aqua: sed quod ex aqua nutriatur ignis, inquantum liquores humidi cedunt in ignis nutrimentum: quia scilicet dum ignis in aquam convertitur, non apparet nova aquae generatio; sed ignis praeexistens, ad sui conservationem et augmentum videtur in se humorem convertere. Et ideo in elementis videtur solus ignis nutriri, et sola aqua esse eius nutrimentum, secundum quod ad aquam pertinent omnes humores et liquores.

 

 

[80619] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 4Deinde cum dicit dubitationem autem movet quamdam dubitationem circa praedeterminata. Et primo obiicit ad utramque partem. Secundo solvit eam, ibi, utrum autem sit alimentum, et cetera. Oritur autem dubitatio circa hoc quod supra dictum est, quod alimentum oportet esse contrarium. Quibusdam autem videtur quod alimentum oportet esse simile ei quod alitur. Alimentum enim est causa augmenti: oportet autem quod simile simili augeatur. Si enim aliquid diversum apponeretur alicui, non esset eiusdem augmentum, sed naturae extraneae adiunctio. Videtur igitur quod oporteat simile simili ali.

 

 

 

[80620] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 5Aliis autem videtur, quod alimentum oportet esse contrarium ei quod alitur, secundum id quod supra dictum est. Et ad hoc inducuntur duplici ratione: quarum prima est, quia alimentum decoquitur et mutatur in id quod nutritur. Nihil autem mutatur nisi in contrarium aut medium; sicut album mutatur in nigrum aut pallidum. Medium autem est quodammodo contrarium. Pallidum enim albo comparatum, est nigrum: nigro vero comparatum, est album; est enim compositum ex utroque. Ergo nutrimentum est contrarium ei quod alitur, et in quod mutatur.

[80621] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 6Secunda ratio est, quia agens est contrarium patienti; non enim simile a simili patitur. Alimentum autem patitur ab eo quod alitur; alteratur enim ab eo, et digeritur. Id autem quod alitur, non patitur ab alimento, sicut neque artifex patitur a materia, sed e converso: materia enim mutatur, non autem artifex, nisi forte per accidens, secundum quod exit de potentia in actum. Videtur igitur, quod alimentum sit contrarium ei quod alitur. Prima igitur harum rationum sumitur ex contrarietate quam oportet esse inter terminos mutationis. Secunda vero ex contrarietate, quam oportet esse inter agens et patiens. Id enim quod alitur, et agit in alimentum, est terminus, in quem alimentum mutatur.

 

 

 

[80622] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 7Deinde cum dicit utrum autem solvit propositam dubitationem; dicens, quod differt quantum ad propositam quaestionem, utrum alimentum dicatur id quod ultimo advenit, scilicet post decoctionem et digestionem, an illud quod primo assumitur, scilicet antequam digeratur et decoquatur. Et si dici possit utrumque horum, alimentum: unum horum quasi alimentum decoctum, aliud vero quasi non decoctum, secundum utramque partem quaestionis poterit iudicari de alimento. Quia inquantum alimentum dicitur non decoctum, sic contrarium contrario alitur, hoc enim est quod patitur et mutatur. Inquantum vero est coctum, sic alitur simile simili; agens enim assimilat sibi patiens; unde in fine passionis oportet passum esse simile agenti, et per hunc modum potest augere id quod alitur. Et sic patet quod utrique praedictorum opinantium, aliquo modo dicunt recte, et aliquo modo non dicunt recte.

 

 

 

 

[80623] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 8Deinde cum dicit quoniam autem determinat de alimento secundum quod convenit operationibus animae vegetativae. Et primo secundum quod congruit nutritioni. Secundo secundum quod congruit augmento, ibi, est autem alterum alimento, et cetera. Tertio secundum quod congruit generationi, ibi, et generationis autem factivum, et cetera. Dicit ergo primo, quod nihil nutritur, quod non participet vitam: omne autem participans vitam est animatum: sequitur ergo quod corpus quod alitur sit animatum. Alimentum autem est in potentia ad id quod alitur, convertitur enim in ipsum: relinquitur ergo quod alimentum, inquantum est nutritionis obiectum, sit aliquid existens in potentia ad animatum per se, et non secundum accidens.

 

[80624] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 9Considerandum est autem, quod nihil proprie nutritur nisi animatum: ignis autem videtur quidem per quamdam similitudinem nutriri, non autem proprie nutritur: quod sic patet. Id proprie nutriri dicimus, quod in seipso aliquid recipit ad suiipsius conservationem: hoc autem in igne videtur quidem accidere, sed tamen non accidit. Cum enim igne accenso aliqua materia combustibilis additur, in illa materia combustibili novus ignis generatur, non autem ita, quod illud combustibile additum cedat in conservationem ignis, in alia materia prius accensi. Puta, si aliquod lignum de novo ignitur, per hanc ignitionem non conservatur ignitio alterius ligni prius igniti: totus enim ignis qui est ex congregatione multorum ignitorum, non est unus simpliciter, sed videtur unus aggregatione, sicuti acervus lapidum est unus: et propter talem unitatem, est ibi quaedam similitudo nutritionis.

 

 

 

 

 

 

 

[80625] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 10Sed corpora animata vere nutriuntur, quia per alimentum conservatur vita in illa parte eadem, quae prius fuit. Et propter hoc etiam sola animata vere augentur, quia quaelibet pars eorum nutritur et augetur; quod non convenit rebus inanimatis, quae videntur per additionem crescere. Non enim crescit id quod prius fuit, sed ex additione alterius constituitur quoddam aliud totum maius. Ideo autem similitudo augmenti et nutrimenti praecipue apparet in igne, quia ignis habet plus de forma, quam alia elementa, et est potentior in virtute activa: unde propter hoc quod manifeste alia convertit in se, videtur nutriri et augeri.

 

 

 

 

 

[80626] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 11Deinde cum dicit est autem ostendit quomodo alimentum congruit augmento. Et dicit quod licet idem sit subiecto, quod est obiectum nutritionis, prout dicitur alimentum, et quod est obiectum augmenti, prout dicitur augmentativum, tamen differt ratione. Dictum est enim quod alimentum est in potentia ad corpus animatum. Corpus autem animatum, et est quoddam quantum, et est hoc aliquid et substantia. Secundum igitur quod est quoddam quantum, secundum hoc alimentum adveniens ei, quod etiam et ipsum quantum est facit augmentum, et dicitur augmentativum: in quantum autem corpus animatum, hoc aliquid et substantia est, sic habet rationem alimenti. Hoc enim est de ratione alimenti, quod conservat substantiam eius quod alitur. Quae quidem conservatio necessaria est propter continuam consumptionem humidi a calido naturali; et ideo tamdiu durat substantia eius quod nutritur, quamdiu nutriatur.

 

 

 

[80627] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 12Deinde cum dicit et generationis ostendit quomodo alimentum congruat generationi. Et dicit, quod etiam alimentum est factivum generationis. Semen enim quod est generationis principium, est superfluum alimenti. Non tamen alimentum est principium generationis eius quod alitur, sed alterius quod est tale secundum speciem, quale est quod alitur: quia substantia quae alitur, iam est, et quod est, non generatur, et nihil generat seipsum; quia quod generat, iam est, quod generatur nondum est. Sed aliquid potest agere ad sui conservationem.

 

 

 

 

[80628] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 13Deinde cum dicit quare tale ex praemissis accipit definitionem potentiarum animae vegetabilis. Et primo potentiae nutritivae. Secundo totius animae vegetabilis, ibi, quoniam autem a fine, et cetera. Circa primum, primo ex praemissis concludit definitionem potentiae nutritivae: et dicit, quod cum dictum sit, quod nutrimentum inquantum huiusmodi salvat nutritum, manifestum est quod hoc principium animae, quod scilicet est principium nutritionis, nihil est aliud quam potentia potens salvare suum susceptivum, inquantum huiusmodi. Alimentum vero est, quod praeparat operationem huiusmodi potentiae, inquantum talis potentia mediante alimento salvat suum susceptivum. Et propter hoc, illud quod privatur alimento, non potest conservari.

 

 

[80629] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 14Et quia dixerat, quod principium nutritionis est potentia animae, cuius principium est etiam alimentum, ut ex dictis patet; ideo secundo ibi quoniam autem ostendit quomodo differenter potentia animae et alimentum sunt principia nutritionis. Dicit ergo, quia in nutritione sunt tria: quod alitur, quo alitur et alens primum. Primum quidem alens est prima anima, scilicet anima vegetabilis. Illud vero quod alitur est corpus habens hanc animam, sed illud quo alitur est alimentum. Sic igitur potentia animae est principium nutritionis, ut agens principale; alimentum autem, ut instrumentum.

 

 

 

 

 

 

[80630] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 15Deinde cum dicit quoniam autem definit ipsam primam animam, quae dicitur anima vegetabilis; quae quidem in plantis est anima, in animalibus pars animae. Et circa hoc duo facit. Primo definit huiusmodi animam. Ad cuius definitionis intellectum, sciendum est, quod inter tres operationes animae vegetabilis, est quidam ordo. Nam prima eius operatio est nutritio, per quam salvatur aliquid ut est. Secunda autem perfectior est augmentum, quo aliquid proficit in maiorem perfectionem, et secundum quantitatem et secundum virtutem. Tertia autem perfectissima et finalis est generatio per quam aliquid iam quasi in seipso perfectum existens, alteri esse et perfectionem tradit. Tunc enim unumquodque maxime perfectum est, ut in quarto Meteororum dicitur, cum potest facere alterum tale, quale ipsum est. Quia igitur iustum est, ut omnia definiantur et denominentur a fine, finis autem operum animae vegetabilis est generare alterum tale quale ipsum est, sequitur quod ipsa sit conveniens definitio primae animae, scilicet vegetabilis, ut sit generativa alterius similis secundum speciem.

 

 

 

 

 

[80631] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 16Et quia dixerat, quod alimentum est instrumentum huius animae, ne credatur quod non habeat aliud instrumentum, ideo secundo ibi est autem ostendit quod habeat aliud instrumentum: et dicit quod duplex est instrumentum quod alitur, sicut duplex est instrumentum gubernationis: gubernator enim gubernat manu, et temone: manus enim est instrumentum coniunctum, cuius forma est anima. Unde temo est instrumentum movens navem, et motum a manu; sed manus non est instrumentum motum ab aliquo exteriori, sed solum a principio intrinseco: est enim pars hominis moventis seipsum. Sic igitur et nutritionis instrumentum est duplex. Et ut separatum quidem, et cuius forma nondum est anima, est nutrimentum. Oportet autem, quod aliud sit instrumentum nutritionis coniunctum. Necesse est enim, quod alimentum decoquatur: quod autem operatur decoctionem, est aliquid calidum. Sicut igitur gubernator movet temonem manu, navem autem temone, ita anima movet calido alimentum, et alimento nutrit. Sic igitur calidum aliquod est instrumentum coniunctum huius animae, in quo scilicet radicaliter est calor naturalis digerens; et propter hoc oportet, quod omne animatum, quod nutritur, habeat calorem naturalem, qui est digestionis principium. Si autem haec anima non haberet instrumentum coniunctum, non esset actus alicuius partis corporis: quod soli intellectui competit.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80632] Sentencia De anima, lib. 2 l. 9 n. 17Ultimo epilogans quod dixerat, concludit quod figuraliter, id est universaliter dictum est quid sit alimentum; sed posterius certius tractandum est de alimento, in propriis rationibus. Fecit enim unum specialem librum de alimento, sicut de generatione animalium, et de motu animalium.

Leçon  9

333. Après avoir montré que l’âme est le principe des opérations qui sont attribuées à la puissance végétative, le Philosophe cherche ici à traiter de ces opérations. Et à ce sujet il fait trois choses. Premièrement il détermine de l’objet en lui-même, c’est-à-dire de l’aliment. Deuxièmement il détermine de l’aliment en tant qu’il se rapporte aux opérations de l’âme végétative, là où il dit : « Mais puisqu’un être ne se nourrit etc. ». Troisièmement il définit les puissances qui sont les principes de ces opérations, là où il dit : « C’est pourquoi le principe d’une telle âme etc. ». Au sujet du premier point il fait trois choses. Premièrement il dit sur quoi porte son intention. Deuxièmement il présente ce qui, à première vue, est manifeste au sujet de l’aliment, là où il dit : « Or, il semble que l’aliment soit etc. ». Troisièmement, il soulève une difficulté à ce sujet, là où il dit : « Mais cette théorie soulève une difficulté etc. ». Il dit donc en premier lieu que puisque les puissances végétative et génératrice sont contenues par une même puissance commune de l’âme, bien que la puissance végétative qu’on appelle nutritive soit une certaine puissance spéciale distincte de la puissance génératrice, il faut en tout premier déterminer de l’aliment qui est l’objet de la puissance génératrice ou nutritive. En effet, c’est par cette opération, à savoir la nutrition, que cette partie de l’âme se distingue des autres parties, à savoir de la partie intellective, de la partie sensitive, etc., car les autres opérations de cette partie, à savoir de l’âme, présupposent cette opération.

334. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, il semble etc. », il présente ce qui, au premier regard, semble se révéler au sujet de l’aliment ; et à ce sujet il présente trois points, dont le premier est que l’aliment semble être le contraire de ce qui s’en nourrit, pour cette raison que l’aliment est transformé en ce qui s’en nourrit : en effet, les générations s’accomplissent à partir des contraires. Le deuxième point est qu’il ne semble pas que n’importe quel contraire suffise à définir l’aliment, mais il faut que ce contraire fasse partie de ces contraires qui s’engendrent mutuellement. L’aliment en effet se transforme en la substance de celui qui s’en nourrit ; c’est pourquoi tous les contraires qui appartiennent à la substance et selon lesquels se produisent mutuellement des altérations, et non des générations, ne s’appliquent pas à la notion d’aliment. En effet, nous ne disons pas du malade qu’il est l’aliment du sain, ni du blanc qu’il est celui du noir. Mais de quelle manière se présente la contrariété dans les substances, c’est là une autre question.

335. Troisièmement il faut que ce contraire fasse partie de ces contraires qui tirent leur croissance mutuellement les uns des autres, car l’aliment semble être suivi de la croissance. Il s’ensuit que bien que l’eau soit engendrée à partir du feu, et inversement, on ne dit pas pour autant que l’eau se nourrit du feu, mais plutôt que le feu se nourrit de l’eau dans la mesure où les liquides humides passent dans l’alimentation du feu, car alors même que le feu se transforme en eau, n’apparaît pas une nouvelle production d’eau ; au contraire, un feu existant déjà, les liquides semblent se transformer en sa conservation et en sa croissance. C’est pourquoi, parmi les éléments, seul le feu semble être nourri, et seule l’eau être son aliment si on ramène à l’eau tous les liquides et à tous les fluides.

336. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais cela pose une difficulté etc. », il soulève une difficuté au sujet de ce qui vient d’être établi. Et premièrement il examine les deux aspects du problème. Deuxièmement, il résout cette difficulté, là où il dit : « Mais, est-ce qu’on entend, par aliment, etc. » Or, une difficulté surgit au sujet de ce qui a été dit précédemment (n. 334), à savoir que l’aliment doit être un contraire. En effet, certains pensent que l’aliment doit être semblable à celui qui s’en nourrit. En effet, puisque l’aliment est la cause de la croissance, il faut que le semblable croisse par le semblable car si on place auprès d’un être quelque chose de divers, il ne s’ensuit pas une croissance, mais simplement une addition ou une apposition d’une nature étrangère. Il semble donc que le semblable soit nourri par le semblable.

337. Mais d’autres pensent que l’aliment doit être contraire à celui qui s’en nourrit, comme nous l’avons dit plus haut (n. 334), et ils sont conduits à cette position pour deux raisons, dont la première est que l’aliment est digéré et transformé en celui qui s’en nourrit. Or, rien n’est transformé, si ce n’est en son contraire ou en un intermédiaire, comme le blanc se change en noir ou en gris. Or, l’intermédiaire est en quelque sorte un contraire : en effet, le gris, comparé au blanc, est noir, et comparé au noir, est blanc, puisqu’il est composé du blanc et du noir. L’aliment est donc contraire à celui qui s’en nourrit et est transformé en lui.

338. La deuxième raison est que l’agent est contraire au patient, puisque le semblable ne peut pâtir sous l’action du semblable. Or, l’aliment pâtit sous l’action de celui qui s’en nourrit, en ce sens qu’il est modifié et digéré par lui. Au contraire, celui qui se nourrit ne pâtit pas sous l’action de l’aliment, tout comme l’artisan ne pâtit pas sous l’action de la matière ; bien au contraire, c’est la matière qui est changée et non l’artisan, sauf peut-être par accident, en tant qu’il passe, par son opération, de la puissance à l’acte. Il semble donc que l’aliment soit contraire à celui qui s’en nourrit. La première de ces raisons se tire donc de la contrariété qu’on doit retrouver entre les deux termes du changement, tandis que la deuxième se tire de la contrariété qui doit exister entre l’agent et le patient car celui qui se nourrit et agit sur l’aliment est le terme auquel est ordonné le changement de l’aliment.

339. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais est-ce que l’aliment etc. », il résout la difficulté qu’il vient de soulever, en disant qu’il n’est pas indifférent, pour le problème qu’on examine, de savoir si, par le terme aliment, on entend celui qui s’ajoute à la fin, c’est-à-dire après la dégradation et la digestion, ou celui qui est pris en premier, c’est-à-dire avant qu’il soit dégradé et digéré. Et s’il est possible de parler de l’aliment dans les deux sens, c’est-à-dire en tant qu’il est digéré et en tant qu’il n’est pas encore digéré, il sera possible de répondre à la question sur l’aliment d’après chacun de ces deux sens. En effet, si on prend l’aliment comme n’étant pas encore digéré, alors le contraire est nourri par le contraire, et l’aliment se trouve alors à être ce qui pâtit et est modifié ; mais s’il est pris en tant qu’il est digéré, alors le semblable est nourri par le semblable et le patient est assimilé à l’agent : c’est pourquoi, à la fin de la transformation subie, il faut que le patient soit semblable à l’agent, et que de cette manière puisse croître ce qui est nourri. Par conséquent, il est clair que chacune de ces opinions, s’exprime correctement en un sens, mais incorrectement en un autre sens.

340. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisque etc. », il traite de l’aliment en tant qu’il se rapporte aux opérations de l’âme végétative et premièrement en tant qu’il correspond à la nutrition. Deuxièmement, en tant qu’il se rapporte à la croissance, là où il dit : « Mais autre est la nature de l’aliment etc. ». Troisièmement, en tant qu’il se rapporte à la génération, là où il dit : « De plus, l’aliment est l’agent de la génération etc. ». Il dit donc en premier lieu que rien ne se nourrit s’il n’a pas la vie en partage ; or, tout ce qui a la vie en partage est un être animé : il s’ensuit donc que le corps qui se nourrit est un être animé. Or, l’aliment est en puissance celui qui s’en nourrit puisque c’est en lui qu’il est changé : il reste donc que l’aliment, en tant qu’il est l’objet de la nutrition, est, par soi et non par accident, le vivant en puissance.

341. Il faut cependant considérer que rien ne se nourrit, à proprement parler, à moins d’être animé : or le feu, bien qu’il semble se nourrir en apparence, ne se nourrit pas à proprement parler. Voici ce qui le manifeste. Nous disons que se nourrit, à proprement parler, ce qui reçoit en lui-même quelque chose qui est destiné à sa propre conservation : or, si cela semble se produire en ce qui concerne le feu, en réalité ce n’est pas le cas. En effet, lorsqu’une matière combustible est ajoutée au feu qui est allumé, c’est un nouveau feu qui est engendré dans cette matière combustible, non pas cependant de telle manière que le combustible ajouté se change, dans la conservation du feu, en l’autre matière antérieurement allumée. Par exemple, si on allume une nouvelle pièce de bois, on ne se trouve pas à conserver par cette combustion la combustion de l’autre pièce de bois antérieurement allumée. En effet, l’ensemble de la combustion qui résulte de la réunion de toutes les pièces de bois allumées ne constitue pas une unité pure et simple, mais une unité de justaposition ou d’accumulation, à la manière dont le mur de pierre est une unité, et c’est à cause de cette sorte d’unité qu’il y a une certaine ressemblance entre le feu et la nutrition.

342. Mais ce sont les corps vivants qui se nourrissent véritablement car c’est dans cette même partie qui existait antérieurement que la vie est conservée par l’aliment. Et c’est pour cette raison aussi qu’il n’y a que les corps vivants qui croissent véritablement, car c’est chacune de leurs parties qui est nourrie et qui croît ; ce n’est pas le cas pour les choses inanimées qui ne semblent pouvoir croître que par mode d’addition : ce qui existait avant n’est pas le sujet d’une croissance, mais par l’ajout d’autres parties, un autre tout simplement plus grand est constitué. La raison pour laquelle la ressemblance de la croissance et de la nutrition apparaît surtout dans le feu, c’est que le feu possède plus de forme que les autres éléments et que sa puissance active est plus grande : c’est pourquoi, parce qu’il transforme manifestement les autres choses en lui-même, il semble se nourrir et croître.

343. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais la nature de l’aliment etc. », il montre comment l’aliment se rapporte à la croissance. Et il dit que bien que l’objet de la nutrition, qu’on appelle l’aliment, et l’objet de la croissance, qu’on appelle l’agent de la croissance, soient identiques par le sujet, ils diffèrent cependant par la raison. Il a été dit en effet (n. 341) que l’aliment est le corps animé en puissance. Or, le corps animé est à la fois une certaine quantité d’une part, un individu et une substance d’autre part. Or, en tant que le corps animé est une certaine quantité, l’aliment qui lui advient « est lui aussi une certaine quantité », dans la mesure où il est agent de la croissance, et on dit de lui pour cette raison qu’il est un accroissant ; mais en tant que le corps vivant est un individu et une substance, alors l’aliment a ainsi raison de nourriture. En effet, il est dans la nature de la nourriture de conserver la substance de celui qui se nourrit. Et cette conservation est nécessaire en raison de la consommation continue de l’humide par la chaleur naturelle ; et c’est pourquoi la substance continue d’exister aussi longtemps qu’il se nourrit.

344. Ensuite, lorsqu’Aristote dit : « De plus, l’aliment est l’agent de la génération », il montre de quelle manière l’aliment se rapporte à la génération. Et il dit que l’aliment est aussi un agent de la génération. En effet, la semence, qui est le principe de la génération, résulte de l’abondance de la nourriture. L’aliment n’est cependant pas le principe de la génération de celui-là même qui se nourrit, mais d’un autre individu qui est semblable par l’espèce à l’être qui est nourri ; en effet, l’être qui est nourri existant déjà, la substance qui existe déjà n’a plus à être engendrée, et rien ne peut s’engendrer soi-même parce que ce qui engendre existe déjà et que ce qui est engendré n’existe pas encore. Mais si un être ne peut s’engendrer lui-même, il peut travailler à sa propre conservation.

345. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il résulte qu’un tel principe de l’âme etc. », il tire de ce qui précède la définition des puissances de l’âme végétative, et premièrement celle de la puissance nutritive ; deuxièmement celle de toute l’âme végétative, là où il dit : « Et puisque c’est de sa fin etc. ». Et au sujet du premier point, il tire premièrement de ce qui précède la définition de la puissance nutritive : et il dit que puisqu’il a été dit (n.331) que la nourriture, en tant que telle, conserve celui qui se nourrit, il est manifeste que ce principe de l’âme, c’est-à-dire celui qui est le principe de la nutrition, n’est rien d’autre qu’une puissance ayant le pouvoir de conserver l’être, en tant que tel, qui la possède. Mais l’aliment est ce qui prépare l’opération d’une telle puissance, puisque c’est au moyen de l’aliment qu’une telle puissance conserve celui qui la possède. Et c’est pour cette raison que celui qui est privé d’aliments ne peut être conservé.

346. Et parce qu’il avait dit (n. 323) que le principe de la nutrition est une puissance de l’âme dont le principe est l’aliment, comme on le voit à partir de ce qui a été dit (n. 331), c’est pourquoi il montre deuxièmement, lorsqu’il dit : « Mais puisqu’il y a trois etc. », de quelle manière la puissance de l’âme et l’aliment sont les principes de l’âme en des sens différents. Il dit donc que dans la nutrition il y trois choses à considérer, à savoir celui qui est nourri, ce par quoi il se nourrit, et ce qui le nourrit en premier. Or ce qui nourrit en premier, c’est la première âme, à savoir l’âme végétative. Par ailleurs, ce qui est nourri c’est ce corps possédant cette âme, alors que ce par quoi il est nourri est l’aliment. En conséquence, c’est en tant qu’elle est l’agent principal de la nutrition que la puissance de l’âme en est le principe, alors que c’est en tant qu’instrument que l’aliment en est le principe.

347. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisque c’est de la fin etc. », il définit la première âme qu’on appelle l’âme végétative, et qu’on retrouve chez les plantes en tant qu’âme, mais chez les animaux en tant que partie de l’âme. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il définit cette âme végétative. Et pour comprendre cette définition, il faut savoir qu’il existe un certain ordre entre les trois opérations de l’âme végétative. En effet, la première de ses opérations est la nutrition par laquelle un être est conservé tel qu’il est. La deuxième, plus parfaite, est la croissance par laquelle un être progresse vers une plus grande perfection à la fois selon la quantité et selon la puissance. La troisième, qui est aussi celle qui est la plus parfaite et qui a raison de fin, est la génération par laquelle un être, existant déjà comme dans une perfection qui lui est propre, transmet à un autre l’existence et la perfection qu’il possède lui-même. En effet, l’être le plus parfait, comme le Philosophe le dit [Météorologiques, L. 4, ch. 1], est celui qui est capable d’engendrer un être semblable à soi. Donc, puisqu’il est juste de définir et de dénommer toute chose d’après sa fin, et que la fin des opérations de l’âme végétative est d’engendrer un être semblable à soi, il s’ensuit que la définition suivante convient à l’âme première qui est l’âme végétative, à savoir qu’elle est celle qui engendre un être semblable à soi selon l’espèce.

348. Et parce qu’il avait dit que l’aliment est l’instrument de cette âme, afin qu’on ne soit pas amené à croire qu’elle ne possède pas un autre instrument, c’est pourquoi en deuxième lieu il dit : « Mais ce par quoi etc. ».

Il montre donc que cette âme possède un autre instrument. Et il dit qu’il y a deux sortes d’instrument par lequel le corps vivant est nourri, tout comme il y a deux sortes d’instrument par quoi on gouverne : le pilote gouverne en effet par la main et par le gouvernail ; la main est l’instrument conjoint dont la forme est l’âme. Il en résulte que le gouvernail est un instrument qui meut le navire tout en étant mû lui-même par la main ; mais la main, de son côté, n’est pas un instrument qui est mû par un principe extérieur, mais plutôt un instrument qui est mû par un principe intrinsèque, puisqu’elle est une partie de l’homme qui se meut par elle-même. Par conséquent, il y a deux sortes d’instrument de la nutrition. Le premier, qui est certes séparé, et dont la forme n’est pas encore l’âme, à savoir l’aliment. Mais il faut en outre qu’il y ait un autre principe, conjoint, de la nutrition. Il est nécessaire en effet que l’aliment soit digéré ; or, ce qui opère la digestion, c’est le chaud. Donc, tout comme le pilote meut le gouvernail par la main et le navire par le gouvernail, de même l’âme meut l’aliment par le chaud et se nourrit de l’aliment. En conséquence, le chaud est l’instrument conjoint de cette âme, c’est-à-dire celui dans lequel la chaleur naturelle opère radicalement la digestion de l’aliment ; et c’est pour cette raison qu’il faut que tout être vivant qui se nourrit possède en lui une chaleur naturelle qui est le principe de la digestion. Et si cette âme ne possédait pas cet instrument conjoint, elle ne serait pas l’acte d’une partie du corps, ce qui ne peut convenir qu’au seul intellect.

349. À la fin, résumant ce qu’il vient de dire, il conclut en disant que nous avons dit comme schématiquement et en général ce qu’est l’âme, et que c’est ultérieurement qu’il faudra en traiter en apportant certaines précisions dans des ouvrages plus appropriés. En effet, Aristote a écrit un livre spécial sur l’aliment, tout comme il en a écrit qui se rapportent spécialement à la génération des animaux et à leurs mouvements.

 

 

LECTIO 10

[80633] Sentencia De anima, lib. 2 l. 10 n. 1Postquam determinavit philosophus de parte vegetativa, hic incipit determinare de parte sensitiva. Et dividitur in partes duas: in prima determinat de eo quod apparet in hac parte, scilicet de sensibus exterioribus. In secunda determinat de eo quod latet in parte sensitiva, ibi, quod autem non sit sensus alter et cetera. Prima dividitur in partes duas. In prima ostendit quomodo se habet sensus ad sensibile. In secunda determinat de sensibili et sensu, ibi, dicendum est autem secundum unum. Circa primum duo facit. Primo resumit quaedam, quae sunt prius dicta. Secundo investigat propositum, ibi, habet autem dubitationem, et cetera. Dicit ergo primo, quod determinatis his quae pertinent ad animam vegetativam, dicendum est de his quae pertinent ad sensum in communi. De his enim quae pertinent ad unumquemque sensum specialiter, postmodum dicet. Duo autem resumit dicta de sensu: quorum unum est, quod sentire consistit in moveri et pati. Est enim sensus in actu, quaedam alteratio: quod autem alteratur, patitur et movetur. Aliud autem quod resumit est, quod quidam dicunt simile a simili pati, et propter hoc sentire est pati.

 

 

 

 

 

 

 

[80634] Sentencia De anima, lib. 2 l. 10 n. 2Quidam antiqui philosophi posuerunt, quod simile simili cognoscitur et sentitur; sicut Empedocles posuit quod terra, terra cognoscitur, ignis igne, et sic de aliis. Sed hoc quomodo esse possit, vel non, quod simile simili patiatur, dictum est in universalibus rationibus de agere et pati, idest in libro de generatione, ubi determinavit de actione et passione in communi. Dictum est enim ibi, quod id quod patitur, a principio dum patitur est contrarium agenti, sed in fine, quando iam est passum, est simile. Agens enim agendo assimilat sibi patiens.

 

[80635] Sentencia De anima, lib. 2 l. 10 n. 3Deinde cum dicit habet autem determinat veritatem circa propositum. Et circa hoc facit tria. Primo ostendit, quod sensus sit in potentia. Secundo quod quandoque est in actu, ibi, quoniam autem sentire et cetera. Tertio ostendit quomodo sensus reducatur de potentia in actum, ibi, dicendum autem et cetera. Circa primum considerandum est, quod Empedocles et quicumque posuerunt simile simili cognosci, posuerunt sensum esse actu ipsa sensibilia. Ut enim cognosceret omnia sensibilia, posuerunt animam sensitivam esse compositam quodammodo ex omnibus sensibilibus, inquantum constabat, secundum eos, ex elementis sensibilium.

 

 

 

[80636] Sentencia De anima, lib. 2 l. 10 n. 4Duo ergo ad hanc positionem consequebantur. Quorum unum est, quod sensus est ipsa sensibilia in actu, utpote compositus ex eis: et cum ipsa sensibilia in actu sentiri possint, sequeretur quod ipsi sensus sentiri possent. Secundum est, quod cum sensus sentire possit praesentibus sensibilibus, si sensibilia actu sunt in sensu, utpote ex eis composito, sequitur quod sensus possit sentire sine exterioribus sensibilibus. Utrumque autem horum est falsum. Et ideo haec duo inconvenientia, quae sequuntur ad antiquorum positionem, sub quaestione proposuit, tamquam quae per antiquos solvi non possint. Hoc est ergo quod dicit, quod dubitationem habet, propter quid non sunt sensus ipsorum sensuum, id est quare ipsi sensus non sentiantur: hoc enim videtur sequi, si sensus sint similes sensibilibus.

 

 

 

 

 

[80637] Sentencia De anima, lib. 2 l. 10 n. 5Etiam habet dubitationem, quare non faciunt sensum, id est quare sensus non sentiunt actu, sine his, quae sunt extra, id est sine exterioribus sensibilibus, cum tamen interius existant in ipsis sensibus secundum opinionem antiquorum ignis, et terra, et alia elementa, quae sunt sensibilia, aut secundum se, id est secundum suam substantiam, secundum eos, qui non discernunt inter sensum et intellectum: intellectus enim est proprie cognoscitivus substantiae, aut secundum accidentia propria, scilicet calidum et frigidum, et alia huiusmodi, quae sunt per se sensibilia. Quia igitur hae dubitationes per se solvi non possunt, si sensus habet sensibilia in actu, ut antiqui posuerunt, concludit tamquam manifestum, quod anima sensitiva non est actu sensibilis, sed potentia tantum. Et propter hoc, sensus non sentiunt sine exterioribus sensibilibus, sicut combustibile, quod est potentia tantum ignitum, non comburitur a seipso, sine exteriori combustivo. Si enim esset actu ignitum, combureret seipsum, et non indigeret exteriori igne ad hoc quod combureretur.

 

 

 

 

 

[80638] Sentencia De anima, lib. 2 l. 10 n. 6Deinde cum dicit quoniam autem ostendit quod etiam sensus est quandoque actu. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit sensum quandoque esse in actu, per hoc, quod dupliciter dicimus aliquem sentire: quandoque enim dicimus aliquem videre et audire, qui audit et videt in potentia: puta cum aliquis est dormiens: quandoque autem dicimus aliquem videre et audire, eo quod est in ipsa operatione audiendi et videndi. Ex quo patet, quod sensus et sentire dicuntur dupliciter, scilicet in actu et in potentia.

 

[80639] Sentencia De anima, lib. 2 l. 10 n. 7Secundo ibi primum igitur manifestat quomodo intelligendum sit quod dictum est. Videbatur enim repugnare, quod sentire dicitur in actu, ei quod dictum est, quod sentire est quoddam pati et moveri. Esse enim in actu videtur magis pertinere ad agere. Et ideo ad hoc exponendum dicit, quod ita dicimus sentire in actu, ac si dicamus, quod pati et moveri sint quoddam agere, id est quoddam esse in actu. Nam motus est quidam actus, sed imperfectus, ut dictum est in tertio physicorum. Est enim actus existentis in potentia, scilicet mobilis. Sicut igitur motus est actus, ita moveri et sentire est quoddam agere, vel esse secundum actum. Per hoc autem quod dicit primum, significat quod quaedam alia postmodum subdet ad ostendendum, quomodo sensus fiat in actu.

 

 

 

 

 

[80640] Sentencia De anima, lib. 2 l. 10 n. 8Tertio ibi omnia autem ostendit secundum praedicta, quomodo antiquorum positio non possit esse vera, scilicet quod simile simili sentitur. Dicit ergo, quod omnia quae sunt in potentia, patiuntur et moventur ab activo, et existente in actu; quod scilicet dum facit esse in actu ea, quae patiuntur, assimilat ea sibi: unde quodammodo patitur aliquis aliquid a simili, et quodammodo a dissimili, ut dictum est; quia a principio dum est in transmutari et pati, est dissimile; in fine autem, dum est in transmutatum esse et passum, est simile. Sic igitur et sensus postquam factus est in actu a sensibili, est similis ei: sed ante non est similis. Quod antiqui non distinguentes erraverunt.

Leçon  10

350. Après avoir traité de la partie végétative de l’âme, le Philosophe commence à traiter ici de la partie sensitive de l’âme. Et cette section se divise en deux parties : dans la première il traite de ce qui est manifeste dans cette partie de l’âme, à savoir des sens externes. Dans la deuxième il traite de ce qui est comme caché dans la partie sensitive, là où il dit : « Mais qu’il n’y ait pas un autre sens etc. » La première partie se divise elle-même en deux. Dans la première il montre de quelle manière le sens se rapporte au sensible. Dans la deuxième il traite du sensible et du sens, là où il dit : « Mais il faut dire, pour chacun des sens etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il rappelle certaines choses qu’il a dites précédemment. Deuxièmement, il se met à la recherche de ce qu’il a l’intention de découvrir, là où il dit : « Mais voici une difficulté etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’ayant traité de ce qui concerne l’âme végétative, il faut parler de ce qui se rapporte au sens en général. Pour ce qui se rapporte à chacun des sens en particulier, il en parlera par la suite. Et il reprend deux choses qu’il a dites au sujet du sens, dont la première est que la sensation consiste en un mouvement subi et en une passion. le sens en acte est en effet une certaine altération : or, tout ce qui est altéré subit une passion et un mouvement. L’autre chose qu’il rappelle, c’est que certains philosophes soutiennent que le semblable pâtit sous l’action du semblable et que c’est pour cette raison que la sensation est une passion.

351. Certains philosophes anciens ont soutenu que le semblable est connu et senti par le semblable, comme Empédocle qui affirmait que la terre est connue par la terre, le feu par le feu, etc. Mais comment il est possible ou non que le semblable pâtisse sous l’action du semblable, nous en avons traité dans des discours plus universels sur l’action et la passion, c’est-à-dire dans le livre intitulé De la Génération (L. 1, ch. 7), où nous avons traité de l’action et de la passion en général. Nous avons dit en effet dans ce traité que ce qui pâtit au commencement est contraire à l’agent alors qu’à la fin de la passion il lui est semblable, car l’agent, par son action, rend le patient semblable à lui-même.

352. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais voici une difficulté etc. », il détermine une vérité relative au propos. Et à ce sujet il fait trois choses. Premièrement il montre que le sens est en puissance. Deuxièmement, il montre que le sens est parfois en acte, là où il dit : « Mais puisque le terme sentir se prend etc. ». Troisièmement, il montre comment le sens passe de la puissance à l’acte, là où il dit : « Mais il faut dire etc. ». Au sujet du premier point, il faut considérer qu’Empédocle, comme tous ceux qui ont soutenu que le semblable est connu par le semblable, ont affirmé que c’est en acte que le sens s’identifie aux sensibles. En effet, ils soutenaient que pour connaître tous les sensibles, l’âme sensitive devait être composée en quelque sorte de tous les sensibles dans la mesure où elle-même était constituée, selon eux, des éléments des choses sensibles.

353. Mais deux conséquences découlent de cette position, dont la première est que si le sens se ramène aux sensibles en acte eux-mêmes, dans la mesure où il en est composé, et puisque les sensibles en acte eux-mêmes peuvent être sentis, il s’ensuivrait que les sens eux-mêmes pourraient être sentis. La deuxième conséquence est que puisque les sens peuvent sentir en présence des qualités sensibles, si ces dernières sont présentes en acte dans les sens, parce qu’ils en sont composés, il s’ensuit que les sens peuvent sentir sans la présence de qualités sensibles extérieures. Or, chacune de ces deux conséquences est fausse. Et c’est pourquoi Aristote présente sous forme de question ces deux difficultés qui découlent de la position des anciens philosophes, comme pour montrer que ces derniers étaient dans l’incapacité de les résoudre. Et c’est bien ce que le Philosophe dit, à savoir : « il est difficile de voir pourquoi il n’y a pas sensation des sens eux-mêmes  », c’est-à-dire pourquoi les sens eux-mêmes ne sont pas sentis : c’est en effet ce qui devrait s’ensuivre si les sens eux-mêmes s’identifiaient aux qualités sensibles.

354. Mais il est aussi difficile de comprendre « pourquoi ils ne produisent pas de sensation », c’est-à-dire pourquoi les sens ne sentent pas en acte « sans les sensibles extérieurs », c’est-à-dire sans la présence des qualités sensibles extérieures, puisque, « selon l’opinion des anciens », le feu, la terre et les autres éléments existent à l’intérieur des sens eux-mêmes, et sont objets de sensation soit en eux-mêmes, c’est-à-dire dans leur essence, selon eux qui n’arrivaient pas à distinguer le sens de l’intelligence (car l’intelligence est la faculté à laquelle il appartient proprement de connaître l’essence), soit dans leurs accidents propres, c’est-à-dire le chaud, le froid et les autres qualités sensibles qui sont les objets par soi de la sensation. Donc, parce que ces difficultés ne peuvent être résolues d’elles-mêmes si on pose que le sens contient les qualités sensibles en acte, comme le faisaient les anciens, Aristote conclut qu’il est manifeste que l’âme sensitive n’est pas les sensibles en acte, mais en puissance seulement. Et c’est pour cette raison que les sens ne sentent pas en acte en l’absence des qualités sensibles extérieures, tout comme le combustible, qui brûle en puissance seulement, ne brûle pas de lui-même sans le comburant extérieur. Si en effet le combustible brûlait en acte, il se consumerait de lui-même et n’aurait pas besoin d’un feu extérieur pour brûler.

355. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisque etc. », il montre que le sens est aussi parfois en acte. Et à ce sujet il fait trois choses. Premièrement il montre que le sens est parfois en acte, du fait que c’est en deux sens qu’on dit d’un être qu’il sent : nous disons en effet de quelqu’un qu’il voit et entend alors qu’il entend et voit en puissance : par exemple lorsque cette personne dort ; mais nous disons parfois de quelqu’un qu’il voit ou entend du fait qu’il est en train de poser l’opération même de voir ou d’entendre. À partir de là, il est clair que le sens et la sensation se disent en deux sens, à savoir en acte et en puissance.

356. Deuxièmement, là où il dit : « Disons donc d’abord etc. », il manifeste comment il faut comprendre ce qui a été dit (355). En effet, ce qui vient d’être dit, à savoir que la sensation se dit aussi en acte, semblait s’opposer à ce qui avait été dit, à savoir que la sensation s’identifie à un certain pâtir et à être mû. En effet, être en acte semble davantage relever de l’action. Et pour expliquer cela, il dit que lorsque nous parlons de sentir en acte, c’est comme si nous disions que pâtir et être mû sont en quelque sorte un acte, c’est-à-dire qu’ils sont en quelque sorte de l’être en acte : le mouvement est en effet un acte, mais un acte imparfait, comme le dit le Philosophe [Physique, L. 3, ch. 1], qui affirme que le mouvement est l’acte de ce qui existe en puissance, c’est-à-dire du mobile. Donc, tout comme le mouvement est en un sens un acte, de même être mû et sentir sont en quelque sorte un acte ou de l’être en acte. Et lorsqu’il dit d’abord, il veut signifier qu’il ajoutera certaines choses par la suite pour montrer de quelle manière le sens passe de la puissance à l’acte.

357. Troisièmement, lorsqu’il dit : « Or, toutes les choses pâtissent etc. », il montre, d’après ce qui précède, comment il se fait que la position des anciens, à savoir que le semblable est senti par le semblable, ne peut être vraie. Il dit donc que toutes les choses qui sont en puissance pâtissent et sont mues sous l’action d’un agent qui existe en acte et alors que ce dernier fait exister en acte les choses qui pâtissent, il les rend semblables à lui-même : c’est pourquoi, il est vrai en un sens que le semblable pâtit sous l’action du semblable, mais en un autre sens le semblable pâtit sous l’action du dissemblable, comme nous l’avons déjà dit : en effet, au début, alors qu’il est transformé et pâtit, il est dissemblable ; mais une fois qu’il a été transformé et qu’il a pâti, il est semblable. Par conséquent, il en va de même pour le sens : une fois qu’il est devenu en acte par l’action de la qualité sensible, le sens est semblable à cette qualité mais avant cela il ne lui est pas semblable. C’est parce qu’ils n’ont pas fait cette distinction que les anciens sont tombés dans cette erreur.

 

 

LECTIO 11

[80641] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 1Postquam philosophus ostendit sensum esse in potentia et actu, et nunc intendit ostendere quomodo educatur de potentia in actum. Et dividitur in partes duas. In prima distinguit potentiam et actum, et ostendit quomodo diversimode aliquid educatur de potentia in actum, utens exemplo in intellectu. In secunda parte ostendit propositum circa sensum, ibi, sensitivi autem. Circa primum tria facit. Primo dicit de quo est intentio. Secundo distinguit potentiam et actum circa intellectum, ibi, est quidem enim sic sciens et cetera. Tertio ostendit quomodo educitur aliquid de utraque potentia in actum, ibi, ambo quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod dicendum est de potentia et actu, id est ostendendum quot modis dicitur aliquid in potentia, et quot modis in actu: quod necessarium fuit, quia in superioribus, simpliciter, id est absque distinctione usus est potentia et actu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80642] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 2Deinde cum dicit est enim distinguit potentiam et actum circa intellectum. Et dicit, quod uno modo dicitur aliquid in potentia, puta homo sciens, quia habet naturalem potentiam ad sciendum, sicut homo dicitur esse de numero scientium et habentium scientiam, inquantum habet naturam ad sciendum, et ad habendum habitum scientiae. Secundo modo dicimus aliquem esse scientem, quod aliqua sciat; sicut dicimus habentem habitum alicuius scientiae, puta grammaticae, esse iam scientem.

 

 

 

[80643] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 3Manifestum est autem quod uterque horum dicitur sciens, ex eo quod aliquid potest: sed non eodem modo uterque est potens ad sciendum. Sed primus quidem dicitur potens, quia est genus huiusmodi et materia, scilicet quia habet naturalem potentiam ad sciendum, per quam collocatur in tali genere; et quia est in potentia, puta ad scientiam, sicut materia ad formam. Secundus autem, scilicet qui habet habitum scientiae, dicitur potens, quia cum vult, potest considerare, nisi aliquid extrinsecum per accidens impediat; puta vel occupatio exterior, vel aliqua indispositio ex parte corporis.

 

 

 

 

[80644] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 4Tertius autem, qui iam considerat, est in actu; et iste est qui proprie et perfecte scit ea quae sunt alicuius artis; puta hanc literam a, quae pertinet ad grammaticam, de qua supra fecit mentionem. Horum igitur trium, ultimus est in actu tantum: primus in potentia tantum; secundus autem in actu respectu primi, et in potentia respectu secundi. Unde manifestum est, quod esse in potentia, dicitur dupliciter, scilicet de primo et secundo; et esse in actu dicitur dupliciter, scilicet de secundo et tertio.

 

 

 

 

[80645] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 5Deinde cum dicit ambo igitur ostendit quomodo de utraque potentia aliquid reducitur in actum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quomodo de utraque potentia aliquid in actum reducitur. Secundo ostendit utrum talis reductio sit secundum aliquam passionem, ibi, non est autem simpliciter neque pati et cetera. Dicit ergo primo, quod cum ambo primi sint scientes secundum potentiam, et id quod est in potentia, reducatur in actum; alio modo reducitur in actum aliquid de potentia prima, et aliter de secunda. Nam quod est in potentia primo modo, reducitur in actum, quasi alteratus per doctrinam, et motus ab aliquo alio existente in actu, sicut a magistro; et multoties talis mutatio est ex contrario habitu. Quod ideo dicit, quia cum aliquis reducitur de potentia prima in actum, ex ignorante fit sciens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80646] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 6Ignorans autem dicitur dupliciter: uno modo secundum simplicem negationem, quando nec veritatem cognoscit nec contrario errore detinetur: et qui sic ignorans est, fit actu sciens; non quod mutatus de contrario habitu, sed solum sicut acquirens scientiam. Alio modo dicitur aliquis ignorans, secundum pravam dispositionem; utpote quia detinetur errore contrario veritati; et hic in actum scientiae reducitur quasi de contrario habitu mutatus.

 

 

 

[80647] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 7Qui vero est in potentia secundo modo, ut scilicet iam habens habitum, transit ex eo quod habet sensum aut scientiam et non agit secundum ea, in agere; quia scilicet fit agens secundum scientiam. Sed alio modo iste fit actu, et alio modo primus.

 

 

 

[80648] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 8Deinde cum dicit non est autem manifestat utrum secundum quod aliquid educitur de potentia in actum scientiae primo modo, vel secundo, possit dici pati. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quot modis dicitur pati. Secundo manifestat propositum, ibi, speculans autem fit habens scientiam. Dicit ergo primo, quod sicut potentia et actus non dicuntur simpliciter, sed multipliciter; ita et pati non uno modo, sed multipliciter. Dicitur enim pati uno modo, secundum quamdam corruptionem, quae fit a contrario. Passio enim proprie dicta, videtur importare quoddam decrementum patientis, inquantum vincitur ab agente: decrementum autem patienti accidit secundum quod aliquid a patiente abiicitur. Quae quidem abiectio, corruptio quaedam est: vel simpliciter, sicut quando abiicitur forma substantialis; vel secundum quid, sicut quando abiicitur forma accidentalis. Huiusmodi autem formae abiectio fit a contrario agente: abiicitur enim forma a materia vel subiecto, per introductionem contrariae formae; et hoc est a contrario agente. Primo igitur modo proprie dicitur passio, secundum quod quaedam corruptio fit a contrario.

 

 

 

 

 

 

 

[80649] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 9Alio modo passio communiter dicitur et minus proprie, secundum scilicet quod importat quamdam receptionem. Et quia quod est receptivum alterius, comparatur ad ipsum sicut potentia ad actum: actus autem est perfectio potentiae; et ideo hoc modo dicitur passio, non secundum quod fit quaedam corruptio patientis, sed magis secundum quod fit quaedam salus et perfectio eius quod est in potentia, ab eo quod est in actu. Quod enim est in potentia, non perficitur nisi per id quod est in actu. Quod autem in actu est, non est contrarium ei quod est in potentia, inquantum huiusmodi, sed magis simile: nam potentia nihil aliud est quam quidam ordo ad actum. Nisi autem esset aliqua similitudo inter potentiam et actum, non esset necessarium quod proprius actus fieret in propria potentia. Potentia igitur sic dicta, non est a contrario, sicut potentia primo modo dicta; sed est a simili, eo modo quo potentia se habet secundum similitudinem ad actum.

 

 

 

 

 

 

 

[80650] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 10Deinde cum dicit speculans enim manifestat, utrum quod educitur de potentia in actum scientiae patiatur. Et primo manifestat hoc circa id quod educitur de secunda potentia in actum purum. Secundo autem manifestat hoc circa id quod educitur de potentia prima in habitum, ibi, ex potentia autem et cetera. Dicit ergo primo, quod habens scientiam, id est habitualiter sciens, fit actu speculans. Sed hoc aut non est vere et proprie alterari et pati; quia, ut dictum est, non est proprie passio et alteratio, cum de potentia procedit in actum, sed cum aliquid de contrario mutatur in contrarium. Cum autem habitualiter sciens, fit speculans actu, non mutatur de contrario in contrarium, sed proficit in eo quod iam habet. Et hoc est quod dicit quod est additio in ipsum, et in actum. Additur enim ei perfectio secundum quod proficit in actum. Aut si dicatur alterari et pati, erit aliud genus alterationis et passionis non proprie dictae. Et hoc manifestat per exemplum; dicens, quod non bene se habet, dicere sapientem habitualiter, cum sapiat actu, alterari, sicut neque dicimus aedificatorem alterari, cum aedificat.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80651] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 11Concludit autem ulterius, quod cum ille qui transit de habitu in actum, non accipiat de novo scientiam, sed proficiat, et perficiatur in eo quod habet: doceri autem, scientiam est acquirere: manifestum est, quod cum educitur aliquis de potentia in actum, secundum hoc quod incipit facere eum intelligere actu et sapere, non est iustum quod talis exitus de potentia in actum habeat denominationem doctrinae; sed aliquam aliam potest habere, quae quidem forte non est posita, sed potest poni.

 

 

[80652] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 12Deinde cum dicit ex potentia manifestat, utrum cum aliquis exit de prima potentia in actum scientiae, alteretur et patiatur: et dicit quod cum aliquis prius sciens in potentia tantum fit addiscens et accipiens scientiam ab eo qui est actu sciens, et a magistro; vel non debet dici pati simpliciter et alterari; aut dicendum est esse duos modos alterationis: quorum unus alterationis est secundum mutationem, in privationis dispositiones, id est in dispositiones contrarias, quibus privantur, propter dispositiones prius existentes, quia unum contrariorum est privatio alterius. Alter vero alterationis modus est secundum mutationem in habitum et naturam, id est secundum quod recipiuntur aliqui habitus et formae, quae sunt perfectiones naturae, absque eo quod aliquid abiiciatur. Ille igitur, qui addiscit scientiam, non alteratur neque patitur primo modo, sed secundo.

 

 

 

 

 

[80653] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 13Videtur autem hoc esse contrarium eius quod supra dixit, quod multoties qui addiscit scientiam, mutatus est a contrario habitu; et ita videtur quod sit alteratio secundum mutationem in privativas dispositiones. Sed dicendum, quod cum aliquis ab errore reducitur ad scientiam veritatis, est ibi quaedam similitudo alterationis, quae est de contrario ad contrarium; non tamen vere est ibi talis alteratio. Nam alterationi, quae est de contrario in contrarium, utrumque per se et essentialiter competit: scilicet quod sit a contrario, et quod sit in contrarium. Sicut enim dealbatio non est nisi ad album, ita non est nisi a nigro vel medio, quod respectu albi, est quodammodo nigrum. Sed in acquisitione scientiae accidit quod ille qui acquirit scientiam veritatis, prius fuerit in errore: absque hoc enim potest adduci ad scientiam veritatis; unde non est vere alteratio de contrario in contrarium.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80654] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 14Item dubitatur de hoc quod dicit, quod ille qui accipit scientiam fit actu sciens a sciente in actu, et magistro. Hoc enim non semper fit; scientiam enim aliquis acquirit, non solum addiscendo a magistro, sed etiam per se inveniendo. Et ad hoc dicendum est, quod semper cum aliquis est in potentia sciens, si fiat actu habens scientiam, oportet quod hoc sit ab eo quod est actu. Considerandum tamen est, quod aliquid aliquando reducitur de potentia in actum ab extrinseco principio tantum: sicut aer illuminatur ab eo quod est actu lucidum: quandoque autem et a principio intrinseco, et a principio extrinseco: sicut homo sanatur, et a natura, et a medico; utrobique autem sanatur a sanitate in actu. Manifestum est enim quod in mente medici est ratio sanitatis, secundum quam sanat. Oportet etiam in eo qui sanatur secundum naturam, esse aliquam partem sanam, scilicet cor, cuius virtute aliae partes sanantur. Et cum medicus sanat, hoc modo sanat, sicut natura sanaret, scilicet calefaciendo, aut infrigidando, aut aliter transmutando. Unde medicus nihil aliud facit quam quod auxiliatur naturae ad expellendum morbum; quo auxilio natura non egeret, si esset fortis.

 

 

 

 

 

 

 

[80655] Sentencia De anima, lib. 2 l. 11 n. 15Eodem autem modo se habet in scientiae acquisitione. Homo enim acquirit scientiam, et a principio intrinseco, dum invenit, et a principio extrinseco, dum addiscit. Utrobique autem reducitur de potentia in actum, ab eo quod est actu. Homo enim per lumen intellectus agentis, statim cognoscit actu prima principia naturaliter cognita; et dum ex eis conclusiones elicit, per hoc quod actu scit, venit in actualem cognitionem eorum quae potentia sciebat. Et eodem modo exterius docens ei auxiliatur ad sciendum; scilicet ex principiis addiscenti notis deducens eum per demonstrationem in conclusiones prius ignotas. Quod quidem auxilium exterius homini necessarium non esset, si adeo esset perspicacis intellectus quod per seipsum posset ex principiis notis conclusiones elicere: quae quidem perspicacitas hominibus adest secundum plus et minus.

Leçon  11

358. Après avoir montré que le sens est en puissance et en acte, Aristote cherche à montrer comment il y a passage de la puissance à l’acte. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il distingue la puissance et l’acte et il montre comment un être passe de la puissance à l’acte de différentes manières en prenant un exemple tiré du domaine de l’intelligence. Dans la deuxième partie il manifeste son propos au sujet du sens là où il dit : « Mais pour l’être sensitif etc. ». Au sujet du premier point il fait trois choses. Premièrement il dit quelle est son intention. Deuxièmement il distingue la puissance et l’acte quant à l’intelligence, là où il dit : « En effet, un être est savant à la manière dont etc. ». Troisièmement, il montre de quelle manière quelque chose passe de l’une et de l’autre puissance à l’acte, là où il dit : « Les deux premiers sont donc savants en puissance etc. » Il dit donc en premier lieu qu’il faut parler de la puissance et de l’acte, c’est-à-dire montrer de quelles manières on peut dire d’un être qu’il est en puissance et de quelles manières on peut dire de lui qu’il est en acte ; et il est d’autant plus nécessaire de le faire maintenant que précédemment il a fait usage de ces termes d’une manière absolue, sans préciser les différents sens selon lesquels peuvent se prendre chacun de ces deux termes, à savoir puissance et acte.

359. Ensuite, lorsqu’il dit : « En un sens, en effet, un être est savant etc. », il distingue la puissance et l’acte par rapport à l’intelligence. Et il dit qu’en un sens, un être est en puissance, par exemple l’homme savant en puissance, parce qu’il possède la puissance naturelle de savoir, comme on dit de l’homme qu’il fait partie de ceux qui savent et qui possèdent la science dans la mesure où ils possèdent la nature qui est apte à la science et à posséder l’habitus de la science. En un deuxième sens nous disons d’un être qu’il est savant parce qu’il sait déjà des choses, comme nous le disons de celui qui possède l’habitus d’une science particulière, par exemple celui qui possède déjà la science de la grammaire.

360. Or, il est manifeste qu’on peut dire de chacun des deux qu’il est savant du fait qu’il est capable de quelque chose, mais ce n’est pas de la même manière  qu’ils sont en puissance au savoir. En effet, on dit du premier qu’il est en puissance parce que son genre et sa matière sont de telle nature, c’est-à-dire parce qu’à l’égard du savoir il possède une puissance naturelle par laquelle il se range dans tel genre et parce qu’il est en puissance, par exemple à la science, à la manière selon laquelle la matière est en puissance à l’égard de la forme. Mais on dit du deuxième, c’est-à-dire de celui qui possède l’habitus de la science, qu’il est en puissance en  ce sens qu’il peut, quand il le veut, exercer cet habitus, si aucun obstacle extérieur ne l’en empêche par accident, par exemple une occupation extérieure ou une indisposition du côté du corps.

361. Mais on dira d’un troisième, c’est-à-dire de celui qui considère ou exerce l’habitus, qu’il est savant en acte : c’est ce dernier qui sait proprement et parfaitement les choses qui relèvent d’un art, par exemple cette lettre, A, qui relève de la grammaire et dont nous avons fait mention plus haut (n. 216). Parmi les trois cas dont nous venons de parler, le dernier est seulement en acte, le premier est seulement en puissance, alors que le deuxième est en acte par rapport au premier et en puissance par rapport au troisième. Il résulte de ceci qu’être en puissance se dit en deux sens, c’est-à-dire du premier et du deuxième, alors qu’être en acte se dit aussi en deux sens, c’est-à-dire du deuxième et du troisième.

362. Ensuite, lorsqu’il dit : « Les deux premiers sont donc etc. », il montre pour chacune des deux puissances, de quelle manière leur sujet respectif passe à l’acte. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il montre de quelle manière, pour chacune des deux puissances, quelque chose passe à l’acte. Deuxièmement, il montre si un tel passage s’opère à la manière d’une passion, là où il dit : « Le terme ¨ pâtir ¨ n’est pas lui non plus un terme simple etc. » Il dit donc en premier lieu que puisque les deux premiers cas sont savants en puissance et que tout ce qui est en puissance est appelé à passer à l’acte, c’est d’une manière que passe à l’acte ce qui est en puissance dans le premier cas, et d’une autre manière que passe à l’acte ce qui est en puissance dans le deuxième cas. En effet, ce qui est en puissance dans le premier cas, ou dans le premier sens, passe à l’acte après avoir subi une altération par l’enseignement et après avoir été modifié par un agent existant en acte, par exemple par un maître ; le plus souvent, un tel changement procède d’un habitus contraire : et si Aristote dit cela, c’est parce que lorsque quelqu’un passe de la première puissance à l’acte, il se trouve à passer, à plusieurs reprises, d’un état à son état contraire, puisque d’ignorant il devient savant.

363. Or, le terme ignorant se dit en deux sens. Premièrement, selon la simple négation, lorsque quelqu’un n’est ni dans la connaissance de la vérité, ni enfermé dans l’erreur contraire ; et celui qui est ignorant de cette manière devient savant en acte non pas en subissant un changement à partir d’un habitus contraire, mais seulement en tant qu’il acquiert la science. Mais on dit de quelqu’un qu’il est ignorant d’une autre manière, c’est-à-dire d’après une disposition perverse, en tant qu’il est retenu dans une erreur contraire à la vérité ; et dans ce cas il passe à l’acte de la science en subissant un changement à partir d’un habitus contraire.

364. Mais celui qui est en puissance de la deuxième manière, c’est-à-dire en tant qu’il possède déjà l’habitus, passe de l’état dans lequel il possède le sens ou la science sans l’exercer, à l’exercice de cet habitus, parce que c’est selon qu’il possède la science qu’il arrive à l’exercer. Mais la manière selon laquelle ce dernier passe à l’acte est autre que celle selon laquelle le premier passe à l’acte de la première manière.

365. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais le terme ¨ pâtir ¨ n’est pas un terme simple etc. », il se demande si on peut attribuer le terme pâtir à celui qui passe de la puissance à l’acte de la science de la première manière ou à celui qui le fait de la deuxième manière. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il montre en quels sens se dit le terme pâtir. Deuxièmement il manifeste son propos, là où il dit : « Mais c’est par l’exercice de la science que devient savant en acte etc. ». Il dit donc en premier lieu que tout comme la puissance et l’acte ne se disent pas en un seul sens mais en plusieurs, il en va de même pour le terme pâtir. En effet, pâtir signifie, en un premier sens, une certaine corruption sous l’action du contraire. Ainsi, la passion, au sens propre, semble impliquer une certaine dégénération du patient en tant qu’il est vaincu par un agent : et cette dégénération ou cette diminution se produit dans le patient en tant que quelque chose est rejeté par lui. Et ce rejet produit dans le patient entraîne certes une certaine corruption, et cette corruption est soit absolue, comme lorsque c’est la forme substantielle qui est rejetée, soit relative ou partielle, lorsque c’est une forme accidentelle qui est rejetée. Or, le rejet de telles formes procède d’un agent contraire : que la forme soit rejetée de la matière ou d’un sujet, cela s’accomplit par l’introduction d’une forme contraire par un agent contraire. Donc, en un premier sens, le terme passion signifie proprement une certaine corruption sous l’action d’un contraire.

366. Mais en un autre sens, plus large, le terme passion se dit moins proprement, c’est-à-dire en tant qu’il signifie simplement une certaine réception. Et parce que ce qui reçoit quelque chose se compare à cette chose comme la puissance se compare à l’acte, et que l’acte est la perfection de la puissance qui lui correspond, c’est pourquoi le terme passion se dit en ce sens, c’est-à-dire non pas en tant qu’il signifie une certaine corruption dans le patient, mais plutôt en tant qu’il signifie une certaine conservation et perfection qui apparaît dans celui qui est en puissance sous l’action de ce qui est en acte. En effet, ce qui est en puissance ne parvient à sa perfection que par ce qui est en acte. Or, ce qui est en acte n’est pas contraire à ce qui est en puissance en tant que tel, mais il lui est plutôt semblable : une puissance, en effet, n’est rien d’autre qu’une certaine disposition à l’égard d’un acte. En effet, s’il n’y avait pas une certaine ressemblance entre une puissance et un acte, il ne serait pas nécessaire que s’accomplisse un acte propre dans une puissance qui lui est propre. Donc, la puissance, dite en ce sens, ne subit pas l’action d’un acte qui lui contraire, comme c’était le cas pour la puissance dite dans le premier sens, mais plutôt l’action d’un acte qui lui est semblable, à la manière dont la puissance est semblable à l’acte.

367. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est par l’exercice de la science etc. », il manifeste si celui qui passe de la puissance à l’acte de la science pâtit. Et premièrement il manifeste cela au sujet de ce qui passe de la deuxième puissance à l’acte pur. Deuxièmement il le manifeste au sujet de ce qui passe de la puissance première à l’habitus, là où il dit : « Quant à celui qui passe de la pure puissance à etc. ». Il dit donc en premier lieu que celui qui possède la science, c’est-à-dire celui qui sait par habitus, devient savant en acte par l’exercice de la science. Mais dans ce cas il n’y a pas véritablement et proprement passion et altération, car, comme nous l’avons dit, lorsqu’il y a passage de la puissance à l’acte, il n’y a proprement passion et altération que lorsqu’un être passe d’un état contraire à un autre qui lui est contraire. Or, lorsque celui qui sait par habitus devient savant en acte par l’exercice de cet habitus, il n’y a pas changement d’un état à un autre qui lui est contraire, mais il se trouve plutôt à se perfectionner dans ce qu’il possède déjà. Et c’est justement ce qu’Aristote dit lorsqu’il ajoute : « C’est un progrès en lui-même et vers son acte. ». Chez lui, en effet, une perfection s’ajoute en tant qu’il progresse vers son acte. Mais si on persiste à dire qu’il y a là altération et passion, on parlera alors d’un autre genre d’altération et de passion et non plus d’une altération et d’une passion proprement dite. Et il manifeste cela au moyen d’un exemple en disant qu’on ne s’exprime pas correctement lorsque l’on dit que celui qui est sage par habitus est altéré lorsqu’il devient sage en acte par l’exercice, tout comme on ne dit pas que le constructeur est altéré lorsqu’il construit.

368. Il conclut en outre plus loin que puisque celui qui passe de l’habitus à l’acte n’acquiert pas une science nouvelle, mais plutôt progresse et se perfection dans ce qu’il possède déjà, et qu’être enseigné c’est revevoir une science nouvelle, il est manifeste qu’il n’est pas juste que celui qui fait passer quelqu’un de la puissance à l’acte, en tant qu’il commence à lui faire exercer les actes d’intelligence et de sagesse, mérite le nom d’enseignant pour cette seule raison qu’il est cause du passage de cette sorte de puissance à cette sorte d’acte ; mais on pourrait lui attribuer un autre nom, si toutefois il en existait un, pour désigner celui qui fait exercer un savoir déjà acquis.

369. Ensuite, lorsqu’il dit : « Quant à celui qui part d’une pure puissance etc. », il manifeste si celui qui passe de la puissance première à l’acte de la science, en tant qu’habitus, subit une altération ou une passion. Et il dit que lorsque quelqu’un, connaissant au tout début en puissance seulement, acquiert et reçoit la science de celui qui est savant en acte et qu’on appelle maître, ou bien on ne doit pas dire de lui qu’il pâtit et est altéré purement et simplement, ou bien il faut dire qu’il existe deux formes d’altération. Or, la première forme d’altération est « un changement vers des dispositions de privation », c’est-à-dire vers des dispositions contraires par lesquelles l’être est privé des dispositions qui existent chez lui à l’origine, car l’un des contraires est la privation de l’autre. Mais l’autre forme d’altération est « le changement vers des habitus conformes à la nature », c’est-à-dire des changements selon lesquels les habitus ou les formes qui sont reçues sont des perfections de la nature sans qu’il y ait rejet de quelque chose. Il est donc clair que celui qui acquiert la science ne pâtit pas et n’est pas altéré selon la première forme d’altération mais selon la deuxième.

370. Mais cela semble s’opposer à ce qu’il avait dit précédemment (363), à savoir que souvent celui qui acquiert la science y passe en partant d’un habitus contraire, et il semble ainsi qu’il y ait altération selon un changement vers des dispositions de privation. Mais il faut dire que lorsque quelqu’un passe d’une erreur à la connaissance de la vérité, bien qu’il y ait là une certaine apparence d’altération dans le sens d’un passage d’un état à son état contraire, cependant, en vérité, il n’y a pas alors altération en ce sens. Car pour l’altération qui consiste à aller d’un contraire à un autre, les deux contraires appartiennent nécessairement et essentiellement à ce genre de changement, c’est-à-dire que cette sorte d’altération procède nécessairement d’un contraire pour aller vers son contraire. Par exemple, tout comme l’action de blanchir ne peut aller que vers le blanc, de même elle ne peut procéder que du noir ou d’un intermédiaire qui est en quelque sorte noir par rapport au blanc. Mais en ce qui concerne l’acquisition de la science, il est accidentel à celui qui acquiert la connaissance d’être d’abord dans l’erreur : en effet, il est possible d’acquérir la connaissance de la vérité sans avoir d’abord été dans l’erreur. C’est pourquoi, dans le cas qui nous occupe, il n’y a pas véritablement altération d’un contraire à un autre contraire.

371. On s’interroge en outre sur ce qu’il dit, à savoir que celui qui reçoit la science devient savant en acte par celui qui sait déjà en acte, c’est-à-dire par un maître. Or, il n’en est pas toujours ainsi : en effet, on n’acquiert pas la science seulement en apprenant d’un maître, mais aussi en la découvrant par soi-même. Et il faut dire à cet égard que toujours, lorsque quelqu’un possède la science en puissance, s’il en vient à la posséder en acte, il faut que cela s’accomplisse par quelqu’un qui est en acte. Il faut cependant considérer que parfois quelque chose passe de la puissance à l’acte par un principe extérieur seulement, par exemple comme lorsque l’air est illuminé par ce qui est lumineux en acte ; mais parfois, quelque chose passe de la puissance à l’acte par un principe intérieur et par un principe extérieur : par exemple, lorsque l’homme est guéri par la nature et par le médecin, mais dans les deux cas il est guéri par la santé en acte. Il est manifeste en effet que c’est dans l’esprit du médecin que se trouve la notion de la santé d’après laquelle il guérit. Il faut aussi qu’il y ait, dans celui qui est guéri par la nature, une partie saine, à savoir le cœur, par la puissance de laquelle les autres parties sont guéries. Et lorsque c’est le médecin qui guérit, il faut qu’il le fasse à la manière dont la nature guérit, c’est-à-dire en réchauffant, en refroidissant, ou par une autre modification de la sorte qui imite la nature. C’est pourquoi, en définitive, le médecin ne fait rien d’autre que d’aider la nature à chasser la maladie et la nature n’aurait pas besoin de cette aide si elle était suffisamment forte.

372. Il en va de même pour l’acquisition de la science par l’homme. En effet, l’homme acquiert la science à la fois par un principe intérieur, lorsqu’il la découvre par lui-même, et par un principe extérieur, lorsqu’il l’apprend d’un maître. Mais dans les deux cas, l’homme passe de la puissance à l’acte par ce qui est déjà en acte. En effet, c’est par la lumière de l’intellect agent que l’homme connaît aussitôt en acte les premiers principes connus naturellement. Et lorsqu’il en tire des conclusions au moyen de ce qu’il connaît en acte, il en vient à la connaissance en acte de choses qu’il ne connaissait avant qu’en puissance. Et c’est de la même manière que procède celui qui lui enseigne de l’extérieur lorsqu’il lui aide à connaître : il part de principes connus de celui qui apprend pour le conduire, au moyen d’une démonstration, à des conclusions qu’il ignorait avant. Et cette aide extérieure ne serait certes pas nécessaire à l’homme si son intelligence était à ce point perspicace qu’elle pouvait par elle-même tirer les conclusions des principes connus. Or, cette perspicacité est présente chez les hommes selon le plus et le moins.

 

 

LECTIO 12

[80656] Sentencia De anima, lib. 2 l. 12 n. 1Postquam philosophus distinxit potentiam et actum, et ostendit quomodo aliquid de potentia in actum exeat circa intellectum, quod dixerat de intellectu adaptat ad sensum. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quomodo circa sensum aliquid educitur de potentia in actum. Secundo ostendit differentiam inter sensum et intellectum, ibi, differunt autem, quia huius quidem accidentia et cetera. Tertio colligit epilogando quae dixerat de sensu, ibi, nunc autem in tantum. Considerandum est ergo circa primum, quod sicut in scientia est duplex potentia et duplex actus, ita est et circa sensum. Nam quod nondum habet sensum et natum est habere, est in potentia ad sensum. Et quod iam habet sensum et nondum sentit, est potentia sentiens, sicut circa scientiam dicebatur. Sicut autem de potentia prima aliquid mutatur in primum actum, dum acquirit scientiam per doctrinam; ita de prima potentia ad sensum, aliquid mutatur in actum, ut scilicet habeat sensum per generationem. Sensus autem naturaliter inest animali: unde sicut per generationem acquirit propriam naturam, et speciem, ita acquirit sensum. Secus autem est de scientia, quae non inest homini per naturam sed acquiritur per intentionem et disciplinam.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80657] Sentencia De anima, lib. 2 l. 12 n. 2Hoc est ergo quod dicit, quod prima mutatio sensitivi fit a generante. Manifestat autem primam mutationem, quae est de pura potentia in actum primum ducens. Haec autem mutatio fit a generante; nam per virtutem, quae est in semine, educitur anima sensitiva de potentia in actum cum omnibus suis potentiis. Cum autem animal iam generatum est, tunc hoc modo habet sensum, sicut aliquis habet scientiam quando iam didicit. Sed quando iam sentit secundum actum, tunc se habet sicut ille qui iam actu considerat.

 

 

[80658] Sentencia De anima, lib. 2 l. 12 n. 3Deinde cum dicit differunt tamen quia posuerat similitudinem inter sentire in actu et considerare, vult ostendere differentiam inter ea: cuius quidem differentiae causam assignare incipit ex differentia obiectorum, scilicet sensibilium, et intelligibilium, quae sentiuntur et considerantur in actu. Sensibilia enim quae sunt activa operationis sensitivae, scilicet visibile et audibile, et alia huiusmodi, sunt extra animam. Cuius causa est, quia sensus secundum actum, sunt singularium quae sunt extra animam, sed scientia est universalium quae quodammodo sunt in anima. Ex quo patet, quod ille qui iam habet scientiam, non oportet quod quaerat extra sua obiecta, sed habet ea in se; unde potest considerare ea cum vult, nisi forte per accidens impediatur. Sed sentire non potest aliquis cum vult; quia sensibilia non habet in se, sed oportet quod adsint ei extra.

 

 

 

 

 

 

[80659] Sentencia De anima, lib. 2 l. 12 n. 4Et sicut est de operatione sensuum, ita est in scientiis sensibilium; quia etiam sensibilia sunt de numero singularium, et eorum quae sunt extra animam. Unde homo non potest considerare secundum scientiam, omnia sensibilia quae vult, sed illa tantum, quae sensu percipit. Sed secundum certitudinem determinare de his, iterum erit tempus, scilicet in tertio, ubi agetur de intellectu, et de comparatione intellectus ad sensum.

 

 

 

 

[80660] Sentencia De anima, lib. 2 l. 12 n. 5Circa ea vero quae hic dicuntur, considerandum est, quare sensus sit singularium, scientia vero universalium; et quomodo universalia sint in anima. Sciendum est igitur circa primum, quod sensus est virtus in organo corporali; intellectus vero est virtus immaterialis, quae non est actus alicuius organi corporalis. Unumquodque autem recipitur in aliquo per modum sui. Cognitio autem omnis fit per hoc, quod cognitum est aliquo modo in cognoscente, scilicet secundum similitudinem. Nam cognoscens in actu, est ipsum cognitum in actu. Oportet igitur quod sensus corporaliter et materialiter recipiat similitudinem rei quae sentitur. Intellectus autem recipit similitudinem eius quod intelligitur, incorporaliter et immaterialiter. Individuatio autem naturae communis in rebus corporalibus et materialibus, est ex materia corporali, sub determinatis dimensionibus contenta: universale autem est per abstractionem ab huiusmodi materia, et materialibus conditionibus individuantibus. Manifestum est igitur, quod similitudo rei recepta in sensu repraesentat rem secundum quod est singularis; recepta autem in intellectu, repraesentat rem secundum rationem universalis naturae: et inde est, quod sensus cognoscit singularia, intellectus vero universalia, et horum sunt scientiae.

 

 

 

 

 

[80661] Sentencia De anima, lib. 2 l. 12 n. 6Circa secundum vero considerandum est, quod universale potest accipi dupliciter. Uno modo potest dici universale ipsa natura communis, prout subiacet intentioni universalitatis. Alio modo secundum se. Sicut et album potest accipi dupliciter: vel id, cui accidit esse album, vel ipsummet, secundum quod subest albedini. Ista autem natura, cui advenit intentio universalitatis, puta natura hominis, habet duplex esse: unum quidem materiale, secundum quod est in materia naturali; aliud autem immateriale, secundum quod est in intellectu. Secundum igitur quod habet esse in materia naturali, non potest ei advenire intentio universalitatis, quia per materiam individuatur. Advenit igitur ei universalitatis intentio, secundum quod abstrahitur a materia individuali. Non est autem possibile, quod abstrahatur a materia individuali realiter, sicut Platonici posuerunt. Non enim est homo naturalis, id est realis, nisi in his carnibus, et in his ossibus, sicut probat philosophus in septimo metaphysicae. Relinquitur igitur, quod natura humana non habet esse praeter principia individuantia, nisi tantum in intellectu.

 

 

 

 

 

 

[80662] Sentencia De anima, lib. 2 l. 12 n. 7Nec tamen intellectus est falsus, dum apprehendit naturam communem praeter principia individuantia, sine quibus esse non potest in rerum natura. Non enim apprehendit hoc intellectus, scilicet quod natura communis sit sine principiis individuantibus; sed apprehendit naturam communem non apprehendendo principia individuantia; et hoc non est falsum. Primum autem esset falsum: sicut si ab homine albo separarem albedinem hoc modo, quod intelligerem eum non esse album: esset enim tunc apprehensio falsa. Si autem sic separarem albedinem ab homine, quod apprehenderem hominem nihil apprehendendo de albedine eius, non esset apprehensio falsa. Non enim exigitur ad veritatem apprehensionis, ut quia apprehendit rem aliquam, apprehendat omnia quae insunt ei. Sic igitur intellectus absque falsitate abstrahit genus a speciebus, inquantum intelligit naturam generis non intelligendo differentias. Et similiter abstrahit speciem ab individuis, inquantum intelligit naturam speciei, non intelligendo individualia principia.

 

 

 

 

[80663] Sentencia De anima, lib. 2 l. 12 n. 8Sic igitur patet, quod naturae communi non potest attribui intentio universalitatis nisi secundum esse quod habet in intellectu: sic enim solum est unum de multis, prout intelligitur praeter principia, quibus unum in multa dividitur: unde relinquitur, quod universalia, secundum quod sunt universalia, non sunt nisi in anima. Ipsae autem naturae, quibus accidit intentio universalitatis, sunt in rebus. Et propter hoc, nomina communia significantia naturas ipsas, praedicantur de individuis; non autem nomina significantia intentiones. Socrates enim est homo, sed non est species, quamvis homo sit species.

 

 

 

 

[80664] Sentencia De anima, lib. 2 l. 12 n. 9Deinde cum dicit nunc autem recolligit quod dictum est de sensu. Et dicit, quod nunc tantum sit definitum, quod non simpliciter dicitur, quod est in potentia, seu simpliciter. Uno enim modo dicimus puerum posse militare, secundum potentiam remotam. Alio modo posse dicimus militare, quoniam iam est in aetate perfecta, et hoc secundum potentiam propinquam. Et similiter se habet in sensitivo. Dupliciter enim est aliquis in potentia ad sentiendum aliquid, ut iam dictum est. Et licet non sint nomina posita, in quibus harum differentia potentiarum ostendatur, tamen determinatum est quod istae potentiae sunt alterae abinvicem, et quomodo sint alterae.

 

 

 

[80665] Sentencia De anima, lib. 2 l. 12 n. 10Et licet alterari et pati non proprie dicatur aliquid, secundum quod exit de potentia secunda in actum, prout habens sensum fit actu sentiens: tamen necesse est uti hoc ipso, quod est pati et alterari, ac si essent nomina propria et convenientia: quia sensitivum in potentia est tale quale est in actu sensibile. Et propter hoc sequitur, quod secundum quod patitur a principio, non est similis sensus sentienti; sed secundum quod iam est passum, est assimilatum sensibili, et est tale quale est illud. Quod quia distinguere nescierunt antiqui philosophi, posuerunt sensum esse compositum ex sensibilibus.

Leçon  12

373. Après avoir distingué la puissance et l’acte et montré comment il y a passage de la puissance à l’acte dans l’intelligence, il applique au sens ce qu’il avait dit de l’intelligence. Et à ce sujet il fait trois choses. Premièrement  il montre comment il y a passage de la puissance à l’acte dans le sens. Deuxièmement, il montre une différence qu’il y a entre le sens et l’intelligence, là où il dit : « Ils diffèrent cependant, car les accidents de celui-ci etc. » Troisièmement, il recueille dans un résumé ce qu’il avait dit au sujet du sens, là où il dit : « Mais pour l’instant, qu’il nous suffise de etc. ». Il faut donc considérer, au sujet du premier point, que tout comme pour la science il y a deux sortes de puissance et d’acte, il en va de même pour le sens. Car ce qui ne possède pas encore le sens mais est apte à la posséder est en puissance à l’égard du sens. Mais ce qui possède le sens sans toutefois l’exercer, c’est-à-dire sans être en train de sentir, est en puissance à l’égard de la sensation, tout comme on le disait de la science à l’égard de son exercice. Or, tout comme un homme passe de la puissance première à l’acte premier alors qu’il acquiert la science en étant enseigné, de même l’animal passe de la puissance première à l’égard du sens à la possession du sens en acte au moyen d’une génération. Or, le sens appartient naturellement à l’animal : c’est pourquoi, tout comme c’est par la génération que l’animal acquiert sa nature propre et son espèce, de même c’est par la génération qu’il acquiert le sens. Or, il en va autrement de la science, laquelle n’appartient pas à l’homme par nature, mais est plutôt acquise par lui au moyen de la volonté et l’apprentissage.

374. C’est donc ce que dit Aristote, à savoir que pour l’être sensitif, le premier changement se produit sous l’action de celui qui engendre. Et il manifeste le premier changement qui conduit de la pure puissance à l’acte premier. Or, ce changement s’accomplit sous l’action d’un générateur : en effet, c’est par la puissance qui est présente dans la semence que l’âme sensitive est conduite de la puissance à l’acte avec toutes ses facultés. Or, lorsque l’animal est déjà engendré, il possède le sens à la manière dont quelqu’un possède la science lorsqu’il l’a déjà apprise. Mais lorsque l’animal sent déjà en acte, alors il se compare à celui qui exerce la science quand il considère.

375. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il y a cependant une différence etc. », parce qu’il avait présenté une similitude entre sentir en acte ou l’exercice du sens d’une part et la considération ou l’exercice de la science d’autre part, il veut ici manifester une différence qu’il y a entre eux. Et il commence à désigner la cause de cette différence en partant de la différence qu’il y a entre leurs objets respectifs, à savoir les sensibles sentis en acte d’une part, les intelligibles considérés en acte d’autre part. Les qualités sensibles, comme le visible et l’audible et les autres qualités sensibles de la sorte, sont en effet les agents de l’opération sensitive qui sont extérieurs à l’âme. La cause en est que le sens en acte a pour objets les singuliers qui sont en dehors de l’âme, alors que la science a pour objets les universels qui existent en quelque sorte dans l’âme. Il est clair à partir de là qu’il n’est pas nécessaire à celui qui possède déjà la science de recherche ses objets au-dehors puisqu’il les possède déjà en lui ; c’est pourquoi il peut les considérer à volonté à moins d’en être empêché par accident. Au contraire, l’animal ne peut sentir à volonté parce qu’il ne possède pas en lui les qualités sensibles qui doivent lui être présentées de l’extérieur.

376. Et il en va, pour les disciplines qui ont pour objet les qualités sensibles, comme il en va pour l’opération des sens à l’égard de ces mêmes qualités. En effet, les qualités sensibles aussi font partie des singuliers et des choses qui existent en dehors de l’âme. C’est pourquoi l’homme ne peut considérer selon la science tous les singuliers qu’il veut, mais seulement ceux qu’il perçoit par le sens. Mais l’occasion de traiter de ces points avec certitude se présentera ultérieurement, c’est-à-dire au troisième livre de ce traité (L. 3, nn. 622-636 ; 671-699 ; 765-778.), où nous traiterons de l’intelligence et du rapport de l’intelligence au sens.

377. Mais au sujet de ce qui vient d’être dit ici, il faut considérer pourquoi le sens a pour objet les singuliers et la science les universels, et de quelle manière les universels existent dans l’âme. Il faut donc savoir, au sujet du premier point, que le sens est une puissance qui existe dans un organe corporel, alors que l’intelligence est une puissance immatérielle qui n’est pas l’acte d’un organe corporel. Or, tout être est reçu dans un autre à la manière de celui qui le reçoit. D’autre part, toute connaissance s’accomplit par ceci que l’objet connu en vient à exister en quelque sorte, c’est-à-dire par mode de similitude, dans le sujet qui connaît. Car le sujet qui connaît en acte en vient à s’identifier à l’objet connu en acte. Il faut donc que le sens reçoive matériellement et corporellement la similitude de la chose connue. À l’inverse, c’est d’une manière incorporelle et immatérielle que l’intelligence reçoit la similitude de ce qui est saisi intellectuellement. Or, l’individuation de la nature commune, dans les choses corporelles et matérielles, procède de la matière corporelle comprise dans des dimensions déterminées ; mais l’universel, quant à lui, procède d’une abstraction d’une telle matière et des conditions matérielles individuelles qu’elle entraîne. Il est donc manifeste que la similitude de la chose reçue dans le sens représente la chose en tant qu’elle est singulière, alors que celle qui est reçue dans l’intelligence représente la chose en tant que notion d’une nature universelle : c’est pour cette raison que le sens connaît les singuliers et que l’intelligence connaît les universels qui sont les objets mêmes de la science.

378. Mais au sujet du deuxième point, il faut savoir que l’universel peut se prendre en deux sens. En un premier sens l’universel peut s’entendre comme étant la nature commune elle-même en tant qu’elle est placée sous l’intention d’universalité ; en un autre sens, l’universel peut se prendre en lui-même. C’est comme le blanc qui peut se prendre en deux sens : soit comme étant ce à quoi il arrive d’être blanc, soit comme étant le blanc lui-même en tant qu’il est contenu dans la blancheur. Or cette nature, à laquelle advient l’intention d’universalité, par exemple la nature de l’homme, possède deux formes d’existence : une qui est matérielle, en tant qu’elle existe dans une matière naturelle ; l’autre qui est immatérielle, en tant qu’elle existe dans l’intelligence. Donc, en tant qu’elle possède une existence dans une matière naturelle, l’intention d’universalité ne peut advenir à cette nature parce qu’elle est individuée par la matière. L’intention d’universalité lui advient donc en tant qu’elle est abstraite de la matière individuelle. Or, il n’est pas possible que cette nature soit, dans la réalité, abstraite de la matière individuelle, comme le soutenaient les Platoniciens. En effet, l’homme naturel, c’est-à-dire l’homme réel, n’existe que dans ces chairs et dans ces os, comme le prouve le Philosophe [Métaphysique, L. 6, ch. 16]. Il reste donc que la nature humaine ne possède pas d’existence en dehors des principes individuels, si ce n’est dans l’intelligence seulement.

379. Cependant, l’intelligence n’est pas dans le faux lorsqu’elle appréhende la nature commune en dehors des principes individuants sans lesquels elle ne peut exister dans la nature des choses. Lorsqu’elle le fait, elle ne croit pas que la nature commune existerait sans les principes individuants, mais elle appréhende la nature commune sans appréhender les principes individuants, et cela n’est pas faux. Ce qui serait faux, ce serait de penser que la nature commune existe en réalité sans les principes individuants, comme si je séparais la blancheur de l’homme blanc de manière à penser qu’il n’est pas blanc : dans ce cas, mon appréhension serait fausse. Au contraire, si je sépare la blancheur de l’homme de manière à appréhender l’homme sans appréhender sa blancheur, alors l’appréhension n’est pas fausse. En effet, pour qu’une appréhension soit vraie, il n’est pas nécessaire, lorsque j’appréhende une chose, que j’appréhende tout ce qui appartient à cette chose. C’est donc sans tomber dans le faux que l’intelligence abstrait le genre des espèces, en tant qu’elle saisit intellectuellement la nature du genre sans saisir les différences. C’est de la même manière que l’intelligence abstrait l’espèce des individus, en tant qu’elle saisit intellectuellement la nature de l’espèce sans considérer les principes individuels.

380. Ainsi donc, il est clair qu’on ne peut attribuer l’intention d’universalité à la nature commune que selon l’existence qu’elle possède dans l’intelligence : en effet, c’est seulement en ce sens que la nature commune est quelque chose d’un qui se dit de plusieurs, c’est-à-dire en tant qu’elle est saisie en dehors de ces principes par lesquels l’un se divise en plusieurs ; il s’ensuit que les universels, en tant qu’ils sont universels, n’existent que dans l’âme. Mais les natures elles-mêmes, auxquelles advient l’intention d’universalité, existent dans les choses. C’est pour cette raison que ce sont les noms communs signifiants les natures elles-mêmes qui sont attribués aux individus, et non les noms signifiant les intentions. On dit en effet de Socrate qu’il est un homme, mais non qu’il est une espèce, bien que l’homme soit une espèce.

381. Ensuite, lorsqu’il dit : « Pour l’instant, qu’il nous suffise etc. », il rassemble ce qu’il vient de dire au sujet du sens. Et il dit que pour l’instant, il nous suffit d’avoir établi cette distinction, à savoir que l’expression ¨ être en puissance ¨ ne se dit pas simplement, ou n’est pas simple. En un premier sens  en effet, nous disons de l’enfant qu’il est en puissance chef d’armée, selon une puissance éloignée. Mais nous le disons en un autre sens de celui qui a atteint sa maturité, selon une puissance prochaine. Il en va de même pour l’âme sensitive. Il y a deux manières en effet pour un animal d’être en puissance à la sensation, comme nous l’avons déjà dit. Et bien qu’aucun nom spécial n’ait été formé pour manifester la différence de ces puissances, nous avons cependant déterminé que ces puissances sont autres et comment elles sont autres.

382. Et bien qu’on ne puisse dire, à proprement parler, qu’est altéré et pâtit ce qui passe de la puissance seconde à l’acte, en tant que, possédant le sens, il en vient à sentir en acte, cependant il est nécessaire d’user dans ce cas de ces mêmes termes comme s’ils convenaient proprement à cette situation car la faculté sensitive est, en puissance, telle que le sensible est déjà en acte. Et c’est pour cette raison qu’il s’ensuit que, en tant qu’il pâtit au début, le sens n’est pas semblable au sensible, mais une fois qu’il a pâti, il est semblable au sensible et il est telle qu’il est. C’est parce que les anciens philosophes ignoraient cette distinction qu’ils soutenaient que le sens est composé des qualités sensibles.

 

 

 

LECTIO 13

[80666] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 1Postquam ostendit philosophus, quomodo se habet sensus ad sensibilia, incipit determinare de sensibili et sensu. Et dividit in partes duas. In prima parte determinat de sensibilibus. In secunda de sensu, ibi, quod autem universaliter de omni sensu et cetera. Prima dividitur in duas partes. In prima distinguit sensibilia propria ab aliis modis sensibilium. In secunda determinat de sensibilibus propriis secundum unumquemque sensum, ibi, cuius quidem est visus et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit divisionem sensibilium. Secundo exponit membra divisionis, ibi, dico autem proprium quidem et cetera. Dicit ergo primo, quod antequam determinetur de sensu quidnam sit, oportet primo dicere de sensibilibus secundum unumquemque sensum, quia obiecta sunt praevia potentiis. Sensibilia vero tribus modis dicuntur. Uno quidem modo per accidens, et duobus modis per se: quorum uno dicuntur sensibilia illa, quae propria sint singulis sensibus; alio modo dicuntur sensibilia illa, quae communiter sentiuntur ab omnibus quae sentiunt.

[80667] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 2Deinde cum dicit dico autem exponit membra divisionis. Et primo exponit quae sunt sensibilia propria. Et dicit, quod sensibile proprium est quod ita sentitur uno sensu, quod non potest alio sensu sentiri, et circa quod non potest errare sensus: sicut visus proprie est cognoscitivus coloris, et auditus soni, et gustus humoris, id est saporis: sed tactus habet plures differentias appropriatas sibi: cognoscit enim calidum et humidum, frigidum et siccum, grave et leve, et huiusmodi multa. Unusquisque autem horum sensuum iudicat de propriis sensibilibus, et non decipitur in eis; sicut visus non decipitur quod sit talis color, neque auditus decipitur de sono.

 

 

 

 

 

 

[80668] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 3Sed circa sensibilia per accidens vel communia, decipiuntur sensus; sicut decipitur visus, si velit iudicare homo per ipsum, quid est coloratum, aut ubi sit. Et similiter decipitur quis, si velit iudicare per auditum quid est quod sonat. Haec igitur sunt propria sensibilia uniuscuiusque sensus.

[80669] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 4Secundo ibi communia autem exponit secundum membrum divisionis; dicens, quod communia sensibilia sunt ista quinque: motus, quies, numerus, figura et magnitudo. Haec enim nullius sensus unius sunt propria, sed sunt communia omnibus. Quod non est sic intelligendum, quasi omnia ista sint omnibus communia; sed quaedam horum, scilicet numerus, motus et quies, sunt communia omnibus sensibus. Tactus vero et visus percipiunt omnia quinque. Sic igitur manifestum est, quae sint sensibilia per se.

 

 

 

 

[80670] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 5Tertio ibi secundum accidens exponit tertium membrum divisionis; et dicit, quod secundum accidens sensibile dicitur, ut si dicimus quod Diarus vel Socrates est sensibile per accidens, quia accidit ei esse album. Hoc enim sentitur per accidens, quod accidit ei quod sentitur per se: accidit autem albo, quod est sensibile per se, quod sit Diarus, unde Diarus est sensibile per accidens. Unde nihil patitur sensus ab hoc, in quantum huiusmodi. Quamvis autem sensibilia communia et sensibilia propria sint per se sensibilia, tamen propria sensibilia sunt proprie per se sensibilia; quia substantia uniuscuiusque sensus et eius definitio est in hoc, quod est aptum natum pati a tali sensibili. Ratio autem uniuscuiusque potentiae consistit in habitudine ad proprium obiectum.

 

 

 

 

 

[80671] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 6Dubitatur autem hic de distinctione sensibilium communium a sensibilibus per accidens. Sicut enim sensibilia per accidens non apprehenduntur nisi in quantum sensibilia propria apprehenduntur, sic nec sensibilia communia apprehenduntur, nisi apprehendantur sensibilia propria: nunquam enim visus apprehendit magnitudinem aut figuram, nisi inquantum apprehendit coloratum. Videtur ergo quod sensibilia communia sunt etiam sensibilia per accidens.

[80672] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 7Dicunt igitur quidam, quod huiusmodi communia sensibilia non sunt sensibilia per accidens, propter duas rationes. Primo quidem, quia huiusmodi sensibilia communia sunt propria sensui communi, sicut sensibilia propria sunt propria singulis sensibus. Secundo, quia sensibilia propria non possunt esse sine sensibilibus communibus; possunt autem esse sine sensibilibus per accidens.

[80673] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 8Utraque autem responsio incompetens est. Prima quidem, quia falsum est, quod ista sensibilia communia sint propria obiecta sensus communis. Sensus enim communis est quaedam potentia, ad quam terminantur immutationes omnium sensuum, ut infra patebit. Unde impossibile est quod sensus communis habeat aliquod proprium obiectum, quod non sit obiectum sensus proprii. Sed circa immutationes ipsas sensuum propriorum a suis obiectis, quas sensus proprii habere non possunt: sicut quod percipit ipsas immutationes sensuum, et discernit inter sensibilia diversorum sensuum. Sensu enim communi percipimus nos vivere et discernimus inter sensibilia diversorum sensuum, scilicet album et dulce.

 

 

 

[80674] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 9Praeterea. Dato quod sensibilia communia essent propria obiecta sensus communis, non excluderetur quin essent per accidens sensibilia, respectu sensuum propriorum. Sic enim agitur de sensibilibus, secundum quod habent habitudinem ad sensus proprios: nam potentia sensus communis nondum est declarata. Quod autem est obiectum proprium alicuius interioris potentiae, contingit esse per accidens sensibile, ut postea dicetur. Nec est mirum; quia hoc quod est per se sensibile uni sensuum exteriorum, est per accidens sensibile respectu alterius: sicut dulce est per accidens visibile.

[80675] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 10Secunda etiam ratio non est competens. Non enim refert ad id quod est sensibile per accidens, utrum id quod est subiectum sensibilis qualitatis, sit per se subiectum eius, vel non per se. Nullus enim diceret ignem, qui est proprium subiectum caloris, esse per se sensibile tactu.

[80676] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 11Et ideo aliter dicendum, quod sentire consistit in quodam pati et alterari, ut supra dictum est. Quicquid igitur facit differentiam in ipsa passione vel alteratione sensus, habet per se habitudinem ad sensum, et dicitur sensibile per se. Quod autem nullam facit differentiam circa immutationem sensus, dicitur sensibile per accidens. Unde et in litera dicit philosophus, quod a sensibili per accidens nihil patitur sensus, secundum quod huiusmodi.

 

 

 

[80677] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 12Differentiam autem circa immutationem sensus potest aliquid facere dupliciter. Uno modo quantum ad ipsam speciem agentem; et sic faciunt differentiam circa immutationem sensus sensibilia per se, secundum quod hoc est color, illud autem est sonus, hoc autem est  album, illud vero nigrum. Ipsae enim species activorum in sensu, actu sunt sensibilia propria, ad quae habet naturalem aptitudinem potentia sensitiva; et propter hoc secundum aliquam differentiam horum sensibilium diversificantur sensus. Quaedam vero alia faciunt differentiam in transmutatione sensuum, non quantum ad speciem agentis, sed quantum ad modum actionis. Qualitates enim sensibiles movent sensum corporaliter et situaliter. Unde aliter movent secundum quod sunt in maiori vel minori corpore, et secundum quod sunt in diverso situ, scilicet vel propinquo, vel remoto, vel eodem, vel diverso. Et hoc modo faciunt circa immutationem sensuum differentiam sensibilia communia. Manifestum est enim quod secundum omnia haec quinque diversificatur magnitudo vel situs. Et quia non habent habitudinem ad sensum, ut species activorum, ideo secundum ea non diversificantur potentiae sensitivae, sed remanent communia pluribus sensibus.

 

 

 

 

[80678] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 13Viso igitur quomodo dicantur per se sensibilia, et communia et propria, restat videndum, qua ratione dicatur aliquid sensibile per accidens. Sciendum est igitur, quod ad hoc quod aliquid sit sensibile per accidens, primo requiritur quod accidat ei quod per se est sensibile, sicut accidit albo esse hominem, et accidit ei esse dulce. Secundo requiritur, quod sit apprehensum a sentiente: si enim accideret sensibili, quod lateret sentientem, non diceretur per accidens sentiri. Oportet igitur quod per se cognoscatur ab aliqua alia potentia cognoscitiva sentientis. Et hoc quidem vel est alius sensus, vel est intellectus, vel vis cogitativa, aut vis aestimativa. Dico autem quod est alius sensus; sicut si dicamus, quod dulce est visibile per accidens inquantum dulce accidit albo, quod apprehenditur visu, et ipsum dulce per se cognoscitur ab alio sensu, scilicet a gustu.

 

 

 

[80679] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 14Sed, ut proprie loquamur, hoc non est universaliter sensibile per accidens, sed per accidens visibile, sensibile autem per se. Quod ergo sensu proprio non cognoscitur, si sit aliquid universale, apprehenditur intellectu; non tamen omne quod intellectu apprehendi potest in re sensibili, potest dici sensibile per accidens, sed statim quod ad occursum rei sensatae apprehenditur intellectu. Sicut statim cum video aliquem loquentem, vel movere seipsum, apprehendo per intellectum vitam eius, unde possum dicere quod video eum vivere. Si vero apprehendatur in singulari, utputa cum video coloratum, percipio hunc hominem vel hoc animal, huiusmodi quidem apprehensio in homine fit per vim cogitativam, quae dicitur etiam ratio particularis, eo quod est collativa intentionum individualium, sicut ratio universalis est collativa rationum universalium.

 

 

 

[80680] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 15Nihilominus tamen haec vis est in parte sensitiva; quia vis sensitiva in sui supremo participat aliquid de vi intellectiva in homine, in quo sensus intellectui coniungitur. In animali vero irrationali fit apprehensio intentionis individualis per aestimativam naturalem, secundum quod ovis per auditum vel visum cognoscit filium, vel aliquid huiusmodi.

 

[80681] Sentencia De anima, lib. 2 l. 13 n. 16Differenter tamen circa hoc se habet cogitativa, et aestimativa. Nam cogitativa apprehendit individuum, ut existens sub natura communi; quod contingit ei, inquantum unitur intellectivae in eodem subiecto; unde cognoscit hunc hominem prout est hic homo, et hoc lignum prout est hoc lignum. Aestimativa autem non apprehendit aliquod individuum, secundum quod est sub natura communi, sed solum secundum quod est terminus aut principium alicuius actionis vel passionis; sicut ovis cognoscit hunc agnum, non inquantum est hic agnus, sed inquantum est ab ea lactabilis; et hanc herbam, inquantum est eius cibus. Unde alia individua ad quae se non extendit eius actio vel passio, nullo modo apprehendit sua aestimativa naturali. Naturalis enim aestimativa datur animalibus, ut per eam ordinentur in actiones proprias, vel passiones, prosequendas, vel fugiendas.

Leçon  13

383. Après avoir montré comment le sens se rapporte aux sensibles, le Philosophe commence ici à déterminer du sensible et du sens. Et il divise cette section en deux parties. Dans la première partie il traite des sensibles. Dans la deuxième, il traite du sens, là où il dit : « Or, ce qui se dit universellement de tout sens etc. ». La première partie se divise en deux. Dans la première il distingue les sensibles propres des autres sortes de sensibles. Dans la deuxième il traite des sensibles propres d’après chacun des sens, là où il dit : « Et le visible est l’objet de la vue etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il présente une division des sensibles. Deuxièmement, il explique les membres de la division là où il dit : « J’appelle objet propre celui etc.». Il dit donc en premier lieu qu’avant de déterminer ce qu’est le sens, il faut d’abord parler des sensibles correspondant à chacun des sens, car les objets sont antérieurs aux puissances. Or, il existe trois sortes de sensibles : il y a une sorte qui est perceptible par accident et deux sortes qui sont perceptibles par soi ; et parmi ces dernières, il y a ces sensibles dont on dit qu’ils sont propres à chacun des sens et ceux dont on dit qu’ils sont communs à tous les sens.

384. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais j’appelle etc. », il explique les membres de la division. Et premièrement, il explique quels sont les sensibles propres. Et il dit que le sensible propre est celui qui n’est senti que par un seul sens, c’est-à-dire qui ne peut être senti par un autre sens, et au sujet duquel le sens ne peut se tromper : par exemple, la vue est le sens  auquel il appartient de connaître en propre la couleur, l’ouïe le son, le goûter les fluides, c’est-à-dire les saveurs ; le toucher, de son côté, s’approprie comme objets plusieurs différences sensibles : il connaît en effet le chaud et l’humide, le froid et le sec, le lourd et le léger ainsi que de nombreuses autres qualités sensibles de la sorte. Or, chacun de ces sens juge des qualités sensibles qui lui sont propres et ne se trompe pas à leur sujet ; par exemple, la vue ne se trompe pas au sujet de telle couleur, ni l’ouïe au sujet de tel son.

385. Mais c’est à l’égard des sensibles par accident et des sensibles communs que le sens peut se tromper ; par exemple, la vue peut se tromper si elle veut juger de la nature ou du lieu de l’homme qui est coloré, tout comme l’ouïe peut se tromper si elle veut juger de la nature de ce qui émet le son. Tel sont donc les sensibles propres appartenant à chacun des sens.

386. Deuxièmement, lorsqu’il dit : « Mais les sensibles communs sont etc. », il explique le deuxième membre de la division en disant que les sensibles communs sont au nombre de cinq : le mouvement, le repos, le nombre, la figure et la grandeur. Aucun de ces sensibles n’est en effet propre à un seul sens, mais ils peuvent être connus par tous les sens. Mais il ne faut pas entendre ce dernier énoncé comme si toutes ces qualités sensibles étaient communes à tous les sens, mais certaines d’entre elles, à savoir le mouvement, le repos et le nombre sont communs à tous les sens. En effet, c’est le toucher et la vue qui perçoivent les cinq qualités sensibles dont nous venons de parler. Nous avons donc vu clairement quels sont les sensibles par soi.

387. Troisièmement, lorsqu’il dit : « Mais on appelle sensible par accident etc. », il explique le troisième membre de la division en disant qu’il y a sensible par accident comme lorsqu’on dit de Diarès ou de Socrate qu’ils sont des sensibles par accident puisque c’est d’une manière accidentelle que le blanc leur est uni. En effet, c’est accidentellement qu’est perçu ce qui est uni accidentellement à ce qui est perçu par soi : or, il est accidentel au blanc, sensible par soi, d’être Diarès ; et c’est pourquoi Diarès est un sensible par accident. Il résulte de là que le sens ne subit aucune passion de la part de ce sensible en tant que tel. Mais, bien que les sensibles communs et les sensibles propres soient des sensibles par soi, cependant ce sont les sensibles propres qui sont propremement des sensibles par soi, parce que la substance de chaque sens ainsi que sa définition consistent en ceci qu’il est apte par nature à subir une passion de la part de son sensible propre. Or, la définition de chaque puissance consiste dans son rapport à son objet propre.

388. Mais on se questionne ici sur la distinction qu’on fait entre les sensibles communs et les sensibles par accident. En effet, tout comme les sensibles par accident ne sont appréhendés que dans la mesure où les sensibles propres sont appréhendés, de même, il semble que les sensibles communs ne sont appréhendés que si les sensibles propres sont appréhendés : en effet, jamais la vue n’appréhende la grandeur ou la figure sans appréhender le coloré. Il semble donc que les sensibles communs soient, eux aussi, des sensibles par accident.

389. Certains philosophes disent donc, pour deux raisons, que de tels sensibles communs ne sont pas des sensibles par accident. Premièrement parce que de tels sensibles communs sont propres au sens commun, tout comme les sensibles propres sont propres à chacun des sens. Deuxièmement, parce que les sensibles propres ne peuvent exister sans les sensibles communs, mais peuvent exister sans les sensibles par accident.

390. Mais aucune de ces réponses ne convient. La première réponse est certes fausse car il est faux de dire que les sensibles communs sont les objets propres du sens commun. En effet, le sens commun est une certaine puissance à laquelle se terminent les immutations de tous les sens, comme nous le verrons par la suite (nn. 575-578 ; 601-614). Il en résulte qu’il est impossible que le sens commun possède un objet propre qui ne soit pas l’objet d’un sens propre. Mais c’est sur les immutations mêmes des sens propres par leurs objets, et que les sens propres ne peuvent avoir pour objet, que porte le sens commun : c’est ce dernier qui perçoit les immutations mêmes des sens et qui distingue les sensibles appartenant aux différents sens. En effet, c’est par le sens commun que nous percevons que nous vivons et que nous sommes capables de discerner entre les sensibles appartenant aux différents sens, par exemple entre le blanc et le doux.

391. En outre, même si on accordait que les sensibles communs sont les objets propres du sens commun, cela ne les empêcherait pas d’être des sensibles par accident par rapport aux objets des sens propres. On traite en effet ici des sensibles en tant qu’ils se rapportent aux sens propres car la puissance du sens commun n’est pas encore connue ou manifeste. Or, il est possible à l’objet propre d’une puissance intérieure d’être un sensible par accident, comme nous le dirons par la suite (nn. 395-396). Et cela n’est pas étonnant, car ce qui est le sensible par soi d’un seul des sens externes est un sensible par accident par rapport à un autre sens externe, par exemple le doux, par rapport à la vue, est un visible par accident.

392. La deuxième raison, elle aussi, ne convient pas. En effet, que le sujet d’une qualité sensible soit ou non le sujet par soi ou essentiel de cette qualité, cela est indifférent à la nature d’un sensible par accident. En effet, nul ne dirait que le feu, qui est le sujet propre de la chaleur, est le sensible par soi du toucher.

393. Et c’est pourquoi il faut s’exprimer autrement et dire que la sensation est une certaine passion ou une certaine altération, comme nous l’avons dit plus haut (nn. 183 ; 350-351). Donc, c’est tout ce qui entraîne une différence dans la passion ou l’altération elle-même qui a un rapport essentiel au sens et qu’on appelle sensible par soi. Au contraire, ce qui ne produit aucune différence quant à l’immutation du sens, c’est cela même qu’on appelle sensible par accident. Et c’est pourquoi le Philosophe dit dans son livre que le sens ne subit aucune passion de la part du sensible par accident en tant que tel.

394. Mais c’est de deux manières que quelque chose peut faire une différence quant à l’immutation du sens. Premièrement quant à l’espèce active elle-même ; et c’est en ce sens que les sensibles par soi font une différence quant à l’immutation du sens, c’est-à-dire en tant que ceci est la couleur, cela est le son, ceci est le blanc, cela est le noir. En effet, les espèces actives dans le sens sont les sensibles propres en acte auxquels la puissance sensitive a une aptitude naturelle ; et c’est la raison pour laquelle les sens se diversifient d’après la différence qu’il y a entre ces sensibles. Mais d’autres choses peuvent faire une différence dans la transmutation des sens, non plus quant à l’espèce active mais quant au mode d’action. En effet, les qualités sensibles meuvent le sens corporellement et par la situation. C’est pourquoi ces qualités meuvent autrement selon qu’elles sont dans un plus grand ou un plus petit corps et selon qu’elles sont dans une position diverse, c’est-à-dire soit dans une position rapprochée ou éloignée, soit dans une position qui est la même ou autre. Et c’est de cette manière que les sensibles communs font une différence quant à l’immutation du sens. Il est manifeste en effet que la grandeur ou la situation se diversifie selon tous ces cinq sensibles communs. Et parce qu’ils ne se rapportent pas au sens en tant qu’espèces actives, c’est pourquoi les puissances sensitives ne se diversifient pas d’après eux et qu’ils demeurent communs à plusieurs sens.

395. Ayant donc vu de quelle manière il faut parler des sensibles par soi, c’est-à-dire des sensibles communs et des sensibles propres, il reste à voir pour quelle raison, dans certains cas, il faut parler de sensible par accident. Il faut donc savoir, pour que quelque chose soit un sensible par accident, qu’il est premièrement requis qu’il survienne à ce qui est un sensible par soi, comme il arrive au blanc d’être un homme et qu’il lui arrive d’être doux. Il est deuxièmement requis qu’il soit appréhendé par celui qui sent : en effet, s’il arrivait à un sensible d’être caché à celui qui sent, on ne pourrait dire de lui qu’il est senti par accident. Il faut donc que ce quelque chose soit connu par soi par quelque autre puissance cognitive de celui qui sent. Et cela sera soit un autre sens, soit l’intelligence, soit la cogitative, soit l’estimative. Mais je dis que c’est un autre sens, tout comme si je disais que le doux est un visible par accident en tant que le doux survient au blanc, lequel est appréhendé par la vue, alors que le doux lui-même est connu par soi par un autre sens qui est le goûter.

396. Mais, pour parler proprement, cela n’est pas un sensible par accident pris universellement, mais plutôt un visible par accident qui est cependant un sensible par soi. Donc, ce qui n’est pas connu par un sens propre, s’il s’agit de quelque chose d’universel, il est appréhendé par l’intelligence ; ce n’est cependant pas tout ce qui peut être appréhendé par l’intelligence dans une chose sensible qui peut être dénommé sensible par accident, mais ce qui est appréhendé immédiatement par l’intelligence à la rencontre de la chose sentie. Par exemple, aussitôt que je vois quelqu’un parler ou se mouvoir lui-même, appréhendant sa vie par mon intelligence, je peux dire que je le vois vivre. Mais s’il est appréhendé dans le singulier, par exemple lorsque je vois le coloré et que je perçois cet homme ou cet animal, une telle appréhension dans l’homme s’accomplit par la puissance cogitative, qu’on appelle aussi raison particulière du fait qu’elle rassemble et compare les intentions individuelles, tout comme la raison universelle compare les notions universelles.

397. Cette puissance, la cogitative, est néanmoins dans la partie sensitive car la puissance sensitive, dans ce qu’elle a de plus élevé, participe de la puissance intellectuelle dans l’homme chez qui le sens est rattaché à l’intelligence. Mais chez l’animal irrationnel, l’appréhension de l’intention individuelle s’accomplit par l’estimative naturelle selon laquelle par exemple, au moyen de l’ouïe ou de la vue, la brebis reconnaît son petit ou quelque chose de la sorte.

398. Cependant, sous ce rapport, la cogitative et l’estimative se présentent différemment. En effet, la cogitative appréhende l’individu en tant qu’il existe sous une nature commune ; et cela lui est possible parce qu’elle est unie à la partie intellective dans un même sujet, et c’est pourquoi elle connaît cet homme en tant qu’il est tel homme et cet arbre en tant qu’il est tel arbre. L’estimative, par ailleurs, n’appréhende pas un individu en tant qu’il se range dans une nature commune, mais seulement en tant qu’il est le terme ou le principe d’une action ou d’une passion : par exemple, la brebis connaît cet agneau non pas en tant qu’il est tel agneau, mais en tant qu’il peut être allaité par elle ; de même elle connaît telle plante uniquement en tant qu’elle peut s’en nourrir. C’est pourquoi elle n’appréhende absolument pas, par son estimative naturelle, les autres individus auxquels son action ou sa passion ne s’applique pas. En effet, l’estimative naturelle est donnée aux animaux afin que par elle ils soient ordonnés à leurs actions et à leurs passions propres, soit pour les rechercher, soit pour les fuir.

                                               

AN

 

LECTIO 14

[80682] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 1Postquam philosophus distinxit propria sensibilia a communibus sensibilibus, et a sensibilibus secundum accidens, hic determinat de propriis sensibilibus secundum unumquemque sensum. Et primo de proprio sensibili visus. Secundo de proprio sensibili auditus, ibi, nunc autem primum de sono et cetera. Tertio de proprio sensibili olfactus, ibi, de odore autem et cetera. Quarto de proprio sensibili gustus, ibi, gustabile autem est et cetera. Quinto de proprio sensibili tactus, ibi, de tangibili autem, et tactu et cetera. Circa primum duo facit. Primo determinat de visibili. Secundo dicit, quomodo visibile videatur, ibi, nunc autem in tantum et cetera. Circa primum duo facit. Primo determinat quid est visibile, distinguens visibile in duo. Secundo determinat de utroque visibili, ibi, visibile enim est color et cetera. Dicit ergo primo, quod cum dictum sit, quod propria sensibilia sunt quae unusquisque sensus proprie percipit, illud sensibile cuius proprie perceptivus est visus, hoc est visibile. Sub visibili autem comprehenduntur duo. Nam visibile et est color, et est quoddam aliud, quod oratione quidem designari potest, sed non habet proprium nomen sibi impositum: quod quidem visibile competit his quae videntur de nocte, sicut sunt noctilucae, et putredines quercuum, et huiusmodi, de quibus erit manifestum in processu huius tractatus, postquam ingressi fuerimus in cognitionem visibilis, ex cognitione coloris, quod est manifestius visibile.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80683] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 2Deinde cum dicit visibile enim determinat de utroque visibili. Et primo de colore. Secundo de eo quod dixit esse innominatum, ibi, non autem omnia visibilia et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo color se habet ad hoc quod sit visibilis. Secundo determinat de his quae requiruntur ad hoc, quod color videatur, ibi, est igitur aliquid diaphanum et cetera. Dicit ergo primo, quod cum color sit quoddam visibile, esse visibile convenit ei secundum se; nam color in eo quod est color, est visibilis per se.

 

 

 

[80684] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 3Per se autem dupliciter dicitur. Uno enim modo dicitur propositio per se, cuius praedicatum cadit in definitione subiecti, sicut ista, homo est animal: animal enim cadit in definitione hominis. Et quia id quod est in definitione alicuius, est aliquo modo causa eius, in his quae sunt per se, dicuntur praedicata esse causa subiecti. Alio modo dicitur propositio per se, cuius e contrario subiectum ponitur in definitione praedicati; sicut si dicatur, nasus est simus, vel numerus est par; simum enim nihil aliud est, quam nasus curvus, et par nihil aliud est quam numerus, medietatem habens, et in istis subiectum est causa praedicati.

 

 

 

[80685] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 4Intelligendum est ergo, quod color est visibilis per se, hoc secundo modo, et non primo. Nam visibilitas est quaedam passio, sicut simum est passio nasi. Et hoc est quod dicit, quod color secundum se est visibile non ratione, idest non ita quod visibile ponatur in eius definitione, sed quia in seipso habet causam ut sit visibile, sicut subiectum in seipso habet causam propriae passionis.

 

 

[80686] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 5Quod probat per hoc, quod omnis color est motivus diaphani secundum actum. Diaphanum autem est idem quod transparens, ut aer vel aqua; et hoc habet color de sui natura, quod possit movere diaphanum in actu. Ex hoc autem quod movet diaphanum in actu, est visibile: unde sequitur quod color secundum suam naturam est visibilis. Et quia diaphanum non fit in actu nisi per lumen, sequitur quod color non sit visibilis sine lumine. Et ideo antequam ostendatur qualiter color videatur, dicendum est de lumine.

 

[80687] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 6Deinde cum dicit est igitur determinat de his sine quibus color videri non potest; scilicet diaphano et lumine. Et dividitur in partes tres. Primo ostendit quid sit diaphanum. Secundo determinat de lumine, quod est actus eius, ibi, lumen autem est huius actus et cetera. Tertio ostendit quomodo diaphanum est susceptivum coloris, ibi, est autem coloris et cetera. Dicit ergo primo, quod cum color sit motivus secundum suam naturam diaphani, necesse est, quod diaphanum sit aliquid. Est autem diaphanum, quod non habet proprium colorem, ut secundum ipsum videri possit, sed est susceptivum extranei coloris, secundum quem aliquo modo est visibile. Huiusmodi autem diaphanum est, sicut aer et aqua et multa corpora solida, ut lapides quidam, et vitrum. Licet autem alia accidentia, quae conveniunt elementis et elementatis conveniant eis secundum naturam elementorum, sicut calidum et frigidum, et grave, et leve, et alia huiusmodi, tamen diaphanum non convenit praedictis ex natura aeris, aut aquae, secundum quod huiusmodi, sed consequitur quamdam naturam communem non solum aeri et aquae quae sunt corpora corruptibilia, sed convenit etiam caelesti corpori, quod est perpetuum et incorruptibile. Manifestum est enim aliqua caelestia corpora esse diaphana. Non enim possemus videre stellas fixas, quae sunt in octava sphaera, nisi inferiores sphaerae planetarum essent transparentes, vel diaphanae. Sic ergo manifestum est quod diaphanum non est proprietas consequens naturam aeris aut aquae, sed aliquam communiorem naturam, ex cuius proprietate oportet causam diaphanitatis assignare, ut postea apparebit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80688] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 7Deinde cum dicit lumen autem ostendit quid sit lumen. Et primo manifestat veritatem. Secundo excludit errorem, ibi, quod quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod lumen est actus diaphani, secundum quod est diaphanum. Manifestatum est enim, quod neque aer, neque aqua, neque aliquid huiusmodi est actu transparens, nisi fuerit illuminatum. Ipsum autem diaphanum secundum se est in potentia respectu luminis et respectu tenebrae, quae est privatio luminis, sicut materia prima est ut potentia respectu formae et privationis. Lumen autem comparatur ad diaphanum, sicut color ad corpus terminatum; quia utrumque est actus et forma sui susceptivi. Et propter hoc dicit, quod lumen est quasi quidam color diaphani, secundum quod diaphanum est actu factum diaphanum ab aliquo corpore lucente, sive illud sit ignis, aut aliquid aliud huiusmodi, sive aliquod corpus caeleste. Esse enim lucens actu et illuminativum, commune est igni et corpori caelesti, sicut esse diaphanum est commune aeri et aquae, et corpori caelesti.

 

 

[80689] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 8Deinde cum dicit quid quidem excludit falsam opinionem de lumine. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quod lumen non est corpus. Secundo improbat quamdam solutionem ad rationem quamdam, per quam potest probari lumen non esse corpus, ibi, et non recte Empedocles. Circa primum tria facit. Primo ponit intentum; et dicit quod cum dictum sit quid est diaphanum, et quid lumen, manifestum est quod lumen, neque est ignis, ut quidam dicebant, ponentes tres species ignis, carbonem, flammam, et lumen: neque est aliquod corpus omnino, neque aliquid defluens ab aliquo corpore, sicut posuit Democritus, lumen esse quasdam decisiones defluentes a corporis lucidis: scilicet atomos quosdam. Si essent aliqua defluentia a corpore, sequeretur quod essent corpora vel aliquod corpus, et sic nihil aliud esset lumen quam praesentia ignis, aut alicuius huiusmodi corporis in diaphano: nihil ergo differt dicere quod lumen est corpus, aut quod est defluxus corporis.

 

 

 

 

 

[80690] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 9Secundo ibi neque enim probat quod proposuerat, tali ratione. Impossibile est duo corpora esse simul: si ergo lumen est corpus, impossibile est quod lumen sit simul cum corpore diaphano: hoc autem est falsum: ergo lumen non est corpus.

 

[80691] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 10Tertio ibi videtur autem probat quod lumen sit simul cum diaphano. Contrariorum enim est idem subiectum: lumen autem et tenebra sunt contraria secundum modum quo privatio et habitus est quaedam contrarietas, ut dicitur in decimo metaphysicae. Manifestum est autem, quod tenebra est quaedam privatio huius habitus, scilicet luminis in diaphano; et sic subiectum tenebrae est diaphanum; ergo et praesentia dicti habitus, scilicet lucis, est lumen: ergo lumen est simul cum diaphano.

 

 

 

[80692] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 11Deinde cum dicit et non recte reprobat quamdam responsionem ad rationem quamdam, quae potest fieri contra ponentes lumen esse corpus. Potest enim contra eos sic argui. Si lumen esset corpus, oportet quod illuminatio sit motus localis luminis deveniens in diaphanum. Nullus autem motus localis cuiuscumque corporis, potest esse subitus sive in instanti; ergo illuminatio non est subito sed successive.

 

[80693] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 12Cuius contrarium videmus; quia in eodem instanti, in quo corpus lucidum praesentatur, illuminatur diaphanum totum simul, et non pars eius post partem. Non autem recte Empedocles neque quicumque alius dixit, quod scilicet lumen feratur motu locali, tamquam corpus, et extendatur successive in spatio, quod est medium inter terram et continens, scilicet caelum, et quod ista successio nos lateat, sed videatur nobis quod totum illuminetur simul et subito.

 

 

 

[80694] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 13Hoc enim dictum est contra veritatem, quae potest ratione percipi; quia ad illuminationem diaphani nihil requiritur nisi directa oppositio, absque obstaculo medio, corporis illuminantis ad illuminabile.

[80695] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 14Iterum autem est contra id quod apparet. Posset enim dici quod successio motus localis parvo spatio lateat nos: sed quod lateat nos successio in motu luminis, ab oriente, usque ad occidentem horizontis nostri, hoc habet magnam quaestionem, tamquam difficile aut omnino impossibile.

 

 

[80696] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 15Quia vero hic agitur de natura luminis et diaphani et necessitate luminis ad videndum, de his tribus considerandum est. Circa naturam igitur luminis diversi diversimode opinati sunt. Quidam enim opinati sunt lumen esse corpus, ut in litera dicitur. Ad quod dicendum moti sunt ex quibusdam locutionibus, quibus utimur, loquentes de lumine. Consuevimus enim dicere, quod radius transit per aerem, quod reverberatur, quod radii se intersecant, quae omnia videntur esse corporis.

 

 

[80697] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 16Quae quidem opinio stare non potest, propter rationes, quas Aristoteles in litera adducit, et plures alias facile esset adducere. Non enim facile esset assignare, quomodo huiusmodi corpus per totum hemisphaerium subito multiplicaretur aut generaretur vel corrumperetur; quomodo etiam sola oppositio corporis opaci esset causa corruptionis huius corporis in parte diaphani aliqua. Quod autem dicitur de motu luminis, aut reverberatione ipsius, metaphorice dictum est; sicut etiam possumus dicere, quod calor procedit dum aliqua de novo calefiunt; vel reverberantur, cum habet obstaculum.

 

[80698] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 17Quidam vero alii dixerunt quod lux est quaedam natura spiritualis, argumentum sumentes quod in rebus intellectualibus, nomine luminis utimur: dicimus enim in substantiis intellectualibus esse quoddam lumen intelligibile. Sed hoc etiam est impossibile.

[80699] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 18Impossibile est enim quod aliqua natura spiritualis et intelligibilis cadat in apprehensione sensus: qui cum sit virtus corporea, non potest esse cognoscitivus nisi rerum corporalium. Si quis autem dicat quod aliud est lumen spirituale ab eo quod sensus percipit, non erit cum eo contendendum, dummodo hic habeat quod lumen quod visus percipit, non est natura spiritualis. Nihil enim prohibet unum nomen imponi rebus quantumcumque diversis.

[80700] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 19Quod autem lumine, et his quae ad visum pertinent, utamur in rebus intellectualibus, contingit ex nobilitate sensus visus, qui est spiritualior et subtilior inter omnes sensus. Quod patet ex duobus. Primo quidem ex suo obiecto. Nam aliqua cadunt sub visu, secundum proprietates in quibus communicant inferiora corpora cum caelestibus: tactus autem est perceptivus proprietatum quae sunt propriae elementis, scilicet calidi, et frigidi, et similium; gustus autem et olfactus, proprietatum quae competunt corporibus mistis secundum diversam rationem commistionis calidi et frigidi, humidi et sicci. Sonus autem causatur ex motu locali, qui etiam communis est corporibus caelestibus et inferioribus, licet species motus quae causat sonum, non competat corporibus caelestibus secundum sententiam Aristotelis. Unde ex ipsa natura obiecti, apparet quod visus est altior inter sensus, et auditus propinquior ei, et alii sensus magis remoti.

 

 

[80701] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 20Secundo apparet quod sensus visus est spiritualior, ex modo immutationis. Nam in quolibet alio sensu non est immutatio spiritualis, sine naturali. Dico autem immutationem naturalem prout qualitas recipitur in patiente secundum esse naturae, sicut cum aliquid infrigidatur vel calefit aut movetur secundum locum. Immutatio vero spiritualis est secundum quod species recipitur in organo sensus aut in medio per modum intentionis, et non per modum naturalis formae. Non enim sic recipitur species sensibilis in sensu secundum illud esse quod habet in re sensibili. Patet autem quod in tactu, et gustu, qui est tactus quidam, fit alteratio naturalis; calefit enim et infrigidatur aliquid per contactum calidi et frigidi, et non fit immutatio spiritualis tantum. Similiter autem immutatio odoris fit cum quadam fumali evaporatione: immutatio autem soni, cum motu locali. Sed in immutatione visus est sola immutatio spiritualis: unde patet, quod visus inter omnes sensus est spiritualior, et post hunc auditus. Et propter hoc hi duo sensus sunt maxime spirituales, et soli disciplinabiles; et his quae ad eos pertinent, utimur in intellectualibus, et praecipue his quae pertinent ad visum.

 

 

 

 

 

 

[80702] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 21Quidam vero dixerunt quod lumen non est nisi evidentia coloris. Sed hoc aperte apparet esse falsum in his quae lucent de nocte, et tamen eorum color occultatur.

[80703] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 22Alii vero dixerunt quod lux est forma substantialis solis, et lumen defluens a luce habet esse intentionale, sicut species colorum in aere. Utrumque autem horum est falsum. Primum quidem, quia nulla forma substantialis est per se sensibilis, sed solo intellectu comprehensibilis. Et si dicatur quod id quod videtur in sole, non est lux, sed splendor, non erit contendendum de nomine; dummodo hoc quod dicimus lucem, scilicet quod ex visu apprehenditur, non sit forma substantialis. Secundum etiam falsum est; quia quae habent solum esse intentionale, non faciunt transmutationem naturalem: radii autem corporum caelestium transmutant totam naturam inferiorem. Unde dicimus, quod sicut corpora elementaria habent qualitates activas, per quas agunt, ita lux est qualitas activa corporis caelestis, per quam agit, et est in tertia specie qualitatis sicut et calor.

 

 

 

 

[80704] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 23Sed in hoc differt a calore, quia lux est qualitas primi corporis alterantis, quod non habet contrarium; unde nec lux contrarium habet: calori autem est aliquid contrarium. Et quia luci nihil est contrarium, in suo susceptibili non potest habere contrariam dispositionem: et propter hoc suum passivum, scilicet diaphanum, semper est in ultima dispositione ad formam; et propter hoc statim illuminatur; non autem calefactibile statim calefit. Ipsa igitur participatio vel effectus lucis in diaphano, vocatur lumen. Et si fit secundum rectam lineam ad corpus lucidum, vocatur radius. Si autem causetur ex reverberatione radii ad corpus lucidum, vocatur splendor. Lumen autem commune est ad omnem effectum lucis in diaphano.

 

 

 

 

[80705] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 24His igitur visis circa naturam luminis, de facili apparet ratio, quare quaedam corpora sunt lucida actu: quaedam diaphana, quaedam opaca. Nam cum lux sit qualitas primi alterantis, quod est maxime perfectum et formale in corporibus, illa corpora quae sunt maxime formalia et mobilia sunt lucida actu; quae autem propinqua his, sunt receptiva luminis sicut diaphana; quae autem sunt maxime materialia, neque habent lumen in sui natura, neque sunt luminis receptiva, sunt opaca. Quod patet in ipsis elementis. Nam ignis habet lucem in sui natura, licet eius lux non appareat nobis nisi in natura aliena propter densitatem. Aer autem et aqua, quae sunt minus formalia, sunt diaphana: terra autem quae est maxime materialis, est opaca.

 

 

 

[80706] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 25Circa tertium vero sciendum est, quod quidam dixerunt quod lumen necessarium est ad videndum ex parte ipsius coloris. Dicunt enim quod color non habet virtutem ut moveat diaphanum, nisi per lumen. Et huius signum dicunt, quia ille qui est in obscuro, videt ea quae sunt in lumine, sed non e converso. Rationem etiam ad hoc adducunt; quia oportet quod, cum visus sit unus, quod visibile non sit nisi per rationem unam; quod non esset, si color esset per se visibilis, non per virtutem luminis, et item lumen esset per se visibile.

 

 

[80707] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 26Sed hoc est manifeste contra id quod Aristoteles hic dicit, et quod habet in se causam essendi visibile. Unde secundum sententiam Aristotelis dicendum est, quod lumen necessarium est ad videndum, non ex parte coloris eo quod faciat colores esse actu, quos quidam, tantum dicunt esse in potentia, cum sunt in tenebris; sed ex parte diaphani, inquantum facit ipsum esse in actu, ut in litera dicitur.

 

 

[80708] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 27Et ad huius evidentiam, considerandum est, quod omnis forma, inquantum huiusmodi, est principium agendi sibi simile: unde cum color sit quaedam forma, ex se habet, quod causet sui similitudinem in medio. Sed tamen sciendum est quod differentia est inter virtutem perfectam et imperfectam. Nam forma quae est perfectae virtutis in agendo, non solum potest inducere suam similitudinem in suo susceptibili; sed potest etiam disponere patiens, ut sit proprium eius susceptivum; quod quidem non potest facere, cum fuerit imperfectae virtutis. Dicendum est igitur quod virtus coloris in agendo est imperfecta respectu virtutis luminis. Nam color nihil aliud est quam lux quaedam quodammodo obscurata ex admixtione corporis opaci. Unde non habet virtutem, ut faciat medium in illa dispositione, qua fit susceptivum coloris; quod tamen potest facere lux pura.

 

 

 

[80709] Sentencia De anima, lib. 2 l. 14 n. 28Ex quo etiam patet quod, cum lux sit quodammodo substantia coloris, ad eamdem naturam reducitur omne visibile, nec oportet quod color per lumen extrinsecum fiat actu visibile. Quod autem colores illuminati ab eo qui est in obscuro, videantur, contingit ex eo, quod etiam medium illuminatur, in quantum sufficit ad immutationem ipsius.

Leçon  14

399. Après avoir distingué les sensibles propres des sensibles communs et des sensibles par accident, le Philosophe détermine ici des sensibles propres par rapport à chacun des sens. Et il traite en premier lieu du sensible qui  est propre à la vue. En deuxième lieu, du sensible qui est propre à l’ouïe, là où il dit : « Mais maintenant, traitons d’abord du son etc. ». Troisièmement, du sensible qui est propre à l’odorat, là où il dit : « Mais au sujet de l’odorat etc. ». Quatrièmement, du sensible qui est propre au goûter, là où il dit : « Or, ce qui est perceptible par le goûter est etc. ». Cinquièmement, du sensible qui est propre au toucher, là où il dit : « Mais en ce qui concerne les qualités tactiles et le toucher etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il détermine du visible. Deuxièmement, il dit comment le visible est perçu par la vue, là où il dit : « Mais maintenant, ce qui est manifeste etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il précise ce qu’est le visible en le distinguant en deux aspects. Deuxièmement, il détermine chacun des visibles, là où il dit : « Le visible est en effet la couleur etc. ». Il dit donc en premier lieu, comme il l’avait déjà dit (nn. 384-385), que puisque les sensibles propres sont ceux qui sont perçus en propre par chacun des sens, ce sensible qui est perçu proprement par la vue est le visible. Or, deux choses sont comprises sous le visible. En effet, le visible est certes la couleur, mais aussi quelque chose d’autre qui peut certes être désigné par le discours mais auquel aucun nom approprié n’a été attribué : ce visible appartient certes à ces choses qu’on voit pendant la nuit comme ces vers luisants, comme les putréfactions des feuillages et les choses de ce genre, ce qui nous deviendra plus manifeste dans la suite de ce traité, après avoir progressé dans la connaissance du visible à partir de la connaissance de la couleur qui est le visible le plus manifeste.

400. Ensuite, lorsqu’il dit : « Le visible en effet etc. », il détermine des deux sortes de visible, en commençant par la couleur, puis en traitant du visible dont il a dit qu’il n’a pas de nom qui lui soit propre, là où il dit : « Ce ne sont cependant pas tous les visibles qui etc. ». Au sujet du premier point il fait deux choses. Premièrement il montre comment la couleur se présente en tant que visible. Deuxièmement il traite des conditions qui sont requises pour que la couleur soit vue, là où il dit : « Il y a donc du diaphane etc. ». Il dit donc en premier lieu que puisque la couleur est un visible, il convient à la couleur, en tant que telle, d’être visible d’elle-même ; en effet, la couleur, en tant que couleur, est un visible par soi.

401. Or, l’expression ¨ par soi ¨ se dit en deux sens. En un premier sens, on appelle proposition par soi celle dont le prédicat tombe dans la définition du sujet, comme c’est le cas pour la proposition suivante : L’homme est un animal, dans laquelle nous voyons que animal tombe dans la définition de homme. Et parce que ce qui est contenu dans la  définition d’une chose en est en quelque sorte la cause, dans les propositions qui sont par soi, on dit des prédicats qu’ils sont la cause du sujet. En un autre sens, on appelle proposition par soi celle, au contraire, dont le sujet est placé dans la définition du prédicat : par exemple, lorsque nous disons que le nez est camus ou que le nombre est pair ; en effet, un camus n’est rien d’autre qu’un nez courbé et le pair n’est rien d’autre qu’un nombre ayant une moitié, et dans ces deux cas le sujet est la cause du prédicat.

402. Il faut donc comprendre que la couleur est un visible par soi en ce deuxième sens et non dans le premier sens. En effet, la visibilité est une certaine passion tout comme le camus est une certaine passion du nez. Et c’est justement ce que dit le Philosophe, à savoir que la couleur en tant que telle est un visible « non pas par son essence », c’est-à-dire non pas parce que visible est placé dans sa définition, mais parce qu’elle possède en elle-même la cause de sa visibilité, tout comme un sujet possède en lui-même la cause de la passion qui lui est propre.

403. Et il le prouve en disant que toute couleur a le pouvoir de mettre en mouvement le diaphane en acte. Or, le diaphane s’identifie à la transparence, comme on le voit pour l’air ou l’eau, et c’est par nature que la couleur a le pouvoir de mettre en mouvement le diaphane en acte. Et c’est du fait qu’elle met en mouvement le diaphane en acte que la couleur est visible : il suit de là que la couleur est visible par nature. Et parce qu’il n’y a pas de diaphane en acte sans la lumière, il s’ensuit que la couleur n’est pas visible sans la lumière. Et c’est pourquoi, avant de montrer comment la couleur est vue, il faut d’abord traiter de la nature de la lumière.

404. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il y a donc du diaphane etc. », il détermine des choses sans lesquelles la couleur ne peut être vue, c’est-à-dire du diaphane et de la lumière. Et cette section se divise en trois parties. Dans la première il montre ce qu’est le diaphane. Dans la deuxième il traite de la lumière qui est l’acte du diaphane, là où il dit : « Or, la lumière est l’acte du diaphane etc. ». Troisièmement, il montre comment le diaphane reçoit la couleur, là où il dit : « Or, le diaphane reçoit la couleur sans etc. ». Il dit donc en premier lieu que puisque c’est par nature que la couleur a le pouvoir de mettre en mouvement le diaphane, il est nécessaire que le diaphane soit réellement quelque chose. Or, le diaphane est ce qui ne possède pas de couleur en propre de manière à pouvoir être vu par lui-même, mais il reçoit une couleur extérieure grâce à laquelle il devient visible en quelque sorte. Mais un diaphane de la sorte est semblable à l’air et à l’eau, et à de nombreux corps solides, comme certaines pierres et les vitres. Or, bien que d’autres accidents, comme le chaud et le froid, le lourd et le léger, et d’autres accidents de ce genre, qui conviennent aux éléments et aux corps qui en sont composés, conviennent aussi aux corps dont nous venons de parler, à savoir à l’air et à l’eau, d’après la nature de ces éléments, cependant le diaphane n’appartient pas à ces autres corps transparents à cause de la nature de l’air ou de l’eau en tant que tels, mais il est consécutif à la nature commune non seulement de l’air et de l’eau, qui sont des corps corruptibles, mais aussi du corps céleste qui est éternel et incorruptible. Il est manifeste en effet que certains corps célestes sont diaphanes. En effet, nous ne pourrions voir les étoiles fixes, qui sont dans la huitième sphère, si les sphères inférieures des planètes n’étaient pas transparentes ou diaphanes. Il est donc manifeste que le diaphane n’est pas une propriété qui découle de la nature de l’air ou de l’eau, mais plutôt d’une nature plus commune, et que c’est à partir d’une propriété de cette nature qu’il faudra assigner la cause du diaphane, comme nous le verrons par la suite.

405. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, la lumière etc. », il montre ce qu’est la lumière. Et premièrement, il manifeste la vérité. Deuxièmement, il écarte une erreur, là où il dit : « Nous avons donc certes dit etc. ». Il dit donc en premier lieu que la lumière est l’acte du diaphane en tant que diaphane. Il est manifeste en effet que ni l’air, ni l’eau, ni aucun corps de la sorte n’est transparent en acte à moins d’avoir été éclairé. Or, le diaphane est en lui-même en puissance par rapport à la lumière et par rapport aux ténèbres qui sont la privation de la lumière, tout comme la matière première est en puissance par rapport à la forme et à la privation. Or, la lumière est au diaphane ce que la couleur est au corps fini, car l’un et l’autre est l’acte et la forme de ce qui les reçoit. Et c’est pour cette raison que le Philosophe dit que la lumière est comme la couleur du diaphane, dans la mesure où le diaphane devient diaphane en acte par l’action d’un corps lumineux, qu’il s’agisse du feu ou de tout autre corps de la sorte, ou même d’un corps céleste. En effet, il appartient en commun au feu et au corps céleste de briller en acte et d’illuminer, tout comme il appartient en commun à l’air, à l’eau et au corps céleste d’être diaphanes.

406. Ensuite, lorsqu’il dit : « Nous venons donc etc. », il écarte une fausse opinion au sujet de la lumière. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il montre que la lumière n’est pas un corps. Deuxièmement, il réfute une solution s’adressant à un raisonnement par lequel il pourrait être prouvé que la lumière n’est pas un corps, là où il dit : « C’est à tort qu’Empédocle etc. ». Au sujet du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente son propos, et il dit que puisque nous avons dit ce qu’est le diaphane et ce qu’est la lumière, il est manifeste que la lumière n’est ni le feu, comme certains l’ont prétendu en affirmant qu’il existe trois espèces de feu, à savoir le charbon, la flamme et la lumière ; ni absolument aucun corps, ni même un effluve procédant d’un corps, comme l’affirmait Démocrite en disant que la lumière consiste en des parcelles qui s’échappent des corps lumineux, c’est-à-dire des atomes. Mais si la lumière était un effluve procédant d’un corps, il s’ensuivrait qu’elle serait elle-même un corps ou quelque chose de corporel, et par conséquent elle ne serait rien d’autre que la présence du feu ou de quelque corps de ce genre dans le diaphane : par conséquent, dire que la lumière est un effluve procédant d’un corps revient à dire que la lumière est un corps.

407. Ensuite, lorsqu’il dit : « En effet, il n’est pas possible que etc. », il prouve son propos par le raisonnement suivant. Il est impossible que deux corps existent simultanément dans un même lieu ; donc, si la lumière est un corps, il est impossible qu’elle existe simultanément avec un corps diaphane : or, cela est faux ; donc, la lumière n’est pas un corps.

408. Ensuite, lorsqu’il dit : « On admet généralement etc. », il prouve que la lumière existe simultanément avec le diaphane. En effet, les contraires ont un même sujet : or, la lumière et les ténèbres sont des contraires de la même manière que la privation et l’habitus sont des contraires, ainsi que le dit le Philosophe [Métaphysique, L. 9, ch. 4]. Or, il est manifeste que les ténèbres sont une certaine privation de cet habitus, c’est-à-dire de la lumière présente dans le diaphane ; par conséquent, le sujet des ténèbres est le diaphane ; et il est donc aussi le sujet de la présence de cet habitus, c’est-à-dire de la clarté, qui est la lumière : donc, la lumière existe simultanément avec le diaphane.

409. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais c’est à tort que etc. », il rejette une réponse à un raisonnement qu’on pourrait produire contre ceux qui soutiennent que la lumière est un corps. On pourrait en effet argumenter contre eux de la manière qui suit. Si la lumière était un corps, il faudrait que l’illumination soit un mouvement local de la lumière qui arrive dans le diaphane. Or, aucun mouvement local, quel que soit le corps d’où il procède, ne peut être subit ou instantané ; donc, l’illumination n’est pas subite mais successive.

410. Or, c’est le contraire que nous observons, car dans le même instant dans lequel le corps lumineux se présente, en même temps le diaphane s’illumine en totalité, et non pas une partie après une autre. Donc, ce n’est pas à bon droit qu’Empédocle, ou tout autre qui a exprimé la même opinion, a dit ceci, à savoir que la lumière se transporte comme un corps par un mouvement local, et qu’elle s’étend successivement dans l’espace qui est le médium entre la Terre et ce qui la contient, à savoir le Ciel, et que cette succession nous est cachée et que c’est ainsi qu’en apparence la totalité de l’espace s’illumine simultanément et subitement.

411. Mais cette manière de parler va contre la vérité qui peut être saisie par la raison : en effet, rien n’est requis à l’illumination du diaphane, si ce n’est une opposition directe, sans obstacle intermédiaire, du corps qui illumine à ce qui peut être illuminé.

412. En outre, cette position va aussi contre les faits qui se manifestent à nous. On pourrait dire en effet que la succession du mouvement local nous est cachée lorsqu’il s’agit d’un petit espace. Mais que la succesion qu’on observe dans le mouvement de la lumière nous échappe de l’orient à l’occident de notre horizon, cela pose une immense difficulté, pour ne pas dire une difficulté qui se présente comme une impossibilité.

413. Mais parce qu’on traite ici de la nature de la lumière et du diaphane, ainsi que de la nécessité de la lumière pour voir, c’est pourquoi il faut considérer ces trois notions. Or, différentes opinions se sont présentées au sujet de la nature de la lumière. Certains en effet ont cru que la lumière est un corps, comme on le dit dans le texte. Et ils ont été portés à dire cela à partir de certaines expressions dont nous nous servons pour parler de la lumière. Nous avons en effet coutume de dire que les rayons passent par l’air, qu’ils se réfléchissent, qu’ils s’entrecoupent, expressions qui semblent toutes se rapporter à des corps.

414. Mais cette opinion est insoutenable pour des raisons qu’Aristote apporte dans son texte et pour plusieurs autres qu’il serait facile d’ajouter. Certes, il n’est pas facile d’expliquer comment un tel corps s’accroît, est engendré et est corrompu subitement à travers la totalité de l’hémisphère et même comment la seule opposition d’un corps opaque serait cause de la corruption de ce corps dans une partie du diaphane. Cependant, ce qu’on dit de la lumière quand on parle de son mouvement ou de sa réflexion, cela ne se dit que par métaphore, comme lorsque nous pouvons dire que la chaleur progresse lorsque certaines choses s’enflamment à nouveau, ou que la chaleur se réfléchit lorsqu’un obstacle s’oppose à elle.

415. Mais d’autres philosophes disent que la lumière est de nature spirituelle, tirant leur argument du fait que nous usons du terme de lumière pour les réalités intellectuelles : nous disons en effet que dans les substances intellectuelles il y a une lumière intelligible. Mais cette position est elle aussi impossible à soutenir.

416. Il est impossible en effet qu’une nature spirituelle et intelligible tombe dans l’appréhension du sens, lequel est une puissance corporelle qui ne peut appréhender que des réalités corporelles. Mais si quelqu’un disait que la lumière spirituelle que le sens perçoit est autre, il ne faudrait pas se satisfaire de cette réponse car il reste que la lumière que le sens perçoit n’est pas de nature spirituelle. En effet, rien n’empêche qu’un même nom soit attribué à des réalités à ce point diverses.

417. Mais que nous nous servions du nom de lumière et des termes qui se rapportent à la vue dans la vie intellectuelle, cela tient à la noblesse du sens de la vue, lequel est le plus spirituel et le plus subtil de tous les sens. Et cela se voit à deux choses. Premièrement à partir de son objet. En effet, il y a certaines qualités sensibles qui tombent sous la vue d’après des propriétés qui sont communes aux corps inférieurs et aux corps célestes ; au contraire, le toucher perçoit des propriétés qui sont propres aux éléments, à savoir le chaud, le froid et des qualités de ce genre ; quant au goûter et à l’odorat, ils perçoivent des qualités qui appartiennent aux corps mixtes d’après différentes proportions de mélanges de chaud et de froid, de sec et d’humide ; mais le son est causé par un mouvement local, qui lui aussi est commun aux corps célestes et aux corps inférieurs, bien que l’espèce de mouvement qui cause le son n’appartienne pas aux corps célestes selon Aristote. Il en résulte que c’est à partir de la nature même de son objet que nous voyons que la vue est le plus élevé de tous les sens, que l’ouïe en est le plus rapproché, et que les autres sens en sont plus éloignés.

418. Deuxièmement, c’est aussi à partir de son mode d’immutation qu’il apparaît que la vue est le sens le plus spirituel. En effet, dans tout autre sens il n’y a pas d’immutation spirituelle sans immutation naturelle. Et je parle d’immutation naturelle dans la mesure où une qualité est reçue dans le patient selon son existence naturelle, comme lorsqu’une chose se refroidit, se réchauffe ou se meut selon le lieu. Mais l’immutation spirituelle est celle selon laquelle l’espèce est reçue dans l’organe du sens ou dans le médium à la manière d’une intention et non à la manière d’une forme naturelle. En effet, l’espèce sensible n’est pas reçue dans le sens selon cette existence qu’elle possède dans la chose sensible. Or, il est clair que dans le toucher et le goûter, lequel est un certain toucher, il se produit une altération naturelle ; en effet, il est clair que quelque chose se refroidit ou se réchauffe par un contact avec le chaud et le froid et qu’il ne se produit pas alors une immutation spirituelle seulement. De la même manière, l’immutation de l’odeur s’accompagne d’une évaporation des exhalaisons et celle du son du mouvement local. Mais dans l’immutation de la vue, il y a seulement une immutation spirituelle : d’où il est clair que la vue est le plus spirituel de tous les sens et que la l’ouïe le suit de près. C’est pour cette raison que ces deux sens sont les plus spirituels, les plus aptes à recevoir un enseignement, et que nous nous servons de ce qui s’attribue à ces sens, et surtout de ce qui s’attribue à la vue, pour l’appliquer à la vie intellectuelle.

419. Mais certains ont soutenu que la lumière ne sert qu’à avoir l’évidence de la couleur. Or, cela apparaît manifestement faux dans les choses qui brillent la nuit et dont la couleur nous est cependant cachée.

420. D’autres disent que la lumière est la forme substantielle du soleil, et que la clarté qui jaillit de la lumière possède une existence intentionnelle, comme l’espèce de la couleur dans l’air. Or, chacune de ces positions est fausse. La première, parce qu’aucune forme substantielle n’est sensible par elle-même et que toute forme substantielle n’est saisie que par l’intelligence. Et si l’on dit que ce qui est vu dans le soleil n’est pas la lumière mais la splendeur, il n’y a pas à discuter du nom, pourvu que ce que nous appelons lumière, c’est-à-dire ce qui est appréhendé par la vue, ne soit pas une forme substantielle. La deuxième aussi est fausse, car ce qui ne possède qu’une existence intentionnelle ne produit pas une transmutation naturelle ; or, les rayons des corps célestes transforment la totalité des natures inférieures. C’est pourquoi nous disons que tout comme les corps élémentaires possèdent des qualités actives, par lesquelles ils agissent, de même la lumière est une qualité active du corps céleste par laquelle il agit, et elle se range, comme la chaleur, dans la troisième espèce de la qualité.

421. Mais la lumière diffère de la chaleur en ceci qu’elle est la qualité du premier corps qui altère, lequel n’a pas de contraire, et c’est pourquoi la lumière non plus n’a pas de contraire, alors qu’il existe un contraire de la chaleur. Et parce que rien n’est contraire à la lumière, elle ne peut avoir une disposition contraire dans ce qui la reçoit ; et c’est pour cette raison que ce qui la subit, à savoir le diaphane, est toujours dans une disposition ultime à l’égard de la forme et c’est pour cette raison aussi qu’il s’illumine aussitôt ; au contraire, le sujet de la chaleur ne se réchauffe pas immédiatement. Donc, la participation même ou l’effet de la source de lumière dans le diaphane s’appelle lumière. Et si elle se produit en ligne droite vers un corps lumineux, on l’appelle rayon. Et si elle est causée par la réflexion du rayon vers un corps lumineux, on l’appelle splendeur. Or, la lumière est commune à tout effet de la source de lumière dans le diaphane.

422. Après avoir fait ces distinctions au sujet de la nature de la lumière, il est facile de voir pourquoi certains corps sont brillants en acte, certains autres diaphanes et d’autres enfin opaques. En effet, puisque la source de la lumière est une qualité du premier agent d’altération, lequel est le plus parfait et le plus formel parmi les corps, ces corps qui sont les plus formels et mobiles sont brillants en acte ; ceux qui sont les plus près de ces derniers, comme ceux qui sont diaphanes, sont ceux qui reçoivent la lumière ; enfin, ceux qui sont les plus matériels, dont la nature ne contient aucune lumière et qui ne reçoivent pas la lumière, sont opaques. Tous ces degrés s’observent dans les éléments. Car le feu, dans sa nature même, possède la lumière, bien que sa lumière ne nous apparaît que dans une nature étrangère en raison de sa densité ; quant à l’air et à l’eau, étant moins formels, ils sont diaphanes ; la terre enfin, étant la plus matérielle, est opaque.

423. Il faut savoir au sujet du troisième point que certains philosophes ont soutenu que la lumière est nécessaire à la vision du côté de la couleur elle-même. Ils disent en effet que ce n’est qu’au moyen de la lumière que la couleur a le pouvoir de mouvoir le diaphane. Et ils en donnent comme signe que celui qui est dans l’obscurité voit ce qui est dans la lumière mais que l’inverse n’a pas lieu. Et ils ajoutent encore à cela une raison : il faut, disent-ils, puisque la vue est une, qu’il n’y ait du visible qu’au moyen d’une raison unique ; ce qui n’aurait pas lieu si la couleur était visible par elle-même et non par la puissance de la lumière, et si en outre la lumière était visible par elle-même.

424. Mais cette position s’oppose manifestement à ce que dit Aristote, à savoir que « la couleur a en elle-même la cause de sa visibilité ». C’est pourquoi il faut dire, conformément à la pensée d’Aristote, que la lumière est nécessaire à la vision, non pas du côté de la couleur du fait que la lumière rendrait les couleurs visibles en acte, lesquelles n’existent qu’en puissance lorsqu’elles sont dans les ténèbres, mais plutôt du côté du diaphane, en tant que la lumière le fait exister en acte, comme le dit le Philosophe dans le texte.

425. Pour en avoir l’évidence, il faut considérer que toute forme, en tant que telle, est un principe capable de produire ce qui lui est semblable : c’est pourquoi, puisque la couleur est une forme, elle possède d’elle-même le pouvoir de causer dans un médium ce qui lui est semblable. Il faut cependant savoir qu’il y a une différence entre une puissance parfaite et une puissance imparfaite. En effet, la forme qui possède une puissance d’action qui est parfaite peut non seulement introduire sa ressemblance dans le patient, mais elle peut en outre disposer le patient pour qu’il soit propre ou préparé à la recevoir, ce qu’elle ne serait certes pas capable de faire si sa puissance d’action était imparfaite. Il faut donc dire que la puissance d’action de la couleur est imparfaite par rapport à celle de la lumière : la couleur en effet n’est rien d’autre qu’une certaine lumière qui est en quelque sorte obscurcie par son mélange à un corps opaque. C’est pourquoi elle n’a pas la puissance de disposer le médium de manière à ce qu’il reçoive la couleur, ce que peut faire cependant la pure lumière.

426. D’où il est clair en outre, puisque la lumière est en quelque sorte la substance de la couleur, que tout visible se ramène à une même nature, et qu’il n’est pas nécessaire que la couleur deviennne visible en acte au moyen d’une lumière extérieure. Mais que les couleurs qui brillent soient vues par celui qui est dans l’obscurité, cela est possible du fait que le médium aussi est illuminé dans la mesure où cela suffit à le modifier.

 

 

LECTIO 15

[80710] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 1Postquam philosophus ostendit superius quid est color, et quid diaphanum, et quid lumen, hic ostendit, quomodo diaphanum se habeat ad colores. Manifestum est autem ex praemissis, quod diaphanum est susceptivum coloris; est enim color motivus diaphani, ut supra dictum est. Quod autem est susceptivum coloris, oportet esse sine colore, sicut quod est susceptivum soni, oportet esse sine sono: nihil enim recipit quod iam habet: et sic patet quod diaphanum, oportet esse sine colore.

 

 

[80711] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 2Cum autem corpora sint visibilia per suos colores, sequitur quod diaphanum secundum seipsum sit invisibile. Quia vero eadem est potentia cognoscitiva oppositorum, sequitur, quod visus qui cognoscit lucem, cognoscat et tenebram. Licet igitur diaphanum secundum se careat colore et lumine, quorum est susceptivum, et sic secundum se visibile non sit, eo modo quo sunt visibilia, lucida et colorata, tamen potest dici visibile, sicut videtur tenebrosum quod vix videtur. Diaphanum igitur est huiusmodi, idest tenebrosum, cum non est actu diaphanum, sed in potentia tantum. Eadem enim natura est subiecta quandoque quidem tenebrarum, quandoque autem luminis. Et sic diaphanum carens lumine, quod ei accidit, dum est in potentia diaphanum, oportet, quod sit tenebrosum.

 

 

[80712] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 3Deinde cum dicit non omnia quia iam determinatum est de colore, quod videtur in lumine, determinat de alio visibili, quod supra dixit esse innominatum. Et dicit quod non omnia sunt visibilia in lumine, sed solum proprius color uniuscuiusque corporis in lumine visibilis est: quaedam enim non videntur in lumine, sed in tenebris, sicut animalia quae in tenebris videntur ignita, et lucentia, haec sunt multa, sed non habent unum nomen commune, sicut putredines quercuum, et aliquod cornu alicuius animalis et capita quorumdam piscium, et squamae, et oculi quorumdam animalium. Sed licet ista videantur in tenebris, nullius tamen horum proprius color in tenebris videtur. Videntur ergo ista in tenebris et in lumine; sed in tenebris, ut lucentia; in lumine autem, ut colorata.

 

 

 

 

 

[80713] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 4Sed propter quam causam sic videantur in tenebris lucentia, alia ratio est. Non enim hic inducitur hoc, nisi quasi per accidens, ad ostendendum comparationem visibilis ad lumen. Videtur autem visibilitatis eorum in tenebris haec esse ratio: quia huiusmodi ex sua compositione habent aliquid lucis, inquantum lucidum ignis et diaphanum aeris et aquae non est totaliter in eis comprehensum per opacum terrae. Sed quia modicum habent de luce, eorum lux ad praesentiam maioris luminis occultatur. Unde in lumine non videntur, ut lucentia, sed ut colorata tantum. Lux autem eorum propter sui debilitatem non potest diaphanum perfecte reducere in actum, secundum quod natum est moveri a colore; unde sub eorum luce, nec eorum color, nec aliorum videtur; sed solum lux ipsorum. Lux enim, cum sit efficacior ad movendum diaphanum, quam color, et magis visibilis, cum minori immutatione diaphani videri potest.

 

 

 

 

 

 

[80714] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 5Deinde cum dicit nunc autem ostendit quomodo color perveniat ad visum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quod est necessarium ad hoc, quod visus moveatur a colore. Secundo ostendit aliquid simile, quod est necessarium in aliis sensibilibus, ibi, eadem autem ratio. Circa primum duo facit. Primo determinat veritatem. Secundo excludit errorem, ibi, non enim bene hoc. Dicit ergo primo, quod per supradicta, intantum manifestum fit, quod illud quod videtur in lumine, est color, et quod sine lumine videri non potest, quia, ut supra dictum est, hoc est de ratione coloris quod sit motivum diaphani; quod quidem fit per lumen, quod est actus diaphani; et ideo sine lumine color videri non potest.

 

 

 

 

 

[80715] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 6Cuius signum est: quia si aliquis ponat corpus coloratum super organum visus, non videbitur: quia non est ibi diaphanum in actu, quod moveatur a colore. Nam etsi pupilla sit quoddam diaphanum, non tamen erit diaphanum in actu, si superponatur sibi corpus coloratum. Oportet autem quod color moveat diaphanum in actu, puta aerem vel aliquid huiusmodi; et ab hoc movetur sensitivum, idest organum visus, sicut a corpore sibi continuato. Corpora enim non se immutant, nisi se tangant.

 

 

 

[80716] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 7Deinde cum dicit non enim excludit errorem; dicens, quod non bene dixit Democritus, qui opinatus fuit, quod si medium, quod est inter rem visam et oculum esset vacuum, quod posset aliquid quantumcumque parvum videri per quantamcumque distantiam, puta si formica esset in caelo. Sed hoc est impossibile. Oportet enim, ad hoc quod aliquid videatur, quod organum visus patiatur a visibili. Ostensum est autem, quod non patitur ab ipso visibili immediate, quia visibile superpositum oculo non videtur. Relinquitur ergo, quod oporteat organum visus pati a visibili per aliquod medium: necesse est ergo esse aliquod medium inter visibile et visum. Si autem est vacuum, nihil est medium, quod posset immutare et immutari. Relinquitur ergo, quod si esset vacuum, omnino nihil videretur.

 

 

 

 

 

 

[80717] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 8Incidit autem in hanc opinionem Democritus, quia putabat, quod causa quare distantia impedit visionem alicuius rei, sit per medium quod resistit immutationi visibilis: hoc autem est falsum. Non enim diaphanum habet contrarietatem ad lumen vel colorem, sed est in ultima dispositione ad eorum receptionem: cuius signum est quod subito immutatur a lumine vel colore. Causa autem, quare distantia impediat visum, est, quia omne corpus videtur sub quodam angulo cuiusdam trianguli, vel magis pyramidis, cuius basis est in re visa, et angulus est in oculo videntis.

 

[80718] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 9Neque differt quantum ad hoc, utrum visus fiat extramittendo, ita quod lineae concludentes triangulum vel pyramidem, sint lineae vel visuales progredientes a visu ad rem visam, vel e converso sit, dummodo visus sit sub praedicta figura trianguli vel pyramidis. Quod ideo necesse est, quia cum res visa sit maior quantitate, quam pupilla, oportet quod proportionaliter diminuendo, proveniat immutatio visibilis, usque ad visum. Manifestum est autem, quod quanto latera trianguli vel pyramidis sunt longiora, dummodo sit eadem basis, tanto angulus est minor: et ideo quanto a remotiori videtur, minus videtur; et tanta potest esse distantia quod omnino non videatur.

 

[80719] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 10Deinde cum dicit ignis autem ostendit quomodo videatur ignis et lucida corpora: et dicit quod videntur non solum in lumine, sicut colorata, sed etiam in tenebris, sicut illa de quibus supra dixit. Et hoc ex necessitate contingit; quia ignis habet tantum de lumine, quod potest diaphanum omnino facere in actu, ita ut et ipsum et alia videantur. Nec est tantum debile lumen eius, quod ad praesentiam maioris luminis obumbretur, sicut accidit in his quae sunt dicta supra.

 

 

 

 

[80720] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 11Deinde cum dicit eadem autem ostendit quod similiter se habet in aliis sensibus sicut in visu: et dicit quod eadem ratio est de sono et odore, sicut et de colore. Nullum enim eorum sentitur, si tangit organum sensus; sed ab odore et sono moventur media, a medio autem utrumque organorum, auditus scilicet et olfactus. Sed cum aliquis ponit corpus odorans aut sonans, super organum sensus, non sentitur. Et similiter est in tactu et gustu, licet non videatur, propter causam quae inferius dicetur.

 

 

 

 

 

[80721] Sentencia De anima, lib. 2 l. 15 n. 12Deinde cum dicit medium autem ostendit quid sit medium in his sensibus; et dicit, quod illud quod movetur a sono, est aer; medium autem, quod movetur ab odore, est aliquid commune aeri et aquae, sicut et utrumque eorum est medium, quod movetur a colore; sed a colore movetur utrumque horum, secundum quod diaphanum. Passio autem communis aeri et aquae, secundum quam moventur ab odore, est innominata: non enim moventur ab odore secundum quod sunt diaphana. Et quod utrumque horum moveatur ab odore, manifestat per hoc, quod animalia aquatica habent sensum odoris: ex quo manifestum est, quod aquae moventur ab odore. Homo autem et animalia gressibilia et respirantia, non odorant nisi respirando. Et sic manifestum est, quod aer est medium in odoratu. Horum autem causa posterius dicetur.

Leçon  15

427. Après avoir défini plus haut la couleur, le diaphane et la lumière, le Philosophe montre ici le rapport qu’il y a entre le diaphane et les couleurs. Or, il est manifeste, en considérant ce que nous venons de dire, que le diaphane est le récepteur de la lumière, puisque la couleur, comme nous l’avons dit plus haut (423-426), a le pouvoir de mettre en mouvement le diaphane en acte. Mais ce qui est apte à recevoir la couleur doit être sans couleur, tout comme ce qui est apte à recevoir le son doit être silencieux : en effet, rien ne peut recevoir ce qu’il possède déjà, et par conséquent il est clair que le diaphane doit être sans couleur.

428. Mais puisque c’est par leurs couleurs que les corps sont visibles, il s’ensuit que le diaphane est en lui-même invisible. Mais parce que c’est par une même puissance que les opposés sont connus, il s’ensuit que la vue, qui connaît la lumière, connaît aussi les ténèbres. Donc, bien que le diaphane soit en lui-même privé de couleur et de lumière dont il est le récepteur, et que par conséquent il ne soit pas visible en lui-même, néanmoins on peut dire de lui qu’il est visible de la manière dont le brillant et le coloré sont visibles, tout comme l’obscur qui est difficilement visible. Le diaphane est donc de cette nature, c’est-à-dire obscur, lorsqu’il n’est pas le diaphane en acte, mais seulement le diaphane en puissance. C’est en  effet la même nature qui est le sujet tantôt de l’obscurité, tantôt de la lumière. Le diaphane, aussi longtemps qu’il est privé de la lumière qui est appelée à s’unir à lui, c’est-à-dire tant qu’il est diaphane en puissance, est par conséquent obscur.

429. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais ce ne sont pas tous les visibles etc. », parce qu’il avait déjà déterminé de la couleur qui est vue dans la lumière, il détermine ici d’un autre visible dont il avait dit qu’il n’a pas de nom. Et il dit que ce n’est pas tout visible qui est visible dans la lumière, mais seulement la couleur qui est propre à chacun des corps qui est visible dans la lumière. En effet, certaines choses ne sont pas visibles dans la lumière mais dans les ténèbres ou l’obscurité, comme ces animaux qui apparaissent ignés et brillants dans l’obscurité, et elles sont nombreuses sans toutefois être signifiées par un nom commun : telles sont par exemple l’agaric, la corne de certains animaux, la tête de certains poissons, ainsi que leurs écailles, et les yeux de certains animaux. Et bien que ces choses soient vues dans l’obscurité, cependant la couleur propre à chacune de ces choses n’est pas vue dans l’obscurité. Ces choses sont certes vues dans l’obscurité et dans la lumière, mais dans l’obscurité elles sont vues en tant que brillantes, dans la lumière en tant que colorées.

430. Mais pour ce qui est de trouver la cause pour laquelle ces êtres sont perçus dans l’obscurité, c’est une autre question. En effet, ce sujet n’a été introduit dans notre propos que par accident, c’est-à-dire pour montrer le rapport du visible à la lumière. Il semble bien que la raison de leur visibilité dans l’obscurité est la suivante : ces êtres, de par leur composition même, possèdent quelque chose de la lumière, dans la mesure où le brillant du feu et le diaphane de  l’air et de l’eau n’est pas totalement enfermé en eux par l’opacité de la terre. Mais parce qu’ils possèdent peu de lumière, leur lumière est cachée en présence d’une plus grande lumière. C’est pourquoi ils ne sont pas vus dans la lumière en tant que brillants, mais en tant que colorés seulement. Or leur lumière, en raison de sa faiblesse, ne peut parfaitement faire passer le diaphane de la puissance à l’acte, en tant que ce dernier est naturellement apte à être mû par la couleur ; c’est pourquoi, sous leur lumière, on ne peut voir ni leur couleur, ni celle des autres choses, mais seulement leur lumière. En effet, puisque la lumière est plus efficace que la couleur pour mettre le diaphane en mouvement et qu’elle est aussi plus visible qu’elle, elle peut être perçue avec une plus faible immutation du diaphane.

431. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais maintenant etc. », il montre comment la couleur parvient à la vue. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il montre qu’il est nécessaire pour cela que la vue soit mue par la couleur. Deuxièmement il montre que quelque chose de semblable est nécessaire pour les autres sens, là où il dit : « Mais la même raison s’applique etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il établit la vérité. Deuxièmement, il écarte une erreur, là où il dit : « En effet, Démocrite ne s’est pas bien etc. ». Il dit donc en premier lieu, en s’appuyant sur ce qui vient d’être dit (nn. 427-428), qu’il est manifeste, autant que cela puisse l’être, que ce qui est perçu dans la lumière est la couleur et que sans lumière on ne peut voir parce que, comme nous l’avons dit plus haut, il est dans la nature de la couleur de mettre le diaphane en mouvement ; et cela s’accomplit certes au moyen de la lumière qui est l’acte du diaphane ; et c’est pourquoi la couleur ne peut être vue sans la lumière.

432. Et il est possible d’en donner un signe : en effet, si on place un objet coloré sur l’organe de la vue, cet objet ne sera pas vu parce que dans ce cas il n’y aura pas de diaphane en acte mis en mouvement par la couleur. Bien que la pupille soit un certain diaphane, elle ne sera pas un diaphane en acte si un corps coloré est appliqué sur elle. En fait, il faut que la couleur mette en mouvement le diaphane en acte, par exemple l’air ou quelque corps de la sorte, et c’est par ce diaphane en acte que la puissance sensitive, c’est-à-dire l’organe de la vue, est mue comme par un corps qui lui est continu. En effet, ce n’est que par un contact que les corps se modifient les uns les autres.

433. Ensuite, lorsqu’il dit : « En effet, ce n’est pas etc. », il écarte une erreur en disant que Démocrite ne s’est pas bien exprimé lorsqu’il a dit que si l’espace intermédiaire entre la chose vue et l’œil était vide, il serait possible de voir une chose très petite à une très grande distance, par exemple une fourmi même si elle se trouvait dans le ciel. Mais cette position est impossible. Il faut en effet, pour qu’une chose soit vue, que l’organe de la vue subisse une modification de la part de l’objet visible. Or, nous avons montré (n. 432) que ce n’est pas de façon immédiate que l’organe de la vue subit une modification de la part de l’objet visible, puisque l’objet visible superposé à l’œil n’est pas vu. Il reste donc qu’il faut que ce soit par un intermédiaire que l’organe de la vue subisse une modification de la part de l’objet visible : il est donc nécessaire qu’il y ait un intermédiaire entre l’objet visible et la vue. Mais si l’espace entre la vue et l’objet visible était vide, il n’y aurait plus d’intermédiaire qui pourrait modifier et être modifié. Il s’ensuit donc que si l’espace entre l’objet visible et la vue était vide, absolument rien ne serait vu.

434. Démocrite en est arrivé à cette opinion parce qu’il croyait que la cause pour laquelle la distance empêche la vision d’une chose est l’espace intermédiaire lui-même qui résiste à l’immutation de l’objet visible : ce qui est faux. Le diaphane en effet ne présente pas une opposition à la lumière ou à la couleur, mais il est au contraire dans une disposition optimale à les recevoir : le signe en est qu’il est immédiatement modifié par la lumière ou la couleur. Mais la cause pour laquelle la distance empêche la vue, c’est que tout corps est vu sous un certain angle d’un triangle, ou plutôt d’une pyramide, dont la base est dans la chose vue alors que l’angle est dans l’œil de celui qui voit.

435. Et quant à cela, il est indifférent que la vue s’accomplisse par émission, de telle manière que les lignes qui renferment le triangle ou la pyramide soient des lignes visuelles progressant de la vue vers la chose vue, ou inversement, tant que la vue s’accomplit sous cette figure du triangle ou de la pyramide. Et il est nécessaire qu’il en soit ainsi car puisque la chose vue est plus grande par la quantité que la pupille, il faut que l’immutation visible parvienne jusqu’à la vue en diminuant proportionnellement. Or, il est manifeste que plus les côtés du triangle ou de la pyramide sont longs, alors que la base reste la même, plus l’angle est petit : et c’est aussi pourquoi, plus il est vu de loin, moins il est vu, et la distance peut même en venir à être telle que l’objet visible ne puisse absolument plus être vu.

436. Ensuite, lorsqu’il dit : « Quant au feu, etc. », il montre comment le feu et les corps brillants sont vus : et il dit qu’ils sont vus non seulement dans la lumière, comme les objets colorés, mais aussi dans l’obscurité, comme ces choses dont nous avons parlé plus haut (429-430). Et il doit nécessairement en être ainsi puisque le feu possède à ce point de la lumière que c’est grâce à lui que le diaphane en puissance peut devenir le diaphane en acte, de telle manière que lui-même et les autres choses soient vues. Et sa lumière n’est pas si faible qu’elle en vienne à être dissimulée par la présence d’une lumière plus puissante, comme cela arrive pour les choses dont nous avons parlé plus haut (429-430).

437. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et le même raisonnement vaut encore etc. », il montre qu’il en va pour les autres sens comme il en va pour la vue : et il dit que le même raisonnement, qui valait pour la couleur, vaut aussi pour le son et l’odeur. En effet, aucun de ces objets sensibles n’est perçu s’il touche l’organe du sens ; au contraire, c’est l’intermédiaire qui est mû sous l’action de l’odeur et du son, et lui-même, à son tour, meut chacun des organes sensoriels respectifs, à savoir l’ouïe et l’odorat. Mais si on place l’objet sonore ou odorant sur l’organe sensoriel lui-même, aucune perception de ces sens ne s’ensuit. Et il en va de même pour le toucher et le goûter, bien que cela ne soit pas évident, et nous en montrerons la cause par la suite.

438. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, l’intermédiaire etc. », il montre quel est l’intermédiaire de ces sens et il dit que ce qui est mû par le son est l’air, alors que l’intermédiaire qui est mû par l’odeur est quelque chose qui est commun à l’air et à l’eau, tout comme l’un et l’autre sont des intermédiaires qui sont mus par la couleur, mais les deux sont mus par la couleur en tant qu’ils sont diaphanes. Or, la propriété commune à l’air et à l’eau, en tant qu’ils sont mus par l’odeur, n’a pas de nom : en effet, ils ne sont pas mûs par l’odeur en tant qu’ils sont diaphanes. Et que les deux, à savoir l’air et l’eau, soient mûs par l’odeur, il le manifeste par ceci que les animaux aquatiques ont le sens de l’odeur : d’où il est manifeste que les eaux sont modifiées par l’odeur. Or, l’homme et les animaux terrestres doués de respiration ne perçoivent l’odeur que par la respiration. En conséquence, il est clair que l’air est un intermédiaire pour l’odorat. La cause de ces faits sera donnée plus tard (nn. 491-500).

 

 

LECTIO 16

[80722] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 1Postquam philosophus determinavit de visibili, hic determinat de audibili, id est de sono. Et dividitur in duas partes. In prima determinat de sono in communi. In secunda determinat de quadam specie soni, scilicet voce, ibi, vox autem. Prima in duas partes dividitur. In prima determinat de sono. In secunda de differentiis sonorum, ibi, differentiae autem sonorum. Prima dividitur in duas. In prima determinat de sono. In secunda movet quamdam dubitationem circa praedeterminata, ibi, utrum autem sonat. Prima dividitur in duas. In prima determinat de generatione soni. In secunda de immutatione auditus a sono, ibi, vacuum autem. Si autem quaeratur quare determinat hic de generatione soni, cum supra non determinaverit de generatione coloris, sed solum de immutatione sensus et medii a colore, dicendum est, quod color et odor et sapor et qualitates tangibiles habent esse permanens et fixum in suo subiecto. Unde est alia consideratio ipsarum qualitatum secundum se, et secundum quod immutant sensum; et propter hoc alterius est considerationis utrumque. Unde philosophus de generatione coloris et saporis et odoris determinat in libro de sensu et sensato: de qualitatibus autem tangibilibus, in libro de generatione, et quantum ad aliqua, in libro Meteor. In hoc autem libro non intendit determinare de sensibilibus, nisi inquantum sunt immutativa sensus. Sonus autem causatur ex motu, et non habet esse fixum et quiescens in subiecto, sed in quadam immutatione consistit: unde simul determinatur de eo secundum quod generatur in sua specie et secundum quod immutat sensum. Prima autem pars dividitur in duas. In prima determinat de prima generatione soni. In secunda de secunda soni generatione quae fit per reflexionem, ibi, echo autem fit. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod sonus quandoque est in actu, quandoque in potentia. Secundo ostendit quomodo fit sonus in actu, ibi, fit autem secundum actum.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80723] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 2Dicit ergo primo, quod antequam determinetur de tactu et de gustu, dicendum est de sono et olfactu: sed primo de sono, quia spiritualior est, ut supra ostensum est. Sonus autem dupliciter dicitur: dicitur enim sonus in actu, et sonus in potentia. Dicimus autem aliquam rem habere sonum, et quando actu sonat, et quando habet potentiam sonandi; sicut dicimus, haec Campana bene sonat, quamvis, non sonet in actu. Et secundum hunc modum dicimus, quod quaedam non habent sonum, quia non habent potentiam sonandi, sicut spongia, et huiusmodi mollia. Quaedam autem dicuntur habere sonum, quia possunt sonare, sicut aes, et alia huiusmodi plana et lenia. Sic ergo patet, quod sonus quandoque dicitur secundum potentiam, quandoque secundum actum.

 

 

 

[80724] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 3Sed quod fiat sonus in actu, hoc pertinet, et ad medium, et ad auditum. Omne enim sensibile dupliciter dicitur esse in actu. Uno modo, quando actu sentitur; hoc est dum species eius est in sensu; et sic sonus est actu, secundum quod est in auditu. Alio modo secundum quod habet propriam speciem, per quam sentiri potest, prout est in subiecto; et sic alia sensibilia fiunt in actu, prout sunt in corporibus sensibilibus, sicut color prout est in corpore colorato, odor et sapor prout sunt in corpore odorifero et saporoso. Sic autem non est de sono. Nam in corpore sonante non est sonus, nisi in potentia. In medio autem quod movetur ex percussione corporis sonantis, fit sonus in actu. Et propter hoc dicitur, quod sonus in actu est medii et auditus, non autem subiecti sonabilis.

 

 

 

 

 

[80725] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 4Deinde cum dicit fit autem ostendit quomodo sonus fiat in actu. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quot concurrunt ad hoc, quod sonus constituatur in actu. Secundo ostendit, qualia esse oporteat, ibi, sicut autem diximus. Dicit ergo primo, quod ad hoc quod sonus fiat in actu, oportet tria concurrere. Fit enim semper alicuius, et ad aliquid, et in aliquo: et ideo si sit unum tantum, non potest sonum facere. Et huius ratio est, sive signum, quia percussio est causa soni: oportet igitur esse aliquid, id est percutiens, et aliquid percussum. Et propter hoc dicit, quodsonus est alicuius ad aliquid idest percutientis ad percussum. Oportet enim quod illud quod facit sonum, tangat aliquid; et cum tetigerit suo ictu, generetur tunc sonus. Ictus autem percutientis, non fit sine motu locali: motus autem localis non est sine medio. Unde relinquitur, quod oportet esse medium, et ad hoc quod fiat sonus in actu. Et hoc est, quod dictum est, quod oportet esse sonum non solum alicuius et ad aliquid, sed etiam in aliquo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80726] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 5Deinde cum dicit sicut autem ostendit qualia oportet esse ea quae requiruntur ad soni generationem. Et primo ostendit qualia oportet esse percutiens et percussum. Secundo quale oportet esse medium, ibi, amplius autem. Dicit ergo primo, quod sicut praedictum est, sonus non fit ex percussione quorumcumque corporum. Dictum est enim supra, quod pili, et spongiae, et huiusmodi mollia, non habent potentiam sonandi; unde nullum sonum faciunt, etiam si percutiantur. Cuius ratio est, quia mollia cedunt percutienti; unde ex percussione non extruditur aer, ut sic in eo possit formari sonus ex ictu percutientis et resistentia percussi. Sed si huiusmodi mollia comprimantur, ut aliquam duritiem habeant, et resistant percutienti, sequitur sonus, licet sonus surdus. Sed aes, et corpora lenia et concava, sua percussione faciunt sonum. Necesse est enim quod illa, ex quorum percussione sonus redditur, sint dura, ut aer extrudatur: quae quidem extrusio est causa generationis soni. Requiritur etiam quod sint lenia, ut sit aer unus, sicut infra dicetur.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80727] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 6Concava autem etiam percussa, bene reddunt sonum, quia in eis intus aer concluditur. Et cum illud quod primo motum est, non possit statim exire, percutit alium aerem, et sic ex repercussione fiunt multi ictus et multiplicatur sonus. Et propter hoc etiam illa quae in sui compositione habent aerem bene dispositum, sunt bene sonora, sicut aes et argentum. In quorum autem compositione aer non bene se habet, non sunt bene sonora, sicut plumbum, et alia huiusmodi, quae sunt magis feculenta et terrestria.

 

 

[80728] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 7Deinde cum dicit amplius auditur ostendit quale sit medium, in quo generatur sonus: et dicit, quod medium, in quo sonus auditur, est aer et aqua, sed minus auditur in aqua quam in aere; unde propriissimum medium tam in generatione soni quam in auditu, est aer. Et quia medium, in quolibet sensu, qualitatibus sensibilibus secundum illum sensum caret, ut possit omnes recipere; manifestum est, quod neque aer neque aqua habent proprium sonum, sed necessarium est ad soni generationem, in aere vel aqua, quod aliqua corpora firma vel solida et dura percutiant seinvicem, et percutiant aerem.

 

 

[80729] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 8Quod autem simul fiat percussio solidorum adinvicem, et per consequens sonus et ad aera, contingit cum aer in sua integritate manet, ut possit percuti, et non dividitur ante percussionem. Et propter hoc videmus, quod si aliquid tardo motu tangat alterum, non facit sonum, quia prius recedit aer et dissolvitur, quam contactus solidorum corporum fiat. Sed si percussio sit velox et fortis, tunc fit sonus; quia ad hoc quod fiat sonus, oportet quod motus percutientis praeveniat divisionem aeris, ut aer adhuc adunatus sive collectus percuti possit, et in eo sonus generari. Et est simile, sicut cum aliquid velociter fertur, percutere potest acervum lapidum antequam dissolvatur, quod non contingit si tarde moveatur. Et propter hoc etiam, quando aliquid velociter fertur in ipso aere, facit sonum ex suo motu, quia ipse aer adhuc adunatus, se habet in ratione percussi, et non solum medii.

 

 

 

 

 

 

[80730] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 9Deinde cum dicit echo autem determinat de secunda generatione soni, quae fit per reverberationem; qui quidem sonus vocatur echo. Primo ergo determinat quomodo generetur. Secundo ostendit quomodo diversificetur in sui generatione, ibi, videtur autem. Considerandum est autem circa primum, quod generatio soni in aere consequitur motum aeris, ut dictum est. Sic autem contingit de immutatione aeris apud generationem soni, sicut de immutatione aquae, cum aliquid in aquam proiicitur. Manifestum est enim quod fiunt quaedam regyrationes in circuitu aquae percussae. Quae quidem circa locum percussionis sunt parvae, et motus est fortis. In remotis autem gyrationes sunt magnae, et motus debilior. Tandem autem motus totaliter evanescit, et gyrationes cessant. Si autem antequam motus cesset, gyrationes illae aliquod obstaculum inveniant, fit motus gyrationis in contrarium; et tanto vehementius, quanto propinquius sunt primae percussioni.

 

 

 

 

[80731] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 10Sic igitur intelligendum est, quod ad percussionem corporum sonantium, aer in gyrum movetur, et sonus undique diffunditur. Et in vicino quidem gyrationes sunt minores, sed motus fortior; unde sonus fortius percipitur. In remotis autem gyrationes sunt maiores, et motus debilior, et sonus obscurior auditur. Tandem autem deficit totum. Si autem antequam huiusmodi gyrationes deficiant, fiat reverberatio aeris sic moti, et sonum deferentis ad aliquod corpus, gyrationes revertentur in contrarium, et sic auditur sonus quasi ex adverso. Et haec vocatur echo.

 

 

[80732] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 11Quod praecipue fit, quando illud obstans, ad quod repercutitur aer motus, est aliquod corpus concavum, quasi quoddam vas determinans, et concludens aerem in sua unitate, et ideo prohibens ipsum dividi. Tunc enim ille aer sic unitus et commotus, quia non potest ulterius motum protendere, propter corpus obstans, percutit iterum aerem, a quo percutiebatur, et fit motus in contrarium. Sicut accidit cum aliquis proiicit pilam, quae hic sphaera dicitur, et inveniens obstaculum resilit.

 

 

[80733] Sentencia De anima, lib. 2 l. 16 n. 12Deinde cum dicit videtur autem ostendit quomodo diversimode fit echo; et dicit, quod videtur semper fieri echo, sed non semper fit certa, id est manifeste perceptibilis. Et hoc ostendit per simile. Dicit enim quod accidit in sono sicut in lumine. Lumen enim semper repercutitur; sed quandoque quidem est manifesta repercussio luminis, quandoque autem non. Manifesta quidem est repercussio luminis, quando repercutitur ab aliquo corpore fulgido, itaque cum quadam claritate fit luminis repercussio, simili modo primae luminis emissioni. Immanifesta autem est repercussio luminis, quando repercutitur ab aliquo corpore opaco; quia huiusmodi repercussio fit sine claritate et radiorum emissione. Nisi enim a corporibus opacis fieret repercussio radiorum solis, non fieret lumen penitus, idest in qualibet parte aeris superioris hemisphaerii, sed ubique esset tenebra extra solem, id est extra loca ad quae directe perveniunt radii solares. Non tamen sic repercutitur lumen a corporibus opacis, sicut ab aqua vel aere, aut aliquo de numero lenium corporum et tersorum, a quibus fit repercussio cum claritate et radiorum emissione. Et ideo, quia repercussio, quae fit a corporibus opacis, non est similis repercussioni quae fit a corporibus fulgidis; repercussio, quae fit a corporibus opacis, facit tenebram, idest umbram ex illa parte ubi determinatur lumen manifestum, quod est ex directa emissione radiorum solarium. Similiter autem, quando repercussio soni fit ad corpus concavum, in quo natus est multiplicari sonus, fit echo certus, id est manifeste comprehensibilis. Quando autem ad alia corpora fit reverberatio soni, quae non sunt nata multiplicare sonum, non fit echo manifestus.

Leçon  16

439. Après avoir déterminé du visible, le Philosophe traite ici de l’audible, à savoir du son. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il traite du son en général. Dans la deuxième, il traite d’une certaine espèce de son, à savoir du son de voix, là où il dit : « Or, le son de voix etc. ». La première partie se divise elle-même en deux parties. Dans la première il traite du son comme tel. Dans la deuxième, il traite des différences qu’on retrouve parmi les sons, là où il dit : « Les différences des corps sonores etc. ». La première se divise à son tour en deux. Dans la première il traite du son. Dans la deuxième, il soulève une difficulté au sujet de ce qui a été établi antérieurement, là où il dit : « Est-ce le corps frappé qui émet le son etc. ». La première se divise à son tour en deux parties. Dans la première il détermine de la génération du son. Dans la deuxième, il traite de la modification corporelle de l’ouïe par le son, là où il dit : « Mais on dit que le vide etc. ». Si on se demande pourquoi le Philosophe traite ici de la génération du son alors qu’il n’avait pas parlé plus haut de la génération de la couleur mais seulement de la modification du sens et de l’intermédiaire par la couleur, il faut répondre à cela que la couleur, l’odeur, la saveur et les qualités tactiles ont une existence permanente et fixe dans leur sujet. C’est pourquoi la considération de ces qualités en elles-mêmes est distincte de celle de ces mêmes qualités en tant qu’elles modifient le sens : c’est pour cette raison qu’il n’appartient pas à la même science de considérer les deux. C’est aussi pourquoi le Philosophe traite de la génération de la couleur, de la saveur et de l’odeur dans le livre intitulé « Du Sens et du Senti », alors qu’il traite des qualités tactiles dans le livre intitulé « De la Génération », et pour certaines d’entre elles, dans le livre intitulé « De la Météorologie ». Mais dans ce dernier livre, intitulé « De l’Âme »,  il ne cherche à traiter des qualités sensibles qu’en tant qu’elles modifient le sens. Or le son est causé par un mouvement et ne possède pas une existence fixe et permanente dans son sujet, mais consiste plutôt en une certaine modification du sujet : c’est pourquoi il en traite à la fois en tant qu’il est engendré dans son espèce et en tant qu’il modifie le sens. La première partie se divise donc en deux. Dans la première il détermine de la première génération du son. Dans la deuxième il traite de la deuxième génération du son qui se produit par réflexion, là où il dit : « Mais l’écho se produit etc. ». Au sujet du premier point il fait deux choses. Premièrement il montre que le son est parfois en puissance, parfois en acte. Deuxièmement, il montre comment le son en puissance devient son en acte, là où il dit : « Mais il y a production du son en acte etc. ».

440. Il dit donc en premier lieu qu’avant de traiter du toucher et du goûter, il faut parler du son et de l’odeur, mais premièrement du son qui est une qualité plus spirituelle, ainsi que nous l’avons montré plus haut (nn. 417-418). Mais le son se dit en deux sens : on parle en effet du son en puissance et du son en acte. Nous disons en effet d’une chose qu’elle possède le son tantôt lorsqu’elle émet un son en acte, tantôt lorsqu’elle possède la puissance d’émettre un son, comme lorsque nous disons que cette flûte sonne bien, quoiqu’elle ne sonne pas en acte. Et c’est en ce dernier sens que nous disons que certaines choses ne possèdent pas de son car elles ne possèdent pas la puissance d’émettre des sons, comme c’est le cas pour les éponges et les choses molles de la sorte. Mais on dit que d’autres choses possèdent du son parce qu’elles en ont la puissance, comme l’airain et les autres corps durs et lisses du même genre. Il est donc évident que le son se dit parfois en puissance, parfois en acte.

441. Mais s’il se produit un son en acte, cela relève du milieux intermédiaire et de l’ouïe. En effet, c’est en deux sens qu’on dit d’une qualité sensible qu’elle est en acte. Premièrement lorsqu’elle est perçue en acte ; et cela a lieu alors que son espèce est dans le sens ; par conséquent, le son existe en acte en tant qu’il est dans l’ouïe. Deuxièmement, en tant qu’elle possède l’espèce qui lui est propre, par laquelle elle peut être perçue, en tant qu’elle existe dans un sujet ; et en ce sens les autres qualités sensibles deviennent en acte en tant qu’elles existent dans des corps sensibles, tout comme la couleur en tant qu’elle existe dans un corps coloré, et comme l’odeur et la saveur en tant qu’elles existent dans un corps odorant et savoureux. Quant au son, il n’existe qu’en puissance dans un corps qui émet un son. C’est dans le milieu intermédiaire qui est ébranlé par le choc du corps sonore que se produit le son en acte. Et c’est pour cette raison que nous disons que le son en acte appartient au milieu intermédiaire et à l’ouïe et non à un sujet qui peut émettre un son.

442. Ensuite, lorsque le Philosophe dit : « Or, la production du son en acte etc. », il montre comment le son en acte est produit. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il montre combien de choses contribuent à cette production, c’est-à-dire à la constitution du son en acte. Deuxièmement il montre quelles doivent être ces choses, là où il dit : « Mais comme nous l’avons dit etc. ». Il dit donc en premier lieu que pour que le son soit produit en acte, trois choses doivent y concourrir. En effet, la production du son en acte est toujours celle de quelque chose, par rapport à quelque chose et dans quelque chose : c’est pourquoi aussi la production du son en acte ne peut résulter d’une seule de ces choses. La raison ou le signe en est que c’est un choc qui est la cause productrice du son : il faut donc qu’il y ait un objet qui frappe et un objet qui est frappé. Et c’est pour cette raison que le Philosophe dit que « la production du son en acte est toujours celle de quelque chose par rapport à quelque chose », c’est-à-dire de l’objet qui frappe par rapport à l’objet frappé. Il faut en effet que ce qui produit le son touche quelque chose, et lorsqu’il aura touché par son choc, c’est alors que le son sera engendré. Or, le choc de l’objet qui frappe ne peut être produit sans un mouvement local : or, le mouvement local ne peut lui-même exister sans un milieu intermédiaire. D’où il s’ensuit qu’il faut qu’il existe un milieu itermédiaire pour qu’il y ait production du son en acte. Et c’est justement ce que le Philosophe a dit, à savoir que la production du son en acte est celle non seulement « de quelque chose par rapport à quelque chose », mais aussi « dans quelque chose ».

443. Ensuite, lorsqu’il dit : « Comme nous l’avons déjà dit etc. », il montre quelles doivent être ces choses qui sont requises à la production du son en acte. Et premièrement il montre quels doivent être l’objet qui frappe et l’objet qui est frappé. Deuxièmement, il montre quel doit être le milieu intermédiaire, là où il dit : « Mais en outre etc. ». Il dit donc en premier lieu, comme nous l’avons déjà dit (n. 440), que le son n’est pas produit par le choc de n’importe quels corps. Nous avons dit en effet plus haut (n. 440) que la laine, l’éponge et les corps mous de ce genre n’ont pas le pouvoir d’émettre des sons : en conséquence, ils ne produisent aucun son même si on les frappe. La raison en est que les corps mous ne résistent pas à l’objet qui frappe, ce qui fait que l’air n’est pas repoussé ou mis en mouvement par la percussion, de telle manière que le son ne peut être formé en lui comme il le serait par le choc de l’objet qui frappe et la résistance de l’objet qui est frappé. Mais si de tels corps mous se comprimaient de manière à acquérir une certaine dureté et à résister à l’objet qui frappe, il s’ensuivrait, quoique sourd, un certain son. Mais l’airain, comme les corps lisses et creux, produisent un son suite à leur choc. Il est nécessaire en effet que ces corps, qui produisent un son lorsqu’ils se frappent, soient durs pour que l’air soit ébranlé : c’est cet ébranlement en effet qui est la cause de la génération du son. Il est aussi nécessaire qu’ils soient lisses pour que l’air soit un, ainsi que nous le dirons plus loin (n. 451).

444. Les corps creux aussi rendent bien le son car l’air qui est entré en eux y est renfermé. Et puisque l’air qui y a été mis en mouvement en premier, ne pouvant s’en échapper immédiatement, frappe un autre air, ainsi, par répercussion, il se produit une série de chocs et une multiplication du son. Et c’est pour cette raison aussi que ces corps qui dans leur composition ont un air bien disposé, comme l’airain et l’argent, ont une bonne sonorité. Mais les corps dans la composition desquels l’air n’est pas bien disposé, comme c’est le cas pour le plomb et les autres corps de la sorte qui sont plus grossiers et terrestres, n’ont pas une bonne sonorité.

445. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais en outre etc. », il montre quel doit être ce milieu intermédiaire dans lequel le son est engendré : et il dit que les milieux dans lesquels le son est entendu sont l’air et l’eau, mais il est moins bien entendu dans l’eau que dans l’air, et que c’est pour cette raison que l’air est le milieu le plus propre aussi bien à la génération du son qu’à sa perception dans l’ouïe. Et parce que le milieu, pour chacun des sens, est privé des qualités sensibles correspondant à ce sens pour pouvoir toutes les recevoir, il s’ensuit manifestement que ni l’air ni l’eau ne possède un son propre ; mais il est nécessaire à la génération du son, soit dans l’air soit dans l’eau, que des corps fermes, solides et durs se frappent les uns les autres et qu’ils frappent l’air.

446. Mais que le choc des solides entre eux se produise simultanément, et par conséquent aussi le choc du son par rapport à l’air, cela est possible lorsque l’air demeure dans son intégrité pour qu’il puisse être frappé et ne pas être divisé avant le choc. Et c’est pour cette raison que nous voyons que si un corps en touche un autre par un mouvement qui est lent, il ne produit pas de son car l’air a eu le temps de se retirer et de se disperser avant que se produise le contact des corps solides. Mais si le choc est rapide et puissant, alors le son est engendré ; car pour qu’il y ait production du son, il faut que le mouvement de l’objet qui frappe prévienne la dispersion de l’air afin que l’air encore réuni ou rassemblé puisse être frappé et que le son y soit engendré. Il en va de même lorsque quelque chose, se mouvant rapidement, peut frapper un tas de pierres en mouvement avant qu’il ne disparaisse, ce qui serait impossible s’il se mouvait lentement. Et c’est pour cette raison aussi, lorsque quelque chose se meut rapidement dans l’air lui-même, qu’il produit un son de par son mouvement même parce que l’air encore rassemblé n’a plus seulement raison de milieu intermédiaire mais tient lieu aussi d’objet frappé.

447. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais l’écho etc. », il traite de la deuxième génération du son, à savoir celle qui se produit par répercussion et qu’on appelle l’écho. Il détermine donc en premier comment l’écho est engendré. Deuxièmement, il montre comment l’écho se diversifie dans sa génération là où il dit : « Il semble que l’écho etc. ». Or, au sujet du premier point, il faut considérer que la génération du son dans l’air est consécutive au mouvement de l’air, comme nous l’avons dit (nn. 445-446). Or, il en est de la modification de l’air par rapport à la génération du son comme il en est de la modification de l’eau par rapport à un objet qui y est lancé. Il est manifeste en effet qu’il se produit certains retours dans le parcours de l’eau qui a été frappée. Et ces retours sont certes petits sur le lieu du choc, et le mouvement est fort. Mais au loin ces retours sont grands et les mouvements sont plus faibles ou plus lents. À la fin cependant, le mouvement disparaît totalement et les retours cessent. Cependant, si, avant que le mouvement cesse, ces retours rencontrent un obstacle, alors les mouvements des retours s’effectuent en sens contraire avec une force d’autant plus grande qu’ils seront plus rapprochés de l’impact originel.

448. Il faut donc comprendre que lorsque deux corps se frappent, l’air est ébranlé en tournant en rond et le son se répand de tous côtés. Et à proximité du choc, les ronds sont plus petits mais le mouvement est plus puissant et c’est pourquoi le son est perçu comme étant plus fort. Mais au loin les ronds sont plus grands mais le mouvement est plus faible et c’est pourquoi le son est entendu moins clairement, jusqu’à ce qu’enfin le son cesse totalement. Mais si, avant que les retours cessent, il se produit un refoulement de l’air ainsi ébranlé qui détourne le son vers un corps, les retours sont refoulés en sens contraire et par conséquent le son est entendu comme s’il provenait du côté opposé, et c’est ce qu’on appelle l’écho.

449. Et cela se produit surtout lorsque cet obstacle sur lequel l’air ébranlé se frappe est un corps concave comme un vase limitant et renfermant l’air dans son unité de manière à l’empêcher de se disperser. Alors cet air, ainsi maintenu comme en une seule masse et mis en mouvement, ne pouvant étendre plus loin son mouvement à cause de ce corps qui fait obstacle, frappe de nouveau l’air par lequel il avait été frappé et le mouvement s’accomplit en sens contraire. Cela se compare à ce qui arrive lorsque quelqu’un, ayant lancé une balle au jeu de paume, cette balle rebondit après avoir rencontré un obstacle.

450. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais il semble etc. », il montre comment l’écho se produit de différentes manières. Et il dit que l’écho se produit toujours, mais pas toujours d’une manière distincte, c’est-à-dire de manière à être perçu clairement. Et il le montre au moyen d’une similitude. Il dit en effet que les choses se passent pour le son comme elles se passent pour la couleur. En effet, la lumière est toujours réfléchie, mais parfois la réflexion de la lumière est manifeste, parfois elle ne l’est pas. La réflexion de la lumière est manifeste lorsque la lumière est repoussée ou réfléchie par un corps brillant et c’est ainsi que la réflexion de la lumière se produit avec clarté, d’une manière qui est semblable à l’émission d’origine de la lumière. Mais la réflexion de la lumière n’est pas manifeste lorsqu’elle est repoussée par un corps opaque parce que cette réverbération s’accomplit sans clarté et sans émission de rayons. En effet, s’il n’y avait par réflexion des rayons solaires par les corps opaques, la lumière ne se diffuserait pas partout, c’est-à-dire en toute partie de l’air de l’hémisphère supérieur et partout il n’y aurait que ténèbres en dehors des lieux éclairés par le Soleil, c’est-à-dire en dehors des lieux auxquels parviennent directement les rayons solaires. Cependant, la lumière n’est pas réfléchie par les corps opaques aussi bien qu’elle l’est par l’eau ou l’air, ou par tout autre corps faisant partie des corps lisses ou polis par lesquels s’accomplit une réflexion qui s’accompagne de clarté avec émission de rayons. Et c’est pourquoi, parce que la réflexion qui procède des corps opaques n’est pas semblable à celle qui procède des corps brillants, la réflexion qui procède des corps opaques résulte en une obscurité, c’est-à-dire en une ombre de ce côté où est arrêtée la lumière manifeste qui vient de l’émission directe des rayons solaires. De la même manière, lorsque la réflexion du son s’accomplit vers un corps concave dans lequel le son est apte à se multiplier, il se produit un écho qui est clair, c’est-à-dire manifestement perceptible. Cependant, lorsque la réflexion du son s’accomplit sur d’autres corps qui ne sont pas naturellement aptes à multiplier le son, l’écho n’est pas manifeste.

 

 

LECTIO 17

[80734] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 1Postquam philosophus determinavit de generatione soni, hic determinat de immutatione sensus a sono. Et primo quantum ad immutationem instrumenti, ibi, auditus autem. Dicit ergo primo, quod quia medium in sono est aer, recte dicitur a quibusdam, quod vacuum est proprium sensui auditus, quia videtur eis quod vacuum sit aer. Aer autem facit audire sonum, cum moveatur, existens unus et continuus, ut in eo possit formari sonus. Et quia ad hoc quod formetur sonus, necessaria est unitas et continuitas aeris, ideo non fit sonus, nisi sonabile quod percutitur, sit lene. Lene enim est cuius una pars non supereminet alteri. Asperum autem cuius una pars alicui supereminet. Unde manifestum est, quod superficies lenis corporis est simpliciter una; et propter hoc, aer propter unitatem plani, id est superficiei, fit unus, et simul existens. Si autem corpus non sit lene, sed asperum, tunc superficies non est una. Et, quia aer est frangibilis, id est facile divisibilis, sequitur quod etiam aer non sit unus et continuus: unde non potest in eo formari sonus.

 

 

 

 

 

 

[80735] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 2Sic igitur patet, quod illud est sonans tantum, id est faciens sonum, quod movet aerem unum continuum existentem a se usque ad auditum. Sic ergo patet, quod illi qui dicunt quod vacuum est proprium sensui auditus, dicunt aliquid recte: quia esse proprium auditus competit aeri, quem vacuum esse dicunt. Non autem dicunt recte quantum ad hoc quod plenum aere dicunt esse vacuum.

[80736] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 3Deinde cum dicit auditus autem determinat de immutatione auditus a sono, quantum ad ipsum organum sensus auditus. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit, quod aer appropriatur organo auditus. Secundo ostendit, qualis sit aer, qui competit organo auditus, ibi, per se quidem igitur. Tertio ostendit, quomodo auditus impeditur vel non impeditur ex impedimento organi, ibi, propter hoc autem et aqua. Dicit ergo primo, quod auditus connaturalis est aeri, ita quod, sicut humidum aqueum convenit instrumento visus, ita aer convenit instrumento auditus. Et hoc ideo, quia si attribuatur aer instrumento auditus, sequitur quod eadem passio soni erit in aere exterius moto et in aere qui movetur intus, et est instrumentum auditus. Et ideo anima non audit in qualibet parte sui corporis, neque aer sonans generat sonum, sive penetrat quamcumque partem corporis animati, quia animatum non habet in qualibet sui parte aerem, ut quaelibet pars eius possit esse movenda a sono; sicut etiam animatum habet humidum aqueum non ubique, sed in quadam parte determinata, scilicet in pupilla.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80737] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 4Deinde cum dicit per se igitur ostendit qualis sit aer, qui appropriatur instrumento auditus. Et dicit, quod cum omne habens sonum sit aptum natum resistere percutienti: manifestum est, quod aer per se non habet sonum, eo quod de se non est natum resistere percutienti, sed facillime cedit. Prohibetur enim cessio eius, sive diffluxus, ab aliquo corpore solido; et ideo cum hoc accidit, motus aeris reddit sonum. Dictum est enim, quod ad generationem soni, oportet fieri percussionem duorum solidorum adinvicem, et ad aerem. Sed aer, qui est connaturalis auditui est aedificatus, id est firmiter dispositus in auribus, cum hac proprietate quod sit immobilis, ad hoc quod animal possit sentire per certitudinem omnes differentias motus. Sicut enim humidum aqueum, quod est in pupilla, caret omni colore, ut possit cognoscere omnes colorum differentias, ita oportet quod aer, qui est intra tympanum auris, careat omni motu ad hoc quod possit discernere omnes sonorum differentias.

 

 

 

 

[80738] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 5Deinde cum dicit propter hoc ostendit quomodo impediatur auditus ex impedimento organi. Ponit autem duo impedimenta, secundum duo quae dixit esse necessaria ad organum auditus. Quorum primum est quod sit ibi aer. Secundum est, quod ille aer sit immobilis. Primum ergo impedimentum est ex hoc quod ipse aer corrumpitur. Et ideo ex praedictis manifestum est, quod in aqua auditus fit ita dumtaxat, quod aqua non ingrediatur ad ipsum connaturalem aerem, quem dixit aedificatum esse in auribus; sed neque etiam in aurem ingrediatur; quod impossibile est propter reflexiones, quae prohibent introitum aquae in aurem.

 

 

[80739] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 6Sed cum hoc accidit, quod aqua scilicet ingrediatur ad naturalem aerem, non audit animal propter corruptionem aeris, qui est necessarius ad audiendum. Sicut etiam, si corrumpatur humidum pupillae ex immissione alicuius extranei, impeditur visio. Et non solum ex corruptione aeris impeditur auditus, sed etiam si meninga, id est pellis circumdans aerem, aut aliqua pars coniunctalaboret, idest impediatur pellis pupillae, quae continet humorem aqueum pupillae.

 

 

 

[80740] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 7Quidam autem libri habent quod in aqua non audimus. Quod est contra illud quod dictum est, quod audimus in aere et in aqua, et contra illud quod philosophus dicit in libro de historia animalium, quod animalia audiunt in aqua. Licet enim aqua non ingrediatur ad interiorem aerem, tamen potest eum commovere, et sic imprimere in ipsum speciem soni.

 

 

 

[80741] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 8Secundum autem impedimentum auditus, ponit ibi sed signum. Et hoc impedimentum provenit ex hoc, quod aer, qui est in auribus, non est immobilis: unde dicit, quod signum per quod potest discerni, utrum aliquis sit boni auditus vel non, est quod semper audiat tinnitum in auribus, et sonum, sicut auditur cum apponitur cornu ad aures, propter motum aeris in cornu. Cum enim hoc accidit, homo non est boni auditus, quia aer in auribus sic audientis tinnitum, semper movetur quodam proprio motu. Sed ab instrumento auditus, sonus debet esse extraneus, et non proprius sicut instrumentum visus recipit extraneum colorem, et non habet proprium. Si autem haberet proprium, impediretur visio. Et similiter si aer, qui est in auribus, habeat proprium motum et sonum, impeditur auditus. Quia igitur auditus fit per aerem, propter hoc aliqui credentes aerem esse vacuum, dicunt nos audire vacuo et sonanti, quia scilicet pars qua audimus, habet aerem determinatum, id est immobilem et distinctum ab aere exteriori.

 

 

 

 

 

 

 

[80742] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 9Deinde cum dicit utrum autem movet quaestionem circa generationem soni; utrum causa activa soni sit verberans, aut quod verberatur. Et determinat quod utrumque est causa, sed alio et alio modo: quia enim consequitur sonus motum, necesse est quod sicut aliquid est causa activa motus, ita aliquid est causa activa soni. Generatur autem sonus ex motu, quo aliquid percutiens, propter resistentiam percussi, resilit, eo scilicet modo quo saltantia, idest resilientia, moventur a lenibus et duris, et cum aliquis ea traxerit, idest fortiter impulerit. Manifestum est igitur, quod primum percutiens movet, et iterum percussum, inquantum facit resilire percutiens; et sic utrumque est causa activa motus.

 

 

 

 

 

[80743] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 10Et quia in generatione soni necesse est quod quaedam resilitio fiat ex resistentia percussi, non omne quod verberat et verberatur sonat, sicut dictum est primo; puta si obiiciatur acus acui, non fit sonus. Sed ad hoc quod generetur sonus, oportet hoc quod percutitur esse regulare, idest esse sic dispositum, ut aer subito dissiliat ex eius resistentia, et moveatur, et ex tali motu generetur sonus.

 

 

 

 

[80744] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 11Deinde cum dicit differentiae autem determinat de differentiis sonorum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quomodo percipiantur. Secundo quomodo nominentur, ibi, haec autem dicuntur. Dicit ergo primo, quod diversae res sonantes faciunt diversos sonos. Sed huiusmodi differentiae sonantium, secundum quod natae sunt facere diversos, non manifestantur quando sonus est in potentia, sed solum quando sonus est in actu. Sicut enim non videntur colores sine lumine, sic non percipiuntur acutum et grave in rebus sonativis, nisi fiat sonus in actu.

 

 

 

 

[80745] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 12Deinde cum dicit haec autem ostendit quomodo differentiae sonorum nominentur. Et circa hoc quatuor facit. Primo ostendit unde sumantur nomina sonorum: et dicit, quod sumuntur, secundum metaphoram a qualitatibus tangibilibus. Manifestum est enim quod acutum et grave inter qualitates tangibiles computantur.

[80746] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 13Secundo ibi acutum enim ponit rationes nominum. Et dicit quod ille sonus acutus est, qui multum movet sensum auditus in pauco tempore; gravis autem sonus est, qui multo tempore movet parum.

[80747] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 14Tertio ibi neque tamen quia praedictae rationes videntur esse velocis et tardi, (velox enim est quod in parvo tempore multum movetur, tardum autem quod in multo tempore parum), ostendit qualiter se habet acutum et grave in sonis, ac velox et tardum in motibus: et dicit, quod velox non est idem quod acutum, nec grave in sonis est idem quod tardum, sicut nec sonus cuius differentiae sunt grave et acutum, est idem quod motus cuius differentiae sunt velox et tardum. Sed sicut motus est causa soni, ita velocitas motus est causa soni acuti, et tarditas motus est causa soni gravis. Sed hoc intelligendum est cum sonus causatur ab uno motu. Cum autem causatur ex pluribus motibus, frequentia motuum est causa acuti soni, et tarditas est causa gravis, ut dicit Boetius in musica. Unde et chorda magis tensa, acutius sonat, quia ex una percussione frequentius movetur.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80748] Sentencia De anima, lib. 2 l. 17 n. 15Quarto ibi et videntur assimilat differentias sonorum qualitatibus tangibilibus a quibus nominantur: et dicit quod ea quae sunt circa tactum, habent similitudinem cum acuto et hebeti in sonis: quia acutus sonus quasi pungit auditum, eo quod in pauco tempore movet ipsum: hebes autem quasi pellit, quia in multo tempore movet. Unde unum eorum accidit cum velocitate motus, aliud cum tarditate. Ultimo concludit quod sic de sono determinatum sit.

Leçon  17

451. Après avoir traité de la génération du son, le Philosophe traite ici de la modification provoquée dans le sens par le son. Et il en traite premièrement quant au changement opéré dans l’organe, là où il dit : « Mais l’ouïe etc. ». Il dit donc en premier lieu que parce que le milieu intermédiaire du son est l’air, c’est avec raison que certains disent que le vide est le milieu propre au sens de l’ouïe car il leur semble que le vide soit la même chose que l’air. Or, l’air, lorsqu’il est ébranlé comme une seule et même masse continue de manière à ce que le son puisse être formé en lui, est la cause qui fait entendre le son. Et parce que l’unité et la continuité de l’air est nécessaire à la formation du son, c’est pourquoi il n’y a production du son que si l’objet frappé est lisse. Est lisse en effet le corps dont une partie ne s’élève pas au-dessus d’une autre, tandis qu’est hérissé ou inégal le corps dont une partie s’élève au-dessus d’une autre. D’où il est manifeste que la surface d’un corps lisse est absolument une et c’est pour cette raison que l’air, à cause de l’unité du plan, c’est-à-dire de la surface, devient lui aussi un avec l’unité de la surface du corps lisse. Mais si le corps n’était pas lisse mais inégal, alors la surface ne serait plus une. Et, parce que l’air est friable, c’est-à-dire facilement divisible, il s’ensuivrait que l’air non plus ne serait plus un et continu et c’est pourquoi le son ne pourrait être formé en lui.

452. Par conséquent, il est clair que seul émet un son, c’est-à-dire est cause efficiente du son, ce qui met en mouvement une masse d’air une, d’une manière continue, jusqu’à l’organe de l’ouïe. Il est donc clair que ceux qui disent que le vide est le milieu qui est propre au sens de l’ouïe ont raison de le dire, car il appartient à l’air, qu’ils appellent le vide, d’être propre à l’ouïe ; ils ont cependant tort de dire que l’air tout entier est le vide.

453. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais l’ouïe etc. », il traite de l’immutation ou du changement opéré dans l’ouïe par le son, quant à l’organe même du sens de l’ouïe. Et à ce sujet il fait trois choses. Premièrement il montre que l’air est approprié à l’organe de l’ouïe. Deuxièmement, il montre quel est cet air qui convient à l’organe de l’ouïe, là où il dit : « L’air est donc insonore par lui-même etc. ». Troisièmement, il montre comment l’ouïe est empêché ou non par un obstacle dans l’organe, là où il dit : « C’est pour cette raison aussi que même dans l’eau etc. ». Il dit donc en premier lieu que l’ouïe est naturellement proportionné à l’air, de sorte que tout comme un liquide aqueux convient à l’organe de la vue, de même l’air convient à l’organe de l’ouïe. Et il en est ainsi parce que si l’air est attribué à l’organe de l’ouïe, il s’ensuit que c’est la même propriété du son qu’on retrouvera à la fois dans l’air qui est mis en mouvement à l’extérieur et dans l’air qui est ébranlé à l’intérieur et qui est présent dans l’organe de l’ouïe. Et c’est pourquoi l’animal n’entend pas en toutes les parties de son corps et que l’air ébranlé n’engendre pas le son et ne pénètre pas en toute partie du corps de l’animal, car ce n’est pas en toute partie de son corps que l’animal possède un air de sorte que chacune d’elle pourrait être mue par le son ; de même, ce n’est pas en toute partie de son corps que l’animal possède un liquide aqueux, mais dans une partie déterminée, c’est-à-dire dans la pupille.

454. Ensuite, lorsqu’il dit : « L’air est donc insonore par lui-même etc. », il montre quel est cet air qui est approprié à l’organe de l’ouïe. Et il dit que puisque tout ce qui possède le son est naturellement apte à résister au choc d’un objet qui frappe, il est manifeste que l’air, de lui-même, ne possède pas de son du fait qu’il n’est pas naturellement apte à résister de lui-même au choc d’un objet qui frappe, mais lui cède facilement. C’est par un corps solide en effet qu’il est empêché de céder ou de se répandre ; c’est pourquoi, lorsque cela se produit, le mouvement de l’air rend un son. Nous avons dit en effet (n. 442) qu’il est nécessaire qu’il y ait, pour engendrer un son, un choc entre deux corps solides et l’air. Mais l’air, qui est connaturel à l’ouïe, « réside », c’est-à-dire est fermement établi dans les oreilles, avec cette propriété d’être immobile, afin que l’animal puisse percevoir avec certitude toutes les différences du mouvement. En effet, tout comme le liquide aqueux qui est présent dans la pupille est privé de toute couleur afin de pouvoir connaître toutes les différences entre les couleurs, de même il faut que l’air qui est présent à l’intérieur du tympan de l’oreille soit privé de tout mouvement afin de pouvoir discerner toutes les différences des sons.

455. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est pour cette raison etc. », il montre comment la perception de l’ouïe est empêchée par un obstacle de l’organe. Et il présente deux obstacles relatifs à deux choses qu’il a dites être nécessaires à l’organe de l’ouïe, et dont la première est la présence de l’air, et la deuxième est que cet air soit immobile. Le premier obstacle vient donc de ce que l’air lui-même est supprimé. Et c’est pourquoi il est manifeste, à partir de ce qui a été dit (n. 454), que dans l’eau l’audition s’exerce seulement si l’eau ne progresse pas vers cet air connaturel à l’ouïe ( et au sujet duquel Aristote a dit qu’il est comme emprisonné dans les oreilles ), et même qu’il ne pénètre pas dans les oreilles, ce qui est rendu impossible à cause des multiples spirales présentes en elles et qui empêchent l’eau d’entrer dans les oreilles.

456. Mais lorsqu’il arrive que l’eau progresse vers cet air connaturel à l’intérieur de l’oreille, alors l’animal n’entend plus à cause de la suppression de l’air qui est nécessaire à l’audition. Il en va de même si le liquide aqueux est supprimé par l’introduction d’un corps étranger dans la pupille : la vision est alors empêchée. Et l’audition est empêchée non seulement par la suppression de l’air mais aussi « lorsque la méninge », c’est-à-dire la pellicule enveloppant l’air, ou toute autre partie de l’oreille « est malade », comme il arrive pour la vue d’être empêchée lorsque l’enveloppe de la pupille, qui contient le liquide aqueux, est malade.

457. Certains livres affirment néanmoins que nous n’entendons pas dans l’eau, ce qui s’oppose à la fois à ce que nous avons dit (n. 455) lorsque nous avons déclaré que nous entendons dans l’air et dans l’eau, et à ce que soutient Aristote dans son livre intitulé L’Histoire des Animaux, lorsqu’il affirme que les animaux perçoivent les sons même dans l’eau. En effet, bien que l’eau ne pénètre pas dans l’air intérieur, elle peut cependant l’ébranler et par conséquent imprimer en lui une sorte de son.

458. Il présente le deuxième obstacle à l’audition là où il dit : « Mais un signe de etc. ». Et cet obstacle vient de ce que l’air, qui est dans les oreilles, n’est pas immobile : c’est pourquoi il dit que le signe par lequel il est possible de discerner si quelqu’un a une bonne ouïe ou non, c’est s’il entend toujours comme un murmure dans ses oreilles et un son, comme lorsqu’on applique un coquillage à l’oreille, à cause du mouvement de l’air dans le coquillage. Lorsque cela se produit, cela signifie que l’homme n’a pas une bonne ouïe, car, dans les oreilles de celui qui entend ce murmure, l’air présent se meut continuellement d’un mouvement propre. Mais le son doit rester quelque chose d’extérieur et ne pas être propre à l’organe de l’ouïe, tout comme l’organe de la vue reçoit une couleur qui est extérieure et non pas propre à l’organe lui-même, et si l’organe la possédait en propre, la vision serait empêchée. Il en va de même de l’air qui est dans les oreilles : s’il possédait en propre un mouvement et un son, l’audition serait empêchée. Donc, puisque l’audition s’accomplit au moyen de l’air, pour cette raison certains philosophes, croyant que l’air est le vide, disent que nous entendons au moyen du vide et de ce qui résonne, c’est-à-dire que nous entendons parce que la partie par laquelle nous entendons possède un air déterminé, c’est-à-dire immobile et distinct de l’air extérieur.

459. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais est-ce le corps frappé etc. », il soulève une question au sujet de la génération du son, à savoir : est-ce que la cause active du son est le corps qui frappe ou celui qui est frappé ? Et il répond que c’est l’un et l’autre, mais d’une manière différente pour chacun d’eux : en effet, parce que le son est consécutif au mouvement, il est nécessaire qu’une chose soit la cause active du son à la manière dont elle est cause active du mouvement. Or, le son est engendré à partir d’un mouvement par lequel un objet qui frappe, à cause de la résistance de l’objet frappé, rebondit à la manière dont des balles rebondissantes sont repoussées par des corps lisses et durs lorsqu’on les lance avec force. Il est donc manifeste que que le premier objet qui frappe est cause du mouvement, mais celui qui est frappé est lui aussi cause de mouvement dans la mesure où il fait rebondir celui qui frape : par conséquent, les deux sont des causes actives du mouvement.

460. Et parce que dans la génération du son il est nécessaire qu’il se produise un certain refoulement causé par la résistance de l’objet frappé, ce n’est pas tout ce qui repousse ou tout ce qui est repoussé qui émet un son, ainsi que nous l’avons dit au début (nn. 443-444). Par exemple, si une aiguille frappe une aiguille, aucun son n’est produit. Mais pour qu’un son soit engendré, il faut que ce qui est frappé ait une surface plane, c’est-à-dire qu’il soit disposé de telle manière que l’air rebondisse subitement à cause de sa résistance et soit mis en mouvement d’une seule masse pour engendrer le son.

461. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, les différences etc. », il donne les différences qu’on trouve entre les sons. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il montre comment ils sont perçus. Deuxièmement, il montre comment ils sont nommés, là où il dit : « Mais ces termes sont attribués etc. ». Il dit donc en premier lieu que les différentes choses qui émettent des sons produisent des sons différents. Mais ces différences des corps sonores, qui sont naturellement aptes à produire des sons différents, ne se manifestent pas lorsque le son est en puissance, mais seulement lorsque le son est en acte. En effet, tout comme les couleurs ne sont pas perçues sans la lumière, de même l’aigu et le grave ne sont perçus dans les choses qui émettent des sons que s’il existe un son en acte.

462. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais ces termes sont attribués etc. », il montre comment les différences entre les sons sont dénommées. Et à ce sujet il fait quatre choses. En premier lieu il montre d’où se tirent les noms des sons : et il dit qu’ils se tirent par métaphore des qualités tactiles. Il est manifeste en effet que l’aigu et le grave se comptent parmi les qualités tactiles.

 

463. En deuxième lieu, lorsqu’il dit : « En effet, l’aigu etc. », il présente les significations des noms. Et il dit que le son aigu est celui qui meut considérablement le sens en peu de temps et que le son grave est celui qui meut peu le sens sur une longue période de temps.

464. En troisième lieu, lorsqu’il dit : « Et cependant, l’aigu n’est pas etc. », parce que les notions dont nous venons de parler, à savoir l’aigu et le grave, semblent s’identifier au rapide et au lent (le rapide étant en effet se qui se meut beaucoup en peu de temps et le lent ce qui se meut peu sur une longue période de temps), il montre de quelle manière se présentent l’aigu et le grave dans les sons ainsi que le rapide et le lent dans les mouvements : et il dit que le rapide n’est pas l’aigu et que le grave dans les sons ne s’identifie pas au lent, tout comme le son (dont les différences sont l’aigu et le grave) ne s’identifie pas au mouvement (dont les différences sont le rapide et le lent). Mais tout comme le mouvement est la cause du son, de même la vitesse du mouvement est la cause du son aigu et sa lenteur est la cause du son grave. Mais cela doit s’entendre du son qui est causé par un seul mouvement car lorsque le son est causé par plusieurs mouvements, la fréquence des mouvements est cause d’un son aigu, et leur lenteur est cause d’un son grave, comme le dit Boèce [De la Musique, L. 1, ch. 3]. C’est pourquoi, lorsque les cordes des instruments de musique sont plus tendues, elles rendent un son plus aigu parce, si on les frappe une seule fois, elles se meuvent plus rapidement.

465. En quatrième lieu, là où il dit : « Et il semble y avoir une certaine ressemblance etc. », il compare les différences sonores aux qualités tactiles d’où elles tirent leurs noms : et il dit que les qualités qui se rapportent au toucher présentent une similitude avec l’aigu et l’obtus dans les sons. En effet, le son aigu se trouve comme à piquer l’ouïe en quelque sorte du fait qu’il le meut en peu de temps, tandis que l’obtus fait comme une poussée du fait qu’il meut sur une plus longue période de temps. C’est pourquoi l’un d’eux se produit avec la rapidité, l’autre avec la lenteur du mouvement. Et il conclut finalement qu’il a terminé ses considérations sur le son.

 

 

 

LECTIO 18

[80749] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 1Postquam philosophus determinavit de sono, hic determinat de voce, quae est species soni. Et dividitur in partes duas: quarum prima praemittit quaedam, quae sunt necessaria ad definitionem vocis. In secunda definit vocem, ibi, quare percussio. Circa primum duo facit. Primo ostendit quorum sit habere vocem. Secundo, quid sit proprium organum vocis, ibi, vox autem sonus. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod habere vocem est animatorum. Secundo ostendit quorum animatorum, ibi, multa autem animalium. Dicit ergo primo, quod vox est quaedam species soni: est enim sonus animati: non autem quorumlibet, sed quorumdam, ut post patebit.

 

 

 

 

 

 

 

[80750] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 2Nullum autem inanimatum habet vocem. Et si aliquando aliquod eorum dicatur habere vocem, hoc est secundum similitudinem, sicut tibia et lyra et huiusmodi instrumenta dicuntur habere vocem. Habent enim tria, eorum soni, in quibus assimilantur voci. Quorum primum est extensio. Manifestum est enim quod in corporibus inanimatis ex simplici percussione causatur sonus: unde, cum percussio statim transeat, sonus etiam cito transit et non continuatur. Sed vox causatur ex percussione aeris ad vocalem arteriam, ut post dicetur: quae quidem percussio continuatur secundum appetitum animae, et ideo vox extendi potest et continuari. Illa igitur instrumenta, de quibus dictum est, ex hoc ipso quod habent quamdam continuitatem in suo sono, habent similitudinem vocis.

 

 

[80751] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 3Secundum autem, in quo assimilantur voci, est melos, idest consonantia. Sonus enim corporis inanimati, cum ex simplici percussione proveniat, uniformis est, non habens in se diversitatem gravis et acuti: unde in eo non est consonantia, quae ex eorum proportione causatur. Sed vox diversificatur secundum grave et acutum, eo quod percussio, quae causat vocem, diversimode fit secundum appetitum animalis vocem emittentis. Unde, cum in praedictis instrumentis distinctio sit gravis et acuti in sono, eorum sonus est cum quadam melodia ad similitudinem vocis.

 

 

 

[80752] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 4Tertium, in quo sonus horum instrumentorum habet similitudinem vocis, est locutio, idest interpretatio sonorum ad similitudinem locutionis. Manifestum est enim, quod humana locutio non est continua; unde et in libro praedicamentorum, oratio, quae in voce profertur ponitur species quantitatis discretae. Distinguitur enim oratio per dictiones, et dictio per syllabas; et hoc accidit propter diversas percussiones aeris ab anima. Et similiter sonus praedictorum instrumentorum distinguitur secundum diversas percussiones, utpote diversarum chordarum, vel diversorum flatuum, aut aliquorum huiusmodi.

 

[80753] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 5Deinde cum dicit multa autem ostendit quorum animatorum sit habere vocem; et dicit quod etiam multa animalia sunt quae non habent vocem, sicut omnia carentia sanguine, quorum quatuor sunt genera, ut dicitur in libro de animalibus: scilicet mollia, quae habent mollem carnem exterius, ut pulpi et sepiae; et animalia mollis testae ut cancri, et animalia durae testae ut ostreae, et animalia anulosi corporis ut apes, formicae et huiusmodi. Nullum enim horum habet sanguinem neque vocem.

 

 

[80754] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 6Et similiter etiam aliqua animalium habentium sanguinem non habent vocem, scilicet pisces. Et hoc rationabiliter accidit; quia sonus est quidam motus aeris, ut supra dictum est. Huiusmodi autem animalia non respirant aerem, et ideo non habent proprium sonum, qui sit vox. Sed quod aliqui pisces dicuntur habere vocem, sicut qui sunt in Acheloo, quod est proprium nomen fluvii, non habent proprie vocem, sed faciunt quemdam sonum cum branchiis, quibus expellunt aquam et attrahunt aerem, aut aliquo alio instrumento motus.

 

 

[80755] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 7Deinde cum dicit vox autem ostendit quod sit organum vocis. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit, quod idem est organum vocis et respirationis. Secundo ostendit ad quid respiratio sit utilis, ibi, iam enim respiratio. Tertio ostendit quid sit organum respirationis, ibi, organum autem. Dicit ergo primo, quod quamvis vox sit sonus animalis, non tamen cuiuscumque partis animalis sonus est vox. Sed quia ad generationem soni requiritur quod sit percussio alicuius ad aliquid, et in aliquo, quod est aer: rationabile est, quod illa sola animata vocem habeant, quae aerem respirando suscipiunt, et ex eadem parte, unde respirant.

 

 

 

 

 

 

 

[80756] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 8Deinde cum dicit iam enim dicit quod natura utitur aere respirato ad duo opera, sicut etiam utitur lingua ad gustum et ad locutionem: quorum duorum, gustus est necessarius: est enim discretivus alimenti convenientis, quo conservatur animal; et propter hoc pluribus animalibus inest. Sed interpretatio quae fit per locutionem, est ad bene esse. Et similiter aere respirato natura utitur ad mitigationem caloris naturalis, quod est necessarium: et huius causa dicta est in libro de respiratione et expiratione: et utitur aere respirato ad formationem vocis, quod est ad bene esse.

 

 

 

 

 

 

[80757] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 9Deinde cum dicit organum autem ostendit quod sit organum respirationis: et dicit quod organum respirationis est vocalis arteria, quae est ordinata ad pulmonem ut ei deserviat ad aeris attractionem. Aer enim necesse est ut recipiatur in pulmone, quia animalia gressiva habent in hac parte plus de calore, quam in aliis partibus. Pulmo enim coniungitur cordi, in quo est principium caloris naturalis: et ideo locus, qui est circa, cor, indiget respiratione ad refrigerium caloris naturalis.

 

 

[80758] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 10Dicit autem locus primus, vel quia est primus post cor, pulmo utpote ei vicinior; vel quia cor est prima pars animalis, quantum ad generationem, et quantum ad causalitatem motus: et propter hoc necesse est, ut aer ingrediatur ad pulmonem ad refrigerium caloris naturalis cordis. Vel hoc quod dicit, quia in hac parte animalia pedibus gradientia habent plus caloris aliis, intelligendum est aliis animalibus. Manifestum est enim, quod animalia habentia sanguinem habent plus de calore naturali, carentibus sanguine. Et in genere habentium sanguinem habent pisces minus de calore naturali. Et propter hoc animalia carentia sanguine et pisces non respirant, ut supra dictum est.

 

 

 

[80759] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 11Deinde cum dicit quare percussio ex praemissis, vocis definitionem concludit. Et circa hoc duo facit. Primo ponit definitionem vocis. Secundo manifestat eam, ibi, non enim omnis. Dicit ergo primo, quod quia vox est sonus animati, et ex illa parte, qua aerem respirat: omnis autem sonus est ex aliqua percussione aeris: sequitur quod vox sit respirati percussio aeris ad arteriam vocalem; quae quidem percussio fit ab anima, quae est in his partibus, idest principaliter in corde. Quamvis enim anima sit in toto corpore, ut est forma animalis, tamen vis eius motiva est principaliter in corde. Datur autem haec definitio per causam: non enim vox est percussio, sed sonus ex percussione causatus.

 

 

 

 

 

[80760] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 12Deinde cum dicit non enim manifestat praedictam definitionem. Et primo quantum ad hoc quod dixerat, quod percussio vocalis est ab anima. Secundo quantum ad hoc quod dixit, quod est aeris respirati, ibi, signum autem. Posuerat enim tria in definitione vocis. Percutiens, scilicet animam. Percussum, scilicet aerem respiratum. Et ad quod fit percussio: scilicet vocalem arteriam: quorum tertium supra manifestaverat: unde restabat, quod duo prima manifestaret. Dicit ergo primo, quod sicut supra dictum est, non omnis sonus animalis est vox. Contingit enim linguam facere aliquos sonos, qui tamen non sunt voces; sicut et tussientes faciunt sonum, qui tamen non est vox. Oportet enim ad hoc quod sit vox, quod verberans aerem sit aliquid animatum, et cum imaginatione ad aliquid significandum. Oportet enim quod vox sit sonus quidam significans, vel naturaliter, vel ad placitum; et propter hoc dictum est, quod huiusmodi percussio est ab anima. Operationes enim animales dicuntur, quae ex imaginatione procedunt. Et sic patet, quod vox non est percussio respirati aeris, sicut accidit in tussi. Sed id cui principaliter attribuitur causa generationis vocis, est anima, quae utitur isto aere, scilicet respirato, ad verberandum aerem, qui est in arteria, ad ipsam arteriam. Aer ergo non est principale in vocis formatione, sed anima quae utitur aere, ut instrumento, ad vocem formandam.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80761] Sentencia De anima, lib. 2 l. 18 n. 13Deinde cum dicit signum autem ostendit aliam partem definitionis, scilicet quod vox sit percussio aeris respirati: et dicit, quod signum huius est duplex. Unum, quia animal non potest formare vocem, neque dum attrahit aerem respirando, neque dum expellit expirando, sed dum retinet aerem: quia dum retinet, isto aere retento, et percutiente aerem existentem in vocali arteria, causat motum ad formationem vocis. Aliud signum est, quod pisces non habent vocem; non enim habent guttur, idest vocalem arteriam; et hanc partem non habent, quia non recipiunt aerem, neque respirant. Sed qui dicunt hoc, quod pisces respirant, peccant. Quare autem pisces non respirant, alia ratio est; pertinet enim ad scientiam, in qua considerantur particularia accidentia animalium.

Leçon  18

466. Après avoir traité du son, le Philosophe détermine ici de la voix qui est une espèce de son. Et cette section se divise en deux parties : dans la première, il fait précéder certaines notions qui sont nécessaires à la définition de la voix. Dans la deuxième, il définit la voix, là où il dit : « C’est pourquoi etc. ». Au sujet du premier point il fait deux choses. Premièrement il montre quels sont ceux auxquels il appartient de posséder la voix. Deuxièmement, il montre quel est l’organe propre de la voix, là où il dit : « Or, la voix est le son rendu par etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il montre qu’il appartient aux êtres animés d’avoir la voix. Deuxièmement, il montre à quels êtres animés il appartient d’avoir la voix, là où il dit : « Mais un grand nombre d’animaux n’ont pas la voix etc. ». Il dit donc en premier lieu que la voix est une espèce de son ; elle est en effet le son des êtres animés, non pas de tous les êtres animés, mais de certains seulement, comme nous le verrons plus loin (nn. 470-471).

467. En effet, aucun être inanimé ne possède la voix. Et si parfois on dit que l’un des êtres inanimés possède la voix, c’est seulement par analogie, comme c’est le cas par exemple de la flûte, de la lyre et de tous les autres instruments de la sorte dont on dit qu’ils ont la voix parce qu’ils possèdent trois caractéristiques du son par lesquelles on les assimile à la voix : la première est le registre. Il est manifeste en effet que le son est causé dans les corps inanimés par un simple choc : c’est pourquoi, lorsque le choc passe aussitôt, le son aussi passe rapidement et ne se poursuit pas. Mais la voix est causée par le choc de l’air sur le larynx, comme nous le verrons plus loin (nn. 476-477), et ce choc se poursuit selon l’appétit de l’âme, et c’est pourquoi la voix peut s’étendre et se poursuivre. Donc, ces instruments dont nous venons de parler (n. 467), du fait que leurs sons possèdent une certaine continuité, ressemblent en quelque sorte à la voix.

468. La deuxième caractéristique par laquelle on les assimile à la voix, c’est le son musical, c’est-à-dire la consonnance ou la mélodie. En effet, le son du corps inanimé, lorsqu’il provient d’un simple choc, est uniforme, ne contenant pas en lui la diversité du grave et de l’aigu : et c’est pourquoi on ne retrouve pas en lui la consonnance qui est causée par la proportion du grave et de l’aigu. La voix, au contraire, se diversifie selon le grave et l’aigu du fait que le choc qui cause la voix se diversifie lui-même d’après l’appétit de l’animal qui émet la voix. C’est pourquoi, lorsque dans ces instruments dont nous venons de parler on retrouve cette distinction du grave et de l’aigu dans le son, leur son se présente comme une certaine mélodie à la ressemblance de la voix.

469. La troisième caractéristique par laquelle le son des ces instruments ressemble à celui de la voix, c’est le discours humain ou la parole, c’est-à-dire l’interprétation des sons à la ressemblance de la parole. Il est manifeste en effet que la parole humaine n’est pas continue ; c’est pourquoi le Philosophe [Les Catégories, ch. 4] affirme que le discours, qui est proféré par la voix humaine, est une espèce de la quantité discrète. Le discours se distingue en effet par des mots et les mots par des syllabes, et cela se produit à cause des différents chocs de l’air qui viennent de l’âme. De même, le son de ces intruments se distingue d’après différents chocs, comme ceux de différentes cordes, de différents souffles, etc.

470. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais un grand nombre d’animaux etc. », il montre à quelle sorte d’animaux il appartient de posséder la voix, et il dit qu’il y a encore de nombreux animaux qui ne possèdent pas la voix, comme tous ceux qui sont privés de sang et qui se divisent en quatre genres, comme le dit le Philosophe [Les Animaux, L. 1, ch. 4], à savoir : les mollusques, dont la chair extérieure est molle, comme les poulpes et les sèches ; les animaux à carapace molle, comme les cancres ; ceux à carapace dure, comme les huîtres et enfin les animaux à corps annulés comme les abeilles, les fourmis et les animaux de la sorte. En effet, aucun de ces animaux n’a du sang et n’a la voix.

471. Et il y a même certains animaux qui, même s’ils ont du sang, n’ont pas la voix, comme les poissons. Et il est raisonnable qu’il en soit ainsi, car le son est certes un mouvement de l’air, comme nous l’avons dit (n. 443). Or, ces animaux ne respirent pas l’air, et c’est pourquoi ils ne possèdent pas un son qui leur est propre et qui serait la voix. Mais si on parle de ces poissons qui posséderaient la voix, comme ceux qui sont dans l’Achéloüs, qui est le nom propre d’un fleuve, en réalité ils ne possèdent pas à proprement parler la voix, mais ils émettent plutôt un son avec leurs branchies par lesquelles ils repoussent l’eau et attirent l’air, ou par le mouvement d’un autre organe.

472. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, la voix est le son etc. », il montre quel est l’organe de la voix. Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il montre que l’organe de la voix est le même que celui de la respiration. Deuxièmement, il montre à quoi la respiration est utile, là où il dit : « En effet, c’est en vue de deux fins que la nature se sert de l’air respiré etc. ». Troisièmement, il montre quel est l’organe de la respiration, là où il dit : « Or, l’organe de la respiration est etc. ». Il dit donc en premier lieu que bien que la voix soit un son rendu par un animal, la voix n’est cependant pas un son produit par n’importe quelle partie de l’animal. Mais parce que pour qu’il y ait génération du son il est nécessaire qu’il y ait un choc de quelque chose contre quelque chose et dans quelque chose qui est l’air, il est raisonnable que seuls possèdent la voix ces animaux qui reçoivent l’air par la respiration et qu’ils la tiennent de la même partie par laquelle ils respirent.

473. Ensuite, lorsqu’il dit : « Déjà en effet la nature se sert etc. », le Philosophe dit que la nature se sert de l’air respiré à deux fins, tout comme elle se sert aussi de la langue à deux fins qui sont le goûter et la parole, dont l’un d’eux, à savoir le goûter, est nécessaire à la vie : en effet, le goûter discerne les aliments qui conviennent à l’organisme et par lesquels l’animal se conserve dans l’existence. C’est pour cette raison que le goûter appartient à un plus grand nombre d’animaux. Au contraire, l’expression de la pensée, qui s’accomplit par le langage articulé, a pour fin le bien-être. Il en va de même de l’air respiré dont la nature se sert pour régulariser la chaleur intérieure naturelle, fonction qui est nécessaire à la vie, et nous en dirons la cause ailleurs [De la Respiration et de l’Expiration, ch. 8]. Mais la nature se sert aussi de l’air respiré pour la formation de la voix, fin qui contribue au bien-être.

474. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, l’organe de la respiration etc. », il montre quel est l’organe de la respiration, et il dit que l’organe de la respiration est le larynx, organe qui est ordonné au poumon et est à son service en attirant l’air vers lui. En effet, il est nécessaire que l’air soit reçu dans les poumons car les animaux pédestres ont plus de chaleur dans cette partie que dans les autres parties. En effet, le poumon est rattaché au cœur où se trouve le principe de la chaleur naturelle et c’est pourquoi la région qui environne le cœur est la première à avoir besoin de la respiration comme rafraîchissement pour être soulagée de la chaleur naturelle.

475. Et s’il dit : « La région première etc. », c’est que le poumon est la première région, après le cœur, parce qu’il en est le plus rapproché, ou parce que le cœur est la partie principale de l’animal à la fois quant à la génération et quant à la causalité du mouvement : c’est pour cette raison qu’il est nécessaire que l’air pénètre dans les poumons pour les soulager de la chaleur naturelle du cœur. Ou bien il dit cela parce que « dans cette partie les animaux pédestres possèdent plus de chaleur naturelle que les autres », c’est-à-dire que les autres animaux. Il est manifeste en effet que les animaux qui ont du sang ont plus de chaleur naturelle que ceux qui en sont privés. Et parmi ceux qui ont du sang, les poissons ont moins de chaleur naturelle. Et c’est pour cette raison que les animaux privés de sang et les poissons ne respirent pas, comme nous le verrons plus loin (n. 470-471).

476. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi le choc de l’air etc. », en s’appuyant sur ce qui précède, il termine par la définition de la voix. Et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il présente la définition de la voix. Deuxièmement, il la manifeste là où il dit : « En effet, ce n’est pas tout son etc. ». Il dit donc en premier lieu que parce que la voix est un son émis par l’animal, et qu’il est émis par cette partie par laquelle il respire l’air, et que tout son procède d’un choc de l’air, il s’ensuit que la voix est un choc de l’air respiré contre le larynx, choc qui procède certes de l’âme qui est présente en ces parties et principalement dans le cœur. En effet, bien que l’âme soit présente dans la totalité du corps, en tant qu’elle est la forme de l’animal, cependant sa puissance motrice se trouve principalement dans le cœur. Aristote se trouve donc à donner ici une définition par la cause : en effet, la voix n’est pas un choc, mais plutôt un son causé par un choc.

477. Ensuite, lorsqu’il dit : « En effet, ce n’est pas tout son de l’animal etc. », il manifeste la définition qu’il vient de présenter. Et il le fait en premier lieu quant à ce qu’il avait dit, à savoir que le choc de la voix vient de l’âme. Il le fait en deuxième lieu quant à ce qu’il a dit, à savoir que la voix est le son de l’air respiré, là où il dit : « Le signe en est que etc. ». En effet, Aristote avait présenté trois éléments dans la définition de la voix : ce qui frappe, à savoir l’âme ; ce qui est frappé, à savoir l’air respiré ; et ce contre quoi a lieu le choc, à savoir le larynx ; or, il avait déjà manifesté ce dernier élément (474-475), et c’est pourquoi il restait à manifester les deux premiers. Il dit donc en premier lieu, comme il l’avait dit plus haut (466-469), que ce n’est pas tout son émis par l’animal qui est une voix. Il arrive en effet que la langue produit certains sons qui ne sont cependant pas des voix : par exemple, ceux qui toussent, bien qu’ils fassent des sons, ne forment pas des voix ; ce qu’il faut en effet pour cela, c’est que le corps qui frappe l’air soit animé, et qu’il s’accompagne d’une représentation pour signifier quelque chose. Il faut en effet que la voix soit un son ayant une signification, soit naturelle, soit volontaire ; et c’est pour cette raison qu’il a été dit que la voix est un choc tel qu’il vient de l’âme. On appelle en effet opérations animales celles qui procèdent d’une représentation. Par conséquent, il est clair que la voix n’est pas simplement un choc ou un bruit de l’air respiré comme la toux. Mais c’est principalement à l’âme, laquelle se sert de cet air respiré pour le frapper contre le larynx, que doit s’attribuer la cause de la génération de la voix. L’air n’est donc pas l’agent principal de la formation de la voix, mais c’est plutôt l’âme qui est cet agent, laquelle se sert de l’air à titre d’instrument pour former la voix.

478. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et un signe etc. », il manifeste une autre partie de la définition, à savoir que la voix est le choc de l’air respiré, et il dit que nous en avons deux signes. Le premier, c’est que l’animal ne peut former de voix ni lorsqu’il inspire, ni lorsqu’il expire lors de la respiration, mais seulement lorsqu’il retient l’air : car lorsqu’il retient sa respiration, cet air étant retenu, et qu’il frappe cet air qui est dans le larynx, c’est alors qu’il cause le mouvement capable de former la voix. Le deuxième signe, c’est que les poissons ne possèdent pas la voix car ils ne possèdent pas une gorge à la manière d’un larynx ; et ils ne possèdent pas cet organe parce qu’ils ne reçoivent pas l’air en eux, ni ne respirent. Et ceux qui affirment que les poissons respirent sont fautifs. Quant à savoir pourquoi les poissons ne respirent pas, c’est une autre question qui relève d’une science qui considère les accidents particuliers des animaux.

 

 

LECTIO 19

[80762] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 1Postquam philosophus determinavit de visibili et audibili, nunc tertio determinat de odorabili. Et dividitur in partes duas. In prima determinat de odorabili, ut sic: in secunda determinat de odorabili secundum quod immutat sensum olfactus, ibi, est autem olfactus. Circa primum duo facit. Primo determinat de odorabili secundum se. In secunda de non odorabili secundum quod odoratu percipitur, ibi, adhuc autem. Circa primum duo facit. Primo ostendit difficultatem determinandi de odorabili. Secundo ostendit quomodo accipiatur cognitio odorabilium, ibi, videtur enim et analogia. Dicit ergo primo, quod non ita bene determinari potest de odore et odorabili, sicut de praedictis sensibilibus, scilicet audibili et visibili; quia non manifestum est nobis, quid sit odor, sicut quid est sonus, aut quid est visibile, aut lumen, vel aliquid huiusmodi.

 

 

[80763] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 2Et huius causam assignat, quia sensum odoratus non habemus bonum, qui perspicaciter et per certitudinem cognoscat suum obiectum; sed habemus eum peiorem multis aliis animalibus. Cuius ratio est, quia cum instrumentum sensus debeat esse proportionatum suo sensibili, sicut odor causatur ex calido et sicco, ita ad bonitatem instrumenti odoratus exigitur victoria calidi et sicci. Homo autem habet cerebrum, in cuius vicino positum est instrumentum olfactus, maius omnibus aliis animalibus secundum proportionem sui corporis, ut philosophus dicit in libro de animalibus: unde, cum cerebrum sit humidum et frigidum in se consideratum, impeditur in homine bonitas olfactus; et propter hoc prave odorat homo, et nihil odorabilium percipit nisi quod est secundum aliquam excellentiam inducens delectationem aut contrarium: quod contingit propter sensum, qui non est perspicax ad certitudinaliter discernendum de suo obiecto. Unde rationabile est, quod hominum genus sic se habeat ad percipiendos odores, sicut se habent animalia habentia duros oculos, ut locustae, et quidam pisces, ad percipiendos colores: quos propter debilitatem visus, ex ineptitudine organi, non percipiunt nisi in quadam excellentia, prout ex eis ingeritur eis aliquis terror, vel eius contrarium.

 

 

 

 

 

 

[80764] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 3Deinde cum dicit videtur enim ostendit quomodo innotescant nobis differentiae odorum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod differentiae odorum nobis innotescunt per comparationem ad differentias saporum. Secundo ostendit quomodo respondent differentiae odorum differentiis saporum, ibi, est autem sicut humor. Dicit ergo primo, quod sensus olfactus in homine videtur habere quamdam convenientiam et proportionem ad gustum; similiter species humorum, idest saporum, ad species odoris. Unumquodque autem ignotum cognoscitur per id quod est magis manifestum. Unde, cum species saporum sint nobis maxime manifestae, species odorum, quae sunt nobis ignotae, et habent affinitatem ad species saporum, sub eorum similitudine a nobis cognoscuntur.

 

 

 

 

[80765] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 4Species autem saporum sunt nobis manifestae, quia sensum gustus habet homo certiorem quam alia animalia, quia gustus est tactus quidam: tactum autem habet certissimum aliis animalibus, licet in aliis sensibus deficiat a quibusdam animalibus. Sunt enim quaedam animalia, quae melius vident, audiunt et olfaciunt, quam homo; sed homo secundum tactum, multum differt in certitudine cognitionis ab aliis animalibus.

 

 

 

[80766] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 5Unde, quia homo habet optimum tactum, sequitur quod sit prudentissimum omnium aliorum animalium. Et in genere hominum ex sensu tactus accipimus, quod aliqui ingeniosi sunt, vel non ingeniosi: et non secundum aliquem alium sensum. Qui enim habent duram carnem, et per consequens habent malum tactum, sunt inepti secundum mentem: qui vero sunt molles carne, et per consequens boni tactus, sunt bene apti mente. Unde etiam alia animalia habent duriores carnes quam homo.

 

 

[80767] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 6Sed videtur, quod aptitudo mentis magis respondeat bonitati visus, quam bonitati tactus: quia visus est spiritualior sensus, et plures differentias rerum demonstrat. Sed dicendum est, quod duplici ex causa, bonitas mentis respondet bonitati tactus. Prima ratio est, quod tactus est fundamentum omnium aliorum sensuum: manifestum est enim, quod organum tactus diffunditur per totum corpus, et quodlibet instrumentum cuiuscumque sensus est etiam instrumentum tactus; et illud, ex quo aliquid dicitur esse sensitivum, est sensus tactus. Unde ex hoc quod aliquis habet meliorem tactum, sequitur quod simpliciter habet meliorem sensitivam naturam, et per consequens, quod sit melioris intellectus. Nam bonitas sensus est dispositio ad bonitatem intellectus. Ex hoc autem, quod aliquis habet meliorem auditum vel meliorem visum, non sequitur quod sit melius sensitivus, vel melioris sensitivae simpliciter, sed solum secundum quid.

 

 

 

 

[80768] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 7Alia ratio est, quia bonitas tactus consequitur bonitatem complexionis sive temperantiae. Cum enim instrumentum tactus non possit esse denudatum a genere tangibilium qualitatum, eo quod est ex elementis compositum, oportet quod sit in potentia ad extrema saltem per hoc, quod est medium inter ea. Ad bonam autem complexionem corporis sequitur nobilitas animae: quia omnis forma est proportionata suae materiae. Unde sequitur, quod qui sunt boni tactus, sunt nobilioris animae, et perspicacioris mentis.

[80769] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 8Quaeritur autem iterum, cum tactus sit certissimus sensuum, quare species odorum denominantur magis a speciebus saporum, quam a qualitatibus tangibilibus. Et dicendum, quod odor et sapor causantur ex determinata commixtione qualitatum elementarium; et ideo species odoris magis correspondent speciebus saporis, quam simplicibus qualitatibus tangibilibus.

 

[80770] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 9Deinde cum dicit est autem ostendit quomodo species odoris correspondent speciebus saporis: et dicit, quod sicut humor, idest sapor, quidam est dulcis, et quidam amarus, sic etiam et odores distinguuntur. Sed sciendum est, quod quaedam habent proportionalem odorem et saporem, scilicet dulcem odorem et dulcem saporem; quaedam vero per contrarium, scilicet suavem saporem, et non suavem odorem, vel e converso.

 

 

[80771] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 10Cuius ratio est, quia sapor consistit in humido aqueo aliqualiter digesto; odor autem consistit in sicco aereo, aliqualiter contemperato. Contingit autem quandoque utramque substantiam, scilicet subtilem aeream, et aqueam grossiorem, secundum debitam proportionem commistam esse, et sic est suavitas saporis et odoris. Si vero sit debita proportio in uno et non in altero, erit in uno suavitas, et in alio non. Et sicut dictum est de dulci et amaro, quae sunt extrema in saporibus, quae transferuntur ad odores, ita etiam et acetosum et austerum, idest stipticum, aut Ponticum, et acutum, et pingue, odoribus attribuuntur.

 

 

[80772] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 11Sed licet non semper in omnibus correspondeant odores saporibus, tamen, sicut dixi, propter hoc quod odores non sunt multum manifesti, sicut sapores, acceperunt nomina odores a saporibus, secundum similitudinem rerum; quia ut in pluribus, odores respondent saporibus. Dulcis enim odor et sapor causatur a croco et melle. Acer autem a thymo et a similibus. Et similiter de aliis odoribus et saporibus.

 

 

[80773] Sentencia De anima, lib. 2 l. 19 n. 12Deinde cum dicit adhuc autem ostendit etiam quomodo non odorabilia odoratu percipiuntur; et dicit quod sicut auditus est audibilis et non audibilis, et visus est visibilis et non visibilis, cum sit eadem potentia cognoscitiva oppositorum, et privatio non cognoscatur nisi per habitum, similiter olfactus est odorabilis et non odorabilis. Sed non odorabile dicitur dupliciter. Aut quod omnino non potest habere odorem, sicut corpora simplicia. Aut quod habet parum de odore, aut malum odorem. Et similiter intelligendum est de gustabili et non gustabili.

Leçon  19

479. Après avoir traité du visible et de l’audible, Aristote, traite ici en troisième lieu de l’odeur. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il détermine de l’odeur en tant que telle ; dans la deuxième il détermine de l’odeur en tant qu’elle modifie le sens de l’odorat, là où il dit : « Or, l’odorat est etc. ». Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il détermine de l’odeur en elle-même. En deuxième lieu, il détermine de l’inodore en tant qu’il est perçu par l’odorat, là où il dit : « Mais en outre etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il montre qu’il y a une difficulté à traiter de l’odeur. Deuxièmement, il montre comment est acquise la connaissance des odeurs, là où il dit : « Il semble en effet qu’il y a une analogie etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’il n’est pas aussi facile de bien traiter de l’odeur que des autres qualités sensibles comme l’audible et le visible parce que la nature de l’odeur ne nous est pas aussi manifeste que celle du son, du visible, de la lumière, etc.

480. Et il en donne la cause, en disant que nous ne possédons pas un si bon sens de l’odorat qu’il nous permettrait de discerner son objet clairement et avec certitude ; au contraire, notre sens de l’odorat est bien inférieur à celui de nombreux autres animaux. La raison en est que puisque l’organe du sens doit être proportionné à son objet sensible, tout comme l’odeur est causée par le chaud et le sec, de même la prédominance du chaud et du sec est nécessaire à l’excellence de l’organe de l’odorat. Or, l’homme possède un cerveau, dans le voisinage duquel est placé l’organe de l’odorat, qui est plus grand, proportionnellement à son corps, que celui de tous les autres animaux, ainsi que le dit le Philosophe [Les Parties des Animaux, L. 1, ch. 16] : c’est pourquoi, puisque le cerveau, considéré en lui-même, est humide et froid, l’homme est empêché d’avoir un bon odorat ; c’est pour cette raison que l’homme perçoit médiocrement les odeurs, et qu’il ne les perçoit que parce qu’elles comportent une disposition remarquable à produire un plaisir ou un déplaisir : ce qui est possible à cause du sens qui n’est pas capable de discerner son objet avec certitude. C’est pourquoi il est rationnel que le genre humain, par rapport à la perception des odeurs, se compare aux animaux possédant des yeux secs par rapport à la perception des couleurs, comme on le voit chez les insectes et chez certains poissons : ces animaux en effet, à cause de la faiblesse de leur vue s’expliquant par l’incapacité de l’organe, ne perçoivent les couleurs que si elles surabondent au point de susciter en eux une certaine crainte ou son contraire.

481. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il semble en effet etc. », il montre comment les différences des odeurs nous deviennent connues. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre que les différences des odeurs nous sont connues par rapport aux espèces des saveurs. En deuxième lieu il montre comment les différences des odeurs correspondent aux différences des saveurs, là où il dit : « Or, tout comme la saveur est tantôt douce etc. ». Il dit donc en premier lieu que le sens de l’odorat chez l’homme semble présenter une certaine analogie et une certaine proportion avec le sens du goûter : il en va de même des espèces des humeurs ou des saveurs par rapport aux espèces des odeurs. En effet, tout ce qui est inconnu devient connu au moyen de ce qui est plus connu. C’est pourquoi, puisque les espèces des saveurs nous sont les plus connues, les espèces des odeurs, qui nous sont inconnues et qui ont une affinité avec les espèces des saveurs, nous deviennent connues par leur ressemblance avec les espèces des saveurs.

482. Or, les espèces des saveurs nous sont manifestes parce que l’homme possède un sens du goûter qui est plus certain que celui des autres animaux, car le goûter est un certain toucher : or, l’homme, parmi tous les animaux, possède le sens du toucher le plus certain, bien que pour les autres sens l’homme soit en défaut par rapport à certains animaux. Il existe en effet des animaux qui ont une meilleure vue, une meilleure ouïe, un meilleur odorat que l’homme ; mais pour ce qui est du sens du toucher, l’homme est largement supérieur à tous les autres animaux quant à la certitude de sa connaissance.

483. C’est pourquoi, parce que l’homme possède un toucher supérieur, il s’ensuit qu’il est le plus intelligent de tous les animaux. Et dans le genre humain, c’est par le sens du toucher, et par aucun autre sens, que nous jugeons que certains hommes sont doués et d’autres non. En effet, ceux qui ont une chair dure et qui par conséquent ont un mauvais toucher sont moins doués quant à l’intelligence, alors que les hommes à chair tendre et qui ont un bon toucher sont bien doués sous ce rapport. C’est pourquoi aussi les autres animaux possèdent une chair plus dure que celle de l’homme.

484. Mais il semble que l’aptitude de l’intelligence corresponde davantage à l’excellence de la vue qu’à celle du toucher, car la vue est un sens plus spirituel et fait connaître plus de différences dans les choses que le toucher. Il faut répondre à cela que c’est pour deux raisons que la perfection de l’intelligence correspond davantage à celle du toucher. La première raison est que le toucher est le fondement de tous les autres sens : il est manifeste en effet que l’organe du toucher est répandu dans tout le corps et que tout organe de n’importe quel sens est aussi l’organe du toucher et que c’est par rapport au sens du toucher qu’on dit d’un être qu’il est sensible. Il résulte de ceci que c’est du fait que quelqu’un possède un meilleur toucher qu’il s’ensuit qu’il possède purement et simplement une meilleure nature sensitive et par conséquent, à parler absolument, une meilleure intelligence. En effet, la perfection du sens est une disposition ordonnée à la perfection de l’intelligence. Mais du fait que quelqu’un possède une meilleure ouïe ou une meilleure vue, il ne s’ensuit pas qu’il ait une meilleure nature sensitive absolument, mais seulement sous un certain rapport.

485. La deuxième raison est que la perfection du toucher est consécutive à la perfection de la complexion ou de la constitution. En effet, puisque l’organe du toucher ne peut être dépouillé du genre des qualités tactiles du fait qu’il est composé des éléments, il faut qu’il soit en puissance aux extrêmes au moins pour cette raison qu’il est intermédiaire entre eux. Or, la supériorité d’une âme est consécutive à la bonne complexion du corps, car toute forme est proportionnée à sa matière. Il suit de là que ceux qui ont un bon toucher ont une âme plus noble et une intelligence plus pénétrante.

486. On cherche en outre à savoir, puisque le toucher est le plus certain de tous les sens, pourquoi les espèces des odeurs sont dénommées davantage à partir des espèces de saveurs qu’à partir des qualités tactiles. Et il faut répondre à cela que les odeurs et les saveurs sont causées par un mélange déterminé des qualités élémentaires, et c’est pourquoi les espèces d’odeurs correspondent davantage aux espèces de saveurs qu’aux qualités tactiles simples.

487. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, tout comme la saveur etc. », il montre comment les espèces d’odeur correspondent aux espèces de saveurs : et il dit que tout comme parmi les fluides, c’est-à-dire les saveurs, certaines sont douces et d’autres amères, les odeurs se distinguent de la même manière. Mais il faut savoir que dans certaines choses il y a analogie entre l’odeur et la saveur, c’est-à-dire qu’elles ont une odeur douce et une saveur douce, alors que dans d’autres choses c’est le contraire, c’est-à-dire qu’elles ont une saveur douce, mais une odeur qui n’est pas douce, ou inversement.

488. La raison en est que la saveur consiste en un mélange liquide aqueux comportant telle répartition, alors que l’odeur consiste en un milieu aérien sec comportant telle proportion. Or, il est parfois possible que les deux substances, à savoir l’air subtil et le liquide plus grossier, soient mélangées selon une proportion convenable de manière à obtenir à la fois une odeur et une saveur douces. Mais si la proportion convenable se retrouve dans une substance et non dans l’autre, il y aura douceur dans l’une et non dans l’autre. Et comme nous avons déjà dit du doux et de l’amère, qui sont des qualités extrêmes parmi les espèces de saveurs, que ces termes sont transférés aux odeurs, il en va de même pour l’aigre et le fort, c’est-à-dire l’astringent ou le salin, et l’acide et le gras, qui sont attribués aussi aux odeurs.

489. Et bien que les odeurs ne correspondent pas toujours à toutes les saveurs, néanmoins, comme j’ai déjà dit (nn. 481-482), les noms des odeurs, parce que ces dernières ne nous sont pas aussi manifestes que les saveurs, se tirent des noms des saveurs en raison d’une ressemblance entre ces choses, car dans la plupart des cas, les odeurs correspondent aux saveurs. En effet, l’odeur douce, tout comme la saveur douce, vient du safran et du miel. De même, l’odeur aigre, tout comme la saveur aigre, vient du thym et de choses de ce genre. Et il en va de même pour les autres odeurs et saveurs.

490. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et en outre, tout comme l’ouïe etc. », il montre comment même l’inodore est perçu par l’odorat. Et il dit que tout comme l’ouïe est le sens soit du sonore soit de l’insonore, et que la vue est le sens soit du visible soit de l’invisible, puisque c’est la même puissance qui connaît les opposés, et que la privation n’est connue que par l’habitus, de même l’odorat est le sens soit de l’odorant, soit de l’inodore. Mais l’inodore se dit en deux sens : soit de ce qui ne possède absolument aucune odeur, comme c’est le cas des corps simples, soit de ce qui ne possède qu’une faible ou médiocre odeur. Et il en va de même pour le goûter qui est le sens soit du savoureux, soit de l’insipide.

 

 

 

LECTIO 20

[80774] Sentencia De anima, lib. 2 l. 20 n. 1Postquam philosophus determinavit de odorabili, hic determinat de immutatione odoratus ab ipso. Et primo quantum ad medium. Secundo quantum ad organum sensus, ibi, est autem odor sicci. Circa primum duo facit. Primo ostendit quid sit medium instrumenti odoratus. Secundo movet quamdam quaestionem circa determinata, ibi, unde dubium. Dicit ergo primo, quod sensus olfactus immutatur ab odorabili per medium, scilicet aerem, aut aquam. Et quod aer sit medium in olfactu, manifeste apparet, quia nos per aerem odoramus; unde oportuit manifestare aquam esse medium in olfactu. Quod quidem ostendit per hoc, quod animalia aquatica odorem sentiunt, non solum illa quae habent sanguinem, sed etiam illa quae sanguine carent, sicut et animalia quae vivunt in aere. Quod apparet ex hoc, quod quaedam eorum de longinquo veniunt ad alimentum; quod non posset esse nisi inquantum provocantur ab odore; sicut patet de vulturibus, qui ex multis diebus dicuntur ad cadavera convenire. Quomodo autem odor ad tam remota spatia diffundatur, dubitatio est.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80775] Sentencia De anima, lib. 2 l. 20 n. 2Sciendum itaque est quosdam posuisse omnes sensus quodam perfici tactu. Dicebant enim oportere, quod sensus sensibile contingat ad hoc quod sentiatur. Aliter tamen aestimabant hoc accidere in visu, et in aliis sensibus. Dicebant enim, quod ex visu egrediebantur lineae visuales progredientes usque ad rem visam, et ex earum contactu visibile videbatur. In aliis autem sensibus dicebant, quod e converso sensibile perveniebat ad sensum. Et quod in tactu et gustu hoc manifeste videtur accidere. Nam tangibile et gustabile quodam contactu sentiuntur; in auditu etiam idem videtur esse. Nam aer motus usque ad auditum pertingit. Circa olfactum etiam idem esse dicebant. Ponebant enim quod a corpore odorabili resolvatur quaedam fumalis evaporatio, quae est subiectum odoris, et perveniebat usque ad sensum olfactus.

 

 

[80776] Sentencia De anima, lib. 2 l. 20 n. 3Causa enim huius diversitatis haec esse videtur, quia antiqui non ponebant nec percipiebant aliquid de immutatione spirituali medii, sed solum de immutatione naturali. In aliis autem sensibus apparet quaedam immutatio naturalis in medio, sed non in visu. Manifestum est enim, quod soni et odores deferuntur per ventos vel impediuntur, colores autem nullo modo. Manifestum est etiam, quod contrariorum colorum species per eamdem partem aeris deferuntur ad visum, sicut cum unus videt album, alius nigrum, simul existens in eodem aere, et eodem aere utentes pro medio. Quod quidem in olfactu non accidit. Nam contrarii odores etiam in medio se impedire inveniuntur. Et ideo non percipientes immutationem, qua medium immutatur a visibili, posuerunt quod visus defertur usque ad rem visam. Sed quia percipiebant immutationem qua medium immutatur ab aliis sensibus credebant, quod alia sensibilia deferrentur ad sensum.

 

 

 

 

[80777] Sentencia De anima, lib. 2 l. 20 n. 4Sed manifestum est, quod hoc in olfactu non potest accidere. Cum enim odor cadaveris usque ad quingenta milliaria, vel amplius, a vulturibus sentiatur, impossibile esset, quod aliqua corporalis evaporatio cadaveris usque ad tantum spatium diffunderetur, praecipue cum sensibile immutet medium undique secundum eamdem distantiam, nisi impediatur. Non autem sufficeret ad occupandum tantum spatium, etiam si totum cadaver resolveretur in fumalem evaporationem, cum sit certus terminus rarefactionis ad quem corpus naturale pervenire potest, qui est raritas ignis; et praecipue cum per huiusmodi odorem cadaver non appareat sensibiliter immutatum.

 

 

 

[80778] Sentencia De anima, lib. 2 l. 20 n. 5Et ideo dicendum est, quod ab odorabili resolvi quidem potest fumalis evaporatio, quae tamen non pertingit usque ad terminum ubi odor percipitur, sed immutatur medium spiritualiter, ultra quam dicta evaporatio pertingere possit. Quod autem spiritualis immutatio fit a visibili magis quam ab aliis sensibilibus, ratio est, quia visibiles qualitates insunt corruptibilibus corporibus, secundum quod communicant cum corporibus incorruptibilibus; unde habent esse formalius et nobilius quam reliqua sensibilia, quae sunt propria corruptibilium corporum.

 

 

[80779] Sentencia De anima, lib. 2 l. 20 n. 6Deinde cum dicit unde et dubium movet dubitationem circa praedicta. Et primo obiicit ad unam partem. Secundo ad aliam, ibi, sed impossibile est. Tertio solvit, ibi, videtur autem. Dicit ergo primo, quod cum etiam aquatica odorent per aquam, dubium videtur, si omnia similiter odorent, quasi habentia eumdem sensum. Et videtur quod non: quia homo odorat dum attrahit aerem respirando; quando autem non respirat attrahendo aerem, sed emittendo ipsum, expirat, aut retinet spiritum, non odorat, neque de longe neque de prope, etiam si poneretur odorabile intus in naso. Sed hoc quod sensibile positum supra sensum non sentiatur, commune est omnibus aliis sensibus, vel animalibus. Sed quod odor non sentiatur sine respiratione, hoc est proprium hominibus. Et hoc manifestum est si quis tentare voluerit. Unde, cum animalia non habentia sanguinem, non respirent, videtur quod habeant alium sensum praeter olfactum et alios sensus, qui dicti sunt in homine.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80780] Sentencia De anima, lib. 2 l. 20 n. 7Deinde cum dicit sed impossibile obiicit in contrarium duabus rationibus. Prima ratio est, quia sensus distinguuntur secundum sensibilia. Unde cum sensus olfactus, sit sensus odorabilis, scilicet boni et mali odoramenti: et hoc communiter sentiatur tam ab homine quam animalibus aliis non respirantibus, sequitur quod idem sensus olfactus sit in homine et in aliis animalibus.

 

 

[80781] Sentencia De anima, lib. 2 l. 20 n. 8Alia ratio est, quia eiusdem sensus eadem sunt corruptiva: non enim visus patitur aliquid a sonis, neque auditus a coloribus. Sed sensus animalium non respirantium videntur corrumpi a gravibus odoribus et excellentibus, ex quibus sensus hominis corrumpitur, scilicet ab asphalto, quod est quaedam confectio ex succis herbarum, et a sulphure, et ab huiusmodi: ergo alia habent sensum olfactus, sicut homo, licet non respirent.

 

 

[80782] Sentencia De anima, lib. 2 l. 20 n. 9Deinde cum dicit videtur autem solvit quaestionem; quia ista diversitas in modo respirandi, non est ex diversitate sensus, sed ex diversa dispositione organi. Organum enim olfactus in homine differt ab organis aliorum animalium, sicut oculi hominum differunt ab oculis duris quorumdam animalium. Oculi enim hominum habent quoddam phragma, idest pannum ad cooperiendum, scilicet palpebras, unde homo non potest videre nisi quodam motu palpebrae retrahantur; quod non accidit in animalibus habentibus duros oculos, sed statim vident ea quorum species fiunt in diaphano. Ita etiam et in animalibus non respirantibus, organum odoratus est sine operculo; sed in animalibus respirantibus habet quoddam cooperculum, quod oportet aperiri, ampliatis poris per respirationem. Et ideo animalia respirantia non odorant in aqua, quia oportet quod patiantur ab odore respirando, quod non potest fieri in aqua.

 

 

 

 

[80783] Sentencia De anima, lib. 2 l. 20 n. 10Deinde cum dicit est autem determinat de instrumento olfactus: et dicit quod odor fundatur in sicco, sicut sapor in humido. Organum autem odoratus oportet esse in potentia ad odorem et ad siccum, sicut organum visus est in potentia ad colores et ad lucem.

Leçon  20

491. Après avoir traité de l’odeur, le Philosophe traite ici de la modification causée par l’odeur dans l’odorat. Et il le fait premièrement par rapport à l’intermédiaire. Il le fait deuxièmement par rapport à l’organe du sens, là où il dit : « Or, l’odeur est relative au sec etc. ». Et au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il montre quel est l’intermédiaire de l’organe de l’odorat. En deuxième lieu, il soulève une question relativement à ce qui a été établi, là où il dit : « Aussi y a-t-il une difficulté etc. ». Il dit donc en premier lieu que le sens de l’odorat est modifié par l’odeur au moyen d’un intermédiaire, à savoir soit l’air, soit l’eau. Et que l’air soit un intermédiaire pour l’odorat, cela est manifeste puisque c’est par l’air que nous percevons les odeurs et c’est pourquoi il était nécessaire de manifester que l’eau est un intermédiaire pour l’odorat. Et il le manifeste de la manière suivante, c’est-à-dire en disant que les animaux aquatiques, et non seulement ceux qui ont du sang mais aussi ceux qui en sont privés, perçoivent les odeurs, tout comme les animaux qui vivent dans l’air. Et cela devient manifeste lorsque nous voyons que certains d’entre eux viennent de loin pour trouver leur nourriture, ce qui n’aurait pas lieu s’ils n’étaient par attirés par une odeur : c’est ce qu’on observe par exemple chez les vautours dont on dit qu’ils trouvent les cadavres après plusieurs jours de recherche. Mais comment une odeur en vient-elle à se répandre à des distances aussi éloignées, c’est là une question difficile.

492. Il faut donc savoir que certains ont affirmé que tous les sens s’actualisent par un certain toucher. Ils disaient en effet qu’il faut que le sens soit contigu au sensible pour que ce dernier soit senti. Ils croyaient cependant que cela se passe autrement dans la vue que dans les autres sens. Ils disaient en effet que de la vue sortaient des lignes visuelles s’avançant jusqu’à la chose vue et que c’était par leur contact que le visible était vu. Mais en ce qui concerne les autres sens, ils disaient que c’était le sensible au contraire qui parvenait jusqu’au sens, en ajoutant que cela se manifestait avec évidence dans le toucher et le goûter, car les qualités tactiles et gustatives sont perçues par un certain contact. Et il semble en aller de même pour l’ouïe : en effet, l’air est mû jusqu’à parvenir à l’organe de l’ouïe. Ils disaient en outre qu’il en allait de même pour l’odorat. Ils soutenaient en effet qu’une sorte d’évaporation de fumée, sujet de l’odeur, se dégageait du corps odorant et parvenait jusqu’au sens de l’odorat.

493. La raison de cette diversité semble tenir à ce que les anciens n’affirmaient et ne percevaient rien de l’immutation spirituelle de l’intermédiaire et ne parlaient que de l’immutation naturelle. Or, pour les autres sens, une certaine immutation naturelle apparaît dans l’intermédiaire, mais non pour la vue. Il est manifeste en effet que les sons et les odeurs sont transportés ou empêchés par les vents, et que ce n’est aucunement le cas pour les couleurs. Il est aussi manifeste que les espèces des couleurs contraires sont transportées à la vue par la même partie de l’air, comme lorsqu’un tel voit le blanc et tel autre le noir existant simultanément dans la même portion d’air, et se servant du même air comme intermédiaire. Mais cela ne se produit pas pour l’odorat : en effet, les odeurs contraires se font obstacle même dans le milieu. C’est pourquoi, ne percevant pas l’immutation par laquelle le milieu intermédiaire est modifié par le visible, ils ont soutenu que c’est la vue qui se porte vers la chose vue. Mais parce qu’ils percevaient l’immutation par laquelle le milieu était modifié par les autres qualités sensibles, ils croyaient que les autres qualités sensibles se portaient vers les autres sens.

494. Mais il est manifeste que cela ne peut se produire pour l’odorat. En effect, puisque l’odeur d’un cadavre peut être perçue par les vautours jusqu’à cinq cents milles ou même plus, il serait impossible que l’évaporation corporelle d’un cadavre puisse se répandre à une si grande distance, surtout si l’on pense que la qualité sensible, à moins d’en être empêchée, affecte le milieu intermédiaire de tous côtés jusqu’à la même distance. Or, une telle évaporation ne suffirait pas à parcourir un si grand espace, même si la totalité du cadavre était dissoute en évaporation de fumée, parce qu’il existe une limite déterminée dans la raréfaction à laquelle un corps naturel peut parvenir et cette limite est la  rareté du feu, surtout si l’on pense que le cadavre ne semble pas être affecté sensiblement par une telle odeur.

495. Et c’est pourquoi il faut dire que le corps odorant peut certes diffuser une évaporation de fumée sans que cette dernière ne parvienne aussi loin que l’odeur est perçue, mais affecte spirituellement le milieu plus loin qu’elle ne peut parvenir. Mais si cette immutation spirituelle est produite par le visible plus que par les autres qualités sensibles, la raison en est que les qualités visibles sont inhérentes aux corps corruptibles en tant qu’ils communiquent avec les corps incorruptibles. C’est pourquoi les qualités visibles possèdent une existence plus formelle et plus noble que les autres qualités sensibles, lesquelles sont propres aux corps corruptibles.

496. Ensuite, lorsqu’il dit : « Aussi semble-t-il y avoir une difficulté etc. », il soulève une difficulté relative à ce qui a été dit. Et en premier lieu il argumente en un sens. En deuxième lieu, il argumente en sens contraire, là où il dit : « Mais cela est impossible etc. ». En troisième lieu, il résout la difficulté, là où il dit : « Or, il semble bien etc. » Il dit donc en premier lieu que puisque les animaux aquatiques perçoivent l’odeur par l’eau, il faut se demander si tous les animaux perçoivent les odeurs de la même manière, de sorte qu’ils posséderaient le même sens. Et il semble que ce ne soit pas le cas, car l’homme perçoit les odeurs en aspirant l’air lorsqu’il respire ; et lorsqu’il ne respire pas en aspirant l’air, ou qu’il expire en rejetant l’air, ou encore lorsqu’il retient son souffle, il ne perçoit plus les odeurs, ni de loin ni de près, même si on plaçait l’objet odorant sur son nez. Mais qu’une qualité sensible placée directement sur le sens ne soit pas perçue, cela est commun à tous les autres sens et à tous les autres animaux. Mais que l’odeur ne soit pas perçue sans la respiration, cela est propre aux hommes. Et cela devient évident pour toute personne qui cherche à l’expérimenter. C’est pourquoi, puisque les animaux qui n’ont pas de sang ne respirent pas, il semble bien qu’ils doivent posséder un autre sens en dehors de l’odorat et des autres sens dont nous avons parlé pour l’homme.

497. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais cela est impossible etc. », il argumente en sens contraire en s’appuyant sur deux raisons. La première raison est que les sens se distinguent d’après leurs qualités sensibles respectives. C’est pourquoi, puisque le sens de l’odorat est le sens de l’odeur, c’est-à-dire de ce qui sent bon comme de ce qui sent mauvais, et que cela est senti aussi bien par l’homme que par les autres animaux qui ne respirent pas, il s’ensuit que c’est le même sens de l’odorat qu’on retrouve chez l’homme et chez les autres animaux.

498. La deuxième raison, c’est que ce sont les mêmes qualités sensibles qui agissent sur les mêmes sens : en effet la vue ne subit aucune modification de la part des sons, ni l’ouïe de la part des couleurs. Mais les sens des animaux qui ne respirent pas semblent périr sous l’action des mêmes odeurs puissantes et extrêmes, comme celles du bitume, qui est un composé de sèves tirées des plantes, du souffre et des substances de ce genre, qui font périr aussi les sens de l’homme. Donc, les autres animaux possèdent eux aussi le sens de l’odorat, tout comme l’homme, même s’ils ne respirent pas.

499. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais il semble bien etc. », il résout la difficulté. En effet, la diversité qu’on observe dans la manière de respirer ne procède pas d’une diversité de sens, mais d’une disposition différente de l’organe. En effet, l’organe de l’odorat qui est propre à l’homme diffère de celui des autres animaux, tout comme les yeux des hommes diffèrent des yeux secs de certains animaux. Les yeux des hommes possèdent en effet une certaine cloison pour enveloppe, c’est-à-dire les paupières, de sorte que l’homme ne peut voir s’il ne les relève pas, ce qu’on n’observe pas chez les animaux aux yeux secs qui perçoivent directement les choses dont les espèces se présentent dans le diaphane. Il en va de même pour les animaux qui ne respirent pas et dont l’organe de l’odorat est sans opercule ; mais chez les animaux qui respirent, l’organe de l’odorat possède des opercules qui s’ouvrent lorsqu’ils respirent, grâce à la dilatation des pores. C’est pourquoi les animaux qui respirent ne perçoivent pas les odeurs dans l’eau, car c’est lorsqu’ils respirent que leur odorat subit une modification de la part de l’odeur, ce qui ne peut se produire dans l’eau.

500. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, l’odeur est relative au sec etc. », il détermine de l’organe de l’odorat, en disant que l’odeur est relative au sec, tout comme la saveur est relative à l’humide. Or, l’organe de l’odorat doit être en puissance à l’égard de l’odeur et du sec, tout comme la vue est en puissance à l’égard des couleurs et de la lumière.

 

 

LECTIO 21

[80784] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 1Postquam philosophus determinavit de visibili, et audibili, et olfactibili, hic quarto determinat de gustabili. Et dividitur in partes duas. In prima determinat de gustabili in communi. In secunda de speciebus gustabilis, idest saporis, ibi, species autem. Circa primum tria facit. Primo inquirit an gustabile percipiatur per medium. Secundo ostendit quid percipiatur per gustum, quia gustabile et non gustabile, ibi, sic autem. Tertio quale oporteat esse organum sensus gustus, ibi, quoniam autem humidum. Haec enim tria circa alios sensus tractavit, scilicet medium, in quo sentitur: id quod sensu percipitur: et organum sensus: quae in gustu, ut videbitur, oportet esse. Circa primum tria facit. Primo ostendit, quod gustabile non percipitur per medium extraneum. Secundo excludit quamdam obiectionem, ibi, unde etsi in aqua. Tertio ostendit quid requiratur ad hoc, quod gustabile percipiatur, ibi, non autem facit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80785] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 2Dicit ergo primo, quod gustabile est quoddam tangibile, idest quod tactu discernitur. Et haec est causa, quare non sentitur per medium quod sit corpus extraneum. Et dicitur extraneum, quod non est pars animalis. Sentiuntur enim sensibilia, de quibus prius dictum est, per aerem aut aquam, quae non sunt partes animalis. Sed tactus non sentit suum obiectum per medium extraneum, sed per medium coniunctum. Nam caro est medium in sensu tactus, in infra patebit. Et ideo, cum gustus sit quidam tactus, et gustabile sit quoddam tangibile, non percipietur gustabile per medium extraneum.

 

 

 

[80786] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 3Quod autem gustabile sit quoddam tangibile, ostendit per hoc quod humor, idest sapor, qui est gustabile, radicatur in humido, sicut in materia propria. Humidum autem est quoddam tangibile. Unde manifestum est, quod gustabile est quoddam tangibile.

[80787] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 4Sed si gustus est quidam tactus, videtur quod non debeat distingui contra tactum, cum species non dividatur ex opposito contra genus: et sic sequitur, quod non sunt quinque sensus, sed tantum quatuor. Sed dicitur, quod gustus et tactus possunt considerari dupliciter. Uno modo quantum ad modum sentiendi; et sic gustus est quidam tactus. Nam in tangendo, suum obiectum percipit. Alio modo quantum ad obiectum; et ita oportet dicere, quod sicut se habet obiectum gustus ad obiectum tactus, sic se habet sensus gustus ad sensum tactus. Manifestum est autem, quod sapor, qui est obiectum gustus, non est aliqua qualitas de qualitatibus simplicium corporum, ex quibus animal constituitur, quae sunt propria obiecta sensus tactus; sed causatur ab eis, et fundatur in aliquo eorum, sicut in materia, scilicet in humido. Unde manifestum est, quod gustus non est idem quod sensus tactus, sed quodammodo radicatur in eo. Unde et consuevit de gustu distingui, quod potest accipi gustus prout est discretivus saporum, et potest accipi ut est tactus quidam, prout discernit qualitates tangibiles, scilicet alimenti, cuius sensus est tactus, ut supra dictum est. Unde philosophus dicit in tertio Ethicorum, quod circa delectationes gustus prout accipitur primo modo non est temperantia, sed solum prout accipitur secundo modo.

 

 

 

 

 

 

 

[80788] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 5Deinde cum dicit unde etsi in excludit quamdam obiectionem. Manifestum est enim quod si aliquod corpus saporosum dissolubile per aquam, in aqua ponatur, utpote mel, vel aliquid huiusmodi, et nos essemus in aqua, quamvis distantes ab illo corpore saporoso saporem tamen eius sentiremus in aqua: et sic videtur, quod gustus suscipiat suum obiectum per aquam, quod est medium extraneum.

 

[80789] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 6Et ideo ad excludendum hanc obiectionem, concludit ex dictis, quod cum gustabile non percipiatur per medium extraneum, sequitur, quod si essemus in aqua sentiremus utique corpus dulce appositum in aqua, distans a nobis; non tamen esset nobis sensus per medium, sed ex eo, quod sapor ille permiscetur aqueo humido, ut accidit in potu; puta cum permiscetur, aquae, vel vino, mel, vel aliquid huiusmodi: ipsa enim aqua immutatur naturali immutatione a corpore saporoso. Unde gustus non percipit saporem corporis distantis; ut est talis corporis sapor, nisi secundum quod aqua est immutata tali corpore.

 

 

 

[80790] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 7Cuius signum est, quod gustus non immutatur ab aqua sic intense, sicut natus est immutari a sapore corporis distantis, eo quod sapor ille debilitatur per admixtionem aquae. Sed color non sic videtur per medium, quod scilicet corpus coloratum admisceatur medio, aut aliquid eius defluat ad visum, ut Democritus ponebat; sed per spiritualem immutationem medii. Unde visus non percipit colorem ut aeris, vel ut aquae, sed ut corporis colorati distantis, et secundum eamdem mensuram. Si ergo velimus comparare gustum ad visum, nihil est quod sit medium in gustu, sicut illud quod est medium in visu. Sed sicut color est visibile, idest obiectum visus, sic humor, idest sapor, est gustabile, id est obiectum gustus.

 

 

 

 

 

[80791] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 8Deinde cum dicit non autem ostendit quid requiratur ad gustum, ex quo medium non requiritur: et dicit, quod nullum saporosum facit sensum sui humoris, idest saporis, sine humiditate. Nam sicut color fit actu visibilis per lumen, ita sapor fit actu gustabilis per humidum. Et propter hoc oportet, quod gustabile, vel actu habeat humiditatem aqueam, sicut vinum vel aliquod huiusmodi, aut sit potentia humectabile, sicut quod sumitur per modum cibi. Et ideo oportet, ut sit saliva in ore, quae est bene liquida, et liquefactiva linguae, per quam ea quae sumuntur, humectantur, ut eorum sapor percipi possit.

 

 

 

 

[80792] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 9Deinde cum dicit sicut autem ostendit quid percipiatur per gustum; et dicit quod sicut est de visu et auditu, sic est de gustu. Visus enim cognoscit visibile et invisibile, ut supra dictum est. Invisibile enim est tenebra, de qua visus iudicat. Et similiter illud quod est valde splendidum, ut sol, dicitur invisibile, sed alio modo quam tenebra. Nam tenebra dicitur invisibile, propter defectum luminis; splendidum autem propter abundantiam corrumpentis sensum. Et similiter auditus est audibilis, scilicet soni, et non audibilis, ut silentii, quod est privatio soni, et etiam non audibilis, idest soni male audibilis, qui vel propter sui excellentiam corrumpit sensum, vel propter sui parvitatem, non sufficienter sensum immutat. Sic etiam est in omnibus quae secundum potentiam et impotentiam dicuntur.

 

 

 

 

 

 

 

[80793] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 10Nam impossibile dicitur in omnibus, aut quod non habet quod natum est habere, aut quod prave habet. Sicut non gressibile dicitur animal, et quod penitus caret pedibus, et quod est claudum, aut debile pedibus. Similiter autem et gustus, et gustabilis, et non gustabilis. Non gustabile autem dicitur dupliciter: quod aut parum habet de sapore, aut malum saporem, aut nimis violentum ad corrumpendum sensum. Et quia gustabile est humidum aqueum, quod est potabile, et hoc est principium saporis, scilicet humidum aqueum, videtur quod potabile et non potabile, sit principium eorum quae gustu percipiuntur. Gustus enim percipit ambo; sed unum ut pravum et corruptivum sensus, scilicet non potabile; aliud autem ut conveniens secundum naturam, scilicet potabile. Sicut autem gustabile percipitur gustu, prout gustus est quidam sensus discretus a tactu, ita potabile et non potabile, percipitur a gustu prout gustus est quidam tactus. Nam potabile est commune et tactus et gustus. Tactus quidem, inquantum est humidum; gustus autem, inquantum est humidum saporabile.

 

 

 

[80794] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 11Manifestum est ergo, quod delectationes quae sunt in cibis et potibus inquantum sunt sensibilia et potabilia, pertinent ad gustum, inquantum est tactus quidam, ut dicitur in tertio Ethicorum.

[80795] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 12Deinde cum dicit quoniam autem ostendit quale debeat esse instrumentum gustus. Et primo ponit veritatem. Secundo manifestat eam per signum, ibi, signum autem. Dicit ergo primo, quod quia illud quod est gustabile, oportet esse humidum et saporosum, necesse est organum gustus, neque esse humidum actu, neque saporosum secundum seipsum; neque esse tale, quod non possit fieri humidum: sicut instrumentum visus est, quod non habet colorem, sed est susceptivum coloris. Et hoc ideo est, quia gustus patitur aliquid a gustabili, secundum quod est gustabile, sicut quilibet sensus a sensibili. Unde, cum gustabile inquantum gustabile sit humidum, necesse est, quod organum gustus, inquantum est iam passum, sit humectatum; et tamen salvatur in sua natura, ut sit gustativum, idest potens gustare, cum possibile est humectari, non tamen est humidum actu.

 

 

 

 

[80796] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 13Deinde cum dicit signum autem ostendit quod dixerat, per signum; dicens, quod signum praedictorum est quod neque lingua existens sicca potest sentire, neque existens multum humida: quia cum existit valde humida a praecedente dominante humiditate, sic enim fit in ea tactus et sensus praecedentis humidi, et non supervenientis; sicut cum aliquis ante gustaverit aliquem fortem saporem, postea si gustet alterum, non percipiet ipsum, quia adhuc manet sensus primi humoris in lingua. Et similiter laborantibus, idest febricitantibus, omnia videntur esse amara, propter hoc quod sentiunt per linguam plenam humiditate huiusmodi, scilicet cholera, quae est amara.

 

 

 

 

[80797] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 14Deinde cum dicit species autem determinat de speciebus saporum: et dicit quod sicut in coloribus simplices colores sunt contrarii, ut album nigro, sic in saporibus simplices sunt contrarii, ut dulce et amarum. Species autem saporum habitae, idest immediate consequentes simplices species, sunt pingue, quod sequitur dulce, et salsum, quod sequitur amarum. Media autem horum sunt acetosum et austerum et Ponticum, et acutum quae duo in idem reducuntur. Ad has autem septem species saporum fere videntur reduci omnes aliae.

 

 

 

 

[80798] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 15Considerandum est autem circa has species, quod quamvis sapores causentur a calido et frigido, et humido et sicco, et contraria sunt quae maxime distant, non tamen secundum maximam distantiam calidi et frigidi, et humidi et sicci attenditur contrarietas in speciebus saporum; sed secundum ordinem ad gustum, prout natus est immutari a sapore, vel cum horrore, vel cum suavitate. Unde non est necessarium, quod dulce vel amarum sit maxime vel calidum vel frigidum, vel humidum vel siccum; sed maxime se habeat in tali dispositione, per quam comparatur ad sensum gustus. De generatione autem saporum in libro de sensu et sensato determinatur.

 

 

[80799] Sentencia De anima, lib. 2 l. 21 n. 16Ultimo autem concludit, quod gustativum, idest sensus gustus, vel organum eius, est in potentia ad saporem et species eius; gustabile autem est, quod potest reducere ipsum de potentia in actum.

Leçon  21

501. Après avoir traité du visible, de l’audible et de l’odeur, le Philosophe traite ici, en quatrième lieu, du sapide. Et cette section se divise en deux parties. En premier lieu il traite du sapide en général. En deuxième lieu il traite des espèces de sapide, c’est-à-dire de saveur, là où il dit : « Or, les espèces de saveur etc. ». Au sujet du premier point il fait trois choses. Premièrement il cherche à savoir si les saveurs sont perçues grâce à un milieu intermédiaire. Deuxièmement, il montre ce qui est perçu par le goûter, lequel se rapporte au sapide et à l’insipide, là où il dit : « Ainsi en va-t-il du goûter etc. ». Troisièmement il montre quel doit être l’organe du sens du goûter, là où il dit : « Mais puisque le sapide est humide etc. ». Le Philosophe a en effet traité de ces trois points par rapport aux autres sens, à savoir du milieu intermédaire dans lequel il y a sensation, de ce qui est perçu par le sens et de l’organe du sens ; et comme nous le verrons, ces trois points seront examinés par rapport au goûter. Au sujet du premier point il fait trois choses. Premièrement il montre que le sapide n’est pas perçu grâce à un milieu intermédiaire externe. Deuxièmement il écarte une objection, là ou il dit : « C’est pourquoi, même si nous étions dans l’eau etc. ». Troisièmement, il montre ce qui est requis pour que le sapide soit perçu, là où il dit : « Cependant, rien ne produit une sensation de saveur sans etc. ».

502. Il dit donc en premier lieu que le sapide est une sorte de tangible, c’est-à-dire qu’il est perçu par le toucher. Et c’est la raison pour laquelle il n’est pas perçu par un milieu intermédiaire qui serait un corps étranger. Et il appelle étranger ce qui n’est pas une partie de l’animal. En effet, les qualités sensibles dont nous avons parlé précédemment (nn. 491-500) sont perçues par l’air ou par l’eau, lesquels ne sont pas des parties de l’animal. Mais le toucher ne perçoit pas son objet à l’aide d’un milieu intermédiaire extérieur, mais grâce à un intermédiaire conjoint : en effet, pour le sens du toucher, le milieu intermédiaire est la chair, comme nous le verrons plus loin (nn. 525-528). C’est pourquoi, puisque le goûter est un certain toucher et que le sapide est un certain tangible, le sapide ne sera pas perçu par un milieu extérieur.

503. Mais que le sapide soit un certain tangible, il le montre au moyen de ceci que le fluide, c’est-à-dire la saveur, qui est le sapide, s’enracine dans l’humide comme dans sa matière propre. Or, l’humide est une sorte de tangible. C’est pourquoi il est manifeste que le sapide est une sorte de tangible.

504. Mais si le goûter est une sorte de toucher, il semble qu’il ne faille pas le distinguer par opposition au toucher, puisque les espèces n’entrent pas dans une division qui s’oppose à leur genre : il s’ensuit par conséquent qu’il n’y a pas cinq espèces de sens, mais seulement quatre. Cependant, il faut dire que le goûter et le toucher peuvent être considérés de deux manières. Premièrement quant à la manière de sentir, et en ce sens le goûter est un certain toucher car c’est en touchant son objet qu’il le perçoit. Deuxièmement quant à l’objet lui-même et alors il faut dire que ce que l’objet du goûter est à l’objet du toucher, le sens du goûter l’est au sens du toucher. Or, il est manifeste que la saveur, qui est l’objet du sens du goûter, n’est pas une qualité qui fait partie des qualités des corps simples à partir desquelles l’animal est constitué et qui sont les objets propres du sens du toucher ; au lieu de cela, la saveur est causée par ces qualités des corps simples, et se fonde sur l’une d’elles en particulier comme sur sa matière, à savoir sur l’humide. D’où il est manifeste que le sens du goûter n’est pas identique au sens du toucher mais qu’il s’enracine en lui. C’est pourquoi, lorsqu’on parle du goûter, on a coutume de distinguer en lui ces deux aspects, et de l’entendre soit comme cette faculté de discerner les saveurs, soit comme un certain toucher en tant qu’il discerne aussi les qualités tactiles de l’aliment qui sont l’objet du sens du toucher, ainsi que nous l’avons dit plus haut (n. 473). C’est pourquoi le Philosophe [Éthique, L. 3, ch. 10] affirme que la tempérance n’est pas relative aux délectations du goûter en tant que ce dernier est pris dans le premier sens, mais seulement en tant qu’il est pris dans le deuxième sens.

505. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi, même si nous étions dans l’eau etc. », il écarte une objection. Il est manifeste en effet que si un corps sapide, pouvant être dissous dans l’eau, est placé dans l’eau, comme du miel ou un autre aliment de la sorte, et que nous étions nous-mêmes dans l’eau, « bien que distants de ce corps sapide », nous en percevrions cependant la saveur dans l’eau : ainsi, il semblerait que le goûter reçoit son objet, la saveur, par l’intermédiaire de l’eau qui est un milieu extérieur.

506. Et c’est pourquoi, afin d’écarter cette objection, il conclut, en s’appuyant sur ce qui a déjà été dit (n. 502), que même si le sapide n’est pas perçu au moyen d’un milieu extérieur, il s’ensuit de toute manière que si nous étions dans l’eau, nous sentirions assurément le corps doux placé dans l’eau à une certaine distance de nous ; néanmoins, cette sensation ne nous viendrait cependant pas au moyen d’un milieu, mais seulement du fait que cette saveur serait mélangée à l’humide aqueux, comme cela se produit pour un breuvage, par exemple lorsque le miel est mélangé à l’eau, au vin, ou à quelque liquide de la sorte : en effet, l’eau elle-même est affectée, par une affection naturelle, par le corps savoureux. Aussi, ce n’est pas tant la saveur d’un corps distant en tant que telle que le goûter perçoit, que l’eau qui est affectée par ce corps.

507. Et le Philosophe en donne un signe en disant que le goûter n’est pas affecté si intensément par l’eau qu’il serait apte à être modifié par la saveur du corps distant du fait que cette saveur serait affaiblie par son mélange avec l’eau. Mais la couleur ne semble pas être vue de cette manière, au moyen du milieu, c’est-à-dire de sorte que le corps coloré se mélangerait au milieu, ou que quelque chose de lui s’écoulerait vers la vue, comme le soutenait Démocrite ; elle est plutôt vue par une affection spirituelle du milieu. C’est pourquoi la vue ne perçoit pas la couleur comme appartenant à l’air ou à l’eau, mais comme appartenant au corps coloré éloigné, et dans la même mesure. Donc, si nous voulons comparer le goûter à la vue, il n’y a rien qui soit un milieu pour le goûter à la manière de ce qui est un milieu pour la vue. Mais tout comme la couleur est le visible, c’est-à-dire l’objet de la vue, de même l’humeur, c’est-à-dire la saveur, est le sapide ou l’objet du goûter.

508. Ensuite, lorsqu’il dit : « Cependant, rien ne etc. », il montre les conditions requises pour qu’il y ait sensation de goûter, et pour lesquelles le milieu n’est pas nécessaire. Et il dit que rien de savoureux ne produit une sensation de sa saveur sans humidité. Car tout comme la couleur devient visible en acte au moyen de la lumière, de même la saveur devient sapide en acte au moyen de l’humide. Et c’est pour cette raison qu’il faut que le sapide ou bien possède une humidité aqueuse en acte, comme le vin ou un liquide de la sorte, ou bien de l’humidité en puissance comme ce qui est pris à titre de nourriture. Et c’est pourquoi il faut qu’il y ait de la salive dans la bouche qui soit bien liquide et qui rende la langue humide, de telle sorte que par elle les aliments qui sont pris soient humectés afin que leurs saveurs soient perçues en acte.

509. Ensuite, lorsqu’il dit : « Tout comme la vue est le sens du visible etc. », le Philosophe montre ce qui est perçu par le goûter ; et il dit qu’il en va du goûter comme il en va de la vue et de l’ouïe. La vue connaît en effet le visible et l’invisible, comme nous l’avons vu précédemment (n. 339 ; 429-430), car l’invisible est l’obscurité que la vue perçoit aussi ; en outre, la vue est aussi le sens de ce qui est extrêmement brillant, comme le Soleil, dont on dit aussi qu’il est invisible, mais autrement que l’obscurité. En effet, on dit de l’obscurité qu’elle est invisible en raison d’un défaut de lumière, alors que le splendide est dit invisible à cause d’un excès de lumière qui peut endommager le sens. De la même manière, l’ouïe est le sens de l’audible, c’est-à-dire du son, et de l’inaudible comme le silence qui est la privation du son, et même du non-audible, c’est-à-dire du son qui est difficilement audible ; ce non-audible est soit celui qui détruit le sens à cause de son excès, soit celui qui à cause de sa faiblesse n’affecte pas suffisamment le sens. Et il en va de même pour toutes les choses qui comportent puissance et impuissance.

510. Car l’impuissance se dit de tous ceux qui, soit ne possèdent absolument pas ce qu’ils sont pourtant naturellement aptes à posséder, soit le possèdent faiblement. Par exemple, on parle d’un animal qui ne peut marcher à la fois pour celui qui est totalement privé de pieds et pour celui dont les pieds sont boiteux ou faibles. Il en va de même pour le goûter qui est le sens du sapide et du non-sapide. Or, le non-sapide se dit en deux sens : soit de ce qui possède une saveur faible ou médiocre, soit de ce qui possède une saveur violente et destructrice du sens du goûter. Et parce que le sapide est l’humide aqueux, qui est le potable, et que tel est le principe de la saveur, c’est-à-dire l’humide aqueux, il semble que le potable et le non-potable soient le principe de ce qui est perçu par le goûter. En effet, le goûter perçoit les deux : il perçoit le non-potable comme ce qui est mauvais et destructeur du sens, et le potable comme ce qui est conforme à la nature. Or, tout comme le sapide est perçu par le goûter en tant que le goûter est un certain sens qui discerne par le toucher, de même le potable et le non-potable sont perçus par le goûter en tant que le goûter est un certain toucher. En effet, le potable est commun au goûter et au toucher : il relève certes du toucher en tant qu’il est humide, et du goûter en tant qu’il est un humide savoureux.

511. Il est donc manifeste que les plaisirs qu’on trouve dans les aliments et les boissons en tant qu’ils sont sensibles et potables relèvent du goûter en tant qu’il est un certain toucher, ainsi que le dit le Philosophe [Éthique, L. 3, ch. 10].

 

512. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisque le sapide etc. », il montre quel doit être l’organe du goûter. Et premièrement, il présente la vérité. Deuxièmement, il la manifeste par un signe, là où il dit : « Mais un signe en est que la langue etc. ». Il dit donc en premier lieu que parce que ce qui est sapide doit être humide et avoir une saveur, il est nécessaire que l’organe du goûter ne doit être ni humide en acte ni avoir en lui-même une saveur en acte ; en outre, il ne doit pas être tel qu’il ne puisse devenir humide, tout comme l’organe de la vue est tel qu’il ne possède aucune couleur en acte mais peut les recevoir. Et il en est ainsi parce que le sens du goûter subit une passion sous l’action du sapide en tant que sapide comme tout sens subit une passion sous l’action d’un sensible. C’est pourquoi, puisque le sapide en tant que sapide est humide, il est nécessaire que l’organe du goûter, en tant qu’il est déjà affecté, soit humidifié tout en demeurant cependant conservé dans sa nature de manière à discerner les saveurs, c’est-à-dire de manière à pouvoir conserver le pouvoir de goûter, puisqu’il peut être humecté sans toutefois être humide en acte.

513. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais un signe en est que etc. », il manifeste ce qu’il avait dit au moyen d’un signe en disant qu’un signe de ce qui vient d’être dit, c’est que la langue ne perçoit la saveur ni quand elle est trop sèche, ni quand elle est trop humide : en effet, lorsqu’elle est trop humide d’une humidité primitive dominante, il se produit alors en elle un toucher et une sensation de l’humide primitif et non de l’humide qui survient ; c’est comme lorsque quelqu’un, ayant d’abord goûté une saveur forte, goûte par la suite une autre saveur sans la percevoir parce que la sensation de l’humide primitif demeure encore sur la langue. Et il en va encore de même des malades, c’est-à-dire des fiévreux, pour lesquels tout ce qu’ils goûtent semble amer pour cette raison qu’ils perçoivent tout avec une langue qui est pleine « d’une humidité de cette sorte », c’est-à-dire qui est pleine de bile, laquelle est amère.

514. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, les espèces de saveurs etc. », le Philosophe traite des espèces de saveurs et il dit que tout comme dans les couleurs on distigue les espèces simples qui sont contraires, comme le blanc et le noir, de même dans les saveurs on distingue des espèces simples qui sont contraires, comme le doux et l’amer. Or, les espèces « dérivées », c’est-à-dire qui sont immédiatement consécutives aux espèces simples, sont l’onctueux qui est dérivé du doux, et le salé, qui est dérivé de l’amer. Enfin, il y a les saveurs qui sont intermédiaires entre ces dernières saveurs, à savoir l’aigre, l’âpre, l’astringent et l’acide, dont deux saveurs se ramènent à la même. Et c’est à ces sept espèces que semblent se ramener toutes les autres espèces de saveur.

515. Il faut cependant considérer, au sujet de ces espèces, que bien que les saveurs soient causées par le chaud et le froid, l’humide et le sec, et que les contraires sont les qualités les plus éloignées les unes des autres, la contrariété, à l’intérieur même des espèces de saveur, ne se vérifie pas d’après la plus grande distance qu’il y a entre le chaud et le froid, l’humide et le sec, mais d’après le rapport au sens du goûter, en tant qu’il est apte par nature à être affecté par la saveur, soit avec horreur, soit avec douceur. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que le doux ou l’amer soit le plus chaud ou le plus froid, le plus humide ou le plus sec, mais qu’il soit le plus dans la disposition par laquelle il se rapporte au sens du goûter. C’est dans un autre ouvrage [Du Sens et du Senti, ch. 4] que le Philosophe traite de la génération des saveurs.

516. À la fin, le Philosophe conclut en disant que la puissance gustative, c’est-à-dire le sens du goûter ou son organe, est en puissance à la saveur et à ses espèces alors que le sapide est ce qui peut la faire passer de la puissance à l’acte.

 

 

 

 

LECTIO 22

[80800] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 1Postquam determinavit philosophus de sensibilibus secundum alios sensus, hic determinat ultimo de sensibili secundum tactum: quia tactus inter alios sensus videtur esse minus spiritualis, licet sit omnium aliorum sensuum fundamentum. Dividitur autem haec pars in duas partes. In prima determinat quasdam dubitationes circa sensum tactus. In secunda ostendit veritatem circa hunc sensum, ibi, omnino autem videtur. Circa primum duo facit. Primo movet quaestiones. Secundo determinat eas, ibi, omnis etenim sensus. Dicit ergo primo, quod quantum ad ea de quibus inquirendum est, eadem ratio est, sive loquamur de tangibili, sive de tactu. Quod enim dicitur de uno, oportet dici de altero: quia si tactus non est unus sensus, sed plures, necesse est quod tangibilia non sint unum genus sensibilium, sed plura. Ideo autem hoc dicit, quia intentio sua est primo determinare de sensibilibus, postmodum determinabit de sensu. Quia vero in his quae circa tangibile et tactum dicenda sunt, circa sensum tactus quaestiones movebit propter hoc quod commodius possunt pertractari quaestiones istae circa tactum, quam si moveantur circa tangibile, idcirco hanc excusationem praemittit, ostendens, quod non refert utrum de tactu, vel tangibili loquamur.

 

 

 

 

 

[80801] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 2Movet ergo duas quaestiones circa tactum et tangibile. Quarum prima talis est. Utrum sint plures sensus tactus, an unus tantum. Secunda dubitatio est quid est sensitivum, idest organum sentiendi in tactu: utrum scilicet caro sit organum sensus tactus in animalibus habentibus carnem, quae sunt animalia habentia sanguinem, et in aliis quae carent sanguine aliquid proportionabiliter respondens carni. Aut non est ita, sed caro quidem et illud quod proportionabiliter ei respondet, est medium in sensu tactus, sed primum organum sensus tactus est aliquid intrinsecum circa cor, ut dicitur in libro de sensu et sensato.

 

[80802] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 3Deinde cum dicit omnis etenim determinat praemissas dubitationes. Et primo primam. Secundo secundam, ibi, utrum autem. Circa primum tria facit. Primo ostendit, quod non est unus sensus tactus, sed plures. Secundo solvit positam rationem, ibi, habet autem solutionem. Tertio improbat solutionem, ibi, sed quod sit. Ratio autem, quam primo ponit, talis est. Omnis enim unus sensus videtur esse unius contrarietatis, sicut visus albi et nigri, auditus gravis et acuti, gustus amari et dulcis. Sed in tangibili, quod est obiectum tactus, sunt multae contrarietates; scilicet calidum et frigidum, humidum et siccum, durum et molle, et quaedam alia huiusmodi, et grave et leve, et acutum et hebes, et similia: ergo tactus non est unus sensus, sed plures.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80803] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 4Deinde cum dicit habet autem ponit quamdam apparentem solutionem ad praedictam dubitationem: et dicit, quod aliquis potest habere solutionem ad praedictam dubitationem per hoc, quod in aliis sensibus videntur esse plures contrarietates, sicut in auditu. Nam circa vocem audibilem non solum potest attendi contrarietas acuti et gravis, sed etiam magnitudo et parvitas vocis, et lenitas et asperitas eius, et aliqua alia similia. Et similiter circa colorem possunt inveniri aliquae aliae differentiae praeter contrarietatem albi et nigri; sicut quod aliquis color est intensus, et alius remissus; aliquis pulcher, et aliquis turpis: et tamen per hoc non tollitur, quin auditus sit unus sensus, et similiter visus. Unde multiplex contrarietas tangibilium non videtur impedire, quominus tactus sit unus sensus.

 

 

[80804] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 5Deinde cum dicit sed quod excludit positam solutionem: et dicit quod omnium contrarietatum, quae sunt circa audibilia, est unum subiectum, scilicet sonus, et similiter color circa visibilia. Sed non potest inveniri aliquid unum, quod sit commune subiectum omnium contrarietatum quae sunt circa tangibilia: et propter hoc non videtur esse unum genus tangibilium, unde neque unus sensus tactus.

 

[80805] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 6Ad evidentiam autem eorum quae hic dicuntur, considerare oportet, quod distinctio potentiarum et obiectorum proportionabilis est. Unde, cum unus sensus sit una potentia, oportet quod et sensibile correspondens sit unum genus. Ostensum est autem in decimo metaphysicae, quod in uno genere est una prima contrarietas. Unde oportet, quod circa obiectum unius sensus, attendatur tantum una prima contrarietas. Et ideo hic dicit philosophus, quod unus sensus est unius contrarietatis.

 

[80806] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 7Possunt tamen in uno genere esse plures contrarietates post primam, vel per modum subdivisionis, sicut in genere corporum prima contrarietas est animati et inanimati. Et quia animatum corpus dividitur per sensibile et insensibile, et ulterius sensibile per rationale et irrationale, multiplicantur contrarietates in genere corporis. Vel sunt plures contrarietates unius generis per accidens; sicut in genere corporis est contrarietas albi et nigri, et secundum omnia, quae corpori accidere possunt. Et per hunc modum intelligendum est, quod circa sonum et vocem, praeter primam contrarietatem gravis et acuti, quae est per se, sunt aliae contrarietates quasi per accidens.

 

 

 

 

 

[80807] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 8In genere autem tangibilium sunt plures primae contrarietates per se, quae tamen omnes quodammodo reducuntur ad unum subiectum, et quodammodo non: potest enim uno modo accipi subiectum contrarietatis ipsum genus, quod comparatur ad differentias contrarias, sicut potentia ad actum. Alio modo potest accipi subiectum contrarietatum substantia quae est subiectum generis, cuius sunt contrarietates: sicut si dicamus, quod corpus coloratum est subiectum albi et nigri. Si igitur loquamur de subiecto quod est genus; manifestum est, quod non est idem subiectum omnium qualitatum tangibilium. Si autem loquamur de subiecto quae est substantia, unum subiectum est omnium eorum, scilicet corpus, pertinens ad consistentiam animalis. Unde infra dicit philosophus, quod tangibiles qualitates sunt corporis secundum quod est corpus, quibus scilicet elementa corporis distinguuntur abinvicem. Horum enim est sensus tactus discretivus, quae ad consistentiam corporis animalis pertinent. Unde formaliter loquendo, et secundum rationem, sensus tactus non est unus sensus, sed plures; subiecto autem est unus.

 

 

 

 

 

[80808] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 9Deinde cum dicit utrum autem pertractat secundam quaestionem. Et circa hoc duo facit. Primo docet veritatem. Secundo concludit quoddam quod pertinet ad manifestationem primae quaestionis, ibi, propter quod talis pars. Circa primum sciendum est, quod posset alicui videri, quod caro esset organum sentiendi secundum tactum hac ratione, quia statim ad tactum carnis sentimus tangibilia.

 

 

 

[80809] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 10Dicit ergo, ad excludendum hanc rationem, quod ad iudicandum utrum organum tactus sit intus, vel non, sed statim caro sit organum tactus, non videtur esse sufficiens signum hoc, quod simul cum caro tangitur fit sensus tangibilis, idest sentitur; quia et nunc si aliquis supra carnem extenderet aliquam pelliculam aut telam subtilem, statim ad tactum ipsius quod super extenderetur carni, sentiretur tangibile. Sed tamen constat, quod organum sensus tactus non esset in illa pelle super extensa. Et iterum manifestum est, quod si illa pellis superextensa fieret connaturalis homini, citius per eam sentiretur. Unde, licet ad tactum carnis, quae est homini connaturalis, statim tangibile sentiatur, non tamen sequitur quod caro sit organum tactus, sed est quoddam medium connaturale.

 

 

 

 

 

 

 

[80810] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 11Deinde cum dicit propter quod concludit quoddam, quod valet ad manifestationem primae quaestionis: et dicit quod quia caro est sicut medium connaturale in sensu tactus, videtur quod haec pars corporis sic se habeat ad sensum tactus, sicut si aer, qui est circa nos, esset connaturalis nobis. Videretur enim tunc quod aer ille esset organum in visu, auditu et olfactu, quamvis sit medium; et ita videremur uno organo sentire sonum et odorem et colorem, et per consequens videretur esse unus sensus auditus, visus et olfactus. Sed nunc quia medium, per quod fiunt motus dictorum sensibilium, est determinatum, idest distinctum a nobis: manifestum est, quod non est organum. Et item manifestum est, quod diversa sunt organa trium sensuum dictorum, et per consequens, quod sunt diversi sensus. Sed in tactu hoc non est manifestum, quia medium est connaturale nobis.

 

 

 

 

 

[80811] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 12Et huius diversitatis rationem assignat. Aer enim et aqua, quae sunt media aliorum sensuum, non possunt esse connaturalia nobis, quia impossibile est, quod ex aere puro et ex aqua pura consistat animatum corpus. Cum enim sint corpora humida et fluxibilia, non sunt firma neque bene terminabilia in seipsis, sed solum termino alieno. Corpus autem animatum oportet esse firmum et in se terminatum: unde oportet quod sit mixtum ex terra et aere et aqua, sicut vult se habere, idest sicut exigit caro in animalibus habentibus carnem, et illud quod proportionale est, in animalibus non habentibus carnem. Et sic illud corpus, quod est medium in tactu, scilicet caro, potest esse adnatum, id est naturaliter unitum tactui, ita quod per ipsum sicut per medium connaturale, fiant plures sensus tactus.

 

 

 

[80812] Sentencia De anima, lib. 2 l. 22 n. 13Deinde cum dicit demonstrat autem ponit quoddam aliud ad idem manifestandum: et dicit, quod hoc idem demonstratur per hoc, quod in lingua fiunt plures tactus. Sentimus enim per linguam omnia tangibilia, qua sentimus per alias partes corporis, et ulterius per ipsam sentimus humorem idest saporem, quem non sentimus per aliquam aliam partem corporis. Si autem alia caro sentiret saporem, non discerneremus inter gustum et tactum; sicut nunc non discernimus inter tactum qui est discretivus calidi et frigidi, et tactum qui est discretivus humidi et sicci. Sed nunc apparet, quod gustus et tactus sunt duo sensus, quia non convertuntur adinvicem; non enim per quamcumque partem fit sensus tactus, fit et gustus. Ratio autem quare non per quamcumque partem fit gustus, per eam fit tactus, est quia sapores non sunt qualitates elementorum, ex quibus corpus animalis constat: unde nec pertinent ad consistentiam animalis, sicut qualitates tangibiles.

Leçon  22

517. Après avoir traité des qualités sensibles se rapportant aux autres sens, Aristote traite ici finalement des qualités sensibles se rapportant au toucher, car le toucher semble être le moins spirituel de tous les sens, bien qu’il soit le fondement de tous les autres. Or, cette section se divise en deux parties. Dans la première, il traite de certaines difficultés relatives au sens du toucher. Dans la deuxième, il manifeste une vérité au sujet de ce sens, là où il dit : « D’une manière générale, il semble bien etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il soulève les difficultés. Dans la deuxième, il y répond, là où il dit : « En effet, toute sensation semble bien être etc. ». Il dit donc en premier lieu que pour ce qui est des choses qu’il nous faut rechercher, il en va de même du tangible et du toucher, et que ce qu’on peut dire de l’un, il faut aussi le dire de l’autre : en effet, si le toucher n’est pas un sens unique mais plusieurs sens, nécessairement les qualités tangibles n’appartiendront pas à un seul genre de sensibles, mais à plusieurs. Et c’est pourquoi il dit que son intention est d’abord de déterminer des qualités sensibles et ensuite seulement de déterminer du sens. Mais parce que pour les choses dont il faut parler au sujet du tangible et du toucher, il soulèvera des difficultés au sujet du sens du toucher pour cette raison que ces difficultés peuvent être traitées plus aisément au sujet du toucher que si elles étaient soulevées au sujet du tangible, c’est pour cette raison qu’il fait précéder cette excuse en disant qu’il ne change rien de parler du toucher ou du tangible.

518. Il soulève donc deux difficultés au sujet du toucher et du tangible, dont voici la première. Y a-t-il plusieurs sens du toucher ou un seul ? La deuxième est : quel est la faculté sensitive, c’est-à-dire l’organe de la sensation correspondant au sens du toucher : est-ce que la chair est l’organe du toucher chez les animaux qui ont de la chair et qui sont les animaux qui ont du sang ; et chez ceux qui n’ont pas de chair, est-ce un analogue de la chair qui est l’organe du toucher ? Ou bien il n’en est pas ainsi et la chair, ainsi que son analogue, n’est qu’un intermédiaire pour le sens du toucher, et le premier organe du sens du toucher serait un autre organe interne autour du cœur, comme le dit le Philosophe [Du Sens et du Senti, ch. 2].

519. Ensuite, lorsqu’il dit : « En effet, toute sensation etc. », il répond aux difficultés qui précèdent. Et il répond d’abord à la première. Il répond ensuite à la deuxième, là où il dit : « D’autre part, est-ce que l’organe sensitif est interne etc. » Au sujet du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre qu’il n’y a pas qu’un seul sens du toucher, mais plusieurs. Deuxièmement, il résout le raisonnement présenté, là où il dit : « Mais on peut apporter une certaine solution etc. ». Troisièmement, il réfute la solution, là où il dit : « Mais quel serait le sujet unique etc. ». Or, la raison qu’il présente en premier lieu est la suivante : toute sensation semble en effet se rapporter à une seule contrariété, comme la vue à l’égard du blanc et du noir, l’ouïe à l’égard du grave et de l’aigu, le goûter à l’égard du doux et de l’amer. Mais dans le tangible, qui est l’objet du toucher, sont comprises au contraire plusieurs contrariétés, comme le chaud et le froid, le sec et l’humide, le dur et le mou, et certaines autres contratiétés comme le lourd et le léger, le pointu et l’émoussé, et d’autres tangibles semblables. Le toucher n’est donc pas un sens unique, mais plusieurs sens.

520. Ensuite, lorsqu’il dit : « On peut apporter une réponse etc. », Aristote présente un semblant de solution à la difficulté qui précède, et il dit que quelqu’un pourrait apporter un semblant de réponse à la difficulté qui précède en disant que pour d’autres sens aussi il semble exister plusieurs contrariétés, comme cela semble être le cas pour l’ouïe. Par exemple, dans la voix, on trouve non seulement le grave et l’aigu, mais aussi l’intense et le faible, le doux et le rude de la voix, ainsi que d’autres qualités de la sorte. De même, en ce qui concerne la couleur, il est possible de trouver d’autres différences en dehors de la contrariété du blanc et du noir, comme lorsque l’une est intense et l’autre effacée, l’une est belle et l’autre laide ; et pourtant, cela n’empêche pas que la vue, tout comme l’ouïe, soit un seul sens. C’est pourquoi les multiples contrariétés qu’on rencontre dans le tangible ne semblent pas empêcher que le toucher soit un sens unique.

521. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais quel est le sujet unique etc. », il écarte la solution qui vient d’être présentée, et il dit que pour toutes les contrariétés qui se rapportent à l’audible, il y a un sujet unique qui est le son, tout comme la couleur est le sujet unique des contrariétés qui se rattachent au visible. Mais il n’est pas possible de trouver le sujet commun de toutes les contrariétés qui se rapportent au tangible : et c’est pour cette raison qu’il ne semble pas y avoir un seul genre de qualités tangibles ni même un seul sens du toucher.

522. Pour avoir l’évidence des choses qui viennent d’être dites ici, il faut considérer que la distinction des puissances et des objets est proportionnelle. C’est pourquoi, lorsqu’un même sens est une puissance unique, il faut que son objet sensible correspondant constitue lui aussi un genre unique. Or, le Philosophe [Métaphysique, L. 9, ch. 4] montre que dans un genre unique, il n’y a qu’une seule contrariété première. Il s’ensuit que l’objet d’un sens unique ne se vérifie que par une seule contrariété première. Et c’est pourquoi le Philosophe dit ici qu’un sens unique est celui qui ne possède qu’une seule contrariété.

523. Mais dans un seul et même genre, suite à la contrariété première, on peut retrouver davantage de contrariétés, soit par mode de subdivision, soit par accident. Par exemple, par mode de subdivision, dans le genre corps, on retrouve cette première contrariété qui est animé et inanimé. Et parce que le corps animé se divise lui-même en sensible et insensible, et que sensible se divise à son tour en rationnel et irrationnel, les contrariétés en viennent à se multiplier à l’intérieur du genre corps. Par accident, lorsque les contrariétés plus nombreuses à l’intérieur d’un même genre sont accidentelles, comme le blanc et le noir à l’intérieur du genre corps, et selon tout ce qui peut survenir accidentellement à un corps. Et c’est en ce dernier sens qu’il faut entendre, au sujet du son et de la voix, qu’en dehors de la première contrariété de l’aigu et du grave, laquelle est essentielle, se rattachent d’autres contrariétés qui sont accidentelles.

524. Mais dans le genre des qualités tangibles, il y a plusieurs contrariétés premières essentielles qui cependant se ramènent toutes, en un sens, à un seul sujet, mais en un autre sens, non : en effet, le sujet de la contrariété peut se prendre en un sens comme étant le genre lui-même qui se compare aux différences contraires comme la puissance se compare à l’acte. Mais en un autre sens, le sujet des contrariétés peut se prendre comme étant la substance qui est le sujet du genre auquel appartiennent les contrariétés, comme lorsque nous disons que le corps coloré est le sujet du blanc et du noir. Donc, si nous parlons du sujet en tant que genre, il est manifeste que le sujet de toutes les qualités tangibles n’est pas le même ; mais si nous parlons du sujet qui est la substance, il n’y a qu’un seul sujet pour toutes ces qualités, à savoir le corps qui entre dans la constitution de l’animal. Et c’est pourquoi le Philosophe dit plus loin (n. 529 ; 546) que les qualités tangibles appartiennent au corps en tant que corps, c’est-à-dire que c’est par elles que les éléments du corps se distinguent les uns des autres. En effet, le sens du toucher est celui qui discerne les qualités qui appartiennent à la constitution du corps de l’animal. C’est pourquoi, à parler formellement et selon la raison, le sens du toucher n’est pas un sens unique mais multiple ; mais si on en parle quant à son sujet pris comme substance du genre, alors le sens du toucher est un sens unique.

525. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais est-ce que l’organe sensoriel est interne etc. », il examine la deuxième question et à ce sujet il fait deux choses. Premièrement il enseigne la vérité. Deuxièmement il tire une conclusion qui contribue à éclairer la réponse à la première question, là où il dit : « C’est pour cette raison que cette partie du corps etc. ». Au sujet du premier point, il faut savoir qu’il pourrait sembler que la chair est l’organe de la sensation du toucher pour cette raison que nous percevons les qualités tangibles aussitôt que la chair entre en contact avec elles.

526. Aristote dit donc, pour rejeter cet argument, que pour juger si l’organe du toucher est interne ou non, et affirmer que la chair est l’organe immédiat du toucher, il ne semble pas suffisant d’en donner comme signe qu’aussitôt que la chair entre en contact avec les qualités tangibles, il y a sensation du tangible, c’est-à-dire que les qualités tangibles sont alors perçues immédiatement. Car, de fait, si on étendait autour de la chair une sorte de pellicule ou une fine membrane, cette dernière, aussitôt qu’elle entrerait en contact avec des corps, en transmettrait immédiatement les qualités tangibles qui seraient perçues aussitôt. Et il est clair, néanmoins, que l’organe du sens du toucher ne consiste pas en cette membrane qui recouvre la chair. Et il est en outre manifeste que si cette membrane qui la recouvre finissait par devenir naturelle à l’homme, la sensation serait transmise encore plus rapidement. Il s’ensuit que bien qu’en touchant la chair, laquelle est naturelle à l’homme, le tangible est perçu immédiatement, il ne suit pas nécessairement de là que la chair soit l’organe du toucher, mais qu’elle soit plutôt comme un intermédiaire naturel.

527. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est pour cette raison que cette partie etc. », il tire une conclusion qui contribue à manifester la réponse à la première question. Et il dit que parce que la chair est comme le milieu intermédiaire naturel du sens du toucher, il semble que cette partie du corps est au sens du toucher ce que l’air serait à nous s’il adhérait à nous naturellement. En effet, il semblerait que cet air serait alors l’organe à la fois de la vue, de l’ouïe et de l’odorat, bien qu’il en soit aussi le milieu intermédiaire ; ainsi, nous croirions percevoir par un seul organe à la fois le son, l’odeur et la couleur, et par conséquent nous penserions que l’ouïe, la vue et l’odorat ne seraient qu’un seul sens. Mais en réalité, parce que les milieux par lesquels se produisent les perceptions de ces qualités sensibles sont « déterminés », c’est-à-dire distincts de nos corps, il est manifeste que ces milieux ne sont pas un organe. Et il est manifeste en outre que les organes des sens dont nous venons de parler sont distincts l’un de l’autre et par conséquent que ces sens eux-mêmes sont distincts en nous. Mais en ce qui concerne le toucher, cela n’est pas manifeste car le milieu intermédiaire nous est naturel.

528. Et il donne la raison de cette distinction. L’air et l’eau, qui sont en effet les milieux intermédiaires des autres sens, ne peuvent nous être connaturels, car il est impossible que le corps animé soit constitué d’air et d’eau pure. En effet, puisque ce sont des corps humides et fluides, ils ne sont ni fermes ni bien délimités en eux-mêmes, mais seulement par des limites extérieures. Or, les corps animés doivent être solides et bien délimités en eux-mêmes, et c’est pourquoi il est nécessaire qu’ils soient des corps mixtes composés de terre, d’air et d’eau, comme cherche à l’être et l’exige la chair chez les animaux qui possèdent la chair, et ce qui est l’analogue de la chair chez les animaux qui n’ont pas de chair. Par conséquent ce corps qui tient lieu d’intermédiaire pour le toucher, à savoir la chair, peut être réuni, c’est-à-dire naturellement uni au toucher, de telle sorte que par lui, comme par un intermédiaire connaturel, se produisent de multiples sensations du toucher.

529. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, cela démontre bien etc. », il présente un autre point pour manifester la même chose. Et il dit que la même conclusion se démontre par ceci qu’il se produit plusieurs sensations du toucher sur la langue. Par la langue, nous percevons en effet toutes les qualités tangibles que nous percevons aussi au moyen des autres parties du corps, et nous percevons en outre par elle « l’humeur », c’est-à-dire la saveur, que nous ne percevons par aucune autre partie du corps. Mais si le reste de la chair percevait aussi la saveur, nous ne pourrions faire de différence entre le goûter et le toucher, tout comme nous ne pouvons faire de différence maintenant entre le toucher qui discerne le chaud du froid et le toucher qui discerne l’humide du sec. Mais si nous constatons maintenant que le goûter et le toucher sont deux sens distincts, c’est parce qu’ils ne se convertissent pas mutuellement. En effet, ce que le toucher perçoit par toute partie du corps, le goûter ne le perçoit pas par toute partie du corps. La raison pour laquelle la sensation du goûter ne s’exerce pas par toutes les parties au moyen desquelles s’exerce le sens du toucher, c’est que les saveurs ne sont pas les qualités des éléments dont le corps animé est constitué ; c’est pourquoi les saveurs n’appartiennent pas à la constitution de l’animal, contrairement aux qualités tangibles.

 

 

 

LECTIO 23

[80813] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 1Ostenso quod in sensu tactus requiritur medium connaturale, hic inquirit philosophus utrum requiratur in eo medium extraneum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quod tactus non fit sine medio extraneo. Secundo ostendit in quo differant tactus et gustus ab aliis sensibus, qui per medium extraneum sentiunt, ibi, utrum igitur. Dicit ergo primo, quod circa tactum potest aliquis dubitare, utrum scilicet habeat medium extraneum, cum ostensum sit quod habeat medium connaturale. Et ista dubitatio procedit si omne corpus habet profundum, quod est tertia dimensio. Manifestum est enim omne corpus tres dimensiones habere, scilicet longitudinem, latitudinem et profunditatem. Ex quo sequitur, quod inter quaecumque corpora est aliquod corpus medium, ipsa non tangunt seinvicem immediate. Distant enim abinvicem, ex quo aliqua dimensio est inter ea.

 

 

 

[80814] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 2Manifestum est etiam quod ubicumque est medium humidum vel humectatum, oportet esse aliquod corpus. Humiditas enim cum sit qualitas quaedam, non est nisi in subiecto corpore. Aut igitur inest alteri corpori secundum seipsum, et tunc est humidum sicut aqua; aut habet humiditatem secundum aliquod corpus sibi adveniens, et sic dicitur humectatum, ex hoc quod habet aquam in superficie tantum, vel in superficie et profundo. Et hoc est quod dicit, quod necesse est omne corpus humidum vel humectatum, esse aquam, aut habere aquam. Manifestum est autem, quod corpora, quae tanguntur in aqua adinvicem, necesse est, quod habeant inter se aquam medium, qua repleta sunt ultima eorum; nisi forte dicatur, quod sint sicca in aqua existentia, quod est impossibile. Necesse est enim, quod ea quae in aqua sunt, sint humectata, ita quod habeant aquam in superficie; et sic relinquitur, quod inter duo tangentia se in aqua, sit aqua medium. Et si hoc verum est, sequitur, quod impossibile sit, quod aliquod corpus tangat aliud in aqua immediate. Et similiter eodem modo se habet de aere, qui est humidus naturaliter, sicut et aqua.

 

 

 

[80815] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 3Similiter enim se habet aer ad humectanda ea quae sunt in aere, sicut habet aqua ad humectanda ea quae sunt in aqua. Sed magis latet nos de aere, quod sit medium, quam de aqua, propter hoc, quod continue sumus in aere, et sic imperceptibiliter inhaeret nobis. Et similiter animalia, quae sunt in aqua, latet, si duo corpora humectata per aquam, tangant; quia enim continue sunt in aqua, non percipiunt aquam, quae est inter ipsa, et corpora tangentia. Est autem et alia ratio, quare magis latet nos de aere, quam de aqua, quia aer est subtilior, et minus sensu perceptibilis. Relinquitur ergo, quod semper quando tangimus aliquid, est medium inter nos et res contactas, aer vel aqua.

 

 

 

 

[80816] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 4Sed dubitatio hic accidit. Oportet enim illud quod est medium in aliquo sensu, esse denudatum a qualitatibus sensibilibus secundum illum sensum; sicut diaphanum nullum habet colorem. Manifestum est autem quod aer et aqua habent tangibiles qualitates; non igitur mediantibus eis potest fieri sensus tactus.

[80817] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 5Respondet autem ad hoc Averrois, quod nos non patimur a puro aere vel aqua. Nihil enim patitur nisi a suo contrario secundum principium passionis. Aer autem et aqua non contrariantur nobis, sed sunt nobis similia: comparantur enim ad nos, sicut locus ad locatum: unde tactus noster non patitur a qualitatibus aeris vel aquae, sed ab extraneis qualitatibus. Quod enim sentitur de qualitatibus tangibilibus in aere et in aqua, est de admixtione extraneorum corporum, ut ipse dicit: quia sicut ignis numquam amittit calorem suum, ita nec aqua amittit suam qualitatem. Sed quod aliquando sentimus calidum, hoc est ex permixtione extranei.

 

 

 

[80818] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 6In hac autem responsione est multiplex error. Primo quidem in hoc, quod dicit, quod corpora nostra non patiuntur ab aere vel aqua, quae sunt similia nobis, sicut locus locato. Manifestum est enim, quod corpora nostra sortiuntur locum naturalem, sicut et motum naturalem, ex natura elementi praedominantis. Non ergo aliter comparantur ad locum et ad corpora continentia corpora nostra, quam ipsa elementa locata ad elementa locantia. Elementa autem in suis extremitatibus se alterant, ut patet per philosophum in primo Meteororum: corpus ergo nostrum ab elementis natum est alterari.

 

 

[80819] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 7Item omne quod est in potentia, natum est pati ab eo quod est in actu. Corpora autem nostra, cum sint in quadam medietate constituta inter extremitates tangibilium qualitatum, quae sunt in elementis, habent se ad qualitates elementares ut potentia ad actum. Medium enim est in potentia ad extrema, ut infra dicetur. Manifestum est igitur, quod corpora nostra nata sunt immutari a qualitatibus elementorum, et sentire eas.

 

[80820] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 8Provenit ergo hic error ex eo, quod nescivit distinguere inter elementa secundum quod sunt sibi invicem contraria, et secundum quod sunt se continentia et sibi similia ut locus locato.

 

[80821] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 9Dicendum est igitur, quod elementa possunt dupliciter considerari. Uno modo secundum qualitates activas et passivas: et sic contrariantur adinvicem, et se invicem immutant in suis extremis. Alio modo secundum formas substantiales, quas consequuntur ex impressione corporis caelestis. Unde, quanto corpus elementale est propinquius corpori caelesti, tanto plus habet de forma. Et quia ad formam pertinet continere, et quod se habeat in ratione totius; inde est quod corpus superius continet inferius, et comparatur ad ipsum sicut totum ad partem divisam, quae est comparatio loci ad locatum. Unde et vis locantis et continentis derivatur ad elementa ex primo continenti, scilicet corpore caelesti. Et propter hoc, locus et motus localis non attribuuntur elementis secundum qualitates activas et passivas, sed consequuntur formas substantiales elementorum.

 

 

[80822] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 10Alius est error in hoc quod dicit, quod aqua et aer non alterantur nisi per admixtionem extranei. Manifestum est enim quod aer et aqua secundum partem sunt corruptibilia. Corruptio autem et generatio in elementis potest fieri sine mixtione, et sequitur alterationem, ut patet in libro de generatione. Unde manifestum est, quod adhuc durante specie aquae, potest immutari aqua a sua naturali qualitate, absque admixtione extranei. Ignis autem, cum sit formalior, est magis activus inter elementa, quae omnia comparantur ad ipsum sicut materialia, ut dicitur quarto Meteororum. Unde non est simile de ipso et de aliis.

 

 

 

 

[80823] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 11Dicendum est igitur, quod quia aer et aqua sunt facile mutabilia ab extraneis qualitatibus, et praecipue quando sunt modicae quantitatis, sicut accidit in aqua vel aere, quae sunt inter alia duo corpora se tangentia; propter hoc non impeditur sensus tactus, quin per medium aerem et aquam fieri possit. Et minus etiam impedit aer quam aqua; quia aer habet qualitates tangibiles parum sensibiles. Unde, si intendantur qualitates tangibiles aeris vel aquae, magis impeditur tactus, utpote cum aer vel aqua intensam frigiditatem vel caliditatem habuerint.

 

[80824] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 12Deinde cum dicit utrum igitur ostendit differentiam inter tactum et gustum et alios sensus. Et primo excludit quamdam differentiam aestimatam. Secundo ponit differentiam veram, ibi, sed differt. Dicit ergo primo, quod ex quo tactus habet medium extraneum, considerandum est, utrum omnium sensibilium fiat similiter sensus, aut diversorum diversimode: sicut in promptu videtur haec esse differentia, quod gustus et tactus sentiant ex eo quod immediate tangant, alii autem sensus sentiant a longe sua sensibilia non tangendo ipsa.

 

 

 

 

 

 

[80825] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 13Sed hoc verum non est, quod sic differant; sed durum et molle et alias qualitates tangibiles sentimus per altera, idest per media extranea, sicut et obiecta aliorum sensuum, sicut sonabile, visibile et odorabile. Sed ista sensibilia sunt a longe quandoque a sensu, gustabilia autem et tangibilia sunt de prope, intantum quod medium est quasi imperceptibile propter parvitatem, et ideo medium latet. Omnia enim sensibilia sentimus per medium extraneum: sed in gustabilibus et tangibilibus latet: quia sicut prius diximus, si per aliquam pellem nobis circumpositam, omnia tangibilia sentiremus, ignorato, quod aliquid esset prohibens, similiter nos haberemus ad sentiendum per medium, sicut et nunc nos habemus sentientes in aqua et aere. Putamus enim nunc quod tangamus sensibilia ipsa, et nihil sit medium.

 

 

 

 

 

 

 

[80826] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 14Deinde cum dicit sed differt exclusa falsa differentia ponit veram; et dicit, quod tangibilia differunt a visibilibus et sonativis, ex eo quod illa sensibilia sentimus per hoc quod movent medium, et iterum medium movet nos; sed tangibilia sentimus per medium extraneum, non quasi moti a medio extraneo, sed simul cum medio movemur a sensibili. Sicut patet de eo, qui percutitur per clypeum. Non enim accidit sic, quod clypeus percussus percutiat; sed quia simul accidit utrumque percuti.

 

 

 

 

 

[80827] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 15Hoc autem quod dicitur simul non est intelligendum secundum ordinem temporis tantum; quia etiam in visu simul movetur medium ab obiecto, et sensus a medio; fit enim visio sine successione. Perceptio autem soni et odoris, cum successione aliqua, ut in libro de sensu et sensato dicitur: sed hoc referendum est ad ordinem causae. In aliis enim sensibus, immutatio medii est causa quod immutetur sensus, non autem in tactu. Nam in aliis sensibus medium est ex necessitate, in tactu autem quasi per accidens, inquantum accidit corpora se tangentia esse humectata.

 

 

 

 

[80828] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 16Deinde cum dicit omnino autem determinat de sensu tactus secundum veritatem. Et primo quantum ad medium. Secundo quantum ad qualitatem organi, ibi, tangibiles quidem. Tertio quantum ad obiectum quod percipitur sensu, ibi, amplius autem. Dicit ergo primo, quod ita videtur se habere caro et lingua ad organum sensus tactus, sicut se habent aer et aqua ad organum visus, auditus et olfactus. In nullo enim istorum sensuum potest fieri sensus, si tangatur organum: ut si quis ponat aliquod corpus album in superficie oculi, non videtur. Unde manifestum est, quod organum sensitivum in sensu tactus, sit intus. Sic enim accidit in hoc sensu, sicut et in aliis. Non enim sentiunt animalia sensibilia apposita super organum sensus. Sentiunt autem sensibilia posita super carnem: quare manifestum est, quod caro non est organum sensus, sed medium.

 

 

 

 

 

[80829] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 17Deinde cum dicit tangibiles quidem ostendit quale sit organum tactus: et dicit, quod tangibiles qualitates sunt differentiae corporis, secundum quod est corpus; idest differentiae, quibus elementa distinguuntur abinvicem, scilicet calidi, frigidi, humidi et sicci, de quibus dictum est in his quae sunt de elementis, idest in libro de generatione et corruptione.

 

[80830] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 18Manifestum est autem, quod organum tactus, et in quo primo fundatur sensus qui dicitur tactus, est quaedam pars, quae est in potentia ad huiusmodi qualitates. Organum enim sensus patitur a sensibili, quia sentire est pati quoddam: unde sensibile, quod est agens, facit ipsum esse tale in actu, quale est sensibile, cum sit in potentia ad hoc. Et propter hoc, organum tactus, non sentit illam qualitatem secundum quam est in actu. Non enim sentimus id quod est calidum aut frigidum, durum aut molle, secundum illum modum quo haec insunt organo tactus; sed sentimus excellentias tangibilium, quasi organo tactu constituto in aliqua medietate inter contrarias tangibiles qualitates. Et propter hoc organum tactus discernit extrema tangibilium: medium enim est discretivum extremorum: potest enim pati ab utroque extremorum, eo quod dum comparatur ad unum habet in se rationem alterius; sicut tepidum in comparatione ad calidum, est frigidum; in comparatione ad frigidum, est calidum: unde medium patitur ab utroque extremorum, cum sit quodammodo utrique contrarium. Et oportet quod, sicut organum, quod debet sentire album et nigrum, neutrum ipsorum habet actu, sed utrumque in potentia, et eodem modo in aliis sensibus; sic etiam se habeat in sensu tactus; scilicet organum, neque sit calidum, neque frigidum actu, sed potentia utrumque.

 

 

 

 

 

 

[80831] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 19Aliter tamen accidit hoc circa tactum, et circa alios sensus. Nam in visu organum visus est in potentia ad album et nigrum, denudatum a toto genere albi et nigri: est enim penitus carens colore. Sed organum et medium tactus non potest denudari a toto genere calidi et frigidi, humidi et sicci: componitur enim ex elementis, quorum hae sunt propriae qualitates. Sed sic fit in potentia organum tactus ad sua obiecta, inquantum est medium inter contraria. Medium enim est in potentia ad extrema. Et propter hoc, quanto animal habet complexionem magis reductam ad medium, tanto habet meliorem tactum. Unde homo inter omnia animalia est melioris tactus, ut supra dictum est.

 

 

 

 

[80832] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 20Deinde cum dicit amplius autem determinat de eo quod percipitur per tactum: et dicit quod sicut est visus quodammodo visibilis et invisibilis, et sicut alii sensus sunt oppositorum ut auditus soni et silentii, sic tactus est tangibilis et intangibilis. Intangibile autem dicitur dupliciter: aut illud, quod habet excellentiam, ita quod corrumpit sensum, sicut ignis: aut illud quod habet parum de qualitate tangibili, sicut aer. Utrumque enim dicitur intangibile, quasi male perceptibile, sensu tactu.

 

 

 

[80833] Sentencia De anima, lib. 2 l. 23 n. 21Ultimo autem quasi epilogando concludit, quod figuraliter, idest in quadam summa dictum est de sensibilibus, secundum unumquemque sensum. De eis enim specialiter in libro de sensu et sensato determinatur.

Leçon  23

530. Ayant montré que le sens du toucher requiert un milieu connaturel, le Philosophe cherche ici à savoir s’il requiert aussi un milieu extérieur. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre que le sens du toucher ne peut s’exercer sans milieu extérieur. En deuxième lieu, il montre en quoi le toucher et le goûter diffèrent des autres sens qui perçoivent eux aussi au moyen d’un milieu extérieur, là où il dit : « Donc, est-ce que pour toutes les qualités sensibles etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’au sujet du sens du toucher quelqu’un pourrait se demander s’il possède un milieu extérieur puisqu’il a été montré qu’il possède un milieu connaturel. Et cette question est justifiée si tout corps a une profondeur, laquelle est la troisième dimension. Il est manifeste en effet que tout corps possède trois dimensions, à savoir la longueur, la largeur et la profondeur. Il en découle qu’un corps étant placé entre deux autres corps quelconques, ces deux autres corps ne se touchent pas immédiatement. Ils sont en effet réciproquement distants l’un de l’autre, du fait qu’il y a une certaine dimension entre eux.

531. Il est manifeste aussi que partout où il y a un milieu humide ou humidifié, il faut qu’il y ait un corps. En effet, puisque l’humide est une certaine qualité, il ne peut exister que dans un sujet qui est un corps. Donc, ou bien l’humide appartient à l’autre corps en lui-même, et alors l’humide a la forme de l’eau ; ou bien il tient son humidité d’un autre corps qui lui advient, et on dit alors de ce corps qu’il est humecté ou mouillé, du fait qu’il a de l’eau en surface seulement ou bien en surface et en profondeur. Et c’est justement ce que dit Aristote, à savoir qu’il est nécessaire que tout corps humide ou humecté soit de l’eau ou possède de l’eau. Or, il est manifeste qu’il est nécessaire, pour les corps qui se touchent dans l’eau, qu’ils aient entre eux une eau intermédiaire par laquelle leurs extrémités sont recouvertes, à moins qu’on ne dise que leurs extrémités sont sèches alors qu’elles sont dans l’eau, ce qui est impossible. Il est nécessaire en effet que les choses qui sont dans l’eau soient humectées de manière à avoir de l’eau au moins en surface ; par conséquent, il s’ensuit qu’entre deux corps qui se touchent réciproquement dans l’eau, il y a une eau intermédiaire. Et si cela est vrai, il est impossible qu’un corps plongé dans l’eau en touche un autre immédiatement. Et il en va de l’air, qui est naturellement humide, comme il en va de l’eau.

532. En effet, tout comme l’eau humidifie les choses qui sont dans l’eau, de même l’air humidifie les choses qui sont dans l’air. Mais il nous est moins évident que l’air soit un milieu intermédiaire pour cette raison que nous sommes continuellement en contact avec l’air qui, contrairement à l’eau, nous touche imperceptiblement. Et il en va de même pour les animaux qui vivent dans l’eau : ils ne s’aperçoivent pas que deux corps mouillés par l’eau se touchent parce que, étant continuellement dans l’eau, ils ne perçoivent pas l’eau qui est entre eux et entre les corps qui se touchent. Mais il y a une autre raison pour laquelle cela nous est moins évident pour l’air que pour l’eau, car l’air est en lui-même plus subtil et moins perceptible par le sens. Il reste donc que lorsque nous touchons quelque chose, il y a toujours un intermédiaire, soit l’air, soit l’eau, entre nous et les choses que nous touchons.

533. Mais il se présente ici une difficulté. Il faut en effet que ce qui tient lieu d’intermédiaire pour un sens soit dénudé des qualités sensibles qui sont l’objet de ce sens, tout comme le diaphane ne doit avoir aucune couleur. Or, il est manifeste que l’air et l’eau possèdent des qualités sensibles. Ce n’est donc pas par l’intermédiaire de ces éléments que peut s’exercer le sens du toucher.

534. Averroès répond à cette difficulté en disant que nous ne sommes pas affectés par l’air ou l’eau en tant qu’ils sont purs. En effet, nous ne subissons une passion que de la part de ce qui nous est contraire comme principe de la passion,. Or, l’air et l’eau ne nous sont pas contraires, mais ils nous sont plutôt semblables puisqu’ils se rapportent à nous comme le lieu se rapporte à ce qui y est localisé : c’est pourquoi notre toucher n’est pas affecté par les qualités de l’air et de l’eau, mais par des qualités étrangères. En effet, ce qui est perçu des qualités tangibles dans l’air et dans l’eau vient de leur mélange à des corps étrangers, comme il le dit lui-même : car tout comme le feu ne perd jamais sa chaleur, de même l’eau ne perd jamais sa qualité. Mais que nous percevions parfois le chaud, cela vient de son mélange à quelque chose d’extérieur.

535. Il est cependant possible d’observer deux erreurs dans cette réponse d’Averroès. La première consiste certes à dire que nos corps ne sont pas affectés par l’air ou l’eau, lesquels nous seraient semblables dans le rapport du lieu à ce qui y est localisé. Il est manifeste en effet que nos corps reçoivent leur lieu naturel comme ils reçoivent leur mouvement naturel, c’est-à-dire de la nature de l’élément prédominant. Donc, nos corps ne se comparent pas à leur lieu et aux corps qui les contiennent autrement que les éléments qui sont dans un lieu se comparent aux éléments qui les contiennent. Or, les éléments s’altèrent dans leurs extrêmes, comme nous le montre le Philosophe [Météorologiques, L. 1, ch. 2]. Donc, notre corps est naturellement altéré par les éléments.

536. En outre, tout ce qui est en puissance est naturellement apte à subir une passion par l’action de ce qui est en acte. Or nos corps, puisqu’ils sont constitués dans un certain milieu entre les extrémités des qualités tangibles qui sont dans les éléments, se comparent aux qualités élémentaires comme la puissance se compare à l’acte. En effet, le milieu est en puissance aux extrêmes, comme nous le verrons plus loin (547-548). Il est donc manifeste que nos corps sont aptes par nature à être affectés par les qualités des éléments et à les percevoir.

537. Cette erreur provient donc du fait qu’Averroès n’était pas arrivé à distinguer les éléments, en tant qu’ils sont contraires les uns aux autres, des éléments en tant qu’ils se contiennent et contiennent leurs semblables, comme le lieu contient ce qui s’y trouve.

538. Il faut donc dire que les éléments peuvent être considérés de deux manières. Premièrement en tant qu’ils sont des qualités actives et passibles : en ce sens, ils s’opposent les uns aux autres et se modifient mutuellement dans leurs extrêmes. Deuxièmement en tant qu’ils sont des formes substantielles qui sont consécutives à une impression du corps céleste. Il en résulte que plus un corps élémentaire est proche du corps céleste, plus il a de forme. Et parce qu’il appartient à la forme de contenir et d’avoir raison de tout, de là vient qu’un corps supérieur contient un corps inférieur et se compare à lui comme un tout se compare à la partie divisée, ce qui revient à la comparaison du lieu à ce qui y est localisé. C’est pourquoi la puissance de ce qui localise et de ce qui contient dérive du premier contenant, c’est-à-dire du corps céleste, aux éléments. Et c’est pour cette raison que le lieu et le mouvement local ne sont pas attribués aux éléments en tant que qualités actives et passives, mais procèdent des formes substantielles des éléments.

539. La deuxième erreur d’Averroès, c’est lorsqu’il dit que l’eau et l’air ne sont altérés que par un mélange à un corps étranger. Il est manifeste en effet que l’eau et l’air sont corruptibles en partie. Or, la corruption et la génération dans les éléments peut s’accomplir sans qu’il y ait mélange, et elles sont consécutives à l’altération, comme nous le montre le Philosophe [De la Génération, L. 1, ch. 1]. C’est pourquoi, l’espèce de l’eau ayant durci, sa qualité naturelle peut être modifiée sans qu’elle ait été mélangée à un corps étranger. Or le feu, puisqu’il est plus formel, comme le souligne le Philosophe [Les Météorologiques, L. 4, ch. 1, 9], et que  tous les autres éléments se comparent à lui comme s’ils étaient une certaine matière, est le plus actif de tous les éléments. C’est pourquoi il n’en va pas de même pour lui et pour les autres éléments.

540. Il faut donc dire que parce que l’air et l’eau sont facilement modifiables par les qualités extérieures, surtout lorsqu’ils sont d’une petite quantité, comme cela se produit dans l’eau et l’air lorsqu’ils sont entre deux corps qui se touchent, pour cette raison le sens du toucher n’est pas empêché de s’exercer par l’intermédiaire de l’air et de l’eau. Et même l’air est un moindre obstacle que l’eau car l’air possède des qualités tangibles qui sont peu perceptibles. Il en résulte que si les qualités tangibles de l’air ou de l’eau s’intensifient, en tant que l’air et l’eau acquiert un froid ou une chaleur intense, le toucher est davantage empêché.

541. Ensuite, lorsqu’il dit : « Donc, est-ce que la sensation se produit de la même manière etc. », le Philosophe montre la différence qu’il y a entre le toucher et le goûter d’une part et les autres sens d’autre part. Et en premier lieu il écarte une différence prisée par plusieurs. En deuxième lieu il présente la véritable différence, là où il dit : « Mais il y a une différence entre le tangible etc. ». Il dit donc en premier lieu que du fait que le toucher possède un milieu extérieur, il faut considérer si la sensation a lieu de la même façon pour tous les sensibles ou bien si elle s’accomplit d’une façon pour les uns, et d’une autre façon pour les autres ; surtout qu’il semble à première vue que la différence consiste en ceci que le toucher et le goûter exercent leur perception du fait qu’ils touchent immédiatement leur objet, alors que les autres sens s’exercent à une certaine distance de leurs qualités sensibles, sans les toucher.

542. Mais il n’est pas vrai que ces deux catégories de sens diffèrent de cette manière ; de fait, même le dur et le mou, ainsi que les autres qualités tangibles, sont perçues « à travers d’autres corps », c’est-à-dire par des milieux extérieurs, tout comme les objets des autres sens, comme le sonore, le visible et l’odorant. Mais ces qualités sensibles sont parfois distantes du sens, alors que le sapide et le tangible sont à ce point à proximité du sens que le milieu extérieur en devient quasi imperceptible à cause de sa petitesse ou de sa rareté, et c’est pourquoi il nous échappe. En effet, nous connaissons toutes les qualités sensibles au moyen d’un milieu extérieur, mais pour le goûter et le toucher, ce milieu nous échappe, car, comme nous l’avons dit précédemment (n. 526), si nous percevions toutes les qualités tangibles au moyen d’une membrane nous enveloppant, tout en ignorant son interposition, nous nous comporterions à son égard de la même manière que nous le faisons maintenant lorsque nous exercons la sensation dans l’air ou dans l’eau : dans ce cas, nous croyons bien que nous touchons les sensibles eux-mêmes et qu’il n’existe aucun milieu intermédiaire.

543. Et ensuite, lorsqu’il dit : « Mais il y a une différence entre le tangible etc. », ayant rejeté cette fausse différence, il présente la vraie. Et il dit que les qualités tangibles diffèrent des qualités visibles et sonores du fait que nous percevons ces dernières du fait qu’elle mettent en mouvement l’intermédiaire et qu’à son tour l’intermédiaire nous met en mouvement ; pour les qualités tangibles, au contraire, la perception ne s’accomplit pas sous l’action de l’intermédiaire, mais sous l’action simultanée de l’intermédiaire et de la qualité sensible : on verrait quelque chose d’analogue dans l’homme frappé à travers son bouclier, car dans ce cas, ce n’est pas que le bouclier, ayant été frappé, frappe à son tour l’homme mais, en réalité, les deux coups sont portés simultanément.

544. Mais lorsqu’il dit « simultanément », il ne faut pas entendre ce terme exclusivement selon l’ordre du temps ; car même pour la vue, c’est simultanément que le milieu est mû par l’objet et que le sens est mû par le milieu, et pourtant la vision s’accomplit sans qu’il y ait succession. Mais la perception du son et de l’odeur s’accomplit avec une certaine succession, ainsi que le dit le Philosophe [Du Sens et du Senti, ch. 1, 5] : mais cela doit être rapporté à l’ordre de la cause. En effet, pour les autres sens, la modification du milieu est cause de la modification du sens, mais il n’en va pas de même pour le toucher. En effet, pour les autres sens le milieu est nécessaire, alors que pour le toucher il est accidentel, dans la mesure où il est accidentel aux corps qui se touchent d’être humectés.

545. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais d’une façon générale etc. », il détermine du sens du toucher selon la vérité. Et en premier lieu il le fait à l’égard du milieu. Deuxièmement, il le fait à l’égard de la qualité de l’organe, là où il dit : « Les différences tangibles sont donc etc. ». Troisièmement, il le fait à l’égard de l’objet qui est perçu par le sens, là où il dit : « Mais en outre, de même que etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’il semble bien que la chair et la langue sont à l’organe du sens du toucher ce que sont l’air et l’eau aux organes de la vue, de l’ouïe et de l’odorat. En effet, dans aucun de ces sens il ne peut y avoir sensation si l’organe est touché : par exemple, si on place un corps blanc sur la surface de l’œil, il n’est pas vu. Il résulte de là qu’il est manifeste que l’organe sensitif, pour le sens du toucher, est à l’intérieur. En effet ce qui se produit dans ce sens se produit aussi dans les autres. En effet, les animaux ne peuvent percevoir les qualités sensibles placées sur l’organe du sens ; mais ils perçoivent les qualités sensibles placées sur la chair : il résulte de là qu’il est manifeste que la chair n’est pas l’organe du sens du toucher, mais qu’elle en est l’intermédiaire.

546. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, les qualités tangibles sont etc. », le Philosophe montre quel est l’organe du toucher en disant que les qualités tangibles sont les différences du corps en tant que corps, c’est-à-dire les différences par lesquelles les éléments se distinguent les uns des autres, comme celle du chaud et du froid, de l’humide et du sec dont nous avons parlé dans ces chapitres qui ont pour objet les éléments [De la Génération et de la Corruption, L. 2, ch. 2-3].

547. Or il est manifeste que l’organe du toucher, qui est le premier fondement de ce sens qu’on appelle le toucher, est une certaine partie du corps qui est en puissance par rapport à ces qualités. En effet, l’organe du sens est affecté par le sensible, car la sensation est en quelque sorte une passion : c’est pourquoi le sensible, qui tient lieu d’agent, fait que le sens devient en acte ce qu’est le sensible, puisque le sens est en puissance à le devenir. Et c’est pour cette raison que l’organe du toucher ne perçoit pas cette qualité selon laquelle lui-même est en acte. En effet, nous ne percevons pas ce qui est chaud ou froid, dur ou mou, à la manière dont ces qualités tangibles appartiennent à l’organe du toucher ; ce que nous percevons, ce sont plutôt les qualités tangibles extrêmes, l’organe du toucher étant lui-même constitué comme au milieu des qualités tangibles contraires. Et c’est pour cette raison que l’organe du toucher discerne les qualités tangibles extrêmes, puisque c’est ce qui tient lieu de milieu qui peut discerner les extrêmes : ce qui tient lieu de milieu peut en effet être affecté par les deux extrêmes puisque si on le compare à l’un d’eux, il a raison de l’autre, tout comme le tiède, comparé au chaud, est froid, et comparé au froid, est chaud. Par conséquent, le milieu est affecté par l’un et l’autre des extrêmes puisqu’il est en quelque sorte contraire à chacun d’eux. Et il faut, tout comme l’organe qui doit percevoir le blanc et le noir ne posséder en acte aucune des ces qualités, mais posséder les deux en puissance, et qu’il en va de même pour les autres sens, les choses se passent de la même manière pour le sens du toucher : l’organe de ce sens ne doit être ni chaud ni froid en acte, mais il doit être chaud et froid en puissance.

548. Cependant, cela se produit autrement pour le sens du toucher et pour les autres sens. En effet, pour la vue, l’organe de la vue est en puissance au blanc et au noir en étant tout à fait dépourvu du genre du blanc et du noir puisqu’il n’y a en lui aucune couleur. Mais l’organe et le milieu du toucher ne peut être totalement dépouillé du genre du chaud et du froid, du sec et de l’humide : en effet, il est lui-même composé des éléments dont ces accidents sont les qualités propres. Il en résulte que l’organe du toucher est en puissance à l’égard de ses objets parce qu’il tient le milieu entre les contraires. Le milieu, en effet, est les extrêmes en puissance. Et pour cette raison, plus un animal possède une complexion qui s’approche davantage du milieu, plus il possède un meilleur toucher. C’est pourquoi l’homme, parmi tous les animaux, est celui qui possède le meilleur toucher, ainsi que nous l’avons dit précédemment (nn. 482-483).

549. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais en outre etc. », il précise ce qui est perçu par le toucher. Et il dit que tout comme la vue est en quelque sorte le sens du visible et de l’invisible, et tout comme les autres sens sont aussi en quelque sorte les sens de leurs opposés, comme l’ouïe est le sens du sonore et de l’insonore, de même le toucher est le sens du tangible et de l’intangible. Or, l’intangible se dit en deux sens : soit de ce qui possède un excès tel qu’il corrompt le sens, comme c’est le cas pour le feu ; soit de ce qui possède une qualité sensible à un très faible degré, comme l’air. Dans le cas du feu comme dans celui de l’air, l’intangible se dit de ce qui est difficilement perçu par le sens du toucher.

550. Et à la fin, comme en résumant ce qui vient d’être dit, il conclut en disant que c’est « d’une manière schématique » que nous avons parlé des qualités sensibles par rapport à chacun des sens en particulier, et que c’est d’une manière plus distincte que nous en parlerons ailleurs [Du Sens et du Senti, ch. 1 ss.].

 

 

LECTIO 24

[80834] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 1Postquam philosophus in parte praecedenti determinavit de sensibus secundum unumquemque sensum, hic determinat de sensu. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quid sit sensus. Secundo concludit solutionem quarumdam quaestionum ex definitione sensus posita, ibi, manifestum autem ex his et cetera. Tertio movet quasdam dubitationes circa passionem a sensibilibus, ibi, dubitabit autem. Circa primum duo facit. Primo ostendit quid sit sensus. Secundo ostendit quid sit organum sensus, ibi, sensitivum autem. Dicit ergo primo quod hoc oportet accipere, universaliter et communiter omni sensui inesse, quod sensus est susceptivus specierum sine materia, sicut cera recipit signum anuli sine ferro et auro. Sed hoc videtur esse commune omni patienti. Omne enim patiens recipit aliquid ab agente secundum quod est agens. Agens autem agit per suam formam, et non per suam materiam: omne igitur patiens recipit formam sine materia. Et hoc etiam ad sensum apparet: non enim aer recipit ab igne agente, materiam eius sed formam: non igitur videtur hoc proprium esse sensus, quod sit receptivus specierum sine materia.

 

 

[80835] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 2Dicendum igitur, quod licet hoc sit omni patienti, quod recipiat formam ab agente, differentia tamen est in modo recipiendi. Nam forma, quae in patiente recipitur ab agente, quandoque quidem habet eumdem modum essendi in patiente, quem habet in agente: et hoc quidem contingit, quando patiens habet eamdem dispositionem ad formam, quam habet agens: quodcumque enim recipitur in altero secundum modum recipientis recipitur. Unde si eodem modo disponatur patiens sicut agens, eodem modo recipitur forma in patiente sicut erat in agente; et tunc non recipitur forma sine materia. Licet enim illa et eadem materia numero quae est agentis, non fiat patientis, fit tamen quodammodo eadem, inquantum similem dispositionem materialem ad formam acquirit ei quae erat in agente. Et hoc modo aer patitur ab igne, et quicquid patitur passione naturali.

 

 

 

 

 

[80836] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 3Quandoque vero forma recipitur in patiente secundum alium modum essendi, quam sit in agente; quia dispositio materialis patientis ad recipiendum, non est similis dispositioni materiali, quae est in agente. Et ideo forma recipitur in patiente sine materia, inquantum patiens assimilatur agenti secundum formam, et non secundum materiam. Et per hunc modum, sensus recipit formam sine materia, quia alterius modi esse habet forma in sensu, et in re sensibili. Nam in re sensibili habet esse naturale, in sensu autem habet esse intentionale et spirituale.

 

 

 

 

[80837] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 4Et ponitur conveniens exemplum de sigillo et cera. Non enim eadem dispositio est cerae ad imaginem, quae erat in ferro et auro. Et ideo subiungit, quod cera accipit signum idest imaginem sive figuram auream aut aeneam, sed non inquantum est aurum aut aes. Assimilatur enim cera aureo sigillo quantum ad imaginem, sed non quantum ad dispositionem auri. Et similiter sensus patitur a sensibili habente colorem aut humorem, idest saporem aut sonum, sed non inquantum unumquodque illorum dicitur, idest non patitur a lapide colorato inquantum lapis, neque a melle dulci inquantum mel: quia in sensu non fit similis dispositio ad formam quae est in subiectis illis, sed patitur ab eis inquantum huiusmodi, vel inquantum coloratum, vel saporosum, vel secundum rationem, idest secundum formam. Assimilatur enim sensus sensibili secundum formam, sed non secundum dispositionem materiae.

 

 

 

 

 

[80838] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 5Deinde cum dicit sensitivum autem determinat de organis sensus. Quia enim dixerat quod sensus est susceptivus specierum sine materia, quod etiam intellectui convenit, posset aliquis credere, quod sensus non esset potentia in corpore, sicut nec intellectus. Et ideo ad hoc excludendum, assignat ei organum: et dicit quod primum sensitivum, idest primum organum sensus est in quo est potentia huiusmodi, quae scilicet est susceptiva specierum sine materia. Organum enim sensus, cum potentia ipsa, utputa oculus, est idem subiecto, sed esse aliud est, quia ratione differt potentia a corpore. Potentia enim est quasi forma organi, ut supra traditum est. Et ideo subdit quod magnitudo, idest organum corporeum est, quod sensum patitur, idest quod est susceptivum sensus, sicut materia formae. Non tamen est eadem ratio magnitudinis et sensitivi sive sensus, sed sensus est quaedam ratio, idest proportio et forma et potentia illius, scilicet magnitudinis.

 

 

 

 

 

 

 

[80839] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 6Deinde cum dicit manifestum autem ex praemissis concludit solutionem quamdam duorum quae possunt quaeri: et dicit quod manifestum est ex praedictis, propter quid excellentia sensibilium corrumpat organa sensuum. Oportet enim in organis sentiendi, ad hoc quod sentiatur, esse quamdam rationem, idest proportionem, ut dictum est. Si ergo motus sensibilis fuerit fortior quam organum natum sit pati, solvitur proportio, et corrumpitur sensus, qui consistit in quadam proportione organi, ut dictum est. Et est simile, sicut cum aliquis fortiter percutit chordas, solvitur symphonia et tonus instrumenti, qui in quadam proportione consistit.

 

 

 

 

 

 

[80840] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 7Manifesta est etiam ex praedictis ratio alterius quaestionis propter quid scilicet plantae non sentiunt, cum tamen habeant quamdam partem animae, et patiantur a quibusdam sensibilibus, scilicet a tangibilibus. Manifestum est enim quod calescunt et infrigidantur. Causa igitur, quare non sentiunt, est quia non est in eis illa proportio, quae requiritur ad sentiendum. Non enim habent medietatem secundum complexionem inter tangibilia, quae requiritur ad organum tactus, sine quo nullus sensus esse potest: et ideo non habent in se huiusmodi principium, quod potest recipere species sine materia, scilicet sensum. Sed accidit ei pati cum materia, scilicet secundum materialem transmutationem.

 

 

 

 

 

 

[80841] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 8Deinde cum dicit dubitabit autem movet quamdam dubitationem circa passionem a sensibilibus. Quia enim dixerat, quod plantae patiuntur a quibusdam sensibilibus: primo movet dubitationem utrum ab aliis sensibilibus aliquid possit pati, quod non habet sensum: puta ab odore, quod non habet olfactum; a colore, quod non habet visum; a sono, quod non habet auditum.

 

 

 

 

[80842] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 9Secundo ibi si autem inducit duas rationes ad ostendendum, quod non: quarum prima talis est. Quia proprium olfactibilis est facere olfactum: odor autem est olfactibile: ergo, si aliquid facit olfactum, facit per odorem. Vel secundum aliam literam, odor facit olfactum. Propria igitur actio odoris, inquantum odor, est quod facit olfactum, sive olfacere. Ex quo sequitur, quod suscipiens actionem odoris, in quantum odor, habet sensum olfactus: quod ergo non habet sensum olfactus, non potest pati ab odore. Et eadem ratio videtur de aliis, quod non sit quorumcumque, posse pati a sensibilibus, sed solum habentium sensum.

 

 

 

 

[80843] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 10Secundam rationem ponit cum dicit simul autem et dicit, quod hoc quod prima ratio concludit, manifestum est per experimentum: quia lumen et tenebra, et odor, et sonus, nullum effectum faciunt in corpora sensibilia, nisi forte per accidens, inquantum corpora habentia huiusmodi qualitates, aliquid agunt: sicut aer, qui quando est tonitruum, scindit lignum. Lignum enim patitur non a sono, per se loquendo, sed ab aere moto.

 

 

[80844] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 11Tertio ibi sed tangibilia ostendit aliter esse de qualitatibus tangibilibus: et dicit quod tangibilia et humores, idest sapores, faciunt quemdam effectum in sensibilibus. Sed hoc intelligendum est de saporibus, non inquantum sapores sunt, sed inquantum gustabile est quoddam tangibile, et gustus est quidam tactus. Si enim corpora insensibilia non paterentur a qualitatibus tangibilibus, non esset ponere a quo paterentur et alterarentur corpora inanimata. Nam tangibilia sunt qualitates activae et passivae elementorum, secundum quas accidit universaliter alteratio in corporibus.

 

[80845] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 12Quarto ibi ergo ne et ostendit etiam quod alia sensibilia agunt in quasdam res inanimatas, licet non in omnes: dicens ergo ne et illa, scilicet sensibilia alia, faciunt aliquem effectum et olfactum, in res inanimatas? Quasi dicat: sic. Sed tamen non omne corpus passivum est ab odore et sono, sicut omne corpus passivum est a calore et frigore; sed ab istis sensibilibus pati possunt sola corpora indeterminata, et quae non manent, ut aer et aqua, quae sunt humida, et non bene determinabilia termino proprio. Et quod aer possit pati ab odore, manifestum est quia aer foetet sicut aliquid patiens ab odore. Alia litera habet feret quia, scilicet mediantibus aliis sensibilibus deferuntur species ad sensum. Ratio autem huius diversitatis est, quia qualitates tangibiles sunt causae aliorum sensibilium, et ideo habent plus de virtute activa, et possunt agere in quaecumque corpora. Sed alia sensibilia, quae habent minus de virtute activa, non possunt agere nisi in corpora valde passibilia. Et similis etiam ratio est de luce corporum caelestium, quae alterant inferiora corpora.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80846] Sentencia De anima, lib. 2 l. 24 n. 13Quinto ibi quid igitur solvit rationem supra positam; dicens, quod si aliquid patitur ab odore, quod non odorat, quid est odorare, nisi pati aliquid ab odore? Et respondet, quod odorare, est sic aliquid pati ab odore, quod sentiat odorem. Aer autem non sic patitur ut sentiat, quia non habet potentiam sensitivam; sed sic patitur ut sit sensibilis, inquantum scilicet est medium in sensu.

Leçon  24

551. Après avoir déterminé des sensibles d’après chacun des sens dans la partie qui précède, le Philosophe détermine ici des sens. Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il montre ce qu’est le sens. En deuxième lieu, il tire de la définition donnée du sens la réponse à certaines questions, là où il dit : « On voit manifestement, suite à cela, pourquoi etc. ». En troisième lieu, il soulève certaines difficultés relatives à la passion sous l’action des qualités sensibles, là où il dit : « Or, on pourrait se demander etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il montre ce qu’est le sens. Deuxièmement il montre quel est l’organe du sens, là où il dit : « Or, l’organe sensitif premier etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’il faut bien admettre, en général et universellement pour tous les sens, que le sens reçoit les espèces sans la matière, tout comme la cire reçoit l’empreinte de l’anneau sans le fer ou l’or. Mais cela semble être commun à tout patient. En effet, tout patient reçoit quelque chose d’un agent en tant qu’agent. Or, l’agent agit par sa forme et non par sa matière : donc, tout patient reçoit la forme sans la matière. Et cela se voit aussi du côté du sens : l’air, en effet, ne reçoit pas du feu sa matière mais sa forme. Il ne semble donc pas qu’il soit propre au sens de recevoir les espèces sans la matière.

552. Il faut donc dire que bien qu’il appartienne à tout patient de recevoir une forme d’un agent, cependant il y a une différence quant à la manière de recevoir. En effet, la forme, qui est reçue de l’agent dans le patient, possède parfois dans le patient le même mode d’existence qu’elle possède dans l’agent. Cela se produit lorsque le patient possède la même disposition à la forme que l’agent : en effet, tout ce qui est reçu dans un autre est reçu à la manière de celui qui reçoit. C’est pourquoi, si le patient est disposé à la forme de la même manière que l’agent y est disposé, la forme sera reçue dans le patient de la même manière qu’elle était reçue dans l’agent, et dans ce cas la forme n’est pas reçue sans la matière. En effet, bien que ce ne soit pas cette même matière déterminée et numériquement une appartenant à l’agent qui est produite dans le patient, elle y devient cependant la même en quelque sorte, dans la mesure où le patient acquiert une disposition matérielle à la forme qui est semblable à celle qui était présente dans l’agent. Et c’est de cette manière que l’air pâtit sous l’action du feu, comme tout ce qui est affecté par une passion naturelle.

553. Mais parfois la forme est reçue dans le patient selon un autre mode d’existence que celui qu’elle possédait dans l’agent parce que la disposition matérielle à recevoir qui appartient au patient n’est pas semblable à la disposition matérielle qui est dans l’agent. Et c’est pourquoi, dans ce cas, la forme est reçue dans le patient sans la matière, dans la mesure où le patient se compare à l’agent sous le rapport de la forme et non sous celui de la matière. Et c’est de cette manière que le sens reçoit la forme sans la matière, car le mode d’existence dans le sens est autre que le mode d’existence de la forme dans la chose sensible elle-même : dans la chose sensible, la forme possède une existence naturelle, alors que dans le sens, la même forme possède une existence intentionnelle ou spirituelle.

554. Et c’est avec raison qu’Aristote présente l’exemple de l’empreinte et de la cire. En effet, la disposition à la forme présente dans la cire n’est pas la même que la disposition à la forme qu’on retrouve dans le fer ou l’or. Et c’est pourquoi il ajoute que la cire reçoit l’empreinte, l’image ou la figure de l’anneau de fer ou d’or, mais non en tant qu’il est en fer ou en or. La cire, en effet, est rendue semblable à l’anneau d’or quant à la figure mais non quant à la disposition de l’or. C’est de la même manière que le sens subit l’action de la chose sensible possédant une couleur ou une humeur, une saveur ou un son, mais « non en tant que chacun de ces objets est dit être une chose particulière », c’est-à-dire qu’il n’est pas affecté par une pierre colorée en tant qu’elle est pierre, ni par un miel doux en tant qu’il est miel : en effet, la disposition à la forme qu’on retrouve dans le sens n’est pas semblable à celle qu’on retrouve dans ces sujets, mais il est affecté par eux en tant qu’ils possèdent telle qualité, c’est-à-dire en tant qu’ils sont colorés, ou savoureux, ou selon la raison, c’est-à-dire selon la forme. Le sens est donc assimilé à la chose sensible selon sa forme et non selon la disposition de sa matière.

555. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, l’organe sensitif premier etc. », il détermine de l’organe du sens. En effet, parce qu’il avait dit que le sens reçoit les espèces sans la matière, ce qui convient aussi à l’intelligence, on pourrait croire que le sens ne serait pas, comme l’intellect, une puissance existant dans un corps. Et c’est pourquoi, afin d’écarter cette supposition, il assigne au sens un organe : et il dit que le premier organe sensitif, c’est-à-dire le premier organe du sens est celui dans lequel réside une puissance de la sorte, c’est-à-dire une puissance capable de recevoir les espèces sans la matière. L’organe du sens, par exemple l’œil, est identique par le sujet à la puissance de la vue, mais son essence est autre que celle de la puissance, car la puissance diffère par la raison du corps ou de l’organe auquel elle est unie. La puissance est en effet comme la forme de l’organe, comme nous l’avons enseigné plus haut (nn. 230-231). Et c’est pourquoi le Philosophe ajoute que « l’étendue », c’est-à-dire l’organe corporel, est « le sujet du sens », c’est-à-dire ce qui reçoit le sens, comme la matière reçoit la forme. Or, la quiddité de l’étendue n’est pas la même que celle de la puissance sensitive ou du sens, mais le sens est un certain rapport, c’est-à-dire une proportion, une forme et une puissance de celle-ci, c’est-à-dire de l’étendue.

556. Ensuite, lorsqu’il dit : « On voit manifestement, à partir de là, pourquoi etc. », il tire, de ce qui vient d’être dit, une réponse à deux questions qui pourraient être soulevées : et il dit qu’il est manifeste, à partir de ce qui a été dit, pour quelle raison les excès des qualités sensibles corrompent les organes des sens. Il faut en effet qu’il y ait, dans les organes de la sensation, afin qu’ils puissent percevoir, « un certain rapport », c’est-à-dire une certaine proportion, ainsi que nous venons de le dire (n. 555). Donc, si le mouvement sensible est plus fort que ce que l’organe est naturellement capable de subir, la proportion est dissoute et le sens est détruit, lequel consiste en une certaine proportion de l’organe, comme nous l’avons dit (n. 555). Le phénomène est analogue lorsque quelqu’un frappe trop fortement les cordes d’un instrument de musique et qu’il s’ensuit la destruction de l’harmonie et le ton de l’instrument, lesquels consistent en une certaine proportion.

557. Il est aussi manifeste que c’est la même raison qui se trouve à répondre à une autre question, c’est-à-dire pourquoi les plantes ne sont pas capables de sensation puisqu’elles possèdent néanmoins une des parties de l’âme et qu’elles pâtissent en quelque sorte sous l’action de ces qualités sensibles que sont les qualités tangibles. Il est manifeste en effet qu’elles peuvent devenir froides ou chaudes. Donc, la cause pour laquelle elles ne sont pas capables de sensation, c’est qu’il n’y a pas en elles cette proportion qui est requise à la sensation. En effet, on ne retrouve pas en leur complexion ce milieu ou cette médiété entre les qualités tangibles qu’on doit nécessairement retrouver dans l’organe du toucher et sans lequel aucune sensation n’est possible. Et c’est pourquoi les plantes ne possèdent pas en elles ce principe, à savoir le sens, capable de recevoir les espèces « sans leur matière ». Au contraire, elles sont capables de pâtir en recevant aussi la matière, c’est-à-dire de pâtir selon une modification matérielle.

558. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais on se demandera etc. », il soulève une certaine difficulté relative à la passion provoquée par les qualités sensibles. En effet, parce qu’il avait dit (n. 557) que les plantes subissent l’action de certaines qualités sensibles, il se demande en premier lieu si ce qui ne possède pas de sens peut subir une certaine passion sous l’action de d’autres qualités sensibles, par exemple si ce qui ne possède pas l’odorat peut subir une certaine passion sous l’action d’une odeur, si ce qui ne possède pas la vue peut pâtir sous l’action d’une couleur, si ce qui ne possède pas l’ouïe peut pâtir sous l’action d’une son.

559. Et en deuxième lieu, lorsqu’il dit : « Mais si etc. », il présente deux raisons pour répondre à cette question par la négative, dont voici la première. Car le propre de l’odeur, c’est de produire l’olfaction : or, l’odeur est l’objet de l’odorat ; donc, si quelque chose produit l’olfaction, il le fait par l’odeur. Ou bien, pour le dire autrement, c’est l’odeur qui produit l’olfaction. Donc, l’opération propre de l’odeur en tant qu’odeur, c’est de produire l’olfaction. Il en résulte que ce qui reçoit l’action de l’odeur en tant qu’odeur doit posséder le sens de l’odorat et par conséquent que ce qui ne possède pas le sens de l’odorat ne peut pâtir sous l’action d’une odeur. Et la même raison semble devoir s’appliquer aux autres sens : il n’est pas possible à des êtres de subir une passion sous l’action de qualités sensibles sans posséder les sens qui correspondent à ces qualités.

560. Il présente la deuxième raison lorsqu’il dit : « Mais en même temps etc. », en disant que ce qui est conclu par le premier raisonnement devient aussi évident par l’expérience : car ni la lumière, ni l’obscurité, ni l’odeur, ni le son ne produisent aucun effet sur les corps, sauf peut-être par accident, dans la mesure où les corps qui sont les sujets de ces qualités posent une opération : par exemple l’air qui, lorsqu’il est accompagné du tonnerre, fend le bois. Dans ce cas, le bois ne subit pas une passion sous l’action du son à proprement parler, mais plutôt sous l’action du mouvement de l’air.

561. En troisième lieu, là où il dit : « Mais pourtant, les qualités tangibles etc. », il montre qu’il en va autrement des qualités tangibles et il dit que « les qualités tangibles et les humeurs », c’est-à-dire les saveurs, produisent un certain effet sur les corps en tant que corps. Mais cela doit s’entendre des saveurs non pas en tant que saveurs, mais en tant que le sapide est un certain tangible et que le goûter est un certain toucher. Si en effet les corps insensibles ne subissaient pas une passion sous l’action des qualités tangibles, il n’y aurait plus à chercher sous l’action de quoi ils subissent une passion et sont altérés. En effet, les tangibles sont les qualités actives et passives des éléments d’où procède l’altération dans tous les corps.

562. En quatrième lieu, lorsqu’il dit : « Donc, dirons-nous que etc. », il montre aussi que d’autres qualités sensibles agissent sur certaines choses inanimées, mais pas sur toutes, en disant « Dirons-nous donc que celles-là etc. », c’est-à-dire : les autres qualités sensibles,  produisent-elles aussi un effet et l’olfaction sur les choses inanimées ? C’est comme s’il disait qu’il en est ainsi. Cependant, ce n’est pas tout corps qui peut subir une passion sous l’action d’une odeur ou d’un son, comme tout corps peut subir une passion sous l’action de la chaleur et du froid. Mais en ce qui concerne les qualités sensibles dont nous venons de parler, seuls des corps indéterminés et qui n’ont pas de consistance, comme l’air et l’eau qui sont humides et ne sont pas bien délimités par des termes qui leur seraient propres, peuvent subir une passion sous leur action. Et que l’air puisse être affecté ou subir une passion sous l’action d’une odeur, cela est manifeste car l’air sent mauvais comme quelque chose qui a été affecté par une odeur. Une autre version dit : « porterait », car c’est au moyen des autres qualités sensibles que les espèces sont portées aux sens. La raison de cette diversité, c’est que les qualités tangibles sont les causes des autres qualités sensibles, et c’est pourquoi elles possèdent plus de puissance active et peuvent agir sur tous les corps. Mais les autres qualités sensibles, possédant moins de puissance active, ne peuvent agir que sur les corps fortement passibles. Et la même raison s’applique à la lumière des corps célestes qui altèrent les corps inférieurs.

563. En cinquième lieu, lorsqu’il dit : « Qu’est-ce donc que l’odeur etc. », il résout le raisonnement présenté plus haut en disant que si quelque chose subit une passion sous l’action d’une odeur sans la sentir, qu’est-ce que sentir une odeur, si ce n’est être affecté par une odeur. Et il répond que percevoir une odeur, c’est être affecté par une odeur de manière à la sentir. Or, ce n’est pas de cette manière que l’air est affecté ou subit une passion de la part d’une odeur, c’est-à-dire de manière à la sentir, car l’air ne possède pas la puissance sensitive ; au contraire, l’air subit une passion sous l’action d’une odeur de manière à devenir sensible ou perceptible, c’est-à-dire en tant qu’il devient un intermédiaire pour le sens.

 

 

LIBER 3

LIVRE TROISIÈME

 

 

LECTIO 1

[80847] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 1Hic incipit liber tertius apud Graecos. Et satis rationabiliter. Ex hinc enim Aristoteles ad inquirendum de intellectu accedit. Fuerunt enim aliqui, qui posuerunt sensum et intellectum esse idem. Manifestum est autem, quod intellectus non est aliquid de sensibus exterioribus, de quibus iam dictum est, ex eo quod non coarctatur ad unum genus sensibilium cognoscendum: unde restat inquisitio, utrum in parte sensitiva sit aliqua alia potentia cognoscitiva, ut ex hoc possit accipi, utrum intellectus sit aliquo modo sensus.

[80848] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 2Dividitur ergo pars ista in partes tres. In prima inquirit, an sit aliquis alius sensus, praeter quinque sensus exteriores, de quibus iam dictum est. In secunda ostendit, quod intellectus et sensus nullo modo sunt idem, ibi, quoniam autem duabus. In tertia ostenso, quod intellectus non sit sensus, determinat de parte animae intellectiva, ibi, de parte autem animae. Prima dividitur in duas partes. In prima ostendit, quod non est alius sensus proprius praeter quinque iam dictos. In secunda ostendit praeter sensus proprios, esse sensum communem, ibi, quoniam autem sentimus. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod non sit alius sensus, praeter quinque. Secundo ostendit, quare sunt plures, et non unus tantum, ibi, inquirit autem. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod non sit alius sensus praeter quinque, qui sit cognoscitivus sensibilium propriorum. Secundo ostendit, quod non est alius sensus praeter quinque, cuius obiectum sunt sensibilia communia, ibi, at vero neque.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80849] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 3Circa primum utitur tali ratione. Quicumque habet aliquod organum sensus, per quod nata sunt cognosci aliqua sensibilia, cognoscit omnia illa sensibilia per organum illud: sed animalia perfecta habent omnia organa sensus: ergo cognoscunt omnia sensibilia. Cum igitur non habeant nisi quinque sensus, non erit alius respectu propriorum sensibilium, praeter quinque sensus.

 

 

 

 

[80850] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 4Circa hanc rationem hoc modo procedit. Primo proponit quod intendit; dicens, quod ex his quae sequuntur, potest aliquis sufficienter ad credendum moveri, quod non sit sensus praeter quinque iam dictos.

 

[80851] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 5Secundo ibi si enim ostendit primam propositionem rationis inductae; scilicet hanc, quod animal habens aliquod organum sensus, cognoscit omnia sensibilia, quae possunt sentiri per illud organum. Et hoc quidem manifestat ex sensu tactus, eo quod manifestum est quod sunt qualitates tangibiles. Dictum enim est supra, quod qualitates tangibiles sunt differentiae corporis elementati, inquantum huiusmodi; quae quidem manifestae sunt ex his quae determinata sunt ex elementis; unde manifestum nobis potest esse, quod nos sentimus omnes qualitates tangibiles.

 

 

[80852] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 6Et ex hoc concludit per simile in aliis, quod si habemus aliquod organum, quod habemus sensum illorum sensibilium, quae nata sunt cognosci per illud organum. Hoc est ergo quod dicit: quod si nos habemus sensum omnis sensibilis, cuius tactus est perceptivus quod ex hoc apparet quod omnes passiones tangibiles, inquantum huiusmodi, a nobis sentiuntur; necesse est universaliter dicere, quod si deficit nobis aliquis sensus aliquorum sensibilium, quod deficiat nobis aliquod organum, quo nata sunt cognosci illa sensibilia: quia si habemus organum, cognoscimus sensibilia. Et hoc quod universaliter dictum est, manifestat exemplificando per singula.

 

 

 

[80853] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 7Et primo quantum ad ea quae cognoscuntur absque medio extraneo. Et hoc est quod dicit, quod quaecumque nos sentimus tangentes, idest absque medio extraneo, possunt sentiri per organum tactus, sub quo intelligitur gustus, quem habemus. Sed circa illa sensibilia, quae sentimus per media extranea, quae sunt simplicia corpora, scilicet aer et aqua, et non sentimus ea tangendo, illa sic se habent ut dicam: videlicet, quod si per unum organum plura sensibilia diversa genere adinvicem sentiri possunt, necesse est quod qui habet huiusmodi organum, sentiat utrumque genus. Puta, quod si aliquod organum est ex aere, et aer potest immutari a colore et sono, sequitur quod qui habet huiusmodi organum, potest et sonum et colorem percipere. Si vero e converso, plura organa sunt susceptiva eiusdem sensibilis, sicut aer et aqua, quorum utrumque est diaphanum, sunt perceptiva coloris, sequitur quod animal habens aliquod horum potest percipere quod est perceptibile per utrumque, sicut per media, aut ab ambobus sicut ab instrumentis. Quod ideo dicit, quia in sensibus, qui sentiunt per medium extraneum, organa sunt conformia mediis. Has autem conditiones ideo posuit, quia idem sensibile sentitur ab aliquo animali per aquam, et ab aliquo per aerem, sicut patet de odore.

 

 

 

 

 

 

[80854] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 8Tertio ibi simplicium autem ponit secundam propositionem cum sua manifestatione; scilicet quod omnia organa sentiendi habentur ab animalibus perfectis. Dicit ergo, quod organa sentiendi nata sunt constare ex solis duobus simplicium corporum, scilicet ex aere et aqua, quia ista sunt magis passibilia, et hoc requirit conditio organi sensus, ut facile immutetur a sensibili. In pupilla enim est aqua, quia per humorem aqueum in pupilla existentem, recipit oculus speciem visibilis. In organo autem auditus est aer, ut supra dictum est. Olfactus autem in quibusdam attribuitur aeri, in quibusdam aquae, ut supra dictum est: ignis autem secundum se nullius sensus organum est, quia ignis est maxime activus et minime passivus. Sed secundum participationem suae qualitatis est communis omnibus sensibus. Nihil enim est sensitivum sine calore, sicut nec vivens, cum nihil sentiat nisi vivens.

 

 

 

 

 

 

 

[80855] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 9Terra vero pura, nullius sensus est organum, inquantum ipsum organum est sensitivum; sed per commistionem appropriatur tactui, quia organum tactus oportet esse mediae complexionatum, ut supra dictum est; et per consequens oportet, quod sit quasi compositum ex omnibus elementis. Unde relinquitur, quod nullum organum sensus est praeter aerem et aquam. Haec autem organa aeris et aquae, habent quaedam animalia, scilicet animalia perfecta. Unde concludit, quod omnia organa sensus habentur ab animalibus non imperfectis secundum suam naturam, sicut sunt imperfecta animalia immobilia, quae habent solum tactum.

 

 

 

[80856] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 10Et animalibus non orbatis, idest non carentibus aliquo sensu, ex aliqua causa innaturali, sicut homines caeci vel surdi. Unde et talpa, quae est de genere perfectorum animalium, videtur habere oculos sub pelle, ut assimiletur suo generi. Sed propter hoc quod conversatur sub terra, non fuit ei necessarius visus, et terra, si haberet oculos discoopertos, eius oculos offenderet.

 

 

 

[80857] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 11Procedit autem haec ratio, ut manifeste apparet, ex determinato numero elementorum, ex quo probavit, quod organa sensuum, qui sunt per media exteriora, fiunt per aerem et aquam solum. Et iterum ex determinatione passionum elementorum, quae sunt qualitates tangibiles: unde per eas fit notum, quod omnes qualitates tangibiles cognoscimus. Et ideo concludit quod nullus sensus deficit nobis; nisi aliquis dicere velit quod sit aliquod corpus elementale, praeter quatuor elementa; et quod sunt aliae passiones, quae possunt tactu discerni, quae sunt aliquorum corporum hic existentium, et nobis notorum. Et hoc videtur inconveniens. Unde relinquitur, quod sint quinque sensus tantum, qui a nobis habentur.

 

 

 

 

[80858] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 12Deinde cum dicit at vero quia posset aliquis dicere, quod est aliquis alius sensus cognoscitivus sensibilium communium: excludit hoc tali ratione. Quicquid cognoscitur ab uno sensu, ut proprium sensibile eius, non cognoscitur ab aliis sensibus, nisi per accidens: sed sensibilia communia non sentiuntur per accidens ab aliquo sensuum, sed per se a pluribus: sensibilia igitur communia non sunt proprie obiecta alicuius sensus.

 

 

[80859] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 13Circa rationem hanc, hoc modo procedit. Primo ponit conclusionem; dicens, quod non potest esse aliquod proprium organum sensus, cognoscitivum communium sensibilium, quae sentimus unoquoque sensu per se, et non per accidens, quae sunt motus, et status, et cetera.

[80860] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 14Secundo ibi haec enim probat, quod ista sensibilia communia sentiantur per se, et non secundum accidens. Quaecumque enim sentiuntur per hoc quod immutant sensum, sentiuntur per se et non secundum accidens. Nam hoc est per se sentire, pati aliquid a sensibili. Sed omnia haec sensibilia, per immutationem quamdam sentiuntur. Et hoc est quod dicit, quod haec omnia sentimus motu, idest quadam immutatione. Manifestum est enim quod magnitudo immutat sensum, cum sit subiectum qualitatis sensibilis puta coloris aut saporis, et qualitates non agunt sine suis subiectis. Ex quo apparet, quod figuram etiam cognoscimus cum quadam immutatione, quia figura est aliquid magnitudinis, quia consistit in conterminatione magnitudinis. Est enim figura quae termino vel terminis continetur, ut dicitur in primo Euclidis.

 

 

 

 

 

[80861] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 15Manifestum est etiam, quod quies comprehenditur ex motu, sicut tenebra per lucem. Est enim quies privatio motus. Numerus etiam cognoscitur per negationem continui, quod est magnitudo. Numerus enim rerum sensibilium, ex divisione continui causatur; unde et proprietates numeri per proprietates continui cognoscuntur. Quia enim continuum divisibile est in infinitum, et numerus in infinitum crescere potest, ut patet ex tertio physicorum. Manifestum etiam quod unusquisque sensus per se cognoscit unum, ut immutatus ab uno obiecto. Unde manifestum est, quod ista sensibilia communia sentiuntur per se, et non per accidens. Unde ex hoc concluditur, quod impossibile est esse proprium sensum alicuius horum.

 

 

[80862] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 16Tertio ibi sic enim ostendit quod si sentirentur proprie ab aliquo sensu, quod essent sensibilia per accidens. Et hoc est quod dicit quod sic esset de sensibilibus communibus, si essent propria obiecta alicuius sensus, sicut nunc est, quod visu sentimus dulce. Hoc enim est, quia nos habemus sensum utriusque, scilicet albi et dulcis. Et ideo, quando coincidunt in unum, illud quod est unius sensus, per se cognoscitur ab illo sensu, per accidens autem ab alio. Ideo videndo album per se, videmus dulce per accidens.

 

 

 

 

 

[80863] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 17Si autem non sit sensibile proprie ab aliquo sensu, numquam hoc erit quod sentiatur per accidens ab aliquo alio sensu ex coincidentia duorum sensuum vel sensibilium in idem; sed omnino secundum accidens sensibile est, ut supra dictum est; sicut filium Cleonis secundum accidens sentimus, non quia filius Cleonis est, sed quia albus, cui accidit esse filium Cleonis. Hoc autem, scilicet esse filium Cleonis, non ita est sensibile visu per accidens, quod sit aliquo alio sensu sensibile per se, sicut erat de dulci, communium autem sensibilium habemus sensum communem non secundum accidens, id est communia sensibilia communiter sentiuntur a diversis sensibus per se, et non secundum accidens. Unde sequitur, quod non sit aliquis proprius sensus eorum; quia tunc non sentiremus ea per se aliis sensibus, sed sentiremus ea per accidens, sicut sentimus filium Cleonis.

 

 

 

 

 

 

 

[80864] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 18Sentiunt enim sensus propria sensibilia adinvicem secundum accidens, ut puta visus sensibile auditus, et e converso. Non enim visus cognoscit sensibile auditus, neque auditus sensibile visus, secundum quod ipsa sunt; quia visus nihil patitur ab audibili, nec auditus a visibili. Sed secundum quod fit unus sensus, id est una sensatio secundum actum, ut ita loquar, in eodem sensibili. Et dico eumdem sensum actu, ex eo quod simul fit actio utriusque sensus respectu eiusdem sensibilis; sicut cholera simul percipitur per gustum quod sit amara, et per visum quod sit rubicunda; et ideo statim ad aspectum rubicundi iudicamus aliquid esse amarum. Non est autem aliquis alius sensus cuius proprium sit cognoscere quod album et amarum sunt unum. Haec enim unitas non est nisi per accidens; et quod est per accidens tantum, non potest esse obiectum alicuius potentiae. Et ideo quia visus non percipit illud quod est gustus, nisi per accidens, frequenter in talibus decipitur sensus, et iudicamus quod si aliquid sit rubeum, quod sit cholera.

 

 

 

 

 

 

[80865] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 19Deinde cum dicit inquirit autem inquirit causam pluralitatis sensuum. Et hoc est quoddam consequens speciem totam et in talibus assignanda est causa finalis, ut philosophus docet in ultimo de generatione animalium. Secus autem de accidentibus individui, quorum assignanda est ratio ex parte materiae, vel agentis. Unde et hic assignat causam finalem. Dicit ergo, quod aliquis potest quaerere, cuius causa habemus plures sensus, et non unum tantum. Et est responsio ad hoc, ut nos non lateant ea quae consequuntur ad sensibilia propria, et sunt communia diversis sensibilibus, sicut motus et magnitudo et numerus. Si enim esset solus sensus visus; cum ipse coloris tantum sit, et color et magnitudo se consequantur, quia simul cum colore immutatur sensus a magnitudine; inter colorem non possemus discernere et magnitudinem, sed viderentur esse idem. Sed nunc quia magnitudo sentitur alio sensu quam visu, color autem non, hoc ipsum manifestat nobis quod aliud est color et magnitudo. Et simile est de aliis sensibilibus communibus.

 

 

 

 

 

 

[80866] Sentencia De anima, lib. 3 l. 1 n. 20Potest autem et haec ratio assignari distinctionis sensuum. Manifestum est enim quod cum potentia dicatur ad obiectum, oportet quod secundum differentiam obiectorum, diversificentur potentiae sensitivae. Obiectum autem sensibile est, prout est immutativum sensus: unde secundum diversa genera immutationum sensus a sensibili, oportet esse diversos sensus. Immutatur autem sensus a sensibili uno modo per contactum, et sic est sensus tactus, qui est discretivus eorum ex quibus constat animal, et sensus gustus, qui est perceptivus qualitatum quae designant convenientiam nutrimenti, quo conservatur corpus animalis. Alio modo immutatur sensus per medium. Et haec quidem immutatio, aut est cum alteratione sensibilis, et sic odor immutat sensum cum aliqua resolutione odorabilis. Aut cum aliquo motu locali, et sic immutat sonus. Aut absque immutatione sensibili, sed per solam immutationem spiritualem medii et organi, et sic immutat color.

Leçon 1

564. C’est ici que commence le troisième livre chez les Grecs. Et il est rationnel qu’il en soit ainsi, car c’est à partir d’ici qu’il commence sa recherche sur l’intelligence. En effet, certains philosophes avaient soutenu que l’intelligence et le sens sont identiques. Or, il est manifeste que l’intelligence ne fait pas partie des sens extérieurs, dont nous venons de parler (nn. 399-563), du fait qu’elle n’est pas limitée à la connaissance d’un seul genre de qualités sensibles : d’où il reste à savoir s’il existe une autre puissance cognitive dans la partie sensitive qui serait telle qu’on pourrait admettre que l’intelligence est en quelque sorte un sens.

565. Cette section se divise donc en trois parties. Dans la première il se demande s’il existe un autre sens, outre les cinq sens externes dont nous venons de parler. Dans la deuxième, il montre que l’intelligence et le sens ne sont absolument pas identiques, là où il dit : « Mais puisque c’est par deux différences etc. ». Dans la troisième, ayant montré que l’intelligence n’est pas le sens, il traite de la partie intellectuelle de l’âme, là où il dit : « Or, au sujet de la partie de l’âme par laquelle l’âme etc. ». Quant à la première partie, elle se divise elle-même en deux. Dans la première, il montre qu’il n’existe pas un autre sens propre en dehors des cinq dont nous avons parlé. Dans la deuxième, là où il dit : « Mais puisque nous percevons etc. », il montre qu’outre les sens propres dont nous avons parlé, il existe un sens commun. Et au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il montre qu’il n’existe pas un autre sens externe en dehors des cinq dont nous avons parlé. En deuxième lieu, il montre pourquoi il y en a plusieurs et non pas un seul, là où il dit : « Mais on pourrait se demander pour quelle fin etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il montre qu’il n’y a pas un autre sens, en dehors des cinq sens externes dont nous avons parlé, qui connaisse des sensibles propres. Deuxièmement il montre qu’il n’y a pas un autre sens, en dehors des cinq dont nous avons parlé, dont l’objet soit les sensibles communs, là où il dit : « Mais il n’est pas possible non plus etc. ».

566. Au sujet du premier point, il se sert du raisonnement suivant. Tous les êtres qui possèdent un organe sensitif par lequel ils sont naturellement aptes à connaître certaines qualités sensibles appartenant à une même espèce, c’est par cet organe qu’ils connaissent toutes ces qualités sensibles ; or, les animaux parfaits possèdent tous les organes des sens ; donc, ils connaissent toutes les qualités sensibles. En conséquence, puisqu’ils ne possèdent que cinq sens, il n’y aura pas à chercher un autre sens, en dehors des cinq sens dont nous avons parlé, se rapportant aux sensibles propres.

567. Et au sujet de ce raisonnement, il procède de la manière suivante. Premièrement, il commence par présenter son propos en disant qu’en s’appuyant sur ce qui suit, quelqu’un pourra suffisamment être porté à penser qu’il n’existe pas un autre sens externe en dehors des cinq sens dont nous avons parlé.

568. Deuxièmement, là où il dit : « Si en effet nous admettons etc. », il manifeste la première proposition du raisonnement qu’il présente, à savoir celle qui affirme que l’animal qui possède un organe sensitif connaît du même coup toutes les qualités sensibles qui peuvent être perçues par cet organe. Et il manifeste cela au moyen du sens du toucher du fait que les qualités tangibles nous sont manifestes. En effet, il a été dit plus haut que les qualités tangibles, en tant que telles, sont les différences des corps élémentaires, lesquelles sont certes manifestes à partir de ce qui a été déterminé à partir des éléments. C’est pourquoi il peut nous être manifeste que nous percevons toutes les qualités tangibles.

569. Et à partir de là il conclut au moyen d’un semblable pris dans les autres sens , que si nous possédons un organe, nous possédons aussi la sensation de ces qualités sensibles qui sont aptes à être connues naturellement par cet organe. Et c’est ce qu’il dit, à savoir que si nous possédons la sensation de toutes les qualités sensibles que le toucher peut percevoir, il est clair à partir de là que nous percevons toutes les qualités tangibles en tant que telles. Il est donc nécessaire de dire universellement que dans tous les cas où il nous manque la sensation de certaines qualités sensibles, il nous manque nécessairement l’organe par lequel ces qualités nous sont naturellement connues : car si nous possédons l’organe, nous connaissons les qualités sensibles correspondantes. Et ce qu’il vient de dire dans l’universel, il le manifeste en l’illustrant par des cas particuliers.

570. Et il l’illustre en premier lieu dans ce qui nous est connu sans milieu intermédiaire externe. Et c’est ce qu’il dit, à savoir que tout ce que nous percevons « par un contact », c’est-à-dire sans recourir à un milieu externe, peut être senti par l’organe du sens du toucher, dans lequel nous comprenons le goûter, que nous possédons. Mais quant à ces qualités sensibles que nous percevons par des milieux externes et qui sont des corps simples comme l’air et l’eau, et que nous ne percevons pas par un contact direct, les choses se passent comme je le dirai : c’est-à-dire que si plusieurs qualités sensibles de genres différents pouvaient être perçues au moyen d’un seul organe, il est clair que celui qui posséderait un tel organe percevrait les deux genres de qualités sensibles. Par exemple, si un organe est constitué à partir de l’air, et que l’air peut être affecté à la fois par la couleur et le son, il s’ensuit que celui qui posséderait un tel organe pourrait percevoir à la fois la couleur et le son. Au contraire, si c’est plusieurs milieux, comme l’air et l’eau, qui peuvent recevoir une même qualité sensible comme la couleur, du fait qu’ils sont diaphanes, il s’ensuit que l’animal possédant un organe constitué d’un seul de ces milieux pourra percevoir ce qui est pourtant perceptible « par les deux milieux », comme par deux instruments. Et il dit cela parce que pour ce qui est des sens qui perçoivent au moyen d’un milieu extérieur, les organes sont conformes à ces milieux. Et il présente ces conditions parce qu’une même qualité sensible est perçue par un animal au moyen de l’eau, et par un autre au moyen de l’air, comme on le voit au sujet de l’odeur.

571. Troisièmement, lorsqu’il dit : « Or, parmi les corps simples etc. », il présente la deuxième proposition du raisonnement, à savoir que les animaux parfaits possèdent tous les organes de la sensation, proposition qu’il accompagne de sa manifestation. Il dit donc que les organes de la sensation sont naturellement constitués des deux seuls corps simples que sont l’air et l’eau, car ces corps simples sont davantage passibles, et la condition de l’organe du sens exige qu’il en soit ainsi de ces milieux pour que le sens soit plus facilement affecté par la qualité sensible. Par exemple, il y a de l’eau dans la pupille pour que l’œil, au moyen de l’humeur aqueuse qui existe dans la pupille, puisse recevoir l’espèce du visible. De même, dans l’organe de l’ouïe, il y a de l’air, comme nous l’avons dit plus haut (n. 453). Chez certains animaux l’odorat est attribué à l’air, chez d’autres à l’eau, comme nous l’avons dit plus haut (nn. 491-500). Quant au feu, pris en lui-même, il n’entre dans la constitution d’aucun des organes des sens, car il est extrêmement actif et très peu passible ; mais le feu, pris dans ce qui participe de sa qualité, la chaleur, est commun à tous les sens. En effet, sans chaleur, rien ne peut sentir, tout comme rien ne peut vivre, car rien ne peut sentir s’il n’est vivant.

572. Quant à la terre, prise sans aucun mélange, elle n’entre dans la constitution d’aucun organe sensitif en tant que tel, mais une fois mélangée d’une manière appropriée, elle entre dans la constitution du toucher car, comme nous l’avons dit précédemment (nn. 546-547), l’organe du toucher doit posséder une complexion intermédiaire ; par conséquent, il faut qu’il soit comme composé de tous les éléments. Il en résulte qu’il n’existe aucun organe sensitif en dehors de ceux qui sont constitués d’air et d’eau. Or ces organes, certains animaux les possèdent, à savoir les animaux parfaits. Il conclut à partir de là que tous les organes des sens sont possédés par les animaux qui ne sont pas imparfaits de par leur nature, comme le sont les animaux immobiles imparfaits qui ne possèdent que le toucher.

573. En outre, tous les organes des sens sont possédés par les animaux qui ne sont pas imparfaits en ce sens qu’ils « ne sont pas mutilés », c’est-à-dire qui ne sont pas privés d’un sens par une cause non naturelle, comme les hommes qui sont aveugles ou sourds. C’est pourquoi la taupe, qui entre dans le genre des animaux parfaits, pour être assimilée à son genre, semble posséder des yeux sous la peau. Mais parce qu’elle passe sa vie sous terre, la vue ne lui était pas nécessaire et la terre, si elle avait eu des yeux à découvert, aurait blessé ses yeux.

574. Mais ce raisonnement procède, comme nous le voyons manifestement, d’un nombre déterminé d’éléments à partir desquels il a prouvé que les organes des sens, qui opèrent au moyen de milieux extérieurs, sont constitués exclusivement d’air et d’eau. Et ce raisonnement procède en outre de la détermination des propriétés des éléments, qui sont les qualités tangibles : c’est au moyen de ces propriétés que nous en venons à connaître que nous connaissons toutes les qualités tangibles. Et c’est pourquoi Aristote conclut qu’il ne nous manque aucun sens, à moins qu’on ne veuille dire qu’il existe un corps élémentaire en dehors des quatre éléments et qu’il existe d’autres qualités qui peuvent être discernées par le toucher et qui appartiennent à certains corps qui existent ici et qui sont connus de nous. Mais cela semble absurde. Il résulte donc de tout ceci que nous ne possédons que cinq sens.

575. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais il n’est pas possible etc. », parce que quelqu’un pourrait dire qu’il existe un autre sens, capable de connaître les sensibles communs, il écarte cette affirmation par le raisonnement qui suit. Tout ce qui est connu par un seul sens comme étant son sensible propre, n’est pas connu par les autres sens, si ce n’est par accident. Or, les sensibles communs ne sont connus par accident par aucun des sens, mais ils sont connus essentiellement par plusieurs sens. Donc, les sensibles communs ne sont les objets propres d’aucun sens en particulier.

576. Et pour ce raisonnement, il procède de la manière suivante. Premièrement, il présente la conclusion, en disant qu’il ne peut exister un organe des sens spécial qui connaît en propre les sensibles communs, comme le mouvement et le repos etc., que chacun des sens connaît par soi et non par accident.

577. Deuxièmement, là où il dit : « En effet, toutes ces qualités etc. », il prouve que ces qualités sensibles communes sont perçues par soi et non par accident. En effet, chacune d’elles étant perçue en tant qu’elle modifie ou affecte le sens, elle est perçue par soi et non par accident. Car sentir, à proprement parler, c’est subir une modification sous l’action d’une qualité sensible. Or, toutes ces qualités sensibles sont perçues au moyen d’une certaine modification du sens. Et c’est justement ce qu’Aristote dit, à savoir que nous percevons tous ces sensibles communs par un « mouvement », c’est-à-dire par une modification. Il est manifeste en effet que la grandeur modifie le sens, puisqu’elle est le sujet de la qualité sensible, par exemple de la couleur ou de la saveur, et qu’il est clair que ces dernières qualités ne peuvent agir sur le sens sans leurs sujets. Nous voyons à partir de là que la connaissance de la figure s’accompagne elle aussi d’une modification, puisque la figure consiste en une certaine délimitation de la grandeur. Comme on le voit dans le premier livre d’Euclide, la figure est ce qui est contenu dans un ou des termes.

578. Il est aussi manifeste que le repos se comprend lui aussi par le mouvement, tout comme l’obscurité se comprend pas la lumière. Le repos en effet est la privation du mouvement. Le nombre lui aussi est connu par la négation du continu qui est la grandeur. En effet, le nombre des choses sensibles est causé par la division du continu, et c’est pourquoi les propriétés du nombre sont connues par les propriétés du continu. En effet, c’est parce que le continu est divisible à l’infini que le nombre peut croître à l’infini, comme le montre le Philosophe [Physique, L. 3, ch. 5]. Il est aussi manifeste que chacun des sens, étant modifié par son objet, connaît l’un par soi. Il en résulte qu’il est manifeste que ces sensibles communs sont perçus par soi et non par accident. C’est pourquoi il conclut à partir de là qu’il est impossible qu’il existe un sens spécial pour l’un quelconque de ces sensibles communs.

579. Troisièmement, là où il dit : « Il en serait en effet ainsi pour eux comme il en est etc. », il montre que si les sensibles communs étaient perçus par un sens spécial, ils seraient des sensibles par accident. Et c’est bien ce que le Philosophe dit, à savoir que si les sensibles communs étaient les objets propres d’un sens spécial, il en serait alors pour eux comme il en est maintenant lorsque nous percevons le doux par la vue. Il en est ainsi en effet parce que nous possédons un sens distinct pour chacune de ces deux qualités, à savoir le blanc et le doux. Et c’est pourquoi, lorsque ces deux qualités se rencontrent dans un même sujet, ce qui relève d’un de ces sens est connu par soi par ce sens et par accident par l’autre sens. D’où il suit qu’en voyant le blanc par soi, nous voyons le doux par accident.

580. Mais si un sensible n’est pas connu proprement par l’un quelconque des sens, il ne sera jamais perçu par accident par l’un quelconque des autres sens du fait de la rencontre simultanée des deux sens ou des deux sensibles dans un même sujet. Or, il y a pleinement sensible par accident, nous l’avons dit précédemment (n. 395), comme lorsque nous percevons le fils de Cléon par accident, non pas parce qu’il est fils de Cléon, mais parce qu’il est blanc, car c’est par accident qu’il arrive au blanc d’être le fils de Cléon. Mais pour la vue, percevoir le fils de Cléon n’est pas un sensible par accident de telle manière que ce sensible par accident serait connu par soi par un autre sens, comme le doux, sensible par accident par rapport à la vue, est connu par soi par le goûter. « Mais en réalité, nous avons une sensation commune des sensibles communs qui n’est pas une sensation par accident », c’est-à-dire que les sensibles communs sont connus par une sensation commune de différents sens, par soi et non par accident. Il suit de là qu’il n’existe pas un sens spécial pour les sensibles communs car alors ils ne seraient plus perçus par soi par les autres sens, mais seulement par accident, c’est-à-dire de la même manière que nous avons dit connaître le fils de Cléon par la vue.

581. C’est par accident en effet que les sens connaissent les sensibles propres des autres sens, par exemple que la vue connaît le sensible propre de l’ouïe, le son, et inversement. En effet, prise en elle-même et séparément, la vue ne connaît pas le sensible de l’ouïe, ni l’ouïe celui de la vue, car la vue n’est affectée en rien par l’audible, ni l’ouïe par le visible, « mais seulement en tant qu’ils deviennent en quelque sorte un seul sens » c’est-à-dire en tant qu’il se produit une seule et même sensation en acte, pour ainsi dire, à l’égard d’un même objet sensible. Et je dis une seule et même sensation en acte du fait que les opérations de l’un et de l’autre sens se produisent simultanément par rapport à un même objet sensible. Ainsi, c’est simultanément que le goûter perçois au sujet de la bile qu’elle est amère, et la vue qu’elle est rouge. Et c’est pourquoi, voyant qu’elle est rouge, nous jugeons aussitôt qu’elle est amère. Mais il n’existe aucun autre sens auquel il appartient proprement de juger que le rouge et l’amer ne font qu’une seule chose. Cette unité en effet n’est qu’accidentelle, et ce qui est accidentel seulement ne peut être l’objet d’une puissance. Et parce que la vue, prise en elle-même, ne perçoit que par accident l’objet propre du goûter, c’est pourquoi le sens commun se trompe fréquemment dans ces cas, et que nous jugeons par exemple que si quelque chose est rouge, c’est de la bile.

582. Ensuite, lorsque que le Philosophe dit : « Mais on pourrait se demander etc. », il cherche la cause de la pluralité des sens et cela est une certaine conséquence de toute l’espèce, et c’est la cause finale qui doit être assignée pour la totalité des sens, comme le Philosophe [De la Génération des Animaux, L. 5, ch. 1] l’enseigne. Mais il en va autrement pour les accidents de l’individu dont la cause doit être attribuée à partir de la matière ou de l’agent. C’est pourquoi il désigne ici la cause finale. Il dit donc qu’on pourrait se demander pour quelle raison nous possédons plusieurs sens et pas seulement un. Et il répond à cette question en disant que c’est afin que nous ne demeurions pas dans l’ignorance de ce qui est consécutif aux sensibles propres et des sensibles communs comme le mouvement, la grandeur et le nombre. En effet, si nous ne possédions que le sens de la vue, puisque ce sens n’a pour objet propre que la couleur, et que la grandeur et la couleur sont consécutifs ou se suivent parce que le sens est affecté simultanément par la couleur et la grandeur, nous ne pourrions distinguer la couleur de la grandeur, lesquelles sembleraient être identiques. Mais parce que nous percevons maintenant la grandeur par un autre sens que la vue et qu’il n’en va pas de même pour la couleur, cela nous montre bien que la couleur est un sensible distinct de la grandeur. Et il en va de même pour les autres sensibles communs.

583. On pourrait aussi assigner cette cause de la distinction des sens. Il est manifeste en effet que puisqu’une puissance se dit par rapport à un objet, il faut que la distinction des puissances sensitives se détermine d’après la distinction de leurs objets. Or, un objet est sensible dans la mesure où il affecte ou modifie le sens : c’est pourquoi il faut qu’il existe divers sens pour percevoir les différents genres de modifications que les sens subissent de la part des différents sensibles. Or, les sens subissent des modifications de la part des sensibles à la manière d’un contact, et c’est de cette manière que se présente le toucher, qui discerne les qualités sensibles dont l’animal est constitué, et le sens du goûter, qui discerne les qualités qui font connaître la convenance de l’aliment par lequel se conserve le corps de l’animal. Mais le sens est affecté ou modifié d’une autre manière, c’est-à-dire par un milieu intermédiaire. Et cette modification existe soit en étant accompagnée d’une altération du sensible lui-même, et c’est de cette manière que l’odeur modifie le sens avec une certaine dissolution de l’odeur ; soit en étant accompagnée d’un mouvement local, et c’est de cette manière que le son affecte l’ouïe ; soit sans aucune modification sensible, mais seulement par une modification spirituelle du milieu et de l’organe, et c’est de cette manière que la couleur affecte la vue.

 

 

LECTIO 2

[80867] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 1Postquam philosophus ostendit quod non sit alius sensus proprius, praeter quinque, procedit ad inquirendum, utrum sit aliqua potentia sensitiva communis his quinque sensibus. Et hoc quidem investigat ex quibusdam actionibus, quae non videntur alicuius sensus propriae esse, sed videntur exigere aliam potentiam sensitivam communem. Huiusmodi autem actiones sunt duae. Una est secundum quod nos percipimus actiones propriorum sensuum, puta quod sentimus nos videre et audire. Alia est secundum quod discernimus inter sensibilia propria diversorum sensuum, puta quod aliud sit dulce, et aliud album. Primo ergo inquirit cui sit attribuenda prima harum actionum. Secundo, cui sit attribuenda secunda, ibi, uniuscuiusque quidem igitur. Circa primum tria facit. Primo movet quaestionem, dicens: quoniam sentimus quod videmus, et similiter sentimus quod audimus, et sic de unoquoque sensibilium; necessarium est aut per visum sentire quod ipse visus videt, aut per aliam virtutem; et sic de aliis sensibus.

 

 

 

 

 

 

 

[80868] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 2Secundo obiicit ad utramque partem, ibi si autem et primo inducit, ad ostendendum quod visus videat se videre, duas rationes. Quarum prima talis est. Si homo sentit se videre altero sensu quam visu; aut hoc erit quia illo alio sensu homo videt colorem; aut omnino alio sensu videt colorem, et sentit visionem coloris. Si vero eodem sensu quo sentit colorem et sentit visionem coloris; sequitur, quod unus et idem erit sensus secundum actum apprehensivus ipsius visionis et subiecti coloris. Quare sequitur alterum duorum: quia, si iste sensus, qui sentit visionem et colorem, sit alius sensus a visu, oportebit quod duo sensus sint unius subiecti, scilicet coloris. Aut si iste sensus, quo sentimus visionem et colorem, est idem cum sensu visus, sequitur quod sit idem eiusdem, id est quod visus sit sensus suiipsius, quod a principio negabatur. Dicere vero, quod ille alter sensus, quo quis sentit se videre, non sentiat colorem, est omnino irrationabile: quia si non cognosceret colorem, non posset cognoscere quid esset videre, cum videre nihil aliud sit, quam sentire colorem.

 

 

 

 

 

[80869] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 3Secundam rationem ponit ibi amplius autem quae talis est. Si sensus, id est visionis, quo scilicet sentimus nos videre, sit alter a visu, iterum quaerendum est de illo sensu: utrum, scilicet ille sensus sentiat se sentire; et si non, oportebit quaerere tertium sensum, qui sentiat illum sentire. Aut igitur hoc procedit in infinitum, quod est impossibile, cum impossibile sit compleri actionem quae dependet ab actionibus infinitis, neque etiam unius rei possint esse potentiae infinitae: aut oportebit quod deveniatur ad aliquem sensum, qui sit iudex suiipsius, id est percipiat se sentire. Eadem ergo ratione poterat fieri in primo sensu, ut scilicet visus sentiret se videre. Non est ergo alius sensus, qui percipiat colorem, et qui percipit visionem coloris.

 

 

[80870] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 4Deinde cum dicit habet autem obiicit ad partem contrariam. Et quia primae rationes aliqualiter concludunt verum, haec ratio per modum dubitationis proponitur, unde et eam solvit. Est autem ratio talis. Si visu sentimus nos videre; sentire autem visu, nihil est aliud quam videre; ergo videmus nos videre. Sed nihil videtur nisi color tantum, aut habens colorem. Si igitur aliquis videt se quod sit videns, sequitur quod primum videns, quod secundo fuit visum, sit habens colorem; quod videtur inconveniens. Nam dictum est supra, quod visus, cum sit susceptivum coloris, est absque colore.

 

 

 

[80871] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 5Deinde cum dicit manifestum igitur solvit tertio propositam dubitationem duobus modis. Primo concludens ex praedictis, quod sentire visu multipliciter dicitur. Ostensum est enim supra, quod visu sentimus nos videre. Item ostensum est, quod visu non sentimus, nisi colorem. Sentire ergo visu dupliciter dicitur. Uno modo, secundum quod visu sentimus nos videre. Alio modo, cum visu videmus colorem. Et quod visu sentire dicatur multipliciter; apparet ex hoc, quod aliquando dicimur sentire visu, cum visus praesentialiter immutatur a visibili, scilicet colore. Aliquando autem discernimus visu et tenebras et lumen etiam cum non videmus, per immutationem scilicet ab exteriori sensibili. Sed non similiter dicitur utroque modo, visu sentire. Redit ergo solutio ad hoc, quod actio visus potest considerari, vel secundum quod consistit in immutatione organi a sensibili exteriori, et sic non sentitur nisi color. Unde ista actione, visus non videt se videre. Alia est actio visus secundum quam, post immutationem organi, iudicat de ipsa perceptione organi a sensibili, etiam abeunte sensibili: et sic visus non videt solum colorem, vel sentit, sed sentit etiam visionem coloris.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80872] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 6Deinde cum dicit amplius autem ponit aliam solutionem: quae quidem necessaria est, eo quod color habet duplex esse: unum naturale in re sensibili, aliud spirituale in sensu. Secundum ergo primum esse coloris, processit prima solutio. Haec autem secunda procedit quantum ad secundum esse coloris. Circa hanc solutionem tria facit. Primo ponit solutionem. Secundo probat quoddam, quod in solutione supposuerat, ibi, si igitur est motus. Tertio ex hac solutione ostendit etiam quarumdam aliarum quaestionum solutionem, ibi, quoniam autem unus.

 

 

 

 

 

[80873] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 7Dicit ergo primo, quod cum soluta sit prima dubitatio, sustinendo quod videns non sit coloratum, amplius potest solvi dicendo quod videns est tamquam coloratum, quia in vidente est similitudo coloris, unde videns est simile colorato. Unde illa potentia, quae videt aliquem esse videntem, non est extra genus potentiae visivae. Et quod videns sit quodammodo coloratum, probat per ea quae supra dicta sunt, quia unumquodque organum sensus est susceptivum speciei sensibilis sine materia, ut dictum est. Et ista est ratio, quare abeuntibus sensibilibus, fiunt in nobis sensationes et phantasiae, id est apparitiones, secundum quas aliquo modo sentiunt animalia. Et sic patet quod videns est tamquam coloratum, inquantum habet similitudinem coloris. Et non solum videns est tamquam coloratum, et simile colorato; sed etiam actus cuiuslibet sensus, est unus et idem subiecto cum actu sensibilis, sed ratione non est unus.

 

 

 

 

 

 

[80874] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 8Et dico actum sensus, sicut auditum secundum actum; et actum sensibilis, sicut sonum secundum actum. Non enim semper sunt in actu: quia contingit habentia auditum non audire, et habens sonum non semper sonare. Sed cum potens audire habet suam operationem, et potens sonare habet sonare, tunc simul fit sonus secundum actum qui vocatur sonatio, et auditus secundum actum, qui vocatur auditio. Cum igitur visus percipiat sensibile et actum eius, et videns sit simile sensibili, et actus videntis sit idem subiecto cum actu sensibilis, licet non ratione, relinquitur quod eiusdem virtutis est, videre colorem et immutationem quae est a colore, et visum in actu et visionem eius. Potentia ergo illa, qua videmus nos videre, non est extranea a potentia visiva, sed differt ratione ab ipsa.

 

 

 

 

[80875] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 9Deinde cum dicit si igitur probat quod supposuerat; scilicet quod unus et idem sit actus sensibilis et sentientis, sed ratione differant, ex his quae sunt ostensa in tertio physicorum. Ibi enim ostensum est, quod tam motus quam actio vel passio sunt in eo quod agitur, id est in mobili et patiente. Manifestum est autem, quod auditus patitur a sono; unde necesse est, quod tam sonus secundum actum, qui dicitur sonatio, quam auditus secundum actum, qui dicitur auditio, sit in eo quod est secundum potentiam, scilicet in organo auditus. Et hoc ideo, quia actus activi et motivi fit in patiente, et non in agente et movente. Et ista est ratio, quare non est necessarium, quod omne movens moveatur. In quocumque enim est motus, illud movetur. Unde, si motus et actio, quae est quidam motus, esset in movente, sequeretur, quod movens moveretur. Et sicut dictum est in tertio physicorum, quod actio et passio sunt unus actus subiecto, sed differunt ratione, prout actio signatur ut ab agente, passio autem ut in patiente, ita supra dixit, quod idem est actu sensibilis et sentientis subiecto, sed non ratione. Actus igitur sonativi vel soni est sonatio, auditivi autem actus est auditio.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80876] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 10Dupliciter enim dicitur auditus et sonus: scilicet secundum actum et secundum potentiam. Et quod de auditu et sono dictum est, eadem ratione se habet in aliis sensibus et sensibilibus. Sicut enim actio et passio est in patiente et non in agente, ut subiecto, sed solum ut in principio a quo, ita tam actus sensibilis quam actus sensitivi, est in sensitivo ut in subiecto. Sed in quibusdam sensibilibus et sensitivis, nominatus est uterque actus, et sensibilis ut sonatio, et sensitivi, ut auditio. In quibusdam autem unum tantum nominatum est, scilicet actus sensitivi. Visio enim dicitur actus visus, sed actus coloris non est nominatus. Et gustus, id est gustatio, est actus gustativi, sed actus saporis non est nominatus apud Graecos.

 

 

 

 

 

[80877] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 11Deinde cum dicit quoniam autem ex praemissa solutione procedit ad demonstrandum veritatem duarum quaestionum: quarum prima est utrum sensus et sensibilia simul corrumpantur et salventur. Ad huius ergo solutionem dicit, quod quia actus sensibilis et sensitivi est unus subiecto, sed differunt ratione, ut dictum est; necesse est quod auditus dictus secundum actum, et sonus dictus secundum actum, simul salventur et corrumpantur: et similiter est de sapore et gustu, et aliis sensibilibus et sensibus. Sed si dicantur secundum potentiam, non necesse est, quod simul corrumpantur et salventur.

 

 

 

 

[80878] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 12Ex hac autem ratione excludit opinionem antiquorum naturalium, ibi, sed priores. Dicens, quod priores naturales non bene dicebant in hoc, quia opinabantur nihil esse album, aut nigrum, nisi quando videtur; neque saporem esse, nisi quando gustatur; et similiter de aliis sensibilibus et sensibus. Et quia non credebant esse alia entia, nisi sensibilia, neque aliam virtutem cognoscitivam, nisi sensum, credebant quod totum esse et veritas rerum esset in apparere. Et ex hoc deducebantur ad credendum contradictoria simul esse vera, propter hoc quod diversi contradictoria opinantur.

 

 

[80879] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 13Dicebant autem quodammodo recte, et quodammodo non. Cum enim dupliciter dicatur sensus et sensibile; scilicet secundum potentiam et secundum actum; de sensu et sensibili secundum actum accidit quod ipsi dicebant, quod non est sensibile sine sensu. Non autem hoc verum est de sensu et sensibili secundum potentiam. Sed ipsi loquebantur simpliciter, id est sine distinctione, de his quae dicuntur multipliciter.

 

[80880] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 14Deinde cum dicit si autem demonstrat ex praemissis solutionem alterius quaestionis: quare scilicet quaedam sensibilia corrumpant sensum, et quaedam delectant: et dicit quod cumsymphonia, id est vox consonans et proportionata, sit vox quaedam, et vox quodammodo sit idem quod auditus, et symphonia sit quaedam proportio, necesse est quod auditus sit quaedam proportio. Et quia quaelibet proportio corrumpitur per superabundantiam, ideo excellens sensibile corrumpit sensum, sicut quod est excellenter grave et acutum corrumpit auditum, et excellens saporosum corrumpit gustum, et fortiter fulgidum vel obscurum corrumpit visum, et fortis odor corrumpit olfactum, quasi sensus sit quaedam proportio.

 

 

[80881] Sentencia De anima, lib. 3 l. 2 n. 15Sed si plura sensibilia deducuntur ad proportionatam mistionem, efficiuntur delectabilia: sicut in saporibus, quando aliquid secundum debitam proportionem est aut acutum, aut dulce, aut salsum; tunc enim sunt omnino delectabilia. Et omne, quod est mistum, est magis delectabile, quam quod est simplex; sicut symphonia, quam vox acuta tantum, vel gravis tantum. Et in tactu, quod est compositum ex calefactibili et frigidabili. Sensus enim delectatur in proportionatis, sicuti in sibi similibus, eo quod sensus est proportio quaedam. Sed excellentia corrumpit sensum, vel saltem contristat ipsum.

Leçon  2

584. Après avoir montré qu’il n’existe pas un autre sens propre en dehors des cinq sens présentés plus haut, le Philosophe commence ici à se demander s’il existe une puissance sensitive commune à ces cinq sens. Et dans cette recherche, il part de certaines opérations qui ne semblent pas pouvoir être attribuées en propre à l’un des cinq sens mais qui semblent exiger l’existence d’une autre puissance sensitive, qui serait commune à ces cinq sens. La première de ces opérations est celle qui consiste à percevoir les opérations des sens propres, comme lorsque nous percevons que nous voyons et que nous entendons. L’autre est celle selon laquelle nous opérons un discernement entre les sensibles qui sont propres à divers sens, comme lorsque nous percevons que le blanc et le doux, relatifs à un même sujet, sont autres. Il se demande donc en premier lieu à quoi l’on doit attribuer la première de ces opérations. En deuxième lieu, à quoi l’on doit attribuer la deuxième de ces opérations, lorsqu’il dit : « Chaque sens est donc etc. ». Au sujet du premier point, il fait trois choses. En premier lieu il soulève une question en disant : puisque nous sentons que nous voyons, tout comme nous sentons que nous entendons, et qu’il en va de même pour les autres sens, il est nécessaire que ce soit ou bien par la vue que nous percevons que la vue voit, ou bien par une autre puissance ; et il en va de même pour les autres sens.

585. En deuxième lieu, il argumente dans les deux sens, là où il dit : « Mais si etc. ». Et il commence d’abord à montrer, au moyen de deux raisonnements, que c’est la vue qui voit qu’elle voit, dont voici le premier. Si c’est par un autre sens que la vue que l’homme sent qu’il voit, alors ou bien ce sera par cet autre sens que l’homme verra la couleur, ou bien c’est par des sens distincts que l’homme verra la couleur et qu’il sentira la vision de la couleur. Mais si c’est par le même sens que l’homme sent la couleur et qu’il sent la vision de la couleur, il s’ensuit que ce sera un seul et même sens en acte qui appréhendera la vision et l’objet de la vision, à savoir la couleur. C’est pourquoi il s’ensuit l’une des deux conséquences suivantes : car si ce sens, qui perçoit à la fois à la vision et la couleur, est un autre sens que la vue, il faudra qu’il y ait deux sens pour un seul objet, à savoir la couleur. Ou bien, si ce sens. par lequel nous sentons à la fois la vision et la couleur, est le même que celui de la vue, il s’ensuit que le même sens sera sens de lui-même, c’est-à-dire que la vue sera sens d’elle-même, ce qui était nié au départ. Mais dire que cet autre sens par lequel on sent qu’on voit, ne sent pas la couleur, cela est absolument irrationnel : car s’il ne connaissait pas la couleur, il ne pourrait pas savoir ce qu’est voir, puisque voir n’est rien d’autre que sentir ou percevoir la couleur.

586. Là où il dit : « Mais en outre, etc. », il présente le deuxième raisonnement que voici. Si ce sens, à savoir celui de la vision, par lequel nous sentons que nous voyons, est autre que celui de la vue, il faut en outre se demander au sujet de ce sens s’il sent qu’il sent ; sinon, il faudra chercher un troisième sens qui sent qu’il sent. Donc, ou bien cela ira à l’infini, ce qui est impossible puisqu’il est impossible qu’une action qui dépend elle-même d’actions infinies trouve un achèvement et qu’il y ait en outre des puissances infinies pour une seule et même chose ; ou bien il faudra qu’on en vienne à un sens qui soit juge de lui-même ou qui perçoive qu’il sent. Donc, pour la même raison, on pourra admette du premier sens, à savoir la vue, cette capacité à sentir qu’elle voit. En conséquence, le sens qui perçoit la couleur n’est pas autre que celui qui perçoit la vision de la couleur.

587. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais voici une difficulté etc. », il argumente en sens contraire. Et parce que les premiers raisonnements concluent le vrai en quelque sorte, ce raisonnement-ci est proposé par mode de questionnement auquel le Philosophe apporte une réponse. Or, voici ce raisonnement. Si c’est par la vue que nous sentons que nous voyons et que sentir par la vue n’est rien d’autre que voir, donc, nous voyons que nous voyons. Or, rien n’est vu si ce n’est la couleur ou ce qui possède la couleur. Donc, si quelqu’un voit quelque chose qui voit, il s’ensuit que celui qui voit en premier et qui est vu en second possédera lui aussi la couleur ; ce qui semble inadmissible, puisque nous avons dit précédemment (n. 427) que la vue, pour recevoir les couleurs, doit en être dépourvue.

588. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il est donc manifeste etc. », il résout, en troisième lieu, la difficulté présentée de deux manières. Il le fait premièrement, en concluant à partir de ce qui précède, que sentir par la vue se dit en plusieurs sens. En effet, il a été montré plus haut (nn. 585-586) que c’est par la vue que nous sentons que nous voyons. Il a été montré en outre (nn. 585-586) que par la vue nous ne sentons que la couleur. Donc, sentir par la vue de dit de deux manières. Premièrement en ce sens que par la vue nous sentons que nous voyons. Deuxièmement en ce sens que par la vue nous voyons la couleur. Et que sentir par la vue se dit en plusieurs sens, cela devient évident à partir de ceci que nous disons parfois que nous sentons par la vue lorsque la vue est actuellement modifiée par le visible, c’est-à-dire par la couleur ; mais parfois nous discernons par la vue l’obscurité de la lumière même lorsque nous ne voyons pas au moyen d’une modification causée par un sensible externe. Mais ce n’est pas d’une manière semblable que l’expression sentir par la vue se dit dans les deux sens. Il ramène donc la solution de cette difficulté à ceci : l’opération de la vue peut être considérée soit en tant qu’elle consiste en une modification de l’organe par un sensible externe, et en ce sens, il n’y a que la couleur qui est sentie. Et il en résulte que par cette opération, la vue ne voit pas qu’elle voit. Mais l’opération de la vue peut être considérée en tant que, l’organe ayant été modifié, la vue juge de la perception même de l’organe par le sensible externe, même lorsque ce dernier est absent : et en ce sens, la vue ne voit pas ou ne sent pas seulement la couleur, mais elle sent ou perçoit aussi la vision de la couleur.

589. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais en outre etc. », il présente une autre solution, laquelle est certes nécessaire du fait que la couleur possède deux sortes d’existence : la première, qui est naturelle, et qu’on retrouve dans la chose sensible ; la deuxième, qui est spirituelle, et qu’on retrouve dans le sens. Or, la première solution procédait de la première forme d’existence alors que la deuxième procède de la deuxième forme d’existence de la couleur. Et relativement à cette deuxième solution, il fait trois choses. Premièrement, il présente la solution. Deuxièmement, il prouve un principe qui était présupposé dans la solution, là où il dit : « Si donc le mouvement etc. ». Troisièmement, à partir de cette solution, il manifeste aussi une solution à certaines autres questions, là où il dit : « Mais puisque constituent un seul acte etc. ».

590. Il dit donc en premier lieu que puisque la première difficulté a été solutionnée en soutenant que celui qui voit n’est pas coloré, elle peut en outre être solutionnée en disant que celui qui voit est en quelque sorte coloré parce que dans celui qui voit il y a une similitude de la couleur qui rend celui qui voit semblable d’une certaine manière à l’objet coloré. Il en résulte que cette puissance, qui voit une chose qui elle-même voit, n’est pas étrangère au genre de la puissance visuelle. Et que celui qui voit est en quelque sorte coloré, il le prouve au moyen de ce qu’il a dit plus haut (n. 427), car tout organe sensible, ainsi qu’il a été dit (nn. 551-554), reçoit l’espèce sensible sans la matière. Et c’est là la raison pour laquelle, même lorsque les sensibles externes sont absents, il se produit en nous des sensations et des images, c’est-à-dire des représentations selon lesquelles les animaux ont des perceptions. Et en ce sens il est clair que celui qui voit est en quelque sorte coloré dans la mesure où il possède en lui une similitude de la couleur. Et non seulement celui qui voit est en quelque sorte coloré et semblable à l’objet coloré, mais en outre l’acte de n’importe quel sens et l’acte du sensible sont un seul et même acte quant au sujet, bien qu’ils ne soient pas identiques quant à la raison.

591. Et j’appelle acte du sens celui de l’ouïe en acte par exemple, et acte du sensible celui, par exemple, du son en acte. Or, les sens ne sont pas toujours en acte : il arrive en effet que ceux qui possèdent l’ouïe n’entendent pas, et que les choses qui possèdent du son ne résonnent pas toujours en acte. Mais lorsque celui qui peut entendre pose son opération et que la chose pouvant émettre un son résonne effectivement, alors c’est simultanément que se produit le son en acte qu’on appelle la résonance, et l’ouïe en acte qu’on appelle l’audition. Donc, puisque la vue perçoit le visible et son acte, et que celui qui voit devient semblable au sensible, et que l’acte de celui qui voit est identique par le sujet à l’acte du sensible, bien qu’il en diffère par la raison, il s’ensuit qu’il appartient à la même puissance de voir la couleur et la modification qui vient de la couleur,  à la fois l’objet vu en acte et la vision de cet objet. En conséquence, cette puissance, par laquelle nous voyons que nous voyons, n’est pas étrangère à la puissance visuelle mais elle en diffère par la raison.

592. Ensuite, lorsqu’il dit : « Si donc le mouvement etc. », il prouve ce qu’il avait supposé, à savoir que l’acte de celui qui sent et l’acte du sensible sont identiques et qu’ils ne diffèrent que par la raison, en s’appuyant sur ce qu’il avait dit dans un autre traité [Physique, L. 3, ch. 3]. Il avait dit en effet dans cet ouvrage que le mouvement, aussi bien que l’action et la passion, résident dans ce qui est agi, c’est-à-dire dans le mobile et dans le patient. Or, il est manifeste que l’ouïe subit une passion sous l’action du son ; c’est pourquoi il est nécessaire que le son en acte, qu’on appelle résonance, aussi bien que l’ouïe en acte, qu’on appelle audition, résident dans ce qui est en puissance, c’est-à-dire dans l’organe de l’ouïe. Et il en est ainsi parce que l’acte de l’agent et du moteur se produit dans le patient et non pas dans l’agent ou le moteur. Et c’est la raison pour laquelle il n’est pas nécessaire que tout moteur soit mû. En effet, toute chose dans laquelle on retrouve du mouvement, cette chose est mue. C’est pourquoi, si le mouvement et l’action, laquelle est une forme de mouvement, résidaient dans le moteur, il s’ensuivrait que tout moteur serait mû. Et tout comme le Philosophe [Physique, L. 3, ch. 3] a dit que l’action et la passion sont un seul et même acte quant au sujet et qu’ils diffèrent quant à la raison, en tant que l’action est signifiée comme procédant d’un agent et que la passion est signifiée comme étant dans un patient, de même il a dit plus haut (nn. 590-591) que le sensible en acte et celui qui sent en acte sont identiques par le sujet mais non par la raison. Donc, l’acte du sonore ou du son est la résonance, et l’acte de l’auditif ou de l’ouïe est l’audition.

593. L’ouïe et le son se disent en effet en deux sens, c’est-à-dire en acte et en puissance. Et ce qui a été dit de l’ouïe et du son, nous pouvons le dire des autres sens et des autres sensibles pour la même raison. En effet, tout comme la passion et l’action résident non pas dans l’agent mais dans le patient comme dans un sujet mais seulement comme dans un principe de départ, de même, aussi bien l’acte du sensible que l’acte de la puissance sensitive résident dans cette dernière comme dans un sujet. Mais pour certains sensitifs et certains sensibles, les deux actes ont reçu un nom, comme c’est le cas pour l’acte de ce sensible qu’on appelle résonance et pour l’acte de ce sensitif qu’on appelle l’audition. Mais dans certains cas, un seul des deux actes a reçu un nom, à savoir celui du sensitif. En effet, l’acte de la vue est appelé vision tandis que l’acte de la couleur n’a pas de nom. Et pour le goûter, l’acte de la puissance gustative a reçu le nom de gustation alors que l’acte du sapide n’a pas reçu de nom chez les Grecs.

594. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisque l’acte etc. », le Philosophe, à partir de la solution qui précède, procède à la démonstration de la vérité qui répond à deux questions, dont la première demande si le sens et les sensibles se corrompent et se conservent simultanément. Et comme réponse à cette question, il dit que parce que les actes du sensible et de la puissance sensitive sont un seul et même acte par le sujet et qu’ils diffèrent par la raison, comme il a été dit (nn. 590-593), il est nécessaire que l’ouïe prise en acte et le son pris en acte se conservent et se corrompent simultanément : et il en va de même du sapide et du goûter, comme il en va de même des autres sensibles et des autres sens. Mais si les sensibles et les sens sont entendus comme étant en puissance, alors il n’est pas nécessaire qu’ils se corrompent et se conservent simultanément.

595. Et c’est à partir de ce raisonnement qu’il rejette l’opinion des anciens naturalistes, là où il dit : « Mais les premiers naturalistes etc. », en disant que les premiers naturalistes se sont trompés à ce sujet parce qu’ils croyaient que ni le blanc et le noir n’existent sans être vus, ni la saveur n’existe sans être goûtée, et qu’il en va de même des autres sensibles par rapport à leurs sens respectifs. Et parce qu’ils ne croyaient pas qu’il existe d’autres êtres que les êtres sensibles et qu’il n’existe pas une puissance cognitive autre que celle du sens, ils croyaient que toute l’existence et la vérité des choses se limite à l’apparence. Et à partir de là, ils étaient conduits à croire que les contradictoires sont simultanément vraies pour cette raison que différentes opinions sont contradictoires.

596. En un sens, ce qu’ils ont dit était fondé mais en un autre sens, ils se sont trompés. En effet, puisque le sens et le sensible se disent en deux sens, c’est-à-dire en puissance et en acte, pour le sensible et le sens en acte il se produit effectivement ce que ces naturalistes disaient, à savoir qu’il n’existe pas de sensible sans le sens. Mais cela n’est plus vrai en ce qui concerne le sensible et le sens en puissance. Mais ces naturalistes parlaient en prenant en un sens absolu, c’est-à-dire sans nuance, ce qui se dit en plusieurs sens.

597. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais si l’harmonie est etc. », en s’appuyant sur ce qui précède, il démontre la solution de l’autre question selon laquelle on cherche à savoir pourquoi certains sensibles corrompent le sens alors que d’autres lui sont agréables : et il dit que puisque la symphonie, c’est-à-dire le son accordé et harmonieux, est un certain son, et que le son est en quelque sorte identique à l’ouïe, et que la symphonie est une certaine proportion, il s’ensuit que l’ouïe est nécessairement une certaine proportion. Et parce que toute proportion se corrompt par l’excès, c’est pourquoi le sensible excessif corrompt le sens, tout comme l’excès du grave et de l’aigu corrompent l’ouïe, l’excès dans les saveurs corrompent le goûter, le trop brillant ou le trop sombre corrompent la vue, et l’odeur forte corrompt l’odorat, comme si le sens était une certaine proportion.

598. Mais si plusieurs sensibles sont amenés à un mélange proportionné, ils deviennent délectables : par exemple dans les saveurs lorsque l’aigre, le doux ou le salé sont amenés à la proportion voulue, alors ils sont absolument agréables. Et en général, le mixte est plus agréable que le simple : par exemple, pour l’ouïe, la symphonie est plus agréable que les sons graves ou aigus pris séparément, pour le toucher le composé de chaud et de froid est plus agréable que chacune de ces qualités tangibles prise séparément. En effet, le sens se délecte dans ce qui est proportionné comme dans ce qui lui est semblable, du fait que le sens lui-même est une sorte de proportion. Au contraire, l’excès corrompt le sens ou pour le moins lui est douloureux.

 

 

LECTIO 3

[80882] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 1Processit philosophus superius, ad investigandum sensum communem ex hac operatione, qua sentimus nos videre et audire. Ex hac autem operatione ad hoc deventum est, quod potentia visiva sentit visione, alio tamen modo quam sentiat sensibile exterius; sed nondum habetur, quod potentia iudicativa de actibus sensuum, sit una et communis. Et ideo procedit ulterius ad investigandum huiusmodi veritatem per aliam operationem, quae ostendit unam potentiam esse communem, habentem se quodammodo ad omnes quinque sensus; et haec operatio est discernere sensibilia abinvicem. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quantum se possit extendere discretio sensus proprii. In secunda inquirit de illa discretione sensibilium, quae excedit virtutem sensus proprii, ibi, quoniam autem album.

 

 

 

 

 

 

 

[80883] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 2Dicit ergo primo, quod ex dictis manifestum est, quod unusquisque sensus est cognoscitivus sensibilis sui obiecti, cuius species fit in suo organo, inquantum est tale organum. Immutatur enim organum uniuscuiusque sensus a proprio obiecto sensus per se, non per accidens. Et unusquisque sensus discernit differentias proprii sensibilis, sicut visus discernit album et nigrum, gustus dulce et amarum, et similiter se habet in aliis sensibus.

 

[80884] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 3Deinde cum dicit quoniam autem ostendit cui sit attribuenda ista discretio, quae excedit primum sensum, scilicet discernere sensibile unius sensus a sensibili alterius. Et circa hoc duo facit. Primo determinat veritatem. Secundo obiicit contra veritatem et solvit, ibi, at vero impossibile. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod aliquis sensus est qui discernit inter album et nigrum, et dulce. Secundo, quod non sunt duae potentiae sensus, sed una, ibi, neque utique. Tertio, quod simul illa potentia percipit utrumque sensibile, inter quae discernit, ibi, quod autem neque. Dicit ergo primo, quod quia discernimus aliqua virtute, non solum album a nigro, vel dulce ab amaro, sed etiam album a dulci, et unumquodque sensibile discernimus ab unoquoque et sentimus quod differunt, oportet quod hoc sit per sensum; quia cognoscere sensibilia, inquantum sunt sensibilia, est sensus. Cognoscimus autem differentias albi et dulcis, non solum quantum ad quod quid est utriusque, quod pertinet ad intellectum, sed etiam quantum ad diversam immutationem sensus. Et hoc non potest fieri nisi per sensum.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80885] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 4Et si per aliquem sensum fit, hoc maxime videtur quod fiat per tactum, qui est primus sensuum, et quodammodo radix et fundamentum omnium sensuum; et ab hoc, animal habet, quod dicatur sensitivum. Unde manifestum est, quod caro non est ultimum organum sensus tactus: quia cum per sensum tactus fiat discretio, necesse esset quod ipso contactu carnis a tangibili, fieret discretio tangibilis ab aliis sensibilibus. Attribuitur autem ista discretio tactui non secundum quod tactus est sensus proprius, sed secundum quod est fundamentum omnium sensuum, et propinquius se habens ad fontalem radicem omnium sensuum, qui est sensus communis.

 

 

[80886] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 5Deinde cum dicit neque utique ostendit, quod idem sensus sit, qui discernit album a dulci. Posset enim aliquis credere, quod discernamus album a dulci non quadam una potentia, sed diversis: ut scilicet inquantum gustu cognoscimus dulce, et visu album. Hoc autem excludit dicens, quod non contingit discernere, quod dulce sit alterum ab albo, separatis potentiis, id est diversis; sed oportet ad discernendum ea, quod secundum aliquam unam potentiam manifestum sit nobis. Ita enim esset si diversis potentiis sentiremus dulce et album, sicut si diversi homines sentirent, unus dulce et alius album; puta si ego sentio hoc, et ille illud. Hoc autem posito, manifestum est, quod altera sunt abinvicem dulce et album, quia aliter patior ego a dulci quam tu ab albo.

 

 

 

[80887] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 6Sed tamen diversitas ista non erit nobis per sensum manifesta; sed oportet quod unus sit, qui dicat quod alterum est dulce ab albo. Hoc enim est aliquid unum verum, scilicet quod alterum sit dulce ab albo: ergo oportet quod illud unum ab eodem dicatur. Sed dictio est interpretatio interioris apprehensionis: ergo sicut est unus qui dicit, ita oportet quod unus sit qui intelligat et sentiat, alterum esse dulce ab albo. Dicit autem intelligat et sentiat quia nondum ostensum est, quod aliud sit intellectus a sensu, vel quia ista diversitas, ex sensu et intellectu cognoscitur. Sicut igitur oportet quod unus homo, qui dicit alterum esse album a dulci, sit qui cognoscit utrumque, ita oportet quod una potentia sit, qua agnoscitur utrumque. Nam homo non cognoscit nisi per aliquam potentiam. Et hoc est quod concludit ulterius, palam esse quod non est possibile iudicare separata idest quod aliqua sint diversa, separatis idest diversis; sed oportet quod sit eadem potentia, quae utrumque cognoscat.

 

 

 

 

 

[80888] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 7Deinde cum dicit quod autem ostendit quod oportet simul utrumque cognosci. Dicit ergo, quod ex his quae dicentur manifestum est quod neque in separato tempore, idest in diverso tempore cognoscit utrumque. Sicut enim ille qui iudicat aliqua esse diversa, dicit aliquid unum et idem, scilicet quod alterum sit bonum et malum, sic etiam dicit quando alterum sit. Dicit enim quod sit alterum tunc quando iudicat, et hoc ipsum quando sit alterum, non dicit secundum accidens, ita quod ly quando, referatur ad dicentem, ut puta quia nunc dicit quod est alterum, (si non diceret, quod nunc est alterum. Hoc enim esset per accidens respectu eius quod dicitur): sed sicut nunc dicit quod est alterum, ita dicit quod nunc sit alterum. Hoc autem non posset esse, nisi simul ea apprehenderet, idest in illo instanti, pro quo iudicat esse altera. Manifestum est ergo quod simul cognoscit utrumque. Ergo sicut est inseparabilis potentia, id est una et eadem quae cognoscit utrumque eorum inter quae iudicatur differentia, ita oportet quod in inseparabili tempore apprehendat utrumque.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80889] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 8Deinde cum dicit at vero obiicit in contrarium. Et circa hoc quatuor facit. Primo ponit obiectionem talem. Impossibile est idem et indivisibile, simul moveri secundum contrarios motus simul et in indivisibili tempore: sed intellectus et sensus movetur a sensibili inquantum sentit, et intelligibili, inquantum intelligit. Diversa autem sensibilia et contraria, diversis et contrariis motibus movent; ergo impossibile est, quod eadem vis sensitiva aut intellectiva, simul cognoscat contraria diversa.

 

 

[80890] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 9Secundo ibi ergo simul ponit unam solutionem: et dicit quod illud quod iudicat differentiam inter contraria, est simul et numero indivisibile et inseparabile, id est unum subiecto, sed secundum esse separatum, id est ratione est diversum. Sic igitur quodammodo indivisibile sentit divisa, id est diversa. Alio autem modo divisibile sentit diversa, quia secundum esse est divisibile, id est ratione est diversum, sed loco et numero est indivisibile, id est subiecto est unum. Et dicit loco quia diversae potentiae inveniuntur in diversis partibus corporis organa habere.

 

 

 

[80891] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 10Tertio ibi aut non improbat hanc solutionem; dicens, quod non est possibile illam praedictam solutionem stare. Quod enim est idem et indivisibile subiecto, sed non secundum esse, idest secundum rationem, potest quidem habere contraria secundum potentiam; sed quod habet contraria in operari, id est secundum actum, oportet quod sit divisibile. Et impossibile est idem et indivisibile, simul et semel esse album et nigrum. Quare neque possibile est aliquod unum et idem indivisibile, simul pati species eorum; et ita neque intelligere et sentire, si intelligere et sentire est huiusmodi, id est pati quoddam.

 

 

[80892] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 11Quarto ibi sed sicut ponit veram solutionem; et solutio ista sumitur ex similitudine puncti. Punctum enim quod est inter duas partes lineae, potest accipi ut unum et ut duo. Ut unum quidem, secundum quod continuat partes lineae ut communis terminus. Ut duo autem, secundum quod bis utimur puncto, id est ut principio unius lineae, et ut fine alterius. Sic etiam intelligendum est, quia vis sentiendi diffunditur in organa quinque sensuum ab aliqua una radice communi, a qua procedit vis sentiendi in omnia organa, ad quam etiam terminantur omnes immutationes singulorum organorum: quae potest considerari dupliciter. Uno modo prout est principium unum et terminus unus omnium sensibilium immutationum. Alio modo, prout est principium et terminus huius et illius sensus. Et hoc est quod dicit, quod sicut punctum est unum aut duo, sic divisibile est, inquantum simul bis utitur eodem signo id est principio sensitivo, scilicet ut principio et termino visus et auditus.

 

 

 

 

 

 

[80893] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 12Inquantum igitur aliquis utitur principio sensitivo, quasi uno termino pro duobus, intantum duo iudicat, et separata sunt quae accipiuntur, sicut in separato idest divisibili principio cognoscunturinquantum vero est unus in se, sicut in uno principio cognoscit differentiam utriusque, et simul. Habet igitur hoc principium sensitivum commune, quod simul cognoscat plura, inquantum accipitur bis, ut terminus duarum immutationum sensibilium; inquantum vero est unum, iudicare potest differentiam unius ad alterum.

 

 

[80894] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 13Oportet autem illud principium sensitivum commune habere aliud organum, quia pars sensitiva non habet aliquam operationem sine organo. Cum enim organum tactus diffundatur per totum corpus, necessarium videtur, ut ibi sit organum huius principii sensitivi communis, ubi est prima radix organi tactus. Et propter hoc superius dixit, quod si caro esset ultimum organum tactus, quod tangendo secundum carnem, discerneremus unum sensibile ab alio.

[80895] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 14Considerandum est etiam, quod licet hoc principium commune immutetur a sensu proprio, quia ad sensum communem perveniunt immutationes omnium sensuum propriorum, sicut ad communem terminum; non tamen sensus proprius est nobilior quam sensus communis, licet movens sit nobilius moto, et agens patiente; sicut nec sensibile exterius est nobilius quam sensus proprius, licet moveat ipsum. Est enim secundum quid nobilius, scilicet inquantum est actu album vel dulce, ad quod est sensus proprius in potentia. Sed sensus proprius simpliciter est nobilior propter virtutem sensitivam, unde et nobiliori modo recipit sine materia: omne enim recipiens aliquid, recipit illud secundum suum modum. Et sic sensus communis nobiliori modo recipit quam sensus proprius, propter hoc quod virtus sensitiva consideratur in sensu communi ut in radice, et minus divisa. Neque oportet, quod per aliquam actionem sensus communis species recepta in organo fiat in ipso: quia omnes potentiae partis sensitivae, sunt passivae; nec est possibile, quod una potentia sit activa et passiva.

 

 

 

 

 

 

 

[80896] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 15Considerandum est etiam, quod sensus proprius habet discernere inter contraria sensibilia, inquantum proprius participat aliquid de virtute sensus communis, quia et ipse sensus proprius est unus terminus diversarum immutationum, quae fiunt per medium a contrariis sensibilibus. Sed ultimum iudicium et ultima discretio pertinet ad sensum communem.

[80897] Sentencia De anima, lib. 3 l. 3 n. 16Ultimo autem epilogando concludit, quod dictum est de principio, secundum quod dicitur animal esse sensitivum, vel potens sentire.

Leçon  3

599. Le Philosophe a procédé plus haut, dans sa recherche sur le sens commun, en s’appuyant sur cette opération par laquelle nous sentons que nous voyons et entendons. Et c’est à partir de cette opération que nous en sommes venus à voir que c’est la puissance visuelle qui sent la vision, mais d’une manière différente de celle grâce à laquelle elle perçoit le sensible externe, la couleur ; mais on ne sait toujours pas si la puissance qui juge des opérations mêmes des sens est unique et commune. Et c’est pourquoi il poursuit sa recherche pour découvrir cette vérité à partir d’une autre opération qui manifestera que c’est une seule et même puissance commune qui connaît à la fois le sensible externe et la connaissance de ce sensible, et qui se rapporte en quelque sorte à tous les cinq sens externes. Or, cette autre opération est celle qui consiste à distinguer les sensibles les uns des autres. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre jusqu’à quel point peut s’étendre le discernement du sens propre. En deuxième lieu il s’interroge sur ce discernement des sensibles qui dépasse la puissance du sens propre, là où il dit : « Mais puisque c’est en outre sur le blanc et le doux etc. ».

600. Il dit donc en premier lieu qu’il est manifeste, considérant ce que nous avons dit, que chaque sens connaît l’objet sensible qui lui est propre dont l’espèce réside dans l’organe sensoriel de ce sens en tant que tel. En effet, l’organe de chacun des sens est modifié ou affecté par soi et non par accident par l’objet propre de ce sens. Et chacun des sens se trouve à discerner les différences de son sensible propre, comme la vue discerne entre le blanc et le noir, le goûter entre le doux et l’amer, et il en va de même des autres sens.

601. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisque etc. », il montre à quelle puissance il faut attribuer ce discernement entre les sensibles d’espèces différentes, lequel dépasse la première sensation, et qui consiste à distinguer le sensible appartenant à un sens du sensible appartenant à un autre sens. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il établit la vérité. En deuxième lieu il oppose une objection à cette vérité, objection qu’il dénoue là où il dit : « Mais il est impossible etc. ». Au sujet du premier point, il fait trois choses. En premier lieu, il montre qu’il existe un sens qui discerne entre le blanc et le noir d’une part, et le doux d’autre part. En deuxième lieu, il montre qu’il n’y a pas là deux puissances sensibles, mais une seule, là où il dit : « Et il n’est absolument pas possible etc. ». En troisième lieu, il montre que c’est simultanément que cette puissance perçoit les deux sensibles entre lesquels elle opère un discernement, là où il dit : « Et qu’on ne le puisse davantage etc. ». Il dit donc en premier lieu que puisque c’est par une certaine puissance que nous discernons non seulement le blanc du noir et le doux de l’amer, mais aussi le blanc du doux, et que nous discernons chacun des sensibles de n’importe quel autre, et que nous sentons qu’ils diffèrent, il faut bien que cela soit causé par un sens, parce qu’il appartient aux sens de connaître les sensibles en tant  que sensibles. Or, nous connaissons la différence entre le blanc et le doux non seulement quant à la quiddité de l’un et de l’autre, ce qui relève de l’intelligence, mais aussi quant à la différence des modifications corporelles opérées par chacun de ces sensibles  dans chacun des organes respectifs, et cela ne peut être accompli que par un sens.

602. Et si cela s’accomplit au moyen d’un sens, il semblerait davantage que ce soit au moyen du toucher puisque le toucher est le premier des sens et en quelque sorte la racine et le fondement de tous les sens, et que c’est de lui que l’animal tient d’être qualifié de sensible. D’où il  est manifeste que la chair n’est pas l’organe ultime du sens du toucher. En effet, puisque c’est par le sens du toucher que s’opère le discernement, il serait nécessaire que ce soit par le contact même de la chair avec le tangible que se réalise le discernement entre le tangible et les autres qualités sensibles. Or, ce discernement n’est pas attribué au toucher en tant qu’il est un sens propre, mais en tant qu’il est le fondement des autres sens et le plus rapproché de la source et de la racine de tous les sens qui est le sens commun.

603. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il n’est pas davantage possible etc. », il montre que c’est un seul et même sens qui discerne le blanc du doux. En effet, quelqu’un pourrait croire que ce n’est pas par une seule puissance que nous discernons le blanc du doux, mais par des puissances différentes, c’est-à-dire de manière à connaître le doux par le goûter et le blanc par la vue. Mais le Philosophe rejette cette position en disant qu’il n’est pas possible de discerner, par des puissances séparées ou distinctes que le doux est distint du blanc, et qu’au contraire il faut que ce discernement nous soit manifesté au moyen d’une puissance unique. En effet, si nous discernions le blanc du doux par des puissances distinctes, la situation serait comparable à deux hommes différents qui sentiraient l’un le doux, l’autre le blanc : par exemple, je perçois l’un et toi l’autre. Mais ayant dit cela, il reste manifeste que le doux est autre que le blanc car je suis affecté autrement par le doux que tu ne l’es par le blanc.

604. Cependant, cette différence ne nous sera pas manifeste par le sens ; il faut au contraire que ce soit un seul et même sens qui dise que le doux est autre que le blanc. En effet, dire que le doux est autre que le blanc est l’énoncé d’une vérité unique ; donc, il faut que cette unique vérité soit énoncée par un seul et même principe. Or, un énoncé est l’expression d’une pensée intérieure. Donc, tout comme il n’y a qu’une seule puissance qui énonce, de même il faut qu’il n’y ait qu’une seule puissance qui pense et qui sent que le doux est autre que le blanc. Or, il dit « qui pense et qui sent », soit parce qu’il n’a pas encore été manifesté que l’intelligence est autre que le sens, soit parce que cette diversité est connue à partir du sens et à partir de l’intelligence. Donc, tout comme il est nécessaire qu’il n’y ait qu’un seul homme qui dise que le blanc est autre que le doux, parce qu’il connaît les deux, de même il faut qu’il n’y ait qu’une seule puissance qui nous fasse connaître les deux car l’homme ne connaît qu’au moyen d’une puissance. Et c’est ce que le Philosophe conclut finalement, à savoir qu’il est évident qu’il n’est pas possible de distinguer des qualités « séparées », c’est-à-dire diverses, par des puissances « séparées », c’est-à-dire diverses ; il faut plutôt qu’une seule et même puissance connaisse les deux.

605. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et que cela ne soit pas non plus possible etc. », il montre qu’il faut que les deux soient connues simultanément. Il dit donc qu’il est manifeste, à partir de ce qui a été dit, que les deux « ne sont pas connues dans des temps séparés », c’est-à-dire que le sens ne connaît pas les deux qualités sensibles dans des temps qui diffèrent. En effet, tout comme celui qui juge que certaines choses diffèrent dit une seule et même chose, par exemple que le bien et le mal diffèrent, de même aussi quand il affirme que l’une est différente, il dit aussi que l’autre l’est. Il dit en effet qu’elle est différente quand il juge qu’elle l’est, et ce quand n’est pas accidentel, de telle manière que ce quand se rapporte à celui qui parle, parce que c’est maintenant qu’il dit qu’elle est autre (si en effet il ne disait pas que c’est maintenant qu’elle est autre, cela serait accidentel par rapport à ce qui est dit) : mais tout comme c’est maintenant qu’il dit qu’elle est autre, de même il dit que c’est maintenant qu’elle est autre. Mais cela n’est possible que si les deux qualités sont appréhendées simultanément, c’est-à-dire dans ce même instant dans lequel il juge qu’elles sont autres. Il est donc manifeste qu’il connaît les deux simultanément. Donc, tout comme c’est une inséparable puissance, c’est-à-dire une seule et même puissance, qui connaît les deux sensibles entre lesquels elle discerne une différence, de même il faut que ce soit dans un temps inséparable qu’elle appréhende ces deux sensibles.

606. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais il est impossible etc. », il présente une objection. Et à ce sujet il fait quatre choses. En premier lieu il présente cette objection. Il est impossible qu’une seule et même chose soit mue simultanément selon des mouvements contraires et dans un temps indivisible : mais l’intelligence et le sens sont mûs, l’un par le sensible en tant qu’il sent, l’autre par l’intelligible en tant qu’elle pense. Or, des sensibles divers et contraires meuvent par des mouvements divers et contraires ; il est donc impossible qu’une même puissance sensitive ou intellectuelle connaisse simultanément des qualités diverses et contraires.

607. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est donc simultanément etc. », il présente une première solution et il dit que ce qui discerne la différence entre des contraires est en même temps indivisible et inséparable par le nombre, c’est-à-dire qu’il demeure un par le sujet, mais séparé quant à l’essence, c’est-à-dire divers par la raison. Donc, l’indivisible sent en quelque sorte ce qui est divisé ou ce qui est divers. Mais c’est d’une autre manière que le divisible sent ce qui est divers car il est divisible quant à l’essence, c’est-à-dire divers par la raison, alors qu’il est « indivisible » par le lieu et par le nombre, c’est-à-dire qu’il est un par le sujet. Et il dit « par le lieu » parce que diverses puissances se trouvent à posséder leurs organes en diverses parties du corps.

608. En troisième lieu, lorsqu’il dit : « Ou, plutôt, cette solution n’est-elle pas impossible etc. », il rejette cette solution en disant qu’il n’est pas possible que cette solution soit valide. En effet, ce qui est le même et indivisible par le sujet mais non par l’essence, c’est-à-dire par la raison, peut certes  avoir des contraires en puissance ; mais ce qui possède des contraires « en opération », c’est-à-dire en acte, doit être divisible. Et il est impossible qu’un même et indivisible sujet soit simultanément blanc et noir. Et c’est pourquoi il n’est pas non plus possible qu’un seul et même indivisible perçoive simultanément les espèces de ces contraires, et par conséquent qu’il les pense et les sente, si toutefois la pensée et la sensation consistent dans une réception de ce genre.

609. En quatrième lieu, lorsqu’il dit : « Mais comme etc. », il présente la vraie solution, laquelle se tire d’une comparaison avec le point. En effet, le point, étant ce qui se tient entre deux parties de la ligne, peut être pris « comme étant un ou comme étant deux ». Il peut certes être pris comme étant un en tant qu’il continue les parties de la ligne à titre de terme commun. Mais il peut être pris comme étant deux en tant que nous nous servons deux fois du point, c’est-à-dire en tant que commencement d’une ligne et en tant que terme d’une autre ligne. C’est aussi de cette façon qu’il faut entendre la puissance sensitive, car cette dernière est répandue dans les organes des cinq sens par une même racine commune d’où procède la puissance sensitive dans tous les organes et à laquelle se terminent aussi toutes les modifications de chacun des organes : laquelle peut être considérée de deux manières. Premièrement en tant qu’elle est le principe unique et le terme unique de toutes les immutations sensibles. Deuxièmement en tant qu’elle est le principe et le terme de tel et de tel autre sens. Et c’est justement ce que dit Aristote, à savoir que tout comme le point est un ou double, de même la faculté qui juge est divisible en tant « que le même point est utilisé deux fois en même temps », c’est-à-dire en tant que le principe sensitif est pris comme principe et terme de la vue et de l’ouïe.

610. Donc, en tant qu’on use du principe sensitif comme d’une même limite prise pour deux, « en tant qu’elle juge de deux choses, et de deux choses séparées » qui sont reçues « comme dans « quelque chose de séparé », alors ces choses sont connues par un principe  divisible. « Mais en tant » qu’il est un en lui-même, il connaît comme dans un seul principe et simultanément la différence qu’il y a entre les deux. Donc, ce principe sensitif commun, en tant qu’il est pris comme deux, c’est-à-dire comme terme de deux modifications sensibles, connaît simultanément plusieurs sensibles ; mais en tant qu’il est un, il peut juger d’une seule chose, c’est-à-dire de la différence qu’il y a entre l’un et l’autre.

611. Mais il faut que ce principe sensitif commun possède un autre organe, car une partie sensitive ne peut poser une opération sans organe. En effet, puisque l’organe du toucher est répandu dans tout le corps, il semble nécessaire que l’organe de ce principe sensitif commun soit là où se trouve la racine première de l’organe du toucher. Et c’est pour cette raison que le Philosophe a dit plus haut (n. 602) que si la chair était l’organe ultime du toucher, alors nous discernerions un sensible d’un autre simplement par un contact selon la chair.

612. Il faut aussi considérer que bien que ce principe commun soit modifié par le sens propre, car c’est au sens commun que parviennent, comme à leur terme commun, les modifications de tous les sens propres, cependant le sens propre n’est pas plus noble que le sens commun, bien que le moteur soit plus noble que le mobile, et l’agent plus noble que le patient, tout comme le sensible externe n’est pas plus noble que le sens propre bien qu’il le mette en mouvement. Le sensible externe est en effet plus noble que le sens propre sous un certain rapport, c’est-à-dire en tant qu’il est blanc ou doux en acte alors que le sens propre est blanc ou doux en puissance. Mais à parler absolument, le sens propre est plus noble que le sensible externe à cause de la puissance sensitive par laquelle il reçoit l’espèce selon une modalité plus noble, c’est-à-dire sans la matière qu’elle possède dans son existence sensible. En effet tout sujet qui reçoit quelque chose la reçoit selon sa modalité à lui. Par conséquent, le sens commun reçoit son objet d’une manière plus noble que ne le fait le sens propre pour cette raison que la puissance sensitive, étant considérée dans le sens commun comme dans sa racine, est moins divisée. Et il n’est pas nécessaire que l’espèce reçue dans l’organe apparaisse dans le sens commun au moyen d’une action de ce dernier car toutes les puissances de la partie sensitive sont passives et il n’est pas possible qu’une seule et même puissance soit à la fois active et passive.

613. Il faut aussi considérer que le sens propre a la capacité de discerner entre les sensibles contraires en tant qu’il participe en partie de la puissance du sens commun parce que le sens propre est le terme de diverses modifications produites au moyen des sensibles contraires. Mais le jugement ultime et le discernement final appartiennent au sens commun.

 

 

614. Le Philosophe termine en disant que nous avons fini de parler du principe sensitif par lequel nous disons de l’animal qu’il est sensible ou qu’il est capable de sensation.

 

 

LECTIO 4

[80898] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 1Postquam philosophus ostendit, quod duae operationes, de quibus dubium videbatur, percipere scilicet actus sensuum propriorum, et discernere inter sensibilia diversorum sensuum, non excedunt facultatem principii sensitivi, nunc vult inquirere, utrum sapere et intelligere excedant facultatem principii. Circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod sapere et intelligere, non pertinent ad sensum: quod est ostendere, sensum et intellectum non esse idem subiecto. Secundo, quod phantasia, quae pertinet ad sensum, non est idem cum opinione, quae pertinet ad intellectum, ibi, phantasia autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionem ponentium sensum et intellectum esse idem. Secundo improbat eam, ibi, et tamen oportuit. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionem. Secundo assignat causam opinionis, ibi, omnes enim hi. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionem in communi. Secundo inducit quaedam verba quorumdam philosophorum, quae ad illud pertinere videntur, ibi, et antiquis sapere.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80899] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 2Dicit ergo primo, quod quia antiqui philosophi definiebant animam secundum duo, scilicet secundum motum secundum locum, et cognitionem, quae includit intellectivam discretionem et sensum: videtur hoc, quod secundum eorum opinionem intelligere et sapere sit quoddam sentire: quia tam sentiendo quam intelligendo anima iudicat et cognoscit.

 

[80900] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 3Deinde cum dicit et antiqui ostendit, quod non solum hoc sequitur ex hoc quod in communi dicebant; sed expresse antiqui dixerunt, quod idem sit sapere per intellectum et sentire. Ut autem intelligantur verba philosophorum, quae inducuntur, quomodo ad propositum faciunt, considerandum est, quod nullum corpus potest directe agere in id quod nullo modo est corporeum. Quia igitur potentiae sensitivae aliquo modo sunt corporeae, quia sunt virtutes in corporis organis, immutari possunt ex actione corporum caelestium; per accidens tamen, quia neque anima neque animae virtus movetur nisi per accidens moto corpore. Et propter hoc contingit, quod ex impressione corporis caelestis variatur et phantasia, et appetitus sensitivus. Unde et animalia irrationalia, quae solo appetitu sensitivo aguntur in suis motibus, ut plurimum insequuntur impressiones corporum caelestium. Ponere igitur, quod corpora caelestia habeant impressionem directe in partem intellectivam quantum ad intellectum et voluntatem, est ponere quod voluntas et intellectus sunt virtutes corporeae. Et hoc sonant verba quorumdam philosophorum antiquorum.

 

 

[80901] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 4Dicit enim Empedocles quod tam in hominibus, quam in aliis animalibus, voluntas augetur, idest incitatur ad agendum ad praesens, scilicet secundum praesentis horae dispositionem, quae quidem dispositio dependet ex dispositione corporum caelestium. Unde praesens tempus vel hora eis idest hominibus, et aliis animalibus praestat semper sapere altera. Diversis enim horis et temporibus, diversa diversimode homo et alia animalia inveniuntur iudicare de rebus.

[80902] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 5Et ad idem pertinet illud verbum Homeri. Talis enim est intellectus in terrenis hominibus, qualem pater virorumque deorumque, idest sol, ducit in diem. Dicitur autem sol pater virorum, quia est aliqua causa humanae generationis. Homo enim generat hominem et sol. Dicitur autem pater deorum, vel propter corpora caelestia, quae antiqui deos appellabant, quae secundum astrologos quodammodo a sole regulantur, vel propter homines, quos deificari credebant, qui virtute solis generantur. Virtus autem solis est in die, quia in die nobis apparet, dum movetur in superiori hemisphaerio, unde et ab astrologis dicitur planeta diurnus. Voluit ergo Homerus dicere, quod homines terreni intellectum sortiuntur ex actione solis, et quod secundum diversitatem motus, et situs, et aspectus solaris, diversimode se habent in intelligendo.

 

 

 

 

[80903] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 6Sciendum est autem quod hunc versum Homeri Aristoteles non totum posuit, sed solum principium. Unde nec in Graeco nec in Arabico plus habetur quam hic. Talis enim intellectus est, ut sic intelligatur hoc dictum, sicut consuevimus inducentes aliquem versum alicuius auctoris tantum ponere principium, si versus sit notus. Sed quia hic versus Homeri non erat notus apud Latinos, Boetius totum posuit.

[80904] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 7Patet ergo ex hoc quod hic dicitur quod si corpora caelestia habent directe impressionem in intellectum et voluntatem, idem est ac si ponatur quod intellectus est idem cum sensu. Indirecte vero impressio corporum caelestium potest pertingere ad intellectum vel voluntatem, prout intellectus et voluntas coniunguntur in sua operatione virtutibus sensitivis. Laeso enim organo phantasiae, impeditur intellectus in sua operatione; et ex appetitu sensitivo inclinatur voluntas ad volendum vel nolendum aliquid. Quia tamen voluntas non ex necessitate trahitur appetitu sensitivo, sed semper ei liberum manet sequi inclinationem appetitus sensitivi, vel non sequi; ideo corpora caelestia nullam necessitatem humanis actibus inducunt.

 

 

[80905] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 8Deinde cum dicit omnes enim ostendit causam positionis. Manifestum est enim quod remota differentia, qua aliqua abinvicem differunt, remanent idem; sicut si rationale auferatur ab homine, remanebit de numero irrationabilium animalium. Haec autem est differentia, qua differt cognitio intellectiva a sensitiva, quod sentire est aliquid corporeum. Non enim operatio sensus est sine organo corporali. Intelligere autem non est aliquid corporeum; quia operatio intellectus non est per organum corporeum, ut infra ostendetur. Ideo ergo antiqui ponebant sensum et intellectum, idem esse, quia opinabantur quod intelligere esset aliquid corporeum sicut et sentire.

 

 

 

 

 

[80906] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 9Quomodo autem utrumque ponerent aliquid corporeum, consequenter ostendit per hoc, quod ponebant tam sapere secundum intellectum quam sentire, contingere per virtutem similitudinis, sicut in primo libro dictum est. Et intelligebant similitudinem secundum esse corporeum, puta quod per terram cognoscitur terra, et per aquam aqua, et sic de aliis. Unde sequebatur quod sentire et intelligere consequerentur naturam corpoream, et eodem modo. Et sic sentire et intelligere sequitur esse idem.

 

 

[80907] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 10Deinde cum dicit et tamen improbat praedictam positionem. Et primo quantum ad causam. Secundo quantum ad ipsam positionem, ibi, quod quidem igitur. Dicit ergo primo, quod philosophi assignantes causam cognitionis esse similitudinem cognoscentis ad cognitum, debuerunt assignare aliquam causam etiam deceptionis; quia deceptio videtur esse magis propria animalibus quam cognitio secundum conditionem suae naturae. Videmus enim quod homines ex seipsis decipi possunt et errare. Ad hoc autem quod veritatem cognoscant, oportet quod ab aliis doceantur. Et iterum pluri tempore anima est in deceptione quam in cognitione veritatis; quia ad cognitionem veritatis vix pervenitur post studium longi temporis. Et haec quidem ratio efficax est contra antiquos philosophos, qui ponebant cognitionem inesse animae ex sui natura, quasi anima ex hoc quod constituta est ex principiis, habeat quod non solum sit in potentia ad cognoscibilia, sed quod sit actu cognoscens.

 

 

 

 

[80908] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 11Potest autem ad hoc dupliciter responderi. Uno modo, ut dicatur, quod antiqui philosophi non credebant aliquam deceptionem esse. Ponebant enim quod omnia quae videntur, sunt vera ut supra dictum est. Et ideo non oportebat, quod assignarent causam deceptionis.

 

[80909] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 12Alio modo potest responderi, quod ex hoc ipso, quod dicebant causam cognitionis esse ex hoc quod anima tangit id quod est sibi simile, datur intelligi quod causa deceptionis sit haec quod anima tangit sibi dissimile. Hoc est ergo quod concludit, quod quia antiqui philosophi non assignaverunt causam deceptionis animae, necesse est, quod aut omnia, quae videntur, vera sint, ut quidam dixerunt, aut quod tactus, quo anima tangit rem dissimilem, sit deceptionis causa. Tangere enim dissimile videtur esse contrarium ad cognoscere sibi simile.

 

 

 

[80910] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 13Primum autem reprobatum est in quarto metaphysicae.

[80911] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 14Unde procedit ad inquirendum secundum, cum dicit videtur autem manifestum est enim, quod dissimile et simile sunt contraria: sed circa contraria eodem modo se habet homo ad cognitionem et deceptionem; quia qui cognoscit unum contrariorum, cognoscit et aliud et qui errat in uno, errat in alio. Et hoc est quod dicit quod scientia et deceptio videtur eadem esse contrariorum. Non ergo est possibile, quod tactus rei similis sit causa verae cognitionis, et tactus rei dissimilis sit causa deceptionis, quia tunc esset scientia de uno contrariorum, et deceptio de alio.

 

 

 

 

 

 

[80912] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 15Deinde cum dicit quod quidem improbat positionem, ostendens, quod neque sapere neque intelligere est idem, quod sentire: haec enim duo intellectivae cognitioni attribuuntur. Intellectus enim habet iudicare, et hoc dicitur sapere et apprehendere, et hoc dicitur intelligere. Primo ergo ostendit, quod sentire non sit idem quod sapere, tali ratione. Sentire inest omnibus animalibus; sapere autem non inest omnibus, sed paucis; ergo sapere non est idem quod sentire. Dicit autem quod sapere inest paucis animalium, et non quod insit solis hominibus, quia etiam quaedam animalia participant aliquid prudentiae et aliquid sapientiae, scilicet quod recte iudicant de agendis per aestimationem naturalem.

 

 

 

 

 

[80913] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 16Secundo ibi sed neque probat quod intelligere non sit idem quod sentire, per duo media. Quorum primum tale est. Intelligere contingit recte et non recte. Recte quidem contingit intelligere secundum scientiam, quae est speculabilium et necessariorum, vel secundum prudentiam, quae est recta ratio contingentium agibilium, vel secundum opinionem veram, quae se habet ad utrumque, et non determinate ad alterum oppositorum, sicut scientia et prudentia, sed ad unum, cum formidine alterius. Non recte autem contingit intelligere, secundum eorum contraria, idest secundum falsam scientiam, et secundum imprudentiam et secundum opinionem falsam. Sentire autem non contingit nisi recte, quia sensus circa propria sensibilia semper verus est; ergo sentire et intelligere non sunt idem.

 

 

 

 

 

 

[80914] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 17Et quia posset aliquis dicere quod recte intelligere sit idem quod sentire, ideo adiungit aliud medium ad hoc excludendum, quod tale sentire inest omnibus animalibus intelligere autem non, sed solis illis, quibus inest ratio, scilicet hominibus, qui per inquisitionem rationis, apprehensionem veritatis intelligibilis consequuntur: quamvis substantiae separatae, quae sunt altioris intellectus, statim absque inquisitione veritatem intelligant: ergo et recte intelligere non idem est quod sentire.

 

 

 

[80915] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 18Deinde cum dicit phantasia enim ostendit quod opinio, quae sequitur intellectum, sit aliud a phantasia, quae sequitur sensum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod phantasia non est opinio. Secundo inquirit quid sit phantasia, ibi, de eo autem quod est intelligere. Circa primum tria facit. Primo proponit quod intendit: et dicit, quod ex hoc etiam apparet quod sensus et intellectus differunt, quia phantasia aliud est a sensu et ab intellectu, et tamen phantasia non fit sine sensu, quia consequitur sensum, ut postea dicetur, et sine phantasia non fit opinio. Ita enim videtur se habere phantasia ad sensum, sicut opinio ad intellectum. In rebus autem sensibilibus, cum aliquid sentimus, asserimus sic esse. Cum autem secundum phantasiam aliquid videtur, non asserimus sic esse, sed sic videri vel apparere nobis. A visione enim vel apparitione sumitur nomen phantasiae, ut infra dicetur. Et similiter circa intelligibilia, cum aliquid intelligimus asserimus sic esse. Cum autem opinamur, dicimus sic videri, vel apparere nobis. Sicut enim intelligere requirit sensum, ita et opinari requirit phantasiam.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80916] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 19Secundo ibi quod autem probat quod non sit idem opinio et phantasia, duabus rationibus; quarum prima talis est. Passio phantasiae est in nobis cum volumus, quia in potestate nostra est formare aliquid, quasi apparens ante oculos nostros, ut montes aureos, vel quicquid volumus, sicut patet de illis qui recordantur, et formant sibi idola eorum quae sibi videntur ad votum. Sed opinari non est in potestate nostra; quia necesse est, quod opinans habeat rationem, per quam opinetur, vel verum vel falsum; ergo opinio non est idem quod phantasia.

 

 

 

 

[80917] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 20Secundam rationem ponit cum dicit amplius autem quae talis est. Opinionem statim sequitur passio in appetitu; quia cum opinamur aliquid esse grave vel terribile, statim compatimur tristando vel timendo. Et similiter si sit aliquid confidendum, idest de quo aliquis debeat confidere et sperare, statim sequitur spes vel gaudium. Sed ad phantasiam non sequitur passio in appetitu; quia dum aliquid apparet nobis secundum phantasiam, similiter nos habemus, ac si consideremus in pictura aliqua terribilia vel sperabilia; ergo opinio non est idem quod phantasia.

 

 

 

 

 

[80918] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 21Huius autem differentiae ratio est, quia appetitus non patitur neque movetur ad simplicem apprehensionem rei, qualem proponit phantasia. Sed oportet quod apprehendatur sub ratione boni vel mali, convenientis vel nocivi. Et hoc facit opinio in hominibus, componendo vel dividendo, dum opinatur hoc esse terribile vel malum, illud autem esse sperabile vel bonum. Phantasia autem non componit neque dividit. Patitur tamen appetitus animalium ab aestimatione naturali, quae hoc operatur in eis, quod opinio in hominibus.

 

[80919] Sentencia De anima, lib. 3 l. 4 n. 22Tertio ibi sunt autem dicit quod cum ad intellectualem acceptionem multa pertineant, scilicet scientia, prudentia, opinio et contraria horum, de horum differentia non est hic agendum, sed alibi, scilicet in sexto Ethicorum.

Leçon  4

615. Après avoir montré que ces deux opérations, à savoir la perception des actes des sens propres et le discernement entre les sensibles des divers sens propres, ne dépassent pas la puissance du principe sensitif, ce qui n’était pas évident au départ, le Philosophe cherche maintenant à savoir si la pensée et l’intellection dépassent la puissance de ce même principe sensitif. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre que la pensée et l’intellection ne relèvent pas du sens, ce qui revient à montrer que le sens et l’intelligence ne sont pas des réalités identiques. En deuxième lieu, il montre que l’imagination, qui relève du sens, n’est pas identique à l’opinion qui relève de l’intelligence, là où il dit : « L’imagination, en effet, etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu, il présente l’opinion de ceux qui soutiennent que le sens et l’intelligence sont une même chose. En deuxième lieu, il réfute cette opinion, là où il dit : « Et pourtant il aurait fallu etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Premièrement il présente l’opinion. Deuxièmement, il désigne la cause de cette opinion, là où il dit : « En effet, tous ceux-là croient etc. ». Au sujet du premier point il fait deux choses. Premièrement, il présente l’opinion en général. Deuxièmement, il présente certaines paroles de philosophes qui semblent se rattacher à cette opinion, là où il dit : « Et que les anciens disaient que etc. ».

616. Il dit donc en premier lieu que parce que les anciens philosophes définissaient l’âme d’après deux choses, à savoir d’après le mouvement local et la connaissance, qui comprend le jugement intellectuel et celui du sens, il semble, d’après leur opinion, que la pensée et l’intellection soient une sorte de sensation, puisque c’est aussi bien par la sensation que par l’intellection que l’âme juge et connaît.

617. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et les anciens etc. », il montre que cette opinion découle non seulement de ce qu’ils disaient en général, mais les anciens disaient explicitement que le jugement intellectuel s’identifie à la sensation. Mais pour comprendre comment les paroles des philosophes qui sont présentées se rapportent au propos, il faut considérer qu’aucun corps ne peut agir directement sur ce qui n’est absolument pas corporel. Donc, puisque les puissances sensitives sont en quelque sorte corporelles, parce qu’elles sont des puissances qui s’enracinent dans des organes corporels, elles peuvent être modifiées par l’action des corps célestes, mais par accident cependant, car ni l’âme ni une puissance de l’âme n’est mue par un corps en mouvement, si ce n’est par accident. Et c’est pour cette raison qu’il arrive à l’imagination et à l’appétit sensible de subir un changement sous l’influence du corps céleste. C’est pourquoi les animaux irrationnels, dont les actions ne sont dirigées que par l’appétit sensible, suivent le plus souvent les impressions des corps célestes. Donc, soutenir que  les corps célestes influencent directement la partie intellectuelle de l’âme quant à l’intelligence et à la volonté, cela revient à soutenir que l’intelligence et la volonté sont des puissances corporelles. Et c’est ce que veulent dire les paroles de certains philosophes anciens.

618. Empédocle dit en effet qu’aussi bien chez les hommes que chez les autres animaux, « la volonté croît », c’est-à-dire qu’elle est portée à agir « au présent », c’est-à-dire selon la disposition du moment, disposition qui dépend certes de la disposition des corps célestes. C’est pourquoi le temps ou l’heure présente leur « offre », c’est-à-dire aux hommes et aux autres animaux, « toujours des idées qui changent ». En effet, en des moments et des temps différents, l’homme et les autres animaux portent sur les choses des jugements différents.

619. Et cette parole d’Homère va dans le même sens : « Car telle est l’intelligence chez les hommes d’ici-bas, que le père des hommes et des dieux, à savoir le soleil, conduit durant le jour ». Et il dit que le soleil est le père des hommes car il est une certaine cause de la génération humaine. En effet, c’est l’homme et le soleil qui engendrent l’homme. Et il dit que le soleil est le père des dieux soit à cause des corps célestes que les anciens appelaient des dieux et qui, selon les astrologues, sont réglés en quelque sorte par le soleil ; soit à cause des hommes dont ils croyaient qu’ils sont déifiés puisqu’ils sont engendrés par la puissance du soleil. Or, la puissance du Soleil est présente durant le jour parce que c’est durant le jour qu’il nous apparaît alors qu’il se meut dans l’hémisphère supérieur et c’est pourquoi les astrologues lui donnent pour nom planète du jour. Homère voulait donc dire que les hommes d’ici-bas tirent leur intelligence de l’opération du Soleil et que leur pensée est déterminée différemment selon les différents mouvements, lieux et aspects du Soleil.

620. Il faut cependant savoir qu’Aristote n’a pas présenté ce vers d’Homère dans sa totalité, mais seulement son commencement. C’est pourquoi en Grec et en arabe on n’en possède pas davantage que ce qui en est présenté ici. L’intelligence est telle en effet que ce passage se comprenne de telle manière qu’il est habituel de présenter un vers d’un auteur en n’en donnant que le début parce qu’il est déjà connu. Mais parce que ce vers d’Homère n’était pas connu des latins, Boèce le présenta en totalité.

621. Il est donc clair à partir de là qu’il est dit ici que si les corps célestes ont une influence directe sur l’intelligence et la volonté, cela revient à soutenir que l’intelligence est identique au sens. Mais l’influence des corps célestes peut parvenir indirectement à l’intelligence et à la volonté en tant que ces dernières sont unies aux puissances sensitives dans leurs opérations. En effet, si l’organe de l’imagination est blessé, l’opération de l’intelligence est empêchée ; d’autre part, c’est à partir de l’appétit sensible que la volonté est inclinée à vouloir ou à ne pas vouloir quelque chose. Cependant, parce que la volonté n’est pas nécessairement entraînée par l’appétit sensible et qu’elle demeure toujours libre en elle-même de suivre ou non l’inclination de l’appétit sensible, c’est pourquoi les corps célestes n’imposent aucune nécessité sur les actes humains.

622. Ensuite, lorsqu’il dit : « En effet, tous ces philosophes etc. », il montre la raison ou la cause pour laquelle ils ont adopté cette position. Il est manifeste en effet que si on supprime la différence par laquelle des choses diffèrent, elles demeurent semblables ; par exemple, si on retire rationnel de la définition de l’homme, il demeurera un des animaux irrationnels. Or, la différence entre la connaissance intellectuelle et la connaissance sensible est telle que la sensation est quelque chose de corporel. En effet, aucune opération du sens ne se réalise sans un organe corporel. Mais l’intellection n’est pas quelque chose de corporel, car l’opération de l’intelligence ne se réalise pas au moyen d’un organe corporel, comme nous le montrerons plus loin (n. 684). C’est donc la raison pour laquelle les anciens soutenaient que l’intelligence et le sens sont identiques, c’est-à-dire parce qu’ils pensaient que l’intellection, tout comme la sensation, est quelque chose de corporel.

623. Mais il montre par la suite de quelle manière ils en sont venus à soutenir que les deux sont quelque chose de corporel en disant que c’est parce qu’ils croyaient que la pensée intellectuelle, tout comme la sensation, s’accomplit par la puissance du semblable, comme nous l’avons dit dans le premier livre (nn. 43-44). Et ils prenaient le semblable dans le sens de son existence corporelle, c’est-à-dire dans le sens où la terre est connue par la terre, l’eau par l’eau, etc. D’où il s’ensuivait que la sensation et l’intellection résultaient, de la même manière, de la nature corporelle. C’est ainsi qu’il s’ensuivait pour eux que l’intellection et la sensation sont identiques.

624. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et cependant, ils etc. », le Philosophe réfute cette position. Et il le fait en premier lieu quant à sa cause. Il le fait en deuxième lieu quant à la position elle-même, là où il dit : « Nous dirons donc, bien au contraire, etc. ». Il dit donc en premier lieu que les Philosophes qui ont désigné la cause de la connaissance comme étant la ressemblance de l’objet connu au sujet connaissant ont dû désigner aussi une certaine cause de l’erreur car cette dernière semble être plus fréquente que la connaissance chez les animaux si l’on considère leur condition naturelle. Nous voyons en effet que les hommes peuvent fréquemment se tromper eux-mêmes et s’égarer, et que pour parvenir à la connaissance de la vérité, ils doivent être enseignés par d’autres. En outre, l’âme passe plus de temps dans l’erreur que dans la connaissance de la vérité, car elle parvient difficilement à la connaissance de la vérité suite à des applications et à des travaux de longue durée. Et cette raison est un réel obstacle à la position des philosophes anciens qui soutenaient que la connaissance est naturelle à l’âme de par sa nature même, comme si l’âme, du fait qu’elle était constituée des principes mêmes des choses, connaissait les choses non seulement en puissance mais aussi en acte.

625. Mais on pourrait répondre de deux manières à notre objection. Premièrement en disant que les anciens philosophes ne croyaient pas qu’il y a de l’erreur, puisqu’ils affirmaient que toutes les apparences sont vraies, comme nous l’avons dit plus haut (nn. 39 ; 595-596). C’est pourquoi il ne leur était pas nécessaire de donner une cause de l’erreur.

626. On pourrait aussi répondre que du fait même qu’ils affirmaient que la cause de la connaissance vient de ce que l’âme entre en contact avec ce qui lui est semblable, cela laisse entendre que la cause de l’erreur vient de ce que l’âme entre en contact avec ce qui lui est dissemblable. Et c’est ce que le Philosophe conclut, à savoir que parce que les anciens philosophes n’ont pas désigné la cause pour laquelle l’âme se trompe, il s’ensuit nécessairement, selon leur doctrine, soit que toutes les apparences sont vraies, soit que la cause de l’erreur est le fait que l’âme entre en contact avec ce qui lui est dissemblable. En effet, pour l’âme, entrer en contact avec ce qui lui est dissemblable semble être le contraire de connaître par ce qui lui est semblable.

627. La première réponse est réfutée dans un autre traité [Métaphysique, L. 3, ch. 4-7].

 

628. C’est pourquoi il poursuit par l’examen de la deuxième réponse lorsqu’il dit : « Mais on admet généralement etc. ».

Il est manifeste en effet que le dissemblable et le semblable sont des contraires. Mais l’homme se rapporte de la même manière à la connaissance des contraires et à l’erreur sur les contraires, car celui qui connaît l’un des contraires connaît aussi l’autre, et celui qui erre au sujet de l’un des contraires erre aussi au sujet de l’autre. Et c’est ce que dit le Philosophe lorsqu’il affirme que la science des contraires, tout comme l’erreur sur les contraires, semble bien être une et la même. Il ne semble donc pas possible que le contact avec une chose semblable soit la cause d’une connaissance vraie et que le contact avec une chose dissemblable soit la cause de l’erreur, car alors la science porterait sur l’un des contraires et l’erreur sur l’autre.

629. Ensuite, lorsqu’il dit : « Nous dirons, bien au contraire, etc. », Aristote réfute la position elle-même en montrant qu’il n’y a pas identité entre le sens et la pensée ou l’intelligence : ces deux dernières sont en effet attribuées à la connaissance intellectuelle. Il appartient en effet à l’intelligence de juger, et c’est ce qu’on appelle ici discerner et concevoir, et c’est ce que signifie l’intelligence. Il montre donc en premier lieu, au moyen du raisonnement qui suit, que la sensation n’est pas la même chose que la pensée. La sensation appartient à tous les animaux alors que la pensée n’appartient pas à tous les animaux mais seulement à quelques-uns : la pensée n’est donc pas la même chose que la sensation. Mais il dit que la pensée appartient à un petit nombre d’animaux et non qu’elle appartient seulement aux hommes, parce que même certains animaux participent quelque chose de la prudence et de la sagesse, c’est-à-dire ceux qui jugent correctement, par leur estimative naturelle, de ce qu’ils doivent faire.

630. En deuxième lieu, lorsqu’il dit : « Mais la pensée non plus etc. », il prouve, par deux moyens termes, que l’intellection n’est pas identique à la sensation. Et voici le premier moyen terme. Il est possible à la connaissance intellectuelle d’être droite et non droite. Il est certes possible à la connaissance intellectuelle d’être droite soit selon la science dont l’objet est spéculatif et nécessaire ; soit selon la prudence qui est la raison droite se rapportant aux actions contingentes ; soit selon l’opinion vraie qui se rapporte aux deux opposés, et non déterminément à l’un d’eux, contrairement à la science et à la prudence, mais de telle manière qu’elle penche davantage vers l’un des opposés en craignant que l’autre soit vrai. Mais il est possible à la connaissance intellectuelle « d’être non droite » d’après les contraires de ce que nous venons d’énumérer, c’est-à-dire d’après une science fausse, une imprudence et une opinion fausse. Or, la sensation ne peut être que droite, car le sens est toujours vrai relativement à ses sensibles propres. En conséquence, la sensation et la connaissance intellectuelle ne sont pas identiques.

631. Et parce qu’on pourrait croire que la sensation est identique la connaissance intellectuelle droite, c’est pourquoi il ajoute un autre moyen terme pour écarter cette hypothèse : et il dit que la sensation « appartient à tous les animaux » alors que la connaissance intellectuelle droite n’appartient qu’à ceux qui possèdent la raison, c’est-à-dire aux hommes, lesquels poursuivent l’appréhension de la vérité intelligible par une recherche de la raison, bien que les substances séparées, étant d’une intelligence supérieure, saisissent immédiatement la vérité sans aucune recherche. En conséquence, la connaissance intellectuelle n’est pas identique à la sensation.

632. Ensuite, lorsqu’il dit : « L’imagination, en effet, est autre que etc. », il montre que l’opinion, qui est consécutive à l’intelligence, est autre que l’imagination qui est consécutive au sens. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre que l’imagination n’est pas l’opinion. En deuxième lieu il se demande ce qu’est l’imagination, là où il dit : « Mais en ce qui concerne la connaissance intellectuelle etc. ». Au sujet du premier point, il fait trois choses. En premier lieu il présente son propos en disant qu’il apparaît aussi à partir de là que le sens et l’intelligence diffèrent pour cette raison que l’imagination est autre que le sens et l’intelligence, bien qu’elle ne puisse exister sans la sensation, car elle est consécutive au sens, comme nous le dirons par la suite (nn. 655-659), et que sans elle il n’y a pas d’opinion. En effet, il semble bien que l’imagination soit au sens ce que l’opinion est à l’intelligence. Or, en ce qui concerne les choses sensibles, lorsque nous percevons quelque chose par les sens, nous affirmons que les choses sont ainsi. Mais lorsque quelque chose est vu selon l’imagination, nous n’affirmons pas que les choses sont ainsi, mais plutôt qu’elles nous semblent ou nous apparaissent être ainsi. En effet, le nom même d’imagination se tire de la vision ou de ce qui apparaît à la vue, comme nous le dirons plus loin (n. 668). Et il en va de même pour les intelligibles : lorsque nous les comprenons, nous affirmons qu’il en est bien ainsi. Mais lorsque nous formons une opinion, nous disons que les choses nous semblent ou nous apparaissent être ainsi. En effet, tout comme la connaissance intellectuelle suppose le sens, de même l’opinion suppose l’imagination.

633. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais que l’imagination ne soit pas etc. », il prouve, au moyen de deux raisonnements, que l’imagination n’est pas identique à l’opinion, dont voici le premier. La passion de l’imagination est en nous lorsque nous le voulons. Il est en effet en notre pouvoir de former des images, comme si les choses elles-mêmes apparaissaient devant nos yeux, comme des montagnes d’or ou toute autre chose que nous voulons, comme on le voit pour ceux qui se rappellent des choses et s’en forment des images à volonté. Mais il n’est pas en notre pouvoir de former des opinions ; car il est nécessaire que celui qui a une opinion possède la raison par laquelle il forme une opinion vraie ou une opinion fausse. L’opinion n’est donc pas identique à l’imagination.

634. Il présente le deuxième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais en outre, etc. ». Et voici ce raisonnement. Une opinion est immédiatement suivie d’une passion dans l’appétit car lorsque nous opinons que quelque chose est terrible ou effrayant, aussitôt nous éprouvons de la tristesse ou de la crainte. De même, quand nous croyons que quelque chose est rassurant, c’est-à-dire quelque chose qui nous inspire confiance et espérance, alors aussitôt nous éprouvons de l’espérance ou de la joie. Mais l’imagination n’est pas suivie d’une passion dans l’appétit, car alors même que quelque chose nous apparaît selon l’imagination, nous demeurons les mêmes, comme si nous considérions dans une image des choses qui en elles-mêmes nous inspireraient terreur ou confiance. Par conséquent, l’opinion n’est pas identique à l’imagination.

635. La raison de cette différence, c’est que l’appétit n’est pas affecté ou ému à la simple appréhension de la chose telle que la présente l’imagination. L’appétit n’est affecté que si la chose est appréhendée sous la raison du bien ou du mal, de l’utile ou du nuisible. Et c’est justement ce que fait l’opinion chez les hommes en composant ou en divisant lorsque l’homme forme l’opinion que ceci est terrible ou mauvais, ou que cela est désirable ou bon. Or, on ne retrouve dans l’imagination ni composition ni division. Cependant, l’appétit des animaux est affecté par leur estimative naturelle, laquelle opère en eux ce que l’opinion opère dans les hommes.

636. En troisième lieu, lorsqu’il dit : « Mais il y a aussi etc. », il dit que bien que la connaissance intellectuelle comporte différents aspects et degrés, à savoir la science, la prudence, l’opinion, ainsi que leurs contraires, ce n’est pas ici qu’il convient de traiter de ces différences, mais dans un autre traité [Éthique, L. 6, ch. 3-4].

 

 

LECTIO 5

[80920] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 1Postquam philosophus ostendit quod phantasia non est opinio, incipit inquirere quid sit. Et primo dicit de quo est intentio. Secundo prosequitur, ibi, si igitur phantasia. Dicit ergo primo, quod cum ostensum sit quod intelligere est aliud quam sentire, et ad unum horum pertineat opinio, scilicet ad intellectum, ad aliud autem phantasia, scilicet ad sensum; postquam determinatum est de sensu, dicendum est de phantasia; ut sic postmodum determinetur de altero, scilicet de intellectu et opinione.

 

[80921] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 2Deinde cum dicit si igitur prosequitur intentum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod phantasia non est aliqua potentiarum vel habituum manifestorum, qui discernunt vel iudicant verum et falsum. Secundo ostendit quid sit, ibi, sed quoniam accidit motus. Circa primum tria facit. Primo distinguit potentias et habitus, quibus aliquid discernitur. Secundo ostendit, quod phantasia non est aliquid horum, ibi, quod quidem igitur non sit sensus. Tertio ostendit quod non est aliquid compositum ex eis, ibi, manifestum igitur quoniam. Dicit ergo primo, quod cum phantasia sit, secundum quam dicitur nobis fieri aliquod phantasma, idest aliquid apparibile, nisi forte accipiamus phantasmata metaphorice, necesse videtur quod sit aliquid de numero habituum vel potentiarum cognoscitivarum, quibus discernitur unum ab alio, aut quibus circa aliquid dicimus verum vel falsum, hoc est erramus vel non erramus. Nam apparere est aliquid discernere et dicere verum vel falsum. Potentiae autem vel habitus quibus discernimus, et dicimus verum et falsum, videntur esse hi quatuor: sensus, intellectus, opinio et scientia. Unde videtur quod phantasia sit aliquid horum quatuor.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80922] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 3Ponit autem haec quatuor, quasi iam nota. Alia autem, quae ad cognitionem videntur pertinere, nondum erant suo tempore per certitudinem scita. Ipse autem iam superius distinxit intellectum a sensu. Unde praeter sensum connumerat tria alia; scilicet intellectum, opinionem et scientiam. Et videtur quod intellectus non accipiatur hic pro potentia; sic enim contra intellectum non dividerentur scientia et opinio, quae ad potentiam intellectivam pertinent: sed intellectus accipitur pro certa apprehensione eorum quae absque inquisitione nobis innotescunt, sicut sunt prima principia. Scientia vero pro cognitione eorum, de quibus certificamur per certitudinem vel investigationem rationis. Opinio autem pro cognitione eorum de quibus certum iudicium non habemus.

 

 

 

 

 

 

[80923] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 4Unde etiam dicit quod phantasia est habitus vel potentia de numero eorum, ad ostendendum quod inter haec, aliquid est ut potentia, et aliquid ut habitus. Cognoscere autem possumus quod haec tantum apprehensionis principia apud antiquos nota erant, ex positione Platonis superius in primo libro posita, qui solum haec quatuor ad numeros reduxit, tribuens intellectum uni, scientiam dualitati, opinionem ternario, sensum quaternario.

 

 

[80924] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 5Deinde cum dicit quod igitur ostendit quod phantasia non est aliquid dictorum. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quod non sit sensus. Secundo quod non sit intellectus, sive scientia, ibi, at vero neque semper. Tertio quod non sit opinio, ibi, relinquitur. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod phantasia non sit sensus, neque secundum potentiam, neque secundum actum: et ratio est talis. Dormiens aliquid phantasiatur: hoc autem non fit secundum sensum in potentia, quia sensui in potentia existenti, nihil apparet: nec secundum sensum in actu, quia in somno non est sensus in actu; ergo phantasia non est sensus in potentia, neque sensus in actu.

 

 

 

 

 

[80925] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 6Secundo ibi postea secundum ostendit quod phantasia non sit sensus in potentia: et est ratio talis. Sensus in potentia semper adest animali, phantasia autem non semper, cum non semper animali aliquid appareat; ergo phantasia non est sensus in potentia.

 

 

[80926] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 7Tertio ibi si vero ostendit quod phantasia non sit sensus secundum actum, quatuor rationibus. Quarum prima talis est. Sensus secundum actum conveniunt omnibus bestiis, idest animalibus irrationalibus. Si igitur phantasia esset idem quod sensus in actu, sequeretur quod inesset omnibus animalibus irrationalibus. Hoc autem non est verum; non enim inest formicae aut api, aut vermi: ergo phantasia non est sensus secundum actum.

 

 

[80927] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 8Considerandum est autem quod omnia animalia habent quodammodo phantasiam; sed animalia imperfecta habent phantasiam indeterminatam, sicut infra dicet philosophus. Sed hoc non videtur verum de formica et ape, in quarum operatione plurimum prudentiae apparet. Sed sciendum est quod opera prudentiae, formica et apis operantur naturali inclinatione, non ex hoc quod habeant phantasiam determinatam et distinctam a sensu: non enim phantasiantur aliquid, nisi dum moventur a sensibili. Quod autem operantur propter finem, quasi providentes in futurum, non contingit ex hoc quod habeant aliquam imaginationem ipsius futuri; sed imaginantur actus praesentes, qui ordinantur ad finem ex naturali inclinatione magis quam ex apprehensione. Illa autem animalia dicit philosophus phantasiam habere, quibus aliquid secundum phantasiam apparet, etiam dum non actu sentitur.

 

 

 

 

[80928] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 9Secundam rationem ponit ibi postea hi quae talis est. Sensus secundum actum semper sunt veri; non enim sensus decipitur circa proprium sensibile: sed phantasiae ut plurimum sunt falsae. Non enim respondet imaginationi ut plurimum; ergo phantasia non est sensus secundum actum.

[80929] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 10Tertiam rationem ponit ibi amplius autem quae est talis. Cum operamur cum certitudine circa sensibile actu, scilicet ipsum sentiendo, non dicimus quod hoc videtur nobis homo, sed magis hoc dicimus cum non manifeste sentimus, sicut cum a remotis aliquid videmus, vel cum videmus aliquid in tenebris. Et tunc sensus secundum actum, aut est verus, aut est falsus. Circa sensibile enim per accidens, cuiusmodi sensibile est homo, non semper sensus est verus, sed quandoque decipitur. Addit autem hoc ut ostendat convenientiam inter sensum non manifestum, et phantasiam, quae etiam quandoque est vera, quandoque falsa est. Cum autem manifeste aliquid phantasiamur, dicimus quod hoc videtur nobis homo, et quod non per certitudinem sit homo; ergo phantasia non est idem quod sensus in actu.

 

[80930] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 11Quartam rationem ponit ibi et quod quae talis est. Phantasticae visiones apparent dormientibus. In eis autem non est sensus secundum actum; ergo phantastica visio non est sensus secundum actum.

[80931] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 12Deinde cum dicit at vero ostendit quod phantasia non sit intellectus neque scientia. Intellectus enim est primorum principiorum, et scientiarum de conclusionibus per demonstrationem acquisita, semper sunt verorum. Phantasia autem quandoque est falsa; ergo phantasia non est intellectus, neque scientia.

 

[80932] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 13Deinde cum dicit relinquitur igitur ostendit quod phantasia non sit opinio quod magis videbatur, quia opinio etiam quandoque est falsa, sicut phantasia. Ostendit autem hoc duabus rationibus. Prima quarum talis est. Opinionem sequitur fides; non enim videtur esse conveniens, quod aliquis non credat id quod opinatur; et sic cum nulla bestia habeat fidem, nulli bestiarum inerit opinio. Sed phantasia inest multis bestiarum, ut dictum est; ergo phantasia non est opinio.

 

 

 

[80933] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 14Secundam rationem ponit ibi amplius omnem quae talis est. Ad omnem opinionem consequitur fides, quia unusquisque credit illud quod opinatur, ut dictum est. Sed ad fidem sequitur quod aliquis sit persuasus; ea enim credimus, quae nobis persuasa sunt. Ad persuasionem autem sequitur ratio secundum ordinem illationis, quia per aliquam rationem, aliquid alicui suadetur; ergo de primo ad ultimum, quicumque habet opinionem, habet rationem. Nulla autem bestia habet rationem, cum autem aliqua habeat phantasiam; ergo phantasia non est opinio. Et manifestum est quod haec secunda ratio inducitur ad confirmandum primam, quantum ad hoc quod prima supponebat quod nulla bestia habet fidem.

 

 

[80934] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 15Deinde cum dicit manifestum igitur ostendit quod phantasia non est aliquid compositum ex praemissis, et praecipue ex sensu et opinione, ex quibus magis posset videri esse composita. Et circa hoc tria facit. Primo ponit quod intendit, quasi ex praemissis concludens, quod quia phantasia neque est sensus neque opinio, manifestum propter hoc esse potest, quod phantasia, nec opinio est cum sensu, ita quod essentialiter sit opinio et habeat sensum concomitantem, neque opinio est per sensum, ita quod essentialiter sit opinio, sed et habeat sensum causantem, neque est complexio opinionis et sensus, ita quod essentialiter componatur ex utroque. Non autem addit quod non sit phantasia sensus cum opinione, quia phantasia magis videtur communicare cum opinione, quae potest esse falsa, quam cum sensu, qui est semper verus.

 

 

 

 

[80935] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 16Secundo ibi et manifestum ostendit qualiter oporteat accipi opinionem, si phantasia complectitur opinionem et sensum: quia enim phantasia est unius et eiusdem, manifestum est quod opinio adiuncta sensui, quae est phantasia, non est alia quaedam opinio, sed illa quae est de eodem de quo est sensus; sicut si dicamus, quod phantasia est quaedam complexio ex opinione albi, et sensu eiusdem. Non enim potest esse composita ex opinione albi et sensu boni, quia sic phantasia non esset de uno et eodem. Oportet igitur, si phantasia est ex complexione opinionis et sensus, quod apparere aliquid secundum phantasiam, nihil aliud sit quam opinari aliquid idem, quod sentitur per se, et non secundum accidens.

 

 

 

[80936] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 17Tertio ibi apparent autem destruit praedictam positionem tali ratione. Contingit aliquando quod aliqua falsa apparent secundum phantasiam, quae est a sensu: et de illis et de eisdem rebus, homo habet veram opinionem. Sicut secundum sensum apparet, quod sol non excedit quantitatem unius pedis, quod falsum est. Sed secundum veram opinionem creditur esse maiorhabitatione, idest tota terra, in qua habitamus. Si enim apparitio ipsa falsa, sit idem quod opinio cum sensu, oportet alterum duorum dicere: quorum unum est, quod in ista compositione opinionis ad sensum, aliquis abiiciat veram opinionem quam prius habebat, re opinata salvata, idest eodem modo manente; et ille qui abiicit opinionem, non sit oblitus neque quod decredat. Quod est impossibile. Istis enim tribus modis aliquis abiicit veram opinionem. Primo quando res mutatur, sicut cum aliquis vere opinatur quod Socrates sedet, eo sedente; sed postquam Socrates sedere destiterit, si retineat opinionem eamdem, vera opinio mutatur in falsam. Secundo quando desinit opinari quod prius opinabatur, propter hoc quod est pristinae opinionis oblitus. Tertio, quando desinit opinari quod prius opinabatur, quia decredit quod prius credebat, immutatur propter aliam rationem. Quod autem aliquis amittat opinionem, nullo istorum contingente, est impossibile. Quod tamen contingeret in proposito.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80937] Sentencia De anima, lib. 3 l. 5 n. 18Aliud autem quod oportet dicere, si primum non dicatur, est quod aliquis retineat cum falsa opinione, veram opinionem. Et sic si ipsa apparitio est ipsa opinio (quod necesse est ponere, si phantasia est opinio), sequitur quod eadem apparitio sit vera et falsa. Sed oportet si vera falsa facta est, et non sit vera, quod res transcendens idest transmutata ab eo quod prius erat, lateat opinantem; quia si non lateret eum, simul cum mutatione rei mutaretur opinio, et non esset eius opinio falsa. Hoc autem adiunxit ad exponendum quod prius dixerat de salvatione rei. Concludit ergo quod phantasia neque est quid praedictorum quatuor, neque est compositum ex his.

Leçon  5

637. Après avoir montré que l’imagination n’est pas l’opinion, il commence ici à rechercher ce qu’elle est. Et en premier lieu, il exprime son intention. En deuxième lieu, il poursuit son intention, où il dit : « Si donc l’imagination est cette faculté etc. ». Il dit donc en premier lieu, puisqu’il a été montré que l’intellection est autre que la sensation et que c’est à l’un des deux qu’appartient l’opinion, à savoir à l’intelligence, et que c’est à l’autre qu’appartient l’imagination, à savoir au sens, qu’après avoir traité du sens, il faut traiter de l’imagination, de manière à pouvoir traiter par la suite de l’autre partie, à savoir de l’intelligence et de l’opinion.

638. Ensuite, lorsqu’il dit : « Si donc l’imagination est cette faculté etc. », il poursuit son propos, et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre que l’imagination n’est pas une des puissances ou des habitus manifestes qui discernent ou jugent du vrai et du faux. En deuxième lieu, il montre ce qu’est l’imagination, là où il dit : « Mais puisqu’il arrive à une chose mue d’en mouvoir etc. ». Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il distingue les puissances et les habitus par lesquels on discerne quelque chose. En deuxième lieu il montre que l’imagination ne fait pas partie de ces puissances et habitus, là où il dit : « Que l’imagination ne soit pas la sensation etc. ». En troisième lieu, il montre que l’imagination n’est pas une combinaison de ces puissances ou habitus, là où il dit : « Il est donc clair que l’imagination n’est pas une combinaison de etc. ». Il dit donc en premier lieu que puisque l’imagination est cette faculté par laquelle nous disons qu’une représentation, à savoir une image, se produit en nous, et si nous écartons tout usage métaphorique de ce terme , il semble nécessaire qu’elle fasse partie du nombre des habitus ou des puissances cognitives par lesquelles nous discernons une chose d’une autre, ou par lesquelles nous disons d’une chose qu’elle est vraie ou fausse et par lesquelles nous pouvons nous tromper ou ne pas nous tromper. Imaginer une chose, c’est la distinguer et dire à son sujet le vrai et le faux. Or, il semble que les puissances et les habitus par lesquels nous discernons et disons le vrai et le faux  soient les quatre suivants : le sens, l’intelligence, l’opinion et la science. Il semble donc que l’imagination soit l’une de ces quatre puissances.

639. Aristote présente ces quatre puissances comme étant celle qui étaient déjà connues. En effet, les autres puissances qui semblent appartenir à la connaissance n’étaient pas encore connues avec certitude à son époque. Or, lui-même a déjà distingué précédemment (n. 630-631) l’intelligence du sens. Et c’est pourquoi, en dehors du sens, il énumère trois autres puissances ou habitus, à savoir l’intelligence, l’opinion et la science. Et il semble que l’intelligence ne s’entende pas ici dans le sens d’une puissance : en effet, l’opinion et la science ne se divisent pas ici contre l’intelligence en tant que puissance puisqu’elles se rangent dans la puissance intellectuelle ; mais le terme « intelligence » est plutôt pris ici dans le sens d’une appréhension certaine des choses qui nous sont connues sans aucune recherche, comme c’est le cas pour les tout premiers principes. La science, quant à elle, se prend comme étant la connaissance des choses dont nous obtenons une connaissance assurée au moyen d’une recherche certaine de la raison alors que l’opinion s’entend comme étant la connaissance des choses sur lesquelles nous ne possédons pas un jugement certain.

640. C’est aussi pourquoi Aristote dit que l’imagination est une puissance ou un habitus qui est du nombre de ces puissances et facultés pour montrer que parmi elles, elle est quelque chose à la fois en tant que puissance et en tant qu’habitus. Or, si nous pouvons connaître que ces seuls principes d’appréhension étaient connus chez les anciens, c’est par la position de Platon présentée précédemment dans le premier livre (n. 51), lequel ramène seulement ces quatre puissances à des nombres, attribuant l’intelligence à l’un, la science à deux, l’opinion à trois et le sens à quatre.

641. Ensuite, lorsqu’il dit : « Que l’imagination ne soit pas la sensation etc. », il montre que l’imagination n’est pas une des ces puissances. Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il montre que l’imagination n’est pas le sens. En deuxième lieu, il montre qu’elle n’est pas l’intelligence ou la science, là où il dit : « Mais l’imagination ne peut jamais être non plus etc. ». En troisième lieu il montre qu’elle ne peut être l’opinion, là où il dit : « Il reste donc à voir si etc. ». Au sujet du premier point, il fait trois choses. En premier lieu, pour montrer que l’imagination n’est le sens ni en puissance ni en acte, il présente ce raisonnement. Celui qui dort aperçoit des images : or, cela ne peut procéder du sens en puissance car aucune image ne peut apparaître du sens en puissance ; cela ne peut davantage procéder du sens en acte car le sens ne peut être en acte durant le sommeil. L’imagination n’est donc ni le sens en puissance, ni le sens en acte.

642. En deuxième lieu, lorsqu’il dit : « Ensuite, le sens en puissance etc. », il montre, par le raisonnement suivant, que l’imagination n’est pas le sens en puissance. Le sens en puissance est toujours présent chez l’animal, alors que l’imagination ne l’est pas toujours chez l’animal puisque des images n’apparaissent pas toujours à l’animal ; l’imagination n’est donc pas le sens en puissance.

643. En troisième lieu, lorsqu’il dit : « Mais si l’imagination et etc. », il montre, au moyen de quatre raisonnements, que l’imagination n’est pas le sens en acte. Et voici le premier raisonnement. Le sens en acte convient à toutes les bêtes, c’est-à-dire à tous les animaux irrationnels. Donc, si l’imagination était la même chose que le sens en acte, il s’ensuivrait qu’elle appartiendrait à tous les animaux irrationnels. Or cela n’est pas vrai : en effet, elle n’appartient pas à la foumi, à l’abeille ou au ver ; donc, l’imagination n’est pas identique au sens en acte.

644. Il faut néanmoins considérer que tous les animaux possèdent en quelque sorte une imagination ; cependant, les animaux imparfaits possèdent une imagination indéterminée, comme le dira plus loin (nn. 838-839) le Philosophe. Mais cela ne semble pas vrai si on regarde la fourmi et l’abeille dont les opérations semblent manifester une grande prudence. Il faut cependant savoir que c’est par une inclination naturelle et non par une imagination déterminée et distincte du sens que la fourmi et l’abeille accomplissent leurs œuvres de prudence : en effet, elles n’imaginent quelque chose que lorsqu’elles sont mues par un objet sensible. Et qu’elles agissent en vue d’une fin comme si elles prévoyaient le futur, cela n’est pas possible du fait qu’elles posséderaient une imagination ou une représentation du futur lui-même ; mais plutôt, elles imaginent les actes présents qui sont ordonnés à la fin par une inclination naturelle plus que par une appréhension. Or, le Philosophe dit que ces animaux possèdent une imagination dans le sens où des images leur apparaissent selon l’imagination même lorsqu’ils ne sentent pas en acte.

645. Et lorsqu’il dit : « Ensuite, les  sensations etc. » il présente le deuxième raisonnement que voici. Les sens en acte sont toujours dans le vrai : le sens ne se trompe pas à l’égard de son sensible propre, alors que les images sont fréquemment dans le faux. Dans la plupart des cas, la chose ne correspond pas à l’imagination ; l’imagination n’est donc pas le sens en acte.

646. Il présente le troisième raisonnement lorsqu’il dit : « Mais en outre, nous ne disons pas etc. ». Lorsque nous opérons avec certitude sur un sensible en acte, c’est-à-dire lorsque nous le percevons, nous ne disons pas que cela nous semble être un homme, mais nous disons plutôt cela lorsque nous ne le percevons pas distinctement, comme lorsque nous le voyons de loin ou dans l’obscurité. Et alors le sens en acte est ou bien vrai, ou bien faux. En effet, pour le sensible par accident, et l’homme en est un, le sens n’est pas toujours vrai mais se trompe parfois. Il ajoute cela pour montrer une ressemblance entre le sens qui n’est pas manifeste et l’imagination qui elle aussi est parfois vraie, parfois fausse. Cependant, même lorsque nous imaginons manifestement quelque chose, nous disons que cela nous semble être un homme et que ce n’est pas un homme avec certitude ; l’imagination n’est donc pas identique au sens en acte.

647. Lorsqu’il dit : « Et que des images appparaissent etc. », il présente le quatrième raisonnement que voici. Des images visuelles apparaissent dans le sommeil. Or, dans le sommeil, la vue n’est pas en acte. Donc, la vision imaginative n’est pas le sens en acte.

648. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais l’imagination ne peut être non plus etc. », il montre que l’imagination n’est ni l’intelligence, ni la science. L’intelligence, qui a pour objet les premiers principes, et la science, dont la connaissance a pour objet les conclusions acquises par démonstration, sont toujours dans le vrai. Or, l’imagination est parfois dans le faux. L’imagination n’est donc pas l’intelligence ni la science.

649. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il reste donc à voir etc. », il montre que l’imagination n’est pas l’opinion à laquelle elle ressemble davantage car l’opinion, tout comme l’imagination, est elle aussi parfois dans le faux. Et il le montre au moyen de deux raisonnements, dont voici le premier. La foi ou la croyance est consécutive à l’opinion. En effet, il ne semble pas possible que celui qui a une opinion ne croie pas en son opinion. Par conséquent, puisqu’aucune bête n’est sujette à la foi ou à la croyance, aucune bête n’a une opinion. Or, l’imagination appartient à un grand nombre de bêtes, ainsi que nous l’avons dit (nn. 643-644) ; l’imagination n’est donc pas l’opinion.

650. Il présente le deuxième raisonnement, que voici, là où il dit : « En outre toute opinion etc. ». Toute opinion est accompagnée de conviction, car tous ceux qui ont une opinion ont foi en leur opinion, comme nous venons de le dire (n. 649). Or, toute conviction est accompagnée de persuasion. Nous sommes en effet persuadés de ce que nous croyons. Mais la persuasion s’accompagne de raison par mode de conclusion, car c’est pour une raison que nous sommes persuadés de quelque chose ; donc, du premier au dernier, quiconque est capable d’opinion possède aussi la raison. Or, aucune bête ne possède la raison bien que certaines possèdent l’imagination. En conséquence, l’imagination n’est pas l’opinion. Et il est manifeste que ce deuxième raisonnement est présenté pour confirmer le premier quant à ceci que le premier supposait qu’aucune bête n’est capable de croyance.

651. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il est donc clair que l’imagination n’est ni etc. », il montre que l’imagination n’est pas unie à l’un des habitus qui précèdent, et surtout au sens et à l’opinion auxquels elle semblerait être davantage unie. Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il présente ce qu’il se propose de montrer comme en concluant, à partir de ce qui précède, que parce que l’imagination n’est ni le sens ni l’opinion, il peut être manifeste à cause de cela que l’imagination n’est ni l’opinion accompagnée du sens, de telle manière qu’elle serait essentiellement une opinion que le sens accompagnerait, ni une opinion produite par le sens, de telle manière que l’imagination serait essentiellement une opinion que le sens causerait, ni une combinaison d’opinion et de sens de telle manière que l’imagination serait essentiellement un composé des deux. Aristote n’ajoute cependant pas que l’imagination n’est pas le sens accompagné d’une opinion, car l’imagination semble davantage avoir du commmun avec l’opinion, qui peut être fausse, qu’avec le sens qui est toujours vrai.

652. En deuxième lieu, lorsqu’il dit : « Et il est aussi évident etc. », il montre de quelle manière il faut entendre l’opinion, si l’imagination embrasse l’opinion et le sens : en effet, parce que l’imagination a un seul et même objet, il est manifeste que l’opinion unie au sens, étant l’imagination, n’est pas une autre opinion, mais celle-là même qui a pour objet celui-là même sur lequel porte le sens : comme si nous disions que l’imagination est la combinaison de l’opinion du blanc et de la sensation du blanc. En effet, elle ne peut être la combinaison de l’opinion du blanc et de la sensation du bien car alors l’imagination ne porterait plus un seul et même objet. Il faut donc, si l’imagination est la combinaison de l’opinion et du sens, qu’imaginer quelque chose ne soit rien d’autre que former une opinion sur la chose même qui a été perçue par soi et non par accident par le sens.

653. En troisième lieu, lorsqu’il dit : « Mais on aperçoit aussi des choses fausses etc. », il détruit par ce raisonnement la position qui précède. Il arrive qu’on imagine selon l’imagination des choses fausses qui nous viennent du sens, et que l’homme ait une opinion vraie au sujet de ces mêmes choses. Par exemple, il apparaît au sens que le Soleil ne dépasse pas la dimension d’un pied de diamètre, ce qui est faux. Mais l’homme, selon une opinion vraie, croit que le Soleil est plus grand que la terre « habitée », c’est-à-dire que la totalité de la Terre sur laquelle nous habitons. Si en effet l’apparition fausse elle-même s’identifiait à l’opinion accompagnée du sens, il faudrait dire l’une des deux choses suivantes : ou bien que dans cette combinaison d’opinion et de sens on rejette l’opinion vraie qu’on avait, bien que la chose, objet de l’opinion, se soit « conservée telle qu’elle était », ou n’ait subi aucun changement, et que celui qui rejette la première opinion n’a ni oublié ni changé de croyance. Or cela est impossible. En effet il existe trois conditions selon lesquelles on est conduit à rejeter une opinion vraie. Premièrement lorsque la chose a changé, par exemple lorsqu’on a l’opinion vraie que Socrate est assis, aussi longtemps qu’il est assis ; mais après que Socrate a abandonné cette position, si on persiste à garder la même opinion, alors l’opinion vraie devient fausse. Deuxièmement, lorsqu’on cesse d’opiner ce qu’on opinait avant, par exemple lorsqu’on a oublié l’opinion originelle. Troisièmement, lorsqu’on abandonne l’opinion qu’on avait avant parce, poussé par une autre raison, on cesse de croire ce qu’on croyait avant. Et il est impossible qu’on perde une opinion s’il ne survient aucune de ces trois conditions. C’est pourtant ce qui surviendrait en ce qui touche notre propos.

654. Ou bien, l’autre chose qu’il faudrait dire si on n’adopte pas la première, c’est qu’on retient l’opinion vraie avec l’opinion fausse. Et par conséquent si l’image est l’opinion elle-même (ce qu’il faut nécessairement affirmer si l’imagination est l’opinion), il s’ensuit que l’image est à la fois vraie et fausse. Mais il faut, si une opinion vraie devient fausse et ne soit plus vraie, que la chose elle-même ait « passé » à un autre état, c’est-à-dire ait quitté l’état où elle était antérieurement, à l’insu de l’opinant. En effet, si la modification n’avait pas lieu à l’insu de l’opinant, l’opinion serait modifiée en même temps que la modification subie par la chose et son opinion ne serait pas fausse. Et il ajoute cela pour expliquer ce qu’il avait dit précédemment sur la conservation de la chose. Il conclut donc que l’imagination n’est ni l’un des quatre habitus qui précèdent, ni une combinaison de ces habitus.

 

 

LECTIO 6

[80938] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 1Postquam philosophus ostendit quod phantasia non est aliquid illorum quatuor, quae ab antiquis ad cognitionem pertinere ponebantur, hic inquirit quid sit phantasia. Et dividitur in partes duas. In prima ostendit quid sit phantasia. In secunda assignat rationem eorum, quae ad phantasiam pertinent, ibi, hoc autem accidit. Ad investigandum quid sit phantasia, hoc modo procedit. Primo enim proponit, quod si aliquid est motum, contingit quod ab eodem aliquid aliud moveatur. Ostensum est enim in octavo physicorum, quod est duplex movens : scilicet movens immobile, et movens motum, quod scilicet movet, eo quod movetur.

 

 

[80939] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 2Deinde ponit, quod phantasia est quidam motus. Sicuti enim sentiens movetur a sensibilibus, ita in phantasiando movetur a quibusdam apparentibus, quae dicuntur phantasmata.

[80940] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 3Ulterius ponit affinitatem, quam habet phantasia ad sensum, quia phantasia non potest fieri sine sensu, sed est tantum in habentibus sensum, scilicet in animalibus ; et est illorum tantum quorum est sensus, scilicet illorum quae sentiuntur. Ea enim, quae sunt intelligibilia tantum, non cadunt in phantasiam.

 

 

[80941] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 4Deinde proponit quod ab actu sensus contingit quemdam motum fieri. Quod quidem fit manifestum ex eo quod primo proponebatur, scilicet quod ab eo quod est motum, contingit moveri alterum. Sensus autem secundum actum fit, ex eo quod movetur a sensibilibus ; unde relinquitur, quod a sensu secundum actum causetur aliquis motus. Ex quo etiam manifestum est, quia motus causatur ab actu sensus, necesse est quod sit similis sensui, quia omne agens agit simile sibi. Unde et illud, quod movet inquantum movetur, causat motum hanta motui quo ipsum movetur.

 

 

[80942] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 5Ex omnibus autem his concludit, quod phantasia sit quidam motus causatus a sensu secundum actum ; qui quidem motus non est sine sensu, neque potest inesse his quae non sentiunt. Quia si aliquis motus fit a sensu secundum actum, similis est motui sensus, et nihil aliud nisi phantasia invenitur esse tale. Relinquitur ergo, quod phantasia erit huiusmodi motus. Et ex hoc quod est motus causatus a sensu, similis ei, sequitur quod continget habentem phantasiam, multa agere et pati secundum eam. Et contingit esse veram et falsam, ut statim ostenditur.

 

 

 

 

[80943] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 6Deinde cum dicit hoc autem assignat rationem eorum quae conveniunt phantasiae, per ea quae dicta sunt. Et circa hoc tria facit. Primo assignat causam eius quod dixerat, quod phantasia quandoque sit vera et quandoque falsa. Secundo assignat causam huius nominis, ibi, quoniam autem visus. Tertio assignat causam eius quod dixerat, quod animalia multa agunt secundum phantasiam, ibi, et quoniam immanent. Dicit ergo primo quod hoc, scilicet phantasiam esse quandoque veram et quandoque falsam, accidit propter hoc quod dicetur, quia scilicet sensus, a cuius actu causatur phantasia, diversimode se habet ad veritatem, secundum quod comparatur ad diversa.

 

 

[80944] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 7Nam primo quidem circa propria sensibilia semper verus est aut modicum habet de falsitate. Sicut enim potentiae naturales non deficiunt in propriis operationibus, nisi in minori parte, propter aliquam corruptionem ; sic etiam sensus non deficiunt a vero iudicio propriorum sensibilium, nisi in minori parte, propter aliquam corruptionem organi ; ut apparet in febricitantibus, quibus propter indispositionem linguae dulcia amara esse videntur.

 

[80945] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 8Secundo autem sensus est circa sensibilia per accidens ; et hic iam decipitur sensus. Quod enim album sit quod videtur, non mentitur sensus ; sed si album sit hoc aut illud, puta vel nix, vel farina vel aliquid huiusmodi, hic iam contingit mentiri sensum, et maxime a remotis.

 

 

[80946] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 9Tertio sensus est sensibilium communium quae consequuntur subiecta in quibus sunt accidentia, quae sunt sensibilia propria ; sicut magnitudo et motus, quae sunt sensibilia communia accidunt sensibilibus corporibus. Et circa huiusmodi maxime est deceptio, quia iudicium de his variatur secundum diversitatem distantiae. Nam quod a remotiori videtur, minus videtur.

[80947] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 10Motus autem phantasiae qui est factus ab actu sensus, differt ab istis tribus sensibus, id est actibus sensus, sicut effectus differt a causa. Et propter hoc etiam quia effectus est debilior causa, et quanto magis aliquid elongatur a primo agente, tanto minus recipit de virtute et similitudine eius ; ideo in phantasia facilius adhuc quam in sensu potest incidere falsitas, quae consistit in dissimilitudine sensus ad sensibile. Tunc enim est falsus sensus quando aliter recipitur forma sensibilis in sensu, quam sit in sensibili. Et dico aliter secundum speciem, non secundum materiam ; puta si sapor dulcis recipiatur in lingua secundum amaritudinem : secundum vero materiam semper aliter recipit sensus, quam habeat sensibile. Omnis igitur motus phantasiae, qui fit a motu propriorum sensibilium, est verus, ut in pluribus. Et hoc dico quantum ad praesentiam sensibilis, quando motus phantasiae est simul cum motu sensus.

 

 

 

 

 

 

 

[80948] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 11Sed quando motus phantasiae est in absentia sensus, tunc etiam circa propria sensibilia contingit decipi. Imaginatur enim quandoque absentia ut alba, licet sint nigra. Sed alii motus phantasiae, qui causantur a sensu sensibilium per accidens, et a sensu sensibilium communium, possunt esse falsi, sive sit praesens sensibile, sive non. Sed magis sunt falsi in absentia sensibilis, quam sunt quando sunt procul.

 

 

[80949] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 12Ex hac autem ratione assignata, concludit ulterius principale propositum ; dicens, quod si ea quae dicta sunt non conveniunt nisi phantasiae, et phantasia habet quod dictum est, relinquitur quod phantasia sit motus a sensu factus in actu.

 

[80950] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 13Ulterius autem quod iste motus aliam potentiam requirat, quam sensitivam, Aristoteles hoc non determinat. Sed videtur quod cum secundum diversitatem actuum distinguantur potentiae, et diversitas motus requirat diversa mobilia, quia quod movetur, non movet seipsum, sed alterum, necessarium videtur quod sit alia potentia phantastica, sive imaginativa, a sensu.

[80951] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 14Deinde cum dicit quoniam autem assignat causam huius nominis. Circa quod sciendum est, quod phos in Graeco, idem est quod lux ; et inde venit phanos quod est apparitio, vel illuminatio et phantasia. Dicit ergo quod visus est praecipuus inter alios sensus, eo quod est spiritualior, ut supra ostensum est, et plurium cognoscitivus : ideo phantasia quae causatur a sensu secundum actum, accipit nomen a lumine, sine quo non est videre, ut supra dictum est.

 

 

[80952] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 15Deinde cum dicit et quoniam ostendit causam, quare animalia agunt et patiuntur secundum phantasiam ; et dicit, quod phantasiae immanent, idest perseverant, etiam abeuntibus sensibilibus, et sunt similes sensibus secundum actum. Unde sicut sensus secundum actum movet appetitum ad praesentiam sensibilis, ita et phantasiae in absentia sensibilis. Et propter hoc dicit quod hantasi multa operantur secundum hantasies. Sed hoc contingit propter defectum intellectus, quia cum intellectus adest, quia est superior, eius iudicium praevalet ad agendum.

 

 

 

 

[80953] Sentencia De anima, lib. 3 l. 6 n. 16Unde quando intellectus non dominatur, agunt animalia secundum phantasiam. Alia quidem, quia omnino non habent intellectum, sicut bestiae, alia vero quia habent intellectum velatum, sicut homines. Quod contingit tripliciter. Quandoque quidem ex aliqua passione irae, aut concupiscentiae, vel timoris aut aliquid huiusmodi. Quandoque autem accidit ex aliqua infirmitate, sicut patet in phreneticis vel furiosis. Quandoque autem in somno, sicut accidit in dormientibus. Ex istis enim causis contingit quod intellectus non praevalet phantasiae, unde homo sequitur apprehensionem phantasticam quasi veram. Ultimo concludit de phantasia, quod dictum est quid sit, et quae sit eius causa.

Leçon  6

655. Après avoir montré que l’imagination n’est pas l’un des quatre habitus qui précèdent et que les anciens rangeaient dans les puissances cognitives, le Philosophe cherche ici à savoir ce qu’est l’imagination. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il montre ce qu’est l’imagination. Dans la deuxième il donne la raison des notions qui appartiennent à l’imagination, là où il dit : « Mais cela se produit pour cette raison que etc. ». Et dans sa recherche sur l’imagination, il procède de la manière suivante. En premier lieu il propose que si une chose est mue, cette même chose peut en mouvoir une autre. En effet, nous avons montré [Physique, L. 8, ch. 5] qu’il existe deux sortes de moteurs : le premier est le moteur immobile ; le deuxième est le moteur qui est mû, c’est-à-dire celui qui meut tout en étant mû.

656. Ensuite, il affirme que l’imagination est une sorte de mouvement. En effet, tout comme celui qui sent est mû par des sensibles, de même celui qui imagine est mû par certaines représentations qu’on appelle images.

 

657. Il montre ensuite une certaine parenté qui existe entre l’imagination et le sens car l’imagination ne peut exister sans le sens et ne peut exister que chez les êtres doués de sens, c’est-à-dire chez les animaux ; en outre, elle ne peut s’exercer qu’à l’égard de choses qui sont l’objet du sens, c’est-à-dire de choses qui sont perçues par les sens. En effet, les choses qui sont purement intelligibles ne sont pas accessibles à l’imagination.

658. Aristote affirme ensuite qu’un mouvement est produit par le sens en acte. Et cela est certes manifeste à partir de ce qui était affirmé en premier, à savoir qu’une chose mue peut en mouvoir une autre à son tour. Or, le sens devient en acte du fait qu’il est mû par des sensibles ; d’où il s’ensuit qu’un mouvement soit causé par le sens en acte. D’où il s’ensuit aussi manifestement, parce que ce mouvement est causé par l’acte du sens, que ce mouvement doit être semblable au sens, puisque tout agent produit un effet qui lui est semblable. C’est pourquoi celui qui meut en tant qu’il est mû cause lui-même un mouvement qui est semblable à ce mouvement par lequel lui-même est mû.

659. Tous ces principes ayant été admis, il conclut à partir de là que l’imagination est un sorte de mouvement causé par le sens en acte, lequel mouvement ne peut ni exister sans le sens, ni appartenir à ceux qui ne possèdent pas de sens. En effet, si un mouvement est produit par le sens en acte, il est semblable au mouvement du sens, et rien d’autre que l’imagination ne se trouve être tel. Il reste donc que l’imagination sera un mouvement de cette sorte. Et du fait que l’imagination est un mouvement causé par le sens, et lui est semblable, il s’ensuit que celui qui possédera l’imagination sera capable de poser et de subir un grand nombre d’opérations qui en découlent. Et il sera en outre capable d’être vrai ou faux, comme nous sommes sur le point de le montrer.

660. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, voici la raison de cela etc. », il donne la raison, au moyen des choses qui ont été dites, des attributs qui conviennent à l’imagination. Et à ce sujet il fait trois choses. Et en premier lieu il donne la cause de ce qu’il avait dit, à savoir que l’imagination est parfois vraie, parfois fausse. En deuxième lieu, il donne la raison de ce nom, imagination, là où il dit : « Mais puisque la vue etc. ». En troisième lieu il explique pourquoi il avait dit qu’un grand nombre d’animaux agissent suivant l’imagination, là où il dit : « Et puisqu’elles demeurent etc. ». Et il dit en premier lieu que ceci, à savoir que l’imagination est parfois vraie et parfois fausse, cela se produit pour la raison qui sera dite, à savoir parce que le sens, dont l’acte est la cause de l’imagination, se rapporte diversement à la vérité selon qu’il se rapporte à des objets divers.

661. En effet, dans un premier temps, le sens est toujours vrai ou présente peu de fausseté dans son rapport aux sensibles propres. En effet, tout comme les puissances naturelles ne sont jamais en défaut dans leurs opérations propres, sauf en de rares occasions, en raison d’une corruption corporelle, de même les sens ne sont pas en défaut d’un jugement vrai sur les sensibles propres, sauf exceptionnellement en raison d’une corruption d’un organe, comme on le voit chez les fiévreux pour lesquels, en raison d’une indisposition de la langue, même les aliments doux paraissent amers.

662. Mais dans un deuxième temps le sens se rapporte à des sensibles par accident et c’est dans ce cas que le sens se trompe. En effet, le sens n’est pas trompé en ceci qu’il perçoit que la chose vue est blanche ; mais pour juger si ce qui est blanc est ceci ou cela, à savoir de la neige, de la farine ou autre chose de la sorte, alors il arrive au sens d’être trompé, et surtout relativement à des choses éloignées.

663. Dans un troisième temps, le sens se rapporte à des sensibles communs qui sont consécutifs aux sujets auxquels appartiennent ces accidents que sont les sensibles propres ; par exemple, la grandeur et le mouvement, sensibles communs, sont des accidents des corps sensibles, et c’est surtout sur ces accidents que l’erreur se rencontre, car le jugement qu’on porte sur eux change selon la distance : en effet, ce qui est vu de loin semble plus petit.

664. Or, le mouvement qui est produit dans l’imagination sous l’action du sens en acte varie selon qu’il procède de l’une ou de l’autre de ces trois espèces de sensations, c’est-à-dire de ces trois espèces d’actes du sens, tout comme l’effet diffère selon la cause. Et aussi parce que l’effet est plus faible que sa cause, et que plus un effet est éloigné de l’agent premier, moins il reçoit de sa puissance et de sa ressemblance, c’est pourquoi la fausseté, qui consiste dans une dissimilitude du sens à l’égard du sensible, peut se rencontrer plus facilement dans l’imagination que dans le sens. En effet, le sens est faux lorsque la forme sensible est reçue dans le sens autrement qu’elle n’est dans le sensible lui-même. Et je dis autrement en prenant ce terme dans le sens où il signifie autre selon l’espèce et non autre selon la matière : par exemple comme lorsque la saveur douce est reçue sur la langue comme si elle était amère, car selon la matière, le sens reçoit toujours la forme sensible autrement qu’elle n’existe dans la chose sensible elle-même. Donc, tout mouvement de l’imagination qui procède du mouvement des sensibles propres est vrai dans la plupart des cas. Et je dis cela  quant à la présence du sensible, lorsque le mouvement de l’imagination est produit en même temps que le mouvement du sens.

665. Mais lorsque le mouvement de l’imagination se produit en l’absence de l’acte du sens, alors il arrive à l’imagination de se tromper même sur les sensibles propres. En effet, les choses absentes sont parfois imaginées comme étant blanches bien qu’elles soient noires. Mais les autres mouvements de l’imagination, ceux qui sont causés par la sensation des sensibles par accidents et par celle des sensibles communs, peuvent être faux, que le sensible soit présent ou non. Mais ils sont davantage faux lorsque le sensible est absent que lorsqu’il est éloigné.

666. Ayant donné cette raison, il conclut son propos principal en disant que si ce que nous avons dit ne s’attribue qu’à l’imagination, et si l’imagination ne possède aucun autre caractère que ceux que nous avons dits, il reste que l’imagination est le mouvement qui procède du sens en acte.

667. Mais Aristote ne va pas jusqu’à déterminer si ce mouvement, l’imagination, exige une autre puissance que la puissance sensitive. Mais il semble que puisque les puissances se distinguent d’après la diversité des actes et que la diversité des mouvements exige des mobiles divers, car ce qui est mû ne se meut pas soi-même mais un autre, il semble qu’il y ait une autre puissance fantastique ou imaginative que celle du sens.

668. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, puisque la vue etc. », il donne la cause de ce nom. Et à ce sujet il faut savoir que phos, en grec, signifie la même chose que lumière ; et c’est de là que vient que phanos signifie apparition, illumination et imagination. Il dit donc que la vue est le sens qui prédomine sur les autres sens du fait qu’il est plus spirituel, comme nous l’avons dit plus haut (417-418), et qu’il connaît plus de choses : c’est pourquoi l’imagination, qui est causée par le sens en acte, tire son nom de la lumière parce que sans la lumière, il n’est pas possible de voir, comme nous l’avons dit plus haut (403-412).

669. Et ensuite, lorsqu’il dit : « Et puisque etc. », il manifeste la cause pour laquelle les animaux accomplissent beaucoup d’actions et subissent beaucoup de passions sous l’influence de l’imagination ; et il dit que les images « demeurent », c’est-à-dire persistent, même lorsque les sensibles sont absents, et sont semblables aux sens en acte. C’est pourquoi, tout comme les sens en acte mettent l’appétit en mouvement en présence du sensible, l’imagination fait de même en l’absence du sensible. Et c’est pour cette raison qu’il dit que les animaux posent de nombreuses opérations sous l’influence des images. Mais s’il en est ainsi, c’est en raison du fait qu’ils ne possèdent pas l’intelligence, car lorsque l’intelligence est présente, parce qu’elle est une faculté supérieure, son jugement l’emporte en ce qui concerne l’agir.

670. C’est pourquoi, lorsque l’intelligence ne domine pas, les animaux agissent conformément à l’imagination : certains, comme les bêtes, parce qu’ils sont totalement privés d’intelligence, d’autres, comme les hommes, parce que leur intelligence est obscurcie, pour trois raisons. Parfois à cause d’une passion, comme la colère, la convoitise, la crainte ou une autre passion de la sorte ; parfois à cause d’une infirmité, comme on le voit chez ceux qui sont atteints de délire ou de folie ; parfois dans le sommeil, comme cela se produit chez ceux qui dorment. En effet, c’est pour ces raisons qu’il arrive à l’intelligence de ne pas l’emporter sur l’imagination et que l’homme suit alors son imagination comme si elle lui montrait la vérité. Et à la fin, il conclut, au sujet de l’imagination, que sa nature et sa cause ont été manifestées.

 

 

LECTIO 7

[80954] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 1Postquam philosophus determinavit de parte animae sensitiva, et ostendit etiam quod sentire et intelligere non sunt idem, hic incipit determinare de parte animae intellectiva. Et dividitur in partes duas. In prima determinat de parte animae intellectiva. In secunda, ex his quae determinata sunt de sensu et intellectu, ostendit quid sit de anima sentiendum, ibi, nunc autem de anima. Prima dividitur in partes duas. In prima determinat de intellectu. In secunda comparat ipsum ad sensum, ibi, videtur autem sensibile. Prima dividitur in duas. In prima determinat de intellectu. In secunda de operatione eius, ibi, indivisibilium. Prima dividitur in tres. In prima determinat de intellectu possibili. In secunda de intellectu agente, ibi, quoniam autem sicut in omni. In tertia de intellectu in actu, ibi, idem autem est secundum actum. Circa primum tria facit. In prima determinat de intellectu possibili. In secunda de obiecto eius, ibi, quoniam autem aliud. In tertia movet dubitationem circa praedeterminata, ibi dubitabit autem aliquis. Circa primum duo facit. Primo ostendit naturam intellectus possibilis. Secundum ostendit quomodo reducatur in actum, ibi, cum autem sic fiat singula. Circa primum duo facit. Primo ostendit de quo est intentio. Secundo ostendit propositum, ibi, si igitur est intelligere.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80955] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 2Dicit ergo, quod postquam determinatum est de parte animae sensitiva, et ostensum est quod sapere et intelligere non est idem quod sentire, considerandum est nunc de parte animae qua cognoscit anima, idest intelligit, et sapit. Supra autem dictum est, quod differentia est inter sapere et intelligere. Nam sapere pertinet ad iudicium intellectus, intelligere autem ad eius apprehensionem.

 

[80956] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 3Circa hanc autem partem aliquid est quod praetermittit, de quo erat apud antiquos dubium. Utrum scilicet haec pars animae sit separabilis ab aliis partibus animae subiecto, sive non sit separabilis subiecto, sed ratione tantum. Intelligit autem esse separabile subiecto, per hoc quod dicit esse separabile secundum magnitudinem, propter Platonem, qui ponens partes animae subiecto abinvicem separatas, attribuit eis organa in diversis partibus corporis. Hoc est ergo quod praetermittit.

[80957] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 4Sed duo sunt quae inquirere intendit. Quorum primum est. Si sit separabilis secundum rationem haec pars animae ab aliis, quam differentiam habet ab aliis. Et quia proprietas potentiae ex qualitate actus cognoscitur. Secundum quod inquirere intendit est quomodo sit ipsum intelligere, idest quomodo operatio intellectualis compleatur.

[80958] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 5Deinde cum dicit si igitur ostendit propositum. Et circa hoc tria facit. Primo proponit similitudinem intellectus ad sensum. Secundo ex huiusmodi similitudine concludit naturam intellectus possibilis, ibi, necesse est itaque. Tertio ostendit, ex his quae de intellectu probaverat, differentiam inter intellectum et sensum, ibi, quoniam autem non similis. Primo igitur ex huiusmodi suppositione procedit ad propositum ostendendum quod intelligere est simile ei quod est sentire. Quae quidem similitudo ex hoc manifesta est, quod sicut sentire est quoddam cognoscere, et sentimus quandoque quidem in potentia, quandoque autem in actu, sic et intelligere cognoscere quoddam est; et quandoque quidem intelligimus in potentia, et quandoque in actu. Ex hoc autem sequitur quod, cum sentire sit quoddam pati a sensibili, aut aliquid simile passioni, quod intelligere sit vel pati aliquid ab intelligibili, vel aliquid alterum huiusmodi, simile scilicet passioni.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80959] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 6Horum autem duorum secundum verius est. Nam sentire, ut supra in secundo dictum est, non proprie pati est. Patitur enim proprie aliquid a contrario. Sed aliquid habet simile passioni, inquantum sensus est in potentia ad sensibile, et est susceptivus sensibilium. Ergo, si intelligere est simile ei quod est sentire; et partem intellectivam oportet esse impassibilem, passione proprie accepta; sed oportet quod habeat aliquid simile passibilitati: quia oportet huiusmodi partem esse susceptivam speciei intelligibilis, et quod sit in potentia ad huiusmodi speciem, sed non sit hoc in actu. Et sic oportet, quod sicut se habet sensitivum ad sensibilia, similiter se habeat intellectivum ad intelligibilia; quia utrumque est in potentia ad suum obiectum, et est susceptivum eius.

 

 

 

 

[80960] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 7Deinde cum dicit necesse est ex praemissis ostendit naturam intellectus possibilis. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod intellectus possibilis non est aliquid corporeum, vel commixtum ex rebus corporalibus. Secundo ostendit quod non habet organum corporale, ibi, unde neque misceri est. Considerandum est ergo circa primum, quod antiqui de intellectu dupliciter opinati sunt. Quidam enim posuerunt, quod intellectus erat compositus ex principiis omnium ad hoc quod cognosceret omnia; et hanc supra dixit esse opinionem Empedoclis. Anaxagoras vero dixit intellectum esse simplicem et immixtum, et nulli rerum corporalium habere aliquid commune. Ex eo ergo quod dictum est, quod intellectus non est actu intelligens, sed potentia tantum, concludit quod necesse est intellectum, propter hoc quod intelligit omnia in potentia, non esse mixtum ex rebus corporalibus, sicut Empedocles posuit, sed esse immixtum sicut dixit Anaxagoras.

 

 

 

 

 

[80961] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 8Et quidem Anaxagoras hoc dixit hac ratione motus, quia posuit intellectum esse principium totius motus a quo omnia moventur secundum eius imperium. Si autem esset mixtus ex naturis corporalibus, vel haberet aliquam earum determinate, non posset omnia movere suo imperio, quia determinaretur ad unum. Et hoc est quod dicit quod Anaxagoras posuit intellectum esse immixtum ut imperet, id est ut suo imperio omnia moveat.

 

 

 

 

[80962] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 9Sed quia nos nunc non loquimur de intellectu, qui omnia movet, sed de intellectu quo anima intelligit, illud medium non est opportunum ad ostendendum intellectum esse immixtum; sed oportet aliud medium accipere ad illud ostendendum, ex hoc scilicet quod intellectus omnia cognoscit: et hoc est quod addit hoc autem est ut cognoscat: quasi dicat: sicut Anaxagoras posuit intellectum esse immixtum ad hoc ut imperet, ita oportet nos ponere intellectum esse immixtum ad hoc ut cognoscat.

 

 

[80963] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 10Quod quidem tali ratione apparet. Omne enim, quod est in potentia ad aliquid et receptivum eius, caret eo ad quod est in potentia, et cuius est receptivum; sicut pupilla, quae est in potentia ad colores, et est receptiva ipsorum, est carens omni colore: sed intellectus noster sic intelligit intelligibilia, quod est in potentia ad ea et susceptivus eorum, sicut sensus sensibilium: ergo caret omnibus illis rebus quas natus est intelligere. Cum igitur intellectus noster natus sit intelligere omnes res sensibiles et corporales, necesse est quod careat omni natura corporali, sicut sensus visus caret omni colore, propter hoc quod est cognoscitivus coloris. Si enim haberet aliquem colorem, ille color prohiberet videre alios colores. Sicut lingua febricitantis, quae habet aliquem humorem amarum, non potest recipere dulcem saporem. Sic etiam intellectus si haberet aliquam naturam determinatam, illa natura connaturalis sibi prohiberet eum a cognitione aliarum naturarum. Et hoc est quod dicit: intus apparens enim prohibebit cognoscere extraneum et obstruet, idest impediet intellectum, et quodammodo velabit et concludet ab inspectione aliorum. Et appellat intus apparens aliquid intrinsecum connaturale intellectui, quod dum ei apparet, semper impeditur intellectus ab intelligendo alia: sicut si diceremus quod humor amarus esset intus apparens linguae febricitantis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80964] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 11Concludit autem ex hoc quod non contingit naturam intellectus esse neque unam, idest nullam determinatam, sed hanc solam naturam habet, quod est possibilis respectu omnium. Et hoc quidem contingit intellectui, quia non est cognoscitivus tantum unius generis sensibilium, sicut visus vel auditus, vel omnium qualitatum et accidentium sensibilium communium vel propriorum; sed universaliter totius naturae sensibilis. Unde sicut visus caret quodam genere sensibilium, ita oportet quod intellectus careat tota natura sensibili.

 

 

[80965] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 12Ex hoc autem ulterius concludit, quod ille, qui vocatur intellectus animae, nihil est in actu eorum, quae sunt ante intelligere: quod est contrarium ei quod antiqui ponebant. Dicebant enim eum ad hoc quod cognosceret omnia, esse compositum ex omnibus. Si autem esset cognoscitivus omnium quia haberet in se omnia, esset semper intellectus in actu et nunquam in potentia: sicut supra dixit de sensu, quod si esset compositus ex sensibilibus, non indigeret sensibilibus exterioribus ad sentiendum.

[80966] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 13Et ne quis crederet, quod esset hoc verum de quolibet intellectu, quod sit in potentia ad sua intelligibilia, antequam intelligat; interponit quod nunc loquitur de intellectu quo anima opinatur et intelligit. Et hoc dicit, ut praeservet se ab intellectu divino, qui non est in potentia, sed est quodammodo intellectus omnium. De quo intellectu Anaxagoras dixit, quod est immixtus ut imperet.

 

[80967] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 14Deinde cum dicit unde neque ostendit quod intellectus non habet organum corporale. Et primo ostendit propositum. Secundo adaptat ad hoc quoddam dictum antiquorum, ibi, et bene iam. Dicit ergo primo, concludens ex praedictis, quod si intellectus noster, ad hoc quod cognoscat omnia, oportet quod non habeat naturam aliquam determinatam ex naturis rerum corporalium quas cognoscit, eodem modo rationabile est quod non misceatur corpori, idest quod non habeat aliquod organum corporale, sicut habet pars animae sensitiva: quia si erit aliquod organum corporale intellectui, sicut est parti sensitivae, sequetur quod habeat aliquam naturam determinatam ex naturis rerum sensibilium. Et hoc est quod dicit qualis enim aliquis utique fiet, idest aliquam qualitatem sensibilem habens, ut scilicet sit actu calidus aut frigidus. Manifestum est enim quod potentia animae, quae est actus alicuius organi, conformatur illi organo, sicut actus susceptibilis.

 

 

 

 

 

[80968] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 15Neque refert quantum ad actum potentiae, utrum ipsa potentia habeat aliquam qualitatem sensibilem determinatam aut organum, cum actus non potentiae sit solum, sed compositi ex potentia et organo corporeo. Similiter enim impeditur visio oculorum, si potentia visiva haberet colorem determinatum sive pupilla. Et ideo dicit quod eiusdem rationis est ponere quod intellectus non habeat organum corporale, et quod non habeat aliquam naturam corpoream determinatam. Et ideo subdit quod nullum est organum intellectivae partis sicut est sensitivae.

 

 

[80969] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 16Deinde cum dicit et bene adaptat quod dictum est, opinioni antiquorum; et dicit, quod ex quo pars intellectiva non habet organum sicut pars sensitiva, iam potest verificari dictum illorum, qui dixerunt, quod anima est locus specierum: quod per similitudinem dicitur, eo quod est specierum receptiva. Quod quidem non verum esset, si quaelibet pars animae haberet organum; quia iam species non reciperentur in anima sola, sed in coniuncto. Non enim visus solum est susceptivus specierum, sed oculus: et ideo non dicendum est, quod tota anima sit locus specierum, sed solum pars intellectiva, quae organum non habet. Nec ita est locus specierum, quod habeat actu species, sed potentia tantum.

 

 

 

 

 

[80970] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 17Deinde cum dicit quod autem ostendit differentiam inter intellectum et sensum quantum ad impassibilitatem. Dictum est enim supra, quod sicut sentire non est pati passione proprie accepta, ita nec intelligere. Et ex hoc supra conclusit, quod intellectus erat impassibilis. Ne ergo aliquis crederet, quod in eodem gradu impassibilitatis esset sensus et intellectus, subiungit hoc, quod non est similis impassibilitas sensitivi et intellectivi. Sensus enim licet non patiatur a sensibili, passione proprie accepta, patitur tamen per accidens, inquantum organi proportio corrumpitur ab excellenti sensibili. Sed de intellectu hoc accidere non potest, cum organo careat; unde nec per se nec per accidens passibilis est.

 

 

 

 

 

 

[80971] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 18Et hoc est quod dicit, quod dissimilitudo impassibilitatis sensitivi et intellectivi manifesta est ex organo et sensu, quia sensus efficitur impotens ad sentiendum ex  sensibili, sicut auditus non potest audire sonum propter hoc quod motus est ex magnis sonis, neque visus potest videre, neque olfactus odorare ex eo quod hi sensus moti sunt prius ex fortibus odoribus et coloribus corrumpentibus organum. Sed intellectus, quia non habet organum corporeum, quod corrumpi possit ob excellentiam proprii obiecti, cum intelligit aliquid valde intelligibile, non minus postea intelligit infima, sed magis: et idem accideret de sensu, si non haberet organum corporale. Debilitatur tamen intellectus ex laesione alicuius organi corporalis indirecte, inquantum ad eius operationem requiritur operatio sensus habentis organum. Causa igitur diversitatis est, quia sensitivum non est sine corpore, sed intellectus est separatus.

 

 

 

 

 

 

[80972] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 19Ex his autem, quae dicuntur, apparet falsitas opinionis illorum qui dixerunt, quod intellectus est vis imaginativa, vel aliqua praeparatio in natura humana, consequens corporis complexionem. Sed horum occasione verborum, quidam intantum decepti sunt ut ponerent intellectum possibilem esse a corpore separatum, sicut una de substantiis separatis. Quod quidem omnino impossibile est.

[80973] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 20Manifestum est enim, quod hic homo intelligit. Si enim hoc negetur, tunc dicens hanc opinionem non intelligit aliquid, et ideo non est audiendus: si autem intelligit oportet quod aliquo formaliter intelligat. Hic autem est intellectus possibilis, de quo philosophus dicit: dico autem intellectum quo intelligit et opinatur anima. Intellectus ergo possibilis est, quo hic homo, formaliter loquendo, intelligit. Illud autem, quo aliquid operatur, sicut activo principio, potest secundum esse separari ab eo quod operatur: ut si dicamus, quod balivus operatur per regem, quia rex movet eum ad operandum. Sed impossibile est illud, quo aliquid operatur formaliter, separari ab eo secundum esse. Quod ideo est, quia nihil agit nisi secundum quod est actu. Sic igitur aliquid formaliter operatur per aliquid, si cum eo sit actu. Non autem fit aliquid cum aliquo ens actu, si sit separatum ab eo secundum esse. Unde impossibile est quod illud, quo aliquid agit formaliter, sit separatum ab eo secundum esse.

 

 

 

[80974] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 21Ideo hoc considerantes adinventores huius opinionis conati sunt adinvenire aliquem modum, quo illa substantia separata quem intellectum possibilem dicunt, continuetur et uniatur nobiscum, ut sic eius intelligere sit nostrum intelligere. Dicunt enim quod species intelligibilis est forma intellectus possibilis. Per eam enim fit in actu. Huiusmodi autem speciei subiectum est quoddam phantasma quod est in nobis. Sic igitur dicunt intellectum possibilem copulari nobiscum per formam suam.

[80975] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 22Sed hoc quod dictum est, nullam omnino continuationem intellectus ad nos demonstrat: quod sic patet. Intellectus enim possibilis non est unum cum intelligibili, nisi secundum quod intellectus est in actu; sicut neque sensus est idem cum sensibili in potentia, ut supra habitum est. Species igitur intelligibilis non est forma intellectus possibilis, nisi secundum quod est intelligibilis actu: non est autem intelligibilis actu, nisi secundum quod est a phantasmatibus abstracta et remota. Manifestum est igitur, quod secundum quod unitur intellectui, est remota a phantasmatibus. Non igitur intellectus per hoc unitur nobiscum.

 

[80976] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 23Sed manifestum est, quod auctor huius positionis deceptus fuit per fallaciam accidentis, quasi sic arguens. Phantasmata sunt quodammodo unum cum specie intelligibili: species autem intelligibilis est unum cum intellectu possibili: ergo intellectus possibilis unitur phantasmatibus. Manifestum est autem quod hic incidit fallacia accidentis: quia species intelligibilis secundum quod est unum cum intellectu possibili, est abstracta a phantasmatibus, ut dictum est.

[80977] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 24Dato tamen quod per hunc modum sit aliqua unio intellectus possibilis ad nos, non tamen haec unio faceret nos intelligentes, sed magis intellectos. Id enim cuius similitudo est species, in virtute aliqua cognoscitiva existens, non ex hoc fit cognoscens, sed cognitum. Non enim per hoc quod species quae est in pupilla, est similitudo coloris qui est in pariete, color est videns, sed magis est visus. Per hoc igitur quod species intelligibilis, quae est in intellectu possibili, est similitudo quaedam phantasmatum, non sequitur quod nos sumus intelligentes, sed quod nos, vel potius phantasmata nostra sint intellecta ab illa substantia separata.

 

 

[80978] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 25Sunt autem plura alia quae contra hanc positionem dici possunt; quae alibi diligentius pertractavimus. Sed hic hoc unum sufficiat, quod ad positionem hanc sequitur, quod hic homo non intelligit.

 

 

[80979] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 26Manifestum etiam est quod haec positio contra intentionem philosophi est. Et primo quidem, quia philosophus hic inquirit de parte animae. Sic enim hunc tractatum incipit. Unde manifestum est quod intellectus possibilis pars animae est, et non substantia separata.

 

[80980] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 27Item ex hoc quod ipse procedit ad inquirendum de intellectu, sive sit subiecto separabilis ab aliis partibus animae, sive non. Unde patet quod suus processus stat, etiam si intellectus subiecto non sit separabilis ab aliis partibus animae.

[80981] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 28Item per hoc quod dicit quod intellectus est quo anima intelligit. Haec enim omnia ostendunt quod Aristoteles non dicit intellectum esse separatum sicut sunt substantiae separatae.

[80982] Sentencia De anima, lib. 3 l. 7 n. 29Mirum est autem quomodo tam leviter erraverunt, ex hoc quod dicit quod intellectus est separatus, cum ex litera sua huius rei habeatur intellectus, dicit enim separatus intellectus, quia non habet organum, sicut sensus. Et hoc contingit propter hoc, quia anima humana propter suam nobilitatem supergreditur facultatem materiae corporalis, et non potest totaliter includi ab ea. Unde remanet ei aliqua actio, in qua materia corporalis non communicat. Et propter hoc potentia eius ad hanc actionem non habet organum corporale, et sic est intellectus separatus.

Leçon  7

671. Après avoir traité de la partie sensitive de l’âme, et montré en outre que la sensation et l’intellection ne sont pas identiques, le Philosophe commence ici à traiter de la partie intellectuelle de l’âme. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il traite de la partie intellectuelle de l’âme. Dans la deuxième, à partir de ce qui a été fixé au sujet du sens et de l’intelligence, il montre ce qu’il faut penser de l’âme, là où il dit : « Et maintenant, rappelons ce que nous avons dit de l’âme etc. ». La première partie se divise elle-même en deux parties. Dans la première, il traite de l’intelligence. Dans la deuxième, il la compare aux sens, là où il dit : « Or, il apparaît que le sensible fait seulement passer à l’acte etc. ». Cette première partie se divise à son tour en deux. Dans la première il traite de l’intelligence. Dans la deuxième il traite de son opération, là où il dit : « L’intellection des indivisibles a lieu dans ces choses etc. ». La première partie se divise à son tour en trois. Dans la première il traite de l’intellect possible. Dans la deuxième, il traite de l’intellect agent, là où il dit : « Mais puisque dans toute la nature etc. ». Dans la troisième il traite de l’intellect en acte, là où il dit : « Or, la science en acte est identique à son objet etc. ». Au sujet du premier point, il fait trois choses. Dans la première il traite de l’intellect possible. Dans la deuxième il traite de son objet, là où il dit : « Or, puisque la grandeur est autre que etc. ». Dans la troisième il soulève un doute sur ce qui a été établi précédemment, là où il dit : « Mais on pourrait poser la difficulté suivante etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. Il montre premièrement quelle est la nature de l’intellect possible. Deuxièmement il montre comment il passe à l’acte, là où il dit : « Mais une fois que l’intellect est devenu chacun des intelligibles, etc. ». Au sujet du premier point il fait deux choses. Premièrement il montre quelle est son intention. Deuxièmement il manifeste son propos, là où il dit : « Donc, si l’intellection est comme la sensation etc. ».

672. Il dit donc qu’après avoir traité de la partie sensitive de l’âme, et montré que la pensée et l’intellection ne sont pas identiques à la sensation, il faut maintenant considérer la partie de l’âme « par laquelle l’âme connaît », c’est-à-dire conçoit « et pense ». Or, nous avons dit plus haut (n. 629) qu’il y a une différence entre la pensée et la conception ou l’intellection, car la pensée se rapporte au jugement de l’intelligence, alors que la conception se rapporte à son appréhension.

673. Et dans cette partie il omet un point qui faisait difficulté chez les anciens, à savoir si cette partie de l’âme est séparable des autres parties de l’âme dans la réalité, ou si elle n’est pas sépable des autres dans la réalité mais seulement par la raison. Or, il entend qu’elle est séparable dans la réalité puisqu’il dit qu’elle est séparable selon l’étendue, à cause de Platon qui, soutenant que les parties de l’âme sont séparées les unes des autres en réalité, leur attribuait des organes dans les différentes parties du corps. C’est donc cela qu’il omet.

 

674. Mais il y a deux choses qu’il cherche à déterminer, dont la première consiste à savoir, si cette partie de l’âme est séparable des autres par la raison, quelle différence se trouve entre cette partie et les autres. Et parce que la propriété d’une puissance est connue par la qualité de son acte, il cherche à savoir en deuxième lieu « comment se produit l’intellection », c’est-à-dire comment s’accomplit l’opération intellectuelle.

675. Ensuite, lorsqu’il dit : « Si donc l’intellection etc. », il manifeste son propos, et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il présente une similitude entre l’intelligence et le sens. En deuxième lieu, à partir de cette similitude, il conclut la nature de l’intellect possible, là où il dit : « Par conséquent, puisqu’il connaît toutes choses, il est nécessaire etc. ». En troisième lieu il montre, à partir de ce qu’il avait prouvé au sujet de l’intelligence, la différence qu’il y a entre l’intelligence et le sens, là où il dit : « Que l’impassibilité de la puissance sensitive ne soit pas semblable etc. ». Donc, à partir de cette supposition, il procède à la manifestation du propos, à savoir que l’intellection est en quelque sorte semblable à la sensation. Et cette similitude est certes manifeste par ceci que tout comme la sensation est une certaine connaissance et que nous sentons parfois en puissance, parfois en acte, de même l’intellection est une certaine connaissance et nous intelligeons parfois en puissance, parfois en acte. Il s’ensuit, puisque la sensation est une certaine passion subie par le sens sous l’action du sensible ou est quelque chose de semblable à une passion, que l’intellection est elle aussi ou bien une certaine passion subie par l’intelligence sous l’action d’un intelligible, ou bien quelque chose d’autre de la sorte, c’est-à-dire quelque chose qui ressemble à une passion.

676. Mais de ces deux possibilités, la deuxième est plus proche de la vérité. En effet, la sensation, comme nous l’avons dit au deuxième livre de ce traité, n’est pas à proprement parler une passion. En effet, passion se dit proprement de ce qui est subi par un sujet de la part d’un agent contraire. Mais on retrouve dans le sens quelque chose qui ressemble à la passion dans la mesure où le sens est en puissance à l’égard du sensible et est apte à le recevoir. Donc, si l’intellection est semblable à la sensation, il faut aussi que la partie intellectuelle soit impassible dans le sens où elle exclut la passion prise en son sens propre, et qu’elle doive posséder quelque chose qui ressemble à de la passibilité, car il faut que cette partie de l’âme puisse recevoir l’espèce intelligible et qu’elle soit en puissance et non en acte à l’égard d’une telle espèce. Par conséquent, ce que la puissance sensitive est aux sensibles, la partie intellectuelle doit l’être aux intelligibles, car les deux sont en puissance à l’égard de leurs objets respectifs et sont aptes à les recevoir.

677. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il est nécessaire, puisque etc. », il manifeste, en s’appuyant sur ce qui précède, la nature de l’intellect possible. Et à ce sujet, il fait deux choses. En premier lieu, il montre que l’intellect possible n’est pas quelque chose de corporel et qu’il est sans mélange avec les choses corporelles. En deuxième lieu il montre que cette faculté ne possède pas d’organe corporel, là où il dit : « C’est pourquoi il n’est pas raisonnable qu’il soit mêlé etc. ». Il faut donc considérer que les anciens ont soutenu deux opinions au sujet de l’intelligence. Certains ont en effet soutenu que l’intelligence, pour connaître toutes les choses, devait être composée des principes de toutes les choses ; et il a été dit (n. 45) que cette opinion fut celle d’Empédocle. Anaxagore, au contraire, a affirmé que l’intelligence est simple et sans mélange, et qu’elle n’a rien de commun avec les choses corporelles. Donc, du fait qu’il a été dit (nn. 675-676) que l’intelligence pense non pas en acte mais en puissance seulement, il conclut qu’il est nécessaire que l’intelligence, pour cette raison qu’elle connaît toute chose en puissance, n’est pas un mélange de choses corporelles, contrairement à ce que disait Empédocle, et qu’elle plutôt sans mélange avec elles, comme le disait Anaxagore.

678. Et Anaxagore a sans doute dit cela parce qu’il y était comme poussé par cette raison, à savoir parce qu’il affirmait que l’intelligence est le principe de tout mouvement et que c’est sous son commandement que toutes les choses sont mues. Mais si elle était un mélange de natures corporelles, ou si elle avait déterminément en elle l’une de ces natures, elle ne pourrait pas mouvoir toutes les choses sous son commandement, car elle serait limitée par cette nature. Et c’est justement ce que dit Anaxagore en disant que l’intelligence est sans mélange « pour commander », c’est-à-dire pour pouvoir mouvoir toutes les choses sous son commandement.

679. Mais parce que nous ne parlons pas ici de l’intelligence qui meut toutes les choses mais plutôt de l’intelligence par laquele l’âme connaît, ce moyen terme ne convient pas pour montrer que l’intelligence est sans mélange, et c’est pourquoi il faut trouver un autre moyen terme pour montrer cela, c’est-à-dire en partant du fait que l’intelligence connaît toutes les choses. Et c’est pourquoi Aristote ajoute : « c’est-à-dire pour connaître », comme s’il disait : tout comme Anaxagore a soutenu que l’intelligence est sans mélange pour commander, de même nous devons soutenir que l’intelligence doit être sans mélange pour connaître.

680. Et cette affirmation devient claire au moyen du raisonnement qui suit. Tout ce qui est en puissance à quelque chose et capable de le recevoir est privé de ce à l’égard de quoi il est en puissance et qu’il peut recevoir : par exemple, la pupille, qui est en puissance à l’égard des couleurs et capable de les recevoir, est privée de toute couleur ; or, notre intelligence connaît les intelligibles de telle manière qu’elle est en puissance à leur égard et capable de les recevoir, tout comme le sens à l’égard des sensibles : elle est donc privée de toutes ces choses qu’elle est naturellement capable de connaître. En conséquence, puisque notre intelligence est naturellement apte à connaître toutes les choses sensibles et corporelles, il est nécessaire qu’elle soit privée de toute nature corporelle, comme le sens de la vue est privé de toute couleur pour cette raison qu’elle est la puissance qui connaît les couleurs. Si en effet la vue avait en elle une couleur déterminée, cette couleur empêcherait de voir les autres couleurs, tout comme la langue de celui qui a la fièvre, ayant en elle une humeur amère, ne peut recevoir une saveur douce. Il en va de même pour l’intelligence : si elle avait en elle une nature déterminée, cette nature qui lui serait connaturelle l’empêcherait de connaître les autres natures. Et c’est précisément ce que dit Aristote : « la manifestation de sa forme intérieure empêchera de connaître la forme extérieure et s’y opposera. », c’est-à-dire que cette forme intérieure empêchera l’opération de l’intelligence et voilera et fermera en quelque sorte son regard sur les autres choses. Et par manifestation de sa propre forme, il signifie quelque chose d’intérieur et de connaturel à l’intelligence qui, lorsqu’il se manifeste, empêche toujours l’intelligence de connaître les autres formes, comme si nous disions que l’humeur amère est la forme qui se manifeste à l’intérieur de la langue de celui qui a la fièvre et l’empêche de recevoir les autres saveurs.

681. Et il conclut à partir de là qu’il n’est pas possible que la nature de l’intelligence soit « une », c’est-à-dire déterminée ; au contraire, la seule nature qu’elle possède, c’est d’être en puissance à l’égard de tout ce qui existe. Et cela est possible à l’intelligence parce qu’elle ne connaît pas un seul genre de sensibles, comme c’est le cas pour la vue ou l’ouïe, ou même pas seulement toutes les qualités et les accidents sensibles communs ou propres, mais elle connaît plus universellement toute nature sensible. C’est pourquoi, tout comme la vue est privée de tout genre de sensibles, de même il faut que l’intelligence soit privée de toute nature sensible.

682. Il conclut en outre à partir de là que cette partie de l’âme qu’on appelle l’intellect n’est, avant de penser, aucune réalité en acte ; et cela contredit ce que les anciens soutenaient, à savoir que pour connaître toutes les choses, l’intellect devait être composé de toutes ces choses. Mais si l’intellect connaissait toutes les choses parce qu’il les posséderait toutes en lui, il serait toujours en acte et jamais en puissance, tout comme nous avons dit plus haut (nn. 352-355) du sens que s’il était lui-même composé des sensibles, il n’aurait pas besoin des sensibles extérieurs pour sentir.

683. Et afin qu’on ne soit pas amené à croire que cela est vrai de tout intellect, à savoir qu’avant de penser, il est en puissance à l’égard des intelligibles, il insère cette remarque, à savoir qu’il est question ici de l’intellect par lequel l’âme opine et pense, pour faire une exception de l’intellect divin qui n’est nullement en puissance et qui est en quelque sorte l’intellect de tous les êtres. Et c’est de cet intellect dont parle Anaxagore lorsqu’il dit qu’il est sans mélange pour commander.

684. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi il est raisonnable etc. », il montre que l’intelligence n’a pas d’organe corporel. Et en premier lieu il manifeste son propos. En deuxième lieu, il l’applique à certains dires des anciens, là où il dit : « Et ils ont bien parlé, ceux qui ont dit etc. ». Il dit donc en premier lieu, comme conclusion découlant de ce qui précède, que si notre intelligence, pour connaître toutes les choses, ne doit pas posséder une nature déterminée composée des natures des choses corporelles qu’elle connaît, de la même manière il est raisonnable qu’elle ne soit pas mêlée à un corps, c’est-à-dire qu’elle ne possède pas un organe corporel, contrairement à la partie sensitive de l’âme. En effet, si l’intelligence possédait un organe corporel, comme c’est le cas pour la partie sensitive de l’âme, il s’ensuivrait qu’elle aurait une nature déterminée composée des natures des choses sensibles. Et c’est justement ce que dit Aristote : « car alors elle deviendrait d’une qualité déterminée », c’est-à-dire qu’elle posséderait une qualité sensible déterminée, comme d’être chaude ou froide en acte. Il est manifeste en effet que la puissance de l’âme qui est l’acte d’un organe se conforme à cet organe, tout comme l’acte pour ce qui peut le recevoir.

685. Quant à l’acte de la puissance, il n’est pas important de savoir si la puissance elle-même possède une qualité sensible déterminée ou un organe puisque l’acte n’appartient pas à la puissance seulement mais au composé de puissance et d’organe corporel. C’est de la même manière en effet que la vision des yeux serait empêchée si la puissance visuelle avait une couleur déterminée sans la pupille. Et c’est pourquoi il dit que c’est pour la même raison qu’on affirme que l’intelligence ne possède pas d’organe corporel et qu’elle ne possède pas une nature corporelle déterminée. Et c’est pourquoi il ajoute qu’aucun organe n’appartient à l’intelligence, contrairement à ce qu’on observe pour la partie sensitive.

686. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et ils ont bien parlé, ceux qui disent etc. », il applique ce qu’il vient de dire à l’opinion des anciens, et il dit que du fait que la partie intellectuelle de l’âme ne possède pas d’organe corporel comme c’est le cas pour la partie sensitive, on doit approuver les paroles de ceux qui ont dit que l’âme est le lieu des espèces, expression qui se présente sous la forme d’une analogie du fait que l’âme est comme le récepteur des espèces. Mais cela ne serait pas vrai si toute partie de l’âme possédait un organe corporel car alors les espèces ne seraient pas reçues dans l’âme seulement, mais dans le composé d’âme et de corps. En effet, ce n’est pas seulement la vue qui reçoit les espèces, mais aussi l’œil. C’est pourquoi il ne faut pas dire que toute âme est le lieu des espèces, mais seulement la partie intellectuelle de l’âme qui ne possède pas d’organe. Et plus précisément, elle est le lieu des espèces non pas de telle manière qu’elle les posséderait en acte, mais en puissance seulement.

687. Ensuite, lorsqu’il dit : « Que l’impassibilité de etc. », il montre la différence qu’il y a entre l’intelligence et le sens sous le rapport de l’impassibilité. Il a été dit en effet plus haut (n. 676) que tout comme la sensation n’est pas une passion au sens propre du terme, il en est de même de l’intelligence. Et il a conclu plus haut (idem) à partir de là que l’intelligence est impassible. Et afin que personne ne soit conduit à penser que le sens et l’intelligence ont un même degré d’impassibilité, il ajoute ceci, à savoir que l’impassibilité de la partie sensitive n’est pas la même que celle de la partie intellectuelle. En effet, bien que le sens ne subisse pas une passion sous l’action du sensible dans le sens propre du terme passion, cependant il en subit une passion par accident dans la mesure où la proportion de l’organe est corrompue par l’excès du sensible.  Mais cela ne peut se produire chez l’intelligence puisqu’elle n’a pas d’organe ; c’est pourquoi l’intelligence n’est passible ni par soi, ni par accident.

688. Et c’est justement ce que dit Aristote, à savoir que la différence d’impassibilité entre la partie sensitive et la partie intellectuelle est manifeste à partir de l’organe et du sens, car le sens est rendu impuissant à sentir par des sensibles extrêmes, comme l’ouïe qui ne peut percevoir un son après avoir été frappée par des sons excessifs, tout comme la vue qui ne peut plus voir ou l’odorat qui ne peut plus sentir du fait que ces sens ont antérieurement été attaqués par des odeurs et des couleurs puissantes qui ont corrompu l’organe. Mais l’intelligence, parce qu’elle n’a pas d’organe corporel, ne peut être corrompue ou détruite par l’excès de son objet propre puisque, après avoir saisi un objet fortement intelligible, elle n’est pas moins capable de saisir par la suite un objet moins intelligible, bien au contraire ; il en irait de même du sens s’il ne possédait pas d’organe corporel. Cependant, c’est indirectement que l’intelligence est affaiblie par la lésion d’un organe corporel, dans la mesure où l’opération du sens qui possède un organe est requise à l’opération propre de l’intelligence. Donc, la cause de la différence d’impassibilité, c’est que la puissance sensitive n’existe pas sans le corps alors que la puissance intellectuelle est indépendante du corps.

689. À partir de ce qui vient d’être dit, l’opinion de ceux qui ont soutenu que l’intelligence est identique à l’imagination, ou qu’elle est une acquisition dans la nature humaine qui est consécutive à la complexion corporelle, devient manifestement fausse. Mais en réponse à cette position, ceux qui ont soutenu que l’intellect possible est séparé du corps à la manière d’une substance séparée se sont trompés tout autant, puisque cela est absolument impossible.

690. Il est manifeste en effet que chaque homme pense. Si cela est nié, alors celui qui dit cette opinion ne pense pas et il ne doit pas être écouté. Mais s’il pense, il faut que ce soit par quelque chose de formel qu’il pense, et tel est l’intellect possible au sujet duquel le Philosophe dit : « J’appelle intelligence ce par quoi l’âme pense et forme une opinion ». L’intellect possible est donc ce par quoi, à parler formellement, chaque homme pense. Mais le principe par lequel une chose pose son opération, comme par un principe actif, peut exister séparément de la chose qui opère par ce principe, comme lorsque nous disons que le ministre agit par le roi, parce que c’est le roi qui le pousse à agir. Mais il est impossible que ce par quoi une chose agit formellement soit séparé de cette chose selon l’être. Et il en est ainsi parce que tout ce qui agit n’agit qu’en tant qu’il est en acte. En conséquence, une chose n’agit par un principe formel que si elle est en acte avec ce principe. Mais une chose ne peut devenir en acte avec un principe si elle demeure séparée de ce principe selon l’être. C’est pourquoi il est impossible que ce principe formel par lequel une chose agit, soit séparé de cette chose selon l’être.

691. C’est pourquoi, voyant cette difficulté, ceux qui ont inventé cette opinion se sont efforcés d’inventer une modalité selon laquelle cette substance séparée, qu’ils appellent intellect possible, serait jointe et unie à nous de telle manière que sa pensée serait la nôtre. Ils disent en effet que l’espèce intelligible est la forme de l’intellect possible, car c’est par elle qu’il devient en acte. Or, le sujet d’une telle espèce est une certaine image qui est en nous. Ils disent donc que l’intellect possible nous est uni par sa forme.

 

692. Mais ce qu’ils disent ne démontre absolument pas que l’intellect nous est uni, ce qui devient évident de la manière suivante. En effet, l’intellect possible ne fait pas un avec l’intelligible, sauf lorsque l’intellect est en acte, tout comme le sens ne fait pas un avec le sensible en puissance, comme nous l’avons établi précédemment (nn. 355-357 ; 382). Donc, l’espèce intelligible n’est pas la forme de l’intellect possible, sauf lorsque cette espèce est intelligible en acte, et elle n’est intelligible en acte que lorsqu’elle est abstraite ou dégagée des images. Il est donc manifeste qu’en tant qu’elle est unie à l’intelligence, l’espèce intelligible est dégagée des images. Ce n’est donc pas par cela que l’intellect nous est uni.

693. Mais il est manifeste que l’inventeur de cette position s’est trompé par un sophisme de l’accident en argumentant de la manière suivante. Les images font un, en quelque sorte, avec l’espèce intelligible : or, l’espèce intelligible fait un avec l’intellect possible : donc, l’intellect possible est uni aux images. Or, il est manifeste qu’on tombe ici dans le sophisme de l’accident car l’espèce intelligible, en tant qu’elle fait un avec l’intellect possible, est abstraite des images, comme nous l’avons dit (n. 692).

694. Cependant, même si on concédait qu’il se produit de cette manière une certaine union entre l’intellect possible et nous, néanmoins cette union ne serait pas telle qu’elle nous ferait penser, mais plutôt que nous serions pensés. En effet, la chose dont la similitude est l’espèce, du fait qu’elle existe dans une certaine puissance cognitive, ne devient pas de ce seul fait connaissante, mais connue. De même, du fait que l’espèce qui est dans la pupille est la similitude de la couleur qui est sur le mur, la couleur ne devient pas pour autant voyante mais plutôt, vue. Par conséquent, du fait que l’espèce intelligible qui est dans l’intellect possible est une certaine similitude des images, il ne s’ensuit pas que nous sommes pour autant pensant mais que nous, ou plutôt nos images, sont pensées ou connues par cette substance séparée.

695. Nous pourrions formuler d’autres arguments à l’encontre de cette position, arguments que nous avons présentés avec plus de soin dans un autre ouvrage [De l’Unité de l’Intelligence contre Averroès]. Pour l’instant, ce seul argument suffit qui permet de voir qu’il découle de cette position que chaque homme ne pense pas.

696. Il est manifeste en outre que cette position est contraire à l’intention d’Aristote. Premièrement parce que le Philosophe s’interroge ici sur une partie de l’âme. C’est de cette manière en effet que ce traité commence. C’est pourquoi il est manifeste que l’intellect possible est une partie de l’âme et non une substance séparée.

697. En outre, parce que lui-même procède à la recherche de l’intelligence, qu’elle soit séparable ou non, réellement ou par le sujet, des autres parties de l’âme. C’est pourquoi il est clair que sa démarche tient, même si l’intelligence n’est pas séparable réellement ou par le sujet des autres parties de l’âme.

698. En outre, parce qu’il dit que l’intellect est ce par quoi l’âme pense. En effet, toutes ces choses montrent qu’Aristote ne dit pas que l’intellect est séparé à la manière des substances séparées.

 

699. Il est étonnant que ces penseurs se soient trompés si facilement sur cette parole d’Aristote qui dit que l’intellect est séparé, puisqu’on voit bien, à partir de son texte sur ce sujet, qu’il dit que l’intellect est séparé parce qu’il ne possède pas d’organe, contrairement au sens. Et cela est possible parce que l’âme humaine, à cause de sa noblesse, dépasse la puissance de la matière corporelle et ne peut être totalement contenue par elle. C’est pourquoi il lui reste une opération à laquelle la matière corporelle ne communique pas. Et c’est pour cette raison que sa puissance n’a pas besoin d’un organe corporel pour poser cette opération, et c’est en ce sens que l’intellect est séparé.

 

 

LECTIO 8

[80983] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 1Postquam philosophus determinavit de intellectu possibili, qui est in potentia ad intelligibilia, hic ostendit quomodo in actum reducatur. Et primo ostendit quod intellectus aliquando fit in actu. Secundo ostendit quid sit proprium obiectum eius respectu cuius fit in actu, ibi, quoniam autem aliud est magnitudo. Ostendit igitur, quomodo intellectus in actum reducatur, dicens: dictum est, quod anima intellectiva non est actu ipsae species, sed in potentia tantum, cum autem sic fiat singula, idest sic reducatur in actum specierum intelligibilium, quemadmodum sciens, idest habens scientiae habitum, habet species in actu, et tunc dicitur intellectus qui est secundum actum. Hoc autem accidit, statim, cum aliquis potest per seipsum operari operatione intellectus, quae est ipsum intelligere: sicut et quamlibet formam tunc aliquis in actu habet, quando potest operationem illius formae explere.

 

[80984] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 2Sed licet tunc intellectus quodammodo sit in actu, quando habet species intelligibiles, sicut sciens habet habitum; est tamen et tunc quodammodo in potentia, non tamen eodem modo sicut prius erat in potentia, antequam scientiam acquireret, addiscendo vel inveniendo. Nam antequam haberet habitum scientiae, qui est primus actus, non poterat operari cum vellet; sed oportebat, quod ab altero reduceretur in actum; sed quando iam habet habitum scientiae, qui est actus primus, potest, cum voluerit, procedere in actum secundum qui est operatio.

 

 

[80985] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 3Manifestum est autem ex hoc quod hic dicitur, falsam esse opinionem Avicennae quam habet de speciebus intelligibilibus contra opinionem Aristotelis. Ponit enim Avicenna, quod species non conservantur in intellectu possibili, nec sunt in eo nisi quando actu intelligit. Sed oportet secundum ipsum, quod quandocumque intelligit actu, quod convertat se ad intelligentiam separatam agentem, a qua effluunt in intellectum possibilem intelligibiles species.

 

[80986] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 4Contra quod manifeste hic philosophus dicit, quod intellectus reducitur in actum specierum, per modum, quo sciens actu, adhuc est in potentia intelligens. Cum enim intellectus actu intelligit, species intelligibiles sunt in eo secundum actum perfectum: cum autem habet habitum scientiae, sunt species in ipso intellectu medio modo inter potentiam puram et actum purum.

 

[80987] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 5Et quia dixerat, quod quando intellectus fit quodammodo in actu, secundum singula eorum ad quae erat in potentia, tunc potest intelligere, respectu autem sui nullo modo erat in potentia, posset aliquis credere, quod factus in actu, seipsum non intelligeret; et ideo ad hoc excludendum subiungit quod intellectus factus in actu, non potest intelligere alia, sed etiam tunc potest intelligere seipsum.

 

 

 

[80988] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 6Deinde cum dicit quoniam autem, ostendit philosophus quid sit obiectum intellectus. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod philosophus in septimo metaphysicae inquirit, utrum quod quid est, idest quidditas, vel essentia rei, quam definitio significat, sit idem quod res. Et quia Plato ponebat quidditates rerum esse separatas a singularibus, quas dicebat ideas, vel species; ideo ostendit, quod quidditates rerum non sunt aliud a rebus nisi per accidens; utputa non est idem quidditas hominis albi, et homo albus; quia quidditas hominis non continet in se nisi quod pertinet ad speciem hominis; sed hoc quod dico homo albus habet aliquid in se praeter illud quod est de specie humana.

 

 

 

 

[80989] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 7Hoc autem contingit in omnibus habentibus formam in materia, quia in eis est aliquid praeter principia speciei. Nam natura speciei individuatur per materiam: unde principia individuantia et accidentia individui sunt praeter essentiam speciei. Et ideo contingit sub una specie inveniri plura individua: quae licet non differant in natura speciei, differunt tamen secundum principia individuantia. Et propter hoc in omnibus habentibus formam in materia, non est omnino idem, et res et quod quid est eius. Socrates enim non est sua humanitas. In his vero quae non habent formam in materia, sicut sunt formae simplices, nihil potest esse praeter essentiam speciei; quia ipsa forma est tota essentia. Et ideo in talibus non possunt esse plura individua unius speciei, nec potest in eis differre res et quod quid est eius.

 

 

 

 

 

 

 

[80990] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 8Considerandum est etiam, quod non solum naturalia habent speciem in materia, sed etiam mathematica. Est enim duplex materia: scilicet sensibilis, a qua abstrahunt mathematica, et concernunt eam naturalia, et intelligibilis, quam mathematica concernunt. Quod quidem sic intelligendum est. Manifestum est enim, quod quantitas immediate inhaeret substantiae: qualitates autem sensibiles in quantitate fundantur, ut album et nigrum, calidum et frigidum. Remoto autem posteriori remanet prius: unde remotis qualitatibus sensibilibus secundum intellectum, adhuc remanet quantitas continua in intellectu.

 

 

 

[80991] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 9Quaedam ergo sunt formae, quae materiam requirunt sub determinata dispositione sensibilium qualitatum; et huiusmodi sunt omnes formae naturales; et idcirco naturalia concernunt materiam sensibilem. Quaedam vero sunt formae, quae non exigunt materiam sub determinata dispositione sensibilium qualitatum, tamen requirunt materiam sub quantitate existentem: sicut triangulus, et quadratum, et huiusmodi: et haec dicuntur mathematica; et abstrahunt a materia sensibili, sed non a materia intelligibili, inquantum in intellectu remanet continua quantitas, abstracta a sensibili qualitate. Sic ergo patet, quia sicut naturalia habent formam in materia, ita et mathematica: et propter hoc tam in naturalibus quam in mathematicis differt res et quod quid est: unde in utrisque inveniuntur plura individua sub una specie. Sicut enim sunt plures homines unius speciei, ita et plures trianguli sub una specie.

 

 

 

 

[80992] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 10His igitur habitis, planum est accipere ex litera philosophi intellectum. Dicit enim quod aliud est magnitudo et magnitudinis esse, id est aliud est magnitudo, et quod quid est eius. Esse enim quod est magnitudinis appellat quidditatem eius. Et similiter aliud est aqua et aquae esse, et sic est in multis aliis, id est in omnibus mathematicis et naturalibus. Unde signanter duo exempla posuit. Nam magnitudo est quid mathematicum, aqua autem quid naturale.

 

 

[80993] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 11Non autem hoc contingit in omnibus. Nam in his, quae omnino sunt separata a materia idem est res et quod quid est eius. Et quia substantiae separatae ignotae sunt nobis, non potuit eas nominare propriis nominibus, sicut mathematica et naturalia, sed nominavit ea sub exemplo rerum naturalium. Et hoc est quod subdit, quod in quibusdam idem est carni esse et carnem: ex quo non intelligit, quod sit idem caro et quod quid est eius. Non enim diceret in quibusdam sic esse; sed simpliciter diceret, quod idem est caro et carni esse. Sed intelligit quod hoc, quod sic dicitur aliquid et alicui, ut caro, et carni esse, idem est in quibusdam, idest in his quae sunt a materia separata.

 

 

 

 

 

 

 

 

[80994] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 12Et quia ad diversa cognoscenda diversae potentiae cognoscitivae requiruntur, concludit, quod anima aut cognoscit alio rem, et alio eius quidditatem, aut uno et eodem, sed alio modo se habente. Manifestum est autem, quod caro non est sine materia: sed forma carnis est forma determinata, et in materia determinata sensibili: sicut etiam simul habet subiectum sensibile determinatum, scilicet nasum. Hanc igitur naturam sensitivam cognoscit anima per sensum. Et hoc est quod subdit, quod anima iudicat potentia sensitiva calidum et frigidum, et alia huiusmodiquorum ratio, idest proportio quaedam caro est. Forma enim carnis requirit determinatam proportionem calidi et frigidi, et aliorum huiusmodi.

 

 

 

[80995] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 13Sed oportet quod alia potentia discernat esse carni, idest quod quid est carnis. Sed hoc contingit dupliciter: uno modo sic quod ipsa caro vel quidditas carnis cognoscantur omnino potentiis abinvicem diversis: puta quod potentia intellectiva cognoscitur quidditas carnis, potentia sensitiva cognoscitur caro: et hoc contingit quando anima per se cognoscit singulare et per se cognoscit naturam speciei. Alio modo contingit, quod cognoscitur caro, et quod quid est carnis: non quod sit alia et alia potentia: sed quia una et eadem potentia, alio et alio modo, cognoscit carnem, et quod quid est eius: et illud oportet esse, cum anima comparat universale ad singulare. Sicut enim supra dictum est, quia non possemus sentire differentiam dulcis et albi, nisi esset una potentia sensitiva communis quae cognosceret utrumque, ita etiam non possemus cognoscere comparationem universalis ad particulare, nisi esset una potentia quae cognosceret utrumque. Intellectus igitur utrumque cognoscit, sed alio et alio modo.

 

 

 

 

 

 

[80996] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 14Cognoscit enim naturam speciei, sive quod quid est, directe extendendo seipsum, ipsum autem singulare per quamdam reflexionem, inquantum redit super phantasmata, a quibus species intelligibiles abstrahuntur. Et hoc est quod dicit, quia sensitivo cognoscit carnem alio, idest alia potentia discernit esse carni, idest quod quid est carnis, aut separata puta cum caro cognoscitur sensu, et esse carnis intellectu, aut eodem aliter se habente, scilicet sicut circumflexa se habet ad seipsam, anima intellectiva cognoscit carnem; quae cum extensa sit, discernit esse carni, id est directe apprehendit quidditatem carnis; per reflexionem autem, ipsam carnem.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[80997] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 15Deinde cum dicit iterum autem quod supra dixerat in naturalibus, exponit in mathematicis: dicens, quod iterum in his quae sunt per abstractionem, idest in mathematicis, quorum ratio abstrahit a materia sensibili, rectum se habet, sicut simum. Haec enim mathematica habent materiam, sicut et naturalia. Rectum enim mathematicum est, simum autem naturale. Ratio enim recti est cum continuo, sicut ratio simi cum naso. Continuum autem est materia intelligibilis, sicut simum materia sensibilis. Unde manifestum est, quod aliud est in mathematicis res et quod quid erat esse, ut rectum et recto esse; unde oportet quod alio cognoscat quod quid erat esse horum, et alio ipsa.

 

 

 

 

 

[80998] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 16Et supponamus ad praesens, exempli causa cum Platone, quod dualitas sit quod quid erat esse lineae rectae. Plato enim ponebat, quod numeri erant species et quidditates mathematicorum; puta unitas lineae, dualitas lineae rectae, et sic de aliis. Oportet igitur, quod anima alio cognoscat ipsa mathematica et quidditates eorum, aut eodem aliter se habente. Unde sicut per naturalia ostenditur, quod intellectus, qui cognoscit quidditates naturalium, sit alius a sensu qui cognoscit ipsa naturalia singularia, ita ex mathematicis ostenditur quod intellectus qui cognoscit quod quid est ipsorum, sit aliud ab imaginativa virtute, quae apprehendit ipsa mathematica.

 

 

 

 

 

[80999] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 17Et quia posset aliquis dicere, quod eodem modo intelligerentur mathematica et naturalia, subiungit quod sicut res sunt separabiles a materia, ita se habent ad intellectum. Unde illa quae sunt secundum esse separata a materia sensibili, solo intellectu percipi possunt; quae autem non sunt separata a materia sensibili secundum esse, sed secundum rationem, intelliguntur absque materia sensibili, non autem absque materia intelligibili. Naturalia vero intelliguntur per abstractionem a materia individuali, non autem per abstractionem a materia sensibili totaliter. Intelligitur enim homo, ut compositus ex carnibus et ossibus, per abstractionem tamen ab his carnibus et his ossibus. Et inde est, quod intellectus non cognoscit directe singularia, sed sensus vel imaginatio.

 

 

 

 

[81000] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 18Apparet autem ex hoc quod philosophus hic dicit, quod proprium obiectum intellectus est quidditas rei, quae non est separata a rebus, ut Platonici posuerunt. Unde illud, quod est obiectum intellectus nostri non est aliquid extra res sensibiles existens, ut Platonici posuerunt, sed aliquid in rebus sensibilibus existens; licet intellectus apprehendat alio modo quidditates rerum, quam sint in rebus sensibilibus. Non enim apprehendit eas cum conditionibus individuantibus, quae eis in rebus sensibilibus adiunguntur. Et hoc sine falsitate intellectus contingere potest. Nihil enim prohibet duorum adinvicem coniunctorum, unum intelligi absque hoc quod intelligatur aliud. Sicut visus apprehendit colorem, absque hoc quod apprehendat odorem, non tamen absque hoc quod apprehendat magnitudinem quae est proprium subiectum coloris. Unde et intellectus potest intelligere aliquam formam absque individuantibus principiis, non tamen absque materia, a qua dependet ratio illius formae: sicut non potest intelligere simum sine naso, sed potest curvum sine naso intelligere. Et quia hoc non distinxerunt Platonici, posuerunt quod mathematica et quidditates rerum sunt separatae in esse, sicut sunt separatae in intellectu.

 

 

 

 

[81001] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 19Manifestum est etiam, quod species intelligibiles, quibus intellectus possibilis fit in actu, non sunt obiectum intellectus. Non enim se habent ad intellectum sicut quod intelligitur, sed sicut quo intelligit. Sicut enim species, quae est in visu, non est quod videtur, sed est quo visus videt; quod autem videtur est color, qui est in corpore; similiter quod intellectus intelligit est quidditas, quae est in rebus; non autem species intelligibilis, nisi inquantum intellectus in seipsum reflectitur. Manifestum est enim quod scientiae sunt de his quae intellectus intelligit. Sunt autem scientiae de rebus, non autem de speciebus, vel intentionibus intelligibilibus, nisi sola scientia rationalis. Unde manifestum est, quod species intelligibilis non est obiectum intellectus, sed quidditas rei intellectae.

 

 

 

 

[81002] Sentencia De anima, lib. 3 l. 8 n. 20Ex quo patet nullam esse rationem quorumdam volentium ostendere, quod intellectus possibilis sit unus in omnibus, ex hoc, quod idem est intellectum ab omnibus, cum oporteat esse plures numero species intelligibiles, si sunt plures intellectus. Non enim est species intelligibilis, ipsum intellectum, sed similitudo eius in anima: et ideo si sunt plures intellectus habentes similitudinem unius et eiusdem rei, erit eadem res intellecta apud omnes. Et praeter hoc manifestum est, quod etiam substantiae separatae intelligunt quidditates rerum naturalium, quas nos intelligimus, et earum intellectus diversi sunt. Unde, si eorum ratio esset efficax, non evitaretur inconveniens, quod concludunt, per hoc, quod ponunt unum intellectum in omnibus hominibus. Non enim possunt ponere unum intellectum in omnibus intelligentibus.

Leçon  8

700. Après avoir traité de l’intellect possible qui est en puissance à l’égard des intelligibles, le Philosophe montre ici comment il passe à l’acte. Et en premier lieu il montre que l’intellect est parfois en acte. En deuxième lieu il montre quel est l’objet propre à l’égard duquel il devient intellect en acte, là où il dit : « Puisque la grandeur est autre que etc. ». Il montre donc comment l’intellect passe à l’acte en disant : nous avons dit (nn. 677-683) que l’âme intellectuelle n’est pas les espèces intelligibles en acte, mais en puissance seulement, « Mais lorsqu’elle devient ainsi chacun de ces intelligibles », c’est-à-dire lorsqu’elle est devenue les espèces intelligibles en acte, au sens où elle sait, c’est-à-dire au sens où elle possède l’habitus de la science, elle possède les espèces en acte et alors on l’appelle intellect en acte. Et cela arrive aussitôt qu’on peut agir par soi-même par l’opération de l’intelligence qui est l’intellection elle-même, tout comme on possède une forme en acte lorsque l’on peut accomplir l’opération de cette forme.

701. Mais bien que l’intellect soit alors en quelque sorte en acte, c’est-à-dire lorsqu’il possède les espèces intelligibles à la manière de celui qui possède l’habitus, il demeure cependant alors en puissance en quelque sorte, non pas de la même manière qu’il était d’abord en puissance avant d’acquérir la science, c’est-à-dire avant d’avoir appris ou découvert. Car avant de posséder l’habitus de la science, qui est le premier acte, il ne pouvait opérer lorsqu’il le voulait, mais il lui fallait passer à l’acte par un autre ; au contraire, une fois l’habitus de la science possédé, qui est l’acte premier, il peut, lorsqu’il le veut, passer à l’acte second qui est l’opération.

702. Or il est manifeste, à partir de ce qui est dit ici, qu’est fausse l’opinion qu’Avicennes a des espèces intelligibles et qui est contraire à celle d’Aristote. Avicennes soutient en effet que les espèces ne sont pas conservées dans l’intellect possible et qu’elles ne s’y trouvent que lorsque l’intellect pense en acte. Et selon lui il est nécessaire qu’à chaque fois que l’intellect pense en acte, qu’il se tourne vers l’intellect agent séparé par lequel les espèces intelligibles se répandent dans l’intellect possible.

 

 

703. Et le Philosophe dit ici clairement, à l’encontre de cette position, que l’intellect passe à l’acte, à l’égard des espèces, à la manière dont celui qui sait en acte connaît encore en puissance. En effet, lorsque l’intellect pense en acte, les espèces intelligibles sont alors en lui selon un acte parfait ; mais lorsque l’intellect possède l’habitus de la science, les espèces sont alors dans l’intellect selon une modalité qui est intermédiaire entre la puissance pure et l’acte pur.

704. Et parce qu’il avait dit que lorsque l’intellect devient en quelque sorte en acte par rapport à chacun des intelligibles à l’égard desquels il était d’abord en puissance, c’est alors qu’il peut les concevoir, on pourrait alors croire que par rapport à lui-même il n’était d’aucune manière en puissance, et qu’une fois en acte il ne pourrait pas se concevoir lui-même. Et c’est pourquoi, pour écarter cette opinion, il ajoute que l’intellect, une fois passé à l’acte, peut non seulement concevoir d’autres choses, mais demeure encore capable de se penser lui-même.

705. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisque la grandeur etc. », le Philosophe montre quel est l’objet de l’intellect. Et pour le montrer, il faut savoir que le Philosophe [Métaphysique, L. 6, ch. 6] se demande si ce qu’est une chose, c’est-à-dire la quiddité ou l’essence de la chose, c’est-à-dire ce qui est signifié par la définition, est identique à la chose elle-même. Et parce que Platon avait soutenu que les quiddités des choses, qu’il appelait idées ou espèces,  existent séparément de chacune des choses elles-mêmes, c’est pourquoi il montre que les quiddités des choses ne diffèrent des choses elles-mêmes que par accident ; par exemple, la quiddité de l’homme blanc n’est pas la même chose que l’homme blanc car la quiddité de l’homme ne contient en elle que ce qui appartient à l’espèce ou à la nature de l’homme ; au contraire, ce que j’appelle homme blanc possède quelque chose en lui en dehors de ce qui appartient à l’espèce humaine.

706. Il en est ainsi pour tous les êtres dont la forme existe dans une matière, car il y a en eux quelque chose qui est étranger aux principes de l’espèce. En effet, la nature de l’espèce est individuée par la matière et c’est pourquoi les principes individuants et les accidents individuels sont étrangers à l’essence de l’espèce. Et c’est pourquoi il est possible de retrouver dans ce cas, sous une même espèce, plusieurs individus qui, bien qu’ils ne diffèrent pas sous le rapport de la nature spécifique, diffèrent néanmoins sous le rapport des principes individuants. Et c’est pour cette raison que chez tous les êtres qui possèdent une forme enracinée dans une matière, la chose elle-même et sa quiddité ne sont pas tout à fait identiques. En effet, Socrate n’est pas son humanité. Mais chez les êtres dont la forme n’existe pas dans une matière, comme c’est le cas pour les formes simples, il ne peut rien exister en dehors de l’essence de l’espèce car dans ce cas la forme elle-même est la totalité de l’essence. Et c’est pourquoi on ne peut retrouver chez ces êtres une multiplicité d’individus dans une même espèce et que chez eux la chose elle-même et sa quiddité ne diffèrent en rien.

707. Il faut aussi considérer que ce ne sont pas seulement les êtres naturels, mais aussi les êtres mathématiques dont l’espèce existe dans une matière. Il y a en effet deux sortes de matière : premièrement la matière sensible dont les êtres mathématiques font abstraction mais à laquelle sont mêlés les êtres naturels ; deuxièmement, la matière intelligible à laquelle sont mêlés les êtres mathématiques. Voici comment il faut entendre cette division. Il est manifeste en effet que la quantité appartient immédiatement à la substance et que les qualités sensibles, comme le blanc et le noir, le chaud et le froid, se fondent sur la quantité. Mais si on supprime ce qui est second, ce qui est premier demeure : c’est pourquoi, si l’intelligence fait abstraction des qualités sensibles, la quantité continue demeure encore en elle. 

708. Il existe donc des formes qui requièrent une matière sous une disposition déterminée des qualités sensibles et toutes les formes naturelles sont de cette sorte et c’est pourquoi elles sont mélangées à la matière sensible. Mais il existe d’autres formes qui ne requièrent pas une matière sous une disposition déterminée des qualités sensibles, mais qui exigent cependant une matière existant sous la quantité, comme c’est le cas pour le triangle, le rectangle, etc. Et les formes de ce genre, qu’on appelle formes mathématiques, font abstraction de la matière sensible mais non de la matière intelligible dans la mesure où l’intelligence, ayant fait abstraction des qualités sensibles, conserve en elle la quantité continue. Il est donc clair que les êtres mathématiques, tout comme les êtres naturels, possèdent une forme existant dans une matière : c’est pour cette raison que chez les uns comme chez les autres, la chose diffère de sa quiddité et c’est aussi pourquoi, dans les deux cas, on retrouve dans une même espèce une multiplicité d’individus. En effet, tout comme il y a plusieurs hommes dans l’unique et même espèce humaine, de même il existe plusieurs triangles sous l’espèce triangle.

709. Ceci étant établi, il est facile d’entendre la pensée d’Aristote à partir de son texte. Il dit en effet que « la grandeur est autre que l’être de la grandeur », c’est-à-dire que la grandeur est autre que la quiddité de la grandeur. En effet, l’être qui appartient à la grandeur, il l’appelle sa quiddité. De la même manière, il ajoute que « l’eau est autre que l’être de l’eau », et qu’il en va de même pour beaucoup d’autres choses, c’est-à-dire pour tous les êtres mathématiques et pour tous les êtres naturels. Et c’est pourquoi il donne clairement deux exemples, car la grandeur est un être mathématique alors que l’eau est un être naturel.

710. Mais il n’en va pas ainsi absolument de tous les êtres. En effet, chez les êtres qui sont complètement séparés de la matière, la chose et sa quiddité sont identiques. Et parce que les substances séparées nous sont inconnues, il n’a pu les nommer par leurs noms propres, comme les êtres mathématiques et les êtres naturels, mais il les a nommés sous l’exemple des choses naturelles. Et c’est justement ce que le Philosophe ajoute, à savoir que chez certains êtres, la chair et l’être de la chair sont identiques : mais il ne faut pas entendre par ce passage que la chair et sa quiddité sont identiques purement et simplement, car il ne prendrait pas la précaution de dire que c’est seulement chez certains êtres qu’il en est ainsi, mais il dirait plutôt, si c’était là ce qu’il entendait, que c’est purement et simplement que la chair et l’être de la chair sont identiques. Mais le Philosophe entend plutôt, par ce qu’il dit ainsi, qu’une chose et ce qui lui appartient, comme la chair et l’être de la chair, sont identiques « chez certains êtres », c’est-à-dire chez ceux qui sont séparés de la matière.

711. Et parce que diverses puissances cognitives sont requises pour connaître divers genres de choses, il conclut que l’âme ou bien connaît une chose par une faculté et sa quiddité par une autre, ou bien elle connaît les deux par la même faculté, mais de manières différentes. Or, il est manifeste que la chair n’est pas sans matière mais que la forme de la chair est une forme déterminée existant dans une matière sensible déterminée ; il en est de même du camus qui est une forme qui possède un sujet sensible déterminé, à savoir le nez. L’âme connaît donc cette nature sensible au moyen du sens. Et c’est ce qu’Aristote ajoute, en disant que c’est par la puissance sensitive que l’âme juge du chaud et du froid et des autres qualités « dont le rapport », c’est-à-dire la proportion, « est une certaine chair ». La forme de la chair requiert en effet une proportion déterminée de chaud et de froid et d’autres qualités de ce genre.

712. Mais il faut qu’une autre puissance « discerne l’être de la chair », c’est-à-dire la quiddité de la chair. Mais cela se produit de deux manières. Premièrement de telle manière que la chair et la quiddité de la chair soient connues par des puissances totalement différentes les unes des autres, comme lorsque la quiddité de la chair est connue par la puissance intellectuelle, et la chair elle-même par la puissance sensitive : et cela est possible lorsque l’âme connaît pas soi le singulier et par soi la nature de l’espèce. Mais il existe une deuxième manière pour la chair et la quiddité de la chair d’être connues, non pas que l’une soit connue par une puissance et l’autre par une autre puissance, mais parce que la chair et sa quiddité sont connues par une seule et même puissance mais de manières différentes : et il doit en être ainsi, puisque l’âme compare l’universel au singulier. En effet, tout comme nous avons dit plus haut (nn. 601-604) que nous ne pourrions sentir la différence entre le doux et le blanc s’il n’existait pas une puissance sensitive commune capable de connaître les deux, de même encore nous ne pourrions connaître le rapport de l’universel au particulier s’il n’existait pas une seule et même puissance capable de connaître les deux. L’intelligence connaît donc les deux, mais l’un d’une manière et l’autre d’une autre manière.

713. L’intelligence connaît en effet la nature de l’espèce, ou la quiddité, comme en se dressant directement elle-même vers elle, alors qu’elle connaît le singulier comme par une certaine réflexion, dans la mesure où elle fait un retour sur les images d’où sont tirées les espèces intelligibles. Et c’est justement ce que dit Aristote, à savoir qu’ou bien c’est par la puissance sensitive que l’âme connaît la chair et par « une autre », c’est-à-dire par une autre puissance qu’elle « discerne l’être de la chair », c’est-à-dire la quiddité de la chair, comme lorsque la chair est connue par le sens et l’être de la chair par l’intelligence, les deux étant connues « par des puissances séparées » ; ou bien les deux sont connues par une seule et même puissance, mais autrement, c’est-à-dire que l’âme intellectuelle connaît la chair « comme la ligne brisée se rapporte à elle-même » ; en effet, « lorsqu’elle s’étend ou se dresse, l’âme intellectuelle discerne l’être de la chair », c’est-à-dire qu’elle appréhende directement la quiddité de la chair ; mais elle connaît la chair elle-même comme par une certaine réflexion ou par un certain retour.

714. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais de même encore etc. », il applique aux êtres mathématiques ce qu’il avait dit plus haut au sujet des êtres naturels. Et il dit que dans les choses qui existent « par abstraction », c’est-à-dire dans les êtres mathématiques que la raison détache de la matière sensible, le droit est l’analogue du camus. Les êtres mathématiques possèdent en effet, comme les êtres naturels, une matière. Le droit est un être mathématique et le camus un être naturel. En effet, la définition du droit comprend le continu tout comme celle du camus comprend le nez. Or, le continu est une matière intelligible comme le nez est une matière sensible. C’est pourquoi il est manifeste que dans les êtres mathématiques la chose est autre que sa quiddité comme le droit est autre que l’être du droit. C’est donc par des facultés différentes, ou par des modalités différentes d’une même faculté, que l’âme connaît ces choses et qu’elle connaît leur être ou leur quiddité.

715. Supposons donc avec Platon, à cause de l’exemple qu’il donne, que la dualité est la quiddité de la ligne droite. Platon soutenait en effet que les nombres sont les formes et les quiddités des êtres mathématiques, par exemple que l’un est la quiddité de la ligne, deux la quiddité de la ligne droite, etc. Il faut donc que ce soit par une faculté que l’âme connaisse les êtres mathématiques eux-mêmes et par une autre qu’elle connaisse leur quiddité, ou bien que ce soit par une seule et même faculté qu’elle connaisse les uns et les autres, mais autrement. C’est pourquoi, tout comme c’est par les êtres naturels qu’il est montré que l’intelligence, qui connaît les quiddités des êtres naturels, est autre que le sens qui connaît les être naturels singuliers eux-mêmes, de même c’est par les êtres mathématiques qu’il est montré que l’intellect, qui connaît leur quiddité, est autre que la puissance imaginative qui appréhende ces êtres mathématiques.

716. Et parce qu’on pourrait dire que c’est de la même manière que l’intelligence connaît les êtres mathématiques et les êtres naturels, c’est pourquoi il ajoute que les choses sont connues par l’intelligence de la même manière qu’elles sont séparables de la matière. Il en résulte que les choses qui sont séparées de la matière sensible selon l’être ne peuvent être appréhendées que par l’intelligence ; quant à celles qui ne sont pas séparées de la matière sensible selon l’être mais seulement selon la raison, elles sont appréhendées intellectuellement sans la matière sensible mais non sans la matière intelligible. Mais les êtres naturels sont connus intellectuellement par abstraction de la matière individuelle, mais non par abstraction de toute matière sensible. En effet, l’homme est compris comme étant composé de chairs et d’os, mais en faisant abstraction de ces chairs et de ces os. C’est pourquoi l’intelligence ne connaît pas directement les singuliers, contrairement au sens et à l’imagination.

717. Ceci étant dit, ce que le Philosophe dit ici devient clair, à savoir que l’objet propre de l’intelligence est la quiddité des choses, laquelle n’est pas séparée des choses comme le soutenaient les Platoniciens. C’est pourquoi ce qui est l’objet de notre intelligence n’est pas quelque chose qui existe en dehors des choses elles-mêmes, comme l’affirmaient les Platoniciens, mais plutôt quelque chose qui existe à l’intérieur même des choses sensibles, bien que l’intelligence appréhende les quiddités des choses autrement qu’elles existent dans les choses sensibles. En effet, l’intelligence n’appréhende pas les quiddités avec les conditions individuelles qui les accompagnent dans les choses sensibles. Et l’intelligence peut faire cela sans tomber dans l’erreur. En effet, rien n’empêche que de deux choses unies l’une à l’autre, l’intelligence en saisisse l’une sans saisir l’autre. Par exemple, la vue appréhende la couleur sans appréhender l’odeur, mais non pas cependant sans appréhender la grandeur qui est le sujet propre de la couleur. C’est pourquoi l’intelligence peut appréhender une forme sans les principes individuels, mais non sans la matière dont dépend la définition de cette forme : par exemple, on ne peut appréhender un camus sans le nez, mais on peut appréhender la courbe sans le nez. Et parce que les Platoniciens ne sont pas arrivés à faire cette distinction, ils ont soutenu que les êtres mathématiques et les quiddités des choses sont séparés dans l’être tout comme ils sont séparés dans l’intelligence.

718. Il est manifeste en outre que les espèces intelligibles, par lesquelles l’intellect possible devient en acte, ne sont pas l’objet de l’intelligence. En effet, elles ne se rapportent pas à l’intelligence comme étant ce qu’elle connaît, mais plutôt comme étant ce par quoi elle connaît. En effet, tout comme l’espèce qui est dans la vue n’est pas ce qui est vu mais plutôt ce par quoi la vue voit, et que ce qui est vu est la couleur qui est dans le corps, de la même manière ce que l’intelligence connaît c’est la quiddité qui est dans la chose et non l’espèce intelligible elle-même, sauf dans la mesure où l’intelligence fait un retour sur elle-même. Il est manifeste en effet que les sciences ont pour objet les choses que l’intelligence connaît. Or, les sciences, sauf la logique ou la science rationnelle, ont pour objet les choses, et non les espèces ou les intentions intelligibles. D’où il est manifeste que l’espèce intelligible n’est pas l’objet de l’intelligence, mais c’est plutôt la quiddité de la chose connue intellectuellement qui est cet objet.

719. Il est clair à partir de là que ce raisonnement est nul, à savoir celui de ceux qui soutiennent qu’il n’existe qu’un seul intellect possible pour tous les hommes du fait que c’est la même chose qui est connue par tous, puisqu’il faudrait qu’il y ait numériquement plusieurs espèces intelligibles s’il existait plusieurs intellects possibles. En effet, l’espèce intelligible n’est pas ce qui est connu par l’intelligence, mais sa similitude dans l’âme : c’est pourquoi, s’il y a plusieurs intellects possédant la similitude d’une seule et même chose, la chose connue sera la même pour tous. Et outre cela, il est manifeste que même les substances séparées connaissent les quiddités des choses naturelles que nous connaissons, et pourtant, leurs intelligences sont distinctes. C’est pourquoi, si leur raisonnement était valide, ils n’éviteraient pas pour autant cette difficulté qu’ils concluent en affirmant qu’il n’existe qu’un seul intellect possible pour tous les hommes. En effet, ils ne peuvent soutenir qu’il n’existe qu’une seule intelligence chez tous ceux qui connaissent intellectuellement.

 

 

LECTIO 9

[81003] Sentencia De anima, lib. 3 l. 9 n. 1Postquam ostendit philosophus naturam intellectus possibilis, et obiectum eius, hic movet quasdam dubitationes circa praedeterminata. Et dividitur in duas partes. In prima ponit dubitationes. Secunda solvit eas, ibi, aut pati. Movet autem primo duas dubitationes: quarum prima talis est. Si intellectus est simplex et impassibilis, et nulli habet aliquid commune, ut Anaxagoras dixit, quomodo intellectus potest intelligere, cum intelligere sit pati quoddam, et de ratione patientis hoc esse videatur, quod habeat aliquid commune cum agente? Quia inquantum est aliquid commune utrisque, scilicet agenti et patienti, videtur quod hoc agat, et illud patiatur. Oportet enim ea quae agunt et patiuntur adinvicem, communicare in materia, ut dicitur in primo de generatione.

 

 

 

 

[81004] Sentencia De anima, lib. 3 l. 9 n. 2Secundam dubitationem ponit ibi amplius autem et insurgit haec dubitatio ex eo quod supra dixit, quod intellectus factus in actu, etiam seipsum intelligit. Et est ista dubitatio, quod si intellectus est intelligibilis, hoc potest contingere duobus modis. Uno modo, quod sit intelligibilis secundum se, et non secundum aliud. Alio modo, quod habeat aliquid sibi adiunctum, quod faciat ipsum intelligibilem. Si autem secundum seipsum est intelligibilis, et non secundum aliud, intelligibile autem inquantum huiusmodi est unum in specie, sequetur, si hoc non solum est intelligibile, sed intellectus; quod etiam alia intelligibilia sint intellectus, et ita omnia intelligibilia intelligent. Si autem est intelligibilis per hoc quod habet aliquid aliud sibi adiunctum, sequeretur quod habeat aliquid quod faciat ipsum intelligibilem, sicut et alia, quae intelliguntur: et ita videtur sequi idem quod prius, scilicet quod semper id quod intelligitur, intelligat.

 

 

 

[81005] Sentencia De anima, lib. 3 l. 9 n. 3Deinde cum dicit aut pati solvit praemissas dubitationes. Et primo solvit primam; dicens, quod sicut prius distinctum est de passione, cum ageretur de sensu, quod pati dicitur secundum aliquid commune, idest hoc quod est pati commune est ad passionem quae est in contrarias dispositiones, sicut est passio mutua in rebus naturalibus, quae communicant in materia: et est aliquod pati, quod dicitur secundum receptionem tantum. Intellectus igitur dicitur pati, inquantum est quodammodo in potentia ad intelligibilia, et nihil est actu eorum antequam intelligat. Oportet autem hoc sic esse, sicut contingit in tabula, in qua nihil est actu scriptum, sed plura possunt in ea scribi. Et hoc etiam accidit intellectui possibili, quia nihil intelligibilium est in eo actu, sed potentia tantum.

 

 

 

 

 

 

[81006] Sentencia De anima, lib. 3 l. 9 n. 4Et per hoc excluditur tam opinio antiquorum naturalium, qui ponebant animam compositam ex omnibus, ut intelligeret omnia, quam etiam opinio Platonis, qui posuit naturaliter animam humanam habere omnem scientiam, sed esse eam quodammodo oblitam, propter unionem ad corpus: dicens, quod addiscere nihil aliud est quam reminisci.

 

[81007] Sentencia De anima, lib. 3 l. 9 n. 5Deinde cum dicit et ipse solvit secundam dubitationem. Et primo solvit quaestionem. Secundo respondet ad obiectionem in contrarium factam, ibi, non autem semper. Dicit ergo primo, quod intellectus possibilis est intelligibilis non per suam essentiam, sed per aliquam speciem intelligibilem, sicut et alia intelligibilia. Quod probat ex hoc, quod intellectum in actu et intelligens in actu, sunt unum, sicut et supra dixit, quod sensibile in actu et sensus in actu sunt unum. Est autem aliquod intelligibile in actu, per hoc quod est in actu a materia abstractum: sic enim supra dixit, quod sicut res sunt separabiles a materia, sic sunt et quae sunt circa intellectum. Et ideo hic dicit, quod in his quae sunt sine materia. Id est si accipiamus intelligibilia actu, idem est intellectus et quod intelligitur, sicut idem est sentiens in actu et quod sentitur in actu. Ipsa enim scientia speculativa, et sic scibile, idest scibile in actu, est idem. Species igitur rei intellectae in actu, est species ipsius intellectus; et sic per eam seipsum intelligere potest. Unde et supra philosophus per ipsum intelligere, et per illud quod intelligitur, scrutatus est naturam intellectus possibilis. Non enim cognoscimus intellectum nostrum nisi per hoc, quod intelligimus nos intelligere.

 

 

 

 

 

 

 

 

[81008] Sentencia De anima, lib. 3 l. 9 n. 6Accidit autem hoc in intellectu possibili, quod non intelligatur per essentiam suam, sed per speciem intelligibilem, ex hoc quod est potentia tantum in ordine intelligibilium. Ostendit enim philosophus, in nono metaphysicae, quod nihil intelligitur nisi secundum quod est in actu. Et potest accipi simile in rebus sensibilibus. Nam id quod est in potentia tantum in eis, scilicet materia prima, non habet aliquam actionem per essentiam suam, sed solum per formam ei adiunctam: substantiae autem sensibiles, quae sunt secundum aliquid in actu, et secundum aliquid in potentia, secundum seipsas habent aliquam actionem. Similiter intellectus possibilis, qui est tantum in potentia in ordine intelligibilium, non intelligit, neque intelligitur, nisi per speciem in eo susceptam.

[81009] Sentencia De anima, lib. 3 l. 9 n. 7Deus autem, qui est purus actus in ordine intelligibilium, et aliae substantiae separatae, quae sunt mediae inter potentiam et actum per suam essentiam et intelligunt et intelliguntur.

[81010] Sentencia De anima, lib. 3 l. 9 n. 8Deinde cum dicit non autem respondet ad obiectionem, quae erat in contrarium; dicens, quod ex quo intellectus possibilis habet aliquid quod facit ipsum intelligibilem, sicut et alia, restat ut consideretur causa non semper intelligendi, id est quare non semper intelligibile intelligit. Quod ideo est, quia in rebus habentibus materiam, species non est intelligibilis secundum actum, sed secundum potentiam tantum. Intelligibile autem in potentia non est idem cum intellectu, sed solum intelligibile in actu: unde in illis quae habent speciem in materia, non inerit intellectus, ut scilicet intelligere possint, quia intellectus talium, idest intelligibilium, est quaedam potentia sine materia. Illud autem quod est in materia est intelligibile, sed in potentia tantum, quod vero est in intellectu, est species intelligibilis secundum actum.

Leçon  9

720. Après avoir montré la nature de l’intellect possible et son objet, le Philosophe présente certaines difficultés relatives à ce qui vient d’être établi. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il présente les difficultés. Dans la deuxième, il les résout, là où il dit : « Ou bien la passion ne doit-elle pas etc. ». Or, il soulève en premier lieu deux difficultés, dont voici la première. Si l’intellect est simple et impassible et n’a rien de commun avec quoi que ce soit, comme l’affirme Anaxagore, comment l’intellect peut-il penser, puisque penser, c’est subir une certaine passion, et qu’il semble entrer dans la définition d’un patient d’avoir quelque chose de commun avec un agent ? Car il semble que c’est dans la mesure où il y a quelque chose de commun aux deux, c’est-à-dire au patient et à l’agent, que l’un agit et que l’autre pâtit. Il faut en effet que ceux qui agissent et qui pâtissent communiquent mutuellement dans une matière, comme le dit le Philosophe dans un autre traité [De la Génération, L. 1, ch. 7].

721. Il présente la deuxième difficulté là où il dit : « Mais en outre, etc. ». Et il soulève cette difficulté du fait qu’il a dit plus haut (n. 704) que l’intellect en acte se connaît aussi lui-même. Et cette difficulté est la suivante : si l’intellect est intelligible, cela est possible de deux manières : ou bien en lui-même et non en vertu d’autre chose ; ou bien il y aura quelque chose d’autre, rattaché à l’intelligible, qui le rendra intelligible. Mais si c’est en lui-même qu’il est intelligible et non en vertu d’autre chose, et que l’intelligible en tant que tel est spécifiquement un, il s’ensuit, si tel intelligible n’est pas seulement intelligible mais intellect, que même les autres intelligibles seront des intellects, et par conséquent que tous les intelligibles connaîtront intellectuellement. Mais si l’intellect est intelligible au moyen de quelque chose d’autre qui lui est rattaché, il s’ensuivra qu’il possède en lui quelque chose qui, comme pour les autres intelligibles, le rendra intelligible : par conséquent, il semble bien s’ensuivre la même chose que précédemment, à savoir que toujours ce qui est pensé pense ou que tout intelligible intellige.

722. Ensuite, lorsqu’il dit : « Ou bien la passions etc. », il résout les difficultés qui précèdent. Et il répond en premier lieu à la première en disant que nous avons antérieurement fait une distinction sur la passion (nn. 365-366), lorsque nous avons traité du sens, alors que nous avons dit que la passion se dit en plusieurs sens en rapport avec quelque chose de commun. Nous avons dit en effet que pâtir se dit de la passion qui implique des dispositions contraires, comme les passions réciproques qu’on retrouve dans les choses naturelles qui ont en commun la matière ; mais il existe un certain pâtir qui se dit seulement dans le sens d’une réception. On dit donc de l’intellect qu’il est un certain pâtir en tant qu’il est en quelque sorte en puissance à l’égard des intelligibles, mais qu’il n’est aucun d’eux en acte avant d’avoir pensé. Et il faut qu’il en soit ainsi, c’est-à-dire comme pour une tablette sur laquelle rien n’est écrit en acte mais sur laquelle de nombreuses choses peuvent être écrites. Et il en va de même de l’intellect possible, car en lui aucun des intelligibles n’est présent en acte, mais en puissance seulement.

723. Et en disant cela, le Philosophe rejette aussi bien l’opinion des anciens naturaliste, qui soutenaient que l’âme, pour connaître toutes les choses, devait être composée de toutes les choses, que celle de Platon qui soutenait que l’âme possède par nature toute science, lorsqu’il disait qu’apprendre n’est rien d’autre que se souvenir, mais que cette science a été en quelque sorte oubliée à cause de l’union de l’âme au corps.

724. Ensuite, lorsqu’Aristote dit : « En outre, l’intellect est-il lui-même intelligible comme etc. », il résout la deuxième difficulté. Et en premier lieu il résout la difficulté. En deuxième lieu il répond à l’objection faite en sens contraire là où il dit : « Quant à la cause etc. ». Il dit donc en premier lieu que l’intellect possible est intelligible non pas par son essence même, mais par une espèce intelligible, tout comme les autres intelligibles. Il le prouve en partant de ceci que ce qui est pensé en acte et ce qui pense en acte sont une seule et même chose, tout comme il avait dit plus haut (nn. 590-593) que le sensible en acte et le sens en acte sont une seule et même chose. Or, quelque chose est intelligible en acte du fait qu’il est séparé en acte de la matière : il avait dit en effet plus haut (nn. 707-719) que les choses existent et se rapportent à l’intellect de la même manière qu’elles sont séparables de la matière. Et c’est pourquoi il dit ici : « pour les choses qui existent sans la matière ». C’est pourquoi, si nous parlons des intelligibles en acte, ce qui est pensé et ce qui pense sont identiques, tout comme ce qui sent en acte est identique à ce qui est senti en acte. En effet, la science spéculative elle-même et son objet, à savoir ce qu’elle connaît en acte, sont identiques. Donc, l’espèce de la chose connue en acte est l’espèce de l’intellect lui-même et par conséquent c’est par cette espèce que l’intellect peut se penser lui-même. C’est aussi pourquoi le Philosophe a examiné plus haut (nn. 672-699) la nature de l’intellect possible au moyen de l’acte même de l’intellect et au moyen de ce qui est connu de lui. En effet, nous ne connaissons notre intellect que parce que nous savons que nous savons.

725. Mais si l’intellect possible n’est pas intelligible par son essence mais par une espèce intelligible, cela vient de ce qu’il est en puissance seulement par rapport aux intelligibles. Le Philosophe [Métaphysique, L. 8, ch. 9] montre en effet qu’une chose n’est pensée et connue que si elle existe en acte. Et on peut en présenter une similitude tirée des choses sensibles. Car ce qui existe en puissance seulement en elles, à savoir la matière première, ne possède aucune opération de par son essence même, mais seulement par la forme qui lui est ajoutée : or, les substances sensibles, qui sous un rapport sont en acte et sous un autre en puissance, possèdent d’elles-mêmes une opération. De la même manìère, l’intellect possible, qui est seulement en puissance par rapport aux intelligibles, ne pense et n’est pensé que par l’espèce ou la forme qui est reçue en lui.

726. Mais Dieu, qui est acte pur par rapport aux intelligibles, et les autres substances séparées, qui sont par leur essence intermédiaires entre la puissance et l’acte, pensent et sont pensées.

 

727. Ensuite, lorsqu’il dit : « Quant à savoir pourquoi on ne pense pas toujours etc. », il répond à l’objection qui était en sens contraire ; et il dit que du fait que l’intellect possible possède quelque chose qui le rend intelligible, comme les autres choses, il reste à considérer la cause pour laquelle il ne pense pas toujours, c’est-à-dire pourquoi il ne pense pas toujours l’intelligible. Et il en est ainsi parce  que dans les choses qui possèdent de la matière, l’espèce n’est pas intelligible en acte mais seulement en puissance. Or, l’intelligible en puissance n’est pas la même chose que ce qui est pensé mais c’est seulement l’intelligible en acte qui l’est : c’est pourquoi, chez ces êtres qui ont leur espèce dans une matière, il n’y aura pas d’intelligence inhérente qui puisse penser ou concevoir,   parce que l’intellect des choses de ce genre, c’est-à-dire des intelligibles, est une certaine puissance sans matière. Or, ce qui existe dans la matière est intelligible, mais en puissance seulement, alors que ce qui est dans l’intellect, c’est une espèce intelligible en acte.

 

 

 

 

LECTIO 10

[81011] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 1Postquam philosophus determinavit de intellectu possibili, nunc determinat de intellectu agente. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit esse intellectum agentem, praeter possibilem, et ratione, et exemplo. Secundo ostendit huius intellectus naturam, ibi, et hic intellectus. Ponit ergo circa primum talem rationem. In omni natura quae est quandoque in potentia et quandoque in actu, oportet ponere aliquid, quod est sicut materia in unoquoque genere, quod scilicet est in potentia ad omnia quae sunt illius generis. Et aliud, quod est sicut causa agens, et factivum; quod ita se habet in faciendo omnia, sicut ars ad materiam. Sed anima secundum partem intellectivam quandoque est in potentia, et quandoque in actu. Necesse est igitur in anima intellectiva esse has differentias: ut scilicet unus sit intellectus, in quo possint omnia intelligibilia fieri, et hic est intellectus possibilis, de quo supra dictum est: et alius intellectus sit ad hoc quod possit omnia intelligibilia facere in actu; qui vocatur intellectus agens, et est sicut habitus quidam.

 

 

 

 

 

 

[81012] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 2Huius autem verbi occasione, quidam posuerunt intellectum agentem idem esse cum intellectu qui est habitus principiorum. Quod esse non potest: quia intellectus, qui est habitus principiorum, praesupponit aliqua iam intellecta in actu: scilicet terminos principiorum, per quorum intelligentiam cognoscimus principia: et sic sequeretur, quod intellectus agens non faceret omnia intelligibilia in actu, ut hic philosophus dicit. Dicendum est ergo, quod habitus, sic accipitur secundum quod philosophus frequenter consuevit nominare omnem formam et naturam habitum, prout habitus distinguitur contra privationem et potentiam, ut sic per hoc quod nominat eum habitum distinguat eum ab intellectu possibili, qui est potentia.

 

[81013] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 3Unde dicit quod est habitus, ut lumen, quod quodammodo facit colores existentes in potentia, esse actu colores. Et dicit quodammodo, quia supra ostensum est, quod color secundum seipsum est visibilis. Hoc autem solummodo facit lumen, ipsum esse actu colorem, inquantum facit diaphanum esse in actu, ut moveri possit a colore, ut sic color videatur. Intellectus autem agens facit ipsa intelligibilia esse in actu, quae prius erant in potentia, per hoc quod abstrahit ea a materia; sic enim sunt intelligibilia in actu, ut dictum est.

 

 

[81014] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 4Inducitur autem Aristoteles ad ponendum intellectum agentem, ad excludendum opinionem Platonis, qui posuit quidditates rerum sensibilium esse a materia separatas, et intelligibiles actu; unde non erat ei necessarium ponere intellectum agentem. Sed quia Aristoteles ponit, quod quidditates rerum sensibilium sunt in materia, et non intelligibiles actu, oportuit quod poneret aliquem intellectum qui abstraheret a materia, et sic faceret eas intelligibiles actu.

[81015] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 5Deinde cum dicit et hic ponit quatuor conditiones intellectus agentis: quarum prima est, quod sit separabilis: secunda, quod sit impassibilis: tertia quod sit immixtus, idest non compositus ex naturis corporalibus, neque adiunctus organo corporali; sed in his tribus convenit cum intellectu possibili: quarta autem conditio est, quod sit in actu secundum suam substantiam; in quo differt ab intellectu possibili, qui est in potentia secundum suam substantiam, sed est in actu solum secundum speciem susceptam.

[81016] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 6Et ad has quatuor conditiones probandas, inducit unam rationem, quae talis est. Agens est honorabilius patiente, et principium activum, materia: sed intellectus agens comparatur ad possibilem sicut agens ad materiam, sicut iam dictum est: ergo intellectus agens est nobilior possibili. Sed intellectus possibilis est separatus, impassibilis et immixtus, ut supra ostensum est: ergo multo magis intellectus agens. Ex hoc etiam patet, quod sit secundum substantiam suam in actu; quia agens est nobilius patiente, non nisi secundum quod est in actu.

 

 

 

[81017] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 7Occasione autem horum quae hic dicuntur, quidam posuerunt intellectum agentem, substantiam separatam, et quod differt secundum substantiam ab intellectu possibili. Illud autem non videtur esse verum. Non enim homo esset a natura sufficienter institutus, si non haberet in seipso principia, quibus posset operationem complere, quae est intelligere: quae quidem compleri non potest, nisi per intellectum possibilem, et per intellectum agentem. Unde perfectio humanae naturae requirit, quod utrumque eorum sit aliquid in homine. Videmus etiam, quod sicut operatio intellectus possibilis, quae est recipere intelligibilia, attribuitur homini, ita et operatio intellectus agentis, quae est abstrahere intelligibilia. Hoc autem non posset, nisi principium formale huius actionis esset ei secundum esse coniunctum.

 

 

 

[81018] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 8Nec sufficit ad hoc, quod actio attribuatur homini per hoc quod species intelligibiles factae per intellectum agentem, habent quodammodo pro subiecto phantasmata, quae sunt in nobis; quia ut supra diximus, cum de intellectu possibili ageretur, species non sunt intelligibiles in actu, nisi quia sunt abstractae a phantasmatibus: et sic eis mediantibus actio intellectus agentis non posset nobis attribui. Et praeterea intellectus agens comparatur ad species intellectus in actu, sicut ars ad species artificiatorum, per quas manifestum est, quod artificia non habent actionem artis: unde etiam dato, quod species factae intelligibiles actu, essent in nobis, non sequeretur, quod nos possemus habere actionem intellectus agentis.

 

 

 

[81019] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 9Est etiam praedicta positio contra Aristotelis intentionem: qui expresse dixit, has differentias duas, scilicet intellectum agentem et intellectum possibilem, esse in anima: ex quo expresse dat intelligere, quod sint partes animae, vel potentiae, et non aliquae substantiae separatae.

[81020] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 10Sed contra hoc videtur esse praecipue, quod intellectus possibilis comparatur ad intelligibilia, ut in potentia existens ad illa; intellectus autem agens comparatur ad ea, ut ens in actu: non videtur autem possibile, idem respectu eiusdem posse esse in potentia et in actu: unde non videtur possibile, quod intellectus agens et possibilis conveniant in una substantia animae.

 

[81021] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 11Sed hoc de facili solvitur, si quis recte consideret, quomodo intellectus possibilis sit in potentia ad intelligibilia, et quomodo intelligibilia sunt in potentia respectu intellectus agentis. Est enim intellectus possibilis in potentia ad intelligibilia, sicut indeterminatum ad determinatum. Nam intellectus possibilis non habet determinate naturam alicuius rerum sensibilium. Unumquodque autem intelligibile, est aliqua determinata natura alicuius speciei. Unde supra dixit, quod intellectus possibilis comparatur ad intelligibilia, sicut tabula ad determinatas picturas. Quantum autem ad hoc, intellectus agens non est in actu.

 

[81022] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 12Si enim intellectus agens haberet in se determinationem omnium intelligibilium, non indigeret intellectus possibilis phantasmatibus, sed per solum intellectum agentem reduceretur in actum omnium intelligibilium, et sic non compararetur ad intelligibilia ut faciens ad factum, ut philosophus hic dicit, sed ut existens ipsa intelligibilia. Comparatur igitur ut actus respectu intelligibilium, inquantum est quaedam virtus immaterialis activa, potens alia similia sibi facere, scilicet immaterialia. Et per hunc modum, ea quae sunt intelligibilia in potentia, facit intelligibilia in actu. Sic enim et lumen facit colores in actu, non quod ipsum habeat in se determinationem omnium colorum. Huiusmodi autem virtus activa est quaedam participatio luminis intellectualis a substantiis separatis. Et ideo philosophus dicit, quod est sicut habitus, vel lumen; quod non competeret dici de eo, si esset substantia separata.

 

 

 

 

 

[81023] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 13Deinde cum dicit idem autem determinat de intellectu secundum actum. Et circa hoc duo facit. Primo ponit conditiones intellectus in actu. Secundo ostendit conditiones totius partis intellectivae, secundum quod differt ab aliis partibus animae, ibi, separatus autem. Circa primum tres ponit conditiones intellectus in actu: quarum prima est, quod scientia in actu, est idem rei scitae. Quod non est verum de intellectu in potentia. Secunda conditio eius est, quod scientia in potentia in uno et eodem, tempore est prior quam scientia in actu; sed universaliter non est prior, non solum natura, sed neque etiam tempore: et hoc est, quod philosophus dicit in nono metaphysicae, quod actus est prior potentia natura, tempore vero in uno et eodem potentia prior est actu, quia unum et idem prius est in potentia, et postea fit actu. Sed universaliter loquendo, etiam tempore actus est prior. Nam quod in potentia est, non reducitur in actum nisi per aliquod quod est actu. Et sic etiam de potentia sciente, non fit aliquis sciens actu, inveniendo, neque discendo, nisi per aliquam scientiam praeexistentem in actu; quia omnis doctrina et disciplina intellectiva fit ex praeexistenti cognitione, ut dicitur in primo posteriorum.

 

 

 

 

 

 

 

[81024] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 14Tertia conditio intellectus in actu, per quam differt ab intellectu possibili, et intellectu in habitu, est quia uterque quandoque intelligit, et quandoque non intelligit. Sed hoc non potest dici de intellectu in actu, qui consistit in ipso intelligere.

[81025] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 15Deinde cum dicit separatus autem ponit conditiones totius intellectivae partis. Et primo ponit veritatem. Secundo excludit obiectionem, ibi, non reminiscitur. Dicit ergo primo, quod solus intellectus separatus est hoc, quod vere est. Quod quidem non potest intelligi neque de intellectu agente neque de intellectu possibili tantum, sed de utroque, quia de utroque supra dixit quod est separatus. Et patet quod hic loquitur de tota parte intellectiva: quae quidem dicitur separata, ex hoc quod habet operationem suam sine organo corporali.

 

 

 

 

[81026] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 16Et quia in principio huius libri dixit quod si aliqua operatio animae sit propria, contingit animam separari; concludit, quod haec sola pars animae, scilicet intellectiva, est incorruptibilis et perpetua. Et hoc est quod supra posuit in secundo, quod hoc genus animae separatur ab aliis, sicut perpetuum a corruptibili. Dicitur autem perpetua, non quod semper fuerit, sed quod semper erit. Unde philosophus dicit in duodecimo metaphysicorum, quod forma numquam est ante materiam, sed posterius remanet anima, non omnis, sed intellectus.

 

 

 

[81027] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 17Deinde cum dicit reminiscitur excludit quamdam obiectionem. Posset enim aliquis credere, quod quia pars intellectiva animae est incorruptibilis, remanet post mortem in anima intellectiva scientia rerum eodem modo quo nunc eam habet: cuius contrarium supra dixit in primo, quod intelligere corrumpitur, quodam interius corrupto; et quod corrupto corpore non reminiscitur anima, neque amat.

 

 

[81028] Sentencia De anima, lib. 3 l. 10 n. 18Et ideo hic dicit, quod non reminiscitur, scilicet post mortem eorum, quae in vita scivimus, quia hoc quidem impassibile est, id est ista pars animae intellectivae impassibilis est, unde ipsa non est subiectum passionum animae, sicut sunt amor et odium, reminiscentia et huiusmodi, quae ex aliqua passione corporali contingunt. Passivus vero intellectus corruptibilis est, idest pars animae, quae non est sine praedictis passionibus, est corruptibilis; pertinent enim ad partem sensitivam. Tamen haec pars animae dicitur intellectus, sicut et dicitur rationalis, inquantum aliqualiter participat rationem, obediendo rationi, et sequendo motum eius, ut dicitur in primo Ethicorum. Sine hac autem parte animae corporalis, intellectus nihil intelligit. Non enim intelligit aliquid sine phantasmate, ut infra dicetur. Et ideo destructo corpore non remanet in anima separata scientia rerum secundum eundem modum, quo modo intelligit. Sed quomodo tunc intelligat, non est praesentis intentionis discutere.

Leçon  10

728. Après avoir traité de l’intellect possible, le Philosophe traite ici de l’intellect agent. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu, il montre, au moyen d’un raisonnement et d’un exemple, qu’il existe aussi, outre l’intellect possible, un intellect agent. En deuxième lieu, il montre la nature de cet intellect, là où il dit : « Et cet intellect est séparable etc. ». Au sujet du premier point, il présente donc ce raisonnement.  Dans toute nature qui est tantôt en puissance et tantôt en acte, il faut poser, en tout genre, quelque chose qui est comme une matière, c’est-à-dire quelque chose qui est en puissance à l’égard de tout ce qui appartient à ce genre. Et en outre, dans ce genre, il faut poser quelque chose qui est comme la cause agente et productrice, et qui, dans la production de tout ce qui appartient à ce genre, est comme l’art par rapport à la matière. Or l’âme, quant à sa partie intellectuelle, est tantôt en puissance et tantôt en acte. Il est donc nécessaire qu’il y ait cette distinction dans l’âme intellectuelle : c’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait dans l’âme un seul intellect dans lequel tous les intelligibles puissent être reçus, et tel est l’intellect possible dont nous avons parlé plus haut (nn. 671-727) ; et il faut en outre qu’il y ait un autre intellect capable d’actualiser ou de réduire à l’acte tous ces intelligibles, et c’est celui qu’on appelle l’intellect agent, lequel est comme un certain habitus.

729. À l’occasion de ce passage d’Aristote, certains ont soutenu que l’intellect agent est la même chose que l’intelligence qui est l’habitus des principes. Mais cela est impossible parce que l’intelligence qui est l’habitus des principes présuppose certaines choses déjà connues en acte, c’est-à-dire les termes des principes dont la connaissance nous permet de connaître les principes ; par conséquent, il s’ensuivrait que l’intellect agent ne réduirait pas à l’acte tous les intelligibles, comme le dit ici le Philosophe. Il faut donc dire que le terme habitus est pris ici en ce sens où le Philosophe avait coutume de nommer habitus toute forme ou toute nature, en tant que l’habitus se distingue par opposition à la privation et à la puissance, de telle sorte qu’en appelant l’intellect agent habitus, il le distingue tout simplement de l’intellect possible qui est une puissance.

730. C’est pourquoi le Philosophe poursuit en ajoutant que l’intellect agent est un habitus à la manière d’une lumière qui, en quelque sorte, convertit les couleurs, qui existent en puissance dans l’obscurité, en couleurs en acte. Et il dit « en quelque sorte », car il a été montré plus haut (n. 400) que la couleur est visible en elle-même. Or, la lumière n’actualise la couleur et ne la rend visible en acte qu’en tant qu’elle actualise le diaphane pour qu’il puisse être mû par la couleur afin qu’ainsi la couleur soit vue. Or, l’intellect agent actualise les intelligibles qui existaient d’abord en puissance en les tirant de la matière : c’est ainsi en effet que les intelligibles sont actualisés, comme nous l’avons dit (n. 716).

731. Aristote a été amené à poser l’existence d’un intellect agent pour écarter l’opinion de Platon qui soutenait que les quiddités des choses sensibles sont séparées de la matière et intelligibles en acte ; c’est pourquoi Platon ne voyait pas la nécessité de poser l’existence d’un intellect agent. Mais parce qu’Aristote affirmait au contraire que les quiddités des choses sensibles sont dans la matière et ne sont pas intelligibles en acte, il devait poser l’existence d’un intellect capable de les tirer de la matière et de les rendre intelligibles en acte.

732. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et cet intellect est séparé etc. », le Philosophe présente quatre propriétés de cet intellect agent. La première, c’est qu’il est séparable ; la seconde, qu’il est impassible ; la troisième, qu’il est sans mélange, c’est-à-dire qu’il n’est pas composé de natures corporelles et non rattaché à un organe corporel : et l’intellect agent partage ces trois propriétés avec l’intellect possible ; la quatrième propriété, c’est qu’il est en acte par essence, et en cela il diffère de l’intellect possible qui est en puissance par essence et qui n’est en acte que par l’espèce qu’il reçoit.

733. Et pour prouver que ces quatre propriétés appartiennent bien à l’intellect agent, il présente le raisonnement que voici. L’agent est toujours d’une dignité supérieure à celle du patient, et il en va de même du principe actif à l’égard de la matière : or, l’intellect agent se compare à l’intellect possible comme l’agent se compare à la matière, comme nous l’avons déjà dit (n. 728) : l’intellect agent est donc d’une dignité supérieure à celle de l’intellect possible. Or, l’intellect possible est séparé, impassible et sans mélange, comme nous l’avons montré (677-683) : l’intellect agent possède donc à plus forte raison ces attributs. De tout cela découle aussi clairement qu’il est en acte par essence, car c’est  en tant qu’il est en acte que l’agent est plus noble que le patient.

734. À l’occasion des paroles exprimées ici au sujet de l’intellect agent, certains philosophes ont soutenu que l’intellect agent est une substance séparée et qu’il diffère essentiellement de l’intellect possible. Mais cela ne semble pas être vrai. En effet, l’homme ne serait pas suffisamment établi par la nature s’il ne possédait pas en lui-même les principes par lesquels il peut accomplir l’opération qui est l’intellection, laquelle ne peut être accomplie que par l’intellect possible et par l’intellect agent. Il en résulte que la perfection de la nature humaine exige que chacun des deux intellects soit quelque chose qui est présent dans l’homme. Nous voyons aussi que tout comme l’opération de l’intellect possible, qui consiste à recevoir les intelligibles, est attribuée à l’homme, de même celle de l’intellect agent, qui consiste à tirer les intelligibles de la matière, doit être attribuée aussi à l’homme. Mais il ne peut en être ainsi que si le principe formel de cette opération est uni à l’homme dans son existence.

735. Et il ne suffit pas, pour que l’opération de l’intellect agent soit attribuée à l’homme, que les espèces intelligibles produites par l’intellect agent aient en quelque sorte pour sujet les images qui sont en nous ; en effet, comme nous l’avons dit précédemment (n. 692), lorsque nous avons traité de l’intellect possible, les espèces ne sont intelligibles en acte que parce qu’elles sont tirées des images : par conséquent, ce n’est pas au moyen des images que l’opération de l’intellect agent peut nous être attribuée. En outre, l’intellect agent se rapporte à l’espèce de l’intellect en acte comme l’art se rapporte aux espèces des œuvres d’art, par lesquelles il est manifeste que les œuvres d’art ne possèdent pas l’opération de l’art. C’est pourquoi, même si on concédait que les espèces rendues intelligibles en acte sont en nous, il ne s’ensuivrait pas que nous pourrions posséder en nous l’opération de l’intellect agent.

736. En outre, la position dont nous venons de parler est contraire à l’intention d’Aristote qui dit clairement que ces deux différences, à savoir l’intellect possible et l’intellect agent, sont dans l’âme, ce qui donne clairement à entendre que ces différences sont des parties ou des puissances de l’âme, et non des substances séparées.

737. Mais ce qui semble s’opposer à cela, c’est surtout que l’intellect possible se compare aux intelligibles en tant qu’il est en puissance par rapport à eux ; quant à l’intellect agent, il se compare à eux en tant qu’il est en acte. Or, il ne semble pas possible qu’un même sujet soit à la fois en puissance et en acte à l’égard d’un même objet : c’est pourquoi il ne semble pas possible que l’intellect agent et l’intellect possible aient en commun une seule et même substance de l’âme.

738. Mais cette difficulté se résout facilement si on considère comment l’intellect possible est en puissance à l’égard des intelligibles, et comment, de leur côté, les intelligibles sont en puissance par rapport à l’intellect agent. L’intellect possible est en effet en puissance à l’égard des intelligibles comme l’indéterminé est en puissance à l’égard du déterminé. La raison en est que l’intellect possible ne possède pas déterminément la nature d’une des choses sensibles. Or, tout intelligible est quelque nature déterminée d’une espèce. C’est pourquoi Aristote a dit plus haut (n. 722) que l’intellect possible se compare aux intelligibles comme une tablette vide se compare à des images déterminées. Et quant à cela, l’intellect agent n’est pas en acte.

739. En effet, si l’intellect agent avait en lui tous les intelligibles déterminés, l’intellect possible n’aurait pas besoin des images, mais il deviendrait tous les intelligibles en acte seulement au moyen de l’intellect agent ; par conséquent, l’intellect agent ne se comparerait plus aux intelligibles comme celui qui fait une chose se compare à la chose qu’il fait, comme le dit ici le Philosophe, mais plutôt comme étant les intelligibles eux-mêmes. Il se compare donc aux intelligibles en tant qu’il est un acte, dans la mesure où il est une puissance immatérielle active capable de rendre les autres choses semblables à lui-même, c’est-à-dire immatérielles. Et c’est de cette manière qu’il rend intelligible en acte ce qui était intelligible en puissance. C’est de cette manière en effet que la lumière rend les couleurs visibles en acte, et non pas parce qu’elle possède en elles toutes les couleurs déterminées. Or, une telle puissance active est une certaine participation de la lumière intellectuelle qui procède des substances séparées. Et c’est pourquoi le Philosophe dit de l’intellect agent qu’il est comme un habitus ou une lumière, ce qu’il ne conviendrait pas de dire à son sujet s’il était une substance séparée.

740. Ensuite, lorsqu’il dit : « La science en acte est identique etc. », il détermine de l’intellect en acte, et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il donne les conditions de l’intellect en acte. En deuxième lieu il manifeste les conditions de toute la partie intellectuelle en tant qu’elle diffère des autres parties de l’âme, là où il dit : « C’est lorsqu’il est séparé etc. ». Au sujet du premier point, il présente trois conditions de l’intellect en acte, dont la première est que la science en acte s’identifie à la chose connue, ce qui n’est pas vrai de l’intellect en puissance. La deuxième condition est que la science en puissance, dans un seul et même sujet, est antérieure dans le temps à la science en acte, sans lui être néanmoins absolument antérieure non seulement selon la nature, mais même selon le temps. C’est précisément ce que le Philosophe [Métaphysique, L. 8, ch. 8] dit en affirmant que l’acte est antérieur par nature à la puissance, mais que selon le temps la puissance est antérieure à l’acte dans un seul et même sujet, car un même sujet est d’abord en puissance et devient ensuite en acte. Mais à parler absolument, l’acte est antérieur à la puissance même selon le temps : en effet, ce qui est en puissance ne peut passer à l’acte qu’au moyen de ce qui est déjà en acte. Par conséquent, même le savant en puissance ne devient savant en acte, soit par la découverte, soit par l’enseignement, que par une science qui préexiste en acte, parce que tout enseignement ou tout apprentissage intellectuel vient d’une connaissance préexistante, comme le dit le Philosophe [Seconds Analytiques, L. 1, ch. 1].

741. La troisième condition de l’intellect en acte, par laquelle il diffère de l’intellect possible et de l’intellect en habitus, c’est que ces deux derniers tantôt pensent et tantôt ne pensent pas, mais cela ne peut se dire de l’intellect en acte qui consiste en l’intellection elle-même.

 

742. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est seulement lorsqu’il est séparé etc. », il présente les conditions de l’ensemble de la partie intellectuelle. Et en premier lieu il présente la vérité. En deuxième lieu il rejette une objection, là où il dit : « Nous ne nous souvenons pas etc. ». Il dit donc en premier lieu que c’est seulement lorsqu’il est séparé que l’intellect est véritablement ce qu’il est. Certes, cela ne peut s’entendre de l’intellect agent ou de l’intellect possible pris séparément, mais des deux, car c’est en désignant ces deux intellects qu’il a dit plus haut (n. 688) que l’intellect est séparé. Et il est clair qu’il parle ici de toute la partie intellectuelle dont il dit qu’elle est séparée parce qu’elle pose son opération sans dépendre d’un organe corporel.

743. Et parce qu’au début de ce livre (n. 21) il a dit que si l’âme possède une opération qui lui est propre, il est possible à l’âme d’exister séparément, il conclut que cette seule partie de l’âme, à savoir la partie intellectuelle, est incorruptible et éternelle. Et c’est ce qu’il avait affirmé plus haut au deuxième livre de ce traité (n. 268), à savoir que ce genre d’âme est séparé des autres comme l’éternel est séparé du corruptible. Et s’il dit de l’intellect qu’il est éternel, ce n’est pas parce qu’il a toujours existé, mais parce qu’il existera toujours. C’est pourquoi le Philosophe affirme [Métaphysique, L. 11, ch. 3] que la forme n’existe jamais avant la matière, mais que l’âme demeure après la matière, non pas toute âme, mais l’âme intellectuelle.

744. Ensuite, lorsqu’il dit : « Nous ne nous souvenons pas etc. », il rejette une objection. En effet, quelqu’un pourrait croire que parce que la partie intellectuelle de l’âme est incorruptible, la science des choses demeure dans l’âme intellectuelle après la mort de la même manière qu’elle y existe maintenant. Mais le Philosophe avait pourtant dit le contraire au premier livre de ce traité (nn. 163-167) en affirmant que l’intellection disparaît lorsque quelque chose est détruit à l’intérieur, et qu’une fois le corps détruit, l’âme ne se souvient plus et n’aime plus.

745. Et c’est pourquoi il dit ici que l’intellect agent ne se souvient plus, c’est-à-dire après notre mort, des choses que nous avons su en cette vie, parce que « cette partie de l’âme est certes impassible », c’est-à-dire parce que cette partie de l’âme intellectuelle est impassible, et c’est pourquoi elle-même n’est pas assujettie aux passions de l’âme comme l’amour, la haine, les souvenirs, et les passions de la sorte qui ne sont possibles qu’au moyen d’une passion corporelle. Quant à l’intellect passif, il est corruptible : c’est-à-dire que cette partie de l’âme, qui ne peut s’exercer sans les passions de l’âme dont nous venons de parler, comme l’amour, la haine, etc., est corruptible, puisque ces passions appartiennent en effet à la partie sensitive. On dit cependant de cette dernière partie de l’âme, la partite sensitive, qu’elle est intellectuelle tout comme on dit d’elle qu’elle est rationnelle dans la mesure où elle participe de quelque manière de la raison en obéissant à la raison et en suivant son mouvement, ainsi que le dit le Philosophe [Éthique, L. 1, ch. 13]. Néanmoins, sans cette partie de l’âme corporelle, l’intellect ne pense rien. En effet, notre intellect ne peut rien penser sans les images, comme nous le verrons plus loint (n. 772]. C’est pourquoi, une fois le corps détruit, il ne reste rien dans notre âme séparée de la science des choses selon le mode par lequel nous pensons maintenant. Mais comment notre âme pensera-t-elle alors, ce n’est pas notre intention d’en discuter ici.

 

 

 

LECTIO 11

[81029] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 1Postquam philosophus determinavit de intellectu, hic determinat de operatione intellectus. Et dividitur in duas partes. In prima distinguit duas operationes intellectus. In secunda determinat de utraque earum, ibi, indivisibile autem. Dicit ergo primo, quod una operationum intellectus est, secundum quod intelligit indivisibilia, puta cum intelligit hominem aut bovem, aut aliquid huiusmodi incomplexorum. Et haec intelligentia est in his circa quae non est falsum: tum quia incomplexa non sunt vera neque falsa, tum quia intellectus non decipitur in eo quod quid est, ut infra dicetur.

 

 

 

[81030] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 2Sed in illis intelligibilibus, in quibus est verum et falsum, est iam quaedam compositio intellectuum, idest rerum intellectarum: sicut quando ex multis fit aliquid unum. Et ponit exemplum secundum opinionem Empedoclis qui opinabatur, quod omnia generata sunt a casu, non propter aliquem finem, sed secundum quod contingit ex divisione rerum per litem et coniunctione per amicitiam. Unde dixit quod a principio germinaverunt multa capita sine cervice, et similiter multae aliae partes animalium separatae ab aliis partibus. Et dicit germinaverunt quasi ex elementis producta sine semine animalis, sicut terra germinat herbam virentem. Sed postmodum huiusmodi partes, sic divisae, compositae sunt per concordiam, et ex eis factum est unum animal habens diversas partes, ut puta caput, manus, pedes et huiusmodi. Et ubi est constitutum animal habens omnes partes necessarias ad sui conservationem, idem animal salvatum est, et generavit sibi simile. Si autem defuit alia aliqua aliarum partium, non potuit salvari, nec remansit in sibi simili per generationem. Sicut ergo Empedocles posuit quod amicitia composuit multas partes, et constituit ex eis unum animal, ita et intellectus multa incomplexa prius separata componit, et facit ex eis unum intellectum: in qua compositione, quandoque est veritas, quandoque falsitas.

 

 

 

 

 

[81031] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 3Veritas quidem, quando componit ea quae in re sunt unum, et composita; sicut cum componit asymmetrum, hoc est incommensurabile, et diametrum: nam diameter quadrati est incommensurabilis lateri. Falsa autem compositio est, quando componit ea quae non sunt composita in rebus, sicut cum componit symmetrum diametro, dicens, quod diameter quadrati est symmeter, id est commensurabilis lateri.

 

[81032] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 4Symmetrum et diametrum aliquando separatim et seorsum intellectus intelligit, et tunc sunt duo intelligibilia: quando autem componit, fit unum intelligibile, et simul intelligitur ab intellectu. Sed quia intellectus non semper componit ea quae sunt in praesenti, sed quae fuerunt vel erunt, ideo subiungit, quod si intellectus faciat compositionem factorum, idest praeteritorum et futurorum, oportet quod cointelligat suae compositioni tempus praeteritum et futurum. Et sic componit, formans compositionem de praeterito vel de futuro.

 

[81033] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 5Et quod hoc sit verum, probat, quia contingit compositionem de praeterito vel de futuro esse falsam, falsum autem semper in compositione est. Et namque falsum est, si non album componatur ei quod est album, ut si dicas, cygnus non est albus: aut si album componatur ei quod non est album, ut si dicatur, quod corvus est albus. Et quia quaecumque contingit affirmare, contingit etiam negare, subiungit quod omnia praedicta possunt per divisionem fieri.

 

[81034] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 6Potest enim intellectus omnia dividere et secundum praesens tempus et secundum praeteritum, et secundum futurum, et vere et false. Sic igitur patet quod cum compositio non solum sit secundum praesens tempus, sed secundum praeteritum et futurum, verum autem et falsum consistit in compositione et divisione, oportet quod verum et falsum non solum sint in propositionibus de praesenti puta quod Cleon est albus, sed etiam in illis de praeterito et futuro, quod Cleon erit vel fuit albus. Considerandum est autem, quod compositio propositionis non est opus naturae, sed est opus rationis et intellectus. Et ideo subiungit, quod illud quod facit unumquodque intelligibilium, componendo ex intelligibilibus propositiones, hoc est intellectus. Et quia verum et falsum consistit in compositione; ideo dicitur in sexto metaphysicorum, quod verum et falsum non est in rebus, sed in mente.

 

 

 

[81035] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 7Deinde cum dicit indivisibile autem determinat de utraque praedictarum operationum. Et primo de ea, quae est intelligentia indivisibilium. Secundo de ea quae est compositio et divisio, ibi, est autem dictio quidem. Tertio ponit quoddam quod est commune utrisque, ibi, idem autem est secundum actum. Prima pars dividitur in tres, secundum quod indivisibile dicitur tripliciter, quot videlicet modis dicitur et unum, cuius ratio ex indivisione est. Dicitur enim uno modo aliquid unum continuitate. Unde et illud, quod est continuum, indivisibile dicitur, inquantum non est divisum actu, licet sit divisibile in potentia. Hoc est ergo quod dicit, quod cum divisibile dicatur dupliciter, scilicet, actu et potentia, nihil prohibet intellectum intelligere indivisibile cum intelligit aliquid continuum, scilicet longitudinem, quae est indivisibilis actu, licet sit divisibilis potentia. Et propter hoc intelligit eam cum indivisibili tempore, quia intelligit eam, ut indivisibile.

 

 

 

 

 

[81036] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 8Et hoc est contra opinionem Platonis in primo positam, qui posuit intelligentiam fieri quasi per motum quemdam continuum magnitudinis. Potest ergo intellectus intelligere magnitudinem dupliciter. Uno modo, secundum quod est divisibilis in potentia, et sic intelligit lineam numerando partem post partem, et sic intelligit eam in tempore: alio modo secundum quod est indivisibilis in actu, et sic intelligit eam ut unum quid constans ex multis partibus, et sic intelligit eam simul. Et ideo subiungit, quod similiter tempus et longitudo dividitur vel non dividitur intelligendo.

 

 

[81037] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 9Unde non est dicere, quod intelligatur secundum medium utriusque, id est quod media pars intelligatur in medio temporis. Hoc enim non esset, nisi linea divideretur in actu; sed est divisibilis tantum in potentia. Si autem utrumque dimidium lineae seorsum intelligat, tunc dividit lineam in actu secundum intellectum. Unde et tunc tempus simul dividitur, sicut et longitudo. Si autem intelligat lineam, sicut unum quid constitutum ex duabus partibus, etiam intelliget in tempore non diviso, sed secundum aliquid quod est in utrisque partibus temporis, scilicet in instanti. Et si continuetur consideratio per aliquod aliud tempus, non dividetur tempus, ut aliud intelligat in una parte temporis, et aliud in alia, sed idem in utraque.

 

 

 

[81038] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 10Deinde cum dicit quod autem ponit alium modum indivisibilis. Nam dicitur alio modo unum, quando habet speciem unam, etsi sit compositum ex partibus non continuis, sicut homo, aut domus, aut etiam exercitus; et huic respondet indivisibile secundum speciem. Et de hoc dicit hic, quod illud, quod est indivisibile non secundum quantitatem, sed speciem, intelligit anima tempore indivisibili, et per indivisibilem animae partem; non quod intellectus intelligens sit aliqua magnitudo, ut Plato posuit. Et licet illud quod est indivisibile specie, habeat aliquam divisionem in partibus, tamen illa divisa intelligit per accidens, non inquantum sunt divisibilia et ex parte eius quod intelligitur, et ex parte temporis, sed inquantum sunt indivisibilia: quia in partibus divisis etiam in actu, est aliquid indivisibile, scilicet ipsa species quam intellectus indivisibiliter intelligit. Sed si intelligeret partes ut divisas, puta carnem per se, et os per se, et sic de aliis, tunc non intelligeret in tempore indivisibili.

 

 

 

 

 

 

 

[81039] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 11Vult autem philosophus consequenter ostendere similitudinem huiusmodi ad primum modum. Sicut enim in hoc modo est aliquid indivisibile, scilicet species, quae facit omnes partes totius esse unum, sic forte in continuis est aliquid inseparabile, scilicet indivisibile, quod facit tempus esse unum et longitudinem unam, sive hoc dicatur esse punctum in longitudine, et instans in tempore, sive ipsa species longitudinis aut temporis. Sed in hoc differt, quod istud indivisibile est similiter in omni continuo, et tempore, et longitudine; sed indivisibile, quod est species, non est similiter in omnibus habentibus speciem; quia quaedam componuntur ex partibus homogeneis, quaedam ex partibus heterogeneis, et ex his dissimiliter.

 

 

 

 

[81040] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 12Deinde cum dicit punctum autem prosequitur de indivisibili tertio modo dicto. Videtur enim unum esse quod est penitus indivisibile, ut punctus et unitas: et de hoc ostendit nunc, quomodo intelligitur: dicens, quod punctum, quod est quoddam signum divisionis inter partes lineae, et omne quod est divisio inter partes continui, sicut instans inter partes temporis, et sic de aliis, et omne quod est sic indivisibile in potentia et actu, ut punctus, monstratur, idest manifestatur intellectui sicut privatio, idest per privationem continui et divisibilis.

 

 

[81041] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 13Cuius ratio est, quia intellectus noster accipit a sensu; et ideo ea cadunt prius in apprehensionem intellectus nostri, quae sunt sensibilia; et huiusmodi sunt magnitudinem habentia, unde punctus et unitas non definiuntur nisi negative. Et inde est etiam quod omnia quae transcendunt haec sensibilia nota nobis non cognoscuntur a nobis nisi per negationem: sicuti de substantiis separatis cognoscimus, quod sunt immateriales et incorporeae, et alia huiusmodi.

 

 

[81042] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 14Et similis ratio est in aliis, quae cognoscuntur per oppositum; ut quando cognoscit intellectus malum, aut nigrum, quae se habent ad sua opposita ut privationes: semper enim alterum contrariorum est ut imperfectum et ut privatio respectu alterius. Et subiungit quasi respondens, quod intellectus cognoscit utrumque istorum aliquo modo, suo contrario scilicet malum per bonum et nigrum per album. Oportet autem quod intellectus noster qui sic cognoscit unum contrariorum per alterum, sit in potentia cognoscens, et quod in ipso sit species unius oppositi per quam aliud cognoscat, ita quod quandoque sit in ipso species albi, et quandoque species nigri, ut per unum possit cognoscere alterum. Si autem est aliquis intellectus, cui non inest unum contrariorum, ad cognitionem alterius, tunc oportet, quod talis intellectus cognoscat seipsum primo et per seipsum cognoscat alia, et quod sit semper in actu, et sit penitus separabilis a materia etiam secundum esse, ut ostensum est de intellectu Dei in duodecimo metaphysicorum.

 

 

[81043] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 15Deinde cum dicit est autem determinat de secunda operatione intellectus, quae est compositio et divisio. Et dicit, quod dictio, qua dicit intellectus aliquid de aliquo, sicut contingit in affirmatione, semper est aut vera, vel falsa. Sed intellectus non semper est verus aut falsus, quia intellectus est incomplexorum, qui neque verus aut falsus est quantum ad id quod intelligitur. Veritas enim et falsitas consistit in quadam adaequatione vel comparatione unius ad alterum, quae quidem est in compositione vel divisione intellectus. Non autem in intelligibili incomplexo.

 

 

 

[81044] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 16Sed licet ipsum intelligibile incomplexum non sit neque verum neque falsum, tamen intellectus intelligendo ipsum verus est, inquantum adaequatur rei intellectae. Et ideo subdit, quod intellectus, qui est ipsius quid est secundum hoc quod aliquid erat esse, scilicet secundum quod intelligit quid est res, verus est semper, et non secundum quod intelligit aliquid de aliquo.

[81045] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 17Et huius rationem assignat, quia quod quid est primum obiectum intellectus: unde sicut visus nunquam decipitur in proprio obiecto, ita neque intellectus in cognoscendo quod quid est. Nam intellectus nunquam decipitur in cognoscendo quod quid est homo. Sed sicut visus non semper verus est in iudicando de his quae sunt adiuncta proprio obiecto, puta si album est homo, vel non, sic intellectus non semper est verus in componendo aliquid alicui. Sic enim se habent intelligendo substantiae separatae, si penitus sunt sine materia, sicut cum nos intelligimus, quod quid est: et ideo in earum intellectu non contingit esse falsum.

 

 

 

 

[81046] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 18Sciendum tamen est, quod in cognoscendo quod quid est, contingit esse deceptionem per accidens, dupliciter, ratione compositionis intervenientis. Uno modo prout definitio unius rei est falsa ad aliam rem, sicut definitio circuli est falsa ad triangulum. Alio modo, prout partes definitionis non cohaerent sibi invicem; et tunc definitio est falsa simpliciter; ut si aliquis ponat in definitione alicuius animalis insensibile; unde in illis in quorum definitione nulla est compositio, non contingit esse deceptionem; sed oportet ea, vel intelligere vere, vel nullo modo, ut dicitur in nono metaphysicorum.

 

 

 

[81047] Sentencia De anima, lib. 3 l. 11 n. 19Deinde cum dicit idem autem resumit quoddam, quod supra dictum est, de intellectu secundum actum eo quod nunc etiam de actu intellectus locutus est: et dicit, quod scientia secundum actum est idem rei scitae secundum actum: et quia scientia, quae est secundum potentiam est in uno et eodem prior tempore; sed universaliter, neque est tempore prior; quia omnia quae sunt in actu, fiunt ex ente in actu; et hoc supra expositum est.

Leçon  11

746. Après avoir traité de l’intellect, le Philosophe traite ici des opérations de l’intellect. Or, cette section se divise en deux parties. Dans la première, il distingue deux opérations de l’intellect. Dans la deuxième, il traite de chacune d’elles, là où il dit : « Or, puisque l’indivisible se prend etc. ». Il dit donc en premier lieu que l’une des opérations de l’intellect est celle selon laquelle il conçoit les indivisibles, par exemple lorsqu’il conçoit l’homme ou le bœuf, ou tout autre concept ou notion simple de la sorte. Et cette opération de l’intelligence s’accomplit pour les choses où ne se trouve pas le faux, aussi bien parce que les formes simples ne sont ni vraies ni fausse que parce que l’intellect ne se trompe pas par rapport aux quiddités, comme nous le verrons plus loin (nn. 761-763).

747. Mais pour ce qui est des intelligibles dans lesquels se trouvent le vrai et le faux, on rencontre déjà une certaine composition des concepts, c’est-à-dire des choses conçues, comme lorsqu’à partir de plusieurs concepts on forme quelque chose d’un. Et il présente un exemple tiré d’une opinion d’Empédocle qui croyait que toutes les choses engendrées procèdent du hasard, et ne sont pas ordonnées à une fin, selon une rencontre fortuite, suite à la séparation des choses par la haine ou à leur réunion par l’amour. C’est pourquoi Empédocle dit qu’au début de nombreuses têtes sans cou poussaient, et de même de nombreuses autres parties des animaux étaient séparées des autres parties. Et il dit « poussaient » comme si elles étaient produites à partir des éléments sans semence animale, tout comme la terre fait pousser l’herve verte. Mais par la suite ces parties, ainsi divisées, entrèrent en composition par l’amour, et à partir d’elles fut produit un animal unique possédant différentes parties comme une tête, des mains, des pieds, etc. Et là où fut constitué un animal possédant toutes les parties nécessaires à sa conservation, le même animal fut conservé et engendra un animal qui lui fut semblable. Mais s’il lui manquait l’une des autres parties, il ne pouvait se conserver ni subsister dans un être semblable à lui par la génération. Donc, tout comme Empédocle soutenait que l’amitié composait les nombreuses parties pour constituer à partir d’elles un animal unique, de même l’intellect compose les nombreuses notions simples, qui sont d’abord séparées, pour en faire une seule pensée : et dans cette composition on retrouve parfois du vrai, parfois du faux.

748. Et il y a certes vérité dans la composition de l’intellect quand il compose ce qui, dans la réalité, est uni et composé, par exemple lorsque l’intellect compose le non symétrique, c’est-à-dire l’incommensurable, et la diagonale : car la diagonale du carré est incommensurable à son côté. Mais la composition est fausse lorsque l’intellect compose ce qui n’est pas composé dans les choses, comme lorsqu’il compose le symétrique avec la diagonale en disant que la diagonale du carré est symétrique, c’est-à-dire commensurable à son côté.

749. Or, l’intellect saisit parfois à part et séparément le symétrique et la diagonale et ils sont alors deux intelligibles ; mais quand il les compose, il les saisit simultanément et ils forment alors un seul intelligible. Mais parce que l’intellect ne compose pas seulement ce qui existe dans le présent, mais aussi ce qui a existé et ce qui existera, c’est pourquoi Aristote ajoute que si l’intellect faisait une composition de choses qui ont été faites dans le passé ou qui seront faites dans le futur, il faudrait que le temps passé ou futur entre dans leur composition. C’est ainsi que l’intelligence compose lorsqu’elle forme une composition qui se réfère au passé ou au futur. 

750. Et il prouve que cela est vrai parce qu’il est possible à la composition qui contient le passé ou le futur d’être fausse et que le faux se retrouve toujours dans la composition. Mais il y a fausseté si le non blanc est composé avec ce qui est blanc, comme si on disait que le cygne n’est pas blanc, ou si le blanc est composé avec ce qui n’est pas blanc, comme si on disait que le corbeau est blanc. Et parce que tout ce qu’il est possible d’affirmer, il est aussi possible de le nier, c’est pourquoi il ajoute que tout ce que nous venons de composer, nous pouvons aussi le diviser.

751. L’intellect peut en effet tout diviser selon les temps présent, passé et futur, soit avec vérité, soit avec fausseté. Il est donc clair que puisque la composition ne s’accomplit pas seulement selon le temps présent, mais aussi selon le passé et le futur, et que le vrai et le faux consistent dans une composition et une division, il est nécessaire que le vrai et le faux ne se retrouvent pas seulement dans les propositions exprimées au présent, par exemple lorsque je dis que Cléon est blanc, mais aussi dans les propositions exprimées au passé ou au futur, comme lorsque je dis que Cléon était ou sera blanc. Il faut cependant considérer que la composition d’une proposition n’est pas l’œuvre de la nature, mais l’œuvre de la raison et de l’intellect. C’est pourquoi il ajoute que ce qui opère chacun de ces intelligibles en composant les propositions à partir des intelligibles, c’est l’intellect. Et parce que le vrai et le faux consistent en une composition, c’est pourquoi le Philosophe [Métaphysique, L. 5, ch. 4] dit que le vrai et le faux ne sont pas dans les choses, mais dans l’intelligence.

752. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisque l’indivisible etc. », il traite de chacune des opérations qui précèdent. Et en premier lieu, il traite de celle qui est l’intelligence des indivisibles. En deuxième lieu, il traite de celle qui consiste en une composition ou une division, là où il dit : « Mais l’assertion attribue toujours etc. ». En troisième lieu il présente un élément qui est commun aux deux, là où il dit : « La science en acte est identique etc. ». Le premier point se divise en trois parties parce que l’indivisible se dit de trois manières, c’est-à-dire d’autant de manières que se dit aussi l’un qui se définit par l’indivision. L’indivisible se dit donc en un premier sens de ce qui est un par la continuité. C’est pourquoi l’on dit du continu qu’il est indivisible dans la mesure où il n’est pas divisé en acte, bien qu’il le soit en puissance. C’est donc bien ce que dit Aristote, à savoir que puisque l’indivisible se prend de deux manières, à savoir en acte et en puissance, rien n’empêche l’intellect de penser l’indivisible lorsqu’il conçoit quelque chose de continu, par exemple la longueur, laquelle est indivisée en acte, bien qu’elle soit divisible en puissance. Et c’est pour cette raison que l’intellect pense la ligne dans un temps indivisible parce qu’il la conçoit comme étant un indivisible.

753. Et cette position d’Aristote est contraire à celle de Platon présentée au premier livre (nn. 107-131), laquelle soutenait que l’acte de l’intelligence s’accomplit à la manière d’un certain mouvement continu de la grandeur. Or, l’intellect peut concevoir la grandeur de deux manières. Premièrement, en tant qu’elle est divisible en puissance et en ce sens il pense la ligne en la nombrant partie par partie et c’est en ce sens aussi qu’il la conçoit dans le temps. Deuxièmement, en tant qu’elle est indivisée en acte et en ce sens il la conçoit comme une seule chose constituée de plusieurs parties et par conséquent il la pense simultanément. C’est pourquoi le Philosophe ajoute que c’est de la même manière que le temps et la longueur sont divisibles ou non quand on les conçoit.

754. On ne peut donc pas dire quelle partie de la longueur l’intellect pense dans chaque moitié du temps. En effet, il n’en irait ainsi que si la ligne était divisée en acte, alors qu’elle n’est divisée qu’en puissance. Mais si l’intelligence conçoit les deux moitiés de la ligne séparément, alors elle divise la ligne en acte. Et c’est pourquoi le temps se trouve du même coup à être divisé par l’intelligence tout comme la longueur. Mais si l’intellect pense la ligne comme une unité constituée de deux parties, il la pense du même coup dans un temps non divisé et selon quelque chose qui est dans les deux parties du temps, c’est-à-dire dans l’instant. Et si cette considération se continuait dans un autre temps, le temps ne serait pas divisé de telle manière que l’intellect concevrait une partie de la longueur dans une partie du temps et une autre dans une autre partie du temps, mais il concevrait plutôt une seule et même ligne dans les deux parties.

755. Ensuite, lorsqu’il dit : « Quant à ce qui est indivisible non plus par etc. », il présente une autre modalité sous laquelle se présente l’indivisible. En effet, c’est en un autre sens qu’on dit d’une chose qu’elle est une quand elle possède une espèce ou une forme unique, bien qu’elle soit composée de parties non continues, comme l’homme, la maison ou l’armée. C’est à cette sorte d’unité que correspond l’indivisible selon l’espèce. Et le Philosophe dit ici à ce sujet que ce qui est indivisible non plus selon la quantité mais selon l’espèce, l’âme le pense dans un temps indivisible et par une partie indivisible de l’âme : non pas parce que l’intellect qui pense serait une grandeur, comme le soutenait Platon. Et bien que ce qui est indivisible par l’espèce possède une division dans ses parties, cependant l’intellect pense par accident ces parties divisées, c’est-à-dire non pas en tant qu’elles sont divisées du côté de ce qui est pensé et du côté du temps, mais plutôt en tant qu’elles sont indivisibles : en effet, même dans les parties divisées en acte, il y a quelque chose d’indivisible, c’est-à-dire l’espèce même que l’intellect pense ou conçoit indivisiblement. Mais si l’intellect pensait ces parties en tant qu’elles sont divisées, par exemple la chair à part, les os à part et les autres parties à part, alors il ne les penserait plus dans un temps indivisible.

756. Le Philosophe veut cependant montrer par la suite une similitude entre cette sorte d’indivisibilité et la première sorte. En effet, tout comme dans cette sorte il y a quelque chose d’indivisible, à savoir l’espèce, laquelle fait que toutes les parties du tout sont une unité, de même dans les réalités continues il y a quelque chose d’inséparable, c’est-à-dire d’indivisible, qui fait que le temps est un et que la longueur est une, soit qu’on dise que c’est le point pour la longueur ou l’instant pour le temps, soit qu’on dise que c’est l’espèce même de la longueur ou l’espèce même du temps. Mais il y a cette différence entre les deux, à savoir que cet indivisible se présente pareillement en tout continu, en tout temps et en toute longueur ; au contraire, l’indivisible qui est l’espèce ne se présente pas de la même manière chez tous ceux qui possèdent une espèce, car certains sont composés de parties homogènes alors que d’autres sont composés de parties hétérogènes et à partir d’elles, de manières différentes.

757. Ensuite, lorsqu’il dit : « Le point, quant à lui, etc. », il poursuit son propos sur l’indivisible pris selon une troisième modalité. Il semble en effet que l’un soit ce qui est tout à fait indivisible, comme le point et l’unité. Et il montre maintenant comment s’entend cette sorte d’indivisible : et il dit que le point, qui est une certaine marque de division entre les parties de la ligne, comme aussi toute division entre les parties du continu, comme l’instant entre les parties du temps et comme pour les autres choses de la sorte, et comme pour tout ce qui est ainsi indivisible en puissance et en acte, comme le point, se découvre, c’est-à-dire se manifeste à l’intellect comme une privation, c’est-à-dire par la privation du continu et du divisible.

758. La raison en est que notre intellect reçoit du sens : c’est pourquoi les choses qui viennent à être appréhendées en premier dans notre intelligence sont des réalités sensibles ; et les choses de cette sorte possédant une grandeur, c’est pourquoi le point et l’unité ne sont définis que négativement. C’est aussi pour cette raison que toutes les réalités qui transcendent ces choses sensibles connues de nous ne nous sont connues, elles aussi, que par la négation, comme ce que nous connaissons au sujet des substances séparées et des autres réalités de la sorte, lesquelles sont immatérielles et incorporelles.

759. Et la même raison vaut pour les autres choses qui sont connues par leur opposé, comme lorsque l’intelligence connaît le mal ou le noir, lesquels se rapportent à leur opposé comme des privations : toujours en effet l’un des contraires est comme une imperfection et une privation par rapport à l’autre contraire. Et il ajoute, à la manière d’une réponse, que l’intelligence connaît en quelque sorte ces deux notions par leur contraire, c’est-à-dire le mal par le bien et le noir par le blanc. Or il faut que notre intelligence, qui connaît ainsi l’un des contraires par l’autre contraire, soit connaissante en puissance, et qu’en elle existe l’espèce d’un des opposés par laquelle elle connaît l’autre, de telle manière qu’existe tantôt en elle l’espèce du blanc, tantôt l’espèce du noir, pour que par l’un elle puisse connaître l’autre. Mais s’il existe un intellect auquel n’appartient pas l’un des contraires, il faut alors, pour connaître l’autre contraire, qu’un tel intellect se connaisse d’abord lui-même et qu’en se connaissant lui-même, il connaisse les autres, et qu’il soit toujours en acte et tout à fait séparé de la matière même quant à son être, comme le Philosophe [Métaphysique, L. 11, ch. 7] l’a montré au sujet de l’intellect divin.

760. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, l’assertion etc. », il traite de la deuxième opération de l’intelligence, celle dans laquelle il y a composition et division. Et il dit que l’énonciation, par laquelle l’intelligence attribue quelque chose à un sujet, comme on le voit dans l’affirmation, est toujours soit vraie, soit fausse. Mais l’intelligence n’est pas toujours vraie ou fausse, car lorsqu’elle a pour objet les notions simples, elle n’est ni vraie ni fausse quant à cela même qui est conçu. En effet, la vérité et la fausseté consiste en une certaine adéquation ou un certain rapport d’une chose à une autre, et cette adéquation se retrouve dans la composition et la division de l’intelligence et non dans l’appréhension des intelligibles simples.

761. Mais bien que l’intelligible simple ne soit en lui-même ni vrai ni faux, cependant l’intelligence, en le saisissant lui-même, est vraie dans la mesure où elle est conforme à la chose connue. Et c’est pourquoi il ajoute que l’intelligence, qui a pour objet l’essence en tant que quiddité, c’est-à-dire en tant qu’elle appréhende ce qu’est la chose, est toujours vraie, mais non en tant qu’elle attribue quelque chose à un sujet.

762. Et il en donne la raison en disant que l’essence est l’objet premier ou propre de l’intelligence : aussi, tout comme la vue ne se trompe jamais sur son objet propre, de même l’intelligence ne se trompe jamais en connaissant l’essence. En effet, l’intelligence ne se trompe jamais en connaissant ce qu’est l’homme. Mais tout comme la vue n’est pas toujours vraie en jugeant de ce qui se rattache à son objet propre, par exemple pour juger si le blanc est ou non un homme, de même l’intelligence n’est pas toujours vraie lorsqu’elle compose un attribut avec un sujet. Par ailleurs, toute la connaissance intellectuelle appartenant aux substances séparées, qui existent sans aucune matière, se compare à notre connaissance intellectuelle de l’essence, et c’est pourquoi la fausseté ne peut se retrouver dans leur intelligence.

763. Il faut cependant savoir que l’erreur peut se retrouver par accident de deux manières dans la connaissance de l’essence, en raison de l’intervention d’une composition. Premièrement, lorsque la définition d’une chose est appliquée à une autre chose, comme la définition du cercle est fausse si on l’applique au triangle. Deuxièmement, lorsque les parties de la définition sont incompatibles les unes avec les autres, et alors la définition est fausse absolument, par exemple si on place insensible dans la définition d’un animal. C’est pourquoi, pour les choses dans la définition desquelles n’entre aucune composition, l’erreur n’est pas possible ; et l’intelligence les conçoit ou bien avec vérité, ou bien d’aucune manière, comme le dit le Philosophe [Métaphysique, L. 8, ch. 10].

764. Ensuite, lorsqu’il dit : « La science en acte est identique etc. », il résume ce qu’il a dit plus haut au sujet de l’intellect en acte du fait que maintenant encore il a parlé de l’acte de l’intellect. Il dit donc que la science en acte est identique à la chose connue en acte : et parce que la science en puissance est antérieure dans le temps dans un même sujet, c’est pourquoi il dit qu’absolument, elle n’est pas antérieure, même dans le temps, parce que tout ce qui est en acte le devient à partir de ce qui est en acte, comme cela a été expliqué précédemment (nn. 740-741).  

 

 

LECTIO 12

[81048] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 1Postquam philosophus determinavit de intellectu secundum se, hic determinat de intellectu per comparationem ad sensum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit qualis sit motus sensus. Secundo, assimilat motum intellectus motui sensus, ibi sentire quidem igitur. Dicit ergo primo, quod sensibile videtur faciens in actu partem sensitivam, ex eo quod erat in potentia. Non enim sic agit sensibile in sensum sicut contrarium in suum contrarium ut aliquid ab eo abiiciat transmutando, et alterando ipsum; sed solum reducit eum de potentia in actum. Et hoc est quod subdit, quod sensitivum neque patitur neque alteratur a sensibili, passione et alteratione proprie accepta, secundum scilicet quod est ex contrario in contrarium.

 

 

 

 

[81049] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 2Et quia motus, qui est in rebus corporalibus, de quo determinatum est in libro physicorum, est de contrario in contrarium, manifestum est, quod sentire, si dicatur motus, est alia species motus ab ea de qua determinatum est in libro physicorum: ille enim motus est actus existentis in potentia: quia videlicet recedens ab uno contrario, quamdiu movetur non attingit alterum contrarium, quod est terminus motus, sed est in potentia. Et quia omne, quod est in potentia, inquantum huiusmodi, est imperfectum, ideo ille motus est actus imperfecti. Sed iste motus est actus perfecti: est enim operatio sensus iam facti in actu, per suam speciem. Non enim sentire convenit sensui nisi in actu existenti; et ideo iste motus simpliciter est alter a motu physico. Et huiusmodi motus dicitur proprie operatio, ut sentire et intelligere et velle. Et secundum hunc motum anima movet seipsam secundum Platonem, inquantum cognoscit et amat seipsam.

 

 

 

 

 

[81050] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 3Deinde cum dicit sentire igitur assimilat motum intellectus motui sensus. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit qualiter procedit motus in sensu. Secundo ostendit, quod similiter procedit in intellectu, ibi, intellectivae autem. Dicit ergo primo, quod cum sensibile reducat in actum sensitivum sine passione et alteratione, sicut de intellectu supra dictum est; manifestum est ex dictis, quod ipsum sentire est simile ei quod est intelligere, ita tamen quod quando est solum sentire, idest apprehendere et iudicare secundum sensum, hoc est simile ei quod est solum dicere et intelligere: quando scilicet intellectus iudicat aliquid, et apprehendit: quod est dicere, quia simplex apprehensio et iudicium sensus assimilatur speculationi intellectus. Sed quando sensus sentit aliquid delectabile aut triste, quasi affirmans et negans id quod sensu percipitur, esse delectabile aut triste, tunc prosequitur per appetitum, idest desiderat aut fugit. Et dicit signanter,aut affirmans aut negans, quia facere affirmationem et negationem est proprium intellectus, ut supra dictum est. Sed sensus facit aliquid simile huic, quando apprehendit aliquid ut delectabile et triste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[81051] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 4Et ut sciatur quid sit delectari et tristari, subiungit quod delectari et tristari, est agere sensitiva medietate, idest actio quaedam sensitivae virtutis, quae dicitur medietas, inquantum sensus communis comparatur ad sensus proprios ut quoddam medium, sicut centrum comparatur ad lineas terminatas ad ipsum. Non autem omnis actio sensitivae partis est delectare et tristari, sed quae est respectu boni vel mali inquantum huiusmodi. Nam bonum sensus, scilicet quod est ei conveniens, causat delectationem; malum autem quod est repugnans et nocivum, causat tristitiam. Et ex hoc quod tristari vel delectari, sequuntur fuga et appetitus, id est desiderium, quae sunt secundum actum.

 

 

 

[81052] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 5Patet igitur, quod motus sensibilis in sensum procedit quasi triplici gradu. Nam primo apprehendit ipsum sensibile ut conveniens vel nocivum. Secundo ex hoc sequitur delectatio et tristitia. Tertio autem sequitur desiderium vel fuga. Et quamvis appetere vel fugere vel sentire, sint diversi actus, tamen principium eorum est idem subiecto, sed ratione differt. Et hoc est quod subiungit, quod appetitivum et fugitivum, idest pars animae, quae fugit et desiderat, non sunt alterae subiecto, neque abinvicem, neque a parte sensitiva; sed esse aliud est, idest differunt ratione. Et hoc dicit contra Platonem, qui ponebat in alia parte corporis organum appetitivi, et in alia organum sensitivi.

 

 

 

[81053] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 6Deinde cum dicit intellectivae autem assimilat processum motus in intellectu, ad id quod dictum est circa sensum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quomodo habet se circa sensibilia. Secundo quomodo se habet ad ea quae sunt a sensibilibus separata, ibi, abstractione autem. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo intellectus se habet circa sensibilia in agendo. Secundo comparat intellectum activum ad speculativum, ibi, ut omnino in actione. Circa primum duo facit. Primo assimilat processum intellectus processui sensus. Secundo manifestat similitudinem, ibi, sicut enim aer. Dicit ergo primo, quod phantasmata se habent ad intellectivam partem animae, sicut sensibilia ad sensum. Unde sicut sensus movetur a sensibilibus, ita intellectus a phantasmatibus. Et sicut, cum sensus apprehendit aliquid sicut delectabile vel triste, prosequitur illud aut fugit, ita etiam cum intellectus apprehendit aliquid, affirmans vel negans esse bonum vel malum, fugit aut prosequitur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[81054] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 7Ex ipso autem modo loquendi Aristotelis duplex est attendenda differentia inter intellectum et sensum: quia in sensu erant tria. Nam ex apprehensione boni vel mali, non statim sequebatur desiderium vel fuga, sicut hic circa intellectum; sed sequebatur delectatio et tristitia, et ex hoc ulterius desiderium et fuga. Cuius ratio est, quia sicut sensus non apprehendit bonum universale, ita appetitus sensitivae partis non movetur a bono vel malo universali, sed a quodam determinato bono, quod est delectabile secundum sensum, et quodam determinato malo, quod est contristans secundum sensum. In parte autem intellectiva est apprehensio boni et mali universalis: unde et appetitus intellectivae partis movetur statim ex bono vel malo apprehenso.

 

 

[81055] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 8Secunda differentia est quod de intellectu dicit simpliciter quod affirmat vel negat; sed de sensu, quod quasi affirmat vel negat. Cuius ratio ex dictis patet. Ex hoc autem quod dixerat, concludit ulterius, quod si phantasmata se habent ad animam intellectivam sicut sensibile ad sensum; sicut sensus non potest sentire sine sensibili, ita anima non potest intelligere sine phantasmate.

 

[81056] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 9Deinde cum dicit sicut enim manifestat similitudinem positam. Et primo quantum ad hoc quod dixit, quod intellectivae animae phantasmata sunt ut sensibilia. Secundo quantum ad hoc quod dixit, quod cum bonum aut malum affirmat aut negat, fugit aut prosequitur, ibi, species quidem igitur. Dicit ergo primo, quod aer immutatus a colore, facit pupillam huiusmodi, id est facit eam aliqualem, imprimens in eam speciem coloris; et ipsa, scilicet pupilla sic immutata immutat alterum, scilicet sensum communem; et similiter auditus immutatus ab aere immutat sensum communem. Et licet sensus exteriores sint plures, tamen ultimum, ad quod terminantur immutationes horum sensuum, est unum; quia est quasi quaedam medietas una inter omnes sensus, sicut centrum, ad quod terminantur omnes lineae, quasi ad unum medium.

 

 

[81057] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 10Et quamvis sit unum subiecto, illud medium omnium sensuum, tamen esse ipsius est plura, id est ratio ipsius diversificatur secundum quod ad diversos sensus comparatur. Et hoc est quo discernit anima, in quo differat dulce et calidum, de quo dictum est prius, cum de ipso secundum se agebatur; et nunc etiam dicendum est de ipso per comparationem ad intellectum, quia est aliquid unum respectu omnium sensibilium, sicut intellectus est terminus omnium phantasmatum. Et sicut ex parte illa erant plura, quae diiudicabantur ab uno, ita et haec ex parte intellectus se habent in quodam modo proportionabili, idest quod proportionabiliter respondet uni diiudicanti circa sensibilia, aut etiam est similitudo quantum ad numerum diiudicatorum: inquantum intellectus se habet ad utraque inter quae discernit sicut illa se habebant adinvicem, idest sicut se habebat unus sensus communis ad diversa sensibilia inter quae discernebat.

 

 

 

 

 

 

[81058] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 11Et non differt si accipiamus, causa exempli, vel non homogenea, id est diversa sensibilia non unius generis, sicut album, quod est in genere coloris, et dulce quod est in genere saporis, inter quae sensus communis discernit: aut si accipiamus contraria, ut album et nigrum, quae sunt unius generis, quia inter utraque sensus communis discernit.

[81059] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 12Accipiamus ergo a, loco albi, et b loco nigri: ut sic se habeat a album ad b nigrum, sicut c ad d: id est sicut phantasia albi ad phantasiam nigri: quare et secundum permutationem proportionum a se habet ad c, sicut b ad d; idest album ad phantasma albi sicut nigrum ad phantasma nigri; et sic se habet intellectus ad c et ad d, scilicet ad phantasma albi et nigri, sicut se habet sensus ad a et b, idest ad album et nigrum. Si igitur c et d, idest phantasmata albi et nigri, sunt inexistentia uni, idest iudicantur ab uno intellectu, sic se habebunt sicut a et b, idest album et nigrum, quae iudicantur ab uno sensu. Ita quod sicut sensus diiudicans haec duo erat unum subiecto, differens ratione; ita erit de intellectu. Et eadem ratio est, si accipiamus non homogenea, ut scilicet a sit dulce, et b sit album.

 

 

 

 

 

 

 

[81060] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 13Deinde cum dicit species quidem manifestat quod dixerat supra, quod cum intellectus affirmat vel negat bonum aut malum, fugit aut prosequitur; concludens ex praedictis, quod pars animae intellectiva intelligit species a phantasmatibus abstractas. Et sicut intellectui determinatur aliquid imitabile et fugiendum in illis, scilicet in sensibilibus, cum praesentia fuerint, ita et modo ad imitandum vel fugiendum, cum fiunt in phantasmatibus extra sensum, idest cum repraesentantur phantasmata in absentia sensibilium.

 

 

 

 

 

 

[81061] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 14Et ponit exemplum de utroque. Et primo, quando movetur ad praesentiam sensibilium, sicut homo sentiens aliquid quod fugiendum est, idest aliquod terribile, puta fremitum aliquem, sicut cum videt, quod ignis est accensus in civitate, videns ignem moveri, cognoscit communi, idest aliqua potentia communi diiudicativa, vel communi, idest ab eo quod communiter accidere solet, cognoscit, inquam, quoniam sunt praelia, vel quoniam est aliquid pugnans, et sic movetur aliquando intellectus ad fugiendum vel imitandum ex sensibili praesente. Aliquando autem ex phantasmatibus, aut intelligibilibus quae sunt in anima, ratiocinatur, et deliberat futura aut praesentia, tamquam si actu videret. Et cum iudicat aliquid esse laetum vel triste, fugit hoc, aut imitatur, ut ibi quando movebatur a praesenti sensibili.

 

 

 

[81062] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 15Deinde cum dicit et omnino comparat cognitionem intellectus practici et speculativi; dicens quod verum et falsum, idest vera et falsa cognitio intellectus in actione idest secundum quod pertinet ad intellectum practicum, et sine actione idest secundum quod pertinet ad intellectum speculativum, est in eodem genere, sive illud genus sit bonum sive malum. Quod potest dupliciter intelligi. Uno modo sic, quod res intellecta vel practice vel speculative, quandoque est bona, quandoque est mala. Neque diversificatur propter hoc genus rei, quod consideratur speculative vel practice. Alio modo potest intelligi, quod ipsa cognitio vera est quoddam bonum intellectus sive speculativi sive practici. Et ipsa cognitio falsa est quoddam malum intellectus, sive speculativi sive practici.

 

 

 

 

 

 

[81063] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 16Non ergo intendit comparare verum et falsum bono et malo secundum convenientiam generis, sed verum et falsum, quod est in actione, vero et falso quod est sine actione. Et hoc patet ex differentia quam subdit, dicens, quod differt, scilicet quod est in actione, et quod est sine actione, in eo quod est simpliciter et quodam. Nam intellectus speculativus considerat aliquod verum esse vel falsum in universali, quod est considerare simpliciter: intellectus autem practicus applicando ad particulare operabile, quia operatio in particularibus est.

 

 

 

 

[81064] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 17Deinde cum dicit abstractione autem quia dixerat philosophus, quod nequaquam sine phantasmate intelligit anima, phantasmata autem a sensu accipiuntur; vult ostendere quomodo intellectus noster intelligit ea quae sunt a sensibus separata. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quomodo intelligit mathematica, quae a materia sensibili abstrahuntur. Secundo, inquirit utrum intelligat ea quae sunt secundum esse a materia separata, ibi, utrum autem contingat. Circa primum considerandum est, quod eorum quae sunt in rebus coniuncta, contingit unum sine altero intelligi, et vere, dummodo unum eorum non sit in ratione alterius. Si enim Socrates sit musicus et albus, possumus intelligere albedinem, nihil de musica intelligendo. Non autem possum intelligere hominem, nihil intelligendo de animali, quia animal est in ratione hominis. Sic ergo separando secundum intellectum, quae sunt secundum rem coniuncta modo praedicto, non contingit falsitas.

 

 

 

 

 

[81065] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 18Si autem intellectus intelligat ea quae sunt coniuncta, esse separata, esset intellectus falsus: ut puta si in praedicto exemplo, diceret musicum non esse album: ea vero, quae sunt in sensibilibus, abstrahit intellectus, non quidem intelligens ea esse separata, sed separatim vel seorsum ea intelligens. Et hoc est quod dicit, quod intellectus intelligit ea, quae sunt dicta per abstractionem, scilicet mathematica, hoc modo sicut dum intelligit simum secundum quod est simum, non intelligit separate, id est seorsum, simum a materia sensibili, quia materia sensibilis, scilicet nasus, cadit in definitione simi.

 

 

 

 

[81066] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 19Si autem intellectus intelligit aliquid in actu, inquantum est curvum, sine carne intelligit inquantum est curvum: non quidem ita quod intelligat curvum esse sine carne; sed quia intelligit curvum, non intelligendo carnem. Et hoc ideo, quia caro non ponitur in definitione curvi. Et sic intellectus intelligit omnia mathematica separate, tamquam si essent separata, quamvis non sint separata secundum rem.

 

[81067] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 20Non autem sic intelligit naturalia; quia in definitione naturalium ponitur materia sensibilis, non autem in definitione mathematicorum. Abstrahit tamen circa naturalia intellectus universale a particulari simili modo, inquantum intelligit naturam speciei sine principiis individuantibus, quae non cadunt in definitione speciei. Et omnino intellectus in actu est res intellecta, quia sicut res in sui ratione habent materiam vel non habent, sic ab intellectu percipiuntur. Et quia hunc modum abstractionis Plato non consideravit, coactus fuit ponere mathematica et species separatas, loco cuius ad praedictam abstractionem faciendam Aristoteles posuit intellectum agentem.

 

 

 

 

[81068] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 21Deinde cum dicit utrum autem movet quaestionem de his quae sunt separata a materia secundum esse, dicens quod posterius considerandum erit, utrum contingat intellectum nostrum non separatum a magnitudine, idest a corpore, intelligere aliquid separatorum, idest aliquam substantiam separatam. Haec enim quaestio hic determinari non potuit, quia nondum erat manifestum esse aliquas substantias separatas, nec quae vel quales sint. Unde haec quaestio pertinet ad metaphysicum: non tamen invenitur ab Aristotele soluta, quia complementum illius scientiae nondum ad nos pervenit, vel quia nondum est totus liber translatus, vel quia forte praeoccupatus morte non complevit.

 

 

 

 

[81069] Sentencia De anima, lib. 3 l. 12 n. 22Considerandum tamen est quod intellectum hic dicit non separatum a corpore, inquantum est potentia quaedam animae, quae est actus corporis. Supra tamen dixit eum a corpore separatum, quia non habet aliquod organum deputatum suae operationi.

Leçon  12

765. Après avoir traité de l’intelligence en elle-même, il traite ici de l’intelligence en la comparant au sens. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre quel est le mouvement du sens. En deuxième lieu, il compare le mouvement de l’intelligence au mouvement du sens, là où il dit : « Donc, la sensation est semblable etc. ». Il dit donc en premier lieu que le sensible semble faire passer la partie sensitive à l’acte, laquelle était d’abord en puissance. En effet, le sensible n’agit pas sur le sens à la manière d’un contraire, lequel agit sur son contraire pour exclure quelque chose de lui en le modifiant ou en l’altérant, mais seulement en le faisant passer de la puissance à l’acte. Et c’est justement ce qu’ajoute le Philosophe en disant que la partie sensitive ne pâtit pas et n’est pas altérée par le sensible, si les termes pâtir et altérer sont pris dans leur sens propre, c’est-à-dire en tant qu’ils signifient un mouvement qui procède d’un contraire vers son contraire.

766. Et parce que le mouvement qu’on retrouve dans les choses corporelles, dont nous avons traité dans un autre livre [Physique, L. 5, ch. 5], va d’un contraire à un autre, il est manifeste que la sensation, si on l’appelle mouvement, est une autre sorte de mouvement que celle dont le Philosophe a traité dans cet ouvrage [Physique, L. 3, ch. 1] : ce mouvement est en effet l’acte de ce qui existe en puissance, c’est-à-dire de ce qui s’éloigne d’un contraire et qui, tant qu’il se meut, n’atteint pas l’autre contraire, terme du mouvement, à l’égard duquel il demeure en puissance. Et parce que tout ce qui est en puissance, en tant que tel, est imparfait, c’est pourquoi ce mouvement est l’acte de ce qui est imparfait. Mais cette sorte de mouvement dont nous parlons, la sensation, est l’acte de ce qui est parfait puisqu’elle est l’opération du sens qui est déjà constitué en acte dans son espèce. La sensation ne convient  en effet au sens qu’en tant qu’il existe déjà en acte, et c’est pourquoi ce mouvement, la sensation, est absolument distinct du mouvement physique. Et un tel mouvement, comme la sensation, l’intellection et le vouloir, s’appelle proprement opération. Et selon Platon, c’est selon cette sorte de mouvement que l’âme se meut elle-même, en tant qu’elle se connaît et s’aime.

767. Ensuite, lorsqu’il dit : « Ainsi donc, la sensation est semblable etc. », il compare le mouvement de l’intelligence au mouvement du sens. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu, il montre de quelle manière procède le mouvement dans le sens. En deuxième lieu, il montre que le mouvement procède de la même manière dans l’intelligence, là où il dit : « Quant à l’âme intellectuelle, etc. ». Il dit donc en premier lieu que puisque le sensible fait passer la partie sensitive de la puissance à l’acte sans passion ni altération, comme nous l’avons dit plus haut au sujet de l’intelligence (nn. 722 ; 738-739), il est manifeste à partir de ce qui a été dit que la sensation elle-même est semblable à l’intellection, de telle manière cependant que lorsqu’il y a seulement sensation, c’est-à-dire appréhension et jugement selon le sens, cela est semblable à la simple énonciation et à simple conception lorsque l’intelligence juge ou appréhende quelque chose : et nous disons cela parce que la simple appréhension et le jugement du sens se comparent à la considération de l’intelligence. Mais lorsque le sens perçoit quelque chose de délectable ou de douloureux, comme en affirmant ou en niant que ce qui est perçu par le sens est délectable ou douloureux, alors il le poursuit par l’appétit, c’est-à-dire qu’il le désire ou le fuit. Et le Philosophe dit expressément « affirmant ou niant » car faire une affirmation ou une négation est le propre de l’intelligence, comme nous l’avons dit plus haut (nn. 746-751). Or, le sens fait quelque chose d’analogue lorsqu’il appréhende quelque chose comme étant délectable ou de douloureux.

768. Et pour montrer ce que c’est que d’éprouver du plaisir ou de la douleur, il ajoute qu’éprouver du plaisir et de la douleur, c’est agir par la puissance sensitive entendue comme médiété, c’est-à-dire une certaine action de la puissance sensitive qu’on appelle médiété, en ce sens que le sens commun se compare aux sens propres comme étant un certain milieu, tout comme le centre par rapport aux lignes qui trouvent en lui leur terme. Mais ce n’est pas toute action de la partie sensitive qui est délectable ou douloureuse, mais celle qui est en relation avec le bien ou le mal en tant que tels. Car le bien du sens, c’est-à-dire ce qui lui convient, cause la délectation ; le mal au contraire, qui répugne au sens et lui nuit, cause la douleur. Et du fait qu’on éprouve de la délectation ou de la douleur, il s’ensuit la fuite et l’appétit ou le désir qui sont comme un deuxième acte.

769. Il est donc clair que le mouvement sensible dans le sens progresse comme en trois étapes. Car en premier lieu le sens appréhende le sensible comme étant convenable ou nocif. En deuxième lieu découlent de là la délectation ou la douleur. En troisième lieu s’ensuivent le désir ou la fuite. Et bien que désirer, fuir et sentir soient des actes divers, cependant leur principe est le même par le sujet mais différent par la raison. Et c’est ce qu’ajoute le Philosophe en disant que « la faculté qui désire et celle qui fuit », c’est-à-dire que la partie de l’âme qui fuit et celle qui désire, ne sont distinctes par le sujet ni l’une de l’autre, ni de la puissance sensitive, mais que leur essence est différente, c’est-à-dire qu’elles diffèrent par la raison. Et Aristote dit cela par opposition à Platon qui soutenait que l’organe de la partie appétitive est dans une partie du corps qui est distincte de celle dans laquelle se trouve l’organe de la partie sensitive.  

770. Ensuite, lorsqu’il dit : « Quant à l’âme intellectuelle etc. », il assimile le processus du mouvement de l’intelligence à ce qui a été dit au sujet du sens. Et en premier lieu il montre comment l’intelligence se rapporte aux sensibles. En deuxième lieu, comment elle se rapporte à ce qui est séparé des sensibles, là où il dit : « Quant à ce qui est dit par abstraction etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il montre comment l’intelligence se rapporte aux sensibles. En deuxième lieu il montre comment l’intelligence se rapporte à ce qui est séparé des qualités sensibles, là où il dit : « Mais quant à ce qui se dit par abstraction etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu, il montre comment l’intelligence se rapporte aux sensibles dans l’agir. En deuxième lieu il compare l’intellect actif à l’intellect spéculatif, là où il dit : « Et dans l’action en général etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il assimile le processus de l’intelligence à celui du sens. En deuxième lieu, il manifeste cette ressemblance, là où il dit : « En effet, tout comme l’air etc. ». Il dit donc en premier lieu que les images sont à la partie intellectuelle de l’âme ce que les sensibles sont au sens. Il en résulte que tout comme le sens est mû par les sensibles, de même l’intelligence est mue par les images. Et tout comme le sens, ayant appréhendé quelque chose comme délectable ou douloureux, le poursuit ou le fuit, de même aussi l’intelligence, ayant appréhendé une chose et ayant affirmé ou nié à son sujet qu’elle est bonne ou mauvaise, la poursuit ou la fuit.

771. Aussi, partant de la manière même de parler d’Aristote, il faut noter deux différences entre le sens et l’intelligence, car dans le sens il y avait trois étapes. En effet, à partir de l’appréhension du bien et du mal, il ne s’ensuivait pas aussitôt le désir ou la fuite, comme c’est le cas ici pour l’intelligence ; mais plutôt, il s’ensuivait la délectation et la douleur, et à partir de là, par la suite, le désir et la fuite. La raison en est que tout comme le sens n’appréhende pas le bien universel, de même l’appétit de la partie sensitive n’est pas mû par le bien ou le mal universel, mais par un bien déterminé qui est le délectable selon le sens, ou par un mal déterminé qui est le douloureux selon le sens. Dans la partie intellectuelle, au contraire, il y a une appréhension du bien et du mal universel : c’est pourquoi l’appétit de la partie intellectuelle est mû immédiatement par le bien ou le mal appréhendé.

772. La deuxième différence est qu’on dit de l’intelligence qu’elle affirme ou nie purement et simplement, alors qu’on dit du sens qu’il affirme ou nie d’une certaine manière. La raison de cela est évidente si on regarde ce qui a été dit. Or, à partir de ce qu’il avait dit, il conclut par la suite que si les images sont à l’âme intellectuelle ce que les sensibles sont au sens, tout comme le sens ne peut sentir sans les sensibles, de même l’âme intellectuelle ne peut concevoir sans les images.

773. Ensuite, lorsqu’il dit : « Tout comme l’air rend etc. », il manifeste la similitude présentée. Et il le fait en premier lieu par rapport à ce qu’il a dit, à savoir que les images sont à l’âme intellectuelle ce que les sensibles sont à l’âme sensitive. Il le fait en deuxième lieu par rapport à ce qu’il a dit par aillleurs, à savoir que lorsque l’âme intellectuelle affirme ou nie le bien ou le mal, elle fuit ou poursuit, là où il dit : « Elle pense donc les formes etc. ». Il dit donc en premier lieu que l’air, modifié par la couleur, rend la pupille telle, c’est-à-dire qu’il lui donne telle qualité en imprimant en elle l’espèce de la couleur ; elle-même, à son tour, ainsi modifiée, modifie autre chose, à savoir le sens commun ; et de la même manière l’ouïe, affectée par l’air, modifie le sens commun. Et bien que les sens externes soient nombreux, cependant le dernier terme, auquel se terminent ces modifications, est un, car il est comme une médiété unique entre tous les sens comme le centre est comme un milieu unique par rapport aux multiples lignes qui se terminent à lui.

774. Et bien que cette médiété de tous les sens soit une par le sujet, cependant son essence est multiple, c’est-à-dire que sa définition diffère selon qu’elle se compare à chacun des différents sens. Et que cette médiété soit ce par quoi l’âme discerne que le doux diffère du chaud, nous l’avons dit précédemment (nn. 609-610) lorsque nous avons traité du sens commun pris en lui-même ; mais nous devons encore le dire ici de lui par comparaison à l’intelligence parce que ce principe est quelque chose d’un par rapport à tous les sensibles comme l’intelligence est le terme de toutes les images. Et tout comme de ce côté les sensibles étaient nombreux à être discernés par une puissance unique, de même les images se présentent d’une manière proportionnelle à l’égard de l’intelligence, c’est-à-dire que cette dernière correspond proportionnellement à cet unique principe de discernement, le sens commun, a l’égard des sensibles, et elle lui est aussi analogue quant au nombre des objets dont elle juge : il en est ainsi dans la mesure où l’intelligence est, à l’égard des choses entre lesquelles elle juge, dans le même rapport que ces choses ont entre elles, c’est-à-dire dans le même rapport que le sens commun entretenait à l’égard des divers sensibles entre lesquels il jugeait.

775. Et il n’y a pas de différence entre la difficulté de savoir comment le sens commun discerne les sensibles n’appartenant pas à un même genre, comme le blanc qui est dans le genre de la couleur, et le doux qui est dans le genre de la saveur, et celle de savoir comment il discerne les contraires, comme le blanc et le noir, qui appartiennent à un même genre.

 

776. Supposons donc A, à la place de blanc, et B, à la place de noir, de telle manière que A (blanc) est à B (noir), ce que C est à D, c’est-à-dire ce que l’image du blanc est à l’image du noir : c’est pourquoi, selon la permutation des proportions, A est à C ce que B est à D, à savoir que le blanc et à l’image du blanc ce que le noir est à l’image du noir ; et c’est ainsi que l’intelligence se présente à l’égard de C et de D, c’est-à-dire à l’égard de l’image du blanc et de l’image du noir, de la même manière que le sens à l’égard de A et de B, c’est-à-dire à l’égard du blanc et du noir. Donc, si C et D, c’est-à-dire les images du blanc et du noir, existent dans un seul principe, c’est-à-dire sont discernés par une seule et même intelligence, ils se présenteront comme A et B, c’est-à-dire comme le blanc et le noir, lesquels sont discernés par un seul sens. Il en sera donc ainsi de telle manière que tout comme le sens qui discernait ces deux qualités était un par le sujet mais distinct par la raison, il en ira de même pour l’intelligence. Et le raisonnement serait le même si nous prenions des qualités qui ne sont pas homogènes, par exemple si nous disions que A est le doux et que B est le blanc.

777. Ensuite, lorsqu’il dit : « La faculté intellectuelle pense donc les formes etc. », le Philosophe manifeste ce qu’il avait dit plus haut (n. 767), à savoir que lorsque l’intelligence affirme ou nie le bien ou le mal, elle le fuit ou le poursuit. Et il conclut, en s’appuyant sur ce qui précède, que la partie intellectuelle de l’âme conçoit les formes tirées des images. Et tout comme c’est en elles, c’est-à-dire dans les choses sensibles, lorsqu’elles sont présentes, que se détermine pour l’intelligence quelque chose à poursuivre ou à éviter en elles, de la même manière, l’intelligence est poussée à poursuivre ou à fuir quelque chose dans les choses sensibles lorsque ces dernières apparaissent dans les images, en dehors de la sensation, c’est-à-dire lorsque les choses sensibles absentes sont représentées par des images.

778. Et il donne un exemple pour chacune des deux situations, et en premier lieu lorsque l’intelligence est mue en présence des choses sensibles, comme lorsque l’homme sent qu’il doit fuir quelque chose, c’est-à-dire quelque chose de terrible, par exemple un bruit, comme lorsqu’il voit que le feu se répand dans la cité ; car en voyant que le feu avance, il connaît « par le sens commun », c’est-à-dire par cette puissance commune de jugement, ou par le « commun », c’est-à-dire par ce qui a coutume de se produire communément, l’intelligence connaît, dis-je, parce qu’il y a des combats ou parce qu’il se livre une bataille, qu’il faut fuir ou poursuivre quelque chose, parfois lorsque les choses sensibles sont présentes. Mais parfois c’est à partir d’images ou même des concepts qui sont dans l’âme que l’homme raisonne et délibère sur le futur ou le présent comme s’il les voyait actuellement. Et à partir de là, voyant que quelque chose est agréable ou triste, il le fuit ou le poursuit, tout comme il le faisait lorsque les choses sensibles étaient présentes.

779. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et en général, etc. », il compare la connaissance pratique à la connaissance spéculative, en disant que « le vrai et le faux », c’est-à-dire la connaissance vraie et la connaissance fausse de l’intelligence « dans l’action », c’est-à-dire en tant qu’elles relèvent de l’intelligence pratique, tout comme celles de l’intelligence qui est « indépendante de l’action », c’est-à-dire en tant qu’elles relèvent de l’intelligence spéculative, appartiennent au même genre, c’est-à-dire à celui du bien et du mal. Et cela peut s’entendre de deux manières. Premièrement de telle manière que la chose connue, soit pratiquement, soit spéculativement, est tantôt bonne, tantôt mauvaise. Et le genre de la chose elle-même n’est pas changé parce qu’elle est considérée spéculativement ou pratiquement. Deuxièmement, cela peut s’entendre en ce sens que la connaissance vraie elle-même est le bien de l’intelligence, qu’il s’agisse de l’intelligence pratique ou de l’intelligence spéculative et en outre que la connaissance fausse est un mal pour l’intelligence pratique comme pour l’intelligence spéculative.

780. Donc, le Philosophe ne cherche pas à comparer le vrai et le faux au bien et au mal comme s’ils se rencontraient dans un même genre, mais plutôt il cherche à comparer le vrai et le faux qui sont dans l’action au vrai et au faux qui sont indépendants de l’action. Et cela devient clair si on considère la différence qu’il ajoute lorsqu’il dit que le vrai et le faux qui est indépendant de l’action diffère du vrai et du faux qui est dans l’action en ceci que le premier « existe absolument », le second « relativement à un cas particulier ». La raison en est que l’intelligence spéculative considère le vrai et le faux dans l’universel, c’est-à-dire absolument, alors que l’intelligence pratique les considère en les appliquant à une œuvre particulière, car toute opération se rapporte à des cas particuliers.

781. Ensuite, lorsqu’il dit : « Quant à ce qui est dit par abstraction », le Philosophe, parce qu’il avait dit que l’âme intellectuelle ne conçoit jamais sans les images, et que les images nous viennent des sens, veut montrer comment notre intelligence conçoit les représentations qui sont abstraites des sens. Et à ce sujet il fait deux choses. Et en premier lieu il montre comment notre intelligence conçoit les êtres mathématiques qui sont séparés ou abstraits de la matière sensible. En deuxième lieu, il cherche à savoir si notre intelligence est capable de concevoir les êtres qui sont séparés de la matière dans leur existence même, là où il dit : « Est-ce qu’il est possible que etc. ». Au sujet du premier point, il faut considérer que pour ce qui est des éléments qui sont unis dans les choses, il est possible d’en concevoir l’un sans concevoir l’autre et de demeurer dans la vérité, aussi longtemps que l’un ne tombe pas dans la définition de l’autre. En effet, si Socrate était musicien et blanc, nous pourrions concevoir la blancheur sans rien concevoir de la musique. Cependant, je ne peux concevoir l’homme sans rien concevoir de l’animal, car animal fait partie de la définition de l’homme. Il n’y a donc pas fausseté à séparer ainsi selon l’intelligence ce qui est uni dans les choses de la manière que nous avons dite.

782. Mais si l’intelligence concevait que les choses qui sont unies sont séparées, elle tomberait dans le faux : ainsi, considérant l’exemple que nous avons pris, si l’intelligence disait que celui qui est musicien n’est pas blanc, elle serait dans le faux ; mais plutôt, les formes qui existent dans les réalités sensibles, l’intelligence les sépare non pas certes parce qu’elle conçoit qu’elles sont séparées dans la réalité, mais parce qu’elle les conçoit à part et séparément. Et c’est justement ce que dit Aristote, à savoir que l’intelligence conçoit les formes qui sont dites par abstraction, c’est-à-dire les êtres mathématiques, de la même manière qu’elle conçoit le camus en tant que camus, car elle ne le conçoit pas séparément ou à part de la matière sensible puisque la matière sensible, à savoir le nez, tombe dans la définition du camus.

783. Mais si l’intelligence conçoit quelque chose en acte, en tant qu’il est concave, sans la chair, il le conçoit en tant que concave : non pas certes de telle manière qu’elle conçoit que le concave existe sans la chair, mais parce qu’elle conçoit le concave sans concevoir la chair. Et il en est ainsi parce que la chair n’entre pas dans la définition du concave. Et c’est ainsi que l’intelligence conçoit tous les êtres mathématiques séparément comme s’ils existaient séparément, bien qu’en réalité ils n’existent pas séparément.

784. Mais ce n’est pas de cette manière que le naturaliste conçoit les choses naturelles car la matière sensible, qui n’entre pas dans la définition des êtres mathématiques, entre dans la définition des êtres naturels. Cependant, à l’égard des choses naturelles, l’intelligence tire l’universel du particulier d’une manière semblable en tant qu’elle conçoit la nature de l’espèce sans les principes individuants qui n’entrent pas dans la définition de l’espèce. Et l’intellect en acte est absolument identique à la chose conçue car les choses sont connues par l’intelligence de la même manière que leur définition contient ou non de la matière. Et parce que Platon n’a pas pris soin de considérer cette forme d’abstraction, il fut poussé à affirmer que les êtres mathématiques et les formes existent séparément alors qu’Aristote, au lieu de cela, affirma l’existence d’un intellect agent capable de réaliser la sorte d’abstraction dont nous venons de parler.

785. Ensuite, lorsqu’il dit : « Cependant, est-il possible etc. », il soulève une question au sujet des êtres qui sont séparés de la matière quant à leur existence même, en disant que par la suite il faudra considérer s’il est possible à notre intelligence, laquelle n’est pas séparée de la grandeur, c’est-à-dire d’un corps, de concevoir quelque chose qui existe séparément de la matière, c’est-à-dire une substance séparée. En effet, Aristote ne pouvait pas ici répondre à cette question puisqu’il n’était pas encore manifeste qu’il existe des substances séparées, quelles sont ces substances et quelle est leur nature. Il en résulte que cette question relève du métaphysicien : il se trouve cependant que le Philosophe n’a pas répondu à cette question, soit parce que le complément de cette science ne nous est pas parvenu, soit parce que le livre n’a pas été traduit dans sa totalité, soit parce que, devancé par la mort, il n’a pas complété le livre.

786. Il faut cependant considérer ici qu’il dit que l’intelligence n’est pas séparée du corps en tant qu’elle est une certaine puissance de l’âme qui est l’acte du corps. Il a cependant dit plus haut (nn. 688 ; 699) que l’intelligence est séparée du corps en tant qu’elle ne possède pas un organe déterminé destiné à son opération.

 

 

 

LECTIO 13

[81070] Sentencia De anima, lib. 3 l. 13 n. 1Postquam philosophus determinavit de sensu et intellectu, nunc per ea quae de utroque dicta sunt ostendit quid de natura animae sit sentiendum. Et dividitur in partes duas. In prima ostendit, quod natura animae est quodammodo sicut antiqui credebant et quodammodo aliter. In secunda ostendit dependentiam intellectus a sensu, ibi, quoniam autem neque res. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod anima quodammodo est omnia sicut antiqui dixerunt. Secundo dicit quod aliter est omnia, quam illi dixerunt, ibi, necesse est autem. Dicit ergo primo, quod nunc recapitulantes quae dicta sunt de anima, ut ex his propositum ostendamus, dicamus quod omnia quodammodo est anima. Omnia enim quae sunt, aut sunt sensibilia, aut intelligibilia; anima autem est quodammodo omnia sensibilia et intelligibilia, quia in anima est sensus et intellectus sive scientia, sensus autem est quodammodo ipsa sensibilia, et intellectus intelligibilia, sive scientia scibilia.

 

 

 

 

 

 

[81071] Sentencia De anima, lib. 3 l. 13 n. 2Et qualiter hoc sit oportet inquirere. Sensus enim et scientia dividuntur in res, idest dividuntur in actum et potentiam quemadmodum et res, ita tamen quod scientia et sensus quae sunt in potentia ad sensibilia et scibilia, se habent ad scibilia et sensibilia quae sunt in potentia; scientia vero et sensus quae sunt in actu, ordinantur in sensibilia et scibilia quae sunt in actu, sed tamen diversimode. Nam sensus in actu, et scientia vel intellectus in actu, sunt scibilia et sensibilia in actu. Sed potentia animae sensitivae, et id quod scire potest idest potentia intellectiva, non est ipsum sensibile vel scibile, sed est in potentia ad ipsa. Sensitivum quidem ad sensibile; quod autem scire potest, ad scibile. Relinquitur igitur quod anima quodammodo sit omnia.

 

 

 

 

 

 

 

[81072] Sentencia De anima, lib. 3 l. 13 n. 3Deinde cum dicit necesse est ostendit quod alio modo est omnia, quam antiqui ponerent; et dicit, quod si anima est omnia, necesse est quod sit, vel ipsae res scibiles et sensibiles, sicut Empedocles posuit quod terra terram cognoscimus, et aqua aquam, et sic de aliis; aut sit species ipsorum. Non autem anima est ipsa res, sicut illi posuerunt, quia lapis non est in anima, sed species lapidis. Et per hunc modum dicitur intellectus in actu esse ipsum intellectum in actu, inquantum species intellecti est species intellectus in actu.

 

 

 

 

 

[81073] Sentencia De anima, lib. 3 l. 13 n. 4Ex quo patet quod anima assimilatur manui. Manus enim est organum organorum, quia manus datae sunt homini loco omnium organorum, quae data sunt aliis animalibus ad defensionem, vel impugnationem, vel cooperimentum. Omnia enim haec homo sibi manu praeparat. Et similiter anima data est homini loco omnium formarum, ut sit homo quodammodo totum ens, inquantum secundum animam est quodammodo omnia, prout eius anima est receptiva omnium formarum. Nam intellectus est quaedam potentia receptiva omnium formarum intelligibilium, et sensus est quaedam potentia receptiva omnium formarum sensibilium.

 

 

[81074] Sentencia De anima, lib. 3 l. 13 n. 5Deinde cum dicit quoniam autem quia dixerat quod intellectus est quodammodo intelligibilis, sicut sensus sensibilis, posset aliquis credere, quod intellectus non dependeret a sensu. Et hoc quidem verum esset si intelligibilia nostri intellectus essent a sensibilibus separata secundum esse, ut Platonici posuerunt. Et ideo hic ostendit, quod intellectus indiget sensu. Et postmodum quod intellectus differt a phantasia, quae etiam a sensu dependet, ibi, est autem phantasia. Dicit ergo primo, quod quia nulla res intellecta a nobis, est praeter magnitudines sensibiles, quasi ab eis separata secundum esse, sicut sensibilia videntur abinvicem separata: necesse est quod intelligibilia intellectus nostri sint in speciebus sensibilibus secundum esse, tam illa quae dicuntur per abstractionem, scilicet mathematica, quam naturalia, quae sunt habitus et passiones sensibilium. Et propter hoc sine sensu non potest aliquis homo addiscere quasi de novo acquirens scientiam, neque intelligere, quasi utens scientia habita. Sed oportet, cum aliquis speculatur in actu, quod simul formet sibi aliquod phantasma. Phantasmata enim sunt similitudines sensibilium.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[81075] Sentencia De anima, lib. 3 l. 13 n. 6Sed in hoc differunt ab eis, quia sunt praeter materiam. Nam sensus est susceptivus specierum sine materia, ut supradictum est. Phantasia autem est motus factus a sensu secundum actum. Patet autem ex hoc falsum esse, quod Avicenna ponit, quod intellectus non indiget sensu postquam acquisivit scientiam. Manifestum est enim quod postquam aliquis acquisivit habitum scientiae, necesse est ad hoc quod speculetur, quod utatur phantasmate; et propter hoc per laesionem organi impeditur usus scientiae iam acquisitae.

 

 

[81076] Sentencia De anima, lib. 3 l. 13 n. 7Deinde cum dicit est autem ostendit differentiam inter phantasiam et intellectum. Et primo quantum ad operationem communem intellectus, quae est compositio et divisio; dicens quod phantasia est alterum ab affirmatione vel negatione intellectus; quia in complexione intelligibilium iam est verum et falsum: quod non est in phantasia. Nam cognoscere verum et falsum est solius intellectus.

 

 

[81077] Sentencia De anima, lib. 3 l. 13 n. 8Secundo ibi primi autem inquirit in quo differant primi intellectus, idest intelligentiae indivisibilium, cum non sint phantasmata. Et respondet, quod non sunt sine phantasmatibus, sed tamen non sunt phantasmata, quia phantasmata sunt similitudines particularium, intellecta autem sunt universalia ab individuantibus conditionibus abstracta: unde phantasmata sunt indivisibilia in potentia, et non in actu.

Leçon  13

787. Après avoir traité du sens et de l’intelligence, le Philosophe montre ici, au moyen de ce qu’il a dit à leur sujet, quel jugement il faut porter sur la nature de l’âme. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il montre que la nature de l’âme est en un sens telle que les Anciens le croyaient, mais qu’en un autre sens elle s’écarte de leur opinion. Dans la deuxième il montre la dépendance de l’intelligence à l’égard du sens, là où il dit : « Mais puisqu’aucune chose etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il montre que l’âme est en quelque sorte toutes choses, comme le soutenaient les Anciens. En deuxième lieu il dit que l’âme est toutes choses, mais autrement qu’eux-mêmes l’entendaient, là où il dit : « Mais il est nécessaire que etc. ». Il dit donc en premier lieu, récapitulant maintenant ce qui a été dit au sujet de l’âme pour manifester le propos à partir de là, que nous disons que l’âme est en quelque sorte toutes choses. En effet, tout ce qui existe est soit sensible, soit intelligible ; or, l’âme est en quelque sorte tous les sensibles et tous les intelligibles, parce que dans l’âme il y a le sens et l’intelligence ou la science, et que le sens est en quelque sorte les sensibles eux-mêmes, l’intelligence tous les intelligibles, et la science tous les objets de science.

788. Et il faut ici chercher à savoir de quelle manière l’âme est toutes choses. En effet, le sens et la science se divisent « comme les choses », c’est-à-dire qu’ils se divisent en acte et en puissance, tout comme les choses : de telle manière cependant que la science et le sens qui sont en puissance à l’égard des sensibles et des objets de science correspondent aux sensibles et aux objets de science en puissance ; au contraire, le sens et la science qui sont en acte sont ordonnés aux sensibles et aux objets de science qui sont en acte, mais diversement. En effet, le sens en acte et la science ou l’intelligence en acte sont respectivement les sensibles en acte et les objets de science en acte. Au contraire, la puissance de l’âme sensitive et ce qui peut savoir, c’est-à-dire la puissance intellectuelle de l’âme, ne sont pas respectivement le sensible lui-même et l’objet de science lui-même, mais ils sont seulement leurs objets mêmes en puissance : la puissance sensible par rapport aux sensibles, ce qui peut savoir par rapport aux objets de science. Il reste donc que l’âme est en quelque sorte toutes choses.

789. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et il est nécessaire que etc. », il montre que l’intelligence est toutes choses, mais d’une manière qui diffère de celle que les Anciens soutenaient. Et le Philosophe dit à ce sujet que si l’âme est toutes choses, il est nécessaire qu’elle soit ou bien les choses mêmes dont on a une connaissance sensible et une connaissance de science, comme le pensait Empédocle qui disait que nous connaissons la terre par la terre et l’eau par l’eau, ou bien les formes de ces choses. Or, l’âme n’est pas les choses elles-mêmes, contrairement à ce qu’ils pensaient, car ce n’est pas la pierre elle-même qui est dans l’âme, mais plutôt la forme de la pierre ; et c’est en ce sens qu’on dit de l’intelligence en acte qu’elle est la chose conçue en acte, en tant que la forme de la chose conçue est la forme de l’intelligence en acte.

790. D’où il est clair que l’âme se compare à la main. La main est en effet l’instrument des instruments, parce que la main a été donnée à l’homme pour tenir lieu de tous les instruments qui ont été donnés aux autres animaux pour qu’ils puissent se défendre, combattre et s’abriter. En effet, c’est par la main que l’homme se fabrique tous ces instruments. De la même manière, l’âme a été donnée à l’homme, à la place de toutes les formes, pour que l’homme soit en quelque sorte tout être, c’est-à-dire en tant que l’âme est en quelque sorte toutes choses puisque son âme a la puissance de recevoir toutes les formes. L’intelligence est en effet une certaine puissance de réception de toutes les formes intelligibles, tout comme le sens est une certaine puissance de réception de toutes les formes sensibles.

791. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisqu’il n’y a aucune chose etc. », parce qu’il avait dit que l’intelligence est en quelque sorte l’intelligible tout comme le sens est en quelque sorte le sensible, quelqu’un pourrait croire que l’intelligence ne dépend pas du sens. Et cela serait certes vrai si les intelligibles de notre intelligence étaient séparés des choses sensibles sous le rapport de leur existence, comme le soutenaient les Platoniciens. Et c’est pourquoi le Philosophe montre ici que notre intelligence dépend du sens. Et par la suite, il montre que notre intelligence diffère de l’imagination qui dépend elle aussi du sens, là où il dit : « Or, l’imagination est etc. ». Il dit donc en premier lieu que parce qu’aucun objet conçu par notre intelligence n’existe en dehors des grandeurs sensibles, comme s’il existait séparément d’elles, à la manière dont les choses sensibles elles-mêmes semblent exister séparément les unes des autres, il est nécessaire que les intelligibles de notre intelligence soient dans les formes sensibles quant à leur existence, aussi bien ceux qui se disent par abstraction, à savoir les êtres mathématiques, que les intelligibles naturels qui sont les habitus et les affections des choses sensibles. Et c’est pour cette raison que sans le sens il est impossible à un homme d’apprendre quelque chose de nouveau dans l’acquisition de la science, et même de concevoir quelque chose par son intelligence en usant d’une science déjà acquise. Il faut au contraire, lorsque l’intelligence s’exerce en acte, qu’elle se forme simultanément pour elle-même une image, car les images sont des similitudes des choses sensibles.

792. Mais les images diffèrent des choses elles-mêmes car elles sont immatérielles pour cette raison que le sens reçoit les formes des choses sensibles sans leur matière, comme nous l’avons dit plus haut (nn. 284 ; 551). Or, l’image est un mouvement qui procède du sens en acte. Et il est clair, à partir de là, que ce que soutient Avicenne est faux, à savoir que l’intelligence n’a plus besoin du sens une fois la science acquise. Il est manifeste en effet qu’une fois acquis l’habitus de la science, il est nécessaire que l’intelligence use d’images pour pouvoir concevoir : c’est pour cette raison que l’exercice de la science déjà acquise est empêché par une blessure de l’organe.

793. Ensuite, lorsqu’il dit : « Cependant, l’imagination est autre que etc. », il montre une différence entre l’imagination et l’intelligence. Et il le fait en premier lieu quant à cette opération commune de l’intelligence qui est la composition et la division, lorsqu’il dit que l’imagination est autre que l’affirmation et la négation de l’intelligence : la raison en est qu’on retrouve déjà du vrai et du faux dans la combinaison des intelligibles, ce qui n’est pas le cas pour l’imagination. En effet, il n’appartient qu’à l’intelligence de connaître le vrai et le faux.

794. Ensuite, là où il dit : « Mais en quoi les premières notions de l’intelligence etc. », il cherche à savoir en quoi diffèrent les premières notions de l’intelligence, c’est-à-dire de l’intelligence des indivisibles, puisqu’elles ne sont pas des images. Et il répond que ces premières notions, bien qu’elles n’existent pas sans les images, ne sont cependant pas des images, car les images sont des similitudes des particuliers, alors que les notions premières sont des universels tirés des conditions individuantes : il en résulte que les images sont des intelligibles en puissance et non en acte.

 

 

LECTIO 14

[81078] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 1Postquam philosophus determinavit de partibus animae vegetativa, sensitiva et intellectiva, nunc quarto determinat de parte animae motiva. Et dividitur in partes duas. In prima dicit de quo est intentio. In secunda prosequitur, ibi, habet autem dubitationem. Dicit ergo primo, quod quia anima quae est animalium, definita est etiam ab antiquis philosophis secundum duas potentias, idest secundum quod habet potentiam ad duo quorum unum est discretio, quae fit per cognitionem, quae quidem discretio opus est intellectivae et sensitivae partis, aliud autem est movere secundum locum: de sensu et intellectu sunt tanta determinata, quanta in prioribus habita sunt. Sed nunc speculandum est de alia parte scilicet principio movente, quid animae sit. Utrum scilicet sit aliqua pars animae separabilis ab aliis, vel magnitudine, id est subiecto, ita quod habeat distinctum locum in corpore ab aliis potentiis, sicut Platonici posuerunt: vel sit separabilis ab aliis animae partibus, ratione tantum. An non sit pars animae, sed sit tota anima. Et dato quod sit aliqua pars animae, remanet considerandum utrum sit quaedam alia pars animae praeter illas quae consueverunt dici, et praeter eas quae a nobis dictae sunt, aut est una earum.

 

 

 

 

 

 

 

 

[81079] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 2Deinde cum dicit habet autem prosequitur suam intentionem. Et primo per modum disputationis. Secundo per modum determinationis, ibi, videntur autem haec duo. Circa primum duo facit. Primo disputat contra distinctionem potentiarum animae. Secundo specialiter circa principium motus, quae pars animae sit, ibi, sed de motu secundum locum. Circa primum duo facit. Primo recitat divisionem potentiarum animae, quam quidam ponebant. Secundo disputat contra eas, ibi, secundum enim differentias. Dicit ergo primo, quod mox in principio huius inquisitionis habet dubitationem, quomodo oporteat distinguere partes animae, et quot sunt: quia secundum aliquem modum videntur infinitae esse, idest non posse comprehendi sub aliquo certo numero. Et hoc verum esset, si singulis operibus animae et motibus qui sunt ab anima, necesse esset attribuere diversas partes animae: et sic videtur quod non sint solum illae partes quas quidam determinant, scilicet rationalem, irascibilem, appetitivam, idest concupiscibilem. Haec quidem divisio non comprehendit omnes animae partes, sed solum vires motivas in homine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[81080] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 3Alii autem distinguunt animae vires, per rationem habentem, et irrationabilem. Sed haec quidem divisio, licet secundum aliquem modum comprehendat animae partes omnes, non tamen est propria divisio partium animae, secundum quod sunt animae partes, sed solum secundum quod sunt in anima rationem habente; et sic utitur ea Aristoteles in primo Ethicorum.

[81081] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 4Deinde cum dicit secundum enim obiicit contra praedictas divisiones multipliciter. Prima obiectio est, quod si istae differentiae secundum quas diversificant aliquae partes animae, sufficiunt ad diversitatem in partibus animae constituendam, inveniuntur aliae partes maiorem differentiam habentes adinvicem, quam illae quae dictae sunt, de quibus etiam in hoc libro dictum est. Pars enim vegetativa est in plantis, et in omnibus animalibus, sive in omnibus viventibus, et sensitiva etiam est in omnibus animalibus: et manifestum est, quod vegetativa et sensitiva plus differunt abinvicem, et a rationali et concupiscibili et irascibili, quam irascibilis differat a concupiscibili: et tamen istae duae potentiae non comprehenduntur sub illis divisionibus.

 

 

 

 

[81082] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 5Et quod non comprehendantur sub prima divisione manifestum est. Patet enim quod neque vegetativa neque sensitiva potest dici esse rationabilis, vel concupiscibilis, vel irascibilis. Unde hoc praetermisso, probat, quod haec non comprehendantur sub secunda divisione; dicens quod non de facili potest aliquis, vel vegetativam vel sensitivam ponere, vel irrationalem, vel rationem habentem.

 

[81083] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 6Et quidem quod neutra harum habeat rationem, manifestum est. Sed quod neque etiam aliqua earum sit irrationabilis, ex hoc manifestum esse potest: quia irrationabile est, vel quod est contrarium rationi, vel quod est natum habere rationem et non habet: quorum neutrum contingit dictis partibus. Si enim diceret tantum negationem rationis, non posset poni genus potentiarum animae. Unde manifestum videtur, quod praemissae divisiones potentiarum animae sint inconvenientes.

 

 

 

[81084] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 7Secundam rationem ad idem ponit ibi adhuc autem dicens quod pars animae phantastica, qua secundum rationem ab omnibus aliis differt, habet multam dubitationem cum qua praedictarum potentiarum debeat esse eadem vel altera; et praecipue si aliquis ponat partes animae separatas subiecto, sicut aliqui ponebant.

[81085] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 8Tertiam rationem ponit ibi adhuc autem dicit quod vis etiam appetitiva videtur esse altera ratione et potentia ab omnibus partibus animae. Et si secundum praedictam divisionem, partes animae subiecto distinguantur in rationalem et irrationalem inconveniens videbitur sequestrare, idest, dividere appetitivam in duas partes subiecto differentes: et tamen hoc oportebit, si quis dicat rationale et irrationale partes animae subiecto distinctas; quia quaedam appetitiva est in parte rationabili, idest voluntas, quaedam in parte irrationabili scilicet irascibilis et concupiscibilis. Et siquis distinguat partes animae in tres subiecto distinctas, scilicet rationalem, irrationalem et irascibilem, sequetur quod in unaquaque earum erit appetitus: in rationabili enim est voluntas, ut dictum est: irascibili inest appetitus, et similiter concupiscibili. Erunt igitur tres appetitus in anima subiecto differentes secundum praedictam divisionem.

 

 

 

 

 

 

[81086] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 9Sed quaeritur quare in appetitu sensitivo sunt duae potentiae appetitivae, scilicet irascibilis et concupiscibilis, in appetitu autem rationali est unus appetitus tantum, scilicet voluntas. Et dicendum est, quod potentiae distinguuntur secundum rationes obiectorum. Obiectum autem appetitivae est bonum apprehensum.

 

[81087] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 10Alio autem modo apprehendit bonum intellectus et sensus. Nam intellectus apprehendit bonum secundum universalem rationem boni; sensus autem apprehendit sub determinata ratione boni. Et ideo appetitus qui sequitur apprehensionem intellectus, est unus tantum. Appetitus autem qui sequuntur apprehensionem sensus, distinguuntur secundum diversam rationem boni apprehensi. Nam aliquid apprehensum per sensum, habet rationem boni appetibilis, inquantum est delectabile secundum sensum; et ad hoc bonum ordinatur concupiscibilis. Aliquid autem habet rationem boni et appetibilis, inquantum perficitur delectabilibus, quasi habens facultatem ad libitum utendi eis; et ad hoc ordinatur irascibilis, quae est quasi propugnatrix concupiscibilis. Et inde est quod animalia non irascuntur neque pugnant nisi propter delectabilia, id est propter cibos et venerea, ut dicitur in sexto de historiis animalium.

 

 

 

[81088] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 11Et propter hoc omnes passiones irascibilis incipiunt a passionibus concupiscibilis, et terminantur in eis. Ira enim tristitia commovetur, et in delectationem finitur. Irati enim puniendo delectantur. Et propter hoc quidam dicunt, quod obiectum irascibilis est arduum.

[81089] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 12Quod autem a quibusdam dicitur, quod irascibilis ordinatur ad fugam mali, nullam omnino habet rationem. Eadem enim est potentia contrariorum, sicut visus albi et nigri: unde bonum et malum non possunt diversificare potentiam appetitivam. Et propter hoc, sicut amor boni pertinet ad concupiscibilem, ita odium mali, ut dicit philosophus in nono Ethicorum; et spes de bono et timor de malo pertinent ad irascibilem.

 

[81090] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 13Quartam rationem ponit ibi sed iam dicens, quod etiam illud, de quo nunc quaerimus, scilicet quid sit movens animal secundum locum, facit dubitationem circa praedictas divisiones; quia non videtur sub eis contineri. De motu autem augmenti et decrementi, qui est communis omnibus viventibus, manifestum est, quod habet principium commune omnibus viventibus, secundum generativam et vegetativam. Quaedam autem aliae mutationes animalium sunt, sicut respiratio et expiratio, somnus et vigilia, de quibus posterius determinandum est, quid causet ea. Habent enim multam dubitationem; et propter hoc specialem exigunt tractatum.

 

 

[81091] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 14Deinde cum dicit sed de motu procedit disputative ad inquirendum quid sit principium motus secundum locum in animalibus. Et primo ostendit, quod non sit vegetativa potentia. Secundo quod nec sensitiva, ibi, similiter autem neque sensitiva. Tertio quod nec intellectiva, ibi, at vero neque ratiocinativa. Quarto quod nec appetitiva, ibi, at vero neque appetitus. Dicit ergo primo, quod considerandum nunc est, quid sit movens animal secundum locum motu processivo. Et quod non sit potentia vegetativa, ostendit duabus rationibus: quarum prima talis est. Semper motus processivus secundum locum, est propter aliquid imaginatum et desideratum. Non enim animal movetur nisi appetens aut fugiens aliquid, nisi forte per violentiam: sed phantasia et appetitus non competit parti vegetativae: ergo pars vegetativa non est principium motus localis processivi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[81092] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 15Secundam rationem ponit ibi, amplius et quae talis est. Pars vegetativa est etiam in plantis: si igitur pars vegetativa esset principium motus localis processivi, sequeretur quod plantae essent motivae suiipsarum secundum hunc motum, et haberent partes organicas convenientes huic motui: quod patet esse falsum. Non ergo pars vegetativa est principium motus localis processivi in animalibus.

 

 

 

[81093] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 16Deinde cum dicit similiter autem ostendit quod neque etiam sensus est principium talis motus, tali ratione. Sensus enim est omnibus animalibus: si ergo sensus esset principium praedicti motus, sequeretur quod omne animal hoc modo moveretur. Quod patet esse falsum: quia multa sunt habentia sensum, quae tamen manent semper in eodem loco, et sunt immobilia per finem, id est quamdiu vivunt.

 

 

 

 

[81094] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 17Et quia posset aliquis credere, quod non est propter hoc quod deficiat eis principium motivum, sed quia deficiunt eis instrumenta apta ad motum; ideo ad removendum hoc, subiungit quod natura nihil facit frustra, neque deficit in necessariis, nisi in animalibus orbatis et imperfectis, sicut sunt animalia monstruosa: quae quidem monstra animalibus accidunt praeter intentionem naturae, ex corruptione alicuius principii in semine. Sed animalia immobilia sunt perfecta in sua specie, et non sunt orbata quasi monstra: cuius signum est, quia generant sibi simile, et habent debitum augmentum et decrementum, quod non est in animalibus orbatis; ergo et in huiusmodi animalibus natura nihil facit frustra, neque deficit in necessariis. Unde sequitur, quod si haberent principium motus, quod haberent partes organicas dispositas ad motum processivum. Alias principium motivum esset in eis superfluum, et necessaria ad executionem potentiae motivae eis deficerent. Ex hoc autem accipere possumus, quod cuicumque inest aliquod principium vitae, insunt ei organa convenientia illi principio; et quod partes corporis sunt propter partes animae.

 

 

 

 

 

[81095] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 18Deinde cum dicit at vero neque ostendit quod etiam intellectus non est principium motivum: et dicit, quod neque ratiocinativa, quae vocatur intellectus, videtur esse movens. Unde accipere possumus, quod ratio et intellectus non sunt diversae partes animae, sed ipse intellectus dicitur ratio, inquantum per inquisitionem quamdam pervenit ad cognoscendum intelligibilem veritatem.

 

 

 

 

[81096] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 19Et quod intellectus non sit principium motus, probat primo quantum ad speculativum intellectum; quia cum intellectus speculativus speculative consideret ea quae sunt tantum speculabilia, et nullo modo agibilia, sicut cum considerat quod triangulus habet tres angulos aequales duobus rectis, et alia huiusmodi; manifestum est, quod speculativus intellectus non speculatur aliquid agibile, neque dicit aliquid de fugibili et persequibili; et sic non potest movere; quia semper motus est fugientis aliquid secundum appetitum aut prosequentis.

 

 

 

 

[81097] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 20Aliquando autem intellectus considerat aliquid agibile, non tamen practice, sed speculative, quia considerat ipsum in universali, et non secundum quod est principium particularis operis. Et de hoc consequenter dicit, quod neque intellectus, cum fuerit speculatus, idest speculative consideraverit, aliquid huiusmodi, idest aliquid agibile, nondum praecipit prosequi vel fugere: sicut cum multoties intelligimus terribile aliquod vel delectabile. Sed intellectus non iubet timere vel desiderare; sed aliquando movetur cor ad timendum, absque imperio intellectus. Et si iterum delectabile moveat appetitum, erit aliqua alia pars, quam cor, quae movetur.

 

 

[81098] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 21Et hoc dicit propter opinionem Platonis, qui posuit partes animae esse subiecto distinctas; ita quod irascibilis, cuius est timere, sit in corde, et concupiscibilis sit in aliqua alia parte corporis, puta in hepate. Sic igitur manifestum est, quod intellectus speculative considerando aliquid agibile, non movet. Ex quo patet, quod intellectus speculativus nullo modo movet aliquid.

 

[81099] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 22Deinde cum dicit amplius et probat, quod nec etiam intellectus practicus movet: dicens, quod nec etiam intellectu practico praecipiente, quod contingit cum intelligentia dicit aliquid fugiendum aut prosequendum, non propter hoc homo movetur, sed agit secundum concupiscentiam; sicut patet de incontinentibus, qui habent rationem rectam, sed non inhaerent rationi rectae; unde videtur quod intellectus non moveat. Probat autem idem ex medicis, qui habentes scientiam medicativam non sanantur, quia non faciunt ea in seipsis, quae praecipit ars eis. Ex quo videtur, quod agere secundum scientiam non sit scientiae practicae, sed alicuius alterius.

 

 

 

[81100] Sentencia De anima, lib. 3 l. 14 n. 23Deinde cum dicit at vero ostendit quod pars appetita non sit dominativa super hunc motum, quia videmus quod continentes appetunt et concupiscunt, sed non operantur ea quorum habent appetitum. E converso est in incontinentibus, ut manifestius apparet in septimo Ethic. Videtur igitur quod neque appetitus moveat.

Leçon  14

795. Après avoir traité des parties végétative, sensitive et intellectuelle de l’âme, le Philosophe traite ici, en quatrième lieu, de la partie motrice de l’âme. Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il dit quelle est son intention. Dans la deuxième, il poursuit son intention, là où il dit : « Mais la question de savoir etc. ». Il dit donc en premier lieu que l’âme qui appartient aux animaux a été définie, même par les Anciens, selon deux puissances, c’est-à-dire selon qu’elle possède la capacité d’exercer deux sortes d’actes dont le premier est le jugement, qui s’accomplit par la connaissance, le jugement étant certes l'œuvre de la partie intellectuelle et de la partie sensitive de l’âme, et dont le second est le mouvement selon le lieu ; or, nous avons suffisamment établi ce qu’il en est du sens et de l’intelligence dans les étapes qui ont précédé : c’est pourquoi il nous reste maintenant à examiner cette partie de l’âme qui joue le rôle de principe moteur. Nous nous demandons donc si ce principe moteur est une partie de l’âme séparable des autres par la grandeur, c’est-à-dire par le sujet, de telle manière qu’elle possède un lieu dans le corps distinct de celui des autres puissances, comme le soutenaient les Platoniciens ; ou bien si ce principe est séparable des autres parties de l’âme par la raison seulement. On peut en outre se demander au sujet de ce principe moteur s’il n’est pas une partie de l’âme mais plutôt l’âme toute entière. En outre, si on concède que ce principe est une partie de l’âme, il reste à examiner s’il est une partie spéciale de l’âme, distincte de celles dont on a coutume de parler et dont nous avons parlé, ou s’il est plutôt une de ces parties.

796. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais la question se pose etc. », il poursuit son intention. Et il le fait en premier lieu selon un mode dialectique. Il le fait en deuxième lieu par mode de démonstration, là où il dit : « Il semble y avoir deux facultés motrices etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il argumente contre la distinction des puissances de l’âme. En deuxième lieu, il argumente spécialement au sujet du principe moteur, qui est une partie de l’âme, là où il dit : « Mais au sujet du mouvement local etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il rappelle la division des puissances de l’âme telle que présentée par certains. En deuxième lieu il argumente contre cette présentation des puissances, là où il dit : « En effet, selon ces différences etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’au début de cette recherche la question se pose immédiatement de savoir comment il faut distinguer les puissances de l’âme, et quel est leur nombre : car en un sens, elles semblent être infinies, c’est-à-dire qu’elles ne semblent pas pouvoir être contenues dans un nombre déterminé. Et cela serait vrai s’il était nécessaire d’attribuer diverses parties de l’âme à chacune des opérations et à chacun des mouvements qui procèdent de l’âme : ainsi, il semble qu’il ne suffise pas de distinguer, comme le font certains philosophes, ces parties de l’âme qui sont la partie rationnelle, la partie irascible, la partie appétitive ou concupiscible. Cette division ne semble pas en effet comprendre toutes les parties de l’âme, mais seulement les puissances motrices présentes chez l’homme.

797. D’autres distinguent les puissances de l’âme par le rationnel et l’irrationnel. Mais cette division, bien qu’elle contienne d’une certaine façon toutes les parties de l’âme, n’est cependant pas la division propre des parties de l’âme en tant qu’elles sont des parties de l’âme, mais seulement en tant qu’elles sont dans l’âme qui a la raison : c’est en ce sens qu’Aristote se sert de cette division dans un autre ouvrage [Éthique, L. 1, ch. 13].

798. Ensuite, lorsqu’il dit : « En effet, d’après ces différences, etc. », il argumente de plusieurs manières contre les divisions qui précèdent. La première objection consiste à dire que si ces différences, selon lesquelles se diversifient certaines parties de l’âme, suffisent à établir une diversité parmi les parties de l’âme, il se trouve cependant d’autres parties présentant une plus grande différence entre elles que celles qui viennent d’être dites, et dont nous avons aussi parlé dans ce livre (nn. 199-210). On retrouve en effet la partie  végétative dans tous les végétaux et dans tous les animaux, et même dans tous les vivants, tout comme on retrouve la partie sensitive chez tous les animaux : or, il est manifeste que la partie végétative et la partie sensitive diffèrent plus entre elles, et des parties rationnelle, concupiscible et irascible que l’irascible ne diffère du concupiscible. Et cependant ces deux puissances, la végétative et la sensitive, ne sont pas contenues dans ces divisions.

799. Et il est manifeste que ces deux puissances ne sont pas contenues dans la première division. Il est clair en effet que ni la partie végétative ni la partie sensitive ne peut être qualifiée de rationnelle, de concupiscible ou d’irascible. C’est pourquoi, laissant de côté cette première division, il prouve que ces deux puissances ne sont pas davantage contenues dans la deuxième division, en disant qu’on ne peut pas facilement soutenir que la partie végétative, ou la partie sensitive, est rationnelle ou irrationnelle.

800. Et il est certes manifeste qu’aucune de ces puissances ne possède la raison. Et il est même possible de montrer qu’aucune de ces puissances n’est irrationnelle : en effet, l’irrationnel est ou bien ce qui est contraire à la raison, ou bien encore ce qui devrait naturellement posséder la raison mais ne la possède pas ; mais on ne retrouve aucune de ces formes d’irrationnalité chez ces deux puissances. Si en effet l’irrationnel signifiait seulement la négation de la raison, il ne pourrait être affirmé comme un genre des puissances de l’âme. Il semble donc manifeste que les divisions des puissances de l’âme qui précèdent ne sont pas adéquates.

801. Il présente le deuxième argument en vue du même but, là où il dit : « Mais en outre, la partie imaginative etc. ». Et il dit qu’il est très difficile de dire, au sujet de la partie imaginative de l’âme, laquelle diffère de toutes les autres par son essence, à quelle partie elle est identique ou de quelle partie elle est différente, surtout si on suppose, comme certains, que les parties de l’âme sont séparées quant à leur sujet.

802. Il présente le troisième argument, là où il dit : « En outre, la partie appétitive etc. ». Et il dit que la puissance appétitive semble bien être différente de toutes les autres puissances de l’âme, tant par son essence que comme puissance. Et si, d’après la division qui précède, les parties de l’âme se divisent par le sujet en rationnelles et irrationnelles, « il semble absurde de séparer », c’est-à-dire de diviser la partie appétitive en deux parties qui diffèrent par le sujet : et cependant, il faudra en venir à ce point si on dit que le rationnel et l’irrationnel sont des parties de l’âme qui diffèrent par le sujet ; en effet, il y a une puissance appétitive, à savoir la volonté, qui est dans la partie rationnelle, et il y en a une autre, à savoir l’irascible et le concupiscible, qui est dans la partie irrationnelle. Et si on distinguait les parties de l’âme en trois parties distinctes par le sujet, à savoir le rationnel, l’irrationnel et l’irascible, il s’ensuivrait qu’on retrouverait en chacune d’elles un appétit : dans le rationnel on retrouve en effet la volonté, comme nous l’avons dit (n. 802), et un appétit appartient à l’irascible, comme c’est le cas aussi pour le concupiscible. Donc, d’après la division qui précède, il y aura dans l’âme trois appétits qui différeront par le sujet.

803. Mais on se demande pourquoi on retrouve dans l’appétit sensitif deux puissances appétitives, à savoir l’irascible et le concupiscible, alors que dans l’appétit rationnel on ne retrouve qu’un seul appétit, à savoir la volonté. Et il faut dire que les puissances se distinguent d’après la raison formelle de l’objet. Or, l’objet de la puissance appétitive est le bien appréhendé.

804. Or, l’intelligence et le sens appréhendent le bien selon des modalités différentes. En effet, l’intelligence appréhende le bien sous la notion universelle du bien, alors que le sens l’appréhende sous un aspect déterminé. C’est pourquoi l’appétit qui est consécutif à l’appréhension de l’intelligence est unique. Mais les appétits qui sont consécutifs à l’appréhension du sens se distinguent selon des rapports différents du bien appréhendé. Car ce qui est appréhendé par le sens a raison de bien désirable en tant qu’il est simplement délectable selon le sens, et c’est à cette sorte de bien qu’est ordonné le concupiscible. Mais ce qui est appréhendé par le sens a raison à la fois de bien et de désirable en tant qu’il trouve sa perfection dans le délectable, comme ayant le pouvoir d’en user à volonté, et c’est à cette sorte de bien qu’est ordonné l’irascible, lequel est comme un combattant en faveur du concupiscible. C’est ce qui explique que les animaux n’éprouvent de la colère et n’engagent des combats qu’en vue des choses délectables, c’est-à-dire en vue d’acquérir de la nourriture et les plaisirs de l’amour, ainsi que l’affirme le Philosophe [L’Histoire des Animaux, L. 6, ch. 18].

805. C’est pour cette raison que les passions de l’irascible ont leur commencement et leur terme dans les passions du concupiscible. En effet, la colère et la tristesse sont mises en mouvement par le plaisir et y trouvent leur achèvement. En effet, les colériques se délectent à punir. Et c’est pour cette raison que certains affirment que l’objet de l’irascible est le bien difficile.

806. Mais ce que certains disent, à savoir que l’irascible est ordonné à la fuite du mal, n’a absolument aucun fondement rationnel. C’est la même puissance en effet qui a pour objet les contraires, comme la vue a pour objet le blanc et le noir : c’est pourquoi le bien et le mal ne peut entraîner une diversification de la puissance appétitive. Pour cette raison l’amour du bien, tout comme la haine du mal, relève du concupiscible, ainsi que le dit le Philosophe [Éthique, L. 2, ch. 5] ; de même, l’espoir du bien et la crainte du mal relèvent de l’irascible.

807. Il présente le quatrième argument là où il dit : « Mais revenons maintenant à l’objet etc. », en disant que ce qui fait maintenant l’objet de notre recherche, à savoir ce qui meut l’animal selon le lieu, soulève une difficulté relativement aux divisions qui précèdent, parce qu’il ne semble pas être contenu dans ces divisions. Il est manifeste que le mouvement de croissance et de décroissance, qui est commun à tous les vivants, doit avoir un principe commun à tous les vivants, la puissance générative et végétative. Quant à certains autres changements qui appartiennent aux animaux, comme l’inspiration et l’expiration, le sommeil et la veille, il faudra examiner par la suite ce qui les cause ; en effet, ils soulèvent de nombreuses difficultés et c’est pour cette raison qu’il faudra les examiner à part, dans un traité distinct.

808. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais au sujet du mouvement selon le lieu, etc. », il poursuit dialectiquement sa recherche sur la nature du principe du mouvement local chez les animaux. Et il montre en premier lieu que ce n’est pas la puissance végétative. En deuxième lieu, il montre que ce n’est pas davantage la puissance sensitive, là où il dit : « De même, que ce ne soit pas davantage la puissance sensitive, etc. ». En troisième lieu, il montre que ce n’est pas non plus la puissance intellectuelle, là où il dit : « Mais ce n’est pas non plus la puissance rationnelle etc. ». En quatrième lieu, il montre que ce n’est pas non plus la puissance appétitive, là où il dit : « Enfin, ce n’est pas davantage l’appétit etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’il faut maintenant examiner ce qui cause chez l’animal son mouvement de progression. Et il montre, au moyen de deux raisonnements, que ce n’est pas la puissance végétative. Et voici le premier de ces deux raisonnements. Tout mouvement de progression selon le lieu procède d’une représentation et d’un désir. L’animal ne se meut en effet que parce qu’il désire ou fuit quelque chose, sauf lorsqu’il est mû par contrainte. Or, les représentations et les appétits n’appartiennent pas à la partie végétative : la partie végétative n’est donc pas le principe du mouvement de progression selon le lieu.

809. Il présente son deuxième raisonnement là où il dit : « Et en outre etc. ». Et voici ce raisonnement. La puissance végétative se trouve aussi chez les plantes : en conséquence, si la partie végétative était le principe du mouvement de progression selon le lieu, il s’ensuivrait que les plantes elles-mêmes seraient capables de se mouvoir selon ce mouvement et qu’elles posséderaient des parties qui joueraient le rôle d’organes pour cette sorte de mouvement : or, cela est manifestement faux. La partie végétative n’est donc pas le principe du mouvement progressif selon le lieu chez les animaux.

810. Ensuite, lorsqu’il dit : « De même, ce n’est pas davantage etc. », il montre, par le raisonnement qui suit, que ce n’est pas davantage le sens qui est le principe de cette sorte de mouvement. Nous voyons en effet que le sens se retrouve chez tous les animaux : donc, si le sens était le principe de cette sorte de mouvement, il s’ensuivrait que tous les animaux seraient capables de cette sorte de mouvement. Or, cela est manifestement faux, car nombreux sont les animaux qui, tout en possédant le sens, demeurent toujours dans le même lieu et sont immobiles « jusqu’à la fin », c’est-à-dire aussi longtemps qu’ils vivent.

811. Et parce qu’on pourrait croire que ce n’est pas pour cette raison que le principe de mouvement leur fait défaut,  mais parce qu’il leur manque les organes aptes à ce genre de mouvement, c’est pourquoi Aristote ajoute, pour écarter cette objection, que la nature ne fait rien en vain et qu’elle ne néglige rien de ce qui est nécessaire, sauf chez les animaux incomplets et imparfaits, par exemple chez les monstres : or, les monstres n’apparaissent chez les animaux que par opposition à l’intention de la nature, c’est-à-dire par la corruption d’un principe dans la semence. Mais ces animaux immobiles dont nous parlons sont parfaits dans leur espèce et ne sont pas incomplets à la manière des monstres : le signe en est qu’ils engendrent des êtres qui leur sont semblables et qu’ils sont capables d’atteindre leur maturité puis leur déclin, ce dont les êtres incomplets sont incapables ; la nature ne fait donc rien en vain chez ces animaux et elle ne néglige rien de ce qui leur est nécessaire. D’où il s’ensuit, s’ils possédaient le principe du mouvement local, qu’ils posséderaient aussi les parties organisées ordonnées au mouvement local. Autrement, le principe de ce mouvement leur serait superflu, et il leur manquerait les organes nécessaires à l’exécution de la puissance motrice. Nous pouvons donc admettre à partir de là qu’à tout être auquel appartient un principe de vie, appartiennent aussi les organes qui conviennent à ce principe, et que les parties du corps sont en vue des parties de l’âme.

812. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais ce n’est pas non plus la puissance intellectuelle etc. », il montre que l’intelligence n’est pas non plus le principe de cette sorte de mouvement. Et il dit que ce n’est pas non plus la puissance rationnelle, qu’on appelle l’intelligence, qui est le principe de cette sorte de mouvement. C’est pourquoi nous pouvons admettre que la raison et l’intelligence ne sont pas des parties différentes de l’âme, mais on donne à l’intelligence elle-même le nom de raison dans la mesure où c’est par une certaine recherche qu’elle parvient à la connaissance de la vérité intelligible.

813. Et que l’intelligence ne soit pas le principe de cette sorte de mouvement, il le prouve en premier lieu par rapport à l’intelligence spéculative. Car lorsque l’intelligence spéculative considère spéculativement les objets qui sont seulement objets de spéculation et qui ne peuvent nullement être objets d’une action, comme lorsque l’on considère que le triangle a ses trois angles intérieurs égaux à deux droits, et d’autres choses de la sorte, il est manifeste que l’intelligence spéculative n’examine pas quelque chose qu’elle doit faire, et qu’elle ne parle pas de quelque chose qui doit être fui ou poursuivi, et par conséquent d’un objet capable de mettre en mouvement ; en effet, le mouvement appartient toujours à celui qui fuit ou poursuit quelque chose selon l’appétit. 

814. Mais parfois l’intelligence considère un objet d’action non pas sous un rapport pratique mais d’un point de vue spéculatif, parce qu’elle le considère dans l’universel et non en tant que principe d’une opération particulière. Et il dit par la suite à ce sujet que ni l’intelligence « lorsqu’elle est spéculative », c’est-à-dire lorsqu’elle considère théoriquement quelque chose de la sorte, c’est-à-dire un objet d’action, ne commande de poursuivre ou de fuir, comme cela arrive souvent lorsque nous concevons que quelque chose est terrifiant ou délectable sans pour autant fuir ou poursuivre la chose en question. Mais l’intelligence ne commande pas de craindre ou de désirer ; mais parfois le cœur est porté à craindre, sans un commandement de l’intelligence. Et si en outre le délectable meut l’appétit, il y a une autre partie que le cœur qui est mue.

815. Et Aristote dit cela à cause de l’opinion de Platon qui soutenait que les parties de l’âme sont distinctes par le sujet de telle manière que l’irascible, dont fait partie la crainte, serait dans le cœur alors que le concupiscible serait dans quelqu’autre partie du corps, par exemple dans le foie. Ainsi, il est manifeste que l’intelligence, lorsqu’elle considère spéculativement un objet d’action, ne meut pas. D’où il est clair que l’intelligence spéculative n’est absolument pas un principe de mouvement.

816. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et en outre etc. », il prouve que même l’intelligence pratique ne meut pas, en disant que même l’intelligence pratique lorsqu’elle[S1]  commande, ce qui arrive lorsque l’intelligence dit que quelque chose doit être fui ou poursuivi, l’homme n’est pas mû pour autant en ce sens, mais agit parfois selon son appétit, comme on le voit chez les incontinents, lesquels ont une raison droite sans adhérer à leur raison droite, ce qui empêche l’intelligence de mouvoir. Et il prouve la même chose en donnant l’exemple des médecins qui, bien que possédant la science de la médecine, ne se guérissent pas eux-mêmes car ils ne réalisent pas en eux-mêmes ce que l’art de la médecine leur prescrit. D’où il semble que ce qui détermine à agir conformément à la science, ce n’est pas la science mais quelque chose d’autre.

817. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais ce n’est pas non plus l’appétit etc. », il montre que ce n’est pas davantage l’appétit qui commande cette sorte de mouvement, car nous observons que ceux qui sont continents éprouvent du désir et de l’appétit pour certaines choses sans pour autant faire les choses pour lesquelles ils éprouvent de l’appétit. Les incontinents, au contraire, agissent selon leurs appétits, comme on le voit plus clairement dans un autre ouvrage d’Aristote [Éthique, L. 7, ch. 3]. Il semble donc que l’appétit n’est pas davantage principe de cette sorte de mouvement.

 

 

LECTIO 15

[81101] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 1Postquam philosophus processit disputative ad inquirendum quid sit principium motus localis in animalibus, hic determinat veritatem. Et primo ostendit in universali, quid sit principium motus. Secundo quomodo hoc principium diversimode in diversis reperitur, ibi, omnino quidem igitur. Circa primum duo facit. Primo ostendit quid sit principium motus in animalibus. Secundo docet ordinem, quomodo motus iste completur, quantum ad motores et mobilia, ibi, specie quidem igitur. Circa primum tria facit. Primo ponit esse duo principia motus. Secundo reducit ea in unum, ibi, intellectus autem. Tertio solvit obiectionem superius positam, ibi, quoniam autem. Dicit ergo primo, quod consideratis his quae praedicta sunt, cum manifestum sit quod vegetativa pars non sit movens, et similiter neque sensus, cum non omnia, in quibus haec sunt, moveri inveniantur, ut patet ex dictis: videntur duo haec esse moventia, scilicet appetitus et intellectus; ita tamen quod sub intellectu phantasia comprehendatur, quae habet aliquid simile intellectui, inquantum movet ad absentiam sensibilium sicut intellectus, quia haec etiam est principium motus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[81102] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 2Multi enim homines praetermissa scientia intellectus, sequuntur in suis motibus phantasiam, sicut illi, qui non secundum rationem agunt, sed impetu moventur ad aliquid agendum. Et in aliis animalibus manifestum est, quod nunquam intellectus est neque ratio quae movere possit, sed solum phantasia. In hominibus vero est phantasia et intellectus. Sic ergo manifestum est, quod utraque haec movent; scilicet intellectus comprehendens sub se phantasiam, et appetitus.

 

[81103] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 3Deinde cum dicit intellectus autem reducit praedicta moventia in unum. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit propositum. Secundo ex eo, quod est ostensum, assignat causam cuiusdam accidentis circa motum animalium, ibi, intellectus quidem igitur. Tertio improbat divisionem potentiarum, quam antiqui ponebant, ibi, dividentibus autem. Dicit ergo primo, quod intellectus, qui movet, est intellectus qui ratiocinatur propter aliquid, non propter ratiocinari tantum; et hic est intellectus practicus, qui differt a speculativo secundum finem. Nam speculativus speculatur veritatem, non propter aliquid aliud, sed propter seipsum tantum; practicus autem speculatur veritatem propter operationem.

 

 

 

 

[81104] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 4Et manifestum est, quod omnis appetitus est propter aliquid. Stultum enim est dicere, quod aliquis appetat propter appetere. Nam appetere est quidam motus in aliud tendens. Sed illud cuius est appetitus, scilicet appetibile, est principium intellectus practici. Nam illud, quod est primo appetibile, est finis a quo incipit consideratio intellectus practici. Cum enim volumus aliquid deliberare de agendis, primo supponimus finem, deinde procedimus per ordinem ad inquirendum illa, quae sunt propter finem; sic procedentes semper a posteriori ad prius, usque ad illud, quod nobis imminet primo agendum. Et hoc est quod subdit quod ultimum de actione intellectus practici, est principium actionis; idest illud, unde debemus actionem incipere. Unde rationabiliter dictum est, quod haec duo sunt moventia, scilicet appetitus, et intellectus practicus. Quia enim ipsum appetibile, quod est primum consideratum ab intellectu practico, movet, propter hoc dicitur intellectus practicus movere, quia scilicet eius principium, quod est appetibile, movet.

 

 

 

 

 

 

 

[81105] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 5Et quod dicitur de intellectu, intelligendum est etiam de phantasia; quia cum phantasia movet, non movet sine appetitu. Non enim movet, nisi inquantum repraesentat appetibile, sicut nec intellectus.

[81106] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 6Sic igitur apparet, quod unum est movens, scilicet appetibile; hoc enim appetitum movet, et est principium intellectus, quae duo ponebantur moventia.

 

[81107] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 7Et hoc rationabile est, quod haec duo moventia reducantur in unum, quod est appetibile: quia si ponebantur haec duo intellectus et appetitus esse moventia, respectu eiusdem motus, cum unius effectus sit una causa propria, necesse est quod moveant haec duo secundum aliquam communem speciem. Non est autem dicendum quod appetitus moveat sub specie intellectus, sed magis e converso; quia intellectus non invenitur movens sine appetitu; quia voluntas, secundum quam movet intellectus, est quidam appetitus.

 

 

[81108] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 8Et ratio huius assignatur in nono metaphysicorum: quia cum ratio scientiae practicae se habeat ad opposita, non movet, nisi determinetur ad unum per appetitum. Sed appetitus movet sine ratione, sicut patet ex his quae ex concupiscentia moventur. Concupiscentia enim est appetitus quidam. Exemplificat autem magis de concupiscentia quam de ira, quia ira habet aliquid rationis, non autem concupiscentia, ut probat philosophus in septimo Ethicorum. Et sic patet quod moventia reducuntur in unum, quod est appetibile.

 

 

 

 

[81109] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 9Deinde cum dicit intellectus quidem assignat ex praedictis rationem cuiusdam accidentis circa motum vel actionem; ostendens scilicet quare in actionibus et motibus nostris erramus. Et dicit quod omnis intellectus est rectus: quod intelligendum est de intellectu principiorum. Non enim erramus circa prima principia in operabilibus, cuiusmodi sunt, nulli nocendum esse, non esse aliquid iniuste agendum, et similia; sicut nec erramus circa prima principia in speculativis. In his autem quae sunt post principia, si quidem recte consideramus, procedit ex rectitudine quae est circa prima principia. Si autem a rectitudine deviamus, procedit ex errore qui accidit in ratiocinando. Sed appetitus et phantasia, qui etiam movent, sunt et cum rectitudine, et sine rectitudine. Et ideo in actionibus nostris contingit deficere a rectitudine secundum quod deficimus ab intellectu et ratione. Unde patet ex praedictis quod appetibile semper movet.

 

 

 

 

 

 

 

[81110] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 10Hoc autem appetibile, est aut vere bonum, quando persistitur in iudicio intellectus recti, aut apparens bonum quando declinat a iudicio intellectus recti, propter appetitum vel phantasiam. Non autem omne bonum est appetibile et movens, sed bonum agibile, quod est bonum applicatum ad operationem; et hoc contingit aliter se habere, sicut omnia quae nostrae actioni subduntur. Unde bonum ultimum et necessarium in sua universitate consistens, non movet. Manifestum est igitur quod potentia animae quae dicitur appetitus, sit movens.

[81111] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 11Deinde cum dicit dividentibus autem excludit illud quod antiqui dixerunt de distinctione partium motivarum; dicens, quod dividentibus partes animae in rationalem, irascibilem et concupiscibilem, si ipsi intendunt distinguere potentias animae abinvicem separatas, multo plures fient quam ipsi ponant; scilicet vegetativum, sensitivum, intellectivum, consiliativum, et appetitivum. Distinguit autem consiliativum ab appetitivo, sicut in sexto Ethicorum distinguitur ratiocinativum quod est contingentium, a scientifico, quod est necessariorum, et ea ratione quae ibi tangitur. Hae autem partes animae plus differunt abinvicem quam concupiscibile et irascibile, quae comprehenduntur sub appetitu sensitivo; unde plures sunt partes, quam ipsi ponant.

 

 

 

 

[81112] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 12Deinde cum dicit quoniam autem excludit quamdam obiectionem supra positam ad ostendendum quod appetitus non movet, per hoc quod continentes appetitum non sequuntur. Sed haec ratio solvitur; quia in homine sunt contrarii appetitus, quorum unum continentes sequuntur, et alii repugnant. Dicit ergo, quod quia possunt fieri appetitus contrarii adinvicem, hoc contingit cum ratio concupiscentiae contrariatur: et fit idest accidit hoc in habentibus sensum temporis, idest qui non solum cognoscunt quod in praesenti est, sed considerant praeteritum et futurum; quia intellectus quandoque ab aliquo concupiscibili retrahere iubet, propter futuri considerationem. Sicut cum febricitanti, ex iudicio intellectus videtur a vino abstinendum esse, ne febris incalescat. Sed concupiscentia incitat ad accipiendum propter ipsum iam, idest propter illud quod in praesenti est: videtur enim quod in praesenti est delectabile, esse simpliciter delectabile et bonum, ex eo quod non consideratur ut futurum.

 

 

 

 

 

[81113] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 13Deinde cum dicit specie quidem ostendit ordinem motus. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quomodo moventia sunt unum, et quomodo plura. Secundo quomodo ordinantur adinvicem, ibi, quoniam autem tria sunt. Tertio summarie determinat de unoquoque eorum quaedam, quae ad motum requiruntur, ibi, nunc autem. Dicit ergo primo, quod si moventia considerantur formaliter et secundum speciem, unum erit movens, scilicet appetibile vel appetitivum, quia inter omnia primum movens est appetibile; hic enim est movens non motum, inquantum est imaginatum vel intellectum. Manifestum est enim, quod secunda moventia non moventur, nisi inquantum participant primum. Unde omnia conveniunt in specie primi moventis. Quamvis autem omnia conveniant in specie primi moventis, tamen numero sunt plura.

 

 

 

 

 

 

 

 

[81114] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 14Deinde cum dicit quoniam autem assignat ordinem motus; et dicit quod tria sunt quae inveniuntur in motu. Unum, quod est movens, et aliud est organum quo movens movet, et tertium est quod movetur. Movens autem est duplex: unum quidem immobile, et aliud quod est movens motum. In motu igitur animalis, movens quod non movetur, est bonum actuale, quod movet appetitum prout est intellectum vel imaginatum. Sed movens motum, est ipse appetitus; quia omne quod appetit, inquantum appetit movetur, et ipsum appetere est quidam actus vel motus, prout motus est actus perfecti, prout dictum est de operatione sensus et intellectus. Quod autem movetur est animal. Organum autem, quo appetitus movet, est aliquid corporeum, scilicet quod est primum organum motus; et ideo de huiusmodi organis considerandum est in operationibus communibus animae et corporis. Determinat enim de hoc in libro de causa motus animalium. In hoc enim libro intendit determinare de anima secundum se.

 

 

 

 

[81115] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 15Deinde cum dicit nunc autem summarie determinat de organo motus localis: et dicit, in summa, quod primum movens organice oportet tale esse, ut in eodem sit et principium et finis motus, sicut in quadam circulatione, in qua est gibbosum et concavum, quorum unum est quasi finis, et aliud quasi principium. Nam concavum est sicut finis, gibbosum autem videtur esse sicut principium motus. Secundum concavitatem enim contrahitur in seipso, secundum gibbositatem vero attenditur eius dilatatio, prout ab ipso fit principium motus et pulsus.

 

 

[81116] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 16Et quia in ipso est principium motus et finis; principium autem motus oportet esse immobile in unoquoque motu, sicut cum movetur manus quiescit brachium, et cum movetur brachium quiescit humerus, et sicut omnis motus ab aliquo immobili procedit; oportet quod in ipso organo motus quod est cor, sit aliquid quiescens, inquantum est principium motus, et aliud quod movetur, inquantum motus terminatur ad ipsum. Et haec duo in ipso, scilicet quiescens et motum sunt diversa ratione, licet subiecto et magnitudine sint abinvicem inseparabilia.

 

 

 

 

 

[81117] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 17Et quod oporteat id esse principium motus et finis, et per consequens quiescens et mobile, manifestum est ex hoc, quod omnis motus animalis componitur ex pulsu et tractu. In pulsu autem id quod est movens, est tantum principium motus, quia pellens elongat a se id quod pellitur. Sed in tractu id quod movet est terminus motus, quia trahens ad se movet id quod trahitur. Et propter hoc oportet quod primum organum motus localis in animali, sit et ut principium motus, et ut terminus.

 

 

 

 

[81118] Sentencia De anima, lib. 3 l. 15 n. 18Et ideo oportet quod in eo sit aliquid manens, et tamen quod hinc incipiat motus, sicut apparet in motu circulari. Nam corpus quod circulariter movetur, propter immobilitatem centri et polorum, non mutat totaliter locum, nisi forte ratione; sed secundum totum manet in eodem loco secundum subiectum; partes autem variant locum subiecto, et non ratione tantum: sic etiam est in omni motu cordis. Nam cor in eadem parte corporis confixum manet, sed movetur secundum dilatationem et constrictionem, ut causet motum pulsus et tractus; et sic quodammodo est mobile, et quodammodo quiescens.

Leçon  15

818. Après avoir mené une recherche dialectique sur le principe du mouvement local chez les animaux, le Philosophe établit ici la vérité. Et en premier lieu il manifeste, dans l’universel, quel est le principe du mouvement local. En deuxième lieu, il manifeste comment ce principe se rencontre diversement chez divers êtres, là où il dit : « Donc, en général, ainsi que nous l’avons dit, etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu, il montre quel est le principe du mouvement chez les animaux. En deuxième lieu, il enseigne l’ordre suivant lequel ce mouvement s’accomplit quant aux moteurs et aux mobiles, là où il dit : « Le principe moteur sera spécifiquement un etc. » Au sujet du premier point, il fait trois choses. En premier lieu il dit qu’il existe deux principes de mouvement. En deuxième lieu, il les ramène à un seul, là où il dit : « L’intelligence qui raisonne en vue d’un but etc. ». En troisième lieu, il résout l’objection présentée plus haut, là où il dit : « Mais puisqu’il se produit des appétits contraires les uns aux autres etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’une fois que nous avons considéré ce qui vient d’être dit, puisqu’il est manifeste  que la partie végétative n’est pas le principe moteur et que le sens ne l’est pas davantage puisque ce ne sont pas tous les animaux qui possèdent les sens qui se trouvent à être mûs, comme on le voit par ce qui précède (nn. 808-811), il semble donc qu’il existe deux puissances motrices, l’appétit et l’intelligence : de telle manière cependant que l’imagination soit comprise dans l’intelligence, parce qu’elle aussi est principe de mouvement, du fait qu’elle présente quelque chose de semblable à l’intelligence dans la mesure où elle meut, comme l’intelligence, en l’absence des sensibles.

819. En effet, il y a plusieurs hommes dont les mouvements suivent leur imagination parce qu’ils ont détourné leur intelligence de la science, comme ceux qui n’agissent pas selon la raison mais plutôt en se laissant emporter par leurs passions. Et chez les autres animaux il est manifeste qu’on ne retrouve ni intelligence ni raison qui puisse les mouvoir, mais seulement l’imagination. Mais chez l’homme, on retrouve à la fois l’imagination et l’intelligence. Il est donc clair que ces deux puissances, à savoir l’intelligence qui comprend l’imagination d’une part et l’appétit d’autre part,  sont principes de mouvement.

820. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais l’intelligence qui raisonne en vue d’un but etc. », il ramène ces deux principes à un seul. Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il manifeste son propos. En deuxième lieu, à partir de ce qui est manifesté, il assigne la cause d’un accident en rapport avec le mouvement des animaux, là où il dit : « Donc, toute intelligence est droite etc. ». En troisième lieu, il réfute la division des puissances présentée par les Anciens, là où il dit : « Mais quant à ceux qui divisent l’âme etc. ». Il dit donc en premier lieu que l’intelligence qui meut est celle qui raisonne en vue d’un but et non celle qui raisonne seulement en vue de raisonner : et cette intelligence est l’intelligence pratique qui diffère par la fin de l’intelligence spéculative. En effet, l’intelligence spéculative examine la vérité non pas en vue d’autre chose, mais uniquement en vue d’elle-même, alors que l’intelligence pratique examine la vérité en vue d’une opération.

821. Et il est manifeste que tout appétit aussi est ordonné à quelque chose. Il serait en effet stupide de dire qu’on désire seulement pour désirer, car le désir ou l’appétit est essentiellement un mouvement qui tend vers autre chose. Car ce sur quoi porte l’appétit, c’est-à-dire l’objet même de l’appétit, est le principe de l’intelligence pratique. En effet, l’objet premier de l’appétit, c’est la fin qui est le point de départ de la considération de l’intelligence pratique. En effet, lorsque nous voulons délibérer sur ce qu’il faut faire, nous supposons en tout premier lieu la fin, et ensuite nous procédons par ordre à la recherche des moyens qui sont ordonnés à la fin : en procédant ainsi, nous allons toujours de ce qui est dernier à ce qui est premier, jusqu’à ce que nous parvenions à ce qu’il faut faire en premier dans l’action. Et c’est ce qu’ajoute Aristote lorsqu’il dit que le dernier terme de l’opération de l’intelligence pratique est le principe ou le commencement de l’action, c’est-à-dire le point de départ de l’action. C’est pourquoi il apparaît raisonnable de dire que ces deux puissances, à savoir l’appétit et l’intelligence pratique, sont les deux principes du mouvement. En effet, parce que l’objet de l’appétit, le désirable, lequel est le premier objet considéré par l’intelligence pratique, meut, c’est pour cette raison que nous disons de l’intelligence pratique qu’elle meut : c’est-à-dire parce que son principe, qui est l’objet de l’appétit, meut.

822. Et ce qui est dit ici de l’intelligence, il faut l’entendre aussi de l’imagination : car lorsque l’imagination meut, elle ne meut pas sans l’appétit. En effet, l’imagination ne meut qu’en tant qu’elle représente un objet désirable, comme c’est le cas aussi pour l’intelligence.

823. À la fin, il semble donc qu’il n’existe qu’un seul principe moteur, à savoir l’objet désirable : c’est lui en effet qui meut l’appétit et qui est le principe de l’intelligence pratique, alors que nous disions de ces deux dernières puissances qu’elles sont les principes moteurs.

824. Et il est raisonnable de dire que ces deux puissances motrices se ramènent à un seul principe, l’objet désirable : parce que si on affirmait que ces deux puissances, l’appétit et l’intelligence, sont des principes moteurs par rapport à un seul et même mouvement, puisque pour un seul et même effet il n’y a qu’une seule cause propre, il serait nécessaire que ces deux puissances meuvent en raison d’un caractère commun. Mais il ne faut pas dire que l’appétit meut sous la forme de l’intelligence, mais plutôt, au contraire, que l’intelligence ne se trouve pas à mouvoir sans l’appétit parce que la volonté, selon laquelle l’intelligence meut, est un certain appétit.

825. Et le Philosophe en donne la raison dans un autre ouvrage [Métaphysique, L. 8, ch. 5], car puisque la raison de la science pratique se porte vers les opposés, elle ne peut mouvoir vers un seul des opposés que si elle est déterminée par l’appétit. Or, l’appétit peut mouvoir sans la raison comme on peut le voir chez les êtres qui sont mus par concupiscence. En effet, la concupiscence est un certain appétit. Et ce qu’il dit, il le manifeste plutôt par la concupiscence que par la colère, car la colère, contrairement à la concupiscence, participe en quelque sorte de la raison, comme le prouve le Philosophe [Éthique, L. 7, ch. 6]. Par conséquent, il est clair que les puissances motrices se ramènent à un seul et même principe : l’objet désirable.

826. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais toute intelligence est droite etc. », le Philosophe, en s’appuyant sur ce qui précède, donne la raison d’un accident en rapport avec le mouvement ou l’action : c’est-à-dire qu’il montre pourquoi nous nous trompons dans nos mouvements et nos actions. Et il dit que « toute intelligence est droite », en l’entendant de l’intelligence des principes. En effet, nous ne pouvons nous tromper par rapport aux premiers principes de l’action, par exemple ceux qui commandent qu’il ne faut nuire à personne, qu’il ne faut rien faire d’injuste, et d’autres principes semblables. De la même manière nous ne pouvons nous tromper relativement aux premiers principes de l’intelligence spéculative. Mais la rectitude de ce qui est connu après les principes, si on y pense correctement, procède de celle qui est dans les premiers principes. Et si alors nous nous écartons de cette rectitude, cela tient à une erreur qui se produit dans le raisonnement. Mais l’appétit et l’imagination, qui eux aussi meuvent, peuvent s’accompagner ou non de rectitude. C’est pourquoi il nous arrive de manquer de rectitude dans nos actions, dans la mesure où nous nous éloignons de l’intelligence et de la raison. D’où il est clair, en nous appuyant sur ce qui a été dit, que c’est toujours l’objet désirable qui meut.

827. Mais cet objet désirable est soit un bien véritable, lorsqu’on persiste dans le jugement de l’intelligence droite, soit un bien apparent lorsqu’il s’éloigne du jugement de l’intelligence droite, à cause de l’appétit ou de l’imagination. Mais ce n’est pas tout bien qui est désirable et qui meut, mais seulement le bien pratique, à savoir le bien appliqué à l’opération, et ce bien est celui qui peut être autrement, comme tout ce qui entre dans nos actions. C’est pourquoi le bien ultime et nécessaire, considéré dans son universalité, ne meut pas. Il est donc manifeste que c’est cette puissance de l’âme, qu’on appelle l’appétit, qui meut.

828. Ensuite, lorsqu’il dit : « Quant à ceux qui divisent l’âme etc. », le Philosophe rejette ce que les Anciens disaient au sujet de la distinction des puissances motrices. Et il dit à ce sujet que ceux qui divisent les parties de l’âme en rationnelle, irascible et concupiscible, s’ils cherchent à diviser l’âme en puissances distinctes les unes des autres, il s’en trouvera bien davantage que ce qu’ils prétendent : on retrouvera en effet la puissance végétative, la sensitive, l’intellectuelle, la délibérative et enfin l’appétitive. Aristote distingue ici la puissance délibérative de la puissance appétitive tout comme il distingue ailleurs [Éthique, L. 6, ch. 3-4] la partie rationnelle qui a pour objet le contingent de la partie scientifique qui a pour objet le nécessaire, pour la raison qui y est abordée. Or, ces parties de l’âme diffèrent davantage entre elles que le concupiscible ne diffère de l’irascible, lesquels sont contenus dans l’appétit sensible ; c’est pourquoi les parties de l’âme sont plus nombreuses que ce qu’ils prétendaient.

829. Ensuite, lorsqu’il dit : « Et puisqu’il se produit des appétits contraires etc. », le Philosophe écarte une objection présentée plus haut qui tendait à montrer que l’appétit ne meut pas du fait que les continents ne suivent pas leurs appétits. Et il résout ce raisonnement car chez l’homme il existe des appétits contraires, et les continents suivent l’un d’eux mais s’opposent aux autres. Aristote dit donc que parce qu’il peut se produire dans l’homme des appétits contraires les uns aux autres, ce fait est possible lorsque la raison s’oppose à la concupiscence : et cela « se produit », c’est-à-dire arrive « chez les êtres qui ont le sens du temps », c’est-à-dire chez ceux qui connaissent non seulement ce qui existe dans le présent, mais qui considèrent aussi le passé et le futur : car l’intelligence commande parfois de résister à un objet désirable en considération du futur, comme lorsque celui qui a la fièvre voit, par le jugement de son intelligence, qu’il doit s’abstenir de boire du vin afin de ne pas faire monter la fièvre. Mais la concupiscence pousse à accepter le vin « pour lui-même absolument », c’est-à-dire à cause de l’objet qui existe dans le présent : en effet, ce qui est délectable dans le présent apparaît comme délectable absolument et comme bon absolument du fait qu’on ne considère pas le futur.

830. Ensuite, lorsqu’il dit : « Le principe moteur doit donc être spécifiquement un etc. », il montre l’ordre du mouvement. Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il montre comment les moteurs sont un et comment ils sont multiples. En deuxième lieu, il montre comment ils sont ordonnés entre eux, là où il dit : « Mais puisque tout mouvement suppose trois facteurs etc. ». En troisième lieu, il détermine sommairement, au sujet de chacun d’eux, certaines choses qui sont requises au mouvement, là où il dit : « Mais maintenant, qu’il suffise de dire d’une façon sommaire etc. ». Il dit donc en premier lieu que si l’on considère les moteurs formellement et spécifiquement, il n’y aura qu’un seul moteur, c’est-à-dire l’objet désirable ou la puissance appétitive car parmi tous les moteurs, le premier est l’objet désirable : en effet, c’est lui qui meut sans être mû, du seul fait qu’il est imaginé ou conçu. Il est manifeste en effet que les moteurs seconds ne meuvent que parce qu’ils participent du moteur premier. C’est pourquoi tous les moteurs se rencontrent dans l’espèce du premier moteur. Mais bien que tous les moteurs se rencontrent dans l’espèce du premier moteur, et soient un par l’espèce, ils demeurent cependant multiples par le nombre.

831. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais puisque tout mouvement etc. », il montre l’ordre du mouvement, et il dit qu’il y a trois choses qu’on retrouve en tout mouvement : la première est le moteur, la seconde est l’instrument par lequel le moteur meut et la troisième est ce qui est mû. Mais, à son tour, le moteur est double : le premier est certes immobile et le second est le moteur qui est mû. Donc, dans le mouvement de l’animal, le moteur qui n’est pas mû est le bien actuel qui meut l’appétit en tant qu’il est imaginé ou conçu. Quant au moteur qui est mû, c’est l’appétit lui-même, car tout ce qui désire, en tant qu’il désire, est mû, et désirer est en soi un acte ou un mouvement, pourvu qu’on entende par mouvement l’acte de ce qui est parfait, en tant qu’on l’attribue à l’opération du sens et de l’intelligence. Enfin, ce qui est mû, c’est l’animal lui-même. Or, l’instrument par lequel l’appétit meut est quelque chose de corporel, à savoir ce qui est le premier instrument du mouvement ; c’est pourquoi il faut considérer de tels instruments dans les opérations qui sont communes à l’âme et au corps. Le Philosophe traite en effet de cela dans un autre ouvrage [De la Cause du Mouvement des Animaux, ch. 6], alors que dans ce livre-ci il se propose de traiter de l’âme en elle-même.

832. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais maintenant, etc. », il traite sommairement de l’instrument du mouvement local, et dit en résumé que le premier moteur doit être organiquement tel que le commencement et le terme du mouvement se retrouvent en lui, comme dans une jointure, dans laquelle on retrouve le convexe et le concave, dont l’un est comme le terme et l’autre le commencement. Car le concave est comme le terme, alors que le convexe semble être comme le commencement du mouvement. C’est selon la concavité en effet que la jointure se contracte sur elle-même, et c’est selon la convexité que se vérifie sa dilatation en tant que c’est par elle que s’effectue le commencement et l’ébranlement du mouvement.

833. Et parce que dans le premier moteur on retrouve le commencement et le terme du mouvement, et que dans tout mouvement le commencement ou le point de départ du mouvement doit être immobile, comme lorsque la main se meut, le bras reste au repos, et lorsque le bras se meut l’humérus reste au repos ; et comme tout mouvement procède de quelque chose d’immobile, il faut donc que dans l’instrument même du mouvement, à savoir le cœur, il y ait quelque chose d’immobile, en tant que point de départ du mouvement, et quelque chose d’autre qui est mû, en tant que c’est à lui que se termine le mouvement. Et ces deux aspects de l’instrument ou de l’organe, à savoir ce qui est au repos et ce qui est en mouvement, diffèrent par la raison bien qu’ils soient inséparables l’un de l’autre par le sujet et la grandeur.

834. Et qu’il soit nécessaire que l’instrument du mouvement soit le commencement du mouvement et son terme, et par conséquent qu’il soit au repos et en mouvement, cela est manifeste du fait que tout mouvement de l’animal se compose d’une poussée et d’une traction. Or, dans la poussée, ce qui meut est seulement le point de départ du mouvement, car ce qui pousse éloigne de lui ce qui est poussé. Dans la traction, au contraire, ce qui meut est le terme du mouvement car celui qui tire meut vers lui ce qui est tiré. Et c’est pour cette raison qu’il faut que le premier instrument du mouvement local chez l’animal soit à la fois comme le point de départ et le terme du mouvement.

835. C’est pourquoi il faut qu’il y ait en lui, comme on le voit dans un mouvement circulaire, un point en repos d’où parte le mouvement. Car le corps qui se meut circulairement, à cause de l’immobilité du centre et des pôles, ne change pas totalement de lieu, si ce n’est peut-être par la raison. Mais en tant que tout, il demeure dans le même lieu  comme sujet ; les parties changent cependant de lieu par le sujet et non par la raison seulement : et il en va de même pour tout mouvement du cœur. En effet, le cœur demeure fixé dans la même partie du corps, mais se meut par contraction et dilatation pour causer les mouvements de poussée et de traction : par conséquent, il est en un sens mobile, en un autre sens au repos.

 

 

 

LECTIO 16

[81119] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 1Postquam philosophus determinavit de principio motivo secundum localem motum in communi et secundum se, nunc determinat de ipso per comparationem ad diversa genera animalium. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quid sit commune omnibus animalibus participantibus motum. Secundo quomodo principium motivum inveniatur in animalibus imperfectis, ibi, considerandum autem de imperfectis. Tertio ostendit quomodo hoc principium motus sit in animali perfectissimo, quod est homo, differenter ab aliis animalibus, ibi, sensibilis quidem. Dicit ergo primo, quod omne animal inquantum est appetitivum, sic est suiipsius motivum. Nam appetitus est causa propria motus. Sed appetitivum non est sine phantasia, quae est vel rationalis, vel sensibilis. Sensibili autem phantasia, alia animalia ab homine participant, non autem rationali phantasia.

 

 

 

 

 

[81120] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 2Considerandum autem est, quod sicut supra dictum est, sicut sub intellectu phantasiam comprehendit, ita etiam phantasiam usque ad intellectum extendit, sequens nominis rationem. Nam phantasia apparitio quaedam est: apparet autem aliquid et secundum sensum et secundum rationem. Phantasia etiam habet suam operationem in absentia sensibilium, ut ratio et intellectus.

 

[81121] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 3Deinde cum dicit considerandum autem ostendit quid sit principium motus in animalibus imperfectis. Et dicuntur animalia imperfecta, quibus inest solum sensus tactus. Et dicit, quod considerandum est quid moveat ea; utrum scilicet in eis sit phantasia et concupiscentia, vel non. Videtur autem, quod in eis sit concupiscentia, quia in eis videtur esse laetitia et tristitia. Retrahunt enim se, cum ab aliquo nocivo tanguntur, et aperiunt se et extendunt in illud quod est eis conveniens; quod non fieret, nisi in eis esset dolor et delectatio. Si haec autem sunt in eis, necessarium est quod in eis sit concupiscentia. Sed cum concupiscentia ex sensu fiat delectationis, sequitur quod concupiscentia non sit sine phantasia.

 

[81122] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 4Restat ergo quaerendum, quomodo in eis sit phantasia. Et respondet quod sicut moventur, ita inest huiusmodi animalibus et phantasia et concupiscentia. Moventur autem non determinate, quasi intendentia aliquem determinatum locum, in suo motu, sicut accidit in animalibus quae moventur motu processivo, quae imaginantur aliquid distans, et illud concupiscunt et ad illud moventur. Sed huiusmodi animalia imperfecta non imaginantur aliquid distans, quia nihil imaginantur nisi ad praesentiam sensibilis. Sed cum laeduntur imaginantur illud ut nocivum, et retrahunt se; et cum delectantur, extendunt se super illud, et applicant se illi. Et sic in eis est phantasia vel concupiscentia indeterminata, inquantum imaginantur et concupiscunt aliquid ut conveniens non autem ut hoc aut illud, hic aut ibi; sed habent confusam imaginationem et concupiscentiam.

 

 

 

 

[81123] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 5Deinde cum dicit sensibilis igitur ostendit quod principium motivum sit in hominibus. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit, quomodo principium movens in hominibus est ratio deliberans. Secundo quomodo aliquando deliberatio rationis per appetitum vincitur, ibi, vincit autem. Tertio ostendit quae ratio sit movens, ibi, scientificum autem. Dicit ergo primo, quod phantasia sensibilis, ut ex dictis patet, est etiam in aliis animalibus; sed illa, quae est per deliberationem, est tantum in rationalibus; quia considerare utrum hoc sit agendum, aut hoc quod est deliberare, opus est rationis.

 

 

 

 

[81124] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 6Et in tali consideratione necesse est accipere aliquam unam regulam, vel finem, vel aliquid huiusmodi, ad quod mensuretur quid sit magis agendum. Manifestum est enim quod homo, imitatur, idest desiderat, id quod est magis in bonitate, et id quod est melius: melius autem semper diiudicamus aliqua mensura: et ideo oportet accipere aliquam mensuram in deliberando quid magis sit agendum. Et hoc est medium ex quo ratio practica syllogizat quid sit eligendum. Unde manifestum est, quod ratio deliberans potest ex pluribus phantasmatibus unum facere, scilicet ex tribus, quorum unum praeeligitur alteri, et tertium est quasi mensura, quae praeelegit.

 

 

[81125] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 7Et haec est causa, quare animalia non habent opinionem, licet habeant phantasiam; quia non possunt uti syllogismo, per quem unum praeeligant alteri. Sed deliberatio rationis habet illam, scilicet opinionem, alias non faceret ex pluribus phantasmatibus unum. Et inde est, quod appetitus inferior, qui sequitur phantasiam, non habet deliberationem, sed absque deliberatione movetur ad concupiscendum vel irascendum, quia scilicet sequitur phantasiam sensibilem.

 

 

 

[81126] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 8Deinde cum dicit vincit autem ostendit quomodo deliberatio rationis vincatur ab appetitu inferiori; et dicit quod appetitus inferior, qui est sine deliberatione, vincit deliberationem, et removet hominem ab eo quod deliberavit. Aliquando e converso appetitus movet appetitum, scilicet superior, qui est rationis deliberantis, eum qui est phantasiae sensibilis, sicut in corporibus caelestibus, sphaera superior movet inferiorem; quod accidit cum aliquis continens fuerit. Continentis enim est, per deliberationem rationis vincere passiones.

 

 

[81127] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 9Et iste est naturalis ordo, ut superior appetitus moveat inferiorem; quia etiam in corporibus caelestibus naturaliter sphaera superior principalior est et movet inferiorem, ita quod inferior movetur tribus motibus localibus. Sicut sphaera Saturni movetur et motu diurno, qui est super polos mundi, et motu contrario, qui est super polos zodiaci, et praeter hoc motu proprio. Et similiter appetitus inferior, etsi aliquid de motu proprio retineat, movetur tamen naturali ordine, motu appetitus superioris, et motu rationis deliberantis. Si autem e converso accidit, quod appetitus superior transmoveatur ab inferiori, hoc est praeter ordinem naturalem. Unde et hoc facit peccatum in moribus, sicut peccata sunt monstra in natura.

 

 

 

 

[81128] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 10Deinde cum dicit scientificum autem ostendit quae ratio sit movens. Et primo sciendum est quod ratio speculativa, quam appellat scientificam, non movet, sed in quiete est, quia nihil de imitando vel fugiendo dicit, ut supra dictum est. Ratio autem practica, quaedam est universalis, et quaedam particularis. Universalis quidem, sicut quae dicit, quod oportet talem tale agere, sicut filium honorare parentes. Ratio autem particularis dicit quod hoc quidem est tale, et ego talis, puta quod ego filius, et hunc honorem debeo nunc exhibere parenti.

 

 

 

 

[81129] Sentencia De anima, lib. 3 l. 16 n. 11Haec autem iam opinio movet, sed non autem illa quae est universalis. Aut si utraque movet, illa quae est universalis, movet ut causa prima et quiescens, particularis vero ut causa proxima, et quodammodo motui applicata. Nam operationes et motus in particularibus sunt; unde oportet ad hoc quod motus sequatur, quod opinio universalis ad particularia applicetur. Et propter hoc etiam peccatum in actionibus accidit, quando opinio in particulari operabili corrumpitur propter aliquam delectationem, vel propter aliquam aliam passionem, quae talem universalem opinionem non corrumpit.

Leçon  16

836. Après avoir traité, selon le mouvement local, du principe moteur en général et en lui-même, le Philosophe en traite maintenant relativement à divers genres d’animaux. Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il montre ce qu’il y a de commun à tous les animaux qui participent du mouvement. En deuxième lieu il montre comment le principe moteur se retrouve dans les animaux imparfaits, là où il dit : « Mais il faut considérer aussi les animaux imparfaits etc. ». En troisième lieu il montre comment ce principe de mouvement se retrouve dans l’animal le plus parfait, à savoir l’homme, autrement que dans les autres animaux, là où il dit : « Donc, l’imagination sensitive etc. ». Il dit donc en premier lieu que tout animal, en tant qu’il est doté de la puissance appétitive, est pour lui-même son propre moteur. En effet, la cause propre du mouvement est l’appétit. Or, la puissance appétitive n’existe pas sans l’imagination, laquelle est soit rationnelle, soit sensible. Mais les animaux autres que l’homme participent de l’imagination sensible et non de l’imagination rationnelle.

837. Mais il faut considérer, comme il a été dit plus haut (nn. 818-819), que tout comme Aristote inclut l’imagination dans l’intelligence, de même il étend l’imagination jusqu’à l’intelligence, suivant en cela la signification du nom. En effet, l’imagination est une certaine apparition ou manifestation : or, quelque chose peut apparaître soit selon le sens, soit selon la raison. En effet, l’imagination aussi accomplit son opération en l’absence des réalités sensibles, tout comme la raison et l’intelligence.

838. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais il faut aussi considérer etc. », il montre quel est le principe de mouvement chez les animaux imparfaits. Et on appelle ici animaux imparfaits ceux auxquels n’appartient que le sens du toucher. Et il dit qu’il faut examiner ce qui les meut : c’est-à-dire, est-ce qu’il y a aussi en eux l’imagination et l’appétit, ou non ? Or, il semble qu’il y ait en eux de l’appétit, puisqu’on semble trouver en eux du plaisir et de la douleur. En effet, ils se semblent se retirer lorsqu’ils entrent en contact retirent lorsqu’ils sont touchés par un objet nuisible, et on les voit s’ouvrir et s’étendre vers ce qui leur convient : or, cela ne se produirait pas s’il n’y avait pas en eux de la douleur et du plaisir. Et si ces affections existent en eux, il est nécessaire qu’il y ait en eux de l’appétit. Mais puisque l’appétit naît de la sensation du plaisir, il s’ensuit qu’il n’y a pas appétit sans imagination.

839. Il reste donc à se demander comment l’imagination existe en eux. Et Aristote répond que l’imagination et l’appétit leur appartient de la même manière que leur appartient le mouvement. Or, ces animaux imparfaits se meuvent d’une manière qui n’est pas déterminée, contrairement à ceux qui recherchent, dans leur mouvement, un lieu déterminé, comme on le voit chez ceux qui, dans la progression de leur mouvement, imaginant un objet désirable mais éloigné, le désirent et se dirigent vers lui. Au contraire, les animaux imparfaits n'imaginent pas un objet éloigné, car ils n’imaginent que les objets qui sont présents à leur sens. Et lorsqu’ils sont blessés par un objet, ils l’imaginent comme étant nuisible et ils se retirent ; et lorsqu’ils éprouvent du plaisir en présence d’un objet, ils s’étendent sur lui et s’y attachent. C’est ainsi qu’on retrouve en eux une imagination et un appétit indéterminés, en tant qu’ils imaginent et désirent quelque chose comme convenable, mais non pas en tant qu’il est ceci ou cela, ici ou là ; au contraire, ils ont une imagination et un appétit indéterminés.

840. Ensuite, lorsqu’il dit : « L’imagination sensible est donc etc. », il montre qu’il y a dans l’homme un principe moteur. Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu, il montre que dans l’homme le principe moteur est la raison qui délibère. En deuxième lieu il montre comment il arrive parfois que la raison délibérante soit vaincue par l’appétit, là où il dit : « Or, l’appétit irrationnel vainc parfois etc. ». En troisième lieu, il montre quelle raison est motrice, là où il dit : « Mais l’intelligence scientifique etc. ». Il dit donc en premier lieu que l’imagination sensible, comme nous l’avons vu précédemment (nn. 657 ; 838), existe aussi chez les autres animaux ; mais celle qui s’accomplit par une délibération n’existe que chez les êtres rationnels : en effet, examiner si cela doit être fait ou non, ce qui revient à délibérer, cela est l’œuvre de la raison.

841. Et pour un tel examen il est nécessaire d’admettre une règle, une fin, ou quelque chose de la sorte qui serve de mesure pour déterminer ce qu’il est préférable de faire. Il est manifeste en effet que l’homme « imite », c’est-à-dire désire ce qui possède plus de bonté et ce qui est meilleur : or, c’est par une mesure que nous jugeons de ce qui est meilleur ; et c’est pourquoi il faut admettre une mesure lorsque nous délibérons de ce qu’il est préférable de faire. Et cela tient lieu de moyen terme à partir duquel la raison pratique syllogise ce qui doit être choisi. Il est manifeste à partir de là que la raison qui délibère peut faire une chose unique à partir de trois représentations, c’est-à-dire à partir de trois composantes, dont l’une est préférée à une autre, et dont la troisième est comme la mesure qui la fait préférer.

842. Et telle est la cause pour laquelle les autres animaux ne sont pas capables d’opinion, bien qu’ils possèdent une imagination, parce qu’ils ne sont pas capables de former un syllogisme qui les rendrait capables de préférer une chose à une autre. Mais la délibération de la raison donne cette capacité, à savoir celle d’avoir une opinion ; autrement, elle ne parviendrait pas à faire une seule chose à partir de plusieurs représentations. C’est ce qui explique que l’appétit inférieur, qui est consécutif à l’imagination, ne s’accompagne pas de délibération, mais se meut sans délibération vers l’objet du désir ou de la colère, parce qu’il suit l’imagination sensible.

843. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais il arrive parfois que l’appétit inférieur etc. », il montre comment il arrive parfois que l’appétit inférieur l’emporte sur la délibération de la raison. Et il dit que l’appétit inférieur, qui est sans délibération, vainc la délibération et éloigne l’homme de ce qu’il a délibéré. Mais parfois, au contraire, c’est cet appétit, c’est-à-dire l’appétit qui est supérieur et qui appartient à la raison qui délibère, qui vainc l’appétit qui appartient à l’imagination sensible, tout comme parmi les corps célestes, la sphère supérieure meut la sphère inférieure. C’est ce qu’on observe en effet chez celui qui est continent, car il appartient à celui qui est continent de vaincre ses passions par la délibération de la raison.

844. Et que l’appétit supérieur meuve l’appétit inférieur, cela est conforme à l’ordre de la nature, car même dans les corps célestes, la sphère supérieure est naturellement première et meut les sphères inférieures de telle manière que ces dernières soient mues par trois mouvements locaux. Par exemple la sphère de Saturne est mue à la fois par le mouvement diurne, qui est au-dessus des pôles du monde, par le mouvement contraire, qui est au-dessus des pôles du Zodiaque, et enfin par son mouvement propre. De la même manière l’appétit inférieur, bien qu’il retienne quelque chose de son mouvement propre, est cependant mû, selon un ordre naturel, par le mouvement de l’appétit supérieur et par celui de la raison qui délibère. Mais s’il arrive au contraire que l’appétit supérieur soit transporté ou dominé par l’appétit inférieur, cela est contraire à l’ordre de la nature. Et cela entraîne des fautes dans les comportements tout comme les monstres sont des fautes contre la nature.

845. Ensuite, lorsqu’il ajoute : « Mais l’intelligence scientifique etc. », il montre quelle est la raison qui meut. Et en premier lieu il faut savoir que la raison spéculative, qu’il appelle scientifique, ne meut pas mais demeure au repos, car elle ne dit rien de ce qui doit être recherché ou fui, comme nous l’avons dit plus haut (n. 813). Mais la raison pratique est en partie universelle et en partie particulière. La raison universelle est celle par exemple qui dit qu’il est nécessaire à tous ceux qui possèdent telle qualité d’agir de telle manière, comme il est nécessaire aux enfants d’honorer leurs parents. La raison particulière est celle qui dit que tel est le cas maintenant et que, par exemple, je possède telle qualité, à savoir que je suis un enfant, et que je dois maintenant manifester cet honneur à mes parents.

846. Or, c’est ce dernier jugement qui imprime le mouvement et non celui qui est universel. Ou bien, si l’on dit que les deux jugements mettent en mouvement, celui qui est universel meut à la manière d’une cause première qui est en repos, alors que celui qui est particulier meut à la manière d’une cause prochaine qui est en quelque sorte appliquée au mouvement. Car les opérations et les mouvements s’accomplissent dans le particulier : il en résulte que pour qu’un mouvement s’ensuive, il faut que le jugement universel s’applique aux particuliers. Et c’est pour cette raison aussi que surviennent des fautes dans les actions, à savoir lorsque le jugement qui porte sur ce qui doit être fait dans le particulier est corrompu à cause d’un plaisir ou d’une autre passion qui ne corrompt pas par ailleurs le jugement universel.

 

 

 

LECTIO 17

[81130] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 1Postquam philosophus determinavit de singulis partibus animae, hic ostendit quomodo adinvicem ordinantur. Et primo ostendit, quod necesse est animae partem vegetabilem in omnibus viventibus inveniri. Secundo ostendit quod sensitiva non est in omnibus, sed in aliquibus, ibi, sensum autem non necesse. Dicit ergo primo, ex his quae supra de partibus animae determinata sunt, concludens, quod omne quod vivit, et per consequens quamcumque partem animae habens, necesse est quod habeat animam vegetabilem a principio suae generationis usque ad suam corruptionem. Ex quo innuit hoc esse in animalibus, quae generantur et corrumpuntur, intelligendum.

 

[81131] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 2Hoc autem probat sic: quia necesse est quod omne vivens quod generatur, habeat augmentum et statum et decrementum: sed haec non possunt accidere sine alimento, quia tempore augmenti oportet quod plus de alimento convertatur, quam sufficiat ad conservationem praeexistentis magnitudinis: tempore autem status, aequaliter; sed tempore diminutionis, minus. Cum igitur uti alimento pertineat ad partem vegetabilem, necesse est quod haec pars animae sit in omnibus viventibus, quae generantur et corrumpuntur. Et sic patet ordo istius partis animae ad alias partes animae; quia omnes aliae praesupponunt istam.

 

 

 

 

 

[81132] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 3Deinde cum dicit sensum autem ostendit quomodo se habeat pars sensitiva ad viventia. Et primo ostendit quod non est in omnibus viventibus. Secundo ostendit in quibus viventibus sit, ibi, animal autem necesse. Dicit ergo primo, quod non est necessarium quod omnia viventia habeant sensum, quia sensus tactus (sine quo nullus alius potest esse, et per consequens neque aliquod animal, cuius ratio perficitur ex hoc quod habet sensum) esse non potest in aliquo corpore simplici, quia organum sensus tactus necesse est esse in quadam medietate inter contraria, ut supra ostensum est: quod nulli corpori simplici convenit, cum in corporibus simplicibus sint excellentiae qualitatum sensibilium, puta in igne excellentia calidi, in aqua, excellentia frigidi.

 

 

 

 

 

 

 

[81133] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 4Similiter etiam quaecumque non sunt susceptiva specierum sine materia, non habent sensum. Nam sensus est susceptivus specierum sine materia, ut supra dictum est. Sunt autem quaedam viventia, scilicet plantae, quae sunt propinqua corporibus simplicibus propter earum terrestreitatem, et non recipiunt species sensibilium, nisi per materialem immutationem; non ergo omnia viventia habent sensum.

[81134] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 5Deinde cum dicit animal autem ostendit quod omnia animalia habent sensum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit hoc de animalibus quae moventur motu processivo. Secundo simpliciter de omnibus animalibus, ibi, at vero. Circa primum duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo excludit quoddam per quod posset suae rationi obviari, ibi, non potest autem corpus. Dicit ergo primo, quod necesse est quod animal sensum habeat. Ad quod probandum proponit, primo quod natura nihil facit frustra: quia omnia, quae sunt in natura, sunt propter aliud, idest proveniunt ex necessitate ex his, quae propter aliquid sunt. Sicut natura facit membra propter aliquas operationes. Sed ex hoc quod membra sunt talis dispositionis, sequitur quod habeant aliqua accidentia, sicut quod habeant pilositates quasdam, vel colores, vel corruptiones, quae non sunt propter finem, sed magis proveniunt ex necessitate materiae. Sic igitur, cum natura operetur propter aliquid, si res naturales non possent pervenire ad finem, quem natura intendit, essent frustra.

 

 

 

 

 

 

 

[81135] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 6Sed natura fecit corpus processivum, id est animalis quod potest moveri motu processivo, sic organizatum et dispositum, propter motum, et ut per motum ulterius prosequeretur alimentum, per quod conservaretur in esse. Hoc autem non posset esse, si non haberet sensum; quia non discerneret corruptibilia, quae possunt ei obviare, et sic corrumperetur, et non perveniret ad finem quem natura intendit, ut scilicet conservetur alimento, quod ex motu acquiritur. Quomodo enim alerentur, nisi quaererent alimentum per motum?

 

 

 

[81136] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 7Nec est instantia de animalibus immobilibus; quia animalibus manentibus, id est immobilibus existit adiunctum illud unde nata sunt nutriri, unde non oportet quod a remotis quaerant. Manifestum est igitur, quod si corpora processiva non haberent sensum, non possent consequi finem ad quem natura ordinavit, et ita essent frustra; quod est inconveniens.

 

 

 

[81137] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 8Deinde cum dicit non potest excludit quoddam, per quod posset obviari praedictae rationi. Posset enim aliquis dicere, quod corpus processivum potest pervenire ad finem intentum a natura discernendo corruptibilia per intellectum, etiam si non haberet sensum. Sed excludit hoc, dicens, quod corpus non existens mansivum, sed processivum, non potest habere animam, et intellectum discernentem nociva, ita quod non habeat sensum, neque si sit generabile, neque si sit ingenerabile. Et de generabili quidem ostensum est. Nam viventia generabilia habentia intellectum sunt tantum homines. Intellectus autem humanus indiget sensu, ut supra ostensum est.

 

 

 

 

 

[81138] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 9Sed quod dicit, quod neque illud quod est ingenerabile habet intellectum sine sensu, videtur esse falsum secundum opinionem Aristotelis. Nam corpora caelestia, quae ponit esse animata, habent de partibus animae, intellectum. Non habent autem sensum, cum sint corpora uniformia, non habentia distinctionem in organis, quae requiruntur ad sensum. Unde quidam sic exponunt, ut ibi terminetur sententia, ubi dicit generabile autem: ut sit sensus, quod nullum corpus non manens, non potest habere intellectum sine sensu, dummodo sit generabile. Sed quod subdit, at vero neque ingenerabile, est principium alterius sententiae: ac si dicat, quod hoc quod dictum est de corpore generabili, non sic se habet circa corpus ingenerabile, ut scilicet non possit habere intellectum sine sensu.

 

 

 

[81139] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 10Et hoc est quod subdit, quare enim non habebit. Intelligendum est magis relative quam interrogative; ut sit sensus, quod causa, quare corpus ingenerabile, scilicet corpus caeleste, non habet sensum, licet habeat intellectum, est ista: quia si haberet sensum, aut hoc esset ut exinde esset aliquid melius animae corporis, aut exinde esset melius corpori caelesti: sed neutrum horum est, quia anima corporis caelestis non magis intelligeret per sensum, quam sine sensu; intelligit enim per modum substantiarum separatarum ea quae sunt secundum se intelligibilia. Neque etiam corpus caeleste magis posset conservari in esse, propter sensum; quia non est possibile ipsum corrumpi, unde non indiget sensu ad vitandum corrumpentia. Sed ad hunc sensum non adaptatur conclusio consequens, scilicet quod nullum corpus non manens, idest non immobile, habet animam sine sensu. Nisi forte dicatur, quod haec conclusio, non sequitur ex eo quod immediate dictum est, sed ex eo quod primo fuit dictum.

 

 

 

 

 

 

[81140] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 11Quia igitur haec expositio extorta videtur, dicendum est, quod per corpus ingenerabile non intelligit corpus caeleste, sed corpora quorumdam animalium aereorum quae ponebant Platonici nominantes ea Daemones; quos quidem Apuleius Platonicus sic definit. Daemones sunt animalia corpore aerea, mente rationalia, animo passiva, tempore aeterna. Et de huiusmodi animalium corporibus vult philosophus ostendere, quod non est possibile quod habeant intellectum sine sensu, sicut Platonici posuerunt; ut interrogative legatur quod dicitur: quare enim non habebit, scilicet huiusmodi corpus sensum? Quasi dicat: non est huius rationem assignare. Si enim non habet, aut hoc est propter bonum animae, aut propter bonum corporis. Sed neutrum horum; quia sine sensu neque anima eius intelligit melius, neque corpus magis conservabitur. Et ex hoc statim directe sequitur conclusio, quam inducit, quod nullum corpus mobile habens animam, careat sensu. Apparet autem, hanc esse intentionem Aristotelis, ex hoc quod immediate subiungit, quod impossibile est aliquod corpus simplex esse corpus animalis.

 

 

 

 

[81141] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 12Deinde cum dicit at vero ostendit quod sensus sit simpliciter necessarius omni animali. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo inducit quamdam conclusionem ex dictis, ibi, manifestum igitur quoniam necesse. Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi, hoc autem ex his. Proponit autem duo: quorum primum est quod si aliquod corpus habet sensum, necesse est quod vel sit simplex, vel mistum. Et impossibile est quod sit simplex: quia si esset corpus simplex, non haberet tactum, quem quidem sensum necesse est omne animal habere, non solum animalia processiva, sed etiam animalia immobilia, sicut ostendit supra.

 

 

 

 

 

 

[81142] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 13Deinde cum dicit hoc autem probat propositum. Et primo, quod sensus tactus sit in omnibus animalibus. Secundo, quod corpus animalis non possit esse corpus simplex, ibi, quod autem possibile. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod necesse est inesse omnibus animalibus sensum tactus. Secundo, quod alii sensus a sensu tactus non insunt omnibus, ibi, alii autem propter bonum et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod necesse est tactum inesse omnibus animalibus. Secundo ostendit idem de gustu, ibi, propter quod et gustus. Dicit ergo primo, quod hoc, scilicet quod necesse sit tactum inesse omnibus animalibus, manifestum est ex his quae nunc dicentur. Animal enim est corpus animatum. Omne autem corpus, scilicet generabile et corruptibile, est tangibile; et dico tangibile, quod est sensibile tactu. Corpora autem caelestia quae sunt ingenerabilia et incorruptibilia, non sunt tangibilia. Non enim sunt de natura elementorum, ut possint habere qualitates elementares, quae sunt qualitates tangibiles. Sed omnia corpora corruptibilia necesse est habere qualitates tangibiles, cum sint vel elementa simplicia, vel ex elementis composita.

 

 

 

 

 

 

 

 

[81143] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 14Et ex hoc concludit, quod necesse est corpus animalis habere sensum tactus si debeat salvari corpus animalis; quia cum corpus animalis sit tangibile, idest habens tangibiles qualitates, et similiter corpora quae ipsum tangunt, immutari potest corpus animalis ab his quae ipsum tangunt, naturali immutatione usque ad suam corruptionem. Aliter autem est de aliis sensibus quae sentiunt per alia media, et non tangendo, sicut olfactus, visus et auditus. Unde illa sensibilia cum sint remota, non tangunt corpus animalis, nec possunt alterare ipsum ad corruptionem, sicut tangibilia. Et ideo nisi animal haberet sensum tactus, per quem discerneret convenientia a corruptivis, non posset haec fugere et illa accipere, et ita non posset salvari animal. Necessarium est igitur ad salutem animalis, quod habeat sensum tactus.

 

 

 

 

 

[81144] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 15Deinde cum dicit propter quod ostendit idem de gustu; scilicet quod gustus est sicut tactus quidam. Est enim gustus alimenti: quo scilicet discernitur alimentum, utrum sit conveniens vel non. Alimentum autem est quoddam corpus tangibile. Nutrit enim ex hoc quod est calidum, humidum, frigidum et siccum. Ex eisdem enim nutrimur ex quibus sumus. Sed sonus et color et odor nihil faciunt ad alimentum neque ad augmentum vel ad decrementum. Sapor autem confert ad alimentum, inquantum est sequela complexionis. Sic igitur patet, quod gustus est quidam tactus, quia est sensus alicuius tangibilis et vegetativi, id est nutritivi, scilicet alimenti. Et sic patet quod hi sensus necessarii sunt animali. Ex quo etiam manifestum est, quod animal non potest esse sine tactu.

 

 

 

 

 

[81145] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 16Deinde cum dicit alii autem ostendit quod alii sensus non insunt omnibus animalibus, sed quibusdam. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo manifestat quoddam quod dixerat, ibi, sicut enim movens. Dicit ergo primo, quod alii sensus, scilicet visus, auditus et olfactus, conveniunt animali non propter necessitatem, sed propter bene esse. Sed necessarium est eos inesse non cuilibet generi animalium, sed quibusdam, scilicet quae moventur motu processivo: quia si debet huiusmodi animal salvari, non solum debet sentire id quod tangit, sed debet sentire id quod est a longe, quia ad aliquid remotum movetur. Hoc autem, scilicet quod sentiat aliquid a longe, erit, si habeat sensus, qui sentiant per medium; eo quod medium patitur et movetur a sensibili, sensus autem a medio.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[81146] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 17Et hoc ostendit consequenter cum dicit sicut enim ostendit per simile in motu locali. Videmus enim quod movens secundum locum, facit permutationem usque ad aliquem determinatum locum; quia quod primo depellit, facit, ut illud depulsum, iterum depellat aliud; et sic primum depellens movet tertium per medium. Et primum quidem movens depellit, sed non depellitur; ultimum autem, ubi terminatur motus, depellitur, sed non depellit. Medium autem habet utrumque; scilicet quod depellit et depellitur; et contingit multa media esse talia. Et sicut hoc est in motu locali, ita contingit in alteratione, quod sit primum movens et ultimum motum, et medium quod sit movens et motum.

 

 

 

 

 

 

[81147] Sentencia De anima, lib. 3 l. 17 n. 18Sed in hoc tamen differt, quod primum alterans manet secundum locum dum alterat; quod non contingit dici de pellente. Et ponit exemplum, sicut si aliquis tangat ceram liquefactam, usque ad illum terminum mota est, quousque per actionem caloris actio tangentis pertingit. Sed lapis, quia durus est, non est susceptivus talis impressionis. In aqua autem talis actio magis protenditur procul, quam in cera. Sed adhuc aer, qui est passibilior, in maxime remotum movetur, et facit et patitur, ut medium existens, dummodo maneat et sit unus; ut scilicet non interrumpatur per aliquod obstaculum interpositum. Et ideo circa repercussionem sensus, melius est dicere, quod aer patiatur a figura et colore, quousque permanet unus et continuus, quod contingit quando est lenis, et non interruptus, quam quod radii egredientes a visu repercutiantur a visibili, ut Platonici posuerunt. Et ideo aer sic motus a figura et colore, movebit visum inquantum visibile immutat totum aerem usque ad visum. Et esset simile de cera et sigillo, si figura sigilli imprimeretur in ceram usque ad ultimum terminum eius, sicut visibile imprimit speciem suam in aerem usque ad visum.

Leçon  17

847. Après avoir traité de chacune des parties de l’âme, le Philosophe montre ici comment ces parties sont ordonnées les unes aux autres. Et en premier lieu, il montre qu’il est nécessaire de retrouver la partie végétative de l’âme chez tous les vivants. En deuxième lieu, il montre que la partie sensitive ne se retrouve pas chez tous les vivants mais chez certains d’entre eux seulement, là où il dit : « Le sens n’appartient pas nécessairement à tous etc. ». Il dit donc en premier lieu, à partir de ce qui a été établi plus haut (nn. 262-846), au sujet des parties de l’âme, que tout ce qui vit et possède par conséquent une quelconque partie de l’âme doit nécessairement posséder l’âme végétative du début de sa génération jusqu’à sa destruction. Et il indique par là que cela doit s’entendre des vivants qui sont engendrés et corrompus.

848. Et voici comment il prouve cela : il est nécessaire que tout vivant qui est engendré soit le sujet d’une croissance, d’une maturité et d’une décroissance. Or, tous ces processus sont impossibles sans la nutrition car, dans le temps de la croissance, il faut qu’une plus grande quantité de nourriture soit convertie en la substance du vivant que celle qui suffit à la conservation de la grandeur préexistante ; dans le temps de la maturité, une quantité égale ; dans le temps de la décroissance, une quantité moindre. Donc, puisque l’usage des aliments relève de la partie végétative de l’âme, il est nécessaire que cette partie de l’âme soit présente chez tous les vivants qui sont assujettis à la génération et à la corruption. Par conséquent, l’ordre ou le rapport de cette partie de l’âme aux autres parties est évident, parce toutes les autres parties de l’âme présupposent cette partie, à savoir la partie végétative de l’âme.

849. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais la sensation n’est pas nécessairement etc. », le Philosophe montre comment la partie sensitive de l’âme se rapporte aux vivants. Et il montre en premier lieu que cette partie de l’âme ne se retrouve pas chez tous les vivants. En deuxième lieu, il montre chez quels vivants on la retrouve, là où il dit : « Mais il est nécessaire que l’animal possède la sensation etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’il n’est pas nécessaire que tous les vivants possèdent la sensation car le sens du toucher (sans lequel aucun autre sens ne peut exister et par conséquent aucun animal dont la nature trouve son accomplissement dans la possession du sens) ne peut exister dans un corps simple puisque l’organe du sens du toucher doit nécessairement se situer dans une certaine médiété ou un certain milieu entre les contraires, comme nous l’avons montré plus haut (nn. 521-524) : or, cette médiété ne convient à aucun corps simple puisque les  qualités sensibles ne se retrouvent, dans les corps simples, que dans leurs extrémités ou leurs excès, par exemple dans le feu une chaleur extrême et dans l’eau un froid extrême.

850. De la même manière encore, tous les vivants qui ne reçoivent pas les espèces sans la matière ne peuvent posséder le sens. En effet, comme nous l’avons dit plus haut (nn. 284 ; 551 ; 792), le sens reçoit les espèces sans la matière. Or certains vivants, comme les plantes qui sont plus proches des corps simples en raison de leur nature terrestre, ne reçoivent les espèces sensibles qu’au moyen d’une modification matérielle ; ce ne sont donc pas tous les vivants qui possèdent la sensation.

851. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais l’animal, quant à lui, etc. », il montre que tous les animaux possèdent la sensation. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il le montre au sujet des animaux qui possèdent le mouvement de progression. En deuxième lieu, il le montre au sujet de tous les animaux absolument, là où il dit : « Mais si un corps possède la sensation etc. ». Et au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il manifeste son propos. En deuxième lieu il écarte une difficulté par laquelle on pourrait s’opposer à son raisonnement, là où il dit : « Or, comme un corps ne peut posséder une âme sans etc. ». Il dit donc en premier lieu qu’il est nécessaire que l’animal possède la sensation. Et pour le prouver il affirme premièrement que la nature ne fait rien en vain : en effet, tous les êtres qu’on retrouve dans la nature sont en vue d’autre chose, c’est-à-dire qu’ils proviennent nécessairement de ce qui est en vue de quelque chose. Par exemple, la nature produit des membres en vue d’opérations déterminées. Mais du fait que les membres sont disposés de telle manière, il s’ensuit qu’ils possèdent certains accidents, comme d’avoir des poils, des couleurs, et des corruptions qui ne sont pas en vue d’une fin, mais qui procèdent plutôt de la nécessité de la matière. Par conséquent, puisque la nature agit en vue d’une fin, si les choses naturelles ne pouvaient parvenir à la fin recherchée par la nature, elles seraient vaines.

852. Mais la nature fait que le corps doué du mouvement de progression, c’est-à-dire le corps animal qui peut se mouvoir d’un mouvement progressif, soit organisé et disposé en vue du mouvement de telle manière que par le mouvement il recherche par la suite sa nourriture grâce à laquelle il puisse se conserver dans l’être. Or, cela ne serait pas possible s’il ne possédait pas le sens, car il ne pourrait discerner les dangers qui pourraient s’opposer à lui et par conséquent il serait détruit et ne pourrait parvenir à la fin que recherche la nature, c’est-à-dire à se conserver par la nourriture acquise par le mouvement. En effet, comment pourraient-ils croître, si ce n’est par la recherche de la nourriture grâce au mouvement ?

853. Et l’existence des animaux immobiles ne présente pas une difficulté par rapport à ce que nous venons de dire, car les animaux stationnaires, c’est-à-dire ceux qui sont immobiles, sont rattachés à ce dont ils se nourrissent naturellement et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’ils se mettent à la recherche d’une nourriture éloignée. Il est donc manifeste que si les corps dotés du mouvement de progression ne possédaient pas la sensation, ils ne pourraient pas atteindre la fin à laquelle la nature les a ordonnés, et par conséquent ils auraient été produits en vain, ce qui est absurde.

854. Ensuite, lorsqu’il dit : « En outre, un corps ne peut posséder etc. », le Philosophe écarte une difficulté par laquelle on pourrait s’opposer au raisonnement qui précède. On pourrait en effet objecter que le corps capable du mouvement progressif pourrait atteindre la fin recherchée par la nature en discernant les agents de corruption par l’intelligence, même s’il ne possédait pas le sens. Mais Aristote rejette cette position en disant que le corps qui n’est pas stationnaire, mais qui au contraire se meut d’un mouvement progressif, ne peut avoir une âme et une intelligence qui discerne les agents de corruption sans posséder le sens, qu’il soit ou non soumis à la génération. Et nous l’avons montré au sujet de ceux qui sont soumis à la génération, car les vivants soumis à la génération et qui possèdent l’intelligence ne peuvent être que les hommes. Or, l’intelligence humaine dépend du sens, comme nous l’avons montré plus haut (nn. 772 ; 791).

855. Mais ce qu’il dit, à savoir que « même ce qui n’est pas soumis à la génération ne peut avoir une intelligence sans posséder le sens », cela semble sonner faux dans l’opinion d’Aristote. Les corps célestes, en effet, qu’il affirme être animés, possèdent une intelligence comme partie de l’âme sans cependant posséder le sens puisqu’ils sont des corps uniformes ne présentant pas des organes distincts, ce qui est requis à la sensation. C’est pourquoi certains expliquent ce passage en disant que l’énoncé d’Aristote se termine là où il dit : « du moins chez les êtres sujets à la génération », de manière à signifier qu’aucun corps qui n’est pas stationnaire ne peut posséder une intelligence sans posséder le sens, pourvu qu’il soit sujet à la génération. Et ce qu’il ajoute, à savoir « mais ceux qui ne sont pas sujets à la génération etc. », serait le début d’un autre énoncé, comme s’il disait que ce qui est dit du corps qui est sujet à la génération, c’est-à-dire qu’il ne peut posséder l’intelligence sans posséder le sens, ne se dit pas du corps qui n’est pas sujet à la génération.

856. C’est ce qu’ajoute Aristote en disant : « Pourquoi en effet n’en aurait-il pas etc. ». Il faut entendre ce passage davantage relativement qu’interrogativement, de telle manière que sa signification soit la suivante : la cause pour laquelle le corps qui n’est pas soumis à la génération, à savoir le corps céleste, ne possède pas la sensation bien qu’il possède l’intelligence, est la suivante : c’est que s’il possédait le sens, cela devrait être un avantage soit pour l’âme du corps céleste, soit pour le corps céleste lui-même ; mais il ne peut s’ensuivre aucun de ces avantages, parce que l’âme du corps céleste ne pensera pas plus au moyen du sens qu’il ne pensait déjà sans le sens : en effet, le corps céleste pense ou conçoit de lui-même ce qui est intelligible, à la manière des substances séparées. En outre, le corps céleste ne se conserverait pas mieux dans l’existence au moyen du sens, car ne pouvant pas être détruit, il n’a pas besoin du sens pour éviter les agents de destruction. Mais la conclusion qui suit, à savoir qu’aucun corps non-stationnaire, c’est-à-dire qui n’est pas immobile, ne possède une âme sans posséder le sens, n’est pas ajustée à la signification qui précède ; à moins qu’on ne dise que cette conclusion ne découle pas de ce qui la précède immédiatement, mais de ce qui a été dit en premier.

857. Donc, parce que cette explication semble forcée, il faut dire qu’Aristote, lorsqu’il parle d’un corps qui n’est pas soumis à la génération, n’entend pas le corps céleste, mais plutôt les corps de certains animaux aériens dont les Platoniciens affirmaient l’existence en les nommant démons et que le Platonicien Apulée définit ainsi : les démons sont des animaux ayant un corps aérien, un esprit rationnel, une âme passive et qui sont éternels quant à la durée. Et le Philosophe veut montrer, au sujet des corps de ces animaux, qu’il n’est pas possible qu’ils aient l’intelligence sans le sens, comme le soutenaient les Platoniciens ; de telle manière qu’on interprète interrogativement l’énoncé suivant : « Pourquoi en effet n’en aurait-il pas », c’est-à-dire pourquoi un tel corps n’aurait-il pas le sens ? C’est comme s’il disait : il n’y a pas à en donner la raison. En effet, s’il ne possède pas le sens, cela est soit pour le bien de l’âme, soit pour le bien du corps. Mais ce ne peut être ni l’un ni l’autre car sans le sens son âme ne pense pas mieux et sans le sens le corps ne se conservera pas davantage. Et de là suit immédiatement et directement la conclusion qu’il présente, à savoir qu’aucun corps mobile possédant une âme n’est privé du sens. Et il semble bien que telle est l’intention d’Aristote puisqu’il ajoute immédiatement qu’il est impossible qu’un corps simple soit le corps d’un animal.

858. Ensuite, lorsqu’il ajoute : « Mais si le corps a la sensation etc. », il montre que le sens est absolument nécessaire à tout animal. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il manifeste son propos. En deuxième lieu il tire une conclusion de ce qu’il a dit précédemment, là où il dit : « Il est manifeste en effet, puisque le corps de l’animal est nécessairement etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il présente ce qu’il veut montrer. En deuxième lieu, il prouve ce qu’il veut montrer, là où il dit : « Or, cela est évident à partir de ce que etc. ». Or, il présente deux choses, dont la première est que si un corps possède le sens, il doit nécessairement être simple ou composé. Et il est impossible qu’il soit simple car s’il était simple, il ne posséderait pas le toucher que tous les animaux doivent posséder, non seulement les animaux capables de progression, mais aussi les animaux immobiles, comme nous l’avons montré plus haut (n. 849 ; nn. 260 ; 266 ; 288 ; 300 ; 484 ; 602.)

859. Ensuite, lorsqu’il dit : « Or, cela est manifeste etc. », il prouve ce qu’il veut montrer et en tout premier lieu que le sens du toucher est présent chez tous les animaux. En deuxième lieu que le corps de l’animal ne peut être un corps simple, là où il dit : « Mais qu’il soit impossible que le corps de l’animal etc. ». Au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il montre qu’il est nécessaire que le sens du toucher appartienne à tous les animaux. En deuxième lieu, il montre que les autres sens n’appartiennent pas à tous les animaux, là où il dit : « Mais les autres sens sont en vue du bien-être etc. ». Et au sujet du premier point, il fait deux choses. En premier lieu il montre qu’il est nécessaire que le toucher appartienne à tous les animaux. En deuxième lieu il montre la même chose au sujet du goûter, là où il dit : « C’est pourquoi le goûter, lui aussi, est comme etc. ». Il dit donc en premier lieu que ceci, à savoir qu’il est nécessaire que le toucher appartienne à tous les animaux, est manifeste à partir des considérations suivantes. En effet, l’animal est un corps animé. Or, tout corps qui est sujet à la génération et à la destruction est tangible ; et j’appelle tangible ce qui est perceptible par le toucher. Or les corps célestes, qui ne sont pas soumis à la génération et à la destruction, ne sont pas tangibles. En effet, ils ne sont pas de même nature que les éléments, de telle sorte qu’ils pourraient posséder les qualités élémentaires qui sont des qualités tangibles. Or, il est nécessaire que tous les corps corruptibles possèdent des qualités tangibles puisqu’ils sont soit des éléments simples, soit des composés de ces éléments.

860. Et Aristote conclut à partir de là qu’il est nécessaire que le corps de l’animal possède le sens du toucher pour sa conservation car puisque le corps de  l’animal est tangible, c’est-à-dire possède les qualités tangibles, tout comme les corps qui le touchent lui-même, le corps de l’animal peut être modifié, par une modification naturelle, par ces choses qui le touchent, jusqu’à en être détruit lui-même. Mais il en va autrement pour les autres sens, comme l’odorat, la vue et l’ouïe, qui s’exercent par d’autres intermédiaires et non par le contact du sens avec l’objet. C’est pourquoi ces sensibles, puisqu’ils sont éloignés, ne touchent pas le corps de l’animal et ne peuvent l’altérer jusqu’à le détruire comme le font les qualités tangibles. Et c’est pourquoi, à moins de posséder le sens du toucher par lequel l’animal distingue ce qui lui convient de ce qui est capable de le détruire, l’animal ne pourrait fuir ce qui est capable de le détruire ni acquérir ce qui lui convient, et par conséquent ne pourrait assurer sa conservation. Il est donc nécessaire que l’animal possède le sens du toucher pour assurer sa conservation.

861. Ensuite, lorsqu’il dit : « C’est pour cette raison que le goûter etc. », le Philosophe montre la même chose au sujet du sens du goûter, à savoir que le goûter est une sorte de toucher. Le goûter est en effet le sens de l’aliment : c’est-à-dire qu’il est le sens par lequel l’aliment est jugé comme étant convenable ou non. Or, l’aliment est un corps tangible. En effet, il nourrit du fait qu’il est chaud, humide, froid et sec. Nous nous nourrissons en effet des choses mêmes dont nous sommes constitués dans l’existence. Mais le son, la couleur et l’odeur ne se rapportent en rien à notre alimentation, à notre croissance et à notre décroissance. Mais la saveur a rapport avec notre alimentation dans la mesure où elle découle de notre complexion. Il est donc clair que le goûter est une sorte de toucher, car il est le sens du tangible et du végétatif, c’est-à-dire du nutritif ou de l’aliment. Par conséquent, il est manifeste que ces deux sens sont nécessaires à l’animal et en outre que l’animal ne peut exister sans le toucher.

862. Ensuite, lorsqu’il dit : « Mais les autres sens sont en vue du bien-être etc. », le Philosophe montre que les autres sens n’appartiennent pas à tous les animaux, mais seulement à certains d’entre eux. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il manifeste son propos. En deuxième lieu, il manifeste une proposition qu’il avait déjà exprimée, là où il dit : « En effet, tout comme dans le mouvement local le moteur etc. ». Il dit donc en premier lieu que les autres sens, à savoir la vue, l’ouïe et l’odorat, conviennent à l’animal non pas par nécessité, mais en vue du bien-être. Et il est nécessaire que ces sens appartiennent non pas à n’importe quel genre d’animaux, mais à certains seulement, c’est-à-dire à ceux qui sont capables du mouvement de progression. Car si un animal de la sorte doit assurer sa conservation, non seulement doit-il percevoir ce qui le touche immédiatement, mais il doit aussi percevoir ce qui est éloigné car il a la capacité de se mouvoir au loin. Or un tel être, c’est-à-dire celui qui est capable de percevoir ce qui est éloigné, sera celui qui possède les sens qui perçoivent par un intermédiaire, du fait que l’intermédiaire est affecté et mû sous l’action du sensible et que le sens lui-même est mû sous l’action de cet intermédiaire.

863. Et c’est ce qu’il manifeste par la suite lorsqu’il dit : « En effet, tout comme dans le mouvement local etc. ». Et il le manifeste au moyen d’une similitude tirée du mouvement local. Il semble en effet, dans le mouvement local, que le moteur effectue un changement jusqu’à un certain lieu déterminé : en effet, le premier à donner une poussée rend celui qui est poussé capable d’en pousser un autre à son tour, de telle sorte que le premier à pousser pousse le troisième par un intermédiaire. Mais le premier moteur pousse sans être poussé, tandis que le dernier à être poussé, et où se termine le mouvement, est poussé mais sans en pousser un autre. Quant à l’intermédiaire lui-même, il possède les deux caractères, à savoir qu’il pousse tout en étant poussé ; et il est possible qu’il y ait de nombreux intermédiaires de la sorte. Et ce que nous observons dans le mouvement local, nous l’observons aussi dans le mouvement d’altération : on retrouve là aussi un premier moteur, un dernier mobile, et un intermédiaire qui est à la fois moteur et mobile.

864. Mais il y a une différence dans le mouvement d’altération, car le premier moteur de l’altération demeure dans le même lieu lorsqu’il altère, ce qui n’est pas possible pour le premier moteur qui pousse. Et il donne un exemple : si quelqu’un touche une cire liquéfiée, celle-ci n’est mue que jusqu’au point qui est atteint, grâce à l’action de la chaleur, par celui qui touche. Mais la pierre, qui est dure, ne peut recevoir une telle impression, alors que dans l’eau une telle action se prolongerait plus loin que dans la cire. Mais c’est l’air, qui est plus passible encore, qui est mû le plus loin, et il agit et pâtit, en tant que milieu, aussi longtemps qu’il demeure stable et un, c’est-à-dire qu’il n’est pas arrêté par un obstacle qui s’interpose. Et c’est pourquoi, au sujet de la réflexion de la lumière, il est préférable de dire que l’air subit l’action de la figure et de la couleur aussi longtemps qu’il demeure un et continu, ce qui est possible lorsqu’il progresse sur une surface lisse et non interrompue, plutôt que de dire que les rayons qui sortent de la vue sont réfléchis par le visible, ainsi que le soutenaient les Platoniciens. Et c’est pourquoi l’air, ainsi mis en mouvement par la figure et la couleur, mettra à son tour la vue en mouvement parce que le visible modifie l’air jusqu’à la vue. Et il en irait de même de la cire et du sceau, si la figure du sceau s’imprimait dans la cire jusqu’à l’ultime limite de celle-ci, tout comme le visible imprime son espèce à l’air jusqu’au dernier terme de ce dernier qui est la vue.

 

 

LECTIO 18

[81148] Sentencia De anima, lib. 3 l. 18 n. 1Postquam philosophus ostendit quod tactus de necessitate inest omnibus animalibus, hic intendit ostendere quod impossibile sit corpus animalis esse simplex, puta quod sit igneum, vel aereum, sicut Platonici posuerunt quaedam animalia esse aerea. Hoc autem probat, quia nullum alium sensum contingit esse sine tactu: oportet enim omne animal habere tactum, ut ostensum est, et per consequens oportet quod omne corpus animatum, scilicet anima sensibili, sit tale, ut per ipsum possit fieri sensus tactus. Omnia autem elementa praeter terram, possunt esse organa, vel media aliorum sensuum, scilicet aer et aqua, eo quod aer et aqua faciunt sentire per alterum, idest per medium. Sed tactus non fit per medium, sed in tangendo ipsa sensibilia; et ideo sic nominatur, quamvis et alii sensus sentiant quodammodo in tangendo, non quidem immediate, sed per medium. Nam sensibile tangit sensum per medium, sicut et per medium immutat ipsum. Solus autem sensus tactus in tangendo sensibile sentit per seipsum, et non per aliquod medium.

 

 

 

 

 

 

 

 

[81149] Sentencia De anima, lib. 3 l. 18 n. 2Ex quo manifestum est, quod corpus animalis debet esse tale, ut per ipsum possit fieri tactus, non autem, ut per ipsum possit fieri visus et auditus: quia hi sensus fiunt per medium extrinsecum. Et, quia corpus animalis oportet jesse tale ut per ipsum fiat sensus tactus, impossibile est quod ullum elementorum sit corpus animalis: neque terra, per quam non sunt alii sensus: neque alia elementa, per quae fiunt alii sensus.

[81150] Sentencia De anima, lib. 3 l. 18 n. 3Cuius ratio est, quia illud, per quod fit tactus, oportet esse medium inter qualitates tangibiles, ad hoc quod sit susceptivum earum, utpote in potentia existens ad eas, ut supra ostensum est. Et hoc est verum non solum respectu qualitatum terrae, sed etiam omnium tangibilium qualitatum. In corporibus autem simplicibus non invenitur medium inter qualitates tangibiles, sed inveniuntur ipsae qualitates, secundum extremitatem contrarietatis. Et inde manifestum est, quod per nullum corpus simplex, nec per aliquid corporibus simplicibus vicinum, potest fieri sensus tactus. Et ideo ossibus, capillis et talibus partibus non sentimus, quia superabundat in eis quod terrae est, et non reducuntur ad medium, prout tactus requirit.

 

 

[81151] Sentencia De anima, lib. 3 l. 18 n. 4Propter istam etiam rationem, plantae nullum habent sensum, quia habent multum de terrestri, et sine tactu non est possibile esse aliquem alium sensum, nec tactum fieri possibile per aliquod simplex elementum. Sic ergo manifestum est, quod nullum corpus simplex potest esse animatum anima sensibili.

[81152] Sentencia De anima, lib. 3 l. 18 n. 5Deinde cum dicit manifestum igitur concludit ex praedictis habitudinem sensuum ad animalia. Et primo quantum ad tactum. Secundo quantum ad alios sensus, ibi alios autem sensus. Dicit ergo primo, quod cum necesse sit omne animal habere tactum, ut ostensum est, manifestum est quod solum per privationem huius sensus, scilicet tactus, necesse est animalia mori. Hic enim sensus convertitur cum animali, nec aliquid potest ipsum habere nisi sit animal, nec aliquid potest esse animal nisi habeat hunc sensum.

 

 

 

[81153] Sentencia De anima, lib. 3 l. 18 n. 6Et inde ulterius concludit, quod sensibilia aliorum sensuum si sint excellentia corrumpunt quidem singulos sensus, puta nimis fulgida corrumpunt visum, et fortes soni corrumpunt auditum: quia tamen corruptis his sensibus, potest animal remanere, horum excellentiae non corrumpunt animal nisi per accidens, inquantum scilicet accidit animal pati simul ab aliquibus tangibilibus corrumpentibus; puta si simul cum sono fiat depulsio et ictus, ut accidit in tonitruo, ex quo interdum animalia moriuntur. Et similiter ab his quae videntur, aliqua moriuntur, non inquantum sunt visa, sed inquantum aerem inficiunt, ut dicitur de quibusdam venenosis. Et similiter intelligendum est de odoribus, secundum quod cum malis odoribus interdum adiungitur corruptio aeris. Et ita etiam de sapore est, quod potest corrumpere animal, non inquantum sapor est, sed inquantum sapori adiungitur aliqua qualitas tangibilis, puta quod talis sapor consequitur calorem excedentem vel frigus.

 

 

 

 

 

[81154] Sentencia De anima, lib. 3 l. 18 n. 7Sed excellentia qualitatum tangibilium corrumpit animal per se, et non per accidens: quia omnis excellentia sensibilis corrumpit sensum. Unde quod tangi potest, idest tangibile si fuerit excellens, corrumpit tactum. Secundum autem hunc sensum determinatur vita animalis; tamdiu enim durat animal, quamdiu durat sensus tactus in eo. Ostensum est enim quod impossibile est esse animal sine tactu: unde manifestum est quod excellentiae tangibilium, non solum corrumpunt sensum tactus, sed etiam corrumpunt animal inquantum hunc solum sensum necesse est inesse animali.

 

[81155] Sentencia De anima, lib. 3 l. 18 n. 8Deinde cum dicit alios autem ostendit qualiter se habeant alii sensus ad animal: et dicit quod alios sensus habet animal, non propter necessitatem sui esse, quia sine eis potest esse et vivere, sed propter bene esse; sicut visum habet, qui videt in aere et in aqua, ut videat per aerem et aquam ea quae procul sunt. Et non solum per aerem et aquam, sed etiam per quodcumque diaphanum, quia etiam per corpora caelestia videmus. Gustum autem habet animal propter delectationem et tristitiam, quae est in cibo, ut sentiat delectationem in alimento, et sic concupiscat ipsum, et moveatur ad quaerendum ipsum.

 

 

[81156] Sentencia De anima, lib. 3 l. 18 n. 9Sed notandum est quod supra posuit gustum necessarium animalibus, inquantum est tactus quidam alimenti; hic autem numerat ipsum inter sensus non necessarios, inquantum est discretivus saporum, qui faciunt alimentum delectabile vel triste, ut accipiatur facilius, vel refutetur. Et quod dicitur de gustu intelligendum est de odoratu, quia per odoratum attrahuntur animalia ad alimentum a remotis; licet etiam in hominibus sit alia species et alia utilitas odoratus, ut in libro de sensu et sensato dicitur.

 

 

[81157] Sentencia De anima, lib. 3 l. 18 n. 10Auditus autem est in animali ad hoc, quod ei aliquid significetur. Est enim necessarium quod conceptiones unius animalis alteri significentur, secundum quod unum animal iuvatur ex altero, ut patet maxime in gregabilibus animalibus, in quibus geniti educantur a generantibus. Et ideo oportet etiam quod animal habeat linguam, per quam sonando significet suas affectiones alteri. Et haec dicta de anima ad praesens sufficiant.

Leçon  18

865. Après avoir montré que le sens du toucher appartient nécessairement à tous les animaux, le Philosophe cherche ici à montrer qu’il est impossible que le corps de l’animal soit simple, par exemple qu’il soit du feu ou de l’air, contrairement à ce que soutenaient les Platoniciens qui disaient que certains animaux sont exclusivement constitués d’air. Et il le prouve en disant qu’aucun autre sens ne peut exister sans le toucher : il faut en effet que tout animal possède le toucher, comme nous l’avons montré (nn. 249 ; 252), et par conséquent il faut que tout corps animé par une âme sensible soit d’une nature telle qu’elle rende possible l’apparition du sens du toucher. Or, tous les éléments, à l’exception de la terre, comme l’air et l’eau, peuvent devenir les organes ou les intermédiaires des autres sens, mais c’est par autre chose qu’eux-mêmes, c’est-à-dire par un intermédiaire, que ces organes font percevoir. Au contraire, la sensation du toucher ne s’exerce pas au moyen d’un intermédiaire, mais par un contact direct avec les sensibles eux-mêmes ; et c’est pourquoi le toucher a reçu ce nom, bien que les autres sens aussi perçoivent en quelque sorte par un contact, non pas certes de façon immédiate, mais au moyen d’un intermédiaire ; dans ce dernier cas, en effet, le sensible touche le sens par un intermédiaire, tout comme c’est par cet intermédiaire qu’il le modifie. Mais seul le sens du toucher, dans son contact avec le sensible, perçoit par lui-même sans devoir recourir à un intermédiaire.

866. Voyant cela, il est manifeste que le corps de l’animal doit être tel qu’il puisse produire de lui-même le toucher, mais pas nécessairement la vue et l’ouïe, parce que ces derniers sens s’exercent au moyen d’un intermédiaire extérieur. Et parce que le corps de l’animal doit être tel que nous venons de le dire, il est impossible qu’un des éléments soit le corps de l’animal, ni la terre par laquelle il n’y a pas les autres sens, ni les autres éléments par lesquels il y a les autres sens.

867. La raison en est que le toucher, étant en puissance à l’égard des qualités tangibles, est constitué dans une médiété entre les qualités tangibles pour qu’il puisse les recevoir, comme nous l’avons montré plus haut (nn. 521-524 ; 849). Et cela est vrai non seulement par rapport aux qualités de la terre, mais aussi par rapport à toutes les qualités tangibles. Or, dans les corps simples, on ne retrouve pas une médiété entre les qualités sensibles, mais on retrouve ces qualités dans les extrémités de leur contrariété. Il est manifeste à partir de là que le sens du toucher ne peut apparaître dans aucun corps simple ni dans aucun corps qui se rapproche des corps simples. C’est la raison pour laquelle nous ne percevons pas par les os, par les cheveux et par d’autres parties semblables du corps, parce que la terre s’y retrouve en abondance et qu’elles ne se ramènent pas à la médiété requise par le toucher.

868. C’est aussi pour cette raison que les plantes ne possèdent aucun sens, parce qu’elles sont constituées surtout de terre, et que sans le toucher on ne peut posséder aucun autre sens, et qu’il est impossible que le toucher soit produit par l’un des éléments simples. Il est donc manifeste qu’aucun corps simple ne peut être animé par une âme sensible.

869. Ensuite, lorsqu’il dit : « Il est donc manifeste etc. », il conclut, suite à ce qu’il vient de dire, en montrant quel est le rapport il y a entre les sens et les animaux. Et en premier lieu, il le fait en considérant le toucher. En deuxième lieu, il le fait en considérant les autres sens, là où il dit : « Quant aux autres sens, etc. ». Il dit donc en premier lieu que puisqu’il est nécessaire que tout animal possède le toucher, comme nous venons de le montrer (nn. 849 ; 852 ; 865), il est nécessaire que la privation de ce seul sens, le toucher, entraîne la mort de l’animal. En effet, ce sens se convertit avec l’animal : il n’est pas possible de posséder ce sens sans être un animal, et il n’est pas possible d’être un animal sans posséder ce sens.

870. Partant de là, il conclut par la suite que les sensibles qui correspondent aux autres sens, « s’ils sont extrêmes », corrompent certes chacun de ces sens : par exemple, une lumière trop brillante détruit la vue tout comme des sons trop forts détruisent l’ouïe. Cependant, parce que l’animal peut continuer d’exister une fois ces sens détruits, les excès de ces qualités sensibles ne détruisent l’animal que par accident, c’est-à-dire dans la mesure où il arrive à l’animal de subir simultanément l’action de certaines qualités tangibles destructrices : par exemple lorsque, en même temps que le son, il se produit une poussée ou un choc, comme cela arrive dans le tonnerre, ce qui entraîne parfois la mort de l’animal ; cela est aussi possible par l’action de certains objets visibles, non pas en tant qu’ils sont visibles, mais en tant qu’ils empoisonnent l’air comme on le dit de certaines choses empoisonnées. Et cela est également vrai de certaines odeurs, en tant que de mauvaises odeurs entraînent parfois la corruption de l’air. Et il en va de même de certaines saveurs qui peuvent détruire l’animal, non pas en tant qu’elles sont des saveurs, mais en tant que les saveurs s’accompagnent de qualités tangibles, par exemple lorsque telle saveur est suivie d’une chaleur ou d’un froid excessif.

871. En effet, c’est par lui-même et non par accident que l’excès des qualités tangibles détruit l’animal, car tout excès du sensible détruit le sens. Il en résulte que tout ce qui peut être touché, à savoir le tangible, s’il est excessif, détruit le toucher. Or, c’est par ce sens qu’est déterminée la vie de l’animal ; en effet, l’animal dure aussi longtemps que dure le sens du toucher en lui. Nous avons en effet montré (nn. 849 ; 852 ; 865 ; 869.) qu’il est impossible que l’animal existe sans le toucher : il en résulte qu’il est manifeste que l’excès des qualités tangibles détruit non seulement le sens du toucher mais aussi l’animal tout entier du fait que c’est ce seul sens qui doit nécessairement appartenir à l’animal.

872. Ensuite, lorsqu’il dit : « Quant aux autres sens etc. », il montre de quelle manière les autres sens se rapportent à l’animal, en disant que l’animal possède les autres sens non pas parce qu’ils sont nécessaires à son existence, car sans eux il pourrait exister et vivre, mais en vue de son bien-être. Par exemple, l’animal qui vit dans l’air ou dans l’eau possède la vue pour voir dans l’air et dans l’eau les choses qui sont éloignées ; et non seulement dans l’air et dans l’eau, mais dans toute substance diaphane, car nous voyons même au moyen des corps célestes. En outre, l’animal possède le goûter en vue du plaisir ou du déplaisir qu’il trouve dans les aliments, pour percevoir le plaisir dans l’aliment, et par conséquent le désirer et se mettre à sa recherche.

873. Mais il faut noter que nous avons affirmé plus haut (n. 861) que le goûter est nécessaire aux animaux en tant qu’il est une sorte de toucher de l’aliment, alors qu’ici il le compte parmi les sens qui ne sont pas nécessaires en tant qu’il discerne les saveurs qui rendent l’aliment agréable ou désagréable, de sorte que ce dernier est pris ou refusé plus facilement. Et ce qui est dit du goûter doit s’entendre aussi de l’odorat, car c’est par l’odorat que les animaux sont attirés de loin vers l’aliment, bien qu’il y ait aussi chez l’homme une autre espèce et une autre utilité de l’odorat, comme le souligne le Philosophe dans un autre ouvrage [Du Sens et du Senti, ch. 5].

874. Quant à l’ouïe, il est dans l’animal afin que quelque chose lui soit signifié. Il est en effet nécessaire que les représentations présentes dans un animal soient communiquées à un autre afin qu’un animal soit secouru par un autre, comme on le voit surtout chez les animaux grégaires, où ceux qui sont engendrés sont secourus par ceux qui engendrent. Et c’est aussi pourquoi il est nécessaire que l’animal possède la langue pour signifier aux autres ses passions au moyen des sons qu’elle produit. Et ce que nous avons dit de l’âme suffit pour le moment.

 

 



[1] Serge Pronovost, né en 1948, a été professeur de philosophie au Québec de 1975 à 2007. En collaboration avec l’Institut Docteur angélique, il est le traducteur en français de deux autres commentaires de saint Thomas d’Aquin, celui sur Les Noms Divins du Pseudo-Denys et Les Métaphysiques d’Aristote.

[2] Saint-Thomas d'Aquin, Commentarium in Aristotelis librum de Anima, Marietti, 1959.

[3] Aristote, De l'Âme, trad. Tricot, Librairie Philosophique, Paris, 1965.

[4] Aristote, Les Parties des Animaux, Les Belles Lettres, Paris, 1956.

[5] Saint-Thomas d'Aquin, Commentarium in Aristotelis octo libros Physicorum, Marietti, 1954.


 [S1]